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Définir une stratégie spatiale c'est, avant tout, envisager un dialogue entre le
sol et le ciel. Au sens littéral, c'est perpétuer une démarche religieuse qui, bien
qu'apparemment étrangère aux mystères de la foi, ne s'affranchit pas pour autant de
toutes ses représentations. Pour nos imaginaires, comme pour les charges utiles des
satellites, l'Espace reste un haut lieu de projection. Ce qu'on est capable d'imaginer
détermine l'horizon indépassable de nos constructions intellectuelles et de notre
pensée.
L'Espace ne se constitue en objet qu'à travers une relation avec le sol. Son utilisation
se fonde d'ailleurs sur une logique d'intermédiation puisqu'on passe par l'Espace
pour obtenir un effet au sol, qu'il s'agisse de communiquer, d'observer ou de
naviguer.
Mais, si toute réflexion sur le thème admet que l'objet « Espace » n'existe que
dans le cadre d'une relation qu'il entretient avec un autre objet, le « sol », alors la
nature de cette relation sera, tout naturellement, déterminante. Or, elle semble se
construire autour d'une projection massive de représentations. C'est la projection
imaginaire qui précède, ici, toute appropriation intellectuelle.
Comment des représentations religieuses ou cosmogoniques s'infléchissent
pour devenir des représentations géopolitiques, et comment ces dernières peuvent,
progressivement, dépasser un seuil critique d'intensité au point de devenir les
éléments structurant d'un système stratégique ?
Ces évolutions illustrent une volonté de s'approprier une nouvelle dimension,
l'apogée de la démarche étant l'élaboration d'une pensée stratégique construite
comme un système. Il s'agit de mesurer l'impact d'un imaginaire sur l'avènement
d'une géostratégie particulière, de savoir si on peut admettre le premier comme un
déterminant structurel de la seconde.
D'un point de vue méthodologique, il apparaît que l'analyse géopolitique classique
prête généralement le flanc au déterminisme, notamment géographique et historique,
mais ce savoir se propose aussi d'intégrer l'étude des représentations, qu'elles
procèdent de l'environnement physique, du passé, de la « culture », ou bien qu'elles
atteignent une intensité propre à influer sur la perception du réel, à le « fabriquer ».
Le champ de l'analyse est presque écartelé entre considérations profondes sur les
facteurs les plus statiques de la puissance et attention accordée à ses facteurs les
plus mouvants, les plus insaisissables.
d'un système condamne à ne plus définir d'objectif. Pour autant, la conquête est une
potentialité qu'il faut retenir parce que ne pas l'accomplir reviendrait à définir une
stratégie dont l'objet serait l'abolition de la volonté de puissance. Il ne s'agirait plus
de déterritorialisation du sol, mais de désolidarisation du territoire. Une fois projetée
dans l'Espace, la représentation du territoire devrait divorcer d'avec l'idée de
puissance, s'en désolidariser, alors même qu'elle en est un élément essentiel de sens.
L'Espace représente un moyen d'invasion et non d'évasion.
Traiter d'une géostratégie de l'espace autrement qu'en projetant sur ce
nouveau milieu les raisonnements habituels est certainement illusoire, une
génération seulement après les premières réalisations humaines dans ce domaine et
alors que de nouveaux progrès technologiques se profilent pour un avenir très proche.
Il demeure que, toujours en suivant le raisonnement de Mackinder, il est possible de
mener une première réflexion géostratégique en présentant les conditions du milieu,
le poids des relations internationales et les facteurs de la puissance. Cette démarche
est sans doute le plus sûr moyen, surtout pour un géographe, de découvrir de quelle
façon, et dans quelle mesure, les utilisations de l'espace, dont les premiers effets sont
déjà perceptibles, illustrent les approches traditionnelles.
Les caractéristiques de ce milieu ont un certain nombre de conséquences
pratiques. Ainsi, sa transparence empêche de s'y dissimuler, sauf en se plaçant
derrière la Lune et son absence d'atmosphère impose une grande précision dans
l'usage des armes nucléaires, puisqu'elle annule les ondes acoustiques et réduit l'effet
de choc. De leur côté, les contraintes de la mécanique céleste bornent les zones
terrestres survolées, et imposent des lancements dans d'étroites fenêtres horaires
afin d'obtenir, outre la même inclinaison, des ascensions droites semblables et donc
de faciliter les rencontres.
Tous les types d'orbites des satellites et donc leurs traces, c'est-à-dire la
projection sur Terre de leurs trajectoires, dépendent des conditions de la satellisation.
Seules les principales vitesses cosmiques et les types de trajectoires qu'elles
déterminent seront ici mentionnés. La première vitesse cosmique assure une orbite
circulaire, quelle que soit l'altitude. En deçà de cette vitesse, l'engin accomplit un vol
balistique et retombe sur Terre. La deuxième vitesse cosmique détermine une
parabole et la troisième vitesse cosmique permet au satellite de s'évader du système
solaire.
Les orbites ne restent cependant jamais stables; les perturbations naturelles
provoquent des modifications qui peuvent s'exercer sur tous les paramètres déjà
mentionnés et les manœuvres de changements d'orbite s'effectuent en jouant sur l'un
les premières photos de la face cachée de la Lune l'étaient également et que le premier
homme dans l'espace risquait de s'appeler Ivan..., ce qui fut presque le cas, au détail
près qu'il se prénommait Youri !
Cette exploitation idéologique de l'espace a sans aucun doute culminé lors de
la course à la Lune mais, même si elle s'est ensuite atténuée, l'espace a encore été
choisi pour illustrer, avec le vol conjoint Apollo-Soyouz de 1975, une période de
détente ou, avec la présentation de l'Initiative de Défense Stratégique, certains
refroidissements. Le poids géostratégique de l'espace est donc d'abord symbolique. Il
est lié à des facteurs de politique interne mais aussi à des contraintes terrestres
physiques et économiques.
d'éviter qu'une attaque contre un autre satellite soit assimilée trop facilement à un
malheureux accident.
La géostratégie classique s'intéresse aux facteurs constants, tels ceux qui
précèdent, mais aussi à des facteurs variables. À ce titre le poids de l'organisation
politico-économique dans la mise en valeur de l'espace est un autre élément
déterminant.
Le cas soviétique est sans doute le plus démonstratif. Il se caractérise par le
lancement de très nombreux satellites. La première région est particulièrement
concernée, mais le même phénomène est aussi sensible dans la deuxième région et
traduit un choix délibéré privilégiant le nombre des engins aux dépens de leur
sophistication et de leur durée de vie.
Les caractéristiques du système industriel soviétique expliquent cette
politique. La quasi-totalité des activités spatiales, s'effectue sous l'égide d'un
ministère particulier, le MOM (Ministère des Constructions Mécaniques Générales),
chargé de la réalisation des engins aussi bien civils que militaires. Tout ministère
voulant développer un système spatial effectue une commande aux bureaux (OKB)
spécialisés. Ceux-ci utilisent un nombre restreint de plateformes qui sont ensuite
équipées de matériels différents, une seule usine étant apparemment chargée de leur
intégration. De sérieuses économies peuvent ainsi être accomplies, au détriment
cependant de l'innovation technologique. Les points faibles traditionnels des
technologies soviétiques; l'informatique et l'électronique, sont ainsi moins sollicités
que dans les pays occidentaux. Enfin, l'ensemble du secteur spatial bénéficie, en tant
qu'élément du complexe militaro-industriel, d'un statut particulier et d'une certaine
liberté vis-à-vis des contraintes économiques.
Enfin, les moyens importants de lancement permettent un nombre élevé de
tirs. De leur côté, les pays occidentaux dont les capacités sont moindres ont choisi
de commercialiser leurs lanceurs.
Les Soviétiques effectuent d'ailleurs aujourd'hui une démarche du même type
ce qui, compte tenu des changements politiques et économiques récents, risque de
les conduire à revoir profondément leur politique spatiale.
Le cas américain est totalement différent. L'espace est aussi perçu comme un
élément capital de la politique nationale, en dehors même des préoccupations de
sécurité et, en particulier, doit avoir un rôle leader dans le domaine des hautes
technologies. Dans un pays, où l'intervention de l'État se doit de rester discrète, de
grands programmes d'exploration humaine, comme la SEI (Space Exploration
Initiative), mais aussi plus ponctuels, comme le développement de la télévision haute
Enfin, d'autres projets comme l'lOS jouent aussi un rôle important dans la
redéfinition des grands équilibres stratégiques puisqu'il s'agirait de rendre
caduque la doctrine de la destruction mutuelle assurée. Les difficultés technologiques
et le contexte international font que le débat a beaucoup perdu de; l'on acuité par
rapport aux années 1985. Il n'est cependant pas clos pour autant.
bénéficié d’un statut prioritaire, lié à son appartenance au secteur des industries de
défense pris au sens large, les revendications actuelles de l’Académie des Sciences
dans la conduite et la définition de nombreux programmes vont certainement
conduire à une redéfinition des rôles et à une probable séparation de l’espace civil et
de l’espace militaire.
Ainsi, les années 1990, se caractérisent par une réorganisation des activités
militaires aussi bien aux États-unis qu’en Union soviétique. L’espace est désormais
un secteur-ciel dans les priorités nationales. Les projections de son rôle dans le futur
telles qu'elles sont envisagées par certains experts accusent encore ce caractère.
rendant la structure visée hors d'usage et ne correspond pas aux besoins d'une
intervention modulée en fonction des circonstances.
Une deuxième possibilité est envisageable, celle d'une défense développée
depuis l'espace grâce à une plate-forme dotée de moyens opérationnels. Il peut s'agir
d'une station orbitant à des altitudes et inclinaisons variables mais sa capacité
d'autonomie doit être alors particulièrement grande pour lui permettre d'atteindre
d'autres trajectoires suivant des méthodes qui à l'exclusion du lancement sont
identiques à celles suivies depuis la Terre. Une plateforme géostationnaire paraît
encore plus adaptée dans la mesure où elle représente un point haut en terme de
gravité mais ce ne sont pas là des hypothèses dont la réalisation est véritablement
envisagée.
La solution la plus facile reste celle de l'avion transatmosphérique, mais ce
nouveau concept de transport suppose que de très nombreux problèmes
technologiques soient résolus et personne ne s'aventure aujourd'hui à prévoir la date
de son développement. Les problèmes d'ordre juridique qui vont également se poser
lorsque la mise en service d'un tel système sera possible contribuent aussi à ne
l'envisager qu'avec précaution. Les systèmes plus classiques de transport spatial tels
les navettes et les véhicules de transport orbitaux restent donc les plus plausibles.
La deuxième région peut aussi abriter des interventions à destination de
l'espace circumterrestre proche qui seraient mises en œuvre depuis la Lune ou les
points de Lagrange. Elle doit cependant plutôt servir à assurer la sécurité dans sa
propre région.
Si l'exploitation minière de la Lune s'effectue véritablement, ce qui ne provoque
d'ailleurs pas l'enthousiasme de la communauté des astronomes qui a d'autres
projets pour notre satellite naturel, le Traité sur la Lune et les autres corps célestes
interdit théoriquement le déploiement de matériel militaire autrement que pour des
usages civils. Certes de nombreux États n'ont pas ratifié le traité mais il est aussi
plausible d'envisager la militarisation de certains points d'équilibre, non soumis à ces
restrictions juridiques et dont les avantages potentiels sont semblables à ceux de la
Lune. Le contrôle de ces points revient effectivement à commander l'ensemble Terre--
Lune puisque grâce à leur stabilité ils assurent la permanence de la surveillance
comme des possibilités d'intervention. Le statut futur des points de Lagrange est donc
considéré avec beaucoup d'attention par tous les géostratèges de l'espace,
particulièrement soucieux d'éviter qu'ils ne soient tenus par une autre puissance.
La troisième région a une mission plus lointaine encore, que l'on pense en
termes de distance ou de temps. Son importance stratégique potentielle tient en effet
surtout aux perspectives d'utilisation des ressources des astéroïdes, des lunes de
Galilée et de l'atmosphère de Jupiter. L'installation de structures minières ou de
colonies reste assez hypothétique mais cela ne décourage pas les futurs défenseurs
qui envisagent déjà les moyens de garantir la sécurité de bases échappant à
l'influence de la Terre pour appartenir complètement à un système dans lequel le
Soleil est le seul référentiel.
Leur doctrine s'inspire de la pensée géopolitique de Mahan auquel ils font
explicitement référence. Les lignes de communication deviennent essentielles et les
orbites d'Hohmann jouent alors un rôle essentiel pour la maîtrise de ce milieu
puisqu'elles permettront de contrôler tous les mécanismes des échanges.
Cette projection à très long terme mérite d'être citée dans la mesure où elle offre un
curieux mélange entre des perspectives très lointaines et une pensée stratégique dont
la principale référence est finalement la conquête de l'Ouest américain. Les orbites
de transfert seraient ainsi parcourues sporadiquement par des patrouilles issues
d'avant-postes militaires. La référence aux transferts d'Hohmann s'explique dans la
mesure où il s'agit de la manœuvre la plus économique pour passer d'une orbite
circulaire à une autre. Dans le cas des planètes ou des astéroïdes, les fenêtres de
lancement sont cependant assez espacées dans le temps et les distances à parcourir
sont considérables. Ainsi, les essais actuels de pensée géostratégique appliqués à
l'espace tiennent compte du milieu mais restent complètement marqués par une
approche traditionnellement terrestre. Pourtant l'espace ne peut-il déterminer un
jour une pensée aussi originale que l'est le milieu? Il est peut-être temps de
s'appliquer à réfléchir en prenant en compte d'autres caractères, comme la
coopération, qu'il serait souhaitable de développer pour conquérir l'espace, en
particulier lors des missions très lointaines.