Dictionnaire des

Drogues,
des toxicomanies
e t des dépendances
 Denis Richard
Jean-Louis Senon

Dictionnaire des
Drogues,
des toxicomanies
e t des dépendances
Préface de
Bernard KOUCHNER

LES RÉFÉRENTS

LAROUSSE
21, rue du Montparnasse 75006 Paris
 Responsable éditorial
Jean-Christophe Tamisier

Lecture-correction
Édith Zha

Fabrication
Nicolas Perrier

@ Larousse-Bordas 1999

Toute reproduction, par quelque procédé que ce soit, de la nomenclature et ou

du texte contenus dans le présent ouvrage et qui sont la propriété de l 'éditur
est strictement interdite.

Distributeur exciusit au Canada : <Messagerie ADP, l~5i Richaruson. Mor.trea. /-uenu,

ISBN : 2-03-720324-1
 Préface

Un débat nécessaire

Drogues, toxicomanies, dépendances : ces mots-là sèment l'effroi par leur

banalité même et entraînent, en France, une sorte de glissement intellectuel qui
gêne trop souvent le raisonnement. Je m'en aperçois quand je tente d'en débattre
avec mes concitoyens. Leur première réaction reste souvent un refus du dialogue.
Puis surgissent des idées reçues, sous forme d'images. La première qui vient à
l'esprit de beaucoup de mes interlocuteurs, c'est le symbole de la seringue : tableau
tragique de l'héroïnomane se dissimulant pour se piquer les veines. Ils y voient
l'incarnation angoissante du mal et de la déchéance. Puis les clichés et les produits
se mélangent : amalgame dommageable, avalanche fatale. Enfin surgit l'image du
trafic international.
La réalité de la consommation des toxiques s'avère aujourd'hui bien diffé-
rente, moins spectaculaire et plus inquiétante. Elle reste en partie méconnue. Dans
les rencontres, celles des Etats généraux de la santé par exemple, j'expose, nous
tentons d'exposer des exemples et des chiffres concernant la diversité des produits
et des effets. Je sens alors l'incrédulité chez mes interlocuteurs. Je m'efforce de les
convaincre. Notre intoxiqué, peut être un de nos enfants, fume du tabac, il boit
(un peu), il ne peut plus se passer de sa pilule pour dormir. Dépendant, lui ? Dro-
gué ? Jamais, répond la majorité ! Et, pourtant, j'en suis convaincu, il ne suffit pas
de diaboliser le mot cannabis pour en être quitte avec les angoisses de nos sociétés
et les habitudes de notre jeunesse.
Pour diminuer la prise de drogues, les licites, les illicites, les « douces », les
« dures " les « habituelles », il conviendrait de diminuer les angoisses de notre so-
ciété, de modifier son regard sur elle-même, de raisonner sur la nécessité ou la
suppression des interdits, de lui procurer — oui — du risque et de l'exaltation. Cela
passe par des actions de prévention, en premier lieu par l'information et la forma-
tion des citoyens. Par un choix de vie, lorsque cela est possible. Dès lors rien de tel
qu'un dictionnaire, de consultation simple, pour redonner, à travers des définitions
courtes et précises, tout leur sens aux termes employés et toute leur force aux
situations vécues. Clarté, force, véracité : les deux auteurs et leurs nombreux colla-
borateurs qui ont permis la réalisation de cet ouvrage n'ont pas ménagé leur peine.
Je ne doute pas de voir les esprits évoluer. Au cours des dernières années, le
débat sur les drogues s'est nourri, en France et hors de nos frontières, d'expériences
de prise en charge réussies ou non, de données scientifiques nouvelles, d'échanges
entre intervenants de terrain confrontés à la réalité de la lutte contre la toxicomanie
et de l'aide à ceux qui en sont victimes. Les rapports officiels et les publications
scientifiques n ont pas manqué. Je le dis avec satisfaction : la politique de réduc-
tions des risques sanitaires liés à l'usage des drogues, initiée il y a cinq ans, par
nos soins dans des difficultés culturelles et pratiques intenses, a été heureusement
poursuivie.
Un premier résultat : la prise en charge des toxicomanes s'améliore. Les dra-
mes liés à l'épidémie de sida ont contribué à une prise de conscience plus marquée.
Il a fallu réagir, soigner. Vite. Et comprendre surtout, accompagner. Cette politique
de réduction des risques, centrée sur l'usager, non sur les drogues, reçoit un très
large assentiment, comme j'ai pu le constater lors des « Rencontres nationales sur
l'abus de drogues et la toxicomanie », où plus de 300 participants ont débattu et
émis des propositions.
Pour lutter contre les abus et les dépendances, il fallait développer la connais-
sance sur les toxiques et leurs conséquences sur la santé. Tant d'opinions personnel-
les et d'idées fausses circulent à ce sujet, tant de vieilles peurs continuent de hanter
notre inconscient collectif. J'ai donc confié à Bernard Roques, professeur à l'univer-
sité Paris-V, neuropharmacologue de renom, membre de l'Académie des sciences,
la mission de conduire, avec des consultants français et internationaux, une étude
comparée de la dangerosité de l'ensemble des drogues disponibles sur le marché.
En particulier de leur neurotoxicité.
L'analyse dépassionnée, sèche, rigoureuse, de plus de 450 travaux scientifi-
ques internationaux majeurs effectuée par cette équipe indique que, le cannabis
par exemple, sur lequel se cristallise un débat passionné, entraîne une neurotoxicité
moindre que l'alcool, la cocaïne ou les psychostimulants. Il apparaît qu'en termes
de dangers potentiels trois groupes ressortent : le premier comprend l'héroïne, la
cocaïne et l'alcool, le deuxième, les psychostimulants, les hallucinogènes et le tabac.
les benzodiazépines (médicaments anxiolytiques et hypnotiques) et le cannabis
venant nettement plus en retrait. En fait, toutes ces substances sont hédoniques.
Elles entraînent du plaisir, ce mot tabou. Toutes activent le système dopaminergi-
que et provoquent des effets de dépendance psychique. Bref, toutes présentent un
danger, mais à des degrés divers qu'il est à présent possible de quantifier et de
classifier. Sur ce point, les conclusions des experts sont précises : la consommation
régulière d'alcool met gravement en péril le système nerveux, bien plus qu'on ne
le croit. Je perçois combien cette affirmation va à l'encontre des préjugés et des
habitudes alimentaires de notre pays, des préjugés aussi, combien elle déroute dans
un pays tellement attaché à ses vignobles. Et que dire de la difficulté à débattre
des méfaits du tabagisme passif dans un pays qui ne respecte pas la loi dont il s'est
doté ?
Bernard Roques souligne aussi la place des facteurs individuels dans le proces-
sus qui mène à la dépendance : « Les individus ne sont pas égaux devant le risque
toxicomane. Les états dépressifs, les troubles obsessionnels compulsifs, l'anxiété,
les personnalités antisociales, sont retrouvés avec une très forte incidence chez les
sujets dépendants à l'héroïne, l'alcool et la cocaïne. » Le recours permanent à la
drogue reflète une peine, voire une impossibilité, à mettre en œuvre une conduite
ajustée aux situations quotidiennes, conflictuelles ou non. Ce qui fragilise un être.
dans sa vie familiale ou professionnelle. le rend perméable aux toxiques pour peu
que l'occasion de s'en procurer se présente. C'est dire l'importance que doit revêtir.
dans notre société hésitante, le soutien ajusté aux personnes en difficultés psycho-
logiques et matérielles.
Responsable de la santé publique, je déplore les échanges trop passionnes.
l'absence de débat serein autour de la « loi de 1970 » qui considère toutes les dro-
gues petites et dures comme équivalentes, et régit la relation des toxicomanes avec
les institutions judiciaires. Au moins nous faut-il ajouter à la liste les toxiques lé-
gaux et dévastateurs que sont le tabac, l'alcool et de nombreux médicaments. Il y
a là une contradiction qui a souvent rendu la loi inapplicable, d'une part en restrei-
gnant l'information sur l'usage des drogues, assimilée parfois à du prosélytisme et
à ce titre condamnable, d'autre part parce que les intéressés pouvaient préférer se
cacher au lieu d'accéder aux structures de soins quand il craignait le risque de
l'emprisonnement. À tort ou à raison.
Deux camps s'affrontent avec une égale vigueur, celui qui prône la modifica-
tion immédiate de la législation et celui qui s'y accroche désespérément. Aux pre-
miers, je dirai que libéraliser, dépénaliser, comme on le demande trop souvent,
l'usage des drogues ne peut être une fin en soi. Même si le simple usage personnel
ne devrait pas conduire devant le juge pour autre chose que l'informer sur la
toxicité. Cette libéralisation serait même une régression par rapport aux efforts de
prévention déployés ces dernières années, y compris ceux accomplis dans la lutte
contre l'alcoolisme, le tabagisme ou la consommation immodérée de médicaments.
Mais si l'interdit doit demeurer, il conviendrait de l'aménager, de l'encadrer, de
l'évaluer en permanence. Aux seconds, je rappellerai que cette loi n'a pas fait dimi-
nuer, loin de là, la consommation de drogues. Elle a surtout donné bonne cons-
cience.
Je ne peux, personnellement, comme responsable de la santé publique, me
résoudre ni à faciliter la consommation de drogues ni à envoyer en prison le simple
usager, surtout s'il manifeste le désir de s'en sortir, car la détention présente plus
de risques qu'elle n'en évite. La situation actuelle, avec ses zones de droit floues,
paraît préjudiciables aux plus vulnérables et aux moins fortunés. C'est pourquoi un
débat documenté devrait s'engager en tenant compte des réalités, en laissant de
côté sinon les passions, du moins les positions idéologiques préformées.
Enfin, puisque ce dictionnaire traite des drogues et des toxicomanies, je vou-
drais insister sur leur diversité, leur dangerosité aussi, liée souvent à leur utilisation
concomitante, pour mettre l'accent sur ces fléaux modernes que sont l'alcoolisme,
le tabagisme et l'usage abusif de médicaments.
L'alcool tue. Il est associé à plus de 30 % des accidents mortels de la circula-
tion (je ne compte pas ici les blessés dont certains resteront handicapés à vie), à
20 % des accidents domestiques, à 15 % des accidents du travail, à 5 % des acci-
dents du sport et à 80 % des rixes, des bagarres et des violences familiales. Dans
la majorité des cas, leurs auteurs ne sont pas des alcooliques chroniques. Ils ont
simplement bu un verre de trop. Autant dire que le bilan est effrayant. Il s'alourdit
même quand les consommateurs de drogues, je pense aux jeunes en particulier,
associent l'alcool et le crack, l'alcool et les benzodiazépines, l'alcool et le cannabis
aussi. De toute évidence, les Français n'en ont pas encore pris pleinement la me-
sure. Cette tolérance à l'alcool, à l'origine de la majorité des toxicomanies, culturel-
lement admise et dont les conséquences sont dramatiques, contraste avec la sévé-
rité déployée pour réprimer l'usage du cannabis. Je l'affirme ici avec énergie
l'alcoolisme doit être combattu sans faiblesse. Des vies sont en danger. Pour le faire
admettre, il convient d'informer sans cesse sur les trois étapes qui, en matière
d usage de tous les toxiques et stimulants, risquent de frapper nos familles : l'usage,
l'abus, la dépendance. La première est une affaire personnelle, la dernière concerne
la société tout entière.
Le tabac tue aussi. L'an passé, plus de 60 000 décès par cancer, notamment
du poumon, et par maladies cardio-vasculaires étaient imputables au tabagisme,
actif et passif. Respirer un air enfumé fragilise les non-fumeurs. Le risque sanitaire
s'accroît pour le fœtus et le nouveau-né dont la mère fume régulièrement. Le taba-
gisme passif est maintenant scientifiquement admis comme facteur cancérigène.
Notre armoire à pharmacie devient un refuge. Combien de nos concitoyens
utilisent déjà de multiples petites pilules pour dormir, se réveiller, lutter contre la
déprime et maintenant obtenir une virilité sur ordonnance. On attend pour bientôt
le médicament contre l'obésité, contre les pertes de mémoires, et celui contre la
chute de cheveux. C'est le meilleur des mondes. Ou le pire. Les pharmacologues
s'en préoccupent. Notre société s'oriente vers une « médicalisation de l'existence »,
comme le souligne avec inquiétude le professeur Édouard Zarifian. Société à deux
vitesses puisque seuls les plus riches pourront bénéficier de certaines nouvelles
molécules qui améliorent la qualité de la vie, mais ne sont pas, actuellement, rem-
boursées.
L'exemple le plus frappant de l'excès concerne les tranquillisants. Alors que
leur consommation, au cours de ces dix dernières années, a diminué de 30 % aux
Pays-Bas, de 47 % en Allemagne et de 57 % en Grande-Bretagne, elle ne cesse
d'augmenter chez nous. Sommes-nous si malheureux, si angoissés que cela ? Al-
lons-nous demain systématiquement traiter par des antidépresseurs les deuils, les
chagrins d'amour, le chômage que nous n'aurons plus la force de surmonter par
nous-mêmes ? Administrés sur une longue période, ces produits ne peuvent que
modifier notre vie affective et nos rapports sociaux. Dans le même temps, malgré
ces consommations record d'antidépresseurs, les taux de suicide atteignent dans
notre pays des chiffres effrayants.
Comment aller expliquer aux plus jeunes les dangers des drogues, de toutes
les drogues, les légales et les illégales, s'ils voient leurs parents et leurs professeurs
en consommer massivement et impunément ? Comment les acteurs de santé publi-
que peuvent-ils être crédibles dans leurs recommandations ? Chacun d'entre nous,
en premier lieu les adultes, doit être le porteur de la parole mais aussi, et surtout,
de l'exemple. Il vaut mieux que mille discours. Ce dictionnaire contribue nécessai-
rement à une meilleure compréhension des risques et par là même à une prévention
adaptée.
Il explore et définit des drogues, des produits chimiques, des substances qui
peuvent créer la dépendance et les trafics, ce dictionnaire, mais, derrière les molécu-
les, il nous permet d'apercevoir les hommes et les femmes, de les écouter, de les
comprendre, de leur proposer un projet, de les accompagner. Les personnes sont
plus intéressantes que les corps chimiques qui entraînent, comme l'écrivait Baude-
laire dans les Paradis artificiels, « l'épouvantable mariage de l'homme avec lui-
même ».
Bernard KOUCHNER
secrétaire d'État à la Santé et à l'Action sociale
 Avant-propos

« Chaque homme porte en lui sa dose d'opium naturel inces-

samment sécrétée et renouvelée. »

Charles Baudelaire,
L'invitation au voyage (Le Spleen de Paris).

Même si un dictionnaire se présente avant tout comme un outil de travail, en

permettant d'accéder à une définition ou de préciser le sens d'un mot, il doit égale-
ment constituer un outil de réflexion, par ses développements encyclopédiques. Le
travail présenté ici s'inscrit dans cette perspective en s'adressant à un lectorat sou-
cieux de mieux connaître ce que sont les dépendances et d'en cerner les enjeux :
parents et adolescents, enseignants, professionnels de la santé et de la justice, inter-
venants sociaux, et les personnes elles-mêmes dépendantes.
Sans prétendre à l'exhaustivité, le Dictionnaire des drogues, des toxicomanies et
des dépendances souhaite simplement proposer des éléments de réflexion critique
sur les dépendances, leurs manifestations, et les réactions qu'elles peuvent susciter.
C'est la raison pour laquelle le lecteur y trouvera des entrées à caractère pharmaco-
logique, clinique, thérapeutique et législatif aussi bien qu'historique, sociologique
ou culturel. Les développements encyclopédiques aident à percevoir les lignes di-
rectrices du débat sur les dépendances et, plus spécifiquement, sur les toxicomanies
par usage de produits illicites (autosupport, boutique, salle d'injection, bus-métha-
done, substitution, méthadone, buprénorphine, citoyenneté, Europe, Internet, blan-
chiment, écologie, cannabis, drogue douce, drogue dure, etc.). Ils envisagent égale-
ment, et c'est là l'un des apports novateurs du dictionnaire, toutes les autres formes
de dépendance : dépendance toxicomaniaque aux drogues légalisées (alcool, tabac,
substances dopantes, médicaments divers) et dépendance dite « sans drogue » à des
pratiques ou à des comportements désormais bien repérés (jeu pathologique, trou-
bles des conduites alimentaires, etc.). Ces développements montrent aussi la pré-
gnance culturelle des conduites de dépendance (presse, créativité, science-fiction,
cinéma, théâtre, etc.).
Le choix de ces occurrences traduit la volonté de l'équipe de rédaction de
proposer une information en prise sur les interrogations de l'époque quant aux
pratiques addictives : mise en œuvre de stratégies de réduction des risques, modali-
tés et impact des traitements de substitution, gestion sociale et politique de l'accès
aux substances psychoactives, liens entre dépendance et plaisir, évolution d'une
réflexion citoyenne sur les toxicomanies. Surtout, il vise à dédramatiser un débat
qui doit être conduit dans la sérénité et le respect que doit imposer ce qui s'inscrit
dans l'humain.
Plus de cent spécialistes ont collaboré à ce dictionnaire pour proposer au lec-
teur des éléments d'information, de réflexion ou d'interrogation aussi actualisés
que possible. Chaque contribution est signée de son ou de ses auteur(s) et en reflète
la pensée. Ceux-ci ont par ailleurs publié pour la plupart des ouvrages de référence
dont le lecteur trouvera mention dans la bibliographie. Nous formons le vœu que
cette synthèse puisse contribuer à dégager une réflexion consensuelle sur les dépen-
dances.

Nous remercions pour leur collaboration et leurs appréciations critiques tous les collè-
gues et amis qui ont bien voulu participer à la rédaction de ce dictionnaire. Nous remercions
également les centres de documentation sans lesquels nous n'aurions pu travailler avec effica-
cité et, tout spécifiquement, l'équipe de Toxibase et madame Clotilde Carrandié (hôpital
Marmottan, Paris). Nous remercions enfin l'administration du Centre hospitalier Henri-La-
borit (Poitiers) pour le soutien technique et informatique sans lequel cet ouvrage n'aurait pu
être réalisé.

Nota bene : la première occurrence au sein des divers articles des termes faisant en eux-
mêmes l'objet d'une entrée est signalée par un astérisque (sauf en ce qui concerne les notions
auxquelles il est constamment fait référence. comme, par exemple, alcool, cocaïne, drogue,
etc., dont la présence dans la nomenclature du présent dictionnaire est évidente).
 Les auteurs du dictionnaire
Denis Richard, pharmacien des hôpitaux, en-
seignant universitaire, chef de service, pharma-
cie centrale, Centre hospitalier Henri-Laborit,
Poitiers.
Jean-Louis Senon, professeur des universités,
praticien hospitalier, chef de service, service de
psychiatrie et psychologie médicale, Centre
hospitalier Henri-Laborit et Centre hospitalier
universitaire, Poitiers.
ainsi que :
Jean Adès, professeur des universités, prati-
cien hospitalier, chef de service, hôpital Louis-
Mourier, Colombes.
Patrick Aeberhard, membre du comité de di-
rection de l'Association internationale de ré-
duction des risques (IHRA).
Dominique Airault, peintre, sculpteur, Paris.
Katia Albernhe, psychiatre des hôpitaux,
Montfavet.
Thierry Albernhe, psychiatre des hôpitaux,
Montfavet.
Chantal Amoureux, formatrice hospitalière,
Paris.
Pierre Angel, professeur de psychopatholo-
gie, université Paris-VIII, Centre de thérapie fa-
miliale Monceau, Pans.
Florence Arnold-Richez, journaliste médi-
cale, association FIRST, Paris.
Marie-Danièle Barré, démographe, Centre
de recherches sociologiques sur le droit et les
institutions pénales, Guyancourt.
Franck Baylé, ancien chef de clinique assis-
tant, psychiatre, service du Pr. H. Loô. hôpital
Sainte-Anne, Pans.
Philippe Beau, praticien hospitalier, Service
hospitalo-uruversitaire d'hépato-gastro-entéro-
logie. C.H.U.. Poitiers.
Bertrand Becq-Giraudon, professeur des uni-
versités, praticien hospitalier, chef du service
d'infectiologie, C.H.U. de Poitiers.
Michel Bénézech, praticien hospitalier, chef
de service. S.M.P.R., Bordeaux.
Philippe Binder, médecin généraliste, prési-
dent du réseau « G & T », Lussant.
Antoine Bordas, pharmacien, Poitiers.
Jacques Bouchez, psychiatre des hôpitaux,
département toxicomanies et dépendances,
Centre hospitalier Paul-Guiraud, Villejuif.
Didier Bourgeois, psychiatre des hôpitaux,
Montfavet.
Amid Boukhari, assistant, service de psychia-
trie, Centre hospitalier universitaire, Tunis.
Fabien Bureau, pharmacien, Poitiers.
Philippe Cadilhac, praticien hospitalier, Ser-
vice de psychiatrie et de psychologie médicale,
C.H.U., Toulouse.
Alessandra Callabria, médecin attaché, psy-
chiatre, hôpital Marmottan, Paris.
Clotilde Carrandié, documentaliste « Toxiba-
se ", hôpital Marmottan, Paris.
Françoise Casadebaig, épidémiologiste, di-
recteur de recherche, INSERM U302, Le Vé-
sinet.
Jean-Jacques Chavagnat, praticien hospita-
lier, service hospitalo-universitaire de psychia-
trie et de psychologie médicale, Centre hospi-
talier Henri-Laborit, Poitiers.
Micheline Claudon, psychologue, sociolo-
gue, Service de psychiatrie d'urgence, hôpital
Bichat, Paris.
Anne Coppel, sociologue, directrice du Cen-
tre Émergence Tolbiac, Paris.
Eric Corbobesse, interne des hôpitaux, psy-
chiatre, hôpital Sainte-Anne, Paris.
Jean-Michel Costes, directeur, Observatoire
français des drogues et des toxicomanies
(O.F.D.T.), Pans.
François-Régis Cousin, psychiatre des hôpi-
taux, hôpital Sainte-Anne, Paris.
Gérard Danou, praticien hospitalier, Centre
hospitalier de Gonesse, docteur ès lettres, en-
seignant, universités de Paris-VIII et Paris-XIII.
Mehdi Djilani, pharmacien, Poitiers.
Bakari Diallo, praticien hospitalier, Unité de
traitement de la douleur, C.H.U., Poitiers.
Philippe Duverger, praticien hospitalier, Ser-
vice de psychiatrie et de psychologie médicale,
C.H.U., Angers.
Michel Embareck, journaliste, écrivain,
Athée-sur-Cher
Françoise Facy, épidémiologiste, directeur de
recherche, INSERM U302, Le Vésinet.
Florent Farges, assistant des hôpitaux, hôpi-
tal Sainte-Anne, chargé d'enseignement, uni-
versité Paris-VIII.
Michel Faruch, psychiatre, Toulouse.
Catherine Faruch-Amoyal, praticien hospi-
talier, psychiatre, chef de service, C.H.U., Tou-
louse.
Hassan Fahs, praticien hospitalier, psychiatre,
Centre hospitalier Henri-Laborit, Poitiers.
Lydia Femandez, maître de conférences en
psychologie clinique et en psychopathologie,
université Toulouse-Le Mirail.
Jean-Bernard Garré, professeur des universi-
tés, praticien hospitalier, Service de psychiatrie
et de psychologie médicale, C.H.U., Angers.
Lionel Gibier, praticien hospitalier, psychia-
tre, chef de service, C.H.U., Tours.
Roger Gil, professeur des universités, prati-
cien hospitalier, chef de service, Service de
neurologie, C.H.U., Poitiers.
Philip Gorwood, chef de clinique assistant,
service universitaire de psychiatrie, hôpital
Louis-Mourier, Colombes.
Serge Guibert, praticien hospitalier, psychia-
tre, chef de service, Centre hospitalier Henri-
Laborit, Poitiers.
Charles Gury, praticien hospitalier, pharma-
cien, médecin, hôpital Sainte-Anne, Pans.
Emmanuel Haffen, assistant chef de clinique,
service de psychiatrie et de psychologie médi-
cale, C.H.U., Besançon.
Michel Hautefeuille, praticien hospitalier,
psychiatre, hôpital Marmottan, Paris, Centre
Imagine, Soisy-sous-Montmorency.
Rodolphe Ingold, directeur de l'Institut de re-
cherche en épidémiologie des pharmacodépen-
dances (IREP), Paris.
Eric Jérôme, médecin attaché, psychiatre, hô-
pital Marmottan, Paris.
Alain Labrousse, directeur, Observatoire géo-
politique des drogues, Paris.
Nicolas Lafay, chef de clinique assistant, psy-
chiatre, Centre hospitalier Henri-Laborit, Poi-
tiers.
Pascale Lagouje, journaliste, Lyon.
Gilbert Lagrue, professeur émérite, tabacolo-
gue, hôpital Henri-Mondor, Créteil.
Jean Lamarche, pharmacien d'officine,
Sevran.
Patrick Laure, praticien hospitalier, ensei-
gnant universitaire, C.H.U., Nancy.
Jean-Pierre Lauzel, psychiatre des hôpitaux,
hôpital Sainte-Anne, Paris.
Stéphane Lavignotte, journaliste, responsa-
ble du groupe de travail « Drogues ", Les Verts,
Paris.
Bertrand Lebeau, médecin, directeur du pro-
gramme « Méthadone ", Médecins du monde.
Paris.
Annick Le Guérer, anthropologue, philoso-
phe, société des études euro-asiatiques, musée
de l'Homme, Paris.
Michel Lejoyeux, praticien hospitalier, psy-
chiatre, service du professeur Adès, hôpital Bi-
chat, Paris.
Patrick Lemoine, praticien hospitalier, assis-
tant-chercheur associé, université de Montréal
(Ouébec).
Aymeric Longi, chercheur, Observatoire géo-
politique des drogues, Paris.
Henri Lôo, professeur des universités, prati-
cien hospitalier, chef de service, hôpital Sainte-
Anne, Paris.
Nicole Maestracci, présidente de la Mission
interministérielle de lutte contre la drogue et
les toxicomanies, Paris.
Nadia Mammar, praticien hospitalier, Service
hospitalo-universitaire de psychiatrie et de
psychologie médicale, C.H.U., Nantes.
Daniel Marcelli, professeur des universités,
praticien hospitalier, Service hospitalo-univer-
sitaire de pédopsychiatrie, Centre hospitalier
Henri-Laborit, Poitiers.
Stéphanie Masure, juriste international, Ob-
servatoire géopolitique des drogues, Paris.
Philippe Maugendre, pharmacien, Agence du
médicament, Saint-Denis.
Pascal Mélihan-Cheinin, Alliance pour la
Santé, Pans.
Bernard Méry, psychiatre, praticien hospita-
lier, chef de service, S.M.P.R., Poitiers.
Mario Christian Meyer, professeur des uni-
versités, spécialiste en neuropsychologie du
développement, membre de la Société de mé-
decine de Paris, directeur du Amerindian Com-
munication and Sustainable Development Program
for a Culture of Peace in Amazonia, Universidade
Tuiuti do Parana (Brésil).
Michka, écrivain, Paris.
Michel Morichau-Beauchant, professeur des
universités, praticien hospitalier, chef de ser-
vice, Service d'hépato-gastro-entérologie,
C.H.U., Poitiers.
Patrick Mura, praticien hospitalier, toxicolo-
gue, Service de biochimie et toxicologie,
C.H.U., Poitiers.
Véronique Nahoum-Grappe, sociologue,
École des hautes études en sciences sociales,
CETSAH, Paris.
Albert Ogien, chargé de recherche, sociolo-
gue, C.N.R.S., Paris.
Linda Pagani, professeur des universités, psy-
chologue, université de Montréal (Québec).
Janine Pages-Berthier, psychologue, Centre
Jean-Dollfus, Paris.
Emmanuel Palomino, praticien hospitalier,
psychiatre, alcoologue, Centre hospitalier,
Jonzac.
Antoine Perpère, peintre, intervenant en
toxicomanie, Paris.
Georges-Franck Pinard, psychiatre, hôpital
Louis H.-Lafontaine, Montréal (Québec).
Sylvain Pirot, pharmacologue, Association
pour la neuro-psychopharmacologie, Paris.
Pierre Poloméni, praticien hospitalier, Centre
hospitalier intercommunal d'Eaubonne et de
Montmorency, attaché consultant de l'Inter-
secteur toxicomanie du Val-d'Oise.
Vincent Puente, écrivain, libraire, Paris.
Michel Reynaud, professeur des universités,
praticien hospitalier, chef de service, Service de
psychiatrie, C.H.U., Clermont-Ferrand.
Jean-François Rioufol, Secrétariat d'État à la
santé, Paris.
Ouriel Rosenblum, psychiatre d'enfants, en-
seignant-chercheur, Centre Pierre-Nicole et As-
sociation Claude-Bernard, Paris, université
Lille-III.
Marie-Pierre Rosier, ancien chef de clinique
assistant, Service de neurologie, C.H.U., Poi-
tiers.
Thomas Rouault, directeur de « Toxibase »,
Lyon.
Isabelle Roy, interne, Service hospitalo-uni-
versitaire de psychiatrie et de psychologie mé-
dicale, Centre Hospitalier Henri Laborit, Poi-
tiers.
Georges Ruetsch, praticien hospitalier, psy-
chiatre, chef de service, Centre hospitalier
Henri-Laborit, Poitiers.
Jean-Louis Schlegel, directeur littéraire aux
éditions du Seuil.
Daniel Sechter, professeur des universités,
praticien hospitalier, Service hospitalo-univer-
sitaire de psychiatrie et de psychologie médi-
cale, C.H.U., Besançon.
Laurent Schmitt, professeur des universités,
praticien hospitalier, chef de service, Service
hospitalo-universitaire de psychiatrie et de
psychologie médicale, C.H.U., Toulouse.
Christine Silvain, professeur des universités,
praticien hospitalier, Service d'hépato-gastro-
entérologie, C.H.U., Poitiers.
Thierry Soucard, journaliste, écrivain, Nîmes.
Henri Sztulman, professeur des universités,
directeur du Centre d'études et de recherche
en psychopathologie, université Toulouse-Le
Mirail.
Jean-Pol Tassin, neuropharmacologue, direc-
teur INSERM U114, Collège de France, Paris.
Jean-Claude Thévenet, infirmier, musicothé-
rapeute, Centre hospitalier Henri-Laborit, Poi-
tiers.
Abdalla Toufik, sociologue, Observatoire
français des drogues et des toxicomanies, Paris.
Mohammed Toussirt, sociologue, enseignant
à l'université de Paris-VIII, chercheur à l'IREP.
Didier Touzeau, psychiatre des hôpitaux,
Département toxicomanies et dépendances,
Centre hospitalier Paul-Guiraud, Villejuif.
Marc Valleur, praticien hospitalier, psychia-
tre, hôpital Marmottan, Paris.
Dan Véléa, médecin généraliste, Centre Ima-
gine, Soisy-sous-Montmorency.
Jean-Luc Venisse, professeur des universités,
praticien hospitalier, psychiatre, C.H.U.,
Nantes.
Domic Zorka, psychiatre, hôpital Marmottan,
Paris.
Chaque entrée de l'ouvrage est signée du nom de
son ou de ses auteurs. Les initiales D.R. correspon-
dent à Denis Richard et les initiales J. -L. S. à Jean-
Louis Senon.
 a
absinthe. Liqueur très fortement alcoolisée,
dont la consommation répétée entraîne des
manifestations toxiques (psychiques et neuro-
logiques) majeures.
J L'absinthe, longtemps préconisée comme
tonique et fébrifuge, doit son nom à sa for-
mule, qui associe à des plantes médicinales de
senteur puissante et très amères de la famille
des composées (Artemisia absinthilll11 L.. Artemi-
sia yontica L.), couramment réunies sous l'ap-
pellation d'« absinthe », des extraits d'autres
plantes (armoise, anis, badiane, fenouil, hy-
sope, coriandre, mélisse, menthe, tanaisie,
voire angélique et citronnelle). La liqueur a été
développée à la fin du xvm' siècle dans le jura
(Neuchâtel, Pontarlier).
L'absinthe contient de l'absinthine, de nature
tonique et amère. Elle recèle aussi de 0,2 à
0,5 % d'une huile aromatique riche en thuyol
et en son dérivé oxydé, la thuyone, qui a
d'importantes propriétés psychoactives. C'est
dans l'association de la toxicité de la thuyone
et de celle de l'alcool (le titre allait jadis jus-
qu'à 70°) que résident le secret de la fée verte
et le ressort de ses maléfices.
L'ingestion répétée d'absinthe induit des trou-
bles de la sensibilité (avec exagération dou-
loureuse des sensations tactiles et douleurs
spontanées) évoluant vers une insensibilité
absolue. Elle induit également chez les bu-
veurs chroniques (les « absintheurs ») des
troubles de la motricité avec tremblements et
parfois rhabdomyolyse, et des troubles men-
taux avec perte de la mémoire, difficultés
d'élocution et, même, hallucinations. (D.R.)
absinthisme. Intoxication chronique par la
liqueur d'absinthe.
J C'est à partir des années 1870 que l'absm-
thisme se répandit dans les milieux artistiques
et littéraires, avant de se généraliser (avec une
connotation populaire, voire interlope) à la fin
du siècle et de prendre les proportions d'un
fléau. L'absinthisme demeure lié à l'image du
créateur tourmenté et souffrant : Baudelaire*,
Verlaine, Rimbaud, Maupassant, Poe, Wilde,
Toulouse-Lautrec et bien d'autres s'adon-
nèrent, à des degrés divers, à la < - fée verte >,
ou, plus simplement, à la « verte ». dont la
consommation supposait le respect d'un véri-
table cérémonial, presque d'une liturgie. La li-
queur était peu à peu diluée à l'aide d'un filet
d'eau froide, versé sur un sucre, lui-même
posé sur une cuillère placée à cheval sur le
bord d'un verre.
Dès le début du XXe siècle, les ligues antialcoo-
liques attirèrent l'attention des autorités sur
les dangers liés à l'usage de cette liqueur, sur-
nommée aussi l'eau de mort ou la mère des apa-
ches, et sur ceux que faisaient courir sa pré-
paration avec des alcools mal rectifiés (la
taxation fiscale importante qui pesait sur l'ab-
sinthe augmenta les fraudes). L'absinthe fut
progressivement interdite dans la plupart des
pays européens : en 1906 en Belgique, en
1910 en Suisse et le 17 mars 1915 en France.
Les apéritifs anisés firent leur apparition pour
suppléer à cette interdiction. De nos jours, la
liqueur d'absinthe, à peu près partout inter-
dite, reste cependant commercialisée ici et là,
notamment en Europe centrale. Il ne faut pas
confondre cette absinthe véritable avec un er-
satz que l'on peut également trouver, baptisé
« absinthe » mais préparé avec de l'armoise
(génépi), voire avec de l'essence d'anis, et dé-
pourvu de thuyone.
Quelques cas d'intoxication liés à l'utilisa-
tion d'huile essentielle d'absinthe destinée à
la fabrication domestique de la liqueur ont
été rapportés chez des sujets se l'étant procu-
rée par l'intermédiaire du réseau Internet*.
(D.R.)
abstinence. Abstention volontaire et dura-
ble de la consommation d'un produit suscep-
tible de donner lieu à dépendance (alcool, ta-
bac ou drogue).
J Anciennement, on entendait d'abord par
« abstinence » l'abstention volontaire des plai-
sirs sexuels - la continence, la chasteté -, en
fonction de motivations essentiellement reli-
gieuses, morales ou culturelles. De semblables
motivations, généralement en accord avec un
contexte social précis, mais aussi des préconi-
sations médicales ou thérapeutiques peuvent
aider un sujet à rompre avec le tabac, l'alcool
ou les drogues.
L'abstinence durable permet seule de venir à
bout de la dépendance. Son instauration
constitue l'objet des cures* de désintoxica-
tion, confortées par des postcures* ayant pour
objectif le réapprentissage (ou l'apprentissage)
d'une vie affective, sociale et culturelle libre
de dépendance aux psychotropes. (J.-L. S.)
abus (latin abusus, usage mauvais et exagéré ;
sens avéré à la fin du XV)" siècle : dérèglement,
tromperie). Le simple énoncé de ce mot impli-
que un jugement négatif : qui dit « abus »
porte condamnation de l'usage ainsi caracté-
risé, en stigmatise les effets toxiques sur le
corps individuel et social. Rien, ici, ne va de
soi, ne s'explique par de simples références
« objectives » : toute une histoire culturelle est
impliquée, qui influe toujours sur les modali-
tés de compréhension des phénomènes ad-
dictifs.
J La notion de dérèglement - mise en avant
dans la définition fournie dans son diction-
naire (1690) par Furetière, qui commente :
« ce qui est fait contre la raison et le bon or-
dre » - cerne d'emblée les deux principaux
champs sémantiques de la notion d'abus, ce-
lui qui concerne la gestion individuelle des plai-
sirs corporels, et celui qui concerne la gestion
politique du corps social.
L'abus désigne d'abord, à l'âge classique, le
mauvais gouvernement de soi dans l'usage
des aliments, des psychotropes (alcool. tabac
et autres produits de recours à l'époque). et
dans les pratiques sexuelles. Les figures du
« glouton » et du « luxurieux •> précèdent his-
toriquement celles de l'alcoolique et du
toxicomane, mais font référence à un mésu-
sage identique du corps et de ses fonctions :
lorsque l'abus des « plaisirs », celui des nourri-
tures, des boissons alcoolisées, du tabac et des
autres substances psychoactives dépasse le
seuil du « trop %, le « mal >■. physique comme
moral, est fait, Le corps du sujet qui a " trop
abusé » est abîmé, sa santé est minée, et les
liens familiaux, sociaux qui l'enserraient ap-
paraissent « pourris détruits ; l'abus est
toxique pour le corps du sujet comme pour
son entourage.
Par-delà, le verbe <abuser « (abuser quel-
qu'un, abuser de quelqu'un) renvoie à l'idée
de tromperie et de viol. Il exprime la part
transgressive impliquée aussi dans la notion
d'abus - que l'on trouve aussi dans le syn-
tagme « abus de langage », qui revient à carac-
tériser, plus qu'un faux sens, une tromperie.
Le second horizon du mauvais gouvernement
de soi est politique : lorsqu'il y a « abus de
pouvoir ", c'est tout le corps social qui se dé-
tériore. Les figures, si présentes dans la littéra-
ture du temps, de l'ogre et du tyran, portent à
son comble la performance négative de l'idée
d'abus : l'abus de pouvoir est, d'un même
élan, dévoration du corps de l'autre et trahi-
son du lien social.
Ainsi, pour la culture classique, le « trop » de
l'abus est-il une transgression (de la mesure
raisonnable) qui touche à la trahison (de l'or-
dre des choses, des êtres). L'usage « mau-
vais », excessif et déréglé, des désirs et des
plaisirs charnels produit une défiguration, un
enlaidissement esthétique et moral, physique
et spirituel, personnel et social. C'est une
dysharmonie, et c'est aussi une faute, dont le
mode de croissance exponentiel est la « mau-
vaise habitude H. c'est-à-dire l'infernale répéti-
tion du « trop » inscrite dans le quotidien. Est
fauteur d'abus celui qui exagère la dose (c'est
la notion d'excès*) et celui qui boucle la du-
rée, qui emprisonne l'avenir dans la répé-
tition.
L'attention exacerbée accordée à l'amour-pro-
pre par La Rochefoucauld (1664) montre à
quel point l'idée d'une démesure potentielle-
ment violente, quasi inconsciente, constitu-
tive du moi, était inscrite comme une menace
dans la culture morale du Grand Siècle. La ca-
tégorie morale et politique, héritée de la pen-
sée grecque, de l'ubns - matrice de démesure
inscrite au cœur du sujet humain, source de
malheur et de violence individuelle et collec-
tive - permettait d'articuler, par effet de re-
poussoir, la morale et la politique. l individu
et le groupe. le corps et la conscience.
En particulier, l'esthétique de l'" honnêteté -
et l'éthique de la ■mesure ■prennent tout
leur sens si on les oppose à la hantise du désir
glouton. La condamnation ancienne de la
gourmandise, caractéristique de la distance
vis-à-vis des plaisirs charnels, inscrite dans
la culture religieuse européenne, constitue la
toile de fond des positions théoriques sur les
« abus » avant le XIXe siècle.
Les changements de paradigmes, liés aux pro-
grès scientifiques (dans tous les domaines :
chimie, biologie, neurologie, psychiatrie,
etc.), qui se sont produits depuis deux siècles,
ont bouleversé la vision morale de la trans-
gression. Peu à peu s'est construite la défini-
tion médicale et psychiatrique des conduites
de dépendance. La référence à la science
comme horizon principal de définition et de
conviction a enlevé à la seule morale reli-
gieuse son monopole historique de condam-
nation. Mais la notion d'abus, avec sa dérive
sémantique qui relie les excès individuels
d'ingestion de substances à une transgression
/trahison du social continue de nourrir l'ima-
ginaire contemporain de la toxicomanie. (Vé-
ronique Nahoum-Grappe)
a c c o u t u m a n c e . Terme général englobant
les phénomènes de tolérance et de dépen-
dance psychique et physique. (Sylvain Pirot)
accueil (famille d'). Famille proposant d'ac-
cueillir un toxicomane, pour un temps donné
et avec l'objectif de favoriser sa réinsertion so-
ciale mais aussi affective.
□ Le système des familles d'accueil s'est mis
en place en France au début des années 1970,
période favorable à l'essai d'expériences alter-
natives dans le domaine des toxicomanies.
Plus précisément, alors qu'un toxicomane
évoquait en 1974 son désespoir sur les ondes,
de nombreuses familles contactèrent une as-
sociation parisienne d'aide aux toxicomanes,
le Centre Didro*, pour proposer d'héberger
des jeunes en rupture : c'est dans ce contexte
que s'est constitué le premier réseau de famil-
les d'accueil.
Rompant radicalement avec le système tradi-
tionnel des centres de cure* et de postcure*,
cette modalité de prise en charge revendique
souvent une référence à l'antipsychiatrie*.
Ainsi, pour le psychanalyste Jean-Luc
Maxence, les familles désireuses d'accueillir
des toxicomanes ne seraient pas des familles
classiques, refermées sur elles-mêmes (ten-
dance que dénonçaient d'ailleurs certains
théoriciens de l'antipsychiatrie. au regard des-
quels la famille constituait avant tout un lieu
d'aliénation et d'endoctrinement). Il s'agirait
plutôt de familles cherchant à s'ouvrir à l'ex-
térieur et ne craignant pas d'intégrer un étran-
ger : ce serait donc, selon J.-L. Maxence, des
« antifamilles », comme il existe des « antipsy-
chiatres ».
On peut noter également que ce système a
bénéficié des acquis obtenus au cours des an-
nées 1950 et 1960 dans le domaine de la psy-
chiatrie biologique, les traitements médica-
menteux permettant désormais de franchir
plus facilement le cap difficile des situations
de crise.
Le toxicomane, quelle que soit la durée de son
séjour, est supposé vivre au sein de la famille
comme tout autre membre de celle-ci, en par-
tageant les avantages (harmonie, etc.) comme
les inconvénients de ce mode d'existence. Son
séjour lui offre le temps de réfléchir sur son
propre dysfonctionnement et, surtout, de s'in-
vestir dans de nouveaux objets* représentatifs
de modèles parentaux. En retrouvant des réfé-
rences stables, il reprend confiance, apprend
le dialogue et le respect des autres comme de
lui-même.
Le système des familles d'accueil donne ce-
pendant lieu à controverse. Certains spécialis-
tes jugent le projet irréaliste, utopique et, sur-
tout, risqué pour l'équilibre de la famille elle-
même comme des sujets accueillis si l'indica-
tion du type de prise en charge est mal posée,
si la famille est insuffisamment préparée, si
les rôles ne sont pas bien définis au préalable,
et si le toxicomane refuse de développer une
dynamique psychique lui permettant de trou-
ver de nouvelles identifications parentales.
Il n'existe aujourd'hui aucune étude évaluant
avec une rigueur scientifique l'intérêt de cet
accueil familial des toxicomanes, malgré toute
la valeur théorique de la pratique, que rap-
pelle une circulaire du ministère de la Santé
en date du 11 janvier 1995 (cette circulaire vi-
sant à relancer l'intérêt pour les familles d'ac-
cueil à un moment où nombre d'intervenants
soulignent la nécessité de ménager une place
plus large à cette modalité thérapeutique).
Ce projet thérapeutique, propre à la France,
est légiféré par des textes spécifiques (arrêté
du 20 décembre 1977, circulaire du 4 décem-
bre 1987, arrêté du 18 août 1993). Il est ainsi
clairement distingué des autres modes de pla-
cements familiaux thérapeutiques (concer-
nant les handicapés, les patients âgés, etc.).
Selon les termes de l'arrêté de 1993, il a pour
but de « permettre la prise en charge de per-
sonnes toxicomanes dans un milieu qui leur
donne la possibilité d'accéder à leur autono-
mie Les familles retenues satisfont à des cri-
tères étroits : résider à moins de 100 kilomè-
tres du centre coordonnateur, ne pas héberger
à la fois plus de deux toxicomanes, et, sur-
tout, exercer leur mission dans un cadre béné-
vole (n'excluant pas une simple indemnité
journalière d'environ 130 francs). Le coût so-
cial d'une place en famille d'accueil est d'envi-
ron 50 000 francs par an. Il existe aujourd'hui
33 réseaux spécialisés qui fédèrent plus de
200 familles, vivant essentiellement en milieu
rural ; il s'agit de couples avec ou sans en-
fants, parfois de personnes seules. Le type de
séjour en famille d'accueil varie selon les insti-
tutions coordonnant l'hébergement. On dis-
tingue ainsi au Centre Didro :
- des familles « relais », accueillant le toxico-
mane pour deux à douze semaines juste après
le sevrage ;
- des familles « thérapeutiques », accueillant
pour une durée de quatre à six mois, sous
couvert d'un engagement psychothérapeuti-
que important ;
- des familles « tremplins », accueillant le
toxicomane pour une durée de un à six mois
en vue de l'aider, de manière transitoire, à
s'autonomiser au plan financier et profes-
sionnel ;
- des familles « contacts » offrant simplement
un accueil pour un soir à des toxicomanes
ponctuellement confrontés à une situation cri-
tique ;
- des familles pour accueil de week-end. (Flo-
relit Farges)
accueil (téléphonique). L'importance de
l'accueil téléphonique comme élément d'amé-
lioration de l'information sur les toxicoma-
nies et les risques associés et comme facteur
de prévention est de plus en plus reconnue
par les autorités : un service national d'accueil
téléphonique en matière de drogues et de
toxicomanies a été créé en France en 1990
J Ce service, Drogues Info Service, a le sta-
tut juridique de Groupement d'intérêt pu-
blic. Accessible par un numéro « vert > ■ Depuis 1996, le développement des services
(08.00.23.13.13), il fonctionne en permanen-
ce ; 90 chargés d'accueil salariés travaillent au
sein des pôles ouverts dans six villes (Lille.
Lyon, Marseille, Paris, Strasbourg, Toulouse)
et financés par la MILDT*. En 1997, le nom-
bre d'appels reçus a été de 470 000 (50 000 en
1991).
Le service assure quatre missions complé-
mentaires :
- une mission d'écoute, de soutien et de
conseil aux usagers et à leurs proches, ainsi
qu'aux personnes souhaitant prévenir l usage
de drogues : la vocation du service est d'assu-
rer une écoute attentive et vigilante qui per-
mette aux appelants d'exprimer une de-
mande, et aussi une détresse, mais sans
apporter de solutions toutes faites ni assurer
de suivi. Il s'agit simplement de laisser dans
l'esprit des appelants la trace d'une parole.
Cela suffit à faire du service un rouage essen-
tiel de la politique de prévention ;
- une mission d'information sur les produits,
leurs effets, les risques liés à leur utilisation,
la loi et les textes réglementaires, le dispositif
de soin ;
- une mission d'orientation des appelants
vers les organismes compétents dans les do-
maines de la prévention, des soins, de l'inser-
tion et de la réduction de risques* ;
- enfin, le service est chargé de l'édition du
répertoire national des structures spécialisées
en toxicomanies : plus d'un millier d'entre
elles sont répertoriées ; ce document est aussi
accessible sur Internet* (www.ofdt.fr/bulie-
tin/dis/).
Selon l'esprit de la loi* de 1970, le service
d'accueil téléphonique est anonyme pour les
usagers comme pour les familles. Les appels
reçus proviennent pour 41 % de l'entourage
des usagers (la mère dans 40 % des cas, un[e]
ami[e] dans 20 %), pour 31 % des usagers
eux-mêmes, pour 22 % du grand public et
pour 6 % de professionnels spécialisés ou non
dans l'intervention en toxicomanies (statisti-
ques de 1997). Drogues Info Service constitue
un outil d'observation de l'évolution des mo-
des de consommation et des représentations
liées aux substances psychoactives.
Les motivations d'appel évoluent avec les in-
quiétudes du public. 40 °o des appels concer-
nent l'usage du cannabis. L'alcool et les
médicaments constituent aussi un motif d'ap-
pel important, tout comme les questions sur
l'ecstasy. qui se multiplient.
d'accueil téléphonique fait partie intégrante
du programme d'action communautaire de la
prévention des toxicomanies élabore par la
Commission des communautés européennes
et il s'intègre dans une structure internatio-
nale. la Fondation européenne des services
d'aide téléphonique en matière de drogues et
de toxicomanies (FESAT), qui fédérait en
1997 onze pays.
À la suite des nouvelles orientations données
a la MILDT en 1996, le champ couvert par
Drogues Info Service devrait, a court terme.
s'élargir au tabac, à l'alcool ainsi qu'aux médi-
caments.
Une ligne téléphonique d'aide à l'arrêt du ta-
bac a été ouverte en France de septembre à
novembre 1998. Depuis novembre 1998, un
serveur Minitel (3615 Tabac-Info) a pris le re-
lais. Il s'agit là d'expérimentations qui préfi-
gurent l'extension de compétences de Dro-
gues Info Service, qui devra répondre d'une
façon homogène aux questions portant sur
toutes les substances psychoactives, qu'elles
soient ou non légales. (D.R.)
acétylcholine. Neuromédiateur dont l'ac-
tion peut être perturbée par divers psycho-
tropes.
J Premier neuromédiateur historiquement
mis en évidence (dans les années 1920), l'acé-
tylcholine, présente dans 10 à 15 % des neu-
rones du système nerveux humain, est impli-
quée dans le fonctionnement de tous les
neurones qui innervent les muscles striés
squelettiques - tels que ceux des membres -,
qui sont les effecteurs de la motricité, ainsi
que dans celui de certains neurones du sys-
tème végétatif qui innervent les muscles lisses
- par exemple ceux du tube digestif -, le mus-
cle strié cardiaque ainsi que les glandes.
Au niveau du cerveau*, l'acétylcholine est im-
pliquée dans les phénomènes relatifs au cycle
veille/sommeil, au contrôle de certaines acti-
vités motrices, à l'apprentissage et à la mé-
moire.
Le système neuronal à acétylcholine inter-
vient dans les effets de la nicotine* du tabac,
puisque celle-ci se fixe avec une forte affinité
sur des récepteurs particuliers de l'acétylcho-
line, dénommés pour cette raison récepteurs
nicotiniques. La nicotine exerce sur ces récep-
teurs une activité agoniste*. Dominants dans
les synapses ganglionnaires du système ner-
veux périphérique, les récepteurs nicotiniques
sont répartis, d'une façon relativement dense,
au niveau du cerveau.
Au niveau de ce dernier dominent, en effet,
des récepteurs pour l'acétylcholine d'un autre
type, les récepteurs muscanmques. Ces der-
niers sont notamment impliqués dans la
survenue de certains types d'hallucinations.
Leurs antagonistes*, tels divers médicaments
indiqués dans le traitement de la maladie
de Parkinson ou pour prévenir les effets indé-
sirables moteurs des neuroleptiques* (tri-
hexyphénidyle* et autres molécules atropi-
niques), peuvent induire des phénomènes
hallucinatoires analogues à ceux provoqués
par l'usage de plantes de la famille des solana-
cées, riches en atropine*. Les mécanismes
neurobiologiques responsables de ces halluci-
nations ne sont à l'heure actuelle pas claire-
ment établis. (Sylvain Pirot)
a c h a t s addictifs. Ils relèvent d'une addiction
sans drogue, caractérisée par un besoin cycli-
que d'acheter de manière compulsive des ob-
jets variés sans en avoir l'utilité ni, souvent,
les moyens financiers.
J Les objets achetés sont variables selon les
personnes : vêtements, chaussures, produits
de beauté chez la femme ; vêtements, acces-
soires automobiles, matériel informatique et
vidéo chez l'homme. Ces objets ne sont que
rarement utilisés et restent, le plus souvent,
entassés et négligés sitôt l'achat effectué. L'in-
vestissement du sujet porte sur le comporte-
ment d'achat lui-même, non sur la possession
qui en découle.
Les achats pathologiques présentent de nom-
breux points communs avec les autres états
de dépendance. Ils se traduisent par un besoin
irrépressible (craving) d'acheter et par un état
de tension qui subsiste tant que l'acte d'ache-
ter n'est pas accompli. L'achat permet de ré-
soudre la tension, mais l'envie resurgit quel-
ques heures, quelques jours ou quelques
semaines plus tard selon un véritable cycle.
L'achat est le temps de la réalisation d'une im-
pression de toute-puissance artificielle et
complaisante, à laquelle succèdent rapide-
ment culpabilité et regret. Cette réapparition
de l'envie d'acheter est donc comparable au
besoin de drogue qui accompagne le manque
chez un toxicomane. Les « acheteurs patholo-
giques » ont souvent initié leur pratique par le
vécu de sensations agréables, tranquillisantes
lors des premiers temps de leur addiction*.
Cette conduite peut aussi se rapprocher de la
boulimie* : ne parle-t-on pas d'une « fringale »
d'achats ? La frénésie des achats est d'ailleurs
suivie d'un plaisir, ou d'un soulagement, sans
euphorie, évocateur de la crise boulimique.
Il n'existe pas d'études épidémiologiques éva-
luant de façon systématique les pathologies
associées aux achats addictifs : on retrouve
cependant avec une fréquence élevée des
troubles anxieux (50 % des cas), des troubles
dépressifs (55 %), une toxicomanie ou un al-
coolisme (45 "o), et des troubles du compor-
tement alimentaire (20 %). Certains auteurs
voient surtout dans ces pathologies les consé-
quences de ces achats incontrôlés qui ont un
lourd retentissement financier, familial et so-
cial sur l'acheteur.
Il ne faut pas négliger les facteurs sociologi-
ques dans la dimension de l'achat : notre so-
ciété de consommation fait de la pratique de
l'achat un moyen de revendiquer, d'affirmer
son identité, d'affirmer que l'on existe.
Les conduites d'achat corrélées à une dépres-
sion* peuvent être stoppées par un traitement
antidépresseur*. Les achats associés à des ac-
cès maniaques cèdent, eux, à l'administration
de neuroleptiques* ou de thymorégulateurs.
Mais, surtout, les patients doivent pouvoir
bénéficier d'une thérapie* de groupe, calquée
sur le modèle de ce qui se pratique au sein
des groupes d'anciens buveurs. Il existe ainsi
une association des « débiteurs anonymes »,
qui permet aux acheteurs d'apprendre à
contrôler leurs achats. Les thérapies* cogni-
tivo-comportementales sont également utiles
en ce qu'elles permettent de mieux contrôler
l'impulsivité. (Jean Adès)
addiction. Relation de dépendance plus ou
moins aliénante pour l'individu, et plus ou
moins acceptée voire parfois totalement reje-
tée par l'environnement social de ce dernier,
à l'égard d'un produit (drogue, tabac, alcool,
médicaments), d'une pratique (jeu, sport), ou
d'une situation (relation amoureuse). Le
terme est employé surtout par les théori-
ciens ; le public et les cliniciens emploient
plus couramment dépendance et toxicomanie.
3 « Addiction » est un emprunt à la langue
anglaise, où ce mot désigne un attachement
exclusif à quelque chose, partant, une toxico-
manie. Il est intéressant de noter que le mot
anglais dérive lui-même d'un terme de l'an-
cien français qui désignait la situation d'asser-
vissement dans laquelle tombait un vassal in-
capable de régler ses dettes à son suzerain
(situation à laquelle renvoie de même l'ex-
pression prise de corps).
Tout l'intérêt, mais aussi toute la difficulté,
du concept tel qu'il s'est développé tiennent
à ce qu'il cherche à jeter des ponts entre les
différentes conduites pathologiques de dé-
pendance, qu'il invite à dégager les bases
d'une compréhension commune de ce qui
peut conduire un individu à s'adonner à des
pratiques qui le mènent à aliéner sa liberté
d'être et de vivre. Il s'agit d'embrasser les fon-
dements de la dépendance à un comportement
répétitif, que celui-ci suppose ou non le mésu-
sage d'un produit réputé toxique.
Autant la métaphore, portée par l'étymologie,
de la contrainte par corps venant combler une
dette insolvable apparaît éclairante, à plus d'un
titre, quant aux enjeux relationnels des diver-
ses conduites relevant de ce type de comporte-
ment, autant le caractère plus exploratoire que
véritablement établi du concept fait qu'on ne
saurait donner de définition univoque de l'ad-
diction - ne serait-ce que parce que le territoire
clinique de celle-ci, au sens de la pratique psy-
chiatrique, ne fait pas l'unanimité.
Le « spectre addictif »
Si les « toxicomanies » classiques et les
conduites pathologiques de consommation
d'alcool semblent faire partie d'un noyau as-
sez indiscutable de conduites addictives - ce
qui a déjà le mérite de relativiser la distinction
habituelle entre produits licites et illicites -,
les dépendances au tabac, pourtant tout aussi
dangereuses à bien des titres, sont souvent
oubliées, du fait sans doute de leur valorisa-
tion, des décennies, voire des siècles durant,
dans l'imaginaire social.
Les dépendances alimentaires, dans leurs for-
mes extrêmes opposées que sont la boulimie*
et l'anorexie*, bénéficient d'un statut à part
(peut-être parce que le « produit » concerné
- la nourriture - est d'un usage incontour-
nable...).
Les conduites de jeu* et d'achat* pathologi-
ques, dans lesquelles la métaphore de la dette
puise un sens concret, puisqu'il s'agit en appa-
rence d'affaires d'argent, entrent, pour la plu-
part des auteurs, dans le cadre addictif, de
même que certaines formes de sexualité ré-
gies par la même exigence répétitive, en de-
hors de toute relation affective.
On inclut également volontiers dans le « spec-
tre addictif » certains passages à l'acte avec
inscription corporelle, le plus souvent accom-
plis par des jeunes, Il s'agit, en premier lieu.
des tentatives de suicide* (il a été montré que
l'augmentation considérable de la prévalence
du suicide dans la tranche d'âge des
15/24 ans, au cours des vingt dernières an-
nées, était due d'abord à l'augmentation des
récidives, et non des premières tentatives) ;
mais il s'agit également de conduites d'auto-
mutilation ou de diverses conduites de
risques*.
Au-delà de cette énumération. le terrain de-
vient encore plus mouvant : l'on a mentionné
la possibilité d'addictions à tout ou presque :
au travail (workaholisme*). au sport (jog-
ging*), etc.
Il faut enfin souligner un fait désormais bien
établi d'un point de vue épidémiologique : la
plupart de ces conduites se présentent en as-
sociation les unes avec les autres. Ce phéno-
mène de « comorbidité » aura été, indiscuta-
blement, l'un des facteurs constitutifs de
l'émergence du concept d'addiction en cli-
nique.
Au total, on mesure bien vite le risque d'une
dilution extrême de ce concept d'addiction.
Parallèlement, on peut craindre qu'il n'amène
à amalgamer, de manière fort problématique,
des conduites dont les enjeux personnels et
sociaux sont sans commune mesure. Entre le
jugement moral et la médicalisation sans li-
mite, qui n'en est parfois qu'une forme déri-
vée, quels points de repère avancer, suscepti-
bles de légitimer une approche médicale ou
médico-sociale de ces comportements ?
Une pluralité d'approches
Les approches comportementales ont permis
l'élaboration de critères diagnostiques, dont
les plus largement utilisés sont actuellement
ceux proposés par Goodman en 1990. Ces cri-
tères définissent, de manière opératoire, l'ad-
diction comme un processus par lequel un
comportement, susceptible de permettre à la
fois la production d'un plaisir* et le soulage-
ment d'une sensation de malaise, s'organise
selon des modalités qui incluent à la fois une
perte de contrôle et la poursuite de ce
comportement, malgré la connaissance de ses
conséquences négatives. Une place de choix
est ménagée à la notion de handicap (en ter-
mes de répercussions familiales et sociopro-
fessionnelles notamment) : il est ainsi témoi-
gné de l'envahissement de l'ensemble de la
vie du sujet dépendant par la pratique addic-
tive. De même sont intégrées les notions de
tolérance et de manifestations de sevrage : cette
dernière a été longtemps réservée aux cas
d'utilisation pathologique des psychotropes,
mais on a pu trouver des équivalents, concer-
nant par exemple le jeu ou l'addiction
sexuelle.
Les approches psychodynamiques, et notamment
le modèle psychanalytique, cherchent à proposer
des hypothèses compréhensives quant à la
fonction des conduites addictives pour un
individu donné, en référence à l'économie
du fonctionnement psychique et aux exigen-
ces du développement psychoaffectif. Les
conceptions actuelles, qui s'appuient sur une
meilleure compréhension de la problématique
de l'adolescence*, tendent à voir dans les
conduites addictives un mode d'achoppement
du travail d'adolescence et, en particulier, du
processus de séparation-individuation. La dé-
pendance à un comportement répétitif serait
le témoin d'un lien de dépendance à l'entou-
rage le plus proche (la famille) qui ne trouve
pas à s'élaborer par des moyens psychiques
propres à l'individu. On mesure quotidienne-
ment en clinique que cette problématique de
dépendance - qui, avant d'être dépendance à
un produit ou à un comportement, serait
donc une dépendance relationnelle impos-
sible à élaborer - connaît des déterminants
transgénérationnels.
Les approches neurobiologiques abordent la
question de l'éventuel déterminisme généti-
que* de certaines conduites addictives. Mais
surtout, elles visent à déterminer le rôle joué
par les différents neuromédiateurs (catéchola-
mines, dont la dopamine*, opiacés endogènes
notamment) comme intermédiaires de ces
comportements, dans le cadre des systèmes
de récompense ou de réponse à la douleur par
exemple. Les effets des produits pourvus de
propriétés pharmacologiques spécifiques sont
bien entendu la cible privilégiée de l'approche
neurobiologique ; les nombreuses « toxicoma-
nies sans drogue » (jeu pathologique, achats
compulsifs, etc.) n'en sont pas moins prises en
compte, puisqu'elles impliquent, comme tous
les comportements humains d'ailleurs, les
systèmes neurobiologiques.
Implications thérapeutiques
À travers cette pluralité d'approches se trou-
vent définis différents niveaux de vulnéra-
bilité individuelle à l'addiction. Ce jeu
complexe de déterminations relativise singu-
lièrement la « responsabilité » directe de l'ob-
jet même de la conduite addictive dans l'ap-
parition et le développement de celle-ci. À
travers le choix qu'il fait, à un moment donné,
de tel ou tel objet, l'individu rend d'abord té-
moignage d'une certaine spécificité person-
nelle, indissociable au demeurant de facteurs
socioculturels.
L'intérêt thérapeutique certain du concept
d'addiction est qu'il permet de concevoir les
soins à proposer aux patients enfermés dans
ces pratiques destructrices d'une façon qui,
débordant délibérément la simple disparition
de la conduite problématique, vise à leur per-
mettre de se construire l'espace personnel de
sécurité qui leur a toujours fait défaut. Un tel
projet thérapeutique, conçu comme une sorte
de relance et d'accompagnement d'un proces-
sus de séparation-individuation resté en
panne, s'avère, en pratique, plus adapté aux
plus jeunes des patients concernés (adoles-
cents, postadolescents). Il s'agit d'un travail
relationnel de longue durée, se déroulant par
étapes, sur plusieurs années en général (c'est-
à-dire échappant à la loi du « tout ou rien » et
du « tout de suite » qui caractérise le fonction-
nement addictif).
En ce qui concerne la prévention, et plus pré-
cisément la prévention primaire de ces
conduites de dépendance, le concept incite
avant tout à porter une attention plus grande
à la santé des adolescents. (Jean-Luc Venisse,
Nadia Mammar)
addiction sexuelle. Comportement sexuel
compulsif, contre lequel le sujet essaie de lut-
ter : une intense douleur morale répond à la
quasi-impossibilité d'assouvir le désir.
D Dans le classement américain des troubles
psychiatriques (DSM IV), l'addition sexuelle
est répertoriée sous la rubrique « trouble
sexuel non spécifié ». Il ne s'agit ni d'une pa-
raphilie, ni d'une dysfonction sexuelle, ni
d'un trouble sexuel spécifique. À en juger par
l'existence, depuis la fin des années 1980, de
nombreux sites Internet* consacrés au sujet et
où le cybernaute se voit proposer définitions
et techniques de prise en charge, on serait
tenté de la considérer comme un nouveau
trouble psychologique de la vie moderne.
Et pourtant, sans remonter au dieu Priape de
la mythologie latine et à ses fêtes licencieuses,
on n'a guère de mal à trouver des illustrations
anciennes d'addiction sexuelle. Il suffit de
penser à Casanova ou à Catherine de Russie,
ou de se rapporter à des personnages fictifs
comme Don Juan. La psychiatrie, au cours de
son développement, a mis en avant les cas
d'hypersexualité (syndromes frontaux) et les
excès génésiques de l'accès maniaque. Elle a
décrit les figures du masturbateur frénétique -
auquel s'est intéressé Ernst Kretschmer (1888-
1964) - ou du pervers - dont les divers types
peuplent la Ps\'clzù¡;I7I/lIû sexlIillis (1886) de Ri-
chard von Krafft-Ebing (1840-1902). Eu égard
à l'importance et à la précision de ces acquis
scientifiques, la définition de l'addiction
sexuelle proposée par le DSM IV - " désarroi
découlant d'un mode de relations sexuelles
répétitives impliquant une succession de par-
tenaires sexuels que l'individu ne perçoit que
comme des objets dont on se sert » - laisse
perplexe.
Pour les médias américains, que le sujet pas-
sionne d'autant plus que des politiques ou des
vedettes défraient à ce titre la chronique, tous
les actes sexuels semblent finalement partici-
per de l'addiction sexuelle : de l'onanisme au-
toérotique jusqu'aux pires des déviances per-
verses. Les relations extraconjugales figurent
même en bonne place dans cette longue série
d'actes réels ou fantasmés, accomplis avec ou
sans partenaire(s), de même sexe ou de sexe
opposé. Cette approche globale et « naive »
conjugue de manière surprenante pragma-
tisme (du moment que l'on a constaté un
comportement, tout est dit, il ne reste plus
qu'à gloser) et puritanisme.
La prise en charge de cette addiction - dont il
est si aisé d'être convaincu - est calquée sur
celle des toxicomanes ou des alcooliques par
les groupes d'autosupport* : des réunions de
Sex Addicts Anonymous sont organisées dans
presque toutes les villes américaines d'une
certaine importance. Il existe une échelle
d'autoévaluation dont les deux premières
questions (il y en a douze en tout) sont bien
significatives d'un certain état d'esprit : « Gar-
dez-vous secrètes vos activités amoureuses
ou sexuelles pour les personnes qui comptent
dans votre entourage ? Menez-vous une dou-
ble vie ? » et « Est-ce que vos besoins sexuels
vous amènent à connaître des endroits, des
situations ou des personnes que normalement
vous ne fréquenteriez pas ? »
Un institut de « guérison sexuelle » a même
élaboré un test (vingt-cinq questions différen-
tes pour les hommes et les femmes). Si trois
réponses à ces diverses questions sont positi-
ves. il est recommandé de consulter un pro-
fessionnel. À partir de six réponses positives,
le sujet est considéré comme potentiellement
dangereux. Pourtant, à la lecture de cet inven-
taire. certaines réponses affirmatives sem-
blent presque normales. En effet, si tous les
antécédents de la vie sexuelle sont passés au
crible (abus sexuels dans l'enfance, achats de
magazines ou de vidéos pornographiques,
conversations érotiques sur Internet, etc.;.
certaines des questions (et plus de six d entre
elles) paraissent peu spécifiques de troubles
des conduites sexuelles : ■Est- ce que vos pa-
rents ont eu des difficultés sexuelles ou amou-
reuses ? Etes-vous souvent préoccupé par des
pensées sexuelles ; Gardez-vous secretes
l'ampleur et la nature de vos relations sexuel-
les ; Avez-vous hâte que se terminent les re-
lations familiales ou entre amis pour pouvoir
sortir et avoir des relations sexuelles ? Est-ce
que la sexualité est un moyen d'échapper à
vos préoccupations ? Vous sentez-vous dé-
primé après l'amour ? »
Les techniques de rééducation sexuelle vont
des traitements hormonaux réducteurs de la
libido aux thérapies* cognitivo-comporte-
mentales, en passant par de véritables cures
de dégoût et de réapprentissage des valeurs
éthiques sociales et de la morale conjugale et
familiale. (Régis Cousin)
adolescence. La période de l'existence qui
s'étend des premiers signes de la puberté à
l'âge adulte est souvent marquée par des diffi-
cultés psychologiques importantes qui contri-
buent, dans un environnement défavorable
ou ressenti comme tel, à l'usage plus ou
moins régulier de psychotropes (médica-
ments, alcool, tabac, drogues illicites).
j Il est incontestable que tous les toxicoma-
nes - sauf exception - commencent leur
consommation de toxiques à l'adolescence.
Pour autant, est-il possible de dire que tous
les adolescents consommateurs de drogues
deviendront un jour des toxicomanes ?
Diverses enquêtes ont montré qu'un nombre
non négligeable d'adolescents abandonnaient
ultérieurement leurs habitudes de consomma-
tion. En France, l'équipe de Marie Choquet a
ainsi montré en 1992 que près de la moitié
des usagers de haschisch mettaient un terme
à leur consommation dans les deux années
suivant leur découverte du produit. Qu'en
est-il des autres ?
Si le rôle de la société est de s'interroger sur
le sens de la consommation de produits, quel
que soit l'âge, celui des médecins est de cer-
ner les facteurs susceptibles de prédisposer
l'individu à un engagement dans une consom-
mation durable, croissante et « toxicomania-
que », afin de pouvoir mettre en place une
stratégie de prévention et de soins efficaces,
plutôt que de stigmatiser de façon indifféren-
ciée tous les adolescents consommateurs.
Motivations
Les enquêtes de motivation, nombreuses au-
jourd'hui, recherchent quels sont les motifs
de consommation chez les adolescents. La
première motivation est avant tout l'envie de
goûter ou de faire une expérience. Viennent
ensuite, selon les enquêtes, les effets du pro-
duit. le désir d'être avec ses pairs et de faire
comme eux, la dimension de la fête, les habi-
tudes familiales, la sensation d'être mieux
après avoir consommé, l'atteinte de la majo-
rité ou de l'âge légal. Ces enquêtes ignorent,
de par leur construction même, les mobiles
plus inconscients ou témoignant de la vulné-
rabilité des sujets. Toutefois, on peut noter
qu'un nombre non négligeable d'adolescents
reconnaissent consommer pour se sentir
mieux. Cette motivation inscrit souvent le
jeune, très rapidement, dans une consomma-
tion d'allure addictive.
Modes de consommation
et facteurs de risque
Nombre d'adolescents se mettent à consom-
mer vers 16-17 ans. Pour autant, tous ne de-
viendront pas des consommateurs réguliers ni
des consommateurs excessifs, ni, LI fortiori, des
consommateurs addictifs ou toxicomania-
ques. Beaucoup d'entre eux garderont sim-
plement des habitudes de consommation
intermittente, dans le cadre d'un contexte
d'échanges sociaux ou de plaisirs partagés.
Certains arrêteront spontanément leur
consommation quel qu'en soit le motif :
parmi eux, 50 % le feront dans les deux an-
nées suivant la première expérience du pro-
duit. Devant un jeune qui consomme, il s'agit
avant tout de ne pas créer un climat d'an-
goisse ou de suspicion, ce qui aurait des effets
contraires à ce qui est recherché. Il faut sur-
tout essayer de repérer parmi ces jeunes
consommateurs ceux qui risquent de s'enga-
ger dans l'addiction.
La consommation addictive survient souvent
lors du passage du collège au lycée : une
consommation jusque-là plutôt « festive »
prend alors rapidement des caractéristiques
pathologiques. C'est toutefois dès le début de
l'adolescence que les facteurs de risque sont
présents. Aussi, l'analyse de la consommation
de produit doit prendre en considération de
nombreux facteurs, personnels, familiaux et
environnementaux, mais elle doit aussi s'atta-
cher à distinguer le mode de consommation.
CONSOMMATION FESTIVE. L'effet euphorisant
du produit est recherché avant tout. Cette
consommation se pratique en petits groupes
de copains, souvent en fin de semaine, pen-
dant les vacances ou les fêtes. Ce type de ren-
contre est à rapprocher de ce qui se passe à
l'occasion des raves*, caractérisées par le re-
cours à des drogues* de synthèse du type ecs-
tasy ; ces fêtes collectives concernent toute-
Caractéristiques essentielles des types de consommation de psychotropes à l'adolescence.
fois une population plus âgée. Le cursus
scolaire est maintenu, l'adolescent conservant
non seulement ses activités mais aussi ses au-
tres investissements sportifs, culturels, so-
ciaux. Un fléchissement scolaire est malgré
tout habituel en ce cas. Dans ce type de
consommation, on ne retrouve pas nécessai-
rement de facteurs de risque familiaux et les
facteurs de risque individuels sont générale-
ment absents.
CONSOMMATION AUTOTHÉRAPHJTIQUE, Ici,
c'est l'effet anxiolytique du produit qui est re-
cherché. La consommation est souvent soli-
taire, plus régulière, en particulier le soir, dans
sa chambre, mais elle peut alterner avec des
moments de consommation en groupe. Au
plan de la scolarité, on constate en général
que de premiers signes de décrochage (redou-
blements successifs, etc.) et/ou d'échec sco-
laire se manifestent. De même, l'adolescent
s'éloigne souvent de ses activités habituelles,
ou ne les pratique plus que de façon irrégu-
lière. Sa vie sociale s'appauvrit.
Les facteurs de risque familiaux ne sont pas
nécessairement présents. On retrouve en
revanche souvent des facteurs de risque indi-
viduels actuels ou anciens : troubles du som-
meil (difficultés à l'endormissement, cauche-
mars, etc.), troubles divers observés dès la
petite enfance, avec manifestations anxieuses
et/ou dépressives fréquentes.
CONSOMMATION TOXICOMANIAQUE. C'est ici
l'effet anesthésique qui est recherché, avec son
corollaire, la défonce*. La consommation est à
la fois solitaire et en groupe, régulière, quo-
tidienne ou presque. L'exclusion de la scola-
rité et des circuits de socialisation (apprentis-
sage) est constante, avec des comportements
fréquents de rupture (changement inces-
sant d'établissement scolaire, changements
d'orientation, échecs répétés, exclusion).
Sur le plan social, l'adolescent n'a plus alors
de relations qu'avec d'autres jeunes en situa-
tion de marginalisation et/ou de rupture. Il est
fréquent et même habituel de retrouver des
facteurs de risque familiaux (mésentente pa-
rentale chronique ou, au contraire, atmo-
sphère étouffante et hyperrigide, alliance pa-
thologique entre personnes de générations
différentes - un parent ligué avec l'adolescent
contre l'autre parent -, difficultés socio-éco-
nomiques majeures, laxisme et indifférence
des parents).
On retrouve également des facteurs de risque
individuels, mais ceux-ci sont masqués par
l'importance de la consommation toxicoma-
niaque (il est, par exemple, difficile de retrou-
ver les troubles du sommeil dans la mesure
où le rythme social habituel est totalement
perturbé).
Facteurs de risque
Ces facteurs doivent faire redouter le passage
d'un consommation festive à une consomma-
tion toxicomaniaque. On les retrouve réguliè-
rement, comme éléments rétrospectifs, chez
des toxicomanes avérés.
FACTEURS INDIVIDUELS. SOUS l'apparente diver-
sité des situations individuelles, on retrouve
souvent dans les antécédents infantiles deux
types de profil. Certains sujets présentent des
antécédents témoignant d'une souffrance so-
matique ou psychique non négligeable : on
note, en particulier dans la petite enfance, des
troubles graves et persistants du sommeil, des
situations répétées de ruptures relationnelles,
des carences* affectives évidentes. D'autres
sujets semblent avoir bénéficié, au contraire,
d'une enfance comblée. Le psychiatre français
Aimé Charles-Nicolas oppose ainsi « ceux qui
ont manqué de tout » et « ceux qui n'ont man-
qué de rien », posant au travers de cette oppo-
sition les questions du rapport au manque lors
de l'adolescence et de la dépendance. Au mo-
ment de l'adolescence, la présence d'autres
difficultés (nervosité importante, malaise, dé-
pression*, troubles du comportement tels que
fugues, vols ou bagarres impulsives, troubles
du sommeil) sont à prendre en compte.
FACTEURS FAMILIAUX. Aucun facteur familial
pris isolément ne peut être considéré comme
un élément de causalité linéaire. Cependant,
on retrouve souvent (par ordre de gravité
croissante) : une dissociation familiale, des
habitudes de consommation abusive ou ex-
cessive chez les parents (médicaments psy-
chotropes chez la mère, alcool chez le père),
des transplantations culturelles multiples avec
une perte relative des valeurs ou un conflit
de valeurs entre culture d'origine et culture
d'accueil, une insatisfaction relationnelle en-
tre le jeune et ses parents (tension, sentiment
d'être incompris, indifférence d'un parent,
surtout du père, etc.), cécité des membres de
la famille envers des comportements qui de-
vraient susciter l'inquiétude ou, à l'inverse,
sollicitation anxieuse exacerbée chez l'un des
parents (mère pour le garçon, père pour la
fille) aboutissant à un rapprochement excitant
d'allure quasi incestueuse, antécédents de
deuils familiaux non résolus (l'adolescent
étant assigné à la place du disparu). Ces deux
derniers éléments sont assez souvent décrits
par les thérapeutes prenant en charge des fa-
milles de toxicomanes.
FACTEURS ENVIRONNEMENTAUX, On peut évo-
quer ici tous les facteurs allant dans le sens
d'une désorganisation ou d'une perte des re-
pères sociaux habituels. Outre la migration, il
faut citer le chômage et la misère sociale ou
économique, la présence envahissante des
dealers* dans le quartier (s'il n'y a pas d'offre
sur place, il faut une volonté rare et pathologi-
que pour aller chercher de la drogue ailleurs
lorsque l'on est adolescent). Cependant, tous
les processus conduisant à l'exclusion du
jeune et à sa marginalisation ont un effet fa-
vorisant et incitatif sur la consommation ad-
dictive de produits. Le plus important, et de
loin, est l'exclusion et/ou la rupture de la sco-
larité : exclure un adolescent de l'école, c'est
le mettre en situation « expérimentale » de dé-
sœuvrement, de rupture et d'engagement
dans un risque de consommation toxicoma-
niaque.
On observe souvent un cumul des divers fac-
teurs de risque, cumul constituant lui-même
un risque supplémentaire.
Prendre en compte de façon pertinente le ris-
que addictif revient ainsi à évaluer l'adoles-
cent de façon très extensive. Par exemple, une
enquête française conduite par l'équipe de
Marie Choquet, en 1992, a montré qu'un ta-
bagisme important constaté à l'âge de 12-
13 ans (à savoir l'usage quotidien de plus de
dix cigarettes), le fait d'arriver régulièrement
en retard à l'école, des vols dans des lieux pu-
blics constituaient des facteurs dont le cumul
est très prédictif de l'acceptation d'une offre
ultérieure de drogue illicite et d'une persis-
tance dans la consommation.
L'adolescent d é p e n d a n t
AFFIRMATION DE SON INDÉPENDANCE. L'exi-
gence de liberté est issue du travail d'élabora-
tion psychique de l'adolescence. L'adolescent
doit s'approprier un corps qui change et qui
lui permet d'accéder à la sexualité ; il doit
s'éloigner de la zone d'influence parentale
afin d'accomplir ses propres conquêtes ; il a
besoin enfin de s'inscrire dans la société pour
y trouver ses identifications et son statut.
Chacune de ces lignes de tension offre à l'ado-
lescent un gain potentiel mais constitue aussi
une menace possible : s'approprier un corps
pubère, c'est découvrir la relation amoureuse
mais courir le risque de perdre son sentiment
de continuité et d'autonomie ; s'éloigner de
ses parents, c'est se découvrir (dans tous les
sens du mot) et c'est courir la menace de se
sentir perdu ou abandonné ; s'inscrire parmi
les autres, c'est participer à l'élan d'une géné-
ration, mais c'est aussi prendre le risque d'al-
légeances menaçant l'identité.
Aussi l'adolescent oscille-t-il toujours entre ce
que l'on appelle une appétence objectale et un
désir de préservation narcissique. Par « appé-
tence objectale », on veut signifier que l'ado-
lescent est littéralement avide de nouvelles
expériences, de nouvelles connaissances, de
nouvelles limites, de nouveaux objets* qu'il
cherche à s'approprier. Par « désir de préser-
vation narcissique ", on signifie qu'il est en-
vahi par le fantasme ou le désir d'être auto-
nome, indépendant, de n'avoir besoin de rien,
car il vit toute perception d'un désir ou d'un
besoin comme une menace pour son intégrité
et pour son narcissisme* (il est, précisément,
à un âge où l'image de soi est changeante et
incertaine). Plus le « doute narcissique » est
important, plus le besoin d'affirmer son indé-
pendance est fort. Le conflit narcissico-objec-
tal est au centre de l'adolescence. Il explique
en partie les moments de souffrance, de ma-
laise, les signes habituels de conflictualité
psychique. Un exemple typique de celle-ci ré-
side dans les relations aux parents. L'adoles-
cent y est pris dans un paradoxe : comment
s'éloigner de ceux auxquels on désire s'identi-
fier ? Comment gérer son désir de s'appro-
prier quelque chose de la personnalité des
parents et en même temps son besoin d'affir-
mation de soi ? La tension entre une envie dé-
vorante d'objet et un besoin à visée protec-
trice d'affirmer sa totale autonomie explique
l'importance de la question de la dépendance
à l'adolescence.
BESOIN DE L'AUTRE ET PRÉSERVATION DE SOI.
L'adolescent, dans les relations qu'il établit
avec son entourage, est tenté d'opérer un dé-
placement de la personne à la chose. En effet,
les relations aux personnes impliquent que les
uns et les autres, en terme de reconnaissance
d'autrui et de soi-même soient dans des dis-
positions identiques pour « être ensemble »
avec plaisir. En un mot, elles impliquent la dé-
pendance au désir de l'autre et pas seulement
à son propre désir. La relation aux choses dé-
pend de son seul désir quand la chose est là...
C'est pourquoi l'adolescent crie fort son désir
d'indépendance tout en allumant frénétique-
ment une cigarette pour calmer sa tension. Il
existe bien sûr des adultes qui font de même :
ceux-là ont toujours commencé à l'adoles-
cence...
Cette régression de la personne à la chose
s'observe en clinique individuelle. Quand il
est seul et s'ennuie, l'adolescent recourt vo-
lontiers au tabac ou à l'alcool. Or, s'ennuyer
est un état affectif assez caractéristique de
l'adolescence qui témoigne d'une tentative
de désengagement des investissements et des
plaisirs de l'enfance (si l'on demande à un
enfant « Que fais-tu ? » il répondra qu'il
s'amuse, mais l'adolescent répondrait qu'il
s'ennuie), alors que les intérêts. les investisse-
ments et la relation amoureuse proposés à
l'adulte ne sont pas encore présents. Si l'ado-
lescent ne supporte pas l'attente d'une rela-
tion à autrui encore à venir et incertaine, il
risque de la transformer en une consomma-
tion immédiate de produit.
RELATION AUX PAIRS. Le second facteur d'inci-
tation aux dépendances puise son origine à
la relation aux pairs. Où va l'adolescent qui
s'éloigne de sa famille ? D'abord et avant tout
parmi ses pairs, les autres adolescents. Lieu
de différenciation entre les générations, la re-
lation aux pairs contient aussi une exigence
identificatoire très forte à l'adolescence. Ce
lien implique que l'on fasse comme les autres
(ceux de la même bande) tout en affirmant
son originalité. Ce mimétisme est important
pour l'intégration sociale ultérieure. Il témoi-
gne de la vulnérabilité sociale de l'adolescent
et de sa sensibilité au prosélytisme des co-
pains. En effet, le groupe des pairs exerce une
pression constante sur l'individu pour l'ame-
ner à faire comme eux. Le prosélytisme fonc-
tionne dans les deux sens : plus l'individu
doute de son identité, plus il a besoin de
l'image de marque affirmée par le groupe.
Plus le groupe se sent faible, plus il a besoin
d'individus qui affirment de façon marquée
des traits de comportement aisément identi-
fiables. Ainsi, les adolescents ont besoin de
faire comme les autres et, de ce point de vue,
la consommation de produit est étroitement
liée à l'intensité des relations aux pairs. Nom-
breuses sont les enquêtes qui mettent en évi-
dence ce dernier facteur dans l'initiation à la
drogue. À ce prosélytisme, il est possible
d'avancer une explication simple d'apparence
et que vérifie l'expérience clinique : plus un
adolescent ressent son besoin d'un produit ou
d'une conduite quelconque (tabac, alcool tel
que la bière, drogue, prise de risques*, etc.)
comme le témoin d'un malaise ou d'un mal-
être, plus il a besoin de banaliser ce besoin
pour cacher sa propre fragilité, et plus il cher-
che à étendre aux autres ses consommations
ou conduites de façon à en estomper les as-
pects singuliers dans la masse.
NARCISSISME INFANTILE. L'enfance, et plus en-
core la petite enfance, colore de façon impor-
tante l'adolescence : on pourrait comparer
cette période de la vie au tirage en laboratoire
d'un négatif pris dans l'enfance, mais il est
aussi bien difficile de tirer une bonne photo à
partir d'un négatif défectueux.
La problématique de la dépendance propre a
l'adolescence réactualise la qualité des rela-
tions précoces du petit enfant avec son envi-
ronnement, lesquelles conditionnent la qua-
lité de ce qu'on peut appeler son assise
narcissique, le socle de sa personnalité.
Quand les identifications primaires et préco-
ces issues de la petite enfance ont donné au
narcissisme une assise suffisante, la sécurité
primaire ainsi acquise permet à l'adolescent
de s'éloigner des objets œdipiens, c'est-à-dire
de ses parents, sans se sentir menacé ni ap-
pauvri. Celui-ci peut aussi s'approcher des au-
tres objets, en attendre jouissance et émotion
sans que cette attente ne soit vécue comme
une excitation intolérable et une attirance me-
naçante pour l'assise narcissique.
En revanche, quand cette assise a été fragili-
sée, on comprend qu'il soit encore plus diffi-
cile à l'adolescent de ressentir ce besoin objec-
tai. Cette fragilité narcissique peut provenir
de défaillances précoces dans les premières
relations, défaillances caractérisées soit par
des discontinuités (hospitalisation à répéti-
tion, placements, changements fréquents et
chaotiques), soit par des liens qu'on appelle
« symbiotiques », c'est-à-dire marqués par
leur exclusivité et leur aspect souvent teinté
d'anxiété. Il peut être difficile de réaliser que
les deux extrêmes (liens d'excessive proximité
et intensité, liens d'excessive distanciation et
indifférence) conduisent au même type de pa-
thologie. En revanche, on le comprendra aisé-
ment, la qualité de la séparation que les exi-
gences pulsionnelles intérieures à l'individu
vont rendre nécessaire à l'adolescence, dépen-
dra de la qualité des séparations qu'il a vécues
dans l'enfance. De ce point de vue, ni les sé-
parations trop nombreuses, trop longues, trop
diverses, ni une totale absence de séparation
ne peuvent préparer l'individu à cette inéluc-
table expérience de vie que l'homme doit tou-
jours faire un jour. Ainsi, lorsque la petite en-
fance a été dominée par une succession de
ruptures ou par un lien symbiotique, l'assise
narcissique risque d'en être fragilisée. À l'ado-
lescence, cette fragilité sera ressentie comme
une souffrance (ou anxiété) insupportable,
créée par la perception d'une dépendance aux
personnes et par la nécessité de la rompre.
Dans la forme la plus extrême, la dépendance
aux nouveaux besoins du corps, en particulier
à ceux qui sont liés à la sexualité, peut être
ressentie comme intolérable. L'adolescent ris-
que alors d'attaquer ce corps (tentative de sui-
cide*) ou de dénier cette dépendance intoléra-
ble au corps en recourant à la dépendance aux
produits ou à une conduite, parfois même en
utilisant les deux (ainsi, les tentatives de sui-
cide sont particulièrement fréquentes dans le
cas de conduites toxicomaniaques).
En effet, si beaucoup d'adolescents adoptent
transitoirement des conduites de consomma-
tion, de prise de risque, un nombre important
d'entre eux cessera dans les mois suivants ou
quelques années plus tard. De nombreuses
conduites addictives apparaissent à l'adoles-
cence, mais, comme le constate le psychiatre
Aimé Charles-Nicolas, « si cela suffit pour
s'intoxiquer, cela ne suffit pas pour devenir
toxicomane ». Il faut pour cela quelque chose
de plus - que le même auteur situe du côté
des pathologies narcissiques : « La pathologie
addictive est d'autant plus grave qu'elle se si-
tue exclusivement dans le registre narcissique.
Plus le sujet est "toxicomane" , plus sa problé-
matique narcissique est dominante ».
RECHERCHE DE SENSATIONS. Des défaillances,
des ruptures répétées dans les relations préco-
ces de maternage, quelle qu'en soit la cause,
produisent un tissu émotionnel défaillant
dont les trous, les manques ne sauraient être
comblés que par des sensations : un passé
vide d'émotions doit être comblé par un pré-
sent plein de sensations. La sensation, pour le
dictionnaire, est « l'opération des objets sur
les sens >. La pathologie de l'addiction est
d'abord une pathologie des sensations. Cel-
les-ci appellent la présence de l'objet et re-
quièrent la mise en acte.
Les défaillances du narcissisme se caractéri-
sent par le maintien dans le registre de la sen-
sation, maintien lui-même expliqué par les
défectuosités dans les relations d'objet préco-
ces, qui empêchent de tolérer ce temps d'at-
tente qui transforme le besoin en désir. Les
émotions restent alors précisément tributaires
de sensations. Or la sensation ne laisse pas
de trace psychique précisément parce qu'elle
appartient au registre de l'activation senso-
rielle : elle est dans l'ordre du besoin et de sa
répétition. Elle dépend de l'acte et en résulte,
contrairement à l'émotion, qui s'inscrit dans
le registre symbolique de la parole. Cette der-
nière suscite des émotions, l'acte produit des
sensations, mais, inversement, le besoin de
sensation déclenche l'agir et la recherche de
l'objet concret, source de sensations. Il existe
une continuité entre défaillance dans les inter-
actions précoces : défaut du narcissisme -
maintien des sensations - dépendance à l'ob-
jet concret - et appétence à l'agir.
Si l'adolescence est par elle-même une pé-
riode de vulnérabilité pour l'apparition et l'ex-
périmentation des conduites de dépendance,
les défaillances dans les relations précoces de
la petite enfance apparaissent comme un fac-
teur essentiel dans le maintien de ces condui-
tes, leur pérennisation et le processus d'esca-
lade dans la conduite, faisant passer d'un
usage récréatif à une toxicomanie.
Le psychiatre français Philippe Jeammet in-
siste, à juste titre, sur le danger des conduites
d'addiction à l'adolescence, car elles représen-
tent des conduites d'autosabotage, douées
d'un puissant pouvoir d'autorenforcement.
Outre le pouvoir psychopharmacologique
propre à chaque drogue, y compris l'alcool et
les médicaments, on peut comprendre ce pou-
voir d'autorenforcement et d'autosabotage
comme la caractéristique même du domaine
des sensations. Les individus qui deviendront
toxicomanes ne peuvent éprouver que des
moments intermittents de sensation et non
pas vivre des émotions.
DÉPENDANCE ET CONDITION HUMAINE.
L'homme est dépendant de l'oxygène, de
l'eau, des objets qui balisent ses souvenirs,
des êtres chers avec lesquels il partage des
sentiments. Mais, en dehors des besoins phy-
siologiques du corps, la prise de conscience
des dépendances actualise des émotions qui
appartiennent en propre à chaque individu et
ne dépendent en rien d'autre chose que de
sa pensée. Sûrement est-ce cela que d'aucuns
appellent la « nostalgie ». En revanche, quand
la prise de conscience de ces dépendances ac-
tualise une sensation ou un manque de sensa-
tion, c'est-à-dire un trou, un vide, une béance,
alors cette prise de conscience est intolérable.
Elle doit être vite comblée, masquée par la
répétition d'une sensation, la recherche de
l'objet concret qui la provoque et l'affirmation
qu'on n'a besoin de personne pour se la pro-
curer. C'est le paradoxe qu'éprouvent tous les
adolescents et qui risque de rendre malades
ceux d'entre eux qui ont par le passé été
confrontés à une douloureuse dépendance
- ils sont alors tentés de refuser la ,( dépen-
dance relationnelle ", celle que tout être hu-
main doit accepter pour s'inscrire dans la dé-
pendance consommatrice.
Rôle des psychotropes
Le rapport remis par le pharmacologue Ber-
nard Roques au gouvernement de Lionel Jos-
pin en 1998 confirme les résultats des obser-
vations des cliniciens : les « drogues <> qui
suscitent la survenue des dépendances les
plus fortes et les plus rapides ne sont pas tou-
jours celles que l'on imagine et ne sont pas
nécessairement illicites. Il convient de distin-
guer entre les divers effets des drogues, y
compris en terme d'incidence sociale, tant du
fait du processus de marginalisation qu'elles
induisent que du fait des actes de délin-
quance* nécessaires pour se les procurer.
L'héroïne demeure bien l'une des substances
les plus dangereuses en raison de la dépen-
dance physique et psychique qu'elle induit ra-
pidement - en général -, en raison de sa
toxicité générale (produit/adultérants*/infec-
tions*) et en raison des incidences sociales de
son usage toxicomaniaque. Mais l'alcool
comme le tabac entraînent aussi de fortes
dépendances et ont une toxicité sociale non
négligeable. Or, et toutes les enquêtes le
prouvent, ce sont précisément les premiers
produits auxquels l'adolescent pourra accéder
et qu'il va consommer. L'héroïne n'est utilisée
que par une minorité infime (moins de 1 %)
des consommateurs de drogues. Le cannabis
quant à lui est loin d'être le produit le plus
dangereux, même s'il demeure classé comme
stupéfiant. Le recul manque encore pour éva-
luer avec précision la toxicité de l'utilisation
des drogues* de synthèse, comme l'ecstasy,
dont on suspecte cependant qu'elle soit loin
d'être négligeable.
Dépendance et autres troubles
de l'adolescence
La consommation de produits d'allure addic-
tive est, à l'adolescence, rarement isolée. De
ce point de vue, il importe de distinguer la
consommation festive des autres modes de
consommation. Une caractéristique de la
consommation festive est précisément qu'elle
reste relativement isolée, sans retentissement
majeur sur la vie familiale, sociale et scolaire
du sujet (exception faite d'un fléchissement
transitoire fréquent des résultats). L'appari-
tion d'autres manifestations cliniques traduit
souvent le passage à un mode de consomma-
tion autothérapeutique ou toxicomaniaque.
On observe alors la présence de : troubles an-
xieux et/ou du sommeil, de symptômes de
dépression ou de dépressivité avec tentatives
de suicide possibles, de troubles du comporte-
ment alimentaire, de troubles impulsifs et an-
tisociaux (bagarres, vols, fugues, etc.) pouvant
au maximum réaliser un tableau de psychopa-
thie\ de difficultés scolaires, de prise de ris-
que avec accidents à répétition, de vécu d'une
sexualité à risque, avec aventures multiples
sans préservatif, relations homosexuelles éga-
lement non protégées (associées de façon
constante à une consommation addictive),
etc., difficultés relationnelles (soit isolement,
soit engagement dans des relations margina-
les où la recherche d'excès, de défonce semble
devenir l'unique objectif)...
La consommation addictive témoigne dans ce
cas d'une souffrance psychique diffuse et
d'une tentative de trouver une solution per-
sonnelle à cet état, ce qui traduit également
une attitude de relative rupture relationnelle :
l'adolescent ne trouve pas dans son entou-
rage, en particulier parmi les adultes, des per-
sonnes auprès desquelles il pourrait bénéficier
du soutien nécessaire.
Quoi qu'il en soit, avant d'en arriver à une
consommation de type toxicomaniaque, un
long chemin est parcouru pendant lequel il est
possible d'observer la persistance, la répéti-
tion et le cumul de ces diverses manifesta-
tions pathologiques.
Au plan psychopathologique, le médecin sera
confronté plus souvent à des troubles de l'or-
ganisation de la personnalité* (borderline ou
limite psychopathique, abandonnique, plus
rarement psychotique) qu'à des entités noso-
graphiques rigoureusement définies.
Réponses aux conduites d'allure
toxicomaniaque de l'adolescent
L'abord thérapeutique d'un adolescent
consommateur de psychotropes est particu-
lièrement difficile et complexe. Il importe de
prendre en compte un nombre important de
paramètres et de ne jamais se focaliser sur le
produit et ses possibles effets somatiques. Il
faut avant tout évaluer sereinement l'état
physique de l'adolescent, son équilibre psy-
chique, la dynamique familiale, le(s) pro-
duit(s) consommé(s) - nature, quantités, mo-
des d'usage, effets décrits, tolérance -, le
cadre social et l'environnement du sujet, les
modifications individuelles et familiales appa-
rues depuis le début de la consommation, les
symptômes qui, éventuellement, précèdent le
début de celle-ci.
Tout cela prend du temps mais doit permettre
un engagement relationnel sincère entre
l'adolescent et le médecin. Il faut dépasser le
cadre de la drogue > ■pour prendre en compte
la personne et ses motivations à consommer,
celles qui sont verbalisées bien sûr mais aussi
celles qui demeurent moins clairement expri-
mées ou moins avouables (à l'adolescence, se
reconnaître anxieux ou angoissé est vécu
comme un aveu de faiblesse ou comme un
risque de soumission au médecin, souvent
considéré comme un représentant parental). Il
faut donc qu'une relation de confiance puisse
s'établir. Seule une prise en charge globale de
l'ensemble des difficultés de l'adolescent - si
celui-ci accepte toutefois d'en parler - sera
susceptible d'aboutir à une modification des
modes de consommation.
Toute attitude autoritaire est inefficace et
vouée à l'échec car elle risque de disqualifier
définitivement la relation de soin ultérieure.
Les informations données sur la dangerosité
du produit ont rarement les effets escomptés
et peuvent plutôt avoir un effet incitatif para-
doxal, pour peu que la conduite de l'adoles-
cent s'inscrive dans un comportement auto-
destructeur ou suicidaire. Cela ne signifie pas
pour autant qu'une information exacte, pon-
dérée, sereine et rigoureuse ne soit pas néces-
saire, mais elle doit être délivrée dans un
contexte approprié, l'adolescent devant se
sentir le partenaire de l'information partagée
et non pas la victime potentielle d'une infor-
mation imposée. Enfin, la rencontre avec l'en-
tourage, les parents au premier chef, mais par-
fois aussi les autres membres du réseau de
soin, est indispensable.
CONSOMMATION FESTIVE OU DÉBUTANTE. Il
s'agit d'informer l'adolescent sur le produit (il
est souvent très ignorant malgré son appa-
rente assurance sur le sujet), et d'évaluer le
retentissement familial, scolaire et social de
sa conduite. Le travail de prévention est ici
primordial. L'absence de retentissement so-
cial et scolaire est assez rassurante. Le reten-
tissement familial est important : s'il est
normal que les parents se soucient de la
consommation de leur enfant, il n'est pas nor-
mal que, dès ce stade, ils soient paniqués, an-
goissés, qu'ils parlent déjà de « toxicomanie »
ou qu'ils aient cette crainte de façon omnipré-
sente en tête, et soient prêts alors à entrer
dans une interaction de sollicitude anxieuse
avec leur enfant. Il n'est pas normal non plus
qu'ils demeurent totalement indifférents,
voire qu'ils cautionnent ou justifient cette
consommation.
Ainsi, dans certains cas. le médecin peut se
montrer rassurant, évitant de majorer l'an-
goisse des parents, mais cherchant aussi les
éventuelles racines familiales de cette an-
goisse (ascendant ou collatéral toxicomane,
alcoolique, suicidaire, etc.). Quand les parents
peuvent parler de cette angoisse en présence
de leur enfant, quand ils peuvent expliquer ce
qui la motive, l'expérience montre que, sou-
vent, il y a alors un soulagement et une atté-
nuation de cette interaction anxieuse.
À l'opposé, si les parents sont indifférents ou
complices, le médecin se doit d'attirer leur at-
tention sur les risques potentiels et de les in-
former - de même que l'adolescent - de ce
que lui-même en tant que médecin considère
comme une conduite à risque. Il doit alors
suivre avec beaucoup d'attention ce jeune, en
particulier en cas d'éventuels comportements
d'escalade ou de malaise.
CONSOMMATION ADDIOTVE DÉBUTANTE. L'exis-
tence de signes de souffrances psychiques, re-
lationnelles ou scolaires, doit être considérée
comme un facteur de risque majeur. Il
convient d'aborder ces difficultés en amont,
dans la mesure où cela est possible, ce qui
revient à dire que le consultant doit établir
avec l'adolescent une relation de confiance.
Un traitement actif de ces symptômes, par
médicaments (antidépresseurs ou autres) ou
par psychothérapie, doit être envisagé. Une
guidance ou une thérapie familiale peut s'avé-
rer utile. Des aménagements de vie (mise en
internat, éloignement temporaire de l'adoles-
cent de ses sources d'incitation ou d'approvi-
sionnement) peuvent être proposés, surtout si
le jeune les accepte dans un climat de protec-
tion et non pas de punition. À ce stade, en
revanche, la banalisation n'est pas de mise,
même si, pour autant, il convient de ne pas
stigmatiser le jeune en parlant déjà de
« toxicomanie ».
CONSOMMATION ToxicoMANiAQUE. Ce type de
consommation ne concerne qu'une nombre
très réduit de jeunes consommateurs de sub-
stances psychoactives. Toutefois, il peut arri-
ver qu'un adolescent soit engagé dans une
toxicomanie avérée. Dans ce cas, l'abord thé-
rapeutique est tout autre. Il est comparable en
beaucoup de points à celui des tentatives de
suicide : il importe de distinguer entre les me-
sures à court terme et les mesures à échéance
plus éloignée.
Les mesures immédiates visent à préserver
l'avenir somatique et/ou psychique de l'ado-
lescent. On traite de façon symptomatique
l'overdose, le manque, d'éventuelles réactions
psychotiques secondaires, un état confusion-
nel ou un coma. La cure de sevrage elle-même
ne doit pas être réalisée dans un climat d'ur-
gence, quelle qu'en soit sa cause. Elle doit re-
poser sur les bases d'un contrat, se dérouler
dans un endroit éloigné des circuits habituels
du jeune toxicomane et de ses sources d'ap-
provisionnement, en milieu institutionnel au-
tant que possible ; le sevrage ne doit jamais
être dégressif mais être d'emblée total. L'ins-
tauration d'un traitement de substitution est
de plus en plus recommandée même chez les
mineurs, mais son indication reste discutée
dans ce cas. Cette prise en charge globale doit
être fondée sur une intention de continuité
thérapeutique avec une équipe de spécialistes
d'horizons différents travaillant en réseau* :
institutions d'accueil, de cure, de postcure, fa-
milles d'accueil*, communautés* thérapeuti-
ques et/ou individus isolés. Tout cela permet
de proposer constamment à l'adolescent en
difficulté un (des) lieu(x) et des personnes
avec lesquels un lien d'attache peut se créer.
Toute cette structure doit être cohérente afin
que le toxicomane ne se sente pas assailli par
un sentiment de morcellement* ni manipulé
par les soignants.
Les acteurs du réseau doivent oeuvrer à ce que
l'acte du toxicomane devienne discours et se
fasse donc accessible aux autres. Ils doivent
constater, de plus, que la résistance de la
conduite toxicomaniaque à l'abord thérapeu-
tique doit être mise en balance avec le fait que
de telles conduites ont souvent une fonction
autothérapeutique à l'égard d'une psychose*
ou d'une dépression. Le but du thérapeute
doit être modeste, le plus important étant que
l'adolescent désire une prise en charge ou
qu'il reconnaisse se sentir en sécurité auprès
de l'équipe. Un contact initial chaleureux peut
induire un attachement véritable, à condition
de savoir et de pouvoir peu à peu ménager la
frustration indispensable pour que les tendan-
ces au mono-investissement du toxicomane
évoluent favorablement. L'effort du théra-
peute doit ensuite porter sur l'accroissement
de la tolérance du toxicomane à l'egard de ses
affects. Les moyens mis en œuvre peuvent
constituer une étape préparant le toxicomane
à une psychothérapie de type analytique au
cours de laquelle les racines de son comporte-
ment addictif pourront éventuellement être
élaborées.
Perturbations
du comportement alimentaire
à l'adolescence
Il existe à l'adolescence de fréquentes pertur-
bations du comportement alimentaire qui
n'entrent pas forcément dans un cadre noso-
graphique précis, mais qui sont souvent ratta-
chées au cadre de la pathologie dite addictive.
Elles précèdent souvent une anorexie mentale
ou une boulimie nerveuse.
Aux États-Unis, selon une étude épidémiolo-
gique publiée en 1993, de 40 à 60 % des jeu-
nes filles de 17-18 ans suivent un régime pour
perdre du poids ; 13 % d'entre elles se font
vomir, prennent des laxatifs, des diurétiques
ou des agents anorexigènes (« coupe-faim »).
Les données sont identiques en France, où
l'étude de Marie Choquet publiée en 1991
montre que 37 % des filles se trouvent trop
grosses, que 57 % d'entre elles souhaitent
maigrir, que 14 % suivent un régime régulier,
que 2,3 % prennent un médicament ano-
rexigène et 3,1 % des laxatifs. Les conduites
de restriction alimentaire ont fait l'objet de
nombreuses études épidémiologiques, mais
d'autres troubles s'observent aussi à cet âge :
crises de fringale qui, sans avoir l'intensité
d'une crise de boulimie, les précèdent sou-
vent ; comportement hyperphagique retentis-
sant sur le poids ; dégoût électif ou régime
particulier avec exclusion de certains ali-
ments, etc. Les histoires cliniques des patients
montrent régulièrement que ces diverses per-
turbations alimentaires ont en général pré-
cédé de quelques mois la constitution pro-
gressive d'une anorexie ou d'une boulimie
nerveuse. Parmi les facteurs devant faire
craindre cette évolution, il faut souligner : le
fait d'être du sexe féminin, la répétition des
crises, des préoccupations excessives quant
au poids (pesées fréquentes, voire obsession-
nelles), des manoeuvres de contrôle du poids.
Le diagnostic reste trop souvent posé tardive-
ment ou, lorsqu'il est fait, de nombreux mois
sont perdus en examens complémentaires,
administration de traitements substitutifs va-
riés (vitamines, hormones visant à restaurer
les règles), alors même que les rares tableaux
d'amaigrissement ou de cachexie d'origine
organique ne s'accompagnent jamais du
contexte psychologique et relationnel si ca-
ractéristique des adolescents atteints de trou-
bles des conduites alimentaires. Cela retarde
en fait la consultation psychiatrique. La prise
en charge psychique du patient et de ses pa-
rents doit intervenir précocement. Les ater-
moiements du médecin généraliste risquent
de transformer une pathologie encore bénigne
et simplement inscrite dans une problémati-
que développementale et transitoire en une
maladie redoutable par son potentiel de chro-
nicisation et ses complications physiologi-
ques et sociales.
Anorexie et boulimie ont en commun, de fa-
çon sous-jacente aux perturbations alimentai-
res, un trouble important de la perception de
l'image du corps, soit sous forme d'une dis-
torsion négative de l'image de soi incluant
l'image du corps (boulimie) soit sous forme
d'un déni* de l'amaigrissement allant parfois
jusqu'à la conviction délirante d'être encore
trop gros(se) (anorexie). Cette conviction qui
a trait à la représentation de soi, au-delà de
l'image du corps proprement dite, traduit les
achoppements ou les blocages du travail psy-
chique de l'adolescence et signe l'origine psy-
chique des troubles.
Pourquoi ces perturbations surviennent-elles
de façon élective à cet âge, quelles hypothèses
peut-on émettre sur cette apparente conjonc-
tion entre puberté, adolescence et compor-
tement alimentaire perturbé 7 Les facteurs
concourant à l'installation de troubles des
conduites alimentaires sont multiples et d'ori-
gine variable : physiologiques, psychologi-
ques, sociaux ou culturels.
- Les besoins physiologiques de la puberté
provoquent une modification de la satiété. Ils
peuvent aboutir à une dysrégulation de la sen-
sation de faim avec le sentiment de ne plus
pouvoir contrôler la prise d'aliments : l'ado-
lescent peut se ressentir comme la victime de
sa sensation de faim.
- Le travail psychique de la puberté passe par
une phase de sexualisation générale des
conduites : dans ce contexte, faim, gourman-
dise, oralité prennent une tonalité excitante
mais inquiétante. Tout plaisir pris par et dans
le corps risque d'être sexualisé et de susciter
une culpabilité afférente, ce qui renforce le
sentiment d'aliénation à l'égard du besoin
physiologique.
- L'adolescent - comme on l'a déjà évoqué -
est avide d'identifications, d'intériorisations,
d'expériences et de rencontres. Il cherche à se
différencier de ses parents. Cette avidité peut
être éprouvée cependant comme une menace
de la part de ces choses inconnues qui le ten-
tent et comme une aliénation. Face à ce
conflit, l'adolescent réagit par deux mécanis-
mes : la régression ou la maîtrise. La régres-
sion consiste à retrouver les pensées, les stra-
tégies, les plaisirs, les satisfactions, les buts
pulsionnels du passé et de l'enfance : l'oralité.
Les plaisirs que celle-ci a apportés représen-
tent un registre pulsionnel familier à l'adoles-
cent et auquel il retourne volontiers. À l'op-
posé, la maîtrise a pour objectif de rassurer le
sujet par le sentiment d'activité et de contrôle
qu'il y déploie. Les fréquentes alternances en-
tre crises de boulimie/fringale et phases de
restriction alimentaire illustrent ces oscilla-
tions entre régression et maîtrise.
- L'adolescent veut s'approprier son corps et
le maîtriser. Il le fait de façon souvent exces-
sive par opposition aux parents : il refuse de
prendre le petit déjeuner préparé par sa mère,
refuse le vêtement qu'elle lui tend, etc. Ce be-
soin psychologique s'oppose souvent aux be-
soins physiologiques.
- La symbolique du repas familial reste forte
et l'adolescent cherche à y échapper. Il arrive
en retard, par exemple, ou quitte la table pré-
cipitamment, ce qui engendre un climat de
tension. Il conteste ce moment ou tente de
l'éviter : il mange seul, à d'autres moments,
grignote, etc. Le plaisir que les parents sem-
blent prendre à manger est vécu comme in-
supportable par beaucoup d'adolescents, sur-
tout par les filles, qui le sentent trop chargés
de connotations sexuelles. La technologie as-
sociant congélateur et four à micro-ondes per-
met de stocker et de préparer de façon pres-
que instantanée des plats : tout est réuni pour
satisfaire la crise boulimique.
- Le discours ambiant vantant la réalisation
de soi, la satisfaction sans entrave des désirs,
la présence sur le marché de produits at-
trayants à consommation immédiate fait un
contraste assez déroutant avec la tyrannie des
modèles d'esthétique et de beauté où la min-
ceur se confond avec la maigreur. Ces modè-
les sont à la fois des défis aux corps, à ses
besoins physiologiques et à la santé en géné-
ral. Sensibles aux modèles sociaux proposés,
les adolescents sont les premières victimes de
ces multiples paradoxes. (Daniel Alarcellt)
a d o p t i o n ( é t u d e d'). Étude consistant à op-
poser, à travers l'appréciation des influences
qui s'exercent sur des sujets adoptés, l'envi-
ronnement familial éducatif (apporté par les
parents adoptifs) aux facteurs génétiques héri-
tés (des parents biologiques). Un des buts
poursuivis est aussi d'apprécier le rôle du bref
apport éducatif apporté par les parents biolo-
giques.
i Les études d'adoption apportent des infor-
mations complémentaires aux études d'agré-
gation* familiale. Se demander si les parents
biologiques d'enfants adoptés atteints de ma-
ladies sont plus souvent eux-mêmes atteints
de ces maladies que les parents adoptifs re-
vient à tenter d'évaluer l'importance respec-
tive des facteurs génétiques et des facteurs
éducatifs familiaux (avec cette nuance que
l'adoption a rarement lieu immédiatement
après la naissance, et que les toutes premières
interactions - mère/enfant - se font essentiel-
lement avec les parents biologiques).
Les études d'adoption réalisées font apparaî-
tre une participation génétique supérieure à la
participation familiale. Une étude portant sur
862 cas d'adoptés témoignant d'alcoolisme ne
révèle aucune prévalence notable de l'alcoo-
lisme chez les parents adoptifs, alors que les
parents biologiques de ces mêmes enfants
sont plus fréquemment atteints. Lorsque l'on
considère les hommes exclusivement, et ce
particulièrement pour les cas d'alcoolisme sé-
vère, les études pointent une atteinte encore
plus marquée chez les parents biologiques,
comparés aux parents adoptifs. De fait, un
des spécialistes de la génétique de l'alcoo-
lisme (Cloninger) souligne que le sujet n'hé-
rite pas seulement de l'alcoolisme, mais aussi
et avant tout d'un type de consommation (dé-
but précoce et abus sévère), ainsi que des fac-
teurs associés (sexe masculin et conduite anti-
sociale). Cloninger distingue ainsi deux sous-
types différents d'alcoolisme, selon l'impor-
tance du déterminisme génétique tel qu'il
ressort de l'étude d'adoption. Le type I, ou
abus « milieu-dépendant », se manifeste chez
l'homme et chez la femme, et se caractérise
par un abus peu sévère, un début à l'âge
adulte, sans histoire de criminalité chez les
parents biologiques. Le type II, ou abus
« sexe-dépendant ><, se manifeste chez les
hommes et se définit par un début dans l'en-
fance, un abus sévère, un fort taux de crimina-
lité chez les pères biologiques et une forte
composante génétique, les facteurs postna-
taux ne jouant qu'un rôle minime. L'auteur
estime que ces sous-groupes sont associés
chacun à des mécanismes neuroadaptatifs
particuliers et hérités, qui se reflètent dans les
comportements de ces malades. Ainsi, au
type II correspondrait une forte recherche de
nouveauté, peu d'évitement de la douleur et
une faible dépendance à la récompense. Un
autre spécialiste (Cadoret) a donné des argu-
ments en faveur d'une susceptibilité genéti-
que croisée des différentes dépendances, en
évaluant la probabilité de retrouver une dé-
pendance (aux drogues ou à l'alcool) chez les
parents, biologiques, d'une part, et adoptifs,
d'autre part. d'enfants adoptes devenus
toxicomanes et/ou alcooliques. Il apparaît que
les parents biologiques sont plus fréquem-
ment atteints que les parents adoptifs, et ce
quel que soit le toxique considéré. (Philip
Gorwood)
adultérant. Substance utilisée pour couper
les drogues, les diluer ou les falsifier.
J Les drogues (au sens général de médica-
ments), produits souvent rares et chers, ont
été l'objet de falsifications diverses dès l'Anti-
quité. Souvent, les détaillants en gonflaient le
volume par adjonction de substances plus ou
moins anodines, mais toujours peu onéreuses,
afin d'augmenter leur bénéfice à la vente. De
même, au fil des époques, mêla-t-on au poi-
vre des graines de moutarde, au chocolat de
l'ocre rouge de brique pilée, de la fécule de
pomme de terre, diverses farines ou du ta-
pioca, et au thé des feuilles de ronce, de su-
reau, de frêne ou de hêtre, etc. ; le thé a par-
fois même été coloré par de l'indigo.
Le coupage des drogues s'inscrit dans une
perspective identique. Il permet d'augmenter
artificiellement leur valeur et conditionne no-
tamment le bénéfice des revendeurs au détail.
Il concerne surtout les produits à haute valeur
ajoutée, comme l'héroïne ou la cocaïne, et ne
doit pas être confondu avec une association
de plusieurs drogues entre elles. La substance
ajoutée n'a généralement pas d'action psy-
chotrope ; elle sert essentiellement à faire
masse, à tromper l'acheteur sur la qualité du
produit ou, parfois, à altérer le flair des
chiens. Par ailleurs, elle peut contribuer à limi-
ter les risques d'intoxication aiguë en facili-
tant la manipulation de produits toxiques à
très petites doses.
Si certaines substances de coupe ne sont pas,
ou peu, dangereuses (sucres divers : lactose,
glucose, mannitol, ou encore : paracétamol),
d'autres exposent à des risques importants
lors d une injection, de par leur nature physi-
que (talc, ciment, plâtre fréquemment à l'ori-
gine d'embolies) ou leur action pharmacologi-
que propre (quinine, toxique pour les reins,
strychnine, très neurotoxique : l'amertume de
ces alcaloïdes peut donner l'illusion que
l'échantillon contient une forte proportion de
drogue, et la strychnine exerce de plus une
action psychostimulante susceptible de po-
tentialiser l'action propre de drogues comme
la cocaïne ou l'ecstasy ; sels de thallium). La
teneur moyenne en drogue psychoactive des
produits achetés sur le marché de détail est
très faible : de l'ordre de 2 a 8 nn pour l'hé-
roine, et de 10 a 25 "o pour l'ecstasy. Une part
importante des décès par intoxication aiguë
chez les toxicomanes résulte de l'adjonction
de ces substances : un contrôle exercé sur la
qualité des produits permettrait, selon les te-
nants d'une légalisation* contrôlée des dro-
gues, de limiter ce risque. (D.R.)
-----1 poussières, risque, testing
agoniste. Molécule qui mime l'action du
neurotransmetteur sur son site récepteur et
entraîne par conséquent des effets identiques.
Cette propriété provient des analogies struc-
turales existant entre l'agoniste et le neuro-
transmetteur.
J Il existe pour chacun des neurotransmet-
teurs des agonistes plus ou moins spécifiques
d'un sous-type de ses récepteurs. De nom-
breux agonistes ne sont par ailleurs pas spéci-
fiques d'un neurotransmetteur donne (et de
ses types de récepteurs). Un agoniste se carac-
térise donc par une spécificité (ou une sélecti-
vité) plus ou moins marquée pour un récep-
teur. Il se caractérise également par son
affinité, autrement dit par la « puissance »
avec laquelle il se lie à l'un de ses récepteurs
(et par la facilité avec laquelle il s'en dissocie).
L'action de la majorité des psychotropes re-
pose sur le fait qu'il s'agit d'agonistes mimant
l'action de molécules physiologiques forte-
ment impliquées dans les processus psychi-
ques et cognitifs. Par exemple, la morphine
ou l'héroïne sont des agonistes ayant une
forte affinité pour l'un des sous-types de ré-
cepteurs des endorphines*, qui sont les neuro-
médiateurs opiacés présents dans le cerveau.
Cet effet n'est toutefois pas exclusif, en raison
de l'affinité, il est vrai beaucoup plus faible,
de ces molécules pour les autres sous-types
de récepteurs aux opiacés. La nicotine*, quant
à elle, se lie spécifiquement et avec une forte
affinité aux récepteurs nicotiniques de l'acé-
tylcholine*. Le tétrahydrocannabinol* est un
agoniste des récepteurs aux cannabinoïdes*.
où il exerce une action mimétique de celle de
l'anandamide'. (Sylvain Pirot)
antagoniste
agrégation familiale ( é t u d e d'). Analyse
vivant à observer et à mettre en relief l'impor-
tance, eu égard à la manifestation de certaines
pathologies, des facteurs génétiques et des
facteurs familiaux/éducatifs, conjointement
opposés aux facteurs environnementaux per-
sonnels. Les études d'agrégation familiale
montrent que la proportion de sujets atteints
de diverses pathologies est plus grande parmi
les personnes apparentées à des sujets mala-
des (porteurs du phénotype* analysé) que
parmi les personnes apparentées à des sujets
sains ou parmi la population générale. Ces
constatations valent pour certains types de
comportements addictifs, comme l'alcoo-
lisme.
U La littérature médicale offre plus de cent
études familiales concernant l'alcoolisme.
Celles-ci témoignent clairement de l'existence
d'une agrégation familiale de cette toxicoma-
nie. Ainsi, la fréquence de la dépendance à
l'alcool chez les sujets ayant un frère ou une
sœur alcoolo-dépendants varie, selon les étu-
des, entre 10 et 50 %, alors qu'elle ne dépasse
pas les 2 à 5 % dans la population générale.
Le risque d'alcoolisme que peut présenter un
sujet est d'autant plus fort que le parent at-
teint de cette maladie est plus proche. Ainsi,
pour une population d'alcooliques donnée, on
retrouve la maladie chez environ 25 % des
parents au premier degré (parents, enfants,
frères et sœurs), et environ 17 % des parents
au deuxième degré (grands-parents, oncles et
tantes, cousins, petits-enfants).
Les études dites de demi-germains (demi-frè-
res et demi-sœurs) dérivent de la même ap-
proche (analyse de la fréquence du trait selon
la proximité génétique des sujets étudiés),
mais ajoutent une variable intéressante : le
milieu éducatif. Une étude réalisée par Schu-
kit, qui fait référence en la matière, a ainsi
comparé la fréquence de l'alcoolisme chez
124 frères et sœurs et 164 demi-frères et
demi-sœurs de 70 malades alcooliques. L'au-
teur a montré que les demi-germains ayant
un parent biologique alcoolique et un parent-
éducateur alcoolique sont aussi fréquemment
atteints (46 %) que les demi-germains ayant
un parent biologique alcoolique mais un pa-
rent-éducateur non alcoolique (50 %). Il
n'existe pas non plus de différence siginifica-
tive entre la fréquence d'atteinte des demi-
germains sans parent biologique atteint, mais
élevés par un parent-éducateur alcoolique
(14 %), et les demi-germains sans parent bio-
logique atteint, et élevés par un parent-éduca-
teur non alcoolique (8 %). Shukit en conclut
que les facteurs génétiques l'emportent sur les
facteurs éducationnels. De façon générale,
les études d'agrégation familiale font apparaî-
tre le rôle décisif de l'ensemble constitué par
les facteurs génétiques et les facteurs éduca-
tifs familiaux, facteurs dont l'interaction est
essentielle. (Philip Gorvcood)
—> adoption (étude d')
air sec. Gaz liquéfié, éthéré et légèrement
incolore, contenant notamment 2 à 10 % de
diméthyléther et du tétrafluoréthane. Un
mode d'utilisation « récréatif » de ce produit,
contenu dans des bombes commercialisées
pour nettoyer le matériel informatique ou
photographique, s'est récemment développé.
J L'inhalation de ce gaz entraîne une pertur-
bation au niveau du fonctionnement des cor-
des vocales et une euphorie ébrieuse, sembla-
ble à celle induite par l'inhalation d'hélium.
Cette utilisation n'est pas anodine : troubles
de la vision, voire atteintes du système ner-
veux central ont été rapportés. Il semble, de
plus, qu'elle soit associée à l'usage d'ecstasy
dans certaines discothèques. (D.R.)
alcool (arabe al-kohol, antimoine pulvérisé,
d'où, par métonymie, toute substance raffi-
née ou distillée). Désignation populaire de
l'éthanol, principe déterminant l'effet psycho-
trope des boissons dites alcoolisées. Les effets
aigus induits par la prise d'alcool - d'abord
excitation et désinhibition, puis sédation -
ont été décrits de longue date (avec une foca-
lisation sur l'ivresse*), mais ce n'est qu'au
xixe siècle que le besoin compulsif de boire de
l'alcool ainsi que sa conséquence, l'alcoo-
lisme, ont été analysés avec précision.
U L'alcool est obtenu par fermentation de vé-
gétaux riches en sucre (raisin, pomme, poire,
betteraves, canne à sucre, céréales comme
l'orge ou le riz, pomme de terre, bois) ou par
distillation. Il peut servir secondairement à la
fabrication de boissons du type apéritif ou li-
queur.
Boissons obtenues par fermentation. Le vin reste
la boisson alcoolisée obtenue par fermenta-
tion la plus populaire en France, même si, de-
puis les années 1960, sa consommation a
baissé. En 1995, 40 % des hommes étaient
des buveurs réguliers, 30 % des buveurs occa-
sionnels et plus de 20 % des non-buveurs.
Seul un homme sur dix serait véritablement
abstinent. Ces proportions étaient respective-
ment de 20, 30 et plus de 40 % pour les
femmes.
La tendance actuelle semble favoriser la
consommation occasionnelle de vin : on peut
probablement y voir l'effet de l'engagement
de certains médecins, selon lesquels l'ab-
sorption journalière d'une petite quantité de
vin aurait des effets bénéfiques contre les ma-
ladies cardio-vasculaires, mais y trouver aussi
la marque d'un regain d'intérêt culturel pour
les produits d'appellation et de terroir dont
le vin constitue le modèle et le symbole. La
consommation de vin est, en France, essen-
tiellement d'agrément. Certains producteurs
développent toutefois des vins « de soif », ti-
trant moins de 10° ; certains négociants alle-
mands proposent, eux, des vins pétillants ti-
trant moins de 4° (vins « light »). De même,
des vins « biologiques » apparaissent sur le
marché : ils représentent déjà 0,5 % de la
consommation en France et 3 "0 en Allema-
gne. Le vin est fortement concurrencé chez
les jeunes par la bière.
Cette dernière est obtenue par fermentation
alcoolique d'un moût produit à partir du hou-
blon et du malt d'orge. Son titre en alcool est
variable, entre 2° et 9° généralement.
Cidres, poirés et hydromel sont également
des boissons alcoolisées obtenues par fermen-
tation.
Boissons obtenues par distillation. Au-delà de
16°. la fermentation alcoolique est inhibée par
l'action même de l'alcool sur les levures. L'ob-
tention de boissons plus fortes implique donc
le recours à la distillation. On obtient ainsi
des eaux-de-vie (cognac, armagnac, calvados,
kirsch, eaux-de-vie de grains diverses produi-
tes par distillation d'un moût fermenté telles
que le whisky, le gin, la vodka, le genièvre ou
encore le rhum, obtenu par distillation d'une
mélasse), dont le titre varie entre 40° et 50°.
Spiritueux obtenus par adjonction d'alcool à des
boissons ferinentées. Il s'agit d'apéritifs du type
vin de Porto ou de Madère (titre variant entre
17° et 20°), anis ou pastis (45° à 50°, ces pro-
duits s'étant substitués à l'absinthe*), ou
bitters.
Liqueurs. Ces boissons sucrées, réputées avoir
des propriétés digestives. titrent entre 15° et
55°. Elles sont obtenues par adjonction d'eau-
de-vie à des boissons à base de fruits ou de
plantes médicinales.
Métabolisme de l'alcool
L'alcool ingéré passe dans le sang au niveau
du duodénum et du jéjunum. Il gagne alors le
foie par la veine porte. Il se diffuse rapide-
ment dans tout l'organisme, y compris dans
l'air des alvéoles pulmonaires, ce qui explique
qu une partie en soit éliminée lors de expi-
ration.
Les 90 "n de la quantité d'alcool ingéré sont
métabolisés dans le foie par des systèmes en-
zymatiques divers, dont certains ne sont mis
en jeu que lors d'une intoxication massive ou
chez i 'éthylique chronique. Dans tous les cas,
cet alcool est transformé en acétaldéhyde, lui-
même transformé en acétate sous l'action de
systèmes enzymatiques spécifiques (l'inhibi-
tion de leur fonctionnement est à l'origine
d'une accumulation d'acétaldéhyde à l'origine
de l'effet antabuse*, qui est mis à profit dans
les traitements aversifs* de l'alcoolisme).
Pharmacologie
Les effets pharmacologiques de l'alcool sont
multiples et restent assez mal connus. On a
ainsi répertorié chez l'animal - en règle géné-
rale le rongeur, et souvent iii vitro - une série
d'effets de l'éthanol sur le cerveau' sans que
la signification physiologique et la pertinence
de ces effets chez l'homme apparaissent tou-
jours nettement.
L dlcù'/ exerce des effets stimulants - comparables
à leI/X de nombreux dl/tres produits dddldl(s - sur
tdd/\,itt; des voies neuronales contenant ta d,ll'd-
iiiiiic' (celle-ci est un neuromédiateur impli-
qué, entre autres, dans le contrôle des condui-
tes affectives et la régulation des états
émotifs, en particulier le plaisir*, les neurones
concernés formant avec l'ensemble des struc-
tures qu'ils innervent un système de récom-
pense cérébral). L'alcool, parce qu'il stimule
ce système de récompense, serait donc
consommé, à l'instar des autres drogues, pour
ses effets de renforcement* positif (hédonis-
tes, stimulants, euphorisants). et ce d'autant
plus que la fonction des neurones à dopamine
serait déficitaire ou le deviendrait à la faveur
d'une consommation prolongée. Ce déficit en
dopamine, caractéristique des intoxications
chroniques, pourrait en outre expliquer les
états dysphoriques (instabilité de l'humeur)
qui accompagnent le sevrage.
Cependant, de nombreuses études réalisées
dans les modèles animaux de toxicomanie
(autoadministration d'éthanol et « préférence
de place conditionnée " par l'éthanol) n'ont
pas mis en évidence de tels effets de renforce-
ment positif. Cela peut s'expliquer par des
problèmes méthodologiques (conditions ex-
périmentales, niveau des doses d'éthanol ad-
ministrées), mais il se pourrait aussi que les
effets de renforcement de l'éthanol soient fai-
bles ou rares, et limités aux seuls individus
présentant un dysfonctionnement du système
neuronal a dopamine.
L'alcool exerce 1111 effet fiîci'lititeiir sur l'activité des
voies neuronales contenant le CABA*. neuromé-
diateur qui a un rôle inhibiteur sur l'activité
des neurones. Autrement dit, l'alcool poten-
tialise l'inhibition qu'exerce le GABA sur l'ac-
tivité neuronale, notamment en interagissant
avec les récepteurs du neuromédiateur, et en-
traîne ainsi un effet anxiolytique sédatif à rap-
procher de celui des benzodiazépines*. Cet
effet facilitateur sur la transmission GABA
n'est cependant observé que pour de fortes
concentrations d'alcool ; en outre, il s'épuise
progressivement lors d'une consommation
prolongée.
Les modifications affectant les neurones à
GABA au cours de l'alcoolisme sont en fait
controversées, mais, quel qu'en soit le méca-
nisme, la défaillance de la transmission GABA
induite par une consommation prolongée
d'alcool peut être impliquée dans ses compli-
cations neurologiques (troubles moteurs, épi-
lepsie*) et psychiatriques (troubles anxieux,
troubles psychotiques, troubles du comporte-
ment avec agressivité et irritabilité) ainsi que
dans certains symptômes du sevrage (trem-
blement, agitation...). L'alcool serait alors
consommé pour faire céder ces symptômes
(renforcement négatif).
Les effets de l'alcool sur l'activité des voies neuro-
nales contenant la norûdrénaline* et la sérotonine*,
neuromédiateurs impliqués dans de nombreuses
fonctions cérébrales parmi lesquelles la régulation
des états émotifs et de l'humeur, sont controversés.
En effet, certaines études indiquent qu'un
hypofonctionnement de ces systèmes neuro-
naux, inné ou acquis, prédispose à la consom-
mation d'alcool, mais d'autres études ne re-
trouvent pas ces résultats ; les effets qu'exerce
l'alcool sur les différents récepteurs de ces
neuromédiateurs sont également contro-
versés.
Des études menées pendant la dernière décennie
ont montré que l'éthanol se comporte eii antago-
niste* de certains récepteurs du glutamate, neuro-
médiateur Ûll rôle excitateur. L'acétylhomotauri-
nate de calcium, antagoniste possible de ces
mêmes récepteurs, réduit la consommation
d'alcool du rat rendu alcoolodépendant.
De nombreuses études ont démontré l'existence
d'interactions entre l'alcool et les endorphines*, les
neuromédiateurs opiacés endogènes. L'activité
des systèmes à endorphines est en effet anor-
male chez les animaux et les individus appé-
tents pour l'alcool : les rongeurs génétique-
ment appétents pour l'éthanol ont une
activité basale de leurs neurones à endorphi-
nes anormalement élevée ; au contraire. l 'acti-
vité basale semble anormalement faible chez
l'homme prédisposé à l'alcoolisme. En revan-
che. les animaux génétiquement appétents et
les sujets à risque présentent des réponses ac-
crues aux effets stimulants de l'éthanol sur les
systèmes à endorphine.
Ces observations et ce qu'on sait des effets
des opiacés sur le système à dopamine
conduisent à penser que les « effets récom-
pense » et les « effets de renforcement » de
l'éthanol dépendent pour partie des systèmes
opiacés endogènes. Parallèlement, plusieurs
études cliniques ont mis en évidence l'effica-
cité probable des antagonistes opiacés (nal-
trexone*) dans la réduction du besoin compul-
sif de consommer de l'alcool et dans le
maintien de l'abstinence chez les malades al-
coolodépendants. (Denis Richard, Sylvain Pirot)
alcoolémie. Taux d'alcool dans le sang.
J L'alcoolémie est proportionnelle à la quan-
tité d'alcool ingérée. Elle peut être corrélée à
des troubles psychiques aigus (ivresse*) et à
une importante diminution de la vigilance et
des réflexes.
La législation européenne demeure peu
consensuelle quant à l'alcoolémie tolérée chez
un conducteur de véhicule, même si, réguliè-
rement (en 1989 et en 1997 notamment), la
Commission européenne a proposé d'harmo-
niser le taux toléré. Huit pays sont au-delà du
seuil des 0,5 g/1 (Grande-Bretagne, Allema-
gne, Danemark, Irlande, Autriche, Luxem-
bourg), cinq sont à 0,5 g/1 (France, Belgique,
Grèce, Pays-Bas, Finlande) et deux sont en
deçà (0,4 g/1 pour le Portugal, 0,2 g/1 pour la
Suède). L'alcool est directement à l'origine de
la moitié des décès dus aux accidents de la
route en Europe (45 000 morts. auxquels
s'ajoutent 2 millions de blessés) ; il est avéré
que le risque d'accident double pour 0,5 g/1 et
est décuplé avec un taux de 0.8 g/1. Cepen-
dant, l'alcoolémie n'est pas le seul facteur de
danger à prendre en compte : ainsi le Portugal
est l'un des pays où le nombre d'accidents
mortels est le plus élevé. (D.R.)
alcoolisme. Intoxication par usage répété de
boissons alcoolisées ; maladie chronique in-
duite par la consommation répétée d'alcool,
occasionnant des lésions irréversibles du sys-
tème nerveux central, du foie, du pancréas.
SYN. : éthvhsme.
J De l'intempérance à l'alcoolisme
Ivrognerie, intempérance, tels furent les pre-
miers mots utilisés pour qualifier, dans une
société culturellement vouée à 1ivresse" al-
coolique, le rapport particulier à l'alcool de
l'individu devenu dépendant du produit. His-
toriquement, les travaux sur l'alcoolodépen-
dance furent initiés dans les pays anglo-
saxons, d'une part par un médecin anglais,
Thomas Trotter (1761-1832), qui vit dans l'in-
tempérance une cause probable de folie, et,
d'autre part, par un médecin militaire améri-
cain, Benjamin Rush (1745-1813) qui, en
1784, décrivit la perte de contrôle du malade
dépendant vis-à-vis du produit et évoqua les
dangers physiques et mentaux liés à une
consommation excessive et chronicisée d'al-
cool - jusqu'alors, on n'avait prêté attention
qu'aux problèmes liés à l'éthylisme aigu.
Rush souligna l'importance de l'abstinence*
complète et durable comme seul traitement
de l'alcoolisme chronique.
Toutefois, au milieu du x;x' siècle, les
connaissances relatives à l'action de l'alcool
sur l'organisme demeuraient encore bien lacu-
naires. On doit à un clinicien suédois, Magnus
Huss (1807-1890), le soin de les avoir regrou-
pées et d'avoir, le premier, décrit une dépen-
dance à l'alcool qu'il appela « alcoolisme chro-
nique » (1849), dans un pays où sévissait alors
une alcoolisation considérable (chaque habi-
tant consommait six à sept fois plus d'alcool
qu'aujourd'hui).
Aux yeux de Huss, l'usage régulier d'alcool
induisait une véritable intoxication, avec mo-
difications psychiques et altérations du sys-
tème nerveux. Huss souligna les problèmes
sociaux entraînés par l'alcoolisme et vit dans
ce dernier une cause de dégénérescence du
patrimoine héréditaire de l'espèce. Son tra-
vail, qui constitua la première réflexion scien-
tifique sur la dépendance à l'alcool, détermina
la médicalisation de ce comportement (une
médicalisation d'autres types de comporte-
ments addictifs devait suivre, calquée sur ce
modèle (—> toxicomanie). [leau-Louis Setwn]
Buveur à risque, buveur excessif,
buveur dépendant
Ce n'est donc que depuis a peine plus d'un
siècle que l'étude de l'alcoolisme et de ses
aspects psychopathologiques est réellement
entrée dans le champ de la recherche médi-
cale. En France. G. Deshaies s'est intéressé
à l'" alcoolomanie >
■ (toxicomanie à l'alcool)
et H. Duchéne à 1'- irréductibilité > de la
consommation. Pierre Fouquet fut le premier,
toujours en France, a aborder la dépendance
pathologique qui lie l'alcoolique à son pro-
duit. C'est lui qui donna la définition la plus
habituelle de la dépendance à l'alcool : la
perte de la liberté de boire.
C'est un psychiatre américain, E. M. Jellineck
(1890-1963), qui, le premier, proposa dans sa
classification* de l'alcoolisme (1960) le terme
de « maladie alcoolique ". Il faisait alors le lien
entre la dépendance et les attitudes sociales
permissives vis-à-vis de la consommation
d'alcool. Cette conception, qui se retrouve
dans l'idéologie de certains groupes* d'an-
ciens buveurs, définit la maladie alcoolique
par la dépendance, dont les témoins sont le
craving* (perte du contrôle des quantités de
boissons alcoolisées consommées), et la sévé-
rité des manifestations de sevrage.
G. Edwards et M.M. Gross établirent en 1976
la clinique du « syndrome de dépendance à
l'alcool ", qui fit l'objet des travaux d'un
groupe d'experts de l'O.M.S. qu'ils dirigèrent,
travaux qui furent déterminants dans les
classifications de l'alcoolisme (CIM 10 et
DSM IV). Edwards et Gross caractérisèrent ce
syndrome par la ritualisation des modes de
consommation de boissons alcoolisées, la
primauté des comportements de recherche
d'alcool, l'augmentation de la tolérance, la
compulsion à boire pour prévenir les troubles
du sevrage et, malgré tout, la récurrence des
symptômes de sevrage : nausées, tremble-
ments, sueurs et troubles de l'humeur. Ils
proposerent de substituer au mot « alcoolis-
me " celui de « syndrome de dépendance al-
coolique » et séparèrent le syndrome de dé-
pendance, au sens strict, des complications
physiques, sociales et mentales de la consom-
mation d'alcool.
Le groupe d'experts décrivit la dépendance à
l'alcool comme l'association d'une altération
de l'état psycho biologique, d'une altération
du comportement vis-à-vis de l'alcool et
d'une altération de l'état subjectif. L'altération
de l'état psychobiologique est marquée par
les symptômes de sevrage (psychique, plus
rarement physique) apparaissant dès la pre-
mière journée d'abstinence, l'ingestion d'al-
cool venant alors réduire le malaise provoqué
par le sevrage. L'accoutumance en est le co-
rollaire, avec augmentation progressive de la
tolérance de l'alcool ingéré. L'altération du
comportement vis-à-vis de l'alcool a comme
témoin la moindre possibilité pour le sujet de
moduler sa consommation. L'altération de
l'état subjectif est marquée par l'incapacité de
maîtriser la consommation d'alcool.
En France, les travaux de Jean Adès et Michel
Lejoyeux montrent l'intérêt du concept de dé-
pendance en clinique alcoologique : c'est un
concept dont la neutralité morale atténue le
jugement porté sur le patient alcoolique, au-
quel il peut prêter aide en donnant sens à son
comportement. Ce concept peut aussi contri-
buer à informer le patient de la sévérité du
pronostic et permet l'orientation vers une
prise en charge durable qui, dans la majorité
des cas, incite à proposer à l'alcoolique dépen-
dant une abstinence totale et durable.
Comme pour toute drogue addictive, il im-
porte de distinguer trois groupes de consom-
mateurs : ceux qui usent (usage), ceux qui
abusent (usage excessif ou usage à risque) et
ceux qui sont devenus dépendants de l'alcool.
a) Les consommateurs d'alcool « à risque »
consomment plus de trois verres de vin par
jour (un verre = 10 g d'alcool) pour les hom-
mes et deux pour les femmes (consommation
quotidienne limite selon l'O.M.S.), sans que
cela se traduise forcément par des signes so-
matiques ou psychiques. Ce seuil est flou, car
il n'intègre pas les facteurs individuels de tolé-
rance et de susceptibilité somatique : il n'a
guère d'intérêt en clinique, mais présente un
intérêt en épidémiologie et en santé publique.
b) Les consommateurs d'alcool font de ce der-
nier un usage « excessif » ou « nocif », quel
que soit le volume ingéré, dès que cet usage
donne lieu à des dommages somatiques ou
sociaux : c'est donc là une notion intimement
liée à la susceptibilité personnelle de l'usager
à l'égard de l'alcool (10 à 15 % de la popula-
tion française serait concerné).
La population des consommateurs dits « à
problème » est constituée par les deux popu-
lations précédentes : population de consom-
mateurs « à risques » (chez lesquels les dom-
mages somatiques ou sociaux ne sont pas
apparents) + population des consommateurs
« excessifs » (victimes de dommages somati-
ques ou sociaux en dépit d'une consomma-
tion parfois très réduite).
c) Les consommateurs dépendants de l'alcool
sont bien moins nombreux. il faut ici distin-
guer deux gradations dans la dépendance :
- environ 3,5 à 5 % de la population fran-
çaise est psychiquement dépendante de l'al-
cool : il s'agit des personnes qui, bien qu'elles
relèvent de la population « à problème » et en
conviennent, ne parviennent pas pour autant
à cesser ou à contrôler leur consommation
d'alcool. Cette alcoolodépendance peut être
secondaire à une pathologie psychiatrique
(psychose*, névrose*, personnalité antisociale,
polytoxicomanie, dépression*), ou être pri-
maire.
- environ 1,5 à 2 % de la population est, en
plus, dépendante physiquement de l'alcool :
la suppression de la boisson se traduit, en plus
des signes psychiques, par des signes physi-
ques, notamment neurologiques.
L'ensemble de ces comportements constitue
les « conduites d'alcoolisation ». Celles-ci en-
globent donc non seulement les situations de
dépendance à l'alcool (que certains auteurs
qualifient spécifiquement d'« alcoolomanie »),
mais aussi toutes les situations où un sujet a
perdu les moyens de contrôler sa consomma-
tion d'alcool (par exemple, il ne pourra cesser
de boire avant de devenir ivre). Il est plus cou-
rant de désigner ces conduites comme « al-
coolisme » - encore que l'appartenance de
l'alcoolisme au groupe des toxicomanies soit
discutée -, le patient sujet à l'alcoolisme étant
dit « alcoolique » ou « éthylique ». L'individu
malade, au plan physique et ou psychique, en
raison de sa conduite d'alcoolisation, est dit
« alcoolopathe ». (Jean-Louis Senon).
Épidémiologie
La consommation d'alcool en France (enten-
due comme la consommation moyenne par
personne et par an, enfants et abstinents
compris) a chuté pendant la dernière guerre,
passant de 22 litres en 1940 à 12 litres entre
1941 et 1944. Elle a réaugmenté dès 1945
(15 litres) pour culminer au milieu des années
1950 (19 litres en 1956). La décroissance de la
consommation a ensuite été régulière (envi-
ron 13 litres au début des années 1990). Mal-
gré donc une chute de la consommation de
l'ordre de 60 % en 50 ans, la France demeure
l'un des plus importants consommateurs d'al-
cool au monde. La diminution a essentielle-
ment concerné la consommation de vin et la
tranche des consommateurs de 5 à 8 verres
par jour, alors que la consommation modérée
(un à deux verres par jour) a augmenté. Le
recul de la consommation de vin est plus im-
portant parmi les jeunes, mais, chez les moins
de 25 ans, la consommation quotidienne d'al-
cools forts a augmenté dans les deux sexes au
cours des vingt dernières années. La consom-
mation de bière a également progressé à tous
les âges, pour les sujets de sexe masculin.
La prévalence globale de l'alcoolisme en Eu-
rope est estimée aujourd'hui à 7 % chez les
hommes. 65 % des hommes adultes et 35 %
des femmes consomment plus ou moins de
l'alcool en France. Ces chiffres globaux mas-
quent d'évidentes disparités régionales et so-
cioculturelles. Inversement, 10 % des hom-
mes et 30 % des femmes sont abstinents
d'alcool (non compris ceux qui sont devenus
abstinents pour des raisons médicales).
La consommation d'alcool reste surtout mas-
culine : 40 % des hommes boivent du vin au
repas, contre 14 % des femmes. 5 % des
hommes boivent tous les jours un apéritif
contre 1 % des femmes. La consommation
d'apéritifs et d'alcools forts est plus fréquente
dans les couches aisées de la population, mais
c'est chez les ouvriers, les agriculteurs et les
employés que l'on trouve le plus fort pour-
centage de consommateurs de plus d'un litre
de vin par jour. Parmi les femmes, ce sont les
étudiantes qui boivent le plus.
Cause fréquente de décès prématurés, tout
comme le tabac auquel il est souvent associé,
l'alcool coûte à la nation française plus de
80 milliards de francs par an (coûts directs
- maladies avec hospitalisations, prise en
charge de l'alcoolisme - et coûts indirects :
accidents, décès, absentéisme, répercussions
sociales diverses, etc.) mais rapporte, il est
vrai, de nombreuses taxes, à l'image du tabac.
Toutefois, les aspects économiques ne peu-
vent suffire à mettre en place une prévention
efficace au sein d'une population culturelle-
ment habituée à consommer de l'alcool. Bien
plus, une réduction des possibilités de recours
à l'alcool pourrait s'accompagner de modifica-
tions comportementales péjoratives (recours à
d'autres types de psychotropes), sans même
présager des conséquences de la mise en place
d'une économie parallèle. (Françoise Casade-
baig. Denis Richard)
Modèles animaux
La difficulté à modéliser les différents aspects
de la maladie alcoolique chez l'animal s'ac-
croît encore du fait qu'habituellement les ron-
geurs ne consomment spontanément que de
très faibles quantités d'alcool et ne dévelop-
pent ni tolérance ni dépendance physique.
La prédisposition à l'abus d'alcool a été en rè-
gle étudiée sur des lignées de rongeurs sélec-
tionnées et développées en raison de leur
forte appétence pour l'alcool, qu'ils consom-
ment de préférence à toute autre boisson
(rongeurs « génétiquement » appétents) ou en
raison de leur sensibilité particulière aux ef-
fets d'une prise d'alcool ou aux effets du se-
vrage. Ces modèles font à l'évidence la part
belle aux facteurs génétiques, sans aucune-
ment prendre en compte les facteurs environ-
nementaux. Par ailleurs, la sensibilité aux ef-
fets de l'alcool n'est pas obligatoirement liée
de façon directe à l'appétence, au « besoin »
de consommer proprement dits. L'envie de
boire de l'alcool est rarement présentée
comme une motivation spontanée par les ma-
lades alcoolodépendants pour justifier leur
conduite d'alcoolisation excessive : nombre
d'entre eux décrivent même un véritable « dé-
goût » pour l'alcool. Le désir de boire est radi-
calement différent du plaisir* de boire. La no-
tion de craving rend bien compte des
caractéristiques de l'alcoolisation pathologi-
que. L'appétence se situe au carrefour du dé-
sir, de l'envie, du besoin, du craving. Elle sem-
ble déterminée au plan de la génétique et
conduirait à un usage prépondérant, puis abu-
sif, d'alcool.
À cet égard, il est plus pertinent d'utiliser les
rongeurs de lignées standards, qui se singu-
larisent par une consommation importante
d'alcool aboutissant à une tolérance et une
dépendance physique (rongeurs « spontané-
ment » appétents), mais cela augmente à la
fois le temps et le coût des études.
Les effets de l'intoxication chronique et du se-
vrage sont souvent étudiés chez des animaux
non appétents soumis à une alcoolisation for-
cée (par sonde gastrique ou cathéter intravei-
neux) ; certes, les paramètres quantitatifs de
l'alcoolisation sont alors bien maîtrisés, mais
interviennent aussi d'autres paramètres, dont
le stress*, qu'il est difficile de prendre en
compte.
Enfin, il est possible d'induire une appétence
pour l'alcool chez le rongeur en lui donnant
uniquement une boisson alcoolisée dont on
augmente progressivement la concentration
en alcool : cela réalise un modèle d'alcoolisme
secondaire ou équivalent à l'alcoolisme « so-
cial » dans l'espèce humaine. (Sylvain Pirot)
Alcoolodépendance
Les diverses théories neurochimiques plus
spécifiques ayant visé à expliquer au plan mo-
léculaire la dépendance à l'alcool sont aujour-
d'hui tombées en désuétude : modifications
durables de la fluidité de la membrane des
neurones, formation dans l'organisme de déri-
vés de l'acétaldéhyde ayant une forte affinité
pour les récepteurs aux opiacés (tétrahydro-
isoquinolines, tétrahydrocarbolines), etc.
La dépendance à l'alcool est d'origine pluri-
factorielle. Elle repose surtout sur des sché-
mas comportementaux conununs à toutes les
substances addictives et sur des mécanismes
physiologiques également propres aux diver-
ses drogues, faisant intervenir en particulier le
« système de récompense » du cerveau*. (Syl-
vain Pirot)
Trajectoire de l'alcoolique
Les travaux de Morton Jellinek ont permis de
distinguer, tout comme pour le toxicomane
(—> trajectoire), trois phases successives
dans la carrière de l'alcoolique devenu dé-
pendant :
a) une phase asymptomatique, durant plu-
sieurs années, marquée par un début insi-
dieux de dépendance. Certains sujets entrent
dans l'alcoolisme par des expériences récur-
rentes d'ivresse alors que d'autres augmen-
tent progressivement leur consommation
d'alcool dans un contexte où l'ivresse de-
meure rare ou absente. Les activités profes-
sionnelles, sociales et familiales sont conser-
vées et les troubles du caractère sont
généralement absents ;
b) une phase relativement brève où se déve-
loppe la perte du contrôle de l'ingestion d'al-
cool. Le sujet abuse régulièrement de l'alcool
mais n'en est pas encore dépendant.
c) la phase d'alcoolisme au sens strict, où ap-
paraissent les signes habituels de l'alcoolisa-
tion chronique (tremblement digito-lingual,
crampes, pituite, anorexie*, etc.) ainsi que les
troubles du comportement et du caractère
(agressivité, jalousie, troubles sexuels, etc.).
Les troubles intellectuels s'aggravent avec
pour conséquence une marginalisation pro-
fessionnelle et affective. Les troubles psy-
chiques deviennent manifestes : anxiété
matinale, apaisée par la première ingestion
d'alcool, pour réapparaître le soir, dépres-
sion*, troubles du caractère et du comporte-
ment. (Jean-Louis Senon)
Complications de l'alcoolisme
L'usage d'alcool peut induire des réactions ai-
guës dont l'expression habituelle est l'ivresse.
On distingue l'ivresse ordinaire avec excita-
tion psychomotrice et ébriété, puis dépres-
sion, l'ivresse pathologique, avec hallucina-
tions, délire, convulsions, puis souvent coma
(fréquemment suivi d'une amnésie) et, enfin,
le coma éthylique avec hypotonie musculaire,
dépression respiratoire, hypotension, hypo-
thermie, polyurie, parfois suivi de compli-
cations organiques aiguës (pneumopathie,
hépatite, pancréatite, etc.). Les effets sont va-
riables selon les individus ; les perturbations
importantes surviennent en général au-delà
d'une alcoolémie de 0,8 gramme par litre.
Les complications morbides survenant au dé-
cours d'une consommation chronique d'al-
cool sont nombreuses, et certaines, une fois
initiées, continuent à évoluer indépendam-
ment de la conduite alcoolique. Leur évoluti-
vité grève souvent lourdement le pronostic de
l'alcoolodépendance et rend la prise en charge
plus difficile. L'alcool, en particulier, est un
cofacteur du développement de nombreux
cancers*.
MALADIES ALCOOLIQUES DU FOIE. Une cirrhose
est décrite chez 13 à 22 % des alcooliques :
elle a une origine plurifactorielle et, probable-
ment, résulte d'une susceptibilité d'origine gé-
nétique. Les stéatoses hépatiques, résultant
d'un régime trop riche en lipides, sont aussi
fréquentes : 30 à 75 % de la population alcoo-
lique sont concernés. Ces atteintes hépatiques
ont de nombreuses conséquences physiologi-
ques (ostéoporose, ostéomalacie, anomalies
sanguines, porphyrie).
PANcRÉATITES CHRONIQUES. L'alcool est à l'ori-
gine de 85 % des pancréatites chroniques et
de 50 % des formes aiguës. On ignore encore
le mécanisme exact de la constitution des
pancréatites, mais elles surviennent au dé-
cours d'une consommation d'alcool très pro-
longée. Passé un certain stade, la maladie peut
néanmoins évoluer même si le sujet reste abs-
tinent.
SYSTÈME CARDIOVASCULAIRE. Un usage chroni-
que d'alcool est responsable de myocardiopa-
thies, d'hypertension artérielle et de troubles
du rythme cardiaque. L'action de l'alcool sur
le cœur et les vaisseaux explique pour partie
la surmortalité observée chez les hommes des
pays occidentalisés ayant entre 40 et 60 ans.
TROUBLES NEUROLOGIQUES. L'alcool, en aigu
comme en chronique, a des effets nombreux
sur le système nerveux.
L'intoxication aiguë réalise le tableau d'une
ivresse (ordinaire, pathologique lorsqu'elle se
prolonge avec troubles de la mémoire) pou-
vant aller jusqu'au coma éthylique.
L'intoxication chronique, d'une façon plus ou
moins directe, se révèle très neurotoxique.
- L'atteinte cérébrale est la lésion nerveuse la
plus courante chez l'alcoolique, quels que
soient le type de boisson utilisé et le mode
d'alcoolisation. On l'observe cependant de fa-
çon physiologique lors du vieillissement ou
lors d'une cirrhose, même d'origine non éthy-
lique. Elle s'accompagne d'une diminution du
nombre et de la qualité des fibres nerveuses
du cortex et est souvent associée à d'autres
lésions (atrophie cérébelleuse, lésions du
tronc cérébral caractérisant l'encéphalopa-
thie* de Gayet-Wernicke ou le syndrome de
Korsakoff et peut être liée à un déficit en vita-
mine Bl). L'atteinte cérébrale reste réversible
en cas d'abstinence, sans pour autant régres-
ser totalement.
- Une carence en vitamine Bl et la toxicité
directe de l'alcool sont à l'origine de neuro-
pathies périphériques, qui concernent envi-
ron 10 % des alcooliques, mais 80 % de
ceux souffrant d'une encéphalopathie (de
nombreux médicaments ainsi que diverses
maladies peuvent induire également des poly-
névrites). La polynévrite reste souvent infra-
clinique. Dans le cas contraire, elle se traduit
par des crampes, des sensations douloureu-
ses, une paralysie, une atrophie musculaire.
Des lésions du nerf optique ne sont pas ex-
ceptionnelles.
- La survenue d'encéphalopathies (pseudo-
pellagreuses par carence en vitamine PP, hé-
patiques, d'origine métabolique, de Gayet-
Wernicke d'origine plurifactorielle) est fré-
quente.
- Une corrélation a été établie depuis les an-
nées 1980 entre une alcoolisation chronique
et la survenue d'accidents vasculaires céré-
braux, notamment d'hémorragies sous-arach-
noïdiennes, potentialisés par l'âge, un diabète,
le tabagisme et l'hypertension artérielle. Ces
accidents ont été aussi décrits au décours im-
médiat d'une alcoolisation aiguë.
- Des crises convulsives surviennent chez
des sujets connus comme épileptiques, mais
aussi lors d'un sevrage (20 à 40 % des convul-
sions observées chez les alcooliques) ou lors
d'une ivresse aiguë. L'existence de crises
convulsives répétées chez certains alcooliques
fait porter le diagnostic de comitialité exo-
toxique.
- Le vin, probablement par ses anthocyani-
nes (ses pigments colorés), peut être à l'ori-
gine de migraines.
- Il ne faut pas oublier non plus les patholo-
gies délirantes à l'origine de troubles du carac-
tère et du comportement rapportés aussi bien
lors d'une alcoolisation aiguë que lors d'une
alcoolisation chronique ou encore au moment
du sevrage.
TRAUMATOLOGIE. L'alcool est une cause bien
connue de traumatismes, par accidents de la
circulation, accidents du travail, rixes. Entre
25 et 35 % des personnes accueillies dans les
services d'urgences pour accidents sont des
consommateurs d'alcool à haut risque (plus
de 80 grammes par jour pour les hommes).
TROUBLES MÉTABOLIQUES. Les modifications
métaboliques décrites chez l'alcoolique impli-
quent tous les métabolismes. Elles peuvent
être directes (action de l'alcool sur le foie
- acidose lactique, hypoglycémie - ; les mus-
cles ou les glandes endocrines) ou induites in-
directement par des maladies somatiques (hé-
patite, pancréatite, etc.).
TROUBLES PSYCHIQUES. Conduite alcoolique et
troubles psychiatriques coexistent fréquem-
ment (anxiété, névrose, dépression). Dans la
majorité des cas, ces troubles résultent de la
dépendance à l'alcool ou sont directement in-
duits par l'abus d'alcool. Leur pronostic dé-
pend de l'issue du traitement de la conduite
alcoolique : celui-ci doit donc être entrepris
avant tout autre type de traitement.
Il est plus rare que des troubles psychiatriques
préexistants favorisent l'apparition de la
conduite alcoolique (c'est une alcoolodépen-
dance dite alors « secondaire » dont le pronos-
tic est bien plus sombre). Dans ce cas, l'alcoo-
lisation évolue au rythme de la maladie
psychiatrique primaire (dépression, psychose
maniaco-dépressive, névrose). Le traitement
de la pathologie psychiatrique ne doit pas em-
pêcher le traitement de la conduite alcooli-
que : l'obtention d'une abstinence est en effet
indispensable à la résolution totale ou même
partielle des troubles psychiatriques.
Dans les deux cas de figure, les troubles psy-
chiques aggravent la conduite alcoolique en
précipitant la désocialisation, en augmentant
la consommation d'alcool, qui joue alors un
rôle d'automédication, et en obérant l'effica-
cité des démarches thérapeutiques. (Jean-Louis
Se/IOn)
Visages de l'alcoolisme
CHEZ LA FEMME. Les c o n d u i t e s a l c o o l i q u e s s o n t
e n a u g m e n t a t i o n c h e z les f e m m e s , se s i t u a n t
n o t a m m e n t d a n s la t r a n c h e d ' â g e 2 0 - 3 5 a n s ,
s o c i a l e m e n t désinsérées, au c h ô m a g e et sans
f a m i l l e . P l u s t a r d d a n s l ' e x i s t e n c e , les f e m m e s
q u i s ' a l c o o l i s e n t le p l u s v i v e n t s e u l e s o u s o n t
divorcées et sans e n f a n t à élever. L'alcoolisa-
tion est f r é q u e m m e n t associée au s y n d r o m e
prémenstruel et a des conséquences somati-
ques plus sensibles que chez l'homme. L'asso-
ciation à une dépression ou à des troubles des
conduites* alimentaires est également fré-
quente. La dépendance s'installe précoce-
ment. La grossesse* constitue une étape privi-
légiée pour repérer les femmes ayant un
problème lié à l'alcool.
D'une façon générale, l'alcoolisation de la
femme est plus culpabilisée et donne donc
lieu à un fréquent déni* (la relation des fem-
mes alcooliques avec le personnel soignant
est plus difficile que celle des hommes en rai-
son, précisément, de contre-attitudes négati-
ves qui pourraient expliquer une plus grande
culpabilité). Elle est vécue de façon solitaire,
au domicile, dans une perspective anxiolyti-
que et aboutit souvent à l'ivresse, voire à une
perte de conscience. L'usage de médicaments
tranquillisants est souvent associé. Ce
comportement est fortement stigmatisé au
plan social.
CHEZ L'ADOLESCENT*. L'alcoolisation a, chez
l'adolescent, des significations variables,
d'adaptation, d'automédication ou d'intégra-
tion bien souvent. Comme pour d'autres
conduites potentiellement addictives (usage
de cannabis, par exemple), il faut remarquer
son éventuelle fonction révélatrice de difficul-
tés psychologiques impliquant une prise en
charge précoce sans pour autant signer une
véritable conduite toxicomaniaque. Cet usage
de l'alcool rompt souvent radicalement avec
celui qu'en font les sujets plus âgés. Il s'inscrit
dans une conduite plus radicalement dé-
viante, fréquemment impulsive.
Ce comportement augmente avec l'âge (4 %
des garçons de 11 à 13 ans consomment de
l'alcool au moins deux fois par semaine,
contre 22 % des garçons de 18 ans et plus)
et concerne essentiellement les garçons. Il est
associé à des ivresses répétées et repose sur la
consommation de bière ou d'alcools distillés.
Cet alcoolisme s'associe à la consommation
d'autres psychotropes ainsi qu'à des troubles
du comportement (violence, absentéisme sco-
laire, fugues).
CHEZ LE SUJET ÂGÉ. La prévalence de l'alcoo-
lisme est importante chez le sujet âgé et varie
de 12 à 20 % chez les hommes, selon le type
de population étudiée. Un alcoolisme d'instal-
lation récente est retrouvé dans environ 30 %
des cas chez les vieillards. Il est émaillé de
complications psychiatriques rapides qui le
font évoquer : troubles du comportement, dé-
nutrition et désintérêt p o u r soi-même, syn-
d r o m e s délirants, a n x i e u x ou dépressifs. Les
d é m e n c e s a l c o o l i q u e s c o n s t i t u e n t la t r o i s i è m e
c a u s e de d é m e n c e d u sujet âgé, derrière la
m a l a d i e d ' A l z h e i m e r e t les d é m e n c e s d ' o r i -
gine vasculaire. Les manifestations c o m p o r t e -
mentales, d'apparition précoce, permettent
d ' o r i e n t e r le d i a g n o s t i c . E l l e s s o n t p o t e n t i a l i -
sées par l'usage concomitant de n o m b r e u x
médicaments.
L ' a l c o o l o d é p e n d a n c e d u troisième âge résulte
d e l ' a g g r a v a t i o n d ' u n c o m p o r t e m e n t alcooli-
que antérieur, sous l'action de circonstances
favorisantes : isolement, veuvage, maladies
s o m a t i q u e s graves, invalidité, m a u v a i s e inté-
g r a t i o n à la c o m m u n a u t é d a n s u n e m a i s o n d e
retraite.
Les complications s o m a t i q u e s s o n t i m p o r -
t a n t e s . Elles a s s o c i e n t à u n e d é n u t r i t i o n d e s
troubles hépatiques et gastro-entérologiques
d ' é v o l u t i o n parfois r a p i d e ainsi que des trou-
bles cardio-vasculaires Les complications psy-
chiatriques s o n t a v a n t t o u t des troubles d u
sommeil, de l'anxiété, u n s y n d r o m e dépressif
avec u n risque suicidaire important.
CHEZ LE POLYTOXICOMANE. L ' a l c o o l n e r e p r é -
sente plus a u j o u r d ' h u i u n p r o d u i t de substitu-
t i o n p o u r les t o x i c o m a n e s , m a i s le v i n f u t
p r o p o s é c o m m e s u b s t i t u t d e la m o r p h i n e a u
XIXe s i è c l e . P o u r a u t a n t , l ' a l c o o l ( v i n , b i è r e )
vient aujourd'hui souvent remplacer l'héroïne
c h e z u n t o x i c o m a n e s e v r é , c a r il c o n s t i t u e u n
s u b s t i t u t s o c i a l e m e n t a c c e p t é , légal, p e u o n é -
r e u x , m ê m e s'il e s t aussi a d d i c t i f q u e les o p i a -
cés. Il p e u t a u s s i s ' a d j o i n d r e à d ' a u t r e s d r o -
g u e s d a n s u n c a d r e d e p o l y t o x i c o m a n i e (plus
d e 30 % des h é r o ï n o m a n e s en c o n s o m m e n t
d e f a ç o n a b u s i v e , ce q u i a c c r o î t l a g r a v i t é d e s
hépatites dans cette p o p u l a t i o n h a u t e m e n t
c o n t a m i n é e p a r des virus hépatotropes).
[Jean-Louis Senon, Nicolas LafayJ
alcoolisme (classifications de I'). Les
conduites alcooliques c o n s t i t u e n t u n vaste en-
s e m b l e d o n t le s e u l d é t e r m i n a n t c o m m u n e s t
q u ' e l l e s se s o l d e n t p a r l ' i n g e s t i o n d e q u a n t i t é s
d ' a l c o o l n o c i v e s p o u r la s a n t é p s y c h i q u e o u
p h y s i q u e de l'usager, o u susceptibles de per-
t u r b e r sa v i e sociale ; ces c o n d u i t e s s ' a s s o c i e n t
parfois à u n e d é p e n d a n c e psychologique et
physiologique. Les alcoologues o n t d o n c été
a m e n é s à p r o p o s e r d e s s c h é m a s d e classifica-
tion, de typologie des conduites alcooliques,
d e s t i n é s à r e g r o u p e r les sujets a b u s a n t d e
l ' a l c o o l o u d é p e n d a n t s d e ce d e r n i e r e n e n -
sembles aussi h o m o g è n e s que possible. Cette rémission totale, partielle, précoce ou pro-
a p p r o c h e p r é s e n t e des intérêts clinique (préci- longée).
sion d u diagnostic et efficacité des solutions Pour autant, cette classification dichotomique
thérapeutiques), scientifique, pédagogique et ne prend pas en compte les combinaisons en-
médico-administratif. tre abus et dépendance, ni les conduites inter-
J Le s y s t è m e d e c l a s s i f i c a t i o n a c t u e l r e p o s e médiaires correspondant aux stades infraclini-
s u r d e u x g r a n d s t y p e s d ' a p p r o c h e . La pre- ques de la dépendance.
m i è r e a p p r o c h e c o r r e s p o n d à u n m o d è l e bidi-
mensionnel qui distingue d e u x ensembles : Les approches typologiques
l'usage abusif d'alcool et l'usage toxicomania-
Ces approches sont fonction des éléments
q u e d'alcool. C e m o d è l e clinique et c o m p o r -
c h o i s i s p o u r la d i s t i n c t i o n d e s g r o u p e s , e t
t e m e n t a l s u s c i t é p a r les t r a v a u x d e G . E d -
p e u v e n t être divisées e n typologies p s y c h o -
w a r d s (1978) et de l'O.M.S., est a u j o u r d ' h u i
comportementales, en typologies multidi-
a d o p t é p a r les c l a s s i f i c a t i o n s i n t e r n a t i o n a l e s mensionnelles et en typologies épidémiolo-
d e s t r o u b l e s m e n t a u x ( D S M - I V , C I M - 1 0 ) . La
gico-cliniques.
s e c o n d e a p p r o c h e m e t en oeuvre de n o m -
TYPOLOGIES PSYCHOCOMPORTEMENTALES. Elles
breux modèles typologiques, élaborés en vue
d ' a f f i n e r a u m a x i m u m le r e g a r d c l i n i q u e , b i o - reposent sur des critères cliniques et de
logique, psychologique et c o m p o r t e m e n t a - comportement. Certaines distinctions main-
l i s t e j e t é s u r les c o n d u i t e s a l c o o l i q u e s . t e n a n t a n c i e n n e s , t e l l e s c e l l e s é t a b l i e s p a r R.P.
K n i g h t e n 1937 entre a l c o o l i s m e essentiel et
Le modèle bidimensionnel a l c o o l i s m e r é a c t i f , o u p a r D e s h a i e s e n t r e al-
coolisme primaire et alcoolisme secondaire,
La première dimension prise en compte est sans p o u v o i r être c o m p l è t e m e n t reprises,
celle de 1'« abus d'alcool » (DSM-IV) ou de c o n n a i s s e n t s o u s u n e f o r m e d i f f é r e n t e u n re-
l'« utilisation d'alcool nocive pour la santé » gain de faveur. D'autres méritent d'être
(CIM-10). Les critères de l'abus sont ceux, citées.
classiques, décrits pour tout abus de sub- C ' e s t le cas, t o u t d ' a b o r d , d e la c l a s s i f i c a t i o n
stance psychoactive. Le mode d'utilisation de E.M. Jellinek (1960). A u t e r m e d ' u n e é t u d e
inadéquat de la substance entraîne des signes conduite dans les a n n é e s 1950 sur plus de
fonctionnels physiques ou psychiques (dé- 2 000 alcooliques, celui-ci a identifié cinq
pression* secondaire), familiaux, sociaux, pro- types d e c o n d u i t e s a l c o o l i q u e s : a) l ' a l c o o l
fessionnels. Le sujet consomme de l'alcool en s o u l a g e u n m a l a i s e p h y s i q u e o u é m o t i f (dé-
dépit du risque encouru (lié à la conduite d'un p e n d a n c e p s y c h o l o g i q u e ) ; b) c o n d u i t e s al-
véhicule, au travail sur machine ou aux c o o l i q u e s a v e c s y m p t ô m e s s o m a t i q u e s (cirr-
commandes d'un engin) ou en dépit des pro- hose, gastrite) sans s y n d r o m e de d é p e n d a n c e
blèmes judiciaires induits par la consomma- ( r ô l e i m p o r t a n t d e s h a b i t u d e s s o c i a l e s ) ; c) la
tion de l'alcool. Pour autant, le sujet n'est pas c o n d u i t e a l c o o l i q u e i m p l i q u e la p e r t e d e
dépendant du produit. c o n t r ô l e d u sujet, a v e c craving e t d é p e n d a n c e
Les critères de dépendance sont également p h y s i q u e ; d) le s u j e t e s t d a n s l ' i m p o s s i b i l i t é
ceux décrits pour toute substance psycho- de s ' a b s t e n i r de boire, sans p o u r a u t a n t perdre
active - d'autant plus que c'est précisément le le c o n t r ô l e d e s e s c o n d u i t e s ; e) a l c o o l i s m e p é -
syndrome d'alcoolo-dépendance qui consti- riodique (dipsomanie*).
tue le modèle clinique de l'addiction. Le Les f o r m e s o., (3 e t e e n g l o b e n t les c o n d u i t e s
DSM-IV et la CIM-10 ont chacun des critères d ' a b u s d ' a l c o o l , e t les f o r m e s y e t 8, c e l l e s d e
propres mais proches, par exemple : besoin dépendance.
compulsif de boire (craving), altération de la L a c l a s s i f i c a t i o n d e P. F o u q u e t ( 1 9 5 1 ) d i s t i n -
capacité de contrôler la consommation, syn- g u e les a l c o o l i t e s * ( q u i , p a r a n a l o g i e , r é p o n -
drome physiologique de sevrage et usage du d e n t a u x f o r m e s a , � e t 8 d e la c l a s s i f i c a t i o n
produit pour les supprimer, tolérance au pro- p r é c é d e n t e ) , les a l c o o l o s e s * ( q u i r é p o n d e n t à
duit, désinvestissement des champs d'intérêt la f o r m e y) e t les s o m a l c o o l o s e s * ( q u i r é p o n -
autres que la boisson, etc. Le DSM-IV permet d e n t à la f o r m e e).
d'affiner le regard porté sur la dépendance : La c l a s s i f i c a t i o n d e R.E. T a r t e r ( 1 9 7 7 ) , q u i dif-
existence d'une dépendance physiologique. f é r e n c i e a l c o o l i s m e p r i m a i r e e t a l c o o l i s m e se-
appréciation de son évolutivite (notion de condaire, rappelle la classification de R.P.
 En pratique...
La liste des adresses utiles présentée ci-dessous est évidemment non limitative ;
pour des raisons de place, les auteurs du présent dictionnaire n'ont pu citer l'ensem-
ble des institutions intervenant dans les domaines concernés. On voudra bien ne
pas leur en tenir rigueur.
C o m i t é français d ' é d u c a t i o n p o u r la s a n t é
(CFES), 2, rue Auguste-Comte, 92170 Vanves.
Tél. 01 41 33 33 33 — Fax 01 41 33 33 90. Mini-
tel : 3615 CFES
3 6 1 7 BDSP (Base de données Santé Publique)
Toxicomanies aux drogues illi-
cites
A s s o c i a t i o n G r a n d e Écoute, 17, allée Louise-
Labé, 75019 Paris. Tél. 01 42 06 46 47 — fax
0142 01 14 18.
Association nationale des intervenants en
t o x i c o m a n i e s , 8 rue de l'Haye 69230 Saint-Ge-
nis-Laval. Tél. 04 78 5646 00 — Fax 04 72 39 97
58.
A u t o - s u p p o r t des u s a g e r s de d r o g u e s
(ASUD), 23 rue Château-Landon, 75010 Paris.
Tél. 01 53 2626 53 — Fax 0153 26 26 56.
C e n t r e D i d r o , 149, rue Raymond-Losserand,
75014 Paris. Tél. 01 45 42 75 00 — Fax 01 45 43
73 91.
C e n t r e m é d i c a l M a r m o t t a n , 19 rue d'Armaillé,
75017 Paris. Tél. 1 45 74 00 04 — Fax 01 45 74
40 56.
C e n t r e s R é g i o n a u x d ' i n f o r m a t i o n e t de
prévention du SIDA. Site intemet
http ://www/crips. asso. fr. 80
C r o i x - V e r t e e t R u b a n - R o u g e , Association des
Pharmaciens pour la Prévention des toxicoma-
nies et du sida, BP 3, 60570 Andeville. Tél. 03 44
22 59 02.
D r o g u e Info Service 0 800 23 13 13 (écoute
anonyme et gratuite 24 h/24).
F o r m a t i o n i n t e r v e n t i o n r e c h e r c h e sida
t o x i c o m a n i e (FIRST), 26 av. Saint-Mandé,
75012 Paris. Tél. 1 40 04 94 46 — Fax 01 44 75
06 90.
F r a n c e f o r m a t i o n t o x i c o m a n i e s , 30 bd de
Strasbourg, 21000 Dijon. Tél. 04 80 68 27 28 —
Fax 04 80 68 27 29.
G & T (Généralistes et toxicomanies), BP 9
17430, Lussant. Tél. 05 46 84 47 78.
I n s t i t u t de r e c h e r c h e e n é p i d é m i o l o g i e des
p h a r m a c o d é p e n d a n c e s (IREP), 32-36 rue Jean-
Cottin, 75018 Paris. Tél 0146 07 10 20 — Fax
0146 07 11 29.
M é d e c i n s d u m o n d e , 62 bis, av. Parmentier,
75011 Paris. Tél. 01 43 14 81 50.
M i s s i o n i n t e r m i n i s t é r i e l l e de lutte c o n t r e la
d r o g u e e t la toxicomanie, 8 avenue de Ségur,
75007 Paris.
O b s e r v a t o i r e français d e s d r o g u e s et des
t o x i c o m a n i e s (O.F.D.T.), 105, rue Lafayette,
75009 Paris. Tél. 0153 20 16 16. Site intemet :
http ://www.ofdt.fr.
Observatoire géopolitique des drogues
(O.G.D.), 14 Passage Dubail, 75010 Paris. Tél.
01 40 36 63 81 — Fax 01 40 36 46 61. Site inter-
net : http ://www.ogd.org.
T o x i b a s e , Réseau national de documentation
sur les pharmacodépendances, 14 avenue Berthe-
lot, 69007 Lyon. Tél. 04 78 72 47 45 — Fax 04 72
72 93 44. Minitel : 3617 TOXIBASE. Site intemet
gratuit mais nécessitant la signature d'un contrat
préalable.
Autres bases de données sur les pharmacodépen-
dances :
Site internet http://www.fwidal. jussieu.fr/-
toxico/.
Site internet : http://www.arf.org/
Alcoolisme
Alcooliques a n o n y m e s , 21 rue Trousseau,
75009 Pans. Tél. 01 48 06 43 68 — Fax 01 40 21
05 35.
Association d ' i n t e r v e n a n t s en alcoologie
(ADRIA). 58 rue Arnozan. 33600 Pessac.
Association n a t i o n a l e de p r é v e n t i o n de
l'lcoolisme (ANPA). 20 rue Saint-Fiacre, 75002
Paris. Tél. 01 42 33 51 04 — Fax 01 45 08 17 02.
La Croix-Bleue, 47 rue de Clichy, 75009 Paris.
Tél. 01 42 85 30 74 — Fax 01 45 26 11 13.
La Croix d'Or. 10 rue des Messageries, 75010
Pans.
Société française d'alcoologie, 101, avenue
Henri-Barbusse, 92141 Clamart cedex. Tél. 01 41
46 69 51.
M o u v e m e n t vie libre, 8, impasse Dumur,
92110 Clichy. Tél. 01 47 39 4080 — Fax 0147
30 45 37.
3615 A L C O et site internet : http ://www.alco-
web.com
3 6 1 5 SOIF DE VIVRE
Des contacts départementaux peuvent être obte-
nus auprès des DDASS ou des préfectures.
Tabagisme
Comité national contre le tabagisme
(C.N.C.T.), 31, av. du général Michel-Bizot,
75012 Pans. Tél. 01 55 78 85 10 — Fax
01 55 78 85 Il — Minitel : 3615 TABATEL

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en février 1999. flashage numérique CTP. n°98122222.
Dépôt légal 100 720 324 01 - Février 1999.