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Nicolas Georgieff
2009/2 n° 43 | pages 47 à 63
ISSN 1372-8202
ISBN 9782804102555
Article disponible en ligne à l'adresse :
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Résumé
L’auteur aborde les raisons qui poussent aujourd’hui les chercheurs à étu-
Abstract
The author explores the reasons for neuroscientists or psychoanalysts to
explore the relation between neurosciences, clinical psychology and psychothe-
rapy that are connected but differentiated fields coping with the same object. He
underlines that these connections have not to be used to prove the psychotherapy’s
efficiency or objectivity but that they can contribute to its nourishment.
Mots-clés
Neuropsychologie – Psychothérapie – Psychanalyse – Intersubjectivité –
Neurosciences sociales.
Key words
Neuropsychology – Psychotherapy – Psychoanalysis – Intersubjectivity –
Social neurosciences.
Introduction
DOI: 10.3917/ctf.043.0047
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vue conceptuel, il s’agit en effet seulement d’un cas particulier des relations
entre vie psychique et fonctionnement cérébral, donc entre approches biolo-
gique et clinique de la vie mentale, qui apparaissent à la fois radicalement dis-
tinctes, irréductibles l’une à l’autre, mais aussi nécessairement compatibles.
Neurosciences et psychologie clinique ou psychanalyse décrivent dans des
termes différents un même objet ou réel, et la traduction mutuelle de leurs
logos respectifs ouvre un espace d’échange, de confrontation et de recherche
bien identifié aujourd’hui. Le dogme dualiste selon lequel les objets de la psy-
chologie et la biologie seraient ontologiquement autres, est obsolète. L’étude
des interfaces entre psychanalyse et neurosciences, largement traitée ces der-
niers temps2, le démontre. Et on ne peut plus opposer à ce rapprochement
l’existence d’un trop grand écart entre la complexité des processus psycho-
impossible de ne pas confronter les concepts qui ne sont pas seulement techni-
ques mais bien psychologiques (le fantasme, l’inconscient, la pulsion, la sexua-
lité, les mécanismes de défense, les fonctions et l’organisation du moi …),
à d’autres issus des recherches contemporaines biologiques et cognitives.
C’est le sens du mouvement « neuropsychanalytique » et d’autres courants
de recherche à l’interface psychanalyse et neurosciences.
Ce mouvement est actuellement renforcé par l’évolution des neuros-
ciences. Longtemps, psychanalyse et neurosciences parlaient de réalités dif-
férentes ; or elles se retrouvent autour d’objets ou réalités communes :
l’empathie et les interactions psychiques, la conscience, l’intentionnalité, la
représentation de soi et d’autrui, les émotions, la volition et l’agentivité… Il
existe donc des objets communs aux deux approches.
Une démarche guidée seulement par une logique intellectuelle risque-
rait cependant d’être déconnectée de la pratique. Comme on l’a vu, savoir si
la compréhension de certains des mécanismes et effets de la psychanalyse par
les neurosciences peut avoir une influence sur sa pratique est la question cen-
trale. Pour tenter d’y répondre, il faut s’intéresser ici au second ordre de rai-
sons qui motivent l’étude neuroscientifique de la pratique psychothérapique.
Car pour une seconde part en effet, l’intérêt d’une « neuropsychologie
de la psychothérapie » obéit moins à des objectifs théoriques qu’à des raisons
d’abord pratiques ou techniques. C’est le cas lorsque la pratique psychothé-
rapique se confronte à des dysfonctionnements cérébraux qui modifient le
fonctionnement cognitif.
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3 Ce terme peut être préféré à celui de subjectivité car il met l’accent sur l’activité
mentale elle-même et non sur le sujet supposé de cette activité, question d’un autre
ordre : représentation de soi, agentivité, sujet d’énonciation, etc ...
Vers une neuropsychologie des psychothérapies ? 55
partage avec lui une vie psychique co-construite. Par cette activité empathique
de compréhension et d’interprétation, d’attribution d’intentionnalité dans un
monde de représentations mentales partagées, l’activité psychique de l’adulte
inscrit par ses réponses les actes et états mentaux de l’enfant dans un tissu de
représentations de nature narrative, ce qui modifie en retour la vie psychique
de l’enfant. Cette fonction de sémantisation et de narration est un facteur du
développement : de ce point de vue, le langage et la communication intention-
nelle sont moins les conséquences du développement que ses organisateurs,
moins les produits du développement que leur agent.
Les interactions entre le bébé et son environnement humain exercent
une influence non seulement sur le développement fonctionnel du cerveau,
mais probablement aussi sur son développement structural (comme le mon-
« autre virtuel »]. En effet, elles montrent que la représentation de soi et celle
d‘autrui impliquent les mêmes systèmes biologiques et cognitifs. La place de
l’autre est inscrite, intériorisée dans le psychisme en même temps que celle du
soi. Ce codage est la condition de possibilité de l’empathie et de l’intersub-
jectivité, la matrice des relations interpersonnelles. On peut en déduire, de
manière certes spéculative, que l’inscription dans la vie mentale d‘une repré-
sentation de la vie mentale d’autrui est indissociable de la représentation de
la vie mentale propre, et même inhérente à elle. La métareprésentation de soi,
la réflexivité, est de ce point de vue elle-même une perspective sur soi du
point de vue d’autrui. C’est ce système représentationnel associant soi et
autrui, les représentant ensemble et en interaction, qui pourrait être prioritai-
rement mobilisé par le processus psychothérapique, le thérapeute occupant
ici la place de l’autre et plus largement des « autres » rencontrés par le sujet
et en mémoire. Il reste à comprendre comment la psychothérapie, mobilisant
cette matrice neurocognitive de l’intersubjectivité, peut produire des effets :
sécurisation et anxiolyse, renforcement narcissique, facilitation du travail
de deuil, modification des modalités de relation d’objet (notamment de la
dépendance) et les relations entre ces systèmes et la neurobiologie des systèmes
d’attachement (Fonagy, 1999). On peut supposer que le mécanisme de l’action
psychothérapique, de l’apaisement et de la réduction de la souffrance ou de la
tension anxieuse, implique des mécanismes neurobiologiques de lutte contre
l’angoisse et la douleur, dépendants des systèmes biologiques relationnels ou
sociaux, mécanismes susceptibles d’être déclenchés ou renforcés par d’autres
actions – dont les pratiques médicamenteuses et l’effet placebo.
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Conclusion
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