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Sylvain Missonnier, « Psychanalyse et psychothérapie : étude comparative et
critique des quatorze contributions publiées dans le Carnet PSY », Le Carnet PSY
2007/9 (n° 122), p. 29-39.
DOI 10.3917/lcp.122.0029
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ces cadres “exotiques” par rapport à la cure- chanalyse à l’égard de l’apport de ces
type peuvent occuper dans une formation confrontations illustrées par l’histoire. Pour
psychanalytique. Concrètement, doit-on, autant, les conséquences qui en sont tirées
d’abord, devenir psychanalyste (connaissant diffèrent largement pour, d’une part, affir-
le “coeur” de la psychanalyse, la clinique mer ou nier la distinction entre cure-type et
des névroses, M. Aisenstein) puis, secondai- psychothérapie psychanalytique et, d’autre
rement, s’engager dans des aménagements part, défendre ou non une formation spéci-
imposés par des cadres autres que la cure- fique à la psychothérapie psychanalytique.
type ? Est-il plutôt recommandé de s’inves-
La discussion de la proposition théorique
tir simultanément dans un processus de for-
“changement de cadre = changement de
mation à la cure-type et aux aménagements
processus” est indissociable de ce qui précè-
du cadre des psychothérapies psychanaly-
de. Si les aménagements du cadre impli-
tiques (B. Golse ; M.R. Moro) ? Et que pen-
quent des processus différents, on compren-
ser de ceux, nombreux (étudiants, jeunes
dra aisément la revendication de certains
praticiens en psychiatrie, psychologie), qui
explorateurs des limites en faveur de forma-
ont une pratique intensive de psychothéra-
tions spécifiques (M.R. Moro, C. Lachal, S.
peute, parfois avec des cas difficiles que l’on
Frisch, B. Golse, R. Roussillon). Comme on
réserve souvent aux derniers arrivés, et qui,
l’a vu, la chronologie de ces apprentissages
soit sont encore en analyse, soit ont déjà
est discutée (avant, pendant, après celui de
démarré un cursus de formation (M.R.
la cure-type).
Moro, C. Lachal ; S. Frisch) ? Pour ces der-
niers, le devenir “psychanalyste” équivaut-il, 1.3 L’évaluation
comme le suggère B. Brusset, à un abandon Dans le droit fil de cette hypothétique plu-
des techniques psychothérapiques : “l’aban- riprocessualité, on ne sera pas étonné de
don par l’analyste en formation des attitudes trouver en bonne place la question de l’éva-
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luation des pratiques à l’occasion de ce type et psychothérapie psychanalytique. Si,
débat. Actuellement, et en particulier suite artificiellement, on suspend transitoirement
au rapport Inserm à ce sujet (R. Perron, J. la variable fondamentale de la formation
Sedat), c’est une thématique polémique (analysant/analyste en formation/analyste
dans la communauté des professionnels du confirmé) dont on vient de souligner la pro-
soin psychique. Les attentes du politique et fonde empreinte dans ce débat, les contribu-
du social en faveur d’une exigibilité d’une tions rassemblées ici sont traversées d’une
évaluation dite scientifique des psychothé- opposition entre deux conceptions princeps
rapies sont fortes et le risque que “cette éva- de l’exercice du psychanalyste. La première
luation en termes d’efficacité ajoute une est celle d’un champ psychanalytique “éten-
dimension prédictive sur la dangerosité” du” qui englobe le coeur (la cure-type freu-
s’amplifie (J. Sedat). Cette authentique dienne de la névrose hystérique) et les
menace de l’évaluation d’un espace analy- cadres aux limites (listés plus haut) sans que
tique qui n’est pas un cadre objectivant, s’opère pour le psychanalyste un change-
rend-elle alors nécessairement “totalement ment de nature (d’essence) de la méthode et
illusoire de prétendre à l’objectivation et de la doctrine. La seconde conception décrit
l’évaluation”(J. Sedat) ? Quelle que soit la deux sphères, le psychanalytique et le psy-
pertinence de ces interrogations, ne doit-on chothérapique, considérant qu’il existe de
pas aussi envisager les oppositions frontales l’un et de l’autre dans des dosages différents
à l’évaluation comme le reflet de nos dans la cure-type elle-même et, a fortiori,
propres limites cliniques et conceptuelles ? dans les psychothérapies psychanalytiques.
En d’autres termes, le chantier de l’évalua- Pour illustrer cette dichotomie, on peut
tion en France souffre de la misère métho- confronter les positions de M. Aisenstein et
dologique et des intentions scientistes de ses de J. Laplanche qui ont le mérite d’être très
expériences les plus médiatisées. Cette mau- éclairantes car fortement contrastées.
vaise réputation justifiée va-t-elle barrer la Bénéficiant de ces deux pôles, il sera plus
route à toute possible créativité ? Dans ce facile ensuite de situer les autres auteurs.
contexte, on peut se demander si le peu Pour la première, “la psychothérapie psy-
des définitions catégorielles (Q3) et des cri- séance et ne peut qu’être “psychanalytique” :
tères psychopathologiques (Q4) n’illustrent soit elle est menée par un psychanalyste, ou
pas l’état des lieux du débat : tant que la bien elle n’est pas”. Psychanalyse et psycho-
question de la légitimité épistémologique et thérapie psychanalytique ne sont que des
éthique de l’évaluation des processus inhé- variations d’une seule et même méthode
rents à la cure-type et aux psychothérapies fondée sur la même doctrine et une même
n’est pas élaborée, l’attention pour les visée, le changement psychique.
variables pressenties reste bridée. Pour com-
prendre les risques d’incompréhension, De son côté, J. Laplanche distingue, au sein
sinon de clivage entre cliniciens-chercheurs même de la cure-type, le psychothérapeu-
engagés dans cette voie et les cliniciens tique et le psychanalytique. Il considère en
moins ou pas investis dans la recherche, ce effet que dans une cure-type de névrose, ces
point est sans doute déterminant. deux options se côtoient constamment. La
première activité correspond selon lui à la
2- Lignes de force des convergences/diver-
remise en forme et en histoire de ce que
gences
l’analyse découvre. C’est la conscientisation
Il est temps maintenant de se centrer sur les d’éléments inconscients. La seconde activité,
axes majeurs transversaux des différentes c’est essentiellement le “traitement” des
contributions. Je ne vise pas ici une évoca- défenses intimement liées aux fantasmes
tion exhaustive des très nombreuses théma- inconscients rendu possible par la libre asso-
tiques mais un effet de zoom sur la substan- ciation “que l’on peut mieux nommer
tifique moelle. méthode “associative-dissociative” et par les
2.1 Le psychanalytique étendu ou la dialec- interprétations de l’analyste.”
tique psychanalytique/psychothérapeutique
C’est le centre du débat engagé : la légitimité Dans le même sens que M. Aisenstein, pour
et la pertinence d’une distinction entre cure- R. Gori, “les psychothérapies psychanaly-
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tiques constituent des variantes, des ajuste- quiproquo anachronique du transfert à partir
ments des modalités d’un travail psychana- duquel il interprète les conflits névrotiques
lytique qui procède de la même méthode infantiles actualisés par le processus ; à
que celle mise en oeuvre dans la cure. Ces l’autre extrémité, celle de la psychothérapie
variantes et ces ajustements sont des traite- visant l’enrichissement du sens par la partici-
ments authentiquement analytiques nécessi- pation active de l’analyste aux associations
tés par les problèmes que posent des situa- d’idées tout en renonçant à l’interprétation.”
tions cliniques et pratiques particulières. Le
travail psychanalytique s’effectue au cas par En effet, outre l’interprétation en fonction
cas et à distance d’une idéalisation qui du transfert, l’analyste, écrit B. Brusset est
imposerait au praticien un protocole for- généralement obligé de recourir aussi à
mel, homogène et standard.” (R. Gori). d’autres types d’intervention que l’on peut
Dans ce contexte, “L’expression “psycho- dire d’ordre psychothérapique : “La dimen-
thérapie psychanalytique” porte en elle- sion psychothérapique fondée sur la partici-
même une contradiction fondamentale car pation de l’analyste en position de psycho-
aucun projet fut-il de soin ne saurait peser thérapeute est variée et tributaire de ses
sur la méthode analytique. Quant à la spéci- intuitions, de son expérience, de ses capaci-
ficité de cette méthode, c’est de tenir comp- tés empathiques notamment dans la percep-
te, plus que toute autre, des conditions de sa tion des niveaux de fonctionnements régres-
genèse et de sa mise en oeuvre” (R. Gori). sifs extra-verbaux qui trouvent théorisation
dans la référence aux phénomènes d’identi-
M.R. Moro et C. Lachal en se ralliant aussi fication projective, aux premières relations
à cette voie en montrent le dynamisme : mère-enfant ou même enfant-environne-
“nous contestons la distinction entre psy- ment en deçà de la constitution de la mère
chanalyse et psychothérapie psychanaly- comme objet. L’interprétation est différée
tique. Cette distinction n’est que formelle et et les interventions de l’analyste se fondent
n’apporte ni un supplément de théorie ni de sur la perception contre-transférentielle de
pratique. (…) Les variantes de la cure res- l’économie psychique du patient : un modèle
les migrants par exemple, nous voudrions chiques, sur les séquences associatives, sur
proposer ici l’idée qu’il est un autre point l’émergence de l’inconscient soit dans
qui fonde le processus psychanalytique, l’ordre de la symbolisation, du retour du
c’est la position contre-transférentielle du refoulé, soit, en deçà des représentations,
thérapeute et pas le dispositif qui, lui, doit dans l’ordre des motions pulsionnelles, de
varier pour s’adapter aux besoins et à la spé- l’inconscient du ça, de ce qui appelle figura-
cificité des situations rencontrées.” tion, construction et transformation par
l’analyste.” Paradoxalement, comme on l’a
Par contre, A. Braconnier et B. Hanin adhè- déjà vu avec cet auteur, la supervision de
rent à la bidimensionalité dialectique défen- formation doit permettre “l’abandon” des
due par J. Laplanche : “il serait réducteur de attitudes psychothérapiques dans la cure-
concevoir une cure-type sans une certaine type (B. Brusset).
dimension psychothérapique. En contre-
point, il serait inexact de concevoir la psy- Finalement, émerge ici une bifurcation cru-
chothérapie psychanalytique en faisant abs- ciale pour organiser le débat. D’un côté, il y
traction de sa spécificité psychanalytique”. a ceux qui défendent le “tout psychanaly-
B. Brusset reprend aussi à son compte cette tique” : “mon souhait serait que tout travail
dialectique : “Il y a dans les traitements psy- psychanalytique soit dénommé “psychana-
chanalytiques une double dimension des lyse”, qu’il soit de face à face ou sur le divan
interventions : celles de type psychothéra- et que soit précisé le cadre.” (M.
pique et celles qui sont spécifiquement psy- Aisenstein). De l’autre, il y a ceux qui voient
chanalytiques. On peut parler d’un rapport du “psychanalytique” et du “psychothéra-
de type série complémentaire : à une extré- pique” à l’intérieur même de l’espace de la
mité, l’effacement de l’analyste “qui fait le cure-type. Pour les premiers, la ligne de
mort”, support de projection et figure du démarcation pertinente n’est pas entre cure-
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type et psychothérapie psychanalytique mais bonne politique. Elle fait de l’analyse du
entre “psychanalyste” et “non psychanalys- transfert, la pierre angulaire, l’axe principal,
te”. L’intitulé de psychothérapie psychanaly- majeur et identitaire de la pratique psycha-
tique est illogique. Pour les seconds, ce qui nalytique. Le choix passe en effet par le fait
prime, c’est le dosage singulier du “psycha- d’utiliser la suggestion, celle qui est inévi-
nalytique” et du “psychothérapique” au sein table et inhérente à la situation - qui surgit
même de la cure-type et a fortiori dans la de l’existence même du transfert, et sur
psychothérapie psychanalytique. Toutes les laquelle l’analyste n’a aucun contrôle car
prises de position à l’égard des thématiques elle ne dépend pas de lui mais du fait que ses
suivantes seront marquées par l’option choi- interventions sont “reçues” à partir de la
sie face à cette dichotomie matricielle. position qu’il occupe dans le transfert - pour
“dépasser” la suggestion par l’analyse du
2.2 Tentatives de définitions du psychana- transfert, et le fait d’utiliser la suggestion
lytique et du psychothérapeutique pour exercer une influence sur le patient”.
Le terme “psychothérapie” apparaît pour la Une fois établie cette opposition majeure
première fois en 1872 alors que le terme entre pouvoir d’influence de la suggestion
“psychanalyse” n’est introduit qu’en 1896. “dépassée” en psychanalyse et pouvoir d’in-
Mais ce n’est qu’en 1905, dans son article fluence de la suggestion “brute”, la distinc-
“De la psychothérapie”, que Freud prend tion divan/fauteuil versus fauteuil/fauteuil
clairement de la distance par rapport à n’est plus décisive : “L’opposition psychana-
l’hypnose en opposant la méthode cathar- lyse / psychothérapie peut aussi être tentée de
tique et sa méthode analytique. Toutefois s’appuyer sur la position corporelle proposée
dans ses écrits, il utilisera longtemps indiffé- à l’analysant : allongé sur le divan c’est de la
remment les termes “psychanalyse” et “psy- psychanalyse, face à face ou “côte à côte” ce
chothérapie”1. Aujourd’hui précise R. n’est que de la psychothérapie. Freud ne sem-
Perron, les psychanalystes font souvent ce blait pas non plus considérer que le face à
qu’il faut pour maintenir cette imprécision : face interdirait la pratique de la psychanalyse,
ils “ont la fâcheuse habitude de prendre le il se bornait à constater que pour lui il en
confusion avec d’autres entreprises psycho- De son côté, J. Sédat oppose fermement l’ici
thérapiques, on spécifie alors (pas toujours) et maintenant de la psychothérapie à l’his-
qu’il s’agit de psychothérapie “psychanaly- toricisation du sujet dans la psychanalyse :
tique”… ou “d’inspiration psychanaly- “la suggestion et l’hypnose représentent la
tique”, ou “psycho-dynamique”. Les termes résistance majeure à l’introduction à l’his-
depuis quelque temps fleurissent, d’où une toire d’un sujet, ce que rend possible, non le
belle confusion”. transfert, mais la règle fondamentale. Dans
la suggestion et l’hypnose, dans la mécon-
Plusieurs contributeurs reviennent sur cette naissance du passé et de l’histoire du
distinction et tentent de l’éclaircir. R. patient, tout se passe dans le pur présent de
Roussillon (repris et acquiescé par M.R. la relation”.
Moro, C. Lachal et B. Golse sur ce point)
exprime une ligne de démarcation essentielle : Pour C. Hoffmann, “Freud reconnaît aux
“Pour Freud, la psychanalyse est aussi une psychothérapies la volonté de guérir par
psychothérapeutique, même si elle n’est pas l’extérieur, par le soutien externe, ce qui est
que cela, il parle à plusieurs reprises de la en souffrance chez le sujet. Il en va autre-
“psychothérapie psychanalytique” pour ment de la psychanalyse qui tente de l’attra-
désigner ce que l’on nomme maintenant “la per par l’intérieur avec l’aide du sujet. La
psychanalyse”. Pour lui l’opposition ne plupart des psychothérapies s’appuient sur
passe pas entre la psychanalyse et la psycho- la découverte freudienne du transfert, sans
thérapie mais entre la psychanalyse et la forcément le distinguer de la suggestion ; ce
suggestion, et les pratiques fondées sur la qui a comme effet de renforcer la croyance
suggestion dont certaines pratiques qu’il dit dans un Autre supposé savoir. Nos patients
“médicales”. Cette position me paraît sage viennent avec cette demande d’obtenir une
et socialement efficace, c’est-à-dire de parole de l’Autre supposé savoir mieux
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qu’eux la vérité de leurs souffrances. Cette ou tel patient qu’une psychothérapie, alors
définition du transfert qui permet de saisir que pour tel ou tel autre “en psychothéra-
les effets thérapeutiques de toute situation pie” une analyse a pu avoir lieu.” (R. Gori).
de demande de soins adressée à un Autre,
médecin, psychothérapeute, etc…, et qui, 2.3 Cure-type et Psychothérapie psychana-
pour presque naturelle dans la relation lytique : un continuum ?
humaine, suppose néanmoins un “savoir y Les questions portant sur un éventuel conti-
faire avec” de la part de celui qui vient à cette nuum entre cure-type et psychothérapie
place du sujet-supposé-savoir, ceci pour évi- psychanalytique (Q5,6,7) sont inhérentes à
ter un simple effet hypnotique passager”. la croyance en deux espaces dialectiques
dans la cure-type et les psychothérapies psy-
“Il m’est arrivé, s’interroge R. Perron, de me chanalytiques : le “psychanalytique” et le
demander “en quoi ce qui se passe en ce “psychothérapique”. Dans cette optique, on
moment est-il psychanalytique, en quoi suis- s’écarte de la description d’éléments exclu-
je en ce moment psychanalyste ?”. Ceci dans sifs propres à la cure-type et aux psychothé-
le cas du divan-fauteuil tout autant que dans rapies psychanalytiques au profit d’éléments
celui du fauteuil-fauteuil ; mais cette ques- transversaux dont on explore la variabilité.
tion m’est venue plus souvent encore dans le En défenseur du continuum, A. Braconnier
cadre d’une longue pratique du psychodra- et B. Hanin vont plus loin en évoquant non
me psychanalytique. En ce cas en effet, la pas un mais plusieurs continuum :
figuration d’action invite à bien des chemins “L’évolution et la diversité, tant des pra-
de traverse, et le psychanalyste doit se sur- tiques (écoute associative, travail d’interpré-
veiller pour rester psychanalyste et ne pas tation, etc.) que des processus (modèles de
glisser vers la position du comédien amateur transformation des représentations incons-
qui improvise. La meilleure réponse que j’ai cientes et préconscientes, des affects, etc. et
pu trouver, ce n’est pas : c’est parce qu’il y modèles des processus de transformation
est question de sexualité, d’inconscient, de des structures psychiques et des formations
traces mémorielles, d’enfance, de trauma- pathologiques) permettent incontestable-
postulat fondamental : derrière le sens appa- vue que prédéfinir le processus c’est d’une
rent, un autre sens est possible, et derrière certaine manière l’empêcher.” Naturel-
celui-ci un autre encore. Le pari est celui de lement, l’option du “tout psychanalytique”
la multiplicité des sens, de la polysémie.” s’oppose a priori à cette hypothèse d’un
continuum : “Pourquoi et au nom de quoi
B. Golse et R. Gori partagent une opinion décréter que l’extension d’un même modèle
clinique décentrée qui mérite d’être mise en scientifique, forcément adapté à des patho-
exergue : pour eux, ce n’est seulement logies nouvelles, en fait autre chose ? Je
qu’après coup que l’analyste peut définir la récuse et tiens pour une erreur logique
polarité psychanalytique ou psychothéra- l’idée selon laquelle une seule et même pra-
peutique d’un travail. En psychanalyse d’en- tique change d’essence selon les modalités
fant, “La distinction entre psychanalyse et techniques qu’elle adopte. J’utilise ici le
psychothérapie ne renvoie donc pas du tout, terme essence dans la stricte définition
ici, à une distinction structurale du type Husserlienne de la variation éidétique. En
névroses, psychoses ou états-limites. À cadre fonction des matériaux et de son inspiration,
décondensé comparable, la distinction ren- le sculpteur peut utiliser le ciseau, le marteau,
voie plutôt à la profondeur du travail atteint le couteau, il n’en reste pas moins sculpteur.
et au remaniement structural qui en décou- Devant un même paysage dix peintres, égale-
le, ce qui, encore, une fois, ne pourra sou- ment mais différemment talentueux feront,
vent être précisé qu’après-coup, l’important qui à la gouache, qui à l’huile, qui à l’aqua-
étant, dans tous les cas, de mettre en oeuvre relle, des exécutions chacune singulière -des
les conditions potentielles d’un authentique interprétations- dont l’essence n’en restera
travail psychanalytique.” (B. Golse). Chez pas moins une.” (M. Aisenstein). Cette
l’adulte, “On peut ainsi dans l’après-coup homogénéité de la méthode et de la doctrine
constater qu’une analyse n’aura été pour tel soulève aussi un autre problème :
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“L’insistance sur le “continuum des traite- de l’hystérie, tandis qu’une présentation
ments psychanalytiques” tend à dissoudre les approfondie des processus psychiques, à la
différences et infère corrélativement l’idée de façon dont elle nous est donnée par les
continuité entre le conscient, (le conscient poètes, permet, par l’emploi de quelques
implicite, l’inconscient cognitif, le subcons- rares formules psychologiques, d’obtenir
cient), le préconscient et l’inconscient : l’es- une certaine intelligence du déroulement
sentiel est alors dans tous les cas la bonne d’une hystérie.” (S. Freud, Études sur l’hys-
communication, l’empathie réparatrice, voire térie, cité par J. Sedat). Toutefois, on sent
la recherche de “l’expérience émotionnelle bien dans la prudence de certains à l’égard
correctrice”2. La dimension psychothéra- de cette processualité une ou plurielle qu’il
pique est centrale. Inversement, dire que s’agit là d’un Rubicon dont le franchisse-
toute pratique est analytique dès lors qu’elle ment est lourd de conséquences : “la psy-
est celle des psychanalystes évacue également chothérapie psychanalytique s’est dévelop-
la question des différences entre psychanaly- pée en prenant appui sur la psychanalyse
se et psychothérapie.” (B. Brusset). mais aussi en développant des aspects tech-
niques différents, et peut-être même proces-
Enfin, dans une formule forte, S. Frisch suels différents, pour s’adapter aux patholo-
inquiète la légitimité a priori d’un continuum : gies rencontrées. La démarche psychothéra-
“Il reste à prouver que les élaborations peutique ne se fait alors pas par défaut en
déduites de la pratique de la cure-type puis- référence à la cure-type mais par rapport à
sent être transposées telle quelles sur la pra- des indications précises et aussi par rapport
tique psychothérapeutique”. Notons alors à des buts plus précis.” (S. Frisch). En
sous la plume du même auteur la mitoyenne- embuscade derrière la diversité processuel-
té des interrogations sur la continuité et la le, se cache la menace du statut de maître
mono ou pluri processualité de la cure-type étalon de la cure-type.
et des psychothérapies psychanalytiques : “la
psychothérapie psychanalytique s’est déve- Certains contributeurs franchissent allègre-
loppée en prenant appui sur la psychanalyse ment le Rubicon : “les différences de setting
référence à la cure-type mais par rapport à Golse). In fine, la processualité est une cible
des indications précises et aussi par rapport à élective du clinicien chercheur a fortiori for-
des buts plus précis.” mateur : “La recherche sur les processus
nous semble être la plus importante et la
2.4 Le processus de la cure-type et des plus spécifique du champ des psychothéra-
psychothérapies psychanalytiques : unité pies, dans la mesure où elle nous permet de
versus diversité comprendre, ce que l’on fait ou doit faire,
De fait, dans la suite logique de ces associa- comment on le fait ou ce qui se passerait si
tions au sujet d’une hypothétique continuité, on faisait autrement, et enfin pourquoi.
une interrogation sur l’unité/diversité proces- C’est donc une recherche sur la complexité
suelle dans la cure-type et les psychothérapies à laquelle on ne peut renoncer car elle est
psychanalytiques s’impose. Bon nombre gage d’efficacité et de transmission pos-
d’auteurs s’y sont d’ailleurs employés en fai- sible.” (M.R. Moro et C. Lachal).
sant ainsi écho à la très forte récurrence du
terme processus dans les questions (7 occur- 2.5 Psychanalyse sans visée curative (guérison
rences). De plus, la convergence de cette “de surcroît”) versus psychothérapie avec but
question avec celles de la formation et de Freud a souhaité se dégager avec la cure-
l’évaluation a déjà été soulignée. La justifica- type d’une visée médicale écrit C.
tion de la centration sur les processus psy- Hoffmann : “il ne s’est pas opposé à l’inser-
chiques reste fondamentalement freudienne3. tion possible de la psychanalyse dans la
Elle lui a permis avec les hystériques de se médecine à condition qu’elle y apparaisse
démarquer de la psychiatrique histoire de la comme une spécialité de la médecine. Il
maladie (des symptômes) à l’histoire du craignait néanmoins que la visée thérapeu-
malade : “le diagnostic local et les réactions tique de sa méthode ne l’emporte sur la
électriques n’ont aucune valeur pour l’étude recherche scientifique de la psychanalyse.”
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R. Gori enfonce le clou : “La psychanalyse lité variables”, “La différence -qui me paraît
n’a pas d’autre finalité que sa mise en oeuvre essentielle- au sein de telles situations entre
et comme le rappelle Conrad Stein tout pro- non analystes et analystes semble bien être
jet fait obstacle à la méthode de l’analyse, et la capacité de ces derniers à saisir les véri-
ce quel que soit le projet thérapeutique ou tables ressorts de ces divers types d’inter-
didactique. À partir de cette position vention et l’opportunité ou non de les utili-
éthique et épistémologique, c’est seulement ser, sur un mode plus ou moins discret ou
dans l’après-coup que l’on pourra constater appuyé, et sans demeurer prisonnier de la
les effets d’un travail analytique et en déli- théorisation -plus ou moins idéologique-
miter la portée”. La prise en compte de cette qui sous-tend chacune des autres
présence/absence de représentation-but de la méthodes.” (R. Cahn).
cure-type, peut du coup devenir une ligne de Dans cette perspective, M. Aisenstein prend
partage exclusive avec la psychothérapie l’exemple de l’abstention à interpréter du
rendant caduque l’expression même de psy- psychanalyste formé : pour s’abstenir, “il
chothérapie psychanalytique (R. Gori). Pour faut d’abord savoir pourquoi on s’abstient
A. Braconnier et B. Hanin, certes “la cure- et de quoi en s’abstient, c’est-à-dire de quoi
type n’est pas une psychothérapie. Sa finali- on diverge. Pour retenir une interprétation
té primordiale ne s’inscrit pas dans une visée il faut qu’elle se soit intérieurement formu-
curative au sens des objectifs issus de la pra- lée. Si le lecteur veut bien me suivre, il faut
tique strictement médicale” mais, pour par conséquent admettre que l’on ne cesse
autant, comme on l’a déjà vu, ces deux pas d’être psychanalyste pour devenir psy-
auteurs voient du “psychanalytique” dans le chothérapeute parce que l’on garde par
“psychothérapeutique” et inversement. devers soi l’intervention classique qui se
serait en d’autres circonstances imposée.”
R. Roussillon donne une justification théra- (M. Aisenstein).
peutique freudienne de cette absence de
visée curative : “Quand Freud évoque l’im- 3. Demain : créativité et résistances
portance pour le psychanalyste de ne pas À l’issue de ce survol, je voudrais pointer
générale qui vaut par son… efficacité théra- Le témoignage de C. Anzieu sur l’état des
peutique ! (…) Le “de surcroît” de Freud lieux aux USA est dans cette perspective
n’est pas un rejet aux calendes grecques de la bien utile car, en dépit des profondes singu-
question de la guérison, c’est l’énoncé qui larités historiques et culturelles des deux
souligne que c’est de l’analyse et du travail pays, la mondialisation nous invite a mini-
de symbolisation qu’elle rend possible, que ma à observer l’évolution outre-Atlantique
celle-ci doit être attendue, et non de n’im- comme un champ des possibles en France.
porte quelle “voie courte”. La question Que dit-elle ? “Les heures de gloire de la
passe plutôt entre une “bonne” intervention, psychanalyse américaine se situent dans les
et celle-là résulte du travail psychanalytique, années 1950-60, quand la volonté de main-
et une “mauvaise” intervention qui tente de tenir la pureté analytique a dévalorisé la
court-circuiter le lent défilé de l’analyse et se pratique de la psychothérapie dans les socié-
borne à un simple effet de suggestion.” tés analytiques américaines. C’est toujours
le cas dans la formation, malgré la diminu-
2.6 Différence entre analyste et non ana- tion spectaculaire des cas d’analyse ces quin-
lyste ze dernières années. La règle pour la forma-
Face à la “séduction, argumentation plus ou tion analytique est stricte : trois cas supervi-
moins logique ou rationalisante, dédramati- sés à 4 séances par semaine. La peur de
sation, déculpabilisation, écoute bienveillan- diluer la psychanalyse a entraîné une poli-
te ou coparticipation plus ou moins mesurée tique rigide des instituts analytiques par rap-
ou intense, confrontation, manipulation et port à l’analyse”. Parallèlement, il faut
aussi… interprétation, toutes interventions mesurer combien “Les universités médicales
visant essentiellement le moi, indépendam- ou de sciences humaines ne donnent pres-
ment du déploiement ou de l’utilisation que plus de formation à une connaissance
implicites d’un transfert de degré ou de qua- de la vie psychique”.
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Au fond, pour C. Anzieu, “le problème le risait toutes les variantes et tous les aména-
plus difficile pour les psychanalystes est la gements ! Je comprends bien dès lors que
suprématie de la pensée behavioriste. Les ces mêmes collègues tiennent à opposer la
traitements comportementaux sont les seuls psychanalyse et la psychothérapie, mais on
reconnus par les compagnies d’assurance, et me permettra de douter du bien fondé
ce sont les recherches sur l’efficacité de ce d’une telle licence” (R. Roussillon). De fait,
type de traitement qui fixent les critères de la dévalorisation des psychothérapies par les
thérapies. Les travaux statistiques détermi- psychanalystes comporte le risque de les
nent la confiance dans les thérapies et les éloigner de la recherche clinique rigoureuse
psychanalystes ont pris du retard pour sur les variations processuelles en présence.
démontrer leur efficacité. La psychanalyse A contrario, si cette valorisante attention est
n’a pas très bonne presse en Amérique et la commune à la cure-type et aux autres cadres
pratique de la psychothérapie est devenue le aménagés par le psychanalyste, le débat
processus nécessaire aussi bien pour former peut s’engager car, finalement, comme le
les cliniciens que pour faire découvrir le tra- formule justement M.R. Moro, “ces modifi-
vail analytique à un patient.” cations des paramètres en milieu naturel
(individuel, groupe, temps, nature des inter-
Un état des lieux exhaustif de la diversité de ventions…) sont le véritable laboratoire de
la psychanalyse américaine mériterait de plus la psychanalyse”. Une fois acquis ce respect
amples développements et discussions. à l’égard du psychothérapique analytique,
Toutefois, il semble d’ores et déjà possible à les questions indissociables de la formation
partir de ce tableau de pressentir qu’une et de la recherche peuvent être envisagées
volonté de fixer une frontière nette entre l’or comme des antidotes au clivage. En effet,
de la cure-type et le cuivre de la psychothé- dans cette perspective d’une complémenta-
rapie aboutit à une raréfaction de la psycha- rité respectueuse entre la cure-type et les
nalyse comme pratique de soin, de formation autres cadres psychanalytiques aménagés, la
et à l’émergence d’une ligne de clivage entre ligne de démarcation ne se situe plus entre
psychanalystes et psychothérapeutes4. La cure-type et psychothérapie psychanaly-
récente ouverture de l’Association Améri-
brer dans une analogie réductrice entre le soit par un analysant souhaitant devenir
présent des USA et l’avenir de l’hexagone ni analyste ou encore un analyste en forma-
renier l’essence de la psychanalyse, ne pour- tion. Cette frontière met l’accent, d’une part,
rions-nous pas en France tenter de faire l’éco- sur l’usage ou non d’outils spécifiques psy-
nomie de cette fracture et de ces aménage- chanalytiques (l’élaboration transféro/contre-
ments sous la contrainte ? transférentielle en particulier) et, si oui, sur la
3.1 Rigueur de la cure-type et licence des maturation des compétences du clinicien
psychothérapies ? pour les utiliser. Sur la base de cette catégori-
Pour aller vigoureusement dans cette direc- sation, il est alors tentant de reformuler la
tion, la première conquête qui s’impose répartition avec d’un côté analystes, analystes
dans notre communauté de psychanalystes en formation, analysants et, de l’autre, les
formés et en formation, c’est la révision de professionnels sans expérience psychanaly-
nos représentations du champ de la psycho- tique. Pourtant, je crois justement essentiel de
thérapie. La citation suivante de R. résister à ce regroupement menaçant encore
Roussillon exprime le postulat nécessaire à une fois de cliver le paysage en psychanalystes
toute avancée en ce sens : “J’ai souvent et non psychanalystes et surtout, ne correspon-
remarqué lors des discussions informelles dant nullement à la réalité du terrain.
avec des collègues psychanalystes que l’ap- Les analysants et les “sans expérience psy-
pellation de “psychothérapie” semblait chanalytique” sont très majoritairement des
autoriser une perte de rigueur et des atti- étudiants en psychiatrie et en psychologie ou
tudes techniques approximatives, comme si de jeunes praticiens en ces deux domaines. Si
les impératifs de la pratique psychanalytique leur pratique des psychothérapies est dévalo-
semblaient pouvoir se relâcher dès que l’on risée par les défenseurs de l’or psychanaly-
quitte la stricte définition de la cure-type et tique, les analysants et, a fortiori, les “sans
que l’appellation de “psychothérapie” auto- expérience psychanalytique” risqueront d’as-
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sombrir leur vision de la psychanalyse perçue ficiellement ces deux modalités. Mais un
comme un îlot à mille lieux des enjeux cli- malentendu risque d’obscurcir le débat à ce
niques de leur immersion institutionnelle sujet. Ceux qui a l’instar de J. Laplanche
quotidienne. Pour s’opposer à cette déprécia- pointent ces deux entités comme co-pré-
tion de la psychanalyse via ce mécanisme sentes se réfèrent à une phénoménologie des-
d’isolation de l’activité psychothérapique, je criptive de la rencontre au sein de la cure-
crois que les Universités ont un rôle très pro- type. Ceux qui comme M. Aisenstein défen-
metteur à jouer. Malheureusement, en dent l’idée que le psychanalyste maintient
France, “Contrairement à d’autres pays une même doctrine et une même visée en
européens, l’Université est trop peu engagée dépit des variations ne sont pas contre l’idée
dans cette formation aux côtés des instituts d’élaborer la connaissance de ces variations :
de formation alors que cela pourrait déve- “Seule l’étude constante des limites du
lopper une articulation plus grande entre for- champ de la psychanalyse peut nous per-
mation et recherche et, entre la psychanalyse mettre d’exister.” (M. Aisenstein). Plus
et les autres disciplines présentes à qu’une opposition, il y a ici la revendication
l’Université, la médecine, toutes les sciences commune d’une identité vivante de psychana-
humaines comme la psychologie, la linguis- lyste dont la plasticité en signe la créativité.
tique ou l’anthropologie mais aussi la littéra-
ture ou l’histoire. L’université pourrait être Alors, au fond, ne pourrait-on pas simulta-
un lieu privilégié où la psychanalyse serait nément se faire l’avocat de cette plaidoirie
affectée par les données des autres et où elle en faveur de la plasticité de l’essence de la
pourrait, en retour, affecter en tant que psychanalyse et accepter l’idée qu’il y a une
méthode d’investigation certaines recherches promesse heuristique capitale dans la
en sémiologie linguistique, en anthropologie recherche sur la dialectique entre les ingré-
des processus intimes ou en littérature” dients spécifiquement psychanalytiques et
(M.R. Moro, C. Lachal). psychothérapeutiques de n’importe quelles
relations psychanalytiques de la cure-type ou
De leur côté, les analystes en formation, d’un cadre aménagé ? Si le clinicien promo-