Documente Academic
Documente Profesional
Documente Cultură
/(6(1)$176'(6%2855($8;6217$866,'(69,&7,0(6
0DGHOHLQH1DWDQVRQ
/(ݰVSULWGXWHPSV_m,PDJLQDLUH ,QFRQVFLHQW}
QR_SDJHV¢
,661
,6%1
$UWLFOHGLVSRQLEOHHQOLJQH¢O
DGUHVVH
KWWSVZZZFDLUQLQIRUHYXHLPDJLQDLUHHWLQFRQVFLHQWSDJHKWP
3RXUFLWHUFHWDUWLFOH
0DGHOHLQH1DWDQVRQm/HVHQIDQWVGHVERXUUHDX[VRQWDXVVLGHVYLFWLPHV}
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 37.10.241.160 - 13/08/2018 11h47. © L?Esprit du temps
'LVWULEXWLRQ«OHFWURQLTXH&DLUQLQIRSRXU/(ݰVSULWGXWHPSV
k/(ݰVSULWGXWHPSV7RXVGURLWVU«VHUY«VSRXUWRXVSD\V
/DUHSURGXFWLRQRXUHSU«VHQWDWLRQGHFHWDUWLFOHQRWDPPHQWSDUSKRWRFRSLHQ
HVWDXWRULV«HTXHGDQVOHV
OLPLWHVGHVFRQGLWLRQVJ«Q«UDOHVG
XWLOLVDWLRQGXVLWHRXOHFDV«FK«DQWGHVFRQGLWLRQVJ«Q«UDOHVGHOD
OLFHQFHVRXVFULWHSDUYRWUH«WDEOLVVHPHQW7RXWHDXWUHUHSURGXFWLRQRXUHSU«VHQWDWLRQHQWRXWRXSDUWLH
VRXVTXHOTXHIRUPHHWGHTXHOTXHPDQLªUHTXHFHVRLWHVWLQWHUGLWHVDXIDFFRUGSU«DODEOHHW«FULWGH
O
«GLWHXUHQGHKRUVGHVFDVSU«YXVSDUODO«JLVODWLRQHQYLJXHXUHQ)UDQFH,OHVWSU«FLV«TXHVRQVWRFNDJH
GDQVXQHEDVHGHGRQQ«HVHVW«JDOHPHQWLQWHUGLW
Madeleine Natanson
Les guerres, les génocides, les deuils, parsèment les sentiers de nos
mémoires. La douleur des pères est reprise comme une dette par les enfants,
les petits-enfants des victimes, mais aussi des bourreaux – et l’actualité nous
montre que la souffrance dans la chaîne générationnelle ne semble pas près
de s’arrêter. Comment assumer la dette d’existence pour des enfants, des
petits-enfants qui ont eu pour parents, pour grands-parents ceux qui étaient
du côté des bourreaux ? Pour anéantir cette dette, pour ne pas être jugé pour
ses crimes, Gœbbels a tué ses six enfants avant de se suicider !
J’ai reçu une jeune femme allemande, d’abord avec son mari français.
Ils souhaitaient parler de difficultés dans leur couple et de leur désir d’enfant
non réalisé. Ils racontèrent qu’à la fin de la dernière guerre, l’un et l’autre
sortaient de l’adolescence. Leurs deux pères absents durant le conflit, le
français prisonnier et l’allemand sur le front, venaient de rentrer dans leur
foyer. Puis madame demanda à revenir seule. Elle parla alors de son père à
la retraite, s’adonnant au jardinage et confia combien ses ongles sales, noirs,
la dégoûtaient jusqu’à la nausée. Cette noirceur symbolisait une autre
« noirceur ». À 20 ans, dans la bibliothèque familiale, elle avait trouvé un
livre dédicacé à son père par Hitler lui-même et découvert alors qu’il n’était
pas un officier « ordinaire » de l’armée, comme elle le croyait, mais un SS
qui avait eu des responsabilités dans un camp d’extermination. Elle parla
alors de ses cauchemars d’enfant qui prennent un sens : elle s’y voyait écrasée
par d’énormes bottes. « Comment ai-je pu aimer ce père ? »
Helga M., une autre patiente, née en 1943, raconte des rêves où elle voyait
« les fondations de sa maison constituées par un amas de crânes humains »
alors qu’elle était censée ignorer tout du passé nazi de son père 1.
Comment vivre cet état de fils ou de fille de bourreau ? Comment trans-
mettre la vie à son tour ? Que risque-t-on de transmettre de ce fardeau ?
Le pasteur Johannes Kulfus écrit : « C’était une forte tension de
condamner tous les nazis à l’école et de se retrouver avec deux d’entre eux
à table tous les jours. J’étais donc l’héritier d’authentiques nazis. 2 »
Helga Schneider pose dans son livre la question suivante : comment trans-
mettre, à travers sa souffrance de petite fille abandonnée, la vérité sur sa
mère ?
« Aujourd’hui, je te revois mère, mais avec quels sentiments ? Que peut
éprouver une fille pour une mère qui a refusé de tenir son rôle de mère afin
de rejoindre la scélérate organisation de Heinrich Himmler ? » La mère
d’Helga avait en effet quitté son foyer, non pas pour suivre un autre homme
camp d’extermination » (p. 26). Helga retrouve sa mère âgée vivant dans une
maison de retraite. Elle questionne, questionne encore : « Je vis un atroce
dédoublement. Une partie de moi est paralysée d’horreur ; l’autre comme
sous hypnose continue à demander, veut savoir ».
Le narcissisme blessé par l’abandon est exaspéré par la découverte du
choix de la mère de donner la mort et non la vie, la souffrance et non la
consolation. Éros ne se trouve-t-il pas alors dans un écart irrémédiable avec
Thanatos ?
Helga s’acharne à essayer de trouver chez sa mère l’expression d’un
sentiment, d’un remords, d’un regret qui lui permettrait d’accéder elle-même
à la compassion. « Je n’avais aucun droit de ressentir de la compassion, mon
devoir était d’obéir. «Fidélité et obéissance», un point c’est tout. La fidélité
est une grande valeur, sache-le. J’étais de la Waffen SS, moi ! Je ne pouvais
m’autoriser le sentimentalisme des gens ordinaires (p. 92-95). Face à ces
« valeurs » perverties, l’idéal du moi faussé, Helga insiste : « Mais tu étais
mère, tu avais deux enfants. Pendant qu’on poussait des enfants dans les
chambres à gaz, tu ne pensais pas à nous ? – Quel rapport ? Mes enfants
étaient aryens ! »
« Rien dans la vie psychique ne peut se perdre, rien ne disparaît de ce
qui s’est formé, tout est conservé de façon quelconque et peut reparaître dans
certaines circonstances » écrivait Freud 6.
Comment la petite fille, l’adolescente a-t-elle pu structurer surmoi et idéal
du moi, comment parler à son fils, comment lui transmettre ? En passant
par le désir des parents, l’enfant se constitue en tant que fils ou fille, ce désir
étant en conjonction avec la culture. Certains auteurs utilisent le concept
204 IMAGINAIRE & INCONSCIENT
la petite fille blessée et elle en a honte. « Je lui avais pardonné le mal qu’elle
nous avait fait à nous, à son mari, à ses enfants. Quant aux autres fautes
dont elle s’était souillée, le droit de condamner ou de pardonner appartenait
exclusivement à ses victimes ». Mais de cette souillure les enfants des
bourreaux ne restent-ils pas irrémédiablement marqués ?
Souillure et culpabilité
L’impensable rencontre
complices ? Complices contre notre gré, mais aussi coupables ? Que faire ?
Traîner notre honte de ce pays, notre colère qu’on nous ait légué « ça », notre
douleur d’être nés « là », de ces gens-là ? Une fille de rescapés m’a pris la
main en me disant qu’un enfant avait le droit d’aimer ses parents. Un
allemand n’aurait jamais pu me dire cela. Cela m’a sauvée. (Nathalie F)
Du côté des victimes, la question pouvait être celle d’un sentiment de
trahison : « Est-ce que je trompe la confiance des miens ? » Les points communs
se sont révélés autour du problème des racines, celles qui manquent avec la
disparition des grands-parents, celles que l’on rejette car ressenties comme
empoisonnées entraînant parfois l’effroi « à l’idée d’avoir des enfants ».
Pourtant malgré des drames, des colères, des réticences, ces rencontres
semblent avoir apaisé ceux qui ont pu y participer comme aucune thérapie
n’avait pu le faire, en les aidant à devenir des passeurs de mémoire. « Je suis
Bibliographie
COJEAN A., Enquête, in Le Monde, 27 avril 1995.
FREUD S. (1985) Deuil et mélancolie. Gallimard : Paris.
FREUD S. (1985) L’Inquiétante étrangeté et autres essais. Gallimard : Paris.
FREUD S. (1981) Au-delà du principe de plaisir, in Essais de psychanalyse, Petite
Bibliothèque Payot : Paris.
FREUD S. (1981) Considérations actuelles sur la guerre et sur la mort, in Essais
de psychanalyse, Petite Bibliothèque Payot : Paris.
MADELEINE NATANSON • LES ENFANTS DES BOURREAUX 207
SONT AUSSI DES VICTIMES
Notes
1. Cojean A., Enquête, in Le Monde, 27 avril 1995.
2. Kulfus J. (juin 2004) Planter sa graine de paix, in Parole protestante de Basse Normandie.
3. Cojean A., op. cit.
4. Fuks P. (2004) Sur quelques aspects du monstrueux dans l’histoire du XXe siècle et leurs
représentations, in Imaginaire & inconscient, n°13.
5. Schneider H. (2002) Laisse-moi partir, mère. Robert Laffont : Paris.
6. Freud S. (1979) Malaise dans la civilisation. P.U.F. : Paris. p. 11.
7. Cette notion a été développée notamment par des psychanalystes argentins à propos des
enfants kidnappés par les bourreaux de leurs parents et élevés comme leurs propres enfants.
Journal de psychanalyse de l’enfant, n° 9, Traumatismes.
8. Les lois, 731.
9. Ricœur P. (1965) Le conflit des interprétations. Seuil : Paris.
Ricœur P. (2004) Le mal. Labor et fides : Genève.
10. Basset L. (1995) Le pardon originel. Labor et fides : Genève. p. 438.
11. Sibony D. (1992) Les trois monothéismes. Seuil.
12. Sibony D., Ibid.
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 37.10.241.160 - 13/08/2018 11h47. © L?Esprit du temps
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 37.10.241.160 - 13/08/2018 11h47. © L?Esprit du temps
13. Schneider H. (2002) Laisse-moi partir, mère. Robert Laffont : Paris. p. 190.