JEUDI 2 AVRIL 2020

LE MONDE 
76E ANNÉE– NO 23399
2,80 € – FRANCE MÉTROPOLITAINE
CAMPUS
WWW.LEMONDE.FR –
FONDATEUR : HUBERT BEUVE-MÉRY
LA FORMATION
DIRECTEUR : JÉRÔME FENOGLIO CONTINUE
SUPPLÉMENT

DOUGLAS KENNEDY : « LE CAPITALISME AMÉRICAIN  GEORGE GAO : « LA GRANDE ERREUR AUX ÉTATS­UNIS ET 
S’EFFONDRERA­T­IL COMME UN CHÂTEAU DE CARTES ? » PAG E 25 EN EUROPE EST DE NE PAS PORTER DE MASQUES » PAGE 2 6

Le confinement, révélateur des inégalités sociales
▶ Les mesures de lutte ▶ Tandis que le télétravail ▶ Agent de nettoyage, ▶ Dans les Bouches­du­ ▶ Le confinement souligne
contre la pandémie de se développe, 18,8 millions auxiliaire de vie, salarié Rhône, la Corrèze, le Pas­ également la promiscuité
Covid­19 mettent en évi­ de personnes restent de grande surface, taxi, de­Calais, ils décrivent leur dans les logements et
dence les injustices face au contraintes de se rendre ouvrier d’une cristallerie, peur, parfois leur fierté, les différences de chances
travail et au logement au chaque jour sur le lieu employé d’Amazon… ils mais indiquent surtout dans l’éducation
sein de la société française de leur emploi racontent leur quotidien qu’ils n’ont pas le choix PAGE S 14- 15

Analyse
Les ratés dans
NEW YORK SUR LE PIED DE GUERRE Europe 
Vingt­sept pays 
▶ Epicentre américain de
la gestion des  la maladie, la ville s’organise plus divisés 
stocks de masques tant bien que mal
que jamais
▶ Tandis qu’une partie
Un milliard de masques des habitants ont fui, peu solidaire dans les mesures
étaient disponibles à par­ ceux qui restent tentent sanitaires, écartelée sur les modali­
tir de 2007. La commis­ de se préparer au désastre tés de la riposte économique, l’UE
sion des finances du Sénat lutte en ordre dispersé contre les
a entériné, le 8 août 2014, sanitaire annoncé effets de l’épidémie. Bruxelles doit
un changement de straté­ faire face aux habituelles fractures
PAG E S 2 0 - 2 1 entre le Nord et le Sud, ainsi qu’à
gie, qui se paie au prix fort des gouvernements avant tout
PAGE 12 soucieux de ménager leur opinion
publique. La mutualisation des
dettes dans la zone euro est la

Economie principale pomme de discorde.

Ces différends éclipsent les avan­
cées sur le pacte de stabilité ou l’in­
Macron veut  tervention massive de la BCE.
PAGE S 4- 5
produire plus
en France 1
É D ITO RI A L
Santé, énergie, communi­
cation, intelligence artifi­ VIKTOR ORBAN
cielle : le chef de l’Etat
annonce qu’il veut « rebâ­
À L’OMBRE DU 
tir notre souveraineté Un hôpital de campagne installé
dans Central Park, le 30 mars.
CORONAVIRUS
nationale et européenne » ALEKSANDRA MICHALSK/REUTERS PA GE 27
PAGE 16

Disparition
Pape Diouf,
LE REGARD DE PLANTU
Portrait
l’ancien président Philippe Juvin, 
de l’OM médecin 
en campagne
PAGE 19

Politique Le chef des urgences de

L’exécutif l’hôpital Georges­Pompi­
220 PAGES
se démultiplie dou à Paris, maire LR dans
pour répondre
les Hauts­de­Seine, inter­ 12 €
venant omniprésent sur
aux critiques les plateaux, est sur tous
PAGE 8 les fronts contre le virus
PAGE 7

Droits
Le Défenseur Diagnostic
Jacques Toubon
réclame un primat
Les inquiétudes 
des services publics des patients
PAGE 11
non dépistés
Metz Faute de tests, nombre de
La directrice du personnes confinées et ANALYSEZ 2018 // DÉCHIFFREZ 2019
présentant des symptômes
centre hospitalier oscillent entre la colère,
appelle à l’aide l’angoisse et le désarroi
PAGE 3 PAGES 2 -3
Algérie 220 DA, Allemagne 3,70 €, Andorre 3,50 €, Autriche 3,80 €, Belgique 3,10 €, Cameroun 2 400 F CFA, Canada 5,70 $ Can, Chypre 3,20 €, Côte d'Ivoire 2 400 F CFA, Danemark 36 KRD, Espagne 3,50 €, Gabon 2 400 F CFA, Grande-Bretagne 3,10 £, Grèce 3,50 €, Guadeloupe-Martinique 3,20 €, Guyane 3,50 €,
Hongrie 1 330 HUF, Irlande 3,50 €, Italie 3,50 €, Liban 6 500 LBP, Luxembourg 3,20 €, Malte 3,20 €, Maroc 22 DH, Pays-Bas 3,80 €, Portugal cont. 3,50 €, La Réunion 3,20 €, Sénégal 2 400 F CFA, Suisse 4,40 CHF, TOM Avion 500 XPF, Tunisie 4,10 DT, Afrique CFA autres 2 400 F CFA
 CORONAVIRUS
2|
Les doutes 
et les angoisses 
des malades 
non dépistés
Faute de dépistage massif, les nombreux
Français présentant des symptômes du
Covid­19 mais ne pouvant pas être testés
s’inquiètent pour eux et pour leurs proches
C
onfinée dans son
appartement, Pau­
line Clocher était
en train de nettoyer
sa salle de bains
quand l’angoisse l’a
saisie : l’eau de Javel n’avait plus
d’odeur. Paniquée, cette designer
parisienne de 27 ans s’est mise à
renifler tous ses flacons et sham­
pooings pour se rassurer, mais
« rien, le néant ». Elle a soudain
réalisé que ses repas avaient aussi
perdu leur saveur depuis une se­
maine. Pour en avoir le cœur net,
elle a fait le test avec la moutarde :
« Aucun goût. »
Perte d’odorat, perte de goût,
grande fatigue, toux sèche… De­
puis dix jours, elle vit avec ces
symptômes caractéristiques du
nouveau coronavirus. A­t­elle été
contaminée ? Le médecin qui l’a
reçue en téléconsultation lui a
affirmé que c’était « probable » et
lui a fait un arrêt maladie. Mais,
faute de test, elle n’en aura jamais
la certitude. Comme beaucoup de
Français.
La jeune femme fait partie de la
zone grise de ces malades proba­
bles du Covid­19 mais non dépis­
tés, qui échappent en partie aux
statistiques officielles. A la date
du 31 mars, la France compte
52 128 cas confirmés, auxquels
s’ajoutent désormais 42 000 ma­
lades diagnostiqués par des
médecins généralistes, selon une
estimation de Santé publique
France (SPF).
Pour ces derniers, toutefois, le
doute subsiste et quantité de
questions avec. Quel comporte­
ment adopter ? Quel degré de
confinement ? Doivent­ils s’isoler
au sein de leur famille. Pourront­
ils se considérer comme immuni­
sés une fois guéris ? Les tests,
encore rares, sont réservés en
priorité au personnel soignant et
aux patients à risque.
« La stratégie [de confinement]
mise en œuvre par les autorités
n’est pas fondée sur ce qui est sou­
haitable mais possible, compte
tenu du manque de tests », dé­
nonce Jacques Battistoni, le prési­
dent du syndicat de médecins
généralistes MG France. A la
différence de la Corée du Sud et
de Singapour, où le dépistage
massif est de rigueur, la France ne
peut réaliser actuellement que
12 000 tests PCR (prélèvement
par écouvillon) par jour.
Cette capacité de dépistage de­
vrait toutefois bientôt augmen­
ter. « Elle atteindra 25 000 à
30 000 tests d’ici une grosse se­
maine, puis 50 000 tests par jour
d’ici la fin du mois d’avril », a an­
noncé samedi le ministre de la
santé, Olivier Véran. La France a
également commandé 5 millions
de « tests rapides », censés arriver
« prochainement ». En attendant,
pour beaucoup, il faut vivre avec
l’incertitude.
Des milliers de Français présen­
tant des symptômes en sont ré­
duits à s’ausculter au jour le jour,
oscillant entre le désarroi, la co­
lère et l’angoisse. Beaucoup se
convertissent à la téléconsulta­
tion médicale, apprennent les
mots savants d’« anosmie » et
d’« agueusie » pour désigner leur
perte d’odorat et de goût, et sui­
vent de près l’évolution des con­
naissances sur le virus.
En proie à une grande fatigue,
une toux et des maux de gorge,
Nicolas Eisen, enseignant et cher­
cheur à Poitiers, a appelé son gé­
néraliste et un médecin du SAMU.
« Ils m’ont dit de surveiller et de
m’isoler, ce que je fais. Du coup, je
deviens plus hypocondriaque que
Woody Allen, raconte­t­il. C’est
vraiment une sensation étrange
de se demander si on est malade
ou si c’est psychologique. »
« ON A PEUR DE MOURIR »
Les plus âgés ou vulnérables
craignent de voir leur état se dé­
grader brutalement. « Le plus dur
n’est pas de savoir si on l’a ou pas,
c’est de ne pas savoir si cela ne va
pas s’aggraver dans l’heure qui
vient. Cela génère beaucoup
d’angoisse, on a peur de mourir »,
témoigne Andreas Gmür. Ce
joaillier de 58 ans a développé
les premiers symptômes le
10 mars, mais son médecin lui a
expliqué qu’il ne faisait pas par­
tie des personnes à risque. « Je
suis resté chez moi, seul, en pre­
nant de l’ibuprofène au début,
mais j’ai arrêté quand le ministre
de la santé a signalé sa dangero­
sité en cas de Covid­19 », expli­
que­t­il, soulagé d’entrevoir « la
fin du tunnel » après deux semai­
nes éprouvantes.
Les malades les plus jeunes s’in­
quiètent moins pour eux­mêmes
que pour leur entourage, redou­
tant d’être une menace. Malgré
toutes les précautions dont ils
font preuve, certains se retrou­
vent à avoir peur d’être responsa­
bles de la mort de leurs parents,
d’un proche âgé, d’un collègue ou
d’un conjoint à la santé fragile.
Aline, ingénieure en informati­
que de 56 ans, a vécu dans la ter­
reur d’avoir contaminé sa mère,
âgée de 87 ans, dont elle a dû s’oc­
cuper malgré ses symptômes.
Trois jours durant, elle s’est effor­
cée de rester à distance. A chaque
repas, mère et fille mangeaient
aux deux bouts de la table.
0123
JEUDI 2 AVRIL 2020
Un centre
d’appels
de la plate­
forme de
surveillance
médicale
à distance
Covidom,
à Paris,
lundi 30 mars.
GEOFFROY VAN DER
HASSELT/AFP
« Quand j’ai perdu le goût, son vieille dame a subi un test pour Aline a depuis été rassurée : le
médecin m’a dit que j’avais sans « C’EST VRAIMENT  le Covid­19. Pour Aline, le temps test s’est révélé négatif.
doute le Covid­19, raconte­t­elle. Je UNE SENSATION ÉTRANGE  s’est suspendu dans l’attente des Face à ces malades non dépistés,
me suis isolée dans une chambre, résultats. Des heures à pleurer les médecins généralistes sont en
mais ma mère avait besoin d’aide DE SE DEMANDER  dans son lit, des échanges affo­ première ligne. Avec la propaga­
pour s’habiller et se lever. Je la pre­ lés avec son frère au téléphone, tion exponentielle de l’épidémie,
nais sous les bras en lui disant de SI ON EST MALADE OU SI  et ce cri d’angoisse : « J’ai tué ma­ l’insouciance a fait place à une
ne pas me regarder, pour ne pas lui man ! » « Jusqu’à présent, le coro­ « angoisse sans précédent », af­
respirer sur le visage. »
C’EST PSYCHOLOGIQUE » navirus, c’était abstrait pour moi. firme Georgina Hufschmidt, mé­
Aline venait de rentrer chez NICOLAS EISEN J’avais occulté le risque, recon­ decin à Ajaccio. « Les gens sont dé­
elle lorsque les pompiers l’ont enseignant et chercheur naît­elle. C’est devenu concret semparés. Ils appellent pour
appelée : sa mère était tombée et à Poitiers quand ma mère et moi avons tout. » L’un s’inquiète d’avoir
présentait à son tour des symp­ commencé à avoir des symptô­ 36,7 0C de température, un autre
tômes suspects. Hospitalisée, la mes. » Ecrasée par la culpabilité, d’avoir le nez qui coule, un troi­
Des plates-formes pour assurer le suivi des malades à domicile
deux jours plus tôt, sa médecin lui avait ces volontaires, qui bénéficient d’une for­ seille (AP­HM) a également lancé, le
dit qu’elle devait à tout prix éviter d’attra­ mation et d’un accompagnement, appel­ 19 mars, l’application Covid AP­HM, un dis­
per le Covid­19, son système immunitaire lent chaque jour entre 4 000 et 6 000 per­ positif similaire à Covidom basé sur les
étant déjà affaibli par son traitement pour sonnes en fonction des alertes reçues. questionnaires remplis par les patients, un
la maladie de Crohn. Alors, quand les Le système fonctionne à partir des ques­ système d’alerte et une plate­forme de télé­
symptômes se sont déclarés, vendredi tionnaires en ligne remplis une ou deux surveillance. Plus de 1 200 personnes, ins­
20 mars, Patricia s’est sentie particulière­ fois par jour par les patients, en fonction de crites là aussi sur avis de leur médecin,
ment inquiète à l’idée de passer le week­ leur état, pendant un mois. « On reçoit un sont ainsi suivies. Un chiffre, comme en
end chez elle. Mais, dès le samedi matin, sa lien vers le questionnaire par email et on Ile­de­France, en constante augmentation.
généraliste lui a proposé de l’inscrire à la doit ensuite noter sa température, son pouls L’objectif de ces dispositifs est non seule­
plate­forme Covidom : celle­ci permet le et sa fréquence respiratoire. C’est ultrafa­ ment d’assurer un meilleur suivi des mala­
suivi quotidien et automatisé des patients cile », assure Patricia. Une fois remplis, les des mais aussi de désengorger les services
positifs au coronavirus, ou suspectés questionnaires sont traités automatique­ d’urgences, en évitant que des patients s’y
d’avoir contracté le Covid­19, mais ne pré­ ment et peuvent générer des alertes, rendent sans en avoir réellement besoin.
sentant pas de symptômes sévères qui né­ orange ou rouges. Parfois, l’enjeu est au contraire de les
cessiteraient une hospitalisation. convaincre de se rendre à l’hôpital le plus
« Au début, on m’appelait deux fois par Important dans ce climat anxiogène vite possible s’ils constatent une dégrada­
jour, raconte Patricia, 58 ans, qui vit à Nan­ En fonction de celles­ci, les patients sont tion de leur état de santé. A Marseille, la
terre (Hauts­de­Seine). Certains ont une appelés par les intervenants le plus rapide­ plate­forme de télésurveillance est
façon plus ludique que d’autres d’expliquer ment possible. « Au téléphone, on vérifie la d’ailleurs installée au sein du SAMU et peut
les choses mais beaucoup ont pris le temps réalité de leurs symptômes, explique Eric déclencher elle­même une intervention.
de répondre à mes questions, de m’écouter… Zaoui, cadre supérieur de la santé. Une « Il y a parfois des aggravations très rapides
Ça m’a vraiment rassurée. S’il n’y avait pas mauvaise mesure de la fréquence cardiaque de l’état des patients, sans que cela ne s’ex­
eu ce dispositif, j’aurais embêté ma médecin peut par exemple s’expliquer par l’anxiété, plique par un facteur de risque particulier »,
par téléphone et je me serais beaucoup plus ce qui est tout à fait normal. En discutant et expliquent Maeva Delaveau et Pierre
inquiétée ! » en reprenant les mesures avec eux, on les Champsaur, l’urgentiste et le radiologue
Lancée le 9 mars, la plate­forme compte apaise. On s’assure aussi du suivi de leurs qui pilotent ce projet.
près de 29 000 inscrits. Pour les suivre, de autres pathologies lorsqu’ils en ont. » Ce suivi et les centaines de milliers de
200 à 300 intervenants en télésurveillance « Avec cette plate­forme, on ne renvoie pas questionnaires enregistrés devraient per­
se relaient entre 8 heures et 20 heures, sept simplement les patients chez eux : ils sont mettre, à terme, d’en savoir plus sur
jours sur sept, dans le grand bâtiment du télésurveillés et peuvent avoir jusqu’à deux l’évolution de la maladie. « On va voir ce qui
campus de l’Assistance publique­Hôpitaux avis médicaux dans la journée, insiste le se passe pour des populations réelles lors des
de Paris (AP­HP) boulevard de Picpus, dans cardiologue Patrick Jourdain, à l’initiative épidémies hors hôpital, assure Patrick
le 12e arrondissement de Paris : étudiants, de Covidom. Dans ce climat anxiogène où Jourdain. Jamais autant de patients
médecins, kinésithérapeutes, vétérinai­ l’on est cloîtré chez soi, parfois isolé, c’est n’avaient été suivis de cette façon pour des
res… Organisés en cellules de cinq person­ particulièrement important. » maladies aiguës. » 
nes – quatre intervenants et un médecin –, L’Assistance publique­Hôpitaux de Mar­ perrine mouterde
0123
JEUDI 2 AVRIL 2020
sième de ne pas réussir à ouvrir sa
bouteille de bain de bouche, y
voyant le signe d’une soudaine
faiblesse physique. « Les patients
ont perdu tout bon sens, affirme
cette médecin. Nous sommes leur
bouée de secours. »
Même son voisin de palier s’y
est mis. Chaque jour, ce veuf lui
dépose une lettre pour décrire ses
symptômes et lui demander son
avis. « C’est touchant, mais il n’y a
plus de filtre. Je suis sollicitée en
permanence par mes patients et
des connaissances dont je n’avais
plus de nouvelles depuis dix ans
pour avoir un “deuxième avis”
après celui de leur médecin trai­
tant. Réseaux sociaux, Facebook,
Instagram… Ils tentent de me con­
tacter par tous les moyens, c’est la
folie », s’étonne Georgina Hufsch­
midt. A chaque cas suspect, elle
rappelle les consignes, informe,
rassure, conseille.
Outre les cas graves, les malades
sans symptômes, susceptibles de
propager le virus sans qu’ils en
aient conscience, inquiètent
particulièrement les profession­
nels de santé. « S’ils savaient qu’ils
sont positifs, ils respecteraient
peut­être mieux les mesures de
confinement : chez moi, je vois
encore beaucoup de gens se pro­
mener dans la rue », se désole
Sébastien Adnot, médecin géné­
raliste à Carpentras.
Pauline Clocher, la designer
parisienne, est elle­même con­
vaincue d’avoir été contaminée
par sa sœur, asymptomatique,
avec qui elle est confinée. « Je
pense à tous ces malades qui
s’ignorent et vont transmettre le
virus chez eux, avec le risque de
créer des foyers épidémiques au
sein même de leurs familles », dit­
elle. Un risque bien réel, que ces
malades soient symptomatiques
ou non, compromettant encore
davantage les chances d’en finir
rapidement avec l’épidémie, déjà
responsable d’au moins
3 523 morts en France. 
faustine vincent
A l’hôpital de Metz, « soit on m’envoie du matériel,
soit on procède à une évacuation massive de patients »
Marie­Odile Saillard, la directrice générale du centre hospitalier mosellan, a lancé un cri d’alarme, lundi soir,
après un week­end noir dans son établissement, submergé par l’afflux de malades du Covid­19
metz ­ correspondant
J’ ai besoin d’aide. Nous sommes au
bout de ce que nous pouvons faire.
Si Paris ne prend pas conscience de
ce que nous vivons ici, ce sera un
nouveau Mulhouse. Il nous faut impérati­
vement du matériel et des moyens supplé­
mentaires tout de suite. Ou de nouvelles
évacuations de patients. »
Le cri d’alarme est lancé, lundi 30 mars
au soir, après un week­end noir, par
Marie­Odile Saillard, la directrice géné­
rale du centre hospitalier régional (CHR)
de Metz­Thionville, un établissement de
2 000 lits situé au cœur d’une région
Grand­Est qui subit depuis plusieurs
jours le « tsunami » du Covid­19.
L’épidémie a fait, au 31 mars, 1 015 morts
dans la région, majoritairement en Al­
sace. Vendredi, la directrice pensait en­
core pouvoir entretenir la petite avance
que son établissement avait réussi à
prendre sur le virus au terme d’un effort
de transformation sans précédent.
Lundi, le centre hospitalier annonce le
décès d’un de ses praticiens, le sixième
médecin à mourir du Covid­19 en
France. Quarante soignants de l’hôpital
sont aujourd’hui infectés, dont trois
médecins dans un état grave.
Tout commence pendant les vacances
scolaires de février. « Avant, comme tout
le monde, on suivait ce qui se passait en
Chine avec une certaine distance, en appli­
quant avec sérieux les recommandations
des autorités, mais sans trop d’inquiétude,
raconte Marie­Odile Saillard. Mais en
quelques jours, tout bascule. On reçoit des
informations très inquiétantes sur la si­
tuation en Italie et sur les difficultés des
hôpitaux transalpins à faire face. »
La Moselle compte une importante
communauté d’origine italienne, des en­
fants ou petits­enfants d’immigrés venus
Les services d’urgences chamboulés par l’épidémie
Les urgentistes voient leur métier bouleversé par la propagation du coronavirus. Ils ont dû se redéployer
et ils appréhendent la vague d’autres pathologies qui pourrait déferler au terme du confinement
L es anthropologues vont se passion­
ner pour cette période. On assiste à
une métamorphose totale et com­
plète des urgences. » Président de l’Associa­
tion des médecins urgentistes de France
(AMUF), le docteur Patrick Pelloux trouve
même cette « période aussi passionnante
que celle de la canicule », lui qui s’est rendu
célèbre pour ses coups de gueule, en 2003,
lorsque les fortes chaleurs estivales ont
causé 19 000 décès en France.
Le très médiatique syndicaliste en est
persuadé : « L’hôpital d’aujourd’hui n’est
plus celui d’il y a trois semaines. » C’est peu
dire que le fonctionnement des services
d’urgences, au gré des réorganisations, a
été bouleversé par l’afflux des patients at­
teints par le virus.
« Parti prêter main­forte au service de
réanimation à l’hôpital Saint­Antoine »,
dans le 12e arrondissement de Paris, le
médecin urgentiste est bien placé pour
témoigner de la période de chamboule­
ments que traverse actuellement sa pro­
fession. « Au SAMU, il y a une concentra­
tion des activités liées au Covid, assure Pa­
trick Pelloux. Les urgentistes sont appelés
en renfort en réa. En interne, il y a eu par
ailleurs des redéploiements partout. »
Dans tout l’Hexagone, il a fallu d’abord
réorganiser l’espace, faire de la place au
sein des urgences, quitte à pousser les
murs, afin d’absorber la vague. Partout,
une démarcation très claire a été établie.
A Nancy (Meurthe­et­Moselle), les ur­
gences, comme l’hôpital, sont partagées
en deux zones : « Covid + » et « Covid – ».
Les patients sont « triés » à leur arrivée par
faire tourner les mines et la sidérurgie
française au XXe siècle. Beaucoup ont
passé les vacances en Lombardie. A leur
retour, ils inondent le 15 d’appels pour se
signaler.
Le 25 février, Marie­Odile Saillard orga­
nise la première cellule de crise au sein de
l’hôpital. Le plan blanc est activé, on res­
sort les protocoles, les simulations, on ré­
quisitionne les internes pour faire de la ré­
gulation téléphonique. Et surtout, on es­
saye déjà d’anticiper les difficultés : « Lors­
qu’il y a une crise sanitaire majeure, on sait
que l’hôpital a deux points de fragilité sur
lesquels on peut subir des saturations : les
urgences et les plateaux techniques. »
« Il fallait accélérer »
Le principal défi est d’ouvrir des lits de
réanimation supplémentaires. L’urgence
s’impose, car début mars, un second
front s’ouvre à proximité de la Moselle :
« Je me souviens encore du coup de fil de
Christophe Lannelongue, le directeur de
l’agence régionale de santé du Grand­Est,
se remémore Marie­Odile Saillard. Il m’a
parlé d’un deuxième foyer épidémique
probable à Mulhouse. J’ai raccroché et
immédiatement appelé le docteur Fran­
çois Braun, le chef des urgences. Il fallait
accélérer. »
Ouvrir un lit de réanimation réservé
aux patients atteints de Covid­19 néces­
site des locaux adaptés (avec de l’oxy­
gène, de l’air, du vide et des sas d’entrée et
sortie), du personnel formé et du maté­
riel. Des locaux, l’hôpital en a, à Thion­
ville, mais aussi à Metz, sur le site de l’hô­
pital de Mercy, qui a moins de dix ans. Du
personnel ? « La réanimation nécessite
des gestes et des connaissances particuliè­
res, explique le docteur Khalifé Khalifé,
cardiologue et président de la commis­
sion médicale d’établissement du CHR.
Nous avons mobilisé des médecins, des in­
une infirmière selon une « grille » élabo­
rée par l’établissement recensant les
symptômes. Dans les box, pour l’heure,
35 places sont réservées pour des patients
infectés, et une douzaine pour les autres,
les fameux « Covid – », bien séparés.
« Grâce à cette organisation, nous parve­
nons à continuer à prendre en charge
toutes les pathologies », témoigne le doc­
teur Tahar Chouihed.
Nette baisse des infarctus
A Oyonnax (Ain), la même séparation pré­
vaut : deux séries de box parallèles ont été
installées. « On avait anticipé la vague avec
une cellule de crise, explique le docteur
Yves Duffait. Nous sommes au stade 2 [au
niveau de l’hôpital], notre salle d’accueil est
déjà dédiée au Covid, et on peut accueillir
jusqu’à 24 malades du virus, avec une
moyenne de 3,4 malades par jour. » En cas
d’afflux dans les jours à venir, l’hôpital a
prévu de se redéployer et de passer en
stade 3. « Tout passera alors en 100 % Covid,
indique Yves Duffait. Le ronron quotidien
des urgences (entorses, douleurs abdomi­
nales) sera délocalisé vers les consultations
externes, chez les médecins et chirurgiens. »
A Oyonnax, les malades qui ne présen­
tent pas de symptômes alarmants sont
placés sous surveillance et soignés en am­
bulatoire. Faute de service de réanima­
tion sur place, les cas les plus graves sont,
eux, transférés vers l’hôpital de Bourg­en­
Bresse (Ain), mieux équipé et situé à
50 kilomètres.
Comme le docteur Yves Duffait, de nom­
breux urgentistes ont pu « avoir la sensa­
MÊME LES VÉTÉRINAIRES  services. »
DU DÉPARTEMENT 
ONT MIS À DISPOSITION 
LES RESPIRATEURS 
POUR ANIMAUX
firmiers, des aides­soignants qui ont été
formés en interne par des réanimateurs. »
Restait la question du matériel : les moni­
torings, les passe­seringues, mais surtout
les respirateurs. « On a fait un état du
stock, raconte la directrice. Et dès le début
de la crise, j’ai passé commande de trente
appareils supplémentaires. A ce jour, je
n’en ai reçu que dix. »
Evacuer 12 patients par jour
Les premiers patients arrivent en réani­
mation. Vite, trop vite. Alors que l’hôpital
compte habituellement une trentaine de
lits de réanimation sur ses deux sites, il
monte à quarante, puis cinquante,
soixante, soixante­dix. Des salles de réveil,
un service de néphrologie, un service de
chirurgie cardiaque, des lits pour grands
brûlés ont ainsi été convertis. « Nous avons
récupéré des respirateurs partout, dans les
ambulances, dans les blocs, dit Mme
Saillard. Les cliniques privées dans l’incapa­
cité de monter des services de réanimation
nous ont prêté les leurs. J’en ai reçu d’hôpi­
taux d’autres régions moins touchées. »
Même les vétérinaires du département
ont mis à disposition les respirateurs pour
animaux. Sept machines de ce type per­
mettent aujourd’hui à des patients at­
teints du Covid­19 de respirer encore.
« Nous avons complètement transformé
notre hôpital, dit Mme Saillard. Il ne ressem­
ble en rien à ce qu’il était il y a deux semai­
tion de se tourner les pouces » avant
l’arrivée de la vague. Car, depuis le 17 mars
et le début du confinement, les praticiens
ont constaté une nette baisse de certaines
pathologies comme les infarctus, les
accidents vasculaires cérébraux ou les
appendicites.
« Le fait que nous n’ayons quasiment plus
d’accidentés de la route (voiture, vélo, trot­
tinette) se comprend facilement avec le
confinement qui limite drastiquement les
déplacements, observe Tahar Choui­
hed. Mais pour les AVC et les infarctus,
nous ne savons pas pourquoi. D’autant
que le 15 continue à répondre à tous les ap­
pels, et qu’il y a une continuité des soins. »
Jean Letoquart, infirmier anesthésiste
au SMUR de Lens (Pas­de­Calais), où l’acti­
vité a baissé de 50 % depuis le début du
confinement, a peut­être une partie de
l’explication. « Un patient est arrivé en
disant : “J’ai mal à la poitrine mais je ne
voulais pas vous déranger avec le corona­
virus.” En fait, il faisait un infarctus depuis
trois jours. Il est arrivé trop tard et nous
n’avons pas pu le sauver. » Ce cas n’est pas
isolé, raconte l’infirmier.
Effet positif du confinement, cette fois,
M. Letoquart relève que « dans une région
malheureusement très touchée par
l’alcoolisme », les accidents de la route, du
travail ou les chutes sur la voie publique
liés à la consommation d’alcool ont
fortement diminué.
Confinement oblige, les urgentistes ont
par ailleurs constaté une hausse des acci­
dents domestiques, comme des chutes
dans le jardin ou des blessures liées au
coronavirus | 3
nes. C’est un effort qui a mobilisé tous les
Longtemps, cet effort a suffi. Chaque
soir, la directrice fait le point avec Le Répu­
blicain lorrain. Alors que les hôpitaux
alsaciens saturent déjà, celui de Metz
compte 15 lits d’avance, 10 lits d’avance,
puis de nouveau 20 lits d’avance. L’hôpi­
tal arrive à suivre le rythme du virus en
ouvrant plus de lits qu’il n’y a d’admissi­
ons en réanimation. « La difficulté, c’est
qu’un patient qui est intubé va rester en
moyenne trois semaines en réanimation,
souffle le docteur Khalifé. Donc on n’ar­
rive pas à libérer les lits assez rapidement. »
Une majorité des patients guérit,
comme ce jeune homme de 17 ans que les
soignants de l’hôpital de Thionville
viennent de sauver. Une partie est trans­
férée vers d’autres hôpitaux, comme ce
fut le cas samedi matin grâce à un héli­
coptère militaire qui a pris la direction de
l’Allemagne, ou dimanche, à bord du TGV
sanitaire vers Bordeaux. Quelques­uns
meurent. Le CHR de Metz­Thionville a
enregistré 58 décès depuis le début de
l’épidémie.
Et puis il y a eu ce week­end noir. Celui
au cours duquel l’hôpital a ouvert le
centième lit de réanimation. Lundi soir,
93 lits étaient occupés et la directrice s’at­
tendait à ce que tout soit plein quelques
heures plus tard. D’où son appel au se­
cours. « Je ne peux pas ouvrir plus de lits. Je
n’ai ni les respirateurs ni le personnel pour
cela. Soit on m’envoie du matériel et des
médecins, soit on procède à une évacua­
tion massive de patients des hôpitaux
mosellans. » Selon elle, pour absorber la
vague qui ne faiblit pas, il faudrait évacuer
du département en moyenne 12 patients
par jour. Soit un TGV sanitaire tous les
trois jours. Sinon, quoi ? « Sinon, c’est
l’inconnu. » 
anthony villeneuve
bricolage. « Il y a une hausse de plaies aux
mains. Gérard­qui­ne­bricole­jamais a
ressorti la perceuse », s’amuse Patrick
Pelloux.
L’épidémie a aussi contraint les urgen­
tistes à réagencer leur gestion du temps.
« Le Covid, c’est très chronophage, il faut
s’habiller, se protéger, constate le docteur
Christophe Prudhomme, porte­parole de
l’AMUF et urgentiste à l’hôpital Avicenne
de Bobigny (Seine­Saint­Denis). Puis il y a
les transferts, quelquefois longs, de cer­
tains malades, parfois en hélicoptère, vers
d’autres hôpitaux dotés de davantage de
places en réanimation. »
A l’unisson, les urgentistes appréhen­
dent déjà l’éventuelle vague qui pourrait
déferler au terme du confinement. « On
va le payer très cher, car l’actuelle recom­
position du personnel entraîne un vide au
détriment des autres patients, affirme
Patrick Pelloux. On retarde les diagnostics
pour les cancers et, quand les gens vont
sortir du confinement et vont faire la brin­
gue, ça va nous retomber dessus. » « Il y a
un risque d’embouteillage voire d’explo­
sion en juillet­août », abonde Yves Duffait.
La fatigue accumulée par les urgen­
tistes, à flux tendu lors de la gestion de
l’épidémie, laisse présager des lende­
mains difficiles. « On travaille entre
soixante et soixante­dix heures par
semaine, et le système est désorganisé,
souffle Christophe Prudhomme. Si l’épi­
démie dure jusqu’en juin, ça va être très
compliqué pour les urgences. » 
rémi dupré
et stéphane mandard

4 | coronavirus
L’Europe écartelée face à un « danger mortel »
La crise du coronavirus rouvre la fracture entre le nord et le sud de la zone euro sur la mutualisation des dettes
bruxelles ­ bureau européen
berlin ­ correspondant
L
e scénario d’une crise
profonde prend chaque
jour un peu plus forme
au sein de l’Union
européenne (UE). Divisés sur la
riposte économique commune à
apporter pour faire face aux
conséquences de la pandémie de
Covid­19, les chefs d’Etat et de
gouvernement des Vingt­Sept
doivent se réunir le mardi 7 avril,
par visioconférence, afin de
trouver un terrain d’entente.
Mais, déjà, la fracture Nord­Sud,
qui avait failli faire imploser l’UE
en 2010, lors de la crise de la
dette de la zone euro et du sau­
vetage de la Grèce, ressurgit avec
force.
« Le microbe est de retour », s’est
alarmé, samedi 28 mars, Jacques
Delors. Sortant de son silence,
l’ex­président de la Commission
européenne, 94 ans, dénonce un
« danger mortel » pour le projet
européen si d’aventure les pays
membres se révélaient inca­
pables d’afficher leur solidarité.
« Sans solidarité, les liens et les
raisons d’être ensemble tombent
à l’eau », a prévenu de son côté le
président du Parlement euro­
péen, l’Italien David Sassoli.
Lundi 30 mars, c’était au tour
du président de l’Eurogroupe,
Mario Centeno, également mi­
nistre des finances du Portugal,
de mettre en garde contre un ris­
que de « fragmentation » au sein
de l’union monétaire. « Nous de­
vons explorer les moyens de met­
tre en œuvre les instruments exis­
tants, mais nous devons être
ouverts à l’examen d’autres solu­
tions lorsque les premières s’avè­
rent inadéquates », soulignait­il
dans un courrier envoyé à ses ho­
mologues européens.
Le torchon brûle en effet au
sein de l’UE entre des pays du
Sud, comme l’Italie et l’Espagne,
parmi les plus touchés par la pan­
démie et aux finances fragiles, et
ceux du Nord, emmenés par les
Pays­Bas − chef de file des Etats
dits « frugaux » − et par l’Allema­
gne et l’Autriche, partisans de la
maîtrise des finances.
Les premiers, soutenus par la
France et sept autres pays euro­
péens (la Grèce, le Portugal, la
Slovénie, la Belgique, le Luxem­
bourg et l’Irlande, rejoints depuis
par Chypre) plaident pour la créa­
tion d’un instrument commun
de mutualisation des dettes sous
forme de « coronabonds ».
Les europhobes italiens galvanisés par les tensions au sein de l’UE
Les dirigeants de la Péninsule, sous la pression des formations d’extrême droite, multiplient les mises en garde à leurs partenaires européens
rome ­ correspondant
M ardi 31 mars en fin de
matinée, dans toute
l’Italie, les drapeaux
italiens ont été mis en berne en si­
gne d’unité nationale et de deuil,
alors que le bilan de l’épidémie ne
cesse de s’alourdir, dépassant dé­
sormais les 12 000 victimes pour
plus de 100 000 cas officiellement
constatés. Après un peu plus de
trois semaines de confinement,
les effets des mesures de distan­
ciation sociale commencent à se
faire sentir, et la propagation du
virus semble en passe de vraiment
ralentir, au prix d’efforts surhu­
mains et grâce à la mobilisation
des populations, qui respectent les
consignes du gouvernement avec
un sens civique indiscutable.
Comme un écho à ce rare mo­
ment d’unité nationale, dans tou­
tes les villes d’Italie, les drapeaux
tricolores se sont mis à fleurir aux
fenêtres et aux balcons des im­
meubles. Ce phénomène s’accom­
« Sans solidarité,
les liens et les
raisons d’être
ensemble
tombent à l’eau »
DAVID SASSOLI
président du Parlement
européen
Les seconds ne veulent pas en
entendre parler, préférant la piste
du Mécanisme européen de stabi­
lité (MES), un fonds de sauvetage
de la zone euro créé en 2012. Doté
d’une force de frappe de 410 mil­
liards d’euros de lignes de crédit,
le MES est un dispositif d’aides
sous conditions, accordées en
contrepartie de plans drastiques
d’austérité de la part des pays bé­
néficiaires, comme ce fut le cas en
Grèce, au Portugal et en Irlande.
« Une solidarité bien pensée »
Mardi 31 mars, des appels au
boycottage des produits néerlan­
dais ont été lancés en Italie, en
réaction à l’attitude intransi­
geante du premier ministre des
Pays­Bas, Mark Rutte, et de son
ministre des finances, Wopke
Hoekstra, qui avaient émis tous
deux, auparavant, des critiques
contre les pays du Sud incapa­
bles, selon eux, de maîtriser leurs
finances, ce qui les aurait affai­
blis au moment d’affronter le
choc du coronavirus.
Le même jour, une dizaine
d’élus italiens – parmi lesquels
les maires de Milan, Bergame,
Venise, Gênes… – lançaient un
appel solennel dans une tribune
publiée par le quotidien Fran­
kfurter Allgemeine Zeitung, inci­
tant l’Allemagne à dire oui à un
grand plan de sauvetage euro­
péen – sans qu’il soit question,
précisaient­ils, d’effacer les det­
tes déjà existantes.
Les signataires de ce texte atta­
quaient aussi frontalement les
Pays­Bas, et convoquaient l’his­
toire pour convaincre Berlin de
bouger en rappelant l’accord de
Londres, de 1953, entre la Républi­
que fédérale d’Allemagne et ses
créanciers, qui avait permis de di­
viser par deux ses dettes extérieu­
res. La réponse n’a pas tardé.
« Nous sommes prêts à la solida­
rité, mais une solidarité bien pen­
sée », a ainsi rappelé le ministre
des finances social­démocrate,
Olaf Scholz, à Munich. Sur ce
point, la grande coalition de la
pagne d’un autre, beaucoup plus
diffus mais amplement relayé sur
les réseaux sociaux par les sympa­
thisants d’extrême droite et cer­
tains comptes liés au Mouvement
5 étoiles (antisystème) : dans plu­
sieurs villes, surtout du nord du
pays, des élus locaux se font filmer
en train de décrocher les banniè­
res européennes, en signe de pro­
testation contre ce qu’ils considè­
rent comme l’absence de solida­
rité de l’Europe envers eux.
« L’UE n’a qu’à se dissoudre »
L’initiateur de ce mouvement spo­
radique est le vice­président de la
Chambre des députés italienne,
Fabio Rampelli, par ailleurs chef
du groupe des députés Fratelli
d’Italia (postfasciste), qui s’est fait
filmer, lundi, masqué et ganté, en
train d’exécuter ce geste dans son
bureau au Parlement. Le soir
même, la présidente de son mou­
vement, Giorgia Meloni, au plus
haut dans les sondages – Fratelli
d’Italia est crédité de plus de 12 %
Le Conseil européen du 26 mars par visioconférence, vu depuis le bureau du premier ministre italien, Giuseppe Conte. AFP
chancelière Angela Merkel fait
bloc. A l’exception des Verts et du
parti de gauche Die Linke, aucune
formation politique allemande
n’est prête à soutenir l’idée d’une
mutualisation des dettes.
Le virus de la discorde était déjà
manifeste lors du Conseil des
chefs d’Etat et de gouvernement
du jeudi 26 mars. Après six heures
de discussion par visioconfé­
rence, amputées des négociations
de coulisse habituelles dans ce
genre de sommet, la réunion a
surtout ravivé le spectre de la
crise de 2010­2012 et ses trauma­
tismes, quand des dizaines de
milliards d’euros d’aide avaient
été accordés à des pays en diffi­
culté en contrepartie de sévères
réformes de leurs systèmes de
soins, de retraite ou de chômage.
A l’époque, il avait déjà été ques­
tion d’« eurobonds ».
Dix ans après, l’idée des corona­
bonds, opposée à celle du MES, a
déclenché la même violence et la
même hostilité de part et d’autre.
« Le MES est un très bon instru­
ment… Si ce que tu attends, ce sont
les coronabonds, ils ne viendront
jamais, mon Parlement ne l’accep­
terait pas, a lancé Angela Merkel
d’intentions de vote dans les der­
nières enquêtes d’opinion –, ap­
plaudissait sans réserve ce geste :
« Assez de ces accords dans lesquels
l’Allemagne refuse de faire des con­
cessions. Ces dernières années, l’Al­
lemagne, grâce à la monnaie uni­
que, s’est enrichie sur notre dos. (…)
Si l’Europe ne nous aide pas,
l’Union européenne n’a qu’à se dis­
soudre. » Une rhétorique partagée
également par Matteo Salvini, le
chef de file de la Ligue (extrême
droite), lequel recommence ces
derniers jours à évoquer la pers­
Dans le nord du
pays, des élus
locaux se font
filmer en train
de décrocher
les bannières
européennes
au premier ministre italien, Giu­
seppe Conte. Vous provoquez de
faux espoirs et vous lancez des
messages de division. »
Dans les conclusions du Con­
seil du 26 mars, les mots qui
fâchent, « coronabonds » ou
« MES », ont cependant été gom­
més. « Quand on parlait d’euro­
bonds entre 2010 et 2012, il y avait
vingt­cinq scénarios sur la table.
Aujourd’hui, ce n’est pas le sujet.
On parle de mutualiser l’effort à
faire pour la sortie de cette crise »,
assure un diplomate.
Les deux populismes
Les crispations, les coups de men­
ton des uns et des autres ne sont
pas, il est vrai, dénués d’arrière­
pensées. Chacun prend soin de ne
pas irriter davantage, à domicile,
une opinion publique déjà trau­
matisée par l’épidémie. « Il y a des
populismes du Sud et des populis­
mes du Nord », résume un proche
des négociations.
« En décembre 2019, Matteo Sal­
vini [ex­ministre de l’intérieur et
chef de la Ligue, parti d’extrême
droite] a su jouer sur les craintes
d’une mise sous tutelle et empê­
cher une réforme du MES », rap­
pective d’une sortie de l’Italie de
l’Union européenne.
Pourtant, la décision sans précé­
dent de la Banque centrale euro­
péenne, qui a annoncé un plan de
rachat de dettes souveraines de
750 milliards d’euros, a eu un effet
indéniable sur la situation de l’Ita­
lie sur les marchés financiers, con­
tribuant à ramener le spread (dif­
férentiel entre le taux d’intérêt des
bons du Trésor allemand et ita­
lien) à moins de 200 points, alors
qu’il avait un temps, mi­mars, dé­
passé les 300. Ainsi, mardi, l’émis­
sion de bons du Trésor italien
pour 8,5 milliards d’euros a­t­elle
été souscrite sans difficultés, au
taux de 1,4 %. Dans le même
temps, la suspension des con­
traintes du pacte de stabilité, qui
imposait à l’Italie un douloureux
parcours de réduction de son en­
dettement, offre au pays la possi­
bilité de soutenir son économie,
menacée d’une profonde réces­
sion, tout en ayant les coudées
franches pour produire l’effort sa­
L’espoir, à
Bruxelles, repose
désormais sur
l’adoption d’un
plan de relance
fort et coordonné
pelle un diplomate. « Est­ce que
l’UE, la zone euro se résument à
une institution monétaire et à un
ensemble de règles très assouplies
qui permettent à chaque Etat
d’agir de son côté ? Où agit­on en­
semble pour financer nos dépen­
ses, nos besoins dans cette crise vi­
tale ? », insistait, de son côté, le
chef de l’Etat français, Emmanuel
Macron, dans un entretien,
vendredi, à plusieurs quotidiens
italiens.
En réalité, l’Europe a déjà fait
plus que personne ne l’aurait
imaginé il y a peu encore : suspen­
sion du pacte de stabilité et des
contraintes budgétaires qui pè­
sent sur la zone euro, assouplisse­
ment du régime des aides d’Etat
afin de permettre aux gouverne­
ments de voler au secours de
nitaire nécessaire, si bien que les
inquiétudes à court terme sur la si­
tuation financière italienne sem­
blent s’être dissipées.
Pourtant, ces mesures excep­
tionnelles ont bien peu de poids
dans une large frange de l’opinion
italienne, où le souvenir de l’inac­
tion de Bruxelles dans la crise mi­
gratoire a laissé des traces dura­
bles. Dans le même temps, les ima­
ges amplement médiatisées de
l’aide sanitaire chinoise ou russe
ont installé une fois de plus l’idée
que l’Europe avait abandonné
l’Italie à elle­même.
« Pas un chaos asymétrique »
Ces derniers jours, les réticences
des pays du Nord, en particulier
l’Allemagne et les Pays­Bas, à l’idée
d’une mutualisation de la dette
par la voie de « coronabonds » ont
été très durement ressenties, d’un
bout à l’autre du spectre politique
italien. La voie du recours au Mé­
canisme européen de stabilité, pri­
vilégiée par les pays du Nord ? Le
0123
JEUDI 2 AVRIL 2020
leurs entreprises sans contreve­
nir aux règles du marché inté­
rieur ; mise à disposition par la
Commission de 37 milliards
d’euros pour aider les pays à fi­
nancer les ravages causés par le
virus ; engagement de la Banque
centrale européenne à injecter
plus de 1 000 milliards d’euros
dans l’économie…
L’espoir, à Bruxelles, repose dé­
sormais sur l’adoption d’un plan
de relance fort et coordonné pour
sortir au plus vite d’une récession
qui s’annonce commune. Car les
conséquences de la crise sanitaire
hors norme que traverse l’UE,
maintenant que le confinement
concerne la quasi­totalité des po­
pulations, mettront sans doute
l’économie des Vingt­Sept à ge­
noux. Mardi, le ministre néerlan­
dais a mis un peu d’eau dans son
vin. Tout en écartant de nouveau
l’idée de coronabonds, il concé­
dait s’être montré « peu empathi­
que » avec les pays du Sud et van­
tait une « Europe forte dans l’inté­
rêt de tous ». 
virginie malingre,
isabelle mandraud (à paris),
jean­pierre stroobants
et thomas wieder
gouvernement la juge intenable
politiquement, tandis que la
droite eurosceptique la rejette par
avance : ce soutien impliquerait
en retour une sévère cure d’austé­
rité rejetée par avance par les par­
tis eurosceptiques.
Face à cette impasse, le président
de la République, Sergio Matta­
rella, a solennellement mis en
garde, vendredi 27 mars : « J’espère
que tous comprendront, avant qu’il
ne soit trop tard, la gravité de la me­
nace pour l’Europe. La solidarité
n’est pas seulement exigée au nom
des valeurs de l’Union. Elle l’est
aussi au nom de l’intérêt général. »
Le président du conseil, Giuseppe
Conte, a souligné, lors d’un entre­
tien à la télévision allemande ARD,
qu’« il ne s’agit pas d’un chaos asy­
métrique » et que la crise n’est pas
causée par « les problèmes finan­
ciers d’un seul pays ». Dans ce qu’il
qualifie de « défi historique », le
chef du gouvernement italien sait
qu’il joue son avenir politique. 
jérôme gautheret
0123
JEUDI 2 AVRIL 2020 coronavirus | 5

En Allemagne, tout paraît encore sous contrôle

L’opinion publique affiche son soutien aux autorités, et la CDU d’Angela Merkel progresse dans les sondages

berlin ­ correspondant mande avait indiqué que le nom­ des personnes interrogées esti­ C’est le cas d’Armin Laschet. Mi­ largement enracinée, se main­
bre de lits équipés de respirateurs ment que celui­ci « fait du bon tra­ nistre­président de Rhénanie­du­
Certains tient. Jusqu’à présent, elle nourrit

P
our l’instant, tout est
sous contrôle. Tel est le
message que ne cessent
de marteler les autorités
allemandes. A l’instar de Jens
Spahn, le ministre de la santé, qui,
en déplacement à l’hôpital uni­
versitaire de Düsseldorf, mardi
31 mars, a indiqué que 45 % des lits
de soins intensifs dont dispose le
pays étaient toujours libres.
Quelques heures plus tôt, Lothar
Wieler, le président de l’institut de
santé publique Robert­Koch, l’or­
ganisme qui publie quotidienne­
ment les chiffres de l’épidémie de
Covid­19 en Allemagne, s’est
voulu tout aussi rassurant. « Mon
optimisme est toujours là, et je
pense qu’il est fondé », a­t­il af­
firmé lors d’une conférence de
presse, à Berlin, soulignant no­
tamment que « l’Allemagne est le
pays qui a le plus de lits avec respi­
rateur artificiel par habitant ».
Lundi, la société hospitalière alle­
était passé, depuis le début de
l’épidémie, de 20 000 à 30 000.
Comme à chaque fois qu’ils
s’expriment, M. Spahn et M. Wie­
ler ont pris soin de préciser que les
prochaines semaines seraient
beaucoup plus difficiles, et que les
hôpitaux allemands couraient le
risque d’être saturés. Mais ces
avertissements demeurent assez
abstraits dans une Allemagne où
le nombre de morts du Covid­19
reste exceptionnellement bas :
732, selon le décompte publié mer­
credi par l’Institut Robert­Koch.
Au même moment, l’Italie en
comptait plus de 12 400, l’Espagne
près de 8 200, et la France 3 500.
« Du bon travail dans la crise »
Ces chiffres expliquent sans doute
pourquoi l’opinion publique alle­
mande affiche un soutien massif
au gouvernement. Selon une en­
quête publiée vendredi 27 mars
par la chaîne publique ZDF, 89 %
vail dans la crise du coronavirus »,
les mesures de confinement an­
noncées cinq jours plus tôt par
Angela Merkel étant approuvées,
quant à elles, par 75 % des sondés.
Confortée par les images
d’avions de l’armée de l’air trans­
portant dans les hôpitaux du pays
des malades venant de France et
d’Italie (une cinquantaine depuis
la mi­mars), mais aussi par le dis­
cours des autorités sanitaires et
politiques qui ne manquent pas
une occasion de rappeler que
l’Allemagne doit pour l’instant son
faible taux de mortalité au Co­
vid­19 à ses tests plus nombreux et
plus précoces que partout ailleurs
en Europe, l’opinion publique a
toutes les raisons de se montrer
relativement confiante. Au point
que certains responsables politi­
ques commencent déjà à réfléchir
aux lendemains de l’épidémie,
alors même que celle­ci n’a pas
encore atteint son pic outre­Rhin.
Nord­Westphalie, le Land le plus
peuplé du pays mais aussi le pre­
mier où le Covid­19 a fait des
morts en Allemagne, ce dirigeant
conservateur, candidat à la prési­
dence de l’Union chrétienne­dé­
mocrate (CDU), estime que le
temps est déjà venu de débattre
de la fin du confinement. « L’idée
selon laquelle il est trop tôt pour
réfléchir à une stratégie de sortie
est fausse », a­t­il déclaré, diman­
che, dans le quotidien Die Welt.
Vingt­quatre heures après l’an­
nonce par la chancellerie d’une
prolongation du confinement de
quinze jours, jusqu’au 20 avril,
M. Laschet n’est pas intervenu par
hasard. Dans les milieux économi­
ques, beaucoup redoutent qu’une
mise à l’arrêt prolongée du pays ne
cause plus de dégâts qu’une crise
sanitaire qui, aujourd’hui, paraît
encore surmontable.
Cette confiance dans la capacité
de l’Allemagne à affronter l’épidé­
responsables
politiques
commencent
déjà à réfléchir
aux lendemains
de l’épidémie
mie de Covid­19 laisse peu de
place à ceux qui pourraient être
tentés d’y voir l’occasion d’une
profonde remise en question du
système. Pour l’heure, ce sont au
contraire les avocats de l’ordre éta­
bli qui se sentent confortés. « La
crise du coronavirus ne montre pas
seulement les performances du
système de santé allemand mais
aussi celles de notre modèle
économique », écrivait ainsi le
quotidien Handelsblatt, diman­
che 29 mars.
Les prochaines semaines diront
si cette confiance, aujourd’hui
un profond désir de stabilité. Telle
est en tout cas la promesse du
gouvernement, qui ne cesse de
répéter que la remise en cause de
la sacro­sainte règle du « zéro dé­
ficit » budgétaire n’est qu’une
affaire de circonstances. « Quand
la crise sera surmontée, et nous
espérons que ce sera le cas dans
quelques mois, nous reviendrons à
une politique de rigueur », a ainsi
déclaré le ministre de l’économie,
Peter Altmaier, le 24 mars.
A en croire les sondages, ce dis­
cours entretenant l’idée qu’il ne
s’agit que d’une crise conjonctu­
relle ou d’une parenthèse dou­
loureuse correspond largement à
ce que veulent entendre les
Allemands. Dans la dernière
enquête de l’institut Forsa, pu­
bliée samedi, la CDU de Mme Mer­
kel est ainsi créditée de 36 % des
voix. Début mars, elle n’était don­
née qu’à 26 %. 
thomas wieder

« Le début n’a pas été

beau à voir, maintenant
il y a un effort européen » SOUTENONS ENSEMBLE
Pour l’historien Luuk van Middelaar, Angela
Merkel retrouve un rôle­clé dans la crise L’AGRICULTURE FRANÇAISE
ENTRETIEN tous doivent voir venir : comment
gérer nos finances publiques ?

L uuk van Middelaar est his­

torien et philosophe politi­
que néerlandais. Il est
l’auteur de Quand l’Europe impro­
vise (Gallimard, 2018), consacré
aux deux grandes crises euro­
péennes de la décennie passée,
celle de l’euro et celle des réfugiés.
En quoi la crise suscitée par le
coronavirus est­elle différente
pour le continent ?
Mal équipée pour les chocs sur­
prises, l’Union européenne a ap­
pris sur le tas à inventer des ins­
truments, en improvisant. Avec la
crise de l’euro, elle a mis sur pied
le Mécanisme européen de stabi­
lité (MES). Pour la crise migratoire,
elle a transformé Frontex en
agence de gardes­frontières. Ici, il
s’agit d’augmenter la capacité
d’action de l’ensemble. La crise
sanitaire est la plus urgente à sur­
monter.
Et pour faire face au choc
économique ?
Surmonter la crise de l’euro a
pris plus de deux ans, entre 2010
et 2012, pendant lesquels on a failli
Tous les Etats membres devront
absorber des dettes. Personnelle­
ment, je pense que c’est une bonne
idée de mutualiser leur taux d’in­
térêt grâce à des « coronabonds ».
L’Italie a trois semaines d’avance
dans cette crise, elle en a une per­
ception plus aiguë que les Pays­
Bas. Il y a un effet de décalage ho­
raire. On voit le monde différem­
ment par rapport à il y a quinze
jours. Je comprends parfaitement
le sentiment de solitude et de soli­
darité de l’Italie, mais il faut être
prudent avec l’argument selon le­
quel si l’UE ne fait rien, cela nour­
rit l’extrême droite. En Allemagne
et aux Pays­Bas aussi, il y a des
eurosceptiques et des extrémis­
LIDL S’ENGAGE ET VOUS PROPOSE
DES CONCOMBRES ET DES TOMATES
tes. Il ne faut pas jouer avec le feu.
Pensez­vous que l’Allemagne
et les Pays­Bas peuvent rompre
avec l’orthodoxie budgétaire EXCLUSIVEMENT ORIGINE FRANCE
dans cette crise ?
Les Néerlandais sont plus prag­ Concombre • 0,69 € la pièce • Cat. 1
matiques que les Allemands. Une
fois qu’ils comprennent que c’est Tomates rondes grappe • 2,69 € le kg • Cat. 1
leur intérêt et si on ne leur met
pas le couteau sous la gorge, ils
peuvent évoluer – on en voit déjà Dans le contexte actuel, nous avons décidé de donner la priorité voire
|

mourir trois fois. Ce temps, actuel­ des signes. Ils ne sont pas dans l’exclusivité quand cela est possible aux fruits et légumes d’origine France.
Année 2020 - Photos non contractuelles - LIDL RCS Créteil 343 262 622

lement, on ne l’a pas. Il faut que l’orthodoxie juridico­monétaire.

tout le monde prenne conscience
qu’au­delà des situations indivi­
duelles par pays, comme l’Italie et
l’Espagne, il y a un problème qui
nous concerne tous. Mon autre ré­
serve concerne les opinions publi­
ques. Sous la pression des événe­
ments, on observe à chaque fois
d’un côté un mouvement général
vers plus de centralisation, mais
d’un autre côté une réaction de
rancœur, de résistance, un senti­
ment de trahison. Les deux crises
précédentes ont laissé des traces,
des clivages, des batailles de récits.
Pensez­vous que le défi de la so­
lidarité de l’UE face à la crise du
coronavirus soit un moment de
vérité pour le projet européen ?
C’est un peu trop tôt pour le dire.
Il y a deux crises. Actuellement,
tout l’effort, toute l’énergie des
Etats membres devraient porter
sur la crise sanitaire et comment
s’entraider. C’est peut­être tardif,
le début n’a pas été beau à voir,
mais il y a maintenant un effort
commun. Puis il y a la crise que
L’Allemagne a retrouvé la chance­
Ces produits en pleine récolte actuellement, nous vous les proposons non
lière de crise. Elle a eu, la semaine seulement parce qu’ils sont bons mais surtout parce que nous renouvelons ainsi
dernière, cette formule limpide et de façon forte et déterminée, notre soutien aux filières agricoles de notre pays.
très merkélienne, en parlant
d’une « crise sérieuse et ouverte » :
elle veut dire que l’on ne sait pas
face à quoi on se trouve.
C’est son côté scientifique, elle
voit que la situation est dynami­
que, qu’il faut éviter les ornières
des préjugés et garder les yeux
grands ouverts. Elle assume l’in­
certitude, elle en fait une force, et
son autorité ne s’en trouve pas af­
faiblie.
Je pense qu’elle n’a pas encore
choisi sa riposte européenne à la
crise économique. Les Allemands
sont orthodoxes. L’ombre de la
Cour constitutionnelle de
Karlsruhe plane sur Berlin. Angela
Merkel ne va pas laisser la zone
euro s’effondrer, mais on peut
parier qu’elle privilégiera l’appro­
che de la Banque centrale euro­
péenne plutôt que de faire payer
le contribuable allemand. 
propos recueillis par
sylvie kauffmann

6 | coronavirus
A Goa confiné, la bataille
pour trouver de la nourriture
La décision de Narendra Modi de décréter le confinement général
a créé des scènes de panique et des tensions dans l’Etat indien
REPORTAGE
goa (inde) ­ envoyé spécial
L
e jour n’est pas encore
levé, mais déjà certains
sillonnent à petite vitesse
les rues de Siolim en
scooter, à l’affût de quelque chose
à manger. Dans ce village de
15 000 habitants du mythique
Etat touristique de Goa, sur la côte
ouest de l’Inde, l’ouverture d’une
échoppe de fortune vendant quel­
ques légumes, à l’aube de ce di­
manche 29 mars, crée l’événe­
ment. Il est à peine plus de 6 heu­
res du matin, une légère brume
flotte dans l’air. Une dizaine
d’hommes et de femmes ayant eu
la bonne intuition de tomber du
lit se pressent devant un tas de
choux verts et quelques caisses
d’oignons et de tomates pas mû­
res. Bientôt, ils sont une ving­
taine, puis une trentaine.
L’information s’est répandue
comme une traînée de poudre,
sur tous les groupes WhatsApp et
Facebook des environs. Le com­
merçant est au fond de sa cahute,
sa femme passe des bassines aux
clients pour qu’ils se servent et
l’on se passe la marchandise de
main en main, en se bousculant.
Le zèle des forces de l’ordre
Quelques­uns portent un mas­
que, d’autres un simple mouchoir
noué sur la nuque, d’autres en­
core une cagoule en laine. Beau­
coup n’ont aucune protection.
Soudain, un gros véhicule se
gare devant l’étal. Un homme en
colère en surgit : « Mais vous êtes
fous ? Vous avez entendu parler du
coronavirus ? Vous voulez mettre
votre vie en danger ? Vous voulez
mourir ? Rangez­vous, écartez­
vous, reculez ! ».
Ce riverain est hors de lui face à
l’indiscipline de ses concitoyens.
Un vieux bonhomme vient lui
prêter main­forte. Il prétend re­
Chili : coup de frein à la mobilisation sociale
La crise sanitaire met en lumière les inégalités dénoncées par le mouvement d’octobre 2019
buenos aires ­ correspondante
L e mois de mars devait mar­
quer le grand retour des
manifestants dans les rues
de la capitale, Santiago, après un
été austral au cours duquel la
mobilisation contre les inégalités
sociales au Chili, démarrée fin oc­
tobre 2019, avait logiquement fai­
bli. Mais avec la fin des vacances
scolaires sont aussi arrivés les
premiers cas de coronavirus dans
le pays, importés par des touristes
étrangers et des Chiliens ayant
voyagé en Europe et en Asie.
La Plaza Italia, où se tenaient
tous les vendredis des manifesta­
tions, s’est progressivement vi­
dée ; le référendum du 26 avril sur
la rédaction d’une nouvelle Cons­
titution, pour remplacer celle da­
tant de la dictature militaire
d’Augusto Pinochet, a été reporté
au mois d’octobre. « La mobilisa­
tion est de fait interrompue par le
coronavirus, indique Carlos Ruiz
Encina, sociologue et président
du think tank Nodo XXI, proche
de la coalition de gauche Frente
Amplio. Pour une société qui a été
récemment confrontée au pro­
blème de la violence et des morts
provoquées par la répression poli­
cière, le coronavirus incarne une
souffrance supplémentaire. »
Au mardi 31 mars, le Chili comp­
tait 2 738 cas confirmés, dont
douze mortels. Le président de
Le gouvernement
local a fermé les
frontières de
l’Etat sans se
soucier du reste.
Les camions de
ravitaillement se
sont retrouvés
bloqués
présenter la municipalité : « Il a
raison, gardez vos distances, un
mètre minimum entre vous ! ». Les
gens reculent et s’alignent, obéis­
sants. Inquiets surtout, à l’idée de
rater la vente qui ne durera
qu’une heure à peine.
Depuis l’instauration d’un con­
finement général de 21 jours par
Narendra Modi, mardi 24 mars,
les stocks s’amenuisent à grande
vitesse dans les réfrigérateurs et
la population du nord de l’Etat de
Goa n’a presque plus rien à se
mettre sous la dent. Les consi­
gnes ont été strictes. « Restez chez
vous, restez chez vous, restez chez
vous ! », a répété le premier mi­
nistre à la télévision.
Malheureusement, les diri­
geants de Goa n’ont pas écouté la
suite, à savoir que les activités de
première nécessité devaient se
poursuivre. Le gouvernement lo­
cal, dirigé par un médecin ayur­
védique, Pramod Sawant, jeune
cadre du parti nationaliste hin­
dou au pouvoir à Delhi, s’est con­
tenté de fermer les frontières de
son minuscule Etat sans se sou­
cier du reste. C’est ainsi que les
camions de ravitaillement se
sont retrouvés bloqués et que
l’accès à la nourriture est devenu
un cauchemar sur place.
Pramod Sawant dit tout et son
contraire. Un jour, il tente de ras­
droite, Sebastian Piñera, a décrété
un confinement obligatoire, le
26 mars, pour sept communes de
la région métropolitaine de Santi­
ago et, quelques jours plus tard, de
six communes du sud du pays et
de l’île de Pâques. « Dans la mesure
où les communes de Santiago sont
collées les unes aux autres, je ne
comprends pas pourquoi le confi­
nement n’a pas été décidé pour l’en­
semble de la région métropolitaine,
déplore José Miguel Bernucci,
secrétaire national du Colegio
médico, principal syndicat de mé­
decins, qui réclamait depuis la
mi­mars un confinement de toute
la région. Ces mesures sont tardi­
ves. Si elles avaient été prises plus
tôt, nous aurions pu aplanir rapide­
ment la courbe de nouveaux cas. »
Politique des petits pas
« Bienvenue au Chili, où l’écono­
mie vaut davantage que la vie des
gens. » Sur les réseaux sociaux, les
messages de ce calibre se multi­
plient depuis quelques jours : les
Chiliens sont nombreux à s’indi­
gner du manque de réactivité du
gouvernement, qui adopte une
politique des petits pas, afin de ne
pas affecter davantage une éco­
nomie mise à mal par l’impact du
mouvement social sur certains
secteurs­clés, comme le com­
merce et le tourisme.
En conséquence du coronavirus
et de l’effondrement des cours du
surer la population en jurant que
toutes les épiceries ouvriront le
lendemain. Le jour suivant, il pré­
vient que « la discipline la plus
stricte » s’appliquera « à ceux qui
enfreignent les règles du confine­
ment à 100 % ». Du coup, les forces
de l’ordre font du zèle.
Sur la côte sauvage, qui connut
ses heures de gloire à l’époque
hippie des années 1970, plu­
sieurs milliers de touristes sont
coincés dans de petits hôtels dé­
sertés par le personnel. Certains
racontent avoir été frappés vio­
lemment par la police à chaque
tentative de sortie pour tenter de
trouver de la nourriture. Les for­
ces de l’ordre goanaises ont reçu
pour consigne de ne laisser âme
qui vive sur aucune route.
Impréparation des autorités
A Mapusa, chef­lieu de district, la
tension est particulièrement
forte. Des paramilitaires de la
Central Reserve Police Force du
ministère de l’intérieur ont été
déployés pour empêcher toute
circulation. Ils tiennent des
points de contrôle rapprochés,
comme si le marché était une
place forte à défendre. Qui dé­
joue leur attention et se hasarde
à dénicher une échoppe se fait
aussitôt pourchasser par des
hommes armés de longues bar­
res de fer. Même les habitants
désespérant de trouver un rideau
levé sont arrêtés aux carrefours,
se faisant parfois confisquer leur
deux­roues.
Dimanche soir, un collectif de
résidents a écrit à Pramod Sawant
pour s’en plaindre, craignant « des
violences incontrôlées entre les
militaires et les gens affamés et dé­
sespérés ». Le matin même, une
centaine de personnes faisaient la
queue devant un vendeur de
fruits bientôt dévalisé. Une mi­
nuscule pharmacie délivrait des
médicaments au compte­gouttes.
cuivre, dont dépend en grande
partie l’économie chilienne, les
experts prévoient une croissance
de 0,5 % au maximum en 2020.
Les chutes des Bourses mondia­
les, début mars, ont également
causé de lourdes pertes aux fonds
de pension privés auxquels coti­
sent les Chiliens, et significative­
ment réduit leur capital retraite.
Depuis l’arrivée du Covid­19 sur
le sol chilien, le gouvernement a
enchaîné les couacs, sous­esti­
mant la gravité du virus – le minis­
tre de la santé a déclaré que le virus
pourrait muter et « se transformer
en bonne personne » – et mettant
en place des mesures controver­
sées, comme un couvre­feu de
22 heures à 5 heures du matin.
« Les travailleurs, souvent les plus
précarisés, s’agglutinent pour pren­
dre le premier métro, multipliant
les risques de contagion », dénonce
le sociologue Carlos Ruiz Encina.
L’épidémie expose une fois de
plus les failles du système néoli­
béral chilien, que les manifes­
tants s’évertuent à dénoncer de­
puis fin octobre 2019. Loin d’affai­
blir leur mouvement de colère, la
gestion tâtonnante du Covid­19
par le président Sebastian Piñera
risque de l’alimenter.
Le système public de santé, au
cœur des critiques des manifes­
tants, est, selon le docteur José
Miguel Bernucci, « sous­équipé
pour faire face à l’épidémie ».
Le couple qui officiait était en­
fermé, seul, à l’intérieur. Il fallait
montrer avec son téléphone une
photo de la crème ou du sirop
souhaité, et le produit était passé
par la porte entrebâillée, en
échange de quelques roupies. Sur
le terrain vague qui jouxte la gare
routière, des camions écoulaient
quelques kilos de pommes de
terre à la va­vite. Et c’est tout.
Dans la campagne, il faut tour­
ner plusieurs heures pour avoir la
chance de tomber sur un homme
proposant quelques sachets de
lait dans une corbeille en osier.
Ou un autre qui écoule, pour une
journée seulement, un petit stock
de pastèques et de mangues.
Alors que l’Inde s’apprête à en­
trer dans sa deuxième semaine
de confinement, l’impréparation
des autorités est manifeste.
Beaucoup de gens font le paral­
lèle avec le désordre indescripti­
ble qu’avait provoqué la démo­
nétisation des billets de banque
en circulation ordonnée subite­
ment par Narendra Modi en no­
vembre 2016.
A Goa, Pramod Sawant garantit
que les frontières intérieures du
sous­continent sont en train de
rouvrir aux camions de marchan­
dises et que « 2 500 volontaires »
vont rétablir rapidement le réas­
sort des commerces alimentaires.
« Si vous voyez des magasins fer­
més par endroits, c’est parce que
leurs gérants sont occupés à tout
mettre en place à l’intérieur. Tout
sera bientôt opérationnel, inutile
de paniquer », assure­t­il.
Pendant ce temps, une autre ru­
meur anxiogène court à Siolim.
Les animaux sauvages sentent
que les humains sont reclus
comme jamais, et un léopard
aurait dévoré un chien aux
abords du village, samedi
28 mars. La consigne du jour :
rentrez vos animaux ! 
guillaume delacroix
Selon l’OCDE, le Chili ne dispose
que de 2,1 lits d’hôpitaux pour
1 000 habitants, moitié moins
que la moyenne des pays mem­
bres de l’organisation.
« Le système de santé a été large­
ment privatisé au Chili : les dépen­
ses de l’Etat dans la santé ont aug­
menté, mais au lieu de financer les
hôpitaux publics, cet argent est allé
subventionner le système privé,
auquel on a délégué le traitement
de certaines pathologies », expli­
que le sociologue Carlos Ruiz En­
cina. Près de 80 % des Chiliens dé­
pendent de ce système public sa­
turé et déficient. En cas de maladie
grave, ils sont confrontés à de
longs délais avant de pouvoir être
traités, ou doivent s’endetter afin
d’être soignés rapidement dans le
système privé.
Le 19 mars, le gouvernement a
dégainé un plan d’urgence pour
faire face aux conséquences éco­
nomiques de l’épidémie à hauteur
de 11 milliards de dollars (9,9 mil­
liards d’euros), mais ne prend pas
assez en compte les emplois pré­
caires, selon M. Ruiz Encina : « Au
Chili, moins de 30 % des emplois
peuvent être effectués en télétra­
vail. Les conséquences de l’épidémie
pour les employés dans le secteur
informel [30 % des travailleurs],
notamment pour les femmes et les
immigrés, plus concernés encore,
seront gravissimes. » 
aude villiers­moriamé
Les Européens
livrent du matériel
médical à Téhéran
La transaction s’est faite par Instex, dispositif
créé par Berlin, Londres et Paris, en 2019
S ur le dossier iranien, en
pleine crise sanitaire cau­
sée par la pandémie de Co­
vid­19, la fracture diplomatique
transatlantique continue de s’ap­
profondir. Mardi 31 mars, le mi­
nistère allemand des affaires
étrangères a annoncé que la
structure Instex (acronyme an­
glais pour « instrument de sou­
tien aux échanges commer­
ciaux »), pensée par la France, l’Al­
lemagne et le Royaume­Uni pour
continuer à commercer avec
l’Iran malgré les sanctions améri­
caines, a effectué, avec la Républi­
que islamique, une première
transaction portant sur du maté­
riel médical.
Les observateurs opposés à la
politique américaine de « pres­
sion maximale » contre l’Iran
veulent y voir une percée impor­
tante et un succès pour la diplo­
matie européenne, au moment
où les plus radicaux à Washing­
ton voient la crise sanitaire en
cours comme une occasion de
faire plier Téhéran. Cette transac­
tion, qui intervient quatorze mois
après la mise en place d’Instex,
une structure longtemps consi­
dérée comme une coquille vide,
reste toutefois symbolique.
Tests sanguins
A Paris, le Quai d’Orsay a annoncé
la poursuite de la coopération
d’Instex et de son partenaire ira­
nien STFI sur de nouvelles tran­
sactions. Selon les informations
du Monde, l’échange porte sur des
tests sanguins exportés par une
entreprise allemande de droit
privé pour un montant d’environ
500 000 euros. La transaction,
prévue depuis novembre 2019, se­
lon une source proche du dossier,
a été accélérée au cours des der­
nières semaines. Il ne s’agit pas
des équipements demandés offi­
ciellement par Téhéran pour faire
face à la pandémie de Covid­19,
qui continue à faire des ravages
dans le pays, un des principaux
foyers mondiaux.
Les résultats attendus restent
loin des espoirs placés au départ
par la partie iranienne dans le
fonctionnement d’Instex. Mis sur
pied début 2019, le mécanisme
était officiellement censé per­
mettre à l’Iran de continuer à pro­
fiter des avantages économiques
associés à l’accord sur le nucléaire
de 2015, malgré la décision unila­
térale d’en sortir prise par l’admi­
nistration américaine en 2018. La
réticence des institutions finan­
cière européennes à s’associer au
mécanisme, puis le renforcement
des sanctions contre les exporta­
tions pétrolières iraniennes, ont
sévèrement restreint le champ
d’action d’Instex.
L’incapacité des Européens à
garantir à l’Iran les dividendes
économiques de ses concessions
dans le dossier nucléaire a été pré­
sentée par Téhéran comme une
raison pour la République islami­
que de s’affranchir de ses obliga­
tions au titre de l’accord de 2015,
redonnant vie progressivement à
son programme nucléaire. Face à
cette escalade, les Européens ont
lancé le mécanisme de résolution
des conflits prévu par l’accord.
Rien n’indique que le début des
transactions ouvre la voie à une
détente sur ce front. « Instex est
« Cette première
transaction
est un acte
d’affichage
politique »
OLIVIER DORGANS
avocat français spécialiste
des sanctions économiques
0123
JEUDI 2 AVRIL 2020
L’administration
Trump
est divisée sur
sa position face
à l’Iran en pleine
pandémie
entouré de fortes attentes politi­
ques. Ce mécanisme ne va pas ré­
soudre le contentieux sur le nu­
cléaire, mais nous ne devons pas
laisser cela occulter son utilité
pour le commerce », estime Esfan­
dyar Batmanghelidj, expert de
l’économie iranienne et fonda­
teur du site économique Bourse
& Bazaar.
« Cette première transaction est
un acte d’affichage politique, es­
time Me Olivier Dorgans, avocat
français spécialiste des sanctions
économiques. Le montant est li­
mité, le produit [les tests san­
guins] jouit d’une licence générale
du Trésor américain, l’exportateur
est allemand et bénéficie d’un en­
vironnement financier moins re­
gardant face aux sanctions. On
ignore encore comment la com­
pensation va être effectuée, étant
donné le caractère très limité des
exportations iraniennes vers l’Eu­
rope. En somme, on voit mal
comment cela pourrait être une
solution de long terme. »
D’après des observateurs sui­
vant le dossier, les obstacles pro­
venaient, au cours des dernières
semaines, de la partie iranienne,
et ont été surmontés grâce à un
nouvel alignement politique. « Ce
développement intervient alors
que la pression internationale
monte contre le maintien des
sanctions par les Etats­Unis en
pleine pandémie de Covid­19 », ex­
plique Ellie Geranmayeh, analyste
au Conseil européen des relations
internationales.
Montée des tensions
Le 24 mars, Michelle Bachelet,
haut­commissaire aux droits de
l’homme de l’ONU, a appelé à une
suspension des sanctions en rai­
son de la crise sanitaire en cours.
La veille, l’Union européenne
avait annoncé une aide humani­
taire de 20 millions d’euros pour
l’Iran et son soutien à une de­
mande de prêt de 5 milliards de
dollars au FMI formulée par Téhé­
ran à la mi­mars. « Un Instex fonc­
tionnel est particulièrement utile
dans le contexte actuel », indique­
t­on à Bruxelles, où l’on veut bri­
ser l’isolement de l’Iran. La
France, le Royaume­Uni et l’Alle­
magne avaient, pour leur part,
déjà commencé à faire parvenir,
début mars, de l’aide médicale à la
République islamique.
Ces gestes européens se sont
succédé dans le contexte d’une
montée des tensions entre les mi­
lices pro­Téhéran et la coalition
emmenée par les Etats­Unis en
Irak, qui se sont traduites par la
mort de trois militaires des forces
internationales − dont deux Amé­
ricains − et par des dizaines de
morts irakiens.
La période a aussi été marquée
par de nouvelles sanctions annon­
cées par Washington contre des
entités liées et des individus pro­
ches de la République islamique.
Toutefois, l’administration Trump
est divisée sur sa position face à
l’Iran en pleine pandémie, entre
partisans de l’escalade militaire et
défenseurs d’une position de
réserve. La décision de Washing­
ton, rendue publique mardi, de ne
pas renforcer certaines sanctions
dans le domaine nucléaire contre
l’Iran, semble montrer que l’avan­
tage va, ponctuellement du
moins, aux seconds. 
allan kaval
0123
JEUDI 2 AVRIL 2020 coronavirus | 7

Philippe Juvin, médecin en campagne

Le chef des urgences de l’hôpital Georges­Pompidou, également maire LR, est sur tous les fronts contre le virus

PORTRAIT

O
n dirait un drôle de
carrefour, avec de
curieux signes au sol.
Prière de bien négo­
cier le virage, à l’entrée des urgen­
ces de l’hôpital parisien Georges­
Pompidou. A gauche, c’est le
secteur « bleu », c’est­à­dire la vie :
entorses, brûlures, coupures… Le
petit quotidien des urgences
« classiques ». A droite, c’est un
aller sans retour garanti. Rendez­
vous d’abord, devant l’accueil,
avec le saturomètre. L’index
coincé dans une pince, un
retraité redoute le verdict de l’ap­
pareil, qui détermine la satura­
tion en oxygène de l’hémoglo­
bine. Si le taux descend trop bas,
c’est sans doute que le Covid­19
est là. Il faut alors diriger ses pas
vers une grande tente blanche,
aménagée à l’extérieur, où l’on
vous examinera. Pas de tests,
non, il n’y en a toujours pas… Si
votre état n’est pas jugé trop pré­
occupant, c’est peut­être une
fausse alerte, donc retour à la
maison lesté d’une simple ordon­
nance. Pour les cas les plus
sérieux, c’est l’hospitalisation.
Ces derniers jours, un flux sans
fin se déverse dans l’hôpital. « Je
n’ai jamais vu ça, on est déjà à
saturation des lits officiels de réa­
nimation », soupire dans son pe­
tit bureau le professeur Philippe
Juvin, 56 ans, directeur des
urgences à Pompidou depuis
huit ans. L’heure étant à la
débrouille, le professeur Juvin a
créé ex nihilo des salles de « réa »,
transformé un couloir en unité
de soins critiques, avec de minus­
cules boxes prêts à accueillir les
futurs malades. Même la très
sensible salle NRBC (nucléaire,
radiologique, biologique et chi­
mique), conçue comme espace Philippe Juvin, dans son bureau de l’hôpital Georges­Pompidou, à Paris, le 25 mars. THOMAS SAMSON/AFP
de décontamination en cas d’at­
taque terroriste « sale », a été ré­
quisitionnée. Le tout en utilisant pointent sa propension à être sur­ dans « La Pléiade »… Dormir ? cien député européen (LR) Jérôme polémique ? On a peut­être
les services bienvenus de volon­ tout présent dans son service en Quand il a le temps, c’est­à­dire Lavrilleux, rejeté par sa famille
« Je mets un d’autres choses à faire en ce
taires : néphrologues de Necker, période de crise, donc d’intérêt rarement. politique depuis l’affaire Bygma­ point d’honneur moment », tance­t­il. Et puis, il
externes, médecins retraités… médiatique. Chef, Philippe Juvin a toujours lion, lui a laissé un message d’en­ considère que son ministre, l’an­
C’est le triomphe du système D. Pour lui, le Covid­19 n’est rien voulu le devenir. Il appartient à couragement. Juvin l’a rappelé.
à ce qu’on ait cien socialiste Olivier Véran, est
Et même 3D. Philippe Juvin bran­ d’autre qu’une « saloperie ». « C’est une tribu à part, celle des méde­ « C’est un type bien, travailleur, le moins de cas « plutôt bon », en « gérant la pénu­
dit fièrement un masque de très, très grave, insiste­t­il. Il faut cins­hommes politiques. Voilà respecté, pédagogue, énumère rie ». Il déplore la sortie du chef de
protection artisanal, imprimé en changer de braquet, organiser des deux décennies qu’il est maire Lavrilleux. J’aimerais en dire du
possible de Covid file des députés LR, Damien Abad,
3D dans son service. Parce qu’on transferts de malades au sein de (Les Républicains, LR) de La mal, mais vraiment… Bien sûr, il va dans ma ville ! » réclamant une enquête parle­
manque de tout, évidemment… l’Europe, vers les pays les moins Garenne­Colombes, dans les régulièrement baiser la babouche mentaire sur la gestion gouverne­
PHILIPPE JUVIN
La nuit précédente encore, sur les touchés. » Il a des images en tête, Hauts­de­Seine. Réélu, ou plutôt de Sarkozy, mais c’est le 92. » mentale de la crise sanitaire :
maire de La Garenne-
138 patients accueillis aux urgen­ certaines le hantent. Ce vieil plébiscité, avec plus de 75 % des Cette proximité affichée avec « Quand j’ai vu ça, je me suis dit :
Colombes (Hauts-de-Seine)
ces, les deux tiers étaient touchés homme, hospitalisé, qui a préféré voix au premier tour des munici­ l’ancien président a bien valu “Mais qu’est­ce qu’ils font ?” Mais
par le Covid­19 ; la plupart seront décliner les services de réanima­ pales, le 15 mars. Un scrutin qui quelques ennuis au médecin quand on est seul, confiné chez soi,
hospitalisés. Elle est bien là, la tion. Il avait besoin de ses n’aurait pas dû se tenir, d’ailleurs. anesthésiste­réanimateur quand commencé la lecture de La Peste, on a besoin d’exister… »
fameuse vague. derniers jours pour dire au revoir « J’ai commis des erreurs au début, il a été nommé à la tête des urgen­ de Camus. Curieuse prémonition.
à ses trois fils. Le professeur Juvin admet­il. Si on m’avait dit qu’il ces de Pompidou, en février 2012. Il gère sa commune à distance, « Je ne suis pas un héros »
Commentaires jaloux a accepté. Il a constaté le décès, faudrait confiner la France, je n’y Le fait du prince, a­t­on dit. Des avec une organisation qu’il quali­ De toute façon, lui n’a pas le
Il ne faut pas imaginer un quoti­ impuissant et admiratif du aurais pas cru ! Et ces élections, ré­ plaintes ont même été déposées. fie de « quasi militaire ». Surtout, il temps. Entre les malades, les mar­
dien façon Urgences ou Grey’s courage du vieillard. Et puis ce trospectivement, il ne fallait pas « J’en ai été malade, je n’aime pas délègue beaucoup. « Je m’entoure goulins qui tentent de lui reven­
Anatomy, non, ça ne ressemble quadragénaire, intubé, et sa les faire, évidemment. Collective­ les polémiques, je ne suis pas du de collaborateurs meilleurs que dre des masques, les lits à trouver,
pas à ça, un service d’urgences femme, juste après, également ment, nous avons pêché. » tout bétonné par rapport à ça, moi, assure­t­il. A la mairie, mon ses 21 médecins à aider… « Je ne
confronté à une pandémie. Pas ce touchée par le virus. Et leur fils, Il figure dans la bande LR des surtout quand c’est injuste, dit­il. directeur des services est un nor­ suis pas un héros, je ne tire pas la
dimanche 29 mars, en tout cas. 13 ans, auquel il a fallu trouver un Hauts­de­Seine, depuis toujours. Je ne lis pas les commentaires sur malien, agrégé de physique. Ils gè­ couverture à moi, d’autres la méri­
C’est d’abord un flot régulier de toit. Philippe Juvin a même pensé Il a même été député européen, les réseaux sociaux, ça me touche. rent. Et ils me rendent compte. » tent », se défend­il, conscient des
malades en détresse respiratoire, à l’héberger chez lui. de 2009 à 2019, avant de se fâcher Mais j’aime bien Sarkozy, oui, je l’ai Dans les deux établissements potentiels effets pervers de sa
accueillis dans le calme. « Plus Il sait décrire les ravages de la avec Laurent Wauquiez, dont il de temps en temps au téléphone, d’hébergement pour personnes surmédiatisation. Il n’a même
qu’une vague brutale, c’est une maladie, ces cas de plus en plus contestait la ligne trop droitière. ce que j’aime chez lui, c’est la âgées dépendantes (Ehpad) de sa pas le loisir d’avoir peur d’être
augmentation continue, précise graves, de plus en plus jeunes, ce « Je suis un homme libre, revendi­ disruption, et son agilité. » Il a fallu commune, il a organisé le dépis­ contaminé : « Au bout d’un mo­
Philippe Juvin. En fait, c’est terrible « huitième jour » où que­t­il. Je n’attends rien de un article dans Libération expli­ tage total, puis le confinement ment, on n’y pense même plus. » La
comme une vague normale qui ne souvent tout bascule. « Les mala­ personne. » quant, en janvier 2015, que son des malades, pour casser la dernière fois qu’il a craint pour sa
cesse jamais de monter et qui à un des arrivent, ils se disent tous épui­ Tous ceux qui l’ont approché dé­ action avait amélioré le service chaîne de contamination : « Je vie, c’était en 2008, en Afghanis­
moment submerge tout, c’est exac­ sés, au point de ne même pas se crivent un bosseur, fou d’histoire des urgences, pour que Philippe mets un point d’honneur à ce tan, lors d’une mission d’aide aux
tement le principe d’un tsunami. » rendre compte qu’ils sont en insuf­ et intransigeant. « C’est quelqu’un Juvin cicatrise. « Cet article, ç’a été qu’on ait le moins de cas possible militaires français.
Visage devenu familier des fisance respiratoire. » de très libre, extrêmement intelli­ ma rédemption », dit­il. de Covid dans ma ville ! » Un ultime coup d’œil sous la
Français en ces temps d’épidémie, Pour se détendre un peu, par­ gent, incapable de se situer dans Malgré tout, il anticipe un bilan tente, où un infirmier attend le
le professeur Juvin truste les jour­ fois, il se réfugie dans son bureau, un clan, confirme le député de Dépistage total terrible chez les personnes âgées prochain « Covid », et le profes­
naux télévisés. Debout devant la où il slalome entre son canapé, Boulogne­Billancourt Thierry So­ A La Garenne­Colombes, ses oppo­ et s’indigne des lenteurs adminis­ seur Juvin repart. Il désigne une
tente où sont évalués les malades des cartons de biscuits Nutella lère, un ex­LR converti au macro­ sants moquent sa récente tratives, des obstacles de toutes photo noir et blanc, grand format,
du Covid­19, un micro à la main, – « pour les soignants » –, ou une nisme. Il est proche de Sarkozy, conversion à l’écologie, décrivent sortes, de la pénurie de masques posée à l’entrée de son bureau. On
masque sur le visage et charlotte vieille édition de Marcel Proust mais c’est d’abord une relation leur combat pour l’empêcher de et de tests… Plutôt que de mettre y voit le maréchal Montgomery,
sur la tête, traits aussi acérés que personnelle, ce n’est pas une proxi­ baptiser un nouvel établissement en cause les responsables politi­ en mai 1945, penché sur l’acte de
son verbe. « Je refuse 90 % des mité idéologique. Mais son côté scolaire du nom de l’écrivain ques, il pointe « une trahison des capitulation des forces du IIIe
demandes d’interview, jure­t­il. Certains cash lui a valu de ne pas être in­ maurrassien Kléber Haedens. Phi­ entourages ». « Il y a tant de gens Reich du nord de l’Allemagne.
J’essaie de faire de l’information, vesti aux européennes de 2019, ils lippe Juvin assume son goût pour monochromes qui conseillent, Sous la tente de l’état­major, face
pas de la communication, je dis les
collègues l’ont clairement viré. » les belles lettres, d’où qu’elles vien­ sans prendre aucune responsabi­ aux généraux allemands, le mili­
choses, avec mes erreurs, mes pointent A entendre Philippe Juvin mili­ nent : « C’est un formidable écri­ lité personnelle… » Il se bat pour taire britannique scrute le texte.
doutes. » ter pour une « nation euro­ vain, libre. Mais les gens ne lisent avoir des surblouses, sollicite « Le chef doit savoir déléguer,
Il a tout de même une chargée
sa propension péenne », plaider pour une droite pas… » Il a renoncé à son projet : « Il Decathlon pour des masques, et certes, mais aussi s’attacher aux
de communication personnelle à être surtout humaniste, on se dit qu’il aurait y a des guerres qu’on ne peut plus s’apprête à lancer un appel aux détails dans les moments impor­
et s’est attiré quelques commen­ plutôt sa place à La République en mener. » Sa ville, c’est « charnel », dons de combinaisons intégrales. tants, traduit Philippe Juvin. C’est
taires jaloux au sein de la corpora­
présent en marche. Il sourit : « La question a assure­t­il. Divorcé, il y vit seul Selon lui, l’heure n’est pas aux exactement la même chose
tion médicale, « cette deuxième période de crise, pu se poser, mais comme disait désormais, avec son chat et son règlements de comptes. Il pour­ aujourd’hui. » Toujours une
grande muette », comme il dit. A Léon Blum à propos de la SFIO, on chien, ses trois filles sont indépen­ rait, pourtant, enfiler sa casaque histoire de tente… 
l’hôpital Pompidou, certains col­
donc d’intérêt ne quitte pas la vieille maison. » dantes, le petit dernier, collégien, d’homme politique, s’en prendre gérard davet
lègues, sous couvert d’anonymat, médiatique L’histoire, encore. Il y a peu, l’an­ est avec sa mère. A Noël, il avait directement au pouvoir. « La et fabrice lhomme

8 | coronavirus
Macron et Philippe en première ligne défensive
Accusé d’avoir manqué de réactivité, le chef de l’Etat et le premier ministre multiplient les interventions
I
l n’est pas encore temps de
poser des questions, mais
déjà d’y répondre. Depuis
plusieurs jours, les représen­
tants de l’exécutif s’agacent des
critiques qui peuvent être émises
contre leur gestion de crise de
l’épidémie de Covid­19.
Pénurie de masques, de tests de
dépistage, maintien des élec­
tions municipales… De Marine
Le Pen à Jean­Luc Mélenchon, les
critiques pleuvent contre le
manque de réactivité supposé
du gouvernement, alors que
499 nouveaux décès ont été en­
registrés en vingt­quatre heures,
mardi soir, portant le total à
3 523 morts du Covid­19.
« Toutes celles et ceux qui cher­
chent déjà à faire des procès, alors
que nous n’avons pas gagné la
guerre, sont irresponsables, s’est
agacé Emmanuel Macron, dans la
matinée, en marge d’une visite
sur un site de production de
masques, en Maine­et­Loire. Le
temps viendra de la responsabi­
lité, il est légitime et démocratique.
A ce moment­là, la transparence
complète devra être faite. Mais
j’appelle d’abord à la dignité et à
l’esprit de responsabilité. » Ce qui
n’empêche pas le pouvoir de se
démultiplier dès maintenant
pour justifier son action.
Confiance en berne
Le premier ministre, Edouard
Philippe, est à ce titre particuliè­
rement envoyé au front. Après
avoir déjà tenu une conférence de
presse pendant près de deux
heures, samedi, au côté du minis­
tre de la santé, Olivier Véran, pour
détailler la stratégie du gouverne­
ment – « Je ne laisserai personne
dire qu’il y a eu du retard sur la
prise de décision du confine­
ment », a alors martelé M. Phi­
lippe –, le locataire de Matignon
devait se rendre, mercredi, en fin
de journée, à l’Assemblée natio­
nale, pour être auditionné par la
toute nouvelle mission d’infor­
mation sur le Covid­19 mise en
place par les députés.
Une logique de « transparence »,
juge un proche du chef du gouver­
nement, alors que la confiance de
l’opinion publique est en berne
quant à la capacité de l’exécutif à
gérer la crise. « Le premier ministre
s’est engagé à répondre à toutes les
questions, sans barguigner,
défend­on dans son entourage.
Nous sommes dans l’information
Les salariés de Pôle emploi dénoncent leurs conditions de travail
Trop d’agents sont toujours exposés à un risque d’infection au Covid­19, selon les syndicats. FO a déposé un préavis de grève
V ent de fronde à Pôle em­
ploi. Plusieurs syndicats
implantés au sein de
l’opérateur public tirent le signal
d’alarme, estimant que des mem­
bres du personnel continuent
d’être soumis à un risque d’infec­
tion due au coronavirus, malgré
la fermeture au public des agen­
ces. Force ouvrière (FO) a même
déposé un préavis de grève à
compter du lundi 30 mars, pour
exiger que les agents, encore ap­
pelés à se rendre sur leur lieu de
travail, cessent de le faire. Le chef
du gouvernement, Edouard Phi­
lippe, et la ministre du travail,
Muriel Pénicaud, ont été interpel­
lés sur la situation.
A mesure que l’épidémie de Co­
vid­19 prenait de l’ampleur, Pôle
emploi a dû totalement revoir sa
relation avec les chômeurs. Les
changements sont intervenus en
plusieurs étapes, l’objectif étant
de garantir la « continuité » du ser­
vice tout en se conformant à des
consignes sanitaires de plus en
plus strictes. Ainsi, le 15 mars, le
ministère du travail annonçait de
« Je ne laisserai
personne dire
qu’il y a eu du
retard sur la prise
de décision
du confinement »
ÉDOUARD PHILIPPE
premier ministre
sur ce qu’on fait et sur ce qui se
passe. Nous n’avons rien à cacher. »
Dirigée (et voulue) par le prési­
dent (La République en marche,
LRM) de l’institution, Richard
Ferrand, cette mission d’informa­
tion vise à contrôler l’exercice de
l’état d’urgence sanitaire par le
gouvernement. Selon ses promo­
teurs au sein de la majorité, elle se
veut avant tout un outil voué à
colmater les brèches.
« La mission essentielle est de
s’assurer que ce qu’on a voté fonc­
tionne, et qu’on puisse l’adapter. Ce
n’est pas le bilan des dix années
passées », plaide ainsi Roland Les­
cure, président (LRM) de la com­
mission des affaires économi­
ques, qui sera corapporteur de
cette instance, comme tous les
présidents de commission per­
manente de l’Assemblée natio­
nale. Sur les huit personnes
concernées, sept appartiennent à
la majorité. « C‘est assez déséquili­
bré », confie Eric Woerth, seul
représentant de l’opposition dans
ce casting, en tant que président
(Les Républicains, LR) de la
commission des finances.
Trente et un députés de tous
bords – dont dix­huit de LRM et du
MoDem – sont appelés à siéger
dans cette mission d’information.
Les auditions de ministres consti­
tueront l’essentiel des rendez­
vous, a priori hebdomadaires, tous
les mercredis après­midi. « Cer­
tains députés craignent qu’une fois
de plus le gouvernement y trouve
un moyen de se dédouaner de ses
responsabilités. Je veux croire que
non, mais il faut qu’on soit tous à la
hauteur », met en garde le député
socialiste des Pyrénées­Atlanti­
ques David Habib.
A terme, l’instance doit se trans­
former en commission d’en­
quête, aux pouvoirs étendus.
« Dès qu’on sera déconfinés », se­
lon M. Lescure. « La mission d’in­
formation se situe dans le présent
nouvelles « modalités de fonction­
nement » : les « usagers » étaient
invités à privilégier les coups de
téléphone « ou les contacts par
mail », « l’accueil physique en
agence » restant possible sur la
base de rendez­vous pour traiter
les cas « d’urgence ».
Un choix critiqué par les syndi­
cats car il concourait, selon eux, à
exposer encore les agents à un ris­
que de contamination, à l’occa­
sion de rencontres avec des chô­
meurs ou lors de déplacements en
transports en commun pour aller
travailler. Dans plusieurs régions,
dont l’Ile­de­France, les représen­
tants du personnel, qui siègent au
sein du comité social et économi­
que (CSE), ont voté des droits
d’alerte pour « danger grave et im­
minent ». Cette procédure, qui vise
à signaler à la hiérarchie une situa­
tion susceptible de compromettre
la santé ou la sécurité des salariés,
a également été enclenchée à
l’échelon national par FO.
Dans ce contexte, Pôle emploi a
décidé de stopper (sauf excep­
tion) la réception des usagers
Edouard Philippe, à l’Assemblée nationale, à Paris, le 31 mars. YOAN VALAT/AFP
de la crise, la commission d’en­
quête se penchera sur les respon­
sabilités du passé », résume Eric
Woerth. La conférence des prési­
dents de l’Assemblée nationale
s’est mise d’accord, mardi, pour
que cette future commission
d’enquête se place sous l’égide
d’un rapporteur général issu de
LR, principal groupe d’opposition.
Comparaison internationale
En attendant, la Macronie n’a pas
fini de se défendre pied à pied face
aux attaques. Edouard Philippe,
encore lui, sera l’invité vedette
d’une soirée spéciale sur TF1, jeudi
2 avril, entièrement consacrée à la
crise. « Ne revoyons pas les semai­
nes passées à l’aune des connais­
sances d’aujourd’hui », a plaidé
pour sa part Emmanuel Macron,
en Maine­et­Loire, mardi, alors
qu’il est l’objet des accusations de
« mensonge » de Marine Le Pen.
« Les polémiques sont inappro­
priées, car elles nient le caractère
profondément sidérant de la crise
Les moyens
de protection
mis à disposition
des personnels
qui vont dans
les agences sont
jugés insuffisants
dans certains sites
dans ses sites. Parallèlement, de
plus en plus de salariés de l’opéra­
teur poursuivent leur mission en
travaillant à distance, à l’aide d’un
ordinateur : lundi, ils étaient un
peu plus de 25 000 à assurer leurs
tâches ainsi, soit presque la moi­
tié des effectifs. « Cette solution
nous permet de mener à bien nos
activités essentielles », affirme Mi­
chaël Ohier, directeur général ad­
joint en charge du réseau.
Dans le même temps, une petite
partie du personnel va dans les
agences, notamment pour rele­
ver les courriers postés par les
que nous affrontons. Aucun pays
aujourd’hui ne lui apporte une
réponse parfaite, complète,
programmée, plaide Gilles Le
Gendre, président du groupe LRM
à l’Assemblée nationale. L’Allema­
gne est enviée comme un modèle,
mais ses dirigeants savent très
bien qu’ils se préparent à une
vague d’une violence similaire à
celle que nous subissons. »
Une comparaison internatio­
nale également utilisée par
Edouard Philippe, qui ne manque
pas d’insister sur le fait que le
coronavirus représente une
« crise mondiale ». « Le débat, ce
n’est pas une crise française, mais
internationale, ça met un peu de
distance, estime un proche. La
France, dans une situation compa­
rable à d’autres pays, n’a eu aucun
retard dans son action. »
Comme au moment de l’érup­
tion des « gilets jaunes » – une
crise sociale qui « vient de loin »,
avait coutume de répéter Emma­
nuel Macron –, l’exécutif invite
chômeurs. Le but est de limiter au
maximum la présence humaine
sur place : trois à quatre person­
nes, avec au moins un « manageur
de proximité », explique M. Ohier.
Lundi, il y avait 2 910 salariés sur
les 1 200 sites de Pôle emploi,
d’après la direction générale. Soit
moins de 6 % des équipes.
« Des collègues ont peur »
Mais les instructions données
sur le plan national sont mises en
application de façon disparate,
en particulier en Ile­de­France,
aux dires de plusieurs syndicats.
Lundi, on dénombrait, selon la
CGT et le SNU­FSU, entre dix et
dix­sept salariés dans certaines
agences, comme celles de Paris­
Diderot et de Versailles – ce que la
direction générale conteste,
s’agissant de Versailles : « Ils
étaient sept », précise­t­on.
Des conseillers de Pôle emploi,
« qui ne peuvent pas se mettre en
télétravail, ont été rappelés » en
début de semaine, rapporte
Christine Brouh (SNU­FSU), pour
faire face à « l’actualisation » des
Comme lors
de l’éruption des
« gilets jaunes »,
l’exécutif invite
à se pencher
sur les
responsabilités
du passé
par ailleurs à regarder dans le
rétroviseur et à se pencher sur les
responsabilités du passé. « Le
gouvernement a été l’héritier de
l’impéritie précédente, dit un
proche de M. Macron. Il y a peut­
être dix ans que nous avons rompu
avec les stocks de précaution pour
les masques. »
Le président de la République
s’est adonné lui­même à cet argu­
mentaire, mardi, mais de
manière indirecte, en plaidant en
faveur d’un « principe de justice à
inscrits à Pôle emploi. Dans plus
de 90 % des cas, cette procédure,
qui vise, à partir de chaque fin de
mois et pendant un peu plus de
deux semaines, à mettre à jour le
dossier des personnes, est déma­
térialisée, grâce au recours à In­
ternet, à une application numéri­
que ou à un numéro d’appel spé­
cifique. Mais une petite minorité
de demandeurs d’emploi (envi­
ron 180 000) se déplacent pour
accomplir les démarches.
Le fait qu’il y ait encore du
monde dans plusieurs sites pré­
occupe certains syndicats. Une
quarantaine de salariés sont at­
teints par le Covid­19 et un peu
plus de 1 500 présentent des ris­
ques élevés de contamination, se­
lon la direction générale. « Des
collègues ont peur », confie Na­
dine Clain (CFDT).
En outre, les moyens de protec­
tion mis à disposition des person­
nels qui vont dans les agences
sont jugés insuffisants dans cer­
tains sites. « Il n’y a parfois ni
gants, ni gel ni obligation de stoc­
ker le courrier pendant deux
0123
JEUDI 2 AVRIL 2020
l’égard de tous les choix passés,
quels que soient les responsables
politiques ». « On ne peut pas
demander à des gens d’avoir pris
des décisions, il y a cinq ou dix ans,
qui ne pouvaient pas anticiper ce
qu’on vient de vivre, a souligné le
chef de l’Etat. Quand on vit quel­
que chose qui est inédit, on ne peut
pas demander aux gens de l’avoir
prévu il y a dix ans. »
Dans le même temps, il s’est
aussi attelé à la contre­offensive
en annonçant une enveloppe de
4 milliards d’euros alloués à Santé
publique France, pour financer
des commandes « en médica­
ments, respirateurs et masques ».
M. Macron s’est par ailleurs fait le
chantre d’une France « souve­
raine » en la matière et a promis
que « plus de dix millions » de
masques seraient produits par
semaine sur le territoire national
d’ici à la fin avril. Car, comme le
dit l’adage, la meilleure défense
reste l’attaque. 
olivier faye et manon rescan
jours », déplore Guillaume Bour­
dic (CGT). « Aujourd’hui, Pôle em­
ploi ne peut plus garantir la santé
et la sécurité de ses agents, dé­
nonce Sylvie Szeferowicz, de FO.
La seule solution, c’est de ne plus
permettre de venir sur les sites et
de trouver d’autres options et c’est
possible. » « La situation est en
train de s’améliorer », contreba­
lance Mme Clain.
M. Ohier certifie, de son côté,
que les chefs d’agence veillent au
respect des gestes barrières et des
mesures de distanciation sociale.
Si les agences étaient complète­
ment fermées, « nous ne pour­
rions pas mener à bien nos mis­
sions comme l’indemnisation des
demandeurs d’emploi », fait valoir
Jean­Yves Cribier, directeur géné­
ral adjoint en charge des ressour­
ces humaines. Mettant en exer­
gue son souci d’un « dialogue so­
cial constant » avec les syndicats, il
indique que le droit d’alerte lancé
par FO est pris en considération et
va faire l’objet d’une enquête. 
raphaëlle besse desmoulières
et bertrand bissuel
0123
JEUDI 2 AVRIL 2020 coronavirus | 9

Les régions et départements unis face au Covid­19

Les collectivités ont décidé, pour un temps, d’arrêter leur lutte de pouvoir avec l’Etat, afin d’endiguer la crise

A
près des semestres de
relations chaotiques,
l’exécutif et les collecti­
vités territoriales font
front commun face à la crise sani­
taire et économique du Covid­19.
« La collaboration avec l’Etat est
fluide, se félicite le président de
l’Assemblée des départements de
France, Dominique Bussereau.
Nous avons un dialogue continu
avec les ministres concernés. »
Même teneur du côté des régions.
« Nous sommes en soutien et en
appoint de l’Etat dans cette crise,
rapporte le président de Régions
de France, Renaud Muselier. Nous
avons été associés aux tours de
table avec le président de la Répu­
blique, à Matignon ou avec le
ministre de l’économie et des fi­
nances. Tout cela est coordonné. »
Bon nombre de mesures inscri­
tes dans la loi d’urgence sanitaire
ou prises ensuite par décret ou par
ordonnance, ainsi que les disposi­
tifs de soutien aux milieux écono­
miques, portent la marque des
collectivités territoriales. Ainsi,
lorsque le président du groupe Les
Républicains du Sénat, Bruno
Retailleau, appuie, lors de l’exa­
men du projet de loi d’urgence
sanitaire, la demande des collecti­
vités territoriales de pouvoir im­
porter des masques de protection
de l’étranger – les commandes
étant centralisées par l’Etat –, un
décret du gouvernement lève l’in­
terdiction dès samedi 21 mars. En
quelques jours, ce sont 60 mil­
lions de masques qui ont été
commandés par quatorze des dix­
huit régions françaises, pour plus
de 40 millions d’euros. Les pre­
mières livraisons étaient atten­
dues lundi 30 mars. « On a pu faire
en vingt­quatre heures ce qui né­
cessitait d’habitude au moins une
semaine », approuve M. Muselier.
Les régions sont également
directement impliquées dans le
fonds de solidarité de 1,2 milliard
d’euros mis en place pour aider
les très petites entreprises et les
indépendants ayant dû arrêter
leur activité ou dont l’activité est
durement affectée. Elles partici­
pent à hauteur de 250 millions
d’euros. Une contribution que le
gouvernement prévoyait initiale­
ment de prélever sur les recettes
de fonctionnement des régions.
A leur demande, il a accepté que
cela passe par un fonds de
concours, « ce qui permet d’être ef­
ficace, simple et rapide », souligne
Régions de France.
Soutien exceptionnel
Nombre de régions, cependant,
ont mis en œuvre dans des délais
très rapides des dispositifs de
soutien exceptionnel, au­delà de
leur participation au fonds de so­
lidarité. Au total, près de 1 milliard
d’euros ont été mobilisés en pro­
pre par les régions au profit des
acteurs économiques. Cela passe,
notamment, par la mise en place
de dispositifs visant à répondre
aux problèmes de trésorerie im­
médiate et de moratoires sur les
remboursements de prêts, ou par
la non­application de pénalités en
cas de retard dans le cadre des
marchés publics. De même, une
partie des fonds européens en­
core disponibles sur lesquels les
régions ont l’autorité de gestion
vont être réorientés vers des ac­
tions consacrées à la lutte contre
les effets du Covid­19 ; 650 mil­
lions d’euros pourraient ainsi être
mobilisés. Là aussi, elles ont eu
l’appui du gouvernement auprès
de la Commission européenne.
Des discussions sont encore en
cours entre Bercy et Régions de
France sur l’inscription des aides
distribuées par les régions. Il est
en effet prévisible, compte tenu
de l’effondrement de l’activité
économique, que leurs recettes
– basées essentiellement sur une
fraction de TVA nationale et sur
une part de la contribution sur la
valeur ajoutée des entreprises
(CVAE) – subissent une forte
baisse, diminuant d’autant leurs
marges de fonctionnement.
Pour pouvoir continuer à déga­
ger des moyens, les collectivités
demandent à être autorisées
en 2020, à titre exceptionnel, à
inscrire en investissement les
aides économiques qu’elles
versent, de sorte que la charge
puisse être lissée sur plusieurs
années. Pour l’instant, cette
demande se heurte à la crainte de
Bercy d’ouvrir la porte à une déro­
gation à la « règle d’or » qui veut
que les collectivités ne puissent
recourir à l’emprunt que pour les
seules dépenses d’investisse­
ment. La question est en arbitrage
à Matignon. « De toute façon, dans
ce contexte, le 1,2 % du pacte de Ca­
hors [contraignant les collectivi­
tés à maîtriser la hausse annuelle
de leurs dépenses de fonctionne­
ment dans une limite de 1,2 %], ça
n’a plus aucun sens, relève M. Mu­
selier. C’est fini, on n’en parle plus. »
Un autre sujet majeur inquié­
tait les collectivités : comment as­
surer la continuité financière des
collectivités territoriales quand
celles­ci n’ont pu adopter leur
budget primitif et, en particulier,
comment continuer à verser des
subventions aux associations
qui, dans cette période de crise,
jouent un rôle important ? Le
gouvernement y a répondu. Une
En quelques
jours, 60 millions
de masques ont
été commandés
par quatorze
des dix-huit
régions françaises
des ordonnances adoptées le
25 mars en conseil des ministres
lève une bonne partie des
contraintes et apporte des mar­
ges de manœuvre supplémentai­
res utiles pour soutenir les asso­
ciations, qui pourront en outre
bénéficier du dispositif d’aide ex­
ceptionnel mis en place pour les
entreprises et leurs salariés.
Les départements ne sont pas
en reste, dans leurs domaines de
compétences. Les initiatives se
multiplient pour apporter un
soutien aux sapeurs­pompiers,
aux personnels de la protection
maternelle et infantile, de l’aide
sociale à l’enfance… « On fait feu
de tout bois », assure M. Busse­
reau. Première préoccupation, les
établissements d’hébergement
pour personnes âgées dépendan­
tes (Ehpad). Les départements
interviennent pour répondre à
leurs besoins en personnels et en
matériel. Des agents de restaura­
tion scolaire dans les collèges ac­
tuellement fermés ont pu être re­
déployés dans des Ehpad. Afin de
ne pas jeter les produits périssa­
bles achetés pour les collèges, plu­
sieurs départements en ont fait
don aux associations œuvrant
auprès des plus démunis.
Les régions dans le domaine
économique, les départements
pour la solidarité sociale et, bien
sûr, les communes dans la
proximité immédiate, toutes les
collectivités territoriales sont
aujourd’hui mobilisées, reléguant
au second plan les charmes véné­
neux de la guérilla politicienne. 
patrick roger

L’appel aux « dons »

de Darmanin critiqué
Le ministre du budget veut financer le fonds
d’aide aux commerçants et indépendants

U n ministre du budget ne
devrait pas dire ça… Les
propos de Gérald Darma­
nin, ministre de l’action et des
comptes publics, dans une inter­
view au Figaro publiée en ligne le
30 mars au soir, n’ont pas manqué
de faire réagir sur les réseaux
sociaux et dans l’opposition.
« Je lance un grand appel à la soli­
darité nationale. Beaucoup de
particuliers ou d’entreprises nous
demandent comment participer et
nous aider. Tous ceux qui le souhai­
tent pourront le faire prochaine­
ment, via une plate­forme de dons
que nous allons mettre en ligne », a
déclaré M. Darmanin. Il répondait
à une question sur le fonds de soli­
darité nationale, opérationnel à
compter du 31 mars et qui doit ve­
nir en aide aux petites entrepri­
ses, indépendants, microentre­
preneurs et professions libérales
dont l’activité a chuté en raison de
la crise sanitaire, grâce à un verse­
ment mensuel pouvant aller jus­
qu’à 1 500 euros.
Un second décret
Mais, de la part d’un ministre du
budget qui a en principe toute lati­
tude pour lever l’impôt, qui plus
est membre d’un gouvernement
qui a supprimé l’ISF, ces propos
ont déclenché une levée de bou­
cliers. « Darmanin fait la manche
au lieu de rétablir l’ISF. C’est un test
pour mesurer la capacité d’indi­
gnation du pays ? », a réagi dans un
Tweet Jean­Luc Mélenchon, le chef
de file de La France insoumise.
« Un truc comme une contribution
de chacun selon ses moyens ? Un
impôt progressif ? Et soyons fous,
même sur la fortune ! », a tweeté le
député socialiste Boris Vallaud.
« Ces derniers jours, plusieurs
Français et entreprises ont fait
part à Gérald Darmanin de leur
souhait de contribuer à l’effort
national. Il a donc voulu mettre en
place un dispositif leur permettant
de le faire. La solidarité peut aussi
passer par des contributions
volontaires et pas toujours par
l’impôt, surtout dans des périodes
exceptionnelles », défend l’entou­
rage du ministre, qui assure qu’« il
n’y aura aucune contrepartie, ces
dons ne seront ni défiscalisés ni
exonérés de cotisations sociales ».
La plate­forme sera mise en ligne
« en début de semaine prochaine ».
Initialement doté de 1 milliard
d’euros pour le mois de mars, le
fonds de solidarité avait été
abondé à hauteur de 250 millions
par les régions. Les assureurs se
sont également engagés à ajouter
200 millions, mais les autres gran­
des entreprises n’avaient pour
l’heure pas répondu présente.
Or, la facture de ce fonds devrait
s’avérer plus importante que
prévu. Les conditions d’éligibilité
ont fait l’objet d’un vif débat entre
Bercy et la majorité parlemen­
taire, inquiète de la fronde des
petits patrons. Alors que le décret
paru lundi 30 mars fait état d’une
perte de chiffre d’affaires de 70 %
en mars et de 50 % pour avril pour
pouvoir bénéficier de l’aide de
1 500 euros, un second décret sera
publié d’ici à vendredi afin
d’abaisser le seuil à 50 % dès mars.
De quoi rallonger la facture d’en­
viron 500 millions d’euros (pour
un total de 1,7 milliard d’euros par
mois). Le fonds devrait concerner
près d’un million de petites entre­
prises. Le ministre de l’économie,
Bruno Le Maire, a précisé lundi
qu’il serait maintenu tant que
l’état d’urgence sanitaire serait en
vigueur. 
audrey tonnelier
 0123
10 | coronavirus JEUDI 2 AVRIL 2020

Couvre-feu : le Nord et le littoral méditerrannéen

en première ligne Nord et Pas-de-Calais
De nombreuses communes
de l’ancien bassin minier du
Près de 170 villes concernées Nord ont instauré le couvre-feu,
par un arrêté de couvre-feu notamment autour de Lens
et Maubeuge, qui a renforcé
Principales villes où un couvre-feu a été Lille
Lens son couvre-feu pour
établi par arrêté à partir du 21 mars* les mineurs.
Grand Nancy
Arrêté de couvre-feu mis en place uniquement Arras
Maubeuge Le 26 mars, les maires
pour les mineurs ou renforcé des vingt communes
pour ces derniers du Grand Nancy
Amiens Fourmies
décident le couvre-feu.
Territoire où le préfet a pris Charleville-Mézières L’arrêté est pris par le préfet
un arrêté concernant de Meurthe-et-Moselle
l’ensemble du département Lisieux Creil
Saint-Ouen Metz
Colombes Asnières-sur-Seine Strasbourg
Puteaux
Paris

Guadeloupe Martinique
Mulhouse

Guyane La Réunion Cholet

La Roche-sur-Yon
Poitiers

Fontenay-le-Comte
Mayotte Polynésie
française Lyon Saint-Julien-
en-Genevois
Le Verdon-sur-Mer
Vendays-Montalivet Grenoble
Les préfets de Guyane, de Mayotte
et le haut-commissaire à la Polynésie Bordeaux
Saint-Médard-
française ont décrété le couvre- Valence
de-Guizières
feu sur l’ensemble de ces Lège-Cap-Ferret Villenave-d'Ornon
territoires. Montélimar

Alès Nice
Nîmes
Toulouse
Montpellier Istres
Lagarrigue
Béziers Sète
Marseille
Perpignan Le 22 mars, le préfet des Alpes-
Maritimes décide le couvre-feu
dans les 24 communes littorales
ou de plus de 10 000 habitants Sources :
* Recensement des arrêtés municipaux et préfectoraux du département. Insee , Le Monde
de couvre-feu, établis entre le 21 mars et le 31 mars Infographie :
dans le cadre de la lutte contre le Covid-19. Mathilde Costil,
Cette liste ne tient pas compte des potentiels 0 100 km Sylvie Gittus-Pourrias,
prolongements des arrêtés. Véronique Malécot

Le casse­tête juridique du couvre­feu

Plusieurs arrêtés pris par des maires ont été invalidés par le préfet du département, car mal adaptés

D
epuis quelques jours,
le couvre­feu est entré
en vigueur dans de
nombreuses commu­
nes – de l’ordre de 170 selon le dé­
compte, qui ne prétend pas à l’ex­
haustivité, effectué par Le
Monde –, voire des départements
entiers, comme la Guyane et
Mayotte, ainsi qu’en Polynésie
française, ou, partiellement,
comme dans les Alpes­Maritimes.
Dernier en date, le couvre­feu ins­
tauré mardi 31 mars à Bourges et
dans son agglomération de
21 heures à 6 heures.
Des arrêtés pris, dans bien des
cas, à l’initiative des maires, ce qui
a engendré plusieurs contesta­
tions. En effet, l’article L.3131­1 du
code de santé civile, modifié par
la loi d’urgence sanitaire du
23 mars 2020, confie au ministre
chargé de la santé, « en cas de
menace sanitaire grave appelant
des mesures d’urgence, notam­
ment en cas de menace d’épidé­
mie », de prescrire « toute mesure
proportionnée aux risques courus
et appropriée aux circonstances de
temps et de lieu afin de prévenir et
de limiter les conséquences des
menaces possibles sur la santé de
la population ».
Cependant, est­il précisé, « le mi­
nistre peut habiliter le représen­
tant de l’Etat territorialement
compétent à prendre toutes les
mesures d’application de ces dis­
positions », ces mesures devant
faire l’objet d’une information du
procureur de la République.
Il ressort ainsi que la lutte
contre la crise sanitaire relève
d’une police spéciale dévolue à
l’Etat et à son représentant dans
le département ou la collectivité.
Il en va de même des décrets du
16 mars et du 23 mars 2020 qui
habilitent le représentant de
l’Etat dans le département à
« adopter des mesures plus res­
trictives en matière de déplace­
ment des personnes lorsque les
circonstances locales l’exigent ».
Toutefois, plusieurs élus, face
au non­respect des mesures de
confinement, ont pris des arrêtés
de couvre­feu nocturne, en s’ap­
puyant sur l’article L.2212­2 du
code général des collectivités
territoriales (CGCT), selon lequel
« la police municipale a pour objet
d’assurer le bon ordre, la sûreté, la
sécurité et la salubrité publiques ».
« Seul le préfet
peut prendre
une mesure
restrictive,
les arrêtés pris
par les maires ne
sont pas légaux »
JOSIANE CHEVALIER
préfète du Grand-Est
A ce titre, il lui est accordé « le
soin de prévenir, par des précau­
tions convenables, et de faire
cesser (…) les accidents et les
fléaux calamiteux ainsi que les
pollutions de toute nature, tels
que (…) les maladies épidémiques
ou contagieuses ».
« Pas d’effet utile »
Deux lectures s’opposent donc,
trois si on y ajoute l’article
L.2542­4 du CGCT pour les
communes relevant du droit alsa­
cien­mosellan. Le maire peut
justifier son intervention au titre
du CGCT alors que la loi d’urgence
sanitaire ne lui reconnaît pas de
compétence spécifique. Jusqu’à
quel point un arrêté municipal
est­il recevable ? Plusieurs préfets
ont mis en garde les maires de
leur département quant à l’éven­
tuelle illégalité d’un arrêté pris
dans ces conditions.
Ainsi, les arrêtés de couvre­feu
pris en Moselle le 24 mars par les
maires de Florange et de
Guénange ont été invalidés par le
préfet du département. Décision
appuyée par la préfète du Grand
Est, Josiane Chevalier, qui « incite
les maires à prendre les mesures
adaptées ». « Le couvre­feu peut
l’être dans certains cas, il faut vrai­
ment adopter des mesures propor­
tionnées, rappelle­t­elle. Seul le
préfet peut prendre une mesure
restrictive, les arrêtés pris par les
maires ne sont pas légaux. »
Il en va de même dans le Calva­
dos. Le préfet, Philippe Court, a
demandé le retrait de l’arrêté pris
par le maire de Lisieux, Bernard
Aubril, interdisant la circulation
dans sa commune de 22 heures à
5 heures à compter du vendredi
27 mars. Le préfet a estimé que cet
arrêté n’avait « pas d’effet utile » et
qu’il n’était « ni fondé en droit ni
approprié ».
La nature de l’arrêté de couvre­
feu n’est pas indifférente quand il
s’agit d’appliquer les sanctions
aux infractions. Le décret paru le
29 mars au Journal officiel
réajuste le montant des contra­
ventions en cas de non­respect
des mesures de confinement pré­
vues par la loi du 23 mars :
135 euros pour la première infrac­
tion ; 200 euros, pouvant aller jus­
qu’à 450 euros si l’amende n’est
pas payée dans les quarante­
cinq jours, en cas de récidive dans
les quinze jours ; lorsque quatre
infractions sont constatées dans
les trente jours, le délit est punis­
sable de six mois de prison et
3 750 euros d’amende. Or, le
non­respect d’un arrêté relevant
du CGCT pris par un maire est
sanctionné d’une contravention
de 1re classe, soit 38 euros.
Toutefois, ce même code des col­
lectivités territoriales prévoit que,
pour prévenir les fléaux calami­
teux, le maire « peut provoquer
l’intervention de l’administration
supérieure ». C’est ce qui a justifié
Au total, en
métropole, sept
villes de plus
de 100 000
habitants
sont sous
le régime
du couvre-feu
la demande faite au préfet du
Haut­Rhin par la maire de Mul­
house (Haut­Rhin), Michèle Lutz,
alors que la ville était fortement
touchée par l’épidémie, de res­
treindre la liberté de circulation
dans sa commune à partir du
22 mars, avant même que la loi soit
promulguée. A Nancy, en coopéra­
tion avec le préfet de Meurthe­et­
Moselle, le maire, Laurent Hénart,
a décidé non seulement d’instau­
rer un couvre­feu de 22 heures à
5 heures, mais aussi d’interdire les
regroupements de plus de deux
personnes âgées de plus de 10 ans
en journée dans l’espace public.
Dans les Alpes­Maritimes, le
préfet a pris un arrêté s’appli­
quant à partir du samedi 28 mars
au soir à toutes les communes du
département de plus de
10 000 habitants ainsi qu’aux
communes du littoral, au titre de
sa compétence territoriale, après
avoir un temps envisagé un
couvre­feu sur l’ensemble du dé­
partement. Ce sont donc 24 com­
munes maralpines qui sont con­
cernées par cet arrêté, qui a été
prolongé jusqu’au 15 avril.
Au total, en métropole, sept
villes de plus de 100 000 habi­
tants sont d’ores et déjà sous le ré­
gime du couvre­feu : Amiens,
Montpellier, Mulhouse, Nancy,
Nice, Nîmes et Perpignan.
Couvre­feu, également, dans
plusieurs territoires d’outre­mer.
A Mayotte, tout d’abord, depuis le
24 mars, où règne la crainte qu’un
foyer de contamination ne se
déclare dans un des immenses
bidonvilles de l’île et n’enclenche
une épidémie incontrôlable, à
laquelle les moyens sanitaires
disponibles ne sauraient faire face.
Couvre­feu, aussi, en Guyane et en
Polynésie française, où le nombre
de cas est encore relativement ré­
duit, mais il s’agit d’abord, dans
ces vastes territoires, où les distan­
ces rendent extrêmement diffici­
les les interventions sanitaires
d’urgence, de responsabiliser les
populations et les autorités locales
pour éviter la propagation.
A Perpignan, où le couvre­feu
instauré le 21 mars s’applique à
partir de 20 heures, une sirène
résonne tous les soirs à 19 h 50
pendant cinq minutes. « On se
croirait en temps de guerre », se
plaint un habitant. Oui, une
guerre sanitaire. 
patrick roger
0123
JEUDI 2 AVRIL 2020
Toubon : « Une alerte sur l’état du monde »
Pour le Défenseur des droits, la crise sanitaire souligne l’importance des services publics
ENTRETIEN
J
acques Toubon, Défenseur
des droits, estime que les me­
sures coercitives prises par le
gouvernement pour faire
face à l’urgence sanitaire res­
pectent « pour le moment » l’Etat
de droit. Mais il appelle à « réfléchir
au rôle futur des services publics »,
alors que l’égalité dans l’accès aux
droits est actuellement mise à mal
par la crise du coronavirus.
Quels problèmes de droit
la crise sanitaire et le confine­
ment général de la population
posent­ils ?
La crise sanitaire actuelle nous
impose trois défis. Il y a bien sûr
celui de l’équilibre entre les mesu­
res de contrainte restreignant les
libertés pendant l’urgence sani­
taire et les garanties de ces liber­
tés. Le deuxième enjeu est celui
de l’égalité de tous et de toutes, en
particulier dans l’accès aux droits
et aux services publics, afin que
cette situation ne crée pas d’iné­
galités supplémentaires.
Un troisième défi dépasse la
mission du Défenseur des droits.
Nous avons aujourd’hui la dé­
monstration de ce qu’est l’interdé­
pendance dans le monde. Cela
souligne la nécessité d’un droit
situé au­dessus des souverainetés
étatiques. Mais pas sur le modèle
du multilatéralisme onusien, qui a
montré ses limites. Les questions
soulevées par cette pandémie,
après celles sur le climat, les mi­
grations ou la financiarisation, ne
peuvent se résoudre autrement
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de l’Etat de droit ?
Tout doit être fait pour arrêter la
pandémie, protéger les plus
vulnérables et préserver ceux qui
se battent pour soigner. Le prin­
cipe même du confinement
relève de la solidarité et de l’al­
truisme, car c’est pour les autres
autant que pour soi­même que
l’on respecte cette lourde
contrainte. La mission que confie
la Constitution au Défenseur des
droits est de veiller au respect des
droits fondamentaux, et donc à
ce que l’état d’urgence sanitaire
ne leur porte pas atteinte.
Comme l’état d’urgence de la loi
de 1955, il n’est pas en soi incom­
patible avec l’Etat de droit, dès lors
que les mesures prises en son
nom respectent de manière abso­
lue quatre exigences. Elles doi­
vent être nécessaires – c’est­à­dire
non arbitraires – ; proportion­
nées – non extravagantes – ; ex­
ceptionnelles – par dérogation à
des règles qui ne sont pas chan­
gées – ; et temporaires – qui pren­
nent fin avec la sortie de l’état
d’urgence. Les mesures doivent
ainsi être prises en conscience de
leur portée réelle. La conscience
juridique est une part majeure de
l’héritage démocratique, comme
le partage de la connaissance.
En l’occurrence, les mesures
prises par le gouvernement
respectent­elles ces conditions
essentielles ?
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Je pense que ces mesures
respectent pour le moment l’Etat
de droit. En ce qui concerne la
justice, par exemple, il est évident
que l’allongement des délais de
détention provisoire ou la réduc­
tion de la collégialité et du débat
contradictoire sont des mesures
extrêmement fortes. Mais elles
répondent à l’urgence du confi­
nement, pourvu qu’elles s’arrê­
tent avec l’état d’urgence sani­
taire. De même en droit du travail,
certaines mesures dérogent
profondément à nos règles,
comme la durée maximum du
travail hebdomadaire.
Avez­vous des inquiétudes
sur le caractère temporaire
de ces mesures d’exception ?
Le précédent de l’état d’urgence
décrété en 2015 pour lutter contre
le terrorisme est troublant, car on
a maintenu un certain nombre de
ses mesures dans le droit ordi­
naire, avec la loi sur la sécurité
intérieure du 30 octobre 2017. Je
pense cependant que le sujet est
aujourd’hui très différent. Mais la
sortie du confinement sera un
défi pour toute la société.
Dans une telle crise, qu’en est­il
de l’accès aux droits ?
Nous constatons que les inégali­
tés deviennent encore plus crian­
tes avec l’état d’urgence sanitaire.
En particulier en raison de l’éva­
nescence des services publics que
le Défenseur des droits décrit
depuis plusieurs années.
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confinement, a­t­on pensé
aux deux millions de personnes
illettrées dans le pays, ou aux
malvoyants, ou à d’autres person­
nes handicapées ? Je suis frappé
de voir aujourd’hui que ce sont les
associations, la société civile en
général, qui se substituent ou
complètent l’action de l’Etat et
des collectivités territoriales pour
faire face aux besoins des person­
nes les plus dépendantes, précai­
res ou fragiles.
Que vont devenir les majeurs
sous tutelle qui n’ont pas de carte
bancaire à l’heure où de moins en
moins de commerçants accep­
tent des paiements en espèce, par
crainte du virus ?
Quant à la situation des enfants,
le droit à l’éducation doit être res­
pecté dans cette période, quelles
que soient les situations sociales.
Le rythme de l’enseignement à
distance devrait par exemple être
adapté aux élèves qui ont le plus
de mal à suivre. Comment les
enfants roms peuvent­ils suivre
cet enseignement à distance une
fois retournés dans leurs campe­
ments ou bidonvilles ? Les
progrès qui ont été faits dans la
scolarisation de ces enfants sont
balayés par les circonstances.
Que préconisez­vous pour
éviter un accroissement de
ces inégalités ?
C’est la conséquence des années
de décentralisation, puisque ces
compétences relèvent souvent
des départements ou des
communes. L’action de l’Etat n’a
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coronavirus | 11
l’égard des départements dans
cette crise.
J’ai demandé au ministre
compétent que soit mis en place
un pilotage national de l’aide
sociale à l’enfance. J’ai aussi inter­
pellé la ministre de la justice, qui a
réagi rapidement à la question du
risque de diffusion du Covid­19
dans les prisons surpeuplées,
même si les mesures devront
sans doute aller plus loin.
Et pour après la crise ?
Cette crise ne doit pas être consi­
dérée comme une parenthèse
que l’on va refermer. C’est une
alerte sur l’état du monde. On est
passé d’un monde hypermobile à
un blocage total, d’un univers
hyperfinanciarisé à une situation
où le primat revient au service
public, en particulier celui de la
santé. Nous devons réfléchir au
rôle futur des services publics et à
cette interdépendance planétaire.
Pour aller plus loin, je souhaite­
rais que l’on se réfère à la conclu­
sion du premier avis du Comité
consultatif national d’éthique du
13 mars : « Les décisions (…) doivent
répondre à l’exigence fondamen­
tale du respect de la dignité hu­
maine, c’est­à­dire que la valeur de
chaque personne doit être recon­
nue comme absolue. » Cet avis con­
cernait l’éthique dans la prise en
charge des malades. Cela doit être
le principe que l’on applique à tous
les individus et à toutes les collecti­
vités. Nous devons en faire le cœur
de nos préceptes juridiques. 
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« fiable » de Sophie
Pétronin
La France dispose d’une
preuve de vie « fiable en date
de début mars » de Sophie Pé­
tronin, l’humanitaire fran­
çaise enlevée à Gao, au Mali,
et retenue en otage depuis le
24 décembre 2016, rappor­
tent, mardi 31 mars, ses pro­
ches, dont son fils, dans un
communiqué, reçu la semai­
ne dernière au Quai d’Orsay.
CORO NAVIRUS
Le gouvernement décale
la déclaration de
revenus du 9 au 20 avril
Le ministre de l’action et des
comptes publics, Gérald
Darmanin, a annoncé, mardi
31 mars, qu’il décalait du 9 au
20 avril l’ouverture de la
déclaration des revenus et
qu’il suspendait les contrôles
fiscaux. Les personnes qui
effectuent leur déclaration
sur papier pourront égale­
ment la déposer jusqu’au
12 juin, soit un mois plus tard
qu’initialement prévu.
Les vétérinaires
disposés à seconder
les médecins
Les vétérinaires de France ont
répondu massivement à l’ap­
pel des ministères de la santé
et de l’agriculture pour prêter
main forte aux médecins
dans la lutte contre le Co­
vid­19. « Il nous a été de­
mandé de faire un recense­
ment des vétérinaires pour les
inscrire dans la réserve sani­
taire, afin de connaître les vo­
lontaires. Aujourd’hui, nous
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12 | coronavirus
Errements gouvernementaux sur les masques
Un changement de doctrine est intervenu, en août 2014, concernant l’organisation des stocks stratégiques
ANALYSE
E
n visite, mardi 31 mars,
dans une fabrique de
masques près d’Angers,
Emmanuel Macron a dé­
claré : « Ma priorité est de produire
des masques pour les soignants,
dans le médico­social et dans le
social. Il faut que jamais les person­
nels soignants qui sont en contact
ne manquent de masques. C’est ma
priorité. Quand nous aurons tou­
ché les commandes de masques,
quand nous aurons augmenté
notre capacité de production de
masques FFP2, nous pourrons étu­
dier comment équiper tous les
personnels soignants et ensuite
peut­être l’élargir à d’autres mé­
tiers. (…) Progressivement, on élar­
gira, parce qu’il y a bien sûr une
forte demande. »
En écoutant le chef de l’Etat, de
nombreux Français ont dû se po­
ser deux questions très simples.
Mais pourquoi diable ne produi­
sons­nous pas nous­mêmes nos
propres masques ? Pourquoi avoir
attendu la fin du mois de mars
pour commander aux Chinois, les
plus gros producteurs de masques
de la planète, un milliard d’unités ?
Pour comprendre cette situation
de grave pénurie, il faut remonter
au 16 mai 2013, à une note de dix
pages émanant des services du
« premier ministre – secrétariat gé­
néral de la défense et de la sécurité
nationale », au titre explicite :
« Doctrine de protection des tra­
vailleurs face aux maladies haute­
ment pathogènes à transmission
respiratoire ». Référencé N° 241/
SGDSN/PSE/PSN, ce document
réévalue ce que doit être l’attitude
des employeurs, publics ou privés,
en de telles circonstances.
En préambule, il est écrit qu’une
« maladie infectieuse hautement
pathogène à transmission respira­
toire est une menace sanitaire ma­
jeure à caractère exceptionnel vis­
à­vis du strict cadre “de la santé et
de la sécurité au travail”. Face à un
tel risque affectant tous les tra­
vailleurs, indépendamment de leur
statut (salariés, travailleurs indé­
pendants) et de leurs activités, il re­
vient aux pouvoirs publics d’appor­
ter une réponse globale. »
La doctrine précise : « Il s’agit de
répondre de la façon la plus adap­
tée à une double exigence : l’obliga­
tion de protéger le travailleur d’une
part, la nécessité d’assurer, selon les
nécessités dépendant de la nature
de l’activité et des circonstances, la
continuité des activités socio­éco­
nomiques, en particulier celle des
secteurs d’importance vitale. »
Toutes les mesures barrières
– les mêmes que celles qui ont été
énoncées par les responsables sa­
nitaires depuis le début de l’épi­
démie due au coronavirus – sont
détaillées.
Le document rappelle aussi l’avis
du Haut Conseil de la santé publi­
que (HCSP) du 1er juillet 2011. On y
lit en particulier que le HCSP « pri­
vilégie le port de masques chirurgi­
caux pour les personnels en contact
avec le public et les personnes se
rendant dans des lieux publics, dès
3
2
1
0
-SÉRIE
HORS
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CCAOMRPRTENDRE
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LA F R A N
POU
0123
JEUDI 2 AVRIL 2020
lors que la situation le nécessite ».
Le HCSP considère que le port du
masque FFP2 doit être réservé aux
personnels directement exposés à
un risque élevé, notamment les
professionnels de santé exécutant
des actes à risque.
Cela posé, le secrétariat général
de la défense et de la sécurité na­
tionale (SGDSN) pose un premier
principe : « Une maladie infec­
tieuse hautement contagieuse à
transmission respiratoire sort du
strict cadre “de la santé et de la sé­
curité au travail” dans la mesure où
l’on a affaire à une menace sani­
taire majeure. »
Ratés dans l’exécution
Trois types de situations et de
mesures spécifiques de préven­
tion des risques et de protection
sont envisagées en fonction des
conditions dans lesquelles
s’exerce l’activité de travail, de­
puis la suppression totale de con­
tact jusqu’au port d’un équipe­
ment de protection individuelle
type FFP2, en passant par la possi­
bilité de mettre en place des dis­
positions limitant la transmis­
sion de la maladie.
« Situation 1 : mesures de sup­
pression du risque de dissémina­
tion des agents pathogènes : a) Ar­
rêt de l’activité lorsque les condi­
tions rendent difficiles la mise en
place d’autres mesures de protec­
tion ; b) travail à distance (contact
par téléphone avec les usagers…). Dans une usine de fabrication de masques, près d’Angers, le 31 mars. LOÏC VENCE/POOL/AP
Situation 2 : mesures de limita­
tion du risque de dissémination
des agents pathogènes : a) Dis­ nels soignants et de nombre de Le 8 août 2014, la commission cide d’intégrer les missions de
tance de sécurité entre les person­ personnes exposées au risque de
Après la loi des finances du Sénat revenait sur l’Eprus au sein d’un nouvel éta­
nes (supérieure à 1 mètre selon contamination, il y a eu, pour le de 2007, très vite, les questions des stocks stratégi­ blissement public baptisé Santé
l’OMS) ; b) écran physique tel qu’un moins, des ratés dans l’exécution ques, précisant qu’ils seront doré­ publique France, regroupant éga­
écran antiagression ; c) port d’un depuis le début de la crise liée au
un stock navant « moins importants mais lement l’Institut de veille sani­
masque antiprojection (masque coronavirus. de 1 milliard gérés de façon plus fiable ». S’agis­ taire (InVS) et l’Institut national
chirurgical) par les travailleurs et Ces ratés apparaissent d’autant sant des masques, elle précise de prévention pour la santé
par les usagers à leur contact. plus importants lorsqu’on lit la
de masques de qu’« une nouvelle doctrine du (INPS). Récemment interrogé par
Situation 3 : mesures de limita­ suite de la note du SGDSN en 2013, protection avait SGDSN a d’ores et déjà établi que le France Inter, Francis Delattre es­
tion du risque de transmission de à propos de la question cruciale de stock national géré par l’Eprus con­ time que ce changement dans
la maladie : mise en place d’une la gestion des stocks : « Il revient à
été constitué cernerait désormais uniquement l’organisation des structures a été
protection individuelle avec le port chaque employeur de déterminer les masques de protection chirurgi­ une erreur : « On a dissous l’Eprus
d’un masque FFP2 lorsqu’il y a con­ l’opportunité de constituer des caux à l’attention des personnes alors que c’était un outil efficace
tact étroit sans possibilité de met­ stocks de masques pour protéger moins volumineux et donc moins malades et de leurs contacts, tandis face à l’urgence sanitaire. L’Eprus
tre en place une autre mesure. » son personnel. Le cas échéant, le di­ coûteux que celui des masques que la constitution de stocks de était une administration de mis­
Fait essentiel, le SGDSN ajoute mensionnement des stocks est FFP2, lesquels nécessitent en masques de protection des person­ sion, une force de frappe disponi­
ceci : « En situation 2, dès lors sous­tendu par : la durée prévisible outre une gestion fine des dates nels de santé (notamment les mas­ ble 24 heures sur 24 pour toute ur­
qu’aucune autre mesure de limita­ d’une épidémie (une à plusieurs va­ de péremption. » ques FFP2 pour certains actes à ris­ gence sanitaire. C’était une petite
tion du risque de dissémination gues de huit à douze semaines pour Rappelons qu’en mars 2007 avait ques) étaient désormais à la charge unité avec un réseau capable de
des agents pathogènes, parmi cel­ la grippe) ; la durée d’utilisation été adoptée la « loi relative à la pré­ des employeurs ». mobiliser en 48 heures 1 500 pro­
les présentées en situation 2a [dis­ d’un masque ; le caractère à usage paration du système de santé à des fessionnels : brancardiers, chirur­
tance de sécurité] ou 2b [écran unique des masques ; le recense­ menaces sanitaires de grande am­ « On a dissous un outil efficace » giens, médecins, infirmiers… Une
physique] ne peut être prise, l’em­ ment des tailles de populations ci­ pleur ». Entre autres dispositions, La commission indiquait par structure souple, solide qui fonc­
ployeur devra prendre les mesures bles ; la fourniture gratuite en nom­ ce texte créait un nouvel établisse­ ailleurs qu’il avait été décidé « de tionnait en système commando. »
d’organisation nécessaires pour bre suffisant ; les capacités de fa­ ment public, l’Etablissement de ne pas renouveler certains stocks Depuis 2016, la situation logisti­
que les travailleurs ne soient en brication et d’approvisionnement préparation et de réponse aux ur­ arrivant à péremption, par exem­ que ne s’est guère améliorée.
contact qu’avec des personnes à pendant une crise. » gences sanitaires (Eprus), dont la ple, en raison de la plus grande dis­ Après des semaines d’atermoie­
qui l’on aura préalablement distri­ mission principale était « l’acquisi­ ponibilité de certains produits et ments et de déclarations byzanti­
bué des masques antiprojection et Un établissement spécifique tion, la fabrication, l’importation, de leur commercialisation en offi­ nes sur la non­efficacité des mas­
qui les porteront effectivement. Il La doctrine précise en outre : « Les le stockage, la distribution et l’ex­ cine de ville ou du transfert de la ques, il semble qu’enfin tout le
revient, in fine, à chaque em­ masques doivent être changés au portation des produits et services responsabilité de constituer cer­ monde, jusqu’au plus haut som­
ployeur d’examiner, pour les diffé­ minimum toutes les quatre heu­ nécessaires à la protection de la po­ tains stocks vers d’autres acteurs met de l’Etat, ait pris conscience
rents postes, de quelles situations res, en fonction des recommanda­ pulation face aux mesures sanitai­ (par exemple, les établissements des effets dramatiques de ces er­
ils relèvent et d’évaluer les mesures tions du fabricant et chaque fois res graves », y compris bien sûr les de santé et les établissements rements doctrinaux.
les plus adaptées. » qu’ils deviennent mouillés ou vaccins et les fameux masques médico­sociaux pour les masques Reste à comprendre : pour quel­
Une remarque : l’idée de faire après avoir quitté une zone à haut chirurgicaux et FFP2. de protection FFP2 de leurs per­ les raisons a­t­on décidé ces chan­
distribuer les masques par les em­ risque. Les paramètres de coût Très vite, un stock de masques sonnels) ». Le sénateur (Les Répu­ gements de stratégie ? Qui en a dé­
ployeurs peut tout à fait se justi­ sont les suivants : de protection avait été constitué blicains) Francis Delattre sera cidé ? Quels experts furent consul­
fier, du moins en théorie. Cela – acquisition : un masque chirur­ (285 millions de masques de l’une des rares personnalités poli­ tés ? Seule certitude : de nom­
évite les délais d’acheminement, gical coûte environ dix fois moins filtration de type FFP2 et 20 mil­ tiques à s’inquiéter à l’époque de breux morts – combien, on ne le
la détermination du nombre de cher qu’un masque FFP2 ; lions de boîtes de 50 masques ce changement de doctrine. sait pas encore – seront imputa­
masques à distribuer, etc. Mais à – stockage : le stockage des mas­ chirurgicaux, soit 1 milliard de En janvier 2016, la loi de moder­ bles à cette impéritie. 
écouter les plaintes des person­ ques chirurgicaux est largement masques). nisation du système de santé dé­ franck nouchi
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0123
JEUDI 2 AVRIL 2020
Epidémie de Covid-19 : situation au 31 mars, 14 heures
DÉCÈS À L’HÔPITAL HOSPITALISATION
3 523
ET RÉANIMATION
depuis le 1 mars
er
RETOUR À DOMICILE
9 443
2 972
816
771
18 mars 31 mars 18 mars
Les acteurs de l’aide à l’enfance
inquiets des effets du confinement
Un enfant de 6 ans est mort deux jours après que son père l’eut frappé
D L
eux jours après avoir
été violemment
frappé par son père,
un garçon de 6 ans,
habitant de Tremblay­en­France
(Seine­Saint­Denis), est mort à
l’hôpital Necker, à Paris, dans la
nuit de dimanche à lundi. Le prin­
cipal suspect, déjà condamné
en 2017 pour des violences sur
une de ses filles aînées, a été mis
en examen et placé en détention
provisoire. Il doit être présenté
jeudi 2 avril au juge des libertés et
de la détention.
Que s’est­il passé au domicile fa­
milial, ce vendredi après­midi, qui
a conduit à la mort d’un enfant ? Il
faudra plusieurs jours, peut­être
plusieurs semaines, au juge d’ins­
truction saisi par le parquet, pour
reconstituer les événements. A ce
stade de l’information judiciaire,
les explications du père sont
« trop imprécises pour faire l’objet
d’une communication », indique
le parquet de Bobigny.
Mais, d’ores et déjà, ce drame in­
terroge sur une possible recru­
descence des maltraitances au
sein des familles en cette période
de confinement lié à l’épidémie
de Covid­19. De la même manière
que les associations venant en
aide aux victimes de violences
conjugales, les professionnels de
l’enfance craignent une dégrada­
tion des situations.
« L’interdiction de sortir fait dis­
paraître la structure habituelle, qui
organise psychiquement. Si on
Baccalauréat : les scénarios d’une sortie de crise
Le ministre de l’éducation nationale, Jean­Michel Blanquer, doit préciser en fin de semaine quelle option est retenue pour les élèves de terminale
P our 700 000 élèves de
terminale, le suspense
s’apprête à prendre fin : le
ministre de l’éducation nationale,
Jean­Michel Blanquer, doit clari­
fier à la fin de la semaine, le 2 ou le
3 avril, les modalités de passation
du baccalauréat 2020.
Il y a quelques semaines encore,
l’introduction d’une part de
contrôle continu lors des épreu­
ves anticipées de première susci­
tait l’ire d’une partie des syndi­
cats d’enseignants. Crise sanitaire
oblige, alors que la perspective du
confinement s’allonge, l’option
ne peut plus être exclue : il y aura
« forcément une dose de contrôle
continu, lors de l’examen, a répété
Jean­Michel Blanquer, le 30 mars,
sur Europe 1. La question est de
définir jusqu’à quel point (…). »
Pour y parvenir, les syndicats
d’enseignants et de proviseurs
HOSPITALISATIONS PAR DÉPARTEMENT
pour 100 000 habitants
22 672
Personnes
hospitalisées
En réanimation
et en soins intensifs
5 496
31 mars
ajoute à ça les stresseurs que sont
la présence des enfants non­stop,
confinés parfois dans des petits es­
paces, avec en plus l’obligation
d’instaurer un cadre scolaire, la
précarité liée à l’absence d’acti­
vité… Tous ces facteurs conjugués
créent un bouillon de culture avec
des ferments toxiques pour les per­
sonnes vulnérables », relève la so­
ciologue Nadège Séverac, spécia­
liste des violences intrafamiliales.
« Cocktail explosif»
Une campagne de communica­
tion vient d’être lancée par le gou­
vernement pour faire connaître le
119, le numéro d’urgence pour l’en­
fance en danger, et le secrétaire
d’Etat à la protection de l’enfance,
Adrien Taquet, a appelé à plusieurs
reprises à « redoubler de vigilance »
et à alerter en cas de soupçon.
« Il faut dire aux parents que ça
peut arriver d’être exaspéré par son
enfant, de se sentir démuni, en par­
ticulier dans ces circonstances diffi­
ciles. Mais dans ce cas, ne vous lais­
sez pas envahir par la colère, prenez
votre téléphone et appelez », préco­
nise Martine Brousse, la prési­
dente de l’association La Voix de
l’enfant, une fédération d’associa­
tions d’aide à l’enfance qui tra­
vaille en partenariat avec le 119.
« Passé l’effet de sidération, et une
phase d’organisation, tous les servi­
ces sont mobilisés désormais »,
tient­elle à souligner.
En l’espace de deux semaines,
le nombre d’appels au 119 est
ont été consultés ces derniers
jours, un à un. L’occasion de voir
se dégager un objectif partagé : de
la FSU à l’UNSA en passant par le
SGEN ou le SNALC, il y a urgence à
trouver la « moins mauvaise solu­
tion » dans une période où il n’est
« pas question de se diviser », selon
le mot de Stéphane Crochet, du
SE­UNSA. Voilà pour le principe.
Sur la forme, autrement dit sur
le nombre d’épreuves finales
maintenues – ou abrogées –, tout
dépendra de la date de reprise des
cours, fait­on valoir dans les
rangs syndicaux. Si elle pouvait
avoir lieu le 4 mai – « scénario »
évoqué par M. Blanquer –, le
SNES­FSU, majoritaire dans le
secondaire, voudrait voir mainte­
nues deux épreuves terminales,
dont une « par exemple dans la
matière dominante de la série »,
défend Frédérique Rolet, sa porte­
de 100 à 143,5
de 50 à 100
Epidemie de covid­19
de 25 à 50
de 10 à 25
moins de 10
Petite couronne
resté relativement stable, de l’or­
dre de 725 par jour en moyenne,
rapporte Violaine Blain, la direc­
trice générale du groupement
d’intérêt public Enfance en dan­
ger, qui gère le numéro d’ur­
gence. « Nous avons relevé deux
particularités dont il faudra véri­
fier qu’elles se confirment dans les
semaines qui viennent : une plus
forte proportion d’enfants parmi
les appelants – un tiers contre
16 % habituellement – ainsi
qu’une hausse du nombre d’ap­
pels venant de l’entourage, voi­
sins ou membres de la famille. »
Afin de permettre à celles et ceux
qui se trouvent dans l’impossibi­
lité d’appeler de signaler des si­
tuations par écrit, un formulaire
en ligne sera disponible dans les
jours qui viennent sur le site In­
ternet du 119, précise Mme Blain.
Les professionnels de la protec­
tion de l’enfance, qui accompa­
gnent environ 340 000 enfants,
dont la moitié vivent chez leurs
En deux
semaines, le
nombre d’appels
au 119 est resté
relativement
stable, de l’ordre
de 725 par jour
en moyenne
parole. L’autre épreuve pourrait
être celle de philosophie, selon
l’agence de presse spécialisée AEF.
Mais si le confinement dure plus
longtemps ? Le gouvernement
semblant exclure de toucher aux
congés d’été, une autre option lui
est soufflée par la communauté
éducative : délivrer le baccalauréat
en fonction des résultats obtenus
avant la fermeture des établisse­
ments, ce qui équivaudrait peu ou
prou à renoncer aux écrits termi­
naux. En tout cas pour la majorité
des élèves : ceux dont la moyenne
se situe entre 8 et 10, « voire un peu
en dessous, pour faire preuve d’in­
dulgence », pourraient être convo­
qués, plaide­t­on dans les rangs du
SNPDEN­UNSA (majoritaire chez
les chefs d’établissements)
comme du SE­UNSA. « Ce sont
aussi ceux que l’école à la maison
met aujourd’hui à la peine »,
Guadeloupe
Martinique
Mayotte
La Réunion
Guyane
parents, sont sur le qui­vive. « Il
est clair que le confinement exa­
cerbe les difficultés », disent­ils,
unanimes. « C’est difficile et stres­
sant pour toutes les familles, alors
pour celles qui sont déjà vulnéra­
bles ou maltraitantes, la promis­
cuité et l’absence de soupapes que
sont l’école, le travail, le sport,
constituent un cocktail explosif »,
s’inquiète une psychologue qui
travaille dans un service d’aide
sociale à l’enfance en Ile­de­
France. En raison du coronavi­
rus, les visites à domicile sont
suspendues jusqu’à nouvel or­
dre, hors situation d’urgence.
En télétravail comme l’ensem­
ble de ses collègues, elle effectue
donc le suivi des familles dont
elle s’occupe par téléphone.
« Comme je n’ai pas de téléphone
professionnel, j’appelle en nu­
méro masqué en fixant des ren­
dez­vous, raconte­t­elle. Parfois
ça marche, parfois non. Sans voir
les gens, je suis dépendante de ce
qu’ils veulent bien me dire, je ne
peux m’appuyer sur rien d’autre. »
Pour « se rassurer », elle a dans
certains cas accentué le rythme
des échanges.
Une de ses collègues, qui tra­
vaille dans un autre départe­
ment, s’inquiète des « conséquen­
ces en cascade » d’une telle situa­
tion. « Pour les cas complexes, les
enfants tout petits ou les plus abî­
més, je crains que ce soit rava­
geur », craint­elle. 
solène cordier
pointe Jean­Rémi Girard, du
SNALC. La session 2020 se limite­
rait alors à des épreuves de
rattrapage – un peu comme ces
oraux traditionnellement convo­
qués en juillet, après les résultats
du premier tour du bac.
« Mes élèves paniquent »
Reste à savoir quelles notes
seraient prises en compte pour
valider l’examen. Le SGEN plaide
pour celles de la « fiche avenir »
qui a servi pour Parcoursup
– c’est­à­dire les résultats des
lycéens sur les trois trimestres de
première et les deux premiers de
terminale. Cette option aurait le
mérite d’éviter la « course aux no­
tes » quand le confinement pren­
dra fin. La FSU, elle, plaide pour
une place plus grande faite au « li­
vret scolaire », c’est­à­dire aux
appréciations des enseignants.
coronavirus | 13
COMPARATIF EUROPÉEN
Progression du bilan humain
selon le stade de l’épidémie
Italie France Espagne
Allemagne Royaume-Uni
Les données
commencent au 10e décès.
775 morts
en Allemagne
1 411 morts
au Royaume-Uni
Jour 0 Jour 10
Infographie Le Monde Sources : Santé publique France, Johns Hopkins University
Polémique à Bordeaux
sur la désinfection de rue
Le maire et la préfète sont en désaccord
sur l’utilité du nettoyage massif face au virus
bordeaux ­ correspondante
es images des rues de Chine
ou de Corée du Sud, net­
toyées à grand renfort de
produits désinfectants, parfois
même par l’armée, ont marqué les
esprits. Au point que des villes de
France s’y mettent aussi, comme
Cannes, Nice, Saint­Florent (Hau­
te­Corse), ou encore Suresnes,
(Hauts­de­Seine) afin d’enrayer la
propagation du coronavirus.
Mais dans certaines villes, l’effi­
cacité de cette spectaculaire me­
sure est contestée. A Bordeaux, la
préfète de Nouvelle­Aquitaine, Fa­
bienne Buccio, a été étonnée d’ap­
prendre que le maire, Nicolas Flo­
rian, envisageait de procéder au
grand nettoyage de lieux publics
fréquentés, comme l’entrée des
grandes surfaces. Si la décision fi­
nale revient à ce dernier, la haut
fonctionnaire, a réfuté catégori­
quement l’intérêt de cette prati­
que sanitaire, qui n’a pas démon­
tré son efficacité pour vaincre le vi­
rus, et qui pourrait avoir des con­
séquences sur l’environnement.
En France, les produits utilisés
sont de différentes natures (désin­
fectants, bactéricides et fongici­
des) et le plus souvent à base d’eau
de Javel diluée dans de l’eau. En
Chine, des désinfectants ména­
gers du même type auraient été
utilisés par les autorités, mais tous
n’ont pas été identifiés. Selon le
docteur Daniel Habold, directeur
de la santé publique à l’Agence ré­
gionale de santé (ARS) Nouvelle­
Aquitaine, le nettoyage des rues
Du côté des lycéens, l’inquiétude
est forte. « Passer du jour au lende­
main à 100 % de contrôle continu,
c’est nécessairement source d’iné­
galités », souligne Héloïse Moreau,
présidente de l’Union nationale ly­
céenne, qui préférerait un main­
tien d’épreuves avec un « barème
adapté » ou des « sujets fléchés vus
en cours ». Voire des oraux,
comme après Mai 68, « mais pour
tous les lycéens », dit­elle.
« Depuis que le gouvernement
parle d’aménagements, mes élèves
paniquent, souffle Solène, ensei­
gnante en Seine­Saint­Denis qui a
requis l’anonymat. Ils s’interrogent
sur la valeur d’un bac 2020 donné à
tout le monde. Pour eux, l’examen
n’est pas qu’un rituel de passage : ils
sont souvent les premiers dans leur
famille à le passer. En attendant les
clarifications promises, ils sont
stressés… et moi avec eux. »
12 428 morts 12 000
en Italie
10 000
8 464 morts
en Espagne
8 000
6 000
3 523 morts
en France
4 000
2 000
0
Jour 16 Jour 24 Jour 35
« massivement », primordial en
temps normal, doit se poursuivre
comme c’est le cas aujourd’hui à
Bordeaux. Mais il ne doit pas s’ap­
puyer sur des produits de type ja­
vellisant, qui n’ont pas démontré
leur utilité sur les lieux publics.
« Plus toxique qu’autre chose »
La préfète de Nouvelle­Aquitaine
appuie également son refus, insis­
tant sur l’importance de la ques­
tion environnementale : « Utiliser
des produits tels que l’eau de Javel
ou autre pour nettoyer les rues ou
devant les magasins quand ce n’est
pas utile, est plus toxique qu’autre
chose pour l’environnement, et
aussi pour les personnes qui inhale­
raient les relents de ces produits. »
Un argument que défend égale­
ment l’ARS, qui, outre le pilotage et
le développement de la politique
de santé publique dans les régions
de France, porte la mission de
veiller à la protection de l’environ­
nement. « Je n’ai pas d’argument de
santé publique pour approuver
cette mesure, au contraire », con­
clut Daniel Habold.
La préfète Fabienne Buccio s’ap­
puie par ailleurs sur les consignes
qui ont été données au niveau na­
tional par le ministère de la santé
et par « l’ensemble des ministères » :
celui de « déconseiller fortement
aux maires d’utiliser ce genre de
moyens. » Le Haut Conseil de la
santé publique, saisi le 26 mars par
le gouvernement sur cette ques­
tion, devrait rendre son avis dans
les prochains jours. 
claire mayer
D’autres pays n’ont pas tergi­
versé : au Royaume­Uni, les
élèves ont appris que les diplô­
mes de fin d’année (GCSE et A­Le­
vel) seraient validés « d’une ma­
nière juste et qui protège les inté­
rêts des écoliers », selon l’expres­
sion du premier ministre, Boris
Johnson, dans la foulée de l’an­
nonce de la fermeture des établis­
sements. En France, même un ac­
cord de principe n’exclut pas une
future passe d’armes, alors que la
session 2021 du bac doit faire
peau neuve – une promesse de
campagne du candidat Macron.
Le maintien des épreuves du 17
au 24 juin était jugé encore
techniquement possible par les
proviseurs il y a quelques jours.
Cela semble de moins en moins
être le cas. 
mattea battaglia
et violaine morin
 0123
14 | coronavirus JEUDI 2 AVRIL 2020

Les travailleurs
invisibles
sortent de l’ombre
Avec la crise sanitaire, les agents de nettoyage,
ouvriers, auxiliaires de vie… apparaissent enfin
pour ce qu’ils sont : des rouages essentiels de la vie
du pays, qui n’ont pas d’autre choix que de continuer
à aller travailler, au risque d’attraper la maladie

L
e Covid­19 les a fait surgir au
grand jour. Alors que l’économie
du pays est clouée au sol, caissiè­
res, livreurs, agents de nettoyage,
ouvriers, conducteurs de métro,
auxiliaires de vie, ces travailleurs
invisibles apparaissent enfin pour ce qu’ils
sont : des rouages essentiels de la vie du pays,
sans lesquels point de commerces, de trans­
ports ou de services aux personnes.
Alors qu’une partie des salariés s’installent
dans le télétravail, ils et elles n’ont pas d’autre
choix que de continuer à aller travailler, par­
fois de nuit, souvent en horaires décalés, tou­
jours au risque d’attraper la maladie. Quatre
d’entre eux ont déjà perdu la vie, comme le
rappelle la fédération CGT des commerces et
services dans une lettre ouverte à Muriel Pé­
nicaud, le 31 mars. Et des centaines d’autres
sont contaminés. Une situation qui a incité
la CGT Commerce à déposer plainte contre
la ministre du travail devant la cour de jus­
tice de la République, estimant que les sala­
riés de la distribution manquaient de pro­
tection face au coronavirus. « Cette crise fait
apparaître une forme de pénibilité que l’on
n’imaginait plus : celle d’être exposé à un ris­
que sanitaire létal dans le cadre de son acti­
vité professionnelle », souligne le sociologue
Julien Damon, professeur associé à Sciences
Po. « Cette exposition à des risques majeurs
n’était plus tellement prise en compte dans
l’évolution de notre droit du travail, on l’avait
un peu oubliée. »
Selon une note de l’OFCE publiée lundi
30 mars, 8,4 millions de personnes en France
peuvent travailler de leur domicile : la moitié
sont des cadres, les autres sont employés
qualifiés ou appartiennent aux professions
intermédiaires, comme les enseignants. Et, à
l’inverse, 18,8 millions de salariés, ouvriers
ou employés pour l’essentiel, ne peuvent ef­
fectuer leur travail à distance. Pour certains,
il existe une fierté à continuer à aller au tra­
vail, que ce soit pour ne pas laisser tomber
les collèges ou les personnes dont ils s’occu­
pent, pour contribuer à assurer le service pu­
blic. Mais c’est aussi un non­choix. Droit de
retrait difficile à faire appliquer, nécessité de
faire rentrer un salaire. Beaucoup y vont la
boule au ventre, avec la peur de tomber ma­
lade, de contaminer leur famille.
« La prime de 1 000 euros,
je m’en fous »
Olivier* (le prénom a été changé), agent de
nettoyage en gare TER (Bouches­du­
Rhône) pour une filiale du groupe Nicollin
« La prime de 1 000 euros ? Je m’en fous pas
mal. Ce n’est pas ça qui va me rassurer sur
mes conditions de travail. J’ai peur, oui, je ne
peux plus faire semblant. Nous sommes
deux agents de nettoyage dans une camion­
nette. Mon collègue a des allergies. Il éter­
nue, renifle, toute la journée. Et ni lui ni moi
n’avons de masque. Pourquoi on ne me
donne pas un autre véhicule ? L’entreprise en
a plein d’autres. Au moins le temps que le pic
d’épidémie passe. Je ferais ma tournée seul.
De 8 heures à 16 heures, toute la journée, je
ramasse des mouchoirs usagés, nettoie les
trains, les toilettes. Et nous n’avons pas de gel
hydroalcoolique. Partout, sur les réseaux so­
ciaux, le groupe Nicollin dit « prendre des me­
sures pour votre sécurité et celle de ses
agents ! » Mais nos chefs ne savent rien de ce
qui se passe sur le terrain. Dans les gares,
comme les toilettes sont fermées, je ne peux
plus me laver les mains. Et souvent, les voya­
geurs s’adressent à nous pour trouver leur
train. Ils sont pressés. Ils parlent fort, pos­
tillonnent. Ils se tiennent trop près de nous.
On ne peut pas continuer comme ça. »
« On est là pour la survie
de l’entreprise »
Samuel Dubelloy, 48 ans, ouvrier
chez Arc à Arques (Pas­de­Calais)
« Je travaille chez Arc depuis plus de
quinze ans, pour un salaire de 1 944 euros, à
raison de trente­deux à trente­trois heures
par semaine. Je n’ai jamais vu autant de gars
ayant peur d’aller travailler. Depuis lundi
23 mars, toute l’organisation du personnel a
été revue [seuls 700 des 2 500 ouvriers y ont
conservé leur poste sur les chaînes de produc­
tion, à la suite de l’adoption d’un plan de crise
pour se conformer aux mesures de distancia­
tion sociale]. Certains sont en chômage par­
tiel. D’autres sont en congés maladie pour
garde d’enfants. Bien qu’il n’y ait pas eu de
malades du coronavirus dans le coin, ni à
l’usine, j’ai peur. Quand j’arrive, j’ai mal au
ventre. Et puis ça passe. Au fond, le boulot, il
n’a pas changé. Je suis assistant à la fusion de
l’un des cinq fours qui produit encore au sein
du site. Tout le monde est bien protégé. On
est habitués à porter des masques. Et puis je
me dois d’être là au côté de mon fils, qui est
conducteur de machines, et pour la survie de
l’entreprise. Arc a traversé des situations très
difficiles [en 2013, elle a frôlé le dépôt de bi­
lan]. Cette crise ne va pas améliorer la situa­
tion, ça c’est sûr. Mais on ne peut pas arrêter
des fours verriers. On ne peut pas tout met­
tre par terre. Il y a 680 personnes qui d’habi­
tude travaillent sur ce four. Beaucoup ont
« JUSQUE­LÀ,  plus de 50 ans. Ils retrouveraient difficile­
PERSONNE  ment un emploi si Arc s’arrêtait. »
N’A ÉTÉ TOUCHÉ,  « Nous avons besoin
MAIS, LE JOUR  de considération »
Cécilia*, 29 ans, auxiliaire de vie (Allier)
OÙ ON AURA UN  « Je suis auxiliaire de vie, nous sommes
CAS, J’AI PEUR  auxiliaires de vie, celles qui permettent à des
personnes âgées de rester à leur domicile,
QUE ÇA DÉRAPE » que ce soit par souhait, par manque de
LAURENCE GILLET moyens, de places en structure… Je vais être
responsable de rayon plus directe, nous sommes celles qui empê­
dans un supermarché chent d’autres de crever la bouche ouverte en
silence, seules, parce qu’elles n’ont personne.
C’est ce qui arriverait si on se mettait à faire la
grève en même temps, et encore plus en ces
temps de crise sanitaire. Si nous n’étions pas
là, qui ferait les courses pour ces personnes
fragiles, qui leur préparerait leurs repas, les
laverait, les écouterait ? On nous laisse sur le
terrain avec pas ou peu de moyens de protec­
tion, notre profession n’étant pas considérée
comme prioritaire. Certaines ont de grandes
difficultés à exercer leur droit de retrait. Et
tout cela pour ne pas avoir la moindre recon­
naissance de notre gouvernement : pas un
mot gentil à notre égard ou une mesure. Je
suis une maman de deux enfants en bas âge

« Cette crise souligne les conditions de vie très inégales des Français »
Logement, éducation, emploi… le confinement ravive des disparités déjà prégnantes en France, souligne la sociologue Marie Duru­Bellat

ENTRETIEN télétravail. Mais on ne peut pas

vraiment opposer qualifiés et
Sur cette question des territoi­
res, au début du confinement,
sources en temps de confine­
ment : en tout cas, on ne saurait
la quasi­totalité des mères sans
diplôme s’avouent dépassées,
A l’issue de la crise sanitaire
et du confinement, comment

P our Marie Duru­Bellat, so­

ciologue et professeur
émérite à Sciences Po (Le
Mérite contre la justice, Presses de
Sciences Po, 2019.), spécialiste
non­qualifiés, car la prise de risque
touche évidemment au premier
chef les médecins et les person­
nels de santé. Les inégalités que
fait ressortir cette crise ne sont pas
on a beaucoup pointé du doigt
les Parisiens qui partaient
s’installer à la campagne.
Est­ce caricatural ?
Oui, même si cela reste cho­
dire qu’il y a la télévision d’un
côté, et la culture de l’autre.

des questions d’inégalités, cette
crise, qui intervient à un mo­
ment où la situation sociale est
déjà fragile, va faire des dégâts
sur tous les plans : psychologi­
que, économique, social…
La crise que nous traversons
fait ressortir les inégalités dans
le monde du travail, entre ceux
qui peuvent travailler confinés
et les autres, qui doivent aller
au contact de l’extérieur – et
donc prendre des risques − pour
gagner leur vie. Est­ce une nou­
velle forme de lutte des classes ?
Ce n’est pas si net ! Les caissières
ou les agents de nettoyage sont ef­
fectivement plus exposés au virus
que les « cols blancs », qui sont en
uniquement liées au travail. Cela
met en évidence les conditions de
vie très inégales des Français.
A l’heure où les Français
sont confinés, la question du
logement apparaît cruciale…
L’une des premières inégalités
est celle qui oppose les mal­logés
et les autres. Environ 4 millions
de personnes sont mal logées en
France, parmi lesquelles un mil­
lion d’entre elles n’ont pas vérita­
blement de domicile personnel.
N’oublions pas que Mulhouse, un
lourd tribut à l’épidémie, est une
ville très inégalitaire, avec beau­
coup de pauvres. La crise du Co­
vid­19 fait aussi ressortir l’inéga­
lité entre les territoires.
quant. Car les inégalités de terri­
toire et de logement ne recou­
vrent pas parfaitement celles en­
tre riches et pauvres. Moins pré­
sents dans les grandes villes que
les cadres, les ouvriers habitent
autant, voire plus souvent, dans
certaines régions, dans des mai­
sons individuelles que les cadres
supérieurs. Ils ont souvent des
terrains, ils peuvent jardiner, faire
du bricolage… Les riches, certes,
ont des ressources plus abondan­
tes (dont des résidences secon­
daires), mais cela ne signifie pas
qu’ils parviennent mieux que les
autres à occuper leurs journées.
Le niveau d’éducation de la popu­
lation est assez élevé et chacun
peut sans doute trouver des res­
La question de l’accompagne­
ment scolaire des enfants
est­elle un facteur d’aggrava­
tion des inégalités ?
C’est là un point très important.
Effectivement, les parents sont
très inégaux dans leurs capacités
à aider les enfants dans leurs ap­
prentissages. Dans une note pu­
bliée par l’Insee en 2004, on
voyait que si les femmes les
moins diplômées sont celles qui y
consacrent le plus de temps, elles
se sentent souvent peu compé­
tentes : dès le primaire, plus de la
moitié des mères sans diplôme
ou avec le seul certificat d’études,
se sentent perdues face aux ap­
prentissages de leurs enfants,
alors que les femmes diplômées
du supérieur ne sont que 5 % dans
ce cas. Quand l’enfant est au lycée,
contre seulement la moitié de cel­
les diplômées du supérieur. Cela
vaut pour les pères. On peut
craindre que cela induise des iné­
galités très importantes à la re­
prise des cours.
Accompagner les enfants dans
leurs apprentissages, télétra­
vailler, effectuer des démar­
ches à distance… Tout cela
demande aujourd’hui d’être
à l’aise avec le numérique.
N’y a­t­il pas là également
une inégalité fondamentale ?
Oui, bien sûr. Un Français sur
cinq n’a pas d’ordinateur, et ce
chiffre monte à un tiers chez les
25 % les plus pauvres. Déjà, les en­
seignants disent qu’ils ont perdu
tout contact avec 5 % à 8 % des en­
fants, et ce n’est sans doute pas
sans rapport. Sans compter le
sentiment d’être perdu et livré à
soi­même face à toute formalité.
tout cela risque­t­il de
se traduire ?
Cette crise sanitaire intervient
au moment où la situation so­
ciale française est déjà fragile.
Elle va faire des dégâts sur tous
les plans, psychologique, écono­
mique, social… Les Chinois signa­
lent déjà une explosion des de­
mandes de divorce. La question
des violences domestiques à l’en­
contre des femmes et des en­
fants est aussi très inquiétante.
Sans compter les revendications
de tous ceux qui auront vu leurs
revenus drastiquement baissés,
ou se seront rendus compte
combien ils étaient indispensa­
bles à la vie du pays… Pour res­
taurer un peu de dialogue, de
confiance et de justice, Il faudra
sans doute bien plus qu’un Gre­
nelle du coronavirus ! 
propos recueillis par
béatrice madeline
0123
JEUDI 2 AVRIL 2020
qui, en plein confinement à cause d’une épi­
démie, se lève et va travailler. J’aime mon mé­
tier et j’ai de l’affection pour ces personnes
en situation de faiblesse, mais nous avons
besoin qu’on nous donne les moyens d’exer­
cer sans risque notre métier. Nous avons
aussi besoin de considération. »
« Je contribue à la continuité
du transport public »
Cédric Gentil, 41 ans, conducteur RATP
sur la ligne A du RER (Seine­et­Marne)
« Pour aller travailler, je dispose d’un équi­
pement de protection assez sommaire. De­
puis la mi­mars, nous avons un kit person­
nel que nous emportons en permanence
avec nous. Il contient des lingettes désinfec­
tantes, des gants et deux masques chirurgi­
caux à utiliser uniquement si je dois porter
assistance à un voyageur malade. L’un des
masques est pour moi et l’autre est destiné à
l’usager. A chaque prise de poste, l’entreprise
me fournit six petites lingettes désinfectan­
tes pour nettoyer mon poste de conduite.
Mais cela ne suffit pas. Alors, comme mes
collègues, j’arrive avec mes propres lingettes.
Cette question du nettoyage, c’est le sujet qui
suscite le plus de crainte, de colère même,
chez les conducteurs. Avec parfois l’envie
d’arrêter. Sachant que, dans mon centre d’at­
tachement de Torcy (est de la ligne A du RER),
on compte une dizaine de personnes positi­
ves au Covid­19. Les mesures d’assainisse­
ment prises avec retard ne sont toujours pas
effectives. Par exemple, l’équipe de net­
toyage en bout de ligne, à Saint­Germain­en­
Laye, est présente une fois sur deux.
Il y a quand même des mesures qui fonc­
tionnent, comme la nouvelle organisation
mise en place pour réduire le nombre de per­
sonnes présentes en même temps dans les
centres d’attachement. Contrairement à cer­
tains de mes collègues, je n’ai pas d’appré­
hension majeure dans le fait d’aller tra­
vailler, je suis même plutôt satisfait de con­
tribuer à la continuité du transport public. »
« C’est le pot de terre contre
le pot de fer »
Tatiana Campagne, 30 ans, élue
SUD­Solidaires et employée logistique
chez Amazon à Lauwin­Planque (Nord)
« Au début du coronavirus, parmi les em­
ployés d’Amazon de mon site, on a fait
comme tout le monde, on a attendu de voir.
Mais comme nous recevons beaucoup de
marchandise de Chine, nous avons com­
mencé à nous inquiéter. Nous avons évoqué
l’idée d’utiliser des gants ou du gel hydroal­
coolique mais ça faisait plutôt sourire. Pour­
tant, si on nous avait écoutés plus tôt…
La peur s’est vraiment installée le jeudi
12 mars, quand Emmanuel Macron a an­
noncé la fermeture des écoles. Ça confirmait
que le virus était bien dangereux. Avec les
A gauche : sur
un chantier du
13e arrondissement,
à Paris, le 23 mars.
Ci­contre en haut :
des employés
municipaux dans
une rue de Suresnes,
le 20 mars. Ci­contre
en bas : dans une
grande surface, à
Nanterre, le 27 mars.
THOMAS SAMSON/AFP ;
CHRISTIAN HARTMANN/REUTERS ;
PHILIPPE LOPEZ/AFP
autres syndicats de notre entrepôt, nous
avons cherché à répondre aux inquiétudes
des salariés. Et avons commencé à dénoncer
le manque de mesures de protection sur le
site. Nous avons conseillé aux salariés d’arrê­
ter le travail en exerçant leur droit de retrait.
Mais Amazon estime la sécurité satisfaisante
et refuse de payer les employés qui font jouer
ce droit. En réponse à notre mobilisation, la
direction a renforcé les mesures pour faire
respecter la distanciation sociale, en pous­
sant les meubles des salles de repos, en déca­
lant les horaires de travail… Mais, avec
2 500 salariés sur le site, c’est très difficile
d’éviter le risque de contagion. Il n’y a tou­
jours pas de gel pour tout le monde, de mas­
ques, de gants… Pour nous, Amazon outre­
passe ses droits. C’est le pot de terre contre le
pot de fer. Avec l’intersyndicale, nous allons
aller devant les prud’hommes. Moi, j’aurais
voulu faire jouer mon droit de retrait mais je
ne me voyais pas rester à la maison, en sé­
curité, et laisser tomber les employés. »
« J’ai pensé arrêter de travailler.
Mais je n’ai pas le choix »
Thomas De Carvalho, 30 ans, artisan taxi
pour sa société, Thomas TRC (Paris)
« J’ai perdu 90 % de mon chiffre d’affaires
en mars. Il n’y a presque pas de clients. J’ai
ma clientèle privée, ça marche encore un
peu, avec deux ou trois courses par jour.
Pour rassurer les clients, j’ai mis un film ali­
mentaire entre les sièges avant et arrière, des
gants et du gel hydroalcoolique à disposition
à l’arrière, c’est gratuit. J’ai commandé du
Plexiglas pour remplacer ce rafistolage. Je
nettoie ma voiture après chaque client. Si
l’un d’eux ne met pas les gants, je le refuse. Je
suis là pour servir, pas pour subir, ni mourir.
Je n’ai pas peur du virus pour moi. Mais j’ai
peur pour ma famille, mes clients. J’ai pensé
arrêter de travailler. Mais je n’ai pas le choix.
J’ai 5 000 euros de charges par mois, dont
1 500 euros pour la licence et 565 euros pour
la voiture. Vendredi 20 mars, j’ai appelé des
grandes surfaces pour leur proposer mes
services pour livrer. J’attends. »
« A fleur de peau à cause de
la promiscuité avec les clients »
Laurence Gillet, 56 ans, responsable du
rayon des produits frais, libre­service et
découpe, au Super U d’Egletons (Corrèze),
et élue du syndicat Force ouvrière
« Ce métier, je l’ai choisi. J’aime ce que je
fais. Ici, on est dans une petite ville, dans un
magasin où l’on se sert les coudes. Les collè­
gues me disent : “Je viens car je ne suis pas
un tire­au­flanc, mais j’ai peur.” Et puis, on
s’entend bien. Mais la fatigue commence à
s’installer, physique, et surtout psychologi­
que. Les premiers jours ont été très difficiles,
avec beaucoup d’incivilités. C’était la razzia
dans les rayons. Les protections pour les hô­
tesses de caisse, les gants, le gel, ont été mis
en place un peu tard, et parfois dans la dé­
brouille. Avec la loi d’urgence sanitaire, on
peut faire le remplissage du magasin la nuit
et éviter de croiser du public. Le magasin a
demandé qui était volontaire pour faire
l’équipe de nuit. Depuis mardi 24 mars, au
lieu de travailler de 6 heures à midi, je com­
mence à 18 heures jusqu’à minuit, voire
1 heure du matin. La nuit, la fatigue est physi­
que, mais, dans l’équipe de jour, les collègues
sont à fleur de peau à cause de la promiscuité
avec les clients… Jusque­là, personne n’a été
touché, mais le jour où on aura un cas, j’ai
peur que ça dérape. D’autant qu’il y a encore
des clients qui n’ont rien compris, qui font
leur sortie journalière pour acheter une bou­
teille de Coca ou un paquet de sucre. Et au
drive, c’est encore pire, car les gens ne sup­
portent pas d’attendre. »
« Mon employeur a refusé
mon droit de retrait »
Antoine*, 34 ans, chef d’équipe logistique
d’un sous­traitant d’EDF, dans la centrale
nucléaire de Dampierre­en­Burly (Loiret)
« Dans la centrale nucléaire de Dampierre­
en­Burly, il aura fallu que les salariés de sous­
traitants menacent d’arrêter de travailler
pour qu’EDF prenne des précautions. Dans la
zone contrôlée, on est tenu de mesurer sa ra­
dioactivité fréquemment, notamment en
glissant ses mains pendant dix secondes
dans un appareil. Mais celui­ci n’était pas dé­
sinfecté, malgré le passage de centaines de
personnes par jour. De plus, dans le bâti­
ment du réacteur en cours de rechargement,
les distances de sécurité n’étaient pas respec­
tées et les poignées de porte n’étaient désin­
fectées que deux fois par jour. Mon em­
ployeur a refusé que je fasse usage de mon
droit de retrait. Il l’a considéré abusif. De
mon côté, je n’avais qu’une peur : contami­
ner ma famille en rentrant chez moi le soir.
Mais à partir du mardi 17 mars, nous avons
commencé à nous mobiliser en refusant
d’entrer dans la zone contrôlée tant que des
précautions n’étaient pas mises en place par
EDF. Autour du 23 mars, EDF a adapté le dis­
positif : une distance de un mètre est respec­
tée dans la zone contrôlée, et on est autorisés
à porter des gants pour mesurer notre ra­
dioactivité. Les chantiers sur les arrêts de
tranche (période pendant laquelle un réac­
teur est arrêté) sont suspendus le week­end.
Mais ces mesures arrivent trop tard. Quel­
ques collègues présentent des symptômes. »
« On vit au jour le jour »
Amélie Huyn, 26 ans, assistante
marketing de la société Alpina Savoie
à Chambéry (Savoie)
« Avec la fermeture des restaurants et des
cantines, mon entreprise, connue pour ses
marques de pâtes, de semoule et de crozets, a
vu une partie de ses débouchés se fermer. La
direction m’a proposé d’opter pour un chô­
mage partiel ou de prêter main­forte à la pro­
duction. Je n’ai pas hésité un instant.
Depuis lundi 23 mars, après une courte pé­
riode de formation, je travaille de 8 heures à
16 heures sur les lignes de conditionnement
des crozets. C’est tout nouveau pour moi,
cela me rapproche des coulisses, cela se
passe bien, on se serre les coudes. Je ne suis
pas du tout inquiète. Toutes les mesures sa­
nitaires sont prises. Je porte masque, char­
lotte, blouse et chaussures de sécurité. A la
pause du midi, chacun a une place numéro­
tée, sans vis­à­vis et espacée. Je ne sais pas
encore combien de temps durera l’expé­
rience. On vit au jour le jour. »
« Il faut assurer la propreté ! »
Célestin, 64 ans, agent de service
(Seine­Saint­Denis)
« Je suis agent de service, je fais le nettoyage
dans des immeubles et des locaux profes­
sionnels. Je fais ce travail depuis trente­
six ans. On a des gants jetables et du gel hy­
droalcoolique, mais pas de masque, et cela
ne m’empêche pas d’aller travailler. Il faut
quand même assurer la propreté des lieux !
On nettoie les portes, les boîtes à lettres, les
rampes d’escalier… On est tous inquiets. On
évite les contacts directs avec les occupants,
quand on croise quelqu’un, on garde nos dis­
tances. On ne se laisse pas postillonner des­
sus ! Mais les gens m’encouragent, ils sont
contents de ce que je fais pour eux. Je me
sens utile. » 
francine aizicovici, louisa benchabane,
éric béziat, camille bordenet,
juliette garnier, laurence girard,
béatrice madeline, alexandre piquard
et cécile prudhomme
coronavirus | 15
« J’ai pété les plombs
le premier jour
du confinement »
A Nantes, la vie entre quatre murs s’organise
tant bien que mal. L’expérience diffère
selon le type de logement
TÉMOIGNAGES
nantes ­ correspondant
C e lundi 30 mars, Moham­
med Lasri opte pour la sa­
gesse et la philosophie.
« On a la chance d’avoir un couloir
de 8 mètres dans l’appartement.
Avec le confinement, on lâche du
lest sur quelques règles, le couloir
sert aux enfants pour faire un peu
de sport. La seule règle, c’est de ne
pas gêner les voisins », confie ce
père de famille, qui vit avec son
épouse et ses quatre enfants dans
un appartement de 83 m2 au cœur
de la Bernardière, secteur du
Grand­Bellevue, quartier priori­
taire s’étendant sur les villes de
Nantes et de Saint­Herblain (Loi­
re­Atantique).
La fratrie est composée de trois
garçons et d’une fille, âgés de 4 à
11 ans : « A cet âge­là, ils ont besoin
de courir, de bouger. On laisse faire
les cache­cache dans l’apparte­
ment », dit M. Lasri. Le père de fa­
mille, qui devait démarrer une ac­
tivité de chauffeur VTC le 15 mars,
« limite au maximum les sorties ».
« J’imprime une autorisation de dé­
placement depuis mon téléphone
car on n’a pas d’ordinateur. On évite
les contacts, on s’éloigne des gens
que l’on croise dehors. »
La vie est rythmée par les de­
voirs, les repas et les jeux sur la
PlayStation. Elle s’orchestre dans
le salon, les deux chambres du lo­
gement « et le couloir pour la
gym ». « Lorsque le confinement
est tombé, on a expliqué à nos en­
fants que, dehors, il y avait un virus
qui peut toucher tout le monde »,
reprend M. Lasri.
« Un fossé »
« Habitant à sept dans un T4 » au
12e étage de l’immeuble HLM du
Sillon de Bretagne – vaste tour de
120 mètres regroupant près de
3 300 personnes à Saint­Her­
blain – Taslini, lycéen de 18 ans
(les personnes citées dont le nom
n’apparaît pas ont souhaité gar­
der l’anonymat), dit « ne pas avoir
trop peur » de la crise sanitaire qui
frappe le pays. Mais il limite ses
sorties à cause des menaces de
verbalisation. La période, dit­il en
soufflant, « n’est pas agréable du
tout. Je suis branché sur mon télé­
phone, je regarde la télé, je parle
avec mon petit frère… » Le jeune
homme, habitué à pratiquer la
boxe anglaise et la boxe thaïe, a ré­
visé à la baisse ses activités sporti­
ves : « S’entraîner dans l’apparte­
ment, ça ne le fait pas, ce n’est pas
assez grand. J’ai téléchargé une ap­
plication pour faire des exercices
de musculation sans machine ni
matériel. Mais le confinement, à ce
tarif­là, ça va être compliqué. »
« C’est sûr qu’avec une maison et
un jardin, le confinement doit être
quand même plus simple à vivre »,
déclare Samira Bounakhla, mère
célibataire de trois enfants, instal­
lée dans un logement HLM à che­
val sur le Breil et les Dervallières,
deux quartiers prioritaires de
Nantes. « On n’est pas tous égaux
face à la crise. Mais je ne me plains
pas : j’habite une zone avec de la
verdure et, ici, on sent une vraie so­
lidarité entre habitants. »
Coordinatrice de projets en in­
sertion professionnelle, cette
« militante des quartiers populai­
res » dit avoir « pété les plombs le
premier jour du confinement ».
« ÉLEVER SEULE TROIS 
ENFANTS ÂGÉS DE 2 ANS 
ET DEMI À 9 ANS, CE N’EST 
DÉJÀ PAS FACILE. MAIS LÀ, 
MENTALEMENT, C’EST TRÈS
DUR. MON TRAVAIL, C’EST 
UNE RESPIRATION »
SAMIRA BOUNAKHLA
coordinatrice de projets
en insertion professionnelle
« J’ai eu la sensation qu’on m’enle­
vait ma liberté. Elever seule trois
enfants âgés de 2 ans et demi à
9 ans, ce n’est déjà pas facile. Mais
là, mentalement, c’est très dur.
Mon travail, pour moi, c’est comme
une soupape, une respiration. C’est
ce qui me fait sentir femme, et pas
que maman. Cela signifie se ma­
quiller, se faire belle, et cela fait du
bien au moral. Bon, je le fais encore,
mais ce n’est plus pareil. »
« La première des inégalités dans
la période actuelle concerne la
poursuite de l’apprentissage sco­
laire, pointe Aïcha Bassal, ad­
jointe à la ville de Nantes, chargée
notamment des questions d’éga­
lité et de lutte contre les discrimi­
nations. Il y a, hélas, un fossé entre
ceux qui ont l’habitude d’accom­
pagner leurs enfants et ceux qui se
retrouvent démunis. Les familles
équipées d’ordinateurs et celles qui
n’en ont pas. Ensuite, le lieu de vie
est fondamental et peut créer des
difficultés et des tensions. A cela
s’ajoutent les disparités économi­
ques, selon qu’on soit salarié, inté­
rimaire, sans emploi. Et la période
est également plus délicate pour
les familles monoparentales. »
« Les devoirs, c’est une horreur,
on en a reçu une tonne, reprend
Mme Bounakhla. J’ai prévenu les
instituteurs que cela nous mettait
une pression intenable. »
« Moralement, c’est éprouvant,
mais on n’a pas le choix, abonde
Pauline, mère d’une fille de 12 ans
que l’on entend chanter à tue­tête
derrière elle au téléphone. Ma fille
est hyperactive, l’école, le basket et
le judo lui manquent. C’est compli­
qué aussi d’être éloigné de la fa­
mille et des amis. On prend le café
ensemble au téléphone. »
A Malakoff, à Nantes, Mouloud
Abdelkafi, 70 ans, s’oxygène en
fin de journée. « J’étouffe à rester à
la maison, dit le septuagénaire,
qui préside l’association maghré­
bine des seniors nantais. Parfois,
des adhérents m’appellent pour
me demander : “Quand vas­tu rou­
vrir le local ?” Je leur réponds : “Eh
bien ce n’est pas le moment.” A
tous, je rappelle l’importance du
confinement et du respect des me­
sures de distance. Mais oui, c’est
long. Je suis inquiet, car le rama­
dan arrive [il doit commencer le
23 avril en soirée], ce sera dur pour
les gens de rester à la maison. »
Même si cela lui « pèse »,
Mme Bounakhla a fait le choix de
restreindre drastiquement les
« excursions » : « Je descends avec
mes enfants une fois tous les deux
ou trois jours. Je me préserve pour
eux, je ne veux pas prendre de ris­
que, je me dis : “s’il m’arrive quelque
chose, qui veillera sur eux ?”. » 
yan gauchard
 0123
16 | coronavirus JEUDI 2 AVRIL 2020

Macron relance
le chantier de
l’indépendance
économique
Pour le président de la République,
« notre priorité est de produire
davantage en France et en Europe »

L’
histoire retiendra que nelle de 4 milliards d’euros,
c’est depuis la filiale M. Macron a martelé : « Notre prio­
d’un groupe canadien rité est de produire davantage en
qu’Emmanuel Macron France et en Europe. » Et d’ajouter
a battu le rappel, mardi 31 mars, que « nous devons retrouver notre Le chef de l’Etat visite l’usine
pour « rebâtir notre souveraineté indépendance. Nous continuerons de masques Kolmi­Hopen,
nationale et européenne ». Le pré­ à le faire le jour d’après ». La pénu­ à Saint­Barthélemy­d’Anjou
sident de la République s’est rie de masques ou de respirateurs (Maine­et­Loire),
rendu à Saint­Barthélemy­d’An­ a, en effet, révélé les failles du mo­ mardi 31 mars. LOIC VENANCE/AP
jou (Maine­et­Loire), dans l’usine dèle sur lequel était bâtie jus­
de production de masques FFP2 et que­là l’autonomie stratégique du
chirurgicaux de l’entreprise Kol­ pays et du Vieux Continent.
mi­Hopen. Il a ainsi salué les ef­ le commissaire au marché inté­ ques). Elle remet les industries services financiers, ces sujets sen­
forts des industriels en France Des cartes rebattues rieur, est chargé, en tout premier traditionnelles sur le devant de la
Dans ce contexte sibles exigent une approche natio­
pour doper la fabrication de mas­ De l’indépendance énergétique à lieu, de « renforcer la souveraineté scène, en intégrant une con­ d’épidémie, nale. Voire régionale : « Des régions
ques de protection. la sécurité des communications, technologique de l’Europe ». Il a trainte qui avait été sous­estimée, françaises commencent à réfléchir
Le chef de l’Etat a également an­ la France n’a eu de cesse, pour­ ainsi appelé à la montée en puis­ celle de la sécurité des approvi­
ce n’est pas à la nécessité de reconstruire des fi­
noncé la constitution d’un con­ tant, de bâtir les infrastructures sance des opérateurs et équipe­ sionnements. Dans ce contexte, une entreprise lières pour limiter leur dépendance
sortium autour d’Air Liquide vi­ essentielles à ses citoyens. Et mentiers européens sur la 5G, afin ce n’est pas une entreprise qui à la Chine sur certaines chaînes de
sant à augmenter sa production comme la septième puissance de desserrer l’emprise du chinois s’avère stratégique, mais l’ensem­
qui s’avère valeur », indique M. Gainnier.
de respirateurs dans son usine mondiale n’a plus les moyens de Huawei, et soutenu la création ble de la chaîne. « Tous les diri­ stratégique, Alors que neuf hôpitaux euro­
d’Antony (Hauts­de­Seine). Objec­ financer seule cette politique, elle d’un « Airbus des batteries » pour geants, économiques et politiques, péens ont alerté, mardi 31 mars,
tif : fabriquer 10 000 équipe­ a poussé l’Union européenne (UE) que l’UE rattrape son retard par se posent la question de savoir s’ils
mais l’ensemble sur le risque d’une pénurie de mé­
ments dans l’Hexagone d’ici la à la mettre en œuvre à l’échelle rapport à la Corée ou à la Chine. n’ont pas été trop loin dans l’opti­ de la chaîne dicaments essentiels, l’industrie
mi­mai. Air Liquide, PSA, Schnei­ des Vingt­Sept. C’est ainsi que Supercalculateur, intelligence misation des chaînes de valeur, de la santé va mériter des efforts
der et Valeo se sont mobilisés sont nés, au fil du temps, le lan­ artificielle, outils d’utilisation des souligne Bernard Gainnier, prési­ particuliers. Cette crise « accentue
après l’appel à l’aide du gouverne­ ceur européen Ariane destiné à données, énergies renouvelables : dent de PwC pour la France et de Chine ou d’Inde d’un claque­ la politique de reconquête indus­
ment qui remonte au 22 mars. garantir l’accès à l’espace ou en­ les priorités mises en avant fai­ l’Afrique francophone. Le virus est ment de doigt les composants, la trielle que nous avions lancée il y a
Précisant que les commandes de core le système de navigation Ga­ saient jusque­là la part belle aux le symptôme d’une absence de re­ question de filières de production deux ans et demi. Nous avions déjà
masques, de gels hydroalcooli­ lileo pour ne plus dépendre du technologies de rupture et à cul par rapport à la vision d’un locales revient en force. Mais re­ commencé à travailler en France et
ques, de respirateurs et autres mé­ GPS américain. « l’économie de demain ». La pan­ monde ouvert et stable. » tisser des filières effilochées, ex­ en Europe sur la relocalisation de
dicaments seront couvertes par Selon la lettre de mission du démie due au coronavirus vient Quand les industriels euro­ humer les savoir­faire, tout en chaînes de production de médica­
une dotation publique exception­ 1er décembre 2019, Thierry Breton, rebattre les cartes (géographi­ péens ne peuvent plus importer préservant la compétitivité des ments », a assuré sur RTL Agnès
donneurs d’ordre, va nécessiter Pannier­Runacher, la secrétaire
un fort volontarisme politique. d’état auprès du ministre de l’éco­
L’industrie automobile s’improvise fabricante de respirateurs Au niveau européen, bien sûr,
puisque c’est l’échelon qui permet
nomie et des finances.
« Quand nous serons de l’autre
de mutualiser les investisse­ côté du Covid­19, ce sera l’occasion
comment passer d’une production de dustriel de PSA, Yann Vincent. Finalement, Bouquot, directeur de la stratégie du ments entre différents pays. Sa­ d’encourager l’innovation en Eu­
200 respirateurs par an à 10 000 en un mois le groupe mobilisera 50 salariés volontaires groupe. Les compétences des ingénieurs chant que la plupart des Etats rope, au lieu de la freiner avec des
et demi ? Pour réussir ce pari, rendu vital par sur 1 000 m2 dans son usine de Poissy (Yve­ Valeo en conception mécanique, plastique, européens ont souffert de ruptu­ règles très strictes établies après
la crise liée au coronavirus, Air liquide, le fa­ lines), pour fabriquer les blocs mécaniques d’organisation industrielle, ainsi que 50 sa­ res d’approvisionnement. Selon des scandales comme celui sur les
bricant desdits appareils, va faire appel à des respirateurs, et 50 autres employés prê­ lariés à Antony sont aussi mobilisés. une étude d’ING, sur les implants mammaires PIP »,
d’autres industriels à travers un consor­ teront main­forte à la ligne d’assemblage Dans un autre projet baptisé « Makers for quinze pays les plus exposés aux avance Antoine Papiernik, prési­
tium dont la création a été annoncée par des appareils de l’usine Air liquide d’Antony Life » et coordonné par le Commissariat à pénuries, dix sont européens. dent du fonds Sofinnova spécia­
Emmanuel Macron, mardi 31 mars. Parmi (Hauts­de­Seine). l’énergie atomique, Renault s’est associé, à Pour autant, le peu de solidarité lisé dans les sciences de la vie.
les partenaires, à côté de Schneider Electric Valeo, qui produit et déplace 8 millions de une échelle moins industrielle, à Michelin qui a marqué les débuts de l’épidé­ Une certitude : le projet de Sa­
figurent PSA et Valeo, deux acteurs de pièces auto par jour dans le monde, appor­ et à STMicroelectronics pour fabriquer mie en Italie montre la limite du nofi, dévoilé le 24 février, de met­
l’automobile, champions des gros volumes. tera son savoir­faire logistique permettant 500 respirateurs. A l’initiative de ses salariés partage. Si la première obligation tre en Bourse son activité de fabri­
Pour passer à une vitesse record à un nou­ de coordonner les 100 fournisseurs des espagnols, le groupe au losange s’est engagé d’un pays est d’assurer les besoins cation de principes actifs, qui com­
veau métier, les spécialistes de l’auto ont dû 300 composants des deux types de respira­ dans la fabrication, sur imprimantes 3D, de vitaux de ses citoyens, à savoir prend six usines européennes, va
improviser. « Il y a deux semaines, nous n’y teur qui seront fabriqués. « Nous commen­ visières de protection en plastique.  l’alimentation, la santé, les com­ être scruté de près, de très près. 
connaissions rien », raconte le directeur in­ çons dès mercredi 1er avril », indique Geoffrey éric béziat munications, l’électricité, l’eau, les isabelle chaperon

Sur la centrale nucléaire d’Hinkley Point, les travaux continuent

Pour s’adapter au confinement lié à la pandémie de Covid­19, le nombre de travailleurs a été réduit de moitié sur le site britannique

londres ­ correspondance, qui garantissent 80 % du salaire d’ouvriers à Bridgwater, la petite et le restaurant ont été fermés. de vives controverses. En septem­ finé, EDF refuse de reconnaître que,
pendant la crise sanitaire, il fau­ ville la plus proche. Chaque ma­ Des salles de réunion ont été bre 2019, EDF annonçait un retard si quelqu’un a de la fièvre, c’est qu’il

P endant la pandémie de Co­

vid­19, les travaux sur le
site d’Hinkley Point C con­
tinuent. La nouvelle centrale nu­
cléaire de type EPR, construite par
EDF dans le sud­ouest de l’Angle­
terre, est considérée comme un
« projet d’infrastructure nationale
essentiel » par le gouvernement
britannique. A ce titre, la pour­
suite du chantier est autorisée. Le
nombre de travailleurs a cepen­
dant été sensiblement réduit, pas­
sant de 4 000 personnes sur place
à 2 000 « dans les jours qui vien­
nent », selon EDF.
« Ce n’est pas assez », s’inquiète
un ouvrier présent sur le site, qui
témoigne au Monde sous couvert
d’anonymat. Employé depuis
plus d’un an à Hinkley Point C, il
demande sa fermeture complète.
Contrairement à la France, il
n’existe pas de « droit de retrait »
au Royaume­Uni. Pour bénéficier
des mesures de chômage partiel,
drait que l’employeur ordonne
l’arrêt du travail. Cet ouvrier con­
tinue donc à exercer son activité
la peur au ventre, d’autant que
plusieurs de ses collègues présen­
tant des symptômes dus au SARS­
CoV­2 se sont isolés de manière
volontaire. « EDF a pris des mesu­
res, affirme­t­il, mais il est impos­
sible de vraiment conserver la dis­
tanciation sociale de deux mètres.
On vit dans le même préfabriqué,
on mange dans la même cantine
trois fois par jour, on prend le
même bus pour aller sur le chan­
tier et en revenir… »
Des centaines de casiers alignés
Comme nombre de sites nucléai­
res, Hinkley Point C se situe dans
un coin de campagne reculé, en
bord de mer. Pour réaliser ce pro­
jet pharaonique, l’électricien fran­
çais a dû construire un préfabri­
qué recevant 500 personnes sur
place. Il loge aussi un millier
tin, des navettes organisent l’arri­
vée des travailleurs sur place.
« Personne ne respecte les mesu­
res de distance en attendant le
bus », déplore le travailleur. A l’in­
térieur du véhicule, une seule per­
sonne est assise toutes les deux
places, ce qui est un progrès.
« Mais j’ai encore quelqu’un juste
devant et quelqu’un juste derrière.
Il y avait des gens qui toussaient
dans le véhicule », poursuit la
même personne. A l’arrivée sur le
chantier, les mesures sont plus ef­
ficaces. Des marquages au sol im­
posent la distance nécessaire
dans la file d’attente avant de
franchir les portiques de sécurité.
Mais, ensuite, il faut se changer
dans des vestiaires avec des cen­
taines de casiers métalliques ali­
gnés. EDF nettoie désormais très
régulièrement les lieux. Depuis le
lundi 30 mars, une caméra infra­
rouge détecte les ouvriers qui
auraient de la température. Le bar
ouvertes pour recevoir séparé­
ment les travailleurs pendant
leurs pauses. A la cantine, de lar­
ges distances sont respectées en­
tre les individus. Le syndicat bri­
tannique Unite partage l’appro­
che privilégiée par le groupe fran­
çais. « Nous soutenons EDF dans
sa volonté de conserver le site
ouvert, même si nous demandons
des mesures supplémentaires de
précaution », ajoute Jerry Swain,
son représentant. Chez les
ouvriers, les avis sont contrastés,
d’aucuns préférant continuer le
chantier, où les salaires sont
parmi les meilleurs du secteur.
Sur les 2 000 employés renvoyés
chez eux, certains peuvent effec­
tuer du télétravail. Chez les sous­
traitants, 500 personnes ont ce­
pendant été mises au chômage
partiel. Hinkley Point C, première
centrale nucléaire britannique à
être construite depuis un quart de
siècle au Royaume­Uni, fait l’objet
et un surcoût supplémentaires,
portant la facture totale à 25 mil­
liards d’euros pour les deux tran­
ches, avec une ouverture de la pre­
mière partie au mieux en 2025.
Une raison « financière »
Dave Smith, un militant du
groupe Blacklist Support Group
– spécialiste de la répression syn­
dicale dans le secteur du BTP –, es­
time que les mesures d’EDF sont
insuffisantes. « Hinkley Point C ne
sera pas fini avant au moins
cinq ans. Quelques semaines de
plus ne changeront rien. La seule
raison de conserver le chantier
ouvert est financière. » Les détrac­
teurs britanniques d’Hinkley
Point nourrissent la même inquié­
tude. « Cette manière de faire met
des vies en danger dans la région
du Somerset et dans tout le pays », a
dénoncé dans la presse Katy At­
twater, du collectif Stop Hinkley.
« Alors que le reste du pays est con­
est porteur et a déjà diffusé le vi­
rus. » Le risque qu’un cluster de
contamination se développe se­
rait un scénario très inquiétant.
En France, les opérations sur le
réacteur EPR de Flamanville (Man­
che) sont, elles, quasiment à l’ar­
rêt. Toutefois, la situation est diffé­
rente : le chantier normand est
presque achevé et une partie des
travaux qui restent à faire est sou­
mise à une instruction par l’Auto­
rité de sûreté nucléaire (ASN), qui
est en train d’examiner le dossier.
Tous les week­ends, l’employé qui
a témoigné au Monde rentre chez
lui. Il a légèrement mal à la gorge
et des maux de tête. Peut­être rien
de sérieux, mais il ne veut pas
prendre de risque. Il a demandé à
sa femme d’aller chez sa mère avec
leur fils, afin d’éviter toute conta­
mination. « L’argent a la priorité
sur la vie humaine », conclut­il. 
éric albert
et nabil wakim
0123
JEUDI 2 AVRIL 2020 coronavirus | 17

« Le chiffre d’affaires est à zéro » : Des banques françaises

finissent par consentir
les compagnies aériennes en péril au gel des dividendes
Le secteur, qui craint de voir la crise sanitaire mettre fin à la frénésie de Société générale et Natixis y renoncent,
BNP Paribas et Crédit agricole temporisent
voyages à moindre prix et aux vols en classe affaires, en appelle à l’Etat

M
arc Rochet, patron
d’Air Caraïbes et de
French bee, les
deux compagnies
gens. Elle pourrait induire « un
changement de comportement
des consommateurs ». Le patron
de Corsair redoute que la sortie
ment le segment du low cost qui
sera affecté. Même la clientèle
d’affaires pourrait être touchée.
Celle qui rapporte le plus aux
majorité de leurs personnels en
chômage partiel. Chez Air Caraï­
bes et French bee, on se veut
moins pessimiste. Il est vrai que
E st­il raisonnable que les
banques européennes ver­
sent un dividende à leurs
actionnaires, au titre d’une année
2019 souvent très porteuse, alors
à rémunérer les actionnaires. De
quoi permettre aux prêteurs de
conserver, pendant la pandémie,
quelque 30 milliards d’euros de
capital – à titre d’exemple, le mon­
aériennes du Groupe Dubreuil, du confinement sonne aussi la compagnies aériennes. « La les deux compagnies font excep­ que 2020 s’annonce particulière­ tant prévu des dividendes 2019 de
n’en revient toujours pas. « Nous fin de la frénésie de voyages à faute… au télétravail », selon lui. tion dans le ciel français : « 2019 a ment difficile ? De très nombreu­ BNP Paribas s’élève à 3,9 milliards.
vivons quelque chose que nous moindre prix, qui a fait, depuis « Avec la généralisation du télétra­ été une très bonne année », avec ses entreprises affectées par la Ces fonds propres, s’ils étaient
n’avons jamais vécu ! », raconte­ plus de vingt ans, le bonheur, et vail pendant cette période, les en­ un chiffre d’affaires de 700 mil­ crise sanitaire ne seront, en effet, conservés au lieu d’être distribués,
t­il, abasourdi. En fin connaisseur surtout la fortune, de compa­ treprises sont en train de découvrir lions d’euros, et 2020 « avait très pas en mesure de rembourser s’avéreront précieux pour absor­
du transport aérien, il estime que gnies à bas coût telles que Ryanair que ce n’est pas la peine d’envoyer bien démarré en janvier et en fé­ leurs crédits, ce qui entraînera ber des pertes sur les prêts ou fi­
rien ne sera plus comme avant, et easyJet. « Les low cost vont être leurs cadres prendre l’avion », pré­ vrier », explique M. Rochet. Pour­ une baisse prononcée des résul­ nancer des crédits supplémentai­
quand la pandémie de Covid­19 très touchées, car le goût de voya­ tend M. de Izaguirre. Si la de­ tant, lui aussi a pris la crise de tats et des ratios de solvabilité des res, nécessaires pour aider les en­
sera passée. « Le monde de demain ger en permanence pour pas cher mande pour des vols en classe af­ plein fouet : « Cela s’est arrêté bru­ établissements bancaires. treprises à tenir pendant la crise.
ne sera plus le même après une va en partie disparaître. » faires pique du nez, cela pourrait talement le 15 mars, avec une Les autorités financières ont ra­ Face à cette pression exercée par
crise d’une telle intensité », pense­ être un drame pour des compa­ chute d’un tiers de l’activité. De­ pidement tranché : depuis le dé­ le puissant superviseur bancaire
t­il. A l’en croire, la consolidation Les coûts fixes persistent gnies, « comme Air France, qui ont puis, les ventes de billets sont à but de la pandémie liée au coro­ européen, relayée lundi par
du secteur menace d’être sévère. Elles ne sont pas les seules. La low décidé de miser à fond sur les pas­ zéro. Notre chiffre d’affaires quoti­ navirus, elles ne cessent d’appeler l’autorité de tutelle du secteur
« Je n’ai jamais vu une crise du cost long­courrier « Norwegian sagers business ». Selon M. Ro­ dien est à zéro ! » les banques à la raison et à la mo­ bancaire en France, deux établis­
transport aérien ne pas conduire à est aussi menacée, car elle est déjà chet, la survie d’Air France pas­ dération. En France, dès le sements ont décidé, mardi
une restructuration du marché. Je sous perfusion des autorités nor­ sera par des décisions brutales, Un « plan Marshall » 18 mars, le Haut Conseil de stabi­ 31 mars, de remiser les coupons
ne vois pas pourquoi la France végiennes », signale M. de Iza­ comme celle « de fermer les lignes Pour repartir, sans trop de casse, lité financière (HCSF), l’instance pour l’exercice 2019.
échapperait à cette règle. » guirre. Cette entreprise, qui doit qui perdent de l’argent ». les compagnies en appellent à chargée de limiter les risques du Natixis, filiale cotée du groupe
Il n’est pas le seul à entrevoir supporter une dette de 2 mil­ Le PDG de Corsair redoute « une l’Etat. Il faut « un plan Marshall du système financier, présidée par le Banque populaire Caisse d’épar­
une restructuration d’impor­ liards d’euros, est d’autant plus mortalité élevée » dans le trans­ transport aérien français », ré­ ministre de l’économie, Bruno Le gne (BPCE), a annoncé que le divi­
tance. Pour Pascal de Izaguirre, en difficulté que son modèle éco­ port aérien. Une hécatombe clame M. de Izaguirre, qui supplie Maire, a recommandé aux grou­ dende prévu au titre de 2019 ne
PDG de Corsair, ce sont les compa­ nomique n’a pas encore eu le parmi les petites compagnies aé­ les autorités de « ne pas oublier les pes bancaires « une attitude res­ serait pas proposé à l’approbation
gnies à bas coût qui pourraient temps de faire ses preuves. Pour riennes. « Les petits vont crever », petites compagnies ». Afin de sau­ ponsable concernant la distribu­ de son assemblée générale en
faire les frais de la pandémie. « La le patron de Corsair, c’est tout le assène­t­il. Avant la crise, nom­ ver ce qui peut l’être de leur tréso­ tion de dividendes et le versement mai, son conseil d’administra­
crise va laisser des traces » chez les transport aérien et pas seule­ bre de compagnies étaient déjà rerie, elles réclament de ne pas de rémunérations variables ». tion ayant « pris la décision de sui­
fragiles. La pandémie risque de avoir à rembourser immédiate­ vre les recommandations formu­
leur porter le coup de grâce. Avec ment leurs clients. « Nous ne som­ La BCE a tapé du poing lées par la BCE ».
Fermeture historique d’Orly ses 480 millions de revenus
en 2019, Corsair est loin d’être ti­
mes pas en mesure de le faire », ad­
mettent­elles. « Si nous rembour­
Les banques françaises cotées BNP
Paribas, Société générale, Natixis
Dans la foulée, Société générale
a fait part de sa décision de « sup­
Pour la première fois de son histoire, l’aéroport d’Orly, géré par rée d’affaire. Son dernier avion sons, ce sera une telle saignée sur ou Crédit agricole SA ont pour­ primer toute distribution de divi­
Groupe ADP, a fermé ses portes, mardi 31 mars à minuit, pour encore en opération s’est posé le notre cash que nous serons à tant, dans un premier temps, dé­ dende au titre de l’exercice 2019 ».
une durée indéterminée. Avant de décider « l’arrêt de l’exploita- 26 mars. « [Depuis], nous n’avons terre », prévient M. de Izaguirre. cidé de maintenir le paiement de Le groupe a par ailleurs indiqué,
tion commerciale d’Orly, nous avons d’abord pris contact avec plus de trafic. Le chiffre d’affaires Elles demandent à l’Etat « un dividendes au titre de 2019, qu’el­ dans le même communiqué, qu’il
l’Etat, la direction générale de l’aviation civile, les compagnies est à zéro », déplore M. de Iza­ moratoire » et espèrent être sou­ les avaient déjà annoncé à leurs ac­ suspendait les objectifs 2020 an­
aériennes, ainsi qu’avec les différents prestataires » qui intervien- guirre. Alors, faute de passagers, tenues par le secrétaire d’Etat aux tionnaires. « Il est compliqué de re­ noncés lors de la présentation de
nent sur la plate-forme, raconte Michel Landelle, responsable il a décidé « la mise sous cocon, transports, Jean­Baptiste Djeb­ venir sur une parole donnée aux ac­ ses résultats annuels 2019.
de l’exploitation des aires aéronautiques de Paris Orly. Les 80 ap- l’hibernation, de la compagnie ». bari. « C’est notre avocat », se féli­ tionnaires, qui ont déjà reçu les pro­ BNP Paribas et Crédit agricole SA
pareils des compagnies aériennes basées à Orly, Air France, Si les rentrées sont inexistantes, cite M. de Izaguirre. « Avec lui, jets de résolution à voter en n’ont pas encore fait connaître
Air Caraïbes, French bee, easyJet, Corsair, Level, seront stockés en revanche, les coûts fixes per­ ajoute le patron de Corsair, je assemblée générale, alors que les leurs positions (ce dernier a pré­
sur une piste au revêtement en béton. Fermé, l’aéroport n’est sistent. Notamment ceux de lo­ pense que l’Etat est conscient de établissements restent solides et cisé qu’il solliciterait ses adminis­
pas à l’arrêt, mais en veille en « position de couvre-feu comme cation des avions. Pour limiter la l’état dramatique du secteur du que ces dividendes ont déjà été pro­ trateurs au plus tard le 14 avril),
chaque nuit de 23 h 30 à 6 heures du matin », précise M. Landelle. casse, les entreprises ont pris transport aérien. »  visionnés, justifiait un banquier mais de grands établissements de
Prêt à reprendre son activité « en deux à quatre jours ». exemple sur Air France et placé la guy dutheil fin mars. Si les banques reviennent la zone euro peuvent difficile­
sur cet engagement, ce sera ensuite ment s’affranchir des recomman­
compliqué pour elles d’aller em­ dations de leur superviseur.
prunter sur les marchés. » De con­ Ailleurs en Europe, l’espagnol
cert avec les autres institutions Santander va « revoir son divi­

Le sport français professionnel ainsi européennes, elles se sont dites

prêtes à revoir leur politique de
distribution de dividende en 2021
« afin de maintenir une préserva­
dende », tandis que l’allemand
Commerzbank, les néerlandais
ING, ABN Amro et Rabobank, ou
les italiens Unicredit et Intesa

qu’amateur se prépare à de lourdes pertes tion maximale du capital ».

Aussi la Banque centrale euro­
péenne (BCE), qui supervise les 117
plus grandes banques de la zone
Le ministère fait état d’une possible chute de 25 % du chiffre d’affaires sur l’année euro, a dû taper du poing sur la ta­
ble. Elle s’est montrée beaucoup
plus ferme, le 27 mars, en deman­
Sanpaolo se sont engagés à ne pas
rémunérer leurs actionnaires au
moins jusqu’à octobre.
« En vérité, plusieurs banques ré­
fléchissaient à ne pas verser de di­
vidende. Mais aucune ne voulait y
aller la première, par peur de l’im­

C ompétitions en suspens,
magasins fermés, salles
condamnées, annonceurs
déprimés… En France, la pandé­
mie due au Covid­19 a stoppé net
l’économie du sport. Sans encore
connaître une date de reprise,
cette filière s’apprête à subir des
dommages considérables pour
l’année en cours.
D’après les remontées en date
du mardi 31 mars, le ministère des
sports annonce au Monde de pre­
mières estimations alarmantes. Il
envisage jusqu’à 25 % de chiffre
d’affaires en moins pour le sec­
teur sportif sur l’ensemble de
l’exercice 2020, par rapport à l’an­
née précédente. Soit des pertes
potentielles de 19 milliards
d’euros, précise le ministère. Ce­
lui­ci s’appuie aussi sur une étude
publiée en février, dans laquelle le
groupe BPCE (Banque populaire
Caisse d’épargne) attribuait aux
entreprises du sport un chiffre
d’affaires de 77,7 milliards d’euros
en 2018, l’équivalent de 2 % de
tout le secteur marchand du pays.
L’heure n’est, évidemment,
qu’aux enquêtes provisoires de
conjoncture. Les projections mi­
nistérielles pourront évoluer se­
lon la situation sanitaire. Elles
partent de l’hypothèse très pessi­
miste qu’aucun championnat
professionnel ne sera en mesure
de reprendre pour la saison 2019­
2020. En revanche, elles pré­
voient, pour l’instant, que le Tour
de France cycliste sera maintenu.
Impossible de connaître avec
précision la répartition de toutes
ces pertes d’activité redoutées, ni
l’impact sur l’emploi. A lui seul, le
football professionnel pourrait
perdre 1,16 milliard d’euros, en cas
de non­reprise des champion­
nats. Fin mars, le groupe de télévi­
sion Canal+, diffuseur historique,
a prévenu la Ligue de football pro­
fessionnel qu’il ne comptait pas
s’acquitter de sa « prochaine
échéance » de 110 millions d’eu­
ros, attendue au 5 avril.
Des mesures de chômage par­
tiel ont été prises et concernent
même les vedettes du Paris­Saint­
Germain. Leur dernier match ?
Une victoire sur Dortmund en
Coupe d’Europe, le 11 mars, à huis
clos, six jours avant le début du
confinement, prolongé au moins
jusqu’au 15 avril.
Masses salariales
Un « risque systémique » existe,
selon Christophe Lepetit, respon­
sable des études économiques au
Centre de droit et d’économie du
sport de Limoges. « Cela se tradui­
rait par une déflation brutale, et
non anticipée, des revenus des
clubs », et donc par une incapa­
cité à assumer leur masse sala­
riale, explique­t­il dans un entre­
tien publié en mars par l’Institut
de relations internationales et
stratégiques.
Dans des sports aux droits télé­
visés de moindre importance, les
pertes cumulées des ligues pro­
« La majorité des
structures sont
des associations
avec des fonds
de trésorerie
limités »
RÉMI LOURDELLE
secrétaire fédéral à la CFDT
fessionnelles de rugby, basket,
handball, volley et cyclisme pour­
raient représenter la somme de
300 millions d’euros, jusqu’à me­
nacer l’équilibre de clubs.
D’autres pans sont plus diffici­
les à évaluer et nourrissent
d’autant plus d’inquiétudes.
Parmi les 112 000 entreprises du
sport recensées par le groupe
BPCE (pour 333 000 emplois), le
flou entoure surtout les très pe­
tites, petites et moyennes entre­
prises. Le ministère se dit aussi
très vigilant sur les quelque
360 000 associations sportives
du pays (115 000 emplois et
13,1 milliards d’euros de budgets
cumulés), avec l’intention de « bâ­
tir un plan de relance ». Sans en dé­
tailler encore les grandes lignes.
« La majorité des structures de la
branche sport représentent des as­
sociations avec des fonds de tréso­
rerie limités et dépendant de sub­
ventions », précise Rémi Lour­
delle, secrétaire fédéral à la CFDT,
première organisation syndicale
chez les salariés de cette branche.
D’où la crainte de Bouziane Brini
(CGT), président de la Commis­
sion paritaire nationale de l’em­
ploi et de la formation du sport :
« Je m’attends à de gros dégâts
dans le tissu des associations,
beaucoup d’entre elles manquent
de ressources humaines pour réus­
sir à mobiliser des aides de l’Etat.
Souvent, le seul salarié, c’est l’enca­
drant sportif. »
Outre le ministère des sports,
deux organisations participent
aux réunions hebdomadaires de
la cellule de continuité économi­
que relancée par le ministère de
l’économie : le Conseil social du
mouvement sportif (CoSMoS),
syndicat patronal, et l’Union
Sport & Cycle, autre rassemble­
ment d’entreprises.
Au 1er avril, l’Union Sport & Cy­
cle prévoit dans son secteur
(commerce, industrie, loisirs
marchands, équipements spor­
tifs) une perte de chiffre d’affaires
de 3,1 milliards d’euros pour le
premier semestre 2020, sur la
base déclarative de plus de
900 entreprises. Quant au CoS­
MoS, le 27 mars, il actualisait les
résultats de son propre question­
naire : sur les 3 824 structures
ayant répondu (dont une majo­
rité avec moins de sept équiva­
lents temps plein), 95 % déclarent
être dépourvues d’assurance an­
nulation d’événement ou perte
d’exploitation. 
adrien pécout
dant aux établissements de ne
verser aucun dividende avant oc­
tobre et à ne prendre aucun enga­
gement pour les exercices 2019 et
2020. Cette recommandation
comprenait, en outre, le gel des
rachats d’actions, qui visent aussi
AU TO MO BILE
Chute historique du
marché français en mars
Le marché automobile
français a chuté de 72,2 %
en mars et devrait baisser
de 20 % sur l’année, victime
de la pandémie et des mesu­
res de confinement qui ont
stoppé les ventes, ont an­
noncé mercredi 1er avril les
constructeurs. « Sur le pre­
mier semestre, on devrait être
à – 30 %. Cela nous amènerait
sur 2020 à – 20 % », a déclaré
François Roudier, porte­
parole du Comité des
constructeurs français
d’automobiles (CCFA). – (AFP.)
TO U RISME
40 milliards d’euros
d’impact sur un trimestre
Les conséquences
de la baisse de fréquentation
touristique en France pour­
raient être de 40 milliards
d’euros sur un trimestre,
a estimé mardi 31 mars le
secrétaire d’Etat aux affaires
pact sur son cours de Bourse. Le
fait que cela devienne une prati­
que de place, après l’intervention
de la BCE, rend les choses plus faci­
les », indique­t­on au sein d’un
établissement européen. 
véronique chocron
étrangères, Jean­Baptiste
Lemoyne. – (Reuters.)
CO NJO N CTU RE
Vers une contraction
de 6 % du PIB en Italie
Il est réaliste d’estimer à 6 %
la contraction du produit
intérieur brut (PIB) de l’Italie
en 2020, avancée par la
Confédération générale de
l’industrie italienne, a estimé,
mercredi 1er avril, le ministre
de l’économie, Roberto
Gualtieri au quotidien Il
Fatto Quotidiano. – (Reuters.)
MÉDIAS
News Corp suspend
l’impression de 60 titres
Le plus grand groupe austra­
lien de journaux, News Corp,
de Rupert Murdoch, a
annoncé mercredi 1er avril la
suspension de l’impression
d’une soixantaine de jour­
naux régionaux en raison de
la chute des recettes publici­
taires. Ils seront consultables
sur Internet. – (AFP.)
18 | management 0123
JEUDI 2 AVRIL 2020

Avec le confinement, la collaboration CARNET DE BUREAU 

CHRONIQUE PAR ANNE RODIER 

à distance recrée les rituels de l’entreprise Coronavirus : le blues

Après les adaptations techniques du télétravail, les relations interprofessionnelles se rétablissent
du recruteur
P
our nombre d’employés salariés avec le confinement. De­ de la communication de Codin­
Il a fallu

du tertiaire, des grands
comptes ou des entre­
prises du secteur numé­
rique, souvent déjà adeptes du té­
létravail occasionnellement ou
régulièrement, travailler à domi­
cile s’est fait sans trop de diffi­
cultés. C’est le cas de François Le
Gunehec, responsable des comp­
tes­clés à l’institut d’études de
marché GfK France, qui dispose
d’un ordinateur portable et d’un
téléphone mobile profession­
nels, équipés de toutes les appli­
cations dont il a besoin : Of­
fice 365, messagerie Outlook,
Skype Entreprise pour les appels
audio ou vidéo, Teams pour le
travail collaboratif, etc. « Que ce
soit au bureau ou chez moi, je dis­
pose du même environnement et
des mêmes outils. Et je pratiquais
déjà le télétravail avant le confine­
ment, mais de manière sporadi­
que », remarque­t­il.
Certaines grandes entreprises
étaient ainsi préparées au trans­
fert du travail à domicile qui s’est
imposé à quelque huit millions de
LES CHIFFRES
2 MILLIONS
c’est le nombre de télécharge-
ments de la version mobile
de Zoom le 22 mars portant,
sur un mois depuis le 22 février,
le nombre total de télécharge-
ments à 17,2 millions, d’après
le cabinet Appfigures.
2 MILLIARDS
C’est, en euros, la taille que de-
vrait atteindre en 2023 le mar-
ché français de la « digital work-
place » (logiciels et services de
communication), d’après la so-
ciété Markess by Aegis.
puis 2017, Axa France a progressi­
vement équipé tous ses collabora­
teurs d’un environnement 100 %
numérique (ordinateur portable,
Office 365, casque et téléphonie
sur Internet). Tout l’effectif a été
formé à l’utilisation de ces outils
et à travailler sans papier.
Une organisation compliquée
Si 60 % des 12 000 personnes du
groupe télétravaillent déjà un ou
deux jours par semaine, c’est
aujourd’hui 98 % de l’effectif qui
est à domicile. « Nous étions très
bien préparés, affirme Diane De­
perrois, directrice des ressources
humaines d’Axa France, dès mi­
février, nous avons mis en place
un site pour répondre aux nom­
breuses questions des employés.
A l’occasion des grèves de décem­
bre 2019, nous avions élargi à
tout l’effectif la capacité de tra­
vailler à domicile. Nous avons
ainsi pu tester la capacité de no­
tre système, qui a parfaitement
tenu la charge. » Mais pour beau­
coup de salariés, les premières
journées de confinement ont été
plutôt chaotiques.
Entre les problèmes techni­
ques liés au matériel, aux appli­
cations ou aux réseaux, le man­
que de préparation et l’environ­
nement domestique, a fortiori
pour des parents qui se parta­
gent la table basse du salon ou
se cassent le dos sur la chaise de
la cuisine pendant que leurs en­
fants suivent des cours sur
l’écran de la télévision… l’organi­
sation du travail s’est révélée
plutôt compliquée.
Pour Ariane Wantz (le nom et le
prénom ont été modifiés), cadre
d’un service transverse de l’Assu­
rance­retraite, la mise en place des
premières réunions par l’applica­
tion Teams a été laborieuse.
« L’écran de mon ordinateur porta­
ble est bien plus petit que celui du
bureau. Je me connecte au Wi­Fi de
apprendre
à gérer les
nombreux outils
de messagerie
et leur usage
intempestif
la box de mon appartement et
j’utilise mon téléphone mobile per­
sonnel. Au­delà de la difficulté à
faire une réunion en étant seule
chez soi devant son écran, la qua­
lité des réunions Teams dépend
beaucoup du débit disponible chez
chacun… » Mi­mars, cette plate­
forme de travail collaboratif de
Microsoft a d’ailleurs subi plu­
sieurs pannes en Europe dues à
l’afflux supplémentaire de con­
nexions des télétravailleurs.
Pour d’autres, c’est la multiplica­
tion des outils de messagerie et
leur usage parfois intempestif
qu’il a fallu apprendre à gérer.
Une cadre du secteur de la com­
munication regrette ainsi que les
services de son entreprise utili­
sent des solutions de visioconfé­
rence différentes les unes des
autres. Elle jongle à longueur de
journée entre l’e­mail, les messa­
geries instantanées, audio ou vi­
déo Slack, WhatsApp, etc., les vi­
sioconférences Zoom, Teams ou
Blue Jeans qui s’enchaînent, aux­
quels s’ajoutent les applications
« métiers ». Le temps productif se
réduit à une portion congrue,
alors que l’on imaginait gagner du
temps en évitant les transports…
Sans parler du stress que génè­
rent ces injonctions de réunions !
« Pour généraliser le travail à do­
micile, il faut avoir réfléchi avant !
Il faut avoir des processus bien ro­
dés, mis en place ensemble, savoir
utiliser les outils », énumère Aude
Barral, cofondatrice et directrice
game, une plate­forme de recru­
tement de développeurs en ligne.
Créée en 2014 à Montpellier, la
société emploie trente personnes
dont trois commerciaux basés à
Nantes, Rennes et Bordeaux, et
donc en télétravail permanent.
Codingame utilise aussi une
multiplicité d’outils numériques :
les applications Google Drive
(création, gestion, partage de do­
cuments), Trello (gestion de pro­
jets), Slack (messagerie). Mais
chacun est utilisé dans son rôle,
pour optimiser l’organisation du
travail. Depuis le confinement, la
réunion du lundi matin rassem­
ble toute l’équipe sur Google
Meet, pour faire le point sur l’ac­
tivité de la semaine. Chacun peut
faire des commentaires, présen­
ter des documents, etc.
Mais la qualité des relations in­
terprofessionnelles doit être pré­
servée. « Ces outils sont faciles à
utiliser, mais ils ne dispensent pas
d’avoir des bonnes pratiques.
Slack, par exemple, est un outil
puissant, mais il faut avoir un
code de conduite. Pendant une
réunion en ligne ou par message­
rie, on n’écrit pas de la même façon
que l’on parle, l’ironie est perçue
différemment, elle peut tomber
complètement à plat ou blesser ! »
Enfin, le contact direct ayant
disparu avec l’absence physique
des collaborateurs, « il est essen­
tiel de préserver la cohésion des
équipes en gardant une dimen­
sion humaine aux échanges, ex­
plique Cécile Eymard, consul­
tante du cabinet de recrutement
Clémentine. Aussi, on voit fleurir
les rituels en ligne visant à rem­
placer les temps forts au sein des
équipes. » Pourquoi ne pas com­
mencer sa réunion Teams avec
sa tasse à la main et discuter li­
brement un moment, comme si
l’on était devant la machine à
café du service ? 
sophy caulier
L’
emploi dégringole. Les sites voient leur volume
d’annonces fondre : – 12,1 % en moyenne pour In­
deed, avec un recul variable de 10 % à 30 % selon les
secteurs d’activité. L’Association pour l’emploi des
cadres (APEC) a, comme beaucoup, fermé tous ses centres dès
le 16 mars et enregistré une baisse des offres plus légère, de
l’ordre de 8 %, même si l’informatique est toujours en forte
demande pour accompagner la généralisation brutale du té­
létravail et les questions de cybersécurité. L’intérim jongle
entre les annulations de missions de l’industrie et du BTP et
les demandes de recrutement d’urgence pour l’agroalimen­
taire et la distribution. Qu’est devenu le recruteur ?
Dans l’intérim, les agents continuent en télétravail avec les
secteurs en demande. Chez Manpower, une hotline a été
mise à leur disposition, les entretiens se font en vidéo ou par
téléphone, et les contrats sont validés par signature électroni­
que. Mais, dans les cabinets de recrutement, tout s’est arrêté.
Le 16 mars a amorcé une semaine de sidération. La profes­
sion a pris de plein fouet un arrêt immédiat de la quasi­tota­
lité des missions. « Mêmes des offres passées ont été annulées
et certaines entreprises, craignant les mois de crise à venir, ont
interrompu des périodes d’essai. Il y a eu un
LES DRH SE SONT  effet de panique. En avril, le chiffre d’affaires
des 130 cabinets de recrutement de Syntec
CONCENTRÉS conseil en recrutement aura baissé d’au
moins 50 % », témoigne Antoine Morgaut,
SUR LA  président de cette organisation et directeur
RÉORGANISATION  général Europe du cabinet de recrutement
international Robert Walters.
DU TRAVAIL Du jour au lendemain, le recrutement
n’avait plus de raison d’être. Les DRH se
sont concentrés sur la réorganisation du travail imposée par
le confinement. Les candidats à la mobilité professionnelle
ont reporté leur projet en attendant des jours meilleurs. En­
fin, les entreprises réfractaires aux entretiens vidéo ne pou­
vaient pas poursuivre les processus d’embauche à cause du
confinement. Les cabinets qui ont les moyens de le faire ont
commencé à mettre en place le chômage partiel.
Résultat, après avoir installé, comme beaucoup de salariés,
son bureau à la maison, le recruteur s’est mis à tourner en
rond, dans son espace confiné, occupé principalement par
son stress, un gros stress d’une année qui s’annonçait gâchée.
En deuxième semaine de confinement, quelques DRH ont
commencé à revenir, même des grands groupes de l’hôtelle­
rie comme Accor. « C’était l’opportunité de recruter des candi­
dats qu’on n’aurait pas imaginé pouvoir attirer avant », expli­
que Antoine Morgaut. Bien équipé pour télétravailler,
« aujourd’hui, le recruteur s’impose une organisation du tra­
vail autour d’appels de candidats, de clients. On travaille
comme avant, en se concentrant sur les secteurs les plus rési­
lients – la pharmacie, les nouvelles technologies –, mais il y a
moins d’activité », reconnaît­il. Tout recruteur est au­
jourd’hui un candidat potentiel au chômage technique. 

AVIS D’EXPERT  |  DROIT SOCIAL POUR UNE GESTION RESPONSABLE

Le virus montre la faiblesse de choix politiques

L C
a pandémie causée par le coronavirus
éclaire crûment certains choix réalisés en
matière de droit social depuis 2008. Illus­
tration : la première réforme des retraites réali­
sée à travers l’adoption d’un ensemble de textes
de 2017 à 2019 a rationalisé les « retraites sur­
complémentaires », des dispositifs de constitu­
tion d’un revenu de retraite par capitalisation.
Après s’être heurtée dès le départ aux faibles
taux d’intérêt, elle est aujourd’hui victime de
l’écroulement des marchés financiers, à la suite
de la propagation du coronavirus. Même les
aides massives accordées par l’Etat à ces nou­
veaux fonds de pension, sous forme d’exonéra­
tions de cotisations sociales patronales et d’allé­
gements fiscaux considérables, ne suffisent pas
à masquer la vulnérabilité de ce mode de protec­
tion sociale au comportement de la Bourse.
Le Covid­19 met aussi à nu les insuffisances de
la réforme de 2013 ayant transformé le « chô­
mage partiel » en « activité partielle » : sous­fi­
nancement chronique, limitation du recours
aux seuls cas de sinistre ou d’incendie, demande
d’autorisation préfectorale par la direction ré­
gionale des entreprises, de la concurrence, de la
consommation, du travail et de l’emploi (Di­
reccte), mais autorisation tacite au bout de
quinze jours, paiement de l’indemnité au salarié
par l’employeur, avec toutes les difficultés de
gestion en paie que cela représente, etc.
Des décisions fatidiques dans le temps
Le gouvernement vient d’être obligé de réfor­
mer le dispositif en urgence. L’arrêt de larges
pans de l’activité économique du fait de la dif­
fusion du virus va conduire, quelle que soit l’ef­
ficacité des règles de prévention d’une rupture
du contrat de travail à venir, à des licencie­
ments. Les petites ou toutes petites entreprises
n’auront probablement pas les moyens hu­
mains et logistiques de faire la demande, ou
simplement la solidité financière nécessaire,
surtout si la perte de marchés ou de clientèle se
prolonge au­delà de la fin de l’épidémie. Des
« difficultés économiques », telles que définies
par le code du travail, ou « une réorganisation de
l’entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa
compétitivité » ou « à la cessation d’activité de
l’entreprise » existeront : des licenciements indi­
viduels ou collectifs pourront être prononcés.
Le premier ministre a d’ailleurs annoncé qu’il
n’est pas envisagé d’interdiction administrative
des licenciements. Celle­ci serait difficile à justi­
fier juridiquement et ne ferait probablement
que reporter la décision fatidique.
Dans ces conditions, il est heureux qu’aient
été reportés le nouveau
mode de calcul de l’allo­
cation de chômage et
L’ARRÊT DE  revues, des conférences et des cha­
l’allongement de la pé­ LARGES PANS
riode prise en compte,
qui auraient conduit à DE L’ACTIVITÉ VA  honoraire de l’université de Stras­
une baisse générale du
montant de l’indemni­
CONDUIRE À DES  sciences comptables et de l’admi­
sation, et à une baisse LICENCIEMENTS  nistration d’entreprises (INSCAE)
sensible de celle­ci pour
les travailleurs précaires. ÉCONOMIQUES
Il était prévu au nom de
l’équilibre des comptes de l’Unedic et couplé
avec une politique d’allégement des cotisations.
Les conséquences économiques sur l’emploi
de l’épidémie de Covid­19 ne dispenseront pas
d’une réflexion globale sur le revenu des person­
nes en emploi précaire, ou ayant perdu leur tra­
vail, ou qui sont en fin d’activité. Des mécanis­
mes renouvelés de solidarité, terme que l’on re­
trouve à nouveau à propos des actifs dans la
communication gouvernementale, là où il sem­
blait réservé avant le Covid­19 aux seuls plus pau­
vres, sont à réinventer. Pourquoi pas par la voie
du dialogue social et du débat parlementaire. 
Francis Kessler est maître de conférences
à l’université Paris­I­Panthéon­Sorbonne.
omment éviter les déri­
ves de la responsabilité
sociale des entreprises
(RSE) sous forme de
mensonges de légitimité ? Com­
ment situer l’éthique au cœur de
l’entrepreneuriat des générations
à venir ? Quels axes pourraient
fonder une éducation à l’entrepre­
neuriat soutenable ? Ces ques­
tions, qui pointent les défis du dé­
veloppement durable, structurent
De l’éthique entrepreneuriale à l’en­
trepreneuriat soutenable.
Le recueil, signé Jean­Jacques
Obrecht, comporte des articles de
pitres d’ouvrages collectifs publiés
entre 1994 et 2017 par le professeur
bourg et de l’Institut national des
de Madagascar.
Dans les années 1990, l’engoue­
ment pour célébrer l’esprit d’en­
treprise prend son essor en
France, avec une large place faite à
l’éthique. En témoignent les glisse­
ments sémantiques dans la littéra­
ture, où on passe facilement de
« l’éthique en entreprise » à « l’entre­
prise éthique ». L’auteur fait le
point sur la manière dont les prati­
ques se présentent alors dans les
entreprises, les analyses critiques
qu’elles suscitent, dont certaines
sont encore d’actualité. Y a­t­il un
effet de taille en matière de prati­
ques éthiques ? Des enquêtes de
l’époque montrent que les diri­
geants de PME avaient une con­
ception très étroite de la respon­
sabilité sociale de l’entreprise : les
domaines où les PME situaient
leur responsabilité sociale se con­
fondaient avec ceux de l’éthique
opérationnelle. En revanche, « la
lutte contre le chômage ou la pro­
tection de l’environnement, c’était
l’affaire du gouvernement ».
Des valeurs à partager
L’auteur souligne l’intérêt d’une
distinction complémentaire entre
« éthique instituée » et « éthique
personnelle ». A l’occasion d’entre­
tiens avec des cadres d’entreprises
familiales, grandes ou petites, il a
pu vérifier la portée de l’éthique
personnelle de l’entrepreneur fon­
dateur pour impulser ses valeurs
dans l’organisation et les faire par­
tager. « Cette éthique entrepreneu­
riale, individuelle mais partagée,
nous semble particulièrement in­
dispensable aujourd’hui dans les
entreprises concernées de près ou
de loin par les enjeux du développe­
ment durable. »
Il souligne ensuite l’importance
que prennent des éléments de
« capabilités » entrepreneuriales
dans le développement de l’entre­
preneuriat international, qui par
définition se déploie dans des
contextes variés. Les capabilités
entrepreneuriales ne sont ni des
compétences dites « métier », ni
des capacités mesurables par le
rendement, ni des traits de carac­
tère, « mais plutôt les facultés per­
sonnelles de l’entrepreneur ayant
un lien à la fois avec sa capacité à
DE L’ÉTHIQUE ENTREPRENEURIALE 
À L’ENTREPRENEURIAT SOUTENABLE
de Jean-Jacques Obrecht
(Editions universitaires européennes,
256 pages, 44,90 euros)
agir et l’orientation de son action ».
Enfin, l’ouvrage se penche sur
l’éducation à l’entrepreneuriat,
qui devrait, selon l’auteur, devenir
un champ de recherche à part en­
tière, d’autant plus que la ques­
tion de l’éthique entrepreneuriale
« mérite d’être réexaminée à la lu­
mière du nouveau paradigme du
développement ».
Ce champ de recherche manque
aujourd’hui encore cruellement
de participants, regrette­t­il. « Fai­
re un état des lieux quant à la place
qu’occupe présentement la ques­
tion de l’entrepreneuriat soutena­
ble dans les programmes des éta­
blissements de l’enseignement su­
périeur et rassembler les réflexions
sur les orientations futures souhai­
tables qui pourraient émerger ici
et ailleurs, aujourd’hui et demain,
seraient un service minimum à
rendre aux futures générations
d’entrepreneurs. » 
margherita nasi
0123
JEUDI 2 AVRIL 2020
Pape Diouf
Ancien président
de l’Olympique
de Marseille
P
ape Diouf, c’était
d’abord un esprit. Un es­
prit éclairé, rieur, rigou­
reux. Pape Diouf, c’était
aussi une franchise aiguisée,
juste, honnête. Dans le milieu du
football comme ailleurs, il ne crai­
gnait personne, et sa dialectique
d’homme très cultivé calmait vite
ses rares contempteurs. « Pape »,
comme l’appelaient anonymes et
proches, est mort le 31 mars à Da­
kar, emporté par le coronavirus, à
l’âge de 68 ans, première victime
de la maladie au Sénégal. Son
nom restera à jamais associé à la
ville de Marseille et à son club de
football, l’OM, qu’il présida de
2005 à 2009. Si celui­ci résonnait
si intensément en lui, peut­être
était­ce parce que son père,
Demba, était né en 1899, comme
l’OM. Même s’il s’est beaucoup
opposé à cet ancien porte­dra­
peau des Forces françaises libres,
il racontait que son esprit était
toujours près de lui.
Pape Diouf naît le 18 décem­
bre 1951 à Abéché, au Tchad, où
son père, sénégalais, travaille.
Mais c’est auprès de son oncle
qu’il va grandir, au Sénégal, puis
en Mauritanie, avant de terminer
sa scolarité à Dakar. « Terminer »
est un bien grand mot : l’adoles­
cent manquant d’assiduité, son
père décide de l’envoyer en France
pour qu’il s’engage, comme lui
autrefois, dans l’armée. Pape
Diouf ne le sait pas.
« L’Africain », comme il se défi­
nissait, débarque donc peu avant
ses 18 ans à Marseille, et doit se
rendre à l’école militaire, à Avi­
gnon. Finalement, il ne s’engagera
jamais dans l’armée, préférant vo­
guer dans « le quartier », comme il
disait, à Belsunce, le coin mar­
seillais des Africains et des Ara­
bes, où il passera une partie de
son temps dans les années 1970.
De prime abord, cette ville ne lui
plaît guère. « Je suis arrivé un jour
de grand froid, de grand vent, con­
fia­t­il un jour. J’ai tout de suite fait
connaissance avec le mistral, qui
m’avait ébouriffé, complètement
déstabilisé. Non, très franchement,
je n’ai pas du tout eu un coup de
foudre pour la ville mais plutôt un
coup de blues énorme. Quand je
Manolis Glezos
Résistant grec
U
n mot résume la lon­
gue vie de Manolis
Glezos : résistance. A
18 ans, en mai 1941, il
décrochait, avec son ami Aposto­
los Santas (mort en 2011), le dra­
peau nazi qui venait d’être ins­
tallé sur l’Acropole. A 89 ans, il est
revenu au Parlement en juin 2012,
comme député de Syriza (gauche
radicale), pour protester contre
les mesures d’austérité dont souf­
frait la Grèce en crise économi­
que. C’est au nom de cette lutte
qu’il claqua la porte du Syriza au
pouvoir quand le premier minis­
tre d’alors, Alexis Tsipras, a ac­
cepté les conditions drastiques
des créanciers de la Grèce en
juillet 2015.
Il fallait toute l’inconscience de
deux jeunes pour se lancer, une
nuit de mai, seuls à l’assaut du
suis arrivé, je n’avais qu’une envie,
c’était de repartir chez moi. Mar­
seille, c’est après qu’on apprend à
connaître la ville, à s’y habituer, à
la comprendre et à l’aimer. »
Pour l’aimer et la comprendre,
la première chose qu’il fera sera
d’assister à un match de l’OM. Les
trois années suivantes, il en­
chaîne les petits boulots, dort
dans un foyer pour jeunes en dif­
ficulté, puis s’inscrit à Sciences Po
à Aix­en­Provence après avoir
réussi l’examen spécial d’entrée à
l’université, l’équivalent du bac.
Journaliste sportif
Une rencontre bouleverse bientôt
sa vie, celle d’un inspecteur des
PTT, pigiste au quotidien commu­
niste La Marseillaise, qui, par sym­
pathie pour lui, va l’aider à inté­
grer ce journal en 1975. Pape Diouf
y est pigiste du dimanche, chargé
des résultats sportifs, puis cla­
viste, puis correcteur, avant de se
voir chargé, comme journaliste
cette fois, du suivi de l’OM. Il se
fait vite remarquer par sa con­
naissance du football, son sens de
la formule et des mots imagés.
Contrairement à beaucoup de
ses confrères, il ne tombe pas
sous le charme ni sous l’emprise
de Tapie quand celui­ci prend le
contrôle du club en 1986. « Il fal­
lait le voir, dans les tribunes du Sta­
de­Vélodrome, costume noir et po­
chette mauve ! Même Tapie crai­
gnait ses papiers sur l’OM ; simple­
ment parce qu’il les savait justes et
puisés aux meilleures sources »,
dira plus tard le joueur Marcel De­
sailly, champion du monde 1998.
A l’été 1987 commence pour
Pape Diouf ce qu’il appellera par
la suite sa plus « exceptionnelle »
aventure professionnelle : une
année passée au sein de l’éphé­
mère quotidien Le Sport, venu
concurrencer L’Equipe. Diouf de­
vient correspondant régional du
quotidien à Marseille et, par la
même occasion, une célébrité lo­
cale. Dans le même temps, il noue
d’indéfectibles amitiés dans ce
journal, dont la très jeune rédac­
tion bouscule fortement le jour­
nalisme de sport.
L’aventure du Sport s’arrête
en 1988, faute de moyens finan­
plus célèbre monument d’Athè­
nes, pour signifier à Hitler qu’il
avait tort de crier victoire en
Grèce. « On s’est dit qu’on allait lui
montrer que la lutte ne faisait que
commencer », expliquait­il au
Monde, en 2012. Pour lui, elle ne
s’est jamais arrêtée. En 2012, il re­
vendiquait « soixante­seize ans de
luttes ». Il est mort d’une insuffi­
sance cardiaque, lundi 30 mars,
dans un hôpital d’Athènes, à l’âge
de 97 ans, après 84 années de
combats ininterrompus. « La na­
tion baisse ses drapeaux devant ce
grand Grec », a salué lundi le pre­
mier ministre conservateur
Kyriakos Mitsotakis.
Après cet acte qui a inspiré la
Résistance européenne, Manolis
Glezos a été une première fois
condamné à mort, par contu­
mace, par les autorités alleman­
18 DÉCEMBRE 1951
Naissance à Abéché (Tchad)
1969 Arrive à Marseille
1975 Pigiste à La Marseillaise
1987 Correspondant
régional pour le quotidien
Le Sport
1989 Devient agent
de joueurs
2005 Président
de l’Olympique de Marseille
2014 Candidat à la mairie
de Marseille
31 MARS 2010 Mort à Dakar
des. Son frère, lui aussi entré dans
la Résistance, a été exécuté par
l’occupant, à 19 ans. Il a été de
nouveau condamné à mort, après
la guerre, mais cette fois par les
autorités de son propre pays, en
tant que communiste. L’euphorie
de la Libération a été brève en
Grèce, où elle a été suivie par une
guerre civile sanglante, qui a con­
duit le pays à sacrifier ses propres
héros, à l’image de Manolis
Glezos.
« Le pouvoir vient du peuple »
Le général de Gaulle s’est indigné
et est intervenu en 1949 pour de­
mander au gouvernement « qu’il
n’exécute pas le premier résistant
d’Europe ». Entre la guerre civile et
la fin de la dictature des colonels,
Manolis Glezos aura passé seize
ans dans les prisons ou les camps
de son propre pays, qu’il avait
contribué à libérer. Il en a profité
pour terminer ses études, ce qui
lui a permis d’obtenir des diplô­
mes, en géologie et en linguisti­
que. Dans sa cellule, avec l’un de
ses compagnons, ils avaient pris
l’habitude de se saluer tous les
matins en français, pour lutter
contre la dégradation morale.
ciers. Alors qu’il est en vacances à
Dakar en 1988, Pape Diouf ap­
prend que le journal ne paraîtra
plus. Un joueur de l’OM va alors
changer son destin : le Camerou­
nais Joseph­Antoine Bell, son ami,
lui demande de devenir son
agent. Bell, réputé intelligent et
intègre, sait à quel point Diouf est
un homme droit, fin connaisseur
du milieu si particulier du foot, et
ne doute pas qu’il saura gérer au
mieux les intérêts de footballeurs
venus d’Afrique, comme lui. Pape
Diouf hésite. Renoncer au journa­
lisme, son rêve de toujours ? Deve­
nir agent, ce métier si décrié ? Il ac­
cepte de se lancer, et s’impose vite
comme un champion du genre.
Les footballeurs, ses « fils »
En quelques années, il représen­
tera 70 joueurs importants, dont
Basile Boli, Bernard Lama, Abedi
Pelé, Samir Nasri, Habib Beye, ou
encore Grégory Coupet… De très
forts liens d’amitié l’unissent à
Marcel Desailly, qui dira de lui :
« C’est sans doute le seul agent ca­
pable de citer de grands auteurs en
pleine discussion avec un président
de club. Il ne fait pas ça pour épater
la galerie. Juste parce qu’il aime les
livres, les idées et les hommes qui
9 SEPTEMBRE 1922
Naissance à Naxos (Grèce)
30 MAI 1941 Décroche le
drapeau nazi de l’Acropole
1949 Condamné à mort
par la Grèce
1967 Emprisonné
par la dictature des colonels
2012 Député de Syriza
30 MARS 2020 Mort
à Athènes
Dans les années 1950, il est plu­
sieurs fois élu député, même si
ces mandats sont entrecoupés
par des séjours en prison. En 1962,
il reçoit le prix Lénine pour la
paix des mains du leader soviéti­
que, Nikita Khrouchtchev.
En 1967, le coup d’Etat militaire
des colonels marque pour lui,
comme pour de nombreux
autres militants, le retour en pri­
son ou en exil. Il poursuit son ac­
tivité politique après la chute de
la dictature en 1974 et redevient
député en 1981, avec le soutien du
Mouvement socialiste panhellé­
nique (Pasok) d’Andréas Papan­
dréou, qui arrive au pouvoir.
disparitions | 19
les défendent. » « J’avais des rela­
tions particulières avec les joueurs,
confiait Pape Diouf. Ce qui me pla­
çait dans une position assez singu­
lière, dans le milieu, de grand frère,
de père, je les appelais parfois “fils”.
Ils m’écoutaient. »
Bientôt, une autre vie l’attend :
celle de dirigeant. En 2004,
l’Olympique de Marseille traverse
une énième crise. Le président
Christophe Bouchet souhaite le
recruter comme directeur sportif.
Pape Diouf hésite. Demande con­
seil à deux amis de toujours, des
anciens du journal Le Sport. Cette
fois encore, il franchit le pas, re­
vend sa société d’agent et s’engage
à l’OM, dont il deviendra ensuite
président, avec le soutien du pro­
priétaire, Robert­Louis Dreyfus.
Dans ces années­là, Pape Diouf
est à son apogée. Très populaire à
Marseille et en Afrique, il incarne
l’OM, défend ses couleurs, sans ja­
mais hésiter à s’opposer à Jean­
Michel Aulas, le puissant prési­
dent de l’Olympique lyonnais.
Dénonçant inlassablement le
racisme dans le football, il ne
manque jamais une occasion de
rappeler qu’il est le seul dirigeant
noir d’un grand club européen :
« Je suis une anomalie car, avant
Au fil des ans, Manolis Glezos
milite pour une démocratie di­
recte, qu’il applique en tant que
maire du village natal d’Apiran­
thos, sur l’île de Naxos. « Les Cons­
titutions des principaux pays sont
les mêmes : le pouvoir vient du
peuple et il est exercé en son nom.
Il faut que le pouvoir soit exercé
par le peuple. » Il militait en faveur
d’un régime où le gouvernement
était réduit à l’essentiel, avec de
fréquents recours au référendum
pour que le peuple s’exprime di­
rectement.
« Je ne suis pas une star »
Il va revenir à la pointe du com­
bat contre les mesures d’austé­
rité imposées, à partir de 2010,
par la « troïka » du Fonds moné­
taire international, de la Banque
centrale européenne et de la
Commission européenne, en
échange d’un plan de soutien fi­
nancier pour éviter la faillite de la
Grèce. Il est aux premiers rangs
des manifestations, quand la po­
lice tire des grenades lacrymogè­
nes. En février 2012, il est mal­
mené par la police avec le musi­
cien Mikis Theodorakis, alors âgé
de 86 ans, et les deux hommes
En 2014.
ANNE-CHRISTINE
POUJOULAT/AFP
moi, il n’y a pas d’exemple, décla­
re­t­il au Monde en 2008. Je suis
devenu symbolique, car j’occupe
un poste qu’on ne donne pas aux
Noirs et aux Arabes. Attention, ce
n’est pas un complexe de persécu­
tion, simplement l’amer constat
de la réalité. » Son histoire avec
l’OM se termine en 2009, sans ti­
tre majeur et sur fond de conflits
avec l’entourage du propriétaire.
Après avoir quitté le club, il conti­
nue à se rendre au stade en
payant son abonnement comme
un simple spectateur. Il n’y a
aucune amertume en lui.
Entre Marseille et Dakar
« Quand je suis devenu président
de l’OM, je me suis éloigné de toute
activité de la ville, confiait­il. Je
n’allais ni dans les restaurants à la
mode, ni dans les bars à la mode, ni
aux premières de théâtre ou de ci­
néma. Je restais chez moi. C’était
pour moi une manière de ne pas
faire du poste qui était le mien une
sorte de tremplin social, de trem­
plin de vie. A mon départ, j’ai conti­
nué sur cette lancée­là. » Père de
cinq enfants (deux filles, trois gar­
çons), il passait du temps dans sa
maison marseillaise. Comme
hier, comme toujours, tout se fai­
sait de nuit : ses lectures, ses ap­
pels, son travail, ses écrits.
Ces dernières années, il était de­
venu consultant télé, et partageait
sa vie entre Marseille et Dakar.
Lecteur assidu du Monde et du
Monde diplomatique, il tenait ré­
gulièrement une chronique pour
« Le Monde Afrique ». Il faisait en­
rager les rédacteurs qui devaient
retranscrire ses articles écrits à la
main : lui, l’ancien correcteur de
La Marseillaise, détestait les ordi­
nateurs, ces « machines du dia­
ble », comme il disait. Le journa­
lisme restait l’une de ses passions,
au point qu’il avait ouvert une
école spécialisée. A Marseille, bien
sûr. Homme de gauche, pressenti
à plusieurs reprises pour être mi­
nistre des sports, il s’était pré­
senté en 2014 à la mairie de Mar­
seille, sans succès, mais avec la
certitude que cette ville, qu’il avait
autrefois tardé à aimer, serait à ja­
mais la sienne. 
mustapha kessous
doivent se réfugier à l’infirmerie
du Parlement.
Il redevient député, avec Syriza,
en mai 2012, aux côtés du leader
du parti, Alexis Tsipras, de plus de
cinquante ans son cadet. Il y inter­
vient régulièrement et n’hésite
jamais à provoquer le gouverne­
ment. Mais Manolis Glezos avait
aussi d’autres centres d’intérêt
que le militantisme. Au plus fort
de son combat politique contre
les mesures imposées par la
« troïka » contre son propre pays,
il aimait aussi disserter sur la lin­
guistique et l’origine des mots. Il a
publié des ouvrages sur l’histoire
de la seconde guerre mondiale,
mais aussi sur la géologie et la
minéralogie.
Il ne voulait surtout pas se can­
tonner au rôle du héros de la Ré­
sistance et refusait de raconter
son exploit de 1941. « Je ne suis pas
une star. Toute ma vie, on a essayé
de faire de moi un monument
pour me faire taire. Je ne suis pas
une statue ou un tableau, et je
parle tout le temps. » Sa parole
était écoutée. Il n’était pas une
statue, mais une vigie, toujours
prête au combat pour la liberté. 
alain salles
20 | horizons 0123
JEUDI 2 AVRIL 2020

new york ­ correspondant

C
hance Landesman a décampé
dans les montagnes boisées
du Maine, à 650 kilomètres au
nord de New York. L’étudiant
de Brooklyn, 21 ans, s’est réfu­
gié, avec cinq amis, dans une
maison cossue pour fuir le coronavirus. Là,
il s’est lancé dans la construction d’une
serre, et il a nourri les poulets, tout en
gardant l’œil rivé sur son smartphone et sur
son portefeuille boursier. Wall Street
plonge, l’Amérique compte 3,3 millions de
chômeurs supplémentaires en une
semaine, New York est une ville fermée, cer­
née par le coronavirus, mais le gamin a fait
une petite fortune en Bourse en pariant sur
l’effondrement des marchés financiers.
C’était il y a cinq semaines, une fraction de
temps, mais une éternité. Ce lundi 24 février,
on est encore dans l’ancien monde. La Bourse
a atteint des plus hauts historiques. Aucun
cas de coronavirus n’a encore été détecté à
New York. Il faudra attendre le dimanche
1er mars pour que soit annoncé le premier ma­
lade, une auxiliaire médicale revenue d’Iran.
Chance Landesman, qui a appris à boursico­
ter sur l’application Robinhood, voit arriver la
catastrophe économique et sanitaire, qui a
déjà frappé l’Asie, puis l’Europe. « Je pensais
qu’on allait avoir une récession. L’épidémie due
au coronavirus allait en être le déclencheur, et
j’ai vendu à découvert. » Il parie toutes ses éco­
nomies, ainsi qu’un don fait par un de ses
oncles pour ses 18 ans. Quatre semaines plus
tard, il a multiplié sa mise par 25 (chiffre
retombé à 16 entre­temps) et prend l’avion
pour le Maine. « J’adore New York, mais il n’y
avait plus rien de ce qui la rend sympa »,
confie­t­il au Monde par téléphone.
Curieuse impression. Chance Landesman
est hors du temps, mais dans le monde. Il a
suspendu ses études de philosophie et de
religion, et se passionne pour la finance.
« Cela fait longtemps que j’attends un change­
ment majeur, poursuit­il. Beaucoup de jeunes

New York retient

ont une vision plus apocalyptique, avec le
changement climatique, les perspectives éco­
nomiques. On s’est très vite inquiétés, tandis
que les vieux avaient un train de retard. »

ATMOSPHÈRE IRRÉELLE
Les « vieux », comme il dit, sont confinés à

New York. Sa mère, par exemple : Shanny
Peer, directrice de la Maison française de
l’université Columbia, restée dans sa maison
de Brooklyn. « Je fais du yoga. Mon club donne
des cours par Internet », nous dit­elle. Tout est
allé si vite… Brutalement, l’université a décidé
de fermer, comme d’autres institutions new­
yorkaises. « Je travaille plus ou moins à la mai­
son, même si je ne peux pas organiser d’événe­
ments. Je suis payée. Tout le monde est payé
pour l’instant, on ne parle pas de licencie­
ments. » Tout est annulé, y compris la cérémo­
nie de remise des diplômes, à laquelle assis­
tent d’ordinaire des dizaines de milliers d’étu­
diants. Et l’on espère une reprise en septem­
bre, sans en être vraiment sûr. La priorité ?
Eviter la maladie. « Je crois que j’ai le virus,
poursuit Shanny Peer. Il y a dix jours, j’ai eu un
peu de fièvre et des courbatures. Et puis, j’ai
perdu le goût et l’odorat. Mais, comme le gou­
vernement fédéral est incompétent, les tests
sont très rares, et on ne peut pas en faire. En
tout cas, je fais comme si j’avais la maladie. »
A la date du lundi 30 mars, celle­ci avait tou­
ché 67 325 personnes et fait 1 228 morts dans
l’Etat de New York (20 millions d’habitants) ;
8 500 personnes y étaient hospitalisées, dont
plus de 2 000 en soins intensifs avec respira­
teurs artificiels. New York et sa région sont
bien devenues le cœur américain de l’épidé­
mie. « Le virus est peut­être né à Wuhan, mais
New York va être Ground Zero », prévient
Jimmy Van Bramer, conseiller municipal de la
ville, élu démocrate du Queens, en référence
au no man’s land laissé à l’emplacement des
tours jumelles du World Trade Center, après
les attentats du 11 septembre 2001.
A New York, l’atmosphère est irréelle. La
ville est désertée, contaminée, mais pas
encore submergée par l’afflux des malades.
La comparaison la plus pertinente est sans
doute celle avec ce moment si particulier qui
précède les cyclones de Floride, lorsque
l’orage est là qui arrache les toitures des mai­
sons, mais que le pire est à venir avec la mon­
tée des eaux.
Depuis deux semaines, nulle âme qui vive
devant l’embarcadère de la statue de la
Liberté. Le Mémorial du 11­Septembre s’est
tari : l’eau a cessé de couler dans les deux
gouffres installés à l’emplacement des tours.
son souffle
En quelques semaines, la ville et ses environs sont devenus un foyer majeur
de l’épidémie aux Etats­Unis. Hôpitaux et musées, pauvres et riches,
tous s’organisent tant bien que mal, dans la crainte d’un désastre sanitaire
Times Square s’est vidé de ses touristes, les
music­halls de Broadway ont baissé le rideau.
Les personnes croisées dans les avenues,
désormais silencieuses et sans voitures, sont
souvent afro­américaines ou latinas, mani­
festement pauvres, comme si les Blancs de la
finance et des beaux quartiers avaient dis­
paru. La criminalité est en chute libre.
Les livreurs en tout genre apportent leurs
paquets, gantés et masqués, mais qu’on ne
compte pas sur Whole Foods, la filiale ali­
mentaire d’Amazon, pour remplacer le
supermarché : la première fois, les articles
livrés n’étaient pas ceux sélectionnés ; la
seconde, il n’y avait plus de créneau de livrai­
son. De nombreux magasins de bouche ont
fermé. Chez ceux qui restent ouverts, le
choix s’est raréfié, et les clients s’invectivent
dès que l’un approche à moins de 2 mètres. La
maladie progresse, l’appréhension aussi.
UN MALADE PASSÉ SOUS LES RADARS
Le gouverneur de l’Etat, Andrew Cuomo, a
sonné le tocsin, mardi 24 mars : « Le taux d’in­
fection double tous les trois jours, a­t­il pré­
venu. Nous ne ralentissons pas l’épidémie, et
elle accélère d’elle­même. » La situation est
telle que Donald Trump a envisagé de confi­
ner l’Etat de New York, tandis que la police du
Rhode Island voisin faisait la chasse aux visi­
teurs indésirables, propagateurs potentiels du
virus. Un compromis a finalement été trouvé :
les New­Yorkais sont invités à se mettre en
quatorzaine lorsqu’ils quittent leur territoire.
La ville a réalisé l’ampleur du désastre à
venir il y a une dizaine de jours, en voyant
l’interminable file de patients désireux de se
faire dépister à l’hôpital d’Elmhurst, dans le
Queens. Depuis, un camion frigorifique a été
installé devant cet établissement pour stoc­
ker les cadavres, et le nombre d’admissions
quotidiennes aux urgences a doublé, pour
atteindre quatre cents. « L’angoisse est acca­
DANS LES  blante », a confié l’urgentiste Colleen Smith
COMMERCES  au New York Times. « La situation est mau­
vaise, les gens meurent, et nous n’avons pas le
DE BOUCHE QUI  matériel dont nous avons besoin », a­t­elle
précisé, déplorant le manque de masques et
RESTENT OUVERTS,  s’inquiétant du nombre de malades jeunes
sans antécédents médicaux.
LES CLIENTS  Les médecins réquisitionnés décrivent leur
S’INVECTIVENT  quotidien sur Twitter, telle la pneumologue
Anna Podolanczuk : « Aujourd’hui, j’ai dit à un
DÈS QUE L’UN  homme de 28 ans qu’il devait être intubé. Il
était terrorisé et ne pouvait respirer ; j’ai an­
APPROCHE À MOINS  noncé sur Facetime à l’épouse d’un homme de
DE 2 MÈTRES 47 ans qu’il était en train de mourir ; j’ai fait
une bronchoscopie à un patient atteint du Co­
vid­19. J’ai sauvé sa vie, risqué la mienne »,
écrit­elle. Et d’ajouter : « C’est notre nouvelle
normalité. New York va s’en sortir. »
Des semaines durant, la ville a vécu dans
une curieuse insouciance. Une fois isolé, le
« patient zéro » (l’auxiliaire médicale revenue
d’Iran) n’a pas inquiété grand monde. En
revanche, chacun a tiqué lorsque a été
connue l’histoire du deuxième malade. Le
27 février, Lawrence Garbuz, un avocat habi­
tant à New Rochelle, banlieue résidentielle si­
tuée au nord de New York, est conduit à l’hô­
pital par un ami. Les médecins diagnosti­
quent d’abord une pneumonie, puis il est
transféré dans un hôpital de Manhattan.
Enfin, les autorités annoncent, le mardi
3 mars, que le test révèle qu’il est positif au
coronavirus. Sauf que, ce jour­là, nul n’y prête
vraiment attention : c’est le Super Tuesday,
jour décisif de la primaire démocrate améri­
caine qui voit le centriste Joe Biden devancer
le socialiste Bernie Sanders. « Nous avons réa­
lisé que cela allait changer la vie de notre
communauté, mais sans saisir que c’était
l’avant­garde d’une lame de fond nationale »,
nous explique Noam Bramson, le maire de
New Rochelle, ville fondée par des huguenots
français au XVIIe siècle.
CAUCHEMAR EN CUISINES
En ce début du mois de mars, les autorités
peinent à trouver l’origine de la contamina­
tion. Lawrence Garbuz a voyagé en Floride en
février, mais il n’existe aucun lien avec un
foyer infectieux manifeste. En revanche, ces
mêmes autorités s’inquiètent vite de l’iti­
néraire du malade : il fait chaque jour l’aller­
retour en train entre New Rochelle et ses
bureaux de Manhattan. On apprend aussi
que sa famille est contaminée : sa fille de
14 ans étudie dans le Bronx, son fils âgé de
20 ans du côté d’Harlem. Surtout, M. Garbuz
s’est rendu à trois reprises, alors qu’il était
déjà malade, dans sa synagogue, pour assis­
0123
JEUDI 2 AVRIL 2020
Times Square,
à Manhattan,
le 30 mars.
PASCAL PERICH
ter à des funérailles, à une bar­mitsva et à un
office religieux. « Nous avons confiné plu­
sieurs centaines de familles, soit environ un
millier d’individus », précise M. Bramson. Un
périmètre sanitaire de 1 mile (1,6 kilomètre)
est alors établi autour de la synagogue. La
garde nationale intervient pour assainir les
bâtiments publics et les écoles, et distribuer
des repas aux habitants. A la date du 11 mars,
New Rochelle est l’épicentre, dans l’Etat de
New York, de l’épidémie, avec 121 cas sur 212.
A cette époque encore, beaucoup croient
qu’il sera possible de la contenir. Début mars,
M. Cuomo annonce le rapatriement de quel­
que trois cents étudiants partis en échange
universitaire à l’étranger (Chine, Italie, Iran,
Corée du Sud). Bien sûr, ils seront confinés.
Les premières recommandations du maire
de New York, Bill de Blasio, sont bien peu
strictes : ceux qui craignent d’être malades ne
doivent pas appeler les pompiers, mais sont
priés de se rendre chez le médecin. Au risque
de propager l’épidémie…
Arrive le week­end des 7 et 8 mars. Au cœur
de Manhattan, le chef français Daniel Boulud
organise son dîner de gala annuel, destiné à
financer Citymeals, une association de livrai­
son de repas chauds aux personnes âgées. La
famille Troisgros, de Roanne, a fait le voyage,
de même que Julien Royer (Odette), de Singa­
pour, ou Alexandre Gauthier (La Gre­
nouillière) de la baie de Somme, en Picardie.
On se salue déjà du coude, par précaution,
avant de déguster de la saint­jacques aux
rutabagas ou des crêpes à la truffe. Le gala
permet de lever 1 million de dollars.
Le mercredi suivant, Daniel Boulud reçoit
une lettre du département de la santé new­
yorkais : un des clients de son restaurant,
Rick Cotton, patron de l’autorité portuaire
locale, a été testé positif au Covid­19. A en
croire la missive, il n’y a pas lieu de s’inquié­
ter : l’homme n’est pas contagieux. M. Bou­
lud s’inquiète quand même. Le vendredi
13 mars, il décide de fermer ses sept restau­
rants new­yorkais. Plus de 750 salariés sans
travail, du jour au lendemain. « Et dire qu’on
était tous autour de la table, il y a trois semai­
nes », soupire M. Boulud, retiré dans sa mai­
son de campagne, au nord de la ville.
L’entrepreneur se bat pour faire activer son
assurance perte d’exploitation, qui, sans sur­
prise, avait inclus en bas de page une clause
d’exclusion pour les pandémies. Pour aider
ses salariés, il leur paiera une assurance­ma­
ladie au moins jusqu’en avril. Il a également
trouvé un moyen ingénieux de leur donner
un coup de pouce. « Nous avons lancé une
fondation, Main dans la main, dans laquelle il
y a mon PDG, mon directeur financier et trois
représentants du personnel pour voir quels sa­
lariés ont le plus besoin de soutien. On ne veut
pas qu’ils perdent leur appartement, même s’il
a été demandé aux bailleurs d’être patients. »
En dix jours, Main dans la main a récolté
147 000 dollars auprès de 395 donateurs
ayant versé entre 5 dollars et 10 000 dollars.
En ces temps troublés, le système de bien­
faisance new­yorkais se met en branle. L’as­
sociation Citymeals s’est reconvertie et
apporte désormais aux personnes âgées des
vivres empaquetés. En plus du million de
dollars levé lors du gala, elle a reçu deux
autres dons de 1 million de dollars de la part
d’institutions financières. Mais tout n’est pas
facile : certaines des quarante cuisines répar­
ties dans les cinq districts de la ville de New
York ont dû cesser leurs activités.
Si M. Boulud a fermé ses restaurants avant
que les autorités ne lui en donnent l’ordre,
c’est aussi parce que deux d’entre eux avaient
déjà perdu leur clientèle, l’un sur Broadway,
près de Times Square, l’autre à côté du Lin­
coln Center, temple de la vie musicale.
Depuis, la vie sociale s’est totalement arrêtée,
et New York n’est plus vraiment New York.
CONTAGION À TOUS LES SECTEURS
L’une des grandes attractions mondaines de
Manhattan est le gala du Metropolitan Mu­
seum (Met Museum), organisé chaque début
mai par Anna Wintour, rédactrice en chef du
magazine Vogue et star de la mode. Cette
année, l’épouse du prince Harry, Meghan
Markle, devait être de la fête, mais la cérémo­
nie a été reportée sine die. Le musée, aux
abords de Central Park, sonne désormais le
creux. Seuls restent quelques gardes de sécu­
rité et le conservateur, l’Autrichien Max
Hollein, qui arpente les galeries. « Je me rends
au bureau chaque jour. Ce sont des temps très
occupés », assure M. Hollein, qui multiplie les
vidéoconférences avec son conseil d’admi­
nistration et prévoit une perte de 100 mil­
lions de dollars.
Avec l’effondrement de Wall Street, les
donateurs vont se montrer moins généreux.
Le trésor de guerre (endowment) de 3,6 mil­
liards de dollars sur lequel est assise l’institu­
tion fluctue avec la Bourse. Mais M. Hollein
prépare déjà l’après. « Notre public va devenir
plus local à cause de la baisse prévisible du
nombre de touristes. Et il va vouloir le célébrer,
ce qui nous offre une opportunité pour créer
du lien émotionnel. De plus, les prêts d’œuvres
vont se réduire et les musées vont compter sur
leurs propres collections. C’est une chance. » Le
musée, qui devait inaugurer début mars
l’exposition célébrant le 150e anniversaire de
sa création, espère retrouver ses racines, cel­
les d’un musée communautaire.
De l’autre côté du parc, le directeur général
du Metropolitan Opera (Met Opera), Peter
Gelb, a décidé de diffuser chaque jour, gratui­
tement, une œuvre sur son site Web. « Ce soir,
c’est le dernier opéra du Ring, de Wagner. C’est
un moyen pour le Met de rester relié à son
public local et international. On apporte un
peu de réconfort culturel aux populations
confinées », assure M. Gelb, qui estime tou­
cher entre 200 000 et 300 000 spectateurs
par jour. En réalité, le premier opéra du
monde est durement frappé. Il a annulé la fin
de saison, n’encaisse pas les abonnements
pour 2020­2021 et ne dispose pas de matelas
financier. « A la différence du Met Museum,
nous n’avons pas été conçus comme une orga­
nisation philanthropique en 1883 : c’était une
aventure lucrative. Résultat, nous n’avons que
300 millions en réserve. » L’opéra, où
3 000 personnes sont employées, a mis au
chômage son personnel technique, réduit les
salaires des administratifs indispensables au
redémarrage de l’institution. « J’ai renoncé à
mon traitement », ajoute l’administrateur,
qui a lancé une campagne de souscription de
80 millions de dollars et déjà trouvé 20 mil­
lions. Ici aussi, la reprise est espérée fin
septembre, avec une nouvelle création, l’Aida
de Verdi. « Le Met va revenir, prévient M. Gelb.
Je ne sais pas quand, mais il va revenir. »
La planète finance, elle, tourne. Grâce au
télétravail, certes, mais elle tourne. Et même
si l’ancienne criée du New York Stock
Exchange, contaminée, a été suspendue le
20 mars, il est hors de question de fermer
Wall Street, thermomètre de l’Amérique pour
Trump. Selon le Wall Street Journal, la pre­
mière banque américaine, JPMorgan, a indi­
qué à ses tradeurs qu’ils ne pouvaient pas fer­
mer boutique dans des domaines où la ban­
que assure 20 % des échanges. La Fed de New
York inonde le marché de liquidités, proté­
geant les institutions de Wall Street. La
Bourse a même rebondi de 20 % par rapport
au plus bas du 23 mars.
Ainsi va New York la contagieuse… Pendant
que les (toujours) bien portants préparent
déjà l’avenir, l’autre partie de la population
est en mode survie. Toute la ville est conta­
minée, y compris la sinistre prison de Rikers
Island (5 300 détenus). La crise y a pris un
tour « people » lorsqu’on a appris que l’ancien
magnat d’Holywood Harvey Weinstein était
positif – sans symptômes – au Covid­19,
quelques jours après avoir été condamné à
vingt­trois ans de prison pour crimes
sexuels. L’affaire a attiré l’attention sur les
détenus new­yorkais. « C’est une bombe à
retardement », a mis en garde Justine
Olderman, représentante des avocats du
Bronx. Un détenu, Juan Giron, transféré à
Rikers Island, en a fait un récit édifiant à
l’agence Associated Press : le jeune homme
s’ennuie dans son dortoir, quand arrive un
nouveau détenu, vers 18 heures. « Quelques
heures plus tard, deux policiers reviennent
avec des masques et des gants, et essayent de
donner un masque au type. Ils avaient l’air ter­
rifiés, ne voulaient pas le toucher. » Le détenu
est finalement exfiltré du dortoir : « C’est la
procédure désormais pour les gars porteurs
du virus », explique un des deux policiers à
Juan Giron. Rien n’aurait été fait pour ceux
qui ont été en contact avec le malade.
Les tests se sont révélés positifs pour au
moins trente­huit personnes dans les pri­
sons de New York. Malgré tout, les libérations
se font au compte­gouttes (cinquante­six
libérations au 22 mars). Alors que Bill de
Blasio voudrait relâcher trois cents détenus
de plus de 70 ans en mauvaise santé, les avo­
TOUTE LA VILLE EST  cats demandent un chiffre plus ambitieux de
CONTAMINÉE,  1 500 détenus peu dangereux. Les délin­
quants en col blanc en profitent pour tenter
Y COMPRIS  leur chance, à l’image de Michael Cohen :
l’ancien avocat de Donald Trump, incarcéré
LA SINISTRE ÎLE­ pour trois ans dans la prison d’Otisville, un
centre pour VIP dans le nord de l’Etat, a
PRISON DE RIKERS  demandé à être assigné à résidence. Refus sec
(5 300 DÉTENUS).  du juge de Manhattan William Pauley, qui lui
a reproché de « vouloir se glisser dans le cycle
« C’EST UNE BOMBE  de l’actualité », mais a estimé qu’il était « ma­
nifestement inéligible » à une libération com­
À RETARDEMENT »,  passionnelle. « Au bout de dix mois
PRÉVIENT  d’internement, il est temps que Michael Cohen
accepte les conséquences de sa condamnation
JUSTINE OLDERMAN,  pénale », écrit le juge.
REPRÉSENTANTE  « À L’ÉPICENTRE DE L’ÉPIDÉMIE »
DES AVOCATS  Les plus pauvres, eux, sont confinés à domi­
cile, comme Lamia Rahman, 22 ans. Cette étu­
DU BRONX diante en médecine de Columbia a été priée
de quitter sa résidence universitaire et de
retourner vivre chez ses parents, des
immigrés du Bangladesh, dans un deux­piè­
ces en rez­de­chaussée du quartier de Queens,
à deux pas du fameux hôpital d’Elmhurst.
« On lit que beaucoup d’étudiants ont fui à la
campagne, confie Lamia Rahman. Mais ce
n’est pas la réalité de tout le monde. Nous som­
mes à l’épicentre de l’épidémie. Je suis inquiète
pour mes parents. Mon père a arrêté de
conduire son taxi depuis deux semaines. Il a
64 ans, et sa santé n’est pas des meilleures. »
La jeune femme suit ses cours par Internet.
Les notes sont supprimées pour éviter les
discriminations. Son stage dans un centre de
recherche du Maryland a été annulé, et elle
espère trouver un stage d’été dans un hôpital.
Boursière, elle n’a pas ce souci, mais des étu­
diants ont lancé une pétition pour obtenir le
remboursement de leurs frais de scolarité. En
attendant, la famille Rahman vit sur ses éco­
nomies. Le Congrès a voté une assurance­
chômage pour les travailleurs indépendants,
les loyers publics sont censés être suspendus,
mais ces décisions ne soulagent pas encore la
famille, qui habite dans le parc privé. « Pour
l’instant, il semble qu’on devra payer le loyer
d’avril », s’inquiète Lamia Rahman.
Obtenir l’annulation des loyers pendant
trois mois : tel est l’objectif du conseiller dé­
mocrate Jimmy Van Bramer, dont la perma­
nence croule sous les appels d’électeurs au
chômage. « L’Etat a suspendu les expulsions
pendant trois mois, mais, au bout de cette
période, les gens seront incapables de payer.
C’est pourquoi je soutiens la suspension des
loyers pendant trois mois », dit­il au Monde
par vidéoconférence.
Le pire du choc économique n’a pas encore
eu lieu : les inscriptions au chômage n’ont
atteint « que » 80 333 pour la semaine close le
21 mars, une proportion deux fois et demie
moindre que dans le reste des Etats­Unis.
Certains employeurs ont manifestement
maintenu les contrats jusqu’à fin mars, tan­
dis que l’allocation­chômage n’est pas négli­
horizons | 21
geable : 504 dollars par semaine à New York,
plus 600 dollars octroyés par l’Etat fédéral, ce
qui fait environ 4 500 dollars maximum par
mois avant impôts.
L’autre problème était la prise en charge
des malades. De nouveau, les employeurs,
comme Daniel Boulud et le Met Opera, paie­
ront l’assurance­santé au moins jusqu’en
avril. L’Etat de New York a permis à ceux qui
perdraient leur assurance privée de s’inscrire
à l’assurance subventionnée Obamacare. A
l’évidence, la ville démocrate n’est pas la cari­
cature que certains croient. « A New York, per­
sonne ne peut être renvoyé des urgences sous
prétexte qu’il n’a pas d’assurance. On a dit aux
gens qu’ils ne seraient pas facturés pour le
traitement du coronavirus », assure Jimmy
Van Bramer. Les médecins consultent par
téléconférence, et la promotion de médecine
de la New York University a été diplômée par
anticipation, afin de pouvoir soigner les
patients, tandis que les New­Yorkais confinés
applaudissent désormais le personnel médi­
cal à 19 heures.
LES TROIS FIGURES DE LA CRISE
Sur le plan politique, la crise sanitaire est
gérée par trois figures, qui se disputent les
créneaux horaires pour leurs conférences de
presse quotidiennes. Ces trois personnages,
le conseiller municipal démocrate Van
Bramer les croque volontiers, en reflétant un
avis général. Donald Trump ? « Le président
est un désastre, son incompétence aggrave la
crise pour des Américains qui attendent déses­
pérément du leadership. » Le maire de New
York, Bill de Blasio, qui a tardé à fermer les
écoles, car il se souciait du repas des enfants
pauvres ? « Il fait de son mieux face à une crise
qu’il n’a jamais imaginée. » Le gouverneur
Andrew Cuomo ? « Il est fantastique. Il est très
rassurant et fait preuve d’un leadership déter­
miné. » De fait, c’est lui, Andrew Cuomo, qui a
mené la danse, ferraillant avec Trump pour
obtenir le droit de développer ses propres
tests. C’est lui encore qui a appelé à l’aide
l’Etat fédéral, exigé des hôpitaux l’augmenta­
tion de leurs capacités et mis en garde contre
la submersion du système sanitaire.
Les cris d’alarme vont­ils permettre d’éviter
l’explosion du système, ou les hôpitaux new­
yorkais vont­ils réellement être dépassés par
la vague de contaminations ? L’hôpital
d’Elmhurst, déjà mentionné, a dû être réap­
provisionné à trois reprises en respirateurs,
mais son autorité de tutelle dément qu’il ait
été proche de la pénurie.
Il n’empêche que la course contre la montre
est engagée et que l’armada américaine se
met en marche. « La courbe [des infections]
suggère que nous pourrions avoir besoin de
(…) 37 000 places en soins intensifs avec respi­
rateurs, contre une capacité actuelle de 3 000.
C’est notre problème principal », a déclaré, le
25 mars, M. Cuomo, qui veut aussi doubler le
nombre de lits disponibles dans l’Etat, pour
atteindre 110 000. Un hôpital de campagne
doit ouvrir sous peu dans un centre de
congrès de Manhattan. De son côté, l’hôpital
Mont Sinaï installe des tentes dans Central
Park pour s’étendre, tandis qu’un bateau
hôpital militaire, le USNS Comfort, doté de
750 lits et de douze salles d’opération, est
arrivé, lundi, dans le port de New York. Il sou­
lagera les hôpitaux en traitant les cas hors
Covid­19. « L’arrivée du USNS Comfort devait
prendre deux semaines. Cela a pris huit jours »,
a dit, satisfait, M. de Blasio, qui a même re­
mercié le président Trump.
En attendant la suite de l’épreuve, les Amé­
ricains refusent de baisser les bras. On bricole
des respirateurs pour qu’ils puissent alimen­
ter en oxygène plusieurs patients à la fois. Le
patron de Tesla, Elon Musk, a proposé, sur
Twitter, le 19 mars, de fabriquer des respira­
teurs. « J’ai parlé hier soir avec Elon Musk. Il
donne des centaines de respirateurs à la ville
et à l’Etat de New York, y compris à nos hôpi­
taux publics. Nous l’en remercions profondé­
ment », a twitté le maire, vendredi.
La quarantaine de New Rochelle a été levée
samedi 28 mars. Le premier malade de la
petite ville, M. Garbuz, semble tiré d’affaire.
« C’est avec une immense gratitude envers
Dieu et envers vous tous, dans le monde entier,
de toutes les religions, cultures et foi, qui avez
prié pour mon mari, que je partage des nouvel­
les très joyeuses : Lawrence est éveillé, alerte et
semble être sur le chemin d’une récupération
complète », a écrit sa femme sur Facebook.
Les optimistes veulent espérer, mais Andrew
Cuomo a prévenu les New­Yorkais, lundi
30 mars : « Ce virus est devant nous depuis le
premier jour. Si on n’arrive pas à passer devant
lui, il y aura beaucoup de victimes. » 
arnaud leparmentier
22 | carnet
Francis Rapp
Médiéviste
En 2014.
CLAUDE TRUONG-NGOC
C’
est à Angers où son
fils, médecin, l’avait
fait venir de Stras­
bourg, où il vivait
seul depuis son veuvage, que le
médiéviste, spécialiste de l’his­
toire de l’Alsace et de la vie reli­
gieuse Francis Rapp est mort, le
dimanche 29 mars, à l’âge de
93 ans, emporté par le Covid­19.
Une entorse à son attachement
à sa patrie alsacienne, puisque
c’est à Strasbourg, où il était né le
27 juin 1926, que Francis Rapp fit
la quasi­totalité de son parcours
universitaire. Ce fils d’avocat,
élevé dans une famille catholique
pratiquante, apprend, enfant, la
solidarité et la fraternité au sein
des Scouts de France, association
créée en 1920 et à laquelle il res­
tera toujours très attaché, il fut
commissaire de la région Alsace
jusque dans les années 1980.
S’il s’engage très jeune dans la
résistance alsacienne, il achève,
dès le retour à la paix, un parcours
scolaire sans fausse note à Stras­
bourg toujours, puisque, après le
collège Saint­Etienne, le Gymnase
Jean­Sturm et le lycée Fustel­de­
Coulanges, c’est à la faculté des
lettres de Strasbourg, qui fut celle
où enseigna le grand médiéviste
Marc Bloch (1886­1944), que Fran­
cis Rapp entreprend son cursus
universitaire. Juste une étape pa­
risienne, le temps de décrocher
l’agrégation d’histoire, où il est
reçu major (1952), et c’est à Fustel­
de­Coulanges qu’il revient à la
rentrée de 1952 pour sa première
année d’enseignement.
Pensionnaire de la Fondation
Thiers dès l’année suivante
(56e promotion), il est dès 1955 at­
taché de recherches au CNRS
avant de regagner Strasbourg
comme assistant à la faculté des
lettres (1956­1961). Mis à part une
incursion dans la faculté lorraine
voisine (chargé de cours à Nancy
dès 1961), c’est à Strasbourg tou­
jours que Rapp enseigne l’histoire
médiévale. Chargé de cours (1965),
puis assistant, maître de conféren­
ces, professeur enfin (1974) dans
une université désormais dénom­
mée Strasbourg­II­Marc­Bloch
(1970), il est parallèlement chargé
du cours d’histoire du christia­
nisme à la faculté de théologie
protestante de Strasbourg dès
1972. Un double enseignement,
qu’il n’abandonne qu’à l’heure de
sa retraite, en 1991.
Rien d’étonnant dans ce cumul,
car avant même, en 1972, la soute­
nance de sa thèse (Réformes et ré­
formation à Strasbourg. Eglise et
société dans le diocèse de Stras­
bourg 1450­1525), publiée en 1974,
Francis Rapp a fait montre de sa
science comme de la finesse de sa
pensée en offrant à la collection
27 juin 1926 Naissance
à Strasbourg
1971 « L’Eglise et la vie
religieuse en Occident
à la fin du Moyen Age »
1973-1991 Professeur
à l’université de Strasbourg
1983 « Histoire de Strasbourg
des origines à nos jours »
29 mars 2020 Mort à Angers
(Maine-et-Loire)
« Nouvelle Clio » des PUF l’un de
ses manuels les plus décapants.
Avec L’Eglise et la vie religieuse en
Occident à la fin du Moyen Age
(1971), Rapp rompt avec les usa­
ges, abrège la bibliographie de
base pour privilégier, dans l’« état
des connaissances » comme dans
les « débats et recherches », la vi­
talité et l’intensité d’une vie reli­
gieuse qui est le riche patrimoine
commun dans lequel puisèrent
les réformateurs à venir, Luther
et Loyola.
Membre du Collège de France
On retrouve dans tous les travaux
de Rapp – sa thèse en particulier –
le souci de ne pas anticiper les dé­
veloppements et les ruptures du
XVIe siècle pour comprendre les
débats du XVe. Cette justesse et
cette rigueur font aussi le prix des
sommes qu’il consacra au Saint
Empire romain germanique (Le
Saint Empire romain germanique,
d’Otton le Grand à Charles Quint,
Tallandier, 2000, couronné par
l’Académie française) comme à
l’histoire de Strasbourg et de l’Al­
sace dont il fut un infatigable pro­
moteur. Vertu des marges, d’où il
gardait un regard ouvert sur plus
d’un horizon. Tranchant sur la plu­
part de ses collègues, sinon Robert
Mandrou (1921­1984), Francis Rapp
lisait les historiens allemands et
joua un rôle décisif pour sortir
d’un schéma national en « invitant
au comparatisme sur des périodes
et des terrains où ce n’est pas fa­
cile », comme le salue le moder­
niste Olivier Christin, comme
Rapp dès 1983, appelé à enseigner
à Neuchâtel (Suisse).
Elu en mars 1993 à l’Académie
des inscriptions et belles­lettres,
où il succéda à l’assyriologue et lin­
guiste Emmanuel Laroche (1914­
1991), pilier de l’université de Stras­
bourg avant son entrée au Collège
de France (1972), Francis Rapp n’a
guère recherché les honneurs. Pro­
fesseur brillant, courtois et dispo­
nible pour ses étudiants, dont
beaucoup se souviennent de l’ex­
traordinaire autorité bienvei­
llante, il n’a guère brigué que cette
place à l’Institut de France. Par res­
pect de sa filiation alsacienne ? 
philippe­jean catinchi
Le Carnet
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AU CARNET DU «MONDE»
Décès
Sylvie Laurent-Bégin,
Camille, Nick et Stanislas Bégin-
Neufeld,
Paul Bégin,
Léopold Bégin et Amy Tabouré,
ont l’immense douleur de faire part
du décès de
Christophe BÉGIN
1957-2020,
tendre mari et papa poule.
7, cité de l’Ermitage,
75020 Paris.
begin.laurent.sc@gmail.com
Le docteur Etienne du Mesnil du
Buisson,
son mari,
Pascale du Mesnil du Buisson,
Marie-Ange du Mesnil du Buisson
et Christian Nguyen-Van-Yen,
Christian du Mesnil du Buisson,
Charlotte du Mesnil du Buisson
et Pierre Ménal,
ses enfants,
Nouch, Dora et Gabriel, Emilie
et François, Benjamin et Hà,
Clara, Julien,
Adeline, Raphaël, Gabriel, Elise,
ses petits-enfants,
Timothée,
son arrière-petit-fils,
Jeanne Bigot Lochmann et Marie-
Paule Bigot Vallet,
ses sœurs,
Jean-Charles et Odile, François,
Antoine du Mesnil du Buisson,
Berthe Burgelin,
ses beaux-frères et belles-sœurs,
ont le grand chagrin d’annoncer
la mort de
Françoise
BIGOT du MESNIL du BUISSON,
docteur en médecine,
docteur en histoire,
psychanalyste (S.P.P.)
de 1970 à 1994,
à Paris puis à Vannes,
survenue le 25 mars 2020,
à l’âge de quatre-vingt-cinq ans.
Nous avons aimé sa lucidité et son
courage intellectuel, son respect des
personnes, le dynamisme gai qui la
poussait toujours en avant, son
amour du Beau. Nous avons aussi
aimé son regard, ses immenses
sourires, sa voix. Merci.
L’inhumation a eu lieu ce 1er avril,
dans l’intimité familiale, au vieux
cimetière d’Urville, Regnéville-sur-
mer (Manche).
166, rue de Grenelle,
75007 Paris.
Emma Henry-Blanc,
son épouse,
Laure-Emmanuelle Blanc-Halévy,
sa fille,
Olivier Halévy,
son gendre,
Agnès et Axel Halévy,
ses petits-enfants,
Sa famille,
Ses amis,
ont la douleur de faire part du décès
de
Pierre BLANC,
professeur honoraire
des Universités,
survenu le 28 mars 2020,
à l’âge de quatre-vingt-cinq ans.
Une cérémonie sera organisée
ultérieurement au cimetière de
Valence (Drôme), comme il l’avait
souhaité.
Anne-Marie
BOUVIER-BECKER,
ancienne interne
des Hôpitaux de Paris,
est décédée, après une
professionnelle au service de
vie
l’hôpital public, le 29 mars 2020,
à l’âge de soixante et onze ans.
Sa famille et ses proches
remercient amis et soignants, tous
ceux qui l’ont aimée au cours de sa
vie, puis accompagnée avec patience
et humanité dans ces longues années
de maladie.
Vous pouvez honorer sa mémoire
en soutenant les associations
défendant les causes qui lui étaient
chères.
becker.bouvier@gmail.com
Le Pellerin (Loire-Atlantique).
Paris (Île-de-france).
Singapour.
La Trinité-sur-Mer (Morbihan).
Mme Michel Cormier,
née Clarence Martin,
son épouse,
Maxence Cormier et Aude Lecat,
Alexandre et Marie Cormier,
Charles et Daphné Picq,
ses enfants,
Thibault, Matthieu, Charlotte,
Léanne, Jeanne, Victoire, Marin,
Stanislas, Eliott, Mathilde, Vladimir,
ses petits-enfants,
Laurence Puel, Jean Cormier, Anne
Cormier,
ses frère et sœurs,
Les familles Cormier, Puel, Le Masne
de Chermont, Renault, Martin,
ont la tristesse de faire part du rappel
à Dieu, le 26 mars 2020, de
Michel CORMIER
professeur des Universités,
biologiste des Hôpitaux,
université Rennes 1.
Les obsèques seront célébrées
dans la plus stricte intimité familiale.
Une messe d’A-Dieu sera célébrée
ultérieurement.
Jean-Richard et Anne,
ses enfants
Laurent et Catherine, Fabrice
et Maite, Raphaële,
ses petits-enfants,
Réjane, Juliette, Olivier et Audrey,
ses arrière-petits-enfants,
Danièle et Pierre-Richard Cytermann,
ses neveux,
Betty Cytermann,
sa belle-sœur,
ont la grande tristesse de faire part
de la mort de
Sam CYTERMANN,
pensionnaire
à l’Institut national des Invalides,
commandeur
dans l’ordre national des Palmes
académiques,
évadé du convoi
qui l’emmenait vers Auschwitz,
décédé le 30 mars 2020,
dans sa cent unième année.
Ils rappellent le souvenir de son
épouse,
Jacqueline CYTERMANN,
décédée en 1987
et de sa compagne,
Odile VALADE,
décédée en 2010.
Les obsèques auront lieu dans
l’intimité familiale.
Jean-Richard et Anne Cytermann,
5, rue Marie-Davy,
75014 Paris.
jrcytermann@aol.com
Le président,
Le conseil d’administration,
Le personnel
de la Fondation Jeunesse Feu Vert,
ont la tristesse de faire part du décès
de
Jean-Pierre DUFOUR,
avocat honoraire,
ancien membre
du Conseil de l’Ordre,
ancien secrétaire
de la Conférence des avocats
du barreau de Paris,
officier de la Légion d’honneur,
chevalier de l’ordre de Dannebrog
(Danemark),
ancien vice-président
de la Fondation Jeunesse Feu Vert.
Il a été inhumé ce mercredi 1 avril
er
2020, dans la plus stricte intimité
familiale.
Jean-Pierre Dufour a participé à
la création de la Fondation pour
laquelle il n’a ménagé ni son temps
ni sa peine pendant près de
cinquante ans. Sa rigueur morale,
ses conseils toujours judicieux,
sa chaleur humaine, son amitié et
sa disponibilité sans limite nous ont
immensément aidés.
Ils s’associent à la peine de sa
famille et de ses proches.
34, rue de Picpus,
75012 Paris.
Sa famille,
Ses amis,
ont la tristesse d’annoncer le décès
de
Annie ECHENOZ,
survenu à Gordes, le 27 mars 2020,
à l’âge de quatre-vingt-dix ans.
Dominique et Olivier,
ses enfants,
Léo, Paula et Victor,
ses petits-enfants,
Régine Welsch,
Parents et alliés,
ont la tristesse de faire part du décès
de
M. Gilbert FISCHBACH,
officier
de l’ordre national du Mérite,
survenu à Nice, le 27 mars 2020,
à l’âge de quatre-vingt-huit ans.
Ses obsèques se dérouleront dans
la plus stricte intimité.
Paul, Pierre, Marie-Anne,
ses enfants
et leurs conjoints, Fani et Pascal,
Simon, Félix, Louis, Nicolas et Anaïs,
ses petits-enfants,
ont la tristesse de faire part du décès
de
Paul GENDROT,
ingénieur général
des Ponts et Chaussées,
officier de la Légion d’honneur,
commandeur
dans l’ordre national du Mérite,
survenu le 30 mars 2020,
à l’âge de quatre-vingt-dix-neuf ans.
Les obsèques auront lieu dans
la plus stricte intimité familiale.
p.gendrot@wanadoo.fr
Stéphane et Maria Gouazé,
son fils et sa belle-fille,
Maia et Artur,
sa petite-fille et son petit-fils,
Caroline Gouazé,
sa belle-fille,
Marion,
sa petite-fille
et Koo,
James,
son arrière-petit-fils,
Louisette et Louis Roudot,
sa sœur et son beau-frère,
Anne-Marie,
sa nièce
et Olivier,
Nathalie,
sa nièce,
Théo et Alan,
ses petits-neveux,
L’ensemble de sa famille,
ont la douleur
de faire part du décès du
professeur André GOUAZÉ,
doyen de la Faculté de médecine
de Tours
de 1972 à 1994,
commandeur
de la Légion d’honneur,
grand officier
de l’ordre national du Mérite,
survenu le 25 mars 2020,
dans sa quatre-vingt-treizième année.
La cérémonie religieuse et
l’inhumation auront lieu dans
l’intimité familiale, à Saint-Cyr-sur-
Loire.
Une messe en son souvenir sera
célébrée ultérieurement.
M. Philippe Vendrix,
président de l’université de Tours,
M. Patrice Diot,
doyen de la Faculté de médecine
de Tours,
président de la Conférence nationale
des doyens de médecine,
M me Marie-Noëlle Gerain-
Breuzard,
directrice générale du Centre
hospitalier universitaire de Tours,
M. Frédéric Patat,
président de la Commission médicale
d’établissement,
Les personnels,
Les étudiants
Ainsi que tous les membres de la
communauté hospitalo-universitaire,
ont la tristesse de faire part du décès
du
professeur André GOUAZÉ,
doyen
de la Faculté de médecine de Tours
de 1972 à 1994,
président de la conférence
nationale des doyens de médecine
de 1980 à 1994,
président fondateur
de la CIDMEF,
ancien chef
du Service de neurochirurgie
au CHU de Tours,
commandeur
de la Légion d’honneur,
grand officier
de l’ordre national du Mérite.
0123
JEUDI 2 AVRIL 2020
Isabelle, Frédéric et Jean-François
Pitchal,
ses enfants,
Alice, Jean-Baptiste, Benjamin,
Raphaël, Yann et Till,
ses petits-enfants,
Charles Hochman,
son frère,
ont la tristesse de faire part du décès
de
Frida HOCHMAN,
survenu le 29 mars 2020.
Elle sera inhumée au cimetière
parisien de Bagneux dans le carré
réservé aux familles originaires de
Piotkov (Pologne).
« Je leur dirais faites comme moi
ne lâchez jamais. »
Cet avis tient lieu de faire-part.
fpitchal@wanadoo.fr
Coline Klapisch, Cédric Klapisch
et Marianne Klapisch,
ses enfants
et leurs conjoints, Mario Nicolella,
Lola Doillon et Michel Fougère,
Cléa, Lucas, Aurélie, Pablo, Thaïs,
Emile, Prunelle et Romeo,
ses petits-enfants,
Liliane Klapisch-Mosès,
sa sœur,
Marcel et Fernand Klapisch,
ses frères,
Françoise Meyer,
Christiane Klapisch-Zuber
Et toute sa famille,
ont l’immense tristesse d’annoncer
le décès de
Robert KLAPISCH,
survenu le samedi 21 mars 2020,
à Paris, à l’âge de quatre-vingt-sept
ans, des suites d’un malaise
cardiaque.
Une inhumation provisoire au
cimetière de Thiais a eu lieu dans la
plus stricte intimité.
Une cérémonie sera organisée
ultérieurement au cimetière de
Genève, comme il l’avait souhaité.
Physicien, chercheur au CNRS,
puis au CERN, Robert Klapisch était
le président de la Fondation
« Partager le Savoir », convaincu qu’il
pouvait contribuer à « réparer le
monde ».
(Le Monde du 31 mars.)
M. François Fuseau
et le docteur
Marie-Christine Laffont-Fuseau,
Renan, Michel-Virgile, Guillaume
et leurs conjoints,
Mme Françoise Laffont-Mouline,
Emilien, Aude, Tristan-Aurel,
Pauline, Juliette
et leurs conjoints,
Me Pierre Haïk
et Me Jacqueline Laffont-Haïk,
Nathan et Benjamin,
ses enfants et petits-enfants,
Titouan, Noa, Sixtine, Sian,
ses arrière-petits-enfants,
Le docteur et Mme
Dominique Dantoine,
M. et Mme Jean-Paul Cheneaux,
ses neveux et nièces
et leurs enfants,
M. (†) et Mme François Baurens,
Mme Simone Baurens,
M. Jean-Pierre Baurens,
M. Bernard Morel,
M. et Mme Yves Baurens,
ses beaux-frères et belles-sœurs,
ont la douleur de faire part du décès
de
Jean LAFFONT,
commissaire en chef (h.) de la marine,
chevalier de la Légion d’honneur,
ancien directeur général
de Servair (1972-1989),
ancien président
de l’Association nationale
des commissaires de la marine
(1989-1992),
survenu le 28 mars 2020, à Paris.
Ils rappellent à votre souvenir
son épouse,
Yvette LAFFONT,
née BAURENS,
décédée le 21 octobre 1980.
En raison des circonstances, la
cérémonie religieuse aura lieu dans
l’intimité familiale et sera suivie de
l’inhumation dans le caveau de
famille, au cimetière du Père-
Lachaise, Paris 20e.
Tous ceux qui lui portent estime
et amitié auront à cœur de participer
à une messe ultérieure, en l’église
Saint-François-Xavier, Paris 7e.
Alain Rouquié
président de la Maison de l’Amérique
latine,
a la tristesse d’annoncer la
disparition, le 26 mars 2020, de
André LARQUIÉ,
vice-président,
qui a consacré sa vie aux cultures du
monde.
Un hommage lui sera rendu
ultérieurement.
0123
JEUDI 2 AVRIL 2020
Pierre Vinde,
son époux,
Guillaume et Bertrand Chevallet,
ses enfants
et leurs épouses,
Ses frères et sœurs,
Rickard Vinde et Cecilia Vinde
Scherdin,
ont la tristesse d’annoncer le décès
de
Lise LE COEUR,
artiste peintre,
survenu le 29 mars 2020.
Vu la situation, les obsèques
auront lieu dans l’intimité.
15, rue Méchain,
75014 Paris.
Caroline et Pierre,
ses enfants,
Paul, Annah, Lucie, Samuel,
ses petits-enfants,
Sasha,
son arrière-petit-fils,
Jean et Françoise,
son frère et sa belle-sœur,
ont la grande tristesse de faire part
du décès de
Claudine LEHMAN,
survenu le dimanche 29 mars 2020,
dans sa quatre-vingt-neuvième année.
Les obsèques ont eu lieu dans
l’intimité.
carolumbroso@neuf.fr
lumbroso.avocat@gmail.com
Meylan (Isère).
Marie-France Lhomme,
son épouse,
Patrick Lhomme,
Sophie et Frédéric Moreau,
ses enfants,
Louison et Morgane Moreau,
ses petits-enfants,
font part du décès de
M. Jean LHOMME,
survenu le 20 mars 2020.
La cérémonie a eu lieu dans
l’intimité.
Le président de l’université Paris II
Panthéon-Assas,
Ses collègues,
L’ensemble du personnel,
ont la tristesse de faire part du décès
de
Philippe MALINVAUD,
professeur émérite de l’université.
Ils s’associent à la douleur de
sa famille et de ses proches auxquels
ils présentent leurs plus sincères
condoléances.
Jean-Pierre et Claudie Mouscadet,
Bernard et Angela Mouscadet,
Marc et Orathay Mouscadet,
ses fils et leurs épouses,
Suzanne Drugeon,
sa sœur,
Ses huit petits-enfants,
Ses dix-neuf arrière-petits-enfants,
ont la grande tristesse de faire part
du décès de
Renée MOUSCADET,
née GLAUSER,
survenu paisiblement le 28 mars
2020, à son domicile à l’âge de cent
trois ans.
Compte tenu des circonstances
actuelles, une cérémonie du souvenir
sera célébrée ultérieurement.
Nous sommes priés de faire part
du décès de
Jean-Pierre OUSTEN,
survenu le 13 mars 2020, dans sa
cinquante et unième année, lors
d’un accident de la route.
Ses obsèques auront lieu le jeudi
2 avril, dans la plus stricte intimité
familiale.
Cet avis tient lieu de faire-part.
Chantal Pasini-Picard,
son épouse,
Alessandra, Juliette,
ses filles
et leurs compagnons, Gilles
Antoine,
Joachim et Anouk,
ses petits-enfants,
ont la tristesse de faire part du décès,
le 27 mars 2020, dans sa quatre-
vingt-sixième année, de
Mario PASINI,
éditeur et libraire,
homme de culture,
gentleman vénitien
et rameur de mascaretà,
homme à chapeau,
fin jardinier, bricoleur hors-pair…
12, place de la République
92220 Bagneux.
chantal.pasini@orange.fr
La famille de
Agnès Nelly Svetlana PIVOT
a la douleur d’annoncer son décès,
survenu à Genève, le 27 mars 2020,
à l’âge de soixante-dix ans.
L’Académie des Inscriptions et
Belles-Lettres
a le très profond regret de faire part
du décès, survenu à Angers, le
29 mars 2020, de
M. Francis RAPP,
membre de l’Institut,
historien médiéviste,
spécialiste
du Saint-Empire romain
germanique,
de la Réforme
et de l’histoire de l’Alsace,
chevalier de la Légion d’honneur,
commandeur
de l’ordre national du Mérite,
commandeur
de l’ordre des Palmes académiques,
ancien pensionnaire
de la Fondation Thiers,
agrégé d’histoire, docteur ès lettres,
professeur émérite
à l’université de Strasbourg.
Dominique,
son épouse,
Xavier, Nicolas et Benoît,
ses enfants,
Manon, Simon, Valentin, Juliette,
Pauline, Maxime et Thomas,
ses petits-enfants,
ont la tristesse de faire part du décès
de
Alain RAVEL
(1942-2020),
survenu le 26 mars 2020, à Nîmes.
M Mechtild Ricketts,
me
née Freiin von Weichs,
son épouse,
Mme Janine Ricketts,
sa fille,
M. Nikolaus Ricketts,
son fils,
Mme Catherine Marcel,
née Ricketts,
sa fille
et son époux, François,
Parents
Et alliés,
ont la tristesse de faire part du décès
de
M. Henry Martin RICKETTS,
survenu à Monaco, le 27 mars 2020.
Les obsèques ont eu lieu, à La
Doire, commune de Seranon (Alpes-
Maritimes), dans l’intimité familiale.
Jean et Marc Sève,
Elyette Sève-Maure,
Monique Bouet-Sève,
Isabelle Alcazar,
Laurène, Anne-Lise, Caroline, Laure,
Mélina, Mathilde, Hugo Sève, Grégoire
Bouet,
Robert et Jacqueline Sève, Nicole
et Phil, Mireille, Claude et Nicole
et leurs enfants,
Paul et Maëlys Lemaitre, Marianne
Guille, Antoine Billot, Swan et Lisa
Piatecki, Léonard et Victor Billot,
Cécile, Didier, Baptiste et Marjolaine
Tournaire,
Marie-Madeleine Giraud-Guille,
Manon et Mathieu Collignon
et leurs enfants, Thomas Guille,
Maryse et Emmanuel Guille,
leurs enfants et petits-enfants,
Myriam Guille, Jean-Charles Bernard
et Tenzing,
Les familles Sève, Guille, Bouet,
Alcazar et Maure,
ont la douleur de faire part du décès
de
Lucien SÈVE,
professeur agrégé de philosophie,
normalien,
ancien directeur
des Editions sociales,
et
ancien membre
du Comité consultatif national
d’éthique,
survenu à l’âge de quatre-vingt-
treize ans, des suites du Covid-19.
Il a été incinéré sans témoins
au crématorium de Clamart, le lundi
30 mars.
Un hommage lui sera rendu
ultérieurement.
Cet avis tient lieu de faire-part et
de remerciements.
(Le Monde du 26 mars.)
Jacques Georges Sacuto,
son mari,
Gilles Sacuto, Françoise Berrebbi,
ses enfants
et leurs conjoints, Miléna Poylo,
Pierre Berrebbi,
Nathan Berrebbi, Joseph Sacuto,
Anna Sacuto, Dan Berrebbi,
ses petits-enfants
Et toute sa famille,
ont la tristesse de faire part du décès
de
Denise Henriette SACUTO,
née SITRUK,
survenu le 27 mars 2020,
à l’âge de quatre-vingt-six ans.
Elle aimait étudier et transmettre.
Une cérémonie de souvenir sera
organisée ultérieurement.
115, avenue du Maine,
75014 Paris.
Mme Agnès Thoumieu,
M. Marc Thoumieu,
ses enfants,
Pierre-Alexis et Constance,
ses petits-enfants,
Sa famille et ses proches,
ont la douleur de faire part du décès
de
M. Robert THOUMIEU,
survenu à Saint-Germain-en-Laye,
le 24 mars 2020,
à l’âge de quatre-vingt-sept ans.
Marie-Laure Godefroy,
sa compagne,
Florence Cornillot,
sa fille,
Emmanuel et Véronique Cornillot,
son fils et sa belle-fille,
Antoine, Astrid et Raphaëlle,
ses petits-enfants,
ont la grande tristesse de faire part
du décès de
Michel TIBON-CORNILLOT,
philosophe,
enseignant-chercheur
à l’EHESS,
survenu le 28 mars 2020, à Paris.
emmanuel.cornillot@free.fr
Condoléances
Jean-Luc Martinez,
président du Louvre
Et les équipes du musée,
apprennent avec tristesse le décès de
Patrick DEVEDJIAN,
président
du Conseil départemental
des Hauts-de-Seine.
Il était membre du conseil
d’administration du musée ainsi que
vice-président de la société des Amis
du Louvre.
Le musée salue son engagement
en faveur de la Culture et s’associe
à la douleur de sa famille et de ses
proches.
Anniversaires de décès
En mémoire de mon père
Georges CHAUMETTE,
28 février 1909 Villers-Cotterêts,
2 avril 1980 Martigues.
A perir tot entier que serviriá de naisser !
En morent regrilham.
L’òme, quand dispareisse va puplar
leis estèlas au fons dau firmament !
À périr tout entier, à quoi cela
servirait-il de naître ?
En mourant, nous regermons.
L’Homme, lorsqu’il disparaît,
va peupler
les étoiles au fond du firmament !
Pas à pas, ton absence s’est faite
présence. C’est elle qui, depuis,
m’accompagne sur mon chemin
d’étoiles.
Le 2 avril 2010, il y a dix ans,
Catherine
GENTHON PAILLIART
s’en allait au terme d’une longue
maladie qu’elle affrontait avec
courage.
La tendresse avec laquelle elle nous
entourait nous manque tellement.
Sa famille
Et ses amis.
carnet | 23
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Lecteurs
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24 | télévision
Un savoureux marivaudage 2.0
La pétillante websérie d’Arte revient pour une deuxième saison en six volets inégale mais addictive
ARTE.TV
À LA DEMANDE
WEBSÉRIE
E
n cette période de petite
disette télévisuelle, où
nombre de programmes
alléchants sont reportés,
annulés, écourtés, il est plus que
temps de se tourner vers les offres
en replay, et notamment celles
d’Arte qui, en plus de proposer des
programmes sur de (très) longues
durées, en produit également
quelques­uns visibles unique­
ment en ligne. Parmi eux, la web­
série Il revient quand Bertrand ?
est notre préférée du moment. Et,
bonne nouvelle, la saison 2 a été
mise en ligne par la chaîne franco­
allemande le 10 mars, à temps
pour le début du confinement.
Après une saison 1 en forme de
rupture sur le mode « mais on
avait rompu ! » (les fans de Friends
comprendront), on retrouve donc
avec plaisir Bertrand (Bertrand
Usclat, bien connu des milléniaux
pour « Broute », ses vidéos parodi­
ques de « Brut », sur Canal+), et
Magali (Louise Coldefy), en train
de soigner chacun sa dépression
postséparation. Leur ami com­
mun, Gus (Vincent Debost), an­
cien militaire porté sur l’espion­
nage par webcams et smartpho­
nes, prête une oreille compatis­
sante à leur tristesse et dispense
d’hilarants conseils pour les aider
« 3 h 10 pour Yuma », remake réussi pour western culte
James Mangold livre une nouvelle version du film de Delmer Daves (1957), servie par Christian Bale et Russell Crowe
FRANCE 3
JEUDI 2 - 21 H 05
FILM
U n célèbre chef de gang
est arrêté après une san­
glante attaque de dili­
gence et placé une journée en cel­
lule avant son transfert à la gare,
où un train doit l’emmener pour
être jugé à Yuma. Le shérif re­
crute des adjoints pour l’aider à
résister aux assauts de la bande
du gangster. Menacé de ruine à la
suite d’une sécheresse qui a dé­
vasté ses terres, un fermier se
GRILLE N° 20 - 079
PAR PHILIPPE DUPUIS
1 2 3 4 5 6
I 4
II
III
IV
V tion à eux en jetant l’eau. Entre Cas-
VI
VII
VIII
IX
X des réactions. 3. Agréable à côtoyer.
SOLUTION DE LA GRILLE N° 20 - 078
HORIZONTALEMENT I. Plateau-repas. II. Libérateur. III. Utile. Ameute.
IV. Mime. Thé. Tel. V. Age. Ae. Ta. Tt. VI. Siègent. Igue. VII. SE. Erailla.
VIII. IUT. INRA. Dos. IX. Esthète. Mine. X. Recensements.
VERTICALEMENT 1. Plumassier. 2. Litigieuse. 3. Abîmée. TTC. 4. Télé. Gê.
Hé. 5. Ere. Aérien. 6. Aa. Tenants. 7. Utah. Tirée. 8. Remet. La. 9. Eue. Ail.
Me. 10. Prut. Gadin. 11. Têtu. Ont. 12. Sveltesses.
Bertrand Usclat (debout) et Vincent Debost dans « Il revient quand Bertrand ? ». MARCELANGE MICHAU
à retrouver l’amour, ou tout au
moins un compagnonnage va­
guement sensuel. Ces premiers
épisodes sont les meilleurs.
Après quelques médiocres ren­
dez­vous, Magali finit par se rési­
gner à passer ses soirées en py­
jama à manger des burgers, tandis
que Bertrand tente un coup classi­
que : rappeler une ex­copine, As­
trid. Curieusement, ça fonctionne.
porte volontaire. En dépit de
toutes les menaces, de la suren­
chère financière que lui offre le
bandit, et au péril de sa vie, c’est
lui qui sera prêt à aller jusqu’au
bout de sa mission.
Il s’agit du remake de l’un des
meilleurs westerns des années
1950. Signée par Delmer Daves
en 1957, cette adaptation d’une
nouvelle d’Elmore Leonard deve­
nait une œuvre lyrique exaltant
la nature, une belle histoire
d’amour entre le hors­la­loi et
une serveuse de bar, et une
splendide réflexion sur la no­
7 8 9 10 11 12
Les deux tourtereaux roucoulent.
Un peu trop bruyamment au goût
de Magali, qui fait alors appel aux
talents d’espion de Gus, moins
pour reconquérir Bertrand que
pour s’assurer que cette amouret­
te­là ne vaut pas tripette. On l’aura
deviné, bien mal lui prendra.
Comme dans la saison 1, l’intri­
gue tourne autour de l’amour
2.0 et de ses multiples instru­
blesse morale, fût­elle à contre­
courant des canons sociaux.
La version de James Mangold
fait l’objet d’un relookage mytho­
logique (Sergio Leone est passé
par là, avec ses costumes pous­
siéreux), d’une inflation de péri­
péties et d’une surenchère de
cadavres. Deux thèmes nou­
veaux y sont développés, judi­
cieusement : le rôle des milices
locales appointées par les
compagnies de chemins de fer, et
donc l’influence des lobbys pri­
vés dans la manière dont s’exerce
la justice ; et la confrontation
HORIZONTALEMENT
I. Réduire brutalement. II. Dépour-
vues de sens et de valeur. Mieux vaut
éviter de la chercher. III. Accompagne
les volailles sur les tables du Canada.
En neuvième position artistique. Bon
à ronger. IV. Joueur de syrinx, semeur
de trouille. Manifestèrent leur hu-
meur. V. Petite Valachie. Assure la liai-
son. VI. Du seigle dans le whisky. Pra-
tique l’ouverture pour en savoir plus.
VII. Fait tomber les têtes couronnées.
Evite les coups de soleil. VIII. Atten-
pienne et océan Indien. IX. Réfléchit
en pleine lumière. Dieu de la force
chez les Gaulois. Aux bouts du port.
X. Remet au travail.
VERTICALEMENT
1. Risque de s’évanouir et de dispa-
raître. 2. Sa seule présence déclenche
Gros chez Donald. 4. Le parti de Man-
dela. Refus formel. 5. Henri IV, Por-
thos et Bayrou. 6. Support de char-
pente. Trottent en tête. Interjection.
7. Subisse un grand coup de froid.
8. République fédérale en Asie. Per-
sonnel. Cité mésopotamienne.
9. Saint de la Manche. Boucha les
trous. 10. Mesure à Pékin. Approvi-
sionne en eau salée. 11. Sur la rose.
Belle à croquer. 12. Très limitée.
ments : réseaux sociaux, messa­
geries instantanées, applications
de rencontres… « Ghosting »,
« stalkin », « swipe » (que Gus pro­
nonce « swiiiip » avec beaucoup de
sérieux, ce qui rend la blague assez
drôle), toute la palette des néolo­
gismes y passe, ce qui peut avoir
un effet rédhibitoire sur les plus
de 40 ans (voire moins). Mais cette
surenchère est parfaitement assu­
père­fils, qui débouche sur un
face­à­face poignant entre le
fermier, considéré comme un
moins que rien dans sa famille,
et son fiston découvrant que son
père se conduit en héros.
James Mangold est assez fidèle
à Delmer Daves dans l’évocation
de la relation, teintée de respect,
entre l’honnête père de famille et
l’aventurier sans foi ni loi, le
premier étant interprété par un
impressionnant Christian Bale, le
second par un Russell Crowe
bonasse et rigolard. Mais c’est
lors de la dernière scène, celle au
SUDOKU
N°20­079
8 1 7
1 9
4 6 2 3 par
Réalisé par Yan Georget (https://about.me/yangeorget)
DES RELIGIONS
MARS-AVRIL 2020 N° 100
mée par les auteurs, ce qui ne fait
qu’ajouter au comique de la série.
Il revient quand Bertrand ?
prouve encore qu’Hitchcock avait
raison : « Boy meets girl » (« Un gar­
çon rencontre une fille ») suffit à
faire un scénario, pour peu que les
dialogues soient vifs et qu’ils
soient servis par des acteurs mali­
cieux et dégourdis. Ils sont le prin­
cipal atout de cette série drôle, at­
tachante.
Pause salutaire
Bertrand Usclat, binoclard aux
yeux clairs (et sosie brun de James
Van Der Beek, comme le dit avec
humour sa biographie sur Twit­
ter), est irrésistible dans son (pro­
pre) rôle. Ses acolytes sont tout
aussi charmants et habitent avec
conviction un décor fait de bouts
de ficelle. Même si les six épisodes
de cette saison 2 sont inégaux, ils
offrent une pause salutaire dans
une journée de télétravail ou
d’école à la maison. D’ailleurs, on
adorerait voir Bertrand et Magali
dans une saison 3 confinée. Avec
un peu de chance, les scénaristes
sont déjà en train d’y penser. 
audrey fournier
Il revient quand Bertrand ?, écrit
par Hélène Lombard et Julien
Sibony, réalisé par Guillaume
Cremonese. Avec Bertrand Usclat,
Louise Coldefy, Vincent Debost (Fr.,
2018, 6 épisodes de 12 à 22 min).
cours de laquelle le bandit est
conduit de sa cellule à la gare
dans une petite ville assiégée par
ses complices, 800 mètres à pied
sous la mitraille, que tout s’em­
balle. En matière de spectacle et
de suspense, le film peut justifier
le déplacement pour ce morceau
de bravoure. 
jean­luc douin
3 h 10 pour Yuma,
de James Mangold. Avec
Russell Crowe, Christian Bale,
Peter Fonda, Ben Foster
(EU, 2007, 122 min).
2 6 8 1 7 9
3 7 5 4 2 6
9 1 4 5 8 3
2 8 9 1 2 4 7 3
4 5 2 3 6 8
8 2 5 1 7 3 6 9 1 5
6 2 3 7 5 4
5 4 7 8 9 1
9 1 8 9 6 3 2 4
6 Moyen
Complétez toute la
3
grille avec des chiffres
6 4 1 7
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JEUDI  2  AVRIL
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Avec Jean Lefebvre, Aldo Maccione,
Pierre Mondy (It.-Fr., 1973, 95 min).
22.45 New York, unité spéciale
Série. Avec Christopher Meloni,
Mariska Hargitay (EU, 2006).
France 2
21.05 Coronavirus :
l’état d’urgence
Soirée spéciale présentée
par Elise Lucet et Jacques Cardoze.
23.30 Scan
Magazine présenté
par Patricia Loison.
France 3
21.05 3 h 10 pour Yuma
Film de James Mangold. Avec Russell
Crowe, Christian Bale, Ben Foster,
Peter Fonda (EU, 2007, 122 min).
23.15 Loin des quartiers nord
Documentaire de Benjamin Géminel
(Fr., 2017, 55 min).
Canal+
21.05 L’Amie prodigieuse
Série. Avec Gaia Girace, Margherita
Mazzucco, Giovanni Amura (It., 2020).
22.55 The Affair
Série. Avec Dominic West, Maura
Tierney, Jadon Sand (EU, 2019).
France 5
20.50 Du soleil et des hommes
Documentaire de François Barré
(Fr., 2018, 90 min).
23.25 C à vous
Magazine présenté
par Anne-Elisabeth Lemoine.
Arte
20.55 Dos au mur
Série. Avec Thomas Hwan,
Esben Smed, Maria Rich (Dan., 2019).
00.50 1864, amour et trahisons
en temps de guerre
Téléfilm d’Ole Bornedal.
Avec Sylvester Byder, Fanny
Leander Bornedal (Dan.-All., 2014).
M6
21.05 Why Women Kill
Série. Avec Lucy Liu,
Ginnifer Goodwin, Kirby
Howell-Baptiste (EU, 2019).
22.55 Good Girls
Série. Avec Christina Hendricks,
Retta, Mae Whitman, Matthew
Lillard, Reno Wilson (EU, 2018).
0123 est édité par la Société éditrice
du « Monde » SA. Durée de la société :
99 ans à compter du 15 décembre 2000.
Capital social : 124.610.348,70 ¤.
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0123
JEUDI 2 AVRIL 2020
Douglas Kennedy
I
l y a une semaine, je me suis juré de
ne plus regarder les nouvelles à la
télé. Parce que j’en suis venu à la
conclusion qu’en temps de crise le
flot incessant de l’information conti­
nue devient un peu comme la roue
d’un hamster dans votre tête. Ça tourne
et tourne et tourne en vous submergeant
d’images d’un présent catastrophique, en
vous répétant indéfiniment ce que vous
savez déjà, en suscitant une panique exis­
tentielle tous azimuts. Et, comme la roue
du hamster, ça ne vous mène nulle part.
C’est le mythe de Sisyphe en version
électronique, exacerbé par notre époque
surconnectée.
Mais, il y a quelques jours, j’ai trahi ma
promesse lorsqu’un ami écrivain m’a en­
voyé un texto de New York : « Allume la
télé. Trump est en train de battre ses pro­
pres records de démence. »
Trente secondes plus tard, j’étais planté
devant le seul et unique poste de télé de
ma maison dans le Maine (où je suis
« confiné », pour utiliser ce nouveau
terme à la mode, avec ma fille de 23 ans,
Amelia, et son petit ami, Zach, depuis que
l’épidémie a déferlé sur nos vies). Et là, sur
CNN [reprenant Fox News], pérorait ce bo­
nimenteur de promoteur immobilier re­
converti en star de la télé­réalité puis en
chef nominal du prétendu monde libre.
En l’occurrence, on aurait dit un anima­
teur de jeu télévisé très mal maquillé et
encore plus mal perruqué. Il s’efforçait de
rassurer la nation en affirmant que cet
épisode viral serait balayé par les vents
d’ici au dimanche de Pâques [le 12 avril].
D’ailleurs, il espérait bien que les églises
aux quatre coins du pays seraient com­
bles lors de cette célébration annuelle de
la résurrection du Christ après son mau­
vais quart d’heure sur la croix.
Même à l’aune des critères de la folie
trumpienne, cette déclaration était totale­
ment irrationnelle. Trump est un New­
Yorkais. Moi aussi. Or, l’avancée implaca­
ble du Covid­19 a fait de notre ville natale
commune l’épicentre américain du virus,
avec un nombre de cas qui double tous les
trois jours. Le gouverneur de l’Etat de New
York, Andrew Cuomo – dont la voix revêt
un réalisme rageur et un puissant lea­
dership local en ces temps vertigineux –,
avertissait ce même jour de l’imminence
d’une catastrophe sanitaire pour la ville.
Et expliquait que New York avait besoin de
30 000 respirateurs artificiels mais n’en
possédait que 400 et attendait les 7 000
promis par le gouvernement fédéral. Tout
comme il déclarait que les 3,8 milliards de
dollars [environ 3,5 milliards d’euros] affec­
tés à New York dans le plan d’urgence du
Sénat étaient insuffisants, compte tenu
de la dévastation qui était en train de
s’abattre sur la ville. C’étaient, selon lui,
15 milliards qu’il fallait.
Mais le plus fascinant dans le fantasme
pascal de Trump est la façon dont il ci­
blait astucieusement les évangéliques
agitateurs de Bible qui ont adopté cet
homme des plus farouchement vénal et
dévergondé comme un de leurs compa­
gnons de croisade. Trump a eu pour maî­
tresses des stars du porno, dont l’une a ra­
conté que le sexe avec lui « était les pires
quatre­vingt­dix secondes de [sa] vie ».
Trump traite les femmes comme des ob­
jets jetables. Mais Trump s’est présenté
Le capitalisme américain
s’effondrera-t-il comme
un château de cartes
quand le Covid-19 sera dompté ?
L’auteur de « La Poursuite du bonheur »,
confiné dans le Maine, explique ce que
le désastre sanitaire et politique en cours
aux Etats­Unis doit à Donald Trump et,
avant lui, à quarante ans de conservatisme
social et de libéralisme économique
aux élections de 2016 en tant que conser­
vateur social. Et il a choisi pour vice­prési­
dent Mike Pence : un fondamentaliste
chrétien, homophobe et antiféministe
avoué, qui a la « charmante » habitude
d’appeler son épouse « Mère ».
Le choix de Pence était un coup de gé­
nie, permettant de rallier la base évangé­
lique à la cause de Trump. Et l’histoire
d’amour de cette dernière avec cet enjô­
leur invétéré aux accents chrétiens dou­
teux atteignit de nouveaux sommets
lorsqu’il nomma à la Cour suprême deux
juges profondément conservateurs : Neil
Gorsuch et Brett Kavanaugh, accusé
d’agression sexuelle. Ces hommes ne se
cachent pas d’être contre l’avortement, et
la majorité républicaine à la Cour signifie
désormais que l’arrêt Roe v. Wade – rendu
en 1973 par la Cour suprême et légalisant
l’avortement au niveau national – pour­
rait être renversé dans les années à venir.
Or, l’éradication de Roe v. Wade est le
Saint­Graal des évangéliques dans la
guerre culturelle qui divise les Etats­Unis
depuis 1968.
A vrai dire, le besoin qu’a eu Trump de
lier Pâques à la promesse d’une renais­
sance commerciale était un clin d’œil as­
sumé aux chrétiens blancs conservateurs
qui ont contribué à le faire élire contre
toute logique il y a presque quatre ans et
qui resteront fidèles à cet homme qu’ils
savent être un parfait hypocrite si la pro­
chaine élection a bien lieu en novembre
de cette année (mais comme tout est su­
jet à annulation ces temps­ci, je ne serais
pas surpris que cet ultime symbole de
choix démocratique soit également sus­
pendu sous peu).
Mépriser les choses de l’esprit
Cependant, c’était aussi un rappel que,
même dans ce moment de grave crise
mondiale – laquelle a révélé l’imprépara­
tion totale du gouvernement fédéral
américain pour aider ses citoyens à survi­
vre à ce « crépuscule des dieux » virologi­
que –, Trump continuait à cultiver dans
notre discours national les profondes di­
visions qu’il a lui­même allègrement am­
plifiées et aggravées.
Petite leçon d’histoire : Richard Nixon a
remporté la Maison Blanche en 1968 grâce
à sa « stratégie du Sud » fondée sur la haine
des Etats du Sud contre la législation des
droits civiques (qui garantissait les droits
des Afro­Américains en tant que citoyens
égaux dans le corps politique national),
votée par le Congrès sous l’impulsion du
démocrate texan Lyndon Johnson. Nixon
avait également joué sur la peur qu’inspi­
raient aux mâles blancs les minorités, les
femmes, les radicaux et les hippies prô­
MÊME DANS CE
MOMENT DE GRAVE
CRISE MONDIALE,
TRUMP CONTINUE
À CULTIVER DANS
NOTRE DISCOURS
NATIONAL
LES PROFONDES
DIVISIONS QU’IL
A ALLÈGREMENT
AMPLIFIÉES
ET AGGRAVÉES
Douglas Kennedy est écrivain.
Ce New-Yorkais d’origine (né
en 1955, il a grandi dans l’Upper
West Side) a commencé à écrire
pour le théâtre, avant de composer
son premier livre – un récit de
voyage – tout en menant une car-
rière de journaliste. Après Cul-de-
sac (1994), il connaît son premier
grand succès public et critique avec
L’Homme qui voulait vivre sa vie
(1998). Suivront Les Désarrois de
Ned Allen (1999), qui boucle une
trilogie de thrillers psychologiques,
puis La Poursuite du bonheur
(2001), qui l’installe définitivement,
en Europe, comme un auteur de
best-sellers. Après La Symphonie
du hasard (2017-2018) – triptyque
familial dans l’Amérique des
années 1970-1980 –, son prochain
roman, Isabelle, l’après-midi,
devrait paraître en mai ou juin.
IDÉES
nant l’amour libre (on était en 1968, après
tout), affirmant qu’il existait aux Etats­
Unis une « majorité silencieuse » qui reje­
tait le progressisme éduqué de New York,
de la Californie et des grandes villes du
Nord. Il dénigrait aussi publiquement tout
ce qui pouvait être perçu comme intellec­
tuel et cultivé (bien qu’il fût en privé fan de
jazz et historien amateur).
Mépriser les choses de l’esprit est une
vieille habitude américaine… surtout
parmi les populistes. Ronald Reagan à
son tour courtisa la droite chrétienne
en 1980, laquelle acquit soudain un im­
mense capital politique durant sa pré­
sidence. Et les deux Bush – Junior étant
devenu un « born again » pour guérir de
son alcoolisme – donnèrent également
aux évangéliques ce qu’ils voulaient.
Ainsi Trump parlait­il à sa base quand il
a joué la carte du « retour au boulot pour
Pâques ». Tout comme il essayait de
convaincre Wall Street et les grandes en­
treprises que le « business as usual »
n’était pas loin. Quelques heures avant
d’écrire cet article, j’ai eu au téléphone
une amie de l’Institut Pasteur, à Paris. Elle
m’a dit : « Notre état actuel de confine­
ment, de fermeture des frontières, d’arrêt
de la vie quotidienne (à part pour les stricts
besoins alimentaires ou médicaux) du­
rera, au mieux, six semaines supplémen­
taires… et encore, c’est l’estimation opti­
miste. » Les dégâts économiques vont
être colossaux. Et avec la dévastation fis­
cale viendra la dévastation personnelle.
Aux Etats­Unis – où il ne reste presque
plus rien du filet de protection sociale
après des décennies de coupes, et où
l’Obamacare est un système de santé na­
tional largement inadéquat (bien qu’es­
sentiel) –, le cauchemar qui attend des
millions de personnes sera terrible.
L’espoir d’un New Deal
Depuis le reaganomics [la politique éco­
nomique libérale du président Reagan]
des années 1980, la classe moyenne amé­
ricaine, autrefois prospère et stable, a été
détruite. Mon île natale de Manhattan
était jadis habitée par des familles des
classes populaires (je suis bien placé
pour le savoir, ayant grandi dans une fa­
mille de quatre dans un appartement de
60 m2). A présent, Manhattan n’est acces­
sible qu’aux nantis. Pour être un jeune
artiste dans n’importe quelle grande
ville américaine aujourd’hui, il faut soit
être rentier, soit avoir deux ou trois jobs
à la fois. Et, dans les Etats­Unis profonds,
la lutte pour la survie économique est
rude dans le contexte de la monoculture
hypermercantile.
Le capitalisme américain s’effondrera­
t­il comme un château de cartes quand le
Covid­19 sera dompté ? Mes amis de la
gauche américaine voient un espoir dans
le carnage imminent ; l’espoir qu’il
puisse provoquer un revirement de pen­
sée radical, un New Deal, afin de sortir le
pays d’une immense dépression. Bien
entendu, j’adorerais moi aussi assister à
une telle volte­face nationale. Tout
comme j’ai regardé avec consternation la
majorité républicaine au Sénat essayer
de tordre le plan de sauvetage des gran­
des multinationales aux dépens des tra­
vailleurs américains qui sont désormais
en chute libre économique.
| 25
Je ne vais pas jouer les savants politi­
ques et affirmer que le seul effet collatéral
positif du Covid­19 sera la mort de la
présidence Trump. Surtout qu’il est le
Raspoutine des politiciens modernes.
Vous vous souvenez comment ce charla­
tan mystique russe, atteint d’une balle
par les ennemis qui voulaient mettre un
terme à son infamie, réussit à se relever
et à leur bondir dessus ? Trump possède
la même résilience toxique. Etant donné
qu’il y a maintenant deux Amérique – qui
se détestent sincèrement –, il ne serait
pas étonnant que la base de Trump conti­
nue à le soutenir… même si cela suppose
de voter contre ses propres intérêts.
J’écris ces mots à quelques mètres d’un
littoral somptueux dans un Etat gouverné
par une femme progressiste formidable
(Janet Mills), où le mariage gay comme le
cannabis sont légalisés, où l’on trouve
autant de bière artisanale qu’on veut, des
merveilleux festivals de musique classi­
que, des cinémas d’art et essai, des univer­
sités prestigieuses et des restaurants bio.
Le Maine, tout au long de sa majestueuse
côte atlantique, incarne tout ce que nous,
Américains éduqués de gauche, chéris­
sons. De la même façon qu’il existe une
partie de l’Etat rurale, conservatrice, éco­
nomiquement rudoyée, qui vote Trump
et considère les habitants de la côte
comme l’incarnation de l’élitisme snob.
La guerre culturelle n’est jamais très loin
de votre porte dans l’Amérique contem­
poraine. Ni, désormais, la perspective de
terribles difficultés.
Juste avant de quitter New York, je suis
allé écouter un ami pianiste dans un petit
club de jazz. Divorcé, père de deux en­
fants, il vivote de concert en concert en
complétant ses revenus par des cours de
musique. « Nous sommes à quelques jours
d’un confinement général, m’a­t­il dit
autour d’un verre entre deux sets. Quand
ce sera le cas, les clubs de jazz seront fer­
més, mes élèves ne pourront plus venir
chez moi… et l’argent se tarira. En étant
pianiste à New York, je n’ai pas d’écono­
mies. Comment vais­je faire ? »
Je n’ai pas su quoi répondre à sa question
désespérée. J’ai pourtant entendu une
bonne douzaine de mes amis artistes se la
poser au cours des deux dernières semai­
nes, à New York et ailleurs. Même s’ils re­
çoivent une aide financière symbolique
du gouvernement fédéral, ils savent que,
lorsque l’Amérique reprendra le travail, ils
seront endettés jusqu’au cou. Et une fois
que le moratoire sur les expulsions sera
passé, ils risquent de se retrouver à la rue.
Grâce aux partisans de l’économie de
l’offre et aux adorateurs de Milton Fried­
man, qui ont dicté la politique fiscale
américaine depuis quarante ans, nous vi­
vons désormais dans une version high­
tech du capitalisme du XIXe siècle… ali­
mentée par un puissant sous­texte de
darwinisme social. Dans quelque temps,
quand nous serons tous poussière, je ne
serais pas surpris que les historiens du
futur écrivent : « Lorsqu’une menace vi­
rale invisible déferla sur le pays au début
de l’année 2020, elle montra avec une
clarté impitoyable à quel point le rêve
américain autrefois tant vanté était de­
venu moribond. » 
Traduit de l’anglais par Julie Sibony

26 | idées
Ne pas porter de masque
pour se protéger du coronavirus
est une « grande erreur »,
affirme un scientifique chinois haut placé
ENTRETIEN
L
es scientifiques chinois, en pre­
mière ligne de la lutte contre l’épi­
démie de coronavirus 2019 (Co­
vid­19) dans leur pays, ne sont
guère accessibles pour les médias
étrangers. Comprendre l’épidémie
et lutter contre elle est une tâche écrasante,
et répondre aux sollicitations de la presse,
et surtout à celles des journalistes hors de
Chine, n’est pas une priorité. Cela faisait
deux mois que Science tentait d’interroger
George Gao, le directeur général du Centre
chinois de contrôle et de prévention des
maladies. La semaine dernière, il a donné
suite [à la mi­mars].
George Gao est à la tête d’une agence de
2 000 employés (soit un cinquième des ef­
fectifs des Centers for Disease Control and
Prevention [son équivalent aux Etats­
Unis]), et il reste lui­même un chercheur
très actif. En janvier, l’équipe dont il faisait
partie a été la première à isoler et à séquen­
cer le SARS­CoV­2, ou coronavirus 2, du
syndrome respiratoire aigu sévère, qui
cause la maladie appelée Covid­19. Il est le
coauteur de deux études publiées dans la
prestigieuse revue New England Journal of
Medicine (NEJM) qui ont eu un large reten­
tissement : elles fournissaient pour la
première fois des aspects épidémiologi­
ques et cliniques détaillés de l’infection. Il
a aussi publié trois articles sur le Covid­19
parus dans [la revue scientifique médicale
britannique] The Lancet.
Son équipe a également apporté une
importante contribution à une mission
conjointe formée de chercheurs chinois et
internationaux qui, sous l’égide de l’Organi­
sation mondiale de la santé (OMS), a publié
un rapport décisif après avoir effectué une
tournée en Chine pour mieux comprendre
la réponse donnée à l’épidémie.
Après des études vétérinaires, George Gao
a obtenu un doctorat en biochimie à
Oxford et s’est spécialisé en immunologie
et en virologie comme postdoctorant dans
cette université britannique puis à Harvard.
Ses travaux de recherche portent sur les
virus à enveloppe (entourés d’une fragile
membrane lipidique protectrice), dont fait
partie le SARS­CoV­2, et leurs mécanismes
d’entrée dans les cellules et de transmission
interespèces. George Gao a répondu à nos
questions sur plusieurs jours et par divers
moyens (SMS ainsi que messagerie et con­
versations téléphoniques). L’entretien qui
suit en est le condensé, édité à des fins de
clarté et de concision.
Quels enseignements les autres pays
peuvent­ils tirer de la gestion
du Covid­19 par la Chine ?
La distanciation sociale est la stratégie
fondamentale dans le contrôle de toutes les
maladies infectieuses, et plus encore des in­
fections respiratoires. D’abord, nous avons
déployé des « stratégies non pharmacologi­
ques », dans la mesure où nous ne dispo­
sons d’aucun inhibiteur ou médicament
spécifique, ni de vaccin. Deuxièmement, il
faut faire en sorte d’isoler tous les malades.
Troisièmement, placer en quarantaine les
cas contacts : nous avons consacré beau­
coup de temps à leur identification et à leur
isolement. Quatrièmement, interdire tous
les rassemblements. Et, cinquièmement,
restreindre les déplacements, d’où l’instau­
ration de la quarantaine, ou « cordon sani­
taire », comme on dit en français.
Le confinement a débuté en Chine le
23 janvier à Wuhan puis fut étendu à
des villes voisines de la province du
Hubei. D’autres provinces chinoises
ont mis en place des mesures moins
strictes. Comment la coordination de
ces dispositifs s’est­elle faite, et quel
George Gao, le directeur général du Centre chinois de contrôle
et de prévention des maladies, a répondu aux questions
du journaliste Jon Cohen, qui le sollicitait depuis deux mois.
Dans cet entretien, publié par la revue américaine « Science »,
il revient notamment sur la gestion de la crise par la Chine
rôle les « contrôleurs » de quartier chargés
de surveiller leur application localement
ont­ils joué ?
Il faut avant tout que les mesures soient
comprises et fassent consensus. Pour cela, il
faut une forte volonté politique, aussi bien à
l’échelon local que national. Il faut que con­
trôleurs et coordinateurs impliquent étroite­
ment la population. Les contrôleurs doivent
connaître l’identité des cas contacts, mais
aussi des cas présumés. Les contrôleurs de
proximité doivent être très vigilants, leur
rôle est essentiel.
Quelles sont les erreurs commises
actuellement par d’autres pays ?
La grande erreur aux Etats­Unis et en
Europe est, à mon avis, que la population ne
porte pas de masque. Ce virus se transmet
par les gouttelettes respiratoires, de
personne à personne. Les gouttelettes
jouent un rôle très important, d’où la néces­
sité du masque – le simple fait de parler peut
transmettre le virus. De nombreux indi­
vidus atteints sont asymptomatiques, ou ne
présentent pas encore de symptômes : avec
un masque, on peut empêcher les gouttelet­
tes porteuses du virus de s’échapper et d’in­
fecter les autres.
Il existe d’autres mesures de lutte contre
l’épidémie. La Chine fait ainsi un usage
intensif des thermomètres à l’entrée des
commerces, des immeubles et dans les
stations des transports en commun. PERSONNE
En effet. Partout où vous allez en Chine, il y
a des thermomètres. La prise de température
N’AURAIT
généralisée permet de ne pas laisser entrer PU PRÉDIRE
quiconque présente de la fièvre. Car la stabi­
lité de ce virus dans l’environnement est une QUE CE VIRUS
question­clé, qui reste à ce jour sans réponse.
S’agissant d’un virus à enveloppe, on est ALLAIT
tenté de penser qu’il est fragile et particuliè­ ENTRAÎNER
rement sensible à la température ou à l’humi­
dité des surfaces. Cependant, des résultats UNE
obtenus aux Etats­Unis et des études chinoi­
ses laissent penser qu’il serait très difficile à PANDÉMIE.
détruire sur certaines surfaces. Il pourrait
être capable de survivre dans de nombreux
C’EST LA
environnements. Sur ce point, nous atten­ PREMIÈRE
dons des réponses scientifiques.
PANDÉMIE
A Wuhan, des personnes testées positives
mais peu atteintes par la maladie ont été
DE L’HISTOIRE
placées en quarantaine dans des infras­ QUI NE SOIT
tructures ad hoc, avec interdiction
de recevoir la visite de leurs proches. PAS CAUSÉE
Est­ce une démarche dont devraient
s’inspirer les autres pays ? PAR UN VIRUS
Les personnes infectées doivent être iso­ DE LA GRIPPE
lées. Le Covid­19 ne peut être enrayé qu’à con­
dition de faire disparaître les sources d’infec­
tion. C’est pour cela que nous avons construit
des hôpitaux de campagne et aménagé des
stades en hôpitaux.
De nombreuses questions demeurent
autour de l’émergence de la maladie en
Chine. Des chercheurs chinois font état
d’un premier cas apparu le 1er décem­
bre 2019. Que dites­vous de l’enquête du
« South China Morning Post » [quotidien
hongkongais] qui estime, sur la base d’un
rapport interne de l’Etat chinois, que des
cas s’étaient déclarés en novembre déjà,
avec un premier cas le 17 novembre ?
Il n’existe aucune preuve solide de l’existence
de foyers épidémiques dès le mois de novem­
bre. Nous poursuivons nos recherches pour
mieux comprendre les origines de la maladie.
Les autorités sanitaires de Wuhan ont
établi un lien entre de nombreux cas et le
marché de fruits de mer de Huanan,
qu’elles ont fait fermer le 1er janvier. Leur
hypothèse était qu’un virus s’était pro­
pagé chez l’homme à partir d’un animal
ayant été vendu, et peut­être découpé
aussi, sur ce marché. Dans votre article
paru dans la « NEJM » cependant, où vous
faites notamment un historique de la ma­
ladie, vous affirmez que quatre des cinq
premiers patients infectés n’avaient
aucun lien avec le marché de Huanan.
Considérez­vous ce marché comme
le berceau probable de la maladie,
ou bien comme une fausse piste, une
chambre d’amplification plutôt que
le foyer premier ?
C’est une excellente question. Vous tra­
vaillez comme un véritable détective. D’em­
blée, tout le monde a pensé que ce marché
était à l’origine de la maladie. Aujourd’hui, je
ne sais pas si c’est là que le virus est apparu,
ou seulement un endroit où il a trouvé à se
propager. Deux hypothèses subsistent, c’est à
la science de trancher.
La Chine a été critiquée également pour
avoir tardé à partager le génome du virus.
C’est le « Wall Street Journal » qui,
le 8 janvier, a rendu publique l’existence
d’un nouveau coronavirus ; l’information
n’est pas venue des équipes de chercheurs
de l’Etat chinois. Pourquoi ?
Le Wall Street Journal avait vu juste. L’OMS
avait été informée du séquençage, et je crois
que quelques heures seulement se sont écou­
lées entre la parution de l’article et l’annonce
officielle. Pas plus d’une journée en tout cas.
Pourtant, on peut voir dans une base de
données de génomes viraux en accès libre
que le premier séquençage proposé par
des scientifiques chinois date du 5 janvier.
Trois jours se sont donc écoulés pendant
lesquels vous saviez forcément qu’il
s’agissait d’un nouveau coronavirus.
Cela ne changera plus le cours de l’épidé­
mie aujourd’hui, mais il faut reconnaître
que quelque chose est arrivé avec l’an­
nonce du séquençage.
Je ne le crois pas. Nous nous sommes em­
pressés de partager l’information avec la
communauté scientifique, mais c’est un sujet
de santé publique, et nous devions donc
attendre l’annonce des pouvoirs publics.
Personne ne veut provoquer une panique,
n’est­ce pas ? Et personne, nulle part dans le
monde, n’aurait pu prédire que ce virus allait
entraîner une pandémie. C’est la première
pandémie de l’histoire qui ne soit pas causée
par un virus influenza [virus de la grippe].
Il a fallu attendre le 20 janvier pour que
des équipes chinoises déclarent officielle­
ment avoir des preuves d’une transmis­
sion interhumaine. Pourquoi, selon vous,
les épidémiologistes en Chine ont­ils eu
tant de mal à voir ce qu’il se passait ?
Nous n’avions pas encore de données épi­
démiologiques détaillées. Et nous étions
confrontés depuis le début à un virus violent
et sournois. C’est la même chose en Italie et
dans le reste de l’Europe, et aux Etats­Unis.
« C’est juste un virus », voilà ce que les scien­
tifiques, comme tous les autres, se sont dit
au début.
La propagation est aujourd’hui extrême­
ment ralentie en Chine, où les nouveaux
cas seraient pour l’essentiel importés.
Vous confirmez ?
Tout à fait. Pour l’heure, nous n’avons plus
de transmission locale, mais notre problème
vient désormais des cas importés. Un très
grand nombre de personnes infectées arri­
vent désormais en Chine.
0123
JEUDI 2 AVRIL 2020
Que se passera­t­il quand la vie normale
reprendra son cours en Chine ? Pensez­
vous qu’une part suffisante de la popula­
tion a été infectée pour qu’une immunité
collective éloigne le virus ?
L’immunité collective n’est pas encore at­
teinte, c’est une certitude. Mais nous atten­
dons des résultats plus probants des recher­
ches d’anticorps, qui nous diront exactement
combien de personnes ont été infectées.
Quelle stratégie, alors ? Gagner du temps
en attendant que des traitements efficaces
soient mis au point ?
Exactement, et nos scientifiques planchent
à la fois sur un vaccin et sur des médicaments.
Pour de nombreux chercheurs,
le remdesivir serait le plus prometteur
des médicaments actuellement à l’étude.
Quand pensez­vous avoir des résultats
d’essais cliniques pour la Chine ?
En avril.
Des équipes chinoises ont­elles mis en
place des modèles animaux suffisamment
solides pour l’étude de la pathogenèse et
les tests de médicaments et de vaccins ?
Pour l’heure, nous utilisons à la fois des sin­
ges et des souris transgéniques possédant des
récepteurs de l’ACE2, qui sont les points d’en­
trée du virus chez l’homme. La souris est un
modèle très largement utilisé en Chine dans
l’évaluation des traitements médicamenteux
et des candidats vaccins, et je crois que deux
études chez le singe devraient paraître pro­
chainement. Je peux vous dire en tout cas que
notre modèle simien est au point.
Que pensez­vous du nom de « China
virus », ou « Chinese virus » [virus de
Chine, virus chinois], employé par
le président américain Donald Trump
pour désigner le nouveau coronavirus ?
Parler de virus chinois est vraiment une
mauvaise idée. Ce virus vient de la planète
Terre. Il n’est pas l’ennemi d’un individu
ou d’un pays en particulier : c’est notre en­
nemi à tous. 
propos recueillis par jon cohen
Traduit de l’anglais par Julie Marcot
La référence exacte de cet article ini-
tialement paru dans la revue américaine
« Science » est : « Not wearing masks to pro-
tect against coronavirus is a ‘big mistake’,
top Chinese scientist says », Jon Cohen,
27 mars 2020, Science (doi : 10.1126/
science.abb9368), https ://www.science-
mag.org/news/2020/03/not-wearing-mas-
ks-protect-against-coronavirus-big-mistake-
top-chinese-scientist-says. Nous le
republions avec la gracieuse autorisation
de l’Association américaine pour l’avance-
ment des sciences (AAAS), qui édite cette re-
vue. Cette traduction n’est pas une version
officielle du texte, elle n’a pas été relue par
le personnel de l’AAAS, ni jugée conforme
par l’AAAS. Pour fin de vérification, merci de
se reporter à la version originale anglaise
publiée par l’AAAS.
Jon Cohen est journaliste au magazine
« Science ». Spécialisé dans la biomédecine,
il est reconnu pour sa couverture des épidé-
mies (VIH/sida, Covid-19, Ebola). Il a aussi
réalisé de nombreux reportages sur la
génétique, la recherche sur les primates,
l’évolution, le bioterrorisme, le financement
de la recherche, l’éthique, la biologie repro-
ductive, les batailles de crédit et les médias
eux-mêmes. Ses articles ont été récompen-
sés notamment par l’Académie nationale
des sciences des Etats-Unis et la Société
américaine de microbiologie
0123
JEUDI 2 AVRIL 2020
GÉOPOLITIQUE | CHRONIQUE
par sylv i e kauf fmann
La cigale malade
et la fourmi frugale
L
undi 30 mars, deux avi­
ons d’Austrian Airlines
spécialement affrétés par
la chambre de commerce
se sont posés à Vienne, en prove­
nance l’un de Sofia, l’autre de Ti­
misoara, en Roumanie. Quelle
précieuse cargaison livraient donc
ces deux Airbus dans un aéroport
quasi désert ? Des masques ? Des
respirateurs ? Mieux : 231 aides à
domicile bulgares et roumaines,
aussitôt confinées pour quatorze
jours en attendant de pouvoir re­
joindre leur poste auprès de per­
sonnes âgées dépendantes.
La crise du coronavirus a en­
traîné une situation critique pour
cette catégorie de la population
autrichienne, au chevet de la­
quelle, en temps normal, des
aides venues pour moitié de Rou­
manie et pour un tiers de la Slova­
quie voisine se relaient vingt­
quatre heures sur vingt­quatre.
Avec la fermeture des frontières,
elles sont reparties dans leur pays
et ne peuvent plus se relayer de
manière fluide ; les Roumaines de
Timisoara, en particulier, ne peu­
vent plus traverser la Hongrie.
Prévoyante, la chambre de com­
merce de Vienne est donc en train
de monter un pont aérien pour
assurer la continuité du service.
C’est l’un des bons côtés de
l’Union européenne (UE). La libre
circulation des personnes, du
temps où elle était vraiment libre
– il y a un mois –, a permis aux ci­
toyens des pays à bas revenus
d’aller travailler sans obstacles
dans les pays riches, et elle a per­
mis aux pays riches de se fournir
facilement en main­d’œuvre qua­
lifiée. En temps de pandémie,
l’Autriche, on le voit, parvient à
entretenir ce bon côté de l’UE.
Pourtant l’Autriche est l’un des
quatre pays qui ont fait barrage, au
cours d’un tumultueux Conseil
européen, jeudi 26 mars, à la de­
mande de neuf Etats membres qui
voulaient faire adopter par l’UE le
principe d’une prise en charge fi­
nancière commune, à vingt­sept,
du coût économique de la crise du
coronavirus. Ce coût promet
d’être gigantesque. Mais, pour l’Al­
lemagne, les Pays­Bas, l’Autriche et
la Finlande, le risque de devoir fi­
nancer les dettes de pays moins
fortunés n’est pas plus concevable
qu’il ne l’était pendant la crise de
l’euro, il y a dix ans.
Double peine
Comment financer la solidarité ?
L’Europe est de nouveau mena­
cée d’implosion par cette ques­
tion. Est­on en train de rejouer la
fable de la cigale et de la fourmi ?
Le désastre, cette fois, n’est plus
imputable à l’insouciance, mais
au simple mauvais sort. Double
peine : les premiers frappés sont
aussi ceux auxquels l’austérité a
imposé des coupes dans les dé­
penses sociales.
A l’approche de ce sommet du
26 mars en visioconférence, l’Ita­
lie, la plus touchée jusqu’ici dans
la bataille contre le Covid­19, a
voulu sonner l’alarme et appeler
à la solidarité européenne, par
une lettre ouverte au président
du Conseil européen, Charles Mi­
chel. L’Espagne, qui réclame un
plan Marshall européen, et la
Grèce s’y sont jointes. Sollicitée,
la France a tenu à élargir le cercle
des signataires pour éviter, préci­
LA PANDÉMIE A FAIT 
REMONTER  tabous budgétaires.
À LA SURFACE  tallée : ne pas revenir au statu quo
L’HÉRITAGE MAL  habituel où l’on bricole, puis on
DIGÉRÉ DES CRISES  ferme le ban. La violence de cette
PRÉCÉDENTES
Tirage du Monde daté mardi 1er avril : 130 779 exemplaires
0123 | 27
VIKTOR ORBAN 
À L’OMBRE DU 
pris des dispositions institutionnelles d’ur­ maîtrisée – mardi, la Hongrie avait enregis­
CORONAVIRUS
gence face à la crise sanitaire provoquée
par la pandémie. Mais les autres ont posé
des limites dans le temps à ces mesures ; en
tré 447 cas de Covid­19 et 15 morts. Le
meilleur moyen de parer aux critiques
aurait été de fixer, comme les autres pays
France, l’état d’urgence sanitaire permet au
gouvernement de légiférer par ordonnan­
ces pendant deux mois.
européens, une limite dans le temps à ces
mesures, renouvelables par le Parlement
en fonction de l’évolution de la situation.
La présidente de la Commission euro­ A la différence de la Chine et de la Russie,
péenne, Ursula von der Leyen, a jugé utile la Hongrie est membre de l’Union euro­
COMMENT FINANCER  de rappeler, mardi, que les mesures d’ur­ péenne. Elle a rejoint librement, en 2004,
LA SOLIDARITÉ ?  gence prises par les Etats membres dans le
cadre de la lutte contre la pandémie « doi­
une communauté d’Etats qui se veut bien
plus qu’un marché unique et une machine
L’EUROPE EST DE  vent être limitées à ce qui est nécessaire » et à dispenser des fonds structurels ; c’est
être « strictement proportionnées ». Ces me­ aussi une communauté de valeurs, dans le
NOUVEAU MENACÉE 
D’IMPLOSION PAR 
CETTE QUESTION
L a tentation est trop forte. Pour les
autocrates, les situations exception­
nelles, lorsque l’incertitude règne et
que la population s’angoisse, sont propices
au renforcement de leur contrôle. Le
sures, a­t­elle précisé, « ne doivent pas durer
indéfiniment ».
Mme von der Leyen a également appelé au
« respect de la liberté d’expression » et a souli­
gné que « la démocratie ne peut pas fonction­
respect de l’Etat de droit et des libertés.
M. Orban ne serait pas soupçonné de vou­
loir accroître son pouvoir personnel s’il ne
s’était lui­même proclamé chantre de la
« démocratie illibérale » et s’il n’avait, de­
président chinois, Xi Jinping, a profité de la ner sans des médias libres et indépendants ». puis dix ans, régulièrement défié l’Etat de
sément, l’« effet Club Med » – Sud lutte contre le coronavirus pour étendre les Une disposition du texte adopté lundi à Bu­ droit et réduit le champ de la liberté d’ex­
contre Nord – de la crise de systèmes de surveillance de masse ; la Rus­ dapest, où les médias publics sont étroite­ pression. Le rappel à l’ordre de la Commis­
l’euro : l’initiative italienne est sie de Vladimir Poutine, avec quelques se­ ment contrôlés, inquiète particulièrement sion européenne est le bienvenu. Il ne suf­
ainsi devenue une « lettre des maines de retard, semble vouloir emprun­ les journalistes indépendants, souvent accu­ fira pas. L’Union européenne a actuelle­
neuf », dont l’Irlande et le Luxem­ ter le même chemin. Le premier ministre sés de diffuser des « fake news » : elle rend ment d’autres urgences, mais la question
bourg. Ils sont aujourd’hui dix hongrois, Viktor Orban, lui, a choisi une passible de cinq ans d’emprisonnement la de la protection que procure à M. Orban le
avec Chypre, peut­être quatorze autre stratégie : lundi 30 mars, il a obtenu « propagation de mensonges ou de vérités maintien de son parti, le Fidesz, au sein du
bientôt, avec la Slovaquie et les le feu vert du Parlement, où il détient une déformées » sur la pandémie. La Russie a groupe parlementaire européen de centre
trois pays baltes. large majorité, pour légiférer par décret en adopté, mardi, une disposition similaire. droit, aux côtés de la CDU d’Angela Merkel
Cela n’a pas suffi, face à l’obsti­ vertu de l’état d’urgence, pour une durée Le gouvernement hongrois a rejeté les et du parti français Les Républicains, doit se
nation du premier ministre néer­ indéterminée. critiques, à l’intérieur et à l’extérieur, et a poser une fois pour toutes. Il n’a été que
landais, Mark Rutte, qui a assumé Viktor Orban peut, à juste titre, rétorquer assuré que les mesures exceptionnelles suspendu. La démocratie, elle, ne peut pas
le rôle ingrat du chef des « fru­ que la Hongrie n’est pas le seul pays à avoir prendraient fin lorsque la pandémie serait être suspendue par le coronavirus. 
gaux », surnom donné il y a quel­
ques mois aux partisans d’un
budget européen minimaliste.
Sans parvenir à faire tout à fait il­
lusion, bien que largement aidé
par son ministre des finances,
Wopke Hoekstra, qui voit dans
l’éventuelle mutualisation de la
dette du coronavirus « un aléa
moral » : « Rutte est le frugal utile
des Allemands », confie un res­
ponsable du camp de la « lettre
des neuf », pour lequel les vrais
récalcitrants se trouvent à Berlin,
gardiens du temple budgétaire et
monétaire.
Aussi inédite et inattendue
qu’elle soit, la pandémie a fait re­
monter à la surface l’héritage mal
digéré des crises précédentes, le
clivage Nord­Sud sur l’euro, la
fracture Est­Ouest sur la crise des
réfugiés. Partout, de bas en haut,
elle pousse à bout un système
déjà au bord de la rupture : l’hôpi­
tal public, la défiance à l’égard des
politiques, la tension franco­alle­
mande, la cohésion européenne,
l’absence de leadership améri­
cain, la faiblesse de la gouver­
nance mondiale.
Face à la fourmi frugale, la cigale
malade, cette fois, se révolte. Ma­
drid, Rome, Lisbonne s’indi­
gnent. Les Vingt­Sept se sont
donné jusqu’au 7 avril pour rele­
ver le défi. Qui sait où en sera l’Ita­
lie, où en seront les Pays­Bas, le
7 avril ? L’historien néerlandais
Luuk Van Middelaar, auteur de
Quand l’Europe improvise. Dix ans
de crises politiques (Gallimard,
2018), souligne le « décalage ho­
raire » que le tempo de la défer­
lante du virus impose aux Etats
membres de l’UE. A La Haye, le dé­
bat fait rage. Les Néerlandais,
nous dit M. Van Middelaar, « sont
plus pragmatiques que les Alle­
mands, ils ne sont pas dans l’or­
thodoxie juridico­monétaire et
peuvent évoluer s’ils comprennent
que c’est dans leur intérêt ». Ainsi,
lorsqu’un ancien patron de la
banque centrale des Pays­Bas,
Nout Wellink, explique que « si le
Sud s’effondre, le Nord opulent ces­
sera d’exister », ça fait réfléchir.
Mardi soir, le ministre des finan­
ces a fini par reconnaître qu’il
avait « manqué d’empathie ».
Paris, de nouveau à front ren­
versé avec Berlin, s’emploie à
« élargir la boîte à outils » pour
faire bouger l’Allemagne : « Cela
peut être une dette commune, cela
peut aussi être un effort massif sur
le budget européen », avance­t­on
à l’Elysée, puisque cet effort mas­
sif est déjà fourni au niveau des
EN VENTE ACTUELLEMENT
Etats, où l’on voit tomber tous les
Mais une idée, à Paris, s’est ins­
ante. Ne pas tomber dans le piège
crise ne le permet plus. La cigale
et la fourmi, c’est fini. 
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 ACTU
L’ANNÉE UNIVERSITAIRE
MENACÉE PAR LE CORONAVIRUS
Tandis que certains jeunes s’inquiètent des problèmes
financiers générés par la disparition de leurs jobs
étudiants, l’organisation des examens et partiels
du second semestre est une autre source
de préoccupation, alors que tous n’ont pas accès
CAHIER DU « MONDE » N O 23399 DATÉ JEUDI 2 AVRIL 2020 à une bonne connexion Internet
NE PEUT ÊTRE VENDU SÉPARÉMENT PAG ES 2-3

VIE ÉTUDIANTE
BIBLIOTHÈQUES
NOUVELLE
GÉNÉRATION
Les bibliothèques
universitaires ont
largement diversifié
leurs missions
et leurs services.
Depuis le 16 mars,
leur fermeture
crée un vide
PAG E 12

PREMIER
EMPLOI
FORMATION CONTINUE VALORISER
LES LANGUES

PRÉPARER SON
D’ORIGINE
Parler arabe,
portugais ou chinois

CHANGEMENT DE VIE
est un atout, pas
toujours facile
à exploiter. Des
professionnels
expliquent comment
Et si le confinement était l’occasion rêvée en tirer parti
de réfléchir à une reprise des études ? P AG E 11

Approfondir une compétence, élargir ses horizons,

se reconvertir… l’offre de diplômes évolue,
tout comme les dispositifs de financement
P AGES 4 À 9
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DES ÉTUDIANTS PRÉCAIRES
T
rois kilos de féculents, des conser­
ves et des produits d’hygiène. Tel
Alors que près de la moitié est le contenu des paniers qui sont
des jeunes financent
distribués, depuis le 18 mars, à des
centaines d’étudiants bordelais
leurs études grâce à des confinés dans leurs cités universitaires. Gan­
tés, masqués et toujours un par un, ce sont
petits boulots, nombre des doctorants, post­doctorants et maîtres de
conférences des universités de la métropole
d’entre eux se retrouvent qui se chargent bénévolement de la livraison :
une urgence face à la situation de « détresse »
en difficultés financières. de certains jeunes, alertent­ils par le biais de
Des aides se déploient
leur collectif, Solidarité : continuité alimen­
taire Bordeaux.
« Avec la fermeture des restaurants universi­
taires, on s’est rendu compte que certains
étudiants n’avaient pas mangé depuis qua­
rante­huit heures, raconte un des membres
du collectif. Plus que la continuité pédago­
gique, l’enjeu est surtout, aujourd’hui, celui de
la continuité alimentaire. » Le collectif, qui a
lancé une cagnotte en ligne, recense à ce jour
plus de 650 demandes sur le campus et a
effectué 460 livraisons de paniers, principa­
lement dans les logements Crous.
Au niveau national, 40 % des étudiants qui
École Supérieure de Réalisation Audiovisuelle résident dans des logements du Crous sont
restés sur place, indique le Centre national
des œuvres universitaires. Ce public déjà fra­
FORMATIONS AUX MÉTIERS
École Supérieure de Réalisation Audiovisuelle gile ne bénéficiera pas de la suspension des
loyers, annoncée pour tous ceux qui ont
quitté les lieux pour rejoindre leur famille, et
DUFORMATIONS
CINÉMA, AUX MÉTIERS qui ne paieront donc plus leur logement à
partir du 1er avril et jusqu’à leur retour.
DUDUSON
CINÉMA, « Pour la majorité des étudiants qui nous
contactent, la perte d’un job ou d’un stage est
DU SON venue se rajouter à une vulnérabilité anté­
ETETDU
DUFILM
rieure, ce qui rend leurs dépenses courantes
FILM très compliquées », observe­t­on du côté du
collectif bordelais, qui demande la suppres­
D’ANIMATION
D’ANIMATION
sion des loyers Crous pour tous. Les étudiants
aux emplois souvent précaires sont en effet
parmi les premiers à pâtir du confinement.
Ces pertes de revenus viennent fragiliser des
Diplômes
Diplômes visés
visés parpar
l’État à BAC
budgets déjà sur le fil, dans un contexte où
l’État à BAC +3+3
près d’un étudiant sur deux travaille pour
financer ses études, et où un sur cinq vit déjà
sous le seuil de pauvreté (IGAS, 2015).
AIDES SOCIALES D’URGENCE
Depuis septembre, Marion, 20 ans, étudiante
en science du langage à la Sorbonne­Nou­
velle, encadrait les enfants de sa ville de
Grigny (Essonne) sur les temps périscolaires.
« Mais comme je suis en “contrat volant”,
CONFIRMATION SUR c’est­à­dire qu’on m’appelle seulement selon
les besoins, je ne toucherai rien jusqu’à la
réouverture des écoles », déplore la jeune
AVANT JEUDI MINUIT femme, qui vit dans un appartement avec
son père, au chômage, son frère et sa sœur.
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Ses revenus permettaient de payer les factu­
01 44 25 25 25 04 92 00 00 92 res et la nourriture de la famille. « Les pro­
chaines semaines risquent d’être très compli­
www.esra.edu
quées », s’inquiète Marion, qui cherche sans
relâche un autre job dans un magasin ali­
Enseignement supérieur technique privé reconnu par l’État mentaire. Alors qu’elle s’occupe des devoirs
de sa fratrie confinée et qu’elle a dû compo­
ser quelques jours avec une coupure d’élec­
« PLUS QUE
LA CONTINUITÉ
PÉDAGOGIQUE,
L’ENJEU EST SURTOUT,
AUJOURD’HUI,
CELUI DE LA CONTINUITÉ
ALIMENTAIRE »
UN MEMBRE DU COLLECTIF
DE SOLIDARITÉ BORDELAIS
tricité, « se concentrer sur les cours à distance
est difficile », confie­t­elle.
Pour Claire (le prénom a été modifié), 21 ans,
en master métiers de l’enseignement à Col­
mar, c’est « le flou ». « A la bibliothèque où je
travaille, on nous a promis de faire le maxi­
mum pour que notre rémunération soit main­
tenue, mais rien n’est encore sûr. L’aide aux
devoirs, qui me permettait de payer ma nourri­
ture, c’est devenu impossible, dit­elle. Il faudra
diminuer les frais de courses. »
Juliette (le prénom a été modifié), étudiante
en lettres modernes de 20 ans, faisait de la
garde d’enfant, sans contrat. Un « bon plan »,
habituellement. « Mais dans cette situation,
cela veut dire : pas de compensation, et je n’ai
pas d’économies de côté, souffle­t­elle. Heu­
reusement, je suis confinée chez ma famille en
Bretagne, avec moins de dépenses. Je regarde
pour bosser dans une agence d’intérim, en
usine, mais mes parents ne sont pas rassurés à
l’idée de me laisser sortir… »
Pour répondre à ces situations de précarité,
les Crous s’organisent pour délivrer davan­
tage d’aides ponctuelles. Dix millions d’euros
supplémentaires ont été débloqués, mardi
31 mars, par le ministère de l’enseignement
supérieur. « Des directives nationales nous
permettent de monter nos dotations jusqu’à
560 euros, à destination des étudiants natio­
naux comme internationaux, et cumulables
avec les bourses », explique Claire Maumont,
responsable du service social au Crous de
Poitiers, qui observe qu’un tiers des dernières
demandes émanent d’étudiants touchés par
une perte d’emploi et jusque­là inconnus de
leurs services. Pour elle, « l’enjeu, dans cette
période difficile, est de garder le lien avec nos
étudiants : nos services réalisent du porte­à­
porte dans les cités universitaires, avec méde­
cin et infirmière, pour nous assurer de la santé
et de l’alimentation de nos résidents. »
Encouragées par des directives ministériel­
les, certaines universités mettent aussi en
place des aides sociales d’urgence, à partir des
fonds de la Contribution de vie étudiante et de
campus (CVEC). A l’université de Bordeaux, les
étudiants en difficulté peuvent par exemple
bénéficier d’une aide mensuelle de 200 euros.
« On peut décider d’accorder une aide plus im­
portante au cas par cas, et de délivrer des bons
alimentaires sous forme de carte prépayée en
cas d’urgence », précise Anne­Marie Tournepi­
LE MONDE CAMPUS JEUDI 2 AVRIL 2020
ISABEL ESPANOL
che, vice­présidente CVEC de l’université, qui
s’attend à une « augmentation importante des
demandes d’aides financières dans les pro­
chains jours ». En outre, les étudiants autoen­
trepreneurs pourront bénéficier de l’aide ex­
ceptionnelle de 1 500 euros annoncée par le
ministère de l’économie, mardi 17 mars.
Bons alimentaires, aides ponctuelles des uni­
versités… Ces mesures ne seront pas suffisan­
tes sur le long terme pour l’Union nationale
des étudiants de France (UNEF). « Ces aides sont
aléatoires selon les établissements, et parfois
compliquées à obtenir, explique Mélanie Luce,
présidente du syndicat étudiant. Quant aux
aides du Crous, débloquer 10 millions d’euros
apportera un nouveau souffle, mais ne permet­
tra pas de répondre à toutes les situations si le
confinement se poursuit. D’autant qu’il aura des
répercussions sur la longueur, notamment sur
les jobs d’été, qui sont essentiels pour de nom­
breux étudiants. » L’UNEF, qui demande la
mobilisation de fonds étatiques plus « mas­
sifs » s’inquiète aussi de la situation des étu­
diants étrangers, « pour la plupart non éligibles
aux bourses et ne pouvant accéder à toutes les
aides d’urgences, qui comptaient sur un job
pour vivre et sont désormais dans une situation
catastrophique », rappelle Mélanie Luce.
« LES PLUS PRÉCAIRES AU FRONT »
C’est le cas de Noélia, étudiante péruvienne de
20 ans, en licence d’espagnol à la Sorbonne­
Nouvelle, à Paris. Grâce à un job de baby­sit­
teuse, en contrat étudiant sur une plate­forme
en ligne, elle arrivait jusque­là « plus ou moins »
à gérer ses budgets mensuels. Mais depuis que
Noélia ne peut plus entrer en contact avec l’en­
fant qu’elle gardait, la plate­forme ne lui a fac­
turé aucune heure. « Je ne sais pas si j’aurai le
droit au chômage partiel. Je l’ai demandé mais
n’ai toujours pas reçu de réponse. Je n’ai plus
d’économies car j’ai tout dépensé à cause d’une
maladie pour laquelle je suis allée à l’hôpital le
mois dernier. Heureusement, je suis hébergée
par des amis, mais comment est­ce que je vais
faire pour continuer à les aider à payer le loyer
et la nourriture ? Et comment être sûre que je
pourrai avoir mes papiers français, pour les­
quels on m’a demandé de justifier d’un revenu
de 650 euros mensuels ? »
Pour certains étudiants, notamment ceux qui
travaillent dans des grandes surfaces, l’arrêt de
leur job n’était pas une option. Lucas, 22 ans, a
accepté d’augmenter ses heures dans le maga­
sin bio où il travaille. « Cela me permettra de
me renflouer », concède­t­il. Solène, 21 ans, a,
elle, essayé de faire valoir son droit de retrait
dans son magasin de Dourdan (Essonne). « On
me l’a refusé, prétextant la mise en place de pro­
tections sanitaires. Sinon, c’était l’abandon de
poste et je ne peux pas me le permettre avec le
prêt étudiant de 20 000 euros que je viens de
contracter. » Solène se rend donc chaque jour
au magasin, avec la peur de rapporter le virus
chez elle et de contaminer ses proches. Désa­
busée, elle déplore : « Ce sont les plus précaires,
les petits employés, qu’on envoie au front. » j
alice raybaud
LE MONDE CAMPUS JEUDI 2 AVRIL 2020
Le casse-tête des examens de fin d’année
Les universités se penchent sur l’organisation des partiels à distance
A près les cours en ligne, la déma­
térialisation des examens. Une
nouvelle étape cruciale du grand
basculement numérique de l’enseigne­
ment supérieur, qui ne va pas de soi.
Dans le cadre de la « continuité pédago­
gique », mantra du monde universitaire
en cette période de confinement, l’orga­
nisation de partiels et autres examens
d’évaluation des connaissances à dis­
tance est un vrai casse­tête.
Ecrits, oraux, soutenances, choix des
outils numériques… Les discussions vont
bon train au sein des établissements et
de leurs instances représentatives – la
Conférence des présidents d’université et
celle des grandes écoles, la Commission
des titres d’ingénieur, la cellule « conti­
nuité pédagogique » du ministère, etc.
« Les enjeux sont multiples : respect du
principe d’équité entre étudiants et garan­
tie d’une année diplômante dans les
meilleures conditions possible », résume­
t­on à l’université de Strasbourg.
Difficile, pour les établissements, de se
positionner dans un tel climat d’incerti­
tude. A Dijon, on attend d’en savoir plus
avant de trancher : « Si nous ne sommes
plus confinés début mai, nous organise­
rons les examens en présentiel en mai et
juin », dit Alexandre Fournier, vice­prési­
dent de l’université de Bourgogne délé­
gué au campus numérique.
D’autres se disent prêts. « A Rennes­I, on
a la chance de ne pas partir de rien, on a pu
assurer la continuité pédagogique immé­
diatement, expose Caroline Tahar, maî­
tresse de conférences et directrice délé­
guée à la formation, à l’innovation péda­
gogique et au numérique de l’IGR­IAE,
l’école de commerce de l’université. Cha­
À l’EDHEC, donner un nouvel élan à sa carrière
c’est s’offrir de nouvelles perspectives.
«L’EDHEC EXECUTIVE MBA
m’a permis de comprendre
le monde des affaires
d’aujourd’hui pour mieux
anticiper les ...
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dédiée, accessible depuis l’environnement
numérique de travail de la fac. Les classes
virtuelles ont lieu durant les créneaux ha­
bituels de cours. Il suffit de cliquer sur le
bouton à l’heure de son cours et c’est tout. »
Trois principes guident les pas des
enseignants rennais : d’abord, préserver
la qualité des épreuves (« pas de brico­
lage », résume Mme Tahar) ; ensuite res­
pecter les réglementations (convocations,
surveillance des épreuves, etc.) ; enfin,
tenir compte des conditions matérielles
dans lesquelles se trouve l’étudiant, non
seulement en termes de connexion Inter­
net, mais aussi de l’endroit où il est con­
finé, s’assurer qu’il puisse s’isoler pour
passer son épreuve… « On parle de fracture
numérique, mais ne pas oublier la fracture
sociale ! », poursuit l’enseignante de l’IGR.
« Le confinement accroît le risque de décro­
chage », met aussi en garde Ivann
Laruelle, vice­président étudiant de l’uni­
versité de technologie de Troyes (UTT).
« ANTISÈCHES NUMÉRIQUES »
A l’UTT, étudiants et enseignants ont été
sondés sur les « nouvelles modalités d’éva­
luations » envisagées. Là aussi, on traque
la « fracture numérique » qui pourrait
rompre l’équité. Pour des raisons éthi­
ques, donc, mais également juridiques.
L’enseignement supérieur doit anticiper
de possibles recours d’étudiants qui juge­
raient a posteriori avoir été désavantagés
par leur mauvaise capacité de connexion.
Tout cela n’a pas échappé au ministère.
« Pour garantir que le véritable examen se
passe dans de bonnes conditions », il
demande aux établissements « d’organi­
ser un examen blanc télésurveillé ». Et sug­
gère d’en profiter pour demander aux
étudiants « un engagement explicite à as­
sumer la responsabilité des conditions
techniques, matérielles et opérationnelles
du déroulé de l’examen à domicile ».
Une question lancinante revient autour
de la triche, que pourrait favoriser la
dématérialisation des examens. Quid de
leur surveillance ? « Si le confinement se
maintient, la demande pour la télésur­
veillance sera massive », prévoit Benoît
Sillard, ancien délégué interministériel à
Internet, aujourd’hui à la tête de TestWe,
une start­up recommandée par le minis­
tère. « Pour 2 millions de candidats, il fau­
drait 300 000 surveillants », a calculé Test­
We, qui propose « un système algorithmi­
que, sans surveillance humaine, où les
candidats sont filmés ou photographiés à
intervalle régulier pendant les épreuves ».
Même type de technologie à l’école de
management ESAM, membre du groupe
privé IGS, où Deep Mereos, un système
d’intelligence artificielle, filme les candi­
dats en temps réel, surveille leur usage
des outils numériques.
Des dispositifs de contrôle moins desti­
nés à « traquer les antisèches numériques »
qu’à rendre le déroulement des épreuves
en ligne « le plus proche possible d’une
salle d’examen réelle, où la surveillance
est partie intégrante des règles du jeu »,
explique M. Sillard, qui affirme « respec­
ter à la lettre le RGPD [règlement général
sur la protection des données] ». A Ren­
nes, Caroline Tahar est plus circonspecte :
« Le problème, c’est surtout que c’est cher »,
objecte l’enseignante, dont l’IGR­IAE tra­
vaille avec Managexam, une autre « Ed­
Tech » recommandée par le ministère.
Pierre Beust, vice­président délégué aux
actu | 3
transformations pédagogiques de l’uni­
versité de Caen­Normandie, se veut prag­
matique. Il cite l’exemple d’une univer­
sité de Hongkong, qui a placé ses étu­
diants à distance « sous la double
contrainte du devoir en temps réel à durée Concours
limitée et de la connexion à un outil de Les écrits des concours
webconférence qui permet de les voir en nationaux programmés en
train de composer ». avril et mai (grandes écoles,
« Pas sûr que tout ça soit très “CNIL com­ accès en deuxième année
patible” », ironise Nadia Jacoby, ancienne des études de santé…) seront
vice­présidente en charge du numérique réorganisés à partir de la fin
à l’université Paris­I Panthéon­Sorbonne, du mois de mai. Les concours
aujourd’hui à la tête d’une agence conseil de recrutement de l’éducation
en transformation digitale, Simone et les nationale devraient avoir lieu
robots. Restée enseignante dans l’âme, entre juin et juillet.
cette pro des « EdTech » met en garde :
« Plutôt que de se focaliser sur la “triche
zéro”, mieux vaut réfléchir au contenu des Ecoles
épreuves et à la formidable chance que
donne le numérique de concocter des su­
de commerce
jets d’examen faisant davantage appel à la Les oraux d’entrée dans
capacité créative de l’étudiant qu’à sa ca­ les écoles postprépa sont
pacité à recracher le contenu des cours… » annulés cette année, a indiqué
Une vision en phase avec celle de Yann la Conférence des grandes
Verchier, enseignant en physico­chimie écoles. Les écrits seront
et nanotechnologies à l’UTT, soucieux de organisés en juin.
préserver « une démarche d’évaluation Les écoles postbac annulent
formative plus que performative ». leurs écrits et sélectionneront
Le « moment coronavirus » pourrait leurs étudiants uniquement
faire bouger les lignes très vite. « Nous sur dossier. Les admissions sur
avons un contrat social avec l’étudiant : titres se feront uniquement
que ses notes correspondent, in fine, à une sur dossier ou à partir de
vraie évaluation de ses connaissances et procédures en ligne.
de son travail », résume M. Beust, qui est
aussi membre de la task force « conti­
nuité pédagogique » au ministère de l’en­
seignement supérieur. Les diplômés de
la promo 2020, « année Covid », échappe­
ront­ils au syndrome de Mai­68 ? j
pascal galinier
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4 | à la une
REPRENDRE LES ÉTUDES
LES NOUVELLES RÈGLES DU JEU
Dix-huit mois après l’entrée en vigueur de la réforme de la formation
professionnelle, universités et grandes écoles sont encore en transition.
Mais des changements tangibles se profilent
A
lors que beaucoup de salariés
sont passés en télétravail, le
confinement donne l’occasion
de réfléchir à sa carrière, ses
projets, ses envies. Pourquoi
ne pas retourner en formation l’année pro­
chaine et préparer un diplôme, en présentiel
ou en ligne, à la fac ou dans une école ? Si,
depuis le 16 mars, les portes des universités
et des grandes écoles sont closes en raison
de l’épidémie de Covid­19, le moment est
idéal pour faire le point. La réforme de la for­
mation professionnelle, adoptée fin 2018,
offre aux adultes en quête de nouveaux
horizons d’intéressantes opportunités. Le
point en cinq questions.
1. Que change l’application
Mon compte formation ?
Accessibles depuis le mois de novem­
bre 2019, le site et l’application doivent per­
mettre aux salariés ou aux demandeurs
d’emploi de choisir une formation, de s’y ins­
crire et de la payer directement. Voilà pour le
principe. Pour le moment, le catalogue n’est
pas exhaustif. A peine 5 % des formations
proposées par les universités et 10 % de celles
dispensées par le Conservatoire national des
arts et métiers (CNAM) ont été intégrées.
Côté grandes écoles, certaines ont tout mis
en ligne quand d’autres sont loin du compte.
Le moteur de recherche, jugé perfectible, doit
subir un lifting. « Ça va monter en puissance,
promet Franck Giuliani, président du réseau
de la formation continue à l’université. Pour
le moment, on trouve des offres de validation
des acquis de l’expérience [VAE] pour lesquel­
les les universités peuvent répondre dans les
délais imposés par la plate­forme. »
Une réponse doit être donnée en moins
de trente jours, sous peine de sanctions.
« On ne peut pas proposer un diplôme natio­
nal avec des conditions de réponse hyper­
courtes, ni demander aux universités d’être
aussi agiles que des petites structures »,
dénonce Guillaume Gellé, responsable de
la formation et de l’insertion profession­
nelle à la Conférence des présidents d’uni­
versité. Sans compter des contraintes pure­
ment techniques liées au chargement du
catalogue. La plate­forme ne deviendra pas
l’unique porte d’entrée de la formation pro­
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fessionnelle dans l’enseignement supé­
rieur. Elle se veut une vitrine complémen­
taire destinée d’abord aux personnes sou­
haitant utiliser leur compte personnel de
formation (CPF).
2. Comment s’inscrit-on
dans une université
ou une grande école ?
L’application n’étant pas complète, salariés
et demandeurs d’emploi doivent se tourner
vers les établissements pour obtenir les dé­
tails des formations et leurs tarifs. Les sala­
riés en activité peuvent aussi interroger leur
direction des ressources humaines.
Autre option : contacter un conseil en évo­
MASTERS, lution professionnelle. Créé en 2016 et ren­
LICENCES ET forcé par la loi « avenir professionnel », ce
service d’accompagnement est gratuit, et si
LICENCES PRO les agences ont cessé d’accueillir du public
SONT ÉLIGIBLES depuis le 17 mars, le suivi peut se faire à dis­
tance. Pour commencer un diplôme à
AU COMPTE l’automne 2020 – rendez­vous universitaire
PERSONNEL de référence, même si toutes les formations
ne débutent pas à cette date –, il faut dépo­
DE FORMATION, ser son dossier avant la fin du mois de mai.
EN INTÉGRALITÉ Les commissions pédagogiques de valida­
tion des candidatures se réunissent le mois
OU MORCELÉ suivant. « Pour le moment, il n’a pas été ques­
tion de les repousser, précise Carole Maillier.
Le traitement dématérialisé va nous aider. »
L’an dernier, 110 000 adultes en reconver­
sion professionnelle ont également formulé
des vœux de reprise d’études sur Parcour­
sup, la plate­forme d’inscription nationale
dans l’enseignement supérieur. Depuis le
mois de janvier 2020, ces candidats peuvent
même s’inscrire sur Parcours +, un nouveau
portail qui leur est destiné. La phase de
confirmation des vœux s’achève le 2 avril.
3. Peut-on combiner
plusieurs sources
de financement ?
Présentée comme « le Booking de la forma­
tion professionnelle » par la Caisse des
dépôts, la plate­forme doit faciliter l’achat
de formation. D’abord en permettant aux
titulaires d’un CPF, désormais monétisé à
raison de 500 euros par année travaillée, de
dépenser leur pécule en quelques clics.
Selon les données du ministère, les forma­
tions achetées en ligne sont peu onéreuses
et payables avec le seul compte personnel
de formation : permis de conduire, bilan de
compétences, langues…
Un master ou une licence pro dans l’ensei­
gnement supérieur coûtent au moins trois à
quatre fois plus cher et nécessitent diverses
sources de financements complémentaires.
La promesse de simplification portée par
l’application Mon compte formation tarde à
se concrétiser. « Pour le moment, l’abonde­
ment Pôle emploi pour les demandeurs d’em­
ploi et la dotation des entreprises ne sont pas
disponibles. Or, c’est une grosse part de nos
dossiers », regrette Pascal Lévêque, directeur
du service de formation continue à l’univer­
sité Paris­I­Panthéon­Sorbonne.
Ces options doivent être mises en ligne en
avril pour l’abondement Pôle emploi et en
juillet pour la dotation employeurs. A
condition, bien sûr, que la crise du corona­
virus ne perturbe pas tout. En attendant,
c’est au futur stagiaire de payer l’intégralité
LE MONDE CAMPUS JEUDI 2 AVRIL 2020
de sa formation. Ce qui pose déjà des problè­
mes. Lorsqu’il a voulu intégrer un master 2
« stratégies industrielles et politiques publi­
ques de défense », en janvier, Gara Dies­
songo, demandeur d’emploi, a souhaité
utiliser les 1 000 euros disponibles sur son
compte personnel de formation : « Ma for­
mation valait 7 000 euros. J’avais obtenu une
subvention de 3 000 euros de la région. Je n’ai
pas pu cumuler, car la région ne pouvait pas
abonder en ligne et, pour utiliser mon CPF, il
fallait régler 6 000 euros d’un coup sur
l’appli ! J’ai renoncé à mon CPF et versé
l’argent directement à Paris­I, qui m’a fait des
facilités de paiement en trois fois. »
4. Peut-on organiser
librement sa formation ?
Personnaliser son parcours et l’adapter à ses
besoins professionnels en étalant l’obtention
d’un diplôme sur trois ou quatre ans au lieu
d’un an est désormais possible. Les forma­
tions inscrites au référentiel national des cer­
tifications professionnelles ou au « réper­
toire spécifique », son annexe, sont mainte­
nant découpées en blocs de compétences.
Masters, licences et licences professionnelles
y entrent de droit et sont donc éligibles au
CPF, en intégralité ou de façon morcelée. Le
compte personnel de formation rend en
théorie le sacro­saint diplôme plus accessible
et moins onéreux (un bloc coûte autour de
2 000 euros). « La demande de modularisa­
tion a progressé d’environ 10 % cette année »,
souligne Thomas Jeanjean. « On n’en est pas
là à l’université, nuance Guillaume Gellé. Les
gens s’inscrivent plus à un diplôme qu’à un
bloc de compétences, et c’est un peu tôt pour
prédire l’évolution des comportements. »
La formation peut se saucissonner ou se
faire en alternance. « Nous avons eu 25 % de
croissance sur l’ensemble de l’alternance cette
année, avec une hausse des inscriptions, se
réjouit Pascal Lévêque, à Paris­I. Par exemple,
nous avons ouvert un master 1 et 2 “système
d’information ressources humaines” en
apprentissage au mois de janvier. » La limite
d’âge pour l’entrée en apprentissage est
repoussée à 29 ans révolus. Autre nou­
veauté : la possibilité pour les universités
d’ouvrir leur propre centre de formation
d’apprentis (CFA), comme à l’université Jean­
Moulin­Lyon­III. « Toute notre offre déjà en
contrat de professionnalisation est désormais
ouverte en contrat d’apprentissage. L’objectif,
c’est de permettre d’ouvrir des places sur des
métiers en tension dans la région », prévoit
Emilien Sanchez, coordinateur de la forma­
tion professionnelle continue à Lyon­III.
5. Quels diplômes
peut-on préparer ?
Tous ceux qui sont ouverts en formation
continue. Licences, masters, diplômes uni­
versitaires (DU), diplômes de grandes écoles,
titres d’ingénieurs… Les services des univer­
sités assurent aussi des validations des
acquis de l’expérience (VAE) pour obtenir
tout ou partie d’un diplôme ou d’un titre.
Avec la loi « avenir professionnel », tous les
ingrédients semblent réunis pour qu’uni­
versités et grandes écoles décuplent leur
potentiel d’accueil de stagiaires dans les
années à venir. « Quand les CFA auront leur
pleine puissance, que l’approche compéten­
ces sera pleinement acquise, les choses peu­
vent exploser », s’enthousiasme Emilien
Sanchez. En attendant, un axe de dévelop­
pement fait l’unanimité : la numérisation.
« La quasi­totalité de nos quinze formations
et quarante modules sont 100 % en ligne, se
félicite Thomas Jeanjean, à l’Essec. Grâce à
ça, nous avons annulé très peu de formations
depuis le début du confinement. »
Au CNAM, c’est près de la moitié de l’offre
nationale qui est disponible à distance, avec
une progression de 10 % à 15 % par an. Côté
universités, on mise plutôt sur des formules
hybrides avec cours en présentiel et conte­
nus en ligne. Les offres 100 % numériques ne
sont pas légion. « Il y a encore des freins régle­
mentaires pour l’apprentissage, qui nécessite
du présentiel, souligne Guillaume Gellé. Mais
l’offre à distance va devenir une nécessité pour
s’adapter à la vie des gens. » Particulièrement
en temps de pandémie… j
tiphaine thuillier
LE MONDE CAMPUS JEUDI 2 AVRIL 2020
à la une | 5

Un stage pour « switcher » et trouver sa voie

Reportage Switch Collective, à Paris, attire en majorité des femmes diplômées et bien insérées

A
mbiance « toutou­
youtou » dans l’en­
tresol du 94 de la
rue Saint­Lazare, à
Paris, fin février.
C’est Charlotte Jeanmonod, la
formatrice, qui le dit : « On remue
le bassin, on respire, on sautille,
on se met en énergie ! » Veste de
jogging rétro siglée « Switch »,
micro en main, elle chauffe la
nouvelle promotion de Switch
Collective. Quarante femmes, et
un homme, ont choisi « la
complète » – un programme de
trois mois pour apprendre à
« switcher ». Comprendre : acqué­
rir des outils pour se réappro­
prier son parcours et redonner
du sens à son travail, sans néces­
sairement aller vers une recon­
version spectaculaire.
Si les femmes constituent
l’écrasante majorité de ce
70e groupe de Switch Collective,
leur proportion oscille toujours
entre 65 % et 75 %, selon les
cohortes. Lancée en janvier 2016
par Béatrice Moulin et Clara
Delétraz, deux amies de 35 ans
aujourd’hui, la start­up pari­
sienne a formé 4 000 personnes
en quatre ans. Béatrice Moulin
affirme s’adresser sans distinc­
elle. On m’a mise en congé mala­
die pendant deux mois. Je ne l’ai
pas avoué tout de suite à mes
parents : j’avais honte d’être arrê­
tée alors que j’étais en bonne
santé. Mais psychologiquement je
ne pouvais plus. »
Après ce « trou noir », Clotilde
décide de voir un coach en déve­
loppement personnel. En 2012,
elle est déjà passée par un bilan
de compétences classique qu’elle
trouve, avec le recul, comme
nombre de ses camarades, « bien
pour savoir ce qu’on sait faire
mais pas pour savoir ce qu’on
veut faire ». Sans recette ni for­
mule magique, dans une appro­
che holistique, le programme de
Switch Collective promet d’aider
à construire son projet en alter­
nant des phases d’introspection,
d’exploration et de test, jusqu’au
lancement vers une possible
nouvelle vie.
« VIDE FERTILE »
Etalées sur trois mois, six demi­
journées et trois journées en
présentiel sont complétées par
un accompagnement quotidien
par e­mail. Les formateurs, qui
ont eux­mêmes tous « switché » à
un moment de leur vie (c’est
sionnelle (PUF, 2015). « L’argent
intervient à différents moments
de ce long processus, souligne la
chercheuse. Plus on en a, plus
l’éventail des possibles s’élargit.
Avec moins de moyens, quelqu’un
qui rêvait d’être viticulteur va fina­
lement devenir ouvrier viticole. De
la même façon, si vous voulez
changer de métier, cela ressem­
blera davantage à un parcours du
combattant si vous avez un CAP
plutôt qu’un bac + 5. »
Certes privilégiées, les « Swit­
cheuses » ont, d’une façon ou
d’une autre, traversé des pério­
des douloureuses au travail. Plus
précaires et moins payées que
leurs homologues masculins,
elles ont davantage de raisons
d’être insatisfaites de leur em­
ploi. Au cours de ses enquêtes
sociologiques, Sophie Denave
relève des inégalités constantes :
« Les femmes souffrent davan­
tage que leur mari de la superpo­
sition de la vie professionnelle et
de la vie familiale. L’envie de chan­
ger de métier peut apparaître
chez des femmes qui étaient très
investies, mais pour lesquelles il
n’est plus tenable d’être à fond
dans le boulot et à fond dans leur
rôle de mère. »
Le déclic apparaît alors souvent
au moment d’une grossesse ou
d’une naissance. « J’ai beaucoup
changé depuis que j’ai des enfants,
déclare Clotilde. Après mon pre­
mier congé maternité, quand je
« LA SOUFFRANCE
AU TRAVAIL S’EST
DÉMULTIPLIÉE,
À TOUS
LES NIVEAUX »
SOPHIE DENAVE
enseignante-chercheuse
en sociologie
suis retournée au bureau, je me
suis dit : “Mais c’est absurde, à
quoi bon ?” Et, à la fin de nos vies,
on en aura tiré quoi ? Maintenant,
j’ai envie de prendre le temps pour
les choses essentielles. »
« UNE MODE QUI PERDURE »
Même son de cloche de la part
de Clémentine, 32 ans, maman
d’un bébé de quelques mois :
« Dès que j’ai su que j’étais en­
ceinte, j’ai su que c’était la fin. Je
me suis pris une claque dans la
figure. J’ai toujours subi mon
travail, je veux que cela devienne
un plaisir. » Après quatre années
dans le développement d’une
start­up d’hôtesses dans l’événe­
mentiel, fatiguée de devoir être
disponible en permanence le
soir et le week­end, elle négocie
une rupture conventionnelle
afin d’entamer son « switch »
tout en s’occupant de son enfant
au quotidien.
Avec ses affiches parodiques
issues de la culture populaire
– type « Small steps everyday »
(« un petit pas chaque jour ») –, ses
gobelets en « maïs 100 % naturel »
et ses fauteuils en rotin, la « Switch
house » ressemble à un cocon fé­
minin, parisien et branché. Mais,
au­delà des apparences, Sophie
Denave rappelle que la question
de la reconversion professionnelle
n’est pas nouvelle : « C’est un effet
de mode qui perdure depuis vingt
ans. La souffrance professionnelle
s’est démultipliée, touche tous les
métiers, à tous les niveaux. Mais
encore faut­il trouver l’endroit où
l’herbe sera plus verte… » Après
quelques semaines de formation à
Switch Collective, Isabelle, 31 ans,
collaboratrice parlementaire à
l’Assemblée nationale, nous a
soufflé : « Je commence à me dire
que je ne suis peut­être pas si mal
lotie là où je suis, finalement… » j
léa iribarnegaray

EXPLORE
tion « à tous ceux qui ne s’y même un critère de recrutement),
retrouvent plus dans leur boulot expliquent que l’enjeu est « d’aller
et ont envie de changement », vers la nouveauté » en multipliant

refusant « une approche pure­
ment générationnelle » et préfé­
rant « traduire le symptôme d’une
époque ». Sans chercher à essen­
tialiser le phénomène, reste à
savoir pourquoi les femmes
âgées de 30 à 40 ans représen­
tent le cœur de cible de cette for­
mation certifiante, depuis peu
éligible au compte personnel de
formation (CPF).
APPROCHE HOLISTIQUE
Clotilde a sauté sur l’occasion
pour se faire financer ce « bilan
de compétences » nouvelle géné­
ration. Ingénieure informatique
de 38 ans, elle choisit de ne
communiquer que son prénom :
« Même avec mes parents, parler
de mon travail reste un sujet
tabou, dit­elle. Je n’ai jamais été
heureuse dans mes études, ni dans
mon boulot. Chaque jour, je me
force à faire ce que je fais. » Son
père est ingénieur également,
idem pour ses deux grands
frères : « C’était la voie toute tra­
cée, on ne m’a jamais demandé
ce que je voulais faire », résume­t­
elle, alors qu’elle est aujourd’hui
employée par un grand groupe
dans le domaine de l’énergie.
Clotilde rejoint ses consœurs de
Switch avec un syndrome com­
mun, celui de la bonne élève à qui
l’on a appris à viser la voie royale,
mais qui culpabilise : « Pendant
toute ma carrière, je me suis de­
mandé : “Mais de quoi tu te
plains ?”» Jusqu’à ce que son corps
dise stop. « En mars 2019, j’ai eu
énormément de choses à rendre,
j’ai voulu bien faire, je suis très sco­
laire. Je suis allée au bout de
l’échéance, et je n’ai eu aucune re­
connaissance. J’ai craqué, raconte­
RiseMORE
Traduction : Explorez, élevez-vous plus - École historique, esprit jeune -
les rencontres et les expérien­
ces ; sans oublier de « déconnecter
pour se reconnecter à soi », grâce
à des moments de « vide fertile »
de type méditation, jardinage et
autres pratiques contemplatives.
Le tout est encadré par des tra­
vaux à faire tous les jours, seul
chez soi, lors de sessions en
groupe ou en tête à tête avec son
« buddy » (partenaire désigné).
En cette période de confinement
lié au coronavirus, l’équipe a bas­
culé l’intégralité de ses program­
mes en ligne à travers différents
outils numériques.
La force de l’émulation collec­
tive revient tel un refrain chez ces
femmes en quête de sens qui se FORMATIONS
rassemblent et se ressemblent.
Marie, 37 ans, diplômée de Scien­ EN PRÉSENTIEL
ces Po et de la London School of
Economics, est consciente de sa
OU E-LEARNING
chance : « C’est un luxe de pouvoir
me poser toutes ces questions ▪ FORMATIONS DIPLÔMANTES ET VAE
quant à mon épanouissement ▪ FORMATIONS CERTIFIANTES
professionnel. Mon mari, compo­
siteur, gagne désormais très bien ▪ FORMATIONS SUR-MESURE
sa vie, raconte celle qui a financé
l’un des programmes Switch Col­ Management et leadership, RH, GPEC,
lective de sa poche. Mais l’insatis­ Gestion, Finance, Marketing, Commercial,
faction est un fil rouge de ma car­ Entrepreneuriat, Bootcamps en anglais
rière. J’ai franchi le pas parce que (business communication et préparation
les circonstances matérielles me
au TOEIC)
permettent de le faire, et de pren­
dre ce temps. Alors qu’il y a cinq
ans je me serais précipitée dans un
nouveau job. »
« Le capital économique, la dota­
tion en diplôme et l’importance du
réseau » : tels sont les facteurs qui
jouent un rôle­clé dans la réussite
d’une bifurcation profession­
nelle, selon Sophie Denave, ensei­
gnante­chercheuse en sociologie
à l’université Lyon­II, auteure du
livre Reconstruire sa vie profes­

3 APPLIS POUR SE RECONVERTIR

1. Humanroads recense des
formations et vous met en
relation avec des profession-
nels et des étudiants qui
les ont suivies. L’application,
gratuite, se présente comme
un « GPS des carrières » : on
complète son profil – parcours
et objectifs – puis les filières
se dessinent en arborescence.
2. Bloomr mise sur le déve-
loppement personnel et pro-
pose cinq programmes : faire
le bilan, créer un nouveau
projet professionnel, gérer
ses émotions, donner du sens
à son travail, et un dernier
consacré à l’affirmation de soi.
Une coach est joignable par OLD SCHOOL ▪ YOUNG MIND*
messagerie instantanée. Pré-
voir 249 euros l’année pour les Il ne sait pas encore qu’il va guider son entreprise vers
cinq programmes. Des tarifs le succès. À travers les programmes de formations
réduits sont proposés. diplômantes, qualifiantes et certifiantes de l’EM
L’EM Normandie est accessible aux
Normandie, en présentiel ou à distance, salariés et personnes en situation de handicap
3. Chance promet de vous dirigeants obtiendront les clés pour fixer le cap vers la et adapte son dispositif d’accueil en
fonction des situations.
aider à trouver votre voie en réussite et amener leur carrière à bon port.
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fait ou remboursé ». Vidéos
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de vos choix passés… La pro-
messe a un coût : 825 euros,
finançable par votre compte
personnel de formation (CPF)
ou par Pôle emploi.
6 | à la une LE MONDE CAMPUS JEUDI 2 AVRIL 2020

UN
physique en passant par la psy­
chologie, le droit, les sciences de
l’ingénieur, l’informatique ou la
mécanique, le champ des études

DIPLÔME
en ligne est de plus en plus vaste.
Patron de la start­up de 12 sala­
riés Flexio, éditrice de logiciels,
Nel Taurisson a fait appel à un

DEPUIS
étudiant en alternance du master
d’informatique à distance de
l’université de Franche­Comté.
« Un alternant “en ligne” ne provo­
que pas de grosse rupture dans la

MON
vie de l’entreprise et il peut suivre
des dossiers de bout en bout »,
argumente le chef d’entreprise.
Antoine Becchetti, son apprenti,

SALON
travaille depuis chez lui et se féli­
cite d’avoir gagné en autonomie.
« J’appréhendais le fait d’être à
distance et d’allier un vrai emploi
à mes études, mais j’ai sauté le pas
et je ne le regrette pas. » Avec
sept heures de travail hebdoma­

Près de 60 000 personnes

daire consacrées à son master,
l’étudiant se considère comme un

sont inscrites à l’université « collaborateur à 80 % » de Flexio.

Reste à gérer son emploi du
française en « distanciel ». temps avec rigueur. « Le plus com­
pliqué, c’est de garder la motiva­
Des effectifs en constante tion face à un rythme soutenu.
Quand il faut rendre des devoirs,
progression cela empiète sur le week­end. »

MARCHÉ PROMETTEUR
La spécificité de l’enseignement à
distance, en formation initiale

D
epuis la mi­mars,
universités et gran­
des écoles ont sus­
pendu leurs cours
et tentent progres­
sivement de basculer tous leurs
enseignements en ligne. Un vrai
bouleversement pour les étu­
diants… Sauf pour ceux qui sui­
vent des diplômes à distance, et
qui sont bien souvent en reprise
d’études, dans le cadre de la
formation continue.
Des médecins voulant mieux
comprendre la physique, des pilo­
tes de ligne férus de sciences, des
jeunes en reprise d’études ou
empêchés d’aller sur les bancs de
la fac parce qu’ils sont malades, en
situation de handicap ou incarcé­
rés : cet univers éclectique est celui
de la formation diplômante en
ligne, qui connaît un succès crois­
sant à mesure que les techno­
logies infiltrent les établissements
d’enseignement supérieur.
Créée en 1987, la Fédération – pour un tarif moyen de
interuniversitaire de l’enseigne­
LA SPÉCIFICITÉ DE 150 euros, sans compter l’inscrip­
ment à distance (FIED) rassemble LA FORMATION tion en licence ou en master. Des
une trentaine d’universités pro­ effectifs en constante progression.
posant des formations diplôman­
À DISTANCE, « Les entreprises sont de plus en
tes, ce qui la distingue de la plate­ INITIALE COMME plus demandeuses car nos forma­
forme France université numéri­ tions ont l’avantage d’éviter à leurs
que, qui offre uniquement des
CONTINUE, salariés une absence ou des dépla­
contenus pédagogiques. Au total, EST D’EXIGER cements trop fréquents, analyse
55 000 à 60 000 étudiants suivent Jean­Marc Meunier, président de
des enseignements universitaires
UNE GRANDE la FIED. Pour nos établissements,
en « distanciel », majoritairement AUTONOMIE cela ouvre le catalogue des pos­
au titre de la formation continue sibles. » Des mathématiques à la
comme continue, est qu’il exige
une grande autonomie, bien plus
qu’en présentiel. « Il mobilise des
compétences particulières d’orga­
nisation et de planification », sou­
ligne Jean­Marc Meunier. Sur un
CV, un diplôme 100 % en ligne
peut faire la différence entre
deux candidats, soutient­il. A dis­
tance, le taux de réussite serait
comparable à celui des cursus en
présentiel, de l’ordre de 50 % de
passage en deuxième année de

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LE MONDE CAMPUS JEUDI 2 AVRIL 2020
à la une | 7
licence. « Parfois, nos étudiants
ont eu un parcours scolaire
chaotique mais ils réussissent très
bien à distance », relève Sabine
La cause animale, nouvelle niche à la fac
Bottin­Rousseau, coordinatrice
des enseignements à distance de
Face à l’intérêt suscité par cette thématique, les universités développent leur offre
Sorbonne­Université qui compte,

selon les années, entre 600 et
700 étudiants « en ligne ».
Seules habilitées à délivrer des
grades de licence, de master et de
doctorat, les universités sont
convoitées par de nombreux
étudiants de grandes écoles qui
souhaiteraient valoriser encore
leur parcours grâce à un double
diplôme en ligne. Mais, à Sor­
bonne­Université, Sabine Bottin­
Rousseau refuse des candidats
issus, notamment, des écoles
d’ingénieurs : « Ils veulent suivre
la troisième année de licence de
mathématiques ou de physique
en pensant qu’après une prépa,
l’université sera facile. Mais c’est
beaucoup trop lourd, et nous
avons constaté qu’ils sont sou­
vent en échec. »
Marché prometteur, l’ensei­
gnement diplômant 100 % en
ligne est un créneau également
largement occupé par des écoles
privées. Faute de pouvoir remet­
tre les mêmes diplômes que
l’université, elles se rabattent
sur une kyrielle de certifications
qui n’ont pas toutes la même
valeur. « Des formations fleuris­
sent sans fondement universi­
taire et sous un tas d’appellations
dont on n’arrive pas à situer le
niveau du diplôme proposé »,
constate Jean­Marc Meunier, à la
T
out a commencé avec
cette spécialisation en
éthique animale, pro­
posée par l’université
de Strasbourg, en 2015.
Suivie par ce diplôme universi­
taire (DU) en droit animalier de
l’université de Limoges et par
celui en droit des animaux de
l’université de Toulon. En septem­
bre 2019, c’est le DU « animaux et
société » de l’université Rennes­II
qui a fait parler de lui. Tous témoi­
gnent d’une même tendance :
l’animal n’est plus l’objet des seuls
cours de sciences. Il fait désormais
l’objet d’enseignements et de for­
mations en sciences humaines et
sociales. Et ce n’est qu’un début.
« L’université tire les conséquen­
ces de la montée en puissance de
questions relatives aux animaux
dans la société », estime Olivier
Le Bot, responsable du certificat
universitaire en droit de l’animal
qui ouvrira en juin à l’université
d’Aix­Marseille. La montée du vé­
ganisme, de l’antispécisme ou de
l’animalisme en politique consti­
tuent autant d’indices visibles
d’un intérêt et d’un engagement
croissants pour la cause animale.
« Il s’agit de prendre de la hauteur
sur une question souvent très
clivante », explique Emilie Dar­
denne, responsable pédagogique
« être vivant doué de sensibilité ».
A Limoges, le diplôme, ouvert
en 2016, organise deux sessions
par an pour faire face à l’afflux de
demandes, selon la responsable,
Séverine Nadaud. Quelques étu­
diants de master y côtoient avo­
cats, magistrats, juristes, agents de
collectivité territoriale et des « pro­
fessionnels de la protection ani­
male, comme les vétérinaires ».
« Les affaires concernant la cause
animale portées devant les tribu­
naux augmentent, mais nous ne
sommes que peu formés », expli­
que Séverine Dauzon, avocate et
diplômée du DU de Toulon. Au­
delà de notions d’histoire et de
philosophie, elle y a « appris à maî­
triser des outils de droit » qu’elle
peut « actionner au tribunal, pour
avoir une incidence très concrète
sur la condition des animaux ».
Ces DU sont aussi un terreau de
réflexions sur l’évolution du droit.
« Malgré l’avancée de 2015, l’animal
reste soumis au régime des biens
meubles, là où nous plaidons pour
qu’il soit doté d’une personnalité
juridique, expliquent Cédric Riot
et Caroline Regad, qui dirigent le
DU de Toulon. C’est aussi grâce à
un droit plus cohérent que la
question avancera et, pour cela, les
connaissances doivent se diffuser. »
« ACADÉMISATION »
Ces formations, bien qu’encore
rares, témoignent de l’implanta­
tion en France d’un courant aca­
démique anglo­saxon : les animal
studies. Cette communauté de
recherche au croisement des
sciences de la nature, des sciences
sociales et des humanités, consa­
crée aux rapports entre humains
et animaux, s’est surtout consti­
tuée à partir des années 1980,
explique Jérôme Michalon, chargé
de recherches au CNRS. Une cin­
quantaine d’universités américai­
nes proposent des cours relatifs à
la condition animale, mais « il
aurait été difficile, il y a encore peu,
d’imaginer parler de véganisme et
d’antispécisme à l’université fran­
çaise », poursuit le chercheur. Ces
travaux n’ont gagné en visibilité
et en crédibilité dans l’Hexagone
que dans les années 2010. Depuis,
« on constate un véritable mouve­
ment d’académisation ».
Lequel ne se fait pas sans heurts,
notamment en raison de procès
récurrents en militantisme. C’est
le cas à Rennes­II, où la présence
de membres d’associations ani­
malistes dans le corps enseignant
a provoqué l’ire du député (LR) des
Côtes­d’Armor Marc Le Fur et de
représentants de l’industrie agro­
alimentaire, qui ont fustigé une
« idéologie » sous couvert d’une
« accréditation universitaire ». C’est
aussi le sentiment de Pierre,
64 ans, qui s’est inscrit au DU « par
curiosité ». Il est l’un des deux étu­
diants issus de l’industrie agro­
alimentaire : « Tous les aspects du
rapport entre l’homme et l’animal
ne sont pas traités : l’agriculture et
l’élevage ne sont jamais présentés
comme des richesses pour la Breta­
gne. Les étudiants et certains ensei­
gnants semblent partager l’idée
d’une nécessité d’abolir l’élevage,
mais ça n’est pas aussi simple ! »
Cette porosité entre science et
militantisme est caractéristique
des animal studies, aujourd’hui
animées par « des universitaires
qui affirment une sensibilité vis­à­
vis de la cause animale », concède
M. Michalon. Reste que « cette
communauté est à l’origine d’une
importante production de connais­
sances », précise­t­il.
Aux critiques, Emilie Dardenne
répond que les militants « n’inter­
viennent pas en tant que tels, mais
en tant que professionnels du droit
et de l’éducation en éthique ani­
male ». Quant aux autres ensei­
gnants : « Nous sommes universi­
taires. Notre objectif est de trans­
mettre des savoirs, pas de former
des militants », assure­t­elle. j
éléa pommiers
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Retrouver des modes

tête de la FIED. « On en trouve qui à Rennes­II du premier DU de
donnent uniquement un cours sciences sociales consacré aux
sous la forme d’un texte brut posé animaux en France. Les étudiants,

de décision efficaces avec le

sur une plate­forme… Mais un tous en formation continue, y font
cours à distance, ce n’est pas un de la sociologie du rapport à l’ani­
livre. Et comme pour tout cours, il mal, du droit, de la géographie, y

« Tipping Point Experience »

faut compter trois ans pour qu’il
soit mature, suffisamment enri­
chi de divers supports », complète
Fabrice Bouquet, pionnier du
téléenseignement à l’Université
réfléchissent sur le véganisme et
la « transition alimentaire ».
« On savait qu’il y avait une de­
mande pour la création de forma­
tions qui puissent apporter des

Les neurosciences peuvent servir les prises de décisions

de Franche­Comté.
BLOCS DE COMPÉTENCES
La directrice de l’Inead, une école
100 % en ligne, fondée en 1998
avec un catalogue d’une soixan­
taine de formations certifiantes,
se rappelle de « difficultés au
démarrage ». « Il était compliqué
de faire reconnaître les titres que
nous délivrions », indique Anna
Nsono. Vingt ans plus tard, elle
estime que ces titres inscrits au
répertoire national des certifica­
tions professionnelles (RNCP) par
France compétences ont « la
même valeur que des titres univer­
sitaires », et que « les entreprises
ne font pas la différence entre les
deux ». A l’Inead, un titre RNCP de
niveau bac revient à 2 000 euros
pour douze mois, et un titre de
niveau bac + 5, à 4 000 euros.
« Nous sommes moins cher que la
majorité des écoles en présentiel »,
fait valoir Anna Nsono.
Outre des modules d’une
durée d’un an ou plus, des éta­
blissements comme Icademie
proposent des formations de
courte durée, en pleine expan­
sion. « Ce sont des formations par
blocs de compétences : un di­
plôme ou un titre peuvent conte­
nir quatre à six blocs, et chacun
est certifiant lui­même », expli­
que Jean­Luc Codaccioni, son
fondateur. Par exemple, un bloc
de compétences pour « assurer et
développer sa communication sur
les réseaux sociaux » s’étale sur
cinquante à quatre­vingts heures
et correspond à une partie du
diplôme en management et
stratégie digitale.
L’école de commerce EM Lyon
a, elle, lancé à la rentrée une
déclinaison « en ligne » de son
programme général de manage­
ment à destination des « middle
managers », pour un tarif de
18 300 euros les seize mois. Pour
différencier son offre, le direc­
teur du programme, Jean­Charles
Clément, évoque un atout de
taille, à ses yeux : « Les partici­
pants du programme online pour­
ront bénéficier d’un réseau de
2 200 anciens du programme, et
des 32 000 de l’EM Lyon. » j
soazig le nevé
connaissances larges sur le sujet »,
précise Emilie Dardenne. Elle a
reçu trente­huit candidatures de
toute la France pour vingt places,
de la part d’enseignants, de mem­
bres d’associations ou encore de
juristes, très majoritairement déjà
sensibilisés à la cause animale.
Certains sont là par intérêt intel­
lectuel, mais pas tous.
« Des professions se créent autour
de ce sujet : on voit apparaître des
postes consacrés à la condition
animale dans les mairies, par
exemple », assure Aude, 42 ans,
salariée dans la communication.
Sensible au bien­être animal, elle a
intégré le DU de Rennes pour « ac­
quérir des savoirs » sur le sujet,
mais elle n’exclut pas une recon­
version professionnelle dans le
secteur de la protection animale.
Car le besoin de personnes
ayant des connaissances spécifi­
ques s’accroît, notamment dans
les associations et les collectivités
locales, a constaté Cédric Sueur,
cofondateur de la spécialisation
de Strasbourg. « Nous avions vu
qu’il existait de plus en plus d’offres
d’emploi qui demandaient de con­
naître l’animal, d’avoir des notions
de biologie et de droit, et aucune
formation spécifique. C’était im­
portant que l’université puisse pro­
poser des formations sur un sujet
qui crée beaucoup de confusion. »
Les étudiants qui obtiennent la
spécialisation dans le cadre d’un
master suivent des cours d’étholo­
gie, d’économie, de droit ou de
philosophie, et intègrent ensuite
des ONG ou un site de la SPA. Les
DU reflètent aussi l’intérêt crois­
sant pour la question animale,
notamment depuis 2015 et l’inser­
tion dans le code civil d’un nou­
veau statut de l’animal comme
« DE PLUS EN PLUS
D’OFFRES
D’EMPLOI
DEMANDENT
DE CONNAÎTRE
L’ANIMAL »
CÉDRIC SUEUR
enseignant-chercheur
complexes. Audencia propose des séminaires innovants basés
sur l’expérience, pour ré-inventer des solutions pertinentes.
Comment chasser l’habitude d’appliquer
des recettes traditionnelles dès qu’une
situation complexe se présente ? Voilà en
termes simples le point de départ d’une
réflexion menée à partir des neurosciences
pour oser abandonner les méthodes trop
classiques.
Le séminaire inédit élaboré par Audencia
propose ainsi de travailler sur les points de
bascule des décisions. Ces moments précis
où une situation imprévue appelle des solu-
tions qui ne doivent plus être dictées par
des modèles économiques prétendument
fiables parce qu’utilisés depuis cinquante
ans. « Ces modèles deviennent obsolètes et
parfois même contre-productifs, explique
Jean-Michel Moutot, professeur à Audencia
et directeur de la chaire innovation et relation
client. En les appliquant à la lettre, on peut
foncer droit dans le mur. Souvenons-nous
de Motorola, leader des téléphones
portables de première génération, qui pour
contrer l’arrivée de l’iPhone, avait renforcé
les recettes de lean management qui
avaient fait son succès, et qui en optimisant
et épurant encore ses méthodes de production
avait précipité sa chute. A posteriori, il
parait évident que Motorola aurait du faire
une pause et comprendre que l’iPhone,
offrant un accès à Internet, constituait une
innovation radicale. Cet exemple confirme
que face à une situation nouvelle, telle
que nous en vivons actuellement avec la
révolution digitale ou les enjeux planétaires
et écologiques, il ne faut pas répondre par
des décisions automatiques, même si elles
semblent rationnelles, mais qu’il faut
passer en mode adaptatif. »
Penser en dehors d’un cadre bien établi
De quoi s’agit-il ? « Notre cerveau est régi
par quatre « gouvernances », décrypte
Christophe Carpinelli, directeur adjoint
Executive Education à Audencia. La
gouvernance instinctive, celle de l’instinct
de survie, active les stratégies de fuite, de
lutte et d’inhibition ; elle est instantanée.
www.audencia.com
La gouvernance grégaire gère la confiance
en soi, les luttes de pouvoir… La gouver-
nance émotionnelle compose avec notre
vécu, nos désirs, préjugés, motivations…
liés à l’histoire de chaque personne. Elles
imposent des décisions à la fois rapides,
puissantes et automatiques dans tous les
domaines qu’elle maîtrise, c’est sa zone de
confort. Enfin, la quatrième gouvernance,
adaptative, gère les situations complexes,
imprévues, non maîtrisées. C’est notre
capacité à « penser out of the box ». Elle
n’est ni rapide ni prioritaire et se trouve
donc court-circuitée par les trois autres. A
ce stade précis, les neurosciences peuvent
intervenir pour identifier des déclencheurs
et mobiliser des raisonnements différents
afin de donner des réponses innovantes.
Pour cela il faut savoir sortir du cadre et
pivoter. Lors de nos séminaires, nous
sortons les participants de leur zone de
confort afin de trouver les points de
bascule. Passer en mode de gouvernance
adaptative s’apprend par l’expérience
vécue dans des situations de tensions posi-
tives, ou par l’analyse du stress comme
« Signal d’Alarme », indiquant que nous
recrutons le Mode Mental inapproprié à la
situation vécue. » La conscientisation de
cette adaptation permet donc une meilleure
gestion du stress et suscite des décisions qui
ne sont pas dictées par des raisonnements
automatiques. « Dans nos séminaires de
« Tipping Point Experience », on incite les
participants à prendre du recul face à leurs
certitudes et habitudes, à les déconstruire
pour être capable d’envisager des modèles
nouveaux, complète Jean-Michel Moutot.
Nous procédons, en quelque sorte à une
« déprogrammation-re-programmation ».
Pendant un ou deux jours, nous entraînons
les participants à basculer en mode adap-
tatif par une gymnastique cérébrale basée
sur des procédés ludiques ou la surprise.
En groupe, le simple fait d’interagir avec
d’autres personnes crée des nouvelles
connexions neuronales. On ressort du sémi-
naire avec les moyens de se challenger. »
8 | à la une
SOIGNER LA RELATION
MÉDECINS-PATIENTS
Littérature, philosophie, éthique… de nouvelles formations en sciences humaines fleurissent
pour permettre aux soignants de questionner leur rapport aux malades
E
n ces temps d’épidémie
de Covid­19, il nous
faudrait tous lire ou
relire La Peste d’Albert
Camus », lance Ber­
nard Devalois. Coresponsable du
diplôme universitaire (DU)
« soins palliatifs, humanisme
et bientraitance » de CY­Cergy­
Paris­Université, le médecin de
Bordeaux n’a pas pu animer
mi­mars le premier séminaire
commun entre sa formation et
le certificat de médecine narra­
tive en raison du coronavirus. Le
thème de la matinée : « Com­
plexités en fin de vie à travers la
narration littéraire ». L’analyse
de textes comme La Mort d’Ivan
À la hauteur
de vos ambitions
LA RÉFÉRENCE MONDIALE
POUR L’ÉVALUATION
DES NIVEAUX D’ANGLAIS
Illitch, de Tolstoï, ou Les Arai­
gnées, de Boris Vian, était au
programme.
Pourquoi s’appuyer sur la lit­
térature pour former des soi­
gnants ? « Ecrire et lire permet
d’arrêter de considérer le patient
comme un objet mais bien comme
un sujet », estime le médecin
lettré. Le DU « soins palliatifs,
humanisme et bientraitance » a
été créé il y a six ans. Il compte
une trentaine de soignants en
exercice. Le certificat de méde­
cine narrative, lui, vient d’ouvrir
et réunit huit inscrites. Toutes
ont des projets d’atelier d’écriture
avec des soignants ou des soi­
gnés. Ergothérapeute en Ehpad,
www.etsglobal.org
LE MONDE CAMPUS JEUDI 2 AVRIL 2020
Mathilde Wagner en met déjà en La médecine est­elle allée trop “sciences humaines et sociales”
place pour ses résidents. « Malgré loin dans la technique en délais­ en médecine passe aujourd’hui
des troubles de la mémoire, ou de sant le côté humain ? Beaucoup de pour une révolution », notait, fin
la parole pour certains, ils pren­ soignants le pensent aujourd’hui. 2019, un rapport conjoint des
nent du plaisir à créer ensemble. Des masters et des diplômes chaires « humanités et santé »,
Ce sera aussi un moyen de les faire universitaires accessibles aux du Conservatoire national des
parler de leur entrée dans la rési­ professionnels de santé ont arts et métiers, et « philosophie à
dence, de la maladie… », espère la fleuri ces dernières années pour l’hôpital », dirigée par Cynthia
professionnelle. tenter d’y remédier. Par essence Fleury, qui cartographie les en­
pluridisciplinaires, ils sont hé­ seignements d’humanités dans
bergés soit par les facultés de les facs de médecine. Titulaire de
médecine soit par les facultés de ces deux chaires, la philosophe
« L’ÉTHIQUE DOIT sciences humaines. le constate : « Les masters sont
DEVENIR UNE nombreux, mais pas toujours
« UNE RÉVOLUTION » équitablement répartis, et les
COMPÉTENCE « Tout se passe comme si l’héri­ modalités d’évaluation de ces
CLINIQUE » tage “humaniste” des sciences enseignements manquent de
CYNTHIA FLEURY médicales avait été oublié, à tel clarté. Nous défendons l’idée
philosophe point que la réintroduction des selon laquelle l’éthique doit être
une compétence clinique et un
critère essentiel pour la qualité de
la décision médicale. »
Le master « éthique du soin et
recherche », proposé conjointe­
ment par les trois universités
toulousaines, fait partie des
pionniers en la matière. Depuis
onze ans, il associe des enseigne­
ments de philosophie, de droit et
de médecine autour des ques­
tions éthiques. « Dans la vie
commençante (demande de
procréation, interruption volon­
taire de grossesse…) comme dans
la vie finissante (soins pallia­
tifs…), les médecins sont confron­
tés à des réflexions éthiques qui
doivent aboutir à des prises de
décision », souligne le professeur
Louis Bujan, coresponsable de
ce master. Cours magistraux,
mise en situation, stage et mé­
moire émaillent les deux années
de formation.
Copyright © 2019 par Educational Testing Service. Tous droits réservés. ETS, le logo ETS et TOEIC sont des marques déposées de Educational Testing Service (ETS) aux Etats Unis et dans d’autres pays, sous licence. RCS 480 969 591 PARIS. * Évaluer pour progresser. ** Compte Personnel de Formation.
L’ART DE LA MÉDECINE
Médecin généraliste dans le ser­
vice de soins palliatifs du CHU de
Toulouse, Sandrine Junqua,
43 ans, est en train de terminer ce
cursus. Elle s’y est engagée « dans
une quête réflexive » : « Les avan­
cées de notre médecine techno­
scientifique repoussent les limites,
mais on ne se demande pas tou­
jours quelles sont les conséquences
de ces traitements sur les pa­
tients. » Le master lui apporte une
ouverture, notamment avec la
philosophie, et une émulation in­
tellectuelle qui transforme sa pra­
tique. « Lors des discussions éthi­
ques, au sein de mon service, les
lectures que j’ai pu faire m’aident à
prendre du recul et à orienter les
questions pour amener de la tem­
pérance », estime­t­elle.
La médecine est un art, martè­
lent ces soignants humanistes.
« Un art qui allie une technê – un
savoir­faire scientifique, pluri­
disciplinaire, très exigeant – à un
autre savoir­faire, relationnel.
Cette relation entre soignant et
patient va engendrer la confiance
ÉLIGIBLE nécessaire au soin. C’est un art
qui lie corps et esprit », analyse
Marie­Elisabeth Sanselme­Carde­
au CPF** nas, gynécologue et présidente de
l’association Médecine et psycha­
nalyse dans la cité. Elle a participé
à la création, fin 2019, d’un DU
consacré à « la relation médecins­
« TOUT SE PASSE
COMME SI
L’HÉRITAGE
“HUMANISTE”
DES SCIENCES
MÉDICALES
AVAIT ÉTÉ
OUBLIÉ »
un rapport du
Conservatoire national
des arts et métiers (2019)
soignants/patients, consciente et
inconsciente » à l’université
Clermont­Auvergne, en partena­
riat avec la chaire de « philosophie
à l’hôpital » et l’université des
patients­Sorbonne. Elle ne cache
pas les réticences auxquelles elle a
dû faire face : « Nous avons
attendu quatre ans avant de pou­
voir ouvrir la formation. »
Originalité de ce programme :
il mêle professionnels de santé
– médecins généralistes, spé­
cialistes, infirmières, ostéo­
pathes… – et « patients­experts ».
Philosophie, psychanalyse, éthi­
que, relations entre généralistes
et spécialités constituent les
grands axes du cursus. « Il s’agit
de remettre la parole au centre,
de réinviter le doute et de consi­
dérer la relation soignant­pa­
tient dans les deux sens. Le soi­
gnant peut aussi apprendre de
son patient », souligne Mylène
Blasco, professeure de linguis­
tique et coresponsable du di­
plôme universitaire.
BURN-OUT
Patiente­partenaire à l’Institut
du sein d’Aquitaine, après avoir
elle­même vécu un cancer du
sein il y a cinq ans, Sabine
Dutheil va rédiger un mémoire
avec une médecin généraliste
dans le cadre de ce DU : « Nous
avons beaucoup à apprendre
l’une de l’autre. Convoquer les
sciences humaines et sociales
favorise la réflexion critique tout
en évitant les certitudes et les
dogmes. »
Cette renaissance des huma­
nités en médecine vient aussi
rencontrer les questions de la
qualité de vie au travail et de sur­
menage des professionnels de
santé. Des formations universi­
taires se placent sur ce terrain,
comme le DU « méditation,
gestion du stress et relation de
soin » de Sorbonne­Université. Il
allie pratique méditative, com­
munication non violente et ré­
flexion philosophique.
Lui aussi a suscité des résistan­
ces à son ouverture, il y a six ans,
mais il est depuis très prisé.
Cinquante professionnels de
santé le suivent chaque année.
« Prendre en compte le champ
émotionnel du malade et du
soignant s’avère essentiel. La frus­
tration de ne pas convaincre un
patient de prendre un traitement
peut être délétère pour un méde­
cin. Les pratiques méditatives
conduisent à mieux ressentir ce
stress et à disposer des ressources
pour stabiliser nos émotions afin
de rentrer dans une relation à la
réalité plus posée », affirme la pro­
fesseure Corinne Isnard­Bagnis,
responsable du cursus.
Patricia Villié en a fait l’expé­
rience. Après plusieurs stages
intenses en réanimation, durant
son internat, elle a fait un burn­
out, sans s’en rendre compte sur
le moment. Après une pause, elle
s’est réorientée en néphrologie.
Son chef de service lui propose
alors de suivre ce DU. « Cette for­
mation m’a permis de prendre en
compte la dimension émotion­
nelle du patient, que je fuyais jus­
qu’ici plus que tout. Les patients
n’attendent pas forcément qu’on
soigne leur corps. Ils attendent
d’aller mieux et ça peut simple­
ment passer par écouter leurs
angoisses », se rend compte la
médecin, âgée de 30 ans. Des
enseignements qui tranchent
avec ses études de médecine :
« On se faisait rabrouer quand on
abordait ces questions émotion­
nelles », se souvient­elle. j
sylvie lecherbonnier
LE MONDE CAMPUS JEUDI 2 AVRIL 2020
à la une | 9

Du sur-mesure pour les autistes Asperger

L’accompagnement de ces publics progresse et des cursus spécifiques voient le jour

F
ace à la conseillère car­
rières de Grenoble Ecole
de management, qui
anime en cet après­midi
de février un atelier sur
le CV et la recherche d’emploi,
François­Xavier, 32 ans, est dubi­
tatif : « Qu’est­ce que je peux bien
apporter à une entreprise ? » Le pu­
blic de cet atelier n’est pas classi­
que : les présents sont tous por­
teurs du syndrome d’Asperger,
l’un des troubles du spectre de
l’autisme. Ils sont inscrits dans la
formation certifiante « data As­
perger » qu’a mise en place l’école
de commerce il y a deux ans, pour
former des analystes de données
et des développeurs. Des métiers
qui demandent de la rigueur, des
capacités d’analyse et de mémori­
sation. Les compétences phares
des personnes Asperger.
Les cours ont lieu à la fois en
présentiel et à distance, pour que
chacun apprenne à son rythme.
Des ateliers d’habileté sociale, un
suivi psychologique et un stage
sont aussi au programme de cette
formation de dix mois, soutenue
par la région Auvergne­Rhône­
Alpes et par des entreprises qui
accueillent les stagiaires.
A Grenoble, la directrice de ce cer­
tificat inédit, Laurence Sirac, elle­
même autiste Asperger, veille au
grain. Le matin même, elle a fait
changer en urgence un néon qui
clignotait dans la salle de cours.
« Une personne autiste est suscep­
tible de traiter toutes les infor­
mations sensorielles au même
niveau. Elle peut être mise en
grande difficulté par cette simple
gêne », souligne­t­elle.
« Certains étudiants autistes
abandonnent leur cursus alors
qu’ils sont très bons intellectuelle­
ment, mais ils n’ont pas les codes
sociaux indispensables pour s’inté­
grer, explique le professeur de psy­
chologie cognitive Patrick Cham­
bres, responsable de la plate­forme
universitaire de formation à dis­
tance au spectre de l’autisme. Il
faut leur donner les moyens de les
acquérir. Ils ont besoin de consi­
gnes explicites et d’un environne­
ment prévisible. Demander à une
personne de travailler telle notion
pour demain n’est pas assez clair,
par exemple. Il faut définir le temps
à passer dessus. Une personne
autiste ne trie pas les informations
et s’attache aux détails. »
Le secret, pour favoriser la réus­
site de ces publics dans l’ensei­
Je suis dispensé d’assiduité au
cours, je passe mes examens dans
une salle isolée… J’étais en échec
scolaire, je suis devenu l’un des
meilleurs de ma promotion. »
KIT DE SENSIBILISATION
Pour passer à la vitesse supé­
rieure, 16 établissements se sont
fédérés en 2018 autour de « cons­
truire une université Aspie­Frien­
dly » (le terme « Aspie » regroupe
les personnes autistes sans défi­
cience intellectuelle). Ce projet a
reçu une dotation de 5 millions
d’euros sur dix ans dans le cadre
du programme « investissements
d’avenir ». « Nous proposons une
approche globale, de la prépara­
tion à l’entrée à l’université, en
passant par les innovations et le
suivi pédagogiques nécessaires,
jusqu’à l’insertion professionnelle
avec les entreprises partenaires »,
détaille Bertrand Monthubert,
ancien président de l’université
Toulouse­III, porteur du projet.
L’accent a d’abord été mis sur la
formation de la communauté uni­
versitaire et l’échange de bonnes
pratiques. Un centre de ressources
vient d’être mis en ligne, quelques
jours avant la Journée mondiale
de sensibilisation à l’autisme, le
2 avril. En 2019, près de 500 ensei­
gnants et administratifs ont été
SEIZE
ÉTABLISSEMENTS
SE SONT FÉDÉRÉS
EN 2018 AUTOUR
DU PROJET
« CONSTRUIRE
UNE UNIVERSITÉ
ASPIE-FRIENDLY »
formés aux particularités de
l’autisme. L’université Paris­Sa­
clay propose aussi aux personnels
un kit de sensibilisation pour
aider tout un chacun à se rendre
compte des difficultés rencon­
trées par les personnes avec TSA.
Le kit propose par exemple de se
mettre dans une situation de
« surcharge sensorielle », avec une
tâche à effectuer dans un environ­
nement stressant, assis sur un
coussin piquant. « Il est important
de soulever les incompréhensions
qui peuvent naître. Non, l’étudiant
n’est pas malpoli. Ce sont ses trou­
bles autistiques qui créent ces com­
portements qui peuvent sembler
bizarres au premier abord », insiste
Ghislain Remy, chargé de mission
handicap de l’établissement.
L’université Clermont­Auvergne,
elle, a créé fin 2019 des « cafés As­
perger » où se retrouvent chaque
mois élèves, enseignants et per­
sonnels qui le souhaitent pour
discuter de manière informelle
des expériences de chacun,
autiste ou non. « Pour diverses rai­
sons liées au secret médical ou à
une certaine réserve des personnes
concernées, les étudiants autistes
restent, à quelques exceptions
près, invisibles et inaccessibles,
alors même que c’est pour eux
que nous travaillons », remarque
Hélène Vial, maîtresse de confé­
rences et référente « Aspie­Frien­
dly » de cette université.
L’épidémie de coronavirus est
venue chambouler tout ce qui
avait été mis en place et fragiliser
ces étudiants. A Grenoble, Lau­
rence Sirac a immédiatement
réagi : « Le changement de calen­
drier et de consignes génère un
grand stress. Nous avons mis au
point des outils pour accroître no­
tre vigilance, même à distance. » j
sylvie lecherbonnier

CHANGER UN NÉON
Quatorze étudiants de 18 ans à
43 ans composent la seconde pro­
motion de ce cursus. Beaucoup
ont des parcours atypiques. Cer­
tains n’ont pas le bac. Après une
IL ÉTAIT
gnement supérieur, tient en un
mot : l’accompagnement. « Cela
demande la mobilisation de toute
la communauté éducative, une
adaptation de la pédagogie et de
l’accueil », remarque Julien Soreau,

scolarité chaotique et dix années à
donner des cours de musique,
François­Xavier espère trouver un
emploi stable avec cette forma­
tion. « Mon objectif principal pen­
dant toutes ces années a été de
UNE FOIS,
responsable du pôle diversité de
l’EM Normandie et coanimateur
du groupe handicap de la Confé­
rence des grandes écoles. Cet ac­
compagnement s’avère payant.
« Nous avions cette année une per­

m’adapter à la société », assure ce
pianiste, qui a été diagnostiqué il y
a trois ans et demi.
Autre élève de la promo, Nadir
Zaghlan raconte que ses études
d’ingénieur ont été un calvaire.
« J’avais beaucoup de mal à m’inté­
grer dans les travaux de groupe »,
dit­il, confiant être tombé en dé­
pression à cette époque. C’est lors
des stages que ses difficultés pren­
nent de l’ampleur. « Toutes les
stratégies que j’avais mises en
place pour avoir l’air comme tout
le monde ne fonctionnaient plus. Je
n’avais pas les codes, et je dépen­
sais trop d’énergie pour compenser
mes difficultés. » Une fois diplômé,
Nadir est devenu animateur d’un
centre aéré pour enfants en situa­
tion de handicap, un milieu où il
se sent plus à son aise. Il reprend
confiance. Et décide de se faire
diagnostiquer. Un parcours du
combattant qui le conduit au cer­
tificat « data Asperger ». « C’est un
soulagement de rencontrer des
personnes qui possèdent les mê­
mes troubles que moi et de bénéfi­
cier d’une formation adaptée. »
Handicap invisible, les troubles
du spectre de l’autisme (TSA), de
plus en plus détectés à l’échelle de
la population, provoquent majo­
ritairement des lacunes relation­
nelles et une hypersensibilité. Ils
nécessitent une grande attention
de la part des équipes éducatives.
VOUS.
sonne autiste qui suivait le pro­
gramme grande école de l’EM en
formation continue – il avait en­
tamé une reconversion après ses
50 ans. Il est venu nous voir au
cours de son année de master 1,
alors qu’il était sur le point d’aban­
donner. Il ne supportait plus le
regard des autres et se sentait
incompris des enseignants. Nous Vous et vos envies,
Vous et vos objectifs professionnels :
avons basculé sa formation en
e­learning et je suis devenu son
interlocuteur unique. Il est en train
de terminer avec succès son cur­ changez le cours de votre histoire
sus », raconte Julien Soreau.
avec l’IAE Paris-Sorbonne
ANGOISSE EN AMPHI
Gabin Widendaele, lui aussi, a vu
Business School
la différence. Etudiant à l’univer­
sité d’Avignon, il a été diagnosti­
www.iae-paris.com
qué Asperger à 18 ans, mais n’a
pas voulu le signaler à son établis­ du 04/05/20 au 01/06/20
sement. « Aller en amphi me don­
nait des crises d’angoisse. Il y avait
trop de monde, le micro était trop
fort, il y avait trop de lumière », se
souvient­il. Il enchaîne quelques
semaines en licence « méthodes
informatiques appliquées à la
gestion des entreprises » (Miage),
puis un semestre en philosophie,
un semestre en physique, avant
d’atterrir en licence information­
communication. Il décide alors
de contacter le relais handicap de
son université, qui lui propose un
régime d’études adapté. « Ça a
tout changé, explique l’étudiant.

L’APPRÉHENSION
DES TROUBLES DE L’AUTISME
PROGRESSE DOUCEMENT
Parmi les autistes, seulement 13 % suivent des études
supérieures. Alors que 81 % d’entre eux sont scolarisés
en maternelle, et 32 % au lycée, selon une enquête de 2013.

En 2018, le ministère de l’enseignement supérieur

a recensé 863 étudiants autistes suivis par
les dispositifs handicap des universités et écoles sous
sa tutelle. Un chiffre en augmentation de 35 %
par an depuis 2016, mais qui ne prend pas en compte les
nombreux étudiants qui ne souhaitent pas se signaler ni ceux
qui seront diagnostiqués plus tardivement dans leur vie.

On estime à 1 % la prévalence de l’autisme

dans la population.
10 | histoires
J’AVAIS 20 ANS
« MON
PARCOURS NE
RESSEMBLE
PAS À CE QUE
J’AVAIS PRÉVU »
BERTRAND PÉRIER
Cet avocat, maître de l’éloquence,
raconte son itinéraire de bon élève et
son goût, né sur le tard, pour la parole
Bertrand Périer, le 5 septembre 2019. SAMUEL BOIVIN
E
n plein confinement, il (JC Lattès, 2017 et 2019), acteur le bâtiment, ma mère secrétaire fier. Ma mère, initialement infir­
s’exclame : « Votre appel dans A voix haute, de Stéphane médicale. Nous faisions partie de mière dans un bloc opératoire, a
est une lueur dans ma de Freitas et Ladj Ly, et Banlieu­ la petite bourgeoisie : pas de pro­ souhaité changer de métier pour
journée ! » Orateur, hâ­ sards, de Leïla Sy et Kery James, il blème d’argent mais nous n’étions se dégager du temps : elle m’a fait
bleur, on imagine mal savoure aujourd’hui son succès. pas riches comme Crésus. Mes faire mes devoirs jusqu’à très tard !
Bertrand Périer rester muet long­ parents étant tous deux autodi­
temps. Avocat au Conseil d’Etat et Dans quel milieu avez­vous dactes, ils accordaient à mes étu­ Aviez­vous de bons résultats ?
à la Cour de cassation, il enseigne grandi ? des une importance toute particu­ Coup de bol, oui ! J’étais tête de
la prise de parole en public. Auteur J’ai été élevé en banlieue pari­ lière. Ils mettaient des moyens classe au collège et au lycée, dans
de La parole est un sport de com­ sienne, à Clamart, dans le « 9­2 ». hors du commun pour que je un environnement pas hyper­
bat et Sur le bout de la langue Mon père était entrepreneur dans réussisse à l’école, quitte à se sacri­ compétitif. En revanche, j’étais
d’une nullité abyssale en mathé­
matiques. Comme tant d’autres,
on m’a emmené au forceps jus­
qu’au bac C [scientifique], à l’épo­
que, filière incontournable pour
les bons élèves dans l’imaginaire
des enseignants. J’aurais voulu
poursuivre en classe prépa mais
les résultats en maths y ont fait
obstacle. Je ne pouvais entrer ni en
prépa d’école d’ingénieurs ni en
prépa de commerce. Quant à
l’hypokhâgne, je ne savais même
pas que ça existait.
Vous obtenez le bac à 16 ans :
difficile de se connaître pour
bien s’orienter à cet âge­là…
Oui, fatalement. Comme beau­
coup de bons élèves qui ne savent
pas ce qu’ils vont faire dans la vie,
j’ai choisi Sciences Po. Ce n’était
pas un pis­aller, mais une façon de
retarder les choix. Cela m’arran­
geait de rester généraliste et de
conserver un large panel de ma­
tières. Parallèlement, je me suis
inscrit à Assas, à la faculté de droit.
Il fallait tout de même que j’ajoute
une corde à mon arc. En ce
temps­là, on nous mettait dehors
au bout de trois ans ! A 20 ans, je
suis donc diplômé de Sciences Po.
Établissement d’enseignement supérieur privé. Cette école est membre de
Avec un projet pour la suite ?
Faire l’ENA ! C’était le modèle de
réussite que l’on nous présentait
94%
comme l’alpha et l’oméga d’abso­
lument tout. A Sciences Po, on
nous donnait à admirer le sé­
de nos certifiés millant inspecteur des finances
sont en emploi ou le fringant auditeur au Conseil
d’Etat. J’ai passé le concours et j’ai
(dont 80% en CDI) échoué. Une fois à l’écrit, une fois à
l’oral, en 1994 et 1995. En 1995, j’en­
tre à HEC. Jamais l’idée de faire
carrière dans la finance ou le mar­
keting ne m’a effleuré, j’y suis allé
en passager clandestin. A ce mo­
ment­là, je sais que je serai avocat.
J’aimais la rigueur du raisonne­
APRÈS UN BAC +2 TOUTES FILIÈRES CONFONDUES ment, ce côté implacable des rè­
gles d’organisation d’une société.
DEVENEZ DÉVELOPPEUR ET BOOSTEZ VOTRE CARRIÈRE
Avez­vous souffert
FORMATION EN 22 SEMAINES de cet échec à l’ENA ?
Quand la porte se ferme, à
Nos formations sont délivrées sur l’ensemble des campus Epitech 22 ans, c’est un renoncement dif­
ficile. Sans savoir ce que cela re­
www.coding-academy.fr couvrait comme métiers, j’étais
persuadé que devenir haut fonc­
tionnaire représentait l’unique
forme d’accomplissement possi­
ble. Je savais simplement que cela
désignait la réussite scolaire, puis­
LE MONDE CAMPUS JEUDI 2 AVRIL 2020
qu’il s’agissait des concours les
plus difficiles de la République.
Cet échec fait partie des bagages
avec lesquels on vit. Ce n’est pas
non plus la fin du monde.
Devenir avocat, était­ce finale­
ment un choix par défaut ?
Je n’étais pas comme ces confrè­
res qui étaient révoltés par les in­
justices dès l’école maternelle. Je
n’étais pas un avocat de vocation,
je l’ai été objectivement par rési­
gnation. Aujourd’hui, je le suis par
conviction : je me suis réconcilié
avec ce métier que je n’ai pas
choisi. Je crois qu’on ne fait pas des
études pour soi, mais pour rendre
fiers ses parents. Ils m’ont donné
la possibilité d’aller au bout de
mes capacités. Et puis j’ai aimé
Sciences Po, cette vie associative,
ce bouillonnement politique… Je
me souviens que nous avions
occupé l’école : quel moment mar­
quant que de passer la nuit à jouer
« À SCIENCES PO,
NOUS AVIONS
UNE ORALITÉ
D’EXPOSÉS,
POUSSIVE, SANS
PLAISIR »
les révolutionnaires de pacotille !
Le directeur avait réduit les bour­
ses et augmenté les droits d’ins­
cription. Nous avions trouvé très
fin de renommer notre amphi­
théâtre « l’amphi Farinelli », en
référence à ce castrat italien à qui
l’on avait coupé les bourses !
C’est à Sciences Po que vous
avez découvert l’importance
de la parole ?
Non, c’est venu bien plus tard. Je
n’avais rien du tribun d’estrade
dans ces mouvements ! A Scien­
ces Po, nous avions une oralité
d’exposés, poussive, sans plaisir,
qui ressemblait à un succédané de
l’écrit. Cela n’avait rien à avoir avec
l’expression d’une conviction per­
sonnelle. Je garde aussi un souve­
nir très pauvre de mon grand oral
pour l’ENA : un exercice affreuse­
ment académique.
A 20 ans, qu’est­ce qui comptait
pour vous, à part les études ?
Absolument rien. D’ailleurs,
j’habitais toujours chez mes
parents. Aujourd’hui, je dis à mes
étudiants à Sciences Po de ne pas
reproduire cette erreur et de ne
pas oublier de s’épanouir dans
d’autres sphères. Enfin si, j’avais
une chose : la musique. Je res­
quillais aux concerts trois, quatre
fois par semaine. Je suis toujours
un monomaniaque du piano.
Dates-clés
1972 Naissance à Neuilly-
sur-Seine (Hauts-de-Seine)
1999 Avocat au barreau
de Paris
2003 Secrétaire de la Confé-
rence du barreau de Paris
2012 Première participation
au programme Eloquentia
2016 Avocat au Conseil d’Etat
et à la Cour de cassation
2017 Parution de La parole
est un sport de combat,
son premier livre (JC Lattès)
Avez­vous des regrets quant
à votre jeunesse ?
Oui, je regrette de ne pas être
parti vivre à l’étranger. Découvrir
un pays, se déraciner de son mi­
lieu… Cela m’aurait fait beaucoup
de bien de me confronter à ce type
d’expérience. Même à HEC, pour
mon stage à l’étranger, j’ai fait le
mauvais choix d’aller à Bruxelles.
C’était stupide, il fallait évidem­
ment partir à Rio ou à Tokyo !
Votre déclic a été tardif ?
Ce que j’avais semé à 20 ans, je l’ai
récolté à 30, en me réconciliant
avec la parole. J’ai découvert cette
oralité joyeuse et festive quand j’ai
réussi le concours d’éloquence du
barreau de Paris, en 2003. La pa­
role est devenue nécessaire, et j’ai
commencé à l’enseigner. Ensuite,
j’ai été embarqué dans l’aventure
Eloquentia, un programme éduca­
tif de prise de parole en public.
Puis dans le film A voix haute. Le
hasard décide pour vous…
Je trouve effroyable de voir ces
jeunes de 19 ans, en fac de droit,
qui connaissent déjà leur date de
prestation de serment d’avocat.
Moi, je suis en permanence per­
clus de doutes. Ma vingtaine a été
une période d’incertitude, de
construction aussi, de tâtonne­
ments. La grande leçon de ces
années, c’est que rien n’est écrit.
Mon parcours ne ressemble ni à
ce que j’avais prévu ni à ce que
j’avais rêvé. Mais le travail finit par
porter ses fruits. Ne vous dites pas
que la vie s’arrête si vous échouez
quelque part !
Enseigner, en Seine­Saint­
Denis notamment, continue
de vous nourrir ?
C’était un défi de confronter ma
vision de la parole à un autre mi­
lieu. Celle avec laquelle j’ai été
élevé en préparant le concours du
barreau n’a pas tenu 15 secondes
en Seine­Saint­Denis ! Désormais
j’enseigne aussi différemment à
Sciences Po : une parole moins for­
matée, moins sophiste, plus spon­
tanée ; dans l’expression d’une
conviction réelle plus que dans
l’exercice de style. Initier à l’exorde
et la péroraison n’est qu’un pré­
texte pour rencontrer des gens et
encourager des parcours.
Avec le recul, pensez­vous que
20 ans était votre plus bel âge ?
Pas une seconde ! J’ai 47 ans et
ces cinq dernières années ont été
extraordinaires, avec les films, les
livres, le petit peu de notoriété…
20 ans, c’était l’âge des concours,
du jugement, d’une forme de
pression. Mais c’est aussi parce
que je ne m’en suis pas fait le plus
bel âge : cela ne tient qu’à vous. j
propos recueillis par
léa iribarnegaray
LE MONDE CAMPUS JEUDI 2 AVRIL 2020
VALORISER LES LANGUES D’ORIGINE
Il n’est pas toujours facile pour les jeunes de mettre en avant cet héritage familial
P
endant longtemps,
Samir, 24 ans, étudiant
en communication,
avait du mal à « assu­
mer » ses origines
culturelles et son bagage linguisti­
que. « Ma mère est d’origine algé­
rienne, mon père d’origine tchèque.
Ils ont tout donné pour que l’ascen­
seur social fonctionne et ils ont
fait passer leur culture au second
plan. J’appartiens à cette généra­
tion issue de l’immigration à qui
les parents ont inculqué en priorité
l’importance du français », raconte
ce Rémois, qui ne parle pas tchè­
que et affirme avoir une connais­
sance « orale » de l’arabe oranais.
« Pendant longtemps, j’ai eu peur
que cela me desserve, j’ai même
hésité à franciser mon nom. C’est
un voyage aux Etats­Unis, en ter­
minale, qui m’a libéré : j’ai réalisé la
force du multiculturalisme, surtout
à l’ère de la mondialisation. J’ai
compris que mon identité plurielle
était un plus, qu’elle me rendait
plus ouvert d’esprit, et plus flexi­
ble », raconte le jeune homme.
Sur son CV, la langue arabe
figure aux côtés de l’anglais et de
l’allemand, et cette compétence
donne lieu, comme d’autres, à
des discussions en entretien
d’embauche et avec ses potentiels
recruteurs. « Lors de mon stage
précédent, où j’étais assistant dans
une agence qui travaillait avec le
Moyen­Orient, ce fut clairement
utile », poursuit Samir, avant d’in­
viter les jeunes dans son cas « à ne
surtout pas s’autocensurer ».
DISCRIMINATIONS
S’autocensurer ? Ils et elles sont
nombreux à nous avoir confié
des histoires similaires : ne pas
savoir « quoi faire » de leur
connaissance des langues fami­
liales originelles, surtout quand
celles­ci sont liées aux vagues
migratoires postcoloniales. Si la
France compte de 3 à 4 millions
d’arabophones, selon le minis­
tère de la culture, beaucoup ont
l’impression que ces langues ne
servent « à rien », socialement et
professionnellement. Et qu’elles
les desservent, dans un contexte
où persistent les discriminations
à l’embauche des candidats ayant
un nom à consonance maghré­
bine, comme en témoignent les
opérations de « testing » menées
sous la direction de Jean­François
Amadieu, cofondateur de l’Obser­
vatoire des discriminations.
Pourtant, les cabinets de recru­
tement, chercheurs, conseillers
en orientation ou enseignants
que nous avons interrogés sont
unanimes : le plurilinguisme est
une force, que les langues en ques­
tion soient partiellement ou par­
faitement maîtrisées. Autrement
dit, ils recommandent de cultiver
et de valoriser ces connaissances
linguistiques et culturelles, dans
sa vie comme sur son CV, dans les
cursus d’excellence comme sur
Parcoursup (dans la rubrique
« ouverture au monde », située
dans les « centres d’intérêt »).
Certains prennent conscience
tardivement de cette richesse.
Naît alors le regret de ne pas les
avoir assez pratiquées. Ilyass,
26 ans, confie ainsi avoir renoué
tardivement avec l’arabe maro­
cain de ses parents, après des
années à entretenir des rapports
ambigus avec leur culture. « A
10 ans, je rejetais l’arabe, insistant
« LE CHINOIS, LE
RUSSE, L’ARABE
OU LE PORTUGAIS
SONT DE PLUS
EN PLUS UTILES »
DELPHINE HERVÉ
consultante
en recrutement
génération | 11
PREMIER EMPLOI
sur ma bonne maîtrise du fran­ souffre d’inégalités territoriales « Il est important de mieux plus poussée des jeunes profes­
çais. Puis, une fois arrivé dans un et de fortes tensions politiques. outiller les jeunes, qu’il y ait une L’ENSEIGNEMENT seurs « aux biographies langagiè­
lycée parisien entouré de gens En témoignent les polémiques à logique d’apprentissage permet­ res » de leurs élèves.
n’ayant grandi qu’avec le français, répétition autour des enseigne­ tant de dépasser la dichotomie
DES LANGUES Autrement dit, de nouvelles
je me suis mis à revendiquer cette ments langue et culture d’origine entre les dialectes et l’arabe litté­ EN PRIMAIRE ET générations d’enseignants sou­
langue qui m’était pourtant deve­ (ELCO), dispositifs censés permet­ ral. Après tout, ça ne pose pas de haitent donner une plus grande
nue de plus en plus étrangère. » Il tre aux élèves, du CE1 jusqu’au problème en espagnol : le fait
EN SECONDAIRE place aux connaissances linguis­
multiplie désormais les sessions lycée, d’apprendre l’arabe, le por­ d’avoir appris le castillan n’empê­ SOUFFRE DE tiques et culturelles transmises
de rattrapage avec ses parents, en tugais, l’italien, le turc ou encore le che pas de communiquer avec un par les familles mais aussi par les
regardant la télé marocaine ou serbe, qui déchaînent les passions Argentin », note­t­il. Il lui paraît
FORTES TENSIONS films, la musique et les récits qui
avec des amis. à chaque tentative de réforme. en outre essentiel de travailler POLITIQUES nourrissent les élèves. « L’enjeu
« Les langues les plus valorisées « L’apprentissage est rendu compli­ autour de la réputation de la lan­ est qu’ils comprennent par exem­
pour trouver un travail, bien sûr, qué par le stigmate associé à la gue. « Le portugais, lui aussi ple que leurs mots en wolof ont
restent le trio de tête anglais­espa­ culture arabe en France, mais aussi langue d’immigration, a long­ tion pour redonner à l’arabe ses autant de valeur que l’anglais,
gnol­allemand, avec une domina­ par la linguistique elle­même, temps souffert de stéréotypes et lettres de noblesse. qu’ils se sentent plus en confiance,
tion incontestée de l’anglais. Mais puisque la langue commune n’est de caricatures, mais la commu­ En attendant un hypothétique que ce bagage serve de socle
d’autres, telles que le chinois, le finalement la langue de personne ; nauté portugaise a su le mainte­ apaisement autour de ces ques­ d’apprentissage à d’autres compé­
russe, l’arabe, le portugais ou, les dialectes sont la norme », note nir vivace. L’image positive du tions, Sandrine Eschenauer, cher­ tences. Et que l’on crée ainsi des
dans une moindre mesure, l’hindi Nabil Wakim, journaliste au Brésil joue également un rôle : elle cheuse en sciences du langage à ponts entre la culture de l’école et
sont de plus en plus utiles profes­ Monde et auteur de l’ouvrage à a donné envie à des Français sans l’université d’Aix­Marseille, in­ les cultures des élèves », explique­
sionnellement », résume Delphine paraître aux éditions du Seuil lien avec la culture lusophone vite à l’optimisme. Formatrice t­elle. Pour que, une fois jeune
Hervé, consultante en recrute­ L’Arabe pour tous. Pourquoi ma d’apprendre la langue », analyse d’enseignants en langues du adulte, ceux­ci se sentent auto­
ment chez Mozaïk RH, cabinet langue est taboue en France. Résul­ le journaliste et auteur, estimant premier et du second degré, elle risés à les valoriser. j
spécialisé dans l’inclusion écono­ tat : la qualité laisse à désirer. qu’il y a là une source d’inspira­ constate une attention de plus en iris derœux
mique et la lutte contre les discri­
minations à l’embauche. Elle sou­
ligne la valeur de ces langues
dans les secteurs divers pour les­
quels son cabinet est sollicité : la
vente de détail, l’immobilier de
luxe, le secteur associatif et les
ONG où il s’agit d’être au plus
près des bénéficiaires, le génie
civil, les affaires internationales…
« Il y a un décalage entre l’offre et
la demande, puisque ces langues
ne se retrouvent pas assez dans les
cursus scolaires les plus emprun­
tés. C’est dommage, car la France
dispose de cette richesse linguisti­
que, notamment dans les quar­
tiers, sur laquelle il serait possible
de capitaliser », analyse­t­elle.
Delphine Hervé conseille donc
de bien indiquer son niveau de
langue sur son CV, ainsi que le
contexte d’utilisation, et de ne
pas hésiter à faire certifier ces
connaissances. D’autant qu’a été
créé en 2019 le certificat interna­
tional de maîtrise en arabe mo­
Ne changez pas,
derne standard (CIMA), délivré
par l’Institut du monde arabe,
afin d’évaluer les niveaux sur le
même modèle que le TOEFL en
anglais ou le DELE en espagnol.
révélez-vous.
Un certificat utile pour celles et
ceux qui ne passent pas par des
cursus diplômant en langue,
telles les licences de langues à
l’université, ou par l’Institut
national des langues et civilisa­
tions orientales (Inalco).
INÉGALITÉS TERRITORIALES
Du côté des grandes écoles, il y a
là aussi une carte à jouer puis­
que celles­ci insistent de plus en
plus sur la connaissance d’une
deuxième langue étrangère après
l’anglais – la seule maîtrise de
l’anglais pouvant paraître insuffi­
sante sur un marché du travail
Sciences Po Executive Education forme
tendu et compétitif. Pour Jörg
Eschenauer, président du dépar­ les professionnels aux compétences
tement langue et culture de
l’Ecole des ponts et chaussées, à la et aux métiers de demain.
tête du groupe de travail « lan­
gues » de la Conférence des gran­
des écoles, la maîtrise d’autres
langues est stratégique pour des
entreprises qui mènent des affai­
res à l’international : « On sait
parfaitement que, dans une négo­
ciation avec des partenaires étran­
gers, l’essentiel se trame par exem­
ple au café, ou après la réunion de
travail qui s’est tenue dans un
anglais souvent lamentable. Lors
de ces moments, avec ces quelques
mots échangés en portugais ou en
arabe, la connivence est créée, et
fait la différence. »
Selon Jörg Eschenauer, la ques­
tion de l’utilité du plurilinguisme
ne devrait donc même pas se
poser. Simplement, pour parve­
nir à des cursus d’excellence en
misant sur une deuxième langue,
encore faut­il que celle­ci soit
maîtrisée et donc qu’un appren­
tissage continu de qualité ait eu
lieu. C’est là que le bât blesse.
L’enseignement de ces langues
en primaire et dans le secondaire
12 | génération
VIE ÉTUDIANTE
CHATS ET
CHIENS POUR
LES RATS DE
BIBLIOTHÈQUE
Médiation animale, massages,
prêts divers… les bibliothèques
universitaires se repensent
comme des tiers-lieux de vie
D
epuis la fermeture
imposée des biblio­
thèques universitai­
res (BU) pour cause
d’épidémie due au
coronavirus, Virgile Régnier,
22 ans, étudiant en master « mon­
des médiévaux » à l’université de
Lyon­II, se sent un peu comme un
naufragé. Reclus chez ses parents,
en Ardèche, le jeune homme a ac­
cès au fonds documentaire en li­
gne de l’université, mais son cadre
de travail habituel lui manque.
« Les BU de Lyon sont pour moi de
véritables lieux de vie », dit­il.
« Avec l’écriture de mon mémoire,
j’y passe près de six à sept heures
par jour. J’y croise toujours des
connaissances. Parfois, j’y donne
même des rendez­vous. » Comme
si ces bibliothèques étaient deve­
nues sa deuxième maison.
Pour nombre d’étudiants, ces
fermetures laissent un vide. Les
BU ne sont pas de simples lieux de
travail, de consultation ou de
prêts d’ouvrages. « Les nouvelles
générations n’ont plus le même
rapport aux livres, et surtout n’ont
plus forcément besoin de venir en
bibliothèque pour accéder aux res­
sources documentaires, observe
Frédéric Saby, coauteur en 2013 de
L’Avenir des bibliothèques (Presses
de l’Enssib). Le taux d’emprunt des
documents imprimés s’est effon­
dré. A la bibliothèque droit et let­
tres de Grenoble, il a été divisé par
trois en vingt ans. » Les fonctions
et les services offerts par les
539 BU de France, qui ont accueilli
69,5 millions de visiteurs en 2017,
sont en profonde évolution.
Les étudiants cherchent dans ces
lieux non plus seulement des
espaces silencieux pour réviser,
mais aussi « des lieux vivants qui
soient de véritables objets “motiva­
tionnels” », constate Nathalie Clot,
qui chapeaute les deux sites d’An­
gers. L’institution a aménagé dans
ses murs une galerie d’art, pro­
pose des « tests de condition physi­
que, des cours de sophrologie, des
séances d’initiation à l’automas­
sage » ainsi que des ateliers de mé­
diation animale avec des chiens.
A la bibliothèque Saint­Serge
d’Angers, un mercredi soir de
mars avant le confinement, une
quinzaine d’étudiants, assis en
cercle sur des couvertures. Nova,
une chienne Cavalier King
Charles noire fait le tour de cha­
cun, comme pour dire bonjour.
« Vas­y, donne­nous ton dos »,
lance une douce voix féminine à
Heaven, l’un des deux Golden
Retriever également invités en
vedettes. Quatre mains caressent
sa robe dorée. « Voir des chiens à
la BU me fait vraiment du bien »,
assure Louise, étudiante en
deuxième année de médecine, le
visage barré par de grosses
lunettes rondes. « Ça me change
les idées, ça m’apaise. Je vais repar­
tir en me disant : en fait, c’était une
bonne journée. » « S’occuper d’un
animal est une thérapie hors pair
pour s’évader et se retrouver
soi­même », confirme Myriam,
avant d’ajouter : « Malheureuse­
ment quand on est étudiant, on a
rarement la possibilité d’en ac­
cueillir un chez soi… Ces ateliers
sont donc un bon palliatif. »
LE MONDE CAMPUS JEUDI 2 AVRIL 2020
Atelier de médiation
canine, le 4 mars,
à la bibliothèque
universitaire Saint­
Serge d’Angers.
FRANCK TOMPS POUR « LE MONDE »
et une bibliothèque de plus de
50 salles de travail. Montant du
projet : 30 millions d’euros.
« Nos décideurs commencent à
comprendre que les bibliothèques
ne sont pas qu’une source de
dépenses, mais aussi un vecteur
d’attractivité et un partenaire de
réussite pour nos étudiants », se
félicite Yann Marchand, directeur
adjoint du Service commun de la
documentation de l’université de
Lille. Mais les attentes des étu­
diants, elles, concernent plutôt
les amplitudes horaires. « Si les BU
pouvaient commencer par ouvrir
le soir après 19 heures et le diman­
L’idée est née à la suite d’une bla­ versités de Paris, qui mise aussi Développer des lieux hybrides, faire les universités françaises. A che, ce serait déjà pas mal », note
gue de 1er avril. Une photo de lapin sur l’ouverture à d’autres services : studieux et conviviaux, des tiers­ l’image de Lille qui a inauguré, en Guillaume Gebel, 21 ans, étudiant
postée sur le compte Twitter de la « Pour faciliter la vie des étudiants lieux inspirés des home­like libra­ septembre 2016, un learning cen­ à Metz, qui remarque qu’en Alle­
BU, accompagnée du message sui­ et les toucher en plus grand nom­ ries, ces bibliothèques « comme à ter futuriste baptisé Lilliad. A l’in­ magne, des bibliothèques sont
vant : « Bientôt un nouveau service bre, le pôle d’orientation et de pro­ la maison » répandues dans les térieur : un café, un espace événe­ ouvertes jusqu’à 23 heures tous
@BUAngers au moment des exa­ fessionnalisation organise aussi pays anglo­saxons et nordiques, mentiel, un lieu expérimental va­ les jours, dimanches compris. j
mens : un temps de détente et de des permanences dans nos murs. » c’est le pari que commencent à lorisant la recherche à l’université élodie chermann
douceur en compagnie de nos
lapins de lecture. » Devant les réac­
tions enthousiastes des étudiants,
Nathalie Clot a décidé de tester la
formule avec des chiens, des chats
et des rongeurs. « A la BU, on gère
régulièrement des crises d’an­
goisse. Les étudiants se mettent
beaucoup la pression pour réussir.
Certains, notamment parmi les
étrangers, souffrent d’un profond
sentiment de solitude. D’où l’im­
portance de trouver de nouveaux
moyens pour améliorer leur bien­
être », estime­t­elle.
TIPIS, MATELAS, TAPIS
Depuis, la formule cartonne. Plus
de 700 étudiants ont participé à
l’opération depuis son lance­
ment, en novembre. On entend
pourtant d’ici les critiques : est­ce
bien là le rôle d’une BU ? « Oui,
martèle Marc Martinez, président
de l’Association des directeurs et
personnels de direction des bi­
bliothèques universitaires et de la
documentation. Si les élèves se
sentent bien dans leur lieu de vie,
ils seront en meilleures conditions
pour réussir leurs études. »
Ces dernières années, toutes les
bibliothèques universitaires, en
France comme à l’étranger, riva­
lisent d’idées pour améliorer
TRANSF RMER
« l’expérience utilisateur ». Et cela
passe d’abord par une reconfigu­
ration complète de leurs espaces.
« Pour répondre aux différents
besoins des usagers, on se doit de
proposer à la fois des zones silen­
cieuses, des salles de travail en
groupe et des coins autres pour té­
léphoner, boire, manger ou même
dormir », énumère Frédéric Saby.
En 2017, la bibliothèque santé de
l’université Jean­Monnet de Saint­
Etienne a inauguré une salle de
sieste de 40 m2 avec tipis, matelas
et tapis colorés pour permettre à
ses étudiants en médecine de se
reposer. Une initiative, à l’époque
inédite en France, qui a depuis fait
des petits, à Rennes­II, à Bichat à
Paris, ou encore à Joseph­Fourier,
dans la banlieue de Grenoble.
Les offres proposées aux étu­
diants et aux enseignants­cher­
cheurs se sont étoffées. « Dans les
bibliothèques de l’université de
Paris, on met désormais gratuite­
ment à disposition des ordinateurs
portables, des casques antibruit,
des clés USB, des antivols de vélo et
même, sur deux de nos 22 sites, du
matériel de production vidéo », se
félicite Amélie Morin­Fontaine,
chargée de communication à la
direction des bibliothèques d’uni­
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