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Pollution : au bord de
l’Aisne, «tout le monde
est en colère contre
Nestlé»
Par Charles Delouche, envoyé spécial dans les Ardennes, photos Fred
Kihn(https://www.liberation.fr/auteur/16525-charles-delouche) — 18
août 2020 à 19:26
Les rejets de l’usine se sont déversés sur près de 8 kilomètres dans le cours de l’Aisne,
dans la nuit du 9 au 10 août. Photo Fred Kihn pour Libération
A Challerange, dans les Ardennes, l’usine du
groupe agroalimentaire a rejeté par accident
des boues polluantes dans la rivière, le 9 août,
tuant plusieurs tonnes de poissons.
Les habitants s’indignent tout en ménageant
l’entreprise qui fournit de nombreux emplois
dans la région.
Au cœur des Ardennes, les rives de l’Aisne représentent bien plus qu’une
affaire de poissons morts. Du souvenir des premières pêches à la carpe aux
après-midi en famille, chacun partage une histoire avec ce lent cours d’eau
qui traverse la campagne. «Lorsque j’étais petite, on passait des journées
sur les plages d’Olizy, raconte l’édile de 65 ans. On n’avait pas de piscine,
alors on allait toujours se baigner ici. Il y avait même des gens du Nord et
de Tourcoing qui venaient spécialement sur les bords de l’Aisne.» Elle
aimait descendre la rivière en canoë avec ses enfants, petits-enfants et des
«enfants de la Ddass» qu’elle accueille depuis des années. Mais depuis la
vague de pollution, la préfecture a interdit toute activité nautique et de
loisirs. Par-dessus le marché, les agriculteurs ne peuvent pas conduire leurs
troupeaux à l’Aisne pour se désaltérer. Les habitants, qui ont interdiction
d’utiliser l’eau du robinet, commencent à stocker des bouteilles.
Rien, pourtant, à côté de ce qu’ont connu l’Aisne et ses rives pendant une
semaine. Les rejets de l’usine n’ont pas fait dans le détail et se sont déversés
sur près de 8 kilomètres. «La diversité de l’environnement et de la faune
aquatique ne va pas se recréer en un claquement de doigts, redoute Claude
Maireaux. La direction de Nestlé est dans l’insouciance et a eu tendance à
négliger l’impact.»
«Pipi de chat»
La façade de la filiale de Nestlé se voit de loin dans le ciel des Ardennes, avec
le sigle Nespresso et l’inscription «Dolce Gusto». Depuis 1947, l’usine
domine le village et rappelle qui nourrit le monde. Vouée un temps à
disparaître, elle revit depuis les années 2010 et le boom du filon des dosettes
de café. En 2015, la multinationale suisse injecte 12 millions d’euros dans ce
coin des Ardennes pour y perfectionner sa production. Elle embauche des
techniciens et des ingénieurs, et compte aujourd’hui plus de 100 salariés.
Nestlé fait également travailler quelque 200 agriculteurs qui
approvisionnent l’entreprise en lait pour le marché international. «Tout le
monde est en colère contre eux, mais certains ont peur de ce qu’il pourrait
arriver, explique Jimmy Joly, le conseiller municipal de Brécy-Brières.
Lorsque le directeur est venu constater les dégâts, il a été surpris que les
gens ne soient pas plus agressifs envers lui. Nestlé fait travailler beaucoup
de monde ici.» Depuis l’accident, les contrats intérimaires ont été
partiellement suspendus. La préfecture a autorisé une reprise partielle de
l’activité le 14 août pour permettre de traiter le stock de lait avant qu’il ne
soit périmé.
Kihn(https://www.liberation.fr/auteur/16525-charles-delouche)