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L'ADOLESCENT SURDOUÉ

Caroline Goldman

L’Esprit du temps | « Adolescence »

2008/3 n° 65 | pages 749 à 762


ISSN 0751-7696
ISBN 2847951325
Article disponible en ligne à l'adresse :
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Caroline Goldman, « L'adolescent surdoué », Adolescence 2008/3 (n° 65),


p. 749-762.
DOI 10.3917/ado.065.0749
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L’ADOLESCENT SURDOUÉ

CAROLINE GOLDMAN

Après avoir rencontré un grand nombre d’enfants dits « surdoués »


au cours des cinq dernières années au Laboratoire d’exploration cognitive

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intégrée du Service de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent (Pitié-
Salpêtrière), j’ai élaboré une hypothèse générale selon laquelle l’enfant
qui possède un QI égal ou supérieur à 140 et appartient ainsi au premier
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1% le plus performant de la population générale, n’est pas simplement un


enfant très intelligent. Il me semble en effet que la simple supériorité
intellectuelle d’un enfant a tout le loisir de s’exprimer entre 110 et 130 de
QI, mais qu’au-delà de 140 et lorsque les différents subtests constituant
son QI Total sont harmonieusement excellents, on se trouve aussi face à
un surinvestissement pathologique de la pensée.
Cette idée est née en observant l’état de précarité affective de ces
enfants, notamment à travers l’étude de leurs protocoles projectifs. Des
protocoles qui, bien que très différents dans la forme – parfois très pauvres
et secs, parfois foisonnants et aux frontières de l’éparpillement – laissaient
toujours apparaître une grave dépression narcissique. Leur traditionnelle
obsession du savoir et de la logique mathématique s’inscrivait dans un
surinvestissement de la réalité externe avec, pour fonction dans ces
organisations psychiques, d’une part de contenir et pare-exciter le manque
de limites, d’autre part d’offrir des gratifications narcissiques réparatrices.
Face à cette redondance, la question d’une généralisation s’est
imposée : doit-on considérer qu’au-delà d’un QI de 140, l’enfant souffre
toujours ? Cette intelligence très supérieure peut-elle s’inscrire, exister,
chez une personnalité névrotique ? Quelles différences nous offrirait à voir
cette nouvelle clinique ? Afin d’éclairer ces questions, j’ai entrepris de
réunir des enfants possédant exactement les mêmes critères quantitatifs
(mêmes âges, mêmes QI), mais ignorant tout à fait leur supériorité

Adolescence, 2008, 26, 3, 749-762.


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intellectuelle et traversant une scolarité classique. Ces surdoués anonymes


ont donc été recrutés dans un établissement scolaire privé sous contrat
(accueillant des élèves généralement issus d’un environnement très
favorisé), à l’aide de passations collectives du PM38, puis de passations
individuelles du WISC-III. Ils totalisaient un échantillon ainsi réparti :
quinze sujets consultants en psychiatrie (Laboratoire) et quinze autres non-
consultants (établissement scolaire). Parmi ces deux groupes de quinze
sujets, figureront à terme de façon symétrique : cinq enfants âgés de 7 à 9
ans, cinq pré-adolescents de 10 à 13 ans et cinq adolescents de 14 à 17 ans.

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Agrandir l’échantillon jusqu’à cet âge me permettait, tout d’abord,
d’enrichir de façon indiscutable ma perspective sur les ressources, à long
terme, de la dynamique psychique de ces enfants. Ensuite, cela me
permettait d’approcher une énigme : où sont les adolescents surdoués ?
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Pourquoi ce Laboratoire, pris d’assaut par d’incessantes suspicions


(parentales, professorales, médicales) de surdon, croise-t-il aussi peu de
sujets post-pubères surdoués, alors que les autres pathologies restent bien
représentées? Cela signifie-t-il que les enfants surdoués ne le restent pas
après le passage de la puberté ? Ou poursuivraient-ils dans les lycées une
scolarité heureuse et exempte de troubles psychiques ? À ce jour, je ne
connais que six adolescents surdoués : trois sujets consultants, et trois
sujets non-consultants.
Ma présente réflexion est relative au passage entre enfance et
adolescence, et postule que l’expérience de la puberté met à mal le
surinvestissement intellectuel défensif de la latence. Je m’attends à ce que
le surdon, fondé sur une dépression infantile toujours active, ne permette
chez l’adolescent surdoué l’installation des digues psychiques évoquées
par Freud, et qu’il ne consiste qu’en une parade narcissique s’effondrant
avec l’arrivée des émergences pubertaires.

SINGULARITÉS CLINIQUES

Quelles singularités chez ces adolescents ? Tout d’abord, il s’agit


essentiellement de filles (quatre sur les six), ce qui s’inscrit en
contradiction totale avec le monde des surdoués, connu pour être très
largement masculin (parmi mes autres sujets consultants, dix sur onze sont
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des garçons). Ce facteur, bien loin de répondre à notre question relative au


devenir des anciens (garçons) surdoués, continue donc de l’entretenir :
seul l’un d’entre eux (Éraste) s’illustre dans cette catégorie.
Ensuite, ces adolescents se situent tous hors des sentiers de la
séduction érotisée : cette considération provient de leur apparence, de mes
sentiments contre-transférentiels et de leurs réponses projectives. Leurs
vêtements sont minimalistes et hors des critères de mode, les filles ne sont
jamais maquillées malgré l’acné, leurs lunettes sont peu flatteuses et leurs
cheveux tirés en arrière. Tous affirment ne pas comprendre l’intérêt de

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leurs pairs pour l’aventure amoureuse, à laquelle ils préfèrent nettement
un bon livre – et autres investissements typiques de la latence. En lieu et
place de l’érotisation pourtant si largement prisée à ces âges, on trouve des
exigences narcissiques majeures, qui se traduisent par une politesse
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presque excessive et une morale franchement rébarbative, qui ne manque


pas d’infiltrer tous les domaines.
Ainsi, Agathe refuse d’entretenir le culte de l’apparence du microcosme
parisien dont elle est issue, de se disputer avec ses parents, de connaître une
histoire d’amour de peur qu’elle soit trop légère, et d’avoir un téléphone portable
(car « ce serait jeter de l’argent par les fenêtres »).
Tom, face à ma tentative de mettre en mots ce qu’il semble penser des
autres adolescents – « légers et creux » –, m’empêche avec autorité de formuler
toute idée relative à la supériorité des uns par rapport aux autres (!).
Annabelle, elle, souhaite devenir diplomate car elle « s’intéresse à tout ».
Éraste, dans un fantasme bruyamment revendiqué de « défense de la
liberté », refuse fermement l’alcool, le tabac, et hait le Front National ainsi que la
religion, au point d’avoir récemment refusé la visite d’un monastère avec sa classe.

Le troisième élément de singularité de ces adolescents, sans doute


le plus significatif d’entre tous, est lié au fait que toute rencontre avec eux
suggère immanquablement les mots : figé(e) ou figeant(e). Il y a chez
chacun quelque chose de l’ordre de la retenue, de l’immobilisme, qui bien
que permettant une grande connivence intellectuelle et une certaine
chaleur relationnelle, exclut la notion d’intimité. Lélie et Agathe, qui sont
pourtant respectivement la plus en souffrance et la plus épanouie de nos
six sujets, l’expriment toutes les deux : « Je suis souvent mal à l’aise dans
la relation, je me sens différente des autres adolescentes, je ne sais pas
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toujours quoi leur dire, je ne parviens pas à combler les blancs des
conversations, qui durent, et ne font que creuser la distance. » Lélie confesse
même avoir « expérimenté » la socialisation, de façon consciencieusement
travaillée, tant elle se sentait étrangère aux autres lycéens.
Quelque chose, donc, ne circule pas. Or, nous cliniciens, savons
combien chaque sujet rejoue bien malgré lui la nature de ses interactions
précoces dans le transfert. Mon avis, largement nourri par la clinique
parentale de ces enfants au Laboratoire, est que ces sujets emportent avec
eux (dans le transfert, mais aussi au lycée), l’impossible intimité précoce

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qui aurait pourtant dû se nouer avec le premier objet.
La maman d’Éraste, prise dans une relation de couple épouvantablement
conflictuelle (union adultérienne, violences pendant la grossesse, etc.) explique
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avoir été littéralement empêchée de tout contact avec son bébé par son
compagnon, qui le lui apportait pour les tétées et le reprenait ensuite, sans aucun
autre temps de partage autorisé... Jusqu’à l’âge de trois ans, et à l’occasion d’une
hospitalisation de son enfant pour problème de santé, elle dit n’avoir pas pu tisser
de lien d’intimité avec lui.

Les parents de Climène évoquent quant à eux, en écho avec leur fille, leur
très grande absence au cours de son enfance. La maman a été hospitalisée
pendant plusieurs semaines après la naissance de sa fille ; par la suite, Climène a
été gardée chaque soir de son enfance par sa grand-mère paternelle, ce qu’elle
reproche très vivement à ses parents aujourd’hui. Sa mère décrit une petite fille
boulimique qui ne « supportait pas les trous » (attente entre deux bouchées) au
moment des repas, ce qui l’obligeait à tout préparer en avance. Cette avidité nous
rappelle ce que sa mère nomme les « appels au secours » plus récents de sa fille.
Selon elle, « Climène n’a de symptômes (crises, étourdissements) qu’à condition
d’être sûre que son mari ou elle la regardent ». Sa mère formule clairement que
sa fille, par ses comportements (par exemple, se trouver devant la fenêtre
ouverte), lui signifie : « Si tu ne t’occupes pas de moi, je vais me suicider. »

Lélie a été élevée par une nourrice depuis l’âge de deux mois jusqu’à son
entrée au collège. Lorsque le médecin psychiatre demande à ses parents comment
ils s’expliquent les troubles de leur fille, ils répondent : « On ne se l’explique
pas... enfin si, on, était très peu présents à la maison. » Le manque lié à l’absence
se retrouve dans les préoccupations de la jeune fille, qui ne tolérait plus les appels
téléphoniques, réunions tardives et autres formes d’implications professionnelles
de sa mère, très active. Lélie a connu depuis l’enfance de récurrentes entorses qui
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l’ont obligée à rester à la maison pendant de longs mois (à sept et treize ans) et
l’ont fortement déprimée, selon ses parents. On imagine aisément la fonction
inconsciente de ces entorses. Elle évoque également une voix qui lui parlerait
depuis toute petite, sans créer aucune angoisse. Décrite comme « grave, comme
si elle venait de Dieu », elle la réconforte lorsque ça ne va pas (« Rassure-toi ça
ira mieux »). Lélie dort très mal la nuit (réveils fréquents avec vertiges et
« sensations de vide très angoissant »), fait des cauchemars (quelqu’un ou
quelque chose qui lui veut du mal, la poursuit), a des idées suicidaires (« Même
si je reste ici j’aurai envie de me tuer, mes parents sont en train de
m’abandonner »). Le manque d’étayage parental précoce semble crier ses
conséquences derrière chacun de ces symptômes.

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Du côté des adolescents non-consultants, il serait bien délicat
d’objectiver une carence infantile liée à une absence parentale puisque ma
procédure méthodologique ne m’a pas permis de rencontrer ces parents.
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Néanmoins, les récits projectifs de ces trois adolescents figurent de façon


particulièrement criante ces mêmes notions de carence affective primaire
et de conduites maternelles opératoires.
L’imago maternelle d’Annabelle, au Rorschach, mobilise de vifs
mouvements dépressifs et narcissiques. La planche VII, dite maternelle, n’est
abordée que dans des termes de rapproché et de distance ; ces ajustements
évoquent un mauvais accordage passé. Elle projette : « Des jumeaux, ce sont des
enfants parce qu’ils n’ont pas l’air de tenir en place, ils ne sont pas statiques (…).
Ils ne sont pas siamois parce qu’ils n’ont rien en commun. Il y a une séparation
quand même, ils ont chacun leur tête. »
Cet usage du mouvement comme métaphore d’une impossible rencontre
entre une mère et son bébé, réapparaît au TAT, à nouveau dans une planche
maternelle (planche 7GF) : « Une petite fille qui rentre de l’école et à qui sa mère
lit une histoire pour la calmer avant qu’elle s’endorme (Pour la calmer ?)1 parce
que c’est une petite fille très excitée qui saute dans tous les sens. » Encore une
fois, l’enfant mal étayée s’agite, en quête de contenant et de holding. Ce profond
désaccordage est rejoué entre la petite fille de la planche et le bébé, qu’elle ne peut
même pas identifier comme tel : « La petite fille tient quelque chose dans les mains
qui à l’air d’être un paquet de vêtements ou de la nourriture ou une poupée. »
Ce désaccordage explique sans doute l’absence frappante de parents dans
ce TAT, laissant les enfants toujours seuls. Il explique également, sans doute, la
triste façon dont Annabelle plaque des issues opératoires aux conflits intra-

1. Les simples points d’interrogation ou questions entre parenthèses traduisent


respectivement un encouragement ou une question précise du clinicien lors de ces projections.
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psychiques des petits enfants : planche 1, le petit garçon « va se prendre en main


et bosser son violon et il va y arriver parce que c’est pas non plus
insurmontable ». Planche 13 : « C’est un petit garçon qui a été puni par sa
maman parce qu’il a fait une bêtise genre casser un verre et qui boude au pas de
la porte. Là sur la photo il se prend au sérieux en pensant bouder pendant des
siècles et finalement il va passer à autre chose. »
Annabelle se moque de la souffrance de ces enfants, comme on s’est
certainement moqué de la sienne. Quelle place est ici laissée aux affects de
tristesse et à leur prise en charge empathique par un adulte bienveillant et
contenant ? La mère opératoire qu’évoquent ces récits ne fait que pointer les
insuffisances des enfants et les blesser narcissiquement. Ce vécu justifierait par

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ailleurs le manque d’étayage perçu au Rorschach et la tonalité dépressive
d’Annabelle, à travers ces tests comme dans la réalité.

Tom est le fils de deux parents musiciens, qui ont, de ce fait, certainement
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été souvent amenés à donner des concerts et à partir en tournées. Il déclare avoir
commencé à faire ses devoirs tout seul dès le CP. Bien qu’aucune absence
parentale physique ne soit explicitement mentionnée par Tom au cours des
entretiens, on remarque plusieurs indices projectifs dans ce sens. Tout d’abord, au
Rorschach, Tom prête à ses personnages des intentions totalement contradictoires
(bienveillance et malveillance, joie et terreur, agression et docilité, etc.). Ces
mouvements d’alternance peuvent évoquer l’inconstance affective d’un objet
primaire clivé, tour à tour réconfortant et persécutant. Ainsi la planche VII
(planche maternelle), traitée sur un mode extrêmement dépressif, est idéalisée et
élue comme sa planche préférée à l’issue du test : « L’ensemble est joli (il rit). »
Dans cette planche, l’imago maternelle convoque des images de distance, que les
mises en forme narcissiques ne parviennent pas à occulter. La tonalité dépressive,
la recherche de contenant et le manque, émergent derrière les mots :
« mouvements aériens », « écoulement », « gestes célestes », « détail manquant »,
« forme assez étrange », « eau difforme », « encre plus sombre », « aspect
brumeux ». Tom ne peut, dans cette planche maternelle, que recourir au gel
narcissique pour ne pas risquer la perte à nouveau. Ses projections sont donc
inanimées (fontaine, statues, pont de pierres). On retrouve ces mêmes aspects au
TAT, à nouveau dans cette cinquième planche maternelle : « Alors c’est l’histoire
d’une vieille dame qui entre dans une maison et il se trouve que cette maison est
celle où elle a passé son enfance et qu’elle revisite pour la première fois depuis.
Elle est horrifiée de voir comme les choses ont changé, comme le propriétaire
actuel a osé changer tous ces détails qui dans son souvenir étaient si parfaits.
Elle a perdu tous ses repères. Et c’est là qu’entre le propriétaire qui lui offre un
thé, elle accepte mais voyant que le service à thé est celui de sa mère, service
qu’elle cherchait depuis des années et qui fit sa hantise pendant tout ce temps,
L’ADOLESCENT SURDOUÉ 755

elle s’enfuit en courant et en hurlant. » On retrouve, derrière le caractère


humoristique de ce récit, les notions de distance (du temps, et par la fuite), de
souffrance, de manque, et la perte des repères. On devine également le clivage
partiel de cet objet primaire, déplacé sur l’extérieur : l’ancien « décor » était
« parfait » et l’actuel « horrifiant ». Le manque et le clivage apparaissent par
ailleurs dans les planches non figuratives du protocole, particulièrement liées, sur
le plan latent, à cette imago. On y retrouve, planche 11, les thèmes d’« avidité »,
de « gourmandise », de « recherche » d’aventure, de « satisfaction » et de
bonheur, et planche 19, ceux de la « cupidité », de la « faim », de la « soif », tous
ces termes chargés de traduire le manque sous ses aspects tour à tour
intellectualisés et sensorio-régressifs.

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Agathe évoque un père travaillant beaucoup ; ce qui est d’une façon
générale le cas dans les familles favorisées de cet établissement scolaire. Elle
évoque aussi une mère souvent blessée narcissiquement (par ses propres parents,
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par ses collègues). Une mère qui, de ce fait, « est nerveuse, s’énerve pour un
rien ». On remarque au Rorschach, en écho avec ces déclarations, des
représentations maternelles extrêmement narcissiques (planche I : « Une femme
sur scène éclairée par des projecteurs », planche VII : « Une femme qui se
regarde dans un miroir, avec une espèce de plume sur la tête, on voit les cils, les
cheveux attachés comme si elle se préparait avant de sortir, elle a l’air assez
contente d’elle »). Le protocole d’Agathe révèle par ailleurs une position
dépressive aisément abordée et élaborée (l’issue des récits est toujours optimiste)
et pourtant, on a parfois le sentiment d’assister à de grands moments de solitude
infantile, nécessitant un appui tout aussi solitaire sur les seuls objets internes pour
s’en relever. Ainsi planche 1 du TAT : « C’est un peu comme si le petit garçon se
disait qu’il y arriverait jamais », et planche 13 : « Le petit garçon a l’impression
que ça fait des heures qu’il attend son père et qu’il n’arrivera jamais. » C’est
d’ailleurs toujours à un personnage masculin que l’enfant s’en remet. Au TAT,
Agathe évite soigneusement toute mise en relation avec cette imago maternelle.
Planche 5 (maternelle), le récit est opératoire : « C’est une femme un peu âgée,
elle est chez elle et quand elle passe dans le couloir, elle voit de la lumière qui
passe sous la porte du salon. Elle entre, elle s’aperçoit que la lampe est restée
allumée dans le salon, alors elle va l’éteindre et elle ressort. » Cette tendance au
plaquage émerge de façon significative au Rorschach autant qu’au TAT. Dans ce
premier test, on perçoit une tendance à brandir des considérations à-propos,
convenues (notamment planche X : « J’aime bien toutes les couleurs, j’aime bien
les fleurs. Au début c’est pas très joli, tout gris, tout terne et finalement ça donne
plein de diversité, de facettes, et finalement ce serait incomplet s’il manquait
certaines des feuilles ou des fleurs. »). Au TAT, Agathe solutionne également
certains conflits par le plaquage de conduites opératoires (planche 1 : « Ça n’est
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qu’un coup de fatigue et il va s’y remettre parce que finalement il aime ça et il va


y arriver, mettre toutes les chances de son côté et surmonter ses difficultés. »).

OBSERVATIONS FACTUELLES

La confrontation globale entre les problématiques défensives de


mes trois groupes d’âges indique que les adolescents surdoués consultants
vont (encore) moins bien que les enfants surdoués non-consultants. On
peut même parler d’effondrement, puisque nos trois sujets adolescents
sont déscolarisés depuis peu (ce qui n’est jamais le cas chez les plus
jeunes). Lélie, quatorze ans, présente ainsi une dépression très inquiétante

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avec troubles du comportement alimentaire et idées suicidaires ayant nécessité
son hospitalisation dans le service. Climène, quinze ans, présente une
dépression narcissique un peu moins inquiétante avec, tout de même,
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tentatives de suicide et scarifications ; elle a également nécessité une courte


hospitalisation. Éraste, quinze ans, passionné d’armes, soumis à de fortes
vocations idéologiques et n’aspirant qu’à intégrer l’armée, évoque quant à lui
une organisation limite non décompensée particulièrement glaçante…
Mon groupe d’adolescents non-consultants est moins unifié,
puisque deux d’entre eux sont déprimés et la troisième semble, pour le
moment, bien aller. On note à propos de ces deux premiers sujets, d’une
part un déni de leur souffrance, d’autre part l’émergence récente de
symptômes anxieux, qui indiquent clairement une forme de
décompensation liée aux émergences pubertaires. Annabelle, quatorze
ans, présente ainsi une authentique dépression narcissique masquée
derrière des conduites normatives très surmoïques. Pourtant, à chaque
rentrée depuis trois ans, elle appelle à l’aide les différents psychologues du
lycée afin de négocier le caractère terriblement anxiogène et paralysant du
retour en classe. Tom, quinze ans, avec son allure aussi étrange
qu’intemporelle, est lui aussi en proie à une dépression narcissique déniée,
qui l’isole pourtant beaucoup sur les plans social et affectif, au point que
ses parents, inquiets du repli et de la tristesse de leur fils, ont eux aussi
demandé conseil aux psychologues du lycée quelques mois après ma
rencontre avec lui. Agathe, enfin, du haut de ses seize ans, affiche une
organisation névrotique très bien structurée, malgré une économie
pulsionnelle singulière qui la lie de façon significative aux cinq autres.
L’ADOLESCENT SURDOUÉ 757

En attendant, que dire de ces observations au regard de notre première


question, concernant le passage de l’enfance vers l’adolescence avec un QI
supérieur à 140 ? Il m’apparaît à ce jour, sur le plan strictement factuel que :
- Lorsque l’environnement familial est pathogène (ce qui est le cas
chez nos trois adolescents consultants) et que le surdon est déjà installé
pendant l’enfance (paramètre attesté par d’autres tests chez Éraste et
largement supposé chez Lélie et Climène qui ont toujours été
d’excellentes élèves), l’avènement de la puberté occasionne une
décompensation psychique manifeste, du côté du passage à l’acte

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(manipulation des armes, troubles du comportement alimentaire,
scarifications, tentatives de suicide). Le déplacement conflictuel de la
scène intra-psychique vers l’agir, est patent.
- Lorsque l’environnement familial et socio-culturel des enfants
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surdoués est à la fois suffisamment stable et stimulant pour leur permettre


de continuer à se défendre par l’intellectualisation (groupe de non-
consultants), ils semblent parvenir à traverser une adolescence sans bruit,
bien qu’atypique : sans crise de puberté, avec maintien d’une pulsionnalité
évoquant celle de la latence. Mais si leur adaptation peut s’inscrire dans une
organisation œdipienne bien structurée, il s’agit le plus souvent d’une conduite
adaptative masquant une dépression narcissique douloureuse et isolante.
Ce qui peut, par conséquent, être affirmé, tient au fait que
l’expérience de la puberté fragilise la dynamique psychique qui a mené à
ce surinvestissement de la pensée, car cinq de nos six sujets affichent un
repli dépressif ayant eu pour conséquence, chez trois d’entre eux, une
exclusion sociale grave. Par ailleurs, même dans la meilleure des
situations, on observe que la dynamique qui sous-tend le surdon entrave
massivement leur liberté d’aimer, puisque quatre des six adolescents
disent souffrir d’isolement amical, et aucun ne se sent concerné par la vie
amoureuse, ce qui est évidemment aussi rare qu’étonnant à ces âges.

LE PARADOXE PULSIONNEL DES ADOLESCENTS SURDOUÉS

En dehors d’Agathe, les cinq adolescents de l’échantillon sont, face


à l’avènement pubertaire, au mieux déprimés, au pire effondrés dans une
symptomatologie limite très lourde. Pourtant, contre toute attente, la
758 CAROLINE GOLDMAN

traduction projective de cette fragilisation ne s’est pas révélée du côté


d’une crudité pulsionnelle. En effet, seul Éraste (le plus douloureux
d’entre tous) présente une béance dans l’établissement des digues
psychiques (béance que j’ai tenté d’objectiver à travers le manque de
dégoût, de pudeur, de morale et une crudité inappropriée dans l’expression
pulsionnelle). Il est même fascinant d’observer la dynamique pulsionnelle
qui caractérise ces protocoles adolescents. D’un côté, on assiste à un
véritable assèchement libidinal, qui détonne à cette période adolescente. Les
pulsions n’apparaissent que dans deux protocoles (Agathe et Climène), et

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dans des proportions drastiques. Elles sont véritablement fuies par ces
adolescents qui élisent immanquablement les planches II ou III du Rorschach,
dites pulsionnelles ou sexuelles, comme leur planche la moins aimée :
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Tom (planche II) : « J’ai pas vraiment aimé le visage qui tire la langue ( ?)
parce que je trouve que l’utilisation du rouge n’est pas très esthétique et ça m’évoque
moins de choses que les autres images et c’est moins agréable à regarder. »
Annabelle (planche III) : « Elle est pas assez substantielle. Éparpillée. Un
côté dégoulinant avec des choses sur les bords que j’aime pas tellement
(référence aux tâches rouges supérieures). »
Agathe (planche II) : « On a l’impression qu’ils (les deux personnages)
ont commis un crime, c’est un peu comme si on était témoin d’une scène…
comme si on était complice d’une scène de crime, qu’on essayait d’oublier, que
par peur on essayait de faire comme si ça n’avait pas existé. D’un côté on a
mauvaise conscience, et en même temps on voudrait aider, on a peur et on n’ose
pas. » On note à travers ce fantasme, pourtant vivement érotisé, la charge
surmoïque intense qu’il convoque.
On note par ailleurs une difficulté majeure à lier représentations et affects
chez quatre d’entre eux (c’est-à-dire de tous, en dehors de Tom et Agathe qui
seuls accèdent au processus de sublimation). Leurs projections, qui devraient être
menées par un écho principalement affectif avec les planches, apparaissent
souvent surfaites, plaquées, enduites sous des couches d’intellectualisation ou de
morale factices. Climène et Lélie illustrent bien à la fois cet assèchement affectif
et le vernis représentationnel qui tente parfois de l’occulter. Voici leurs récits
libres à la planche 16 (blanche)2 du TAT :
Climène : « On dirait la neige, une étendue de neige avec des traces de
pattes d’animaux comme elle est un peu sale (la planche) ça fait des traces. »
Lélie : « Cela faisait des mois qu’il était parti. Régulièrement, elle recevait
2. Cette planche révèle la manière dont le sujet structure ses objets internes et
externes et organise ses relations avec eux.
L’ADOLESCENT SURDOUÉ 759

ses lettres, il disait toujours que tout allait bien, qu’il n’y avait pas lieu de
s’inquiéter, mais au fond d’elle, elle savait que c’était faux et que cette maudite
guerre l’affectait profondément. Un matin d’août, on annonça la libération de
Paris. Ca y est, enfin elle allait le revoir. Mais malheureusement, dans sa dernière
lettre, il expliqua qu’il continuerait le combat jusqu’à Berlin. Alors elle décida
que s’il ne venait pas à elle, elle irait à lui. Elle s’engagea comme traductrice et
fut envoyée au quartier général de l’armée française. Les mois passèrent sans
qu’elle ne puisse le voir. Enfin la libération de Berlin fut annoncée et les troupes
rentrèrent chez eux. Sur le quai de la gare elle l’attendait. Soudain, elle le vit
descendre du train. Ça y est, la guerre était vraiment finie. »

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Cet ensemble constitue un étonnant paradoxe si l’on en croit
l’exceptionnelle efficacité adaptative de leurs fonctions intellectuelles ;
comment peut-on obtenir un tel QI et peiner dans l’établissement de ces
liaisons psychiques fondamentales ? Est-il possible qu’un adolescent
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capable de définir avec une extrême finesse l’utilité d’honorer une


promesse ou d’expliquer l’importance du vote à bulletin secret (items du
WISC-III), soit incapable de reconnaître la peine du sujet de la planche 3
du TAT3, et ne puisse envisager que sa fatigue ou son sommeil ?
Les pulsions agressives, elles, apparaissent dans tous les protocoles
tout aussi massivement qu’elles frappent par leur absence dans le transfert.
Ce qui signifie que les pulsions qui ne peuvent exister dans la relation,
peuvent s’exprimer sur un support matériel à penser. Ainsi Agathe
s’illustre-t-elle au WISC-III. Au subtest Compréhension, elle convoque
les mots « juger » ; « honneur » ; « qui se tient » ; « juste » ; « éviter la
malhonnêteté ». Au subtest Vocabulaire, elle ne parvient pas à définir le
mot aberrant, alors qu’elle en maîtrise parfaitement le sens et semble
irritée de ne pas y parvenir : les qualificatifs qu’elle énonce sont beaucoup
moins forts (« étonnant », « extraordinaire »...). Cette inhibition
m’apparaît clairement due à la charge d’agressivité contenue dans ce mot,
et qu’Agathe n’est pas en mesure de libérer. Lorsque je lui demande
d’illustrer l’usage de ce mot « aberrant » elle ne convoque pas n’importe
quel exemple : « Un enfant à qui on dit de faire quelque chose et dans la
minute qui suit, il fait le contraire, il fait quelque chose d’aberrant. » Sans

3. Cette planche représente, sur le plan manifeste, une personne affalée, appuyée au
pied d’une banquette.
760 CAROLINE GOLDMAN

doute Agathe a-t-elle été paralysée par l’échange verbal incontournable


qui devait avoir lieu avec moi autour de ce mot. Sans doute s’en serait-elle
mieux sortie si la définition lui avait été demandée par écrit, dans le cadre
d’un de ces exercices scolaires dont rien ne semble inhiber la réussite.
Les sujets non-consultants illustrent de façon criante la lutte qui se joue entre
l’écoute de leur vie pulsionnelle interne (incarnée par le laisser-aller vers
l’imaginaire) et leur contrôle par la pensée. Voici leurs récits à la planche 16 du TAT :
Agathe : « C’est un peintre, il avait plein d’inspiration et tout à coup
quand il arrive devant sa toile blanche, il ne sait plus par où commencer. Donc

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finalement il va choisir juste de peindre sa toile en blanc et de l’exposer telle
quelle. ( ?) Ça va un peu révolutionner la peinture car jusque-là personne n’avait
pensé à laisser juste une toile blanche. »
Annabelle : « C’est un écrivain en manque d’inspiration qui a devant lui
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une feuille blanche sur laquelle il faut qu’il écrive et qui réfléchit en voyant cette
feuille blanche et finalement après de nombreux atermoiements il se lance et écrit
sur la feuille. (Qui deviendra ?) Ça deviendra une page de son livre. »
Tom : « C’est l’histoire de toutes les histoires. Il y a tellement d’histoires
qui sont si diverses et qui racontent des morales tellement contradictoires qu’à la
fin toutes les histoires s’annulent logiquement et il ne reste rien d’autre qu’une
page blanche et il faut tout recommencer. Voilà pourquoi il ne faut pas raconter
tout ce qu’on imagine, car après c’est comme si on n’avait rien raconté du tout
et on se sera égosillé pour rien. Voilà. »

Comment expliquer cette abrasion des pulsions libidinales, cette


difficulté à lier représentations et affects, et l’impossibilité pour ces
adolescents de laisser leurs pulsions agressives émerger de façon frontale
dans la relation, alors même qu’elles bouillonnent de façon massive dans
les tests projectifs et apparaissent détournées sur les objets extérieurs ?
Annabelle dit souhaiter devenir diplomate car, dit-elle, elle
s’intéresse à tout. Elle dit également, par ailleurs, et consécutivement à ma
question sur les trois paquets de Kleenex qu’elle utilise pour se moucher à
chacun de nos rendez-vous, être « allergique » à tout. Ses protocoles
trahissent eux aussi le contre-investissement majeur de son agressivité.
Chaque planche de Rorschach accueille une réponse abstraite puis une
réponse agressive (qui la fait généralement sourire) : « un ange, un crime » ;
« les saisons, une bombe » ; « l’ascension, un boomerang », etc. Ce recours
à l’abstraction a pour fonction manifeste de contenir le retour de l’agressivité.
L’ADOLESCENT SURDOUÉ 761

Agathe qui, nous l’avons vu, revendique une relation paisible avec
sa mère (« Je ne suis pas en conflit permanent avec ma mère ») et affiche
au TAT une fidélité illimitée envers toutes les attitudes et discours adultes,
laisse pourtant émerger une agressivité certes détournée, mais débordante,
à l’attention de son imago maternelle. En voici une illustration, planche 9
GF4 du TAT : « C’est deux sœurs qui voulaient aller à la plage ensemble
mais quand elles arrivent à la plage, tout à coup, le temps devient
orageux. Et finalement pour pas être mouillées par la pluie elles repartent
chez elles en courant. ( ?) Finalement l’orage va éclater mais elle seront

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rentrées chez elles à temps et elles ne seront pas mouillées. Et en rentrant
elles trouveront autre chose à faire et elles vont bien rigoler toutes les
deux. » Ainsi l’orage, élément externe, est-il en charge d’accueillir
l’agressivité qui ne peut émerger entre les deux femmes.
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Il me semble trouver dans ce nouvel aspect, pulsionnel, une


figuration tangible de l’immobilisme qui nous interrogeait au début de ce
travail. Nous arrivons ici à cette logique de l’inconscient qui me semble
constituer une clef décisive du fonctionnement dynamique de ces sujets
surdoués. En effet, comment conflictualiser la relation à sa mère, lorsque
cette nécessité pulsionnelle se heurte à la crainte de la faire s’effondrer
(cette mère qui, dans le cas d’Agathe, se plaint d’être déjà malmenée par
sa fratrie et ses collègues) ? Nous savons combien il est difficile pour les
loyaux enfants de mères déprimées, de leur adresser les mouvements
ambivalents d’amour et de haine pourtant inhérents à leur construction
psychique. Je pense que le surinvestissement de la pensée de ces
adolescents profite de l’immense charge agressive qu’ils ont dû contre-
investir, enfants, en raison de l’impossibilité pour leur mère de la recevoir.
Cette construction étiologique justifierait parmi bien d’autres aspects qui
n’ont pu être évoqués dans le format limité de cette hypothèse, à la fois
mes sentiments contre-transférentiels et la singulière alchimie de leurs
protocoles, entre assèchement pulsionnel, pauvreté affective, défaut de
liaisons entre affects et représentations, et recours excessif à l’abstraction.

4. Le contenu manifeste de cette planche fait figurer deux jeunes femmes sur deux
plans séparés. Elle convoque, sur le plan latent, la rivalité féminine œdipienne ou, dans
une organisation psychique plus régressée, une agressivité éventuellement mortifère où
l’attaque de l’autre est susceptible d’entraîner sa disparition.
762 CAROLINE GOLDMAN

Rappelons pour conclure qu’en réussissant de façon aussi


spectaculaire tous les subtests du WISC, ces sujets surdoués révèlent un
niveau de performance touchant à tous les domaines et ne laissent par
conséquent apparaître aucune nuance dans leur intérêt cognitif pour le
monde externe. Cet investissement global et massif de la sphère
représentationnelle (dans lequel s’inscrit leur fameux air encyclopédique)
n’est selon moi pas mobilisé à des fins de plaisir, mais de défense et
constitue le moyen de parer à un manque invalidant de liaisons
psychiques. Une relation primaire carentielle avec le premier objet

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maternel, déprimé et opératoire – ou physiquement absent – en serait la
cause. Il aurait empêché la libre circulation des affects et des
représentations et occasionné, de ce fait, un repli narcissique précoce.
Ainsi, lorsqu’on ne ressent pas sur le plan affectif, met-on naturellement
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en place des alternatives pour entrer en relation avec le monde : le


surinvestissement du savoir et de la logique en est une, qui possède
l’intérêt non négligeable de manipuler des informations déchargées de
toute donnée affective. C’est bien, précisément, à une parade narcissique
menaçant de s’effondrer avec l’arrivée des émergences pubertaires, à
laquelle nous avons ici affaire.
J’emprunterai pour finir à Tom, sa « cité futuriste construite dans une
crevasse », projetée planche IX du Rorschach (planche dite maternelle
archaïque), pour métaphoriser de façon troublante les ressorts de son
exceptionnelle dynamique intellectuelle, effectivement bâtie sur une béance.

Caroline Goldman
Université ParisV-René Descartes
Institut de Psychologie
71, av. Édouard Vaillant
92100 Boulogne-Billancourt, France
carogold@wanadoo.fr

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