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FONCTIONNEMENT
NEUROBIOLOGIQUE ET RELATIONS HUMAINES
Marco Vannotti et Roberto Berrini
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Résumé
Dans une perspective phénoménologique, le corps, les fonctions vitales, le
DOI: 10.3917/ctf.043.0097
98 Marco Vannotti & Roberto Berrini
The build-up of relationships between the therapist and the patient allows
both of them to find a way to fulfillment of their own existence.
Mots-clés
Phénoménologie – Vie biologique – Neurobiologie – Psychothérapie.
Key words
Phenomenology – Biological life – Neurobiology – Psychotherapy.
Biologie et corporéité
La phénoménologie est l’une des orientations majeures de la philoso-
phie du XXe s. Elle a été le point de départ d’un renouvellement du paradigme
ces penseurs que nous pouvons partager quelques réflexions autour du thème
de biologie et psychothérapie. La raison pour laquelle nous nous aventure-
rons en tant que thérapeutes sur le terrain de la neurobiologie qui nous est peu
familier, réside en ceci qu’elle apporte un nouvel éclairage, en mettant en évi-
dence les soubassements biologiques de la manière d’entrer en relation avec
les autres et en particulier avec ceux qui ont choisi une profession de soins.
Nous approcherons tout d’abord la biologie sous l’angle de la phéno-
ménologie. La vie biologique ne peut être pensée dans une perspective phé-
noménologique si l’on cultive la croyance que la vie est une quelconque
matière vivante impersonnelle. « La vie biologique s’accomplit au travers
d’un organisme à qui il appartient essentiellement de se mouvoir et de sentir
(soi-même et l’autre) – ce qui pourrait être une définition très sommaire de
ce qu’est exister (ex-sistere, se tenir debout hors… de soi). » (Gennart, 2008).
La vie biologique s’incarne d’abord dans le corps propre de la personne.
Réalisant notre présence au monde, notre corps réalise encore notre
présence l’un à l’autre. La corporéité se manifeste comme une adhésion au
monde, une liaison à la réalité des choses, une présence qui s’accorde d’abord,
de façon pré-réfléchie, à la présence corporelle de l’autre. Nous reviendrons
ensuite sur le sens que l’on peut donner à l’adjectif « pré-réfléchi » qui est
éclairé d’une lumière nouvelle par la neurobiologie.
« Comme tel, le corps vivant […] est toujours aussi dans un échange
intime et constitutif avec ce qui n’est pas lui-même et est autre que lui-même
– ce qui fait la fondamentale ouverture, incomplétude du sujet vivant, et le
L’essence relationnelle 99
Découvertes de la neurobiologie
et de la neuropsychologie
3 Les structures cérébrales ne peuvent pas éclairer seules le vécu intersubjectif qui est
dépendant de bien d’autres éléments tels que l’environnement et la culture. Nous ne
pouvons pas passer du neurobiologique au relationnel sans prendre en compte la
complexité infinie des variables intervenant dans la relation intersubjective. Les
modèles sociaux donnent aussi un éclairage riche sur la construction des relations
intersubjective que nous avons décidé de ne point aborder ici.
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4 La mémoire explicite peut être évoquée dans la conscience et son contenu peut être
verbalisé par les paroles. On la divise d’ordinaire en mémoire sémantique et épisodi-
que. Nous faisons appel à ce type de mémoire pour reconstruire notre propre histoire.
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événements qui le touchent et qui modifient son état mental. C’est en effet la
raison pour laquelle de telles expériences demeurent au-dehors de la possibi-
lité d’être élaborées dans une pensée exprimable au travers des paroles.
L’enfant est en mesure d’attribuer un sens à ses relations avec son
milieu et de construire des narrations toujours plus complexes à partir de
l’achèvement de la maturation de l’hippocampe et du cortex préfrontal.
La mémoire procédurale, de son côté, est la mémoire des expériences
motrices. C’est la mémoire des “danses” faites par le bébé pour captiver
l’attention des parents (Fivaz & Corboz, 2001 ; Stern, 1995), qui se tradui-
sent, par exemple, dans la manière d’être intercorporellement avec l’autre.
Comme la danse de l’enfant avec ses deux parents, nos attitudes corporelles
Neuroplasticité
De récentes découvertes ont démontré que le sujet enrichit ses diffé-
rentes formes d’apprentissage en fonction des expériences qu’il traverse
grâce à la flexibilité, à la plasticité de ses neurones. C’est celle-ci qui permet
l’adaptation stable du sujet aux requêtes d’un milieu toujours en mouvement.
La neuroplasticité est à la base du processus d’apprentissage et de la mémoire,
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rience psychothérapeutique.
L’intérêt de leurs hypothèses consiste en ceci : c’est la parole, instru-
ment essentiel de la cure, qui peut agir en dernière instance sur les synapses
et transformer “plastiquement” les bases anatomo-fonctionnelles de centres
cérébraux qui interviennent dans les changements de la personnalité de l’ana-
lysé et dans la relation intersubjective avec le thérapeute5.
Le langage verbal ne suffit cependant pas pour construire la relation ;
le verbe est accompagné d’un co-texte, d’indices para-verbaux (la prosodie,
la gestuelle) et il est prononcé dans un contexte, au sein de rapports hiérarchi-
ques (Cosnier, 1981) ; la parole, l’expression verbale suit – et non précède –
la réalisation de la proximité émotionnelle, de l’intuition de l’autre qui vont
moduler son sens. Dans la relation humaine, dans le face à face entre théra-
peute et patient, la communication implique l’ensemble du corps, des expres-
sions faciales, des postures, du mouvement et des gestes, de la distance
adoptée, etc. C’est la raison pour laquelle nous postulons que la nature de
cette relation est intercorporelle et ne se limite pas au verbe.
6 Nous nous référons ici à la place importante qu’a la vision dans l’ensemble des
perceptions ; elle n’est cependant pas exclusive (Merleau-Ponty, 1945).
7 Cette intersubjectivité est liée aussi au sentiment d’appartenance à une même
communauté : si « ce que tu fais est similaire à ce que je fais ou que je pourrais faire,
alors je deviens d’une certaine manière ton semblable ».
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8 La théorie générale des systèmes postule que les éléments d’un système se réorga-
nisent en fonction de l’introduction du sujet dans des nouveaux contextes.
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Le temps de la thérapie
Les expériences structurantes s’inscrivent alors dans une double
dimension du temps : d’abord celui du moment présent, celui des instants
d’empathie et d’accueil qui émergent avec immédiateté dans la séance. Il
s’agit de courts moments, de la durée de quelques secondes, qui ponctuent
l’une ou l’autre séance, mais qui n’arrivent pas nécessairement au niveau de
conscience dans toutes les séances. Malgré leur brièveté, il s’agit de stimuli
qui agissent répétitivement sur les soubassements biologiques de notre cer-
veau.
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l’accueil des formes multiples de la vie, et non seulement des chemins tor-
tueux de la souffrance.
L’encouragement adressé au thérapeute d’assumer un rôle actif peut
être compris sur deux plans. Le premier consiste dans les références aux
savoirs et au savoir-faire propres du thérapeute. La dimension spontanée de
la rencontre s’articule avec un travail d’ordre cognitif, c’est-à-dire avec la
réflexion autour de la théorie que le thérapeute doit posséder et autour des
techniques qu’il emploie. Le thérapeute est, en principe, consciemment actif.
Le deuxième concerne plutôt l’intentionnalité morale : il s’agit d’orien-
ter le traitement en discriminant le nocif du bienfaisant, de suivre le para-
digme de la responsabilité.
Le psychothérapeute, d’autre part, s’insère activement dans le champ
de la relation de manière non nécessairement consciente. Son interaction avec
le patient est façonnée par son histoire personnelle, par ses propres résonan-
ces. Celles-ci sont activement stimulées par le patient ou par sa famille. Le
thérapeute subit l’influence de la mémoire implicite qui concerne des schè-
mes intercorporels, sensori-moteurs et émotionnels non conscients de ses
propres relations d’attachement et de ses expériences de soins reçus. L’his-
toire du thérapeute a un retentissement dans la rencontre avec les patients,
retentissement auquel il doit activement prêter attention.
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apprendre à répondre de la sorte. C’est une expérience que l’on vit. Probable-
ment l’habileté du thérapeute consiste à rendre conscient, dans l’après-coup,
cette émergence en en acceptant la surprise et l’émerveillement.
Il se peut que la qualité ou l’adéquation des réponses du thérapeute se
révèlent insuffisantes. Il ne risque cependant pas forcément de compromettre
l’issue du traitement. Dans une rencontre qui procède par essais et erreurs, par
intuitions et égarements, il est inévitable que cela arrive. La relation est arti-
culée par des ruptures et des processus de correction et de réparation. Seule-
ment si l’inadéquation des réponses se produit trop souvent, les soins peuvent
devenir inutiles et nocifs en réactivant le dommage traumatique jusqu’à son
niveau neurobiologique, dommage pour lequel le sujet avait cherché un
remède.
L’accueil
Pour Roustang (2002), la relation thérapeutique ne serait pas le lieu du
soin, mais le soin lui-même, ainsi que la seule source de changement. Elle
serait également l’actualisation de la singularité du patient, de par la prise en
compte de la totalité de sa personne. Pour cet auteur, cette posture serait une
manière d’approcher le « facteur thérapeutique non spécifique », ce « quelque
chose d’insaisissable qui circule entre un thérapeute et son patient 9». Pour
lui, chaque thérapeute pourrait faire le constat que ni sa personnalité ni ses
caractéristiques propres ne sont en jeu, mais les dimensions humaines qu’il
incarne, et qui constitueraient le fondement du soin (Jobin, 2009).
Pendant les séances de thérapie, le patient (et le cas échéant, les mem-
bres de sa famille), expérimente dans son propre corps la valeur d’un milieu
9 Roustang (2002)
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protecteur, d’un encadrement sûr qui l’aide à se situer sans honte avec ses
propres vulnérabilités et à faire valoir ses propres ressources. Mais de quelle
manière accueillir avec bienveillance la vulnérabilité du patient ? Comment
lui apprendre à avoir confiance en ses propres ressources ?
Il y a certes une condition préalable : celle de comprendre la souf-
france, la douleur qui ont marqué le patient dans la texture de son corps, dans
le déroulement de son histoire. Le thérapeute, à travers l’accueil de la dimen-
sion pathique de son patient, amène celui-ci à considérer sa vulnérabilité non
pas comme une blessure innommable, mais plutôt comme l’une des caracté-
ristiques de la condition humaine.
Un tel accueil constitue l’une des tâches majeures du thérapeute. Il
une perspective relationnelle élargie. En allant encore plus loin : “il y a, en cli-
nique, toute une attention à avoir, toute une pratique à exercer pour soigner
la vie psychique à ce niveau de perturbation qui est si proche du phénomène
de la vie comme telle” (Gennart, 2008).
Conclusion
Références
ANSERMET F. & MAGISTRETTI P. (2004) : À chacun son cerveau. Odile
Jacob, Paris.
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lien, 1972. Boringhieri, Torino. Trad. fr. (1978): Attachement et perte. Vol. 1.
L’attachement. PUF, Paris.
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4(4): 517-547.
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10 Nous remercions chaleureusement les personnes qui ont relu le manuscrit et qui
nous ont fait bénéficier de leurs critiques et de leurs encouragements : M. Gennart,
C. Marin, Z. Stokart.
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