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La Phalange / directeur : Jean

Royère

Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France


. La Phalange / directeur : Jean Royère. 1938-06-15.

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JEAN ROYÈRE
11 * année - Nouvelle série ~
Directeur.
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GQD0Y
15 Juin 1938 N* 31 - Prix : 4 fr.
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LA PHALANGE
FRANCE - ITALIE - ESPAGNE

SOMMAIRE et TABLE
FRANCISCO FRANCO .... Discours 1

LUCIO D'AMBRA Hommage à Angiolo Silvio Novêro 14


PIERRE PASCAL Ode en l'honneur d'un héros 19
JEAN ROYÈRE Une Gloire : Valéry Larbaud 37
VALÉRY LARBAUD Denise 44
RENÉ DE OBALDIA Les Colombes 47
EDMOND KAISER Chanson inaugurale 47
ADA NEGRI Dans le Brouillard 50
A propos d'an mauvais Livre 55
Dr L. MONFRINI
Pour l'Espagne, unis dans la
....
JACINTO MIQUELARENA.
Guerre et dans la Mort 59
CAMILLE PITOLLET L'Espagne de Menendez y Pelayo. 62
GIULIO MARZOT La nouvelle Poésie italienne : Ugo
Betti 68
LORENZO LANZA Une Danse indigène de la Nouvelle
Granade 74
CAMILLE PITOLLET Il y a toujours des Pyrénées 79
MARCEL COLLET Sur un Exemplaire des Fleurs du
Mal 83
JACQUES FANEUSE Luigi Corbellini 83
JOAO MARIA FERREIRA. Franco 86
YVES BESCOU Recherche de Vérité et de Musique. 89
ANDRÉ DEVAUX Poèmes 91
JOHN ANTOINE NAU L'Ile verte 94
11' Année • Nouvalla *éri« N° 3 I - Prix : 4 fr.
15 juin I93B Étrangar : 5 fr.

LA PHALANGE
Rerua Mensuelle
paraissant le 15 de chaque mail

\JEAN ROYÈRE
~
DïRECTECRS | ARMAND G0D0Y
Direction et Administration : 35, rue Franklin — Tél. Passy si-u

Paroles du Saint Père


Tout ce qu'il y a de plus humainement humain
et de plus divinement divin, personnes, institutions
et choses sacrées, trésors inestimables et irrem-
plaçables de foi, de paix chrétienne comme de civi-
lisation et d'art, très précieux objets d'art antique,
reliques très saintes, dignité, sainteté et activité
bienfaisante de vies entièrement consacrées à la
piété, à la science, à la charité, personnages très
élevés dans la hiérarchie sacrée, évêques et prêtres,
vierges sacrées, laïques de toutes classes et condi-
tions, vénérés cheveux blancs, première fleur de la
vie, et le silence solennel et sacré des tombeaux
lui-même, tout a été assailli, ruiné, détruit de la
manière la plus vile et la plus barbare Et c'est
dans un désordre sans frein, qui n'a jamais été vu,
de forces si sauvages et cruelles qu'on se demande
si elles sont compatibles, Nous ne disons pas avec
la dignité humaine, mais avec la nature humaine
elle-même, si misérable et tombée si bas qu'on le
suppose.
Paroles du Pape Pie XI aux réfugiés tspagnols.
(Castelgandolfo, li- septembre 1936.)

ABONNEMENT ANNUEL
France 45 fr. Étranger 55 fr.
CENTRE NATIONAL DE PRET

(à renvoyer au Service des prêts, Grande Ecurie


du roi, Référence postale 1101, 78011 VERSAILLES
CEDEX)

Délai du prêt : 1 mois

PRET A DOMICILE NON AUTORISE

B.N. Offset 76-118

teiejono : ca-iao
Discours
Espagnols! Il y a un an que, près des vieilles pierres de
Salamanque, siège guerrier de mon Quartier^Général, je vous
adressais la parole à l'occasion du décret d'unification qui
fondait en une unité politique nationale les valeurs, jus-
qu'alors dissociées, de notre Mouvement.
Aujourd'hui, je viens à nouveau me mettre en contact
public avec vous, de ces terres d'Aragon qui sont la colonne
fondamentale de la Foi et de la Patrie.
Le peuple, avec la finesse de son instinct, a accueilli avec
de9 applaudissements cette mesure, comprenant ce qu'elle si-
gnifiait pour l'Espagne, qui était de conférer l'unité à ce qui
causait, chez tant d'Espagnols, une inquiétude substantielle,
dont les dérivations eussent, si on ne les eût guidées, pu se
perdre en ces dispersions individualistes auxquelles notre ca-
ractère n'est que trop porté.

LES MANOEUVRES ROUGES

La guerre n'aurait pu être gagnée que dans une Espagne


unie et disciplinée.
Devant Dieu et devant la Nation espagnole nous déci-
dâmes alors de mener à bien cette oeuvre d'unification, au mo-
ment où l'ennemi, impuissant contre la force et l'union de nos
combattants du front, ses brigades internationales mises en
déroute malgré leurs masses de tanks et l'abondance d'un ma-
tériel guerrier de toute sorte, jetait les yeux sur notre arrière
et réalisait son projet audacieux de le diviser, à la façon d'un
suprême moyen de salut.
A cet effet, il adressa ses consignes dans notre zone, libéra
de ses prisons, au prix de cette trahison, quelques-uns des cap-
tifs qu'il y tenait enfermés, avec la mission de créer une agi-
tation dans la susdite population de l'arrière.
2 LA PHALANGE

En conséquence, les efforts se multiplièrent pour que se


produisît une infiltration dans les cadres de nos organisations ;
on tenta de semer la rivalité et la division dans nos rangs ; on
distribua des ordres secrets pour y produire la lassitude et le
découragement ; on essaya de miner le prestige de nos hiérar-
chies les plus hautes par l'exploitation de petites misères, de
mesquines ambitions.

UNION POLITIQUE ÉTROITE ET FRATERNELLE


A tout cela, il y avait lieu d'opposer résolument l'union
politique, étroite et fraternelle, de la meilleure Espagne. C'est
aussi ce que nous fîmes. Et la guerre du Nord s'acheva sur
notre victoire. Et sa conséquence fut que nous pûmes jeter des
forces multiples dans la grande bataille de Téruel, puis dans
celle de l'Ebre, plus tard, dans l'avance sur le Sègré et finale-
ment, aujourd'hui, dans la bataille pour la mer.
A côté de cet intense labeur de guerre, nous avons pour-
suivi nos besognes de politique intérieure en promulgant les
statuts du Parti, en en constituant les organismes nationaux :
Conseil et Comité Politique, en fondant le Gouvernement
National et en réorganisant les pouvoirs de l'Etat, en réincor-
porant, enfin, au régime administratif commun la Biscaye, le
Guipuzcoa et la Catalogne. En matière économique, nous
avons maintenu la fixité des prix et mené à terme une éner-
gique et active campagne pour la défense de notre patrimoine
minier.
Aux paysans d'Espagne, nous avons donné les Ordon-
nances relatives au blé et au maïs et le moratoire des dettes
agricoles. Sur le domaine de la protection sociale, ont été
établies ces mesures capitales qui ont nom : pardon des loyers,
service social de la femme, service de réincoiporation au tra-
vail (en faveur des anciens combattants), constitution du
corps émérite des mutilés et charte privilégiée du travail. Dans
l'ordre de la religion catholique ont été promulguées la loi
de dérogation au mariage civil et la suspension de la loi du
LA PHALANGE 3

divorce. Sur le terrain de la culture et des lettres, nous avons


créé l'Institut. d'Espagne par la réorganisation des anciennes
Académies Royales, institué l'Ordre Impérial dés Flèches
Rouges comme suprême récompense au mérite national, de
même que nous établirons une distinction semblable en faveur
du mérite scientifique, qui sera l'Ordre d'Alphonse X le Sa-
vant, roi de Castille. Finalement, sous forme du Joug et des
Flèches, nous avons rétabli comme écusson de l'Espagne îe
symbole héraldique des Souverains Catholiques.
A l'oeuvre calomnieuse menée à bien par nos ennemis au
prix de la dilapidation, dans la presse vorace du dehors, de
millions et de millions dérobés à la Nation, nous n'avons op-
posé que la réalité matérielle de nos victoires, l'honnêteté de
notre propagande, et le climat austère et exemplaire du Gou-
vernement de l'Espagne.
Ainsi, d'un pas ferme et méprisant avec hauteur le men-,
songe, nous avons peu à peu fait la lumière, dans l'ambiance
européenne.
Nous ne nourrissons pas de sentiment d'hostilité pour
d'autres nations. Nous luttons pour notre civilisation, notre in-
dépendance et notre grandeur.

LA GUERRE EST GAGNÉE


Parlant, auparavant, de notre guerre à l'Espagne et au
Monde, je l'ai fait, toujours, avec une foi certaine en notre
triomphe. Cette foi, elle ne m'a jamais fait défaut, mais, au-
jourd'hui, ce n'est plus seulement une foi, c'est aussi la ma-
térialité de faits certains et tangibles. Nous avons gagné la
guerre et l'ennemi l'a irrémissiblement perdue. Les secours
qu'on lui donne sont vains. Ils ne servent qu'à continuer à
répandre le sang humain, sans autre résultat. Que leur im-
porte, aussi bien? Ce sang n'est que celui de mercenaires.
Nous, au contraire, la douleur qu'il nous cause est com-
préhensible, puisque c'est notre propre sang. Cela, il est bon
que le sachent les auxiliaires de nos ennemis. Ils n'aboutiront,
LA PHALANGE

de la sorte, qu'à prolonger, très peu, la guerre au prix d'un


sang qui nous est si cher. Qu'ils sachent aussi que chaque
acte par eux réalisé dans ce sens dresse un obstacle sur la voie
de nos relations futures et que la bonne volonté des gouver-
nants pour combler l'abîme ouvert pourra, demain, se briser
devant le sentiment de juste indignation des témoins, des ac-
teurs de cette guerre sacrée.
Que le sachent également, dans leur froideur égoïste, ces
<4 démocraties chrétiennes » moins « chrétiennes » que

« démocrates » — qui, infectées d'un libéralisme destructeur,
ne réussissent point à comprendre cette page sublime de la
persécution infligée à la religion en Espagne, qui, par ses
milliers de martyrs, est bien la plus glorieuse dont ait eu à
souffrir l'Eglise et qu'elles ferment une bonne fois leurs
oreilles à la stupidité, à l'infamie de Basques hérétiques.
Loin de toute abjuration, de toute apostasie, sans pro-
noncer une phrase de rancoeur, n'ayant, au contraire, sur les
lèvres que le plus généreux des pardons, sont allés à la mort,
écrivant des pages ineffables d'héroïsme et de vertu, ces saints
prélats, ces prêtres et ces 'laïques, nos frères en la foi du
Christ, qui acceptèrent sereins le plus brutal des martyres en
demandant à Dieu le pardon de leurs bourreaux.

NOTRE VÉRITÉ EN FACE DU MONDE


Nous-proclamons à la face du monde notre vérité et celui-
ci n'a pas voulu, ou n'a pas pu l'entendre, soit que notre voix
ait été étouffée par l'inhumain et féroce rugissement des
Fronts Populaires et des agents communistes, soit que l'aient
couverte ces aveugles démocrates qui, en prêtant leur secours
aux rouges d'Espagne, se laissaient moins encore guider par
un hypothétique amour pour leur cause que par une haine in-
vétérée contre notre peuple.
En face des vérités de notre guerre et de la vérité de
notre politique sociale, de notre justice sociale, ont prévalu les
menteurs appels à la démocratie et les sonneries d'alarme des
LA PHALANGE

diverses Internationales. Mais nous ne croyons pas, nous, à


l'efficacité des régimes démocratico-libéraux, ne sachant que
trop quels si graves maux ils ont causé à l'Espagne, sans que
pour autant nous imputions^ à ce régime la responsabilité —
ce serait là trop grossière injustice — des actes de banditisme
perpétrés par les criminels et les voleurs de grand chemin qui
président aux destins de l'Espagne rouge. Nous en avons
averti déjà et nous répétons aujourd'hui l'avertissement à
'l'adresse des pays démocratiques, afin qu'un jour ils n'ex-
cipent point de leur ignorance sur ce sujet. En Espagne, le
régime libéral est mort à peine né et avant l'origine même de
notre glorieux soulèvement, mort au point qu'il n'en subsistait
plus de dépouilles. L'incendie des couvents, connue, 12 heu-
res avant ce soulèvement, par le Ministère de l'Intérieur, en
est une preuve, puisque ce fait ignoble n'eut, de sa part, pour
épitaphe que l'incivile phrase qu' « aucun édifice religieux
ne valait la vie d'un républicain ». Dans l'Espagne rouge, le
régime constitutionnel, produit par une association de naïfs et
de misérables, n'a jamais été mis en pratique. Sans cesse foulé
aux pieds, il mourut définitivement le jour — matin lugubre!
— où un soi-disant Gouvernement, constitué en agent exécu-
teur des basses oeuvres maçonniques, forgea et mena à bien,
par l'action de ses séides, le vil assassinat du chef de l'oppo-
sition parlementaire, du grand patriote José Calvo-Sotelo.
Puis... Puis ce fut ce que vous savez tous, de façon si ac-
cablante qu'il vous serait impossible d'en alléguer l'ignorance.
Ce furent l'assassinat d'à peu près tous les députés de l'oppo-
sition, l'assaut donné aux domiciles privés, aux entreprises in-
dustrielles, aux magasins, aux banques : plus de 400.000 as-
sassinats commis pour la seule raison que les victimes croyaient
en Dieu et en la Patrie, assassinats presque toujours stimulés
et plus d'une fois exécutés par ces hommes même du Gouver-
nement Rouge, avec, pour organes, les Tribunaux de Salut
Public, les Tschécas officielles et particulières où furent per-
pétrés tant de barbares martyres. Ce furent aussi l'assassinat
en masse de prisonniers sans défense, la totale destruction des
6 LA PHALANGE

édifices du culte, l'abandon absolu de toute nonne juridique


et morale, de toute loi, de tout droit.
Quant à vous, ennemis de l'Espagne, qui sacrifiez encore
des vies et des efforts dans la poursuite d'une résistance dou-
blement criminelle par sa stérilité, faut-il que je vous dise —
mais vous ne le savez que trop! — que vous êtes vaincus?
Cependant, il est temps que les masses que vous tenez sous
votre tyrannie sachent que la prolongation de cette absurde ré-
sistance n'a d'autre explication que la meilleure préparation de
votre propre fuite. Mais, apprenez-le ! chaque jour qui passe,
chaque vie que vous sacrifiez, chaque crime que vous commet-
tez dressent contre vous une nouvelle accusation pour le mo-
ment où vous comparaîtrez par devant notre justice que, géné-
reux jusqu'au pardon, nous offrons à quiconque, trompé par
d'autres ou victime de ses illusions, a été entraîné à cette lutte,
mais qui restera inexorable à l'endroit de ces criminels qui dis-
sipent le sang et la vaillance de notre jeunesse sur la voie hon-
teuse de la destruction de l'Espagne.

VERS LA RECONSTITUTION DE L'ESPAGNE


Dès l'heure présente notre attention est retenue par les
jours — fébriles aussi et héroïques — de la reconstruction de
la Patrie et de la restauration de sa grandeur, qui est l'objec-
tif et la fin dernière de la guerre. A cet effet, de longues éta-
pes nous attendent où, derechef, le sacrifice mettra à l'épreuve
la trempe héroïque et le génie créateur de cette race.
L'Etat, alors, aura à aborder ces grands problèmes qui
découlent des sacrifices réalisés durant la guerre : problèmes
qui se résument dans l'oeuvre de consolidation de nos armées
de terre, de mer et de l'air, ainsi que des industries indispen-
sables à la guerre. Mais ce n'est point là tout. Il y aura aussi
et surtout la réalisation de l'immense tâche sociale, qui aura,
pour objet de fournir à nos classes moyenne et ouvrière des
conditions de vie plus humaine et plus juste. Il y aura égale-
ment à résoudre les multiplesproblèmes connexes à la question
LA PHALANGE /
de la renaissance de notre industrie. Puis ce sera i'ordonna-
trice adaptation de l'oeuvre culturelle aux besoins intellectuels,
moraux et physiques d'une jeunesse qui doit, elle aussi, être
réformée dans le sens d'une amélioration. Le problème, éco-
nomique et social, de la terre, sera abordé pour être mené à
bien. Notre marine marchande et notre flotte de pêche se-
ront restaurées. Des plans grandioses seront appliqués aux
travaux publics. La question des habitations, de leur confort,
comme tous les desiderata de l'oeuvre sanitaire nationale se-
ront menés à bien. Il faudra songer aussi à rendre attrayant
le tourisme, à fonder le statut de la presse et à tous moyens
tendant à reconquérir notre prestige mondial.

LE TRAVAIL DE L'ARRIÈRE
Pour entreprendre cette tâche immense, qui, tous, nous
rendra dignes de l'effort de ceux qui sont tombés, les plus
précieux instruments seront le travail, le talent, le sacrifice et
la vertu. Ce n'est pas dans la frivolité et le luxe que se sont
forgées la grandeur et l'unité de l'Espagne. La vie commode,
dissipée, vide d'antan n'est plus, désormais, possible. Il n'y
aura plus de place dans notre Espagne à la médisance et au
dépit de ces coteries misérables qui, dans les cercles et les grou-
pes, présidèrent au processus de notre décadence, en s'adon-
nant, grâce à l'étroitesse de leur horizon intellectuel et à l'exi-
guité de leur responsabilité, à la besogne démolisseuse et anti-
patriotique qui consistait à ternir l'honneur d'autrui et à miner
le prestige des personnalités et des institutions publiques.
J'ai, sur les épaules, le faix d'être responsable de l'avenir
de l'Espagne. Si, par le coup de victoires répétées, j'arrache
cet avenir aux mains des rouges, que personne ne pense que
je tolérerai que ces vices anciens puissent faire dévier l'avenir
de mon pays de la route tracée. Je compte, pour y aboutir, que
jusqu'aux moins doués d'intelligence comprendront aisément
que, pour réduire à la raison ces groupements de qualité na-
tionale et humaine inférieure, il me suffira d'un revers de la
LA PHALANGE

main. Qui ne serait point encore guéri de cette vieille maladie,


de ces mauvaises habitudes de critique des gens irresponsables ;
qui, aussi, a pour profession de semer des doutes, chantant en
présence des jeunes son prétendu héroïsme, ses sacrifices ima-
ginaires — en gens incapables de sacrifier ne fussent que leur
vanité, leur ambition, les louches réticences de leur tempéra-
ment rebelle — sera traité comme les pires ennemis.
Cette classe d'hommes s'emploient à alarmer le capital en
dressant devant lui le fantôme de réformes: démagogiques,
comme si ce que l'Espagne conservera après cette épreuve, elle
n'en devait pas être précisément redevable à l'effort de son hé-
roïque jeunesse. Elle n'hésite pas non plus à recourir à l'hy-
pocrite mensonge, parlant de froideur religieuse des Espa-
gnols, alors que ceux-ci, soit dans le martyre, soit dans l'hé-
roïsme, ne luttent que pour Dieu et pour la Patrie. Il en est
d'autres, enfin, qui, méconnaissant et offensant l'esprit de ser-
vice national des militaires, voudraient séparer ceux-ci de leur
communauté fraternelle avec le peuple en suscitant parmi eux
des ambitions de caste, ou encore qui s'efforcent à produire
sur le front de combat un mépris et une désaffection pour l'ar-
rière. Cet aspect particulier de la désunion me fait arrêter ici
pour vous demander : « Qui donc compose l'arrière? Ne sont-
ce point ceux qui soignent, qui opèrent les blessés"? Ceux qui
travaillent pour obtenir que fonctionnent comme il convient
les services de guerre? Ne sont-ce point les parents, les frères
et les soeurs, les enfants de ceux qui combattent, de ceux qui
meurent sur nos divers fronts, de ceux, aussi, qui, en captivité
chez les rouges, y souffrent d'indicibles souffrances et offrent
leurs vies et leurs espérances en holocauste à notre idéal?
Ne constituient-ils pas, eux tous, un autre front, silencieux,
d'abnégation, de rlavail et même d'ingratitude, pour l'appui
et le soutien de notre cause? Que, parmi eux, il y ait encore
quelques parasites, quelques êtres insensibles à la douleur, au
sacrifice d'autrui, c'est chose inévitable. Mais soyez sûrs que
leur proportion ira sans cesse en faiblissant. Tant qu'il y en
aura, leur seul salaire sera le mépris! »
LA PHALANGE

Généralement les Espagnols connaissent tous les actions


héroïques, les grandes victoires, les cités et les bourgades con-
quises, les milliers de prisonniers, l'énorme butin de guerre.
Mais ce dont il ne savent que peu, généralement aussi, c'est les
inquiétudes et les veilles qu'il a fallu subir pour doter et sou-
tenir l'armée qui réalise tout cela. Ce sont aussi les efforts qu'il
-a fallu déployer pour ordonner et soulever notre économie et
notre vie civile, parmi la complexité des difficultés et des in-
'gratitudes venues du dehors, avec les batailles de la diploma-
tie et de la finance, comme encore, .l'énorme essor qu'ont pris
nos industries militaires. J'ai dit, plus haut, Espagnols, que la
guerre a été gagnée au Nord. Mais ©lie a été gagnée égale-
ment sur notre arrière. Dans les usines et les bureaux, où le
travail et la responsabilité sont parfois accablants, à l'atelier
et au comptoir, c'est certain. Mais encore dans les édifices du
culte. Car nos efforts ne nous eussent servi de rien, si Dieu ne
nous avait pas prodigué son aide, à tous les instants et sous
une forme si évidente et tangible. Je vous affirme que, lorsque
tout cela aura été soumis à l'analyse et que, la guerre finie, il
sera loisible de connaître dans ses détails cette oeuvre, à l'ad-
miration produite par les campagnes victorieuses s'en unira une
autre, pour l'action du Gouvernement réalisée ià des heures si
difficiles de la vie nationale !

UNITÉ DE L'ESPAGNE
Dans la plus complexe des épreuves de son Histoire, l'Es-
pagne a démontré qu'étaient inépuisables ses réserves spirituel-
les et matérielles. Rien ni personne n'a pu arrêter l'Espagne
unie dans sa marche sûre vers la reconquête de son être et de
son destin.
C'est la raison pour laquelle ses ennemis séculaires ne fai-
bliront pas dans leur plan d'en détruire l'unité, comme ils l'ont
tenté après même qu'eut été promulgué le décret d'unification,
spéculant tantôt avec le nom glorieux de José-Antonio, fon-
dateur et martyr de Falange Espanola, d'autres fois rallu-
10 LA PHALANGE

mant le dépit des séparatistes basques vaincus, comme, de-


main, ils tenteront de le faire avec les Catalans en déroute,
dont nous avons eu liaison grâce à notre foi en l'Espagne. Par-
tout où l'on rencontre un mécontentement, une passion, dont
la caractéristique est l'hypocrisie, soyez sûr que c'est l'oeuvre
des adversaires de notre glorieuse Espagne! C'est là lutte dé-
sespérée de forces dispersées, contre la cuirasse de notre unité
qui, par un chemin assuré, nous mène à la grandeur, à la li-
berté de notre Nation.
Tel est le sens de notre décret d'unification, dont la di-
gnité est passée à ce jour, digne, lui aussi. Quiconque, en Es-
pagne nationale, ne ressent point l'unité, quiconque la sert tiè-
dement — ne parlons pas de ceux qui, directement ou indirec-
tement, travaillent contre elle — est serviteur de nos ennemis et
joue un rôle plus efficace que ceux de ces ennemis qui, sur les
fronts de combat, opposent noblement leurs armes aux nôtres.

RÉVOLUTION NATIONALE

Avec la décision, avec la foi inébranlables qui présidèrent


à nos tâches guerrières, nous aborderons les grandes tâches de
la paix. Telle est, ô Espagnols, notre Révolution Nationale,
que des esprits mesquins, ou routiniers, ne savent pas, ou ne
veulent pas comprendre. Mais moi, je lance ici, avec sérénité,
cette consigne de la Révolution Nationale Espagnole et j'a-
joute: « Est-ce qu'un siècle de déroutes et de décadence n'im-
pose pas une révolution? Certainement, si\ » Mais une Révo-
lution de vsens espagnol, destructrice d'un siècle d'ignominie,
importateur de doctrines qui devaient produire notre mort,
d'un siècle où, sous le couvert de la Liberté, de l'Egalité, de
la Fraternité, bref, de tous les topiques d'un pseudo-libéralis-
me, on brûlait nos églises et on détruisait notre Histoire,
quand, dans les rues de nos villes et de nos villages, une multi-
tude inconsciente et dupée criait : Vive la Liberté\ et que se
perdait un 'Empire construit par nos aïeux en des âges d'ef-
forts et d'héroïsmes. Pendant ce temps, nos intellectuels péro-
LA PHALANGE II
raient dans les salles de réunion, exhibant leur fausse science
encyclopédique alors que notre prestige mondial passait par
sa plus grave éclipse et que nos artisans méprisaient l'antique
fraternité de nos corporations et tout le trésor spirituel d'une
tradition qui les ennoblissait.
Tout cela, c'est une Révolution antiespagnole et d'origine
exotique qui l'a détruit. Et c'est une autre Révolution — au-
thentiquement espagnole, celle-ci qui recueille dans nos
glorieuses traditions tout ce qui, eu égard aux progrès des
temps, peut encore avoir une ap îication, en sauvegardant les
principes, les doctrines de nos censeurs et, implantant le tra-
ditionalisme dans les cerveaux de nos jeunes hoimtmes moder-
nes, offre au monde des preuves constantes de sa capacité
créatrice, comme, pour ne citer qu'un exemple, cette récente
et magnifique Charte du Travail. Je le redis : ces tâches de
la paix, nous les -abordons avec une foi profonde et sûre, non
avec un optimisme de commande, tapageur et bruyant, comp-
tant, certes, sur l'aide divine, mais surtout sur notre propre ac-
tion, pénétrée d'un sens religieux du devoir.
II faut substituer, au vieux concept de 1' « obligation »,
froidement transplanté dans le texte des Constitutions démo-
libérales, celui, plus exact et plus rigoureux, du « devoir »,
qui implique un service, une abnégation, un héroïsme non im-
poséspar l'impératif coercitif de la Loi, mais acceptés par la
libre et volontaire adhésion de la Conscience, parce que nos
sentiments sont imbus de pures essences spirituelles.
Les Constitutions imposaient I' « obligation » de défendre
la Patrie par les armes. A quoi nous eût bien servi ce précepte
de pure forme au cours de cette grandiose aventure, si notre
jeunesse, consciente avec moi de l'ampleur de l'entreprise
qu'il nous échéait l'honneur de réaliser, ne s'y fût pas jetée
l'âme enflammée d'esprit de sacrifice et avec cet élan que
l'on ne met pas dans l'accomplissement des règlements, mais
bien dans ces oeuvres collectives qui passent à l'Histoire avec
la marque acérée du Vrai ?
Ce sentiment du devoir doit devenir le bien commun de
12 LA PHALANGE

tous. Mais d'ores et déjà, comme exemple, comme modèle à


présenter aux nouvelles générations, est-il rien qui vaille la
conduite de nos « classes moyennes », tissu nerveux de l'or-
ganisme Patrie, qui, en silence, du milieu de sa médiocrité
économique, si elles n'ont jamais rien exigé, ont, par contre,
tout donné, spécialement à cette heure où ce qu'il fallait dé-
fendre, c'était uniquement des valeurs spirituelles !
Ce sentiment du devoir devra, cependant, être professé
de façon particulière par les hautes classes, dépositaires de la
tradition et aussi par les intellectuels dont l'âme et la pensée
sont espagnoles et sans lesquels notre Mouvement manquerait
de ses directives doctrinales, mais également par les ouvriers
auxquels la protection que leur dispense le Nouvel Etat im-
pose une compensation de discipline et de service.
Nous ne voulons pas que l'Espagne soit dominée par un
seul groupe, celui-ci ou cet autre, capitaliste ou prolératien.
L'Espagne sera pour tous les Espagnols qui l'aimeront et la
serviront dans le cadre des disciplines politiques de l'Etat. Elle
est à ceux qui font partie des générations qui en ont forgé
l'histoire et reconquis les gloires. Et, comme elle est à eux tous,
personne ne peut en prétendre l'exclusif usufruit. Ils pèchent
et errent d'égale sorte ceux qui animent, autour de notre Croi-
sade, des nostalgies restauratrices de privilèges et d'abus et
ceux qui, ne se préoccupant que de faciles applaudissements,
veulent y introduire des airs démagogiques. Je veux, à ce
propos, rappeler aux jeunesses de la Phalange Espagnole
Traditionalistes et des Juntes d'Offensive Nationale Syndica-
liste (FalangeEspanola Tradicionalista y de las /. O. N. S.},
la loyauté de tous les discours de José-Antonio Primo de Ri-
vera, bien qu'il les ait prononcés en des temps où l'opposition
à un régime d'ignominie autorisait bien des licences. Notre
Mouvement restaurera pour tous l'ordre de la Patrie et c'est
en lui et pour lui qu'il veut que tous les Espagnols soient as-
surés du pain et de la justice.
Et c'est aussi pour ces motifs, o vous tous, Espagnols,
qu'au moment de vous quitter je requiers votre concours et que
LA PHALANGE 13

je fais dépendre le succès, principalementchez vous qui luttez,


chez vous qui souffrez, de cet accomplissement de vos devoirs
envers la Patrie, avec une conscience et une âme nettes. En-
core que je ne vous connaisse pas tous, je ne vous en pressens
pas moins et c'est à tous que j'adresse mes sentiments de grati-
tude. Salut à vous, qui constituez l'Espagne triomphante, com-
battants de tranchées et aux parapets, lutteurs victorieux, sur
terre, dans les airs et sur mer, de ces dernières étapes de la
Reconquête! Mon souvenir aussi
— et, avec ce souvenir, le
vôtre, — à ceux de la dolente et captive Espagne, celle qui est
enfermée dans les geôles et les tschécas rouges et dont tant
d'infortunés sont restés à souffrir, pour la Patrie, toutes les
tortures.
AUX ETATS AMIS
Aux Etats du monde qui ont reconnu notre droit, à l'Ita-
lie et à l'Allemagne, ainsi qu'à l'Albanie, le Guatemala, le
Salvador, le Nicaragua, le Saint-Siège, le Japon, le Mand-
choukouo, la Hongrie, à ces autres aussi qui, comme le Por-
tugal fraternel, ont compris et encouragé notre Cause, nous
exprimons en ce jour solennel notre reconnaissance. A eux et
à tous, nous répétons que notre lutte signifie le salut de l'Eu-
rope et que, tout en la menant à bonne fin, nous aspirons à
vivre de longs jours de paix, d'une .paix compatible avec
l'honneur de notre nom et la dignité de notre Histoire, qui ne
saurait s'éteindre jamais, s'ils sont la ferme et inébranlable
base de l'Espagne.
Espagnols : debout l'Espagne! Vive l'Espagne!

Francisco FRANCO.
14 LÀ PHALANGE

Hommage
à Ângîolo SÎIVÎQ Novaro
En réimprimant, dans son numéro du 15 avril dernier, un
ancien article où était révélée au public de langue française
l'oeuvre poétique du chef des poètes néo-catholiques d'Italie, La
PJialange entendait en commémorer la mort de la seule façon
vraiment digne pour un poète, qui consiste à en exalter l'oeuvre.
Cette fois, nous avons la bonne fortune de présenter à ces mêmes
lecteurs un pathétique et touchant hommage au défunt, spécia-
lement écrit pour eux, un mois après la mort de Novaro, par un
de ses plus distingués collègues à YAccademia d'Italia, M. Lucio
d'Ambra. (Noie de la Rédaction.)

AU TRIGESIME DE LA MORT
D'ANGIOLO SILVIO NOVARO

Quand l'autre jour, à l'Académie d'Italie, notre nouveau Pré-


sident, dans sa commémoration d'Angiolo Silvio Novaro, fit
savoir à ses collègues que, par volonté de la veuve et sur Je désir
du regretté poète, un legs d'un million était offert à notre plus
grand centre culturel pour y fonder des bourses d'études au nom
du fils du poète, Jacopo Novaro, l'un des premiers Alpins tombés
à la Guerre, ainsi qu'un prix littéraire de poésie et de roman
lié au souvenir du chantre et du prosateur d'Impéria, à ce mo-
ment, la voix de Son Excellence Federzoni eut un bref tremble-
ment.
Cet encore jeune vétéran de nos plus hautes Assemblées, qui,
de son fauteuil présidentiel, a, tant d'années durant, mené la
double barque parlementaire, bien qu'accoutumé à toutes les
émotions, s'était ému devant le geste généreux de ce cher No-
varo se souvenant de l'Académie où il avait siégé avec tant
d'honneur et voulant qu'au delà de la mort même, son nom il-
lustre et honnête vécût dans les lettres italiennes. Et c'est sa
façon d'offrir qui, aux yeux de tous, n'en apparut que plus tou-
chante encore : secret gardé de ce geste généreux, modestie avec
laquelle le défunt laissait à sa veuve, donna Laura, mère héroïque
dans son long martyre, l'honneur de réaliser son legs et, enfin,
LA PHALANGE 15

mérite d'avoir conçu et réalisé un aussi mémorable exemple.


Car tel était bien Angiolo Silvio Novaro : une main cachant ses
charités, un coeur masquant d'un prudent sourire l'ardeur de ses
battements, une conscience repliée sur elle-même et soustrayant
à une juste et légitime admiration les plus hautes vertus d'un
père, d'un mari, d'un citoyen, d'un homme.

H aimait l'Académie. Mais plutôt que de tirer gloire de


,
lui appartenir, il considérait comme un souverain honneur de
îa servir. J'ai présente à l'esprit l'angoisse des dernières lettres
qu'il m'écrivit, où, déjà malade, il exprimait ses craintes de ne
pouvoir assister — devoir, pour lui, agréable et rigoureux — à
nos séances mensuelles sur ,1e vocabulaire. Et, dans ces séances,
*3e le revois à sa place coutumière, juste devant moi, entre Gio-
vanni Pàpini et Massimo Bontempelli, l'oeil toujours vigilant sur
ïes feuillets des épreuves de la liste de mots préparée par les
soins diligents et précieux de S. Exe. Giulio Bertoni, le crayon
prêt à marquer des points d'interrogation en face de défini-
tions, exemples ou étymologies ne satisfaisant pas son goût, ou
bien que son humanisme toujours vigilant trouvait inexacts, exi-
geant pour leur clarté des formes plus précises. Il n'arrivait ja-
mais de sa « Maison Rouge » d'Impéria, -entre des jardins et la
mer, sans avoir examiné ces paquets d'épreuves. Il venait, au
contraire, à ses -collègues le labeur achevé, les mots épluchés,
les doutes formulés, les observations précisées, les conseils pré-
parés. Et les observations de Novaro recueillaient toujours l'ap-
probation des deux groupes constituant la représentation litté-
raire de l'Académie : les artistes et les philosophes, les érudits
et les sensibilités, les mages et les savants du verbe italien.
Car c'est bien ce qu'était Novaro dans tous ses écrits : un
poète contrôlé par un critique, un instinct créateur conseillé et
freiné par la raison. Elégant, aristocratique, parfait gentleman,
la face débonnaire là laquelle la barbiche grise correctement tail-
lée et effilée donnait je ne sais quel air de condottiere du
xvï6 siècle, Novaro, vêtu avec un soin vigilant — et le vêtement
de l'âme, chez lui, était égal à celui du corps — adorait ces
séances périodiques consacrées à l'étude de notre idiome, où se
pratiquait une constante et méthodique sélection de vocables à
l'usage du langage vivant. Elles étaient pour lui à la façon d'une
caresse en même temps qu'un nettoyage des instruments du mé-
16 LA PHALANGE

tier avant leur usage. Comme, un jour, je lui disais : « Quand ta


examines les mots, ou que tu les prononces, un à un, comme dans
une caresse de ta voix, il me semble voir quelque grand pianiste,
un Liszt ou un Paderewski, qui, de ses doigts énamourés effleure
dans un frôlement des doigts le clavier où ses mains, bientôt, dé-
chaîneront, d'une touche assurée, la grandiose, l'infaillible so-
nate », il me répondit, souriant et content, qu'il aimait à entendre
louer, et c'était lia le seul honneur qu'il revendiquât, son très pur
amour de la poésie.
Car d'amour il a vécu, ce cher Novaro, de toutes les amours.
D'amour, d'abord, pour sa patrie, qu'il eut toujours à la cime de
ses pensers. D'amour, ensuite, pour ce fils qu'il adorait et dont
il supporta stoïquement l'immolation au champ d'honneur.
D'amour aussi pour la compagne qui lui fut toujours guide, lu-
mière, inspiration. D'amour encore pour sa chère Ligurie et sa
plus petite terre d'Oneglia, où sa belle demeure de poète respi-
rait à travers les fleurs, sur la mer, dans des musiques et des
parfums. Amour, également des chers et grands feuillets blancs
où sa main délicate inscrivait en caractères ornés ces vers qu'il
voulait parfaits. Amour pour l'amitié, qu'il ressentait comme un
devoir constant de solidarité et de dévouement. Amour des let-
tres, dont, un demi-siècle durant, fut faite toute sa vie. Amour,
enfin, de son oeuvre, qu'il aimait tant, au point de ne pouvoir
jamais se décider à se séparer du livre dont il ne cessait de
revoir les pages, en jardinier qui rêverait de parterres infinis
et aurait la pensée arrêtée par une brindille de gazon, de sorte
que c'étaient de nouvelles révisions, ligne par ligne, syllabe par
syllabe!
Procédant de la sorte, qu'y a-t-il d'étonnant que ses pages
n'aient pas surabondé, encore qu'en revanche elles témoignent
de l'assidue surveillance de son sens harmonieux de Ja mesure et
de l'ordre et de son toujours manifeste désir d'atteindre à la per-
fection artistique?
Généreux dans le don de son argent aux indigents, de ses
paroles de foi aux égarés, de ses conseils aux hésitants, il n'en
fut pas moins économe de mots jusqu'à la parcimonie, n'en dé-
pensant un que tout calcul fait, ayant préalablement bien sup-
puté l'équilibre des pages, de la période, du vers. Il adorait les
beaux vocables et y renoncer, avoir eu la tentation de l'épitliète
lumineuse et la rejeter, cela était, pour lui, un ineffable, un déli-
cieux tourment. C'est de là qu'est venue, à la dernière de ses com-
positions poétiques, La Madré di Gesù, cette beauté décharnée
LA PHALANGE 17

des primitifs, cette beauté réduite à son essence, où la couleur se


restreint à une tonalité de marbrure, où la musique n'est plus que
le soupir en mineur de quelques notes, où le dessin se concentre
en des traits, les plus brefs et les plus nus, d'où a disparu toute
emphase et, avec celle-ci, se sont envolées l'éloquence, la rhéto-
rique, les figures. C'est avec une suprême simplicité qu'il avait
entrepris de chanter la mère du Sauveur et il y fut merveilleux
de sobriété belle, il y apparut purifié, revenu aux éléments, tout
en paroles et sans orchestres, comme dans la mélodie grégo-
rienne. Et ce fut bien son chant du cygne, le chant du pèlerin
terrestre qui s'approche du ciel où, paré de limpide justice, il
est certainement monté de par les mérites de toute une vie.

Il laisse, à la littérature italienne, un incontestable chef-


d'oeuvre. Et c'est celui que, les premières douleurs domptées, les
premiers cris déchirants éteints, le chagrin paterne! apaisé et
rasséréné dicta à son âme qu'illuminait une lumière ultra-ter-
restre.
C'est le Fabbro armonioso, livre du fils qu'il a perdu, la dis-
parition sanglante de son Jacopo, qu'il célèbre sans larmes, au
rythme d'un coeur prisonnier de l'angoisse paternelle.
L'ayant rencontré, je lui serrai les mains comme rarement
s'étreignirent des mains d'homme, Dans notre commun silence,
nos mains, en effet, mélangeaient toute notre douloureuse fra-
ternité. Son Jacopo, mon Diego, n'avaient-ils pas, tout petits, vécu
côte 'à côte? N'étaient-ils pas devenus frères avant nous? Et main-
tenant que nous l'étions devenus aussi, il ne nous restait plus
qu'ià les pleurer! Si orgueilleux de son bel Alpin de vingt ans,
il nous l'avait, avant que la guerre le lui emportât, mandé en
notre demeure où il devait, bien que loin de la Maison Rougef
retrouver son foyer. Et c'est de là qu'un soir il partit, pour le
voyage sans retour. Et je vis, moi aussi, de mes yeux qu'agrandis-
sait l'effroi, partir l'autre jeune homme-
Mais le père de Jacopo a su, ainsi Arnaldo Mussolini pour son
Italico chéri, tirer de son coeur meurtri la virile sérénité d'un
hymne de paix et d'amour. Inoubliables chefs-d'oeuvre! Bénédic-
tion de la Poésie! Ces pages, je les place, dans notre littérature,
parmi les plus hautes, parmi les plus pures de l'esprit humain,
par la vertu poétique de ces pères-poètes qui, des tombes fermées
sur leurs petits, ont su faire surgir les fils morts pour qu'ils vécus-
18 LA PHALANGE

sent une éternelle vie dans ces pages où, sous l'encre, 011 voit le
sang qui transparaît, où, dans chaque mot, on sent l'âme qui
frémit, comme si chaque instant fugitif ressuscitait, en passant,
la paternelle tragédie.
Il avait, avant qu'il chantât soii fils, été le poète de la bonté,
frère des humbles, ami des jardins, dîs infinités marines sous les
étoiles, des solitudes pleines de mystères. Dès ses premiers livres
de jeunesse, La Rovina, Il Libro délia Pieté, L'Angelo risvegliato,
son accent propre, sa voix personnelle, une façon à lui d'entou-
rer d'un halo de lyrisme les choses les plus simples dans cette
sobriété des mots dont 'je parlais tout à l'heure, où il n'excellait
pas moins à extraire comme miraculeusement de chaque vocable
jusqu'à ses dernières possibilités .lumineuses et musicales. Ecri-
vain en prose, ce fut encore un poète. Et, en vérité, il ne fut que
cela : un poète qui regardait le monde avec une stupeur d'émer-
veillement, ià la façon d'un ,lieu de douloureux passage, où, pour
aider à masquer la mélancolie de'notre éphémère séjour, la Na-
ture nous offre sa beauté, les Arts, leur enchantement, les tout pe-
tits, leurs grâces tendres, le rêve, ses fables et sa fantaisie. Tout,
de par la magie de sa plume, s'avéra capable des ensorcelle-
ments verbaux les plus délicats. Les transfigurations spirituelles,
Jes jeux de l'imagination, l'irréalisme des mythes les plus char-
mants, le monde des apologues, la souriante ingénuité des enfants,
voilà quel était son domaine.
Aussi a-t-il donné aux enfants des récits et des fables, des
chants et des musiques, qui vont des nouvelles de sa Bottega dello
Siregone aux rimes de son délicieux et parfumé Cestello. Car ce
noble poète, un peu hors du monde, vivant à l'écart des luttes et
rivalités d'intérêt et d'ambition dans sa grande solitude toute
remplie de ce que l'homme aurait dû être et non pas de ce qu'il
est, ce noble poète, dis-je, aima surtout à parler aux enfants. De
son Jacopo tombé à 20 ans, il avait surtout joui avec intensité
de la première enfance, car, déjà, sa belle adolescence hardie
était comme un présage de séparation, sinon dans la mort, du
.moins dans la distance... Et, dans chacun de ses chants pour en-
fants, le poète croyait retrouver son Jacopo enfant. Et partout
où passait sur ses pages la pensée de son Jacopo, Angiojo Silvio
Novaro atteignait la haute poésie, s'éployait, père et poète, à tra-
vers l'infini.
*
**
L'Italie pleurait, il y a un mois, un des plus délicats, des plus
« cellinesques » ciseleurs du verbe poétique de sa poésie natio-
I*A PHALANGE J.S

nale. La maîtresse main de Novaro avt.it des habiletés parfaites,


des envols légers, d'exquises délicatesses. Sa probité était è
l'image de son âme. Et le Prix que fondera l'Académie au nom
illustre de notre inoubliable Novaro ne sera point seulement,
pour les poètes de l'Italie de demain, une récompense aux plus
purs artistes. Il sera aussi, ou devra être, l'héritage d'un des plus
nobles exemples de vie d'artiste. Une vie que la constante aspira-
tion vers la poésie maintenait de plus en plus au-dessus de la
Terre, proche du Ciel. Ses paroles lumineuses du Fabbro armo-
nioso resteront donc, comme le testament spirituel d'un chantre
que les souffrances avaient sanctifié dès ce bas monde : « De la
douleur qui nous étouffe se faire presque une aide pour respirer
plus largement, une échelle et une aile pour poursuivre noire
ascension... »
Lucio d'AMBRA.

(Traduit de l'italien par Camille PITOLLET.)

Ode en l'honneur d*um Héros


ou
Le Tombeau dm Commandeur
i
Le dernier Commandeur est mort. Le canon tonne.
Autour du soleil fuit un aigle épouvanté
Et l'ange de Roland, hors du ciel qui bourdonne,
Emporte à tire d'aile, ivre d'adversité,
Le grand corps Glorieux, et l'Ame, et le Délire
Du Commandeur gisant dont va fondre la Lyre :
Devant le sol béant pleure la Chrétienté!
Muse noire, Justice aux implacables roues,
Romaine Impératrice au front d'astres casqué,
Toi, la vive Statue et l'Aveugle des proues,
20 LA PHALANGE

Muse des Sept Vallons, sobre Félicité,


O Mère, ô vaste Gorge, Etre de qui les ailes
Font voler sous leurs coups les ruses de Cybèle,
Muse aujourd'hui funèbre à ta Postérité,

Muse Victoriale, Honneur de la Prière,


Ame du Colleone, Espoir du Siècle, à moi!
Pour vaincre ma douleur, pour sauver ma poussière,
Tu me choisis, dernier, pour attester ta Voix :
Je viens. Je suis devant tes Balances sublimes,
Ton invisible main me touche, et sur l'abîme
J'élève en ton salut cet immortel Pavois.

Palmiers muets du Monde, Arbres impondérables,


Qui recelez en vous les corbeaux du Thabor,
Brasiers que va nourrir de sa chair équitable
Prométhée allongé dans le lit de la Mort,
Arène de la Gloire où Virgile est une ombre,
Silencieux volcans, pleins d'astres en décombres,
A moi! pour égaler cette Lyre à mon sort!

A moi! le chant des Rois ensevelis dans Rome


Et le bruit du soleil! A moi, ton coeur, ton sang;
Gorgone rédemptrice, ultime Amour des hommes!
A moi, le Dieu sans face où, plus seul, je descends
Pour en sauver ton nom, Béatrice enchaînée!
A moi! Le Temps n'est plus et les larmes d'Enée
Sont moins que les cailloux poussés par VEridan!

Je viens. J'ai peur. Je vois l'ombre de Perséphone


Ravir le glaive nu qui flottait sur les eaux!
J'entends s'ouvrir la terre où l'Hadès bleu bouillonne!
Mais le rire du Juge et les cris des Fuseaux
Accablent les lauriers de cet affreux rivage...
Plus fort que tous les vifs qui m'ont légué leur âge,
J'embrasserai le mât du fraternel Vaisseau!
LA PHALANGE 21

Vaisseau du saint Sépulcre, accueille ici ma vie


Pour enchanter la proue où j'insulte à la Mort!
Vaisseau du saint Empire, Arche des Erynnies,
Puisque Pindare et Dante, unis en un seul corps,
Sont ici deux fois morts du même coup de foudre,
Pour les ressusciter. Vaisseau des dieux en poudre,
Sache de quel flambeau je vais ardre tes bords!

Le Commandeur est mort. Les nuits sont commencées


Et le canon se tait devant l'Eternité.
Demain pleure et rugit au cap de la Pensée!
A nous! Courons ouïr les ordres de l'Eté
Afin que dans la paix des âmes rédimées
Notre gorge, toujours par la Mort consumée
En vain boive aux Enfers les ondes du Léthé!

PREMIERE INSCRIPTION

Soleil, toi dont le sang, dévorant l'Univers,


Anime de la Mort l'orgueilleuse statue,
Eblouissant Miroir où Minerve se rue
Avec le bouclier qui fait rugir la mer!

Soleil de Thèbes, toi, le Pasteur du désert,


Sépulcre du Phényx en qui tombe la nue
Pour flambo3'er demain sur la Gloire abattue,
Mais la sauver encor du charnier des Enfers,

Ici l'espace écoute et le marbre s'effondre,


Tout l'or des Nombres coule et les Dieux, sans répondre,
Voient, comme un Saint, brûler l'arbre des Consulats :

Soleil, ô Commandeur des Rois et des Sibylles,


Devant la Bouche close et le Verbe inutile,
Ecoute ici, lassé d'un éternel combat,

Alexandre pleurer sur le tombeau d'Achille


22 IA PHALANGE

Eia! L'Aigle samnite est retombé de l'astre


Qui portait sa fortune et son exil divin!
Eia! Le doigt du ciel a brisé le pilastre
Où bruissait l'honneur du glaive de Janus!
Eia! devant Trièste! Eia! sur Olympie!
Sur Fiume délivrée, Adoua d'Ethiopie!
Le canon tonne, Eia! Le Commandeur n'est plus.

Eia! sur Prèmuda, sur Venise et l'Epire!


Eia! devant Pola! Eia! sur Cattaro,
Epidamme et Pharos, Epidaure et Corajre!
Le Commandeur est mort. Mort, le dernier Héros!
Et la mer fabuleuse, où fulgurail son aile
Pour les rugissement des forts et des tourelles,
Pleure depuis Otrante aux bords du Quarnero!

Mort, il est dans la mort, l'Athlète amer des armes!


Mort! Que le ciel écrase au fond des océans
L'Autel tumultueux que nourrissaient ses larmes!
Mort, l'invisible Prince et plus qu'hier présent!
Mort! L'Empire est sans voix devant l'Ombre, drapée
De l'ombre qui faisait flamboyer les épées!
Mort! Les cris d'Apollon dévastent l'Occident!

Clos les yeux qui voyaient Minerve Hyperborée


Marcher d'un pas sonore au milieu des faisceaux!
Froide la main guerrière où l'âme évaporée
Ne verra plus bouillir un sang toujours nouveau!
Muette enfin la bouche, ombreuse et désolée!
Sous l'étendard couvrant l'Histoire mutilée,
Vide le coeur du Siècle et tari le cerveau!
LA PHALANGE 23

Non! dans la nu.it des Rois! Non! dans l'aube des Musesf
Pour avoir dit guet dieu s'éveillait de vos flancs,
Glaciers du Saint-Bernard, étoiles des Abruzzes,
Il est encor vainqueur, le Commandeur gisant.
Il est encor debout sur l'espace des âges,
Celui qui, dépeuplant la fureur des nuages,
Rêvait d'y transpercer le Cygne du Printemps.
Il est dans le soleil, le blanc Poliorcète
Qui portait le Lys d'or de la Nativité,
Il est victorieux, le Chasseur de Comètes,
Hérissé des brandons de l'Immortalité!
Jusqu'aux astres volants de son ardent Calvaire,
Belle âme, âme fatale, Icare persévère
Tant, que le chant des morts détruit l'Adversité!
Egal à Bételgeuse où la Mort flambe et gronde,
Sur le plus haut sommet du virginal Ether,
L'Aigle, borgne et muet, s'est posé face au monde
Pour défier ici la Reine des Enfers,
Mais pour nous revenir, un jour, à pleines voiles,
Suivi par les terreurs d'un bataillon d'étoiles
Et ruisselant du sang des espaces déserts!
Vous donc, Alérions qui veillez sous la terre
Dardant contre le ciel vos poignards froids et nus,
Arditi, bataillons chevelus de lumière,
Pour le grand Commandeur parmi vous revenu,
Déroulez les drapeaux qui pansaient nos blessures !
Je vous le dis : « 0 Morts , par cette sépulture,
Votre labeur commence, il ne finira plus. »

III
Il est redescendu, l'Oiseleur des Victoires,
Dans le camp des lauriers où vous ne dormez pas.
Il est venu vous rendre, ô Guerriers, le Ciboire,
Son Coeur qu'il a rempli du vin de vos combats!
Par vous lui devient doux le soleil funéraire,
Plus douce que pour vous la seconde lumière
Où tu vas les serrer dans tes immenses bras,
24 LA PHALANGE

Navale Impératrice, Etendards des Pléiades,


Au milieu des rameurs et jusqu'au firmament,
Par la poudre et le fer, Cithare des Croisades!
Sirène des Héros, Arche des Eléments,
Salut, Mère des Dieux! Salut, Fille des Tombes!
Toi qui barres ta Nef, en Je riant des bombes,
Et marches sur les flots de tes Commandements !

Réveille les troupeaux de ta Suprématie,


Les lions dont la griffe écrasait les canons,
Et ce Bétail doré qui, sur la Dalmatié,
D'île en île enjambait l'Archipel Esclavon!
Et vous, dont l'écho tanne aux bords de ma Pensée,
Accourez vers cette Ombre, Ombre à jamais dressée,
Devant Venise et Fiume, ô marins Parthénons,

Croiseurs, bleus lévriers des Champs Adriatiques,


Gardiens qui précédiez les Juges du Néant,
Escadres, noirs béliers de l'écume pontique,
Phalanges de vaisseaux amoncelés en rangs,
Remontez en ce jour des profondeurs de l'onde,
Des abîmes du sel et des fosses du monde,
Couverts de gpëmons, de pieuvres et d'aimants,

Bondissez de la mer qui vous mâche et rumine,


Torpilleurs, cuirassiers des tournois forcenés,
Béants dans la forêt murmurante des mines!
Secouez, ô Vainqueurs, vos grands mâts étonnés
Pour saluer ici le flottant Mausolée,
Le Tombeau perdurable et le Charnier d'Orphée
Où l'Amour et la Mort sommeillent enchaînés!

Aï! Devant la Mer j'invoque en vain la vie!


Les flots roulent ici l'oubli des Nations
Et, du haut des grands caps, l'Ombre que j'ai suivie
Jette au gouffre des Dieux la Lyre d'Arion!
L'océan se referme, et le ciel, et la terre!
L'expiateur des Mots ici tombe en lumière :
Garde-le, Toi qui fus l'enclume de son Nom,
LA PHALANGE 25

Garde-le, Nef d'acier par son ordre échouée


Dans le chantier des ifs, dans la forge des fleurs !
Sur son étrave, en croix la Victoire est clouée,
Chair de bronze insensible au pic de la Douleur 1
Garde-le! Tes canons se taisent pour l'entendre :
Mais Lui sait mieux se taire afin de mieux attendre
Le flux de l'Avenir qui portera son coeur!

DEUXIÈME INSCRIPTION

Toi qui chantes et ris sur l'horreur d'Ilion,


Inaccessible Hélène au milieu du carnage,
Toi, le Flambeau vivant! Toi, la Destruction!
Le Cygne paternel t'enfante d'âge en âge!
-

Reviens. Tes tendres yeux bravaient les Nations.


Devant les pas vainqueurs de ton Destin sauvage
L'Amour inassouvi déchaîne ses lions :
Tu triomphes enfin de ton dernier Otage.
Il est là, dans la pourpre oibscure de ton lit,
Gisant comme il voulut mériter ta vengeance,
Muet sur le bûcher de son règne aboli!

Mais Lui, pour te prouver sa lointaine puissance.


Tel qu'il accède ici dans la paix de César
Aux portiques de l'Etre et de la Connaissance,

Il attache ton Ombre au timon de son char.

Atteins enfin la Paix Alcyon des Victimes!


1,

Les flots noirs du soleil haussent ton monument,


Et Toi, pour mieux haïr la pitié qui m'anime,
Sache quel Dieu sans nom, quel Roi du firmament,
Va nourrir de grains d'or ta 'volante nature!
Le monde est ton Eglise, il bourdonne en tes flancs.
26 Là PHALANGE

Divin, il est divin! Il embrasse VArcture!


Le sang du ciel rougit son plumage glacé,
H monte, il va franchir, méprisant ses blessures,

La Région sonnante où sont les trépassés}


Victorieux vivant des hautes hécatombes,
Il chaule! Il parle! Il vogue! Agile et transpercé,
Le nouveau Saint Esprit, le fils de la Colombe!
Il vole! Et son bec pince une palme d'éclairs,
Le Héraut d'Electra, l'Alcyon d'Outre-Tombe!

Sa fervente blancheur se mire au sein des mers,


Son aile, comme un dard dans la nuit de l'Europe,
Gravit le poudroiement des germes de l'Ether!

Il monte! Il monte encoreI Et la Mort l'enveloppe


De ses vastes filets! Il monte, l'Oiseau fort,
Pour conquérir enfin le baiser de Mérope!
Lyre céleste, 6 Ruche, inimitable Accord,
Sévère Créature et crainte Apothéose,
Messagère du Temps, Rédemption des Corps,

Si les dieux apparus, sur nos paupières closes,


Doivent semer, un jour, les pleurs d'Hypérion,
C'est toi, Source d'Honneur, c'est toi qui recomposes

Les préaux du Lycée et les murs d'Ilion!


C'est toi, superbe Essor, qui redomptes ma bouche
Quand, murmurant du mépris grave des lions,

Avec ceux dont l'index bien au coeur te retouche,


Tu fais jaillir du front de l'Eté belliqueux,
Pallas, qui du sol rouge a délivré ta souche,
Olivier planétaire, Arbre prodigieux,
Cime où gémit encor la Tmson de l'Archange,
Arche de l'Emeraude et Château fort des Preux!
LA PHALANGE 2?
Salut, Temple et Tombeau, H&stie des Phalanges,
Ciboire des Rameaax, Nid de l'Oiseau pascalr
Salut, vaste Berceau où le Futur se change

En un Dieu qui vaincra le divin Tribunal!


Dieu promis! Dieu mortel! Escaladeur des âges,
Dont le nom sur ma lèvre est un miel amical,

Roi des Rois de son Etre, harmonieux Langage


Ruisselant des parfums de la Nécessité!
Dans ton sang, fraternel, dans ton sein sans partage,

Reçois l'âme où l'Amour chantait sa cruauté,


Toi, le Juge qui fais et défais les trophées,
Ensevelis sa chair dans ta virginité!

L'Alcyon du soleil est le soleil d'Orphée.

IV

Nuit des suews du bronze et des pierres de foudre,


Nuit des Héros sans nom, sinistre nuit d'Ariel
Où les sept cordes d'or devaient crouler en poudre,
Première Nuit d'Ares, Nuit des Portes du Ciel,
Tel qu'un divin Pilote à son poste de veille,
Tu l'as donc écrasé sous tes ailes vermeilles !
Ulysse est mort. Ulysse est un songe immortel.

0 fonts de Sulmona, sources augustéennes,


Flots des peuples marchant vers le Camp du Cheval,
Eaux des mondes où but le Lion de Mécènes,
Matrices de Science, et du Bien, et du Mal,
Si vous m'avez nourri de votre sel sublime,
Du Devin souterrain, qui parle en vos abîmes,
Vous ne consolerez le silence fatal. ?
"28 LA PHALANGE

Pleurez! Aux quatre coins du Tombeau que j'honore,


Les flambeaux sont éteints, rompus les sabliers,
Et dans l'ombre des ifs l'ombre d'Eléonore
Au triomphe des morts peut maintenant crier!
L'âme, délivrant l'âme enfin récompensée,
Ressuscite Andromède au bûcher de Persée :
Un coeur victorieux va nourrir son laurier!

Que l'on élève ici le Monument sévère


De la Terre féconde et du Ciel bienveillant,
Piédestal orgueilleux de la nuit planétaire,
Socle unique et parfait des deux faces du Temps,
Bâtis sur le monceau de l'Aigle Bicéphale,
— Sanctuaire futur, Horloge féciale,
Qui demain recevront nos solennels serments!

Certes il 'n'a plus besoin du marbre ou du porphyre


Pour ravager les yeux du Vulgaire ignorant.
Son exemple est vivant dans l'arène des Lyres
Et ceux qu'il a rejoints, dans leurs tombeaux en rangs,
Mieux que du bronze vil des canons d'Hercynie
Ou des ancres d'Autriche, entourent le Génie
De l'acier non rouillé de leurs fusils brûlants!

Sous les rosiers du Feu, dévastés par son ire,


Où le Mort némcen voulut s'anéantir,
Hermès de ses bras noirs peut borner cet Empire,
Pour ne plus succomber, pour ne jamais dormir.
Devant la Maison d'Or, où leur Sibylle est morte,
Les Victoires du Siècle assemblent leurs cohortes
En l'honneur de l'Amour plus fort que le Désir.

Là brillent, près de Lui, les Dés noirs de la Nue,


Et là sont enfermés les miroirs du Printemps.
Le Commandeur commande au peuple des statues
Dans le coeur merveilleux de la Rose des Vents.
L'Aurore de son corps lui fait une couronne
Et vers le pu désert des antiques Dodone
Quatre Esclaves de pierre emportent le Roi blanc.
LA PHALANGE 29

H y va reposer ses deux paumes sans rides


Où nul dieu ne lira l'avenir du sommeil.
Là flambe, auréolé de ses plumes arides,
L'oeil du Prince inconnu dont il fut le conseil.
Là, fixant son miracle, affranchi des années,
— 0 Nuit qu'il attendait! Vaste Nuit fortunée! —
Son oeil aveugle voit l'épervier du soleil!

Gravis l'azur salé, Bellérophon des Nombres!


Le Cheval de la Mort, soulevé de plaisir,
T'emporte aux sifflements de ses ailes sans ombre!

Vole, armé de ta force et riant de mourir,


Belluaire des Mots, Podestat du Silence!
Ton dernier anathème enflamme le nadir.

Persévère, ô Guerrier de ton impatience!


Ta Chimère a nourri les sables de la mer.
Empare-toi du siècle, assouvis ta clémence!

Cingle toujours plus vite à l'assaut de l'éther,


Jusqu'à l'heure où tu vas, en l'honneur de Gorgone,
Noyer ton flambeau'noir dans la Coupe des Airs!

Rejoins, Centaure ailé, le Dieu qui te pardonne


D'avoir voulu ravir Béatrice au sommeil.
0 Mort, pour conquérir ton ultime couronne,
Monte à l'assaut du Pôle où grondent les soleils,
Et là, pour dominer le sort de Prométhée,
Rends le feu dérobé de ton coeur nôn-pareil.

N'arrête plus l'essor de cette destinée


Où la Nuit te combla de sa fécondité,
Tombe dans le zénith de l'éternelle Année!
30 LA PHALANGE

— Mère des continents, hors du Vide ameutés,


Toi qui n'as point de face, o vaste Poésie,
Règne ici dans ta force et ta calamité.

Source du Créateur, ô divine Hérésie,


Secours sur le chemin de tes heureux périls
Celui que tu vas perdre et qui t'avait choisie,

Celui que tu créas de la cendre d'Avril


Pour égorger, d'un coup sonore de son glaive,
Pégase et disperser dans les puys de l'exil

Le plumage orgueilleux et le sang dont s'enlève


D'âge en âge un Cheval toujours ressuscité!
Reçoi-le dans l'aurore où nulle mort n'est brève,

Miroir de la Douleur et de toutes Clartés,


Fabuleuse Origine, insaisissable Fée!
— Et vous, coulez, beaux pleurs, larmes de Vérité,

Dont s'enfle à cris chantants le triomphe d'Orphée!


Si la Gloire est fidèle aux enfants cTIxion,
Du laurier d'Ouranos sa tête est recoiffée!

Il est au coeur du ciel et de ses légions,


Il entre dans la paix du fameux labyrinthe
Où la Dixième Soeur attend Bellérophon!

II monte encore, il charge au sommet de ma plainte,


Renversant les autels du choc de son galop.
Là se taisent les voix qui rompent les enceintes,

Et, sous Icare en feu, le pulvérin des flots.


Entre ici dans le sein des véritables Mères,
Inouï Chevalier de la terre et des eaux!

Et l'horreur du Tombeau tranchera nos paupières.


LA PHALANGE 31

TROISIEME INSCRIPTION
Héros, toi qui, foulant les pampres de la Vie,
Sur le corps de la Terre aura dansé l'Amour,
Toi, l'Ephèbe attendu» toi, le Preneur de tours,
Dont l'exemple sera le coeur de la Patrie,
Ecoute ici la Lyre et reconnais le jour
Qui te délivrera des chaînes du Génie.
Tout passe, mais dans l'ombre une étoile bénie
Pare ton front naissant de l'immortel Retour!
D'âge en âge César trucide la Chimère
Et fait d'un sang maudit reverdir son laurier.
Les Rois l'ont désiré sous le poids de la pierre!
Mais toi, divin Esprit, sans peur et sans pitié,
foi seul fais sourdre aux cris des cordes unanimes,
Dont tu vas relever murailles et piliers,
Les larmes du Remords dans les yeux des Victimes!

V
Le voici donc plus froid que le fer de tes armes,
César! et devant Toi, couché dans le Futur,
Le Nonce des Martyrs, le Chevalier des Carmes,
Le Héraut de ton Nom, l'Ami sublime et dur!
— César! — Il est entré dans le Mépris du Monde,
Te léguant l'Air, la Terre et les portes de l'Onde
Pour mieux dormir la nuit au-delà de l'azur!
Or nous qui par nos voix, à force de leur force,
Faisons naître du ciel les Lois et les Cités,
Et de l'Arbre sacré s'ouvrir la rouge écorce
Pour l'âme délivrer de l'Immortalité,
Nous qui, dans les clairons, débondant la furie
Des Héros couronnés, rendons à leur génie
Les rostres de la Gloire et l'amère Beauté;
32 LA PHALANGE

— Toi, César, par le choeur des Cohortes célèbres,


Par les mille milliers témoins de ton Salut,
Par les moissons montant à l'assaut des ténèbres,
Par l'Afrique soumise aux droits de Romulus!
— Moi, par le Verbe clair dont nos aigles s'envolent
Aux clameurs de là Lyre et du Mont Capitole!
Souveno>ns-nous encor des matins révolus...

Souviens-Toi! Le soleil faisait chanter les pierres.


Nous écoutions les morts au fond du Palatin,
Le sourire d'Octave animait la lumière :
Il vivait! —- et la vie, aux veines de nos mains.
Animait, ô César, nos paroles sereines.
Il a vécu! — Quel Dieu va délivrer Ravenne?
Le canon tonne. Hélas! qui surgira demain?

Qui mènera Drusus aux bornes d'Hercynie?


Qui demain veillera sur la Paix de César?
Qui fera retentir les ailes du Génie
Sur l'autel de la Guerre et sur l'autel des Arts?
Qui, redomptant le feu par la flamme du Verber
Pétrifiera d'un coup de sa hache superbe
Les bourreaux de Varus et les Ides de Mars?

Qui demain brandira l'étendard du Rebelle


Des rochers du Quarto jusques à l'Aventin?
Et, brisant de ses poings les Cloches Martinelles,
Réveillera les morts sous l'Olivier Romain?
Pleure, immense Italie! Et vous, pleurez vos larmes,.
Muses de la Mémoire et de l'antique Alarme :
Mort, le Consolateur, et mort, le Paladin!

Mort, Celui qui, ployant la lyre des Machines,


Heurta de leur poitrail le soleil du Destin!
Et, criblant de son vol les profondeurs marines,
Mort, Celui qui trancha d'une indomptable main
Les cheveux de Psyché inaccessible aux hommes
Pour les jeter sur le Tombeau du Roi de Rome,
Tombe où se brisera l'ongle noir d'un Germain!
LA PHALANGE 33

VI
Non plus! les mots sont vains qui maudissent et frappent]
Non plus! L'Eternité glace le Créateur!
Non pins! Le Temps dévore, et le cep, et les grappes
Du vin noir dont la Mort va regonfler son coeur!
Mais la Mort ine triomphe en ce fier Mausolée,
L'âme de son Vainqueur ne s'est pas envolée :
Elle veille, elle attend son humain Rédempteur.
Si tu n'as rien à perdre, ô César, que la Gloire,
Devant ce noir Tombeau reconnais-toi, César l
Ecoute et souviens-toi! Prends garde à la Victoire!
Au feu qui vient ronger le mât des Etendards!
J'entends gronder dans l'aube un Pégase barbare
Qui boit le sang des dieux et, forçant le Ténare,
Piaffe d'emporter Rome au fracas de son char.
Le Vatican se tait devant cette Ombre ardente
Et le Pasteur de Pierre est plus mort que Jésus :
Le silence n'est grand qu'au sépulcre de Dante,
Le silence n'est pur que devant Marcellus,
César! Devant la Tombe où dorment enfermées
L'âme de l'Occident et la voix des Armées,
Je parlerais encor si je ne vivais plus !
Car bienheureux celui qui dépasse l'exemple
Et, pour sauver son Peuple, enchaîne la Raison!
Qui bâtit l'Arsenal sur les débris du Temple
Et de son Verbe amer fait surgir les canons!
Heureux l'Elu des Rois et l'Aède insensible
Qui, debout sur sa mort, fait de son coeur la cible
Des lances de Minerve et des traits d'Apollon!
Tel ici, reposant au seuil des javelines,
Comme Saint-Sébastien, le Commandeur volant
Aux flèches de l'Oubli découvre sa poitrine :
Le manteau de César rougit son monument,
Les tisons du Martyre attisent donc sa joie
Où, s'abreuvant des pleurs du Cygne de Savoie,
Lamente au fond du ciel l'Aigle de Coriolan.
34 LA PHALANGE

France! France! de tours hautement hérissée,


Véritablement Soeur et Fille de tes Rois,
Toi qui de mes travaux seras récompensée,
Ton anneau d'alliance étincelle à mon dcigt
Comme au doigt de ce Mort les bagues de sa Mère!
Pour la cause élever des malheurs de la terre
Et pour savoir m'attendre au plus bas de la Croix
Sur le cercueil du Mort à deux mains je dépose,
France, ton large glaive et, tel que Lui, je rends,
Pour l'heure de la Force et de l'Apothéose,
A ce Mort tout l'amour qu'il avait de ton sang!
A sa Fidélité j'égale ta colère,
O France! — Souviens-toi
— ou demain, sans crinière,
Tes lions lécheront les pieds du Juif Errant!
Non! la Terre de Reims, la Terre du Morthomme,
S'emparent de ton Ombre et, par ma voix, demain,
Vont l'entendre éveiller dans là pourpre de Rome
La Vertu sans réplique et l'Ordre qui ne craint
Que les ordres des Dieux, ô Gabriel du Piave!
Dors! car, plus bel encor que le laurier suave,
C'est du Chêne gaulois que la France te ceint!

QUATRIÈME INSCRIPTION

Diamant retombé de la Main Créatrice,


Rose du seul Espoir dont l'espoir est perdu,
Moi, le Verbe du Nom qui ne renaîtra plus,
J'élève ici mes feus sur le noir précipice.
De la Vie à la Mort, beau comme un glaive nu,
L'Eté vertigineux préside à mon supplice
D'avoir roulé du ciel dans la terre complice
Et la stérile horreur où j'étais attendu.
Q'importe! L'urne éclate et le tombeau s'entr'ouvre.
Dans les griffes des Mots innombrables, je suis
La Langue du Matin, la Bouche de la Nuit.
LA PHALANGE 36

En vain le pied d'Hermès m'écrase et me recouvre :


L'Aigle, qui vole au front de mon Destin futur,
De ses regards pour moi perce J'injuste azur,

E tla Louve me garde, et les Gémeaux du Louvre!

VII
Dors! Tu nous as conduits jusqu'aux Portes fameuses,
Maître d'Armes qui sus attendre le Tombeau
Pour nous lancer le gant de ta fureur nombreuse!
Dors! Nous allons veiller ton immortel flambeau
Et le nourrir toujours d'une substance telle
Qu'il sera le signal des seules citadelles
Et des murs où viendra supplier le Troupeau!
Redescends dans le sein de la Reine des Mondes :
Sur le tombeau mal clos de ta Félicité
Va reflamber d'un feu plus puissant que les ondes
Le brasier de ton Etre, ô Titan de l'Eté!
Et demain, hors du sol jusqu'au sein des planètes,
L'Oiseau de Taormine élèvera la tête
Et te recouvrira de ses flancs irrités!
Dors du sommeil léger des Rois et des Athlètes!
Tu vas, pour triompher de la Mort, tout armé
Renaître comme un dieu de ta brusque défaite
Dors! Le monde est sur toi qui vins le renflammer
Comme un bûcher d'encens amassé par Hercule!
Dors! La Sibylle écoute et sur le Janicule
Un grand Cheval d'airain hume l'air parfumé!
Reconnais-moi : Je viens t'offrir ma conscience.
Je suis le Nouveau Chant et-le prodigue Archer
Empenné de ses Droits! Je suis le Porte-Lance
Des Laudes! Et je viens, debout sur ton Rocher,
Renommer pour ta mort les Vierges Impériales!
Je suis le Messager de la Muse Navale!
Reconnais-moi dans l'ombre où tu vas me chercher!
36 LA PHALANGE

Git le grand Commandeur. Git le Pilier sublime


Qui dressera son Ange au-devant du matin.
Gît le Prédicateur en qui la nuit rédime
Le Bouclier de Rome et l'Erèbe africain!
Qui va répondre aux cris de la douleur des Choses?
Qui va parler? Qui chante en sa métamorphose?
Lorsque j'écoute en moi l'écho du Palatin :
Je dors. Le sommeil blanc du monde est sur ma couche,
Et la Mer, qui, jadis, a porté mon berceau,
Va demain bourdonner dans ma profonde bouche.
Sous les Monts où mon Ange a planté ce Faisceau,
Je dors. La paix du ciel est enfin mon visage,
Et qui relèvera l'étendard de mon âge
Par mes Aigles sera promu dans le Verseau.
Du paternel Eté j'ai tari la semence
Et les fils de la Terre, aux foudres de ma voix,
Crurent ouïr la voix du Créateur qui danse.
J'ai rebâti mon Siècle et, pour vivre deux fois,
Attelé mes lions au char de son Histoire.
Si je romps aujourd'hui le pain de la Victoire
Avec ceux qui demain réveilleront mes doigts,

Moi, comme un Dieu chargé des dépouilles du Monde,


Toujours contre le ciel élevant ces deux bras,
Laboureur de la Nue et Moissonneur de l'Onde,
Pour étancher la soif qui le dévorera,
Je rends à l'Héritier de ma Gloire effarée
La Haine que l'Amour aura vraiment sacrée!
Et les Muses diront : « Ce Tombeau l'engendra. »

Nuits des 1er, 2, 3 4 mars 1938-XVI.

Pierre PASCAJL.
LA PHALANGE 37

Une Gloire :
Valéry Larbaud
C'est en 1908 que je fis la connaissance de Valéry Lar-
baud. Je dirigeais, depuis deux ans, La Phalange que
j'avais fondée le 15 juillet 1906.
Dans le numéro du 15 août de l'année 1908, je fis paraître
Portrait d'Eliane à quatorze ans. La lecture du manuscrit,
un magnifique texte dactylographié, ce qui était, à cette
époque, un luxe, déposé chez moi par l'auteur, m'avait en-
thousiasmé et je ne le cachai pas à l'intéressé. Larbaud
était alors complètement inconnu et je me souviens du
coup au coeur que me donna cette lecture. Nous nous liâmes
d'une amitié que les années n'ont fait que resserrer. Les
amitiés littéraires sont les plus solides de toutes. Ah! la
douce chose! Larbaud devint un collaborateur attitré de la
revue à couverture orange. Or la même année parut, chez
Messein, Poèmes par un riche amateur, sans nom d'auteur.
C'était les poésies d'A. O. Barnabooth, dont le livre qui
porte ce nom comme titre devait, cinq ans après, rendre
Larbaud célèbre.
Il est rare que le sceau de la personnalité soit profon-
dément imprimé dans l'oeuvre d'un homme jeune. C'est
pourtant ce qui advint pour Larbaud. Dans les longues
nouvelles qu'il publiait à La Phalange \: Le Couperet... La
Grande Epoque et qu'il recueillit dans Enfantines, l'origina-
lité, la puissance étaient des qualités parlantes. La brillante
collaboration de La Phalange formait alors un public de
choix pour les débutants. Le talent de Larbaud fit l'unani-
mité parmi nous et peu de mois lui suffirent pour se tailler
une grande part dans notre peau de lion. Il y avait à La
Phalange un gros synchronisme et dans la ruche plusieurs
essaims. Des tendances divergentes ne nuisaient pas à la
revue, mais elles en affirmaient la vitalité. Tous étaient éga-
lement fervents s'ils étaient diversement passionnés. Or
Larbaud réunit les suffrages de jeunes aussi différents
qu'Apollinaire et Jules Romains, d'aînés aussi dissem-
38 LA PHALANGE

blables que Nau et André Gide. Et il en a toujours été ainsi.


iLarbaud est reçu dans tous les partis. Il est prôné par les
classicistes et le fut par les surréalistes. Un des admirateurs
les plus convaincus et les plus clairvoyants de Valéry Lar-
baud fut Ernest Raynaud, le féal de l'Ecole Romane. Il y
a là du miracle, et cette simple observation souligne consi-
dérablement l'extrême complexité du. talent de ce grand
écrivain. Or, la complexité, mes lecteurs le savent, c'est
pour moi le critérium de la vérité artistique. Le don de
complexité en art, c'est le génie.
On définira Valéry Larbaud en disant qu'il est 4in grand
littérateur.
La littérature, ce n'est pas un défaut, comme l'insinue
plaisamment Verlaine. Le devoir d'un littérateur, c'est de
faire de la littérature, et rien d'autre. Mais n'en fait pas
qui veut!
Lisez cette phrase :
« Dans ce grand abandon de toi par toi-même, invoque
la plus belle des Invisibles, ton refuge, ta consolation, ta
vie, ta douceur, ton espérance, la Mère de l'amour que
l'amour seul t'a fait connaître, celle qui devait être plus
loin de toi que Pallas ou Diane ou Aphrodite, mais en qui
l'amour t'a fait voir une femme au doux prénom, et la
Femme, et la Mère de l'Amour Universel, et l'Aphrodite
des Cieux. »
On a envie de s'écrier : « Oh! que cela est bien dit!
Approche que je t'embrasse pour avoir dit ça! » Et, en
effet, cela est bien dit, parce que cela est dit ou, si vous
préférez, écrit. La simple diction orale de cette phrase la
trahirait. Il faut y lire et y discerner les majuscules et les
minuscules des mots répétés : « Mère, amour, femme, etc. »
L'amour et l'Amour, une femme et la Femme, ce sont des
êtres différents. Cette phrase, admirablement construite,
cela est grand, mouvant, nombreux, comme la mer. Cela
est doux, profond, moelleux et voluptueux... Mais ce qui
triomphe là-dedans c'est — après l'effet de flux des répé-
titions, des énumérations — les majuscules et les noms
propres; les substantifs devenus noms propres par le près-
LA PHALANGE 39
tige des majuscules « et la Mère de l'Amour Universel, -et
l'Aphrodite des Cieux ».
Même la ponctuation de cette phrase est un élément
musiciste.
« Et je croyais que je n'aimais pas la viande! » dira un
ichtyophage, un monsieur qui pensait n'aimer que les vers.
S'il y a quelque chose de plus difficile que le vers c'est la
prose quand elle existe, ce qui est rare. Car il y a une fausse
prose, et c'est celle qui nous inonde. C'est celle aussi qui
connaît les grands succès éphémères, celle que commandent
les,éditeurs. Les vers nombreux, naïfs et sapides, quand ils
s'involutent en une prose parfaite, c'est la grande poésie,
c'est le ciel étoile. Alors le langage parvient à l'organisation
vitale. Les paroles sont des êtres et les êtres sont des pa-
roles. Mais il faut qu'en restant distinctes elles forment la
symphonie et que les vagues, que leur liberté crête d'écume,
s'avancent par sept, rythmiques, dans le vaste empire
verbal.
La prose de Valéry Larbaud, je la trouve encore plus
féconde que ses vers. Non! je ne connais rien qui me
charme comme cette prose ancienne et nouvelle, tradition-
nelle et hardie, engageante, sagace et toute traversée de
mouettes qui sont des pensées.

Je ne crains pas d'user de l'hyperbole pour la bien louer.


Larhaud me délecte et m'instruit, me remplit comme un
vers nombreux et me réjouit comme un philtre. Je me glo-
rifie de l'avoir découvert et que mon accueil ait été pour
quelque chose dans sa vocation. Certes je ne l'ai pas ins-
pirée. Il ne me doit rien de ce qu'il est. Il avait vingt-six
ans quand il vint me voir et à seize ans il avait déjà écrit
une première version de son Bamabooth! il n'y eut pas de
génie plus précocement parfait que le sien. On peut le rap-
procher, à cet égard, de David Hume qui à seize ans avait
écrit le Traité de ia Nature humaine, sans lequel nous n'au-
rions pas eu Kant. Larbaud a continué d'être Larbaud; il
s'est humanisé, simplifié, en apparence, c'est-à-dire rendu
40 LA PHALANGE

plus complexe, a passé du violet à l'ultra-violet, est devenu


plus secret, une fée, plus suave, un ami, plus vaste et puis-
sant, un Platon, mais les neuf Muses l'avaient doté à sa
naissance et Jupiter et Vénus, et sa carrière, qui est déjà
mémorable et qui deviendra légendaire, est un développe-
ment, non un progrès. C'est un des plus amples, des plus
doux, des plus hauts, des plus nombreux et parfumés et
des plus profonds écrivains de notre littérature miracu-
leuse. C'est le contemporain, dirai-je, de Villehardouin et
d'André Gide, un Froissard et un Amiel, un Montaigne et
un Stendhal, la plus mirifique, pour mon goût, la plus sé-
veuse et la plus suave des merveilles qui ont fleuri entre
Seine et Rhône. Larbaud sait être érudit et ingénu, avenant
et profond. C'est un narrateur aisé, exquis et un moraliste
de la plus rare essence, un conteur souriant et savoureux
et un philosophe qui séduit l'entendement et le confond.
C'est un théologien radieux, ravissant et docte, et, toujours
et par-dessus tout, c'est un poète, un grand, un pur, un
sensible poète, un Ariel et un Pythagore. Français, jusqu'à
îa quintessence, il semble qu'il soit de tous les temps et de
tous les pays. Aucun autre auteur ne présente pareille ubi-
quité, une si riche diversité, une érudition si raisonnable,
un entendement si sûr et une imagination si vive, tant d'en-
jouement uni à tant de profondeur, une mélancolie si azu-
réenne et les festivités d'une joie qui consent parfois à la
tristesse. Que de points de suspension dans ses rêveries!
Que d'oasis, que d'hirondelles et de colibris dans ses médi-
tations! Il ne s'évade jamais du monde et de la société des
villes et il est partout. C'est un merveilleux talisman de
pensée et de stj'le, un écrivain qui fascine et dont l'art est
une thaumaturgie.

Or, j'ai reçu, il y a trois semaines, de Valéry Larbaud


un nouveau A'olume intitulé Aux Couleurs de Rome, édité
comme la plupart des siens par Gallimard à la firme Ar. R. F.
C'est un ouvrage important de 255 pages, formé de quinze
morceaux d'inégale longueur, dont quatorze m'étaient in-
connus. Avec quel émoi en ai-je coupé les pages et comme
je me suis englouti dans cette lecture! Elle m'a donné peut-
LA PHALANGE 41

être des plaisirs encore plus complets, plus profonds et plus


rares qu'aucun des autres livres du génial et magnifique
écrivain. Et je sais que mon admiration grandira de mois
•en mois et que ce volume, qui vient me trouver dans ma
vieillesse, fournira de nouveaux épisodes à l'odyssée de mon
intellect. Je veux, avant d'en parler, en quelques phrases et
à demi-mots, en reproduire la prière d'insérer :

VALERY LARBAUD

AUX COULEURS
HE EÛME
UN VOLUME IN-16 DOUBLE COURONNE 2f fis
20 exemplaires numérotés sur pur fil 62 fr-
50 exemplaires numérotés sur alfa supérieur 42 fr*

C'est, en quelque sorte, un livre (Je voyages, puisqu'on y rencontre


tour à tour Rome, Naples et la Basilicate, Gênes et la Ligurie, l'Algérie
•du Nord, la province au coeur de la France, Birmingham, l'ouest de
l'Angleterre, Liverpool, et Paris aperçu des fenêtres du Grand Hôtel :
mais ce n'est assurément pas le carnet hâtif et criard du voyageur
désireux d'étonner le lecteur.
Ce sont divers chapitres d'un journal qu'a rédigé, à loisir, le voya-
geur revenu au pays natal : journal d'une pensée et d'une sensibilité
mises en branle par les rencontres du voyage; couleurs d'une ville
où la douceur et la splendeur du ciel ramènent l'esprit vers le sort
passager de l'homme; visage pur d'une enfant dans une petite église
-anglaise; visage malicieux d'une nonne sous la cornette; visages à
demi effacés des femmes qu'un homme a connues au cours de sa vie
et dont il recherche les traits dans un miroir, avec ses regrets, avec
:ses songes, avec ses nostalgies du coeur et des sens; passante dans un
des bas-quartiers d'une grande ville; « comiques à transformation »,
entrevus dans une gare déserte de l'Italie du sud; directeur d'une com-
pagnie de grands hôtels songeant, par un matin pluvieux de Paris,
-aux conditions de sa réussite; tout est prétexte au voyageur pour
retrouver derrière les décors et les apparences, l'humanité grave ou
souriante, douce ou misérable.
Journal discret où tout est dit sans jamais élever la voix, sans
précipitation, et où l'on peut lire, — faits avec quelles délicatesses, —
l'éloge de la lenteur et de l'inactualité : et où, pourtant, rien n'a
l'accent des redites.
Tel chapitre prolonge Beauté, mon beau souci, tel autre Amants,
heureux amants, plusieurs complètent Jaune, bleu, blanc. L'art in-
42 LA PHALANGE

saisissable de Valéry Larbaud se montre dans ce livre à la fois plus


simple encore, plus subtil et plus riche que dans les précédents ou-
vrages qui ont consacré, à travers le monde, soi renom à la fois vaste
et rare.
Les lecteurs fidèles de Valéry Larbaud retrouveront dans « Aux
Couleurs de Rome » la distinction princière d'un -auteur qui s'adresse
à ceux qui ont le sens de la méditation, et son goût d'une richesse
intellectuelle discrète et incorporée à la sensibilité même.

Cette Prière d'insérer est un véritable bijou et je crois


bien y reconnaître la marque, le style, d'un écrivain qui
est pour Valéry Larbaud beaucoup plus que je ne fus pour
Nau. L'admiration est de l'amour : elle en a la clairvoyance,
la profondeur et le tact. Aux Couleurs de Rome, qu'est-ce
sinon un microcosme, d'une richesse extraordinaire, où ceux
qui ne connaîtraient pas encore Valéry Larbaud pourraient
"découvrir et jauger presque tous ses trésors. C'est une cou-
ronne à quinze fleurons de métaux différents, également
précieux et polyvalents. Valéry Larbaud est cet enchanteur
qui a le pouvoir surprenant, miraculeux, de donner vie à
la pensée, de ne pas l'abstraire de l'humain ni des paysages,
de la présenter avec toutes ses richesses concrètes, en lui
conservant ses prestiges ardus, son éclat et ses précisions,
ses raffinements et ses ferveurs, ses vérités et ses libertés.
Comme Baudelaire — mais Baudelaire n'est Lui que dans
Les Fleurs du'Mal — Valéry Larbaud nous montre, nous
peint, nous sculpte, nous chante ce dont il comble notre
intellect et ravit notre imagination. Il nous transporte sur.
un plan mental qui n'est pas celui, strict, mutilé, arbitraire
et mort des simples concepts. Chez de tels esprits la sensi-
iDilité et l'imagination font corps avec l'intelligence. C'est
une sorte de géométrie d'âmes celle où ils nous font entrer,
infaillible comme la vie, tangible comme la chair, immuable
et mouvante comme la mer. Cet idéel est vivant. C'est la vie
humaine, c'est le langage. L'homme, pour l'artiste, n'existe
pas. Il y a des hommes, des individus, des couples; il y a
des personnes et rien d'autre, car les choses ne sont que
leur ambiance et pourtant tout y est fondamental, essentiel
et vrai comme chez Platon. C'est, portée jusqu'aux plans
les plus hauts et les plus clairs de l'humain, l'obscurité des
LA PHALANGE 43

lys, l'oeuvre de la catachrèse dans la répétition, LA POÉSIE.


Qu'on lise, relise, médite, suppute ces quinze morceaux,
on verra quelles beautés, quelles transes, quelles attirantes
tristesses et quelles joies complexes forment ce qu'on ap-
pelle le réel et le fictif et tout ce dont se compose l'enche-
vêtrement bizarre et radieux de la créature divine et de
l'habitacle humain.

Gela dit, mon Marcellus eris, ma surprise hautaine, mon


orgueil, fut de tomber soudain, en découpant les pages
de ce livre nouveau, sur un morceau — c'est maintenant un
chapitre d'un volume immortei — qui, lui, certes, m'était
connu, encore que je ne l'eusse lu que manuscrit et dont
de nombreux lettrés et amateurs d'autographes avaient éga-
lement pu prendre connaissance, en même temps que moi
ou presque, car, pour ne pas sceller prématurément dans
sa cassette ce trésor, je l'avais exposé dans la vitrine d'une
publication somptueuse, il y a sept ans, aussitôt après que
Larbaud me l'eût envoyé. Il est du 18 juin 1931 et ceux qui
possèdent la riche collection du Manuscrit Autographe ont
vu leur luire dans le fascicule juillet-août 1931 de cet im-
portant palimpseste, orgueil de MM. Auguste et Georges
Blaizot (pages 50, 51, 52, 53), fac similé de l'écriture de Va-
léry Larbaud et soussigné par lui, sous le titre :
A JEAN ROVÈRE
sur « DENISE »
ce trésor auquel je tiens tant! Nos lecteurs le connaissent,
maintenant eux aussi et, certes, Gallimard ne m'en voudra
pas de l'avoir extrait in extenso du livre qu'il vient d'éditer
pour le publier dans le numéro 31 de La Phalange dont un
admirable article de Valéry Larbaud a ouvert la 2e série.
Car il m'appartient aussi et c'est un lien bien fort qui
m'unit à mon grand ami, une gratitude que je lui ai, une
douceur dont avec ses grandes et gracieuses manières il a
voulu me parfumer une seconde fois le coeur, et c'est un
baiser pensif que je lui rends dans cette accolade.

Jean RoYÈRE.
44 LA PHALANGE

Dentée
A Jean Royère.
J'ai reçu ce matin Denise et c'est jour de fête chez moi,
comme fut jour de fête celui où Denise en personne fran-
chit avec TOUS mon seuil et vint régner, souveraine de droit
enfantin et divin, sur l'ombre lumineuse que répand dans
ma chambre le beau vitrail vert et bleu de mes étés pari-
siens.
Le cérémonial de la réception fut le même dans les deux
circonstances : une élévation. J'avais soulevé l'Enfant De-
nise pour l'installer debout sur un fauteuil, position émi-
nente d'où elle pouvait contempler son royaume et ses su-
jets : le monde enchanté des jouets et les personnages d'An-
dersen sur les étagères; et ce matin j'ai soulevé jusqu'au-
plus généreux rayon du soleil sur la Montagne Sainte-Gene-
viève le livre Denise, votre Art d'être Grand-Père, pour
mieux distinguer, sur l'épaisseur ivoirine du Japon, la pro-
cession des Strophes, et le commentaire pictural dont Jean-
Paul Dubray les a ornées, et les noms des Vôtres, et le mien
deux fois répété, en tête de vos poèmes, et la dédicace ma-
nuscrite où .vous avez résumé, le jour de vos soixante ans,
nos vingt-quatre années d'amitié.
En vérité il m'est bien agréable, mon cher ami, de pla-
cer ce volume dans ma bibliothèque à la suite de vos Eu-
rythmies, de Soeur de Narcisse nue, de Par la Lumière
peints..., de Quiétude, du recueil de 1924 de vos Poésies, et
de O Quêteuse, voici!..., et d'ajouter les joyaux dont vous
venez de parer votre Denise à ce trésor lyrique où, avant
même de vous connaître, j'avais puisé quelques-unes des
strophes du répertoire dont ma jeunesse embellissait ses
heures de solitude recherchée. Vous savez combien fidèle
a été cette admiration que vous ne deviez connaître que

(1) Chapitre extrait de Aux Couleurs de Rome qui vient de paraître


chez Gallimard à la N. R. F.
LA PHALANGE " 45

beaucoup plus tard, par un propos échappé à un de nos


amis, — et jusque-là vous aviez cru n'être pour moi, en
tout premier lieu, que le Directeur de La Phalange, ~':— et
comment le développement de votre oeuvre de poète a enri-
chi, à chaque publication, mon Anthologie idéale. Entre
temps, vous me surpreniez et m'enchantiez par l'excellence
de votre prose dans vos ouvrages sur Baudelaire et Mal-
larmé et dans les traités où vous exposez votre doctrine
esthétique.
Mais c'est, au poète que j'en ai aujourd'hui, et particu^
lièrement au poète de Denise, et j'y reviens. Je tourne et
retourne entre mes doigts ces bijoux de votre adorable
petite-fille, ces beaux colliers d'alexandrins dont plusieurs
me sont déjà familiers :
Yeux! parce qu'ils devaient nous naître un vendredi,
Le docte Anacréon célébra Cythérée,
Et moi dans le déclin de mon après-midi
Je vois leur aube bleue et leur onde éthérée!
et ceux-ci, qui me sont doublement chers d'appartenir à
une pièce qui m'est dédiée et qui fait écho à notre maître
Racan :
La stance de Piana, la strophe de Menton,
Et de l'abîme astral les syrtes écumantes
S'essayent à hombrer le galbe d'un menton
Quand notre chérubin tire la langue à Mantes.
et d'autres encore, jusqu'à ce Poème de la Vicomte, la plus
lyrique des satires, dont je ne me lasse pas d'examiner le
relief tourmenté et les belles lignes pures, -— spectacle fan-
tastique et fascinant qui me fait songer à un tableau mi-
partie de Breughel, mi-partie de Poussin.
C'est par ce grand morceau, où je retrouve tous vos
dons et tous les aspects de votre poésie nourrie de la tra-
dition de Racine, de JLa Fontaine, de Boileau, de Baude-
laire et de Mallarmé, que vous avez voulu « terminer l'iden-
tification, tentée dans ces poèmes, de l'Enfance et de la
Poésie ». Que voilà une tentative digne de vous et de l'idée
que vous avez de vôtre Art! Qu'est-ce en effet que cette
46 LA PHALANGE

identification sinon le sommet de la Lyrique, et ce « parlar


fabuloso » devant lequel Dante lui-même paraît hésiter au
seuil de la Vita Nuova? (Il devait se rattraper dans son
poème.) Et c'est aussi le thème repris, avec toute la force
d'une foi vivante, par le Poète qui a dit :
« Vous me trouverez dans les chambres d'enfants des
deux! »- par Francis Thompson, dans les vers d'amour
qu'il a écrits pour les Dames de ses pensées, toutes âgées
de moins de dix ans.
Gomme je vous envie, mais aussi comme je vous ap-
plaudis, Jean Royère, d'avoir su hausser votre chant, par
delà les thèmes de la Nature et de la Femme, jusqu'à ce
thème-Mystère que proclame au coeur de l'Europe la cathé-
drale de Milan! Maintenant avec plus de raison que jamais,
vous pourriez dire comme Verlaine :
J'étais, je suis né pour plaire aux nobles âmes,
Pour les consoler un peu d'un monde impur...
Car je substituerais volontiers au vers shakespearien sur
« l'homme qui n'a pas de musique en lui-même » une sen-
tence de cette teneur : « L'homme pour qui l'enfant n'est
pas le plus important personnage du monde... » et j'ajou-
terais qu'il vit seul vraiment heureux celui qui, jusqu'à la
fin, et même aux années caniculaires de sa vie, garde sou-
venance du Paradis des Amours Enfantines, et au-delà de
tous les assouvissements peut honorer encore dans la déesse
renversée l'inaccessible Enfant. C'est pour lui, en son nom,
à sa place, que parlent les rares Poètes de l'Enfance, et
que Francis Thompson a écrit Daisy et vous Denise.
Au revoir, mon cher ami; ne tardez pas à nous ramener
Denise.
Tous ses sujets l'attendent, et dans le Grand-Palais-de-
Carton, les dames de la Cour répètent toute la journée la
Révérence à Denise, la plus profonde, la plus compliquée, la
plus rendida, celle qui est réservée aux Poètes et aux En-
fants.
Valéry LARBAUD.
LA PHALANGE ' 47

Les Colombes
à Madeleine Renaudin.

Sur le vague émouvant de tes yeux aquatiques


Mon âme a rejeté sa pelure d'ennui
Et des pleurs ont coulé sous les cils de la nuit
Qui voyaient s'envoler des colombes mystiques.

Colombes de mon ciel, ô neiges fantastiques,


Neiges qui persistez lorsqu'un soleil s'enfuit
Et que sonne le rire énervant de minuit
Roucoulez, roucoulez, neiges énigmaliques,

Colombes que parfume une claire candeur,


Colombes sur mon coeur, colombes sur ma tombe,
Toujours des oiseaux blancs fouillent ma profondeur.

Et dans l'ombre où défaille une intime splendeur


Je donne infiniment, je donne avec douceur
Ces colombes d'azur à toi-même colombe.

René de ÔBALDIA.

Chanson inaugurale
Pour le premier jour de mon filleul, Elie.
Quels berceaux de quels enfants tristes
Dans leurs berceaux de nouveau-nés
L'onde vient-elle en rondes chastes,
En filigranes surannés,
Incanter d'une façon triste,
Nouvelle, triste, pure et vaste?
48 LA PHALANGE

Dans quels berceaux de tulle vague


De langues mains de nouveau-nés
Cherchent-elles d'un geste vague
Le sein paisible d'une femme?
Et la pluie en petites vagues,
Plus subtile que triste, n'est
Que le sang guipural et vague
De la triste et subtile Femme.

Quel hôpital où l'on est bien


A naître aux célestes faïences
Que d'invisibles braseros
Font tituber pour que s'élancent
Du bleu, du blanc où l'on est bien
A naître, à l'ombre des barreaux

Qu'à loisir exalte la pluie?


Dis, tombes-tu toute la vie,
O guipurale sang-albine?
La lune est — m'a-t-on dit— d'hermine
Et le soleil est de soleil.
Tombes-tu pour toute la vie
Chute de feuilles de la pluie?

O grise « Suite pour bébés »


Quintette ou septuor pour bois,
Quels instruments anciens s'accordent
Pour que la clarinette soit
Raison d'être aux échos à cordes
Tout doux, doucement élevés?

« Il pleut bergère » et sur le toit


« Nous n'irons plus » — sommes mésanges.
Sommes frileuses
— « plus au bois ».
J'aime la gouttière des anges
Où je fais tiède où je fais ange
Dans la guipure qui chantonne
Un feu de bulles monotones,
LA PHALANGE " 49

Indéfinissable, infini.
Quel hôpital, hostau propret
Et propre à naître où je suis né,
Quel hôpital m'apporterait
Un peu de soleil amené
.
Par le bout d'or de son grand nez
Qui frotte au beurre les corolles?

Ah! je sais que c'est bien fini,


L'ère d'une hymne qui rissolle
Entre deux bûches d'azur doux.
Petite mère qui consoles
Vois ma peau brune, aimable et bonner
Et je suis chaud et je suis doux,
Petite mère, et qui console.

Rigodondaine, il pleut fontaine,


Au bord de l'eau, petits sabots,
Frissonnent aux sons des gansons
Trois milliers de petits possons.

Et ze suis né. Et z'aime au lait


Le parfum de ton ventre tiède.
Rigodondaine, aime fontaine,
Rigodondon, passent aux sons
De cette pluie immense et vide
— Et tant zolis et tant limpides —
Trois milliers de petits posso>ns.

En quel hostau, fichtre, une fois


Ai-je porté mon \nom, première?
Et quelle est la première fois
Que j'ai tête petite mère?
En quel hostau mol et lunaire
Un jour de mai qu'il avait plu
Suis-je venu te satisfaire
En naissant quand il t'avait plu?
50 LA PHALANGE

J'aime les jardins d'hôpital


Qu'on ne traverse qu'une fois
— Pour en sortir — c'est la dernière,
Et le bruit quasi guipural
Du gravier jaune. Et la portière
Est fichtre belle quand, dernière,
On la voit la première fois.

Moi ze suis né, rigodondaine.


Il pleut, guernouille, il pleut fontaine.
Petite môman, rigodon,
Passent en gantant des gansons
Les anges dont mon coeur est pleine
Et trois mille petits possons.
Edmond KAISER.

Dans le Brouillard
Raymonde releva le coj de son manteau qui moulait son beau
corps souple aux courbes harmonieuses, enroula sa fourrure au-
tour du cou et la remonta jusqu'au bout de son nez, enfouit ses
mains dans son manchon, et en avant!-tête baissée, à travers le
brouillard.
H était si dense, si opaque, qu'on aurait pu le couper au cou-
teau. Il vous pénétrait dans la bouche et les narines, vous coupait
la respiration, donnait une sensation d'asphyxie. Rues et mai-
sons disparaissaient, dissoutes dans la masse impalpable des va-
peurs. Atmosphère de songe, mais de songe sinistre, pjein de
guets-apens.
Il fallait se frayer son chemin, tel le nageur dans l'eau, en
repoussant la puissance d'un élément. Les voitures, très rares,
avançaient doucement, au pas, ombres vagues et informes, dans
la grisaille, au bruit des grelots des chevaux. Tel un suaire épais
et doux, le brouillard bouchait toute fissure, amortissait toute
rumeur, estompait tous les visages. Et c'était de cela surtout
que se réjouissait Raymonde. Elle marchait tranquillement, con-
LA PHALANGE 51

naissant si bien le parcours journalier de son bureau ehez elle


que ses pieds l'auraient conduite sans le secours des yeux. Le
côté droit de son visage était horriblement cicatrisé. À dix ans,
une chute sur les braises ardentes du foyer l'avait mise en cet
état. Par une ironie du sort, son corps, en grandissant, était
devenu svelte et très beau; de tempérament ardent, l'âme claire,
d'une sensibilité vive, elle paraissait créée certainement pour «ne
destinée d'amour si l'atroce masque ridé et violacé, tordant aussi
la bouche en une grimace grotesque lorsqu'elle riait, ne l'avait
enlaidie irrémédiablement.
Devant sa gaîté apparente, d'une exubérance parfois exces-
sive, parents et amis pensaient : « C'est une chance qu'elle soit
indifférente à sa disgrâce. Le monstre ne voit pas sa propre
monstruosité ».
Ils se trompaient. Sauf peut-être sa mère, >à qui le sens ma-
ternel donnait un regard plus pénétrant; mais, créature faible
et effacée, touchant à son déclin, eUe tentait de s'illusionner et
d'endormir en elle la honte, la douleur et le remords.
Or, voici quelle était la vérité : en dehors des heures d'oubli
du sommeil, Raymonde ne passait pas une seule minute de sa
vie, marchant, parlant, riant, pendant les plus sérieuses comme
les plus simples occupations, seule ou en compagnie, sans qu'elle
se vît dans l'inexorabilité de sa laideur, avec ces terribles yeux
« intérieurs » qui ne trompent jamais.
C'est pourquoi elle n'avait placé aucun miroir dans sa
chambre. Et c'est pour cette raison aussi qu'elle portait des cha-
peaux de feutré ou de paille d'une extrême simplicité, qu'on
peut poser à la diable, sans épingles; elle y ajoutait de larges
et épaisses voilettes à ramages qui, malheureusement, ne réus-
sissaient pas à cacher complètement les cicatrices de la brûlure.
Parfois, en pleine nuit, l'angoisse d'un cauchemar l'éveillait
en sursaut, haletante; dans les ténèbres, elle écarquillait les yeux
encore pleins de sommeil, et, tout à coup, dans l'implacable
mémoire des sens, s'ébauchait la vision de son visage; elle pen-
sait alors en tremblant que l'ombre s'évanouirait avec la nuit,
que la lumière reviendrait et, avec elle, les regards apitoyés,
ironiques, étonnés ou fuyants devant sa difformité.
Il y a des tragédies qui accablent un être en pleine beauté,
en plein bonheur, en pleine activité; elles le harcèlent, l'em-
portent dans leur tourbillon destructeur pour le laisser à terre,
inerte, telle une loque, mais rendu à lui-même. Peu à peu, il
reprend connaissance, se retrouve intact, se remet à vivre, à -se
52 LA PHALANGE

réjouir de ses forces, à goûter là nouveau l'énergie et l'espérance,,


comme si rien n'était arrivé. Maïs il y a aussi la tragédie muette,
sourde, constante, fixe, qui a l'inexorabilité d'un cancer. Aucune
fuite n'est alors possible.
Raymonde vivait en cet état. Elle ne laissait rien paraître
cependant à son entourage, sauf ce qu'il était impossible de ca-
cher : les marques de son visage.
Elle se sentait isolée. Entre son fluide et celui des autres se
dressait une défense. Cette interdiction la déshonorait comme
une condamnation. De douze 'à seize ans, à l'école technique, elle
n'avait entendu chuchoter que d'amour parmi ses compagnes.
On eût dit qu'en toutes ces fillettes, destinées à gagner leur vie
dans l'odeur moisie des magasins, ou dans l'odeur d'encre des
bureaux, en foutes ces adolescentes graciles et acides comme des
fruits verts, ne germait que le désir de l'amour. Arithmétique,
dessin, physique, grammaire, ne semblaient en réalité qu'autant
de prétextes inventés par ,1a dure existence et par la volonté des
parents pour tromper, pour étouffer l'instinct atavique encore
en bouton de ces futures petites femmes qui déjà donnaient fur-
tivement un nom et un corps à leur besoin d'aimer et de se sentir
aimées.
Plus tard, au laboratoire photographique où Raymonde était
entrée comme dactylo, elje n'avait vu autour d'elle, parmi ses
compagnons de travail, que l'amour, les illusions de l'amour, les
mensonges de l'amour. Les employées, élégantes dans leurs robes
à la dernière mode coupées dans des coupons 'à trente sous le
mètre, avec leurs tresses serrées autour des tempes, leurs talons
très hauts, les cils et les paupières outrageusement bistrés, co-
quettaient, nerveuses, avec les jeunes gens du bureau, et, le soir,
elles retrouvaient là la porte l'ami prêt 'à les accompagner. Les
différents courants se heurtaient, faisant jaillir des étincelles et
créant autour de Raymonde une atmosphère magnétique irres-
pirable. Sa "jeunesse, à elle, devait se passer en dehors de ces vi-
brations de joie. Pour elle, la loi naturelle de l'existence ne pou-
vait pas subsister. Elle le savait. Et elle semblait s'y être rési-
gnée. Mais, au fond de son être, humiliation, désir insatisfait,
rancoeur, se tordaient comme un noeud de serpents.
Elle en était arrivée à désirer d'être aveugle, comme si sa
propre cécité eût pu la cacher, semblable en cela 'à l'enfant qui,
se cachant la figure de son bras levé, croit être devenu invisible
à sa mère. Elle était parvenue là ne se trouver bien qu'à l'ombre,
et elle aurait toujours voulu se mouvoir dans la brume épaisse
LA PHALANGE 58

qui l'enveloppait en ce soir de novembre, lui donnant une im-


pression profonde et inattendue d'agilité, de liberté, de sécurité.
Un bec de gaz, d'un rouge sombre de plaie, perçant l'atmos-
phère brumeuse, lui indiquait le coin où la rue Solferino débou-
chait dans la rue Pontacio. Elle glissait en rasant les murs, em-
mitouflée et heureuse, lorsqu'une voix masculine murmura der-
rière elle : « Signorina... »
Elle ne se retourna pas et continua son chemin, le coeur bat-
tant. Personne, personne, jusqu'à ce moment, ne l'avait suivie
dans ses courses.
— Signorina...
L'homme la suivait vraiment, accordant son pas au sien, mur-
murant d'autres mots, incohérents et doux. Raymonde les en-
tendait pour la première et, peut-être, l'unique fois de sa vie; la
voix mâle était chaude et veloutée, de celles qui agissent immé-
diatement sur les sens.
D'un très rapide coup d'oeil, se retournant à peine, elle avait
aperçu la haute silhouette d'un jeune homme, estompée par le
brouillard qui enveloppait aussi les lignes du visage. Cet inconnu
ne l'aurait certainement jamais regardée de face ou bien il n'au-
rait pu retenir un frisson de dégoût devant son demi-masque
difforme. Mais il y avait l'épaisse voilette, le brouillard opaque,
cette heure ambiguë, où elle aussi pouvait paraître belle aux
yeux d'un homme, heure qui, peut-être, ne reviendrait jamais
plus!...
Elle se tut, le laissa parler, laissa l'inconnu s'approcher tout
près d'elle, jusqu'à souffler dans son cou la fumée parfumée
de sa cigarette.
— Signorina... Comment vous appelez-vous? Ne courez pas
si vile! Dites-moi votre nom, dites-moi votre joli petit nom, Si-
gnorina !
Aucune réponse, mais un acquiescement plein de trouble
dans le silence même, dans le pas un peu ralenti, dans le geste
de lever le manchon jusqu'à cacher le menton et la bouche. Le
brouillard les réunissait et les séparait à la fois. D'autres ombres
fantastiques passaient, fantômes noirs apparaissant dans la zone
éclairée par les réverbères, aussitôt absorbées par l'élément gris.
Milan était un immense vaisseau naufragé, où Raymonde endu-
rait une agonie très douce : elle était, enfin, remarquée par un
homme; elle était une femme, enfin, frissonnante d'un bonheur
muet, avec la seule crainte que l'heure de l'enchantement ne
s'achevât.
S4 LA PHALANGE

Cours Garibaldi, quand elle comprit que cent pas à peine la


séparaient de chez elle, elle s'attarda en un moment de perplexité
et s'appuya au mur, toujours en silence. L'inconnu vit une invi-
tation dans ce geste craintif. Il attira la jeune fille & lui par le
bras, chercha avidement sa bouche sans la voir et la baisa à
travers la voilette. A son immense émerveillement, le baiser lui
fut rendu.
Oui, elle était une voleuse d'amour; elle le savait et jouissait
de l'être; sa vie tout entière de femme était enclose en ce bref'
instant; elle accumulait en cette minute rêves, désirs, frissons,
caresses, élans, volupté des sensations, toute la partie occulte
d'elle-même qui, a la lumière impitoyable du soleil, n'avait pas le
droit d'exister.
Lorsque les lèvres avides se détachèrent lentement et que l'in-
terminable baiser prit fin, l'homme stupéfait, enivré, aveuglé,
demeuré abasourdi sur le trottoir, sentit la jeune fille lui glisser
des bras avec l'agilité d'un lézard et disparaître dans l'ombre.
Il ne tenta pas de la suivre. A un mètre de distance, on ne
pouvait reconnaître personne. La masse flottante des vapeurs
s'épaississait encore, devenant presque solide, mettant un ban-
deau sur les yeux, un bâillon sur la bouche.
Ayant retrouvé la porte de sa maison par la force de l'habi-
tude, gravi, tête basse, un humide escalier en colimaçon envahis
lui aussi, par le brouillard, Raymonde sonna à une modeste pe-
tite porte brune. A sa mère qui, inquiète et empressée, lui ouvrit,
elle ne murmura qu'un bonsoir distrait. Puis, d'une voix rauque,
elle dit : « Je ne mange pas ce soir. J'ai mal à la tête; je veux
me reposer; ne t'inquiète pas... » Et elle se glissa dans sa cham-
bre où elle s'enferma.
Au lit, dans l'obscurité, les bras croisés sur sa poitrine, ses
beaux yeux grands ouverts dans les ténèbres, frissonnant encore
en tout son corps sous la caresse de la voix mâle et sensuelle, re-
trouvant sur sa bouche la saveur de l'unique baiser, elle se pelo-
tonna, tressaillit, se tordit, pria Dieu qu'il n'effaçât jamais cette
heure-là de sa mémoire, rit et pleura.

Ada NEGRI.
(Traduction de Jeanne Tisseau.)
LA PHALANGE 55

 propo& dfun mauvais Livre


La huppe est un oiseau de petite réputation. On lui attribue
la malséante habitude de polluer de ses déjections le nid fami-
lial. Un auteur qui, vraisemblablement, abrite derrière, les ini-
tiales C. M. R. sa personnalité d'Italien aigri et revendicateur,
imitant le volatile mal famé, publie à Paris, en terre étrangère,
ce qu'il appelle une Histoire du Fascisme Italien.
Je ne parlerais pas de cette oeuvre venger-esse si, par mau-
vaise fortune, un journal vaudois fort estimable ne lui avait fait
une publicité malencontreuse, en permettant, par insouciance,
§e veux le croire, qu'un de ses collaborateurs en donne une ana-
lyse dans ses colonnes.
Dans un article récent, j'ai vitupéré la malfaisance des mots
et j'ai signalé les dangers que peuvent représenter pour chacun
et pour nous Suisses tout particulièrement, les idées préconçues
exprimées par des phrases -de confection ayant cours et faveur
un peu partout.
Le journal vaudois dont je viens de parler me paraît appor-
ter un bon argument à ma thèse. Il existe en effet, à mon sens,
une contradiction nette entre la politique interne de cet organe
et l'attitude qu'en apparence du moins, il prend dans cette occa-
sion alors qu'il s'agit de politique étrangère.
Toujours les « mots ». Nous sommes en démocratie et nous
tenons à y demeurer; c'est chose certaine. Est-ce là une raison
suffisante pour accueillir avec faveur dés attaques partisanes qui
tendent à discréditer dans l'opinion publique le régime qui a
sauvé de l'abîme un pays ami?
Le canton de Vaud est un petit pays fermement et sagement
administré. Son gouvernement est probe, honnête, foncièrement
dévoué au bien public. Il est clairvoyant et réaliste. Il ne se paie
pas de mots quand il envisage les rapports nécessaires et logiques
qui doivent exister entre gouvernants et gouvernés.
Je suis d'autant plus !à mon aise pour lui rendre hommage
que je ne fais pas de politique militante et que je ne suis pas un
prébendier. J'ai passé l'âge où je pourrais en devenir un.
Je dois, hélas! constater une fois de plus que les mots ont
jusque dans les milieux les plus sérieux et les plus respectables,
émoussé le sens critique et obnubilé quelque peu le jugement.
La preuve m'en est fournie par ce fait que l'article qui ne m'a
56 LA PHALANGE

pas fait plaisir a paru précisément dans le journal qui est l'or-
gane de ce gouvernement d'ordre et de saine administration
dont je viens de faire l'éloge. Il semblerait en vérité que lors-
qu'on dit, d'un côté, démocratie et de l'autre, fascisme, on ait
tout dit et tout résolu.
Nous sommes ici assoiffés de liberté individuelle et nous
n'avons pas tort puisque c'est là un luxe à la portée de nos
moyens.
Que le redressement lendu nécessaire par les saturnales des
foules italiennes dévoyées et démoralisées ne se soit pas opéré
sans léser certains intérêts particuliers, de nature idéologique ou
autre, 'je suis le premier à l'admettre; qu'une certaine liberté in-
dividuelle ait dû être, pour le salut de toute une nation, mise
en veilleuse, je suis le dernier à le contester.
Dans notre pays vaudois, Dieu merci ! nous n'avons pas connu
le fatal dilemme : Périr ou nous résoudre à limiter, fût-ce par
la force, cette liberté individuelle qui nous est si chère. Le fait
que l'ordre a toujours régné chez nous doit nous rendre fort
circonspects quand il s'agit d'offrir une tribune à des gens qui
condamnent avec suffisance et légèreté, sans être capables d'aller
au fond des choses, la médication héroïque que Benito Mussolini
s'est vu contraint d'appliquer au peuple italien en décomposition
morale et matérielle.
Le problème est toujours le même. Depuis trop longtemps nos
oreilles sont remplies des mêmes mots, qui autrefois avaient un
sens, qui aujourd'hui l'ont perdu — ces mots auxquels chacun
prétend attribuer une signification personnelle, au gré de son
ignorance ou de sa mystique.
Nous ne devons pas arriver à ce paradoxe. Nous aurions le
bonheur de vivre dans l'ordre, dans le respect. Nos dirigeants
auraient eu le mérite de conduire ce pays en pères de famille.
Nous n'aurions connu ni les angoisses ni les turpitudes dans
lesquelles d'autres pays se sont débattus par la grâce de la liberté
individuelle muée peu à peu en une criminelle et effrénée licence.
Et nous pourrions, par asservissement aux mots, nous laisser aller
à juger avec ironie, avec irrespect, l'effort titanique d'un grand
homme qui a su donner à son peuple égaré une conscience et
une foi?
Nous n'avons pas le droit d'agir avec une telle légèreté. Re-
mercions le Ciel de ce qu'il a épargné à nos rues certains spec-
tacles mais n'ayons pas la plus minime complaisance pour les
gens qui, après avoir acheminé une grande nation vers la catas-
LA PHALANGE 57

irophe reprochent à ceux qui ont été soumis à la loi de fer


d'avoir dû mettre une sourdine à l'expression de cette liberté
individuelle que nous apprécions tant, alors qu'il ne nous a rien
coûté pour la conserver.
L'objectivité la plus élémentaire exige qu'avant de soumettre
au jugement du public l'Homme et son oeuvre, on prenne la peine
d'y aller voir. Elle exige, de nous Suisses surtout, que nous pre-
nions la peine d'ouvrir les yeux, chez nous. EUe demande de
nous un petit effort de mémoire.
Il nous suffira de nous souvenir des changements qui sont
survenus dans la mentalité de la colonie italienne résidant dans
notre pays, depuis l'avènement du Fascisme.
Il'y a vingt ans encore nous avions souvent lieu d'être peu
satisfait de certains Italiens établis chez nous. Dans tous les
moments de désordre ils jouaient leur partie. Ils vivent tous dans
le calme et la paix maintenant. Nos tribunaux, criminels ou cor-
rectionnels, ont aujourd'hui bien, bien rarement, des Italiens à
leur barre. Le Duce a donné à ses compatriotes une conscience
nationale et le sens de la dignité. Ce n'est pas la seule contrainte
qui les a disciplinés.
Je n'oublierai jamais les paroles qu'adressait à la colonie
italienne de Lausanne, un homme du Régime, S. Exe. Çantalupo,
il y a quelque dix ans. « Souvenez-vous que vous êtes les vrais
ambassadeurs de l'Italie en Suisse. Respectez les lois sages de
ce pays qui vous a accueillis et nous serons avec vous. C'est à
votre conduite que l'on 'jugera Ja nouvelle Italie. » Que sont
donc ces paroles sinon un viLrant appel à ce qu'il y a de meil-
leur dans l'homme?
Mussolini a probablement enlevé aux Italiens quelque chose
de leur liberté individuelle. Je serais pour mon compte porté à
dire qu'il leur a fait perdre le goût de faire dégénérer la liberté
*n licence. Il n'en reste pas moins qu'il a élevé leurs âmes et
leurs esprits. Il a fait la guerre au matérialisme abrutissant.
Il ne m'appartient pas, à moi Suisse, de réfuter le livre de
*C. M. R. Je ne voudrais cependant pas que mes compatriotes qui
ont lu ,1'article consacré à cet ouvrage dans le très respectable
journal vaudois où il a paru, puissent croire un instant que l'en-
thousiasme du peuple italien pour son chef soit le fait d'une
« mobilisation ». Je ne voudrais pas que cette assertion selon
laquelle les masses italiennes seraient groupées autour du Duce
par la contrainte soit prise pour parole d'Evangile.
58 LA PHALANGE

Ceux qui le disent ne connaissent ni l'Italie ni le Duce ou bien


ils sont de mauvaise foi.
C'est exactement le contraire qui est vrai. B. Mussolini est
l'homme de son peuple.
Ce n'est pas dans les masses populaires que l'on trouvera des
opposants ou des détracteurs. Il faut les chercher ailleurs, dans
les cénacles de certains intellectuels, anciens mauvais bergers
qui, profitant du peuple qu'ils prétendaient servir le conduisi-
rent à sa perte. Ailleurs aussi, chez certains éléments de la bour-
geoisie égoïste, aux intérêts desquels l'amour de Mussolini pour
les petites gens a pu porter préjudice.
Parmi tous ceux qui parlent et qui jugent, qui s'est jamais
honnêtement préoccupé de savoir quelle est, derrière l'austère
apparence du chef d'une grande nation, la véritable figure de
l'homme?
Je ne dirai rien de la vigueur de son esprit, de son travail, de
son énergie. Ce n'est pas Jà mon propos.
Ce qui domine, dans cette personnalité puissante, c'est son
profond caractère d'humanité, c'est sa bonté, sa simplicité. Cet
être si foncièrement humain et sensible n'a nul besoin de mobi-
liser les masses.
Elles sont 'à lui, avec Jui; elles lui appartiennent comme lui
leur appartient.
Il faut l'avoir vu sourire; il faut avoir eu le privilège de s'en-
tretenir avec lui, simplement, seul à seul, pour réaliser ce qu'il
y a dans ce grand homme de bonté et de poignante séduction.
Nous Suisses, ne voulons pas d'une forme totalitaire de l'Etat;
je l'ai dit et proclamé. Nous tenons, de toute notre âme, à nos
institutions. Nous aimons la vraie liberté de l'individu mais
nous devons être bien persuadés que ce n'est pas en nous mon-
trant complaisants pour le marxisme que nous assurerons à
chacun de nous cette liberté.
Nous avons eu la chance que les. débauches inspirées par le
démon rouge nous soient épargnées.
Remercions la Providence mais, encore une fois, n'assimilons
pas notre situation jusqu'ici privilégiée à celle d'autres peuples
qui ont connu l'horreur sanglante et stupide des foules déchaî-
nées contre tout ce qui fait que la vie est digne d'être vécue.
Nous n'avons pas eu besoin de purifier notre atmosphère par
une sainte violence. D'autres ont été moins heureux que nous,
voila tout! Comparaison, surtout sur ce terrain là, n'est pas rai-
son. Notre amour de ce que nous appelons la démocratie ne doit
LA PHALANGE. 3»

pas nous inciter à nous satisfaire de formules rigidement anti-


thétiques de tout ce que les prophètes néfastes du matérialisme
et de la bêtise appellent, d'un terme générique et somifiaire qu'ils
veulent faire méprisant, le fascisme. Cette démocratie qui, telle
que nos anciens l'ont comprise et réalisée, représente pour nous
la vie, n'a jamais été en péril, jusqu'ici. De grandes nations, au
contraire, ont été en danger de mort au nom de principes soi-
disant démocratiques qui ne sont autre chose que folie et dépra-
vation. Elles ont dû, sous peine de succomber, avoir recours aux
grands remèdes. La forme, en dernière analyse, importe peu; l'es-
prit seul compte et le grand devoir consiste à éloigner de notrs
peuple, avec vigilance, les prédicateurs avérés et les complices
conscients ou inconscients du marxisme.
Si nous accomplissons ce devoir, inlassablement, chacun dans
sa sphère d'activité et selon ses possibilités, nous pourrons cott-
server la dignité et la liberté.
Les peuples qui par goût ou par nécessité prennent parti dans
les querelles idéologiques qui divisent le monde peuvent agir
comme il leur convient. Ce n'est pas là notre affaire; aucune de
ces idéologies ne peut nous satisfaire; aucune ne correspond au
statut qui nous est propre. Mais le seul moyen de rester nous-
mêmes et de conserver notre patrimoine de libertés est de ne
jamais oublier que la peste vient de Moscou.

Docteur L. MONFRINI.

Pour l'Espagne,
unis dans la Guerre et dans la Mort
(Le fusil à l'épaule et la mante sur le dos, ils marchent
côte à côte dans la colonne. Le Requête est barbu et fort.
Le Phalangite est presque un enfant. Ils gravissent le sen-
tier vers la montagne sur le sommet de laquelle s'ouvrent à
tout moment des gerbes de mitraille. Cela sent la poudre
et la Patrie.)
Le Requête : D'où es-tu?
60 LA PHALANGE

Le Phalangite : De Castille. La terre y est âpre et dure,


mais son ciel est de soie bleue. Tu es Navarrais?
Le Requête : De Navarre! De la montagne! Il y en a de
vertes, très vertes; et des ruisseaux de cristal et de sau-
mon. Je suis fils de carliste, et petit-fils de carliste, et ar-
rière-petit-iïls de carliste.
Le Phalangite : Je suis le plus jeune camarade de José
Antonio.
Le Requête : C'était au mois de juillet
cerises ! — le mois des
En Navarre, même les arbres donnaient des Requêtes.
Le Phalangite : C'était au mois de juillet. La Castille
était embrasée! Même les blés formaient des faisceaux com-
me nos flèches.
Le Requête : Bérets et bérets, et encore des bérets, et
partout des Oîérets.
Le Phalangite : Comme mon coeur battait d'allégresse
dans la chemise du triomphe! Un oiseau ne se sent pas plus
heureux dans l'azur.
Le Requête : J'ai le coeur fort, la main ferme et mes
pieds prennent le chemin de la guerre de toujours, portant
l'idéal de Navarre. Je suis fils de carliste, et petit-fils de car-
liste et arrière-petit-fils de carliste.
Le Phalangite : Toutes les fiancées d'Espagne brodaient
des flèches. Toutes! Les miennes sont d'hier soir. Je suis
le plus jeûne camarade de José Antonio! Tu es marié?
Le Requête : Oui.
Le Phalangite : As-tu des enfants?
Le Requête : Oui.
Le Phalangite : Je n'ai personne. (Il chante.)

Ah! Qu'on va bien à la guerre,


Ah! Qu'on va bien,
Quand on n'a ni promise ni mère,
Ah! Qu'on va bien!

Le Requête : Si tu tombes, à qui veux-tu qu'on le dise?


Le Phalangite : A personne. (Regardant vers le ciel). Le
Chef des Présents le saura tout de suite. Et toi, si tu meurs?
LA PHALANGE 61

Le Requête : Dis-le à José Maria Hernandorena, 65 ans,


Tercio de Montejurra. C'est mon père.
Le Phalangite : Et si... il n'y est plus?
Le Requête : Dis-le à José Maria Hernandorena, 15 ans,
Tercio de Montejurra. C'est mon fils.
Le Phalangite : (Il chante) :
Ah! Qu'on va bien à la guerre!
Ah! qu'on va bien!...
Holà, Requête, mets-toi derrière moi. Tu as une femme
et des enfants. Moi, je n'ai personne. (Il chante.)
Quand on n'a ni promise 'ni mère
Ah! qu'on va bien!
Le Requête : Je vais devant. Tu ne sais pas encore. Tu
es un enfant.
Le Phalangite : Bah! Laisse-moi en paix.
(Les balles sifflent.)
Lé Requête : C'est le mois de juillet; le mois des cerises.
Même les arbres donnent des requêtes.
Le Phalangite : Flèches fraîches, flèches d'hier soir!
Elles vont avec moi au combat! Quelle balle ennemie veut
le plus jeune coeur de la Phalange?
Le Requête : Couche-toi à terre, pour l'amour de ta
mère !
Le Phalangite : Je n'en ai pas. Qui en veut? Qui? Tirez,
messieurs, tirez pour voir qui touche le but! Beau coeur en
or...! (Il tombe, blessé).
Le Requête : Tu saignes fort...
Le Phalangite : La prime est pour ce monsieur ennemi...
(Le Requête charge le phalangite sur ses épaules et l'em-
porte. Les balles sifflent autour du groupe. Le Requête
tombe avec son fardeau.)
Le Phalangite : Ils-t-ont blessé, toi _aussi. Tu es un
brave...
Le Requête : N'oublie pas...
Le Phalangite : José Maria Hernandorena...
Le Requête : Soixante-cinq ans...
62 LA PHALANGE

Le Phalangite : TerGio de Montejurra.


Le Requête : Et s'il n'y est pas?
Le Phalangiste : José Maria Hernandorena...
Le Requête : Quinze ans...
Le Phalangite : Tercio de Montejurra.
Le Requête : Adieu, petit. Tu es très grand !
Le Phalangite : Arriba Espaiià!
(La première aube du jour, toute de nacre, trouve deux
cadavres enlacés.)
« El Fugitivo».

Jacinto MlQUELARENA.

{Traduction de Dora L. de Alonso.)

L$Espagne de Menendez y Peiayo


Ces 350 pages que D. Miguel Àrtigas, ancien directeur de la
Biblioteca Menendez y Peiayo à Santander et directeur, en rem-
placement par les « rouges », de la Biblioteca Nacional de Madrid,
vient d'extraire de l'oeuvre du plus fécond des polj'graphes es-
pagnols à l'époque immédiatement antérieure à la Grande Guerre
— époque très ancienne déjà, sinon dans le temps, du moins
dans l'espace des réalités humaines —, me remettent en mémoire
l'homme qu'à l'aube de ce siècle je connus dans l'été de 1901.
Bibliothécaire de VAcademia de la Historia, il m'y reçut, en com-
pagnie de Gotarelo, qui fit la présentation : jeune étudiant d'agré-
gation, plein de zèle pour les choses d'Espagne, venu travailler
à Madrid (une recommandation de Jeanroy, alors à l'Université
de Toulouse, m'avait introduit auprès de Menendez Pidal comme
étant « son meilleur élève d'italien » à cette Faculté des Lettres)...
Ce « jeune étudiant », déjà familier avec les disciplines d'Alle-
magne, dont il avait, jusqu'alors, enseigné la langue, n'en comp-
tait pas moins, déjà, presque trente automnes! Menendez y Pe-
iayo m'accueillit avec sa bonhomie coutumière. Il habitait dans
le « caserôn » de l'édifice académique, calle del Leôn, n° 21 (on
avait apposé, en 1921, je crois, sur la façade de l'immeuble, une
LA PHALANGE 61

plaque comniéruorative, après que, bien avant, en 1917, la statue


assise de son Directeur, par Coullaut Valera, eut été érigée devant
ia Salle de Lecture de la Biblioteca National), un sombre et peu
hygiénique appartement, où il ne travaillait guère qu'à la lumière
artificielle, quand il ne se trouvait pas dans son cabinet directo-
rial, tout au bout du Paseo de Recoletos, un peu avant la Plaza
de Coîôn, prenant ses repas dans un restaurant et aimant, les
soirs venus, à se perdre dans les ruelles en labyrinthe de ce coin
du vieux Madrid, enveloppé dans son ample cape giise, alors que
vont humer l'air amoureux et poètes et que les chulas, la croupe
moulée dans le noir mantôn à floches, jouant des hanches et de
l'éventail, dévalent, elles aussi, en quête de la facile aventure...
Avec son bégaiement coutumier, Don Marcelino, ayant parcouru
la liste des auteurs du programme et s'étant émerveillé de sa
complexité — dans quel but, grands Dieux, si l'agrégé, frais
émoulu du difficile concours, n'a, de tout ce fatras de vaine éru-
dition, qu'à secouer la poussière livresque et se confier à la Vie'.
— voulut bien me donner quelques références bibliographiques
et me congédier sur de platoniques voeux de succès... Il avait,
déjà, en ces temps lointains, perdu passablement de sa jovialité
juvénile, commençant 'à devenir taciturne et irritable, guetté qu'ii
se sentait, j'imagine, par ces douloureux rhumatismes qui allaient
l'enchaîner à son fauteuil de .forçat de la plume, avant que la
cirrhose hépatique, dont il souffrait, l'emportât è la tombe â
cinquante-six ans, le 19 mai 1912, encore qu'il n'ait jamais voulu
reconnaître son mal. Déchu, aux derniers mois de sa vie, il per-
sistait à qualifier de « légère indisposition, en voie d'améliora-
tion progressive », la maladie impitoyable qui le rongeait. Je me
souviens que, quelques mois seulement avant sa mort, l'été de
1911, cédant aux instances de l'évêque de Madrid et Àlcalâ, il
avait, malgré une denture en ruines, consenti 4 prendre la parole
— en réalité, il se borna 'à lire ce discours, sur les autos sacm-
mentales, que publia la Revue Ateneo (tome XII, n° 1) — au
Congrès Eucharistique de Madrid, dont il présidait d'ailleurs la
sous-commission, dans un état de faiblesse tel, qu'à la sortie, il
faillit s'écrouler, avant de monter en fiacre, sur le sol, devant
le Teatro Real où avait eu lieu la cérémonie. Peu avant cette ul-
time manifestation publique de sa déchéance, en août 1910, j'étais
à Madrid et, dans un article inséré le 20 août dans un journai
de Rennes (j'étais professeur d'allemand et d'espagnol au lycée
de Saint-Brieuc), avais rendu compte de la carrière d'un des
plus illustres rivaux de Ménendez y Pelayo, Don José Canalejas,
64 LA PHALANGE

quand, en l'automne de 1878, âgé de vingt et un ans, il avait pu>-


grâce â une loi spéciale promulguée en sa faveur, vaincre tous ses
concurrents au concours pour la chaire d'histoire critique de la.
littérature espagnole, laissée .libre à l'Université de Madrid par
la mort d'Amador de los Rios. Quel maître il fut, il l'a dit lui-
même, lors de sa nomination, en 1898, au poste de Directeur de
la National, sur les instances de la Duchesse d'Albe auprès du
ministre Gamazo. Il écrivit, en effet, à sa protectrice, une mis-
sive datée de Santânder, 27 juin 1898, où 3e relève ce curieux:
aveu : « Creo poder prestar, en esta nueva direction que se abre
a imf vida, mas utiles servicios que en la ensefianza, cuyo méca-
nisme) me ha sido sjiempre antipâtico, al paso que el vivir entre
libros es y ha sido siempre mi mayor alegriq... » Combien d'éru-
dits n'ont pas eu, comme lui, la bonne fortune de pouvoir s'éva-
der à temps de l'enfer pédagogique et y ont jusqu'au bout épuisé
les ardeurs d'un esprit fait pour de plus fécondes besognes? Mais-
les services qu'a rendus dans ,1a direction de la Bibliothèque Na-
tionale de Madrid le professeur qui aimait tant les livres furent-
ils autres que d'en utiliser, pour le profit de l'érudition, les tré-
sors bibliographiques? Laissons ici la parole à son admirateur
et nécrologiste du Bulletin Hispanique, année 1912, fascicule 3r
page 329 : « Mais, si l'on s'était imaginé trouver en lui l'admi-
nistrateur idéal, le réformateur après lequel on soupire, on se-
trompa : il lut la Bibliothèque, il ne l'administra pas et il ne
la réforma pas, hélas! Les abus, il les voyait, il les constatait.
Il n'avait pas grand mérite à cela! Il en parlait dans l'intimité,,
avec une verve amusante qui, dans cette bouche, ne manquait
point de saveur, mais il se sentait sans doute inhabile à les
corriger... » Sur son lit de mort, s'il ne réédita pas le qualis arti-
fex pereo! que Suétone nous a rapporté de Néron (Vita Neronis,.
49), du moins prononça-t-il cette variante d'un autre « mot his-
torique » : « Lâstima morir, cuando queda tanto por leer » ! biea
qu'un de ses intimes, D. Manuel Pérez Villamil (Revista de Ar-
chivas, Bibliotecas y Museos, 1912, juillet-août, p. 237), ait pré-
tendu qu'il disait : por hacer. Mais ce lecteur frénétique a com-
mis, plus d'une fois, de graves bévues dans ses transcriptions,
plus particulièrement dans l'ouvrage qui, outre qu'il fut le point
de départ de sa gloire eh Espagne, fut le seul qui lui ait rapporté
des sommes appréciables, dit-on : 115.000 pesetas lors de la pre-
mière édition, en 3 volumes in-8°, à Madrid, en 1880-81 et la-
promesse de 50.000 autres pour une seconde, qu'il publia, mais
seulement le premier tome, refondue, en 1911, à Madrid. Cet ou-
LA PHALANGE 65

vrage, on l'a deviné, c'est l'Historia de los Heterodoxos Espanoles,


dont l'information étendue et la composition ordonnée ont
trompé les érudits. Mais, en ce même été de 1901 dont je parlais
plus haut, je fis aussi à Madrid une autre connaissance : celle
d'un vieil érudit du Cuerpo de Archiveros y Bibliotecarios, ori-
ginaire de Carriôn de los Condes, que les romances du Cid ont
rendu célèbre, ainsi que son Poema et qui, ayant formé son esprit
dans la Compagnie de Jésus — en 1865, me déclara-t-il, il était au
Collège de Loyola, d'où il passa à diverses bibliothèques, dans
les Provinces Basques cette même année de 1865, puis en France
à partir de -1869, puis à Salamanque. Il me recevait chez lui,
n" 17, .calle de San Carjos, au second étage, à gauche et jamais
je n'ai, de la bouche d'aucun Espagnol — Dieu sait, cependant,
s'ils peuvent être éloquents et intéressants, pour peu qu'on soit
intime avec eux! — reçu tant de délicieuses confidences, depuis
l'âge où, tout petit enfant, il s'amusait, me contait-il, à faire en-
rager les tisserands de son lieu natal en leur chantant cette scie :
Traça, traca-tran-tran-tran,
Les canillas al desvàn :
De cuàrenta veintidôs :
Que, en esta casa, no hay Dios...,
jusqu'à ces articles d'Ortega Munilla (contre lequel il pestait,
d'ailleurs, me disant : « este senor novelista quiere y prétende
ser el jefe dél Cuerpo de Archiveros, Bibliotecarios y Arqueôlo-
gos espanoles, aunque no esté al corriente de las materias que
son de imprescindible necesidad para desempenar. a conciencia
y con decoro tan complejas funciones! ») qui, prudemment gar-
dés en portefeuille, avaient trait aux plagiats de l'auteur de l'His-
toria de las Ideas Estélicas en Espana touchant 'e romantisme.
Ce vieil érudit grincheux et mécontent avait nom Bernardino
Martin Mingupz. Il me fit cadeau de son oeuvre imprimé — quel-
ques plaquettes étaient anonymes; l'une, où Menéndez Pelayo est
si durement pris à partie, signée du pseudonyme : Geben Roten
et c'est celle qui a trait au Dominicain, archevêque de Tolède,
et à son procès sous Philippe II, D. Bartolomé Carranza de Mi-
randa. Ces pages incisives et convaincantes sont, précisément,
dédiées à Canalejas, que l'auteur avait, par l'entremise de Fer-
nândez y Gonzalez, alors Recteur de l'Université de Madrid,
connu à Valladolid, longtemps avant. Mais de plus violentes bro-
chures contre l'auteur des Heterodoxos sont les deux plaquettes
de 1898 et 1899 intitulées : El Exomo. Sr. D. Mcrcelino Menéndez
66 LA PHALANGE

Pelayo juzgado por sus hbros^ Erjores^ Citas, TmauecioneSj dont


nul n'a jamais soufflé mot et gui, en y joignant la Réfutation du
discours prononcé par lïenéndez y Pelayo le 31 mars 1Ô01 lors
de sa réception à l'Académie des Beaux*ATts de Saint-Ferdinand,
quelques articles du Globo, .alors dirigé parD. Alfred© Vlcenti «t
un article du Boletin de Excursiojiistas 4e Madrid., constituent
bien un formidable réquisitoire sur- la façon de travailler, trop
rapide, et de se documenter, trop sommaire, du célèbre poly-
graphe. liais ce ne sont là, en somme, que grains de beauté,, ou
taches de rousseur, .sur l'effigie d'un grand érudii, qui reste, au-
dessus.de ces attaques, par la masse de sa production et l'effort
immense de toute une vie vers, toujours, plus d'impartialité et
de science.
C'est a ce savant, rénovateur de la méthode critique -en Es-
pagne, que Don Miguel Arfigas, de l'amitié ancienne duquel je
m'honore, a -consacré l'anthologie que le îïtee de cet article an-
nonce. On y trouve des extraits bien choisis des passages Ses
plus adaptés là l'heure présente dans l'oeuvre immense du maître.
D. Miguel Artigas cite les paroles qu'en 1882 imprimait Menéndez
y Pelayo à l'Epilogue de ses Hétérodoxes. Il y annonçait déjà
que, le jour où se perdrait l'unité spirituelle de son pays, celui-
ci reviendrait à Téparpillement des partis, au « cantonalisme »
des Arévaques et des Vectons, ou des roitelets des Taifas mau-
resques consécutives à la dissolution du Califat de Cordoue, Don
Angel Gonzalez Palencia, <qui a consacré au volume de son ami
un brillant article de Ileraldo de Aragon, 1er mai 1938., p. 4, glose
ainsi ce passage : « Ce que le Maître voyait -en 1882, nous l'avons
vu et bien tragiquement, en 1936, alors qu'humainement il n'y
avait presque plus de remède. Et, pour éteindre ,1a fournaise
allumée après deux siècles d'incessant et systématique labeur
pour produire artificiellement la Révolution, nous avons dû,
nous Espagnols, offrir notre .sang; le tien, glorieusement versé
sur nos coteaux tant aimés de Téruel, le mien, offert dans les
âpres terres de Catalogne, où est revenu à la surface « tout le
mauvais, tout l'anarchique, tout le débordement de noire carac-
tère »; selon que l'avait pressenti le Maître... » J'aurais voulu, tou-
tefois, que, puisque J'on .citait les prédictions de Menéndez y
Pelayo, ne fût pas oublié ce passage, que j'oserais appeler son
Testament spirituel et que j'extrais du Discours par lui prononcé
le 11 septembre 1910 à la séance de clôture du Congrès Inlerna-
Uinal d'Apologétique à Yich, en Catalogne : Dos palabras sobre
cl Cenienario de Balmes (Yich, G. Portavella, 1910, pp. 6-7) :
LA PHALANGE 67

« Aujourd'hui nous assistons au lent suicide d'un peuple qui,


anille fois trompé par de bavards sophistes, appauvri, réduit et
désolé, emploie à se détruire le peu de forces qui lui restent et,
poursuivant les vains simulacres d'une fausse et postiche civili-
sation au lieu de cultiver son propre esprit, seule et unique façon
d'anoblir et de racheter races et gens, procède à l'épouvantable
liquidation de son passé, ridiculise 'à chaque instant les ombres
de ses progéniteurs, fuit tout contact avec leur pensée, renie tout
-ce qui, dans l'Histoire, le fit grand, jette aux quatre vents' sa
richesse artistique et contemple d'un regard stupide la destruc-
tion de l'unique Espagne que connaisse le monde, de la seule
dont le souvenir ait assez de vertus pour retarder notre agonie.
-Combien différemment ont procédé les peuples qui ont cons-
cience de leur mission séculaire! La tradition teutonique fut le
nerf de la renaissance germanique. S'appuyant sur la tradition
italienne, de mieux en mieux connue, la savante et chercheuse
Italie de nos jours construit sa propre science, également éman-
cipée de la servitude française et de la domination intellectuelle
des Allemands. Où ne se garde pas pieusement l'héritage du
passé, pauvre ou riche, grand ou petit, n'attendons point que
jaillissent une pensée originale, ni une idée dominatrice. Un
peuple neuf pourra tout improviser, sauf la culture intellectuelle.
Un peuple vieux ne saurait renoncer à la sienne sans éteindre
îa portion la plus noble de sa vie et tomber dans une seconde
enfance, fort proche de l'imbécillité sénile. »
Je lisais, l'autre jour, dans la Vangaardia, organe officiel du
Gouvernement Negrin à Barcelone, un Manifeste des Intellectuels
Espagnols (22 avril 1938). Signé de MM. Antonio Machado, Pom-
peyo Fabra, Pablo Picasso, Tomâs Navarro-Tomâs, José Gaos,
Pedro Bosch-Gimpera, José Bergamin, Rafaël Alberti, Victoria
Macho, Odôn de Buen, Carlos Riba, Emilio Riba, Rafaël Sânchez
.
Tentura, Corpus Barga, J. Serra Hunter, Leôn Felipe, Maria-Te-
resa Léon, Ramôn J.Sender, César M. Arconada, C. Garcia Ma-
roto, Timoteo Pérez Rubio, Juan Larrea, Samuel Gili Gaya, Arturo
Serrano Plaja, Emilio Prados, Manuel Altolaguirre, PJa y Beltrân,
Luis Lacasa et Victoria Kent. Il affirme la solidarité des dits In-
tellectuels... avec le peuple chinois, tout en incitant « tous les
peuples libres et toutes les personnes qui se solidarisent avec la
cause de la République Espagnole à favoriser par tous les moyens
la défense commune des peuples -chinois et espagnol jusqu'au
triomphe des principes démocratiques, indispensables au vrai dé-,
-veloppement delà culture humaine ». Nous commençons à savoir
68 LA PHALANGE

où mènent les « principes démocratiques » entendus à la façon


des « rouges » d'Espagne et de leurs porte-plumes. Mais, s'ils ne
continuaient pas à bluffer, envers et contre tous et en dépit de
tout et de tous, que resterait-il donc de leur cause (1) ?

Camille PlTOLLET.

La nouvelle Poésie italienne :


Ugo Betti
Laissant de côté les premiers essais du Roi Pensif, où le goût
de l'élément fabuleux et fantastique, sans parler de cette « grâce
légère, légère, toute pleine de coeur », selon l'expression d'Ono-
fri, maintenaient encore dans l'indécision l'image d'une poésie
nouvelle dans un jeu de subtilités et de vagues reflets, Betti,
en l'espace de peu d'années, est arrivé â des résultats désormais
nets, sûrs, originaux. Aujourd'hui, son récent recueil de pièces

(1) Au moment où je corrige les épreuves de cet article, le suprême


espoir du pseudo « Gouvernement de Barcelone », conscient de l'im-
minence de la débâcle, est de continuer, de concert avec ses alliés
russes, à brouiller la situation internationale jusqu'à ce qu'éclate ce
conflit européen qui constitue sa suprême planche de salut. En atten-
dant, les portes restent ouvertes à là contrebande d'armes, qui permet
la continuation d'une inutile résistance, où sont sacrifiées tant d'exis-
tences innocentes ! La politique obstructionniste pratiquée par les:
marxistes à Londres ne tend, d'ailleurs, qu'à prolonger cette barbare
situation jusqu'à l'automne, où l'on espère que les élections anglaises
renverseront Chamberlain, remettront le Labour Party au pouvoir, et,
avec lui, amèneront un renversement total de la politique anglaise et,
en conséquence, de la politique française. L'accord italo-britannique
dénoncé, l'Empire italien désavoué, la situation redeviendrait cou-
forme aux voeux des rouges et de leurs amis étrangers. Toute la ques-
tion est de savoir si la victoire de Franco sera retardée jusqu'après
les élections législatives en Angleterre et si, pour l'automne qui vient,
l'Union nationale espagnole ne sera pas un fait acquis... En attendant,
l'affreux massacre de jeunes recrues sans expérience aucune de la
guerre et poussées à l'abattoir par leurs bourreaux de Barcelone, con-
tinue !
LA PHALANGE 69

lyriques : Homme et femme (1), ne permet plus d'établir imita-


tions ou dérivations. S'il en était encore, elles ne toucheraient,
tout au plus, que le fond psychologique, la nature même de cet
art, mais non pas ses formes, ses modes d'expression, ses cadres.
Et l'expression, précisément, a acquis une telle fraîcheur, une
telle franchise, si limpides, si viriles, que les mots : « art clas-
sique », vous viennent spontanément aux lèvres. *
La critique militante, mais point seulement elle, a, d'ailleurs,
déj'à formulé son verdict en ce sens et, pour elle, Betti est, avec
Montale et Ungaretti, l'un des poètes représentatifs de certain
« climat » intellectuel et sentimental qui s'est formé après-guerre.
Mais il apparaît supérieur aux deux susnommés en tant que per-
sonnalité et serait même, selon Momigliano, dans de fort belles
pages (2), « l'une des personnalités les plus originales apparues
depuis Gozzano ».
Poésie de tourment, à la recherche d'une vérité lointaine et
comme enfouie dans le temps, d'une sérénité, aussi, — mieux :
d'une résignation froide et inerte. Mais, dans ce recueil, ce tour-
ment se maintient dans une sorte de grâce intime et musicale et,
tout en simplifiant la trame et en espaçant les résonances, il réus-
sit à conserver le poids spécifique, la signification, la couleur du
fait humain, conformément à la physionomie de notre poésie du
-xixe siècle, que, peu à peu, l'on avait éliminés de notre Parnasse :
signe, celui-là, d'une désagrégation intérieure, en vertu de la-
quelle il semblerait qu'il n'y ait plus, de place pour des formes
nettes et régulières, ni pour la rime et où la cadence mélodique,
la liaison syntaxique précise passent pour un superflu, capable,
tout au plus, de profaner, en l'altérant, la méditation poétique
enfermée en elle-même, jalouse d'elle-même jusqu'en ses disso-
nances.
Le succès de Betti, c'est qu'il a sauvegardé dans leur inté-
grité la pudeur de la voix et la pudeur du geste, tout en rendant
comme il convient cette palpitation du coeur qui se perçoit si
rarement dans la poésie moderne. Dès Canzonette, la Morte, nous
avions été frappé par son heureuse aptitude là représenter en
symboles grandioses, d'une puissance, d'une simplicité bibliques,
le destin de l'homme interprété 'à la lumière des vieux mythes
humains. Alors son sentiment désespéré sombrait devant ses

(1) Ugo Betti : Uomo e Donna, Milano, _Mondadori, 1937, 110 p;,
10 lires.
(2) Elles ont vu le jour dans la Revue : Pegaso, en octobre 1932.
C'est, d'ailleurs, cet article qui a consacré la jeune gloire d'Ugo Betti.
70 IA PHALANGE

propres images. Ayant perdu 1P foi dans le salut de rhuraanitér


il lui arrivait de se redresser pour, en une stridente ironie, apos-
tropher l'obscur principe du Mal ou un Jéhovah narquois et
féroce. Mais on ne trouvait là rien de ce religieux orgueil qui
rend si sublime, dans son dédain même, J'homme de Vigny. C'est
que Betti manquait encore de la puissance d'amour, de la con-
viction, aussi, que cet amour peut opérer le miracle de rasséré-
ner le front troublé d'Adam.
Cette même désespérance sombre, pour laqu-dle une telle con-
viction apparaît plutôt è la façon d'un évangile à prêcher que
comme une conquête, ou un don dont on a déjà joui, se maintient
jusqu'à la dernière ligne de son recueil de proses : Les Maisons,
où, devant l'homme naufragé de la vie, s'ignorant lui-même, si
souvent incompris et ridicule, le poète sent que s'affine son be-
soin, son devoir de charité. « Peut-être, écrit-il, fallait-il cher-
cher ensemble le pourquoi de tout ce mal, trouver ensemble les
consolations. Peut-être fallait-il tant de respect, tant d'intelli-
gence et aussi autant d'amour... »
Dans Homme et femme ressurgit le problème de la mésaven-
ture de la vie, de l'infortune des destins humains, mais ramené,
comme, déjà, dans Canzonetle, à ses origines cosmogoniques et
théologiques. Ce sont là des mots qui pourront sembler un peu
prétentieux, mais qu'il faut pourtant risquer si l'on veut saisir
au moins la structure externe, le cadre de cette poésie. Tous les
êtres ont leur origine dans la matière, ,1a chair ordinaire et c'est
par l'acte d'amour aveugle et instinctif, hominum divumqae vo-
laplcs, qu'ils sèment au hasard sur cette terre de nouvelles géné-
rations et, par la mort, se replongent dans la vie cosmique, dont
ils sont sortis. Le flux sensuel qui, dans certaines nouvelles de
Betti — cependant si austère, si absorbé — pèse, masse grise et
parfois même un peu provocante, sur l'allure du récit, prend
maintenant une signification plus profonde et s'illumine de lueurs
métaphysiques. Dans ce monde de Betti, de même qu'il n'y a pas
de place pour la pure ivresse, le simple jeu des instincts, il n'y
en n'a pas non plus pour le sage sans mélange, retiré dans les
temples sereins de la philosophie. Ici, tous sont astreints au
péché, 'à la corruption. Tous sont contraints là ressentir la tris-
tesse et la désespérance du mal, par la conscience qu'ils ont,
sinon de la beauté morale, du moins de la contamination qu'ils
ont subie: Dans les torses d'argile
Une tristesse inconnue
S'enflait...,
LA PHAEANGE 71

dit-il des deux premières créatures humaines et Adam, tandis


que sa compagne, tombée, après la faute, dans le sommeil, rêve,
en un cauchemar sanglant, de sa maternité, poursuivant sa veille,
nous est présenté sous l'aspect d'un homme pensif qui, à son
flanc, entend chanter des estuaires. Nous avons devant nous,
non pas l'homme enfermé dans son destin particulier, avec sa
vie individuelle, mais bien, résumée en une attttitude qu'un seul
trait a fixée éloquemment, l'humanité sous l'oppression de l'ins-
tinct, mais sur laquelle point déjà l'aube de la vie morale, avec,
pour paysage " de fond, une nature que secoue le souffle des
grandes solitudes vierges et inertes.
C'est cette puissance du solennel, du monumental, dont Le
Canzonette contenaient déjà l'impressionnant témoignage, qui
constitue la force la plus profonde, la plus nouvelle de la poésie
de Betfî. Et voyez, avec quels simples moyens il l'obtient! On
pense, en face de cette solidité, de ce puissant relief, et aussi
pour certain dédain de la résonance verbale, là Jacopone da Todî,
cependant que le sens cosmique évoque quelques chutes verti-
cales de Hugo et que l'air nu et spectral de plusieurs paysages bi-
blico-chrêtiens nous rappelle Vigny. Et Fon reste dans une im-
mobilité apeurée, pleine dé stupeur, comme en face de l'incon-
naissable, du sanctuaire d'une puissance supérieure, que Betti,
une fois, a appelée « Dieu », mais qui a plutôt l'air d'un démiurge
mauvais. Les visions, de notre poète sont conçues 'à pleins pou-
mons, se dilatent à l'infini, dans l'espace et dans le temps, comme
des symboles créés, non pas une fantaisie individuelle, mais par
l'expression collective, épique.
Dans le premier groupe de ces pièces lyriques, La Terre, sym-
bolise la Genèse, le début de l'histoire des; hommes, la premier, et
éternel drame,, dans le sens du péché et de la fragilité,, .dans l'as-
piration, aussi, vers l'immortalité. Mais le poids de « L'opaque
matière, créée nour la mort »,. de la « féroce fange » où l'âme
reste suffoquée, comprime le besoin de pureté, de libération. Le
thème léopardien de l'homme perdu au sein de l'univers, qui, sans
avoir rien compris ni de lui-même, ni d'autrui, s'achemine à la
dissolution « où, s'y précipitant, il oubliera tout », réapparaît
chez Betti. Mais- il y est avec plus de désespérance, plus brisé et,
pour ce motif, avec moins de modulations. C'est plus une affirma-
tion d*instinct qu'une lente et méditée expérience mentale. Qu'on
lise le morceau : La voix de Fhomsme : « Voix de l'homme, fil
d'herbe... Au-dessus de toi, it y avcûï rfes ondes débordantes d'uni-
vers... » Qu'on lise aussi Pensée nocturne :
72 LA PHALANGE

Mais une pause


Tu n'en trouves pas dans ces ténèbres,
Ni nulle part. Et c'est comme un courant éternel
Et toujours glacé qui, tu le croirais, lentement
T'entraîne : ô épouvantable
Solitude humaine!
Qu'on lise, enfin, Songe, qui donne le frémissement d'une chute
vertigineuse dans l'espace...
Certaines de ces poésies réaffirment, en face de ce sentiment
épouvanté de l'existence, la conscience du devoir humain, de la
fraternité, de l'amour. Elle était déjà manifeste dans Les Maisons,
recueil auquel les pièces d'aujourd'hui se rattachent étroitement.
Elle était peut-être moins évidente dans Canzonelte, où le déses-
poir, le poids de la fatalité qui rend inutile toute tentative hu-
maine de récupération, font que, souvent, la voix morale du
poète ait comme un éclat de plomb qui vous glace.
C'est pourquoi l'aveu de Betti, en nous présentant ces nou-
velles pièces lyriques, me semble exact : « J'espère, écrit-il,
que ce livre est un livre vrai, qu'il reflète ce regard humain,
calme, sérieux, sur la vie, que les années, mais point les années
seulement, mûrissent} en nous. » Le moi, qui n'était alors que
« l'oeil aiguisé » et pointé ironiquement du dernier recoin de
l'univers sur le mystère de la Nature, s'est, dans ce livre, atten-
dri, comme résigné à l'obligation de succomber, le pessimisme s'y
réaffirme avec la conscience de toujours, mais du moins avec
le désir de rendre moins triste le terrestre pèlerinage, d'enrober
de sentiments délicats l'instinct du péché charnel que nous por-
tons en nous, de purifier l'attraction aveugle de l'homme et de la
femme par la nécessité de se tenir compagnie, d'oublier, ou de
rasséréner Ja pensée de la mort par celle de la descendance,
bien que celle-ci ne tarde pas â montrer les stigmates de notre
mal. Lisez Homme et femme, qui décrit le moment passionné
où l'on s'offre, dans la riante vision de la créature qui naîtra.
Lisez encore Petite fille, d'une délicatesse navrante en son pu-
dique réalisme :
Chérie de ses parents est la pèlitd fille;
Elle leur dicte leur tâche, de sa menue
Voix encore un peu aigre, de sa menotte rèche. '
Demain, son sein jeune, dans une angoisse,
Pressera timidement la. robe;
Elle passera, toute illuminée par les fêtes,
LA PHALANGE 73

Ses joues colorées d'une rougeur délicate.


Puis la voix chérie s'ombrera d'un son
Presque dolent, secret. Sous les soies légères,
Frémissant, le père verra
Une puissance impérieuse qui se sculpte.
Ce ne fut qu'un bref sourire :
Le temps serein oà elle était petite fille...
Plus intense, plus riche en résonances est la pièce : Les
épouses, où « l'opaque matière » peccamineuse s'éclaire de ten-
dres besoins, de chastes devoirs, où, dans ce sentiment humain
des femmes qui vont au devant des hommes, apparaît en demi-
îeinte une solennité de mythe, dont s'approfondit et se consacre
Je sentiment. En voici le début :
Tu as entendu un chant. Déjà, dans les demeures, l'ombre
S'allongeait, parmi laquelle des femmes solitaires, assises,
Attendaient, les yeux levés vers, la douce coloration des fenêtres
Où palissaient les cieux, dans le cri des hirondelles du soir,
JSe rappelant leurs choeurs de fillettes,
Où, absorbées, .chantaient d'antiques voix graciles...

Pascoli avait été le dernier à ressentir Je besoin de la com-


pagnie humaine comme une nécessité pour vaincre la peur de
la vie, qui est nuit, qui est mort, qui est le mystère du destin où
JIOUS plongeons. La « solitude apeurée » de Betti, où l'on ne dé-
couvre « aucune créature, aucune chose chère qui soit à vous
et non à la mort », trouve un appui dans la mystérieuse, miséri-
cordieuse multitude anonyme et inconnue, qui vit autour de lui, '
faible comme lui et douloureuse. « Si des calmes demeures sort
le bruit d'un pas inconnu », le voilà libéré de l'obsession de ses
pensées nocturnes et comme réconforté. Et s'il voit, « en un
soir de cette terre, se réallumer les lumières, avec, sur les vieux
seuils, des créatures humaines qui se font fête, dans des réso-
nances de voix confiantes », c'est alors qu'il lui est possible de
sourire à ses longues amertumes. L'humanité, comma une armée
infinie en marche, se sent réconfortée et prête à la .lutte, aux
gestes secourables et gracieux :
Ils étaient joyeux d'entendre, non plus leurs pas,
Mais un bruit de pas tranquille, immense;
Ils cheminaient allègres et taciturnes
Dans une tiédeur d'humanité...
74 LA 'PHALANGE.

Toutefois, le groupe de ces poésies sociales, Les Hommes,


Aux Compagnons, Les ifammes à leurs Chefs, Les Chefs, Les
Hommes ensemble, est demeuré à l'état d'ébauche, plus grandilo-
quent que grandiose, plus courageux qu'intense. Si on y retrouve
l'énergie coutumière, souvent jointe à de la délicatesse et de la
tendresse, par contre l'image s'arrête, en quelque sorte, aux
bords de l'émotion, comme par manque de participation. C'est
plutôt un masque profond qui apparaît, que notre face, dans la
simplicité de sa respiration.
En somme, il nous semble que Betti est davantage poète dans
ses moments de résignation virile et sévère, dans certaines ren-
contres avec la mort, en ces instants où son épopée adopte
un rythme plus intérieur, devient plus délicate, plus mysté-
rieuse, comme lorsqu'il dit : « Puis, nous resterons seuls et les
yeux les plus aimés, eux aussi, se poseront avec crainte sur notre
pâleur de morts ». Pour ces raisons et 'à cause de ces moments,
il est parmi le très petit nombre d'écrivains contemporains qui
fassent surgir spontanément à l'esprit la vision de la grande poé-
sie du xixe siècle : morale et cosmique, poésie des suprêmes tris-
tesses et des renoncements désespérés. La note nouvelle, la nou-
velle synthèse qu'il a créées tendent vers cette obscure malé-
diction que l'homme apporte en naissant et qui aggrave les actes
et les affections, même les plus chers et Jes plus purs, de notre
existence. Mysticisme religieux avec quelque nuancé d'hérésie,
le « satanisme » est aujourd'hui à terre, mais avec, aussi, un.
besoin d'ascétisme moral et d'affirmation héroïque. Le rythme
est ample, les prémisses grandioses. Quelques résultats sont neufs
et puissants. Giulio MARZOT.
(.Traduit de l'italien par Camille Pitollel.)

Une ' Danse indigène


de la Noupeiie Granade
Feux d'artifice. « Gohetes! Y porqué? » C'est la fête de
Saint Roch, patron de Barranquilla.
N'entendez-vous pas la Cumfoiamba?
Tarati Tatarati tatarata tataratoum
tarati tatarata tatarata tataratoum... boum... boum... boum!
LA PHALANGE 75

Oh, allons voir ca!


Nous arrivons bientôt au lieu de la fête. Nous débou-
chons dans la rue que le peuple a baptisée : Calle de las Va-
cas, et que les autorités citadines, soucieuses du décorum
de la ville, décrétèrent s'appeler : Calle del Progreso, com-
me si l'opinion des fonctionnaires était suffisante pour chan-
ger le nom d'une rue. Même en Europe, il y a des époques
(voir celle de la guerre) où l'on oublie que le nom d'une rue
est chose sacrée : la rue est un être vivant : elle naît, se dé-
veloppe et meurt, elle a sa tradition et son histoire, et le
nom qu'elle porte a une origine populaire qu'il faut respec-
ter. Aussi tout le monde continue d'appeler la rue que nous
parcourons : Galle de las Vacas; et ces messieurs, si sou-
cieux du décorum de Barranquilla, au lieu de s'attaquer au
nom feraient mieux de travailler pour en faire une route
carrossable au sens européen du mot. Nous sautons sur le
siège de l'automobile dont les ressorts travaillent dur, car la
voie est trouée telle qu'un champ de bataille. Quel dom-
mage de la laisser dans cet état ! On pourrait en faire un ma-
gnifique boulevard : elle n'a pas moins de 50 mètres de
large et les maisons qui la limitent, étant très basses, lui
prêtent encore plus d'ampleur.
En. y passant ce matin j'avais remarqué qu'on y avait
planté au beau milieu un tronc de bambou très haut, sur-
monté, à son extrémité, d'une branche verte et d'un bout
d'étoffe rouge. J'ai appris que cela signifiait qu'il y aurait
cumbiamba, le soir, ou si vous préférez : cumbia, comme on
dit en abrégé.
.
Autour du poteau de bambou est rassemblé l'orchestre.
Il se compose d'une grosse caisse, dont le boum grave, pro-
fond et tragique, surprend alors même qu'il est attendu;
d'un tambour en tronc de cône, long d'environ 50 centimè-
tres, taillé dans un arbre spécial et dont le son a quelque
chose de liquide; enfin de deux flûtes primitives en bois dont
les notes criardes et pleurnichardes s'enrhument et s'em-
brouillent quand le musicien se laisse aller à l'enthousiasme
du bal mais qui reprennent bientôt leur aplomb redressées
par le rythme que maintient un autre instrument curieux :
76 LA PHALANGE

une boîte en fer blanc dans laquelle un nègre secoue sans


relâcbe des semences de papaye ou de melon.

Tarati tatarati tatarata tataraboum


tarati tatarata tatarati tataraboum... boum... boum... boum.
Voilà le rythme que donne ce quintette; et ça recom-
mence à n'en plus finir, avec une inflexible répétition qui ne
souffre pas la moindre variation. D'abord on s'en amuse,
mais bientôt ça vous pénètre, vous fascine : vous anticipez
sur la répétition; vous la désirez; vos nerfs se tendent et vi-
brent quand elle vient; vous vous sentez suspendu, et vous
vous mettez sur la pointe des pieds sans le vouloir quand
enfin vient un boum! qui vous défonce les entrailles, suivi
d'autres boums qui rompent un moment le charme et sont
un délivrance.
Les ouvriers et les paysans, accourus de toutes parts, mê-
me des villages les plus lointains, pour danser, se laissent
posséder par cette musique obsédante. En proie à une transe
divine, ils invitent les femmes en leur offrant un paquet de
bougies lié en faisceau avec un mouchoir voyant et dont la
grosseur révèle le degré de richesse du danseur ou de l'hon-
neur qu'il entend faire à la femme qu'il a choisie. GeUe^ei
lève haut son faisceau comme une torche, et commence à
parcourir à petits pas rapides le cercle que les couples ont
formé autour des musiciens.
Le sang Ghimilla et Ourouako s'exalte alors dans les ar-
tères de ces hommes de couleur : il bout à la chaleur des
torches allumées; et les voilà qui se précipitent avec des
gestes fous et, pourtant cadencés, vers la femme qui avance
toujours d'un mouvement uniforme et grave; ils tournent
autour d'elle et font avec leurs bras des gestes d'adoration;
ils se baissent sans cesser de mouvoir leurs pieds puis se re-
lèvent avec un cri sauvage, marchent flanc à flanc avec
elle et leur corps tout entier se gondole et se désosse. La
sueur colle bientôt leur chemise de couleur à leur peau
sans que leur enthousiasme cesse de croître. Ils sont pris
d'une ivresse divine et enveloppent les bougies de billets de
banque qui brûlent avec elles... Ils vous dégotent, ô snobs,
LA PHALANGE 77

qui allumez vos cigares, dans les clubs chics, avec des billets
de mille!
Le cercle s'affole de couples; il est trop dense; il se dé-
double. Maintenant deux roues de feu tournent autour de
l'infatigable orchestre. Les danseuses en nombre insuffi-
sant, des disputes éclatent entre les danseurs. Des ivrognes
manquent de respect à l'idole vivante qui porte la torche :
celle-ci éteint les bougies, ce qui est la plus grande offense
qu'une femme puisse faire à son partenaire, car cela veut
dire qu'elle se refuse à danser avec lui et même qu'il ne sait
pas danser. On vide l'insolent disqualifié, et tout rentre
dans l'ordre.
Tarati taratata taratati tataratoum...

— Avez-vous remarqué que ce sont les vieux qui dansent


le mieux?
— Oui, regardez donc celui-là qui danse pieds nus et qui
porte ses chaussures à la main... Et la tête de cette vieille
qui va passer maintenant juste devant vous : ah, elle n'aime
pas qu'on plaisante !

Un rasta s'approche de moi : c'est un de ces messieurs


préoccupés du décorum de la ville qui ont cherché à faire
changer le nom de la rue et voudraient aussi que Barran-
quilla (qui veut dire petit ravin) s'appelât : Cosmopolis.
C'est un demi-nègre, comme les autres, mais il est bien pei-
gné et son portefeuille est bien fourni.
1

— Quelle barbarie, me dit-il, n'est-ce pas ? C'est honteux


qu'on permette cela encore! Je fais moi-même une grosse
propagande contre ces moeurs de sauvages; qu'en dites-
vous?
— Je dis que vous avez tort vous et vos semblables, de
vouloir supprimer les seules choses vraiment colombiennes
de Colombie; vous détruisez sottement les traits caractéris-
tiques du pays, qui ont su résister à toutes les invasions pa-
cifiques ou guerrières; vous ne serez contents que quand
vous aurez châtré votre nation de tout originalité. Pour moi
la Cumbia est une des choses les plus intéressantes et émou-
vantes que j'ai vues ici. Mais vous craignez toujours qu'on
ne vous prenne pour des primitifs, pour des singes ; et, chose
78 LA PHALANGE

curieuse, c'est la peur du singe qui vous pousse à singer


l'Europe et les Etats-Unis et à mépriser toufcce qui est vrai-
ment vôtre.
M'éloignant de la Cumbia, j'entre dans un petit café po-
pulaire, après m'être frayé un passage parmi les gens at-
troupés sur le pas de la porte. Deux paysans, un vieux et
un jeune se livraient à un duel de poésie. Chacun à son tour
chantait une strophe improvisée sur le. même air qu'ils
avaient choisi de commun accord; et l'arbitre qu'ils avaient
nommé les écoutait avec une attention soutenue, un poing
sous le menton. Leur sujet était la gloire de Napoléon, et ils
me démontrèrent qu'ils en savaient assez long sur l'histoire.
Je restai longtemps à les entendre : ce tournoi poétique
m'enchantait; jet pensais à Tytire et à Mélibée... et aussi à
quelques-uns de nos paysans toscans... quand tout à coup le
vieux entonna en me regardant :

Munifique jeune homme blanc


Qui prends plaisir à nos chansons,
Commande donc à Véchanson,
Pour qu'il réchauffe notre chant,
De nous servir un quart de rhum :
On chantera pour toi, et on
Dira : Dominas vobiscum,
Sans oublier Napoléon!

Je leur passai une pièce d'argent et j'eus grand niai à


éviter qu'il ne me portent en triomphe. Je sortis : la lutte
durerait probablement encore plusieurs heures.
En rentrant à la maison, je passai ' devant la Gum-
biamba : « ' Ils ont coutume de danser ainsi vingt-quatre
heures de suite », me dit-on.
Et le lendemain matin (peut-être n'était-ce que souve-
nir), il me semblait encore entendre :
Tatarati tatarati taratata taratatoum
tatarata tatarati taratata tarataboum... boum... boumboum!

Lorenzo L.ANZA.
LA PHALANGE 79

Il y a toujours des Pyrénées


Nous sommes loin du temps de Louis XIV et il y a, cependant,
toujours des Pyrénées..., en dépit des avions. Depuis l'été de
1936, on s'en aperçoit chaque jour davantage. Mais on aurait pu
croire que l'impudence des propagandistes rouges qui, de Paris,
à deniers comptants, mènent la campagne que l'on sait — uni-
quement pour essayer d'obtenir par le mensonge alarmiste ce
que leurs soldats n'ont jamais su, en face de ceux de Franco, con-
quérir — se serait abstenue de nous prendre pour de simples
crétins. Après avoir tenté de nous, faire gober des oeufs de cou-
cou du volume de celui des garnisons allemandes de Pasajes et
de la Bidasoa, ils n'ont rien imaginé de mieux, par l'organe de la
presse parisienne à leur dévotion, que d'ameuter, une fois de
plus, la pauvre opinion publique française par une rocambo-
lesque histoire de forts construits, pour la prochaine invasion de
la France, sur les Pyrénées par le valet d'Hitler et de Mussolini.
Remettons brièvement les choses en état. Rien n'est, aussi
bien, plus aisé.
Au moment de la bataille d'Irûn, nous sommes donc en l'été
de 1936, les badauds massés sur le plateau .de Biriatou, d'où l'on
jouit d'un vaste panorama sur les montagnes de la Navarre et
l'Océan, de Biarritz à Saint-Sébastien, sur la plage d'Hendaye,
aux Trois-Bouquels, etc., suivaient et commentaient comme le
premier des stratèges en chambre de l'époque de la Grande
Guerre les duels d'artillerie auxquels se livraient les pétoires des
deux camps adverses. Des noms, alors, de vieilles forteresses,
bâties aux temps où la menace espagnole n'était point encore
pour nous un thème de surenchères marxistes, passaient de
bouche en bouche. On entendait des vocables étranges, dans une
prononciation de speakers de la radio officielle : Guadalupe, Er-
Icâtz, Bagagona, Endarlaza, d'autres encore, que 'j'oublie. Mais
je me souviens parfaitement que, par exemple, étant retourné en
l'été de 1934 — je retrouve, justement, en ce moment mon pas-
seport délivré à Bayonne, ïe 20 juillet 1934, sous le n° 5516 —
visiter le Pays Basque espagnol et étant allé en pèlerinage au
sanctuaire de Nuestra Senora de Guadalupe, sur l'un des contre-
forts du Jaizquibel, je me vis refuser, parce que n'ayant pas
l'autorisation spéciale, l'entrée du fortin de San Henriquez, à
peu de distance de la chapelle, à une altitude, je pense, d'un peu
80 LA PHALANGE

plus de 330 mètres et au-dessous de la redoute de Santa Bârbara,.-


d'où, montant à l'est, j'atteignis le sommet du pic, en moins
d'une heure de marche. C'est, d'ailleurs, dans ces parages aussi
que je vis la ferme Jusliz, que ceux qui ont lu la Mirenlxu du
P. Lhande connaissent au moins d'imagination. C'est ce fort de
Guadalupe qui, lors des événements de 1936, servit de prison,
aux otages des gouvernementaux et servit de théâtre à des scènes
de sauvagerie cannibalesque comme savent en monter ces braves
miliciens rouges. Là furent massacrés, entre autres, l'ancien dé-
puté Pradera, le curé, le fossoyeu^ le changeur d'Irûn... Depuis
ces journées ignobles de barbarie, il est clair que les autorités
nationalistes n'ont pas laissé de remettre en état tous ces tra-
vaux de défense, au cas, évidemment improbable, — mais, dans la
guerre, ne faut-il pas tout prévoir? — d'un retour offensif des bol-
chevistes. Ils eussent été fort coupables, avouns-le, de laisser
choir en ruines ces armes défensives, bâties naguère sur des
positions stratégiques et que nos lynx interventionnistes — inter-
ventionnistes là peu de frais, car qui irait se faire casser la figure
en Espagne? Pas eux, certes, ni leurs dupes, qui seraient aussitôt
mobilisées dans leurs usines, à tourner des obus à raison de 8 ou
10 francs de l'heure, pendant que le paysan de France, une fois
de plus, trinquerait pour les beaux yeux de Negrin et de Prieto
— ont le front de prétendre qu'elles sont de construction toute
récente, les ayant découvertes, évidemment, hier seulement!"
Mais qu'ils appliquent donc aussi leurs mirobolantes méthodes
aux versants alpins de notre frontière avec l'Italie! Ils y décou-
vriront bien d'autres forteresses et pourront compléter non
moins utilement que du côté d'Espagne leurs stupides dithy-
rambes antimussoliniens! Les autorités françaises pourraient si-
facilement dissiper ces campagnes odieuses par une mise au.
'point officielle ! Elles s'en gardent bien et laissent se créer des
psychoses funestes, à base de nervosité, comme celles que l'on
a pu constater lors de la chute de Bilbao, puis de la prise de
Santander et de Gijôn. Chaque ijour nous apporte une preuve
nouvelle de la mauvaise foi des adeptes du marxisme espagnol.
En veut-on un typique exemple? Je le choisirai au sein même
de ma petite patrie, la Bourgogne.
Le 25 février dernier, à la tribune du Parlement français, un.
universitaire qui fut maire de Dijon et commissaire au Tourisme,.
M. Gaston Gérard, député de la Côte d'Or, se fait l'écho, non
pas de « bruits », mais de « faits » qu'ont dénoncé des jour-
naux étrangers et que dénoncent chaque jour des organes de
LA PHALANGE 8i
la presse parisienne, sans crainte- d'un démenti valable. « Le
trafic ferroviaire par la gare de La Tour-de-Carol, dit-il, vers
Puigcerdà est pour ainsi dire interrompu depuis plusieurs se-
maines. Les wagons de poudre, de munitions, de matériel de
guerre ne cessent de défiler, sous la protection des gardes mo-
biles, en armes sur le quai. Le quai de la gare a beau être interdit,
à peu près constamment, aux curieux, les tickets de quai ont
beau avoir été supprimés : tout finit par se savoir et il n'est pas
jusqu'à certains employés de chemin de fer socialo-communistes
qui ne craignent, un jour prochain, une belle explosion, ou un
bombardement de représailles. A ce propos, indiquons aux Di-
recteurs de la Cie du Midi, fusionnée dans la Cie Nationale, qu'il
ne suffit pas de dire que certaines rames sont « chargées de
caisses de morue sèche », ou « de pois chiches », pour qu'on le"
croie; surtout quand, par prudence quand même, ces mêmes wa-
gons portent l'étiquette : Défense de fumer. D'où vient tout ce
matérie.1 de guerre? En majeure partie, de quelques-uns de nos
grands et de nos petits ports, où il importe plus que jamais de
surveiller les bateaux de la Cie France-Navigation, dont. nous
avons déjà donné la liste, et quelques autres bateaux étrangers,
qui se livrent au même trafic. Il y a huit jours, en gare de Mar-
mande, et Ja presse régionale en a parlé, un wagon d'une des
rames de contrebande en question a été ouvert. Et, dans ce wa-
gon, qui était censé contenir des « pièces de machines agri-
coles », une caisse, qui s'était ouverte, laissa apparaître.,, des
armes. Le contrôle des chemins de fer fut saisi de l'incident
et en saisit à son tour les douanes. La réponse fut. : « Laissez
acheminer le wagon vers Toulouse et Puilgcerdà... »
M. Gastqn Gérard, dans la suite de ce discours, commit le
crime d'annoncer aussi qu'à Téruel, les nationalistes avaient con-
quis du matériel de guerre récemment importé et qu'ils'affir-
maient être, pour une bonne partie, français. Aussitôt clameur
de haro contre « ce pelé, ce galeux ». Sale jésuite, perfide syco-
phante! Attends un peu, salaud, tu nous revaudras ça! Et, tout
de suite, on lui jette à la face les troupes italo-alleman-des et les
« cent quatre-vingt {depuis, ils ont fait des petitsI) avions {pas
an de plus, pas un, de moins!) que lui ont envoyé Hitler et Mus-
solini et grâce auxquels il a repris Téruel (simple repli straté-
gique de l'héroïque armée populaire). Un journal local de Front
Populaire n'hésite point même à imprimer ceci : « M. Gaston
Gérard, "jusqu'alors, prêtait 'à rire. Son odieuse attitude envers
le gouvernement légal espagnol, son attachement singulier â

6
82 LA PHALANGE

Mussolini, ennemi de la France, -donnent à réfléchir. Solidaire


des hommes du G. S. A. R., pénétré des mêmes idées, va-t-il,
comme eux, chercher le mot d'ordre à l'étranger? Il faudra bien
un jour qu'il rende des comptes! s> Allez donc, avec de telles
gens, parler raison, simple bon sens, évidence des faits contrôlés!
Quand Franco, excédé des calomnies dont, chez nous, l'accablent
ceux qui ignorent tout de l'Espagne nationaliste, s'adresse à
l'Agence Havas et lui déclare solennellement qu'il ne songe pas
à changer jamais l'équilibre en Méditerranée; que, s'il a une am-
bition, c'est de reconquérir à son pays le prestige dont les exploi-
teurs de la République l'ont, aux yeux de tous les esprits sensés,
dépouillé passagèrement; qu'enfin son voeu le plus cher est, la
paix retrouvée dans la victoire, de collaborer ardemment à l'oeu-
Tre de concorde entre les peuples, quand Franco, textuellement,
dit ceci : Notons d'abord que notre indépendance et notre inté-
grité territoriales ne sont pas, n'ont pas été et ne seront jamais
menacées par ces nations qui, pour rendre un culte à l'honneur
et eu patriotisme, font justice au mouvement national. Nous
repoussons, comme indignes, les rumeurs absurdes qui courent
à ce sujet. D'une façon très précise, l'essence de notre mouve-
ment est l'indépendance de l'Espagne, l'unité de l'Espagne et
l'intégrité absolue de l'Espagne », voulez-vous savoir quel est
l'argument que lui opposent les porte-paroles de YAgenCe Espagne
et de Carlos Esplâ, distributeur de la manne marxiste en France?
Ils s'excusent de ne pas pouffer simplement de rire (car ce sont
gens de bonne compagnie), émus {qu'Us disent) « de tant de
ruines, de tant de crimes » (ceux des autres, évidemment, sont
tne invention des nationalistes), et, aussitôt, de ressasser l'idiot
cliché que « personne n'est dupe et Franco moins que les autres:
il sait bien que ce sont les Allemands et les Italiens qui com-
mandent en Espagne rebelle et qu'il est entre leurs mains et que,
si, par impossible (car ils en sont là, au printemps de 19381), il
devait trimpher, ce seraient les Italiens et les Allemands qui en
recueilleraient les fruits » (contre la France, évidemment, qu'Us
se préparent, par l'Espagne, à envahir : vo'r l'article de « Fermin
Mendieta », ex-ministre de Negrin, que j'ai cité dans un numéro
précédent de La Phalange)... Et ces gens-là se disent intelligents
et c'est à eux qu'est, ou que sera, bientôt, confié le destin de
la France immortelle! Quelle misère! Et quelle pitié!

Camille PlTOLLET.
LA PHALANGE S'è

Sur un Exemplaire
des Fleurs du Mal
Pour Ghristiane.
La Seine se bleuit de fugaces muances,
II fait froid. Sur les quais, si terne l'âme sourd
Qu'il me faudrait des mots vieillis, poussiéreux pour
Dire cette tristesse aux lambeaux de silence.

Et les lents glissements des péniches fiancent


Au ciel noir le coeur las et frippé, le coeur gourd
Trouble, ivre de grisaille où chancelle le jour
Qui s'enfante à regret et fuit... Evanescences.

Berçant et consolant comme voici quatre ans


Les amis de toujours revenus et s'offrant!
Il flotte au jeu du vent des franges de poèmes.

Atravers Nau, Royère et Verlaine, animal


Baudelaire surgit bousculant les soirs blêmes,
Soleil jeté là-haut, brûlantes Fleur du Mal.
Pâques 1938. Marcel COLLET.

Luîgi Cérbeltini
C'est un lieu commun devenu à force d'être répété bien
agaçant que de dire ou d'écrire que la séduction innée de cer-
taines oeuvres d'art doit nous induire en méfiance. On nous as-
sure, on tente de nous faire admettre que cette séduction cache
un germe de corruption redoutable qui a pour nom _: facilité.
Je m'inscris en faux contre une telle assertion née au coeur des
jaloux et des impuissants. Si facilité il y a, elle prouve au con-
traire que l'artiste, dont elle est l'hôtesse secrète et jalousée, est
84 LA PHALANGE

venu au monde pour extérioriser un talent supérieur, pour ac-


complir une destinée providentielle au sens où l'entendaient les
Anciens qui ignoraient la Providence, et pour cause, mais ran-
geaient volontiers les inspirés parmi les demi-dieux, sinon les-
dieux tout entiers...
Si jamais peintre s'entendit reprocher sa facilité, c'est bien
Luigi Corbellini, cet Italien plaisant comme le nom de son ori-
ginaire cité, ce Parisien d'adoption dont les toiles fraîches et
acides à la fois ornent tant de nos cimaises. Je n'irai point jus-
qu'à affirmer que certaines de ces oeuvres ne gagneraient pas à
être travaillées davantage, mais elles risqueraient alors de per-
dre leur spontanéité, leur capricieuse fantaisie, et ce je ne sais
quoi d'un peu extravagant ou d'inattendu qui est à proprement
parler le sceau de la jeunesse. Chez un peintre doué comme Cor-
bellini, la facilité ne m'apparaît pas dangereuse
— à condition
toutefois que le succès dont il jouit et qui va s'accroissant, ne l'in-
cite pas à bâcler sa production comme le font généralement au
déclin d'une vie trop comblée ces artistes qui, ne possédant pas
suffisamment en eux le sens de la grandeur, ne comprennent pas
que le don divin n'est départi à l'Homme que pour lui permettre
de se surpasser, de tendre sans arrêt vers le parfait. C'est que ce
parfait n'immortalise pas simplement un nom, faible chose, mais
un siècle, mais une nation. Je me doute bien quia Ja .lecture de
telles lignes, nombre de fronts français se marqueront instanta-
nément de plis désapprobateurs ou irrités, mais par contre nom-
bre de fronts italiens s'éclairciront, parce que toute conception
d'éternité glorieuse sera toujours admise, comprise, même ré-
vérée par déjà les Alpes. Que doit être le but suprême de l'Art,
sinon un désir impérieux de survie? Tout artiste ou tout écrivain
qui ne porte pas secrètement en lui ce désir — surtout s'il a la
chance que ses dons naturels soient favorisés par la Vie — ne
sera jamais à mes yeux qu'un batejeur de place publique, ni plus
ni moins qu'un marchand d'orviétan plus soucieux de pistoles
que de véritable considération.

L'an dernier, j'étais devant un tableau de Corbellini que le


Musée du Jeu de Paume venait d'acquérir et qui s'appelait le
s Jongleur ». Je regardais cette toile avec une attention d'autant
plus aiguë qu'à première vue la fantaisie qui en ordonnait la
composition pouvait paraître excessive. Je regrette de n'en point
avoir une photographie sous les yeux ainsi que je l'ai tant de
fois souhaité, elle me permettrait d'en mieux et plus exactement
LA PHALANGE 85

faire ressortir les caractéristiques. Combien de fois ce tableau, au


cours de la journée, avait-il entendu dire de lui qu'il était faci-
lement peint? Pour ma part, favais, à trois reprises différentes,
et en l'espace de dix minutes, perçu, sur son compte de peu flat-
teuses appréciations. Aussi, l'examinais-je avec une attention sou-
tenue. Ce qu'il représentait? Passons sur le détail; seule me re-
quérait la figure centrale, un corps mince et nu d'adolescent jon-
glant avec des étoiles d'or, le pied à peine posé sur une boule
forcément tournoyante. De prime abord, on ne saisissait que
l'adresse plus ou moins truquée du pinceau, mais un examen ap-
profondi révélait la sûreté du trait. Le mouvement de la jambe
légère gardant son équilibre malgré son pivot mobile, était une
merveille d'exactitude. L'artiste n'avait nullement triché avec la
difficulté. Il sortait victorieux du piège sans avoir eu l'air de
soupçonner qu'il pût y en avoir un. Eh bien! presque toute
l'oeuvre de Corbellini est à-la ressemblance de son « Jongleur ».
C'est pourquoi lorsque le peintre cède par trop à son démon de
coloriste, nous avons peut-être le droit et sûrement le devoir de
lui demander une application plus stricte de ses éblouissantes fa-
cultés.
La plus importante Exposition de Luigi Corbellini eut lieu
voici quelques mois. Plus de cent tableaux exprimaient son ta-
lent, disaient ses dons spontanés en leur grâce négligente, sou-
lignaient la constante audace de ses oppositions, son penchant
vers les tons crus et ardents (rouge groseille, vert acide, bleu
vif) brusquement nés au sein de nappes brunes où les ocres le
disputent à la terre de Sienne, hérésies véritables si on les con-
sidère du seul point de vue de la raison mais intéressantes au
premier chef par le conflit des valeurs qu'elles provoquent. Il
est bien rare qu'une oeuvre de Corbellini ne recèle pas une cha-
leur secrète, ni sentimentale ni d'esprit, mais' intensément sen-
sorielle. Plus les tons en paraissent sourds, plus cette qualité
charnelle se fait jour. J'ajouterai même qu'à tout regard non
superficiel, e}le apparaît plus vibrante dans les paysages — vi-
sions de Paris ou d'Italie — qu'en les portraits et nus propre-
ment dits dont la mollesse linéaire fait souvent tort à l'expres-
sion.
Corbellini serait-il un ogre? Il faut lui donner à croquer des
petites filles et des petits garçons pour qu'il nous ravisse complè-
tement! En ce cas, il se laisse aller à les fignoler, là les ciseler
en des encadrements de feuillages où vont et viennent des ani-
maux domestiques, notamment des lapins dignes du Pisanello. A
m 1A PHALANGE

de telles oeuvres, on devine son amour des enfants. Il sait les


parer de grâces ingénues effleurées d'un certain mystère. C'est
son coeur qui parle disciplinant sa fougue colorée. Parfois, lors-
qu'à l'aide d'une fillette bouclée, d'un campanile élancé du flot
et d'un bouquet de roses il compose quelque toile chatoyante et
claire, il fait songer à Laprade, mais quel infini de poésie mé-
lancolique ne se lève point à l'appel de ce nom, alors que d'un
tableau de Corbellini ne jaillit que le plus séduisant des feux
d'artifices! C'est que Laprade était peut-être plus poète que
peintre et que Corbellini est plus peintre que poète.
Mais ne nous fions pas trop à son actuelle gentillesse, elle
peut cacher, je ne dirai pas de sombres dessins, mais de brus-
ques Jà-coups, des parcelles d'orages fort capables de se résoudre
en foudre d'ici vingt ans. Porter un jugement définitif sur son
oeuvre serait à la fois imbécile et absurde. Il y a gros à parier
qu'avant qu'il soit Jongtemps, la peinture ne sera plus pour lui
l'extériorisation simplement heureuse de sa jeunesse, la radia-
tion charmante d'un talent naturel, mais l'expression profonde
d'une âme que ne satisferont plus seules les joies de la palette
et la douceur des succès. D'autres acquisitions lui seront venues,
nées des vicissitudes millénaires et des leçons de l'expérience,
et c'est alors que derrière le 'jeu subtil du pinceau nous décou-
vrirons la part d'éternité de l'homme.
Jacques FANEUSE.

Franco
A M. Armand Godoy, Insigne Poeta cris-
tào e latino.
Em Mussolini a Itâlia tem uni homem
que soube redimi-la, engrandece-la;
espirîto louçâo de gentil-homem
da Pâtria fez uma fulgente estrêla.

Na Alemanha Hitler foi. quem forte e ousado,


unificou a terra em que naseeu,
mostrando ao mundo, jâ maravilhado,
o grande, inabalâvel poder seu.
LA PHALANGE 8?

Aquî, em Portugal belo, formoso,


um grande nome sôa em terra e mar,
um nome altisonante, prodigioso,
que os povos causa espanto : Salazar.
Ena Espanha gentil, a norsa irmâ
muito amada de nos, os portugueses,
companheira dileta, a mais louçà,
nas nossas alegrias e revezer? .

Nela tambéni, nesta hora de combate


e de vit'ôria certa, à sonho branco!
um coracâo viril e amante bâte,
coracâo imortal dum Homem : Franco.

Franco, o herôi da Espanha, o Campeador


da nova geraçâo inclita e forte,
sera na terra sua o condutor
dum povo audaz, herôi na vida e morte.

Sua espada é um lâtego de luz


a fùstigar, nas trevas da maldade,
homens cégos ao bem que os bons conduz,
homens surdor ao bem que se Iher brade.

Franco défende, com bravura, a Espanlia


de Isabel a Catôlica e, também,
a de Santa Teresa; e tal façanha
alto valor na histôria coeva tem.

Porque contra a barbarie empunha a espada,


e sempre vitorioso, à luz da histôria
rasga uma nova, luminosa estrada
e a Pâtria e o nome seu cobre de glôria.

Com Franco estâo os espanhoir honrador


amando a terra onde o olhar abriram;
homens de bem, de coroçôes lavador,
onde a fé, onde a paz, o amor flortfam.
S8 LA PHALANGE

Ester sim, espanhoir sâo de verdade,


e mais do que espanhoir... que a sua acçâo
busca salvar, em estos de bondade,
N
toda a bêla cristâ civ'lizacûo.
Com êles em unisomo sentimos,
pois nos îrmana o mesmo idéal de paz,
de Deus a mesmo trono reflorimos,
mesma esperança a aima lusa traz.
Franco défende a Igreja, o amor de Deus,
a palavra santissima de Cristo,
a bondade que vem da luz dos Céus,
opondo ao mal esfôrço nunca visto.
Por tal hà-de vencer; certa a vitôria
em brève enramarâ com verdes paltnas
sua fronte coberta jà de glôria
na conquista das terras e das aimas.
Eno supremo, decantado dia
em que a Espanha for toda libertada
do maraeismo feroz, jâ na agonia,
as trevas sucedendo a madrugada,
Franco sera por todos aclamado
como Chefe sem par; libertador
dum pova que vivia escravisado
do comunismo à tirania e â dor.
Ea civilizaçâo oddental
sera salua, também, da garra adunca
da gente de Moscou, gente infernal,
sem coraçâo, que nâo perdôa niinca.
Bendita seja a hora enï que soarem
as palavras de Cristo : amor e paz;
que elas com sua força o mundo amparem
e nele impere Deus, nâo Satanaz.
Li&boa-janeiro 1938.
Joào Maria FERREIRA.
LA PHALANGE 89

Recherche de Vérité et de Musique


i
Le silence serait plus fertile, plus grand
Aux terres de regrets et d'enfances premières
Où, secouant le ciel comme un drap opulent,
Le Maître sut cueillir de divines lumières,
Chanta l'ange glissant sur les brises d'étoiles...
Tout est disette ici; même le lac sacré,
Et l'arbre liturgique et le vent dans les voiles
Retomberont mourants en un verset rythmé!
Vers le ciel le jet d'eau monte : il tombe sans cesse
Sur les cailloux noircis de la cité de mort,
Caserne où chaque aveugle à facettes se presse
D'entasser dans son coeurl'horreur de vivre^encor.
Si jamais dans la tête et jamais dans le coeur
Ne murmure la mer immense et caressante,
L'angoisse a retenu le triste doigt frôleur
Qui ne touche de saule et n'effleure d'amante.
Et pourtant je voudrais former la note juste,
Louange pour l'oreille et pour l'oeil un régal,
La trouvaille en plein vent, et non le choix vétusté,
Le ciel mélodieux, non la voix qui fait mal...
Méditer, à défaut d'exultante musique,
Le voyage mortel de silence enrichi,
Le regard de la bête aimante qui s'applique
A mourir sagement loin du maître endormi.
(Ce silence est terrible. Une nuit, un départ;
Le mal vient, il dévore et punit la tendresse :
Ah! nous avons horreur des vérités sans fard,
L'oeil cherche un luminaire et l'oreille une messe!)
Eole! murmurer aux belles printanières,
Aux feuilles que le vent du vallon satinait,
De chansons s'alléger pour sortir des ornières
Et tailler la facette où l'ange scintillait!
90 LA PHALANGE

Par la parole dite aider coquettement


Les mourants étourdis à vivre leurs magies,
Inonder du soleil de Naples le volcan,
Car tous craignent le flux des hautes syzygies,
Quand la vague battante et longue dans leurs corps
Menace la peau claire et si vite tranchée!
Mais chacun grimpe au mont où le coeur bat plus fort
Et se croit grand, d'avoir l'âme terrifiée!
Pauvre verbe tremblant à l'heure de mourir,
Plus d'arômes secrets sur les brises fleuries,
Et la main veut lancer le volant du plaisir
Avant de choir dans les rafales infinies.
Que dure un grain de sable, une fleur immortelle?
Ah, il faut acheter quelques zéphyrs nouveaux
,
Jouir, souple coquille, et vogue la nacelle!
Quand le regard au bleu du ciel voit des tombeaux,
Quand l'oreille au soleil écoute un vent hurler,
Un menu printemps rose au bord des fosses noires
Montre que le soleil ancestral s'est levé,
Mais qui desserrera Vétait de ces mâchoires?
Claivoyant du passé, doux semeur d'espérance,
Ton ciel imaginaire est un fol rejeton
Du désir paternel : mais tout être en souffrance
Râle son petit souffle hors de sa bouche, au fond
De ce cadre muet où pleurent nos silences.
Vous, grands frères venus dans la nuit et le vent
Nous chanter les refrains d'ineffables enfances,
Hommes qui modulez votre gémissement,
J'admire, et vous écoute; enfin le livre clos,
Je dis que la plus belle et la plus juste note
Est celle que j'entends sourdre du fond des eaux
Pour se briser au ciel lorsque la mer est haute.
Yves BESCOU.
LA PHALANGE 9i

P®ème§
FEMME

À Armand Godo5r.
Tu es le jour, tu es la nuit; tu es le rêve, tu es l'oubli,
le temps qui passe, l'instant qui dure, l'azur, l'espace et
l'aventure. Tu es parfum, tu es couleur, ange et démon,
esprit vainqueur, âme d'airain et coeur de boue, coeur de
rubis, figure de proue.
Tu es la terre, tu es la mer, l'air et le feu, le ciel, l'enfer;
tu es la montagne et la plaine, le sphinx et la sirène, le
refrain de la cantilène.
Tu es la pomme et le serpent, la mare et la fontaine, la
prière et le chant obscène, Thérèse et Magdeleine, froide
vipère et Souveraine.
Tu es le Bi&n et son contraire, l'amour fidèle et l'adul-
tère, la franchise et l'hypocrisie, le courage et la félonie, la
loyauté, la perfidie.
Tu es la foi, le faux serment, l'honneur et l'infamie, le
drame et la comédie, la misère infinie, l'éternel tourment, la
calomnie, le néant et la vie, le vice et la vertu :
MAIS QUI ES-TU?

VILLAGE
A Charles-André Grouas.
Dans ce village il y avait, il y avait des murs sans mor-
tier, de la mousse sur les murs, des fleurs de rêve, des pans
d'azur; des pans d'azur pleins de pommiers et, dans les ceri-
saies, des corbeaux pompeux qui posaient pour Pompon.
Dans ce village il y avait, il y avait des peupliers, des
haies peuplées de baies, des éléphants de paille soumis à
la marmaille, des gerbières aux bras verts et des maisons
sortant de l'ombre comme une algèbre sort du nombre.
Dans ce village il y avait, il y avait des cours sans
amours, des portes closes parées de roses, des jardins clairs
92 LA PHALANGE

aux plants divers et, sous les toits narquois, le vain paraphe
de fils et des agrafes du télégraphe.
Dans ce village il y avait, il y avait^ de l'avoine et du
lait frais, des greniers, des étables, des miches sur les
tables, des maies et des vins parfumés, du lard aux pla-
fonds, des puits profonds et dans la rue des attelages, dès
troupeaux et des étalages.
Dans ce village il y avait, il y avait des vergers fous, des
vierges sages, des hommes doux, des coeurs volages, des cris
aigus et du tapage, des querelles et des héritages, des nais-
sances et des mariages, des enfants innocents qui, en se
baissant, montraient leur visage à tous les passants.
Dans ce village il y avait, il y avait des tonnelles et des
bosquets un clocher-bilboquet, des poules et des canards,
des tilleuls en boules, des garçons gaillards, des filles
nubiles, si bien qu'aux jours de liesse et d'allégresse, les
garçons coquets jouaient sous les charmilles : aux quilles,
au bilboquet avec les filles.

VOEU

Bâtisseurs, charpentiers, maçons et plâtriers, hommes


des autres âges, où sont vos échelles, vos truelles et vos
échafaudages? Où sont vos épouses sacrées, vos filles bien-
aimées, vos tombes dispersées?
En grand mystère, chacun s'est retiré sous terre, pour
l'éternité. -
Mais voici vos iimrs dans le soleil et la lumière, voici vos
âmes dans la pierre, voici vos esprits dans l'azur. Grands-
prêtres des cités, votre oeuvre vous confère une autre éter-
nité.
Et moi, simple trouvère que le Beau désespère, je lance
des messages et quête les suffrages de tous les bons cen-
seurs : puisse mon témoignage être celui du bâtisseur!

NAISSANCE DU POEME

Hier, il n'était encor qu'une brume indécise flottant sur


le décor de la pensée. En quête de pasteur, le poète atten-
LA PHALANGE 93

dait le mot-catalyseur et le mot est venu se poser sur son


coeur.
Il est des mots comme des mouettes, grises sur le fond
bleu de l'eau, blanches sur le fond gris du ciel, miroirs et
appeaux, emblèmes et drapeaux offerts aux poètes esclaves'
du Beau.
Mais d'où viennent ces mots?
Des lieux confus de l'âme, des plus profonds abîmes, des
ivresses intimes, des délirantes flammes?
Chevaliers de lumière, ils attendent dans l'ombre l'ins-
tant d'éclore à l'aventure, de révéler les saints mystères
des ineffables écritures. Ils sont peuplés de signes, ruis-
selants de soleil, riches de sang vermeil et de gloires in-
signes.
Lors, les mots inconnus, les mots de tous les jours tour-
nent avec amour, font la roue, font la cour, s'ag&nouillent
et prient, implorent et supplient, appelés, rejeiés, main-
tenus, réprouvés par le Mot-Majesté. Souverain du poète,
LE MOT, musique en tête, attire les cadences, invente des
images, anime des figures et capte des mirages où la pensée
fulgure.
Et le Verbe s'ordonne, et le poème sonne, tandis que le
poète, porteur d'un fier flambeau, songe que sa conquête
est le fruit du Hasard autant que du cerveau.
POETIQUE
À Jean Royère.
Un peu de Sens, un peu de Son
Et la pensée s'ordonne :
Du Son, du Sens à l'unisson
Et le poème sonne.
Catachrèse et répétition
Font resplendir la forme
Et scintiller dé cent façons
La pensée multiforme.
Le complexe engendre le vers
Et les élans mystiques
Qui font du poète hermétique
8é LA PHALANGE

Le roi de l'univers :
Du Corps et de l'Ame asservie
S'épanouit LA VIE.

D10NEE .

Dionée, Diomède nourrissait ses chevaux de chair hu-


maine et toi, écolière émancipée, fleur parfumée, hautaine
jouvencelle, tu dissous et digère les insectes alifères attirés
par le sucre de tes nectaires.
Tu tends au soleil tes pièges et tes sortilèges; tes pétales
sont de purs miroirs; tu balances au vent le poudrier de
tes anthères; ton pollen est doux comme le nom d'Hélène
et le bouquet de tes pistils est un buisson de mystère.
Mais l'insecte blond ami des caresses, l'amoureux épris
des bonnes tendresses, le pêcheur de miel dont l'oeil à fa-
cettes enclôt l'univers, pris dans ta corolle et dans tes rets
pers gît comme un corps en nécropole.
Dionée, drosère, rossolis, petite rosée de soleil, fleur au
coeur malade dont l'étreinte folle entraine la mort, où se-
ront nos refuges si vous nous trahissez, s'il faut désespérer
des hommes et des bêtes, des plantes et des êtres, des fruits
comme des fleurs?...
Satan dénombre vos crimes; la paix descend sur vos
victimes : le monde expie vos goûts pervers.

André DEVAUX.

L*lh Verte
Pour Stuart Merrill.
Le vent vibrait, très lent et doux, aux chanterelles
Des cordages rpidis et les hunes craquaient
Rgihmiquement. Puis tout mollissait: longues, frêles,
Les drisses, lâchement pendantes, se choquaient...
LA PHALANGE 95

On louvoyait le long de côtes d'un vert tiède,


Comme tout amoiti de chaude humidité,
D'un vert doré, fluant sous l'éternel été,
Côtes de morbidesse ample, sans profil raide,
Sans rocs aigus, sans pics durs cloués dans le ciel.
Partout les bois divins moutonnaient, — irréels
Presque. La mer avait des plis de mousseline
Dans son bleu fulgurant que perlait le ciel clair,
Des vols faisaient des arabesques opalines
Et la brise de terre emparadisait l'air.

Oranges et mangos soufflaient sur nous; heureuses,


Nos narines buvaient l'essence du sol fort :
Nous éprouvions d'étranges et fiévreux transports
Aux émanations folles des tubéreuses,
Fleurs de vertige trouble et d'oubli capiteux...

Nous allions et venions, attardés et languides,


Barrant l'azur luisant d'un sillage laiteux,
Croulant puis sursautant sur les vagues turgides...

...
Et ,brusque, tout à coup, l'alizé nous jeta
Aux enchantements d'une minuscule baie
Où, le frais d'Est vaincu, la houle retombée,
Nous laissaient prisonniers d'une intime « huerta »,
D'un paradis perdu en l'anse dérobée, —
D'un Eden tropical aux feuillages grisants,
Aux fleurs comme de chair rose idéalisée.

Sous l'échevellement des palmiers bruissants,


Sous les noirs cachimctns, la blancheur irisée '•

Des perrons étages frôlait l'eau de béryl.

Et, sur les marches, se tordaient les frêles traînes,


Serpentines, pareilles aux traînes des reines,
De robes d'arc-en-ciel et de nuées d'avril;
Des femmes nous guettaient en nos bordées torpides;
96 LA PHALANGE

Les fleurs, et l'air marin semblèrent plus sapides;


Et nous allions sur l'eau claire, presque orgueilleux,
Tantôt le cap à terre, et tout près des beaux yeux,
Tantôt glissant au large, — aux nuées violettes, —
Sans perdre du regard le bouquet des toilettes.
La dernière bordée, on arriva si près
Des parterres, des corps de femmes diaprés
Que nous vîmes la plus brune, la plus charmeuse,

Nous envoyer, des doigts, un long baiser moqueur;


Du bout des doigts, avec des grâces langoureuses.
On se le partagea en frères, sans rancoeur,
Chacun le préféré, mais tous destinataires.

Puis le vent nous chassa du port ombreux, des terresr


Bien loin vers les nimbus fuyant à l'horizon,
Dam un souffle de fuite atrocement facile :
L'infini bruineux redevint la prison,
Et le voilier marcha, hancha, leste et gracile...
Je n'ai rien oublié : Rien que le nom de l'Ile!
John-Antoine NAU.
(La Phalange : 15 juin 1910) (1).

(1) Depuis 1914, nous n'avions pas constaté dans le monde un be-
soin de poésie aussi fort, aussi tyrannique, frénétique, qu'aujourd'hui.
C'est un signe que la planète est malade. Ce poème, paru dans La Pha~
lange, puis recueilli en 1914 dans En suivant les goélands, date en réa-
lité du siècle dernier. C'est une des plus adorables réussites de Nau.
En suivant les goélands est épuisé depuis longtemps. Que les privilé-
giés qui le possèdent s'en enchantent! Qu'ils le relisent matin et-soirI
Nous reproduirons dans La Phalange d'autres de ces merveilles pour
embaumer vos âmes, chers lecteurs. L'Ile Verte sera l'oasis où nous
vous accompagnerons ainsi, pour oublier.
N. D. L. D.

Le Gérant : J^an ROYÈRE.


Société d'Editions et d'Imprimerie
J. Pejronnet et Cle, Editeurs Ateliers à Joiguy (Yonne)
DÉLÉGUÉS GÉNÉRAUX DE LA PHALANGE

Pour l'Italie .-
VINCENZO DE SIMONE, 4, Piazza Argcntina, à MILAN.
FRANCESCO SAPORl. 5, Via Icilio. A ROME.
Pour la Belgique :
CHARLES ANDRÉ GROUAS, 108, rue Rodenbach à
BRUXELLES.
Pour la Bulgarie :
NICOLAI OONTCHEV, 12, rue O'Mahong, à SOFIA.
Pour FAllemagne :
GUSTAVE ANCENYS. Lùtzowstr. 83, BERLIN (W. 35).\
Pour la Suisse :
PROFESSEUR E. SCHAUB-KOCH, 32, quai Gustave Ador, à
GENEVE.
Mademoiselle MARIA FOLLV. 9, avenue de la Dole, LAUSANNE.
Pour la Suède :
KARL G. OSSIANNILSSON, à LINGHEM.
Pour la Principauté de Monaco :
Mademoiselle SUZANNE MALARD, Villa Lamartine, 19, boule-
vard Princesse Gharlotte, à MONTE-CARLO.
Pour les Etats-Unis :
Madame JOSETTE LACOSTE. 137, West 27ihStreet, à NEW-YORK;
Madame MARIA LUISA S. DE FERRARA, Hôtel Ritz-Carlton,
Madison Avenue, à NEW-YORK.
Pour l'Equateur :
VICTOR M. RENDON. Aparlado G., à GUAYAQUIL.
Pour l'Afrique du Nord :
GUIDO MEDINA, à SOUSSE (Tunisie)
Pour le Liban :
CHARLES CORM, Place du Musée, BEYROUTH.
Pour la Roumanie :
SANDU TZIGARA-SAMURCAS. boulevard Col. M. Ghika, 4, à
BUCAREST.
Pour l'Indochine :
A. REBUFAT. rue Catinat, 63, à SAIGON.
Pour le Pérou ;
Dr CARLOS PAREJA PAZ SOLDAN. Pasaje Garcia Calderon 961
à LIMA.
Pour Cuba :
ANTONIO IRAIZOZ. Republica N" 2r Animas 22, Altos,
HABANA (Cuba).
JOSÉ SANCHEZ ARCILLA, Diario de la Marina, LA HAVANE.
Pour Vile Maurice :
ROBERT-EDWARD HART, Institut Port-Louis, ILE MAURICE.
(Voir la suite page 4 de couuerture.)
* LE COMMUNISME DÉPOUILLE
L'HOMME DE LA LIBERTÉ. »
Cardinal PACELLI.

J^ous défendons l'Eglise, la


Religion et la Civilisation Chré~
tienne.
LieCatholicisme fut et sera
le véritable esprit de l'Espagne.
Général F^AftCO.

DÉLÉGUÉS GÉNÉRAUX DE LA PHALANGE


(Suite)

Pour la Bretagne :
Madame MARIE-THÉRÈSE DAGOT. 6, Quai Richemond, Rennes..
Pour le Languedoc :
ARMAND PRAVIEL, 25, Rue Roquelaine à TOULOUSE.
Pour le Luxembourg :
JOSEPH LACAF. rue Corneille à DIEKIRCH (Luxembourg).
Pour le Portugal :
Madame MARIA DE CARMO PEIXÔTO. Calcada do Monte, 29, 3\
à LISBOÏ.NE.
Pour l'Espagne :
Dr ANGEL GONZALEZ PALENCIA, AlfonsoI,39, à SARAGOSSE.
JUAN HERNANDEZ SAMPELAYO. Villa Ichasondo, Avenida 1,
Beatrix à SAINT-SÉBASTIEN.
TRANCESCO AGUILAR Y PAZ, Jefe Provincial de Prensa y
Propaganda, Sanla-Cru: de Tenerife.

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