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La révolution néolithique

Depuis longtemps déjà, les historiens ont adopté, avec plus ou moins
d’enthousiasme, cette formule du grand archéologue Vere Gordon Childe, qui a eu le
mérite de mettre en valeur l’importance exceptionnelle de la rupture qui marque
l’avènement du second âge de pierre au Moyen Orient d’abord, dans l’aire du sud-est
européen ensuite, puis partout dans l’Ancien monde, et qui consiste dans la
domestication des animaux et des plantes, c'est-à-dire dans la transformation des
communautés humaines de chasseurs en communautés de cultivateurs et de pâtres. De
prédateur, l’homme devient producteur, assumant ainsi pleinement son destin
singulier et ouvrant, il y a plus de 8.000 ans, la voie qui mène jusqu’à la civilisation
d’aujourd’hui.
Les mythes grecs de l’âge d’or racontaient l’histoire d’un âge de l’heureuse
confusion des hommes et des dieux, comme aussi de leur convivialité avec le monde
animal. Le règne de Cronos - ce dieu cannibale qui dévorait ses enfants - finit
brusquement par la séparation des dieux et des hommes : chassés de la table des
dieux, les hommes sont condamnés à peiner difficilement pour survivre, mais se
séparent en même temps des animaux, en respectant dorénavant les lois qui leur
interdisent de se dévorer entre eux, de s’accoupler au hasard et de ne se soumettre à
aucune autorité. La fin des hommes commensaux des dieux est aussi la fin de la
sauvagerie des hommes.
A mon avis, la version mythique grecque de l’homme chassé de la table des
dieux est plus pertinente, dans son ambivalence, que la plupart des autres récits
anciens sur ce thème du Paradis perdu, que l’on peut faire remonter, en fin de compte,
à la « révolution néolithique » mettant fin à l’animalité des hommes, mais aussi à leur
insouciance quasi-divine. On peut donner à cette révolution aussi bien une lecture
optimiste, comme étant le tournant décisif qui a marqué la destinée de démiurge de
l’homme, qu’une lecture pessimiste, qui en fait la source de son aliénation. Mais il ne
fait pas de doute que cet âge est aussi – est surtout, peut-être, pour le bien ou pour le
pire – un âge de la connaissance,.
Le néolithique représente non seulement une révolution du mode de vie, mais
aussi une révolution du mode de pensée et de l’imaginaire humain. Les témoignages
matériels, souvent superbes, de la civilisation néolithique et de la création esthétique,
voire symbolique, de cet âge, tels qu’ils peuvent être admirés aussi dans la présente
exposition, peuvent difficilement être réduits à des simples effets d’une révolution
dans les moyens – radicalement autres, il est vrai – et des pratiques productives.
Les sanctuaires de cet âge prouvent que c’est aussi l’âge des premiers astronomes, qui
observent les cycles des astres et les traduisent dans des rites sans doute complexes de
fertilité pour leurs champs et de fécondité pour leurs troupeaux et pour leurs femmes.
De là à penser que, parmi eux, commencent à s’esquisser des groupes spécialisés que
la communauté dote de moyens de survie pour les laisser consacrer le plus clair de
leur temps aux rituels communs et à une réflexion de plus en plus abstraite, le chemin
n’est pas trop ardu.
Dès qu’on regarde de près les objets crées à cet âge, dès qu’on les compare les
peintures rupestres du paléolithique, la première chose qui nous frappe est leur degré
supérieur d’abstraction. Là où les peintures paléolithiques racontent des histoires de
chasse sacrée en peignant le plus fidèlement possible des fauves et des hommes, les
peintres de la civilisation de Cucuteni créent des formes d’une géométrie épurée et
rigoureuse, ou bien des statuettes-symboles dont la forme témoigne d’une capacité de
stylisation autre que celle des âges antérieurs. On serait tenté de penser que ces
premiers cultivateurs sont des astronomes et géomètres en train de gagner l’accès au
nombre et au concept. Le langage humain dans toute sa complexité a donc toutes les
chances d’être un héritage qui n’a cessé de s’accumuler à partir de l’époque
néolithique jusqu’à nous.
Une œuvre qui a marqué la réflexion contemporaine sur le langage et sur le
mythe, celle du savant russe Vladimir Propp, nous proposait de remonter jusqu’à
l^époque des chasseurs du Paléolithique pour retrouver, dans les pratiques et les rites
de passage de ces lointains ancêtres, ce que Propp nommait « les racines historiques
du conte fantastique ». Sans doute, la quête du héros dans les forêts sombres de ses
aventures qualifiantes garde la trace des rites d’initiation qui ont toutes les chances
d’être très vieux. Ce que Propp a cependant omis d’observer, c’est que ces rites, aussi
bien que leur souvenir mythique, ont pour point de départ une opposition constitutive
entre l’espace sauvage que l’initiand doit parcourir et l’espace qu’il doit quitter pour
accomplir ses exploits, et où il doit revenir, au demeurant, pour y consacrer sa
maturité héroïque. Cet espace départ/ arrivée, cette Ithaque avant la lettre, est un
espace de champs cultivés, d’animaux domestiques et familiers, c’est l’espace aussi
du mariage qui couronne la fin heureuse du conte – bref, c’est un espace d’ordre, de
culture et de loi. Ce double registre du conte nous parle en fait de l’âge où les hommes
recréent de façon temporaire leur passé de chasseurs-prédateurs afin de mieux
s’intégrer par ce retour régressif dans la civilisation pleinement humaine – celle que la
révolution néolithique a fondé. Source de nos réalités de producteurs, source de notre
aliénation créatrice, le néolithique peut bien être aussi la source première de nos
mythes et de nos rêves.

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