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Introduction
Édith Goldbeter-Merinfeld
2009/2 n° 43 | pages 5 à 15
ISSN 1372-8202
ISBN 9782804102555
Article disponible en ligne à l'adresse :
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recherches en neurobiologie.
Pourtant, l’antagonisme a longtemps régné entre les deux domaines, sou-
tenu d’un côté par le sentiment que les explorateurs de l’âme jargonnaient des
élucubrations sans chercher à étayer leurs théories par des recherches rigoureu-
ses, et alimenté de l’autre par les craintes de voir les neuroscientifiques réduire
toute la psyché et l’esprit à des mécanismes physiologiques et biochimiques.
Un seul type de références aux sciences dites dures semblait accepté
par les psychothérapeutes : celles qui leur permettaient de baliser à partir de
métaphores issues de la physique, de la thermodynamique ou de la cybernétique,
la topologie du territoire psychique. Cette dernière attitude a d’ailleurs soulevé
des mouvements d’humeur chez des universitaires comme Alan Sokal et Jean
Bricmont, qui ont considéré qu’il y avait là « rapts » de concepts et qui, d’une
certaine manière, se sont dressés tels des gardes rouges, pour interdire l’utilisa-
tion de termes scientifiques hors de leur lieu de conception. Ces intégristes du
langage semblent ne pas pouvoir accepter l’usage des métaphores pour décrire
l’imaginaire et le ressenti, n’attribuant au langage qu’une fonction de représen-
tation tautologique d’une réalité démontrée et fondée sur des évidences.
Cependant aujourd’hui, nous n’en sommes plus à cette lutte de territoires
mais bien à l’aube d’un croisement de domaines passionnants où se rencontrent
dans un échange respectueux et intéressé des représentants des deux arènes.
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pour une très petite part sur un fondement psychologique et s’appuie essen-
tiellement sur la biologie. » (Freud, 1914).
Mais ce sursaut est, semble-t-il, tombé dans l’oubli chez ses disciples
et dans les générations de psychothérapeutes, même non psychanalystes, qui
se sont succédées.
Et pourtant, comme le souligne Catherine Belzung (2007, p. 8), doc-
teur en neurosciences, « ce n’est pas parce que l’on observe que le taux de
telle molécule est modifié lors de telle émotion que l’on peut déduire que
l’émotion n’est rien d’autre que le résultat de la variation du taux de cette
molécule. De même, ce n’est pas parce que telle aire cérébrale est activée lors
de telle autre émotion que l’on peut en déduire que l’émotion en question peut
se réduire à la variation de l’activité de cette région du cerveau. La seule
chose que l’on peut dire est que telle émotion sollicite telle molécule ou telle
aire cérébrale. »
Depuis deux décennies, des chercheurs issus des domaines des neuros-
ciences, de la physiologie ou de la biologie, s’interrogent sur la conscience et
sur les aspects difficilement objectivables de la singularité des êtres vivants.
Citons les apports du neurologue Damazio (1999) dans les domaines
des émotions et de la conscience, des physiologistes comme Gérard Edelman
(2007) et Eric Kandel (2007) – ces derniers sont tous deux prix Nobel, c’est
dire l’intérêt porté à leurs travaux et l’enthousiasme et le sérieux qu’ils y ont
mis. Des neurobiologistes comme Jean-Didier Vincent (1986) se sont égale-
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ment intéressés aux émotions. Pour les uns, l’intérêt était d’arriver à montrer
la différence entre le monde computationnel et la mouvance non modélisable
de la conscience, pour d’autres au contraire, il s’agissait de rapprocher de plus
en plus ces deux champs.
Tout récemment, les recherches de Giacomo Rizzolatti sur les neurones
miroirs (Rizzolatti & Sinigaglia, 2008) ont ouvert des perspectives nouvelles
sur les interdépendances entre l’appareil neurologique perçu comme flexible
et en interaction développementale, et l’environnement. Les résultats de ces
études ont permis un éclairage différent des mécanismes d’imitation, d’iden-
tification, et d’empathie, composantes des interactions humaines, ouvrant
ainsi à un enrichissement de la compréhension des mécanismes en jeu dans le
Cortex Corps
cingulaire calleux
Fornix Thalamus
Septum
Corps
mamillaire
dérer que la vie biologique s’incarne d’abord dans le corps propre de la per-
sonne. Lorsque celle-ci entre en relation, en particulier dans une relation
thérapeutique, la communication instaurée impliquera l’ensemble du corps
au travers des expressions faciales, des postures, du mouvement et des gestes,
de la distance adoptée, etc. et donc, ajoutent les auteurs, la nature de cette rela-
tion sera intercorporelle et ne se limitera pas au verbe. En cas de traumatisme,
des expériences relationnelles et émotionnelles peuvent devenir correctrices
seulement dans leurs répétitions, dans leur reproductibilité, et cet effet est
soutenu par la plasticité neuronale et par le mode d’apprentissage lié à l’imi-
tation favorisée par les neurones miroirs. Les auteurs pointent aussi l’impor-
tance, dans ce processus, de la présence de la dimension empathique qui
« nous prend en même temps qu’elle prend notre interlocuteur ».
Toujours dans le domaine des recherches centrées sur les interactions
entre le psychologique et le neurobiologique, Ayala Borghini. Stéphanie
Habersaat, Blaise Pierrehumbert, François Ansermet et Carole Muller-Nix,
médecins, psychiatre et psychologues suisses, ont étudié les effets d’une
intervention précoce, inspirée des thérapies en Guidance Interactive, sur la
qualité de l’attachement ainsi que sur la réactivité neuroendocrinienne de
stress chez des grands prématurés âgés de 12 mois, ainsi que chez leurs
mères. Ils se basent sur la mesure des corrélations entre les taux de cortisol de
la mère et de son enfant pour tenter de mieux comprendre les effets du stress
vécu par l’enfant durant la période périnatale sur son devenir, et tout particu-
lièrement, sur ses réponses neuroendocriniennes face à un stress secondaire.
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cussion » que ce sont les adultes dont le langage et la vision d’ensemble sont
plus articulés et dont les préjugés sont, par conséquences, plus importants et
solides, qui déterminent le point de départ des problèmes attribués au bébé.
L’auteur nous présente alors d’autres ponctuations possibles de l’interaction
bébé/enfant–géniteurs, qui renvoient davantage à sa nature réciproque et
fluide.
Il souligne que lorsqu’on parle d’interaction avec des nouveaux-nés, il
s’agit d’une progression qui va de la régulation des processus physiologiques
à la gestion effective des comportements, des émotions et des interactions
avec le monde physique et social, en un processus dynamique complexe où
interviennent les diverses composantes du système nerveux central, en parti-
culier le système nerveux autonome.
Carlos Sluzki propose de dépasser la recherche des caractéristiques
personnelles pour expliquer les difficultés de nourrissons ou de leurs parents,
et d’entrer plutôt dans une épistémologie des influences réciproques, d’un
calibrage entre les attributs du bébé et ceux de ses géniteurs afin de développer
une typologie de « l’emboîtement réciproque », congruente avec une vision
systémique.
Une constante est apparue au travers de toutes ces recherches qui
allient la neurobiologie et la psychologie ; l’un de leurs aspects communs est
le fait de leur mobilité qui s’exprime en termes de : développement, plasticité,
flexibilité, etc. Cette description sous forme d’états non figés de manière
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Elle avance l’hypothèse que les contenus de la mémoire iconique sont trans-
mis par les neurones miroirs et que la transmission de traumatismes d’adultes
vers leurs enfants ou leurs petits-enfants a lieu dans la mesure où ces derniers
témoignent d’une empathie importante. C’est ainsi que si un traumatisme a
été vécu à une génération antérieure, il se peut qu’un descendant en perçoive
un contenu trop envahissant pour lui sur le plan émotionnel, et soit amené à
se couper d’une partie de lui-même, c’est-à-dire de son fonctionnement céré-
bral, de manière à rester en contact (empathique) sans être davantage blessé.
Dans une perspective élargie, nous pouvons considérer nos comporte-
ments comme liés à nos motivations émotionnelles et intellectuelles, mais
aussi à notre fonctionnement neurobiologique et biochimique au sein des sys-
tèmes ouverts dont nous faisons partie ; de plus, nous sommes nous-mêmes,
Références
ANSERMET F. & MAGISTRETTI P. (2004) : À chacun son cerveau. Plasticité
cérébrale et inconscient. Odile Jacob, Paris.
BELZUNG C. (2007) : Biologie des émotions. De Boeck, Bruxelles.
CYRULNIK B. (2006) : De chair et d’âme. Odile Jacob, Paris.
DAMASIO A.D. (1999) : Le sentiment même de soi. Odile Jacob, Paris.
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