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ENVIRONNEMENT

Pollution : au bord de
l’Aisne, «tout le monde
est en colère contre
Nestlé»
Par Charles Delouche, envoyé spécial dans les Ardennes, photos Fred
Kihn(https://www.liberation.fr/auteur/16525-charles-delouche) — 18
août 2020 à 19:26

Les rejets de l’usine se sont déversés sur près de 8 kilomètres dans le cours de l’Aisne,
dans la nuit du 9 au 10 août. Photo Fred Kihn pour Libération
A Challerange, dans les Ardennes, l’usine du
groupe agroalimentaire a rejeté par accident
des boues polluantes dans la rivière, le 9 août,
tuant plusieurs tonnes de poissons.
Les habitants s’indignent tout en ménageant
l’entreprise qui fournit de nombreux emplois
dans la région.

Dix jours après la catastrophe écologique qui a frappé le cours de l’Aisne, la


sidération reste intacte. «Avec tous les poissons qui sont encore au fond de
l’eau et qui vont se décomposer, on peut craindre une deuxième vague due
aux bactéries. Impossible de savoir ce qu’il va se passer» , redoute Jocelyne
Oudet, la maire de Brécy-Brières, l’un des principaux villages traversés par
la rivière. A quelques mètres de sa propre maison, une tache brunâtre
rappelle les dix tonnes de poissons en décomposition sous le soleil, qu’il a
fallu évacuer dans une benne. Les habitants ont tout fait pour les sauver,
armés de raquettes, de bassines et d’épuisettes, depuis que l’alerte a été
donnée, dans la nuit du 9 au 10 août. Des brochets, silures ou sandres ont
été repêchés mais, faute de pouvoir les mettre dans des récipients d’eau
propre, ils ont agonisé dans l’herbe. Des dizaines de milliers de spécimens
ont été tués. Pointée du doigt : la station d’épuration de l’usine voisine de
Nestlé, située à un peu plus de deux kilomètres en amont de la rivière, qui
fabrique du lait en poudre pour les capsules de café. Le directeur, Tony do
Rio, a reconnu les faits dans un communiqué le soir même, dès 23 heures. Il
évoque «le débordement ponctuel et involontaire d’effluents de boues
biologiques, sans présence de produits chimiques» sur «une durée
inférieure à trois heures».

«Coin très réputé»


Dix jours plus tard, Jocelyne Oudet attend toujours les résultats de l’Agence
régionale de santé (ARS), qui devaient initialement tomber le 14 août : «On
n’en sait pas plus sur ces boues biologiques. Ils doivent pousser les analyses
un peu plus loin.» Contactée par Libération au sujet de la nature des
produits déversés et des raisons du retard de l’expertise, l’ARS n’a pas
répondu à notre sollicitation.

Aujourd’hui, les pêcheurs sauveteurs sont repartis et la maire se sent un peu


seule. Elle repasse les images d’une population tentant l’impossible, dans ce
petit village très paisible de 76 habitants, à une heure de voiture de Reims.
«Il a fallu que je trouve des poubelles, avant que la préfecture apporte une
benne de semi-remorque. Et surtout, amener de quoi nourrir les pêcheurs
qui ont travaillé pendant la semaine.» Un peu plus au nord, à Falaise, un
barrage fait de ballots de paille n’a pas réussi à contenir la vague de boue.
Gendarmes, pompiers, scientifiques ont débarqué, suivis d’une cohorte de
pêcheurs et de chasseurs de la région. «Avec les curieux en plus, il a fallu
couper la circulation», raconte Jocelyne Oudet, épuisée par cette épreuve
inattendue d’un début de mandat déjà marqué par la gestion sanitaire du
Covid-19.
A Challerange, l’usine Nestlé, d’où se sont échappées les boues biologiques. Photo Fred Kohn
pour Libération

Au cœur des Ardennes, les rives de l’Aisne représentent bien plus qu’une
affaire de poissons morts. Du souvenir des premières pêches à la carpe aux
après-midi en famille, chacun partage une histoire avec ce lent cours d’eau
qui traverse la campagne. «Lorsque j’étais petite, on passait des journées
sur les plages d’Olizy, raconte l’édile de 65 ans. On n’avait pas de piscine,
alors on allait toujours se baigner ici. Il y avait même des gens du Nord et
de Tourcoing qui venaient spécialement sur les bords de l’Aisne.» Elle
aimait descendre la rivière en canoë avec ses enfants, petits-enfants et des
«enfants de la Ddass» qu’elle accueille depuis des années. Mais depuis la
vague de pollution, la préfecture a interdit toute activité nautique et de
loisirs. Par-dessus le marché, les agriculteurs ne peuvent pas conduire leurs
troupeaux à l’Aisne pour se désaltérer. Les habitants, qui ont interdiction
d’utiliser l’eau du robinet, commencent à stocker des bouteilles.

«Tenez, je vais vous montrer. Voilà le spécimen. Sacrément gros. Et je


chausse du 42 !» Jimmy Joly, conseiller municipal de Brécy-Brières, fait
défiler une de ses prises sur son smartphone, à l’époque où la rivière
charriait encore des poissons. Son pied façon mètre étalon est disposé à côté
d’un brochet. Pour ce jeune pêcheur amateur, installé à Brécy-Brières
depuis vingt ans, la pollution va laisser des traces. «Le coin était très réputé.
Maintenant, il n’y a plus rien. Parce qu’il y a eu cette catastrophe, on se
rend compte de la richesse de la rivière et de notre environnement»,
soupire-t-il, accoudé au garde-fou du pont. La Fédération de pêche des
Ardennes, appuyée par les associations locales de défense de la nature, ne
décolère pas. Elle a porté plainte contre Nestlé pour pollution et infraction à
l’article 432.2 du code de l’environnement.

«Ruisseau tout blanc»


Dans la commune voisine de Challerange, là où se dresse l’usine Nestlé, un
quart des habitants possède une carte de pêche. Le sésame, acheté au mois
de janvier, semble aujourd’hui bien obsolète. Les titulaires pressent la
société de pêche locale de rembourser les permis. La maire de Brécy-Brières
voudrait espérer un lent retour à la normale : «Petit à petit, on en aperçoit à
nouveau. Hier soir, j’ai même vu des alevins. Les pêcheurs nous ont
expliqué que la situation devrait petit à petit se rééquilibrer. On commence
à revoir de la vie.» Mais Daniel Drivière, 76 ans, président de la société de
pêche de Challerange, est moins optimiste : «Il faudra au moins dix ans
pour que la rivière retrouve son activité normale. Les coupables devraient
s’engager à la rempoissonner.»
Le désastre pouvait-il être évité ? En tout cas, certains signes d’alerte
pouvaient inquiéter. Jocelyne Oudet rappelle : «La semaine avant
l’accident, les gens de Nestlé nous avaient prévenus qu’ils avaient lâché
quelque chose dans l’eau et la police de l’eau [née en 2013 de la réforme des
polices de l’environnement et qui s’occupe de contrôler la protection et la
qualité de l’eau, ndlr] était venue faire des analyses.» Jocelyne Oudet
désigne l’Allin, un mince cours d’eau qui s’écoule devant sa bâtisse et se jette
dans l’Aisne. Un habitant affirme même que des cuves de lait y sont parfois
vidées : «Ce n’est pas forcément dramatique pour la nature, mais ça rend
le ruisseau tout blanc», pense-t-il. Du pur fantasme, rétorque Nestlé à
Libération, qui réfute cette accusation et assure qu’aucun litre de lait ne
termine dans les cours d’eau.
Jimmy Joly est conseiller municipal de Brécy-Brières, commune traversée par l’Aisne. Photo Fred
Kihn pour Libération

Pas de quoi rassurer les défenseurs de la biodiversité. «L’entreprise est


suivie et surveillée, notamment à cause de son laxisme, pointe pourtant
Claude Maireaux, président de Nature et Avenir, branche locale de France
Nature Environnement. Et ce n’est pas la première négligence et
dégradation de l’environnement que nous dénonçons dans la région.» Le
président de l’association évoque pêle-mêle une papeterie qui avait pour
habitude de déverser ses produits toxiques dans le lit de la Vence, affluent
gauche de la Meuse, et une centrale hydroélectrique aux turbines
dévastatrices pour les anguilles de la Semois.

Rien, pourtant, à côté de ce qu’ont connu l’Aisne et ses rives pendant une
semaine. Les rejets de l’usine n’ont pas fait dans le détail et se sont déversés
sur près de 8 kilomètres. «La diversité de l’environnement et de la faune
aquatique ne va pas se recréer en un claquement de doigts, redoute Claude
Maireaux. La direction de Nestlé est dans l’insouciance et a eu tendance à
négliger l’impact.»

«Pipi de chat»
La façade de la filiale de Nestlé se voit de loin dans le ciel des Ardennes, avec
le sigle Nespresso et l’inscription «Dolce Gusto». Depuis 1947, l’usine
domine le village et rappelle qui nourrit le monde. Vouée un temps à
disparaître, elle revit depuis les années 2010 et le boom du filon des dosettes
de café. En 2015, la multinationale suisse injecte 12 millions d’euros dans ce
coin des Ardennes pour y perfectionner sa production. Elle embauche des
techniciens et des ingénieurs, et compte aujourd’hui plus de 100 salariés.
Nestlé fait également travailler quelque 200 agriculteurs qui
approvisionnent l’entreprise en lait pour le marché international. «Tout le
monde est en colère contre eux, mais certains ont peur de ce qu’il pourrait
arriver, explique Jimmy Joly, le conseiller municipal de Brécy-Brières.
Lorsque le directeur est venu constater les dégâts, il a été surpris que les
gens ne soient pas plus agressifs envers lui. Nestlé fait travailler beaucoup
de monde ici.» Depuis l’accident, les contrats intérimaires ont été
partiellement suspendus. La préfecture a autorisé une reprise partielle de
l’activité le 14 août pour permettre de traiter le stock de lait avant qu’il ne
soit périmé.

«Difficile de pointer du doigt Nestlé. Surtout que les agriculteurs de la


région fournissent l’entreprise en lait», reconnaît à son tour Jocelyne
Oudet. Autour de 400 000 litres de lait arrivent chaque jour à l’usine. Ici,
nombreux sont ceux qui travaillent directement ou non pour le géant de
l’agroalimentaire, et l’entreprise locale est une fierté. Un ancien salarié
refuse de croire que Nestlé soit seul responsable de la catastrophe
écologique, malgré les propos tenus par les dirigeants. L’homme, qui précise
avoir travaillé à la conception de la station d’épuration, est formel :
«Habituellement, ce que déverse l’usine, ce n’est rien d’autre que du pipi de
chat. L’incident doit forcément venir d’ailleurs.» Le seul constat qu’il valide
: «Une chose est sûre, tout est mort dans l’Aisne.»

Charles Delouche envoyé spécial dans les Ardennes, photos Fred

Kihn(https://www.liberation.fr/auteur/16525-charles-delouche)

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