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État, libéralisme et christianisme

Critique de la subsidiarité européenne


La Nouvelle Bibliothèque de Thèses a vocation à publier, chaque année,
les thèses de science politique primées par un jury universitaire,
sur de stricts critères d’excellence et d’originalité.
Les thèses publiées en 2012 ont été soutenues
au cours de l’année 2010/2011.
La sélection a été établie par :
Armelle LEBRAS-CHOPARD
Chargée de mission à l’égalité des chances femmes/hommes
dans l’enseignement supérieur
Michel MIAILLE
Professeur émérite à l’Université de Montpellier I
Frédéric SAWICKI
Professeur de science politique à l’Université Paris I

Thèse soutenue sous le titre

L’ÉTAT POST-TOTALITAIRE
Au principe de la subsidiarité européenne :
libéralisme et christianisme

Membres du jury
M. Loïc AZOULAI
Professeur des Universités, Université Paris II Panthéon-Assas —
Institut universitaire européen (Florence)
M. Jean-Marie DONEGANI (directeur de thèse)
Professeur des Universités, Institut d’études politiques de Paris —
École doctorale de Sciences Po
M. Jean-François KERVÉGAN (président)
Professeur des Universités, Université Paris I Panthéon-Sorbonne —
Institut universitaire de France
M. Philippe PORTIER (rapporteur)
Professeur des Universités,
Directeur d’études à l’École pratique des hautes études (Paris-Sorbonne)
Mme Sabine SAURUGGER (rapporteur)
Professeur des Universités, Institut d’études politiques de Grenoble —
Institut universitaire de France
NOUVELLE BIBLIOTHÈQUE DE THÈSES

État, libéralisme
et christianisme
Critique de la subsidiarité européenne

2012

Julien BARROCHE

Thèse pour le doctorat en science politique


de l’Institut d’Études Politiques de Paris
présentée et soutenue publiquement
le 10 décembre 2010

Préface de Jean-Marie Donegani


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ISBN 978-2-247-11761-1
© Éditions Dalloz, 2012
SOMMAIRE
(Un plan détaillé figure à la fin de l’ouvrage)

Remerciements VII

Préface IX

Introduction générale. Du mirage de l’État totalitaire


au spectre de l’État subsidiaire 1

Première partie
La subsidiarité catholique
ou la statophobie souterraine de l’Église romaine
Chapitre préliminaire. L’Église, l’État, la Société 47
Chapitre 1. Subsidiarité et ordre économique. La compromission pontificale 67
Chapitre 2. Subsidiarité et autorité spirituelle. La condamnation pontificale 163
Chapitre 3. Subsidiarité et société ecclésiale. La contradiction pontificale 243

Seconde partie
La subsidiarité germanique
ou la statophobie refoulée de l’Europe chrétienne
Chapitre préliminaire. L’Allemagne, l’Europe, le fédéralisme 289
Chapitre 1. Subsidiarité et Allemagne chrétienne. La condition fédérale 309
Chapitre 2. Subsidiarité et Europe post-totalitaire. La conjonction fédérale 379
Chapitre 3. Subsidiarité et Europe maastrichtienne. La confusion fédérale 447

Conclusion générale. De l’Église à l’Europe :


lectures croisées de deux statophobies.
Le subsidiarisme ou l’État contre lui-même 549

Résumé 573

Bibliographie 579

Index des noms propres 739

Table des matières 745


REMERCIEMENTS

Que mon directeur de thèse trouve ici l’expression de ma plus vive reconnais-
sance. À sa confiance et à ses encouragements répétés, ce travail doit l’essen-
tiel de son existence. Six années durant, Jean-Marie Donegani m’aura accom-
pagné. Six années pendant lesquelles il m’aura fait bénéficier d’un espace de
liberté sans égal, riche d’expérience et de bienveillance, plein d’attention et de
franchise. À son contact — qu’il me soit également permis de le dire ici —,
j’ai appris beaucoup plus qu’à réfléchir par moi-même et à affirmer une
pensée personnelle, j’ai appris à aiguiser tout autant qu’à apaiser mon regard,
j’ai appris un certain rapport à la vie des idées.
PRÉFACE

La recherche menée par Julien Barroche a pour visée de comprendre l’origine


et les transformations du concept de subsidiarité par une analyse minutieuse
et exhaustive de ses occurrences dans les écrits en français, italien, anglais et
allemand concernant la théologie et la philosophie autant que le droit et la
science politique. Refusant la simplicité des généalogies qui voient naître le
concept chez Althusius pour trouver une vie nouvelle avec la pensée du
magistère catholique au xxe siècle et enfin accomplir son destin en contri-
buant à la formation de la pensée juridique de l’Union européenne, Julien
Barroche en décèle au contraire les discontinuités et les reformulations qui
permettent d’éclairer non seulement le concept lui-même et son usage mais
aussi les configurations historiques, sociales et culturelles dans lesquelles il
prend place. Il s’agit, sous le signe de la Begriffsgeschichte de Koselleck, de
proposer l’histoire d’un mot et de comprendre comment il a été inventé puis
enrichi et réemployé.
La généalogie privilégiée par Julien Barroche met l’accent sur les contextes
qui viennent livrer la signification de l’usage politique de la subsidiarité  :
l’Église catholique, l’Allemagne fédérale et l’Union européenne, toutes les trois
hantées par le spectre du totalitarisme. Qu’il s’agisse de la doctrine sociale de
l’Église, du fédéralisme allemand ou de la pratique des acteurs de l’Europe,
chaque fois, est-il méthodiquement démontré, la subsidiarité apparaît comme
l’analyseur du pouvoir étatique et revêt une portée polémique en ce qu’elle
permet de lutter contre l’État moderne dont la vérité aboutie se dévoilerait
dans les expériences totalitaires de la première moitié du xxe siècle. L’usage du
concept de subsidiarité révèle ainsi l’opposition permanente, dans la période
considérée, entre l’État subsidiaire et l’État totalitaire, l’un dévoilant la nature
de l’autre et tous deux se présentant comme les deux faces maléfique et béné-
fique de l’État contemporain. Et ici, bien sûr, c’est une version particulière de la
notion d’État qui apparaît pertinente, non pas la souveraineté quantitative de la
fonction mais la souveraineté qualitative de l’institution.
X Préface

En mettant l’accent sur l’institutionnalité de l’État, Julien Barroche peut


alors montrer d’une manière particulièrement convaincante que l’aggiorna-
mento conciliaire qui est donné d’ordinaire comme acceptation des principes
de la politique moderne, notamment la liberté religieuse et la légitime auto-
nomie des réalités terrestres, c’est-à-dire le principe de séparation, est en réa-
lité plus complexe et moins univoque. Car le spectre totalitaire serait ici à
l’origine du refus de l’Église d’aller jusqu’au bout de cette autonomie du
politique pourtant affirmée par la constitution Gaudium et spes et de son
souci permanent de réaffirmer l’ordination nécessaire du politique aux don-
nées indiscutables de la révélation et de la loi naturelle.
Un peu plus loin, Julien Barroche souligne que la subsidiarité européenne,
par le canal du fédéralisme dit intégral, du personnalisme chrétien et de la
gauche antimarxiste, est devenue le vecteur d’un compromis entre la pensée
allemande du fédéralisme et la pensée britannique du souverainisme, sous les
atours de la gouvernance néolibérale. Cette hypothèse du compromis conduit
à s’interroger sur la question du caractère plus ou moins organiciste de la
nouvelle organisation juridique. En effet, même si la figure du marché a pu,
notamment sous la plume d’Hayek, revêtir les traits d’une auto-régulation
qui peut rappeler les fonctions naturelles de l’organisme, il reste que l’organi-
cisme a fait le plus souvent appel, dans l’argumentation politique, à une
nature et même à une transcendance dont on peut interroger la compatibilité
avec le référentiel néolibéral, fondamentalement artificialiste et immanentiste.
Par ailleurs, si la thèse de l’origine statophobique de l’utilisation contem-
poraine du principe de subsidiarité est pertinente, on peut se demander quels
liens positifs se tissent entre la version catholique et la version communau-
taire de ce principe. Car il s’agit bien de concilier, même dans le cadre de
l’hypothèse statophobique, la conception catholique d’une précédence du
droit des personnes sur les structures de pouvoir et la conception commu-
nautaire, constructiviste, qui reformule le principe à la lumière du rationa-
lisme marchand. Autrement dit, on doit décider si l’hypothèse de la stato-
phobie peut rendre compte également de ces deux versions quelque peu
antagonistes de la subsidiarité.
Dans les deux cas, il s’agirait de protéger l’homme et ses droits de toutes
les emprises extérieures. Mais on peut alors se demander en quoi le principe
de subsidiarité, qui certes est conçu comme un instrument contre l’emprise
étatique, apparaît pour autant comme une garantie contre l’emprise politique.
Car le principe subsidiaire, tel qu’il a été conçu par la pensée catholique, doit
être référé à une méfiance à l’égard d’un politique dépris de toute ordination,
plutôt qu’à une méfiance envers l’État, qui en lui-même, s’il est ordonné à la
Loi naturelle qui l’oblige, n’est nullement suspect d’aliénation des droits
humains et des libertés individuelles.
Enfin, Julien Barroche insiste sur l’apport de la notion de périchorèse pour
saisir l’articulation des niveaux de compétence entre le centre et la périphérie,
dévoilant ici la solution à cette aporie que ne résout pas le principe de subsi-
diarité à lui seul. Si le centre est présent dans la périphérie comme la péri-
Préface XI

phérie est présente dans le centre, alors pourquoi la dissociation entre État
institutionnel et État fonctionnel ne trouverait-elle pas là sa subsomption ?
Lire le principe de subsidiarité à la lumière du principe de périchorèse, permet
ainsi de comprendre que c’est moins la statophobie générale qui est ici en jeu
mais la phobie d’un État qui ne respecterait pas la distinction entre les niveaux
de compétence et en même temps la différence entre institution et fonction.
Le savoir mobilisé ici est impressionnant et, dessinant la carte conceptuelle
d’une notion qui n’a cessé de circuler entre les trois espaces qui lui donnent
sens : l’Église, l’Allemagne et l’Europe, la thèse de Julien Barroche démontre
avec force en quoi et comment la subsidiarité navigue entre la conception
libérale de l’État-gendarme et la conception sociale de l’État providence, sans
pour autant se réduire à la synthèse des deux. La subsidiarité cristalliserait
la manifestation préoccupante d’une perte essentielle de la notion d’État et le
moyen par lequel certaines organisations seraient en mesure de justifier leur
capture d’un pouvoir détenu normalement par l’État, institution des insti-
tutions. C’est parce que l’auteur a réussi à relier le concept à l’expérience
qu’il peut avancer une interprétation aussi hardie que celle tenant que les
luttes définitionnelles renvoient finalement à un seul enjeu : celui de la nature
de l’État après les expériences totalitaires. On l’aura compris, on est ici en
présence d’une thèse forte, informée, exigeante. Elle ne manquera pas de sus-
citer des discussions dont on peut souhaiter qu’elles soient à la hauteur de la
finesse de la démonstration et de l’ampleur de l’érudition mobilisée.

Jean-Marie Donegani
Professeur des Universités à Sciences Po
«  Voilà l’homme tout entier, s’en prenant à sa
chaussure alors que c’est son pied le coupable1 ! »
Samuel Beckett

« Vous avez raison. C’est quand la chose manque,


qu’il faut en mettre le mot2. »
Henry de Montherlant

«  Il ne se rendait pas compte que ce qu’il jugeait


irréel (son travail dans l’isolement des bibliothèques)
était sa vie réelle3. »
Milan Kundera

1. S. BECKETT, En attendant Godot [1952], Paris, Minuit, 2002, p. 12 (Acte I).


2. H. de MONTHERLANT, La Reine morte [1942], Paris, Gallimard, 2006, p. 80.
3. M. KUNDERA, L’Insoutenable légèreté de l’être [1984], trad. fr. F. Kérel, Paris, Gallimard,
2006, p. 147.
Introduction générale
DU MIRAGE DE L’ÉTAT TOTALITAIRE
AU SPECTRE DE L’ÉTAT SUBSIDIAIRE

« La rumeur s’enfle. Elle dit que les formes extrêmes


et dures du pouvoir réalisent ses manifestations ordi-
naires et douces, prétend que le socialisme concentra-
tionnaire est un avatar du platonisme et le nazisme, une
avanie de l’État-nation, ajoute que la société totalitaire
est une société dévorée par l’État, et conclut que l’État-
despote est une essence dont l’État libéral n’est qu’une
apparence. L’avenir est triste, hélas, sans avoir lu tous les
livres, car nous glissons, paraît-il, vers un vilain destin,
celui de l’État totalitaire, l’État-total-sur-la-terre, abou-
tissement de l’entropie politique qui met à exécution la
menace proférée à l’ombre rasante des dictatures1. »

I. DU TRAUMATISME TOTALITAIRE
À LA CONSTRUCTION EUROPÉENNE

1. L’ÈRE DU post-TOTALITARISME

Un mythe s’est installé dans les plus hautes sphères de la mémoire euro-
péenne : le mythe selon lequel la paix et la stabilité politique du Vieux Conti-
nent devaient nécessairement en passer par le désamorçage systématique
des passions nationales. Autojustification d’une conscience post-totalitaire
en quête de rachat, cette lecture rétrospective de l’histoire a remporté un tel
succès qu’elle confine désormais au lieu commun. Lieu commun plus ou

1. B. BARRET-KRIEGEL, L’État et les esclaves [1979], Paris, Payot, 1989, p. 21.


2 Introduction générale

moins inconscient et sans adversaires légitimes tendant insidieusement à faire


oublier le rôle initiateur joué par les États nationaux eux-mêmes dans la paci-
fication de leurs relations1. L’entretien unanime de ce récit des origines est
devenu trop routinier pour ne pas acculer au doute. À l’en croire, on en vien-
drait à porter la paix de 1945 au seul crédit de la construction européenne,
alors même que, sans succomber aux facilités du post hoc-propter hoc, il faut
aussi pouvoir rappeler que l’essentiel du fait déclencheur de la seconde réside
dans la première2. La portée d’une telle dispute ne s’épuise pas, loin s’en faut,
dans sa seule dimension historiographique  : de ce diagnostic établi sur les
drames du xxe siècle ne dépend rien de moins que la pleine compréhension du
projet européen. C’est bien sur l’inédit totalitaire que l’Europe communau-
taire a voulu forger à la fois sa légitimité historique et sa conscience politique.
C’est en voulant se départir des concepts classiques, quand bien même elle
repose sur des États, qu’elle a propagé l’impression d’une solution de conti-
nuité entre État et totalitarisme.
En réaction à cette grille de lecture, nous procéderons ici à une réévalua-
tion des conditions de naissance de l’Union européenne, non pas tant à des
fins d’éclairage historique que pour mieux ausculter la cible directement visée
par notre objet de recherche. Tout se passe, en effet, comme si l’État devait
constamment être ballotté entre deux excès symétriques — irénisme de l’État
subsidiaire d’une part, radicalité de l’État totalitaire d’autre part — pour fina-
lement converger dans une même dénonciation de sa prétendue perversité
intrinsèque. Mais, tout bien considéré, les catégories État totalitaire et État
subsidiaire ne font-elles pas système ? Ne constitueraient-elles pas les deux
figures inversées, mais solidaires, d’un même miroir déformant, d’un seul
phénomène fondamentalement identique et circulaire : deux figures s’appe-
lant mutuellement l’une l’autre comme la face maléfique et la face angélique
d’une seule et même pièce étatique ? Bien sûr, l’Union européenne a beau jeu
de se penser comme l’anti-modèle rédempteur du IIIe Reich, comme le rem-
part protecteur face à la menace, paraît-il toujours planante, d’un retour à
la barbarie. Bien sûr, l’Union européenne a-t-elle besoin de rejeter dans
la pénombre de l’histoire le monde qui est censé avoir produit l’horreur sur
le sol des Lumières : la nation, l’État, la souveraineté. Mais, à redescendre du
ciel virginal des idées, il n’est pas certain que le nazisme ait dit la vérité sur

1. Mentionnons deux expressions exemplaires de cette croyance, qui se répondent à cinquante


ans de distance  : la Déclaration de Robert Schuman en date du 9  mai 1950 et le non moins
fameux discours de Joschka Fischer prononcé le 12 mai 2000 à l’Université Humboldt de Berlin.
« À partir de 1945, disait le ministre allemand des Affaires étrangères, la pensée européenne a
toujours été et reste essentiellement fondée sur le refus du principe d’une balance des pouvoirs,
d’un système d’équilibre européen et de la soif d’hégémonie de certains États issus de la Paix de
Westphalie de 1648.  » (J.  FISCHER, «  De la Confédération à la Fédération. Réflexion sur la
finalité de l’intégration européenne  », trad. fr., What Kind of Constitution for What Kind of
Polity ?, éd. C. JOERGES, Y. MÉNY, J. H. H. WEILER, Florence, IUE, 2000, p. 31).
2. Citons, ici, Marcel Gauchet : « Il importe de le rappeler, contre un renversement propagan-
diste de l’ordre des facteurs [...], résume-t-il ironiquement dans un texte publié en 2005 : c’est la
paix des nations qui a permis la construction européenne, et non l’inverse. » (M. GAUCHET,
« La nouvelle Europe », La Condition politique, Paris, Gallimard, 2005, p. 495).
Du mirage de l’État totalitaire au spectre de l’État subsidiaire 3

la modernité étatique ni qu’il en vaille disqualification définitive (Hitler


aurait-il à ce point révélé l’essence de l’État moderne ?). À redescendre du ciel
des idées, il faut même se demander si l’Europe ne s’est pas, tout simplement,
contentée d’évacuer la guerre à l’extérieur de ses frontières. Deux hypothèses
en apparence brutales qui, cependant, ne prétendent pas minimiser la rupture
traumatique que constitue l’épisode totalitaire. Bien au contraire, toute la
justification heuristique du concept de totalitarisme réside précisément ici,
dans le refus de faire de l’hitlérisme et du stalinisme les deux derniers wagons
d’un interminable train de violences politiques1  : le totalitarisme moderne
après le despotisme ancien, l’absolutisme monarchique et l’autoritarisme plus
ou moins éclairé. Rien de plus, rien de moins. Nous voulons dire par là qu’il
y a une simplification abusive dans la philosophie qui anime l’acte de nais-
sance de l’Europe, quelque chose d’éminemment trompeur dans l’assimila-
tion du totalitarisme à un simple degré extrême d’une imperturbable logique
de domination politique, toujours identique à elle-même.
Réfléchir aujourd’hui sur la singularité étatique de la médiation institu-
tionnelle, suppose de se tenir à égale distance d’un moralisme accusateur qui
se plaît à rabattre la violence physique constitutive de l’État sur une entre-
prise irréductiblement totalitaire ; et d’une incantation creuse qui appelle
naïvement à un renouveau du volontarisme politique sans du tout considérer
le contexte historique dans lequel l’Europe est désormais plongée2. La
seconde option, à vrai dire, n’est qu’une contre-réaction épidermique à la
première. Car, tout uniment, on a préféré se réfugier dans un simplisme tran-
quillisant ; déceler une virtualité exterminatoire en tout gouvernement un
tant soit peu organisé ; assimiler l’État de droit à l’«  État despote  » pour

1. Concept « insaisissable » mais « irremplaçable » a fort bien résumé Pierre Hassner (P. HASS-
NER, La Violence et la paix, Paris, Éditions Esprit, 1995, p. 259 sq.). Nous renvoyons ici à la
définition arendtienne du totalitarisme, qui, en raison même de sa rigueur, aide à restreindre
l’usage du concept, en lui conférant ainsi toute sa portée heuristique (H. ARENDT, Les Ori-
gines du totalitarisme I, II, III [1951], trad. fr. M. Pouteau, M. Leiris, J.-L. Bourget R. Davreu,
P. Lévy, H. Frappat, Paris, Le Seuil, 2002). À l’interprétation proposée par Hannah Arendt, il est
bien sûr possible d’ajouter les atténuations aroniennes, qui rendent disponible le concept pour
l’analyse des expériences ultérieures à 1951 : URSS poststalinienne, Chine maoïste (R. ARON,
Démocratie et totalitarisme [1965], Paris, Gallimard, 1987 ; « L’essence du totalitarisme » [1954],
Machiavel et les tyrannies modernes, éd. R. Freymond, Paris, Éditions de Fallois, 1993, p. 195-
213). Comme en ont témoigné les disputes suscitées par le dernier ouvrage de François Furet et
le Livre noir du communisme, l’épuisement de la rhétorique de Guerre froide n’a pas conduit,
après 1989, à l’apaisement attendu des débats historiographiques sur la comparabilité idéolo-
gique entre hitlérisme et stalinisme (F. FURET, Le Passé d’une illusion. Essai sur l’idée commu-
niste au XXe siècle, Paris, Calmann-Lévy, Robert Laffont, 1995 ; S. COURTOIS, N. WERTH, et
al., Le Livre noir du communisme : crimes, terreur et répression, Paris, Robert Laffont, 1997). La
gauche radicale s’obstine encore à voir dans le concept de totalitarisme une arme idéolo-
gique ayant pour unique ambition de disculper le régime libéral (S. ŽIŽEK, Vous avez dit tota-
litarisme ? Cinq interventions sur les (més)usages d’une notion [2001], trad. fr. D.  Moreau,
J.  Vidal, Paris, Éditions Amsterdam, 2007). Pour un refroidissement théorique de l’objet,
cf. J.-M. DONEGANI, M. SADOUN, « Le politique et la question de la domination : totalita-
risme et incarnation », Qu’est-ce que la politique ?, Paris, Gallimard, 2007, p. 200-241.
2. Comme l’écrit Hans Blumenberg, « la fin du primat du politique se reconnaît à l’affirmation
diffuse de son omniprésence » (H. BLUMENBERG, La Légitimité des Temps modernes [1966-
1988], trad. fr. M. Sagnol, J.-L. Schlegel, D. Trierweiler, Paris, Gallimard, 2008, p. 100).
4 Introduction générale

mieux s’adonner à une rassurante « fétichisation de la société »1 ; passer allè-


grement de l’évidence d’un constat factuel — le totalitarisme est né dans la
modernité étatique — à une proposition normative pour le moins douteuse :
1o « tout État est virtuellement totalitaire »2 ; 2o le totalitarisme a mis au jour
le vrai visage de l’État. Des « nouveaux philosophes » revenus du maoïsme,
aux « nouveaux économistes » heureux d’afficher leur néolibéralisme victo-
rieux, en passant par les courants de l’autogestion, la «  deuxième gauche  »
antijacobine et les adeptes de l’immanence du social  : tous en définitive se
réunissent plus ou moins dans cette même phobie inconsciente de l’État3.
Phobie périodiquement réactivée qui, depuis la fin du Bloc soviétique, et bien
au-delà du seul champ intellectuel français, a trouvé dans la répression anti-
terroriste son nouveau prétexte autojustificateur4.
Tel est donc l’horizon intellectuel de notre réflexion : comprendre, depuis

1. « Depuis le rêve platonicien jusqu’au cauchemar stalinien, en passant par l’État absolutiste,
partout [...] la même domination perverse. Dans l’excès d’État, on prétendait avoir trouvé la
racine du mal totalitaire. Au postulat de l’État comme mauvais objet correspondait la fétichisa-
tion de la société. Si l’État était bien cette tumeur de la société dont la malignité croissait avec
l’extension, ne fallait-il pas prescrire des remèdes  : fortifions le tissu social sain, renforçons la
société, faisons dépérir l’État ? » (B. BARRET-KRIEGEL, L’État et les esclaves, op. cit., p. 28).
2. V.  DESCOMBES, «  Pour elle un Français doit mourir  », Critique, 1977, 33 (366), p.  998-
1027, ici p. 1001. Un peu plus haut, encore : « Et il devrait être évident que le système politique
appelé “totalitarisme” n’est pas autre chose qu’une variante de l’état de guerre dans n’importe
quel État moderne, la prolongation de la mobilisation en temps de paix. » (Ibid., p. 1000).
3. Parrainé par Maurice Clavel, le courant français dit des « nouveaux philosophes » (Bernard-
Henri Lévy, Jean-Marie Benoist, André Glucksmann, Jean-Paul Dollé, Michel Le Bris, Philippe
Nemo) s’est développé après la parution en France de L’Archipel du goulag, ouvrage dans lequel
Alexandre Soljenitsyne relate son expérience concentrationnaire du Goulag (A.  SOLJENIT-
SYNE, L’Archipel du goulag [1958-1967], trad. fr. G. et J. Johannet, Paris, Le Seuil, 1974).
Notons qu’alors la somme de Hannah Arendt n’est pas encore bien connue dans le milieu intel-
lectuel français (le premier tome des Origines est traduit en 1972), et ne le deviendra véritable-
ment qu’après sa disparition en 1975. Cf. M. S. CHRISTOFFERSON, Les Intellectuels contre la
gauche  : l’idéologie antitotalitaire en France, 1968-1981 [2004], trad. fr. A.  Merlot, Marseille,
Agone, 2009 ; P. GRÉMION, « Écrivains et intellectuels à Paris. Une esquisse » [1999], Moder-
nisation et progressisme. Fin d’une époque, 1968-1981, Paris, Éditions Esprit, 2005, p. 197-234 ;
« La réception des dissidences à Paris » [2003], ibid., p. 169-195. Né en France à la même époque,
le groupe des «  nouveaux économistes  » (Jacques Garello, Henri Lepage, Jean-Jacques Rosa,
Pascal Salin) s’est fait le relais français des thèses néolibérales de l’École de Chicago. Plus diffus,
le courant autogestionnaire s’est surtout structuré après Mai 1968 au sein de la gauche non
communiste, et antijacobine, pour ensuite se rassembler autour de Michel Rocard, après l’arri-
vée de nombreux militants chrétiens au Parti socialiste, pour la plupart issus de la CFDT.
Cf. P. GRÉMION, « Le chantier autogestionnaire » [1977], ibid., p. 71-82.
4. Cf. G. AGAMBEN, L’État d’exception, trad. fr. J. Gayraud, Paris, Le Seuil, 2003. De Jean-
Paul Sartre à Bernard-Henri Lévy, de Michel Foucault à Giorgio Agamben, il s’agit de débus-
quer dans les institutions étatiques la première marche vers l’univers concentrationnaire. Notons
que la dénonciation foucaldienne des lieux d’enfermement (hôpital, asile, prison) n’est pas sans
parenté avec l’existentialisme sartrien qui célébrait les groupes en fusion (J.-P.  SARTRE, Cri-
tique de la raison dialectique. Théorie des ensembles pratiques, Paris, Gallimard, 1960 ; M. FOU-
CAULT, Surveiller et punir. Naissance de la prison [1975], Paris, Gallimard, 1993). Dans une
perspective sociologique convergente, cf. la notion d’«  institution totalitaire  » chez Erving
Goffman (E. GOFFMAN, Asiles. Études sur la condition sociale des malades mentaux et autres
reclus [1961], trad. fr. C. et L. Lainé, Paris, Minuit, 1972), que certains juristes ont su mettre à
profit (D. LOSCHAK, « Droit et non-droit dans les institutions totalitaires. Le droit à l’épreuve
du totalitarisme », L’Institution, éd. CURAPP, Paris, PUF, 1981, p. 125-184).
Du mirage de l’État totalitaire au spectre de l’État subsidiaire 5

l’État, l’entrée dans l’ère du post-totalitaire1. Non pas pour s’interroger sur la
démocratie et la nation — ce réflexe intellectuel est trop répandu quand il
s’agit d’Europe2 —, mais pour se pencher sur l’Institution étatique en tant
que telle. Fil conducteur de ce travail, la subsidiarité sera notre analyseur.
Précisons qu’un tel questionnement se veut indépendant du constat qui
peut par ailleurs être aisément établi d’un accroissement de l’intervention-
nisme étatique ou d’un retour périodique de la puissance publique (guerre,
crise économique, lutte contre le terrorisme). D’un côté, la douce(reuse)
régulation de la vie économique ; de l’autre, le pathos héroïque de la virilité
étatique. Il y a là un piège analytique duquel il faut s’extraire car il manque,
selon nous, le cœur de définition du concept d’État : sa dimension d’institu-
tion. En grande partie erroné, le récit lancinant du retour de l’État fait sys-
tème avec son opposé symétrique, dont la diffusion est, là encore, tellement
confondante qu’elle contraint à la suspicion : celui du retrait, de l’effacement,
du dépérissement. Pour s’en lamenter ou pour s’en délecter, sans grand souci
de discernement en tout cas, on diagnostique la mort de la souveraineté tuté-
laire de la puissance publique. Non moins confusément, on parle d’État régu-
lateur, d’État animateur, d’État stratège. On se plaît à résumer l’ensemble en
célébrant un nouveau fétiche  : la gouvernance multiniveaux. Toutes ces
figures conceptuelles nous semblent s’auto-alimenter les unes les autres dans
un cercle sans fin. À tel point, d’ailleurs, que le mot État lui-même a fini par
perdre l’essentiel de sa signification : on l’hypostasie, on l’anthropomorphise,
on le biologise, on lui prête des attributs humains, on le confond avec la poli-
tique. Derrière la déploration d’un État devenu évidé (hollow State), n’y
aurait-il pas, en creux, la reconstruction d’un ennemi largement fantasmé3 : ce

1. Cf., ici, J.-P. LE GOFF, La Démocratie post-totalitaire, Paris, La Découverte, 2002 ; « Nais-
sance et développement de la démocratie post-totalitaire  », Revue du Mauss, 2005, 25 (1),
p. 55-64. Cf. aussi J. CHEVALLIER, L’État postmoderne [2003], Paris, LGDJ, 2008). C’est en
croisant ces deux perspectives que nous nous autorisons à parler d’État post-totalitaire.
2. Nous faisons notamment référence à la critique adressée par Andrew Moravcsik aux tenants
de la thèse du « déficit démocratique » européen (A. MORAVCSIK, « The Myth of Europe’s
“Democratic Deficit”  », Intereconomics. Journal of European Public Policy, 2008, p.  331-340 ;
« Is There a “Democratic Deficit” in World Politics ? A Framework for Analysis », Government
and Opposition, 2004, 39 (2), p. 336-363 ; « Le mythe du déficit démocratique européen », trad.
fr. B.  Poncharal, Raisons politiques, 2003, 10, p.  87-105 ; «  In Defence of the “Democratic
Deficit” : Reassessing Legitimacy in the European Union », Journal of Common Market Studies,
2002, 40 (4), p.  603-624). Sans adhérer à tous ses postulats, la position défendue par Andrew
Moravcsik a ceci de rafraîchissant qu’elle permet de désamorcer un discours ambiant beaucoup
trop englobant qui s’aveugle sur des tendances lourdes affectant l’ensemble des démocraties
avancées depuis le début du xxe siècle : déclin des parlements, renforcement des exécutifs et des
administrations publiques, montée en puissance des juges et des agences de régulation, etc. Aussi
la rhétorique du déficit démocratique européen procède-t-elle en grande partie d’une vision fan-
tasmée de l’Europe, et d’un idéal théorique qui ne correspond déjà plus à la pratique réelle des
régimes démocratiques occidentaux. Pour une discussion de cette thèse, cf. P.  MAGNETTE,
Contrôler l’Europe. Pouvoirs et responsabilité dans l’Union européenne, Bruxelles, Éditions de
l’Université de Bruxelles, 2003 ; S. HIX, A. FOLLESDAL, Why there is a Democratic Deficit in
the European Union : A Response to Moravcsik and Majone, Eurogov, European Governance
Papers, 2005 ; Journal of Common Market Studies, 2006, 44 (3), p. 533-562.
3. Cf., ici, tout particulièrement, B.  G. PETERS, «  Managing the Hollow State  », Managing
Public Organizations, éd. K. A. ELIASSEN, J. KOOIMAN, Londres, Sage, 1993, p. 146-157 ;
«  Symposium on the Hollow State  ». Journal of Public Administration Research and Theory,
6 Introduction générale

que le grand adepte des métaphores cybernétiques Niklas Luhmann a appelé


la mythologie du pilotage (Steuerung)1 ? Se défaire de cette maladie politique
supposerait en quelque sorte de passer par une cellule de dégrisement puis
par un sas de décompression : la démystification de l’État. L’État : cet appa-
reil surplombant largement dépassé et devenu totalement anachronique à
l’heure de la « complexité sociale » et de la différenciation fonctionnelle ; cet
instrument réduit à la gestion de son dernier camp retranché, le «  sous-
système  » politique ; cette instance qui ne serait plus en mesure de piloter
l’ensemble de la société. Mais se demande-t-on s’il l’a déjà été ? Interroge-
t-on les conditions institutionnelles qui rendent possible l’existence de ces
fameux systèmes et autres sous-systèmes sociaux ? La question n’est donc
pas de savoir si la société demande ou non à être dirigée ; la vraie question
est de savoir comment, dans un monde d’individus, la société advient et se
maintient2.
Nous voudrions ainsi réfléchir sur la difficulté contemporaine à concevoir
la nécessité institutionnelle de l’État compris comme instance verticale de

1996, 6 (2), p. 193-314 ; J. LECA, « L’État creux », Les Intellectuels et l’an 2015, éd. DATAR,
La Tour d’Aigues, Éditions de l’Aube, 1994, p. 91-104 ; « La “gouvernance” de la France sous la
Ve  République  », Mélanges J.-L.  Quermonne, Paris, Presses de Sciences Po, 1996, p.  328-365.
Dans la continuité de ce qui vient d’être dit sur les « nouveaux philosophes », citons cette belle
formule due à Jean Leca et Bruno Jobert : « À force d’enfouir le pouvoir dans la société et d’en
mettre partout, on finit par ne plus discerner une rixe d’une guerre, l’emprisonnement de deux
gangsters et l’organisation d’un système concentrationnaire, le fonctionnement d’un service hos-
pitalier et l’internement d’opposants politiques. » (J. LECA, B. JOBERT, « Le dépérissement de
l’État », Revue française de science politique, 1980, 30 (6), p. 1169-1170).
1. Le sociologue allemand Niklas Luhmann est resté célèbre pour sa théorie de la modernisation
et de l’autoréférentialité (N.  LUHMANN, Soziale System, Francfort, Suhrkamp, 1984 ; Poli-
tique et complexité. Les contributions de la théorie générale des systèmes [1990], trad. fr.
J. Schmutz, Paris, Le Cerf, 1999 ; Die Politik der Gesellschaft, Francfort, Suhrkamp, 2000). Alors
que les sociétés traditionnelles étaient différenciées en vertu de hiérarchies légitimées par des
principes extérieurs à elles-mêmes, les sociétés modernes seraient différenciées en sous-systèmes
fonctionnels et autoréférentiels (la politique, le droit, la religion, l’art, la science, etc.) remplissant
chacun une tâche particulière et opérant chacun suivant un code spécifique. Pour Luhmann, qui
vise spécialement la sphère politique, aucun système ne peut plus prétendre imposer son point de
vue aux autres, tout comme aucun système ne peut plus intégrer le codage des autres sauf à le
reformuler dans les termes de sa propre programmation interne (couplage autopoïétique). De là
son diagnostic d’une fermeture autoréférentielle des systèmes.
2. On a trop tendance, s’agissant du rapport individu-État, à confondre les niveaux logique et
chronologique. Certes, il faut bien des individus empiriques pour que puisse advenir quelque
chose comme l’État (antériorité chronologique des individus) ; mais il faut plus encore une per-
sonne publique instituante pour qu’existent les personnes privées instituées (priorité logique de
l’État). Démonstration inaugurale dans T.  HOBBES, Léviathan [1651], trad. fr. F.  Tricaud,
Paris, Dalloz, 1991, p. 160 (ch. XVI). Pour un commentaire, cf. L. JAUME, « La théorie de la
“personne fictive” dans le Léviathan de Hobbes », Revue française de science politique, 1983, 33
(6), p. 1009-1035 ; Hobbes et l’État représentatif moderne, Paris, PUF, 1986 ; F. LESSAY, « Le
vocabulaire de la personne », Hobbes et son vocabulaire, dir. Y. C. ZARKA, Paris, Vrin, 1992,
p. 155-186). On peut également se référer à la distinction État-société chez Hegel : « L’État, écrit
le philosophe, apparaît comme résultat dans le cheminement du concept scientifique, pour
autant qu’il se révèle comme fondement véritable [...]. Dans la réalité effective, ajoute-t-il immé-
diatement, l’État est en somme plutôt l’élément premier, à l’intérieur duquel s’élabore la famille
en vue de la société civile bourgeoise, et c’est l’Idée même de l’État qui se divise en ces deux fac-
teurs. » (G. W. F. HEGEL, Principes de la philosophie du droit [1821], trad. fr. J.-L. Vieillard-
Baron, Paris, Flammarion, 1999, p. 296-297 ; § 256 Rem).
Du mirage de l’État totalitaire au spectre de l’État subsidiaire 7

médiation. Cette difficulté vient peut-être de ce qu’on mélange les moments


institutionnel et fonctionnel en oubliant complètement l’ordre de leur prio-
rité. Pourquoi penser l’État à travers le seul prisme de l’intervention et de
l’ingérence, de l’abstention et de la non-ingérence ? Comme s’il était question
d’immixtion de l’État dans un fonctionnement social spontané. Comme s’il y
avait un corps de la société préexistant à l’État, capable d’exprimer librement
ses besoins — dont, parmi de nombreux autres, le besoin d’État. Comme si la
fiction explicative du contrat social travaillait la réalité elle-même. Pourquoi
embrayer le pas à la représentation commune d’un jeu à somme nulle, d’une
exclusion mutuelle de la société civile et de l’État  : ce que l’État prend, la
Liberté, la Société, le Marché (bref l’Individu) le perd ? On sait désormais
que, derrière l’apparence d’un jeu à somme nulle, s’exprime en réalité l’inter-
dépendance mutuelle de l’État et de la société : plus la seconde s’autonomise,
plus le premier se déploie. Tel est bien le dilemme que le libéralisme n’est
jamais parvenu à s’expliquer1. Il s’enracine dans son acte de naissance, duquel
il s’avère impossible, n’en déplaise à ses doctrinaires, de faire découler une
fixité de frontière entre public et privé. Né contre l’absolutisme monarchique,
le libéralisme voulait désabsolutiser l’État, l’abaisser au rang d’instrument de
la société. Tout au contraire, son office aura consisté à alimenter sans cesse
son accroissement2. Car le postulat d’un État miroir de la société permettra
toujours à celle-ci d’imposer sa prise en charge par celui-là. L’État-provi-
dence et le libéralisme : même combat.
À la racine de toutes ces confusions, il y a donc un aveuglement sur la
logique interne de l’État libéral démocratique  : la croissance de l’État ne
résulte pas du projet maléfique d’un monstre froid impersonnel, elle ne
résulte pas non plus de circonstances conjoncturelles appelant nécessaire
régulation. Elle est comme inscrite dans une loi d’airain. En aucun cas, cepen-
dant, cette loi ne saurait s’assimiler à un inéluctable mouvement de resserre-

1. Au-delà de la théorie hobbesienne du Léviathan et de la philosophie hégélienne de l’État,


pensons — sur les traces du très controversé Carl Schmitt (C. SCHMITT, Théologie politique I,
II [1922, 1969], trad. fr. J.-L. Schlegel, Paris, Gallimard, 1988) —, à la conception cartésienne de
Dieu. Il en va pour ainsi dire de l’État moderne et de son rapport à la société comme il en va du
Dieu chez Descartes  : il procède d’une création continuée. Selon le philosophe français, Dieu
crée l’univers, non pas une fois pour toutes, mais à chaque instant, de manière permanente. Si
bien que le monde basculerait dans le néant sans l’intervention continuellement répétée du pou-
voir divin. D’où cette importante leçon qui connaîtra une grande postérité en France : la société
a en permanence besoin de l’État pour tenir debout ; elle n’a pas de consistance propre sans l’in-
tervention du tuteur étatique. Outre la troisième preuve de l’existence de Dieu exposée dans les
Méditations métaphysiques, il faut ici se reporter à la Réponse aux objections de Gassendi  :
« Dieu, écrit Descartes, est la cause de toutes les choses créées, non seulement en ce qui dépend
de leur production, mais même en ce qui concerne leur conservation ou leur durée dans l’être.
C’est pourquoi il doit toujours agir sur son effet d’une même façon pour le conserver dans le
premier être qu’il lui a donné.  » (R.  DESCARTES, «  Réponses aux cinquièmes objections  »
[1641], Œuvres philosophiques, éd. F. Alquié, Paris, Flammarion, 1999, II, p. 814).
2. Cf. les travaux de Pierre Rosanvallon (P. ROSANVALLON, Le Capitalisme utopique. His-
toire de l’idée de marché [1979], Paris, Le Seuil, 1999 ; La Crise de l’État-providence [1981],
Paris, Le Seuil, 1992 ; La Nouvelle question sociale. Repenser l’État-providence, Paris, Le Seuil,
1995) ; et ce texte important de Claude Lefort : C. LEFORT, « Les droits de l’homme et l’État-
providence » [1984], Essais sur le politique [1986], Paris, Le Seuil, 2001, p. 33-63.
8 Introduction générale

ment autoritaire puis totalitaire de l’étreinte étatique1. Les auteurs classiques


du xixe  siècle n’avaient-ils pas établi la corrélation entre ces deux mouve-
ments concomitants  : d’une part, le développement de l’interventionnisme
étatique et, d’autre part, celui de la société démocratique et capitaliste ? Le
socialiste allemand Adolf Wagner s’en félicitait ; le libéral français Alexis de
Tocqueville s’en inquiétait. On sait que certains libéraux du xxe siècle se plai-
ront à surfer sur cette angoisse pour interpréter le totalitarisme à l’aune de
l’analyse tocquevillienne  : le mouvement général vers l’égalité débouchant
sur la tendance naturelle de l’État à s’emparer de tous les domaines de la vie
sociale ; l’absence de limites à l’action gouvernementale conduisant tout droit
à un « pouvoir immense et tutélaire », « espèce de compromis entre le despo-
tisme administratif et la souveraineté du peuple »2.
Derrière le problème de l’interventionnisme étatique, deux questions sont
en réalité à distinguer : celle des frontières mouvantes entre l’État et la société,
d’une part ; celle de la nature changeante de l’intervention étatique, d’autre
part. Faute d’opérer cette distinction, le réflexe se répand, qui consiste à
croire que la justification de l’action de l’État est une promotion de l’institu-
tion étatique en tant que telle, tout comme les appels au retrait de la puissance
publique seraient la simple conséquence d’une hostilité à son égard. Mais
l’objet ultime de l’intervention de l’État peut très bien être la limitation de
l’État lui-même. Pire, rien n’empêche l’instrumentalisation de l’institution
étatique au service de fins qui programment purement et simplement sa perte.
Voilà bien le paradoxe qui sème la confusion entre l’État-institution (les prin-
cipes fondateurs) et l’État-fonction (la pratique concrète). Deux registres qui
ne sont bien sûr pas sans entretenir un dialogue souterrain : l’augmentation
du poids de l’État considéré comme dispensateur matériel de prestations
sociales et économiques (sa « trivialisation technocratique »3) ne doit-elle pas

1. Il existe une formidable paresse intellectuelle, écrit encore Marcel Gauchet dans son maître
ouvrage, qui consiste à « conclure dans l’abstrait de la croissance de l’État à l’imminence du péril
totalitaire » (M. GAUCHET, Le Désenchantement du monde. Une histoire politique de la reli-
gion, Paris, Gallimard, 1985, p. 262). L’auteur récuse avec force cette « idée d’une omniprésence
structurelle du possible totalitaire à l’intérieur des sociétés contemporaines » (Ibid., p. 262, n. 1).
« Nous ne risquons plus l’État total, renchérit-il près de vingt ans plus tard, mais la déroute de
l’État devant l’individu total.  » (M.  GAUCHET, La Condition historique, Paris, Stock, 2003,
p.  314). Cf. aussi son étude spécialement consacrée au totalitarisme, parue dans Esprit en 1976
(M.  GAUCHET, «  L’expérience totalitaire et la pensée de la politique  » [1976], La Condition
politique, op. cit., p.  433-464) concomitamment à sa relecture (critique) de l’œuvre de Pierre
Clastres (P. CLASTRES, La Société contre l’État, Paris, Minuit, 1974 ; M. GAUCHET, « Poli-
tique et société : la leçon des sauvages » [1975-1976], La Condition politique, op. cit., p. 91-180 ;
« La dette du sens et les racines de l’État. Politique de la religion primitive » [1977], ibid., p. 45-89).
2. A. de TOCQUEVILLE, De la démocratie en Amérique II [1840], Paris, Flammarion, 1981,
p.  385, p.  386 (part.  IV, ch.  6). Cf., par ailleurs, A.  WAGNER, Theoretische Sozialökonomik
oder Allgemeine und theoretische Volkswirtschaftslehre I [1879], Leipzig, Wintersche, 1907.
3. M.  GAUCHET, Le Désenchantement du monde, op. cit., p.  264. Cf. aussi son opposition
« pouvoir-cause »- « pouvoir-effet » (M. GAUCHET, « Benjamin Constant : l’illusion lucide du
libéralisme  », Préface à B.  CONSTANT, Ecrits politiques [1980], Paris, Gallimard, 1997,
p. 9-110, ici, p. 64). « À partir du moment où émerge, avec l’État moderne, un pouvoir qui n’est
plus médiateur avec l’au-delà, mais de fait séparateur, facteur d’immanence et non de rattache-
ment à la transcendance, s’ouvre sous ses pas une question béante de ce qui peut le légitimer dans
sa tâche. » (M. GAUCHET, « Les figures du politique », La Condition politique, op. cit., p. 21).
Du mirage de l’État totalitaire au spectre de l’État subsidiaire 9

en définitive se comprendre comme un subterfuge compensatoire, comme


une manière de pallier son déficit de légitimité institutionnelle et la difficulté
— qui le tiraille — à remplir sa fonction symbolique ? Car, en se développant
de la sorte, l’État ne se situe pas sur le registre institutionnel de l’autorité
symbolique ; il se situe sur le terrain strictement fonctionnel et utilitaire de la
gestion administrative. Sa position d’« autorité distante » étant devenue trop
lourde à assumer, il veut la troquer contre un rôle plus léger, moins assom-
mant, celui de « partenaire quotidien »1. Où son dilemme existentiel trouve à
se résumer  : peut-être que l’État vertical constituait tout simplement la
contrepartie logique de l’horizontalité démocratique, de la même manière
que l’Église continue encore à se penser comme la contrepartie verticale de la
sotériologie évangélique ?

2. LE MIRAGE DE L’ÉTAT TOTALITAIRE


Posons la question de manière volontairement abrupte : l’État totalitaire, en
tant que tel, a-t-il jamais existé ? L’État — cette figure politique née au
xvie  siècle sur le continent européen — est-il justiciable du totalitarisme ?
Trop largement admise, la définition du totalitarisme comme absorption de
la société civile par et dans l’État s’en tient très superficiellement aux appa-
rences extérieures, oublie l’élément essentiel, l’instance qui, en définitive,
exerce le pouvoir réel et détruit l’édifice du libéralisme politique  : le parti
unique. «  Le Parti ne représente pas la société ; il n’est pas non plus une
redondance de l’État : il exprime et met en œuvre l’unité des deux2. » Si dans
le système totalitaire l’État n’était à ce point qu’une façade, qu’un camou-
flage, qu’un alibi, pourquoi alors faire le jeu du totalitarisme — du langage
totalitaire3 — et confondre dans une même catégorie le Parti-État et l’État ?
De ce constat somme toute assez élémentaire, le philosophe Julien Freund
tire la conclusion, qui nous semble la seule véritablement sensée et logique-
ment conséquente :

1. M.  GAUCHET, Le Désenchantement du monde, op. cit., p.  284. Peu suspect, lui aussi, de
penchants totalisants, Paul Ricœur rappelait avec la même force le lien consubstantiel entre auto-
rité et distance. Se référant à la figure du magistrat chez saint Paul, il écrivait joliment : « [l’État]
n’est pas mon “frère” ; c’est en cela même qu’il est une “autorité” » (P. RICŒUR, « État et vio-
lence » [1957], Histoire et vérité [1964], Paris, Le Seuil, 2001, p. 281-282). Il faut également faire
référence à la distinction entre pouvoir et violence chez Hannah Arendt (P. RICŒUR, « Pou-
voir et violence », Ontologie et politique. Hannah Arendt, éd. M. ABENSOUR, Paris, Tierce,
1989, p. 141-159 ; B. QUELQUEJEU, « La nature du pouvoir selon Hannah Arendt », Revue
des sciences philosophiques et théologiques, 2001, 85 (3), p. 511-527).
2. P.  MANENT, «  Le totalitarisme et le problème de la représentation politique  » [1984],
Enquête sur la démocratie, Paris, Gallimard, 2007,  p.  100. On pourra reconnaître chez Pierre
Manent la double influence de Raymond Aron (monopole du parti) et de Claude Lefort (fan-
tasme de l’Un)  : R.  ARON, Démocratie et totalitarisme, op. cit. ; C.  LEFORT, L’Invention
démocratique. Les limites de la domination totalitaire [1981], Paris, Fayard, 1994.
3. Dans des registres différents, mais procédant d’une même veine orwellienne, cf. V. KLEM-
PERER, LTI, Lingua Tertii Imperii, la langue du IIIe Reich. Carnets d’un philologue [1946-
1947], trad. fr. É. Guillot, Paris, Albin Michel, 1996 ; J.-P. FAYE, Langages totalitaires. Critique
de la raison narrative. Critique de l’économie [1972], Paris, Hermann, 2004.
10 Introduction générale

« Il n’y a pas et il ne peut y avoir d’État totalitaire, mais seulement des partis
totalitaires qui détournent les monopoles étatiques au profit d’un groupe1. »
Accoler l’épithète totalitaire au substantif État est tout aussi absurde
qu’appliquer le concept de société civile à la réalité du totalitarisme. Car il
faudrait, sinon, considérer qu’il existât une société soviétique ou une société
nazie, alors même qu’il n’y eut que l’exercice d’une implacable domination
idéologique sur une société annihilée ? Bien plus que l’effondrement de l’État,
le totalitarisme marque la destruction de ses conditions de possibilité. Point
d’État totalitaire donc, mais une intention idéologique (au sens de l’interpré-
tation intentionnaliste du totalitarisme2) qui instrumentalise, en l’anéantis-
sant, l’institution étatique. Ainsi parlons-nous de mirage de l’État totalitaire,
sans oublier qu’en elle-même la diffusion de cette formule superposant État
et totalitarisme recèle une portée éminemment révélatrice (et produit des
effets de réalité).
Le constat de ce chaos institutionnel n’a pas besoin d’être davantage théma-
tisé3. Il recueille très facilement l’adhésion. La difficulté vient ici de ce que,
s’agissant de l’État, les conséquences en sont rarement tirées. Parce que les

1. J.  FREUND, L’Essence du politique, Paris, Sirey, 1965, p.  556. Pensons, ici, s’agissant de
l’Allemagne nazie, à la loi du 2 décembre 1933 proclamant l’unité entre le parti et l’État.
2. Nous marquons ici notre rejet de la thèse dite fonctionnaliste : telle que défendue par l’histo-
rien bavarois Martin Broszat, elle tend à faire du dictateur nazi un simple rouage inconscient au
service d’une mécanique d’ensemble, et de l’hitlérisme — dont la Solution finale — le simple
résultat d’un dramatique enchaînement de circonstances. L’éclatement des pouvoirs et l’« enche-
vêtrement » des institutions qu’il analyse fort bien (la structure « polycratique » de l’État hitlé-
rien comme il dit) a plus à voir avec l’informité totalitaire décrite par Hannah Arendt qu’avec un
schéma de pouvoir d’ordre systémique sur lequel Hitler aurait fini par ne plus avoir de prise
(M.  BROSZAT, L’État hitlérien, L’origine et l’évolution des structures du IIIe Reich [1969-
1978], trad. fr. P. Moreau, Paris, Fayard, 1985 ; « Plädoyer für eine Historisierung des National-
sozialismus  » [1985], Nach Hitler. Der schwierige Umgang mit unserer Geschichte, Munich,
Deutsche Taschenbuch, 1988, p. 266-281). Cf., ici, les travaux de Ian Kershaw, qui ont montré
en quoi Hitler ne pouvait passer pour un sous-produit du nazisme (I. KERSHAW, Qu’est-ce
que le nazisme ? [1985], trad. fr. J. Carnaud, Paris, Gallimard, 1997). Sur la question de la Shoah,
la démonstration de Raul Hilberg, établie dès les années 1960, permet de dépasser la fausse que-
relle entre fonctionnalisme et intentionnalisme (R. HILBERG, La Destruction des juifs d’Europe
[1961], trad. fr. M.-F. de Paloméra, A. Charpentier, Paris, Fayard, 2007).
3. C’est l’un des principaux arguments mobilisés par Hannah Arendt (fortement redevable sur
ce point au juriste Franz Neumann) pour établir le caractère inédit du phénomène totalitaire :
une domination informe qui s’exerce de l’intérieur, s’immisçant dans le for interne de chaque
être humain (F. L. NEUMANN, Behemoth. Structure et pratique du national-socialisme [1942-
1944], trad. fr. G. Dauvé, J.-L. Boireau, Paris, Payot, 1987 ; H. ARENDT, « Ce qu’on appelle
l’État totalitaire », Les Origines du totalitarisme, III. Le Système totalitaire, op. cit., p. 170 sq.).
S’agissant de l’opposition totalitarisme-autoritarisme, pensons à la double métaphore arend-
tienne de l’oignon et de la pyramide : « Par opposition à ces deux régimes, autoritaire et tyran-
nique, l’image adéquate du gouvernement et de l’organisation totalitaires me paraît être la struc-
ture de l’oignon, au centre duquel, dans une sorte d’espace vide, est situé le chef ; quoi qu’il fasse
— qu’il intègre le corps politique comme dans une hiérarchie autoritaire, ou qu’il opprime ses
sujets, comme un tyran —, il le fait de l’intérieur et non de l’extérieur ou du dessus.  »
(H. ARENDT, « Qu’est-ce que l’autorité ? » [1957], trad. fr. M.-C. Brossollet, H. Pons, La Crise
de la culture [1961], éd. P. Lévy, Paris, Gallimard, 1989, p. 131). Dans un tout autre registre, les
analyses de Juan J. Linz ont fortement contribué à réhabiliter la distinction entre totalitarisme et
autoritarisme (J.  J. LINZ, Régimes totalitaires et autoritaires [2000], trad. fr. M.-S. Darviche,
W. Genieys, G. Hermet, Paris, Armand Colin, 2006 ; « L’effondrement de la démocratie. Auto-
ritarisme et totalitarisme dans l’Europe de l’entre-deux-guerres  », trad. fr. M.-S. Darviche,
P. Hassenteufel, Revue internationale de politique comparée, 2004, 11 (4), p. 531-586).
Du mirage de l’État totalitaire au spectre de l’État subsidiaire 11

idées fixes ont la vie dure (l’État Léviathan, l’État Moloch, l’État Minotaure,
etc.). Et parce que les plus grands analystes du totalitarisme n’ont pas pris soin
de repenser l’institution étatique après le drame. Hannah Arendt la première,
dont on connaît le rejet épidermique de la souveraineté moderne, mais aussi
Raymond Aron et Claude Lefort, tous deux relecteurs de Tocqueville, qui se
sont prioritairement penchés sur la démocratie. De part en part, l’État demeure
le parent pauvre de la réflexion antitotalitaire. Tout se passe comme si on avait
inconsciemment divisé les tâches  : l’État pour la théorie juridique ; la démo-
cratie pour la théorie politique1. En se donnant l’État pour objet d’étude, notre
propos impose donc de penser avec mais aussi contre ces grands philosophes.
Avec, pour comprendre le totalitarisme ; contre, pour réintroduire la figure
de l’État et le concept de souveraineté. De Hannah Arendt, en particulier,
nous retenons l’analyse inaugurale — et inégalée — du totalitarisme. Ayant la
première mis en évidence ce qu’il recèle d’historiquement inédit, elle pré-
munit contre le confusionnisme ambiant et la « mésinterprétation » libérale
du phénomène2 : celle, par exemple, d’un Friedrich Hayek, d’un Karl Popper,
d’un Jacob Talmon ou d’un Isaïah Berlin3. Dans ce courant de l’antitotalita-
risme libéral, dont nous aurons à retranscrire les nombreuses parentés avec
son homologue catholique (la pensée des papes comme celle des clercs
laïques), les uns retracent une généalogie de la mentalité totalitaire, qui
remonterait intellectuellement à Platon pour atterrir chez Marx, via plusieurs
étapes conceptuelles, toutes à rejeter : Rousseau, Sieyès, Joseph de Maistre,
Hegel ; les autres fustigent le constructivisme, le volontarisme et autres socia-
lismes de toutes sortes ; tous aboutissent in fine à la même horreur de la
politique, via son assimilation bien curieuse à un maléfique phénomène de
domination4. À rebours, Hannah Arendt montre qu’interpréter le totalita-
risme comme une politisation totale de l’homme et de la société, c’est ni plus
ni moins manquer sa signification profonde : la destruction des conditions de
possibilité de la vie politique. C’est faire du totalitarisme un régime politique
alors qu’il n’est qu’un système idéologique fonctionnant à la terreur et à la

1. Ce sont les apports de la psychanalyse qui pourront peut-être nous aider à joindre les deux
bouts. La psychanalyse, on le sait, est très présente chez Claude Lefort (philosophe qui n’est
pas juriste) ; elle est au fondement de la démarche d’un Pierre Legendre (juriste qui n’est pas
politiste) ; ou d’un Philippe Braud (politiste qui n’est pas juriste). Cf., ici, « Psychanalyse », Pou-
voirs, 1979, 11, spécialement P.  LEGENDRE, «  Le malentendu  », ibid., p.  5-17 ; P.  BRAUD,
«  Bilan critique d’une recherche (largement) refusée  », ibid., p.  19-32. Sur le sujet qui nous
occupe, cf.  P.  LEGENDRE, «  La Brèche. Remarques sur la dimension institutionnelle de la
Shoah » [1998], Sur la question dogmatique en Occident [1999], Paris, Fayard, 2008, p. 339-349.
2. Cf. les analyses de Miguel Abensour, à l’égard desquelles nous marquons notre dette
(M. ABENSOUR, « D’une mésinterprétation du totalitarisme et de ses effets » [1996], Pour une
philosophie politique critique. Itinéraires, Paris, Sens&Tonka, 2009, p. 167-198 ; « Réflexions sur
les deux interprétations du totalitarisme selon Claude Lefort » [1993], ibid., p. 83-135).
3. F.  A. HAYEK, La Route de la servitude [1944], trad. fr. G.  Blumberg, Paris, PUF, 2005.
K.  R. POPPER, La Société ouverte et ses ennemis I-II [1942], trad. fr. J.  Bernard, P.  Monod,
Paris, Le Seuil, 1990-1991 ; J.  L. TALMON, Les Origines de la démocratie totalitaire [1952],
trad. fr. P. Fara, Paris, Calmann-Lévy, 1966 ; I. BERLIN, Le Bois tordu de l’humanité. Roman-
tisme, nationalisme et totalitarisme [1990], trad. fr. M. Thymbres, Paris, Albin Michel, 1992.
4. H. ARENDT, « Qu’est-ce que l’autorité ? », La Crise de la culture, op. cit., p. 128 sq. ; Qu’est-
ce que la politique ? [1958], trad. fr. S. Courtine-Denamy, Paris, Le Seuil, 2001).
12 Introduction générale

«  désolation  »1. Difficile, il est vrai, depuis le traumatisme totalitaire, de ne


pas suspecter la violence mise au service du droit. Mais c’est alors tout l’édi-
fice du libéralisme qu’il faudrait disqualifier en refusant de contradistinguer
violence qui transgresse la loi et violence mise au service du droit.
De Hannah Arendt, nous refusons le rejet de l’État-nation qui s’origine,
ultimement, dans sa philosophie de l’action et dans son diagnostic d’une irré-
médiable dégradation de l’« agir » humain en « faire » déshumanisé. Son idéali-
sation de la démocratie antique et de la Rome républicaine l’a conduite à consi-
dérer la souveraineté moderne comme porteuse de l’oubli du sens de la
politique et de la liberté, symptomatique de l’irrémissible décadence de
l’humanité depuis son entrée en modernité. Avec un Martin Heidegger ou un
Leo Strauss, Hannah Arendt reproduit finalement sur l’État-nation ce qu’elle
reproche aux libéraux précités de faire avec le totalitarisme : la généalogie d’un
crime2. Cependant, en utilisant ses propres analyses, rien n’interdit de rappeler
que le totalitarisme procède non d’une logique nationale mais d’une logique
impérialiste, qu’il est bien difficile d’imputer, en soi, à l’institution étatique : la
loi de l’extension indéfinie contre laquelle s’est précisément construit l’ordre
westphalien du droit international, cet ordre dont la portée historique a été
d’inscrire les puissances européennes dans des territoires géographiquement
délimités3. En quoi faudrait-il considérer les États-nations comme ontologi-
quement belligènes, alors même qu’ils ont rempli en Europe une fonction his-
torique — et juridique — de domestication (Hegung) de la guerre4 ?

1. Par « désolation » (loneliness), Arendt caractérise l’expérience fondamentale du totalitarisme :


l’homme privé de sol, les masses atomisées (H. ARENDT, Les Origines du totalitarisme, III. Le
Système totalitaire, op. cit., p. 305 sq.). Dans son schéma d’analyse, ce dernier critère de l’expé-
rience fondamentale s’ajoute aux deux qu’avait précédemment élaborés Montesquieu pour éta-
blir sa définition des régimes politiques : nature et principe d’action (cf. É. TASSIN, Le Trésor
perdu. Hannah Arendt : l’intelligence de l’action politique, Paris, Payot, 1999).
2. Quand les catholiques de la période post-totalitaire s’aventureront sur le terrain politique
(pensons aux personnalistes de la mouvance Esprit), plus ou moins conscients des apories de la
tradition chrétienne, ils finiront par s’en remettre à Hannah Arendt, pour eux aussi assouvir leur
statophobie (J.-C. ESLIN, « L’événement de penser », Esprit, 1980, 42, p. 7-18 ; Hannah Arendt,
l’obligée du monde, Paris, Michalon, 1996 ; P.  VALADIER, «  Le politique contre le totalita-
risme », Projet, 1980, 143, p. 329-343 ; A. ENEGRÉN, « Révolution et fondation », Esprit, 1980,
42, p. 46-65 ; La Pensée politique de Hannah Arendt, Paris, PUF, 1984).
3. Cf. H.  ARENDT, Les Origines du totalitarisme, II. L’impérialisme, op. cit. ;
H.  RAUSCHNING, La Révolution du nihilisme [1937], trad. fr. P.  Ravoux, M.  Stora, Paris,
Gallimard, 1980, p. 270 sq. On pourra utilement se reporter à l’interprétation de Dana Villa, qui
tend à réconcilier Arendt avec la figure de l’État, tout en maintenant sa critique antilibérale de la
nation (bourgeoise). L’âge impérialiste de la nation serait ainsi le moment où l’idéologie écono-
mique moderne vient pervertir l’État institutionnel classique et les principes directeurs de la vie
politique (D.  R. VILLA, Arendt et Heidegger [1996], trad. fr. C.  David, D.  Munnich, Paris,
Payot, 2008 ; Politics, Philosophy, Terror. Essays on the Thought of Hannah Arendt, Princeton,
Princeton University Press, 1999 ; «  The Development of Arendt’s Political Thought  », The
Cambridge Companion to Hannah Arendt, éd. D. R. VILLA, Cambridge, Cambridge Univer-
sity Press, 2000, p. 1-21 ; « Généalogie de la domination totale », trad. fr. D. Munnich, Hannah
Arendt, crises de l’État-nation, dir. A.  KUPIEC, et al., Paris, Sens&Tonka, 2007, p.  93-112).
Cf. aussi M.-C. CALOZ-TSCHOPP, Les Sans-État dans la philosophie de Hannah Arendt. Les
humains superflus, le droit d’avoir des droits et la citoyenneté, Lausanne, Payot, 2000, p. 200-208.
4. Cf., bien sûr, C. SCHMITT, Le Nomos de la Terre dans le droit des gens du Jus Publicum
Europaeum [1950], trad. fr. L. Deroche-Gurcel, P. Haggenmacher, Paris, PUF, 2008.
Du mirage de l’État totalitaire au spectre de l’État subsidiaire 13

3. LE SPECTRE DE L’ÉTAT SUBSIDIAIRE

Si les indices nous semblent convergents, qui incitent à reconstituer un dia-


logue entre subsidiarité et totalitarisme, la mise à l’épreuve de cette hypo-
thèse suppose d’analyser précisément l’itinéraire qui va d’un pôle à l’autre : le
passage du mirage de l’État totalitaire au spectre de l’État subsidiaire.
Tout commence — ou presque — en 1931 avec l’encyclique Quadrage-
simo anno promulguée par Pie XI à l’occasion du quarantième anniversaire
de Rerum novarum. L’expression latine « subsidiarii » offici principio (guille-
mets dans le texte original) est alors très loin de résumer le cœur du propos
pontifical ; elle n’en est qu’un élément parmi d’autres ; quand bien même elle
apparaît significativement dans la section qui donne son titre à l’ensemble du
texte : « La restauration de l’ordre social »1.
« Que l’autorité publique abandonne donc aux groupements de rang inférieur
le soin des affaires de moindre importance où se disperserait à l’excès son effort ;
elle pourra dès lors assurer plus librement, plus puissamment, plus efficacement
les fonctions qui n’appartiennent qu’à elle, parce qu’elle seule peut les remplir :
diriger, surveiller, stimuler, contenir, selon que le comportent les circonstances
ou l’exige la nécessité. Que les gouvernements en soient donc bien persuadés :
plus parfaitement sera réalisé l’ordre hiérarchique des divers groupements selon
le principe de la fonction supplétive de toute collectivité, plus grandes seront
l’autorité et la puissance sociale, plus heureux et plus prospère l’état des affaires
publiques2. »
Nous aurons l’occasion plus loin de débrouiller les différents niveaux de
discours (pastoral, doctrinal, éthique) qui s’enchevêtrent ici dans la phraséo-
logie pontificale, et de reconstruire avec attention leur sens respectif. À ce
stade liminaire, contentons-nous de relever combien, sur le seul plan concep-
tuel, l’encyclique de 1931 n’ajoute rien de véritablement nouveau par rapport
à celle de 1891 — texte fondateur de la doctrine sociale de l’Église3. Mais elle

1. 1o Une encyclique est une lettre circulaire envoyée à l’ensemble des évêques du monde entier
ou d’une Église nationale. 2o Comme tous les textes pontificaux qui ont une portée universelle,
Quadragesimo anno est rédigée en latin. Nota  : ici traduit par restauration, instaurando peut
également être rendu par instauration (PIE XI, Lettre encyclique Quadragesimo anno, 15 mai
1931, Acta Apostolicae Sedis, 1931, XXIII, p.  177-228, ici p.  203 ; in A.  F.  UTZ, I, p.  617 ;
H. DENZINGER, 3738, p. 793). 3o Nous nous référerons de préférence à la version reproduite
par le Père Arthur F. Utz dans son recueil bilingue : A. F. UTZ, La Doctrine sociale de l’Église à
travers les siècles. Documents pontificaux du XVe au XXe  siècle, Bâle, Paris, Rome, Herder,
Beauchesne, 1969, I, p. 568-663. Les passages importants sont également reproduits dans le Den-
zinger (H. DENZINGER, Enchiridion Symbolorum Definitionum et Declarationum de Rebus
Fidei et Morum [1854], éd. P. Hünermann, trad. fr. J. Hoffmann, Paris, Le Cerf, 2005 (38e éd.),
3738, p.  793). 4o Rappelons, au passage, le titre complet de l’encyclique  : «  Lettre encyclique
Quadragesimo anno, aux Patriarches, Primats, Archevêques, Évêques, et autres Ordinaires de
lieu, en paix et communion avec le Siège Apostolique ainsi qu’aux fidèles de l’Univers catholique
tout entier, sur la restauration de l’ordre social, en pleine conformité avec les préceptes de
l’Évangile, à l’occasion du quarantième anniversaire de l’encyclique Rerum novarum ».
2. Il s’agit de la version française traduite dès la publication officielle du texte (La Documenta-
tion catholique, 6 juin 1931, 25 (569), col. 1401-1450, ici col. 1427). Nous soulignons : le latin
« subsidiarii » offici principio est rendu en français par principe de la fonction supplétive.
3. LÉON XIII, Lettre encyclique Rerum novarum, 15  août 1891, Acta Sanctae Sedis, 1891,
XXIII, p. 641-670 (in A. F. UTZ, I, p. 510-567 ; H. DENZINGER, 3265-3271, p. 717-719).
14 Introduction générale

s’inscrit dans un moment historique radicalement différent, celui de la


montée des totalitarismes ; elle s’inscrit, bien davantage encore, dans un
contexte de tensions grandissantes entre Mussolini et le Vatican. Moins de
deux ans après la signature des accords du Latran, la subsidiarité fait figure de
riposte face au détournement fasciste d’un axe alors considéré comme majeur
de la doctrine catholique : la corporation. De son côté, la locution Stato tota-
litario, slogan mobilisateur des tout premiers partisans de l’État total fasciste,
a très vite été réinvestie par les opposants politiques au régime mussolinien1.
Si quelques études critiques paraissent dès avant la Seconde Guerre mondiale
(chez des penseurs catholiques comme le Père Luigi Sturzo, Eric Voegelin,
Jacques Maritain ou Joseph Vialatoux), il faut attendre les années 1950-1960
pour que le concept de totalitarisme se diffuse véritablement, dans un registre
analytique cette fois2. À son échelle, plus modeste, la subsidiarité subit un
sort parfaitement comparable : naissance dans l’entre-deux-guerres, période
d’incubation, réinvestissements disparates, diffusion anarchique, débats
théoriques sur l’apport heuristique du concept. Célébrant un anniversaire,
l’encyclique Quadragesimo anno aurait, certes, été promulguée sans ce
contexte spécifique, mais, à n’en pas douter, elle aurait pris une coloration
toute différente.
Nous pensons qu’il y a quelque chose d’éminemment évocateur dans cette
mise en parallèle, qui dépasse de loin les seules considérations philologiques.
L’État subsidiaire ne serait-il pas l’ultime legs conceptuel d’un État totalitaire
curieusement interprété comme la figure révélatrice de l’État souverain  :
l’État post-totalitaire, l’État de la statophobie post-totalitaire3 ? L’intérêt ne
sera pas de démontrer que la subsidiarité est née des totalitarismes et que les
deux mots connaissent des trajectoires symétriques ; il importera surtout de
comprendre à quel point la subsidiarité a, tout au long de sa vie conceptuelle,
conservé la marque pour ainsi dire indélébile de ses conditions de naissance.

1. La locution Stato totalitario apparaît pour la première fois au début des années 1920 dans les
milieux de l’antifascisme italien avant d’être revendiquée par Mussolini et Giovanni Gentile, son
ministre de l’Instruction publique (G. GENTILE, B. MUSSOLINI, « La doctrine du fascisme »
[1932], Œuvres et discours de Benito Mussolini, trad. fr. M. Croci, Paris, Flammarion, 1935, IX,
p.  61-91). Sur la trajectoire escarpée du mot, cf. E.  TRAVERSO, «  Le totalitarisme. Jalons
pour l’histoire d’un débat  », Le Totalitarisme, Paris, Le Seuil, 2001, p.  9-110 ; E.  GENTILE,
« Fascism, Totalitarianism and Political Religion. Definitions and Critical Reflections on Criti-
cism of an Interpretation », Totalitarian Movements and Political Religions, 2004, 5 (3), p. 326-
375 ; trad. fr. (partielle) T. Meister, Raisons politiques, 2006, 22, p. 119-173).
2. E. VOEGELIN, Der Autoritäre Staat [1936], Vienne, Springer, 1997 ; L. STURZO, « L’État
totalitaire », Politique et morale [1937], trad. fr. M. Prélot, Paris, Bloud et Gay, 1938, p. 19-33
(Cahiers de la Nouvelle Journée, 1938, 40) ; J. MARITAIN, Humanisme intégral [1934-1936],
Œuvres complètes de Jacques et Raïssa Maritain, Fribourg, Éditions universitaires, Paris, Saint-
Paul, 1982-1992, VI, p.  291-634 (rééd. Paris, Aubier, 2000) ; J.  VIALATOUX, La Cité de
Hobbes. Théorie de l’État totalitaire, Paris, Lecoffre, 1935. Parmi les analyses savantes, outre les
ouvrages déjà cités de Hannah Arendt et de Raymond Aron, mentionnons celui de Carl J. Frie-
drich et de Zbigniew Brzezinski, paru en 1956 : C. J. FRIEDRICH, Z. BRZEZINSKI, Totalita-
rian Dictatorship and Autocracy, Cambridge, Harvard University Press, 1956.
3. Décryptant le message véhiculé par les papes à travers leur invocation du principe de subsi-
diarité, Dominique Colas écrit : « La portée de cet éloge de la société civile et de sa nécessaire
autonomie, de son primat par rapport à l’État est fort ambiguë car on croirait que tout État est
menacé de devenir totalitaire. » (D. COLAS, Le Glaive et le Fléau, Paris, Grasset, 1992, p. 82).
Du mirage de l’État totalitaire au spectre de l’État subsidiaire 15

Telle est la part génétique des résultats de notre méthode sémantique1. Car
c’est bien le contexte inédit de l’entre-deux-guerres qui explique en grande
partie pourquoi Pie XI s’attache à rappeler avec tant de solennité l’impor-
tance du message de la doctrine sociale, telle qu’elle avait déjà été mise
à l’honneur par Léon XIII, initiateur du renouveau thomiste à la fin du
xixe  siècle. À rebours du fascisme, écrit le Pape, l’État doit laisser vivre les
corps intermédiaires à l’œuvre dans la densité sociale. Moins acteur que
garant du bien commun, il n’a pas à agir mais à régir, c’est-à-dire à contrôler,
à réglementer et à promouvoir, tout en intervenant chaque fois que les per-
sonnes, seules ou en groupe, sont défaillantes, selon l’idée d’une complémen-
tarité organique des différentes communautés.
Dès sa naissance sémantique, nous le voyons, la subsidiarité se présente
comme une règle générale de la vie sociale — un précepte de bon sens2 —, que
l’Église se ferait un devoir d’invoquer contre les assauts malfaisants d’États
usurpateurs prétendant absorber la société mais aussi contre le libéralisme, et
particulièrement ses répercussions économiques déshumanisantes. Notons
combien une telle interprétation, très classique au demeurant, peut prêter à la
facilité et à la confusion : distinguer entre deux extrêmes pour se positionner
dans le confort du juste milieu. C’est précisément la définition que Chantal
Delsol, auteur d’un ouvrage de référence sur le sujet, donne de la subsidiarité.
La subsidiarité, apprend-on, n’est pas la simple suppléance négative, elle n’est
pas la supplétivité étatique prônée par le libéralisme classique3 ; elle est encore
moins l’étatisme socialiste qui, au nom d’un providentialisme immanent,
réclame l’ingérence prométhéenne de la puissance publique ; elle n’est rien de
moins que la via media entre la liberté et l’autorité. Au-delà des problèmes

1. Génétique sémantique qui, comme la génétique humaine, n’est pas déterministe. Nous ne
disons pas qu’une vérité du concept serait posée une fois pour toutes au moment de sa naissance.
2. Dans le registre inépuisable de la sagesse populaire et du bon sens, les adeptes du principe de
subsidiarité se plaisent souvent à citer Abraham Lincoln : « On n’aide pas les hommes en faisant
pour eux ce qu’ils pourraient et devraient faire par eux-mêmes. » Ou encore : « Le but légitime
du gouvernement est de faire pour la société ce dont celle-ci a besoin mais qu’elle ne peut pas
du tout accomplir, ou ne peut pas accomplir aussi bien à travers ses capacités individuelles.
Dans tout ce que les gens peuvent accomplir aussi bien pour eux-mêmes et individuellement, le
gouvernement n’a pas à s’ingérer.  » (O.  von NELL-BREUNING, «  Subsidiaritätsprinzip  »,
Staatslexikon, dir. Görres-Gesellschaft, Fribourg, Herder, 1962, VII, col. 826-833, ici col. 828 ;
« Ein katholisches Prinzip ? », Kirche und moderne Gesellschaft, dir. H. W. BROCKMANN,
Düsseldorf, Patmos, 1976, p. 61-83, ici p. 66 ; C. MILLON-DELSOL, L’État subsidiaire. Ingé-
rence et non-ingérence de l’État : le principe de subsidiarité aux fondements de l’histoire euro-
péenne, Paris, PUF, 1992, p.  224). Non sans mauvais esprit, nous pourrions ajouter le vieux
proverbe chinois repris par Mao Zedong (il lui est parfois attribué) : « Plutôt que de donner un
poisson à quelqu’un qui a faim, mieux vaut lui apprendre comment pêcher. »
3. Il en résulte deux messages qui se contrebalancent l’un l’autre, voire s’annulent réciproque-
ment. D’une part, la subsidiarité peut vouloir dire supplétivité ou suppléance, auquel cas elle se
rapproche de la conception libérale selon laquelle l’État n’a pas à intervenir dans les domaines où
la société est capable d’agir par elle-même (subsidiarité négative). D’autre part, la subsidiarité
implique un secours positif de l’État qui œuvre pour le bien-être social et la solidarité entre ses
ressortissants (subsidiarité positive) (Ibid.). La parenté du langage delsolien avec les thèses berli-
niennes sur la liberté est révélatrice du dialogue souterrain entre libéralisme et catholicisme, qui
travaille la subsidiarité (I. BERLIN, « Deux concepts de la liberté » [1958], Éloge de la liberté
[1969], trad. fr. J. Carnaud, J. Lahana, Paris, Calmann-Lévy, 1988, p. 167-218).
16 Introduction générale

évidents de vocabulaire (impossible de parler d’ingérence ou de non-ingé-


rence en évacuant le lot de sous-entendus qu’impliquent ces termes  : la
présomption d’illégitimité de l’intervention étatique), relevons l’irénisme
de cette présentation des choses selon laquelle les apories de la condition
humaine trouverait au total une forme de solution dans un principe abstrait
(comme si une aporie pouvait, même temporairement, trouver à s’éliminer
d’elle-même). Comprendre que la subsidiarité est travaillée de l’intérieur par
deux pôles conceptuels, ce n’est pas les formaliser chacun en recettes pra-
tiques censément prêtes à l’emploi, c’est admettre un enfermement dans une
tension irréductible.
Au cœur de la prétention catholique à dépasser dans un même mouvement
le libéralisme et le socialisme — la fameuse troisième voie des années 1930 —,
la subsidiarité apparaît en définitive comme une réaction aux évolutions anti-
catholiques de la société moderne : en premier lieu la sécularisation de l’État1.
Nous aurons l’occasion d’y insister, c’est bien souvent dans le contact avec
les mutations de la société temporelle que l’Église, par rejet, prend conscience
de sa spécificité propre. Nous voulons dire ici que les questions soulevées par
la subsidiarité résultent d’une profonde crise existentielle de l’Église, de son
insurmontable difficulté à accepter la survenue de l’État libéral, cet État qui
nie la souveraineté de Dieu pour mieux affirmer la sienne propre, « ce Lévia-
than de l’Ancien Testament qui domine tout parce qu’il veut tout attirer à
lui »2, cette « déité de l’immanence » qui institutionnalise l’autonomie de la
volonté humaine3, cet État qui consacre le triomphe d’un monde émancipé de
toute transcendance divine. L’idée de subsidiarité pouvait-elle raisonnable-
ment faire problème dans les sociétés traditionnelles de l’ancien monde, celui
de la mentalité préwestphalienne4 ? N’était-elle pas vécue sans avoir besoin
d’être nommée ? C’est peut-être, en l’occurrence, au moment où la chose dis-
paraît de la réalité vivante (au moment où l’Église prend pleinement
conscience de cette disparition) qu’un mot idoine devient nécessaire pour la
désigner, de manière quasi performative, en tant qu’objectif souhaitable, en

1. Cf. F. X.  KAUFMANN, «  Le principe de subsidiarité  : point de vue d’un sociologue des
institutions  », Les Conférences épiscopales, dir. H.  LEGRAND, J.  MANZANARES,
A. GARCIA Y GARCIA, Paris, Le Cerf, 1988, p. 366. Plus généralement, cf. E.-W. BÖCKEN-
FÖRDE, «  La naissance de l’État, processus de sécularisation  » [1967], Le Droit, l’État et la
constitution démocratique. Essais de théorie juridique, politique et constitutionnelle, trad. fr.
O. Jouanjan, Bruxelles, Bruylant, Paris, LGDJ, 2000, p. 101-118.
2. PIE XII, Allocution au Consistoire, 20 février 1946, Acta Apostolicae Sedis, 1946, XXXVIII,
p. 141-151 (in SOLESMES, La Paix intérieure des nations, éd. des Moines de Solesmes, Tournai,
Desclée, 1952, 957, p.  500). Cf. également le recueil établi par le Père Utz  : A.  F. UTZ,
J. F. GRONER, Relations humaines et société contemporaine. Directives de S. S. Pie XII, trad.
fr. A. Savignat, Fribourg, Paris, Saint-Paul, 1956, II, p. 2063-2077, ici p. 2073.
3. Mots de Marcel Gauchet (M. GAUCHET, Le Désenchantement du monde, op. cit., p. 120).
4. Pour une expression exemplaire de la mentalité médiévale du catholicisme, cf. DANTE ALI-
GHIERI, La Monarchie [~  1310], trad. fr. M.  Gally, Paris, Belin, 1993. Sur ce tropisme de la
respublica christiana, cf. A. DUPRONT, « De l’Église aux Temps modernes » [1971], Genèses
des Temps modernes, Paris, Gallimard, Le Seuil, 2001, p.  283-305 ; «  De la Chrétienté à l’Eu-
rope  » [1963], ibid., p.  307-336 ; T.  MÉNISSIER, «  Monarchia de Dante  : de l’idée médiévale
d’empire à la citoyenneté universelle  », L’Idée d’empire dans la pensée politique, historique,
juridique et philosophique, éd. T. MÉNISSIER, Paris, L’Harmattan, 2006, p. 81-96.
Du mirage de l’État totalitaire au spectre de l’État subsidiaire 17

tant qu’idéal à retrouver. Sauf qu’inventé pour conjurer des changements


surgis dans la réalité, ce mot lui-même produit des effets : la reconstruction
d’un mythe médiéval qui n’a jamais existé. La nostalgie ecclésiale de la Chré-
tienté n’exprime pas autre chose que cette résistance à l’autorité autonome de
l’État1.

La tentation est forte de rechercher les anticipations doctrinales du concept


dans le passé le plus lointain — la force de légitimation intellectuelle se révé-
lant souvent proportionnelle à la distance chronologique. N’est-il pas devenu
courant de faire de la subsidiarité une idée ancienne qui trouverait son fonde-
ment philosophique et anthropologique dans la pensée aristotélo-thomiste ?
À tel point que l’interprétation dominante dans les sciences sociales ou dans
la philosophie normative est de reprendre plus ou moins à son compte une
généalogie conceptuelle postulant une parfaite consistance ou cohérence de la
notion, à tout le moins une grande continuité, depuis Aristote jusqu’à nos
jours2. Idée platonicienne, la subsidiarité passerait imperturbablement par
une série d’étapes qui ne feraient qu’actualiser un message anhistorique sur
le mode linéaire d’une filiation ininterrompue entre auteurs canoniques  :
Aristote, saint Thomas d’Aquin, Althusius, Locke, Tocqueville, Hegel,
Proudhon3. Au-delà des chocs théoriques qu’elle provoque, cette linéarité

1. Aussi le juriste allemand Joseph Isensee a-t-il raison de dire que la subsidiarité « est le résultat
d’une synthèse des catégories de la pensée organique (héritage scolastique) et de la théorie de
l’État libéral » (J. ISENSEE, « Wurzeln des Subsidiaritätsprinzips in der deutschen Tradition der
organisch-föderalistischen Gesellschaftslehre  », Subsidiarität und Verfassungsrecht [1968],
Berlin, Duncker und Humblot. 2001, p. 25). Nous traduisons. Mais notons par ailleurs que le
même Joseph Isensee, une fois sorti de sa généalogie conceptuelle, interprète la subsidiarité
comme un principe formel, juridiquement applicable pour régler les problèmes de répartition
des compétences dans un système fédéral (Ibid., p. 32 sq.). Nous y reviendrons.
2. Cf. C. MILLON-DELSOL, L’État subsidiaire, op. cit. Des plus anciens aux plus récents, les
travaux philosophiques de référence semblent tous converger sur ce point. À ce stade, citons, par
exemple, H. E. HENGSTENBERG, « Philosophische Begründung des Subsidiaritätsprinzip »,
Sammlung Politeia, dir. A. F. UTZ, Heidelberg, Kerle, 1953, p. 19-44 ; O. von NELL-BREU-
NING, « Ein katholisches Prinzip ? », Kirche und moderne Gesellschaft, dir. H. W. BROCK-
MANN, op. cit., p. 61-83 ; B. S. LLAMZON, « Subsidiarity : The Term, Its Metaphysics and
Use », Aquinas. Rivista di internazionale di filosofia, 1978, 21 (1), p. 44-62 ; J. FINNIS, Natural
Law and Natural Rights [1980], Oxford, Clarendon Press, 1993 ; O. HÖFFE, « Subsidiarität als
staatsphilosophisches Prinzip ? », Subsidiarität, dir. A. RIKLIN, G. BATLINER, Vaduz, Verlag
der Liechtensteinischen Akademischen Gesellschaft, 1994, p. 19-46 ; « Subsidiarity as a Principle
of Government », Regional and Federal Studies, 1996, 6 (3), p. 56-73 ; « Subsidiarität als Gesell-
schafts- und Staatsprinzip  », Schweizerische Zeitschrift für politische Wissenschaft, 1997, 3 (3),
p.  259-290 ; «  Subsidiarität und Föderalismus  », Demokratie im Zeitalter der Globalisierung,
Munich, Beck, 1999, p. 126-152 ; « Subsidiarité et fédéralisme », trad. fr. J.-C. Merle, L’État au
XXe siècle, éd. S. GOYARD-FABRE, Paris, Vrin, 2004, p. 195-218 ; A. WASCHKUHN, Was ist
Subsidiarität ?, Opladen, Westdeutscher Verlag, 1995 ; P.  BLICKLE, T.  O. HUEGLIN,
D.  WYDUCKEL, éd., Subsidiarität als rechtliches und politisches Ordnungsprinzip in Kirche,
Staat und Gesellschaft, Berlin, Duncker und Humblot, 2002.
3. Abondamment cité, pour sa généalogie conceptuelle, par les politistes et juristes (les européa-
nistes et les spécialistes des politiques publiques ou de l’administration locale qui travaillent sur
les dynamiques de territorialisation), l’ouvrage de Chantal Delsol est très peu questionné dans
ses hypothèses philosophiques fondamentales (l’État-providence comme champ d’adversité
d’un État subsidiaire qui prétend ne pas se réduire à l’État minimal du libéralisme). Si nous ne
manquerons pas de retrouver certains de ses résultats, nous optons pour une démarche métho-
18 Introduction générale

généalogique — même raffinée au moyen d’une distinction entre suppléance


négative du libéralisme et subsidiarité positive du catholicisme social — nous
semble aussi peu évidente qu’elle est impressionniste. Rechercher la subsidia-
rité d’emblée dans une essence postulée ne permet pas d’interroger la chose
en elle-même. Prévenons, par avance, les malentendus  : dire que le terme
subsidiarité, dans sa forme substantivée, est récent et procède d’un contexte
spécifique, n’empêche pas d’admettre que l’idée s’alimente à des sources loin-
taines, à partir du moment, bien sûr, où l’on n’oublie pas que la naissance du
mot s’inscrit dans un moment historique précis. Pas de subsidiarité expressis
verbis avant la lettre, donc, mais notre postulat méthodologique n’invalide en
rien le souci de prendre en compte les racines profondes dans lesquelles puise
le concept. Ici réside notre point de divergence essentiel avec la thèse de
Chantal Delsol1 : dans la manière qu’elle a de désamorcer le rapport intime
qui lie la subsidiarité au catholicisme. Nous pensons au contraire que le
concept de subsidiarité exprime une idée proprement chrétienne, produit
d’un contexte relativement rapproché — et non une idée philosophique qui
trônerait « aux fondements de l’histoire européenne ».

dologique résolument différente. Relevons, au passage, le fonds arendtien de la thèse delsolienne,


qui, personnalisme chrétien aidant, mâtiné de libéralisme conservateur, ramène toujours à la
même statophobie : l’avènement du social, l’interpénétration de la société et de l’État.
1. « L’idée de subsidiarité ne naît pas avec la doctrine sociale de l’Église, ni ne trouve en Thomas
d’Aquin son inventeur. Il ne s’agit nullement d’une idée catholique, même si le premier à
l’énoncer sous sa forme actuelle est un évêque allemand du xixe siècle » (C. MILLON-DELSOL,
« Le principe de subsidiarité et les difficultés de son application », La Décentralisation française
et l’Europe, dir. H.  PORTELLI, Boulogne-Billancourt, Éditions Pouvoirs locaux, 1993, ici
p. 235). Point constamment rappelé dans ses écrits sur la subsidiarité : C. MILLON-DELSOL,
« Quelques réflexions sur l’origine et sur l’actualité du principe de subsidiarité », Les Démocrates
chrétiens et l’économie sociale de marché, Paris, Économica, 1988, p.  73-78 ; «  L’État subsi-
diaire », Le Libéral européen, 1992, 20, p. 40-42 ; Le Principe de subsidiarité, Paris, PUF, 1993 ;
« L’idée de subsidiarité, la question européenne et la tentation du modèle impérial », La Revue
Tocqueville, 1993, 14 (2), p. 53-64 ; « La subsidiarité dans les idées politiques », La Subsidiarité.
De la théorie à la pratique, dir. J.-B. d’ONORIO, Paris, Téqui, 1995, p. 41-57 ; « Déclin de l’État
et subsidiarité », Au-delà et en deçà de l’État-nation, dir. C. PHILIP, P. SOLDATOS, Bruxelles,
Bruylant, 1996, p. 237-255 ; « Souveraineté et subsidiarité ou l’Europe contre Bodin », La Revue
Tocqueville, 1998, 19 (2), p. 49-55 ; « Fondements philosophiques d’une fédération européenne »,
La Pensée fédéraliste et la construction européenne, Paris, Mouvement européen-France, 1998,
p. 25-32 ; « L’Europe future, fédération ou république unitaire ? Les conditions d’une fédération
européenne », Nouveaux Mondes, 2002, 11, p. 21-27 ; « Subsidiarité et souveraineté en Europe »,
ibid., p. 29-39 ; « Les fondements anthropologiques du principe de subsidiarité », La Subsidia-
rité, un grand dessein pour la France et pour l’Europe, dir. B. GUILLEMAIND, Versailles, Édi-
tions de Paris, 2005, p. 23-29.
Du mirage de l’État totalitaire au spectre de l’État subsidiaire 19

«  L’expérience prouve que l’indifférence pour le


débat de mots s’accompagne ordinairement d’une
confusion d’idées sur la chose1. »
« Une des manières de dater la naissance véritable
d’un phénomène historique [...] consiste [...] à découvrir
à quel moment le nom qui désormais va rester attaché à
la chose apparaît pour la première fois. Toute apparition
rend un nouveau mot nécessaire, évidemment, que ce
nouveau mot soit inventé ou bien qu’on ait recours à un
mot existant déjà auquel l’on donnera une acception
entièrement nouvelle. La chose est doublement vraie en
politique où la parole règne, souveraine2. »

II. LA CONTEXTUALISATION SÉMANTIQUE


COMME MÉTHODE D’ANALYSE

Le passage d’un mot à un concept comporte toujours le risque d’une extrapo-


lation hasardeuse dont il convient de se garder. Un mot ne désigne pas néces-
sairement un concept  : il reste l’étiquette apposée sur une chose ; mais
le concept n’existe véritablement que dans un usage du mot  : il est l’objet
désigné, la définition en termes généraux de la signification du mot. L’impor-
tant, ici, sera donc de questionner la locution principe de subsidiarité en elle-
même, de prendre en compte ses usages et les jeux de langage qui la font
exister.
Sempiternelle question que celle de savoir si c’est la pensée qui précède
l’action, le concept qui précède la réalité, ou bien l’inverse. Question fatale-
ment sans réponse, sauf à s’en remettre à Hegel. Une manière relativement
efficace, pour l’histoire de la théorie politique, de dépasser, sans la contourner,
cette difficulté consiste à étudier le rapport interactif entre l’énoncé d’une
pensée (d’un concept) et son contexte de réception, entre concept politique et
praxis sociale3. Produits par le changement historique, la pensée et le langage
contribuent tout autant à le créer. D’où notre focale méthodologique : non
pas désacralisation des textes pour les introduire dans la pure contingence
matérielle mais refus d’une quelconque disjonction entre la vie des idées et
la vie des hommes. Les textes ont une vie propre, ils produisent des effets
— a fortiori quand ils émanent du Vatican. Telle est notre manière, libre et
personnelle, de mettre à profit la méthode herméneutique de la Begriffs-
geschichte : elle invite à considérer l’usage du mot en tant que tel plutôt que

1. P. VEYNE, Comment on écrit l’histoire [1971], Paris, Le Seuil, 1996, p. 9.


2. H. ARENDT, Essai sur la Révolution [1963], trad. fr., Paris, Gallimard, 1985, p. 47.
3. Histoire de la théorie politique au sens de John Dunn par exemple (J. DUNN, Histoire de la
théorie politique, trad. fr. A. Prost, P. Beaudouin, Paris, Mentha, 1992). Herméneutique au sens
de Hans Georg Gadamer, partiellement repris par Reinhart Koselleck (H.  G. GADAMER,
Vérité et méthode [1960], trad. fr. G. Merlio, P. Fruchon, J. Grondin, Paris, Le Seuil, 1996).
20 Introduction générale

d’entrer directement dans un projet spéculatif de définition de son sens1.


Quels sont les différents contextes d’apparition du vocable subsidiarité ? Que
nous disent-ils de son contenu ? Quels effets le mot et le concept produisent-
ils sur leur contexte immédiat ? Que peut-on en déduire pour le passé et le
futur ? Pourquoi le terme en tant que tel apparaît-il si tardivement, en latin,
au début des années 1930 ? Comment expliquer le recours à ce même syn-
tagme par des auteurs, des autorités ou des acteurs si différents et dans des
endroits et des moments si dissemblables2 ?
Il ne pouvait s’agir, précisons-le par sécurité, de nous inscrire dans la filia-
tion d’une école de pensée ou d’appliquer une méthode prête à l’emploi, fût-
elle celle de Reinhart Koselleck3. La mise en contexte de la subsidiarité
à laquelle nous voulons procéder, nous apparaît a posteriori comme la voie la
plus appropriée pour s’introduire à l’intelligence du concept. Elle ne procède
en aucun cas d’un parti pris ou d’un militantisme méthodologique. Nous
sommes en mesure d’expliciter cette démarche d’histoire conceptuelle seule-
ment après avoir souffert au contact de notre terrain de recherche. Faut-il
parler d’histoire sémantique, d’«  archéologie  » conceptuelle, d’histoire des
idées4 ? Peu nous importe en définitive. Seuls comptent les impératifs de

1. Sur la Begriffsgeschichte, nous renvoyons à deux textes en particulier  : R.  KOSELLECK,


« Histoire des concepts et histoire sociale » [1972], Le Futur passé. Contribution à la sémantique
des temps historiques [1979], trad. fr. J. et M.-C.  Hoock, Paris, Éditions de l’ÉHÉSS, 1990,
p. 99-118 ; « Histoire sociale et histoire des concepts » [1986], trad. fr. D. Meur, L’Expérience de
l’histoire, Paris, Gallimard, Le Seuil, 1997, p.  101-119. Koselleck s’est beaucoup inspiré de
Gadamer avant de rompre partiellement avec sa méthode herméneutique (R.  KOSELLECK,
« Théorie de l’histoire et herméneutique » [1985], trad. fr. A. Escudier, ibid., p. 181-199 ; « Muta-
tion de l’histoire et changement de méthode. Esquisse historico-anthropologique » [1988], trad.
fr. A. Escudier, ibid., p. 201-247 ; R. KOSELLECK, H. G. GADAMER, Historik, Sprache und
Hermeneutik. Eine Rede und eine Antwort, Heidelberg, Manutius, 2000). Parmi les commen-
taires classiques, cf. surtout P.  RICŒUR, «  Vers une herméneutique de la conscience his-
torique », Temps et récit, III. Le temps raconté [1985], Paris, Le Seuil, 1991, p. 374 sq. Parmi les
études récentes, en attendant la parution d’un recueil de textes en hommage à Koselleck
(B.  LACROIX, X.  LANDRIN, dir., L’Histoire sociale des concepts. Signifier, classer, repré-
senter, XVIe-XXIe siècles, Paris, PUF, à paraître en 2010), cf. F. DOSSE, « Reinhart Koselleck entre
sémantique historique et herméneutique critique  », Historicités, dir. C.  DELACROIX,
F. DOSSE, P. GARCIA, Paris, La Découverte, 2009, p. 115-129 ; A. ESCUDIER, « “Tempora-
lisation” et modernité politique : penser avec Koselleck », Annales, 2009, 6, p. 1269-1301.
2. En nous inspirant de la démarche koselleckienne, nous souhaiterions éviter trois écueils prin-
cipaux. D’abord : l’évidence du point de vue a posteriori, particulièrement redoutable quand on
passe de l’analyse d’un mot à celle d’un concept. Il importe de ne pas se laisser emporter par les
appels séduisants de la conceptualisation. Ensuite, deuxième écueil  : la facilité du sentiment
commun qui tient le mot pour l’étiquette d’une chose déjà là, d’une chose constituée avant d’être
nommée. Il importe de se méfier de toutes les rationalisations homogénéisantes qui viennent
inconsciemment polluer le regard de l’observateur. Enfin, troisième écueil : la croyance en une
universalité des signifiés conceptuels prétendant donner un cadre logique atemporel à l’analyse
du contenu des mots. Il importe de ne pas postuler une concordance transtemporelle entre le
mot et la chose, d’assumer les ruptures de l’histoire sans vouloir les minorer à tout prix en
s’acharnant à traquer l’évolution logique derrière les césures chronologiques.
3. Nous ne sommes pas entré dans le sujet par des considérations de méthode mais avons
cherché à répondre en situation aux questions épistémologiques, au moment même où elles se
présentaient dans le cours de notre travail de recherche. Avec le risque de dispersion évident que
cela comportait. Mais, aussi risqué fût-il, le défi était à relever pour se donner les moyens de
construire une méthode de travail véritablement compréhensive et en empathie avec notre objet.
4. M. FOUCAULT, L’Archéologie du savoir [1969], Paris, Gallimard, 2005.
Du mirage de l’État totalitaire au spectre de l’État subsidiaire 21

méthode que nous nous fixons. Reste qu’à trop les radicaliser, le danger
aurait été de se contenter d’une sémantique contextuelle et de s’en tenir au
seul registre de l’énumération descriptive. Contextualiser pour contextualiser
reviendrait à s’interdire de dépasser le simple niveau du repérage et de la col-
lecte. Si l’on veut, en effet, identifier les différents moments qui stratifient
notre concept, il convient d’y ajouter une archéologie ou génétique du sens1.
Face à un mot (subsidiarité) et une locution (principe de subsidiarité) qui font
l’objet d’investissements de sens très divers, il faut bien s’efforcer d’identifier
les acceptions admises par l’usage et selon les contextes (historiques, poli-
tiques, nationaux, culturels et sociaux)2. Non pas pour mettre en évidence la
permanence d’une signification, mais pour faire apparaître l’unité d’un pro-
blème en même temps que la discontinuité historique de ses figures, pour
interroger l’articulation entre l’évidente diversité des emplois d’une termino-
logie et son apparente stabilité. Pareille délimitation n’est en rien occultation
de l’amplitude de la notion. Elle est, au contraire, la condition pour mieux la
traiter dans ses différentes dimensions. Seule la reconstitution d’une généa-
logie lexicologique peut autoriser à identifier les diverses significations géné-
ralement imputées au vocable subsidiarité et à dégager des propriétés com-
munes parmi toutes les occurrences du mot.
L’approche terminologique ne vaut, autrement dit, que dans la mesure
où elle permet d’établir des filiations philosophiques de nature à mettre en
perspective origines, survivances et adaptations. Méthode sémantique et parti
pris anti-essentialiste ne doivent pas signifier crispation nominaliste, moins
encore se retourner en leur exact opposé : le refus d’accorder aux mots une
quelconque substance propre. Car un nominalisme excessif, ou une phéno-
ménologie trop constructiviste du langage, empêcherait de fixer, même pro-
visoirement, toute acception de la chose3. La « reconstruction historique » est

1. Ce faisant, nous nous démarquons d’un parti pris wittgensteinien trop radical, mais enten-
dons son message général : « Un mot n’a pas un sens qui lui soit donné pour ainsi dire par une
puissance indépendante de nous ; de sorte qu’il pourrait y avoir une sorte de recherche scienti-
fique sur ce que le mot veut réellement dire. Un mot a le sens que quelqu’un lui a donné. [...]
Beaucoup de mots n’ont pas de sens strict, mais ce n’est pas un défaut. Penser le contraire serait
comme de dire que la lumière de ma lampe de travail n’a rien d’une véritable lumière, parce
qu’elle n’a pas de frontière nette.  » (L.  J. J. WITTGENSTEIN, Cahier bleu [1933-1934],
Le Cahier bleu et le Cahier brun, trad. fr. M. Goldberg, J. Sackur, Paris, Gallimard, 1996, p. 71).
2. En prétendant établir une énumération finie d’acceptions contextualisées, nous nous inspi-
rons en quelque sorte de ce que Paul Ricœur a appelé la méthode de la «  polysémie réglée  ».
Méthode notamment appliquée au mot «  reconnaissance  » (P.  RICŒUR, Parcours de la
reconnaissance, Paris, Stock, 2004, p. 9-11, p. 13 sq.). Et le philosophe de préciser : la « polysé-
mie évidente du mot prête à une mise en ordre acceptable qui ne fait pas violence à notre senti-
ment de justesse des mots, mais rend justice à la variété des usages conceptuels sans aller jusqu’à
un démembrement qui se résoudrait dans l’aveu d’une simple homonymie. À cet égard, on peut
parler d’une polysémie réglée du mot “reconnaissance” dans ses valeurs d’usage » (Ibid., p. 14 ;
nous soulignons). Cf. également P.  RICŒUR, Du Texte à l’action. Essais d’herméneutique,
Paris, Le Seuil, 1986 ; « L’herméneutique et la méthode des sciences sociales », Théorie du droit
et science, dir. P. AMSELEK, Paris, PUF, 1994, p. 15-25 ; « Le problème de la liberté de l’inter-
prète en herméneutique générale et en herméneutique juridique  », Interprétation et droit, dir.
P. AMSELEK, Aix-en-Provence, PUAM, Bruxelles, Bruylant, 1995, p. 177-188 ; « Interpréta-
tion et/ou argumentation », Le Juste, Paris, Éditions Esprit, 1995, p. 163-184.
3. Le langage n’est pas une simple convention totalement artificielle issue de la seule volonté
22 Introduction générale

une étape intermédiaire, et une étape intermédiaire seulement, en vue d’ac-


céder à une «  reconstruction rationnelle  »1. Voie médiane, donc, confinant
peut-être à la gageure, mais cette combinaison entre pérennalisme et contex-
tualisme, entre « internalisme textuel » et « externalisme contextuel »2, n’a pas
pour but de parvenir à un compromis méthodologique (il serait nécessaire-
ment boiteux). Elle veut tenir ensemble deux exigences : la contextualisation
du mot, du concept et de leurs usages ; la prise en compte rétrospective de
l’unité conceptuelle par-delà la diversité des contextes historiques. Ne pas se
réfugier dans des continuités épistémologiques paresseuses3, mais ne pas, non
plus, réduire la subsidiarité à la seule production d’une circonstance his-
torique.
Telle que nous la concevons, l’étude de la subsidiarité exigera donc de
dépasser les visions purement chronologiques de l’histoire pour, à la fois,
répondre aux impératifs de la contextualisation, mais aussi pour comprendre
comment se noue le dialogue entre passé et présent. Si la subsidiarité est un
objet historique, il convient alors de se donner les moyens de saisir pourquoi
et comment il a été transmis par les générations antérieures. En se tenant à
distance de tout déterminisme causal, il importe de mesurer en quoi la pleine
perception de la signification de l’histoire nécessite elle-même de comprendre
les rapports entre les protagonistes de cette histoire. Pour ce faire, nous nous
intéresserons principalement au contexte intellectuel, à la conscience de
l’époque, de manière à établir un repérage historique probant, une mise en
ordre des facteurs et des acteurs. L’apparition du mot subsidiarité n’est pas le
fruit exogène du hasard. Inscrit dans un espace-temps, le concept procède
d’un passé mais il survient pour répondre à une situation présente et s’adresse
aux générations futures. Si les mots ont une mémoire, ils disposent avant tout
d’une potentialité pour l’avenir. Sauf qu’entre-temps (entre le temps de l’ap-
parition et le temps de la réception) les intentions et les usages changent.

humaine, il conditionne et configure le rapport au réel qu’il permet en retour de saisir comme tel.
Précisons au passage que nous n’adhérons pas au point de vue constructiviste radical d’un Peter
Berger ou d’un Thomas Luckmann, qui finit par nier l’existence de la réalité (P. L. BERGER,
T. LUCKMANN, La Construction sociale de la réalité [1966], trad. fr. P. Taminiaux, D. Mar-
tuccelli, Paris, Armand Colin, 2006). Cf. la controverse, toujours actuelle, qui a opposé Philippe
de Lara et Philippe Corcuff dans les colonnes du Débat : P. de LARA, « Un mirage sociolo-
gique. La “construction sociale de la réalité” », Le Débat, 1997, 97, p. 114-129 ; P. CORCUFF,
« Entre malentendus sociologiques et impensé politique », ibid., 1999, 103, p. 112-120.
1. Deux expressions empruntées à Richard Rorty (R. RORTY, « Quatre manières d’écrire l’his-
toire de la philosophie » [1984], trad. fr. É. Pacherie, B. Puccinelli, Que peut faire la philosophie
de son histoire ?, dir. G. VATTIMO, Paris, Le Seuil, 1999, p. 58-94 ; « The Historiography of
Philosophy : Four Genres », Philosophy in History. Essays on the Historiography of Philosophy,
éd. R. RORTY, et al., Cambridge, Cambridge University Press, 1984, p. 49-75).
2. Les deux formules d’« internalisme textuel » et d’« externalisme contextuel » sont empruntées
à François Dosse (F.  DOSSE, La Marche des idées. Histoire des intellectuels, histoire intellec-
tuelle, Paris, La Découverte, 2003, p. 248). Dans une filiation gadamérienne assez similaire à celle
dessinée par Koselleck, cf. Hans Robert Jauss et sa théorie de la réception, élaborée pour l’his-
toire littéraire mais qui propose le même dépassement méthodologique (H. R. JAUSS, Pour une
esthétique de la réception [1977], trad. fr. C. Maillard, Paris, Gallimard, 1990).
3. Des « continuités ininterrompues » comme disait ironiquement Michel Foucault (M. FOU-
CAULT, L’Archéologie du savoir, op. cit., p. 21).
Du mirage de l’État totalitaire au spectre de l’État subsidiaire 23

D’où la nécessité d’interpréter au-delà des continuités apparentes, de mettre


en perspective entre eux textes, auteurs et contextes contre une vision téléo-
logique et évolutionniste de la temporalité. L’histoire des idées ne procède
pas à la manière d’un récit prédéterminé qu’il s’agirait de simplement dérouler
sur un axe longiligne. Elle n’est pas seulement un regard sur le passé ; elle est
aussi un regard vers le futur ; elle est un regard vers le futur dans le passé1.
L’intérêt de notre travail réside dans la prise en compte de ce jeu de va-
et-vient, de l’articulation complexe, entre le passé et le futur, entre « champ
d’expérience » (le déjà là à disposition) et « horizon d’attente » (le pas encore
potentiel et indéterminé) — tension matricielle qui, pour Koselleck, est le
propre même des temps historiques2. Nous aurons à cœur de considérer
ensemble le monde des idées et la matérialité sociale, non pour établir des
liens de détermination causale mais pour rompre avec la vision dualiste qui
sépare ces deux sphères de l’existence humaine, et, ainsi, éviter de tourner en
rond dans le cercle vicieux qui, indéfiniment, va du mot à la chose, de la chose
au mot. C’est précisément la vertu du concept au sens de Koselleck que d’in-
tercaler un troisième terme, un tiers arbitre, entre ces deux pôles3. Le concept
appelle l’interprétation ; il symbolise le réel mais, dans le même temps, le
constitue en le transformant. S’il enregistre un fait social en train de se pro-
duire, il est aussi un facteur de ce même fait social. Connaître les conditions
de naissance de la subsidiarité, c’est donner tout son sens au mot et toute sa
portée au concept afin de considérer dans leurs usages mêmes les «  indices
de changements politiques et sociaux »4. La perspective historique, telle que
nous l’entendons, suppose l’appréhension du décalage nécessaire — et évi-
dent — entre le monde intellectuel des auteurs du passé et le monde intel-
lectuel présent, au risque, sinon, de tomber dans l’anachronisme et l’illu-
sion rétrospective (lire le passé avec les lunettes déformantes du présent).
Comprendre le dialogue qui s’opère entre les temps historiques, c’est d’abord
respecter l’altérité chronologique des textes du passé et faire apparaître les

1. R.  KOSELLECK, Le Futur passé, op. cit. Nous n’entrons pas dans les subtilités de la
méthode skinnérienne, ni dans le débat qui a opposé Quentin Skinner à John G. A. Pocock
(contextualisme langagier versus conventionnalisme contextuel). Nous retenons, sans le drama-
tiser, leur appel à la contextualisation historique (J. TULLY, éd., Meaning and Context. Quentin
Skinner and His Critics, Cambridge, Polity Press, 1988). Sur les correspondances et les diffé-
rences entre contextualisme skinnérien, contextualisme pocockien et Begriffsgeschichte
koselleckienne, cf. M. RICHTER, « Pocock, Skinner, and Begriffsgeschichte », The History of
Political and Social Concepts, New York, Oxford, Oxford University Press, 1995, p. 124-142 ;
« Towards a Lexicon of European Political and Legal Concepts : A Comparison of Begriffsge-
schichte and the “Cambridge School”  », Critical Review of International, Social and Political
Philosophy, 2003, 6 (2), p. 91-120 ; « Begriffsgeschichte and the History of Ideas », Journal of the
History of Ideas, 1987, 48 (2), p. 247-263 ; « Conceptual History (Begriffsgeschichte) and Poli-
tical Theory », Political Theory, 1986, 14 (4), p. 694-637 ; J. G. A. POCOCK, Politics, Language,
and Time, New York, Atheneum, 1971 ; « Concepts and Discourses. A Difference in Culture ? »
The Meaning of Historical Terms and Concepts, op. cit., p. 47-58 ; « Notes méthodologiques »,
Vertu, commerce et histoire [1985], trad. fr. H. Aji, Paris, PUF, 1998, p. 14-54.
2. Deux concepts essentiels chez Koselleck  : R.  KOSELLECK, «  “Champ d’expérience” et
“horizon d’attente” : deux catégories historiques », Le Futur passé, op. cit., p. 307-329.
3. R. KOSELLECK, Geschichtliche Grundbegriffe, op. cit., 1972, I, p. XXII.
4. R. KOSELLECK, Le Futur passé, op. cit., p. 103.
24 Introduction générale

usages sociaux des concepts. Comment un contexte réinterprète-t-il ou crée-


t-il les concepts dont il a besoin pour répondre à certaines questions, pour se
comprendre lui-même, pour entrer en dialogue avec l’extérieur et avec le
futur ? En retour, comment un concept agit-il sur un contexte ? Comment un
mot impose-t-il (parvient-il à imposer) ses limites sémantiques aux interpré-
tations possibles dans un temps et dans un espace donnés ? Encore et tou-
jours ce même rapport interactif : un contexte crée les conditions d’appari-
tion d’un concept qui lui-même rétroagit sur son contexte et lui donne une
coloration particulière.

III. LA STATOPHOBIE POST-TOTALITAIRE :


CHRISTIANISME ET LIBÉRALISME

1. UN PREMIER REPÉRAGE LEXICAL

Ces linéaments — hypothèses et méthode — étant posés, il nous faut mainte-


nant retourner à l’original latin de Quadragesimo anno, stabiliser un relevé
sémantique de notre vocable et l’accompagner de son repérage étymologique.
«  Minoris igitur momenti negotia et curas, quibus alioquin maxime distine-
retur, inferioribus coetibus expedienda permittat suprema rei publicae aucto-
ritas oportet ; quo fiet, ut liberius, fortius et efficacius ea omnia exsequatur,
quae ad ipsam solam spectant, utpote quae sola ipsa praestare possit : dirigendo,
vigilando, urgendo, coercendo, prout casus fert et necessitas postulat. Quare
sibi animo persuasum habeant, qui rerum potiuntur  : quo perfectius, servato
hoc “subsidiarii” officii principio, hierarchicus inter diversas consociatione
ordo viguerit, eo praestantiorem fore socialem et auctoritatem et efficientiam,
eoque feliciorem laetioremque rei publicae statum1. »
Érigé au titre de « philosophia sociali gravissimum illud principium », « ser-
vato hoc “subsidiarii” officii principio » a été traduit de manière très disparate
selon les langues nationales. Quatre traductions officielles (homologuées par
les services du Vatican) ont paru le jour même de la fulmination de la lettre
encyclique2. Dans aucune de ces versions traduites, on ne trouvera l’équiva-
lent du substantif subsidiarité. Le ton avait été donné par l’épithète du texte
original  : on parlera de subsidiary function en anglais, de función subsidia-
ria en espagnol, de funzione suppletiva en italien et de função supletiva en
portugais.
Deux niveaux de difficulté sont ici à débrouiller. Le premier est étymolo-
gique. Issus d’une même racine latine, les trois syntagmes subsidiaire, subsi-

1. PIE XI, Quadragesimo anno, 80 (Acta Apostolicae Sedis, 1931, XXIII, p. 203).
2. Les encycliques ne donnent pas automatiquement lieu à des traductions dans les langues ver-
naculaires des fidèles (italien, allemand, français, anglais, espagnol, portugais, polonais, rou-
main). C’est en fonction du sujet abordé dans chaque texte pontifical que les autorités vaticanes
choisissent de prendre en charge elles-mêmes ou de valider certaines traductions.
Du mirage de l’État totalitaire au spectre de l’État subsidiaire 25

diairement et subsidiarité ont connu des trajectoires diverses, qu’il ne saurait


s’agir d’homogénéiser a posteriori pour mieux substantialiser notre objet1.
Autant en anglais, en espagnol, en italien et en portugais qu’en allemand et en
français2, l’adjectif et l’adverbe sont anciens. Le substantif, en revanche, y est
tout à fait récent : son année de naissance varie selon les langues, mais les spé-
cialistes s’accordent à la situer dans la période postérieure à Quadragesimo
anno. Le simple rappel de l’étendue temporelle sur laquelle se développe
cette histoire sémantique aide à prendre la mesure du caractère tardif de la
première version latine du mot. Bien plus : en considération d’une si longue
échelle chronologique, les distorsions et dissonances cognitives s’expliquent
assez naturellement.
À l’observer dans toute son amplitude, il est néanmoins possible de
dégager un foyer de sens commun  : celui du langage militaire. À l’époque
romaine du bas Empire, les subsidiarii étaient les troupes de réserve (réserve
de la prima acies) qui ne servaient pas en temps normal mais constituaient un
appoint en cas de défaillance exceptionnelle et pour la seule durée de cette
défaillance. Aujourd’hui encore, le français parle couramment d’auxiliaires
ou de supplétifs ; d’où les premières traductions du latin assimilant subsidia-
rité et supplétivité (fonction subsidiaire et fonction supplétive)3. À partir de
cette même racine étymologique, deux acceptions distinctes ont pu prendre
corps selon que l’on se situait en temps de paix (réserve) ou en temps de
guerre (renfort). Double dimension qui indique déjà combien, avant même
de s’extraire de ce registre militaire et d’intégrer le monde civil, le mot est
inscrit dans une tension constitutive  : secondaire et accessoire, supplétif et
complémentaire4.
Second niveau de difficulté : le cas spécifique des traductions allemande et
française, et de leur statut respectif. Le Vatican étant l’unique garant de l’au-
thenticité de la signature pontificale, seules les versions anglaise, espagnole,

1. De sub (sous) et de sedere (être assis), qui a donné le nom subsidium et l’adjectif subsdiarius :
littéralement, ce qui est posé dessous pour soutenir (soubassement). Nous retranscrivons la défi-
nition donnée par le dictionnaire Gaffiot : Subsidiarius, a, um (subsidium), qui forme la réserve ;
subsidiarii, orum, m., troupes de réserve. Subsidior, ari, intr., former la réserve. Subsidium, ii, n.
(subsido), 1. ligne de réserve [dans l’ordre de la bataille] ; réserve, troupes de réserve ; 2. [d’où]
soutien, renfort, secours ; subsidio mitere, proficisci, envoyer en renfort, partir pour renfort ; 3.
[fig.] aide, appui, soutien, assistance ; moyen de remédier, ressources, arme, subsidia ad omnes
casus comparare ; se ménager des moyens de parer à toute éventualité, des ressources pour toute
éventualité ; 4. lieu de refuge, asile (F.  GAFFIOT, Dictionnaire latin-français [1934], éd. abr.
C. Magnien, Paris, Livre de poche, 1989, p. 551).
2. Selon les lexicologues les plus autorisés — Alain Rey par exemple —, l’adjectif français subsi-
diaire date de 1355 et l’adverbe subsidiairement de 1536 (A. REY et al., dir., Dictionnaire his-
torique de la langue française, Paris, Dictionnaires Le Robert, 2006, III, p. 3667).
3. Nous aurons à revenir sur la notion romaine d’auxilia (secours) dont il faudra s’attacher à
décrypter le sens religieux, spécialement à la lumière rétrospective de la théologie de la grâce. Sur
la notion militaire à ce stade liminaire, cf. G. L. CHEESMAN, The Auxilia of the Roman Impe-
rial Army, Oxford, Clarendon Press, 1914 ; C. HAMDOUNE, Les Auxilia externa africains des
armées romaines, IIIe siècle av. J.-C.-IVe siècle ap. J.-C., Synthèse de travaux pour l’habilitation à
diriger des recherches, Université Montpellier III, Études militaires, 1999.
4. La migration vers le vocabulaire civil a transité par le registre et le domaine financiers. La
sonorité du mot elle-même l’indique, subsidiarité vient aussi de subside, au sens de somme d’ar-
gent versée à titre de secours, qui pouvait d’ailleurs intervenir dans un contexte de guerre.
26 Introduction générale

italienne et portugaise peuvent à bon droit être considérées comme officielles.


Or, eu égard à notre objet d’étude, ce sont les deux versions française et
allemande de Quadragesimo anno qui nous intéressent en priorité. Elles-
mêmes sont à distinguer. La traduction allemande de «  “subsidiarii” officii
principio » par das Prinzip der Subsidiarität mérite un statut spécial auquel
ne peut prétendre son homologue français (principe de la fonction supplétive
de toute collectivité) : elle est le fait des deux rédacteurs germanophones du
texte pontifical, les jésuites Oswald von Nell-Breuning et Gustav Gundlach1.
Acte de naissance sémantique qui met on ne peut mieux en lumière le double
ancrage germanique et catholique du concept  : c’est outre-Rhin qu’appa-
raît pour la première fois le syntagme das Prinzip der Subsidiarität (ou Subsi-
diaritätsprinzip) ; c’est de cette racine allemande que naîtront tous les vocables
équivalents des autres langues occidentales (en 1936 pour l’anglais et
l’américain)2. Faute d’en disposer dès 1931, la langue française a d’abord parlé
de principe de la fonction supplétive de toute collectivité puis de principe de la
fonction subsidiaire de toute collectivité. Il faudra une diffusion germano-
phone du concept pour que la forme substantive soit peu à peu consacrée
dans le vocabulaire francophone. Via la Suisse, plus particulièrement, terre de
jonction entre les deux langues, où le mot apparaît dès le début des années
19503. L’étymologie latine du syntagme allemand ne doit donc pas tromper :

1. Cf. O.  von NELL-BREUNING, éd., Die Sozialen Rundschreiben der Päpste und andere
kirchliche Dokumente [1982], Kevelär, Buntzon und Bercker, 1985 ; G. GUNDLACH, éd., Die
Sozialen Rundschreiben Leos XIII und Pius’ XI [1933], Paderborn, Schöningh, 1960. Pour une
reprise conceptuelle en allemand dans la foulée de l’encyclique, cf. J. B. SCHUSTER, Die Sozial-
lehre nach Leo XIII. und Pius XI. unter besonderer Berücksichtigung der Beziehungen zwischen
Einzelmensch und Gemeinschaft, Fribourg, Herder, 1935.
2. Le substantif subsidiarity apparaît aux États-Unis dès 1936 dans la traduction d’un ouvrage
d’Oswald von Nell-Breuning consacré au commentaire des encycliques sociales de l’Église
(ouvrage réagencé par le traducteur Bernard Dempsey pour la version américaine)  : O.  von
NELL-BREUNING, Reorganization of Social Economy. The Social Encyclical Developed and
Explained, trad. am. B. W. Dempsey, New York, Milwaukee, Chicago, Bruce, 1936. Le mot a
ensuite été diffusé par les universitaires catholiques et autres théologiens allemands réfugiés
outre-Atlantique pour cause de persécution : Franz Müller, Goetz Briefs et Heinrich Rommen
(F.  H. MÜLLER, «  The Principle of Subsidiarity in the Christian Tradition  », The American
Catholic Sociological Review, 1943, 4 (3), p. 144-157 ; H. A. ROMMEN, The State in Catholic
Thought [1935], Saint-Louis, Herder, 1950 ; The Natural Law. A Study in Legal and Social His-
tory and Philosophy [1936], trad. am. T. R. Hanley, Indianapolis, Liberty Fund, 1998). Dans ce
dernier ouvrage, Rommen dégage cinq principes de la pensée sociale catholique : 1o, toute forme
sociale existe afin de servir l’homme ; 2o, la grâce supranaturelle présuppose la nature humaine et
la perfectionne ; 3o, la subsidiarité ; 4o, la solidarité ; 5o, la justice sociale. Dans la même période,
sous la plume d’un autre Père jésuite américain, cf. J. F. KENNEY, « The Principle of Subsidia-
rity », The American Catholic Sociological Review, 1955, 16 (1), p. 31-36.
3. Citons les travaux du théologien dominicain Arthur F. Utz (A. F. UTZ, dir., Das Subsidiari-
tätsprinzip, Heidelberg, Kerle, 1953 ; A.  F.  UTZ, Formen und Grenzen des Subsidiaritätsprin-
zips, Heidelberg, Kerle, 1956 ; « Subsidiarität, ein Prüfstein der Demokratie » [1956], Ethik und
Politik. Aktuelle Grundfragen der Gesellschafts-, Wirtschafts- und Rechtsphilosophie, Stuttgart,
Seewald, 1970, III, p.  113-124 ; «  Der Mythos des Subsidiaritätsprinzips  » [1956], ibid., III,
p. 338-349 ; « Staat und Jugendpflege », Die Neue Ordnung, 1956, 10, p. 205-212 ; Sozialethik, I.
Die Prinzipien der Gesellschaftslehre, Heidelberg, Kerle, 1958) et ceux du juriste publiciste Hans
Stadler (H.  STADLER, Subsidiaritätsprinzip und Föderalismus. Ein Beitrag zum schweizeri-
schen Staatsrecht, Fribourg, Universitätsbuchhandlung, 1951). À l’aune de l’expérience helvé-
tique, ce dernier définissait la subsidiarité comme un principe de proximité comportant une pré-
somption réfragable de compétence en faveur de la plus petite entité.
Du mirage de l’État totalitaire au spectre de l’État subsidiaire 27

c’est de la Subsidiarität germanique que naîtra quelques années plus tard la


subsidiarité française1.
L’essentiel, à vrai dire, n’est pas tant la datation de l’acte de naissance du
mot que celle de son adoption dans l’usage. Malgré une occurrence très
timide, car isolée, dès avant la Seconde Guerre mondiale (1937)2, le syntagme
ne sera repris en France que dans les années 1950  : 1953, d’abord, pour
l’hémisphère droite de la pensée catholique ; 1959, ensuite, pour le côté
gauche, à la faveur d’un commentaire de la doctrine sociale3. Plusieurs indices
convergents permettent de corroborer ce trop rapide relevé lexicologique.
On pourra s’en remettre aux comptes rendus des Semaines sociales de France,
enceinte à la production doctrinale régulière qui, à nulle autre pareille,
constitue une caisse de résonance nationale de la pensée pontificale. Dès 1931,
le paragraphe 80 est abondamment cité en français mais le mot subsidiarité
n’apparaît jamais dans les traductions4. Après-guerre, en 1947, comme plus
tard en 1954 ou en 1958, seul l’épithète subsidiaire (qui remplace désormais
supplétif) pointe dans la bouche et sous la plume des semainiers5. Il faut
attendre 1960, un an avant la promulgation par Jean XXIII de Mater et
Magistra, pour que le mot fasse son apparition dans les débats, avant d’être
bientôt adossé, dès 1962, au thème de la construction européenne6. Trois

1. En allemand, le suffixe -tät indique généralement une provenance française et latine.


2. F. PERROUX, Capitalisme et communauté de travail, Paris, Sirey, 1937, p. 127.
3. Cf. M.  RICHARD, «  À la recherche d’une méthode pour l’Occident  », Fédération, 1953,
104-105, p. 696-705 ; J.-Y. CALVEZ, J. PERRIN, Église et société économique. L’enseignement
social des papes de Léon XIII à Pie XII, Paris, Aubier, Montaigne, 1959, p. 410 sq.
4. Cf. R. P. VILLAIN, « L’institution corporative, garantie d’ordre dans le monde des affaires »,
La Morale chrétienne et les affaires, Lyon, Vitte, Paris, Gabalda, 1931, p. 272 ; J. T. DELOS, « Le
bien commun international et les enseignements du Saint-Siège », Le Désordre de l’économique
internationale et la pensée chrétienne, Lyon, Vitte, Paris, Gabalda, 1932, p. 187-210 ; A. GAR-
RIGOU-LAGRANGE, « Le concours des institutions publiques et des particuliers en vue du
bien commun », La Société politique et la pensée chrétienne, Lyon, Vitte, Paris, Gabalda, 1933,
p. 293-313. Antérieurement à Quadragesimo anno, on trouve quelques occurrences du qualifi-
catif subsidiaire, appliqué à l’État. Dans le compte rendu des Semaines sociales de 1922, on
apprend par exemple que l’État est subsidiaire par rapport à la société à la manière d’un tuteur
vis-à-vis de son pupille : « Le rôle de l’État est d’augmenter la portée des initiatives sociales, dans
la mesure discrète où elles ne se suffisent pas à elles-mêmes pour réaliser librement le bien
commun. C’est le rôle secondaire et subsidiaire d’un tuteur, qui coopère avec son pupille, pour
renforcer sa personnalité incomplète, et la mettre progressivement en mesure d’agir par elle-
même.  » (C.  BOUCAUD, «  La Providence et l’État  », Le Rôle économique de l’État, Lyon,
Vitte, Paris, Gabalda, 1922, p. 233). Nous soulignons.
5. Cf., surtout, J. DABIN, « Le rôle de l’État », Le Catholicisme social face aux grands courants
contemporains, Lyon, Chronique sociale de France, 1947, p.  345-371, ici p.  360 ; J.  RIVERO,
«  Corps intermédiaires et groupes d’intérêts  », Crise du pouvoir et crise du civisme, Paris,
Gabalda, 1954, p. 317-332, ici p. 321 ; « Valeur sociale de la liberté en matière d’enseignement »,
L’Enseignement, problème social, Paris, Gabalda, 1958, p. 133-149, ici p. 148.
6. Nous reviendrons plus en détails sur cette importante conjonction entre subsidiarité et
Europe. Cf., pour l’instant, JEAN XXIII, Lettre encyclique Mater et Magistra, 15  mai 1961,
Acta Apostolicae Sedis, 1961, LIII, p. 401-464 (in A. F. UTZ, I, p. 664-757 ; H. DENZINGER,
3935-3953, p. 835-841) ; Y. M.-J. CONGAR, « Perspectives chrétiennes sur la vie personnelle et
la vie collective », Socialisation et personne humaine, Lyon, Chronique sociale de France, 1960,
p. 213-214 ; J. RIVERO, « Europe, nations et communauté mondiale », L’Europe des personnes
et des peuples, Paris, Le Centurion, Sirey, 1962, p. 169-187, ici p. 179 ; D. PEPY, « La participa-
tion des personnes par les corps intermédiaires », ibid., p. 309-335, ici p. 320 sq.
28 Introduction générale

décennies plus tard, alors que le Bloc de l’Est s’effondre et que Centesimus
annus célèbre le centenaire de Rerum novarum1, le substantif subsidiarité est
officiellement consacré par les dictionnaires hexagonaux2.
Mais, on le sait, cette ultime consécration de la subsidiarité résulte princi-
palement de son inscription au répertoire juridique de l’Union européenne,
d’abord par touches successives, puis en grande pompe à l’occasion du traité
de Maastricht, qui érige le principe en règle centrale du droit positif commu-
nautaire3. Destiné à régir la répartition des « compétences partagées » entre
les États membres et la Communauté (subsidiarité territoriale)4, il accorde
à cette dernière une compétence dite subsidiaire, son intervention n’étant, en
principe, requise que si «  les objectifs de l’action envisagée ne peuvent pas
être réalisés de manière suffisante et peuvent [...] être mieux réalisés au niveau
communautaire » (article 3 B devenu 5-2). Au-delà des ambiguïtés contenues
dans la formulation même du texte — tension entre efficacité politique et
proximité démocratique, contradiction entre efficacité relative (« suffisante »)
et efficacité maximale («  mieux  ») —, la nature proprement juridique du
principe de subsidiarité a été très discutée5. Si l’on examine, en effet,
le contexte de la rédaction du traité, il apparaît clairement que son contenu
n’est pas tant juridique que politique : répondre aux craintes des États et des
régions face à l’interventionnisme de la Commission, jugé de plus en plus
excessif depuis la signature de l’Acte unique et la mise en place du Grand
marché européen ; signifier aux eurosceptiques que Bruxelles ne souhaite pas

1. JEAN-PAUL II, Lettre encyclique Centesimus annus, 1er  mai 1991, Acta Apostolicae Sedis,
1991, LXXXVIII, p. 793-867 (in P. TÉQUI, p. 532 ; H. DENZINGER, 4912, p. 1016-1017).
2. 1994 pour le dictionnaire Robert dirigé par Alain Rey (A. REY, J. REY-DEBOVE, Diction-
naire alphabétique et analogique de la langue française, Paris, Dictionnaires Le Robert, 1994).
3. Avant le traité de Maastricht signé en 1992, on peut identifier deux étapes principales  : le
projet de traité d’Union européenne mis au point en 1984 par le Parlement européen (projet dit
Spinelli) ; l’Acte unique européen et la Charte européenne des travailleurs (1986 et 1989).
4. On oppose couramment la dimension fonctionnelle du principe de subsidiarité (rapports de
la puissance publique et de la société civile), surtout développée dans la doctrine sociale de
l’Église, et sa dimension territoriale (rapports des différents niveaux de la puissance publique
entre eux), davantage caractéristique de la formule retenue par le droit communautaire européen.
5. Nous verrons que le flou définitionnel du concept n’est pas une raison suffisante pour refuser
à la subsidiarité le titre de règle de droit. L’enjeu institutionnel ne se situe pas sur ce terrain. C’est
plus en amont à la question même de la nature juridique de l’Union européenne que nous serons
renvoyé. À ce stade, sur les différentes tensions et contradictions internes du principe de subsi-
diarité, cf., notamment, R. DEHOUSSE, « La subsidiarité et ses limites », Annuaire européen,
1992, 40, p. 27-46 ; N. EMILIOU, « Subsidiarity : An Effective Barrier Against “the Enterprises
of Ambition” », European Law Review, 1992, 17 (5), p. 383-407 ; « Subsidiarity : Panacea or Fig
Leaf ? », Legal Issues of the Maastricht Treaty, éd. D. O’KEEFFE, P. M TWOMEY, Londres,
New York, Wiley Chancery Law, 1994, p. 65-83 ; R. HRBEK, Das Subsidiaritätsprinzip in der
europäischen Union. Bedeutung und Wirkung für ausgewählte Politikbereiche, Baden-Baden,
Nomos, 1995 ; « Federal Balance and the Problem of Democratic Legitimacy in the European
Union », Aussenwirtschaft, 1995, 50 (1), p. 43-66 ; « The Principe of Subsidiarity and the Rela-
tionship Between the European Union and the Member States », Towards a European Constitu-
tion, éd. T.  FLEINER, N.  SCHMITT, Fribourg, Institut du fédéralisme, 1998, p.  260-272 ;
J.-L.  CLERGERIE, Le Principe de subsidiarité, Paris, Ellipses, 1997 ; A.  ESTELLA, The EU
Principle of Subsidiarity and its Critique, Oxford University Press, 2002 ; J.  VERHOEVEN,
« Analyse du contenu et de la portée du principe de subsidiarité », Le Principe de subsidiarité,
dir. F. DELPÉRÉE, Bruxelles, Bruylant, Paris, LGDJ, 2002, p. 375-385 ; « À propos des compé-
tences “constitutionnelles” de l’Union », Droits, 2007, 45, p. 89-107.
Du mirage de l’État totalitaire au spectre de l’État subsidiaire 29

s’immiscer sans motifs dans les affaires internes des États, tout en préservant
les conditions de possibilité d’un éventuel fédéralisme européen, fût-il inter-
gouvernemental1. Nous verrons en quoi la subsidiarité est le lieu d’un
compromis, formulé par Jacques Delors, destiné à concilier les attentes des
Länder allemands (soucieux de ne pas être dépossédés par le niveau fédéral,
devenu l’interlocuteur privilégié de Bruxelles) et la volonté britannique de
préserver les prérogatives étatiques.

2. DE LA DOCTRINE CATHOLIQUE
À L’EUROPE COMMUNAUTAIRE

Ces repérages préliminaires l’indiquent d’ores et déjà, un saut substantiel


s’est opéré dans le passage du qualificatif au substantif. Saut sémantique qui
doit nous inviter à ne pas confondre le sens courant — la subsidiarité comme
caractère de ce qui est subsidiaire — avec le sens savant, plus élaboré, mais
aussi plus insaisissable, érigeant, en quelque sorte, le mot au rang de notion
ou de principe2. Pareille distinction ne relève en rien d’une quelconque
coquetterie intellectuelle ; elle souligne simplement deux points importants :
1o la continuité n’est pas linéaire entre l’adjectif subsidiaire et le substantif
subsidiarité ; 2o le sens savant ne saurait s’épuiser dans le sens courant du mot,
même si, bien sûr, les deux acceptions ne manquent pas de s’informer réci-
proquement3.
Les continuités apparaissent non moins nettement entre la doctrine catho-
lique et la construction européenne. Mais elles révèlent aussi un passage diffi-
cile de la théorie à la pratique, tant le principe est potentiellement sujet à des
traductions variées, tant ses différentes significations ont fini par se neutra-

1. Cf., ici, V.  CONSTANTINESCO, «  Le principe de subsidiarité  : un passage obligé vers


l’Union européenne ?  », Mélanges J.  Boulouis, Paris, Dalloz, 1991, p.  35-45 ; M.  CROISAT,
J.-L. QUERMONNE, L’Europe et le fédéralisme [1996], Paris, Montchrestien, 1999.
2. Passée dans le langage courant, l’expression principe de subsidiarité peut d’ailleurs prêter à
confusion. Comme le rappelle fortement Ronald Dworkin dans sa critique du positivisme juri-
dique, un principe juridique n’est pas une règle de droit positif (R. DWORKIN, « Le modèle des
règles I  », Prendre les droits au sérieux [1977], trad. M.-J. Rossignol, F.  Limare, F.  Michaud,
Paris, PUF, 1995, p. 69-107). Pour une application de cette distinction dworkinienne au cas de
la subsidiarité, cf. T. SCHILLING, « A New Dimension of Subsidiarity : Subsidiarity as a Rule
and a Principle », 1994 Yearbook of European Law, éd. A. BARAV, D. A. WYATT, 1995, 14,
p. 201-255, spécialement p. 213 sq. Nous reviendrons sur la formulation positiviste de cet enjeu
en reprenant les élaborations épistémologiques du juriste kelsénien Charles Eisenmann.
3. Pour le dire avec les mots du droit procédural, le subsidiaire (principe du subsidiaire conçu
sur le même plan que le principe du contradictoire) n’est pas la subsidiarité (ou bien alors faut-il
parler de subsidiarité procédurale). Sur la tripartition entre subsidiarité territoriale, subsidiarité
fonctionnelle et subsidiarité procédurale, cf. F. DELPÉRÉE, « Justice constitutionnelle et subsi-
diarité », Justice constitutionnelle et subsidiarité, dir. F. DELPÉRÉE, Bruxelles, Bruylant, 2000,
p. 11-25 ; F. DELPÉRÉE, dir., Le Principe de subsidiarité, Bruxelles, Bruylant, 2002. D’après un
relevé effectué à partir de la jurisprudence administrative française (J.-M. PONTIER « La subsi-
diarité en droit administratif », Revue du droit public, 1986, 102 (6), p. 1515-1537, ici p. 1530),
le qualificatif subsidiaire apparaît pour la première fois en 1901 (CONSEIL d’ÉTAT, Leroux
c. Dame de Gagny et Sieur Dolley, 29 mars 1901 ; Rec., p. 374).
30 Introduction générale

liser et s’annuler les unes les autres1. L’époque contemporaine n’a certes pas
oublié sa signification première, mais force est de constater qu’elle entre en
concurrence ouverte avec l’acception du droit communautaire européen,
dont les propriétés communes avec la précédente sont tout sauf évidentes.
L’usage actuel du mot subsidiarité réclame donc d’élargir notre perspective et
de ne pas nous limiter au seul commentaire de la doctrine sociale de l’Église.
Mais comment s’y retrouver au juste entre la subsidiarité catholique de
1931 et la subsidiarité communautaire de 1992 ? Non moins que le mot qui la
porte, la notion se révèle profondément « nomade »2. Aucun besoin de thé-
matiser davantage le constat : la subsidiarité fait partie de ces « concepts dont
le contenu a si fondamentalement évolué que, malgré l’identité du terme
même, les significations, sont à peine comparables et ne sont récupérables
que sur un plan historique »3. Rien d’étonnant dans cette loi générale de la vie
sémantique. La polysémie n’est-elle pas consubstantielle au langage lui-
même ? Certes. Encore faut-il tirer toutes les conséquences méthodologiques
d’une telle observation. Au moyen d’un dispositif de repérage extensif et
rigoureux, notre travail a consisté en une description aussi complète que pos-
sible des occurrences effectives du mot afin d’établir un corpus délimité, lui-
même accompagné du relevé de chaque contexte d’énonciation. L’objectif
n’était pas sans comporter un danger — contre lequel nous avons dû lutter de
bout en bout : se laisser emporter par le vertige de l’exhaustivité. Si les corpus
ne peuvent assurément pas se contenter de reposer sur des données fragmen-
taires, la description des occurrences ne lève jamais toutes les ambiguïtés,
même en multipliant à l’infini les sondages dans le matériau textuel dispo-
nible. Il a donc fallu s’y résoudre. En s’attachant à être le plus accueillant
possible aux variations des contenus définitionnels. En menant un travail
sémantique sur les sens et valeurs successifs du mot. En reconstituant sa
grammaire. En identifiant son champ lexical et son réseau de significations :
les notions connexes qui la structurent positivement — corps intermédiaires,
communauté, bien commun, société, fédéralisme, proximité — ; les notions

1. Un juriste allemand, Helmut Kalkbrenner, a par exemple recensé plus de quinze acceptions
différentes du principe de subsidiarité (H. KALKBRENNER, « Die rechtliche Verbindlichkeit
des Subsidiaritätsprinzips », Recht und Staat. Festchrift G. Küchenhoff, dir. H. HABLITZEL,
M. WOLLENSCHLÄGER, Berlin, Duncker und Humblot, 1972, p. 515-539, ici p. 518). Trois
ans plus tard, un théologien polonais, Jan Krucina, surenchérit en établissant, pour sa part, une
liste de plus de vingt définitions (J. KRUCINA, « Das Verhältnis von Gesamtkirche und Orts-
kirche im Lichte des Subsidiaritätsprinzips », Collectanea theologica, 1975, 45, p. 121-133).
2. Sur cette idée de nomadisme conceptuel, cf. Judith Schlanger, qui parle de « circulation des
concepts » (J. SCHLANGER, Les Métaphores de l’organisme, Paris, Vrin, 1971, p. 20 sq.).
3. R. KOSELLECK, Le Futur passé, op. cit., p. 107. « Un mot contient des possibilités de signi-
fication, un concept réunit en lui un ensemble de significations. Un concept peut en conséquence
être parfaitement clair, mais doit être nécessairement polysémique. Tous les concepts dans les-
quels se résume sémiotiquement l’ensemble d’un processus, échappent à la définition ; n’est défi-
nissable que ce qui n’a pas d’histoire (Nietzsche). Sous un concept se subsument la multiplicité de
l’expérience historique et une somme de rapports théoriques et pratiques en un seul ensemble
qui, en tant que tel, n’est donné et objet d’expérience que par ce concept. » (Ibid., p. 109-110 ;
Geschichtliche Grundbegriffe. Historisches Lexikon zur politisch-sozialen Sprache in Deutsch-
land, dir. O. BRUNNER, W. CONZE, R. KOSELLECK, Stuttgart, Klett, 1972, I, p. XXIII).
Les italiques figurent dans le texte original.
Du mirage de l’État totalitaire au spectre de l’État subsidiaire 31

adverses qui la font travailler négativement — État, souveraineté, totali-


tarisme1.

Ce sont les usages passés et présents d’un concept qui déterminent en


grande partie ses usages futurs. En l’occurrence, il faudra ici se demander
dans quelle mesure, lourd d’un riche contenu d’expérience, le concept de
subsidiarité est orienté vers l’avenir et porte en lui des potentialités futures
qu’il contribue par avance à configurer. L’étude linguistique ne peut suffire si
l’on veut répondre sincèrement à cette question ; pas plus qu’une restitution
fastidieuse de la polysémie d’un concept. L’esquisse de la trajectoire séman-
tique proposée ici dessine d’ores et déjà les contours de nos deux principaux
terrains. D’une part, la subsidiarité fonctionnelle du magistère de l’Église
catholique, lui-même scandé en deux moments principaux : la pensée ponti-
ficale du renouveau thomiste et de la doctrine sociale ; le moment conciliaire
de Vatican II. D’autre part, la subsidiarité territoriale de la construction euro-
péenne, elle aussi saisie à deux niveaux distincts : la source démocrate chré-
tienne du fédéralisme ; le langage du droit communautaire. Reste que le
débrouillage de notre écheveau sémantico-conceptuel suppose de retracer
méthodiquement, étape par étape, l’itinéraire du mot entre la subsidiarité de
1931 et la subsidiarité d’aujourd’hui. Au couple Église catholique-Union
européenne, nous ajouterons le couple intermédiaire Allemagne-France, de
manière à analyser le poids du catholicisme tour à tour dans les cultures alle-
mande et française du fédéralisme et du libéralisme. Pour chaque terrain,
nous aurons à distinguer entre plusieurs registres de discours et à faire appa-
raître la singularité du langage juridique.
À cet égard, quatre points de vue seront retenus : 1o le droit positif et la
jurisprudence ; 2o le discours des acteurs de la vie institutionnelle ; 3o la doc-
trine juridique et la théorie politique ; 4o les commentaires analytiques des
observateurs scientifiques. L’intérêt est de comprendre le processus à travers
lequel des pensées, des réalités, des pratiques sont, dans une configuration
donnée2 — Pie XI et Mussolini, Jacques Delors et les Länder allemands —,
conduites à se regrouper dans une même unité sémantique et conceptuelle.
Intérêt redoublé s’agissant de la matière juridique  : comme tout discours,
comme toute entité abstraite, le droit n’existe qu’à travers les mots, qui eux-

1. R.  KOSELLECK, «  La sémantique historico-politique des concepts antonymes asymé-


triques » [1975], Le Futur passé, op. cit., p. 191-232. Un exemple rapide peut être donné à ce stade
liminaire : quand elle apparaît sous la plume de Pie XI au tout début des années 1930, la subsi-
diarité ne fait pas système, au contraire d’aujourd’hui, avec la notion de dignité (cf. E. KANT,
Fondements de la métaphysique des mœurs [1785-1792], trad. fr. V.  Delbos, A.  Philonenko,
Paris, Vrin, 2004) ; comme on l’a vu plus haut, elle est adossée à la notion de corporation.
2. Configuration au sens éliassien. Par ce terme, Norbert Elias désigne l’agencement particulier
d’interdépendances multiples entre les individus. L’exemple le plus parlant est sans doute, ici,
celui de la partie de cartes ou d’échecs. La situation concrète dans laquelle sont plongés les
joueurs, assis autour d’une table, ne peut ni être enfermée dans les règles du jeu établies a priori,
ni se résumer aux choix des joueurs pris individuellement. La configuration est donc l’interac-
tion dans laquelle ils s’installent réciproquement (N. ELIAS, Qu’est-ce que la sociologie ? [1970],
trad. fr. Y. Hoffmann, La Tour d’Aigues, Éditions de l’Aube, 1991, ici p. 157).
32 Introduction générale

mêmes, en retour, travaillent le réel ; mais, inversement, le langage du droit


est d’un grand secours pour déchiffrer la réalité sociale et politique1. Deux cas
sont irréductibles l’un à l’autre. D’un côté, les cas où le mot subsidiarité
apparaît dans les textes de droit positif eux-mêmes — lois ou jugements —
c’est-à-dire dans les actes écrits émanant d’une autorité extérieure au juriste
savant ; de l’autre, les cas où son emploi est prioritairement le fait de la doc-
trine juridique. S’il faut admettre, disions-nous, qu’à l’instar de tout phéno-
mène de langage le droit existe avant tout dans l’ordre de la textualité et du
discours, on ne peut occulter que les mots n’ont pas le même statut, selon
qu’ils figurent dans un texte juridique, dans une décision juridictionnelle ou
dans l’ouvrage scientifique d’un juriste. Il convient dès lors de ne pas
confondre concept de droit positif (dont la définition découle d’une source
de droit positif) et concept doctrinal (créé par la doctrine pour analyser,
interpréter et styliser les phénomènes juridiques)2. La difficulté ne manque
cependant pas de surgir quand les concepts ont une double origine, indéfecti-
blement positive et doctrinale ; ce qui est le cas la plupart du temps. Défini par
la présence du mot subsidiarité lui-même, notre corpus se révélera donc
mouvant et instable, faisant se côtoyer textes normatifs et textes d’analyse.
À de nombreux égards (confusion définitionnelle, diffusion anarchique),
la subsidiarité est à rapprocher d’un autre concept-valise  : la gouvernance3.

1. Dans Land und Herrschaft, Otto Brunner (artisan avec Reinhart Koselleck et Werner Conze
de la Geschichtliche Grundbegriffe) a initié une rupture avec la méthode traditionnelle des histo-
riens du droit, qui interprétaient rétrospectivement les structures juridiques de l’Allemagne
médiévale à l’aune des concepts étatiques (O. BRUNNER, Land und Herrschaft. Grundfragen
der territorialen Verfassungsgeschichte Südostdeutschlands im Mittelalter [1939], Brünn, Munich,
Vienne, Rohrer, 1942). Mise en perspective historiographique dans H. QUARITSCH, « Otto
Brunner ou le tournant dans l’écriture de l’histoire constitutionnelle allemande  », trad. fr.
W.  Zimmer, Droits, 1995, 22, p.  145-162 ; J.  van HORN MELTON, «  Otto Brunner and the
Ideological Origins of Begriffsgeschichte », The Meaning of Historical Terms and Concepts, éd.
H. LEHMANN, M. RICHTER, Washington, German Historical Institute, 1996, p. 21-33.
2. Cf. les précieuses clarifications dues à Charles Eisenmann (C.  EISENMANN, «  Quelques
problèmes de méthodologie des définitions et des classifications en science juridique », Archives
de philosophie du droit, 1966, 11, p. 25-43, repris dans Écrits de théorie du droit, de droit consti-
tutionnel et d’idées politiques, Paris, Éditions Panthéon-Assas, 2002, p. 289-305). Sur la distinc-
tion, formalisée par Hans Kelsen, entre droit positif et droit savant (H. KELSEN, Théorie pure
du droit [1934], trad. fr. C. Eisenmann, Bruxelles, Bruylant, Paris, LGDJ, 1999), cf. M. TROPER,
La Philosophie du droit, Paris, PUF, 2003, p. 26 sq. Sur le « réalisme ontologique » inhérent aux
classifications juridiques, cf. M. TROPER, « Les classifications en droit constitutionnel » [1989],
Pour une théorie juridique de l’État, Paris, PUF, 1994, ici p. 259 sq.
3. Cf., en particulier, les travaux de Jean Leca (J. LECA, « Sur la gouvernance démocratique :
entre théorie normative et méthodes de recherche empirique », Politique européenne, 2000, 1 (1),
p. 108-129 ; La Démocratie dans tous ses états. Systèmes politiques entre crise et renouveau, éd.
C. GOBIN, B. RIHOUX, Louvain-la-Neuve, Bruylant, 2000, p. 17-59 ; « Gouvernance et insti-
tutions publiques. L’État entre sociétés nationales et globalisation », La France en prospectives,
dir. R. FRAISSE, J.-B. de FOUCAULD, Paris, Odile Jacob, 1996, p. 317-350), Jacques Cheval-
lier (J. CHEVALLIER, « La gouvernance, un nouveau paradigme étatique ? », Revue française
d’administration publique, 2003, 105-106, p. 203-217 ; « La gouvernance et le droit », Mélanges
P.  Amselek, Bruxelles, Bruylant, 2005, p.  189-207) et de Jean-Pierre Gaudin (J.-P. GAUDIN,
Pourquoi la gouvernance ?, Paris, Presses de Sciences Po, 2002). Cf. encore Y.  PAPADO-
POULOS, «  Gouvernance et transformations de l’action publique  », Historicités de l’action
publique, Paris, PUF, 2003, p. 119-135 ; J. CAILLOSSE, « Questions sur l’identité juridique de
la “gouvernance”  », La Gouvernance territoriale. Pratiques, discours et théories, dir. R.  PAS-
Du mirage de l’État totalitaire au spectre de l’État subsidiaire 33

Comme elle, quoiqu’avec moins de succès, la subsidiarité est tout autant une
notion axiologique et prescriptive, issue d’un référentiel politique, qu’une
notion descriptive prenant place dans un paradigme scientifiquement neutre.
Utilisée par les observateurs du droit et du politique mais aussi par les acteurs
publics, elle souffre en effet d’être à la fois une catégorie objective permettant
l’observation distanciée et une catégorie d’action ouvrant la porte à l’expres-
sion de préférences personnelles, donc de faire l’objet d’usages autant rhéto-
riques (discours managérial, discours proximitaire, etc.) qu’analytiques. Là
encore, rien de plus banal dans ce constat, mais les implications méthodolo-
giques en sont rarement tirées. Si ce statut pour le moins instable de la subsi-
diarité rend très confuse l’inscription du principe au registre de la positivité
juridique ou de la scientificité sociologique, c’est malgré tout en droit et
en science politique qu’elle a connu sa diffusion la plus marquée. Or, moins
encore que d’autres catégories, la subsidiarité apparaît justifiée à prétendre au
statut protecteur de la neutralité axiologique. Notre intérêt pour le sujet vient
précisément du constat qu’aucune interrogation n’a été entreprise pour tenter
de déterminer, en amont, la légitimité du recours à l’expression dans un texte
de droit ou de comprendre, en aval, les ressorts de la consécration doctrinale
du concept.
Tout se passe en définitive comme si le principe de subsidiarité disposait
de l’évidence naturelle du bon sens, au point d’être devenu une loi indis-
cutable qu’il ne s’agirait plus que d’appliquer à la réalité changeante des
choses. Pourquoi les juristes et les politistes s’épargnent-ils tant de scrupules,
pourquoi embrayent-ils à ce point le pas des praticiens de la chose publique
en invoquant sans précaution particulière un mot devenu fétiche, une expres-
sion devenue totémique ? Ne contribuent-ils pas ainsi à dignifier ce qui
demanderait plutôt à être clarifié ? Faire précéder le mot subsidiarité de la
locution principe de participe bien de cette logique, sanctionnée par le pou-
voir d’intimidation du droit, qui finit par décourager toute tentative de défi-
nition de la chose. D’où notre invitation à l’extrême circonspection dans le
maniement de la catégorie (nous ne parlerons pas tant de principe de subsidia-
rité que de concept de subsidiarité) et, plus négativement, notre perplexité
devant la définition assurée et rassurante qu’en donnent les juristes, politistes
ou autres acteurs de la chose publique.

QUIER, V. SIMOULIN, J. WEISBEIN, Paris, LGDJ, 2007, p. 35-64. Pour une critique systé-
matique du concept de gouvernance, cf. J.-G. PADIOLEAU, «  L’action publique postmo-
derne », Politique et management public, 1999, 17 (4), p. 85-127 ; « La gouvernance ou comment
s’en débarrasser », Espaces et Sociétés, 2000, 101-102, p. 61-73 ; B. JOBERT, « Le mythe de la
gouvernance dépolitisée  », Mélanges J.  Leca, Paris, Presses de Sciences Po, 2003, p.  273-285 ;
R. DRAÏ, « La gouvernance négative », Cités, 2004, 18, p. 85-94 ; G. HERMET, « La gouver-
nance serait-elle le nom de l’après-démocratie ? », La Gouvernance. Un concept et ses applica-
tions, dir. G.  HERMET, A.  KAZANCIGIL, J.-F.  PRUD’HOMME, Paris, Karthala, 2005,
p.  17-47 ; D.  BOURMAUD, «  La gouvernance contre la démocratie représentative ? Concept
mou, idéologie dure  », La Démocratie représentative devant un défi historique, dir. R.  BEN
ACHOUR, J. GICQUEL, S. MILACIC, Bruxelles, Bruylant, 2006, p. 77-94 ; A. OGIEN, « La
gouvernance ou le mépris du politique », Cités, 2007, 32, p. 137-156.
34 Introduction générale

3. ENTRE LA STATOPHOBIE ECCLÉSIALE


ET LA STATOPHOBIE LIBÉRALE

Réévaluation du matériau juridique, d’une part, banalisation du matériau


religieux, d’autre part. Le magistère catholique et, plus généralement, le chris-
tianisme seront considérés ici comme des objets historiques1. Aucune innova-
tion dans ce parti pris méthodologique, mais nous essaierons d’en tirer toutes
les leçons pour montrer qu’on aurait bien tort de réduire les enjeux politiques
soulevés par la subsidiarité à de simples considérations techniques et atem-
porelles de répartition des compétences — entre État et société civile, entre
État et entités infra-étatiques, entre Union européenne et États membres. La
question nodale qui travaille l’ensemble de notre sujet est bien davantage
celle, proprement théorique, du rapport entre tradition catholique et moder-
nité libérale, entre subsidiarité du catholicisme et réalité du libéralisme2.
Par réalité du libéralisme, nous n’entendons pas libéralisme dans l’absolu
(existe-t-il ?), au sens où notre ambition n’est pas de discuter du rapport que
la subsidiarité entretient avec le libéralisme en tant que tel ; il s’agit bien
davantage de débrouiller l’écheveau complexe — et souvent indémêlable —
qui la lie décisivement à la réalité libérale, via la question de l’État (et donc
celle de l’individu). Une ambition supplémentaire, touchant au cas français,
s’adjoint à ce programme, celle qui consiste à déplacer les termes habituels du
débat hexagonal quand il est question d’Église et d’État3 : non pas laïcité et
Église du point de vue de la République, mais subsidiarité et État du point de
vue de l’Église. Derrière l’affrontement franco-français entre Église et Répu-
blique, c’est plus fondamentalement le conflit Église catholique-État libéral
qui se trame et nous intéresse ici. De ce conflit, on le sait, sont nés de mul-
tiples acclimatations et compromis (Vermittlung), dont le cas français ne
constitue qu’un cas limite4.

1. C’est l’enseignement de la sociologie des religions, et notamment de l’une de ses principales


figures  : E.  TROELTSCH, Die Soziallehren der christlichen Kirchen und Gruppen [1912],
Gesammelte Schriften I, Tübingen, Mohr, 1919 ; The Social Teachings of the Christian Churches
[1912], trad. angl. O. Wyon, Londres, Allen and Unwin, New York, Macmillan, 1931.
2. Sur la problématique de l’acclimatation libérale appliquée au cas du catholicisme français ;
pour la première moitié du xxe siècle, cf. Y. PALAU, « Approche du catholicisme républicain
dans la France de l’entre-deux-guerres  », Mil Neuf Cent, 1995, 13 (1), p.  46-66 ; «  Des catho-
liques et de la politique. Les transformations doctrinales du catholicisme social, 1900-1930  »,
Revue française d’histoire des idées politiques, 1996, 4, p.  317-344 ; pour la seconde moitié du
xxe siècle, cf. J.-M. DONEGANI, La Liberté de choisir. Pluralisme religieux et pluralisme poli-
tique dans le catholicisme français contemporain, Paris, Presses de la FNSP, 1993.
3. En France, idéologie républicaine de la laïcité oblige, le traitement de la question des rapports
entre l’Église et l’État souffre d’une faiblesse persistance, tout se passant comme si le mot d’ordre
des acteurs politiques (laïcité) pouvait à lui seul épuiser le débat théorique d’ensemble.
4. Comme l’ont montré Max Weber et Ernst Troeltsch, l’église est le type même d’organisation
qui ouvre la possibilité à des arrangements avec le monde : le salut pour tous (ou le maximum de
salut pour tous) suppose une collectivisation, c’est-à-dire la réservation d’un monopole institu-
tionnel attribué à l’Église Nous faisons ici référence au schéma église-secte-mystique établi par le
théologien allemand dans la continuité de la polarité wébérienne église-secte (M. WEBER, « Les
voies du salut-délivrance et leur influence sur la conduite de vie  » [1911-1913], Économie et
société, in M. WEBER, Sociologie des religions [1910-1913], trad. fr. J.-P. Grossein, Paris, Galli-
Du mirage de l’État totalitaire au spectre de l’État subsidiaire 35

Premier obstacle à éviter dans notre entreprise : ne pas prendre au pied de


la lettre le discours des acteurs pontificaux eux-mêmes1. Décrypter ce que la
subsidiarité peut dire de la relation qu’entretiennent catholicisme et libéra-
lisme suppose en effet de se prémunir contre le piège tendu par la vulgate
néothomiste, celle que les papes ont empruntée aux fins de rompre l’isole-
ment catholique selon une stratégie complexe et imperceptible (l’utilisation
de certains moyens de la modernité pour mieux se protéger de ses fins, voire
les conjurer). Nous partons d’un constat consensuel  : il est couramment
admis que l’Église rejette l’individu. Nous voudrions démontrer que cette
proposition en appelle logiquement une autre qui a été cachée par le tho-
misme magistériel : rejetant l’individu, l’Église rejette le fondement même de
l’État. La subsidiarité prend place à l’intérieur de ce dispositif de défense
inconscient consistant à conditionner la légitimité de l’État à l’efficacité de
son action. Depuis que l’État n’est plus chrétien, le discours pontifical
s’acharne à faire croire en une puissance de la politique qui n’a jamais existé, à
lui attribuer un pouvoir démiurgique pour, précisément, saper les fonde-
ments de sa légitimité. Aussi, contre l’interprétation habituelle qui, en invo-
quant saint Thomas à la manière d’un totem, veut voir dans la doctrine sociale
de l’Église une défense sincère et positive de l’État, nous nous attacherons,
pour notre part, à y débusquer les ressorts d’une véritable statophobie catho-
lique, non moins réelle que ses variantes libérale ou marxiste2. Convenons
que l’apport de notre thèse serait assez réduit s’il ne concernait que quelques
catholiques isolés, choisis pour leur hostilité totale à la modernité étatique ; il
redouble cependant d’intensité quand nous proposons d’identifier une
phobie de l’État à l’intérieur même de la pensée officielle de l’Église. Ce n’est
bien sûr pas là ce que les papes disent d’eux-mêmes. Pour nous suivre, y
compris provisoirement, il faudra accepter de faire parler l’inconscient des
textes, de «  lire entre les lignes  », comme disait Leo Strauss3, par-delà les

mard, 2006, p. 177-240 ; « L’État et la hiérocratie », ibid., p. 241-328). Le type-église est porté à
l’extension et à l’extériorité ; le type-secte à l’intensité et à la radicalité, le type-mystique à l’inté-
riorisation et à l’immédiateté (E. TROELTSCH, Die Soziallehren der christlichen Kirchen und
Gruppen, op. cit.). Outre la traduction anglaise, on dispose de fragments épars en français,
notamment de la conclusion des Soziallehren (E.  TROELTSCH, «  Christianisme et société  »
[1912], trad. fr. J. Séguy, Archives de sciences sociales des religions, 1961, 11 (1), p. 15-34). Pour
un commentaire éclairant, cf. R.  MENGUS, «  Le “compromis” catholique selon Ernst
Troeltsch  », Recherches de science religieuse, 1983, 71 (1-2), p.  235-244 ; «  Ernst Troeltsch et
l’institution de l’absolu », ibid., 1982, 70 (4), p. 481-498.
1. Cf. les mises en garde de Jean-Marie Donegani (J.-M. DONEGANI, « L’autocompréhension
du catholicisme, entre critique et attestation », Raisons politiques, 2001, 4, p. 5-14).
2. Nous nous écartons en cela de la thèse précitée de Blandine Kriegel. Dans sa sympathie pour
des auteurs néothomistes comme le philosophe Jacques Maritain ou le juriste Michel Villey
l’auteur de L’État et les esclaves a peut-être trop tendance à oublier le pôle spécifiquement catho-
lique de la statophobie européenne, qu’elle relève par ailleurs avec tant de sagacité. En témoigne
sa citation tronquée de L’Homme et l’État (B.  BARRET-KRIEGEL, L’État et les esclaves,
op. cit., p. 40). Reprenant cette phrase de Maritain : « Les deux concepts de souveraineté et d’ab-
solutisme ont été forgés ensemble sur la même enclume » ; elle oublie significativement la sui-
vante : « Ils doivent être mis ensemble au rebut » (J. MARITAIN, L’Homme et l’État [1949],
Œuvres complètes, op. cit., IX, p. 539 ; trad. fr. R. et F. Davril, Paris, PUF, 1953, p. 47).
3. L.  STRAUSS, La Persécution et l’art d’écrire [1952], trad. fr. O.  Sedeyn, Paris, Gallimard,
2009 (cf. p. 51-69 et l’application de cette méthode au cas Spinoza, p. 187-260).
36 Introduction générale

« compromis pratiques » souterrainement contractés avec l’idéologie domi-


nante ou l’épistémè de l’époque, non pas qu’une « persécution » de l’Église
aurait été à déplorer (cet aspect de la mentalité ecclésiale des origines ne
manque pourtant pas de resurgir par intermittence) mais parce que, rétros-
pectivement, les papes assument de plus en plus mal leur stratégie d’alliance
circonstancielle avec les États. De cette forme de culpabilité refoulée, l’Église,
au premier rang de laquelle les souverains pontifes, sort en se réfugiant mala-
droitement derrière la doctrine de saint Thomas, mais pour lui faire dire des
choses que, par définition, elle ne pouvait pas dire, absence de l’État oblige1.
De là d’insurmontables contradictions, aggravées par l’inertie du discours de
l’Église lui-même. Notre étude a ainsi pour objet d’analyser une stratégie,
moins une stratégie consciente, intentionnelle et pensée qu’une stratégie sou-
terraine, latente et implicite (non rapportable à un seul acteur en particulier,
si ce n’est l’Église en tant qu’acteur collectif)2.

En tirant toutes les conséquences de nos remarques précédentes sur l’État


totalitaire, nous retiendrons ici une conception institutionnelle de l’État, celle
consacrée par Maurice Hauriou dans sa définition de l’État comme « institu-
tion des institutions  », celle léguée par la doctrine classique de «  l’État de
droit  » telle que reconstituée par Blandine Kriegel3. L’État, nous disent-ils,
n’est ni une fonction sociale ni une condition économique (états généraux,
tiers état, Stände), il est encore moins un simple status ; il ne remplit rien de
moins qu’une fonction médiatrice et symbolique. « Tiers garant », « Hermès
social », « Ailleurs instituant », « Référence fondatrice » en charge de struc-
turer un monde qui préexiste et survit à chaque génération4, il est l’instance

1. Pour la période antérieure à l’alliance du Trône et de l’Autel, il y aurait même à s’interroger


sur le point de savoir si la remise à l’honneur par l’Église des procédures électives et représenta-
tives, oubliées depuis l’Antiquité, ne relève pas d’une logique d’hostilité à l’émergence de pou-
voirs centraux forts. Nous renvoyons ici aux travaux de Léo Moulin (L. MOULIN, Les Ori-
gines religieuses des techniques électorales et délibératives modernes, Paris, PUF, 1953).
2. On aura remarqué nos emprunts répétés au champ lexical de la psychanalyse : traumatisme,
phobie, inconscient (collectif), latent, surmoi, totem, etc. Malgré le caractère impressionniste des
analogies qu’il dessine, nous espérons ne pas pécher par psychanalyse sauvage. Ajoutons encore
que la catégorie de phobie, qui reviendra en permanence dans nos développements, n’est pas à
entendre dans son sens psychiatrique ou maladif mais dans un sens névrotique et, par là, dédra-
matisé. «  La névrose, écrit joliment Pierre Legendre, n’est pas une maladie, pour cette raison
simple que, si vous prétendez guérir les humains de névrose en la traitant comme une maladie,
autant proclamer ouvertement qu’il est question d’abolir l’humanité, d’interdire la créativité et
même, puisque nous parlons de névrose, d’interdire cette espèce d’auto-incarcération non
contrôlée mais soulagée par la parole. » (P. LEGENDRE, « Le malentendu », art. cit., p. 10).
3. B. BARRET-KRIEGEL, L’État et les esclaves, op. cit., p. 31-163 ; M. HAURIOU, Précis de
droit administratif [1892], Paris, Sirey, 1907, p. IX. ; « La théorie de l’institution et de la fonda-
tion  » [1925], Aux sources du droit. Le pouvoir, l’ordre et la liberté. Cahiers de la Nouvelle
Journée, Paris, Bloud et Gay, 1933, 23, p. 89-128. Dans la même veine, pour une définition insti-
tutionnelle de l’État, cf. aussi Georges Burdeau (G.  BURDEAU, Traité de science politique,
II. L’État [1967], Paris, LGDJ, 1980 ; L’État [1970], Paris, Le Seuil, 1992). Cette définition insti-
tutionnelle peut également être complétée par le critère sociologique de la différenciation État-
société (P. BIRNBAUM, « L’action de l’État : différenciation et dédifférenciation », Traité de
science politique, dir. M. GRAWITZ, J. LECA, Paris, PUF, 1985, III, p. 643-682 ; « La fin de
l’État ? », Revue française de science politique, 1985, 35 (6), p. 981-998).
4. On aura reconnu le vocabulaire personnel de Pierre Legendre (P. LEGENDRE, Les Enfants
Du mirage de l’État totalitaire au spectre de l’État subsidiaire 37

collective dépositaire de la « durée publique » : non point seulement « l’ordre


dans l’espace » mais aussi « l’ordre dans le temps », qui tient symboliquement
ce qui n’est ni auto-institué ni autoconsistant1. Il existe bien des modalités
pour organiser cet ordre : l’État en est une parmi de nombreuses autres, né
dans la modernité politique européenne, mais produit d’une longue histoire
chrétienne. Successeur de l’institution ecclésiale, il est ce dispositif anthropo-
logique qui fait tenir la société — moins debout qu’ensemble, horizontalité
démocratique oblige. Si nous nous intéressons ici à la seule trajectoire euro-
péenne, nous n’oublions pas que le concept d’État emprunte ailleurs des
formes et des noms différents. Rappelons-le, même cursivement, parce que
le regard historique porté sur l’État est toujours plus ou moins guetté par le
risque de l’évolutionnisme hégélien2.
En retenant une définition moderne du politique, nous nous garderons
bien de l’assimiler à l’étatique. Les deux plans sont bien sûr solidaires mais ne
relèvent pas du même niveau épistémologique. Contre la thèse qui postule
une essence anhistorique du politique, ainsi qu’une antériorité ontologique
du politique sur l’étatique3, Louis Dumont nous semble avoir clairement
démontré que le politique et l’État résultaient chacun d’une différenciation
somme toute relativement récente, qui relevait par ailleurs de deux logiques

du Texte. Étude sur la fonction parentale des États, Paris, Fayard, 1992, p. 25-31, p. 73 sq. ; Le
Désir politique de Dieu. Étude sur les montages de l’État du Droit [1988], Paris, Fayard, 2005 ;
Sur la question dogmatique en Occident [1999], Paris, Fayard, 2008 ; «  L’État de lassitude.
Considérations sur l’usure des concepts », Mélanges L. Sfez, Paris, PUF, 2006, p. 165-182).
1. M.  HAURIOU, Précis de droit constitutionnel, Paris, Sirey, 1929, p.  76. Sur la notion de
durée publique (très chère au doyen toulousain qui définit l’institution comme «  une idée
d’œuvre [...] qui se réalise et dure juridiquement dans un milieu social »), cf. F. OST, Le Temps
du droit, Paris, Odile Jacob, 1999, p. 195 sq. ; M. REVAULT d’ALLONNES, « De l’autorité à
l’institution : la durée publique », Esprit, 2004, 307, p. 42-63. Dans la continuité de ce que nous
avons déjà dit sur le dilemme antériorité chronologique-antériorité logique, cf. l’interprétation
de la théorie de l’institution par Jean-Arnaud Mazères qui distingue entre le moment instituant
et le moment institué pour expliquer le rapport établi par Hauriou entre l’État et les autres insti-
tutions. Selon le point de vue instituant, ces dernières sont antérieures chronologiquement. Selon
un point de vue institué, l’État prend sa place d’institution primaire (J.-A.  MAZÈRES, «  La
théorie de l’institution de Maurice Hauriou ou l’oscillation entre l’instituant et l’institué  »,
Mélanges J. Mourgeon, Bruxelles, Bruylant, 1998, p. 239-293 ; F. RANGEON, « L’approche de
l’institution dans la pensée de Hobbes », L’Institution, éd. CURAPP, op. cit., p. 91-123).
2. Cf. A. BOUREAU, « Toujours, déjà, soudain là : l’État devant l’historien », Nouvelle revue
de psychanalyse, 1986, 34, p.  185-195 ; K.  F. WERNER, «  L’historien et la notion d’État  »,
Compte rendu de l’Académie des Inscriptions et Belles Lettres, 1992, 136 (4), p.  709-721. Sur
l’étymologie du mot État, cf. W.  MAGER, Zur Entstehung des modernen Staatsbegriffs,
Mayence, Verlag der Akademie der Wissenschaften und der Literatur, 1968 ; « Republik », Ges-
chichtliche Grundbegriffe, op. cit., 1984, V, p. 549-651 ; « République », Archives de philosophie
du droit, 1990, 35, p. 257-273 ; « Res publica chez les juristes, théologiens et philosophes à la fin
du Moyen Âge  », Théologie et droit dans la science politique de l’État moderne, Rome, École
française de Rome, 1991, p. 229-239. Sur l’enracinement médiéval des principaux traits constitu-
tifs de l’État, cf. E. KANTOROWICZ, Les Deux corps du roi. Essai sur la théologie politique au
Moyen Âge [1957], trad. fr. J.-P. et N. Genet, Paris, Gallimard, 1989 ; H. QUARITSCH, Staat
und Souveränität, I. Die Grundlagen, Francfort, Athenäum, 1970 ; Souveränität. Entstehung
und Entwicklung des Begriffs in Frankreich und Deutschland vom 13. Jh. bis 1806, Berlin,
Duncker und Humblot, 1986. Nous reviendrons plus en détails sur tous ces points.
3. Pensons par exemple à Carl Schmitt qui, dès la première phrase de La Notion de politique,
affirme que le concept d’État présuppose en amont le concept de politique (C. SCHMITT, La
Notion de politique [1932], trad. fr. M.-L. Steinhauser, Paris, Flammarion, 1992, p. 57).
38 Introduction générale

concomitantes mais distinguables  : l’axe religion-politique d’un côté, l’axe


Église-État de l’autre. Selon le même processus d’autonomisation des sphères
qui a présidé à la genèse puis à l’épanouissement de l’économie libérale, la
politique moderne elle-même est née de la morale et de la religion chré-
tiennes.
«  Le trait le plus frappant [...], résume l’anthropologue, est la complexité du
processus de scissiparité par lequel le domaine de la religion, qui d’abord est
unique et englobe toutes choses, donne naissance (avec l’aide du droit) à la
catégorie nouvelle, spéciale du politique, tandis qu’au plan des institutions
l’État hérite ses traits essentiels de l’Église qu’il supplante en tant que société
globale1. »
Nous rencontrons ici un second obstacle, qui rejoint les variations sur les
thèmes bien connus du théologico-politique et de la matrice ecclésiale de
l’institution étatique. N’est-il pas trop simple de considérer que, tout droit
sorti du moule de la théologie catholique, l’État, fils prodigue devenu adulte,
ne pouvait qu’être officiellement reconnu par l’Église, mère et éducatrice
bienveillante ? Le rapport filial n’est-il pas un peu plus complexe qu’une
simple généalogie transparente et apaisée ? La question fondamentale est
d’une limpidité presqu’aveuglante : existe-t-il de la place, assez de place, pour
deux institutions au sein de l’économie humaine du Salut ? L’Église catho-
lique ne continue-t-elle pas, encore aujourd’hui, à se penser comme la seule
Institution possible, à dénier tout statut médiateur à l’autorité temporelle ?
L’État moderne, quant à lui, ne réalise-t-il pas un programme avec lequel
l’Église ne peut se réconcilier qu’en apparence, pour sauvegarder et maintenir
l’essentiel ? Peut-elle véritablement entériner une vision laïque du monde
affirmant la spécificité et l’autonomie de l’espace politique ? L’État chrétien
d’antan, du point de vue ecclésial, n’était-il pas État en raison, précisément,
de son caractère confessionnel ? Ne bénéficiait-il pas du prestige institu-
tionnel uniquement via sa participation à la majesté divine de l’Église ? Tout
bien considéré, l’alliance séculaire du Trône et de l’Autel n’aura été qu’un
bref épisode de l’histoire. Depuis que la société s’est réveillée contre l’État,
l’Autel n’a pas cherché autre chose qu’à s’allier au nouveau camp victorieux.
D’où le passage d’une stratégie pontificale à une autre : de la défense de l’État
au nom de la souveraineté de Dieu à la défense de l’État au nom de la société
des hommes. Dans les deux cas, un dénominateur commun : l’évitement du
politique, terrain proprement moderne sur lequel l’Église ne saurait entrer, à
moins de renier sa nature profonde. L’inertie thomiste de la subsidiarité fait
le reste du travail ; subsidiarité pour laquelle il ne s’agit pas tant de nier la
nécessité de l’État que de penser les conditions d’existence d’un État sans
souveraineté et « sans politique »2.

1. L. DUMONT, Homo aequalis, I. Genèse et épanouissement de l’idéologie économique [1977],


Paris, Gallimard, 1999, p. 24 ; « La catégorie politique et l’État à partir du xiiie siècle » [1965],
Essais sur l’individualisme, Paris, Le Seuil, 1991, p. 82-133. Dans le prolongement direct de cette
analyse, cf. M. GAUCHET, Le Désenchantement du monde, op. cit.
2. M. BOUVIER, L’État sans politique. Tradition et modernité, Paris, LGDJ, 1986.
Du mirage de l’État totalitaire au spectre de l’État subsidiaire 39

4. UNE CONVERGENCE INOPINÉE

Dans ses versions anarchiste ou marxiste, la statophobie est bien connue  :


l’anarchisme refuse l’État en son principe même ; le marxisme veut le faire
dépérir et programme logiquement sa mort1. Ses versions libérale et catho-
lique le sont moins. Il faut en convenir, parler de statophobie libérale peut, de
prime abord, paraître incongru, la proposition venant heurter de front l’idée
communément admise, et d’ailleurs avérée, d’un État libéral, figure his-
torique de l’État de droit. Mais, c’est qu’ici encore il importe de distinguer
entre l’idéologie libérale et le fait libéral2. La césure pertinente, nous semble-
t-il, s’agissant du libéralisme, n’est pas celle qui séparerait une version poli-
tique d’une version économique, ni celle qui passerait entre un libéralisme de
marché et un libéralisme des contre-pouvoirs3 ; elle est celle qui ne confond
pas le réel et l’idéologie. Sur le plan des faits, il est pleinement justifié de
parler d’État libéral, étant par ailleurs entendu que cette construction poli-
tique moderne est pour l’essentiel due à des auteurs absolutistes : Jean Bodin
et Thomas Hobbes4. L’idéologie libérale, quant à elle, se révèle résolument
statophobique dans le sens que nous donnons à cette épithète, à savoir qu’elle
refuse de voir dans l’État une institution réellement consistante pour finale-
ment le réduire à une simple fonctionnalité, en le plaçant dans une position
de débiteur infini de la société. Mis à part quelques exemples relativement
isolés5, elle tolère un centre politique, jamais une institution étatique. La
confusion entre le fait et l’idéologie vient d’une période ultérieure pendant
laquelle l’État est peu à peu devenu libéral en intégrant les principes du

1. Sur Marx, cf. B. QUELQUEJEU, « Marx a-t-il constitué une théorie du pouvoir d’État ? »,
Revue des sciences philosophiques et théologiques, 1979, 63 (1), p. 17-60, 63 (2), p. 203-239, 63 (3),
p. 365-418 ; P. ROSANVALLON, « Marx et le retournement du libéralisme », Le Capitalisme
utopique, op. cit., p. 179-207 ; Commentaire, 1978-1979, 1 (4), p. 477-488.
2. Ainsi que Tocqueville l’avait fait à propos de la démocratie (régime politique certes, mais
aussi condition sociale). La distinction idéologie libérale-fait libéral est due à Marcel Gauchet
(M. GAUCHET, « Les figures du politique », La Condition politique, op. cit., p. 24). Dans le
même sens, cf. P. MANENT, « Situation du libéralisme », Préface à Les Libéraux [1986], Paris,
Gallimard, 2001, p.  7-40 ; et les travaux précités de Pierre Rosanvallon  : «  Il n’y a pas d’unité
doctrinale du libéralisme. Le libéralisme est une culture et non une doctrine. D’où les traits de ce
qui fait son unité et de ce qui tisse ses contradictions. Le libéralisme est la culture en travail du
monde moderne qui cherche à s’émanciper à la fois de l’absolutisme royal et de la suprématie de
l’Église à partir du xviie siècle [...]. Son unité est celle d’un champ problématique, d’un travail,
d’une somme d’aspirations.  » (P.  ROSANVALLON, «  Culture politique libérale et réfor-
misme », Esprit, 1999, 251, p. 161-170, ici p. 167-168 ; « Le marché et les trois utopies libérales »,
Préface à la réédition de Le Capitalisme utopique, op. cit., p. I-XVI, ici p. X).
3. Cf. B. MANIN, « Les deux libéralismes : marché ou contre-pouvoirs », Intervention, 1984, 9,
p. 10-24 ; « Les deux libéralismes : la règle et la balance », La Famille, la loi, l’État, dir. C. BIET,
I. THÉRY, Paris, Imprimerie nationale, Centre Georges-Pompidou, 1989, p. 372-389 ; P. RAY-
NAUD, « Qu’est-ce que le libéralisme ? », Commentaire, 2007, 30 (118), p. 325-345.
4. La souveraineté comme droit de contraindre chacun au nom de tous (J.  BODIN, Les Six
livres de la République [1583], Paris, Librairie générale française, 1993) et la représentation
comme passage de la multiplicité sociale à l’Un politique (T. HOBBES, Léviathan, op. cit.).
5. Comme, par exemple, Robert Nozick ou Murray Rothbard (R. NOZICK, Anarchie, État et
utopie [1974], trad. fr. É. d’Auzac de Lamartine, P.-E. Dauzat, Paris, PUF, 2008 ; M. ROTH-
BARD, L’Éthique de la liberté [1982], trad. fr. F. Guillaumat, Paris, Les Belles Lettres, 1991).
40 Introduction générale

constitutionnalisme moderne et de la séparation des pouvoirs (Locke et


Montesquieu). Toute la difficulté réside donc dans le partage entre ce qui
relève du libéralisme comme idéologie normative (priorité du juste sur le
bien, pluralisme des valeurs) et ce qui relève du contexte libéral comme réa-
lité vécue (régime des séparations, partition public-privé, gouvernement
représentatif)1. Par phobie libérale de l’État, nous entendons ainsi conception
instrumentale — désormais devenue managériale, néolibéralisme oblige —
qui nie à l’État, qui lui refuse, sa dignité (dignitas) transcendante d’institu-
tion. Préexistante au totalitarisme, cette phobie a pris une nouvelle dimen-
sion, plus radicale, au xxe  siècle, via le discours des droits de l’homme et
l’appréhension morale des problèmes politiques qu’il suppose (ou impose)2.
Toutes proportions gardées, la même distinction vaut pour le catholicisme
et la subsidiarité, un peu à la manière de la partition scolastique entre la thèse
et l’hypothèse, entre la société idéale et les contingences pratiques. Quand
bien même le catholicisme postrévolutionnaire s’est reconstitué dans une
opposition frontale au libéralisme, à la reconnaissance de l’autonomie
humaine et à l’idée d’une religion privée (la thèse), il a fini par s’accommoder,
sans nécessairement se l’avouer, du contexte, du fait, libéral (l’hypothèse),
tout en persistant à condamner le modernisme religieux. Relevons l’ironie de
l’histoire : la victoire définitive du libéralisme sur le catholicisme à la faveur
du drame totalitaire ; l’accès de l’Église à la modernité libérale via le totalita-
risme. La subsidiarité est symptomatique de cette acclimatation paradoxale :
elle s’inscrit bon gré mal gré dans un espace-temps marqué par le fait libéral
(acceptation de l’hypothèse libérale), mais n’en continue pas moins de s’op-
poser à l’idéologie du libéralisme : non-indifférence des fins collectives, refus
du relativisme moral, intégralisme3. Elle cristallise la statophobie chrétienne :

1. Cf. principalement M. WALZER, « Liberalism and the Art of Separation », Political Theory,
1984, 12, p. 315-330 (en français : « La justice dans les institutions », Esprit, 1992, 180, p. 106-
122) ; J.-M.  DONEGANI, M.  SADOUN, «  Altérité et altérations du libéralisme  », Mélanges
A.  Grosser, Paris, Presses de Sciences Po, 1996, p.  115-134 ; «  Le libéralisme et la question de
l’Un : séparation et représentation », Qu’est-ce que la politique ?, op. cit., p. 167-200.
2. Marcel Gauchet a fort bien résumé et pointé ce glissement insidieux : les droits de l’homme
sont un « instrument de mystification — de moyen, très précisément —, de faire passer la pilule
d’une politique, paraît-il, nécessairement minimale  : vous avez vu le Goulag ? Alors, n’en
demandez pas trop  » (M.  GAUCHET, «  Les droits de l’homme ne sont pas une politique  »
[1980], La Démocratie contre elle-même, Paris, Gallimard, 2002, p.  1-26, ici p.  5). Vingt ans
après : M. GAUCHET, « Quand les droits de l’homme deviennent une politique » [2000], ibid.,
p.  326-385. Mais faut-il suivre l’auteur du Désenchantement du monde quand il diagnostique
une solidité inébranlable de l’État ainsi qu’une primauté souterraine du politique ? « Si l’État se
retire [...] de la gestion directe des activités collectives, s’il cesse de faire figure de pilote suprême
et de grand ordonnateur, sa fonction n’en grandit pas moins par ailleurs, dans un autre registre.
C’est ce qui subsistait de son ancien rôle déterminant qui se trouve liquidé, tandis que son rôle
instituant s’en voit souterrainement renforcé. » (M. GAUCHET, « Les tâches de la philosophie
politique », La Condition politique, Paris, Gallimard, 2005, p. 553). En pastichant le titre de son
recueil d’articles, on pourrait se demander si l’État ne joue pas finalement « contre lui-même ».
3. Intégralisme à distinguer d’intransigeantisme. L’intransigeantisme est un concept qu’Émile
Poulat a emprunté à l’italien (intransigentismo) pour définir la matrice culturelle du catholicisme
tel qu’il se réélabore dans le xixe  siècle postrévolutionnaire (É.  POULAT, Église contre bour-
geoisie. Introduction au devenir du catholicisme actuel, Paris, Casterman, 1977). En parlant d’in-
tégralisme, nous faisons référence à la définition de Jean-Marie Donegani, laquelle permet d’af-
Du mirage de l’État totalitaire au spectre de l’État subsidiaire 41

appel à la modestie de l’État souverain, remise en cause du primat de la sou-


veraineté politique sur la sphère économique afin, précisément, de la réencas-
trer dans le social ; réduction du politique à de la politique aux fins de mieux
l’épuiser dans une simple ustensibilité fonctionnelle.

Tels sont les ressorts de la rencontre entre libéralisme et catholicisme sur le


terrain de la phobie post-totalitaire de l’État. N’y aurait-il pas, à l’œuvre dans
cette rencontre, une forme de prétexte, ou de chantage implicite, la subsidia-
rité catholique rejoignant le socle de la réalité libérale pour finalement appeler
à l’effacement du pouvoir politique et à la banalisation de l’État ? Dans les
deux cas, une même conception minimale de la politique démocratique
comme moindre mal, une politique réduite à de l’intendance administrative, à
un discours de l’adaptation et de la gestion, qui ne peut avoir d’autres ambi-
tions qu’une simple mais impérieuse nécessité de survie. Conspiration inno-
cente ou « complicité aveugle »1 : car nous ne voulons bien sûr pas suggérer
que les papes, et à travers eux le catholicisme, avaient consciemment l’inten-
tion de nouer une alliance avec le libéralisme. Mais, l’histoire nous l’apprend,
les pires adversaires ont souvent des ennemis communs. Nous touchons là le
propre de l’apport intellectuel de notre concept  : la compréhension qu’il
permet de cette stratégie sans sujet, de ce recoupement inattendu entre les
discours chrétien et libéral, de cette convergence inopinée de deux antivolon-
tarismes, celui de l’ordre naturel et celui de l’ordre spontané, autour d’une
même hostilité à l’État.
À travers ce programme méthodologique, nous nous donnons pour
horizon intellectuel de rendre à la subsidiarité sa richesse et ses tensions
internes contre la banalisation de son usage sur fond de construction euro-
péenne et de territorialisation de l’action publique, de faire déchoir la subsi-
diarité de son statut d’évidence pour mieux retrouver la saveur du concept.
De lui restituer toute sa densité historique et théorique ; de la restituer au
réseau de correspondances idéologiques et système de représentations auquel
elle appartient. Cette densité ne sera pas à rechercher dans les seules produc-
tions écrites ; elle sera également à rechercher dans les mentalités, dans les
cultures, dans les mœurs, dans les institutions, sous peine, sinon, de renoncer
à véritablement faire entendre le sens refoulé des discours, des textes et des
pratiques où le mot apparaît. Nous aurons à assumer toute cette complexité.
Fort de notre débusquage sémantique, nous verrons surtout qu’il n’y a pas,
à proprement parler, de théorie originale mais plutôt un discours de la subsi-
diarité. Le saisir dans toutes ses aspérités supposera d’appréhender le concept

finer la conceptualisation poulatienne  : «  L’intégralisme désigne l’aspiration du catholicisme à


répondre à la totalité des questions humaines, sa volonté d’ensemencer et d’inspirer tous les
aspects de la vie des sociétés et de l’existence des individus. » (J.-M. DONEGANI, La Liberté de
choisir, op. cit., p. 173 ; « Religion et politique : de la séparation des instances à l’indécision des
frontières », Axes et méthodes de l’histoire politique, dir. S. BERSTEIN, P. MILZA, Paris, PUF,
1998, p. 73-90 ; « Catholicisme et libéralisme : de la concurrence à l’alliance », Religion et poli-
tique, dir. T. FERENCZI, Bruxelles, Complexe, 2003, p. 61-70.
1. M. FOUCAULT, L’Archéologie du savoir, op. cit., p. 181. Nous soulignons.
42 Introduction générale

à la manière d’un «  énoncé  » au sens de Michel Foucault  : l’ensemble des


paroles, des pratiques, des dispositifs de pouvoir qui définissent la culture
d’un temps (ce qu’un contexte permet de dire et de penser). Pareille « forma-
tion discursive », où s’articulent positions théoriques et enjeux stratégiques,
n’a rien d’une banale doxa qui se donnerait à voir comme telle ; elle est à
concevoir comme un énoncé collectif transversal qui réunit en un point nodal
plusieurs univers de croyances. Non pas un énoncé identifié a priori de
manière quantitative, extrait d’une masse de documents écrits et d’archives
historiques. Mais un énoncé unifiant reconstruit a posteriori — par un jeu de
va-et-vient entre points de vue micro et points vue macro — à partir de l’ob-
servation d’une convergence de langages rationnellement sélectionnés, et au
moyen de la stabilisation rigoureuse d’un itinéraire sémantique1. En bornant
les possibilités de l’action et en imposant sa logique, la subsidiarité constitue
ce type de langage souterrain, qui donne cohérence et unité à la culture
d’une époque : un esprit au sens de Montesquieu, qui manifeste une intention
générale, non pas une intention consciente et individuellement imputable
mais une intention caractéristique d’un système collectif tel que le conçoit
l’anthropologie culturelle2. Bref, une idéologie qui cristallise les valeurs
communes d’une société et d’un temps donnés.
Peut-être y a-t-il dans la subsidiarité quelque chose comme une « frontière
conceptuelle » de l’époque contemporaine, comme un « concept d’avenir » à
forte valeur d’orientation du mouvement historique. Les continuités n’appa-
raissent-elles pas avec netteté entre le catholicisme social et la démocratie
chrétienne, entre la remise sur pied post-totalitaire du fédéralisme allemand
et le projet européen ? C’est à la subsidiarité que revient la haute tâche de des-
siner la tangente qui va de l’Église à l’Europe, en passant par la tradition ger-
manique, la démocratie chrétienne, le personnalisme communautaire et le
fédéralisme intégral. Cette texture si singulière lui confère sa dimension stra-

1. Cf. R. CHARTIER, « Histoire intellectuelle et histoire des mentalités » [1983], Au bord de la


falaise, Paris, Albin, Michel, 1998, p. 27-66 ; A. BOUREAU, « Propositions pour une histoire
restreinte des mentalités », Annales, 1989, 6, p. 1491-1504. Sur la notion foucaldienne d’énoncé :
«  Plutôt qu’un élément parmi d’autres, plutôt qu’une découpe repérable à un certain niveau
d’analyse, il s’agit plutôt d’une fonction qui s’exerce verticalement par rapport à ces diverses
unités, et qui permet de dire, à propos d’une série de signes, si elles y sont présentes ou non. [...]
il n’est point en lui-même une unité, mais une fonction qui croise un domaine de structures et
d’unités possibles et qui les fait apparaître, avec des contenus concrets, dans le temps et l’es-
pace. » (M. FOUCAULT, L’Archéologie du savoir, op. cit., p. 115). Sur la notion foucaldienne
de dispositif, cf. M. FOUCAULT, Dits et écrits, Paris, Gallimard, 2001, II, p. 299-301.
2. Sur les deux concepts d’esprit objectif et d’institution du sens chez Vincent Descombes  :
V. DESCOMBES, « Les individus collectifs » [1992], Revue du MAUSS, 2001, 18, p. 305-337 ;
Les Institutions du sens, Paris, Minuit, 1996 ; « Y a-t-il un esprit objectif ? », Les Études philoso-
phiques, 1999, 3, p. 347-367 ; « Pourquoi les sciences morales ne sont-elles pas des sciences natu-
relles ? », Charles Taylor et l’interprétation de l’identité moderne, Paris, 1998, p. 53-77. Pour un
commentaire critique de cette thèse, dans un registre poppérien, cf. A. BOYER, « Le tout et ses
individus, ou d’une querelle à l’autre », Revue philosophique, 1999, 4, p. 435-465. Louis Dumont,
duquel Vincent Descombes s’inspire pour réhabiliter le holisme méthodologique, distingue
entre trois dimensions de l’analyse de «  l’idéologie moderne  »  : une dimension historique (la
genèse des idées), une dimension nationale (la tradition culturelle de chaque pays) et une dimen-
sion « configurationnelle » (l’inscription des idées « chez chaque auteur, dans chaque école, ten-
dance ou période ») (L. DUMONT, Homo aequalis I, op. cit., p. 23).
Du mirage de l’État totalitaire au spectre de l’État subsidiaire 43

tégique de Kampfbegriff1  : «  concept d’enregistrement de l’expérience  »,


concept « saturé » d’expérience, la subsidiarité est aussi un « concept fonda-
teur d’expérience », un véritable « produit d’attente »2. Par où le juriste Carl
Schmitt et l’historien Reinhart Koselleck ne manquent pas de se rejoindre,
nous ramenant doublement à l’analyse sociologico-sémantique des concepts
et invitant à faire ressortir la portée éminemment polémique de la subsidia-
rité. Il en va finalement de la subsidiarité comme il en va de nombreux autres
vocables, très riches de sens dans une culture ou dans un pays, très pauvres
ailleurs. Aussi est-ce d’abord à l’aune des profondeurs de la tradition germa-
nique que le principe communautaire de subsidiarité trouve toute sa puis-
sance d’évocation.
Nous avons deux grammaires conceptuelles à reconstituer avant d’en venir
à l’Europe contemporaine  : une grammaire catholique, d’abord, qui nous
fournira la généalogie du concept (Première partie) et une grammaire germa-
nique, ensuite, que nous tenterons de cerner via l’identification d’une homo-
logie de structure avec la première, le repérage d’une correspondance mor-
phologique dans le passage de l’une à l’autre (Seconde partie)3. Il ne s’agit pas
de postuler a priori leur homogénéité mais de s’interroger sur le sens poli-
tique et les effets pratiques qu’il faut leur attribuer, particulièrement dans
leur réception européenne.

1. En référence à Carl Schmitt : « Tous les concepts, notions et vocables politiques ont un sens
polémique ; ils visent un antagonisme concret, ils sont liés à une situation concrète dont la
logique ultime est une configuration ami-ennemi [...] et l’absence d’une telle situation en fait des
abstractions vides et sans vie. Des mots tels que État, république, société, classe ; et aussi : souve-
raineté, État de droit, absolutisme, dictature, plan, État neutre ou État total sont inintelligibles si
l’on ignore qui, concrètement, est censé être atteint, combattu, contesté et réfuté au moyen de
ces mots. » (C. SCHMITT, La Notion de politique, op. cit., p. 69).
2. R. KOSELLECK, Le Futur passé, op. cit., p. 324-325.
3. Avec Hans Blumenberg, nous pourrions parler d’Umbesetzung, de redistribution, de réinves-
tissement, du schème conceptuel de la subsidiarité dans le passage de la grammaire catholique à
et la grammaire germanique. Sur la distinction blumenbergienne entre Umsetzung et Umbe-
setzung, cf. H. BLUMENBERG, La Légitimité des Temps modernes, op. cit., spécialement p. 75.
Première partie
LA SUBSIDIARITÉ CATHOLIQUE
OU LA STATOPHOBIE
SOUTERRAINE
DE L’ÉGLISE ROMAINE
Chapitre préliminaire
L’Église, l’État, la Société

1. LE STATUT DOCTRINAL DE LA SUBSIDIARITÉ

Deux constats pour commencer. Le premier  : jusqu’au début des années


1960, la subsidiarité reste pour l’essentiel absente du vocabulaire officiel de
l’Église, alors même que la lettre encyclique qui marque sa naissance concep-
tuelle a été promulguée trois décennies auparavant, le 15  mai 19311. Le
second : à considérer la doctrine sociale catholique en tant que telle, force est
de constater le caractère différé — voire tardif — de l’apparition sémantique
du principe. D’après les spécialistes autorisés, tous les composants de la doc-
trine sociale de l’Église auraient été consacrés dès Rerum novarum à la fin du
xixe siècle ; et les successeurs de Léon XIII n’auraient fait que procéder à des
réactualisations périodiques en faisant fructifier le texte séminal de 18912.
Pareille présentation des choses appelle force nuances et corrections, d’autant
que notre démonstration voudrait ici insister sur une double exigence épisté-
mologique. D’abord, commencer par s’extraire du discours des papes sur
eux-mêmes. Ensuite et surtout, se défaire des illusions rétrospectives : ce n’est
qu’a posteriori, dans la recherche, somme toute assez récente, des anticipa-
tions doctrinales de la subsidiarité, que l’habitude a été prise d’ériger Qua-
dragesimo anno en point de départ de l’histoire du mot, en acte fondateur du
principe.

1. PIE  XI, Lettre encyclique Quadragesimo anno, 15  mai 1931, Acta Apostolicae Sedis, 1931,
XXIII, p.  177-228 (in A.  F.  UTZ, I, p.  568-663 ; H.  DENZINGER, 3725-3744, p.  790-794).
Nous faisons par ailleurs référence à l’encyclique Mater et Magistra promulguée en 1961 (JEAN
XXIII, Lettre encyclique Mater et Magistra, 15  mai 1961, Acta Apostolicae Sedis, 1961, LIII,
p. 401-464 (in A. F. UTZ, I, p. 664-757 ; H. DENZINGER, 3935-3953, p. 835-841).
2. LÉON XIII, Lettre encyclique Rerum novarum, 15  août 1891, Acta Sanctae Sedis, 1891,
XXIII, p. 641-670 (in A. F. UTZ, I, p. 510-567 ; H. DENZINGER, 3265-3271, p. 717-719).
48 La subsidiarité catholique...

Passage obligé pour débrouiller ce lien mystérieux entre 1891 et 1931, reli-
sons ce qu’écrivait le Pape Pecci quarante ans avant Pie XI :
« Il est dans l’ordre, avons-Nous dit, que ni l’individu, ni la famille ne soient
absorbés par l’État ; il est juste que l’un et l’autre aient la faculté d’agir avec
liberté, aussi longtemps que cela n’atteint pas le bien général et ne fait injure à
personne. Cependant, aux gouvernants il appartient de protéger la communauté
et ses parties ; la communauté, parce que la nature en a confié la conservation
au pouvoir souverain, de telle sorte que le salut public n’est pas seulement ici
la loi suprême mais la cause même et la raison d’être du pouvoir civil ; les par-
ties, parce que, de droit naturel, le gouvernement ne doit pas viser l’intérêt de
ceux qui ont le pouvoir entre les mains, mais le bien de ceux qui leur sont soumis.
[...] Si donc les intérêts généraux ou l’intérêt d’une classe en particulier se
trouvent lésés ou simplement menacés, et s’il est impossible d’y remédier ou d’y
obvier autrement, il faut de toute nécessité recourir à l’autorité publique1. »
Deux propositions complémentaires travaillent cet extrait du texte léo-
nien. Le Pape reconnaît d’abord à l’autorité publique l’ardente obligation
d’intervenir en faveur de la classe ouvrière via une législation sociale ambi-
tieuse et protectrice. Il rappelle ensuite que l’État doit rester un ultime
recours et intervenir seulement dans les cas de réelle nécessité. D’une part,
reconnaissance du rôle moteur de la puissance publique dans la défense du
bien commun et, d’autre part, soumission de l’État à un projet chrétienne-
ment défini ; un projet qui le dépasse et au service duquel il doit nécessaire-
ment se placer, celui de la réconciliation morale (religieuse) des classes. C’est
sur ce double message formulé dès 1891 — défense mais pas définition du
bien commun — que la subsidiarité trouvera plus tard à se greffer  : autant
d’État que nécessaire pour répondre à la question sociale, mais pour y
répondre conformément aux exigences catholiques.

À la question : comment la greffe de la subsidiarité a-t-elle pu prendre sur


la doctrine sociale de l’Église ?, nous répondrons en empruntant une
démarche de contextualisation historique. Les papes ont beau jeu de pré-
senter leur doctrine sociale comme un corpus de pensée idéologiquement
stable, ils en font des utilisations très différentes selon les configurations, et
les questions qu’elle pose. Philosophia perennis peut-être, mais qui s’actualise
et souffre au contact de la contingence. Tout est question d’optique et de
focale. Vu de l’extérieur, le catholicisme officiel peut à bon droit recouvrir
l’aspect d’un bloc monolithique d’un seul tenant dont la doctrine traverserait
imperturbablement les époques. Mais la perspective change quand on observe
le catholicisme de l’intérieur et qu’au-delà de structures pérennes, on se

1. LÉON XIII, Rerum novarum, 28 (in A. F. UTZ, I, p. 542-543). Plus haut : « Nous sommes
persuadé, et tout le monde en convient, qu’il faut, par des mesures promptes et efficaces, venir en
aide aux hommes des classes inférieures, attendu qu’ils sont pour la plupart dans une situation
d’infortune et de misère imméritée. » (Ibid., 2 ; in A. F. UTZ, I, p. 512-513). « Assurément, écrit-
il, s’il existe quelque part une famille qui se trouve dans une situation désespérée et qui fasse de
vains efforts pour en sortir, il est juste que dans de telles extrémités le pouvoir public vienne à
son secours, car chaque famille est un membre de la société. [...] Ce n’est point là usurper sur les
attributions des citoyens, c’est affermir leurs droits, les protéger et les défendre comme il
convient. » (Ibid., 11 ; in A. F. UTZ, I, p. 520-521).
L’Église, l’État, la Société 49

donne les moyens de considérer la variété des sensibilités pontificales et le


poids de l’histoire1. De là le rappel du nécessaire scepticisme propre au regard
historiographique. À partir du moment où l’on admet que Pie XI n’est pas
confronté aux mêmes défis que Léon XIII, il y a lieu de se demander si la
subsidiarité se contente de cristalliser ex post quelque chose qui était déjà
latent dans la pensée catholique antérieure à 19312.
Ce souci de la contextualisation historique supposera de se prémunir
contre deux écueils méthodologiques. Le premier  : essentialiser et figer ce
que, par commodité, nous appelons catholicisme. Il faudra d’abord partir des
textes officiels de l’Église catholique (encycliques, messages et discours pon-
tificaux, déclarations des congrégations romaines, lettres pastorales et autres
documents émanant de la Curie) et considérer sa doctrine sociale pour ensuite
remonter aux pensées matricielles du catholicisme. Dans cette perspective,
quelques auteurs canoniques seront privilégiés (saint Thomas principale-
ment), mais aussi la pensée d’un philosophe laïque du xxe  siècle, Jacques
Maritain, grande figure du néothomiste, dont l’itinéraire personnel est exem-
plaire à plus d’un titre de l’évolution du catholicisme tout au long du
xxe  siècle3. Une grande partie de l’enjeu théorique de notre réflexion réside
précisément dans la question de la réception intellectuelle de Thomas d’Aquin
au tournant des xixe et xxe siècles. Comme on sait, le déploiement de la doc-
trine sociale est historiquement concomitante et philosophiquement indisso-
ciable du renouveau des études thomistes inauguré par une autre encyclique
du même Pape, de onze ans son aînée, Aeterni Patris, dans laquelle Léon XIII
exhortait les chrétiens « à rétablir et à propager le plus possible la sagesse d’or
de saint Thomas »4.

1. Dans une veine qui rappelle la définition troeltschienne du compromis, Émile Poulat a bien
montré que les débats auxquels se confronte l’Église sont le plus souvent internes au catholi-
cisme lui-même (É. POULAT, « La science de la vérité et l’art de la distinction. Intransigeance et
compromis dans le catholicisme contemporain », Social Compass, 1997, 4, p. 497-506).
2. Nous faisons référence aux propos du Père Nell-Breuning  : «  Die Sache ist uralt, nur der
Name Subsidiaritätsprinzip ist neu. » (O. von NELL-BREUNING, « Subsidiaritätsprinzip »,
Staatslexikon, dir. Görres-Gesellschaft, Fribourg, Herder, 1962, VII, col. 826-833, ici col. 826).
3. Quand bien même elle ne figure pas expressis verbis dans les écrits de Maritain, la subsidiarité
n’en irrigue pas moins le cœur même de sa réflexion. Lorsque dans Humanisme intégral, il décrit
son idéal personnaliste et communautaire, il ne manque pas de citer le fameux passage de Qua-
dragesimo anno sur la fonction supplétive de toute collectivité (J.  MARITAIN, Humanisme
intégral. Problèmes temporels et spirituels d’une nouvelle chrétienté [1934-1936], Œuvres com-
plètes de Jacques et Raïssa Maritain, Fribourg, Éditions universitaires, Paris, Saint-Paul, 1982-
1992, VI, p. 477 ; rééd. Paris, Aubier, 2000, p. 170). Tous ses ouvrages ultérieurs resteront fidèles
à cette même inspiration. Cf. en particulier J. MARITAIN, L’Homme et l’État [1949], Œuvres
complètes, op. cit., IX, p. 471-736 (trad. fr. R. et F. Davril, Paris, PUF, 1953).
4. LÉON XIII, Lettre encyclique Aeterni Patris, 4  août 1879, Acta Sanctae Sedis, 1879-1880,
XII, p. 98-114 (in H. DENZINGER, 3135-3140, p. 700-701, ici 3140, p. 701). Cf., en particulier,
R.  AUBERT, «  Le contexte historique et les motivations doctrinales de l’encyclique Aeterni
Patris », Tommaso d’Aquino nel i centanerio dell’enciclica Aeterni Patris, Rome, Societa interna-
zionale Tommaso d’Aquino, 1981, p. 15-48. Moment inaugural clos par la consécration de 1917,
année où le Code de droit canonique déclare le thomisme philosophie officielle de l’Église catho-
lique (BENOÎT XV, dir., Code de droit canonique [1917], éd. fr. A.  Cance, Paris, Lecoffre,
1946). Pie XI confirmera le tout lors de la célébration du sixième centenaire de la canonisation de
saint Thomas d’Aquin (PIE XI, Lettre encyclique Studiorum ducem, 29 juin 1923, Acta Aposto-
licae Sedis, 1923, XV, p. 323 ; in H. DENZINGER, 3665-3667, p. 775). Entre 1879 et 1923, deux
50 La subsidiarité catholique...

Certaines questions — parce qu’elles alimentent des polémiques sans fin


— seront évitées, autant que faire se peut, à tout le moins dédramatisées. Nous
n’entrerons pas, par exemple, dans le sempiternel débat sur le point de savoir
s’il existe une doctrine sociale propre au catholicisme. On connaît la critique
de Michel Villey qui s’attacha, en l’espèce, à défendre la seule et unique philo-
sophie de saint Thomas contre toute récupération intellectuelle — ecclésiale
(le thomisme magistériel : le système philosophique de l’Église tel qu’imputé à
l’Aquinate) ou laïque (Jacques Maritain fera souvent les frais de sa critique)1.
On connaît aussi la réticence sémantique de certains à parler de doctrine, celle
du Père Marie-Domnique Chenu, par exemple, pour qui le message de l’Église
se doit d’être théologique et non basculer dans l’« idéologie »2.
À cette question de l’existence ou non d’une doctrine sociale de l’Église,
nous préférons la considération du magistère tel que lui-même se donne à
voir. Mais retenons tout de même la leçon de Michel Villey : plutôt qu’à relire
la doctrine sociale en tant que telle, une étude sur la subsidiarité nous invite
en définitive à dessiner les contours d’une anthropologie chrétienne. Laquelle
ne prend sens qu’à l’intérieur d’un cadre théologique irréductible au seul sys-
tème de saint Thomas3. On ne saurait trop y insister, l’apport révolutionnaire
du Docteur angélique ne réside pas dans la reconstitution rétrospective d’une
doctrine prête à l’emploi — qui s’offrirait telle quelle à l’observateur —, il
réside dans la réconciliation entre la Révélation et la Raison. C’est bien cette
précieuse distinction des ordres surnaturel et naturel qui fournira aux catho-
liques de la fin de xixe  siècle un outil intellectuel sans équivalent contre la
philosophie rationaliste4. L’exercice de la raison, dit l’Aquinate, ne condamne
pas mais, au contraire, rend accessible une fin surnaturelle relevant de l’expé-
rience de la foi.

autres textes importants sont à intercaler : PIE X, Décret de la Sacrée Congrégation des Études
Motu proprio Doctoris angelici, 27  juillet 1914, Acta Apostolicae Sedis, 1914, VI, p.  384-386
(in H. DENZINGER, 3601-3624, p. 766-769) ; PIE XI, Lettre encyclique Officiorum omnium,
1er août 1922, Acta Apostolicae Sedis, 1922, XIV, p. 449-458.
1. Michel Villey rejette l’idée même selon laquelle il pourrait exister une doctrine autonome de
l’Église, notamment une doctrine sociale issue de saint Thomas. Il rappelle que l’Aquinate s’est
attaché à réfléchir à partir de sources autant païennes (au premier rang desquelles, bien sûr, la
source aristotélicienne) que religieuses. Aussi l’Église mutile-t-elle la pensée propre de Thomas
d’Aquin en l’érigeant en dogme officiel, tout comme les penseurs laïques qui se sont revendiqués
de l’école thomiste (M.  VILLEY, «  Une enquête sur la nature des doctrines sociales chré-
tiennes », Archives de philosophie du droit, 1960, 5, p. 37-61 ; « Doctrine sociale et conception
chrétienne de l’homme », Actualité de la doctrine sociale de l’Église, Paris, Téqui, 1982, p. 43-57 ;
« La théologie de Thomas d’Aquin et la formation de l’État moderne », Théologie et droit dans la
science politique de l’État moderne, Rome, École française de Rome, 1991, p. 31-49).
2. M.-D. CHENU, La « Doctrine sociale » de l’Église comme idéologie, Paris, Le Cerf, 1979.
3. Bel exemple de cette lecture classique dans B. S. LLAMZON, « Subsidiarity : The Term, Its
Metaphysics and Use », Aquinas. Rivista di internazionale di filosofia, 1978, 21 (1), p. 44-62.
4. Sur le caractère de redressement intellectuel attaché au renouveau thomiste, analysé à partir
du seul cas français (L. FOUCHER, La Philosophie catholique en France au XIXe siècle avant la
renaissance thomiste et dans son rapport avec elle (1800-1880), Paris, Vrin, 1955) ou considéré
d’un point de vue plus général (W. J. HANKEY, « Making Theology Practical : Thomas Aquinas
and the XIXth Century Religious Revival  », Dionysius, 1985, 9, p.  85-127 ; G.  MC-COOL,
XIXth-Century Scholasticism. The Search for a Unitary Method, New York, Fordham Univer-
sity Press, 1989 ; The Neothomists, Milwaukee, Marquette University Press, 1994).
L’Église, l’État, la Société 51

Ce qui nous importe, au total, c’est bien davantage de prendre en compte


le rapport entre catholicisme social et doctrine pontificale, essentiellement à
partir de ce moment séminal que constitue Rerum novarum. Car, depuis
cette encyclique, le catholicisme social ne saurait être considéré comme une
tendance parmi d’autres de l’Église catholique, il devient, sous la houlette de
Léon XIII, l’enseignement officiel de l’autorité vaticane1. En retour, l’impul-
sion romaine ne doit pas non plus faire oublier la provenance originellement
laïque de ce mouvement : le catholicisme social élabore une doctrine inspi-
rée de saint Thomas, obtient du magistère sa reconnaissance officielle et en
amorce l’application, voilà, à gros traits, la scansion historique à retenir2. De
là l’importance que nous attacherons au mixage des perspectives  : naviguer
entre catholicisme social lato sensu (ou plutôt pensée sociale catholique —
irréductible au simple courant du catholicisme social) et enseignement ponti-
fical stricto sensu.
Second écueil : la prétention à l’exhaustivité et, en creux, l’excès d’attente
vis-à-vis de la subsidiarité, qui consisterait, par exemple, à ériger a priori un
soi-disant principe en concept pivot de la pensée catholique, sans autres pré-
cautions particulières ni scrupules méthodologiques. Prendre la subsidiarité
au sérieux suppose vraisemblablement de ne pas trop lui en demander, de lui
demander sa juste part du travail. Nous avons déjà dit qu’en 1931 elle était
loin d’apparaître comme le cœur névralgique du propos pontifical. Mais
malgré la survenue tardive du mot, il reste vrai que la chose procède d’une
histoire longue, non pas qu’elle la résume mais qu’incontestablement elle en
hérite.
Étant donné l’abondance et la richesse de la littérature à disposition sur la
doctrine sociale3, nous nous efforcerons de compléter les contributions exis-

1. Par catholicisme social, il faut entendre «  les écoles de pensée et les mouvements qui ont
voulu résoudre la “question sociale”, c’est-à-dire l’ensemble des problèmes sociaux (et non pas
seulement ouvriers) nés du libéralisme économique et de la révolution industrielle, à la lumière
des enseignements du catholicisme » (J.-M. MAYEUR, Catholicisme social et démocratie chré-
tienne. Principes romains, expériences françaises, Paris, Le Cerf, 1986, p. 10). Plus haut, le même
auteur notait que le qualificatif christlich-sozial s’était très vite diffusé dans les pays de langue
allemande et avait autorisé une rencontre entre catholiques et protestants, mais que son équiva-
lent en France, en Belgique et en Suisse francophone désignait seulement les milieux réformés.
Parler de catholicisme social était donc un moyen de marquer une identité confessionnelle (Ibid.,
p. 8). Cf. également H. GUITTON, Le Catholicisme social, Paris, Publications techniques, 1945 ;
J.-B. DUROSELLE, Histoire du catholicisme, Paris, PUF, 1949.
2. Cf., en particulier, les synthèses historiques dues à Roger Aubert (R.  AUBERT, «  Aspects
divers du néothomisme sous le pontificat de Léon XIII », Aspetti della cultura cattolica nell’Età
di Leone XIII, dir. G.  ROSSINI, Rome, Cinque Lunes, 1961, p.  133-228 ; «  Les débuts du
catholicisme social », Nouvelle histoire de l’Église, V. L’Église dans le monde moderne (1848 à
nos jours) [1963], dir. R. AUBERT, et al., Paris, Le Seuil, 1975, p. 156-176).
3. Parmi une bibliographie foisonnante, citons en priorité : J.-Y. CALVEZ, J. PERRIN, Église
et société économique. L’enseignement social des papes de Léon XIII à Pie XII. 1878-1958, Paris,
Aubier, Montaigne, 1959 ; J.-Y. CALVEZ, Église et société économique. L’enseignement social de
Jean XXIII, Paris, Aubier, Montaigne, 1963 ; L’Économie, la société, l’individu. L’enseignement
social de l’Église, Paris, Desclée de Brouwer, 1989 ; L’Église et l’économie. La doctrine sociale de
l’Église, Paris, L’Harmattan, 1999 ; A. F. UTZ, Sozialethik, I. Die Prinzipien der Gesellschafts-
lehre, Heidelberg, Kerle, 1958 ; A. F. UTZ, dir., Die Katholische Soziallehre und die Wirtschafts-
ordnung, Trier, Paulinus, 1991 ; P. BIGO, La Doctrine sociale de l’Église. Recherche et dialogue,
52 La subsidiarité catholique...

tantes en spécifiant de manière systématique la question circonscrite de la


subsidiarité. Encore faut-il prendre le soin de poser l’interrogation sur un
terrain pertinent, et bien voir que réduction de la focale ne veut pas dire
réduction de la problématique. À travers la subsidiarité, ce n’est rien de moins
que le problème catholique de l’État qui est soulevé, la question, telle que
formulée du point de vue de l’Église, du rôle de la puissance publique, de ses
contours, de sa sphère et de son rapport à la société. Que dit la subsidiarité de
la théorie catholique de l’État ? Quelle conception du rapport entre État,
société et Église véhicule-t-elle ? On le voit, refuser d’ériger a priori la subsi-
diarité au rang de valeur fondamentale du magistère de l’Église ne diminue
pas l’amplitude de notre tâche. On en veut pour dernier témoin la récente
parution, en 2005, du Compendium de la doctrine sociale de l’Église, qui
a mis à rude épreuve la modestie de nos prétentions initiales. En effet, ce
document officiel, comme avant lui le Catéchisme de l’Église catholique1, par-
ticipe sans le dire au procès de canonisation d’un principe qui n’a pourtant
jamais été affirmé ex cathedra, et tend en quelque sorte à lui conférer le grade
ultime de la dignité doctrinale2. On saisit alors comment une telle systémati-
sation théorique contribue à lisser les multiples effets de contexte et autres
aspérités pour finalement édifier en un tout cohérent une doctrine formulée
au fil des circonstances. Ainsi la subsidiarité serait-elle bien « présente dès la
première grande encyclique sociale », Rerum novarum3.
Toujours cette même tendance de l’Église à clore hermétiquement son dis-
cours sur elle-même, y compris dans les domaines non soumis à l’infaillibilité
pontificale — ce qui est le cas de la doctrine sociale dans son ensemble4. Issu

Paris, PUF, 1965 ; M. D. CHENU, La « Doctrine sociale » comme idéologie, op. cit. ; O. HÖFFE,
L’Église et la question sociale, Fribourg, Éditions universitaires, 1984 ; P.  de LAUBIER, La
Pensée sociale de l’Église catholique. Un idéal historique de Léon XIII à Jean-Paul II, Fribourg,
Éditions universitaires, 1984 ; M. HOBGOOD, Catholic Social Teaching and Economic Theory.
Paradigm in Conflict, Philadelphie, Temple University Press, 1991 ; C. E. CURRAN, Catholic
Social Teaching, 1891-Present. A Historical, Theological, and Ethical Analysis, Washington,
Georgetown University Press, 2002.
1. JEAN-PAUL II, Catéchisme de l’Église catholique [1992-1997], éd. fr., Paris, Le Centurion,
Le Cerf, Fleurus-Mame, Librairie éditrice vaticane, 2009, 1883, p. 465 ; 1885, p. 466 ; 1894, p 467 ;
2209, p. 536. Nous donnons la pagination de la nouvelle édition Pocket parue en 2009.
2. La subsidiarité, lit-on, « figure parmi les directives les plus constantes et les plus caractéris-
tiques de la doctrine sociale de l’Église  » (CONSEIL PONTIFICAL JUSTICE ET PAIX,
Compendium de la doctrine sociale de l’Église [2005], éd. fr., Paris, Bayard, Le Cerf, Fleurus-
Mame, 2008, 185, p.  103). Le mot est ventilé dans l’ensemble du document, qui le mentionne
près de vingt fois : 77, p. 42 ; 160, p. 90 ; 185-189, p. 103-106 ; 214, p. 124 ; 252, p. 147 ; 351,
p. 197 ; 354, 356-357, p. 199-201 ; 417-419, p. 234-235 ; 441, p. 248 ; 449, p. 254 ; 565, p. 319.
3. Ibid., 185, p.  103. Notons que le passage où figure l’expression latine «  “subsidiarii” offici
principio  » n’est à aucun endroit mentionné ; ce qui permet d’éviter l’alternative de la traduc-
tion : fonction supplétive (traduction originelle en français) ou fonction subsidiaire (traduction
postconciliaire) de toute collectivité (Ibid., 186, p. 104). La version française du Denzinger tra-
duit par « fonction “subsidiaire” » (H. DENZINGER, 3738, p. 793). Sur les nécessaires précau-
tions méthodologiques et épistémologiques à observer dans le maniement du Denzinger, comme
d’ailleurs de toute autre compilation, cf. Y. M.-J. CONGAR, « Du bon usage du “Denzinger” »,
Situation et tâches présentes de la théologie, Paris, Le Cerf, 1967, p. 111-133.
4. Pour un point sur la question du statut doctrinal des différentes catégories de textes émanant
du Vatican, cf. J.-F. CHIRON, L’Infaillibilité et son objet, Paris, Le Cerf, 1999. Selon la règle
toujours en vigueur, l’infaillibilité n’est engagée que si, et seulement si, sont en jeu des vérités
L’Église, l’État, la Société 53

d’une entreprise de codification lancée à la demande du Pape Jean-Paul II, le


Compendium sera bien sûr pris en compte dans les développements qui
suivent, mais au titre de matière première à analyser non au titre de parole
définitive à recevoir. Contre le danger d’une reconstitution apologétique
de l’histoire dictée par les intérêts de la foi1, il nous faut tout simplement
verser ce dernier document dans le dossier — déjà massif — de notre enquête
au même titre que les encycliques et autres écrits pontificaux qu’il compile.
Reste un point essentiel, que nous relevons, ici, sur le mode de l’interroga-
tion : que dit sur elle-même et sur sa représentation du monde une Église qui
place la subsidiarité au même niveau que la dignité de la personne, le bien
commun, la justice et la solidarité ? Nous aurons à réfléchir sur ce parcours,
somme toute assez fulgurant, d’un concept historiquement très récent à l’in-
térieur de la pensée ecclésiale.

2. LA QUESTION DE L’intervention ÉTATIQUE

Commençons par restituer l’économie générale du texte pontifical de 1931


avant d’y situer plus exactement la place et l’assise du principe de subsi-
diarité.
Comme pour tous les textes promulgués à l’occasion d’un anniversaire, la
première partie de la lettre pontificale (paragraphes  1 à  40) s’emploie à
résumer le texte célébré, Rerum novarum, en en retraçant les grandes orienta-
tions et en soulignant plus spécialement la portée de ce que Pie XI appelle la
« grande charte » léonienne des travailleurs. Dans un hommage appuyé rendu
à son illustre prédécesseur, il souligne à quel point l’encyclique de 1891 a
fécondé « une science sociale catholique qui grandit et s’enrichit de jour en
jour »2. Cependant — et la deuxième partie est là pour en rendre raison —,
cette croissance n’est pas si naturelle qu’il n’y paraît au premier abord. Bien
qu’évidemment inscrite dans la filiation immédiate du propos léonien, Qua-
dragesimo anno intervient après un choc traumatique, celui de la Première
Guerre mondiale, et dans un tout autre contexte historique, celui des années
1930, un contexte économiquement, politiquement et idéologiquement
inédit.
Différence sociale et économique, d’abord : la Grande Dépression de 1929
en témoigne avec force, les transformations du capitalisme accélèrent et radi-

contenues dans la Parole de Dieu ou transmises par la Tradition. En la matière, cf. aussi les tra-
vaux inauguraux de Gustave Thils sur la définition du principe d’infaillibilité lors du Concile
Vatican I (G. THILS, L’Infaillibilité pontificale. Sources, conditions, limites, Louvain, Duculot,
1969 ; Primauté et infaillibilité du Pontife romain à Vatican I, Louvain, Peeters, 1989).
1. Sans être dupe de l’ancienne épistémologie positiviste qui postulait, de manière trop rigide,
une rupture nécessaire dans la construction de l’objet — oubliant ainsi de penser la continuité
entre le sens commun et le savoir scientifique (J.-M. DONEGANI, «  Pour une conversation
entre théologie et sociologie », Mélanges J. Doré, Paris, Desclée, 2002, p. 417-430). Nous repren-
drons cette question pour faire valoir les exigences spécifiques de la matière juridique.
2. PIE XI, Quadragesimo anno, 20 (in A. F. UTZ, I, p. 579). Cf. R. AUBERT, « L’encyclique
Rerum novarum, une “charte des travailleurs”  », Le Monde catholique et la question sociale,
1891-1950, éd. F. ROSART, G. ZÉLIS, Bruxelles, Éditions Vie Ouvrière, 1992, p. 11-28.
54 La subsidiarité catholique...

calisent les effets sociaux d’une industrialisation pourtant déjà ancienne.


Où le quantitatif égale un niveau tel qu’il accède au registre qualitatif. Le
paroxysme est même atteint avec une financiarisation désormais planétaire,
des soubresauts monétaires à répétition et, surtout, l’apparition chronique
d’un chômage de masse. D’où la deuxième partie de l’encyclique : des para-
graphes  41 à  98, le Pape s’attache à compléter les réflexions de Léon XIII
(propriété privée, rapports entre travail et capital, juste salaire), leur donne
une portée plus actuelle tout en souhaitant dissiper quelques équivoques,
spécialement sur la question du corporatisme1. S’émouvant du «  flagrant
contraste  » entre «  une poignée de riches et une multitude d’indigents  », il
entend tirer les conséquences des profonds « changements survenus [...] dans
le régime capitaliste » depuis la fin du xixe siècle2. Au cours des quatre décen-
nies qui s’écoulèrent de 1891 à 1931, le logiciel de l’État fut en effet soumis à
un reformatage complet, les interventions de la puissance publique ayant pris
entre-temps un nouveau pli, celui de l’économie de guerre : augmentation de
leur volume, intensification de leurs moyens, diversification de leur objet.
Différence idéologique et politique, ensuite, qui caractérise spécialement le
continent européen  : la forte audience des partis communistes dans les
milieux ouvriers et les succès enregistrés par les partis d’extrême droite dans
les classes moyennes marquent l’entrée dans une ère inédite de protestation
radicale et violente. Sans adhérer à la thèse marxiste de la détermination maté-
rielle des superstructures intellectuelles, il importe de considérer l’impact de
la contingence historique sur la pensée  : cette nouvelle configuration, mar-
quée par le «  désencastrement  » de l’économique et du social — ou plutôt
l’accession de l’économie au rang de secteur dominant de la vie collective —
ne manque pas d’engendrer son lot d’idées et de concepts neufs3 ; via, par

1. « Avec le temps [...], écrit Pie XI, des doutes se sont élevés sur la légitime interprétation de
plusieurs passages de l’encyclique [...], ce qui a été l’occasion entre les catholiques eux-mêmes de
controverses parfois assez vives. » (PIE XI, Quadragesimo anno, 40 ; in A. F. UTZ, I, p. 591).
« Comme [...] les besoins de notre époque et les changements survenus dans la situation générale
demandent une application plus exacte des enseignements de Léon XIII ou même exigent des
compléments, Nous sommes heureux de saisir cette occasion, selon Notre charge apostolique
qui Nous fait débiteur de tous, pour répondre, dans la mesure du possible, à ces doutes et aux
questions qui se posent actuellement. » (Ibid., 40 ; in A. F. UTZ, I, p. 591).
2. Ibid., 104 (in A. F. UTZ, I, p. 629). « Avec l’industrialisation progressive du monde, le régime
capitaliste a [...] considérablement étendu son emprise, envahissant et pénétrant les conditions
économiques et sociales de ceux-là mêmes qui se trouvaient en dehors de son domaine, y intro-
duisant, en même temps que ses avantages, ses inconvénients et ses défauts, et lui imprimant
pour ainsi dire sa marque propre. » (Ibid., 105 ; in A. F. UTZ, I, p. 629).
3. K. POLANYI, La Grande transformation. Aux origines politiques et économiques de notre
temps [1944], trad. fr. C.  Malamoud, Paris, Gallimard, 1983. Plutôt qu’à Karl Marx référons-
nous à Karl Polanyi qui a mis au jour l’illusion naturaliste de l’idéologie du marché autorégulé,
mais qui a surtout démontré en quoi l’autonomisation de la sphère économique produisait son
lot d’idées neuves, notamment sous la forme d’anticorps à l’idéologie dominante. Lui-même
appelait d’ailleurs à une resocialisation de l’économie, à son « réencastrement » dans le social.
S’inspirant des analyses de Polanyi, Louis Dumont a parlé de « la séparation radicale des aspects
économiques du tissu social et leur constitution en domaine autonome » (L. DUMONT, Homo
aequalis, I. Genèse et épanouissement de l’idéologie économique [1977], Paris, Gallimard, 1999,
p.  15). Sur le sujet, cf. P.  ROSANVALLON, Le Capitalisme utopique. Histoire de l’idée de
marché [1979], Paris, Le Seuil, 1999 ; M. GAUCHET, « De l’avènement de l’individu à la décou-
L’Église, l’État, la Société 55

exemple, l’apparition de nouvelles écoles de pensée que nous rencontrerons


plus bas : néolibéralisme, néosocialisme, néocorporatisme1.
Consacrée à la réflexion morale, la troisième et dernière partie de l’ency-
clique réaffirme le rôle de l’Église et de son travail doctrinal. Les para-
graphes 99 à 148 reviennent sur la question des mutations à l’œuvre dans les
sociétés modernes ainsi que sur les remèdes à envisager pour refonder chré-
tiennement l’ordre social. Selon un point de vue constamment réaffirmé par
l’Église, la question économique et sociale s’origine dans un problème moral
et, par là, religieux dont la réponse ne saurait être valablement trouvée ail-
leurs qu’à l’intérieur du message catholique. La réflexion de Pie XI s’articule
donc en deux volets, indissolublement liés comme le sont, dans une optique
chrétienne, les questions temporelle et spirituelle. D’une part, la réforme des
institutions : réinstaller l’État dans son véritable rôle, redonner tous ses droits
à la densité sociale et à la mission salvifique de l’Église. D’autre part, la
réforme des mœurs : rappeler le message du Christ, substituer la modération
chrétienne à l’égoïsme sans frein, faire vivre le lien fraternel entre les hommes.
Si, dans la suite du propos, nous nous intéresserons prioritairement au
premier volet, nous ne devons pas pour autant ignorer le second, qui sera
étudié de manière plus indirecte. Autre manière de rappeler nos deux niveaux
de contextualisation précédemment évoqués  : configuration historique et
configuration doctrinale.

La structure de l’encyclique étant rappelée, nous importe en premier lieu


l’extrait où apparaît la première définition aboutie du principe de subsi-
diarité.
« Il est vrai sans doute, et l’histoire en fournit d’abondants témoignages, que, par
suite de l’évolution des conditions sociales, bien des choses que l’on demandait
jadis à des associations de moindre envergure ne peuvent plus désormais être
accomplies que par de puissantes collectivités. Il n’en reste pas moins indiscutable
qu’on ne saurait ni changer ni ébranler ce principe si grave de philosophie
sociale : de même qu’on ne peut enlever aux particuliers, pour les transférer à la
communauté, les attributions dont ils sont capables de s’acquitter de leur seule
initiative et par leurs propres moyens, ainsi ce serait commettre une injustice, en
même temps que troubler d’une manière très dommageable l’ordre social, que de
retirer aux groupements d’ordre inférieur, pour les confier à une collectivité plus
vaste et d’un rang plus élevé, les fonctions qu’ils sont en mesure de remplir eux-
mêmes. L’objet naturel de toute intervention en matière sociale est d’aider les
membres du corps social, et non pas de les détruire ni de les absorber.
Que l’autorité publique abandonne donc aux groupements de rang inférieur le
soin des affaires de moindre importance où se disperserait à l’excès son effort ;
elle pourra dès lors assurer plus librement, plus puissamment, plus efficacement

verte de la société », [1979], La Condition politique, op. cit., p. 405-431. Pour une vision critique
des thèses de Karl Polanyi et Louis Dumont, cf. C. LARRÈRE, L’Invention de l’économie poli-
tique au XVIIIe siècle. Du droit naturel à la physiocratie, Paris, PUF, 1992.
1. D’un économiste qui se fera remarquer pour son imposante contribution à la doctrine du
corporatisme, cf. G. PIROU, Néolibéralisme. Néocorporatisme. Néosocialisme, Paris, Gallimard,
1939 ; « Corporatisme 1937 », Revue d’économie politique, 1937, 51, p. 1329-1366 ; La Corpora-
tion devant la doctrine et devant les faits, Paris, Domat-Montchrestien, 1936.
56 La subsidiarité catholique...

les fonctions qui n’appartiennent qu’à elle, parce qu’elle seule peut les remplir :
diriger, surveiller, stimuler, contenir, selon que le comportent les circonstances
ou l’exige la nécessité. Que les gouvernements en soient donc bien persuadés :
plus parfaitement sera réalisé l’ordre hiérarchique des divers groupements selon
le principe de la fonction supplétive de toute collectivité, plus grandes seront
l’autorité et la puissance sociale, plus heureux et plus prospère l’état des affaires
publiques1. »
L’État étant bien sûr la principale collectivité visée par l’encyclique2, que
faut-il entendre par fonction supplétive ou subsidiaire de l’État ? Le message
pontifical présente l’avantage de la limpidité. L’État n’a pas à se substituer
aux groupements divers — les corps professionnels en premier lieu3 — qui se
forment à l’intérieur de la société. En tant qu’autorité supplétive, il se doit
« d’aider les membres du corps social, et non pas les détruire ni les absorber »4.
Avoir la charge de promouvoir le bien commun, dit le Pape, être responsable
d’assurer la paix de la communauté, c’est en même temps laisser toute leur
place aux instances intermédiaires. L’État porterait même atteinte à l’esprit
de sa mission, ajoute-t-il, s’il en venait à limiter la capacité d’action des per-
sonnes et des groupes. Son intervention dans la société, telle est la parole
officielle, doit donc se soumettre au principe de subsidiarité  : intervenir
chaque fois que nécessaire, en acceptant de n’être pas maître de cette néces-
sité, encore moins de ses critères qui trouvent leurs fondements ultimes dans
la seule nature. Aimantée par le bien commun, disciplinée par la justice
divine, la politique a pour fonction d’assurer un ordre ; mais elle ne crée pas
les éléments qui le composent (famille, économie, culture) ; ceux-ci ont leur
but propre, leurs règles et leur destination. Aussi chacun — personnes ou
groupes, personnes et groupes — a-t-il le droit et l’obligation d’assumer son
rôle de manière à respecter la structuration naturelle des choses voulue par
Dieu.
En face, l’horizon d’adversité qui fait office de diagnostic à Pie XI tient en
deux propositions logiquement liées entre elles. 1o : « Il ne reste plus guère en
présence que les individus et l’État ». 2o :

1. Ibid., 79-80 (in A. F. UTZ, I, p. 617). Nous soulignons. Nous avons déjà considéré la ques-
tion des transferts linguistiques : écrite en latin et traduite de manière disparate dans les diffé-
rentes langues nationales, Quadragesimo anno a été sujette à des interprétations multiples.
2. Si le principe de subsidiarité est principalement ordonné à la protection de l’autonomie de la
personne humaine (personne physique) face aux structures sociales (personnes morales) qui
risquent de l’absorber, il joue aussi, d’après la lettre même du propos pontifical, pour une collec-
tivité par rapport à une collectivité supérieure. Aucune communauté ne doit faire ce qu’une
communauté moins vaste peut réaliser seule, de même que la puissance publique, les collectivités
locales et les associations ne doivent pas faire ce que les personnes peuvent réaliser avec leurs
propres moyens. Certes la subsidiarité s’applique à toutes les collectivités mais c’est à l’État que
nous nous intéresserons en priorité car c’est précisément la question l’intervention étatique en
matière économique et sociale qui a provoqué l’émergence du principe.
3. « Ces associations formèrent [...] des ouvriers foncièrement chrétiens, sachant allier harmo-
nieusement l’exercice diligent de leur profession avec de solides principes religieux, capables de
défendre efficacement leurs droits et leurs intérêts temporels avec une fermeté qui n’exclut ni le
respect de la justice, ni le désir sincère de collaborer avec les autres classes au renouvellement
chrétien de la société. » (PIE XI, Quadragesimo anno, 33 ; in A. F. UTZ, I, p. 587).
4. Ibid., 79 (in A. F. UTZ, I, p. 617).
L’Église, l’État, la Société 57

«  Cette déformation du régime social ne laisse pas de nuire sérieusement à


l’État, sur qui retombent, dès lors, toutes les fonctions que n’exercent plus les
groupements disparus, et qui se voit accablé sous une quantité à peu près infinie
de charges et de responsabilités1. »
Et de se lamenter encore :
«  [Le pouvoir] qui devrait gouverner de haut, comme souverain et suprême
arbitre, en toute impartialité et dans le seul intérêt du bien commun et de la
justice, [...] est tombé au rang d’esclave et devenu le docile instrument de toutes
les passions et de toutes les ambitions de l’intérêt2. »
Telle que promue par Pie XI, la restauration de l’ordre social supposera
donc de redonner toute leur vitalité et toute leur densité aux corps sociaux.
Nous l’avons dit, cette idée n’est pas nouvelle, mais les mots pour l’exprimer
sont, eux, empreints d’une tonalité inédite, parfaitement irréductible au dis-
cours ecclésial antérieur. L’encyclique de 1891, question sociale oblige, insis-
tait sur la nécessité d’une régulation étatique. Elle faisait obligation à l’État
d’intervenir dans le domaine économique et social afin de prendre les mesures
voulues pour sauvegarder le salut et les intérêts de la classe ouvrière3. L’ency-
clique de 1931, conséquences de la guerre oblige, menace totalitaire aidant,
insiste sur la nécessité d’une limitation de l’intervention étatique. En parti-
culier, nous y reviendrons, à travers l’idée d’une césure entre les « affaires de
moindre importance  », la gestion prosaïque, l’intendance du quotidien,
confiées aux groupements de rang inférieur et, les causes majeures, comme on
dit en droit canonique, les fonctions qui n’appartiennent qu’à l’autorité poli-
tique : « diriger, stimuler, surveiller, contenir »4. La règle invoquée est tou-
jours la même, mais son rappel prend lui une coloration toute spécifique  :
prévenir les excès de l’État et de la centralisation qu’implique son organisa-
tion, s’ériger en rempart face au danger d’étatisation. Voilà la nouveauté
essentielle de Quadragesimo anno par rapport à Rerum novarum. L’objectif,
du point de vue pontifical, ne sera pas de sauver l’État de ses difficultés éco-
nomiques. Il consistera bien davantage à donner plus d’efficacité à la stratégie
catholique.

1. Ibid., 78 (in A. F. UTZ, I, p. 617). « La politique sociale mettra donc tous ses soins à reconsti-
tuer les corps professionnels.  » (Ibid., 82 ; in A.  F.  UTZ, I, p.  619). Reprise des propos de
Léon XIII dans Rerum novarum : « Le dernier siècle a détruit, sans rien leur substituer, les cor-
porations anciennes, qui étaient pour eux une protection ; tout principe et tout sentiment reli-
gieux ont disparu des lois et des institutions publiques, et ainsi, peu à peu, les travailleurs isolés et
sans défense se sont vus avec le temps livrés à la merci de maîtres inhumains et à la cupidité d’une
concurrence effrénée. » (LÉON XIII, Rerum novarum ; in A. F. UTZ, I, p. 513).
2. PIE XI, Quadragesimo anno, 109 (in A. F. UTZ, I, p. 631). Pie XII rapporte cette « déchéance
du pouvoir » à « une fâcheuse confusion entre les fonctions et devoirs d’ordre politique et ceux
d’ordre économique ». « Sans doute, précisera son successeur, dans la confusion inextricable où
s’agite aujourd’hui le monde, l’État se trouve-t-il dans la nécessité de prendre sur lui une charge
énorme de devoirs et d’emplois ; mais cette situation anormale ne menace-t-elle pas de compro-
mettre gravement sa force intime et l’efficacité de son autorité ? » (PIE XII, Allocution au Consis-
toire, 20 février 1946, Acta Apostolicae Sedis, 1946, XXXVIII, p. 141-151 ; in SOLESMES, 957,
p. 500 ; A. F. UTZ, J. F. GRONER, II, p. 2063-2077).
3. LÉON XIII, Rerum novarum (in A. F. UTZ, I, p. 512-513).
4. PIE XI, Quadragesimo anno, 80 (in A. F. UTZ, I, p. 617).
58 La subsidiarité catholique...

Sans la Grande Guerre, point de subsidiarité. Certes, mais il ne saurait


s’agir de dramatiser à l’excès notre méthode contextuelle. Pour indispen-
sables et précieux qu’ils soient, nos repérages historiques ne constitueront
qu’une clef de lecture intermédiaire dans notre entreprise d’interprétation
de Quadragesimo anno. Ils ne doivent pas nous éloigner de la lettre même
du propos pontifical. Car les conditions de naissance du mot subsidiarité
ne jouent pas de manière immédiatement causale sur sa vie ultérieure. Il en va
de la génétique sémantique comme il en va de la génétique humaine  : elle
n’est pas déterministe. Reinhart Koselleck l’a très bien dit :
« Les expériences aussi se modifient, quand bien même elles sont faites une fois
pour toutes et restent identiques à elles-mêmes. C’est là la structure temporelle
de l’expérience qu’il est impossible de recueillir sans une attente rétroactive1. »
La conscience de ce biais — la subsidiarité a-t-elle obtenu le contenu
d’expérience auquel elle était vouée lors de la genèse du mot ? — doit nous
rendre plus lucide dans l’étude de l’encyclique Quadragesimo anno. Un tel
programme pourra nécessiter de s’écarter temporairement du mot subsidia-
rité lui-même (concept historique de subsidiarité), mais pour mieux analyser
la chose dans toute sa profondeur historique (concept heuristique)2. Aucun
besoin, cependant, de remonter très loin dans le temps. C’est au xixe  siècle
que l’idée de subsidiarité incube et que ses linéaments sont posés à l’intérieur
de la culture catholique. La naissance du concept découle en droite ligne de la
reformulation de la question de la corporation au cours de ce siècle charnière
qui a à gérer l’héritage tourmenté de l’épisode révolutionnaire français.
Tel est bien l’horizon d’adversité reconstruit par l’imaginaire ecclésial : la
Révolution jacobine, la Réforme protestante, bras religieux de l’athéisme
moderne, et, plus en amont encore, la Renaissance, moment critique de la
bifurcation anthropocentrique3. Sortir de cet humanisme sans Dieu, martèlent
les papes, suppose en retour de se soustraire au paradigme de la modernité
individualiste, de rompre avec le rousseauisme athée, avec le jacobinisme
sacrilège et profanateur qui, en faisant de l’État un pouvoir spirituel4, a dépos-

1. R. KOSELLECK, Le Futur passé. Contribution à la sémantique des temps historiques [1979],


trad. fr. J. et M.-C. Hoock, Paris, Éditions de l’ÉHÉSS, 1990, p. 314.
2. Nous reprenons ici une distinction (concept historique-concept heuristique) que l’historien
danois Mogens H. Hansen applique à l’État (M. H. HANSEN, « Le concept heuristique d’État
par opposition au concept historique », Polis et Cité-État. Un concept antique et son équivalent
moderne [1998], trad. fr. A. Hasnaoui, Paris, Les Belles Lettres, 2004, p. 211-215).
3. La tendance catholique à imputer à la Réforme tous les malheurs dont est, depuis, frappée
l’Europe constitue, on le comprend, un véritable lieu commun du discours pontifical, qui ne
disparaîtra qu’avec Vatican II. Citons, par exemple, Léon XIII dans Quod apostolici : « La guerre
cruelle qui, depuis le xvie siècle, a été déclarée contre la foi catholique par les novateurs, visait à ce
but d’écarter toute révélation et de renverser tout l’ordre surnaturel, afin que l’accès fût ouvert
aux inventions ou plutôt aux délires de la seule raison. » (LÉON XIII, Lettre encyclique Quod
apostolici numeris, 28  décembre 1878, Acta Sanctae Sedis, 1878-1879, XI, p.  369-376 ; in
A. F. UTZ, I, p. 54-71, ici p. 57 ; H. DENZINGER, 3130-3133, p. 699-700). Cf. aussi J. MARI-
TAIN, Antimodernes [1922], Œuvres complètes, op. cit., II, p. 923 sq.
4. Nous reprenons ici la définition usuelle du jacobinisme, telle que donnée, notamment, par
Albert Thibaudet qui le caractérise par son « tempérament centralisateur » (A. THIBAUDET,
Les Idées politiques de la France, Paris, Stock, 1932, p. 148-149). Sans, pour autant, être dupe de
ses effets trompeurs et des raccourcis simplistes qui conduisent, y compris les observateurs, à
L’Église, l’État, la Société 59

sédé l’Église de sa raison d’être, sous le prétexte d’une séparation mortifère


des sphères publique et privée — que, logiquement, elle refuse au nom de la
Médiation1. C’est bien 1789 — pêle-mêle le suffrage universel, la volonté
générale, l’abolition des privilèges et la suppression des ordres2 — qui, en
court-circuitant les corps traditionnels, a poussé jusqu’à son ultime dévelop-
pement le projet révolutionnaire de régénération sociale fondé sur le principe
d’une jonction immédiate entre le citoyen et l’État3. Il faut ici relever un jeu
de vases communicants : le renforcement des corporations a toujours corres-
pondu, à partir de la fin du Moyen Âge, à une réaction du social face au déve-
loppement de la puissance politique de l’État4. « Quand il y avait de vraies
corporations, au Moyen Âge, résume Don Sturzo, il n’y avait pas d’État,
dans le sens moderne du terme5. » Sans vouloir réduire la modernité politique
à la seule expérience française de la Révolution, il convient de garder à l’esprit
combien la doctrine sociale de l’Église conserve la mémoire très vive de ses
antécédents contre-révolutionnaires  : les réalités concrètes et variées plutôt
que les principes abstraits et uniformes, les communautés premières d’appar-
tenance plutôt que l’individu isolé et l’État jacobin. Le problème de la média-
tion sociale, du lien social en tant que tel, ne travaille pas le seul camp catho-
lique ; un large éventail de positions intellectuelles se retrouve autour d’une
même thématique mais lui donne des colorations pour le moins nuancées.
Tout le xixe siècle pose en définitive les termes du débat matriciel que nous
retrouvons au cœur des années 19306.

La nécessité de l’État n’est jamais en cause ; ce qui est en cause c’est bien
davantage sa légitimité institutionnelle. Dire que la fonction de l’autorité
publique est supplétive ou que la fonction de l’État est subsidiaire, c’est dire
qu’il n’est pas le cœur névralgique du tissu social, ce n’est pas remettre en

parler d’« État jacobin ». Sur cette locution problématique, devenue lieu commun incontesté en
raison de sa force suggestive, cf. P.  LEGENDRE, Jouir du pouvoir. Traité de la bureaucratie
patriote, Paris, Minuit, 1976, p. 99 sq. ; « Les maîtres de la loi. Étude sur la fonction dogmatique
en régime industriel », Annales, 1983, 38 (3), p. 507-535, spécialement p. 528 sq.
1. Cf. P.  MISNER, «  Catholic Antimodernism  : The Ecclesial Setting  », Catholicism
Contending with Modernity and Antimodernism in Historical Context, éd. D. JODOCK, Cam-
bridge, Cambridge University Press, 2000, p. 56-87 ; J. A. KOMONCHAK, « Modernity and
the Construction of Roman Catholicism », Cristianesimo nelle storia, 1997, 18, p. 353-385.
2. Outre à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (26 août 1789), pensons, en parti-
culier, à la loi d’Allarde supprimant les corporations de métiers (2-17  mars 1791) et à la loi
Le Chapelier interdisant les réunions ou regroupements particuliers (14-17 juin 1791).
3. D’où ces deux itinéraires en Europe : maintien de fortes communautés locales et/ou profes-
sionnelles dans les territoires allemands, qui n’ont rejoint que très tardivement la forme étatique ;
quasi destruction en Angleterre et en France, les deux pays qui ont fait naître la forme étatique
moderne (cf. B. BARRET-KRIEGEL, L’État et les esclaves [1979], Paris, Payot, 1989).
4. Cf. E. COORNAERT, Les Corporations en France avant 1789, Paris, Gallimard, 1941 ; « Les
corporations du Moyen Âge à la Révolution », Politique, 1934, 8 (5), p. 389-395.
5. L. STURZO, Politique et morale [1937], trad. fr. M. Prélot, Paris, Bloud et Gay, 1938, p. 39.
Homme d’Église et père du popularismo, Luigi Sturzo est le fondateur en 1919 du Partito popo-
lare italiano, persécuté par Mussolini dès 1923 et définitivement dissout en 1926.
6. Pour une vue d’ensemble de la période ouverte par la Révolution française,
cf.  M.  H. ELBOW, French Corporative Theory, 1789-1948, New York, Columbia University
Press, 1953.
60 La subsidiarité catholique...

cause sa nécessité fonctionnelle. Le ballottage entre ces deux exigences appa-


remment paradoxales ne saurait faire oublier l’ambiguïté foncière sur laquelle
elles reposent chacune. Une fois établie cette nécessité de l’État, il importe de
décliner concrètement ses modalités d’intervention. L’énoncé du problème
paraît fort simple : un État subsidiaire, mais un État qui doit, en même temps,
être autoritaire ; un État subsidiaire qui assure la primauté de l’essentiel et en
assume, le cas échéant, la défaillance ; l’intervention de l’État si l’action des
personnes ou des communautés est insuffisante ou l’abstention de l’État si
elle est suffisante. Mais s’en tenir à ce seul niveau d’analyse ne saurait suffire,
au risque, sinon, de ne se contenter que d’un déplacement du problème. La
détermination de cette suffisance réclame un critère objectif — à défaut d’ins-
tance tierce apte et légitime à décider (à moins que l’Église ne pense tout sim-
plement à elle-même1) — ; ce critère est celui du bien commun. Qu’entendre
alors par bien commun ? Si l’enjeu, nous le verrons, réside ultimement dans la
définition du contenu même de cette notion, il importe, pour l’instant, non
de définir substantiellement ce à quoi elle renvoie du point de vue de l’Église,
mais de considérer sur le plan morphologique la dépendance de la subsidia-
rité à son égard, selon une logique proprement hiérarchique2, à l’image, d’ail-
leurs, de tous les principes qui font référence au droit naturel3. En élevant le
principe de bien commun au rang de norme légitimatrice de la puissance
publique, l’Église peut sereinement justifier l’intervention étatique. Par l’af-
firmation de l’antécédence de la personne et de la société sur la puissance
étatique, la subsidiarité constitue un instrument très efficace dans les mains
de l’Église pour préserver sa propre primauté.
Son horizon d’attente : l’ordre naturel à conserver et à perpétuer. Réponse
catholique à un supposé étatisme moderne (socialiste, communiste et
jacobin), la subsidiarité révèle cet antivolontarisme viscéral de la doctrine de
l’Église. Antivolontarisme de réaction au positivisme juridique de la moder-
nité (l’État comme auteur monopolistique de la loi)4. Antipositivisme au sens

1. Si la civilisation chrétienne est « la seule “cité” vraiment “humaine” » (PIE XI, Lettre ency-
clique Divini Redemptoris, 19  mars 1937, Acta Apostolicae Sedis, 1937, XXIX, 32, p.  65-106 ;
in A. F. UTZ, I, p. 225), alors l’Église, située au sommet de cette civilisation, est sans conteste
la mieux à même pour définir le bien commun temporel de l’homme imago Dei.
2. Dire que A est subsidiaire par rapport à B revient, a priori, à dire que B est supérieur à A ;
mais ce peut tout autant vouloir dire que A est supérieur à B, au sens où A ne serait appelé à
intervenir que si, et seulement si, B n’agit pas en fonction de ce que A exige légitimement de lui.
3. Droit naturel au sens classique des Anciens (l’ordre objectif des choses), non au sens des
Modernes (les droits subjectifs de l’homme). Cf. L. STRAUSS, Droit naturel et histoire [1953],
trad. fr. M.  Nathan, É.  de  Dampierre, Paris, Flammarion, 1986 ; M.  VILLEY, Le Droit et les
droits de l’homme [1983], Paris, PUF, 2008). Sur le jusnaturalisme, cf. R. BRAGUE, La Loi de
Dieu [2005], Paris, Gallimard, 2008 ; A. SÉRIAUX, Le Droit naturel [1993], Paris, PUF, 1999 ;
« Loi naturelle, droit naturel, droit positif », Raisons politiques, 2001, 4, p. 147-155).
4. La subsidiarité remet en cause ce qui est au cœur de la définition ontologique du principe de
souveraineté : l’omnicompétence de l’État, l’indivisibilité de la puissance publique et sa capacité
à se saisir de toute affaire politique. Cf. J. BODIN, Les Six livres de la République [1583], Paris,
Librairie générale française, 1993, p.  111  sq., p.  151  sq. (liv.  I, ch.  8, 10). En faisant retour au
schéma bodinien, Olivier Beaud a montré en quoi la souveraineté ne se situait pas dans l’ordre de
la quantité mais bien dans un registre qualitatif (O. BEAUD, « La notion d’État », Archives de
philosophie du droit, 1990, 35, p. 119-141 ; La Puissance de l’État, Paris, PUF, 1994, p. 142-147 ;
L’Église, l’État, la Société 61

où, l’État de la subsidiarité (nécessité fonctionnelle sans légitimité institu-


tionnelle) ne se veut plus l’échelon de droit commun, c’est-à-dire l’échelon
qui a à la fois la compétence de sa compétence et la compétence des autres
niveaux, mais simplement une conséquence nécessaire du fonctionnement
social. L’État a sa place — une place importante —, mais pas le concept
moderne de souveraineté, qui nie autant la nature humaine que l’ordre divin.
Un État autoritaire, certes, mais dans son ordre, comme aurait dit saint
Thomas.
L’élaboration d’une doctrine sociale sera pour l’Église une manière de
retrouver le Moyen Âge, cette période bénie qui paradoxalement, en raison
de sa structuration organique, avait plus ou moins empêché l’Église de se
doter d’une éthique sociale cohérente (hormis sa rudimentaire hiérarchie des
professions)1. Les papes veulent désormais inverser les termes  : formaliser
une vision catholique du social en renouant avec la graduation médiévale des
ordres et de leurs devoirs moraux. Partie prenante de cette doctrine, la subsi-
diarité repose donc sur un terreau religieux, très profond, de refus organique
de la souveraineté en tant que valeur fondatrice de la société ; elle exprime une
hostilité viscérale à l’égard du politique, et de la politique, rejetant la distance
institutionnelle de l’État temporel mais plus fondamentalement tout pouvoir
considéré comme non naturel parce que non spirituellement consacré. L’ob-
jectif de l’Église apparaît dès lors dans toute sa simplicité : démontrer l’im-
possibilité de fonder l’État sur le principe d’une souveraineté politique, le
donner à voir comme pure puissance, comme pouvoir menaçant. Pire : il faut
se prémunir contre le mal totalitaire, pente supposée naturelle de l’État
depuis qu’il s’est s’affranchi de sa dépendance spirituelle (très curieusement,
l’absolutisme devient critiquable au moment où il passe de la monarchie
de droit divin à la démocratie populaire). Se prémunir contre un mal dont les
germes seraient contenus dans la logique même de l’État. Car, au cœur de la
nuée étatique, l’orage totalitaire gronde déjà.
Convenons que cette présentation, exagérément simplificatrice, demandera
à être précisée, elle a néanmoins le mérite de résumer d’une formule la vision
réconciliatrice que l’Église veut donner d’elle-même : la synthèse harmonieuse
de la respublica christiana du Moyen Âge contre la lutte des classes et l’indivi-
dualisme de la modernité étatique. L’axe central de l’encyclique de 1891

Y.  THOMAS, «  L’institution de la majesté  », Revue de synthèse, 1991, 3-4, p.  331-386, ici
p. 336). Cette démonstration est solidaire d’un parti pris méthodologique : raisonner moins en
historien qu’en philosophe du droit pour aller puiser chez Bodin non l’expression idéologique
d’un moment historique — l’absolutisme monarchique —, mais la fondation conceptuelle de
l’État moderne. Depuis, Olivier Beaud est revenu sur le sens du critère d’omnicompétence, pré-
férant parler de principe d’extension globale, pour mieux distinguer entre la notion juridique de
compétence et la notion fonctionnelle d’attribution étatique (O.  BEAUD, «  Compétence et
souveraineté », La Compétence, Paris, Litec, 2008, p. 5-32, ici p. 15-16).
1. Nostalgie d’un âge d’or mythifié invoqué par les papes pour faire oublier la période absolu-
tiste et donner à l’Église des atours avantageusement démocratiques : « Assurément, écrit le suc-
cesseur de Pie XI, le Moyen Âge chrétien, particulièrement imprégné de l’esprit de l’Église, avec
sa pléiade de communautés démocratiques florissantes, a montré que la foi chrétienne sait créer
une véritable et propre démocratie, bien plus, qu’elle en est l’unique base durable. » (PIE XII,
Discours au tribunal de la Rote, 2 octobre 1945 ; in SOLESMES, 900, p. 471).
62 La subsidiarité catholique...

n’était-il pas de dessiner une tierce voie catholique rejetant dos-à-dos libéra-
lisme et socialisme, les deux frères jumeaux du monde moderne1 ? Émile
Poulat l’a fortement démontré en retraçant le conflit triangulaire entre catho-
licisme, socialisme et libéralisme. Inscrite dans cette logique, la subsidiarité
propose une vision de l’État qui prétend se situer à mi chemin entre la concep-
tion libérale de l’État-gendarme et la conception sociale de l’État-providence.
Face à la modernité, le malaise catholique fonctionne pour ainsi dire sur le
mode métronomique du balancier  : de la modernité libérale à la modernité
socialiste, de la modernité socialiste à la modernité libérale, il repasse sans
cesse par ce facteur commun de l’État. La fameuse troisième voie2, qui, en
théorie, suppose non pas la synthèse des deux termes de l’équation mais leur
dépassement pur et simple aboutira, en pratique, à un compromis inavouable,
à une compromission indicible de plus en plus insupportable3. De cette honte
non assumée, naîtront différentes réactions de vengeance  : c’est de l’une
d’elles, pensons-nous, qu’émerge la subsidiarité. Voilà pour ainsi dire la défi-
nition de ce que nous appelons l’État de la statophobie catholique : un État
sans souveraineté (car celle-ci est désormais populaire et démocratique) ou
un « État sans politique »4 (car la politique n’a pas de sphère propre), c’est-
à-dire organique. Nous sommes ici au cœur de la stratégie spécifiquement
catholique de contournement du politique : par le social tout d’abord (Rerum
novarum), par l’économique ensuite (Quadragesimo anno), sur le plan moral,
dans les deux cas. Impasse et aporie constitutives de l’identité propre d’une
Église qui ne pénètre le monde moderne que pour mieux en conjurer le péril.

3. LA CONQUÊTE ECCLÉSIALE DE LA SOCIÉTÉ

La subsidiarité introduit une dimension inédite dans le corpus catholique : la


distinction entre État et société5. En faisant intervenir un troisième terme

1. Socialisme et communisme ne sont pour l’Église qu’une conséquence du libéralisme et du


naturalisme, «  doctrine de la liberté débridée  » (PIE IX, Lettre apostolique Quanta cura,
8 décembre 1864, Acta Sanctae Sedis, 1867-1868, III, p. 163-166 ; in A. F. UTZ, I, p. 158-175).
Invoquant son prédécesseur Léon XIII, Pie XI écrit : « Il ne demande rien au libéralisme, rien
non plus au socialisme, le premier s’étant révélé totalement impuissant à bien résoudre la ques-
tion sociale, et le second proposant un remède pire que le mal, qui eût fait courir à la société
humaine de plus grands dangers. » (PIE XI, Quadragesimo anno, 11 ; in A. F. UTZ, I, p. 573).
2. Cf., entre autres références, A. F. UTZ, Entre le néolibéralisme et le néomarxisme. Recherche
philosophique d’une troisième voie [1975], trad. fr. M. Kleiber, Paris, Beauchesne, 1976 ; « Die
Subsidiarität als Aufbauprinzip der drei Ordnungen : Wirtschaft, Gesellschaft und Staat », Das
Subsidiaritätsprinzip, dir. A. F. UTZ, Heidelberg, Kerle, 1953, p. 101-107.
3. Cf. É. POULAT, Église contre bourgeoisie. Introduction au devenir du catholicisme actuel,
Paris, Casterman, 1977 ; Catholicisme, démocratie et socialisme. Le mouvement catholique et
Mgr Benigni, de la naissance du socialisme à la victoire du fascisme, Paris, Casterman, 1977.
4. M. BOUVIER, L’État sans politique. Tradition et modernité, Paris, LGDJ, 1986.
5. Le couple État-société civile trouve sa principale expression théorique chez Hegel, qui ren-
verse le sens du second terme : alors que jusque-là il désignait le corps politique organisé, il ren-
voie désormais à la société économique, par opposition à la sphère de l’État. Cf. M. RIEDEL,
«  Bürgerliche Gesellschaft  », Geschichtliche Grundbegriffe, op. cit., 1975, II, p.  719-800 ;
J. L. COHEN, A. ARATO, Civil Society and Political Theory, Cambridge, MIT Press, 1992 ;
F.  RANGEON, «  Société civile  : histoire d’un mot  », La Société civile, éd. CURAPP, Paris,
L’Église, l’État, la Société 63

perturbateur, le social, elle tend à briser le dialogue enfermant du schéma


binaire qui avait fini par lui être défavorable : le fameux conflit théologico-
politique. Les indices de la nouveauté peuvent être repérés dans les textes
pontificaux eux-mêmes : jusqu’à Rerum novarum, encyclique où il apparaît
pour la première fois, le mot société civile est absent de la littérature ecclé-
siale. Tout simplement parce que l’Église, à l’image des grands théoriciens du
libéralisme politique mais pour des raisons différentes, continuait d’assimiler
la société à l’État et que, contradiction dans les termes, les séparer aurait de sa
part supposé d’admettre une forme de préexistence de la société civile sur la
société spirituelle, laquelle, du point de vue ecclésial, reste l’organe primor-
dial de la réalité temporelle, celui qui constitue la société civile comme telle.
L’Église commence donc à distinguer l’État et le social à partir du moment
où le politique se détache d’elle, mais dans un contexte inédit où des simu-
lacres d’État commencent à nier leur nécessaire séparation d’avec la société.
Comment, du point de vue de l’Église catholique, l’État et la société s’arti-
culent-ils ? Telle est la question ultime posée par la subsidiarité catholique.
Depuis la fin de l’ancien schéma théocratique du Prince chrétien1, depuis que
le souverain n’est plus assurément chrétien, l’Église a perdu une dimension
centrale de sa présence au monde (la Révolution française le lui a violemment
signifié). Mais, en conformité avec son attitude constante, l’Église ne se résout
à faire de la foi catholique un modeste apanage du for interne des individus2.
Se replier, bonne perdante, sur la sphère privée, ce serait acter la perte de son
pouvoir, longtemps monopolistique, de construction du monde, ce serait
admettre une inaptitude à définir seule le sens commun de la société pour
y affronter à égalité la concurrence d’autres instances. Voilà condensé le coût
psychique, si l’on accepte l’idée d’un surmoi collectif, de l’entrée en libéralisme
de l’Église catholique. Dans son combat contre la modernité, elle choisit déli-
bérément d’investir non pas le terrain individuel mais le terrain social (dans le

PUF, 1986, p. 9-32 ; E.-W. BÖCKENFÖRDE, « La signification de la distinction entre État et
société pour l’État social et démocratique contemporain » [1972], Le Droit, l’État et la constitu-
tion démocratique, trad. fr. O.  Jouanjan, Bruxelles, Bruylant, Paris, LGDJ, 2000, p.  176-202 ;
A.  RENAUT, L’Ère des individus, Paris, Gallimard, 1989 (sur la théodicée leibnizienne) ;
D. COLAS, Le Glaive et le Fléau. Généalogie du fanatisme et de la société civile, Paris, Gras-
set, 1992 ; « Fanatisme et société civile », Théologie et droit, op. cit., p. 315-334 (sur la matrice
spinozienne) ; J.-F. KERVÉGAN, Hegel, Carl Schmitt. Le politique entre spéculation et positi-
vité, Paris, PUF, 1992 ; C.  GAUTIER, L’Invention de la société civile, Paris, PUF, 1993 ;
C. COLLIOT-THÉLÈNE, Le Désenchantement de l’État, Paris, Minuit, 1992.
1. Schéma théocratique du Prince chrétien au sein duquel la séparation des pouvoirs spirituel et
du temporel importait finalement peu dès l’instant où le Prince était catholique.
2. Même après la séparation du temporel et du spirituel (cf. la fameuse parole de Jésus rapportée
par Matthieu  : Redde Caesari que sunt Caesaris, et quae sunt Dei Deo ; Évangile selon saint
Matthieu, XXI-XXII ; cf. aussi Évangile selon saint Marc, XII-XVII ; Évangile selon saint Luc,
XX-XXV), une grande partie du problème demeurera. Car le fait de la séparation ne détermine
ni ses modalités ni son contenu : « à partir du moment où il y a disjonction de ce monde et de
l’autre, rien ne permet plus de distribuer ce qui revient à l’un et à l’autre selon une règle de
coexistence équilibrée entre compétences bien déterminées » (M. GAUCHET, Le Désenchante-
ment du monde. Une histoire politique de la religion, Paris, Gallimard, 1985, p. 218). D’autant
que ce fait structurel s’accompagne d’une tendance de chacun des deux ordres à mutuellement
s’exclure. Séparer deux termes ne revient-il pas à établir une hiérarchie entre eux ?
64 La subsidiarité catholique...

prolongement de ce qu’elle connaît déjà : la charité religieuse, l’action carita-


tive). Manière latérale de contourner le politique aux fins de réévangéliser le
monde ouvrier et d’affirmer sa fibre populaire, un registre qui, croit-elle, l’au-
torise à refuser la prétention totalisante de la politique moderne1.
S’il fallait résumer d’une formule le tranchant de notre analyse, nous pré-
senterions le retournement ecclésial de la manière suivante : après avoir pris
conscience de sa perte d’influence sur l’État, l’Église catholique s’emploie à
investir la société, plus précisément à se présenter comme le défenseur de la
société contre l’État, en chassant donc sur les terres du libéralisme, auquel
elle veut opposer sa longue et séculaire expérience de la régence du social.
Investir le terrain social, ce n’est pas, pour l’Église, se poser en simple ingé-
nieur de la société, ni se contenter d’un rôle de conseiller spirituel des travail-
leurs. C’est, bien davantage, par cet intermédiaire, être à la direction du mou-
vement, revendiquant un authentique privilège de juridiction. Toujours ce
même réflexe, hérité des temps médiévaux, d’enrôler l’État au service exclusif
de la religion. L’Église a perdu son combat contre l’État ; elle se tourne désor-
mais vers la société. Au moment où ce choix inconscient est opéré, le tour-
nant des xixe et xxe, deux attitudes se présentaient à elle2. 1o La voie de la
confessionnalisation de l’État et de la rechristianisation des institutions poli-
tiques. Empruntée par Pie X, dans une sorte de dernier sursaut en forme de
baroud d’honneur, elle ne fera qu’alimenter l’exaspération des fidèles catho-
liques et provoqua en retour le raidissement de l’État. Car la nation se veut
désormais autoconsistante et refuse la présence de l’Église dans les affaires
publiques3. 2o  La voie de l’évangélisation de la société, forme de réaction à
l’échec du scénario précédent, consubstantiellement liée à un intransigean-
tisme anti-étatique, à un authentique complexe de défiance à l’égard de l’État.
Parce que libéral, l’État libéral n’est plus chrétien ; il reste, pour l’Église, à se
tourner vers la société civile et à la christianiser autant que possible4. Résultat
de sa défaite historique  : l’Église a soutenu l’État tant que celui-ci était
imprégné de la vérité religieuse ; elle multiplie les appels à sa limitation depuis
que le catholicisme est devenu une simple confession privée. Statophobie

1. Le catholicisme libéral du xixe siècle fut en partie politique, son équivalent social ne l’est plus ;
il est un remède à la modernité économique, mais une thérapeutique auto-administrée.
2. Comme peut en témoigner la comparaison des pontificats successifs de Léon XIII et Pie X.
Peut-être fallait-il que l’Église passe par la première solution pour accéder à la seconde.
3. Après la Constitution civile du clergé, la laïcité de combat à la française en est l’exemple le
plus frappant. La loi de séparation votée en 1905 scellera l’ultime défaite de l’Église catholique.
Citons les deux textes pontificaux qui condamnent d’une part la Constitution civile du clergé
(PIE VI, Bref Quod aliquantum, 10 mars 1791, Brefs et Instructions de Notre Saint Père le Pape
Pie VI, Rome, Imprimerie de la Chambre apostolique, 1797, I, p. 104-203 ; in A. F. UTZ, III,
p. 2508-2585) et d’autre part la loi de 1905 (PIE X, Lettre encyclique Vehementer nos, 11 février
1906, Acta Sanctae Sedis, 1906-1907, XXXIX, p. 3-16 ; in A. F. UTZ, III, p. 2452-2473).
4. Pour des commentaires à chaud sur cette dynamique, alors interprétée très différemment  :
G.  GOYAU, Le Pape, les catholiques et la question sociale, Paris, Perrin, 1892 ; A.  LEROY-
BEAULIEU, La Papauté, le socialisme et la démocratie [1892], Paris, Calmann-Lévy, 1893.
Trente ans plus tard : É. CHENON, Le Rôle social de l’Église, Paris, Bloud et Gay, 1921. Pour
une analyse synthétique : J.-M. MAYEUR, « Aux origines de l’enseignement social de l’Église
sous Léon XIII », Catholicisme social et démocratie chrétienne, op. cit., p. 47-65.
L’Église, l’État, la Société 65

prise dans un jeu à trois, qui présidera au mariage de raison entre l’Église et la
société ; alliance dont l’objet sera de court-circuiter l’État libéral en le rédui-
sant sournoisement à une rudimentaire ustensibilité. Stratégie inconsciente
de l’Église qui est aussi hypocrisie nécessaire, dans la mesure où, pour exercer
son influence sur le social, elle doit nier avoir l’ambition de concurrencer
l’État. Contre toutes les évidences, au besoin.
Le mariage entre l’Église et la société ne signifie bien sûr pas dilution ou
banalisation de l’Église dans la société : de la même manière qu’elle se pensait
autrefois comme la tutrice naturelle de l’État, l’Église se considère désormais
comme la tutrice non moins naturelle de la société. Il y a peut-être là l’expres-
sion d’une structure mentale indépassable de l’Église catholique ou, plus
encore, du christianisme en tant que religion persécutée1. Aussi la subsidiarité
est-elle un élément d’une doctrine de l’ordre social chrétien dans lequel
l’Église doit jouir d’un pouvoir naturel, officiellement indirect, officieuse-
ment direct, sur la société. Nous verrons qu’en la matière la révolution conci-
liaire de Vatican II se situe moins dans la structure que dans la forme : l’Église
autoritaire surplombante s’emploie désormais à donner des gages de
modestie, non sans des conséquences pour l’État (destinataire final de cette
cure d’horizontalité démocratique), non sans un retour du refoulé ecclésial.
Mais l’Institution tutrice peut-elle être autre chose que hiérarchique ? Nous
examinerons ce paradoxe qui consiste pour l’Église à réclamer l’application
du principe de subsidiarité à l’État tout en refusant jalousement de se l’appli-
quer à elle-même. Dans la formule chimique de la subsidiarité, n’y aurait-il
pas quelque chose comme une arme stratégique contre la hiérarchie institu-
tionnelle de l’État ?
La dimension instrumentale que recouvre l’invocation du principe de sub-
sidiarité dans la rhétorique de l’Église — la fonction instrumentale qu’il rem-
plit — ne saurait donc être minorée, elle est inscrite dans le cœur même du
concept. Il s’agit bel et bien d’un mot d’ordre permettant à l’Église de réaf-
firmer son rôle dans l’espace public afin de gérer symboliquement un équi-
libre — désormais perdu — entre elle-même et l’État. L’évangélisation de la
société pouvait passer par deux canaux prioritaires, particulièrement straté-
giques pour le contrôle de la sphère économique et de la conscience morale :
la corporation et l’éducation. Nous examinerons donc ces deux enjeux. L’un
explicitement traité dans l’encyclique, en ce qu’elle doit s’analyser comme
une traduction directe du principe de subsidiarité : la question de l’organisa-
tion corporatiste. L’autre, présente «  entre les lignes  » mais qui cristallise,
nous essaierons de le démontrer, la substantifique mœlle du message ponti-
fical, en ce qu’elle constitue le terrain de lutte privilégié par l’Église pour
affirmer la primauté du spirituel : la question de l’éducation2. Première étape

1. N’oublions pas que la foi chrétienne, avant de christianiser l’Empire romain, s’est imposée
contre lui, en conquérant (utilisons des termes anachroniques) d’abord la société civile et ensuite
l’État par son intermédiaire. Sans minorer, bien sûr, le détonateur de la conversion constanti-
nienne (P. VEYNE, Quand notre monde est devenu chrétien, Paris, Albin Michel, 2007).
2. Nous aurons à revenir sur les trois fonctions théologiques classiquement reconnues à l’Église :
fonction de gouvernement (munus gubernandi), fonction d’enseignement (munus docendi) et
66 La subsidiarité catholique...

en vue d’un examen plus substantiel de la doctrine catholique de l’État, qui


nécessitera bien sûr de recourir à des éléments extérieurs à la pensée de
l’Église elle-même. Étape intermédiaire pour entrer de manière plus latérale
qu’à l’accoutumée dans le conflit théologico-politique  : l’éducation est une
question spirituelle dont les implications temporelles sont massives ; la cor-
poration une question plus immédiatement temporelle mais dans laquelle
l’Église s’investit en s’auto-attribuant des motifs spirituels. Étape nécessaire,
enfin, pour comprendre en quoi la subsidiarité est l’un des principaux
concepts charnières entre catholicisme social, catholicisme libéral et démo-
cratie chrétienne ; en quoi leur exigence de démocratie sociale a peu à peu
conduit les tenants catholiques de la subsidiarité à récuser la vision hiérar-
chique de la société qui était celle de la Contre-Révolution, à préconiser
l’égalité des droits, à revendiquer la liberté religieuse. Il en va ainsi de la sub-
sidiarité comme il en va de la démocratie chrétienne1. À tel point qu’il est
devenu habituel de faire figurer le principe parmi les axes majeurs du pro-
gramme politique des partis démocrates chrétiens2. Si nous verrons plus loin
qu’avant son réinvestissement par l’Europe communautaire le mot est la plu-
part du temps absent des discours politiques de la démocratie chrétienne, la
chose, à n’en pas douter, le structure de bout en bout. Ce sont d’ailleurs les
démocrates chrétiens et autres partisans du fédéralisme personnaliste qui
œuvreront pour l’entrée de la subsidiarité dans le vocabulaire officiel de la
Communauté européenne.

fonction de sanctification (munus sanctificandi). Pour une mise en perspective générale,


cf.  R.  TORFS, «  Auctoritas, potestas, iurisdictio, facultas, officium, munus  : une analyse de
concepts », Concilium, 1988, 217, p. 81-93. Soulignons-le dès maintenant, c’est sur le terrain de
l’enseignement que l’Église emprunte le chemin de la liberté  : elle l’emprunte pour défendre
l’Église enseignante, mais elle l’emprunte de manière très pragmatique : profiter des largesses du
principe libéral sans pour autant le consacrer doctrinalement. Dans un tout autre sens, nous ver-
rons que la subsidiarité de l’ère démocratique sera réinterprétée côté catholique comme principe
pédagogique — principe permettant en quelque sorte la réconciliation de l’anthropologie tradi-
tionnelle du catholicisme avec le monde moderne : respecter la subsidiarité pédagogique, c’est
accompagner l’élève dans son épanouissement et non faire à sa place ce qu’il est en mesure de
faire par lui-même. Cf. H.  MAIWORM, «  Subsidiarität als pädagogisches Prinzip  », Ordo
Socialis, 1957, 5, p. 57-66 ; F. KLÜBER, Grundlagen der katholischen Gesellschaftslehre, Osnab-
rück, Fromm, 1960, p. 165 sq. Double perspective qui autorise à voir dans l’éducation la source
matricielle de la subsidiarité (considérée en tant que principe formel).
1. Cf., ici, l’article de Jean-Marie Mayeur, qui établit la provenance intransigeante de la démo-
cratie chrétienne (J.-M. MAYEUR, «  Catholicisme intransigeant, catholicisme social, démo-
cratie chrétienne » [1972], Catholicisme social et démocratie chrétienne, op. cit., p. 17-38). À sa
naissance sous la forme de partis confessionnels, elle se limitait bien souvent à réclamer un État
chrétien à assise populaire. C’est seulement après la Seconde Guerre mondiale que le courant
démocrate chrétien accepte en partie le principe de la neutralité de l’État libéral en se contentant
de vouloir y insuffler une inspiration chrétienne. Pour le reste, nous suivons la définition de
Jean-Marie Mayeur : « Dans l’éventail fort nuancé des catholiques sociaux, les démocrates chré-
tiens représentent l’aile qui accepte la démocratie politique et sociale. » (Ibid., p. 10).
2. Cf., par exemple, J.-D. DURAND, L’Europe de la démocratie chrétienne, Bruxelles, Com-
plexe, 1995. En complément, pour une mise en perspective historique qui remonte plus loin dans
le temps, cf. J.-M. MAYEUR, « Mouvement catholique italien et mouvements catholiques euro-
péens », Catholicisme social et démocratie chrétienne, op. cit., p. 95-110 ; « Les partis catholiques
et démocrates chrétiens européens. Essai de définition », ibid., p. 111-125.
Chapitre 1
Subsidiarité et ordre économique.
La compromission pontificale

«  Dans cette même encyclique [Quadragesimo


anno], Nous avons montré que les moyens de sauver le
monde actuel de la ruine dans laquelle le libéralisme
amoral nous a plongés, ne consistent ni dans la lutte des
classes ni dans la terreur, beaucoup moins encore dans
l’abus autocratique du pouvoir de l’État, mais dans
l’instauration d’un ordre économique inspiré par la jus-
tice sociale et les sentiments de la charité chrétienne.
Nous avons montré comment une saine prospérité doit
se baser sur les vrais principes d’un corporatisme sain
qui respecte la hiérarchie sociale nécessaire, et comment
toutes les corporations doivent s’organiser dans une
harmonieuse unité, en s’inspirant du bien commun de
la société. La mission principale et la plus authentique
du pouvoir civil est précisément de promouvoir efficace-
ment cette harmonie et la coordination de toutes les
forces sociales1. »

I. CONTEXTUALISATION FACTUELLE DE LA SUBSIDIARITÉ

Notre question  : pourquoi et comment le corporatisme est-il devenu l’une


des composantes essentielles de l’« ordre social chrétien » promu par Qua-
dragesimo anno ? Plus exactement encore : dans quelle mesure le thème de la
corporation constitue-t-il le code d’entrée principal, voire unique, pour
pénétrer à l’intérieur du concept catholique de subsidiarité ?

1. PIE XI, Divini Redemptoris (in A. F. UTZ, I, p. 243-245). Nous soulignons.


68 La subsidiarité catholique...

Comme nombre de valeurs chrétiennes, le principe de subsidiarité peut


recueillir un large assentiment quant à l’horizon général proposé (une démo-
cratie organique chrétiennement inspirée), mais tout se passe comme si elle
ne parvenait pas à se décliner de manière concrète autrement que sur un mode
dévoyé. D’où le glissement insidieux qui s’opère, dans le passage de la théorie
à la pratique, entre la promotion de la corporation comme communauté
humaine et l’approbation du corporatisme comme système politique. D’où,
en retour, la confusion dans les conséquences à donner au principe de subsi-
diarité : s’en remettre à la nature des choses, n’est-ce pas finalement préparer
le terrain à la volonté omnipotente de l’État, en l’occurrence d’un État déna-
turé ? Deux exigences méthodologiques seront à tenir ensemble dans l’ana-
lyse qui suit : distinguer, bien sûr, entre la défense du corporatisme par des
auteurs laïques se revendiquant du catholicisme et la position officielle de
l’Église romaine ; mais prendre en compte aussi l’interaction entre ces deux
pôles de l’axe catholique en vue de cerner de l’intérieur toute la complexité
du discours pontifical.

1. LA THÉORIE RATTIENNE DU CORPORATISME « SAIN »

Lorsqu’elle survient sous la plume de Pie XI au tout début des années 1930,
la subsidiarité fait système avec la notion de corporation et son cortège de
réminiscences médiévales. C’est peu dire, ici, à examiner de près la lettre pon-
tificale, que de diagnostiquer une interdépendance foncière. Quand bien
même le mot corporation n’apparaît pas en tant que tel dans la version origi-
nale de Quadragesimo anno, traduction du latin oblige, il connaîtra dès 1931,
contrairement à la subsidiarité, une exceptionnelle fortune dans les traduc-
tions nationales, au point que la doctrine sociale de l’entre-deux-guerres soit
purement et simplement assimilée à la solution corporatiste1. Fortune très
vite mise à l’épreuve de la réalité totalitaire et dont l’Église devra se détacher
en abandonnant les aspects compromettants du schéma dessiné par l’en-
cyclique. Signe patent de cette compromission, l’aveu de culpabilité que
constitue la disparition complète de la phraséologie corporatiste dans le voca-
bulaire pontifical de l’après-guerre. Si Léon XIII et Pie XI parlaient fière-
ment de corporations, Pie XII et ses successeurs plus encore feront dans la
prudente retenue, préférant un terme moins sulfureux, moins connoté, celui
de corps intermédiaires, qui semble vouloir intégrer la corporation à une
conception démocratiquement compatible. N’est-il pas significatif que le
résumé de Quadragesimo anno proposé en 1961 dans l’encyclique Mater et

1. Le sens du mot corporation se révèle particulièrement difficile à stabiliser, difficulté d’ailleurs


aggravée par le transfert du latin d’Église aux langues nationales. Citons pêle-mêle : « ordines »,
« collegia », « consociationes », « liberae associationes », « syndicatuum et artium collegiorum
ratio », « collegia seu corpora », « sodalitia ». Notons qu’à l’entrée « Subsidiarité » de son index
thématique, le Denzinger renvoie à tous les textes pontificaux traitant de la question des corps
intermédiaires, sans se soucier de la présence du mot subsidiarité (H.  DENZINGER, 3940,
p. 837 ; 3966, p. 845 ; 4454, p. 945 ; 4483, p. 951).
Subsidiarité et ordre économique. La compromission pontificale 69

Magistra de Jean XXIII ne fasse aucune allusion au corporatisme, qui en est


pourtant l’idée maîtresse1 ? De là l’ambiguïté rétrospective du discours ponti-
fical de 1931, qu’il nous revient de percer.
Invitation faite aux catholiques à s’engager dans la société, le programme
de Quadragesimo anno déborde de générosité ; à l’analyse cependant, il se
révèle fondamentalement ambigu. Programme généreux, d’une part, car le
catholicisme pontifical se réclame très logiquement d’une personne humaine
qui, loin de s’enfermer dans une carapace individuelle, s’épanouit dans la
communication spirituelle avec les autres2. De manière on ne peut plus sin-
cère, et à l’instar de ses prédécesseurs du xixe  siècle, le Pape Pie XI veut
renouer avec une société communautaire dans laquelle la personne et la
communion auraient toute leur place, dans laquelle l’homme ne serait pas
rabattu au rang d’homo œconomicus, de simple machine à produire et à
consommer. Cette thématique, on le sait, constituera l’un des axes centraux
du personnalisme de l’entre-deux-guerres. Contre la séparation mutilante du
libéralisme, l’homme total du catholicisme doit renouer avec la vérité de son
existence ; il doit refuser la rupture de l’harmonie fondatrice des cellules élé-
mentaires, les communautés organiques, qui le forgent, lui confèrent sa
dignité et sa liberté3. Aussi Pie XI voit-il dans la corporation, non une mé-

1. JEAN XXIII, Mater et Magistra ; in A.  F.  UTZ, I, p.  682-685 ; H.  DENZINGER, 3943,
p.  838. «  Nous estimons [...] nécessaire que les corps intermédiaires et les initiatives sociales
diverses, par lesquelles surtout s’exprime et s’organise la “socialisation”, jouissent d’une auto-
nomie efficace devant les pouvoirs publics, qu’ils poursuivent leurs intérêts spécifiques en rap-
port de collaboration loyale entre eux et de subordination aux exigences du bien commun. »
2. Pour reprendre ici une thématique thomiste et catholique. Cf. THOMAS d’AQUIN, Somme
théologique [1267-1274], éd. A. Raulin, trad. fr. A.-M. Roguet, et al., Paris, Le Cerf, 1984-1986,
p. 294-295 (Ia, q. 19, a. 1), p. 591-592 (Ia IIae, q. 94, a. 2).
3. Dénomination très englobante, le personnalisme renvoie à un courant d’idées diffus dépas-
sant de très loin la seule pensée religieuse. Il rassemble différentes philosophies de la personne
ayant en commun d’être nées fin xixe-début xxe siècle. La paternité française du mot est à attri-
buer à la cheville ouvrière du criticisme néokantien de la IIIe  République, Charles Renouvier
(C. RENOUVIER, Le Personnalisme [1903], Paris, Alcan, 1926) ; le sens catholique en a ensuite
été fixé par Jacques Maritain après une étape par le catholicisme libéral (P. ARCHAMBAULT,
Essai sur l’individualisme, Paris, Bloud et Cie, 1913), lui-même en dialogue ouvert avec le néo-
kantisme (P. ARCHAMBAULT, Renouvier, Paris, Bloud et Cie, 1911). Mais c’est à Emmanuel
Mounier, fondateur en 1932 de la revue Esprit, grande figure de l’antilibéralisme catholique du
xxe siècle, que l’idée personnaliste est le plus souvent associée. Chez lui, comme chez son aîné
Jacques Maritain, la notion de personnalisme ne prend consistance que dans un dialogue souter-
rain avec son champ d’adversité historique : le totalitarisme. « Ce nom [le personnalisme], écrit
Mounier, répond à l’épanouissement de la poussée totalitaire, il est né d’elle, contre elle, il
accentue la défense de la personne contre l’oppression des appareils. » (E. MOUNIER, Qu’est-
ce que le personnalisme ? [1947], Œuvres, op. cit., III, p. 181 ; rééd. Le Seuil, p. 313). Nous souli-
gnons. Maritain également l’explique très bien au soir de sa vie, alors qu’il fait part de son irrita-
tion face l’évolution «  communautaire  » du personnalisme  : «  Grâce surtout, je pense, à
Emmanuel Mounier, l’expression “personnaliste et communautaire” est devenue une tarte à la
crème pour la pensée catholique et la rhétorique catholique françaises. Moi-même je ne suis pas
en cela sans quelque responsabilité. À une époque où il importait d’opposer aux slogans totali-
taires un autre slogan, mais vrai, j’avais gentiment sollicité mes cellules grises et finalement
avancé, dans un de mes livres de ce temps-là, l’expression dont il s’agit ; et c’est de moi, je crois,
que Mounier la tenait. Elle est juste, mais à voir l’emploi qu’on en fait maintenant je n’en suis pas
très fier. Car après avoir payé un lip service au “personnaliste”, il est clair que c’est le “commu-
nautaire” qu’on chérit. » (J. MARITAIN, Le Paysan de la Garonne [1966], Œuvres complètes,
op. cit., XII, p. 736). Nous soulignons. À propos du dialogue entre Maritain et Mounier, pour
70 La subsidiarité catholique...

thode autoritaire d’ordonnancement de la société, mais la voie d’une saine


restauration de l’ordre humain voulu par Dieu. « Les hommes, ne manque-
t-il pas de proclamer, sont libres d’adopter telle forme d’organisation qu’ils
préfèrent, pourvu seulement qu’il soit tenu compte des exigences de la justice
et du bien commun »1. On en viendrait presque à considérer que, renouveau
thomiste aidant, il suffirait de mâtiner d’un peu de personnalisme les
anciennes conceptions hiérarchiques et organicistes de l’Église2.
Programme ambigu, d’autre part, dès que l’on sort de la seule cohérence
des principes doctrinaux. Sur le plan de la thèse — comme disent les scolas-
tiques —, le corporatisme pontifical est un corporatisme communautaire,
non un corporatisme autoritaire ou totalitaire. Mais le passage se fait difficile-
ment des grandes considérations aux implications pratiques. La réhabilitation
des corps sociaux relève-t-elle de l’initiative des personnes et des groupes
(corporatisme d’association) ? Revient-elle à l’État (corporatisme d’État) ?
Ou bien encore, nostalgie des temps médiévaux oblige, doit-elle se placer
sous l’égide de l’Église elle-même ? Six ans après Quadragesimo anno, Pie XI
parle ouvertement de régimes reposant sur de «  puissantes corporations  »
surgies sous l’influence de l’Église : « Fidèle à ses principes, l’Église a régé-
néré l’humanité. Sous son influence, ont surgi d’admirables œuvres de charité,
des corporations puissantes d’artisans et de travailleurs de toutes catégories3. »
Bref, d’où viennent ces corporations et comment s’organisent-elles ? Si
l’enseignement social de l’Église tend à prôner l’association libre — qui, en
théorie, exclut l’idée de corporation obligatoire et donc un rapprochement
autoritaire entre travail et capital —, une grande confusion n’en existe pas
moins avec la réalité historique du corporatisme d’État, tel qu’il a été soutenu

dédramatiser la question de la paternité du personnalisme chrétien, Guy Coq note que si Mari-
tain « avait pu [dans Trois Réformateurs] conceptualiser en termes thomistes la différence entre
individu et personne, c’était encore sans en tirer pour autant la notion d’un personnalisme qui
n’apparaîtra dans sa pensée qu’avec sa fréquentation de Mounier aux débuts de la revue Esprit. »
(G.  COQ, «  Pour un retour à Emmanuel Mounier  », Emmanuel Mounier. L’actualité d’un
grand témoin, éd. G. COQ, Paris, Parole et Silence, 2003, p. 21).
1. PIE XI, Quadragesimo anno, 86 (in A. F. UTZ, I, p. 620-621).
2. Notons au passage que saint Thomas ne fait usage du concept boécien de personne que pour
l’appliquer à Dieu. Il y recourt dans la seule première partie de la Somme théologique lorsqu’il
s’agit de décrire les éléments de l’hypostase divine et les relations qu’ils entretiennent (THOMAS
d’AQUIN, Somme théologique, op. cit., I, p. 420 sq. ; Ia, q. 39 sq.). Dans les développements qui
suivent, nous parlerons de personne essentiellement pour éviter le mot individu, trop connoté
(défini chrétiennement, l’homme est irréductible au seul individu empirique), mais ne voudrions
pas laisser entendre par là que Thomas serait le père intellectuel du personnalisme chrétien qui
s’est développé aux xixe et xxe  siècles autour de la distinction individu-personne que nous
connaissons aujourd’hui. Cf., par exemple, P. LADRIÈRE, « La notion de personne, héritière
d’une longue tradition », Pour une sociologie de l’éthique, Paris, PUF, 2001, p. 319-368.
3. PIE XI, Divini redemptoris (in A. F. UTZ, I, p. 249). Nous soulignons. Ou bien encore le
Pape Léon XIII en 1885 dans l’encyclique Immortale Dei : « Il fut un temps où la philosophie de
l’Évangile gouvernait les États. À cette époque, l’influence de la sagesse chrétienne et sa divine
vertu pénétraient les lois, les institutions, les mœurs, des peuples, tous les rangs et tous les rap-
ports de la société civile. Alors la religion instituée par Jésus-Christ, solidement établie dans le
degré de dignité qui lui est dû, était partout florissante, grâce à la faveur des princes et à la pro-
tection légitime des magistrats. » (LÉON XIII, Lettre encyclique Immortale Dei, 1er novembre
1885, Acta Sanctae Sedis, 1885, XVIII, 32, p. 161-180 (in A. F. UTZ, III, p. 2037).
Subsidiarité et ordre économique. La compromission pontificale 71

par l’Église. Il y a ici très loin entre la thèse du « corporatisme sain » et l’hy-
pothèse de l’État corporatiste1.
Depuis Rerum novarum, les prises de position pontificales sur les associa-
tions ouvrières sont comme polarisées par deux interprétations difficilement
réconciliables : régime corporatiste ou syndicalisme ouvrier ; syndicats mixtes
rassemblant les classes, réunissant chrétiens et non chrétiens ou syndicats
séparés ? Idéalement, les catholiques partisans du corporatisme sont pour la
mise en place — au besoin autoritaire — de corporations obligatoires, mais
sans voir que c’est là précipiter une intervention de l’État, contraire au
principe de la liberté professionnelle dont ils se réclament par ailleurs. Qu’en
est-il exactement de la pensée des papes ? Peut-on distinguer entre la promo-
tion de la corporation par le discours officiel de l’Église romaine et le modèle
corporatiste tel qu’il a été mis en place — par les régimes autoritaires et/ou
totalitaires, de la première moitié du siècle dernier, se revendiquant au besoin
du catholicisme ? Dans quelle mesure est-on fondé à parler d’une véritable
divergence entre la pensée pontificale des corporations professionnelles et le
courant chrétien, né au xixe siècle, fondateur du corporatisme d’État ? Suffit-
il d’écarter les prétendues mauvaises interprétations — et applications — de
la subsidiarité pour sauver le concept, nécessairement pur et bien inten-
tionné ? Suffit-il, faute d’une application par le Vatican lui-même de sa propre
théorie, d’extraire Quadragesimo anno de son contexte pour mieux la dis-
culper et la défausser de ses conséquences potentielles ? Dans quelle mesure
peut-on parler de «  dérive corporatiste  » ou de «  déviance du principe de
subsidiarité » ? Cette dérive, si dérive il y a, est-elle congénitale ou évitable2 ?
Le procédé consistant à séparer le bon grain de l’ivraie a abondamment été
utilisé, en particulier pour sauver le communisme de son prétendu travestis-
sement stalinien (sur fond d’exégèse de Marx). Toutes choses égales par ail-
leurs, il semble bien que, sur fond d’exégèse de la philosophie thomiste, une
récupération de la doctrine sociale de l’Église par des auteurs peu démocrates
soit non seulement possible mais assez prévisible.
Notons qu’en lui-même le rapprochement de ces deux horizons d’adver-
sité (dont il faudra pondérer le rôle respectif dans la signification du concept)
a quelque chose d’éminemment révélateur : contre toute attente, ce qu’ont en
commun l’étatisme socialiste (version jacobinisme centralisateur) et l’éta-
tisme corporatiste (version catholicisme autoritaire), ce n’est pas de valoriser
l’État en tant que tel, c’est bel et bien de s’en servir comme d’un instrument
(transitoire dans la première hypothèse, pérenne dans la seconde) et, par là,

1. PIE XI, Divini Redemptoris (in A. F. UTZ, I, p. 244-245) ; citation en exergue du chapitre.
Pour un repérage historique, cf. J.-M. MAYEUR, «  L’influence de l’enseignement social de
l’Église depuis 1931 », Catholicisme social et démocratie chrétienne, op. cit., p. 85-94.
2. Chantal Delsol attribue à La Tour du Pin la responsabilité de cette supposée déformation
corporatiste (C. MILLON-DELSOL, L’État subsidiaire. Ingérence et non-ingérence de l’État :
le principe de subsidiarité aux fondements de l’histoire européenne, Paris, PUF, 1992, p 29 sq. ;
« La subsidiarité dans les idées politiques », La Subsidiarité, dir. J.-B. d’ONORIO, Paris, Téqui,
1995, p. 51). Dans le même ordre d’idées, sans le mot : J. RIVERO, « Corps intermédiaires et
groupes d’intérêts », Crise du pouvoir et crise du civisme, Paris, Gabalda, 1954, p. 317-332.
72 La subsidiarité catholique...

de le faire disparaître en tant qu’institution autonome : l’État au service d’un


prétendu sens de l’Histoire d’une part, l’État au service d’un ordre censément
naturel de l’autre. La différence est que, dans un cas, l’État disparaît une fois
advenue la fin de l’Histoire (le dépérissement de l’État par son renforcement,
disait Staline) et que, dans l’autre, l’État-instrument demeure afin de main-
tenir la permanence d’un fonctionnement social en pleine conformité avec la
Nature. Il apparaîtra que le corporatisme d’État n’est pas tant une dénatura-
tion malheureuse ou inopportune du principe de subsidiarité qu’une expres-
sion potentielle de son ambiguïté intrinsèque  : son hésitation entre, d’une
part, la justification incantatoire des corporations comme instance de contre-
poids à l’État (amendement du libéralisme par instillation d’une dose de cor-
poratisme) et, d’autre part, leur justification comme simple moyen au service
de l’État, mais d’un État qui ne soit plus libéral (renforcement instrumental
de l’État via un corporatisme autoritaire, qui, paradoxalement, décrète la pri-
mauté du social). Certes, le corporatisme autoritaire fera le lit de l’interven-
tionnisme, mais celui d’un État dénaturé. Il n’y a pas dévoiement de la subsi-
diarité par un quelconque État autoritaire mais bien dévoiement de l’État par
la subsidiarité du corporatisme catholique.
Pour l’admettre, il faut se détacher des lectures apologétiques de la doc-
trine sociale qui parasitent la réflexion. Contrairement à une interprétation
répandue, l’encyclique de 1891 ne préconise aucun modèle précis1. Car, en
matière sociale, comme en matière politique, l’Église se refuse très logique-
ment à entrer dans des considérations pratiques trop compromettantes. Elle
n’a pas de modèle à proposer et ne veut plus se lier à aucun régime en parti-
culier. C’est là un trait constant du magistère ecclésial postrévolution-
naire, accentué par le néothomisme léonien, qui fut rappelé par trois ency-
cliques importantes dans la période immédiatement antérieure à Rerum
novarum  : Immortale Dei de 1885, Libertas praestantissimum de 1888 et
Sapientiae christianae de 18902. L’Église procède de manière négative, en
délivrant les normes d’une critique catholique, non au moyen de prescrip-
tions positives3. Elle sait dire négativement en quoi un ordre social s’écarte du

1. LÉON XIII, Rerum novarum, 36-44 (in A.  F. UTZ, I, p.  553-565). Au paragraphe  42 en
particulier  : «  Nous ne croyons pas, écrit le Pape Pecci, qu’on puisse donner des règles cer-
taines et précises pour déterminer le détail de ces statuts et règlements ; tout dépend du génie de
chaque nation, des essais tentés et de l’expérience acquise, du genre de travail, de l’extension du
commerce et d’autres circonstances de choses et de temps. » (Ibid., 42 ; in A. F. UTZ, I, p. 561).
2. « Le droit d’exercer le pouvoir n’est pas nécessairement lié de soi à une forme quelconque de
régime politique : il est possible à bon droit de choisir telle ou telle dès lors qu’elle est réellement
opérante pour l’utilité et le bien commun. » (LÉON XIII, Immortale Dei, 25 ; in A. F. UTZ, III,
p. 2023 ; H. DENZINGER, 3165, p. 705). « Il n’est pas défendu de préférer des gouvernements
modérés de forme populaire, pourvu que reste sauve la doctrine catholique sur l’origine et l’exer-
cice du pouvoir. » « L’Église ne réprouve aucune des formes variées de gouvernement, pourvu
qu’elles soient aptes en elles-mêmes à procurer le bien des citoyens. » (LÉON XIII, Lettre ency-
clique Libertas praestantissimum, 20 juin 1888, Acta Sanctae Sedis, 1887-1888, XX, p. 593-613 ;
in H. DENZINGER, 3254, p. 714-716). Cf., enfin, LÉON XIII, Lettre encyclique Sapientiae
christianae, 10 janvier 1890, Acta Sanctae Sedis, 1889-1890, XXII, p. 385-404 (in A. F. UTZ, III,
p. 2142-2179 ; SOLESMES, 245-291, p. 166-190).
3. En considération de sa logique interne, l’Église se compromettrait dans le millénarisme et
l’idéologie profane si elle s’aventurait sur le terrain directement politique (J.-M. GARRIGUES,
Subsidiarité et ordre économique. La compromission pontificale 73

message chrétien, mais elle ne peut dire positivement quelle organisation


pourrait le réaliser sur terre (car son plein accomplissement n’est pas de ce
monde). Il serait donc vain de chercher à identifier un contenu strictement
programmatique à rapporter à la pensée des papes. Cependant, faute de pres-
crire une recette clef en main, ils ne manquent pas de militer pour qu’un
esprit chrétien anime l’organisation sociale et la régénère. Aussi se sont-ils
accordés le droit de définir les cadres d’une politique sociale, en la justifiant à
partir d’arguments théologiques aux effets parfois très intimidants. Ce sont
précisément ces effets qui nous intéressent ici.
Texte de synthèse, Rerum novarum opère un compromis boiteux et lourd
de nombreuses ambiguïtés, reconduites et amplifiées en 1931, via l’intermède
Pie X1. Léon XIII tranche sur deux points essentiels mais ne clôt qu’en appa-
rence le débat catholique de la corporation. Premièrement, le Pape accepte
l’idée d’un développement séparé des syndicats ouvriers (jusqu’alors
condamnés) à condition néanmoins qu’ils soient ancrés dans la morale chré-
tienne (les syndicats comme refuges pour des ouvriers chrétiens victimes
d’une industrialisation déshumanisante). Un syndicalisme proprement
ouvrier («  [composé] de seuls ouvriers  », écrit-il) est ainsi avalisé, à tout le
moins autorisé à côté des corporations mixtes telles que traditionnellement
prônées par le camp catholique. Deuxièmement, Léon XIII donne raison à
l’École d’Angers (corporations librement constituées sans l’intervention de
l’État) contre l’École de Liège (création autoritaire des corporations via l’in-
tervention contraignante de la puissance publique)2. Il se dégage ainsi des
anciennes utopies réactionnaires mais assortit immédiatement son quitus de
nombreuses nuances et corrections. Le Pape reste ainsi enfermé dans un para-

La Politique du meilleur possible, Tours, Mame, 1994 ; G. COTTIER, « La “doctrine sociale” de
l’Église comme non-idéologie », Communio, 1981, 6 (2), p. 35-49 ; P. VALADIER, « Contestées
et nécessaires  : les interventions sociales du Magistère  », ibid., p.  6-16 ; L.  ROOS, «  Doctrine
sociale et action politique », trad. fr. P. et O. Imbs, ibid., 1981, 6 (3), p. 2-17). On aura reconnu
l’homologie avec la critique schmittienne du libéralisme, laquelle marque une rupture profonde
dans le champ intellectuel catholique, nous y reviendrons plus bas : « Il n’y a pas de politique
libérale sui generis, il n’y a qu’une critique libérale de la politique. » (C. SCHMITT, La Notion
de politique [1932], trad. fr. M.-L. Steinhauser, Paris, Flammarion, 1992, p. 115).
1. Certains reculs de Pie XI s’expliquent en partie par cette parenthèse, au cours de laquelle,
malgré quelques essais d’ouverture, Pie X réentérine pour l’essentiel l’ancienne formule des asso-
ciations catholiques d’ouvriers (PIE X, Lettre encyclique Singulari Quadam, 24 septembre 1912,
Acta Apostolicae Sedis, 1912, IV, p. 657-662 ; in A. F. UTZ, III, p. 1872-1881).
2. « Les sociétés privées n’ont d’existence qu’au sein de la société civile dont elles sont comme
autant de parties. Il ne s’ensuit pas cependant, à ne parler qu’en général et à ne considérer que
leur nature, qu’il soit au pouvoir de l’État de leur dénier l’existence. Le droit à l’existence leur a
été octroyé par la nature elle-même, et la société civile a été instituée pour protéger le droit
naturel, non pour l’anéantir. C’est pourquoi une société civile qui interdirait les sociétés privées
s’attaquerait elle-même, puisque toutes les sociétés, publiques et privées, tirent leur origine d’un
même principe, la naturelle sociabilité de l’homme.  » (LÉON XIII, Rerum novarum, 38 ;
in A. F. UTZ, I, p. 557). École de Liège car c’est à Liège en 1890 que s’est cristallisé le débat sur
la question de l’intervention de l’État, lors du congrès de l’Union internationale des catholiques
sociaux organisé par Mgr  Doutreloux. L’École d’Angers, emmenée par Mgr  Freppel, puisait
l’essentiel de ses thèses dans les écrits d’un professeur d’économie politique à l’Université de
Louvain, Charles Périn. Cf. son ouvrage en trois volumes très largement traduit et diffusé en
Europe : C. PÉRIN, De la richesse dans les sociétés chrétiennes [1861], Paris, Lecoffre, 1882.
74 La subsidiarité catholique...

doxe : il dit que les corporations sont de nécessité naturelle mais affirme en
même temps qu’elles sont libres. Comment la nécessité naturelle pourrait-
elle être décidée par les acteurs eux-mêmes, fussent-ils habités par l’Esprit
Saint ? Cette ambiguïté laissera la porte ouverte à de nombreuses interpréta-
tions. Il faut d’ailleurs se souvenir que la hantise pontificale au moment où
Léon XIII promulgue Rerum novarum, ce n’est pas le corporatisme autori-
taire, c’est le socialisme, c’est l’attraction que le socialisme pourrait exercer
sur les ouvriers catholiques. Toutes proportions gardées, l’encyclique léo-
nienne nourrit le même objectif que les lois assurantielles du Chancelier
Bismarck : lutter contre le péril rouge en asséchant le terreau qui lui assure
son développement. C’est donc à juste titre que Rerum novarum sera reçue
comme un texte antisocialiste par les acteurs de l’époque. Nous sommes à
mille lieues de la grande encyclique sociale désormais pompeusement célé-
brée à chaque anniversaire. Aussi Léon XIII ne reconnaît-il le syndicalisme
que du bout des lèvres, en introduisant dans son texte le minimum nécessaire
pour se démarquer du corporatisme autoritaire. Aussi l’État est-il plus ou
moins présenté par le Pape sous les traits peu avantageux d’un jacobinisme
oppresseur de l’Église.
Entre Rerum novarum et Quadragesimo anno, le saut qualitatif est très
net. En dépit des clarifications officielles, l’encyclique de Pie XI ne fait que
reconduire une ambiguïté qui lui préexistait. Pire, elle marque un véritable
retour au catholicisme intransigeant du xixe siècle. Sous prétexte de s’en tenir
au seul registre des recommandations morales, le Pape place la question
sociale au cœur d’un ambitieux programme de rechristianisation et, ce fai-
sant, érige la corporation en pierre de touche du nouveau mot d’ordre1. À tel
point que la doctrine ecclésiale semble désormais se résumer à ce seul mot
d’ordre. Le sens à donner à la subsidiarité porte la marque idéologique de ce
retournement, rendu possible par une tension irrésolue, car impensée, entre
les catholiques sociaux qui réclament l’intervention de l’État (d’un État non
jacobin) et les catholiques libéraux qui s’y opposent ou s’en méfient : corpo-
ratisme libéral et associatif contre corporatisme intransigeant et autoritaire2.
Du premier paradoxe (Léon XIII) au second (Pie XI), les éléments de conti-

1. Sur la dimension morale toujours rattachée à la Révélation : « Sans doute, écrit Pie XI, c’est à
l’éternelle félicité et non pas à une prospérité passagère seulement que l’Église a reçu la mission
de conduire l’humanité ; et même elle ne se reconnaît pas le droit de s’immiscer, sans raison, dans
la conduite, des affaires temporelles. À aucun prix toutefois, elle ne peut abdiquer la charge que
Dieu lui a confiée et qui lui fait une loi d’intervenir, non certes dans le domaine technique à
l’égard duquel elle est dépourvue de moyens appropriés et de compétence, mais en tout ce qui
touche à la loi morale. En ces matières, en effet, le dépôt de la vérité qui Nous est confié d’en
haut et la très grave obligation qui Nous incombe de promulguer, d’interpréter et de prêcher la
loi morale, soumettant à Notre suprême autorité l’ordre social et l’ordre économique. » (PIE XI,
Quadragesimo anno, 41 ; in A. F. UTZ, I, p. 591-593). Nous soulignons.
2. L’enjeu du débat est donc en grande partie interne au catholicisme lui-même, au sens où la
subsidiarité pontificale s’oppose, dans le discours officiel tout du moins, à l’école catholique du
corporatisme organique et romantique, lequel défend paradoxalement un interventionnisme
étatique généralisé pour lutter contre l’État moderne. Sur l’importance des dissensions internes
au catholicisme, cf. É. POULAT, « La science de la vérité et l’art de la distinction. Intransigeance
et compromis dans le catholicisme contemporain », art. cit.
Subsidiarité et ordre économique. La compromission pontificale 75

nuité l’emportent sur les éléments de rupture  : le refus de l’individualisme


atomiste ; le rêve d’un retour au monde d’avant l’État, d’avant l’individu
autonome et le contrat social.
En Pape attentif à la question sociale, Pie XI insiste sur la nécessité de
l’intervention publique, laquelle doit permettre d’éteindre les braises de la
lutte des classes. Mais, affolé par un glissement vers un despotisme d’État
généralisé, Pie XI ajoute que les réglementations en matière sociale ne doivent
pas porter préjudice au respect dû à la liberté et aux initiatives privées. Peu
soucieux, en revanche, de distinguer entre la position officielle de Rome et le
modèle corporatiste réactionnaire, il prône, à rebours de Léon XIII, des cor-
porations rassemblant patrons et ouvriers plutôt que des syndicats réunissant
les seuls ouvriers. Promouvoir des corporations exclusivement catholiques,
c’est bien sûr dépasser le schéma classiste par la voie d’une réévangélisation
du monde des travailleurs. C’est aussi fixer une priorité  : l’État autoritaire
sera dédouané du péché d’étatisme pourvu qu’il soit capable d’entonner le
mot d’ordre chrétien du corporatisme. Ainsi légitimée, la recommandation
corporatiste du message pontifical s’est trouvée prise au piège d’un emballe-
ment, somme toute assez fatal. Car, du point de vue des dictatures catho-
liques, la position de l’Église ne pouvait pas être ressentie autrement que
comme un puissant outil de légitimation, autorisant par avance tous les excès.
En 1931, Pie XI est très loin de condamner le fascisme comme Léon XIII,
avait en son temps condamné le socialisme. Il opère de subtiles distinctions,
qui ne seront pas sans engendrer de fâcheuses ambiguïtés : entre le corpora-
tisme acceptable («  sain  ») et le corporatisme qui ne l’est pas. Un double
ennemi symétrique donc  : l’État libéral, d’une part, ce rival victorieux et
omniprésent dont l’Église veut en quelque sorte se venger ; le syndicat,
d’autre part, ce groupement de classe, auquel il faut substituer une logique
corporatiste d’appartenance professionnelle. Le corporatisme plutôt que le
syndicalisme, voilà peut-être le cœur du propos rattien.
« On ne saurait arriver à une guérison parfaite que si à ces classes opposées on
substitue des organes bien constitués, des “ordres” ou des “professions” qui
groupent les hommes non pas d’après la position qu’ils occupent sur le marché
du travail, mais d’après les différentes branches de l’activité sociale auxquelles
ils se rattachent. De même [...] que ceux que rapprochent des relations de voisi-
nage en viennent à constituer des cités, ainsi la nature incline les membres d’un
même métier ou d’une même profession [...] à créer des groupements corpora-
tifs, si bien que beaucoup considèrent de tels groupements comme des organes
sinon essentiels, du moins naturels dans la société. [...] De ce qui précède, on
conclura sans peine qu’au sein de ces groupements corporatifs la primauté
appartient incontestablement aux intérêts communs de la profession ; entre
tous, le plus important est de veiller à ce que l’activité collective s’oriente tou-
jours vers le bien commun de la société1. »
Faiblesse consubstantielle de la pensée pontificale lorsqu’elle s’aventure en
terrain politique2 : même en se cantonnant au seul registre social, elle finit par

1. PIE XI, Quadragesimo anno, 83-85 (in A. F. UTZ, I, p. 619).


2. D’où l’opposition de Michel Villey à l’idée d’une doctrine sociale de l’Église. Le Père Karl
76 La subsidiarité catholique...

émettre des préconisations éminemment politiques. Dangereuse, cette défi-


cience des catholiques débouche le plus souvent sur des attitudes dignes des
plus vieilles traditions millénaristes : l’attente du Sauveur ou le retranchement
dans la Gnose. C’est là le ressort profond, nous semble-t-il, de la fascination
catholique pour le fascisme et, par voie de conséquence, du brouillage de la
doctrine ecclésiale. À force de condamner l’État libéral, l’Église finira par
soutenir implicitement les régimes les plus antilibéraux et, parmi eux, les dic-
tatures corporatistes les plus fascistes. Comme par un jeu de vases communi-
cants, la priorité du combat contre le communisme conduit le Pape à épar-
gner le fascisme et le corporatisme autoritaire non sans de nombreux
mécanismes de défense psychologique qui feront jouer la cohérence interne
de la doctrine catholique. Pourquoi ne pas reprendre ici l’hypothèse poula-
tienne selon laquelle une partie du catholicisme a pu être sincèrement séduit
par le rejet de la démocratie «  bourgeoise  » au point de s’aveugler quelque
temps dans un flirt platonique avec le totalitarisme fasciste1 ? Un temps seule-
ment car l’addition négative du dénominateur commun au fondement de
cette alliance (alliance du catholicisme et du fascisme contre le communisme
et le libéralisme) en neutralisera les effets positifs escomptés. C’est la disqua-
lification du fascisme et du communisme par l’épreuve historique de la réalité
qui, seule, a été en mesure d’acculer l’Église catholique à accepter l’État
libéral. En ce sens, la subsidiarité a été l’un de ses derniers combats et la voie
de son adaptation à la modernité, dans la douleur, le drame et le paradoxe.

Rahner, de son côté, a soutenu la thèse de « l’impuissance radicale » de l’Église à prodiguer des
solutions aux maux de la société, parlant même d’une « incapacité de principe à descendre dans le
concret » (K. RAHNER, Mission et grâce, III. Au service des hommes. Pour une présence chré-
tienne au monde d’aujourd’hui [1964], trad. fr. C. Muller, Tours, Mame, 1965, p. 194).
1. Qu’il suffise de penser à l’itinéraire du prélat italien, Mgr Umberto Benigni, tel que retracé
dans l’analyse classique d’Émile Poulat  : «  de la naissance du socialisme à la victoire du fas-
cisme » (É. POULAT, Catholicisme, démocratie et socialisme, op. cit.). De manière générale, le
grand mérite des analyses poulatiennes est d’avoir rendu raison d’une Église catholique non
monolithique, qui n’a jamais été tout entière du côté du conservatisme traditionnel ou des puis-
sances établies de l’argent (É.  POULAT, Église contre bourgeoisie, op. cit.). La relation de
l’Église à la bourgeoisie se révèle fondamentalement dialectique. Plus en amont, à lire un ouvrage
comme celui de Bernard Groethuysen sur la formation de l’esprit bourgeois en France
(B.  GROETHUYSEN, Origines de l’esprit bourgeois en France. L’Église et la Bourgeoisie
[1927], Paris, Gallimard, 1977), on en viendrait presque à considérer que le Bourgeois, dans son
moment de naissance à tout le moins (l’historien le situe aux xviie-xviiie siècles), existe à travers
le seul regard que le catholicisme daigne porter sur lui (cf., ici, «  Catholicisme et bourgeosie.
Bernard Groethuysen  », Cahiers du Centre de recherches historiques, 2003, 32). Grâce à des
auteurs comme Raymond Aron, Claude Lefort ou François Furet, on sait par ailleurs, que la
haine de la bourgeoisie a pu constituer le principal ressort psychologique du déni de la différence
d’essence entre démocratie et totalitarisme (R. ARON, Démocratie et totalitarisme [1965], Paris,
Gallimard, 1987 ; C. LEFORT, L’Invention démocratique. Les limites de la domination totali-
taire [1981], Paris, Fayard, 1994 ; F. FURET, Le Passé d’une illusion. Essai sur l’idée communiste
au XXe siècle, Paris, Calmann-Lévy, Robert Laffont, 1995, spécialement « La passion révolution-
naire », p. 15-59). Dans sa description du couple anticommunisme-antifascisme, François Furet a
insisté sur la symétrie auto-alimentée de deux logiques de réduction parallèles : la stigmatisation
de l’anticommunisme comme procès intenté par le totalitarisme fasciste ; l’assimilation de l’anti-
fascisme à une sympathie coupable pour l’Union soviétique. Ajoutons, ici, deux textes plus
récents de Claude Lefort qui poursuivent la même réflexion (C. LEFORT, « Le concept de tota-
litarisme » [1996], Le Temps présent. Écrits 1945-2005, Paris, Belin, 2006, p. 869-890 ; « Le refus
de penser le totalitarisme » [2000], ibid., p. 969-980).
Subsidiarité et ordre économique. La compromission pontificale 77

2. LE RÉVÉLATEUR DU FASCISME MUSSOLINIEN

Pour comprendre plus avant les ressorts profonds de cette hypnotisation du


catholicisme pontifical par le corporatisme d’État, il faut commencer par
retourner au contexte spécifique du fascisme italien.
Un mot d’épistémologie d’abord sur la question de la nature totalitaire ou
non du régime mussolinien. Totalitarisme fasciste, disions-nous à l’instant.
Autant avouer nos scrupules devant l’accolement de ces deux termes. Si par
fascisme, on désigne le seul régime de Mussolini, alors il convient de se
demander honnêtement dans quelle mesure l’État fasciste italien (ou, plutôt,
ce qui tient lieu d’État dans le fascisme italien1) est réellement justiciable de
la catégorie totalitarisme. Ne faudrait-il pas, par souci de clarté conceptuelle,
la réserver à l’hitlérisme et au stalinisme2 ? C’est ici encore, au-delà de ses
lacunes relevées en son temps par Raymond Aron, l’un des principaux
mérites de l’interprétation philosophique due à Hannah Arendt : en l’occur-
rence, pour ce qui nous intéresse, rompre avec les discours autojustificateurs
de Pie XI (l’Église catholique est antitotalitaire) et de Mussolini (l’État fas-
ciste est totalitaire) aux fins de rendre plus lucidement raison de la compro-
mission pontificale3. Pourquoi faudrait-il faire comme si la non-compossibi-
lité des messages chrétien et mussolinien allait naturellement de soi, et
suffisait à placer Pie XI au-dessus de tout soupçon, autorisant in fine à dia-
gnostiquer, bien confortablement, l’existence d’un catholicisme uniformé-
ment antifasciste ? Mais, passé le rappel de ces quelques réticences, et faute de
connaissances suffisantes, nous optons pour la suspension du jugement sur
cette difficile question de la nature du fascisme mussolinien4.

1. Pensons en particulier au thème impérial (P. FORO, « “Saluto al Duce, fondatore dell’Im-


pero”  : L’idée d’empire dans l’Italie fasciste  », L’Idée d’empire dans la pensée politique, his-
torique, juridique et philosophique, éd. T. MÉNISSIER, Paris, L’Harmattan, 2006, p. 201-212).
2. Ayant migré vers le terrain de la morale (de l’histoire sainte ?), cette question fait insidieuse-
ment passer pour de la froideur cynique ce qui n’est que volonté d’élucidation intellectuelle.
3. La confusion vient souvent de ce qu’on passe allègrement de l’épithète totalitaire au substantif
totalitarisme, en oubliant que ce passage marque un véritable saut conceptuel. En quoi faudrait-il
appliquer ce concept à l’expérience mussolinienne sous le prétexte, notamment, que Mussolini
lui-même revendiquait l’épithète totalitaire en réplique à ses ennemis libéraux ?
4. Refusant de faire voisiner le régime de Mussolini dans la même catégorie conceptuelle que le
nazisme ou le stalinisme, Hannah Arendt qualifie le fascisme italien par deux traits principaux :
«  dictature  » et «  parti unique  ». «  Mussolini lui-même, écrit-elle, qui aimait tant l’expression
d’“État totalitaire”, n’essaya pas d’établir un régime complètement totalitaire et se contenta de la
dictature et du parti unique » (H. ARENDT, Les Origines du totalitarisme, II. Le système totali-
taire [1951], trad. fr. J.-L. Bourget, R. Davreu, P. Lévy, H. Frappat, Paris, Le Seuil, 2002, p. 42).
Cf. les approfondissements historiographiques de Renzo De Felice (R.  De FELICE, Le Fas-
cisme, un totalitarisme à l’italienne ? [1981], trad. fr. C. Brice, S. Gherardi-Pouthier, F. Mosca,
Paris, Presses de la FNSP, 1988). Rappelons que l’historien italien s’est finalement rangé à la
thèse du caractère totalitaire du fascisme italien (comme en témoigne la préface donnée en 1988 à
la traduction française de son ouvrage initialement paru en 1981). Plus récemment, Emilio Gen-
tile a présenté les intuitions arendtiennes comme historiographiquement sous-documentées
(E. GENTILE, Qu’est-ce que le fascisme ? [2000], trad. fr. P.-E. Dauzat, Paris, Gallimard, 2004 ;
La Religion fasciste. La sacralisation de la politique dans l’Italie fasciste [2001], trad. fr. J. Gay-
rard, Paris, Perrin, 2002 ; « Le silence de Hannah Arendt : l’interprétation du fascisme dans Les
Origines du totalitarisme », trad. fr. C.-S. Mazéas, Revue d’histoire moderne et contemporaine,
78 La subsidiarité catholique...

L’encyclique Quadragesimo anno, on l’aura compris, prend place dans un


contexte spécifiquement européen. Célébration du quarantième anniversaire
de Rerum novarum, elle se veut en particulier une réponse aux défis posés
par le communisme et le fascisme (ainsi qu’une expression de l’inquiétude
ecclésiale face aux premiers succès électoraux des Nazis). L’essentiel de son
contenu trouve néanmoins à s’expliquer par les circonstances de la vie poli-
tique italienne du début des années 1930. La publication du texte pontifical
intervient en effet après le coup fatal porté par Mussolini à la liberté d’asso-
ciation de l’Action catholique, mouvement laïque fondé par Pie XI dès 1922
accusé d’accueillir dans ses rangs les anciens membres du Partito popolare
de Luigi Sturzo1. Nous sommes alors en pleine période d’emballement du
régime. Le dictateur, résolu à exercer toute son emprise sur l’éducation, sur
la jeunesse et sur l’organisation du travail, accuse ouvertement le Vatican de
vouloir étendre son influence — en particulier sur le monde ouvrier — et,
pour ce faire, met en cause sa prétention, via l’Action catholique, à le concur-
rencer sur le terrain politique. En dépit — ou à cause — des accords du
Latran — Concordat signé le 11 février 1929 conférant l’indépendance terri-
toriale à la Cité du Vatican2 —, le conflit est à son comble entre Pie XI et
Mussolini. C’est en effet dans un climat de tension extrême qu’éclate la crise
de l’été 1931, très rapidement jugulée certes, mais dont la signification nous

2008, 55 (3), p.  11-34 ; «  L’héritage fasciste entre mémoire et historiographie. Les origines du
refoulement du totalitarisme dans l’analyse du fascisme », trad. fr. A. Roche, Vingtième Siècle,
2008, 100, p. 51-62). Cf. aussi J.-Y. DORMAGEN, Logiques du fascisme. L’État totalitaire en
Italie, Paris, Fayard, 2008. Les objections aroniennes, on le sait, se situaient à un autre niveau. En
reprenant les critères de définition empiriques établis par Carl J. Friedrich et Zbigniew Brze-
zinski (C.  J. FRIEDRICH, Z.  BRZEZINSKI, Totalitarian Dictatorship and Autocracy, Cam-
bridge, Harvard University Press, 1956), Raymond Aron refusait la perspective essentialiste
d’Hannah Arendt, mais débouchait sur une franche opposition entre démocratie et totalitarisme
(sauf que sa démocratie à lui était résolument moderne) (R.  ARON, «  L’essence du totalita-
risme » [1954], Machiavel et les tyrannies modernes, éd. R. Freymond, Paris, Éditions de Fallois,
1993, p. 195-213 ; Démocratie et totalitarisme, op. cit.).
1. Cf. «  Action catholique et fascisme  », La Documentation catholique, 3-10  octobre 1931,
7-14 novembre 1931, 9 avril 1932, 7 mai 1932. Les analyses historiques sont assez nombreuses
tant sur l’embrigadement la jeunesse que sur l’organisation du travail. Cf. J.-L. POUTHIER, Les
Catholiques sociaux et les démocrates chrétiens français devant l’Italie fasciste (1922-1935), Thèse
de doctorat en histoire, dir. J.-M. Mayeur, Paris, Institut d’études politiques, 1981, p. 192 sq. ;
«  National-syndicalisme et totalitarisme  », Le Débat, 1982, 21, p.  167-177 ; A.  C. O’BRIEN,
« Italian Youth in Conflict : Catholic Action and Fascist Italy, 1929-1931 », The Catholic Histo-
rical Review, 1982, 68 (4), p.  625-635 ; M.  AGOSTINO, Le Pape Pie XI et l’opinion, Rome,
École française de Rome, 1991, p. 443 sq. ; P. BARRAL, « Le magistère de Pie XI sur l’Action
catholique  », Achille Ratti Pape Pie XI, Rome, École française de Rome, 1996, p.  591-603 ;
L. NOGLER, « Corporatist Doctrine and the “New European Order” », trad. angl. I. L. Fraser,
Darker Legacies of Law in Europe. The Shadow of National Socialism and Fascism over Europe
and its Legal Traditions, éd. C. JOERGES, N. S. GHALEIGH, Oxford, Hart Publishing, 2003,
p. 275-304 ; P. MISNER, « Catholic Labor and Catholic Action. The Italian Context of Qua-
dragesimo anno », The Catholic Historical Review, 2004, 90 (4), p. 650-674.
2. Nous reviendrons sur cet épisode fondateur du Concordat et sur la situation avantageuse que
l’Église romaine a pu en tirer ; mais notons d’ores et déjà combien l’assise territoriale du pouvoir
pontifical se révèle ici dans toute sa fragilité  : le patrimoine foncier de la papauté n’est rien
d’autre qu’une simple concession de l’État temporel. Rien de surprenant si l’on se reporte à la
légende constantinienne de la Donation, mais rupture étonnante si l’on se remémore le rejet
opposé par Pie IX et ses successeurs à la loi dite des Garanties promulguée dès le 13 mai 1871.
Subsidiarité et ordre économique. La compromission pontificale 79

importe ici à plus d’un titre. Faut-il pour autant considérer que le court pas-
sage de cinq paragraphes directement écrit par le Pape contient la substanti-
fique mœlle, le cœur, du message pontifical1, tandis que le reste du texte (cent
quarante deux paragraphes au total) ne serait que la reprise de la doctrine
antérieure, dont la rédaction — moins importante stratégiquement — aurait
été déléguée à un plumitif, le Père Nell-Breuning, à qui échapperait la subti-
lité des querelles italiennes entre Rome et Mussolini ? Ou bien faut-il y voir
un effort du Vatican pour densifier le contenu économique de l’encyclique (le
Père Nell-Breuning est professeur d’économie) ? La seconde hypothèse
semble la plus vraisemblable, nous y reviendrons.
Passée la résolution de cette crise, dernier abcès à crever, tout sera réuni
pour une rencontre du Pape avec Mussolini. Impossible de comprendre Qua-
dragesimo anno si l’on perd de vue cette contexture historique, de même
qu’il est impossible de comprendre la subsidiarité si l’on perd de vue le lien
consubstantiel qui l’unit au corporatisme fasciste2. À partir de 1931, en effet,
Pie XI s’attache à donner un nouvel élan à sa stratégie politique, selon deux
axes tout à fait complémentaires : 1o accommodement progressif sur le front
du fascisme mussolinien ; 2o rupture ouverte sur le front adverse du popula-
risme sturzien.
À considérer l’évolution de son pontificat, il est particulièrement mani-
feste que le Pape Ratti voulait éviter la rupture avec le gouvernement fasciste
et qu’il a pour ce faire nuancé sa pensée au maximum de manière à y intégrer
autant de concessions possibles que la doctrine catholique le lui permettait.
En apparence, le Pape promulgue Quadragesimo anno pour condamner
Mussolini ; en réalité, son attitude ultérieure révèle la vraie portée de sa
démarche : une condamnation du fascisme du bout des lèvres, pour la cohé-
rence doctrinale ; une compromission bien réelle, pour la défense des intérêts
ecclésiaux. À aucun moment, les corporations de Mussolini ne sont mises en
cause en tant que telles. Le choix finalement retenu dans la très large palette
des niveaux de réprimande pontificale parle de lui-même  : en l’occurrence,
non pas une condamnation doctrinale en bonne et due forme (à l’image de la
condamnation du maurrassisme en 1926 ou du modernisme en 19073) mais
des critiques particulièrement nuancées et circonstanciées (et d’une intensité
d’ailleurs moindre que celles adressées au Sillon en 1910 — le tempérament
de Pie X entrant bien sûr, ici, en ligne de compte)4. Et le Pape d’invoquer,

1. PIE XI, Quadragesimo anno, 91-95 (in A. F. UTZ, I, p. 623-625).


2. Un essayiste britannique n’a pas peur d’écrire : « Ce n’est pas un hasard si la subsidiarité est une
doctrine corporatiste élaborée par le Vatican à l’époque du fascisme triomphant, deux ans après les
Accords du Latran, qui avaient réconcilié le Saint Siège et l’État mussolinien.  » (J.  LAUGH-
LAND, La Liberté des nations. Essai sur les fondements de la société politique et sur leur destruc-
tion par l’Europe [1997], trad. fr. É. Husson, Paris, Guibert, 2001, p. 197).
3. PIE X, Lettre encyclique Pascendi dominici gregis, 8  septembre 1907, Acta Sanctae Sedis,
1907, XL, p.  596-628 (in H.  DENZINGER, 3475-3500, p.  749-755) ; PIE XI, Allocution au
Consistoire, 20  décembre 1926 (in SOLESMES, 580, p.  330). Cf. aussi PIE XI, Lettre Nous
avons lu à Mgr Pierre Andrieu, 5 septembre 1926 (in SOLESMES, 578-579, p. 329-330).
4. PIE X, Lettre Notre charge apostolique à l’épiscopat français, 25 août 1910 (in SOLESMES,
420-468, p. 249-276). En 1907, le Pape Pie X condamne avec la plus grande vigueur le moder-
80 La subsidiarité catholique...

quelques réserves d’usage mises à part (sur la place de l’État en particulier),


les «  avantages  » certains du régime fasciste  : vitalisme antilibéral, anti-
communisme, anticapitalisme1. Tout comme son combat contre l’athéisme
avait pu l’associer à la monarchie de droit divin, son combat contre le libéra-
lisme liera et solidarisera l’Église catholique avec les régimes les plus autori-
taires, voire fascistes ou cryptofascistes. Parfaite illustration de la pusillani-
mité rattienne, ce paragraphe consacré aux corporations mussoliniennes :
« Point n’est besoin de beaucoup de réflexion pour découvrir les avantages de
l’institution, si sommairement que Nous l’avons décrite  : collaboration paci-
fique des classes, éviction de l’action et des organisations socialistes, influence
modératrice d’une magistrature spéciale. Mais pour ne rien omettre en une
matière si importante, tenant compte des principes généraux ci-dessus invoqués
et de ce que Nous ajouterons à l’instant, Nous devons dire cependant qu’à
Notre connaissance il ne manque pas de personnes qui redoutent que l’État ne
se substitue à l’initiative privée, au lieu de se limiter à une aide ou à une assis-
tance nécessaire et suffisante. On craint que la nouvelle organisation syndicale
et corporative ne revête un caractère exagérément bureaucratique et politique,
et que, nonobstant les avantages généraux déjà mentionnés, elle ne risque
d’être mise au service de fins politiques particulières, plutôt que de contribuer à
l’avènement d’un meilleur équilibre social2. »
Peut-être n’est-il pas faux de dire que la compromission de l’Église catho-
lique avec le fascisme commence à germer dès 1922 (Achille Ratti monte sur
le trône pontifical alors que Benito Mussolini «  marche  » sur Rome), mais
c’est plus certainement entre 1929 et 1931 que le compromis trouve à se
sceller autour d’un même idéal corporatiste3. Du fait même de ce traitement
de faveur, à tout le moins de cette bienveillance passive, Quadragesimo anno
pourra légitimement être interprétée comme un adoubement pontifical du
corporatisme autoritaire en général et du corporatisme fasciste en particulier.
Au-delà des quelques mises en garde sur l’État, disions-nous, la fascination
pour le corporatisme autoritaire l’emportera très largement. Très largement,
car le régime mussolinien n’est pas seul en cause. À l’égard de toutes les dicta-
tures catholiques européennes, Pie XI adopte une attitude similaire de grande

nisme philosophique d’Alfred Loisy ; trois ans plus tard, en 1910, il s’en prend au modernisme
social de Marc Sangnier (cf., par exemple, J.  CARON, Le Sillon et la démocratie chrétienne,
1894-1910, Paris, Plon, 1966). Ces deux condamnations de 1907 et 1910 ne relèvent cependant
pas du même niveau d’intensité. Le Sillon a fait l’objet d’une condamnation disciplinaire (pour
trop grande indépendance) et non d’une condamnation doctrinale sur le fond ; ce qui est en
revanche le cas de la philosophie de Loisy dans Pascendi (cf., par exemple, A. THIBAUDET,
« Le catholicisme social », Les Idées politiques de la France, op. cit., p. 81 sq.).
1. Cf. G. BURNS, « The Politics of Ideology : The Papal Struggle with Liberalism », American
Journal of Sociology, 1990, 95 (5), p. 1123-1152.
2. PIE XI, Quadragesimo anno, 95 (in A. F. UTZ, I, p. 625). Nous soulignons.
3. Sur les relations collusives entre Pie XI et Mussolini en particulier, entre catholicisme et
fascisme en général, cf. A. MANHATTAN, « Italy, the Vatican and Fascism », The Vatican in
World Politics, New York, Horizon Press, 1949, p. 107-137 ; J. F. POLLARD, « Conservative
Catholics and Italian Fascism : The Clerico-Fascists », Fascists and Conservatives. The Radical
Right and the Establishment in Twentieth Century Europe, éd. M.  BLINKHORN, Londres,
Unwin Hyman, 1990, p.  31-49 ; The Vatican and Italian Fascism, 1929-1932. A Study in
Conflict, Cambridge, Cambridge University Press, 1985 ; Catholicism and Modernisation. Reli-
gion, Society and Politics in Italy, 1861-2000, Londres, Routledge, 2007.
Subsidiarité et ordre économique. La compromission pontificale 81

tolérance, allant même jusqu’à approuver implicitement, par la voix des diffé-
rentes hiérarchies nationales de l’Église, la mise en place d’États corporatistes
autoritaires au Portugal (Salazar), en Espagne (Franco), en Autriche (Doll-
fuss), au Brésil (Vargas) et en France (Pétain). Par effet de redoublement mais
assez logiquement, il en résulta une légitimation très perverse de tous ces
régimes au visage grimaçant. Qu’il suffise de rappeler l’approbation de la
charte vichyste du Travail par l’épiscopat français. Ou bien, celle de l’Esta-
tuto do trabalho nacional — simple décalque de la Carta del lavoro italienne
par son homologue portugais1. Sans oublier le rôle de l’action laïque des syn-
dicats chrétiens, fortement appuyée par la hiérarchie2.
Cette compromission pontificale avec le corporatisme fasciste équivaut-
elle à une adhésion doctrinale sur le fond ? Bien sûr que non  : l’Église n’a
jamais adhéré doctrinalement au fascisme ; elle s’est contentée de condamner
l’individualisme démocratique en suggérant une autre voie possible. Reste
que si les instances romaines ne pouvaient pleinement adouber le fascisme,
elles n’en ont pas moins apporté un soutien décisif à l’œuvre antilibérale qu’il
accomplissait. Pareille attitude réactive témoigne en réalité d’une forme
de soulagement devant la défaite de son ennemi libéral ; le même soulage-
ment qui était exprimé par Pie XI, après la Première Guerre mondiale, dans
l’encyclique inaugurale de son pontificat puis répété dans son commentaire
de la Crise de 19293. Comme son cousin fasciste, le modèle catholique de la
corporation est indissociable d’une condamnation de l’État libéral, du refus
par l’Église de la démocratie politique, de sa crainte du socialisme et de sa
haine du communisme. Tel était le fondement de l’entente entre le Vatican et
Mussolini.
«  Activité corporative et Action catholique ne pourront manquer de se ren-
contrer, étant donné l’identité du sujet humain, individuel et collectif ; mais
moyennant la sincère bonne volonté et le sincère désir du bien de part et

1. Tout comme la nouvelle Constitution autrichienne de 1934, ce texte aura droit à l’admiration
du Père Albert Muller, qui joua un rôle important dans la rédaction de Quadragesimo anno
(A. MULLER, La Politique corporative, Malines, Rex, 1935 ; L’Organisation corporative autri-
chienne, Paris, Action Populaire, 1934). Cf. aussi F. PERROUX, « Le Portugal et Salazar : essai
d’interprétation », Affaires étrangères, 1935, 5 (11), p. 521-535 ; Capitalisme et communauté de
travail, Paris, Sirey, 1937, p. 104-121 ; G. JARLOT, « L’encyclique Quadragesimo anno “sur la
restauration de l’ordre social en pleine conformité avec les principes de l’Evangile” », Doctrine
pontificale et histoire, II. Pie XI : doctrine et action, Rome, Presses de l’Université grégorienne,
1973, p. 246-279, ici p. 277). Et sous la plume d’un autre fervent catholique, tendance traditiona-
liste, devenu conseiller personnel d’Antonio de Oliveira Salazar en 1944  : J.  PLONCARD
d’ASSAC, L’État corporatif, l’expérience portugaise, Paris, La Librairie française, 1960 ; Doc-
trines du nationalisme, Paris, La Librairie française, 1958, p. 303-331.
2. Cf., par exemple, P.  PASTURE, Histoire du syndicalisme chrétien international, trad. fr.
S. Govaert, Paris, L’Harmattan, 1999 ; W. PATCH, « Fascism, Catholic Corporatism, and the
Christian Trade Unions of Germany, Austria, and France », Between Cross and Class. Compar-
ative Histories of Christian Labour in Europe, 1840-2000, éd. L. HEERMA van VOSS, P. PAS-
TURE, J. De MAEYER, Berne, Lang, 2005, p. 173-201 ; P. MISNER, « The Roman Catholic
Hierarchy and the Christian Labor Movement : Autonomy and Pluralism », ibid., p. 103-125.
3. PIE XI, Lettre encyclique Ubi arcano Dei consilio, 23 décembre 1922, Acta Apostolicae Sedis,
1922, XIV, p.  673-700 (in A.  F.  UTZ, IV, p.  2734-2777) ; Lettre encyclique Caritate Christi
compulsi, 3 mai 1932, Acta Apostolicae Sedis, 1932, XXIV, p. 177-194 (in A. F. UTZ, II, p. 1032-
1057). Nous retrouverons ces deux textes centraux de la théologie politique rattienne.
82 La subsidiarité catholique...

d’autre, la rencontre des deux activités ne pourra produire qu’un très heureux
effet : celui de se coordonner pour le plus grand bien, pour le bien complet, s’il
se peut, des individus, des classes de la société1. »

Ce cadre général étant posé, on peut grossièrement résumer, en trois étapes


principales, le déroulement factuel de la crise de 1931. Premier moment, celui
de la crispation : les ingrédients en sont réunis dès avril, mois qui précède la
promulgation de Quadragesimo anno. Le 19, Giovanni Giuriati, secrétaire
général du Parti fasciste, prononce à Milan un discours dans lequel il invoque
les clauses du Concordat faisant obligation à l’Église de s’en tenir à une action
strictement spirituelle. Le Pape lui répond de manière indirecte — mais néan-
moins énergique — en s’adressant à l’archevêque de Milan, Mgr  Alfred-
Alphonse Schuster, prélat notoirement profasciste (béatifié par Jean-Paul II
le 12  mai 1996). Dans une lettre en date du 26  avril 1931, il s’emploie très
significativement à défendre l’Action catholique d’une quelconque intention
de « faire de la politique »2. Deuxième moment, celui de la radicalisation, qui,
lui, s’exprime de manière plus directe : le 30 mai, Mussolini fait dissoudre les
organisations de jeunesse catholiques ; le 29 juin, un mois plus tard, réplique
de Pie XI avec la promulgation de l’encyclique Non abbiamo bisogno, dans
laquelle il condamne ouvertement le fascisme, « véritable statolâtrie païenne
totalement incompatible aussi bien avec les droits naturels de la famille
qu’avec les droits surnaturels de l’Église  »3. Troisième moment, celui de
l’apaisement des relations et du compromis trouvé dès septembre, qui, sans
surprise, se solde par la victoire définitive de Mussolini — sorte de contre-
coup, en forme de rééquilibrage, à un Concordat particulièrement favorable à
Rome4. À tel point que le Pape pourfendeur de la « statolâtrie païenne », en
lui accordant le baptême chrétien, sera aussi le principal complice de sa ver-
sion mussolinienne. À défaut d’être le régime rêvé, le fascisme autoritaire
reçoit donc le satisfecit de Rome.
Convaincu de l’inspiration chrétienne du projet mussolinien, Pie XI ne se
contente pas de laisser au fascisme le bénéfice du doute, il choisit bien davan-

1. PIE XI, Lettre autographe à Mgr  Alfred-Alphonse Schuster, archevêque de Milan, 26  avril
1931, Acta Apostolicae Sedis, 1931, XXIII, p. 145-150 (in A. F. UTZ, II, p. 1817).
2. Ibid. (in A.  F. UTZ, II, p.  1813). On lit la même phrase dans l’encyclique Non abbiamo
bisogno fulminée deux mois plus tard  : «  Nous avons toujours dit [...] et Nous disons encore
qu’accuser l’Action catholique italienne de faire de la politique c’était et c’est une véritable et
pure calomnie. » (PIE XI, Lettre encyclique Non abbiamo bisogno, 29 juin 1931, Acta Aposto-
licae Sedis, 1931, XXIII, p. 285-312 ; in A. F. UTZ, III, p. 2671).
3. Ibid. (in A. F. UTZ, III, p. 2677). Texte rédigé en italien parce qu’adressé à la seule Italie.
4. Certes, la Cité du Vatican nouvellement créée est un État miniature (44 hectares), mais le
Concordat réaffirmait solennellement en son article 1er le principe selon lequel la religion catho-
lique, apostolique et romaine était «  la seule religion de l’État  » italien. De manière générale,
l’apaisement issu des accords du Latran ne se comprend qu’à la lumière de la véhémence du
conflit romain né de l’annexion en 1870 des États pontificaux par la nouvelle nation cisalpine,
alors en voie de parachever son unification, et peut expliquer, en retour, l’extrême cordialité des
relations qui finiront par s’établir entre Pie XI et le pouvoir fasciste. Notons le lien de continuité,
sur le fond, entre la dispute de 1931 et le compromis de 1929 : si le Pape obtint de Mussolini
l’établissement du catholicisme comme religion d’État, il dut néanmoins céder sur l’une des
questions centrales qui nous occupent ici : l’action catholique et la formation de la jeunesse.
Subsidiarité et ordre économique. La compromission pontificale 83

tage de se satisfaire du sort privilégié que le Concordat a réservé au Vatican,


une fois toutes les hypothèques levées1. Dans une forme d’aveu de culpabi-
lité, le Père Nell-Breuning lui-même a pu écrire que Pie XI n’avait pas vérita-
blement compris la nature intime du fascisme mussolinien. Indice manifeste,
mais tardif, de la prise de conscience de son fourvoiement  : à la fin de son
pontificat, Pie XI s’apprêtait à publier un texte condamnant explicitement le
corporatisme fasciste. Il était bien évidemment trop tard, tout comme il était
trop tard quand le Pontife consentît à s’indigner de l’adoption des lois raciales
mussoliniennes (1938). Ne s’avisant plus, après la surchauffe de l’été 1931,
de réitérer ses critiques à l’égard du pouvoir italien, le Pape s’est limité en
1937 à la condamnation — très tardive elle aussi2 — du nazisme païen (Mit
brennender Sorge) et du «  communisme bolchevique et athée  » (Divini
redemptoris)3.
Nous reviendrons plus loin sur le communisme, ici interprété par le Pape
de Quadragesimo anno comme un simple surgeon de l’erreur socialiste.
Notons à ce stade, parallèlement à la fascination pour le fascisme, le manque
de discernement de Pie XI à l’égard de l’idéologie nazie. Manque de discerne-
ment qui, lui aussi, est à resituer dans une temporalité moins immédiate que
la seule année 1937. Tout a commencé en février 1930 avec la nomination
d’un nouveau Secrétaire d’État, le Cardinal Eugenio Pacelli, précédemment
Nonce à Munich (1917-1925) et à Berlin (1925-1930)  : c’est lui, le grand
diplomate germanophile, qui, de bonne foi, sera l’instigateur du Concordat

1. Fermant l’épopée garibaldienne et mazzinienne du nationalisme anticlérical, dès 1922, les fas-
cistes raccrochent les crucifix dans les écoles et les tribunaux, rétablissent l’instruction religieuse
à l’école (nous verrons plus bas dans quelles conditions), renforcent l’institution du mariage ; en
1923, ils apportent le concours décisif de l’État aux célébrations de l’Année sainte.
2. Pie XI n’avait-il pas signé un Concordat avec Hitler le 20 juillet 1933 ? Sur cet épisode, cf. ces
propos ambigus tenus au sortir de la Seconde Guerre mondiale par l’ex-Secrétaire d’État Eugenio
Pacelli devenu Pie XII en 1939 : « malgré toutes les violations dont il fut l’objet, il laissait aux
catholiques une base juridique de défense, un camp où se retrancher pour continuer à affronter,
tant qu’il leur serait possible, le flux toujours croissant de la persécution religieuse » (PIE XII,
Allocution au Sacré Collège L’Histoire d’un totalitarisme, 2  juin 1945 ; in SOLESMES, 867,
p. 459). Un peu plus haut : « Tant qu’il restait encore une lueur d’espoir que ce mouvement pût
prendre une tournure différente et moins pernicieuse, soit par la résipiscence de ses membres
plus modérés, soit par une opposition efficace de la partie non consentante du peuple allemand,
l’Église a fait tout ce qui était en son pouvoir pour opposer une digue puissante à l’envahis-
sement de ces doctrines aussi délétères que violentes.  » (Ibid. ; in SOLESMES, 865, p.  458).
Cf.  M.  F. FELDKAMP, Pius XII. und Deutschland, Göttingen, Vandenhoeck und Ruprecht,
2000 ; R. MORSEY, « Eugenio Pacelli als Nuntius in Deutschland », Pie XII. zum Gedächtnis,
dir. H. SCHAMBECK, Berlin, Duncker und Humblot, 1977, p. 103-139.
3. PIE XI, Lettre encyclique Mit brennender Sorge, 14 mars 1937, Acta Apostolicae Sedis, 1937,
XXIX, p. 145-167 (in A. F. UTZ, I, p. 286-325) ; Divini Redemptoris (in A. F. UTZ, I, p. 220-
285). L’historiographie dominante se réfère constamment à ces deux textes mais, bien souvent,
sans les lire attentivement ou, ce qui revient au même, sans prendre la peine de les réinscrire dans
leur lignée discursive. Peut-être pour mieux s’autoriser à charger Pie XII et dédouaner son pré-
décesseur. Sur Mit brennender Sorge, cf. H.-A. RAËM, Pius XI. und der National-sozialismus,
Paderborn, Schöning, 1979 ; J.  NOBÉCOURT, «  L’encyclique Mit brennender Sorge  », Dix
leçons sur le nazisme, dir. A. GROSSER, Bruxelles, Complexe, 1984, p. 131-154. Sur la compro-
mission de l’Église catholique d’Allemagne avec le nazisme, qui reste cependant très faible si on
la compare avec celle de l’Église protestante, cf. G. LEWY, L’Église catholique et l’Allemagne
nazie, trad. fr. G. Vivier, J.-G. Chauffeteau, Paris, Stock, 1964.
84 La subsidiarité catholique...

avec la Bavière (29 mars 1924), contre l’avis même de Mgr Pietro Gasparri,


son prédécesseur à la Secrétairerie d’État ; c’est lui qui, à contrecœur, sur
l’insistance de l’Église d’Allemagne, a poussé le Zentrum catholique à voter
les pleins pouvoirs à Hitler afin d’obtenir le Concordat avec l’Allemagne
nazie (20 juillet 1933)1 ; c’est lui, pourtant lucide sur l’anticatholicisme hitlé-
rien, qui voulut ne voir dans le national-socialisme qu’une simple radicalisa-
tion du fascisme autoritaire, au point même de présenter le Concordat
comme une base juridique de résistance spirituelle2. Fourvoiements en chaîne,
pour ainsi dire, qui commencent dès 1922 et laissent les mains presque libres
à Mussolini3. La comparaison des différents textes pontificaux de l’entre-
deux-guerres révèle que, jamais, le Pape Ratti n’a voulu placer le fascisme
italien sur le même plan que l’hitlérisme ou le bolchevisme soviétique. Jamais,
il n’a condamné le fascisme en ses principes au même titre que le commu-
nisme et le nazisme (comme Léon XIII l’avait fait en son temps pour le socia-
lisme). Jamais, il n’a mis en cause le caractère catholique du fascisme, tel que
revendiqué par Giuriati dans son allocution précitée ou par Mussolini lui-
même, qui a multiplié les invocations au christianisme romain pour asseoir sa
politique de puissance. Bien davantage encore, après avoir reconnu la légiti-
mité de l’État totalitaire mussolinien, son objectif aura principalement
consisté dans le rappel des exigences impliquées par une telle revendication
en paternité : « être catholique, non seulement de nom, mais de fait » suppose
l’obéissance « à l’Église et à son Chef »4.
« “État catholique”, dit-on et répète-t-on, mais “État fasciste” ; Nous en pre-
nons acte sans spéciales difficultés, volontiers même, car cela veut dire sans
aucun doute que l’État fasciste, tant dans l’ordre des idées et des doctrines que
dans l’ordre de l’action pratique, ne veut rien admettre qui ne s’accorde avec la
doctrine et la pratique catholiques ; faute de quoi il n’y aurait pas et il ne pour-
rait y avoir d’État catholique5. »
Tout en se gardant de la facilité rétrospective des jugements anachroniques
(le mot totalitarisme ne recouvrait pas en 1931 le sens qu’il a acquis aujour-
d’hui), il convient néanmoins de noter que les critiques adressées à Mussolini
par Pie XI portaient sur la totalitarité (totalitarietà) spirituelle de l’État fas-
ciste, et non sur la parenté, revendiquée de chaque côté, entre fascisme et

1. Cf. V. CONZEMIUS, « Le Concordat du 20 juillet 1933 entre le Saint-Siège et l’Allemagne.


Esquisse d’un bilan historique », Archivum historiae pontificae, 1977, 15, p. 333-362.
2. Bien sûr Hitler apparaît-il comme fondamentalement anticatholique, mais Mgr  Eugenio
Pacelli le considère comme beaucoup moins hostile à l’Église catholique que ne le fut Bismarck.
3. Sur la convergence d’intérêts entre l’Église catholique et les régimes autoritaires et totalitaires,
cf. F. MARGIOTTA-BROGGLIO, « La politique concordataire du Vatican vis-à-vis des États
totalitaires  », Relations internationales, 1981, 27, p.  319-342 ; A.  LACROIX-RIZ, Le Vatican,
l’Europe et le Reich de la Première Guerre mondiale à la Guerre froide, Paris, Armand Colin,
1996. Sur le cas Pie XII, souvent injustement traité, cf. H. WOLF, Le Pape et le Diable. Pie XII,
le Vatican et Hitler. Les révélations des archives, trad. fr. M.  Gravey, Paris, CNRS Éditions,
2009. Pour un point de vue plus empathique et nuancé, cf. É. FOUILLOUX, « Église catholique
et Seconde Guerre mondiale », Vingtième Siècle, 2002, 73, p. 111-124 ; P. BLET, Pie XII et la
Seconde Guerre mondiale d’après les archives du Vatican, Paris, Perrin, 1997.
4. PIE XI, Lettre à Mgr Schuster (in A. F. UTZ, II, p. 1817).
5. PIE XI, Lettre autographe au Cardinal Pietro Gasparri, Secrétaire d’État, 30 mai 1929, Acta
Apostolicae Sedis, 1929, XXI, p. 297-306 (in A. F. UTZ, III, p. 2361).
Subsidiarité et ordre économique. La compromission pontificale 85

catholicisme1. Non seulement l’entente était possible, mais, plus qu’une


convergence circonstancielle d’intérêts bien compris, elle semblait tout à fait
naturelle : un fascisme christianisé et baptisé par l’Église sera le meilleur allié de
la restauration catholique prôné par Pie XI. Ou plutôt : à condition d’être allié
à l’Église, à condition de ne pas s’ériger en religion, le fascisme pourra efficace-
ment ouvrir le chemin de la rechristianisation de la société. Une telle alliance,
pour se réaliser, avait besoin que soit levée l’hypothèque gentilienne de la divi-
nisation de l’État. Une fois cette étape accomplie (nous parlons de l’abandon
définitif du programme de l’État éthique), plus aucun obstacle ne s’y opposera.

De son côté, l’histoire du fascisme italien souffre de lectures rétrospectives


qui tendent à le décrire de manière exagérément monolithique. Répété
ad nauseam, le fameux aphorisme de Mussolini — «  tout dans l’État, rien
contre l’État, rien hors de l’État » — serait censé résumer à lui seul la vérité
du projet fasciste2. C’est là accorder trop d’importance au discours des acteurs
eux-mêmes ou ne pas suffisamment se méfier des rationalisations historiogra-
phiques. Contre cette idée répandue d’une statolâtrie (statolatria) présente
dès les commencements, qui n’aurait fait que s’épanouir au rythme de la radi-
calisation du régime, rappelons que le dirigisme étatique ne faisait en aucun
cas partie du code génétique de la doctrine mussolinienne3. Comment
le Mussolini première manière aurait-il pu, sinon, se réclamer de l’anarcho-
syndicalisme d’un Georges Sorel ? C’est avec la pratique du pouvoir que
l’idéologie fasciste en est venue à justifier l’emprise totale de l’État — ou
plutôt ce que le fascisme appelle État — sur l’activité sociale et économique
de l’Italie, autrement dit la subordination de l’objectif social à l’objectif
national. L’évolution du corporatisme mussolinien porte la marque de ce
progressif emballement du régime, à tel point que la rencontre de l’idée stato-
nationale avec l’idée syndicale s’achèvera par la victoire totale de la première
sur la seconde. Au prix d’un dévoiement des deux.

1. « Régime et État totalitaire ? Nous croyons bien l’entendre dans le sens que pour tout ce qui
est de la compétence de l’État, suivant sa fin propre, la totalité des sujets de l’État, des citoyens,
doivent se subordonner à l’État, au régime et en dépendre : en conséquence, une totalitarité que
Nous appellerons subjective, peut certainement être reconnue à l’État et au régime. On n’en peut
pas dire autant d’une totalitarité objective, à savoir dans le sens que la totalité des citoyens
doivent se subordonner à l’État et en dépendre [...] pour la totalité de ce qui est ou de ce qui peut
devenir nécessaire pour toute leur vie, voire leur vie individuelle, domestique, spirituelle, surna-
turelle. » (PIE XI, Lettre à Mgr Schuster ; in A. F. UTZ, II, p. 1813). Nous soulignons.
2. Formule extraite du discours de la Scala prononcé le 28 octobre 1925 et constamment reprise
ensuite : « Parce que pour le fasciste tout est dans l’État et que rien d’humain ou de spirituel,
pour autant qu’il ait de la valeur, n’existe en dehors de l’État. Dans ce sens, le fascisme est totali-
taire et l’État fasciste, synthèse et unité de toute valeur, interprète, développe et donne puissance
à la vie tout entière du peuple. » (B. MUSSOLINI, « La doctrine du fascisme » [1932], Œuvres et
discours, trad. fr. M. Croci, Paris, Flammarion, 1935, IX, p. 61-91 ; G. GENTILE, « Fascismo
(dottrina del)  », Enciclopedia Italiana, Rome, Istituto dell’Enciclopedia Italiana, 1932, XIV,
p. 835-840 ; in E. TRAVERSO, Le Totalitarisme, Paris, Le Seuil, 2001, p. 126-131).
3. Cf. les travaux de Serge Berstein et Pierre Milza (S. BERSTEIN, P. MILZA, Le Fascisme ita-
lien, 1919-1945, Paris, Le Seuil, 1980 ; P. MILZA, Mussolini, Paris, Fayard, 1999). Rappelons par
ailleurs qu’établir le constat d’un étatisme mussolinien, même tardif, ne fait pas de Mussolini un
quelconque défenseur de l’institution étatique.
86 La subsidiarité catholique...

Spécialiste français de la question, l’économiste François Perroux a préci-


sément distingué deux phases — syndicale (1926-1934) et corporative (1934-
1944) — dans l’évolution du fascisme italien1. Inaugurée par une loi d’inter-
diction totale de la grève (5 février 1926), la première avait d’abord consisté à
mettre au pas les syndicats, puis à créer un ministère des Corporations
(2 juillet 1926), dont Mussolini confia la charge à Giuseppe Bottai. Le rédac-
teur en chef de la Critica fascista se lançait alors dans la rédaction d’une charte
du Travail, que Mussolini promulgua en grande pompe dès l’année suivante.
Le nouveau régime corporatiste était né, premier d’une longue et funeste
lignée en Europe2.
La seconde phase s’ouvre avec la loi du 5 février 19343. L’État sait profiter
de la Grande Dépression pour se réserver le rôle de centre d’impulsion du
pays, non pas tant par des interventions régulatrices que par une prétention à
dominer l’ensemble de l’économie elle-même4. Aussi l’idéal gentilien de l’État
éthique est-il abandonné au profit d’un État organisateur progressivement
happé par l’effort de guerre. Un indice qu’on aurait tort de minorer dit tout
de ce glissement : en 1936, Bottai devient ministre de l’Éducation nationale et
rompt ouvertement avec l’action lancée par Giovanni Gentile au moment des
premiers pas du régime. La politique éducative du nouveau ministre se résu-
mera à une brutale application de l’idéologie corporatiste au domaine de l’en-
seignement. En reproduisant ainsi les mêmes recettes que celles qu’il avait
mises en œuvre en matière économique (la charte de l’École qu’il fait adopter
en 1939 n’est qu’un décalque de la charte du Travail de 1927), Bottai poursuit
un objectif somme toute très peu gentilien : instrumentaliser l’École pour en
faire la créature régénérée d’un État organisateur à prétention totalitaire.

3. L’AVEUGLEMENT DES CLERCS CATHOLIQUES

Face au déploiement du corporatisme fasciste et à ses multiples dérivés auto-


ritaires en Europe, le camp catholique se révèlera particulièrement pauvre en

1. F.  PERROUX, Capitalisme et communauté de travail, op. cit., p.  27-64, spécialement
p. 31-45 ; « Le syndicalisme fasciste », Revue d’économie politique, 1928, 42 (4), p. 1100-1113 ;
Contribution à l’étude de l’économie et des finances de l’Italie depuis la guerre, Paris, Giard,
1929. Sur la même question, cf. aussi L. ROSENSTOCK-FRANCK, L’Économie corporative
fasciste en doctrine et en fait. Ses origines historiques et son évolution, Paris, Gamber, 1934 ; Les
Étapes de l’économie fasciste italienne, Paris, Librairie sociale et économique, 1939.
2. Avant même que la Crise de 1929 radicalise encore l’emballement du régime, seuls les syndi-
cats reconnus par le pouvoir mussolinien disposent d’une existence légale et sont investis de
toutes les prérogatives corporatives. Ce faisant, Mussolini cherchait purement et simplement
à éliminer tous les syndicats non fascistes, qu’ils soient socialistes, communistes ou chrétiens.
3. B. MUSSOLINI, Discours Sur la loi des corporations prononcé devant le Sénat le 13 janvier
1934, Quatre discours sur l’État corporatif, trad. fr., Rome, Laboremus, 1935, p. 27-36.
4. Giuseppe Bottai parle d’un «  principe de la subordination essentielle des associations à
l’État ». Un peu plus bas, toujours dans son maître ouvrage : « Le syndicalisme fasciste est l’op-
posé du syndicalisme préfasciste, et le point de discrimination entre eux, c’est l’État, auquel l’un
était contraire et auquel l’autre se subordonnera. » (G. BOTTAI, « L’organisation corporative,
base de la souveraineté », Discours au Sénat, 31 mai 1928, L’Expérience corporative [1932], trad.
fr. D. Guidi, Paris, Nouvelles Éditions Latines, 1935, p. 32).
Subsidiarité et ordre économique. La compromission pontificale 87

observateurs clairvoyants. À l’instar de la hiérarchie vaticane, le danger orga-


niciste est parfois perçu, jamais il ne sera fermement combattu. Nous consi-
dérerons ici deux des principales directions prises par cet aveuglement, dont
l’examen méthodique pourra permettre de préciser les ressorts de la compro-
mission pontificale  : l’excès de fidélité (au Vatican) et le défaut de lucidité.
Le premier cas trouve à s’illustrer dans l’attitude de grande servilité des
catholiques sociaux de France1 ; le second trouve à s’exprimer à travers des
penseurs aussi prestigieux que l’Autrichien Eric Voegelin (l’État autoritaire
contre l’État totalitaire) ou l’Italien Luigi Sturzo (l’État populaire contre
l’État totalitaire).
Repérages sémantiques aidant, nous allons y revenir, le chemin qui conduit
de Quadragesimo anno à l’Autriche de l’entre-deux-guerres est revendiqué
par les protagonistes eux-mêmes, diplomatie vaticane comprise. Rappelons
que l’éclatement de l’Empire austro-hongrois des Habsbourg fut vécu comme
un véritable traumatisme par Benoît XV et la hiérarchie vaticane  : ils per-
daient là leur meilleur rempart face au monde orthodoxe2. Peut-être pour
conjurer la disparition de ce dernier bastion de l’ancien monde catholique, les
chanceliers Seipel, Dollfuss et Schuschnigg ne cesseront d’invoquer la mis-
sion chrétienne de l’Autriche. Et leur parti, le Parti chrétien social, contribua
plus qu’aucun autre à ériger le corporatisme en thème structurant de l’agenda
politique autrichien des années 1920 et 19303. En 1931, l’encyclique pontifi-
cale leur donnera un élan tout à fait décisif. « État de Quadragesimo anno »,
tel est le surnom que s’auto-attribua la constitution promulguée par le Chan-

1. Nous considérerons plus spécialement les Semaines sociales de France, université itinérante
du catholicisme social, créées en 1904 par le journaliste lyonnais Marius Gonin, fondateur de la
Chronique sociale, et l’universitaire Adéodat Boissard, professeur des facultés catholiques de
Lille. L’initiative sera reprise en Espagne et en Italie à partir de 1906-1907. Pour une histoire du
cas français, cf. J.-D. DURAND, dir., Les Semaines sociales de France, 1904-2004, Paris, Parole
et Silence, 2006 ; P.  LÉCRIVAIN, «  Les Semaines sociales de France  », Le Mouvement social
catholique en France au XXe  siècle, dir. D.  MAUGENEST, Paris, Le Cerf, 1990, p.  151-165 ;
P. DROULERS, « L’Action populaire et les Semaines sociales de France », Revue d’histoire de
l’Église de France, 1981, 67 (179), p. 227-252. Pour une mise en perspective plus générale sur les
clercs catholiques, cf., par exemple, É. FOUILLOUX, « “Intellectuels catholiques” ? Réflexions
sur une naissance différée », Vingtième Siècle, 1997, 53 (1), p. 13-24.
2. Les inlassables appels à la paix lancés par Benoît XV (ses tentatives de paix blanche) avaient
aussi pour but de protéger ce dernier bastion. Cf., par exemple, N.  RENOTON-BEINE,
La Colombe et les tranchées. Les tentatives de paix de Benoît XV pendant la Grande Guerre,
Paris, Le Cerf, 2004 ; F. LATOUR, « De la spécificité de la diplomatie vaticane durant la Grande
Guerre  », Revue d’histoire moderne et contemporaine, 1996, 43 (2), p.  349-365 ; «  La voix de
Benoît XV contre le “suicide de l’Europe” pendant la Grande Guerre », L’Europe, ses dimen-
sions religieuses, éd. G. CHOLVY, Montpellier, Université Paul-Valéry, 1998, p. 19-32. Sur le
soutien pontifical sans failles au pouvoir catholique autrichien de l’entre-deux-guerres,
cf.  A.  MANHATTAN, «  Austria and the Vatican  », The Vatican in World Politics, op. cit.,
p. 224-250 ; K.-J. SIEGFRIED, Klerikalfaschismus. Zur Entstehung und sozialen Funktion des
Dollfuss-Regimes in Österreich. Ein Beitrag zur Faschismusdiskussion, Francfort, Lang, 1979.
3. Sur Mgr  Ignaz Seipel, figure centrale du catholicisme autrichien, chancelier à deux reprises
pendant l’entre-deux-guerres (1922-1924 et 1926-1929), principal inspirateur d’Engelbert Doll-
fuss et de Kurt von Schuschnigg, cf. K. von KLEMPERER, Ignaz Seipel. Christian Statesman in
a Time of Crisis, Princeton, Princeton University Press, 1972. Au titre des influences exercées
sur les chanceliers Dollfuss et Schuschnigg, il faut mentionner le rôle important du théologien
Johannes Messner (nous le retrouverons plus loin) qui fut conseiller de l’un et de l’autre.
88 La subsidiarité catholique...

celier Dollfuss le 1er mai 1934. Signe patent d’un échec qui débouchera quatre
ans plus tard sur la tragédie de l’Anschluss, elle restera lettre morte.
Si un historien, spécialiste éminent de la période, a pu dire que le corpora-
tisme de la Constitution de 1934 reposait sur une interprétation erronée de
Quadragesimo anno (nous cherchons encore la bonne interprétation), avec
François Perroux, soulignons simplement que le texte pontifical « ne donne
aucune indication sur les relations et les influences qui doivent s’établir entre
les deux appareils corporatif et étatique »1. Référence en forme d’invocation
légitimatrice qui ajoute encore à l’ambiguïté du propos de Pie XI, ou plutôt la
révèle, quand bien même il faut s’attacher à resituer le corporatisme autri-
chien dans la densité de son histoire propre2. La chose n’en sort pas plus lim-
pide pour autant, car une fâcheuse habitude a été prise dans le champ de
l’analyse historiographique, qui consiste à reprendre abusivement le discours
des acteurs politiques — donc des catégories sémantiques fort confuses, faute
d’avoir été suffisamment décontaminées — et à identifier une polarité matri-
cielle née à la fin du xixe siècle qui aurait opposé terme à terme le courant de
la Sozialreform à celui de la Sozialpolitik3. Aussi pédagogique soit-il, le sché-
matisme de cette distinction ne doit pas abuser l’observateur. La confusion, à
vrai dire, dépasse les seules frontières autrichiennes et travaillent l’ensemble
de l’aire germanique, voire plus généralement le catholicisme continental4.

1. F.  PERROUX, Capitalisme et communauté de travail, op. cit., p.  132 ; K.  ROSENBERG,
« L’organisation corporative autrichienne », Affaires étrangères, 1935, 5 (6), p. 329-344 ; A. DIA-
MANT, Austrian Catholics and the First Republic. Democracy, Capitalism and the Social Order,
1918-1934, Princeton, Princeton University Press, 1960, p. 276 ; H. WOHNOUT, « A Chancel-
lorial Dictatorship with a “Corporative” Pretext : The Austrian Constitution between 1934 and
1938  », The Dollfuss-Schuschnigg Era. A Reassessment, éd. G.  BISCHOF, A.  LASSNER,
A. PELINKA, Brunswick, Transaction, 2003, p. 143-162 ; A. SOMEK, « Authoritarian Consti-
tutionalism : Austrian Constitutional Doctrine 1933 to 1938 and its Legacy », Darker Legacies
of Law in Europe, éd. C. JOERGES, N. S. GHALEIGH, op. cit., p. 361-388 ; J.-P. BLED, « Les
catholiques autrichiens et le national-socialisme », La Révolution conservatrice allemande sous
la République de Weimar, dir. L. DUPEUX, Paris, Kimé, 1992, p. 393-403.
2. Encore aujourd’hui, l’Autriche reste connue pour son corporatisme, mais le substantif revêt
un tout autre sens ; il s’est d’ailleurs vu accoler le préfixe néo (afin de distinguer entre les versions
autoritaire et sociétale). Reste l’inertie du vocabulaire, qui n’a rien de fortuit. C’est dans l’Europe
social-démocrate des années 1970 que la notion de corporatisme émerge en science politique au
moment où prend peu à peu forme une discussion critique du pluralisme, paradigme libéral né
aux États-Unis lors de la décennie précédente. Des travaux anglais et allemands remettent en
cause certains des postulats de l’approche pluraliste en insistant sur deux points centraux : les
inégalités de pouvoir entre groupes d’intérêt ; l’interaction entre les groupes d’intérêt privés et
l’État dans la mise en œuvre des politiques publiques. Cf. les travaux de deux politistes en par-
ticulier : Philippe Schmitter, Gerhard Lehmbruch (P. SCHMITTER, « Still the Century of Cor-
poratism ? », Review of Politics, 1974, 36, p. 85-131 ; G. LEHMBRUCH, P. C. SCHMITTER,
dir., Trends Toward Corporatist Intermediation, Londres, Beverly Hills, Sage, 1979 ; Patterns of
Corporatist Policy-Making, Londres, Beverly Hills, Sage, 1982).
3. Ces notions elles-mêmes prêteraient à confusion si elles étaient reçues de manière trop litté-
rale en français : la Sozialreform n’avait rien de réformiste ; marquée par les grandes figures anti-
modernes du romantisme autrichien (Karl von Vogelsang, Adam Heinrich Müller, Wiard von
Klopp), elle prônait une ligne traditionaliste particulièrement intransigeante ; la Sozialpolitik se
réclamait, quant à elle, d’un accommodement possible avec le capitalisme moderne.
4. S’agissant du catholicisme autrichien, mentionnons le conflit entre un Franz Hitze et un
Georg von Hertling, entre un Karl von Vogelsang et un Ludwig Windhorst. S’agissant du catho-
licisme francophone, rappelons le conflit entre l’École de Liège et l’École d’Angers. Pour un
Subsidiarité et ordre économique. La compromission pontificale 89

Tout à fait emblématique, le cas de Karl von Vogelsang mérite une mention
spéciale. Quoique converti au catholicisme (certes par Mgr von Ketteler), ce
noble d’origine allemande a pris la tête de la ligne la plus traditionaliste du
catholicisme social. Défendant le fédéralisme et les valeurs éternelles de la
terre, il a profondément influencé l’aristocratie catholique de l’Empire
austro-hongrois, son pays d’adoption, en activant chez les catholiques
sociaux, la fibre de l’État fort et interventionniste, sur fond de rejet antichré-
matistique du capitalisme, qui a souvent versé dans un antisémitisme bon
teint, très caractéristique du catholicisme de l’époque. Autant d’ingrédients
qui permettront la survenue de l’État autoritaire autrichien, insidieuse et iro-
nique transition vers la nazification à venir.
Dans la conjugaison qu’elle opère entre culture germanique et religion
catholique, l’Autriche apparaît comme la terre d’élection par excellence de la
subsidiarité. Là encore, c’est un indice lexicologique qui nous a mis sur la
voie et confirmé nos intuitions  : de façon surprenante, le mot subsidiarité
pointe en effet sous la plume de François Perroux, dans l’ouvrage précité
paru en France dès 1937. Occurrence isolée et significative (« loi de subsidia-
rité  »), intervenant dans le chapitre spécifiquement dédié au corporatisme
autrichien, pour traduire les propos d’un certain Richard Schmitz, membre
du Parti catholique, bourgmestre de Vienne qui a joué un rôle clef dans la
mise en place du Ständestaat et de la politique de «  déconcentration éta-
tique »1. Citons François Perroux :
« En vertu de ce que le bourgmestre Schmitz appelle peut-être un peu pompeu-
sement, loi de subsidiarité, l’État qui aujourd’hui étouffe sous une surcharge de
devoirs et d’attributions pourra en confier une bonne partie aux Stände qui
géreront et ajusteront les intérêts professionnels, sociaux, culturels de leurs
membres. Cette déconcentration étatique est expressément souhaitée et voulue
par les catholiques sociaux d’Autriche. La position limite vers laquelle théori-
quement ils tendent est l’auto-administration, la Selbstverwaltung du Stand2. »
Voici donc le drame de l’expérience autrichienne du corporatisme  : elle
révèle la teneur foncièrement antinazie de la subsidiarité catholique en même
temps qu’elle en souligne l’extrême faiblesse programmatique, qui la
condamne quasi fatalement à se laisser happée par le totalitarisme païen.

point approfondi et une mise en perspective historique, cf. E.  ALEXANDER, Church and
Society in Germany. Social and Political Movements and Ideas in German and Austrian Catholi-
cism, 1789-1950, trad. angl. T.  Stolper, in J.  N. MOODY, éd., Church and Society. Catholic
Social and Political Thought and Movements, 1789-1950, New York, Arts Inc., 1953, IV.
1. Cf. les deux ouvrages de Richard Schmitz  : R.  SCHMITZ, Der Weg zur berufsständischen
Ordnung in Österreich, Vienne, Manzsche Verlagsbuchhandlung, 1934 ; Die Berufsständische
Neuordnung in Österreich. Ein Zwischen-bilanz, Vienne, Innsbruck, Tyrolia-Verlag, 1935.
2. F. PERROUX, Capitalisme et communauté de travail, op. cit., p. 127-128. Nous soulignons.
Contrairement à ce qui est indiqué dans le Dictionnaire historique d’Alain Rey, la première
apparition en France du substantif subsidiarité ne date pas de 1964 (A. REY, et al., dir., Diction-
naire historique de la langue française, Paris, Dictionnaires Le Robert, 2006, III, p. 3667). Mais il
est vrai que la diffusion du mot en langue française marque un tournant quantitatif après 1961,
année de la promulgation de Mater et Magistra. Cette occurrence isolée de 1937 n’invalide pas le
reste de nos repérages sémantiques : le vocable n’est pas utilisé avant les années 1950 (dans des
cercles confinés, catholiques et fédéralistes) après un passage par la Suisse.
90 La subsidiarité catholique...

Aussi l’échec de l’Autriche en tant qu’État chrétien constitue-t-il un indica-


teur très précieux des illusions et des errements propres à la doctrine sociale
de l’Église romaine.
Compromission du catholicisme avec l’austrofascisme ne vaut pas
compromission avec le totalitarisme nazi. Rappelons, pour mémoire, la
condamnation pontificale du ralliement de l’Église autrichienne à Hitler, par
la voix même de l’archevêque de Vienne, Mgr  Theodor Innitzer. Songeons
aussi à Othmar Spann ou Eric Voegelin, qui voulaient voir dans l’État corpo-
ratiste un rempart chrétien face au danger hitlérien : le catholicisme autori-
taire contre le paganisme totalitaire, tel était leur mot d’ordre. Pour cela, ils
étaient prêts à une alliance entre l’Autriche dollfussienne et l’Italie mussoli-
nienne contre l’Allemagne nazie1. C’est dire à quel point le fascisme — plus
ou moins clérical — pouvait légitimement être considéré, y compris par
Pie XI, comme un bouclier protecteur face aux religions politiques2. C’est en
défenseur sincère de Dollfuss puis de Schuschnigg, que Voegelin a cru dans la
capacité de l’État corporatiste à faire barrage à la menace totalitaire. La pré-
cocité et la lucidité de ses critiques du nazisme en témoignent. Mais, à l’instar
des chrétiens sociaux d’Autriche, il paiera très vite, et au prix fort, son rallie-
ment au cléricalisme autrichien. Dès l’Anschluss, il est relevé de ses fonctions
universitaires puis contraint à l’exil.

Selon une tout autre voie que Voegelin, le Père Luigi Sturzo, précurseur
italien de la démocratie chrétienne, en arrive à la même impasse3. Il est pour-
tant le premier catholique à avoir relevé les collusions, pas simplement de
circonstance, entre la politique mussolinienne et les intérêts de l’Église catho-
lique, en lançant son concept accusateur de fascisme clérical (clericofascismo)4.
Mais si, par la suite, Sturzo manqua à ce point de résolution, c’est qu’il n’a
pas su viser juste, empruntant sans se l’avouer un chemin qui aura finalement
les mêmes effets que la rhétorique pontificale  : une assimilation insidieuse
entre totalitarisme et État moderne. Depuis 1918, année de son entrée en
politique et de la naissance du Parti populaire5, il martèle avec insistance le
même et unique message, dont la thématisation redoublera d’intensité lors de

1. Sur le concept — controversé — d’austrofascisme, cf. T.  KIRK, «  Fascism and Austrofas-
cism », The Dollfuss-Schuschnigg Era, op. cit., p. 10-31 ; E. HANISCH, « Der politische Katho-
lizismus als ideologischer Träger des “Austrofaschismus”  », Austrofaschismus. Politik, Öko-
nomie, Kultur, 1934-1938, éd. E. TALOS, W. NEUGEBAUER, Vienne, Lit, 2005, p. 68-86.
2. E.  VOEGELIN, Der Autoritäre Staat. Ein Versuch über das österreichische Staatsproblem
[1936], Vienne, Springer, 1997. Le concept voegelinien de religions politiques émerge au même
moment que son homologue aronien (les religions séculières), nous y reviendons plus bas
(E. VOEGELIN, Les Religions politiques [1938], trad. fr. J. Schmutz, Paris, Le Cerf, 1994).
3. Lui aussi est contraint à l’exil en 1924, après une année entière de persécution. Relevons une
constante dans l’attitude de Pie XI vis-à-vis des partis catholiques : tout comme le lâchage du
Zentrum allemand permettra de faire avancer la cause du Concordat avec Hitler, le silence face à
la dissolution du Parti populaire italien en 1923 crée les conditions des accords du Latran.
4. L. STURZO, L’Italie et le fascisme [1926], trad. fr. M. Prélot, Paris, Alcan, 1927.
5. C’est Benoît XV qui lève le non expedit (interdiction faite aux catholiques italiens de parti-
ciper à la vie politique du pays), règle qui avait été formulée par Pie IX pour riposter à la dissolu-
tion de son territoire. Cette ouverture permet à Don Sturzo de créer le Parti populaire en 1919.
Subsidiarité et ordre économique. La compromission pontificale 91

son exil londonien : la dénonciation de l’État centralisateur — l’État libéral


issu de l’Unité italienne — et l’appel à lui substituer un État populaire. Tout
se passe comme s’il n’existait pas de juste milieu entre la compromission fas-
ciste du Vatican — certes non assumée ouvertement1 — et la critique catho-
lique se contentant de rabattre l’État libéral sur du panthéisme étatique et de
la statolâtrie totalitaire.
À l’instar du catholicisme officiel, Don Sturzo s’est bien sûr toujours
défendu de rejeter l’institution étatique en tant que telle.
«  Entre les deux extrêmes de la démocratie individualiste et de l’absolutisme
tyrannique sont possibles [...] des combinaisons nombreuses et variées de limi-
tations organiques du pouvoir2. »
Mais une fois incriminée la modernité individualiste dans sa globalité
(aucune différence, selon lui, entre la république à la française et l’autorita-
risme bismarckien), il peut difficilement sauver le cadre institutionnel et la
forme politique qui ont permis à la démocratie de s’exercer : l’État national.
Partisan d’une démocratie organique non individualiste, de corporations res-
pectueuses des libertés mais pas d’une organisation corporatiste de la société
qui reviendrait à ériger la sphère économique en pierre angulaire de la vie
humaine3, Sturzo — tout comme son ami et traducteur français, Marcel
Prélot, fondateur en 1927 de la revue Politique4 — investit à dessein le concept
d’État totalitaire pour faire apparaître le soi-disant lien de continuité qui exis-
terait entre souveraineté et totalitarisme. Comme s’il était inscrit dans le code
génétique de l’État, devenu peu à peu démocratique, que le totalitarisme
constituait son horizon historique indépassable. On lit mot pour mot la
même chose sous la plume Maritain5.

1. Outre les références citées plus haut, cf. E. GENTILE, « New Idols : Catholicism in the Face
of Fascist Totalitarianism », Journal of Modern Italian Studies, 2006, 11 (2), p. 143-170.
2. L. STURZO, Politique et morale [1937], trad. fr. M. Prélot, Paris, Bloud et Gay, 1938, p. 13
(Cahiers de la Nouvelle Journée, 40). Avec Maritain et le prélat suisse Charles Journet, Sturzo est
l’un des tout premiers penseurs catholiques à utiliser le concept de totalitarisme. « Le mot est de
fraîche date, écrit-il en 1937, mais ce qu’il signifie remonte en quelque manière au temps des
empires assyrien et babylonien. Le fascisme a créé un État totalitaire, lui donnant de plus sa défi-
nition  : Rien en dehors ou au-dessus de l’État, rien contre l’État. Tout dans l’État, tout pour
l’État. » (Ibid., p. 19). Dans la même séquence de temps : C. JOURNET, « Les communautés
totalitaires » [1935], Exigences chrétiennes en politique, Paris, Egloff, 1945, p. 13-24).
3. L. STURZO, « Réflexions sur la crise de la démocratie », Politique, 1934, 12, p. 986-999.
4. M. PRÉLOT, L’Empire fasciste. Les origines, les institutions de la dictature et du corporatisme
italiens, Paris, Sirey, 1936 ; « La création des corporations italiennes », Politique, 1934, 5, p. 415-
423 ; « La théorie de l’État dans le droit fasciste », Mélanges R. Carré de Malberg, Paris, Sirey,
1933, p. 433-466 ; « Personne et société politique », La Personne humaine en péril, Lyon, Vitte,
Paris, Gabalda, 1937, p.  433-451 ; «  L’État  : société et pouvoir  », Crise du pouvoir et crise du
civisme, Paris, Gabalda, 1954, p.  23-42. Sur ce courant structuré autour de Politique,
cf. Y. PALAU, Contribution à l’étude du catholicisme social. Le cas de la revue Politique, Thèse
de doctorat en histoire, dir. R. Rémond, Paris, Institut d’études politiques, 1995).
5. Cf. M. PRÉLOT, « Don Sturzo et Maritain », Il Problema del potere politico, Brescia, Mor-
celliana, 1964, p. 140-149 ; « Les démocrates populaires français. Chronique de vingt ans, 1919-
1939  », Mélanges L.  Sturzo, éd. F.  BATTAGLIA, Bologne, Zanichelli, 1953, III, p.  203-227.
Pour un point de vue plus empathique sur le sujet, cf. J.-L. POUTHIER, « Chrétiens et démo-
crates, 1934-1944  », Mil Neuf Cent, 1995, 13 (1), p.  67-80. Toutes proportions gardées, une
parenté peut être relevée entre les écrits sturziens sur l’Italie fasciste et ceux du théologien pro-
testant Paul Tillich sur l’Allemagne nazie (P. J. TILLICH, Écrits contre les nazis [1932-1935],
92 La subsidiarité catholique...

À l’instar du Pape Ratti, le catholicisme social français se trouve embourbé


dans une difficulté intellectuelle qu’il ne parvient à surmonter  : passer
de l’apparente générosité des grands principes aux résolutions concrètes
de la politique. Comme en Autriche, le test de la réalité se révèlera parti-
culièrement sévère pour le programme catholique  : nous pensons bien sûr
à l’épisode vichyste. En témoigne, dès 1937, cet aveu désabusé — et annon-
ciateur — de François Perroux devant la réalité peu avouable des expé-
riences corporatistes pourtant menées sous la bannière du catholicisme
pontifical :
« La nécessité a fait loi et a imprimé au programme chrétien social les plus défi-
gurantes déviations. [...] Que nous sommes loin de l’État chrétien social tel que
nous le promettait la doctrine ! Où est cet État, autoritaire sans doute mais sin-
cèrement et vigoureusement populaire par sa formation, cet État souple expres-
sion et non moule rigide de la société [...], substantiellement différent des États
totalitaires qui répugnent si fort à notre tempérament ? [...] L’idéal des chré-
tiens sociaux n’est pas passé dans la réalité. Eux-mêmes sont prêts à reconnaître
qu’ils n’ont fait jusqu’à présent que pratiquer la politique du moindre mal.
Leur universalisme catholique a été mis à la torture par les brutalités de
l’action1. »
À sa manière, peu orthodoxe, l’économiste répondra tout de même aux
appels de la Révolution nationale, après avoir activement collaboré aux tra-
vaux de l’Institut d’études corporatives dirigé par Maurice Bouvier-Ajam,
partisan affiché du corporatisme autoritaire et membre actif du régime pétai-
niste2. Professeur à la Faculté de droit de Paris, François Perroux s’était voulu
le maître à penser d’une troisième voie corporative, communautaire et per-
sonnaliste. Proche d’Emmanuel Mounier et de la revue Esprit, à laquelle ses
contributions écrites étaient fréquentes, il tenta en particulier de dépasser

trad. fr. L. Pelletier, Genève, Labor et Fides, Laval, Presses de l’Université de Laval, Paris, Le
Cerf, 1994, surtout « L’État total et les prétentions des Églises » [1934], p. 185-213).
1. F. PERROUX, Capitalisme et communauté de travail, op. cit., p. 134-139. Nous soulignons.
2. Sous Vichy, François Perroux participera activement à l’élaboration de la Charte du travail et
créera une revue en collaboration avec Yves Urvoy  : les cahiers Renaître (F.  PERROUX,
Y. URVOY, La Révolution en marche, Paris, Librairie de Médicis, 1943). Initiateur en 1934 de
l’Institut d’études corporatives et sociales, Maurice Bouvier-Ajam prit une part active à la Révo-
lution nationale de Vichy puis, peut-être par dépit, versa progressivement dans le communisme
(M.  BOUVIER-AJAM, La Doctrine corporative, Paris, Sirey, 1937 ; La Question du corpora-
tisme, Paris, Lesfauries, 1938). Il faut distinguer ici entre l’itinéraire personnel de Bouvier-Ajam
et le rôle joué par son cercle de réflexion. Contribueront aux travaux de l’Institut des universi-
taires aussi éminents que Jean Brèthe de la Gressaye, Louis Le Fur, Georges Coquelle-Viance,
Louis Baudin et Gaétan Pirou (J. BRÈTHE de LA GRESSAYE, Le Syndicalisme, l’organisation
professionnelle et l’État, Paris, Sirey, 1931 ; «  Du syndicat à la corporation  », Politique, 1935,
9 (1), p.  11-39 ; «  La corporation et l’État (histoire et doctrine)  », Archives de philosophie du
droit, 1938, 1-2, p. 78-118 ; L. BAUDIN, Le Corporatisme, Paris, LGDJ, 1941 ; G. COQUELLE-
VIANCE, Un Ordre corporatif français, Paris, Fédération nationale catholique, 1938 ; Libertés
corporatives et unité nationale, Paris, Dunod, 1937 ; Restauration corporative de la nation fran-
çaise, Paris, Flammarion, 1936). Cf. J.-P. LE CROM, Syndicats, nous voilà ! Vichy et le corpora-
tisme, Paris, Éditions de l’Atelier, 1995, spécialement p. 291 sq. ; S. L. KAPLAN, « Un labora-
toire de la doctrine corporatiste sous le régime de Vichy  : l’Institut d’études corporatives et
sociales », Le Mouvement social, 2001, 195 (2), p. 35-77 ; « Un creuset de l’expérience corpora-
tiste sous Vichy  : l’Institut d’études corporatives et sociales  », La France, malade du corpora-
tisme ?, dir. S. L. KAPLAN, P. MINARD, Paris, Belin, 2004, p. 427-468.
Subsidiarité et ordre économique. La compromission pontificale 93

le vieux dilemme syndicalisme-corporatisme, en proposant la solution des


communautés de travail, organes paritaires composés de représentants élus
en nombre égal (patrons et salariés), à même, selon lui, de jouer un véritable
rôle de régulation du marché, et plus généralement de la vie sociale1.
On sait qu’Emmanuel Mounier lui-même eut un comportement très ambi-
valent lors de l’accession au pouvoir du Maréchal Pétain, au point de figurer
pendant quelques mois au nombre des soutiens intellectuels du nouveau
régime. Mais ce bref aveuglement ne saurait être assimilé à un ralliement
idéologique ; il est bien davantage l’expression d’une hostilité viscérale, très
catholique, au monde bourgeois et à la démocratie représentative (dont la
chute ne pouvait que le satisfaire) : « en 1940, résume Zeev Sternhell, Mou-
nier n’est pas fâché de voir à terre le libéralisme bourgeois  »2. Peut-être y
a-t-il quelque chose comme une réminiscence dostoïevskienne dans le catho-
licisme de Mounier, une esthétique décadentiste qui se complaît dans le
sublime de la Chute sans rien proposer, en retour, de véritablement consis-
tant : condamnation de l’impureté de la vie sociale, exaltation quasi gnostique
de la marginalité non compromise avec le monde, lamentations indignées sur
le « désordre établi »3. Sans aller plus loin, à ce stade, dans l’analyse du cas
Mounier, soulignons simplement le point essentiel de nos quelques notations
cursives  : l’opposition au libéralisme crée des alliances objectives entre les
pires ennemis d’hier, y compris à l’intérieur du catholicisme (pensons à la
critique du cléricalisme par le directeur d’Esprit).
L’essentiel du camp catholique, et le courant du catholicisme social en par-
ticulier, sera traversé par cette tension entre détestation de l’ordre en voie de

1. Outre son maître ouvrage, cf. F.  PERROUX, «  Économie corporative et système capita-
liste », Revue d’économie politique, 1933, 47 (5), p. 1409-1478 ; « La personne ouvrière et le droit
du travail », Esprit, 1936, 42, p. 866-897 ; Syndicalisme et capitalisme, Paris, LGDJ, 1938. Parmi
les économistes de la nébuleuse non-conformiste, mentionnons Daniel Villey (frère de Michel)
autre intellectuel hétérodoxe mais plus libéral. Nous le retrouverons quand il s’agira d’étudier la
source chrétienne du néolibéralisme. Pour un essai d’ego-histoire, cf. F. PERROUX, « Pérégri-
nations d’un économiste » [1980], Économie appliquée, 1987, 40 (2), p. 197-212.
2. Z. STERNHELL, « Emmanuel Mounier et la contestation de la démocratie libérale dans la
France des années trente », Revue française de science politique, 1984, 34 (6), p. 1170. Dans l’im-
médiat après-guerre (1946-1949), le directeur d’Esprit a cherché à établir un pont avec le socia-
lisme communiste au travers d’une politique de la main tendue (cf., par exemple, E. MOUNIER,
«  L’ordre règne-t-il à Varsovie  », Esprit, 1946, 123, p.  970-1003). Y a-t-il là l’expression d’un
mouvement profond ou une simple concession circonstancielle à l’hégémonie communiste de
l’époque ? Resituée dans sa cohérence d’ensemble, la pensée mouniérienne nous semble compré-
hensible en dehors de ses deux errements pétainiste et communiste. Outre Z.  STERNHELL,
Ni droite, ni gauche. L’idéologie fasciste en France [1983], Paris, Fayard, 2000, cf.  T.  JUDT,
Un Passé imparfait, Paris, Fayard, 1993 ; M. BERGÈS, Vichy contre Mounier. Les non-confor-
mistes à l’épreuve des années quarante, Paris, Économica, 1997 ; B.  COMTE, «  Mounier sous
Vichy : le risque de la présence en “clandestinité publique” », Emmanuel Mounier. L’actualité
d’un grand témoin, éd. G. COQ, op. cit., p. 51-92.
3. A.  BESANÇON, Trois Tentations dans l’Église [1978-1996], Paris, Perrin, 2002, p.  30  sq.
(infléchissement p. II dans la seconde édition de l’ouvrage). À rapprocher des analyses récentes
d’Antoine Compagnon (A. COMPAGNON, Les Antimodernes, Paris, Gallimard, 2005). Sur la
fameuse critique de l’Église catholique par Dostoïevski, cf. la légende du Grand Inquisiteur
(F.  M. DOSTOÏEVSKI, Les Frères Karamazov [1879-1880], trad. fr. H.  Mongault, B.  de
Schlœzer, L.  Désormonts, S.  Luneau, Paris, Gallimard, Bibliothèque de La Pléiade, 1952,
p. 267 sq.).
94 La subsidiarité catholique...

destruction et accommodement au nouvel ordre en cours de structuration.


Mais la division interne des catholiques français ne saurait être négligée pour
autant. À lire, par exemple, l’important compte rendu des Semaines sociales
de 1935 — session angevine spécialement dédiée à la question des corpora-
tions —, il semble que le regard porté sur les expériences étatistes du corpo-
ratisme redessine les traits d’un ancien clivage, toujours latent, qui ne
demande qu’à s’exprimer : un clivage entre le catholicisme social (compatible
avec l’autoritarisme) et la démocratie chrétienne (qui ne l’est pas)1. Deux
manières de recevoir Quadragesimo anno, deux clefs de lecture, qui s’entre-
mêlent dans une consanguinité quasi génétique  : celle du personnalisme
démocratique ; celle du corporatisme autoritaire. Prononçant la leçon d’ou-
verture de la session, le président Eugène Duthoit évoque sans ambages le
risque totalitaire d’un certain corporatisme et critique très ouvertement les
relents pervers du régime mussolinien2. De manière générale, au-delà même
du cercle des Semaines sociales, les mises en garde catholiques ne manqueront
pas de se faire très insistantes, parmi les nombreuses publications laïques qui
accompagnent l’encyclique de 1931  : celles de Paul Vignaux et de Maurice
Eblé, par exemple, qui officient tous les deux dans Politique, revue démocrate
chrétienne empreinte de libéralisme3 ; mais des périodiques plus tempétueux
comme Esprit et Ordre nouveau ne seront pas en reste, qui consacrent,
chacun, un numéro spécial à la question dès 1934. Il s’agit dans les deux cas
d’extraire la corporation de sa compromission corporatiste, en éloignant stra-
tégiquement toute référence officielle à la doctrine sociale de l’Église, répu-
diation du cléricalisme oblige4. En septembre 1934, la livraison d’Esprit se
signale par un titre très évocateur : « Duplicités du corporatisme ».

1. La division interne des catholiques sociaux sur la question du corporatisme a récemment été
analysée par Yves Palau (Y. PALAU, « Les convictions juridiques, un enjeu pour les transforma-
tions doctrinales du catholicisme social entre les deux guerres », Revue française d’histoire des
idées politiques, 2008, 28, p. 369-390). Mais peut-être le distinguo n’est-il pas aussi net.
2. E. DUTHOIT, « Par une autorité corporative, vers une économie ordonnée », L’Organisa-
tion corporative, Lyon, Vitte, Paris, Gabalda, 1935, p. 41-94. Eugène Duthoit fut président des
Semaines sociales de 1919 jusqu’à 1939. Pour un compte rendu, cf. L. BLANCKAERT, « L’or-
ganisation corporative : la Semaine sociale d’Angers », Politique, 1935, 9 (8), p. 735-744.
3. En mai 1934, dans un numéro de Politique intitulé « Vers un ordre corporatif », Paul Vignaux
défend une « voie corporative » contre le corporatisme autoritaire. Et à l’en croire, les syndicats
français auraient pris le bon chemin (P.  VIGNAUX, «  La voie corporative et le mouvement
ouvrier », Politique, 1934, 8 (5), p. 403-414 ; M. EBLÉ, « Les catholiques sociaux et le corpora-
tisme », ibid., p. 396-401). Cf. aussi P. VIGNAUX, Traditionalisme et syndicalisme, New York,
Maison française, 1943 ; « Introduction historique à l’étude du mouvement syndical chrétien »,
International Review of Social History, 1937, 2, p.  28-49 ; M.  EBLÉ, Les Écoles catholiques
d’économie politique et sociale en France, Paris, Giard et Brière, 1905.
4. « Duplicités du corporatisme », Esprit, 1934, 23-24, p. 711-775 ; R. DUPUIS, A. MARC, « La
corporation  », Ordre nouveau, 1934, 10, p.  8-28. Le point a déjà été relevé par Jean-Louis
Loubet del Bayle (J.-L. LOUBET DEL BAYLE, Les Non conformistes des années 30. Une ten-
tative de renouvellement de la pensée politique française, Paris, Le Seuil, 1969, p. 393), Daniel
Lindenberg (D.  LINDENBERG, Les Années souterraines, 1937-1947, Paris, La Découverte,
1990) et Pierre Rosanvallon (P.  ROSANVALLON, Le Modèle politique français. La société
civile contre le jacobinisme de 1789 à nos jours, Paris, Le Seuil, 2004, p. 412). Dans une veine qui
assume sa proximité avec la doctrine ecclésiale, Jacques Maritain appelle de ses vœux la mise en
place d’un régime de type « corporatif et auctoritatif » (J. MARITAIN, Du Régime temporel et
de la liberté [1933], Œuvres complètes, op. cit., V, p. 371 sq.).
Subsidiarité et ordre économique. La compromission pontificale 95

« Le mot corporation, lit-on dans le propos introductif, a cet avantage de cris-
talliser l’idée d’une socialisation qui ne serait pas étatiste et respecterait le jeu
des groupes naturels intermédiaires entre l’individu et l’État1. »
Dans un numéro précédent, la revue mouniérienne allait jusqu’à proposer
une lecture démocratique de La Tour du Pin, figure tutélaire que nous retrou-
verons plus loin2. Au même moment, on lira un éloge appuyé du théoricien
corporatiste sous la plume du Père Delos, un autre habitué des Semaines
sociales : oui aux corporations de l’État autoritaire autrichien, non au corpo-
ratisme de l’État totalitaire italien, écrit-il en substance3. C’est qu’au-delà du
discours subversif d’un Mounier, le dialogue n’a pas manqué de s’établir
entre le personnalisme chrétien et le catholicisme social le plus institué4.
De fait, la plupart des catholiques personnalistes qui alimentent les rangs
du «  non-conformisme  » des années 1930 ne sont pas spécialement prédis-
posés à succomber aux sirènes étatistes et autoritaires du corporatisme ; dans
le corporatisme, ils voient avant tout une manière de rétablir les médiations
sociales et communautaires mises à mal par la modernité. Par delà la Révolu-
tion française, en écho à un Nicolas Berdiaeff qui appelait alors à refaire le
Moyen Âge, Mounier invitait non moins solennellement à un révisionnisme
critique : revisiter l’histoire chrétienne depuis la Renaissance5. À chaque fois,
l’affirmation du primat de la personne sur l’individu, la condamnation de
toutes les aliénations du sujet, bref le personnalisme contre l’individualisme.
Chez le directeur d’Esprit, les corporations prennent même le nom de per-

1. Le passage de Quadragesimo anno définissant le principe de subsidiarité est nommément cité


(É. HAMBRESIN, « Le corporatisme capitaliste », Esprit, 1934, 23-24, p. 718, n. 1).
2. Cf. P. ANDREU, « Le vrai visage de La Tour du Pin », Esprit, 1934, 21, p. 405-415. Proche
de la Jeune Droite, Pierre Andreu fut un fervent lecteur de Sorel, à l’instar de nombreux maur-
rassiens (P. ANDREU, Georges Sorel. Entre le noir et le rouge [1947], Paris, Syros, 1982).
3. J. T. DELOS, « Coup d’œil sur les idéologies régnantes en matière d’organisation corpora-
tive », L’Organisation corporative, op. cit., p. 319 sq. « Théoriquement, l’organisation autoritaire
de l’État peut être compatible avec une corporation libre. Bien plus  : la Constitution autri-
chienne du 1er mai 1934 compte sur les Corporations pour introduire dans l’État autoritaire lui-
même un élément de liberté et d’action démocratique vraiment organique. [...] Dans l’État totali-
taire, au contraire, le corporatisme aboutit à l’organisation étatique des forces économiques
du pays. » (Ibid., p. 324). Parmi ses nombreuses contributions aux Semaines sociales, citons ici :
J. T. DELOS, « La fin propre de la politique : le bien commun temporel », La Société politique
et la pensée chrétienne, Lyon, Vitte, Paris, Gabalda, 1933, p. 215-235 ; « L’éducation au service
de faux dieux », Ordre social et éducation, Lyon, Vitte, Paris, Gabalda, 1934, p. 79-101.
4. Nous reviendrons sur le rôle de Jean Lacroix (B. COMTE, « Semaines sociales et personna-
lisme : la médiation de Jean Lacroix, 1935-1947 », Cent ans de catholicisme social à Lyon et en
Rhône-Alpes : la postérité de Rerum novarum, Paris, Éditions Ouvrières, 1992, p. 485-516).
5. E.  MOUNIER, Révolution personnaliste et communautaire [1935], Œuvres, 1931-1939,
Paris, Le Seuil, 1961, I, p. 149 (texte repris dans un volume récent au titre particulièrement bien
choisi — préfacé par Guy Coq : E. MOUNIER, Refaire la Renaissance, Paris, Le Seuil, 2000,
p. 51) ; N. A. BERDIAEFF, Un Nouveau Moyen Âge. Réflexions sur les destinées de la Russie et
de l’Europe [1924], trad. fr. A.-M. F., Paris, Plon, 1927. Ouvrage paru dans la collection dirigée
par Maritain « Le Roseau d’or » (cf. Y. FLOUCAT, « Le Moyen Âge de Jacques Maritain »,
Saint Thomas au XXe  siècle, Paris, Éditions Saint-Paul, 1994, p.  268-298). Mounier lui-même
n’était pas sans préciser qu’avant de refaire la Renaissance, un nouveau Moyen Âge pouvait
s’avérer nécessaire. Ajoutons que, dans l’entre-deux-guerres, l’idéal communautaire n’est pas
l’apanage du seul catholicisme. Il est présent dans de nombreux courants de pensée  : chez un
Henri Lefebvre, par exemple, ou chez un Georges Bataille (directeur de la revue Acéphale, 1936-
1939). Il trouvera une forme de continuation dans certaines utopies de 1968.
96 La subsidiarité catholique...

sonnes collectives : il s’agit « de dégager, là où elles se forment, des personnes


collectives reposant sur l’organisation de personnes responsables dans toute
leur économie interne »1, afin d’aboutir à une cité corporative, organique et
décentralisée, tout en se prémunissant des «  images grossièrement organi-
cistes  »2. Et son aîné Jacques Maritain, penseur on ne peut plus proche du
Vatican, de préciser :
« La communauté de travail qu’on a en vue ici est tout autre chose que la cor-
poration étatiste du totalitarisme politique, qui a rendu suspect le mot même
de corporation ; elle se fonde sur la notion d’une personnalité morale à la fois
autonome et subordonnée3. »
Mais, faute de percevoir les dangers de ce corporatisme autoritaire et faute
de vouloir se rallier au régime représentatif libéral, tous ces défenseurs du
personnalisme démocratique manqueront de résolution dans leurs critiques4.
C’est que la corporation semble offrir aux catholiques sociaux de l’entre-
deux-guerres une réponse cohérente aux désordres issus de la crise écono-
mique mondiale, en dessinant une troisième voie alternative au libéralisme et
au socialisme, à l’individualisme et au collectivisme5. Secrète et inavouée chez
certains, plus manifeste et explicite chez d’autres, la fascination pour le cor-
poratisme autoritaire (voire fasciste) travaille l’ensemble des courants du

1. E. MOUNIER, De la propriété capitaliste à la propriété humaine [1934], Œuvres, 1931-1939,


Paris, Le Seuil, 1961, I, p. 470 (in E. MOUNIER, Refaire la Renaissance, op. cit., p. 428).
2. E. MOUNIER, Manifeste au service du personnalisme [1936], Œuvres, 1931-1939, op. cit., I,
p. 604 (in E. MOUNIER, Écrits sur le personnalisme, Paris, Le Seuil, 2000, p. 161).
3. J.  MARITAIN, Humanisme intégral, Œuvres complètes, op. cit., VI, p.  504 (rééd. Aubier,
p. 195). « Par opposition aux diverses conceptions totalitaires de l’État actuellement en vogue il
s’agit là de la conception d’une cité pluraliste, qui assemble dans son unité organique une diver-
sité de groupements et de structures sociales incarnant des libertés positives. [...] La société civile
n’est pas composée seulement d’individus, mais des sociétés particulières formées par ceux-ci ; et
une cité pluraliste reconnaît à ces sociétés particulières une autonomie aussi haute que possible,
et diversifie sa propre structure interne selon les convenances typiques de leur nature. » (Ibid.,
p. 477 ; rééd. Aubier, p. 170). Dès cet ouvrage inaugural, nous l’avons dit, Jacques Maritain ren-
voie au paragraphe de Quadragesimo anno qui définit la subsidiarité.
4. Nous reviendrons également sur la querelle qui a opposé Emmanuel Mounier et Paul
Archambault en 1934 (cf. R. RÉMOND, « La démocratie à l’épreuve », Les Crises du catholi-
cisme en France dans les années 1930 [1979], Paris, Cana, 1996, p. 107-137). Notons ici que, pour
Mounier, qui suit les pas de son aîné Jacques Maritain (il le défendra lors de la fameuse dispute),
la représentation se doit d’être assurée de manière organique et respecter les communautés pri-
maires d’appartenance. Contre le système représentatif libéral qui ne considère le citoyen que
comme un individu abstrait, passif, sans ancrage réel, s’exprimant ponctuellement par le vote, il
faut assurer la participation concrète des personnes à la vie de la communauté politique. Selon
Mounier, un tel schéma implique une seconde chambre à vocation économique et sociale
(complément indispensable de la représentation parlementaire et exécutive), afin que la partici-
pation à la vie de la cité s’exerce au travers des organismes vitaux où le citoyen sait de quoi il
parle. On n’est pas très éloigné de la vision corporatiste de La Tour du Pin (E.  MOUNIER,
« Esprit au congrès franco-italien sur la corporation », Esprit, 1935, 33, p. 474-480).
5. Cf., par exemple, P.  DROULERS, «  L’idée de “corporation” chez les catholiques sociaux
pendant l’entre-deux-guerres  », Mélanges H.  Guitton, Paris, Dalloz, Sirey, 1977, p.  369-384 ;
« L’Action populaire et les Semaines sociales de France, 1919-1939 », Revue d’histoire de l’Église
de France, 1981, 2, p.  227-252 ; H. du  PASSAGE, «  Au bout d’une étape. L’encyclique Qua-
dragesimo anno  », Études, 1931, 208, p.  655 ; «  Retour aux corporations  », ibid., 1934, 218,
p. 724-740 ; A. CRÉTINON, « La pensée corporative chez les catholiques sociaux », Chronique
sociale de France, 1934, 43 (10), p.  693-710, ici p.  707 ; «  Évolution du rôle économique de
l’État », Le Rôle économique de l’État, Lyon, Vitte, Paris, Gabalda, 1922, p. 77-90.
Subsidiarité et ordre économique. La compromission pontificale 97

catholicisme social, s’accentuant d’ailleurs à mesure que les effets de la crise


économique deviennent manifestes1. Les propos peuvent même se faire
inquiétants, particulièrement sous la plume d’un démocrate chrétien si
modéré comme Marcel Prélot, qui, au détour d’une phrase malheureuse, en
vient à parler du corporatisme comme les communistes parlaient de la dicta-
ture du prolétariat :
« On se ferait beaucoup d’illusion si l’on croyait que le régime corporatif puisse
se constituer spontanément de lui-même et exclusivement par en bas. Vraisem-
blablement même, une phase autoritaire sera nécessaire, si l’on veut construire
un ordre corporatif, c’est-à-dire un ensemble organique et articulé, englobant
toute la vie économique et sociale2. »
La réversibilité du modèle organique de Quadragesimo anno n’étant
jamais assumée jusqu’au bout, le camp démocrate du catholicisme ne se don-
nera pas les moyens intellectuels de livrer combat. D’un côté, nous dit-il, les
corporations ont pour mission d’assurer la médiation entre les individus et
l’État en donnant forme au social ; d’un autre côté, cependant, elles sont un
formidable levier dans les mains de l’État, qui dispose ainsi d’une prise sans
égale sur la société. Alors que, par ailleurs, les assimilations sont constantes
sous leur plume (libéralisme et socialisme, socialisme et communisme), les
catholiques sociaux déploient ici des trésors d’énergie pour faire jouer le jeu
des distinctions  : les expériences italienne et allemande, d’une part ; les
modèles autrichien, espagnol et portugais, d’autre part. Non au corporatisme
organiciste, oui à la corporation anti-individualiste, répète-t-on autant pour
se convaincre que pour convaincre. « Corporation, non point corporatisme,
ni État corporatif »3.

Au total, le corporatisme catholique — qu’il soit pontifical ou laïque,


autoritaire ou plus démocratique — ne fait qu’exprimer quelques-uns des
invariants doctrinaux du catholicisme en général et du catholicisme social en
particulier  : référence au bien commun, démembrement de la puissance
publique par la réhabilitation des communautés intermédiaires (familles,
ordres professionnels, territoires), méfiance viscérale à l’égard du parlemen-

1. Qu’il suffise de penser aux publications d’un Georges Jarlot : G. JARLOT, « L’encyclique
Quadragesimo anno “sur la restauration de l’ordre social ...” », Doctrine pontificale et histoire,
II. Pie XI  : doctrine et action, op. cit., p.  246-279 ; «  L’organisation corporative à la Semaine
sociale d’Angers », Études, 1935, 224, p. 450-464 ; Le Régime corporatif et les catholiques sociaux,
op. cit. ; « L’institution », Archives de philosophie du droit, 1936, 12, p. 144-160.
2. M. PRÉLOT, « L’intégration des organes corporatifs dans l’État », op. cit., p. 369-370.
3. E. DUTHOIT, « Par une autorité corporative, vers une économie ordonnée », ibid., p. 46.
Parmi les leçons de Duthoit, où la référence à Quadragesimo anno est permanente  :
E. DUTHOIT, « La conception chrétienne de l’ordre économique international », Le Désordre
de l’économique internationale et la pensée chrétienne, Lyon, Vitte, Paris, Gabalda, 1932,
p.  35-82 ; «  Politique et sens chrétien  », La Société politique et la pensée chrétienne, op. cit.,
p.  27-72 ; «  Par l’éducation, vers l’ordre social chrétien  », Ordre social et éducation, op. cit.,
p. 35-78 ; « Au service de la personne humaine. Pourquoi ? Comment ? », La Personne humaine
en péril, op. cit., p. 39-98. Sur Eugène Duthoit, cf. P. Y. VERKINDT, « L’engagement d’un pro-
fesseur. La question sociale chez Eugène Duthoit », Revue d’histoire des facultés de droit et de la
science juridique, 2002, 22, p. 109-132 ; « Entre solidarisme et corporatisme. Les relations collec-
tives de travail chez Eugène Duthoit », Mélanges O. Pirotte, Lille, PUL, 2004, p. 35-52.
98 La subsidiarité catholique...

tarisme, de la démocratie et du principe majoritaire. C’est à l’intérieur de cet


horizon d’attente antimoderne, plus ou moins explicite selon les auteurs et
les contextes, que la subsidiarité prend tout son sens — dernier avatar de la
corporation chrétienne.

II. CONTEXTUALISATION INTELLECTUELLE


DE LA SUBSIDIARITÉ (1)

À ce premier niveau factuel de contextualisation, doit s’adjoindre une


contextualisation intellectuelle. Le mot subsidiarité ne naît pas ex nihilo en
l’an 1931 : il aura fallu le travail du catholicisme de langue allemande pour
que Pie XI le fasse apparaître sous sa plume. L’analyse plus approfondie de
ses conditions de naissance pourra ici permettre de mieux comprendre ce que
le concept doit à l’Allemagne catholique du xixe  siècle, et en particulier à
Mgr Wilhelm Emmanuel von Ketteler. Père d’un slogan prémonitoire, celui
de subsidiäre Recht1, le baron von Ketteler incarne jusqu’en sa personne
même le creuset culturel duquel jaillira la subsidiarité. Nous voulons parler
de la rencontre du catholicisme et du génie allemand. Catholicisme et génie
allemand qui fusionnent pour ainsi dire dans un même idéal romantique,
celui du vieux Reich germanique, et dans une même nostalgie des origines,
celle d’un Moyen Âge mis à mal par la modernité et l’athéisme, la Réforme et
la Révolution.

1. L’EMPREINTE DU SOLIDARISME GERMANO-CATHOLIQUE

Chose évidente, mais les évidences sont parfois à rappeler  : Quadragesimo


anno est le fruit d’une élaboration collective. Comme pour tout texte enga-
geant l’Église en tant que telle, le mode opératoire répond à des codes
éprouvés  : le Pape fixe les directives générales et fait part de ses inten-
tions ; puis il fait travailler des experts et revoit la version finale avant de la
promulguer.
S’agissant de Quadragesimo anno, c’est au Père Wladimir Ledóchowski, le
Général des jésuites à Rome2, qu’a été confiée la direction des travaux prépa-
ratoires. Il choisit de s’entourer de quatre spécialistes reconnus  : Albert
Muller, Georges Desbuquois, Pierre Danset et Oswald von Nell-Breuning.
Les trois premiers sont francophones ; ils ont rédigé les parties  I et  III de

1. Nous l’avons déjà dit et y reviendrons plus loin au risque de nous répéter. Cf. W. E. von KET-
TELER, « Die Katholiken und das neue deutsche Reich » [1871], Wilhelm Emmanuel von Ket-
telers Schriften, éd. J.  Mumbauer, Kempten, Munich, Kösel’schen Buchhandlung, 1911, II
(Staatspolitische und vaterländische Schriften), p. 162 (extrait de la brochure Die Katholiken im
deutschen Reiche, issu d’un développement intitulé Lehr- und Lernfreiheit). Relevé déjà présent
chez Chantal Delsol et Clemens Bauer (C.  MILLON-DELSOL, L’État subsidiaire, op. cit.,
p. 130 ; C. BAUER, « Ketteler », Staatslexikon, op. cit., 1959, IV, col. 956).
2. Son influence est telle qu’on le surnomme le « Pape noir ».
Subsidiarité et ordre économique. La compromission pontificale 99

l’encyclique : « Quae ex Rerum novarum profluxerint beneficia » ; « Res inde


a Leoniana aetate plurimum mutatae »1. Le quatrième est un jésuite allemand
membre du groupe d’économistes de Königswinter2 ; il a rédigé la partie II,
celle que nous étudions ici  : «  Ecclesiae auctoritas in re sociali et oeco-
nomica ».
Toutes ces notations sont importantes, mais elles n’ont pas vocation à dra-
matiser à l’excès la question de la signature personnelle du texte. Elle est de
toute façon infinie et en grande partie insondable3. Pie XI — et, à travers lui,
l’Église en tant qu’institution — ne doit-il pas, en dernière instance, être
considéré comme l’auteur officiel de la version promulguée de l’encyclique ?
D’autant que le Père Nell-Breuning est moins à considérer ici comme intel-
lectuel singulier faisant valoir sa réflexion propre que comme représentant
d’une école de pensée versée dans les problématiques économiques, l’école
jésuite du solidarisme allemand dont un autre représentant, le Père Gundlach
(futur conseiller du Pape Pie XII), a lui aussi activement participé à l’élabora-
tion du document.
Nous ne souhaitons pas non plus apporter de réponse définitive à la ques-
tion de savoir qui d’Oswald von Nell-Breuning ou de Gustav Gundlach a le
plus inspiré le texte. S’il faut rappeler que la paternité de l’expression principe
de subsidiarité est d’ordinaire — et à juste titre — attribuée au second, s’il
faut également noter que la deuxième partie de l’encyclique a pu être consi-
dérée comme « ein grandioses Plagiat an Gundlach »4, l’intérêt est avant tout
de souligner la provenance culturelle de ces deux catholiques, plus que de
se lancer dans de fastidieuses biographies intellectuelles, à l’aune desquelles
il conviendrait de lire le texte de Quadragesimo anno. Ce qui ne doit pas
faire oublier combien Nell-Breuning lui-même, par ses commentaires doc-

1. Le Père Muller est belge ; son rôle a surtout été décisif dans la phase de finalisation du texte.
Le Père Desbuquois, directeur de l’Action populaire, et le Père Danset sont français ; ils ont
assuré la préparation et la rédaction des première et troisième parties (G. DESBUQUOIS, L’en-
cyclique Quadragesimo anno sur la restauration de l’ordre social, Paris, Spes, 1932 ; « L’infirmité
du capitalisme devant la crise de l’économie internationale », Le Désordre de l’économie interna-
tionale et la pensée chrétienne, op. cit., p.  129-148). Cf. P.  DROULERS, Politique et christia-
nisme. Le Père Desbuquois et l’Action populaire, Paris, Éditions Ouvrières, 1969.
2. Sur le rôle joué par ce cercle spécialisé dans les questions économiques, et de la main de son
principal animateur, cf. O.  von NELL-BREUNING, «  Der Königswinterer Kreis und sein
Anteil an “Quadragesimo anno” », Soziale Verantwortung. Festchrift G. Briefs, dir. J. BROER-
MANN, P.  HERDER-DORNEICH, Berlin, Duncker und Humblot, 1968, p.  571-585. Plus
généralement, cf. F. J. STEGMANN, « Der Sozialpolitische Weg im deutschsprachigen Katholi-
zismus », 90 Jahre Rerum novarum, dir. A. RAUSCHER, Cologne, Bachem, 1982, p. 98-129.
3. Cf. les importants travaux d’Anton Rauscher et de Johannes Schasching basés sur une consul-
tation des archives secrètes du Vatican : A. RAUSCHER, Subsidiaritätsprinzinp und Berufsstän-
dische Ordnung in Quadragesimo anno, Münster, Aschendorffsche Verlagsbuchhandlung, 1958 ;
J. SCHASCHING, Zeitgerecht, zeitbedingt, Nell-Breuning und die Sozialenzyklika Quadrage-
simo anno nach dem Vatikanischen Geheimarchiv, Borheim, Ketteler, 1994. L’ouverture récente
des archives pontificales des années 1930 est venue le confirmer, seuls sont de la plume directe de
Pie XI les paragraphes (91 à 95) qui traitent du corporatisme mussolinien.
4. O. von NELL-BREUNING, « The Drafting of Quadragesimo anno » [1971], Readings in
Moral Theology, V. Official Catholic Social Teaching, New York, Paulist Press, 1986, p. 60-68.
Précisons encore que le premier jet de la contribution du Père Nell-Breuning, jugé trop abscons
et théorique par le Général Ledóchowski, a été partiellement réécrit par le Père Desbuquois.
100 La subsidiarité catholique...

trinaux, et sa position centrale dans le champ intellectuel ultrarhénan, a


contribué, plus qu’aucun autre, à assurer la postérité conceptuelle du principe
de subsidiarité1.

Le parallèle entre Rerum novarum et Quadragesimo anno dépasse le


simple anniversaire doctrinal ; il se vérifie jusque dans l’inspiration person-
nelle des deux documents (de Matteo Liberatore à Oswald von Nell-Breu-
ning, du jésuitisme italique au jésuitisme germanique2), et peut même être
poussé plus loin.
À un niveau collectif tout d’abord : le groupe de Königswinter se signale par
une étroite parenté avec son aînée l’Union de Fribourg (Suisse). Véritable pépi-
nière d’idées à la pointe du renouveau thomiste, l’Union catholique d’études
sociales — de son vrai nom —, est particulièrement emblématique de l’effort
entrepris à la fin du xixe siècle pour rattacher le mouvement social catholique
aux enseignements doctrinaux de l’Aquinate3. Fondée en 1884 par le Cardinal
Gaspard Mermillod, sur les conseils d’un certain René de La Tour du Pin,
encore lui, et avec l’appui personnel du Pape Léon XIII, l’Union joua un rôle
de tout premier ordre dans la maturation de l’encyclique Rerum novarum.
À un niveau individuel ensuite  : outre ce climat général, les équivalents
léoniens, aux côtés du Père Liberatore, des Muller et autres Desbuquois
répondent alors aux noms de Désiré Joseph Mercier, archevêque de Malines,
grande figure de l’Université catholique de Louvain4, et de Giuseppe Toniolo,

1. Cf. O.  von NELL-BREUNING, «  Um den berufsständischen Gedanken. Zur Enzyklika


Quadragesimo anno  », Stimmen der Zeit, 1931-1932, 122, p.  36-52 ; Die Soziale Enzyklika.
Erläuterungen zum Weltrundschreiben Papst Pius XI. über die gesellschaftliche Ordnung,
Cologne, Katholische Tat, 1932 ; «  Das Subsidiaritätsprinzip als wirtschaftliches Ordnungs-
prinzip », Festschrift F. Degenfeld, Vienne, Herold, 1952, p. 81-92 ; « Zur Sozialreform. Erwä-
gungen zum Subsidiaritätsprinzip », Stimmen der Zeit, 1955-1956, 157 (1), p. 1-11 ; Wirtschaft
und Gesellschaft heute, I-II, Fribourg, Herder, 1956-1957 ; «  Subsidiaritätsprinzip  », Staats-
lexikon, op. cit., 1962, VII, col.  826-833 ; Soziallehre der Kirche, Vienne, Europaverlag, 1977,
p.  52  sq. Sur Gundlach, cf. A.  RAUSCHER, Gustav Gundlach, Paderborn, Schöningh, 1988 ;
«  Theory and Critique of Capitalism in Gustav Gundlach  », The Theory of Capitalism in
German Economic Tradition, éd. P. KOSLOWSKI, Berlin, New York Springer, 2000, p. 397-
412.
2. Cf. M.  LIBERATORE, Principes d’économie politique [1894], trad. fr. M.-A. Silvestre
de Sacy, Paris, Poitiers, Oudin, 1899. Le Père Liberatore est resté célèbre pour avoir rédigé le
premier projet de Rerum novarum. Cf. Écriture, contenu et réception d’une encyclique, Rome,
École française de Rome, 1997 ; G.  JARLOT, «  Les avant-projets de Rerum novarum et
les anciennes corporations », Nouvelle revue théologique, 1959, 81 (1), p. 60-77 ; P. MISNER,
« The Predecessors of Rerum novarum », Review of Social Economy, 1991, 49 (4), p. 444-464 ;
A. M. C. WATERMAN, « The Intellectual Context of Rerum novarum », ibid., p. 465-482.
3. L’objectif immédiat consistait à promouvoir une législation internationale du travail d’inspi-
ration chrétienne. L’ambition stratégique était de regrouper les catholiques sociaux désireux de
se doter d’une structure internationale à la manière des socialistes mais l’Union ne dépassa pas
les frontières assez réduites de l’Europe rhénane et transalpine. Parmi ses membres les plus
assidus, outre le Suisse Mermillod, citons l’Allemand Löwenstein, le Belge Doutreloux et l’Au-
trichien Vogelsang. Cf. J. JOBLIN, « L’appel de l’Union de Fribourg à Léon XIII en faveur d’un
législation internationale du travail. Son lien avec Rerum novarum », Archivum historiae ponti-
ficae, 1990, 28, p.  346-372 ; et plus généralement P.  MISNER, Social Catholicism in Europe.
From the Onset of Industrialization to the First World War, New York, Crossroad, 1991.
4. Resté célèbre pour avoir créé l’Institut supérieur de philosophie et initié le Code de Malines.
Subsidiarité et ordre économique. La compromission pontificale 101

théoricien padouan du catholicisme social, animateur de l’Union catholique


pour les études sociales. À le lire avec attention, on constate, plus en amont
encore, qu’un auteur revient en permanence sous sa plume  : l’incontour-
nable Luigi Taparelli d’Azeglio, cheville ouvrière du renouveau thomiste en
Italie1.
L’équivalent allemand de Taparelli a un nom : Joseph Wilhelm Kleutgen2.
Celui de Toniolo également : Heinrich Pesch. D’une encyclique à l’autre, les
influences intellectuelles restent les mêmes mais elles se déplacent du Sud des
Alpes vers le Nord. Derrière Liberatore et Mercier, il y avait Taparelli et
Toniolo ; derrière Oswald von Nell-Breuning et Gustav Gundlach, il y a tout
autant Heinrich Pesch, Joseph Kleutgen et, ultimement, Mgr von Ketteler3.
Telle est la séquence que nous proposons d’examiner : Quadragesimo anno
est le fruit de la rencontre entre l’École solidariste peschienne — surgeon du
néothomisme kettelérien —, et le contexte de la Crise de 1929. Reprenons
ces trois points : le solidarisme peschien, la crise économique, la matrice ket-
telérienne.
L’École solidariste allemande d’abord. La subsidiarité puisera l’essentiel de
sa signification dans ce courant germanique du catholicisme social qui a voulu
élaborer une conceptualisation chrétienne du principe de solidarité4. Incarné

1. L.  TAPARELLI d’AZEGLIO, Essai sur les principes de l’économie politique [1856-1882],
trad. fr. R. Jacquin, Paris, Lethielleux, 1943. Pour une biographie, cf. l’ouvrage de son principal
traducteur en français (R. JACQUIN, Taparelli d’Azeglio, Paris, Lethielleux, 1943 ; Essai sur les
principes philosophiques de l’économie politique [1856-1862], trad. fr. R. Jacquin, Paris, Lethiel-
leux, 1943). Fondateur en 1893 de la Rivista internazionale di scienze sociali et initiateur du
concept d’économie sociale (G.  TONIOLO, Trattato di economia sociale [1908], Vatican,
Comitato opera omnia di G. Toniolo, 1949), Giuseppe Toniolo a pu apparaître comme l’un des
précurseurs de la démocratie chrétienne (G. TONIOLO, La Notion chrétienne de la démocratie
[1896], trad. fr., Paris, La Bonne Presse, 1897). Il en rappelle surtout l’origine intransigeante  :
imprégné de néoguelfisme ultramontain, il fut, avec le Père Liberatore, la grande figure de la
Civiltà cattolica, organe du catholicisme le plus antilibéral. Nous reviendrons plus bas sur le
fondement religieux de sa définition de la démocratie. Sur les tout débuts de la Civiltà cattolica,
cf. P.  DROULERS, «  Question sociale, État, Église dans la Civiltà cattolica à ses débuts  »,
Chiesa e Stato nell’Ottocento. Miscellanea P. Pirri, Padoue, Antenore, 1962, p. 123-147.
2. Outre-Rhin, c’est en effet chez le Père Joseph Kleutgen que l’on trouve la relecture doctrinale
la plus aboutie de l’œuvre de saint Thomas. Léon XIII ne s’y trompera pas, qui lui demandera de
rédiger le premier jet de son encyclique de 1879 lançant le renouveau thomiste (LÉON XIII,
Aeterni Patris ; in H. DENZINGER, 3135-3140, p. 700-701). Cf. J. W. K. KLEUTGEN, Die
Theologie des Vorzeit, I-V [1853-1870], Münster, Theissing, 1867-1874.
3. Ajoutons ici le Père Cathrein, auteur de la notice « Staat » du Staatslexikon (V. CATHREIN,
« Staat », Staatslexikon, op. cit., 1897, V, col. 216-242). Avec le Père Lehmkuhl, Viktor Cathrein
fut un élément pivot de la revue Stimmen aus Maria Laach, devenu Stimmen der Zeit, après la fin
de l’exil hollandais des jésuites allemands. Outre le Staatslexikon de la société Görres (dont la
première parution s’est étalée de 1889 à 1933), relevons, parmi les autres publications significa-
tives du catholicisme allemand, le Wörterbuch der Politik édité après-guerre par les soins de
Hermann Sacher et d’Oswald von Nell-Breuning : O. von NELL-BREUNING, H. SACHER,
dir., Wörterbuch der Politik, I-V, Fribourg, Herder, 1947-1958.
4. Cf. G. GUNDLACH, « Solidarismus, Einzelmensch, Gemeinschaft », Gregorianum, 1936,
17 (1), p. 265-295 ; « Solidaritätsprinzip » [1931], Staatslexikon, op. cit., 1962, VII, col. 119-122 ;
« Le Français Pierre Leroux a forgé le concept de solidarité dans l’intention de contrer la notion
de charité chrétienne. Le radical Léon Bourgeois lui donna des débouchés sur le terrain politique
tout en contribuant à sa thématisation théorique (L. BOURGEOIS, Solidarité [1896], Latresne,
Le Bord de l’eau, 2008). Premier auteur allemand à s’y référer, Heinrich Pesch s’est directement
inspiré de Léon Bourgeois mais en tentant une conceptualisation catholique du principe de soli-
102 La subsidiarité catholique...

par le Père jésuite Heinrich Pesch, le solidarisme entrait alors en complète


résonance avec la pensée d’un Léon XIII  : rejet de la mentalité capitaliste,
condamnation de la course débridée aux profits, extrême sensibilité aux inéga-
lités sociales. Mais l’apport inédit du solidarisme peschien fut peut-être d’in-
sister sur quelque chose d’assez inavouable pour un pape : la compossibilité
entre système capitaliste et éthique catholique. Si, enseigne le Père jésuite,
l’esprit envahissant du capitalisme (sa tendance à sortir de sa sphère propre et
à s’ériger en véritable esprit) est à rejeter avec fermeté, les lois du marché
comme système économique sont, elles, en revanche, tout à fait intégrables
par la morale catholique, au premier rang desquelles la propriété privée.
Pareille distinction (dont on mesure les effets tranquillisants) épargnera bien
des soucis à la hiérarchie catholique : c’est à son aune qu’il faut comprendre
la tendance des papes, en phase avec la fibre antichrématistique du catholi-
cisme traditionnel, à formuler des jugements tranchants sur le capitalisme, sur
l’argent, sur l’exclusion du prolétariat, tout en défendant le marché, bon an
mal an. La Sozialpolitik réformiste contre la Sozialreform anticapitaliste, pour-
rait-on dire en reprenant les catégories autrichiennes évoquées plus haut. Sans
proposer d’alternative au fonctionnement capitaliste, donc, Pesch, à l’instar
des papes, n’en préconisait pas moins le dépassement de la lutte des classes par
la création de corporations regroupant ouvriers et patrons. Toujours ce même
dilemme qui travaillera la subsidiarité catholique et son programme corpora-
tiste des années 1930 : acceptation progressive de l’économie moderne d’une
part, maintien inflexible du schéma transclassiste d’autre part.
Les ingrédients conceptuels sont ainsi réunis pour la formulation officielle
de la troisième voie catholique et l’idéologie corporatiste qui prennent leur
essor dans l’entre-deux-guerres. Il y aurait ici à brosser le portrait croisé de la
recette chrétienne version catholicisme allemand et de son homologue fran-
çais, le solidarisme républicain, lequel ne parviendra jamais à effacer sa pro-
venance religieuse — jusques et y compris dans le discours conjuratoire tenu
par les principaux protagonistes du nouveau catéchisme1. Qu’il suffise de

darité (H.  PESCH, Lehrbuch der Nationalökonomie [1905-1925], Fribourg, Herdersche Ver-
lagsbuchhandlung, 1926). Cf. G.  GUNDLACH, «  Pesch  », Staatslexikon, op. cit., 1961, VI,
col.  226-229 ; R.  E. MULCAHY, «  The Peschian Value Paradox  : A Key to the Function of
Vocational Groups », Review of Social Economy, 1952, 10 (1), p. 32-51 ; The Economics of Hein-
rich Pesch, New York, Henry Holt and Company, 1952 ; « The Welfare Economics of Heinrich
Pesch », The Quarterly Journal of Economics, 1949, 63 (3), p. 342-360 ; A. L. HARRIS, « The
Scholastic Revival : The Economics of Heinrich Pesch », The Journal of Political Economy, 1946,
54 (1), p. 38-59. Pour une synthèse plus récente, cf. R. J. EDERER, « Heinrich Pesch, Solidarity,
and Social Encyclicals », Review of Social Economy, 1991, 49 (4), p. 596-610 ; P. KOSLOWSKI,
« Solidarism, Capitalism, and Economic Ethics in Heinrich Pesch », The Theory of Capitalism in
German Economic Tradition, op. cit., p. 371-394.
1. D’Alfred Fouillée à Émile Durkheim en passant par Léon Bourgeois, Léon Duguit et Célestin
Bouglé  : A.  FOUILLÉE, La Propriété sociale et la démocratie [1884], Lormont, Le Bord de
l’eau, 2008 ; Les Éléments sociologiques de la morale [1905], Paris, Alcan, 1928 ; C. BOUGLÉ,
Solidarisme et libéralisme [1904], Paris, L’Harmattan, 2009 ; Le Solidarisme [1907], Paris, Giard,
1924 ; « Note sur les origines chrétiennes du solidarisme », Revue de métaphysique et de morale,
1906, 14, p. 251-264. Une parenté est à établir avec un Charles Renouvier ou un Henry Michel,
qui tentent de définir un « socialisme libéral » (H. MICHEL, L’Idée de l’État. Essai critique sur
l’histoire des théories sociales et politiques en France depuis la Révolution [1895-1898], Paris,
Subsidiarité et ordre économique. La compromission pontificale 103

penser, en particulier, à Charles Gide, grande figure nîmoise du christianisme


social et du mouvement coopératif1. De part et d’autre, on cherche le même
dépassement syncrétique du libéralisme et du socialisme, qui, tour à tour,
prendra le nom de solidarisme ou de « socialisme juridique » et/ou « libéral »2.
Le contexte de la crise ensuite. Si elle réitère un message déjà contenu dans
Rerum novarum, Quadragesimo anno se situe désormais sur un terrain à
haute teneur économique. L’enjeu n’est plus de répondre au seul défi ouvrier
(ce qu’au xixe siècle on appelait pudiquement la question sociale) ; il est bien
davantage de répondre au problème de la stabilité d’un ordre économique et
social totalement bouleversé par la Crise de 19293. Témoignent de cette nou-
velle sensibilité aux enjeux économiques, les travaux des Semaines sociales de
France, ceux menés en 1931, par exemple4. Côté allemand, la nouvelle confi-
guration en train d’émerger donnera naissance à la deuxième génération du
«  personnalisme économique  »5. Constituée pour l’essentiel des héritiers
d’Heinrich Pesch et réunie au sein du groupe de Königswinter, cette École
néosolidariste de l’entre-deux-guerres sera le principal laboratoire d’incuba-
tion de la pensée pontificale, alors en cours de reformulation6. Autour de

Fayard, 2003). Sur Renouvier, dont nous avons relevé plus haut le dialogue avec le personna-
lisme, cf. M.-C. BLAIS, Au principe de la république. Le cas Renouvier, Paris, Gallimard, 2000,
surtout p. 70 sq., p. 295 sq. ; Corpus, 2003, 45. Sur Michel, cf. S. AUDIER, « Une conception de
l’État “socialiste libérale” ? Henry Michel et les mutations de l’idée républicaine de l’État  »,
Corpus, 2005, 48, p. 85-145. Pour une critique (assez sévère) du solidarisme juridique, ici contra-
distingué du socialisme juridique, cf. N. et. A.-J. ARNAUD, « Une doctrine de l’État tranquil-
lisante : le solidarisme juridique », Archives de philosophie du droit, 1976, 21, p. 131-151 ; « Le
socialisme juridique à la “Belle Époque” : visages d’une aberration », Quaderni fiorentini, 1974-
1975, 3-4, p. 25-54.
1. Cf. C. GIDE, La Solidarité [1928], Paris, PUF, 1932.
2. Cette empreinte solidariste antisocialiste trouvera également une expression dans la jurispru-
dence administrative sur la création de services publics locaux, jurisprudence qui défend une
notion du service public comme troisième voie alternative au libéralisme et au socialisme. Nous
pensons à la résistance du Conseil d’État face au socialisme municipal (CONSEIL d’ÉTAT,
Casanova, 29 mars 1901 ; Rec., 1901, p. 333), qui ne prendra véritablement fin qu’au lendemain
de la Seconde Guerre mondiale. Nous reviendrons sur Maurice Hauriou — auteur de la fameuse
note publiée sous l’arrêt Casanova — et son dialogue avec Léon Duguit. De manière générale,
cf. J. DONZELOT, L’Invention du social, Paris, Le Seuil, 1984, p. 73-120. Notons par ailleurs
que Gabriel Almond a fortement établi la parenté entre personnalisme chrétien (France, Bel-
gique) et solidarisme chrétien (Allemagne, Autriche) (G. A. ALMOND, « The Political Ideas of
Christian Democracy », The Journal of Politics, 1948, 10 (4), p. 734-763).
3. Cf. M.-D. CHENU, La « Doctrine sociale » de l’Église comme idéologie, op. cit., p. 34.
4. Cf. R. P. DUCATILLON, « Quarante ans après Rerum novarum : l’ordre social chrétien et
l’encyclique Quadragesimo anno  », La Morale chrétienne et les affaires, Lyon, Vitte, Paris,
Gabalda, 1931, p. 507-522 ; J. VIALATOUX, « Primauté du spirituel dans les affaires », ibid.,
p.  145-174. Dès la Semaine sociale de 1922, cf. deux leçons en particulier  : E.  DUTHOIT,
« Comment adapter l’État à ses fonctions économiques », Le Rôle économique de l’État, op. cit.,
p.  33-60 ; J.  VIALATOUX, «  La notion d’économie politique. Relation entre le désordre de
notre économie et l’oubli de la vraie nature de l’ordre économique », ibid., p. 147-168.
5. E. J. O’BOYLE, Personalist Economics, Boston, et al., Kluwer Academic, 1998.
6. Outre Nell-Breuning et Gundlach, citons Jakob Barion, Theodor Brauer, Paul Jostock, Rudolf
Kaibach, Johannes Messner, Otto Schilling, Wilhelm Schwer, Johannes Joseph van der Velden,
Johann Baptist Schuster. Cf. J. J. van DER VELDEN, éd., Die Berufsständische Ordnung. Idee
und praktische Möglichkeiten, Cologne, Katholische Tat, 1932 ; J.  B. SCHUSTER, Die Sozial-
lehre nach Leo XIII. und Pius XI. unter besonderer Berücksichtigung der Beziehungen zwischen
Einzelmensch und Gemeinschaft, Fribourg, Herder, 1935, spécialement p. 94 sq.
104 La subsidiarité catholique...

Gustav Gundlach et d’Oswald von Nell-Breuning, les deux têtes pensantes


les plus introduites dans la hiérarchie vaticane, on tente de mieux comprendre
le fonctionnement de l’économie moderne tout en restant fidèle à l’enseigne-
ment du maître. En marge du groupe, trois catholiques allemands de la dias-
pora américaine, Goetz Briefs, Franz Müller et Heinrich Rommen contri-
bueront à lui donner un rayonnement international1. Tous, quels que soient
leur coefficient personnel et leur influence intellectuelle, s’efforceront de
densifier la réflexion économique de l’Église catholique, thématisant à nou-
veaux frais les notions de solidarité et de corporation. Malgré une reprise
assez nette des anciennes leçons peschiennes, l’inspiration sociale-démocrate
se fait désormais un peu plus présente, qui ne manquera pas de déployer ses
pleins effets au lendemain de la Seconde Guerre mondiale dans l’Allemagne
des années 1945-1949 (nous y reviendrons). Comme en attestent par ailleurs
ses différentes prises de position en faveur de la Confédération allemande des
syndicats, le Père Nell-Breuning se tint toujours à nette distance du corpora-
tisme autoritaire et conservateur2.
Ajoutons, avec prudence toutefois — car cette notation s’accompagne
souvent d’un arrière-goût fortement déplaisant — que le poids très apparent

1. Goetz Briefs et Franz Müller (le second fut l’étudiant puis l’assistant du premier) ont tous les
deux joué un rôle déterminant outre-Atlantique dans la création en 1941 de l’association catho-
lique d’économie (Catholic Economics Association), devenue Association for Social Economics au
début des années 1970. Sur Goetz Briefs, cf. Review of Social Economy, 1983, 41 (3). De Hein-
rich Rommen citons principalement H. A. ROMMEN, The State in Catholic Thought [1935],
Saint-Louis, Herder, 1950. De Franz Müller, les écrits sont très prolifiques. Nous mentionnons
ici ceux relatifs au solidarisme et à la subsidiarité  : F.  H. MÜLLER, Heinrich Pesch and His
Theory of Christian Solidarism, Saint Paul, College of Saint Thomas, 1941 ; « The Principle of
Subsidiarity in the Christian Tradition  », The American Catholic Sociological Review, 1943,
4 (3), p. 144-157 ; « The Development of the Modern Dualism Between State and Society », ibid.,
1943, 4 (4), p. 185-193 ; « The Rise of Modern Society », ibid., 1945, 6 (1), p. 33-41 ; « The Prin-
ciple of Solidarity in the Teachings of Father Heinrich Pesch », Review of Social Economy, 1946,
4 (1), p. 31-39 ; « In Memoriam : Gustav Gundlach », Review of Social Economy, 1964, 22 (2),
p. 130-134 ; « Heinrich Pesch. Social Philosopher and Economist. The Currency of the Idea of
Solidarism », Jahrbuch für christliche Sozialwissenschaften, 1977, 18, p. 181-204 ; « Social Eco-
nomics  : The Perspective of Pesch and Solidarism  », Review of Social Economy, 1977, 35 (3),
p.  293-297 ; The Church and the Social Question, American Enterprise Institute for Public
Policy Research, 1984 ; « Random Comments on the Economics of Rerum novarum », Review
of Social Economy, 1991, 49 (4), p.  502-513 ; «  Solidarism  », The New Dictionary of Catholic
Social Thought, dir. J.  A. DWYER, Collegeville, The Liturgical Press, 1994, p.  906-908 ;
« Pesch », ibid., p. 738-739 ; « The Principle of Solidarity in Teachings of Father Henry Pesch »,
Review of Social Economy, 2005, 63 (3), p. 347-355.
2. Révélateur d’un fort intérêt pour les problématiques d’ingénierie financière, le parcours uni-
versitaire du Père Nell-Breuning parle de lui-même. Auteur d’une thèse sur l’éthique de la
Bourse soutenue en 1928 à l’Université de Münster — travail qui lui a valu son entrée dans les
cercles intellectuels du Vatican —, il fut, dans l’immédiat après-guerre, chargé de la gestion éco-
nomique de la province jésuite d’Allemagne du Nord. Devenu professeur à la Faculté Sankt
Georgen, il restera pour longtemps le spécialiste ès sciences économiques du catholicisme alle-
mand. C’est ainsi qu’à partir de 1948 Oswald von Nell-Breuning occupe une chaire d’éthique
économique et sociale à l’université de Francfort ; et que, de 1948 à 1965, il est membre actif du
conseil scientifique du ministre fédéral de l’Économie, Ludwig Erhard. Sans pour autant s’atta-
cher à la seule rive droite de l’échiquier politique (CDU) : dès la fin des années 1940, il se fait le
défenseur du syndicalisme allemand et de la Confédération des syndicats (DGB). En 1959, il est
consulté par le SPD lors de la préparation du fameux congrès de Bad-Godesberg (le programme
social-démocrate qui en ressortira parlera explicitement d’éthique chrétienne).
Subsidiarité et ordre économique. La compromission pontificale 105

de ce catholicisme germanique (non seulement allemand mais aussi autrichien


et helvétique) au sein de l’appareil romain peut s’interpréter comme un des
aspects de ce que certains observateurs ont appelé, pour la stigmatiser, l’arya-
nisation du Vatican1, à savoir la montée en puissance (numérique) des catho-
liques germanophones dans l’entourage direct des papes de la première moitié
du xxe siècle — de l’austrophilie chiésienne (Benoît XV) à la germanophilie
pacellienne (Pie XII). L’effet de contexte est tout à fait décisif : la France vit à
l’heure de la laïcité républicaine, l’Italie à l’heure de l’unité nationale, l’Es-
pagne à l’heure de l’instabilité politique. En dehors de la parenthèse autri-
chienne du joséphisme, c’est bien en ces terres germanophones que les vues
ultramontaines seront les plus diffusées parmi les catholiques2. Force de l’ul-
tramontanisme mais, paradoxalement, faible imprégnation du thomisme. À la
différence, en effet, des pays de tradition latine (France, Belgique, Italie,
Suisse francophone), les aires germanophones sont celles dans lesquelles la
philosophie thomiste a peut-être le moins imprégné les milieux catholiques,
restés fidèles, pour l’essentiel, à une certaine tradition augustinienne3. Son-
geons à la théologie d’un Romano Guardini4, ou au rayonnement de philo-
sophes existentialistes comme Max Scheler et Paul Ludwig Landsberg5. Nous
verrons plus loin que ce contexte intellectuel donnera un tour particulier à la
réception ultrarhénane de saint Thomas.

2. LA FIGURE TUTÉLAIRE DE MGR VON KETTELER

La source kettelérienne enfin, foyer de sens ultime du catholicisme allemand.


Nous arrêterons là, pour l’instant, notre régression historique.
Les indices sont nombreux, qui conduisent à ériger Ketteler en père fonda-
teur de la subsidiarité6. À y regarder de près, en effet, la plupart des ingré-

1. Cf. R.  LOURAU, Le Principe de subsidiarité contre l’Europe, Paris, PUF, 1997, p.  75 ;
A.  LACROIX-RIZ, Le Vatican, l’Europe et le Reich de la Première Guerre mondiale à la
Guerre froide, op. cit. (cette thèse de sensibilité marxiste a largement été remise en cause).
2. Mentionnons, par exemple, la parution de 1845 à 1872 du Kirchenrecht en sept tomes de
Georg Phillips, grand canoniste allemand dont les thèses n’ont vraiment rien à envier à Joseph de
Maistre (G. PHILLIPS, Kirchenrecht I-VII, Ratisbonne, Manz, 1845-1872, 11 volumes).
3. Hormis Mgr von Ketteler, un théologien jésuite fait exception : Joseph Wilhelm Kleutgen.
4. Et d’un Karl Barth, côté protestant. Pensons à sa relecture de l’épître aux Romains (K. BARTH,
L’Épître aux Romains [1919, 1922], trad. fr. P. Jundt, Genève, Labor et Fides, 1972).
5. Peut-être sont-ce là les authentiques pères spirituels du personnalisme chrétien. Avant même
Emmanuel Mounier et Esprit, le personnalisme chrétien de l’entre-deux-guerres a en effet trouvé
ses linéaments dès les années 1920 en Allemagne chez un Max Scheler et un Paul-Ludwig Lands-
berg (le second fut l’élève du premier) (M. SCHELER, Der Formalismus in der Ethik und die
materiale Wertethik. Neuer Versuch der Grundlegung eines ethischen Personalismus [1921],
Bonn, Bouvier, 2009 ; P. L. LANDSBERG, Die Welt des Mittelalters und wir. Ein geschichtsphi-
losophischer Versuch über den Sinn eines Zeitalters [1922], Berlin, Cohen, 1925 ; Pierres blanches.
Problèmes du personnalisme [1934-1944, 1952], Paris, Le Félin, 2007).
6. Cf. L. ROOS, « Kirche, Politik, soziale Frage : Bischof Ketteler als Wegbereiter des sozialen
und politischen Katholizismus », Die Soziale Verantwortung der Kirche, éd. A. RAUSCHER,
L. ROOS, Cologne, Bachem, 1979, p. 21-62 ; M. J. O’MALLEY, « Currents in XIXth Century
German Law, and Subsidiarity’s Emergence as a Social Principle in the Writings of Wilhelm
Ketteler », Journal of Law, Philosophy and Culture, 2008, 2 (1), p. 23-53.
106 La subsidiarité catholique...

dients doctrinaux sont d’ores et déjà réunis sous sa plume : volonté de dépas-
sement du libéralisme et du socialisme ; réconciliation des classes sociales
autour d’une troisième voie catholique ; affirmation du primat de la société
sur le politique et conception instrumentale de l’État réservant la place cen-
trale à l’Église, seule institution parfaitement légitime. Mais, plus encore que
tout cela, Ketteler est le catholique du xixe  siècle qui a le plus fortement
contribué à donner une dimension religieuse et confessionnelle au mot
d’ordre de la corporation1.
Dépassement du socialisme et du libéralisme, c’est bien là le slogan du
catholicisme social en train de naître au xixe siècle. Aujourd’hui oublié, Ket-
teler, cette figure germanique du prêtre en politique, en est pourtant l’un des
principaux accoucheurs, l’«  initiateur immortel  », selon les mots élogieux
d’Albert de Mun2. Son action sacerdotale et politique autant que sa réflexion
doctrinale en constituent effectivement l’une des premières manifestations
significatives. Investi comme aucun autre représentant du clergé dans les pro-
blèmes de son temps, il pesa de tout son poids personnel pour faire du catho-
licisme social la ligne officielle de l’Église allemande3. Avant beaucoup
d’autres, il s’est attaché à formuler les principes catholiques d’une réforme
sociale (katholische Soziallehre) et à proposer des réponses concrètes à la
question ouvrière, au point que le Pape Pecci en personne reconnaîtra en lui
son principal précurseur4. Mais ne personnalisons pas à l’excès notre généa-
logie conceptuelle : pas de doctrine formalisée chez Mgr von Ketteler, seule-
ment une suite de textes de circonstance et de prises de position politique, qui
témoignent d’une forte sensibilité à l’environnement social de l’époque. Le
prélat n’a pas tant développé une pensée propre que fécondé et redécouvert
pour son temps l’héritage doctrinal de l’Église. Somme toute, son ambition
fut assez emblématique du catholicisme européen du xixe siècle : réconcilier
l’Église et le peuple, ce peuple érigé en grande victime de la bourgeoisie libé-
rale ; apporter des réponses chrétiennes à la question sociale5. On pourrait
presque dire, avec Antonio Gramsci, qu’il incarne, par excellence, l’« intellec-

1. Point déjà relevé par Louis Baudin (L. BAUDIN, Le Corporatisme, op. cit., p. 4).
2. A.  de MUN, Ma vocation sociale [1871-1875], Paris, Lethielleux, 1908, p.  14. Cf. aussi
R.  AUBERT, «  Monseigneur de Ketteler, évêque de Mayence, et les origines du catholicisme
social  », Collectanea Mechliniensia, 1947, 32, p.  534-539 ; Le Pontificat de Pie IX, 1846-1878
[1952], Paris, Bloud et Gay, 1964 ; K. J. RIVINIUS, « Ketteler und die katholisches Sozialbewe-
gung im 19. Jahrhundert  », Theologie und Glaube, 1977, 67, p.  309-331. Pour des précisions
biographiques, cf. O. PFÜLF, Bischof von Ketteler (1811-1887). Eine geschichtliche Darstellung,
Mayence, Kirchheim, 1899 ; H.  de BIGAULT, «  Monseigneur Guillaume de Ketteler, évêque
de Mayence (1811-1877) », Études, 1900, 82, p. 721-742, 83, p. 49-62 ; C. PEYROUX, Ketteler.
Sa vie, ses idées politiques et sociales, Limoges, Éditions du Petit Démocrate, 1911.
3. Il y parvint partiellement lors de la conférence annuelle des évêques tenue à Fulda en 1869.
4. C’est notamment par l’intermédiaire d’un autre aristocrate allemand, le comte Franz von
Küfstein, animateur — à Rome — d’un cercle de réflexion sur les questions sociales, que l’in-
fluence de l’évêque de Mayence a pu se diffuser dans l’entourage direct de Léon XIII.
5. « Face à la dure montée de la civilisation industrielle, écrit J.-M. Mayeur, les intransigeants
aspirent à un retour au monde traditionnel : l’aristocratie ou le clergé nourrissent le projet d’une
alliance avec le “bon peuple”, préservé de la contagion révolutionnaire, contre la bourgeoisie
libérale. » (J.-M. MAYEUR, Catholicisme social et démocratie chrétienne, op. cit., p. 22-23).
Subsidiarité et ordre économique. La compromission pontificale 107

tuel organique » des derniers cercles de l’aristocratie catholique allemande en


effroi devant le libéralisme et l’athéisme de la modernité industrielle1.
En 1848, quatre ans après son ordination, il faisait déjà des premiers pas
remarqués dans le débat public d’outre-Rhin : envoyé au Parlement de Franc-
fort, il prononce à Mayence six sermons sur « les grandes questions sociales »2.
Sa dénonciation des abus du capitalisme et du droit de propriété se situait
alors dans la plus pure tradition du catholicisme conservateur : il ne proposait
guère autre chose que la réforme morale intérieure par la conversion au chris-
tianisme. Mais la parole kettelérienne fait date. C’est une fois devenu évêque
en 1850 qu’il évolue plus résolument vers le camp de la Staatshilfe, au point
même de réclamer avec insistance l’intervention de l’État à partir du milieu
des années 18603. Le déclic est vraisemblablement à rechercher du côté de la
controverse soulevée vers 1863 entre Hermann Schulze-Delitzsch, écono-
miste libéral partisan de la Selbsthilfe, et Ferdinand Lassalle, pourfendeur de
l’école manchestérienne. À considérer les termes du débat, Ketteler se révèle
en parfait accord avec le diagnostic du théoricien socialiste de la loi d’airain
des salaires ; mais s’il ne craint pas d’exprimer son adhésion à la partie critique
du constat lassallien (rejet du capitalisme et de l’esprit bourgeois, haine anti-
chrématistique de l’argent), il refuse bien sûr d’en reprendre le programme
d’action qui en découle (la centralisation étatique de l’économie). Publié en
1864, le maître ouvrage de Ketteler, La Question ouvrière et le christianisme
(Die Arbeitfrage und das Christentum), sera le produit direct de cette discus-
sion théorique entre catholicisme, socialisme et libéralisme4. Sans façon ni
détour, il s’y déclare fermement opposé à la liberté du travail ainsi qu’à la
libre concurrence. De la même manière, l’exposé de son idéal économique ne
dissimule pas ses affinités socialistes  : mettre le capital des entreprises à la
disposition du travail, établir des coopératives de production, ériger les tra-
vailleurs en propriétaires des usines. Pareille fibre sociale, qui n’hésitera pas à

1. Sur la notion d’intellectuel organique, cf. A. GRAMSCI, Cahier 3 [1930], Cahiers de prison
1-5 [1974-1976], trad. fr. M. Aymard, F. Bouillot, Paris, Gallimard, 1996, p. 309 sq. Mais, Émile
Poulat nous l’a appris, le conflit de l’Église avec l’esprit bourgeois est moins à comprendre dans
une confrontation binaire (catholicisme contre libéralisme) que dans un jeu triangulaire entre
catholicisme, libéralisme et socialisme (É. POULAT, Église contre bourgeoisie, op. cit.). Préci-
sons que le Pape Pecci n’hérite pas de la seule tradition continentale du catholicisme social,
majoritairement issue de l’aristocratie. Il s’est également beaucoup inspiré du catholicisme
anglo-saxon d’ascendance plébéienne. Pensons au Cardinal James Gibbons, archevêque de Balti-
more, et au Cardinal Henry Edward Manning, archevêque de Westminster, qui a eu droit au
surnom de prélat des ouvriers pour avoir soutenu la grève des dockers londoniens en 1889.
2. W.  E. von  KETTELER, Die Großen sozialen Fragen der Gegenwart. Sechs Predigten
gehalten in Mainz im Jahre 1848, Mayence, Kirchheim, 1878. Cf. aussi, dans les Staatspolitische
und vaterländische Schriften de Ketteler, « Die Grundlagen der Gesellschaft », Wilhelm Emma-
nuel von Kettelers Schriften, op. cit., II, p. 210 sq. Renvoyons aussi à l’étude récente de Martin
O’Malley (M.  J. O’MALLEY, Wilhelm Ketteler and the Birth of Modern Catholic Social
Thought. A Catholic Manifesto in Revolutionary 1848, Munich, Herbert Utz, 2008).
3. R. TALMY, Aux sources du catholicisme social, Tournai, Desclée, 1963, p. 34.
4. En partie menée sous la forme d’une correspondance anonyme  : W.  E. von  KETTELER,
La Question ouvrière et le christianisme [1864], trad. fr. É. Cloes, Liège, Grandmont-Donders,
1869. La version originale du texte allemand a été republiée dans les Soziale Schriften und Per-
sönliches (W. E. von KETTELER, « Die Arbeitfrage und das Christentum », Wilhelm Emma-
nuel von Kettelers Schriften, op. cit., III (Soziale Schriften und Persönliches), p. 1-144).
108 La subsidiarité catholique...

appuyer la plupart des revendications ouvrières, ne sera pas sans inquiéter ses
anciens compagnons de route conservateurs ; ils auront beau jeu de voir là
une simple reformulation catholique du socialisme. Débat récurrent à l’inté-
rieur du catholicisme allemand comme en témoigneront, au lendemain de la
Seconde Guerre mondiale, les discussions passionnées autour du « socialisme
chrétien  »1. Nous verrons qu’une fois parée des attributs de la démocratie
chrétienne, la subsidiarité assurera le pont entre ces deux tendances de la
culture catholique2.
Parler de socialisme chrétien serait impropre. La condamnation kettelé-
rienne du libéralisme est éthique et spirituelle avant que d’être économique et
sociale3. Si ses préconisations prennent parfois un tour très progressiste4, elles
ne peuvent faire oublier qu’à ses yeux les problèmes sociaux sont essentielle-
ment d’ordre moral. Ils proviennent d’un dérèglement religieux, dont la
résorption définitive ne saurait passer par autre chose que la foi chrétienne.
De bout en bout, son idéal d’une réconciliation harmonieuse, sa vision orga-
niciste et paternaliste de la société s’inscrivent en faux contre le discours de la
lutte des classes. Hypnotisation médiévale aidant, l’horizon invoqué est celui
du monde d’avant l’État moderne, ce monde pluriel, hérissé de corps sociaux,
mais surtout ce monde unitaire et holiste, totalisé et unifié par la Chrétienté.
Aussi Ketteler voit-il dans la restauration corporatiste la seule solution viable
pour surmonter les erreurs modernes. Tout le reste suit en quelque sorte
comme le résultat logique de sa culture germanique : 1o valorisation de la vie
interne des communautés sociales, familiales et professionnelles, à l’intérieur
d’un schéma hiérarchique où chaque partie se complète, vient nourrir l’en-

1. Cf. D. von der BRELIE-LEWIEN, « Abendland und Sozialismus. Zur Kontinuität politisch-


kultureller Denkhaltungen im Katholizismus von der Weimarer Republik zur frühen Nach-
kriegszeit  », Politische Teilkulturen zwischen Integration und Politisierung. Zur politischen
Kultur in der Weimarer Republik [1987], Opladen, Wetdeutscher Verlag, 1990, p. 188-218.
2. À rapprocher de l’opposition entre Georg von Hertling et Franz Hitze (F. HITZE, Capital et
travail, et la réorganisation de la société [1881], trad. fr. J.-B. Weyrich, Louvain, Les Trois Rois,
1898). Sur la défense hitzienne de l’État, cf. K. GABRIEL, H.-J. GROSSEKRACHT, éd., Franz
Hitze. Sozialpolitik und Sozialreform, Munich, Paderborn, Vienne, Schöningh, 2006.
3. Cf. son assimilation du libéralisme à la centralisation étatique : « Le libéralisme moderne [...]
est le fils intellectuel, l’héritier de la monarchie absolutiste et de la bureaucratie des derniers
siècles. S’il s’en distingue, c’est uniquement par la forme extérieure, par un langage qui semble
exprimer le contraire de ce qu’il est en réalité, par les individus qui le représentent au pou-
voir ; mais dans son fond réel, [...] il est l’instrument de la centralisation intolérante et absolue,
de la toute-puissance de l’État exercée aux dépens de la liberté individuelle et corporative.  »
(W. E. von KETTELER, cité par G. GOYAU, Ketteler, Paris, Bloud, 1908, p. 45).
4. Par exemple : augmentation des salaires des travailleurs et diminution des heures de travail,
participation aux bénéfices, système de protection ouvrière, instauration d’un salaire « vital » et
d’un repos dominical, interdiction du travail des enfants et des femmes dans les usines. Ketteler
demande la prohibition du travail ouvrier pour les enfants de moins de quatorze ans, pour les
femmes mariées (car, comme le diront Léon XIII et Pie XI, le travail des épouses est à la maison),
pour les jeunes filles (même âgées de plus de quatorze ans si les locaux de l’usine sont mixtes).
Cette préconisation est liée à la revendication d’une augmentation des salaires  : les mères de
famille ne doivent pas être contraintes de travailler à l’extérieur en raison de la modicité du
salaire leur époux. Il prône par ailleurs l’interdiction du travail les dimanches et jours de fête, la
fixation d’une journée normale de dix à onze heures au maximum pour tous les ouvriers, la créa-
tion d’un corps d’inspecteurs spécialement chargés de contrôler l’application des lois sociales
(W. E. von KETTELER, La Question ouvrière et le christianisme, op. cit.).
Subsidiarité et ordre économique. La compromission pontificale 109

semble et accepte de se soumettre à la totalité ; 2o insistance sur l’autonomie


locale et communale, à l’intérieur d’un schéma fédéral où chaque élément vit
dans le contact solidaire avec les autres et où la dignité humaine suppose,
pour être chrétiennement respectée, une priorité accordée à l’assistance chari-
table dans la proximité1.
Point de socialisme chrétien donc, point non plus de libéralisme catho-
lique. Ketteler se situera toujours dans la plus pure inspiration de l’intransi-
geantisme antilibéral, celle représentée en France par le premier Lamennais
(celui du début du xixe siècle)2 ; de la même manière, il s’opposera fermement
au représentant allemand de l’école catholique libérale, le Père Ignaz von
Döllinger, homme d’Église bavarois proche du second Lamennais, de Lacor-
daire et de Montalembert3. Renvoyant dos à dos absolutisme et libéralisme,
Ketteler procède d’un catholicisme intégral qui refuse le principe mutilant
d’une séparation entre public et privé, et entend tirer toutes les conséquences
de son engagement chrétien dans la vie sociale. Qu’il y ait à trouver la bonne
distance, nécessaire à une non-confusion des institutions politique et reli-
gieuse, certes, mais cela ne doit pas impliquer la séparation du public et du
privé sur le plan de la foi4. Les quelques parentés avec le camp libéral du

1. « Les corps organisés, écrit Ketteler, sont régis par un principe interne et vivant ; toutes les
parties convergent vers un foyer vital commun, les organes inférieurs se rattachent à des organes
supérieurs également doués de vie et d’action, et remontent ainsi jusqu’à l’organe suprême qui
ramasse et concentre toutes les parties en un seul individu. De cette sorte, la vie règne partout,
tout se meut d’après un principe de vie interne ; tout est libre et indépendant, et c’est en vertu de
sa propre autonomie que chaque membre se rattache à tout le corps. L’activité d’un membre
particulier ne cesse que lorsqu’il a besoin du concours d’un membre supérieur pour atteindre
son but. » (W. E. von KETTELER, cité par G. GOYAU, Ketteler, op. cit., p. 216).
2. Celui de l’Essai sur l’indifférence, celui d’avant la création de L’Avenir (1830) : F. de LAMEN-
NAIS, Essai sur l’indifférence en matière de religion [1817-1823], Œuvres complètes, Paris,
Daubrée et Cailleux, 1837. « Ce que Lamennais avait rêvé — que l’Église fasse sienne la cause des
déshérités et des misérables et porte résolument la croix au plus gros de la mêlée du grand
combat social contemporain — Ketteler l’a réalisé pour l’Allemagne. » (G. DECURTINS, Pré-
face à Œuvres choisies de Mgr  Ketteler, trad. fr. G.  Decurtins, Bâle, Basler Volksblatt, 1892,
p. XXXXIV). Rappelons qu’en 1832-1834, l’Église condamnera fermement (doctrinalement) le
second Lamennais pour indifférentisme (GRÉGOIRE XVI, Lettre encyclique Mirari vos,
15 août 1832, Lettre encyclique Singulari nos, 25 juin 1834, Acta Sanctae Sedis, 1867, III, p. 160-
176 ; in A. F. UTZ, I, p. 132-155 ; H. DENZINGER, 2730-2732, p. 632-633).
3. Professeur d’histoire de l’Église, le Père Johannes Joseph Ignaz von Döllinger fut l’un des
initiateurs du Congrès des savants catholiques tenu en septembre 1863 à Munich ; important
congrès dont il ressortit une forte demande de liberté scientifique en matière théologique
(J.  HOFFMANN, «  Théologie, magistère et opinion publique. Le discours de Döllinger au
Congrès des savants catholiques de 1863 », Recherches de science religieuse, 1983, 71 (2), p. 245-
258). Pie IX répondit en rappelant la nécessaire soumission au magistère (PIE IX, Lettre Tuas
libenter à Mgr  Gregor von Scherr, archevêque de Munich-Freising, 21  décembre 1863, Acta
Sanctae Sedis, 1874, VIII, p. 438-441 (in H. DENZINGER, 2875-2880, p. 658-661). Ce rappel à
l’ordre figure aussi dans le Syllabus, aux articles  9, 10, 12, 13, 14, 22 et 33 (PIE IX, Syllabus,
8  décembre 1864, Acta Sanctae Sedis, 1867-1868, III, p.  168-176 ; in A.  F.  UTZ, I, p.  35-53 ;
H. DENZINGER, 2901-2980, p. 665-673). Le Père Döllinger sera excommunié en 1871 pour
avoir exprimé son opposition à la proclamation officielle du dogme de l’infaillibilité pontificale.
4. W.  E. von  KETTELER, «  Kirche und Staat. Einigung-Trennung  », Wilhelm Emmanuel
von Kettelers Schriften, op. cit., I (Religiöse, kirchliche und kirchenpolitische Schriften), p. 319-
322. «  Dans tout ce qui touche à l’essentiel, l’Église et l’État ne sauraient se séparer.  »
(W.  E. von  KETTELER, Liberté, autorité, Église. Considérations sur les grands problèmes de
notre époque [1862], trad. fr. P. Belet, Paris, Vivès, 1862, p. 173-177, ici p. 174 ; Freiheit, Auto-
rität und Kirche. Erörterungen über die großen Probleme der Gegenwart, Mayence, Kirchheim,
110 La subsidiarité catholique...

catholicisme ne doivent donc pas tromper  : conception instrumentale de


l’État (un État au service) et reconnaissance de son rôle positif (un État au
service des personnes et des communautés) ; mais la nouveauté chez Ketteler,
c’est que l’aide supplétive de la puissance publique n’est pas réclamée comme
un droit de l’État, elle est justifiée comme un devoir chrétien de fraternité,
exprimé du point de vue de la société humaine. L’argument sera repris par
Heinrich Pesch ; il sera également présent chez un Giuseppe Toniolo en
Italie. Telle qu’elle prendra forme au xxe  siècle sous la plume de Nell-
Breuning, la subsidiarité sera toujours cette même manière de définir le rôle
de l’État dans la société, de justifier son intervention comme garant du bien
commun mais aussi de le limiter comme serviteur des personnes et des
communautés : quand le besoin s’en fait ressentir, il n’y a pas à tergiverser,
mais si le secours de la puissance publique s’avère nécessaire, c’est pour réta-
blir l’autonomie de chacun au sein de son groupe et remettre en bon ordre la
hiérarchie sociale du schéma chrétien.
«  Sur son terrain, écrit Ketteler, l’État est et doit être souverain, pour autant
que cette souveraineté soit nécessaire à sa mission ; dans son domaine, l’esprit
humain est également et doit être souverain, conformément à la dignité et au
respect qui lui est dû. Il va de soi que l’une et l’autre de ces souverainetés
doivent se circonscrire dans les limites qui leur ont été assignées par la souverai-
neté de Dieu ; qu’à chacune d’elles incombe le devoir de se soumettre complète-
ment et absolument à la dernière, et que chacune se met en état de rébellion du
moment où elle s’oppose à la volonté divine1. »
Conscient des limites de l’action humaine, Ketteler pense que des struc-
tures institutionnelles sont absolument indispensables pour aider l’homme à
mener une vie digne et véritablement humaine. Cependant, ce pessimisme
anthropologique ne va pas jusqu’à dire qu’une instance humaine peut vouloir
le bien de l’homme à sa place. Seule l’Église conserve à tout jamais ce lourd
privilège.

1862). Sur ce point, cf. K.  J. RIVINIUS, «  Kettelers Vorstellung vom Verhältnis Kirche und
Staat  », Annuarium Historiae Conciliorum, 1975, 7 (1-2), p.  467-495 ; «  Kettelers Kirchenver-
ständnis auf dem ersten Vatikanischen Konzil im Kontext der Unfehlbarkeitsdiskussion », Zeit-
schrift für Kirchengeschichte, 1976, 87 (2-3), p. 280-297 ; « Das Verhältnis zwischen Kirche, Staat
und Gesellschaft dargestellt an der Wirksamkeit Wilhelm Emmanuel von Kettelers », Jahrbuch
für christliche Sozialwissenschaften, 1977, 18, p. 51-100.
1. «  Der Staat ist aus seinem Gebiete souverän und muss es sein, seinem Wesen und seiner
Bestimmung nach ; aber auch der Menschengeist ist aus seinem Gebiete souverän und muss es
sein, seiner würde und seiner ihm gebührenden Ehre nach. Es versteht sich dabei von selbst, dass
jede menschliche Souveränität nur in den Schranken besteht, die ihr die göttliche Souveränität
angewiesen hat ; dass mit ihr die Pflicht verbunden ist, sich dieser göttlichen Souveränität voll-
kommen und unbedingt zu unterwerfen, und dass sie von dem Augenblicke an Empörung wird,
wo sie sich dem göttlichen Willen entgegenstellt.  » (W.  E. von  KETTELER, «  Christliches
Gewissen und Staatsgewalt », Wilhelm Emmanuel von Kettelers Schriften, op. cit., II (Staatspoli-
tische und vaterländische Schriften), p. 29-30 ; extrait de la brochure Ist das Gesetz das öffentliche
Gewissen ?). Traduction française de Gyr parue à Bruxelles chez Devaux en 1866, ensuite reprise
par Georges Goyau (G. GOYAU, Ketteler, op. cit., p. 51).
Subsidiarité et ordre économique. La compromission pontificale 111

3. LA POSTÉRITÉ CONTRASTÉE DE LA TOUR DU PIN

L’essentiel des linéaments de la subsidiarité sont là, mais, nous l’avons dit,
cette subsidiarité latente demandait un contexte pour éclore et se révéler : ce
sera celui du renouveau corporatiste des années 1930. Entre-temps, une étape
théorique essentielle qu’on ne saurait passer sous silence, la pensée d’un
auteur français, déjà rencontré à plusieurs reprises ça et là : René de La Tour
du Pin1.
« Il n’est pas exagéré de dire, écrit un commentateur autorisé du catholicisme
social, que l’École de La Tour du Pin a contribué à l’élaboration de Rerum
novarum et préparé de loin Quadragesimo anno2. »
Cette simple notation réclamait notre attention. Fondateur de L’Associa-
tion catholique, tribune hexagonale des catholiques sociaux, La Tour du Pin
invite, une fois de plus, à souligner la provenance éminemment aristocratique
du corporatisme catholique3. Bien plus que l’Autrichien Vogelsang, davan-
tage versé dans l’action politique, le comte de La Tour du Pin conceptualise
une véritable doctrine du traditionalisme corporatiste, non sans s’inspirer de
la tradition germanique — véritable refuge pour tous les refus nostalgiques
de la modernité française. À reconstruire son itinéraire personnel, l’inspira-
tion ultrarhénane est en effet évidente : non seulement, sa captivité à Cologne
(pendant la Guerre de 1871) mit l’officier français en contact direct avec
l’école kettelérienne mais La Tour du Pin resta profondément marqué par
son séjour à Vienne comme attaché militaire à l’ambassade de France ; séjour
pendant lequel il eut le loisir de fréquenter les cercles catholiques sociaux de
l’Autriche-Hongrie finissante. Soulignons d’ailleurs la convergence de ces
deux remarques biographiques étant donné la dette du catholicisme autri-
chien à l’égard de Mgr von Ketteler.
Son idéal organiciste, La Tour du Pin le trouve donc dans la reconstitution
mythique d’un Moyen Âge germanique, antithèse de l’État jacobin. Comme
la plupart des catholiques en lutte contre l’esprit de 1789, il admire tout à la
fois une certaine Allemagne chrétienne, jalouse de ses libertés médiévales, sa
conception hiérarchique de la société, son féodalisme romantique et sociali-
sant, ainsi qu’une certaine Autriche habsbourgeoise, dernier des grands États
catholiques, empire fédéral et plurinational, lointaine survivance de la Chré-
tienté, bientôt appelée à disparaître. Mais, du catholicisme germanique, La

1. Dans la France postrévolutionnaire du xixe  siècle, le paysage politique de la corporation se


structure pour ainsi dire autour de quatre pôles conceptuels, eux-mêmes regroupés en deux ten-
dances. D’une part, une tendance holiste, soit dans sa version traditionaliste-corporatiste (La
Tour du Pin), soit dans sa version morale-républicaine (Durkheim) ; d’autre part, une tendance
individualiste, avec une ramification libérale-républicaine (Tocqueville), et une autre sociale-
anarchiste (Proudhon). Nous parlons ici de holisme et d’individualisme au sens de Louis
Dumont (L.  DUMONT, Homo hierarchicus. Le système des castes et ses implications [1966],
Paris, Gallimard, 1980 ; «  De l’individu-hors-du-monde à l’individu-dans-le-monde  » [1980] ;
« La catégorie politique et l’État à partir du xiiie siècle » [1965], Essais sur l’individualisme, Paris,
Le Seuil, 1991, p. 35-81, p. 82-133).
2. R. TALMY, Aux sources du catholicisme social, op. cit., p. 3.
3. Cf. M. BOUVIER, L’État sans politique, op. cit., p. 47-72.
112 La subsidiarité catholique...

Tour du Pin retient peut-être surtout l’importance de la représentation des


Stände, les anciens corps professionnels qui conféraient vertèbre et structure
à la société traditionnelle1. Au total, il rêve d’une nouvelle chrétienté, d’une
société expurgée de l’intrusion perturbatrice de l’État, ressourcée à la sève de
son schème originel, placée sous la seule bannière ecclésiale du peuple de
dieu. Avec quelques concessions à la démocratie peut-être, mais quelques
concessions à ce point tempérées qu’elles en viennent finalement à contredire
l’idéal démocratique lui-même : outre la représentation professionnelle, pen-
sons ici au vote familial.
La filiation kettelérienne s’arrête là cependant, ou plutôt La Tour du Pin
fait mesurer en quoi les intentions du prélat allemand prennent des colora-
tions très différentes selon les interprérations. L’environnement culturel a ici
toute son importance : Ketteler, évoluant dans un pays à majorité non catho-
lique, en vient lucidement à prendre conscience des avantages indéniables que
peut présenter pour l’Église l’octroi de quelques libertés constitutionnelles ;
La Tour du Pin, en revanche, fort d’une histoire nationale dominée par
l’exclusivité religieuse du catholicisme, rejette en bloc le libéralisme — poli-
tique comme économique. En matière économique, il hérite d’une tradition
fortement autoritaire (il accusera l’École d’Angers de pécher par excès de
libéralisme). Sur le terrain institutionnel, il continue d’adhérer au vieil idéal
légitimiste de la restauration monarchique. De tout cela, témoigne parfaite-
ment la bifurcation de sa trajectoire par rapport à celle d’Albert de Mun. Dès
1885, celui-ci prône la création d’un parti catholique français, sur le modèle
du Zentrum allemand, qui, «  relevant le drapeau de la croix, montrerait au
peuple, d’un côté la révolution, sa véritable ennemie, de l’autre l’Église, sa
tutrice naturelle et séculaire », et finit dans un Ralliement à la République, en
partie contraint certes, mais moins qu’il n’y paraît a priori2 ? Tout comme
Vogelsang et Pesch côté germanique, La Tour du Pin et Albert de Mun sont
en effet représentatifs des deux interprétations possibles de Ketteler3. C’est

1. R.  de LA  TOUR  DU  PIN CHAMBLY  de  LA  CHARCE, Vers un ordre social chrétien.
Jalons de route [1882-1907], Paris, Beauchesne, 1942 (recueil d’articles). Cf. R.  TALMY, Aux
sources du catholicisme social. L’école de La Tour du Pin, op. cit. ; René de La Tour du Pin, Paris,
Bloud et Gay, 1964 ; G. JARLOT, Le Régime corporatif et les catholiques sociaux, Paris, Flam-
marion, 1938, p.  59  sq. ; R.  SÉMICHON, Les Idées sociales et politiques de La Tour du Pin,
Paris, Beauchesne, 1936 ; « Un précurseur, le marquis de La Tour du Pin », La Documentation
catholique, 1934, 22, col.  512-582 ; F.  BACCONNIER, L’Enseignement social de La Tour du
Pin [1927], Paris, Union des corporations françaises, 1928, Cahiers de la corporation, 1 (12) ;
Le Salut par la corporation, Paris, Les Œuvres françaises, 1935. Notons au passage que Firmin
Bacconnier fut un militant actif de l’Action française.
2. En évoquant ici le Ralliement, nous faisons bien sûr référence à la fameuse encyclique léo-
nienne Inter sollicitudines : LÉON XIII, Lettre encyclique Au milieu des sollicitudes, 16 février
1892, Acta Sanctae Sedis, 1892, XXIV, p. 519-529 (in A. F. UTZ, III, p. 2246-2257).
3. S’originant dans un même noyau fondateur, ces deux trajectoires furent longtemps conver-
gentes. Ami personnel de La Tour du Pin, officier saint-cyrien comme lui, Albert de Mun a vécu
la même captivité militaire en Allemagne mais il prendra rapidement ses distances avec le corpo-
ratisme autoritaire puis deviendra parlementaire (A.  de  MUN, Ma vocation sociale, op. cit. ;
La Question sociale, sa solution corporative, Reims, Œuvre des Cercles catholiques d’ouvriers,
1914). Sur Albert de Mun : dans un registre apologétique, cf. M. SANGNIER, Albert de Mun,
Paris, Alcan, 1932 ; G. GUITTON, Léon Harmel, Paris, Spes, 1927 ; dans un registre analytique
Subsidiarité et ordre économique. La compromission pontificale 113

ensemble que les deux aristocrates français ont fondé la très paternaliste
Œuvre des cercles catholiques d’ouvriers, mais alors même que le premier
deviendra le chef de file de la pensée corporatiste, version totalisante et antili-
bérale, le second, lui, s’éloignera très vite (à partir de 1880) du mot d’ordre
strictement corporatiste pour devenir l’un des pères spirituels de la démo-
cratie chrétienne d’après-guerre. Par une évidente déformation de l’histoire,
convenons-en, car si Albert de Mun avait été obsédé par la question sociale, il
n’a jamais été ni démocrate ni républicain (il s’est tout simplement contenté,
par dépit, d’exécuter et de s’appliquer à lui-même la politique pontificale du
Ralliement). Religieusement définie, comme celle d’un Giuseppe Toniolo, sa
démocratie, ne saurait se vivre autrement que chrétienne ; nous y reviendrons
plus bas au moment de commenter la doctrine léonienne de l’État1.

Non pas entre École de Liège et École d’Angers, entre Sozialreform et


Sozialpolitik, la vraie bifurcation interne au catholicisme de la fin du xixe est
là, nous semble-t-il, dans ce qu’elle annonce du siècle suivant, sur un terrain
moins social que politique  : d’un côté, le maurrassisme réactionnaire, qui
invoquera à l’envi les thèses de La Tour du Pin (le maître à penser de l’Action
française a voulu voir en lui son père en monarchisme ; et l’intéressé lui-même
a rejoint les rangs du mouvement nationaliste) pour justifier un État fort et
autoritaire ; de l’autre la démocratie chrétienne naissante, qui, bon gré mal
gré, accepte le fait libéral et syndical2. Le corporatisme d’un La Tour du Pin
et celui d’un Maurras ne sont pour autant pas superposables. Certes, ils ont
combattu ensemble le Ralliement des catholiques à la République. Certes, ils
ont joué les parrains spirituels des corporations de Vichy et, peut-être, très
indirectement du corporatisme mussolinien via Georges Sorel — le prou-
dhonien de l’Action française3. Certes, ils ont défendu un même projet réac-
tionnaire d’opposition au libéralisme conservateur. Certes, la proximité est
parfois confondante entre l’Enquête sur la monarchie et l’Ordre social chré-
tien. Qu’il suffise de citer Maurras :
« Tous les degrés de tous les ordres de la hiérarchie politique, administrative,
juridique et civile doivent être décentralisés  : c’est-à-dire comporter une
certaine somme de libertés (par rapport au pouvoir), d’autorité (par rapport au
public, et de responsabilité (par rapport à l’un et à l’autre). [...] Les organes
divers, et de création plus ou moins spontanée, qui s’échelonnent entre le pou-
voir central et les individus, devront fonctionner sous une direction, et donner
la mesure de leur utilité et de leur activité bienfaisante, bien plus par les résul-
tats produits que par leur docilité4. »

et historique, cf. P. LEVILLAIN, Albert de Mun, catholicisme français et catholicisme romain du


Syllabus au Ralliement, Rome, École française de Rome, 1983.
1. G. TONIOLO, La Notion chrétienne de la démocratie, op. cit.
2. Cf., par exemple, O.  PERRU, «  Corporations et associations de Maurras à Maritain  », De
Platon à Maritain. L’Idéal associatif, Paris, Le Cerf, 2004, p. 221-232.
3. Ici encore, au carrefour entre Georges Sorel et René de La Tour du Pin, cf. P.  ANDREU,
« Le vrai visage de La Tour du Pin », art cit. ; Georges Sorel. Entre le noir et le rouge, op. cit.
4. C. MAURRAS, Enquête sur la monarchie [1900], Paris, Nouvelle Librairie Nationale, 1925,
p. 80. Ou encore, sur le savant dosage entre autorité monarchique et liberté sociale : « C’est vous
dire que les nouveaux organismes à créer, ne doivent pas naître de l’improvisation d’un décret.
114 La subsidiarité catholique...

Mais le message de La Tour du Pin s’inscrit dans la plus pure tradition


catholique ; il est social au sens où il refuse les ferments de division qu’im-
plique le conflit politique  : voilà le sens de son rejet du syndicalisme, à ses
yeux, gangrené par un socialisme voué à instrumentaliser le social au service
du politique ; voilà le sens de sa défense d’un corporatisme mixte réunissant
capital et travail1. À l’opposé, le cléricalisme de Maurras se révèle fondamen-
talement politique et, en ce sens, très peu catholique (Maurras est bien plus
nationaliste et monarchiste que corporatiste et catholique), qui rejoint para-
doxalement le socialisme dans son instrumentalisation positiviste du social
mais aussi, nous le verrons plus loin, dans sa phobie de l’État. Maurras a pré-
cisément été condamné par le Vatican parce qu’il heurtait de front cette
dimension constitutive du catholicisme : le refus de reconnaître le politique
en tant que sphère autonome.
On retombe donc sur l’argumentaire classique. La modernité politique (le
libéralisme) et son surgeon économique (le capitalisme) ont fabriqué une
mécanique abstraite et déshumanisante (l’individualisme). Pour faire face, la
réincorporation organique se présente comme la seule et unique solution à
même de renouer avec les principes d’un ordre chrétien anti-individualiste ;
un ordre fondé sur un enchevêtrement de communautés naturelles — natu-
relles car non issues de la volonté humaine —, qui doit reposer sur deux
jambes : les familles et les corps de métier. L’idéal de La Tour du Pin réside
dans «  l’organisation du travail la plus conforme aux principes de l’ordre
social chrétien et la plus favorable au règne de la paix et de la prospérité géné-
rale »2. À cette fin, il va jusqu’à prôner un système de corporations obliga-
toires placées sous l’égide de l’État, mais non sous son impulsion, en théorie
tout du moins3. L’important, à ses yeux, est que le système se fonde sur la
représentation des intérêts professionnels et sur leur reconnaissance officielle
par le droit4. Cependant, l’horizon n’est ni de proposer un remède à la moder-

Ils doivent être l’œuvre des forces vives du pays, rendues à leur liberté d’agir, de telle sorte que la
fonction en vienne d’elle-même à créer l’organe. [...] On se représente cette œuvre, comme celle
d’un souverain, qui suit attentivement et chaque jour, le travail spontané des forces du pays, et à
mesure qu’il voit se créer et prendre de la consistance des organismes nouveaux, leur abandonne
peu à peu leur part d’autorité, de liberté, de responsabilité, se bornant désormais à surveiller
l’usage qu’elles en font, et à reprendre tous les écarts possibles. » (Ibid., p. 85).
1. Parmi les corporatistes français, seul Léon Harmel accepte — et promeut — l’idée de syndi-
cats ouvriers autonomes. Figure de proue du grand patronat industriel, Harmel n’a jamais adhéré
au programme de La Tour du Pin, beaucoup trop réactionnaire et paternaliste à son goût
(L. HARMEL, Manuel d’une corporation chrétienne [1877], Tours, Mame, 1879).
2. R. de LA TOUR DU PIN, « Du régime corporatif », op. cit., p. 16.
3. Souvent complexes, les propositions de La Tour du Pin ont beaucoup varié au fil de ses écrits.
Deux éléments semblent néanmoins assez constants : la distinction entre le plan national et le
plan régional ; l’importance accordée à ce dernier niveau provincial (dix-huit à vingt grandes
régions). Par ailleurs, La Tour du Pin préconisait des chambres différentes selon les secteurs
d’activité  : professions libérales, agriculture, industrie. Précisons, enfin, qu’il a toujours été
contre l’idée d’un Sénat national professionnel qui aurait exercé les mêmes fonctions que la
chambre politique. Il militait au contraire pour l’attribution de fonctions différentes à chacune
des deux chambres  : la chambre des députés, élue au suffrage universel par les contribuables,
devait consentir aux impôts et voter le budget ; la chambre haute, représentant les corps profes-
sionnels et les intérêts régionaux, devait voter les lois proposées par le gouvernement.
4. C’est là une marque caractéristique essentielle du corporatisme catholique : « On s’est aperçu
Subsidiarité et ordre économique. La compromission pontificale 115

nité, ni d’organiser efficacement l’économie, il est bien davantage d’ouvrir la


voie à un modèle alternatif  : enrayer la décadence morale de la société,
d’abord ; décontaminer la vie politique de ses ferments antichrétiens, ensuite.
Le régime corporatiste, écrit encore La Tour du Pin, « n’est pas moins néces-
saire pour arrêter la décadence dans l’ordre moral que dans l’ordre écono-
mique, car le régime de la liberté du travail a tout d’abord été celui de la des-
truction de la famille ouvrière  »1. S’agissant précisément de cette seconde
jambe : le penseur corporatiste se réfère au fameux modèle leplaysien de la
famille-souche, qu’il considère, parti pris ruraliste aidant, comme l’une des
principales réponses à apporter aux conséquences désintégratrices de la révo-
lution démocratique et industrielle.
La méfiance leplaysienne vis-à-vis de l’État ajoute encore à cette filiation,
déjà très nette par ailleurs, avec le penseur corporatiste et avec la doctrine
sociale de l’Église. « Les droits spéciaux de l’État, écrit-il par exemple, sont
ceux qui ne sauraient être accomplis ni par le gouvernement local, ni par les
particuliers2.  » La visée ultime est de faire disparaître l’esprit et la lutte des
classes pour retourner à une unanimité harmonieuse, à une unité première.
Peut-être indirecte, l’influence a pu passer par Ketteler, régulièrement cité
dans l’œuvre de Le Play3. Mais, de même que La Tour du Pin n’est pas
Maurras, Le Play ne saurait être confondu avec La Tour du Pin. D’une part,
le père de la sociologie française se distingue fortement en opérant un curieux
mélange de libéralisme (économique) et d’intransigeantisme, alliage qui a
connu une postérité insoupçonnée au xxe siècle par la voix d’un libéralisme
catholique conservateur débarrassé de la lutte des classes. D’autre part, à la
différence de la tradition corporatiste classique, Le Play considère la famille
comme le seul corps véritablement naturel (c’est en son sein que le travail doit
s’organiser), à l’exclusion donc des corps de métiers. Nous verrons plus loin
en quoi cette idée le situe fidèlement dans la ligne de saint Thomas. Ce thème
de l’antériorité de la société familiale et civile sur la société politique est
constamment présent chez tous les auteurs contre-révolutionnaires du
xixe  siècle (Joseph de Maistre, Louis de Bonald) desquels le catholicisme
social héritera4. Implicites chez Le Play, les références thomistes sont en

que [...] le trait distinctif du système, ce qui le différencie à la fois du capitalisme libéral et de
l’étatisme, c’est le caractère de droit public attribué à l’activité de la profession organisée.  »
(G. PIROU, Essais sur le corporatisme, Paris, Sirey, 1938, p. 114-115).
1. R. de LA TOUR DU PIN, « Du régime corporatif », op. cit., p. 35.
2. P. G. F. LE PLAY, L’Organisation du travail, Tours, Mame, 1871, p. 448.
3. Cf. P. G. F. LE PLAY, La Réforme sociale en France, Tours, Mame, 1874. Tout comme Ket-
teler, Frédéric Le Play consacre de longs propos à la liberté d’enseignement et à l’autonomie
communale. Sur l’enracinement catholique de la sociologie leplaysienne, cf. A. SAVOYE, « La
théorie du patronage de Le Play. Une préfiguration de Rerum novarum », Le Catholicisme social
de P.  G.  F. Le Play, dir. R.  GUBERT, L.  TOMASI, Milan, Angeli, 1994, p.  25  sq. ; Préface à
P. G. F. LE PLAY, La Méthode sociale [1879], Paris, Méridiens, Klinsksieck, 1989, p. 7-61. Sur
Le Play, père de la sociologie, cf. R.  A. NISBET, La Tradition sociologique [1966], trad. fr.
M. Azuelos, Paris, PUF, 2005 ; B. KALAORA, A. SAVOYE, Les Inventeurs oubliés : Le Play
et ses continuateurs aux origines des sciences sociales, Paris, Champ Vallon, 1989 ; A. SAVOYE,
Les Débuts de la sociologie empirique, Paris, Méridiens, Klincksieck, 1994.
4. Louis de Bonald, en particulier, a élaboré une théorie reposant sur un schéma de cercles
116 La subsidiarité catholique...

revanche constantes et explicites sous la plume de La Tour du Pin : sur les


notions d’ordre juste et de juste salaire par exemple1.

À partir de l’étude du cas spécifiquement catholique, nous rejoignons ici


Pierre Rosanvallon qui, dans son analyse du « modèle politique français », a
démontré que le corporatisme avait historiquement été travaillé par une ten-
sion entre conception sociologique insistant sur l’impératif de socialisation
et conception régulationniste insistant, quant à elle, sur l’organisation — au
besoin autoritaire — de l’économie2. Outre de se déprendre du discours des
acteurs, le grand mérite de cette interprétation est d’isoler ce qui, côté catho-
lique comme ailleurs, fait la spécificité des années 1930 dans leur rapport
ambigu au siècle précédent. Du xixe au xxe, on passe en effet d’un corpora-
tisme sociologique, celui de La Tour du Pin et d’Albert de Mun, à un corpo-
ratisme régulationniste, celui qui se développe surtout après à la Grande
Dépression3. La doctrine de l’Église n’échappe pas à ce glissement de terrain,
duquel a précisément jailli la subsidiarité. C’est même dans ce régulation-
nisme que se noue l’ambivalence du corporatisme de l’entre-deux-guerres, au
sens où il fait subrepticement se rejoindre corporatisme étatiste-autoritaire et
corporatisme personnaliste-communautaire autour d’un même paternalisme
socialisant. Dans sa pureté de l’absolu, assurément, la pensée catholique
— qu’elle soit officielle ou non — est bien peu disposée au régulationnisme
organisateur ; mais le contexte économique aura raison d’elle  : s’il n’en
déporte pas la doctrine de l’Église tout entière, il n’en déplace pas moins son
terrain d’expression — du social à l’économique.

II bis. CONTEXTUALISATION INTELLECTUELLE


DE LA SUBSIDIARITÉ (2)

Dernier niveau de notre contextualisation intellectuelle : saint Thomas et le


thomisme magistériel. Fin xixe-début xxe, l’invocation du Docteur angélique
remplit une fonction tout à fait stratégique dans le discours pontifical4  :

concentriques (famille, corporation, Église, État) qui visait à éviter tout dialogue direct entre
individu et État (L. G. A. de BONALD, Théorie du pouvoir politique et religieux [1796-1797],
Paris, Union générale d’éditions, 1965). Cf. R. SPAEMANN, Der Ursprung der Soziologie aus
dem Geist der Restauration. Studien über L. G. A. de Bonald, Munich, Kösel, 1959.
1. Cf., par exemple, R. de LA TOUR DU PIN, « De l’essence des droits et de l’organisation des
intérêts économiques », Vers un ordre social chrétien, op. cit., p. 129-148.
2. P. ROSANVALLON, Le Modèle politique français, op. cit., p. 411 sq.
3. Son principal représentant est l’économiste et homme d’État roumain Mikhaïl Manoïlesco
(M. MANOÏLESCO, Le Siècle du corporatisme. Doctrine du corporatisme intégral et pur, Paris,
Alcan, 1935). Obsédé par les dérèglements survenus de la crise économique des années 1930,
Manoïlesco préconise un modèle corporatiste — « pur et intégral » — étendu à l’ensemble de la
vie sociale, appelé à prendre la suite du modèle libéral du xixe siècle.
4. À partir de la Contre-Réforme surtout, les papes se servent de la pensée thomiste pour
combattre la modernité dans son ensemble — autant religieuse (Martin Luther et Jean Calvin)
que philosophique (Duns Scot et Guillaume d’Occam puis René Descartes et Emmanuel Kant).
Subsidiarité et ordre économique. La compromission pontificale 117

donner des assises solides à la doctrine sociale et, indirectement, à la subsidia-


rité. Mais comment s’opère précisément ce recyclage ? Du fait même de sa
signification organique héritée de l’ancien catholicisme, le mot subsidiarité en
tant que tel comporte une forte charge nostalgique : il émerge précisément à
l’intérieur d’un monde qui ne fait plus place à la réalité qu’il désigne ; il surgit
au moment où le mythe médiéval est suffisamment regretté pour avoir besoin
d’un vocable spécifique qui le résume et le fixe. Toute la différence est là
entre subsidiarité latente (au sens de réalité non nommée) et subsidiarité
manifeste (idéal désigné en tant que tel par un mot idoine). Il y a peut-être
dans la subsidiarité quelque chose comme un concept performatif de conju-
ration du contexte.

1. L’INSTRUMENTALISATION PONTIFICALE DE SAINT THOMAS

Le renouveau thomiste de la fin du xixe et du début du xxe siècle fait fond sur


un véritable tropisme médiéval, horizon d’attente tranquillisant pour une
Église idéologiquement désorientée. Comme par nostalgie frénétique et
dépendants qu’ils restent de la mentalité préwestphalienne de l’Église, les
papes de la doctrine sociale sont littéralement hypnotisés par ce qui tient lieu
de mythe mobilisateur : la corporation chrétienne du Moyen Âge, la société
pré-étatique corporativement organisée, l’unité organique du Saint Empire.
Certes, il ne s’agit pas seulement, pour l’Église et les catholiques, de se réfu-
gier dans un passé glorieux mais définitivement révolu ; il s’agit aussi, plus
positivement, d’insuffler un élan chrétien dans le monde moderne, de manière
à ce qu’il rappelle «  analogiquement certains caractères de la civilisation
médiévale  » et du monde d’avant l’État1. Le combat contre le modernisme
n’en réclamait pas moins. Mais qu’entend-on au juste par civilisation médié-
vale et par monde d’avant l’État ? Et Saint Thomas en est-il vraiment le meil-
leur représentant ?
L’éclaircissement des enjeux de ce choc entre une pensée ancienne et un
contexte moderne suppose retourner aux textes de l’Aquinate eux-mêmes,
spécialement aux textes qui intéressent la théorie politique. Mais ne nous
méprenons pas sur la démarche : contextualiser l’œuvre de Thomas d’Aquin,
ce n’est pas réduire ni aplatir sa portée, c’est bien davantage s’introduire à une
meilleure intelligence de son propos en s’attachant à ne pas confondre les

Songeons, ici, au rôle joué par le Cardinal Thomas Cajetan (Thomas de Vio) auprès des Papes
Jules II et Léon X. Via Jean de Saint-Thomas, Père dominicain du xviie siècle, le thomisme de
Jacques Maritain procède en grande partie de cette filiation cajetaniste (cf., par exemple,
J. MARITAIN, « Le réalisme thomiste », Réflexions sur l’intelligence et sur sa vie propre [1924],
Œuvres complètes, op. cit., III, p. 333-384, passim ; « Jean de Saint-Thomas » [1940], ibid., VII,
p. 1017-1027). À relever cet ouvrage récent sur Cajetan, dont le titre peut suggérer ce parallèle :
G. de TANOÜARN, Cajetan, le personnalisme intégral, Paris, Le Cerf, 2009.
1. J.  MARITAIN, Du Régime temporel et de la liberté, Œuvres complètes, op. cit., V, p.  371.
Conjuguée à l’invocation thomiste, la référence médiévale est récurrente chez Maritain. On sait
que le penseur néothomiste s’est toujours défendu de proposer un simple retour au Moyen Âge
(J. MARITAIN, Humanisme intégral, Œuvres complètes, op. cit., VI ; ou rééd. Aubier).
118 La subsidiarité catholique...

questions d’ordre proprement philosophique avec les questions d’ordre his-


toriographique.
Si le discours pontifical reprend une sémantique typiquement thomiste (la
distinction des ordres et la notion de bonum commune1), il est fatalement
conduit à lui donner un sens différent du message originel2. Très efficace, on
le sait, fut le recours des papes à la distinction entre foi et raison dans leur
combat postrévolutionnaire contre le modernisme kantien, mais étaient-ils
pour autant légitimes à ériger saint Thomas en père fondateur du corpora-
tisme chrétien sous prétexte d’une même référence à la notion de bien
commun ? Il s’avère que non. L’enjeu de la distinction de ces deux registres
est ici d’importance, dans la mesure où la formalisation de la subsidiarité pro-
cède pour l’essentiel de cette relecture néothomiste du bien commun. Après
avoir érigé saint Thomas en père du corporatisme chrétien, on s’est plu en
effet à y voir le grand penseur totémique de la subsidiarité. Pareille interpré-
tation nous semble erronée : non pas seulement parce que le mot subsidiarité
n’apparaît pas sous la plume de l’Aquinate (on pourra toujours nous répondre
que cette absence du mot ne suffit pas à justifier le diagnostic de l’absence de
la chose), mais parce que l’objet de notre étude est précisément de démontrer
qu’en tant que tel le caractère tardif de la naissance du syntagme en fait le
sens3 ; le décalage entre subsidiarité latente de 1891 (ou du xixe  siècle alle-
mand) et subsidiarité nommée de 1931 s’expliquant peut-être par le temps
nécessaire à la maturation terminologique du concept4.
Faisons état, pour commencer, de nos scrupules épistémologiques et de la
méthode retenue pour tenter de les surmonter. Comment la pensée de saint
Thomas pourrait-elle s’interpréter à la lumière de notions modernes comme
l’État, l’individu et les corps intermédiaires ? Comment, à la fois, considérer
l’État en tant qu’objet historiquement et géographiquement situé (une
réponse européenne aux guerres de religions de la seconde moitié du

1. Sur le bien commun, la notion qui nous intéresse ici, cf. THOMAS d’AQUIN, Somme théo-
logique, op. cit.,II, p. 570-572 (Ia IIae, q. 90 a. 2-4) ; II, p. 578-580 (Ia IIae, q. 91, a. 5-6) ; II, p. 580-
582 (Ia IIae, q. 92, a. 1) ; II, p. 583-584 (Ia IIae, q. 93, a. 1) ; II, p. 601-602 (Ia IIae, q. 95, a. 4) ; II,
p. 603-606 (Ia IIae, q. 96, a. 1-3) ; II, p. 612-613 (Ia IIae, q. 97, a. 4) ; II, p. 635-636, p. 648-650 (Ia IIae,
q. 100, a. 2, a. 11) ; III, p. 287-288 (IIa IIae, q. 42, a. 2) ; III, p. 327-328 (IIa IIae, q. 47, a. 10-11) ; III,
p. 387-388, p. 389-390, p. 390-391 (IIa IIae, q. 58, a. 5, 7, 9) ; III, p. 398-399 (IIa IIae, q. 60, a. 1) ; III,
p. 426 (IIa IIae, q. 64, a. 3) ; III, p. 438-439, p. 442-443, p. 443-444 (IIa IIae, q. 66, a. 2, 7, 8) ; III,
p. 450-451 (IIa IIae, q. 68, a. 1) ; III, p. 548-551 (IIa IIae, q. 87, a. 1) ; III, p. 835-836 (IIa IIae, q. 147
a. 3) ; III, p. 861-862 (IIa IIae, q. 152, a. 4).
2. Le diagnostic a déjà été établi par Chantal Delsol à partir du cas particulier de la relecture
personnaliste du bien commun  : «  Les personnalistes cherchent à adapter la doctrine sociale
catholique à la modernité : ce sera au prix d’une transformation de la notion de bien commun. »
(C. MILLON-DELSOL, L’État subsidiaire, op. cit., p. 169). Il reste à voir jusqu’à quel point ce
diagnostic est généralisable à la pensée officielle de l’Église catholique dans son ensemble.
3. Mentionnons encore Franz Xaver Kaufmann (F. X. KAUFMANN, « Le principe de subsi-
diarité : point de vue d’un sociologue des institutions », Les Conférences épiscopales. Théologie,
statut canonique, avenir, dir. H. LEGRAND, J. MANZANARES, A. GARCIA Y GARCIA,
Paris, Le Cerf, 1988, p. 361-389 ; version anglaise dans The Jurist, 1988, 48 (1), p. 275-291).
4. « Les changements de terminologie, écrit Antoine Prost, ne constituent pas un indice de chan-
gement matériel, car il faut souvent du temps avant que le changement matériel n’entraîne pour
les contemporains le sentiment que de nouveaux termes sont nécessaires. » (A. PROST, Douze
leçons sur l’histoire, Paris, Le Seuil, 1996, p. 125-143, ici p. 141-142).
Subsidiarité et ordre économique. La compromission pontificale 119

xvie siècle1) et ne pas s’interdire pour autant de considérer les configurations


antérieures qui ont en partie déterminé son émergence2 ? Comment se pré-
munir contre la vision téléologique de la nécessité de l’État et la plate réduc-
tion du travail historiographique à une recherche obsessionnelle de ses antici-
pations doctrinales, au premier rang desquelles l’anticipation thomiste ? Il y
a loin entre une potentialité théorique, repérée chez un auteur, quel qu’il
soit, et sa réalisation pratique. Si nous aurons, via saint Thomas d’Aquin, à
mesurer l’importance du dialogue entre la modernité étatique et le Moyen
Âge pré-étatique, notre méthode exige une vigilance constante face aux diffé-
rents dangers de la rétrospection  : établir une continuité sans heurt dans la
succession des formes politiques, par exemple. L’État moderne, strictement
entendu, n’existe pas avant le xvie  siècle et ne se diffuse pas avant la sortie
westphalienne de la Chrétienté médiévale3.
Nous inspirant des travaux de l’historien danois Mogens Hansen, nous
postulons la nécessité de distinguer, sur le plan épistémologique, entre un
concept heuristique et un concept historique de l’État (le concept d’État,
écrit-il, ne s’applique pas à n’importe quelle communauté politique révélant
un haut degré d’organisation)4. Forme moderne et occidentale d’un problème
atemporel (l’organisation de la vie collective), il acquiert une réalité his-
torique quand l’institutionnalisation du pouvoir permet à la souveraineté de
ne plus être l’apanage patrimonial de la seule personne du roi mais bien l’at-
tribut juridique d’une entité impersonnelle et abstraite5. Chez les Anciens,
Aristote par exemple, le pouvoir est certes organisé mais il n’est pas à propre-
ment parler institutionnalisé ; il n’a pas d’existence dans la durée, par-delà les
générations, en dehors de l’exercice qu’en font, au présent, les citoyens eux-

1. Sur cette thèse classique, cf. R. KOSELLECK, Le Règne de la critique [1959], trad. fr. H. Hil-
denbrand, Paris, Minuit, 2007 ; C. SCHMITT, Le Nomos de la Terre dans le droit des gens du Jus
Publicum Europaeum [1950], trad. fr. L. Deroche-Gurcel, Paris, PUF, 2008.
2. Sur les nombreux débats épistémologiques autour du mot et du concept d’État, cf., par
exemple, A. PASSERIN d’ENTRÈVES, « L’État, un néologisme », La Notion de l’État [1967]
trad. fr. J. R. Weiland, Paris, Sirey, 1969, p. 37-46 ; Q. SKINNER, « The State », Political Inno-
vation and Conceptual Change, dir. T. BALL, J. FARR, R. L. HANSON, Cambridge, Cam-
bridge University Press, 1989, p. 90-131 ; H. BOLDT, « Staat und Souveränität », Geschichtliche
Grundbegriffe. Historisches Lexikon zur politisch-sozialen Sprache in Deutschland, dir.
O. BRUNNER, W. CONZE, R. KOSELLECK, Stuttgart, Klett, 1990, VI, p. 1-154 ; R. MAS-
PÉTIOL, « L’État d’aujourd’hui est-il celui d’hier ? », Archives de philosophie du droit, 1976, 21,
p. 3-21 ; J.-P. BRANCOURT, « Des “estats” à l’État : évolution d’un mot », ibid., p. 39-54.
3. Quand bien même l’essentiel des ingrédients qui composeront la recette étatique sont déjà
présents de manière éparse dans les périodes antérieures. Jusqu’à une remise en cause partielle
par l’historiographie récente, on avait coutume de privilégier le Moyen Âge (J. R. STRAYER,
Les Origines médiévales de l’État moderne [1970], trad. fr. M. Clément, Paris, Payot, 1979).
4. M.  H. HANSEN, Polis et Cité-État, op. cit. La démarche de Mogens Hansen reprend une
distinction élaborée par Reinhart Koselleck lui-même : « Toute historiographie se meut sur deux
niveaux : ou bien elle analyse des faits qui ont déjà été exprimés auparavant, ou bien elle recons-
truit des faits qui auparavant n’ont pas été exprimés dans le langage mais avec l’aide de certaines
méthodes et indices qui ont en quelque sorte été “préparés”. Dans le premier cas, les concepts
hérités du passé servent d’instruments heuristiques pour saisir la réalité passée. Dans le second
cas, l’histoire se sert de catégories formées et définies ex post, qui ne sont pas contenues dans les
sources utilisées. » (R. KOSELLECK, Le Futur passé, op. cit., p. 115).
5. Sur la dépersonnalisation, cf. E. H. KANTOROWICZ, Les Deux corps du roi. Essai sur la
théologie politique au Moyen Âge [1957], trad. fr. J.-P. et N. Genet, Paris, Gallimard, 1989.
120 La subsidiarité catholique...

mêmes. Ainsi comprend-on en quoi la question de l’autorité politique est


complètement reformatée par l’entrée en scène de la souveraineté, désormais
définie comme puissance de l’État. Bien plus, son abstraction institutionnelle
donne à l’autorité temporelle une force que la chose publique n’avait pas
jusque-là. C’est en ce sens, et en ce sens seulement, qu’il est légitime de
dépister, au moyen d’une démarche rétrospective, la façon dont les linéa-
ments de l’État ont commencé à voir le jour dans l’Europe du xiie siècle. Non
pas anachronisme donc, mais rétroprojection  : application à une époque
passée d’un terme qui lui est postérieur.
Nous voulons soumettre la subsidiarité à cette même rigueur scientifique :
prendre le mot au sérieux et l’inscrire dans la spécificité de son espace-temps.
Suivant le programme méthodologique qui a permis à Mogens Hansen d’éta-
blir des parentés souterraines entre la polis grecque et l’État moderne, nous
nous emploierons, toutes choses égales par ailleurs, à appliquer sa distinction
au concept de subsidiarité et, par là, à rendre raison des profondes conni-
vences liant la subsidiarité moderne à son « équivalent » médiéval (l’inversion
des termes indique qu’une démarche régressive sera encore une fois
empruntée). Si, avons-nous démontré, l’histoire du mot subsidiarité est déci-
sivement marquée par ses conditions de naissance (le concept historique de
subsidiarité, la subsidiarité moderne), sa reconstitution ne saurait faire
oublier les « contrainte[s] de nommer autrement » — manière koselleckienne
de retraduire la «  persécution  » straussienne dont nous parlions plus haut1.
L’histoire d’un mot doit également prendre en compte l’histoire de son
absence. N’est-ce pas souvent pour combler un angle mort qu’on attribue à
saint Thomas la paternité ultime du concept (le concept heuristique de subsi-
diarité, la subsidiarité médiévale)2 ?
Point de principe de subsidiarité chez saint Thomas, selon nous, mais des
racines théoriques indispensables pour comprendre sa formalisation et son
développement ultérieurs dans le magistère de l’Église. Une chose est de dire
que l’outillage intellectuel légué par l’Aquinate (tel que réinvesti — et parfois
travesti — par Léon XIII et ses successeurs) est indispensable à la pleine
intelligence de la subsidiarité (nous y aurons recours de manière systéma-
tique) ; une tout autre chose est de dire que la subsidiarité est déjà à l’œuvre
chez saint Thomas. Une chose est de dire que la subsidiarité est formulée par
saint Thomas ; une tout autre chose est de mettre en lumière sa coloration
thomiste en relisant l’auteur de la Somme théologique. Néanmoins, plutôt
que de condamner ex abrupto l’interprétation répandue qui voit en saint
Thomas le père fondateur de la subsidiarité, il faut considérer ce qu’elle dit
du besoin de puiser dans l’histoire ou l’expérience lointaine pour légitimer
théorie et pratique d’aujourd’hui. Plus précisément, le besoin pour l’Église de
justifier son acclimatation au contexte politique moderne par l’invocation
d’un passé glorieux, voire mobilisateur, celui dans lequel, jusqu’à Vatican II,

1. R. KOSELLECK, Le Futur passé, op. cit., p. 111.


2. On attribue également cette prestigieuse paternité à Aristote, le philosophe antique et le pen-
seur chrétien étant censés se rejoindre dans un même cocktail aristotélo-thomiste.
Subsidiarité et ordre économique. La compromission pontificale 121

elle a puisé l’essentiel de sa mentalité. Tel est le prix de la cohérence, d’une


accommodation de l’Église aux temps nouveaux mais dans la continuité, sans
consciemment se l’avouer, en se fabriquant sa propre modernité.

2. THOMAS D’AQUIN AU-DELÀ DU THOMISME MAGISTÉRIEL

Parce qu’une entreprise de relecture de saint Thomas comporte toujours le


risque de la dispersion, nous cantonnons notre propos à une clef de lecture
unique dans laquelle nous voulons voir le tranchant politique de l’œuvre tho-
miste  : la notion d’ordo. À la considérer dans son sens actuel, il apparaît
qu’elle possède deux visages très différents, dont l’un est constamment pré-
sent chez saint Thomas et l’autre totalement absent. Dans les deux cas, cepen-
dant, un point commun que nous retrouverons plus loin : l’idée de hiérarchie.
D’une part, le sens abstrait, qui est le propre même de la philosophie tho-
miste considérée dans sa portée formelle : l’ordre existe parce qu’il est fina-
lisé ; chaque réalité se déplace en elle-même selon son ordre1. Autre manière
de dire que l’ordre appelle l’ordination, et que, donc, il ramène la pluralité
(des réalités distinctes) à l’unité première (unité d’ordre). D’autre part, un
sens concret, qui correspond à un idéal normatif2 : les ordines au sens de cor-
porations, dont l’origine puise dans les profondeurs de la Chrétienté médié-
vale. La difficulté vient ici de ce que le regard contemporain projette sur ce
vieux vocable une signification totalement ignorée de saint Thomas. Certes le
Docteur angélique, comme tous les auteurs de son époque, parle de corps
sociaux (universitas, societas, civitas, communitas, corpus, multitudo, congre-
gatio, collectio, coetus, collegium), mais il applique cette idée d’instance col-
lective à la seule cité, qui n’est déjà plus la cité aristotélicienne (le plus sou-
vent, civitas est remplacé par regnum), non aux corps de métiers, aux guildes
ou autres états du Moyen Âge.
Dans le schéma thomiste, il n’y a que deux corps véritablement naturels :
la famille d’une part, la communauté politique d’autre part3. Rien (ou telle-
ment peu) sur les communautés de travail et la phraséologie romantique qui
l’accompagne d’ordinaire : la solidarité concrète des corps, le sentiment de la
participation à un même compagnonnage de métier. Une lecture à peu près
fidèle de saint Thomas suppose donc au préalable de se déprendre de toute
cette mythologie organiciste des corps intermédiaires — orchestrée entre

1. THOMAS d’AQUIN, Somme théologique, op. cit., I, p. 492 (Ia, q. 47, a. 3). Il écrit : « L’ordre
même qui règne dans les choses, telles que Dieu les a faites, manifeste l’unité du monde.
Ce monde, en effet, est un d’une unité d’ordre, selon que certains êtres sont ordonnés à d’autres.
Or tous les êtres qui viennent de Dieu sont ordonnés entre eux et à Dieu. » Nous soulignons.
2. Cette acception du mot ordo a d’abord commencé par renvoyer à une condition spirituelle
avant de désigner des fonctions sociales. Cf. P. MICHAUD-QUANTIN, Universitas. Expres-
sion du mouvement communautaire dans le Moyen Âge latin, Paris, Vrin, 1970. Il faudrait
revenir sur le rôle de Balde, juriste de Bologne, père de la notion d’universitas (J. CANNING,
The Political Thought of Baldus de Ubaldis, Cambridge, Cambridge University Press, 1987).
3. Cf. THOMAS d’AQUIN, Commentaire de l’Éthique à Nicomaque [1269], éd. R. M. Spiazzi,
Turin, Marietti, 1964, p. 3 (liv. I, ch. 1). Titre original en latin : In decem libros ethicorum Aristo-
telis expositio (Commentaire des dix livres de l’Éthique à Nicomaque d’Aristote).
122 La subsidiarité catholique...

autres par l’Église dans sa riposte aux idées de 1789 ; de se défaire de cette
doctrine de la communitas abusivement attribuée à saint Thomas. S’il a bien
pour partie été vécu comme tel par l’Aquinate, le monde de la corporation
professionnelle n’est pas du tout celui qui se dégage de son propos théo-
rique1. Nous pensons donc qu’on se fourvoie à trop télescoper sur saint
Thomas une doctrine corporatiste qui lui est très largement ultérieure, tout
comme on se fourvoie en en faisant le père de l’individualisme juridique ou
des droits de l’homme2.
Telle est la distance qui sépare la philosophie de saint Thomas de son réin-
vestissement par le magistère romain. Entre le monde de la doctrine sociale et
celui de l’Aquinate : la Renaissance, la Réforme et les Lumières ont rompu
avec les valeurs immuables et objectivement supérieures d’autrefois, avec la
vision unifiée d’un tout social organique et naturel3. À la différence du tho-
misme des papes, le thomisme de saint Thomas évolue dans un monde où
l’État n’existe pas (l’État suppose des individus)4. À la différence du tho-

1. Il parle, non pas de corps de métiers, mais d’églises, de royaumes, de domaines, de cités, de
communes, de villages, de confréries, etc. La confusion vient peut-être de ce que les doctrinaires
catholiques du corporatisme oublient le double sens d’ordination. Les choses sont à la fois
ordonnées entre elles et par rapport à Dieu ; le à la fois signalant une relation d’implication.
Thomas parle d’« une double ordination dans les choses » (duplex ordo in rebus) : ordo rerum ad
invicem et ordo rerum ad Deum. « L’homme n’est pas ordonné dans tout son être et dans tous
ses biens à la communauté politique ; c’est pourquoi tous ses actes n’ont pas forcément mérite ou
démérite envers cette communauté. Mais tout ce qu’il est, tout ce qu’il a, et tout ce qu’il peut,
l’homme doit l’ordonner à Dieu ; c’est pourquoi tout acte humain bon ou mauvais a un mérite
ou un démérite devant Dieu, autant qu’il réalise la notion d’acte.  » (THOMAS d’AQUIN,
Somme théologique, op. cit., II, p. 168 ; Ia IIae, q. 21, a. 4, ad 3). Outre Ia, q. 47, a. 3, cf. ibid., I,
p. 216-220, p. 313-315 (Ia, q. 11 ; q. 21 a. 1) ; II, p. 591-592 (Ia IIae, q. 94, a. 2).
2. Cf.  M. VILLEY, «  Le catholicisme et les droits de l’homme  », Le Droit et les droits de
l’homme [1983], Paris, PUF, 2008, p. 105-130 ; « Sur la politique de Jacques Maritain », Archives
de philosophie du droit, 1974, 19, p. 439-445. Est visé par Villey le texte de Maritain qui attribue
à saint Thomas la paternité des droits de l’homme (J. MARITAIN, Les Droits de l’homme et la
loi naturelle [1942], Œuvres complètes, op. cit., VII, p. 617 sq.). Pour une perspective qui n’inter-
prète pas les droits de homme comme totalement étrangers à Thomas, sans pour autant s’en
remettre à Jacques Maritain, cf.  É.  POULAT, Liberté, laïcité, Paris, Cujas, Le Cerf, 1988 ;
J.-M. AUBERT, Droits de l’homme et libération évangélique, Paris, Le Centurion, 1987 ; « Ori-
gines théologiques des droits de l’homme », Le Supplément, 1987, 160, p. 111-122.
3. Chantal Delsol écrit : « La société médiévale, celle de Thomas d’Aquin ou d’Althusius, igno-
rait le pluralisme des finalités parce qu’elle reposait sur un consensus religieux et sur l’idée d’un
bien commun donné d’avance, non discutable [...]. Par contre, elle développait au plus haut
degré l’autonomie des moyens politiques pour atteindre une “vie bonne” aux contours éthiques
déjà tracés. La société moderne, qui ne reconnaît plus de bien commun objectif ni universel, peut
en revanche défendre l’autonomie de ses membres à la fois quant aux fins et quant aux moyens. »
(C. MILLON-DELSOL, Le Principe de subsidiarité, Paris, PUF, 1993, p. 53).
4. N’en déplaise aux commentateurs qui ont précédé Michel Villey. Cf. J. ZEILLER, L’Idée de
l’État chez saint Thomas [1898], Paris, Alcan, 1910. Villey a beaucoup insisté sur ce point, mais
pour défendre la politique thomiste contre l’État moderne (M.  VILLEY, «  La théologie de
Thomas d’Aquin et la formation de l’État moderne », Théologie et droit, op. cit., p. 31-49 ; La
Formation de la pensée juridique moderne [1975], Paris, PUF, 2003, p. 149 sq., p. 188 sq.). Dans
la filiation villeyienne (M.  VILLEY, «  La philosophie juridique de la Réforme catholique  »
[1963-1964], La Formation de la pensée juridique moderne, Paris, PUF, 2003, p. 326-368, spécia-
lement p. 347 sq.), il a été démontré que, plus en amont encore, le thomisme de la Seconde Sco-
lastique espagnole, le suarézisme en particulier, n’était déjà plus le thomisme de saint Thomas
(M. BASTIT, Naissance de la loi moderne. La pensée de la loi de saint Thomas à Suarez, Paris,
PUF, 1990 ; M.-F. RENOUX-ZAGAMÉ, « La disparition du droit des gens classique », Revue
Subsidiarité et ordre économique. La compromission pontificale 123

misme de saint Thomas, le thomisme des papes évolue dans un monde où


l’idée de corporation revêt un sens nouveau, très éloigné de sa source médié-
vale, tout simplement parce qu’elle aussi, née d’une contre-réaction, la corpo-
ration moderne suppose l’État (les corps intermédiaires s’intercalent entre
l’individu et l’État)1. Un seul dénominateur commun, pourrions-nous dire,
dans le passage de Thomas d’Aquin à la doctrine sociale de l’Église : la com-
munauté politique de l’Aquinate, comme celle de Léon XIII à la fin du xixe
ou celle de Pie XI au début du xxe, ne peut plus être la cité d’Aristote, univers
totalement étranger à la définition chrétienne de la personne. Dernier lieu
commun dont il importe de se dégager  : la vulgate aristotélo-thomiste qui
tend à faire des deux philosophes les faces indissociables d’une même pièce
philosophique. Rabattre saint Thomas sur Aristote, retenons ici ce seul argu-
ment parmi de nombreux autres, c’est oublier que chez l’auteur de la Somme
théologique la raison se conjugue nécessairement avec la foi révélée, la philo-
sophie avec la théologie consacrée, c’est oublier qu’entre le Stagirite et l’Aqui-
nate est apparue l’Église, communauté surnaturelle, qui concurrence directe-
ment la cité naturelle d’Aristote2.
En retenant la notion d’ordre comme clef de lecture de l’œuvre de saint
Thomas, nous faisons prévaloir le principe de finalité sur le principe de tota-
lité. Le principe de totalité renvoie à un schéma organique, selon lequel la
société s’apparente à un corps vivant gouverné par la tête3. L’idée est ainsi
celle d’une hiérarchie dans le rapport entre le tout et les parties : les personnes
sont à la cité ce que les parties de l’homme sont à l’homme. Substance pre-
mière4, la personne ne peut néanmoins trouver en elle seule les ressources
suffisantes à la réalisation de ses besoins et de sa vocation5 ; la nature la conduit
donc à se tourner vers celles qui ont la capacité de les satisfaire. Car toutes ont
des qualités spécifiques qui les destinent à l’accomplissement de certaines
tâches en particulier ; chacun devra occuper une fonction précise en rapport
avec ses capacités, étant entendu que, pour la bonne marche de l’ensemble
social, il est souhaitable de ne pas empiéter sur les compétences d’autrui.

d’histoire des facultés de droit et de la science juridique, 1987, 4, p.  23-53). Dans un sens ana-
logue, le même constat vaut pour Cajetan duquel Jacques Maritain s’inspirera beaucoup, via
notamment une relecture approfondie de Jean de Saint-Thomas.
1. Cf. G. de. LAGARDE, « Individualisme et corporatisme au Moyen Âge », L’Organisation
corporative, Louvain, Bibliothèque de l’Université de Louvain, 1937, II, p. 1-59 ; J. E. KELLY,
«  The Influence of Aquinas’ Natural Law Theory on the Principle of “Corporatism” in the
Thought of Leo XIII and Pius XI », Things Old and New. Catholic Social Teaching Revisited,
dir. F. P. MCHUGH, S. M. NATALE, Lanham, New York, Londres, University Press of
America, 1993, p. 104-143 ; N. ARONEY, « Subsidiarity, Federalism and the Best Constitution :
Thomas Aquinas on City, Province and Empire », Law and Philosophy, 2007, 26, p. 161-228.
2. Notons aussi que par rapport au schéma ternaire d’Aristote (famille, village, cité), Thomas
d’Aquin ajoute significativement un quatrième niveau, celui de la province, lieu spécifique de la
fonction royale : la recherche d’une défense commune à l’égard d’un ennemi commun.
3. Cf. J. MADIRAN, Le Principe de totalité, Paris, Nouvelles Éditions Latines, 1963.
4. Sur les notions de persona, d’hypostasis et de subsistentia, cf. en particulier THOMAS
d’AQUIN, Somme théologique, op. cit., I, p. 179 (Ia, q. 3, a. 5), p. 367-370 (Ia, q. 29, a. 1-2).
5. «  Un seul homme, écrit saint Thomas, ne pourrait pas, par lui-même, s’assurer les moyens
nécessaires à la vie. Il est donc dans la nature de l’homme qu’il vive en société.  » (THOMAS
d’AQUIN, De Regno [~ 1267], trad. fr. M. Martin-Cottier, Paris, Egloff, 1946 ; liv. I, ch. 1).
124 La subsidiarité catholique...

La métaphore du corps humain est partout présente sous la plume de saint


Thomas. Dans la Somme théologique, par exemple :
« Il est manifeste [...] que tous ceux qui vivent dans une société sont avec elle
dans le même rapport que des parties avec un tout. Or la partie, en tant que
telle, est quelque chose du tout ; d’où il résulte que n’importe quel bien de la
partie doit être subordonné au bien du tout1. »
Partout présent sous sa plume, ce schéma organique n’est pas attribuable
en propre au seul Docteur angélique, qui se situe ici dans la continuité d’une
tradition constante de la philosophie classique2. Disons même qu’on trouve
une telle conception de la hiérarchie des charismes dès les débuts du christia-
nisme (il y a, dit saint Paul, des chrétiens qui sont appelés à prêcher, d’autres
qui sont appelés à guérir, d’autres, encore, à cultiver la terre, etc.3), pour ne
rien dire de la pensée antique (que l’inférieur soit subordonné au supérieur,
voilà qui ne fait aucun doute pour Aristote4). C’est en ce sens qu’il faut com-
prendre cette phrase clef de Quadragesimo anno : « Que l’autorité publique

1. THOMAS d’AQUIN, Somme théologique, op. cit., III, p. 387-388 (IIa IIae q. 58 a. 5). « Dans
un tout, écrit-il plus haut, chaque partie aime naturellement le bien commun du tout plus que
son bien propre et particulier. » « La partie aime le bien du tout parce que cela lui convient ; elle
ne l’aime pas de telle façon qu’elle rapporte à elle-même le bien du tout, mais plutôt de telle
façon qu’elle se rapporte elle-même au bien du tout.  » (Ibid., III, p.  195 ; IIa IIae, q.  26 a.  3).
Cf. aussi ibid., I, p. 566-568 (Ia, q. 60 a. 5) ; I, p. 569-570 (Ia, q. 61 a. 3) ; I, p. 714 (Ia, q. 81 a. 3 ad 2) ;
I, p. 873-883 (Ia, q. 108) ; II, p. 514-515 (Ia IIae, q. 81 a. 1) ; II, p.518 (Ia IIae, q. 81, a. 3 ad 2). Dans la
Somme contre les gentils : « Il est manifeste que toutes les parties sont ordonnées à la perfection
du tout, car le tout n’est pas pour les parties, mais les parties pour le tout.  » (THOMAS
d’AQUIN, Somme contre les Gentils. Livre sur la vérité de la foi catholique contre les erreurs des
infidèles [1258-1265], trad. fr. V. Aubin, C. Michon, D. Moreau, Paris, Flammarion, 1999, III,
p. 393 ; liv. III, ch. 112, 5). « Le bien qui résulte de l’ordonnancement d’une diversité d’individus
est meilleur que chacun d’eux considéré en lui-même. Il joue en effet par rapport à eux le rôle
d’élément formel, comme la perfection du tout par rapport aux parties. » « Le bien particulier est
orienté vers le bien commun comme vers une fin : en effet l’être de la partie est pour l’être du
tout ; c’est pourquoi aussi le bien du peuple est plus divin que le bien d’un seul homme [cf. Éth.
Nic., I, 1094b9-10]. » (Ibid., III, p. 88 ; liv. III, ch. 17, 6).
2. Sur le parcours plus récent de ce récit récurrent, cf. J. E. SCHLANGER, Les Métaphores de
l’organisme, Paris, Vrin, 1971 ; M. BOUVIER, « L’éternel retour du corps comme représenta-
tion du politique », Mélanges J. Morand-Deviller, Paris, Montchrestien, 2007, p. 21-33.
3. Première épître de saint Paul apôtre aux Corinthiens, XII, spécialement 14, 18, 21 (sans
oublier 5 : « il y a différents services, mais un même seigneur ») ; Épître de saint Paul apôtre aux
Éphésiens, IV, 16 (« C’est de lui [le Christ] que tout le corps, coordonné et uni par les liens des
membres qui se prêtent un mutuel secours et dont chacun opère selon sa mesure d’activité,
grandit et se perfectionne dans la charité.  »). Mentionnons également la parabole des talents
(Évangile selon saint Matthieu, XXV, 14-30). Depuis le moment paulinien, l’Église catholique a
historiquement façonné une structuration hiérarchique des fonctions sociales  : les oratores au
sommet de la pyramide, les laboratores à sa base (selon le fameux triptyque médiéval oratores-
bellatores-laboratores, ou, si l’on préfère, orantes-militantes-laborantes). Cf., ici, l’éclairage de
Georges Duby (G.  DUBY, Les Trois ordres ou l’imaginaire du féodalisme, Paris, Gallimard,
1978). Ce trait caractéristique du catholicisme sera remis en cause par la Réforme protestante
non pas tant dans son contenu que dans sa forme hiérarchique. Dans le protestantisme, en effet,
la bipartition entre dévotion monastique et vie mondaine est pour ainsi dire rapatriée à l’inté-
rieur de chaque personne. Devenu individu, le chrétien protestant prie et travaille tout à la fois.
4. Le bien commun est plus divin que le bien d’un seul (ARISTOTE, Les Politiques [325-
323 av. J.-C.], trad. fr. P. Pellegrin, Paris, Flammarion, 1990, p. 85-86 ; liv. I, ch. 1). Nous nous
référons à la traduction de Pierre Pellegrin (Les Politiques, op. cit.) plutôt qu’à l’édition Tricot
(La Politique, Paris, Vrin, 1962) car cette dernière, étant donné son ancienneté, a le fâcheux
inconvénient de projeter le mot et le concept d’État sur la philosophie d’Aristote.
Subsidiarité et ordre économique. La compromission pontificale 125

abandonne donc aux groupements de rang inférieur le soin des affaires de


moindre importance où se disperserait à l’excès son effort1. » L’égale dignité
de tous les fidèles certes, mais dans la distinction — nécessairement hiérarchi-
sante — des offices. Nous tirerons plus loin toutes les conséquences logiques
de cette proposition.
Michel Villey le rappelle avec insistance, la métaphore organique du corps
humain ne doit pas parasiter à l’excès le regard porté sur saint Thomas. Notons
d’ailleurs qu’elle est beaucoup moins présente sous sa plume que chez la plu-
part des auteurs de son époque. Toujours est-il que Michel Villey nous pré-
munit contre le danger de l’anachronisme  : projeter sur les mots de saint
Thomas le sens que nous leur donnons aujourd’hui. Quand l’Aquinate théma-
tise l’unité du tout, il parle d’unité d’ordre et ne dit pas autre chose que les
parties entrent en relation dans la poursuite d’une fin commune2. Comme l’a
très bien relevé l’un des traducteurs et commentateurs français de la
Préface à la Politique (d’Aristote), toute subordination, en tant précisé-
ment qu’elle relie un subordonné à un subordonnant, suppose deux termes
distincts. Or, la cité thomiste n’est pas distincte des parties. Aussi, dire que
le subordonné se «  réduit  » au subordonnant, cela revient à se rendre dupe
d’une dangereuse métaphore mécanique ou spatiale3. L’image du corps
implique indiscutablement une conception holiste de l’ensemble social dans
lequel l’individu est subordonné à la collectivité ; cependant, l’optique chré-
tienne dans laquelle se situe l’Aquinate oblige à rappeler qu’analogie corpo-
relle n’est pas analogie cybernétique ou organique4. Dans un corps, nous dit
saint Thomas, le tout continue d’être présent dans chaque partie ; dans
un organisme, au contraire, le tout instrumentalise chaque partie comme
autant de rouages fonctionnels de sa propre mécanique d’ensemble. C’est là le
sens profond de la fameuse proposition : « L’homme n’est pas ordonné dans
tout son être et dans tous ses biens à la communauté politique5.  » À aucun

1. PIE XI, Quadragesimo anno, 79-80 (in A. F. UTZ, I, p. 617). Nous soulignons.
2. En des ordres différents de nature, ajoute saint Thomas, peuvent exister des relations analo-
gues entre les membres intégrés, telle est la portée de son raisonnement analogique qui n’est pas
sans rappeler la proportionnalité aristotélicienne : la cité est au citoyen, l’Église est au chrétien.
3. H. KERALY, in Préface à La Politique [1272], trad. fr. H. Keraly, Paris, Nouvelles Éditions
Latines, 1974, p. 55. Il s’agit ici du Commentaire des huit livres de La Politique d’Aristote (In
octo libros politicorum Aristotelis expositio [1272], éd. R. M. Spiazzi, Turin, Marietti, 1966).
4. On a peut-être ici la différence irréductible entre le holisme ancien (analogie corporelle) et ses
réminiscences modernes, qui inclinent parfois vers une mécanique organiciste (analogie orga-
nique). Pensons notamment à au corporatisme de René de La Tour du Pin.
5. THOMAS d’AQUIN, Somme théologique, op. cit., II, p. 168 (Ia IIae, q. 21 a. 4 ad 3). « Il faut
distinguer, écrit Pierre Manent, la notion de “corps” de celle d’“organisme”. Quand on dit  :
“corps politique”, on peut penser : “organisme politique”, et impliquer par là la subordination
fonctionnelle, pour ainsi dire mécanique, de la partie au tout. Organon signifie originellement
“instrument”, et, dans un “organisme”, la partie peut être dite un “instrument” du tout. Il est
alors parfaitement légitime de rejeter cette représentation de l’existence sociale et de la vie poli-
tique. Mais un corps est plus, et autre chose, qu’un organisme. Dans un corps, le tout est présent
dans chaque partie, la vie anime chaque partie parce qu’elle anime le tout. [...] Ainsi l’idée du
corps appliquée aux communautés politiques n’est-elle nullement une idée mécanique et gros-
sière ; c’est au contraire une idée complexe et vraiment spirituelle : elle désigne le fait que, dans
une communauté politique, chaque élément est à la fois lui-même et le tout, il vit à la fois de sa
vie propre et de la vie du tout. » (P. MANENT, « Le corps et l’ordre politique », Cours familier
de philosophie politique [2001], Paris, Fayard, 2007, p. 215-231, ici p. 225).
126 La subsidiarité catholique...

moment, il ne peut y avoir absorption du premier par la seconde. Car la


communauté n’est pas chose extérieure aux individus mais, au contraire, une
partie d’eux-mêmes. La partie ne disparaît pas dans le tout et le tout n’absorbe
pas la partie. Ontologiquement et chronologiquement second, le moment du
bien commun est, par construction, à comprendre à l’intérieur du premier,
celui de la personne. Il n’engloutit pas le bien propre de chacun, il est la condi-
tion nécessaire à sa satisfaction, se reversant en retour sur chaque entité per-
sonnelle.
En faisant ainsi primer le principe de finalité sur le principe de totalité dans
notre relecture de saint Thomas, nous sommes mieux en mesure de faire
apparaître combien il y a, chez lui, moins subordination hiérarchique que
corrélation intime entre la personne et la société1. La personne est englobée
dans une totalité selon l’idée de participation et, à ce titre, garde sa dignité de
créature douée de raison et de liberté2. Si le tout est par nature antérieur aux
parties matérielles (la cité précède l’homme selon la nature), celles-ci restent
premières dans l’ordre chronologique de la génération. Même quand saint
Thomas dit que le tout déborde de ses parties, jamais il ne dit que le tout se
situe au-dessus d’elles3. On doit dès lors comprendre qu’aucune communauté
temporelle ne constitue une fin absolument dernière à laquelle les personnes
devraient sacrifier la totalité de leur être. Voilà le ressort proprement person-
naliste de la théologie thomiste qui sera abondamment exploité au xxe siècle.
D’un côté, l’individu qui est ordonnée au bien du corps social ; de l’autre, le
corps social qui est ordonné au bien de la personne4. Si l’on veut absolument

1. Le tout repose sur l’interprétation de la notion centrale de bonum commune. Parmi la littéra-
ture de référence, cf. I. T. ESCHMANN, « A Thomistic Glossary on the Principle of the Pre-
eminence of a Common Good », Medieval Studies, 1943, 5, p. 123-165 ; A. MODDE, « Le bien
commun dans la philosophie de saint Thomas  », Revue philosophique de Louvain, 1949, 47,
p. 221-247 ; J.-P. JOSSUA, « L’axiome “bonum diffusivum sui” chez saint Thomas d’Aquin »,
Revue des sciences religieuses, 1966, 40, p.  127-153 ; E.  SCULLY, «  The Place of the State in
Society According to Aquinas », The Thomist, 1981, 45, p. 407-428 ; M. S. KEMPSHALL, The
Common Good in Late Medieval Political Thought, Oxford, Clarendon Press, 1999, p. 76-129.
2. Cf. J. F. WIPPEL, « Thomas Aquinas and Participation », Studies in Medieval Philosophy, éd.
J. F. WIPPEL, Washington, Catholic University of America Press, 1987, p. 117-158.
3. Envisagé dans son individualité, l’homme est intégré dans un tout dont le bien est meilleur
que le sien propre ; envisagé dans sa personnalité, en revanche, il transcende la société temporelle.
Le bien surnaturel d’un seul sera toujours supérieur au bien naturel du tout, mais le bien du tout
reste ontologiquement supérieur au bien particulier d’un seul. Cf. O. von NELL-BREUNING,
« Personalismus », Wörterbuch der Politik, op. cit., 1951, V, surtout p. 352.
4. Renvoyons surtout à Jacques Maritain. « Si la personne demande de soi à “faire partie” de la
société, ou à “être membre” de la société, cela ne signifie point qu’elle demande à être dans la
société comme une partie et à être traitée dans la société comme une partie, elle demande au
contraire — c’est un vœu de la personne en tant même que personne — à être traitée dans la
société comme un tout. » (J. MARITAIN, La Personne et la bien commun [1947], Œuvres com-
plètes, op. cit., IX, p. 205). La notion de personne, écrit Maritain, est « une notion analogique qui
ne se réalise pleinement et absolument que dans son analogué, en Dieu » (Ibid., p. 203). « Dire
que la société est un tout composé de personnes, c’est [...] dire que la société est un tout composé
de touts.  » (Ibid., p.  204). Comme la personne, la société est donc une notion analogique qui
prend pour modèle la société trinitaire des personnes divines. Dans la Trinité, les trois personnes
ne sont pas des parties de l’essence divine ; elles sont trois touts à l’intérieur du tout. Nous
reviendrons plus bas sur la dispute entre Jacques Maritain et Charles de Koninck. Mentionnons
ici, dans la même veine, l’opposition entre Ignatius Theodor Eschmann (qui défendra Maritain)
Subsidiarité et ordre économique. La compromission pontificale 127

dessiner un schéma hiérarchique, il faut alors admettre la gradation suivante :


1o bien supratemporel de la personne ; 2o bien temporel de la cité ; 3o bien tem-
porel du citoyen. Communauté nécessaire (nécessité n’est contrainte), la cité
ne saurait en aucun cas s’interpréter comme l’égale de la personne humaine,
créature divine et imago Dei1. Son unité est une unité d’ordre et non celle
d’un être en soi.
Supposant par définition la reconnaissance de sa propre carence, la vie en
communauté, nous dit saint Thomas, procède d’un élan négatif, non d’une
aspiration positive comparable à celle qui découle de l’amour céleste ou de la
communion divine2. Rien de moins aristotélicien là-dedans : si l’homme entre
en société, c’est en raison d’une déficience physique, d’une carence ontolo-
gique, résultat direct de sa condition peccamineuse. Intrinsèquement et méta-
physiquement supérieur à la société, l’homme, s’il reçoit correctement la
Révélation, peut certes se suffire à lui-même pour connaître ses finalités et ses
besoins temporels, jamais, cependant, il ne s’autosuffira pour les accomplir et
y répondre. La fonction du pouvoir sera précisément de pallier cette insuffi-
sance en se plaçant au service de la personne3. La cité aura beau être érigée au
rang de société juridiquement parfaite (societas juridice perfecta), elle ne sera
parfaite que dans son ordre propre et restera fondamentalement inférieure à
la société en charge de l’ordre supérieur : l’Église4. Secondarité de la cité dans
le schéma chrétien : la médiation politique est seconde et relative par rapport
à la médiation ecclésiale car c’est à un niveau inférieur qu’elle est supérieure.
«  L’Église, écrira Léon XIII, société parfaite très supérieure à toute autre
société, a reçu de son Auteur la mission de combattre pour le salut du genre
humain “comme une armée rangée en bataille”. » « Étant [...], non seulement
une société parfaite en elle-même, mais une société supérieure à toute société
humaine, elle refuse absolument, en droit et par devoir, à s’asservir aux partis
et à se plier aux exigences changeantes de la politique5. »

et Antoine Pierre Verpaalen (qui soutiendra Koninck) : I. T. ESCHMANN, « Bonum commune
melius est quam bonum unius. Eine Studie über den Wertvorrang des Personalen bei Thomas
von Aquin », Medieval Studies, 1944, 6, p. 62-120 ; « St. Thomas Aquinas on the Two Powers »,
ibid., 1958, 20, p. 177-205 ; A. P. VERPAALEN, Der Begriff des Gemeinwohls bei Thomas von
Aquin. Ein Beitrag zum Problem des Personalismus, Heidelberg, Kerle, 1954.
1. Livre de la Genèse, I, 27 (« Et Dieu créa l’homme à son image »).
2. THOMAS d’AQUIN, Commentaire de l’Éthique, op. cit. (liv. I, ch. 1).
3. Civitas homini, non homo civitati existit, dira Pie XI dans Divini redemptoris. « Dans le plan
du Créateur, la société est un moyen naturel, dont l’homme peut et doit se servir pour atteindre
sa fin, car la société est faite pour l’homme et non l’homme pour la société [...] c’est dans la société
que se développent toutes les aptitudes individuelles et sociales données à l’homme par la nature,
aptitudes qui, dépassant l’intérêt immédiat du moment, reflètent dans la société la perfection de
Dieu, ce qui est impossible si l’homme reste isolé [...]. Seul l’homme, seule la personne humaine,
et non la collectivité en soi, est doué de raison et de volonté moralement libre. » (PIE XI, Divini
Redemptoris, 29 ; in A. F. UTZ, I, p. 241-243). Nous soulignons.
4. Pour plus de détails sur la réflexion ecclésiologique de saint Thomas, cf., par exemple,
Y. M.-J. CONGAR, « Aspects ecclésiologiques de la querelle entre mendiants et séculiers dans
la seconde moitié du xiiie siècle et au début du xive », Archives d’histoire doctrinale et littéraire
du Moyen Âge, 1961, 36, p.  35-161 ; C.  ZUCKERMAN, «  Aquinas’ Conception of the Papal
Primacy in Ecclesiastical Government », ibid., 1973, 40, p. 97-134.
5. LÉON XIII, Sapientiae christianae (in A.  F.  UTZ, III, p.  2156-2157, p.  2164-2165 ;
SOLESMES, 269, p. 178, 282, p. 184). Sur la notion de societas perfecta, cf. aussi LÉON XIII,
Immortale Dei (in A. F. UTZ, III, p. 2020-2057 ; H. DENZINGER, 3116-3117, p. 705-706).
128 La subsidiarité catholique...

Une fois ces contours posés, tout, dans l’ordre temporel thomiste, n’est
que répartition et distribution des rôles. Ainsi, à propos de l’office du roi :
«  Celui-ci doit se soucier du progrès, et ceci en s’appliquant, dans tous les
domaines dont nous avons parlé, à corriger, s’il se trouve quelque chose en
désordre, à suppléer s’il y a quelque manque, et à parfaire, si quelque chose de
meilleur peut être fait1. »
Non sans justifications, certains commentateurs avertis ont voulu voir
dans cette phrase l’une des premières formulations du principe de subsidia-
rité. On aura compris que notre interprétation s’inscrit en faux  : sans État
moderne, point de subsidiarité2. Reste, bien sûr, l’inspiration générale dans
laquelle, beaucoup plus tard, viendra puiser le concept : les notions d’auxilia
et de secours (supplere). À cette aune, néanmoins, celle de l’anthropologie
chrétienne cristallisée par l’Aquinate, le rôle propre de l’autorité publique
peut trouver à s’éclairer. Contrairement à une vue hâtive qui considèrerait le
seul poids de l’autorité dans la culture catholique, la puissance publique chez
saint Thomas ne constitue pas une institution transcendante et surplombante
en tant que telle. Ce n’est pas l’autorité publique, en effet, qui est transcen-
dante mais sa seule forme, l’ordre social. En sa position d’auxiliaire, elle a
pour mission de réaliser le programme de la nature, qui, lui-même, trouve sa
vérité dans la surnature ; aussi ne saurait-elle constituer le lieu d’une quel-
conque expression de la volonté humaine (non ordonnée à la raison divine).
Située dans la sphère du déploiement de l’être, non dans celle de l’invention
du bien, elle promeut le bien commun ; elle n’est pas en mesure de le décréter.
Voilà le sens de sa vocation subsidiaire. À l’inverse de toutes les théories
contractualistes ultérieures, l’autorité publique chez Thomas d’Aquin ne fait
pas reposer sa légitimité sur des individus isolés nouant entre eux une conven-
tion volontaire et déléguant ensuite leur souveraineté, mais sur la totalité
ordonnée constituée par la communauté des personnes. L’autorité politique
ne pourra donc jamais être justifiée autrement que comme agent et serviteur
du bien commun ; car, en dehors de cette visée, il n’existe d’autorité qui soit
légitime, y compris celle du roi le plus vertueux.

1. THOMAS d’AQUIN, De Regno, op. cit., trad. fr., p. 128-129 (liv. I, ch. 15). « Quod fit dum
in singuli que premissa sunt si quid inordinatum est corrigere, si quid deest supplere, si quid
melius fieri potest studet perficere. » (THOMAS de AQUINO, De Regno, ad regem Cypri, éd.
lat. Ordre des Prêcheurs, in Opera omnia, Rome, Editori di san Tommaso, 1979, XLII, p. 468
(liv. II, ch. 4). « Une seule famille, dans une seule maison, suffira bien à certains besoins vitaux,
comme par exemple ceux qui se rapportent aux actes naturels de la nutrition, de la génération et
des autres fonctions de ce genre ; dans un seul bourg, on se suffira pour ce qui regarde un seul
corps de métier. » (THOMAS d’AQUIN, De Regno, op. cit., trad. fr., p. 33 ; liv. I, ch. 1).
2. Nous nous contentons pour l’instant de renvoyer aux remarques cursives de Hugues Keraly
dans son commentaire de 1974. Faisant référence à Quadragesimo anno, il décrit le principe de
subsidiarité comme le «  prolongement de la pensée politique thomiste à la solution d’un pro-
blème contemporain » (H. KERALY, in THOMAS d’AQUIN, Préface à la Politique, op. cit.,
p. 105). Plus loin, dans une annotation sur un numéro spécial d’Itinéraires, revue de sensibilité
traditionaliste (publiée par les Nouvelles Éditions Latines) : « Il est à remarquer qu’en dehors de
ce numéro spécial d’Itinéraires, la bibliographie en langue française du principe de subsidiarité
présente aujourd’hui encore cette caractéristique remarquable d’être quasiment inexistante.  »
(Ibid., p. 177). Cf. « Le principe de subsidiarité », Itinéraires, 1962, 64, p. 3-52, ici p. 11.
Subsidiarité et ordre économique. La compromission pontificale 129

Toujours dans le De Regno, Thomas souligne avec insistance que le danger


qu’il y aurait à considérer le roi comme l’origine créatrice de la société1 : le
roi, écrit-il, « ne peut pas produire des hommes nouveaux ». Dépositaire et
garant du bien commun, il ne fait que créer les conditions de l’autosuffisance
des groupes — au premier rang desquelles la condition de la paix2. Serviteurs
de buts qui lui préexistent (donc qu’il ne définit pas lui-même), il se contente
de les reconnaître. C’est précisément quand le pouvoir en vient à s’ordonner
à lui-même qu’il usurpe sa fonction ministérielle et glisse vers la tyrannie3.
Sans redouter l’anachronisme, d’aucuns ont voulu faire de saint Thomas
d’Aquin un incorrigible conservateur, défenseur inconditionnel des pouvoirs
établis4. À le lire attentivement, l’erreur d’une telle interprétation est évidente,
qui procède, pour l’essentiel, d’une lecture trop partielle des développements
consacrés à la monarchie. On s’enfermerait dans une impasse intellectuelle si
l’on s’obstinait à débusquer chez l’Aquinate un simple thuriféraire de la
royauté. Sous sa plume, aristocratie, monarchie et démocratie sont classés de
manière descriptive en fonction de leur capacité respective à assurer telle ou
telle composante du bien commun : l’aristocratie assure la plus grande justice,
la démocratie la plus grande liberté, la monarchie la plus grande unité. C’est
dans la mesure où la priorité doit être raisonnablement accordée à l’unité de la
communauté que saint Thomas érige la monarchie au rang de meilleur régime.
« Toute multitude dérive de l’un. C’est pourquoi, si les choses qui sont du ressort
de l’art imitent celles qui sont selon la nature, et si une œuvre d’art est d’autant
meilleure qu’elle reproduit davantage la similitude de ce qui est dans la nature,
il est nécessaire que pour la multitude humaine le meilleur soit d’être gouvernée
par un seul. [...] Les provinces et les cités qui ne sont pas gouvernées par un seul
souffrent de dissensions, et leur agitation les éloigne de la paix [...]. Mais au

1. « Le fondateur d’une cité ou d’un royaume ne peut pas produire des hommes nouveaux, des
lieux pour leur habitation, ni d’autres ressources indispensables à la vie, mais il doit nécessaire-
ment utiliser les choses qui préexistent dans la nature.  » (THOMAS d’AQUIN, De Regno,
op. cit., trad. fr., p. 111-112 ; liv. I, ch. 13). Au titre de la métaphore organique, citons aussi : « La
multitude est régie par la raison d’un seul homme ; c’est là surtout le propre de l’office du roi [...].
Que le roi connaisse donc qu’il a reçu cet office, afin d’être dans son royaume, comme l’âme
dans le corps, et comme Dieu dans le monde. » (Ibid., p. 106-107 ; liv. I, ch. 12).
2. « Le bien et le salut d’une multitude assemblée en société est dans la conservation de son unité
qu’on appelle paix ; si celle-ci disparaît, l’utilité de la vie sociale est abolie, bien plus, une multi-
tude en dissension est insupportable à soi-même. Tel est donc le but auquel celui qui dirige la
multitude doit le plus viser : procurer l’unité de la paix. » (Ibid., p. 35-36 ; liv. I, ch. 2).
3. Au début du livre II, saint Thomas n’hésite pas à se faire plus précis encore dans sa descrip-
tion de l’office du roi : l’autorité temporelle, écrit-il, a pour tâche essentielle d’assurer les condi-
tions matérielles de la vie humaine. Et de mentionner, par exemple, l’assainissement des villes, le
secours aux pauvres, la protection du commerce et de l’industrie (Ibid., p. 133 sq.).
4. Extrapolant à partir de la pensée thomiste, un René Lourau se plaît par exemple à écrire : « la
famille de Thomas fait partie de l’aristocratie d’Empire  : l’obédience au Saint Empire romain
germanique sera au cœur des théories théologiques et politiques du penseur officiel de la papauté
moderne » (R. LOURAU, Le Principe de subsidiarité contre l’Europe, op. cit., p. 16). Il y aurait à
déterminer ce que cette présentation de Thomas doit au filtre déformant du néothomisme de
l’Action française, non pas tant celui de Maurras lui-même que celui du Père Reginald Garrigou-
Lagrange (R.  GARRIGOU-LAGRANGE, Préface à THOMAS d’AQUIN, Du Gouverne-
ment royal, trad. fr. C.  Roguet, Paris, Guillemot, Lamothe, Éditions de la Gazette française,
1926, p. VIII-XXXI). Sur cette question, cf. A. LAUDOUZE, Dominicains français et Action
française, 1899-1940 : Maurras au couvent [1989], Paris, Éditions ouvrières, 1990.
130 La subsidiarité catholique...

contraire, les provinces et les cités qui sont gouvernées par un seul roi jouissent
de la paix, fleurissent dans la justice et sont heureuses dans l’abondance1. »
Aussi ne faut-il pas lire le De Regno comme une prise de position défini-
tive en faveur de la monarchie, mais bien comme une défense du régime alors
jugé le plus apte à garantir le bien commun. La probabilité d’un roi vertueux
est plus forte que celle d’un peuple vertueux ; mieux vaut donc s’en tenir à
l’efficacité du gouvernement d’un seul. Peu importe, ici, la question tech-
nique du régime politique pourvu que la puissance publique ne sorte pas de
son rôle mais qu’elle le joue pleinement : réaliser le bien commun temporel
et, à cette fin, réunir les conditions permettant à l’Église d’assurer sa mission
institutionnelle de médiation spirituelle. Encore convient-il de ne pas s’ar-
rêter au seul De Regno2, et de croiser sa lecture avec celle de la Somme théolo-
gique, son traité des lois plus particulièrement, et en l’occurrence les pages
consacrées à la loi ancienne. À lire les deux textes séparément, on pourrait
conclure à une contradiction insurmontable dans la théorie politique de saint
Thomas. Mais sans vouloir unifier l’ensemble en un tout cohérent, son
propos mérite au moins d’être mis en perspective. D’autant que la clef de lec-
ture se donne à voir d’elle-même. Bon lecteur d’Aristote et des auteurs clas-
siques, Thomas s’inscrit dans la plus pure tradition du régime mixte, même si
sa présentation du problème diffère assez nettement de celle de ses prédéces-
seurs3. Qu’il suffise de le citer longuement :
« Deux points sont à observer dans la bonne organisation politique d’une cité ou
d’une nation. D’abord que tout le monde participe plus ou moins au gouverne-
ment car il y a là, selon le deuxième livre de la Politique, une garantie de paix
civile, et tous chérissent et soutiennent un tel état de chose. L’autre point
concerne la forme du régime ou de l’organisation des pouvoirs ; on sait qu’il en
est plusieurs, distinguées par Aristote, mais les plus remarquables sont la royauté,
ou domination d’un seul selon la vertu, et l’aristocratie, c’est-à-dire le gouverne-
ment des meilleurs, ou domination d’un petit nombre selon la vertu. Voici donc
l’organisation la meilleure pour le gouvernement d’une cité ou d’un royaume : à
la tête est placé, en raison de sa vertu, un chef unique ayant autorité sur tous ;
puis viennent un certain nombre de chefs subalternes, qualifiés par leur vertu ; et
cependant la multitude n’est pas étrangère au pouvoir ainsi défini, tous ayant la
possibilité d’être élus et tous étant d’autre part électeurs. Tel est le régime parfait,

1. THOMAS d’AQUIN, De Regno, op. cit., trad. fr., p. 37-39 (liv. I, ch. 2).
2. Rappelons les difficultés d’interprétation du De Regno. Écrit posthume rédigé vers 1267, il est
resté inachevé du vivant de saint Thomas. Appartenant à la tradition des Fürstenspiegel, le texte
était destiné au roi de Chypre, Hugues II de Lusignan (1252-1267). Au début du xive siècle, son
économie générale a été profondément modifiée et le propos considérablement augmenté par
Ptolémée de Lucques, disciple de Thomas d’Aquin, au point de prendre le titre de De Regimine
principum. C’est cette dernière version, ensuite attribuée à l’Aquinate, qui a connu la fortune
éditoriale que l’on sait. Sur l’itinéraire du texte : I. T. ESCHMANN, Introduction à THOMAS
AQUINAS, On Kingship [~ 1267], trad. angl. G. B. Phlelan, Toronto, The Pontifical Institute of
Mediaeval Studies, 1982. Sur les Miroirs des princes en tant que genre littéraire, cf. l’étude sémi-
nale de Wilhelm Berges à laquelle on doit cette appellation générique (W. BERGES, Die Für-
stenspiegel des hohen und späten Mittelalters [1938], Stuttgart, Hiersemann, 1952), ainsi que la
synthèse de Pierre Hadot (P. HADOT, « Fürstenspiegel », Reallexikon für Antike und Chris-
tentum, éd. T. KLAUSER, Stuttgart, Hiersemann, 1972, VIII, col. 555-632).
3. Il faudrait faire référence à Polybe et à Cicéron (CICÉRON, De la République [106-43 av.
J.-C.], trad. fr. E. Bréguet, A. Yon, Paris, Gallimard, 1994, p. 27-43 ; liv. I, ch. 25-35).
Subsidiarité et ordre économique. La compromission pontificale 131

heureusement mélangé de monarchie par la prééminence d’un seul, d’aristo-


cratie par la multiplicité de chefs vertueusement qualifiés, de démocratie enfin
ou de pouvoir populaire du fait que de simples citoyens peuvent être choisis
comme chefs, et que le choix des chefs appartient au peuple1. »
Le tout ne s’éclaire finalement qu’à travers la référence à une notion cen-
trale de la scolastique médiévale qui trouvera à s’épanouir au xxe siècle chez
un Jacques Maritain  : la notion de vicariance (vices gerens multitudinis).
Pointant dans les développements consacrés à l’origine de la loi, sa formula-
tion principale précède de quelques questions seulement le passage cité :
«  Rappelons-nous, écrit-il, que la loi vise premièrement et à titre de principe
l’ordre au bien commun. Ordonner quelque chose au bien commun revient au
peuple tout entier ou à quelqu’un qui représente le peuple. C’est pourquoi le
pouvoir de légiférer appartient à la multitude tout entière ou bien à un person-
nage officiel qui a la charge de toute la multitude2. »
Cette conception fait ainsi justice au principe paulinien selon lequel toute
autorité dérive de Dieu ; elle rappelle aussi que l’autorité vient de Dieu par
l’intermédiaire des hommes  : grand thème médiéval de l’auctoritas Dei per
populum dont la paternité sera rétrospectivement — et souvent indûment —
attribuée à saint Thomas. D’un côté se trouve affirmé le fondement divin de
l’autorité ; de l’autre le droit du peuple à se donner des lois en accord avec
l’ordre naturel. Les vicaires du peuple sont investis d’une autorité réelle pré-
cisément en tant qu’ils représentent le peuple, en tant qu’ils sont chargés de le
diriger vers le bien commun. Gardons à l’esprit les termes de ce raisonnement
car, une fois renversés (peuple vertueux plutôt que chef ou vicaire vertueux),
ils pourront aider à comprendre les ressorts cachés de l’acclimatation pontifi-
cale à la démocratie3.

1. THOMAS d’AQUIN, Somme théologique, op. cit., II, p. 700-703 (Ia IIae, q. 105, a. 1). Un peu
plus haut, il écrivait  : «  S’il s’agit d’une société libre capable de faire elle-même sa loi, il faut
compter davantage sur le consentement unanime du peuple pour faire observer une disposition
rendue manifeste par la coutume, que sur l’autorité du chef qui n’a le pouvoir de faire des lois
qu’au titre de représentant de la multitude. C’est pourquoi, bien que les individus ne puissent
pas faire de loi, cependant le peuple tout entier peut légiférer. » (Ibid., II, p. 611-612 ; Ia IIae, q. 97,
a. 3 ad 3). Cf. J.-C. RICCI, « La théorie thomiste du régime mixte », Revue du droit public, 1974,
90 (6), p. 1559-1609 ; J. M. BLYTHE, « The Mixed Constitution and the Distinction Between
Regal and Political Power in the Work of Thomas Aquinas », Journal of the History of Ideas,
1986, 47, p. 547-565 ; A. RIKLIN, « Die beste politische Ordnung nach Thomas von Aquin »,
Festschrift F.-M. Schmölz, Innsbruck, Vienne, Tyrolia Verlag, 1992, p. 67-90.
2. THOMAS d’AQUIN, Somme théologique, op. cit., II, p. 571-572 (Ia IIae, q. 90, a. 3). Jacques
Maritain se réfère au concept médiéval de vicariance pour rappeler que « nul agent humain ni
institution humaine, ne possède en vertu de sa propre nature le droit de gouverner les hommes »
(J. MARITAIN, L’Homme et l’État, Œuvres complètes, op. cit., IX, p. 530 ; éd. PUF, p. 39). Les
vicaires représentent le peuple au titre de personae multitudinis et ne sont délégués par le peuple
qu’au sens où ils incarnent son autorité en y participant. La reprise de ce vieux concept est éga-
lement une manière de revisiter la distinction entre autorité et pouvoir. La potestas : « la force
au moyen de laquelle on peut obliger autrui à obéir » ; l’auctoritas : « le droit de diriger et de
commander, d’être écouté ou obéi d’autrui ». Si l’autorité requiert bien sûr le pouvoir, le pouvoir
sans autorité n’est que tyrannie (Ibid., p. 127 sq. ; éd. PUF, p. 116 sq.). Dans le même sens, ins-
piré des analyses maritainiennes antérieures : C. JOURNET, « La doctrine de la cité selon saint
Thomas d’Aquin » [1937], Exigences chrétiennes en politique, op. cit., p. 139-153.
3. La forme du régime politique peut varier, écrit le Pape Pecci, « dès lors qu’elle est réellement
opérante pour l’utilité et le bien commun » (LÉON XIII, Immortale Dei ; in H. DENZINGER,
3165, p. 705). Cf. aussi Libertas praestantissimum ; in H. DENZINGER, 3254, p. 716).
132 La subsidiarité catholique...

Pour autant, et là réside peut-être une source essentielle de confusion, à


tout le moins la difficulté contemporaine à comprendre saint Thomas
jusqu’au bout  : le rôle de la puissance publique, dans le schéma thomiste,
n’est pas réductible à une fonction sociale de vicariance. Ultime dans son
ordre (celui de la nature), le politique est ontologiquement second mais ne
saurait être rabaissé à une dimension purement utilitaire. Lecteur chrétien
d’Aristote, mais lecteur néanmoins, Thomas ne voit pas dans la cité une
simple instance de suppléance, il y voit aussi un supplément d’être. Car la cité
est la seule communauté, le seul corps politique, qui permette à l’homme
d’accéder à sa fin naturelle — le bonheur — en stimulant son exercice de per-
fectionnement1. À tel point que, si la fin ultime de l’homme se loge dans un
au-delà de la cité, elle-même ne peut être atteinte en dehors de la fin poli-
tique. Se prévalant de cette lecture unanime de saint Thomas, les interprètes
ont tenu à parler, dans l’absolu, d’une réévaluation thomiste du politique.
Réévaluation de la nature, il y a bien sûr chez le Docteur commun ; reste que
réévaluer le monde d’ici-bas et ne pas réduire la puissance publique à une
modeste ustensibilité fonctionnelle, ce n’est pas attribuer une dignité institu-
tionnelle à l’autorité temporelle. Il suffit, pour finir de s’en convaincre, de
réinsérer le concept heuristique d’État dans le dispositif thomiste et d’en
reformuler plus abruptement le tranchant politique  : 1o l’État n’est pas un
moyen, il est une cause ; 2o l’État n’est pas une cause finale, il est une cause
formelle ; 3o l’État-société parfaite remplit d’éminentes fonctions mais qui ne
sauraient trouver en elles-mêmes leur véritable fin2.
Une grande partie de l’ambiguïté qu’il y à penser l’État dans un cadre théo-
rique thomiste s’origine dans cette subtilité — dont les implications séman-
tiques tendront à maquiller les confusions ainsi reconduites. En se saisissant
de l’activité collective et en la portant effectivement à ses fins, l’État se place
d’emblée sur le seul terrain de l’exécution : sur le plan le plus digne et le plus
élevé de l’exécution, ne manque pas d’ajouter saint Thomas. Expression de la
mentalité médiévale, la philosophie thomiste ne pense pas la société à partir
de l’État ; elle pense l’État comme une conséquence naturelle de la société (et,
en cela, n’a pas besoin de le penser), un État dans une position de débiteur de
la société et, via la société, dans une position de dette vis-à-vis de l’Église, tête
(caput) du corpus Christi, seule et véritable communitas perfecta et sibi suffi-

1. Cf. THOMAS d’AQUIN, Somme théologique, op. cit., II, p. 569-573 (Ia IIae, q. 90) ; II, p. 580-
583 (Ia IIae, q. 92) ; III, p. 429-430 (IIa IIae, q. 64 a. 6) ; III, p. 432-433 (IIa IIae, q. 65 a. 1) ; De Regno,
op. cit., trad. fr., p.  115-122 (liv.  I, ch.  14). La qualification thomiste de la cité comme société
parfaite renvoie à Aristote mais l’Aquinate ne reprend pas tout à fait à son compte la conception
du Philosophe (ARISTOTE, Les Politiques, op. cit., p.  85 ; liv.  I, ch.  1, 1252 a 5 ; THOMAS
d’AQUIN, Somme théologique, op. cit., II, p. 571 ; Ia IIae, q. 90 a. 2).
2. En référence au schéma des quatre causes — matérielle, formelle, efficiente et finale — chez
Aristote (ARISTOTE, La Physique [~ 335-323 av. J.-C.], éd. fr. A. Stevens, Paris, Vrin, 1999 ;
liv. I, II). Sur ce point, cf. les analyses de Lambros Couloubaritsis (L. COULOUBARITSIS, La
Physique d’Aristote [1980], Bruxelles, Ousia, 1997 ; Aristote. Sur la nature, Paris, Vrin, 1991,
p. 109 sq.). Cause matérielle : ce à partir de quoi une chose est faite. Cause formelle : manière
permanente d’être au-delà des circonstances accidentelles diverses. Cause efficiente  : ce sous
l’effet de quoi quelque chose est produit ou se produit. Cause finale : l’ordination à la finalité.
Subsidiarité et ordre économique. La compromission pontificale 133

ciens1. Supérieure à toute volonté humaine (y compris la volonté impériale ou


royale), la grâce institutionnelle de l’Église ne tolère pas autre chose qu’une
conception ministérielle et sacerdotaliste du pouvoir séculier2 ; quittant le
moment thomiste, elle fera de l’État moins un fondement qu’un simple ins-
trument, moins une institution qu’une simple fonction. Autre manière de
dire que l’Église est la seule et unique Institution véritablement légitime. Ou
qu’institution il y a dans la seule nécessité du lien à la transcendance divine.
Toujours, les requêtes de la foi et les défaillances du monde terrestre finissent
par exiger que l’Église, bonne suppléante, se pose en régente du social. Forme
la plus parfaite de communauté temporelle, l’État restera condamné à se
situer dans l’ordre ancillaire de l’infiniment petit. De là les élaborations doc-
trinales de la théorie des deux glaives et du pouvoir indirect3 ; de là l’auto-
attribution par l’Église elle-même d’une « compétence latérale en tout ce qui,
dans le domaine [temporel], peut toucher à la foi et à la morale  »4 et, bien
plus, d’un titre inaliénable à intervenir dans le siècle, ratione peccati5.

Point de subsidiarité au sens strict chez saint Thomas mais l’arsenal


conceptuel qui permet de la comprendre. C’est précisément cet arsenal qui
est mobilisé par le magistère ecclésial de la fin du xixe siècle pour conjurer la
modernité, et qui présidera à la naissance de la subsidiarité au siècle suivant.
Tel qu’il est investi par les papes, le mot lui-même sert tout simplement à
réactualiser le mythe pré-étatique des communautés médiévales et à apporter
dans le monde libéral un ferment chrétien susceptible d’inspirer une refonda-
tion de l’organisation sociale. Mais, fatalement, l’acclimatation se révèle on ne
peut plus problématique. Porteuse d’une volonté d’insuffler des ferments

1. Toute la dimension égalitaire — démocratique dira-t-on plus tard — de la sotériologie chré-


tienne s’exprime ici : pécheur au même titre que tous les hommes, l’empereur ou le roi chrétien
est lui-même filius ecclesiae. Ce qui, en lui, est plus que l’homme relève de l’Institution.
2. Cf., par exemple, Y.  M.-J. CONGAR, «  La hiérarchie comme service, selon le Nouveau
Testament et les documents de la Tradition  », L’Épiscopat et l’Église universelle, dir.
Y. M.-J. CONGAR, B. D. DUPUY, Paris, Le Cerf, 1962, p. 67-132 ; « Le développement his-
torique de l’autorité dans l’Église », Problème de l’autorité, Paris, Le Cerf, 1962, p. 145-179.
3. Les linéaments de la théorie du pouvoir indirect de l’Église sont présents chez saint Thomas,
mais la doctrine acquiert une portée vraiment systématique sous le pontificat de Clément VIII,
au xvie siècle, spécialement sous la plume de saint Bellarmin, prélat italien, grand architecte de
l’ecclésiologie tridentine, qui s’emploie à moderniser la doctrine gélasienne des deux glaives en la
ressourçant auprès des Évangiles (Évangile selon saint Luc, XXII, 38) (le Cardinal Robert Bel-
larmin sera canonisé par Pie XI en 1930 puis proclamé docteur de l’Église en 1931). Outre les
travaux déjà cités de Jacques Maritain, cf., en particulier, C.  JOURNET, La Juridiction de
l’Église sur la Cité, Paris, Desclée de Brouwer, 1931 ; H. de LUBAC, « L’autorité de l’Église en
matière temporelle », Revue des sciences religieuses, 1932, 12, p. 329-354 ; Théologies d’occasion,
Paris, Desclée de Brouwer, 1984, p. 215-254 ; J. COURTNEY-MURRAY, « St. Robert Bellar-
mine on the Indirect Power », Theological Studies, 1948, 9, p. 491-535.
4. É. POULAT, « L’Église romaine, le savoir et le pouvoir. Une philosophie à la mesure d’une
politique », Archives de sciences sociales des religions, 1974, 37 (1), p. 5-21, ici p. 17.
5. En raison du péché : au sens où l’intervention du Pontife romain dans les affaires temporelles
est justifiée par des intérêts spirituels. Si la finalité supérieure est le Salut, le pouvoir politique, y
compris celui des papes, ne trouve sa justification ultime que par l’aide qu’il apporte à la réalisa-
tion de cette fin supérieure. Ce qui ne veut pas dire que le Pape s’autolimite, le chef de la Chré-
tienté est au contraire légitime à intervenir dès qu’il le juge nécessaire.
134 La subsidiarité catholique...

thomistes dans le monde libéral, pour mieux le subvertir ou en exorciser les


effets pervers, la subsidiarité, qu’elle le veuille ou non, prend place à l’inté-
rieur d’une dynamique générale de progressive accommodation au contexte
moderne. L’invocation des mânes de saint Thomas ne doit pas tromper. Dans
l’adaptation de la notion de bien commun au contexte libéral, la subsidiarité
heuristique perd sa consistance proprement thomiste et subit en quelque
sorte l’évolution doctrinale du catholicisme social  : à savoir, d’une part,
l’émancipation (jamais véritablement achevée) de sa matrice organique d’ori-
gine et, d’autre part, l’acclimatation (toujours nécessairement inachevée) à la
pratique démocratique1.
La pensée thomiste atterrit difficilement sur une terre qu’elle n’a pas
connue, un monde, celui de la société pluraliste, que l’Église n’entérinera
qu’avec Vatican II. Dans l’univers ancien — originel — du bien commun, tel
qu’il a été conceptuellement cristallisé par saint Thomas, aucune distinction
n’existait — ne pouvait exister — entre la partie et le tout, au sens où l’homme
n’était jamais considéré en tant que tel mais toujours comme le membre d’une
communauté plus grande et englobante. Il en résultait un fonctionnement
holiste plaçant au centre du paradigme catholique la question de la finalité
collective. Si le rôle de l’instance supérieure était de compléter, de prolonger
ce que faisait l’instance inférieure, c’était que toutes deux allaient dans la
même direction, c’était donc qu’il existait un bien commun, une destina-
tion commune. Dans le thomisme pontifical de Léon XIII et de Pie XI,
en revanche, modernité oblige, le bien commun ne peut plus être le bonum
commune de Thomas d’Aquin : ni objectif ni évident — au sens d’antérieur à
la volonté humaine —, il devient subjectif, aléatoire et donc négociable2. En
cela, le néothomisme ecclésial se trouve privé du fondement qui faisait toute
la robustesse du thomisme classique. Reste néanmoins l’inspiration d’en-
semble du message, rappelant à l’État libéral qu’il n’est pas le seul dépositaire
du bien commun, que ni le bien public ni l’intérêt général (Helvétius) ni la
volonté générale (Rousseau) ne tiennent lieu de bien commun3. C’est là toute

1. Dans une veine proche du personnalisme français, des théologiens catholiques comme Arthur
F. Utz ou Wilhelm Bertrams voient dans la subsidiarité le concept par lequel la doctrine sociale
de l’Église conserve le bonum commune thomiste tout en se séparant du principe de totalité
(A. F. UTZ, « Die Geistesgeschichtlichen Grundlagen des Subsidiaritätsprinzips », Das Subsi-
diaritätsprinzip, dir. A. F. UTZ, op. cit., p. 7-17 ; W. BERTRAMS, « Vom Sinn des Subsidiari-
tätsgesetzes », Orientierung, 1957, 21 (7), p. 76-79).
2. Sur ce point important, cf. la démonstration de Chantal Millon-Delsol  : C. MILLON-
DELSOL, L’État subsidiaire, op. cit., p. 179 ; Le Principe de subsidiarité, op. cit., p. 53. Aussi le
renouveau thomiste s’est-il autorisé à prendre des teintes très diverses au fur et à mesure qu’on
s’écartait du moment léonien. Gerald A. McCool a montré toute la distance qui sépare le modèle
monolithique posé par Aeterni patris du pluralisme intellectuel vers lequel le néothomisme des
études ecclésiastiques s’est peu à peu dirigé (G. A. MCCOOL, From Unity to Pluralism. The
Internal Evolution of Thomism, New York, Fordham University Press, 1989).
3. « La distinction du bien public et du bien privé ne correspond pas à celle du bien commun et
du bien propre. Est public ce qui est du rôle exclusif de l’État, est commun ce qui relève de la
société globale. Il s’ensuit que les particuliers ne peuvent totalement attribuer à l’État la charge
du bien commun, il s’en faut de beaucoup. Ils doivent d’eux-mêmes s’inspirer du bien commun
dans leurs démarches privés. » (P. BIGO, La Doctrine sociale de l’Église, op. cit., p. 271). Aussi,
« la doctrine de Quadragesimo anno sur le rôle de l’État dans l’économie est [...] pleine d’équi-
Subsidiarité et ordre économique. La compromission pontificale 135

la subtilité de l’entreprise  : les papes veulent inconsciemment adapter le


bonum commune au contexte moderne, sans rejoindre pour autant l’indivi-
dualisme libéral. Ceci impliquant et/ou expliquant cela.

«  Il n’y aurait ni socialisme ni communisme si les


chefs des peuples n’avaient pas dédaigné ses enseigne-
ments [les enseignements de l’Église] et ses maternels
avertissements. »
« Si l’on considère l’ensemble de la vie économique
— Nous l’avons déjà dit dans Notre encyclique Qua-
dragesimo anno — ce n’est que par un corps d’institu-
tions professionnelles et interprofessionnelles, fondées
sur des bases solidement chrétiennes, reliées entre elles
et formant sous des formes diverses, adaptées aux
régions et aux circonstances, ce n’est que par ces institu-
tions que l’on pourra faire régner, dans les relations éco-
nomiques et sociales, l’entraide mutuelle de la justice et
de la charité1. »

III. SIGNIFICATION DOCTRINALE DE LA SUBSIDIARITÉ

Il nous faut, pour conclure, déterminer l’apport spécifique du texte de 1931


au corpus de la doctrine sociale de l’Église. De Rerum novarum à Quadrage-
simo anno, se joue en définitive un véritable glissement de terrain, qui
la fait basculer de la sphère sociale vers la sphère économique. Plus encore
peut-être que ses prédécesseurs, Pie XI a à négocier, de manière désormais
concrète, l’entrée dans un monde inédit. Depuis 1891, la pensée catholique
vit une période intense de réélaboration doctrinale : les structures sociales ont
profondément évolué, et la théorie économique accélère en proportion son
renouvellement intellectuel. À l’instar de Léon XIII, Pie XI ne manquera pas
de se lamenter sur la mauvaise répartition des richesses engendrée par la
société industrielle, de faire part de son émotion devant ce «  flagrant
contraste » entre « une poignée de riches et une multitude d’indigents »2. Ce
faisant, néanmoins, il ne se contentera pas de restituer la leçon thomiste du
Pape Pecci, il y ajoutera sa facture personnelle sur deux points précis en par-
ticulier, que nous avons déjà rencontrés ça et là mais qu’il nous faut retrouver
ici pour une ultime mise en perspective : la propriété et le capitalisme. Aussi

libre et de nuances. Ce qui doit gouverner l’économie, ce n’est pas l’État, c’est plutôt un principe
social et moral de justice, grâce à un ordre que l’État a la mission de protéger et de défendre.
Certes, l’État doit “diriger” [...], mais soucieux d’éviter que l’État ne supprime les centres de
décision privés et les instances intermédiaires, Quadragesimo anno songe plutôt à l’instauration
d’un ordre que d’un plan et craint une supergestion de l’économie par l’État » (Ibid., p. 277).
Cf.  également M.  BOUVIER, L’État sans politique, op. cit. ; M.-P. DESWARTE, «  Intérêt
général et bien commun », Revue du droit public, 1988, 104 (5), p. 1289-1313.
1. PIE XI, Divini redemptoris (in A. F. UTZ, I, p. 232-233, p. 264-265).
2. PIE XI, Quadragesimo anno, 58 (in A. F. UTZ, I, p. 605).
136 La subsidiarité catholique...

son encyclique de 1931 s’emploie-t-elle à densifier la teneur technique du


magistère ecclésial, à le sortir de sa gangue caritative ; elle considérera moins
la seule question ouvrière que plus généralement le fonctionnement écono-
mique, tel que bouleversé par la Crise de 1929. Tous les fondamentaux du
magistère ecclésial sont bien sûr présents : appel à un dépassement des anta-
gonismes ; refus d’embrayer le pas à la logique des classes ; refus de donner
des débouchés politiques aux conflits sociaux. Mais, avec la subsidiarité, c’est
en quelque sorte l’Église qui s’adapte à la société libérale sur fond de propa-
gation des totalitarismes. Plus qu’aucun autre, nous le verrons, le Pape de
1931 contribue à poser l’idée d’une compatibilité pratique entre les concep-
tions catholique et libérale de l’État. Sa prétention au dépassement des cli-
vages prendra finalement le visage d’une simple synthèse réconciliatrice,
avantageusement baptisée du nom de troisième voie. D’un côté, l’Église
sélectionne dans le libéralisme et dans le socialisme ce qui lui paraît compa-
tible avec le message évangélique ; de l’autre, elle puise dans le message chré-
tien ce qui, bon an mal an, lui permet de se réconcilier avec la modernité.

1. LE NOUVEL ARGUMENT DE LA « JUSTICE SOCIALE »

Parmi les innovations doctrinales de Quadragesimo anno, la plus significative


est d’ordre lexical : nous faisons allusion, ici, à la première occurrence notable,
sous la plume d’un pape, de la locution justice sociale1. L’innovation ne
manque pas d’étonner : alors que depuis les origines de la doctrine sociale, le
magistère s’en remet de manière quasi exclusive à l’enseignement traditionnel
de saint Thomas, à sa doctrine de la justice et de la propriété, Pie XI utilise ici
une expression qui n’apparaît jamais dans la Somme théologique, ni ailleurs
dans les écrits du Docteur angélique2. Aucune crispation nominaliste dans
notre étonnement, un constat clinique seulement  : en intervenant sur une
question aussi centrale du propos thomiste, l’empreinte rattienne revêt néces-
sairement une signification plus profonde que la seule surface des apparences
lexicales3.

1. Ibid., 57, 95 (in A.  F.  UTZ, I, p.  603, p.  625). Dès 1904, la locution surgit en latin sous la
plume de Pie X, qui attribue à Grégoire le Grand le titre de «  champion public de la justice
sociale » (PIE X, Lettre encyclique Iucunda sane, 14 mars 1904, Acta Sanctae Sedis, 1903-194,
XXXVI, p. 513-539 ; le texte célèbre le treizième centenaire de la mort du Pape). Occurrence qui
ne saurait donc être comparée au statut que le thème revêt dans Quadragesimo anno. La locution
justice sociale n’apparaît pas moins de huit fois dans l’encyclique de 1931.
2. Pour un repérage sémantique précis, cf. J.-Y. CALVEZ, J. PERRIN, « L’expression “justice
sociale” avant Quadragesimo anno », Église et société économique, I. L’enseignement social des
papes de Léon XIII à Pie XII, Paris, Aubier, Montaigne, 1959, p. 543-547 ; J.-Y. CALVEZ, « La
doctrine sociale de l’Église catholique et sa dimension économique », Les Démocrates chrétiens
et l’économie sociale de marché, Paris, Économica, 1988, p. 17-30. Contra : A. F. UTZ, Sozial-
ethik, I. Die Prinzipien der Gesellschaftslehre, op. cit., spécialement le ch. VII.
3. Cf. les développements que Thomas d’Aquin consacre à la justice légale (générale)  :
THOMAS d’AQUIN, Somme théologique, op. cit., III, p.  377  sq. (IIa IIae, q.  57  sq., surtout
p. 387-388, q. 58, a. 5). La doctrine thomiste de la justice se lit a priori comme un prolongement
de la pensée aristotélicienne, à laquelle elle reprend la notion d’aequitas (ARISTOTE, Éthique à
Nicomaque, [325 av. J.-C.], trad. fr. J. Tricot, Paris, Vrin, 1959, p. 213-272 ; liv. V). Nous allons
Subsidiarité et ordre économique. La compromission pontificale 137

Deux niveaux de réponse peuvent éclairer cette innovation conceptuelle.


Un niveau sémantique d’abord, qui, encore une fois, révèle combien fut
décisive l’équation personnelle du Père Nell-Breuning. Il y a tout lieu de le
penser, l’entrée du nouveau slogan dans le répertoire de la doctrine ecclésiale
doit son officialisation magistérielle au travail sans égal du solidarisme alle-
mand. Rappelons-le ici au passage : c’est chez Heinrich Pesch, son fondateur,
que la locution soziale Gerechtigkeit acquiert toutes ses lettres de noblesse1.
À considérer son histoire dans le corpus catholique, on ne saurait faire
comme si la notion avait pu pénétrer dans les enceintes vaticanes en se déles-
tant d’une telle empreinte personnelle et d’une si riche mémoire, cultivée par
le principal continuateur de Pesch lui-même, Oswald von Nell-Breuning2.
Dès la fin du xixe siècle, c’est bien dans ce chaudron intellectuel du solida-
risme que marine le principe de subsidiarité. Au cœur d’une stratégie incons-
ciente savamment passée sous silence par les papes de la doctrine sociale — et
pour cause —, il deviendra alors le principal vecteur conceptuel d’une indi-
cible traduction  : rien de moins que la conversion du thomisme pour les
temps individualistes de l’État moderne. Saint Thomas, en effet, ne pouvait
concevoir une situation dans laquelle la réalisation du bien commun et de la
justice légale puisse être menacée par l’action d’un quelconque pouvoir tem-
porel. C’est parce qu’ils fantasmeront cet obstacle séculier à l’épanouisse-
ment du projet divin que les papes de la doctrine sociale, Pie XI le premier,
en viendront à ajouter cet élément inédit de l’enseignement magistériel,
lequel, pour la circonstance, réclamait un mot idoine : le principe de subsidia-
rité. Il faut en convenir cependant, le passage de la justice légale à la justice
sociale, du thomisme au néothomisme, fut en grande partie préparé par
l’Aquinate lui-même qui, tout en conservant la taxinomie aristotélicienne,
procédait déjà à une redéfinition totale du schéma antique de la justice3  :
justice légale de saint Thomas et justice légale d’Aristote ne se superposent

voir, cependant, que le prolongement thomiste excède de beaucoup le propos aristotélicien. Pour
Aristote, la justice distributive (la justice particulière relative la répartition des biens et des hon-
neurs, la justice sociale d’aujourd’hui) fonctionne sur le mode de l’égalité proportionnelle ; à
l’opposé de la justice corrective (réparative, rectificative, commutative) qui fonctionne à l’égalité
simple ou à la proportionnalité strictement arithmétique (droits contractuel et pénal).
1. Le syntagme allemand naît en 1905 (H. PESCH, Lehrbuch der Nationalökonomie, op. cit.).
Pour la version italienne, on peut remonter à Luigi Taparelli (L.  TAPARELLI d’AZEGLIO,
Essai théorique de droit naturel basé sur les faits [1857], trad. fr., Tournai, Castermann, 1883, I),
voire à Antonio Rosmini — malgré sa mise à l’index (A. S. ROSMINI, The Constitution under
Social Justice [1848], trad. angl. A. Mingardi, Lanham, et al., Lexington Books, 2007).
2. En plus des références déjà citées, cf., pour une contextualisation, P.  J. CHMIELEWSKI,
« Catholic Social Ethics in a Pluralist Age. The Theological Bases and the Social-Ethical Implica-
tions of the Work of Oswald von Nell-Breuning », Gregorianum, 1997, 78 (1), p. 95-137.
3. La justice sociale des papes, précisons-le, ne saurait s’assimiler à une quelconque justice de
l’État : ce serait, sinon, basculer dans l’idéologie profane de l’État-providence. « Qu’on en appelle
pas à la providence de l’État, car l’État est postérieur à l’homme, et avant qu’il pût se former,
l’homme déjà avait reçu de la nature le droit de vivre et de protéger son existence. » (PIE XI,
Quadragesimo anno, 6 ; in A. F. UTZ, I, p. 517 ; H. DENZINGER, 3728, p. 791). Il nous semble
donc assez discutable de voir dans Rerum novarum ou Quadragesimo anno la naissance de la
notion d’État-providence (A.  SUPIOT, «  À propos d’un centenaire (encyclique Rerum
novarum) », Droit social, 1991, p. 916-925), ou bien alors de manière stigmatisante.
138 La subsidiarité catholique...

pas. Logiquement antérieure à l’État, la première ne ressortit plus du registre


de la délibération politique. Au fondement même de la cité, la seconde, au
contraire, lui était consubstantiellement liée.
Au tout début du xxe siècle, quand elle pointe dans la production doctri-
nale du solidarisme germanophone, la justice sociale peschienne est mue par
un objectif essentiel qui lui confère toute sa consistance catholique  : défier
le socialisme et combattre sa mystique égalitaire. En adéquation totale avec
l’enseignement pontifical de l’époque (contribuant même le formaliser
comme tel), Pesch s’employait à démontrer que le problème de la justice
sociale était très loin de s’épuiser dans le programme de l’égalité socialiste.
Justice sociale et amour fraternel certes, mais ordre hiérarchique et droit
naturel avant tout. Aussi Pesch contestait-il avec véhémence la prétention
socialiste à intégrer la question sociale dans la sphère politique car, selon lui,
ce n’était rien de moins que de préparer le terrain à l’implosion de l’ordre
naturel1. L’exigence sociale de justice se dénature, précisait-il, si elle tend à
porter atteinte à l’harmonie voulue par Dieu  : que chacun reçoive sa juste
part, en conformité avec sa contribution au bien commun et dans le respect
de la hiérarchie divinement établie2. En 1931, la consécration pontificale de
la justice sociale répond à une logique stratégique tout à fait comparable à
celle qui est à l’œuvre dans le solidarisme peschien. À une différence près :
l’ennemi n’est plus tant le socialisme que le communisme3.
Un niveau plus souterrain ensuite. La consécration pontificale de la justice
sociale répond également à une autre logique stratégique, qui vise moins le
socialisme ou le communisme (nous allons revenir sur cette assimilation) que
l’État lui-même. Pie XI le sait pertinemment, le nouveau critère qu’il invoque
pour définir la justice (juste rétribution en fonction de la contribution au bien
commun) ne s’impose plus d’évidence. L’objectif tactique du Pape pourrait se
résumer de la manière suivante : contester la légitimité — y compris tempo-
relle — de l’autorité politique en la mettant volontairement à l’épreuve. Cette
affirmation pontificale de l’exigence de justice sociale sonne en effet comme
un test adressé à l’État. Le Pape fait ici travailler un axiome tout à fait conforme
à l’enseignement classique ; mais le contenu substantiel auquel il est renvoyé
change décisivement au contact du nouveau critère4. Le pouvoir temporel de

1. Nous retrouvons, ici encore, la hiérarchie des charismes : « C’est [la nature], écrit Léon XIII,
qui a établi parmi les hommes des différences, aussi multiples que profondes : différences d’intel-
ligence, de talent, d’habileté, de santé, de forces ; différences nécessaires d’où naît spontanément
l’inégalité des conditions. » (LÉON XIII, Rerum novarum, 14 ; in A. F. UTZ, I, p. 524).
2. « Dans les relations des hommes entre eux, écrira Pie XI en 1937, on soutient le principe de
l’égalité absolue, on rejette toute hiérarchie et toute autorité établie par Dieu. » Et de conclure :
« Il est faux que tous les hommes aient les mêmes droits dans la société civile et qu’il n’existe
aucune hiérarchie légitime. » (PIE XI, Divini redemptoris ; in A. F. UTZ, I, p. 229, p. 245).
3. Il faut rappeler que la critique du socialisme dans Rerum novarum reprend celle déjà exprimée
par Léon XIII trois ans plus tôt, en 1878, dans Quod apostolici (LÉON XIII, Quod apostolici
numeris ; in A. F. UTZ, I, p. 54-71 ; H. DENZINGER, 3130-3133, p. 699-700).
4. Expression de la sensibilité du moment, la paix sera « le fruit de la justice » (opus iustitiae pax)
pour Pie XII, «  le fruit de la solidarité  » (opus solidaritatis pax) pour Jean-Paul II (JEAN-
PAUL  II, Lettre encyclique Sollicitudo rei socialis, 30  décembre 1987, Acta Apotolicae Sedis,
1988, LXXX, p. 547-568 ; in H. DENZINGER, 4810-4819, p. 998-1001). Mentionnons égale-
Subsidiarité et ordre économique. La compromission pontificale 139

l’État, affirme-t-on, n’est légitime qu’à partir du moment où il répond à sa


définition constitutive : assurer la paix ; mais le contenu de cette paix, apprend-
on, est ultimement défini par l’Église : après la iustitia paulinienne de l’ecclesia
chrétienne, après la iustitia augustinienne de la respublica chrétienne, après la
justice royale du Prince chrétien, le temps est désormais à la justice sociale de
la Société chrétienne, nouvel et dernier avatar du message évangélique1.
En optant pour un tel maximalisme, l’ambition du Pape n’est pas d’inviter
à une amélioration du sort humain ici-bas en appelant la réalité vécue à se
rapprocher du droit idéal ; il est tout simplement de faire entrer la justice
sociale dans la paix étatique pour mieux signifier à l’État son impotence
fondatrice, sa fragilité consubstantielle. Point d’autant plus notable que
Pie XI est vraisemblablement le Pape le plus augustinien du xxe siècle (nous
y reviendrons), ne manquant jamais une occasion de fustiger le péché d’or-
gueil de l’homme qui prétend ériger la justice sur terre : l’amor sui usque ad
contemptum Dei 2. Comment répéter à suffisance que la perfection de la jus-
tice n’est pas de ce monde et en ajouter autant dans les exigences adressées à
l’État ? Le seul effet de contexte ne peut expliquer ce paradoxe. Bien davan-
tage, il y a là l’expression d’une structure profonde de la mentalité pontificale,
que le traumatisme de la Révolution française a fortement ravivée : du point
de vue ecclésial, la légitimité de l’action des pouvoirs séculiers a d’emblée
— depuis toujours — été reconnue de manière tellement conditionnelle qu’à
tous moments elle pouvait justifier l’intervention des autorités romaines.
D’où la crispation rattienne devant l’impossibilité désormais faite à l’Église
de jouer son rôle naturel.

Peuvent également témoigner de l’instrumentalisation pontificale du


thème de la justice sociale, les longues analyses que Pie XI consacre au capi-

ment l’édition Téqui : Les Encycliques de Jean-Paul II, Paris, Téqui, 2005, p. 341-393, ici p. 380.
Se référant à l’encyclique Populorum progressio (dont il célèbre le vingtième anniversaire) pour
préciser les critères de la définition chrétienne de la paix (préoccupation du bien commun, jus-
tice, développement spirituel et non seulement matériel), Jean-Paul II insiste sur « la mentalité
d’aujourd’hui, tellement sensible au lien étroit qui existe entre le respect de la justice et l’instau-
ration d’une paix véritable » (Ibid., 10 ; in P. TÉQUI, p. 349). Un peu plus bas, le Pape souligne
l’individisibilité de la paix, « la conscience que celle-ci est indivisible : c’est le fait de tous, précise-
t-il, ou de personne. Une paix qui exige toujours davantage le respect rigoureux de la justice et,
par voie de conséquence, la distribution équitable des fruits du vrai développement. » (Ibid., 26 ;
in P. TÉQUI, p. 364). Nous verrons plus loin que c’est la même logique qui a présidé au réinves-
tissement pontifical des droits de l’homme depuis Vatican II. L’Église s’émeuvait-elle par
exemple du recours à la peine de mort quand l’État était chrétien ?
1. Nous aurons plus bas à revenir en détails sur le moment paulinien. À ce stade préliminaire,
cf. S. CIPRIANI, « Saint Paul et la “politique” », trad. fr. D. Gelsi, Paul de Tarse, apôtre de notre
temps, éd. L.  De LORENZI, Rome, Abbaye de Saint-Paul-hors-les-Murs, 1979, p.  595-618 ;
P. CAMBRONNE, « La iustitia chez saint Augustin », Cahiers Radet, 1987, 5, p. 9-48 ; R. DAR-
RICAU, « La fidélité à la doctrine du prince chrétien : de saint Augustin au xviiie siècle », Fidé-
lités, solidarités et clientèles, Nantes, Université de Nantes, 1985, p. 17-49.
2. AUGUSTIN, La Cité de Dieu [411-426], trad. fr. L.  Moreau, J.-C. Eslin, Paris, Le Seuil,
1994, II, p. 191 (liv. XIV, ch. 28). Citons in extenso : « Deux amours ont donc bâti deux cités,
l’amour de soi jusqu’au mépris de Dieu, la cité de la terre ; l’amour de Dieu jusqu’au mépris de
soi, la cité de Dieu. L’une se glorifie en soi, et l’autre dans le Seigneur. L’une demande sa gloire
aux hommes, l’autre met sa gloire la plus chère en Dieu témoin de sa conscience. »
140 La subsidiarité catholique...

talisme. Telle qu’elle s’exprime sous sa plume, la doctrine catholique ne


condamne pas le capitalisme (il présente désormais des « avantages »1) ; elle en
stigmatise plutôt les abus — « ses inconvénients et ses défauts ». Le système
capitaliste, lit-on, n’est pas intrinsèquement mauvais ; il a simplement été
vicié2. Appel à la sagesse réformiste qui se situe dans la droite ligne du solida-
risme peschien mais qui ne manque pas de provoquer une profonde réorien-
tation de son programme.
Considérons d’abord les précisions rattiennes apportées à la doctrine léo-
nienne de la propriété. Dans son souci déjà évoqué de combattre le commu-
nisme, et malgré une apparente stabilité des formulations3, Pie XI rompt
assez clairement avec ses prédécesseurs. La référence à la théorie thomiste est
bien sûr maintenue, mais sa lecture léonienne est sérieusement amendée, ou
plutôt précisée4. Léon XIII, en effet, s’était contenté d’une réflexion évasive
prenant très peu en considération le développement du capitalisme industriel,
empreinte qu’elle restait d’une vision familialiste et communautaire de l’éco-
nomie. C’était bien la question de l’intervention législative de l’État qui
constituait le cœur du propos de Rerum novarum. Pour le reste, le Pape
Pecci s’en était donc remis à l’Aquinate et à sa fameuse théorie des deux
dimensions de la propriété. Les richesses possédées par l’homme, enseignait
Thomas, ne peuvent être utilisées selon sa seule volonté sans tenir compte des
nécessités de la vie sociale (usus communis). Affirmant avec force la double
face — individuelle et collective — de la propriété, il avait clairement dis-
tingué entre droit personnel d’appropriation et usage commun par la société
(destination universelle des biens)5. À lire attentivement Quadragesimo anno,
il apparaît que, contrairement à son prédécesseur, Pie XI n’est pas dans le
simple rappel pédagogique de cet enseignement classique. En essayant de
le sortir des considérations assez vagues dans lesquelles Léon XIII l’avait

1. Selon le mot du Pape Ratti (PIE XI, Quadragesimo anno, 103 ; in A. F. UTZ, I, p. 629).
2. Ibid., 101 (in A. F. UTZ, I, p. 629). Le postulat est présent dès les origines kettelériennes de la
doctrine sociale (K.  van KERSBERGEN, «  The Intellectual Origins of Christian Democracy
and Social Capitalism », Social Capitalism, Londres, New York, Routledge, 1995, p. 215).
3. Bref exemple de la permanence du vocabulaire : « De même [...] que nier ou atténuer à l’excès
l’aspect social et public du droit de propriété, c’est verser dans l’individualisme ou le côtoyer, de
même à contester ou à voiler son aspect individuel, on tomberait infailliblement dans le collecti-
visme ou tout au moins on risquerait d’en partager l’erreur. » (PIE XI, Quadragesimo anno, 46 ;
in A. F. UTZ, I, p. 595). Pie XI reprend les mots mêmes de Léon XIII (Ibid., 49 ; in A. F. UTZ, I,
p. 599 ; H. DENZINGER, 3728, p. 791) : « l’homme est plus ancien que l’État » (LÉON XIII,
Rerum novarum, 6 ; in A. F. UTZ, I, p. 517 ; H. DENZINGER, 3728, p. 791).
4. La théorie de la propriété est surtout exposée dans la Somme, dans les passages consacrés au
vol et à l’aumône. Sur le vol, cf. THOMAS d’AQUIN, Somme théologique, op. cit., III, p. 436-
445 (IIa IIae, q. 66). Sur l’aumône, cf. ibid., III, p. 231 sq. (IIa IIae, q. 32). Pour une mise en perspec-
tive récente, cf. M. SPIEKER, « The Universal Destination of Goods. The Ethics of Property in
the Theory of a Christian Society  », Journal of Markets and Morality, 2005, 8 (5), p.  33-354 ;
R. PECORELLA, « Property Rights, the Common Good and the State : The Catholic View of
Market Economies », Journal of Catholic Social Thought, 2008, 5 (2), p. 235-283.
5. Notre présentation binaire des lois thomistes demanderait à être nuancée par la prise en
compte du schéma ternaire dans lequel saint Thomas inscrit sa conception du droit (nous y
reviendrons plus bas). Pour des notations sur le rapport entre propriété et légalité, cf. A. BOU-
REAU, E.  MARMURSZTEJN, «  Thomas d’Aquin et les problèmes de morale pratique au
xiiie siècle », Revue des sciences philosophiques et théologiques, 1999, 83, p. 685-706, ici p. 692 sq.
Subsidiarité et ordre économique. La compromission pontificale 141

enfermé (la « justice naturelle », la détermination divine des usages licites et


illicites de la propriété), le Pape de 1931 en propose une lecture très person-
nelle. Il n’est pas exagéré de dire, à cet égard, qu’il contribue à briser la com-
binaison solidaire des deux lois thomistes pour donner l’ascendant à la
dimension privée par rapport à la dimension sociale1.
Dans le même esprit, Pie XI reprend à nouveaux frais le problème du juste
prix et du juste salaire2. Il rappelle que les salaires et les prix doivent être fixés
de manière à assurer le bien-être du peuple dans toutes ses composantes : une
vie digne pour les travailleurs certes, mais aussi une activité rentable pour les
patrons. S’il invoque Léon XIII (« “il ne peut y avoir de capital sans travail ni
de travail sans capital” »), c’est en déclarant avec une véhémence redoublée
l’incompatibilité définitive entre le socialisme et une « saine » compréhension
du catholicisme : « personne, écrit-il, ne peut être en même temps bon catho-
lique et vrai socialiste3 ». Comme sur la question du fascisme et du nazisme,
Pie XI se révèle incapable de distinguer entre socialisme et communisme. Sa
stratégie consiste au contraire à les assimiler dans une égale stigmatisation
pour mieux les disqualifier ensemble, sans souci aucun de discernement.
Aussi, Divini redemptoris n’est peut-être pas ce texte inédit qu’on a tant
célébré : à l’examen, il apparaît que l’encyclique de 1937 ne fait que reprendre
paresseusement les mots exacts de Quadragesimo anno et, plus encore, ceux
de Caritate Christi compulsi4  : elle se contente d’interpréter le bolchevisme

1. La thèse thomiste prend tout son relief si on la compare à la théorie occamienne, telle que la
relit, entre autres, Georges de Lagarde : avant la Chute, dit en substance Guillaume d’Occam, la
propriété était commune ; depuis la Chute, Dieu a accordé aux hommes — individuellement et/
ou collectivement — le pouvoir d’appropriation des biens. Autrement dit, l’état de péché consé-
cutif à la Chute aboutit à la division des propriétés, qui elle-même conduit à des droits humaine-
ment et divinement garantis (G.  de LAGARDE, La Naissance de l’esprit laïque au déclin du
Moyen Âge [1934], Louvain, Nauwelaerts, Paris, Béatrice-Nauwelaerts, 1958, II, p.  181). En
refusant d’en faire la conséquence directe de la Faute, saint Thomas redonne une dignité positive
au droit individuel de propriété. Il prend ainsi le contre-pied des tendances communisantes et
apocalyptiques de l’Église médiévale. Le point est très important pour la discussion sur la nais-
sance de l’individualisme. On sait que Georges de Lagarde la situe précisément dans le nomina-
lisme occamien (voire scotiste), tout comme Michel Villey (M.  VILLEY, La Formation de la
pensée juridique moderne, op. cit., p.  220  sq. ; «  La genèse du droit subjectif chez Guillaume
d’Occam », Archives de philosophie du droit, 1964, 9, p. 97-127). Walter Ullmann, en revanche,
la situe plutôt dans la relecture médiévale d’Aristote (W.  ULLMANN, The Individual and
Society in the Middle Ages, Baltimore, Johns Hopkins University Press, 1966).
2. Problème bien sûr aggravé par les phénomènes inflationnistes (O. von NELL-BREUNING,
« The Concept of the Just Price », Review of Social Economy, 1950, 8 (2), p. 111-122).
3. PIE XI, Quadragesimo anno, 53, 120 (in A. F. UTZ, I, p. 601, p. 641).
4. Sur la justice sociale en particulier  : «  Outre la justice commutative, il y a aussi la justice
sociale, qui impose des devoirs auxquels patrons et ouvriers n’ont pas le droit de se soustraire.
C’est précisément la fonction de la justice sociale d’imposer aux membres de la communauté
tout ce qui est nécessaire au bien commun. Mais de même que, dans l’organisme vivant, on pour-
voit aux besoins du corps entier en donnant à chacune des parties et à chacun des membres ce
qu’il leur faut pour remplir leurs fonctions, ainsi dans l’organisme social, pour assurer le bien
commun de toute la collectivité, il faut accorder à chacune des parties et à chacun des membres,
c’est-à-dire à des hommes qui ont la dignité de personnes, ce qui leur est nécessaire pour l’ac-
complissement de leurs fonctions sociales. La réalisation de la justice sociale produira une acti-
vité intense de toute la vie économique, dans la paix et dans l’ordre, manifestant ainsi la santé du
corps social, tout comme la santé du corps humain se reconnaît à l’harmonieuse et bienfaisante
synergie des activités organiques. » PIE XI, Divini redemptoris (in A. F. UTZ, I, p. 260-263).
142 La subsidiarité catholique...

comme une simple conséquence naturelle du socialisme. Dans l’esprit rattien,


le communisme n’est pas un phénomène qualitativement différent du socia-
lisme, il n’en est que la simple radicalisation quantitative. Rien de plus effi-
cace, en effet, que de donner à voir une variation graduelle des maux pour
attiser l’angoisse du danger et indiquer la seule voie possible de rémission.
Le répertoire lexical du Pontife parle de lui-même : à ceux qui « semblent ou
ignorer ou sous-estimer les terribles dangers que [l]e socialisme porte avec
lui », il répond :
« C’est Notre devoir pastoral de les avertir du péril redoutable qui les menace :
qu’ils se souviennent tous que ce socialisme éducateur a pour père le libéralisme
et pour héritier le bolchevisme1. »

Après-guerre, Pie XII, ancien Secrétaire d’État du Pape Ratti, suivra fidè-
lement l’exemple de son prédécesseur lorsqu’à de nombreuses reprises il s’in-
quiétera des atteintes portées à la propriété privée, stigmatisant tour à tour
l’« étatisation », la « socialisation », la « démocratisation » et la « cogestion »
de l’économie2 : il invitait par là à se méfier de ce qui pouvait dangereusement
devenir «  une arme de combat et de lutte contre l’employeur privé comme
tel »3. Derrière la reconstruction économique du Vieux Continent, devait-on
comprendre, le spectre continuait à sommeiller  : la prétention du terrible
Léviathan à absorber la société. Le parallèle entre nationalisations démocra-
tiques et étatisme totalitaire n’était pas implicitement suggéré ; il était nom-
mément établi par le Pape, qui n’hésitait pas à exprimer sa crainte de voir
réapparaître des
« systèmes exacerbés jusqu’aux prétentions totalitaires en tous domaines, sans
autre idéal qu’un égoïsme collectif et sans autre expression qu’un étatisme
omnipotent, s’asservissant les individus comme des pions sur l’échiquier poli-
tique ou des numéros dans les calculs économiques »4.

Dans la foulée immédiate de Divini redemptoris, cf. aussi une encyclique adressée à l’Église
mexicaine : PIE XI, Lettre encyclique Firmissimam constantiam, 28 mars 1937, Acta Apostolicae
Sedis, 1937, XXIX, p. 189-199 (in A. F. UTZ, II, p. 1656-1679).
1 PIE XI, Quadragesimo anno, 122 (in A. F. UTZ, I, p. 641). Nous soulignons.
2. Prônée par nombre de catholiques sociaux, et surtout dans l’Allemagne de l’immédiat après-
guerre. Le catholicisme allemand était alors traversé par un débat autour du « socialisme chré-
tien ». Parmi les principaux protagonistes, citons ici le condisciple d’Eugen Kogon aux Frank-
furter Hefte, Walter Dirks, et le Père Eberhard Welty, à la tête de la revue dominicaine Die Neue
Ordnung  : W.  DIRKS, «  Das Abendland und das Sozialismus  », Frankfurter Hefte, 1946, 3,
p. 67-76 ; « Marxismus in christlicher Sicht », ibid., 1947, 2, p. 125-143 ; E. WELTY, « Christli-
cher Sozialismus  », Die Neue Ordnung, 1946-1947, 1, p.  39-70. À l’autre bout de l’échiquier
politique, mentionnons  : A.  SÜSTERHENN, «  Christlicher Sozialismus ?  », Rheinischer
Merkur, 1946, 48, p. 1-2 ; H. E. HENGSTENBERG, « Christentum + Marxismus. Eine Ausein-
andersetzung mit Walter Dirks », Neues Abendland, 1947, 8, p. 225-228.
3. PIE XII, Discours aux associations catholiques des ouvriers italiens, 11 mars 1945, Acta Apos-
tolicae Sedis, 1945, XXXVII, p.  68-72 (in A.  F. UTZ, J.  F. GRONER, II, p.  1434 ; M.  CLÉ-
MENT, L’Économie sociale selon Pie XII, Paris, Nouvelles Éditions Latines, 1953, II, p. 83).
4. PIE XII, Lettre C’est un geste à Charles Flory, Président des Semaines sociales de France,
10  juillet 1946 (in SOLESMES, 970, p.  506 ; M.  CLÉMENT, II, p.  102-105). Dans la même
veine  : PIE XII, Discours au IXe congrès de l’Union internationale des associations patronales
catholiques (UNIAPAC), 7  mai 1949, Acta Aspostolicae Sedis, 1949, XLI, p.  283-286 (in
A. F. UTZ, J. F. GRONER, II, p. 1662-1666, ici p. 1664 ; M. CLÉMENT, II, p. 170-173) ; Dis-
Subsidiarité et ordre économique. La compromission pontificale 143

Comme chez Pie XI, donc, aucune différence d’essence ne doit venir dis-
criminer entre la socialisation démocratique et le totalitarisme indistincte-
ment socialiste ou communiste.
« Il faut empêcher la personne et la famille de se laisser entraîner dans l’abîme
où tend à la jeter la socialisation de toutes choses, socialisation au terme de
laquelle la terrifiante image du Léviathan deviendrait une horrible réalité. [...]
C’est la raison profonde pour laquelle les Papes des encycliques sociales et
Nous-même avons refusé de déduire, soit indirectement, de la nature du
contrat de travail, le droit de copropriété de l’ouvrier au capital, et, partant, son
droit de cogestion. Il importait de nier ce droit, car derrière se présente cet autre
grand problème1. »
C’est la même disqualification par le pire qui est à l’œuvre dans les dis-
cours rattien et pacellien. Sans surprise, elle appelle le même remède dont on
fantasme la capacité à faire barrage aux excès de l’étatisme : le « sain » corpo-
ratisme, que l’histoire récente n’avait, semble-t-il, pas encore condamné2.

L’histoire est ironique : c’est le Pape qui s’emploie à assimiler socialisme et


communisme qui contribue finalement, pensanteur du contexte oblige, à
poser les linéaments d’une distinction. À l’instar de son successeur, Pie XI se
situe sur un terrain doctrinalement si peu ferme qu’il joue en réalité contre sa
propre stratégie. C’est que l’obsession pontificale reste d’ériger l’Église
catholique comme le seul et unique recours. L’Église enseignante n’a qu’un
ennemi  : le «  socialisme éducateur  » (le degré de collectivisme, pourrait-on
dire, importe peu). Mais, qu’il le veuille ou non, son programme de réconci-
liation avec le libéralisme économique passe paradoxalement par une accepta-
tion implicite du socialisme (non collectiviste). L’Église a d’ailleurs trop
rabattu les deux termes (libéralisme et socialisme) l’un sur l’autre pour ne pas
se voir appliquer ce parallèle. Aussi la voie est-elle peu à peu ouverte à la
reconnaissance prochaine de la branche réformiste du socialisme, celle qui,
refusant le recours à la violence et acceptant le jeu du marché économique, ne
mérite plus d’être déclarée définitivement incompatible avec la tradition

cours au congrès international des études sociales, 3 juin 1950, Acta Apostolicae Sedis, 1950, XLII,
p. 485-488 (in A. F. UTZ, J. F. GRONER, II, p. 1623-1628 ; M. CLÉMENT, II, p. 202-206).
Pour un commentaire hagiographique de la doctrine sociale de Pie XII, cf.  M.  CLÉMENT,
L’Économie sociale selon Pie XII, op. cit., I, surtout les ch. IX et XI, ici p. 157 sq. Pour une apo-
logie du pontificat pacellien, cf. M. CLÉMENT, « Pie XII », Itinéraires, 1959, 29, p. 11-55.
1. PIE XII, Radio-message au congrès des catholiques autrichiens à Vienne, 14 septembre 1952,
Acta Apostolicae Sedis, 1952, XLIV, p. 789-793 (in A. F. UTZ, J. F. GRONER, I, p. 307).
2. Dans un texte significativement intitulé « Nationalisation ou corporatisme ? », publié par la
très officielle Civiltà cattolica, un père jésuite italien reprenait les mises en garde pacelliennes sur
les excès des nationalisations pour immédiatement appeler à l’édification d’un corporatisme
démocratique chrétiennement inspiré. Le tout, en invoquant bien sûr la fameuse distinction rat-
tienne entre corporatisme totalitaire et corporatisme « sain » : « Seules une inexcusable ignorance
ou la mauvaise foi peuvent établir une identité quelconque entre les deux corporatismes. » (A. de
MARCO, « Nationalisation ou corporatisme ? », trad. fr. J. Thomas-d’Hoste, La Communauté
nationale, Lyon, Chronique sociale de France, 1946, p. 9-25, ici p. 25). Article paru en italien,
traduit et largement célébré par La Documentation catholique, puis repris dans le compte rendu
de la XXXIIIe session des Semaines sociales de France tenue à Strasbourg. Pour un point général
sur le sujet, cf. N. S. TIMASHEFF, « Nationalization in Europe and the Catholic Social Doc-
trine », The American Catholic Sociological Review, 1947, 8 (2), p. 111-130.
144 La subsidiarité catholique...

chrétienne1. Tel est, nous l’avons vu à propos du corporatisme, le travail d’ac-


tualisation de Quadragesimo anno : distinguer entre ce qui est tolérable mais
implicitement condamnable (le socialisme réformiste) et ce qui ne peut être
accepté par l’Église (le communisme collectiviste)2. D’autant que, parallèle-
ment, des convergences ne manquent pas de se développer entre socialisme
humaniste et doctrine sociale, au point même de donner l’impression d’une
affinité positive. Il faudra néanmoins attendre la levée des hypothèques
rattienne et pacellienne pour que ce mouvement souterrain déploie tous
ses effets. Vatican II lui apportera une consécration définitive en minorant
au maximum la critique catholique du communisme et en insistant plus réso-
lument sur la responsabilité sociale de la propriété. Entre-temps, Mater et
Magistra avait défini les termes d’une réconciliation catholique avec la socia-
lisation démocratique3. Nous y reviendrons.

2. LES RESSORTS STRATÉGIQUES DE LA DOCTRINE SOCIALE

Terminons, à ce stade, notre mise en perspective de Quadragesimo anno en


identifiant les ressorts profonds du reformatage léonien de la doctrine catho-
lique de l’État. En quoi, au-delà des innovations rattiennes, portent-ils déjà en
eux les termes de la subsidiarité ? Là encore, deux niveaux d’analyse peuvent
être distingués dans la généralisation du propos : celui des objectifs que s’as-
signent explicitement les papes ; celui des effets concrets de leur stratégie.

Rien ne serait plus faux que d’opposer un Léon XIII, Pape moderne, Pape
du catholicisme social et du Ralliement à la République4, à un Pie X, son suc-
cesseur immédiat, Pape intransigeant retournant au Syllabus de son aîné du
même nom5. Dans l’encyclique Inscrutabili Dei consilio du 21  avril 1878,
Léon XIII ne manquait pas de rappeler les dangers de la société moderne —
certes dans un style moins vindicatif que celui de son prédécesseur mais sans
rien renier, sur le fond, de la traditionnelle véhémence pontificale6. Il importe
donc de ne pas se méprendre sur le tournant léonien de la doctrine sociale et
du renouveau thomiste qui lui sert de support intellectuel. Même revu et cor-

1. PIE XI, Quadragesimo anno, 113 sq. (in A. F. UTZ, I, p. 635 sq.).


2. « Une partie [...] du socialisme [...] a versé dans le communisme : celui-ci a, dans son enseigne-
ment et son action, un double objectif qu’il poursuit [...] ouvertement, au grand jour et par tous
les moyens, même les plus violents : une lutte des classes implacable et la disparition complète de
la propriété privée. » (Ibid., 112 ; in A. F. UTZ, I, p. 633).
3. JEAN XXIII, Mater et Magistra, 1961 (in A. F. UTZ, I, p. 664-757).
4. Notons la concomitance de Rerum novarum et d’Inter sollicitudines.
5. PIE IX, Syllabus (in H. DENZINGER, 2901-2980, p. 665-673). Citons les articles 39 : « En
tant qu’origine et source de tout droit, l’État jouit d’un droit qui n’est circonscrit par aucune
limite. » ; 19 : « L’Église n’est pas une société vraie et parfaite, pleinement libre, et elle ne jouit
pas des droits propres et constants qui lui ont été conférés par son divin fondateur, mais il appar-
tient au pouvoir civil de définir quels sont les droits de l’Église et les limites au sein desquelles
elle peut exercer ces droits. » ; et 59 : « Le droit consiste dans le fait matériel, et tous les devoirs
des hommes représentent un mot vide, et tous les faits humains ont force de droit. »
6. LÉON XIII, Lettre encyclique Inscrutabili, 21 avril 1878 (in SOLESMES, 57-59, p. 49-51).
Subsidiarité et ordre économique. La compromission pontificale 145

rigé par Léon XIII, le catholicisme social, habité qu’il se trouve par la menta-
lité médiévale de la Chrétienté, est beaucoup plus antimoderne qu’il n’y
paraît, tout comme, nous le verrons avec Pie XII, la redéfinition catholique
— antilibérale — de la démocratie. Jamais, l’Église de la doctrine sociale ne
reconnaîtra à l’État davantage qu’une autonomie conditionnelle (en cela, elle
lui refusera toujours la dignitas d’institution) : l’État est souverain à condi-
tion que l’Église soit la détentrice du dernier mot, autre manière de dire que
l’État est souverain dans son ordre. Il dispose certes de la dignité de société
parfaite mais la souveraineté des deux sociétés temporelle et spirituelle ne se
situe pas sur le même plan. Affirmer que l’Église et l’État n’appartiennent pas
au même ordre, c’est en définitive rappeler que ces deux ordres sont eux-
mêmes hiérarchisés. Aussi, comment qu’on la comprenne, la reconnaissance
par Léon XIII de la valeur temporelle de l’État s’accompagne-t-elle nécessai-
rement de son indispensable corollaire  : la supériorité ultime de l’Église en
raison d’une primauté ontologique du spirituel sur le temporel. Mais voilà
qui méconnaissait la capacité des États à subvertir la stratégie ecclésiale et à
faire sauter cette clause de conditionnalité.
Fondamentalement liés entre eux, le développement de la doctrine sociale
et le retour en force, sous la plume des papes du xixe siècle, de la notion de
societas perfecta interviennent dans un contexte précis, celui de la naissance
de la nation italienne, doublée de son pendant symétrique : la mort des États
pontificaux. En 1870, quand il s’empare de la ville de Rome, Victor Emma-
nuel II ne fait pas que parachever l’unification nationale de la péninsule Ita-
lique, il signifie au Souverain pontife la fin de son pouvoir temporel1. Cette
rupture du lien, historiquement noué, entre la primauté spirituelle du Pasteur
suprême de l’Église et la souveraineté du chef de l’État pontifical marquera
pour longtemps une brèche traumatisante dans la conscience collective du
Vatican2. C’est en riposte directe que le Siège romain déploiera des trésors
d’énergie doctrinale et mobilisera ses plus grands canonistes pour exhumer le
vieux concept de societas perfecta3. Le faisant glisser, prudence magistérielle

1. Quoique fondée sur des textes inauthentiques (la Donation de Constantin composée vers 750
et les Décrétales de Pseudo-Isidore), la justification des territoires pontificaux avait accompagné
l’Église depuis ses origines. Selon la Donation, Constantin aurait remis à Sylvestre Ier non seule-
ment les insignes impériaux mais aussi la souveraineté sur Rome, l’Italie et l’Occident.
2. Sur ce traumatisme, qualifié par Léon XIII de « funeste dissentiment entre l’Italie [...] et le
Pontificat romain », cf. LÉON XIII, Lettre autographe au Cardinal Mariano Rampolla, Secré-
taire d’État, 15 juin 1887, Acta Sanctae Sedis, 1887, XX, p. 4-27 (in A. F. UTZ, III, p. 2329-2349,
ici p. 2334-2335). On le sait, la querelle ne prendra fin qu’avec le Concordat de 1929.
3. Tel qu’issu du reformatage de la théorie des deux glaives opéré par Bellarmin. La définition de
l’Église comme société parfaite est le résultat d’un long travail d’incubation doctrinale, accéléré à
partir de 1870 mais qui s’étire sur toute la période de la seconde moitié du xixe siècle. L’exhuma-
tion du concept est principalement le fait du grand canoniste italien, le futur Cardinal Tarquini.
Avant l’épisode léonien, deux moments importants sont à relever  : 1o la lettre Cum catholica
Ecclesia publiée par Pie IX le 26  mars 1860 pour protester contre l’annexion de la Romagne,
anciennement sous le ressort territorial de la papauté. 2o le point 19 du Syllabus : « L’Église n’est
pas une société parfaite et véritable, pleinement libre, et elle ne jouit pas des droits propres et
constants qui lui ont été conférés pas son divin fondateur, mais il appartient au pouvoir civil de
définir quels sont les droits de l’Église et les limites au sein desquelles elle peut exercer ces
droits. » (PIE IX, Syllabus, 19 ; in H. DENZINGER, 2919, p. 667-668).
146 La subsidiarité catholique...

aidant, de son registre juridico-étatique d’origine vers un registre théologico-


canonique, sa stratégie consistera désormais à diriger ses effets théoriques au
seul bénéfice de l’Église. La consécration léonienne du processus, qui inter-
vient en 1885 avec Immortale Dei, répond ainsi à un objectif vital : permettre
à l’Église, malgré sa dépossession territoriale, de poursuivre son existence
d’entité souveraine autosuffisante1. Le succès sera au rendez-vous  : le
dépouillement géographique du Vatican, tout comme plus tard le modus
vivendi de 1929, marquera moins un affaiblissement du Siège romain qu’une
spiritualisation de son rapport au monde. Désormais dégagée des contin-
gences et autres prosaïques servitudes de la souveraineté territoriale, l’Église
pourra pleinement s’investir dans son rôle moral et magistériel. Telle est la
séquence stratégique à l’intérieur de laquelle il faut replacer le lancement de la
doctrine sociale. Ce qu’elle perd en pouvoir réel d’administration (déréali-
sation temporelle), l’Église le compense proportionnellement en charge sym-
bolique (ressourcement spirituel). Au contraire, pour ainsi dire, du mouve-
ment qui affecte les États : l’instance temporelle gagne en réalité administrative
et technocratique ce qu’elle perd en sacralité immatérielle.
Il y a chez le Pape de Rerum novarum le souci conscient de mettre à profit
les libertés constitutionnelles du monde moderne en les plaçant au service de
la cause de l’Église. De nombreux travaux historiographiques n’ont-ils pas
par ailleurs démontré en quoi le Ralliement à la République était lui-même
peuplé d’arrière-pensées tactiques2 ? Nous n’entrerons pas dans les mailles de
ce débat, déjà largement étudié, mais voulons retenir cette invitation à la pru-
dence analytique. De Pie IX à Léon XIII, ce n’est pas le fond du message qui
change mais bien la manière de le présenter. Déplaçant en quelque sorte l’ac-
cent de la thèse vers l’hypothèse, le Pape Pecci veut clore le temps du repli
pour entrer plus résolument dans celui de la reconquête, passer d’une attitude
défensive et réactive à une stratégie offensive et combative, d’un «  catholi-
cisme politique » à une « politique catholique »3. C’est notamment par peur
d’une montée de l’anticléricalisme qu’il quitte la stratégie revancharde de
l’époque antérieure. Il ne rompt pas avec l’idéal du Prince chrétien4 ; il engage
bien plutôt les catholiques à participer à la vie publique, y compris lorsque les

1. LÉON XIII, Immortale Dei (in A. F. UTZ, III, p. 2020-2057).


2. Cf. É.  POULAT, «  Ancien Régime et catholicisme intégral. D’une société chrétienne à un
christianisme social », Église contre bourgeoisie, op. cit., p. 109-133 ; « Pour un grand commen-
taire de Rerum novarum », Cent ans de catholicisme social à Lyon et en Rhône-Alpes : la postérité
de Rerum novarum, dir. J.-D. DURAND, op. cit., p. 269-282. Dans cette filiation, Philippe Por-
tier a complété la thèse poulatienne du maintien de l’intransigeantisme catholique par une ana-
lyse de ses conséquences pour le xxe siècle français (P. PORTIER, Église et politique en France
au XXe  siècle, Paris, Montchrestien, 1993 ; «  La philosophie politique de l’Église catholique  :
changement ou permanence ?  », Revue française de science politique, 1986, 36 (3), p.  325-341 ;
« Catholiques et politique au xxe siècle », Études, 2000, 392 (5), p. 659-668).
3. Selon Hans Maier (H. MAIER, L’Église et la démocratie. Une histoire de l’Europe politique
[1959-1988], trad. fr. I. Schobinger von Schowingen, et al., Paris, Critérion, 1992, p. 22 sq.).
4. Pour une reconstitution théorique de l’argumentaire léonien à la lumière de l’expérience amé-
ricaine, cf. J. COURTNEY-MURRAY, « Leo XIII on Church and State : The General Structure
of the Controversy », Theological Studies, 1953, 14, p. 1-30 ; « Leo XIII : Separation of Church
and State », ibid., 1953, 14, p. 145-314 ; « Contemporary Orientations of Catholic Thought on
Church and State in the Light of History », ibid., 1949, 10, p. 177-234.
Subsidiarité et ordre économique. La compromission pontificale 147

institutions de leur pays ne sont pas conformes à la pureté du message ecclé-


sial. Levant cette hypothèque, son objectif est précisément de réintégrer les
institutions libérales dans une conception catholique de l’État et de la société.
C’est l’inverse qui se produira, mais il n’a pu se produire, ironie de l’histoire,
qu’une fois déclenchée cette conjuration léonienne. Le maintien de l’idéal
théorique d’un ordre intégralement chrétien était semble-t-il à ce prix ; il
marquait, en pratique, l’une des dernières étapes de l’acceptation catholique
du triomphe démocratique.
Aucune adhésion positive à la démocratie moderne donc. En parlant de
démocratie sociale, de la démocratie comme attitude sociale (et non de la
démocratie politique comme forme de gouvernement), Léon XIII veut au
contraire poser les termes d’une nouvelle explication avec la modernité. Il est
très explicite sur le fait qu’il ne saurait se rallier à l’idée d’un pouvoir issu du
peuple, à l’idée d’une souveraineté directement immanente, sans mettre à bas
tout l’édifice de l’orthodoxie catholique1. Immortale Dei est particulièrement
explicite en la matière, tout comme le sera quelques années plus tard l’ency-
clique sur la démocratie chrétienne2 : un peuple qui prétendrait être détenteur
de la souveraineté ne ferait qu’usurper la puissance divine en recourant à de
fallacieuses et rudimentaires fictions juridiques (le contrat social, la volonté
générale). Ce rappel du rejet léonien de la démocratie moderne n’a d’autre
intérêt que de souligner les ressorts profonds de l’opposition catholique à
l’État. L’État moderne, tel est, encore et toujours, l’enjeu ultime. Car, en
s’opposant à la souveraineté, l’Église sait pertinemment que la logique démo-
cratique était inscrite dans l’État moderne. Dès Graves de communi, le Pape
Pecci annonce le programme qui sera systématisé par Pie XI : l’insistance sur
la bienfaisante action des catholiques à l’intérieur du corps social3. Il faudra le
drame totalitaire pour que, du bout des lèvres, le successeur du Pape Ratti
accepte la démocratie politique4.
L’Église est en quelque sorte contrainte de se placer sur le même terrain
que le libéralisme — jouer la société contre l’État — tout en prétendant poser
elle-même les termes du débat. Tel est le cheminement par lequel l’Église, via

1. LÉON XIII, Immortale Dei (in A. F. UTZ, III, p. 2020-2057).


2. LÉON XIII, Lettre encyclique Graves de communi, 18  janvier 1901, Acta Sanctae Sedis,
1900-1901, XXXIII, p. 385-396 (in A. F. UTZ, II, p. 1004-1027). Faisons ici référence, une fois
encore, à Giuseppe Toniolo (G. TONIOLO, La Notion chrétienne de la démocratie, op. cit.).
3. «  Il serait condamnable, écrit le Pape Pecci, de détourner à un sens politique le terme de
démocratie chrétienne. Sans doute, la démocratie, d’après l’étymologie même du mot et l’usage
qu’en ont fait les philosophes, indique le régime populaire ; mais, dans les circonstances actuelles,
il ne faut l’employer qu’en lui ôtant tout sens politique, et en ne lui attachant aucune autre signi-
fication que celle d’une bienfaisante action chrétienne parmi le peuple. En effet, les préceptes de
la nature et de l’Évangile étant, par leur autorité propre, au-dessus des vicissitudes humaines, il
est nécessaire qu’ils ne dépendent d’aucune forme de gouvernement civil ; ils peuvent pourtant
s’accommoder de n’importe laquelle de ces formes, pourvu qu’elle ne répugne ni à l’honnêteté ni
à la justice. » (LÉON XIII, Graves de communi ; in A. F. UTZ, II, p. 1008-1009).
4. Nous faisons référence au fameux message du Pape Pacelli radiodiffusé à Noël 1944 (PIE XII,
Radio-message au monde Sur la démocratie, 24  décembre 1944, Acta Apostolicae Sedis, 1945,
XXXVII, p. 10-23 ; in SOLESMES, 836-857, p. 447-455 ; A. F. UTZ, J. GRONER, II, p. 1722-
1738). Pour une lecture plus empathique, cf. M. PRÉLOT, « Catholicisme social et démocratie
chrétienne selon Pie XII », Mélanges A. Latreille, Lyon, Audin, 1972, p. 233-242.
148 La subsidiarité catholique...

le catholicisme libéral du xixe  siècle, rejoint subrepticement le libéralisme


pour repenser les ressorts de son ingérence spirituelle. Ayant perdu leur relais
étatique, les papes ne peuvent plus s’adresser au monarque avec l’espoir d’être
entendus ; ils doivent désormais parler à la masse. C’est précisément à cela
— s’adresser au peuple — que serviront les encycliques sociales1. À partir de
Rerum novarum, le magistère pontifical ne dialogue plus avec les seuls fidèles
catholiques ; il prend le monde entier à partie. Car les exigences de la vie
sociale dépassent désormais l’étroitesse du cercle des croyants. L’Église,
fidèle à sa mission salvifique, n’est-elle là pour tous, indistinctement — ceux
qui croient déjà comme ceux qui ne croient pas encore ? Tant que l’État était
monarchique, elle pouvait fort bien se contenter de préserver son influence
en s’assurant le soutien confortable d’un roi. La Révolution a magistralement
sonné le glas de cette séculaire alliance du Trône et de l’Autel, obligeant l’Ins-
titution à emprunter une autre voie, celle de l’alliance du peuple et de l’Autel.
De l’une à l’autre de ces deux étapes cependant, l’horizon d’adversité demeure
in fine le même : se poser contre l’État libéral, ce fils indigne d’un absolutisme
devenu athée. Le Pape n’agit plus sur les États ; il agit sur la société et sur le
peuple, mais il le fait selon la même logique qui, du temps de l’État confes-
sionnel, le conduisait à s’adresser à la conscience du monarque catholique.
L’itinéraire historique est complexe donc, qui a conduit à l’effondrement de
l’édifice théocratique, lentement construit puis souterrainement détruit par
l’Église elle-même.
On ne peut pas vraiment parler d’un intransigeantisme structurel de
l’Église qui n’autoriserait que des révisions superficielles de façade sans véri-
table sincérité. Pareille lecture suppose, comme le fait Émile Poulat, d’assi-
miler terme à terme catholicisme et intransigeantisme, d’opposer définitive-
ment catholicisme et libéralisme, au prix de réductions trop simplificatrices
(une superposition du libéralisme et de la «  bourgeoisie  », par exemple).
L’identité du catholicisme ne résiderait-elle pas moins dans un intransigean-
tisme revendiqué comme tel que dans son intégralisme inconscient, dans son
refus de la séparation libérale, dans son autocompréhension comme culture
totale irréductible à la seule sphère religieuse2 ? Face au catholicisme, l’enjeu

1. Alors qu’à l’origine les encycliques étaient uniquement destinées aux membres du collège
épiscopal (à l’ensemble des évêques du monde), elles deviendront peu à peu un outil de commu-
nication bien plus large  : pour s’adresser d’abord à l’ensemble des fidèles catholiques puis, à
partir de Léon XIII, au monde entier. À compter de l’encyclique Pacem in terris, promulguée
par Jean XXIII en 1963, le Vatican revendique explicitement de parler « à tous les hommes de
bonne volonté ». Les effets de cette mutation sont bien sûr importants sur le contenu même du
discours pontifical. L’enseignement social des papes pouvait encore revêtir une valeur normative
quand les destinataires en étaient seulement les membres de l’Église. À partir de 1963, il prend
désormais une couleur essentiellement déclarative ; ce qui, loin s’en faut, ne réduit pas son effet
locutoire. Il change tout simplement de canal de transmission.
2. Rappelons-le encore : l’intégralisme est à distinguer de l’intégrisme (cf. É. POULAT, Inté-
grisme et catholicisme intégral, Tournai, Casterman, 1969). Sans remettre en cause la pertinence
des analyses d’Émile Poulat, le concept d’intégralisme, tel que défini par Jean-Marie Donegani, a
pour but de sortir de la dualité poulatienne — intransigeantisme catholique contre libéralisme
— en y introduisant un troisième terme (J.-M. DONEGANI, La Liberté de choisir. Pluralisme
religieux et pluralisme politique dans le catholicisme français contemporain, Paris, Presses de la
FNSP, 1993). Jean-Marie Donegani insiste en particulier sur la nécessité épistémologique de bien
Subsidiarité et ordre économique. La compromission pontificale 149

du libéralisme et du modernisme, c’est bien la séparation des ordres, la sépa-


ration de la raison et de la foi, du public et du privé, du religieux et du poli-
tique1. Comment nier, en toutes ces matières, l’antilibéralisme foncier de
l’Église romaine, son refus viscéral de la modernité politique, son hostilité
globale à la société moderne ? Soit. Mais, à trop se laisser emporter par cet
aspect des choses, n’en oublie-t-on pas les changements profonds qui, de
manière latente, travaillent la culture catholique (y compris les autorités
ecclésiales) et en font précisément un objet historique ? Dès lors, faut-il
considérer que l’adaptation du catholicisme au monde moderne s’opère de
bout en bout à l’intérieur du même logiciel intransigeant, que l’accommode-
ment des catholiques à leur temps touche l’accessoire, l’accident ou le contin-
gent et en aucun cas les principes, les fondements, la substance ? Nullement.
Ce serait prêter au catholicisme une capacité omnisciente de maîtrise de lui-
même. À rebours, il importe de distinguer à l’intérieur de l’intransigeantisme
catholique ce qui est conjoncturel de ce qui est structurel, ce qui est inten-
tionnel de ce qui est souterrain, ce qui est manifeste de ce qui est latent ; de ne
pas réduire les catholiques (dont les papes) à un catholicisme fantasmé.
N’en déplaise à Émile Poulat, l’Église peut très bien rester intégraliste tout
en amendant l’intransigeantisme de ses origines. Redisons ici ce que nous
écrivions plus haut  : c’est l’idéologie libérale qui est en cause et non le fait
libéral, lequel, bon gré mal gré, que l’Église le veuille ou non, finit par s’im-
poser dans le mouvement de l’histoire2 ?

Le repérage historique pourrait se résumer ainsi : sous la menace du socia-


lisme, Rerum novarum amorçait l’acclimatation de l’Église au régime démo-
cratique sur le terrain social ; sous la menace du communisme, Quadragesimo
anno amorce l’acclimatation de l’Église au régime capitaliste sur le terrain
économique ; Vatican II tirera les conséquences de ces deux étapes sur le ter-
rain politique. La hantise de Léon XIII était le socialisme ; celle de Pie XI le
communisme. C’est par peur du socialisme que Léon XIII a entamé un rap-
prochement — timide et circonscrit, certes — entre doctrine catholique et

distinguer entre le discours des acteurs eux-mêmes et le discours des analystes. « Comment faut-
il entendre certaines notations d’Émile Poulat se démarquant si peu des propos qu’elles ana-
lysent qu’il devient parfois difficile de cerner le passage de la pensée ecclésiastique objet de
l’analyse à la pensée du sociologue auteur de l’analyse. » (Ibid., p. 168).
1. Sur la crise moderniste dans le catholicisme français au tournant des xixe-xxe, cf. É. POULAT,
Histoire, dogme et critique dans la crise moderniste, Paris, Casterman, 1962 ; « La crise du moder-
nisme dans l’Église catholique. Prolégomènes à une réflexion sur l’orthodoxie », Formation et
défense des « orthodoxies » dans les églises et les groupements d’inspiration politique, Gembloux,
Duculot, 1987, p. 170-190 ; P. COLIN, L’Audace et le soupçon. La crise du modernisme dans le
catholicisme français, 1893-1914, Paris, Desclée de Brouwer, 1997.
2. Émile Poulat lui-même en convient mais peut-être n’en tire-t-il pas toutes les conséquences :
« Ce qui s’est imposé, écrit-il, est-ce bien le libéralisme ou plus simplement, le fait accompli, la
situation nouvelle ainsi créée qui, en se consolidant, a rejeté dans le passé, définitivement, tout ce
qui ne répond plus à sa réalité ? » (É. POULAT, Église contre bourgeoisie, op. cit., p. 162-163 ;
«  Pour une meilleure compréhension de la démocratie chrétienne  », art. cit., p.  31). Dans la
continuité de son maître ouvrage  : É.  POULAT, «  La modernité à l’heure de Vatican II  »,
Le Deuxième Concile du Vatican, Rome, École française de Rome, 1989, p. 809-826.
150 La subsidiarité catholique...

démocratie sociale ; c’est par peur du communisme que Pie XI a entamé un


rapprochement entre doctrine catholique et capitalisme libéral. Le propre de
la subsidiarité est de révéler cette profonde connivence, qui prend la forme
d’une conspiration innocente entre libéralisme et catholicisme1. Nous cer-
nons un peu mieux leur terrain d’entente au-delà de l’opposition doctrinale
revendiquée, au-delà du discours des acteurs eux-mêmes  : le fait accompli
du libéralisme identifie État et politique pour, en quelque sorte, protéger
la société de son emprise. À cette fin, il fallait distinguer entre démocratie
sociale et socialisme politique. C’est tout l’objet de Rerum novarum puis de
Quadragesimo anno à sa suite. Aujourd’hui encore, la réconciliation du
catholicisme avec la réalité moderne, telle que parachevée par le Concile
Vatican II, n’efface pas les stigmates du refus doctrinal de la politique libérale
(l’État moderne)2. Le corporatisme de Quadragesimo anno n’était pas qu’une
simple recette d’ingénierie technique pour les Temps modernes, il se présen-
tait comme une solution de rechange pour remplacer la démocratie politique.
Il faudra, tout à la fois, la compromission totalitaire du mot d’ordre corpora-
tiste, la disqualification des idéaux réactionnaires du conservatisme politique
et l’inquiétante poussée de l’idéologie communiste, pour que Pie XII daigne
entériner le fait démocratique3.

3. D’AUGUSTIN À THOMAS, LE SYSTÈME SOCIAL-SPIRITUEL

La doctrine sociale de l’Église en général et la subsidiarité en particulier tirent


leurs principes des plus hautes sphères de la théologie et de l’anthropologie
chrétiennes. S’il fallait extraire le concept de subsidiarité de son propre
espace-temps pour lui donner un sens moins enfermé dans un contexte his-
torique réduit, celui précisément de la doctrine sociale, nous le définirions de
la manière suivante en trois propositions successives et complémentaires  :
subsidiarité logique de l’hypothèse terrestre par rapport à la thèse céleste, du
relatif par rapport à l’absolu4 ; subsidiarité théologique de l’ordre temporel

1. « Le principe de subsidiarité, avoue Chantal Delsol, veut échapper à cette alternative [libéra-
lisme-socialisme]. Il finit pourtant, après une histoire complexe, par s’inscrire dans une problé-
matique libérale au sens contemporain du terme. » (C. MILLON-DELSOL, « La subsidiarité
dans les idées politiques », La Subsidiarité. De la théorie à la pratique, op. cit., 1995, p. 45).
2. En témoigne de manière très nette la structuration de la Constitution pastorale Gaudium et
spes. Le chapitre consacré à « La communauté politique » fait suite, par ordre de priorité, à celui
relatif au mariage, à celui afférent à la culture et à celui traitant de la vie économique
(DEUXIÈME CONCILE du VATICAN (VATICAN II), Constitution pastorale De Ecclesia
in Mundo Huius Temporis (Gaudium et spes), 7  décembre 1965, Acta Apostolicae Sedis, 1966,
LVIII, p. 1025-1115, Sacrosanctum Œcumenicum Concilianum Vaticanum II, 1966, p. 681-751 ;
in A. F. UTZ, I, p. 814-969 ; H. DENZINGER, 4301-4345, p. 911-934). Nous y reviendrons.
3. Jusqu’à la fin de son pontificat, nous y reviendrons, le Pape Pacelli ne manquera pas une occa-
sion de signaler les limites infranchissables de ce nouveau compromis avec le fait démocratique.
En témoignent les différents anathèmes lancés à l’encontre de la nouvelle génération de théolo-
giens catholiques mieux disposée à un dialogue avec la modernité et les Lumières : Marie-Domi-
nique Chenu, Yves Congar, Henri de Lubac, Karl Rahner, John Courtney Murray.
4. E.  TROELTSCH, Das stoisch-christliche Naturrecht und das moderne profane Naturrecht
[1911], Die Soziallehren der christlichen Kirchen und Gruppen, op. cit., 1922, II, p. 166-191.
Subsidiarité et ordre économique. La compromission pontificale 151

profane par rapport à l’ordre spirituel sacré ; subsidiarité praxéologique de la


liberté humaine par rapport à la paix sociale du Christ sauveur et ressuscité.
Déconstruite en tant que concept historique, la subsidiarité, désormais
comprise au sens heuristique du terme, peut aider à reconstituer la théorie
catholique de l’État, au moyen d’un décryptage de ses racines théologiques et
d’une réinsertion dans l’économie divine de la sotériologie chrétienne.
Principe de régulation des rapports entre les ordres (non pas au sens de cor-
porations, bien sûr, mais au sens de sphères), elle repose ultimement sur une
matière théologico-politique, elle-même travaillée par un conflit «  perma-
nent »1, auquel la sécularisation ou la laïcisation — comme on voudra — se
garde bien d’avoir mis fin2. L’histoire n’a-t-elle pas révélé combien la sphère
d’action des deux souverainetés n’était pas délimitable une fois pour toutes ?
N’a-t-elle pas révélé combien l’État moderne était moins marqué par sa
sécularisation que par sa « légitimation sacrale »3 ? Mais n’y aurait-il pas là, en
réalité, les deux faces d’une même « sortie de la religion » simplement consi-
dérée d’un point de vue différent ?
Pareillement, le système ecclésial de contournement du politique est à
double détente : une détente spirituelle bien connue qui secondarise le monde

1. En référence ici à C. LEFORT, « Permanence du théologico-politique ? » [1981], Essais sur le


politique, op. cit., p. 275-329. Cf. également J.-F. COURTINE, « L’héritage scolastique dans la
problématique théologico-politique de l’âge classique », L’État baroque, éd. H. MÉCHOULAN,
Paris, Vrin, 1985, p. 89-118 ; Nature et empire de la loi, Paris, Éditions de l’ÉHÉSS, Vrin, 1999,
p. 9-43 ; « À propos du “problème théologico politique” », Droits, 1993, 18, p. 109-118 ; « Pro-
blèmes théologico-politiques », Nature et empire de la loi, op. cit., p. 163-175.
2. Sécularisation au sens de Max Weber (M. WEBER, L’Éthique protestante et l’esprit du capita-
lisme [1904-1905, 1920], trad. fr. J.-P. Grossein, Paris, Gallimard, 2004) tel que repris et amplifié
ensuite par Marcel Gauchet (processus interne au christianisme par lequel il accomplit sa voca-
tion) (M. GAUCHET, Le Désenchantement du monde, op. cit.). Pour se prémunir contre cer-
tains usages abusifs de la thèse wébérienne, cf. C. COLLIOT-THÉLÈNE, « Rationalisation et
désenchantement du monde », Archives de sciences sociales des religions, 1985, 89, p. 61-81, ici
p. 71-77. Avant même la démonstration de Marcel Gauchet, à partir d’un point de vue chrétien,
cf.  D.  BONHÖFFER, Le Prix de la grâce [1937], trad. fr. R.  Revet, Genève, Labor et Fides,
1962. Pour une synthèse sur la notion, cf. G.  MARRAMAO, «  Säkularisation  », Historisches
Wörterbuch der Philosophie, Bâle, Schwabe, 1992, VIII, col. 1133-1161 ; G. COTTIER, « Signifi-
cation chrétienne de la sécularisation », Nova et Vetera, 1981, 16 (1), p. 14-35.
3. M. GAUCHET, Le Désenchantement du monde, op. cit., p. 229. Contre Carl Schmitt et, plus
en amont encore, contre les thèses de Ludwig Feuerbach, abondamment exploitées à sa suite, par
Karl Löwith (L.  FEUERBACH, L’Essence du christianisme [1841], trad. fr. J.-P Osier,
J.-P. Grossein, Paris, Gallimard, 2008 ; K.  LÖWITH, Histoire et Salut [1949, 1953], trad. fr.
M.-C. Challiol-Gillet, S.  Hurstel, J.-F. Kervégan, Paris, Gallimard, 2002), Hans Blumenberg
s’est attaché à faire ressortir le mouvement d’auto-affirmation (Selbstbehauptung) humaine à
l’œuvre dans la modernité. Les Temps modernes seraient moins ceux d’une Umsetzung (simple
mutation historique de l’ancien dans le nouveau), que ceux d’une ambitieuse Umbesetzung : un
complet réinvestissement humain du monde aux fins de conquérir la nature. Aussi a-t-il remis en
cause le fameux « théorème de la sécularisation » : « Ce qui, écrit-il, dans le processus interprété
comme sécularisation, s’est passé le plus souvent [...], ne peut être décrit comme “mutation”
de contenus authentiquement théologiques qui en s’aliénant d’eux-mêmes seraient devenus
séculiers, mais comme “réinvestissement” de positions de réponses devenues vacantes dont les
questions correspondantes ne pouvaient être éliminées. » (H. BLUMENBERG, La Légitimité
des Temps modernes [1966-1988], trad. fr. M. Sagnol, J.-L. Schlegel, D. Trierweiler, Paris, Galli-
mard, 2008, p. 73 sq., ici p. 75, et « Théologie politique I et II », p. 98-111 ; C. SCHMITT, Théo-
logie politique I, II [1922, 1969], trad. fr. J.-L. Schlegel, Paris, Gallimard, 1988, spécialement
« État actuel du problème de la Légitimité des Temps modernes » [1969], p. 167-182).
152 La subsidiarité catholique...

temporel ; une autre, moins connue, qui est pourtant consubstantielle-


ment liée à la première : une détente sociale. Parce qu’ils appartiennent à la
communauté suprême de l’univers, les hommes sont en mesure de se sous-
traire au primat de la politique. Parce qu’ils sont appelés à un destin spirituel,
ils ne sont pas seulement subordonnés à une communauté terrestre ni liés
entre eux en raison d’une finalité temporelle ; chacun dispose d’une fin surna-
turelle qui dépasse le bien commun naturel et la peccabilité du siècle. Mais ce
qu’on interprète trop rapidement comme une indifférence évangélique au
monde, loin d’équivaloir à une simple fuite hors du monde, correspond à
l’établissement d’une modalité particulière de rapport au monde. À écouter
attentivement le message chrétien, on comprend même qu’en son sein le
social finit par revêtir une essence proprement divine1. Si l’on accepte de
considérer, selon le dogme nicéen de la Trinité2, que Dieu est une substance
faite de trois personnes, alors il faut en conclure que des rapports sociaux
existent au sein même de l’hypostase divine. Si l’on accepte, en outre, de
considérer que l’homme a été créé à l’image de Dieu, alors il faut conclure
que les rapports sociaux entre les hommes sont divinement établis.
« Miroir imparfait de son modèle, de Dieu en sa Trinité, — qui par le mystère
de l’Incarnation a racheté et exalté la nature humaine, — la vie sociale, dans
son idéal et dans sa fin, possède, à la lumière de la raison et de la Révélation,
une autorité morale et un caractère absolu dominant toutes les vicissitudes
des temps, une force d’attraction qui, loin de s’amortir ou de s’épuiser du fait
des déceptions, des erreurs, des échecs, meut irrésistiblement les esprits les
plus nobles et les plus fidèles au Seigneur, à reprendre, avec une énergie
retrempée, avec une nouvelle connaissance, de nouvelles études, moyens et mé-
thodes, ce qui en d’autres temps et en d’autres circonstances avait été vaine-
ment tenté3. »

1. Pour une démonstration approfondie de l’entremêlement des plans économique (l’agir fonc-
tionnel) et ontologique (l’être théologique) dans le message chrétien, cf. Y. M.-J. CONGAR,
«  Le moment “économique” et le moment “ontologique” dans la Sacra Doctrina (Révélation,
théologie, Somme théologique) », Mélanges M.-D. Chenu, Paris, Vrin, 1967, p. 135-187.
2. PREMIER CONCILE de NICÉE, Profession de foi, 19 juin 325 (in H. DENZINGER, 125-
126, p. 39-42). « Nous croyons en un seul Dieu, Père tout-puissant, créateur de tous les êtres
visibles et invisibles. Et en notre seul Seigneur Jésus Christ, le Fils de Dieu, né du Père, unique
engendré, c’est-à-dire de la substance du Père, Dieu de Dieu, lumière de lumière, vrai Dieu de
vrai Dieu, né, non pas créé, d’une unique substance avec le Père, par qui tout a été fait, ce qui est
dans le ciel et ce qui est sur la terre, qui à cause de notre salut est descendu et s’est incarné, s’est
fait homme, a souffert et est ressuscité le troisième jour, est monté aux cieux, viendra juger les
vivants et les morts. Et en l’Esprit Saint. Ceux qui disent : “Il était un temps où il n’était pas” et
“Avant d’être né il n’était pas” et “il est devenu à partir de ce qui n’était pas”, ou qui disent que
Dieu est d’une autre substance ou essence, ou qu’il est susceptible de changement ou d’altéra-
tion, ceux-là l’Église catholique les anathémise. » Cette formule sera consacrée et amplifiée en
381 par l’amorce du Filioque de l’Église latine (PREMIER CONCILE de CONSTANTI-
NOPLE, Profession de foi, 30 juillet 381 ; in H. DENZINGER, 150, p. 56-58). Sur la question de
la  Trinité, cf. R.  BRAGUE, «  Un Dieu un  » [1983], Du Dieu des chrétiens, et d’un ou deux
autres, Paris, Flammarion, 2008, p. 77-113 ; C. THÉOBALD, « La foi trinitaire des chrétiens et
l’énigme du lien social  : contribution au débat sur la “théologie politique”  », Monothéisme et
trinité, Bruxelles, Facultés universitaires Saint-Louis, 1991, p. 99-137.
3. PIE XII, Radio-message au monde L’Ordre intérieur des États, 24  décembre 1942, Acta
Apostolicae Sedis, 1943, XXXV, p. 9-24 (in SOLESMES, 772-821, p. 420-440, ici 777, p. 423-424 ;
A. F. UTZ, J. F. GRONER, I, p. 102-123, ici p. 106 ; M. CLÉMENT, II, p. 52-66).
Subsidiarité et ordre économique. La compromission pontificale 153

Cette double détente spirituelle et sociale se rapporte en définitive à la


double dimension du message chrétien, lui-même incarné par la double nature
du Christ : désinvestissement religieux de toutes les figures terrestres préten-
dant incarner la collectivité humaine, puis réévaluation du monde, ce monde
dignifié par le Christ Sauveur, qui a scellé pour toujours la coparticipation du
divin et de l’humain. Mais le second moment de la réévaluation aura toujours
besoin du premier pour exister, de même que le Fils aura toujours besoin d’un
Père pour advenir. Peut-être le catholicisme n’a-t-il pas de programme poli-
tique ou économique à proposer (aucun projet clef en main ne lui a été révélé),
reste que, fort de son message évangélique, il ne manque pas d’appeler au
règne social du Christ, via la présence irradiante de l’Église dans la société.
Du point de vue ecclésial, il y a subsidiarité du politique par rapport au
social comme il y a subsidiarité du temporel vis-à-vis du spirituel. Brandir
avantageusement la dimension sociale du catholicisme, ce n’est donc pas
révéler sa supposée capacité naturelle à attribuer une dignité propre au monde
d’ici-bas, c’est bien davantage considérer sa conception résiduelle du tem-
porel. Le social du catholicisme : ce qui reste du politique une fois affirmée
l’ontologique supériorité du spirituel chrétien1. Rien de bien étonnant, donc,
à ce que la relecture thomiste d’Aristote transforme immanquablement
le politique en social2. Simple effet naturel de christianisation doctrinale, en
somme, qui trouve à se loger dans cette épithète — substantivée pour l’occa-
sion — tant célébrée depuis lors par l’Église — par son clergé comme par ses
clercs. Dans un cas (Aristote), le politique irradie toutes les activités humaines ;
dans l’autre (Thomas), le spirituel l’inhibe pour n’en laisser subsister sur terre
qu’une forme rebutée. Social, en définitive, le catholicisme l’est par construc-
tion. Nombreux seront ainsi les catholiques qui rechigneront devant l’accole-
ment d’une épithète redondante à un substantif autosuffisant, soulignant par
là le caractère pléonastique de l’expression catholicisme social. Pensons à La
Tour du Pin, horrifié devant l’idée d’un socialisme chrétien3. Pensons, dans
une autre veine, au Père de Lubac, tout dévoué au décryptage des « aspects
sociaux du dogme » catholique :
« Le catholicisme, écrivait-il en 1938, est essentiellement social. Social au sens le
plus profond du terme : non pas seulement par ses applications dans le domaine
des institutions naturelles, mais d’abord en lui-même, en son centre le plus mys-

1. Notons la parenté avec l’anthropologie libérale et marxiste. Considérant que l’homme se


réduisait à un « ensemble de rapports sociaux », que le politique n’était pas autre chose qu’une
émanation de l’infrastructure matérielle et économique, Marx s’opposait logiquement à la défini-
tion aristotélicienne de l’homme comme zôon politikon. (K. MARX, Les « Thèses » sur Feuer-
bach [1845], éd. fr. P. Macherey, Paris, Éditions Amsterdam, 2008, ici la Thèse VI, p. 137).
2. Ainsi que l’a bien relevé Hannah Arendt. Son jugement dépréciatif sur le social (la société
libérale), nous y reviendrons, est bien sûr dépendant de son analyse de la notion de travail, à
savoir la dégradation qu’elle identifie, dans la passage à la modernité, de la logique de l’agir (la
praxis) à la logique du faire (la poesis), du travail comme simple nécessité biologique au travail
productif érigé au sommet de la hiérarchie des activités humaines (H. ARENDT, Condition de
l’homme moderne [1958], trad. fr. G. Fradier, Paris, Calmann-Lévy, 2003, p. 76 sq. ; Qu’est-ce
que la politique ? [1958], trad. fr. S. Courtine-Denamy, Paris, Le Seuil, 1995, p. 108 sq.).
3. À ce socialisme chrétien, La Tour du Pin oppose le « christianisme social » qu’il qualifie de
« pléonasme » (R. de LA TOUR DU PIN, « Du régime corporatif », op. cit., p. 38).
154 La subsidiarité catholique...

térieux, dans l’essence de sa dogmatique. Social à tel point que l’expression


“catholicisme social” aurait toujours dû paraître un pléonasme1. »

Deux anthropologies chrétiennes s’opposent, se plaît-on à répéter : le cou-


rant augustinien et le courant thomiste2. Confort — ou paresse — intellectuel
aidant, cette présentation pédagogique des choses a pris un tour très rigide,
presque dramatique. D’un côté, Augustin pour qui la nature humaine est irré-
médiablement pécheresse et doit humblement s’en remettre à la grâce divine ;
pour qui, donc, l’État (permettons-nous encore une fois cette facilité de voca-
bulaire) doit s’interpréter comme une conséquence du Péché originel, un
remède divin imposé à l’homme corrompu. De l’autre, le schéma thomiste,
dans lequel l’État s’interprète comme une instance temporelle dont la néces-
sité ne découle pas de la Chute mais d’un instinct social qui la précède, de la
sociabilité naturelle, de l’homme. Un homme qui n’a pas été irrémissiblement
corrompu et qui, donc, n’a pas à s’en remettre, en totalité, à la grâce de Dieu.
Le système social-spirituel, tel qu’ici reconstitué pour décrypter la subsidia-
rité, nous conduit à réviser cette opposition canonique3. Dans la subsidiarité, se
joue peut-être quelque chose comme une synthèse entre la grâce d’Augustin et
la nature de Thomas, entre l’humilité augustinienne de la grâce et la confiance
thomiste dans la nature. Les deux dimensions, en somme, ne feraient-elles pas
système, éclairant chacune l’une des faces solidaires de la pensée catholique de
l’État (ou de ce qui tient lieu d’État dans la pensée catholique) ?
La difficulté à appréhender pareille question vient de ce que l’habitude
routinière a été prise, via la doctrine sociale, de faire procéder le concept de
subsidiarité de la seule philosophie thomiste4. Si une telle interprétation pos-

1. H. de. LUBAC, Catholicisme. Aspects sociaux du dogme, Paris, Le Cerf, 1938, p. IX. Cf. aussi
R. COSTE, Les Fondements théologiques de l’Évangile social, Paris, Le Cerf, 2002.
2. Pensons, par exemple, aux analyses canoniques dues à Georges de Lagarde et Walter Ull-
mann : G. de LAGARDE, La Naissance de l’esprit laïque au déclin du Moyen Âge, I-V [1934-
1946], op. cit., 1956-1970 ; W.  ULLMANN, The Individual and Society in the Middle Ages,
op. cit. Parmi une littérature surabondante, cf. quatre autres auteurs essentiels : E. CASSIRER,
Le Mythe de l’État [1946], trad. fr. B. Vergely, Paris, Gallimard, 1993, p. 113-163 ; M. VILLEY,
« La théologie chrétienne et la philosophie du droit du ve au xiiie siècle » [1961-1962], La Forma-
tion de la pensée juridique moderne, op. cit., p.  107-175 ; E.  L. FORTIN, «  Saint Augustin  »,
Histoire de la philosophie politique [1963-1987], éd. L.  STRAUSS, J.  CROPSEY, trad. fr.
O. Sedeyn, Paris, PUF, 1999, p. 191-222 ; « Saint Thomas d’Aquin », ibid., p. 269-297 ; « Augus-
tine, Thomas Aquinas and the Problem of Natural Law  », Mediaevalia, 1978, 4, p.  180-208 ;
L.  DUMONT, Essais sur l’individualisme, op. cit. (spécialement «  La catégorie politique et
l’État à partir du xiiie  siècle  » [1965], p.  35-81, ici p.  82  sq.). Pour une synthèse raisonnée,
cf. P. J. WEITHMAN, « Augustine and Aquinas on Original Sin and the Function of Political
Authority », Journal of History of Philosophy, 1992, 30 (3), p. 353-376.
3. Cf., ici, les travaux en cours d’Alain Boureau sur les prémisses scolastiques de la séparation
entre Église et État, que l’historien se garde bien, cependant, d’interpréter à l’aune de l’augusti-
nisme. Reste le message de limitation, de «  cantonnement religieusement motivé  », qui fait se
rencontrer le thomisme scolastique avec les anciennes élaborations augustiniennes (A.  BOU-
REAU, La Religion de l’État. La construction de la République étatique dans le discours théolo-
gique de l’Occident médiéval (1250-1350), Paris, Les Belles Lettres, 2006, ici p. 119). Alain Bou-
reau se réfère ici (Ibid., p. 120 sq.) au livre important, encore peu connu en France, de Matthew
Kempshall (M.  KEMPSHALL, The Common Good in Late Medieval Political Thought,
op. cit.), qui dédramatise fortement l’opposition entre augustinisme et thomisme.
4. Soit dans une perspective hagiographique, soit dans une perspective critique. Pour un exemple
Subsidiarité et ordre économique. La compromission pontificale 155

sède bien sûr sa part de vérité, elle n’en présente pas moins l’inconvénient de
se situer d’emblée dans une perspective interne au magistère et de ne pas
rompre avec le discours des papes sur eux-mêmes. Or, au-delà du problème
de la relecture pontificale de l’Aquinate, trop se focaliser sur la Somme théo-
logique ne permet pas de comprendre ce que la doctrine ecclésiale de l’État
emprunte très directement à Augustin, en tout cas à une fibre qui n’est pas le
thomisme officiellement affiché. Nous voulons ici mettre au jour cette
dimension augustinienne du principe de subsidiarité en tension avec le tho-
misme foncier dans lequel il a originellement prétendu se définir. En retour,
le concept de subsidiarité permet de dédramatiser la césure entre les deux
grands penseurs du corpus catholique : saint Augustin est moins augustinien
qu’il n’y paraît, pourrait-on dire, saint Thomas moins thomiste1. Faut-il le
rappeler, le thomisme n’a jamais été un rejet de l’augustinisme ; il a simple-
ment voulu procéder à un mariage entre christianisme et aristotélisme ; d’où
une tension de laquelle des aspérités fortement augustiniennes ont pu res-
sortir, tendant parfois à effacer le compromis initial. Le propre révolution-
naire de l’Aquinate fut de poser cet axiome somme toute assez rudimentaire :
pour qu’il y ait la grâce, il faut d’abord qu’il y ait la nature, non plus la nature
aristotélicienne du cosmos païen mais la nature chrétienne de l’ordre divin
(seule voie d’accès à la connaissance de Dieu). Là où Augustin disait peu ou
prou l’inverse  : l’humilité évangélique comme riposte à la magnanimité
païenne (romaine — et non grecque — en l’occurrence)2. Pour le reste, saint
Thomas reconduit l’essentiel de la théologie augustinienne en déplaçant déci-
sivement le curseur théorique, en reformulant la notion de grâce et en chan-
geant le vocabulaire. Par sa réconciliation du christianisme primitif avec la
nature, il ajoute sa pierre, il ne détruit pas l’édifice initial : la grâce n’abolit pas
la nature, disait-il (gratia non tollit naturam) ; elle la parfait3.

symptomatique de la seconde option, cf. l’ouvrage précité du sociologue autogestionnaire René


Lourau, qui s’attache à opposer conception thomiste de la grâce suffisante et conception augusti-
nienne (ici janséniste) de la grâce divine pour démontrer qu’en définitive la subsidiarité — issue,
selon lui, du thomisme — s’inscrit dans une malencontreuse et condamnable « logique étatiste »
(R. LOURAU, Le Principe de subsidiarité contre l’Europe, op. cit., p. 103-134).
1. Précisons encore que nous reviendrons plus bas sur saint Paul et sur la question de l’augusti-
nisme politique. Cette perspective d’interprétation nous a été inspirée par la lecture de l’ouvrage
classique de Heinrich Rommen : H. A. ROMMEN, The State of Catholic Thought, op. cit. Men-
tionnons, ici, deux commentaires qui ont contribué à nous mettre sur la voie  : L.  STRAUSS,
« Seize jugements critiques » [1939-1951], Qu’est-ce que la philosophie politique ? [1959], trad. fr.
O.  Sedeyn, Paris, PUF, 1992, p.  267-270 ; et W.  P. HAGGERTY, «  Heinrich Rommen on
Aquinas and Augustine », Laval théologique et philosophique, 1998, 54 (1), p. 163-174.
2. Cf. la relecture par Pierre Manent du dialogue entre Aristote et saint Thomas, qui réunit
l’Aquinate et saint Augustin autour d’une même anthropologie de l’humilité chrétienne : « En
vérité, l’humilité chrétienne coupe, si je puis dire, à angle droit la magnanimité antique,
puisqu’elle consiste à reconnaître l’essentielle dépendance humaine  : chacun doit savoir avec
netteté et sentir avec intensité qu’il a reçu et continue de recevoir sa vie et son être d’un autre que
lui.  » (P.  MANENT, La Cité de l’homme [1994], Paris, Flammarion, 1997, p.  286). Cf., par
exemple, THOMAS d’AQUIN, Somme théologique, op. cit, III, p. 911-912 (IIa IIae, q. 161, a. 1).
3. THOMAS d’AQUIN, Somme théologique, op. cit., I, p. 161 (Ia, q. 1, art. 8 ad 2). Pour une
application de cet axiome à la distinction entre fidèles et infidèles, cf. ibid., III, p. 84-85 (IIa IIae,
q. 10, a. 10) ; et aux gouvernants apostats, cf. ibid., III, p. 94-95 (IIa IIae, q. 12, a. 2 c).
156 La subsidiarité catholique...

Saint Augustin tout d’abord. Selon l’évêque d’Hippone, la Faute a rendu


inaccessible aux hommes tout idéal adamique d’autonomie parfaite. Avec le
Péché, explique-t-il, ils ont irrémissiblement perdu leur état d’innocence
(status innocentiae) et cette perte est définitive car le Péché originel est héré-
ditaire1. En affirmant contre Pélage ce principe d’une transmission de la
Faute, Augustin veut signifier l’incapacité de la nature humaine à parvenir au
salut sans le secours de la grâce. Il montre aussi que le politique est devenu
inatteignable à l’homme, et qu’à défaut de le comprendre il se condamnera à
la vanité pélagienne ou à l’orgueil prométhéen. Irréductiblement viciée, toute
société humaine, même la meilleure, ne pourra jamais plus être sauvée ici-bas.
La cité terrestre serait-elle alors l’incarnation de la cité du Diable ? En
aucun cas. Le croire reviendrait à oublier qu’Augustin combattit le mani-
chéisme tout autant que le pélagianisme. Contre Mani, en effet, la théologie
du Docteur africain ne se laisse enfermer dans aucun dualisme2, elle fonc-
tionne selon un schéma ternaire : la cité de Dieu, la cité du Diable, la cité des
hommes3. Ni sainte ni diabolique, la cité des hommes figure et représente
tout simplement la société terrestre, le social tel qu’il se déploie dans l’his-
toire. Intercalé entre les deux principes du Bien et du Mal, ce social-historique
est travaillé par la coprésence des deux principes augustiniens (les deux
cités)4 ; il n’est la réalisation ni de l’un ni de l’autre. Il n’est pas la réalisation de
la cité de Dieu parce que l’accomplissement de cette dernière est reporté à la
fin des temps. Il n’est pas la réalisation de la cité du Diable parce que le Mal
n’est pas une valeur substantielle mais une négation du Bien. Chez Augustin,
l’histoire ne saurait d’ailleurs être laissée au hasard, elle trouve sa vérité dans
l’évidence d’une fin fixée par avance  : la victoire définitive de la cité divine
(décrite au dernier livre)5.

1. D’où les explications augustiniennes sur l’esclavage humain, cf. AUGUSTIN, La Cité de
Dieu, op. cit., III, p.  125-127 (liv.  XIX, ch.  15). Plus généralement, cf. ibid., II, p.  105-141
(liv. XIII) ; II, p. 145-192 (liv. XIV). Mentionnons ici le mot sévère de Job : « C’est Lui [Dieu]
qui fait régner l’homme hypocrite à cause des péchés du peuple. » (Livre de Job, XXXIV, 30).
À travers sa critique du pélagianisme, saint Augustin s’attache à pointer le risque prométhéen de
l’orgueil humain. Les élus de Dieu, les citoyens de la cité de Dieu n’ont pas conscience de leur
élection, en ce que la prédestination divine échappe à la connaissance des hommes. L’élection
divine est le fait de la grâce, en aucun cas celui des mérites humains. « Chacun reconnaît, écrit-il,
que c’est par une bonté toute gratuite, non par ses mérites, qu’il est arraché au mal, quand il se
voit dégagé de la société de ces hommes dont il aurait dû partager le juste châtiment.  »
(AUGUSTIN, La Cité de Dieu, op. cit., II, p. 189-190 ; liv. XIV, ch. 26).
2. Sur le fondement du fameux extrait déjà cité (Ibid., II, p. 191 ; liv. XIV, ch. 28).
3. Sur ce point, outre les travaux de Robert A. Markus (R. A. MARKUS, Saeculum. History and
Society in the Theology of St. Augustine [1970], Cambridge, Cambridge University Press, 2007),
on pourra se reporter aux analyses de l’historien Henri-Irénée Marrou (H.-I. MARROU,
«  Civitas Dei, civitas terrena  : num tertium quid ?  », Studia patristica, éd. K.  ALAND,
F. L. CROSS, Berlin, Akademie Verlag, 1957, II, p. 342-351 ; Saint Augustin et l’augustinisme,
Paris, Le Seuil, 1956) et à un article synthétique de Charles Journet (C. JOURNET, « Les trois
cités : celle de Dieu, celle de l’homme, celle du diable », Nova et Vetera, 1958, 33, p. 25-48).
4. Ils ne seront distingués qu’au jour du Jugement dernier (Ibid., III, p. 149-221 ; liv. XX). « Car
les deux cités s’enlacent et se confondent dans le siècle jusqu’à ce que le dernier jugement les
sépare.  » (Ibid., I, p.  75 ; liv.  I, ch.  35). Cf. aussi ibid., II, p.  145-192, p.  195-247, p.  252-314,
p. 318-368 (liv. XV-XVII) ; III, p. 12-89 (liv. XVIII).
5. Ibid., III, p. 283-357 (liv. XXII).
Subsidiarité et ordre économique. La compromission pontificale 157

À l’aune de cet horizon eschatologique, le fameux chapitre XIX sur les


« rapports mutuels des deux cités » trouve véritablement à s’éclairer1. Tout le
propos politique de l’évêque d’Hippone s’insère en effet dans ce moment
précis — transitoire — situé entre la Chute et le Jugement dernier. Dès lors,
l’unique question temporelle qui vaille se réduit à la seule gestion du transi-
toire, du temporaire : ce temporel en attente de l’essentiel2. Question unique
mais question tragique, dans la mesure où les élus de Dieu (les futurs citoyens
du Ciel) sont fatalement conduits à vivre avec les réprouvés — perplexae, per-
mixtae — dans la même cité. De là le tribunal de l’eschatologie qui rétablit
l’asymétrie nécessaire entre le spirituel de l’Église et le social de l’État.
L’Église et l’État  : deux corps mélangés contenant à la fois des élus et des
réprouvés, mais l’un est sanctifié, l’autre ne l’est pas, l’un préfigure la com-
munauté éternelle des rachetés, l’autre reste condamné à l’ici-bas3. Augustin
livre ici la formulation la plus aboutie du régime d’attente propre au christia-
nisme : celui d’un horizon parousiaque déjà déterminé. Mais l’avènement de
la cité de Dieu se faisant attendre, il revient à l’Église de prendre institution-
nellement en charge cette pérégrination indéfiniment prolongée ; il revient à
la médiation ecclésiale d’assurer le scellement de ce compromis dilatoire.
Aussi l’Église est-elle eschatologiquement la cité de Dieu en un sens
où aucun État ne pourra jamais être la cité des hommes4. Des institutions ter-
restres pourront bien exister, une seule, cependant, méritera la véritable
dignité d’Institution.

Saint Thomas ensuite. Son dialogue avec l’évêque d’Hippone tient en deux
mots : la nature d’une part, la Providence de l’autre. À trop insister sur la pre-
mière dimension, on oublie qu’elle prend place à l’intérieur de la seconde. En

1. Ibid., III, p. 91-146 (liv. XIX).


2. La scolastique aristotélicienne retravaillera cette conception augustinienne du temps en for-
malisant la notion d’aevum. Non plus un régime d’historicité fondé sur une partition duale entre
éternité du Créateur et temps transitoire de l’homme, mais un monde terrestre infiniment
durable. Catégorie intermédiaire de la temporalité qui, chez Thomas, restait réservée aux anges.
3. L’eschatologie augustinienne repose sur un dilemme fondamentalement asymétrique, qui
s’origine non dans la Création mais dans le Péché (car le mal n’est qu’une négation humaine du
bien créé par Dieu). Contre Mani, Augustin refuse le dualisme égalitaire entre le bien et le mal.
La sagesse du plan divin et la bonté de la volonté de l’Au-delà n’ont pu créer le mal. Sur la thèse
de la non-substantialité du mal (héritée de Platon et du courant néoplatonicien), cf. les analyses
du Père Garrigues (J.-M. GARRIGUES, Dieu sans idée du mal, Limoges, Critérion, 1982). Sur
le rapport asymétrique entre les deux cités, cf. R.  KOSELLECK, «  La sémantique historico-
politique des concepts antonymes asymétriques » [1975], Le Futur passé, op. cit., p. 210.
4. Il existe en effet, dit Augustin, une continuité substantielle entre «  l’Église telle qu’elle est
aujourd’hui  » et «  l’Église telle qu’elle sera quand les méchants n’y seront plus  ». Continuité
qui creuse une césure béante entre l’État et l’Église, malgré l’attribution trompeuse, à l’un et à
l’autre, du même titre de cité (AUGUSTIN, La Cité de Dieu, op. cit., III, p. 170 ; liv. XX, ch. 9) :
« Ainsi, le royaume qui réunit ces deux hommes, c’est l’Église telle qu’elle est aujourd’hui ; et le
royaume qui n’admet que l’un deux, c’est l’Église telle qu’elle sera quand les méchants n’y seront
plus. L’Église est donc, même à cette heure, et le royaume du Christ et le royaume des Cieux. »
Nous soulignons. Sur l’Église comme royaume de Dieu commencé, à l’état pérégrinal, mais qui
ne saurait se confondre avec le royaume de Dieu dans son état de réalisation définitive,
cf. C. JOURNET, « Les destinées du Royaume de Dieu », Nova et Vetera, 1935, 1, p. 68-111 ;
« Le Royaume de Dieu sur terre », ibid., 1935, 2, p. 198-231.
158 La subsidiarité catholique...

les croisant, on aboutit à un schéma qui complète mais ne contredit pas


Augustin. C’est par abus de langage, il faut en convenir pour commencer,
que nous semblons attribuer à saint Thomas la doctrine de la Providence1. Le
Docteur angélique s’est contenté de la systématiser avant qu’elle ne soit
érigée en dogme par le Concile de Trente ; mais elle reste une clef d’entrée
irremplaçable à la fois dans la pensée thomiste et dans l’anthropologie catho-
lique. Fort simple (la création par retrait), son contenu n’en déploie pas moins
des conséquences radicales, qui font le propre même de la conception chré-
tienne de la liberté : Dieu a crée l’homme comme la mer a fait apparaître la
terre, en se retirant. Mais il existe une différence essentielle : en raison même
de l’unicité de la Révélation, Dieu s’est retiré de manière définitive. Aussi la
liberté de l’homme sera-t-elle proportionnelle à cette grandeur magnanime
du Créateur (la parfaite prévoyance de la Providence). Le Dieu chrétien est
un Dieu qui a tout dit une fois pour toutes et, parce qu’il a définitivement
tout dit, laisse sa liberté à l’homme et le met devant ses responsabilités2. Le
libre arbitre, enseigne la théologie classique, n’est-il pas nécessaire à la doc-
trine du Péché originel ? Autre manière de dire que le Mal est d’origine
humaine, qu’il n’a pas été voulu par Dieu mais que Dieu a permis son
existence car si l’homme n’avait pas été libre, jamais il n’aurait pu faire le
Mal3. Aussi, en raison même de sa liberté, deviendra-t-il ce coupable en proie
au rachat, via le Christ sauveur envoyé par le Père.
Faudrait-il alors considérer que la subsidiarité révèle la nature du rapport
de Dieu à ses créatures4 ? Faudrait-il parler d’un Dieu subsidiaire qui laisse
l’homme à sa liberté ? Pour des motifs qui devront s’éclairer davantage dans
la suite du développement, nous n’adhérons pas à ce vocabulaire. L’interven-
tion de Dieu, en tant qu’intervention unique, définitive et condition de toutes
choses, ne saurait être qualifiée de subsidiaire qu’en référence à un temps
normal qui est postérieur à la Création. Ou bien alors, par subsidiarité, veut-
on désigner l’instance première ? Le problème réside in fine dans l’analogie
qui suit : il existerait, analogiquement à Dieu, un État subsidiaire. Nous adhé-
rons encore moins à ce raisonnement ; car faire parler ainsi l’anthropologie
chrétienne, c’est oublier un élément essentiel, le plus éminent, du dispositif
catholique : l’Église. Si l’État mérite son épithète subsidiaire, du point de vue
de l’Église, ce n’est pas tant en référence à un Dieu subsidiaire (ou bien l’État

1. Pensons à ses linéaments aisément repérables dans le message biblique lui-même : l’histoire
des patriarches Abraham (Livre de la Genèse, XXII) et Joseph (Genèse, XXXVI-L), l’histoire de
la sortie d’Égypte (Livre de l’Exode, XII-XIII) ou encore l’histoire de Job (Livre de Job).
2. Dieu chrétien, ou plus exactement (à la suite de la note précédente), Dieu judéo-chrétien. Le
Dieu vétéro-testamentaire du Décalogue interdit (« Tu ne tueras point ! ») mais ne prescrit rien.
3. Citons Thomas : « Dieu [...] ne veut ni que les choses mauvaises soient faites ni qu’elles ne
soient pas faites, mais il veut permettre qu’elles soient faites. » (THOMAS d’AQUIN, Somme
théologique, op. cit., I, p. 305 (Ia, q. 19, a. 9 ad 3). Dans le même sens, cf. THOMAS d’AQUIN,
Somme contre les Gentils, op. cit., III, p. 250-254, p. 257-259 (liv. III, ch. 71, ch. 73).
4. Cf. R. BRAGUE, « L’impuissance du Verbe. Le Dieu qui a tout dit » [1995], Du Dieu des
chrétiens, op. cit., p.  180  sq. Commentaire de JEAN de LA CROIX, «  La montée du mont
Carmel » [1542-1591], Œuvres complètes, trad. fr. C. de la Nativité de la Vierge, éd. L.-M. de
Saint-Joseph, Paris, Desclée de Brouwer, 2007, I, p. 208-216 ; liv. II, ch. 22).
Subsidiarité et ordre économique. La compromission pontificale 159

serait, comme Dieu, supposé autosuffisant) qu’en référence au rapport entre


les deux ordres. Point de Dieu subsidiaire, donc, s’il faut entendre par là État
analogiquement subsidiaire.
Cette conception chrétienne de la liberté repose in fine sur une distinction
entre deux moments irréductibles l’un à l’autre, mais faisant dialectiquement
système : l’ordination divine, la mise en œuvre humaine.
« La providence comprend deux moments : le plan de l’ordination des choses à
leur fin, et la mise en œuvre de ce plan, qu’on appelle le gouvernement. Pour ce
qui est du premier, Dieu par sa providence, s’occupe de toutes les choses, car il a
dans son intelligence la représentation de toutes les choses, même les plus petites,
et quelques causes qu’il ait attribuées aux divers effets, c’est lui qui leur a donné
la vertu de les produire. Aussi faut-il qu’il ait d’abord dans son intelligence, le
rapport de ces effets à leur cause. C’est au second moment que la providence
divine use d’intermédiaires, car Dieu gouverne les inférieurs par l’entremise
des supérieurs, non que sa providence soit en défaut, mais par surabondance de
bonté, afin de communiquer aux créatures elles-mêmes la dignité de cause. [...]
De ce que la providence divine s’occupe immédiatement de toutes les choses, il
ne résulte nullement que soient exclues les causes secondes, par l’intermédiaire
desquelles le plan divin est mis en œuvre [...]1. »
Il existe deux sortes d’ordination, nous dit saint Thomas  : ordination
médiate de la cause première et ordination immédiate de la cause seconde. Ne
pas se méprendre, ici, sur la notion de mise en œuvre suppose peut-être de la
relire l’aune de ce que nous savons déjà de la théologie thomiste. Toute la
difficulté, en l’espèce, consiste à penser une fin comme fin ordonnée à une
autre fin sans pour autant être un simple moyen de cette fin. Les scolastiques
parlent précisément de fin intermédiaire ou de fin infravalente2 : une fin qui
participe de la fin ultime et absolue (ce à quoi toute chose est ordonnée sans
subordination à une autre fin) mais qui n’est pas un pur moyen (elle n’est un
moyen que par rapport à la fin ultime)3. Cette hiérarchie entre fin intermé-
diaire et fin ultime rappelle ici le caractère nécessaire mais non suffisant de la
médiation du corps politique. La société politique est subordonnée aux fins
supratemporelles de la personne non pas directement et immédiatement, à la
manière d’un pur moyen, mais indirectement et médiatement, à la manière
d’une fin infravalente, ultime dans son ordre, subordonnée à une fin supra-
valente, d’un autre ordre, et transcendant le corps politique. C’est en cela
que, chez Thomas, l’État est une fin intermédiaire et une cause seconde. C’est
en cela aussi que la raison humaine ne constitue qu’une partie de la raison

1. THOMAS d’AQUIN, Somme théologique, op. cit., I, p. 322-323 (Ia, q. 22, a. 3). « L’ordre des
choses se présente sous deux aspects. D’une part, tel être créé est ordonné à tel autre, comme
les parties au tout, les accidents à la substance et chaque chose à sa fin. D’autre part, toutes
les choses créées sont ordonnées à Dieu. » (Ibid., I, p. 314 ; Ia, q. 21, a. 1 ad 3). « L’opération pro-
videntielle par laquelle Dieu opère dans les choses n’exclut pas les causes secondes, mais est
accomplie à travers elle. » (THOMAS d’AQUIN, Somme contre les Gentils, op. cit., III, p. 255
(liv. III, ch. 72, 2). Cf. aussi ibid., III, p. 390 sq. (liv. III, ch. 111 sq.).
2. La distinction thomiste entre cause première et cause seconde doit se comprendre comme un
corollaire de la distinction scolastique entre la fin intermédiaire — infravalente — et le moyen.
3. Ce thème sera repris par les néothomistes dont Maritain. Le bien temporel de la cité, écrit-il,
est « une fin intermédiaire et infravalente », une fin ultime secundum quid par rapport à la per-
sonne (J. MARITAIN, Humanisme intégral, Œuvres complètes, op. cit., VI, p. 444, n. 3).
160 La subsidiarité catholique...

divine, tout comme la liberté humaine ne constitue qu’une partie de la Provi-


dence bienveillante de Dieu1.

Saint Thomas désamorce la hiérarchie issue de l’augustinisme et en pro-


pose une nouvelle fondée sur une distinction des ordres2. Dans son ordre, le
pouvoir terrestre se voit reconnaître un rôle positif mais seulement une fois
intégrée sa subsidiarité foncière par rapport à Dieu et au pouvoir spirituel.
Voici un trait pérenne du christianisme  : la distinction des deux cités, des
deux ordres, est ce qui permet in fine de rappeler leur inégalité foncière. Per-
manence de la doctrine mais contexte nouveau  : la mutation conceptuelle
opérée par l’Aquinate intervient dans un moment de rupture avec l’âge
augustinien. À mesure que le pouvoir directif cesse d’être l’apanage de la
seule Église, une place positive se libère peu à peu pour l’État3  : non plus
riposte divine à l’orgueil adamique mais réalisation naturelle. L’État n’a
pas uniquement à contraindre, il a aussi à diriger4. Rien de modifié dans la
matrice cependant  : si l’État compte assurément, il reste condamné, bon
enfant reconnaissant, à s’insérer dans l’économie divine du Salut ; si l’auto-
nomie de la société temporelle se trouve rassérénée, elle ne vaut que dans un
ordre inférieur5. Aucune contradiction donc, mais un simple rééquilibrage
entre deux impératifs chrétiens : d’un côté, primauté du spirituel et de l’Insti-
tution qui en a la charge ; de l’autre, autorité autonome du temporel — qui
doit être en mesure d’imposer sa loi. Dignité autonome sans dignitas institu-
tionnelle, pourrions-nous dire, car il n’existe qu’une seule et unique Institu-
tion. Thomas fait en quelque sorte passer l’instance étatique de la négativité à
la positivité, mais d’une négativité absolue à une positivité toute relative.
Comme en témoigne sa conception du droit : la loi positive thomiste a uni-
quement pour fonction de se placer au service du droit naturel ; elle n’en est
que le prolongement et la traduction. Ne pouvant se réclamer d’aucun
principe propre, elle se contente de définir les modalités d’application de la
loi de nature : « toute loi portée par les hommes n’a raison de loi que dans

1. Jean-Paul II parlera de théonomie participée (JEAN-PAUL II, Lettre encyclique Veritatis


splendor, 6 août 1993, Acta Apostolicae Sedis, 1993, LXXXV, p. 1159-1223 ; in P. TÉQUI, p. 549-
647, ici p. 583 ; H. DENZINGER, 4950-4973, p. 1021-1024). La liberté du christianisme ne sera
jamais celle du libéralisme : la seconde est absence de contraintes, la première orientation vers le
Bien (LÉON XIII, Libertas ; in H. DENZINGER, 3254, p. 714-716).
2. «  De même qu’il appartient aux princes séculiers de traduire en préceptes légaux déter-
minatifs du droit naturel ce qui concerne l’utilité commune en fait de réalités temporelles, de
même il appartient aux prélats de l’Église de prescrire par leurs décisions ce qui relève de l’utilité
commune des fidèles en matière de biens spirituels. » (Ibid., III, p. 835 ; IIa IIae, q. 147, a. 3).
3. Citons encore le commentaire de Ernst Cassirer : « En dépit de la chute, l’homme n’avait pas
perdu la faculté de pouvoir utiliser ses forces dans le droit chemin et de préparer ainsi son salut.
Il ne jouait pas un rôle passif dans le grand drame religieux ; sa contribution active était requise et
indispensable. La vie politique acquerra une dignité nouvelle grâce à cette conception. L’État
terrestre et la Cité de Dieu cesseront d’être des pôles opposés, ils se relieront l’un à l’autre et se
complèteront réciproquement. » (E. CASSIRER, Le Mythe de l’État, op. cit., p. 163).
4. THOMAS d’AQUIN, Somme théologique, op. cit., II, p. 575-576 (Ia IIae, q. 91, a. 3)
5. Cf. encore A. BOUREAU, La Religion de l’État, op. cit.
Subsidiarité et ordre économique. La compromission pontificale 161

la mesure où elle dérive de la loi de nature »1. Voilà une parole qui reprend
Augustin mot pour mot : une cité n’est cité que si elle s’ordonne à la justice
divine.

Tout se passe en définitive comme si la subsidiarité catholique était


aimantée par une polarité matricielle entre thomisme et augustinisme. Le
statut subsidiaire de la politique, telle que l’entend la mentalité chrétienne,
trouve son fondement autant dans la théologie augustinienne (subordination
de l’ordre naturel à l’ordre surnaturel) que dans la pensée thomiste (attribu-
tion d’une dignité intrinsèque à la politique temporelle). À mi chemin entre la
grâce d’Augustin et la nature de Thomas, la subsidiarité réinscrit la liberté
humaine dans le finalisme de l’eschatologie chrétienne ; elle rappelle la néces-
sité logique du lien qui unit la Créature à son Créateur.

1. THOMAS d’AQUIN, Somme théologique, op. cit., II, p.  599 (Ia IIæ, q.  95, a.  2). Mais, en
retour, écrit saint Thomas, pour que le droit naturel ne soit pas oublié, il faut en permanence le
rappel à l’ordre du droit positif. Les lois positives n’obligent que dans la mesure où elles sont
justes, que dans la mesure, donc, où elles satisfont à leur propre définition. Une loi est loi si elle
s’ordonne au bien commun défini en Dieu. Une cité n’est cité que si elle s’ordonne à la justice
divine. Tout comme la grâce n’abolit pas la nature, le droit divin n’abolit pas le droit humain, il le
permet. La définition de la loi par saint Thomas fait explicitement référence à saint Augustin
(Ibid., II, p.  606 ; Ia IIæ, q.  96, a.  4). Précisons encore que 1o le schéma juridique thomiste est
moins binaire que ternaire — loi divine, loi naturelle et loi positive : le droit positif est contenu
dans le droit naturel, lui-même ordonné à la loi éternelle (divine) ; 2o Thomas considère moins le
rapport entre loi divine et loi humaine que celui entre loi naturelle et loi positive.
Chapitre 2
Subsidiarité et autorité spirituelle.
La condamnation pontificale

« La responsabilité de l’éducation concerne [...], à un


titre tout particulier, l’Église : non seulement parce que,
en tant que société humaine, déjà, elle doit être reconnue
comme compétente pour donner une éducation, mais sur-
tout parce qu’elle a pour fonction d’annoncer aux
hommes la voie du salut, de communiquer aux croyants
la vie du Christ et de les aider par une sollicitude de tous
les instants à atteindre le plein épanouissement de cette
vie. À ces enfants, l’Église est donc tenue, comme Mère,
d’assurer l’éducation qui imprègnera toute leur vie de
l’esprit du Christ ; en même temps, elle offre son aide à
tous les peuples pour promouvoir la perfection complète
de la personne humaine, ainsi que pour le bien de la
société terrestre et pour la construction du monde qui
doit recevoir une figure plus humaine1. »
« Les parents sont les premiers et les principaux édu-
cateurs de leurs enfants et ils ont aussi une compétence
fondamentale dans ce domaine : ils sont éducateurs parce
que parents. Ils partagent leur mission éducative avec
d’autres personnes et d’autres institutions, comme l’Église
et l’État ; toutefois, cela doit toujours se faire suivant une

1. VATICAN II, Déclaration De Educatione Christiana (Gravissimum educationis), 28 octobre


1965, Sacrosanctum Œcumenicum Concilium Vaticanum II, 1966, p. 385-418 (in A. F. UTZ, II,
p. 1417-1439, ici p. 1425). Ou encore, toujours pour Vatican II : « De par la volonté du Christ en
effet, elle est maîtresse de vérité. Sa fonction est d’exprimer et d’enseigner authentiquement la
vérité qui est le Christ, en même temps que de déclarer et de confirmer, en vertu de son autorité,
les principes de l’ordre moral découlant de la nature même de l’homme. » (VATICAN II, Décla-
ration sur la liberté religieuse Dignitatis humanae, 7  décembre 1965, Acta Apostolicae Sedis,
1966, LVIII, p. 930-936, Sacrosanctum Œcumenicum Concilianum Vaticanum II, 1966, p. 513-
524 (in H. DENZINGER, 4240-4245, p. 909-911).
164 La subsidiarité catholique...

juste application du principe de subsidiarité. En vertu de


ce principe, il est légitime, et c’est même un devoir, d’ap-
porter une aide aux parents, en respectant toutefois la
limite intrinsèque et infranchissable tracée par la préva-
lence de leur droit et leurs possibilités concrètes. Le
principe de subsidiarité vient donc en aide à l’amour des
parents en concourant au bien du noyau familial. En
effet, les parents ne sont pas en mesure de répondre seuls
à toutes les exigences du processus éducatif dans son
ensemble, particulièrement en ce qui concerne l’instruc-
tion et le vaste secteur de la socialisation. La subsidiarité
complète ainsi l’amour paternel et maternel et elle en
confirme le caractère fondamental, du fait que toutes les
autres personnes qui prennent part au processus éducatif
ne peuvent agir qu’au nom des parents, avec leur
consentement et même, dans une certaine mesure, parce
qu’ils en ont été chargés par eux1. »

I. L’ÉTAT ÉDUCATEUR,
PRÉFIGURATION DE L’ÉTAT TOTALITAIRE ?

L’ambition, à présent, est de mener une réflexion sur la mission éducative de


l’Église. Moyen latéral, en quelque sorte, de pénétrer plus avant dans les mys-
tères du conflit théologico-politique : légitimité spirituelle de l’Église contre
souveraineté temporelle de l’État, et/ou inversement. Car, précisément, ce
rôle éducatif que l’institution ecclésiale revendique et s’auto-attribue au nom
d’impératifs spirituels ne manque pas de la faire descendre de ses hauteurs
divines et de provoquer un atterrissage pour le moins difficile en des contrées
bien prosaïques. Comment définir l’éducation du point de vue de l’Église ?
Quelle place accorder à cet enjeu dans le contexte spécifique de l’entre-deux-
guerres ? À ces deux questions, la subsidiarité peut aider à répondre2. Aussi,
en retour, l’éducation apparaît-elle à la fois comme le terrain d’expression
privilégié de la doctrine pontificale du pouvoir indirect de l’Église, comme
l’enjeu fondamental qui traverse de part en part l’ensemble du magistère
catholique, comme l’ultime révélateur de la conception catholique de l’État 3.

1. JEAN-PAUL II, Lettre aux familles, Paris, Le Cerf, 1994, 16, p. 63-64. Dans le même sens,
cf. le Code de droit canonique promulgué en 1983 (JEAN-PAUL II, dir., Code de droit cano-
nique [1983], éd. lat. et fr., Paris, Centurion, Le Cerf, Tardy, 1985, p. 144 sq. ; can. 793 sq.).
2. Rien d’anodin, en effet, à ce que ses linéaments apparaissent sous la plume de Mgr von Ket-
teler dans des pages spécialement consacrées à l’École. Les pouvoirs civil et ecclésiastique ont
beau disposer de la suprématie chacun dans son ordre, l’éducation n’en pose pas moins des pro-
blèmes particuliers. Ce sont d’abord les parents et les familles, répète-t-on côté catholique, qui
ont en charge l’éducation et l’instruction de leurs enfants, l’État n’assurant pour sa part qu’un
rôle subsidiaire de « grand coordonnateur » et de « haute surveillance » (W. E. von KETTELER,
« Die Katholiken und das neue deutsche Reich », Wilhelm Emmanuel von Kettelers Schriften,
op. cit., p.  162). «  Il souhaitait, puisque le peuple gouvernait dans les temps modernes, qu’on
l’élevât pour régner, comme naguère on élevait les fils des rois. » (J. LIONNET, « Un évêque
social » : Ketteler, Paris, Béduchaud, 1903, p. 25-26).
3. Via son souci d’ôter toute dimension spirituelle à l’ordre étatique. Par théorie du pouvoir
Subsidiarité et autorité spirituelle. La condamnation pontificale 165

1. LES PRÉTENTIONS ÉDUCATIVES DE L’ÉGLISE

Une fois de plus, le contexte historique nous a mis sur la voie : celle de l’Italie
fasciste. Comme on pouvait s’y attendre, le Concordat de 1929 signé entre le
Pape et Mussolini n’avait pas éteint la concurrence des ambitions sur ce « ter-
rain essentiel de la vie de l’Église » : l’éducation de la jeunesse1. Qu’il suffise
ici de penser à une lettre encyclique du 31 décembre de la même année, Divini
illius Magistri2, dans laquelle deux exigences étaient fermement rappelées par
Pie XI  : le rôle de l’Église consiste à préparer l’âme de chacun au salut de
tous ; l’éducation se situe donc au principe même de son monopole séculaire.
L’objet immédiat de sa prise de parole : dénoncer la mythologie gentilienne
de l’État éducateur. En bon philosophe hégélien devenu ministre de l’Ins-
truction publique3, Giovanni Gentile considérait en effet que la formation
spirituelle de la jeunesse devait en propre revenir à l’État dont la vocation
naturelle était précisément d’endosser la responsabilité morale de l’éducation.
Rien de plus opposé à la doctrine catholique. Depuis 1923, le Pape n’avait eu
de cesse de condamner cette dangereuse usurpation, mais une fois signés les
Accords du Latran, sa riposte redoublera d’intensité. L’idéal de l’État éthique,
martèle-t-il, n’a d’autre but que de saper les fondements de la légitimité
divine de l’Église via une détestable prétention du pouvoir profane à se hisser
sur un terrain spirituel4. Et de refuser qu’on considère la foi catholique sous
le seul angle de l’enseignement religieux, comme si elle pouvait être une
simple discipline scolaire, sorte de philosophia minor propédeutique à la véri-
table activité philosophique5.

indirect de l’Église, il faut entendre pouvoir directif des consciences (morale, éducation) qui
réserve à la compétence ecclésiale une liste nombreuse de domaines potentiels d’intervention.
1. Fait très révélateur, mais non surprenant, c’est en grande partie sur la question de l’éduction
que se cristallisera la condamnation pontificale du phénomène totalitaire dans Divini redemp-
toris et Mit brennender Sorge. « On retire aux parents le droit de l’éducation que l’on considère
comme un droit exclusif de la communauté ; c’est seulement au nom de la communauté et
par délégation que les parents peuvent encore l’exercer.  » (PIE XI, Divini redemptoris ; in
A. F. UTZ, I, p. 229). « Aujourd’hui encore, la lutte ouverte contre l’école confessionnelle, pro-
tégée pourtant par le Concordat, ou la suppression du libre suffrage à ceux des catholiques qui
ont le droit de veiller à l’éducation de la jeunesse, manifestent sur un terrain essentiel de la vie de
l’Église la gravité impressionnante de la situation et l’angoisse sans exemple des consciences
chrétiennes. » (PIE XI, Mit brennender Sorge ; in A. F. UTZ, I, p. 291). Nous soulignons.
2. Texte entièrement consacré à la question de l’éducation, qui reprend l’appel au renouveau
chrétien lancé dès le début du pontificat rattien, en 1922, et que Quadragesimo anno déclinera
moins d’un an et demi plus tard en l’appliquant à la question spécifique de la corporation. « Ce
renouveau, écrit le Pape Ratti pour appeler au renouveau chrétien, c’est principalement dans la
formation de la jeunesse chrétienne que Nous voulons le voir s’opérer [...] ; évitons que cette
jeunesse, ballottée dans ce bouleversement social et cette perturbation de toutes les idées, “se
laisse emporter [...] à tout vent de la doctrine, à la merci de la malice des hommes et des astuces
enveloppantes de l’erreur”. » (PIE XI, Ubi arcano Dei ; in A. F. UTZ, IV, p. 2771).
3. Qui se méprenait encore, plus pour longtemps, sur le sens réel du projet fasciste.
4. PIE XI, Lettre encyclique Divini illius Magistri, 31  décembre 1929, Acta Apostolicae Sedis,
1930, XXII, p. 49-86 (in A. F. UTZ, II, p. 1357-1415). Notons que c’est par le biais de la réforme
scolaire et universitaire de 1923 que Giovanni Gentile se rapproche du fascisme. Il s’en écartera
très rapidement. Le point d’orgue de la rupture est concomitant à la réforme initiée en 1935 par
Cesare Maria De Vecchi Di Val Cismon (plus tard remplacé par Giuseppe Bottai).
5. « Il faut reconnaître [...] que les responsabilités, en matière d’éducation, incombent dans toute
166 La subsidiarité catholique...

Église éducatrice contre État éducateur, tel est donc le conflit à considérer.
Comment l’Église, cette mère si possessive, éternelle « maîtresse de vérité »,
pourrait-elle supporter la concurrence d’un père État éducateur ?
«  À qui doit appartenir l’éducation chrétienne, demande faussement Pie XI,
sinon à cette mère, à cette éducatrice, dépositaire de la divine Révélation et [...]
“gardienne éternelle du sang incorruptible”, à cette mère, à cette éducatrice de
toute vie et sainteté chrétiennes ? De cette mission l’Église s’est toujours fait un
droit et un devoir ; il ne pouvait en être autrement1. »
Le malentendu entre l’État moderne et l’Église catholique était fatal. Dans
son combat contre la prétention monopoliste de l’État éducateur, Pie XI ne
fait d’ailleurs que réentonner le discours de ses prédécesseurs du xixe siècle,
de Pie VI à Léon XIII, en passant bien sûr par le Pape du Syllabus2. D’un
côté, une Église qui, depuis son origine, s’est pensée comme le «  temple  »
même de l’éducation, comme l’indépassable « providence maternelle »3. De
l’autre, un État qui s’est progressivement saisi de l’enjeu éducatif comme
d’un levier légitime de son action politique. Un État libéral qui, dans le meil-
leur des cas, est prêt à tolérer la fonction pédagogique de l’Église à condition
toutefois qu’elle ne s’érige pas en tutrice du pouvoir temporel. L’Église, très
logiquement, refuse cette position seconde ; dans sa grande magnanimité, elle
peut reconnaître à l’État un rôle en matière éducative, mais, en aucune façon,
elle ne saurait accepter une inversion contre-nature de la relation qui la pose
comme première.

À la faveur d’une lecture attentive des textes pontificaux de Pie XI, la mise
en perspective de Divini illius Magistri permet de reconstituer plus précisé-
ment le schéma catholique de l’éducation. Il se résume, en définitive, de
manière très simple mais revêt une portée singulière en raison du contexte

leur plénitude à l’Église, non à l’État ; que l’État ne peut empêcher l’Église de remplir une pareille
mission, qu’il ne peut l’entraver d’aucune façon, ni non plus la réduire à l’enseignement exclusif
des vérités religieuses.  » (PIE XI, Lettre autographe au Cardinal Pietro Gasparri, Secrétaire
d’État, 30 mai 1929, Acta Apostolicae Sedis, 1929, XXI, p. 297-306 ; in A. F. UTZ, III, p. 2359).
Nous soulignons. À dire vrai, la réforme gentilienne avait été reçue de manière très contrastée
par les autorités vaticanes. D’un côté, elles se félicitaient de la place faite à l’enseignement de la
religion dans la pédagogie spiritualiste de Gentile. D’un autre côté, elles ne pouvaient se résigner
à adhérer au caractère instrumental donné au catéchisme : l’enseignement de la religion comme
nécessité de la formation philosophique de l’individu.
1. PIE XI, Allocution adressée aux élèves du collège de Mandragone sur l’Église et l’école, 14 mai
1929 (in A. F. UTZ, II, ici p. 1349). Pour la traduction française de l’époque (celle d’A. Utz est
sensiblement différente), cf. La Documentation catholique, 15-22 juin 1929, col. 1495-1499.
2. La volonté des tenants du libéralisme, écrit Pie IX en 1864, « est de soustraire complètement à
la salutaire doctrine et à l’influence de l’Église l’instruction et l’éducation de la jeunesse, afin de
souiller et de dépraver par les erreurs les plus pernicieuses et par toute sorte de vices, l’âme
tendre et influençable des jeunes gens » (PIE IX, Quanta cura ; in A. F. UTZ, I, p. 165). Citons
aussi cette lamentation de Léon XIII fulminée vingt-et-un ans plus tard : « L’Église, qui a reçu de
Jésus-Christ ordre et mission d’enseigner toutes les nations, se voit interdire toute ingérence
dans l’instruction publique. » (LÉON XIII, Immortale Dei, 34 ; in A. F. UTZ, III, p. 2041).
3. « L’Église et la famille constituent un temple unique de l’éducation chrétienne. » Ou encore :
«  l’admirable en même temps qu’incomparable providence maternelle de l’Église  » (PIE XI,
Divini illius Magistri ; in A.  F.  UTZ, II, p.  1399). Nous soulignons. «  Laissez venir à moi les
petits enfants » avait dit le Christ en s’adressant à Marc (Évangile selon saint Marc, X, 14).
Subsidiarité et autorité spirituelle. La condamnation pontificale 167

dans lequel le Pape Ratti prend la parole1. La chose est peu relevée, nous
insistons donc : Pie XI marque une rupture assez nette avec la plupart de ses
prédécesseurs. Il ne reprend pas la thèse classique qui réserve à la seule Église
le droit naturel d’enseigner, reconnaissant ainsi, plus directement que les
papes antérieurs, la légitimité de l’État à intervenir dans le domaine de l’édu-
cation. Si nous verrons en quoi cette reconnaissance de la légitimité éduca-
trice de l’État reste très circonscrite, subsidiarité oblige, la nouveauté mérite
d’emblée d’être soulignée et rejoint notre analyse de la compromission fas-
ciste du Pape (tout au moins, cette ouverture pontificale la rend possible)2.
Rappelant la répartition des tâches qui lui semble la plus naturelle, Pie XI
tente d’abord de contrer l’offensive fasciste d’embrigadement de la jeunesse.
« Puisqu’ils ont l’un et l’autre [l’État et l’Église] les mêmes sujets, et qu’il peut
arriver qu’une seule et même chose, sous des aspects différents, tombe sous la
compétence et le jugement de chacun d’eux, le Dieu très prévoyant dont ils
émanent doit avoir déterminé à chacun sa voie selon la rectitude de l’ordre3. »
D’une part, le droit surnaturel de l’Église ; d’autre part, le droit naturel de
la famille ; enfin, le droit naturel mais subsidiaire de l’État. Trois acteurs au
total : deux d’ordre naturel : la famille et l’État ; le troisième d’ordre surna-
turel  : l’Église. Deux sociétés parfaites  : l’Église et l’État ; et une société
imparfaite : la famille. Mais, au centre de l’édifice, encore et toujours, l’Église,
qui dispose de l’avantageuse situation d’être à la fois surnaturelle et parfaite.
D’où son emprise légitime sur les familles, et l’alliance historiquement nouée
avec elles4.
Le droit surnaturel de l’Église tout d’abord. L’Église qui agit dans le
domaine de l’éducation n’est pas une Église qui s’ingère ; c’est une Église qui
réalise tout simplement sa mission naturelle. L’encyclique Divini illius
Magistri rend raison de la sincérité ecclésiale : « On devra considérer l’exercice
de ce droit non comme une ingérence illégitime, mais comme un secours
précieux de la sollicitude maternelle de l’Église. » Car « il ne peut pas y avoir
d’éducation complète et parfaite en dehors de l’éducation chrétienne5  ». La
même année, le 14 mai 1929, dans son allocution, déjà citée, prononcée devant
les élèves du collège de Mandragone, le Pape déclare, non moins sincèrement :
l’éducation est l’« une des plus grandes missions que Dieu a confiées à l’Église
en lui donnant celle plus générale de sauver toutes les âmes  »6. L’Église est

1. Cf., notamment, le tableau dressé par Jean-Luc Pouthier (J.-L. POUTHIER, Les Catholiques
sociaux et les démocrates chrétiens français devant l’Italie fasciste (1922-1935), op. cit.).
2. « Et qu’on ne dise pas qu’il est impossible à l’État dans une nation de croyances diverses, de
pourvoir à l’instruction publique autrement que par l’école neutre ou par l’école mixte, puisqu’il
doit la faire pour être raisonnable, et qu’il le peut plus facilement en laissant la liberté et en
venant en aide par des subsides appropriés à l’initiative et à l’action de l’Église et des familles. »
(PIE XI, Divini illius Magistri ; in A. F. UTZ, II, p. 1403). Nous soulignons.
3. Ibid. (in A. F. UTZ, II, p. 1383).
4. « Depuis les temps les plus reculés, les parents chrétiens ont compris que leur devoir, aussi
bien que leur principal intérêt, était de profiter de ce trésor d’éducation chrétienne que l’Église
mettait à leur disposition. » (PIE XI, Allocution de Mandragone ; in A. F. UTZ, II, p. 1351).
5. PIE XI, Divini illius Magistri (in A. F. UTZ, II, p. 1367, p. 1359).
6. PIE XI, Allocution de Mandragone (in A. F. UTZ, II, p. 1349).
168 La subsidiarité catholique...

donc éducatrice parce qu’elle a en charge, ultimement, le salut des âmes mais
aussi parce qu’elle est l’Institution suppléante pour la foi de tous1.
Le droit subsidiaire de l’État ensuite. Avant d’être citoyen, la personne se
doit bien de commencer par exister en tant qu’homme, et cette existence elle
ne la reçoit pas de l’État, elle la reçoit de ses parents. Les enfants feront tou-
jours partie, d’abord, d’une famille puis, à un niveau bien moindre, d’un État.
Remplissant une fonction, chronologiquement antérieure, de procréation des
enfants, les parents disposeront donc, très logiquement, de droits prioritaires
en matière d’éducation  : le droit d’élever et d’éduquer leurs enfants selon
leurs aspirations et leur conscience2. Mais, société imparfaite, la famille
réclame la double assistance de l’État, instance en charge du bien commun
temporel, et de l’Église, institution en charge du salut spirituel. Derrière le jeu
à trois, c’est en réalité toujours le même conflit qui se profile, mettant aux
prises l’Église et l’État.
« L’État assurément, admet Pie XI, ne peut ni ne doit se désintéresser de l’édu-
cation des citoyens, mais seulement contribuer à tout ce que l’individu et la
famille ne pourrait faire eux-mêmes. Le rôle de l’État n’est pas d’absorber,
d’engloutir, d’annihiler l’individu et la famille, ce serait absurde, ce serait
contraire à la nature, puisque la famille existait avant la société, avant l’État3. »
Le parallèle avec le fameux passage de Quadragesimo anno sur la suppléti-
vité étatique se repère jusque dans le vocabulaire. Tel est le rôle auxiliaire
de l’État : suppléer les carences de la famille, l’aider dans l’accomplissement
de sa tâche éducative, mais en aucun cas s’y substituer4. Comme chez
saint Thomas, tout est en fait question de hiérarchie finalisée, d’ordre et de
complémentarité bien ordonnée : chaque instance ayant reçu de la nature une
place dans le fonctionnement social, se doit de rester dans son ordre, l’État

1. Cette vocation surnaturelle ne détruit pas la nature mais l’accomplit, comme aurait dit saint
Thomas. « L’ordre surnaturel auquel appartiennent les droits de l’Église, bien loin de détruire ou
d’amoindrir l’ordre naturel [...] l’élève et le perfectionne, les deux ordres se prêtant ainsi un
mutuel appui et se complétant, pour ainsi dire, dans la proportion qui convient à leur nature et à
leur dignité respectives. » (PIE XI, Divini illius Magistri ; in A. F. UTZ, II, p. 1371).
2. Ibid. (in A.  F. UTZ, II, p.  1373). Cf. aussi l’encyclique inaugurale du pontificat pacellien  :
PIE XII, Lettre encyclique Summi pontificatus, 20 octobre 1939, Acta Apostolicae Sedis, 1939,
XXXI, p. 413-453 (in A. F. UTZ, J. F. GRONER, II, p. 3-39). Dans l’édition de Solesmes : « Et
quel scandale plus dangereux pour les futures générations et plus durable qu’une formation de la
jeunesse misérablement dirigée vers un but qui éloigne du Christ, voie, vérité et vie, et qui
conduit à renier le Christ, par une apostasie ouverte ou en cachette ? Le Christ, dont on veut
aliéner les jeunes générations présentes et à venir, est Celui qui a reçu de son Père éternel tout
pouvoir au ciel et sur la terre. Il tient la destinée des États, des peuples et des nations dans sa
main toute-puissante. C’est à Lui qu’il appartient de diminuer et d’accroître leur vie, leur déve-
loppement, leur prospérité et leur grandeur. » (Ibid. ; in SOLESMES, 754, p. 410, 750, p. 407).
3. PIE XI, Allocution de Mandragone (in A. F. UTZ, II, p. 1353). Nous soulignons.
4. L’État « supplée à ce qui lui [la famille] manque et y pourvoir par des moyens appropriés,
toujours en conformité avec les droits naturels de l’enfant et les droits surnaturels de l’Église ».
«  Il complétera cette action lorsqu’elle n’atteindra pas son but ou qu’elle sera insuffisante.  »
PIE XI, Divini illius Magistri (in A. F. UTZ, II, p. 1379). « À ne considérer donc que ses origines
historiques, l’école est de sa nature une institution auxiliaire et complémentaire de la famille et de
l’Église ; partant, en vertu d’une nécessité logique et morale, l’école doit non seulement ne pas se
mettre en contradiction, mais s’harmoniser positivement avec les deux autres milieux dans l’unité
morale la plus parfaite possible, de façon à constituer avec la famille et l’Église un sanctuaire
consacré à l’éducation chrétienne. » (Ibid. ; in A. F. UTZ, II, p. 1399).
Subsidiarité et autorité spirituelle. La condamnation pontificale 169

dans sa position d’infériorité par rapport à l’Église parce que le temporel éta-
tique est inférieur non seulement au spirituel mais aussi au temporel ecclésial.
À la tête de l’édifice collectif, est-il dit en substance, l’Église dispose, en
matière d’éducation des enfants, d’un droit inaliénable en même temps que
d’un devoir dont elle ne peut se dispenser. Dépositaire de la loi divine, fin
ultime et destination de la loi naturelle, elle rappelle l’État à sa fonction, et
protège la famille dans ses droits. Et Pie XI de s’indigner :
«  Pour affaiblir encore l’influence familiale s’ajoute aussi de nos jours ce fait
que presque partout, on tend à éloigner l’enfant, toujours plus et dès l’âge le
plus tendre, de la famille. On a pour cela, divers prétextes : raisons d’ordre éco-
nomique, tirées des nécessités de l’industrie et du commerce, raisons d’ordre
politique. Il est tel pays même où l’enfant est arraché à la famille sous prétexte
de formation (le mot juste serait déformation ou dépravation), pour être livré,
dans des groupements et des écoles sans Dieu, à l’irréligion et à la haine, confor-
mément aux théories d’un socialisme extrémiste  : véritable renouvellement
d’un massacre des innocents, plus horrible que le premier1 ! »
Soulignons la virulence du propos, mais il y a plus, au-delà même de
l’énervement rattien. À comparer les discours de l’Église sur l’éducation et
sur le mariage, la défense ecclésiale de la famille se signale en effet par un fort
contraste2 : particulièrement marquée en matière éducative, beaucoup moins
en matière conjugale. S’agissant du mariage, on sait que le droit canon a tou-
jours autorisé les prêtres à bénir l’alliance des époux y compris, et surtout,
contre le gré des familles. Ce fut même là le principal levier stratégique
actionné par l’Église pour arracher le mariage aux anciennes logiques fami-
liales, avant d’en faire un sacrement exclusivement divin. Si défense ecclésiale
de la famille en matière éducative il y a, le contraste avec la stratégie conjugale
révèle que l’Église ne défend pas la famille pour elle-même ; qu’elle la défend
bien plutôt contre l’État3. Aussi le verdict tombe-t-il tout naturellement sous
la plume du Pape :
« Est [...] injuste et illicite tout monopole de l’éducation et de l’enseignement
qui oblige physiquement ou moralement les familles à envoyer leurs enfants
dans les écoles de l’État contrairement aux obligations de la conscience chré-
tienne ou même à leurs légitimes préférences4. »

1. PIE XI, Divini illius Magistri (in A. F. UTZ, II, p. 1397).


2. Sur le mariage chrétien et le rôle des parents dans l’éducation, PIE XI, Lettre encyclique Casti
connubii, 31 décembre 1930, Acta Apostolicae Sedis, 1930, XXII, p. 539-592 (in A. F. UTZ, II,
p.  1146-1229 ; H.  DENZINGER, p.  783-789, 3700-3724). Pie XI se réfère lui-même à l’en-
cyclique Arcanum de Léon XIII (LÉON XIII, Lettre encyclique Arcanum divinae sapientae,
10  février 1880, Acta Sanctae Sedis, 1879, XII, p.  385-402 ; in A.  F.  UTZ, II, p.  1089-1125 ;
H. DENZINGER, p. 701-702, 3142-3146). « L’Église, fait important à noter, a [...] limité, autant
qu’il le fallait, le pouvoir du père de famille, et préservé ainsi la juste liberté des fils et des filles
qui veulent se marier ; elle a déclaré la nullité des mariages entre parents et alliés à certains degrés,
afin de répandre dans un plus vaste champ l’amour surnaturel des époux. » (Ibid. ; in A. F. UTZ,
II, p. 1098-1101).
3. On pourrait même ajouter de la femme contre la famille.
4. PIE XI, Divini illius Magistri (in A. F. UTZ, II, p. 1381).
170 La subsidiarité catholique...

2. LES PRÉTENTIONS ÉDUCATIVES DE L’ÉTAT

C’est face à ce schéma catholique, inlassablement reconduit par l’Église, qu’il


faut rétrospectivement comprendre la surrection (par stimulation concurren-
tielle) d’un contremodèle pédagogique, rationaliste et laïque, celui de l’Auf-
klärung kantienne et fichtéenne1. Ou, manière plus exacte de dire la même
chose : c’est le contact avec l’horizon d’adversité des Lumières qui a contraint
l’Église à formaliser ce qui, auparavant, relevait de l’ordre naturel des choses.

Kant, pour qui « l’éducation est le plus grand et le plus difficile problème
qui puisse être proposé à l’homme », a décrit la situation fondamentalement
aporétique dans laquelle est placé tout système éducationnel laïque, pour peu
qu’il soit considéré à une échelle collective2. Éduquer convenablement sup-
pose, en effet, d’avoir déjà été convenablement éduqué. « Il faut bien remar-
quer, écrit le philosophe, que l’homme n’est éduqué que par des hommes et
des hommes qui ont également été éduqués. » Et d’ajouter : « Si seulement un
être d’une nature supérieure se chargeait de notre éducation, on verrait alors
ce que l’on peut faire de l’homme3. » Le parallèle avec la figure du législateur
chez Rousseau est pour le moins frappant et nous ramène à ce dilemme énig-
matique, insoluble par construction, de la condition humaine4. Comme la loi,
l’éducation ne peut se comprendre en dehors de cette béance fondatrice : la
bonne éducation est par définition inaccessible à l’homme, en même temps
qu’elle lui est indispensable, et détermine son être propre. L’homme cherche
ainsi à surmonter la difficulté en s’en remettant à l’État, scellant par là le
caractère indissociable — mais problématique — de la relation entre politique

1. Encore convient-il de ne pas réduire les Lumières en un bloc monolithique d’un seul tenant.
Pour une synthèse récente sur la diversité du mouvement, cf., par exemple, K. POMIAN, « Le
temps et l’espace des Lumières » [2005], Le Débat, 2008, 150, p. 135-145.
2. E. KANT, Réflexions sur l’éducation [1776], trad. fr. A. Philonenko, Paris, Vrin, 1974, p. 77.
Outre Über Pädagogik, cf. Anthropologie in pragmatischer Hinsicht (E. KANT, Anthropologie
du point de vue pragmatique [1797], trad. fr. A. Renaut, Paris, Flammarion, 1993).
3. Ibid., p.  73. Johann Gottlieb Fichte expose la même aporie  : «  Si l’on suppose que ceux
qui sont maintenant des éducateurs ont jadis eux-mêmes été éduqués à cette compréhension
du devoir, alors il faudrait que, de la même façon, ceux qui les y ont éduqués aient été éduqués,
et ceux-ci encore de la même façon, et ainsi de suite en remontant à l’infini. » (J. G. FICHTE,
La Doctrine de l’État [1813], trad. fr. F. Albrecht, J.-C. Goddard, et al., Paris, Vrin, 2006, p. 146).
4. « Il faudrait des dieux, avoue Rousseau, pour donner des lois aux hommes. » (J.-J. ROUS-
SEAU, Du contrat social [1762], Paris, Flammarion, 2001 ; liv. II, ch. 7). On peut systématiser le
parallèle en disant qu’il est présent chez Platon, dans le Théétète par exemple, quand il aborde la
question de la constitution de la philosophie : si le philosophe n’est pas immédiatement philo-
sophe, comment peut-il le devenir ? (PLATON, Théétète [~ 369 av. J.-C.], trad. fr. M. Narcy,
Paris, Flammarion, 1999). À l’autre bout de la chaîne philosophique, il faut évoquer Hegel, pour
qui l’homme n’est rationnel que si, et seulement si, il s’insère dans l’État rationnel, mais alors
comment peut-il être soumis à l’État rationnel s’il n’est pas déjà rationnel avant d’avoir constitué
l’État ? (G. W. F. HEGEL, Principes de la philosophie du droit [1821], trad. fr. J.-L. Vieillard-
Baron, Paris, Flammarion, 1999). On sait la réponse catholique — c’est Dieu, à l’origine de
toutes choses, qui fonde la rationalité de l’État — et ses raffinements thomistes — dire que le
pouvoir vient de Dieu, ce n’est pas lui ôter son origine rationnelle, c’est au contraire parce qu’il
repose sur un droit naturel que le pouvoir a également son origine en Dieu. Le droit naturel est
une voie d’accès à la compréhension de la volonté transcendante de Dieu.
Subsidiarité et autorité spirituelle. La condamnation pontificale 171

et éducation. Ce lien, à vrai dire, n’est pas l’apanage de la modernité étatique ;


il a clairement été identifié par les Anciens, au premier rang desquels Aristote.
Abordée à la fois dans l’Éthique à Nicomaque (de manière diffuse et plus
particulièrement au livre VIII consacré à l’amitié) ainsi qu’en plusieurs
endroits des Politiques (livre VIII auquel il faut ajouter les chapitres 13, 15 et
17 du livre précédent), le traitement aristotélicien de la question de l’éduca-
tion semble faire l’objet de réponses partiellement contradictoires. La philo-
sophie morale de l’Éthique fait signe vers l’individu (la « famille est quelque
chose d’antérieur à la cité et de plus nécessaire qu’elle »1, précise le Stagirite,
ne manquant pas d’insister sur le rôle prioritaire des parents dans la bonne
éducation des enfants), tandis que les Politiques mettent en avant la préva-
lence de la cité2 :
« Et puisque le but de toute cité est unique, écrit Aristote, il est manifeste qu’il
est également nécessaire qu’il y ait une seule et même éducation pour tous et
qu’on en prenne soin collectivement et non d’une manière privée comme celle
qui a cours aujourd’hui où chacun s’occupe lui-même de ses propres enfants en
leur dispensant son propre enseignement comme il l’entend. Or il faut que
l’apprentissage de ce qui concerne la collectivité soit collectif. En même temps il
ne faut pas penser qu’aucun des citoyens ne s’appartienne à lui-même, mais que
tous appartiennent à la cité, car chacun est une partie de la cité. Mais le soin de
chaque partie a par nature en vue le soin du tout3. »
Comment interpréter pareille tension ? Faut-il s’en tenir au simple constat,
somme toute peu satisfaisant, de la coexistence interne de deux proposi-
tions paradoxales ? Nous ne le pensons pas, dans la mesure où, malgré d’indé-
niables aspérités, un même schéma général se dégage, qui indique bien, en défi-
nitive, l’idée d’une ordination de l’éducation aux fins politiques de la commu-
nauté. Chez Aristote, l’unité organique du corps politique, l’« âme de la cité »,
reste par définition antérieure à un « animal politique » qui lui est de toute façon
subordonné. Aussi la primauté du tout n’appelle-t-elle en rien une quelconque
forme d’ingérence. Bien au contraire, il figure dans la raison d’être même de
l’autorité politique de prendre en charge la question de l’éducation, « problème
principal du législateur  »4, dont l’abandon à la libre initiative de chacun ne
constituerait rien de moins qu’un renoncement autodestructeur du tout.
Aristote insiste particulièrement sur la solution de continuité qui doit pré-
valoir entre la « constitution » de la cité et sa conception de l’éducation5. La

1. ARISTOTE, Éthique à Nicomaque, op. cit., p. 420 (liv. VIII, ch. 14, 1162 a 17).
2. Cf. les analyses d’un ancien étudiant du Cardinal Mercier  : M.  DEFOURNY, Aristote et
l’éducation, Louvain, Institut supérieur de philosophie, 1919 ; Aristote. Études sur la «  Poli-
tique », Paris, Beauchesne, Bibliothèque des Archives de philosophie, 1932.
3. ARISTOTE, Les Politiques, op. cit., p. 517-518 (liv. VIII, ch. 1, 1337 a 22-29). Sur la famille
plus particulièrement, cf. ibid., liv. I, ch. 2, 1252 a 26 sq.
4. Ibid., p. 517 (liv. VIII, ch. 1). Il s’agit même d’une de ses missions privilégiées si on lit attenti-
vement le philosophe, en particulier quand il traite de l’éducation des «  jeunes gens  ». «  Que
donc le législateur doive s’occuper avant tout de l’éducation des jeunes gens, nul ne saurait le
contester. Et, en effet, dans les cités où ce n’est pas le cas cela est dommageable à la constitu-
tion. » (Ibid., p. 517, liv. VIII, ch. 1, 1337 a 10). Cf. aussi ibid., liv. I, ch. 13, 1260 b 15.
5. ARISTOTE, Les Politiques, op. cit. (liv. VIII, ch. 1, 1337 a 15). Notons qu’au travers de son
éloge de l’éducation spartiate au livre IV de L’esprit des lois, Montesquieu s’inscrit dans une filia-
tion clairement aristotélicienne en insistant sur le caractère politique de l’éducation (dont la
172 La subsidiarité catholique...

question éducative fait d’emblée partie de la chose commune et réclame la


soumission des familles à la cité, dans le respect, bien sûr, des attributions
naturelles des parents vis-à-vis de leurs enfants1. C’est à la cité, éducatrice
suprême, que revient la tâche naturelle de définir les missions de l’éducation.
L’État, si l’on accepte d’appliquer ce terme totalement anachronique au
dispositif philosophique aristotélicien, n’est en rien subsidiaire ; il est, au
contraire, le point de vue supérieur et englobant, inaccessible aux familles.
Où, à n’en pas douter, la notion éthique de l’État thématisée par Hegel pui-
sera sa source la plus profonde. Aussi l’éducation fait-elle partie des leviers de
commande légitimes qu’il a naturellement en sa possession pour assurer
l’unité morale du corps politique et préserver sa cohérence au-delà de la suc-
cession biologique des générations. Bien plus, l’État n’est pas l’auxiliaire des
familles ; ce sont pour ainsi dire, à l’inverse, les familles qui sont les auxiliaires
de l’État. Lui fixe les grandes orientations (programmes, fonctions de l’édu-
cation, statut pédagogique) tandis que les parents assurent l’exécution de ce
qui a collectivement été décidé2. Apparaît en ce point précis, au-delà des
questions purement théologiques, la césure fondamentale entre Aristote et
saint Thomas, son principal commentateur chrétien. Chez l’Aquinate, l’édu-
cation reste en premier lieu l’œuvre de la famille, du moins l’éducation des
enfants (la seule que nous envisageons ici).
« Le fils, en effet, est par nature quelque chose du père [...] ; il s’ensuit que, de
droit naturel, le fils, avant l’usage de la raison, est sous la garde de son père. Ce
serait donc aller contre la justice naturelle si l’enfant, avant l’usage de la raison,
était soustrait aux soins de ses parents ou si l’on disposait de lui en quelque
façon contre leur volonté3. »

fonction n’est pas tant, à ses yeux, de former l’homme que de former le citoyen). S’il n’attribue
pas expressément la fonction éducative à l’État, le penseur libéral donne, en matière d’éducation,
une priorité indéniable à l’influence de l’État sur celle de la religion — via la famille (MONTES-
QUIEU, De l’esprit des lois [1748], Paris, Flammarion, 1979, p. 155-166).
1. À l’opposé de ce que peut a priori indiquer l’idée de soumission, l’éducation s’inscrit dans une
problématique de l’autorité et non de la violence dominatrice ; même s’il faut bien concéder que
l’auctoritas est une thématique de provenance romaine et non un héritage direct de la tradition
grecque. Comme l’a fortement relevé Hannah Arendt, l’éducation en ce qu’elle a partie liée avec
l’autorité, «  exclut l’usage de moyens extérieurs de coercition  », en même temps qu’elle «  est
incompatible avec la persuasion qui présuppose l’égalité et opère par un processus d’argumenta-
tion ». L’éducation est un ordre autoritaire — la pédagogie un ordre coercitif — fonctionnant
sur le mode de la hiérarchie. De là la crise récurrente dans laquelle entrent l’éducation et l’auto-
rité à partir du moment où la hiérarchie fait problème — ce qui, rappelle Arendt, est manifeste-
ment le cas à l’époque moderne (H.  ARENDT, «  Qu’est-ce que l’autorité ?  » [1957], trad. fr.
M.-C. Brossollet, H. Pons, La Crise de la culture, éd. P. Lévy, Paris, Gallimard, 1989, p. 123 ;
« La crise de l’éducation ? » [1960], trad. fr. C. Vezin, ibid., p. 223-252).
2. À lui seul, Aristote ne saurait bien sûr résumer le schéma hellénique. Si elles ont trouvé
leur pleine expression dans des cités aristocratiques comme Sparte, note Henri-Irénée Marrou,
les conceptions d’Aristote ne sont pas représentatives de la situation grecque de son époque
(H.-I. MARROU, Histoire de l’éducation dans l’Antiquité [1948], Paris, Le Seuil, 1965, p. 163).
3. THOMAS d’AQUIN, Somme théologique, op. cit., III, p. 87 (IIa IIæ, q. 10, a. 12). « Il serait
[...], contraire à la justice naturelle que l’enfant, avant d’avoir l’usage de la raison, soit soustrait à
la tutelle de ses parents. » Précisons néanmoins que, dans une perspective plus englobante, l’édu-
cation dépasse ce seul cadre familial. Dans son Traité des lois, saint Thomas parle bien d’une
éducation des hommes par la loi (Ibid., II, p. 597-599, Ia IIæ, q. 95, a. 1).
Subsidiarité et autorité spirituelle. La condamnation pontificale 173

L’État a beau être considéré chez lui comme une instance naturelle, saint
Thomas, en penseur catholique conséquent, ne peut concevoir l’éducation
en dehors de la vérité ultime définie en Dieu et de l’institution qui a en charge
la direction des consciences : l’Église. Donner à l’État quelque pouvoir que ce
soit en matière d’éducation, ce serait affaiblir la foi. Point d’État éducateur à
l’horizon chez saint Thomas mais une Église éducatrice qui n’a rien de moins
qu’un enseignement divin à délivrer, et davantage encore  : un dogme
infaillible à faire respecter. Car, selon la juste répartition des tâches voulue
par la raison divine, il est du devoir du clericalis ordo d’enseigner et de celui
du laicalis ordo d’être enseigné.
« Celui qui adhère à l’enseignement de l’Église comme à une règle infaillible
donne son assentiment à tout ce que l’Église enseigne. Autrement, s’il admet ce
qu’il veut dire de ce que l’Église enseigne, et n’admet pas ce qu’il ne veut pas
admettre, à partir de ce moment-là il n’adhère plus à l’enseignement de l’Église,
comme à une règle infaillible, mais à sa propre volonté. Ainsi est-il évident que
l’hérétique qui refuse opiniâtrement de croire à un seul article n’est pas prêt à
suivre en tout l’enseignement de l’Église1. »
Même plus tard, chez un Marsile de Padoue — qui, pourtant, annonce
l’État laïque moderne — la mission éducatrice continue d’être le monopole
évident de l’institution ecclésiale2. Nous verrons plus bas que ce lien, théolo-
giquement noué, entre Église et éducation mettra longtemps à se défaire,
avant que cette dernière ne devienne chose résolument profane. De là, encore,
une nette distinction entre les matrices aristotélicienne et chrétienne.

Cette approche panoramique de la notion d’État éducateur à partir des cas


aristotélicien et thomiste recèle d’incontestables vertus heuristiques, celle
notamment de ne pas se crisper, par nominalisme excessif, sur le mot État
pour comprendre le caractère politique de la chose éducative. Il reste qu’elle
ne suffit pas, loin s’en faut, à épuiser notre questionnement qui s’enracine,
quant à lui, dans l’époque moderne. Nous devons donc y revenir à présent.
«  Dans l’Europe moderne, l’éducation n’est pas née véritablement de l’État,
mais elle est issue de la puissance d’où les États, dans la plupart des cas, tiraient
leur propre pouvoir à savoir du royaume céleste et spirituel de l’Église. [...]
l’éducation qu’elle dispensait ne visait qu’à épargner aux hommes toute dam-
nation dans l’autre monde, et à assurer leur salut. [...] Même à l’époque la plus
récente, et jusqu’à ce jour, la formation des couches les plus aisées a été consi-
dérée comme une affaire privée relevant des parents, qui pouvaient bien l’or-
ganiser selon leur bon plaisir, et en règle générale, on n’instruisait les enfants

1. THOMAS d’AQUIN, Somme théologique, op. cit., III, p. 57 (IIa IIæ, q. 10, a. 3).
2. MARSILE de PADOUE, Le Défenseur de la Paix [1324], trad. fr. J.  Quillet, Paris, Vrin,
1968. Sur Marsile de Padoue, cf. G. de LAGARDE, La Naissance de l’esprit laïque au déclin du
Moyen Âge, op. cit., III ; A. PASSERIN d’ENTRÈVES, The Medieval Contribution to Political
Thought, Oxford, Oxford University Press, 1939 ; A.  GEWIRTH, Marsilius of Padua, the
Defender of Peace, I. Marsilius of Padua and Medieval Political Philosophy [1951], Londres,
New York, Columbia University Press, 1964 ; L. STRAUSS, « Marsile de Padoue », Histoire de
la philosophie politique, éd. L.  STRAUSS, J.  CROPSEY, op. cit., p.  299-319 ; J.  QUILLET,
La Philosophie politique de Marsile de Padoue, Paris, Vrin, 1970 ; Introduction générale à
MARSILE de PADOUE, Le Défenseur de la Paix, op. cit., p. 9-47.
174 La subsidiarité catholique...

qu’à se soucier de leurs propres intérêts. La seule éducation publique, celle du


peuple, n’apprenait pour sa part qu’à se ménager la béatitude céleste ; pour
l’essentiel, elle se réduisait à un peu de christianisme, à la lecture et si possible, à
l’écriture, le tout pour l’amour du christianisme1. »
Voilà comment Fichte, thématisant à nouveaux frais la querelle théolo-
gico-politique, pose le problème de l’éducation dans ses Discours à la nation
allemande peu après la Révolution française, alors que les armées napoléo-
niennes étaient encore victorieuses sur le continent2. Analysant la situation
d’infériorité militaire des territoires allemands, Fichte désigne la voie à
suivre : la régénération morale par l’éducation nationale. Imprégné des débats
révolutionnaires, il désigne également l’ennemi. L’ennemi temporaire et
immédiat, c’est bien sûr la France, qui occupe les territoires de l’Allemagne à
venir. Mais l’ennemi éternel et souterrain, c’est le pouvoir clérical, qui exerce
sa domination sur les âmes.
Avec Fichte, la notion d’éducation s’autonomise de manière inédite et radi-
cale. Elle avait depuis toujours été le fait des instances ecclésiales ; elle devait à
présent devenir un apanage national. Non seulement la tâche éducative était
jusque-là restée très marginale, ne concernant qu’une fraction infime de la
population privilégiée3 ; mais, toute réduite qu’elle fut, cette tâche n’en avait
pas moins constitué un ressort essentiel de l’emprise ecclésiale sur la société.
Il y avait là, pour Fichte, le boursier d’extraction populaire, une double dénatu-
ration de l’éducation, qui en faisait la chose de quelques nantis en plus d’être un
instrument religieux d’assujettissement4. D’où son appel à la nation allemande
tout entière : mettre fin à la domination ecclésiale de l’enseignement, fondée sur
le primat éducatif de l’Autre monde, contester au pouvoir clérical cette pré-
éminence usurpée, rapatrier ici-bas la formation des âmes et des mœurs en vue
de les acclimater au cadre national. Fichte l’illustre mieux qu’aucun autre, le
processus de monopolisation étatique de l’éducation s’enracine dans le contexte
du combat des Lumières contre l’obscurantisme religieux. En passant du Prince
chrétien au peuple de la nation, la souveraineté devient une arme d’émancipa-
tion, que le peuple, précisément, ne manquera pas d’investir, spécialement sur
le terrain éducatif, en vue d’asseoir sa légitimité nouvelle.

1. J. G. FICHTE, Discours à la nation allemande [1807], trad. fr. A. Renaut, Paris, Imprimerie
nationale, 1992, XI, p. 282. Nous n’abordons pas la question de la place réservée à Dieu dans la
philosophie fichtéenne ; contentons-nous de dire que le Dieu de Fichte (l’Infini divin) n’est pas le
Dieu chrétien (J.-C. GODDARD, Introduction à J. G. FICHTE, La Destination de l’homme
[1800], trad. fr. J.-C. Goddard, Paris, Flammarion, 1995, p. 8-42). C’est le jugement fichtéen sur
le poids éducatif de l’Église catholique qui nous intéresse ici. Outre les Discours : J. G. FICHTE,
Considérations sur la Révolution française [1793], trad. fr. J. Barni, Paris, Payot, 1974, p. 244-
245 ; La Querelle de l’athéisme [1799], trad. fr. J.-C. Goddard, Paris, Vrin, 1993.
2. Mentionnons un propos de Georges Danton, très représentatif de la période révolutionnaire :
« L’enfant n’appartient pas à son père, mais d’abord à l’État. » (Cité par G. KASS, L’État éduca-
teur, Arras, INSAP, Paris, Mignard, Éditions de la Revue des Indépendants, 1933, p. 18).
3. Soulignons ici que le constat se vérifie beaucoup moins dans le cas des pays protestants.
4. Cf. les analyses de Domenico Losurdo : D. LOSURDO, « La “philosophie allemande” entre
les idéologies, 1789-1848 », Genèses, 1992, 9 (9), p. 60-89 ; « Fichte et la question nationale alle-
mande », Revue française d’histoire des idées politiques, 2001, 14, p. 297-319 ; Hegel et les libé-
raux : liberté, égalité, État [1988], trad. fr. F. Mortier, Paris, PUF, 1992.
Subsidiarité et autorité spirituelle. La condamnation pontificale 175

Pourquoi, au juste, passer d’Aristote à Fichte, sans autre forme de transi-


tion que l’imposante postérité qui réunit les deux grands philosophes ? Une
double précision d’ordre méthodologique peut apporter quelques éléments
d’explication. Notre propos n’est pas tant de mettre le penseur allemand en
dialogue avec Aristote que de faire émerger une nouvelle dimension de l’État
éducateur dans une configuration qui n’est plus celle de la cité grecque
ancienne mais celui l’État européen moderne1. L’horizon de cette ambition :
cerner la reformulation fichtéenne de la problématique éducative, après l’épi-
sode révolutionnaire français, au moment de l’épanouissement de l’idée
nationale sur le continent européen, non Fichte en tant que tel et pour lui-
même. D’où la nécessité de contextualiser historiquement son propos, au
risque, sinon, de ne pas comprendre le thème — tellement dénaturé et pour-
tant si central chez Fichte — de l’éducation à la nation : l’éducation comme
moyen de préserver l’indépendance allemande, non pas, à vrai dire, l’indé-
pendance allemande pour l’indépendance, mais, plus fondamentalement, l’in-
dépendance de l’Allemagne en tant que nation morale.
Au-delà des polémiques exégétiques, il convient de considérer en quoi
Fichte s’inscrit parfaitement dans la filiation de la pensée rationaliste des
Lumières, en particulier celle de Kant, dont les Réflexions sur l’éducation
parues en 1776 annoncent ce qui formera, quelques années plus tard, l’axe
central de la démonstration fichtéenne2  : 1o séparer clairement l’Église et
l’École ; 2o affirmer le rôle de l’État dans l’éducation à la nation. La nation, en
effet, ne saurait se satisfaire d’un simple contrat juridique ; elle appelle une
éducation morale, qui doit être prise en charge par l’État, et par lui seul. Sur
cette question, comme sur beaucoup d’autres, la Doctrine de l’État viendra,
six ans plus tard, confirmer et enrichir les Discours de 1807. Au point d’ail-
leurs que les interprètes sont nombreux, parmi les plus avisés, qui, à la faveur
d’une lecture croisée des différents textes politiques du grand philosophe, ont
pu dessiner les contours d’un nouveau visage de l’État : après la Nation-État,
l’État éducateur de la Nation3. Chez Fichte, comme chez Kant, on trouve au

1. Le propos n’est pas non plus d’entrer dans les subtilités des différentes interprétations universitaires
de Fichte. Rappelons, d’une part, la lecture de Martial Gueroult et d’Alexis Philonenko, pour qui
Fichte reste de part en part fidèle à l’idéalisme kantien, au sens où une évolution endogène, sans rupture,
serait à l’œuvre dans sa pensée (M.  GUEROULT, Études sur Fichte [1974], Paris, Aubier, 1999 ;
A.  PHILONENKO, La Liberté humaine dans la philosophie de Fichte [1966], Paris, Vrin, 1999 ;
L’Œuvre de Fichte, Paris, Vrin, 1984) ; et, d’autre part, celle de Blandine Kriegel, qui assimile la philoso-
phie fichtéenne à une simple expression du pangermanisme (B.  BARRET-KRIEGEL, L’État et les
esclaves, op. cit., p.  165  sq. ; «  Droit du peuple, esprit du peuple  », Philosophie politique, 1997, 8,
p.  95-117). Pour une lecture médiane (héritière critique de Philonenko) réinscrivant le penseur alle-
mand dans un double héritage complexe vis-à-vis des Lumières et du romantisme, cf. A. RENAUT,
Préface à la réédition des Discours à la nation allemande, op. cit., p. 7-48 ; « L’État fichtéen : sur quelques
apories du républicanisme », L’État moderne, éd. S. GOYARD-FABRE, Paris, Vrin, 2000, p. 259-276.
2. Fichte est également à resituer dans la postérité d’un Johann Heinrich Pestalozzi, pédagogue
suisse de langue allemande, disciple des conceptions éducatives de Rousseau exposées dans
L’Émile (J.-J. ROUSSEAU, L’Émile, ou De l’éducation [1762], Paris, Flammarion, 2009).
3. On pourra se reporter à J.-C.  GODDARD, Présentation à La Doctrine de l’État, op. cit.,
p.  7-27 ; M.  MAESSCHALCK, Introduction à La Doctrine de l’État, op. cit., p.  29-55 ;
P. CANIVEZ, Qu’est-ce que la nation ?, Paris, Vrin, 2004, p. 91-105 ; C. PICHÉ, « La Doctrine
de l’État de 1813 et la question de l’éducation chez Fichte », Fichte, la philosophie de la maturité
(1804-1814), dir. J.-C. GODDARD, M. MAESSCHALCK, Paris, Vrin, 2003, p. 159-174.
176 La subsidiarité catholique...

total une même conception du progrès de l’humanité, une même croyance


dans la perfectibilité humaine, une même volonté de mettre l’éducation au
service d’un avenir meilleur, un même objectif d’assurer la victoire des
Lumières sur l’obscurantisme clérical1.
« On ne doit pas seulement, écrit Kant, éduquer des enfants d’après l’état pré-
sent de l’espèce humaine, mais d’après son état futur possible et meilleur, c’est-
à-dire conformément à l’Idée de l’humanité et à sa destination totale. Ce
principe est de grande importance. Ordinairement les parents élèvent leurs
enfants seulement en vue de les adapter au monde actuel, si corrompu soit-il.
Ils devraient bien plutôt leur donner une éducation meilleure, afin qu’un meil-
leur état pût en sortir dans l’avenir. Toutefois deux obstacles se présentent ici :
1) Ordinairement les parents ne se soucient que d’une chose : que leurs enfants
réussissent bien dans le monde, et 2) les princes ne considèrent leurs sujets que
comme des instruments pour leurs desseins. Les parents songent à la maison, les
princes songent à l’État2. »
Aussi, incapables de prendre en compte cette dimension de l’avenir
—  qu’elles reportent à tort sur le spirituel (historiquement monopolisé par
les institutions ecclésiales) —, les familles doivent-elles désormais s’en
remettre à l’État pour conduire l’éducation de leurs enfants3. Il pourrait
même se faire que les instances éducatives, logiquement placées sous la tutelle
publique, aient besoin de maintenir les enfants à l’écart du monde adulte.
Sans nier le rôle des parents, Kant et Fichte insisteront toujours sur celui de
l’éducation publique, seule apte à considérer «  l’état [futur] de l’espèce
humaine », seule apte à substituer le règne des Lumières rationnelles à celui
de l’obscurantisme des temps anciens.
Voilà pourquoi, contre l’Église, l’État fichtéen se présente comme l’unique
dépositaire de l’éducation à la nation. De ce projet d’émancipation de l’École,
qui veut avoir pour lui l’évidence de la raison, il résulte des tendances poten-
tiellement autoritaires, le reproche en a souvent été fait à Fichte. C’est ici,
autant le souligner, la charge totalisante de la figure fichtéenne de l’État éduca-
teur. S’il s’inscrit dans la filiation des Lumières, ces dernières n’en restent pas
moins tiraillées par certaines tensions qui ont trouvé à s’exprimer au grand
jour de l’histoire sous la Révolution française puis dans le système ferryste mis
en place sous la IIIe République. Fonder une nation ou former des citoyens
libres ? Former des citoyens libres pour construire une nation ou construire
une nation pour former des citoyens libres ? On sait la voie empruntée par la
République et la laïcité à la française (dont le cas topique de la laïcité scolaire) :
arrachement des enfants à leur milieu d’origine, au besoin par la violence,
pour, indissociablement créer un citoyen autonome capable de penser par lui-
même, et souder la collectivité nationale autour du nouveau régime4.

1. Le slogan kantien des Lumières : « C’est au fond de l’éducation que gît le grand secret de la
perfection de la nature humaine. » (E. KANT, Réflexions sur l’éducation, op. cit., p. 74).
2. Ibid., p. 79-80.
3. Ce point est fortement souligné par Alexis Philonenko (A. PHILONENKO, Présentation de
E. KANT, Réflexions sur l’éducation, op. cit. ; et « Éducation », Dictionnaire de philosophie poli-
tique [1996], dir. P. RAYNAUD, S. RIALS, Paris, PUF, Quadrige, 2003, p. 206-211).
4. Pensons, sous la Révolution, au débat entre Condorcet et le Pasteur Rabaut de Saint-Étienne
Subsidiarité et autorité spirituelle. La condamnation pontificale 177

Malgré des similitudes apparentes avec les préconisations éducatives de


Platon, le modèle fichtéen ne saurait être interprété comme une pâle réplique
du gouvernement platonicien des philosophes ; il s’inscrit, au contraire, au
cœur d’une matrice démocratique, où il est question d’éducation non des
sages (Platon), encore moins des seuls princes (Machiavel), mais bel et bien de
tous les citoyens1. En ce point réside d’ailleurs le dénominateur commun des
matrices aristotélicienne et fichtéenne. C’est à l’aune de ce besoin d’éducation
qu’il faut apprécier le besoin d’État exprimé par Fichte. Aucune statolâtrie
donc. Si, en fournissant l’instruction à tous, l’État ne fait que remplir son
devoir, en même temps et en retour, il a besoin d’individus instruits pour
construire sa légitimité contre l’Église. La relation n’a donc rien d’unilatéral.
Réminiscence du conflit théologico-politique sur le terrain éducatif dont le
terme historique signifiera à l’Église sa défaite ultime.
« Puisse cet État, écrit encore Fichte, apercevoir avec netteté qu’en dehors de
l’éducation des générations à venir, nulle sphère d’activité ne lui est accessible
où il puisse se comporter et prendre des décisions comme un véritable État de
manière radicale et autonome ; qu’à moins de ne vouloir rien faire, c’est cela
seul qu’il peut entreprendre encore ; mais qu’en tout cas ce mérite lui sera
reconnu sans restrictions ni contestations2. »

3. L’ÉPISODE BISMARCKIEN DU KULTURKAMPF

Cet idéal d’un État éducateur de la nation, aussi utopique soit-il, n’a pas été
sans effets politiques sur l’histoire allemande, particulièrement à la fin du
xixe siècle lorsque le chancelier Bismarck soucieux d’unifier le territoire natio-
nal autour de la Prusse luthérienne, et fort de son alliance avec les libéraux, mit
en œuvre une politique systématique de lutte contre l’influence de l’Église
catholique dans l’espace public, et plus généralement contre l’influence du
catholicisme. De manière très stratégique, le Kulturkampf bismarckien (1872-
1887) s’attacha en effet à investir massivement le terrain scolaire, suscitant en
retour une réponse catholique non moins véhémente3. Face à ce qui était res-

(CONDORCET, Cinq mémoires sur l’instruction publique [1792], Paris, Flammarion, 1994).
S’il se réfèrera au père fondateur de la conception libérale de l’instruction, Jules Ferry n’oubliera
pas l’objectif politique, social et national de l’éducation, tel que mis en lumière par Rabaut Saint-
Étienne. Sur cette question, cf. B. BACZKO, « Instruction publique », Dictionnaire critique de
la Révolution française [1988], dir. F.  FURET, M.  OZOUF, Paris, Flammarion, 1992, III,
p. 275-297 ; Une Éducation pour la démocratie, Paris, Grasset, 1982 ; C. LELIÈVRE, C. NIQUE,
La République n’éduquera plus. La fin du mythe Ferry, Paris, Plon, 1993.
1. Cf. principalement le livre VII de la République : PLATON, La République [370 av. J.-C.],
trad. fr. R. Baccou, Paris, Flammarion, 1966, p. 271-300 (liv. VII) ; N. MACHIAVEL, Le Prince
[1513], trad. fr. J.-L. Fournel, J.-C. Zancarini, Paris, PUF, 2000.
2. J. G. FICHTE, Discours, op. cit., XI, p. 287. « Il ressort que l’État, comme simple gouverne-
ment de la vie humaine considérée dans le cours paisible qui est habituellement le sien, ne
constitue nullement quelque chose de principiel, existant pour lui-même, mais qu’il est seulement
le moyen qui favorise la réalisation d’un but supérieur : le développement progressif, continue et
éternel de ce qui dans cette nation correspond à la dimension proprement humaine. » (Ibid., VIII,
p. 230). L’éducation doit être « universellement accessible sur toute l’étendue [du] territoire [de
l’État], pour chacun de ses futurs citoyens, sans aucune exception » (Ibid., XI, p. 289).
3. La cheville ouvrière de la politique bismarckienne de laïcisation est un national-libéral, Alda-
178 La subsidiarité catholique...

senti comme une prétention absolutiste de l’État à gouverner l’enseignement et


l’École, le camp catholique, emmené par Ketteler, voulut réaffirmer avec force
les droits prioritaires des familles et de l’Église sur le terrain éducatif.
En ce point précis, nous retrouvons notre histoire sémantique de la subsi-
diarité. On ne répétera jamais assez que c’est sur la question scolaire que se
mettent en place les linéaments directement repérables d’une première for-
mulation du principe. Voilà la raison principale qui peut expliquer pourquoi
nous nous intéressons au cas de l’Allemagne dès ce stade du développement
avant d’y revenir plus longuement dans la seconde partie. Il faut bien l’ad-
mettre pour commencer, l’investissement étatique du domaine éducatif n’est
pas, loin s’en faut, une tradition spécifiquement germanique. Certes, le pro-
testantisme luthérien a pu dès le xviiie siècle, dans la Prusse impériale en par-
ticulier, contribuer beaucoup plus précocement que dans les pays de culture
catholique à légitimer le rôle de la puissance publique en matière éducative
(dans l’objectif de permettre l’accès du plus grand nombre à l’écrit), mais
toute une tradition du libéralisme, nous le verrons plus loin, n’en a pas moins
combattu les immixtions étatiques sur le terrain de la formation personnelle1.
Dans sa logique profonde — est-il nécessaire de le rappeler ? —, la Réforme
reste une remise en cause principielle de la médiation ecclésiale et du magis-
tère des interprètes qualifiés, donc, ultimement, de l’État éducateur comme
de l’Église enseignante.
Hormis une éducation chez les jésuites, rien ne prédestinait l’ancien fonc-
tionnaire Ketteler à entrer dans les ordres ecclésiastiques. Il a fallu attendre

bert Falk, qui devient ministre des Cultes et de l’Instruction en janvier 1872. Parmi les mesures,
on peut citer notamment la loi (dite d’urgence) de mars 1872 relative à l’inspection des écoles
primaires (Volksschulen), qui mit fin à l’autorité ecclésiastique sur les établissements scolaires
locaux et régionaux, et plaça les écoles privées sous la surveillance directe de l’État ; la loi sur les
Jésuites de juillet 1872 qui interdit à la Congrégation de poursuivre ses activités d’enseignement
sur tout le territoire allemand, et ferma de facto les écoles catholiques (entre 1872 et 1875, les
autres congrégations enseignantes catholiques — lazaristes et rédemptionnistes — sont égale-
ment dissoutes) ; ainsi que les lois de mai 1873 réglementant la formation des prêtres et renfor-
çant davantage le contrôle de l’État sur l’Église. En réponse, cf. PIE IX, Lettre encyclique Quod
nunquam sur l’Église en Prusse, 5  février 1875. Sous la plume d’un catholique français  :
G. GOYAU, Bismarck et l’Église, le Kulturkampf, Paris, Perrin, 1911.
1. Cf., par exemple, T. NIPPERDEY, « Luther et le monde moderne » [1983], Réflexions sur
l’histoire allemande [1986], trad. fr. C. Orsoni, Paris, Gallimard, 1990, p. 40-58. Notons au pas-
sage (sans considération de la diversité interne du protestantisme) le rôle éminent joué par les
protestants — au premier rang desquels Ferdinand Buisson — dans l’affirmation de l’idéologie
scolaire sous la IIIe République. Chez les philosophes, il faut encore mentionner Charles Renou-
vier, dont on connaît la forte critique de l’Église catholique et, en regard, l’insistance sur le thème
de l’« État enseignant » (M.-C. BLAIS, Au principe de la République. Le cas Renouvier, op. cit.,
p. 329 sq., p. 343-367 ; M. GAUCHET, La Religion dans la démocratie. Parcours de la démo-
cratie, Paris, Gallimard, 1998, p.  47  sq.). Parmi les nombreux textes publiés dans sa revue
La Critique philosophique, cités, commentés et mis en perspective par Marie-Claude Blais  :
C. RENOUVIER, « L’éducation et la morale », La Critique philosophique, 6 juin 1872, 1 (18),
p. 273-280 ; « Le catholicisme et l’État », ibid., 1 (51), p. 385-393 ; « Du droit et du devoir dans
l’instruction du peuple  », ibid., 17  juillet 1873, 2 (24), p.  369-374 ; «  Les réformes nécessaires.
L’enseignement  : droit fondamental de l’État  », ibid., 18  mai 1876, 5 (16), p.  241-247 ; «  Les
réformes nécessaires. L’enseignement, la loi de 1875  », ibid., 25  mai 1876, 5 (17), p.  257-267 ;
« Les réformes nécessaires. L’éducation du clergé », ibid., 6 juillet 1876, 5 (23), p. 353-368 ; « Du
droit de la société dans l’éducation », ibid., 10 mai 1877, 6 (15), p. 231-238.
Subsidiarité et autorité spirituelle. La condamnation pontificale 179

1838 pour qu’à vingt-sept ans il quitte le service de l’État et démissionne avec
fracas de son poste de référendaire municipal à Münster. Un peu sur le
modèle de Joseph von Görres, fervent jacobin version rhénano-hégélienne
qui devint la grande figure littéraire du catholicisme allemand1, Ketteler
n’était pas promis à devenir le zélote des positions catholiques que l’on
connaît. Le tournant de sa vie est à chercher dans un événement traumatique
de l’histoire du catholicisme germanique : l’affaire, dite de Cologne, qui éclata
en 1837 à propos d’une querelle entre le gouvernement prussien et Mgr Cle-
mens August von Droste zu Vischering, l’archevêque de la ville, sur l’épi-
neuse question des mariages mixtes (entre catholiques et protestants). Sou-
cieux de conserver son hégémonie démographique et cherchant à augmenter
les rangs luthériens de la population allemande, le gouvernement prussien
disposait que, dorénavant, les enfants devaient être élevés dans la seule reli-
gion du père. Directement visé par la nouvelle loi, le Vatican rétorqua sur le
même ton en enjoignant le clergé allemand de ne pas célébrer de mariages
mixtes à chaque fois qu’une atteinte devait être portée aux intérêts élémen-
taires de l’Église catholique (entendre : à chaque fois que le futur mari était de
confession luthérienne)2. Les représailles prussiennes revêtirent un accent par-
ticulièrement énergique, qui donna un tour dramatique à l’« affaire » : le roi
Friedrich Wilhelm III fit procéder à l’arrestation de l’archevêque de Cologne,
qui, deux ans durant, fut assigné à résidence dans la forteresse de Minden.
L’affaire prit fin mais cet épisode resta un véritable détonateur pour les catho-
liques allemands3 : il marqua le début d’une véritable prise de conscience de
leur unité. Le sacerdoce de Ketteler en conservera l’empreinte profonde : l’at-
titude de résistance de Mgr von Droste zu Vischering ne pouvait que l’inviter
au réveil d’une identité religieuse jusqu’alors restée en sommeil. Ancien fonc-
tionnaire, Ketteler mettra même tout son zèle, celui du néophyte, pour
exprimer la haine de ce qu’il fut, contribuant décisivement à resserrer les rangs
dispersés des catholiques, au point de figurer en toute première place parmi
les principaux accoucheurs du Zentrum4. Le souvenir du traumatisme sera

1. J. von GÖRRES, Athanasius, Ratisbonne, Manz, 1838.


2. Conflit récurrent mais qui, jusque-là, n’avait été traité par l’Église catholique qu’à travers
la seule question du divorce. Cf., par exemple, la réponse fermement négative du Pape Pie VII
à Mgr Karl Theodor von Dalberg, prédécesseur de Ketteler à Mayence, qui lui demandait si les
sacrements pouvaient être accordés aux conjoints catholiques ayant contracté un mariage avec
un protestant divorcé devant un ministre du culte non catholique (PIE VII, Bref Etsi fraternitatis
à l’archevêque de Mayence, 8 octobre 1823 ; in H. DENZINGER, 2705-2706, p. 626-627).
3. En 1840, le nouveau roi Friedrich Wilhelm IV calme le jeu et met fin au conflit. Il libère l’ar-
chevêque et donne l’ordre d’achever la cathédrale de Cologne, devenue depuis le symbole archi-
tectural de la vitalité du catholicisme allemand (T. NIPPERDEY, « La cathédrale de Cologne,
monument à la nation » [1981], Réflexions sur l’histoire allemande, op. cit., p. 222-245).
4. Parti du Centre, le Zentrum est fondé dès 1870 par Ludwig Windhorst. Prenant la suite
d’Hermann von Mallinckrodt, il le dirigera sans discontinuer de 1874 à sa mort (1891). Ketteler
peut en être considéré comme le cofondateur. Non seulement, il a contribué à le doter d’un
corps de doctrine stable ; mais surtout, dès 1848, lors du congrès réunissant à Mayence l’assem-
blée générale des catholiques allemands, il avait appelé de ses vœux la création d’un parti confes-
sionnel. Notons que le Vatican a autorisé la création de partis catholiques dans les seuls cas de
défense religieuse. D’où la création du Zentrum allemand mais la condamnation du Sillon de
Marc Sangnier en France. Le Zentrum disparaîtra avec l’avènement du nazisme.
180 La subsidiarité catholique...

surtout ravivé à partir de 1872 au moment où Bismarck lance sa politique de


Kulturkampf. Le nouvel Empire prussien se tourne à présent vers l’Est, et non
plus vers la Rhénanie, pour s’en prendre au Primat de l’Église de Pologne,
Mgr  Mieczysław Ledóchowski, archevêque de Posen et Gnesen, lui aussi
arrêté et interné1. Mais c’est de l’Ouest, de Rhénanie et de Ketteler, désormais
évêque de Mayence, que viendra la riposte la plus véhémente2.
Avant même sa défense de l’éducation catholique dont il est question ici,
Ketteler s’était engagé dans un combat acharné contre la Prusse impériale,
contre cette bourgeoisie protestante et libérale, nationaliste et bureaucra-
tique. Son mot d’ordre  : lutter contre la centralisation, fruit maléfique de
l’absolutisme étatique. La centralisation étouffe les vertus humaines, écrit-il,
n’hésitant pas à paraphraser Tocqueville (qu’il ne manque pas de citer avec
admiration) ; elle réduit l’intérêt pour la chose publique et « détruit les orga-
nisations au moyen desquelles les hommes se réunissent et s’associent pour
concerter et administrer leurs affaires »3. C’est par un vibrant appel à l’auto-
nomie communale qu’il entre dans la carrière politique en 1848.
« Tant que la famille, la commune, peuvent se suffire pour atteindre leur but
naturel, on doit leur laisser leur libre autonomie. Par là tout le monde et non
seulement les savants, mais le peuple entier prennent part au gouvernement. Le
peuple régit lui-même ses propres affaires : il fait une école pratique de politique
dans l’administration communale où se reproduisent en petit les questions qui
sont traitées en grand dans les parlements. C’est ainsi que le peuple acquiert la
formulation politique et la capacité qui donne à l’homme le sentiment de son
indépendance4. »
L’esprit de la subsidiarité est bien là. Si le mot n’apparaît jamais expres-
sis verbis sous sa plume, les linéaments annonciateurs n’en sont pas moins
présents. Subsidiäre Recht  : voilà le rôle que Ketteler réserve à l’État en
matière d’éducation et d’enseignement5. Le danger guette toujours, assène-

1. Deux diocèses polonais (Poznan et Gniezno) situés en territoire prussien (d’où le titre de
Primat de Pologne). Mieczysław Ledóchowski n’est autre que l’oncle de Wladimir, Général des
jésuites rencontré plus haut pour son rôle dans l’écriture de Quadragesimo anno.
2. Notons que dès 1873, avant même que le conflit ne s’emballe, Ketteler publie un essai sur les
rapports entre Église et État, essai dans lequel il déclare reconnaître l’autorité de l’Empire tout en
demandant l’égalité administrative entre catholiques et luthériens (W.  E. von  KETTELER,
Le Kulturkampf ou la lutte religieuse en Allemagne [1873], trad. fr., Paris, Haton, 1875).
3. W. E. von KETTELER, Liberté, autorité, Église, op. cit., p. 87. Toutes proportions gardées, le
prussianisme remplira outre-Rhin le rôle joué par le jacobinisme dans la France postrévolution-
naire  : champ d’adversité du catholicisme. Diabolisation du jacobinisme centralisateur d’une
part, diabolisation du prussianisme centralisateur d’autre part. Au-delà du cas tocquevillien (dif-
ficilement réductible à cette seule dimension), pensons surtout à Hippolyte Taine (H. TAINE,
Les Origines de la France contemporaine [1875-1893], éd. F. Léger, Paris, Laffont, 1990, 10 vol.,
spécialement La Conquête jacobine [1881], in I. L’Ancien Régime ; La Révolution). Dans l’Alle-
magne d’après-guerre, quand catholiques et protestants se réuniront à la faveur du traumatisme
nazi, c’est la Prusse qui servira de bouc émissaire commun : moyen pour les luthériens de sauver
la Réforme ; moyen pour les catholiques de stigmatiser la centralisation.
4. W.  E. von  KETTELER, Lettre ouverte à mes électeurs, 17  septembre 1848, citée dans
G. DECURTINS, Œuvres choisies de Mgr Ketteler, op. cit., p. XXXVII (Offenes Schreiben des
Deputierten in der deutschen Nationalversammlung Pfarrers von Ketteler an seine Wähler).
5. « Wer die Verhältnisse so vieler Kinder gerade in den ärmsten und verkommensten Schichten
des Volkes kennt, muss den Grundfass einer absoluten Herrschaft der Eltern über die Kinder,
welcher der vollen Willkür über die Kinder gleichkäme, als einen unmenschlichen verwerfen.
Subsidiarité et autorité spirituelle. La condamnation pontificale 181

t-il, d’aboutir à un esclavage étatique de l’esprit et des âmes ; il suffit que la


puissance publique aille au-delà de sa subsidiarité naturelle. À longueur de
pages et de discours, Ketteler s’épuise à rappeler la fonction supplétive de
l’État par rapport à la personne et aux communautés premières d’apparte-
nance : car l’école, répète-t-il dans la plus pure tradition catholique, n’est rien
d’autre que l’« auxiliaire subordonné »1 des parents. Et non l’inverse : ce sont
d’abord les familles qui, en parfaite harmonie avec l’Église, ont en charge
l’éducation et l’instruction de leurs enfants, la collectivité publique ne rem-
plissant qu’après-coup un rôle de coordination et de surveillance. Or, selon
Ketteler, à rebours de cette loi naturelle, les xviiie et xixe  siècles, ont vu
s’abattre le maléfice de l’« absolutisme » étatique, tendant à installer l’école
publique comme seule et unique dépositaire des affaires éducatives. L’École,
lit-on dans le style inimitable du catholicisme kettelérien, celui de la victime
persécutée, serait devenue «  une institution purement gouvernementale,
placée en dehors de la famille et de l’Église »2. Les parents seraient dépossé-
dés de leurs droits et remplacés par un corps enseignant dépendant du seul
ministre de l’Instruction publique, à même de décider de la forme et du
contenu de l’éducation de tous les enfants. Pareille diatribe est classique dans
la bouche d’un catholique. Ketteler ne fait que résumer et fixer le cœur de la
doctrine éducative du catholicisme officiel. Mais, en défendant la liberté d’en-
seignement, il s’agit certes de revendiquer la liberté de conscience, le droit
imprescriptible des parents de choisir eux-mêmes le type d’éducation qu’ils
veulent donner à leurs enfants ; il s’agit aussi, et plus fondamentalement,
de permettre à la vérité chrétienne de recouvrer — ou de conserver — toute
sa place dans la vie publique. Regrettant l’époque où « l’Église [était encore]
la mère et la fondatrice des écoles », le prélat préconisait donc de replacer la
mission scolaire dans la stricte dépendance des parents3.
Nous savons par ailleurs combien la question scolaire (indépendamment
de la question sociale déjà étudiée), travailla tout le catholicisme européen
du xixe siècle postrévolutionnaire. Combien, via l’Université laïque, elle joua
un rôle catalyseur sans égal dans l’émergence du catholicisme libéral, en ce
domaine si stratégique jusque-là réservé au seul clergé4. Du haut de sa portée

Dagegen ist es harter Absolutismus, eine wahre Geistes- und Seelenknechtung, wenn der Staat
dieses, ich möchte sagen, subsidiäre Recht missbraucht. Es geht seiner Natur nach nie über das
Recht hinaus, eine gewisse unterste Bildungsstusse von allen Kindern zu fordern, und es darf
immer nur unter voller Berücksichtigung der Rechte und Pflichten der Eltern, namentlich auch
bezüglich der religiösen Erziehung der Kinder, geübt werden. » (W. E. von KETTELER, « Die
Katholiken und das neue deutsche Reich » [1871], op. cit., p. 162).
1. W. E. von KETTELER, Liberté, autorité, Église, op. cit., p. 193 sq.
2. Ibid., p.  195. Propos repris de manière synthétique dans une publication plus tardive
(W. E. von KETTELER, Devoirs des parents et de la famille en présence des conditions nouvelles
faites aux écoles primaires [1871], trad. fr. E. Pfeiffer, Paris, Œuvre de Saint-Paul, 1882).
3. W. E. von KETTELER, Liberté, autorité, Église, op. cit., p. 197. Et pour cause : « la famille
[appartenant] encore en grande partie au christianisme », défendre ses prérogatives éducatives,
c’est lutter contre l’incrédulité et l’athéisme des Temps modernes. Lui laisser le soin d’éduquer
les enfants, c’est s’assurer d’un enseignement conforme aux préceptes de la religion catholique.
4. Sur cet épisode charnière du xixe siècle, cf., notamment, P. BÉNICHOU, Le Temps des pro-
phètes. Doctrines de l’âge romantique [1977], Paris, Gallimard, 2001, p.  121-173. Sur le cas
182 La subsidiarité catholique...

emblématique, le cas de Lamennais révèle ici ce qu’il y a de circonstanciel,


voire d’opportunité stratégique, dans le rapprochement entre libéralisme et
catholicisme. La conspiration innocente dont nous parlons est précisément
née sur cette question précise, qui, mieux qu’aucune autre, rend raison du
lien consubstantiel entre les intérêts d’un groupe social, le clergé, et la doc-
trine qui le justifie. Le terrain éducatif remplit en quelque sorte un office
matriciel, car, bientôt, ce qui valait pour l’enseignement, sera appliqué à
l’ensemble de la société, via la dignification démocratique des masses. En
tant qu’héritier paradoxal de son homologue libéral, le catholicisme social
reprendra sur ce point, comme sur de nombreux autres, l’essentiel du propos
de son aîné.
Le prélat allemand ne vivra pas assez vieux (il meurt en 1877) pour
constater l’ironie de sa victoire. Victoire car, jamais, le Kulturkampf n’a réussi
à venir à bout de la résistance catholique. Ironie car, dès 1878-1879, la poli-
tique anticatholique de Bismarck se transforme terme à terme en grande
coalition contre le socialisme — le Zentrum choisissant l’alliance avec ses
ennemis libéraux d’hier. Kulturkampf bismarckien enterré (1887) mais
Empire prussien consolidé, le cocktail avait un goût trop amer pour satisfaire
le Vatican, qui, dans une lettre adressée aux évêques de Bavière, se laissera
aller à une dernière lamentation :
« L’Église a [...] un juste motif de gémir lorsqu’elle voit que ses enfants lui sont
arrachés dès le premier âge et qu’on les force à entrer dans les écoles où, lorsque
toute connaissance de Dieu n’est pas supprimée, elle n’est que superficielle et
mêlée de faux ; où il n’y a aucune barrière contre le flot des erreurs, aucune foi
aux enseignements divins, aucune place pour la vérité qui lui permette de se
défendre elle-même1. »
Le rapprochement, a priori suggestif, entre le point de vue de Mgr  von
Ketteler et les thèses, antérieurement formulées, du penseur libéral Wilhelm

français, cf. L. JAUME, L’Individu effacé ou les paradoxes du libéralisme français, Paris, Fayard,
1997, p.  238-278, p.  407-444). Les débats portaient sur la liberté de l’enseignement en général
et sur le monopole universitaire issu de la politique napoléonienne, en particulier. Citons, ici,
un texte du premier Lamennais (F.  de  LAMENNAIS, «  De l’Université impériale  » [1814],
Mélanges religieux et philosophiques, Paris, Tournachon-Molin, 1819, p.  400  sq.) et le fameux
discours de Montalembert (C. de MONTALEMBERT, L’Église libre dans l’État libre. Discours
prononcé au Congrès catholique de Malines, Paris, Douniol, Didier, 1863). Sur la question de
l’éducation, le second Lamennais (après 1830) ne se distingue pas franchement du premier.
Notons que, pour diffuser les thèses du catholicisme libéral, l’un de ses disciples Philippe Gerbet
fondera en 1836 une revue au titre évocateur : L’Université catholique. Parmi les contributeurs
réguliers à ce périodique, Louis Rousseau, auteur de la fameuse Croisade du XIXe siècle. Sur cette
figure quelque peu oubliée, cf. J. TOUCHARD, Aux origines du catholicisme social. Louis Rous-
seau, 1787-1856, Paris, Armand Colin, 1968.
1. LÉON XIII, Lettre Officio sanctissimo, 22  décembre 1887, Acta Sanctae Sedis, 1887, XX,
p. 257-271 (in A. F. UTZ, III, p. 2384-2413, ici p. 2401). Pour l’essentiel, cette lettre pontificale
de 1887 adopte un ton très similaire à celui de la lettre précédemment adressée aux évêques de
Prusse (LÉON XIII, Lettre Iampridem Nobis, 6 janvier 1886, Acta Sanctae Sedis, 1885, XVIII,
p. 387-394 ; in A. F. UTZ, III, p. 2594-2607). Soulignons que les lois anticatholiques sont abro-
gées dès 1887, à l’exception de celles concernant le mariage civil et l’École publique. Les jésuites
sont rappelés en 1918 ; la République Weimar mettra en place un régime de liberté religieuse. Sur
tous ces points, cf. R. MORSEY, « Die deutschen Katholiken und der Nationalstaat zwischen
Kulturkampf und Ersten Weltkrieg », Historisches Jahrbuch, 1970, p. 31-64.
Subsidiarité et autorité spirituelle. La condamnation pontificale 183

von Humboldt trouve rapidement ses limites. Certes, le libéralisme allemand


a toujours été très méfiant vis-à-vis de la prétention de l’État à exercer un
monopole sur l’éducation, mais pour des raisons diamétralement opposées à
celles invoquées par le camp romain. Tout le conflit entre les anthropologies
protestante et catholique s’exprime ici et peut expliquer la différence de
coloration religieuse entre les libéralismes allemand et français  : intériorité
individuelle contre extériorité institutionnelle1. Incontestablement, c’est Wil-
helm von Humboldt qui incarne le mieux la version allemande de cette
conception négative du rôle de l’État. Agitant à dessein l’épouvantail de l’uni-
formité — selon lui, le plus grand danger pour une société —, il rejette caté-
goriquement toute action publique prétendant améliorer le «  bien-être
positif » (positiver Wohlstand) de tous2. Non point aide apportée à l’individu,
pareille intervention de l’État constituerait au contraire un obstacle rédhibi-
toire à l’épanouissement de la Bildung, à la formation intérieure et au déve-
loppement moral des capacités singulières de chacun.

Bref intermède en guise de transition, quelques rappels historiques nous


semblent nécessaires à ce stade du raisonnement pour préparer notre étude du
cas spécifique de Pie XI. Nous avons jusque-là analysé comment le processus
de monopolisation de l’éducation avait opéré contre l’Église au profit de
l’État ; à l’aide d’une synthèse de la littérature autorisée, il s’agit à présent de
rappeler comment cette dynamique a historiquement été réorientée au point
de métamorphoser l’éducation en compétence étatique comme les autres. L’es-
sentiel de la pièce se joue ici au xixe siècle — siècle de l’affirmation des nations
modernes, siècle de la mise en place des « monopoles » publics « de l’éduca-
tion légitime »3 : unification nationale et homogénéisation culturelle, construc-
tion de grands récits collectifs et effacement des particularismes locaux.

1. W. von HUMBOLDT, Essai sur les limites de l’action de l’État [1792], trad. fr. H. Chrétien,
K. Horn, Paris, Les Belles Lettres, 2004. À l’opposé de la tradition allemande, le libéralisme fran-
çais est prioritairement un « libéralisme par l’État » (L. JAUME, L’Individu effacé, op. cit.).
2. Au motif de ne pas sacrifier l’homme au citoyen, Humboldt va même jusqu’à rejeter l’idée
d’un financement de l’École par l’État. L’École doit, selon lui, être publique (öffentlich) mais au
sens d’une affaire publique qui concerne l’ensemble du corps social et doit être régulée par la
société elle-même. Cf. les analyses dumontiennes (L. DUMONT, « Wilhelm von Humboldt ou
la “Bildung” vécue », Homo aequalis, II. L’idéologie allemande, Paris, Gallimard, 1991, p. 108-
184). Nous n’abordons pas ici les questions posées par l’itinéraire ultérieur de Humboldt, qui
devint ministre prussien de l’Éducation (1809-1810) et fonda l’Université de Berlin.
3. E. GELLNER, Nations et nationalisme [1983], trad. fr. B. Pineau, Paris, Payot, 1989, p. 56 ;
M. WEBER, « Le métier et la vocation d’homme politique » [1919], Le Savant et le politique,
trad. fr. J. Freund, E. Fleischmann, É. de Dampierre, Paris, Plon, 1997, p. 124-125. Il importe de
prendre au sérieux ce clin d’œil wébérien, au sens où le monopole scolaire de l’État peut tout à
fait s’interpréter comme la reformulation, sur un mode euphémisé, d’une part de la violence éta-
tique. On sait par ailleurs combien les travaux gellnériens insistent sur le poids des facteurs éco-
nomiques et matériels. Le monopole étatique de l’éducation — créateur de l’identité nationale
— serait consciemment orienté vers l’objectif stratégique de fournir une force de travail formée
et efficace à l’État industriel. En contrepoint, cf. les travaux qui rendent davantage raison du rôle
des vecteurs symboliques et culturels : B. ANDERSON, L’Imaginaire national. Réflexions sur
l’origine et l’essor du nationalisme [1983], trad. fr. P.  E. Dauzat, Paris, La Découverte, 2002 ;
E. HOBSBAWM, Nations et nationalismes depuis 1780 [1990], trad. fr. D. Peters, Paris, Galli-
mard, 1992.
184 La subsidiarité catholique...

À grands traits, deux phases sont identifiables dans le rapport — somme


toute très tardif — qui s’établit entre l’éducation et le couple État-nation.
Mythologie carolingienne mise à part, il n’y a rien de plus étranger aux pre-
mières formes d’État monarchique que l’enjeu éducatif. Le processus a
maintes fois été mis en évidence, qui a historiquement conduit à l’avènement
des États territoriaux sur le continent européen autour des grands monopoles
fondateurs : la justice et l’armée, la police et la fiscalité1. Dès les commence-
ments, l’éducation se trouve au cœur de la problématique politique (nous
l’avons vu avec Aristote), mais elle n’a jamais fait partie ni des tâches réga-
liennes de l’État-gendarme, ni du « montage » chimiquement pur de la souve-
raineté moderne2. On serait bien peine d’en repérer la moindre trace dans le
dispositif originaire de l’appareil étatique.
L’époque est à l’édification de l’État, pas encore à l’affirmation des iden-
tités nationales. Non point éducative, la logique initiale de la construction
étatique est fondamentalement guerrière et militaire3. C’est la guerre qui
attire à elle les fonds publics. C’est la guerre qui circonscrit les territoires
nationaux et préside, via sa domestication (Hegung) juridique4, à la naissance
des États modernes. État militaire contre État éducateur, État éducateur au
service de l’État militaire, pourrait-on même se risquer à dire, en faisant réfé-
rence au réseau florissant d’écoles et autres académies militaires chargées de
former les soldats professionnels. Citons Kant, qui résume fort bien la teneur
matricielle de cette polarité guerre-éducation, abondamment thématisée
depuis :
« Les gouvernements du monde [n’ont] pas, jusqu’à présent assez d’argent pour
organiser l’instruction publique, et en général pour tout ce qui touche l’amé-
lioration du monde, parce que tout est par avance réservé pour la guerre à
venir5. »
Dans un second temps seulement, au fur et à mesure que s’épanouissent en
Europe les mots d’ordre national et démocratique, le poids pris par l’État
dans la gestion de l’activité éducative augmente de manière tout à fait signifi-
cative. À partir de la fin xviiie siècle et selon une logique grandissante tout au

1. Norbert Elias a justement décrit les ressorts de cette «  loi du monopole  » (N.  ELIAS, La
Dynamique de l’Occident [1939], trad. fr. P. Kamnitzer, Paris, Calmann-Lévy, 2003, p. 25-41).
2. Pensons, bien sûr, à Jean Bodin ; notons que le constat serait différent chez Hobbes. Montage
entendu au sens de Pierre Legendre (P. LEGENDRE, Le Désir politique de Dieu. Étude sur les
montages de l’État du Droit [1988], Paris, Fayard, 2005 ; De la société comme texte. Linéaments
d’une anthropologie dogmatique, Paris, Fayard, 2001).
3. Dans des registres fort différents, cf. M. FOUCAULT, « Il faut défendre la société ». Cours
au Collège de France 1976, Paris, Gallimard, Le Seuil, 1997 ; C. TILLY, « War Making and State
Making as Organized Crime », Bringing the State Back In, dir. P. B. EVANS, D. RUESCH-
MEYER T. SKOCPOL Cambridge, Cambridge University Press, 1985, p. 169-191.
4. Encore une fois, nous renvoyons à C. SCHMITT, Le Nomos de la Terre, op. cit.
5. E.  KANT, Idée d’une histoire universelle au point de vue cosmopolitique [1784], trad. fr.
J.-M. Muglioni, Paris, Bordas, 1989, VIII, p. 24. Le cas français montre que la situation a, depuis,
été totalement inversée. En 1981, le budget français de la Défense était presque deux fois supé-
rieur à celui de l’Éducation nationale. En 2009, les rapports ne se sont pas loin de s’inverser : le
budget de la Défense est d’environ 37 milliards d’euros (soit 10 % du total) ; celui de l’Éducation,
premier poste de dépenses après le remboursement de la dette, s’élève à 70 milliards d’euros —
59 milliards pour l’enseignement scolaire (20 %) et 11 pour le supérieur (3 %).
Subsidiarité et autorité spirituelle. La condamnation pontificale 185

long du siècle suivant, l’État devient pleinement éducateur, et donne corps


substantiel au projet rationnel des Lumières : former des citoyens autonomes,
construire une opinion publique éclairée, débarrassée de tout asservissement
religieux1.
Véritable césure symbolique, 1762, année du bannissement de la Compa-
gnie de Jésus hors du royaume de France, constitue l’acte de naissance de
l’État éducateur à la française2. Cette expulsion brutale des jésuites — ordre
religieux depuis toujours considéré comme le cheval de Troie du Vatican —
ouvre une nouvelle période de l’histoire de l’État en même temps qu’une
réflexion publique sans précédent sur le système éducatif national3. L’homo-
logie se dessine d’elle-même pour la période ultérieure, de Condorcet à Jules
Ferry, entre l’avènement du système scolaire moderne, l’extension du droit
de vote et la mise en place des institutions républicaines. Fille de l’idée de
progrès, cœur principiel du projet révolutionnaire, l’éducation elle-même
n’en sera pas moins douloureusement travaillée — aimantée — par une pola-
rité aux potentialités dangereusement contradictoires  : d’un côté, l’horizon
d’une nécessaire régénération de l’homme — prémisse de l’avènement du
peuple nouveau —, au besoin par la terreur ; de l’autre, la modération libérale
d’un Condorcet insistant sur l’impérieux devoir d’instruire la nation nouvel-
lement créée. 1793 contre 17894.

De l’une à l’autre de ces deux étapes, le parallèle historique entre mono-


pole ecclésial et monopole étatique de l’éducation rappelle, s’il en était besoin,
à quel point la nouvelle identité nationale joua peu ou prou la même fonction
que l’ancienne identité religieuse. L’éducation sera bien ce vecteur d’expres-
sion privilégié des « religions séculières » modernes ; elle le paiera d’un mons-
trueux dévoiement5. Ici encore, la scène se joue, en définitive, dans une

1. C’est bien avec l’avènement de la souveraineté nationale et du suffrage universel que la tâche
éducative commence à être pleinement, en tant que telle, assumée par l’État démocratique.
2. Cf., ici, C.  LELIÈVRE, Histoire des institutions scolaires, 1789-1989, Paris, Nathan, 1994 ;
C.  NIQUE, Comment l’éducation devint une affaire d’État, 1815-1840, Paris, Nathan, 1990.
Ajoutons, toujours à partir du cas français, que 1o l’enseignement universitaire était assuré par
l’Église depuis le Moyen Âge ; 2o l’enseignement élémentaire était, lui, principalement assuré par
les collèges jésuites, ne touchant également qu’une infime couche des classes supérieures.
3. Notons au passage combien le parallèle est évident avec le Kulturkampf allemand du xixe.
4. Cf. F. FURET, Penser la Révolution française [1978], Paris, Gallimard, 2005 ; M. OZOUF,
L’Homme régénéré. Essai sur la Révolution française, Paris, Gallimard, 1989.
5. R. ARON, L’Âge des empires et l’avenir de la France, Paris, Éditions Défense de la France,
1945 ; « L’avenir des religions séculières » [1944], Chroniques de guerre. La France libre, 1940-
1945, Paris, Gallimard, 1990, p. 925-948 : « doctrines qui prennent dans les âmes de nos contem-
porains la place de la foi évanouie et situent ici-bas, dans le lointain de l’avenir, sous la forme
d’un ordre social à créer, le salut de l’humanité » (Ibid., p. 926). Cf. aussi les travaux anticipa-
teurs, parus dès 1938, d’Eric Voegelin (E. VOEGELIN, Les Religions politiques, op. cit.), aux-
quels il faut ajouter ceux de Ernst Cassirer, publiés juste avant sa mort (E.  CASSIRER, Le
Mythe de l’État, op. cit.). Le thème était déjà présent sous la plume d’un Vilfredo Pareto, que
Raymond Aron a contribué à introduire en France. Nous verrons plus loin qu’à la suite de Voe-
gelin, Aron abandonnera explicitement le concept de religion séculière au profit de la notion de
gnose. L’interprétation des totalitarismes comme religions politiques a connu un important
renouveau ces dernières années, particulièrement chez des auteurs qui ne font pas mystère de
leur foi catholique (H.  MAIER, M.  SCHÄFER, éd., Totalitarismus und politische Religionen.
186 La subsidiarité catholique...

période historique très ramassée. Après un bref épanouissement au xixe, l’am-


bition monopolistique de l’État, qui avait su se frotter à l’aura sacrée du legs
ecclésial, se trouve totalement subvertie — puis pervertie — au siècle suivant.
D’un point à l’autre, c’est bien sûr la tragédie des totalitarismes, qui défigure
toute la physionomie de l’État éducateur, lui conférant, de manière rédhibi-
toire, ses traits les plus grisâtres et les plus grimaçants. La facilité du regard
rétrospectif révèle ce qu’il en est réellement du prétendu cheminement vers le
progrès humain, via le partage de l’instruction, de l’éducation et de la culture.
« Nous savons [désormais], écrit George Steiner, que la qualité de l’éducation
dispensée et le nombre de gens qu’elle touche ne se traduisent pas nécessaire-
ment par une stabilité sociale ou une sagesse politique plus grandes. »
Voici l’indépassable leçon du xxe siècle : haute culture humaniste et sauva-
gerie concentrationnaire ne sont pas exclusives l’une de l’autre ; pire, haute
culture humaniste et sauvagerie concentrationnaire sont tout à fait à même
non seulement de coexister au sein d’une même communauté de destin mais
aussi de cohabiter à l’intérieur d’un même individu1. L’invitation au dégrise-
ment a été entendue ; mais il est fort probable qu’à la faveur de la précipita-
tion post-totalitaire elle n’ait pas donné lieu à un diagnostic suffisamment
établi. L’épisode totalitaire, s’est-on accordé à dire au lendemain du drame,
avait mis au jour l’ambition profonde de l’État, consubstantielle à son
existence : être l’accoucheur et l’éducateur d’un homme nouveau2. Et d’im-
puter à l’institution étatique la responsabilité du mensonge maléfique de la
Raison, la culpabilité trop humaine — et trop lourde à porter — de ce four-
voiement effréné dans une marche historique vers le mieux. L’État totali-
taire : simple surgeon d’une Raison, elle aussi « totalitaire » car viscéralement
instrumentale3. Il faudrait rétorquer, ici, ce que nous disions déjà en intro-

Konzepte des Diktaturvergleichs, I, II, III, Paderborn, Schöningh, 1996, 1997, 2003). Pareille
interprétation continue bien sûr de faire débat. On sait, par exemple, les réticences de Marcel
Gauchet, qui préfère parler d’« âge des idéologies », lequel marquerait à ses yeux une nouvelle
étape (la dernière) dans la sortie de l’hétéronomie religieuse (M. GAUCHET, Le Désenchante-
ment du monde, op. cit., p. 257, p. 262, n. 1). Le troisième tome annoncé de L’Avènement de la
démocratie portera précisément sur l’épreuve des totalitarismes.
1. « En d’autres termes, les bibliothèques, musées, théâtres, universités et centres de recherche,
qui perpétuent la vie des humanités et de la science, peuvent très bien prospérer à l’ombre des
camps de concentration. » (G. STEINER, Dans le château de Barbe-Bleue. Notes pour une redé-
finition de la culture [1971], trad. fr. L. Lotringer, Paris, Gallimard, 1991, p. 90, p. 100). Cité dans
J.-P. LE GOFF, La Démocratie post-totalitaire, Paris, La Découverte, 2003, p. 185.
2. Indice historique révélateur du coup porté à l’éducation étatique, la lutte contre toute forme
de monopole scolaire a été consacrée en 1950 par le Conseil de l’Europe (Convention euro-
péenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, Protocole I, article 9,
article 2). Les mots de la Convention ne sont pas sans rappeler ceux du Pape Pie XI déjà cités
plus haut (PIE XI, Divini illius Magistri ; in A. F. UTZ, II, p. 1381). L’État, précisait-il dans le
même texte, devait se borner à distribuer « des subsides appropriés », de manière à encourager
« l’initiative et [...] l’action de l’Église et des familles » (Ibid. ; in A. F. UTZ, II, p. 1403). Tout se
passe comme si l’on devait retrouver l’une des sources étymologiques de la subsidiarité.
3. Par delà la critique foucaldienne de l’humanisme ou, plus encore (en dehors des enjeux stric-
tement relatifs à la modernité tardive des Lumières), les lamentations heideggériennes sur l’oubli
de l’Être (s’agissant du thème de l’«  arraisonnement  » technique, cf. M.  HEIDEGGER, «  La
question de la technique » [1954], Essais et conférences, trad. fr. A. Préau, Paris, Gallimard, 1995,
p.  9-48), nous faisons référence à la thèse de l’École de Francfort sur le mensonge du projet
Subsidiarité et autorité spirituelle. La condamnation pontificale 187

duction. La raison instrumentale (totalitaire) révèle-t-elle à ce point la vérité


ultime et définitive de la Raison de l’Aufklärung ? N’en est-elle pas plutôt la
disqualification délibérée (ou inconsciente) ? Faut-il vraiment parler de
Raison ontologiquement instrumentale et totalitaire, ou bien, plus justement
d’instrumentalisation totalitaire de la Raison ? Eu égard à notre sujet, deux
questions plus circonscrites mériteraient d’être posées : l’une sur l’identifica-
tion des destinataires naturels de l’éducation ; l’autre sur la définition même
de l’État. Peut-on, en toute logique, parler d’éducation des adultes sans
charger la notion d’éducation d’une dangereuse ambiguïté et, au bout du
compte, la vider de son sens1 ? Est-il encore État ce Parti-État idéologique qui
prétend rééduquer la société : non pas éduquer les seuls enfants mais réédu-
quer l’Homme — l’adulte (« l’homme fait » disait saint Thomas) autant que
l’enfant, enfants et adultes indistinctement ?

Les termes sont ainsi posés pour la propagation d’un chantage maladif à
l’État totalitaire : l’Église catholique sera son principal porte-voix, la subsidia-
rité son principal vecteur conceptuel, l’Allemagne son principal laboratoire
d’expérimentation. S’agissant de l’Allemagne tout d’abord. Nous aurons à
revenir plus longuement sur le moment post-totalitaire et sur la reformulation
fédérale de sa constitution politique. Mais profitons du présent développe-
ment pour souligner que, dès l’immédiat après-guerre, la question de l’éduca-
tion a également revêtu une grande importance pour la diffusion sémantique
du principe de subsidiarité. Qu’il suffise de mentionner l’important débat
doctrinal suscité par le vote, en 1953, de la Jugendwohlfahrtgesetz, la loi sur la
protection de la jeunesse (restée fameuse pour avoir procédé, entre autres
choses, à la création d’un Office spécialement dédié à cet effet). Le mot subsi-
diarité n’apparaissait pas dans le texte même de la loi, mais il figurait expressis
verbis dans une résolution parlementaire adoptée en accompagnement du dis-
positif législatif pour qualifier le rôle de l’État2. Sans parler de subsidiarité,
donc, la loi de 1953 n’en précisait pas moins de manière très explicite que les
institutions de l’État ne devaient intervenir qu’en dernière instance si les

émancipateur porté par la Raison moderne, qui contiendrait en son propre sein une double muti-
lation de l’homme par l’homme : un programme déshumanisant de rationalisation de la société,
un programme instrumentalisant de rationalisation de la vie humaine. D’où ce verdict signé
Adorno et Horkheimer : « la raison est totalitaire » (T. W. ADORNO, M. HORKHEIMER,
Dialectique de la Raison [1943], trad. fr. É. Kaufholz, Paris, Gallimard, 1996, p. 24).
1. Nous pensons aux analyses d’Hannah Arendt dans « La crise de l’éducation » : « L’éducation
ne peut jouer aucun rôle en politique, car en politique c’est toujours à ceux qui sont déjà éduqués
que l’on a affaire. Quiconque propose d’éduquer les adultes se propose en fait de jouer les
tuteurs et de les détourner de toute activité politique. Puisqu’on ne peut éduquer les adultes, le
mot “éducation” a une fâcheuse résonance en politique ; on prétend éduquer alors qu’en fait on
ne veut que contraindre sans employer la force.  » (H.  ARENDT, «  La crise de l’éducation  »
[1960], trad. fr. C.  Vezin, La Crise de la culture, op. cit., p.  227-228). Avant Hannah Arendt,
Émile Durkheim n’avait-il pas raison de définir l’éducation comme «  le moyen par lequel [la
société] prépare dans le cœur des enfants les conditions essentielles de sa propre existence  » ?
(É. DURKHEIM, Éducation et sociologie [1922], Paris, PUF, 2006, p. 51). Nous soulignons.
2. BGBL, 28 août 1953, 1035. Adoptée par le Bundestag le 18 juin 1953, la résolution précisait
qu’en matière d’aide à la jeunesse tous les efforts devaient s’effectuer « dans le respect du principe
fondamental de subsidiarité » (« unter der Wahrung des Grundsatzes der Subsidiarität »).
188 La subsidiarité catholique...

familles et les organisations de jeunesse se révélaient défaillantes1. Au-delà de


cette question sémantique, somme toute assez anecdotique pour les acteurs
du moment, le débat philosophique s’est surtout emballé autour de l’épineuse
question du droit de regard de l’État sur le contenu pédagogique des pro-
grammes éducatifs exigibles à des subventions publiques. La contribution
financière de l’État appelait-elle, en contrepartie, un droit de regard dans la
définition des actions éducatives ? Le financement public devait-il être entière-
ment exempté de toute clause de conditionnalité sur le fond2 ? Autant d’inter-
rogations, toujours très contemporaines, y compris en régime libéral, qui tra-
vaillaient alors les fondements mêmes de la légitimité de l’État post-totalitaire,
ceux d’une institution étatique ravagée par le nazisme.
S’agissant de l’Église catholique ensuite. Nous avons ici affaire à un réflexe
pontifical, simple reconduction d’une stigmatisation persistante : celle qui a
affecté l’absolutisme étatique — l’État du Kulturkampf bismarckien en Alle-
magne, l’État de la laïcité républicaine en France. Reste à en révéler précisé-
ment la présence dans le discours du Vatican, chez le Pape Ratti en parti-
culier, et à analyser comment il opère sous sa plume ainsi que dans la bouche
de son successeur3. À lire Pie XI avec attention, nous constaterons en effet
que sa stratégie discursive a tout bonnement consisté en une subreptice assi-
milation du rôle éducatif de l’État à un pur et simple totalitarisme, actionnant
à dessein les ressorts rhétoriques de l’histoire sainte. D’un côté, la condamna-
tion ecclésiale du paganisme totalitaire, mais qui, même longtemps attendue,
resta très floue sur le sens précis à donner à cette évidente stigmatisation. Et
pour cause  : le Vatican avait trouvé là l’une de ses armes les plus efficaces
contre l’État lui-même. Une arme imparable aux effets dévastateurs, une
arme délivrant des coups auxquels toute réponse était par avance disquali-
fiée. Dans Mit brennender Sorge par exemple, le ton se faisait si péremptoire
qu’on aurait été bien en peine de trouver un adversaire légitime capable de
riposter sur le même registre :
« Des lois ou d’autres mesures qui éliminent dans les questions scolaires cette
libre volonté des parents, fondée sur le droit naturel ou qui la rendent inefficace
par la menace ou la contrainte, sont en contradiction avec le droit naturel et
sont foncièrement immorales4. »

1. Chantal Delsol a insisté sur la dimension sémantique de la dispute, qui s’est crispée autour de
la locution gegebenenfalls, l’État ne devant intervenir, « le cas échéant », qu’en cas d’insuffisance
de la société civile (C. MILLON-DELSOL, L’État subsidiaire, op. cit., p. 212).
2. Cf. A.  F. UTZ, Formen und Grenzen des Subsidiaritätsprinzips, Heidelberg, Kerle, 1956 ;
« Staat und Jugendpflege. Der Streit um die Auslegung eines Gesetzes », Die Neue Ordnung,
1956, 10, p. 205-212 ; « Subsidiarität, ein Prüfstein der Demokratie. Die subsidiäre Haltung des
demokratischen Staates in der Jungendhilfe  », Ethik und Politik. Aktuelle Grundfragen der
Gesellschafts-, Wirtschafts- und Rechtsphilosophie, Stuttgart, Seewald, 1970, III, p. 113-124.
3. Pie XII a multiplié les textes et déclarations (21 septembre 1950, 26 mars 1951, 14 septembre
1952, 24 août 1955, 10 novembre 1957) célébrant l’encyclique rattienne de 1929 sur l’éducation
catholique, Divini illius Magistri. Faute d’avoir pu y accéder directement, renvoyons ici à « Six
précisions sur la liberté de l’enseignement », Itinéraires, 1959, 36, p. 18-39.
4. « Des parents sérieux, conscients de leur devoir d’éducateurs, ont un droit primordial à régler
l’éducation des enfants que Dieu leur a donnés, dans l’esprit de leur foi, en accord avec ses pres-
criptions. » (PIE XI, Mit brennender Sorge ; in A. F. UTZ, I, p. 313). « N’oubliez jamais ceci : de
Subsidiarité et autorité spirituelle. La condamnation pontificale 189

De l’autre, des paroles lénifiantes ou excessives faisant comme s’il fallait


tout simplement s’en remettre à l’évidence des choses voulues par Dieu :
« L’État n’a rien à craindre de l’éducation donnée par l’Église, et sous les direc-
tives de l’Église ; c’est cette éducation qui a préparé la civilisation moderne en
tout ce qu’elle a de vraiment bon, en ce qu’elle a de meilleur et de plus élevé1. »
Inimitable angélisme de l’Église catholique, capable, par la voix de son
Pape, de déployer des trésors insoupçonnés de vocabulaire pour convaincre
de ses vertus tranquillisantes et pédagogiques. Mais c’est à présent l’ouver-
ture d’un nouveau chapitre qui trouve sa justification  : la question du rap-
port politique-éducation en tant que tel réclame ici de plus amples dévelop-
pements.

«  Puis [après le XIXe  siècle “grand responsable du


positivisme juridique”] devait venir l’État totalitaire de
marque antichrétienne, l’État qui [...] rompait tout
frein en face d’un droit divin suprême, pour dévoiler au
monde le vrai visage du positivisme juridique2. »
« [Les États] ont un besoin grandissant de recourir à
la collaboration de l’Église, à mesure que leur gouver-
nement touche à des manifestations plus élevées de la
vie humaine3. »

II. L’ÉTAT SUBSIDIAIRE,


FIGURE DE L’ÉTAT POST-TOTALITAIRE

Après avoir revendiqué le monopole de la formation de la jeunesse contre


le prométhéisme de l’État éducateur, l’Église s’attacha à démontrer que
l’échappement tragique de la respublica christiana, la sortie de la théocratie
médiévale, devait tout droit conduire à l’État totalitaire — ultime surgeon
de l’amor sui augustinien, retour contre-nature du césaropapisme byzantin.
Comment, en effet, l’État souverain, institution prétendument humaine,
pourrait-il être reconnu par l’Église comme autre chose que le modeste ins-
trument de la vérité divine ou le fidèle serviteur de la religion chrétienne, sans
faire automatiquement les frais d’un procès en totalitarisme ? Nous avons
rappelé en quoi l’État totalitaire, au sens strict, désigne une contradiction

la responsabilité qui, par la volonté de Dieu, vous lie vis-à-vis de vos enfants, nulle puissance
terrestre n’a le pouvoir de vous délier. Aucun de ceux qui aujourd’hui vous oppriment dans
l’exercice de vos droits d’éducateurs et prétendent vous relever de vos devoirs d’éducateurs ne
pourra répondre à votre place au Juge éternel. » (Ibid. ; in A. F. UTZ, I, p. 321).
1. PIE XI, Lettre autographe au Cardinal Pietro Gasparri (in A. F. UTZ, III, p. 2359).
2. PIE XII, Discours au tribunal de la Rote, 13  novembre 1949, Acta Apostolicae Sedis, 1949,
XLI, p. 604-608 (in SOLESMES, 1071, p. 545 ; A. F. UTZ, J. F. GRONER, I, p. 165).
3. E.  PACELLI, Lettre de la Secrétairerie d’État à Eugène Duthoit, Président des Semaines
sociales de France, 12 juillet 1933 (in SOLESMES, 654, p. 365).
190 La subsidiarité catholique...

dans les termes, mais là n’est pas l’important du point de vue de l’Église  :
l’important réside bien davantage dans l’analyse des conséquences du totali-
tarisme sur l’institution étatique elle-même. Force est de reconnaître que
l’accolement des deux mots par le discours catholique a bénéficié d’une
incroyable efficacité stratégique. Prétendu totalitarisme de l’État d’un côté,
mythe idéalisé de la Chrétienté médiévale de l’autre, tel est, en définitive, le
système de la pensée politique des papes de la première moitié du xxe, le tout
servi par quelques réminiscences du catastrophisme pontifical du siècle pré-
cédent. L’entérinement pacellien du fait démocratique n’y changera rien.
Bien au contraire  : cette nouvelle étape de réconciliation tactique avec la
modernité reposait tout entière sur trois rappels préalables parmi lesquels la
subsidiarité rattienne occupait une place de choix. Il nous revient ici de les
démêler : 1o le pouvoir temporel émane nécessairement de Dieu ; 2o le peuple
démocratique n’est peuple que s’il est Peuple de Dieu ; 3o l’État dégrisé du
totalitarisme ne saurait prétendre au titre d’État qu’en intégrant définitive-
ment son statut subsidiaire. Car, entre les deux, martèle Pie XII, entre l’État
totalitaire et l’État subsidiaire, il n’y a rien, il n’y a aucune alternative !
Aussi l’enjeu consiste-t-il à décrypter la stratégie pontificale d’assimilation
de l’État au totalitarisme telle qu’elle se met en place chez Pie XI et son suc-
cesseur. Convenons-en au moment de commencer, le mot subsidiarité est
peu présent sous leur plume. Et pour cause : il n’a pas encore, en tant que tel,
été consacré dans le répertoire lexical du Vatican — sauf sous la forme adjec-
tive et avec d’importantes distorsions selon les langues vernaculaires1. Si
Quadragesimo anno peut apparaître comme l’acte de naissance de la subsi-
diarité, c’est uniquement au travers de sa traduction allemande, et plus géné-
ralement de l’esprit germanique qui y a été insufflé par Oswald von Nell-
Breuning et Gustav Gundlach. On ne s’étonnera donc pas de l’absence
sémantique du substantif subsidiarité dans les grands textes de la fin du pon-
tificat de Pie XI : Mit brennender Sorge et Divini redemptoris. On ne s’éton-
nera pas non plus de l’absence sémantique de la subsidiarité dans les ency-
cliques de Pie XII, y compris la première, Summi pontificatus, qui, de bout en
bout, traite pourtant de la question de la place et du rôle de l’État2. Nous en
sommes encore au stade des balbutiements lexicaux et de l’incubation doc-

1. Citons deux textes. 1o « Ce que chaque homme peut faire de soi-même et avec ses propres
forces ne doit pas lui être enlevé et remis à la communauté ; principe qui vaut également pour les
communautés d’ordre inférieur par rapport aux communautés majeures et d’ordre supérieur.
Puisque toute activité sociale est par nature subsidiaire, elle doit servir de soutien pour les
membres du corps social et ne jamais les détruire ou les absorber  » (PIE XII, Allocution au
Consistoire, 20 février 1946 ; in SOLESMES, 949, p. 493-494 ; A. F. UTZ, J. F. GRONER, II,
p.  2068). 2o «  Il est indispensable, précisément aujourd’hui où l’ancienne tendance du “laissez
faire, laissez passer” est sérieusement battue en brèche, de prendre garde à ne point tomber dans
l’extrême opposé ; il faut, dans l’organisation de la production, assurer toute sa valeur directive à
ce principe, toujours défendu par l’enseignement de l’Église : que les activités et les services de la
société doivent avoir un caractère “subsidiaire” seulement, aider ou compléter l’activité de l’indi-
vidu, de la famille, de la profession. » PIE XII, Lettre Nous avons lu à Charles Flory, Président
des Semaines sociales de France, 19 juillet 1947 ; in A. F. UTZ, J. F. GRONER, II, p. 1618-1622,
ici p. 1621 ; M. CLÉMENT, II, p. 121-124, ici p. 123). Nous soulignons.
2. PIE XII, Summi pontificatus (in SOLESMES, 740-755, p. 401-411).
Subsidiarité et autorité spirituelle. La condamnation pontificale 191

trinale du concept1. Commencé avec Mgr von Ketteler au xixe siècle, ce par-


cours souterrain ne prendra fin que dans les années 1960, contexte qui don-
nera une coloration très singulière à la notion. Pareil décalage entre appari-
tion sémantique (en allemand) et appropriation doctrinale (par les papes) ne
doit pas surprendre ; elle ne saurait en tout cas occulter le rôle inaugural des
papes Ratti et Pacelli. Ce sont eux, à n’en pas douter, qui posent l’ensemble
du réseau de significations à l’intérieur duquel la subsidiarité trouvera son
sens  : le système totalitarisme-subsidiarité, l’axe État totalitaire-État subsi-
diaire. Leurs successeurs n’auront plus qu’à y puiser en fonction du contexte
et de leur sensibilité. Parmi eux, le Pape tombeur du totalitarisme soviétique
s’attribuera la tâche récapitulative de fixer la subsidiarité dans son sens quasi
définitif : un mot d’ordre contre la providence de l’État. Car, de l’État-provi-
dence à l’État totalitaire, nous dit-on, il n’y a qu’un pas.
Point de mot subsidiarité expressis verbis chez Pie XI, point non plus chez
Pie XII, mais la chose n’en travaille pas moins le discours pacellien de part en
part ; le fait est d’autant plus notable, nous le verrons, que, pendant toute la
durée de son pontificat, le Pape de la Seconde Guerre mondiale ne promul-
guera aucun texte doctrinal d’envergure sur les questions sociales2. Il n’em-
pêche, nous ne manquons pas d’indices corroborant la véracité de nos princi-
pales hypothèses  : les références à Quadragesimo anno se font constantes
dans les différentes déclarations du Pape Pacelli ; tous réunis, les ingrédients
rattiens du principe sont même réexploités au service d’une nouvelle drama-
turgie politique dont l’axe directeur, l’insistance sur la fonction «  subsi-
diaire » de l’État, a tout de l’obsession névrotique3. Outre les nombreux textes
pacelliens déjà cités, mentionnons surtout l’important Message de la Pente-
côte 1941, radiodiffusé à l’occasion du cinquantième anniversaire de Rerum
novarum, qui rappelle l’essentiel des enseignements classiques du Pape de
Quadragesimo anno4.

1. Relevons cette étape intermédiaire s’agissant du catholicisme francophone  : dans le compte


rendu de la Semaine sociale de 1947, la contribution de Jean Dabin, juriste belge, oppose le plura-
lisme de la doctrine sociale au totalitarisme de l’État, et ne manque pas de se référer à la « fonc-
tion supplétive de toute collectivité » telle que décrite dans Quadragesimo anno (J. DABIN, « Le
rôle de l’État  », Le Catholicisme social face aux grands courants contemporains, Lyon, Chro-
nique sociale de France, 1947, p.  345-371, ici p.  361-362, n.  1). «  La fonction [du Politique],
ajoute-t-il, est, en principe, de régir [...], non d’agir, l’action proprement dite ne devant inter-
venir, de la part de l’État, que de façon subsidiaire et supplétive. » (Ibid., p. 360).
2. L’ex-Secrétaire d’État devient Pape alors que le conflit est sur le point d’éclater.
3. Cf. PIE XII, Radio-message Idées sur l’ordre social nouveau, 1er septembre 1944, Acta Aspos-
tolicae Sedis, 1944, XXXVI, p. 249-258 (in A. F. UTZ, J. F. GRONER, I, p. 354-367 ; M. CLÉ-
MENT, II, p. 67-75) ; Allocution au consistoire 2 juin 1947, Acta Apostolicae Sedis, 1947, XXXIX,
p. 258-266 (in A. F. UTZ, J. GRONER, I, p. 258-267) ; Discours au IXe congrès de l’Union inter-
nationale des associations patronales catholiques, 7 mai 1949 (in A. F. UTZ, J. F. GRONER, II,
p.  1662-1666). Notons aussi une référence appuyée à Mgr  von Ketteler et une envolée sur la
Germania catholica : PIE XII, Radio-message Mit dem Gefühl au Katholikentag allemand réuni
à Bochum, 4  septembre 1949, Acta Apostolicae Sedis, 1949, XLI, p.  458-462 (in A.  F. UTZ,
J. F. GRONER, I, p. 292-2997 ; M. CLÉMENT, II, p. 179-182).
4. PIE XII, Radio-message au monde La question sociale aujourd’hui, 1er juin 1941 Acta Apos-
tolicae Sedis, XXXIII, 1941, p.  195-205 (in SOLESMES, 765-767, p.  416-418 ; A.  F. UTZ,
J. F. GRONER, I, p. 243-247 ; M. CLÉMENT, II, p. 36-46).
192 La subsidiarité catholique...

1. DE L’ABSOLUTISME AU TOTALITARISME

Dès avant l’aggiornamento conciliaire, l’encyclique Rerum novarum, en tant


que point d’orgue du renouveau thomiste, avait opéré un tournant décisif
dans la théorie ecclésiale de l’État et, par là, dans l’acclimatation des catho-
liques au monde moderne. Mais, entre Rerum novarum et Vatican II (1962-
1965) — car c’est bien dans cette séquence historique qu’il faut resituer Qua-
dragesimo anno —, l’épisode totalitaire met en pleine lumière un trait
jusqu’alors peu apparent de la stratégie pontificale, depuis insidieusement
devenu dominant, effet de contexte oblige. Interprétés comme des imitations
perverses et parodiques du spirituel, comme des prétentions millénaristes à
réaliser sur terre le royaume de Dieu, les totalitarismes sont pour l’Église
l’occasion idoine de procéder à une redistribution des rôles entre le politique
et le social5. Ils ne font pas que la réinstaller dans sa prétention au monopole
du commerce avec l’autre monde ; ils la confortent et la réassurent dans son
jugement sur la politique moderne. La nation et l’État : non pas des univer-
saux sacrés, des artifices humains à discipliner ; non pas des entités spiri-
tuelles, des productions terrestres à apprivoiser.
Tout se passe comme si, mauvais perdants, les papes se plaisaient à exhiber
le totalitarisme comme un prétexte disqualifiant, à le brandir avec avantage
pour condamner tout uniment la modernité politique en général et l’État en
particulier. À tel point qu’à lire Pie XI et Pie XII au premier degré, on finirait
par croire que tout État est irréductiblement totalitaire, que tout État est irré-
ductiblement frappé du sceau de l’indignité politique. L’argumentaire ponti-
fical est d’une limpidité confondante : l’État est aujourd’hui totalitaire comme
il fut absolutiste dans le passé. Absolutisme et totalitarisme — le « totalita-
risme de l’État fort » comme dit Pie XII6 — ne seraient que les expressions
d’une seule et même essence, celle d’un État privé de son contrepoids trans-
cendant. La glissade vers le précipice était en quelque sorte inscrite dès la
genèse du monde moderne, ce monde qui a prétendu postuler la souveraineté
absolue du temporel. Le totalitarisme : non point une tragique « parenthèse »,
nous disent-ils, mais une nécessité historique on ne peut plus prévisible dès
l’instant où la mauvaise bifurcation a été choisie7. Simple continuation de

5. « Le pouvoir civil [...], dit le premier texte pacellien, tend à s’attribuer cette autorité absolue
qui n’appartient qu’au Créateur et Maître suprême, et à se substituer au Tout-puissant, en éle-
vant l’État ou la collectivité à la dignité de fin ultime de la vie, d’arbitre souverain de l’ordre
moral et juridique, et en interdisant de ce fait tout appel aux principes de la raison naturelle et de
la conscience humaine » (PIE XII, Summi pontificatus ; in SOLESMES, 746, p. 404-405).
6. PIE XII, Allocution au Consistoire, 24 décembre 1945 (in SOLESMES, 922-7, p. 481-484).
7. Cf. J.  BAECHLER, La Grande parenthèse, Paris, Calmann-Lévy, 1993. Fustigeant l’idée
d’une nécessité de l’histoire (notamment parce qu’elle est l’argument des responsables de la tra-
gédie totalitaire eux-mêmes), François Furet écrit : « Ni le fascisme ni le communisme n’ont été
les signes inverses d’une destination providentielle de l’humanité. Ce sont des épisodes courts
encadrés par ce qu’ils ont voulu détruire. Produits de la démocratie : ils ont été enterrés par elle.
Rien en eux n’a été nécessaire et l’histoire de notre siècle, comme celle des précédents eût pu se
passer autrement. [...] L’intelligence de notre époque n’est possible que si nous nous libérons de
l’illusion de la nécessité. » (F. FURET, Le Passé d’une illusion, op. cit., p. 16).
Subsidiarité et autorité spirituelle. La condamnation pontificale 193

l’absolutisme de l’État laïque, triste résultat de son interventionnisme enva-


hissant1, il est l’aboutissement inéluctable, le point paroxystique de la méprise
prométhéenne. Entre les deux étapes, bien sûr, le libéralisme positiviste n’au-
rait fait que transmettre le relais du vice2. Absolutisme, libéralisme, totalita-
risme : voilà l’équation ultime à dénoncer. Pour incriminer l’État totalitaire, il
suffisait donc de continuer à désigner la malignité du libéralisme : n’était-ce
pas au fond le travail même de ses contradictions internes qui devait conduire
à l’auto-anéantissement de l’homme ?
Afin d’établir pareille continuité entre totalitarisme et absolutisme, l’Église
devait se dégager d’une hypothèque embarrassante, celle de la monarchie de
droit divin. Et de déployer à dessein ses plus grands trésors de mauvaise foi :
il suffisait ici de lier l’absolutisme royal à l’absolutisme populaire et, ainsi,
démontrer l’usage frauduleux du droit divin par les théories absolutistes pour
mieux faire oublier combien les papes furent les premiers à en profiter. Le
prix de cette nouvelle virginité politique était somme toute très modique en
regard de l’enjeu historique. Sur le sujet, les périphrases de Pie XII signalent
combien la mauvaise foi pontificale a au moins le mérite de la sincérité :
« Si, à certaines époques et en certains lieux, l’une ou l’autre civilisation, l’un ou
l’autre groupement ethnique ou classe sociale ont fait plus que d’autres sentir leur
influence sur l’Église, cela ne signifie pas qu’elle se soit pétrifiée, pour ainsi dire,
en un moment de l’histoire, en se fermant à tout développement ultérieur3. »

Nous le disions plus haut, c’est tout l’intérêt heuristique de l’étude des
prémices kettelériens de la subsidiarité dans le contexte de l’absolutisme wil-
helmien que de mettre au jour cette stratégie souterraine du discours catho-
lique  : l’absolutisme comme préfiguration de l’étatisme totalitaire. Si nous
avons eu recours à Ketteler pour cerner la stigmatisation ecclésiale de l’abso-
lutisme du xixe siècle ; c’est à un laïc cette fois-ci, Jacques Maritain, que nous
nous référerons pour l’examen de l’assimilation catholique entre État et tota-
litarisme du xxe siècle. Parmi les auteurs catholiques, il est celui dont la pensée
a le plus systématiquement épousé le discours pontifical et le magistère de
l’Église4. Son itinéraire révèle peut-être ce que le magistère ne dit pas explici-

1. Car les États modernes, déclare Pie XII, sont comme par fatalité pris dans la dramatique loi de
l’impérialisme  : «  ces gigantesques organismes n’ont aucun fondement d’ordre moral, ils évo-
luent nécessairement vers une concentration toujours plus grande et une uniformité toujours
plus stricte » (PIE XII, Discours au Consistoire, 20 février 1946 ; in SOLESMES, 950, p. 494).
2. « Un thème semblable prend position entre les deux partis [le libéralisme et l’absolutisme] qui
disputent sur le droit public moderne, les uns affirmant que la liberté des citoyens et de l’initia-
tive privée doit présider à l’organisation sociale et politique des nations, les autres étant d’avis
que cette liberté doit finir par être absorbée par le pouvoir central de l’État.  » (E.  PACELLI,
Lettre de la Secrétairerie d’État à Eugène Duthoit, Président des Semaines sociales de France,
19 juillet 1938 ; in SOLESMES, 723, p. 393).
3. PIE XII, Allocution au Consistoire, 20 février 1946 (in SOLESMES, 952, p. 495-496). De la
même manière, dit le Pape Pacelli, l’universalisme de l’Église ne saurait être confondu avec l’im-
périalisme moderne. Invoquant l’argument de l’anachronisme, Pie XII se plaît à nier la réalité
historique : que l’Église ait pu, un temps, constituer un Empire terrestre (Ibid.).
4. Ou celui qui les a le plus influencés. Exemple de suivisme  : l’attitude de Maritain face à la
condamnation pontificale de l’Action française en 1926. Dès l’année suivante, le philosophe tho-
194 La subsidiarité catholique...

tement. Tard venu au catholicisme sous le double patronage du thomisme et du


maurrassisme, il déploiera un zèle de converti le conduisant bien souvent à
exprimer plus radicalement que les autorités officielles le tranchant indicible
de la doctrine catholique. Là encore, nous devrons faire sans le mot subsidia-
rité : il n’aura pas encore été diffusé en langue française quand paraîtra son
second maître ouvrage après Humanisme intégral, L’Homme et l’État, mais
la notion n’en irrigue pas moins toute sa réflexion philosophique. L’insis-
tance avec laquelle Maritain a voulu souligner la teneur anticatholique du
principe de souveraineté est à cet égard particulièrement significative  : for-
mulé par Bodin à une époque de rivalité extrême entre l’Église et les princes,
enrichi et complété par Hobbes (la représentation) puis par Rousseau (le
contrat social), il est méthodiquement disséqué et catégoriquement disqua-
lifié par l’auteur de L’Homme et l’État, qui conclut sa démonstration par un
jugement lapidaire  : «  Les deux concepts de souveraineté et d’absolutisme
ont été forgés ensemble sur la même enclume. Ils doivent être mis ensemble
au rebut1.  » La pointe vengeresse que recèle cet empressement accusateur
demandera quelques éclaircissements : car — faut-il le rappeler ? —, la souve-
raineté est d’abord née catholique et romaine.
Grande figure du renouveau thomiste de l’entre-deux-guerres, Jacques
Maritain permet ici de comprendre en quoi le retour pontifical à saint Thomas
aboutit au total à une mise à l’épreuve, très augustinienne, de l’État libéral.
Mise à l’épreuve en forme de test rémanent consistant à rappeler à l’État
les conditions léonines de sa légitimité : l’État est légitime si, et seulement si,
il réalise tout à la fois la paix, la justice et le bien commun — paix, justice et
bien commun ultimement définis en Dieu, cela va sans dire (nous le rappe-

miste oppose la « primauté du spirituel » au « politique d’abord » de Maurras : J. MARITAIN,


Une opinion sur Charles Maurras [1926] ; Primauté du spirituel [1927] ; Clairvoyance de Rome
[1929], Œuvres complètes, op. cit., III, p. 739 sq., p. 783 sq., p. 1025 sq. La condamnation sera
levée en 1939 par Pie XII, mais l’Action française ne retrouvera jamais son audience.
Cf. P. BÉNÉTON, « Jacques Maritain et l’Action française », Revue française de science poli-
tique, 1973, 23 (6), p. 1202-1238 ; J. PRÉVOTAT, Les Catholiques et l’Action française. Histoire
d’une condamnation (1899-1939), Paris, Fayard, 2001 ; « La condamnation de l’Action française
par Pie XI », Achille Ratti, Pape Pie XI, op. cit., p. 359-395. Exemple d’influence : en 1936, la
thèse maritainienne de la « nouvelle chrétienté » est très mal reçue dans les cercles du Vatican et,
plus généralement, dans les milieux ecclésiastiques conservateurs. En 1956, l’ouvrage sera même
formellement condamné dans la Civiltà cattolica, avant de devenir le bréviaire d’un catholicisme
conciliaire en mal de continuité. Cf. J.-D. DURAND ; « La grande attaque de 1956 », Cahiers
Jacques Maritain, 1995, 30, p. 2-31.
1. J. MARITAIN, L’Homme et l’État, Œuvres complètes, op. cit., IX, p. 539 (éd. PUF, p. 47).
Reprenant cette thèse maritainienne, Émile Poulat rappelait ce paradoxe que nous retrouverons
plus loin : la forme westphalienne du concept de souveraineté marque une rupture évidente avec
la tradition catholique médiévale, mais, aussi « peu catholique » que fut le concept, la Papauté
n’en constitua pas moins le premier État souverain — à prétention universelle il est vrai
(É. POULAT, « L’Europe entre la chrétienté et l’Union », L’Europe et l’idée fédérale. Souverai-
neté et subsidiarité, Paris, Konrad-Adenauer-Stiftung, 1996, p. 13-21, ici p. 17 sq.). Relevons ici
la forte parenté avec les écrits du théologien suisse Charles Journet (créé Cardinal en 1965), avec
qui Maritain entretint une abondante correspondance (C. JOURNET, Exigences chrétiennes en
politique [1935-1944], op. cit. ; «  La philosophie de la cité  », Recherches et débats du Centre
catholique des intellectuels français, 1957, 19, p. 136-147). Sur la distinction chrétienté profane-
chrétienté sacrale, cf. C. JOURNET, L’Église du Verbe incarné. Essai de théologie spéculative I
[1941], Paris, Desclée de Brouwer, 1955, p. 243-425 (ch. VI).
Subsidiarité et autorité spirituelle. La condamnation pontificale 195

lions plus haut à propos de la justice sociale). Par le réveil ainsi pratiqué du
conflit théologico-politique, le philosophe catholique ne se contente donc
pas de stigmatiser les excès potentiels de la volonté humaine ; il condamne
toute conception terrestre de la souveraineté, toute souveraineté qui ne s’en
remettrait pas in fine à la « primauté du spirituel ». Rien de spécifique à Mari-
tain là-dedans. Joseph Vialatoux, autre penseur catholique français déjà ren-
contré, étroitement lié, comme Maritain, aux positions du Vatican1, s’attribua
la même mission d’établir la malignité du concept de souveraineté, s’obsti-
nant à débusquer une prétendue paternité hobbesienne de l’État totalitaire.
On trouve sous sa plume des termes identiques à ceux employés par les papes
depuis le Syllabus — qui, déjà, conspiraient à cette traque obsessionnelle des
origines intellectuelles du libéralisme dont ils ne semblaient s’autoriser que
pour mieux condamner la modernité dans son ensemble  : le naturalisme,
l’individualisme, la mutilation de la nature spirituelle de l’homme, sa réduc-
tion en un simple corps matériel, son absorption par l’État totalitaire2. Rien
de spécifique non plus au catholicisme français dans ce que disent Maritain
ou Vialatoux. Les noms pourraient être multipliés pour grossir les rangs
de cette galaxie catholique de l’antitotalitarisme. Pensons à deux auteurs
déjà rencontrés  : l’Autrichien Eric Voegelin et l’Italien Luigi Sturzo. Pen-
sons aussi, outre-Atlantique, au Père John Courtney Murray, qui jouera un

1. En témoignent ses contributions aux Semaines sociales  : J.  VIALATOUX, «  Les idées  : la
confusion dans les esprits touchant la politique  », La Société politique et la pensée chrétienne,
Lyon, Vitte, Paris, Gabalda, 1933, p. 93-107 ; « Dignité du groupe ? ou de la personne humaine ?
Physique et métaphysique de l’ordre des valeurs », La Personne humaine en péril, Lyon, Vitte,
Paris, Gabalda, 1937, p. 123-143. En témoigne aussi son ouvrage sur la condamnation pontificale
de l’Action française, tout à fait comparable aux écrits de Maritain : J. VIALATOUX, La Doc-
trine catholique et l’École de Maurras, Lyon, Vitte, 1927. Pour une biographie intellectuelle,
cf. C. PONSON, « Joseph Vialatoux (1880-1970), le philosophe lyonnais des Semaines sociales.
Notes pour une biographie », Cent ans de catholicisme social à Lyon et en Rhône-Alpes : la pos-
térité de Rerum novarum, dir. J.-D. DURAND, op. cit., p. 453-484.
2. Hommage du vice rendu à la vertu : le même registre rhétorique sera abondamment exploité
par les auteurs libéraux de l’antitotalitarisme. On peut identifier une confluence de ce double
mouvement chez un auteur comme le Père John Courtney Murray (cf. la note suivante). Joseph
Vialatoux ne fait pas mystère de son objectif  : «  Se demander quelle pensée immanente, quel
secret dynamisme mental dirige et inspire ce mouvement d’histoire qui va se développant sous
nos regards, et qui semble orienter notre “civilisation” contemporaine vers la souveraineté tota-
litaire de la Société politique ; vers cette intégration totale de l’homme dans l’État-Léviathan, à
laquelle avait abouti, comme à son terme final la déduction naturaliste de Hobbes. » (J. VIALA-
TOUX, La Cité de Hobbes. Théorie de l’État totalitaire, Paris, Lecoffre, 1935, p.  11). Nous
soulignons, et mentionnons la pénétrante critique de cet ouvrage par René Capitant (R. CAPI-
TANT, « Hobbes et l’État totalitaire », Archives de philosophie du droit, 1936, 6 (1-2), p. 46-75).
On doit la redécouverte récente de ce grand juriste à l’intense travail d’exhumation mené par
Olivier Beaud : O. BEAUD, « René Capitant et sa critique de l’idéologie nazie (1933-1939) »,
Revue française d’histoire des idées politiques, 2001, 14, p.  351-378 ; «  René Capitant, juriste
républicain. Étude de sa relation paradoxale avec Carl Schmitt à l’époque du nazisme », Mélanges
P.  Avril, Paris, Montchrestien, 2001, p.  41-66 ; «  René Capitant, analyste lucide et critique du
national-socialisme (1933-1939). Un aspect méconnu de son œuvre constitutionnelle  »,
Influences et réceptions mutuelles du droit et de la philosophie en France et en Allemagne, dir.
J.-F. KERVÉGAN, H. MOHNHAUPT, Francfort, Klostermann, 2001, p. 445-498 ; « Décou-
vrir un grand juriste : le “premier” René Capitant », Droits, 2002, 35, p. 163-193. Travail univer-
sitaire auquel il faut ajouter J.-P. MORELOU, «  Le gaullisme de guerre de René Capitant  »,
Revue d’histoire des Facultés de droit et de la science juridique, 1995, 16, p. 9-33.
196 La subsidiarité catholique...

si grand rôle lors du second Concile du Vatican1. Tous participent d’une


même relecture augustinienne de l’histoire. Tous procèdent d’une crainte
systématique de voir attribuer une quelconque valeur spirituelle à ce qui n’est
pas chrétien. Tous témoignent de cette traditionnelle méfiance cléricale à
l’égard des ferments modernes de division et de publicisation du conflit. Tous
aboutissent en définitive à une même dévaluation du politique, non sans rap-
peler la dénégation gnostique de la réalité qu’ils s’acharnent par ailleurs à
dénoncer2.

Ce n’est bien sûr pas là ce que l’Église dit d’elle-même. À lire le discours
officiel des papes, spécialement celui de Pie XI et Pie XII, le totalitarisme
serait condamné en tant qu’«  intrinsèquement pervers  », non pas le pou-
voir politique en général mais le pouvoir politique totalitaire en particulier
(le communisme et le nazisme). Plus aucune équivalence, en somme, entre le
totalitarisme moderne et l’absolutisme des monarchies nationales, entre le
totalitarisme et le despotisme des régimes autoritaires. De même que l’Église

1. Cf. J. COURTNEY MURRAY, « The Church and Totalitarian Democracy », Theological


Studies, 1952, 13, p.  525-563 ; E.  VOEGELIN, «  Les origines du totalitarisme  » [1953], in
H. ARENDT, Les Origines du totalitarisme. Eichmann à Jérusalem, éd. P. Bouretz, et al., Paris,
Gallimard, Quarto, 2002, p. 958-975 ; E. TRAVERSO, éd., Le Totalitarisme, trad. fr. S. Cour-
tine-Denamy, Paris, Le Seuil, 2001, p.  436-447. Commentaire de la thèse de Jacob L. Talmon
parue la même année, l’article de John Courtney Murray témoigne de la profonde connivence
entre les interprétations libérale et chrétienne du totalitarisme (J.  L. TALMON, Les Origines
de la démocratie totalitaire [1952], trad. fr. P. Fara, Paris, Calmann-Lévy, 1966).
2. Nous renversons ici la critique voegelinienne de la modernité qui voit dans la gnose joachi-
mite — et dans la pensée franciscaine en général — la véritable source intellectuelle du totalita-
risme : la substitution de la connaissance scientifique à la croyance religieuse (E. VOEGELIN,
Les Religions politiques, op. cit., p. 69-73). Très marqué par les travaux précurseurs d’un Hans
Urs von Balthasar (H. U. von BALTHASAR, Prometheus. Studien zur Geschichte des deutschen
Idealismus [1930-1937], Heidelberg, Kerle, 1947) ou ceux d’un Hans Jonas (H.  JONAS, La
Religion gnostique : le message du Dieu étranger et les débuts du christianisme [1934, 1954], trad.
fr. L. Evrard, Paris, Flammarion, 1978), Eric Voegelin décèle dans la modernité un mouvement
hérétique de dénaturation gnostique de la foi chrétienne. À l’instar de Jacques Maritain, il pense
que la cause ultime du mal totalitaire s’origine dans la négation du message chrétien. Aussi a-t-il
beau jeu de présenter la religion — chrétienne — comme le seul rempart possible au totalita-
risme. Une lecture comparable de Joachim de Flore sera proposée par Karl Löwith
(K. LÖWITH, Histoire et Salut, op. cit., p. 184-199, ch. VIII), et plus tard par H. de LUBAC,
La Postérité spirituelle de Joachim de Flore, I. De Joachim à Schelling [1978], II. De Saint-Simon
à nos jours [1981], Namur, Culture et Vérité, Paris, Lethielleux, 1987. Relevons également
l’étroite parenté avec la démarche de Jacob Taubes (J. TAUBES, Eschatologie occidentale [1947],
trad. fr. R. Lellouche, M. Pennetier, Paris, Éditions de l’Éclat, 2009).
À mesure qu’il réinvestissait le thème gnostique, Voegelin abandonnait son concept initial de
religion politique (E. VOEGELIN, La Nouvelle science du politique [1952], trad. fr. S. Cour-
tine-Denamy, Paris, Le Seuil, 2000 ; Science, politique et gnose [1958], trad. fr. M.  de Launay,
Paris, Bayard, 2004). Il fut le premier à appliquer au nazisme une démarche qu’Alain Besançon
systématisera plus tard pour analyser l’idéologie soviétique (A.  BESANÇON, Les Origines
intellectuelles du léninisme [1977], Paris, Gallimard, 1996). Peut-être l’application au cas de
l’Église catholique désigne-t-elle ici plus qu’une simple «  tentation  » (A.  BESANÇON, Trois
Tentations dans l’Église, op. cit., p. 75 sq.). Notons-le enfin, c’est après avoir lu Alain Besançon
que Raymond Aron se détachera explicitement du concept de religion séculière pour le rem-
placer par celui de gnose. Il s’en expliquera précisément dans sa contribution aux Mélanges Voe-
gelin (R.  ARON, «  Remarques sur la gnose léniniste  » [1981], Machiavel et les tyrannies
modernes, éd. R. Freymond, Paris, Éditions de Fallois, 1993, p. 388-402).
Subsidiarité et autorité spirituelle. La condamnation pontificale 197

avait dû en son temps accepter l’Empire romain et les anciens régimes monar-
chiques1. Mais tolérer par secondarisation subversive, est-ce vraiment
accepter par soumission sincère ? Pensons encore à saint Paul que nous
retrouverons en conclusion. S’exercerait, paraît-il, à l’égard du monde ter-
restre, une indulgence absolutrice de l’Église, faite de mansuétude et de bien-
veillance, qui l’autoriserait à ne pas tout condamner d’un seul tenant. Certes,
selon sa doctrine du moindre mal, elle postule que l’ordre politique est néces-
sairement relatif et que, jamais, il ne pourra se hisser en puissance d’être au
même niveau de dignité que la Vérité révélée. Mais de là à diagnostiquer une
maturité politique de l’Église à partir d’une pétition de principe nécessaire au
système de la foi catholique, il y a un pas trop précipité difficile à embrayer.
Ce qui est condamné dans le totalitarisme, c’est l’athéisme, c’est l’irréli-
gion, et sa conséquence fantasmée, la statolâtrie, la déification, la divinisation
de l’État. Tout cela, nous dit Pie XI, n’est que réminiscence d’un dangereux
paganisme. En témoignent, par exemple, ses comparaisons — aussi douteuses
qu’inimitables — entre Hitler et l’Empereur Julien l’Apostat. On en veut
également pour preuve l’inépuisable assimilation du totalitarisme au paga-
nisme antique (elle sera plus que récurrente sous la plume de son successeur
Pie XII)2. Aussi l’Église ne peut-elle se prévaloir d’une expérience historique
qui signalerait une quelconque clairvoyance politique. Tous les régimes anté-
rieurs, certes acceptés par elle sur le seul mode de l’hypothèse, étaient des
régimes chrétiens  : l’Empire romain a été christianisé, les anciens régimes
monarchiques étaient divinement établis, les derniers empires autoritaires
(l’Autriche-Hongrie) intimement liés à Rome (malgré le joséphisme). Une
fois seulement que l’État n’est plus chrétien, alors le chantage au totalitarisme
peut déployer ses effets.
La stratégie pontificale fonctionne selon un jeu de vases communicants : la
répudiation de l’ordre étatique s’accompagne d’une exaltation parallèle de
l’Institution qui est censée détenir les moyens du Salut. Du haut de sa primauté
salvifique, l’Église catholique s’élève à proportion de l’abaissement de l’État3.

1. Cf. J.-M. GARRIGUES, La Politique du meilleur possible, op. cit. ; Dieu sans idée du mal, op.
cit. ; «  L’Église catholique et l’État libéral  », Commentaire, 1979-1980, 2 (8), p.  511-519 ; «  Le
langage de l’Église et la défense de la société civile », ibid., 1981, 4 (13), p. 54-62, 4 (14), p. 243-
252 ; «  “À la totale disposition de la société civile”  : Jean-Paul Ier  », Communio, 1981, 6 (2),
p.  67-75 ; «  La “nature du droit”. Fondement des droits de l’homme selon la doctrine catho-
lique », Droits, 1985, 2, p. 45-59 ; « L’Église catholique et la politique. De l’usage théologique de
toute doctrine sociale », Commentaire, 1989, 12 (47), p. 499-506. Le propos du Père Garrigues
est notamment issu d’un commentaire d’Adam Michnik (A. MICHNIK, L’Église et la gauche :
le dialogue polonais [1976], trad. fr. A. Slonimski, C. Jelenski, Paris, Le Seuil 1979).
2. Chez le Secrétaire d’État Eugenio Pacelli puis chez le Pape Pie XII dès son encyclique inau-
gurale : E. PACELLI, Lettre de la Secrétairerie d’État à Eugène Duthoit, Président des Semaines
sociales de France, 6 juillet 1937 (in SOLESMES, 704-719, p. 386-391) ; PIE XII, Summi pontifi-
catus (in SOLESMES, 740-755, p. 401-411 ; A. F. UTZ, J. F. GRONER, II, p. 3-39).
3. « L’État totalitaire [...], dira Jean-Paul II, tend à absorber la nation, la société, la famille, les
communautés religieuses et les personnes elles-mêmes. En défendant sa liberté, l’Église défend la
personne qui doit obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes [...], la famille, les différentes organisa-
tions sociales et les nations, réalités qui jouissent toutes d’un domaine propre d’autonomie et de
souveraineté.  » (JEAN-PAUL II, Centesimus annus, 45 ; in P.  TÉQUI, p.  529). Rappel de
l’adage : le chrétien se doit d’obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes (Actes des apôtres, V, 29).
198 La subsidiarité catholique...

Mère protectrice, « phare resplendissant »1, elle a toujours veillé sur les débris
de la société humaine et sauvegardé par là les germes d’une renaissance possible
après l’anéantissement du monde. Car elle sait que le malheur des hommes
vient de l’abandon de la morale chrétienne. Car elle sait que la paix entre les
hommes dépend du strict respect des préceptes chrétiens, dans la vie privée
comme dans la vie publique. Elle seule, divinement constituée, est la maîtresse
des règles qui définissent le juste droit dont l’État doit simplement suivre la
réalisation. Elle seule propose une alternative au monde tel qu’il va, un chemin
de vérité duquel la modernité a eu bien tort de s’éloigner et auquel il lui fau-
drait revenir, non sans avoir fait acte de pénitence pour tous ses péchés. Obsédé
par les errements du politique, pareil fantasme ecclésial n’est pas sans rappeler
le rôle que l’Église catholique voulait assumer sous l’Empire romain2. S’ériger
en barrage au totalitarisme, ce n’est donc pas, du point de vue de l’Église, tirer
les conséquences démultipliées de la spécificité d’une menace, c’est poursuivre
le conflit théologico-politique sous une autre forme en s’autoproclamant seul
et unique recours au pouvoir temporel, via, précisément, une définition auto-
référentielle — très catholique — du totalitarisme.

À cette lumière, nous pouvons comprendre le chantage implicite exercé


par l’encyclique de 1931, et non démenti depuis lors : le vœu d’une société
meilleure n’est légitime que s’il est un effet du christianisme ; que si, et seule-
ment si, il cesse d’être une pure inspiration de l’orgueil humain. Aucune nou-
veauté en la matière : Quadragesimo anno ne fait que répéter ce que le Pape
Ratti a toujours dit. Mais la contextualisation de l’encyclique appelle ici sa
réinscription dans un ensemble de textes dont le réseau de significations fait
système. Comme c’est le cas pour la plupart des pontificats, la teneur du
règne de Pie XI est révélée dès son commencement, au lendemain de la Pre-
mière Guerre mondiale, dans son tout premier texte Ubi arcano Dei : point
de paix véritable sans le règne du Christ dit sa formule fétiche reprise ensuite
ad nauseam : « “pax Christi in regno Christi” ». Cette revendication de sou-
veraineté sur la société civile ne date pas de 1922 ; avant Pie XI, elle avait été
lancée par Léon XIII comme un moyen de compenser la perte des États pon-
tificaux. Mais c’est avec le Pape du Concordat de 1929 qu’elle devient, résume
et cristallise plus manifestement la structure même du rapport de l’Église
au nouveau monde  : la voie d’une reconquête catholique par la régence
du social3. « “Pax Christi in regno Christi” » : formule sans laquelle l’appel de
Pie XI à la reconquête chrétienne, son insistance sur l’Action catholique et

1. L’expression est reprise au Pape Pacelli (PIE XII, Radio-message de Noël 1944 ; in A. F. UTZ,
J. F. GRONER, II, p. 1737). Le passage ne figure pas dans l’édition précitée de Solesmes.
2. En référence à l’attitude de l’Église catholique sous l’Empereur Julien l’Apostat au ive siècle,
le Père Garrigues parle d’une position julienne — distincte du schéma constantinien — visant à
ériger l’Église en recours au pouvoir politique (J.-M. GARRIGUES, « Démocratisme progres-
siste ou intégrisme politique : le faux dilemme catholique », Commentaire, 1997, 20 (78), p. 281-
288). Il tente ensuite de démontrer combien l’Église contemporaine est sortie de ses deux anciens
modèles par la voie d’une acceptation positive de la modernité politique.
3. Cf. le rappel du rôle central de l’Action catholique et de l’apostolat laïque dans Quadrage-
simo anno (PIE XI, Quadragesimo anno, 83, 126 ; in A. F. UTZ, I, p. 618-619, p. 642-645).
Subsidiarité et autorité spirituelle. La condamnation pontificale 199

sur l’apostolat des laïcs, « devoirs primordiaux du ministère pastoral et de la


vie chrétienne  », s’avèrent rigoureusement incompréhensibles1. Sous l’auto-
rité de la seule Église, le christianisme peut devenir une véritable doctrine de
régénération terrestre, et non plus uniquement une doctrine de l’éternité sur-
naturelle. Le renversement stratégique opéré depuis Léon XIII s’affirme ici
dans toute sa limpidité : l’Église avec la société mais au-dessus d’elle ; l’Église
avec la société mais contre l’État. Ou, pour reprendre la phraséologie person-
nelle du Pape, l’Autel avec le foyer :
« ce bon combat pour l’Autel et le foyer [pro aris et focis], cette lutte qu’il faut
engager sur de multiples fronts en faveur des droits que la société religieuse
qu’est l’Église et la société domestique qu’est la famille tiennent de Dieu et de
la nature pour l’éducation des enfants. À cet apostolat se rattache enfin tout cet
ensemble d’organisations, de programmes et d’œuvres qui, par l’appellation
sous laquelle on les réunit, constituent l’Action catholique, qui Nous est parti-
culièrement chère2. »
Un peu plus haut dans le même texte inaugural :
« Jésus-Christ règne dans la société lorsque, rendant à Dieu un hommage sou-
verain, elle reconnaît en lui l’origine et les droits de l’autorité, ce qui donne au
pouvoir ses règles, à l’obéissance son caractère impératif et sa grandeur ; quand
cette société reconnaît à l’Église son privilège, qu’elle tient de son Fondateur, de
société parfaite, maîtresse et guide des autres sociétés ; non que l’Église amoin-
drisse l’autorité de ces sociétés — légitimes chacune dans sa sphère —, mais elle
les complète heureusement comme le fait la grâce pour la nature ; d’ailleurs le
concours de l’Église permet à ces sociétés d’apporter aux hommes une aide puis-
sante pour atteindre leur fin dernière, qui est le bonheur éternel, et les met plus
à même d’assurer le bonheur de leurs membres durant leur vie mortelle3. »

Nous ne saurions trop insister sur la continuité du propos rattien. S’il fal-
lait résumer d’un trait le contenu de l’encyclique de 1931, on devrait dire
qu’elle tente la synthèse de Rerum novarum et d’Ubi arcano. C’est en tout
cas la vocation de la troisième partie de Quadragesimo anno sur la réforme
des mœurs, qui donne peut-être à voir la vérité ultime de l’ensemble du texte.
Pour que ce renouveau de la morale chrétienne soit réellement effectif, dit en
substance Pie XI, il faut, d’abord, remettre sur pied la pleine et entière souve-

1. PIE XI, Ubi arcano Dei (in A. F. UTZ, IV, p. 2766-2767). L’expression latine « Pax Christi in
regno Christi  » a été diversement traduite en français  : «  la paix du Christ par le règne du
Christ » ; « la paix du Christ dans le règne du Christ » (nous soulignons). La première option
semble la plus juste (« de pace Christi in regno Christi quaeranda » : « à la recherche de la paix du
Christ par le règne du Christ »). Un peu plus haut : « Il apparaît clairement qu’il n’y a aucune
paix du Christ en dehors du règne du Christ, et que le moyen le plus efficace de travailler au
rétablissement de la paix est de restaurer le règne du Christ. » (Ibid. ; in A. F. UTZ, IV, p. 2761).
Pie XI revendique la filiation avec son Pie X, dont le slogan lancé en 1903 était très voisin  :
« “Tout restaurer dans le Christ” » (Instaurare omnia in Christo) afin que « “le Christ soit tout
et en tout”  » (PIE X, Lettre encyclique E supremi apostolatus, 4  octobre 1903, Acta Sanctae
Sedis, 1903-1904, XXXVI, p.  129-139 ; Motu proprio Fin dalla prima nostra enciclica,
18  décembre 1903, Acta Sanctae Sedis, 1903-1904, XXXVI, p.  339-345 ; in A.  F. UTZ, III,
p. 2120-2131) ; Lettre encyclique Il fermo proposito, 11 juin 1905, Acta Sanctae Sedis, 1904-1905,
XXXVII, p. 741-767 ; in A. F. UTZ, II, p. 1784-1807). Les deux papes revendiquent les mêmes
références bibliques : Épître aux Éphésiens, I, 10 ; Épître aux Colossiens, III, 11.
2. PIE XI, Ubi arcano Dei (in A. F. UTZ, IV, p. 2767). Nous soulignons.
3. Ibid. (in A. F. UTZ, IV, p. 2761).
200 La subsidiarité catholique...

raineté du Christ et, ensuite, s’attacher à la diffuser dans la société. Confirmé


par Quas primas trois ans après Ubi arcano, et par Ad salutem un an avant
Quadragesimo anno, le slogan rattien de reconquête sociale révèle une
conception fondamentalement théocratique du pouvoir1. Célébrant l’idéal du
Prince chrétien à l’occasion du quinzième centenaire de la mort de saint
Augustin, l’encyclique Ad salutem humani generis sur les devoirs des gou-
vernants exprime avec netteté les retombées politiques de la théologie ponti-
ficale2. Impossible, ici, de ne pas voir la continuation souterraine du combat
entre l’Église et l’État, sous la forme renouvelée d’un affrontement entre un
politique autonome et un social englobant. C’est bien à une relecture du
conflit théologico-politique que nous invite le Pape Ratti : un politique infé-
riorisé et ré-encastré dans un social rechristianisé. En brandissant le constat
désolé d’un prétendu envol du politique, en proposant la résorption du corps
social dans le corps mystique comme réponse salvatrice à la modernité,
Pie  XI veut tout simplement refonder le social sur le religieux pour
contourner la séparation du temporel et du spirituel. Est-il besoin de le pré-
ciser : l’Église ne demande pas aux catholiques d’agir en chrétiens, elle leur
demande d’agir en tant que chrétiens et sous sa houlette3 ? Seul dépositaire de
la vérité des principes ultimes, l’Église maintient coûte que coûte son modèle
de société régénérée par le christianisme, une société dont les chrétiens
seraient les animateurs et les gardiens, en tant que détenteurs de la seule
Parole vraie. L’objectif  : disputer à l’État l’organisation de l’espace social

1. PIE XI, Lettre encyclique Quas primas, 11  décembre 1925, Acta Apostolicae Sedis, 1926,
XVIII, p.  132-138 (in H.  DENZINGER, 3670-375, p.  776-778). Cf., ici, l’ouvrage classique
d’Henri Brun (H. A. BRUN, La Cité chrétienne d’après les enseignements pontificaux, II. Les
directives de S. S. Pie XI, Paris, Spes, 1931). Sur la théologie du Christ-Roi chez Pie XI, inter-
prétée dans un sens peut-être trop moderniste, cf. M.-T. DESOUCHE, Le Christ dans l’histoire
selon le Pape Pie XI. Un prélude à Vatican II ?, Paris, Le Cerf, 2008. Pour une interprétation qui
nous semble plus juste et mesurée, cf. F. BOUTHILLON, « D’une théologie à l’autre : Pie XI et
le Christ-Roi », Achille Ratti Pape Pie XI, op. cit., p. 293-303 ; La Naissance de la Mardité. Une
théologie politique à l’âge totalitaire, Strasbourg, PUS, 2001.
2. « Quoique les biens de ce monde, écrit Pie XI, soient répartis à tous indistinctement, bons et
mauvais, et que les malheurs puissent également frapper tout le monde, honnêtes et injustes, on
ne peut cependant douter que Dieu ne distribue la prospérité et le malheur de cette vie au mieux
du salut éternel des âmes et des intérêts de la cité céleste. C’est pourquoi les princes et les gouver-
nants, ayant reçu le pouvoir de Dieu afin que, dans les limites de sa propre autorité, ils s’effor-
cent dans leurs actes de réaliser les desseins de la divine Providence dont ils sont alors les colla-
borateurs, il est évident qu’ils ne doivent jamais, pour procurer le bien temporel des citoyens,
perdre de vue la fin suprême fixée à tous les hommes. Et non seulement ils ne doivent rien faire
ou ordonner qui puisse tourner au détriment des lois de la justice et de la charité chrétiennes,
mais ils sont tenus de faciliter à leurs sujets la connaissance et l’acquisition des biens impéris-
sables. » (PIE XI, Lettre encyclique Ad salutem humani generis, 20 avril 1930, Acta Apostolicae
Sedis, 1930, XXII, p. 201-234 ; in SOLESMES, 610, p. 344-345).
3. Pour reprendre (en l’inversant) la célèbre formule de Jacques Maritain. La distinction agir
« en chrétien »-agir « en tant que chrétien » apparaît sous sa plume dès 1935 (J. MARITAIN,
Lettre sur l’indépendance [1935], Œuvres complètes, op. cit., VI, p. 253-288) avant d’être ampli-
fiée un an plus tard dans Humanisme intégral. L’ordre spirituel appelle une action « en tant que
chrétien » (se référant de manière explicite au christianisme et engageant de ce fait la commu-
nauté chrétienne) mais l’ordre temporel suppose une action « en chrétien » (sous la responsabi-
lité de chacun). Pour autant, comme l’écrit très bien Jean-Marie Mayeur, les chrétiens en poli-
tique se contentent le plus souvent de déconfessionnaliser des thématiques qui « doivent tout au
catholicisme social, sans être son bien exclusif » (J.-M. MAYEUR, Catholicisme social et démo-
cratie chrétienne. Principes romains, expériences françaises, op. cit., p. 269).
Subsidiarité et autorité spirituelle. La condamnation pontificale 201

pour faire revivre l’époque où la papauté oxygénait la vie humaine dans son
intégralité.
En s’extrayant de la rigueur des termes, il faudrait oser dire que le procès
en totalitarisme intenté à l’État débouche en définitive sur une mise en cause
ecclésiale tout à fait réversible. Citons le Pape encore une fois :
« On dit ainsi : tout doit être à l’État, et voici l’État totalitaire, comme on le
nomme. Rien sans l’État, tout à l’État. Mais il y a là une fausseté si évidente
qu’il est étonnant que des hommes, par ailleurs sérieux et doués de talents, la
disent et l’enseignent aux foules. Car comment l’État pourrait-il être vraiment
totalitaire, donner tout à l’individu et tout lui demander, comment pourrait-il
tout donner à l’individu pour sa perfection intérieure — car il s’agit de chré-
tiens —, pour la sanctification et la glorification des âmes ? Dès lors, combien
de choses échappent aux possibilités de l’État dans la vie présente et en vue de
la vie future, éternelle ! Il y a là une grande usurpation, car s’il y a un régime
totalitaire — totalitaire de droit et de fait —, c’est le régime de l’Église, parce
que l’homme est la créature du bon Dieu, il est le prix de la Rédemption divine,
il est le serviteur de Dieu, destiné à vivre pour Dieu ici-bas et avec Dieu au ciel.
Et le représentant des idées, des pensées et des droits de Dieu, ce n’est que
l’Église. Alors, l’Église a vraiment le droit et le devoir de réclamer la totalité de
son pouvoir sur les individus : tout l’homme tout entier appartient à l’Église,
parce que, tout entier, il appartient à Dieu. Il n’y a pas de doute sur ce point,
pour qui ne veut pas tout nier, tout refuser1. »
Important moment de vérité que ces mots d’Achille Ratti prononcés en
1938 au soir de son pontificat  : l’Église comme seul régime totalitaire pos-
sible, confesse-t-il bien candidement. Aussi choquante soit-elle, la formule
est à considérer avec sérieux : elle conforte notre souci de replacer Quadrage-
simo anno dans une dynamique théologico-politique.

2. LA THÉORIE PACELLIENNE DE LA « SAINE » DÉMOCRATIE

La souveraineté a été rapatriée en ce monde. Mais en prendre acte ne signifie


pas, pour l’Église, entériner modestement sa défaite. Bien au contraire, son
horizon d’attente reste celui d’un État sans souveraineté, d’un État dépouillé
de son fondement individualiste et de l’idéologie du contrat social. Pure et
simple négation de l’État moderne. En acceptant la démocratie comme régime
politique, Pie XII reconduit le même schématisme doctrinal que son prédéces-
seur. C’est que, fondamentalement, démocratie ou pas, l’Église ne peut
admettre l’idée d’une autofondation de la souveraineté, au risque, sinon,

1. PIE XI, Discours aux membres de la Confédération française des travailleurs chrétiens en
pèlerinage à Rome, 18  septembre 1938, Acte de Pie XI, Paris, La Bonne Presse, 1945, XVII,
p. 156-161 (in A. F. UTZ, I, p. 475). Nous soulignons. Citons aussi cette définition de l’Église
par Pie XII : « Pouvoir [...] plein et parfait, bien qu’étranger à ce “totalitarisme” qui n’admet ni
ne reconnaît l’honnête rappel aux dictamens clairs et imprescriptibles de sa propre conscience et
violente les lois de la vie individuelle et sociale, écrites dans les cœur des hommes. » (PIE XII,
Discours au tribunal de la Rote, 2 octobre 1945 ; in SOLESMES, 904, p. 474). Ce pouvoir qui
s’exerce de l’intérieur du cœur des hommes, n’est-ce pas le critère même de la définition du tota-
litarisme chez Hannah Arendt  : non pas la domination extérieure d’un quelconque appareil
coercitif mais une domination inhibitrice qui s’exerce de l’intérieur, s’installant en chacun une
fois acquis le renoncement individuel à penser et la démission collective des élites ?
202 La subsidiarité catholique...

d’ériger l’État à son même niveau de dignité, d’en faire une institution (dignitas)
au sens plein du terme. Avec obstination, et avec la cohérence de la constance,
elle se refuse donc à voir dans la souveraineté étatique une forme autosuffi-
sante d’autorité. Jamais, le temporel ne pourra se suffire à lui-même. Toujours,
la perfection souveraine n’existera qu’appliquée à Dieu et à son institution ter-
restre, l’Église, face visible de l’Invisible, présence charnelle de l’Au-delà.
Tout pouvoir légitimement constitué revêt un caractère sacré, mais cette
sacralité s’origine directement en Dieu : c’est là l’enseignement fondamental
de saint Paul (non est potestas nisi a Deo)1. Enseignement répété à satiété par
les papes qui permet à l’Église de réclamer aux fidèles la soumission au pou-
voir séculier2 ; facilité du dogme, surtout, qui permet par avance à l’Église
de se dégager de toute compromission politique. Le monde d’ici-bas ne sera
jamais de l’ordre du bien ; et comme disait saint Thomas, minus malum est
aliquid boni. Va donc pour la démocratie ! De par sa condition même,
l’homme n’est-il pas condamné à tolérer de grands maux, sous peine de bas-
culer dans de bien pires encore ? Plutôt que de consécration pontificale du
régime démocratique, il conviendrait de parler d’enregistrement pontifical du
fait démocratique : une démocratie acceptée non pas, positivement, comme
forme de gouvernement mais, négativement, comme rejet de la dictature ; une
« vraie et saine » démocratie, à l’image du peuple chrétien, non cette masse
informe, cette multitude désorganisée, qui fait le lit des ambitions tyran-
niques3. Comme acculés par le totalitarisme à entériner la réalité démocra-
tique, Pie XII et ses successeurs ne feront que reconduire le jeu de condition-
nalité implicite déjà adressé à l’État.
Nous ne voulons pas sous-entendre par là que l’Église fut en mesure de
faire valoir ses exigences. Nous voulons simplement dire que son système de
pensée repose sur un double axiome qui fonctionne par pétition de principe :
si la démocratie ne se conforme pas à l’ordre naturel des choses établi par

1. Épître de saint Paul apôtre aux Romains, XIII, 1 sq. ; Première épître de saint Paul apôtre à
Timothée, II, 1  sq. Parmi une littérature abondante, cf. les travaux du théologien protestant
Oscar Cullmann (O.  CULLMANN, Dieu et César, Neuchâtel, Delachaux et Niestlé, 1956 ;
« Les conséquences éthiques de la perspective paulinienne du temps de l’Église. Éthique entre le
“déjà” et le “pas encore” », Paul de Tarse, apôtre de notre temps, op. cit., p. 559-574).
2. Trois exemples cursifs chez Léon XIII et Pie XII parmi de nombreux autres possibles.
1o « Pour ce qui est du pouvoir politique, l’Église enseigne avec raison qu’il provient de Dieu »
(LÉON XIII, Lettre encyclique Diuturnum illud, 29 juin 1881, Acta Sanctae Sedis, 1881-1882,
XIV, p. 4-8 ; in H. DENZINGER, 3150-3152, p. 703-704, ici 3151 p. 703). 2o « Quiconque a le
droit de commander ne tient ce droit que de Dieu, Chef suprême de tous. Tout pouvoir vient de
Dieu.  » (LÉON XIII, Immortale Dei ; in A.  F.  UTZ, III, p.  2020-2057 ; H.  DENZINGER,
3116-3117, p. 705-706). 3o « La dignité de l’autorité politique est la dignité de sa participation à
l’autorité de Dieu. » (PIE XII, Radio-message de Noël 1944 ; in SOLESMES, 849, p. 452).
3. « Instruits par une amère expérience, dit le Pape, [les peuples] s’opposent avec plus de véhé-
mence au monopole d’un pouvoir dictatorial, incontrôlable et intangible, et ils réclament un
système de gouvernement qui soit plus compatible avec la dignité et la liberté des citoyens.  »
(Ibid. ; in SOLESMES, 836, p. 447). Une démocratie est saine si elle est « fondée sur les principes
immuables de la loi naturelle et des vérités révélées ». Un peu plus bas à propos du droit positif
moderne : « Cette majesté du droit positif humain n’est sans appel que s’il se conforme — ou du
moins ne s’oppose pas — à l’ordre établi par le Créateur et mis en une nouvelle lumière par la
révélation de l’Évangile. » (Ibid. ; in SOLESMES, 855, p. 454, 857, p. 455).
Subsidiarité et autorité spirituelle. La condamnation pontificale 203

Dieu, elle versera fatalement dans le totalitarisme ; si l’État prétend au titre


d’autorité spirituelle, alors il deviendra totalitaire, et la démocratie avec elle.
La démocratie, mal mineur, doit être chrétienne1 ; l’État, mal nécessaire, doit
être subsidiaire2. Bien plus  : les deux axiomes se renforcent l’un l’autre. La
démocratie constitue en effet une véritable aubaine pour l’Église, qui trouve
là non seulement une occasion inespérée de se refaire une virginité évangé-
lique mais aussi un formidable support pour le recyclage de sa visée straté-
gique : en misant sur la philosophie horizontale de la démocratie, les papes
font le pari implicite qu’elle ne manquera pas d’atteindre la verticalité institu-
tionnelle de l’État. Tel est le dernier dépli du conflit théologico-politique
dont nous examinerons plus loin la dimension ecclésiologique : si l’État reste
subsidiaire, alors le catholicisme peut accepter la démocratie politique.
« Quand donc le peuple s’éloigne de la foi chrétienne ou ne l’établit pas résolu-
ment comme la base de la vie civile, la démocratie elle aussi s’altère et se
déforme facilement, et avec le temps, elle est exposée à tomber dans le “totalita-
risme” et dans l’“autoritarisme” d’un seul parti3. »
Simple conséquence du raisonnement pontifical que nous venons de resti-
tuer, annonciateur silencieux de Vatican II, le critère de la «  saine  » démo-
cratie est tout trouvé, il est désigné par son évidence  : la liberté religieuse,
ultime amplification, pour les temps nouveaux, de la liberté scolaire déjà ren-
contrée plus haut4. Avec Pie XII, le discours officiel embraye ici le pas non
plus à un thème du catholicisme autoritaire, mais à un thème fétiche de l’an-
cien libéralisme catholique, sans en tirer pourtant toutes les conséquences
logiques : car, du point de vue ecclésial, demander la liberté religieuse, c’est
bien sûr se situer à l’intérieur de l’État. Les conséquences définitives de la
nouvelle situation ne seront tirées qu’avec l’aggiornamento à venir5. Pour

1. Cf. É. POULAT, « La démocratie mais chrétienne », Église contre bourgeoisie, op. cit., p. 135-
172, qui reprend, en l’amplifiant, une étude plus ancienne : « Pour une nouvelle compréhension
de la démocratie chrétienne », Revue d’histoire ecclésiastique, 1975, 70 (1), p. 5-38.
2. Citons cette phrase de Maritain figurant au tout début de L’Homme et l’État : « Nous pou-
vons avoir de l’aversion pour la machine de l’État. Je ne l’aime pas pour ma part. Cependant bien
des choses que nous n’aimons sont nécessaires, non seulement en fait mais en droit. » (J. MARI-
TAIN, L’Homme et l’État, Œuvres complètes, op. cit., IX, p. 503 ; éd. PUF, p. 19).
3. PIE XII, Discours au tribunal de la Rote, 2 octobre 1945 (in SOLESMES, 900, p. 472).
4. Tout comme, en 1931, le « sain » corporatisme de Quadragesimo anno devait reposer sur une
liberté corporative, laquelle supposait au préalable la réforme chrétienne des mœurs.
5. La Constitution pastorale Gaudium et spes reconnaît l’autonomie du temporel par rapport au
spirituel, mais dans sa déclaration Dignitatis humanae, l’Église de Vatican II n’accepte de se
situer à l’intérieur de l’État qu’en se réservant une latitude d’action maximale. En effet, telle que
définie par la déclaration conciliaire, la liberté religieuse se fait pour le moins maximale : liberté
de conscience, liberté de culte, liberté d’expression et liberté d’association, mais aussi, et surtout :
liberté souveraine de l’Église (libertas Ecclesiae), censée lui être consubstantiellement attachée en
raison même de sa nature spirituelle d’institution divine, d’autorité spirituelle investie d’un
mandat divin. Aussi, quand bien même Dignitatis humanae entérine la fin de la référence au
modèle constantinien de l’État confessionnel chrétien (M.-D. CHENU, «  La fin de l’ère
constantinienne », Un Concile pour notre temps, Paris, 1961, p. 51-87), elle ne donne pas à voir
une Église qui aurait à prendre modestement sa place dans la société comme n’importe quelle
association humaine. Dans le même texte, l’Église appelle curieusement à la désidéologisation de
l’éducation et à la neutralité de l’État (VATICAN II, Dignitatis humanae, 5, 6 ; in H.  DEN-
ZINGER, 4240-4245, p. 909-911). Nous avons déjà rencontré plus haut le principal rédacteur de
204 La subsidiarité catholique...

l’heure, Pie XII continue d’affirmer que c’est l’Église «  qui enseigne et qui
défend la vérité ; [...] qui communique les forces surnaturelles de la grâce,
pour réaliser l’ordre des êtres et des fins établi par Dieu, comme fondement
dernier et norme directrice de toute démocratie »1. Comment pourrait-il en
être autrement ? Comment l’Église pourrait-elle accepter cette société dans
laquelle le chrétien ne jouerait qu’un simple rôle d’animateur parmi d’autres,
noyé et dilué dans la société ?

C’est encore Jacques Maritain qui, mieux qu’aucun autre, permet de


comprendre les différentes étapes de l’adaptation pontificale à la démocratie.
Rappelons d’abord, au titre du bornage historique, que son rêve de «  nou-
velle chrétienté » était parfaitement concomitant de l’appel rattien à la recon-
quête catholique. Le « nom profane » duquel il le baptise ensuite, ragaillardi
par son exil américain, annonce analogiquement la conversion pacellienne.
Chez le Pape comme chez Maritain, il a en effet fallu attendre la Seconde
Guerre mondiale pour que soit endossé le mot d’ordre démocratique, avec
les arrière-pensées stratégiques que l’on sait. Un simple repérage sémantique
révèle ici tout le poids de la conjoncture dans cette trajectoire intellectuelle :
rien, ou très peu, sur la démocratie dans Humanisme intégral, pas beaucoup
plus dans Les Droits de l’homme et la loi naturelle2. C’est seulement à partir
de 1943 que la fibre bergsonienne de Maritain, fécondée par l’expérience
américaine, hisse la démocratie au rang de « nom profane de l’idéal de chré-

Dignitatis humanae, le jésuite américain John Courtney Murray, dont on connaît les thèses —
reprises à Jacob L. Talmon — sur la «  démocratie totalitaire  ». Contribuèrent également à la
préparation du texte le Polonais Karol Wojtyla, futur Jean-Paul II, et l’Italien Pietro Pavan,
rédacteur de Pacem in terris (il sera créé Cardinal par le Pape Wojtyla) (J.  COURTNEY-
MURRAY, «  Vers une intelligence du développement de la doctrine de l’Église sur la liberté
religieuse », Vatican II, la liberté religieuse, dir. Y. M.-J. CONGAR, J. HAMER, Paris, Le Cerf,
1967, p. 11-147 ; P. PAVAN, « Le droit à la liberté religieuse en ses éléments essentiels », ibid.,
p. 149-203). Pour une mise en perspective plus approfondie, cf. G. A. KALSCHEUR, « John
Paul II, John Courtney Murray, and the Relationship between Civil Law and Moral Law  »,
Journal of Catholic Social Thought, 2004, 1 (2), p. 231-276 ; R. W. GARNETT, « John Courtney
Murray on the “Freedom of the Church” », ibid., 2007, 4 (1), p. 59-86 ; W. GOULD, « John
Courtney Murray, the Liberal Tradition and American Democracy », ibid., p. 131-162.
1. PIE XII, Radio-message de Noël 1944 (in A. F. UTZ, J. F. GRONER, II, p. 1737).
2. Rappelons la chronologie des écrits les plus marquants : J. MARITAIN, Antimoderne [1922],
Œuvres complètes, op. cit., II, p.  923-1136 ; Le Docteur angélique [1929], ibid., IV, p.  9-181 ;
Humanisme intégral [1936], ibid., VI, p.  291-634 ; Les Droits de l’homme et la loi naturelle
[1942], ibid., VII, p. 617-695 ; Christianisme et démocratie [1943], ibid., VII, p. 697-762 ; Prin-
cipes d’une politique humaniste [1944], ibid., VIII, p. 177-355 ; La Personne et le bien commun
[1947], ibid., IX, p. 167-237 ; L’Homme et l’État [1949], ibid., IX, p. 471-736. Parmi les nom-
breux commentaires d’Humanisme intégral, cf. G. COTTIER, « Le concept d’idéal historique
concret chez Jacques Maritain », Nova et Vetera, 1981, 16 (2), p. 96-120 ; J. LALOY, « La notion
de “nouvelle chrétienté” chez Jacques Maritain », ibid., p. 121-132 ; « L’idée de “nouvelle chré-
tienté” chez Jacques Maritain », Commentaire, 1981-1982, 4 (16), p. 552-559 ; J.-M. MAYEUR,
«  Les années 1930 et Humanisme intégral  », L’Humanisme intégral de Jacques Maritain, éd.
J.-L ALLARD, C.  BLANCHET, G.  COTTIER, Fribourg, Paris, Éditions Saint-Paul, 1988,
p.  17-41 ; C.  BLANCHET, «  Primauté du spirituel et passion du temporel dans l’œuvre de
Jacques Maritain », ibid., p. 43-85 ; G. COTTIER, « Les intuitions majeures d’Humanisme inté-
gral », ibid., p. 87-126 ; É. POULAT, « Humanisme intégral dans la culture des années trente.
Un projet catholique pour le monde », Le Supplément, 1993, 187, p. 139-174.
Subsidiarité et autorité spirituelle. La condamnation pontificale 205

tienté »1. Avec le même jeu de distinctions que celui activé par Pie XII un an
plus tard : la démocratie réelle contre la « démocratie manquée » et formelle
du monde moderne. Avec le même appel aux élites chrétiennes à qui il revient
de proposer une architecture consistante (hiérarchique) à la société démocra-
tique. Au point que les « minorités de choc prophétiques » version Maritain
ressemblent étrangement aux élites chrétiennes dépositaires de l’«  antidote
spirituel » dont parle Pie XII2.
« Une élite d’hommes de conviction chrétienne solide, de jugement juste et sûr, de
sens pratique et équitable, et qui, dans toutes les circonstances, restent consé-
quents avec eux-mêmes ; des hommes de doctrine claire et saine, aux desseins
solides et droits ; avant tout, des hommes qui, par l’autorité émanant de leur
conscience pure et rayonnant largement autour d’eux, soient capables d’être
des guides et des chefs, spécialement dans les temps où les nécessités pressantes
surexcitent l’impressionnabilité du peuple et le rendent plus facile à être dévoyé et
à s’égarer ; des hommes qui, dans les périodes de transition, généralement travail-
lées et déchirées par les passions, par les divergences des opinions et par les opposi-
tions de programmes, se sentent doublement tenus de faire circuler dans les veines
enfiévrées du peuple et de l’État l’antidote spirituel des vues claires, de la bonté
empressée, de la justice également favorable à tous, et la tendance résolue à
l’union et à la concorde nationale dans un esprit de sincère fraternité3. »
Le cas maritainien permet de saisir le ressort qui a acculé le catholicisme le
plus traditionnel à l’acceptation paradoxale (et non assumée comme telle) de
la démocratie libérale. Comme Tocqueville avant lui, l’auteur de L’Homme
et l’État a vécu un moment américain (1939-1944)4 ; mais, à l’instar de Ket-
teler, les évocations tocquevilliennes de Maritain se révèlent trompeuses. Il
n’y a chez lui aucune acceptation positive du pluralisme démocratique, il y a
bien davantage constat clinique de la pluralité des options philosophiques.
À partir de Christianisme et démocratie, Maritain s’emploiera à gommer les
aspérités trop théocentriques de son programme pour endosser un discours
aux apparences libérales. La conscience malheureuse du catholique est cepen-
dant toujours là, signe de sa difficulté persistante à renoncer à l’idée médiévale

1. J. MARITAIN, Christianisme et démocratie, op. cit., VII, p. 740. Nous faisons référence à la
phrase de Bergson : « la démocratie est d’essence évangélique, [...] elle a pour moteur l’amour »
(H. BERGSON, Les Deux sources de la morale et de la religion [1932], Paris, PUF, 2003, p. 300).
Cf. H.  BARS, «  Sur le rôle de Bergson dans l’itinéraire philosophique de Jacques Maritain  »,
Jacques Maritain et ses contemporains, dir. B.  HUBERT, Y.  FLOUCAT, op. cit., p.  167-196.
Outre Maritain, la réception thomiste de Bergson est déterminante chez le Père Sertillanges
(A.-D. SERTILLANGES, Henri Bergson et le catholicisme, Paris, Gallimard, 1941).
2. Le leadership de ces « minorités », écrit Maritain, s’exercerait « par de petits groupes dyna-
miques librement organisés et multiples par nature, qui ne s’intéresseraient pas aux succès électo-
raux, mais se dévoueraient entièrement à une grande idée sociale et politique, et qui agiraient
comme un ferment à l’intérieur ou à l’extérieur des partis politiques » (J. MARITAIN, L’Homme
et l’État, Œuvres complètes, op. cit., IX, p. 643-652, p. 645 ; éd. PUF, p. 129-136, p. 130).
3. PIE XII, Radio-message de Noël 1944 (in SOLESMES, 853, p. 453-454). Cf. aussi PIE XII,
Allocution au Patriciat romain, 16 janvier 1946 (in SOLESMES, 928-943, p. 484-490).
4. Cf. J.-L. POUTHIER, «  Chrétiens et démocrates, 1934-1944  », Mil Neuf Cent, 1995, 13,
p. 77-79 ; R. MOUGEL, « Les années de New York », Cahiers Jacques Maritain, 1988, 16-17,
p. 17-28 ; J.-M. GARRIGUES, « Note sur la pensée politique de Jacques Maritain », L’Église,
la société libre et le communisme, Paris, Julliard, 1984, p.  161-164 ; A.  KOLNAI, «  Between
Christ and the Idols of Modernity » [1951], Privilege and Liberty, and Other Essays in Political
Philosophy, éd. D. J. Mahoney, Lanham, Lexington Books, 1999, p. 175-181.
206 La subsidiarité catholique...

de chrétienté, à faire le deuil de la théologie politique classique1. Même après


la condamnation pontificale de l’Action française (levée par Pie XII en 1939),
Maritain continuera, dogme catholique oblige, à se définir comme un
farouche adversaire du libéralisme. Mais son antilibéralisme puise dans une
certaine conception de la démocratie (là est la rupture avec Maurras), au point
qu’il comptera, souvent à son corps défendant, parmi les principaux inspira-
teurs de la démocratie chrétienne après-guerre2. Et pour cause : Christianisme
et démocratie marque le point de départ d’un itinéraire complexe qui, via les
Principes d’une politique humaniste, aboutira quelques années plus tard à son
second maître ouvrage L’Homme et l’État, véritable plaidoyer en faveur
d’une charte démocratique et d’un fédéralisme mondial3. Mais, là encore,
cette «  charte commune pratique  » préconisée par Maritain ne doit pas
tromper4. Elle reste ordonnée à une vérité ultime, qui n’est pas celle de la
démocratie libérale. Parce que rien ne serait plus vain, écrit le philosophe tho-
miste, que de chercher à unir les hommes sur un minimum philosophique
dans une sorte de course à la médiocrité, il faut temporairement s’en tenir à
un humanisme commun aux croyants et aux incroyants, simple fin intermé-
diaire orientée vers la seule qui vaille véritablement.
Non pas du côté de Tocqueville, le parallèle est à chercher du côté de
Lamennais. Tous les deux partent de positions intransigeantes pour finale-
ment tempérer leurs ardeurs religieuses5. Mais l’un comme l’autre ne vit pas
cette acclimatation comme une rupture. Au-delà des querelles d’interpréta-

1. « Maritain n’est pas encore dégagé de certaines visions apologétiques euphémisantes accrédi-
tées par le catholicisme social intransigeant et entretenues par l’école contre-révolutionnaire. »
(R. RÉMOND, Préface à J. MARITAIN, Humanisme intégral, Paris, Aubier, 2000, p. IX).
2. Cf. J.-D. DURAND, L’Europe de la démocratie chrétienne, op. cit., p. 118-127.
3. D’où la référence constante à Jacques Maritain chez les fédéralistes européens, comme en
témoigne cette réédition de textes (dont certains chapitres de L’Homme et l’État) sous un titre
particulièrement évocateur : J. MARITAIN, L’Europe et l’idée fédérale, Tours, Mame, 1993.
4. Thème présent dès Humanisme intégral (J.  MARITAIN, Humanisme intégral, Œuvres
complètes, op. cit., VI, p. 487 ; rééd. Aubier, p. 179) qui trouvera son point d’aboutissement dans
L’Homme et l’État. À rapprocher du «  consensus par recoupement  » rawlsien (overlapping
consensus) (J.  RAWLS, Libéralisme politique [1993], trad. fr. C.  Audard, Paris, PUF, 1995,
p. 171-214 ; Justice et démocratie [1989], trad. fr. C. Audard, Paris, Le Seuil, 1993, ch. 5 et 7).
5. Mentionnons deux critiques venues d’outre-Atlantique : celle du Père argentin Julio Mein-
vieille et celle philosophe canadien Charles de Konninck. De la «  nouvelle chrétienté  » mari-
tainienne, le premier ne retient qu’une «  vaste imposture  » de provenance mennaisienne  : un
libéralisme qui aurait réduit le message évangélique à un pur et simple « naturalisme » (J. MEIN-
VIELLE, De Lamennais à Maritain. Du mythe du progrès à l’utopie de la « nouvelle chrétienté »
[1945], trad. fr. H.  Le Lay, Bouère, Morin, 2001, p.  260-261). Pareillement, pour Charles
de Koninck, professeur à l’Université de Laval, Maritain n’aurait fait que subvertir la notion
thomiste de bonum commune en s’accordant la facilité sacrilège de donner le baptême catho-
lique à son individualisme philosophique (le personnalisme) (C.  de KONINCK, De la pri-
mauté du bien commun contre les personnalistes, Québec, Éditions de l’Université de Laval,
1943). Cette querelle a suscité une abondante littérature en Amérique du Nord (ou Jacques
Maritain est plus connu qu’en France). Cf. R.  McINERNY, «  The Primacy of the Common
Good  », The Common Good and US Capitalism, éd. O.  F. WILLIAMS, J.  W. HOOCK,
Lanham, University Press of America, 1987, p. 70-83 ; C. E. CURRAN, « The Common Good
and Official Catholic Social Teaching  », ibid., p.  111-129 ; M.  NOVAK, Démocratie et bien
commun [1989], trad. fr. M. Brun, Paris, Le Cerf, Institut La Boétie, 1991 ; L. DUPRÉ, « The
Common Good and the Open Society », The Review of Politics, 1993, 55 (4), p. 687-712.
Subsidiarité et autorité spirituelle. La condamnation pontificale 207

tion qui occupent les spécialistes, il y a peut-être à diagnostiquer dans les


deux cas une même expression emblématique de la réconciliation malheu-
reuse du catholicisme avec la modernité. Pareil cheminement en tout cas
montre combien, s’il en était encore besoin, la démocratie chrétienne (malgré
l’opposition constante de Maritain à tous les partis politiques qui pouvaient
se réclamer de cette sensibilité) procède du catholicisme social, lui-même
né chez les catholiques intransigeants avant d’être considérés par ceux-ci
comme une expression libérale du catholicisme. À son insu, Jacques Maritain
deviendra un catholique libéral, non point en consacrant doctrinalement le
libéralisme mais en considérant ce que le fait libéral peut opportunément
apporter à la défense du catholicisme. Comme Lamennais avant lui dont l’iti-
néraire, bien plus encore peut-être, donne l’illustration vivante de la consan-
guinité des catholicismes réactionnaire et libéral1.

Même quand on ajoute la démocratie au schéma organique du catholicisme,


la subsidiarité demeure, solidement installée qu’elle est en son point cardinal
de la théorie catholique de l’État. Indéfectible elle reste, tout simplement parce
qu’elle doit sa teneur à un postulat théologique inébranlable, celui de l’origine
divine du pouvoir2. Toujours cette rencontre d’un substrat intellectuel avec
une circonstance contextuelle : c’est en grande partie du choc entre la persis-
tance de la matrice paulinienne de l’Église et sa progressive inscription dans un
schéma démocratique que la subsidiarité catholique a pu acquérir la significa-
tion que l’on sait. Le schéma posé par saint Paul n’est en rien remis en cause
par le compromis démocratique opéré par Pie XII. Postulation de l’origine
divine du pouvoir par la religion chrétienne : oui ; légitimation divine du pou-
voir par l’institution ecclésiale : non. C’est que le paradoxe paulinien (l’État
est un symptôme du Mal mais il faut lui obéir) recèle d’infinis trésors de pru-
dence magistérielle. Les comprendre suppose peut-être de sortir du discours
proprement catholique. Empruntons ici deux voies complémentaires, en
amont et en aval. Le discours protestant, qui les révèle positivement ; et le dis-
cours judaïque, qui les confirme négativement. Le protestantisme d’abord  :
comme le dira Luther, le chrétien doit obéir extérieurement au pouvoir poli-

1. S’agissant de Jacques Maritain, la thèse de la rupture est défendue par Philippe Chenaux,
Jean-Yves Calvez, Jean-Luc Pouthier et Gérard Lurol (P. CHENAUX, Entre Maurras et Mari-
tain. Une génération intellectuelle catholique (1920-1930), Paris, Le Cerf, 1999 ; « Humanisme
intégral », Paris, Le Cerf, 2006 ; J.-Y. CALVEZ, Chrétiens penseurs du social, I. Maritain, Mou-
nier, Fessard, Teilhard de Chardin, de Lubac (1920-1940), Paris, Le Cerf, 2002 ; J.-L. POU-
THIER, « Chrétiens et démocrates, 1934-1944 », art. cit., p. 67-80 ; G. LUROL, « Maritain et
Mounier  », Jacques Maritain face à la modernité, dir. M.  BRESSOLLETTE, R.  MOUGEL,
Toulouse, Presses universitaires du Mirail, 1995, p.  245-269). La thèse de la continuité est
défendue par Émile Poulat, Philippe Bénéton, Yves Floucat et Guillaume de Thieulloy
(É.  POULAT, «  Humanisme intégral dans la culture des années trente  », art. cit. ; «  Maritain
revisité », Jacques Maritain en Europe, dir. B. HUBERT, Paris, Beauchesne, 1996, p. 208-219 ;
P.  BÉNÉTON, «  Jacques Maritain et l’Action française  », art. cit. ; Y.  FLOUCAT, Jacques
Maritain ou la fidélité à l’éternel, Paris, Fac, 1996 ; Pour une restauration du politique. Maritain
l’intransigeant, de la Contre-Révolution à la démocratie, Paris, Téqui, 1999 ; Maritain ou le
catholicisme intégral et l’humanisme démocratique, Paris, Téqui, 2003 ; G.  de THIEULLOY,
Le Chevalier de l’absolu. Jacques Maritain entre mystique et politique, Paris, Gallimard, 2005).
2. Cf., encore, Épître de saint Paul apôtre aux Romains, XIII, 1 sq.
208 La subsidiarité catholique...

tique pour mieux se concentrer sur l’essentiel, la foi, disposition spirituelle


fondamentalement supérieure car intérieure. C’est parce que le temporel est
relatif que le chrétien peut lui obéir de manière inconditionnelle1. S’agissant du
judaïsme, ensuite, il faut ici se reporter à l’interprétation proposée par Jacob
Taubes, qui met en lumière la rupture nodale de l’universalisme chrétien par
rapport à la Loi juive. Avec saint Paul, le fondateur de l’Église catholique, il y
a bien quelque chose comme une destitution antipolitique de la « loi de l’État »
— une relativisation subversive de l’Empire romain — par rapport à l’horizon
eschatologique du salut2. Nous l’avons noté à propos d’Augustin : c’est préci-
sément chez saint Paul qu’Augustin va chercher l’essentiel du message chré-
tien3. Dans la doctrine officielle du catholicisme, enfin, le tout —  qu’on le
nomme paulinisme ou augustinisme —, a pu déboucher sur la fameuse dis-
tinction de l’auctoritas (divine) et de la potestas (temporelle), le danger poli-
tique résidant alors dans l’absolutisation du pouvoir contre l’autorité. Distinc-
tion peu aisée, il faut le reconnaître, entre la forme et la substance, entre
l’attitude de l’Église et le message chrétien, entre ce qui relèverait du seul plan
historique et ce qui relèverait de la doctrine.
Les régimes monarchiques de droit divin et autres princes chrétiens, affir-
mera Pie XII, ne furent en aucune façon l’aboutissement nécessaire de
l’axiome paulinien4. Ils furent tout au contraire le résultat de circonstances
historiques voire celui d’une instrumentalisation du message évangélique,
comme, en son temps, l’avait été l’usurpation byzantine5. Sauf que cette tar-
dive condamnation est pour le moins suspecte, nous l’avons déjà sous-
entendu. Elle se cramponne à l’axiome de saint Paul en évitant à dessein
toutes les mises en cause compromettantes. Et pourtant : n’est-ce pas exacte-
ment le même raisonnement qui a conduit à affirmer la prééminence pontifi-

1. M.  LUTHER, «  De l’autorité temporelle et dans quelle mesure on lui doit obéissance  »,
[1521-1525], trad. fr. J.  Lefebvre, Paris, Aubier, Montaigne, 1973, spécialement p. 117-147
(part.  II). Parmi les interprétations antipolitiques de saint Paul, côté calviniste et dans une
période plus récente, cf. l’étude barthienne déjà citée : K. BARTH, L’Épître aux Romains, op. cit.
2. J. TAUBES, La Théologie politique de Paul [1987], trad. fr. M. Köller, D. Séglard, Paris, Le
Seuil, 1999. Sur la loi de l’État, cf. aussi E. LEVINAS, « L’État de César et l’État de David »
[1971], L’Au-delà du verset. Lectures et discours talmudiques, Paris, Minuit, 1982, p. 209-220.
3. Au besoin en le reformulant d’une manière très personnelle. Cf. T. MARTIN, « Vox Pauli :
Augustine and the Claims to Speak for Paul. An Exploration of Rhetoric at the Service of Exe-
gesis », Journal of Early Christian Studies, 2000, 8, p. 237-272 ; I. BOCHET, « Augustin disciple
de Paul », Recherches de science religieuse, 2006, 94 (3), p. 357-380.
4. Étonnante par sa plasticité, la théologie du Prince chrétien fonctionnera jusqu’au siècle des
Lumières. Bernard Plongeron a démontré que les Lumières catholiques, spécialement, en Alle-
magne et en France, ont œuvré pour reformater l’absolutisme monarchique — celui que Bossuet
avait fondé sur les Écritures (J.  B. BOSSUET, Politique tirée des propres paroles de l’Écriture
sainte [1677-1709], Genève, Droz, 1967) — à l’aune des nouvelles exigences critiques de la
Raison (B. PLONGERON, Théologie et politique au siècle des Lumières, Genève, Droz, 1973).
5. Comme l’a montré Max Weber, il importe de distinguer entre la théocratie (les clercs
détiennent en propre le pouvoir temporel) et la hiérocratie (le pouvoir spirituel légitime le pou-
voir temporel). Initialement paru dans la première édition allemande de Wirtschaft und Gesell-
schaft, le texte visé a été publié séparément par les éditeurs français (M. WEBER, « L’État et la
hiérocratie  » [1911-1913], Économie et société, in M.  WEBER, Sociologie des religions [1910-
1913], trad. fr. J.-P. Grossein, Paris, Gallimard, 2006, p. 241-328). Il faut alors parler de hiéro-
cratie byzantine (le modèle du roi-prêtre) et de théocratie latine (le modèle du prêtre-roi). Nous
reviendrons sur la notion de « césaropapisme » et les problèmes épistémologiques qu’elle pose.
Subsidiarité et autorité spirituelle. La condamnation pontificale 209

cale et la souveraineté royale ? Les monarques de droit divin ne se sont-ils pas


contentés d’imiter les papes ? N’y a-t-il pas dans la réalisation des prétentions
royales comme une simple ironie de l’histoire ? Après la politisation du pou-
voir spirituel des pontifes et la sacralisation du pouvoir séculier de l’Église, le
temps était désormais à la sacralisation de la puissance temporelle des rois,
via l’auto-attribution d’une dignité sacerdotale. L’Église a d’ailleurs très bien
su s’en accommoder tant que son monopole d’intronisation n’était pas
atteint. N’insistons pas davantage. Il nous importe plutôt de relever un effet
de contexte tout à fait significatif, qui concerne au premier chef le pontificat
concomitant de la montée des totalitarismes. Faut-il vraiment s’étonner de ce
que l’effort doctrinal (réalisé en marge de celui des autorités romaines) pour
tour à tour sauver l’adage paulinien, lever le malentendu augustinien et
brandir le repoussoir byzantin, soit intervenu dans les années 1930, au
moment où le Pape célèbre la paix sociale du Christ ? Dans des registres très
différents, pensons ici à Erik Peterson et à Henri Xavier Arquillière.
Le théologien allemand s’est chargé de brandir le repoussoir byzantin, en
montrant que le fameux théoricien du « césaropapisme », Eusèbe de Césarée,
ne fut que le relecteur chrétien du juif Philon d’Alexandrie, banal défenseur
de la monarchie divine1 ; et que donc la sacralisation du pouvoir impérial à
Rome n’était pas due à des sources chrétiennes mais au monothéisme non-
trinitaire, principalement judaïque, ainsi qu’au paganisme gréco-romain2.
Pie XI et Pie XII s’en souviendront (Rome s’est toujours gardée d’attribuer à
Eusèbe le prestigieux titre de Père de l’Église), qui reprendront à leur compte
la thèse petersonienne selon laquelle toute théologie politique chrétienne
serait devenue rigoureusement impossible depuis la fixation du dogme nicéen
de la Trinité (un seul Dieu en trois personnes) et son résultat immédiat : le
rejet d’un monothéisme conçu sur le modèle païen de la monarchie tempo-
relle (condamnation de l’arianisme par Athanase)3. Audacieuse relecture de
l’histoire en forme d’auto-dédouanement. Nous connaissons la véhémente
réponse de Carl Schmitt, qui a voulu dénoncer cette « légende de la liquida-
tion de toute théologie politique »4. L’intérêt n’est pas de rejouer ici la que-
relle qui s’épuise elle-même dans d’infinis débats mais plutôt de rappeler la
dépendance, toujours valable, de la théologie catholique à l’égard du schéma
paulinien ainsi que la distinction par laquelle nous commencions. D’une part,
le contenu de la doctrine chrétienne : le théologien Peterson a raison de dire

1. Dans sa défense de la prétention universaliste du pouvoir impérial, Eusèbe s’est référé à l’in-
terprétation paulinienne du Christ comme fils de Dieu s’étant sacrifié pour tous les hommes (et
non pour celui des seuls juifs) (EUSÈBE de CÉSARÉE, Triakontaétérikos [~ 335-340], Eusebius
Werke I, éd. I.  A. HEIKEL, Leipzig, Hinrichs, 1902, p.  195-223 ; La Théologie politique de
l’Empire chrétien. Louanges de Constantin, trad. fr. P. Maraval, Paris, Le Cerf, 2001.
2. Republié en 1951 dans une nouvelle version, le texte d’origine date de 1935 (E. PETERSON,
« Der Monotheismus als politisches Problem : ein Beitrag zur Geschischte der Politischen Theo-
logie im Imperium Romanun » [1935], Theologische Traktate, Munich, Kösel, 1951, p. 45-147).
Cf. la thèse d’Erik Peterson (E. PETERSON, Le Monothéisme, un problème politique [1951],
trad. fr. A.-S. Astrup, G. Dorival, Paris, Bayard, 2007, ici p. 99, par exemple).
3. Cf. CONCILE de NICÉE, Profession de foi, 325 (in H. DENZINGER, 125-126, p. 39-42).
4. C. SCHMITT, « Théologie politique II » [1969], Théologie politique, op. cit., p. 77 sq.
210 La subsidiarité catholique...

que le Concile de Nicée rompt avec l’idée païenne d’un Dieu conçu analogi-
quement à la monarchie terrestre, donc avec l’idée d’un providentialisme
impérial capable de faire régner la pax christiana. De l’autre, la forme de l’ins-
titution ecclésiale  : le juriste Schmitt a raison de rappeler que la matrice de
l’État puise fondamentalement dans la monarchie pontificale, et que, Nicée
ou pas, l’idée d’une monarchie terrestre, dont la forme analogique est reçue
de Dieu, continue d’opérer historiquement.
Le prélat français s’est pour sa part chargé de dissiper le malentendu augusti-
nien, en montrant comment la pensée de l’évêque d’Hippone a pu être ins-
trumentalisée aux fins de justifier la théocratie pontificale du Moyen Âge,
« comment la vieille idée romaine de l’État a été absorbée par l’emprise crois-
sante de l’idée chrétienne, jusqu’à aboutir, au xiie siècle, à la théorie des deux
glaives ». Et Arquillière d’écrire à propos des disciples pontificaux de l’évêque
d’Hippone (Grégoire le Grand et Isidore de Séville par exemple)  : «  Ils ont
tendu à identifier — ou à peu près — le domaine de l’Église et le domaine de
l’État »1. Malencontreux sacrilège : attribuer à Augustin la paternité des concep-
tions hiérocratiques de la monarchie pontificale, c’est confondre non seule-
ment la cité divine avec l’Église mais aussi la cité humaine avec l’État, et en
définitive croire possible la réalisation terrestre de la cité céleste2. Certes, mais
de la disculpation d’Augustin à la ré-écriture de l’histoire, il y a un saut dont
il conviendrait de se garder. Qu’elle procède ou non d’un raidissement doc-
trinal de la pensée augustinienne, d’une tendance à l’enfermer dans un mani-
chéisme au moyen d’une lecture platonisante qui dichotomise les deux cités
sur un mode irréconciliable, la soumission médiévale du temporel au spirituel
reste le fait de l’Église. Contentons-nous, en écho, de relever ces mots de
Pie XI :
« Bien que, de par sa mission divine, l’Église tende directement aux biens spiri-
tuels et non aux biens périssables, cependant, comme tous ces biens se favorisant
et s’enchaînant les uns les autres, elle n’en coopère pas moins à la prospérité,
même terrestre, des individus et de la société, et cela avec une efficacité qu’elle
ne pourrait surpasser si elle n’avait pour but que le développement de cette
prospérité. Certes, l’Église ne se reconnaît point le droit de s’immiscer sans
raison dans la conduite des affaires temporelles et purement politiques, mais son
intervention est légitime quand elle cherche à éviter que la société civile tire
prétexte de la politique, soit pour restreindre en quelque façon que ce soit les
biens supérieurs d’où dépend le salut éternel des hommes, soit pour nuire aux

1. H.  X. ARQUILLIÈRE, L’Augustinisme politique. Essai sur la formation des théories poli-
tiques au Moyen Age [1934], Paris, Vrin, 1955, p. XVII, p. 5. Cf. aussi H. X. ARQUILLIÈRE,
«  Sur la formation de la “théocratie” pontificale  », Mélanges F.  Lot, Paris, Champion, 1925,
p.  1-24 ; «  Observations sur l’augustinisme politique  », Mélanges augustiniens, Paris, Rivière,
1931, p. 227-242 ; « Réflexions sur l’essence de l’augustinisme politique », Augustinus magister,
Paris, Études augustiniennes, 1954, II, p. 991-1001.
2. Pour une discussion de la thèse de Mgr Arquillière, cf., en priorité, H. de LUBAC, « Augusti-
nisme politique ?  » [1932, 1954], Théologies d’occasion, op. cit., p.  255-308 ; R.  A. MARKUS,
« Two Conceptions of Political Authority : Augustine, De Civitate Dei, XIX. 14-15, and Some
XIIIth-Century Interpretations  », Journal of Theological Studies, 1965, 16 (1), p.  68-100. Pour
une mise en perspective historique, cf. A. BOUREAU, La Religion de l’État, op. cit., p. 116-118 ;
B. DUFAL, « “Séparer l’Église et l’État : l’augustinisme politique selon Arquillière” », Atelier
du Centre de recherches historiques, 2008, 1, 15 p.
Subsidiarité et autorité spirituelle. La condamnation pontificale 211

intérêts spirituels par des lois et des décrets iniques, soit pour porter de graves
atteintes à la divine constitution de l’Église, soit enfin pour fouler aux pieds les
droits de Dieu lui-même dans la société1. »

3. UN RETOUR DU REFOULÉ AUGUSTINIEN

Faut-il voir chez Pie XI et Pie XII une forme de retour à l’ancien augustinisme
politique de la théocratie pontificale contre le thomisme de la doctrine sociale ?
Un infléchissement progressif faisant subrepticement passer le magistère
catholique d’une théorie du droit naturel (Rerum novarum) à une théorie de la
société (Quadragesimo anno) ? Nous avons déjà vu combien les choses étaient
en réalité beaucoup moins simples. Car c’est la division même du corpus catho-
lique en deux blocs monolithiques qui fait elle-même question, en se parant des
habits trompeurs de l’évidence. Nous avons moins affaire, en l’espèce, à une
redécouverte rattienne et pacellienne de l’augustinisme qu’à une structure inva-
riante de la pensée pontificale. Ou bien alors, si retour il doit y avoir, parlons
de retour du refoulé augustinien, en plein apogée du néothomisme2. Pour
débrouiller cet écheveau, considérons successivement trois éléments enchevê-
trés : la paix des hommes ; le droit de la nature ; la paix des nations.
La paix des hommes, tout d’abord. De Léon XIII à Pie XII, le discours sur
l’État reste fondamentalement le même  : les mises en garde pontificales ne
visent pas l’État en tant que tel, dit-on ; elles ne visent que les excès de l’éta-
tisme. Mais cette insistance indirecte sur la nécessité de l’État, sur la « magni-
fique fonction  » de l’État3, est toujours accompagnée de l’imperturbable
rappel paulinien, ainsi que d’un diagnostic très augustinien sur l’inanité de la
justice terrestre. L’État est nécessaire en tant qu’il est le symptôme d’une ser-
vitude méritée. Servitude méritée car corruption définitive : la domination de
l’homme sur l’homme n’est rien de moins qu’un châtiment imposé par Dieu,
une conséquence nécessaire du désordre humainement introduit dans le
monde, la manifestation irréfutable de l’hérédité du Péché, la preuve de
l’imperfection intrinsèque de l’ordre séculier. Mais, comment faire face aux
conséquences de la Faute en étant irréductiblement entaché par elle ? C’est
bien là le dilemme chrétien, accompagné d’un germe autoritaire que l’on
retrouve au cœur même de la subsidiarité  : résultat d’une déviation, l’État
sera en même temps une partie de son remède, une manière de limiter les

1. PIE XI, Ubi arcano Dei (in A. F. UTZ, IV, p. 2773).


2. Sur le thomisme d’Arquillière, cf. A. BOUREAU, La Religion de l’État, op. cit., p. 117.
3. PIE XII, Discours au congrès des sciences administratives, 5 août 1950 (in SOLESMES, 114-
1122, p. 563-566 ; A. F. UTZ, J. F. GRONER, p. 1716-1719 ; M. CLÉMENT, II, p. 216-218).
Lorsqu’il était encore Secrétaire d’État, de Pie XI Eugenio Pacelli écrivait : « Loin de rétrécir,
avec pusillanimité, le rôle de l’État, [l’Église] le rend possible en toute son ampleur.  »
(E. PACELLI, Lettre de la Secrétairerie d’État à Eugène Duthoit, Président des Semaines sociales
de France, 12 juillet 1933 ; in SOLESMES, 655, p. 366). Ou encore, en 1944 : « L’ordre absolu des
êtres et des fins, qui montre dans l’homme une personne autonome, c’est-à-dire un sujet de
devoirs et de droits inviolables, d’où dérive et où tend sa vie sociale, comprend également l’État
comme société nécessaire, revêtue de l’autorité sans laquelle il ne pourrait exister ni vivre.  »
(PIE XII, Radio-message de Noël 1944 ; in SOLESMES, p. 451).
212 La subsidiarité catholique...

effets du châtiment. Un remède bien sûr soumis à condition, le respect de la


justice et de la paix, dont le principe ultime réside en Dieu seul1. Cette drama-
turgie du Péché originel n’est pas rapportable au seul Docteur africain, elle
est présente dès le christianisme primitif et l’enseignement patristique tradi-
tionnel. L’État a pour tâche de punir, de réprimer, de contraindre. Mais, ce
faisant, l’État chrétien revêt paradoxalement une fonction thérapeutique : en
tant qu’instrument inséré dans l’économie divine du Salut, il ouvre sur une
perspective providentielle de rachat, pour peu qu’il sache s’en tenir modeste-
ment à sa fonction (aussi « magnifique » soit-elle)2.
Comment administrer un médicament à un malade auquel la Révélation
n’a pas encore indiqué le vrai chemin de la guérison ? La solution, doit-on
comprendre, ne saurait résider autre part que dans la foi chrétienne. Souve-
nons-nous, ici, de l’argument d’Augustin pour défendre le christianisme
contre l’accusation païenne  : Rome n’a pas été châtiée pour être devenue
chrétienne, mais pour ne pas l’être devenue assez3. Le même ressort s’exprime
chez les papes Ratti et Pacelli. Telle que thématisée d’Ubi arcano à Divini
redemptoris, la paix de Pie XI, à l’image du juste augustinien ou de l’ordre
pacellien, est bien sûr celle de la royauté sociale du Christ : « “pax Christi in
regno Christi” ». Encore et toujours. Ses jugements sur la Première Guerre
mondiale ou sa lecture de la Grande Dépression en témoignent aisément,
nous allons y revenir. La fibre augustinienne n’est pas en reste chez son suc-
cesseur, qui, faisant référence à la distinction entre la concorde et la paix, en
appelle à la « tranquillité de [et dans] l’ordre »4. La paix, aux yeux du chrétien,
sera toujours plus que la simple concorde (la paix des hommes entre eux) ;
elle suppose un préalable : la paix intérieure de chacun et, in fine, un mouve-
ment librement consenti de part et d’autre. La suite de la démonstration

1. D’où ce commentaire d’Ernst Cassirer : « Dans son principe [...], c’est-à-dire dans l’adminis-
tration de la justice, l’État apparaîtra comme étant bon. Mais en vertu du dogme chrétien, il sera
considéré comme étant mauvais, par essence, étant la conséquence du péché originel et de la
chute de l’humanité. » (E. CASSIRER, Le Mythe de l’État, op. cit., p. 153). Un peu plus bas :
« L’État pourra recevoir une justification jusqu’à un certain point, mais il ne pourra jamais être
considéré comme beau. Il ne pourra pas être conçu comme pur et immaculé, du fait de son ori-
gine. Le stigmate du péché originel sera inscrit de façon indélébile en lui. » (Ibid., p. 155).
2. A.  PASSERIN d’ENTRÈVES, La Notion de l’État, op. cit., p.  27-34. Réinsérée dans son
contexte historique, l’entreprise du Docteur africain est bien sûr un effort de disculpation du
christianisme contre l’accusation lancée par les tenants du paganisme, accusation selon laquelle
les chrétiens porteraient la responsabilité de la défaite de Rome face aux barbares (Augustin écrit
La Cité de Dieu après le sac de Rome en 410 par les troupes du roi des Wisigoths, Alaric ; trau-
matisme annonciateur de la chute ultérieure, en 476, de l’Empire romain d’Occident). La Rome
qu’Augustin admire est une Rome idéalisée : la Rome républicaine de Cicéron et les débuts de la
Rome impériale de Constantin et Théodose, avant qu’elle ne dégénère dans le vice (reprise, en
quelque sorte, du thème de la république accoucheuse d’empire).
3. AUGUSTIN, La Cité de Dieu, op. cit., III, p. 132-135 (liv. XIX, ch. 21).
4. Cf., ici, entre autres textes, PIE XII, Radio-message de Noël 1942 (in A.  F. UTZ,
J. F. GRONER, I, p. 105) ; Lettre encyclique Optatissima pax, 18 décembre 1947, Acta Aposto-
licae Sedis, 1947, XXXIX, p. 601-694 (in A. F. UTZ, J. F. GRONER, I, p. 86-89). « La paix de
toutes choses, écrit Augustin, c’est la tranquillité de l’ordre. L’ordre, c’est cette disposition qui,
suivant la parité ou la disparité des choses, assigne à chacune sa place. » (AUGUSTIN, La Cité
de Dieu, op. cit., III, p. 121 ; liv. XIX, ch. 13). Cf., ici, le commentaire explicatif de saint Thomas
(THOMAS d’AQUIN, Somme théologique, op. cit., III, p. 218-219 ; IIa IIae, q. 29, a. 1).
Subsidiarité et autorité spirituelle. La condamnation pontificale 213

découle d’elle-même  : comment pourrait-on accéder à cette paix terrestre


sans l’appui et le secours de la foi ?
Le droit de la nature, ensuite. De la même manière, l’augustinisme innerve
toute la critique pacellienne du droit moderne. « Si [...], écrit le Pape, on enlève
au droit sa base constituée par la loi divine, naturelle et positive, et par cela
même immuable, il ne reste plus qu’à le fonder sur la loi de l’État comme sa
norme suprême. Et voilà posé le principe de l’État absolu1.  » Le positivisme
juridique, ajoute-t-il, laisse le droit totalement démuni face à la force. Il réduit
la juridicité à l’ordre établi du monde tel qu’il va et, par là, livre les hommes aux
manipulations totalitaires les plus barbares. On l’aura compris, la prétention
moderne à fabriquer de toutes pièces un droit dit naturel, sans aucune référence
divine, ne peut qu’inéluctablement aboutir à une aliénation de l’homme par
l’homme. De l’étape démocratique à l’étape totalitaire, en passant par l’abso-
lutisme, toujours la même stigmatisation pontificale de «  cette corruption
qui attribue à la législation de l’État un pouvoir sans frein ni limites  ». Et le
Pape de poursuivre : « qui, malgré de vaines apparences contraires, fait aussi
du régime démocratique un pur et simple système d’absolutisme »2.
La paix des nations, enfin. L’examen du discours pontifical sur la paix
entre les nations appelle le même diagnostic. La catastrophe des guerres mon-
diales, la Première comme la Seconde, ne vaut-elle pas preuve irréfutable de la
faillite du monde moderne, de son athéisme ? Depuis 1914, cette lamentation
est l’une des principales constantes de la littérature vaticane. Quoi de plus
normal ? Reste que, derrière la légitime préoccupation des papes, il y a, tou-
jours et encore, la défense du même ordre social chrétien, cet ordre chrétien
qui refuse les cadres politiques de la souveraineté étatique3. Faire de la charité
un principe fondateur des relations entre États, tel était, en substance, le mes-
sage de rédemption délivré par le Pape de la paix, Benoît XV, qui avait voulu
démontrer que les prolongements internationaux de la doctrine sociale

1. PIE XII, Discours au tribunal de la Rote, 13  novembre 1949 (in SOLESMES, 1062-1076,
p. 541-547, ici 1064, p. 542). « Là où est niée la dépendance du droit humain à l’égard du droit
divin, là où l’on ne fait appel qu’à une vague et incertaine autorité purement terrestre, là où l’on
revendique une autonomie fondée seulement sur une morale utilitaire, le droit humain lui-même
perd justement dans ses applications les plus onéreuses l’autorité morale qui lui est nécessaire,
comme condition essentielle, pour être reconnu et pour postuler même des sacrifices. » (PIE XII,
Summi pontificatus ; in SOLESMES, 747, p. 405).
2. PIE XII, Radio-message de Noël 1944 ; in SOLESMES, 855, p. 454-455. Cf., en particulier,
J.  BRÈTHE de LA GRESSAYE, «  Une Pape juriste. Pie XII et le droit naturel  », Mélanges
J.  Dabin, Bruxelles, Bruylant, Paris, Sirey, 1963, I, p.  19-26. Pour la période allant de Pie X
à Paul VI, cf. P.  ANDRÉ-VINCENT, «  Le fondement du droit et la religion d’après les
documents pontificaux contemporains », Archives de philosophie du droit, 1973, 18, p. 149-164.
3. Georges Goyau et René Coste ont souligné l’influence que les travaux de Luigi Taparelli ont
pu exercer, respectivement sur Benoît XV et Pie XII (G. GOYAU, « L’Église catholique et le
droit des gens  », Recueil des cours de l’académie de droit international, 1925, 1, p.  231  sq. ;
Papauté et chrétienté sous Benoît XV, Paris, Perrin, 1922 ; R. COSTE, Le Problème du droit de
guerre sur la pensée de Pie XII, Paris, Aubier, 1962 ; « Pie XII et l’Europe », Chronique sociale
de France, 1962, 70 (5), p. 355-368). Plus en amont encore, via Taparelli, c’est aux théologiens de
Salamanque qu’il faudrait faire référence. Pour Francisco de Vitoria et Francisco Suarez, les deux
figures les plus éminentes de la Seconde scolastique espagnole, 1o la société internationale est un
fait de nature comparable à la société domestique ; 2o, le bien commun universel est toujours
supérieur au bien commun d’une société particulière.
214 La subsidiarité catholique...

étaient une partie constitutive et consubstantielle de l’enseignement thomiste.


Ses successeurs s’en souviendront. Élément du bien commun, la paix interna-
tionale devait donc être inscrite au programme du redressement catholique.
Dans la continuité de son prédécesseur, Pie XI trouvera là l’un des fils
conducteurs de son pontificat : stigmatisation de la guerre, dénonciation de la
course aux armements, condamnation du nationalisme (en creux, de l’éta-
tisme), refus de l’impérialisme économique ; bref : un pacifisme de surplomb,
situé au-dessus de la trop compromettante mêlée des États1. Le jeu des assi-
milations disqualifiantes fonctionne à plein : les États-nations ont engendré
le nationalisme, le nationalisme a conduit à la guerre, les États-nations sont
la guerre. Cette équation que nous retrouverons chez les Pères fondateurs
de l’Europe après 1945 était déjà celle des papes de l’entre-deux-guerres. La
souveraineté des États, disaient Benoît XV et Pie XI, doit céder le pas devant
un ordre international fondé sur la justice. Car les deux termes — État et jus-
tice — sont évidemment incompatibles.
Tout se passe en définitive comme si la paix des nations réclamée par les
papes devait ultimement aboutir à une paix sans les États. Sauver les pre-
mières pour mieux disqualifier les seconds. Sauver les nations appelait la dési-
gnation d’un coupable. Préserver la thèse de la chrétienté supposait de ne pas
en faire résider la substance dans l’État. Voilà le sens des nombreuses précau-
tions oratoires du Vatican : oui au patriotisme, ce « juste nationalisme », non
au « nationalisme », sa forme « exagéré[e] » et dévoyée2. Communauté natu-
relle et famille élargie, la nation a bien sûr un office éminent — eschatolo-
gique — à jouer, mais il demande à être réglé par la charité chrétienne, au
risque, sinon, de succomber aux sirènes maléfiques du nationalisme3.

1. Outre Caritate Christi, pensons à Nova impendet, texte dans lequel Pie XI présente les prépa-
ratifs militaires et la course aux armements comme les principales origines de la crise (PIE XI,
Caritate Christi ; in A. F. UTZ, II, p. 1032-1057 ; Lettre encyclique Nova impendet, 2 octobre
1931, Acta Apostolicae Sedis, 1931, XXIII, p. 393-397 ; in A. F. UTZ, II, p. 1624-1631). En écho
au Pape qui l’a pourtant désavoué, cf. un texte inédit de Luigi Sturzo publié dans le numéro 18
des Cahiers de la Nouvelle Journée : L. STURZO, La Communauté internationale et le droit de
guerre, trad. fr. M. Prélot, Paris, Bloud et Gay, 1931. Sur l’attitude pontificale de manière géné-
rale, cf. J.-D. DURAND, « Pie XI, la paix et la construction d’un ordre international », Achille
Ratti, Pape Pie XI, op. cit., p.  873-892 ; J.-M. MAYEUR, «  Les papes, la guerre et la paix, de
Léon XIII à Pie XII », Les Quatre fleuves, 1984, 19, p. 23-33 ; J. JOBLIN, L’Église et la guerre.
Conscience, violence, pouvoir, Paris, Desclée de Brouwer, 1988.
2. PIE XI, Caritate Christi (in A. F. UTZ, II, p. 1034-1035).
3. Chrétiennement entendue, la nation revêt une dimension eschatologique en forme d’homolo-
gation divine, la diversité culturelle des peuples ne trouvant ultimement à s’évanouir que dans le
moment parousiaque (Genèse, XXII, 18 ; Évangile de Matthieu, XXII, 21 ; Épître aux Romains,
XIII, 6-7). Pour une démonstration relative à l’Europe, cf. K. RAHNER, « L’Europe dans l’es-
chatologie des nations », Cadmos, 1986, 9 (35), p. 45-63. D’où la possible conciliation entre le
ressort universaliste du monothéisme chrétien et le particularisme national (qui, a priori, le
contredit). On sait que c’était là, au iiie siècle, la position d’Origène contre Celse (ORIGÈNE,
Contre Celse, I-VI [~  248], éd. et trad. fr. M.  Borret, Paris, Le Cerf, 1967-1976, 2005).
Cf.  M.  FÉDOU, Christianisme et religions païennes dans le Contre Celse d’Origène, Paris,
Beauchesne, 1989. Citons les papes récents, Pie XII et Jean-Paul II. Pie XII : « Chaque famille
s’etend, se dilate dans la parenté qu’unissent les liens du sang, et les alliances entre les familles y
ajoutent encore leur enchevêtrement et constituent, maille par maille, tout un réseau dont la sou-
plesse et la solidité assurent l’unité à la nation, à la grande famille, au grand foyer qu’est la
patrie.  » (PIE XII, Radio-message aux familles françaises, 17  juin 1945 ; in SOLESMES, 891,
Subsidiarité et autorité spirituelle. La condamnation pontificale 215

La communauté internationale préconisée par les papes n’a rien de la SDN


de l’entre-deux-guerres, ni d’une banale communauté des États, elle se veut
tout simplement Communauté des nations. Aussi telle qu’exprimé en 1922
par Pie XI, le scepticisme pontifical est-il moins l’expression d’une quel-
conque lucidité diplomatique que le simple rappel d’une prétention ecclé-
siale. L’Église du Christ  : seul rempart efficace contre la guerre car seule
Institution «  qui dépasse toutes les nations  », seule «  véritable Société des
Nations » car seul dépositaire éternel du droit des gens :
« C’est qu’il n’est point d’institution humaine en mesure d’imposer à toutes les
nations une sorte de Code international, adapté à notre époque, analogue à
celui qui régissait au Moyen Âge cette véritable Société des Nations qui s’appe-
lait la chrétienté. [...] Mais il est une institution divine capable de garantir l’in-
violabilité du droit des gens ; une institution qui, embrassant toutes les nations,
les dépasse toutes, qui jouit d’une autorité souveraine et du glorieux privilège
de la plénitude du magistère, c’est l’Église du Christ1. »
Son successeur surenchérit :
« Plus se soulèvent les voiles sur l’origine et le développement des forces qui ont
déchaîné la guerre, plus il devient clair qu’elles étaient les héritières, les propa-
gatrices et les continuatrices des erreurs dont un élément essentiel était la négli-
gence, le renversement, la négation et le mépris de la pensée et des principes
chrétiens2. »
Devenu Pape, Eugenio Pacelli confirme la théologie de la paix chrétienne
qu’il a personnellement contribué à formuler auprès de Pie XI, en tant que
Secrétaire d’État (pensons à Caritate Christi). Son encyclique inaugurale et tous
ses radio-messages de guerre témoignent abondamment de cette continuité3.

p.  467). Jean-Paul II  : «  C’est un fait significatif, et confirmé à bien des reprises par les expé-
riences de l’histoire, que la violation des droits de l’homme va de pair avec la violation des droits
de la nation, avec laquelle l’homme est uni par des liens organiques, comme avec une famille
agrandie. » (JEAN-PAUL II, Lettre encyclique Redemptor hominis, 4 mars 1979, Acta Aposto-
licae Sedis, 1979, LXXI, p. 274-286 ; in P. TÉQUI, p. 17-69, ici p. 48).
1. Et d’ajouter immédiatement à propos de l’Église : « Seule elle se montre à la hauteur d’une si
grande tâche grâce à sa mission divine, à sa nature, à sa constitution même, et au prestige que lui
confèrent les siècles ; et les vicissitudes mêmes des guerres, loin de l’amoindrir, lui apportent de
merveilleux développements. Il ne saurait donc y avoir de paix digne de ce nom — cette paix du
Christ si désirée — tant que tous les hommes ne suivront pas fidèlement les enseignements, les
préceptes et les exemples du Christ dans l’ordre de la vie publique comme de la vie privée ; il faut
que, la famille humaine régulièrement organisée, l’Église puisse enfin, en accomplissement de sa
divine mission, maintenir vis-à-vis des individus comme de la société tous les droits de Dieu. »
(PIE XI, Ubi arcano Dei ; in A. F. UTZ, IV, p. 2761).
2. PIE XII, Allocution au Consistoire, 24 décembre 1945 (in SOLESMES, 926, p. 483).
3. PIE XII, Summi Pontificatus (in SOLESMES, 740-755, p.  401-411). Outre les nombreux
messages de guerre précités, mentionnons PIE XII, Radio-message au monde entier après la ces-
sation des hostilités en Europe, 9 mai 1945, Acta Apostolicae Sedis, 1945, XX-XVII, p. 129-131 (in
A.  F. UTZ, J.  F. GRONER, II, p.  1947-1949) ; Radio-message au monde, 23  décembre 1949,
Acta Apostolicae Sedis, 1950, XLII, p. 126-129 (in A. F. UTZ, J. F. GRONER, I, p. 82-85) ; Dis-
cours aux membres du mouvement Pax Christi, 13 septembre 1952, Acta Apostolicae Sedis, 1952,
XLIV, p. 818-823 (in A. F. UTZ, J. F. GRONER, II, p. 1954-1960). Cf. C. JOURNET, « Les
cinq points des messages pontificaux de Noël  » [1943], Exigences chrétiennes en politique, op.
cit., p. 287-319 ; R. DARRICAU, « L’action de Pie XII en faveur de la paix durant la Seconde
Guerre mondiale d’après les archives du Vatican », Revue d’histoire diplomatique, 1969, 83 (2),
p. 171-180 ; « Les efforts de Pie XII en faveur des victimes de la guerre et du rétablissement de la
paix (1939-1943) », ibid., 1974, 88 (1-2), p. 145-162.
216 La subsidiarité catholique...

Les États peuvent bien tenter d’organiser la paix, disent les deux papes
dans un même refrain ; jamais, elle ne sera une vraie paix si elle ne respecte pas
les préceptes chrétiens. Comme chez Augustin, la paix des hommes est néces-
sairement temporaire car seule la paix de Dieu peut prétendre à l’absolu de
l’Éternité. Il en résulte une obsession quasi frénétique à condamner toute
paix sociale au motif qu’elle n’est pas achevée. Après avoir affirmé que la jus-
tice n’était pas de ce monde (car, hors la voie eschatologique, il n’y a pas de
solution terrestre aux problèmes humains), les papes reprennent inlassable-
ment le vieux thème augustinien : une cité n’est cité que si, et seulement si,
elle s’organise autour de la paix éternelle1. On connaît le verdict du Docteur
africain  : l’Empire romain, vicié qu’il était dans son principe, ne consti-
tuait pas une vraie république ; les Romains, oublieux qu’ils étaient de la vraie
justice, ne formaient pas un vrai peuple. À lire Pie XI et Pie XII, il en va de
même pour les États du xxe siècle. La structure mentale du catholicisme pon-
tifical reste inchangée : retenir comme seul critère de jugement politique celui
de la justice divine, par définition inatteignable sur terre, c’est bien sûr s’en-
fermer dans une condamnation sans fin de toute paix sociale non chrétienne.
De part en part, l’ambivalence schizophrénique des critères augustiniens de la
justice et de la paix comme fondements nécessaires de la cité est présente dans
l’irréductible de la doctrine catholique, rassérénée qu’elle se trouve par le
prétexte totalitaire  : demander à l’État ce que par ailleurs elle lui dénie, le
droit d’organiser sur terre une justice des hommes.

« On a assisté, récemment, à un important élargisse-


ment du cadre [des interventions de suppléance de
l’État], ce qui a amené à constituer, en quelque sorte,
un État de type nouveau, l’“État du bien-être”. Ces
développements ont eu lieu dans certains États pour
mieux répondre à beaucoup de besoins, en remédiant
à des formes de pauvreté et de privation indignes de
la personne humaine. Cependant, au cours de ces der-
nières années en particulier, des excès et des abus assez
nombreux ont provoqué des critiques sévères de l’État
du bien-être, que l’on a appelé l’“État de l’assistance”.
Les dysfonctionnements et les défauts des soutiens
publics proviennent d’une conception inappropriée des
devoirs spécifiques de l’État. Dans ce cadre, il convient
également de respecter le principe de subsidiarité : une
société d’ordre supérieur ne doit pas intervenir dans la
vie interne d’une société d’un ordre inférieur, en lui
enlevant ses compétences, mais elle doit plutôt la sou-

1. « Ici-bas, il est vrai, on nous appelle heureux quand nous avons la paix, quelque petite que soit
cette paix que nous puissions avoir dans une vie honnête ; mais ce bonheur, comparé à la béati-
tude que nous appelons finale, se trouve être une véritable misère. » (AUGUSTIN, La Cité de
Dieu, op. cit., III, p 115 ; liv. XIX, ch. 10). Cf. aussi III, p. 132 (liv. XIX, ch. 20) ; I, p. 167 (liv. IV,
ch. 4). Sur la fameuse métaphore de la bande de brigands, cf. A. SCHÜTZ, « Saint Augustin et la
“bande de brigands” », Droits, 1992, 16, p. 71-82).
Subsidiarité et autorité spirituelle. La condamnation pontificale 217

tenir en cas de nécessité et l’aider à coordonner son


action avec celle des autres éléments qui composent la
société, en vue du bien commun. [...] En intervenant
directement et en privant la société de ses responsabi-
lités, l’État de l’assistance provoque la déperdition des
forces humaines, l’hypertrophie des appareils publics,
animés par une logique bureaucratique plus que par la
préoccupation d’être au service des usagers, avec une
croissance énorme des dépenses. En effet, il semble que
les besoins soient mieux connus par ceux qui en sont les
plus proches ou qui savent s’en rapprocher, et que ceux-
ci soient plus à même d’y répondre1. »

III. UNE ACCLIMATATION PARADOXALE


À LA MODERNITÉ LIBÉRALE

L’itinéraire conceptuel de la subsidiarité catholique n’a rien de parfaitement


linéaire. N’en déplaise aux tenants de la cohérence sans faille du magistère
romain. Alors que le mot se diffuse dans le vocabulaire catholique laïque des
années 1950, la notion est comme ballottée, travaillée de l’intérieur, par des
influences diverses et souvent contradictoires. Nous l’avons dit en commen-
çant, la consécration pontificale de la subsidiarité intervient tardivement, en
1961, trente ans après l’éclosion du mot dans le répertoire lexical du Vatican2.
Il y a eu l’incubation doctrinale avec Mgr von Ketteler et Heinrich Pesch, la
naissance sémantique à proprement parler avec Quadragesimo anno et
Oswald von Nell-Breuning. Mater et Magistra ouvre la période du pontificat
roncallien, celle de l’appropriation doctrinale ; elle reste très mesurée cepen-
dant : l’encyclique de 1961 ne fait que rendre disponible le vocable aux catho-
liques non germanophones. S’agissant de la morphologie lexicale, la locution
latine reste inchangée sous la plume de Jean XXIII (subsidiarii officii prin-
cipio) mais, signe d’une récente maturité linguistique, les traductions natio-
nales reprennent désormais le substantif allemand. À cette diffusion plus
générale du mot, correspondent fatalement de nombreuses divergences d’in-
terprétation. Aussi, faute d’accord sur le sens à lui donner ou à cause d’un
passé encombrant difficile à gommer, ses apparitions resteront-elles très
timides dans les documents officiels du Concile Vatican II. Il faudra attendre
le tournant des xxe et xxie siècles pour que la subsidiarité accède à sa pleine et
entière diffusion dans la littérature pontificale. Deux textes — l’un wojtylien,
l’autre ratzingérien — se signalent ici par leur importance : Centesimus annus
en 1991, Caritas in veritate en 20093.

1. JEAN-PAUL II, Lettre encyclique Centesimus annus, 1er  mai 1991, Acta Apostolicae Sedis,
1991, LXXXVIII, p. 793-867 (in P. TÉQUI, p. 532 ; H. DENZINGER, 4912, p. 1016-1017).
2. JEAN XXIII, Mater et Magistra (in A. F. UTZ, I, p. 664-757).
3. BENOÎT XVI, Lettre encyclique Caritas in veritate, 29  juin 2009, Acta Apostolicae Sedis,
2009, CI, p.  641-709 (L’Amour dans la vérité, préf. J.-C. Descubes, Paris, Bayard, Le Cerf,
Fleurus-Mame, 2009).
218 La subsidiarité catholique...

Sur le fond, la subsidiarité révèle en quoi c’est dans le même mouvement


que le catholicisme lutte contre la modernité et s’y acclimate à son corps
défendant. Née contre le libéralisme, elle a subrepticement évolué vers la
démocratie libérale qu’elle s’est en retour attachée à compléter par une prio-
rité accordée à la famille, aux communautés naturelles et aux corps intermé-
diaires1. La tension entre ancrage dans le corporatisme organiciste et chemi-
nement progressif vers la pratique démocratique est tout à fait réconciliable
autour d’une même secondarisation de l’instance étatique2. Certes, la subsi-
diarité est davantage issue du catholicisme social que de son homologue
libéral ; certes, elle conserve une part de son intransigeantisme des origines.
Mais, selon une voie aussi singulière que complexe, elle finit bon an mal an
par s’intégrer au fait libéral. La subsidiarité cristallise précisément les condi-
tions de cette intégration, rappelant, s’il en était encore besoin, que la confi-
guration libérale ne se résume pas à la seule idéologie du libéralisme. Jusqu’à
un certain point, donc, l’Église accepte tout à la fois le libéralisme politique
(séparation des pouvoirs, État de droit) et la liberté religieuse, l’individua-
lisme sociologique et le libéralisme économique (économie de marché, capi-
talisme) mais continue à condamner l’automutilation anthropocentriste de la
modernité  : le libéralisme athée, l’individualisme philosophique, le relati-
visme des valeurs. La transaction ecclésiale, doit-on entendre, ne saurait faire
sauter cette dernière digue, au risque, sinon, d’emporter tout le catholicisme
dans une tragique et définitive compromission.
En soulignant le statut éminemment stratégique de la subsidiarité dans le
discours officiel de l’Église, l’intérêt est ici d’analyser ce travail de la doctrine
sociale elle-même, et plus généralement l’évolution de la pensée catholique,
qui, considérée dans son rapport à la postmodernité libérale, n’est pas sans se
ménager de nombreuses zones de plasticité. N’y aurait-il pas ici à l’œuvre
quelque chose comme une conjonction de la théologie catholique du droit
naturel — devenue théologie catholique de la société — et de la critique
postmoderne de l’État  : critique de son péché idéologique3, critique de son
emprise tentaculaire sur la société civile, critique de l’impuissance des

1. Pour une synthèse, cf. O. PERRU, « La pensée sociale chrétienne et les associations : cent ans
d’enseignement et de réflexion (1891-1991) », De Platon à Maritain, op. cit., p. 195-220.
2. Ses aspects polémiques en moins, nous rejoignons en grande partie les analyses de Joseph
Hours qui voit dans la démocratie chrétienne un mouvement anti-étatique (J. HOURS, « Les
origines d’une tradition politique. La formation en France de la doctrine de la démocratie chré-
tienne et des pouvoirs intermédiaires », Cahiers de la Fondation nationale des sciences politiques,
1952, 21, p. 79-123 ; « Nation, État et civilisation », Itinéraires, 1962, 67, p. 93-111). En 1952, un
débat véhément l’opposa à Étienne Borne, grande figure du MRP et admirateur de Jacques Mari-
tain (É. BORNE, « La démocratie chrétienne contre l’État ? », Terre humaine, 1952, 2 (19-20),
p. 76-101 ; « La démocratie chrétienne et l’État », ibid., 1952, 2 (22), p. 76-85 ; « La philosophie
politique de Jacques Maritain », Jacques Maritain, philosophe dans la cité, éd. J.-L. ALLARD,
Ottawa, University of Ottowa Press, 1985, p. 247-261). Pour un point synthétique sur ce débat
entre Joseph Hours et Étienne Borne, cf. Y. TRANVOUEZ, « Europe, chrétienté et catholiques
français. Débats en marge du MRP », Le MRP et la construction européenne, dir. S. BERSTEIN,
J.-M. MAYEUR, P. MILZA, Bruxelles, Complexe, 1993, p. 87-102.
3. L’idéologie (du Progrès) serait à l’État ce que la religion est à l’Église.
Subsidiarité et autorité spirituelle. La condamnation pontificale 219

machineries bureaucratiques à gouverner des économies complexes et mon-


dialisées1 ?

Itinéraire non linéaire disions-nous : deux évolutions, en effet, sont parti-


culièrement notables depuis la Seconde Guerre mondiale. D’une part, la sub-
sidiarité a pris des colorations différentes selon la sensibilité de l’époque et la
stratégie des papes ; d’autre part, elle a vu s’ajouter de nouveaux domaines à
sa sphère de compétence doctrinale : les relations internationales et l’organi-
sation ecclésiale. Avant d’en venir à l’examen approfondi de ces éléments de
discontinuité, relevons tout de même ce qui fait l’homogénéité de la période.
Elle tient dans un programme fixé dès le pontificat de Pie XII : faire appa-
raître la convergence entre les valeurs de la démocratie et les sources d’ins-
piration de la foi chrétienne. Elle tient dans un glissement progressif du
magistère catholique : de la doctrine sociale à l’enseignement moral. Aussi la
subsidiarité sera-t-elle bientôt érigée au rang de principe cardinal de l’éthique
démocratique, voisinant avec tous les grands fondamentaux de la pensée pon-
tificale2  : la dignité de la personne humaine, la responsabilité des corps
sociaux, la participation à la vie publique3. Et la doctrine sociale ne s’y trompe
pas, qui puise dans son éternel « réservoir de bons sentiments »4 : antériorité
ontologique des personnes et des communautés sur les institutions publiques,

1. Pour des synthèses récentes, souvent issues de la littérature anglo-saxonne, cf. R.  HIT-
TINGER, « Social Pluralism and Subsidiarity in Catholic Social Doctrine », Annales theologici,
2002, 16, p.  385-408 ; «  Reason for a Civil Society  », Reassessing the Liberal State. Reading
Maritain’s Man and the State, éd. T. FULLER, J. P. HITTINGER, Washington, The Catholic
University of America Press, 2001, p. 11-23 ; J. LOCKWOOD O’DONOVAN, « Subsidiarity
and Political Authority in Theological Perspective  », Studies in Christian Ethics, 1993, 6 (1),
p. 16-33 ; « Subsidiarity and Political Authority in Theological Perspective », Bonds of Imperfec-
tion : Christian Politics, Past and Present, Grand Rapids, Cambridge, Eerdmans, 2004, p. 225-
245 ; K. GRASSO, « The Subsidiary State : Society, the State and the Principle of Subsidiarity in
Catholic Social Thought », Christianity and Civil Society : Catholic and Neocalvinist Perspec-
tives, éd. J. HEFFERNAN, Lanham, Lexington Books, 2008, p. 31-65.
2. Cf. W. KERBER, « Subsidiarität und Demokratie », Die Neue Ordnung, 1980, 34 (4), p. 286-
294 ; Subsidiarität und Demokratie, dir. O. KIMMINICH, Düsseldorf, Patmos, 1981, p. 75-85.
Dès 1965, le Père Pierre Bigo classe le principe de subsidiarité au rang de valeur cardinale de
l’éthique démocratique, au même titre que l’autodétermination, la participation et le pluralisme
(P. BIGO, La Doctrine sociale de l’Église, Paris, PUF, 1965, p. 158-159).
3. Il n’est pas interdit d’y voir un corollaire du vieil adage romain Quod omnes tangit, principe
de consentement systématisé par le Code Justinien qui reconnaît à chacun le droit de participer
aux décisions le concernant : G. POST, « A Romano-Canonical Maxim : Quod omnes tangit »
[1946], Studies in Medieval Legal Thought, op. cit., p.  163-238 ; Y.  M.-J. CONGAR, «  Quod
omnes tangit, ab omnibus tratctari et approbari debet  », Revue historique de droit français et
étranger, 1958, 36 (1), p. 210-259 ; A. GOURON, « Aux origines médiévales de la maxime Quod
omnes tangit  », Mélanges J.  Imbert, Paris, PUF, 1989, p.  277-286 ; A.  BOUREAU, «  Quod
omnes tangit  : de la tangence des univers de croyance à la fondation sémantique de la norme
juridique médiévale  », Le Gré des langues, 1990, 1, p.  137-153. Cf. aussi les travaux de Léo
Moulin et de Jean Gaudemet : L. MOULIN, « Le gouvernement des communautés religieuses
comme type de gouvernement mixte », Revue française de science politique, 1952, 2 (2), p. 335-
355 ; «  Les origines religieuses des techniques électorales et délibératives modernes  » [1953],
Politix, 1998, 11 (43), p.  117-162 ; J.  GAUDEMET, «  La participation de la communauté au
choix de ses pasteurs dans l’Église latine », Ius canonicum, 1974, 14 (28), p. 308-326.
4. BENOÎT XVI, Caritas in veritate, 4 (in J.-C. DESCUBES, p. 6). Nous détournons la for-
mule du Pape, qui identifie ce danger (irénisme de la doctrine sociale) pour appeler à le conjurer.
220 La subsidiarité catholique...

nécessité pour l’organisation sociale de faire contrepoids aux tendances cen-


tralisatrices des structures politiques, modèle personnaliste de société contre
les appareils idéologiques. Toujours, in fine, ce même système subsidiarité-
totalitarisme : à l’opposé du dogme totalitaire de la souveraineté étatique, la
subsidiarité reprend avantageusement à son compte la défense du caractère
supérieur des droits et des capacités des personnes sur les structures de pou-
voir, sur les institutions organisatrices de la vie en société. Toujours ce même
objectif : remplacer la médiation politique par une médiation sociale, faire de
la société civile le lieu d’épanouissement spirituel de l’Église. En s’érigeant
ainsi en championne du pluralisme et des libertés fondamentales, en garante
des communautés familiales et locales, l’Église fait-elle autre chose que
défendre les ressorts éternels de son emprise sociale ?

1. DE LA CORPORATION À LA SOCIALISATION

Le reformatage de la subsidiarité traditionnelle d’abord. Il y a ici deux


moments principaux à distinguer  : la parenthèse des années 1960-1970, qui
correspond, grossièrement dit, à la décontamination corporatiste du principe
de subsidiarité ; la période ouverte par les années 1980 et le pontificat de
Jean-Paul II, qui marque pour sa part un puissant retour en force du schéma
augustinien de l’antitotalitarisme catholique dans sa version ratto-pacel-
lienne.
Encyclique phare du pontificat roncallien, Mater et Magistra invoque le
principe de subsidiarité à trois reprises. La filiation est clairement revendi-
quée par Jean XXIII : l’action des pouvoirs publics, écrit-il, revêt « un carac-
tère d’orientation, de stimulant, de suppléance et d’intégration. Elle doit être
inspirée par le principe de subsidiarité, formulé par Pie XI dans l’encyclique
Quadragesimo anno1.  » Invoquant les mânes de son prédécesseur, le Pape
Roncalli insiste par là sur la nécessité de limiter la propension de l’État à
intervenir toujours plus dans le domaine économique, réduisant d’autant la
sphère propre des personnes et des communautés2. Il rappelle que l’interven-
tion de l’État ne doit pas réduire la sphère de liberté de l’initiative personnelle
des particuliers ; qu’elle a au contraire pour objet d’en assurer la plus vaste
ampleur possible, grâce à la protection effective des droits essentiels de la
personne humaine.
On ne peut plus classique, la célébration des textes antérieurs — ici un
texte inaugural — fait bien sûr partie intégrante de l’exercice de style à res-
pecter. Reste néanmoins que Jean XXIII contribue ici sans le savoir (ou

1. JEAN XXIII, Mater et Magistra (in A. F. UTZ, I, p. 682-683).


2. « Notre temps marque une tendance à l’expansion de la propriété publique : État et collecti-
vités. Le fait s’explique par les attributions plus étendues que le bien commun confère aux pou-
voirs publics ? Cependant il convient [...] de se conformer au principe de subsidiarité sus-énoncé.
Aussi bien l’État et les établissements de droit public ne doivent étendre leur domaine que dans
les limites évidemment exigées par des raisons de bien commun, nullement à la seule fin de
réduire, pire encore, de supprimer la propriété privée. » (Ibid. ; in A. F. UTZ, I, p. 706-707).
Subsidiarité et autorité spirituelle. La condamnation pontificale 221

plutôt sans revendiquer une quelconque rupture doctrinale) à infléchir de


manière significative le contenu même de la subsidiarité. À plus d’un titre, il
sera le Pape sous l’impulsion duquel le principe revêtira des habits étonnam-
ment modernes : ceux de la socialisation et des corps intermédiaires1. Il faut
le relire attentivement pour constater qu’après avoir célébré les mânes de
Quadragesimo anno, le Pape Roncalli contrebalance son rappel de l’ortho-
doxie catholique par un renouveau substantiel de la dimension sociale de
la subsidiarité, se situant davantage dans la droite ligne de Rerum novarum
que dans la stricte postérité rattienne du texte de 1931. Dépositaires d’un
rôle d’orientation, les pouvoirs publics doivent venir en aide à l’initia-
tive privée des personnes, des communautés et des entreprises ; ils doivent
combler leurs défaillances éventuelles2. Rien que de très classique jusque-là.
Mais, précise immédiatement le Pape, les relations de coopération et de soli-
darité entre les groupes n’ont pas seulement besoin d’une garantie étatique,
ils ont également besoin d’une impulsion étatique. À la faveur d’un glisse-
ment sémantique presque imperceptible, on passe subrepticement d’un para-
digme à un autre  : d’une méfiance pavlovienne vis-à-vis de l’intervention-
nisme étatique à une justification positive du rôle de la puissance publique.
En apparence seulement  : car si la subsidiarité roncallienne n’est plus une
banale mise en garde contre les abus de l’État, elle reste surtout un rappel
adressé à chacun de l’impérieux devoir d’œuvrer pour le bien commun de la
collectivité3.
Telle qu’elle est opérée par Mater et Magistra, la réorientation du concept
annonce la consécration conciliaire de l’idéal participatif (Gaudium et spes),
mais elle s’exprime, pour l’instant, sans référence explicite à la démocratie4.
L’heure est encore à la socialisation et aux droits sociaux :
«  Nous estimons [...] nécessaire que les corps intermédiaires et les initiatives
sociales diverses, par lesquelles surtout s’exprime et se réalise la “socialisation”,
jouissent d’une autonomie efficace devant les pouvoirs publics, qu’ils pour-
suivent leurs intérêts spécifiques en rapport de collaboration loyale entre eux et
de subordination aux exigences du bien commun. Il n’est pas moins nécessaire
que ces corps sociaux se présentent en forme de vraie communauté ; cela signifie
que leurs membres seront considérés et traités comme des personnes, stimulés à
participer activement à leur vie5. »

1. Sur les corps intermédiaires dans la foulée du Pape Jean XXIII, cf. la correspondance du Car-
dinal Cicognani : A. G. CICOGNANI, Lettre de la Secrétairerie d’État à Alain Barrère, Prési-
dent des Semaines sociales de France, 2 juillet 1963 (in A. F. UTZ, III, p. 2060-2065) ; Lettre de la
Secrétairerie d’État à Mgr R. Moralejo, Président des Semaines sociales d’Espagne, 29 mai 1964
(in A.  F. UTZ, I, p.  344-355) ; Lettre de la Secrétairerie d’État à Mgr  G.  Siri, Président des
Semaines sociales d’Italie, 5 septembre 1965 (in A. F. UTZ, III, p. 2088-2099).
2. « Rappelons que l’initiative privée doit contribuer à établir l’équilibre économique et social
entre régions d’un même pays. Et c’est pourquoi, en vertu du principe de subsidiarité, les pou-
voirs publics doivent venir en aide à cette initiative et lui confier de prendre en main le dévelop-
pement économique, dès que c’est efficacement possible. » (Ibid. ; in A. F. UTZ, I, p. 721).
3. Sous la plume d’un pape, faut-il le rappeler ?, le bien commun n’est évidemment pas le bien
public. Cf. P. BIGO, La Doctrine sociale de l’Église, op. cit. ; M.-P. DESWARTE, art. cit.
4. VATICAN II, Gaudium et spes, 75 (in A. F. UTZ, I, p. 936-941).
5. JEAN XXIII, Mater et Magistra (in A. F. UTZ, I, p. 688-689).
222 La subsidiarité catholique...

Tirant la leçon des corporatismes autoritaires, le Pape cherche clairement à


redonner des gages de modernité et de crédibilité à la doctrine sociale de
l’Église. À cette fin, il la déleste d’un passé devenu trop encombrant ; par une
astuce prudentielle dont le magistère pontifical a le secret, il remplace le terme
de corporation, désormais péjorativement connoté, par celui de « corps inter-
médiaires », démocratiquement compatible1. Mais faire oublier les errements
corporatistes de la subsidiarité avait un prix, de facture très manichéenne  :
démoniser un ennemi totalitaire pour recréditer, en retour, la seule issue rai-
sonnablement possible après la dégénérescence du vieux slogan catholique : la
socialisation chrétienne, la recharge sacrale du social, la respiritualisation de la
vie humaine. La boucle est donc bouclée. Pour laver la doctrine catholique de
ses déviations et autres compromissions soi-disant contre-nature, le discours
pontifical s’emploie à reconstruire une alternative, aussi manichéenne qu’ex-
clusive, entre totalitarisme étatique et socialisation chrétienne. Le bien
commun n’est pas le bien public, les papes ne se lassaient-il pas de rappeler ; de
la même manière, ajoute-t-on à présent, la nouvelle mode de la socialisation ne
devra pas se compromettre dans un funeste programme d’étatisation2. Ici
encore, la réplique pontificale emprunte un refrain doctrinal désormais bien
connu  : entre l’atomisation libérale et la socialisation totalitaire, une seule
alternative véritable se présente dans toute sa sincérité, la socialisation chré-
tienne3. Si la démocratie est chrétienne, alors elle sera prémunie du danger
totalitaire ; si la socialisation est chrétienne, alors elle aussi sera immunisée.
« Si la “socialisation” s’exerçait dans le domaine moral suivant les lignes indi-
quées, elle ne comporterait pas par nature de périls graves d’étouffement aux
dépens des particuliers. Elle favoriserait, au contraire, le développement en eux
des qualités propres à la personne. Elle réorganiserait même la vie commune,
telle que Notre prédécesseur Pie XI la préconisait dans l’encyclique Quadrage-
simo anno [....], comme condition indispensable en vue de satisfaire les exi-
gences de la justice sociale4. »

1. Le thème des corps intermédiaires — sorte de reformulation moderne de l’ancienne théorie


des corporations — trouvera son débouché doctrinal sous la plume de Paul VI dans sa grande
encyclique de 1967 Populorum progressio (sur laquelle nous reviendrons plus bas). Cf. M.  A.
SARGENT, « Competing Visions of the Corporation in Catholic Social Thought », Journal of
Catholic Social Thought, 2004, 1 (2), p.  561-594 ; S.  M. BAINBRIDGE, «  Catholic Social
Thought and the Corporation », ibid., p. 595-601 ; R. VISCHER, « The Morally Distinct Cor-
poration : Reclaiming the Relational Dimension of Conscience », ibid., 2008, 5 (2), p. 323-370.
2. Distinction rappelée par Jean-Paul II dès sa première encyclique sociale en 1981 (JEAN-
PAUL II, Laborem exercens, 14 ; in P. TÉQUI, p. 153). À propos des nationalisations, Gaudium
et spes parlera de propriété sociale et non de propriété étatique. Sur la primauté de la commu-
nauté nationale par rapport à l’État, cf. JEAN-PAUL II, Exhortation apostolique Familiaris
consortio, 22 novembre 1981, Acta Apostilicae Sedis, 1982, LXXIV, p. 92-149, 48 (in H. DEN-
ZINGER, 4700-4716, p. 982-984) ; Sollicitudo rei socialis, 15 (in P. TÉQUI, p. 353).
3. « L’homme qui vit entre les mains de Dieu, créateur et Père, celui qui n’admire que le Tout-
autre et jamais rien de l’homme, fût-ce la société, ne cèdera pas à la tentation totalitaire ; il pourra,
d’autre part, tirer le meilleur parti des occasions offertes par la socialisation contemporaine. S’il
est des hommes pour redouter les effets du totalitarisme, nous leur demandons seulement de
prendre en considération qu’une vie de chrétien et de saint est un obstacle à ces aberrations. »
(J.-Y.  CALVEZ, «  Socialisation et tendances totalitaires  », Socialisation et personne humaine,
Lyon, Chronique sociale de France, 1960, p. 153-154).
4. JEAN XXIII, Mater et Magistra (in A. F. UTZ, I, p. 688-689).
Subsidiarité et autorité spirituelle. La condamnation pontificale 223

Rien de vraiment surprenant dans ce retournement pour qui se souvient de


la contribution du Père Oswald von Nell-Breuning, toujours lui, à l’élabora-
tion de Mater et Magistra. Peut-être même, faut-il voir là quelque chose
comme une forme de rédemption personnelle pour le plumitif de Pie XI
(il avait pu, malgré lui, se sentir compromis par les nombreuses ambiguïtés
du texte de 1931)1. Tel que repris par le Pape, ce nouveau mot d’ordre de la
socialisation incubait depuis la décennie antérieure ; son lancement fut pré-
paré par un intense travail doctrinal auquel le Père jésuite a beaucoup
contribué outre-Rhin, jusques et y compris contre les directives de Pie XII.
À partir de 1961 et pendant les deux décennies 1960-1970, la diffusion séman-
tique de la subsidiarité sera surtout le fait du camp progressiste de la théo-
logie catholique, alors en train d’entamer un dialogue théorique avec son
homologue réformé. Songeons par exemple au Handbuch der Pastoral-theo-
logie de Karl Rahner et Franz Xaver Arnold qui réserve une place de choix à
la subsidiarité2. De ce côté-ci du Rhin, des théologiens éminents y ont égale-
ment participé, baptisant par là d’une tonalité très sociale l’entrée du mot
subsidiarité dans la langue française. Mentionnons ici deux contributions
importantes à la session 1960 des Semaines sociales de France tenue à Gre-
noble sur le thème Socialisation et personne humaine : la leçon donnée par le
Père Yves Congar, d’une part ; la conférence signée des mains du Père Jean-
Yves Calvez, d’autre part, co-auteur d’un ouvrage ayant fait date : Église et
société économique3. Tous les deux, le dominicain comme le jésuite, éta-
blissent un lien direct entre principe de subsidiarité et socialisation, qui déter-
minera grandement la réception du substantif dans le vocabulaire laïque
hexagonal4. Mais il prêtera aussi à de nombreuses confusions ; rappelant par là
que la parenthèse roncallienne devait bientôt se refermer.
Le propos serait inexact ou incomplet si l’on ne faisait mention que du seul
apport de l’aile gauche de l’échiquier catholique dans la diffusion hexagonale

1. O. von NELL-BREUNING, « Some Reflections on Mater et Magistra », Review of Social


Economy, 1962, 10 (2), p.  97-108. Contra, cf., ici, B.  PFISTER, «  Mater et Magistra  », Ordo,
1962, 13, p. 27-40 ; G. THOLL, « Neue Ordnungspolitische Aspekte der katholischen Staats-
und Soziallehre », ibid., 1965, 15-16, p. 569-578 ; L. ROOS, Ordnung und Gestaltung der Wirt-
schaft. Grundlagen und Grundsätze der Wirtschaftsethik nach dem II. Vatikanischen Konzil
[1971], Cologne, Bachem, 1974, p. 102-138 ; « Die Frage der Wirtschaftsordnung in den Sozial-
enzykliken », Festschrift V. Zsifkovits, Budapest, Graz, Schneider, 1993, p. 401-413.
2. F. X. ARNOLD, K. RAHNER, Handbuch der Pastoraltheologie, Fribourg, Herder, 1966.
3. Y.  M.-J. CONGAR, «  Perspectives chrétiennes sur la vie personnelle et la vie collective  »,
Socialisation et personne humaine, Lyon, Chronique sociale de France, 1960, p.  195-221, ici
p. 213-214 ; J.-Y. CALVEZ, « Socialisation et tendances totalitaires », ibid., p. 141-155). Rappe-
lons que l’essor français — et non francophone — du mot subsidiarité intervient en 1959 avec la
parution du premier volume de la somme de Jean-Yves Calvez et Jacques Perrin sur la doctrine
sociale (J.-Y.  CALVEZ, J.  PERRIN, Église et société économique, op. cit., p.  410  sq.). Elle se
poursuit l’année suivante avec la traduction française du premier tome de la Sozialethik du Père
Utz (A. F. UTZ, Éthique sociale, I. Les principes de la doctrine sociale [1958], trad. fr. É. Dousse,
Fribourg, Éditions Universitaires, 1960, spécialement p. 189-203).
4. Dans la même veine, cf. B. HÄRING, La Loi du Christ, I-III, Tournai, Desclée, 1955-1959,
en particulier III. Théologie morale et spéciale. La vie en communion fraternelle, p.  621 par
exemple ; K. RAHNER, Mission et grâce, I. XXe siècle, siècle de grâce ? Fondements d’une théo-
logie pastorale pour notre temps [1959], trad. fr. C.  Muller, Tours, Mame, 1966, p.  19-20 ;
J.-M. AUBERT, Vivre en chrétien au XXe siècle, Mulhouse, Salvator, 1977, II, p. 170-172.
224 La subsidiarité catholique...

du principe de subsidiarité. À l’opposé, fin des années 1950-début des années


1960, le courant traditionaliste mènera un intense travail de récupération
doctrinale — par la voix d’un Jean Madiran ou d’un Marcel Clément1.
Vatican II marquera ensuite une rupture symbolique dans l’histoire du
mot, mais, en la matière, le Concile se signale surtout par un net retrait vis-à-
vis du texte de 1961. D’un côté, une encyclique qui exprime la sensibilité
personnelle d’un pape ; de l’autre, des documents conciliaires, fruits d’in-
tenses négociations et de compromis souvent laborieux, dilatoires parfois.
Au point que si consécration conciliaire de la subsidiarité il y a, elle s’opère
en l’absence du mot lui-même. Ce sera donc sans y faire nommément réfé-
rence que les sections 25-2 et 75-2 de Gaudium et spes s’emploieront à conju-
guer et à thématiser le concept. Religieusement entonnés, tous les couplets de
la doctrine sociale répondent à l’appel conciliaire (le plein épanouissement de
la personne, sa nécessaire insertion dans des communautés d’appartenance,
famille, corps intermédiaires, société2), mais ils ne passent pas encore par le
refrain de la subsidiarité3.
Au total, trois occurrences seulement du mot dans deux des seize docu-
ments du Concile. La section 86-5 de Gaudium et spes, d’une part, qui l’ap-

1. Cf. « Le principe de subsidiarité », Itinéraires, 1962, 64, p. 3-5 ; « Prises de position en fonc-
tion du principe de subsidiarité », ibid., p. 40-52 ; « Les textes avant et dans Mater et Magistra »,
ibid., p. 7-13 ; J. MADIRAN, « La communauté catholique dans la nation française », ibid., 1958,
25, p. 2-40, ici p. 26 sq. ; De la justice sociale, Paris, Nouvelles Éditions Latines, 1961, spéciale-
ment p. 63 sq. ; « Note sémantique sur la socialisation et sur quelques autres vocables de Mater et
Magistra  », Itinéraires, 1962, 59, p.  65-116 ; «  La cause pratique de l’incompréhension réci-
proque », ibid., 1962, 64, p. 32-39 ; M. CLÉMENT, « Le principe de subsidiarité », ibid., 1958,
25, p.  41-47 ; La Corporation professionnelle, Paris, Nouvelles Éditions Latines, 1958 ; «  Trois
points de Mater et Magistra qui font difficulté », Itinéraires, 1962, 59, p. 44-64 ; « L’avenir de la
civilisation. Mater et Magistra et le principe de subsidiarité », ibid., 1962, 64, p. 14-28 ; L. SAL-
LERON, « La propriété dans l’encyclique Mater et Magistra », ibid., 1962, 59, p. 25-43 ; « Pro-
priété et subsidiarité », ibid., 1962, 64, p. 29-31. Dans la même perspective, sous la plume d’un
philosophe catholique d’origine hongroise, spécialiste de la Contre-Révolution : T. MOLNAR,
« Pas de civilisation désacralisée », ibid., 1962, 67, p. 65-73 ; « Die Neo-Utopische Staatsauffas-
sung  », Ordo, 1968, 19, p.  13-27 ; «  Christliches Erbe und Kollektivismus  », ibid., 1969, 20,
p. 11-22 ; « État, Église et société civile », La Pensée catholique, 1987, 227, p. 86-92.
2. VATICAN II, Gaudium et spes, 25-2 (in A. F. UTZ, I, p. 848-849). « [...] Les gouvernants se
gardent de faire obstacle aux associations familiales, sociales et culturelles, aux corps et institu-
tions intermédiaires, ou d’empêcher leurs activités légitimes et efficaces ; qu’ils aiment plutôt les
favoriser, dans l’ordre. » (Ibid., 75-2 ; in A. F. UTZ, I, p. 936-939). Sur la nature et la fin de la
communauté politique, cf. aussi la section 74 (Ibid., 74 ; in A. F. UTZ, I, p. 934-937).
3. Aussi la rupture relevée par le Père Chenu se situe-t-elle avant tout dans un registre séman-
tique. Pour Marie-Dominique Chenu, Vatican II avait mis fin à la doctrine sociale telle que
développée depuis Léon XIII avant d’être réintroduite « par une intervention illégale, après la
promulgation » (M.-D. CHENU, La « Doctrine sociale » comme idéologie, op. cit., p. 8-13). Or,
à lire Gaudium et spes, on s’aperçoit au contraire que le Concile continue de faire référence à la
doctrine sociale : l’Église, dit la constitution, « renoncera à l’exercice de certains droits légitime-
ment acquis, s’il est reconnu que leur usage peut faire douter de la pureté de son témoignage ou
si des circonstances nouvelles exigent d’autres dispositions. Mais il est juste qu’elle puisse par-
tout et toujours prêcher la fois avec une authentique liberté, enseigner sa doctrine sur la société,
accomplir sans entraves sa mission parmi les hommes, porter un jugement moral, même en des
matières qui touchent le domaine politique, quand les droits fondamentaux de la personne ou le
salut des âmes l’exigent, en utilisant tous les moyens, et ceux-là seulement, qui sont conformes à
l’Évangile et en harmonie avec le bien de tous, selon la diversité des temps et des situations. »
(VATICAN II, Gaudium et spes, 76-5 ; in A. F. UTZ, I, 811, p. 940-943).
Subsidiarité et autorité spirituelle. La condamnation pontificale 225

plique à la communauté internationale pour appeler à une plus grande justice


dans les rapports économiques mondiaux1. Les sections 3 et 6 de Gravis-
simum educationis, d’autre part, déclaration promulguée par Paul VI en 1965,
qui rappelle classiquement le rôle subsidiaire de l’État en matière éducative.
Penchons-nous à ce stade sur la question du rôle interne de l’État, avant de
revenir plus bas sur la section 86-5 de la constitution pastorale. Où l’on
retrouve encore une fois le statut séminal de l’enjeu éducatif dans la formula-
tion de la doctrine ecclésiale :
«  Il est de ses fonctions, dit Gravissimum educationis à propos de l’État, de
promouvoir de diverses façons l’éducation de la jeunesse : protéger les devoirs
et les droits des parents et autres personnes qui jouent un rôle dans l’éducation,
et leur fournir son aide ; selon le principe de subsidiarité, à défaut d’initiatives
prises par les parents et les autres sociétés, et compte tenu des désirs des parents,
assumer l’éducation complète ; en outre créer des écoles et des instituts propres
lorsque le bien commun l’exige2. »
Chose nouvelle et révélatrice, la déclaration évite à dessein le mot État. Les
exemples pourraient en l’espèce être multipliés ; un peu plus haut dans le même
texte : « Il y a des droits déterminés qui appartiennent à la société civile, en tant
que chargée d’organiser ce qui est nécessaire pour le bien commun temporel. »
À l’image de tous les autres documents conciliaires, Gravissimum educationis
préfère donc parler de société civile, et la constitution pastorale de commu-
nauté politique. Quant à la déclaration Dignitatis humanae, Émile Poulat a
fortement relevé combien l’État était son « grand absent »3 (on y évoque timi-
dement la potestas civilis ou la potestas publica). Dans la continuité de Mater et
Magistra, Gaudium et spes a beau jeu, quant à elle, d’insister sur la destination
universelle des biens, elle n’en parle pas moins très significativement de pro-
priété sociale, et non de propriété étatique4. La priorité de l’heure reste encore

1. VATICAN II, Gaudium et spes, 86-5 (in A.  F. UTZ, I, p.  958-959). Sur le texte,
cf. J. A. KOMONCHAK, « The “Legislative History” of Gaudium et spes », Journal of Law,
Philosophy and Culture, 2008, 2 (1), p. 89-119 ; C. HUMMES, « Theological and Ecclesiological
Foundations of Gaudium et spes », Journal of Catholic Social Thought, 2006, 3 (2), p. 231-242 ;
A. RICCARDI, « An Historical Perspective and Gaudium et spes », ibid., p. 243-256.
2. VATICAN II, Gravissimum educationis, 3 (in A. F. UTZ, II, p. 1422-1425). Un peu plus haut
dans la section  : «  Le devoir de dispenser l’éducation, qui revient en premier lieu à la famille,
requiert l’aide de toute la société. À côté des droits des parents et de ceux des éducateurs sur qui
ils se reposent d’une partie de leur tâche, il y a des droits déterminés qui appartiennent à la
société civile, en tant que chargée d’organiser ce qui est nécessaire pour le bien commun tem-
porel. » Un peu plus bas : « C’est encore le rôle de l’État de veiller à ce que tous les citoyens
puissent participer convenablement à la vie culturelle et soient préparés comme il se doit à l’exer-
cice des devoirs et des droits du citoyen. L’État doit donc assurer le droit des enfants à une édu-
cation scolaire adéquate, veiller à la capacité des maîtres, au niveau des études ainsi qu’à la santé
des élèves, et, d’une façon générale, développer l’ensemble du système scolaire, en gardant devant
les yeux le principe de subsidiarité, et donc en excluant tout monopole scolaire, lequel est opposé
aux droits innés de la personne humaine, au progrès et à la diffusion de la culture elle-même, à la
concorde entre les citoyens, enfin au pluralisme aujourd’hui en vigueur dans une multitude de
sociétés. » (Ibid., 6 ; in A. F. UTZ, II, p. 1426-1427).
3. D’après le titre d’un article paru en 1990  : É.  POULAT, «  Le grand absent de Dignitatis
humanae : l’État », Le Supplément. Revue d’éthique et de théologie morale, 1990, 175, p. 5-27.
4. VATICAN II, Gaudium et spes, 69, 71 (in A. F. UTZ, I, p. 924-929, p. 928-931).
226 La subsidiarité catholique...

de se démarquer du corporatisme1. Quand les textes conciliaires parlent ainsi


de société ou de communauté politique plutôt que d’État, ils n’entérinent pas
véritablement le sens libéral de la distinction État-société civile. Ils se conten-
tent bien davantage de reconduire et reproduire le schéma déjà relevé à propos
de la nation : sa distinction d’avec l’État2. Produit sans coût excessif, ce tour de
passe-passe permettait de réduire l’apparente contradiction entre le fondement
paulinien de la théologie catholique et le nouveau contexte du fait démocra-
tique.
La nation, ce n’est donc rien d’autre que la « communauté politique », la
« société politique » ou le « corps politique », pour reprendre les mots qu’uti-
lisait Jacques Maritain dans l’immédiat après-guerre. Entretenant un dialogue
nourri de longue date avec le Pape qui conclura le Concile3, le philosophe
néothomiste bénéficiera d’une oreille très attentive au Vatican pendant toute
la durée du pontificat montinien. On en veut pour preuve le concept clef
lancé par l’encyclique Populorum progressio sur l’internationalisation de la
question sociale : le développement « intégral », clin d’œil direct, et appuyé,
au slogan maritainien de 1936. La référence à l’auteur d’Humanisme intégral
ne se débusque pas entre les lignes du texte pontifical ; elle y figure expres-
sément. Point notable à relever car c’est la toute première fois, dans un
document officiel, qu’un pape reconnaît sa dette intellectuelle à l’égard d’ex-
perts contemporains et non plus, comme le veut l’usage traditionnel, à l’égard
des seules sources bibliques, patristiques et pontificales. Consécration spé-
ciale pour Maritain au surplus, seul laïc à être promu aux côtés des pères
Lebret, Chenu, de Lubac et Nell-Breuning4. Sur le fond comme sur la forme,
donc, la parenté se révèle encore une fois confondante entre la doctrine pon-

1. D’autant que nous sommes alors en plein contexte philocommuniste de Guerre froide.
Absente de Vatican II, la critique du communisme ne réapparaîtra qu’avec Paul VI et Jean-Paul
II. Dès Ecclesiam suam, Paul VI qualifie l’athéisme de phénomène « le plus grave de [l’]époque »,
condamnant les « systèmes négateurs de Dieu et persécuteurs de l’Église, systèmes souvent iden-
tifiés à des régimes économiques, sociaux et politiques, et, parmi eux, tout spécialement le
communisme athée » (PAUL VI, Lettre encyclique Ecclesiam suam, 6 août 1964, Acta Aposto-
licae Sedis, 1964, LVI, p. 637-659 ; in A. F. UTZ, II, p. 1570-1605, ici p. 1590-1593). Sur ce point,
cf. P.  LADRIÈRE, «  L’athéisme au Concile Vatican II  », Archives de sociologie des religions,
1971, 32, p. 53-84 ; « L’athéisme au Concile Vatican II, de la condamnation du communisme à la
négociation avec l’humanisme athée », Social Compass, 1977, 24 (4), p. 347-391).
2. Dans l’encyclique de 1929 sur l’éducation, l’État était déjà omis de la liste des « sociétés néces-
saires » à l’homme (PIE XI, Divini illius magistri, 319 ; in A. F. UTZ, II, p. 1356-1415).
3. Il avait pu nouer une forte amitié avec l’ex-Cardinal Montini, lorsqu’il occupa le poste d’am-
bassadeur de France près le Saint-Siège de 1945 à 1948. Cf. P. CHENAUX, « Paul VI et Mari-
tain », Jacques Maritain et ses contemporains, dir. B. HUBERT, Y. FLOUCAT, Paris, Desclée,
1991, p. 323-342 ; Paul VI et Maritain, Brescia, Istituto Paolo VI, Roma, Studium, 1994.
4. PAUL VI, Lettre encyclique Populorum progressio, 26  mars 1967, Acta Aspostolicae Sedis,
1967, LIX, p. 257-299 (in A. F. UTZ, I, p. 758-813 ; H. DENZINGER, 4440-4469, p. 942-948).
Cf. H. SCHAMBECK, « Populorum progressio und das Zweite Vaticanum », Soziale Verant-
wortung, dir. J. BROERMANN, P. DORNEICH, Berlin, Duncker und Humblot, 1968, p. 587-
614 ; H.  H. GÖTZ, «  Anmerkungen zur Enzyklika Populorum progressio  », Ordo, 1969, 20,
p. 23-33. Sur le Père Lebret, rédacteur de la première version du texte, cf. F. PERROUX, « Pré-
sence du Père Lebret », Économie et humanisme, 1966, 170, p. 6-9 ; M.-D. CHENU, « Le Père
Lebret : l’Évangile dans l’économie », ibid., p. 9-12 ; D. PELLETIER, « Engagement intellectuel
catholique et médiation du social », Mil Neuf Cent, 1995, 13 (1), p. 25-45 ; Économie et Huma-
nisme : de l’utopie communautaire au combat pour le Tiers Monde, Paris, Le Cerf, 1996.
Subsidiarité et autorité spirituelle. La condamnation pontificale 227

tificale et les thèses maritainiennes1. L’État : non pas une institution au sens
plein, un instrument au service de la personne.
« [L’État] est seulement cette partie du corps politique dont l’objet spécial est de
maintenir la loi, de promouvoir la prospérité commune et l’ordre public, et
d’administrer les affaires publiques. L’État est une partie spécialisée dans les
intérêts du tout2. »
À l’instar des papes de la doctrine sociale, Jacques Maritain se défendra
toujours de prôner un quelconque rejet de l’État ; à chaque fois qu’il aura à
aborder la question, il ne manquera jamais de circonscrire et préciser l’objet
de sa condamnation : l’inclination despotique, « absolutiste » ou « substantia-
liste » de l’État, non sa nécessité. Cependant, un simple croisement de cette
rhétorique maritainienne avec le tableau par ailleurs dressé du concept de
souveraineté révèle ce qu’il en est vraiment du caractère obsessionnel de son
« aversion » pour la machine de l’État : faire apparaître la malignité intrin-
sèque de l’« appareil » étatique. Et le penseur catholique de confesser finale-
ment sa fascination pour une société américaine capable de tenir toute seule
— sans État3.
À l’instar de Maritain, en sens opposé, Paul VI se révèle peu prolixe quand
il s’agit d’utiliser le substantif subsidiarité. Le mot sera absent de son ency-
clique phare Populorum progressio4 ; et, en tout et pour tout, une seule occur-
rence de l’épithète subsidiaire pointera sous sa plume dans Octogesima
adveniens. C’est qu’aux yeux du Pape Montini, la notion, après s’être dange-
reusement compromise avec le corporatisme, risque désormais de basculer
dans la dérive opposée : la socialisation collectiviste et sa perversion de l’im-
pératif chrétien de justice sociale5. La notion de socialisation n’est certes pas

1. Cf. J.  LECA, «  La théorie maritainienne de l’État face aux problèmes contemporains de la
démocratie », Notes et documents. Institut international Jacques Maritain, 1984, 7, p. 64-87.
2. J.  MARITAIN, L’Homme et l’État, Œuvres complètes, op. cit., IX, p.  494-495 (éd. PUF,
p. 11-12). On trouve à peu près les mêmes mots à la gauche du catholicisme dès l’entre-deux-
guerres, chez Emmanuel Mounier : « L’État n’est pas une communauté spirituelle, une personne
collective au sens propre du mot. Il n’est au-dessus ni de la patrie, ni de la nation, ni à plus forte
raison des personnes. Il est un instrument au service des sociétés et à travers elles, contre elles s’il
le faut, au service des personnes. Instrument artificiel et subordonné, mais nécessaire.  »
(E.  MOUNIER, Manifeste au service du personnalisme [1936], Œuvres, 1931-1939, op. cit., I,
p. 615 ; in E. MOUNIER, Écrits sur le personnalisme, op. cit., p. 174).
3. J. MARITAIN, L’Homme et l’État, Œuvres complètes, op. cit., IX, passim, p. 503 (éd. PUF,
p. 19). « Je voudrais signaler, ajoute-t-il, que le peuple a un besoin particulier de l’État, précisé-
ment parce que l’État est un organe spécialisé dans le soin à prendre du tout, et ainsi normale-
ment à défendre et protéger le peuple, ses droits, et l’amélioration de sa vie, contre l’égoïsme et le
particularisme des groupes ou des classes privilégiées. » (Ibid., p. 511 ; éd. PUF, p. 25).
4. Et du texte jean-paulinien qui la célèbrera vingt ans plus tard, Sollicitudo rei socialis.
5. « [Le pouvoir politique] agit dans le respect des libertés légitimes des individus, des familles et
des groupes subsidiaires, afin de créer efficacement et au profit de tous les conditions requises
pour attendre le bien authentique et complet de l’homme, y compris sa fin spirituelle. » (PAUL
VI, Lettre apostolique Octogesima adveniens au Cardinal M. Roy, 14 mai 1971, Acta Apostolicae
Sedis, 1971, LXIII, p. 403-429 ; Pour une société humaine, préf. L. Guissard, Paris, Le Centurion,
1971, ici p. 70-71). Nous soulignons. Ou encore, dès 1954, sous la plume du Cardinal Montini :
« Quant à l’ingérence croissante de la société civile en matière d’éducation, on ne se rappellera
jamais assez que “les parents ont un droit primordial d’ordre naturel à l’éducation de leurs
enfants [...], inviolable, antérieur à celui de la société et de l’État”. L’État devra donc protéger le
libre exercice de ce droit et pallier les insuffisances éventuelles de la famille, mais jamais il ne
228 La subsidiarité catholique...

évacuée mais elle se trouve désormais fortement tempérée par une subsidia-
rité davantage rattienne ou pacellienne que directement roncallienne1. Aussi,
dans Octogesima adveniens, la lettre apostolique précitée que Paul VI adresse
au Cardinal Maurice Roy à l’occasion du quatre-vingtième anniversaire de
Rerum novarum, la critique du communisme change-t-elle de ton, rompant
assez nettement avec la période conciliaire2. Une fois établi le double constat
de l’« éclatement » du marxisme et du renouveau de « l’idéologie libérale », le
Pape se plaît à riposter par un appel vibrant au discernement chrétien :
«  Dans cette approche renouvelée des diverses idéologies, le chrétien puisera
aux sources de sa foi et dans l’enseignement de l’Église les principes et les cri-
tères opportuns pour éviter de se laisser séduire, puis enfermer, dans un système
dont les limites et le totalitarisme risquent de lui apparaître trop tard s’il ne les
perçoit pas dans leurs racines. Dépassant tout système, sans pour autant omettre
l’engagement concret au service des ses frères, il affirmera au sein même de ses
options la spécificité de l’apport chrétien pour une transformation positive de la
société3. »
Paul VI se livre ici, on le voit, à une définition très extensive de l’idéologie,
si extensive qu’on finit presque par croire que seule la foi catholique mérite
d’en être point justiciable.

2. LA PHOBIE ANTITOTALITAIRE DE L’ÉTAT-PROVIDENCE

Le moment Paul VI aura marqué une étape de transition vers l’ère postconci-
liaire de la subsidiarité catholique. Avec les papes Jean-Paul II et Benoît XVI
se joue quelque chose de nouveau, une période nouvelle s’ouvre, celle du
retour à un schéma préconciliaire : parlons, pour faire court, du paradigme
augustinien de Pie XI et Pie XII. Combat contre le totalitarisme soviétique
oblige, toute la première moitié du pontificat jean-paulinien se signale par

pourra se substituer indûment à la famille elle-même. Et même là où il est nécessaire d’intervenir,


plutôt que de créer de nouveaux organismes [...], l’État devrait promouvoir les conditions de vie,
de travail et d’assistance, assurant un meilleur développement pour la famille de ses fonctions
d’éducatrice.  » (G.  B. MONTINI, Lettre de la Pro-Secrétairerie d’État à Mgr  G.  Siri, arche-
vêque de Gênes, adressée à l’occasion de la XXVIIe Semaine sociale des catholiques italiens,
10 septembre 1954 ; in A. F. UTZ, J. F. GRONER, I, p. 613).
1. PAUL VI, Lettre au Cardinal A. Cicognani, 5 septembre 1965 (in A. F. UTZ, III, p. 2093).
2. Si l’on adhère à la thèse du Père Chenu évoquée plus haut, on s’autorise alors à dire que Jean-
Paul II fait retour au schéma préconciliaire, notamment via un réinvestissement de la sémantique
traditionnelle propre à la « doctrine sociale ». « Dans sa doctrine sociale, dit Jean-Paul II, l’Église
ne propose pas de modèle politique ou économique concret, mais elle indique le chemin, elle
présente des principes.  » (JEAN-PAUL II, Discours pour l’ouverture des travaux de la IIIe
conférence de l’épiscopat latino-américain, Puebla, 28  janvier 1979, La Documentation catho-
lique, 1979, 1758, p. 164-172).
3. PAUL VI, Octogesima adveniens, 36 (in L. GUISSARD, p. 59). Nous soulignons. Ou encore,
sur le marxisme : « Si à travers le marxisme tel qu’il est concrètement vécu, on peut distinguer ces
divers aspects et les questions qu’ils posent aux chrétiens pour la réflexion et l’action, il serait
illusoire et dangereux d’en arriver à oublier le lien intime qui les unit radicalement, d’accepter les
éléments de l’analyse marxiste sans reconnaître leur rapport avec l’idéologie, d’entrer dans la
pratique de la lutte des classes et de son interprétation marxiste en négligeant de percevoir le type
de société totalitaire et violente à laquelle conduit ce processus. » (PAUL VI, Octogesima adve-
niens, 34 ; in L. GUISSARD, p. 58 ; H. DENZINGER, 4508, p. 956).
Subsidiarité et autorité spirituelle. La condamnation pontificale 229

une puissante réactivation du système subsidiarité-totalitarisme. Mais inertie


doctrinale aidant, la rhétorique sera maintenue après l’effondrement du Bloc
de l’Est.
Le ton de la doctrine wojtylienne de l’État est donné dès l’inauguration du
nouveau pontificat. Un État au service de la nation, d’une part : lors de son
premier voyage en Pologne, Jean-Paul II déclare solennellement aux évêques
rassemblés en conférence épiscopale que l’État doit comprendre « sa mission à
l’égard de la société selon le principe de subsidiarité, c’est-à-dire qu’il veut
exprimer par là la pleine souveraineté de la nation »1. Un État au service des
familles, d’autre part2 : peu après, dans une exhortation apostolique en date du
22 novembre 1981, le Pape se réfère à la subsidiarité pour célébrer les vertus de
la famille, cette « “société jouissant d’un droit propre et primordial” » devant
disposer à cet égard d’une irréductible primauté par rapport à l’État.
« En vertu [du principe de subsidiarité] l’État ne peut pas et ne doit pas enlever
aux familles les tâches qu’elles peuvent fort bien accomplir seules ou en s’asso-
ciant librement à d’autres familles ; mais il doit au contraire favoriser et susciter
le plus possible les initiatives responsables des familles3. »
On ne peut plus fidèle à l’enseignement traditionnel, cet appel lancinant à
la plus élémentaire des cellules de la vie humaine trouvera son acmé en 1992
dans une double invocation au principe de subsidiarité : la Lettre aux familles
d’une part4 ; le nouveau Catéchisme de l’Église d’autre part5. Un an aupara-
vant, c’est surtout l’encyclique Centesimus annus, promulguée à l’occasion
du centenaire de Rerum novarum, qui avait livré le cœur de la doctrine
sociale du Pape polonais. Lu à la lumière de ce texte, le pontificat jean-pauli-
nien révèle, nous semble-t-il, ses éléments d’homogénéité les plus profonds.
Il y reprend la démonstration inaugurale développée dix ans plus tôt dans
Laborem exercens, en particulier son apologie du travail, dont l’objectif pre-
mier consistait à rappeler aux fidèles que le travail, chrétiennement défini, ne
pouvait être considéré comme le lieu de l’asservissement de l’homme, qu’il
était tout au contraire celui de son plein épanouissement6. Sans invoquer le
principe de subsidiarité, le texte de 1981 réservait encore à l’État une place

1. JEAN-PAUL II, Allocution aux évêques polonais, Jasna Góra, 5 juin 1979, La Documenta-
tion catholique, 1979, 1767, p. 618-623, ici p. 621 (en italique dans le texte original).
2. Chrétiennement comprise, la nation n’est-elle pas un simple élargissement de la famille ? Sur
la philosophie jean-paulinienne de la nation, cf. P. POUPARD, « “Respecter les droits de chaque
nation”. La pensée internationale de Jean-Paul II », Communio, 1981, 6 (3), p. 18-26.
3. « La société, et plus précisément l’État, lit-on en 1981, doivent reconnaître que la famille est
une “société jouissant d’un droit propre et primordial” et ils ont donc la grave obligation, en ce
qui concerne leurs relations avec la famille, de s’en tenir au principe de subsidiarité. » (JEAN-
PAUL II, Familiaris consortio, in H. DENZINGER, 4700-4716, p. 982-984).
4. JEAN-PAUL II, Lettre aux familles, Paris, Le Cerf, 1994, 16, p. 63-64.
5. JEAN-PAUL II, Catéchisme de l’Église catholique, 1894, p.  467. Formule classique  : «  La
famille doit être aidée et défendue par les mesures sociales appropriées. Là où les familles ne sont
pas en mesure de remplir leurs fonctions, les autres corps sociaux ont le devoir de les aider et de
soutenir l’institution familiale. Suivant le principe de subsidiarité, les communautés plus vastes
se garderont d’usurper ses pouvoirs ou de s’immiscer dans sa vie. » (Ibid., 2209, p. 536).
6. Cf., par exemple, D.  MARTIN, «  Catholic Social Teaching and Human Work  : The
25th Anniversary of Laborem exercens », Journal of Catholic Social Thought, 2009, 6 (1), p. 5-18.
230 La subsidiarité catholique...

que les textes ultérieurs tendront à minorer davantage  : il est du devoir de


l’État, écrit alors Jean-Paul II, d’assurer «  une coordination juste et ration-
nelle dans le cadre de laquelle doit être garantie l’initiative des personnes, des
groupes libres, des centres et des ensembles de travail locaux »1. Le message
s’amplifie nettement six ans après dans Sollicitudo rei socialis et plus encore
au début de la décennie suivante. Par rapport à Mater et Magistra, qui avait
ouvert l’ère de la subsidiarité sociale, le retournement opéré en 1991 par
Centesimus annus prend un tour quasi révolutionnaire. Il est d’autant plus
notable que le recours au syntagme se fait désormais récurrent dans le lan-
gage du Pape polonais. Intitulée « Le rôle économique de l’État », toute la
section 48 y est consacrée :
« Une société d’ordre supérieur ne doit pas intervenir dans la vie interne d’une
société d’un ordre inférieur, en lui enlevant ses compétences, mais elle doit
plutôt la soutenir en cas de nécessité et l’aider à coordonner son action avec celle
des autres éléments qui composent la société en vue du bien commun2. »
L’État a un « rôle économique » à jouer mais il n’est que de garantie et de
suppléance  : assurer les conditions d’un bon fonctionnement du marché.
Jean-Paul II ne se contente pas de rompre avec la socialisation de ses prédé-
cesseurs ; il impulse concomitamment l’entrée très remarquée du marché dans
le vocabulaire pontifical3. Avec toutes les précautions d’usage nécessaires,
bien sûr, et autres coquetteries de style qui font sa touche personnelle. Pre-
nant soin de la distinguer du « “capitalisme sauvage” », il entérine l’économie
de marché et appelle de ses vœux la mise en place d’un «  nouveau capita-
lisme  » capable de promouvoir le développement intégral de la personne
humaine4. Cette irruption d’un troisième terme dans le schéma classique État-
société révèle le rôle véritablement attribué à l’État  : la vocation de l’État,
nous dit Jean-Paul II, n’est pas tant d’intervenir dans la société que d’inter-
venir dans le fonctionnement du marché. Binôme État-marché laissant plus
ou moins entendre que la société civile peut tout à fait se passer de l’État,
voire que son mariage est beaucoup plus naturel avec l’Église. État et marché
d’un côté ; société et Église de l’autre : ainsi peut s’entendre l’éloge appuyé de
la société civile auquel le Pape Wojtyla s’est adonné5. Le glissement dénote
plus fondamentalement une rupture avec l’ancienne tradition léonienne de la
troisième voie. La subsidiarité jean-paulinienne n’est plus la subsidiarité tra-

1. JEAN-PAUL II, Lettre encyclique Laborem exercens, 14 septembre 1981, Acta Apostolicae
Sedis, 1981, LXXIII, p. 591-616 (in P. TÉQUI, p. 158, p. 153).
2. JEAN-PAUL II, Centesimus annus, 48 (in P. TÉQUI, p. 533).
3. Sur le rapport de Karol Wojtyla à l’idéologie communiste, cf. R. BUTTIGLIONE, La Pensée
de Karol Wojtyla [1982], trad. H. Louette, J.-M. Salamito, Paris, Fayard, 1984 ; J. GARELLO,
« La philosophie de la liberté chez Karol Wojtyla », Mélanges P. Salin, Paris, Les Belles Lettres,
2006, p. 427-442. Premières mises en garde pontificales contre les dangers de la socialisation dans
JEAN-PAUL II, Laborem exercens, 14 (in P. TÉQUI, p. 150-153).
4. JEAN-PAUL II, Centesimus annus, 8, 40 (in P. TÉQUI, p. 490, p. 523).
5. Pour une mise en perspective, cf. M. SPICKER, « La responsabilité des corps intermédiaires
pour le bien commun », L’Enseignement social chrétien, Fribourg, Éditions Universitaires, 1988,
p. 155-174 ; H. MADELIN, « La conception de la société dans les encycliques de Jean-Paul II »,
La Société dans les encycliques de Jean-Paul II, Paris, Le Cerf, 2000, p. 33-59.
Subsidiarité et autorité spirituelle. La condamnation pontificale 231

ditionnelle de la doctrine sociale, celle du dépassement des idéologies


modernes ; elle s’installe résolument à l’intérieur d’une acceptation sincère du
capitalisme et de « l’économie d’entreprise »1. Chose plus nouvelle qu’il n’y
paraît, le Vatican assume désormais la nette distinction entre le système capi-
taliste et ses excès : l’idolâtrie du marché, le « capitalisme sauvage » ; entre le
fonctionnement de la vie économique et ses penchants pervers : le règne de
l’argent, l’atomisation du corps social, la destruction des communautés
humaines. Aussi, réconciliation jean-paulinienne avec le fait économique du
capitalisme n’a jamais signifié entérinement de l’anthropologie individualiste,
de l’utilitarisme ou du matérialisme2. Il en va ici comme il en allait, en pleine
Seconde Guerre mondiale, de la ratification pacellienne du fait démocratique.
À l’opposé, la méfiance pontificale vis-à-vis de l’État s’avère telle que Jean-
Paul II donne à voir une intervention publique toujours plus ou moins sus-
pecte de vouloir étendre son emprise maligne sur le corps sain de la société.
En témoignent aisément, sous la plume du Pape Wojtyla, une critique insis-
tante de l’État-providence ainsi qu’une célébration, inversement proportion-
nelle, de la charité de proximité : car « il semble que les besoins soient mieux
connus par ceux qui en sont les plus proches ou qui savent s’en rapprocher, et
que ceux-ci soient plus à même d’y répondre  »3. En aucun cas, le principe
catholique ne saurait être un prétexte au providentialisme social de l’État. Et
le Pape d’embrayer le pas au discours du libéralisme économique (ou plutôt
du néolibéralisme)  : mise en garde contre l’hypertrophie des bureaucraties
étatiques, lointaines et anonymes, contre « l’État de l’assistance », pente natu-
relle de l’« État du bien-être ».
Il n’est pas interdit de voir là une rencontre souterraine entre l’État
minimal du libéralisme et l’État subsidiaire du catholicisme. Certes, la théorie
jean-paulinienne de l’État ne saurait reposer sur des fondements authentique-
ment libéraux4, mais le catholicisme pontifical n’en rejoint pas moins, très
concrètement, les thèses les plus caractéristiques du libéralisme économique.
Le parallèle est ainsi permis entre la pensée augustinienne d’un Karol Woj-
tyla, qui fustige la prétention providentielle à rapatrier sur terre la justice

1. Pour un commentaire de Centesimus annus, cf. J.-Y. CALVEZ, « Centesimus annus et le libé-
ralisme », Études, 1991, 375 (6), p. 625-632 ; D. VERMERSCH, et al., « Le libéralisme et la doc-
trine sociale de l’Église  », ibid., 1996, 385 (4), p.  379-387. Avant même Centesimus annus  :
D. MAUGENEST, « Le principe de subsidiarité et la pensée catholique », Professions et Entre-
prises, 1985, 735, p. 6-9 ; H. BUSSERY, « La doctrine sociale catholique et le libéralisme écono-
mique », Les Démocrates chrétiens et l’économie sociale de marché, op. cit., p. 31-40.
2. Cf. P. PORTIER, La Pensée de Jean-Paul II, I. La critique du monde moderne, Paris, Édi-
tions de l’Atelier, Éditions Ouvrières, 2006, p. 79-110 (ch. 2). Sur le maintien de la ligne tradi-
tionnelle malgré les apparences du discours libéral, cf. B. LAURENT, L’Enseignement social de
l’Église et l’économie de marché, Paris, Parole et Silence, 2007.
3. JEAN-PAUL II, Centesimus annus, 48 (in P. TÉQUI, p. 533).
4. « Si le discours wojtylien se montre parfois tangent au discours libéral, dans son horreur en
particulier du pouvoir tyrannique ou sa défense du droit de propriété et, dans certaines limites,
de la liberté d’opinion, il est loin de lui être parfaitement superposable. Entre eux, il y a toute la
distance qui sépare le jusnaturalisme ancien marqué par le substantialisme et le jusnaturalisme
moderne ancré dans l’individualisme. » (P. PORTIER, La Pensée de Jean-Paul II, op. cit., p. 70).
Sur la subsidiarité, ici mise en regard avec le concept d’État total, cf. ibid., p. 151 sq.
232 La subsidiarité catholique...

divine1, et les thèses anticonstructivistes d’un Friedrich Hayek, pour qui


l’État s’apparente plus ou moins à un danger totalitaire (socialiste) toujours
en sommeil2. Rapprochement entre lecture hayékienne et interprétation pon-
tificale du socialisme ne vaut bien sûr pas superposition, homologie ne vaut
pas généalogie, mais tout de même  : en partant de prémisses fondamenta-
lement opposées, l’ordre naturel catholique et l’ordre libéral spontané ne
finissent-ils pas par étrangement se ressembler3 ? Le coupable est en tout cas
désigné par une inépuisable mise en cause du Mal étatique. Et quand bien
même il se situe sur le terrain pratique de l’organisation fonctionnelle, le
dénominateur commun entre ces deux antitotalitarismes débouche sur une
même préconisation : le cantonnement utilitariste de l’État4. Où l’on retrouve
la conception maritainienne de l’État-instrument  : abreuvée à la source de
l’antitotalitarisme catholique et du mythe américain, elle a activement pré-
paré le terrain de cette rencontre, ce mariage entre libéralisme économique et
conservatisme social. Nous retrouverons plus loin ces questions en distin-
guant entre libéralisme classique et néolibéralisme contemporain, via un
détour germanique, mais notons ici les convergences auxquelles peut donner
lieu pareille analyse du phénomène totalitaire à travers une grille de lecture
apocalyptique tout empreinte d’augustinisme.
Par sa critique de l’État-providence, le Pape polonais fixe le système État
totalitaire-État subsidiaire dans sa version définitive selon un raisonnement
que le libéralisme le plus hayékien serait bien en peine de renier : le totalita-
risme comme absorption de la société par l’État. Observateur et acteur de la
chute du communisme soviétique, Jean-Paul II ne fait que reproduire ici les
analyses de son prédécesseur témoin de la fin du nazisme. Tout le système
wojtylien d’interprétation du phénomène totalitaire repose in fine sur la
même conception rattienne de la Vérité catholique. Aussi la catégorie totali-
tarisme a-t-elle droit chez Jean-Paul, comme l’idéologie chez Paul VI, à une

1. Le Pape qualifie expressément le communisme de « “religion séculière” » prétendant « bâtir le


paradis en ce monde » (JEAN-PAUL II, Centesimus annus, 25 ; in P. TÉQUI, p. 507).
2. F.  A. HAYEK, La Route de la servitude [1944], trad. fr. G.  Blumberg, Paris, PUF, 2005.
Au-delà de la différence des démarches et des principes fondateurs, le parallèle avec Hayek vaut
d’autant plus que le philosophe d’origine autrichienne a voulu démontrer la consanguinité entre
démocratie et totalitarisme, via le socialisme et le planisme. Comme dans le discours pontifical,
le socialisme chez Hayek est érigé en bloc homogène, lequel se trouve accusé de constituer la
source même du totalitarisme (le socialisme libéral serait une contradiction dans les termes).
Point de distinction entre différentes variantes dont les plus modérées seraient acceptables mais
condamnation d’une matrice commune, totalitaire dans son essence : le constructivisme, la tenta-
tive de réorganisation volontariste de la société à partir d’un plan prémédité.
3. Il faut bien sûr distinguer les deux  : aucune conception naturaliste du marché chez Hayek
(une dimension de transcendance néanmoins, dont le parfum revêt des accents thomistes). Non
point naturelles, les règles de fonctionnement du marché sont le produit de l’histoire, tel qu’issu
d’un processus naturel de sélection des institutions sociales. Cf., ici, F. A. HAYEK, Droit, légis-
lation et liberté, I. Règles et ordre [1973], trad. fr. R. Audouin, P. Nemo, Paris, PUF, 2007.
4. L’État reste nécessaire mais il se trouve réduit à une simple ustensibilité  : «  Il n’y a pas de
système rationnellement soutenable dans lequel l’État ne ferait rien. Un système compétitif effi-
cace nécessite tout autant qu’un autre une armature juridique intelligemment conçue et constam-
ment adaptée. La plus essentielle des conditions préalables de son bon fonctionnement, à savoir
la prévention de la fraude et de la tromperie [...], fournit à l’activité législative une tâche considé-
rable et nullement achevée. » (F. A. HAYEK, La Route de la servitude, op. cit., p. 35).
Subsidiarité et autorité spirituelle. La condamnation pontificale 233

définition pour le moins englobante, qui permet en retour l’entretien d’un


chantage permanent. N’est-il pas tout à fait significatif à cet égard que, deux
ans après Centesimus annus, Veritatis splendor appelle «  à surmonter les
formes les plus diverses de totalitarisme pour ouvrir la voie à l’authentique
liberté de la personne »1 ? Fides et ratio livre la réponse explicite, confirmant
notre intuition de départ : le totalitarisme est né d’une mutilation de l’homme
par l’homme — la séparation de la foi et de la raison, la séparation de la
liberté et de la vérité. Allant plus loin encore que les habituelles lamentations
pontificales sur le drame de l’athéisme, Jean-Paul II pousse ici le raisonne-
ment de Pie XI et Pie XII jusqu’à son terme logique. Il établit l’évidence d’un
lien de causalité nécessaire  : la raison sans la foi spirituelle (entendre la foi
catholique) conduit au totalitarisme2 ; la liberté sans la vérité objective
(entendre la vérité catholique) conduit au totalitarisme3. C’est ainsi dans
une supposée confusion — indifféremment hobbesienne, rousseauiste, kan-
tienne, hégélienne, kelsénienne — entre la légitimité et la positivité, entre la
validité et la licéité, entre le légal et le moral, que gît la source fatale du glisse-
ment insidieux qui va de la démocratie athée au totalitarisme étatique. Bien
plus, fustigeant le relativisme éthique et la capitulation des valeurs face à la
loi démocratique de la majorité, Jean-Paul II n’hésite pas à qualifier de « tota-
litarisme caractérisé » les législations qui autorisent l’avortement ou l’eutha-
nasie4.
Insistons une dernière fois sur le parallèle avec Pie XII pour comprendre la
profonde ambivalence de cette acclimatation pontificale au monde libéral : à
la faveur du combat contre le totalitarisme communiste, le thomisme brandi
par Jean-Paul II entre souterrainement en dialogue avec un libéralisme
expurgé de ses péchés individualiste et relativiste, tout comme Pie XII, à la
faveur de la Seconde Guerre mondiale, avait plus ou moins adoubé la démo-
cratie, en réclamant qu’elle soit chrétiennement inspirée. Mais, chez l’un
comme chez l’autre, les conditions léonines implicitement posées finissent
par annuler la reconnaissance officielle savamment affichée. En effet  : les
objections pontificales de Jean-Paul II et Pie XII ne désignent-elles pas, en
définitive, l’épine dorsale de la modernité, l’individualisme, ce sans quoi elle
n’existe pas ? Là réside la principale limite du parallèle établi plus haut : l’op-
position catholique à l’État est intimement solidaire de son refus de l’individu

1. JEAN-PAUL II, Veritatis splendor, 99 (in P. TÉQUI, p. 630).


2. Toutes les philosophies laïques et athées deviennent ainsi des religions séculières  : «  Elles
n’ont pas eu peur, écrit le Pape, de se faire passer pour de nouvelles religions, constituant le fon-
dement de projets qui, sur le plan politique et social, ont abouti à des systèmes totalitaires trau-
matisants pour l’humanité.  » (JEAN-PAUL II, Lettre encyclique Fides et ratio, 14  septembre
1998, Acta Apostolicae Sedis, 1999, XCI, p. 5-88 ; in P. TÉQUI, p. 823-905, ici p. 859).
3. «  Séparer radicalement la liberté de la vérité objective, écrit le Pape Jean-Paul II, empêche
d’établir les droits de la personne sur une base rationnelle solide, et cela ouvre dans la société la
voie au risque de l’arbitraire ingouvernable des individus ou au totalitarisme mortifère des pou-
voirs publics. » (JEAN-PAUL II, Lettre encyclique Evangelium vitae, 25 mars 1995, Acta Apos-
tolicae Sedis, 1995, LXXXVII, p. 465-518, 96 ; in P. TÉQUI, p. 651-752, ici p. 742-743).
4. Et le Pape d’accuser : « L’État n’est plus la “maison commune” où tous peuvent vivre selon
les principes de l’égalité fondamentale, mais il se transforme en État tyran qui prétend pouvoir
disposer de la vie des plus faibles et des êtres sans défense. » (Ibid., 20 ; in P. TÉQUI, p. 669).
234 La subsidiarité catholique...

libéral1. L’Église est certes pour la société, mais elle est surtout contre l’indi-
vidu : pour une société anti-individualiste, une société organique et commu-
nautaire, disait-on dans les années 1930. Il ne faudrait donc pas se laisser
abuser par le discours lénifiant que le Vatican de la postmodernité se plaît
à entonner. Jamais l’Église n’a entériné les droits modernes de l’homme et
de l’État : les véritables droits de l’homme, répond-elle, s’originent dans ses
devoirs envers Dieu2. Jamais l’Église n’a entériné la démocratie moderne : la
véritable démocratie aura toujours besoin de la foi. Quand elle est acceptée
par les papes post-totalitaires, la liberté démocratique ne veut pas dire plura-
lisme libéral. Elle reste toujours ordonnée à la vérité, conformément au per-
fectionnisme moral du catholicisme le plus traditionnel. Seule la liberté qui se
soumet à la Vérité peut conduire l’homme vers son vrai bien. Ainsi s’entend
cette formule éloquente de Jean-Paul II qui résume tout le propos de Cente-
simus annus : « Une démocratie sans valeurs se transforme facilement en un
totalitarisme déclaré ou sournois, comme le montre l’histoire3. »
« Le totalitarisme, dit-il un peu plus haut, naît de la négation de la vérité au
sens objectif du terme : s’il n’existe pas de vérité transcendante, par l’obéissance
à laquelle l’homme acquiert sa pleine identité, dans ces conditions, il n’existe
aucun principe sûr pour garantir des rapports justes entre les hommes. [...] Si la
vérité transcendante n’est pas reconnue, la force du pouvoir triomphe, et
chacun tend à utiliser jusqu’au bout les moyens dont il dispose pour faire préva-
loir ses intérêts ou ses opinions, sans considérations pour les droits des autres.
[...] Il faut donc situer la racine du totalitarisme dans la négation de la dignité
transcendante de la personne humaine, image visible du Dieu invisible et, pré-
cisément pour cela, de par sa nature même, sujet de droits que personne ne peut
violer, ni l’individu, ni le groupe, ni la classe, ni la nation, ni l’État4. »

1. Comme l’a montré Marcel Gauchet, l’émergence de l’État est la « première révolution reli-
gieuse de l’histoire, révolution de fait qui en porte une seconde dans ses flancs, celle-là propre-
ment individuelle » (M. GAUCHET, Le Désenchantement du monde, op. cit., p. XVI).
2. Sur l’apport de Jean-Paul II à la théorie catholique des droits de l’homme, cf. P. ANDRÉ-
VINCENT, Les Droits de l’homme dans l’enseignement de Jean-Paul II, Paris, LGDJ, 1983 ;
O. HÖFFE, dir., Le Pape Jean-Paul II et les droits de l’homme, Fribourg, Éditions Universi-
taires, 1980 ; J.-L. CHABOT, « La doctrine sociale de l’Église et les droits de l’homme », Annales
theologici, 1999, 13 (1), p. 189-205. De manière générale : H. WATTIAUX, « Statut des inter-
ventions du magistère relatives aux droits de l’homme », Nouvelle revue théologique, 1976, 98
(9), p.  799-816 ; F.  MORENO, «  Genèse et fondements de la doctrine des droits de l’homme
dans le magistère pontifical moderne », Communio, 1981, 6 (2), p. 58-66 ; J.-M. AUBERT, Droits
de l’homme et libération évangélique, op. cit. ; A. DUFOUR, « Droits de l’homme et tradition
chrétienne  » [1992], L’Histoire du droit entre philosophie et histoire des idées, Bruxelles,
Bruylant, Schulthess, 2003, p. 416-450 ; « Le Discours et l’Événement. L’émergence des droits
de l’homme et le christianisme dans l’histoire occidentale » [1990], ibid., p. 402-415.
3. JEAN-PAUL II, Centesimus annus (in P. TÉQUI, p. 530 ; H. DENZINGER, 4910, p. 1016).
Repris dans JEAN-PAUL II, Veritatis splendor, 101 (in P. TÉQUI, p. 632).
4. JEAN-PAUL II, Centesimus annus, 44 (in P.  TÉQUI, p.  529). Cf. J.-L. CHABOT, «  La
démocratie selon le magistère de Jean-Paul II  », Annales theologici, 2008, 22 (1), p.  115-127 ;
G. de THIEULLOY, « Démocratie et totalitarisme selon Jean-Paul II », Liberté politique, 2005,
30, p. 107-112. Dans la même veine, pour un exemple récent de célébration de la subsidiarité par
l’aile traditionaliste du catholicisme français, cf. quelques dossiers spéciaux parus dans Civitas.
Pour une cité catholique : « L’État », Civitas, 2001, 2, p. 17-57 : « La société moderne : un soft
totalitarisme », p. 23-26 ; « Le principe de subsidiarité », p. 34-39 ; « Un chef d’État catholique au
xxe siècle : Engelbert Dollfuss, Chancelier d’Autriche », p. 52-57 ; « Les corps intermédiaires »,
ibid., 2002, 5, p. 29-66 : « Fédéralisme et corps intermédiaires régionaux », p. 54-59 ; « La per-
Subsidiarité et autorité spirituelle. La condamnation pontificale 235

Il y a le Pape cathodique qui fanatise la foule des croyants, il y a le Pape


politique qui contribue décisivement à l’implosion du monde soviétique, il y
a le Pape charismatique dont on réclame déjà la sanctification ; il y a aussi,
pêle-mêle, dans la plus pure tradition catholique, faut-il le rappeler encore, le
refus de la neutralité de l’État et de l’autonomie du sujet, l’affirmation de la
primauté de la morale sur la politique, des devoirs sur les droits, la reconduc-
tion d’un schéma naturaliste classique, qui réserve le monopole exclusif de la
Vérité et du sens à la seule Parole divine, telle qu’interprétée par l’Église.

La stigmatisation des conséquences supposées du pluralisme libéral et du


rationalisme des Lumières — le relativisme moral, le positivisme juridique,
l’idéologie du progrès, l’agnosticisme, l’athéisme, le laïcisme1 —, voilà bien ce
qui fait le pont entre le règne de Jean-Paul II et celui de Benoît XVI. Ancien
Préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi du Pape Wojtyla et, donc,
gardien de l’orthodoxie dogmatique en raison même de sa fonction, le Pape
Ratzinger se situe dans la ligne intellectuelle de son prédécesseur — qu’il a en
grande partie contribué à fixer2. En 1986, son instruction préfectorale Liber-
tatis conscientia se réfère significativement au principe de subsidiarité pour
procéder à la condamnation en bonne et due forme de la théologie de la Libé-
ration et du collectivisme3. De manière générale, tous les grands textes du
pontificat jean-paulinien (Centesimus annus, Veritatis splendor et Fides et
ratio) portent la marque évidente de la pensée ratzingérienne4. Fin des années
1980-début des années 1990, le Cardinal allemand fut aussi la principale che-
ville ouvrière de l’élaboration du Catéchisme de l’Église catholique, compila-
tion doctrinale qui réserve une place de choix à la subsidiarité5. Même si leur

sonne », ibid., 2002, 7, p. 31-62 : « Jean-Jacques Rousseau, source du totalitarisme moderne »,


p. 49-54 ; « Maritain : un personnalisme chrétien ? », p. 55-58.
1. JEAN-PAUL II, Veritatis splendor, 84 (in P. TÉQUI, p. 619-620).
2. Nommé archevêque de Munich-Freising par Paul VI le 24  mars 1977, Joseph Ratzinger
devient cardinal le 27 juin suivant à l’âge de cinquante ans. Appelé par Jean-Paul II au Vatican
dès le début de son pontificat, il restera peu de temps à la tête de l’archevêché bavarois. Il devient
Préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi à la fin de l’année 1981 ; justifiée par sa fonc-
tion, son inflexibilité doctrinale lui vaudra néanmoins le surnom de Panzerkardinal.
3. « Au fondement, qui est la dignité de l’homme, sont intimement liés le principe de “solida-
rité” et le principe de “subsidiarité”. En vertu du premier, l’homme doit contribuer avec ses
semblables au bien commun de la société, à tous les niveaux. Par là, la doctrine de l’Église est
opposée à toutes les formes de l’“individualisme” social ou politique. En vertu du second
principe, ni l’État, ni aucune société ne doivent jamais se substituer à l’initiative et à la responsa-
bilité des personnes et des communautés intermédiaires sur le plan où elles peuvent agir, ni
détruire l’espace nécessaire à leur liberté. Par là, la doctrine sociale de l’Église s’oppose à toutes
les formes de “collectivisme”. » (J. RATZINGER, Instruction de la Congrégation pour la doc-
trine de la foi Libertatis conscientia, 22 mars 1986, Acta Apostolicae Sedis, 1987, LXXIX, p. 554-
591 ; in H. DENZINGER, 4750-4776, p. 987-992, ici 4766, p. 990). S’agissant de la théologie de
la Libération, cf. aussi J. RATZINGER, Instruction de la Congrégation pour la doctrine de la foi
Libertatis nuntius, 6 août 1984, Acta Apostolicae Sedis, 1984, LXXVI, p. 890-899.
4. Il faudrait également ajouter l’encyclique Ut unum sint, promulguée en 1995, dans laquelle le
souci ratzingérien de l’unité catholique se fait particulièrement insistant, ainsi que la volonté du
Préfet de dépasser les représentations convenues sur l’œcuménisme postconciliaire (JEAN-
PAUL II, Lettre encyclique Ut unum sint, 25 mai 1995, Acta Apostolicae Sedis, 1995, LXXX-
VII, p. 922-978 ; in P. TÉQUI, p. 756-818 ; H. DENZINGER, 5000-5012, p. 1028-1031).
5. Le Catéchisme reprend mot pour mot les formules déjà citées de Centesimus annus.
236 La subsidiarité catholique...

formation philosophique et théologique, tout autant que leur style (charisme


wojtylien, intellectualisme ratzingérien) et leur histoire personnelle (témoin
direct du communisme d’une part, témoin direct du nazisme d’autre part)
sont très différents, le Polonais Wojtyla et l’Allemand Ratzinger converge-
ront toujours quand il s’agira de mettre en garde contre les excès potentiels
de l’assistance étatique et l’hypertrophie de la sphère publique.
Sans surprise, la dernière encyclique pontificale en date à ce jour, Caritas in
veritate, du 29  juin 2009, reprend la trilogie dignité-solidarité-subsidiarité,
telle qu’elle a été consacrée en 2005 par le Compendium de la doctrine sociale1.
Rien de plus normal : le texte ratzingérien s’ajoute à la longue liste des ency-
cliques sociales que le Compendium se contentait de compiler. Toutes propor-
tions gardées, Caritas in veritate est à Populorum progressio ce que Quadrage-
simo anno fut à Rerum novarum  : une réactualisation pour temps de crise
quarante ans après2. Mais, alors que l’encyclique montinienne n’invoquait pas
explicitement la subsidiarité, Caritas in veritate s’y réfère plus d’une dizaine de
fois. En pleine période de tensions économiques, le Pape commence par rap-
peler la nécessité d’une intervention redistributive de l’État sur un mode qui
confine presque à la prétérition : « La sagesse et la prudence nous suggèrent de
ne pas proclamer trop hâtivement la fin de l’État3. » Mais le cœur du message
pontifical se situe ailleurs que dans cette figure imposée. Il réside dans le leit-
motiv augustinien de la caritas  : «  La solidarité sans la subsidiarité, affirme
Benoît XVI, tombe dans l’assistanat qui humilie celui qui est dans le besoin ».
Et de confirmer immédiatement la solution : « la subsidiarité est l’antidote le
plus efficace contre toute forme d’assistance paternaliste »4. Condamnation de
l’assistanat et célébration de la charité. Dès sa première encyclique, Deus caritas
est, Benoît XVI s’était déjà attaché à défendre la légitimité de l’action caritative
de l’Église et à mettre en garde l’État contre les excès de ses politiques de jus-
tice sociale : car la justice de l’État n’est rien sans l’amour et la charité5.

1. CONSEIL PONTIFICAL JUSTICE ET PAIX, Compendium de la doctrine sociale de


l’Église [2005], éd. fr., Paris, Bayard, Le Cerf, Fleurus-Mame, 2008. Comme celle de l’encyclique
Caritas in veritate, la préface de l’édition française est due à Mgr Jean-Charles Descubes, arche-
vêque de Rouen et Président du Conseil français pour les questions familiales et sociales.
2. Le Vatican a justifié le décalage de deux années entre le cinquantenaire du texte de 1967 et la
promulgation du texte de 2009 par la nécessité de prendre un recul supplémentaire sur la crise
financière survenue en 2007-2008.
3. Ibid., 41 (in J.-C. DESCUBES, p. 67).
4. Ibid., 57 (in J.-C. DESCUBES, p. 99, p. 98).
5. Toujours avec le même argument imparable, le principe de subsidiarité, invoqué par deux fois
dans le texte : BENOÎT XVI, Lettre encyclique Deus caritas est, 25 décembre 2005, Acta Aposto-
licae Sedis, 2006, XCVIII, p. 217-252 (Dieu est amour, préf. J.-P. Ricard, Paris, Bayard, Le Cerf,
Fleurus-Mame, 2006, 26, p. 51-52). « L’État qui veut pourvoir à tout, qui absorbe tout en lui,
devient en définitive une instance bureaucratique qui ne peut assurer l’essentiel dont l’homme
souffrant — tout homme — a besoin : le dévouement personnel plein d’amour. Nous n’avons
pas besoin d’un État qui régente et domine tout, mais au contraire d’un État qui reconnaisse
généreusement et qui soutienne, dans la ligne du principe de subsidiarité, les initiatives qui
naissent des différentes forces sociales et qui associent spontanéité et proximité avec les hommes
ayant besoin d’aide. L’Église est une de ces forces vives  : en elle vit la dynamique de l’amour
suscité par l’Esprit du Christ. » (Ibid., 28 b ; in J.-P. RICARD, p. 56).
Subsidiarité et autorité spirituelle. La condamnation pontificale 237

Rappelant qu’une économie sans éthique devient fatalement inhumaine,


Caritas in veritate prononce un jugement sévère sur la financiarisation du
capitalisme (le Pape n’hésite pas à parler d’une « classe cosmopolite de mana-
gers » et de l’irresponsabilité morale des « fonds anonymes »1). Reprenant le
thème maritainien du développement humain intégral tel qu’inauguré par
Paul VI en 1967, elle se lance ensuite dans un vibrant plaidoyer en faveur de
la moralisation du marché et de l’humanisation chrétienne de la société.
Aucune recette de développement n’est universellement valable, apprend-on ;
il n’existe que des réponses adaptées et circonstanciées à formuler, ici encore,
« selon le principe de subsidiarité ». S’agissant des pays pauvres, Benoît XVI
appelle à la responsabilisation de la société civile et des populations locales.
Dans la même ligne que son prédécesseur, il vante les vertus de la proximité
et des « microprojets », n’hésitant pas à reprendre à son compte la rhétorique
des économistes sur le capital humain  : la microfinance contre la finance
mondialisée. S’agissant des pays riches, le discours se fait double et contradic-
toire. D’une part, le Pape s’émeut de l’abaissement du niveau de protection
des travailleurs sur fond de compétitivité internationale. D’autre part, il
appelle les pays les plus riches à réformer leurs systèmes de protection sociale
de manière à dégager des fonds pour l’aide aux pays pauvres. Curieuse
combinaison que celle consistant à lier terme à terme réforme des politiques
de protection sociale au Nord et développement humain au Sud. La suite du
texte est d’ailleurs tout à fait explicite sur la méthode prodiguée : éliminer les
« gaspillages » et autres « indemnités abusives », « appliqu[er] le principe de
subsidiarité et cré[er] des systèmes de protection sociale mieux intégrés, qui fa-
vorisent une participation active des personnes privées et de la société civile »2.
La ton ratzingérien mêle à la fois culpabilisation et accusation pour finalement
aboutir à une invitation pressante en forme de test adressé à l’État. Le tout est
clos par une proposition très concrète, assez inédite pour un document
d’Église, la subsidiarité fiscale : à savoir permettre aux citoyens de décider eux-
mêmes de la destination d’une part des impôts qu’ils versent à l’État3. Point
n’est besoin de s’appesantir sur le sens et la portée d’une telle préconisation4.

3. L’ÉLARGISSEMENT CONCEPTUEL DE LA SUBSIDIARITÉ


Cette dernière notation sur l’encyclique ratzingérienne nous permet d’in-
troduire les ultimes remarques de ce chapitre consacré à l’élargissement
conceptuel de la subsidiarité. Le principe a vu s’ajouter deux dimensions
essentielles à son ressort doctrinal, traditionnellement confiné à la question

1. BENOÎT XVI, Caritas in veritate, 40 (in J.-C. DESCUBES, p. 64).


2. Ibid., 60 (in J.-C. DESCUBES, p. 102-103). Pour une célébration libérale (néolibérale ?) de
l’encyclique Caritas in veritate sous la plume d’un économiste catholique, cf. J.-Y. NAUDET,
« Une leçon d’éthique économique », Liberté politique, 2009, 46, p. 53-64.
3. BENOÎT XVI, Caritas in veritate, 60 (in J.-C. DESCUBES, p. 103).
4. Si les principes d’universalité et de non affectation de l’impôt n’étaient pas déjà massivement
dénaturés dans la plupart des pays occidentaux, il faudrait s’inquiéter de cet appel pontifical au
contournement de la vie parlementaire (sous le prétexte d’un généreux idéal participatif).
238 La subsidiarité catholique...

du rapport État-société : le bien commun mondial d’une part ; l’organisation


de l’Église d’autre part. La première trouvera son point d’aboutissement dans
Caritas in veritate et dans le soutien pontifical apporté à la construction
européenne ; la seconde, objet de débats houleux au sein de l’Église post-
conciliaire, n’aura pas eu droit à la même postérité magistérielle1.
Considérons ici l’élargissement de la subsidiarité sur le terrain des relations
entre les nations. Prenant la parole au sujet de la crise économique, Benoît XVI
ne pouvait échapper à ce passage obligé  : l’appel à la mise en place d’une
autorité politique mondiale, mais «  la “gouvernance” de la mondialisation,
ne manque-t-il pas de préciser, doit être de nature subsidiaire [...] et poly-
archique »2. Mise à part l’innovation sémantique très significative que constitue
l’entrée de la «  “gouvernance”  » dans le vocabulaire pontifical, le Pape Rat-
zinger n’ajoute rien de fondamentalement nouveau par rapport à l’encyclique
inaugurale de la subsidiarité internationale promulguée par Jean  XXIII en
1963, Pacem in terris, premier texte officiel du Vatican qui applique explicite-
ment le principe de subsidiarité aux rapports entre les nations3 :
«  À l’intérieur de chaque pays, écrit Jean XXIII, les rapports des pouvoirs
publics avec les citoyens, les familles et les corps intermédiaires doivent être
régis et équilibrés par le principe de subsidiarité. Il est normal que le même
principe régisse les rapports de l’autorité universelle avec les gouvernements des
États4. »
En cela, la subsidiarité suit tout simplement l’évolution d’une doctrine
sociale qui s’est internationalisée au même rythme que les questions entrant
dans son champ de compétence. Par l’établissement de cette continuité
logique entre les niveaux infranationaux et supranationaux, l’enseignement
social de l’Église cherche bien sûr à conférer une visée plus ample à la subsi-
diarité et, par là, à renouer avec le discours de la paix d’un Benoît XV, d’un
Pie XI ou d’un Pie XII5. Mais, ce faisant, le Pape cherche aussi à donner au

1. Nous le verrons au chapitre suivant.


2. BENOÎT XVI, Caritas in veritate, 57 (in J.-C. DESCUBES, p.  99). «  Le développement
humain intégral des peuples et la collaboration internationale exigent que soit institué un degré
supérieur d’organisation à l’échelle internationale de type subsidiaire pour la gouvernance de la
mondialisation et que soit finalement mis en place un ordre social conforme à l’ordre moral et au
lien entre les sphères morale et sociale, entre le politique et la sphère économique et civile que
prévoyait déjà le Statut des Nations unies. » (Ibid., 67 ; in J.-C. DESCUBES, p. 113).
3. Pacem in terris se signale par une forte inspiration maritainienne, qui a vraisemblablement
transité via Mgr  Pietro Pavan, le rédacteur de la première version du texte. Au nom du bien
commun universel et de la fraternité chrétienne des peuples, les derniers chapitres de L’Homme
et l’État appelaient à une « unification politique du monde » et à l’édification d’une « commu-
nauté mondiale politiquement organisée  » (J.  MARITAIN, L’Homme et l’État, Œuvres
complètes, op. cit., XI, p. 703-736 ; éd. PUF, p. 176-202). Cf. C. E. CURRAN, « The Teaching
and Methodology of Pacem in terris », Journal of Catholic Social Thought, 2004, 1 (1), p. 17-34.
4. JEAN XXIII, Lettre encyclique Pacem in terris, 11 avril 1963, Acta Apostolicae Sedis, 1963,
LV, p. 257-301 (in A. F. UTZ, IV, p. 2828-2831 ; H. DENZINGER, 3995, p. 852).
5. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, le discours pacellien était annonciateur de la
subsidiarité internationale : Pie XII érigeait la Suisse fédérale en modèle pour la paix en Europe
et dans le monde : PIE XII, Message diffusé par Radio-Lausanne, 14 septembre 1946, Acta Apos-
tolicae Sedis, 1946, XXXVIII, p. 373-375 (in A. F. UTZ, J. F. GRONER, II, p. 1739-1742) ; Dis-
cours au IIe congrès international de l’Union européenne des fédéralistes, 11 novembre 1948, Acta
Apostolicae Sedis, 1948, XL, p. 507-510 (in A. F. UTZ, J. F. GRONER, II, p. 1950-1953) ; Dis-
Subsidiarité et autorité spirituelle. La condamnation pontificale 239

principe un visage plus désirable, une image moins négativement connotée.


Frotter le principe de subsidiarité à une rhétorique œcuménique et consen-
suelle de la paix, en plus de parachever sa décontamination, ne peut, estime-
t-on, que produire des effets positifs : la paix des nations et la socialisation
plutôt que la guerre des États et la corporation1. À l’instar de la socialisation
consacrée deux ans plus tôt, la paix (et bientôt l’Europe), thème aussi siru-
peux qu’imparable, contribue par là à extirper du mot ses derniers oripeaux
traditionalistes. Depuis Pacem in terris, tous les appels ecclésiaux à l’édifica-
tion d’un ordre international respectueux des droits de l’homme ont été
lancés sous les auspices de cette subsidiarité reformatée2. Ainsi en va-t-il de la
constitution pastorale Gaudium et spes3 ; ou de Paul VI, par la voix de son
Secrétaire d’État, Mgr Amleto Giovanni Cicognani4.

cours au congrès du Mouvement universel pour une confédération mondiale, 6 avril 1951, Acta
Apostolicae Sedis, 1951, XLIII, p.  278-280 (in A.  F. UTZ, J.  F. GRONER, II, p.  2017-2020) ;
Discours au Collège d’Europe de Bruxelles, 15  mars 1953, Acta Apostolicae Sedis, 1953, XLV,
p. 181-184 (in A. F. UTZ, J. F. GRONER, II, p. 1961-1966).
1. La notion de socialisation a très vite été adossée au thème de la construction européenne.
Cf., par exemple, le compte rendu de la XLIXe session des Semaines sociales de France tenue à
Strasbourg en 1962. Deux contributions importantes qui, chacune, mentionnent le principe de
subsidiarité : J. RIVERO, « Europe, nations et communauté mondiale », L’Europe des personnes
et des peuples, Paris, Le Centurion, Sirey, 1962, p. 169-187, ici p. 179 ; D. PEPY, « La participa-
tion des personnes par les corps intermédiaires », ibid., p. 309-335, ici p. 320 sq.
2. Cf. C. KOSSEL, « Global Community and Subsidiarity », Communio, 1981, 8 (1), p. 37-50 ;
F. J. SCHWEIGERT, « Solidarity and Subsidiarity : Complementary Principles of Community
Development  », Journal of Social Philosophy, 2002, 33 (1), p.  33-44 ; H.-G. JUSTENHOVEN,
« Peace through a Public Global Authority in Papal Teaching from Leo XIII to John XXIII »,
Rethinking the State in the Age of Globalisation. Catholic Thought and Contemporary Political
Theory, éd. H.-G. JUSTENHOVEN, J. TURNER, Münster, Lit, 2003, p. 167-193. Cette rhéto-
rique déborde bien sûr le seul registre théologique et religieux pour investir celui de la technique
juridique  : D.  SHELTON, «  Subsidiarity, Democracy and Human Rights  », Broadening the
Frontiers of Human Rights, Oslo, Scandinavian University Press, 1993, p. 43-54 ; S. BARANYI,
« Peace Missions and Subsidiarity in the Americas : Conflict Management in the Western Hemi-
sphere  », International Journal, 1995, 1 (2), p.  343-369 ; A.  W. KNIGHT, «  Towards a Subsi-
diarity Model for Peacemaking and Preventive Diplomacy  : Making Chapter VIII of the
UN Charter Operational  », Third World Quarterly, 1996, 17 (1), p.  31-52 ; L.  of HERNE
HILL, «  Universality versus Subsidiarity  : A Reply  », European Human Rights Law Review,
1998, 1, p.  73-81 ; P.  G. CAROZZA, «  Subsidiarity as a Structural Principle of Internatio-
nal Human Rights Law  », The American Journal of International Law, 2003, 97 (1), p.  38-79 ;
M. A. HAMILTON, « Religious Institutions, the No-Harm Doctrine, and the Public Good »,
Brigham Young University Law Review, 2004, 4, p. 1099-1216. Dans une perspective critique,
cf. R HOWSE, K. NICOLAÏDIS, « Democracy without Sovereignty : The Global Vocation of
Political Ethics », Essays R. Lapidoth. The Shifting Allocation of Authority in International Law :
Considering Sovereignty, Supremacy and Subsidiarity, éd. T.  BROUDE, Y.  SHANY, Oxford,
Hart Publishing, 2008, p.  163-191 ; A.  L. PAULUS, «  Subsidiarity, Fragmentation and Demo-
cracy : Towards the Demise of General International Law ? », ibid., p. 193-213.
3. La subsidiarité y est mentionnée à la section 86-5 relative à la coopération internationale dans
le domaine économique. « C’est le rôle de la communauté internationale de coordonner et de
stimuler le développement, en veillant cependant à distribuer les ressources prévues avec le
maximum d’efficacité et d’équité. En tenant compte assurément, du principe de subsidiarité, il
lui revient aussi d’ordonner les rapports économiques mondiaux pour qu’ils s’effectuent selon
les normes de la justice. » (VATICAN II, Gaudium et Spes, 86-5 ; in A. F. UTZ, I, p. 958-959).
4. Cf. deux occurrences identifiées de la subsidiarité sous la plume du Secrétaire d’État de Paul
VI : A. G. CICOGNANI, Lettre à Mgr G. Siri, Président des Semaines sociales d’Italie, 24 mai
1964 (in A. F. UTZ, III, p. 2066-2077, ici p. 2073) ; Lettre à Mgr G. Siri, Président des Semaines
sociales d’Italie, 5 septembre 1965 (in A. F. UTZ, III, p. 2088-2099, ici p. 2093).
240 La subsidiarité catholique...

Jean-Paul II ne sera pas en reste mais axera davantage son pontificat sur
l’enjeu plus circonscrit de la construction européenne. Cette question fera
l’objet de plus amples développements dans la suite du propos, mais indi-
quons dès maintenant la teneur du message pontifical :
«  L’Union européenne continue à s’élargir. Tous les peuples qui partagent le
même héritage fondamental ont pour vocation d’en faire partie à plus ou moins
longue échéance. Il faut souhaiter que, en plus d’assurer une mise en œuvre
plus affermie des principes de subsidiarité et de solidarité, une telle expansion se
réalise dans le respect de tous, valorisant les particularités historiques et cultu-
relles, les identités nationales et la richesse des apports que pourront fournir les
nouveaux membres. Dans le processus d’intégration du continent, il est capital
de prendre en compte le fait que l’Union n’aurait pas de consistance si elle
était réduite à ses seules composantes géographiques et économiques, mais
qu’elle doit avant tout consister en une harmonisation des valeurs appelées à
s’exprimer dans le droit et dans la vie1. »
Sans surprise, la subsidiarité jean-paulinienne se donne à voir comme une
valeur chrétienne dont la vocation naturelle est précisément de trouver sur le
continent européen, celui de l’apogée du christianisme, une terre privilégiée
d’élection. Nous y reviendrons en détails dans la partie suivante.

Second terrain d’élargissement du concept : l’Église elle-même. Si le texte


pontifical de 1931 n’entrevoyait que la dimension sociale de la subsidiarité, la
question s’est très vite posée (dès 1946) de savoir si le principe pouvait s’ap-
pliquer à la réalité sacramentelle de l’Église et, par là, constituer une règle de
répartition des compétences au sein même de l’institution ecclésiale. Après
une première salve dans les années d’après-guerre, c’est essentiellement à
partir du moment conciliaire qu’un débat a peu à peu été ouvert sur la perti-
nence ecclésiologique de la subsidiarité. Le mot n’apparaîtra pas explicite-
ment dans les textes définitifs de Vatican II, mais l’esprit de la subsidia-
rité soufflera sur les débats doctrinaux. En filant la métaphore étatique, on
peut même dire qu’à certains égards le Concile procède au reformatage post-
totalitaire du logiciel ecclésial. Reste néanmoins à distinguer entre l’étape
strictement post-totalitaire et l’étape spécifiquement postconciliaire. Car les
efforts doctrinaux pour conférer un début de consistance ecclésiologique au
principe ne manqueront pas de se heurter à la hiérarchie vaticane, laquelle se
cantonnera au discours convenu sur l’importance de l’apostolat des laïcs et
sur la nécessité d’une « saine » décentralisation dans l’organisation adminis-
trative de l’Église. Il existe bien sûr des défenseurs catholiques de la subsidia-
rité ecclésiale, mais, au sein de la hiérarchie romaine, le nouveau slogan trou-
vera surtout des opposants. Nous songeons ici aux deux lignes d’interprétation
de Vatican II, qui structurent l’essentiel du débat interne au catholicisme

1. JEAN-PAUL II, Exhortation apostolique postsynodale Ecclesia in Europa, 28  juin 2003,
Acta Apostolicae Sedis, 2003, XCV, p.  649-719 (L’Église en Europe. Exhortation apostolique,
préf. L. Daloz, Paris, Bayard, Le Cerf, Fleurus-Mame, 2003, 110, p. 119). Sur la subsidiarité dans
la philosophie jean-paulinienne de la construction européenne, cf. aussi JEAN-PAUL II, Dis-
cours aux présidents des parlements de l’Union européenne, 23 septembre 2000, La Documenta-
tion catholique, 2000, 2234, p. 860-862.
Subsidiarité et autorité spirituelle. La condamnation pontificale 241

depuis l’aggiornamento : l’esprit d’un côté ; la lettre de l’autre. Portée par les
papes Wojtyla et Ratzinger, la seconde ligne aura raison de la subsidiarité
ecclésiale, alors que, dans le même temps, le discours pontifical de la subsi-
diarité étatique bat son plein. Le constat du différentiel ne relève pas de
l’anecdote  : les défenseurs les plus zélés de l’État subsidiaire sont aussi les
opposants les plus farouches de l’Église subsidiaire. Avec le succès que l’on
sait : sous les pontificats de Jean-Paul II et Benoît XVI, le Siège romain n’a
rien concédé sur ce terrain, les papes s’attachant avec méthode à dénoncer le
développement dangereux d’une « emphase de l’Église locale » et à conserver
jalousement pour eux-mêmes un fonctionnement juridique très centralisé. Le
mot d’ordre parcourt tout le règne jean-paulinien.
« Dans ce contexte, dit le Pape en 1986, je voudrais ajouter quelques considéra-
tions sur le thème de la subsidiarité, étroitement lié à celui de la nature et du
but des Conférences épiscopales. La “Relati finalis”, en effet, a également
recommandé “une étude pour examiner si le principe de subsidiarité en vigueur
dans la société humaine peut être appliqué à l’Église et en quelle mesure et en
quel sens cette application peut et doit être faite” [...]. Comme on le voit, c’est
une question délicate, qui tire son origine de problèmes de nature sociale et non
pas ecclésiale. Déjà mes prédécesseurs Pie XI et Pie XII, de vénérée mémoire,
l’avaient acceptée comme un principe valable pour la vie sociale alors que, pour
la vie de l’Église, ils avaient souligné que toute application doit être faite “sans
que l’on porte préjudice à sa structure hiérarchique”, comme s’exprimait
Pie XII le 20 février 1946, après l’imposition de la barrette aux cardinaux qu’il
venait de choisir [...], et sans non plus porter préjudice à la nature ou à l’exercice
du primat du Pontife romain1. »
Pareillement, dans l’une de ses toutes dernières exhortations apostoliques
promulguée en octobre 2003 :
« On sait que le principe de subsidiarité fut formulé par mon prédécesseur le
Pape Pie XI pour la société civile. Le Concile Vatican II, qui n’a jamais employé
le mot de “subsidiarité”, a toutefois encouragé le partage entre les organismes
de l’Église, lançant, sur la théologie de l’épiscopat, une nouvelle réflexion qui
porte maintenant ses fruits dans l’application concrète du principe de la collé-
gialité à la communion ecclésiale. Mais, en ce qui concerne l’exercice de l’auto-
rité épiscopale, les Pères synodaux ont jugé que le concept de subsidiarité s’avé-
rait ambigu et ils ont insisté sur la nécessité d’une étude théologique plus
approfondie de la nature de l’autorité épiscopale à la lumière du principe de
communion2. »
En cette matière théologique, comme en de nombreuses autres, nous ver-
rons que la continuité est parfaite depuis la fin du pontificat wojtylien.

1. JEAN-PAUL II, Discours aux cardinaux et aux collaborateurs de la Curie romaine, 28 juin
1986, Acta Apostolicae Sedis, 1986, LXXIX, p.  189-199 (La Documentation catholique, 1986,
1923, p. 765-769). Cette allocution reprend les termes exacts d’un discours prononcé six ans plus
tôt — jour pour jour (JEAN-PAUL II, Discours aux cardinaux et aux collaborateurs de la Curie
romaine, 28 juin 1980, Acta Apostolicae Sedis, 1980, LXXIII, p. 658-669).
2. JEAN-PAUL II, Exhortation apostolique postsynodale Pastores gregis, 16  octobre 2003,
Acta Apostolicae Sedis, 2004, XCVI, p. 825-924 (in Pastores gregis. Exhortation apostolique sur
l’Évêque, serviteur de l’Évangile de Jésus-Christ pour l’espérance du monde, préf. J.-P. Ricard,
Paris, Bayard, Le Centurion, Le Cerf, Fleurus-Mame, 2003, 56, p. 144-145).
Chapitre 3.
Subsidiarité et société ecclésiale.
La contradiction pontificale

« La fondation de l’Église comme société s’est effec-


tuée, contrairement à l’origine de l’État, non pas de bas
en haut, mais de haut en bas, c’est-à-dire que le Christ,
qui par son Église, a réalisé sur terre le règne de Dieu
annoncé par Lui et destiné à tous les hommes de tous les
temps, n’a pas confié à la communauté des fidèles la
mission de Maître, de Prêtre et de Pasteur reçue de son
Père pour le salut du genre humain, mais l’a transmise
et communiquée à un collège d’Apôtres ou d’envoyés,
élus par Lui-même, afin que par leur prédication, leur
ministère sacerdotal et le pouvoir social de leur fonc-
tion, ils fissent entrer dans l’Église la multitude des
fidèles, pour les sanctifier, les éclairer et les conduire à la
pleine maturité des disciples du Christ1. »

I. DÉMOCRATIE DANS L’ÉTAT, HIÉRARCHIE DANS L’ÉGLISE

1. LES COORDONNÉES DU PROBLÈME

L’intérêt est désormais de poursuivre la reconstitution morphologique du


dialogue conceptuel entre Église et État en lui réattribuant toute la densité
théorique qu’il mérite2. L’État moderne s’est forgé dans le moule grégorien

1. PIE XII, Discours au tribunal de la Rote, 2 octobre 1945 (in SOLESMES, 902, p. 472-473).
2. Nous faisons référence à Carl Schmitt, moins dans une perspective généalogique que pour
établir un parallèle homologique : « Tous les concepts prégnants de la théorie moderne de l’État,
écrivait-il en 1922, sont des concepts théologiques sécularisés. Et c’est vrai non seulement de leur
244 La subsidiarité catholique...

de l’Église médiévale ; elle-même avait repris et copié les structures de


l’Empire romain, mais on aurait bien tort de croire que l’histoire s’arrête
là avec l’apothéose de la fameuse sécularisation. Nous ne reviendrons pas
sur les aspects bien connus de cette affaire ; il nous importe seulement
de reconsidérer l’évolution contemporaine des structures étatiques et juri-
diques, à l’aune du dernier grand moment en date de la vie de l’Église  :
Vatican II1. L’Église-Peuple de Dieu issue du Concile, par exemple, ne serait-
elle pas à l’Église-Institution ce que la société civile est devenue à l’État
moderne ?

Avant d’entrer dans le vif du propos, une remarque d’ordre épistémolo-


gique s’impose sur le statut et le langage spécifiques de la doctrine ecclésiolo-
gique. Notre objectif reste bien sûr d’être le plus accueillant possible à cette
particularité, mais l’empathie nécessaire à une telle aventure en terres théolo-
giques trouvera naturellement ses limites, celles de la croyance. En politiste,
nous ne saurions considérer que le caractère sacré des activités régies par le
droit canonique le rend définitivement réfractaire et irréductible aux catégo-
ries traditionnelles de la sociologie et de la juridicité. D’abord, parce que les
notions purement théologiques, conçues par et pour l’Église, se révèlent trop

développement historique, parce qu’ils ont été transférés de la théologie à la théorie de l’État [...],
mais aussi de leur structure systématique, dont la connaissance est nécessaire pour une analyse
sociologique de ces concepts. » (C. SCHMITT, « Théologie politique, I. Quatre chapitres sur la
théorie de la souveraineté » [1922], Théologie politique, op. cit., p. 46). Quarante-sept ans plus
tard, en réponse aux critiques de Hans Blumenberg, le juriste de Plettenberg dessine un net recul,
non assumé comme tel, par rapport à sa cette thèse inaugurale : de Théologie politique I à Théo-
logie politique II, il passe en quelque sorte de la reconstitution d’une généalogie au simple
constat d’une homologie structurale, réduisant son idée de sécularisation à une « parenté structu-
relle systématique » (C. SCHMITT, « Théologie politique II » [1969], ibid., p. 160, n. 1). Rappe-
lons, pour mémoire, le cœur de la critique blumenbergienne : « Ce n’est pas une théologie sécu-
larisée mais la sélection de ce qui, dans la théologie, est supportable pour une pensée séculière, et
qui peut, ensuite être à son tour, considérée comme la norme de ce qui est décrété. » (H. BLU-
MENBERG, La Légitimité des Temps modernes, op. cit., p. 105).
1. Il nous importera de resituer l’événement conciliaire dans le temps long de sa réception ponti-
ficale et de son interprétation doctrinale. Car un concile, à l’instar d’un texte juridique, non seu-
lement suppose des décrets d’application qui en fixent un type de lecture et de mise en pratique,
mais s’insère également dans un environnement intellectuel plus global. 1o Sur le rôle de l’inter-
prétation en droit, faisons référence à la définition de la juridicité comme art à deux temps —
temps de l’écriture et temps de la mise en œuvre —, qui conserve toute sa validité dans la matière
ecclésiologique ici analysée. Cf. H. GOUHIER, Le Théâtre et les arts à deux temps, Paris, Flam-
marion, 1989 ; O. CAYLA, « La souveraineté de l’artiste “du second temps” », Droits, 1990, 12,
p. 129-148 ; J. COMBACAU, « Interpréter des textes, réaliser des normes : la notion d’interpré-
tation dans la musique et dans le droit », Mélanges P. Amselek, Bruxelles, Bruylant, 2005, p. 261-
277. Plus en amont : E. H. KANTOROWICZ, « La souveraineté de l’artiste. Note sur quelques
maximes juridiques et les théories de l’art à la Renaissance » [1961], trad. fr. L. Mayali, Mourir
pour la patrie, Paris, PUF, 1984, p. 31-57). 2o Sur la notion de réception appliquée à la matière
théologique, cf. G.  ROUTHIER, La Réception d’un concile, Paris, Le Cerf, 1993 ;
Y. M.-J. CONGAR, « La “réception” comme réalité ecclésiologique » [1972], Église et papauté,
Paris, Le Cerf, 1994, p. 229-266 ; J. A. KOMONCHAK, « The Epistemology of Reception »,
Reception and Communion. Among Churches, dir. H.  LEGRAND, J.  MANZANARES,
A. GARCIA Y GARCIA, Paris, Le Cerf, 1997, p. 231-257 ; A. GRILLMEIER, « Konzil und
Rezeption  », Theologie und Philosophie, 1970, 45, p.  31-352. Sur le précédent tridentin,
cf.  G.  ALBERIGO, «  La “réception” du Concile de Trente  », Irénikon, 1985, 3, p.  311-337.
Nous indiquerons plus bas les références directement relatives à Vatican II.
Subsidiarité et société ecclésiale. La contradiction pontificale 245

circulaires et ne permettent pas une vue extérieure à l’objet1. Ensuite, parce


que toute l’histoire du droit prouve qu’il n’y a pas de décalage irrémissible
entre les deux ordres de réalité. N’a-t-on pas démontré — Max Weber le pre-
mier — la grande proximité de structure entre le droit canonique et le droit
légal-rationnel de l’État moderne2 ? Intégrer les données de la théologie ne
doit pas interdire de considérer l’Église comme un objet d’étude profane. Ni
empêcher l’ecclésiologue de recourir aux catégories classiques de la science
politique (monarchie, démocratie, société, communauté, etc.3). Aussi la sub-
sidiarité, concept élaboré par l’Église mais à destination de l’État, pourra-
t-elle faciliter quelques ponts analytiques.

Trois décennies après Quadragesimo anno, la subsidiarité ecclésiale


devient un mot d’ordre pressant chez de nombreux théologiens et hommes
d’Église, au point même de présider à quelques-uns des grands débats ecclé-
siologiques de Vatican II, et d’y insuffler un certain esprit revendicatif : apos-
tolat des laïcs, théologie de l’Église locale, autonomie des évêques et des
conférences épiscopales, collégialité, régulation décentralisée des rapports
entre Rome et les diocèses4. En tout cela, la rupture ecclésiologique opérée
par le Concile a directement partie liée avec la question de la subsidiarité.
Mais la lecture attentive des documents conciliaires révèle l’inertie du
concept, qui brille par son absence dans l’ensemble des textes relatifs à
l’Église. Toutes les occurrences significatives du mot concernent les seuls
rapports État-société, jamais il ne s’aventure sur le terrain des enjeux ecclé-
siologiques (les rapports entre Église romaine, Église locale et laïcat)5. De là
ce paradoxe, qui pourra servir de point de départ : pourquoi l’Église catho-
lique ne veut-elle pas s’appliquer à elle-même un principe qu’elle considère

1. La subsidiarité présente à cet égard l’intérêt de déplacer le regard sans offusquer excessive-
ment le théologien catholique qui reconnaît là une notion issue de sa tradition philosophique.
2. Toute la force de la démonstration wébérienne est d’apporter des éléments de comparaison
extra-occidentaux (via des références aux droits judaïque et islamique) pour faire apparaître la
spécificité de la rationalisation juridique occidentale (M. WEBER, « Rationalisation formelle et
rationalisation matérielle du droit  », Sociologie du droit [1911-1913], trad. fr. J.  Grosclaude,
Paris, PUF, 2007, p.  161-184, spécialement p.  181  sq.). Pour une présentation différente, tou-
chant directement notre objet, cf. H. LEGRAND, « Grâce et institution dans l’Église : les fonde-
ments théologiques du droit canonique  », L’Église, institution et foi [1979], dir. J.-L. MON-
NERON, et al., Bruxelles, Publications des Facultés universitaires Saint-Louis, 1985, p. 139-172 ;
K.  GABRIEL, «  L’exercice du pouvoir dans l’Église actuelle à travers les théories sociales du
pouvoir. Max Weber, Michel Foucault et Hannah Arendt », Concilium, 1988, 217, p. 45-55.
3. On pourrait ajouter la séparation des pouvoirs (A. MESTRE, « La séparation des pouvoirs
dans l’Église catholique », Revue du droit public, 1996, 112 (5), p. 1265-1290).
4. Ajoutons la critique du centralisme et du poids de la Curie, la mise en cause de l’opacité des
circuits décisionnels, l’interrogation sur la légitimité même du droit canonique. Sur les demandes
conciliaires de décentralisation et de collégialité, cf. H.  LEGRAND, «  Églises locales, Églises
régionales et Église entière », Mélanges J. Hoffmann, Paris, Le Cerf, 1999, p. 277-308.
5. La doctrine s’en fait bien sûr l’écho. Dans la deuxième édition du Lexikon für Theologie und
Kirche, parue concomitamment au Concile, la notice « Soziallehre » de Franz Klüber fait reposer
l’enseignement social de l’Église sur trois principes fondamentaux — le principe de la personne,
le principe de solidarité et le principe de subsidiarité — mais ne soulève à aucun moment la ques-
tion de l’applicabilité de ce dernier à l’Église (F. KLÜBER, « Soziallehre », Lexikon für Theo-
logie und Kirche, dir. M. BUCHBERGER, Fribourg, Herder, 1964, IX, col. 917-920).
246 La subsidiarité catholique...

comme fondamental dans la structuration de toute vie sociale1 ? Comment un


précepte, théologiquement établi, auquel tant d’importance est accordée en
matière d’organisation de la communauté politique peut-il être dénué de
toute valeur pour celle de la communauté ecclésiale ?
Le débrouillage approfondi de ce débat suppose de ne pas s’arrêter aux
seuls énoncés théoriques. Il nécessite de considérer ses différents acteurs et
protagonistes. Aussi, en marge des textes pontificaux ou épiscopaux à propre-
ment parler, nous aurons à cœur de prendre en compte l’ensemble de la doc-
trine théologique, qu’elle soit de provenance cléricale ou laïque. Pour aller à
l’essentiel, disons que la querelle doctrinale se trouve polarisée par un affron-
tement mettant aux prises deux visions rivales de l’Église. Reformulée en
termes conceptuels, celle-ci se cristallise dans une opposition fameuse2. D’une
part, les défenseurs du concept de communio qui revendiquent l’idée d’une
invalidité ecclésiologique du principe de subsidiarité au nom d’une vision uni-
versaliste et descendante selon laquelle l’Église doit être conçue comme corpus
Christi et mysticum (vision impliquant la primauté de l’Église universelle sur
les Églises particulières). D’autre part, les défenseurs du concept de societas
qui, au nom d’une conception descendante faisant de l’Église catholique une
réunion d’Églises locales, considèrent que la subsidiarité a vocation à s’appli-
quer à toutes les societates, à la société ecclésiale pas moins qu’aux autres3.
À cette summa divisio, se greffent des logiques doctrinales complexes
qu’en béotien nous avons été condamné à simplifier. Non sans artifices
réducteurs. D’un côté, le pôle pastoral — pontifical et épiscopal —, accom-
pagné de son cortège de théologiens officiels, qui interprète le principe de

1. Dans Gaudium et spes, pour ne considérer que ce seul texte qui traite de la démocratie, la
question de la mise en œuvre concrète de la participation des fidèles aux décisions ecclésiales
n’est nulle part traitée. Sur ce paradoxe, cf., par exemple, G. BAUM, J.-G. VAILLANCOURT,
«  Église catholique et modernisation politique  », Laval théologique et philosophique, 1992,
48 (3), p. 433-446. Paradoxe d’autant plus éclatant que l’un des principaux inspirateurs de Qua-
dragesimo anno, le Père Gustav Gundlach, s’est très tôt fait le chantre de la subsidiarité ecclé-
siale. Trois ans après la publication de l’encyclique, il écrivait significativement ces lignes sur la
vie paroissiale : « Un véritable sens de la coopération par lequel chaque membre est responsable
de l’ensemble aurait à être éveillé dans la paroisse. On doit donner à chaque membre de l’Église
un espace d’activité, et celui-ci doit sentir qu’il n’est pas seulement un objet. Ainsi la commu-
nauté paroissiale remplirait cette fonction importante qui, selon les lois de la sociologie, appar-
tient à tout “groupe social restreint” à l’intérieur d’un plus grand ensemble, dans le cas qui nous
intéresse, l’Église. » (G. GUNDLACH, « Zur Soziologie der Pfarrgemeinde », Die Ordnung der
menschlichen Gesellschaft I, Cologne, Bachem, 1964, p. 434-435, initialement publié dans Das
Wort in der Zeit, 1934, p. 13-16 ; cité dans J. A. KOMONCHAK, « Le principe de subsidiarité et
sa pertinence ecclésiologique », Les Conférences épiscopales, op. cit., p. 423).
2. Cf., en particulier, Y. M.-J. CONGAR, « Peut-on définir l’Église ? », Sainte Église, Paris, Le
Cerf, 1963, p. 21-44 ; « La personne “Église” », Revue thomiste, 1971, 71 (4), p. 613-640.
3. À ce jour, la meilleure synthèse sur la subsidiarité ecclésiale reste celle de John Burkhard
(J. J. BURKHARD, « The Interpretation and Application of Subsidiarity in Ecclesiology : an
Overview of the Theological and Canonical Literature », The Jurist, 1998, 58 (2), p. 279-342).
Mentionnons aussi les productions du Père Joseph Komonchak (J. A. KOMONCHAK, « Le
principe de subsidiarité et sa pertinence ecclésiologique », Les Conférences épiscopales, op. cit., ici
p. 434-435, version anglaise dans The Jurist, 1988, 48 (1), p. 298-349), dont sa note officielle de
1988 dans le Bulletin du secrétariat de la conférence épiscopale française (« La subsidiarité dans
l’Église », Documents épiscopat, 1988, 1, p. 1-10). Signalons enfin l’ouvrage d’Adrianus Leys, issu
d’une thèse universitaire soutenue à la Faculté catholique de Nimègue (A. LEYS, Ecclesiological
Impacts of the Principle of Subsidiarity, Kampen, Kok, 1995).
Subsidiarité et société ecclésiale. La contradiction pontificale 247

subsidiarité comme une méthode profane d’organisation sociale ; de l’autre,


un pôle théologique, essentiellement laïque, constitué d’esprits plus hétéro-
doxes, qui soutient la compossibilité entre vie ecclésiale et règle de subsidia-
rité (allant parfois jusqu’à considérer que le caractère hiérarchique de l’Église
y facilite sa mise en œuvre). Aussi schématique soit-elle, cette présentation
binaire (ecclésiologie sacramentelle contre ecclésiologie sociétaire) n’en pré-
sente pas moins le mérite de distinguer les deux horizons entre lesquels oscille
la variété du débat doctrinal.
Reste un dernier problème épistémologique à éclaircir avant d’entrer dans
le vif du questionnement : qu’entendre au juste par subsidiarité ecclésiale ? Il
faut bien en convenir, les protagonistes ne veulent pas tous dire la même chose
lorsqu’ils entrent dans le débat1. Mais ici encore, notre méthode sémantique
présente un sérieux avantage : faire apparaître en quoi les différents interve-
nants, malgré des positions normatives très contrastées, circonscrivent tous un
même enjeu problématique  : la portée du principe hiérarchique au sein de
l’Église romaine. Subsidiarité et hiérarchie sont-elles conciliables, voire tout
simplement compatibles ? S’excluent-elles ou s’impliquent-elles l’une l’autre2 ?
Notons que, même en resserrant ainsi la focale, l’interrogation conserve une
large amplitude. S’agit-il de considérer l’Église universelle comme subsidiaire
par rapport à l’Église locale, ou bien l’Église locale comme subsidiaire par
rapport à l’Église universelle ? Rome prime-t-elle les Églises particulières, ou
inversement ? L’unité de l’Église catholique précède-t-elle la pluralité de ses
composantes ? Est-on d’ailleurs fondé à parler de composantes, de précédence
chronologique et/ou théologique ? L’Église est-elle une société qui prend la
forme d’une communion, ou bien une communion qui prend la forme d’une
société ? Doit-on parler d’infériorité ou bien de supériorité du clergé par rap-
port aux laïcs ? Des laïcs par rapport au clergé ? De Rome par rapport aux
Églises locales ? Des Églises locales par rapport à Rome ?

2. LA CONVERGENCE DES RÉPONSES

Une première réponse pontificale à la question de la pertinence ecclésiolo-


gique du principe de subsidiarité avait été apportée par Pie XII dès le lende-

1. « Ce qu’un évêque ou un auteur propose comme une application de la subsidiarité, écrit très
justement le Père Joseph Komonchak dans un article précité, d’autres le soutiennent à partir de
bases différentes : communion, épiscopat, théologie des Églises locales et particulières, dignité et
liberté de tous les chrétiens, droits des fidèles fondés sur le baptême, la confirmation, les cha-
rismes, etc. » (J. A. KOMONCHAK, « La subsidiarité dans l’Église », art. cit., p. 6).
2. Pareille interrogation peut revêtir deux dimensions principales  : celle des relations entre le
gouvernement de l’Église et les fidèles ; celle des relations entre le Pape (l’Église universelle) et les
évêques (les Églises locales ou particulières). Par Église locale et Église particulière, nous enten-
dons indistinctement Église épiscopale rassemblée autour de l’évêque (évêché) et Église assi-
milée, définie soit par territorialité, soit par catégorie. Notons, ici, toute l’importance du vocabu-
laire : les deux qualificatifs locale et particulière indiquent une tension, qui n’a pas été tranchée
par les documents officiels. Pendant que l’appellation locale témoigne de l’idée de territorialité
de l’Église, le qualificatif particulière, quant à lui, ajoute l’idée d’un rapport de partie à tout
(Église entière). Cf. J. A. KOMONCHAK, « The Local Church and the Church Catholic : The
Contemporary Theological Problematic », The Jurist, 1992, 52 (1), p. 436.
248 La subsidiarité catholique...

main de la Seconde Guerre mondiale. Le Pape Pacelli semblait vouloir établir


un juste parallèle entre subsidiarité étatique et subsidiarité ecclésiale, mais les
termes évasifs de son propos permettront à ses successeurs d’en réduire, voire
d’en annuler, la portée. Nous faisons ici référence à une allocution sur l’inter-
nationalisation du collège cardinalice prononcée le 20  février 1946, dans
laquelle le Pape, se réclamant de son prédécesseur, déclarait que, si le principe
était valable pour la vie sociale laïque, il devait également l’être pour la vie de
l’Église1.
« Voilà pourquoi, l’Apôtre des nations, en parlant des chrétiens, déclare qu’ils
ne sont plus “des enfants vacillants” [...] à la marche incertaine au milieu de la
société humaine. Notre prédécesseur d’heureuse mémoire, Pie XI, dans son
encyclique Quadragesimo anno sur l’ordre social, tirait de cette même pensée
une conclusion pratique, lorsqu’il énonçait le principe suivant de valeur géné-
rale : ce que les particuliers peuvent faire par eux-mêmes et par leurs propres
moyens ne doit pas leur être enlevé et transféré à la communauté ; principe qui
vaut également pour les groupements plus petits et d’ordre inférieur par rapport
aux plus grands et d’un rang plus élevé. Car [...] toute activité sociale est de sa
nature subsidiaire ; elle doit servir de soutien aux membres du corps social et ne
jamais les détruire ni les absorber. Paroles vraiment lumineuses, qui valent
pour la vie sociale à tous les degrés et aussi pour la vie de l’Église, sans préju-
dice de son organisation hiérarchique2. »
À sa manière, l’encyclique Mystici Corporis Christi, fulminée en plein
conflit mondial, annonçait déjà sourdement cette position pour le moins auda-
cieuse. Du moins pouvait-on le croire : « Dans le corps mystique [...], écrivait
Pie XII en 1943, la force de leur conjonction mutuelle, bien qu’intime, relie les
membres entre eux de manière à laisser chacun jouir absolument de sa propre
personnalité3. » Position audacieuse, disions-nous, dans la mesure où Pie XII,
sans le dire en ces termes, tendait finalement à définir le clergé comme une
instance subsidiaire au service des fidèles. Onze ans plus tard, le 5  octobre
1957, le Pape confirmait son propos dans une adresse prononcée à l’occasion
du deuxième congrès mondial pour l’apostolat des laïcs  : les autorités de
l’Église, déclarait-il, doivent confier aux fidèles les tâches que ceux-ci peuvent
accomplir aussi bien ou même mieux que les prêtres. Et d’ajouter : « que l’au-
torité ecclésiastique applique ici aussi [en matière d’apostolat des laïcs] le
principe général de l’aide subsidiaire et complémentaire » ; à savoir : « que l’on
confie au laïc les tâches qu’il peut accomplir, aussi bien ou même mieux que le
prêtre, et que, dans les limites de sa fonction ou celles que trace le bien
commun de l’Église, il puisse agir librement et exercer sa responsabilité »4.

1. Discours à la rédaction duquel Gustav Gundlach a participé en tant que proche collaborateur
du Pape. Cf. J. SCHWARTE, Gustav Gundlach. Maßgeblicher Repräsentant der katholischen
Soziallehre während der Pontifikate Pius XI. und Pius XII., Paderborn, Schöningh, 1975.
2. PIE XII, Allocution au Consistoire, 20  février 1946 (in SOLESMES, 949, p.  493-494 ;
A. F. UTZ, J. F. GRONER, p. 2068). Le substantif subsidiarité n’existe pas encore en français.
3. PIE XII, Lettre encyclique Mystici Corporis Christi, 29  juin 1943, Acta Apostolicae Sedis,
1943, XXXV, p. 200-243 (in H. DENZINGER, 3800-3822, p. 802-808). Cf. E. PRYZWARA,
« Christi mysticum. Eine Bilanz », Zeitschrift für Aszese und Mystik, 1940, 15, p. 197-215.
4. PIE XII, Discours au congrès mondial de l’apostolat des laïcs, 5 octobre 1957, Acta Apostolicae
Sedis, 1957, XXXIX, p. 929 (La Documentation catholique, 1957, 1264, col. 1417).
Subsidiarité et société ecclésiale. La contradiction pontificale 249

Faudrait-il voir, ici, dans cette subsidiarité pacellienne, une forme de rup-
ture tranquille avec le schéma qui, depuis toujours, a érigé le clergé au rang
d’âme supérieure du corps laïque des croyants ? En aucune façon. On se
méprendrait gravement si on réduisait l’autorité ecclésiale décrite par Pie XII
à une simple fonction ministérielle ? Soucieux de préserver son caractère
pyramidal, il ne manque pas d’ajouter cette précision qui vient neutraliser
l’audace initialement décrite : « sans préjudice de sa structure hiérarchique »1.
Cette réserve n’annule-t-elle pas la proclamation de principe qui la précède ?
Il y a d’autant plus lieu de le penser que la déclaration pontificale intervient
dans le cadre d’une simple allocution, et, de ce fait, ne revêt pas le même
niveau de solennité qu’une lettre encyclique ou qu’une norme de droit canon.
Tout le problème qui nous occupe est ici résumé dans l’inauguration
pacellienne du débat. À partir de quand porte-t-on atteinte à la structure hié-
rarchique de l’Église ? Même lorsqu’il sera réactivé par Lumen gentium,
l’enjeu restera fondamentalement identique : subsidiarité et structure hiérar-
chique de l’Église sont-elles compatibles ? Telle est bien notre question. Si la
vision du rôle des laïcs livrée par Pie XII a ensuite été reprise et amplifiée, sa
prudence circonspecte en matière de subsidiarité ecclésiale n’a jamais été
levée. À considérer les prises de position de son successeur, Jean XXIII, on
peut même dire qu’elle a été renforcée. Significative est à cet égard son allo-
cution prononcée à Rome le 10  janvier 1960, dans laquelle l’Action catho-
lique est définie comme une «  organisation du laïcat, subsidiaire de l’apos-
tolat hiérarchique, un merveilleux instrument de pénétration de la pensée
chrétienne dans tous les domaines de la vie »2. Parfait renversement de pers-
pective au regard du schéma dressé par Pie XII  : un clergé subsidiaire par
rapport aux laïcs. Ou plutôt : ce qui pouvait jusque-là apparaître comme un
retournement se donne à voir pour ce qu’il était en réalité : un malentendu
sur le sens théologique de la notion de hiérarchie ecclésiale. Nous avions bien
mal compris Pie XII. Mésinterprétation à retenir en ce qu’elle préfigure,
jusque dans ses paradoxes mêmes, bon nombre de quiproquos postconci-
liaires entre la position pontificale et la tendance à vouloir s’écarter d’une
conception trop juridique de l’Église :
«  Nous déplorons et Nous condamnons l’erreur funeste de ceux qui rêvent
d’une prétendue Église, sorte de société formée et entretenue par la charité, à

1. En italien : Senza pregiudizio della sua struttura gerarchica (PIE XII, Allocution au Consis-
toire, 20  février 1946 ; in SOLESMES, 949, p.  493-494). Peu avant, le Pape Pacelli précisait sa
conception de la hiérarchie ecclésiale : « La nature du pouvoir ecclésiastique n’a rien de commun
avec cet “autoritarisme” auquel par conséquent on ne peut reconnaître aucun point de similitude
avec la constitution hiérarchique de l’Église.  » (PIE XII, Discours au tribunal de la Rote,
2 octobre 1945 (in SOLESMES, 899, p. 471). Peu après, dans un discours prononcé en 1951 : « Il
va de soi que l’apostolat des laïcs est subordonné à la hiérarchie ecclésiastique ; celle-ci est d’ins-
titution divine ; il ne peut donc être indépendant vis-à-vis d’elle. Penser autrement serait saper
par la base le mur sur lequel le Christ lui-même a bâti son Église.  » (PIE XII, Discours au
Ier congrès mondial de l’apostolat des laïcs, 14 octobre 1951, Acta Apostolicae Sedis, 1951, XLIII,
p. 784-792 ; in A. F. UTZ, J. F. GRONER, II, p. 1464-1465).
2. JEAN XXIII, Discours à l’Action catholique de Rome, 10  janvier 1960, Discorsi, messaggi,
colloqui, 1961, II, p.  111 (cité dans J.  A. KOMONCHAK, «  Le principe de subsidiarité et sa
pertinence ecclésiologique », Les Conférences épiscopales, op. cit., p. 403, n. 26).
250 La subsidiarité catholique...

laquelle — non sans mépris — ils en opposent une autre qu’ils appellent juri-
dique. Mais c’est tout à fait en vain qu’ils introduisent cette distinction : ils ne
comprennent pas, en effet, qu’une même raison a poussé le divin Rédempteur à
vouloir, d’une part, que le groupement des hommes fondé par lui fût une société
parfaite en son genre et munie de tous les éléments juridiques et sociaux, pour
perpétuer sur la terre l’œuvre salutaire de la Rédemption ; et, d’autre part, que
cette société fût enrichie par l’Esprit Saint, pour atteindre la même fin, de dons
et de bienfaits surnaturels1. »

À l’instar de ce que requiert une lecture informée du droit séculier, il faut


se tourner vers la littérature doctrinale pour mieux comprendre la réception
de cette parole officielle. Si l’on considère les occurrences du mot subsidia-
rité, on constate que c’est la théologie germanophone, qui, dès l’après-guerre,
y fait référence de la manière la plus systématique. Parmi les nombreux
acteurs de cette densification ecclésiologique du principe de subsidiarité,
il faut mentionner trois d’entre eux  : Wilhelm Bertrams, Karl Rahner et
Matthäus Kaiser2.
Karl Rahner d’abord. Principal initiateur de la discussion scientifique sur la
subsidiarité ecclésiale, il a fortement contribué à rendre légitimes les revendi-
cations d’autonomie au sein même du corps ecclésial  : l’Église, rappelle-t-il,
est pour les hommes et non les hommes pour l’Église, plagiant ici les mots que
Divini redemptoris appliquait à l’État. Avec son frère Hugo, il fait partie de
cette génération de théologiens (Romano Guardini, Hans Urs von Balthasar,
Gustave Thils, Yves Congar, Henri de Lubac, Jean Daniélou, Marie-Domi-
nique Chenu3) qui, en appelant à l’édification d’une Église moins juridique et
plus spirituelle, a souterrainement préparé le Concile Vatican II — en marge
de la doctrine officielle et le plus souvent en faisant les frais des sanctions

1. PIE XII, Mystici Corporis Christi (in H. DENZINGER, 3800-3822, p. 802-808).


2. K.  RAHNER, «  Der Einzelne in der Kirche  », Stimmen der Zeit, 1947, 139, p.  260-276 ;
W. BERTRAMS, « De principio subsidiaritatis in iure canonico », Periodica, 1957, 46, p. 3-65 ;
«  Das Subsidiaritätsprinzip in der Kirche  », Stimmen der Zeit, 1957, 160 (7), p.  252-267 ;
M. KAISER, « Das Prinzip der Subsidiarität in der Verfassung der Kirche », Archiv für katholi-
sches Kirchenrecht, 1964, 133, p. 3-13. De 1946 à 1962, la diffusion doctrinale du mot est conco-
mitante de la naissance de l’ecclésiologie en tant que discipline à part entière (ses frontières ne
seront vraiment fixées que dans la période postconciliaire). Il y a là comme un jeu donnant-don-
nant : une discipline nouvelle a besoin de notions pour asseoir sa légitimité spécifique ; la subsi-
diarité a besoin de se refaire une nouvelle virginité. Quoi de plus efficace que de frotter le mot à
cet objet sacré qu’est l’Église et d’auréoler ainsi le concept du mystère qui l’entoure ?
3. Sur l’ecclésiologie en particulier, cf. R. GUARDINI, Vom Sinn der Kirche [1921], Mayence,
Grünewald, 1955 ; H. de LUBAC, Catholicisme, op. cit. ; Méditation sur l’Église, Paris, Aubier,
1953, spécialement le ch.  III «  Les deux aspects de l’Église une  » ; Y.  M.-J. CONGAR, «  Le
Saint-Esprit et le Corps apostolique », Revue des sciences philosophiques et théologiques, 1953,
37, p.  24-58 ; «  Dogme christologique et ecclésiologie. Vérité et limites d’un parallèle  », Das
Konzil von Chalkedon [1954], éd. A. GRILLMEIER, H. BACHT, Wurtzbourg, Echter, 1962,
III, p.  239-257 ; J.  DANIÉLOU, Théologie du judéo-christianisme [1958], Tournai, Desclée,
Paris, Le Cerf, 1991 ; H.  RAHNER, Symbole der Kirche. Die Ekklesiologie der Väter, Salz-
bourg, Müller, 1964. En 1963, le Père Congar invoque la subsidiarité, alors qualifiée de « principe
sociologique  », pour proposer la création de corps intermédiaires entre le Pape et les évêques
(Y. M.-J. CONGAR, Sainte Église, op. cit., p. 696). Évocation concomitante de la subsidiarité
ecclésiale en langue française dans J. LUCIEN-BRUN, «  Socialisation et corps mystique  »,
L’Homme devant Dieu. Mélanges H. de Lubac, Paris, Aubier, 1964, III, p. 287-294.
Subsidiarité et société ecclésiale. La contradiction pontificale 251

romaines, celles de Pie XII surtout (songeons à la condamnation de l’École de


Fourvière en 1950 et aux instants rappels à l’ordre d’Humani generis)1.
Wilhelm Bertrams ensuite. Canoniste allemand, il est l’auteur de la seule
étude doctrinale systématique sur la subsidiarité ecclésiale publiée avant
l’événement conciliaire (1956-1957), étude dans laquelle il militait en faveur
de la validité ecclésiologique du principe de subsidiarité. Marqué par une
grande liberté de ton, son propos s’employait à relativiser, voire à contourner,
la restriction pontificale de Pie XII au moyen d’une nouvelle articulation
conceptuelle de la double nature de l’Église. Sa dimension surnaturelle, écri-
vait-il dans une formule qui fera date, n’exclut pas, par principe, la forme
concrète de société des croyants qu’elle prend dans l’histoire humaine.
Aucune dissociation possible, devait-on entendre, entre Église visible et
Église invisible. Le thème, nous le verrons, sera appelé à une longue posté-
rité  : l’Église comme mystère est réellement présente sur terre, même si sa
manifestation actuelle n’est que partielle.
Matthäus Kaiser enfin. Moins connu, il est l’auteur de la deuxième contri-
bution doctrinale la plus importante, parue concomitamment aux discussions
conciliaires sur les questions institutionnelles. Si sa thèse reprend à son
compte l’essentiel des arguments de Bertrams, elle les mobilise dans un esprit
sensiblement plus novateur en poussant plus loin encore l’analogie du raison-
nement entre Église et société. L’Église est certes une société surnaturelle en
ce qu’elle a été voulue par Dieu, mais elle est aussi une société naturelle à
laquelle la subsidiarité peut tout à fait s’appliquer de manière analogique.
En regard, exprimée dans un style moins conventionnel, la position la plus
radicale reste celle défendue en 1962 par le théologien suisse Hans Küng,
professeur à l’Université de Tübingen. Figure iconoclaste de la pensée catho-
lique du siècle dernier, inspirateur direct de la théologie de la libération, il
préconisait dès la fin des années 1970 la tenue d’un troisième Concile du
Vatican2. Le mot d’ordre — Vatican III — dit tout du personnage. Peut-être
inspiré par la Suisse, sa terre de naissance, il n’hésitera pas à militer en faveur
d’un « fédéralisme chaotique » et d’une autogestion des Églises locales contre
ce qu’il a toujours considéré comme une confiscation du pouvoir par les ins-
tances romaines. Sous sa plume, la subsidiarité prend place dans un discours
ouvertement provocateur, qui assume son style d’insubordination chronique
vis-à-vis de la hiérarchie catholique3. La polarité souterraine subsidiarité-
totalitarisme, qui nous sert ici de clef de lecture pour comprendre le rapport
de l’Église à l’État, lui l’applique à l’Église elle-même : entre l’Église totali-
taire et l’Église subsidiaire, il n’y a rien, dit en substance le Père Küng.

1. PIE XII, Lettre encyclique Humani generis, 12  août 1950, Acta Aspostolicae Sedis, 1950,
XLII, p. 561-577 (in H. DENZINGER, 3875-3899, p. 821-827).
2. Cf. D.  TRACY, H.  KÜNG, J.  B. METZ, éd., Toward Vatican III. The Work That Needs
To Be Done, Dublin, Gill and Macmillan, 1978. Pour une perspective qui mêle la dimension sociale
et la dimension ecclésiale à partir d’une observation de l’expérience américaine, cf. B. D. MANNO,
« Subsidiarity and Pluralism : A Social Philosophical Perspective », ibid., p. 319-333.
3. Comme en témoignent ses Mémoires récemment traduites en français (H.  KÜNG, Mon
combat pour la liberté. Mémoires [2002], trad. fr. M. Thoma-Petit, Paris, Le Cerf, 2006).
252 La subsidiarité catholique...

« Le ministère de Pierre ne doit donc jamais prétendre, à la manière d’un État
totalitaire, tout régenter ou du moins être autorisé juridiquement à tout
régenter ; ce serait se méprendre gravement sur le sens de ses définitions vati-
canes. Tout au contraire, le principe de subsidiarité exige que le ministère de
Pierre abandonne aux évêques, aux prêtres et au peuple tout ce qui relève de
leur responsabilité propre, quand évêques, prêtres et peuple n’ont pas besoin de
l’intervention directe du ministère de Pierre comme tel ; et cela exige en même
temps que le ministère de Pierre accorde aux évêques, aux prêtres et au peuple la
plus large participation possible à la marche de l’Église. [...] Il n’y pas lieu de
craindre que l’application du principe de subsidiarité puisse faire tort au minis-
tère de Pierre ; au contraire, on peut dire ici parallèlement au mot de Pie XI [...] :
Plus parfaite sera l’ordonnance hiérarchique qui, conformément au principe de
subsidiarité, régit les divers milieux de vie dans l’Église, mieux s’en trouveront
l’autorité et l’efficacité du ministère de Pierre et plus heureuse et prospère sera la
situation de l’Église. De cette manière, le ministère de Pierre ne se détourne pas
de ses grandes tâches propres, mais il devient capable d’accomplir avec plus de
liberté, d’énergie et d’efficacité, tout ce qui revient à lui seul, parce qu’il est seul
en état de l’accomplir : diriger, surveiller, stimuler, contenir, au plan de l’Église
universelle, lequel dépasse les possibilités des évêques et des Églises locales1. »

Disons, au total, que la subsidiarité ecclésiale est surtout présente dans


l’appareillage conceptuel de ceux qui furent les acteurs du renouveau biblique
et patristique de la période préconciliaire. Le temps était alors à la recharge
mystique, à la redécouverte du christianisme des origines, par-delà les crispa-
tions grégoriennes, les raidissements tridentins, l’orthodoxie thomiste et
autres schémas reconduits avec morgue lors du Concile Vatican I. Contre
l’Église des xixe et xxe siècles, contre un droit passablement suranné, accusé de
se complaire dans une discipline sinistre et routinière, Vatican II chercha à
subordonner la forme juridique au message pastoral. Avec succès, sur le
moment en tout cas : moins juridique qu’évangélique, l’événement conciliaire
a bel et bien marqué une nette rupture avec l’ancien formalisme romain.
Le temps était aussi au rapprochement avec le protestantisme, selon le
même esprit de redéfinition de la médiation ecclésiale2. Souvent passée sous
silence au profit de Lumen gentium ou Gaudium et spes, la constitution dog-
matique Dei verbum en témoigne avec force, elle n’opère rien de moins
qu’une remise en cause principielle du postulat fondateur de l’Église : la dua-

1. H. KÜNG, Structures de l’Église, [1962], trad. fr. H. M. Rochais, J. Evrard, Paris, Desclée de
Brouwer, 1963, p. 265-390, ici p. 284-285. Dans la même veine, cf. aussi H. KÜNG, Concile et
retour à l’unité, trad. fr. H. M. Rochais, J. Evrard, Paris, Le Cerf, 1962, p. 153-169, ici p. 155,
p. 163. L’original allemand a paru la même année. Parmi les contributions doctrinales les plus
récentes, les théologiens hollandais Adrianus Leys et Peter Huizing sont peut-être ceux qui se
rapprochent le plus de l’audace de Hans Küng, en s’écartant davantage encore de la conception
hiérarchique de l’Église  : A.  LEYS, Ecclesiological Impacts of the Principle of Subsidiarity,
op. cit. ; P. HUIZING, « La subsidiarité », Concilium, 1986, 208, p. 145-150.
2. Sur le terrain juridique, l’idée d’une protestantisation a pu être alimentée par la référence aux
travaux fondateurs de Rudolph Sohm, historien de confession réformée, qui, dès la fin du
xixe  siècle, s’est attaché à remettre en cause la légitimité d’un droit propre à l’Église, et donc
à combattre l’idée même d’un droit canon (R.  SOHM, Kirchenrecht, I. Die Geschichtlichen
Grundlagen ; II. Katholisches Kirchenrecht [1892], Leipzig, Munich, Duncker und Humblot,
1923). Cf., par exemple, Y. M.-J. CONGAR, « Rudoph Sohm nous interroge encore », Revue
des sciences philosophiques et théologiques, 1973, 57, p. 263-294.
Subsidiarité et société ecclésiale. La contradiction pontificale 253

lité entre l’Écriture biblique et la Tradition magistérielle. Cette implosion du


noyau fondateur de l’antiprotestantisme tridentin ne consistait pas en une
modeste dédramatisation de la médiation institutionnelle de l’accès à la Bible
via l’herméneutique ecclésiale, elle atteignait ni plus ni moins la raison exis-
tentielle de l’Église catholique1. Affirmer l’inclusion mutuelle de l’Écriture et
de la Tradition, en effet, cela ne revenait pas seulement à lever une hypo-
thèque doctrinale pour frayer la voie de l’œcuménisme conciliaire ; cela mar-
quait un ébranlement sans précédent du socle de la légitimité ecclésiale par la
disjonction entre autorité des Écritures et rôle de l’Église, par l’isolement du
foyer biblique vis-à-vis de ses lectures magistérielles. Pareille logique protes-
tante et antijuridique — pareil « agenouillement devant le monde », comme
diront les contempteurs déçus de Vatican II2 — ne manquera pas d’inquiéter,
y compris jusqu’aux anciens défenseurs du révisionnisme conciliaire3. Paral-
lélisme des formes ou hommage du vice à la vertu, elle poussera en retour au
réinvestissement revanchard du thème de la médiation et aboutira à la reprise
en main ratzingérienne sous le pontificat de Jean-Paul II4. Le tout puissam-
ment justifié par une ferme volonté de décomplexer l’Église, de la sortir d’une
certaine gangue pénitentielle dans laquelle le Concile l’aurait malencontreu-
sement enfermée pour tout à fois la dégriser de son triomphalisme d’antan et
la désenivrer de son anachronisme de surplomb.

« Et cette ligne ne sera ni freinée ni interrompue, si


l’application du principe de “subsidiarité”, vers lequel
elle s’oriente, est tempérée par une humble et sage pru-
dence, de telle sorte que le bien commun de l’Église ne
soit pas compromis par de multiples et excessives autono-
mies particulières, qui nuisent à l’unité et à la charité —

1. VATICAN II, Constitution dogmatique sur la révélation divine Dei verbum, 18 novembre
1965, Acta Apostolicae Sedis, 1966, LVIII, p. 817-830, Sacrosanctum Œcumenicum Concilianum
Vaticanum II, 1966, p.  423-446 (in H.  DENZINGER, 4201-4235, p.  901-909). Sur ce texte,
cf. G. DEFOIS, Révélation et société. Étude critique de la Constitution conciliaire Dei verbum et
les fonctions sociales de l’Écriture, Thèse de doctorat en théologie, dir. P. Liégé, Paris, Institut
catholique, 1974 ; « Révélation et société. La Constitution Dei verbum et les fonctions sociales
de l’Écriture », Recherches de science religieuse, 1975, 63 (4), p. 457-504.
2. J. MARITAIN, Le Paysan de la Garonne. [1966], Œuvres complètes, op. cit., XII, p. 739.
3. Cf. les notations inquiètes d’Alphonse Dupront (A.  DUPRONT, «  Vatican II  : chronique
d’un événement “spirituel”  » [1962], Genèse des Temps modernes, Paris, Gallimard, Le Seuil,
2001, p.  337-351 ; «  L’Église et le monde. Réflexions phénoménologiques sur Vatican II et la
constitution Gaudium et spes  » [1967], ibid., p.  353-370 ; Puissances et latences de la religion
catholique, Paris, Gallimard, 1993, p. 31-52). Pour un regard moins angoissé, cf. M. D. CHENU,
«  Le rôle de l’Église dans le monde contemporain  », L’Église dans le monde de ce temps, dir.
G. BARAUNA, Bruges, Paris, Desclée de Brouwer, 1968, II, p. 422-443. Pour un point de vue à
partir du protestantisme, cf. J.-P. WILLAIME, «  L’organisation religieuse et la gestion de sa
vérité : modèle catholique et modèle protestant », Formation et défense des « orthodoxies » dans
les églises et les groupements d’inspiration politique, Gembloux, Duculot, 1987, p. 75-92.
4. Pour une critique de l’antijuridisme conciliaire proche des vues ratzingériennes, cf. P. EYT,
«  L’antijuridisme et sa portée dans la vie récente de l’Église  », L’Année canonique, 1983, 27,
p. 17-24 ; « Vers une Église démocratique ? », Nouvelle revue théologique, 1969, 91 (6), p. 597-
613). Dans la même veine mais avec une ambition réconciliatrice, cf. J.-B. d’ONORIO, «  Le
Concile Vatican II et le droit », Le Deuxième Concile du Vatican, op. cit., p. 651-688.
254 La subsidiarité catholique...

lesquelles doivent faire de l’Église cor unum et anima


una [un seul cœur et une seule âme] — et engendrent
des rivalités d’ambitions, ainsi que des égoïsmes clos1. »
« De même, Nous sommes disposé à accueillir toute
aspiration légitime à une meilleure reconnaissance des
caractéristiques et des exigences particulières des Églises
locales, grâce à une application bien comprise du
principe de subsidiarité : principe qui requiert certaine-
ment un surcroît d’approfondissement doctrinal et pra-
tique, mais que nous n’hésitons pas à faire nôtre dans
son acception fondamentale. Celui-ci, cependant, ne
doit pas être confondu avec une prétendue requête de
“pluralisme” qui toucherait la foi, la loi morale et les
lignes fondamentales des sacrements, de la liturgie et de
la discipline canonique, qui tendent à conserver dans
l’Église l’unité nécessaire2. »

II. LA CONTINUITÉ ECCLÉSIOLOGIQUE


PAR-DELÀ LE CONCILE

1. VATICAN II OU LES CONSÉQUENCES DE L’ANTIJURIDISME

Avant le Concile Vatican II, nous l’avons rappelé, l’Église fonctionnait sur
un modèle issu de l’époque grégorienne et tridentine3. Elle se concevait non
comme une société religieuse réunissant des fidèles mais comme un corps
mystique et spirituel émanant directement du Christ4. Son principe  : tout

1. PAUL VI, Homélie d’ouverture du synode, 11  octobre 1969, Acta Apostolicae Sedis, 1969,
LXI, p. 719-729 (La Documentation catholique, 1969, 1550, col. 957-960). Nous soulignons.
2. PAUL VI, Discours de clôture du synode, 10  décembre 1969, Acta Apostolicae Sedis, 1969,
LXI, p. 728-729 (La Documentation catholique, 1969, 1551, col. 1011-1012). Nous soulignons.
3. Prenant corps pendant tout le deuxième millénaire, la centralisation romaine sera confirmée
au xvie siècle par le Concile de Trente (réponse catholique aux thèses luthériennes de la congre-
gatio fidelium) et reproduite quasiment telle quelle à la fin du xixe  siècle (Concile Vatican I).
Jusqu’en 1917 et l’entrée en vigueur du Codex Iuris Canonici (BENOÎT XV, dir., Code de droit
canonique), les compilations juridiques des canonistes grégoriens (le Corpus Iuris Canonici dont
le Decretum Gratiani) constitueront l’unique droit applicable à l’Église catholique. Sur le
moment post-tridentin, cf. J. DELUMEAU, « Les progrès de la centralisation dans l’État ponti-
fical au xvie siècle », Revue historique, 1961, 226 (2), p. 399-410.
4. Pie XII avait même posé une équation d’égalité parfaite : le Corps du Christ est l’Église catho-
lique, avait-il rappelé en 1943 (PIE XII, Mystici Corporis Christi ; in H. DENZINGER, 3800-
3822, p. 802-808). Sur la notion du corps mystique et spirituel : originellement employée pour
désigner l’hostie, la formule Corpus mysticum a ensuite été appliquée à l’institution ecclésiale en
tant que telle. L’appellation a été officialisée en 1302 : l’Église, résume la bulle Unam Sanctam,
est le « corps mystique [...] dont le Christ est la tête » (unum corpus mysticum [...] cuius caput
Christus) (BONIFACE VIII, Bulle Unam sanctam, 18  novembre 1302, Ecclesia et Status. De
mutuis et iuribus fontes selecti [1939], éd. G.  B. LO  GRASSO, Rome, Presses de l’Université
grégorienne, 1952, 491-497 ; in H. DENZINGER, 870-875, p. 315-317, ici, 870, p. 315). Sur cette
histoire, cf. H.  de LUBAC, Corpus mysticum. L’eucharistie et l’Église au Moyen Âge  : étude
historique [1944], Paris, Aubier, Montaigne, 1948 ; « Corpus mysticum : étude sur l’origine et les
premiers sens de l’expression », Recherches de science religieuse, 1939, 29 (2), p. 257-302 ; 29 (3),
p. 429-480 ; 1940, 30 (1), p. 40-80 ; 30 (2), p. 191-226.
Subsidiarité et société ecclésiale. La contradiction pontificale 255

pour le peuple, rien par le peuple. Ainsi s’entendait en quelque sorte l’idée
théologique de hiérarchie catholique  : un ordre voulu par Dieu, duquel
découlait logiquement, et par ordre d’importance, l’Église universelle (ecclesia
universa), les Églises particulières et les laïcs. Au sommet de l’édifice, la plé-
nitude du pouvoir pontifical (plenitudo potestatis) censé innerver chacune des
moindres cellules du corps ecclésial1. Sa métaphore, constamment filée depuis
les origines pauliniennes de l’Église : le pasteur guidant son troupeau, la tête
orientant les membres.
«  L’Église, écrivait Pie X en 1906, est par essence une société inégale, c’est-
à-dire une société comprenant deux catégories de personnes, les pasteurs et le
troupeau, ceux qui occupent un rang dans les différents degrés de la hiérarchie
et la multitude des fidèles. Et ces catégories sont tellement distinctes entre elles
que dans le corps pastoral seuls résident le droit et l’autorité nécessaires pour
promouvoir et diriger tous les membres vers la fin de la société ; quant à la mul-
titude, elle n’a pas d’autre devoir que celui de se laisser conduire et, troupeau
docile, de suivre ses pasteurs2. »
Conception absolutiste de la papauté, centralisation romaine, assimilation
des fidèles à de simples sujets passifs : tout rappelle à cet égard les traits carac-
téristiques de la monarchie d’Ancien Régime3, l’hérédité des dynasties en
moins, le mystère électif des conclaves en plus. Une communauté organique
composée de membres — clercs et laïcs —, lesquels ont absolument besoin
d’être guidés par une tête, le Pape. Soulignons ici le lien consubstantiel qui a
uni les deux jambes, théorique et pratique, du droit canonique post-tri-
dentin : l’ecclésiologie universaliste et la centralisation romaine ; deux fonda-
mentaux que Vatican II a semblé vouloir reformater pour les adapter aux
temps nouveaux.
Mais, sans prétendre à tout prix passer le discours ecclésial au crible du
soupçon, la question se pose assurément de savoir si un concile, aussi impor-
tant soit-il, suffit à rompre avec des traditions et des pratiques induites par un
millénaire d’absolutisme romain. Jusqu’à quel point l’Église postconciliaire est-
elle sortie du schéma de la societas perfecta et de la structure hiérarchique qu’il
implique par construction ? Bref, Vatican II a-t-il véritablement opéré la révo-
lution copernicienne que l’on dit dans le montage institutionnel de l’Église4 ?

1. Le raidissement tridentin de l’Église tendra à réduire les évêchés au rang de simples subdi-
visions administratives sans véritable consistance propre. Il en a toujours été différemment
pour les Églises régionales (patriarcats, métropoles, Églises nationales) qui n’ont jamais
été considérées comme de simples intermédiaires administratifs entre le sommet romain et la
base diocésaine. Avant le Concile de Trente, sur le concept grégorien de plenitudo potestatis,
cf. G. B. LADNER, « The Concept of Ecclesia and Christianitas and their Relation to the Idea
of Papal “Plenitudo Potestatis” from Gregory VII to Boniface VIII  », Sacerdozio e Regno da
Gregorio VII a Bonifacio VIII, Rome, Miscellanea Historiae Pontificae, 1954, 18, p. 49-77.
2. PIE X, Vehementer nos (in A. F. UTZ, III, p. 2460-2461). Au même titre que la métaphore
pastorale (berger-troupeau), l’image du navire est aussi très présente dans les Écritures saintes
(Évangile selon saint Matthieu, VIII, 23-27 ; Évangile selon saint Marc, IV, 35-40 ; VI, 45-52 ;
Évangile selon saint Luc, VIII, 22-25 ; Évangile selon saint Jean, VI, 16-21 ; XXI, 1-13).
3. Cette insistance sur le pouvoir pontifical a pu trouver une expression très symptomatique
chez de Maistre, dans Du Pape surtout, où les vues ultramontaines du penseur contre-révolu-
tionnaire sont pour le moins tranchées (J. de MAISTRE, Du Pape [1819], Genève, Droz, 1966).
4. «  Ce n’est plus l’Église locale qui gravite autour de l’Église universelle, a-t-on écrit,
mais l’Église de Dieu en Jésus-Christ qui se trouve présente dans chaque célébration de l’Église
256 La subsidiarité catholique...

Oui, si l’on considère l’esprit général : la priorité donnée aux fidèles sur la
hiérarchie ; et le style : la modestie désormais revendiquée comme telle par les
membres du clergé. Les principaux documents conciliaires (Lumen gentium
en premier lieu) affirment en effet que le spirituel ne réside plus dans une hié-
rarchie catholique autosuffisante mais dans la masse humaine, au service de
laquelle se place le ministère clérical1. La rupture symbolique est à cet égard
indéniable  : Vatican II remet à l’honneur la théologie fédérale des Églises
locales ; il redonne actualité à l’ancien modèle de la collégialité épiscopale ; il
redécouvre le paradigme apostolique et antique du premier millénaire2. Qu’il
suffise ici de penser aux grandes modifications sémantiques et autres trans-
formations conceptuelles  : on abandonne le concept de societas inaequalis ;
une relation d’égalité sotériologique de «  tous  » les membres de l’Église
se substitue à l’ancienne discrimination séparant les ministres du culte
(«  quelques-uns  ») de l’ensemble des fidèles ; on dédramatise la notion de
corps mystique (corpus mysticum) du Christ par une nouvelle combinaison
conceptuelle où elle voisine à présent avec deux autres notions phares du
Concile : Temple de l’Esprit et Peuple de Dieu3. Par cette dernière4, Vatican
II accorde aux laïcs une place désormais centrale, et active, dans la vie du
corps ecclésial, reconnaît la variété et la pluralité légitimes des Églises parti-
culières parmi la structure universelle.
Cependant, par-delà le Concile, les éléments de continuité sont plus nom-
breux qu’il n’y paraît. Le passage d’une ecclésiologie universaliste à une
ecclésiologie de la communion des assemblées locales ne signifie pas avène-
ment de la démocratie dans l’Église. Tout en évoquant l’idée d’une relation
d’égalité, la notion de Peuple de Dieu ne saurait s’assimiler à une pure et
simple transcription ecclésiale de la démocratie profane, prudence magisté-
rielle oblige. On connaît la formule du théologien protestant Karl Barth  :
l’Église n’est point une démocratie, elle est une « christocratie »5. Certes, le

locale par l’action continuelle de l’Esprit saint. » (E. LANNE, « L’Église locale et l’Église uni-
verselle. Actualité et portée du thème  », Irénikon, 1970, 43 (4), p.  490). Thème repris dans
Y. M.-J. CONGAR, Le Concile de Vatican II, Paris, Beauchesne, 1984, ici p. 170.
1. VATICAN II, Constitution dogmatique sur l’Église Lumen gentium, 21  novembre 1964,
Acta Apostolicae Sedis, 1965, LVII, p. 5-64, Sacrosanctum Œcumenicum Concilianum Vaticanum
II, 1966, p.  93-206 (in H.  DENZINGER, 4101-4179, p.  863-896). Sur ce point, cf. aussi
VATICAN II, Décret Ad gentes sur l’activité missionnaire de l’Église, 7 décembre 1965, Acta
Apostolicae Sedis, 1966, LVIII, p. 947-990 (L’Activité missionnaire de l’Église. Décret Ad gentes,
Paris, Le Cerf, 1967), spécialement le chapitre 3 intitulé Des églises particulières (19 sq.).
2. Paradigme considéré dans sa version la plus originelle : non pas l’Église triomphante officiel-
lement reconnue par le pouvoir civil, mais l’Église persécutée des quatre premiers siècles.
3. Cf. L. BOUYER, L’Église de Dieu : Corps du Christ et temple de l’Esprit, Paris, Le Cerf, 1970 ;
R. MINNERATH, Le Droit de l’Église à la liberté : du Syllabus à Vatican II, Paris, Beauchesne,
1982 ; G. LESAGE, « Un nouveau style du droit ecclésial », Studia canonica, 1972, 6 (2), p. 301-
314. Otto Karrer a proposé une interprétation à la lumière de la subsidiarité (O. KARRER, « Das
Subsidiaritätsprinzip in der Kirche », De Ecclesia. Beiträge zur Konstitution Über die Kirche des
Zweitens Vatikanischen Konzils I, dir. G.  BARAUNA, Fribourg, Herder, Francfort, Knecht,
1966, p.  520-546 ; «  Le principe de subsidiarité dans l’Église  », L’Église de Vatican II, dir.
G. BARAUNA, Y. M.-J. CONGAR, Paris, Le Cerf, 1966, p. 575-606).
4. Notion que Lumen gentium expose d’ailleurs dans le chapitre précédant celui consacré à la
hiérarchie (VATICAN II, Lumen gentium, 13 ; in H. DENZINGER, 4132-4135, p. 871).
5. K. BARTH, L’Humanité de Dieu [1956], trad. fr. J. de Senarclens, Genève, Labor et Fides,
Subsidiarité et société ecclésiale. La contradiction pontificale 257

chapitre 2 de Lumen gentium précède l’exposé de la notion de hiérarchie (La


constitution hiérarchique de l’Église et spécialement l’épiscopat)1, mais n’ou-
blions pas qu’il succède à la présentation de l’Église comme « mystère » (Le
mystère de l’Église)2, concept théologique dont le sens ne peut tromper : la
société ecclésiale n’est pas la société laïque. Bien plus, à lire attentivement la
constitution dogmatique, il apparaît clairement qu’aucune articulation réelle
n’a été recherchée entre les deux chapitres (2 et 3). Au point, d’ailleurs, que
l’impression légitime se dégage d’une simple juxtaposition de deux visions de
l’Église, lesquelles deviennent dès lors disponibles aux interprétations les
plus contrastées, via d’infinis arrangements conceptuels tous plus théologi-
quement fondés les uns que les autres. Au total, la nouvelle ecclésiologie de la
communion s’est trouvée réduite à une conjugaison boiteuse — voire à un
compromis dilatoire — entre les deux pôles identifiés plus haut : le pôle uni-
versaliste et le pôle sociétaire.

Mais l’élément ecclésiologique de la nouveauté conciliaire se situe ailleurs :


dans le nouveau statut conféré au principe hiérarchique. La communauté
ecclésiale, dit-on, continue d’être structurée selon un ordre théologiquement
hiérarchique, mais cette hiérarchie n’a pas de fin propre, s’empresse aussitôt
d’ajouter le Concile ; théologique et non politique, elle ne trouve sa légitimité
que dans le service rendu aux fidèles : non plus hiérarchie entre le clergé et la
masse des croyants, mais hiérarchie à l’intérieur du clergé uniquement, tou-
jours couronnée par l’inébranlable primauté pontificale3. L’argument ne
manquera pas de porter sur le plan théorique ; la pratique en révélera cepen-
dant l’extrême faiblesse.
En ce point précis, deux questions se distinguent  : 1o supprimer la hié-
rarchie entre le clergé et les fidèles, n’est-ce pas assécher la source même de la
légitimité existentielle de l’Église, tous niveaux confondus, universel comme
local ? ; 2o où la hiérarchie réside-t-elle, si elle ne passe plus entre les fidèles et
le clergé ? À l’intérieur du pouvoir clérical, mais comment se divise-t-il ?
S’agissant d’abord du second point, qui fait directement référence à la dis-
tinction entre potestas ordiniis et potestas iuridictionis4 : il désigne un enjeu de

1999 ; L’Église en péril [1938-1960], trad. fr. L.  Ruf-Burac, Paris, Desclée de Brouwer, 2000.
Pour l’exposé d’un autre point de vue protestant, dans la même veine, cf. O.  CULLMANN,
La Tradition. Problème exégétique, historique et théologique, Paris, Delachaux, Niestlé, 1953.
Sur la portée théorique de la relation analogique entre Église et démocratie, cf. G. ALBERIGO,
« Ecclésiologie et démocratie. Convergences et divergences », Concilium, 1992, 243, p. 21-34.
1. VATICAN II, Lumen gentium, 18-29 (in H. DENZINGER, 4142-4155, p. 874-883).
2. Ibid., 1-8 (in H. DENZINGER, 4101-4121, p. 863-868).
3. La constitution Lumen gentium ne manque pas de rappeler que le bien commun spirituel de
l’Église nécessite une limitation expresse du pouvoir des évêques par rapport à l’autorité pontifi-
cale (VATICAN II, Lumen gentium, 27 ; in H. DENZINGER, 4152, p. 881). Cf., par exemple,
H. LEGRAND, « Les évêques, les Églises locales et l’Église entière. Évolutions institutionnelles
depuis Vatican II et chantiers actuels de recherche », Revue des sciences philosophiques et théolo-
giques, 2001, 85 (3), p.  461-509 ; Le Ministère des évêques à Vatican II et depuis. Mélanges
G. Herbulot, dir. H. LEGRAND, C. THEOBALD, Paris, Le Cerf, 2001, p. 201-260.
4. Sur la distinction entre pouvoir d’ordre et pouvoir de juridiction, cf. Y.  M.-J. CONGAR,
« Ordre et juridiction dans l’Église », Sainte Église, op. cit., p. 203-237. Le pouvoir de juridiction
258 La subsidiarité catholique...

grande importance dans la mesure où l’on a souvent invoqué cette partition


entre ordre et juridiction pour circonscrire le champ d’application de la sub-
sidiarité ecclésiale. D’une part, « le domaine restreint des ministères voulus
par Dieu » dans lequel toute idée de subsidiarité serait exclue ; d’autre part,
celui «  très vaste, dont les fonctions appartiennent à l’ensemble du Peuple
de Dieu », qui, lui, en revanche, serait justiciable de la subsidiarité1. À la hié-
rarchie entre le clergé et les fidèles, on aurait en quelque sorte substitué la
hiérarchie entre pouvoir d’ordre et pouvoir de juridiction. Mais si l’on tente
de préciser le contenu de ces deux catégories, on s’aperçoit vite que la diffi-
culté n’est que reportée. Comment départager entre les fonctions « essentiel-
lement hiérarchiques » qui relèveraient « de l’ordre sacramentel » de l’Église
et les fonctions «  accidentellement hiérarchiques qui relèveraient «  de son
ordre administratif »2 ? Comment départager sur le plan théologique entre les
matières importantes et les matières mineures3 ? Difficulté reportée à l’infini,
dans une régression aporétique, qui explique en grande partie l’échec de la
subsidiarité ecclésiale. C’est qu’à l’évidence la tentative d’identification d’un
champ d’application spécifique du principe de subsidiarité est impossible à
fonder théologiquement sur la base d’une distinction entre ordre et juridic-
tion4. Il a d’ailleurs été récemment démontré que cette dernière n’avait connu
aucune effectivité réelle dans l’histoire de l’Église5. La sacramentalité a besoin
du droit ecclésial pour exister, tout comme le droit ecclésial a besoin de
s’adosser à une visée sacramentelle. L’Institution ecclésiale n’est-elle pas tout
à la fois mystère et societas, « une communion en forme de société, dont la vie

(ou de gouvernement) correspond au pouvoir de désigner une charge, de dire le droit, de juger,
de sanctionner (il rappelle que l’Église est une société humaine et qu’à ce titre elle suppose une
organisation). Le pouvoir d’ordre (ou de sanctification), corollaire de la compétence eucharis-
tique et sacerdotale, correspond au pouvoir d’ordonner et de déposer les prêtres, de consacrer les
lieux de culte (il rappelle que l’Église n’est pas une société comme les autres sociétés).
1. « Les membres du Peuple de Dieu, qui n’ont pas été investis de ministères particuliers par le
sacrement de l’ordre [...], ne sont pas habilités à exercer, au nom du principe de subsidiarité, les
fonctions qui reviennent essentiellement à ces ministres. En ce sens l’application du principe [...]
est restrictive dans l’Église, comparée à son application dans la société civile, où aucune restric-
tion n’intervient en principe au moins. » (R. METZ, « La subsidiarité, principe régulateur des
tensions dans l’Église », Revue de droit canonique, 1972, 22 (2-3), p. 155-176, ici p. 168).
2. Selon les mots de Franz X. Kaufmann (F. X. KAUFMANN, « Le principe de subsidiarité :
point de vue d’un sociologue des institutions », Les Conférences épiscopales, op. cit., p. 377).
3. Cf., notamment, le schéma de Vatican I, tel que décrit dans Pastor aeternus : la partition entre
les matières importantes, les causae maiores, à centraliser dans les mains du Pape et les affaires
moins importantes à laisser dans les mains des évêques (PREMIER CONCILE du VATICAN
(VATICAN I), Constitution dogmatique Pastor aeternus sur l’Église du Christ, 18 juillet 1870,
Acta Sanctae Sedis, 1870-1871, VI, p. 40-47 ; in H. DENZINGER, 3050-3075, p. 686-694). For-
mule reprise dans le canon 220 (BENOÎT XV, dir., Code de droit canonique).
4. Le Concile Vatican II s’attachera à en tirer toutes les conséquences théologiques. Pour
prendre en compte cet apport du Concile, Laurent Villemin a récemment préconisé l’abandon de
la distinction potestas ordiniis-potestas iurisdictionis au profit du concept de potestas sacra
(consacré, en 1983, par le nouveau Code de droit canonique) qui suppose simultanément la
potestas proprement dite et son executio (L. VILLEMIN, Pouvoir d’ordre et pouvoir de juridic-
tion, Paris, Le Cerf, 2003 ; «  Conséquences théologiques du non-usage de la distinction entre
pouvoir d’ordre et pouvoir de juridiction », L’Année canonique, 2005, 47, p. 145-154.
5. Pas plus que la trilogie législatif-exécutif-judiciaire n’y est directement valide ou applicable,
l’Église n’a jamais connu de séparation fixe entre les fonctions de gouvernement (munus guber-
nandi), d’enseignement (munus docendi) et de sanctification (munus sanctificandi).
Subsidiarité et société ecclésiale. La contradiction pontificale 259

comporte une organisation de droit »1 ? Trop élémentaire, donc, l’invocation


du schéma binaire ordre-juridiction aux fins de circonscrire un champ d’ap-
plication de la subsidiarité ne fait que reproduire purement et simplement le
modèle hiérarchique d’antan, en complet paradoxe avec le mot d’ordre affiché
par le Concile.
S’agissant, ensuite, de la relation entre Église universelle et Églises locales,
il y a lieu de se demander si Lumen gentium ne tend pas — peut-être de
manière impensée — à neutraliser les principaux effets du reformatage conci-
liaire de la hiérarchie catholique. Nous faisons ici référence à la relecture du
principe périchorétique et à son application inédite au champ de l’ecclésio-
logie. Fixée par le Concile de Chalcédoine (sur la Trinité et la double nature
du Christ), la notion de périchôrésis renvoie à l’idée de présence réciproque
des personnes divines l’une à l’intérieur de l’autre2. En appliquant ce schéma à
l’ecclésiologie catholique, Vatican II a voulu redéfinir la notion de commu-
nion pour lui donner un lustre plus désirable  : une communion qui sauve-
garde la hiérarchie théologique mais une communion en forme d’intériorité
mutuelle de l’Église universelle et des Églises particulières3. On ne doit plus
parler d’antériorité de l’une par rapport aux autres, ni non plus de celles-ci
par rapport à celle-là, mais d’imbrication mutuelle, de circumincession entre
les deux, à l’image de l’hypostase divine, en laquelle s’exprime la coprésence
de l’unité et de la pluralité. L’Église universelle, disent les termes exacts du
dogme conciliaire, n’existe que dans les Églises locales et à partir d’elles « in
quibus et ex quibus (existit una et unica ecclesia catholica) »4. Chaque Église
locale est entièrement et totalement Église, même si, prise isolément, elle
n’est pas l’Église entière et doit par conséquent toujours veiller à rester en
communion avec tous les autres groupements ecclésiaux. Il y a là deux para-
doxes à relever. Le premier : Lumen gentium invoque l’analogie trinitaire au

1. Y. M.-J. CONGAR, « Autonomie et pouvoir central dans l’Église vus par la théologie catho-
lique », Irénikon, 1980, 53 (3), p. 301. Sur le double caractère communiel et social-juridique de la
définition du corps ecclésial, cf. W. KASPER, « Der Geheimnischarakter hebt den Sozial-cha-
rakter nicht auf », Herder Korrespondenz, 1987, 41 (5), p. 232-236 ; « Unité ecclésiale et commu-
nion ecclésiale dans une perspective catholique  », Revue des sciences religieuses, 2001, 75 (1),
p. 6-22 ; R. MINNERATH, « L’Église catholique, une société spécifique », La Société dans les
encycliques de Jean-Paul II, op. cit., p. 63-74 ; Le Droit de l’Église à la liberté, op. cit., p. 198 sq. ;
B. D. de LA SOUJEOLE, « L’Église comme société et l’Église comme communion au deuxième
concile du Vatican », Revue thomiste, 1991, 91 (2), p. 219-258.
2. CONCILE de CHALCÉDOINE, Profession de foi, 22 octobre 451 (in H. DENZINGER,
300-303, p. 106-108). Pour une lecture de l’hypostase divine, cf. E. DURAND, La Périchorèse
des personnes divines. Immanence mutuelle, réciprocité et communion, Paris, Le Cerf, 2005.
3. Cf., par exemple, J. A. KOMONCHAK, « Vers une ecclésiologie de communion », Histoire
du concile Vatican II, 1959-1965, IV. L’Église en tant que communion. La troisième session et la
troisième intersession [1999], dir. G.  ALBERIGO, trad. fr. J.  Mignon, dir. É.  FOUILLOUX,
Paris, Le Cerf, 2003, p. 11-122 ; « The Significance of Vatican Council II for Ecclesiology », The
Gift of the Church, dir. P. C. PHAN, Collegeville, Liturgical Press, 2000, p. 69-92.
4. « Subsistit in » remplace « est ». « Les Églises particulières [sont] formées à l’image de l’Église
universelle, elles en qui et à partir de qui existe l’Église catholique une et unique. » (VATICAN
II, Lumen gentium, 23-1 ; in H. DENZINGER, 4147, p. 877). Fomule reprise au canon 368 du
nouveau Code de droit canonique promulgué en 1983 (JEAN-PAUL II, dir., Code de droit
canonique, op. cit., p. 66). Cf. P. LÜNING, « Das ekklesiologische Problem des “subsistit in” im
heutigen ökumenischen Gespräch », Catholica, 1998, 52 (1), p. 1-23.
260 La subsidiarité catholique...

moment même où le Concile remet en cause l’idée d’identité entre le corps


du Christ et l’Institution ecclésiale1. Le second : conformément au principe
affiché, la constitution dogmatique remet en cause le sens traditionnel de la
hiérarchie mais, en assimilant distinction et hiérarchie, elle tend à empêcher la
réalisation concrète de toute relation entre l’Église universelle et l’Église
locale. Comment faire fonctionner une relation sans admettre la préalable
distinction d’au moins deux entités séparées2 ? L’enjeu est rigoureusement
identique sur le terrain juridique : en rupture avec la rationalité de l’ancien
droit canonique, l’ecclésiologie conciliaire veut fonctionner non plus à la
compétence mais à la participation et à l’inclusion mutuelle3. Mais, de la
même manière, comment faire participer ensemble des éléments non distincts
car mutuellement inclus les uns dans les autres ? On l’aura compris, c’est
pour le meilleur et pour le pire qu’ecclésiologie et droit conciliaire reposent
sur l’idée d’une immanence totale et d’une non-séparabilité des dimensions
mystérique et institutionnelle de l’Église. Aussi la réalité sera-t-elle tout autre
que celle censément affichée par la constitution Lumen gentium.
Du caractère très théorique du nouveau schéma conciliaire, et du com-
promis boiteux qu’il a opéré, il a résulté une oscillation pour le moins confuse
entre societas et communio. Oscillation confuse qui, bien évidemment, a
avantagé la seconde sur la première, inertie des pratiques traditionnelles
oblige, pesanteur de l’Institution aidant. Drapé dans ses bonnes intentions
conciliaires, l’insistant rappel de la double nature de l’Église permettra finale-
ment la reproduction des anciennes conduites. Le Père Congar avait raison
de dire, en 1984, que l’ombre de la societas perfecta continuait de planer sur
l’Église conciliaire, bon an mal an4. Nous verrons même que l’orientation
ecclésiologique de Vatican II restait en grande partie celle d’une théologie
de l’Église universelle, encore tout empreinte d’une conception abstraite de
la réalité ecclésiale, quoique dépouillée des quelques excès post-tridentins
de la centralisation romaine.

Avant d’en venir à la question de la réception pontificale, il faut considérer


l’intense travail doctrinal qui l’a activement préparée dès la fin des années
1960. Par delà les clivages et subtilités d’argumentation, un constat s’impose à
l’observateur : le resserrement définitionnel du concept de subsidiarité.
Les exigences de synthèse obligent à procéder à gros traits en identifiant
dans ce débat doctrinal plusieurs catégories d’intervenants et de protago-
nistes.

1. Identité que Pie XII proclamait encore en 1943, comme nous l’avons déjà rappelé.
2. Souvenons-nous de l’enseignement de Louis Dumont  : l’égalité, tout comme la hiérarchie,
suppose par construction la reconnaissance d’au moins deux termes différents, la fusion des deux
mettant bien sûr fin à la relation (L. DUMONT, Homo hierarchicus, op. cit., p. 396-403).
3. Ainsi qu’en témoigne Christus dominus (VATICAN II, Décret Christus dominus sur la
charge pastorale des évêques, 28 octobre 1965, Acta Apostolicae Sedis, 1966, LVIII, p. 673-701 ;
Synode extraordinaire. Célébration de Vatican II, Paris, Le Cerf, 1986, p. 602-694).
4. Cf., ici, deux écrits séparés de quinze ans (Y. M.-J. CONGAR, L’Église dans le monde de ce
temps, Paris, Le Cerf, 1967, II, p. 305-328 ; Le Concile Vatican II, Paris, Beauchesne, 1984).
Subsidiarité et société ecclésiale. La contradiction pontificale 261

La première : celle des théologiens qui rejettent l’idée de subsidiarité ecclé-


siale1. Il s’agit, en général, de conservateurs, qui suspectent les tenants de la
subsidiarité ecclésiale de passer allégrement d’une critique du centralisme
romain à une dangereuse remise en cause, d’ordre théologique, de la primauté
pontificale, sans laquelle l’Église catholique n’est plus l’Église catholique.
Réclamer plus d’autonomie pour les Églises locales, les conférences épisco-
pales et les laïcs, ce serait ni plus ni moins demander à l’Église universelle de
ne jouer qu’un rôle supplétif, ce serait faire comme s’il s’agissait de créer des
niveaux intermédiaires au sein du corps ecclésial de manière à faire contre-
poids au centre pontifical2. Dans leur riposte, les plus aguerris des conserva-
teurs ont très bien perçu l’intérêt stratégique qu’il y avait à maintenir le flou
définitionnel du concept pour neutraliser ses effets indésirables et encadrer
les prétentions locales à l’autonomie. Au besoin, on n’hésitera pas, ici ou là, à
le redéfinir entièrement : il ne s’agira plus d’exciper de la nature communielle
de l’Église pour disqualifier toute validité ecclésiale de la subsidiarité ; il
s’agira simplement d’expliquer que la subsidiarité présuppose la hiérarchie.
Autre concept passablement embrouillé, tout entouré de ses brumes théolo-
giques, autre voie permettant, encore et toujours, de sauvegarder la primauté
pontificale.
La deuxième catégorie  : celle, la plus nombreuse, des théologiens qui ne
voient pas l’intérêt d’inscrire le principe dans le droit positif de l’Église3.
Attachés à l’esprit de Vatican II, ils soulignent que la subsidiarité ne fait que
résumer la philosophie profonde de l’ecclésiologie conciliaire : le Pape par-
tage ses charges avec le collège épiscopal et le synode des évêques ; les congré-

1. Cf. J. L. GUTIERREZ, « El principio de subsidiaridad y la igualidad radical de los fideles »,
Ius Canonicum, 1971, 11 (22), p. 413-443 ; « II diritti des Christi fideles e il principio di sussidia-
rietà », La Chiesa dopo il Concilio, Milan, Giuffre, 1972, II, p. 783-793 ; E. CORECCO, « Die
kulturellen und ekklesiologischen Voraussetzungen des neun CIC  », Archiv für katholisches
Kirchenrecht, 1983, 152, p. 3-30 ; « La réception de Vatican II dans le code de droit canonique »,
La Réception de Vatican II, dir. G. ALBERIGO, J.-P. JOSSUA, Paris, Le Cerf, 1985, p. 327-
391 ; «  Fondements ecclésiologiques du code de droit canonique  », Concilium, 1986, 205,
p. 19-30 ; G. BARBERINI, « Appunti e riflessioni sull’applicazione del principio di sussidiarietà
nell’ordinamento della Chiesa », Ephemerides Iuris Canonici, 1983, 36, p. 329-361 ; P. PAMPA-
LONI, « Il principio di sussidiarietà nel diritto canonico », Studia Patavina, 1969, 16, p. 260-
270 ; G.  ALBERIGO, «  Servir la communion des Églises  », Concilium, 1979, 147, p.  27-48 ;
« Ecclésiologie et démocratie », ibid., 1992, 243, p. 21-34 ; P. EYT, « L’Église comprise comme
communion », Nouvelle revue théologique, 1993, 115 (3), p. 321-334.
2. Pour un point de vue qui défend ce sens de la subsidiarité ecclésiale, cf. G.  GRESHAKE,
« “Zwischeninstanzen” zwischen Papst und Ortsbischöfen. Notwendige Voraussetzung für die
Verwirklichung der Kirche als “communio ecclesiarum” », Die Bischofskonferenz. Theologischer
und juridischer Status, Düsseldorf, Patmos, 1989, p. 88-115.
3. Cf., par exemple, W. BASSETT, « Subsidiarity, Order and Freedom in the Church », Cross
Currents, 1970, 20 (2), p.  141-163 ; J.  S. GEORGE, The Principle of Subsidiarity with Special
Reference to its Role in Papal and Episcopal Relations in the Light of Lumen gentium,
Washington, The Catholic University of America, 1968 ; « Subsidiarity », New Catholic Ency-
clopaedia, New York, Washington, McGraw-Hill, 1974, XVI, p. 436 ; G. THILS, « La commu-
nauté ecclésiale, sujet d’action et sujet de droit  », Revue théologique de Louvain, 1973, 4 (4),
p. 443-468 ; W. PIWOWARSKI, « Le principe de subsidiarité et l’Église », Collectanea theolo-
gica, 1975, 45, p. 103-119 ; J. KRUCINA, « Das Verhältnis von Gesamtkirche und Ortskirche im
Lichte des Subsidiaritätsprinzips », ibid., p. 121-133 ; J. N. SCHASCHING, « Das Subsidiarität-
sprinzip in der Soziallehre der Kirche », Gregorianum, 1988, 69 (3), p. 413-433.
262 La subsidiarité catholique...

gations romaines ont admis dans leurs rangs un certain nombre d’évêques
diocésains et se sont déchargées d’une partie de leurs missions sur les confé-
rences épiscopales ; les évêques partagent leurs responsabilités avec le conseil
presbytéral ; les prêtres confient certaines fonctions aux diacres ; les laïcs
prennent une part active à la célébration liturgique. Aucun besoin de recourir
à un concept de philosophie sociale, conclue-t-on, fût-elle celle du magistère
pontifical.
La troisième catégorie : celle des théologiens qui acceptent l’idée de sub-
sidiarité ecclésiale mais en la redéfinissant dans un sens minimaliste1. De la
subsidiarité, ils veulent bien retenir un esprit mais refusent de lui conférer
une portée susceptible de préjudicier à la définition communielle de l’Église.
Autant de vie propre que possible pour l’Église locale ; autant de pouvoir
pontifical que nécessaire pour assurer l’unité de l’Église et le bien commun
spirituel. Oui à une application de la subsidiarité dans l’Église, mais sous
certaines réserves qui doivent la rendre conciliable avec les données de l’ec-
clésiologie catholique.
La dernière catégorie, résiduelle, rassemble les quelques théologiens parti-
sans de la subsidiarité ecclésiale. Très rares, en effet, sont ceux qui, dans la
ligne d’un Hans Küng, s’obstinent à reprendre la définition profane du
concept pour l’appliquer à l’Église2.
Autant dire que, passés tous ces filtres doctrinaux de l’après-Concile, le
sens maximaliste de la subsidiarité comme vision globale de l’Église a pure-
ment et simplement été disqualifié. L’essentiel des théologiens a rejoint le
point de vue romain pour prendre en étau les quelques argumentaires qui
défendent encore une vision plus ou moins fédérale de l’Église3. Aussi ne res-
tera-t-il plus au Vatican qu’à constater l’inutilité de la subsidiarité ecclésiale.
Désormais réduite à une simple règle de bon sens, à une évidence décentrali-
satrice bien peu engageante, à une célébration sans conséquence du plura-
lisme de la vie ecclésiale (nations, aires culturelles et/ou linguistiques, conti-
nents), elle se contente de résumer d’une formule rhétorique un ensemble
de thématiques conciliaires liées au développement de la collégialité, à la mise
en valeur du laïcat, à la responsabilisation des fidèles ou à la rationalisation
des attributions romaines4.

1. Cf. R. METZ, « La subsidiarité, principe régulateur des tensions dans l’Église », art. cit.
2. Cf., par exemple, les deux théologiens hollandais déjà cités : A. LEYS, Ecclesiological Impacts
of the Principle of Subsidiarity, op. cit. ; P. HUIZING, « La subsidiarité », art. cit.
3. Cf., par exemple, l’appel des évêques latino-américains en faveur d’une plus grande participa-
tion des prêtres et des laïcs aux décisions relatives à la vie de l’Église («  Evangelization in the
Latin American Church : Communion and Participation », Puebla and Beyond. Documentation
and Commentary, éd. J. EAGLESON, P. J. SCHARPER, trad. angl. J. Drury, Maryknoll, New
York, Orbis Books, 1979, p. 203-262). Il se heurtera à une fin de non-recevoir pontificale.
4. Le théologien Wladyslaw Piwowarski identifie trois problématiques cristallisées par la subsi-
diarité : la décentralisation en faveur des différents échelons de la vie ecclésiastique ; la réduction
du système bureaucratique de l’Église ; la stimulation des initiatives laïques pour l’œuvre du
Salut (W.  PIWOWARSKI, «  Le principe de subsidiarité et l’Église  », art. cit.). En matière de
laïcat, cf. Y. M.-J. CONGAR, Jalons pour une théologie du laïcat, Paris, Le Cerf, 1964.
Subsidiarité et société ecclésiale. La contradiction pontificale 263

2. JEAN-PAUL II ET LA REPRISE EN MAIN RATZINGÉRIENNE

Il y a le moment conciliaire, et il y a sa mise en œuvre concrète. Si, sur le


terrain des représentations symboliques et de l’affirmation dogmatique, le
Concile marque à coup sûr un tournant important, il s’inscrit par ailleurs
dans un registre de grande continuité. Pour le comprendre, il faut se tourner
vers la réception de Vatican II1, et considérer la place centrale qu’a pu y
prendre l’enjeu de la subsidiarité. Réception du Concile, en effet : il a fallu
attendre les synodes des années 1970, la réforme du Code de droit canonique
et surtout le synode extraordinaire de 1985 pour qu’une réflexion appro-
fondie soit expressément consacrée à la question de la validité ecclésiologique
du principe de subsidiarité2. Le mouvement débouchera sur un résultat sans
ambiguïté mettant fin aux incertitudes conciliaires  : l’existence de l’Église
s’origine dans la volonté de Dieu ; naturellement fondée, sa structure hiérar-
chique exclut par construction qu’on lui applique une norme valable pour le
seul monde profane. Pie XII ne disait pas autre chose en 1946. Force est ainsi
d’observer la constance du souci pontifical : endiguer les déstabilisations cen-
sées venir de toutes parts, le plus souvent fantasmées  : désinstitutionnalisa-
tion3, banalisation, démocratisation de l’Église. Le sentiment du danger mon-
tera en puissance au sein de la hiérarchie romaine, qui finira par se cristalliser
autour d’une mise en cause de certains acquis conciliaires  : Vatican II ne
comportait-il pas le risque de retirer à l’Église le fondement divin de sa légiti-
mité institutionnelle ?
Tout se joue, ici, sous le pontificat de Paul VI, qui pose l’essentiel des
termes juridiques de la réception concrète du Concile, et contribue à ouvrir
une brèche dans son édifice dogmatique. Nous rappelions plus haut que le
mot subsidiarité se signalait par sa grande absence des textes fondateurs de
l’ecclésiologie conciliaire. Dès 1967, cependant, il sera invoqué lors de la pre-
mière session ordinaire du synode des évêques, qui marque le point de départ
d’une dispute théologique de près de vingt ans. D’un côté, le discours épis-
copal : le rapport du synode de 1974, par exemple, qui mentionne la subsidia-
rité à cinq reprises, exprimant le vœu que «  le principe [...] soit vraiment

1. Sur l’enjeu de la réception du Concile Vatican II, cf. G.  ALBERIGO, J.-P.  JOSSUA, dir.,
La Réception de Vatican II, op. cit. ; C. THEOBALD, La Réception de Vatican II, I. Accéder
à la source, Paris, Le Cerf, 2009. En complément, cf. également P.  BORDEYNE, L.  VIL-
LEMIN, dir., Vatican II et la théologie. Perspectives pour le XXIe  siècle, Paris, Le Cerf, 2006 ;
H. LEGRAND, « Herméneutique et vérité des énoncés dogmatiques en contexte œcuménique.
Démarches catholiques actuelles », Recherches de science religieuse, 2006, 94 (1), p. 53-76.
2. Les synodes extraordinaires ont été créés par Jean-Paul II. La structure synodale a été créée
par Paul VI à la suite de Vatican II. Un synode réunit environ 300 évêques, élus par leurs pairs,
pour traiter, dans un but consultatif, d’une question spécifique qui intéresse la vie de l’Église (par
exemple, la collégialité en 1969, le sacerdoce et la justice en 1971, l’évangélisation en 1974, la
catéchèse en 1977, la famille en 1980, la réconciliation et la confession en 1983).
3. Le concept de désinstitutionnalisation est emprunté à Danièle Hervieu-Léger mais nous le
chargeons d’un sens normatif dans la bouche des papes qui est bien sûr absent sous sa plume. La
sociologue des religions propose le mot désinstitutionnalisation comme alternative à un concept
de sécularisation devenu le lieu commun que l’on sait (D. HERVIEU-LÉGER, Vers un nouveau
christianisme, Paris, Le Cerf, 1986 ; La Religion pour mémoire, Paris, Le Cerf, 1993).
264 La subsidiarité catholique...

appliqué et qu’une décentralisation s’instaure de telle sorte que les Églises


locales puissent assumer les responsabilités qui leur appartiennent  »1. De
l’autre, le discours pontifical qui, imperturbablement, se réclame de la réserve
pacellienne. Tout se passe comme si la moindre audace épiscopale devait en
permanence être tempérée par un rappel à l’ordre de l’orthodoxie pontificale.
Outre les extraits des discours prononcés par Paul VI lors du synode de
19692, mentionnons un Motu proprio de la même année, Sollicitudo omnium
ecclesiarum, dans lequel le Pape réaffirmait avec solennité le caractère de
societas perfecta de l’Église, laissant ainsi s’exprimer ses doutes au sujet des
prolongements trop hétérodoxes de Vatican II3. En apparence, le propos ne
sort pas du discours habituel : il ne saurait être accepté par le Pape, lit-on, que
la subsidiarité devienne un instrument de contestation de l’autorité romaine
au sein de l’Église, au risque, sinon, pour le Pontife de scier la branche sur
laquelle il est assis. Mais, à bien y regarder, et en considérant l’ensemble du
pontificat montinien, le propos de Paul VI dépasse de loin cette crainte légi-
time. En 1971, à l’occasion d’une adresse aux délégués des conférences épis-
copales d’Europe, le ton se fait particulièrement explicite :
«  Les réactions négatives auxquelles nous avons fait allusion semblent aussi
viser la dissolution du magistère ecclésiastique, par de mauvaises compréhen-
sions qui conçoivent le pluralisme comme la libre interprétation des doctrines
ou la tolérante coexistence d’idées opposées, qui comprennent la subsidiarité
comme l’autonomie, qui regardent l’Église locale comme séparée, libre et auto-
nome ou s’écartent de l’enseignement sanctionné par des définitions pontificales
ou conciliaires4. »

1. SYNODE des ÉVÊQUES, 27  septembre-26  octobre 1974 (G.  CAPRILE, Il Sinodo dei
vescovi, Rome, La Civiltà cattolica, 1975, III, p. 939-940) : « Les relations entre les Églises locales
et le siège apostolique ont besoin d’être étudiées. L’Église universelle est la communion des
Églises locales, à laquelle l’Église de Rome et son évêque président comme principe de l’unité et
lien de la charité universelle. La réalité de l’Église locale doit être pleinement reconnue et son
autorité légitime doit être complètement reconnue et promue. Cela exige que le principe de sub-
sidiarité soit vraiment appliqué et qu’une décentralisation s’instaure de telle sorte que les Églises
locales puissent assumer les responsabilités qui leur appartiennent. En résumé, ce qui est exigé,
c’est que l’instance passe du centre aux Églises locales, au niveau national, régional et diocésain. »
(cité dans J. A. KOMONCHAK, « Le principe de subsidiarité et sa pertinence ecclésiologique »,
Les Conférences épiscopales, op. cit., p. 414).
2. Cf. les citations placées en exergue de ces développements.
3. PAUL VI, Motu proprio Sollicitudo omnium ecclesiarum, 24  juin 1969, Acta Apostolicae
Sedis, 1969, LXI, p. 473-484. Ce texte semble contredire les précédents, qui insistaient tous sur la
nécessaire décentralisation des compétences au sein de l’appareil ecclésial (PAUL VI, Motu pro-
prio Pastorale munus, 30 novembre 1963, Acta Apostolicae Sedis, 1964, LVI, p. 5-12 ; PAUL VI,
Motu proprio De Episcoporum muneribus, 15 juin 1966, ibid., 1966, LVIII, p. 467-472 ; PAUL
VI, Motu proprio Ecclesia sanctae, 6 août 1966, ibid., 1966, LVIII, p. 757-787).
4. PAUL VI, Discours aux délégués des conférences épiscopales d’Europe, 25  mars 1971 (cité,
sans indication des références, dans J. A. KOMONCHAK, « Le principe de subsidiarité et sa
pertinence ecclésiologique  », Les Conférences épiscopales, op. cit., p.  413-414, n.  53). Dans la
même veine, cf. une étude de Jean Beyer  : J.  BEYER, «  Paul VI et le droit de l’Église  », Les
Quatre Fleuves, 1983, 18, p.  43-75. Pour une compilation des principales allocutions monti-
niennes en matière de droit ecclésial, cf. PAUL VI, Allocutiones de iure canonico, Rome, Presses
de l’Université grégorienne, 1980. Parmi les vingt-deux discours réunis, renvoyons surtout à
quatre d’entre eux, qui témoignent d’un certain raidissement canonique à partir du tout début
des années 1970 : 8 février 1973, 17 septembre 1973, 4 février 1977, 19 février 1977.
Subsidiarité et société ecclésiale. La contradiction pontificale 265

De manière générale, le tout début de la décennie 1970 assistait à l’éclosion


d’une nouvelle lame de fond doctrinale, qui allait devenir puissante, tendant à
recentrer l’ecclésiologie conciliaire autour du mot d’ordre communiel. L’évo-
lution intellectuelle du Père Henri de Lubac fait ici figure d’exemple  : dès
1971, le nouveau Cardinal qui fut l’un des grands inspirateurs du ressource-
ment conciliaire, allait désormais jusqu’à prôner un retour critique sur
Vatican II, non par nostalgie de l’ancien monde qu’il avait activement
combattu, mais par crainte d’un éclatement de la communion ecclésiale nou-
vellement définie1. L’année suivante, en 1972, Hans Urs von Balthasar et Jean
Daniélou lançaient le mouvement Communio avec l’objectif non dissimulé
de faire contrepoids à la revue Concilium, de tendance progressiste2. Porté
par cette vague révisionniste, le Siège romain s’emploiera dès lors à agiter le
spectre du relativisme ecclésiologique pour justifier après-coup un retour aux
belles heures de la centralisation romaine. La réception jean-paulinienne du
Concile ne fera que radicaliser cette nouvelle ligne déjà en gestation sous
le pontificat montinien : temps de la rupture avec l’incertitude, temps de la
rupture avec un certain « esprit »3.
Plus encore que celui du Cardinal de Lubac, l’itinéraire de Joseph Rat-
zinger est tout à fait exemplaire de l’attitude des papes de la période post-
conciliaire, en particulier de la crispation centralisatrice de Jean-Paul II, qu’il
a grandement contribué à alimenter en tant que Préfet de la Congrégation
pour la doctrine de la foi. Expert du Cardinal Joseph Frings, l’un des chefs de
file du courant réformateur, le futur Benoît XVI s’était personnellement dis-
tingué dans les discussions conciliaires en défendant une vision très démocra-
tique — presque küngienne — de l’Église4. Mais, dès la fin des années 1960,
interloqué par la contestation estudiantine de 1968, le théologien de Tübingen
rectifie le tir sans plus attendre. Se sentant de plus en plus isolé au sein de la
bouillonnante Université Eberhard Karl, le doyen Ratzinger n’hésite pas à
rompre avec son collègue Hans Küng et à se replier sur ses terres bavaroises,
où il trouvera une atmosphère moins contestataire et accédera bientôt au car-
dinalat. À partir des années 1970, au rythme de son ascension sacerdotale, il
ne cessera d’exprimer son inquiétude devant les effets d’une lecture jugée
trop libérale du Concile5 ; lecture qu’il n’avait, semble-t-il, pas pressentie sur

1. H. de LUBAC, Les Églises particulières dans l’Église universelle, Paris, Aubier, 1971.
2. Mouvement international, Communio donnera naissance à différents débranchements natio-
naux, principalement sous la forme de périodiques. La déclinaison française, autour de laquelle
graviteront des philosophes comme Jean-Luc Marion, Claude Bruaire et Rémi Brague, voit le
jour en 1975. Résumant les options de Communio d’une formule volontairement polémique,
Jean-Louis Schlegel parlera de théologie « néoconservatrice » (J.-L. SCHLEGEL, « Dieu sans
l’Être. À propos de Jean-Luc Marion  », Esprit, 1984, 86, p.  26-36). De manière plus générale,
cf. P. DENIS, F. X. HUBERLANT, « Le mouvement Communio », ibid., p. 11-25.
3. J. RATZINGER, Entretien sur la foi [1985], trad. fr. É. Gagnon, Paris, Fayard, 1985, p. 31.
4. Essentiellement lors du débat sur le texte de Lumen gentium. Notons aussi que le Cardinal
Frings s’était fait connaître lors d’un discours très critique à l’égard du Saint-Office (l’actuelle
Congrégation pour la doctrine de la foi) écrit de la main même de son expert Joseph Ratzinger.
5. Cf., par exemple, J.  RATZINGER, La Foi chrétienne  : hier et aujourd’hui [1968], trad. fr.
E.  Ginder, P.  Schouver, Paris, Le Cerf, 2005 ; Entretien sur la foi, op. cit. ; J.  RATZINGER,
H. MAIER, Démocratisation dans l’Église ?, Paris, Apostolat des Éditions, 1972. Relevons ici la
266 La subsidiarité catholique...

le moment. Une fois parvenu aux plus hauts sommets de l’appareil bureau-
cratique du Vatican, il conclura sa rupture personnelle avec Hans Küng en
condamnant officiellement les thèses de son ancien ami universitaire, au pre-
mier rang desquelles la subsidiarité ecclésiale1.
Deux axes déployés dès les premiers pas du présent règne pontifical s’ins-
crivent, à n’en pas douter, dans la continuité de la stratégie ratzingérienne :
d’une part, le souci de limiter l’innovation liturgique par la revalorisation
partielle du rite tridentin, voire de la messe en latin2 ; d’autre part, l’insistance
sur la responsabilité personnelle de l’évêque contre une dangereuse tendance
à sa dilution dans la collégialité épiscopale3.

Dix ans suffiront, sous le pontificat de Jean-Paul II, à disqualifier toute


idée de subsidiarité ecclésiale. Dix ans qui confirmeront combien, avec la
subsidiarité, ce n’était rien de moins qu’un enjeu central de l’interprétation
doctrinale et de la réception pontificale de Vatican II qui était cristallisé.
Jusqu’au milieu des années 1980, quelques théologiens y sont encore récep-
tifs, moyennant, bien sûr, une redéfinition minimaliste du principe capable
de faire droit aux exigences spécifiques de l’ecclésiologie catholique. Il n’en
va plus du tout de même à partir de 1985, quand le règne wojtylien a atteint
son plein rythme de croisière.
Non sans artifices, nous retiendrons trois étapes intermédiaires du repli
doctrinal, dont la dernière culmine en 1988 avec le congrès de Salamanque
consacré à la question spécifique, ô combien disputée, des conférences épis-
copales. Réunis à l’initiative de la Grégorienne (Rome) et de trois autres
grandes universités catholiques (Eischstatt, Paris et Washington), canonistes
et théologiens s’accordent alors sur un constat d’impuissance  : le caractère
définitivement insurmontable de leurs divergences ecclésiologiques4. Tout à
fait représentatifs sont, à cet égard, les propos conclusifs de l’Américain
Joseph Komonchak, auteur d’une note préparatoire déjà citée. Sa recomman-
dation tombe comme un verdict : l’« ajournement du jugement théorique sur

parenté avec le dernier ouvrage de Maritain, dont le ton se fait très désabusé, comme l’indique
bien le sous-titre lui-même : Un vieux laïc s’interroge à propos du temps présent (J. MARITAIN,
Le Paysan de la Garonne. [1966], Œuvres complètes, op. cit., XII, p. 663-1013).
1. Aux côtés du Cardinal Franjo Seper, son prédécesseur à la Congrégation pour la doctrine de
la foi, et de Jérôme Hamer, qui deviendra son collaborateur  : F.  SEPER, Instruction de la
Congrégation pour la doctrine de la foi Declaratio de quibusdam capitibus doctrinae theologiae
professoris Ioannis Küng, qui, ab integra fidei catholicae veritate deficiens, munere docendi, qua
theologus catholicus, privatus declaratur, 15  décembre 1979, Acta Apostolicae Sedis, 1980,
LXXVII, p.  90-92 (La Documentation catholique, 1980, 77, p.  71-72). Cinq ans auparavant  :
Declaratio de duobus operibus professoris Ioannis Küng in quibus continentur nonnullae opi-
niones quae doctrinae Ecclesiae Catholicae opponuntur, 15 février 1975, Acta Apostolicae Sedis,
1975, LXVII, p. 203-204 ; La Documentation catholique, 1975, 72, p. 258-259).
2. Ne dissimulant pas sa nostalgie pour certains fastes tridentins, Joseph Ratzinger a par exemple
eu l’occasion d’exprimer ses réticences à propos de la posture du prêtre tourné vers les fidèles, et
non plus vers l’Autel — c’est-à-dire vers Dieu —, comme dans la liturgie préconciliaire.
3. Cf. VATICAN II, Constitution sur la sainte liturgie Sacrosanctum concilium, 4  décembre
1963, Acta Apostolicae Sedis, 1964, LVI, p. 97-113, Sacrosanctum Œcumenicum Concilium Vati-
canum II, 1966, p. 3-29 (in H. DENZINGER, 4001-4048, p. 853-863).
4. Cf. H. LEGRAND, et al., Les Conférences épiscopales, op. cit., ch. 4.
Subsidiarité et société ecclésiale. La contradiction pontificale 267

la subsidiarité »1. Aucune prise de position isolée, ici, mais bien au contraire


l’expression même du point de vue pontifical. Il n’y a plus guère que les
groupes anglophones et germanophones, traditionnellement hostiles au cen-
tralisme, qui semblent encore se référer à la subsidiarité. Toutes les autres
délégations se font l’écho, plus ou moins suiviste, de la position romaine, à
commencer par les groupes français et latins. Le constat de ce net recul en
matière de subsidiarité ecclésiale prend d’autant plus de relief que le congrès
donne par ailleurs dans l’audace théologique en recommandant, contre l’avis
de Rome, en particulier celui du Cardinal Ratzinger2, de conférer une véri-
table autorité doctrinale aux conférences épiscopales.
Le coup de grâce préfectoral sera donné quatre ans plus tard en 1992.
Entre-temps, deux étapes intermédiaires jalonnent les dix premières années
du pontificat de Jean-Paul II  : 1983 et 1985. La première séquence corres-
pond à la réforme du Code de droit canonique (Codex iuris canonici) entamée
dès la fin du Concile et achevée en 1983. Au moment de lancer les travaux, le
discours officiel est encore ouvert à la subsidiarité3. Conformément à une
disposition expresse du synode de 1967, le nouveau code, proclame-t-on
dans un propos liminaire, fera toute sa place au principe de subsidiarité :
« [Il] confiera aux droits particuliers ou au pouvoir exécutif le soin de tout ce
qui n’est pas nécessaire à l’unité de la discipline de l’Église universelle, de
manière à pourvoir convenablement à une saine “décentralisation” [...] en évi-
tant tout danger de désagrégation ou de constitution d’Églises nationales4. »

1. J. A. KOMONCHAK, « Le principe de subsidiarité et sa pertinence ecclésiologique », Les


Conférences épiscopales, op. cit., p. 444. « Sur le plan théorique, écrit le Père Joseph Komonchak,
je suis enclin à penser que la question de l’applicabilité de la subsidiarité n’est pas encore mûre
pour une solution. De trop nombreuses questions d’ecclésiologie et de philosophie sociale sous-
jacentes ont besoin au préalable d’être identifiées et examinées. » (Ibid., p. 442).
2. Joseph Ratzinger a toujours été soucieux de préserver l’authenticité théologique du collège
des évêques et d’éviter ainsi toute confusion avec la structure synodale (J. RATZINGER, « Les
implications pastorales de la doctrine de la collégialité des évêques  », Concilium, 1965, 1,
p. 33-55 ; « La collégialité épiscopale, développement théologique », L’Église de Vatican II, dir.
G. BARAUNA, Y. M.-J. CONGAR, op. cit., p. 763-790). Les conférences épiscopales, a-t-il pu
dire en 1985, « ne font pas partie de la structure irréfragable de l’Église telle que l’a voulue le
Christ » (J. RATZINGER, Entretien sur la foi, op. cit., p. 67). Rappelons que certaines confé-
rences épiscopales ont existé avant Vatican II mais que la structure en elle-même n’avait pas été
consacrée (VATICAN II, Christus dominus ; Synode extraordinaire, p. 602-694).
3. Cf. R.  METZ, «  Le principe de subsidiarité et la révision du droit de l’Église  », Mélanges
L. Falletti, Paris, Dalloz, 1971, II, p. 377-388 ; « La subsidiarité, principe régulateur des tensions
dans l’Église », Revue de droit canonique, 1972, 22 (2-3), p. 155-176.
4. Lors de la séance plénière du 7 octobre 1967, les évêques se sont prononcés sur la méthode à
suivre pour la révision du code de droit canonique. À la quasi-unanimité (186 sur 187, dont 58
avec des réserves), ils ont opté pour l’adoption du principe de subsidiarité, en en faisant le cin-
quième principe directeur de la révision du code (intitulé De l’application nécessaire du principe
de subsidiarité) : « On apportera une attention particulière au principe qui découle du précédent
et qu’on appelle principe de subsidiarité ; ce principe doit être appliqué dans l’Église avec d’au-
tant plus de raison que la fonction des évêques, avec les pouvoirs qui y sont attachés, est de droit
divin ; en vertu de ce principe et pourvu que l’unité législative et le droit universel et général soit
respectés, la convenance et la nécessité s’accordent pour pourvoir aux intérêts de chaque institu-
tion précise par le moyen de droits particuliers et par une saine autonomie du pouvoir exécutif
particulier qui leur est reconnu.  » (JEAN-PAUL II, dir., Code de droit canonique, p.  XXII).
Aucune entrée subsidiarité à signaler dans l’index analytique (Ibid., p. 348).
268 La subsidiarité catholique...

Certes, l’objectif était bien de laisser une plus grande latitude et une plus
large autonomie aux législations particulières, en adaptant le droit de l’Église
à la nouvelle situation postconciliaire (le Code de 1983 est au Concile
Vatican II ce que le Code de 1917 était au Concile Vatican I). Mais, passé le
préambule — sans valeur juridique —, le mot subsidiarité brille par son
absence dans les dispositions canoniques réellement exécutoires. On y parle
de «  saine  » autonomie et de décentralisation, point de subsidiarité1. Si le
Code de 1983 devait prendre acte des changements introduits par Vatican II,
il sera surtout tributaire des débats postérieurs sur leur interprétation2. Simple
reproduction du compromis de Lumen gentium, il fait coexister les deux
modèles théologiques évoqués plus haut — ecclésiologie de la societas dans
les livres I, V, VI et VII ; ecclésiologie de la communio dans les livres II, III,
IV — pour, in fine, sans grande surprise, trancher en faveur de la seconde. Le
Cardinal Rosalio José Castillo Lara lui-même, Pro-président de la Commis-
sion pontificale pour l’interprétation du Code de droit canonique, n’a rien
fait pour dissimuler son hostilité à la subsidiarité ecclésiale3. Aussi retrou-
vons-nous ici le diagnostic établi par les canonistes et autres historiens du
droit de l’Église : la parfaite concomitance historique entre centralisation du
pouvoir pontifical et codification du droit canonique4.
Deuxième étape, le synode tenu à Rome en novembre-décembre 1985
entièrement consacré à la célébration du vingtième anniversaire de la clôture
de Vatican II. Dans un contexte de crispations grandissantes autour des
enjeux soulevés, outre-Atlantique, par la théologie de la libération, le ton du
repli devient particulièrement explicite. La hiérarchie romaine avait jusque là
été très timorée dans ses rappels à l’ordre ; le Préfet Ratzinger ouvre désor-
mais une ère, celle de la réticence décomplexée. Alors que les synodes de
1967, 1974 et 1977 débattaient encore, de manière ouverte et officielle, de la
question de la subsidiarité ecclésiale, le rapport final du synode extraordi-

1. Cf. J. BEYER, « Le nouveau code de droit canonique », Nouvelle revue théologique, 1984,
106 (3), p. 360-382, p. 566-583. L’autonomie est pourtant un concept politique hautement pro-
blématique (on connaît désormais le sens donné à l’épithète sain par le catholicisme officiel).
2. Sur ce point, cf. la synthèse du Père Joseph Komonchak (J. A. KOMONCHAK, « Vatican II
and the New Code », Archives de sciences sociales des religions, 1986, 62 (1), p. 107-117).
3. Cf. deux textes en particulier  : R.  J. CASTILLO  LARA, «  La subsidiarité dans l’Église  »,
La Subsidiarité. De la théorie à la pratique, op. cit., p. 153-179 ; « La communion ecclésiale dans
le nouveau Code de droit canonique », Studia canonica, 1983, 17 (2), p. 331-335.
4. Pour une analyse de l’après-Vatican I qui conduira au Code de 1917, cf. R. METZ, « Pouvoir,
centralisation et droit. La codification du droit de l’Église catholique au début du xxe siècle »,
Archives de sciences sociales des religions, 1981, 51 (1), p. 49-64 ; « La codification du droit de
l’Église catholique au début du xxe siècle, à la fois résultat et expression du pouvoir pontifical et
de la centralisation romaine », Mélanges B. Paradisi, Florence, Olschki, 1982, II, p. 1069-1082.
Pour une analyse de la période post-tridentine, moment de l’autonomisation du droit canonique,
outre Jean Gaudemet (J.  GAUDEMET, «  La contribution des romanistes et des canonistes
médiévaux à la théorie moderne de l’État », ibid., I, p. 1-36), cf. A. DUPRONT, « Le Concile de
Trente » [1960], Genèse des Temps modernes, op. cit., p. 173-206 ; P. PRODI, « La souveraineté
temporelle des papes et le Concile de Trente » [1979], Christianisme et monde moderne, trad. fr.
A. Romano, Paris, Gallimard, Le Seuil, 2006, p. 179-194 ; « Le souverain pontife » [1986], ibid.,
p. 195-216 ; G. FRANSEN, « L’application des décrets du Concile de Trente. Les débuts d’un
nominalisme canonique », L’Année canonique, 1983, 27, p. 5-16.
Subsidiarité et société ecclésiale. La contradiction pontificale 269

naire de 1985 n’hésite pas revenir sur l’ensemble du travail théologique


effectué depuis 1967 et à conclure la discussion sur une note pour le moins
définitive1. À considérer les débats eux-mêmes, rien ne laissait présager un tel
résultat. Accoutumée aux techniques les plus élémentaires de la centralisa-
tion, l’attitude du Vatican consista simplement à mettre en évidence les oppo-
sitions grandissantes entre les évêques eux-mêmes pour mieux passer outre
les différentes consultations préparatoires qui avaient été menées auprès des
Églises locales2. Savamment orchestrée par le centre romain, la neutralisation
de ces discordances épiscopales laissait dès lors le champ libre aux opposants
traditionnels à la subsidiarité ecclésiale. Proche du Préfet Ratzinger, le Car-
dinal Jérôme Hamer, chef du Dicastère des religieux, n’attend même pas l’ou-
verture du synode pour exprimer sa position devant le collège cardinalice
réuni à Rome3. La conclusion du travail synodal avait pour ainsi dire été
annoncée avant même le début des discussions.
En l’espace de deux ans, le basculement se fait particulièrement accusé  :
d’un côté, la préface du Code de 1983 qui érigeait encore la subsidiarité en
un principe directeur de la révision du droit canon ; de l’autre, le synode de
1985 qui, à rebours, pose la question de sa validité ecclésiologique4. Aussi le
document final de 1985 ne pouvait-il marquer qu’un net recul par rapport à la
position d’esprit conciliaire exposée en 1967 :
« L’appel généralisé et indifférencié au principe de subsidiarité semble bien être
une fausse piste [...]. Il s’agit là d’une anthropologie, vraie au niveau des réa-
lités sociales et politiques, mais qui ne s’applique pas à la réalité sacramentelle
de l’Église. Faire appel au principe de subsidiarité ramènerait dans l’Église des
conceptions d’une autorité pyramidale que l’on a voulu éliminer5. »
La stratégie de reprise en main postconciliaire bat son plein, quand sur-
vient le coup de grâce ratzingérien6. Devenu Préfet de la Congrégation pour

1. Cf. P.  LADRIÈRE, «  Le catholicisme entre deux interprétations de Vatican II. Le synode
extraordinaire de 1985 », Archives de sciences sociales des religions, 1986, 62 (1), p. 9-51.
2. Selon la procédure habituelle prévue pour l’organisation et la tenue des synodes. 1o Sous la
houlette du Secrétariat général, des Lineamenta préparatoires commencent par établir un pre-
mier inventaire des problèmes à traiter. 2o Les différents retours et réactions des évêques servent
à mettre au point le document de travail (Instrumentum laboris) remis aux Pères synodaux
(SYNODE EXTRAORDINAIRE des ÉVÊQUES, 24  novembre-8  décembre 1985 ; Synode
extraordinaire. Célébration de Vatican II, p. 79, p. 81, p. 127-128, p. 229, p. 239, p. 274).
3. J.  HAMER, Discours à la réunion plénière (SYNODE EXTRAORDINAIRE des
ÉVÊQUES, 1985, Célébration de Vatican II, p. 598-604). Joël Benoît d’Onorio souligne que la
réticence du Cardinal Hamer était très ancienne, citant à l’appui l’une de ses publications parues
en 1962 dans le numéro  46 de la Revue des sciences philosophiques et théologiques (J.  B.
d’ONORIO, Le Pape et le gouvernement de l’Église, Paris, Fleurus, Tardy, 1992, p. 201, n. 17).
4. SYNODE EXTRAORDINAIRE des ÉVÊQUES, 1985 (Célébration de Vatican II, p. 30).
«  Il est recommandé d’enquêter sur la question de savoir si le principe de subsidiarité valable
dans la société humaine est également d’application dans l’Église et, dans l’affirmative, dans
quelle mesure et dans quel sens son application est possible et éventuellement nécessaire. » (Ibid.,
p. 563). Cette citation est reprise dans l’introduction du même volume.
5. SYNODE EXTRAORDINAIRE des ÉVÊQUES, 1985 (Ibid., p. 523). Seul point d’ouver-
ture du synode, la demande d’une reconnaissance officielle des conférences épiscopales. On sait
l’écho doctrinal rencontré par ce mot d’ordre mais aussi la fin de non-recevoir pontificale.
6. Cf., ici, la démonstration de Danièle Hervieu-Léger (D. HERVIEU-LÉGER, « Jean-Paul II :
la stratégie de concentration catholique », L’Année sociologique, 1988, 38, p. 213-231).
270 La subsidiarité catholique...

la doctrine de la foi en 1981, le Cardinal Joseph Ratzinger use de toute son


influence pour stopper les élans subsidiaristes. En 1983, il était déjà aux
commandes pour la promulgation du nouveau Code de droit canonique (nous
avons rappelé la place qu’il réservait au principe). Dans la foulée immédiate, il
s’attelait à l’élaboration du nouveau Catéchisme de l’Église catholique. En
1992, l’année de sa promulgation, le futur Benoît XVI s’adressait également
aux évêques pour réaffirmer avec solennité la définition communielle du corps
ecclésial et réorienter par là les principes conciliaires de l’«  in quibus  »-
« ex quibus » dans un sens laissant désormais bien peu de place à l’idée de sub-
sidiarité1. L’Église universelle, rappelait alors le gardien du dogme, ne fournit
pas une aide subsidiaire dans le cheminement vers le Salut ; elle dispose, tout
au contraire, d’une priorité ontologique. Elle ne saurait pas s’épuiser dans la
somme des Églises particulières ni dans leur aléatoire combinaison ; elle se
contente, pourrait-on dire avec ironie, de précéder chronologiquement et
ontologiquement chaque Église particulière. Convenons que, même en pre-
nant le contre-pied de Lumen gentium, le fonds de l’argumentaire ratzingé-
rien n’avait rien de très surprenant ; le plus significatif résidait peut-être dans
l’attachement redoublé du Préfet — et assumé comme tel — à stigmatiser un
certain « esprit » du Concile (fustiger, par exemple, cette idée bien malséante
selon laquelle Vatican II aurait fait émerger des « droits acquis » dans l’Église)
pour mieux en truster le sens, avoir les mains libres et imposer son interpréta-
tion orthodoxe. Dans cette entreprise de restauration de la vérité conciliaire, le
Cardinal Ratzinger s’est toujours défendu d’avoir troqué le progressisme
réformateur de sa jeunesse universitaire pour une quelconque forme d’intran-
sigeantisme conservateur ou de fixisme tridentin. Arguant que ses positions
n’ont jamais changé, que c’est bien plutôt l’interprétation du Concile qui a
dévié — et été dévoyée —, il justifie sa sagesse prudentielle en replaçant
Vatican II dans la longue et immuable tradition de l’Église.
La stratégie du Préfet se heurta bien sûr à des oppositions de poids. Son-
geons surtout à celle exprimée en 1992 par le Cardinal Walter Kasper, autre
ancien collègue de Tübingen qui fut d’ailleurs l’assistant du Professeur Küng2.

1. J.  RATZINGER, Lettre de la Congrégation pour la doctrine de la foi Communionis notio


(Lettre aux évêques sur certains aspects de l’Église comprise comme communion), 28 mai 1992,
Acta Apostolicae Sedis, LXXXV, p. 839-846 (in H. DENZINGER, 4920-4924, p. 1017-1019 ; La
Documentation catholique, 1992, 2055, p. 729-734). L’essentiel de cette lettre sera reprise dans
un Motu proprio de 1998 sur les conférences épiscopales (leur refusant tout fondement théolo-
gique)  : JEAN-PAUL II, Motu proprio Apostolos suos, 21  mai 1998, Acta Apostolicae Sedis,
1998, XC, p. 641-658 (in La Documentation française, 1998, 95, p. 751-759).
2. Le débat de 1992 avait été précédé quelques années plus tôt par un échange d’articles entre le
même Cardinal Kasper et Jean Beyer, canoniste français proche du Vatican. Première salve du
débat en 1986-1987 : J. BEYER, « Principe de subsidiarité ou “juste autonomie” dans l’Église »,
Nouvelle revue théologique, 1986, 108 (5), p. 801-822 ; W. KASPER, « Der Geheimnischarakter
hebt den Sozialcharakter nicht auf », Herder Korrespondenz, 1987, 41 (5), p. 232-236. Seconde
salve en 1988-1989 : J. BEYER, « Le principe de subsidiarité : son application en Église », Grego-
rianum, 1988, 69 (3), p.  435-459 ; W.  KASPER, «  Zum Subsidiaritätsprinzip in der Kirche  »,
Communio, 1989, 18, p.  155-162. Quelques années plus tard  : W.  KASPER, «  Das Verhältnis
von Universalkirche und Ortskirche. Freundschaftliche Auseinandersetzung mit der Kritik
von Joseph Kardinal Ratzinger », Stimmen der Zeit, 2001, 125, p. 795-804. Dans la veine kas-
périenne, cf. O.  von  NELL-BREUNING, «  Subsidiarität in der Kirche  », Stimmen der Zeit,
Subsidiarité et société ecclésiale. La contradiction pontificale 271

Leur dispute théologique n’a pas cristallisé autour du seul enjeu de la subsi-
diarité ecclésiale, loin s’en faut, mais elle n’en mettait pas moins en cause les
quelques résidus conceptuels du principe ici ou là impliqués par la définition
conciliaire de l’Église. En tant que secrétaire spécial du synode extraordinaire
de 1985, le Cardinal Kasper avait déjà mesuré combien la relecture ratzingé-
rienne de la notion de communion comportait le risque de retourner le sens
et la portée de Lumen gentium. En 1992, prenant acte du coup de grâce qui
lui est donné, il livre un dernier combat et porte la contradiction au Préfet. Le
débat se crispe en particulier sur l’une des épines dorsales, la plus tranchante
peut-être, du dogme ratzingérien  : la précédence de l’Église universelle par
rapport aux Églises particulières1. Évidente, et désormais adossée à une lame
de fond presque incontestée, la victoire de la thèse préfectorale déploiera des
conséquences fatales pour la subsidiarité ecclésiale  : dans l’application du
principe à la hiérarchie catholique, martèle le futur Pape Benoît XVI, il n’y a
rien de moins qu’un grave danger d’autonomisation des communautés
locales, voire de nationalisation des Églises particulières2. Et le Préfet de rap-
peler à dessein les mots exacts de Pie XII sur le nécessaire respect de la nature
profonde de l’Église.
« L’Église du Christ, disait-il en 1985, n’est pas un parti, elle n’est pas une asso-
ciation, elle n’est pas un club  : sa structure profonde et intouchable n’est pas
démocratique mais sacramentelle et donc hiérarchique ; parce que la hiérarchie,
basée sur la succession apostolique, est une condition indispensable pour
atteindre à la force, à la réalité du sacrement3. »
Après Walter Kasper, un ultime récalcitrant d’envergure se risqua à défier
la ligne ratzingérienne, faisant ainsi état de sa marginalité : le Cardinal God-
fried Danneels, primat de Belgique, déjà partie prenante au débat en 1985
dans le camp des subsidiaristes4. En 2001, l’archevêque de Malines-Bruxelles
s’obstinait encore à invoquer le principe de subsidiarité lors des discussions

1986, 204 (3), p. 147-157 ; P. HUIZING, « La subsidiarité », art. cit. ; P. GRANFIELD, « The
Church Local and Universal  : Realization of Communion  », The Jurist, 1989, 49 (2), p.  449-
471 ; J.-M.  R. TILLARD, Église d’Églises. L’Ecclésiologie de communion, Paris, Le Cerf,
1987 ; L’Église locale. Ecclésiologie de communion et catholicité, Paris, Le Cerf, 1995.
1. À propos du débat suscité par la lettre Communionis notio, cf. S. LEFEBVRE, « Conflicting
Interpretations of the Council : The Ratzinger-Kasper Debate », Concilium, 2006, 1, p. 95-105 ;
G. ROUTHIER, « L’ecclésiologie catholique dans le sillage de Vatican II. La contribution de
Walter Kasper à l’herméneutique de Vatican II », Laval théologique et philosophique, 2004, 60 (1),
p. 13-51 ; K. McDONNELL, « The Ratzinger-Kasper Debate : The Universal Church and Local
Churches », Theological Studies, 2002, 63 (2), p. 226-250.
2. D’où l’intérêt grandissant porté à la structure synodale qui contribue indirectement à déna-
tionaliser les Églises locales pour mieux renforcer l’échelon diocésain. Cf. J.  PALARD, dir.,
Le Gouvernement de l’Église catholique. Synodes et exercice du pouvoir, Paris, Le Cerf, 1997 ;
« Les recompositions territoriales de l’Église catholique entre singularité et universalité », Actes
de la recherche en sciences sociales, 1999, 107 (1), p. 55-75 ; A. MELLONI, S. SCATENA, dir.,
Synod and Synodality. Theology, History, Canon Law and Ecumenism in New Context [2003],
Berlin, Munster, Lit, 2005 ; et, plus généralement sur l’idée de «  gouvernance unitaire  »,
Y. PALAU, « Du fédéralisme en milieu centralisé : le cas du mode de gouvernance unitaire de
l’Église catholique », Fédéralisme Régionalisme, 2009, 9 (2), 16 p.
3. J. RATZINGER, Entretien sur la foi, op. cit., p. 54.
4. Sur les appels du Cardinal à la subsidiarité ecclésiale, cf. J. GROOTAERS, « La collégialité
aux synodes des évêques. Un problème non résolu », Concilium, 1990, 230, p. 29-41, ici p. 31.
272 La subsidiarité catholique...

synodales. Mais, signe des temps nouveaux, cette référence, en forme de der-
nier baroud d’honneur, passa quasiment inaperçue et resta donc sans suite
(ou l’inverse). Disqualifié dans les cercles théologiques, disqualifiés dans les
cercles épiscopaux, le mot d’ordre de la subsidiarité ecclésiale n’est alors plus
disponible que pour les seuls laïcs se plaisant encore à rêver d’un retour à
l’Église du premier millénaire prégrégorien1.
À l’opposé, parmi les nombreux appuis théoriques du Préfet Ratzinger,
une note spéciale doit être réservée à Mgr Eugenio Corecco. Disparu en 1995,
il fut l’un des principaux continuateurs de Klaus Mörsdorf, grand prélat alle-
mand aujourd’hui oublié, qui, pendant près de vingt ans (1960-1979)2, présida
aux destinées des Archiv für katholisches Kirchenrecht, principal foyer
européen de résistance à la protestantisation du catholicisme, particulière-
ment en pointe dans le combat postconciliaire pour la recharge sacrale du
droit de l’Église. Vieille antienne de la pensée conservatrice (pensons à
Charles Maurras ou à Carl Schmitt) remise au goût du jour par Vatican II,
l’agitation du fameux spectre de la protestantisation prenait ici une résonance
toute particulière en devenant un puissant levier d’intimidation symbolique
dans les débats feutrés de la réception du corpus conciliaire3. D’une grande
simplicité, le message subliminal a su faire montre d’une efficacité redou-
table : une mauvaise interprétation du Concile pourrait tout droit conduire
à une victoire politique du protestantisme4. Ce protestantisme, religion de

1. Cf. sa reprise dans les débats de la revue Esprit : D. SEEBER, « La grande illusion du catholi-
cisme », trad. fr. J.-L. Schlegel, Esprit, 1988, 142, p. 69-79 ; J.-C. ESLIN, « Citoyen de la répu-
blique chrétienne ? Manifeste d’un catholique français », ibid., 1993, 190, p. 114-130.
2. Outre Mgr  Corecco, citons José Luis Gutierrez, Giuseppe Barberini, Pio Pampaloni, Giu-
seppe Alberigo, Pierre Eyt, tous proches de Klaus Mörsdorf (K.  MÖRSDORF, «  Wort und
Sakrament als Bauelemente der Kirche  », Archiv für katholisches Kirchenrecht, 1965, 134,
p. 46-53 ; « Kanonisches Recht als theologische Disziplin », ibid., 1976, 145, p. 45-58 ; « Das kon-
ziliare Verständnis vom Wesen der Kirche in der nachkonziliaren Gestaltung der kirchlichen
Rechtsordnung  », Zehn Jahre Vaticanum II, dir. J.  DÖPFNER, A.  BAUCH, Ratisbonne,
Pustet, 1976, p. 58-74 ; « Der Kirchenbann im Lichte der Unterscheidung zwischen äußerl und
inneren Bereich », Mélanges W. Onclin, Gembloux, Duculot, 1976, p. 37-49).
3. Cf. C.  SCHMITT, Römischer Katholizismus und politische Form [1923-1925], Stuttgart,
Klett-Cotta, 1984. Chez Carl Schmitt, la critique du protestantisme ne prend sens que dans son
cléricalisme antilibéral qui n’a rien, rappelons-le, du catholicisme évangélique. Comme Charles
Maurras, en effet, le juriste de Plettenberg admire l’Église catholique pour sa dimension juri-
dique d’institution, tout en disqualifiant une certaine interprétation angélique du message évan-
gélique. C’est avant tout parce qu’elle n’est pas une institution pluraliste que l’Église a droit à
toutes ses louanges. Aucune considération de contenu, donc. Pour le reste, la définition schmit-
tienne du politique en termes d’une irréductible antinomie ami-ennemi se révèle peu compatible
avec le principe sotériologique de l’égal amour du Père pour ses fils, tout comme elle prend diffi-
cilement place dans un schéma de secondarisation du politique. La révérence de Schmitt va
moins à la pensée catholique officielle de son temps qu’aux grands auteurs contre-révolution-
naires du xixe siècle (Joseph de Maistre, Louis de Bonald, Juan Francisco Donoso Cortès). Aussi
convient-il de ne pas superposer ce conservatisme cléricalo-antilibéral et l’antilibéralisme catho-
lique de gauche, celui d’un Johann Baptist Metz, par exemple, dont le message consiste pour
l’essentiel dans l’appel à une déprivatisation (Entprivatisierung) de la foi (J. B. METZ, Pour une
théologie du monde [1957-1968], trad. fr. H. Savon, Paris, Le Cerf, 1971).
4. Dans une veine assez comparable à celle de Klaus Mörsdorf, cf. les travaux d’un autre grand
canoniste allemand du xxe siècle, très proche de Carl Schmitt, Hans Barion — dont on pourra
reconstituer le dialogue avec le protestant Rudolph Sohm (H. BARION, Rudolph Sohm und die
Grundlegung des Kirchenrechts, Tübingen, Mohr, 1931) : H. BARION, « Ordnung und Ortung
Subsidiarité et société ecclésiale. La contradiction pontificale 273

l’État moderne, accusé d’avoir introduit un rapport purement instrumental et


utilitaire à la rationalité humaine ; ce protestantisme, principe même de l’indi-
vidualisme et du pluralisme, qui aurait détruit jusqu’à la racine l’ancienne
hiérarchie objective des valeurs, puis désubstantialiser l’ensemble des institu-
tions — étatique autant qu’ecclésiale. Avec son cortège de dérives sectaires
— dérives bien réelles ou dérives fantasmées —, le défi contemporain de
l’évangélisme protestant continue encore d’alimenter les angoisses apocalyp-
tiques de décomposition catholique1.

Avec le raffermissement wojtylo-ratzingérien de l’autoritarisme ecclésias-


tique, la contradiction ne pouvait que grandir entre une Église catholique,
qui, pour des raisons théologiques, accepte les valeurs et les institutions de
la modernisation politique, et une même Église qui refuse de démocratiser
sa propre organisation interne en agitant le spectre de la protestantisation.
Un temps, on avait cru la question réglée par Vatican II, mais la réception du
Concile a depuis rendu raison de cette erreur de diagnostic. Aux linéaments
montiniens, les prises de position pontificales de la nouvelle ère wojtylo-
ratzingérienne ajoutent une dimension supplémentaire  : quelque chose
comme une critique postmoderne de la modernité, un souci de tirer profit
des crises de la modernité libérale (celle de l’État, celle de la famille, celle du
capitalisme) pour mieux faire apparaître l’Église catholique comme l’antici-
pation collective de la Grande alternative sur la voie du Salut. Au fondement
de cette stratégie, qui a pour effet de renforcer au sein du catholicisme tous
les tenants du resserrement doctrinal, la certitude que le maintien d’une posi-
tion antimoderne, dans ce qu’elle a de tenable au milieu d’un monde libéral,
finira tôt ou tard par payer. Les fruits mûriront d’autant plus, pense-t-on
même en secret, que l’échec de la modernité deviendra patent aux yeux de ses
anciens thuriféraires. Trop de présence au monde, trop d’agenouillement
devant le monde, trop de compromission avec les réalités terrestres : tout cela
nuirait à un authentique surplomb spirituel, consubstantiel à la position de
recours providentiel. Laquelle position supposerait idéalement le maintien
d’une inaccessibilité définitive de l’absolu divin2.

im kanonischen Recht  », Festschrift C.  Schmitt, éd. H.  BARION, E.  FORSTHOFF,
W.  WEBER, Berlin, Duncker und Humblot, 1959, p.  1-54 ; «  Kirche oder Partei ? Römischer
und politische Form », Der Staat, 1965, 4, p. 131-176 ; « Das konziliare Utopia. Eine Studie zur
Soziallehre des II. Vatikanischen Konzils », Festschrift E. Forsthoff, Munich, Beck, 1967, p. 187-
233 ; « Weltgeschichtliche Machtform ? Eine Studie zur politischen Theologie des II. Vatikani-
schen Konzils », Epirrhosis. Festschrift C. Schmitt [1968], éd. H. BARION, E.-W. BÖCKEN-
FÖRDE, E. FORSTHOFF, et al., Berlin, Duncker und Humblot, 2002, p. 13-59.
1. Pour un état des lieux plus général, cf. A. BESANÇON, « Situation de l’Église catholique. Au
seuil d’un pontificat », Commentaire, 2006, 29 (116), p. 5-23.
2. En ce point, il y aurait à poursuivre la réflexion sur le terrain de la gnose, brièvement défriché
plus haut. Contentons-nous, ici, de faire référence à Hans Blumenberg, qui a très bien répondu
au procès en gnosticisme régulièrement intenté à la modernité par une certaine pensée conserva-
trice (H. BLUMENBERG, La Légitimité des Temps modernes, op. cit.). Contre les conceptions
décadentistes, il interprète les Temps modernes non pas comme un mouvement gnostique
d’échappement érémitique mais comme un effort pour investir le monde, pour le domestiquer et
le corriger. D’où les longs et importants développements qu’il consacre à la notion de curiositas
274 La subsidiarité catholique...

III. LE MONOPOLE ECCLÉSIAL


DE LA GRÂCE INSTITUTIONNELLE

Souveraineté et subsidiarité : deux concepts issus du catholicisme, le premier


créé pour l’Église mais dérobé par l’État, le second créé contre lui mais écarté
pour elle. Rien de nécessaire dans ce jeu bilatéral : Vatican II aurait très bien
pu déboucher sur l’une de ces ruses ironiques dont seule l’histoire a le secret,
l’ironie de l’arroseur arrosé. Qu’il n’en ait rien été, que l’Église ait réussi à
empêcher toute application de la subsidiarité en son sein, voilà qui constitue
une pièce maîtresse à verser dans notre dossier d’instruction. Cette résistance
ecclésiale, pensons-nous, révèle tout à la fois la portée symbolique du concept
de subsidiarité  : le lien consubstantiel entre logique institutionnelle et
principe hiérarchique ; ainsi que son caractère de défense stratégique : la sub-
sidiarité est une arme anti-institutionnelle contre l’État souverain. D’abord
souterraine, la stratégie ecclésiale avait vraisemblablement besoin des idéolo-
gies totalitaires pour s’épanouir au grand jour ; dans leur foulée immédiate,
elle deviendra ensuite solidaire de l’événement conciliaire, épousant jusqu’à
la logique schizophrénique de sa réception pontificale. Il suffira enfin aux
papes de démontrer que, derrière les excès de Vatican II, derrière les appels à
la subsidiarité ecclésiale, se cachait en réalité une dangereuse tentative de pro-
testantisation du catholicisme. Ainsi faisaient-ils d’une pierre deux coups  :
écarter la subsidiarité ecclésiale et écarter une mauvaise interprétation de l’ec-
clésiologie conciliaire. Le tout sera conclu par un étonnant jeu de vases com-
municants qui fait peut-être le propre même de l’ère wojtylo-ratzingérienne
du théologico-politique : c’est au moment où les papes rejetteront le plus la
subsidiarité ecclésiale qu’ils redoubleront d’efforts pour demander l’applica-
tion du même principe à l’État.

1. LA DOUBLE NATURE DE L’INSTITUTION

L’Église le sait bien, dès lors que la société se compose d’individus qui ne
sont pas tous chrétiens, une brèche s’ouvre fatalement dans sa structure insti-
tutionnelle, brèche douloureuse qui ravive une béance constitutive. Tard
venue, la prise de conscience de cette nouvelle donne historique sonnera la
fin de la stratégie ratto-pacellienne d’évangélisation collective des masses  :
l’Église admet dès lors ne plus être en mesure d’imposer le Salut chrétien via
la collectivisation spirituelle du risque de la liberté humaine. Mais, n’en

et à l’entreprise proprement moderne de connaissance scientifique du monde. Sur un registre qui


lui est propre, l’auteur de La Légitimité des Temps modernes est ainsi en dialogue avec les grands
critiques de la modernité : de Martin Heidegger à Leo Strauss en passant par Hannah Arendt et
Carl Schmitt. Cf. R.  BRAGUE, «  La galaxie Blumenberg  », Le Débat, 1995, 83, p.  173-186.
Reste que Blumenberg lui-même a tendance à reconstruire une image idéale — et homogène —
de la modernité qui demanderait à être précisée : c’est au moins autant le point de vue moderne
qui identifie les âges antérieurs par leurs déficits que la modernité qui aurait à se plaindre d’une
déconsidération persistante à partir d’un supposé regard prémoderne.
Subsidiarité et société ecclésiale. La contradiction pontificale 275

déplaise à Vatican II, en plus d’être tardive, cette prise de conscience, restera
fondamentalement incomplète, ne s’accompagnant en rien de la refonte pour-
tant affichée du logiciel ecclésial  : l’autocompréhension de l’Église comme
Institution du Salut collectif ; ni d’ailleurs du montage hiérarchique qui en a
toujours été le support naturel. Pareille survie théorique se fera au prix d’un
décalage de plus en plus insurmontable, dont l’histoire n’est d’ailleurs pas
terminée : l’Église disposait d’une légitimité fondée sur un monopole collectif
(consistant à suppléer la foi de tous) ; elle doit désormais affronter un monde
d’individus, auquel son esprit reste ontologiquement réfractaire1. Elle deman-
dait à chacun un abandon au corps ecclésial — condition nécessaire et suffi-
sante pour la Rédemption de tous ; elle doit désormais affronter l’inévitable
individualisation de la croyance.
Entre l’Église et le chrétien, le jeu implicite était donnant-donnant : l’Église
refusait au croyant toute forme d’intériorisation subjective de la foi ; en retour,
elle rendait possible l’indépendance de la grâce divine par rapport aux efforts
humains. Le croyant n’a pas besoin de se torturer pour savoir s’il mène une vie
conforme à l’Évangile, devait-on comprendre à demi mot, le clergé se charge
de lui ouvrir la voie du Salut. Aussi, par cet échange de bons procédés, la radi-
calité de l’institutionnalisation ecclésiale permettait-elle à l’individu de se
décharger des pesanteurs de l’ici-bas, de s’exonérer de toute responsabilité ou
implication éthique dans le monde2. L’Au-delà, dont l’Église se fait le porte-
voix, demande seulement l’obéissance à l’autorité institutionnelle.
Autant de raisons qui ont autorisé l’Église à se concevoir comme l’Institu-
tion par excellence. Institution parce que située à la conjonction de l’ici-bas et
de l’Au-delà, pour assurer le passage et maintenir l’imbrication hiérarchique
entre les deux mondes. Institution parce que seule société humaine en mesure
eschatologique de préfigurer la cité de Dieu. Institution parce que contre-
partie verticale d’une religion horizontale. Institution parce que dépositaire
d’un privilège magistériel de véridiction et de contrôle des consciences. Insti-
tution parce que titulaire du double monopole de la grâce sacramentelle et de
la « contrainte hiérocratique légitime »3. « Hors de l’Église point de salut »

1. Le rôle joué par le christianisme dans l’avènement de l’individu ne doit pas faire oublier
combien l’Église a tout fait pour empêcher ou retarder sa réalisation (L. DUMONT, « De l’indi-
vidu-hors-du-monde à l’individu-dans-le-monde  » [1980] ; «  La catégorie politique et l’État à
partir du xiiie siècle » [1965], Essais sur l’individualisme, op. cit., p. 35-81, p. 82-133).
2. D’où la possibilité offerte aux fidèles de s’arranger avec les principes (on se plaira ici ou là à
moquer la morale jésuite). D’où l’importance de la confession, pratique absolutrice qui soulage le
croyant et le décharge de l’essentiel de sa responsabilité. D’où, pour la période récente, la conni-
vence du catholicisme avec les moyens de communication télévisuels, allant parfois jusqu’à
réduire le fidèle au rôle passif de spectateur cathodique de la communion ecclésiale. Sur le thème
de la décharge institutionnelle, cf. les thèses du philosophe Arnold Gehlen (A.  GEHLEN,
«  L’image de l’homme dans l’anthropologie moderne  » [1952], Anthropologie et psychologie
sociale, trad. fr. J.-L. Bandet, Paris, PUF, 1990, p. 62-78 ; « L’homme et les institutions » [1960],
ibid., p. 79-89 ; « L’image de l’homme dans l’anthropologie moderne » [1958], Essais d’anthropo-
logie philosophique, trad. fr. O. Mannoni, Paris, MSH Éditions, 2009, p. 73-85).
3. « Nous entendons par Église, écrit Max Weber, une entreprise hiérocratique de caractère ins-
titutionnel lorsque et tant que sa direction administrative revendique le monopole de la contrainte
hiérocratique légitime.  » (M.  WEBER, Économie et société, I. Les catégories de la sociologie
[1922], trad. fr. J. Freund, et al., Paris, Plon, Agora, 1995, p. 97). En référence à la fameuse for-
276 La subsidiarité catholique...

(Extra ecclesiam nulla salus)1 : en dehors de la grâce ecclésiale, point d’institu-


tion. Aussi la prétention étatique à la dignitas institutionnelle ne pouvait-elle
que lui faire viscéralement horreur  : le reconnaître dans cette usurpation,
ç’aurait été dilapider son propre titre d’institution, ç’aurait été attribuer à
l’État une sacralité hiérarchique, ç’aurait été le faire entrer dans la sainte éco-
nomie des deux corps du Christ2. Première expérience historique du principe
institutionnel, l’Église, envers et contre tout, tiendra à en conserver non seu-
lement l’exclusivité définitionnelle mais aussi, et surtout, le monopole exis-
tentiel. Encore aujourd’hui, alors que sa défaite contre l’État n’a jamais été
assumée jusqu’au bout.
Certes, la rivalité mimétique qui plaçait l’Institution ecclésiale dans le
confort de l’objet désiré est concrètement terminée ; le couple Église-État est
révolu, le divorce consommé3. Mais l’Église n’a jamais admis qu’en perdant la
main sur l’État, elle la perdait aussi sur la définition de sa qualité d’institu-
tion. Toujours ce même schéma mental : l’État ne saurait accéder aux mys-
tères de la double nature institutionnelle autrement que par la seule média-
tion de l’Église. Sans rattachement ecclésial à la foi chrétienne, devait-on
comprendre, point de double nature de l’État possible, et, donc, point d’insti-
tution. Mais cette mécanique reposait en définitive sur une pièce maîtresse
dont la ténuité aura bientôt raison de l’ensemble : l’assimilation de l’État à la
personne du Prince. Il a fallu attendre les Temps modernes, et les balbutie-
ments du monde des individus, pour que l’institution terrestre prenne vérita-
blement le dessus sur l’Église. Il a même fallu attendre l’échec de la dernière
poussée impériale, la tentative de Charles Quint, puis la Contre-Réforme
post-tridentine pour que l’Église catholique daigne véritablement se tourner
vers l’option concordataire. Au prix des compromissions politiques que l’on
sait avec les monarchies étatiques et autres nations catholiques4. L’Église sur-
montera son dilemme névrotique par une dénégation, par une projection sur

mule wébérienne sur l’État, on pourrait également parler de monopole hiérocratique de la


« contrainte psychique » légitime. Sur la notion de grâce institutionnelle, cf. M. WEBER, « Les
voies du salut-délivrance », Économie et société, in Sociologie des religions, op. cit., spécialement
p. 217-218 ; et E. TROELTSCH, Die Soziallehren der christlichen Kirchen und Gruppen [1912],
Gesammelte Schriften I, Tübingen, Mohr, 1919 ; «  Christianisme et société  » [1912], trad. fr.
J. Séguy, Archives de sciences sociales des religions, 1961, 11 (1), p. 15-34. Précisons, au passage,
que, malgré une filiation évidente, les propos wébérien et troeltschien diffèrent assez résolument
dans leur perspective générale  : Weber s’intéresse aux formes structurelles et à la dimension
éthique des religions, alors que Troeltsch se penche avant tout sur le contenu des doctrines et des
dogmes du christianisme pour les inscrire dans leur contexte historique.
1. Avaient déclaré deux éminents pères du iiie siècle, Cyprien côté latin, et Origène côté grec.
Outre les Epistula, cf. CYPRIEN de CARTHAGE, De Catholicae Ecclesiae unitate [251], Scrip-
tores christiani primaevi, éd. J. N. BAKHUIZEN van DEN BRINK, La Haye, Daamen, 1946.
2. Nous faisons référence à Ernst Kantorowicz, qui a démontré en quoi la théologie politique
des deux corps du roi transfère à l’État les caractéristiques de l’Église : de même que le Christ a
deux corps (le corps charnel de Jésus et le corps mystique de l’Église), le roi serait le visage
charnel du corps mystique de l’État (E. H. KANTOROWICZ, Les Deux corps du roi, op. cit.).
3. Cf. M. GAUCHET, « Le surgissement de l’État et l’éloignement du divin », L’Avènement de
la démocratie, I. La révolution moderne, Paris, Gallimard, 2007, p. 69-75.
4. Pour une mise en perspective, cf. J.-M. AUBERT, «  Modèles politiques et structures
d’Église », Recherches de science religieuse, 1983, 71 (2), p. 169-180. Plus en amont, cf. P. LÉCRI-
VAIN, « La catholicité et l’espace impérial au Moyen Âge », ibid., 1998, 86 (1), p. 99-121.
Subsidiarité et société ecclésiale. La contradiction pontificale 277

l’État, instance usurpatrice coupable de lui avoir ravi son trésor de souverai-
neté. Mais, de cette vengeance souterraine, on ne saurait induire le succès
d’un quelconque complot ecclésial, de même qu’on aurait bien tort de croire
à une victoire de l’État. Vengeance de l’Église consécutive à une défaite
certes ; reste que défaite de l’Église n’est pas victoire de l’État. Ou bien faut-il
alors parler d’une victoire à la Pyrrhus  : l’Église subvertie par l’État ; mais
l’État à son tour subverti par la Société des individus et l’idéologie du Pro-
grès. Dans ce nouveau monde, celui des Temps modernes, la légitimation du
rôle de l’État devra revêtir des habits utilitaires1 : l’État au service de la Société
et de l’Individu, l’État en marche vers le Progrès.
Son concept de subsidiarité en témoigne au plus haut point, l’Église n’a
fait qu’accompagner cette lame de fond idéologique en s’y acclimatant tant
bien que mal, toujours sur le même mode du déni. À la conception instru-
mentale de l’État caractéristique de l’idéologie moderne — cette religion
immanente rapatriée sur terre —, l’Église riposte par une autre conception
instrumentale : la subsidiarité, mais qui, elle, Vérité et transcendance catho-
liques obligent, veut se présenter comme une anti-idéologie. Reste qu’en pré-
tendant reposer sur une logique immanente d’horizontalité, en se posant
comme simple fonction administrative de la société, la subsidiarité catholique
continue tout simplement de refuser à l’État le ressort qui fait exister la
médiation institutionnelle  : la hiérarchie entre un haut et un bas. Peut-être
l’Église catholique a-t-elle formellement raison sur la définition de l’institu-
tion, mais pourquoi la hiérarchie entre ce haut et ce bas serait-elle nécessaire-
ment hiérarchie entre Au-delà et ici-bas ?
Dans cet empressement obsessionnel de l’Église à condamner toute forme
d’institution terrestre, il n’y a rien de moins que la traduction de son indépas-
sable dilemme existentiel. Mis au jour par le monde des individus, une apo-
rie schizophrénique se cachait dans la logique même de l’Église catholique :
ce qui a toujours légitimé son existence est en même temps ce qui devait
conduire à sa mise en cause principielle. Comment constituer un royaume
dans ce monde sans être de ce monde2 ? Comment figurer l’espérance de

1. Cf. les analyses de Marcel Gauchet sur la naissance de l’idéologie, qu’il date du milieu du
xviiie siècle (M. GAUCHET, Le Désenchantement du monde, op. cit., p. 253 sq.). Il y aurait ici à
faire retour sur la critique blumenbergienne de cette définition de l’idéologie par rapport à la
religion (H. BLUMENBERG, La Légitimité des Temps modernes, op. cit.). Hans Blumenberg
récuse l’idée d’une indépassable et irrémissible dette de la modernité vis-à-vis du monothéisme
judéo-chrétien, l’idée d’une naissance des Temps modernes dans la logique même du déploie-
ment de la seule et unique matrice chrétienne. Cessant d’être caractérisée par un manque ontolo-
gique, par une perte dont la portée mutilante serait proportionnelle à l’éloignement du moment
originel, la modernité n’existerait plus par rapport (elle n’est pas la sécularisation du Moyen
Âge) ; elle serait légitime en tant que telle car vivant de ses propres moyens. Dans une veine
blumenbergienne, Jean-Claude Monod réfute la thèse de Marcel Gauchet sur la sécularisation
(J.-C. MONOD, La Querelle de la sécularisation de Hegel à Blumenberg [2002], Paris, Vrin,
2007 ; « Le problème théologico-politique au xxe siècle », Esprit, 1999, 250, p. 179-192 ; « Destins
du paulinisme politique », ibid., 2003, 292, p. 113-124). Pour une mise en perspective critique de
Blumenberg, cf. C. LARMORE, « Au-delà de la religion et des Lumières » [1992], Modernité et
morale, Paris, PUF, 1993, p. 71-92.
2. Pour reprendre, ici, la fameuse formule de l’apôtre Jean dans les Évangiles : l’Église est dans le
monde sans être de ce monde. « Je leur ai donné votre parole et le monde les a haïs, parce qu’ils
278 La subsidiarité catholique...

l’Au-delà et se compromettre dans l’appartenance à l’ici-bas ? Et surtout  :


comment « faire passer de l’événement dans le permanent », tenir en présence
l’Incarnation effectivement advenue, la Révélation effectivement incarnée,
une fois pour toutes1 ? Institution-hors-le-monde, l’Église finit tôt ou tard par
se revendiquer comme institution-dans-le-monde2. À rebours du caractère
définitif de la Création, à rebours de l’unicité de la Révélation dans le Verbe
incarné, elle a voulu s’attribuer un pouvoir de participation au monde, un
droit permanent d’intervention dans le siècle. Et de justifier son intervention
ici-bas en prétextant que le Créateur n’a pu vouloir abandonner sa créature3.
Et d’utiliser l’Événement christique à son profit : la place du Médiateur par-
fait a été occupée une fois pour toutes par le Fils de Dieu ; après cette perfec-
tion, rappelle-t-elle, on ne pourra plus prétendre au double titre de roi et de
prêtre. Économie de l’Un ontologique oblige, seule l’Église pourra s’appro-
cher de ce «  lieu charnière où se conjoignent en un corps nature et surna-
ture  »4 ; seule, elle pourra se maintenir sur cette ligne de crête, au point de
devenir l’unique Institution à la disposition des chrétiens ; seule, elle pourra
supporter à la fois la charge des âmes et la gestion des hommes. C’est qu’à la
perfection du passage du Dieu-homme sur terre doit répondre la perfection
institutionnelle de l’organe chargé de répandre son message.

2. LA SPÉCIFICITÉ DE L’ÉGLISE ROMAINE


De l’autocompréhension de l’Église comme Institution à la formalisation de
la souveraineté pontificale, il y a plusieurs étapes à reconstituer. Une étape
théologique, d’abord, celle de la relecture catholique du dogme de la Trinité

ne sont pas du monde, comme moi-même je ne suis pas du monde. Je ne vous demande pas de les
ôter du monde, mais de les garder du mal. Ils ne sont pas du monde comme moi-même je ne suis
pas du monde. Sanctifiez-les dans la vérité. Comme vous m’avez envoyé dans le monde, je les ai
aussi envoyés dans le monde. » (Évangile selon saint Jean, XVII, 14-18).
1. M. GAUCHET, Le Désenchantement du monde, op. cit., p. 189.
2. Cf. L. DUMONT, Essais sur l’individualisme, op. cit, p. 35-81.
3. Relevons ce rappel récent du Catéchisme promulgué en 1992  : «  Avec la création, Dieu
n’abandonne pas sa créature à elle-même. Il ne lui donne pas seulement d’être et d’exister, Il la
maintient à chaque instant dans l’être, lui donne d’agir et la porte à son terme. Reconnaître cette
dépendance complète par rapport au créateur est une source de sagesse et de liberté, de joie et de
confiance. » (JEAN-PAUL II, Catéchisme de l’Église catholique, 301, p. 85).
4. M. GAUCHET, Le Désenchantement du monde, op. cit., p. 191. Plus haut, Marcel Gauchet
parle d’« impossibilité de la médiation », et d’« équivoque constitutive de la fonction ecclésiale »
(Ibid., p. 104, p. 108). Toujours à propos de l’Église : « Son existence à elle seule signifie poten-
tiellement le contraire. C’est l’impossibilité de la médiation, la fracture irrémédiable entre la cité
des hommes et le royaume de l’absolu qu’aboutissent invariablement à faire ressortir ses efforts
pour s’élever, en son aménagement interne, à la hauteur de ses fins. Mais c’est que pour les chré-
tiens, la médiation a une fois pour toutes eu lieu, en la personne du Verbe incarné. Elle a été
événement ; jamais à partir de là elle ne pourra plus avoir consistance véritable de structure. Tout
au plus pourra-t-on prétendre s’élever jusqu’au rang d’image du Christ. Mais sans jamais pou-
voir s’installer effectivement en cette intersection axiale où l’humain et le divin se résument et se
conjoignent dans un seul être. Cette place-là, le fils de l’homme l’a historiquement occupée, en
son temps et à sa date. Jusqu’au bout de l’histoire, dorénavant, elle restera parmi les hommes
vide d’occupant. » (Ibid., p. 104). Et de conclure : « Ce qui a lieu en fait d’événement médiateur
n’a, par définition, plus lieu d’avoir corps dans une organisation répétant dans sa fonction per-
manente la structure de la révélation. » (Ibid., p. 107-108).
Subsidiarité et société ecclésiale. La contradiction pontificale 279

à l’aune latine du Filioque. Une étape politique, ensuite, celle de la constitu-


tion d’un véritable État souverain, tout entier dans les mains du chef de la
Chrétienté romaine. C’est à l’intersection de ces étapes que surgit la fameuse
théorie des deux glaives, dans laquelle toute la spécificité latine vient se
résumer1.
Intervenant sur la question du statut de l’Église, la querelle du Filioque
constitue le principal point de rupture entre les mondes latin et byzantin2.
Elle-même trouve à s’expliquer par les plus hautes sphères de la théologie : le
Saint Esprit est-il issu du Père par procession ou bien par engendrement, via
le Fils3 ? Deux réponses seront données à cette question, auxquelles corres-
pondent deux conceptions divergentes de l’Église. Dans le monde byzantin,
l’Esprit saint procède du seul Père (auquel le Fils se subordonne), qui reste
alors dans sa hauteur spirituelle se refusant à fouler le sol des hommes. Dans
le monde latin, tout au contraire, le Saint-Esprit procède à la fois du Père et
du Fils (filioque) ; il cristallise de la sorte la consubstantialité ecclésiale des
sphères spirituelle et temporelle4. En raison même de l’engagement personnel

1. La théorie des deux glaives a été formulée au xiie siècle à partir de la phrase du Christ sur le
pouvoir des clefs conféré à Pierre (pouvoir pétrinien autrement appelé pouvoir de lier et de
délier) et de la lettre de Gélase Ier à l’empereur Anastase (le duo sunt). 1o, « “Et moi, je te dis que
tu es pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église, et les portes de l’enfer ne prévaudront point
contre elle. Je te donnerai les clefs du royaume des cieux : tout ce que tu lieras sur la terre sera lié
dans les cieux et tout ce que tu délieras sur la terre sera délié dans les cieux.” » (Évangile selon
saint Matthieu, XVI, 18-19 ; cf. aussi Évangile selon saint Luc, XXII, 38). 2o, « Il y a deux prin-
cipes [auguste empereur] par lesquels ce monde est régi principalement  : l’autorité sacrée des
pontifes et le pouvoir royal ; et parmi les deux la charge des prêtres est d’autant plus lourde qu’ils
doivent rendre compte devant la justice divine de ceux-là mêmes qui sont les rois. » (GÉLASE Ier,
Lettre Famuli Vestrae Pietatis à l’empereur Anastase Ier, 494 ; in J.-P. MIGNE, Patrologiae
Latinae Cursus Completus, LIX, 42 A-43 A ; H. DENZINGER, 347, p. 122).
2. Le chemin devant conduire à la rupture de la Chrétienté est pris par Constantin dès 324
(quand l’Empereur fait de Byzance sa nouvelle capitale) et mais il faut attendre 395 pour que pars
occidentalis et pars orientalis se séparent (c’est à la faveur du partage territorial entre les fils de
Théodose Ier que naît historiquement l’Empire romain d’Orient, peu avant la chute de son
homologue occidental) ; puis 1054 pour que le Grand Schisme soit théologiquement consacré.
3. Tout l’enjeu théologique du problème se cristallise ici dans une distinction thématisée par
saint Grégoire de Nazianze, Père cappadocien de l’Église : la distinction entre filiation (engen-
drement) et procession ; entre le Fils (le Christ, l’Incarnation du Verbe) qui est issu du Père par
engendrement et le Saint-Esprit (l’Église, le travail apostolique) issu du Père par procession
(GRÉGOIRE de NAZIANZE, « Cinquième discours théologique », « Du Saint-Esprit », Dis-
cours théologiques XXVII-XXXI [~ 380], trad. fr. P. Gallay, Paris, Le Cerf, 1978-2006 (XXXI,
spécialement 4, 8, 27, 28) ; Lettres théologiques [~ 380], trad. fr. P. Gallay, Paris, Le Cerf, 1974-
1998). Ambigu dans ses retombées (l’historicité du Saint-Esprit peut aussi être interprétée
comme un affaiblissement de sa dignité, au sens où il n’aurait pas les mêmes privilèges que ceux
accordés au Fils), le Filioque est surtout un avant-goût de l’augustinisme politique.
4. Sur l’ajout latin du Filioque au Nicaeno-Constantinopolitanum, cf., parmi une abondante lit-
térature, P.  GEMEINHARDT, Die Filioque-Kontroverse zwischen Ost und Westkirche im
frühmittelalter, Berlin, New York, Walter de Gruyter, 2002 ; B.  OBERDORFER, Filioque.
Geschischte und Theologie eines ökumenischen Problems, Göttingen, Vandenhoeck et Ruprecht,
2001 ; M.-H. GAMILLSCHEG, Die Kontroverse um das Filioque, Wurtzbourg, Augustinus
Verlag, 1996 ; S.  REINHARD, Das Filioque bei Thomas von Aquin [1992], Francfort, New
York, Lang, 1994 ; L. VISCHER, Geist Gottes, Geist Christi. Ökumenische Überlegungen zur
Filioque-Kontroverse, Francfort, Lembeck, 1981 ; L. SCHEFFCZYK, « Le sens du Filioque »,
trad. fr. P.  de Fontette, Communio, 1986, 11 (1), p.  57-69. Pour un point de vue orthodoxe  :
B. BOLOTOV, « Thèses sur le Filioque » [1898], trad. fr., Istina, 1972, 17, p. 261-289.
280 La subsidiarité catholique...

de Dieu (le Père) dans l’histoire humaine du Salut (le Fils), une mission tem-
porelle est spécifiquement dévolue à l’Institution (l’Esprit saint). Le dogme
du Filioque permet ainsi à l’Église catholique de justifier sa présence au
monde et de conférer un prestige théologique à son action politique. Le
Christ lui procure une légitimité supplémentaire, qui l’autorise à affirmer la
suprématie de son Siège romain sur tous les autres centres de la Chrétienté,
au premier rang desquels l’ensemble des pouvoirs séculiers. Corpus mysticum
et navis Petri, instance de l’Esprit Saint et épouse (sponsa) de Dieu, mère et
maîtresse (mater et magistra) des chrétiens, l’Église catholique figurera le lieu
unique de la continuité — nécessaire au jeu de l’unité — entre le Père et le
Fils1. Tout le dilemme qui a finalement eu raison de la subsidiarité ecclésiale
se résume ici, en ce point précis de la double nature de l’Église. Argument
imparable pour s’extraire du monde tout en se réservant le sommet de l’édi-
fice temporel. Car la part réciproque d’institutionnalité et de sacramentalité
sera définitivement indécidable, tout comme sera indécidable le partage entre
pouvoir d’ordre et pouvoir de juridiction.
Qu’il suffise, pour s’en convaincre, de relire la théorie gélasienne des deux
glaives en s’attachant, ici, à la replacer dans un dialogue historique avec son
contrepoint byzantin2. Non sans quelques précautions sémantiques et divers
préalables épistémologiques car, en la matière, l’historiographie est long-
temps restée prisonnière du discours officiel de Rome, jusques et y compris
dans son vocabulaire. Ainsi en va-t-il, par exemple, de la notion de césaropa-
pisme3, vecteur d’une projection occidentale de la figure papale sur un schéma
orthodoxe qui ne l’a jamais connue. S’extraire de cet ethnocentrisme latin
suppose en l’occurrence de se tourner vers le grand panégyriste de Constantin
déjà rencontré plus haut, Eusèbe de Césarée. Pour l’auteur du Triakontaete-

1. Cf. D.-R. DUFOUR, Les Mystères de la trinité, Paris, Gallimard, 1990.


2. Sur le Pape Gélase et la doctrine gélasienne des deux glaives, cf. les éclairages de
Mgr Arquillière (H. X. ARQUILLIÈRE, « Origines de la théorie des deux glaives », Studi gre-
goriani, 1947, 1, p. 501-521), les travaux de son élève Joseph Lecler (J. LECLER, « L’argument
des deux glaives dans les controverses politiques du Moyen Âge : ses origines et son développe-
ment », Recherches de science religieuse, 1931, 21 (3), p. 299-329 ; « L’argument des deux glaives :
critique et déclin (xive-xvie siècle)  », ibid., 1932, 22 (2), p.  151-177 ; «  L’argument des deux
glaives : critique et déclin (xvie-xviie siècle) », ibid., 22 (3), p. 280-303), la somme de Jean Gau-
demet (J. GAUDEMET, L’Église dans l’Empire romain, IVe-Ve siècles [1958], Paris, Sirey, 1989,
p. 503 sq.) et les synthèses de Francis Dvornik (F. DVORNIK, Early Christian and Byzantine
Political Philosophy. Origins and Background, Washington, Dumbarton Oaks Center for
Byzantine Studies, 1966, II, p. 659-723, p. 724-850 ; « Pope Gelasius and Emperor Anastasius »
[1951], Photian and Byzantine Ecclesiastical Studies, Londres, Variorium Reprints, 1974, p. 111-
116). Pour une récente mise à jour critique, cf. P. TOUBERT, « La doctrine gélasienne des deux
pouvoirs. Propositions en vue d’une révision » [2000], L’Europe dans sa première croissance, de
Charlemagne à l’an mil, Paris, Fayard, 2004, p. 385-417.
3. Cf. les précieuses mises en garde dans G. DAGRON, « Le “césaropapisme” et la théorie des
“deux pouvoirs”  », Empereur et prêtre. Étude sur le «  césaropapisme  » byzantin, Paris, Galli-
mard, 1996, p. 290-322. Il n’y a pas maturité latine d’un côté et immaturité byzantine de l’autre,
maladie orientale (l’accaparement orthodoxe du temporel par le spirituel) et remède occidental
(le partage catholique des deux ordres de réalité). Le développement historique de ces deux voies
rappelle ce que chacune doit aux circonstances et aux contingences. On sait bien que l’affirma-
tion de la puissance pontificale est principalement due à l’écroulement du pouvoir impérial, à la
division géographique de la Chrétienté et à la défense des territoires de la Papauté.
Subsidiarité et société ecclésiale. La contradiction pontificale 281

rikos, en effet, il existe non pas deux mais un seul glaive, l’Empire, dont le
rôle est certes de protéger l’Église en lui permettant d’assumer pleinement
son rôle spirituel, mais dont la fonction, tout à fait éminente, est reconnue
comme telle dans sa qualité d’institution englobante1. L’Église légitime sacra-
lement l’Empire en lui attribuant un rôle médiateur dans l’ordre politique, un
rôle d’intermédiaire entre la Providence divine et l’action ecclésiale. En
échange de quoi, le pouvoir temporel reconnaît à l’Église le droit de disposer
de lui comme bras séculier.
À rebours, l’Occident latin choisira la voie du papocésarisme, schéma de
secondarisation ecclésiale du temporel, dans lequel, prétentions politiques de
la Papauté oblige, l’Église catholique s’érige en intermédiaire obligé entre
la volonté divine et le pouvoir royal2. La suite Dieu-Empire-Église du modèle
eusébien est ainsi remplacée par une hiérarchie Dieu-Église-État, au sommet
de laquelle le Pape se trouve en situation de lier et de délier. Sous le haut
patronage de la théologie augustinienne, la souveraineté ecclésiale naît au
cœur de cette ambiguïté fondamentale sur le rôle du Pontife : dans sa préten-
tion aux deux glaives, le Pape se considère non plus comme le modeste vicaire
de Pierre, il se veut à présent vicaire incontesté du Christ (vicarius Christi).
Directement délégué par Dieu, il est le seul ici-bas à posséder la plénitude de
puissance, la plenitudo potestatis. La théorie théologique aura beau distinguer
entre la figure papale et l’Institution ecclésiale, la pratique effective n’en fera
pas moins du souverain pontife tout à la fois l’intendant et le maître de
l’Église catholique3.
Deux papes en particulier se sont attachés à tirer les conclusions les plus
radicales de l’ambivalence augustinienne : Grégoire VII et Innocent III. En
tant que théoriciens de la plenitudo potestatis, ils sont les premiers fondateurs
de la monarchie pontificale. Sur près de deux siècles, la réforme grégorienne

1. EUSÈBE de CÉSARÉE, Triakontaétérikos [~  335-340], Eusebius Werke I, op. cit. «  Notre
empereur est comme le soleil rayonnant. Il illumine le moindre de ses sujets et le plus éloigné de
son Empire par la présence de ses Césars, comme les rayons perçants de sa propre clarté. Investi
de l’image de la monarchie céleste, il lève ses regards en haut et gouverne, en réglant les affaires
du monde, selon l’idée de son modèle, affermi parce qu’il s’applique à imiter la souveraineté du
monarque céleste. Au roi unique correspond l’unique Dieu, roi unique dans le ciel, l’unique
nomos (loi) et logos (raison) royal. ». Cf. J.-M. SANSTERRE, « Eusèbe de Césarée et la naissance
de la théorie “césaropapiste” », Byzantion, 1972, 42, p. 131-195, p. 532-593.
2. Pensons à Canossa (1076) ou à la Querelle des Investitures (1075-1122), deux épisodes qui
marquent l’apogée de la secondarisation ecclésiale du temporel. En refusant de laisser à l’empereur
le pouvoir d’investir les évêques, le Siège romain voulait faire d’une pierre deux coups : retirer
tout pouvoir spirituel aux empereurs et conférer à la Papauté un véritable droit de regard sur les
affaires de l’État ; un droit de regard qui dépasse de loin la simple ingérence spirituelle. Les vingt
sept propositions du Dictatus papae édictées par Grégoire VII en 1075 rappellent l’étendue
des ambitions pontificales. Cf. H.  X. ARQUILLIÈRE, Saint Grégoire VII, Paris, Vrin, 1934 ;
J.  QUILLET, Les Clefs du pouvoir au Moyen Âge, Paris, Flammarion, 1972 ; E.  CASSIRER,
Le Mythe de l’État, op. cit., p. 151 sq. Pour une synthèse historique, cf. K. SCHATZ, La Primauté
du pape. Son histoire, des origines à nos jours, Paris, Le Cerf, 1992.
3. Cf. surtout BERNARD de CLAIRVAUX, De la considération [1148-152], trad. fr. P. Dalloz,
Paris, Le Cerf, 1986, spécialement liv.  IV, ch.  7. «  Conformément à vos canons, certains sont
appelés à partager vos responsabilités, mais vous êtes appelé à la plénitude de pouvoir (plenitu-
dinem potestatis). Le pouvoir des autres est limité par des frontières précises, mais votre pouvoir
s’étend même à ceux qui ont reçu pouvoir sur d’autres. » (Ibid. ; liv. II, ch. 8, 16).
282 La subsidiarité catholique...

érige l’Église d’Occident en véritable État centralisé, source unique du droit


de la Chrétienté1. Non seulement, l’Église latine s’est voulue romaine en éta-
blissant son siège à Rome, mais elle s’est aussi, et surtout, pensée comme le
successeur politique de l’Empire romain (translatio imperii romani). À la
faveur de l’émiettement juridique du continent européen — émiettement
consécutif à la désintégration d’un monde carolingien qui prétendait encore à
la renovatio imperii —, l’Église catholique se constitue en véritable puissance
temporelle. Réinvestissant le modèle de l’Empire romain, elle crée sans le
savoir la matrice de l’État moderne : le droit comme système de règles, auto-
nome et intégré ; l’État comme source créatrice de ce droit. Rien de nécessaire
là-dedans, mais la rencontre entre les circonstances romaines et la religion
chrétienne n’est pas fortuite ; elle est d’autant plus revendiquée par l’Église
que la logique impériale épouse parfaitement les modalités de son rapport au
monde : sa légitimation par un Dieu universel appelle une extension territo-
riale du même ordre.
La doctrine de la souveraineté pontificale a ceci de particulier qu’elle
contribue à laïciser le pouvoir temporel en cherchant à lui retirer toute possi-
bilité d’action en matière spirituelle. D’abord reléguées à la pure et simple
administration des choses terrestres, les autorités séculières s’affirment peu
à peu face au pouvoir pontifical sur fond de guerres religieuses. En cherchant
à fuir la suzeraineté de l’Église, elles se constitueront bientôt en pouvoirs
complets au même titre que le Pape, tout à la fois mondains et sacrés. Au
terme d’une longue querelle entre le Sacerdoce et l’Empire2, la théocratie
pontificale donne doublement naissance à l’État : d’abord en se sécularisant
elle-même, c’est-à-dire en devenant une autorité purement terrestre ; ensuite
en stimulant les pouvoirs séculiers dans leur quête d’une assise institution-
nelle, laquelle, par construction, sera indissociablement temporelle et spiri-
tuelle3. Indice sémantique révélateur : la souveraineté prend expressément le
nom de souveraineté au moment même où elle devient une arme anticatho-
lique qui se retourne contre son inventeur. De là vient la facilité avec laquelle

1. Cf., surtout, Gabriel Le Bras, Pierre Legendre et Jean Gaudemet : G. LE BRAS, « Le droit
romain au service de la domination pontificale », Revue historique de droit français et étranger,
1949, 26, p. 377-398 ; P. LEGENDRE, La Pénétration du droit romain dans le droit canonique
classique de Gratien à Innocent IV, 1140-1254 [1957], Paris, Jouve, 1964 ; «  Le droit romain,
modèle et langage », Mélanges G. Le Bras, Paris, Sirey, 1965, II, p. 913-930 ; Les Enfants du texte,
op. cit., p. 237 sq. ; J. GAUDEMET, « Théologie et droit canonique », Römische Quartelschrift,
1985, 80, p. 160-166 ; Le Droit canonique, Montréal, Fides, Paris, Le Cerf, 1989 ; Les Sources du
droit canonique, VIIIe-XXe siècle, Paris, Le Cerf, 1993 ; Église et cité. Histoire du droit canonique,
Paris, Le Cerf, Montchrestien, 1994 ; Formation du droit canonique et gouvernement de l’Église
de l’Antiquité à l’âge classique [1963-2003], Strasbourg, PUS, 2007.
2. Via deux grandes étapes théoriques principales : Thomas d’Aquin et Marsile de Padoue.
3. « Sous le Pape, princeps et verus imperator, écrit Ernst Kantorowicz, l’appareil hiérarchique
de l’Église romaine [...] manifesta une tendance à devenir le prototype parfait d’une monarchie
absolue et rationnelle fondée sur une base mystique, alors qu’au même moment l’État avait de
plus en plus tendance à devenir une quasi-Église et, à d’autres égards, une monarchie mystique
fondée sur une base rationnelle. C’est dans ces eaux [...] que le nouveau mysticisme étatique
trouva ses fondements et son lieu de résidence.  » (E.  H. KANTOROWICZ, «  Mystères de
l’État. Un concept absolutiste et ses origines médiévales (bas Moyen Âge) » [1953-1955], trad. fr.
L. Mayali, Mourir pour la patrie, op. cit., p. 75-103, ici p. 79).
Subsidiarité et société ecclésiale. La contradiction pontificale 283

l’Église peut faire oublier sa période théocratique. La charge anticatholique


du concept mettra longtemps à révéler tous ses effets. Le grand penseur de
l’État, Jean Bodin, reste lui-même enraciné dans une théologie fondamentale-
ment catholique. Mais le matériau ecclésial est désormais à disposition de
l’État royal pour être retravaillé. De Grégoire VII à Bodin, en passant par
Innocent III et Boniface VIII, le Pape de la Bulle Unam sanctam, la structure
morphologique reste identique1 : la summa auctoritas comme caractère de ce
qui n’a pas de supérieur. Simple transcription laïque de la plenitudo potestatis
ecclésiale, la souveraineté ne fera que changer de support : des mains du Pape
et de l’empereur, elle passe à celles du roi.
Les éléments de continuité entre Moyen Âge ecclésial et modernité
étatique ne sont plus à démontrer, spécialement depuis les travaux d’Ernst
Kantorowicz (le passage de la théologie des deux corps du Christ à celle des
deux corps du roi) et ceux de Carl Schmitt (la parenté des morphologies
juridiques)2. Mais, là encore, n’oublions pas que l’héritage catholique est
double : ce n’est pas seulement la théologie chrétienne qui se sécularise ; c’est
aussi la sphère politique qui s’absolutise pour acquérir une dimension spiri-
tuelle et s’ériger au niveau de l’Église. De cette absolutisation, on a voulu
rendre responsable le droit romain, alors même que le droit romain de
l’Église, tout comme, d’ailleurs, le droit romain du Saint Empire, n’est plus le
droit romain des Romains. Il en est une recréation totale : par un recyclage
stratégique savamment orchestré, les canonistes et autres juristes de la
Papauté ont réussi à faire du droit romain un instrument politique au service
des intérêts stratégiques de leur commanditaire. Mais rien dans le corpus juri-
dique de la Rome antique ne prédisposait à l’absolutisme ecclésial. Ce dont
héritent les légistes, tout à leur défense des prérogatives royales, c’est bien
de cette réception pontificale du droit romain. Aussi l’absolutisme royal est-
il la conséquence de cet héritage, non pas un déploiement de la logique du
droit romain mais une traduction de sa matrice ecclésiale de réception. Aussi
la souveraineté bodinienne est-elle la systématisation théorique d’un legs

1. J. BODIN, Les Six livres de la République ; BONIFACE VIII, Unam sanctam (in H. DEN-
ZINGER, 870-875, p. 315-317). Ironie de l’histoire, Boniface VIII, le Pape qui réaffirme avec
force la théorie des deux glaives en 1302 est également le Pape qui, un an plus tard, subit la
lourde humiliation d’Anagni (face à Philippe IV le Bel, le roi de France qui amplifie le phéno-
mène légistique et dont le règne marque la naissance terrestre de la souveraineté étatique).
2. C.  SCHMITT, Théologie politique, op. cit. ; C.  J. FRIEDRICH, Der Verfassungsstaat der
Neuzeit, Berlin, Springer, 1953 ; E. H. KANTOROWICZ, Les Deux corps du roi, op. cit. Depuis,
cf. W.  ULLMANN, «  Juristic Obstacles to the Emergence of the Concept of the State in the
Middle Ages », Annali di Storia del diritto, 1968-1969, 12-13, p. 43-64 ; Principles of Government
and Politics in the Middle Ages [1961], New York, Barnes and Noble, 1974 ; E. W. BÖCKEN-
FÖRDE, « Zum Verhältnis von Kirche und modernen Welt. Aufriß eines Problems », Studien
zum Beginn der modernen Welt, éd. R. KOSELLECK, Stuttgart, Klett-Cotta, 1977, p. 154-177 ;
Q.  SKINNER, Les Fondements de la pensée politique moderne [1978], trad. fr. J.  Grossman,
J.-Y. Pouilloux, Paris, Albin Michel, 2001 ; G. POST, Studies in Medieval Legal Thought, Prin-
ceton, Princeton University Press, 1964 ; J.  R. STRAYER, Les Origines médiévales de l’État
moderne, op. cit. ; M. SENELLART, Les Arts de gouverner. Du regimen médiéval au concept
de gouvernement, Paris, Le Seuil, 1995. Sur les apports de la scolastique, cf.  P.  LEGENDRE,
Le Désir politique de Dieu, op. cit. ; A. BOUREAU, La Religion de l’État, op. cit.
284 La subsidiarité catholique...

médiéval et catholique : loi de Dieu, loi de nature, harmonie cosmique, méta-


phore du Vaisseau-République, métaphysique de l’Un1.
S’il fallait remonter le cours de l’histoire, ce n’est pas chez saint Thomas ni
chez les autres grands penseurs médiévaux qu’il faudrait déceler les embryons
de la tradition juridique qui donnera naissance à l’État souverain ; c’est dans
la république romaine, et Cicéron en particulier2. Rome avait posé tous les
germes de l’autorité juridique et de la forme étatique. L’Église catholique
s’emploiera à les spiritualiser mais, ce faisant, elle en dénaturera profondé-
ment les ressorts en accaparant pour elle-même la fonction institutionnelle de
la médiation. Bien sûr, il n’existe pas d’État cicéronien au sens strict mais un
rassemblement de citoyens qui adhèrent à une même loi3. Bien sûr, le droit
romain est civil avant d’être public. Bien sûr, il ignore l’homme et la société4.
Mais à trop souligner la provenance médiévale de l’État, n’en oublie-t-on pas
sa fibre typiquement antique si bien perçue par Machiavel5 ? Il y a peut-être là
un enjeu théorique essentiel : une Église catholique qui aurait tellement capté
à son profit l’héritage romain qu’elle l’aurait finalement rendu indisponible
aux États, si ce n’est par son intermédiaire. L’État : non pas une institution
politique, une fonction sociale.

La notion de subsidiarité a été conceptualisée par l’Église catholique dans


le moment même où elle opère philosophiquement son entrée en moder-
nité. Ce faisant, elle reprend malgré elle à son compte une vision très protes-
tante — et moderne — de l’État. À cet égard, la césure ne date pas de 1931 ;
elle est déjà à l’œuvre dans Rerum novarum (1891) qui marque un tournant
décisif pour la théorie catholique de l’État. Alors qu’elle conserve une orga-
nisation très centralisée, l’Église quitte la vision théocratique d’une société
gouvernée par un monarque de droit divin pour s’ancrer progressivement

1. Cf. J. KRYNEN, « Note sur Bodin, la souveraineté et les juristes médiévaux », Pouvoir et
liberté. Mélanges J.  Mourgeon, Bruxelles, Bruylant, 1998, p.  53-66 ; L’Empire du roi. Idées et
croyances politiques en France, XIIIe-XVe siècle, Paris, Gallimard, 1993 ; « L’encombrante figure du
légiste. Remarques sur la fonction du droit romain dans la genèse de l’État », Le Débat, 1993, 74,
p. 45-53. « Ce qui caractérise [...] comme absolu ou absolutiste l’État classique-moderne, écrit
Jean-François Courtine, c’est qu’il emprunte à l’Église bien plus qu’à la Cité antique ou à l’Em-
pire. » (J.-F. COURTINE, « L’héritage scolastique dans la problématique théologico-politique
de l’âge classique », L’État baroque, op. cit., p. 97-98). Cf. aussi Y. THOMAS, « L’institution
civile de la cité », Le Débat, 1993, 74, p. 23-44 ; « Fictio legis. L’empire de la fiction romaine et ses
limites médiévales », Droits, 1995, 21, p. 17-63.
2. Cf., par exemple, J. ELLUL, « Recherche sur la conception de la souveraineté dans la Rome
primitive », Le Pouvoir. Mélanges G. Burdeau, Paris, LGDJ, 1977, p. 265-279.
3. CICÉRON, De la République [55 av. J.-C.], trad. fr. C. Appuhn, Paris, Gallimard, 1994.
4. Cf. le classique de Fustel : N. D. FUSTEL de COULANGES, La Cité antique [1864], Paris,
Flammarion, 1996. Pour une analyse plus récente et moins polémique, cf. C.  NICOLET, Le
Métier de citoyen dans la Rome républicaine, Paris, Gallimard, 1976 ; M.  I. FINLEY, «  État,
classe et pouvoir  », L’Invention de la politique. Démocratie et politique en Grèce et dans la
Rome républicaine [1983], trad. fr. J. Carlier, Paris, Flammarion, 1994, p. 21-49 ; B. BARRET-
KRIEGEL, « Le concept de citoyenneté », La Cité républicaine, Paris, Galilée, 1998, p. 67-84.
Avec Blandine Kriegel — et Emmanuel Lévinas —, il faudrait ajouter la racine judaïque à la
matrice romaine, en particulier la morale de la loi fondée sur les Écritures vétéro-testamentaires.
5. N. MACHIAVEL, Discours sur la première décade de Tite-Live [1531], trad. fr. A. Fontana,
X. Tabet, Paris, Gallimard, 2004.
Subsidiarité et société ecclésiale. La contradiction pontificale 285

dans la modernité annoncée par le protestantisme. Le mot n’est certes pas


encore clairement formalisé en 1891, mais les principaux ingrédients de la
subsidiarité sont d’ores et déjà réunis  : essentiellement le compromis entre
une tradition qui s’enracine dans la cosmologie, dans la vision prémoderne
— organique — du monde et une modernité à la fois sociale et libérale.
Consacrée par la doctrine sociale, la subsidiarité n’est donc pas tout entière
catholique, elle est aussi l’expression d’une conception protestante du poli-
tique, nous allons le voir, telle que le calviniste Althusius a pu la thématiser. Il
reste que ses conditions officielles de naissance en 1931 révèlent au grand jour
son essence profonde. L’Église ne fait pas qu’incorporer un concept extérieur
à son corpus ; elle lui attribue sa signification moderne en lui redonnant une
cohérence propre dans le cadre de la pensée thomiste (autour de laquelle elle
a organisé son ralliement à la modernité). Avant le protestantisme, saint
Thomas avait bien démontré la priorité ontologique de la personne (imago
Dei) par rapport aux institutions ou aux structures politiques — qui sont au
service du bien commun. C’est ce qui peut faire du Docteur angélique le loin-
tain précurseur du personnalisme chrétien. Pour autant, le caractère second
du politique n’impliquait pas chez lui son caractère utilitaire. C’est à la faveur
du totalitarisme que la doctrine catholique ajoute l’ustensibilité étatique à la
secondarité politique.
Seconde partie
LA SUBSIDIARITÉ GERMANIQUE
OU LA STATOPHOBIE REFOULÉE
DE L’EUROPE CHRÉTIENNE
Chapitre préliminaire
L’Allemagne, l’Europe, le fédéralisme
« Il est [...] indubitable que la limitation du pouvoir
étatique redevient un problème d’autant plus brûlant
que la puissance universelle de l’Église catholique
s’écroule dans les différents États du fait de la Réforme
et de la nationalisation des Églises des deux confessions.
On ne risquera pas de se tromper en considérant cet
écroulement comme l’une des conditions et l’un des
effets de l’absolutisme moderne de l’État1. »
« Avec une facilité frappante un grand nombre de
protestants [allemands] se convertissent aujourd’hui au
catholicisme, parce que, grâce à lui, ils se sentent mieux
protégés contre l’État totalitaire2. »

1. LA TRADITION ALLEMANDE DU FÉDÉRALISME

Trois séries de remarques introductives en guise de transition.


Sur l’Allemagne et le fédéralisme, d’abord. Il est courant de faire du fédé-
ralisme la caractéristique matricielle de l’expérience politique allemande,
d’y voir l’expression d’un tempérament spécifiquement germanique. Nom-
breux sont en effet les indices qui permettent de reconstituer une sorte de
continuité logique allant de l’Allemagne médiévale à la République fédérale3.

1. W.  RÖPKE, Civitas humana ou les questions fondamentales de la réforme économique et


sociale [1944], trad. fr. P. Bastier, Paris, Librairie de Médicis, 1946, p. 178.
2. T. MANN, « Allemagne, ma souffrance. Pages de journal intime » [1933-1934], Les Exigences
du jour [1976], trad. fr. J. Naujac, L. Servicen, Paris, Grasset, 2003, p. 179-262, ici p. 229.
3. On sait que, dans l’espace germanique, le Moyen Âge n’a pas débouché sur la création d’un
pouvoir centralisé, mais sur un système politique fonctionnant à la coopération entre territoires
indépendants (Autriche, Bavière, Souabe, Franconie, Haut-Rhin, Bas-Rhin, Westphalie, Haute-
Saxe, Basse-Saxe, Bourgogne). L’émiettement de ces différents pays fut consacré en 1648 par les
traités de Westphalie, qui leur accordaient de nombreuses libertés germaniques.
290 La subsidiarité germanique...

Notre objectif ne saurait être ici de retracer cette longue histoire déjà ample-
ment restituée1 ; il est bien davantage de concentrer l’analyse sur le moment
post-totalitaire du fédéralisme allemand. Un double indice, sémantique là
encore, aide à poser les termes de notre questionnement sur ce qu’il convient
d’appeler le fédéralisme post-totalitaire. Un indice positif, tout d’abord : les
débats théoriques qui, de 1945 à 1949, président à la remise sur pied du fédé-
ralisme allemand réserve une place de choix à la subsidiarité. Un indice
négatif, ensuite  : le mot ne figurera pas dans la Loi fondamentale de 1949,
trop enraciné qu’il est alors dans la rhétorique corporatiste et traditionaliste2.
Absence sémantique qui révèle néanmoins autre chose : car même après une
phase de décontamination et un délai de carence, le syntagme restera pour
longtemps sans aucune traduction dans le vocabulaire juridique d’outre-
Rhin. L’entrée en droit positif sera non seulement tardive — consécutive
à la révision constitutionnelle postmaastrichtienne — mais aussi très limitée :
tel qu’il apparaît dans le texte constitutionnel allemand, le principe ne
concerne pas la répartition interne des compétences mais le seul ordre juri-
dique communautaire3. Comment expliquer cette réticence persistante du
droit positif à l’égard de la subsidiarité, dans le pays même de sa naissance ?
Question, en retour, qui ne manque pas de rétroagir sur le fédéralisme alle-
mand lui-même. Pour historiquement indéniable qu’il soit, le lien entre sortie
du totalitarisme et retour au fédéralisme a le fâcheux désavantage d’être pensé
sur le seul mode de l’évidence, sans que ses ressorts profonds ne fassent
l’objet d’une véritable interrogation4. Mais pourquoi faudrait-il considérer
que la refondation post-totalitaire de l’État allemand devait nécessairement
en passer par le fédéralisme ? N’y a-t-il là qu’une modeste affaire de recette
institutionnelle  : organiser la dissémination démocratique du pouvoir,
compléter la séparation horizontale du libéralisme classique par une réparti-
tion verticale, celle du fédéralisme ? Ou bien s’agit-il d’autre chose ? D’un
ressourcement quasi atavique auprès d’une bienheureuse tradition ? D’une
manière, toute psychologique, de refouler l’indicible en renouant avec un
ethos culturel ravagé par le crime totalitaire ?
À trop vouloir établir une relation de stricte équivalence entre Allemagne
et fédéralisme, on se laisse vite emporter par une lecture imaginaire de l’his-

1. Cf., en particulier, H. A. WINKLER, Histoire de l’Allemagne, XIXe-XXe siècle. Le long chemin
vers l’Occident [2000-2001], trad. fr. O. Demange, Paris, Fayard, 2005.
2. Cf. J. ISENSEE, « Wurzeln des Subsidiaritätsprinzips in der deutschen Tradition der orga-
nisch-föderalistischen Gesellschaftslehre  », Subsidiarität und Verfassungsrecht [1968], Berlin,
Duncker und Humblot, 2001, p. 35-44. Réédition du texte original qui l’accompagne d’une post-
face inédite (« Subsidiarität, das Prinzip und seine Prämissen », ibid., p. 333 sq.).
3. Nous parlons de l’article  23 de la Loi fondamentale, autrement appelé clause Europe  : Loi
modifiant la Loi fondamentale, 21 décembre 1992 (BGBL, 21 décembre 1992) ; Loi fondamen-
tale pour la République fédérale d’Allemagne, 23 mai 1949, article 23-1 (BGBL, 23 mai 1949).
4. Le point avait été noté par Raymond Aron en 1952 : le fédéralisme comme réaction et remède
à ce qui pouvait alors faire figure de maladie totalitaire de l’État (R. ARON, « Comment étudier
le fédéralisme ? » [1952], Commentaire, 2000-2001, 23 (92), p. 823-831). Particulièrement repré-
sentatifs de cet esprit post-totalitaire, les travaux du politiste Carl J. Friedrich, sur lesquels nous
reviendrons plus bas (C. J. FRIEDRICH, éd., Totalitarianism, Cambridge, Harvard University
Press, 1954 ; Studies in Federalism, Boston, Toronto, Little Brown, 1954).
L’Allemagne, l’Europe, le fédéralisme 291

toire, mais construite autour d’une imagerie tenace : le Moyen Âge chevale-
resque, le Saint Empire (Heiliges Römisches Reich deutscher Nation)1, le
romantisme ombrageux des identités territoriales, les libertés germaniques,
les Stände, etc.2. Il y a là une forme abusive de culturalisme dont il faut se
départir si l’on veut redonner toute sa place à la contingence historique, inter-
roger les faits et questionner les évidences trompeuses. La pleine compréhen-
sion des ressorts et étapes constitutifs du lien, historiquement noué, entre
le fédéralisme et la politique allemande nécessite d’assumer les césures du
temps, au-delà des continuités rétrospectives. Néanmoins, aussi indispen-
sable soit-il, pareil refroidissement analytique recèle quelque chose de muti-
lant dès lors qu’il s’agit d’appréhender une culture politique dans toute son
amplitude. On le sait, cette catégorie d’analyse ne manque pas de soulever
d’importants problèmes épistémologiques, mais sa complexité semble en
définitive tout à fait proportionnelle aux phénomènes dont elle souhaite
rendre raison3. Nous nous intéresserons ici à l’ensemble des codes qui sont au
travail dans la communication sociale, en insistant plus particulièrement sur
la mémoire des mots, les inerties sémantiques et autres concepts à même
de transcender les clivages politiques traditionnels.
La voie se fait étroite au total, qui veut s’intercaler entre l’histoire des men-
talités et le tropisme naturel au culturalisme. Nous essaierons toutefois de

1. Sur cette thématique devenue véritable lieu commun, cf. D.  LANGEWIESCHE,
G.  SCHMIDT, dir., Föderative Nation. Deutschlandkonzepte von der Reformation bis zum
Ersten Weltkrieg, Munich, Oldenbourg, 2000 ; G.  SCHMIDT, Geschichte des Alten Reiches.
Staat und Nation in der Frühen Neuzeit, Munich, Beck, 1999 ; « “Wo Freiheit ist und Recht”, da
ist der Deutsche untertan ?  », Identität und Geschichte, éd. M.  WERNER, Cologne, Vienne,
Weimar, Böhlau, 1997, p. 111-138 ; K. O. von ARETIN, Das Alte Reich, I-III, Stuttgart, Klett-
Cotta, 1993-1997 ; « “Das Heilige Römische Reich Deutscher Nation” », Die Rolle der Nation in
der deutschen Geschichte und Gegenwart, dir. O.  BÜSCH, J.  J. SHEEHAN, Berlin, Collo-
quium, 1985, p.  73-82 ; V.  PRESS, «  Staatswerdungsprozess in Mitteleuropa  : Heiliges Römi-
sches Reich, Deutschland, Österreich », Subsidiarität, dir. A. RIKLIN, G. BATLINER, Vaduz,
Verlag der Liechtensteinischen Akademischen Gesellschaft, 1994, p.  213-242 ; T.  FLEINER-
GERSTER, « Germeindeautonomie, Föderalismus und Subsidiarität », ibid., p. 321-342.
2. Faisant référence aux anciennes tribus des forêts de Germanie, Hegel parlait par exemple,
pour la critiquer, de « la tendance primitive des Allemands à s’attacher obstinément à une indé-
pendance ombrageuse » (G. W. F. HEGEL, La Constitution de l’Allemagne [1800-1802], trad.
fr. M. Jacob, Paris, Champ libre, 1974, p. 112). Fichte avant lui et Thomas Mann après ont pu,
dans des termes tout à fait similaires, dessiner les traits de ce même esprit allemand et/ou germa-
nique (J. G. FICHTE, Discours à la nation allemande [1807], trad. fr. A. Renaut, Paris, Impri-
merie nationale, 1992 ; T.  MANN, Considérations d’un apolitique [1918], trad. fr. J.  Naujac,
L. Servicen, Paris, Grasset, 2002). Sans parler ici, dans un autre registre, ni de la Germanie de
Tacite (cf. M. WERNER, « Die “Germania” », Deutsche Erinnerungsorte, dir. É. FRANÇOIS,
H. SCHULZE, Munich, Beck, 2001, III, p. 569-586) ni de la littérature française de provenance
aristocratique (Boulainvilliers, Montesquieu).
3. Nous entendons culture en son sens anthropologique : l’ensemble des comportements collec-
tifs, des systèmes de représentation et des valeurs d’une société donnée (P.  d’IRIBARNE,
« Trois figures de la liberté », Annales, 2003, 58 (5), p. 953-978 ; Penser la diversité du monde,
Paris, Le Seuil 2008 ; « La force des cultures », Le Débat, 2009, 157, p. 111-123). Sur la notion de
culture politique, cf. Y. SCHEMEIL, « Les cultures politiques », Traité de science politique, dir.
M.  GRAWITZ, J.  LECA, Paris, PUF, 1985, III, p.  237-307 ; B.  BADIE, Culture et politique,
Paris, Économica, 1993. Pour un essai de conceptualisation théorique à partir du cas européen,
cf. W.  REINHARD, «  Qu’est-ce que la culture politique européenne ? Fondement d’une
anthropologie historique politique » [2001], trad. fr. F. Laroche, Trivium, 2008, 2, 26 p.
292 La subsidiarité germanique...

tenir la ligne de crête en nous appuyant sur un double emprunt méthodolo-


gique  : le premier continue de puiser dans la Begriffsgeschichte kosellec-
kienne1 ; le second, dans le même esprit, s’inspire des analyses inaugurales de
Louis Dumont. Mieux qu’aucun autre, nous semble-t-il, le grand anthropo-
logue a invité le regard français à sortir de ses propres catégories, à se décen-
trer par rapport à son expérience nationale, pour comprendre de l’intérieur la
«  variante  » spécifiquement allemande de la «  configuration  » politique
moderne2.
Notre propos ne saurait s’ajouter à une longue liste de travaux déjà dispo-
nibles sur la question de l’intimité du lien entre fédéralisme et Allemagne.
Nous nous contentons ici de nous interroger sur la place à attribuer à la tradi-
tion catholique dans la formulation du fédéralisme allemand, et à la subsidia-
rité dans sa reformulation post-totalitaire. Notre démarche se décline à gros
traits en deux séries de questions. Un premier questionnement spécifique et
relatif : quel rôle respectif les cultures protestante et catholique ont-elles pu
jouer ? Un second questionnement plus général  : quels rapports le catholi-
cisme et le fédéralisme entretiennent-ils à la modernité protestante ? La subsi-
diarité, c’est notre hypothèse, nous semble particulièrement à même d’ouvrir
des pistes suggestives pour la réflexion, spécialement dans l’identification du
substrat culturel et des ressorts religieux qui travaillent le fédéralisme alle-
mand. Comment le mot et le concept s’inscrivent-ils dans la culture fédérale
d’outre-Rhin ? Possèdent-ils une valeur heuristique de nature à enrichir la
compréhension du fédéralisme germanique, voire, dans son prolongement,
de la construction européenne ? Aucune prétention à l’exhaustivité donc,
mais des coups de sonde très ciblés dans un matériau tour à tour religieux,
juridique, politique et institutionnel. Le tout en continuant de se laisser
guider par l’histoire sémantique. Nous postulons que l’histoire du mot lui-
même participe de la culture politique allemande, qui le façonne tout en
l’orientant. Double ambition au total : tenter, au moyen du concept de subsi-
diarité, une stylisation nouvelle de l’expérience allemande du fédéralisme

1. Sur l’esprit fédéral dans l’histoire de l’Allemagne, cf., plus particulièrement, R.  KOSEL-
LECK, « Bund, Bündnis, Föderalismus, Bundesstaat », Geschichtliche Grundbegriffe, Histori-
sches Lexikon zur politisch-sozialen Sprache in Deutschland, dir. O. BRUNNER, W. CONZE,
R. KOSELLECK, Stuttgart, Klett, 1972, I, p. 582-671 ; « Structures fédérales de l’histoire alle-
mande » [1993], trad. fr. M.-C. et J. Hoock, L’Expérience de l’histoire, Paris, Gallimard, Le Seuil,
1997, p.  121-134 ; T.  NIPPERDEY, «  Le fédéralisme dans l’histoire allemande  » [1980],
Réflexions sur l’histoire allemande, trad. fr. C.  Orsoni, Paris, Gallimard, 1992, p.  81-155 ;
O. KIMMINICH, « Historische Grundlagen und Entwicklung des Föderalismus in Deutsch-
land », Probleme des Föderalismus, dir. E. BENDA, et al., Tübingen, Mohr, 1985, p. 1-15.
2. L. DUMONT, Homo aequalis, II. L’Idéologie allemande, Paris, Gallimard, 1991, p. 8. Louis
Dumont avait inauguré son va-et-vient conceptuel entre la France et l’Allemagne par une étude
sur la nation (L.  DUMONT, «  L’Allemagne répond à la France. Le peuple et la nation chez
Herder et Fichte » [1979], Essais sur l’individualisme, Paris, Le Seuil, 1983, p. 134-151). Préci-
sons que notre dette contractée à l’égard du grand anthropologue ne nous fait pas oublier cer-
tains biais à l’œuvre dans son propos, parmi lesquels une vision souvent manichéenne du couple
holisme-individualisme (P. LABORIER, « Les conséquences éthiques de l’acculturation à partir
de l’exemple du développement de l’État en Allemagne », Mélanges P. Hassner, Paris, Presses de
Sciences Po, 2003, p.  505-514 ; R.  LARDINOIS, «  Louis Dumont et les sciences indigènes  »,
Actes de la recherche en sciences sociales, 1995, 106-107, p. 11-26).
L’Allemagne, l’Europe, le fédéralisme 293

post-totalitaire ; étudier, en retour, ce que le même concept dit précisément


du contexte dans lequel il s’inscrit, selon la méthode maintenant éprouvée
de la Begriffsgeschichte. En ce sens, mais sans vouloir lui attribuer une por-
tée explicative exagérément dense, la subsidiarité peut permettre de mieux
comprendre en quoi le fédéralisme post-totalitaire allemand est irrigué par
une référence typiquement religieuse ; en quoi la subsidiarité germanique
organise, sur le terrain du fédéralisme, la rencontre du catholicisme et du
monde moderne, du catholicisme et du protestantisme. Le retour sur l’his-
toire allemande permettra enfin de déterminer jusqu’à quel point le constat
établi à partir du cas germanique — le fédéralisme comme sortie du totalita-
risme — est généralisable à l’échelle du continent européen.

Sur l’Allemagne protestante et le fédéralisme, ensuite. L’habitude est


désormais solidement installée dans les esprits d’associer protestantisme et
fédéralisme, d’établir un rapport de quasi équivalence entre théologie protes-
tante et solution fédérale. Les études sont nombreuses, qui portent sur les
retombées institutionnelles du protestantisme, essentiellement structurées
autour des notions de foedus pour la tradition biblique (alliance entre Dieu et
son peuple) et de Bund pour la tradition germanique (Bundestheologie)1. De
part et d’autre du Rhin, on oppose alors l’Allemagne du fédéralisme protes-
tant et la France du centralisme catholique. Aussi légitime soit-elle, cette
opposition se révèle en grande partie abusive au regard de la réalité prosaïque
de l’histoire. À plus d’un titre. Côté protestant, rive droite : l’État n’a pas eu à
se construire face aux instances d’une Église instituée mais, tout au contraire,
avec l’aide des Églises, sa croissance ayant de ce fait été durablement limitée2.
Côté catholique : il faut distinguer entre une variante française qui légitimera
décisivement le centralisme et une variante allemande qui inclinera non moins
clairement vers le fédéralisme3. Constat rudimentaire mais indice précieux si

1. Sur la théologie fédérale, outre l’étude de Reinhart Koselleck, cf. E. DEUERLEIN, Födera-
lismus, Munich, List, 1972, p.  11-12 ; J.  F.  G. GOETERS, «  Föderaltheologie  », Theologische
Realenzyklopädie, Berlin, New York, Walter de Gruyter, 1983, XI, p.  246-252 ; «  Die refor-
mierte Föderaltheologie und ihre rechtsgeschichtlichen Aspekte  », Subsidiarität, op. cit.,
p. 81-95 ; B. J. S. HOETJES, « The European Tradition of Federalism : The Protestant Dimen-
sion », Comparative Federalism and Federation. Competing Traditions and Future Directions,
éd. M. BURGESS, A.-G. GAGNON, New York, Harverster Wheatsheaf, 1993, p. 117-137.
2. Le protestantisme naissant a pu conduire à un renforcement des pouvoirs politiques séculiers
alors même que son message théologique tendait à les déconsidérer de manière systématique. Sur
ce dilemme entre principe théorique et réalité effective, cf. les travaux de la sociologie historique
de l’État, et surtout quatre auteurs  : B.  BADIE, P.  BIRNBAUM, Sociologie de l’État [1979],
Paris, Hachette, 2004 ; B. BADIE, « Contrôle culturel et genèse de l’État », Revue française de
science politique, 1981, 31 (2), p. 325-342 ; G. HERMET, Sociologie de la construction démocra-
tique, Paris, Économica, 1984 ; S.  ROKKAN, «  Dimensions of State Formation and Nation-
Building. A Possible Paradigm for Research on Variations within Europe », The Formation of
National States in Western Europe, dir. C.  TILLY, Princeton, University Press, 1975, p.  562-
600 ; « Conditions of State Formation and Nation-Building », State Formation, Nation-Building
and Mass Politics in Europe, dir. P. FLORA, Oxford, University Press, 1995.
3. Cf., par exemple, la carte conceptuelle de l’Europe proposée par Stein Rokkan (S. ROKKAN,
« Un modèle géo-économique et géopolitique de quelques sources de variations en Europe de
l’Ouest  », trad. fr., Revue internationale de politique comparée, 1995, 2 (1), p.  147-170). Pour
l’établir, le politiste norvégien a croisé trois séries de facteurs géographiques, économiques et
294 La subsidiarité germanique...

l’on veut cerner de près ce qui fait le propre de la culture politique allemande
et le propre de la contribution spécifique du catholicisme. Y a-t-il une sensi-
bilité allemande qui préexiste au catholicisme et lui donne une teinte parti-
culière ? Ou bien le catholicisme réveille-t-il une potentialité en sommeil de
la culture allemande ? Sans répondre à cette question, la subsidiarité pourra
nous permettre de réévaluer l’apport respectif des facteurs culturel et reli-
gieux dans le fonctionnement de la politique ultrarhénane, au besoin en nous
aidant du contrepoint français.
Pays biconfessionnel, partagé à égalité entre luthéranisme et catholicisme
(sans oublier quelques enclaves calvinistes, démographiquement peu impor-
tantes mais symboliquement significatives), l’Allemagne constitue un terrain
privilégié pour l’observation du mixage culturel interne au christianisme1. L’in-
térêt ne consistera pas ici à examiner comment un dogme religieux trouve à
s’exprimer dans un territoire donné, cet aspect des choses est connu, mais bien à
considérer l’entremêlement qui a pu historiquement s’opérer outre-Rhin entre
les différentes branches du christianisme, spécialement sur la question de l’État.
Parler de luthéranisme (Luthertum) et non de doctrine luthérienne permet
d’ailleurs d’insister sur le nœud indémêlable qui unit la pensée inaugurée par le
grand Réformateur et l’enracinement historique du mouvement religieux auquel
elle a donné lieu2. Contre les rationalisations a posteriori, issues, en général,
d’une entrée dans les questions d’histoire religieuse par le seul prisme de la
dogmatique théologique, rappelons que l’implantation allemande du protestan-
tisme n’est ni le fruit d’une spontanéité populaire ni celui d’un mystérieux
hasard3. Le luthéranisme est devenu religion officielle de la plupart des terri-
toires orientaux et septentrionaux de l’Allemagne pour la simple et bonne raison
que les pouvoirs politiques en place en ont décidé ainsi, consécutivement à la
Paix d’Augsbourg (1555) : Cujus regio ejus religio, disait l’adage.

culturels  : une variable territoriale (position géographique) ; une variable socio-économique


(impact de la révolution industrielle, intensité des conflits sociaux, morphologie démographique,
structure du réseau urbain et poids des campagnes) ; une variable culturelle (impact de la Réforme
protestante et/ou de la Révolution française sur les rapports État-Église).
1. Le protestantisme allemand ne s’est jamais résumé au seul luthéranisme. Il a toujours compris
une forte composante calviniste (pensons à la famille des Hohenzollern ou à la secte des Menno-
nites, dérivé direct du calvinisme hollandais). Le catholicisme allemand, pour sa part, n’est pas
non plus un bloc culturel d’un seul tenant. Même si l’important synode de Wurtzbourg (1971-
1975), commun à tous les évêques catholiques d’Allemagne de l’Ouest, a pu accréditer l’idée
d’une forte homogénéité, il faut distinguer catholicisme rhénano-westphalien et catholicisme
bavarois. Après une longue période d’affrontements, la rencontre allemande entre protestan-
tisme et catholicisme prendra corps en 1945, avec des conséquences jusque dans la structuration
partisane du pays et la création de l’Union démocrate-chrétienne. Cf., ici, T.  NIPPERDEY,
« Les partis chrétiens » [1980], Réflexions sur l’histoire allemande, op. cit., p. 178-197.
2. Outre son maître ouvrage déjà cité, les Soziallehren, cf. le recueil de textes : E. TROELTSCH,
Protestantisme et modernité [1909-1913], trad. fr. M. de Launay, Paris, Gallimard, 1991.
3. Rappelons que l’objectif initial du protestantisme ne consistait à rien d’autre qu’à entre-
prendre une réforme de l’Église catholique. C’est dans la mesure où il n’a réussi à imposer son
idéal ecclésiastique qu’avec l’aide des gouvernements que les Églises luthériennes sont devenues
nationales. Cf. M.  LIENHARD, «  La Confession d’Augsbourg et les questions sociopoli-
tiques », La Confession d’Augsbourg, 450e anniversaire, Paris, Beauchesne, 1980, p. 145-170.
L’Allemagne, l’Europe, le fédéralisme 295

Sur l’Allemagne chrétienne et la subsidiarité, enfin. Nous avons d’ores et


déjà rappelé les termes de l’enracinement de la subsidiarité dans le catholi-
cisme allemand. Il nous faut ici ajouter une seconde pierre à l’édifice de cette
histoire sémantique  : formalisé par l’Église catholique et progressivement
présenté comme un axiome central de sa doctrine sociale, le principe de sub-
sidiarité est l’expression tardive d’une lointaine tradition. Cette tradition
n’est ni spécifiquement ni exclusivement catholique, elle est germanique,
autant protestante que catholique, voire, plus fondamentalement, préchré-
tienne : il s’agit de la tradition de l’Allemagne médiévale, à laquelle la subsi-
diarité est récemment venue donner un nom1. Pour le comprendre, il faut
commencer par se départir de l’image commune d’un protestantisme tout
entier situé du côté de la modernité. La distinction troeltschienne entre pro-
testantisme ancien et protestantisme moderne est ici d’un précieux secours.
D’un côté, nous dit le sociologue des religions, l’« archéoprotestantisme », la
subordination augustinienne de la communauté politique à la sphère reli-
gieuse, la direction de la société par le spirituel dans un monde où Église et
État ne sont pas encore des organes séparés, mais des fonctions agissant de
concert à l’intérieur du corps social. De l’autre, le «  néoprotestantisme  »,
l’univers en voie de sécularisation, la fin de la tutelle cléricale sur l’ici-bas
(rappelons que le processus de sécularisation n’a pas empêché les phases de
confessionnalisation protestante de l’État — moins rapportables, cependant,
à des facteurs théologiques qu’à des circonstances proprement historiques : la
cohabitation ou non de plusieurs religions sur un même territoire). Immergé
qu’il était dans le christianisme médiéval, Luther ambitionnait-il à fondamen-
talement autre chose qu’une refonte du vieux catholicisme2 ?
Bien sûr, on ne saurait nier qu’il existe, relativement au catholicisme, une
grande proximité dogmatique entre luthéranisme et calvinisme  : les deux
doctrines ne reconnaissent d’autorité qu’à la seule Bible ; elles éliminent
pareillement la hiérarchie ecclésiastique du catholicisme romain et son sys-
tème de médiations ; elles se retrouvent toutes les deux autour des dogmes de
la prédestination et de la grâce sélective3. Mais à trop vouloir rassembler tout
le protestantisme dans une même unité conceptuelle, rappelle le sociologue
allemand, on établit une équivalence pour le moins problématique entre pro-

1. En témoigne, par exemple, le rapport d’Evanston sur la « société responsable » issu, en 1954,
du Conseil œcuménique des Églises protestantes tenu aux États-Unis. Ce rapport donne expres-
sément une place de choix au principe de subsidiarité dans la pensée sociale chrétienne. Pour le
cas allemand, en particulier, cf., notamment, C. CORDES, « Kann evangelische Ethik sich das
Subsidiäritätsprinzip, wie es in der Enzyklika “Quadragesimo anno” gelehrt wird, zu eigen
machen ? », Zeitschrift für evangelische Ethik, 1959, 3, p. 145-157 ; K. JANSSEN, « Theologische
Aspekte des Subsidiaritätsprinzips im deutschen Jugendwohlfahrtsrecht  », ibid., p.  158-166 ;
T. RENDTORFF, « Der evangelische Anteil am Subsidiaritätsprinzip », Gesellschaftspolitische
Realitäten. Beiträge aus evangelischer Sicht, dir. J. DOEHRING, Gütersloh, Gütersloher Ver-
lagshaus Gerd Mohn, 1964, p. 191-206.
2. S’agissant du calvinisme, Troeltsch ajoute qu’il accompagne la modernité beaucoup plus qu’il
ne l’inaugure. Il participe au mouvement moderne sans y être plus déclenchant qu’un autre fac-
teur. Le sociologue insiste au contraire sur le rôle de la secte des néocalvinistes puritains.
3. Cf. les analyses fondatrices de Michael Walzer (M.  WALZER, La Révolution des saints.
Éthique protestante et radicalisme politique [1965], trad. fr. V. Giroud, Paris, Belin, 1987).
296 La subsidiarité germanique...

testantisme et modernité ; équivalence que Max Weber a malgré lui contribué à


propager avec sa thèse des «  affinités électives  » entre éthique protestante et
esprit du capitalisme1. La proposition troeltschienne s’avère donc doublement
éclairante : elle aide à se défaire de cette vision trompeuse postulant une partici-
pation quasi exclusive de la Réforme à l’avènement des sociétés démocratiques
et capitalistes ; elle permet, sur la question précise de l’État, de saisir quelques-
uns des principaux traits caractéristiques qui font l’unité de tout le christia-
nisme — protestantisme et catholicisme compris. Sur le premier point,
Troeltsch rappelle qu’il a fallu une conjonction de facteurs circonstanciels et
culturels pour qu’une bifurcation des itinéraires luthérien et calviniste se pro-
duise à l’intérieur même de la Réforme : rien ne déterminait doctrinalement la
réussite du calvinisme et l’échec du luthéranisme2. Sur le second point, il aide à
dédramatiser les frontières canoniques de la théologie en réunissant le catholi-
cisme, le luthéranisme et le calvinisme sous la même catégorie d’analyse, le
type-église. La trajectoire allemande permet précisément de comprendre les
croisements culturels entre ces trois branches du christianisme, en particulier
les compromis institutionnels et politiques qui en ont historiquement résulté.

2. LA SUBSIDIARITÉ DU LIBÉRALISME GERMANIQUE


Après avoir pris soin de réinscrire le concept dans son contexte religieux, nous
ne saurions avoir pour intention de minorer l’enracinement catholique de la
subsidiarité ; il s’agit au contraire de donner à voir sa résonance plus largement
chrétienne en cette terre d’Europe lotharingienne où officiera Mgr von Ket-
teler. À l’instar du prélat rhénan, qui joua le rôle que l’on sait dans l’éclosion
du concept, la subsidiarité catholique hérite de la culture proprement germa-
nique du fédéralisme et des communautés locales. Culture immémoriale, nous
le disions en commençant, consacrée dès les xvie-xviie  siècles par celui qui,
pendant plus de trente ans (1604-1638), sera Ratsyndikus d’Emden, « la Genève
du Nord », ville libre de Frise orientale située aux confins des Provinces-Unies
et de l’Empire allemand : Johannes Althusius. C’est lui, grand juriste calviniste,
qui nous aide ici — et nous autorise — à donner une définition extensive de la
culture germanique intégrant les apports helvétique et hollandais3.

1. M. WEBER, L’Éthique protestante et l’esprit du capitalisme [1905, 1920], trad. fr. J.-P. Gros-
sein, Paris, Gallimard, 2004. Il faut donc lire la sociologie de Ernst Troeltsch comme un complé-
ment nécessaire de la thèse wébérienne. Pour une discussion, cf. T. NIPPERDEY, « Luther et le
monde moderne » [1983], Réflexions sur l’histoire allemande, op. cit., p. 40-58.
2. Réussite du calvinisme directement repérable à son expansion géographique (au-delà de la
question de la multiplicité des courants). Échec du luthéranisme au sens où il n’a pas réussi à
produire son propre droit ecclésial et s’est finalement contenté de reprendre les solutions du
droit canon en en évacuant les éléments trop marqués du sceau catholique. Fortement adossé
qu’il était à la cité genevoise, le calvinisme a, quant à lui, réussi à se doter d’une organisation
ecclésiale propre dans sa structure comme dans son esprit. À l’opposé du luthéranisme, il a dès le
départ insisté sur la nécessité d’un clergé (au sens de gouvernement spirituel) appelé à diriger les
laïcs. Ce que Calvin rejette et proscrit, c’est la confiscation catholique des pouvoirs temporel et
spirituel (l’absolutisme monarchique des papes), non l’idée d’une Église qui oriente l’État.
3. J. ALTHUSIUS, Politica Methodice Digesta, atque exemplis sacris et profanes illustrata [1603-
1614], éd lat. C. J. Friedrich, Cambridge, Harvard University Press, 1932 ; trad. angl. (partielle)
L’Allemagne, l’Europe, le fédéralisme 297

Considérées dans le temps long de l’histoire, et sans préjudice de certaines


spécificités, les expériences suisse et allemande peuvent être légitimement
rapprochées. À bien y regarder, en effet, il faut attendre le Printemps des
peuples en 1848 pour qu’une nette bifurcation s’opère de part et d’autre du
lac de Constance. En Suisse : unification des cantons autour d’un État fédéral
et libéral. En Allemagne  : construction autoritaire de l’unité autour d’un
centre prussien1. Cette évocation helvétique, que nous retrouverons plus bas
à de multiples reprises, n’exprime qu’une modalité parmi d’autres d’un
registre suremprunté : la référence mythique à un passé pré-étatique et non-
autoritaire. Elle trouvera en particulier à s’épanouir après la Seconde Guerre
mondiale, la Suisse se présentant comme un havre de paix intérieure, un
refuge vierge de toute horreur, une périphérie reposante en marge de l’his-
toire2. N’est-ce pas dans la même perspective, sur fond de construction euro-
péenne, qu’Althusius sera redécouvert et remis à l’honneur après être long-
temps resté dans l’angle mort de l’histoire des idées ? Pareil réinvestissement
du modèle suisse ou de l’œuvre althusienne n’a donc rien de fortuit. Il cristal-
lise quelque chose comme un surmoi germanique de l’Europe post-totali-
taire, un rapport spécifiquement allemand à la politique.
Mais notre intention n’est pas de réentonner le refrain éculé du Sonder-
weg ; elle procède, au contraire, d’un souci de décentrement, pour mieux
mettre en regard les histoires française et allemande. Car parler de Sonderweg
allemand supposerait de démontrer d’abord qu’une voie « normale » a jamais
existé en Europe3. À cet obstacle s’en ajoute un second : ce thème s’enracine

F. S. Carney, Londres, Eyre and Spottiswoode, 1965. La réédition latine de la Politica a été éta-
blie en 1932 par Carl J. Friedrich. Avant cela, Althusius avait été redécouvert dès la fin du
xixe  siècle par Otto von Gierke, le grand théoricien du droit associatif (O.  von GIERKE,
Johannes Althusius und die Entwicklung der naturrechtlichen Staatstheorien [1880], Aalen,
Darmstadt, Scientia, 1981 ; Das deutsche Genossenschaftsrecht, I. Rechtsgeschichte der deutschen
Genossenschaft ; II. Geschichte des deutschen Körperschaftsbegriffs ; III. Die Staats- und Korpo-
rationslehre des Altertums und des Mittelalters und ihre Aufnahme in Deutschland ; IV. Die
Staats- und Korporationslehre der Neuzeit [1868-1913], Graz, Akademischer Verlag, 1954 ;
« L’idée germanique de l’État » [1919], trad. fr. C. Argyriadis-Kervégan, Revue française d’his-
toire des idées politiques, 2006, 23, p.  169-191 ; Les Théories politiques du Moyen Âge [1868-
1881], trad. fr. J. de Pange, J.-L. Halpérin, Paris, Dalloz, 2007). Cf., par exemple, W. ZIMMER,
«  Une conception organiciste de l’État de droit  : Otto Bähr et Otto von Gierke  », Figures de
l’État de droit. Le « Rechtstaat » dans l’histoire intellectuelle et constitutionnelle de l’Allemagne,
dir. O.  JOUANJAN, Strasbourg, PUS, 2001, p.  219-234 ; S.  BAUME, «  Penser l’“État orga-
nique” », Revue européenne des sciences sociales, 2002, 40 (122), p. 119-139.
1. Sur la Suisse, cf. H.  STADLER, Subsidiaritätsprinzip und Föderalismus. Ein Beitrag zum
schweizerischen Staatsrecht, Fribourg, Universitätsbuchhandlung, 1951. S’agissant des Pays-Bas,
nous retrouverons plus loin sur la théorie des sphères de souveraineté d’Abraham Kuyper
(A.  KUYPER, Sphere Sovereignty, [1880] Abraham Kuyper  : A Centennial Reader, éd.
J. D. BRATT, Grand Rapids, Eerdmans, 1998, p. 461-490 ; H. DOOYEWEERD, « L’idée chré-
tienne de l’État » [1936], trad. fr. H. E. S. Woldring, Notes et documents, 1994, 39-40, p. 32-52).
2. Cf. A. SIEGFRIED, La Suisse, démocratie témoin [1948], Neuchâtel, La Baconnière, 1969.
Dans un tout autre registre, pensons à La Montagne magique de Thomas Mann, au sanatorium
de Davos, où Hans Castorp, initialement de passage en Suisse, s’installe finalement pour sept ans
(T. MANN, La Montagne magique [1924], trad. fr. M. Betz, Paris, Fayard, 2007).
3. Cette question sera reprise lorsqu’il s’agira de discuter les thèses de Helmuth Plessner et de
Heinrich August Winkler. D’une manière générale, on peut dire que le thème du Sonderweg a
d’abord été investi sur le mode de la glorification du passé pour ensuite s’inverser en discours
298 La subsidiarité germanique...

beaucoup trop dans le discours normatif des protagonistes (retard historique


à rattraper versus irréductible spécificité à conserver) pour se voir attribuer
une réelle valeur heuristique, ou même une consistance épistémologique,
dans le champ de la recherche scientifique. Point de Sonderweg considéré en
tant que tel donc, mais une opposition d’itinéraire entre les deux grands pays
qui jouxtent le Rhin.
Au cœur de cette opposition, les facteurs religieux trônent en première
place, qui, côté allemand, dessinent en commun un puissant mouvement de
secondarisation du politique. Mouvement si profond qu’il transcende à la fois
le protestantisme et le catholicisme. Dans la sensibilité protestante, on le sait, la
politique n’est jamais qu’une fonction parmi d’autres de l’activité humaine,
l’exercice technique du minimum de gouvernement nécessaire à la vie collec-
tive. Son rejet des hiérarchies, qu’elles soient de provenance monarchique ou
seigneuriale, l’a toujours empêché, par construction, d’investir le politique
d’une autorité supérieure aux autres sphères de la vie mondaine : le social et
l’économique, par exemple1. Mais, en la matière, le catholicisme allemand ne se
distingue pas fondamentalement de son homologue protestant. Qu’il suffise de
le comparer au catholicisme français, lequel, tout au contraire, a fortement
contribué à l’érection d’une primauté hexagonale de l’État et de la politique.
C’est qu’il y a dans la manière allemande d’être au monde — indistinctement
protestante et catholique — une forme d’évitement du politique, qui s’oppose
terme à terme à la tradition française du conflit. Preuve supplémentaire, s’il
en est, de l’enracinement géographique et historique des cultures religieuses.
Entre tous, Thomas Mann — celui des Considérations d’un apolitique — est
l’auteur qui a le mieux résumé ce contentieux civilisationnel, d’une formule
restée célèbre : la Réforme a immunisé l’Allemagne contre la Révolution2.

critique après la Seconde Guerre mondiale (J. SOLCHANY, « Une inversion radicale du passé »,
Comprendre le nazisme dans l’Allemagne des années zéro, 1945-1949, Paris, PUF, 1997,
p.  81-101). Cf. R.  DAHRENDORF, Gesellschaft und Demokratie in Deutschland [1965],
Munich, Deutscher Taschenbuch, 1975 ; T. NIPPERDEY, « Les problèmes de la modernisation
en Allemagne » [1979], Réflexions sur l’histoire allemande, op. cit., p. 59-80 ; D. GROH, « Le
“Sonderweg” de l’histoire allemande : mythe ou réalité ? », Annales, 1983, 38 (5), p. 1166-1187 ;
R.  KOSELLECK, «  Les ressorts du passé  » [1998-1999], trad. fr. M.-C. et J.  Hoock, Espaces
Temps, 2000, 74-75, p. 144-159 ; H. SCHILLING, « Wider den Mythos vom Sonderweg. Die
Bedingungen des deutschen Weges in die Neuzeit », Reich, Regionen und Europa in Mittelalter
und Neuzeit, éd. P.  J. HEINIG, et al., Berlin, Duncker und Humblot, 2000, p.  699-714 ;
G. SCHMIDT, « Das frühneuzeitliche Reich. Sonderweg und Modell für Europa oder Staat der
deutschen Nation », Imperium Romanum. Das Alte Reich im Verständnis der Zeitgenossen und
der Historiographie, dir. M. SCHNETTGER, Mayence, Zabern, 2002, p. 247-277.
1. « [Le pape et les évêques] sont devenus des princes temporels gouvernant avec des lois qui ne
concernent que le corps et les biens. Ils ont complètement renversé l’ordre des choses  : ils
devraient gouverner les âmes intérieurement par la parole de Dieu ; au lieu de cela, ils gouvernent
extérieurement des châteaux, des villes, le pays et les gens, et martyrisent les âmes par une indi-
cible violence meurtrière. Il en est de même pour les seigneurs temporels  : [...] ils [...] veulent
régner au spirituel sur les âmes, de même que les autres veulent régner au temporel.  »
(M. LUTHER, « De l’autorité temporelle et dans quelle mesure on lui doit obéissance », Luther
et les problèmes de l’autorité temporelle [1521-1525], trad. fr. J. Lefebvre, Paris, Aubier, Mon-
taigne, 1973, p.  129 ; part.  II). Cf., par exemple, A.  DUPRONT, «  Réforme et “modernité”  »
[1984], Genèses des Temps modernes, Paris, Gallimard, Le Seuil, 2001, p. 123-146.
2. T. MANN, Considérations d’un apolitique, op. cit., p. 426 (cité dans L. DUMONT, « Iden-
L’Allemagne, l’Europe, le fédéralisme 299

« Il est allemand, précise l’auteur des Betrachtungen, de reléguer le radicalisme


dans le domaine de l’esprit et d’adopter à l’égard de la vie une attitude
d’éthique pratique antiradicale. En cela réside la pensée et l’instinct propre-
ment politiques de ce peuple apolitique1. »
Prenant la plume au sortir de la Première Guerre mondiale, dans une sorte
d’accès nationaliste dont il se départira plus tard, Thomas Mann réagissait là
au constat historique qui taraudait l’Allemagne depuis le début du xixe siècle :
celui de l’impossibilité d’une révolution allemande de type français. Aussi,
l’attitude antiradicale à laquelle il fait allusion n’est rien d’autre, pourrait-on
dire, que la conséquence d’une culture religieuse interdisant, au nom de la vie
intérieure, de trop exagérer l’importance de la mondanité politique. Mais, on
le voit bien, cette secondarisation allemande du politique ne s’entend que de
manière relative ; elle s’entend seulement dans un dialogue nécessaire avec
son complément inversé, la sacralisation française du politique : l’Allemagne
contre la France, les libertés anciennes contre la liberté moderne, l’intériorité
de la Bildung contre l’extériorité de la vie publique, la Kultur contre la civili-
sation2. Dans cette cascade d’oppositions, simple pendant littéraire d’un
thème sociologique bien connu (Gemeinschaft contre Gesellschaft)3, l’État est
comme emporté en tant qu’incarnation de la superficialité occidentale. Car
l’absolu de la vie intérieure, divinement consacrée, n’a que faire de la médio-
crité du monde des hommes. Cette résistance spirituelle de l’Allemagne
s’exprime moins à l’égard de l’ennemi français en tant que tel qu’à l’égard de
la modernité en général et à tous ses produits d’importation : la démocratie
parlementaire en premier lieu, dont réalisation la plus pure reste encore la
version britannique4. L’affrontement culturel entre l’esprit militaro-autori-
taire des Germains et l’esprit commercialo-parlementaire des Anglo-saxons
ne se réduit ni à une antienne de la « révolution conservatrice » de l’entre-
deux-guerres (Arthur Moeller van den Bruck, Ernst von Salomon, Ernst

tités collectives et idéologie universaliste » [1984], L’Idéologie allemande, op. cit., p. 15-31, ici
p. 24 ; « L’idée allemande de liberté selon Ernst Troeltsch » [1985], ibid., p. 59-74, ici p. 71).
1. T.  MANN, Considérations d’un apolitique, op. cit., p.  165-166 (cité dans L.  DUMONT,
« L’individualisme “apolitique” dans les “Considérations” de Thomas Mann » [1985], L’Idéo-
logie allemande, op. cit., p.  83). Souvenons-nous aussi de cette formule  : «  idée allemande de
liberté  » = «  holisme de la communauté + individualisme du développement de soi  »
(L. DUMONT, « L’idéologie allemande : identité culturelle en interaction » [1985], ibid., p. 36).
2. On sait que le premier Thomas Mann gratifiait l’Intellectuel français d’une étiquette peu flat-
teuse  : «  littérateur de la civilisation  » (T.  MANN, Considérations d’un apolitique, op. cit.,
passim). Sur la Bildung, renvoyons aux analyses que Louis Dumont consacre à Humboldt
(L. DUMONT, « Wilhelm von Humboldt ou la “Bildung” vécue », L’Idéologie allemande, op.
cit., p.  108-184). Sur le thème des libertés, cf. L.  CALVIÉ, «  Liberté, libertés, et liberté(s)
germanique(s) : une question franco-allemande, avant et après 1789 », Mots, 1988, 16, p. 9-33.
3. F. TÖNNIES, Communauté et société [1887], trad. fr. J. Leif, Paris, PUF, 1946.
4. Ajoutons que les deux foyers anglais et français n’ont pas manqué de s’alimenter : ce sont les
grands penseurs libéraux français amoureux de l’Angleterre qui ont donné toutes ses lettres de
noblesse au fameux thème du « doux commerce » : C. L. de MONTESQUIEU, De l’Esprit des
lois [1748], éd. J.  P. Mayer, A.  P. Kerr, Paris, Gallimard, 1970, p.  236-237 (liv.  XX, ch.  2) ;
B. CONSTANT, De l’esprit de conquête et de l’usurpation dans leurs rapports avec la civilisation
européenne [1814], Écrits politiques, éd. M. Gauchet, Paris, Gallimard, 1997, p. 117-302 ; De la
liberté des Anciens comparée à celle des Modernes [1819], ibid., p. 589-619.
300 La subsidiarité germanique...

Jünger)1, ni à une simple lubie schmittienne (la polarité Terre-Mer)2 ; il trans-


cende à peu près tous les clivages au point de dessiner un consensus national :
de Nietzsche au néokantien Paul Natorp, grande figure de l’École de Mar-
bourg et père intellectuel de Ernst Cassirer, en passant par Max Weber ou
Georg Simmel. Et Werner Sombart de se lamenter : les marchands (Händler)
ont remplacé les héros (Helden)3.
Il n’y a pas, cependant, libéralisme anglais, d’un côté, et antilibéralisme
allemand, de l’autre. Il y a plutôt une variante spécifiquement germanique du
libéralisme, tout comme il en existe une modalité anglaise et une modalité
française. L’allemande, elle, se caractérise par une crainte phobique de la poli-
tique, qui peut historiquement expliquer soit sa secondarisation en forme
d’évitement quasi pavlovien, soit sa perversion en forme de glorification
violente de l’État. C’est en ce sens, avec la claire conscience de son horizon
nécessaire d’adversité, que nous parlons de subsidiarité germanique, sorte
de rencontre entre le protestantisme allemand et l’acclimatation catholique à
la modernité (entendre : la société). C’est en ce sens, surtout, qu’à travers le
miroir de la subsidiarité germanique nous poursuivons ici le tableau des-
criptif entamé dans la première partie. À un détail près : nous ne considérons
plus seulement la convergence inopinée entre libéralisme et catholicisme,
nous considérons à présent la complicité aveugle du libéralisme et du chris-
tianisme dans son ensemble.
Si les contours de cette culture allemande de la subsidiarité demanderont
bien sûr à être précisés, ils ne proposent rien d’autre, convenons-en, qu’une
simple relecture du déjà connu à l’aune d’un concept reconstruit et réinscrit
dans son contexte. Nous insisterons sur deux dimensions spécifiques que,
peut-être, la subsidiarité se révèle la mieux à même d’éclairer en établissant
un lien de quasi continuité entre elles : le fédéralisme, d’une part, et l’ordoli-
béralisme, d’autre part4. Déclinaison chrétienne du néolibéralisme ultra-
rhénan de l’entre-deux-guerres, ce dernier a clairement adossé sa nouvelle
conception de l’État aux thèses fédéralistes de l’Allemagne immémoriale5.
Valable en matière institutionnelle et politique sur la question fédérale, le

1. Sur la « révolution conservatrice » allemande, cf. L. DUPEUX, dir., La Révolution conserva-


trice allemande sous la République de Weimar, Paris, Kimé 1992 ; S. BREUER, Anatomie de la
révolution conservatrice [1993], trad. fr. O.  Mannoni, Paris, Éditions de la MSH, 1996. Sur la
guerre, cf. les écrits jüngériens  : E.  JÜNGER, Orages d’acier [1920], trad. fr. H.  Plard, Paris,
Bourgois, 1970 ; La Guerre comme expérience intérieure [1922], trad. fr. F. Poncet, Paris, Bour-
gois, 1997 ; Feu et sang [1925], trad. fr. J. Hervier, Paris, Bourgois, 1998.
2. C. SCHMITT, Le Nomos de la Terre [1950], trad. fr. L. Deroche-Gurcel, Paris, PUF, 2008.
3. W. SOMBART, Händler und Helden. Patriotische Besinnungen, Leipzig, Munich, Duncker
und Humblot, 1915 ; Le Bourgeois. Contribution à l’histoire morale et intellectuelle de l’homme
économique moderne [1913], trad. fr. S. Jankélévitch, Paris, Payot, 1966 ; G. SIMMEL, Philoso-
phie de l’argent [1900], trad. fr. S. Cornille, P. Ivernel, Paris, PUF, 2007.
4. Le juriste Joseph Isensee a montré en quoi la subsidiarité se situait au carrefour de deux
grandes traditions, fondamentalement interpénétrées, du droit public allemand : le fédéralisme et
le libéralisme (J. ISENSEE, Subsidiarität und Verfassungsrecht, op. cit., spécialement « Ausprä-
gung des Subsidiaritätsprinzips in der liberalistischen Staatstheorie », ibid., p. 44-70).
5. Du nom de la revue Ordo fondée en 1948 par l’économiste allemand Walter Eucken, père de
l’École de Fribourg. S’autodésignant ainsi, le mouvement ordolibéral ne faisait donc pas mystère
des résonances chrétiennes — et augustiniennes — à l’œuvre dans son soubassement culturel.
L’Allemagne, l’Europe, le fédéralisme 301

système subsidiarité-totalitarisme nous semble donc également valide en


matière économique et sociale sur la question libérale. Fédéralisme et ordoli-
béralisme ne seraient-ils pas les deux ressorts principaux dont le couplage
conceptuel, opéré à la faveur de la renaissance ouest-allemande, aurait servi
de support à la reconduction de la statophobie germanique ? Dans les deux
cas — le fédéralisme post-totalitaire et l’ordolibéralisme chrétien —, une
même interprétation du nazisme comme étatisation de la société, une même
crainte viscérale de la politique ; la seconde proposition donnant vraisembla-
blement tout son sens à la première. Aussi, à l’instar d’un Wilhelm Röpke,
fervent admirateur du modèle suisse, l’ordolibéralisme ne manquera-t-il pas
de se réclamer de la subsidiarité catholique1.

Notre conviction : que l’histoire de la construction européenne gagnerait à


être interprétée à l’aune des grandes masses spirituelles au travail dans ce choc
franco-allemand. Conflit entre la souveraineté et la subsidiarité, entre la poli-
tique et le social, entre l’État-nation unitaire et la nation-État fédérale, entre
l’État législateur et le Rechtsstaat. Notre hypothèse  : que la subsidiarité
germanique se situe au cœur de l’identité européenne. Sans, bien sûr, qu’il
soit dans notre intention d’y déceler l’œuvre consciente d’une quelconque
stratégie politique ou diplomatique, nous voudrions démontrer que la subsi-
diarité européenne puise ses racines historiques les plus profondes dans le
réservoir de la subsidiarité germanique. Mettre à l’épreuve cette grille d’inter-
prétation supposera de revenir sur la part du travail effectuée par le catholi-
cisme lui-même. Notre détour germanique doit y aider. En retour, il doit
aussi permettre d’éclairer à nouveaux frais l’histoire hexagonale pour rendre
raison d’une double évolution du catholicisme français : ralliement à la tradi-
tion allemande dans son hostilité à l’État et à la modernité postrévolution-
naire ; conjonction avec la tradition germanique autour d’une même défense
de la démocratie post-totalitaire.
Le parallèle entre les trajectoires intellectuelles de Jacques Maritain et de
Thomas Mann nous semble ici tout à fait significatif, en raison notamment du
rôle qu’y jouent tour à tour la révélation américaine, le repoussoir totalitaire
et l’engagement européen. D’un conservatisme résolument antipolitique pro-
fessé jusque dans les années 1920, l’écrivain allemand évolue vers une défense
de la démocratie libérale dès la décennie suivante. Selon un rythme plus lent,
le même cheminement se vérifie chez Maritain : il quitte le maurrassisme dès
1926 mais attend 1943 pour entonner le refrain démocratique. Chez l’un
comme chez l’autre, c’est bien la condamnation du totalitarisme qui aura
inauguré le réinvestissement du credo démocratique ; c’est l’inquiétude
devant les fléaux de leur époque qui les oblige à revoir leur logiciel intellec-
tuel et à prôner la réconciliation franco-allemande comme fondement du
fédéralisme européen2.

1. Cf. la citation placée en exergue de cette partie (W. RÖPKE, Civitas humana, op. cit.).
2. Si la rupture de Thomas Mann avec ses anciennes positions réactionnaires date des premiers
succès électoraux remportés par les Nazis en 1930, elle ne sera pleinement consommée que lors
302 La subsidiarité germanique...

Aussi, la subsidiarité aide à éclairer d’un nouveau jour le rapport entre tra-
dition catholique et culture fédérale. Tout bien considéré, l’opposition ini-
tiale entre un protestantisme fédéraliste (la matrice allemande) et un catholi-
cisme centralisateur (la matrice française) n’a pas empêché un dialogue
fécond, nourri d’abord de manière sourde puis de manière explicite, quand la
théorie catholique de l’État est entrée plus résolument dans la modernité
politique à la fin du xixe siècle. Bien plus, selon une stratégie et un discours
que nous avons déjà commencé à décrypter, les totalitarismes du siècle suivant
ont contribué à faire se rejoindre — si ce n’est dans leurs principes fondateurs,
du moins dans leurs implications pratiques — les conceptions catholique et
protestante de l’État. Les relectures religieuses de l’histoire y aideront beau-
coup. Au sortir du nazisme, les catholiques et protestants allemands, et autres
intellectuels libéraux en quête des signes avant-coureurs de la Catastrophe,
parviendront à une sorte de compromis implicite : épargner la Réforme pour
mieux stigmatiser la Prusse, cet ennemi irréductible du catholicisme germa-
nique dont les réformés jugent à présent opportun de s’écarter1. Nous verrons,
dans la même ligne, que les parentés ne sont pas négligeables entre cet anti-
prussianisme de l’Allemagne post-totalitaire et l’antijacobinisme de la France
postgaullienne. Prussianisme (Preussentum) et jacobinisme  : deux horizons
d’adversité qui, de part et d’autre, seront abondamment utilisés en tant
qu’armes politiques disqualifiantes par nombre de ces chrétiens laïques
investis en politique, spécialement dans la reconstruction fédérale de l’Europe.

3. LES ENJEUX DE LA SUBSIDIARITÉ EUROPÉENNE

Nous en venons à la maladie politique du projet européen, produit d’une


double statophobie : celle de la doctrine pontificale et celle de la politique al-
lemande. Dans le passage de la statophobie germanique à la statophobie
européenne, n’y aurait-il pas au travail une même statophobie chrétienne,
faisant fond sur un paradoxe schizophrénique tout à fait analogue à celui déjà
étudié ? C’est que, portée par une mentalité statophobique, l’Europe, cette

de son exil nord-américain. Avant les élections du 14 septembre 1930 : T. MANN, Considéra-
tions d’un apolitique, op. cit. ; «  De la République allemande  » [1922], Les Exigences du jour,
op. cit., p. 20-60 ; « Le problème des rapports franco-allemands » [1922], ibid., p. 61-81. Après
ces mêmes élections : T. MANN, « Allemagne, ma souffrance » [1933-1934], ibid., p. 179-262 ;
« Allocution allemande. Un appel à la raison » [1930], ibid., p. 102-122. Pour un autre exemple
symbolique du refus du nazisme par le camp conservateur, cf. le cas de Hermann Rauschning,
membre du Parti nazi jusqu’en 1934, l’un des tout premiers critiques de l’hitlérisme, qui a insisté
sur son caractère proprement révolutionnaire (H. RAUSCHNING, La Révolution du nihilisme
[1937], trad. fr. P.  Ravoux, M.  Stora, Paris, Gallimard, 1980 ; Hitler m’a dit [1939], trad. fr.
A.  Lehman, Paris, Hachette, 2005). Témoignent du tournant américain de nos deux anciens
antimodernes, Thomas Mann et Jacques Maritain, leurs contributions au volume Freedom,
its Meaning paru en 1940 (T.  MANN, «  Freedom and Equality  », Freedom, its Meaning, éd.
R.  N. ANSHEN, New York, Harcourt, 1940, p.  68-83 ; J.  MARITAIN, «  The Conquest of
Freedom », trad. angl. H. McNeill, E. Chapman, ibid., p. 631-649).
1. Cf., par exemple, J. SOLCHANY, « Dénonciations libérales et catholiques de la déviance »,
Comprendre le nazisme dans l’Allemagne des années zéro, op. cit., p. 103-134 ; « Les conserva-
teurs : une remise en cause difficile », ibid., p. 177-210.
L’Allemagne, l’Europe, le fédéralisme 303

héritière profane de la chrétienté médiévale1, n’en reste pas moins totalement


dépendante des États. Un peu comme l’Église obligée d’accepter le fait éta-
tique tout en sachant pertinemment que la souveraineté de l’État est contraire
à sa logique interne. L’Europe, en son for intérieur, refuse cette dépendance
nécessaire mais elle ne peut se l’avouer explicitement à elle-même. Elle refoule
donc un déni, lequel, comme dans toute névrose, finit par s’exprimer de
manière inconsciente. Précisons-le  : l’analyse des parentés psychologiques
entre Rome et Bruxelles n’a pas pour but ni de déjouer une conspiration ni
d’écarter le spectre parfois fantasmé d’une Europe romaine2 ; elle veut rendre
raison de la permanence des structures mentales au-delà de leur support
d’expression : hier l’Église, aujourd’hui l’Europe. Entre les deux, traduction
exemplaire de la continuité profonde qui unit le fédéralisme européen à la
culture chrétienne : la subsidiarité allemande du fédéralisme post-totalitaire.
Le dialogue n’est d’ailleurs pas à sens unique : s’il y a pénétration des idées
chrétiennes dans la construction européenne, il y a aussi évolution de la doc-
trine catholique à la faveur de la construction européenne, sur la question du
libéralisme économique notamment.
Il faut donc se retourner vers le catholicisme et, en particulier le catholi-
cisme pontifical, pour comprendre en quoi l’adhésion catholique au fédéra-
lisme européen s’apparente à un véritable retournement. S’agissant des papes,
le tournant est à inscrire dans la même séquence historique que leur rallie-
ment à la démocratie. Il répond d’ailleurs à la même logique autistique  : la
démocratie politique est entérinée comme traduction du message évangé-
lique ; la construction fédérale de l’Europe est adoubée comme traduction de
son identité chrétienne. Au fondement de l’européanité, nous dit Pie XII, il
doit y avoir, encore et toujours, la chrétienté, la respublica christiana des
grandes heures de l’Église médiévale3. Outre cette tendance du catholicisme à

1. Nous faisons référence au thème maritainien de la chrétienté profane (J. MARITAIN, Huma-


nisme intégral [1934-1936], Œuvres complètes de Jacques et Raïssa Maritain, Fribourg, Éditions
universitaires, Paris, Saint-Paul, 1982-1992, VI, p. 291-634 ; rééd. Paris, Aubier, 2000) en laissant
de côté la question des racines chrétiennes de l’Europe telle qu’elle a été réinvestie lors des débats
de la Convention européenne au début de la décennie 2000. Cf. A. MATTERA, « L’européanité
est-elle chrétienne ? », Revue du droit de l’Union européenne, 2003, 2, p. 325-342 ; R. RÉMOND,
« La dimension chrétienne de l’Europe au xxie siècle », Bulletin de la Société de l’histoire du pro-
testantisme française, 2005, 151, p.  19-26 ; «  L’héritage chrétien de l’Europe. Retour sur une
controverse historique », Vingtième Siècle, 2007, 95, p. 143-150.
2. Pour une telle démarche, cf. J.  HOURS, «  L’idée européenne et l’idéal du Saint Empire  »,
L’Année politique et économique, 1953, 26 (111-112), p. 1-15 ; « L’Europe à ne pas faire », La Vie
intellectuelle, 1950, 2, p. 276-304. Pour une mise au point, qui s’apparente souvent à un éloge
réactif de la diplomatie vaticane, cf. P.  CHENAUX, «  Le Vatican et l’Europe (1947-1957)  »,
Storia delle relazioni internazionali, 1988, 4 (1), p. 47-83 ; Une Europe vaticane ? Entre le Plan
Marshall et les traités de Rome, Bruxelles, Ciaco, 1990. Pour une analyse plus froide et apaisée,
cf. J.-M. MAYEUR, «  Pie XII et l’Europe  », Relations internationales, 1981, 28, p.  413-423 ;
« Les papes, la guerre et la paix de Léon XIII à Pie XII », Les Quatre fleuves, 1984, 19, p. 23-33 ;
«  Pie XII et les mouvements catholiques européens  », Catholicisme social et démocratie chré-
tienne. Principes romains, expériences françaises, Paris, Le Cerf, 1986, p. 67-83 ; C. de MONT-
CLOS, « Le Saint-Siège et la construction de l’Europe », Le Vatican et la politique européenne,
dir. J.-B. d’ONORIO, Tours, Mame, 1995, p.  85-103 ; R.  COSTE, «  Pie XII et l’Europe  »,
Chronique sociale de France, 1962, 70 (5), p. 355-368.
3. Y compris quand l’idéal médiéval est expurgé de ses relents théocratiques (J.  MARITAIN,
304 La subsidiarité germanique...

tout rapporter à son aune propre, il faut convenir de la portée historique du


virage pacellien. Car l’entrée du fédéralisme européen dans le discours ponti-
fical n’avait ni rien de naturel ni rien d’évident. Tous les prédécesseurs du
Pape de la Seconde Guerre mondiale avaient superbement ignoré l’Europe,
pour la simple et bonne raison que le thème européen était de bout en bout
resté peuplé d’anticatholicisme, investi qu’il se trouvait par tous les ennemis
désignés de l’Église : l’Europe des Lumières, l’Europe du libéralisme, l’Eu-
rope de l’humanisme, du rationalisme et de l’athéisme. Le changement straté-
gique opéré par le Pape Pacelli ne saurait donc valoir adhésion à cette Europe
inversée et contre-nature ; son Europe n’est que l’autre nom de la chrétienté,
celle du Moyen Âge qui, d’heureuse mémoire, avait réussi l’alliage entre ger-
manité romaine et Évangile1. Germanophilie aidant, la nostalgie pacellienne
est empreinte de romantisme, celui qui déjà nourrissait la Weltanschauung
kettelérienne et qui agitait la Cisrhénanie du xixe siècle. De là son adhésion
à la « petite » Europe, à une Europe carolingienne aux frontières réduites, à
cette « grande » Suisse, pourrait-on dire2.
Empressons-nous de rappeler que le trop rapide tableau ici dressé se situe
sur le seul terrain de l’histoire des mentalités. Évoquer la germanophilie

Humanisme intégral [1934-1936], Œuvres complètes, op. cit., VI, p. 291-634 ; rééd. Paris, Aubier,
2000) ; y compris quand la chrétienté est déclarée morte (E.  MOUNIER, Feu la chrétienté
[1950], Œuvres, 1944-1950, Paris, Le Seuil, 1962, III, p. 527-713). « Qu’on ne sourie pas de la
Chrétienté, écrivait Maurras. La chrétienté, c’est, dans le passé, les États-Unis d’Europe, tout
bonnement.  » (C.  MAURRAS, Enquête sur la monarchie [1900], Paris, Nouvelle Librairie
Nationale, 1925, p. 370 ; cité dans J. PLONCARD d’ASSAC, La Nation, l’Europe et la Chré-
tienté, Lisbonne, La Voix de l’Occident, 1963, p. 107). Pour des expressions postconciliaires de
la mélancolie catholique, cf. A. DUPRONT, Genèses des Temps modernes [1931-1984], op. cit. ;
A. DUFOUR, « Europe sans chrétienté ou chrétienté sans Europe. Réflexions sur le déracine-
ment culturel et spirituel de l’Europe à la veille du IIIe millénaire » [1987], L’Histoire du droit
entre philosophie et histoire des idées, Bruxelles, Bruylant, Schulthess, 2003, p.  389-401. Sur la
vision d’Alphonse Dupront, cf. B. NEVEU, « Naissance de la modernité : l’Europe, les Églises »,
L’Europe dans son histoire, dir. D.  CROUZET, F.  FURET, Paris, PUF, 1998, p.  79-99. À
propos de la persistance du mythe médiéval, notons l’instrumentalisation de la rhétorique caro-
lingienne par les acteurs politiques de l’Union (F. LARAT, « L’Europe et ses grands hommes.
Le Prix Charlemagne entre commémoration et distinction », Les Intellectuels et l’Europe de 1945
à nos jours, Paris, Presses universitaires Diderot, 2000, p.  263-278 ; «  L’Europe à la recherche
d’une figure tutélaire », Politique européenne, 2006, 18, p. 49-67).
1. Cf. L. STURZO, « Germanisme et civilisation chrétienne », Politique, 1935, 9 (7), p. 644-651.
Mentionnons la proclamation de saint Benoît (saint Benoît de Nursie) père de l’Europe
(PIE XII, Lettre encyclique Fulgens radiatur, 21  mars 1947, Acta Apostolicae Sedis, 1947,
XXXIX, p.  137-155 ; in SOLESMES, L’Europe unie dans l’enseignement des papes, éd. des
Moines de Solesmes, Solesmes, Abbaye Saint-Pierre, 1981, p. 211-224). Peu après cette procla-
mation, cf. aussi PIE XII, Homélie à Saint-Paul hors-les-Murs, 18 septembre 1947, Acta Aposto-
licae Sedis, 1947, XXXIX, p. 452-456. Il faut attendre 1964 pour que saint Benoît passe du titre
de père de l’Europe à celui de patron de l’Europe (PAUL VI, Bref Pacis nuntius, 24 octobre 1964,
Acta Apostolicae Sedis, 1964, LVI, p. 965-967 ; in SOLESMES, p. 226-228).
2. Citons aussi Friedrich Novalis et son héritier Joseph von Görres (F. NOVALIS, « L’Europe
ou la chrétienté » [1799], Hymnes à la nuit, trad. fr. G. Bianquis, Paris, Aubier, Montaigne, 1943,
p.  75  sq. ; J.  von GÖRRES, Athanasius, Ratisbonne, Manz, 1838). Au xxe  siècle, les écrits du
catholique suisse Gonzague de Reynold, au-delà de son flirt avec le fascisme, s’inscrivent dans la
même inspiration (G.  de REYNOLD, L’Europe tragique, Paris, Spes, 1934 ; La Formation de
l’Europe, I. Qu’est-ce que l’Europe ? [1941], Fribourg, Egloff, 1948). Cf. P.  CHENAUX,
« Renouveau spirituel et construction de l’Europe (1945-1950). Le rôle des milieux chrétiens de
Suisse romande », Schweizerische Zeitschrift für Geschichte, 1989, 39, p. 266-292.
L’Allemagne, l’Europe, le fédéralisme 305

d’Eugenio Pacelli ou parler d’Europe carolingienne ne signifie pas qu’il y


aurait eu à l’œuvre une quelconque intention maléfique dans la diplomatie
vaticane. On serait bien en peine de débusquer un complot germano-ponti-
fical. En la matière, force est simplement de constater la parenté post-totali-
taire, via l’Allemagne occidentale, entre l’idéal médiéval et le thème du fédé-
ralisme européen, les affinités électives entre l’Église d’avant l’État et l’Europe
d’après. Homologie de structure ne vaut pas généalogie de programme.
À considérer l’histoire du second xxe siècle, force est de constater que le
tournant pacellien n’aura pas de suites immédiates. On peut même dire que le
soutien pontifical à l’Europe fédérale sera mis entre parenthèses jusqu’à la fin
des années 1970. De Jean XXIII à Paul VI, en effet, le mot d’ordre européen
est pour l’essentiel dilué dans l’œcuménisme conciliaire et l’internationalisa-
tion de la doctrine sociale de l’Église1. Il faut se tourner vers les catholiques
laïques investis dans le combat fédéral pour trouver des expressions consis-
tantes de l’européisme chrétien. Nous aurons par exemple à reparler du fédé-
ralisme intégral (Alexandre Marc et Hendrik Brugmans entre autres) et de
son inspiration religieuse, via le personnalisme principalement2. C’est Jean-
Paul II, disions-nous, premier Pape non issu de la «  petite  » Europe, qui
replace le mot d’ordre européen au cœur de la diplomatie vaticane mais sans
faire retour à la ligne pacellienne pour autant. Contexte historique et histoire
personnelle aidant, deux axes directeurs viendront structurer le discours
européen du Pape Wojtyla  : la prise en compte de l’Europe de l’Est ; la
défense de la diversité culturelle des nations. En développant dès le début de
son pontificat la thèse des « deux poumons », le Pape polonais tient, d’une
part, à réintégrer la Mitteleuropa dans la mémoire officielle du Vieux Conti-
nent. En donnant au principe de subsidiarité des applications spécifiquement
européennes, d’autre part, il marque avec insistance son attachement à la plu-
ralité des identités nationales pour mieux souligner en retour le commun
dénominateur chrétien qui les rassemble toutes3.

1. Pensons, en particulier, à Pacem in terris en 1963 et à Populorum progressio en 1967 : JEAN


XXIII, Lettre encyclique Pacem in terris, 11 avril 1963, Acta Apostolicae Sedis, 1963, LV, p. 257-
301 (in A.  F.  UTZ, IV, p.  2778-2845 ; H.  DENZINGER, 3955-3997, p.  841-853) ; PAUL VI,
Lettre encyclique Populorum progressio, 26  mars 1967, Acta Aspostolicae Sedis, 1967, LIX,
p. 257-299 (in A. F. UTZ, I, p. 758-813 ; H. DENZINGER, 4440-4469, p. 942-948). Sur le cas de
Mgr Montini, futur Paul VI, cf. A. CANAVERO, « L’engagement pour l’Europe de Giovanni
Battista Montini, aumônier de la FUCI, substitut secrétaire d’État, archevêque et pape  »,
Inventer l’Europe, dir. G. BOSSUAT, Bruxelles, et al., Lang, 2003, p. 257-272.
2. Soulignons d’ores et déjà le dialogue avec la doctrine sociale. Cf. M. PIAZOLO, « Integraler
Föderalismus und katholische Soziallehre. Zwei Wege zu einem solidarischen, wertfundierten
Europa », Mélanges F. Kinsky, Nice, Presses d’Europe, 2005, p. 145-162. S’agissant du personna-
lisme, cf. R.  PAPINI, «  L’apport du personnalisme à la construction de l’Europe  », Notes et
documents, 1993, 36-37, p.  74-90 ; P.  CHENAUX, «  L’influence du personnalisme dans la
construction de l’Europe » [2006], De la Chrétienté à l’Europe, op. cit., p. 59-81.
3. À la faveur de sa thèse des «  deux poumons  », Jean-Paul II érigent Cyrille et Méthode au
même statut que Benoît de Nursie, leur homologue occidental, en leur attribuant le titre de
saints patrons de l’Europe (JEAN-PAUL II, Lettre apostolique Egregiae virtutis, 31 décembre
1980, Acta Apostolicae Sedis, 1981, LXXIII, p. 258-262). Sur l’action européenne de Jean-Paul II,
É.  POULAT, «  Jean-Paul II et l’Europe chrétienne  », Le Genre humain, 1991, 23, p.  59-67 ;
G. THILS, « Strasbourg, Jean-Paul II et l’Europe », Revue théologique de Louvain, 1992, 23 (2),
306 La subsidiarité germanique...

À Jean-Paul  II, il aura suffi d’ouvrir à l’Est une Europe déjà innervée,
depuis son origine, par la référence chrétienne. Les Pères fondateurs entrés
dans la mythologie européenne, pour ne pas dire l’histoire sainte — les
Robert Schuman, Alcide De Gasperi et autres Konrad Adenauer — n’ont-ils
pas expressément revendiqué cette paternité spirituelle ? Au point d’ailleurs
de laisser entendre, de manière très subliminale, que le christianisme consti-
tuait la seule référence encore disponible — la seule valeur commune — aux
Européens pour se relever après le chaos, et faire front ensemble face au
communisme soviétique. Toutes proportions gardées, on retrouve chez les
démocrates chrétiens un argumentaire analogue à celui déjà identifié sous la
plume des papes. Une même dénonciation du nationalisme, d’abord, unique
cause de la guerre orchestrée par les États. Un même rappel de l’attachement
à la nation, ensuite, communauté naturelle indépassable, les démocrates chré-
tiens se défendant ici de vouloir abandonner la patrie pour mieux justifier
leur horizon d’attente fédéral d’un dépassement de la forme étatique. Une
même rhétorique de la paix, enfin : sans qu’elle soit leur apanage, elle prend
chez eux une dimension bien particulière, devenant une sorte d’«  idéologie
de substitution  »1, substitution dont n’avaient pas besoin les militants
européistes doctrinalement mieux armés (les socialistes par exemple). On
comprend que les courants chrétiens aient toujours été des soutiens constants
du projet européen2. Mais le spécifique, ici, n’est ni dans cette rhétorique
hypertrophiée de la paix ni dans cette défense-accusation de la nation, il

p. 191-195 ; J.-B. d’ONORIO, « Le projet européen de Jean-Paul II », Le Vatican et la politique
européenne, op. cit., p. 9-39 ; J.-L. CHABOT, « La crise existentielle et identitaire de l’Europe.
Le discours européen de Jean-Paul II », Revue du Marché commun et de l’Union européenne,
1999, 427, p. 269-276 ; Annales theologici, 1998, 12 (1), p. 209-233. Notons la différence entre cet
attachement pontifical à la nation qui s’exprime sur le terrain culturel — comme chez les démo-
crates chrétiens ou les traditionalistes catholiques (A. GUYOT-JEANNIN, « Une Europe néo-
carolingienne est-elle envisageable pour l’avenir ?  », La Subsidiarité, un grand dessein pour la
France et pour l’Europe, dir. B. GUILLEMAIND, Versailles, Éditions de Paris, 2005, p. 97-111)
— et la défense politique de la nation qui ne manque pas s’exprimer chez certains souverainistes
chrétiens. Cf. F.  KINSKY, «  Qui a raison sur l’Europe ? Les chrétiens souverainistes ou les
papes et les évêques ? », L’Europe en formation, 2005, 1, p. 31-42.
1. Nous reprenons ici l’expression de Jean-Marie Mayeur (J.-M. MAYEUR, Des partis catho-
liques à la démocratie chrétienne, XIXe et XXe siècle, Paris, Armand Colin, 1980, p. 227).
2. Sur le cas français en particulier, cf. D.  ZERAFFA, «  Les centristes, la nation, l’Europe  »,
Revue d’histoire moderne et contemporaine, 1986, 23 (3), p. 485-498. Sur le rôle de la démocratie
chrétienne dans la construction européenne, cf. J.-D. DURAND, « Christliche Demokratie und
europäische Integration », Archiv für christlich-demokratische Politik, 1994, 1, p. 155-182 ; L’Eu-
rope de la démocratie chrétienne, Bruxelles, Complexe, 1995 ; R.  PAPINI, L’Internationale
démocrate chrétienne, Paris, Le Cerf, 1988 ; P.  CHENAUX, «  Les démocrates chrétiens et la
construction de l’Europe (1947-1957)  », La Revue politique, 1991, 1, p.  87-101 ; «  Les démo-
crates chrétiens et l’Union européenne » [1995], De la Chrétienté à l’Europe, op. cit., p. 85-102.
Sur son option fédéraliste, cf. M. BURGESS, Federalism and European Union : The Building of
Europe, 1950-2000, Londres, New York, Routledge, 2000, surtout p. 224 sq. ; « The European
Tradition of Federalism : Christian Democracy and Federalism », Comparative Federalism and
Federation. Competing Traditions and Future Directions, éd. M. BURGESS, A.-G. GAGNON,
New York, Harverster Wheatsheaf, 1993, p.  138-153 ; «  Political Catholicism, European
Unity and the Rise of Christian Democracy », Making the New Europe, éd. M. L SMITH, P. M.
R. STIRK, Londres, New York, Pinter, 1990, p.  142-155 ; Federalism and European Union,
1972-1987, Londres, New York, Routledge, 1989.
L’Allemagne, l’Europe, le fédéralisme 307

réside, à proprement parler, dans ce mystérieux alliage de messianisme chré-


tien et de fonctionnalisme technicien, dans cette sorte de saint-simonisme
sanctifié par l’eschatologie européenne de la paix et de la prospérité1. Et, sans
tenir compte pour l’instant des querelles épistémologiques sur la désuétude
de la méthode fonctionnaliste, ce même alliage d’éthique et de technique a
continué d’alimenter les grandes figures de l’Europe bien au-delà de l’acte de
naissance établi par Jean Monnet. Jusqu’à Jacques Delors, Jacques Santer ou
Romano Prodi, toutes se sont expressément réclamées, si ce n’est d’un parti
politique chrétien, du moins d’une culture politique chrétienne2.

Nous quittons ainsi la pensée officielle de l’Église pour appréhender les


multiples canaux de transmission laïques — revendiqués ou implicites —,
qui, de Pie XII à Jean-Paul II, les deux grands papes de la période post-totali-
taire, ont permis la fécondation réciproque de la culture chrétienne et du
fédéralisme européen. La question, en la matière, n’est tant pas celle de
l’essaimage continental des valeurs chrétiennes que celle des compromis et
consensus culturels auxquels cet essaimage va souterrainement donner lieu.
Parmi eux, on le devine  : le principe de subsidiarité. Peu à peu devenu un
véritable topos européen, il n’a pas pu surgir innocemment dans le discours et
la pratique des différentes institutions communautaires3. Expression d’un

1. Cf., par exemple, O. von NELL-BREUNING, « The Social Structural Order and European
Economic Unity », Review of Social Economy, 1952, 10 (2), p. 108-120.
2. Sur l’approche technocratique de la politique, qu’il suffise de relire la Déclaration Schuman
du 9 mai 1950 (R. SCHUMAN, Pour l’Europe, Paris, Nagel, 1963). Sur le mythe Jean Monnet,
cf. A. COHEN, « Le “père de l’Europe”. La construction sociale d’un récit des origines », Actes
de la recherche en sciences sociales, 2007, 166-167, p. 14-29. Plus généralement, cf. P.-F. SMETS,
éd., Les Pères de l’Europe, cinquante ans après, Bruxelles, Bruylant, 2001, spécialement
R. FRANCK, « Les pères de l’Europe : une typologie difficile », p. 13-26 ; G. BOSSUAT, « Les
trois visages de Monnet  », p.  27-54 ; M.-T. BITSCH, «  Robert Schuman et la Déclaration du
9 mai 1950 », p. 55-68 ; S. SCHIRMANN, dir., Robert Schuman et les Pères de l’Europe. Cultures
politiques et années de formation, Bruxelles, Lang 2008. Sur la rencontre entre fonctionnalisme et
éthique démocrate chrétienne, et sur le choc interne qu’elle a pu provoquer et continue encore de
provoquer, cf. J.-L. CLÉMENT, «  Europe fonctionnaliste et démocratie chrétienne  : histoire
d’une ambiguïté fondamentale », L’Europe, ses dimensions religieuses, éd. G. CHOLVY, Mont-
pellier, Centre régional d’histoire des mentalités, Université Paul-Valéry, 1998, p.  137-147 ;
J.-L. CHABOT, Aux origines intellectuelles de l’Union européenne  : l’idée d’Europe unie de
1919 à 1939, Grenoble, PUG, 2005 ; «  Le primat de la civilisation occidentale au principe des
premiers plans d’Europe unie », L’Europe communautaire au défi de la hiérarchie, dir. B. BRU-
NETEAU, Y. CASSIS, Bruxelles, et al., Lang, 2007, p. 37-55 ; C. RÉVEILLARD, « Les catho-
liques et la sécularisation  : le rôle des “constructeurs de l’Europe”  », La Culture du refus de
l’ennemi, dir. B. DUMONT, et al., Limoges, PULIM, 2007, p. 49-57.
3. Les anthropologues Marc Abelès et Irène Bellier ont montré en quoi la subsidiarité pouvait
constituer un concept de compromis venant donner un nom à la complexité de la culture institu-
tionnelle de l’Union (M. ABELÈS, I. BELLIER, « La Commission européenne, du compromis
culturel à la culture du compromis », Revue française de science politique, 1996, 46 (3), p. 431-
456). Le même diagnostic avait été établi deux ans plus tôt par Pierre Muller, qui utilisait pour sa
part le vocabulaire spécifique de l’analyse des politiques publiques (nous y reviendrons). À
propos du « référentiel global » des politiques publiques européennes : « [Il] est structuré autour
de deux normes fondamentales parce que, au-delà de leurs prescriptions immédiates, elles sont
porteuses d’une conception globale de l’action publique. Il s’agit de la norme de l’économie
sociale de marché et de la norme de subsidiarité qui, progressivement — mais pas sans conflits —
irriguent peu à peu les systèmes nationaux de politiques publiques. » (P. MULLER, « La muta-
tion des politiques publiques européennes », Pouvoirs, 1994, 69, p. 63-75, ici p. 67).
308 La subsidiarité germanique...

lointain héritage, celui du catholicisme social européen, ancêtre de la démo-


cratie chrétienne, il trouve naturellement à s’épanouir dans la ligne directe de
la refonte post-totalitaire du Vieux Continent. Mais c’est à partir des années
1970-1980, fort de sa mémoire trans-religieuse et expurgé de ses derniers
relents corporatistes, que le syntagme sort de son confinement catholique et
germanique pour se présenter comme un support possible de consensus
culturel. Jusqu’aux années 1970, en effet, l’usage du terme était resté cantonné
à des milieux plutôt isolés : les publicistes allemands de culture chrétienne, les
théologiens conciliaires de sensibilité progressiste, les catholiques conserva-
teurs et/ou traditionalistes adeptes du droit naturel, les partisans chrétiens du
fédéralisme intégral, etc. Dans les années 1970, la subsidiarité reste le mot
d’une élite européenne mais cette élite n’est plus seulement germano-catho-
lique. Il faut ensuite attendre la décennie suivante et, plus encore, le traité de
Maastricht, une fois le communisme européen effondré, pour que le syn-
tagme entre expressis verbis dans le droit positif communautaire1. La subsi-
diarité incubait dans les cercles européens — juridiques, économiques et
politiques — depuis plus d’une quinzaine d’années : elle était donc fin prête
au début des années 1990, en tout cas à la disposition des rédacteurs du traité
de Maastricht. Au soir de cette longue période d’incubation, Jacques Delors
donne le signal décisif, qui, à la faveur d’une habile stratégie politique, érige la
subsidiarité au rang de concept officiel du fédéralisme européen. Mais c’était
sans compter sur les investissements disparates du nouveau mot d’ordre. Il
nous reviendra ici d’examiner leurs effets pratiques en faisant retour sur l’en-
chaînement chronologique des différents faits qui ont présidé à la naissance
de cette subsidiarité maastrichtienne2.

1. Traité de Maastricht, 7 février 1992-1er novembre 1993 (JOCE, C 191, 29 juillet 1992).


2. Sur les connexions et tensions entre la subsidiarité catholique et le principe communautaire,
citons d’ores et déjà les études qui s’efforcent plus particulièrement d’opérer la jonction  :
J. WEYDERT, « Une contribution à l’idée fédéraliste de la pensée sociale catholique : le principe
de subsidiarité », Le Fédéralisme est-il pensable pour une Europe prochaine ?, dir. M. MÉHEUT,
Paris, Kimé, 1994, p. 103-112 ; J.-P. JACQUÉ, « La subsidiarité en droit communautaire », La
Subsidiarité, de la théorie à la pratique, dir. J.-B. d’ONORIO, Paris, Téqui, 1995, p.  81-110 ;
J.-B. d’ONORIO, « La subsidiarité, analyse d’un concept », ibid., p. 9-40 ; « La subsidiarité à la
mode européenne », Les Petites Affiches, 1995, 75, p. 28-33 ; É. POULAT, « L’Europe entre la
chrétienté et l’Union », L’Europe et l’idée fédérale. Souveraineté et subsidiarité, Paris, Konrad-
Adenauer-Stiftung, 1996, p.  13-21 ; P.  VALDRINI, «  Foi chrétienne et fédéralisme  », ibid.,
p. 24-37 ; « À propos de la contribution de l’Église catholique au développement de la subsidia-
rité et du fédéralisme en Europe », Le Supplément. Revue d’éthique et de théologie morale, 1996,
199, p.  147-163 ; E.  O’SHEA, «  The European Principle of Subsidiarity and Christian Social
Doctrine  », Social Protection and the European Economic and Monetary Union, éd.
J.  PACOLET, Aldershot, Avebury, 1996, p.  275-288 ; J.  CHAPLIN, «  Subsidiarity  : The
Concept and the Connections  », Ethical Perspectives, 1997, 4 (2), p.  117-129 ; Y.  SOUDAN,
« Subsidiarity and Community in Europe », ibid., 1998, 5 (3), p. 177-187 ; T. EGGENSPERGER,
« Gemeinwohl und Gemeinsinn. Perspektiven für Europa », Gemeinwohl im Konflikt der Inter-
essen. Gesellschaftspolitische, sozialethische und philosophisch-theologische Recherchen zu
Europa, dir. I. BERTEN, T. EGGENSPERGER, Münster, Lit, 2004, p. 89-98 ; « De la relation
entre religion et politique. Les principes de la doctrine sociale catholique dans le contexte de
l’Union européenne », Revue théologique de Louvain, 2006, 37 (1), p. 3-25 ; N. W. BARBER,
« The Limited Modesty of Subsidiarity », European Law Journal, 2005, 11 (3), p. 308-325.
Chapitre 1
Subsidiarité et Allemagne chrétienne.
La condition fédérale

« Ce n’était pas l’État-nation, mais le mythe du Reich


prétendant être plus qu’un État-nation, qui avait entraîné
l’autodestruction de l’Allemagne de 1933 à 19451. »
«  Hitler n’a pas pris la suite de Bismarck, mais les
tendances ultranationalistes des Allemands ont considé-
rablement favorisé et encouragé la monstrueuse exagéra-
tion et perversion du nationalisme qu’il représentait. Il
n’est donc pas étonnant que la défaite totale du système
nazi ait entraîné le déclin de l’État national allemand. »
«  Hitler n’a [...] pas achevé la formation de l’État
national allemand, il a au contraire perverti celui-ci et
l’a mené à sa perte2. »

I. LE SYSTÈME TRAUMATIQUE
TOTALITARISME-FÉDÉRALISME

1. FÉDÉRALISME, LIBÉRALISME, JUSNATURALISME


Il y a lieu de s’interroger plus en détails sur les conditions exactes du
retour au fédéralisme dans l’Allemagne occidentale d’après 1945. Manière
de renouer avec une tradition ravagée par le nazisme, la redécouverte post-

1. H. A. WINKLER, Histoire de l’Allemagne, op. cit., p. 1001.


2. T.  NIPPERDEY, «  L’unité allemande dans une perspective historique  » [1985], Réflexions
sur l’histoire allemande, op. cit., p.  295-312, ici p.  308 ; «  Réflexions de l’année 1990  », ibid.,
p. 338-349, ici p. 344. À lire avec un autre texte important du même auteur : T. NIPPERDEY,
« 1933 et la continuité de l’histoire allemande » [1978], ibid., p. 266-294.
310 La subsidiarité germanique...

totalitaire du fédéralisme constitue en réalité une dimension parmi deux


autres d’un même mouvement général : à ce réinvestissement du fédéralisme,
il faut ajouter un double ressourcement auprès non seulement du libéralisme
politique mais aussi du naturalisme juridique. Fédéralisme, libéralisme et jus-
naturalisme remplissent dans la nouvelle République ouest-allemande une
fonction particulière, telle que la philosophie habermassienne du Verfas-
sungspatriotismus en a depuis rendu raison  : gérer la question étatique et
désamorcer le problème national. Aussi l’Allemagne post-totalitaire a-t-elle
voulu se penser comme une «  démocratie postnationale parmi les États-
nations »1 ; voyant là le chemin le plus direct, et le plus indiqué, vers le plein
rétablissement des libertés fondamentales, l’épanouissement des droits de
l’homme, l’avènement de l’État de droit. Reste que la formule habermas-
sienne élude un aspect essentiel, qui a fini par revêtir les allures trompeuses
de l’évidence : tout s’est passé comme si le retour au jusnaturalisme, le rappel
de droits suprapositifs et pré-étatiques, avait, par construction, supposé une
abjuration du positivisme de l’État souverain. Passons sur l’acte de contrition
ici à l’œuvre : injustement assimilée à un formalisme mécanique et arbitraire,
la grande tradition allemande du Rechtsstaat était priée de se conformer aux
nouvelles exigences de l’heure : une exigence de contenu matériel (materieller
Rechtsstaat) et une exigence de perfectionnement procédural (formeller
Rechsstaat)2. Nous intéresse surtout un paradoxe oublié : celui qui a consisté
à refuser la reconstitution d’une identité nationale allemande à contenu subs-
tantiel tout en misant sur la capacité des valeurs chrétiennes à rééduquer les
masses populaires. Ces valeurs étaient-elles à ce point les seules références
consensuelles disponibles et accessibles aux Allemands de l’après-guerre ?
Pourquoi le retour au droit naturel a-t-il pris cette coloration si religieuse et
réservé une place si centrale aux valeurs chrétiennes : la dignité (qui n’est pas
seulement kantienne), la solidarité (pensons au rôle des jésuites allemands) et,
bien sûr, la subsidiarité3 ? Les Églises elles-mêmes — l’Église catholique en

1. Expression de Karl Dietrich Bracher (K.  D. BRACHER, Die Deutsche Diktatur, [1969],
Cologne, Kiepenheuer und Witsch, 1976, p.  544), citée dans A.-M. LE  GLOANNEC, «  La
conception de l’État en République fédérale : valeurs et démocratie », L’État en Allemagne, dir.
A.-M. LE GLOANNEC, Paris, Presses de Sciences Po, 2001, p. 22). Il convient par ailleurs de
rétablir les paternités exactes : la notion de Verfassungspatriotismus est à attribuer au juriste Dolf
Sternberger, qui l’utilise pour la première fois en 1979 dans un éditorial de la Frankfurter Allge-
meine Zeitung (écrit pour le trentième anniversaire de la Loi fondamentale). Il en proposera peu
après une systématisation conceptuelle (D.  STERNBERGER, «  Verfassungspatriotismus  »,
25 Jahre Akademie für politische Bildung, Tutzing, Akademie für politische Bildung, 1982,
p. 76-87). Jürgen Habermas s’empare du mot d’ordre dans un second temps, en 1986, pour en
faire son argument personnel en pleine « querelle des historiens » (J. HABERMAS, « Eine Art
Schadensabwicklung » [1986], « Historikerstreit ». Die Dokumentation der Kontroverse um die
Einzigartigkeit der nationalsozialistischen Judenvernichtung [1987], éd. R. AUGSTEIN, et al.,
Munich, Zurich, Piper, 1995, p. 62-76 ; « Une révolution de rattrapage » [1990], De l’usage public
des idées, trad. fr. (partielle) C. Bouchindhomme, Paris, Fayard, 2005, p. 15-42).
2. On sait que cette dernière exigence s’est traduite par la mise en place d’un contrôle très rigou-
reux de la constitutionnalité des lois — peut-être, d’ailleurs, le plus rigoureux au monde.
3. Le projet de constitution de Herrenchiemsee, sur lequel nous reviendrons plus en détails,
avait cette formule, qui n’est pas sans rappeler la phraséologie pontificale : « l’État est là pour
l’individu, et non l’inverse ». Dans la même veine, l’article 6 de la Loi fondamentale disposera
Subsidiarité et Allemagne chrétienne. La condition fédérale 311

tête — ont eu beau jeu de se présenter comme les seules institutions sociales
capables de faire le poids aux empiétements de l’État. Avec un succès indé-
niable, si l’on considère l’ensemble des missions de service public (dans l’édu-
cation et dans l’action sociale, par exemple) qu’elles ont été amenées à prendre
en charge. D’où notre hypothèse  : la subsidiarité peut nous aider à mieux
comprendre en quoi la refondation post-totalitaire du système politique alle-
mand, en particulier le lien entre libéralisme nouvelle manière et retour au
fédéralisme, procède d’un substrat fondamentalement religieux1.
Désubstantialisation de l’identité nationale d’une part et axiologisation du
droit positif d’autre part. Des valeurs chrétiennes (le droit naturel et la reli-
gion) en lieu et place d’une nation ; des procédures juridiques (une cour
constitutionnelle et un contrôle de constitutionnalité des lois) en lieu et place
d’un État2. Tels sont les deux ingrédients — dont un angle mort religieux —
du patriotisme constitutionnel (nous reviendrons plus bas sur la dimension
économique du renouveau libéral). Mais comment, au juste, en est-on venu à
ériger l’État-nation en bouc émissaire du crime totalitaire, alors même que
l’Allemagne n’avait jamais vécu la réalité statonationale ? Ne faut-il pas, en la
matière, donner raison à Helmuth Plessner quand il voyait dans l’Allemagne
du début du xxe siècle une grande puissance sans idée d’État3 ? Double erreur

que le couple et la famille jouissent de la protection particulière de l’État et que l’éducation des
enfants est un droit prioritaire et une obligation des parents. Si le préambule de la même Loi
fondamentale se contente de parler de la responsabilité du peuple allemand devant Dieu et
devant les hommes, la constitution de plusieurs Länder, essentiellement catholiques (la Bavière
ou le Bade-Wurtemberg) fait explicitement référence à une conception chrétienne du monde.
Rappelons enfin qu’Oswald von Nell-Breuning lui-même considérait le fédéralisme comme la
réalisation du principe de subsidiarité dans la vie institutionnelle (O. von NELL-BREUNING,
Baugesetze der Gesellschaft : Solidarität und Subsidiarität, Fribourg, Herder, 1990, p. 132). Dans
un registre différent, celui de l’économie et des finances, relevons cette autre modalité de la
reprise post-totalitaire du thème de la subsidiarité, qui annonce nos développements à venir  :
l’appel à un désengagement massif de l’État au nom du libéralisme  : C.  RÜTHERS, «  Das
Prinzip der Subsidiarität in der Finanzwirtschaft », Die Neue Ordnung, 1949, 3 (1), p. 90-96.
1. Pensons ici au rôle joué par Eugen Kogon, grande figure de la conscience catholique, rescapé
des camps et auteur de L’État S.S. (E. KOGON, L’État S.S. Le système des camps de concentra-
tion allemands [1946], trad. fr., Paris, Le Seuil, 1993). Ancien partisan d’un État corporatiste à la
mode autrichienne, il fut à la pointe de l’appel au renouveau intérieur des Allemands sur la base
des valeurs chrétiennes. Les Frankfurter Hefte, qu’il fonde en 1946 avec Walter Dirks et Cle-
mens Münster, deviendront un haut-lieu du militantisme européen, le fédéralisme continental
devant remplacer la souveraineté nationale (C.  MÜNSTER, «  Abbau der nationalen Souverä-
nität  », Frankfurter Hefte. Zeitschrift für Kultur und Politik, 1946, 5, p.  1-3 ; E.  KOGON,
« Demokratie und Föderalismus », ibid., 1946, 6, p. 66-78). Cf., par exemple, K. POKORNY,
«  Les journalistes avocats de l’Europe fédérale. Les personnalités fondatrices des Frankfurter
Hefte et du Rheinischer Merkur », Inventer l’Europe, dir. G. BOSSUAT, op. cit., p. 301-314.
2. Une illustration récente de cette rencontre axiologique a été donnée en 2004 par le fameux
débat entre Joseph Ratzinger et Jürgen Habermas tenu à Munich à l’Université catholique de
Bavière : J. RATZINGER, « Démocratie, droit et religion », trad. fr. J.-L. Schlegel, Esprit, 2004,
306, p. 19-28 ; J. HABERMAS, « Les fondements prépolitiques de l’État de droit démocratique »
[2004], trad. fr. C. Bouchindhomme, Entre naturalisme et religion. Les défis de la démocratie,
Paris, Gallimard, 2008, p. 153-169 ; trad. fr. J.-L. Schlegel, Esprit, 2004, 306, p. 6-18. Pour une
critique suggestive du mouvement d’axiologisation du droit, cf. E.-W. BÖCKENFÖRDE,
« Pour une critique de la fondation axiologique du droit » [1988-1990], Le Droit, l’État et consti-
tution démocratique, trad. fr. O. Jouanjan, Bruxelles, Bruylant, 2000, p. 53-97.
3. H. PLESSNER, Die Verspätete Nation. Über die Verführbarkeit bürgerlichen Geistes [1935-
1959], Gesammelte Schriften, Francfort, Suhrkamp, 1982, VI, p. 7-223). La première version du
312 La subsidiarité germanique...

de diagnostic, nous semble-t-il : sur la nation et sur l’État. Mais, encore une
fois, si nous ne voulons pas dire par là qu’il aurait existé un irréductible
Sonderweg allemand, la spécificité de la trajectoire ultrarhénane reste au
moins à saisir dans sa relativité.
Erreur de diagnostic sur l’État d’abord. À l’instar de la construction euro-
péenne — dont elle a constitué la matrice sous l’œil vigilant des Alliés1 —, la
refondation allemande d’après 1945 reposait sur un mythe particulièrement
tenace  : sortir de l’État totalitaire, lointain descendant de l’Obrigkeitsstaat,
sortir d’un système de centralisation et de concentration extrême du pouvoir,
c’était prendre le chemin inverse, celui de l’État fédéral. Indice significatif de
l’onction théorique donnée à ce système totalitarisme-fédéralisme alors en
train de se mettre en place, la publication concomitante en 1954 de deux
ouvrages signés des mains du politiste germano-américain Carl J. Friedrich :
l’un sur le fédéralisme, l’autre sur le totalitarisme. Dès avant la fin de la
guerre, le gouvernement des États-Unis, soucieux de préparer la reconstruc-
tion politique de l’Europe, avait chargé l’universitaire d’établir un bilan com-
paratif des expériences fédérales à travers le monde. À l’issue du conflit, il
participa de manière active à l’élaboration de la Loi fondamentale de 1949 en
tant que conseiller spécial de Lucius Clay, le gouverneur militaire de la
bizone anglo-américaine2. En réinvestissant ainsi le thème fédéraliste autour
duquel l’Allemagne avait forgé son identité politique, on remettait à l’hon-
neur une heureuse tradition ; on refermait la parenthèse de l’empire hitlérien ;
on organisait la dissémination démocratique du pouvoir. L’erreur du dia-
gnostic était évidente, mais l’idée fixe persistante. Comme si Hitler avait
délivré l’acte de décès de l’État national allemand. Comme s’il n’en avait pas
tragiquement révélé l’absence. Au principe du fédéralisme allemand nouvelle
manière qu’y avait-t-il au juste ? La volonté de doter l’Allemagne d’une

texte, à peine amendée lors la seconde publication de 1959 (Stuttgart, Kohlhammer), portait un
titre beaucoup moins subversif qu’il faut rappeler ici : H. PLESSNER, Das Schiksal des deut-
schen Geistes im Ausgang seiner bürgerlichen Epoche, Leipzig, Zurich, Niehans, 1935. Cf., par
exemple, W.  RENZSCH, «  Historische Grundlagen deutscher Bundesstaatlichkeit  : Födera-
lismus als Ersatz eines einheitlichen Nationalstaates  », Föderalismus in der Bewährungsprobe.
Die Bundesrepublik Deutschland in den 90er Jahren, dir. A.  G. GUNLICKS, R.  VOIGT,
Bochum, Studienverlag Brockmeyer, 1991, p.  27-56 ; D.  LANGEWIESCHE, Reich, Nation,
Föderation. Deutschland und Europa, Munich, Beck, 2008 ; Nation, Nationalismus, National-
staat in Deutschland und Europa, Munich, Beck, 2000. Sur l’enracinement historique,
cf. W. CONZE, « “Deutschland” und “deutsche Nation” als historische Begriffe », Die Rolle
der Nation in der deutschen Geschichte und Gegenwart, op. cit., p.  21-38 ; K.  F. WERNER,
« Volk, Nation », Geschichtliche Grundbegriffe, op. cit., 1992, VII, p. 171-281.
1. Sur la continuité Allemagne-Europe, cf. C. JOERGES, « Europe a Großraum ? Shifting Legal
Conceptualisations of the Integration Project », trad. angl. I. L. Fraser, Darker Legacies of Law
in Europe. The Shadow of National Socialism and Fascism over Europe and its Legal Traditions,
éd. C. JOERGES, N. S. GHALEIGH, Oxford, Hart Publishing, 2003, p. 167-191.
2. C. J. FRIEDRICH, éd., Totalitarianism, op. cit. ; Studies in Federalism, op. cit. Universitaire
de nationalité allemande installé aux États-Unis depuis les années 1920, Carl. J. Friedrich fut
l’artisan de la réédition, en 1932, de la version latine de la Politica de Johannes Althusius. Tout
comme le Maritain de L’Homme et l’État, Friedrich procède à une assimilation ontologique
entre État et absolutisme : « Le concept d’État fut le soutien de la théorie politique à l’âge de
l’absolutisme [...], il altère la perspective du constitutionnalisme.  » (C.  J. FRIEDRICH, La
Démocratie constitutionnelle [1946], trad. fr. A. Martinerie, et al., Paris, PUF, 1958, p. 1, p. 37).
Subsidiarité et Allemagne chrétienne. La condition fédérale 313

constitution démocratique ou bien celle de lui extraire son prétendu venin éta-
tique ? En posant cette question, notre intention n’est pas de dire que le fédéra-
lisme allemand a empêché la démocratie en faisant barrage à l’émergence de
l’État ; elle est de souligner à quel point au fondement de la renaissance fédérale
de l’Allemagne post-totalitaire, il y a une mise en accusation très probléma-
tique de l’État. Pensons, ici, aux positions d’un Jacques Maritain, exprimées du
haut de son exil américain : une Allemagne fédérale (démantelée en tant que
nation) dans une Europe fédérale pour, à la fois, domestiquer le mal prussien
(la Prusse est officiellement dissoute le 25 février 1947) et en finir avec l’État
souverain1. À considérer l’histoire récente de l’Allemagne, force est de
constater, au contraire, que les structures fédérales ont partie liée, de manière
quasi systématique, soit avec l’autoritarisme (le Reich bismarckien) soit avec
l’absolutisme (la réaction postnapoléonienne de 1815) ; et que, pour sa part, la
figure de l’État unitaire reste associée aux très malchanceuses expériences
démocratiques : la Révolution de 1848 et la République de Weimar.
Erreur de diagnostic sur la nation ensuite. Tout s’est passé comme si le
redressement d’après 1945 avait nécessité, pour solde expiatoire de tout
compte, le bannissement définitif de l’identité nationale allemande. Là encore,
le haut patronage américain qui a présidé à la renaissance fédérale de l’Alle-
magne occidentale fut particulièrement efficace à court terme, mais contre-
productif à plus long terme : exercé sans le soutien des élites démocratiques
allemandes, il a fortement contribué à installer une inhibition douloureuse
sur fond de propagande culpabilisatrice. Il fallait rééduquer un peuple alle-
mand collectivement responsable, disait-on2. Nous savons désormais ce qu’il

1. Cf. deux textes de la période américaine, tardivement traduits en français : 1988 pour le pre-
mier, 1993 pour le second  : J.  MARITAIN, «  L’Europe et l’idée fédérale  » [1940], trad. fr.
R. Mougel, Œuvres complètes, op. cit., VII, 1988, p. 993-1016 ; L’Europe et l’idée fédérale, Tours,
Mame, 1993, p. 15-47 ; « L’Europe et les tâches de l’après-guerre » [1940], trad. fr. R. Mougel,
ibid., p.  49-95. Sur la question européenne, Maritain devance en quelque sorte l’Église catho-
lique, se prononçant dès 1940 en faveur de l’option fédérale, dans laquelle il voit la seule solution
envisageable pour régler le problème allemand. Mais contrairement à certains militants chrétiens,
il ne s’engagera pas dans les mouvements fédéralistes de l’après-guerre (sa nomination au poste
d’ambassadeur de France au Vatican intervient dès février 1945). Rappelons aussi le rôle de
l’émigration allemande dans la défense de la thèse de la culpabilité collective du peuple allemand.
Thomas Mann, par exemple, refusait de distinguer entre une bonne et une mauvaise Allemagne
(T. MANN, « L’Allemagne et les Allemands » [1945], Les Exigences du jour, op. cit., p. 342-362 ;
«  Retour en Allemagne  » [1949], ibid., p.  380-391). Comme lui, Jacques Maritain défend au
même moment, et dans le même exil nord-américain, la même thèse de la culpabilité collective. Il
s’opposait sur ce point à la ligne défendue par Pie XII.
2. Cf., ici, J.  SOLCHANY, «  L’occupation alliée  : facteur de refoulement ou de remise
en cause ?  », Comprendre le nazisme dans l’Allemagne des années zéro, op. cit., p.  25-47.
Hannah Arendt avait fortement mis en cause cette approche psychologique de la culpabilité
(H. ARENDT, « Retour en Allemagne après le nazisme » [1950], trad. fr. C. Habib, Esprit, 1988,
144, p. 25-35 ; « Après le nazisme : les conséquences de la domination » [1950], Penser l’événe-
ment, éd. C. Habib, Paris, Éditions de Fallois, 1989, p. 53-77, ici p. 59-68, p. 76-77). S’agissant du
débat qui agita le monde des historiens (des intellectuels en général), cf. É. HUSSON, « L’Alle-
magne est-elle coupable ? Dialogues d’historiens (1945-1960) », Comprendre Hitler et la Shoah.
Les historiens de la République fédérale d’Allemagne et l’identité allemande depuis 1949, Paris,
PUF, 2000, p. 29-47 ; J. SOLCHANY, « La réflexion sur le nazisme : un grand débat intellec-
tuel », Comprendre le nazisme dans l’Allemagne des années zéro, op. cit., p. 49-75 ; « Le nazisme :
déviance allemande ou mal de la modernité ? La réflexion des historiens dans l’Allemagne des
années zéro (1945-1949) », Vingtième Siècle, 1992, 34, p. 145-156.
314 La subsidiarité germanique...

en est des « mémoires négatives » construites sur le refoulement et le déni1.


Du silence, du choc et de la culpabilisation, l’Allemagne est ressortie trauma-
tisée par la honte2. À la thèse de la responsabilité collective assénée de l’exté-
rieur par les Alliés a souterrainement répondu un refoulement intérieur très
lourd de conséquences. Elles s’avèrent particulièrement évidentes s’agissant
de l’identité nationale. Pensons, ici, au cas de Günter Grass et à la découverte
tardive en 2006 de son passé nazi : au soir de sa vie, alors qu’il s’apprêtait à
publier ses mémoires, le Prix Nobel de littérature — conscience morale du
pays, champion de la Vergangenheitsbewältigung, infatigable défenseur de la
Kulturnation contre l’État unitaire —, révèle son expérience dans la Waffen-
S.S.3. Sans vouloir extrapoler à partir de ce seul cas individuel, relevons néan-
moins le message qu’il délivre de façon exemplaire : le fédéralisme démocra-
tique postnational comme face inversée, comme reconversion refoulée, du
totalitarisme nazi4. Comment ne pas voir dans ce surinvestissement moralisa-
teur des thèmes démocratiques, antinationaux et fédéralistes la nécessaire
surcompensation d’une indicible culpabilité ?
Nous savons par ailleurs ce qu’il en est vraiment de l’impossible réconci-
liation entre les Allemands et la nation. Ne faut-il pas, sur cette question
fondamentale, donner raison à Heinrich August Winkler quand il démontre
en quoi la réunification de 1989 a fait entrer l’Allemagne dans le droit
commun des États-nations5 ? Cette acclimatation allemande à la forme natio-
nale sonne, elle aussi, comme une revanche sur le passé mais elle vient surtout
donner tort au diagnostic post-totalitaire. Nous n’avons vraisemblablement
pas fini d’en recueillir les leçons. Impossible, en tout cas, de ne pas en mesurer
les effets de rétroaction sur la construction européenne elle-même. L’acte de
naissance de l’Europe, nous l’avons dit, reposait sur l’équation suivante : les
nations ont conduit à la guerre ; la paix est conditionnée par un dépassement
des nations ; l’Europe sera le bras armé de cette neutralisation du mal national.

1. Sur la « mémoire négative », cf. R. KOSELLECK, « Formen und Traditionen des negativen
Gedächtnisses », Verbrechen errinern. Die Auseinandersetzung mit Holocaust und Völkermord,
dir. V. KNIGGE, N. FREI, Berlin, Bundeszentrale für politische Bildung, 2005, p. 21-33.
2. Analysant la mémoire post-totalitaire de l’Allemagne, Aleida Assmann diagnostique non « un
traumatisme de la culpabilité » mais « un traumatisme de la honte », sorte de bouclier psycholo-
gique contre l’examen de conscience (A. ASSMANN, Der Lange Schatten der Vergangenheit.
Erinnerungskultur und Geschichtspolitik, Munich, Beck, 2006 ; « La thèse de la culpabilité col-
lective : un traumatisme allemand ? », trad. fr. M. Dautrey, Le Débat, 2003, 124, p. 171-188).
3. G. GRASS, « Schreiben nach Auschwitz », Gegen die verstreichende Zeit. Reden, Aufsätze
und Gespräche [1989-1991], Hambourg, Luchterhand, 1991, p.  42-74. Cf., ici, T.  SERRIER,
« Günter Grass et la Waffen-S.S. : la part maudite d’un prix Nobel allemand », Vingtième Siècle,
2007, 94, p.  87-100 ; «  Des choses cachées depuis la fondation de l’Allemagne d’après-guerre.
Réflexions sur Günter Grass et la Waffen-S.S. », Le Débat, 2007, 144, p. 71-84.
4. Nous retrouverons plus loin ce thème à l’échelle européenne, spécialement dans le champ du
droit. Renvoyons d’ores et déjà à l’ouvrage précité  : C.  JOERGES, N.  S. GHALEIGH, éd.
Darker Legacies of Law in Europe, op. cit. Cf., en particulier, M. STOLLEIS, « Reluctance to
Glance in the Mirror : The Changing Face of German Jurisprudence after 1933 and post-1945 »,
ibid., p. 1-18 ; O. LEPSIUS, « The Problem of Perceptions of National Socialist Law or : Was
there a Constitutional Theory of National Socialism », trad. angl. I. L. Fraser, ibid., p. 19-41.
Pour un compte rendu suggestif, au titre évocateur, cf. M. LOUGHLIN, « The Constitution of
Europe : The New Kulturkampf ? », European Law Review, 2004, 29 (4), p. 557-569.
5. H. A. WINKLER, Histoire de l’Allemagne, op. cit., p. 1001 sq. par exemple.
Subsidiarité et Allemagne chrétienne. La condition fédérale 315

Or, n’est-ce pas à l’inverse la construction européenne qui a permis à l’Alle-


magne de redécouvrir le cadre national ? Voilà comment une équation, pour-
tant largement admise, se retourne en son exact contraire.

2. L’ÉTAT TOTALITAIRE : L’ÉTAT BOUC ÉMISSAIRE

Il en va différemment de l’État. C’est le point qui nous intéresse ici : réconci-


liation allemande avec la nation ne vaut pas réconciliation automatique avec
l’État, bien au contraire. Tout part, après-guerre, du même verdict posé sur
un mauvais diagnostic  : l’Allemagne hitlérienne se serait rendue coupable
d’une idolâtrie totalitaire de l’État1. Pire, naturellement portés (pour des rai-
sons théologiques dit-on) à survaloriser l’État, à naviguer entre la démesure
et la servilité, les Allemands n’y auraient trouvé qu’un ultime prétexte pour
s’adonner à leur péché compulsif de glorification de l’autorité. Et les conti-
nuités généalogiques d’être invoquées à satiété en guise de démonstration
disqualifiante : de Luther à Fichte, un même autoritarisme prussien ; de Bis-
marck à Hitler, une continuité nécessaire, respectivement annoncée, entre
autres, par Hegel et par Schmitt2.
Le cas Fichte a déjà été traité dans la première partie ; le cas Luther sera
considéré plus en détails dans les développements qui suivent. La levée du
double malentendu hégélien et schmittien nous suffira ici à faire entendre ce
que nous appelons fédéralisme post-totalitaire, et sa statophobie constitu-
tive  : pas de fédéralisme post-totalitaire sans son champ d’adversité, l’État
totalitaire, accoucheur de son fantasme inversé, l’État subsidiaire. Telle est,
selon nous, l’une des voies d’accès à cette statophobie germanique si bien
relevée par Blandine Kriegel, dont les termes polémiques (l’« État despote »)
n’enlèvent rien aux mérites de la démonstration3 : avoir mis au jour l’une des

1. Sur la statophobie consubstantielle à l’idéologie nazie, cf. P. BIRNBAUM, « L’introuvable


État totalitaire  : l’exemple du pouvoir hitlérien  », Dimensions du pouvoir, Paris, PUF, 1984,
p. 167-189. Même constat chez Michael Stolleis, qui estime pourtant que le concept d’État restait
encore disponible aux Allemands d’après 1945, moins corrompu qu’il était en comparaison des
concepts de Reich, de peuple, de nation, etc. (M. STOLLEIS, « Après le déluge. La reconstruc-
tion de l’État de droit et de la démocratie en Allemagne de l’Ouest après la Seconde Guerre
mondiale », Revue historique de droit français et étranger, 2003, 81, p. 353-366 ; « Image et réalité
de l’État en Allemagne de l’Ouest (1945-1960) », trad. O. Jouanjan, Droits, 2009, 49, p. 135-158).
Pour un raisonnement dans les termes du positivisme juridique (dont le postulat formaliste
devrait, en théorie, conduire à ignorer le contenu matériel du droit), cf. M. TROPER, « Y a-t-il
eu un État nazi ? » [1985], Pour une théorie juridique de l’État, Paris, PUF, 1994, p. 177-182.
2. Renvoyons ici à trois auteurs importants, en guise de reconnaissance de dettes : J.-F. KER-
VÉGAN, Hegel, Carl Schmitt. Le politique entre spéculation et positivité [1992], Paris, PUF,
2005 ; « Hegel et l’État de droit », Archives de philosophie, 1987, 50 (1), p. 55-94 ; « Hegel, l’État,
le droit », Droits, 1992, 16, p. 21-32 ; « Souveraineté et représentation chez Hegel », Revue fran-
çaise d’histoire des idées politiques, 2001, 14, p. 322-336 ; D. LOSURDO, Hegel et la catastrophe
allemande [1987], trad. fr. C. Alunni, Paris, Albin Michel, 1994 ; O. JOUANJAN, « Remarques
sur les doctrines nationales-socialistes de l’État », Politix, 1995, 32, p. 97-118.
3. B.  BARRET-KRIEGEL, L’État et les esclaves [1979], Paris, Payot, 1989, p.  196. Citons
directement l’auteur pour dissiper les possibles malentendus  : «  Comment l’Allemagne est-
elle devenue folle ? Question qui ne cède ni au racisme ni au culturalisme, parce qu’il faut
comprendre, en dépit du pangermanisme, non ce qui est allemand dans le destin du totalitarisme,
316 La subsidiarité germanique...

racines majeures du totalitarisme nazi, le « théorème romantique de la société


immanente », la logique du primat de la nation impérialiste sur l’institution
étatique.
S’agissant, d’abord, de la continuité Hegel-Bismarck. Il y a lieu de se
défaire d’une représentation commune tendant insidieusement à réduire le
philosophe d’Iéna au mauvais rôle d’apologiste de l’étatisme prussien, voire
de thuriféraire du pangermanisme impérial. Frédéricienne puis wilhelmi-
nienne, la politique allemande des xixe-xxe siècles devrait alors être interprétée
comme la réalisation à la fois du vœu étatique de Hegel et du programme
national de Fichte. Proposée pour la première fois par Friedrich Meinecke,
cette lecture établissant une continuité logique entre Hegel et Bismarck a
ensuite été alimentée par son élève, Franz Rosenzweig, mais aussi par l’Italien
Benedetto Croce. Meinecke, Rosenzweig, Croce  : les mêmes auteurs qui
voyaient en Machiavel l’inventeur de la raison d’État, les mêmes auteurs qui
fantasmaient un soi-disant machiavélisme1, ce « nom donné à la politique en
tant qu’elle est le mal  », pour mieux désigner le coupable des malheurs du
temps2. Certes, Hegel a lui-même revendiqué quelques parentés entre sa phi-
losophie et la réalité prussienne, ses emportements le poussant parfois à y
voir l’incarnation par excellence de l’État moderne (encore qu’il conviendrait
de distinguer l’œuvre spéculative des écrits de circonstance). Mais, au-delà,
comment réconcilier sans inconséquence cette réalité prussienne de la logique
impériale avec l’idéalisme hégélien de l’État3 ? L’Empire allemand ne puisait-
il pas son inspiration dans une Machtpolititk qui avaient bien peu à voir avec

mais ce qui a été totalitaire dans l’histoire de l’Allemagne. » (Ibid., p. 169). Sur la tension alle-
mande entre idéalisme et romantisme rapportée à la question de l’État, cf. H. BRUNSCHWIG,
La Crise de l’État prussien à la fin du XVIIIe siècle et la genèse de la mentalité romantique [1947],
Paris, PUF, 1971 ; J. DROZ, Le Romantisme allemand et l’État, Paris, Payot, 1966.
1. Cf., par exemple, B. CROCE, Ce qui est vivant et ce qui est mort de la philosophie de Hegel
[1906], trad. fr. H.  Buriot, Paris, Giard, Brière, 1910. Sur Rosenzweig  : P.  RICŒUR, «  La
“figure” dans “L’Étoile de la Rédemption” », Esprit, 1988, 145, p. 131-146. Relevons un parallèle
avec les analyses du philosophe français Charles Renouvier : C. RENOUVIER, « La doctrine
hégélienne et la politique prussienne », La Critique philosophique, 1872, 1 (21), p. 321-329.
2. Nous reprenons ici la définition lefortienne du machiavélisme en tant que fantasme
(C. LEFORT, Le Travail de l’œuvre, Machiavel [1972], Paris, Gallimard, 1986, p. 77). Cf., bien
sûr, F. MEINECKE, L’Idée de la raison d’État dans l’histoire des Temps modernes [1924], trad.
fr. M.  Chevallier, Genève, Droz, 1973 ; B.  CROCE, «  Machiavel et Vico  » [1931], trad. fr.
S. Gherardi, La Philosophie comme histoire de la liberté, Paris, Le Seuil, 1983, p. 245-248. Sur
Hegel en particulier, cf. F. MEINECKE, Weltbürgertum und Nationalstaat. Studien zur Genesis
des deutschen Nationalstaates [1908], Munich, Oldenbourg, 1963 ; F. ROSENZWEIG, Hegel et
l’État [1920], trad. fr. G.  Bensussan, Paris, PUF, 1991. Cf. aussi B.  CROCE, «  L’État et
l’éthique  » [1924], trad. fr. S.  Gherardi, La Philosophie comme histoire de la liberté, op. cit.,
p. 239-244 ; « La cité du Dieu athée » [1949], trad. fr. E. Traverso, Le Totalitarisme, éd. E. TRA-
VERSO, Paris, Le Seuil, 2001, p.  431-436. Pour une réfutation énergique, cf. D.  LOSURDO,
« De Hegel à Bismarck ? », Hegel et la catastrophe allemande, op. cit., p. 19-49.
3. Pensons, ici, à la critique féroce qu’a adressée Hegel au très conservateur Karl Ludwig von
Haller, dont le traité sur la restauration de la science politique sera plus tard vénéré par l’empe-
reur Friedrich Wilhelm IV (G. W. F. HEGEL, Principes de la philosophie du droit [1821], trad.
fr. J.-L. Vieillard-Baron, Paris, Flammarion, 1999, p. 276 (§ 219), p. 301-302 ; § 258). Le traité de
Haller a paru en six volumes et été traduit par l’auteur lui-même (K. L. von HALLER, Restaura-
tion de la science politique ou la théorie de l’état social naturel opposé à la fiction d’un état civil
factif I-VI [1816-1834], trad. fr. [1824-1875], Aalen, Scientia, 1964).
Subsidiarité et Allemagne chrétienne. La condition fédérale 317

l’État-institution ? Qu’un Treitschke ou qu’un Ranke (der Staat ist Macht)


aient pu se référer à Hegel ne saurait valoir quelconque preuve de filiation
intellectuelle1. N’oublions pas, par ailleurs, combien le philosophe a pu s’op-
poser à tous les juristes adeptes de Realpolitik qui réduisaient la juridicité
à un simple ordre factuel, voyant par exemple dans la puissance du Prince la
justification dernière de l’absolutisme monarchique.
Trop souvent interprétée comme pure entreprise de divinisation de l’État,
la théorie hégélienne ne fait qu’insister sur sa transcendance rationnelle.
« Effectivité de l’idée éthique », l’État peut bien être vénéré « comme quelque
chose de divin », il reste avant tout l’institution fondatrice de la liberté2. L’at-
tachement de Hegel à l’État n’exprime rien d’autre que ce souci philoso-
phique, ultimement motivé par une recherche de conciliation entre l’uni-
versel et le particulier. Il ne s’agit pas de nier les ressorts illibéraux et holistes
de la Philosophie du droit3. Hegel condamne le contractualisme libéral, son
artificialisme mécanique et sa sécheresse sans âme. Il rejette le jusnaturalisme
et refuse la séparation des pouvoirs. Il écarte le droit de vote individuel et
accorde une place centrale à la représentation organique des intérêts profes-
sionnels (Berufstände). Reste que, bien logiquement, la dialectique du schéma
hégélien suppose à la fois un moment libéral de l’État et un moment, non
moins libéral, de la société civile. En lecteur critique des Lumières écossaises,
Hegel prend toujours soin de penser la société comme extérieure à l’État,
refusant de considérer le pouvoir étatique comme immanent à la société
civile.
S’agissant, ensuite, de la continuité Hegel-Hitler. À l’instar de Jean Bodin,
de Thomas Hobbes ou de Jean-Jacques Rousseau, Hegel fait l’objet d’une
accusation récurrente : avoir préparé le terrain à l’État totalitaire, avoir créé
les conditions théoriques de «  la catastrophe allemande  ». Dans ce registre

1. Sur Heinrich von Treitschke et Leopold von Ranke, cf., par exemple, C.  COLLIOT-
THÉLÈNE, « Les origines de la théorie du Machtstaat », Philosophie, 1988, 20, p. 24-47.
2. G. W. F. HEGEL, Principes de la philosophie du droit, op. cit., p. 298 (§ 257), p. 325 (§ 272).
3. Le holisme hégélien n’est pas sans tonalité aristotélicienne. Couramment établi, le parallèle est
vraisemblablement légitime ; l’est moins, en revanche, la référence à la subsidiarité — qui nous
semble pertinente ni dans un cas ni dans l’autre (J.  BARION, «  Hegels Staatslehre und das
Prinzip der Subsidiarität  », Die Neue Ordnung, 1953, 7 (4), p.  193-201, 7 (5), p.  279-287). Si
Hegel n’est pas le thuriféraire de l’État prussien, il n’est pas non plus le défenseur de l’État subsi-
diaire (contra : C. MILLON-DELSOL, L’État subsidiaire, op. cit., p. 75 sq.). Il ne pose pas le
problème de l’État en termes d’intervention ou de réponse à des besoins. Il réfléchit sur la néces-
sité de l’institution étatique en tant que telle, avant d’identifier l’utilité de sa fonction sociale.
C’est une fois l’État posé que la question de ses modalités d’organisation peut être considérée.
S’agissant de l’organisation territoriale, par exemple  : «  Étant donné les dimensions des États
actuels, l’idéal selon lequel tout homme libre devrait participer à la délibération et au règlement
des affaires générales de l’État est tout à fait impossible à réaliser. Le pouvoir politique doit se
ramasser en un centre unique afin d’en décider aussi bien que pour son rôle exécutif, en tant que
gouvernement. Une fois que ce centre a trouvé sa garantie respectueuse du peuple et que son
immutabilité a été sanctifiée en la personne du monarque institué par une loi naturelle, la nais-
sance, un pouvoir d’État peut, sans crainte, ni jalousie, abandonner aux corps et systèmes subor-
donnés une grande partie des circonstances de la vie locale, avec le soin d’y veiller selon la loi ;
ainsi, chaque État, chaque ville, village, commune, etc. peuvent jouir de la liberté de régler et de
mener à bien eux-mêmes les affaires qui touchent à leur circonscription. » (G. W. F. HEGEL,
La Constitution de l’Allemagne, op. cit., p. 47).
318 La subsidiarité germanique...

interprétatif encore très répandu, l’antitotalitarisme libéral (Karl Popper,


Friedrich Hayek) rencontre opportunément son homologue catholique
(Jacques Maritain, Luigi Sturzo, Eric Voegelin)1. Peu importe que l’entreprise
hégélienne ait constitué un point de résistance essentiel au romantisme poli-
tique, l’une des sources centrales de l’idéologie nazie2, elle doit, comme les
autres pièces à conviction, rejoindre le dossier d’une imperturbable relecture
post-totalitaire de l’histoire  : le passé allemand comme simple prélude à
Hitler. Et pourtant : quoi de commun entre la conception éthico-rationnelle
de l’État hégélien et la conception racialo-vitaliste du Volk hitlérien ? Que
reste-t-il du Staat dans le Führerstaat3 ? Jamais, l’hitlérisme n’a fonctionné au
droit ou à la légalité ; tout entier, il a reposé sur une structure partisane et un
principe charismatique, le Führertum ; de bout en bout, il a méthodiquement
organisé la dissémination de tous les lieux du pouvoir, la dissolution de toutes
les structures administratives, l’abolition de tous les cadres de la sécurité juri-
dique. C’est dans le chaos institutionnel que le nazisme a trouvé son principal
terreau de propagation, dans l’absence informe de tout principe d’autorité4,
dans « l’inversion cauchemardesque des notions normales »5. En rien, il ne fut

1. Pensons à Karl Popper, qui voit dans l’historicisme et le « néotribalisme » hégéliens deux des
sources majeures du totalitarisme (K. R. POPPER, La Société ouverte et ses ennemis, II. Hegel
et Marx [1942], trad. fr. J. Bernard, P. Monod, Paris, Le Seuil, 1991, spécialement « Hegel et le
néotribalisme », p. 18-55). Pour une réfutation, cf. D. LOSURDO, « État, Volk, nazisme et fas-
cisme », Hegel et la catastrophe allemande, op. cit., p. 119-163.
2. B. BARRET-KRIEGEL, L’État et les esclaves, op. cit., p. 189 sq.
3. Il ne s’agit pas de se faire hégélien, précisons-le au passage, pour simplement dédouaner Hegel
(É. WEIL, Hegel et l’État [1950], Paris, Vrin, 2002 ; B. BOURGEOIS, La Pensée politique de
Hegel [1969], Paris, PUF, 1992 ; « L’État hégélien », L’État moderne. Regards sur la pensée poli-
tique de l’Europe occidentale entre 1715 et 1848, éd. S. GOYARD-FABRE, Paris, Vrin, 2000,
p. 277-289) ; un philosophe libéral comme Ernst Cassirer, peu suspect de verser dans l’hégélia-
nisme, a lui aussi défendu Hegel contre l’accusation de totalitarisme (E. CASSIRER, Le Mythe
de l’État [1946], trad. B. Vergely, Paris, Gallimard, 1993, p. 336-373).
4. Malgré la fibre marxiste qu’on lui connaît, Franz Neumann, publiciste proche de l’École
de Francfort, a très bien décrit l’État de non-droit (Unrechtsstaat) caractéristique du nazisme
(F. L. NEUMANN, Behemoth. Structure et pratique du national-socialisme [1942-1944], trad.
fr. G. Dauvé, J.-L. Boireau, Paris, Payot, 1987). L’historien bavarois Martin Broszat, lui aussi, a
parfaitement restitué cet inextricable « enchevêtrement d’institutions », mais il en a ensuite tiré
des conséquences pour le moins spécieuses (M. BROSZAT, L’État hitlérien. L’origine et l’évo-
lution des structures du IIIe Reich [1969-1978], trad. fr. P. Moreau, Paris, Fayard, 1985, p. 496).
Pour un commentaire étayé de la thèse broszatienne, cf., selon des orientations différentes,
É. HUSSON, « Le plaidoyer pour l’historicisation du national-socialisme de Martin Broszat »,
Comprendre Hitler et la Shoah, op. cit., p. 153-178 ; E. TRAVERSO, « Historiser le national-
socialisme. Un dialogue judéo-allemand  », Historicités, dir. C.  DELACROIX, F.  DOSSE,
P.  GARCIA, Paris, La Découverte, 2009, p.  257-272. Sur le chaos instititutionnel du système
nazi, cf., davantage encore, M. R. LEPSIUS, « Das Modell der charismatischen Herrschaft und
seine Anwendbarkeit au den “Führerstaat” Adolf Hitlers », Demokratie in Deutschland. Sozio-
logisch-historische Konstellationsanalysen, Göttingen, Vandenhoeck und Ruprecht, 1993,
p. 95-118 ; M. STOLLEIS, Recht im Unrecht. Studien zur Rechtsgeschichte des Nationalsozia-
lismus, Francfort, Suhrkamp, 1994 ; N. FREI, L’État hitlérien et la société allemande, 1933-1945
[1987], trad. fr. J. Étoré, Paris, Le Seuil, 1994, spécialement p. 235 sq.
5. S.  HAFFNER, Histoire d’un Allemand. Souvenirs (1914-1933) [2002], trad. fr. B.  Hébert,
Arles, Actes Sud, 2004, p.  189. Dans une veine très arendtienne, l’historien Sebastian Haffner
donne une description poignante du ressort mental du totalitarisme, ressort d’autant plus puis-
sant qu’il est imperceptible. Parlant des cérémonies hitlériennes  : «  On se mit à participer —
d’abord par crainte. Puis, s’étant mis à participer, on ne voulut plus que cela fût par crainte,
Subsidiarité et Allemagne chrétienne. La condition fédérale 319

une exaltation de l’État, il reposa tout au contraire sur une statophobie dont
le dessein était clairement revendiqué. Aussi peut-on dire que la victoire
du nazisme a cristallisé l’apogée même de l’échec hégélien  : l’expression
d’une statophobie poussée jusqu’à ses extrêmes limites. Et, en l’occurrence,
ne faudrait-il pas prendre au sérieux le fameux verdict schmittien  : «  [le
30 janvier 1933], on peut dire que Hegel est mort »1 ?
S’agissant, enfin, de la continuité Schmitt-Hitler. Nous devons en convenir
pour commencer, la notion d’État total nous semble aussi fragile que celle
d’État totalitaire. Voir dans l’État total schmittien la préparation concep-
tuelle de la réalité hitlérienne de l’État totalitaire, c’est accorder double
consistance épistémologique à ce qui fait doublement problème. Sans entrer,
faute de place, dans les discussions sur la trajectoire intellectuelle du juriste
allemand, nous nous contenterons, pour approcher la notion schmittienne
d’État total, de bien distinguer entre les productions de la période nazie et les
autres écrits2.
Les thèses étrangères au nazisme d’abord. Il convient de rappeler qu’elles
sont de bout en bout marquées par l’irréductible hostilité schmittienne au
libéralisme sous toutes ses formes  : neutralité de l’État, parlementarisme,
normativisme, etc. Sans ce combat obsessionnel contre le monde libéral, Carl
Schmitt n’aurait jamais été conduit à revendiquer la marche vers l’État total :
l’État total, à ses yeux, ce doit être la réplique inversée de l’État libéral.
Encore faut-il rappeler ici les termes exacts de son propos, en particulier
sa distinction entre État total quantitatif et État total qualitatif3. Le premier
est total « par faiblesse », « dans un sens purement quantitatif, celui du simple
volume  »  : l’Allemagne de Weimar. Le second, à l’opposé, est total «  par
force », « au sens de la qualité et de l’énergie » : l’Italie de Mussolini. Aussi
est-ce parce qu’il y a État quantitativement total, stade ultime de la sclérose
libérale, qu’une riposte qualitative s’impose de toute nécessité. Prix à payer,
en quelque sorte, pour sortir de l’illusion trompeuse de la «  neutralité

motivation vile et méprisable. Si bien qu’on adopta après coup l’état d’esprit convenable. C’est là
le schéma mental de la victoire de la révolution national-socialiste. » (Ibid., p. 194).
1. C. SCHMITT, État, mouvement, peuple [1933], trad. A. Pilleul, Paris, Kimé, 1997, p. 46 (cité
dans J.-F. KERVÉGAN, Hegel, Carl Schmitt. Le politique..., op. cit., p. 325).
2. Sur cette utile précaution méthodologique, cf., ici, O.  BEAUD, «  L’art d’écrire chez un
juriste : Carl Schmitt », Le Droit, le politique. Autour de Max Weber, Hans Kelsen, Carl Schmitt,
dir. C. M. HERRERA, Paris, L’Harmattan, 1995, p. 15-36 ; « Carl Schmitt ou le juriste engagé »,
Préface à C.  SCHMITT, Théorie de la Constitution [1928], trad. fr. L.  Deroche, Paris, PUF,
2008, p.  5-113 ; É.  BALIBAR, «  Le Hobbes de Schmitt, le Schmitt de Hobbes  », Préface à
C. SCHMITT, Le Léviathan dans la doctrine de l’État de Thomas Hobbes. Sens et échec d’un
symbole politique [1938], trad. fr. D. Trierweiler, Paris, Le Seuil, 2002, p. 7-65.
3. La distinction État total qualitatif-État total quantitatif apparaît dans un texte de janvier 1933
(C. SCHMITT, « Weiterentwicklung des totalen Staats in Deutschland » [1933], Verfassungs-
rechtliche Aufsatze, Berlin, 1985, p.  359-365 ; Positionen und Begriffe im Kampf mit Weimar-
Genf-Versailles, 1923-1939 [1940-1988], Berlin, Duncker und Humblot, 1994, p.  211-216 ;
« Évolution de l’État total en Allemagne » [1933], trad. fr. A.-H. Hoog, Le Totalitarisme, éd.
E. TRAVERSO, Paris, Le Seuil, 2001, p. 137-146), paru deux ans après la survenue explicite sous
sa plume de la notion d’État total (C. SCHMITT, « Die Wendung zum totalen Staat » [1931],
Positionen und Begriffe, op. cit., p. 166-178 ; « Le virage vers l’État total » [1931], Parlementa-
risme et démocratie, trad. fr. J.-L. Schlegel, Paris, Le Seuil, 1988, p. 151-169).
320 La subsidiarité germanique...

de l’État ». « Figure accomplie » de ce libéralisme honni, l’État-providence


(«  d’assistance, de bien-être, de prévoyance  »), n’est que l’étape finale d’un
tragique programme de dépolitisation (Entpolitisierung), qui, embusqué der-
rière le masque d’une politisation apparente, ne fait qu’affadir et dénaturer la
politique1 : prise en charge bureaucratique du corps social, croissance de l’ad-
ministration, dégénérescence du Rechtsstaat en simple État administra-
tif (Verfassungsstaat), fonctionnalisation du droit et motorisation de la loi2.
Schmitt prône donc un emballement autoritaire, une intensification quali-
tative, une vitalisation démocratique, des pouvoirs de l’État. Un État qui
recouvre toute sa souveraineté, c’est un État qui affirme l’ambition d’une
politique de puissance, et pour cela qui rompt avec les tergiversations du sys-
tème parlementaire, qui se recentre sur ses tâches d’État, qui cesse de saper
son autorité et de disperser son crédit dans des activités subsidiaires. Voilà le
cœur de la filiation hégélo-schmittienne : Hegel rappelait le principe matri-
ciel de la séparation État-société ; Schmitt alertait contre la double fusion
État-société : étatisation de la société, socialisation de l’État.
Pour ce qui est des écrits de la période nazie, il faut souligner combien ils
sont marqués par un abandon de la notion juridico-institutionnelle de l’État.
Schmitt ne parle plus de la stabilité de l’institution étatique mais du mouve-
ment (Bewegung) permanent de l’empire (Reich) ; il ne parle plus de l’ordre
rationnel mais du vitalisme populaire (Volk) ; il ne parle plus de la loi de l’État
mais de l’« ordre concret » (Ordnung) faisant du chef l’incarnation même du
droit3. Sans compter les possibles parentés entre le concept de Großraum et la
doctrine du Lebensraum. À vrai dire, ce glissement théorique est rendu pos-
sible par le postulat qui est au fondement même de toute la construction
théorique schmittienne : le politique n’est pas une sphère localisable mais un
degré d’intensité relationnelle à l’intérieur de la communauté qu’il constitue.
La moindre relation peut donc devenir politique à partir du moment où elle
n’exclut pas l’horizon d’un conflit existentiel. C’est ici la source de la subver-

1. Ibid., p. 161. En érigeant l’économie au rang de question centrale de la vie collective, le libéra-
lisme, par effet de rétroaction, aurait lui-même conduit à l’État quantitativement total. Il serait
ainsi le destructeur des délimitations et neutralisations qu’il avait construites, au premier rang
desquelles la partition entre l’État et la société. La continuité est parfaite, aux yeux de Schmitt,
entre l’État social-libéral et l’État total « par faiblesse ». Étape finale du processus, ce dernier est
autant une société totale qu’un État total, dont il est le simple reflet (Stellvertretung).
2. C.  SCHMITT, «  Die Lage der europäischen Rechtswissenschaften  » [1943-1944], Verfas-
sungsrechtliche Aufsätze aus den Jahren 1924-1954. Materialen zu einer Verfassungslehre [1950],
Berlin, Duncker und Humblot, 1973, p.  386-429 ; «  The Plight of European Jurisprudence  »,
trad. angl. G. L. Ulmen, Telos, 1990, 83, p. 35-70 ; « La situation de la science européenne du
droit », trad. fr. M. Scalici, Droits, 1991, 14, p. 115-140 ; « La situation de la science juridique
européenne », trad. fr. J.-L. Pesteil, Krisis, 1993, 13-14, p. 35-71.
3. C. SCHMITT, « Staat, Bewegung, Volk. Die Dreigliederung der politischen Einheit » [1933],
État, mouvement, peuple. L’organisation triadique de l’unité politique, trad. fr. A. Pilleul, Paris,
Kimé, 1997 ; «  Über die drei Arten des rechtswissenschaftlichen Denkens  » [1934], Les Trois
types de pensée juridique, trad. fr. M. Köller, D. Séglard, Paris, PUF, 1995. Dans le même sens,
sous la plume d’un disciple : E. FORSTHOFF, Der Totale Staat, Hambourg, Hanseatische Ver-
laganstalt, 1933. Sur la notion schmittienne d’ordre concret, cf., par exemple, O. JOUANJAN,
« “Pensée de l’ordre concret” et ordre du discours “juridique” nazi : sur Carl Schmitt », Carl
Schmitt ou le mythe du politique, dir. Y. C. ZARKA, Paris, PUF, 2009, p. 71-119.
Subsidiarité et Allemagne chrétienne. La condition fédérale 321

sion schmittienne : légitimer par avance tous les abus au nom d’une potentia-
lité totalisante du politique (par construction, une politique relationnelle,
sans substance et sans lieu spécifique, est toujours potentiellement totale) ;
avoir introduit un critère d’intensité dramatique sous prétexte de conception
interactionniste du pouvoir (Max Weber)1. On le voit bien, dès l’instant où le
politique n’est pas défini de manière un tant soit peu substantielle, il est très
facile de le faire déborder de sa sphère propre, et par là de le dénaturer. Si elle
existe, la dangerosité du projet schmittien ne réside donc pas dans sa défini-
tion de l’État (cette définition est changeante et réactive ; Schmitt n’est pas le
statolâtre que l’on stigmatise parfois)2. Elle réside dans sa définition de la
politique elle-même3. 1o, tout est virtuellement politique et l’État a vocation à
intervenir partout où le politique est en jeu ; 2o, l’État doit se recentrer sur ses
fondamentaux, mais il se doit surtout de riposter à la politisation de la société
s’il ne veut pas devenir un simple prolongement bureaucratique de la vie éco-
nomique. À politique totale, État total : si la politisation est généralisée, l’État
est parfaitement légitime à généraliser son intervention. D’où l’incohérence
de Schmitt quand il pointe le danger d’un affaissement de l’État réduit à l’im-
puissance du fait d’une extension de ses compétences à des domaines qu’il ne
peut assumer. La définition schmittienne du politique conduit paradoxale-
ment le juriste allemand à une assimilation entre le politique et l’étatique
(alors même que leur distinction — sous la forme d’une antériorité du pre-

1. Et de conception relationnelle de la politique  : l’espace-qui-est-entre-les hommes chez


Hannah Arendt. « Il n’existe [...] pas une substance véritablement politique, écrit le philosophe.
La politique prend naissance dans l’espace intermédiaire et elle se constitue comme relation. »
(H. ARENDT, « Qu’est-ce que la politique ? » [1950], Qu’est-ce que la politique ? [1958], trad.
fr. S.  Courtine-Denamy, Paris, Le Seuil, 2001, p.  42). Max Weber, pour sa part, comprend le
pouvoir comme «  toute chance de faire triompher, au sein d’une relation sociale, sa propre
volonté » (M. WEBER, Économie et société I. [1910-1913-1921], trad. fr. J. Chavy, É. de Dam-
pierre, et al., Paris, Plon, Agora, 1995, p. 95). Sur le rapport entre Carl Schmitt et Max Weber
souvent suggéré par Julien Freund, cf. C.  COLLIOT-THÉLÈNE, «  Carl Schmitt contre
Max Weber : rationalité juridique et rationalité économique », Le Droit, le politique. Autour de
Max Weber, Hans Kelsen, Carl Schmitt, dir. C. M. HERRERA, op. cit., p. 205-227.
2. Cf. S. BAUME, Carl Schmitt, penseur de l’État, Paris, Presses de Sciences Po, 2008. D’une
manière générale, on peut dire que l’État au sens schmittien prend souvent la figure du kate-
chon : ce qui — en référence au rôle eschatologique de l’institution ecclésiale — retient la fin des
temps (G.  MEUTER, Der Katechon. Zu Carl Schmitts fundamentalistischer Kritik der Zeit,
Berlin, Duncker und Humblot, 1994). Cette dimension est très présente dans la relecture du
Léviathan, mais Schmitt s’y sépare également du modèle étatique de Hobbes à mesure qu’il
prend davantage conscience de l’assise individualiste de la philosophie hobbesienne.
3. Peut-être Carl Schmitt cherche-t-il à faire jouer la distinction entre le politique et la politique,
mais l’axiome n’en recèle pas moins un danger. Thématisée par son principal lecteur français,
Julien Freund, cette distinction ne semble pas réellement stabilisée chez Carl Schmitt. « Bien que
l’homme soit politique parce qu’il est un être social, politique et société ne se situent pas sur un
même plan, c’est-à-dire leur rapport à l’homme est différent. Le politique est une essence et
comme tel il donne lieu à une activité spécifique indéfinie ; la société au contraire est une condi-
tion existentielle qui impose à l’homme, comme tout milieu, une limitation et une finitude. [...] Si
le politique est originairement consubstantiel à la société en tant qu’essence, la politique en tant
qu’activité indéfinie et concrète est seconde par rapport à la société. Celle-ci est la matière sur
laquelle celle-là travaille, de sorte que la société, parce qu’elle est un fait de nature, ne se
comprend historiquement que par l’intermédiaire des diverses essences et activités qui la
façonnent et lui donnent une signification humaine. En ce sens, la société est la donnée de la
politique. » (J. FREUND, L’Essence du politique, Paris, Sirey, 1965, p. 25).
322 La subsidiarité germanique...

mier par rapport au second — est partout présente sous sa plume), et in fine à
revendiquer l’État qualitativement total en tant qu’emprise totale de l’État
sur la société.

Toutes choses égales par ailleurs, les deux cas Hegel et Schmitt révèlent ce
que l’Allemagne n’a jamais été : un État. Au point que l’État dessine comme
un horizon d’attente inatteignable, existant seulement en pensée, sous une
forme idéaliste et rationnelle chez Hegel, sous une forme réactive et subver-
sive chez Schmitt. Par la compensation théorique d’une absence, l’un et
l’autre révèlent quelque chose de l’histoire de l’Allemagne. Il nous revient
à présent de remonter plus haut dans le fil de cette histoire pour déterminer
la place précisément occupée par la subsidiarité.

II. DU FÉDÉRALISME GERMANIQUE


À LA SUBSIDIARITÉ (TERRITORIALE)

Il faut commencer par distinguer entre plusieurs formes de fédéralisme à


l’intérieur même de l’histoire allemande : lointain héritier de l’État luthérien,
le fédéralisme autoritaire du Reich wilhelminien n’est pas le fédéralisme
consociationnel d’un Johannes Althusius. Différence évidente certes, mais
qui doit inviter au dégrisement : d’une part, en précisant les contours des dif-
férentes composantes du consensus fédéral ultrarhénan (et il y a certainement
à assumer leurs contradictions potentielles) ; d’autre part, en déterminant
jusqu’à quel point le calviniste Althusius dit quelque chose de l’histoire alle-
mande du fédéralisme. Parmi ces différentes composantes, une place non
négligeable devra ultimement être réservée à la dernière arrivée : la subsidia-
rité chrétienne.

1. LES MATRICES LUTHÉRIENNE ET ALTHUSIENNE DE L’ÉTAT


Reprenons un à un nos deux foyers de sens luthérien et althusien.
Luther et le prussianisme autoritaire, en premier lieu. Affublée de surnoms
peu flatteurs (l’État-garnison, l’État-caserne), la figure imposante du milita-
risme prussien — dont Bismarck fut peut-être l’expression ultime la plus
éclatante1 — ne doit pas induire en erreur et donner à penser qu’elle serait
capable de tout dire sur le rapport allemand à l’État2. Notre propos se veut ici
l’occasion d’un simple rappel historique. Formulons-le de manière interroga-

1. Pour une contextualisation mesurée, cf. T. NIPPERDEY, « La société de Guillaume II fut-
elle une société de sujets ? » [1985], Réflexions sur l’histoire allemande, op. cit., p. 246-265.
2. Sans aller jusqu’à diagnostiquer un État faible (une faible différenciation État-société), Ber-
trand Badie et Pierre Birnbaum ont montré que la Prusse n’avait jamais connu d’État totalement
institutionnalisé (B. BADIE, P. BIRNBAUM, Sociologie de l’État, op. cit., p. 188 sq.). Sur la dif-
férenciation, cf. P.  BIRNBAUM, «  L’action de l’État. Différenciation et dédifférenciation  »,
Traité de science politique, dir. M. GRAWITZ, J. LECA, op. cit., 1985, III, p. 643-682 ; « La fin
de l’État ? », Revue française de science politique, 1985, 35 (6), p. 981-998.
Subsidiarité et Allemagne chrétienne. La condition fédérale 323

tive pour aller plus directement à l’essentiel  : pourquoi les Églises luthé-
riennes sont-elles devenues des composantes si centrales de l’État absolutiste
allemand ? Était-ce inscrit dans la doctrine luthérienne elle-même ou est-on là
plutôt en face d’un simple effet de la contingence historique ? C’est bien sûr
la seconde hypothèse qu’il faut retenir. Mais l’intérêt du rappel ne doit pas se
limiter à souligner dans quelle mesure le luthéranisme allemand contribua à
justifier le pouvoir absolu ; il est bien davantage de considérer jusqu’à quel
point un ressort proprement luthérien continue de jouer dans le dispositif
bismarckien du xixe  siècle. Il n’y avait, à dire vrai, aucune nécessité théolo-
gique, ni doctrinale, à ce que le luthéranisme allemand conduise à l’absolu-
tisme impérial et au conservatisme le plus autoritaire. Il faut cependant com-
prendre pourquoi les ressorts de son appel à l’obéissance ont pu être si
efficaces et si profonds : refus de toute insoumission civile même contre un
prince tyrannique, défense de l’ordre établi, légitimation sans appel des auto-
rités instituées1. Tout réside en quelque sorte dans la rencontre alchimique
entre confession luthérienne et esprit prussien : ce mélange de piété rigoriste
intériorisée et de dévouement forcé à l’appareil répressif de l’État (la
Staatsfrömmigkeit)2. Considérée historiquement, on le sait, la Réforme luthé-
rienne partageait en outre un certain nombre d’intérêts objectifs avec l’État
moderne en train de naître : comme lui, elle devait s’émanciper de la tutelle du
catholicisme ecclésial ; comme lui, elle devait se construire une légitimité en
invoquant l’onction divine. À objectifs communs, trajectoires communes : le
luthéranisme, résume Troeltsch, a revêtu « de la dignité d’un sacerdoce pres-
crit par Dieu le fonctionnariat étatique qui était en train de se développer [...],
ce qui a renforcé la nouvelle administration centralisée en lui procurant ainsi
un étai moral »3. Mais, si l’appel luthérien à l’obéissance civile fut si total, c’est
que cette obéissance devait intervenir dans un espace très circonscrit, au nom
d’une répugnance viscérale à intervenir dans les affaires du «  monde exté-
rieur », au nom d’une secondarisation globale et définitive de l’ici-bas.

1. Cf. M. LUTHER, « De l’autorité temporelle et dans quelle mesure on lui doit obéissance »,
Luther et les problèmes de l’autorité temporelle, op. cit., spécialement p.  117-147 ; part. II). Si
Dieu envoie des tyrans aux hommes, c’est donc qu’il veut les châtier. Car un souverain, bon ou
mauvais, ne peut être installé aux commandes que dans la mesure où Dieu l’a voulu. Il est de
droit divin. Luther, à propos des princes tyranniques : « Ils sont des geôliers et des bourreaux au
service de Dieu, et Sa colère divine les utilise pour châtier les méchants et maintenir la paix dans
le domaine extérieur. [...] Il plaît à Sa divine volonté que nous appelions gracieux seigneurs ces
bourreaux à Son service, que nous tombions à genoux devant eux et que nous soyons leurs
humbles sujets — à condition toutefois qu’ils n’étendent pas trop loin leur ouvrage en voulant
cesser d’être des bourreaux pour devenir des bergers (Ibid., p. 137 ; part. II).
2. Cf., par exemple, T. LINDENBERGER, « Ruhe und Ordnung », Deutsche Erinnerungsorte,
dir. É. FRANÇOIS, H. SCHULZE, op. cit., II, p. 469-484.
3. E.  TROELTSCH, Protestantisme et modernité, op. cit., p.  80. Rappelons aussi que l’État
prussien, en construction à partir du xviie siècle, fut très longtemps dominé par une classe sociale,
les Junker, grands propriétaires terriens anoblis qui exerçaient, via l’armée, la quasi-totalité des
fonctions administratives. C’est là une différence majeure avec le processus français de construc-
tion monarchique de l’État, qui a consisté à marginaliser la noblesse. Pour plus de détails, cf. les
analyses marxisantes de Perry Anderson (P. ANDERSON, « La Prusse », L’État absolutiste, II.
L’Europe de l’Est [1974], trad. fr. D. Nimietz, Paris, Maspero, 1978, p. 53-98), ainsi que H. REIF,
« Die Junker », Deutsche Erinnerungsorte, op. cit., I, p. 520-536.
324 La subsidiarité germanique...

« En tout état de cause, précise le grand réformateur dans l’un de ses nombreux
commentaires de l’adage paulinien, il est impossible que saint Paul parle d’une
autre obéissance que celle due au pouvoir dans les domaines où celui-ci peut
s’affirmer. Il en résulte que saint Paul parle non de la foi [...], mais des biens
extérieurs, que le pouvoir doit régir et gouverner sur terre. [...] Constatez donc
que l’obéissance et le pouvoir temporels ne concernent que l’impôt, le tribut,
l’honneur et la crainte, c’est-à-dire le monde extérieur1. »
L’horizon est bien celui de la sola fide ; le but est bien d’appeler les chré-
tiens à se tourner directement et intérieurement vers Dieu, par la foi seule. La
croyance est une affaire si importante, nous dit le théologien de Wittenberg,
qu’elle doit devenir strictement privée, subjective et individuelle, qu’elle ne
saurait être le terrain d’une quelconque intervention ecclésiale. Car on ne
pourra jamais obliger un homme à croire. Tel est le sens premier du combat
protestant contre toutes les formes de corruption mondaine et, en particulier,
contre le catholicisme dont Luther délégitime abruptement l’Église en tant
qu’institution terrestre. Le gouvernement de l’âme doit revenir à Dieu et à
Dieu seul.
Moment charnière de l’avènement de l’individualisme, dans le sillon de la
révolution nominaliste, le protestantisme luthérien ne saurait être considéré
comme l’inventeur de l’idée moderne de l’État, encore moins comme le pré-
curseur d’une éthique propre à la modernité politique. Plongé dans le monde
médiéval, le luthéranisme des premières heures considère encore l’État
comme une émanation directe de la puissance divine. Les autorités terrestres
sont mises en place par Dieu pour lutter contre les manifestations extérieures
du péché, pour redresser les « pervers et pestilents, qu’on ne peut autrement
corriger qu’en les punissant »2. Si l’on accepte de voir chez le Réformateur de
Wittenberg quelque chose comme une radicalisation des conséquences poli-
tiques attribuées à la Faute originelle, on pourra alors parler d’une concep-
tion augustinienne de l’État, l’insistance sur la justice terrestre en moins et la
justification spirituelle de la violence étatique en plus. Par ce raidissement de
la soumission humaine à Dieu, la Réforme rejette certes la puissance papale
mais maintient quasi-totale la collusion entre le spirituel et le temporel. Tel
est le double mouvement à l’œuvre chez Luther, qui aboutit à une légitima-
tion très perverse du primat de l’État : son renforcement paradoxal aux fins
de secondariser la politique (la vie mondaine n’a pas de dignité propre) et de
briser l’articulation séculaire entre pouvoir ecclésial et pouvoir étatique.
L’État, en raison même de sa nécessité divine, échappe à toutes les obligations

1. M.  LUTHER, «  De l’autorité temporelle et dans quelle mesure on lui doit obéissance  »,
Luther et les problèmes de l’autorité temporelle, op. cit., p. 131 (part. II). Nous soulignons. « Sur
l’âme, Dieu ne peut ni ne veut laisser régner personne en dehors de Lui seul. C’est pourquoi, si le
pouvoir temporel a la prétention d’imposer des lois à l’âme, il empiète sur le royaume de Dieu et
ne fait qu’égarer et corrompre les âmes.  » (Ibid., p.  119 ; part.  II). Précisons, par ailleurs, que
d’après la théologie calviniste de l’alliance (la Bundestheologie que Calvin partage avec Zwingli),
venant ultérieurement compléter ce schéma luthérien, il n’existe aucun contrat d’autorité entre
Dieu et le prince, il n’existe qu’une alliance entre Dieu et l’homme.
2. J.  CALVIN, «  Du gouvernement civil  », Institution de la religion chrétienne [1541], trad. fr.
J. Cadier, P. Marcel, et al., Genève, Labor et Fides, 1958, IV, p. 470 (ch. XX, § 20). Nous emprun-
tons les mots de Calvin sans oublier la différence entre Luther et le Réformateur genevois.
Subsidiarité et Allemagne chrétienne. La condition fédérale 325

éthiques1. D’où ce rôle exclusivement punitif  : un État fort, mais un État à


l’égard duquel la méfiance va jusqu’à lui donner « un sentiment de culpabilité
pour son intervention positive2  ». Voilà le paradoxe inscrit au cœur de cet
alliage entre prussianisme et luthéranisme. Le cerner dans toute sa complexité
suppose de clairement dissocier entre le plan des principes et le plan de la
réalité, pour finalement admettre qu’en dépit de l’éclat des apparences l’État
prussien disposait d’une assise très fragile.
«  [Luther], résume Thomas Mann, fit de la liberté et de la souveraineté des
Allemands quelque chose d’achevé en les intériorisant et en les éloignant ainsi à
jamais de la sphère des querelles politiques. Le protestantisme a ôté à la poli-
tique son aiguillon spirituel, il en a fait une affaire de pratique3. »
L’intériorité spirituelle du luthéranisme contre l’extériorité institu-
tionnelle du catholicisme, la profondeur contre la superficialité. On l’aura
compris, le déploiement et le renforcement de l’État ne peuvent revêtir le
même sens en terres catholiques françaises et en terres luthériennes alle-
mandes. Si, comme l’Église catholique de France, les Églises luthériennes
d’Allemagne se mettront effectivement au service de l’État absolutiste, c’est
pour mieux lui abandonner les activités politiques et sociales et ne s’occuper
que de spiritualité et de doctrine. Conception politique de l’État, d’une part ;
conception thérapeutique, d’autre part. C’est cette fibre luthérienne qui, des
rois de Prusse jusqu’à Bismarck, déterminera puissamment l’échec historique
de l’État allemand.

Althusius et le fédéralisme consociationnel, en second lieu4. Devenue


dominante, la lecture consistant à faire de l’auteur de la Politica le lointain

1. Cf. T. NIPPERDEY, Réflexions sur l’histoire allemande, op. cit., p. 55.


2. L. DUMONT, L’Idéologie allemande, op. cit., p. 172. Y compris si l’on intègre l’ingrédient
piétiste dans ce cocktail luthérien. Par piétisme, nous faisons référence au mouvement interne au
luthéranisme fondé à la fin du xviie siècle par le Pasteur d’origine alsacienne Philip Jakob Spener.
Le piétisme a trouvé son foyer principal de rayonnement à l’Université de Halle autour de la
figure d’August Hermann Francke (cf., par exemple, H.  LEHMANN, «  Der Pietismus  »,
Deutsche Erinnerungsorte, op. cit., I, p. 571-584). Cette empreinte profonde laissée par le mouve-
ment piétiste dans le luthéranisme allemand, est repérable y compris chez les libéraux soucieux
de limiter les pouvoirs de l’État (Robert von Mohl, Lorenz von Stein, Rudolf von Gneist).
Cf. E.-W. BÖCKENFÖRDE, « Lorenz von Stein, théoricien du mouvement de l’État et de la
société vers l’État social » [1963], Le Droit, l’État et la constitution démocratique, op. cit., p. 148-
175. En affirmant que la grâce était donnée à tous, à rebours de la doctrine calviniste de la pré-
destination, le piétisme spenérien a pour longtemps conféré une dimension sociale au protestan-
tisme allemand et justifié la nécessité d’un encadrement social de l’économie par l’État.
3. T. MANN, Considérations d’un apolitique, op. cit., p. 238. Devenu fameux, le même extrait
est cité par Louis Dumont et Pierre Bouretz d’après l’édition française de 1975 des Betrachtungen
(L. DUMONT, L’Idéologie allemande, op. cit., p. 70 ; P. BOURETZ, « La démocratie française
au risque du monde », La Démocratie en France, I. Idéologies, dir. M. SADOUN, Paris, Galli-
mard, 2000, p. 70 ; La République et l’universel, Paris, Gallimard, 2000, p. 102-103).
4. Œuvre foisonnante et très évolutive, la Politica fut régulièrement amendée par l’auteur : les
deux premières rééditions (1610 et 1614) doublent le volume de la version initiale ; deux autres
éditions paraissent du vivant d’Althusius (1617 et 1625) et trois après sa mort (1643, 1650, 1654)
pour le seul xviie siècle. Mentionnons, pour mémoire, deux autres ouvrages, qui ne seront pas
pris en compte ici : Libri de arte jurisprudentiae romanae methodice digestae ad leges methodi
Ramae conformati (1588) ; Dicaelogicae libri tres, totum et universum jus, quo utimur, methodice
complectentes, cum parallelis hujus et judaici juris, tabulisque insertis (1617).
326 La subsidiarité germanique...

annonciateur du fédéralisme moderne, voire précurseur de la subsidiarité


européenne, possède bien sûr sa part de vérité mais elle ne manque pas d’in-
duire en erreur si l’on se risque à lui donner un tour trop systématique. Car
Althusius n’est jamais exhumé innocemment, jusques et y compris dans les
montages éditoriaux des différentes traductions de la Politica1. À tel point
que le contenu même du propos althusien se trouve parfois oublié (son abso-
lutisme confessionnel par exemple) pour ne plus faire place qu’aux seules
intentions — conscientes ou inconscientes — de ses relecteurs. Force est de le
constater, la redécouverte périodique d’Althusius a donné lieu à des interpré-
tations pour le moins contrastées2 : relecteur calviniste d’Aristote et théori-
cien monarchomaque du fédéralisme, il est tour à tour désigné comme le père
de l’individualisme démocratique et de la souveraineté populaire, le fonda-
teur du constitutionnalisme, de l’État de droit et de la séparation des pou-
voirs. À suivre Otto von Gierke, le grand juriste de l’École historique, Althu-
sius n’aurait rien de moins qu’opéré l’heureuse synthèse de deux illustres
traditions germaniques  : la Körperschaft, d’une part  : l’unité du tout ; et la
Genos senschaft, d’autre part : la pluralité des parties. Mais, plus qu’à la que-
relle typiquement allemande entre romanistes et germanistes, nous voudrions
ici faire référence à la grande controverse franco-allemande du tournant des
xixe-xxe siècles, de laquelle la réception hexagonale d’Althusius nous semble
complètement dépendante3. Notons, par exemple, qu’hormis le commentaire

1. O. von GIERKE, Johannes Althusius und die Entwicklung der naturrechtlichen Staatstheo-
rien, op. cit. Pensons aussi à la réédition de la version latine de la Politica par Carl J. Friedrich en
1932 (J. ALTHUSIUS, Politica Methodice Digesta, op. cit.). Antérieures à la relecture de Gierke,
citons les quelques pages consacrées à Althusius dans E. de BEAUVERGER, Tableau historique
des progrès de la philosophie politique, Paris, Lieber et Commelin, 1858, p. 64-81.
2. « La mode du jour ayant changé, écrit Michel Villey dans son cours de l’année universitaire
1965-1966, on fait maintenant d’Althusius un précurseur, non de l’individualisme moderne, mais
plutôt du corporatisme, du “fédéralisme” ou des méthodes sociologiques.  » (M.  VILLEY, La
Formation de la pensée juridique moderne [1961-1966], Paris, PUF, 2003, p. 515, p. 526).
3. P.  MESNARD, L’Essor de la philosophie politique au XVIe  siècle [1936], Paris, Vrin, 1951,
p. 567-616. À la suite des pierres posées par Otto von Gierke et Carl J. Friedrich (C. J. FRIED-
RICH, Introduction à J.  ALTHUSIUS, Politica Methodice Digesta, op. cit., p.  XIII-XCIX ;
Johannes Althusius und sein Werk im Rahmen der Entwicklung der Theorie von der Politik,
Berlin, Duncker und Humblot, 1975), la redécouverte d’Althusius sera principalement le fait de
Frederick S. Carney, Dieter Wyduckel, Giuseppe Duso et Thomas O. Hueglin : F. S. CARNEY,
The Associational Theory of Johannes Althusius, Thèse, Chicago, University of Chicago, 1960 ;
« Associational Thought in Early Calvinism », Voluntary Associations, éd. D. B. ROBERTSON,
Richmond, John Knox Press, 1966, p.  39-53 ; D.  WYDUCKEL, Johannes Althusius, Wegbe-
reiter moderner Rechts- und Staatslehre, Darmstadt, Wissenschaftliche Buchgesellschaft, 1984 ;
K.-W. DAHM, W. KRAWIETZ, D. WYDUCKEL, dir., Politische Theorie des Johannes Althu-
sius, Berlin, Duncker und Humblot, 1988 ; G. DUSO, W. KRAWIETZ, D. WYDUCKEL, dir.,
Konsens und Konsoziation in der politischen Theorie des frühen Föderalismus, Berlin, Duncker
und Humblot, 1997 ; G. DUSO, « Althusius e l’idea federalista », Quaderni fiorentini, 1992, 21,
p. 611-630 ; « Una prima esposizione del pensiero politico di Althusius : la dottrina del patto e la
costituzione del regno », ibid., 1996, 25, p. 65-126 (avec schéma récapitulatif p. 125-126) ; « La
Maiestas populi chez Althusius et la souveraineté moderne », Penser la souveraineté à l’époque
moderne et contemporaine, dir. G.  M. CAZZANIGA, Y.  C. ZARKA, Paris, Vrin, Pise, Ets,
2001, p. 85-106 ; F. S. CARNEY, H. SCHILLING, D. WYDUCKEL, éd., Jurisprudenz, poli-
tische Theorie und politische Theologie : Beiträge des Herborner Symposions zum 400. Jahrestag
der Politica des Johannes Althusius, 1603-2003, Berlin, Duncker und Humblot, 2003 ; T.  O.
HUEGLIN, « Johannes Althusius : Medieval Constitutionalist or Modern Federalist ? » [1979],
Subsidiarité et Allemagne chrétienne. La condition fédérale 327

de référence dû à Pierre Mesnard, la littérature scientifique française, y com-


pris celle de la période postérieure à la Seconde Guerre mondiale, est restée
très étrangère au mouvement de retour à Althusius. Proudhon ayant peut-
être, de ce côté-ci du Rhin, installé une sorte de quasi monopole théorique
sur la pensée du fédéralisme anti-étatique — nous y reviendrons.
Plus fondamentalement, s’agissant du dialogue franco-allemand qui nous
sert ici de fil conducteur, c’est le débat Bodin-Althusius qu’il faut s’attacher à
retranscrire. Si, contre toute attente, la théorie althusienne présente la parti-
cularité d’intégrer certains composants de la souveraineté bodinienne, elle
procède par gauchissement, en subvertissant le message d’ensemble : l’auteur
de la Politica pense avec Bodin contre Bodin1. Un peu comme si le concept du
juriste angevin devait se plier aux exigences du contexte germanique. Certes,
l’un et l’autre se situent dans une même mystique de l’unité. Certes, Althu-
sius retient de la construction bodinienne tout à la fois l’inaliénabilité, l’im-
prescriptibilité et l’incommunicabilité du pouvoir souverain. Mais pendant
que le Français pose le principe d’une souveraineté indivisible et d’un prince
souverain qui légifère sans le consentement de ses sujets2, l’Allemand dessine,
quant à lui, un schéma consociationnel de partage du pouvoir, s’attachant à
donner toute leur place au peuple et aux corps sociaux. Ce paradoxe se résout
si l’on accepte de voir à l’œuvre chez Althusius un double mouvement d’ap-
propriation-neutralisation de la souveraineté bodinienne. Althusius a lu,
compris et médité Bodin mais ne peut retenir de ses thèses que les dimensions
compatibles avec la réalité germanique. Aussi, dans le moment même où il
s’approprie Bodin, il en modifie complètement les retombées pratiques : non
pas l’État législateur garant de la paix entre confessions mais la pluralité juri-
dique dans l’unité religieuse3.

Federalism as Grand Design, dir. D. J. ELAZAR, Lanham, University Press of America, 1987,
p.  15-47 ; Sozietaler Föderalismus. Die politische Theorie des Johannes Althusius, Berlin, New
York, Walter de Gruyter, 1991 ; « Althusius, Vordenker des Subsidiaritätsprinzips », Subsidia-
rität, op. cit., p. 97-117 ; ainsi que : « Le fédéralisme d’Althusius dans un monde postwestpha-
lien : des concepts du début de l’ère moderne pour un ordre démocratique à la fin de celle-ci »,
trad. fr. F. Lépine, L’Europe en formation, 1999, 312, p. 27-54.
1. La première édition de la Politica est publiée en 1603 quelques années après seulement les Six
livres de la République (J. BODIN, Les Six livres de la République [1576-1583], éd. G. Mairet,
Paris, Librairie générale française, 1993). Non seulement Althusius a lu l’ouvrage de Bodin, mais
il l’a médité et y fait constamment référence. Carl J. Friedrich a relevé pas moins de deux cents
citations de Jean Bodin et cinq cents de Grégoire de Toulouse dans la Politica (C.  J. FRIE-
DRICH, Préface à la Politica, op. cit., p.  XLIII). Cf. aussi H.  U. SCUPIN, «  Der Begriff der
Souveränität bei Johannes Althusius und Jean Bodin », Der Staat, 1965, 4, p. 1-26. Le militant
fédéraliste Bernard Voyenne et, plus près de nous, le publiciste canadien d’origine allemande
Thomas O. Hueglin font du débat entre Jean Bodin et Johannes Althusius le point de départ
d’une bifurcation intellectuelle qui sépare le chemin du fédéralisme de celui de l’absolutisme.
Bernard Voyenne cite Marcel Prélot qui, dans son Histoire des idées politiques, parle à ce propos
de «  grande bifurcation intellectuelle  » (B.  VOYENNE, Histoire de l’idée fédéraliste, I. Les
sources, Nice, Presses d’Europe, 1976, p. 93-111, ici p. 101).
2. Pensons, bien sûr, à la première des « marques » de souveraineté (le premier des « droits de
souveraineté placés sous la loi du souverain ») : le pouvoir de faire et de casser la loi (J. BODIN,
Les Six livres de la République, op. cit., p. 111 sq., p. 151 sq. ; liv. I, ch. 8, 10). Précisons qu’un
auteur comme Giuseppe Duso, fin connaisseur d’Althusius, refuse de voir en Bodin le penseur
de la souveraineté moderne. Il en retient une définition hobbesienne et wébérienne.
3. Althusius s’inscrit dans la même configuration que les juristes étudiés par Michael Stolleis qui
328 La subsidiarité germanique...

C’est que l’indivisibilité de la souveraineté à la française — spécialement le


refus bodinien de toute idée de constitution mixte — vient heurter de front à
la fois l’émiettement territorial du monde germanique, les Stände de l’Empire
et la mixité institutionnelle de son organisation. Chez Bodin, rien ne doit
restreindre l’autorité du prince, et surtout pas des autonomies locales qui
remettraient en cause l’unité et l’unicité du pouvoir. La république bodi-
nienne transcende les appartenances particulières et évacue toute forme de
médiation entre le pouvoir et les sujets1. Chez Althusius, en revanche, la sou-
veraineté n’est pas l’apanage du prince, elle réside dans les diverses commu-
nautés qui se forment en dehors de lui, le tout fluidifié par une logique de
consentement et de proximité2. Pas d’omnicompétence monarchique ni d’in-
divisibilité du pouvoir, mais un exercice partagé de la souveraineté respectant
chaque niveau de décision.
Pour l’essentiel, la pensée d’Althusius se réduit à une éthique des besoins
et des capacités, là même où Bodin prenait le parti des politiques. Le postulat
fondateur de la Politica  : chaque communauté, définie par l’autosuffisance,
est considérée comme capable de subvenir à ses besoins dans son domaine
propre. Aussi le schéma d’ensemble a-t-il quelque chose de très organique :
dès qu’elle montre une insuffisance, une communauté plus vaste doit venir
prendre en charge les besoins non satisfaits du groupe défaillant en lui appor-
tant le subsidium nécessaire. Pas d’individu chez Althusius, pas plus que
d’État au sens moderne. On passe sans médiation véritable du social au poli-
tique, de la famille et de la compagnie à la citoyenneté3 ; et ce n’est jamais
comme homme ou individu mais comme compagnon et symbiote (membre
d’une communauté) que l’on devient citoyen. La souveraineté althusienne est
organiquement conçue comme le résultat d’une coalescence de communautés
imbriquées et étagées, non comme un regroupement d’individus placés à
égale distance du pouvoir souverain. D’où l’absurdité qu’il y a à faire d’Al-
thusius le précurseur germanique de Rousseau : à rebours du modèle althu-
sien le pacte social de Rousseau est un contrat passé entre individus, non
entre communautés4. Certes, il y a dans le modèle althusien de la Politica un

tentent de concilier l’enseignement bodinien avec les contingences spécifiques de l’Empire


(M.  STOLLEIS, Histoire du droit public en Allemagne. La théorie du droit public impérial et
la science de la police, 1600-1800 [1988-1992], trad. fr. M. Senellart, Paris, PUF, 1998).
1. Jean Bodin est tout à fait prêt à reconnaître un rôle important aux corps, communautés et
autres sociétés partielles (collèges et états par exemple), mais si et seulement s’ils n’empiètent pas
sur les pouvoirs du prince (Ibid., p. 305-315 ; liv. III, ch. 7). On sait que Hobbes prolongera le
schéma bodinien en faisant disparaître la dualité entre le souverain et le peuple, via l’introduc-
tion du principe du consentement, mais sans admettre la conception althusienne du partage de la
souveraineté (T. HOBBES, Léviathan [1651], trad. fr. F. Tricaud, Paris, Dalloz, 1991).
2. Les deux logiques sont liées, car, pour Althusius, le consentement doit s’exercer dans la
proximité. Il considère notamment que le consentement est plus facile à obtenir à l’intérieur de
petites communautés qu’à l’intérieur de plus grandes : les décisions ont vocation à être prises au
niveau le plus bas possible par ceux qui en subissent le plus directement les conséquences.
3. Définie « par un service de suppléance », la Politica althusienne, écrit Chantal Delsol, « n’est
rien d’autre qu’une pyramide d’initiatives sociales et, plus qu’une compétence originale, une
distribution des compétences » (C. MILLON-DELSOL, L’État subsidiaire, op. cit., p. 57).
4. Rousseau ne cite qu’une seule fois Althusius en tout et pour tout : « Althusius en Allemagne
s’attira des ennemis, mais on ne s’avisa pas de le poursuivre criminellement » (J.-J. ROUSSEAU,
Subsidiarité et Allemagne chrétienne. La condition fédérale 329

puissant correctif, de provenance genevoise, qui est apporté à la matrice


luthérienne. Mais, selon une morphologie et un langage (sunbiôtikè, sun-
biotes, jus sunbioticum, consociatio, subsidia) qui lui sont propres, le calvi-
niste Althusius continue de cristalliser un idéal médiéval, un idéal confes-
sionnel d’harmonie naturelle.
« La politique, écrit-il, est l’art d’associer les hommes dans le but d’établir, de
cultiver et de conserver la vie sociale entre eux. C’est pourquoi nous l’appelons
“sunbiôtikè” [...]. La politique consiste donc en une “consociatio” (association)
par laquelle les membres (“sunbiotes”) s’engagent les uns vis-à-vis des autres,
de manière explicite ou implicite, à se communiquer mutuellement les aides [...]
qui sont utiles et nécessaires à l’exercice harmonieux de la vie sociale. [...] Même
arrivé à l’âge adulte l’homme n’est pas capable de trouver en lui-même et par
lui-même, les biens extérieurs qui lui permettent de mener une vie commode et
sainte. Bref, il n’est pas capable d’acquérir par lui même tout ce qui est néces-
saire (“subsidia”) pour vivre1. »
Trois grands niveaux s’enchevêtrent pour composer les communautés
symbiotiques décrites par Althusius. D’abord, les communautés privées  :
les ménages et les familles mais aussi toutes les autres associations, naturelles
ou volontaires, fonctionnelles ou territoriales, qui répondent aux besoins
spontanés de la vie sociale. Althusius parle tour à tour de compagnies et de
collèges (collegium, consociatio collegarum, collectio, societas, coetus, soda-
litas, synagoga, conventus, synodus)2. Viennent ensuite, les communautés
publiques et autres corps politiques (consociatio politica particularis), qu’il
s’agisse de communes et de cités ou de provinces et d’empires. Enfin, la
communauté symbiotique intégrale, qui a cette particularité calviniste de
prendre place au sommet de la pyramide sans pour autant dominer l’en-
semble  : supérieur à chacun des niveaux placés en dessous de lui, elle ne
domine que les communautés inférieures prises individuellement, non la réu-
nion de ces différentes communautés.
On a pu parler d’une inspiration aristotélicienne et thomiste autorisant
certains spécialistes à voir chez Althusius les linéaments de ce qui devien-

Sixième lettre, Lettres écrites de la montagne, [1763-1764], Neuchâtel, Ides et Calendes, 1962,
p.  204). Sur ce point, cf. R.  DERATHÉ, Jean-Jacques Rousseau et la science politique de son
temps, Paris, Vrin, 1995, p. 92-100. À l’emportement d’un Gierke répond, par exemple, l’extrême
sévérité d’un Paul Bastid, lequel fait d’Althusius non un lointain précurseur de la Révolution
française, mais un homme d’ordre, un théoricien autoritaire, tout imprégné de mentalité confes-
sionnelle et très en retrait par rapport aux penseurs calvinistes les plus novateurs de son temps
(P.  BASTID, Le juriste allemand Althusius a-t-il été un précurseur lointain de la Révolution
française ?, Paris, Firmin-Didot, 1952). Carl J. Friedrich avait parlé d’une forme d’absolutisme de
la collectivité reconnaissant des pouvoirs exorbitants au magistrat suprême (C. J. FRIEDRICH,
Introduction à la Politica, op. cit., p. LXXIII).
1. J. ALTHUSIUS, Politica Methodice Digesta, op. cit., éd. lat., p. 14-15. Nous reprenons ici la
traduction française proposée par Marc Luyckx (M. LUYCKX, Histoire philosophique du
concept de subsidiarité. Note de la Cellule de prospective, Bruxelles, Commission européenne,
20  octobre 1992, p.  3-4). Pour une traduction en anglais, cf. J.  ALTHUSIUS, The Politics of
Johannes Althusius, trad. angl. F. S. Carney, Londres, Eyre and Spottiswoode, 1965, p. 11.
2. Les différents ordres constituent des collèges qui disposent, chacun, d’une assise territoriale
propre ; ce qui n’interdit pas les alliances entre groupes géographiquement séparés, pourvu qu’ils
aient suffisamment d’objectifs communs. Dirigée par un chef (tour à tour appelé superior, prae-
fectus, princeps, praeses collegii), chaque compagnie suppose une forte homogénéité.
330 La subsidiarité germanique...

dra plus tard le principe de subsidiarité. Indéniablement, certains des princi-


paux ingrédients de la recette sont présents : une référence constante au bien
commun ultimement défini en Dieu, un peuple composé non pas d’individus
mais de communautés successives qui se complètent selon un système d’em-
boîtement réciproque et ascendant ; des groupes sociaux considérés non de
manière fonctionnelle mais de manière substantielle1 ; bref, une multitude de
consociations symbiotiques, une série de pactes qui émaillent spontanément
le tissu social. C’est bien toute la force de la thèse développée par Horst
Dreitzel que d’avoir redécouvert cette fibre particulière de l’«  aristotélisme
protestant » : celle de Henningus Arnisaeus, celle de Jacobus Bornitius (Jakob
Bornitz), mais aussi celle de Johannes Althusius2. Des trois, le syndic
d’Emden est peut-être celui qui s’écarte le plus de Jean Bodin. Du côté de
Bornitz et d’Arnisaeus, on se contente de distinguer entre la majestas et l’im-
perium de manière à partager la souveraineté en plusieurs fonctions (légiférer,
décider de la guerre et de la paix, percevoir l’impôt, punir, gracier, battre
monnaie, etc.)3. Du côté d’Althusius, en revanche, qui s’inscrit en cela dans la
continuité de Hermanni Kirchneri ou de Christophori Besoldi, on défend la
thèse — finalement victorieuse — des deux souverainetés. Il n’y aurait pas
une seule souveraineté mais deux : celle de la communauté politique et celle
des gouvernants. Distinction permettant au calviniste Althusius d’incorporer
la notion de consentement dans un nouveau cocktail de souveraineté et, donc,
de faire imploser le concept bodinien. La propriété des droits de majesté
revient dès lors à la communauté tout entière, et non plus au seul prince, son
simple dépositaire momentané. Rien ne s’oppose à voir là, chez Althusius,
une sorte de correspondant nordique de la Bundestheologie helvétique —
celle d’un Zwingli et d’un Calvin. Théologie de l’alliance dont le propre est
justement de lier non pas Dieu et le prince mais Dieu et les hommes4.

1. Ni des corps intermédiaires au sens du libéralisme, ni des corporations au sens du traditiona-


lisme. « Le corporatisme d’Althusius, écrit très justement Chantal Millon-Delsol, n’est pas né,
comme celui de La Tour du Pin trois siècles après, d’une réaction contre l’omnipotence de
l’État. » (C. MILLON-DELSOL, L’État subsidiaire, op. cit., p. 47-60, ici p. 53).
2. H. DREITZEL, Protestantische Aristotelismus und absoluter Staat. Die “Politica” des Hen-
ning Arnisaeus, Wiesbaden, Steiner, 1970. Sur la réception germanique de Jean Bodin, nous
résumons ici la thèse de référence due à Michael Stolleis, laquelle reprend en grande partie les
analyses de Horst Dreitzel (M. STOLLEIS, Histoire du droit public en Allemagne, op. cit., spé-
cialement p.  258  sq. ; «  La réception de Bodin en Allemagne  », Quaderni fiorentini, 1995, 24,
p. 141-156). Cf. J. BORNITIUS, Discursus Politicus de Prudentia Politica Comparanda [1602],
Erfurt, Pistor, 1604 ; H. ARNISAEUS, Doctrina Politica in Genuinam Methodus (quae est Aris-
totelis, reducta, et ex probatissimis quibusque philosophis, oratoribus, Iuris consultis, historiicis,
etc. breviter comportata et explicata) [1643-1644], Amsterdam, Elzevir, 1651 ; C.  BESOLDI,
De Ærario Publico Discursus [1620], Microforme, Thomson Gale, 2005.
3. On démontre ainsi que le titre de souveraineté — qualité nécessairement unique et inaliénable
de l’État —, ne s’épuise pas dans la puissance effective de l’État. Cette dernière est composée de
droits de souveraineté, dont il est possible de dresser un catalogue de fonctions distinctes, les
« marques » chez Bodin. Appliquée au plan territorial, cette lecture revenait à distinguer entre les
affaires importantes (dans les mains de l’Empire) et les affaires moins importantes (dans les
mains des princes territoriaux). Thèse appelée à une belle postérité dans le contexte européen,
mais dont la paternité a été oubliée. Elle fut notamment consacrée par les traités de Westphalie
qui accordaient une liberté aux différents états de l’Empire (ständische Freiheit).
4. Cf. D. J. ELAZAR, « The Multifaceted Covenant : The Biblical Approach to the Problem of
Subsidiarité et Allemagne chrétienne. La condition fédérale 331

L’ensemble du dispositif institutionnel althusien procède de cette philoso-


phie calviniste, elle-même nourrie de références antiques au régime mixte.
Concrètement, Althusius propose un système contractuel à trois degrés : un
contrat de tous avec tous, d’abord ; un contrat entre la communauté et son
magistrat suprême, ensuite ; un contrat avec Dieu, enfin, qui replace peuple et
summus magistratus sur un même pied d’égalité. Fidèle à la doctrine calvi-
niste, l’appel althusien à l’obéissance civile reste vigoureux (y compris l’obéis-
sance au pouvoir tyrannique), mais il n’est plus inconditionnel comme il
pouvait l’être chez Luther. Sans aller jusqu’à reconnaître au peuple un droit
d’insurrection, l’auteur de la Politica n’a pas de mots assez durs pour qualifier
les magistrats usurpateurs. Il accepte même l’idée d’une résistance à la
tyrannie à partir du moment où cette résistance est légale, à savoir : exercée
par les corps qualifiés, ici l’éphorat1. C’est ainsi que le summus magistratus
reste constamment soumis au droit. Chaque éphore, pris individuellement,
est inférieur au premier des fonctionnaires, mais l’éphorat, qui procède à son
élection, lui est logiquement supérieur en tant qu’organe collégial2. Comme
pour l’emboîtement des communautés, la pyramide se veut ascendante mais
non hiérarchique : les parties au contrat ont à leur tête un chef, qui est supé-
rieur à chacun d’eux mais reste soumis à la réunion du collège. Si l’on accepte
ici de reprendre une distinction due à Carl Schmitt, on dira alors qu’Althu-
sius n’est pas à classer dans la tradition du droit naturel scientifique — celle
de Bodin et de Hobbes — mais bien dans la tradition du droit naturel de jus-

Organizations, Constitutions, and Liberty as Reflected in the Thought of Johannes Althusius »,


Constitutional, Political, Economy, 1991, 2 (2), p.  187-208 ; «  Federal Models of (Civil)
Authority », Journal of Church and State, 1991, 33 (2), p. 231-254. À la suite de Luther, Calvin
refuse de confondre les deux règnes temporel et spirituel. Mais, dans son combat contre les ana-
baptistes et leur rejet du monde, Calvin se démarque de son illustre prédécesseur, ajoutant avec
insistance que le temporel, loin d’être une chose irrémédiablement souillée, est aussi lieu de posi-
tivité éthique. Calvin écrit  : «  commence déjà sur la terre en nous quelque goût du royaume
céleste » (J. CALVIN, « Du gouvernement civil », Institution de la religion chrétienne, op. cit.,
p. 449 ; ch. XX, § 2). S’agissant de l’obéissance civile : « C’est qu’en un homme pervers et indigne
de tout honneur, qui obtient la supériorité publique, réside néanmoins la même dignité et puis-
sance, que notre Seigneur par sa Parole a donnée aux ministres de sa justice, et que les sujets,
quant à ce qui appartient à l’obéissance due à sa supériorité, lui doivent porter aussi grande révé-
rence qu’ils feraient à un bon roi, s’ils en avaient un. » (Ibid., p. 474-475 ; ch. III, § 25).
1. Garants du pacte conclu avec le peuple, les éphores sont en effet les seuls détenteurs légitimes
du droit de résistance (le tyrannicide n’intervenant qu’en cas de nécessité absolue). S’agissant du
schéma calviniste, cf. M.  ENGAMMARE, «  Calvin monarchomaque ? Du soupçon à l’argu-
ment », Archiv für Reformationgeschichte, 1998, 89, p. 207-226. S’agissant d’Althusius, cf. la tra-
duction française du chapitre 38 de la Politica : J. ALTHUSIUS, « De la tyrannie et des remèdes »
[1614], trad. fr. M.-H. Belin, Philosophie politique, 1984, 4, p. 13-68.
2. Cette thèse calviniste s’est naturellement attirée les foudres d’un Thomas Hobbes. Dans le
chapitre 18 du Léviathan, on peut lire sous sa plume : « Cette grande autorité étant indivisible, et
inséparablement attachée à la souveraineté, difficilement soutenable apparaît l’opinion de ceux
qui disent que les rois souverains, bien qu’ils soient singulis majores (plus puissants que chacun
d’entre leurs sujets), sont néanmoins universis minores (moins puissants que l’ensemble de
ceux-ci). En effet, si par l’ensemble ils n’entendent pas le corps collectif considéré comme une
seule personne, l’ensemble et chacun d’entre eux signifient la même chose, et la formule est
absurde. Si au contraire en disant l’ensemble, ils entendent les désigner comme une seule per-
sonne, le souverain est précisément le dépositaire de cette personnalité, le pouvoir de l’ensemble
est donc identique au pouvoir du souverain  : et la formule est encore une fois absurde.  »
(T. HOBBES, Léviathan, op. cit., p. 189-190 ; part. II, ch. 18).
332 La subsidiarité germanique...

tice, celle issue des monarchomaques et de Grotius, laquelle suppose un droit


antérieur à l’État, un droit inscrit par Dieu dans la nature de l’homme1. C’est
bien au nom de cette conception du droit que s’est développée la thématique
calviniste de la participation au pouvoir et à la prise de décision. Chez Althu-
sius, néanmoins, comme chez l’ensemble des monarchomaques, le droit de
résistance n’est jamais défendu au nom de l’individu.

S’il y a dans le modèle althusien de la Politica un puissant correctif apporté


à la matrice luthérienne de l’État, il y a surtout une même conception, typi-
quement germanique, de la politique, une conception de provenance protes-
tante, dont la formule est en quelque sorte radicalisée par le calvinisme : une
vision non politique, administrative, de la politique, qui, en retour, n’a pas été
sans alimenter la pratique absolutiste des États allemands. L’Allemagne n’est-
elle pas la terre d’élection des sciences camérales et de la gute Polizei ? À bien
y regarder, d’ailleurs, force est de constater que le syndic d’Emden a davan-
tage écrit un texte de pratique administrative qu’un texte de pure philoso-
phie politique2. On note souvent à juste titre que l’histoire allemande compte
très peu de penseurs politiques de l’envergure d’un Machiavel, d’un Bodin,
d’un Hobbes, d’un Locke, d’un Montesquieu ou d’un Rousseau. Mais le
constat demanderait à être complété  : ce vide politique semble directement
compensé, en proportion presque inverse, par un épanouissement universi-
taire sans égal des sciences camérales : la Polizeiwissenschaft comme levier de
gouvernement améliorant la gestion de la chose publique par le savoir et la
connaissance3. Nous touchons là, vraisemblablement, à l’un des traits essen-

1. C.  SCHMITT, La Dictature [1921], trad. fr. M.  Köller, D.  Séglard, Paris, Le Seuil, 2000,
p. 38-39. Distinction suggestive qui ne saurait faire oublier les différentes déformations schmit-
tiennes des pensées bodinienne et hobbesienne. Sous le label monarchomaques, on regroupe les
auteurs du xvie siècle — protestants calvinistes le plus souvent — qui prônaient la lutte contre
l’absolutisme royal au nom d’un droit d’opposition pouvant aller jusqu’au régicide. En ce sens,
Brian Tierney met en relation le modèle althusien avec celui de Nicolas de Cuse (B. TIERNEY,
Religion et droit dans le développement de la pensée constitutionnelle, 1150-1650 [1982], trad. fr.
J.  Ménard, Paris, PUF, 1993, p.  75  sq.). Lors de son séjour à Bâle où il a étudié la théologie,
Althusius a rencontré François Hotman (cf. R. M. TREUMANN, Die Monarchomachen, eine
Darstellung der revolutionären Staatslehren des XVI. Jahrhunderts, Leipzig, Duncker und
Humblot, 1895). Citons enfin Théodore de Bèze et Duplessis-Mornay, proche de l’Amiral de
Coligny, auteurs, avec Hubert Languet, du fameux Vindiciae contra tyrannos, écrit dans lequel,
sous le pseudonyme collectif de Junius Brutus, ils esquissent le schéma d’une organisation fédé-
rale de la société (J. BRUTUS, De la puissance légitime du prince sur le peuple, et du peuple sur le
prince [1579], trad. fr. F. Estienne, Paris, Éditions d’histoire sociale, 1977).
2. Sur la pratique absolutiste des États allemands lue à l’aune de la Politica, cf. M. BEHNEN,
« Herrscherbild und Herrschaftstechnik in der “Politica” des Johannes Althusius », Zeitschrift
für historische Forschung, 1984, 11, p. 417-472 ; K. von RAUMER, « Absoluter Staat, korpora-
tive Libertät, persönliche Freiheit », Historische Zeitschrift, 1957, 183, p. 55-96. Sur le rapport
entre gute Polizei et pratique absolutiste, cf. P.  LABORIER, «  La “bonne police”. Sciences
camérales et pouvoir absolutiste dans les États allemands », Politix, 1999, 12 (48), p. 7-35. Sur la
dimension religieuse, cf. P.  PASQUINO, «  Police spirituelle et police terrestre  », La Raison
d’État : politique et rationalité, dir. C. LAZZERI, D. REYNIÉ, Paris, PUF, 1992, p. 83-116.
3. Situant la naissance allemande du jus publicum en plein âge confessionnel (entre la Paix
d’Augsbourg en 1555 et la Paix de Westphalie en 1648), Michael Stolleis a bien expliqué les res-
sorts culturels de cette situation  : émiettement territorial, absence d’arène centrale disposant
d’une taille critique suffisante pour accueillir un véritable débat politique (M. STOLLEIS, His-
Subsidiarité et Allemagne chrétienne. La condition fédérale 333

tiels de l’identité germanique — trait qui fait peut-être toute la singularité


de la combinaison qu’elle opère entre holisme et individualisme, entre orga-
nisation corporative et intériorité personnelle  : la prévalence du social, de
l’économique et de l’administratif sur l’extériorité politique. Bien plus que la
non-reconnaissance de l’autonomie du politique par rapport au social, l’iden-
tification totale entre État et société.
Il n’y a là rien d’irréductiblement ni de strictement protestant. Notons,
par exemple, la proximité confondante entre les vues du calviniste Althusius,
dont on a pu constater l’empreinte thomiste, et celles des catholiques de la
Seconde Scolastique espagnole, Vitoria et Suarez principalement1. Cette
proximité n’est pas si étonnante : parmi les penseurs qui opèrent et insufflent
le travail de la modernité à l’intérieur du catholicisme, nombreux sont ceux
qui, contre le parti bodinien des politiques, rejoignent les positions des
monarchomaques calvinistes — tout en leur conférant une portée plus uni-
versaliste. Notons encore la parenté entre le jésuitisme salamanquais de la
Contre-Réforme et la pensée d’un Christian Wolff, grand philosophe luthé-
rien à l’origine du concept de Polizeistaat — cette théorie de l’État du bien-
être qui ne sera pas sans influence sur la doctrine sociale de l’Église catho-
lique, via un passeur intellectuel déjà rencontré au cours de nos analyses sur
le xixe siècle, l’Italien Luigi Taparelli d’Azeglio2. Notons enfin la convergence
inattendue, que nous inspirent les travaux de Michel Senellart, entre Althu-
sius et un autre jésuite italien, Giovanni Botero, entre la raison d’État admi-
nistrativiste du premier et la raison d’État mercantiliste du second. Le mou-
vement botérien d’appropriation-neutralisation de la raison d’État sur fond
de naissance du mercantilisme ne trouve-t-il pas une forme de correspondant
direct chez Althusius : dans ce mouvement althusien d’appropriation-neutra-
lisation de la souveraineté sur fond de naissance du caméralisme ? D’une part,
l’accumulation des savoirs comme réponse administrative au défi de l’État
souverain. D’autre part, l’accumulation des richesses comme réponse écono-
mique au défi de la politique machiavélienne. Dans les deux cas, une stratégie

toire du droit public en Allemagne, op. cit.). Sur la précocité du caméralisme allemand, cf. l’ou-
vrage inaugural de Hans Maier (H. MAIER, Die Ältere deutsche Staats- und Verwaltungslehre
[1966], Munich, Beck, 1980). La France n’est bien sûr pas étrangère à ce développement des
sciences camérales mais, en Allemagne, leur épanouissement universitaire donnera un tour très
particulier au droit public. Sur la spécificité prussienne de l’Université, cf. T. NIPPERDEY, « La
Prusse et l’Université » [1982], Réflexions sur l’histoire allemande, op. cit., p. 198-221.
1. Sur cette filiation, cf., en particulier, E. REIBSTEIN, Althusius als Fortsetzer der Schule von
Salamanca, Karlsruhe, Müller, 1955, p. 110 sq. ; P. J. WINTERS, Die « Politik » des Johannes
Althusius und ihre zeitgenössischen Quellen, Fribourg, Rombach, 1963, p.  61  sq. Pour une
contextualisation historique, cf. Q. SKINNER, Les Fondements de la pensée politique moderne,
op. cit., p.  545-596 ; P.  MESNARD, L’Essor de la philosophie politique au XVIe  siècle, op. cit.,
p.  454-472, p.  617-660. Pour une analyse théorique de la pensée vitorienne, cf. H.  BEUVE-
MÉRY, La Théorie des pouvoirs publics d’après Francisco de Vitoria, Paris, Spes, 1928.
2. Cf. M.  THOMANN, «  Der rationalistische Einfluss auf die katholische Soziallehre  », Die
Katholische Soziallehre und die Wirtschaftsordnung, éd. A. F. UTZ, Trier, Paulines, 1991, p. 110-
163 ; J. G. BACKHAUS, « Christian Wolff on Subsidiarity, the Division of Labor, and Social
Welfare », European Journal of Law and Economics, 1997, 4 (2-3), p. 129-146. Relevons, ici, le
pont établi par Chantal Delsol entre Ketteler et Althusius (C. MILLON-DELSOL, L’État sub-
sidiaire, op. cit., p. 126 sq.), qui revient également sur Taparelli (Ibid., p. 131 sq.).
334 La subsidiarité germanique...

de contournement du politique permettant au religieux de conserver son


emprise englobante : car si l’État doit, en définitive, se renforcer, ce sera sur
un terrain subsidiaire, l’administration de l’économie, l’administration des
terres, l’ordre public1. Où l’insistance aristotélicienne sur les fins politiques se
transforme insidieusement en crispation sur les fonctions étatiques.
Trop allusif, nous en convenons, l’établissement de tous ces ponts entre
protestantisme et catholicisme n’a d’autre objectif que de souligner l’absence
de déterminations religieuses dans notre tableau descriptif. Non pas nécessité
religieuse mais esprit chrétien d’évitement du politique — du politique tel
que redéfini et réinventé par la modernité —, qui a pu s’exprimer avec succès
en terres germaniques et, plus généralement, en terre non étatiques.
«  Il est frappant de constater, écrit Marcel Gauchet, après avoir retranscrit
l’émergence italienne du discours de la raison d’État, [...] que c’est en une autre
future terre classique de l’absence d’État-nation, terre d’Empire, l’Allemagne,
que l’idée connaîtra ses autres développements et prolongements les plus signifi-
catifs. Là aussi, la prégnance de l’héritage aristotélicien, sous le signe duquel
s’effectuent la réception et l’élaboration du nouvel objet, à partir de Clapmar,
en 1605 — mais c’est sous le même signe que s’effectue l’appropriation de la
souveraineté bodinienne chez Althusius, en 1603 — semble entretenir quelque
rapport avec l’évitement du passage à la forme territoriale unifiée et de l’expé-
rience du type de prééminence du politique qui accompagne cette fermeture
homogénéisante sur un territoire. La théorie de la raison d’État, c’est la pensée
de l’État du dehors, là où il n’existe pas, à la lumière de ce que son affirmation
effective tend à détruire2. »
Althusius propose une alternative à l’absolutisme bodinien de la souverai-
neté politique  : qu’il soit consociationnel ou impérial, dans les deux cas, son
fédéralisme sociétal se voudra a-étatique. De bout en bout, de la querelle
franco-allemande à la construction européenne, sa redécouverte périodique
s’inscrit dans ce même combat contre l’État et la politique modernes ; double
combat qui sera celui de la subsidiarité3. Aussi n’est-il pas faux de voir là le fan-

1. G. BOTERO, The Reason of State [1589], trad. angl. P. J. et D. P. Waley, Londres Routledge
and Paul, 1956. Nous nous référons ici aux analyses de Michel Senellart sur la raison d’État anti-
machiavélienne (M.  SENELLART, Machiavélisme et raison d’État, XVIe-XVIIe siècles, Paris,
PUF, 1989 ; «  La raison d’État antimachiavélienne. Essai de problématisation  », La Raison
d’État, dir. C. LAZZERI, D. REYNIÉ, op. cit., p. 15-42 ; « Y a-t-il une théorie allemande de la
raison d’État au xviie  siècle ? Arcana imperii et ratio status de Clapmar à Chemnitz  », Raison
et déraison d’État. Théoriciens et théories de la raison d’État aux XVIe et XVIIe  siècles, dir.
Y. C. ZARKA, Paris, PUF, 1994, p. 265-293, ici p. 282 sq. ; « La critique allemande de la raison
d’État machiavélienne dans la première moitié du xviie siècle : Jakob Bornitz », Corpus, 1997, 31,
p.  175-187 ; «  Machiavélisme et Staats-Raison au xviiie  siècle d’après l’Universal-Lexikon de
Zedler », Revue de synthèse, 2009, 130 (2), p. 267-288). Rappelons que Michel Senellart tente par
là d’expliquer le « paradoxe du souverain dans la pensée religieuse » (M. SENELLART, Les Arts
de gouverner, Paris, Le Seuil, 1995, p. 201).
2. M. GAUCHET, « L’État au miroir de la raison d’État » [1994], La Condition politique, Paris,
Gallimard, 2005, p. 238-239 ; Raison et déraison d’État, dir. Y. C. ZARKA, op. cit.
3. Cf., par exemple, les mises en cause de la rigidité juridique du concept de souveraineté, qui
font retour sur le passé pré-étatique (H. MENDRAS, « Le “mal de Bodin”. À la recherche d’une
souveraineté perdue », Le Débat, 1999, 105, p. 71-89 ; A. WINCKLER, Europe : la nostalgie du
modèle impérial ?, Paris, Fondation Saint-Simon, 1991 ; «  L’empire revient  », Commentaire,
1992, 15 (57), p.  17-25 ; T.  O. HUEGLIN, «  The Idea of Empire  : Conditions for Integra-
tion and Disintegration in Europe », Publius, 1982, 12 (3), p. 11-42). Dans un registre plus sub-
Subsidiarité et Allemagne chrétienne. La condition fédérale 335

tasme d’un retour à l’idée d’une souveraineté universelle (celle qu’a incarné le
Saint Empire de la Chrétienté médiévale) contre le principe trop français de la
souveraineté territoriale1, le fantasme d’un retour au monde d’avant la souverai-
neté moderne. Querelle entre romanistes et germanistes, pour ainsi dire, met-
tant aux prises les tenants des libertés germaniques et ceux de la centralisation
romaine. Tel est le sens, en tout cas, de la relecture opérée par Gierke, qui s’en
prenait tour à tour au positivisme jellinekien, et à l’unification bismarckienne,
tous deux accusés d’avoir détruit l’ancienne tradition de la Genossenschaft2.

Si Althusius pose les linéaments d’une pensée fédéraliste, son modèle a peu
à voir avec le cas américain3. Confondre la tradition individualiste, conflic-
tuelle et pluraliste d’outre-Atlantique avec la tradition organique, consen-
suelle et unitaire du Vieux Continent, parler d’« une route nettement tracée
[qui] conduit d’Althusius aux institutions américaines [et], en particulier, au
fédéralisme  »4, c’est aplatir gravement les différences entre le Moyen Âge
althusien et le libéralisme hamiltonien. En écartant cette fausse filiation, on se
donne les moyens de mieux cerner la véritable postérité intellectuelle de la
Politica — d’autant plus puissante qu’elle est souterraine. Depuis la fin du
xixe siècle, en effet, on retrouve l’essentiel de ce que cristallisera plus tard la
subsidiarité althusienne dans des courants de pensée en tension avec leur
époque, à la recherche d’une synthèse, souvent au moyen d’un appareillage
conceptuel de facture thomiste, entre des thématiques anciennes (la pluralité)

versif, cf. la critique peu surprenante de la souveraineté moderne par le chef de file de la Nouvelle
droite française, Alain de Benoist (A.  de BENOIST, «  Qu’est-ce que la souveraineté ?  », Élé-
ments, 1999, 96, p. 24-35 ; « Johannes Althusius », Krisis, 1999, 22, p. 2-34). Pour une analyse,
cf. J.-L. CHABOT, « L’idée d’empire dans la représentation de la construction européenne »,
L’Idée d’empire, éd. T. MÉNISSIER, Paris, L’Harmattan, 2006, p. 245-262.
1. Louis Dumont fait référence à Sir Henry Sumner Maine (H.  SUMNER MAINE, Ancient
Law. Its Connection with the Early History of Society and Its Relations to Modern Ideas [1887-
1891], Londres, Dent, Everyman’s Library, 1977), qui distingue trois types de souveraineté (tri-
bale, universelle et territoriale) (L. DUMONT, L’Idéologie allemande, op. cit., p. 38).
2. O. von GIERKE, Das deutsche Genossenschaftsrecht, I-IV, op. cit. Sur cette importante ques-
tion, cf., par exemple, R. BOWEN, German Theories of the Corporative State, Londres, New
York, Whittlesey House, MacGraw Hill, 1947 ; A. BLACK, Guilds and Civil Society in Euro-
pean Political Thought From the XIIth Century to the Present, Londres, 1984, p. 131-142.
3. Cf. les trois auteurs des Federalist Papers : A. HAMILTON, J. JAY, J. MADISON, Le Fédé-
raliste [1787-1788], trad. fr. G. Jèze, Paris, Économica, 1988. La pluralité althusienne n’est pas le
pluralisme moderne. Chez Althusius, « “la pluralité ne débouche pas sur un pluralisme, car l’in-
tégration se veut intégrale”. Son fédéralisme ne fait aucun doute mais il est, assurément, plus
communautaire que personnaliste » (J. DAGORY, La « Politique » d’Althusius, Thèse de doc-
torat en droit public, Paris, Université de Paris, 1963, p. 230 ; cité dans B. VOYENNE, Histoire
de l’idée fédéraliste, I. Les Sources, op. cit., p.  110). Sur la distinction entre tradition anglo-
saxonne et tradition européenne-continentale, cf. M.  BURGESS, «  The Anglo-American and
Continental European Federal Political Traditions  », Comparative Federalism. Theory and
Practice, Londres, New York, Routledge, 2006, p. 164-191 ; T. O. HUEGLIN, « Federalism at
the Crossroads : Old Meanings, New Significance », Canadian Journal of Political Science, 2003,
36 (2), p. 275-294 ; « From Constitutional to Treaty Federalism : A Comparative Perspective »,
Publius, 2000, 30 (4), p. 137-153 ; Early Modern Concepts for a Late Modern World, Waterloo,
Wilfrid Laurier University Press, 1999 ; «  New Wine in Old Bottles ? Federalism and Nation
States in the Twenty-First Century  : A Conceptual Overview  », Rethinking Federalism, éd.
K. KNOP, S. OSTRY, et al., Vancouver, University of British Columbia, 1995, p. 203-223.
4. C. J. FRIEDRICH, Préface à la Politica, op. cit., p. XIX.
336 La subsidiarité germanique...

et un contexte nouveau (le pluralisme). Songeons, par exemple, à la tradition


britannique de l’État pluraliste (Harold J. Laski, George D. H. Cole et John
N. Figgis), qui a beaucoup emprunté à Gierke via Frederic W. Maitland, pré-
facier de ses traductions anglaises1. Ayant cristallisé davantage encore en des
terres bien connues de l’auteur de la Politica — la Suisse et les Pays-Bas2 —, les
lointains héritiers d’Althusius se situeront, comme leur maître, à cheval entre
la réflexion et la pratique. Pensons, ici, à la théorie néocalviniste de la souve-
raineté « dans sa propre sphère » (souvereiniteit in eigen kring), dont les fon-
dements ont été posés par Abraham Kuyper, théologien et homme politique
hollandais du tournant des xixe-xxe siècles (il fut Premier ministre de 1901 à
1905) ; et les déclinaisons systématisées au xxe siècle par Herman Dooyeweerd,
lui aussi Néerlandais, fils spirituel du premier3. Depuis ce moment fondateur,
les parallèles se feront récurrents avec la subsidiarité catholique, s’ampli-
fiant même à la faveur du nouvel œcuménisme chrétien. Dans les deux cas,
un même message d’ensemble adressé à l’État  : les différentes entités qui
composent la société détiennent chacune un domaine d’action déterminé
duquel est exclue l’intervention des autres unités. Le gouvernement central
dispose ainsi d’une souveraineté circonscrite : il n’intervient que pour assurer
le respect de certains droits fondamentaux et pour arbitrer les différends entre
les sphères4. Pensons, aussi, au modèle de la démocratie consociative, tel que

1. F. W. MAITLAND, State, Trust and Corporation [1875-1904], éd. D. Runciman, M. Ryan,
Cambridge, Cambridge University Press, 2003 ; G. D. H. COLE, The World of Labor, Londres,
Bell, 1913 ; Guild Socialism Restated, Londres, Parsons, 1920 ; J.  N. FIGGIS, Churches in the
Modern State [1913], Bristol, Thoemmes, 1997 ; H. J. LASKI, Studies in the Problem of Sove-
reignty, New Haven, Yale University Press, 1917 ; The Foundations of Sovereignty, New York,
Harcourt Brace, 1921. Cf. le recueil de textes dû à Paul Hirst (P. Q. HIRST, éd., The Pluralist of
the State, Londres, Routledge, 1989). Sur la filiation gierkienne de Cole et Laski, cf. D. RUN-
CIMAN, Pluralism and the Personality of the State, Cambridge, Cambridge University Press,
1997. Pour un parallèle cursif, mais suggestif, avec Jacques Maritain, cf. A. LAQUIÈZE, « La
critique de la souveraineté par les libéraux anglo-saxons », Les Évolutions de la souveraineté, dir.
D.  MAILLARD DESGRÉES du LOÛ, Paris, Montchrestien, 2006, p.  173-189. Une parenté
avec le droit communautaire a également fait l’objet d’un relevé convaincant (I. WARD, « (Pre)
conceptions in European Law », Journal of Law and Society, 1996, 23 (2), p. 198-212).
2. Cf. H. DAALDER, « La formation de nations par “consociatio” : les cas des Pays-Bas et de la
Suisse », trad. fr., Revue internationale des sciences sociales, 1971, 23 (3), p. 384-399.
3. A. KUYPER, Sphere Sovereignty, [1880] Abraham Kuyper, op. cit., p. 461-490 ; Lectures on
Calvinism (Stone Lectures at Princeton University) [1898, 1931], Grand Rapids, Eerdmans,
1987 ; H.  DOOYEWEERD, «  L’idée chrétienne de l’État  » [1936], op. cit., p.  32-52 ; A New
Critique of Theoretical Thought, II. The General Theory of Modal Spheres [1955], trad. angl.
D.  H. Freeman, Lewinston, Queenston, Lampeter, Mellen, 1997 ; In the Twilight of Western
Thought [1960], trad. angl. D. H. Freeman, Lewinston, Queenston, Lampeter, Mellen, 1999.
4. Les juristes hollandais furent en pointe dans la diffusion de la subsidiarité. Pensons à Joos
J. M. van Der Ven (J. J. M. van DER VEN, « Trois aspects du principe de subsidiarité », Politeia,
1951, 3 (1-2), p. 43-46 ; « Organisation, Ordnung und Gerechtigkeit », Das Subsidiaritätsprinzip,
dir. A. F. UTZ, Heidelberg, Kerle, 1953, p. 45-65). Sur les différentes passerelles entre catholi-
cisme et protestantisme, via la doctrine sociale calviniste, cf. D. H. MACILROY, « Subsidiarity
and Sphere Sovereignty : Christian Reflections on the Size, Shape and Scope of Government »,
Journal of Church and State, 2003, 45 (4), p. 739-763 ; J. CHAPLIN, « Subsidiarity and Sphere
Sovereignty  : Catholic and Reformed Conceptions of the Role of the State  », Things Old
and New. Catholic Social Teaching Revisited, dir. F.  P. MCHUGH, S.  M. NATALE, New
York, University Press of America, 1993, p. 175-202 ; J. van DER VYVER, « Sphere Sovereignty
of Religious Institutions  : A Contemporary Calvinistic Theory of Church-State Relations  »,
Subsidiarité et Allemagne chrétienne. La condition fédérale 337

théorisé par Arend Lijphart à partir d’une étude des cas hollandais et suisse,
deux pays fonctionnant non pas à la concurrence mais au consensus, à la
concordance et à l’arrangement entre coalitions des différents segments
communautaires de la société1. Pensons, enfin, aux différents courants prou-
dhoniens et au fédéralisme intégral (Alexandre Marc, Denis de Rougemont,
Max Richard, Guy Héraud), sur lesquels nous reviendrons plus bas2.
Les indices sont nombreux, au total qui nous ramènent encore une fois au
creuset helvétique : terre à la fois germanique, fédérale et catholique. C’est à
Genève, d’abord, avec l’appui personnel de Pie XII, que s’établit le Mouve-
ment international des intellectuels catholiques Pax Romana. Quand son pre-
mier congrès se réunit à Rome en 1947, sous le haut patronage du Vatican,
deux catholiques allemands se feront les porte-voix de la subsidiarité  : Hans
Nawiasky, que nous retrouverons plus loin, et Karl Thieme, juif allemand
réfugié à Bâle pendant la guerre3. C’est à Fribourg, ensuite, que Joseph Piller,

Human Rights, Ethnicity and Discrimination, éd. V. van DYKE, Westport, Greenwood, 1985,
p. 53-77 ; « The Jurisprudential Legacy of Abraham Kuyper and Leo XIII », Journal of Markets
and Morality, 2002, 5 (1), p. 211-249, spécialement p. 221 sq. ; S. STREHLE, Calvinism, Feder-
alism and Scholasticism, Berne, Francfort, Lang, 1988 ; H. E. S. WOLDRING, « The Constitu-
tional State in the Political Philosophy of Johannes Althusius », European Journal of Law and
Economics, 1998, 5 (2), p. 123-132 ; D. FOUARGE, « The Concept of Subsidiarity », Poverty
and Subsidiarity in Europe, Cheltenham, Northampton, Elgar, 2004, p. 15-31. Pour un parallèle
entre Dooyeweerd et Maritain, cf.  G.  BUIJS, «  “Que les Latins appellent maiestatem”  : An
Exploration into the Theological Background of the Concept of Sovereignty », Sovereignty in
Transition, éd. N. WALKER, Oxford, Hart Publishing, 2003, p. 229-257, surtout. 256-257.
1. A. LIJPHART, « Consociational Democracy », Consociational Democracy, dir. K. MC-RAE,
Toronto, McClelland and Stewart, 1974, p.  90-97 ; Democracy in plural Society, New Haven,
Yale University Press, 1977 ; Democracies. Patterns of Majoritarian and Consensus Govern-
ment in Twenty-One Countries, New Haven, Yale University Press, 1984 ; «  Democratic
Political Systems. Types, Cases, Causes, and Consequences  », Journal of Theoretical Politics,
1989, 1, p.  33-48. Arendt Lijphart l’a reconnu, le terme consociation est un héritage direct
d’Althusius. Mentionnons aussi les théories du corporatisme sociétal (G.  LEHMBRUCH,
P. C SCHMITTER, dir., Trends toward corporatist Intermediation, Beverly Hills, Sage, 1979).
Sur le lien avec le thème federal, cf. A. LIJPHART, « Consociation and Federation : Conceptual
and Empirical Links », Canadian Journal of Political Science, 1979, 12 (3), p. 499-522.
2. T.  O HUEGLIN, Sozietal Föderalismus, op. cit. Dans une perspective militante que nous
retrouverons plus loin, cf. B. VOYENNE, Histoire de l’idée fédéraliste, I. Les Sources, op. cit.
3. K.  THIEME, «  Föderalismus und Subsidiaritätsprinzip  », Politeia, 1948, 1 (1), p.  9-13 ;
Frankfurter Hefte, 1948, 3 (6), p. 498-503 ; A. F. UTZ, « Fédéralisme et droit naturel », Politeia,
1948, 1 (2), p. 82-87 ; « Die Geistesgeschichtlichen Grundlagen des Subsidiaritätsprinzips », Das
Subsidiaritätsprinzip, dir. A. F. UTZ, op. cit., p. 7-17 ; « Die Subsidiarität als Aufbauprinzip der
drei Ordnungen : Wirtschaft, Gesellschaft und Staat », ibid., p. 101-117. Sur Joseph Piller, auteur
d’un ouvrage au titre évocateur (J. PILLER, Corporation et fédéralisme, Lausanne, Imprimerie
centrale, Neuchâtel, Attinger, 1935), cf. J.-J. FRIBOULET, «  La pensée politique de Joseph
Piller  : corporatisme et fédéralisme dans la perspective du bien commun  », Fribourg et l’État
fédéral. Intégration politique et sociale, 1848-1998, Fribourg, Éditions universitaires, 1999,
p. 289-301. Cf., en outre, l’ouvrage déjà cité de Philippe Chenaux qui revient sur l’épisode du
Congrès des intellectuels de Pax Romana tenu à Rome en avril 1947 (P.  CHENAUX, Une
Europe vaticane ?, op. cit., p. 60 sq.). Sur le tropisme helvétique qui constituera une part essen-
tielle de l’arrière-fond imaginaire propice à la diffusion européenne de la subsidiarité,
cf. H. BLÖCHLIGER, R. L. FREY, « Der schweizerische Föderalismus : Ein Modell für den
institutionellen Aufbau der europäischen Union  », Aussenwirtschaft, 1992, 47 (4), p.  515-548 ;
D.-L. SEILER, « La Suisse comme modèle pour l’édification de l’Europe. Perspectives de socio-
logie historique », Annales de la Faculté de droit et de science politique de Clermont-Ferrand,
1989, 25, p. 164-196 ; « L’apport de l’expérience suisse », L’Union européenne à la lumière du
338 La subsidiarité germanique...

professeur de droit public et homme politique connu pour son catholicisme


conservateur, crée un des hauts-lieux du renouveau chrétien de l’après-guerre :
l’Institut international de Fribourg. Y officieront notamment Eugène Bongras,
le directeur de Pax Romana, ainsi qu’Arthur F. Utz, Père dominicain déjà ren-
contré, l’un des principaux artisans de la diffusion du principe de subsidiarité.

2. LA SUBSIDIARITÉ DANS LE FÉDÉRALISME POST-TOTALITAIRE

Comment la subsidiarité s’insère-t-elle dans la polarité État absolutiste-


fédéralisme sociétal ? Notre hypothèse peut se ramasser dans une proposition
en deux temps. 1o  : la subsidiarité dessinerait quelque chose comme les
contours d’une synthèse — non hégélienne — des moments prussiens et cal-
vinistes, lesquels, à travers Luther et Althusius, cristalliseraient les deux pôles
statophobiques de la politique allemande. 2o : la tradition germanique pour-
rait être redéfinie comme une sorte de carrefour culturel entre subsidiarité
territoriale du fédéralisme et subsidiarité fonctionnelle du christianisme.
Rappelons les termes du débat avant d’en expliciter plus en détails les
attendus. L’histoire du xixe  siècle allemand, on le sait, est l’histoire de la
construction d’une unité nationale autour de la Prusse luthérienne1 : le Staa-
tenbund de 1815 à 1866 d’abord, l’Union douanière de 1834 ensuite, le Bun-
desstaat de 1871 à 1933 enfin. De cette dynamique historique, la période bis-
marckienne constitue l’acmé  : le parachèvement de l’unification allemande ;
mais, sans même attendre Bismarck2, le Nationalverein avait dès l’origine
trouvé son créneau stratégique, adoptant logiquement une attitude anticatho-
lique et réclamant au nom du patriotisme un clergé national et une rupture
des liens avec Rome3. Point n’est besoin d’insister, donc, sur l’opposition des

fédéralisme suisse, dir. D.  SIDJANSKI, Genève, Institut européen de l’Université de Genève,
1996, p. 29-46 ; C. HAEGI, « L’Europe des régions : c’est l’avenir de la Suisse », Revue d’Alle-
magne et des pays de langue allemande, 1996, 28 (3), p. 367-375 ; A. KOLLER, « Une Constitu-
tion fédéraliste pour l’Europe : la Suisse comme modèle ? », Vers une Constitution européenne.
L’Europe et les expériences fédérales, éd. T.  FLEINER, N.  SCHMITT, Fribourg, Institut du
fédéralisme, 1998, p. 3-15.
1. Étape décisive dans l’avènement de l’unité allemande, le Nationalverein désigne le mouve-
ment d’unification de l’Allemagne autour de la Prusse (solution kleindeutsch), contre la supré-
matie autrichienne (solution großdeutsch). Rappelons, s’agissant de la période bismarckienne,
que le combat contre le catholicisme s’insérait dans une stratégie politique globale : le Chancelier
s’est attaché à braquer les projecteurs sur ses ennemis naturels — les catholiques et les socia-
listes — pour mieux amadouer ses adversaires libéraux et les empêcher d’accéder au pouvoir. Sa
politique du Kulturkampf et de la Sozialistengesetz (lois antisocialistes) est donc à considérer
dans un jeu à double détente. On connaît la réponse du camp catholique, celle de Mgr von Ket-
teler, qui a combattu sur les deux fronts à la fois, le terrain religieux et le terrain social. Notons
néanmoins, pour dissocier nos deux remarques, que, dès les lendemains de la guerre de 1866,
Ketteler fut le premier membre du clergé catholique à accepter la solution kleindeutsch.
2. Pensons à Fichte encore une fois (J. G. FICHTE, Discours à la nation allemande [1807], trad.
fr. A. Renaut, Paris, Imprimerie nationale, 1992). Cf., ici, H. SCHULZE, « Die deutsche Natio-
nalbewegung bis zur Reichseinigung », Die Rolle der Nation..., op. cit., p. 84-116.
3. Cette rupture des liens avec Rome revêtait aussi une signification souvent oubliée, qui se
situait pourtant au cœur de la Réforme luthérienne et en faisait toute la spécificité en tant que
religion allemande : il s’agissait de quitter le foyer sémite du catholicisme médiéval pour élaborer
un christianisme authentiquement chrétien, désormais détaché de toute emprise judaïque.
Subsidiarité et Allemagne chrétienne. La condition fédérale 339

catholiques allemands à l’idée nationale  : surgeon honni de la modernité


révolutionnaire, la nation se représentait évidemment à eux comme une entité
en concurrence directe avec l’Église romaine. À rebours, les luthériens alle-
mands ont naturellement été conduits à soutenir l’unité nationale et la centra-
lisation politique, au besoin, en se représentant la nation comme une figure
nécessaire de l’incarnation terrestre de la parole divine. Dans cette opposition
massive entre Allemagne luthérienne et Allemagne catholique, allégeance
politique, allégeance spirituelle et allégeance confessionnelle se superposent
presque terme à terme1. D’un côté, le catholicisme germanique qui voit bien
l’intérêt de revendiquer une organisation fédérale pour renouer avec la
période bénie du Saint Empire, contre l’unité protestante, c’est-à-dire, pêle-
mêle : la nation, le militarisme prussien, l’autoritarisme junckérien, l’étatisme
centralisateur et bureaucratique2. De l’autre, la Prusse luthérienne, en situa-
tion hégémonique depuis la levée de l’hypothèque großdeutsch, qui, à sa
manière, veut se constituer en véritable État-nation.
La subsidiarité peut s’interpréter comme la riposte d’un catholicisme alle-
mand religieusement assiégé et politiquement acculé par le Reich bismarc-
kien. Il faut néanmoins aller plus loin dans la restitution des termes du débat,
car ils se révèlent fondamentalement dialectiques  : la notion est conceptua-
lisée par l’Église romaine au moment même où elle négocie l’entrée du catho-
licisme dans le monde moderne, en partie pour conjurer ses effets. Ce faisant,
elle reprend à son compte, d’abord sans le savoir puis de manière consciente,
une vision protestante de l’État : une conception fonctionnelle et résiduelle à
l’image du rôle reconnu aux ministres réformés du culte ; un État ne remplis-
sant qu’un office purement pratique, sans davantage de justification théolo-
gique ; un ministère protestant et non plus un magistère catholique. Par où
nous retrouvons la teneur ecclésiologique de notre débat, en territoire spéci-
fiquement allemand cette fois-ci. L’Allemagne est en effet le lieu d’une révo-
lution ecclésiologique sans précédent qui en annonce une autre à venir, éta-
tique celle-là. En l’espèce, faisons simplement référence au synode d’Emden,
au cours duquel, en 1571, le droit réformé signifie son opposition à l’organi-

1. Même s’ils constituaient sa cible privilégiée, les catholiques n’avaient pas le monopole de
l’opposition au Chancelier Bismarck. Selon une orientation très différente du prélat rhénan,
le luthérien G. A. Constantin Frantz proposait la création d’un vaste État fédéral d’Europe
centrale comme alternative à la Petite Allemagne unitaire de Bismarck. Une double opposi-
tion s’exprimait chez Frantz  : le fédéralisme chrétien contre l’État-nation moderne ; la
Mittel Europa germanique et austro-allemande contre l’Europe latine, la France en particulier
(G. A. C. FRANTZ, Der Föderalismus als leitendes Prinzip für die soziale, staatliche und inter-
nationale Organisation, unter besonderer Bezugnahme auf Deutschland [1879], Aalen, Scientia,
1962). Sur Constantin Frantz, cf., par exemple, M. DREYER, Föderalismus als ordnungspoliti-
sches und normatives Prinzip. Das föderative Denken der Deutschen im 19. Jahrhundert, Franc-
fort, et al., Lang, 1992, p. 405 sq. Plus généralement, cf. H. G. HAUPT, D. LANGEWIESCHE,
dir., Nation und Religion in der deutschen Geschichte, Francfort, New York, Campus, 2001.
2. Dans la ligne kettelérienne, mentionnons ici l’équivalent laïque du prélat rhénan sous Weimar,
Benedikt Schmittmann, farouche opposant à l’hégémonie prussienne, qui sera torturé et tué par
les nazis au début de la Seconde Guerre mondiale. Professeur à l’Université de Cologne, il est
resté célèbre pour sa fibre sociale (B. SCHMITTMANN, Die sozialen Hilfsquellen des Staates
und die Gegenwartsaufgaben der katholischen Caritas, Fribourg, Caritasverband, 1916 ; Wirt-
schafts und Sozialordnung als Aufgabe [1932], éd. A. Lotz, Fribourg, Alber, 1948).
340 La subsidiarité germanique...

sation centralisatrice de l’Église catholique, pour affirmer les prémices d’une


subsidiarité calviniste1. Aussi le protestantisme althusien pose-t-il en quelque
sorte les termes du débat que le catholicisme ré-exploitera plus tard à son
profit. N’est-ce pas sur le terrain de la tradition fédérale et du problème de
l’État que la subsidiarité germanique établit un pont culturel entre protestan-
tisme et catholicisme ? Si ce rapprochement a été facilité par le caractère
propre du catholicisme allemand — qui s’est toujours singularisé par une
tendance à réclamer une autonomie d’organisation par rapport à Rome, et à
mettre sa fidélité papale au service de fins internes2 —, il ne manque pas de
rappeler, côté protestant, quelques différences essentielles entre calvinisme
et luthéranisme sur la question précise du rôle dévolu à l’État.

Fort de ces quelques repérages historiques, nous voudrions analyser plus


en détails la combinaison post-totalitaire des traditions libérale et fédérale.
Quel rôle spécifique y joue exactement la subsidiarité ? Quel ressort fait-elle
jouer ? Deux éléments de contexte peuvent aider à répondre à cette question.
Le Verfassungskonvent de Herrenchiemsee d’abord, du nom de la ville
bavaroise où les ministres-présidents des onze Länder de l’Ouest se sont
réunis du 10 au 23  août 1948 afin de lancer la réflexion constitutionnelle3.
Parmi les plénipotentiaires présents, outre le Franco-allemand Carlo Schmid
(Wurtemberg-Hohenzollern), Adolf Süsterhenn (Rhénanie-Palatinat), qui
compte parmi les plus fervents partisans du principe de subsidiarité (et sera
son introducteur en langue française). Avec son collaborateur Theodor
Maunz, mais aussi avec Hans Nawiasky, membre de la délégation bavaroise
en qualité d’expert juridique, il appuiera de tout son poids personnel pour
faire figurer expressis verbis le mot subsidiarité dans le rapport final4. C’est
sans ambiguïté qu’il retient l’option fédérale, mais faute de consensus autour
du ministre-président de Rhénanie-Palatinat, il ne fera pas référence au
principe de subsidiarité5. Dès les discussions de Herrenchiemsee, il existait en

1. Rappelons, au passage, qu’Althusius fut Ratsyndikus (syndic) de la ville d’Emden. Le théolo-


gien belge Marc Luyckx — que nous retrouverons plus loin pour son travail auprès de Jacques
Delors — résume très justement les conclusions du synode : 1o personne dans l’Église n’a le droit
de s’arroger une quelconque primauté ; 2o les décisions doivent être prises au niveau le plus bas
possible (M. LUYCKX, Histoire philosophique du concept de subsidiarité. Note de la Cellule de
prospective, Bruxelles, Commission européenne, 20 octobre 1992 ; 64-92).
2. En 1785, une déclaration de l’épiscopat allemand réuni à Bad-Ems s’opposa clairement à la
primauté pontificale. Il revendiquait pour les affaires ecclésiastiques une organisation synodale
nationale comparable aux structures politiques de l’Empire. De manière générale, relevons que,
tradition du Verbandskatholizismus aidant, l’Église allemande a toujours été très indépendante.
3. Cf. Ministerpräsidenten-Konferenz der westlichen Besatzungszonen. Verfassungsausschuss.
Bericht über den Verfassungskonvent auf Herrenchiemsee, Munich, Pflaum, 1948.
4. Nous reviendrons plus bas sur le rôle spécifique d’Adolf Süsterhenn dans la naissance en
France du mot subsidiarité. À ce stade, cf. surtout A.  SÜSTERHENN, «  Das Subsidiaritäts-
prinzip als Grundlage der vertikalen Gewalt-enteilung  », Festschrift H. Nawiasky, dir.
T. MAUNZ, Munich, Isar, 1956, p. 141-155 ; T. MAUNZ, Deutsches Staatsrecht, Munich, Beck,
1958 ; H. NAWIASKY, Allgemeine Staatslehre, I. Grundlegung, Cologne, Einsiedeln, Verlags-
anstalt Benziger, 1945 ; Die Grundgedanken des Grundgesetzes für die Bundesrepublik Deutsch-
land. Systematische Darstellung und kritische Würdigung, Stuttgart, Kohlhammer, 1950.
5. Une précision cependant : cette absence sémantique dans le projet de Herrenchiemsee n’en-
lève rien à la présence diffuse du concept de subsidiarité dans le climat intellectuel et l’outillage
Subsidiarité et Allemagne chrétienne. La condition fédérale 341

réalité de profondes dissensions sur la forme à donner au fédéralisme alle-


mand1. Les protestants luthériens du Nord, du centre et de l’Est ne manifes-
taient qu’un soutien très timide au fédéralisme. Les sociaux-démocrates du
SPD, alors emmenés par Kurt Schumacher, ainsi que la plupart des libéraux
démocrates du FDP, militaient pour la mise en place d’un État unitaire. Les
catholiques du Sud et de l’Ouest, enfin, faisaient du fédéralisme l’un des axes
centraux de leur programme politique, y voyant une arme stratégique contre
l’émergence d’un pouvoir central trop fort2.
Le parlamentarischer Rat (Conseil parlementaire) ensuite, assemblée
constituante dont les travaux se sont étalés du 1er septembre 1948 au 23 mai
19493. C’est dans cette enceinte que les questions restées pendantes à Herren-
chiemsee ont été définitivement tranchées. Entre-temps, un paramètre sup-
plémentaire s’est ajouté  : le cahier des charges adressé aux autorités ouest-
allemandes par les Alliés. Résumé dans les Documents dits de Francfort, issus
de la conférence tenue à Londres au cours du premier semestre 1948 (entre
février et juin), il posait pareillement le principe d’un retour au fédéralisme4.
L’objectif était double et se voulait mesuré5  : créer une forme fédérale de
gouvernement protégeant d’une manière suffisante l’autonomie des diffé-
rents États ; mettre en place une autorité centrale à même de garantir les
libertés individuelles. Les partisans catholiques du fédéralisme (la CDU et,
plus encore, sa branche bavaroise, la CSU) sauront profiter de la fenêtre
d’opportunité offerte par les Alliés6.

mental de l’époque. « Si le principe a connu un tel succès en Allemagne, écrit Chantal Delsol,
c’est qu’il a été, après la Seconde Guerre mondiale, le pivot central autour duquel les divers cou-
rants adversaires parvenaient à un consensus. Il réunissait dans un accord général non seulement
les libéraux et les socialistes, mais ceux que l’on pouvait appeler les paléo-corporatistes. Il n’est
donc pas surprenant que cette idée ait pu fasciner une génération de juristes et de penseurs de la
politique, à une époque où l’Allemagne avait le plus grand besoin d’une théorie à la fois modérée
et consensuelle. » (C. MILLON-DELSOL, L’État subsidiaire, op. cit., p. 191).
1. Comme en attestent les différentes opinions dissidentes consignées dans les archives  :
DEUTSCHER BUNDESTAG und BUNDESARCHIV, Der Parlamentarische Rat, 1948-
1949, dir. K. G. WERNICKE, H. BOOMS, II. Der Verfassungskonvent auf Herrenchiemsee,
éd. P. BUCHER, Boppard, Boldt, 1981. Cf., ici, P. MÄRZ, H. OBEREUTHER, dir., Weichen-
stellung für Deutschland. Der Verfassungskonvent von Herrenchiemsee, Munich, Olzog, 1999.
2. Notons que la Bavière est le seul Land à avoir été maintenu dans ses frontières historiques.
Tous les autres Länder (les villes-États de Hambourg et de Brême mises à part) ont été entière-
ment redécoupés, et ne correspondent donc en rien aux anciens Staaten de l’Empire. Un simple
rappel des noms permet de saisir le caractère administratif du découpage  : Basse-Saxe, Hesse,
Rhénanie-Palatinat, Rhénanie du Nord-Westphalie, Schkesvig-Holstein et les trois Länder qui
composent le Bade-Wurtemberg depuis la fusion de 1952-1953. Issues des zones d’occupation,
ces frontières ont été redessinées après la guerre pour permettre le démembrement de la Prusse.
3. DEUTSCHER BUNDESTAG und BUNDESARCHIV, Der Parlamentarische Rat, op. cit.
Composé de délégués des Landtage (en proportion de la population de chaque Land), le Parla-
mentarischer Rat était commun aux trois zones d’occupation, américaine, anglaise et française.
4. Les Documents de Francfort firent l’objet d’une discussion par les ministres-présidents des
onze Länder lors de la conférence du Rittersturz tenue à Coblence du 8 au 10 juillet 1948.
5. On peut parler d’un compromis  : côté français, il y avait la volonté d’empêcher la mise en
place d’un centre de pouvoir ; côté anglo-saxon, le souci de préserver un équilibre continental.
6. Rappelons les sigles  : CDU  : Christlich-demokratische Union ; CSU  : Christlich-Soziale
Union ; SPD : Sozial-demokratische Partei Deutschlands ; FDP : Freie Demokratische Partei.
342 La subsidiarité germanique...

À considérer les termes exacts du débat constitutionnel de 1949, on


constate que l’interrogation ne porte pas tant sur le principe du fédéralisme
proprement dit que sur son orientation générale et son degré de centralisa-
tion1 : fédéralisme unitaire ou fédéralisme pluriel ? S’agissant de la subsidia-
rité plus spécialement, la doctrine juridique apparaissait alors partagée entre
deux options : non pas pour ou contre la subsidiarité, mais pour ou contre la
valeur constitutionnelle du principe. Adolf Süsterhenn, en particulier, pensait
qu’il était possible d’en faire dériver une règle directement applicable en droit
constitutionnel2 ; mais le débat fut rapidement tranché en faveur de la seconde
option3. Joseph Isensee défendait une position intermédiaire entre les deux
camps. Exprimant ses nombreuses réticences face à une possible entrée de la
subsidiarité dans le droit constitutionnel positif, il refusait de prêter au
principe un caractère réellement normatif. Mais il admettait que la subsidia-
rité revêtait une grande importance culturelle pour l’Allemagne, située qu’elle
se trouvait au carrefour de plusieurs influences majeures dans la doctrine
publiciste, quelque part entre la tradition fédérale et la tradition libérale4.
Culture politique plutôt que principe normatif, la subsidiarité serait donc
pour le droit constitutionnel un fondement implicite à entendre comme une
valeur structurelle non consignée dans les textes, un élément supranormatif
de l’identité juridico-politique de l’Allemagne. D’où la voie finalement

1. Pour de plus amples précisions, cf., ici, G.  LEIBHOLZ, éd., «  Entstehungsgeschichte der
Artikel des Grundgesetzes », Jahrbuch des öffentlichen Rechts der Gegenwart, 1951, 1 ; H. von
MANGOLDT, Das Bonner Grundgesetz I-III [1949-1953], Munich, Vahlen, 1999-2001 ;
J. HUHN, « Aktualität der Geschichte. Die westdeutsche Föderalismusdiskussion 1945-1949 »,
Föderalismus in Deutschland. Traditionen und gegenwärtige Probleme, dir. J.  HUHN,
P.-C. WITT, Baden-Baden, Nomos, 1992, p.  31-53 ; Lernen aus der Geschichte ? Historische
Argumente in der westdeutschen Föderalismusdiskussion 1945-1949, Melsungen, Kasseler For-
schungen zur Zeitgeschichte, 1990, p.  39-97 ; M.  FUNKE, dir., Entscheidung für den Westen.
Vom Besatzungsstatut zur Souveränität der Bundesrepublik, 1949-1955, Bonn, Bouvier, 1988.
2. Outre Adolf Süsterhenn, Theodor Maunz et Hans Nawiasky, étaient pour l’inscription juri-
dique du principe de subsidiarité dans le texte constitutionnel : Günter Dürig, Heinrich Kipp,
Günther Küchenhoff (G. DÜRIG, « Verfassung und Verwaltung im Wohlfahrtstaat », Juristen-
zeitung, 1953, 7-8, p.  193-199 ; H.  KIPP, «  Zum Problem der Forderung der Wissenschaften
durch den Bund  », Die öffentliche Verwaltung, 1956, 9, p.  555-563 ; G.  KÜCHENHOFF,
«  Staatsverfassung und Subsidiarität  », Das Subsidiaritätsprinzip, dir. A.  F. UTZ, op. cit.,
p. 67-99 ; « Bund und Gemeinde », Bayerische Verwaltungsblätter, 1958, p. 65, p. 101).
3. Étaient contre : Hans Barion, Roman Herzog, Konrad Hesse, Peter Lerche, Werner Thieme
(H.  BARION, «  Die sozialethische Gleichschaltung der Länder und Gemeinden durch den
Bund. Eine konkretisierte Studie zum Subsidiaritätsprinzip  », Der Staat, 1964, 3 (1), p.  1-39 ;
R. HERZOG, « Zwischenbilanz im Streit um die bundesstaatliche Ordnung », Juristische Schu-
lung, 1967, 5, p.  193-200 ; K.  HESSE, Der Unitarische Bundesstaat [1962], Ausgewählte
Schriften, dir. P. HABERLE, Heidelberg, Müller, 1984 ; P. LERCHE, « Föderalismus als natio-
nales Ordnungsprinzip », Veröffentlichungen der Vereinigung der deutschen Staatslehrer, 1964,
21, p. 66-104 ; W. THIEME, Subsidiarität und Zwangsmitgliedschaft, Sarrebruck, 1962).
4. Cf. J.  ISENSEE, P.  KIRCHHOF, dir., Handbuch des Staatsrechts der Bundesrepublik
Deutschland, VI. Freiheitrechte, Heidelberg, Müller, 1989, spécialement 151, n. 39 ; T. OPPER-
MANN, « Subsidiarität im Sinne des deutschen Grundgesetzes », Subsidiarität. Idee und Wirk-
lichkeit. Zur reichweite eines Prinzips in Deutschland und Europa, dir. K.  W. NÖRR,
T. OPPERMANN, Tübingen, Mohr, 1997, p. 215-226, ici p. 218 ; J. SCHWARZE, « Le principe
de subsidiarité dans la perspective du droit constitutionnel allemand  », Revue du Marché
commun et de l’Union européenne, 1993, 370, p. 615-619.
Subsidiarité et Allemagne chrétienne. La condition fédérale 343

retenue, qui pourra expliquer bon nombre des évolutions à venir : le fédéra-
lisme unitaire et centralisé sans la subsidiarité catholique1.
La Loi fondamentale de 1949 résulte donc d’un compromis, qui débouche
non pas tant sur un État unitaire que sur un fédéralisme unitaire2. Le
consensus national était semble-t-il à ce prix. D’un côté, crainte d’un excès
fédéraliste qui aurait fait la part trop belle aux Länder ; de l’autre, crainte d’un
excès unitariste qui aurait fait la part trop belle au Bund. Relevons néanmoins
que, pour marquer leur désapprobation, les députés bavarois de la CSU
n’avaient pas manqué de voter contre le texte de la Loi fondamentale, finale-
ment adopté le 8 mai 1949 (par 53 voix contre 12)3. Certes, les Länder de 1949
obtiennent le monopole des compétences en des matières stratégiques (police,
affaires communales, enseignement, culture, religion) ainsi qu’une revalorisa-
tion substantielle de leurs ressources financières. Certes, le Bundesrat de 1949
se trouve considérablement renforcé via l’introduction d’un partage du pou-
voir législatif détenu par l’Assemblée fédérale (pour un certain nombre de
matières précisées à l’article 84 de la Loi fondamentale). Mais, les meilleurs
analystes l’ont montré, cette revalorisation du niveau fédéré n’a pas empêché
l’irrépressible tendance à la centralisation, qui était comme annoncée par
l’acte de renaissance du fédéralisme allemand  : en 1962, le juriste Konrad
Hesse parlait déjà d’« État fédéral unitaire »4 ; trente ans plus tard, le politiste
Heidrun Abromeit radicalise le verdict en parlant d’« État unitaire déguisé »5.
Le fédéralisme allemand a pu quelque temps faire illusion sur son caractère
dualiste, mais, force est de l’admettre, le processus d’unitarisation (Unitari-
sierung) était à l’œuvre dès les premiers pas de la nouvelle République de
Bonn, peut-être en raison de la logique propre de la reconstruction nationale
ouest-allemande. N’oublions pas non plus que le nouveau Chancelier fédéral,
Konrad Adenauer, bien que de tradition catholique-rhénane, avait fait
montre d’un attachement sourcilleux à l’unité nationale6 ; et, pour cette raison
notamment, s’était très vite aliéné le soutien de nombreux intellectuels catho-

1. D’où, également, le choix de la Cour fédérale — consacré en 1981 — de ne pas conférer valeur
constitutionnelle au principe de subsidiarité (BUNDESVERFASSUNGSGERICHT, Décision
58-233 Deutscher Arbeitnehmerverband, 20 octobre 1981, Rec., p. 241, 244, 253).
2. Plus encore que son homologue weimarien, le fédéralisme de République de Bonn naît avec
un esprit unitaire très affirmé. Pour un commentaire de droit comparé, cf. C. EISENMANN,
«  Bonn et Weimar, deux constitutions de l’Allemagne  » [1950], Écrits de théorie du droit, de
droit constitutionnel et d’idées politiques, Paris, Éditions Panthéon-Assas, 2002, p. 455-493.
3. Au constitutionnaliste bavarois Hans Nawiasky, on doit notamment la formulation du
principe (devenu caduc) selon lequel le futur Bund devait être considéré comme une émanation
des Länder, seuls détenteurs de la souveraineté après la disparition du Reich (H. NAWIASKY,
Die Grundgedanken des Grundgesetzes für die Bundesrepublik Deutschland, op. cit.).
4. Konrad Hesse faisait part de son diagnostic dès 1962 : « Der deutsche Bundesstaat der Gegen-
wart ist, wenn auch nicht ohne Einschränkungen so doch im Prinzip, unitarische Bundesstaat. »
(K. HESSE, Der Unitarische Bundesstaat, Ausgewählte Schriften, op. cit., p. 128).
5. H. ABROMEIT, Der Verkappte Einheitsstaat, Opladen, Westdeutscher Verlag, 1992. Ren-
voyons également à cet article au titre très évocateur : H. ABROMEIT, « Föderalismus : Modelle
für Europa », Österreichische Zeitschrift für Politikwissenschaft, 1993, 22 (2), p. 207-220.
6. Cf. A. DOERING-MANTEUFFEL, H.-P. SCHWARZ, Adenauer und die Deutsche
Geschichte, Bonn, Bouvier, 2001 ; H.-P. SCHWARZ, Adenauer I-II, Stuttgart, Deutsche Ver-
lags Anstalt, 1986-1991 ; Anmerkungen zu Adenauer [2004], Munich, Pantheon, 2007.
344 La subsidiarité germanique...

liques, les fondateurs des Frankfurter Hefte par exemple, qui l’accusaient de
faire œuvre de restauration bourgeoise.

3. FÉDÉRALISME UNITAIRE ET REVENDICATIONS SUBSIDIARISTES

Exclue du texte juridique fondamental, la subsidiarité le sera aussi, très logi-


quement, de la jurisprudence constitutionnelle. Faute de disponibilité séman-
tique, c’est avec une grande constance que la Cour fédérale allemande s’abs-
tiendra de s’en remettre au principe de subsidiarité pour rendre ou motiver
ses décisions. Il faut le relever et y insister  : dans la période antérieure au
traité de Maastricht (nous reviendrons plus loin sur ce repérage temporel), les
juges de Karlsruhe n’ont fait mention de la subsidiarité qu’à deux reprises
seulement — en 1959 et en 1967 —, attribuant au mot un sens plus philo-
sophique que juridique, plus fonctionnel (libéralisme) que territorial
(fédéralisme)1. Il était en l’occurrence question de limitation à l’ingérence des
pouvoirs publics dans les sphères censées relever en priorité de l’initiative
privée. En retour, cette timidité jurisprudentielle éclaire et souligne l’em-
barras grandissant des juristes à l’égard du principe. Embarras qui ne man-
quera pas d’affecter jusqu’à la démocratie chrétienne elle-même : en 1963, le
grand constitutionnaliste bavarois, futur Président de la Cour et futur Prési-
dent de la République, Roman Herzog, pourtant formé au droit par la vieille
école de Theodor Maunz, n’hésite pas à pointer une tension persistante entre
subsidiarité et démocratie libérale, entre philosophie perfectionniste du bien
commun et pluralisme démocratique des valeurs2. Épisode herzogien tout à

1. Deux décisions portant sur la loi de 1953 relative à la jeunesse (loi déjà évoquée dans la pre-
mière partie : cf. A. F. UTZ, Formen und Grenzen des Subsidiaritätsprinzips, Heidelberg, Kerle,
1956)  : BUNDESVERFASSUNGSGERICHT, Décision 10-59 Elterliche Gewalt, 29  juillet
1959, Rec., p.  83-84 ; Décision 22-180 Jugendhilfe, 18  juillet 1967, Rec., p.  190-195. Le même
constat vaut s’agissant de la Cour administrative fédérale (BUNDESVERWALTUNGSGE-
RICHT, Décision 23-304 Pflichtmitgliedschaft bei der saarländischen Arbeitskammer, 1968,
Rec., p. 306 ; Décision 39-329 Kommunalrechtliche Schrankentrias, 1972, Rec., p. 338).
2. R. HERZOG, « Subsidiaritätsprinzip und Staatsverfassung », Der Staat, 1963, 2 (4), p. 399-
423. Joseph Isensee s’opposa à Roman Herzog en faisant valoir qu’écarter la subsidiarité du texte
constitutionnel au motif de son caractère antilibéral aurait conduit in fine à empêcher tous les cas
de limitation des libertés prévus par la Loi fondamentale (J. ISENSEE, Subsidiaritätsprinzip und
Verfassungsrecht, op. cit., p. 267-268). Juste avant l’épisode herzogien, un débat philosophique
s’était greffé aux discussions juridiques. Dans un article de recension publié par la revue des
dominicains, le Père Utz réagissait vivement aux thèses développées un an plus tôt par Ewald
Link, leur reprochant de vider la subsidiarité de tout contenu substantiel (E. LINK, Das Subsi-
diaritätsprinzip. Sein Wesen und seine Bedeutung für die Sozialethik, Fribourg, Herder, 1955 ;
A. F. UTZ, « Der Mythos des Subsidiaritätsprinzips. Im Zeitalter der Schlagwörter und Scha-
blonen », Die Neue Ordnung, 1956, 10, p. 11-21 ; Ethik und Politik, Stuttgart, Seewald, 1970, III,
p. 338-349). Wilhelm Bertrams prendra la parole dans la revue des jésuites pour minimiser les
oppositions (W. BERTRAMS, « Das Subsidiaritätsprinzip : ein Mythos ? », Stimmen der Zeit,
1955-1956, p.  388-390). Orientierung clôt la discussion en réconciliant les points de vue
(J.  DAVID, «  Streit um das Subsidiaritätsprinzip  », Orientierung, 1957, 21 (2), p.  13-16 ;
W.  BERTRAMS, «  Vom Sinn des Subsidiaritätsgesetzes  », ibid., 1957, 21 (7), p.  76-79). Côté
protestant : T. RENDTORFF, « Kritische Erwägungen zum Subsidiaritätsprinzip », Der Staat,
1962, 1 (4), p.  405-430 ; «  Subsidiaritätsprinzip oder Gemeinwohlpluralismus  », Zeitschrift für
evangelische Ethik, 1993, 37, p.  91-93. Trutz Rendtorff est le fondateur de la Ernst-Troeltsch
Subsidiarité et Allemagne chrétienne. La condition fédérale 345

fait révélateur, nous semble-t-il, de l’évolution à venir du catholicisme — alle-


mand et européen — dans son ensemble.
Délestée de son substrat conservateur, la subsidiarité se plaît peu à peu à
revêtir des habits plus techniques, spécialement adaptés à l’ingénierie consti-
tutionnelle. Nombreux seront dès lors les observateurs — les juristes de doc-
trine, mais aussi les politistes — qui tiendront à conserver le mot subsidiarité
en tant qu’outil d’analyse, faisant comme si le concept normatif appartenait
désormais à un passé révolu : la subsidiarité sans le mot, ou la technique juri-
dique plutôt que la doctrine catholique1. Ainsi, auront droit à la bénédiction
doctrinale de la subsidiarité nouvelle manière tous les articles de la Loi fonda-
mentale donnant un tant soit peu priorité aux Länder par rapport au Bund
(subsidiarité territoriale), ou bien encore rappelant la primauté de la société et
de la personne sur l’État (subsidiarité fonctionnelle). Les commentaires offi-
ciels sont innombrables qui débusquent une subsidiarité logée entre les lignes
de la textualité juridique : on passe alors en revue les articles 6 (sur la famille
et l’éducation des enfants), 9 (sur la liberté d’association), 28 al. 2 (sur l’auto-
nomie communale)2 ; on insiste en particulier sur les articles  30 (répartition
des compétences entre le Bund et les Länder), 70 al. 1 (compétence législative
des Länder) et 72 al. 2 (compétences législatives concurrentes), sans oublier
l’article  83 (exécution des lois fédérales par les Länder). À chaque fois, la
même ambiguïté se répète  : d’abord un semblant de priorité attribué aux
Länder puis un rappel — beaucoup moins semblant — du primat fédéral. Le
concept de subsidiarité a précisément l’avantage de reproduire et d’exprimer
cette plurivocité : affirmer la souveraineté des Länder tout en sauvegardant
les intérêts prioritaires du Bund3. À l’image de l’article  31, réminiscence de
l’ancien droit impérial, qui consacre le principe de la primauté du droit

Gesellschaft et l’auteur de l’entrée «  Christentum  » dans le Geschichtliche Grundbegriffe


(T. RENDTORFF, « Christentum », Geschichtliche Grundbegriffe, op. cit., 1972, I, p. 772-814).
1. Dans ce registre où la littérature se fait particulièrement pléthorique, cf. O. KIMMINICH,
« Die Subsidiarität in der Verfassungsordnung des freiheitlich-demokratischen Rechtsstaates »,
Subsidiarität und Demokratie, dir. O. KIMMINICH, Düsseldorf, Patmos, 1981, p. 30-61 ; « Das
Subsidiaritätsprinzip und seine Auswirkungen im geltenden Verfassungsrecht », Politische Stu-
dien, 1987, 38 (296), p. 587-598 ; P. HÄBERLE, « Das Prinzip der Subsidiarität aus der Sicht der
vergleichenden Verfassungslehre  », Subsidiarität, dir. A.  RIKLIN, G.  BATLINGER, op. cit.,
p. 267-310, spécialement p. 275 sq. ; A. WEBER, T. GAS, « Justice constitutionnelle et subsidia-
rité  », Justice constitutionnelle et subsidiarité, dir. F.  DELPÉRÉE, Bruxelles, Bruylant, 2000,
p. 137-177 ; W. KLUTH, « République fédérale d’Allemagne », Droit administratif et subsidia-
rité, dir. R. ANDERSEN, D. DÉOM, Bruxelles, Bruylant, 2000, p. 247-270.
2. Il faudrait également parler d’une subsidiarité des communes par rapport à la société civile, en
référence notamment à l’article 75 du Deutschen Gemeinde Ordnung. Cf. H. BARION, « Die
sozialethische Gleichschaltung der Länder und Gemeinden durch den Bund. Eine konkretisierte
Studie zum Subsidiaritätsprinzip », Der Staat, 1964, 3, p. 1-39.
3. « L’exercice des pouvoirs étatiques et l’accomplissement des missions de l’État relèvent des
Länder », dit l’article 30 ; avant d’ajouter : « à moins que la présente Loi fondamentale n’en dis-
pose autrement ou n’admette un autre règlement » (nous soulignons). Même constat s’agissant
de l’article 70 : « Les Länder ont le droit de légiférer dans les cas où la présente Loi fondamentale
ne confère pas à la Fédération des pouvoirs de légiférer » (nous soulignons). L’article 83 se fait
plus explicite : « Sauf disposition contraire prévue ou admise par la présente Loi fondamentale,
les Länder exécutent les lois fédérales à titre de compétence propre. »
346 La subsidiarité germanique...

fédéral sur le droit des Länder (Bundesrecht bricht Landesrecht)1. À l’image,


surtout, de l’article  72 al.  2, selon lequel les États fédérés sont habilités à
exercer les compétences partagées pour autant que la fédération n’a pas exercé
les siennes :
« Dans le domaine de la législation concurrente, dit la Loi fondamentale, les
Länder ont le pouvoir de légiférer dans la mesure où, et aussi longtemps que,
la Fédération n’a pas fait usage par la loi de sa compétence législative2. »
Par où nous approchons la logique politique propre à la subsidiarité du
fédéralisme allemand. La garder à l’esprit aidera à mieux comprendre, par
comparaison, l’évolution ultérieure des rapports entre droit communautaire
et droits nationaux  : ne pas figer de répartition stricte des pouvoirs afin de
mieux garantir les marges de manœuvre du niveau supérieur3.
Exposé aux articles 70 à 74 de la Loi fondamentale, le système de régula-
tion des compétences (Kompetenzverflechtung) nous semble particulière-
ment significatif à cet égard. Il prévoit, d’une part, que l’État fédéral détient
une compétence législative exclusive pour certaines matières énumérées (les
affaires étrangères, la défense, le droit de la nationalité, la liberté de circula-
tion, les chemins de fer, les postes et télécommunications)4. Il prévoit, d’autre
part, que le Bund détient une compétence législative concurrente, autrement
appelée compétence-cadre (Rahmengesetzgebung), pour toute une série de
domaines (enseignement supérieur, cinéma, presse, droit du travail, urba-
nisme, aménagement du territoire, etc.) dans lesquels les Länder sont à même
de légiférer tant que Bonn n’a pas fait pas usage de sa propre compétence
législative5. Dans les faits, un tel mécanisme s’est révélé comme un puissant
multiplicateur de pouvoir pour les autorités fédérales. Au point, même, d’éta-
blir une priorité systématique de la prérogative législative du Bund sur celle
des Länder : à partir du moment où l’État fédéral a utilisé son droit de légi-
férer dans la plupart des domaines concurrents, les Länder sont automatique-
ment dépossédés de leurs pouvoirs propres. On comprend alors l’absorption
continue de nouvelles matières par le législateur central, réduisant mécani-
quement celle des Länder.

1. Ce principe du fédéralisme allemand était déjà présent chez les grands juristes positivistes du
xixe siècle (Carl Gerber, Paul Laband, Georg Jellinek, par exemple). Cf. M. DREYER, Födera-
lismus als ordnungspolitisches und normatives Prinzip, op. cit., spécialement p. 280 sq.
2. Énonçant le principe de préemption fédérale, cet article passe souvent pour la formulation
spécifiquement allemande du principe de subsidiarité. D’où cette définition proposée par Pierre
Bouretz en 1992 dans un commentaire du traité de Maastricht : le principe de subsidiarité, consi-
déré dans le cadre du droit fédéral, « aménage les prérogatives respectives de la fédération et des
États fédérés au bénéfice de la première : hors des cas de compétences exclusivement fédérales ou
locales, c’est l’action commune attachée à la dimension unitaire de l’État qui doit être prioritaire,
selon le principe de préemption » (P. BOURETZ, Les Formes politiques de l’Europe après Maas-
tricht, Paris, Notes de la Fondation Saint-Simon, 1992, p. 17).
3. Pour une comparaison inaugurale entre la répartition allemande des compétences et le pro-
cessus décisionnel européen, cf. F. W. SCHARPF, « The Joint-Decision Trap : Lessons From
German Federalism and European Integration », Public Administration, 1988, 66 (3), p. 239-278.
4. Toutes matières dans lesquelles les Länder n’ont le pouvoir de légiférer que si une loi fédérale
les y autorise expressément ; ce qui est très rare. Les compétences fédérées improprement quali-
fiées d’exclusives (éducation et culture) ne figurent pas dans la Loi fondamentale.
5. Le parallèle est évident entre cette technique et le système européen des directives.
Subsidiarité et Allemagne chrétienne. La condition fédérale 347

Le dualisme affiché a ainsi fait place à la réalité du monisme coopératif


(kooperativer Bundesstaat) et du fédéralisme exécutif, renouant en quelque
sorte avec l’esprit de 1866 (Norddeutscher Bund) et de 1871 (IIe Reich)1.
Reprenons ces deux points caractéristiques du fédéralisme allemand. Fédéra-
lisme coopératif d’abord. Dès 1969, une importante réforme constitution-
nelle mettait au point la procédure dite des tâches communes (Gemein-
schaftsaufgaben) par l’introduction d’un nouvel article 91 A, qui consacrait et
accentuait une pratique déjà à l’œuvre auparavant. Toujours est-il que les
missions partagées entre la fédération et les Länder se trouvaient dès lors
multipliées au profit du gouvernement central, via un renforcement de l’en-
chevêtrement des compétences2. Fédéralisme exécutif ensuite, dont l’avène-
ment a procédé d’un double mouvement : augmentation du poids du Bun-
desrat d’une part, cantonnement des Länder dans un rôle d’exécution d’autre
part. Alors que les constituants de 1949 affirmaient le principe selon lequel
les Länder étaient les détenteurs originaires de la souveraineté, le fonctionne-
ment réel du fédéralisme les a enfermés dans un rôle essentiellement subal-
terne réduit à une souveraineté culturelle, et à une compétence administrative
d’exécution des lois. À la fédération, le pouvoir d’impulsion et de coordina-
tion. Aux Länder, le pouvoir de mise en œuvre via un organe exécutif com-
posé de leurs seuls ministres (le Bundesrat)3.

Sans vouloir sous-estimer la dynamique endogène propre au fédéralisme


allemand, sans négliger non plus la dynamique centralisatrice de la Réunifica-
tion4, on ne peut occulter les effets catalyseurs de la construction européenne.

1. En français, cf., par exemple, M. FROMONT, « L’évolution du fédéralisme allemand depuis


1949 », Mélanges G. Burdeau, Paris, LGDJ, 1977, p. 661-679 ; C. GREWE, Le Fédéralisme coo-
pératif en République fédérale d’Allemagne, Paris, Économica, 1981 ; C. AUTEXIER, « L’exé-
cution des lois fédérales par les Länder : aspects juridiques et financiers », Les Cinquante ans de
la RFA, Paris, Publications de la Sorbonne, 2000, p. 65-78 ; A. LE DIVELLEC, « Vues générales
sur le parlementarisme en Allemagne  », Revue du droit public, 2004, 120 (1), p.  243-273 ;
Le Gouvernement parlementaire en Allemagne, Paris, LGDJ, 2004.
2. Née aux États-Unis pendant la période du New Deal, la notion de fédéralisme coopératif
s’oppose à celle de dual federalism. La Constitution américaine de 1787, dans son refus fédéra-
liste d’abaisser les États membres au rang de simples circonscriptions administratives, énumère
les pouvoirs de l’État fédéral, en réservant toutes les autres compétences aux États fédérés. La
version originelle du système fédéral américain prévoit ainsi que les États membres sont les véri-
tables détenteurs du pouvoir souverain. On sait que les faits ont connu une évolution en contra-
diction avec ces principes fondateurs, malgré quelques soubresauts conservateurs (F.  VER-
GNIOLLE de CHANTAL, Fédéralisme et antifédéralisme, Paris, PUF, 2005, Le Fédéralisme
américain en question, de 1964 à nos jours, Dijon, Éditions universitaires, 2006). Sur le cas alle-
mand, cf. R. VOIGT, dir., Der Kooperative Staat, Baden-Baden, Nomos, 1995.
3. Sauf qu’en parlant de rôle subalterne des Länder, nous faisons jouer ici un postulat implicite
(qui demanderait davantage d’explication) : l’exécution serait moins importante ou moins straté-
gique que la décision proprement dite ; ce qui est très contestable, nous le verrons plus loin en
reprenant les enseignements de la science administrative. Mais à la question de savoir si le centre
de gravité du pouvoir ne s’est pas déplacé de la formation de la décision vers son exécution, dans
le cas de l’Allemagne, nous pouvons répondre non : le rôle grandissant accordé au Bundesrat,
bien loin de renforcer le niveau fédéré donne en réalité plus de pouvoir au Bund.
4. Sur le renforcement de la centralisation suscité par la Réunification, cf. S. BULNER, « Effi-
ciency, Democracy and Post-Unification Federalism in Germany : A Critical Analysis », Recas-
ting German Federalism, éd. C. JEFFERY, Londres, New York, Pinter, 1999, p. 312-327.
348 La subsidiarité germanique...

Dans le souci qui a toujours été le sien d’affirmer sa primauté ainsi que son
application uniforme, le droit communautaire a dès l’origine impulsé une
logique moniste sur laquelle les deux dynamiques évoquées (fédéralisme uni-
taire et fédéralisme exécutif) n’ont pas manqué de s’appuyer1. Jusqu’au milieu
des années 1980, l’intégration européenne avait été gérée en quasi exclusivité
par le gouvernement fédéral de Bonn. Du côté des Länder, on s’accordait de
longue date à pointer cette tendance castratrice, mais les problèmes politiques
ont réellement commencé à se poser à partir de l’Acte unique. Confrontés à
la mise en place du Grand Marché, les Länder libérèrent peu à peu leur parole,
exprimant avec insistance une crainte de plus en plus prononcée : n’avoir plus
aucun espace entre Bonn et Bruxelles. Le réveil sera d’autant plus énergique
que les directives adoptées dans le cadre de l’Acte unique touchaient en pre-
mière ligne les compétences des États fédérés (formation professionnelle,
santé, recherche, environnement, etc.), leur préemption par l’échelon fédéral
trouvant désormais une justification supplémentaire auprès de Bruxelles2.
Habitués à réclamer une revalorisation de leur rôle dans le fonctionnement
de ce fédéralisme à trois niveaux, les Länder revoient leur stratégie et choi-
sissent à présent d’invoquer un nouvel argument  : celui de la subsidiarité.
C’est à eux, spécialement à la Bavière, que l’on doit le retour en force du

1. Cf. X. VOLMERANGE, Le Fédéralisme allemand et l’intégration européenne, Paris, L’Har-


mattan, 1994 ; Le Fédéralisme allemand face au droit communautaire, Paris, L’Harmattan, 2000 ;
W.  D. GRUNER, «  The German Debate on Europe  : Expectations, Positions, Perceptions,
Ideas (1945-2005)  », Cultures politiques, opinions publiques et intégration européenne, dir.
M.-T. BITSCH, W. LOTH, C. BARTHEL, Bruxelles, Bruylant, 2007, p. 61-86. Pour reprendre
les mots de Koen Lenaerts, juriste et juge communautaire (que nous retrouverons plus loin),
on peut dire que le fédéralisme allemand est davantage un «  integrative federalism  » qu’un
«  devolutionary federalism  » (K.  LENAERTS, «  Constitutionalism and the Many Faces of
Federalism », American Journal of Comparative Law, 1990, 38, p. 205-263).
2. Sur cette angoisse des Länder devant l’érosion de leurs pouvoirs, angoisse constamment
reconduite depuis l’Acte unique, cf. les travaux de Rudolf Hrbek (R. HRBEK, « The German
Länder and the European Community. Towards a Real Federalism ? », The Federal Republic of
Germany and European Community. The Presidency and Beyond, éd.  E. REGELSBERGER,
W. WESSELS, Bonn, Europa Union Verlag, 1988, p. 215-230 ; R. HRBEK, dir., Das Subsidiari-
tätsprinzip in der europäischen Union. Bedeutung und Wirkung für ausgewählte Politikbereiche,
dir., Baden-Baden, Nomos, 1995, spécialement E. VETTER, « Das Subsidiaritätsprinzip in der
europäischen Union aus der Perspektive der deutschen Länder », p. 35-43 ; R. HRBEK, « Federal
Balance and the Problem of Democratic Legitimacy in the European Union », Aussenwirtschaft,
1995, 50 (1), p. 43-66 ; « Wie sollen sich Arbeitsteilung, Subsidiarität und regionale Beteiligung
nach Amsterdam entwickeln ? », Systemwandel in Europa. Demokratie, Subsidiarität, Differen-
zierung, Gütersloh, Bertelsmann Stiftung, 1998, p. 27-39 ; « The Effects of EU Integration on
German Federalism  », Recasting German Federalism, éd. C.  JEFFERY, op. cit., p.  217-233 ;
« The Role of the Regions in the EU and the Principle of Subsidiarity », The International Spec-
tator, 2003, 38 (2), p. 59-73) et de Charlie Jeffery (C. JEFFERY, « German Federalism », Con-
temporary Political Studies, 1994, 2, p.  765-778 ; «  Farewell the Third Level ? The German
Länder and the European Policy Process », Regional and Federal Studies, 1996, 6 (2), p. 56-75 ;
« Les Länder allemands et l’Europe. Intérêts, stratégies et influence dans les politiques commu-
nautaires  », trad. fr. B.  Jouve, Que gouvernent les régions d’Europe ? Échanges politiques et
mobilisations régionales, dir. E.  NÉGRIER, B.  JOUVE, Paris, L’Harmattan, 1998, p.  55-83 ;
«  From Cooperative Federalism to a “Sinatra Doctrine” of the Länder  », Recasting German
Federalism, op. cit., p. 329-342 ; « Regions and the Constitution For Europe : German and British
Impacts », German Politics, 2004, 13 (4), p. 605-624). Sur l’appel des Länder à une Europe des
régions, cf. F.  L. KNEMEYER, «  Subsidiarität, Föderalismus, Dezentralisation  », Deutsches
Verwaltungsblatt, 1990, 105 (9), p. 449-454.
Subsidiarité et Allemagne chrétienne. La condition fédérale 349

concept sur le devant de la scène politique entre 1987 et 1990 : en la matière,


le très conservateur ministre-président de Bavière Franz Joseph Strauss joua
un rôle de tout premier plan au sein de la Ministerpräsidenten-Konferenz1.
Après les débats de 1948-1949 puis ceux des années 1950, la subsidiarité avait
connu une longue éclipse tout en poursuivant un itinéraire souterrain dans le
monde doctrinal du droit.
Retenons, à gros traits, quatre moments marquants qui ont scandé la fin
des années 1980. Étape 1 : la résolution sur le fédéralisme européen votée le
23 octobre 1987 lors de la conférence annuelle des Länder tenue à Munich.
Intitulée Une Europe aux structures fédérales, elle proposait en dix points un
ambitieux programme de fédéralisation européenne, dont un appel à l’appli-
cation généralisée du principe de subsidiarité2. S’il pouvait avoir une colora-
tion plutôt centralisatrice chez certains militants du fédéralisme européen
(nous y reviendrons), les Länder, à travers ce document, lui feront prendre
un virage résolument localiste. Étape 2 : la rencontre entre Jacques Delors et
les ministres-présidents lors d’une réunion tenue à Bonn le 13 mai 19883. Par
delà la revendication des États fédérés qui touchait à des enjeux internes hors
compétence communautaire, le Président de la Commission prend alors
conscience de l’intérêt plus immédiat que représente le principe de subsidia-
rité pour la construction européenne. Particulièrement sensible à cette pro-
blématique en raison de sa culture politique et religieuse, il sort de cette réu-
nion convaincu de la nécessité de prendre en compte les inquiétudes des
pouvoirs locaux et régionaux. Un consensus, en forme de compromis entre
ambition fédérale de la Communauté et attachement aux territoires, a alors
fait se croiser des Länder allemands très coutumiers du principe et un Jacques
Delors marqué par le catholicisme social via le personnalisme fédéraliste-
chrétien. Étape 3 : lors de la première Conférence sur les régions d’Europe
tenue à Munich les 18-19 octobre 1989, les Länder étendent leur mot d’ordre
à l’ensemble du continent revendiquant désormais la possibilité de saisir la

1. Nous reviendrons plus bas sur l’épisode avorté du projet Spinelli dans la première moitié de la
décennie 1980. Nous reviendrons également sur la Charte européenne de l’autonomie locale,
dont l’article 4-3, sans reprendre le mot subsidiarité, propose une définition très germanique du
principe : « l’exercice des responsabilités publiques doit, de façon générale, incomber, de préfé-
rence, aux autorités les plus proches des citoyens. L’attribution d’une responsabilité à une autre
autorité doit tenir compte de l’ampleur et de la nature de la tâche et des exigences d’efficacité et
d’économie ». Adoptée par le Conseil de l’Europe le 15 octobre 1985, cette charte a très vite été
ratifiée par l’Allemagne, l’Italie, le Luxembourg, le Portugal et l’Espagne, mais, en France, il a
fallu attendre le 20 juillet 2006 pour qu’on procède à sa ratification. Les obstacles constitution-
nels ont été levés par l’Acte II de la décentralisation en 2003-2004 (Loi 2006-823 autorisant l’ap-
probation de la Charte européenne de l’autonomie locale, 10 juillet 2006 ; JORF, 159, 11 juillet
2006). Pour une lecture de la charte à la lumière du principe de subsidiarité, cf. Définition et
limites du principe de subsidiarité, Strasbourg, Éditions du Conseil de l’Europe, 1994.
2. MINITERPRÄSIDENTEN-KONFERENZ, Conclusions, Munich, 21-23 octobre 1987.
3. Cf. Europa-Archiv, 1988, 43 (17), p. 383 sq. ; R. HRBEK, « Federal Balance and the Problem
of Democratic Legitimacy in the European Union », art. cit., p. 51, n. 34 ; « The Effects of EU
Integration on German Federalism », Recasting German Federalism, éd. C. JEFFERY, op. cit.,
p. 219, n. 12 ; K. SCHELTER, « La subsidiarité : principe directeur de la future Europe », Revue
du Marché commun et de l’Union européenne, 1991, 344, p. 139.
350 La subsidiarité germanique...

Cour de Luxembourg en cas de non respect du principe1. Étape 4, la dernière


avant la Conférence intergouvernementale qui conduira à Maastricht  : la
publication d’un important rapport en mai 1990 relatif à la place des Länder
face au développement de la Communauté européenne. Entre autres mesures,
le texte formalise des exigences de plus en plus insistantes, et préconise la for-
malisation d’un principe normatif de subsidiarité2.

Ironie de l’histoire pour le pays de naissance du concept, c’est la subsidia-


rité communautaire qui entre dans la Loi fondamentale allemande à la faveur
de la ratification du traité de Maastricht3. Non seulement, il faut attendre
1992 pour que la subsidiarité devienne outre-Rhin un concept de droit
constitutionnel positif, mais, cette constitutionnalisation ne vaut que pour le
sens qui est attribué au principe dans le droit communautaire.
« Pour la réalisation d’une Europe unie, dit l’article 23-1 de la clause Europe, la
République fédérale d’Allemagne concourt au développement de l’Union euro-
péenne engagée au respect de la démocratie et de l’État de droit, de principes
sociaux et fédératifs ainsi que du principe de subsidiarité, et garantissant une
protection des droits fondamentaux substantiellement comparable à celle de la
présente Loi fondamentale4. »
Précisant par ailleurs les conditions de la participation des Länder à la
politique européenne de l’Allemagne, cette nouvelle version de la Loi fonda-
mentale permet au Bundesrat d’intervenir directement dans le processus
décisionnel de l’Union sans passer par le gouvernement fédéral. De la même
manière que le principe communautaire de subsidiarité, tel qu’inscrit dans le
traité de Maastricht, a plus ou moins été conçu comme un frein à la montée

1. La deuxième Conférence sur les régions d’Europe aura lieu à Bruxelles les 24-25 avril 1990.
2. Cf. MINITERPRÄSIDENTEN-KONFERENZ, Conclusions, Hanovre, 17-19 octobre
1990. En 1991, la deuxième session de la Conférence Parlement européen-Régions de la Com-
munauté tenue à Strasbourg du 27 au 29 novembre s’inscrit dans cette même ligne. La formalisa-
tion juridique du principe de subsidiarité par le traité de Maastricht ne répondra que très partiel-
lement à la demande des Länder  : autonomie institutionnelle des États oblige, la subsidiarité
communautaire ne joue que pour les deux niveaux États-Union et non pour les échelons infra-
nationaux. Selon la même logique, les traités n’ont jamais accordé aux pouvoirs infranationaux
la possibilité d’intenter des actions en justice auprès de la Cour de Luxembourg.
3. Trois révisions constitutionnelles importantes sont intervenues au début des années 1990  :
la révision consécutive au traité d’unification du 31  août 1990, celle consécutive au traité de
Maastricht (Loi modifiant la Loi fondamentale, 21  décembre 1992), celle consécutive aux
engagements pris dans le traité d’unification (Loi modifiant la Loi fondamentale, 27  octobre
1994).
4. Adoptée par la révision constitutionnelle du 21 décembre 1992, cette nouvelle rédaction est
entrée en vigueur le 15 novembre 1994. Elle n’a pas été sans soulever certaines critiques chez les
juristes, que ce soit sur le fond (frein à l’intégration communautaire) ou sur la forme (longueur
de l’article, complexité de la formulation). Pour quelques exemples de critique  : W.  von
SIMSON, J.  SCHWARZE, Europäische Integration und Grundgesetz. Maastricht und die
Folgen für das deutsche Verfassungsrecht, Berlin, New York, Walter de Gruyter, 1992 ;
R.  BIEBER, «  Verbreiterung und Vertiefung ? Das Subsidiaritätsprinzip im europäischen
Gemeinschaftsrecht », Chancen des Föderalismus in Deutschland und Europa, dir. T. T. EVERS,
Baden-Baden, Nomos, 1994 ; C. CALLIESS, Subsidiaritäts- und Solidaritätsprinzip in der euro-
päischen Union, Baden-Baden, Nomos, 1996 ; S. U. PIEPER, « Subsidiaritätsprinzip, Struktur-
prinzip der europäischen Union », Deutsches Verwaltungsblatt, 1993, p. 705-712.
Subsidiarité et Allemagne chrétienne. La condition fédérale 351

en puissance des compétences communautaires1, le principe du droit positif


allemand sera en grande partie la conséquence institutionnelle d’une réaction
des Länder face à la dynamique centralisatrice du fédéralisme allemand. Mais,
passé ce constat clinique, on ne peut manquer de soulever l’ambiguïté inhé-
rente à la revendication subsidiariste : promu par les Länder contre l’incerti-
tude de la répartition des compétences au sein de l’État fédéral (qui leur est
défavorable), le principe de subsidiarité (selon sa définition communautaire)
n’intervient théoriquement que quand il y a incertitude. N’y a-t-il pas alors
incompatibilité de nature entre subsidiarité et stricte délimitation des compé-
tences ? N’est-il pas dans la logique même de la subsidiarité de s’imposer
quand la clarté du droit positif fait défaut ? Le processus d’unitarisation ne
pouvait donc être enrayé par les exigences subsidiaristes des Länder2. Tout au
contraire, il aura été doublement sanctionné par le mouvement même de la
construction européenne et la jurisprudence de la Cour constitutionnelle.
Théorie des pouvoirs implicites et théorie des compétences fédérales par
nature aidant, la jurisprudence de la Cour de Karlsruhe est restée constante
dans son interprétation restrictive du principe de subsidiarité3.
Les deux dernières révisions constitutionnelles relatives à l’organisation
du fédéralisme ne viennent pas contredire ce constat. Porteuses d’une volonté
affichée de réduire l’imbrication des compétences, elles n’auront eu que peu
d’effets sur les pratiques concrètes. La réforme du 27 octobre 1994 d’abord.
Consécutive aux engagements pris dans le traité d’unification, elle renforce la
compétence législative des Länder et donne une définition plus précise des
conditions dans lesquelles la fédération peut intervenir dans les matières rela-
vant des compétences concurrentes. En outre, les dispositions constitu-
tionnelles sont complétées par une loi en date du 23 mars 1993 relative à la
participation du Bund et des Länder aux affaires européennes, ainsi que par
l’accord du 23 octobre 1993 conclu entre le gouvernement fédéral et les gou-
vernements des Länder. Si, depuis Maastricht (en raison notamment de cette
réforme), on a pu observer une amélioration sensible de la situation des États
fédérés vis-à-vis du droit communautaire, c’est essentiellement au profit des

1. Nous reviendrons plus bas sur les articles 100 et 235 TCE (devenus articles 95 et 308). Traité
de Maastricht, 7 février 1992-1er novembre 1993, article 3 B (JOCE, C 191, 29 juillet 1992).
2. Cf. R. HRBEK, « Die Auswirkungen der EU-Integration au den Föderalismus in Deutsch-
land  », Aus Politik und Zeitgeschichte, 1997, 24 (97), p.  12-21 ; G.  MARCOU, «  L’évolution
récente du fédéralisme allemand », Revue du droit public, 1995, 105 (4), p. 883-919. Après Franz
Joseph Strauss, ce sera au tour d’un autre ministre-président de Bavière, Edmund Stoïber, de
jouer de tout son poids personnel dans la promotion de la subsidiarité. Citons le document qu’il
adresse au Chancelier Helmut Kohl en 1998, document recensant pas moins de 65 cas de viola-
tion du principe de subsidiarité (E. STOÏBER, « Braucht Europa eine Verfassung ? », Die Welt,
26  janvier 1999). Citons aussi l’avis du Comité des régions en date du 11  mars 1999, dont les
rapporteurs ne sont autres que Michel Delebarre et Edmund Stoïber, qui reprend terme à terme
les résolutions des ministres-présidents de la fin des années 1980 (COMITÉ des RÉGIONS,
Vers une véritable culture de la subsidiarité !, 11 mars 1999 ; CdR 302/98 fin).
3. En témoigne, par exemple, une décision de 1995, rendue sur la directive européenne Télévi-
sion sans frontières, qui favorise l’extension des compétences législatives de l’État fédéral par
rapport à celles des Länder en refusant explicitement de contrôler le respect des conditions
énoncées à l’article 72 de la Loi fondamentale (BUNDESVERFASSUNGSGERICHT, Décision
92-203 Europäische Wirtschaftsgemeinschaft-Fernsehrichtlinie, 22 mars 1995).
352 La subsidiarité germanique...

exécutifs qu’elle a dirigé ses effets, le Bundesrat se situant imperturbablement


au cœur du dispositif. La réforme du 1er septembre 2006 ensuite. Elle a aug-
menté quantitativement les compétences des Länder, sans remettre pour
autant en cause la tendance de fond du fédéralisme allemand. Une nouvelle
catégorie de compétences concurrentes a été créée (en remplacement des
compétences-cadre)  : la compétence dite dérogatoire (Abweichungskompe-
tenz), au titre de laquelle les Länder peuvent déroger à la législation fédérale
en disposant d’un véritable pouvoir législatif concurrent à celui du Bund. Si
cette procédure confère aux Länder plus de marge de manœuvre que l’an-
cienne formule des Rahmengesetzgebungen (désormais supprimée), il est peu
probable qu’elle soit suffisante pour amender substantiellement les évolu-
tions lourdes du fédéralisme allemand1.
De plus en plus insistante depuis la fin des années 1980, la revendication
subsidiariste des Länder n’a pas porté ses fruits. Cet échec annonce en grande
partie celui de la subsidiarité communautaire2. Comme l’État fédéral alle-
mand, la Commission de Bruxelles sait pertinemment que la mise en œuvre
effective du principe territorial de subsidiarité pourrait constituer un ressort
d’affaiblissement de son pouvoir3. Preuve de ce jeu de vases communicants
entre revendication subsidiariste des Länder et évolution unitariste du fédé-
ralisme  : le mot d’ordre de la subsidiarité refait son apparition dans le dis-
cours des États fédérés à chaque fois que l’unitarisation franchit à nouveau un
pas supplémentaire.

1. Cf. J. IPSEN, « Die Kompetenzverteilung zwischen Bund und Ländern nach der Föderalis-
musnovelle  », Neue juristische Wochenschrift, 2006, 39, p.  2801-2806 ; R.  ARNOLD, «  Auto-
nomie régionale, autonomie locale et constitution  », Annuaire international de droit constitu-
tionnel 2006, 2007, 22, p. 107-130 ; M. FROMONT, « La réforme du fédéralisme allemand de
2006 », Revue française de droit constitutionnel, 2007, 70, p. 227-248.
2. Cf. R.-O. SCHULTZE, « Statt Subsidiarität und Entscheidungsautonomie, Politikverflech-
tung und keine Ende », Staatswissenschaften und Staatspraxis, 1993, 4 (2), p. 225-255.
3. Sur la parenté entre fédéralisme allemand et construction européenne, que nous aurons à
retrouver plus loin, cf. C.  RÉVEILLARD, «  L’Allemagne, les institutions européennes et le
principe de subsidiarité », Revue d’Allemagne, 1998, 30 (3), p. 335-345 ; J. HERGENHAN, Le
Fédéralisme allemand et la construction européenne, Paris, Groupe d’études et de recherche
Notre Europe, 2000 ; R. SCHOLZ, dir., Deutschland auf dem Weg in die europäische Union :
Wieviel Eurozentralismus, wieviel Subsidiarität ?, Cologne, Bachem, Hanns-Martin-Schleyer
Stiftung, 1994 ; W. GRAF VITZTHUM, « L’intégration de l’Europe et le fédéralisme en Alle-
magne », Revue de la recherche juridique. Droit prospectif, 1989, 3, p. 553-568.
Subsidiarité et Allemagne chrétienne. La condition fédérale 353

« Cet État que l’on peut dire totalitaire, loin d’être


caractérisé par l’intensification et l’extension endogène
des mécanismes d’État, cet État dit totalitaire n’est
pas du tout l’exaltation de l’État, mais constitue, au
contraire, une limitation, un amoindrissement, une
subordination de l’autonomie de l’État, de sa spécificité
et de son fonctionnement propre — par rapport à quoi ?
Par rapport à quelque chose d’autre qui est le parti1. »
«  Quand on regarde la manière dont a fonctionné
l’Allemagne nationale-socialiste, je crois que le moins
qu’on puisse dire c’est que [...] ça a été la tentative la plus
systématique de mise en état de dépérissement de l’État2. »

III. DU LIBÉRALISME GERMANIQUE


À LA SUBSIDIARITÉ (FONCTIONNELLE)

Mieux saisir les paradoxes fondateurs de l’État post-totalitaire allemand sup-


pose d’ajouter une seconde étape au raisonnement. Nous venons de démontrer
avec quel succès le Bund avait résisté à la revendication subsidiariste des
Länder. En retour, il ne faudrait pas conclure trop hâtivement de cette victoire
l’idée d’un quelconque échec de la subsidiarité. C’est encore à l’intérieur de la
culture de la subsidiarité, sur un terrain moins territorial que fonctionnel, qu’il
faut saisir, dans sa continuité historique, le substrat idéologique de l’État alle-
mand. Tout comme l’Église catholique en quelque sorte, et toutes proportions
gardées, le Bund défend la subsidiarité pour mieux refuser de se l’appliquer à
soi-même (sauf à y trouver une justification le dédouanant de ses responsabi-
lités sociales). Illustration supplémentaire de la profonde ambiguïté d’un
concept qui cristallise une culture politique jusque dans ses contradictions
mêmes, en en épousant les évolutions et, pour ainsi dire, en les configurant par
avance. Là encore, nous verrons en quoi, la subsidiarité peut aider à mettre en
lumière le ressort typiquement chrétien de la renaissance politique et écono-
mique de la République fédérale. Et n’ayons pas peur de la répétition : le retour
sur l’histoire récente de l’Allemagne répond à un objectif plus large qui devra
trouver à s’éclairer plus explicitement au fil de ces pages : la progression logique
qui va de la reconstruction allemande à la construction européenne.
Nous avons brossé le portrait de l’Allemagne des années zéro sur le terrain
du fédéralisme en nous reportant à la Constitution au sens institutionnel du
terme (la constitution politique) ; il reste à compléter le tableau par une étude sur
le libéralisme post-totalitaire en nous reportant cette fois à la constitution éco-
nomique : ce qu’il est convenu d’appeler l’économie sociale de marché (soziale
Marktwirtschaft), selon le slogan lancé par Alfred Müller-Armack dès 19463.

1. M. FOUCAULT, Leçon du 7 mars 1979, Naissance de la biopolitique. Cours au Collège de


France, 1978-1979, éd. M. Senellart, Paris, Gallimard, Le Seuil, 2004, p. 196.
2. M. FOUCAULT, Leçon du 7 février 1979, ibid., p. 115.
3. Nous aurons à y revenir plus bas. Citons d’ores et déjà  : A.  MÜLLER-ARMACK, Wirt-
schaftslenkung und Marktwirtschaft [1946], Munich, Kastell, 1990 ; « Die Wirtschaftsordnungen
354 La subsidiarité germanique...

1. L’ORDOLIBÉRALISME, UN LIBÉRALISME POST-TOTALITAIRE


Sur le terrain fédéral-institutionnel comme sur le terrain libéral-écono-
mique, l’enjeu de la reconstruction allemande peut se formuler en des termes
identiques  : refonder une souveraineté en évitant à tout prix les questions
d’ordre politique. Par la cruelle mise au jour de la nature totalitaire de l’État, le
nazisme les aurait non pas contaminées mais irrémédiablement disqualifiées.
Aussi, de la même manière que le fédéralisme sera considéré comme la voie la
plus sûre pour empêcher la reconstitution d’un pouvoir politique oppressif,
l’économie libérale apparaîtra-t-elle comme le registre le plus approprié pour
se prémunir des dangers d’une souveraineté politique trop menaçante. Rien
d’étonnant, donc, au-delà même de la question des exigences alliées, à ce que
la mise en œuvre de la réforme monétaire précède d’une année l’adoption de la
Loi fondamentale1. En se reconstruisant sous la forme d’un «  État radicale-
ment économique », la RFA ne faisait, semble-t-il, que tirer toutes les consé-
quences du traumatisme nazi : l’anéantissement définitif de la légitimité poli-
tique de l’État. « L’histoire avait dit non à l’État allemand2. » C’est là ce que
Michel Foucault appelle le «  coup de force théorique  » des autorités alle-
mandes au lendemain de la Seconde Guerre mondiale : avoir réussi à établir
comme évidente la culpabilité irrémédiable de l’État au moyen d’une disquali-
fication générale par le pire. Même établie sur un diagnostic erroné, cette
«  fondation légitimante  » «  de l’État à partir de l’institution économique  »
s’est révélée particulièrement efficace. L’expérience européenne le montrera
plus tard, elle se présentait comme la meilleure solution pour cantonner l’ins-

Sozial gesehen », Ordo, 1948, 1, p. 125-154 ; « Soziale Marktwirtschaft », Handwörterbuch der


Sozialwissenschaften, dir. E.  von BECKERATH, C.  BRINKMANN, E.  GUTEN-BERG,
G. HABERLER, et al., Stuttgart, Fischer, Mohr, 1956, IX, p. 390-392. Sur le lien entre subsidia-
rité et soziale Marktwirtschaft, cf. R. HASSE, H. SCHNEIDER, K. WEIGELT, éd., Lexikon
Soziale Marktwirtschaft. Wirtschaftspolitik von A bis Z, Paderborn, Schöningh, 2002.
1. Nous faisons référence aux deux réformes fondatrices orchestrées par Ludwig Erhard en
1948 : la réforme monétaire du 20 juin (mise en place du deutsche Mark) et la libération consé-
cutive des prix du 24  juin. Du point de vue américain, ces réformes économiques s’inséraient
bien sûr dans une stratégie de containment  : assurer la pérennité économique à l’Ouest pour
affronter l’ennemi soviétique à l’Est. On sait que l’URSS répondra par le blocus de Berlin. Sur la
politique économique allemande au lendemain de la guerre, cf. P.-A. KUNZ, L’Expérience néo-
libérale allemande dans le contexte international des idées, Thèse de doctorat en science poli-
tique, dir. W.  Röpke, Genève, IUHEI, Lausanne, Imprimerie centrale, 1962 ; F.  BILGER, La
Pensée économique libérale dans l’Allemagne contemporaine, Paris, LGDJ, 1964 ; J. FRAN-
ÇOIS-PONCET, La Politique économique de l’Allemagne occidentale, Paris, Sirey, 1970.
2. M.  FOUCAULT, Leçon du 31  janvier 1979, Naissance de la biopolitique, op. cit., p.  87.
« L’économie, écrit-il plus loin, [...] est une discipline qui commence à manifester non seulement
l’inutilité, mais l’impossibilité d’un point de vue souverain, d’un point de vue souverain sur la
totalité de l’État qu’il a à gouverner. » (Leçon du 28 mars 1979, ibid., p. 286). L’analyse foucal-
dienne, à laquelle nous nous référerons de manière systématique, est peut-être, sur ce point,
excessive, mais a le mérite de souligner combien l’État ouest-allemand a voulu se reconstituer
comme État sans souveraineté. Nous n’adhérons pas, ici, aux critiques que Michel Senellart
adresse à Foucault sur la notion de « phobie de l’État » (M. SENELLART, « L’ordolibéralisme
allemand dans la problématisation foucaldienne du libéralisme contemporain  », Économie et
théories économiques en histoire du droit et en philosophie, dir. J.-F. KERVÉGAN, H. MOHN-
HAUPT, Francfort, Klostermann, 2004, p. 271-294). Ce qui ne veut pas dire que nous n’avons
pas de critiques à formuler sur la lecture foucaldienne de l’ordolibéralisme.
Subsidiarité et Allemagne chrétienne. La condition fédérale 355

titution politique dans une fonction régulatrice de l’économie1 ; l’économie :


domaine d’activité par excellence refusant la souveraineté qui aura beau jeu
après-guerre de se présenter comme la seule sphère encore disponible à même
d’assumer l’extériorité du monde2. Mais le jeu se fera dialectique : c’est aussi
via l’ordolibéralisme, entre autres déterminants, que l’Allemagne post-totali-
taire s’acclimate à l’économie moderne3. Ressourcement virginal auprès du
marché en quelque sorte  : si, dans la conscience allemande, l’économie n’a
jamais subi la même infériorisation qu’en France, elle se trouve, après 1945,
surinvestie d’une nouvelle dignité.
L’ordolibéralisme cristallise l’essentiel du substrat conceptuel de la consti-
tution économique de l’Allemagne en même temps que le principal ressort de
légitimation de l’État allemand4. Plus que nombreuses sont les interférences
entre la politique économique de Ludwig Erhard et la théorie ordolibérale.
Rappelons, ici, deux indices essentiels. 1o 1948 : année à la fois de la mise en
place des premières réformes économiques et de la naissance d’Ordo, revue
qui donne son nom au courant ordolibéral. 2o Le Conseil scientifique (wis-
senschaftlicher Beirat) du futur Vice-Chancelier est majoritairement composé
de théoriciens ordolibéraux  : Walter Eucken, Franz Böhm, Alfred Müller-
Armack5. Mais il y a plus : largement diffusés pendant les deux décennies 1950
et 1960, les principes du renouveau libéral post-totalitaire allemand seront le
plus souvent adossés à un engagement européen en faveur du fédéralisme.
Telle est la quadrature du cercle : l’Allemagne comme matrice de l’Europe,
l’Allemagne comme modèle pour la dilution européenne du politique, via le
fédéralisme et via l’économie6. Si, en matière institutionnelle, l’Europe s’est

1. M. FOUCAULT, Leçon du 31 janvier 1979, Naissance de la biopolitique, op. cit., p. 85-87.


Pour une perspective critique due à deux économistes, cf. J.-Y. GRENIER, A.  ORLÉAN,
« Michel Foucault, l’économie politique et le libéralisme », Annales, 2007, 5, p. 1155-1182. Avant
même l’édition récente du Cours de 1979, en 2004, on disposait d’une importante étude de
Thomas Lemke (T. LEMKE, « The Birth of Biopolitics : Michel Foucault’s Lecture at the Col-
lège de France on Neoliberal Governmentality », Economy and Society, 2001, 30 (2), p. 190-207).
2. Cf., ici encore, les précieuses analyses de Michel Senellart sur Giovanni Botero : M SENEL-
LART, Machiavélisme et raison d’État, op. cit. ; « La raison d’État antimachiavélienne. Essai de
problématisation », La Raison d’État, dir. C. LAZZERI, D. REYNIÉ, op. cit., p. 15-42.
3. Entre autres déterminants certes, mais la grammaire ordolibérale nous semble tout à fait
exemplaire de la dynamique économique de glissement des sphères propre à la modernité. Au
sens, déjà évoqué, de Karl Polanyi et de Louis Dumont (K. POLANYI, La Grande transforma-
tion. Aux origines politiques et économiques de notre temps [1944], trad. fr. C. Malamoud, Paris,
Gallimard, 1983 ; L. DUMONT, Homo aequalis I [1977], Paris, Gallimard, 1999).
4. Non sans avoir quelques parentés avec le néolibéralisme de provenance anglo-saxonne qui a
essaimé sur toute la planète depuis les années 1970, l’ordolibéralisme, lointain héritier des
sciences camérales, possède néanmoins une logique propre et endogène. Nous y reviendrons,
Cf., à ce stade, les travaux de Christian Laval (P. DARDOT, C. LAVAL, La Nouvelle raison du
monde. Essai sur la société néolibérale, Paris, La Découverte, 2009 ; C. LAVAL, L’Homme éco-
nomique. Essai sur les racines du néolibéralisme, Paris, Gallimard, 2007). Nous nous intéressons
ici au seul néolibéralisme allemand des années 1948-1962, période pour laquelle on peut à bon
droit lui attribuer l’essentiel de la paternité du miracle économique allemand.
5. Le wissenschaftlicher Beirat fut créé en avril 1948 au sein de l’administration allemande
chargée des affaires économiques pour la bizone anglo-américaine. Ludwig Erhard devient
ministre de l’Économie en 1951 et se voit attribuer le titre de Vice-Chancelier fédéral.
6. Citons ici deux articles du publiciste Léontin-Jean Constantinesco écrits à près de vingt ans de
distance, mais qui ne dissimulent pas la profonde parenté de leur objet respectif  : la consti-
356 La subsidiarité germanique...

beaucoup inspirée du régime fédéral allemand, l’influence du libéralisme ger-


manique n’a pas été moins importante en matière économique. Économie de
marché et libre concurrence (wirtschaftsverfassungsrechtliches Grund-
prinzip), stabilité monétaire et lutte contre l’inflation (le souvenir du trauma-
tisme de 1923 est encore frais), confiance dans les mécanismes concurrentiels
et régulation institutionnelle des marchés  : tous ces principes présideront
au redressement de l’économie ouest-allemande, comme ils contribueront à
donner une coloration particulière à la construction européenne. Dans les
deux cas, une même inversion de l’économique et du politique, un même rôle
fondateur de la norme juridique (mais une norme économicisée), une même
fétichisation de la monnaie. Ce n’est bien sûr pas l’Allemagne, précisons-le,
qui, du haut de sa puissance économique et monétaire, a imposé son modèle
ordolibéral au continent ; ce sont les acteurs de la construction européenne
eux-mêmes qui ont donné un tour ordolibéral à l’Union1. Relevons d’ailleurs
l’effet d’optique qu’il y a à autant insister sur le legs allemand du modèle ins-
titutionnel et économique européen : la définition même de notre objet nous
y conduit, mais cette contingence épistémologique n’efface rien des autres
héritages nationaux2.

tution économique de la RFA d’une part, la constitution économique de la CEE d’autre part (L.-J.
CONSTANTINESCO, «  La constitution économique de la République fédérale allemande  »,
Revue économique, 1960, 11 (2), p. 266-290 ; « La constitution économique de la CEE », Revue
trimestrielle de droit européen, 1977, 13 (2), p. 244-281). La continuité Allemagne-Europe se per-
çoit jusque dans les biographies et itinéraires personnels. Alfred Müller-Armack, pour ne prendre
que ce seul exemple, proche collaborateur du Vice-Chancelier Erhard après-guerre, père intellec-
tuel de l’économie sociale de marché, sera aussi, en tant que membre de la délégation allemande au
sein de la Conférence intergouvernementale pour le Marché commun, l’un des principaux concep-
teurs de la CEE. Après avoir œuvré à la signature des traités de Rome, il deviendra secrétaire d’État
en charge des Affaires européennes. Cf. P.  COMMUN, «  La contribution d’Alfred Müller-
Armack à l’initiation d’un ordre économique libéral en Europe de 1958 à 1963  », Le Couple
France-Allemagne et les institutions européennes, dir. M.-T. BITSCH, Bruxelles, Bruylant, 2001,
p.  171-190. Sans qu’il y ait la moindre intention perfide dans cette précision, n’oublions pas
qu’Alfred Müller-Armack fut sympathisant du national-socialisme.
1. Sur ce point précis, cf. F. DENORD, « Néolibéralisme et “économie sociale de marché” : les
origines intellectuelles de la politique européenne de la concurrence, 1930-1950 », Histoire, éco-
nomie et société, 2008, 1, p. 23-33 ; F. DENORD, A. SCHWARTZ, « L’économie (très) poli-
tique du traité de Rome », Politix, 2010, 23 (89), p. 33-56 ; A. COHEN, A. VAUCHEZ, dir., La
Constitution européenne, Bruxelles, Éditions de l’Université de Bruxelles, 2007 ; C. JOERGES,
«  La constitution économique européenne en processus et en procès  », trad. fr. J.-A. Kara-
giannis, D.  Jacobs, Revue internationale de droit économique, 2006, 20 (3), p.  245-284 ;
L.  AZOULAI, «  L’ordre concurrentiel et le droit communautaire  », Mélanges A.  Pirovano,
Paris, Éditions Frison-Roche, 2003, p. 277-310 ; L. SIMONIN, « Ordolibéralisme et intégration
économique européenne  », Revue d’Allemagne et des pays de langue allemande, 2001, 33 (1),
p.  65-88 ; T.  DÖRING, «  Das Subsidiaritätsprinzip in der Europäischen Union. Konkretisie-
rungsversuche und offene Fragen in ökonomischer Sicht  », Ordo, 1996, 47, p.  293-323 ;
D. J. GERBER, « Constitutionalizing the Economy : German Neoliberalism, Competition Law
and the “New” Europe », The American Journal of Comparative Law, 1994, 42 (1), p. 25-84.
2. Pensons, par exemple, à l’influence du droit administratif français (spécialement du droit du
contentieux) sur la formalisation des techniques juridictionnelles de l’Union (l’élaboration du
règlement de procédure doit beaucoup à Maurice Lagrange, conseiller d’État, qui deviendra le
premier avocat général français à la Cour de Luxembourg). Mentionnons le caractère écrit de la
procédure, l’imposition du français comme langue unique du délibéré, la profonde parenté entre
recours en annulation et recours pour excès de pouvoir mais aussi entre avocat général et com-
missaire du gouvernement. Qu’il suffise enfin de rappeler l’absence de publication des opinions
Subsidiarité et Allemagne chrétienne. La condition fédérale 357

Récemment levée au détriment de l’empreinte démocrate-chrétienne, l’oc-


cultation de cette racine ordolibérale nous invite à montrer en quoi la subsi-
diarité établit un pont entre l’économie ordolibérale et le fédéralisme démo-
crate-chrétien. Elle permet également d’écarter un autre malentendu, celui
qui consisterait à faire de l’économie sociale de marché la simple mise en
pratique concrète des préceptes ordolibéraux. Il faut bien sûr distinguer entre
l’ordolibéralisme en tant que doctrine théorique et l’économie sociale de
marché en tant que réalité politique1. C’est la subsidiarité, encore une fois,
qui autorise à réunir ces deux éléments dans une même culture politique,
étant d’ailleurs entendu que la soziale Marktwirtschaft n’est pas beaucoup
plus réelle que la théorie ordolibérale dans laquelle elle a trouvé sa principale
source d’inspiration ; elle constitue bien davantage une représentation sym-
bolique, une valeur fétiche, qui joue en Allemagne à peu près le même rôle
totémique que le service public en France.

Reprenons une à une ces trois entrées complémentaires dans notre maté-
riau : ordolibéralisme, économie sociale de marché, culture de la subsidiarité.
L’ordolibéralisme d’abord. Compris au sens strict, sa version théorique
présente des contours précis, prioritairement repérables dans les textes d’au-
teurs identifiés comme tels (Walter Eucken, Hans Grossmann-Doerth, Franz
Böhm). Ce n’est pas cet ordolibéralisme fribourgeois (École de Fribourg) qui
nous importe ici ; nous nous intéressons à une forme plus diffuse, moins
théorique que culturelle (Wilhelm Röpke, Alexander Rüstow, Alfred Müller-
Armack), la version allemande du libéralisme post-totalitaire telle qu’elle
s’exprime dans la pratique et le discours de certains acteurs (Ludwig Erhard) ;
un ordolibéralisme constitutif avec d’autres éléments (le fédéralisme surtout)

dissidentes sur les arrêts rendus (en vertu du principe de collégialité). Sur tous ces points,
cf. J. RIDEAU, et al., La France et les Communautés européennes, Paris, LGDJ, 1975.
1. Cf. les recueils élaborés par la Ludwig-Erhard Stiftung  : H.  F. WÜNSCHE, W.  STÜTZEL,
C.  WATRIN, H.  WILLGERODT, K.  HOHMANN, éd., Grundtexte zur sozialen Marktwirt-
schaft I-II, Stuttgart, New York, Fischer, 1981-1988. Pour une mise au point sur ces différentes
notions, cf. R. PTAK, Vom Ordoliberalismus zur sozialen Marktwirtschaft. Stationen des Neolibe-
ralismus in Deutschland, Opladen, Leske und Budrich, 2004 ; « Soziale Marktwirtschaft und Neoli-
beralismus. Ein deutscher Sonderweg ?  », Neoliberalismus. Analysen und Alternativen, dir.
C. BUTTERWEGGE, B. LÖSCH, R. PTAK, Wiesbaden, Verlag für Sozialwissenschaften, 2008,
p. 69-89 ; « Neoliberalism in Germany. Revisiting the Ordoliberal Foundations of the Social Market
Economy », The Road From Mont Pèlerin : The Making of Neoliberalism Thought Collective, éd.
P. MIROWSKI, D. PLEHWE, Cambridge, Harvard University Press, 2009, p. 98-138. Cf. égale-
ment R. BLUM, Soziale Marktwirtschaft. Wirtschaftspolitik zwischen Neoliberalismus und Ordoli-
beralismus, Tübingen, Mohr, 1969 ; F. HOLZWARTH, « Ludwig Erhards Lehre von der sozialen
Marktwirtschaft », Ordo, 1982, 33, p. 323-333 ; V. J. VANBERG, « “Ordnungstheorie” as a Consti-
tutional Economics : The German Conception of a “Social Market Economy” », ibid., 1988, 39,
p. 17-31 ; P. OBERENDER, « Der Einfluss ordnungstheoretischer Prinzipien Walter Euckens auf
die deutsche Wirtschaftspolitik nach dem Zweiten Weltkrieg : Eine ordnungspolitische Analyse »,
ibid., 1989, 40, p.  321-349 ; D.  HASELBACH, Autoritärer Liberalismus und soziale Marktwirt-
schaft, Gesellschaft und Politik im Ordoliberalismus, Baden-Baden, Nomos, 1991 ; H.  F. WÜN-
SCHE, « Ludwig Erhards soziale Marktwirtschaft », Ordo, 1994, 45, p. 151-167 ; A. SCHÜLLER,
« Soziale Marktwirtschaft und Dritte Wege », ibid., 2000, 51, p. 169-202 ; P. KOSLOWSKI, éd., The
Theory of Capitalism in the German Economic Tradition, Berlin, New York, Springer, 2000.
358 La subsidiarité germanique...

d’une véritable culture politique1. Disons, en résumé, que, via Ludwig


Erhard, il y a moins application d’un ordolibéralisme pur qu’influence d’un
ordolibéralisme sociologique de type röpkien sur la politique allemande. Le
fait même que deux des principales lois touchant le cœur névralgique de la
doctrine de l’ordolibéralisme — la loi sur la Banque centrale (Bundesbankge-
setz) et la loi anticartels (Kartellgesetz) — soient votées non en 1948, comme
celles précédemment mentionnées, mais neuf ans plus tard, en 1957, montre
bien que la reconstruction économique du pays n’a pas été dictée par les seuls
préceptes ordolibéraux. Par-delà la parenthèse nazie, les acteurs politiques
allemands restent engagés sur un chemin de dépendance (path dependency)
vis-à-vis des pratiques antérieures : prégnance du corporatisme et du provi-
dentialisme bismarckien notamment.
L’économie sociale de marché ensuite, qui, ne doit pas être confondue avec
le Sozial-Staatspostulat, tel que consigné à l’article 20 de la Loi fondamentale2.
De la même manière qu’il faut se garder d’assimiler Europe sociale et économie
sociale de marché à l’européenne, il importe de bien distinguer entre économie
sociale de marché et État social à l’allemande3. Hérité du Chancelier Bismarck,
le Sozialstaat puise dans une ancienne tradition déjà évoquée, celle du piétisme
luthéro-spenérien, réaffirmée au lendemain de la guerre concomitamment à la
redécouverte de la dimension matérielle de l’État de droit (materieller Rechts-
staat). La soziale Marktwirtschaft n’est donc pas qu’une simple réaction
rédemptrice au IIIe Reich venant légitimer le nouvel État naissant ; elle s’inscrit
dans une longue tradition d’interventionnisme étatique4.

1. Comme y avait insisté Adolf Süsterhenn lui-même, cette rencontre entre fédéralisme et libé-
ralisme désigne doublement Wilhelm Röpke (A.  SÜSTERHENN, dir., Föderalistische Ord-
nung, Coblence, Rhenania, 1961). Rappelons que l’École de Fribourg se structure dès les années
1930. Walter Eucken occupe la chaire d’économie de l’Université fribourgeoise à partir de 1928 ;
Hans Grossmann-Doerth y prend ses fonctions en 1932 peu avant l’arrivée de Franz Böhm.
Écrit à six mains, le premier manifeste théorique de l’ordolibéralisme date de 1937
(W. EUCKEN, H. GROSSMANN-DOERTH, F. BÖHM, « Unsere Aufgabe », Ordnung der
Wirtschaft, Stuttgart, Kohlhammer, 1937). Cf. W. EUCKEN, « Staatliche Strukturwandlungen
und die Krise des Kapitalismus », Weltwirtschaftliches Archiv, 1932, 36, p. 297-323 ; Die Grund-
lagen der Nationalökonomie [1940], Berlin, New York, Springer, 1989 ; « Das Ordnungspoliti-
sche Problem », Ordo, 1948, 1, p. 56-90 ; F. BÖHM, Die Ordnung der Wirtschaft als geschicht-
liche Aufgabe und rechtsschöpferische Leistung, Berlin, Stuttgart, Kohlhammer, 1937.
2. Cf. H.  F. ZACHER, «  Der Sozialstaat als Aufgabe der Rechtswissenschaft  », Mélanges
L.-J. Constantinesco, éd. G. LÜKE, et al., Berlin, Cologne, et al., Heymanns, 1983, p. 943-878.
3. Contra  : M.  ALBERT, Capitalisme contre capitalisme, Paris, Le Seuil, 1991). Dix ans plus
tard, le même auteur se place sous l’étendard de la subsidiarité (M. ALBERT, J. BOISSONNAT,
M. CAMDESSUS, Notre foi dans ce siècle, Paris, Arléa, 2001, surtout le ch. 4).
4. Sur la dimension sociale du protestantisme allemand, cf. T. JÄHNICHEN, N. FRIEDRICH,
« Geschichte der sozialen Ideen im deutschen Protestantismus », Geschichte der sozialen Ideen
in Deutschland. Sozialismus, katholische Soziallehre, protestantische Sozialethik [2000], éd.
H. GREBING, Wiesbaden, Verlag für Sozialwissenschaften, 2005, p. 865-112 ; F. von AUER,
F.  SEGBERS, éd., Sozialer Protestantismus und Gewerkschaftsbewegung  : Kaiserreich, Wei-
marer Republik, Bundesrepublik Deutschland, Cologne, Bundverlag, 1994. La tradition inter-
ventionniste sera particulièrement marquée sous l’ère bismarckienne puis sous la République de
Weimar. Cf., notamment, W.  ABELSHAUSER, «  Die Weimarer Republik, ein Wohlfahrts-
staat ?  », Die Weimarer Republik als Wohlfahrtsstaat. Zum Verhältnis von Wirtschafts- und
Sozialpolitik in der Industriegesellschaft, éd. W.  ABELSHAUSER, Stuttgart, Steiner, 1987,
p.  9-31 ; «  Aux origines de l’économie sociale de marché. État, économie et conjoncture dans
Subsidiarité et Allemagne chrétienne. La condition fédérale 359

La culture de la subsidiarité enfin. Située au carrefour de la tradition chré-


tienne et de la doctrine ordolibérale, elle permet d’identifier ce qu’il y a de
spécifiquement chrétien dans le libéralisme allemand : son rapport très para-
doxal à l’État, ainsi que la tentative, très significative, pour faire se rejoindre
soziale Marktwirtschaft et Sozialstaat, en adéquation avec la ligne défendue
par l’Église.
Mieux qu’aucun autre, Michel Foucault a démontré à quel point la
« phobie » ordolibérale de l’État s’enracinait dans le traumatisme totalitaire :
le nazisme comme vérité de l’État classique. Il y aurait non pas une affinité
élective mais
« Une parenté, une sorte de continuité génétique, d’implication évolutive entre
différentes formes d’État, l’État administratif, l’État-providence, l’État
bureaucratique, l’État fasciste, l’État totalitaire, tout ceci étant [...] les rameaux
successifs d’un seul et même arbre qui pousserait dans sa continuité et dans son
unité et qui serait le grand arbre étatique1. »
Cette lucidité foucaldienne est d’autant plus notable que l’on connaît par
ailleurs sa critique sans concession de la souveraineté ; concept accusé de juri-
disme auquel il a voulu substituer celui de gouvernementalité, mieux adapté à
la nouvelle configuration économique. Il aurait pu, fascination pour son objet
aidant, embrayer le pas aux discours des acteurs étudiés et entériner scienti-
fiquement le diagnostic ordolibéral. Il n’en a rien été. Foucault critique sans
détour le simplisme de cette dénonciation de l’État, qui prétexte une irré-
versibilité de son extension sans limite pour mieux le disqualifier dans ses
fondements institutionnels. La gouvernementalité nazie, précise-t-il, et plus
généralement la « gouvernementalité [totalitaire] de parti », n’est en rien assi-
milable à la gouvernementalité étatique traditionnelle. Si les responsables
politiques allemands de l’immédiat après-guerre, le Chancelier Konrad Ade-
nauer et son ministre des Affaires économiques Ludwig Erhard en premier
lieu, avaient beau jeu de brandir le nazisme comme « champ d’adversité »2,
n’était-ce pas in fine pour justifier le rôle de l’État, et donc leur pouvoir, sur
des bases radicalement nouvelles, purifiées de la compromission hitlérienne ?
La stratégie et le discours des acteurs sont une chose ; le regard historiogra-
phique en est une autre.
À cette analyse foucaldienne, nous voudrions cependant apporter deux
atténuations convergentes. Premier bémol : le choc entre la profession de foi
antijuridique de Michel Foucault et son traitement du cas ordolibéral3. Alors

l’Allemagne du xxe siècle », trad. fr. F. Laroche, Vingtième Siècle, 1992, 34 (1), p. 175-191. Nous
reviendrons sur la congruence avec le solidarisme peschien revendiquée par le Père Nell-Breu-
ning lui-même. La tradition du jésuitisme catholique avait déjà exercé une influence importante
sous la République de Weimar. Elle sera également revivifiée dans les années d’après-guerre.
Cf. A. BAUMGARTNER, Sehnsucht nach Gemeinschaft. Ideen und Strömungen im Sozialka-
tholizismus der Weimarer Republik, Munich, Paderborn, Vienne, Schöningh, 1977.
1. M. FOUCAULT, Leçon du 7 mars 1979, Naissance de la biopolitique, op. cit., p. 192.
2. M. FOUCAULT, Leçon du 7 février 1979, ibid., p. 105.
3. Replacée dans le cadre du projet foucaldien (la reconstitution des logiques qui ont historique-
ment présidé à l’entrée de l’économie politique dans « l’art de gouverner »), la gouvernementalité se
présente comme la notion qui doit permettre de s’extraire du concept juridique de souveraineté
pour penser le pouvoir sur le terrain concret des « manières de faire » (M. FOUCAULT, Leçon du
360 La subsidiarité germanique...

même qu’il se donnait pour objectif de ne pas entrer abstraitement et par le


haut, dans son sujet, afin de privilégier un regard attentif aux « manières de
faire » les plus anodines, le philosophe opère un glissement constant qui va
subrepticement de la théorie de l’ordolibéralisme à la réalité de l’économie
sociale de marché, sans que le saut ne soit ni annoncé ni perceptible. Nous ne
souhaitons pas, à vrai dire, combler cette lacune mais tenons simplement
assumer ici notre parti pris  : considérer le discours des acteurs en lien
(conscient ou non) avec leurs pratiques concrètes. Objectif qui nous ramène à
notre idée de culture politique et, au-delà des césures scandées par l’histoire,
au-delà des inflexions dictées par les exigences de chaque époque, dessine la
voie des évolutions endogènes propres à l’expérience allemande. Second
bémol : l’analyse foucaldienne du néolibéralisme comporte, nous semble-t-il,
un point aveugle, qui conduit le philosophe à des amalgames trop rapides1.
Nous voulons parler en particulier du fonds chrétien dans lequel puise
l’ordolibéralisme. Directement emprunté à Augustin et Thomas, le concept
d’Ordo ne constitue-t-il pas à lui seul un révélateur et un indicateur précieux ?

1er  février 1978, Sécurité, territoire, population. Cours au Collège de France, 1977-1978, éd.
M. Senellart, Paris, Gallimard, Le Seuil, 2004, p. 111-112 ; Dits et écrits, II. 1976-1988, éd. D. Defert,
F. Ewald, Paris, Gallimard, 2001, p. 944 sq., p. 1604 sq.). « Il faut, dit Foucault, étudier le pouvoir
hors du modèle du Léviathan, hors du champ délimité par la souveraineté juridique et l’institution
de l’État. Il s’agit de l’analyser à partir des techniques et tactiques de domination.  » (Leçon du
14 janvier 1976, « Il faut défendre la société ». Cours au Collège de France, 1976-1977, éd. M. Ber-
tani, A. Fontana, Paris, Gallimard, Le Seuil, 1997, p. 30). Le cours suivant débute par un « adieu à la
théorie de la souveraineté » (Ibid., p. 37). Le rejet du droit par Foucault doit se comprendre en lien
avec son souci d’appréhender le pouvoir dans sa réalité quotidienne, non du point de vue d’une
prétendue légitimité institutionnelle. Cf. D. SÉGLARD, « Foucault et le problème du gouverne-
ment », La Raison d’État, dir. C. LAZZERI, D. REYNIÉ, op. cit., p. 117-140 ; M. SENELLART,
« Michel Foucault : “gouvernementalité” et raison d’État », La Pensée politique, 1993, 1, p. 276-
303 ; M.  ABELÈS, «  Michel Foucault, l’anthropologie et la question du pouvoir  », L’Homme,
2008, 187-188, p. 105-122. Sur l’antijuridisme du philosophe, qui se donne cependant une défini-
tion très changeante du droit, cf. F. EWALD, « Pour un positivisme critique : Michel Foucault et la
philosophie du droit », Droits, 1986, 3, p. 137-142 ; T. BERNS, « Souveraineté, droit et gouverne-
mentalité », Archives de philosophie du droit, 2002, 46, p. 351-364 ; Souveraineté, droit et gouverne-
mentalité, Paris, Leo Scheer, 2005 ; M.  ALVES da  FONSECA, «  Michel Foucault et le droit  »,
Tisser le lien social, éd. A. SUPIOT, Paris, Éditions de la MSH, 2004, p. 163-174.
1. Pour une généalogie conceptuelle, cf. H.  WILLGERODT, «  Der Neoliberalismus  : Enste-
hung, Kampfbegriff und Meinungsstreit », Ordo, 2006, 57, p. 47-89 ; P. MIROWSKI, « Defining
Neoliberalism  », The Road From Mont Pèlerin, éd. P.  MIROWSKI, D.  PLEHWE, op. cit.,
p. 417-455. Des liens de parenté existent bien sûr au sein du néolibéralisme : un même rejet de
l’illusion naturaliste du marché (le marché comme état naturel de la société), à laquelle on subs-
titue l’idéal de la concurrence ; une même critique des dogmes manchestériens (État « veilleur-
de-nuit », libre-échangisme) auxquels on impute la responsabilité de l’impasse économique de
l’entre-deux-guerres (la croissance des pouvoirs de l’État libéral a détruit l’économie de marché) ;
un même attachement au capitalisme (ce n’est pas le capitalisme qui a échoué mais son encadre-
ment étatique  : le dirigisme, le planisme, le welfarisme, le collectivisme). Mais ils ne peuvent
occulter les divergences entre l’École de Fribourg et l’École de Chicago (Friedrich Hayek,
Milton Friedman). Sur les rapports entre Hayek et l’École de Fribourg, cf., par exemple,
V. J. VANBERG, « Friedrich A. Hayek und die Freiburger Schule », Ordo, 2003, 54, p. 3-20.
Héritier de l’économiste autrichien Ludwig von Mises (L. von MISES, Kritik des Interventio-
nismus : Untersuchungen zur Wirtschaftspolitik und Wirtschafts-ideologie der Gegenwart [1929],
Darmstadt, Wissenschaftliche Buchgesellschaft, 1976 ; L’Action humaine. Traité d’économie
[1949], trad. fr. R. Audouin, Paris, PUF, 1985 ; Omnipotent Government. The Rise of the Total
State and Total War, New Haven, Yale University Press, 1944), le néolibéralisme anglo-saxon
s’est structuré dès les années 1930 en réaction au New Deal rooseveltien.
Subsidiarité et Allemagne chrétienne. La condition fédérale 361

Deux failles principales qui, au total, nous invitent à insérer le paramètre de la


subsidiarité dans le champ de l’analyse foucaldienne. Au système nazisme-
ordolibéralisme, nous ajoutons donc l’équation totalitarisme-subsidiarité
pour tenter de mieux cerner la détermination religieuse des effets imputés au
totalitarisme dans le passage du libéralisme classique au libéralisme ordo.
Tout dévoué qu’il était à son projet de reconstitution de la gouvernementa-
lité néolibérale, Foucault a trop systématiquement insisté sur les parentés entre
ordolibéralisme allemand et néolibéralisme américain. La mise au jour de la
différence entre libéralisme classique et libéralisme néo supposait peut-être le
maniement d’une catégorie à la hauteur de son aînée historique. Mais le préfixe
néo se révèle par définition évasif si un point de référence n’est pas à chaque
fois spécifié. Il convient ici (particulièrement aujourd’hui où la suspicion porte
jusque sur le mot libéralisme lui-même) de se départir d’un usage trop englo-
bant du concept de néolibéralisme. Le colloque Lippmann, qui passe souvent
pour être l’acte de naissance officiel de ce courant de pensée, fut lui-même
traversé par de profondes dissensions1. Qu’il suffise de se souvenir du profond
désaccord qui opposa l’économiste libéral Ludwig von Mises au sociologue,
de sensibilité social-démocrate, Alexander Rüstow ; aux fortes divergences
d’appréciation entre un Daniel Villey, proche de la revue Esprit, qui n’hésitait
pas à se réclamer du keynésianisme2, et l’organisateur dudit colloque, Louis
Rougier3, idéologue antichrétien qui fustigeait toute forme de socialisme
libéral et s’en prenait virulemment au Front populaire ; au cocktail détonnant
d’un Louis Baudin qui vantait les mérites du néolibéralisme tout en préfaçant
les livres de Maurice Bouvier-Ajam et en célébrant le corporatisme portugais4.

1. Colloque en hommage à Walter Lippmann (W. LIPPMANN, La Cité libre [1937], trad. fr.
G. Blumberg, Paris, Librairie de Médicis, 1938) organisé à Paris du 26 au 30 août 1938 à l’initia-
tive de Louis Rougier et du Centre international d’études pour la rénovation du libéralisme
(Colloque Walter Lippmann (26-30 août 1938), Paris, Librairie de Médicis, 1939). Cf. les ana-
lyses de Serge Audier qui mettent au jour les disparités idéologiques du courant (S. AUDIER,
Le Colloque Lippmann. Aux origines du néolibéralisme, Lormont, Le Bord de l’eau, 2008).
2. Proche d’Esprit avant-guerre et de Robert Schuman après, l’économiste Daniel Villey, frère
de Michel, se fera remarquer par un engagement actif en faveur du fédéralisme européen. Fonda-
teur des Volontaires de l’Europe, il sera en première ligne lors de la création du Conseil européen
de vigilance, qui regroupera de nombreux publicistes : Fernand Dehousse, Altiero Spinelli, Hans
Nawiasky, Georges Scelle (D. VILLEY, « Du “serment du Jeu de Paume” au Comité européen
de vigilance  », Fédération, 1950, 70, p.  492-496). Fervent catholique, économiste hétérodoxe,
il connaît une trajectoire assez proche de celle de Röpke (D. VILLEY, « L’économie de mar-
ché devant la pensée catholique  », Revue d’économie politique, 1954, 64, p.  936-983 ; «  Die
Marktwirtschaft im katholischen Denken », trad. all. E. Röpke, Ordo, 1955, 7, p. 23-69).
3. L. ROUGIER, Les Mystiques économiques. Comment l’on passe des démocraties libérales aux
États totalitaires, Paris, Librairie de Médicis, 1938. Philosophe antichrétien et adepte du positi-
visme logique (membre du Cercle de Vienne), Louis Rougier critiquait férocement la mystique
corporatiste qui séduisait pourtant nombre de participants au colloque (L. ROUGIER, La Mys-
tique démocratique. Ses origines, ses illusions, Paris, Flammarion, 1929 ; Les Mystiques politiques
contemporaines et leurs incidences internationales, Paris, Sirey, 1935). Compromis avec Vichy, il
a pu faire l’objet de nombreuses récupérations idéologiques par des auteurs aussi subversifs que
Julius Evola et Alain de Benoist. Cf. les mises au point critiques de François Denord
(F. DENORD, « Aux origines du néolibéralisme en France. Louis Rougier et le colloque Walter
Lippmann de 1938 », Le Mouvement social, 2001, 195, p. 9-34).
4. L. BAUDIN, Préface à M. BOUVIER-AJAM, La Doctrine corporative, Paris, Sirey, 1937 ;
Le Corporatisme, Paris, LGDJ, 1942 ; L’Aube d’un nouveau libéralisme, Paris, Librairie de
362 La subsidiarité germanique...

2. LA SUBSIDIARITÉ CHRÉTIENNE DANS L’ORDOLIBÉRALISME


Notre objectif : non pas revenir aux linéaments ordolibéraux de l’entre-deux-
guerres (ils sont déjà bien connus), mais déterminer en quoi c’est un substrat
religieux — la subsidiarité — qui explique une grande part des divergences
internes au néolibéralisme, et autorise in fine à identifier les passerelles entre
soziale Marktwirtschaft et ordolibéralisme. Deux figures, un intellectuel et un
responsable politique, retiendront plus particulièrement notre attention : Wil-
helm Röpke d’une part1, et Ludwig Erhard, d’autre part. Réunissant théorie et
pratique, elles nous permettront de mieux cerner trois séries de transfert impor-
tant : dialogue entre catholicisme et protestantisme, réconciliation entre catho-
licisme et libéralisme économique, alliage du libéralisme et du conservatisme.
Une fois encore, le repérage sémantique nous servira d’entrée méthodolo-
gique2. Röpke est en effet le premier protestant à s’emparer expressis verbis du
mot d’ordre de la subsidiarité. Certes, il ne fut pas un ordolibéral au sens strict
(il n’était pas membre à part entière de l’École de Fribourg), mais ses liens
directs avec les protagonistes de l’économie sociale de marché n’ont pas moins
fait de lui un acteur ordolibéral de tout premier plan. Il disposait de l’oreille
attentive du Chancelier Adenauer et fut surtout conseiller spécial de Ludwig
Erhard dès 1947-1948. Comme nous l’avons dit plus haut, différents niveaux
d’implication sont à distinguer au sein même de l’ordolibéralisme  : derrière
notre polarité ordolibéralisme stricto sensu-ordolibéralisme diffus, se trame en
définitive une tension conceptuelle entre la ligne idéologique des fondateurs
(Walter Eucken et Franz Böhm), de facture très technique et économico-juri-
dique, et la tendance dite sociologique, davantage attentive à l’environnement
social et aux conditions morales d’épanouissement du marché. C’est dans ce
soziologische Liberalismus que s’inscriront les Wilhelm Röpke, Alexander
Rüstow et autres Alfred Müller-Armack3. C’est également dans ce même sozio-

Médicis, 1953. À signaler également son intérêt pour la théocratie paraguayienne (L. BAUDIN,
L’État jésuite du Paraguay : une théocratie socialiste, Paris, Librairie de Médicis, 1962).
1. Également présent au colloque Lippmann, tout comme Friedrich Hayek. Représentant
chacun deux courants bien distincts, ils créèrent ensemble la Société du Mont-Pèlerin en 1947
dans le but de réunir les différentes tendances du néolibéralisme. Les divergences sont telles que
le think tank éclate en 1962. Il survivra, mais au prix d’une refondation anglo-saxonne à Chicago
(Friedrich Hayek, Milton Friedman). En même temps qu’une rupture d’ordre humain, cet échec
est donc le signe du déclin de l’ordolibéralisme et de la victoire à venir du néolibéralisme.
2. Si, faute de disponibilité sémantique, le mot subsidiarité est absent des traductions françaises
de Röpke, il est bien présent sous sa plume en allemand (W. RÖPKE, Civitas humana, éd. all.,
Erlenbach, Zurich, Rentsch, 1944, p. 179). Dans la version française de Civitas humana, le mot
apparaît sous sa forme adverbiale mais on trouve également le substantif dans l’index des notions
(W. RÖPKE, Civitas humana, op. cit, p. 378). « En partant de chaque individu et en remontant
jusqu’à la centrale étatique, le droit originel se trouve dans l’échelon inférieur et chaque échelon
supérieur n’entre en jeu subsidiairement à la place de l’échelon immédiatement inférieur que
lorsqu’une tâche excède le domaine de ce dernier. Ainsi se constitue un échelonnement de l’indi-
vidu, par delà la famille et la commune, jusqu’au canton et finalement, jusqu’à l’État central,
échelonnement qui, à la fois, limite l’État même à qui il oppose le droit propre des échelons infé-
rieurs avec leur sphère inviolable de liberté. » (Ibid., p. 161). Nous soulignons.
3. W.  RÖPKE, «  Vers la troisième voie  », Fédération, 1949, 54, p.  403-406 ; «  Kernfrage der
Wirtschaftsordnung  » [1953], Ordo, 1997, 48, p.  27-64 ; «  Blätter der Erinnerung an Walter
Eucken  », ibid., 1961, 13, p.  3-19 ; Explication de l’Allemagne [1945], trad. fr. H.  de Ziegler,
Subsidiarité et Allemagne chrétienne. La condition fédérale 363

logische Liberalismus que Ludwig Erhard viendra puiser l’essentiel de son ins-
piration, s’attachant à lui donner une traduction concrète dans le cadre de la
reconstruction post-totalitaire. Mais il y a plus : membre du Conseil scienti-
fique du ministre de l’Économie et personnellement lié à Wilhelm Röpke, le
Père Oswald von Nell-Breuning s’ajoute à notre tandem, venant en quelque
sorte constituer le troisième sommet (catholique) du triangle intellectuel1. En sa
double qualité de spécialiste des sciences sociales et de conseiller technique du
pouvoir, il remplira, comme Röpke, un rôle décisif de passeur conceptuel.
Entre le protestant Röpke et le catholique Nell-Breuning, l’accord sur
l’essentiel est très net  : une même sensibilité aux répercussions désintégra-
trices de l’individualisme, un même diagnostic sur les conséquences déshu-
manisantes du libéralisme, une même stigmatisation du matérialisme, une
même critique de l’exploitation capitaliste et de la prolétarisation, un même
refus de la massification, un même rejet du relativisme et, en retour, une
même volonté d’insuffler un élan chrétien dans la vie économique : dignité,
subsidiarité, solidarité2. Entre la nostalgie röpkienne et le diagnostic ponti-
fical sur la société moderne, en parfaite résonance avec les analyses du Père

Genève, Bourquin, 1945. Rappelons brièvement les liens profonds entre les trois. L’influence
intellectuelle de Röpke sur Alfred Müller-Armack est très nette (A.  MÜLLER-ARMACK,
« Deutung unserer Gesellchaftlichen Lage », Ordo, 1950, 3, p. 253-267 ; « Der Moralist und der
Ökonom. Zur Frage der Humanisierung der Wirtschaft  », ibid., 1970, 21, p.  19-41).
Cf. C. WATRIN, « Alfred Müller-Armack : Economic Policy Maker and Sociologist of Reli-
gion  », The Theory of Capitalism in the German Economic Tradition, éd. P.  KOSLOWSKI,
op. cit., p. 192-223. Les liens entre Röpke et Alexander Rüstow sont moins marqués par les idées
(Rüstow se revendique de la social-démocratie) que par l’amitié personnelle (nouée pendant leur
exil en Turquie). Professeur à l’Université de Marbourg, Röpke fut contraint à fuir l’Allemagne
dès 1933. Accueilli à Istanbul par Rüstow, il restera en Turquie jusqu’en 1937 avant de rejoindre
Genève, où il enseignera jusqu’à sa mort en 1966 (Institut universitaire des hautes études interna-
tionales) (A. RÜSTOW, « Zwischen Kapitalismus und Kommunismus », Ordo, 1949, 2, p. 100-
169 ; « Wirtschaftsethische Probleme der sozialen Marktwirtschaft », Der Christ und die soziale
Marktwirtschaft, op. cit., p. 53-74 ; « Paläoliberalismus, Kollektivismus und Neoliberalismus in
der Wirtschafts- und Sozialordnung  », Christentum und Liberalismus, dir. K.  FORSTER,
Munich, Studien und Berichte der katholichen Akademie in Bayern, 1960, p.  150-178). Sur
Rüstow, cf., par exemple, H. O. LENEL, « Alexander Rüstows wirtschafts- und sozialpolitische
Konzeption », Ordo, 1986, 37, p. 45-58 ; C. J. FRIEDRICH, « The Political Thought of Neoli-
beralism », The American Political Science Review, 1955, 49 (2), p. 509-525.
1. Cf. W. RÖPKE, Der Innere Kompass, éd. E. Röpke, Erlenbach, Zurich, Rentsch, 1976.
2. «  La prolétarisation signifie que des hommes tombent dans une situation sociologique et
anthropologique dangereuse, caractérisée par le manque de propriété, le manque de réserves de
toute nature [...], la dépendance économique, le déracinement, les logements-casernes de masse,
la militarisation du travail, l’éloignement de la nature, la mécanisation de l’activité productrice,
bref, une dévitalisation et une dépersonnalisation générales. » (W. RÖPKE, Civitas humana, op.
cit., p. 230). Ou encore : « Le libéralisme et le socialisme ont été les esclaves de ce monstre : l’éco-
nomisme, qui s’en tient à l’aspect économique et à la productivité matérielle ; il fait du monde
matériel et économique la pierre angulaire qui supporte tout l’édifice, rapporte tout à lui et lui
subordonne comme un simple moyen d’arriver au but. Les hommes atteints par l’économisme
hocheront la tête à la lecture de ces lignes et nous ne serions pas surpris de compter parmi eux
autant de socialistes que de libéraux.  » (W.  RÖPKE, La Crise de notre temps [1942], trad. fr.
H. Faesi, C. Reichard, Neuchâtel, La Baconnière, 1945, p. 75). Sur Röpke, cf. W. OCKENFELS,
« Wilhelm Röpke als christliche Wirtschaftsethiker », Ordo, 1999, 50, p. 53-59 ; H. WILLGE-
RODT, « Von der sozialen Marktwirtschaft zum demokratischen Sozialismus », ibid., 1997, 48,
p.  64-82. De manière plus générale, cf. C.  MÜLLER, «  Neoliberalismus und Freiheit  : Zum
sozialethischen Anliegen der Ordo-Schule », ibid., 2007, 58, p. 99-108 ; « Christliche Sozialethik
und das Wertproblem in den Wirtschaftswissenschaften », ibid., 2004, 55, p. 77-97 ; A. ANZEN-
364 La subsidiarité germanique...

Nell-Breuning, la parenté est confondante. Aussi, dans son maître ouvrage


publié en 1944, Civitas humana, Röpke approuvera-t-il sans ambiguïté les
solutions préconisées par Quadragesimo anno :
«  Un bon chrétien est un libéral qui s’ignore. Et cela explique, entre autres
choses, pourquoi un lecteur attentif de l’encyclique célèbre et trop souvent
méconnue : Quadragesimo anno (1931) y découvrira une philosophie sociale et
économique qui, au fond, mène à la même constatation1. »
Récidive quinze ans plus tard quand Röpke fait l’éloge de Mater et
Magistra, saluant avec appui les avancées modernisatrices de la doctrine
sociale de l’Église, notamment sur la question des corps intermédiaires2. À
l’instar du solidarisme catholique, la philosophie röpkienne en appelle à un
capitalisme humanisé, à une concurrence assainie, à une vie économique
débarrassée des cartels et autres pratiques monopolistiques. Elle rêve d’une
accession généralisée à la propriété individuelle ; elle fait l’éloge de la proxi-
mité contre le gigantisme industriel des Temps modernes : les usines doivent
être dimensionnées à taille humaine, la société doit être édifiée de bas en haut.
Grand admirateur de la Suisse et thuriféraire du « décentralisme » (sic), Wil-
helm Röpke insiste avec passion sur la nécessité d’une intégration sociale de
chacun et de tous dans des communautés solidaires de proximité  : dignité,
subsidiarité, solidarité3. Libéralisme sociologique et personnalisme écono-
mique peuvent dès lors se rencontrer autour d’un même conservatisme
d’ordre moral. De part et d’autre, côté protestant comme côté catholique, on
célèbre l’économie de marché moralisée, on insiste sur l’heureuse complé-
mentarité entre un libéralisme économique raisonné et le système moral du
christianisme. Ne sont-ce d’ailleurs point les questions d’éthique sociale
qui, avant même le moment conciliaire de Vatican II, préparent la réconcilia-
tion œcuménique entre protestantisme et catholicisme ? Magistère, ministère
et laïcs confondus, les catholiques ne font alors pas moins que de se réconci-
lier avec le capitalisme et l’économie de marché, sans véritablement se

BACHER, « Solidarität und Subsidiarität », Die politische Meinung, 1997, 326, p. 21-30 ; Christ-
liche Sozialethik, Paderborn, et al., Schöningh, 1998.
1. W. RÖPKE, Civitas humana, op. cit., p. 12. Relevons le large écho donné à la doctrine sociale
dans la revue Ordo : O. von NELL-BREUNING, « Berufsständische Ordnung und Monopo-
lismus », Ordo, 1950, 3, p. 211-237 ; K. P. HENSEL, « Ordnungspolitische Betrachtungen zur
katholischen Soziallehre », ibid., 1949, 2, p. 229-269 ; O. VEIT, « Existentielles Naturrecht, exi-
stentielle Ethik », ibid., 1955, 7, p. 267-276 ; « Die soziale Frage », ibid., 1959, 11, p. 357-364 ;
J. BLESS, « Der Christ und die soziale Marktwirtschaft », ibid., 1957, 9, p. 277-283 ; « Subsidia-
ritätsprinzip und Berufsständische Ordnung in Quadragesimo anno  », ibid., 1959, 11, p.  365-
373 ; « Sozialphilosophie und ökonomische Realität », ibid., 1960-1961, 12, p. 449-452 ; E. von
KUEHNELT-LEDDIHN, «  Katholischer Glaube und liberale Haltung  », ibid., 1958, 10,
p. 337-372 ; A. RAUSCHER, « Sozialphilosophie und ökonomische Realität », ibid., 1960-1961,
12, p.  433-447 ; C.  MÖTTELI, «  Gesellschaft, Staat und Wirtschaft. Von der sozialen Markt-
wirtschaft zur “formierten Gesellschaft” ? », ibid., 1966, 17, p. 229-244.
2. Point qui sépare résolument l’ordolibéralisme d’un Röpke et le néolibéralisme d’un Hayek.
En libéral conséquent, Hayek s’oppose farouchement aux archaïsmes sociaux qui peuvent porter
atteinte à la liberté individuelle ; Röpke, en revanche, plus conservateur que libéral, voit dans les
corps intermédiaires un élément fondamental de structuration de la société moderne.
3. W. RÖPKE, Civitas humana, op. cit., p. 160 sq. Les considérations biographiques évoquées
plus haut peuvent peut-être expliquer une part de l’admiration röpkienne pour la Suisse
(J. ZMIRAK, Wilhelm Röpke. Suiss Localist, Global Economist, Wimington, ISI Books, 2001).
Subsidiarité et Allemagne chrétienne. La condition fédérale 365

l’avouer, pesanteur du dogme oblige, et en continuant de fustiger le libéra-


lisme philosophique1. En 1991, l’encyclique pontificale qui procède à l’entéri-
nement officiel de l’économie de marché, Centesimus annus, n’oubliera pas
de réitérer la condamnation catholique de l’idéologie libérale. Nous y revien-
drons.
Introduire Ludwig Erhard dans ce dialogue apparemment consensuel,
c’est néanmoins identifier un point de divergence décisif entre Nell-Breuning
et Röpke  : l’État-providence, le Wohlfahrtstaat. En la matière, Röpke
marque, à n’en pas douter, un net virage ordolibéral par rapport au solida-
risme catholique de Nell-Breuning. Quand, en 1949, le protestant Erhard
aura à trancher entre les deux voies, il choisira très clairement la voie röp-
kienne, faisant ainsi du conservatisme ordolibéral la nouvelle ligne officielle
de la CDU : programme de Düsseldorf contre programme d’Ahlen2. Aucune
rupture, cependant, entre le catholique et le protestant  : qu’il ait parfois
contribué à l’infléchir dans un sens moins libéral ou qu’il en ait involontaire-
ment servi de caution sociale, le Père Nell-Breuning approuvera les grandes
orientations de la politique du gouvernement fédéral. Il ne devient pas ordo-
libéral ce faisant, pas plus d’ailleurs que l’économie sociale de marché, portée
qu’elle se trouve par d’importantes traditions culturelles. Notons, ici, qu’à
travers les chassés-croisés entre Erhard et Nell-Breuning, c’est le clivage
gauche-droite qui reprend ses droits. En effet, un axe subsidiarité démocrate-
chrétienne versus État-providence social-démocrate se met en place dès les
années 1950. Son acte de naissance officiel : le rapport remis au gouvernement
fédéral en 1955 sur la réorganisation générale des prestations sociales. Issu
d’une expertise menée conjointement par Hans Achinger, Joseph Höffner,
Hans Muthesius et Ludwig Neundörfer — quatre mandataires de sensibilité
chrétienne et proches de Nell-Breuning —, ledit rapport mettait en avant la

1. On peut voir dans les élaborations théoriques du Père Louis-Joseph Lebret, le correspondant
français du personnalisme économique et du libéralisme sociologique de provenance allemande.
Fondateur d’Économie et humanisme, en 1941, le Père Lebret fut le principal rédacteur de Popu-
lorum progressio, encyclique pontificale opérant l’internationalisation de la question sociale.
Comme le Père Lebret, Röpke insistera lui aussi sur la dimension internationale de la nécessaire
moralisation du capitalisme : W. RÖPKE, « Wirtschaftssystem und internationale Ordnung »,
Ordo, 1951, 4, p. 261-297 ; « Nation und Weltwirtschaft », ibid., 1966, 17, p. 37-56.
2. Cf. W.  SCHÖNBOHM, éd., Programm und Politik der Christlich Demokratischen Union
Deutschlands seit 1945. Die Geschichte der CDU, Bonn, Konrad-Adenauer Stiftung, 1980. Au
Programme d’Ahlen de 1947 qui faisait droit à d’importantes revendications sociales, notam-
ment en matière de cogestion des entreprises, Ludwig Erhard répond deux ans plus tard par le
Programme de Düsseldorf, qui marque le ralliement de la CDU aux thèses ordolibérales. Entre-
temps, de son aveu même, le futur ministre de l’Économie a lu Röpke, l’a consulté et s’en est
directement inspiré. Cf. J. STARBATTY, « L’économie sociale de marché dans les programmes
de la CDU-CSU », Les Démocrates chrétiens et l’économie sociale de marché, Paris, Économica,
1988, p. 91-95, ici p. 91-92 ; W. BECKER, « La voie allemande ? La place des valeurs chrétiennes
dans la théorie de l’économie sociale de marché selon Ludwig Erhard », Les Chrétiens et l’éco-
nomie, Paris, Centurion, 1991, p. 157-162. Rappelons, pour mémoire, que la CDU est le premier
parti chrétien de l’histoire allemande qui réussit à réunir catholiques et protestants. Sur la créa-
tion de la CDU, cf. H.  G. WIECK, Die Entstehung der CDU und die Wiedergründung des
Zentrums im Jahre 1945, Düsseldorf, Droste, 1953 ; K.  BUCHHEIM, Geschichte der christli-
chen Parteien in Deutschland, Munich, Kösel, 1953 ; T. NIPPERDEY, « Les partis chrétiens »
[1980], Réflexions sur l’histoire allemande, op. cit., p. 178-197.
366 La subsidiarité germanique...

solidarité et la subsidiarité comme principes directeurs d’une réforme d’en-


vergure tout en proposant des solutions de facture typiquement ordolibé-
rale1. Nell-Breuning était en quelque sorte dépossédé de son concept, lui-
même victime de sa plurivocité2. Depuis, la subsidiarité a systématiquement
été invoquée dans le camp conservateur pour mettre en garde contre l’exten-
sion du providentialisme étatique, toujours selon cette même stratégie habile
qui consiste à accoler subsidiarité et solidarité. Inscrits dans des stratégies
politiques, ces jeux sémantiques ne doivent donc pas gommer l’opposition
essentielle entre CDU et SPD sur la question de l’État-providence. Les
sociaux-démocrates n’ont cessé d’appeler de leur vœu la mise en place d’un
État protecteur extensif, tandis que les chrétiens-démocrates ont toujours
milité pour un État protecteur limité adossé à des solidarités de proximité,
communautaires et familiales. C’est en cela qu’Oswald von Nell-Breuning,
figure tutélaire du syndicalisme chrétien, a pu parfois servir de caution sociale
du parti conservateur alors que, dans le même temps, il disposait également
de l’oreille attentive des grands responsables du SPD, dont Karl Schiller, le
successeur de Ludwig Erhard à la Chancellerie.
« Plus l’État prendra soin de nous, résume Wilhelm Röpke, moins nous nous
sentirons enclins à agir par nos propres forces3. » Principe typiquement röpkien
au fondement de la conception erhardienne de l’État  : sa meilleure expression
avait été condensée dès 1948 dans un discours prononcé devant le Conseil éco-
nomique à Francfort. Par des mots restés fameux, Ludwig Erhard s’y plaisait à
fustiger un « État-termite » (Termitenstaat) capable d’étendre son omniprésence
bureaucratique sur l’ensemble du tissu social, avant d’en appeler, avec pathos et
gravité, à libérer l’économie des contraintes étatiques (die Befreiung von der
staatlichen Befehlswirtschaft)4. Rien d’étonnant, donc, à ce que, même aux plus

1. H.  ACHINGER, J.  HÖFFNER, H.  MUTHESIUS, L.  NEUNDÖRFER, Neuordnung


der sozialen Leistungen. Denkschrift auf Anordnung des Bundeskanzlers, Cologne, Dietz, 1955.
Cf. également H. ACHINGER, Zur Neuordnung der sozialen Hilfe. Konzept für einen deutschen
Sozialplan, Stuttgart, Vorwerk, 1954 ; Sozialpolitik als Gesellschaftspolitik. Von der Arbeiterfrage
zum Wohlfahrtsstaat, Hambourg, Rowohlt, 1958. Notons que Joseph Höffner, alors directeur de
l’Institut catholique de sciences sociales de Munich, futur archevêque de Cologne, avait été l’élève
de Walter Eucken à Fribourg. Proche d’Oswald von Nell-Breuning lui aussi, Hans Achinger codi-
rigera les Mélanges donnés en l’honneur de son soixante-quinzième anniversaire (H.  ACHI-
NGER, L. PRELLER, H. J. WALLRAFF, dir., Normen der Gesellschaft. Festgabe O. von Nell-
Breuning, Mannheim, Heinrich-Pesch Haus, 1965). De l’autre côté de l’échiquier politique, le SPD
proposait un programme social, dont la rédaction fut orchestrée par Walter Auerbach, lequel avait
collaboré avec Lord William Beveridge lors de son exil londonien (W. AUERBACH, et al., Sozial-
plan für Deutschland, auf Anregung des Vorstandes der Sozialdemokratischen Partei Deutschlands,
Berlin, Hanovre, Dietz, 1957). Soulignons que le rapport Auerbach constituera une source impor-
tante d’inspiration pour le Chancelier Karl Schiller.
2. O.  von NELL-BREUNING, «  Neoliberalismus und katholische Soziallehre  », Der Christ
und die soziale Marktwirtschaft, dir. P.  M. BOARMAN, Cologne, Stuttgart, Kohlham-
mer, 1955, p.  101-122 ; Wirtschaft und Gesellschaft heute, Fribourg, Herder, 1960, III,
p.  81-93 ; «  Können Neoliberalismus und katholische Soziallehre sich verständigen ?  », Fest-
schrift F. Böhm, dir. H. SAUERMANN, E.-J. MESTMÄCKER, Tübingen, Mohr, 1975, p. 459-
470. Cf. E. GREIN, Ways into a New Social Market Economy, Francfort, Lang, 2004.
3. W. RÖPKE, La Crise de notre temps, op. cit., p. 183.
4. L.  ERHARD, Rede vor der 14. Vollversammlung des Wirtschaftsrates des Vereinigten
Wirtschaftsgebietes, Frankfurt, 21. April 1948, Grundtexte zur sozialen Marktwirtschaft, éd.
Subsidiarité et Allemagne chrétienne. La condition fédérale 367

beaux jours de sa politique de Wohlstand für alle, le ministre puis Chancelier


Erhard n’ait jamais œuvré en faveur de politiques sociales1. Jusqu’au milieu des
années 1950, aucune mesure d’ampleur n’avait été prise en matière de protec-
tion sociale alors que l’arsenal législatif de l’Ordnungspolitik était pour l’essen-
tiel déjà déployé. Quand en 1951, par exemple, Erhard remet sur pied la coges-
tion dans les entreprises minières et sidérurgiques (loi du 21 mai 1951)2, c’est en
application d’un compromis issu du manifeste de Düsseldorf et non en vertu
d’un quelconque programme social caché dans le giron de l’ordolibéralisme.
Erhard ne faisait d’ailleurs que confirmer le renouveau de la pratique syndicale,
qui, dès 1945, était revenue aux sources de la loi du 4 février 1920 sur les comités
d’entreprise3. Ni le Sozialstaat ni la cogestion ne faisaient partie du code géné-
tique de la soziale Marktwirtschaft  : l’épithète renvoie en l’occurrence à deux
réalités bien distinctes. Mais en cette matière, comme en de nombreuses autres, la
pesanteur bismarckienne du Sozialstaat aura été plus forte que l’ordolibéralisme
erhardien4. Continuité culturelle oblige, une politique sociale a donc malgré tout
existé y compris sous les gouvernements conservateurs : création des allocations
familiales en 1954 (Kindergeldgesetz), dynamisation des retraites en 1957 (Ren-
tenreform), mise en place de l’aide sociale en 1961 (Sozialhilfegesetz).
Cependant, opposée à ce qu’elle a toujours considéré comme de la redistri-
bution collectiviste, la CDU mettra un point d’honneur à ne pas entonner
la rhétorique de l’État-providence. On parlera non pas d’État social mais de
système d’assurances sociales (Sozialversicherungsstaat) ; on mettra en place
non pas des couvertures sociales collectives mais des assurances individuelles
organisées par les principes d’auto-administration (Selbsverwaltung) et de
négociation contractuelle. Plus que chez aucun autre, la réticence à l’égard de la
tradition bismarckienne prend un tour très prononcé chez Ludwig Erhard.
Comme en témoigne, par exemple, son hostilité au plan Schreiber de 1957 sur
les retraites5.

H. F. WÜNSCHE, et al., Bonn, et al., Ludwig-Erhard Stiftung, 1981, p. 39-42. Ici, cf. surtout
M. FOUCAULT, Leçon du 31 janvier 1979, Naissance de la biopolitique, op. cit., p. 82 sq.
1. L. ERHARD, La Prospérité pour tous [1957], trad. F. Brière, F. Ponthier, Paris, Plon, 1965.
2. Épisode curieux que le vote de cette loi de 1951 sur la cogestion : préparée par un Ludwig
Erhard peu suspect de tendance socialisante, elle est défendue par Nell-Breuning contre l’avis du
Pape lui-même. Le Père jésuite se mettait là en conformité avec une position officielle du catho-
licisme allemand, prise deux ans plus tôt en 1949, selon laquelle la cogestion constituait un droit
naturel dans l’ordre de la Providence. Cf., par exemple, O.  von NELL-BREUNING, «  Zur
Kritik des wirtschaftlichen Liberalismus », Die Neue Ordnung, 1950, 4 (4), p. 289-307.
3. Dissous par Hitler, les comités d’entreprise avaient été recréés dans l’immédiat après-guerre.
4. Sur ce point, cf. W.  ABELSHAUSER, Die Langen Fünfziger Jahre, Düsseldorf, Schwann,
1987 ; « Erhard ou Bismarck ? L’orientation de la politique sociale allemande à la lumière de la
réforme de l’assurance sociale des années 1950 », trad. fr. Société Architexte, Revue française de
science politique, 1995, 45 (4), p. 610-631 ; Kulturkampf. Der deutsche Weg in die neue Wirtschaft
und die amerikanische Herausforderung, Berlin, Kulturverlag Kadmos, 2003.
5. Le Chancelier Adenauer passa outre le blocage de son ministre, donnant l’élan décisif à la
réforme, en partie pour des raisons électorales. Exception à la règle, la réforme marqua une
importante inflexion sociale dans la conception ordolibérale de l’État, mais, pour le reste, la ligne
conservatrice fut maintenue et même renforcée par l’accession d’Erhard à la Chancellerie.
Notons, au passage, que Wilfried Schreiber était membre de l’Association des entrepreneurs
catholiques (W.  SCHREIBER, Existenzsicherheit in der industriellen Gesellschaft, Cologne,
Bundeskatholischer Unternehmer zur Sozialreform, 1955). Pour plus de précisions sur cet épi-
368 La subsidiarité germanique...

Bien loin de militer en faveur de politiques sociales au sens classique, l’éco-


nomie sociale de marché renvoie en réalité à une nouvelle modalité d’action de
l’État, à un nouvel « art de gouverner » comme dit Michel Foucault : la poli-
tique de société (Gesellschaftspolitik)1. Dans ce dispositif inédit de la gouverne-
mentalité ordolibérale, l’État n’a pas à gérer a posteriori les défaillances du
marché ; il a à agir directement sur la société pour la conformer à la logique du
marché. Rien de plus inutile, donc, qu’une politique sociale menée ex post si, en
amont, l’État joue pleinement son rôle de régulateur de l’économie. Politiques
sociales il pourra y avoir, à la double condition dirimante de ne considérer que
les agents individuels (via des actions de lutte contre l’exclusion, par exemple),
et de s’abstenir de tout englobement collectif. Au nom de la responsabilité
morale de la personne humaine et de sa dignité ; au nom de la subsidiarité. C’est
là, en quelque sorte, l’équation pastorale de la subsidiarité ordolibérale : non
pas le pouvoir collectif de l’État mais le pouvoir individualisateur du pastorat2.
En 1959, le ralliement du SPD à la soziale Marktwirtschaft parachève le
brouillage des cartes politiques. Tel que ratifié à Bad-Godesberg, le programme
du parti social-démocrate déclare désormais que le socialisme démocratique
est ancré dans l’humanisme classique et dans l’éthique chrétienne. Plus qu’un
mariage de raison, le SPD épouse avec cœur l’économie sociale de marché.
Mais le jeu d’influence ne fut pas à sens unique. Les sociaux-démocrates n’ont
pas fait qu’adopter un concept issu de leur adversaire politique, ils ont préparé
le terrain au gauchissement de la politique économique fédérale tout en consa-
crant l’acclimatation intellectuelle du socialisme allemand à l’économie de
marché3. À la faveur de la récession de 1966, Karl Schiller pourra légitimement

sode, cf. M.  RICHTER, éd., Die Sozialreform. Dokumente und Stellungnahmen, Loseblatt-
sammlung, Bad Godesberg, Asgard, 1955.
1. Cf. M. SENELLART, « Michel Foucault : la critique de la Gesellschaftspolitik ordolibérale »,
L’Ordolibéralisme allemand. Aux sources de l’économie sociale de marché, dir. P. COMMUN,
Cergy-Pontoise, Université de Cergy-Pontoise, CIRAC, 2003, p. 37-48.
2. M. FOUCAULT, Leçon du 8 février 1978, Leçon du 15 février, Leçon du 22 février, Leçon
du 1er  mars, Sécurité, territoire, population, op. cit., p.  119-138, p.  139-165, p.  167-193, p.  195-
232 ; «  Omnes et singulatim. Vers une critique de la raison politique  » [1979], trad. fr.
P.-E. Dauzat, Le Débat, 1986, 41, p.  5-35). Cf. A.  PETIT, «  Le pastorat ou l’impossible rac-
courci théologico-politique  », Figures du théologico-politique, Paris, Vrin, 1999, p.  9-23 ;
P. BÜTTGEN, « Théologie politique et pouvoir pastoral », Annales, 2007, 5, p. 1129-1154. Sur
la responsabilité individuelle réinvestie par la subsidiarité ordolibérale : H. BRENDEL, « Markt-
wirtschaft  : eine freiheitliche Konfliktordnung  », Ordo, 1981, 32, p.  247-254 ; W.  HAMM,
« Wirtschaftsordnungspolitik als Sozialpolitik », ibid., 1989, 40, p. 363-382 ; « Selbstverantwor-
tung in ordnungspolitischer Sicht », ibid., 2006, 57, p. 191-207 ; B. SELIGER, « Die Krise der
sozialen Sicherung und die Globalisierung  : Politische Mythen und ordnungspolitische Wirk-
lichkeit », ibid., 2001, 52 p. 215-238 ; G. DÜRIG, « Verfassung und Verwaltung im Wohlfahrt-
staat », Juristenzeitung, 1953, 8 (7-8), p. 193-199 ; I. von MÜNCH, « Staatliche Wirtschaftshilfe
und Subsidiaritätsprinzip  », ibid., 1960, 15 (9), p.  303-306 ; L.  HEYDE, «  Überlegungen zum
Subsidiaritätsprinzip in der Sozialpolitik  », Festgabe G.  Jahn, Berlin, Duncker und Humblot,
1955, p. 99-106 ; « Solidarität und Subsidiarität in einem System sozialer Sicherung aus der Sicht
der evangelischen Sozialethik », Soziale Sicherheit, 1966, p. 133 sq. ; R. MARCIC, Vom Geset-
zesstaat zum Richterstaat Vienne, Springer, 1957, p. 328 sq. ; G BRÜCK, « Solidarität und Subsi-
diarität in ihrer gegenseitigen Bedingtheit », Sozialer Fortschritt, 1984, p. 197 sq.
3. Dès 1955, quatre ans avant le fameux congrès de Bad Godesberg, Karl Schiller avait solen-
nellement affirmé la compossibilité entre socialisme démocratique et concurrence économique
(K. SCHILLER, Sozialismus und Wettbewerb, Hambourg, Verband deutscher Konsumgenos-
senschaften, Veröffentlichungen Akademie für Gemeinwirtschaft Hamburg, 1955 ; «  Sozia-
Subsidiarité et Allemagne chrétienne. La condition fédérale 369

instiller une forte dose de keynésianisme dans la soziale Marktwirtschaft,


via davantage de cogestion syndicale, de participation salariale et d’État-
providence (prestations sociales, politiques redistributives)1. De l’autre côté de
l’échiquier politique, l’ordolibéralisme posterhardien, désormais en dialogue
avec le socialisme démocratique, chemine plus résolument vers une nouvelle
économie sociale de marché. Greffe social-démocrate très importante à retenir
pour comprendre la suite de l’histoire du principe de subsidiarité dans les
cercles européens. Mais le greffon sera bientôt rejetée  : crise économique
aidant, le néolibéralisme anglo-saxon pénètre jusque dans le pays du capita-
lisme rhénan. Tant et si bien qu’à partir de 1982, l’économie sociale de marché
négocie un virage néolibéral sans précédent et redevient, dans le discours poli-
tique tout au moins, un instrument de lutte contre l’hypertrophie du social. Il
y a là bien plus que le simple retour des vieilles lunes erhardiennes sur les
dangers de l’État-providence ; il y a quelque chose comme une conversion néo-
libérale de l’ordolibéralisme, à présent à la recherche d’une rédemption pour sa
compromission sociale-démocrate. Portés par une vague internationale, les
libéraux conservateurs allemands n’ont qu’à entonner un refrain bien connu :
critique de l’économie de bien-être, stigmatisation du « paternalisme providen-
tiel  », mise en cause des erreurs du keynésianisme2. Aussi, Norbert Blüm,
ministre en charge du Travail et des Affaires sociales (1982-1998) se fera le
chantre de la subsidiarité brandissant le principe de l’aide sociale en dernier
ressort (Prinzip der Nachrangigkeit in der Sozialhilfe) : la solidarité, oui, mais
dans le cadre de la subsidiarité et de la proximité3. Le point de crispation est
donc allé croissant à proportion de la banalisation du modèle rhénan et de
l’introduction du néolibéralisme international dans le langage politique de la
CDU ; deux mouvements concomitants qui n’empêchent cependant pas le
maintien des anciennes pratiques corporatistes4. La subsidiarité est assez mal-

lismus und Wettbewerb  », Grundfragen moderner Wirtschaftspolitik, éd. E.  POTTHOFF,


K. SCHILLER, C. SCHMIDT, Francfort, Europäische Verlagsanstalt, 1956, p. 227-265).
1. Citons la loi sur la promotion de la stabilité et de la croissance de l’économie (1967), la loi sur
le statut des entreprises (1972) et la loi de cogestion modifiant celle de 1951 (1976).
2. C’est ainsi qu’émergera bientôt une nouvelle subsidiarité, une «  Neue Subsidiarität  »
(R. G. HEINZE, dir., Neue Subsidiarität. Leitidee für eine zukünftige Sozialpolitik ?, Opladen,
Westdeutscher Verlag, 1986). Cf. également W. ZOHLNHÖFER, « Von der Sozialen Markt-
wirtschaft zum Minimalstaat ? Zur politischen Ökonomie des Wohlfahrtsstaates », Ordo, 1992,
43, p. 269-284 ; I. KISSLING-NÄF, S. CATTACIN, « Agir étatique subsidiaire dans les sociétés
modernes », trad. fr. V. Tattini, Revue suisse de science politique, 1997, 3 (3), p. 17-33.
3. N.  BLÜM, «  Subsidiarität und Solidarität in der Sozialversicherung  », Der Kompass, 1981,
p. 441-454 ; « Treibsatz zur Freiheit und Menschlichkeit. Die Rolle der christlichen Soziallehre
in der Politik », Die Neue Ordnung, 1991, 45 (3), p. 183-190 ; « Eckpunkte christlich orientierter
Politik. Sozialpolitische Anmerkungen », ibid., 1993, 47 (4), p. 324-336. Dans la littérature grise
diffusant le mot d’ordre proximitaire, cf. cette reconstruction théorique à l’aune de la subsidia-
rité : H. PALM, « La subsidiarité : un principe sociophilosophique de la politique sociale des
communes en Allemagne », trad. fr. C. Jany, Les Politiques des communes en France et en Alle-
magne, dir. H. PALM, V. VIET, Paris, Ministère de la Santé, DREES, 2002, p. 36-48.
4. Sur l’entrée dans une nouvelle étape de banalisation du modèle économique allemand depuis
la réunification, cf. J.  ROWELL, B.  ZIMMERMANN, «  Grammaire de la société civile et
réforme sociale en Allemagne  », Critique internationale, 2007, 35 (2), p.  149-171 ; F.  PESIN,
C. STRASSEL, Le Modèle allemand en question, Paris, Économica, 2006 ; M. HAU, Regards sur
le capitalisme rhénan, Strasbourg, PUS, 2009. À partir de 1998, de nouveaux éléments de confu-
sion ont été introduits par les multiples références schrödériennes à l’ordolibéralisme, qui ont
370 La subsidiarité germanique...

léable pour supporter toutes ces contradictions, d’autant que le thème de la


corporation lui est particulièrement familier.

Cette convergence souterraine entre ordolibéralisme allemand et néolibé-


ralisme anglo-saxon (ou plutôt la dilution de l’ordolibéralisme germanique
dans le néolibéralisme international) n’est qu’une étape supplémentaire du
processus d’adaptation de la subsidiarité chrétienne au nouveau contexte
économique1. Le capitalisme des démocrates chrétiens peut bien continuer
de se vouloir capitalisme «  social  »2, force est cependant de constater qu’il
s’apparente à s’y méprendre au personnalisme économique des néolibéraux
ou des autres conservateurs rencontrés plus haut3. Qu’il suffise, ici, pour s’en
convaincre, de se reporter aux programmes de la démocratie-chrétienne
européenne, qui ressemblent étrangement à ceux de la droite libérale clas-
sique. On ne soulignera jamais assez combien l’éternelle prétention catho-
lique à la troisième voie (souvent initiée par les courants les plus antilibéraux)
s’est toujours heurtée au poids de la réalité économique ; combien la rhéto-
rique du ni-ni a avant tout joué un rôle dans l’ordre de la psychologie collec-
tive des catholiques et de l’autocompréhension doctrinale de l’Église. Que
cette prétention ait émané des papes eux-mêmes, des penseurs laïques ou bien
des acteurs de la démocratie chrétienne ne change rien au diagnostic4. Seule
compte la tendance lourde qui a fini par s’imposer : l’acceptation, désormais
sincère, de l’économie d’entreprise ; la distinction, désormais claire, entre le
capitalisme (à moraliser) et les excès du capitalisme (évitables si le capitalisme
est moralisé)5. Ralliement d’abord inavoué, il deviendra davantage explicite

servi à légitimer la remise à plat de l’État social dans une période où il fallait gérer le coût de la
réunification du pays. Cf. É. HUSSON, Une Autre Allemagne, Paris, Gallimard, 2005.
1. Cf., par exemple, G. KRUIP, « Gemeinwohl und Subsidiarität », Gemeinwohl im Konflikt
der Interessen, dir. I. BERTEN, T. EGGENSPERGER, op. cit., p. 55-72. Dans la continuité du
Père Louis-Joseph Lebret, cf. aussi Jean-Claude Lavigne, Dominicain membre d’Économie et
Humanisme : J.-C. LAVIGNE, « Le principe de subsidiarité », ibid., p. 73-87.
2. Selon une autre perspective mais insistant sur le caractère trompeur des continuités séman-
tiques, cf. S. KOTT, « Der Sozialstaat », Deutsche Erinnerungsorte, op. cit., II, p. 485-501.
3. La littérature sur le personnalisme économique s’est multipliée : E. J. O’BOYLE, Personalist
Economics. Moral Convictions, Economic Realities, and Social Action, Boston, et al., Kluwer,
1998 ; R.  C. BAYER, Capitalism and Christianity  : The Possibility of Christian Personalism,
Washington, Georgetown University Press, 1999 ; K.  van KERSBERGEN, Social Capitalism,
Londres, New York, Routledge, 1995 ; E.  HUBER, C.  RAGIN, J.  D. STEPHENS, «  Sosial
Democracy, Christian Democracy, Constitutional State, and the Welfare State », The American
Journal of Sociology, 1993, 99 (3), p. 711-749 ; K. E. SCHMIESING, « The Context of Economic
Personalism », Journal of Markets and Morality, 2001, 4 (2), p. 176-193.
4. L’une des dernières systématisations théoriques est due à un auteur bien connu de ces lignes :
le Père Arthur Utz (A. F. UTZ, Entre le néolibéralisme et le néomarxisme. Recherche philoso-
phique d’une troisième voie [1975], trad. fr. M. Kleiber, Paris, Beauchesne, 1976).
5. Dans la foulée de Centesimus annus, et contexte européen oblige, la revue Ordo multipliera
significativement ses références au principe de subsidiarité  : W.  DICHMANN, «  Subisidiarität.
Herkunft, sozialpolitische Implikationen und ordnungspolitische Konsequenzen eines Prinzips »,
Ordo, 1994, 45, p. 195-249 ; M. SPIEKER, « Katholische soziallehre und soziale Marktwirtschaft »,
ibid., 1994, 45, p. 169-194 ; A. SCHÜLLER, « Die Kirchen und die Wertgrundlagen der sozialen
Marktwirtschaft », ibid., 1997, 48, p. 727-755 ; M. SPIEKER, « Ordnungspolitik und katholische
Kirche  », ibid., 1997, 48, p.  757-777 ; E.  DÜRR, «  Die Enzyklika “Centesimus annus” und die
soziale Marktwirtschaft », ibid., 1997, 48, p. 779-785. Cf. aussi K. HOMANN, C. KIRCHNER,
Subsidiarité et Allemagne chrétienne. La condition fédérale 371

sous le pontificat jean-paulinien, qui contribue de manière décisive à désin-


hiber le complexe libéral des catholiques. Par son encyclique Centesimus
annus, Jean-Paul II ne fait rien de moins que de lever les dernières hypo-
thèques antichrématistiques, quitter le vieux schéma léonien et découpler
l’axe subsidiarité-troisième voie. Certes, on pourra toujours voir dans la lettre
pontificale de 1991 une simple reconduction de l’intransigeantisme d’antan,
mais, ce faisant, on s’empêchera de véritablement comprendre le glissement
de terrain à l’œuvre dans le discours pontifical, en s’obstinant, par exemple, à
regarder comme non catholiques toutes les tentatives de réinterprétation libé-
rale de la subsidiarité. Derrière une rhétorique de façade, le principe permet-
trait en réalité de maintenir l’imperturbable cohérence de l’ancien dogme.
Nous avons déjà insisté sur ce point aveugle, qui fragilise les commentaires les
plus autorisés de la doctrine ecclésiale : réconciliation catholique avec le fait
économique capitaliste n’a jamais signifié entérinement pontifical de l’anthro-
pologie individualiste et matérialiste. Pourquoi, au reste, faudrait-il voir dans
l’adoption libérale du principe de subsidiarité un détournement contre-nature
de la notion catholique ? Pourquoi cette rencontre avec le capitalisme ne révé-
lerait pas à sa manière une part de la destinée du concept1 ?
Les catholiques laïques sont-ils à négliger, qui ont puissamment fait
travailler l’économie d’entreprise à l’intérieur du principe de subsidiarité ?
Toujours est-il qu’en cette période de crispation idéologique (les années 1970-
1980), ils sont nombreux à assumer de plus en plus ouvertement leur libéra-
lisme économique. Pensons à l’Américain Michael Novak, ancien conseiller de
Ronald Reagan à la Maison Blanche, qui a cherché à démontrer, plus que la
compossibilité, la complémentarité naturelle entre système capitaliste et
éthique catholique, n’hésitant pas pour ce faire à parodier Max Weber2. Dans
la même ligne, il faut mentionner les nombreuses activités de l’Institut Acton
et l’itinéraire singulier d’un Richard Neuhaus, pasteur luthérien converti au

« Das Subsidiaritätsprinzip in der katholischen Soziallehre und der Ökonomik », Europa zwischen
Ordnungspolitik und Harmonisierung. Europäische Ordnungspolitik im Zeichen der Subsidiarität,
éd. L. GERKEN, Berlin, Springer, 1995, p. 45-69.
1. Nous pensons à Émile Poulat. Son inspiration est très perceptible dans les analyses récentes
proposées par Bernard Laurent. Comme son illustre aîné, il déclare rigoureusement impossible
tout ralliement du catholicisme officiel au monde libéral, en matière économique comme dans
tous les autres domaines. Et de distinguer entre bonne et mauvaise lectures de la subsidiarité. La
bonne interprétation, à rebours de toute compromission libérale, ne ferait que repenser la société
moderne à la lumière d’une doctrine inchangée («  la subsidiarité comme cadre à l’État-provi-
dence  ») (B.  LAURENT, L’Enseignement social de l’Église et l’économie de marché, Paris,
Parole et Silence, 2007, p. 149 sq., p. 321 sq. ; « Catholicism and Liberalism : Two Ideologies in
Confrontation », Theological Studies, 2007, 68, p. 808-838). Même tendance à trier entre le bon
grain catholique et l’ivraie libérale dans le dernier opus du Père Calvez (J.-Y. CALVEZ, Chré-
tiens penseurs du social, III. Après le Concile, après « 68 », Paris, Le Cerf, 2008).
2. Nous faisons référence au titre évocateur de l’un de ses maîtres ouvrages  : M.  NOVAK,
Catholic Ethic and the Spirit of Capitalism, New York, Free Press, 1993 ; Une Éthique écono-
mique : les valeurs de l’économie de marché [1982], trad. fr. B. Dick, Paris, Le Cerf, Institut La
Boétie, 1987 ; « Free Persons and the Common Good », The Common Good and US Capitalism,
éd. O. F. WILLIAMS, J. W, HOUCK, Lanham, University Press of America, 1987, p. 222-243 ;
Démocratie et bien commun [1989], trad. fr. M. Brun, Paris, Le Cerf, Institut La Boétie, 1991.
Cf. aussi M. NOVAK, et al., éd., A Free Society Reader, Lanham, Lexington, 2000.
372 La subsidiarité germanique...

catholicisme. Pensons encore à Rocco Buttiglione en Italie, auteur d’une


importante somme sur la pensée philosophique du Pape Wojtyla, ou à Gre-
gory Gronbacher en Irlande, nouvel apôtre du personnalisme économique1.
S’agissant de la France, l’espace manque pour citer tous les noms importants.
Contentons-nous d’en rappeler quelques uns : pour les plus libéraux d’entre
eux, Raoul Audouin, d’abord, directeur du Centre libéral spiritualiste français,
Jacques Garello, ensuite, chef de file des « nouveaux économistes » de la fin des
années 1970, Jean-Yves Naudet, enfin, compagnon de route des deux précé-
dents et président de l’Association des économistes catholiques2 ; pour les plus
catholiques, Jean-Miguel Garrigues, Denis Maugenest et Chantal Millon-
Delsol, trois penseurs bien connus de ces lignes, hors desquels, force est de
constater la masse écrasante de la littérature économique3.

3. SUBSIDIARITÉ ORDOLIBÉRALE
ET TOURNANT CONSTRUCTIVISTE

Tel qu’il apparaît dans la vérité de sa continuité, le rapport ordolibéral à


l’État-providence est un symptôme parmi d’autres de la statophobie analy-

1. R. J. NEUHAUS, Doing Well and Doing Good, The Challenge to Christian Capitalist, New
York, Doubleday, 1992 ; R.  BUTTIGLIONE, «  Eine philophische Interpretation des soziale-
thischen Prinzips der Subsidiarität  », Subsidiarität, dir. A.  RIKLIN, G.  BATLINER, op. cit.,
p.  47-61 ; La Pensée de Karol Wojtyla [1982], trad. H.  Louette, J.-M. Salamito, Paris, Fayard,
1984 ; G. GRONBACHER, Economic Personalism, Grand Rapids, Institut Acton, 1998 ; « The
Need for Economic Personalism », The Journal of Markets and Morality, 1998, 1 (1), p. 1-34.
2. R. AUDOUIN, Les Lois de la liberté. Libéral et croyant, pourquoi ?, Paris, Éditions de l’Ins-
titut économique de Paris, 1985 ; J. GARELLO, J.-Y. NAUDET, L’Abécédaire de science écono-
mique [1985], Paris, Albatros, 1994 ; J.-Y. NAUDET, L’Église et l’économie de marché face au
collectivisme, Paris, Uni, 1987 ; « Les chrétiens doivent-ils avoir peur du libéralisme ? », De l’an-
cienne économie à la nouvelle économie, éd. H. LEPAGE, S. SCHWEITZER, Aix-en-Provence,
Librairie de l’Université, 1987, p. 225-238 ; Dominez la terre. Pour une économie au service de la
personne, Paris, Fleurus, 1989 ; La Liberté pour quoi faire ?, Tours, Mame, 1992 ; « Le principe de
subsidiarité : ambiguïtés d’un concept à la mode », Journal des économistes et des études humaines,
1992, 3 (2-3), p.  319-331 ; «  L’Église, l’éthique et le libre marché  », L’Homme libre. Mélanges
P.  Salin, Paris, Les Belles Lettres, 2006, p.  443-451. Relevons l’importance de quatre enceintes
principales de diffusion : l’Institut La Boétie, le Centre libéral spiritualiste français, le Journal des
économistes et des études humaines et l’Institut Euro-92. Cf. B. de LA ROCHEFOUCAULD, Le
Principe de subsidiarité, l’entreprise et la société, Paris, Institut La Boétie, 1985 ; F. GUILLAUMAT,
Libéralisme et christianisme, Paris, Institut Euro-92, 1998 ; A. PELLISSIER-TANON, La Subsi-
diarité : un concept à reformuler ?, Paris, Institut Euro-92, 1999 ; F. LEFEBVRE, La subsidiarité :
sens et portée, Paris, Institut Euro-92, 2003 ; C.  WATRIN, «  On the Political Economy of the
Subsidiarity Principle », Journal des économistes et des études humaines, 2003, 13 (2-3), p. 275-287.
Rappelons, ici, que les tout premiers travaux de Chantal Delsol sur la subsidiarité ont été publiés
par les soins de l’Institut La Boétie (C. MILLON-DELSOL, Le Principe de subsidiarité : origines
et fondements, Paris, Institut La Boétie, 1990), peu après la parution chez le même éditeur d’un
ouvrage de Stéphane Rials sur la crise du fédéralisme (S.  RIALS, Destin du fédéralisme, Paris,
LGDJ, Institut La Boétie, 1986, p. 22 sq. et p. 67 sq. pour des développements sur la subsidiarité).
3. J.-M. GARRIGUES, L’Église, la société libre et le communisme, Paris, Julliard, 1984 ; La Poli-
tique du meilleur possible, Tours, Mame, 1994 ; D. MAUGENEST, « Le principe de subsidiarité
et la pensée catholique », Professions et Entreprises, 1985, 735, p. 6-9 ; C. MILLON-DELSOL,
L’État subsidiaire, op. cit. Faite au nom du personnalisme chrétien-néolibéral, la mise en cause
delsolienne de l’État-providence a ensuite été complétée par une critique plus circonstanciée du
jacobinisme français (C.  MILLON-DELSOL, La République  : une question française, Paris,
PUF, 2002). De son époux : C. MILLON, La Paix civile, Paris, Odile Jacob, 1998.
Subsidiarité et Allemagne chrétienne. La condition fédérale 373

sée par Michel Foucault. Mais il y a un apparent paradoxe à débusquer  :


comment une telle méfiance généralisée à l’égard de l’État cohabite-t-elle
avec l’appel ordolibéral à un État fort situé au-dessus des intérêts et des pres-
sions ? À bien y regarder, les acteurs politiques allemands de l’après-guerre
n’ont jamais fait montre d’hostilité à l’égard du principe de l’intervention de
l’État. Erhard en tête, qui, à aucun moment, n’a appelé au retrait de l’État,
qui, tout au contraire, a œuvré pour un État actif et interventionniste.
Essentiellement sémantique, la confusion est en réalité déterminée par la
stratégie ordolibérale elle-même : faire apparaître l’État fort de l’ordolibéra-
lisme comme fondamentalement différent de l’État totalitaire du nazisme mais
aussi de l’État minimum du libéralisme classique — le second, le gouverne-
ment frugal, étant coupable d’avoir conduit au premier, le gouvernement
total. Nous touchons-là à la divergence principale entre ordolibéralisme et
néolibéralisme  : le rôle dévolu à l’État en matière économique et le rapport
entretenu avec le libéralisme classique. Côté ordolibéral au sens large (Ludwig
Erhard, Wilhelm Röpke), on se rejoint autour d’une même critique de la tra-
dition libérale mais on en appelle sans scrupules à l’intervention volontariste
de l’État1. Côté néolibéral au sens strict (Friedrich Hayek), on est davantage
indulgent à l’égard du libéralisme des pères fondateurs tout en prônant une
plus grande abstention de l’État2. Le brouillage des pistes vient de ce que, des
deux côtés, les discours emprunteront des chemins tout à fait parallèles  :
la défense hayékienne de l’État minimum, tout autant que la légitimation de
l’État fort chez les ordolibéraux, passera par la même invocation du spectre de
l’État totalitaire. À lire Hayek, il n’existe qu’une différence de degré entre la
social-démocratie et le totalitarisme ; il lui suffit donc de mettre en garde
contre le principe en tant que tel de l’intervention de l’État pour réitérer l’ar-
gumentaire des anciens libéraux3. Réitération qui, on le sait, prend un tour très

1. W. RÖPKE, Civitas humana, op. cit, p. 226-243.


2. Cf. M. E. STREIT, M. WOHLGEMUTH, « The Market Economy and the State. Hayekian
and Ordoliberal Conceptions », The Theory of Capitalism in the German Economic Tradition,
éd. P. KOSLOWSKI, op. cit., p. 224-271. Notons, au passage, que, malgré cette différence essen-
tielle, et malgré les discontinuités chronologiques, les plus grands noms du libéralisme ont eu
droit à l’onction de la subsidiarité  : Adam Smith, Wilhelm von Humboldt, Friedrich Hayek
entre autres. Pour la subsidiarité chez Friedrich Hayek, cf. P. NEMO, « L’État dans la philoso-
phie politique de Friedrich August Hayek », L’État au XXe siècle. Regards sur la pensée juridique
et politique du monde occidental, éd. S. GOYARD-FABRE, Paris, Vrin, 2004, p.  71-85, ici
p.  76-77. Pour la subsidiarité chez Adam Smith, cf. P.  BRAULT, G.  RENAUDINEAU,
F. SICARD, « Subsidiarité et libéralisme », Le Principe de subsidiarité, Paris, La Documentation
française, 2005, p.  19  sq. Pour la subsidiarité chez Wilhelm von Humboldt, cf. S.  BATTISTI,
Freiheit und Bindung. Wilhelm von Humboldts “Ideen zu einem Versuch, die Grenzen der
Wirksamkeit des Staats zu bestimmen” und das Subsidiaritätsprinzip, Berlin, Duncker und
Humblot, 1987. Pour une lecture libertarienne, cf. V. J. VANBERG, « Subsidiarity, Responsive
Government and Individual Liberty  », Political Institutions and Public Policy. Perspectives on
European Decision Making, éd. B.  STEUNENBERG, F.  van VUGHT, Boston, Dordrecht,
Londres, Kluwer Academic Publishers, 1997, p. 189-203 ; Subsidiarität. Idee und Wirklichkeit.
Zur reichweite eines Prinzips in Deutschland und Europa, dir. K.  W. NÖRR, T.  OPPER-
MANN, op. cit., p. 255-271 ; W. BLOCK, « Decentralization, Subsidiarity, Rodney King and
State Deification », European Journal of Law and Economics, 2003, 16 (2), p. 139-147.
3. F.  A. HAYEK, La Route de la servitude [1944], trad. fr. G.  Blumberg, Paris, PUF, 2005.
Hayek entend démontrer l’incompatibilité foncière, sur le plan des principes, entre socialisme et
374 La subsidiarité germanique...

particulier sous sa plume  : étant donné la complexité de la vie économique,


l’État n’a pas les moyens de connaître les besoins de la société ; il doit donc
avoir la décence de s’abstenir pour éviter toute perturbation du marché. S’il
commence à intervenir, non seulement il provoquera des effets de rétroaction
dans les comportements des agents économiques, mais il mettra surtout le
doigt dans un engrenage cumulatif qui finira fatalement par dépasser la volonté
consciente de ses agents1. D’où le fameux continuum totalitaire décrit dans La
Route de la servitude  : l’État commence par s’immiscer dans la vie écono-
mique ; il crée les conditions de la collectivisation ; il finit par légitimer l’auto-
ritarisme puis le totalitarisme. Chez les ordolibéraux, bien au contraire,
on veut sauvegarder la capacité d’action de l’État. Leur stratégie discursive
s’en ressent : ils choisissent de brandir l’épouvantail du nazisme afin de pré-
senter le nouvel État fort comme un État tout autre, qui agira différemment à
la fois de l’État libéral et de l’État totalitaire. Quand ils succombent à la tenta-
tion de « balayer, dans une même critique, aussi bien ce qui se passe en Union
soviétique que ce qui se passe aux USA, les camps de concentration nazis et les
fiches de la sécurité sociale  »2, c’est avec l’objectif de penser l’intervention
ordolibérale de l’État sur des bases radicalement nouvelles. Relégitimation de
l’intervention étatique ici, disqualication de l’intervention étatique là-bas.
Contrairement aux apparences, cependant, nous pensons qu’un Hayek, un
Röpke ou un Erhard sont tous les trois mûs par une statophobie de même
intensité mais que cette phobie viscérale est de nature différente de part et
d’autre. Alors que celle de Friedrich Hayek continuera, pour l’essentiel, à
puiser dans le libéralisme classique, celle de Röpke et d’Erhard fait signe vers
une provenance et une morphologie directement chrétiennes : toujours cette
même statophobie de l’État fort3. C’est une rhétorique finalement banale que
de militer en faveur d’un État raffermi, d’un État qui ne disperserait pas son
autorité, d’un État qui recouvrirait sa légitimité parce que recentré sur son
cœur d’activité. Sur ce terrain, un Erhard ou un Röpke n’ont rien d’original.
On lit exactement la même chose sous la plume de Carl Schmitt, l’idéalisation
de la société civile en moins, le pathos de l’antilibéralisme en plus4. La spécifi-

liberté, allant même jusqu’à assimiler communisme et social-démocratie. Il y aurait, nous dit-il,
une irrémédiable contamination du fruit socialiste (social-démocratique) par le ver totalitaire.
1. Comme tous les dispositifs libéraux, le dispositif hayékien réserve un rôle à l’État (garantir
l’application du droit privé, assurer la justice commutative), mais refuse de lui attribuer des
objectifs sur le terrain économique ou sur le terrain social (F. A. HAYEK, « Social ? Qu’est-ce
que ça veut dire ?  » [1957], Essais de philosophie, de science politique et d’économie, trad. fr.
C. Piton, Paris, Les Belles Lettres, 2007, p. 353-366 ; Le mirage de la justice sociale [1976], Droit,
législation et liberté II, trad. fr. R. Audouin, P. Nemo, Paris, PUF, 2007, p. 321 sq.).
2. M. FOUCAULT, Leçon du 7 février 1979, Naissance de la biopolitique, op. cit., p. 119.
3. C’est avec la tendance ordolibérale, non avec le libéralisme hayékien, que le catholicisme
social français entrera en dialogue quand il parlera du néolibéralisme. Cf., par exemple, le cours
donné par Alain Barrère (successeur de Charles Flory en 1960) à la Semaine sociale de France de
1947 (A.  BARRÈRE, «  Les aspects actuels du libéralisme  », Le Catholicisme social face aux
garnds courants contemporains, Lyon, Chronique sociale de France, 1947, p. 155-178).
4. Nous avons déjà décrit la tension État «  qualitativement  » total-État «  quantitativement  »
total (C. SCHMITT, « Weiterentwicklung des totalen Staats in Deutschland » [1933], Verfas-
sungsrechtliche Aufsatze, op. cit., p.  359-365 ; Positionen und Begriffe im Kampf mit Weimar-
Genf-Versailles,op. cit., p.  211-216 ; «  Die Wendung zum totalen Staat  » [1931], ibid., p.  166-
Subsidiarité et Allemagne chrétienne. La condition fédérale 375

cité ordolibérale se loge à un autre niveau, pensons-nous : non pas l’interven-


tion de l’État en tant que telle mais l’État lui-même. Le contrepoint schmit-
tien peut permettre de mieux approcher le ressort propre de la statophobie
ordolibérale. Comme l’État total de Schmitt, l’État fort de l’ordolibéralisme
est à comprendre à la lumière d’une polarité entre le mal quantitatif et le bien
qualitatif. Dans la foulée de Quadragesimo anno, en 1932, alors même qu’il
élaborait son concept d’État total, Schmitt précisait parallèlement ce qu’il
entendait par État fort, annonçant un programme que ni Röpke ni Erhard
n’auraient renié  : «  Stärker Staat und gesunde Wirtschaft  » («  État fort et
économie saine  »)1. À dire vrai, seul le ton subversif propre au juriste alle-
mand donne ce tour si polémique au texte, via notamment une curieuse
opposition entre tradition romaine de l’État quantitatif et tradition germa-
nique de l’État qualitatif. Un État fort, précisait Schmitt du haut de son
volontarisme politique, doit exercer un contrôle politique puissant, mais
laisser leur pleine liberté aux activités économiques. Prônant ainsi une désim-
brication de l’État et de l’économie, il allait jusqu’à proposer un système de
chambres corporatives permettant à l’État de se décharger des missions jugées
secondaires. La rhétorique pontificale de la subsidiarité n’était pas très loin2.
Reste que, refus de la fonctionnalisation de l’État aidant, Schmitt se tient à
nettes distances des versions néo ou ordo du libéralisme conservateur.

S’agissant de l’ordolibéralisme, les aspects les plus saillants de cette fonc-


tionnalisation s’expriment chez le principal théoricien du courant, l’écono-
miste Walter Eucken. Pour l’essentiel fixées dans les Grundsätze der Wirts-
chaftspolitik3, ses élaborations théoriques reposent sur une distinction

178). Selon Schmitt, le mouvement de totalisation procède de la société elle-même, coupable


d’avoir demandé toujours plus d’État. L’État social, ajoute-t-il, débouche sur l’étatisation de la
société humaine et in fine sur la politisation de l’existence. Reste que les diagnostics schmittien et
röpkien font signe vers des directions opposées. Si tous les deux voient dans le totalitarisme un
phénomène d’étatisation du social, Röpke le condamne, Schmitt s’en félicite. Pour une mise en
regard de Schmitt et Hayek, cf. R CRISTI, Le Libéralisme conservateur. Trois essais sur Schmitt,
Hayek et Hegel, trad. fr. N. Burgi, Paris, Kimé, 1993 ; W. E. SCHEUERMAN, « The Unholy
Alliance of Carl Schmitt and Friedrich A. Hayek », Constellations, 1997, 4 (2), p. 172-188.
1. C.  SCHMITT, «  Stärker Staat und gesunde Wirtschaft  » [1932], Staat, Großraum, Nomos.
Arbeiten aus den Jahren 1916-1969, Berlin, Duncker und Humblot, 1995, p. 71-91 (allocution
prononcée devant des industriels allemands). Cf. R.  CRISTI, Carl Schmitt and Authoritarian
Liberalism : Strong State, Free Economy, Cardiff, University of Wales Press, 1998.
2. Recoupement d’autant plus aisé avec la doctrine pontificale que, dans les notes ajoutées en
1963 à la première version de La Notion de politique, le mot subsidiarité pointe expressément
sous la plume de Schmitt (C. SCHMITT, La Notion de politique, op. cit., p. 184-185). Sa subsi-
diarité n’en reste pas moins très spécieuse : à l’en croire, elle permettrait de dépasser les inconsé-
quences supposées du pluralisme, de désamorcer ses effets pervers en ramenant la pluralité à une
unité première. Ne nous trompons pas sur le sens de cette répudiation schmittienne du plura-
lisme : Schmitt ne rejette pas le conflit, bien au contraire, il rejette le refus, soi-disant libéral, d’en
assumer les conséquences politiques. Tout comme il rejette l’organicisme, qui postule l’har-
monie naturelle et le consensus. Notons, enfin, que des parallèles ont pu être établis entre
Schmitt et la doctrine catholique de l’État. Helmut Quaritsch, par exemple, qui défend l’idée
d’un Schmitt chrétien, relève une convergence entre le juriste et le solidarisme peschien
(H. QUARITSCH, Positionen und Begriffe Carl Schmitts [1989], Berlin, Duncker und Hum-
blot, 1995, p. 72) ; mais elle ne va guère plus loin qu’un refus du libéralisme manchestérien.
3. W.  EUCKEN, Grundsätze der Wirtschaftspolitik [1952], Tübingen, Mohr, 2004. Pour un
376 La subsidiarité germanique...

matricielle à l’intérieur même de la notion d’ordo : la distinction entre cadre


et processus. Il faut y revenir pour terminer notre développement sur l’ordo-
libéralisme car elle est à l’origine d’une profonde méprise néolibérale sur les
tenants et aboutissants du principe de subsidiarité. D’une part, le cadre, pro-
duit de l’histoire, qui a besoin d’être orienté et modelé par l’État selon une
politique dite ordonnatrice (Ordnungspolitik)1. Création humaine consciente
et intentionnelle, le marché concurrentiel est à instituer par des normes juri-
diques ; il n’est pas cet ordre spontané décrit par Hayek : à savoir, une réalité
auto-organisée (catallaxie), mûrie au cours des âges par l’action humaine,
selon un processus — non délibéré et en évolution permanente — de sélec-
tion naturelle. Le constructivisme : tel est bien, nous le voyons ici, la ligne de
démarcation qui résume toute l’opposition entre ordolibéralisme allemand et
néolibéralisme hayékien2. D’autre part, le processus, ressort propre de l’ac-
tion individuelle et entrepreneuriale, dans lequel l’État doit intervenir le
moins possible : de manière subsidiaire, selon une politique de simple régula-
tion. Subsidiaire parce que les mécanismes économiques doivent échapper au
dirigisme de l’État (notons, par exemple, que Walter Eucken et ses épigones
ignorent superbement la question du secteur public de l’économie). Subsi-
diaire également dans la mesure où si les structures du marché sont bonnes, le
fonctionnement concurrentiel doit logiquement suivre de lui-même. Autre
manière de dire que plus la politique ordonnatrice est efficace, moins l’État a
besoin d’intervenir au titre de la politique régulatrice.

commentaire approfondi de la pensée, très complexe, de Walter Eucken, cf. F. BÖHM, « Die
Idee des Ordo im Denken Walter Euckens  », Ordo, 1950, 3, p.  XV-LXIV ; E.  von BECKE-
RATH, « Walter Euckens Grundsätze der Wirtschaftspolitik », ibid., 1953, 5, p. 289-297 ; H. O.
LENEL, « Walter Euckens “Grundlagen der Nationalökonomie” », ibid., 1989, 40, p. 3-20.
1. Un parallèle peut être établi avec les observations de Karl Polanyi. L’économiste hongrois
a montré à quel point les États libéraux européens avaient délibérément fondé l’édification des
marchés nationaux sur le laisser-faire libre échangiste, provoquant en retour des réactions de
résistance protectionniste, lesquelles ont culminé dans les années 1930-1940. Mais là où Karl
Polanyi diagnostiquait l’échec des sociétés de marché dont l’issue devait, selon lui, passer par un
réencastrement de l’économie dans le social, les ordolibéraux appelaient, quant à eux, au renou-
vellement d’une société de marché basée sur la concurrence économique (K.  POLANYI, La
Grande transformation. Aux origines politiques et économiques de notre temps, op. cit.).
2. Hayek s’emploie à dépasser « la fausse dichotomie entre le “naturel” et l’“artificiel” » en pro-
posant une tripartition inédite : l’ordre naturel (kosmos), l’ordre artificiel issu de l’action humaine
en tant que résultat d’une volonté intentionnelle et consciente (taxis), l’ordre spontané issu de
l’action humaine mais non rapportable à une quelconque intention consciente. Pour Hayek, le
marché fait partie de cette dernière catégorie : au même titre que la société, la justice et le droit
privé. L’État et le droit public, en revanche, relèvent de la deuxième catégorie : ils sont des ordres
artificiels (F. A. HAYEK, Règles et ordre [1973], Droit, législation et liberté I, op. cit., p. 90 sq.
(ch. 1), p. 119 sq. (ch. 2) ; Le Mirage de la justice sociale [1976], Droit, législation et liberté II,
op. cit., p. 529 sq. (ch. 10) ; « Grundsätze einer liberalen Gesellschaftsordnung », trad. all. E. von
Malchus, Ordo, 1967, 18, p. 11-33). Pour un commentaire, cf. B. MANIN, « Friedrich August
Hayek et la question du libéralisme », Revue française de science politique, 1983, 33 (1), p. 41-64 ;
G. RADNITZKY, « An Economic Theory of Rise of Civilisation and Its Policy Implications :
Hayek’s Account Generalized », Ordo, 1987, 38, p. 47-90 ; J.-F. KERVÉGAN, « Hayek et le
concept d’ordre spontané. Les prémisses philosophiques d’une utopie libérale  », Économie et
théories économiques en histoire du droit et en économie, op. cit., p. 295-323 ; J.-P. FELDMAN,
« Libéralisme et “droite libérale” », Mélanges Y. Guchet, Bruxelles, Bruylant, 2008, p. 429-448 ;
G. CAMPAGNOLO, « Pourquoi la crise de ne dément pas Hayek », Cités, 2010, 41, p. 51-70.
Subsidiarité et Allemagne chrétienne. La condition fédérale 377

Point d’hostilité à l’intervention de l’État, donc, et même appel à l’État fort,


mais, strictement subordonnée à la réalisation de l’économie de marché, cette
intervention se voit soumise à une clause très stricte de conditionnalité  : se
placer au service de l’ordre concurrentiel (Wettbewerbsordnung) et promou-
voir la vérité des prix. De là un complet asservissement de la règle juridique à
l’ordre économique : le droit doit être marktkonform1. Ou plutôt : les interven-
tions de l’État doivent être conformes aux lois immanentes de l’économie telles
que codifiées par le droit constitutionnel de la concurrence. Affirmation circu-
laire et autoréférentielle qui révèle l’instrumentalisation totale de la technique
juridique, sa fonctionnalisation au titre de la nouvelle dogmatique économique
– configuration idéologique de la modernité, comme aurait dit Louis Dumont2.
Dans cette constitution économique, l’État, simple fonction du marché, ne
s’apparente à rien de plus qu’un gouvernement économique qui édicte une
législation économique conforme à l’ordre économique. À l’instance supérieure
du Marché revient même la tâche de cantonner et de discipliner de l’État. Aussi
les ordolibéraux posent-ils la nécessité de l’État sur des bases radicalement iné-
dites, le Marché devenant le principe régulateur de l’État lui-même. Il ne s’agit
plus pour l’État de répondre aux effets négatifs du marché sur la société ;
il s’agit de conformer la société aux lois du marché, de préparer le terrain social
au plein épanouissement de la logique concurrentielle. Il ne s’agit plus de dis-
tinguer l’État et la société pour déterminer ce qui revient à l’un et à l’autre ;
il s’agit de placer l’État sous la surveillance du Marché3.
On serait bien en peine de détecter, ici, un quelconque «  fétichisme  » de
l’État4. Tout au contraire, les conditions ordolibérales posées à l’intervention
étatique s’originent dans un rejet principiel de l’institution étatique. Le credo
constructiviste de l’ordolibéralisme n’est pas un appel à l’Institution de l’État ;
il est un appel à son instrumentalisation. Tel est le paradoxe ordolibéral, qui
permet de comprendre, encore une fois, combien la célébration de l’interven-
tion de l’État ne vaut pas adhésion à l’institution étatique. Selon d’autres voies
que le catholicisme pontifical (l’État au service de la Société guidée par l’Église
et non l’État au service du Marché guidé par la Concurrence), l’ordolibéralisme
conduit à la même obsession, mû qu’il se trouve par une structure mentale tout
à fait identique5. Cette mise en regard des discours catholique et ordolibéral

1. Selon une distinction entre interventions conformes et non conformes à l’ordre du marché
opérée par Wilhelm Röpke lui-même (W. RÖPKE, La Crise de notre temps, op. cit., p. 259).
2. L.  DUMONT, Homo aequalis, I. Genèse et épanouissement de l’idéologie économique,
op. cit. Il conviendrait, en retour, d’approfondir le parallèle entre l’ordolibéralisme et le courant
aux réminiscences marxisantes qui prône l’analyse économique du droit (Law and Economics).
3. «  Un État sous surveillance de marché plutôt qu’un marché sous surveillance de l’État  »
(M. FOUCAULT, Leçon du 7 février 1979, Naissance de la biopolitique, op. cit., p. 120).
4. Nous faisons référence aux analyses de Pierre Dardot et Christian Laval. (P.  DARDOT,
C. LAVAL, La Nouvelle raison du monde, op. cit. ; « Néolibéralisme et subjectivation capita-
liste », Cités, 2010, 41, p. 35-50). Se réclamant d’une inspiration foucaldienne, ils reproduisent,
nous semble-t-il, les angles morts de Michel Foucault, parfois lucides sur la statophobie de l’or-
dolibéralisme, le plus souvent aveuglés par ce qu’ils croient être une fétichisation de l’État.
5. La confusion actuelle vient de ce que la crise économique fait se chevaucher plusieurs ordres
de discours : celui du retrait de l’État, aujourd’hui mis entre parenthèses, et celui du retour de
l’État, aujourd’hui généralisé. Dans les deux cas, une même réalité anti-institutionnelle : retrait
378 La subsidiarité germanique...

nous importe plus particulièrement en ce qu’elle permet de saisir le tournant


constructiviste de la subsidiarité, tournant qui opère un glissement sans précé-
dent du registre naturaliste vers le registre volontariste. Loin de rejoindre la
conception chrétienne de l’ordo, la pratique ordolibérale retourne la subsidia-
rité naturaliste en subsidiarité constructiviste. Considéré sous cette forme, le
libéralisme germanique donne également sa coloration si singulière, constructi-
viste, au fédéralisme post-totalitaire d’outre-Rhin, qui permettra de relégitimer
une volonté politique pourtant discréditée par le nazisme.

Cette acclimatation à une anthropologie artificialiste constitue une étape


essentielle pour l’entrée du concept dans le discours de l’Union européenne.
À deux niveaux distincts : une subsidiarité fonctionnelle empruntée à l’ordo-
libéralisme allemand, reformulée en «  concurrence libre et non faussée  » ;
une subsidiarité territoriale empruntée au fédéralisme allemand, et reformulée
en termes spatiaux («  un espace sans frontières intérieures  »), qui aboutit à
Bruxelles comme à Bonn (puis à Berlin) à la même réalité centralisatrice. Un
personnage cristallise la rencontre de ces deux dimensions  : Jacques Delors,
l’homme du tournant néolibéral en France et le père de la subsidiarité maas-
trichtienne en Europe. Son constructivisme fédéraliste ne manquera de s’en
remettre au prestigieux répertoire naturaliste de la culture chrétienne telle que
fécondée par les traditions allemandes. Mais, force est de le constater, la subsi-
diarité européenne du personnaliste Jacques Delors n’a plus grand-chose de
catholique. Le constructivisme : voilà bien la source d’une certaine incompré-
hension catholique face au prétendu détournement jacobin de sa subsidiarité1.
Et ne devait-il pas revenir à un esprit français — cartésien malgré lui — de
négocier ce virage constructiviste de la subsidiarité européenne2 ?

de l’État qui est surtout extension du gouvernement à distance ; retour de l’État qui est surtout
aveu d’un échec. Le diagnostic d’un supposé « fétichisme » de l’État fort au service du marché
concurrentiel s’apparente grandement à un renversement positif de la dénonciation marxiste de
l’État comme superstructure idéologique au service de la bourgeoisie capitaliste (P. DARDOT,
C. LAVAL, La Nouvelle raison du monde, op. cit. ; C. LAVAL, « Mort et résurrection du capi-
talisme libéral », Revue du MAUSS, 2007, 29, p. 393-410). Cette critique du néolibéralisme éta-
tiste opérée par Pierre Dardot et Christian Laval gagne donc à être lue à l’aune de leur entre-
prise concomitante de réhabilitation intellectuelle de Marx, d’ailleurs tout à fait bienvenue
(P. DARDOT, C. LAVAL, E. M. MOUHOUD, Sauver Marx ?, Paris, La Découverte, 2007).
1. C.  MILLON-DELSOL, «  Souveraineté et subsidiarité, ou l’Europe contre Bodin  », La
Revue Tocqueville, 1998, 19 (2) p. 49-55 ; « L’Europe future, fédération ou république unitaire ?
Les conditions d’une fédération européenne », Nouveaux Mondes, 2002, 11, p. 20-27 ; « Subsidia-
rité et souveraineté en Europe », ibid., p. 29-39 ; La République : une question française, op. cit.
2. Friedrich Hayek avait sans doute raison de faire de la France le pays par excellence du
constructivisme, stigmatisant cet esprit maléfique qui s’exprimerait de Descartes à Saint-Simon
en passant par le jacobinisme et l’École Polytechnique. Cf. F. A. HAYEK, « Wahrer und fal-
scher Individualismus  », Ordo, 1948, 1, p.  19-55 ; Règles et ordre [1973], Droit, législation et
liberté I, op. cit., p. 70 sq. (ch. 1). Wilhelm Röpke, lui aussi, fustigeait le saint-simonisme mais
moins pour son constructivisme que pour son empreinte techniciste ou technocratique
(W.  RÖPKE, Civitas humana, op. cit., p.  118-121 ; cité dans M.  FOUCAULT, Leçon du
7 février 1979, Naissance de la biopolitique, op. cit., p. 118-119). Nous reviendrons plus bas sur le
saint-simonisme (très «  deuxième gauche  ») de Jacques Delors. Sur l’inspiration saint-simo-
nienne de l’intégration européenne, cf., par exemple, A.  SCHÜLLER, «  Saint-Simonismus als
Integrationsmethode : Idee und Wirklichkeit. Lehren für die EU », Ordo, 2006, 57, p. 285-314.
Chapitre 2
Subsidiarité et Europe post-totalitaire.
La conjonction fédérale

« [Denis de Rougemont] s’est beaucoup réclamé du


fédéralisme auquel il prêtait de nombreuses vertus. Il y
voyait, à la fois, une méthode, une approche de la réa-
lité et un style d’orientation sociale. Pour ma part, j’ai
souvent l’occasion de recourir au fédéralisme comme
méthode, en y incluant le principe de subsidiarité. J’y
vois l’inspiration pour concilier ce qui apparaît à beau-
coup comme inconciliable  : l’émergence de l’Europe
unie et la fidélité à notre nation, à notre patrie ; la
nécessité d’un pouvoir européen, à la dimension des
problèmes de notre temps et l’impératif vital de
conserver nos nations et nos régions, comme lieu d’en-
racinement ; l’organisation décentralisée des responsa-
bilités, afin de ne jamais confier à une plus grande unité
ce qui peut être mieux réalisé par une plus petite. Ce
que l’on appelle précisément le principe de subsidia-
rité1. »

1. J.  DELORS, «  Réconcilier l’idéal et la nécessité  », Discours devant le Collège d’Europe,


Bruges, 17 octobre 1989, Le Nouveau concert européen, Paris, Odile Jacob, 1992, p. 315. Nous
soulignons. Tout de suite après, relevons cette phrase qui, dans la veine des papes du xxe siècle,
établit un parallèle direct entre totalitarisme et État : « En tant que personnaliste [...], disciple
d’Emmanuel Mounier dont le rayonnement, j’en suis sûr, redeviendra très important au fur et à
mesure que les Européens, notamment, prendront conscience des impasses d’un individualisme
forcené, de même qu’ils rejettent, depuis quelques années, le collectivisme et sa forme atténuée,
l’État tuteur de toute personne et de toute chose. » (Ibid., p. 316). Nous soulignons. L’allocution
avait préalablement paru dans Impératif et urgence de l’Europe communautaire. Bruges, Bonn,
Strasbourg  : trois discours pour l’Europe (Paris, Commission des Communautés européennes,
Bureau de représentation de la France, 1989).
380 La subsidiarité germanique...

I. ENTRE LIBÉRALISME ET SOCIALISME CHRÉTIEN

1. UN ORDOSOCIALISME à la française ?

Tout, dans sa culture politique, prédestinait Jacques Delors à rencontrer la


subsidiarité : confession catholique, formation personnaliste teintée de doc-
trine sociale, engagement dans le syndicalisme chrétien, opposition au socia-
lisme marxiste, rejet de l’État jacobin, confiance dans la société civile, idéal
autogestionnaire, flirt européen avec le néolibéralisme économique. Sauf que
rien, en 1984, ne prédestinait le ministre des Finances du gouvernement
Mauroy à devenir Président de la Commission de Bruxelles. Militant syn-
dical et politique de longue date, Jacques Delors n’avait alors fait montre
d’aucun engagement actif en faveur de la construction européenne (hormis
son élection au Parlement de Strasbourg en 1979)1. C’est son collègue ministre
des Affaires étrangères, Claude Cheysson, diplomate mendésiste et ancien
Commissaire européen (1973-1981) que François Mitterrand avait d’abord
soumis à l’approbation de ses partenaires. Le double refus opposé par Helmut
Kohl et Margaret Thatcher profita finalement à Jacques Delors. Non sans
soulager le Président français, qui refusait d’accéder aux exigences du loca-
taire de la Rue de Rivoli : le cumul de ses anciennes fonctions avec celles de
Premier ministre.
Très vite, Jacques Delors devient le « Monsieur Europe » dont les socia-
listes français avaient besoin2 : celui, certes, qui avait incarné jusque dans sa
personne même la pause dans les réformes et le tournant de la rigueur après
l’échec du « socialisme dans un seul pays » (1981-1982)3 ; mais celui qui per-
mettait, idéal européen oblige, de gérer tant bien que mal la conversion hon-
teuse du Parti au libéralisme économique. Cette réinscription dans la contin-
gence historique de l’engagement européen de Jacques Delors n’enlève rien à
la sincérité du fédéralisme dont il se fera le promoteur à Bruxelles. Elle oblige
cependant à ne pas postuler une continuité nécessaire entre la subsidiarité
catholique de sa culture d’origine et la subsidiarité maastrichtienne qu’il va

1. Sa biographe Helen Drake le qualifie d’« Européen de raison » (H. DRAKE, « Jacques Delors


et la Commission européen. Un leadership unique ?  », Politique européenne, 2002, 8, p.  136 ;
Jacques Delors en Europe [2000], trad. fr. T. Liébault, Strasbourg, PUS, 2002.
2. Cf. les analyses de Pierre Grémion (P.  GRÉMION, «  L’État, l’Europe, la République  »
[2001], Modernisation et progressisme. Fin d’une époque, 1968-1981, Paris, Éditions Esprit, 2005,
p. 237-254, surtout p. 248 sq. sur « le tandem Mitterrand-Delors et la troisième Europe »).
3. Pour une mise en perspective historique, cf. A. BERGOUNIOUX, G. GRUNBERG, L’Am-
bition et le remords. Les socialistes français et le pouvoir, 1905-2005 [1992], Paris, Fayard, 2005
(version mise à jour de l’ouvrage initialement paru en 1992 sous le titre Le Long remords du
pouvoir. Le Parti socialiste français, 1905-1992). Sur la conversion mitterrandienne à l’Europe
contre le programme socialiste initial, cf. G. SAUNIER, « François Mitterrand, un projet socia-
liste pour l’Europe ? L’équipe européenne de François Mitterrand, 1981-1984 », Inventer l’Eu-
rope, dir. G.  BOSSUAT, op. cit., p.  431-448 ; É.  du RÉAU, «  L’engagement européen  », Les
Années Mitterrand, les années du changement (1981-1984), dir. S.  BERSTEIN, P.  MILZA,
J.-L. BIANCO, Paris, Perrin, 2001, p. 282-294. Pour une rétrospective plus générale sur le sujet,
cf. R. FRANCK, « La gauche et l’Europe », Histoire des gauches en France, II. XXe siècle, dir.
J.-J. BECKER, G. CANDAR, Paris, La Découverte, 2005, p. 452-472.
Subsidiarité et Europe post-totalitaire. La conjonction fédérale 381

porter sur les fonts baptismaux au début des années 1990. Particulièrement
réceptif à ce vocable catholique, le Président Delors le charge d’une significa-
tion nouvelle. Nous proposons ainsi de distinguer entre deux conceptions
deloriennes de la subsidiarité, qui nous permettront de dessiner la trajectoire
menant de la social-démocratie chrétienne au fédéralisme libéral-européen :
d’une part, une subsidiarité catholique et naturaliste qui imprègne sa vision
générale du monde, une subsidiarité du pouvoir politique par rapport à la
société civile ; d’autre part, une subsidiarité ordolibérale et constructiviste
telle qu’elle est consacrée dans le traité de Maastricht, principalement dans sa
dimension territoriale. D’un pôle à l’autre, les heurts sont évidents, mais la
reconduction de la même statophobie ne l’est pas moins. Le nœud défini-
tionnel de la subsidiarité s’y joue peut-être.
Comme Michel Rocard mais selon une alchimie propre, Jacques Delors
fait figure d’exception au sein du socialisme français. Son profil minoritaire et
iconoclaste n’en est pas moins représentatif de l’engagement politique de
toute une génération de chrétiens de gauche1. C’est en novembre 1974, au
cœur d’une décennie particulièrement propice à la rencontre entre socialisme
et christianisme, qu’il adhère au parti mitterrandien. Non seulement l’aggior-
namento conciliaire a ouvert la porte du progressisme à de nombreux catho-
liques, mais la déconfessionnalisation du syndicalisme chrétien a également
émancipé les fidèles par rapport à la doctrine officielle de l’Église2 : dès 1947,
le discours de la CFTC fait disparaître la référence expresse aux encycliques
pontificales au profit d’une simple mention de la morale sociale chrétienne.
Enfin, la transformation de la SFIO en Parti socialiste (1971) a désinhibé les
chrétiens non-communistes dans leur engagement politique à gauche. Sans
être totalement homogène, cette gauche chrétienne n’en puise pas moins dans
une même inspiration d’ensemble : c’est une gauche communautaire et per-
sonnaliste qui lit la revue Esprit, une gauche protestataire et fédéraliste qui
affectionne particulièrement Proudhon, une gauche qui veut expurger Marx
de ses relents scientistes et totalitaires3. Jacques Delors évoque fréquemment
l’influence qu’ont pu avoir sur lui un Emmanuel Mounier, un Ivan Illich, un

1. Sur cette génération des chrétiens de gauche, cf. J. BAUBÉROT, « Du catholicisme social au
militantisme politique », Autrement, 1977, 8, p. 6-22 ; J.-M. DONEGANI, « De MPF en PSU »,
ibid., p. 116-125 ; « Itinéraire politique et cheminement religieux. L’exemple de catholiques mili-
tant au Parti socialiste  », Revue française de science politique, 1979, 29 (4-5), p.  693-738 ;
H. PORTELLI, « Au rendez-vous du Parti socialiste », Esprit, 1977, 4-5, p. 178-184.
2. Rappelons le rôle de Paul Vignaux, principal artisan de la déconfessionnalisation de la CFTC
après-guerre. Universitaire et médiéviste, il est également à l’origine de la création des Jeunesses
étudiantes chrétiennes (JEC) en 1929 (au sein desquelles milita Jacques Delors) et du Syndicat
général de l’éducation nationale (SGEN) en 1937 (P. VIGNAUX, De la CFTC à la CFDT, syn-
dicalisme et socialisme. «  Reconstruction  », 1946-1972, Paris, Éditions ouvrières, 1980).
Cf. G. GROUX, R. MOURIAUX, La CFDT, Paris, Économica, 1989 ; F. GEORGI, L’Inven-
tion de la CFDT, 1957-1970, Paris, Éditions de l’Atelier, CNRS Éditions, 1995.
3. Sur le rapport à Marx, cf. J.-Y. CALVEZ, La Pensée de Karl Marx [1955], Paris, Le Seuil,
2006. Sur le rapport au communisme, cf. J. ELLUL, « Les chrétiens et le socialisme », Contre-
point, 1978, 25, p. 37-50. Sur le contexte, cf. J.-L. LOUBET DEL BAYLE, « “Une influence en
pointillé” », Les Non-conformistes des années 30. Une tentative de renouvellement de la pensée
politique française [1969], Paris, Le Seuil, 2001, p. 434-485 ; « Le mouvement personnaliste fran-
çais des années 1930 et sa postérité », Politique et sociétés, 1998, 17 (1-2), p. 219-237.
382 La subsidiarité germanique...

Marc Sangnier et un Pierre Joseph Proudhon. Le socialisme delorien n’est


pas du tout du côté de la majesté transcendante de l’État, du politique sur-
plombant ou du culte rousseauiste de la loi ; mais il n’est pas non plus du côté
du matérialisme scientifique de Marx. L’engagement politique du catholique
Jacques Delors prendra bientôt un tour technocratique, il part néanmoins
de racines profondément utopiques, et même anarchistes. De Proudhon, il
retient le fédéralisme et le mutuellisme, l’autogestion et la contractualisation
des rapports sociaux. D’Illich, il retient la dénonciation des méfaits de la
société industrielle, la critique des aliénations institutionnelles et les appels
à l’insoumission1. De Sangnier, l’idéal catholique de justice sociale ; de
Mounier, la révolte contre le « désordre établi », le refus de l’individualisme,
la dialectique de la personne et de la communauté2. Alliage idéologique qui
aurait pu condamner Jacques Delors au registre des lamentations rhétoriques
ou aux facilités peu engageantes de la condamnation morale. Mais le chrétien
en politique ne s’en tient pas à la paresse du jugement ni à la pureté contesta-
taire de l’indignation. Soucieux d’améliorer le monde existant, il choisit de
violenter son pessimisme pascalien pour parier sur la vie et donner chair à un
réformisme de gauche, pragmatique et gradualiste :
«  Comme Mounier, il croit à la souffrance et au rachat par la pauvreté [...].
Mais contre Mounier, il affirme le droit au bonheur des masses dans la société
du contrat, la “société civile”, terme révéré de Jacques et largement ignoré des
mouniéristes. Mounier est un extrémiste, Delors un pragmatique, luttant contre
sa “funeste tendance à l’idéalisme” qui est précisément tout du mouniérisme3. »
Hormis le néomarxisme intellectuel de Michel Rocard, tout devait réunir
le leader du Parti socialiste unifié (PSU) et le futur ministre des Finances de
François Mitterrand. Un même rejet du socialisme jacobin, centralisateur,
étatiste et protectionniste, une même secondarisation du politique par rap-

1. Catholique d’origine autrichienne émigré en Amérique (États-Unis puis Mexique), le Père


Ivan Illich reprit l’état laïque en 1969 pour s’adonner à l’écriture. Citons principalement  :
I.  D. ILLICH, Libérer l’avenir. Appel à une révolution des institutions [1971], trad. fr.
G. Durand, Paris, Le Seuil, 1985 ; Une Société sans école [1971], trad. fr. G. Durand, Paris, Le
Seuil, 1997 ; La Convivialité [1973], trad. fr. L. Giard, V. Bardet, Paris, Le Seuil, 1990. Cf., par
exemple, l’ouvrage de Patrick Viveret, compagnon de route de Pierre Rosanvallon, dans sa
période autogestionnaire et cédétiste (P. VIVERET, Attention : Illich, Paris, Le Cerf, 1976).
2. «  J’éprouvais le besoin, confesse-t-il lui-même, de mieux me comprendre et de chercher le
sens général de mes agitations. Une réponse me fut apportée par la lecture d’Emmanuel Mou-
nier. » (J. DELORS, Changer. Conversations avec Claude Glayman, Paris, Stock, 1975, p. 32).
La formule «  désordre établi  » est en général attribuée au fondateur d’Esprit mais la paternité
exacte en revient à son bref compagnon de route Alexandre Marc (A. MARC, « Demain ? Jeu-
nesse allemande », Esprit, 1933, 5, p. 726). Le slogan avait été repris dans un numéro spécial de la
revue consacré à la « Rupture entre l’ordre chrétien et le désordre établi » (Esprit, 1933, 6).
3. B. MARIS, Jacques Delors, artiste et martyr, Paris, Albin Michel, 1993, p. 301. Jacques Delors
est un catholique, mais un catholique qui adopte une attitude très protestante (une foi basée sur
le doute et l’interrogation perpétuelle, un pari pessimiste sur la vie), un janséniste pascalien
comme il le dit lui-même : « Ma vraie culture religieuse [...], je la dois à des pères dominicains et
à des pères jésuites. [...] Mais il est vrai que, sans m’en rendre compte, j’ai un comportement jan-
séniste. Ne serait-ce que par cette forme de pessimisme que je traîne avec moi. Depuis que j’ai lu
Pascal et l’histoire de Port-Royal, je me suis senti des affinités. Non par rapport à la doctrine
religieuse, mais sur le plan du comportement et de la pensée.  » (J.  DELORS, L’Unité d’un
homme. Entretiens avec Dominique Wolton, Paris, Odile Jacob, 1994, p. 322).
Subsidiarité et Europe post-totalitaire. La conjonction fédérale 383

port au social, un même attachement à la figure de Pierre Mendès France, un


même refus de l’opportunisme molletiste. Syndicaliste chrétien, Jacques
Delors s’enracine parfaitement dans le substrat culturel de la «  deuxième
gauche », telle que définie par Michel Rocard en 1977 devant les congressistes
de Nantes1  : socialisme autogestionnaire et décentralisateur qui veut rendre
la société à elle-même, social-démocratie qui mise sur la responsabilité indivi-
duelle et veut instituer un rapport assaini — utilitaire — à l’État2. Mais
Jacques Delors n’en intégrera pas les structures partisanes. Idéologiquement
rocardien certes, mais stratégiquement mitterrandien. Car il faut bien exister
dans ce choc des egos. Il choisira donc d’être le plus rocardien des mitterran-
diens, jouant malgré lui le rôle d’alibi ou de caution deuxième gauche auprès
de la première. Mitterrand saura d’ailleurs l’utiliser avec brio pour éliminer
son éternel rival. En 1978, Jacques Delors soutient le futur Président de la
République contre l’offensive rocardienne. En 1979, il est encore de l’alliance
qui met en minorité l’ancien leader du PSU grâce au soutien du CÉRÉS et de
Jean-Pierre Chevènement.
À ces considérations stratégiques, s’ajoute un fossé sociologique  : la
deuxième gauche delorienne n’est pas passée par l’ÉNA ; elle a d’abord fait
ses classes à la CFDT. Dès 1945, Jacques Delors, fonctionnaire à la Banque
de France, milite à la Confédération française des travailleurs chrétiens
(CFTC) et rejoint en 1953 le groupe Reconstruction animé par un ouvrier et
un intellectuel, Albert Detraz et Paul Vignaux. Dans la même période, il par-
ticipe aux activités du mouvement chrétien de gauche La Vie nouvelle, au
sein duquel il fonde un cercle de réflexion, Citoyens 60, initialement conçu en
réponse à l’influence du Club Jean-Moulin, trop élitiste à son goût3. Cette
entrée latérale en politique, par le truchement du syndicalisme et de l’éduca-
tion populaire, détermine en grande partie son rapport à la politique. Chez
Jacques Delors, l’engagement public est tout entier tourné vers la sobriété du
pragmatisme et l’attention aux choses concrètes de la vie. Point d’effets de
manche ni de spéculations intellectuelles ronronnantes. Il conçoit la politique
dans la quotidienneté, dans la proximité, non dans la distance et la solennité.

1. Cf. M. ROCARD, Parler vrai. Textes politiques, Paris, Le Seuil, 1979.


2. Jacques Delors a adhéré en 1953 au mouvement mendésiste et anticolonialiste Jeune Répu-
blique qui avait connu son heure de gloire avant la Seconde Guerre mondiale en intégrant la
coalition du Front populaire. Créé en 1912, le mouvement Jeune République avait en quelque
sorte pris la suite laïque du Sillon de Marc Sangnier, condamné deux ans plus tôt par Pie X. Sur
cette histoire, cf. É. FOUILLOUX, « Les catholiques mendésistes (1953-1956) », Pierre Mendès
France et le mendésisme, dir. F. BÉDARIDA, J.-P. RIOUX, Paris, Fayard, 1985, p. 71-83. Sur la
«  deuxième gauche  », cf. l’étude classique d’Hervé Hamon et Patrick Rotman (H.  HAMON,
P.  ROTMAN, La Deuxième gauche. Histoire intellectuelle et politique de la CFDT, Paris,
Ramsay, 1982). Cf. aussi O.  MONGIN, «  Mais où est donc passée la deuxième gauche ?  »,
Esprit, 1983, 84, p. 56-64 ; J. ROLLET, « La deuxième gauche pour mémoire », ibid., p. 49-55.
3. Sur La Vie nouvelle, mouvement précurseur de la deuxième gauche, cf. J. LESTAVEL, « Le
mouvement La Vie nouvelle », Forces religieuses et attitudes politiques, dir. R. RÉMOND, Paris,
Armand Colin, 1965, p. 167-172 ; « La Vie nouvelle et ses militants », Esprit, 1977, 4-5, p. 153-
169 ; La Vie nouvelle. Histoire d’un mouvement inclassable, Paris, Le Cerf, 1994) et
A. GRÉLON, F. SUBILEAU, « Le mouvement des cadres chrétiens et La Vie nouvelle : des
cadres catholiques militants », Revue française de science politique, 1989, 39 (3), p. 314-340.
384 La subsidiarité germanique...

« Il connaît la société, il ignore la France », résume très justement l’un de ses
biographes1. Se définissant lui-même comme un « ingénieur » ou un « expé-
rimentateur  » social2, le futur Président de la Commission veut mettre la
démocratie « à portée de la main »3. Dans le modèle scandinave, par exemple,
suédois en particulier, il voit précisément cette société faite pour l’homme,
cette démocratie sociale capable d’ériger la concertation du patronat et des
syndicats en mode normal de fonctionnement de la vie économique. Plus
tard, il nourrira pour l’Europe le même rêve d’un capitalisme rhénan fait de
syndicats forts, de cogestion et de dialogue social.
«  L’action gestionnaire, écrit-il dans un document de présentation de
Citoyens 60, consiste à s’occuper, au niveau de la ville ou de la région, de l’or-
ganisation de l’enseignement, des loisirs, de la culture, de la santé, de l’aména-
gement des villes et des campagnes, de l’équilibre régional. Toutes ces actions
ont le mérite de partir de situations concrètes, de souligner des manques, de
permettre d’éveiller autour de nous des gens dépolitisés et de les élever à la
conscience politique. Le combat pour un socialisme démocratique part de là : les
classes encombrées, les enfants mal éduqués, des logements indignes de notre
société, l’insuffisance des hôpitaux ou des garderies d’enfants, le maintien d’une
ségrégation de fait dans la ville entre “bourgeois” et “ouvriers”4. »
Par l’intermédiaire de son engagement syndical, Jacques Delors se rap-
proche du monde politique et s’affirme peu à peu comme l’expert écono-
mique de la CFTC au point, d’ailleurs, de devenir son représentant au
Conseil économique et social. C’est alors que débute pour lui une carrière
plus partisane. En juin 1969, cinq ans avant d’adhérer au PS, il rejoint le
cabinet du Premier ministre Jacques Chaban-Delmas pour occuper les fonc-
tions de conseiller technique aux Affaires sociales et culturelles. Il a beaucoup
hésité à franchir le pas mais les logiques politiciennes n’ont jamais eu raison
de son indépendance personnelle, d’autant que le gaullisme social de Chaban
n’a rien de rédhibitoire à ses yeux. « Seul technocrate d’origine autodidacte »
aux côtés des énarques Simon Nora et Yves Cannac5, Jacques Delors sera l’un
des principaux inspirateurs du projet de Nouvelle société. Tous les ingré-
dients de la philosophie delorienne y sont rassemblés : diagnostic critique sur
l’État tutélaire, la panne de l’ascenseur social et la sclérose du système écono-
mique ; appel au déblocage de la société civile, au renouvellement de la vie
politique et administrative (contractualisation, décentralisation)6. Sur tous ces

1. R. MEYRET, La Face cachée de Jacques Delors, Paris, Première ligne, 1994, p. 9.
2. J. DELORS, « Propos d’un ingénieur social », Esprit, 1984, 96, p. 111-124.
3. J. DELORS, Changer, op. cit., p. 211 sq. ; É. de BODMAN, B. RICHARD, Changer les rela-
tions sociales. La politique de Jacques Delors, Paris, Éditions d’organisation, 1976, p. 57 sq. Ce
mot d’ordre témoigne d’une connivence intellectuelle avec Alexandre Marc, européiste et mili-
tant très actif du personnalisme fédéraliste (sur lequel nous reviendrons), qui parlait de démo-
cratie « à hauteur d’homme » (A. MARC, À hauteur d’homme, Paris, Je Sers, 1948).
4. Cité dans A. ROLLAT, Delors, Paris, Flammarion, 1993, p. 73.
5. C. GLAYMAN, Préface à J. DELORS, Changer, op. cit., p. 8. Ancien collaborateur de Pierre
Mendès France, Simon Nora est en charge des Affaires économiques dans le cabinet du Premier
ministre. Haut fonctionnaire également, Yves Cannac deviendra ensuite conseiller de Valéry
Giscard d’Estaing puis Secrétaire général adjoint de l’Élysée de 1974 à 1978.
6. Cf.  J.  DELORS, «  La nouvelle société  », Preuves, 1970, 2, p.  95-107 ; et récemment
Y.  CANNAC, «  La Nouvelle société, quarante ans après  », Commentaire, 2010, 33 (129),
Subsidiarité et Europe post-totalitaire. La conjonction fédérale 385

points, le catholique Delors, le mendésiste Nora et le libéral Cannac se


rejoignent. Tous les trois sont d’attentifs lecteurs du sociologue Michel
Crozier, un habitué du Club Jean-Moulin, dont les travaux sur les défaillances
du système bureaucratique ont fait date1.
On sait cependant que le Premier ministre Chaban-Delmas devra s’effacer
devant le conservatisme pompidolien — et son projet avec. De cette expé-
rience, Jacques Delors gardera la conscience aiguë de l’immobilisme politique
devant les ambitions de transformation et de modernisation des rapports
sociaux. Il se tourne alors vers la réflexion, créé un nouveau club, Échanges et
projets, et poursuit sa carrière d’enseignant2. Après l’épisode de Mai 1968,
l’époque est au bouillonnement intellectuel, dans les courants de la gauche
antimarxiste, qui vivent désormais à l’heure yougoslave de l’autogestion3.
Avec Patrick Viveret, et dans une veine très proche d’un Jacques Julliard ou
d’un Cornélius Castoriadis, Pierre Rosanvallon entend faire du mot d’ordre
autogestionnaire la pierre de touche d’une refondation totale du politique à
l’intérieur du socialisme démocratique4. Un socialisme cette fois détaché des
bases doctrinales du marxisme scientifique et de sa compromission totali-
taire  : organisation décentralisée de la vie sociale, démocratie politique de
proximité, participation des ouvriers à la vie des entreprises, etc. L’appel de
Nantes lancé par Michel Rocard en 1977 a été entendu. Chez un Cornélius
Castoriadis, le fonds proudhonien refait plus explicitement surface et
explique son rejet viscéral de l’État, dans lequel il persiste à voir le symbole
même de la sclérose et de la répression. On célèbre l’immanence du social.
On redécouvre les vertus de la société civile. On relit Tocqueville et

p. 77-80. Le projet de la Nouvelle société trouve son meilleur résumé dans le discours de poli-
tique générale prononcé par Jacques Chaban-Delmas le 16 septembre 1969 au Palais Bourbon.
1. Cf. M.  CROZIER, Le Phénomène bureaucratique. Essai sur les tendances bureaucratiques
des systèmes d’organisation modernes et sur leurs relations en France avec le système social et
culturel, Paris, Le Seuil, 1963 ; M.  CROZIER, dir., L’Administration face aux problèmes du
changement, Paris, Le Seuil, 1966. Esprit ouvre ses colonnes à Michel Crozier dès 1957  :
M. CROZIER, « La France, terre de commandement », Esprit, 1957, 256, p. 779-799. Parmi les
publications du Club, cf. CLUB JEAN-MOULIN, L’État et le citoyen, Paris, Le Seuil, 1961 ;
Les Citoyens au pouvoir, 12 régions, 2000 communes, Paris, Le Seuil, 1968. La contribution de
Michel Crozier au volume de 1961 a également fait l’objet d’une publication dans Esprit  :
M. CROZIER, « Le citoyen », Esprit, 1961, 292, p. 193-211. Sur l’histoire du Club Jean-Moulin,
cf. l’étude de référence due à Claire Andrieu (C. ANDRIEU, Pour l’amour de la République.
Le Club Jean-Moulin (1958-1970), Paris, Fayard, 2002). Remarque topographique au passage,
le Club est installé dans le même immeuble que l’équipe de recherche de Michel Crozier.
2. À l’ÉNA, où il fait la rencontre de Pascal Lamy, son futur chef de cabinet à Bruxelles.
3. Pour l’établissement d’un lien avec la remarque précédente, sur le rôle des sociologues dans le
moment 1968, cf. P. GRÉMION, « Les sociologues et 68 », Le Débat, 2008, 149, p. 20-36.
4. P. ROSANVALLON, L’Âge de l’autogestion ou la politique au poste de commande, Paris,
Le Seuil, 1976 ; P. ROSANVALLON, P. VIVERET, Pour une nouvelle culture politique, Paris,
Le Seuil, 1977 ; J. JULLIARD, Contre la politique professionnelle, Paris, Le Seuil, 1977 ; C. CAS-
TORIADIS, L’Institution imaginaire de la société, Paris, Le Seuil, 1975 ; « Autogestion et hié-
rarchie  » [1974], Le Contenu du socialisme, Paris, UGE, 1979, p.  301-322. Pour une synthèse
plus générale sur ce contexte intellectuel, cf. P.  GRÉMION, «  Le chantier autogestionnaire  »
[1977], Modernisation et progressisme, op. cit., p. 71-82 ; F. GEORGI, dir., Autogestion. La der-
nière utopie ?, Paris, Publications de la Sorbonne, 2003 ; F. GEORGI, « L’autogestion en France
des “années 1968” aux années 1980 », La Pensée, 2008, 356, p. 87-101 ; J.-P. LE GOFF, Mai 68,
l’héritage impossible [1998], Paris, La Découverte, 2006, p. 450 sq.
386 La subsidiarité germanique...

Benjamin Constant. Certains libéraux se plaisent même à dresser des ponts


entre libéralisme et autogestion1. Les catholiques ne sont pas en reste, à
l’instar d’Edmond Maire, le Secrétaire fédéral de la CFDT, et de Paul Thi-
baud, le nouveau directeur d’Esprit2. L’autogestion, doit-on comprendre,
c’est la confiance accordée à la société et, en un certain sens, si l’on n’oublie
pas les racines chrétiennes de la deuxième gauche, l’actualisation démocra-
tique de la pensée catholique des corps intermédiaires.
«  L’attachement de l’Église catholique aux corps intermédiaires (fondé sur le
principe de subsidiarité), écrit-on dans la revue Esprit, se trouve actualisé par
l’insistance portant sur le rôle de la société civile (cf. les travaux de Pierre
Rosanvallon et Patrick Viveret) comme lieu de l’activité économique bien sûr,
mais également de la démocratie municipale, des associations culturelles, de
loisir, de consommation, etc.3 »
Tels sont les termes de la rencontre entre christianisme, libéralisme et
socialisme  : les termes libéraux de l’alliance objective entre l’autogestion
socialiste et la subsidiarité catholique (importance des communautés natu-
relles, protection de la personne contre les prétentions omnipotentes de
l’État) 4. Certes, la subsidiarité des catholiques sociaux ou celle des démo-
crates chrétiens n’est pas la subsidiarité des catholiques de gauche adeptes
d’autogestion, mais on comprend néanmoins que tout autorise un chrétien à
rallier un Parti socialiste peu à peu autonomisé de son surmoi jacobin et
marxiste5. Si le mot subsidiarité est utilisé de manière très parcimonieuse dans
les cercles de la gauche rocardienne, souvent protestante, l’indice est bel et
bien là d’une complicité souterraine entre le discours chrétien, le discours
socialiste (social-démocrate) et un certain discours libéral, qui tend à réin-

1. Cf. J.  BAECHLER, «  Libéralisme et autogestion  », Commentaire, 1978, 1 (1), p.  27-38 ;
L.  SFEZ, «  Autogestion et société libérale  », Contrepoint, 1978, 28, p.  47-58 ; Y.  CANNAC,
Le Juste pouvoir. Essai sur les deux chemins de la démocratie, Paris, Hachette, 1983. Un échange
paru dans Le Débat aide à établir la parenté entre Yves Cannac et Pierre Rosanvallon
(Y. CANNAC, P. ROSANVALLON, « Que faire de l’État ? », Le Débat, 1983, 26, p. 69-92).
2. A.  DETRAZ, E.  MAIRE, «  Pourquoi nous croyons à l’autogestion  », Preuves, 1970, 4,
p. 110-119 ; J. JULLIARD, E. MAIRE, La CFDT aujourd’hui, Paris, Le Seuil, 1975 ; E. MAIRE,
Reconstruire l’espoir [1978-1979], Paris, Le Seuil, 1980 ; P. THIBAUD, « Contre la prise de pou-
voir... et pour l’autogestion  », Esprit, 1975, 9, p.  163-183 ; «  Créativité sociale et révolution  »,
ibid., 1976, p. 213-224 (Paul Thibaud met ici en garde contre l’irénisme castoriadien).
3. J. ROLLET, « La deuxième gauche pour mémoire », art. cit., p. 52.
4. Sur la rencontre socialiste entre autogestion et subsidiarité, cf. F.  d’ALMEIDA,
P.  BERKOWITZ, F.  CÉPÈDE, «  Discours chrétiens et discours socialistes  : un double par-
cours  », Mots, 1994, 38, p.  43-58, spécialement p.  52  sq.). Dans le même sens  : M.  BRAUD,
F.  CÉPÈDE, «  Enquête sur la subsidiarité  », Cahiers et revue de l’OURS, 1992, 207, p.  1-3 ;
F.  CÉPÈDE, «  Détours par Maastricht  : État subsidiaire, État minimum ?  », ibid., p.  32-34 ;
M. BRAUD, « La subsidiarité remise sur ses pieds : le socialisme fédéraliste », ibid., p. 35-39 ;
« Traces du fédéralisme au sein du Parti socialiste SFIO entre les deux guerres (1918-1939) »,
Le Fédéralisme personnaliste aux sources de l’Europe de demain. Hommage à Alexandre Marc,
éd. F. KINSKY, F. KNIPPING, Baden-Baden, Nomos, 1996, p. 212-223 ; G. BOSSUAT, « Les
euro-socialistes de la SFIO. Réseaux et influence », Inventer l’Europe, op. cit., p. 409-430. Sur
le rapport entre deuxième gauche et subsidiarité, cf. aussi J. PALARD, « Médiation et institu-
tion catholique  », Archives de sciences sociales des religions, 2006, 133, p.  9-26 ; Y.  PALAU,
« La médiation sociale, une construction idéologique », Études, 1996, 385 (6), p. 613-622.
5. Cf. J.-F. KESLER, De la gauche dissidente au nouveau parti socialiste. Les minorités qui ont
rénové le PS, Toulouse, Privat, 1990 ; Les Chrétiens et le PSU, Paris, IEP, 1987.
Subsidiarité et Europe post-totalitaire. La conjonction fédérale 387

vestir l’idée de nature, contre celle — devenue alors trop suspecte — de


volonté politique, en donnant à la thématique originellement conservatrice
de la subsidiarité les apparences avantageuses du progressisme. Vatican II
avait fait son œuvre chez les catholiques laïques. Mai 1968 avait dynamisé la
gauche antimarxiste. L’antitotalitarisme soljénitsynien et l’épisode polonais
de Solidarnosc avaient accéléré puis parachevé la rencontre des deux.
D’un certain libéralisme, disions-nous, lui-même très évolutif. Celui dans
lequel se rejoignent finalement un Pierre Rosanvallon et un Jacques Delors,
qui s’accorderont l’un et l’autre à réaffirmer le rôle positif de l’État, s’atta-
chant désormais à discriminer entre l’idéologie étatiste et l’institution éta-
tique. De L’Âge de l’autogestion en 1976 au Modèle politique français en
2004, on passe d’une critique de l’étatisme jacobin, dans la veine d’un Toc-
queville ou d’un Proudhon, à une description plus fine et plus circonstan-
ciée1 : la distinction entre une idéologie jacobine, toujours prégnante « dans
les têtes », et une réalité jacobine dédramatisée et moins univoque (le « jaco-
binisme amendé  »)2. De la même manière, chez Jacques Delors, le contact
avec l’objet européen fait ressortir au grand jour les tensions enfouies de
sa fibre mendésiste : la culture deuxième gauche peut-être mais aussi l’insis-
tance sur le rôle planificateur de la puissance publique ; la spontanéité de la
société civile peut-être mais aussi la responsabilité de l’action publique dans
les mains des grands commis de l’État3. « Gouverner, c’est planifier », avait-il
dit jadis non sans une certaine nostalgie pour l’époque où il travaillait au
Commissariat général du Plan4.

1. Nous reviendrons sur Tocqueville et Proudhon. Cf. P. ROSANVALLON, « Sur quelques


chemins de traverse de la pensée du politique en France », Raisons politiques, 2001, 1, p. 49-62.
2. P. ROSANVALLON, Le Modèle politique français. La société civile contre le jacobinisme de
1789 à nos jours, Paris, Le Seuil, 2004. La dernière phase d’amendement du jacobinisme pourrait
correspondre à la fin de « l’exceptionnalisme français » telle que diagnostiquée en 1988 par Fran-
çois Furet, Jacques Julliard et Pierre Rosanvallon, qui insistaient notamment sur le déclin simul-
tané du communisme et du gaullisme (F.  FURET, J.  JULLIARD, P.  ROSANVALLON, La
République du centre. La fin de l’exception française, Paris, Calmann-Lévy, 1988). La même
tension entre faits et représentations est repérable chez François Furet, qui annonçait la fin de la
Révolution française en 1978, mais qui insistait en 1995 sur la difficulté des Français à se
déprendre de leurs illusions politiques (F. FURET, Penser la Révolution française [1978], Paris,
Gallimard, 2005 ; Le Passé d’une illusion. Essai sur l’idée communiste au XXe  siècle, Paris, Cal-
mann-Lévy, Laffont, 1995). Pour un décentrement britannique sur toutes ces questions,
cf. J. HAYWARD, Fragmented France, Oxford, Oxford University Press, 2007.
3. Tension bien retranscrite par Nicolas Defaud (N.  DEFAUD, La CFDT (1968-1995). De
l’autogestion au syndicalisme de proposition, Paris, Presses de Sciences Po, 2009, p. 258 sq.).
4. Cf. R. MEYRET, La Face cachée de Jacques Delors, op. cit., p. 39 sq. À propos de Citoyens 60,
Jacques Delors déclarait : « “Citoyens 60” était, maladroitement peut-être, dans le droit fil d’un
socialisme un peu teinté d’anarchisme, soucieux du développement des communautés de base,
revendiquant contre un État qui empêche les initiatives et s’oppose à la démocratie “à portée de
la main”. Mais “Citoyens 60” réclamait simultanément une politique vigoureuse de l’État pour
orienter le développement économique et social, dans le cadre du Plan. » (J. DELORS, Changer,
op. cit., p. 67). Relevons ici trois articles de Jacques Delors publiés sous son pseudonyme Roger
Jacques dans Esprit et dans la revue mendésiste Les Cahiers de la République  : J.  DELORS,
« Pour une approche syndicale du Plan », Esprit, 1961, 297, p. 16-39 ; « Connaissance et choix
des besoins », ibid., 1962, 308, p. 8-54 ; « Quelques problèmes posés par la planification démo-
cratique », Les Cahiers de la République, 1961, 35, p. 52-65.
388 La subsidiarité germanique...

La tension est mendésiste, elle est plus probablement saint-simonienne et


technocratique, voire demanienne et proudhonienne1  : administration des
choses plus que gouvernement des hommes. Tout cela a également pu tran-
siter par le personnalisme mouniérien. Rappelons-nous que dans les années
1930, la revue Esprit, qui a joué un si grand rôle dans la formation intellec-
tuelle de Jacques Delors, fut particulièrement réceptive aux thèses d’Hendrik
de Man (le planisme, le néosocialisme corporatiste)2, via un économiste
comme François Perroux par exemple, qui fut un lecteur très attentif
d’Au-delà du marxisme. Moyennant une réhabilitation de la croyance reli-
gieuse, de Man avait, lui aussi, tenté de sortir le socialisme de sa gangue
marxiste. Peut-être y avait-il dans la référence mouniérienne à de Man
quelque chose de l’ordre de la purification chrétienne et socialiste du corpo-
ratisme réactionnaire. Les plus à gauche des demanniens se refusaient d’ail-
leurs obstinément à établir le moindre rapport entre planisme et corpora-
tisme, comme pour conjurer une possible compromission  : un Georges
Lefranc, par exemple, le plus célèbre des demaniens socialistes, responsable
des études à la CGT dans les années 1930, se défendait avec force d’embrayer
le pas au discours corporatiste3. On pourrait tenter ici un parallèle avec l’or-
dolibéralisme allemand qui naît dans la même période en parlant d’une forme
d’ordosocialisme. Par le syncrétisme idéologique dont elle est porteuse, la
postérité demanienne nous semble étayer cette interprétation4. Avant-guerre,
le planisme demanien a inspiré l’aile gauche du Parti radical (les Jeunes Turcs),
alors incarnée par Pierre Mendès France et Pierre Cot. Pendant la guerre, il
nourrit les travaux de l’École des cadres d’Uriage5. À la Libération, on en
retrouve de nombreuses traces dans le Programme du Conseil national de la

1. Comme d’ailleurs chez Pierre Rosanvallon, cheville ouvrière de la Fondation Saint-Simon


créée par François Furet et Jean-Claude Casanova au début des années 1980, dissoute en 1999.
2. H. de MAN, Au-delà du marxisme [1922, 1926], trad. fr. A. Pels, Paris, Le Seuil, 1974 ; Le
Socialisme constructif, trad. fr. L. C. Herbert, Paris, Alcan, 1933 ; L’Idée socialiste [1935], trad. fr.
H. Corbin, A. Kojevnikov, Genève, Presses universitaires romandes, 1975. Sur le planisme éco-
nomique et le corporatisme socialiste, cf. surtout H. de MAN, Réflexions sur l’économie dirigée,
Bruxelles, Paris, L’Églantine, 1932 ; Pour un plan d’action, Paris, Rivière, 1934 ; Le Plan du tra-
vail, Bruxelles, Paris, Labor, 1935 ; Corporatisme et socialisme, Bruxelles, Paris, Labor, 1935. Ce
dernier texte a été reproduit dans la revue de Maurice Bouvier-Ajam (H. de MAN, « Corpora-
tisme et socialisme », Cahiers de travaux, 1943, 1, p. 62-65 ; 5, p. 57-61).
3. Après en avoir été un acteur de premier plan à la CGT, Georges Lefranc, grande figure de la
Résistance, s’est fait historien du syndicalisme. Pour notre sujet, cf. G. LEFRANC, « Le courant
planiste dans le mouvement ouvrier français de 1933 à 1936 », Le Mouvement social, 1966, 54,
p.  69-89. Dans la même veine, mais moins à gauche, pensons au socialiste protestant André
Philip (A. PHILIP, Henri de Man et la crise doctrinale du socialisme, Paris, Gamber, 1933 ; « Le
syndicalisme et la transformation économique », Esprit, 1936, 46, p. 518-529).
4. Sur l’inspiration demanienne de certains néosocialistes, cf. les analyses de Marc Sadoun
(M. SADOUN, « Les facteurs de la conversion au socialisme collaborateur », Revue française de
science politique, 1978, 28 (3), p. 459-487). Maurice Braud a, pour sa part, mis en évidence une
empreinte proudhonienne chez Marcel Déat (M. BRAUD, « Traces du fédéralisme au sein du
Parti socialiste SFIO entre les deux guerres (1918-1939)  », Le Fédéralisme personnaliste aux
sources de l’Europe de demain, éd. F. KINSKY, F. KNIPPING, op. cit., p. 218 sq.). Sur le néoso-
cialisme de manière générale, cf. A. BERGOUNIOUX, « Le néosocialisme : réformisme tradi-
tionnel ou esprit des années trente », Revue historique, 1978, 528 (2), p. 349-412.
5. Cf. B. COMTE, Une Utopie combattante. L’École des cadres d’Uriage, Paris, Fayard, 1991.
Subsidiarité et Europe post-totalitaire. La conjonction fédérale 389

Résistance (pensons, en particulier, au programme du 15 mars 19441). Après-


guerre, il est présent dans le bagage idéologique du mendésisme, spécialement
chez les hauts fonctionnaires du Club Jean-Moulin, du gaullisme de gauche
(Louis Vallon) et de la démocratie chrétienne. Il y a peut-être là matière à
éclairer le tournant libéral de 1983 : moins néolibéral (thatchérien ou reaga-
nien) qu’ordolibéral et ordosocialiste2, il annonce en tout cas la présidence
bruxelloise de Jacques Delors, comme il avait, en quelque sorte, inauguré son
engagement européen. Ce socialisme technocratique aux ascendances chré-
tiennes et aux résonances planistes, donnera une coloration singulière à la
subsidiarité delorienne.

2. LE BAPTÊME DELORIEN DE LA SUBSIDIARITÉ

Pour déterminer la place exacte qu’occupe la subsidiarité dans le discours


européen de Jacques Delors, nous considérerons deux niveaux distincts de
contextualisation : un premier d’ordre général sur la séquence historique de
la construction européenne qui court de l’Acte unique au traité de Maas-
tricht ; un second plus immédiat, relatif aux termes spécifiques du compromis
maastrichtien3.
Le premier niveau de contexte d’abord. Dès son arrivée à Bruxelles en
janvier 1985, Jacques Delors avait impulsé une relance audacieuse de la
construction européenne. Fin des années 1980-début des années 1990, la mise
en place du Grand Marché bat son plein, occasionnant l’adoption de près de
trois cents textes communautaires4, non sans susciter en retour un climat de
profonde réticence devant une Europe perçue comme lointaine, dont l’acti-
vité en arrivait à s’étendre à des domaines toujours plus variés et de moins
en moins soumis à la règle de l’unanimité (généralisation de la majorité
qualifiée)5. L’angoisse monte chez certains gouvernants nationaux mais n’em-
pêche pas Jacques Delors d’obtenir le renouvellement de son mandat en 1988.

1. On peut en trouver les principaux extraits dans H.  MICHEL, B.  MIRKINE-GUETZÉ-
VITCH, Les Idées politiques et sociales de la Résistance, Paris, PUF, 1954, p. 215 sq.
2. Nous reprendrons cette question, notamment à propos du gaullisme et du tournant néolibéral
de 1983. D’aucuns ont pu parler, s’agissant du cas français, d’une forme spécifique de « néolibéra-
lisme social » (F. DENORD, Néolibéralisme, version française, Paris, Demopolis, 2007 ; « French
Neoliberalism and Its Divisions : From the Colloque Walter Lippmann to the Fifth Republic »,
The Road From Mont Pèlerin, éd. P. MIROWSKI, D. PLEHWE, op. cit., p. 45-66).
3. Acte unique européen, 28 février 1986-1er juillet 1987 (JOCE, L 169, 29 juin 1987) ; Traité sur
l’Union européenne, 7 février 1992-1er novembre 1993 (JOCE, C 191, 29 juillet 1992).
4. Établissant un premier bilan de sa politique devant le Parlement en 1989, le Président déclare
modestement : « l’harmonisation des règles techniques et de la normalisation, à laquelle se subs-
titue parfois la simple reconnaissance mutuelle, a effectué un immense bond en avant  »
(J. DELORS, « Les perspectives 1989-1992 », Discours devant le Parlement européen, 17 janvier
1989, Le Nouveau concert européen, op. cit., p. 116-148, ici p. 118). Nous soulignons.
5. Renaud Dehousse précise que ce n’est pas tant à cause de l’inflation réglementaire que de la
modification des procédures de décision (le passage à la majorité qualifiée pour une série de
mesures liées à la mise en place du Marché intérieur) que le débat sur la subsidiarité a été lancé
(R. DEHOUSSE, « Réflexions sur la naissance et l’évolution du principe de subsidiarité », Le
Principe de subsidiarité, dir. F. DELPÉRÉE, Bruxelles, Bruylant, Paris, LGDJ, 2002, p. 362).
390 La subsidiarité germanique...

Conçue comme une réponse à ces différentes crispations, la subsidiarité


voulait alors adresser un message d’apaisement destiné à rassurer les États : la
Commission promettait de tempérer ses ardeurs législatives et de limiter l’ac-
croissement des compétences communautaires aux strictes exigences des
objectifs fixés par les traités fondateurs1.
Elle prenait pour ainsi dire la suite de la jurisprudence Cassis de Dijon et
du principe de la reconnaissance mutuelle2. Née une dizaine d’années plus
tôt, cette pratique basée sur la réciprocité entre les États membres avait inau-
guré un assouplissement sans précédent de l’impératif d’harmonisation légis-
lative au sein de l’espace européen. Ainsi l’uniformisation bruxelloise a-t-elle
durablement été limitée. Mais, avec la relance delorienne et ses conséquences
en termes de production normative, la reconnaissance mutuelle ne suffi-
sait plus à rassurer. La subsidiarité maastrichtienne s’attachera alors à prendre
le relais en essayant de donner de nouveaux gages. Sous l’impulsion de la
Conférence intergouvernementale (1990-19913) et du Président Delors en
particulier4, la subsidiarité s’imposera assez rapidement comme principe
régulateur de la distribution des compétences face aux partisans de l’établis-
sement de catalogues détaillés (sur le modèle de la pratique traditionnelle des
États fédéraux)5.

1. On a pu parler d’un « subsidiarity backlash » dirigé contre la centralisation législative euro-


péenne (M.  A. POLLACK, «  The End of Creeping Competence ? EU Policy-Making since
Maastricht », Journal of Common Market Studies, 2000, 38 (3), p. 519-538). Sur l’accusation de
furie réglementaire adressée à la Commission de Bruxelles, cf. M. BANGEMANN, « L’Europe
contre la “furie réglementaire” », Revue du Marché unique européen, 1992, 4, p. 5-11.
2. Les articles 100 sq. TCEE, devenus articles 94 sq., stipulaient que la Communauté s’engageait
à procéder au rapprochement des législations nationales, en vue de remédier aux différentes
lacunes susceptibles de porter atteinte au bon fonctionnement du Marché commun. Selon la
jurisprudence Cassis de Dijon (CJCE, Rewe Zentral-Bundesmonopol-verwaltung für
Branntwein, 20 février 1979 ; aff. 120-78, Rec., p. 649), un produit légalement fabriqué dans un
État ne pouvait être interdit à la vente dans un autre État membre, même si les prescriptions
techniques ou qualitatives différaient de celles imposées à ses propres produits, sauf pour des
motifs d’intérêt général (protection de la santé, des consommateurs, de l’environnement). Sur le
lien entre reconnaissance mutuelle et principe de subsidiarité, cf A. MATTERA, « Subsidiarité,
reconnaissance mutuelle et hiérarchie des normes européennes », Revue du Marché commun et
de l’Union européenne, 1991, 4, p. 7-10 ; « L’article 30 du traité CEE, la jurisprudence “Cassis de
Dijon” et le principe de la reconnaissance mutuelle : instruments au service d’une Communauté
plus respectueuse des diversités nationales, Revue du Marché unique européen, 1992, 4, p. 13-72 ;
«  Le principe de la reconnaissance mutuelle  : instrument de préservation des traditions et des
diversités nationales, régionales et locales », Revue du Marché unique européen, 1998, 2, p. 5-17 ;
« Le principe de la reconnaissance mutuelle et les respect des identités et des traditions natio-
nales, régionales et locales », Mélanges J.-V. Louis, Bruxelles, Éditions de l’ULB, 2003, I, p. 287-
307 ; N. BERNARD, « The Future of European Economic Law in the Light of the Principe of
Subsidiarity », Common Market Law Review, 1996, 33 (4), p. 633-666.
3. Deux conférences intergouvernementales ont préparé le texte du traité  : l’une sur l’Union
économique et monétaire, l’autre sur l’Union politique. Nous nous intéressons ici à la seconde.
4. Vraisemblablement dépassé par sa déclaration sur les 80 % de lois nationales d’origine euro-
péenne. Cf. J. DELORS, « Le principe de subsidiarité : contribution au débat », Subsidiarité :
défi du changement. Colloque J. Delors, Maastricht, Institut européen d’administration publique,
1991, p. 7-19. Le discours est repris dans J. DELORS, « Le principe de subsidiarité », Discours
au Colloque de l’IEAP, 21 mars 1991, Le Nouveau concert européen, op. cit., p. 163-176.
5. Cf. C. KIRCHNER, « Competence Catalogues and the Principle of Subsidiarity in a Euro-
pean Constitution  », Constitutional Political Economy, 1997, 8 (1), p.  71-87. Les expériences
belge et américaine montrent bien, par la négative, en quoi la subsidiarité ne trouve pas à s’appli-
Subsidiarité et Europe post-totalitaire. La conjonction fédérale 391

Le second niveau ensuite. Il y a, à gros traits, trois protagonistes en pré-


sence : le gouvernement britannique, les Länder allemands et la Commission
européenne. Côté britannique d’abord : soucieux de défendre l’indépendance
britannique, les conservateurs alors au pouvoir refusaient toute référence à
une quelconque « vocation fédérale » de l’Europe, tel que le prévoyait la pre-
mière version du traité. C’est pour obtenir la suppression de cette fâcheuse
allusion au fédéralisme qu’ils acceptèrent son remplacement par la subsidia-
rité. Leur adhésion au nouveau slogan maastrichtien était donc purement
négative, motivée par une défense de leur souveraineté nationale. On a même
pu dire — John Major le premier — que cet évitement sémantique avait
« sauvé » le traité de Maastricht1. Côté allemand ensuite : l’essentiel se joua
non pas au niveau du gouvernement fédéral, mais au niveau régional des
Länder. Eux aussi réclamaient une limitation de l’interventionnisme de la
Commission mais pour des raisons différentes : par crainte que l’exercice des
compétences européennes réduise davantage encore leur autonomie au profit
de Bonn. Le slogan de la subsidiarité avait surgi dans leur argumentaire poli-
tique lors des débats tenus au Bundesrat sur la ratification de l’Acte unique.
À l’approche du traité de Maastricht, ils se mobilisèrent à nouveau contre la
mise en place d’un dialogue exclusif entre la Communauté et l’État fédéral.
Côté Commission européenne enfin : Jacques Delors comprit très vite le
potentiel d’alliance objective que recélaient ces différentes angoisses : celles,
souverainistes, d’une Margaret Thatcher ou d’un John Major et, plus généra-

quer dans les systèmes établissant des listes détaillées de compétences. Sur la Belgique unique-
ment (à ce stade de l’analyse), cf. D. JANS, « La subsidiarité en droit belge », Revue européenne
de droit public, 1994, 6 (1), p. 89-107 ; F. MASSART-PIÉRARD, « La Belgique à l’épreuve de
l’introduction du principe de subsidiarité au sein de l’Union européenne  : entre fédéralisme
européen et fédéralisme belge », Recherches sociologiques, 2000, 31 (1), p. 67-77 ; A. ALEN, « Le
principe de subsidiarité et le fédéralisme belge », Le Principe de subsidiarité, dir. F. DELPÉRÉE,
op. cit., p. 461-469 ; J.-C. SCHOLSEM, « Le principe de subsidiarité en question en droit consti-
tutionnel belge », ibid., p. 495-507 ; H. VUYE, « Réactions à l’égard du principe de subsidiarité
en droit constitutionnel belge », ibid., p. 509-513.
1. D. Z. CASS, « The Word that Saves Maastricht ? The Principle of Subsidiarity and the Divi-
sion of Powers within the European Community », Common Market Law Review, 1992, 29 (6),
p.  1107-1136. Cf. aussi D.  FREIBURGHAUS, «  Subsidiarität, ein Nachruf Überlegung zur
Bedutung von “Zauberworten” im europäischen politischen Diskurs  », Schweizerische Zeit-
schrift für politische Wissenschaft, 1997, 3 (3), p. 197-227 ; W. HILZ, « Bedeutung und Instru-
mentalisierung des Subsidiaritätsprinzips für den europäischen Integrationsprozess  », Aus
Politik und Zeitgeschichte, 1999, 21-22, p. 28-38. Parmi la littérature immédiatement postérieure
à l’adoption du traité, cf. A. L. TEADSDALE, « Subsidiarity in Post-Maastricht Europe », The
Political Quarterly, 1993, 64 (1), p. 187-197 ; P. MARQUARDT, « Subsidiarity and Sovereignty
in the European Union », Fordham International Law Journal, 1994, 18, p. 616-640 ; P. GREEN,
« Subsidiarity and European Union : Beyond the Ideological Impasse ? An Analysis of the Ori-
gins and Impact of the Principle of Subsidiarity within Politics of the European Community »,
Policy and Politics, 1994, 22 (4), p. 287-300 ; J. PETERSON, « Subsidiarity : a Definition to Suit
any Vision ? », Parliamentary Affairs, 1994, 47 (1), p. 116-132. Sur la redécouverte théorique du
principe de subsidiarité en Grande-Bretagne au tout début des années 1990, cf. M.  WILKE,
H. WALLACE, Subsidiarity : Approaches to Power-Sharing in the European Community. Dis-
cussion Paper, Londres, The Royal Institute of International Affairs, 1990 ; A. ADONIS, « Sub-
sidiarity : Theory of a New Federalism ? », A Constitution for Europe. A Comparative Study of
Federal Constitutions and Plans for the United States of Europe, éd. P.  KING, A.  BOSCO,
Londres, Lothian Foundation Press, 1991, p. 63-73.
392 La subsidiarité germanique...

lement, de tous les partisans de l’intergouvernementalisme ; celles, régiona-


listes, des Länder et autres régions subnationales à compétences législatives.
Il put s’en aviser dès 1988 : en mai, d’abord, lors d’une conférence réunissant
les Länder allemands à Bonn ; en septembre ensuite, à l’occasion du discours
prononcé à Bruges par Magaret Thatcher, vibrant plaidoyer en faveur de
l’Europe des nations ouvertement dirigée contre sa politique à la tête de la
Commission1. Deux argumentations — britannique et allemande — très dif-
férentes dans les principes mais qui ne manquaient pas de se rejoindre sur une
même position pratique s’agissant du transfert des compétences à la Commu-
nauté.
Un ancien Commissaire européen comme Ralf Dahrendorf, sociologue
allemand devenu anglais, avait pu résumer dans sa propre trajectoire person-
nelle à la fois l’euro-scepticisme britannique (dont il se défendait) et l’attache-
ment germanique au fédéralisme régional. Dès 1971, c’est lui, alors Commis-
saire au Commerce extérieur (1971-1974), qui, via un éditorial paru sous
pseudonyme dans la presse allemande, appelait la Commission à sortir du
dogme de l’harmonisation pour entrer dans l’ère de la subsidiarité2, annon-
çant par là la future jurisprudence Cassis de Dijon. Au même moment, son
collègue, le fervent fédéraliste Altiero Spinelli, Commissaire à la Politique
industrielle et à la Recherche (1970-1976), lui portait la contradiction, allant
jusqu’à provoquer une grave crise politique. Les termes exacts de cette dis-
pute nous importent peu ici ; seul compte véritablement ce fait très signifi-
catif : tous les deux, autant le Commissaire Dahrendorf que le Commissaire
Spinelli se revendiquaient du principe de subsidiarité, le premier dans une
logique de respect des différences nationales, le second dans une logique
d’harmonisation communautaire devant conduire ultimement à la mise en
place d’un État européen. Réunies ensemble, ces deux logiques anticipent sur
la subsidiarité maastrichtienne jusque dans ses aspects les plus contradic-
toires. Elles révèlent en tout cas la plasticité du concept, la souplesse du
principe, qui autorise à mettre en avant telle ou telle dimension selon les
contextes en fonction des résultats escomptés3. Bien avant le traité de Maas-

1. C.  GRANT, Delors  : Inside the House that Jacques Built, Londres, Brealeyn 1994, p.  218.
Rappelons-le ici, c’est lors d’une rencontre entre Jacques Delors et les ministres des Länder à
Bonn en mai 1988 que le Président de la Commission s’est convaincu de la nécessité pour la
Communauté de prendre en compte les inquiétudes des pouvoirs locaux et régionaux. Faut-il
pour autant voir dans l’usage de la subsidiarité par Jacques Delors un pur opportunisme ?
Aucunement : son attachement à la subsidiarité doit bien sûr être replacé dans la globalité de son
parcours intellectuel et compris à la lumière de son ambition sincère de donner une cohérence
doctrinale à la construction européenne. Cf. H.  DRAKE, Jacques Delors en Europe, op. cit.,
p. 180-181 ; Jacques Delors. Perspectives on a European Leader, op. cit., p. 17-18, p. 119.
2. Les déclarations de Ralf Dahrendorf ont d’abord paru sous un pseudonyme (R.  G. DAH-
RENDORF, « Wieland Europa », Die Zeit, 9 juillet 1971, 28, p. 3 ; « Ein neues Ziel für Europa »,
ibid., 16  juillet 1971, 29, p.  3 ; «  Ralf Dahrendorf  : A New Goal for Europe  », trad. angl.
M. Hodges, European Integration. Selected Readings, Harmondsworth, Penguin, 1972, p. 82).
3. « Les mots choisis dans l’effroi ou créés dans l’espoir qu’ils opèrent tel un charme repoussant
des démons que l’on préfère éviter qu’affronter, ne peuvent que conduire à l’adoption d’un sys-
tème imparfait et donc insatisfaisant. » (V. MICHEL, « 2004 : le défi de la répartition des compé-
tences », Cahiers de droit européen, 2003, 1-2, p. 54). « La subsidiarité n’a pas d’ennemi ; c’est
mauvais signe.  » (Y.  GAUDEMET, «  Libres propos sur la subsidiarité, spécialement en
Subsidiarité et Europe post-totalitaire. La conjonction fédérale 393

tricht, la double lecture du principe de subsidiarité était en quelque sorte


posée dans le discours communautaire  : ambition fédérale de l’Union d’un
côté, attachement à la nation et/ou aux régions de l’autre.
Soulignons l’habileté des négociateurs de la Conférence intergouverne-
mentale qui ont réussi à réunir autour de la subsidiarité les tenants de posi-
tions parfaitement opposées en laissant à son application ultérieure le soin de
les départager. Le succès initial de la subsidiarité maastrichtienne repose ainsi
sur un malentendu volontaire et consenti. « Ça arrange M. Delors d’être d’ac-
cord avec Mme Thatcher sur un malentendu », résumera l’eurodéputé français
et ancien ministre socialiste Jean-Pierre Cot. Parler de «  consensus creux  »
(hollow consensus) ou de compromis dilatoire (gag rule) n’a en l’espèce abso-
lument rien d’exagéré1. Il en résultera une profonde indétermination sur le
sens juridique imputable au principe, nous y reviendrons. Mais, au-delà de
ces diverses appropriations, le consensus s’est opéré sur un mot qui n’a pas
émergé par le pur fait du hasard dans le débat européen. Tout à fait conscient
des réticences antimaastrichtiennes, y compris dans son propre pays d’ori-
gine, le Président Delors s’est attaché à formuler un compromis tactique
autour d’un vocable diversement interprétable, mais auquel lui-même — sa
formation intellectuelle aidant — était rendu particulièrement réceptif2. Il
puise ainsi dans le répertoire chrétien mais mise surtout sur les vertus conju-
ratoires du principe.
La subsidiarité delorienne ne se réduira pas à une promesse de retrait (de
rachat ?) en forme d’autolimitation de la Commission (répondre au déficit
démocratique) ; elle sera tout autant un argument de justification et de légiti-
mation de son action (préserver l’«  acquis  » communautaire)3. Évitement
sémantique du fédéralisme peut-être, abjuration de l’ambition fédérale en
aucun cas4. Tout au contraire, l’objectif stratégique du Président Delors aura

Europe », Mélanges P. Amselek, Bruxelles, Bruylant, 2005, p. 329 ; « La subsidiarité en Europe :
un principe ambigu et discutable  », Futuribles, 2002, 280, p.  5-14). «  On doit simplement
constater que l’application du principe de subsidiarité correspond en fait à l’introduction d’une
nouvelle culture dans l’action communautaire qui consiste à flatter les États pour vraisemblable-
ment les amener à consentir davantage de pouvoirs à la Communauté qui tend à terme à se subs-
tituer à eux.  » (C.-É. GUDIN, «  Subsidiarité et transparence de l’action communautaire  »,
Revue des affaires européennes, 1993, 1, p. 57-62, ici p. 62).
1. Stephen Holmes a parlé de gag rules pour qualifier les compromis dilatoires qui sont souvent
au fondement même des grands textes juridiques (S. HOLMES, « Gag Rules or the Politics of
Omission  », Constitutionalism and Democracy, éd. J.  ELSTER, R.  SLAGSTAD, Cambridge,
New York, et al., Cambridge University Press, Paris, Éditions de la MSH, 1988, p. 19-58).
2. Relevons au passage la concomitance entre la promulgation de l’encyclique Centesimus annus
et l’élaboration du traité de Maastricht. Cf., ici, J. VIGNON, « “La doctrine sociale de l’Église a
beaucoup imprégné le Grand Marché” », Objectif Europe, 1991, 13-14, p. 32-41.
3. D’une part  : «  La subsidiarité, dit Jacques Delors, est un principe qui va dans le sens des
citoyens puisque l’on renvoie la décision au plus près des citoyens. » (J. DELORS, L’Unité d’un
homme, op. cit., p. 282). D’autre part : « La subsidiarité, ce n’est pas seulement une limite à l’in-
tervention d’une autorité supérieure vis-à-vis d’une personne ou d’une collectivité qui est en
mesure d’agir elle-même, c’est aussi une obligation, pour cette autorité, d’agir vis-à-vis de cette
personne ou de cette collectivité pour lui offrir les moyens de s’accomplir. » (J. DELORS, « Le
principe de subsidiarité : contribution au débat », Subsidiarité : défi du changement, op. cit., p. 9 ;
« Le principe de subsidiarité », Le Nouveau concert européen, op. cit., p. 165).
4. Cf. J. CHARPENTIER, « Quelle subsidiarité ? », Pouvoirs, 1994, 69, p. 49-62.
394 La subsidiarité germanique...

été de ne pas fermer la porte à une intégration politique de l’Union et donc de


ne pas donner la victoire à ceux qui faisaient de la subsidiarité un alibi pour
refuser toute intégration volontariste : sauver l’option fédérale tout en rassu-
rant les États.

Cette tension qui travaille de bout en bout le discours européen de Jacques


Delors est moins à lire dans une polarité entre Spinelli et Dahrendorf que
dans une dialectique entre fédéralisme socialiste (spinellien si l’on veut) et
fédéralisme personnaliste. Lors de son tout premier discours devant l’Assem-
blée strasbourgeoise le 14 janvier 1985, le nouveau Président de la Commis-
sion rend un hommage appuyé au père du Movimento federalista europeo, la
cheville ouvrière du projet de traité instituant l’Union européenne qui venait
d’être adopté par le Parlement1. S’exprimant sur la perspective du Grand
Marché unique, il prenait son auditoire à partie profitant de l’occasion pour
s’inscrire dans la filiation des députés : « dans certains cas, demandait-il, dix
Ecus de plus dans le budget communautaire n’auraient[-ils] pas plus d’effet
multiplicateur qu’un Ecu de plus dans chacun des budgets des dix pays
membres ? » Et de répondre :
«  Cette question [...] rejoint [...] une des idées majeures qui sous-tend l’ap-
proche adoptée par votre Parlement pour justifier le projet d’Union euro-
péenne, ce que l’on appelle “le principe de subsidiarité”2. »
Par cette référence explicite au projet Spinelli, le Président Delors faisait
valoir une conception résolument intégrationniste du principe. En 1985, sa
subsidiarité est donc spinellienne  : fédéraliste et socialiste. Quoique non
démentie par la suite3, cette invocation sera néanmoins tempérée par les
contraintes et autres nécessités de la contingence politique : au premier rang
desquelles les résistances nationales à l’intégration européenne. À examiner
son discours prononcé à Bruges le 17  octobre 1989 — riposte à la mise en
cause thatchérienne de l’année précédente —, on sent en effet que Jacques
Delors a pris l’entière mesure des différents points de blocage. Stratégique-
ment axée sur le thème de l’Europe des citoyens, son allocution ne fait pas
moins de douze références à la subsidiarité, principe qui se voit désormais
assigner la généreuse mission de «  réconcilier l’idéal et la nécessité  »4. 1989

1. PARLEMENT EUROPÉEN, Résolution relative au projet de traité instituant l’Union euro-


péenne (projet dit Spinelli), 14 février 1984 (JOCE, C 77, 19 mars 1984). Le projet Spinelli, dans
lequel figurait le mot subsidiarité, contenait une disposition très voisine de la formule du fédéra-
lisme allemand (article 12-2). Peu importe, à ce stade du développement, que l’introduction du
principe de subsidiarité dans le texte définitif n’ait pas été le fait d’Altiero Spinelli lui-même,
nous y reviendrons plus bas. Voté par le Parlement européen le 14 février 1984, ce projet porté
n’a pas abouti ; il n’a jamais été ratifié ni même discuté par les parlements nationaux.
2. J.  DELORS, «  Pourquoi un grand marché sans frontières intérieures  », Discours devant le
Parlement européen, 14 janvier 1985, Le Nouveau concert européen, op. cit., p. 44.
3. Cf. surtout J.  DELORS, Discours devant le Parlement européen, 17  janvier 1989, ibid.,
p. 147 ; Discours devant le Collège d’Europe, Bruges, 17 octobre 1989, ibid., p. 324.
4. Ibid., p.  315-338. La même année, 1989, le principe de subsidiarité est très présent dans le
rapport Delors sur l’Union économique et monétaire (COMMISSION, Rapport sur l’Union
économique et monétaire, dir. J. DELORS, 1989 ; Bull. CE 4-89). Le Président de la Commission
l’introduit également dans les considérants de la Charte communautaire des droits sociaux fon-
Subsidiarité et Europe post-totalitaire. La conjonction fédérale 395

n’est déjà plus 1985 : au seuil de son second mandat, le Président Delors rend
hommage à Denis de Rougemont et non plus à Altiero Spinelli1. Est-ce à dire
cependant qu’il opérait là un revirement politique sur le fond ? Nullement : la
nouveauté est surtout rhétorique. Aussitôt ces quelques phrases d’hommage
prononcées2, il n’hésite pas à marquer sa nette distance à l’égard du philo-
sophe genevois, préférant pour sa part s’en remettre, là encore, à une concep-
tion toute spinellienne de la subsidiarité  : il faut, affirme-t-il, «  trouver les
voies de l’intégration par le haut, sans laquelle les petites rivières des solida-
rités de voisinage ne conflueront jamais vers un grand fleuve »3. Version delo-
rienne du fonctionnalisme fédéral si l’on veut. Face au régionalisme des uns
et au souverainisme des autres, le Président Delors place bel et bien ses
espoirs dans le potentiel centralisateur de la subsidiarité. Exigence fédéraliste
qui sera constamment rappelée à l’approche de l’élargissement :
«  La marche vers l’Union européenne dans une Communauté sensiblement
plus nombreuse qu’elle ne l’est aujourd’hui n’est nullement inconcevable. Elle
serait seulement plus difficile [...], car les modalités d’exercice de la subsidiarité
devraient s’accommoder d’une délégation de plus en plus importante au profit
de l’échelon central, afin de lui permettre de gérer la complexité et de faire
échec aux coalitions4. »
Conception toute spinellienne de la subsidiarité certes, mais qui, chez le
personnaliste Jacques Delors, se voit toujours tempérée par l’adjonction de
quelques mots fétiches — diversité et pluralisme — marqueurs idéologiques
prenant dans sa bouche une résonance très chrétienne. Où le champ lexical se
fait même très répétitif et insistant : « les principes de pluralisme et de subsi-
diarité » ; « les principes de subsidiarité et de diversité » ; « qui dit acceptation
du principe de subsidiarité dit respect du pluralisme et donc des diversités » ;
« la subsidiarité [...] permet le respect intégral des diversités »5. Comme pour

damentaux des travailleurs (Charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travail-
leurs, 10 décembre 1989, considérant 14 ; COM (89) 471 final). Nous y reviendrons.
1. Cf. la citation en exergue de la sous-partie. Sur l’admiration de Rougemont pour son pays,
cf. D. de ROUGEMONT, La Suisse ou l’histoire d’un peuple heureux, Paris, Hachette, 1965.
2. Son hommage répondait davantage à une figure imposée qu’à une invocation idéologique  :
Jacques Delors s’exprimait devant le Collège de Bruges pour célébrer l’année Rougemont.
3. J.  DELORS, «  Réconcilier l’idéal et la nécessité  », Discours devant le Collège d’Europe,
Bruges, 17 octobre 1989, Le Nouveau concert européen, op. cit., p. 317.
4. J. DELORS, Discours au Center for European Studies, 30 novembre 1989, ibid., p. 161.
5. J.  DELORS, «  Réconcilier l’idéal et la nécessité  », Discours devant le Collège d’Europe,
Bruges, 17 octobre 1989, Le Nouveau concert européen, op. cit., p. 318, p. 329, p. 330). Même
constat encore s’agissant du discours prononcé devant le Center for European Studies  : «  les
principes de subsidiarité et de diversité » ; « le respect des diversités qui n’est pas simple tolérance
passive des différences, mais reconnaissance active de la multiplicité des usages, traditions, sys-
tèmes d’organisation propres aux divers pôles nationaux ou régionaux qui composent le réseau
interactif de la Communauté » ; « le principe de subsidiarité apporte un contrepoids permanent
aux mécanismes du spill-over » ; « la gestion de la diversité » (J. DELORS, « La dynamique de la
construction européenne », Discours au colloque du Center for European Studies, 30 novembre
1989, ibid., p. 156, p. 157, p. 158, p. 160). Même constat enfin s’agissant d’un discours bilan pro-
noncé en 1991 : « La relance [du projet européen] est forte si l’on se place dans une perspective
historique. Elle est fondée sur [...] une idée-force, garante de la démocratie et de la diversité, je
veux parler des disposition du traité sur la subsidiarité, dont on ne soulignera jamais assez l’im-
portance  » ; «  [La subsidiarité] est un facteur de démocratie, et notamment de démocratie à
portée de la main, pour les capacités d’action qui sont réservées ou qui sont maintenues forte-
396 La subsidiarité germanique...

se défendre d’avoir voulu donner une dimension exagérément centralisatrice


à la subsidiarité, Jacques Delors s’attachera avec cette même insistance à
souligner la provenance protestante et germanique du concept, loin donc de
toute velléité jacobine. Tel est peut-être le sens profond de sa référence à la
Suisse et à Denis de Rougemont, ce fervent protestant qui se plaisait à répéter
combien le mariage entre personnalisme et fédéralisme s’opérait beaucoup
plus facilement sous le patronage de la théologie réformée que sous celui de la
tradition catholique1.
« Le catholicisme, résumera plus tard le Président Delors une fois son mandat
achevé, est en rapport avec un certain esprit de centralisation, de conduite des
affaires par le centre, le protestantisme est en relation, paradoxalement, avec la
subsidiarité, avec l’esprit du transfert de compétence du haut vers le bas2. »
Simplification abusive, grandement déterminé par une histoire franco-
française, qui, à elle seule, exigerait une étude entière. Disons ici en résumé
que, toutes proportions gardées, la nomination de Jacques Delors au Ber-
laymont a pu produire le même effet qu’une élection pontificale  : acculer
l’heureux désigné à un devoir d’ingratitude vis-à-vis de sa propre culture
d’origine. Asseoir une légitimité ou un leadership dans une organisation
supranationale se paie souvent à ce prix. Il ne faut donc pas s’étonner de voir
l’entourage bruxellois de Jacques Delors déployer tant d’énergie pour rap-
porter le principe de subsidiarité moins à ses origines catholiques, trop sus-
pectes de prétentions centralisatrices, qu’au fédéralisme calviniste d’un
Johannes Althusius3. Nous aurons à y revenir plus en détails, mais relevons, à
ce stade, qu’immédiatement après l’élaboration du traité de Maastricht, la
Cellule de prospective (placée sous la houlette de Jérôme Vignon, un proche
de Michel Albert) commanda une note de synthèse sur la subsidiarité, qui
devait mettre en évidence l’enracinement protestant du principe4. La stratégie

ment au niveau national ou régional  » (J.  DELORS, «  Les leçons de Maastricht  », Discours
devant le Parlement européen, 12 décembre 1991, ibid., p. 178, p. 181).
1. «  Partout, écrit Denis de Rougemont, l’on voit les protestants revendiquer et appliquer un
système politique souple et vivant, respectueux des diversités, c’est-à-dire fédéraliste [...]. C’est
bien le même état d’esprit [« la cause de la tendance fédéraliste protestante »] qui explique à la
fois le respect des diversités en politique et le respect des personnes dans la vie privée. » (D. de
ROUGEMONT, Politique de la personne [1934], Paris, Je Sers, 1946, p. 209).
2. J. DELORS, « Le moment et la méthode », Le Débat, 1995, 83, p. 22.
3. Cf., ici, les analyses de Ken Endo (K. ENDO, « The Principle of Subsidiarity : From Johannes
Althusius to Jacques Delors », The Hokkaido Law Review, 1994, 44 (6), p. 553-652).
4. Cette étude a été réalisée par un théologien belge Marc Luyckx (M. LUYCKX, Histoire phi-
losophique du concept de subsidiarité, op. cit.). Pour quelques notations cursives, cf. J. VIGNON,
« Pour une démocratie de nations. L’Europe après Maastricht », Études, 1992, 376 (2), p. 149-
160 ; « “La doctrine sociale de l’Église a beaucoup imprégné le Grand Marché” », art. cit. Il faut
également souligner le rôle décisif joué par François Lamoureux, adjoint du chef de cabinet
Pascal Lamy («  “Monsieur Subsidiarité”  », Revue des affaires européennes, 1993, 1, p.  46-48).
Pour une étude détaillée sur les collaborateurs du Président Delors à Bruxelles, cf.  G.  ROSS,
« Inside the Delors Cabinet », Journal of Common Market Studies, 1994, 32 (4), p. 499-523. Sou-
lignons enfin que Jérôme Vignon, ancien Président du Mouvement des cadres et dirigeants chré-
tiens (1974-1978) est aujourd’hui président des Semaines sociales de France. Il a succédé à Jean
Boissonnat (1995-2000) et à Michel Camdessus (2000-2007) après un passage par la DATAR,
qu’il avait entrecoupé par un bref retour à Bruxelles au tout début de la présidence de Romano
Prodi. Nous reviendrons plus bas sur son rôle d’animateur de la Governance Team dans les
Subsidiarité et Europe post-totalitaire. La conjonction fédérale 397

était intelligente de la part de ces catholiques européens qui œuvraient autour


du Président Delors, mais elle ne pouvait effacer la réalité de sa politique  :
une subsidiarité très centralisatrice, très jacobine, diront même ses détrac-
teurs. Simple retour du refoulé socialiste ou « distorsion constructiviste » sur
l’autel de l’ordolibéralisme européen1 ?

Il convient, au total, de ne pas postuler une cohérence excessive ou une


continuité parfaitement logique entre la subsidiarité européenne que Jacques
Delors défend à Bruxelles et sa philosophie catholique ou plus généralement
chrétienne. La subsidiarité ne fonctionne pas chez lui comme une doctrine
intégrée à laquelle il faudrait s’en remettre pour comprendre son action poli-
tique à la tête de la Commission. Il y a deux conceptions, au moins, à distin-
guer  : une subsidiarité catholique et substantielle d’inspiration naturaliste,
d’un côté ; une subsidiarité européenne et institutionnelle d’inspiration
constructiviste, de l’autre. Cette fécondation entre l’imprégnation catholique
et la culture politique socialiste confère à la subsidiarité de Jacques Delors
une profonde homogénéité en même temps qu’elle en résume toutes les
contradictions. Socialiste et fédéraliste, la subsidiarité delorienne tente de
trouver sa cohérence sur le terrain européen. Mais elle reste aimantée par
deux pôles  : le fédéralisme comme vision du monde, le fédéralisme comme
méthode de gouvernement.
Le concept de fédération européenne d’États-nations est l’exemple symp-
tomatique de cette tension. Comme chez Jean-Paul II, l’adhésion de Jacques
Delors au principe de subsidiarité est une manière d’exprimer un attachement
profond au pluralisme culturel et au respect des diversités nationales. Comme
celle du Pape également, sa défense de la nation ne se situe pas sur le terrain
politique de la souveraineté (la nation à la française), elle considère avant tout
le registre culturel de l’identité (la nation en tant que communauté naturelle)2.

années 1999-2001. De Jean Boissonnat, sur le thème de la subsidiarité, citons : J. BOISSONNAT,


« Les Français et la société civile », Études, 2000, 393 (4), p. 327-338.
1. Expression de Vincent Valentin (V. VALENTIN, « L’Europe au risque de la démocratie. La
critique libérale », Raisons politiques, 2003, 10, p. 25-42, ici p. 35). Précisons que les détracteurs
sont de provenance très diverses : C. MILLON-DELSOL, « L’idée de subsidiarité, la question
européenne et la tentation du modèle impérial », art. cit. ; J.-P. MAURY, « Les risques d’un jaco-
binisme européen », La Décentralisation française et l’Europe, dir. H. PORTELLI, Boulogne-
Billancourt, Éditions Pouvoirs locaux, 1993, p.  255-266 ; F.  CHOISEL, «  Peut-on sortir
d’une Europe jacobine ?  », La Subsidiarité, dir. B.  GUILLEMAIND, op. cit., p.  123-169 ;
J.-P. FELDMAN, « La subsidiarité et le libéralisme », Mélanges P. Salin, op. cit., p. 167-182.
2. Der Spiegel, novembre 1994 ; Le Monde, 2 décembre 1994 ; ibid., 24-25 mars 1996. Cf. surtout
J. DELORS, « Ma vision d’une fédération des États-nations », Le Monde des débats, juillet 2000,
p.  5-6. Dans son discours au Collège d’Europe déjà cité, il récusait toute analogie entre la
construction européenne et « d’autres modèles, comme par exemple la création des États-Unis
d’Amérique ». Et d’ajouter : « J’ai toujours rejeté, pour ma part, un tel parallélisme, car je sais
que nous devons unir entre elles des vieilles nations, fortes de leurs traditions et de leur person-
nalité » (J. DELORS, Discours devant le Collège d’Europe, Bruges, 17 octobre 1989, Le Nou-
veau concert européen, op. cit., p. 331-332). Dans le même sens : J. DELORS, « Le moment et la
méthode », art. cit., p. 16 sq. ; Combats pour l’Europe, Paris, Économica, 1996, p. 7-21. Pour une
mise en perspective, cf. H. MARHOLD, « Jacques Delors, sein personalistisches Engagement
und seine “Fédération des nations” », L’Europe en formation, 2000-2001, 319-320, p. 163-182.
Sur les suites données à cette notion, par Joschka Fischer notamment, cf. M.  RAMBOUR,
398 La subsidiarité germanique...

Identité culturelle peut-être, mais politique économique surtout. Sa stratégie :


adapter l’Europe au processus de mondialisation, constituer une capacité
européenne à agir internationalement. Sa tactique  : donner une figure diri-
geante à l’Union, opérationnaliser la répartition des compétences en son sein.
Aussi, les symboles juridiques et politiques de la souveraineté nationale n’ont
que peu de poids face à une logique de la souveraineté économique. Une
souveraineté effective et efficace, c’est une souveraineté partagée et redistri-
buée en fonction des nécessités du moment, des objectifs à atteindre. Voilà
en quoi consiste le baptême delorien du couplage fédéralisme technique
(fonctionnaliste)-nation culturelle. Car l’idéalisme du Président Delors ne
s’efface pas devant de le pragmatisme de l’homme d’État : invoquer l’idéal de
la fédération, c’est affirmer un projet politique dans la veine des pères fonda-
teurs, c’est refuser une Europe qui se limiterait à un espace de commerce et
de libre échange1. Mais il sait en même temps que la promotion du fédéra-
lisme européen nécessite d’être réaliste. De là, un fédéralisme qui avance
caché derrière le masque de la subsidiarité, un modèle inédit dont les singula-
rités s’accommodent difficilement d’une classification dans les frontières trop
étroites des taxinomies habituelles2.

«  Analyse comparée du débat sur la structure politique de l’Europe  : vers une “Fédération
d’États-nations” ? », Revue internationale de politique comparée, 2003, 10 (1), p. 51-61.
1. Nous n’adhérons pas jusqu’au bout à la thèse d’Helen Drake : « J. Delors ne fut [pas] ce grand
et fervent fédéraliste que beaucoup ont voulu voir en lui. [...] [Son] intégrationnisme fut un
voyage à travers le temps et une question de nécessité, plus que le résultat de convictions
anciennes fortement ancrées  : cette évolution, combinée avec sa préférence abstraite pour la
démocratie décentralisée [...], aboutit dans le contexte européen à des propositions en faveur de
la subsidiarité. » (H. DRAKE, Jacques Delors en Europe, op. cit., p. 41). Que Jacques Delors ne
fut pas militant européen de la première heure n’exclut pas qu’il ait eu une ambition fédéraliste.
Sur l’idéal fédéraliste dans l’action européenne de Jacques Delors, renvoyons, pour finir, à
G. ROSS, Jacques Delors and European Integration, Oxford, Oxford University Press, 1995.
2. Dernier rappel en date de l’attachement au concept  : NOTRE EUROPE, J.  DELORS,
«  L’essentielle subsidiarité  », L’Europe tragique et magnifique, Paris, Saint-Simon, 2007,
p. 81-82.
Subsidiarité et Europe post-totalitaire. La conjonction fédérale 399

«  Il convient de multiplier les pouvoirs au lieu de


rassembler toutes les fonctions en un centre tout-puis-
sant. Ici encore nous trouvons l’État moderne, lequel
même libéral [...] étend ses attributions de tout ordre
[...] et s’engage toujours plus avant sur la voie du totali-
tarisme de fait. Proudhon encore, l’Église catholique, la
plupart des théologiens protestants se trouvent ici d’ac-
cord sur le principe de subsidiarité, lequel peut s’énoncer
ainsi : “Aucun pouvoir ne doit être exercé par une ins-
tance quelconque, s’il peut l’être par l’instance immé-
diatement inférieure.” Toute autorité n’existe que par
les libertés qu’elle assure aux groupes de son ressort.
Simple bon sens ? Un coup d’œil sur la vie nationale et
internationale, politique et sociale, nous montre hélas
qu’une telle évidence s’inscrit de moins en moins dans
l’organisation de la société1. »

II. ENTRE FÉDÉRALISME ET PERSONNALISME CHRÉTIEN

1. LA STATOPHOBIE DU PERSONNALISME FÉDÉRALISTE

Ainsi que le révèle le parcours intellectuel de Jacques Delors, plusieurs in-


fluences sont à prendre en compte pour bien saisir l’épanouissement européen
de la subsidiarité : le catholicisme et la démocratie chrétienne bien sûr, l’or-
dolibéralisme, il faudra y revenir encore, mais aussi le fédéralisme d’ascen-
dance proudhonienne, dans tout ce qu’il a pu inspirer au «  non-confor-
misme » de l’entre-deux-guerres2. À trop suivre le cas spécifique de Jacques
Delors, cependant, on serait tenté de s’en tenir à la seule figure d’Emmanuel
Mounier3. Or, sur la question qui nous occupe, l’Europe et le fédéralisme (les
deux dimensions seront à distinguer), il faut bien avouer que le fondateur
d’Esprit n’a jamais été en première ligne. S’il a pu, un bref moment, adhérer à
une vision clairement fédérale de l’Europe4, il a très vite revu sa position dès
la mise en place du Plan Marshall  : l’anticommunisme de la reconstruction

1. M. RICHARD, « À la recherche d’une méthode pour l’Occident », Fédération, 1953, 104-
105, p. 696-705 ici p. 705 (les italiques figurent dans le texte original). À notre connaissance, il
s’agit-là de la première occurrence du principe de subsidiarité dans la France de l’après-guerre.
2. Les meilleures spécialistes l’ont montré, non seulement le non-conformisme des années 1930
était très divers, mais sa branche personnaliste était elle aussi riche de très nombreuses ramifica-
tions  : J.  TOUCHARD, «  L’esprit des années 1930. Une tentative de renouvellement de la
pensée politique française  », Tendances politiques dans la vie française depuis 1789, Paris,
Hachette, 1960, p. 89-118 ; J.-L. LOUBET DEL BAYLE, Les Non-conformistes des années 30,
op. cit. ; P. ANDREU, « Les idées politiques de la jeunesse intellectuelle de 1927 à la guerre »,
Revue des travaux de l’Académie des sciences morales et politiques, 1957, 110, p. 17-35.
3. Nous aurons à déterminer plus bas ce que Mounier a repris au fédéralisme proudhonien
(P.-J. PROUDHON, Du Principe fédératif [1863], Paris, Rivière, 1959) ; mais appréhender la
filiation personnalisme-fédéralisme suppose au préalable de s’écarter du mouvement Esprit.
4. E. MOUNIER, « L’Europe contre les hégémonies » [1938], Œuvres, op. cit., IV, 1963, p. 193-
207. Cet article a paru dans Esprit de novembre 1938. La vraie Europe, disait Emmanuel Mou-
nier au lendemain des accords de Munich, doit se construire contre toutes les hégémonies.
400 La subsidiarité germanique...

européenne était pour lui synonyme d’alignement sur l’Amérique et de


compromission avec le capitalisme. Aussi, ses premières accointances avec le
projet fédéraliste d’un dépassement des souverainetés nationales n’auront pas
survécu au chantage philocommuniste et anti-américain qui régnait alors au
sein de la rédaction d’Esprit1. Ce n’est pas du côté d’Emmanuel Mounier que
nous devons chercher. Sur la question européenne et sur l’enjeu national, il
faut plutôt se tourner vers une autre figure, qui n’a pas connu la même posté-
rité, mais que notre objet d’étude invite ici à redécouvrir : Alexandre Marc,
infatigable militant du fédéralisme intégral2.
Juif d’origine russe converti au catholicisme en 1933, puis devenu français
après la Seconde Guerre mondiale, Aleksander Markovitch Lipiansky, de son
vrai nom, s’était fait connaître dès 1930. Deux ans avant la naissance d’Esprit,
en effet3, lui et ses deux compagnons de route, Robert Aron et Arnaud Dan-
dieu, avaient créé Ordre Nouveau. Leur objectif intellectuel ne manquait pas

1. Plus encore qu’Emmanuel Mounier, c’est Jean-Marie Domenach, numéro deux d’Esprit de
1946 à 1957, qui sera la figure de proue de cette opposition résolue au fédéralisme européen :
J.-M. DOMENACH, « Quelle Europe ? », Esprit, 1948, 11, p. 639-656. Contra : M. RICHARD,
« Où sont les mystificateurs ? », Fédération, 1949, 48, p. 26-32. Jean-Marie Domenach prendra la
tête de la revue en 1957 après la mort d’Albert Béguin. Passé par la deuxième gauche, son succes-
seur Paul Thibaud évoluera pour sa part, péguysme aidant, vers une mystique gaulliste de plus
en plus assumée. Manière bien différente, contexte oblige, de s’opposer au fédéralisme européen :
rappelons qu’à l’époque dont il est question (l’immédiat après-guerre), le philocommuniste
Domenach se plaisait à taxer le Général de dangereux réactionnaire partisan du «  capitalisme
européen » (J.-M. DOMENACH, « Quelle Europe ? », art. cit., p. 652).
2. Cf. C. ROY, Alexandre Marc et la jeune Europe (1904-1934). L’Ordre nouveau aux origines
du personnalisme, Nice, Presses d’Europe, 1998 ; I. GREILSAMMER, Le Mouvement fédéra-
liste en France de 1945 à 1974, Nice, Presses d’Europe, 1975 ; J. LOUGHLIN, « French Perso-
nalist and Federalist Movements in Interwar Period », European Unity in Context : The Inter-
war Period, ed. P. M. R. STIRK, Londres, Pinder, 1989, p. 188-200.
3. Naissance à laquelle il contribua  : A.  MARC, R.  DUPUIS, «  Le fédéralisme révolution-
naire », Esprit, 1932, 2, p. 316-324. Sur le dialogue entre Marc et Mounier, cf. C. ROY, « Emma-
nuel Mounier, Alexandre Marc et les origines du personnalisme », Emmanuel Mounier. L’actua-
lité d’un grand témoin, éd. G. COQ, Paris, Parole et Silence, 2003, p. 19-49. À des degrés divers,
ils héritent tous les deux de leurs précurseurs allemands, Paul-Ludwig Landsberg surtout. On
observe une plus grande proximité de Marc avec la protestation antirépublicaine de Weimar,
ainsi qu’une plus grande attirance de Mounier pour la philosophie d’un Max Scheler. Cf. les tra-
vaux de Thomas Keller, Christian Roy et John Hellman : T. KELLER, « Médiateurs personna-
listes entre générations non-conformistes en France et en Allemagne : Alexandre Marc et Paul L.
Landsberg  », Ni gauche, ni droite. Les chassés-croisés idéologiques des intellectuels français et
allemands dans l’entre-deux-guerres, éd. G.  MERLIO, Talence, Éditions de la Maison des
sciences de l’homme d’Aquitaine, 1995, p. 257-273 ; « Die Personalismen der Zwischenkriegszeit
und die deutsch-französischen Beziehungen  : Wider die deutsche Kontinentgenzscheu  », Le
Fédéralisme personnaliste aux sources de l’Europe de demain, éd. F. KINSKY, F. KNIPPING,
op. cit., p. 122-152 ; « Le personnalisme de l’entre-deux-guerres entre la France et l’Allemagne »,
Postface à C.  ROY, Alexandre Marc et la jeune Europe, op. cit., p.  455-561 ; Deutsch-franzö-
sische Dritte-Weg-Diskurse. Personalistische Intellektuellendebatten der Zwischenkriegszeit,
Munich, Fink, 2000 ; « Discours parallèles et transferts culturels. Scheler, Landsberg, Mounier »,
Emmanuel Mounier. L’actualité d’un grand témoin, op. cit., p.  121-146 ; J.  HELLMAN,
C. ROY, « Le personnalisme et les contacts entre non-conformistes de France et d’Allemagne
autour de l’Ordre Nouveau et de Gegner, 1930-1942 » [1990], Entre Locarno et Vichy. Les rela-
tions culturelles franco-allemandes dans les années 1930, dir. H.-M. BOCK, et al., Paris, CNRS
Éditions, 1993, p. 203-218 ; J. HELLMAN, « Du Sohlbergkreis (1930) au Mouvement européen
de l’après-guerre : Alexandre Marc et la montée des personnalismes », Le Fédéralisme personna-
liste aux sources de l’Europe de demain, op. cit., p. 183-194.
Subsidiarité et Europe post-totalitaire. La conjonction fédérale 401

d’ambition : concilier les mânes de Proudhon et de Nietzsche avec l’inspira-


tion péguyste et bergsonienne du personnalisme chrétien alors en plein essor1.
«  Spirituel d’abord, économique ensuite, politique à leur service  »  : cette
devise marcienne avait à l’époque été conçue comme une réponse provoca-
trice au « politique d’abord ! » de Charles Maurras (qui se réclamait lui aussi
du fédéralisme proudhonien)2. Mais la dynamique d’Ordre Nouveau ne
durera pas plus de trois ans. La mort d’Arnaud Dandieu le prive de son élé-
ment moteur ; puis l’épisode compromettant de la « Lettre à Hitler » rompt
la synergie avec Esprit et stoppe le mouvement dans son élan3. Si le dialogue
n’est pas définitivement rompu entre les deux rédactions, la dynamique
commune n’opère plus, et Ordre Nouveau meurt en 1938, après cinq longues
années d’un laborieux essoufflement.
La postérité du mouvement marcien ne pouvait donc être à la mesure de
son concurrent Esprit, qui réussira, pour sa part, à passer les époques4. Reste,
à n’en pas douter, que le fédéralisme européen d’après-guerre trouve ici, en
la personne d’Alexandre Marc et non en celle d’Emmanuel Mounier, l’une
de ses sources intellectuelles les plus prolifiques. Certes, le mot subsidiarité
se fait peu présent sous sa plume ; mais le combat européiste qu’il incarne
avec passion n’en constituera pas moins le principal foyer de rayonnement du
concept5. La chronologie en témoigne : absent du personnalisme fédéraliste
des années 1930, le mot d’ordre ne le sera plus dans la période post-totali-
taire, surtout à partir de la fin des années 1950 et du début de la décennie sui-
vante quand Alexandre Marc systématise son engagement en faveur du fédé-
ralisme intégral6.

1. Cf. R. ARON, A. DANDIEU, La Révolution nécessaire, Paris, Grasset, 1933. Marc a publié
un recueil de textes de Proudhon (A. MARC, Proudhon, Paris, Egloff, 1945). Sur Péguy, dans
la même veine que l’ouvrage de Mounier (E. MOUNIER, M. PÉGUY, G. IZARD, La Pensée
de Charles Péguy, Paris, Plon, 1931), cf. A. MARC, Péguy présent, Marseille, Clairière, 1941.
2. Dans les tout premiers numéros de la revue du mouvement (qui porte son nom), cf., outre les
articles d’Alexandre Marc, H. DANIEL-ROPS, D. de ROUGEMONT, « Spirituel d’abord »,
L’Ordre Nouveau, 1933, 3, p. 13-17. La revue voit le jour en mai 1933, après Esprit donc.
3. Lettre publiée en novembre  : R.  ARON, C.  CHEVALLEY, H.  DANIEL-ROPS,
R. DUPUIS, J. JARDIN, A. MARC, D. de ROUGEMONT, « Lettre à Hitler », ibid., 1933, 5.
Dès le numéro de juin, cf. un article d’Alexandre Marc qui s’attache à « distinguer entre la partie
destructrice et critique de l’hitlérisme qui apparaît parfois fondée et ses prétentions constructives
qui semblent à la fois dangereuses et insuffisantes » (A. MARC, « Hitler ou la révolution man-
quée », ibid., 1933, 2, p. 28-32, ici p. 28). Au titre des aspects positifs, Marc mentionne la saine
réaction contre la démocratie parlementaire et « la finance anonyme et vagabonde », le refus du
communisme et du capitalisme, l’énergique volonté de rompre avec le matérialisme.
4. Cf. J.-L. LOUBET DEL BAYLE, « “Non-conformistes” des années 30 et problèmes d’au-
jourd’hui », Le XXe siècle fédéraliste, 1971, 404, p. 7-14 ; « Le mouvement personnaliste français
des années 1930 et sa postérité », Politique et sociétés, 1998, 17 (1-2), p. 219-237.
5. Alexandre Marc dira du mot subsidiarité qu’il est « lourd et pédant » (A. MARC, « La révo-
lution, pour quoi faire ?  », La Révolution fédéraliste [1968], Nice, Presses d’Europe, 1969,
p.  223). Cet ouvrage est la republication d’un numéro de L’Europe en formation initialement
paru en juillet 1968 (« Après la révolte de mai... la révolution fédéraliste », L’Europe en forma-
tion, 1968, 100). Ici : A. MARC, « La révolution, pour quoi faire ? », ibid., p. 56).
6. A. MARC, R. ARON, Principes du fédéralisme, Paris, Le Portulan, 1948 ; A. MARC, « Com-
ment agir ? », L’Action fédéraliste européenne, Neuchâtel, La Baconnière, 1948, p 20-32 ; « His-
toire des idées et des mouvements fédéralistes depuis la Première Guerre mondiale », Le Fédéra-
lisme, éd. G.  BERGER, et al., Paris, PUF, 1956, p.  129-148 ; Dialectique du déchaînement.
402 La subsidiarité germanique...

Rejet péguyste du cléricalisme oblige, Ordre Nouveau se refusait à toute


invocation revendiquée de la doctrine sociale de l’Église. Mais, nous l’avons
déjà dit, l’absence de référence assumée par les protagonistes eux-mêmes, les
silences ou autres discours de défense ne sauraient empêcher le rétablisse-
ment ex post de parentés ou de filiations. À considérer l’ensemble des intel-
lectuels catholiques de la période, il n’y a guère que les dépositaires tradition-
nels du catholicisme social ou les néothomistes de la génération précédente,
comme l’ancien maurrassien Jacques Maritain, pour se réclamer explicite-
ment de la doctrine officielle. Thomiste ou pas, donc, le système d’argumen-
tation catholique travaille de bout en bout la pensée d’Alexandre Marc  : la
prétention au dépassement des idéologies. Peut-être ne se l’avoue-t-il pas,
mais Ordre Nouveau, à l’instar de la plupart des cercles chrétiens de l’époque,
s’inscrit dans un réseau de significations déjà amplement balisé par le Vatican1.
S’agissant de l’hitlérisme par exemple, on observe que, passée la bien-
veillance initiale, une fois les illusions romantiques mises à l’épreuve de la
réalité, Alexandre Marc finit par prononcer une condamnation en des termes
que le Pape n’aurait pas désavouée. Que ce soit dans le discours de ces chré-
tiens révoltés des années 1930 ou dans le discours officiel de l’Église, Hitler
est curieusement déclaré coupable du même péché que la démocratie : l’éta-
tisme, ce concept fourre-tout qui permet d’identifier de simples différences
de degré là où il faudrait voir des différences d’essence2. À ennemi identique,

Fondements philosophiques du fédéralisme, Paris, La Colombe, 1961. L’essentiel de la littérature


savante de commentaire sur le sujet est le fait de militants (Lutz Roemheld, Ferdinand Finsky,
Jean-Pierre Gouzy, Bernard Voyenne, Marc Heim, Thomas Heissmeyer, entre autres)  :
L. ROEMHELD, Integraler Föderalismus, Modell für Europa. Ein Weg zur personalen Grup-
pengesellschaft, Munich, Vögel, 1977 ; F. KINSKY, « Fédéralisme et personnalisme », L’Europe
en formation, 1976, 190-192, p. 63-90, rééd. Fédéralisme et Personnalisme, Nice, Presses d’Eu-
rope, 1979 et L’Europe en formation, 1998, 309, p. 7-36 ; « Fédéralisme et personnalisme », Dic-
tionnaire international du fédéralisme, dir. D.  de ROUGEMONT, Bruxelles, Bruylant, 1994,
p. 79-84 ; J.-P. GOUZY, « L’apport d’Alexandre Marc à la pensée et à l’action fédéralistes », Le
Fédéralisme et Alexandre Marc, éd. H. RIEBEN, et al., Lausanne, Centre de recherches euro-
péennes, 1974, p. 1-22 ; « Alexandre Marc. Des lendemains de la Deuxième Guerre mondiale à la
fin des Golden Sixties », L’Europe en formation, 2000-2001, 319-320, p. 31-62 ; « Les fédéralistes
proudhoniens dans la construction de l’Europe », ibid., 2003, 3, p. 9-18 ; « La saga des fédéra-
listes européens pendant et après la dernière guerre mondiale  », ibid., 2004, 2, p.  5-41 ;
B. VOYENNE, « Personnalisme et fédéralisme », Histoire de l’idée fédéraliste, III. Les lignées
proudhoniennes, Nice, Presses d’Europe, 1981, p. 159-193 ; « Genèse du fédéralisme marcien »,
L’Europe en formation, 2000-2001, 319-320, p. 13-30 ; M. HEIM, Introduction au fédéralisme
global, Rome, Aracne, 2004 ; T. HEISSMEYER, « Back to the 30’s : The Origins of Persona-
lism », L’Europe en formation, 2005, 4, p. 11-26 ; « L’Ordre Nouveau : The Legitimization of a
Theory », ibid., 2006, 2, p. 29-42.
1. Bernard Voyenne a souligné combien l’encyclique Quadragesimo anno n’avait « pas été sans
effet sur toute une part au moins du mouvement personnaliste » (B. VOYENNE, Histoire de
l’idée fédéraliste III, op. cit., p. 171-172). À Ordre Nouveau, le fervent catholique Daniel-Rops
ne manque pas de se référer à la doctrine sociale de l’Église. Citons ici son Histoire de l’Église en
huit volumes, spécialement le tome VII qui traite de la période 1870-1939 (H. DANIEL-ROPS,
Histoire de l’Église du Christ, I-VIII [1948-1965], Paris, Fayard, Grasset, 1948-1965, ici VII.,
L’Église des révolutions, 2. Un combat pour Dieu, Paris, Fayard, 1963). Critique du cléricalisme
ou pas, les références à la doctrine sociale sont également constantes dans la revue Esprit et sous
la plume d’Emmanuel Mounier lui-même. Nous y reviendrons.
2. Dès 1933, Alexandre Marc oscillait entre deux interprétations contradictoires du national-
socialisme, également exprimées en nom collectif dans la « Lettre à Hitler ». Une lecture positive
Subsidiarité et Europe post-totalitaire. La conjonction fédérale 403

opposition identique  : une même condamnation de la philosophie jacobine


de l’État (pêle-mêle : Bodin, Hobbes, Rousseau, Hegel) et de son débouché
naturel dans la massification démocratique, l’assimilation de l’État totalitaire
à l’État jacobin (car, affirme-t-on, «  le jacobinisme conduit logiquement et
historiquement au totalitarisme »1), la dénonciation de l’individualisme libéral
et de ses conséquences : l’« absorption de la nation par l’état »2.
« Que la loi étatique est la seule source légitime du droit, écrit Marc, telle est
au fond la conviction commune plus ou moins explicite des staliniens et des
fascistes, des admirateurs du parlementarisme assaisonné de décrets-lois et des
zélateurs de la race3. »
À diagnostic similaire, solution similaire  : un même idéal de société de
type organique impliquant le respect des corps sociaux, une démocratie
décentralisée, débarrassée de son travestissement parlementaire, et une éco-
nomie ordonnée au service de la personne. Bref, à peu de choses près, la solu-
tion corporatiste telle que dessinée par Quadragesimo anno. « Là où l’homme
est total, l’état ne peut être totalitaire  », est-il affirmé dans Nous voulons
l’ordre nouveau, le manifeste du mouvement4. L’État doit s’écrire sans majus-
cule, ajoute-t-on  : car face au «  préjugé “statolâtre”  » du positivisme juri-
dique5, «  face à l’étatisme menaçant, il faut à tout prix rétablir la véritable
échelle des valeurs : l’état, simple moyen au service des sociétés »6. Dans un
texte postérieur signé Michel Glady, pseudonyme d’Alexandre Marc, le ton

d’une part : les hitlériens sont crédités d’une attitude salutaire : « ils refusent [...] — du moins en
théorie — de tomber dans le piège étatiste et de transférer toutes les fonctions économiques à
l’État ». Une réticence critique d’autre part : la « mystique [hitlérienne] de la masse » est accusée
de pervertir la nation en mettant son nationalisme « au service de l’État » et de la « race momi-
fiée » (A. MARC, « Hitler ou la révolution manquée », art. cit., p. 29, p. 32). En janvier 1936, le
jugement de Marc se fait plus explicite et plus tranché (A. MARC, « L’État contre les nations.
Guerre italienne et drame allemand », L’Ordre Nouveau, 1936, 27, p. 1-15).
1. M.  RICHARD, «  Principes et méthodes du fédéralisme  », L’Ère des fédérations, éd.
R.  ARON, J.  BARETH, H.  BRUGMANS, et al., Paris, Plon, 1958, p.  50. Sur l’assimilation
jacobinisme-nazisme, cf. D.  de ROUGEMONT, «  Les jacobins en chemise brune  », L’Ordre
Nouveau, 1936, 36, p. 1-6 (repris dans Journal d’Allemagne, Paris, Gallimard, 1938, p. 86).
2. Nous soulignons. « Absorption de la nation par l’état » que Marc interprète comme « l’abou-
tissement inéluctable mais aussi normal et légitime d’un processus [...] lié à la nature même
de l’état » (A. MARC, « Patrie, Nation, État », ibid., 1936, 32, p. 29-30). Les colonnes d’Esprit
font place à une même critique du couple État-nation adossée à une défense de la nation comme
«  vocation  », cf. F.  PERROUX, «  Intelligence de la nation  », Esprit, 1938, 75, p.  343-377.
Après-guerre, François Perroux reprend ce thème dans Fédération en fustigeant le jacobi-
nisme : F. PERROUX, « Du slogan à l’analyse : dépassement de la nation », Fédération, 1949,
55-56, p.  459-469 ; «  Nation-patrie et nation-parti  : les nations partisanes  », ibid., 1949, 58,
p. 601-614.
3. A. MARC, « Le droit et les faits sociaux », L’Ordre nouveau, 1936, 29, p. 18. Dans le même
sens, cf. aussi deux autres articles importants : A. MARC, « Introduction à un droit nouveau »,
ibid., 1935, 20, p. 20-32 ; « La “formation” du droit et de l’État », ibid., 1936, 31, p. 31-44.
4. L’Ordre Nouveau, 1934, 9, p. 25. Et le même manifeste d’appeler à « la fin de l’État Moloch :
« Aujourd’hui l’État étouffe la Nation. Demain l’État ne sera plus qu’un instrument économique
et administratif, au service des nations libérées.  » (Ibid., p.  26). Dès le premier numéro de
L’Ordre Nouveau paru en mai 1933, Daniel-Rops fustige l’« oppression statolâtrique » — pêle-
mêle  : oppression financière, économique, policière, militaire, pédagogique et spirituelle
(H. DANIEL-ROPS, « L’État contre l’homme », ibid., 1933, 1, p. 5-9).
5. A. MARC, « La “formation” du droit et de l’État », art. cit., p. 37.
6. A. MARC, « L’état sans majuscule », ibid., 1934, 14, p. 31.
404 La subsidiarité germanique...

se fait plus explicite encore : « C’est [...] le cadre des états-nations qu’il s’agit
de briser, et c’est à la commune qu’il faut en revenir si l’on veut édifier une
véritable société fédérale1. »
Le programme est ainsi annoncé sans ambiguïté, toujours avec la même
prétention au dépassement des idéologies — marque de fabrique indéraci-
nable du chrétien investi en politique. À peu de chose près (l’insistance sur les
communes en moins, la fascination pour les régions en plus)2, on lit exacte-
ment le même argumentaire sous la plume de Denis de Rougemont, autre
grande figure du personnalisme fédéraliste déjà rencontrée plus haut3. Calvi-
niste formé à la théologie dialectique de Karl Barth, Suisse versé dans l’anti-
libéralisme protestant, Rougemont sera l’un des principaux passeurs entre
Esprit et Ordre Nouveau. Mais si l’auteur de Politique de la personne, de
Penser avec les mains et de L’Amour et l’Occident avait participé à l’aventure
« non-conformiste » dès le début des années 19304, son anticommunisme et
son européisme le conduiront très vite à se séparer de Mounier. Nous ver-
rons plus loin qu’à l’instar du divorce Mounier-Marc le divorce Mounier-
Rougemont portait moins sur la question de l’État (fédéralisme interne) que
sur la question de l’Europe (fédéralisme international)5. Contentons-nous, à
ce stade, de relever ce qui faisait toute la spécificité du fédéralisme intégral

1. A. MARC, « À hauteur d’homme », ibid., 1934, 15, p. 14. Sur la commune et le communa-
lisme marcien, cf. C.  CHEVALLIER, A.  MARC, «  La folie des frontières  », ibid., 1934, 12,
p. 18-26 ; A. MARC, Du Communalisme au fédéralisme intégral, Paris, La Fédération, 1948.
2. En 1951, l’un des compagnons de route d’Alexandre Marc au sein de Fédération, Jean Bareth,
sera l’un des fondateurs (avec Jacques Chaban-Delmas notamment) du Conseil des communes
d’Europe (aujourd’hui devenu Conseil des communes et régions d’Europe) et le principal artisan
des jumelages franco-allemands de l’après-guerre. Cf. J. BARETH, « Pour une nouvelle libéra-
tion : les communes de France sont majeures », Fédération, 1949, 57, p. 576-580.
3. De son étrange et spécieuse comparaison entre «  démocraties bourgeoises  » et dictature de
masse (« dictatures nées d’une révolution de masse »), le philosophe genevois conclut que « seul
le rythme de l’étatisme n’a pas été partout le même ». Et d’ajouter pour qui n’aurait pas compris :
« Tout étatisme est condamné à se vouloir franchement totalitaire, sinon c’est l’échec assuré. »
(D. de ROUGEMONT, « Du socialisme au fascisme », L’Ordre Nouveau, 1936, 35, p. 18-22, ici
p. 20, p. 22). Le texte débouche naturellement sur un vibrant appel au fédéralisme.
4. Les deux premiers ouvrages sont réédités après la guerre, le troisième remanié en 1954  :
D.  de ROUGEMONT, Politique de la personne, op. cit. ; Penser avec les mains [1936], Neu-
châtel, La Baconnière, 1945 ; L’Amour et l’Occident [1939, 1954], Paris, UGE, 2006.
5. D. de ROUGEMONT, L’Europe en jeu, Neuchâtel, La Baconnière, 1948 ; L’Attitude fédéra-
liste, Paris, Jeunesse fédéraliste, 1954 ; Vingt-huit siècles d’Europe, Paris, Payot, 1961 ; « Pourquoi
je suis fédéraliste », Le XXe siècle fédéraliste, 1971, 402, p. 6-7. On trouvera une brève anthologie
de textes dans D. de ROUGEMONT, « Textes sur le fédéralisme » [1946-1969], Cadmos, 1986,
9 (36), p. 9-28. Sur Denis de Rougemont, cf. A. MARC, « Denis de Rougemont, un homme à
venir », Cadmos, 1986, 9 (33), p. 25-46 ; F. KINSKY, « Où en est le fédéralisme de Denis de Rou-
gemont ? », ibid., p. 63-86 ; D. SIDJANSKI, « “Penser avec les mains” », ibid., p. 47-61 ; « Fédé-
ralisme (et néofédéralisme)  », Dictionnaire international du fédéralisme, dir. D.  de ROUGE-
MONT, op. cit., p.  67-79 ; B.  ACKERMANN, «  Denis de Rougemont ou la conquête de la
personne  », Le Fédéralisme personnaliste aux sources de l’Europe de demain, éd. F.  KINSKY,
F.  KNIPPING, op. cit., p.  72-85 ; Denis de Rougemont, de la personne à l’Europe, Lausanne,
Paris, L’Âge d’homme, 2000 ; J.-P. GOUZY, «  Denis de Rougemont, l’Europe et la crise du
xxe siècle », L’Europe en formation, 2006, 3, p. 33-63 ; D. SIDJANSKI, « Denis de Rougemont,
l’Européen », Denis de Rougemont, l’Européen, dir. D. SIDJANSKI, Genève, Centre européen
de la Culture, Fondation Martin-Bodmer, 2006, p. 9-21.
Subsidiarité et Europe post-totalitaire. La conjonction fédérale 405

d’un Marc ou d’un Rougemont : la continuité logique — établie de longue


date mais opportunément radicalisée après-guerre — entre le fédéralisme
national (interne) et le fédéralisme européen.
Il y avait là une part de sincérité idéologique au sens où l’européisme se
présentait comme le débouché naturel du fédéralisme intégral ; mais il y avait
aussi une part d’opportunisme tactique, qui nous replonge dans la contin-
gence historique. En se souvenant de l’épisode vichyste et de l’alliage qu’il a
opéré entre fédéralisme et corporatisme, on comprendra aisément en quoi la
compromission pétainiste du mot d’ordre corporatiste a pu obliger Alexandre
Marc et ses compagnons de route à souligner après-coup la distance qui sépa-
rait leur fédéralisme du programme de la Révolution nationale (quand bien
même l’essentiel des bataillons d’Ordre Nouveau avaient fini par rejoindre la
Résistance)1. On comprend surtout pourquoi, une fois éteint l’emballement
pour la Charte du travail, la renaissance du courant marcien avait tout à
gagner à se placer sous les auspices du fédéralisme européen. Sa rhétorique de
la paix arrivait à point nommé pour s’extraire par le haut d’une période trou-
blée ; mais le reclassement idéologique n’appelait aucun revirement sur le
fond2. Du corporatisme au fédéralisme, en passant par le régionalisme et le
planisme, le programme demeurait inchangé3. Seul antidote possible aux
idéologies, le fédéralisme intégral se présentait tout simplement, avec une
assurance désormais redoublée, comme l’horizon indépassable du personna-
lisme chrétien4. Aucun dilemme ne devait lui résister  : anti-étatisme et pla-
nisme, hostilité à l’État et appel à la planification. Non seulement il immuni-

1. Cf. A.  MARC, Avènement de la France ouvrière. Traditions et aspirations des travailleurs
français, Porrentruy, Éditions des Portes de France, 1945. Dès 1938 (dans un texte peu connu en
France car publié au Québec), Alexandre Marc s’était montré assez critique sur les « commu-
nautés de travail » de François Perroux : A. MARC, « Le corporatisme français prépare-t-il sa
révolution copernicienne ? », L’Actualité économique, 1938, 14, p. 311-332.
2. Le philocommunisme et l’anticapitalisme en moins, nous retrouvons ici l’inspiration person-
nelle d’un Jean-Marie Domenach (J.-M. DOMENACH, « Quelle Europe ? », art. cit.).
3. Qu’il suffise ici d’égrener quelques-unes des publications marciennes : A. MARC, « Le fédé-
ralisme des ethnies. Le respect des autonomies  », L’Europe en formation, 1963, 44, p.  5-6 ;
« Anarchisme, socialisme, fédéralisme », ibid., 1973, 163-164, p. 3-13 ; « Les quatre composantes
du fédéralisme », ibid., 1976, 190-192, p. 55-62 ; « New and Old Federalism : Faithful to the Ori-
gins  », Publius, 1979, 9 (4), p.  117-130 ; «  Pour en finir avec l’État  », L’Europe en formation,
1992, 284, p. 27-45 ; « Le fédéralisme, pour quoi faire ? », ibid., 1992, 286, p. 23-28 ; « Quel fédé-
ralisme pour quelle Europe ? Mais le fédéralisme personnaliste ! », ibid., 1994, 294-295, p. 25-58 ;
Fondements du fédéralisme. Destin de l’homme à venir, Paris, L’Harmattan, 1997. Pour une
analyse, cf. B. VAYSSIÈRE, « Alexandre Marc : les idées personnalistes au service de l’Europe »,
Inventer l’Europe, dir. G.  BOSSUAT, op. cit., p.  383-401 ; R.  VUILLERMOZ, «  L’influence
du personnalisme dans les premières années de la vie de l’“Union européenne des fédéralistes”
à travers l’œuvre d’Alexandre Marc  », Le Fédéralisme personnaliste aux sources de l’Europe
de demain, éd. F. KINSKY, F. KNIPPING, op. cit., p. 200-210. Sur la dimension régionaliste,
cf. P. BARRAL, « Idéal et pratique du régionalisme dans le régime de Vichy », Revue française
de science politique, 1974, 24 (5), p. 911-939) ; R. PASQUIER, « Régionalisation française revi-
sitée : fédéralisme, mouvement régional et élites modernisatrices (1950-1964) », Revue française
de science politique, 2003, 53 (1), p. 101-125.
4. Ainsi que l’écrivait dès 1933 Arnaud Dandieu : à l’universalisme personnaliste répond tout
naturellement le particularisme fédéraliste (A. DANDIEU, « Y a-t-il un seuil entre cité et huma-
nité ? À propos du récent ouvrage de Henri Bergson », Archives de philosophie du droit, 1933,
p. 204-218). Cf. aussi A. MARC, R. DUPUIS, « Le fédéralisme révolutionnaire », art. cit.
406 La subsidiarité germanique...

sera la planification économique contre les dangers totalitaires, mais il en


prémunira également la démocratie politique1.
Le recyclage dépasse de loin le seul cas des anciens d’Ordre Nouveau.
Non-conformistes ou pas, le gros des militants corporatistes de l’entre-deux-
guerres devait à tout prix lever l’hypothèque pétainiste. Pensons, pour resi-
tuer le contexte idéologique, à tous ces adeptes du catholicisme social et du
fédéralisme proudhonien, qui avaient très favorablement accueilli la Révolu-
tion nationale  : les grandes figures de la Jeune Droite catholique, Jean de
Fabrègues, Thierry Maulnier, Jean-Pierre Maxence, tous lecteurs et disciples
de Charles Maurras2 ; les Maurice Bouvier-Ajam et autres membres de l’Ins-
titut d’études corporatives et sociales ; ou, moins connu — mais plus essentiel
pour notre enquête sémantique —, le Mouvement des fédéralistes français
fondé en 1944 par André Voisin, Jacques Bassot, Jean Daujat, Max Richard et
Jean Bareth3 ; les mêmes qui, un an plus tôt encore, mettaient en place un
organe de lutte pour la rechristianisation corporatiste des rapports de travail
et le développement des libertés régionales : le Centre technique d’organisa-
tion professionnelle (rebaptisé Centre d’études institutionnelles pour l’orga-
nisation de la société française).
Le cousinage idéologique entre corporatisme et fédéralisme qui a imprégné
les milieux du maurrassisme vichyste n’est plus à démontrer ; mais il faut sou-
ligner combien son sort survit au bref épisode pétainiste, sous la forme d’une
reconversion en fédéralisme européen4. Parmi les cellules de dégrisement  :

1. Cf. la série d’articles de Marc publiés dans L’Europe en formation d’avril à décembre 1963 :
A. MARC, « La planification à la lumière du fédéralisme », L’Europe en formation, 1963, 37,
p. 9-10 ; 38, p. 13-14 ; 39, p. 15-16 ; 42-43, p. 22-23 ; 44, p. 20-22 ; 45, p. 19-21.
2. Cf. V. AUZÉPY-CHAVAGNAC, « La Jeune Droite catholique (années 1930 et 1940) : his-
toire d’une différence », Mil Neuf Cent, 1995, 13 (1), p. 81-102 ; Jean de Fabrègues et la Jeune
Droite catholique. Aux sources de la Révolution nationale, Villeneuve-d’Ascq, Presses universi-
taires du Septentrion, 2002 ; H.-W. ECKERT, Konservative Revolution in Frankreich ? Die
Nonkonformisten der Jeune Droite in der Krise der 30er Jahre, Munich, Oldenbourg, 2000 ;
N. KESSLER, Histoire politique de la Jeune Droite (1929-1942). Une révolution conservatrice à
la française, Paris, L’Harmattan, 2001. Véronique Chavagnac parle de «  subsidiarité du poli-
tique » pour qualifier l’idéologie de la Jeune Droite, qui prend donc ses distances vis-à-vis du
maurrasisme officiel (V. CHAVAGNAC, « Les écrivains catholiques et l’esprit des années 20 »,
Intellectuels chrétiens et esprit des années 20, dir. P. COLIN, Paris, Le Cerf, 1997, p. 49).
3. La plupart ont publié dans la revue de l’Institut d’études corporatives et sociales : J. BASSOT,
« Proudhon et La Tour du Pin. Essai de rapprochement de leur conception sur le travail et la
propriété », Cahiers de travaux, 1943, 1, p. 41-44 ; 5, p. 48-51 ; 7, p. 55-57 ; J. DAUJAT, « Notion
sociale de la propriété selon La Tour du Pin », ibid., 1943, 6, p. 35-36 ; A. CHARRIÈRE, « La
conception corporative de Vogelsang », ibid., 1943, 5, p. 52-56, 7, p. 46-54.
4. Sur ce recyclage, cf. A. COHEN, « De la Révolution nationale à l’Europe fédérale. Les méta-
morphoses de la troisième voie aux origines du mouvement fédéraliste français La Fédération
(1943-1948) », Le Mouvement social, 2006, 217, p. 53-72. Dans le même ordre d’idées, Antonin
Cohen a étudié la reconversion keynésienne du corporatisme : A. COHEN, « Du corporatisme
au keynésianisme. Continuités pratiques et ruptures symboliques dans le sillage de François
Perroux », Revue française de science politique, 2006, 56 (4), p. 555-592. Pour une lecture diffé-
rente du cas François Perroux, à l’aune du fédéralisme, cf. O. BEAUD, « Le fédéralisme écono-
mique selon François Perroux. Contribution à l’étude du fédéralisme  », Économie et théories
économiques en histoire du droit et en philosophie, op. cit., p.  325-353. Plus généralement,
cf. O. DARD, « Les économistes, des années 20 aux débuts de la construction européenne, et
l’unité européenne, Inventer l’Europe, dir. G. BOSSUAT, op. cit., p. 143-155. Sur le mouvement
de manière générale, cf. V. HEYDE, « Le mouvement fédéraliste français “La Fédération”, 1944-
Subsidiarité et Europe post-totalitaire. La conjonction fédérale 407

le groupe marseillais Économie et Humanisme créé en 1941 par le Père Louis-


Joseph Lebret ; mais surtout le Mouvement des fédéralistes français et sa
revue Fédération, qui constitueront les deux principales instances de transit
pour les anciennes troupes d’Ordre Nouveau et de la Jeune Droite1. Sans
compter les nombreuses parentés avec le néolibéralisme alors en train de se
refonder, via la très active Librairie de Médicis, maison d’édition de Wilhelm
Röpke. À son modeste niveau, Jean Daujat, thomiste et disciple de Maritain,
assurera la passerelle avec le néolibéralisme2, tout comme Bertrand de Jou-
venel, qui comptera parmi les membres fondateurs de la Société du Mont-
Pèlerin en 1947. Du Pouvoir venait de paraître, et les thèmes de l’État-Mino-
taure ou de la démocratie totalitaire ne pouvaient pas manquer de séduire les
fédéralistes intégraux3.

2. LA SUBSIDIARITÉ DANS LE FÉDÉRALISME INTÉGRAL


Nous le disions en commençant ce développement, c’est Max Richard, rédac-
teur en chef de Fédération, compagnon de route de Jean Daujat, qui,
dès 1953, le premier en France, s’approprie le concept de subsidiarité4. C’est

1960 », Revue d’histoire diplomatique, 2003, 117, p. 133-170 ; C. BERGAMI, « Les fédéralistes
français entre les nouvelles relèves de l’entre-deux-guerres, La Fédération et le Conseil des
communes d’Europe  », Cultures politiques, opinions publiques, et intégration européenne, dir.
M.-T. BITSCH, W. LOTH, C. BARTHEL, op. cit., p. 371-387.
1. Brève sélection d’articles sur les thèmes qui nous intéressent : D. de ROUGEMONT, « Pour
sauver la paix, commencer par l’Europe », Fédération, 1949, 49, p. 70-77 ; « Fédéralisme et natio-
nalisme », ibid., 1954, 116-117, p. 613-628 ; « La Suisse, un exemple pour l’Europe », ibid., 1956,
141, p. 596-598 ; R. ARON, « Philosophie et tactique du fédéralisme », ibid., 1953, 106, p. 773-
781 ; A. MARC, « Crise de conscience européenne », ibid., 1955, 120-121, p. 16-26 ; « Qu’est-ce
que le fédéralisme ? », ibid., 1955, 124-125, p. 327-333 ; J. DAUJAT, « Notre adversaire : la cen-
tralisation », ibid., 1949, 59, p. 675-680 ; « L’idéalisme et le désordre moderne », ibid., 1956, 134,
p. 155-164 ; « Les conséquences de l’idéalisme », ibid., 1956, 137-138, p. 450-459 ; J. BASSOT,
« Fédéralisme et famille », ibid., 1949, 55-56, p. 490-495.
2. Cf. J. DAUJAT, « Néolibéralisme et fédéralisme », ibid., 1948, 38, p. 31.
3. B. de JOUVENEL, Du Pouvoir. Histoire naturelle de sa croissance [1945], Paris, Hachette,
2006, p. 21 sq., p. 415 sq. Neuf ans plus tard, en 1954, Alexandre Marc fera le même éloge des
analyses de Jacob Talmon sur la démocratie totalitaire (A. MARC, « La révolution pour quoi
faire ? », art. cit. ; La Révolution fédéraliste, op. cit., p. 185-229). Cf. aussi B. de JOUVENEL, De
la Souveraineté. À la recherche du bien politique [1955], Paris, Génin, 1960 (ouvrage publié par
Marie-Thérèse Génin, directrice de la Librairie de Médicis). Dans Fédération  : B.  de JOU-
VENEL, « De l’autorité », Fédération, 1955, 120-121, p. 5-15 ; « Le miracle de l’Europe », ibid.,
1953, 102-103, p. 581-594 ; « Naissance d’une fédération », ibid., 1955, 122, p. 116-124. Cf., enfin,
un recueil de textes sur l’Europe : B. de JOUVENEL, Quelle Europe ?, Paris, Le Portulan, 1947.
Sur la conception jouvenélienne du pouvoir : W. GREWE, « Der Minotorus », Ordo, 1950, 3,
p. 284-292 ; G. HABERMANN, « Die soziale Weisheit des Bertrand de Jouvenel », ibid. ; 1995,
46, p. 57-76. Précisons que le cas Jean Daujat n’implique pas celui de Jacques Maritain. La stato-
phobie maritainienne se tiendra toujours à distance du néolibéralisme ; elle restera dans la ligne
d’un Berdiaeff ou d’un Bernanos, catholique et non libérale, insistant sur l’incompatibilité fon-
cière entre l’Évangile et l’État. Cf. J.-L LOUBET DEL BAYLE, « Bernanos et la l’idée de crise
de civilisation », Mélanges J. Ellul, Paris, PUF, 1983, p. 625-641.
4. M. RICHARD, « À la recherche d’une méthode pour l’Occident », art. cit. Sous la plume de
Max Richard, le principe de subsidiarité est souvent rapporté à l’expérience helvétique
(M.  RICHARD, «  Principes et méthodes du fédéralisme  » [1954], Fédération, 1955, 124-125,
p. 334-345, ici p. 341 sq. ; L’Ère des fédérations, op. cit., p. 49 sq.). Sur l’Europe plus particulière-
ment, cf. M.  RICHARD, «  Où sont les mystificateurs ?  », art. cit. ; «  Où en est la fédération
408 La subsidiarité germanique...

encore dans les colonnes du même périodique, celles de la livraison d’octobre


1956 consacrée aux « Expériences fédérales dans le monde », que le mot sub-
sidiarité pointe sous la plume d’un Allemand, un certain Adolf Süsterhenn,
rencontré plus haut, qui donne pour ainsi dire l’onction du catholicisme ger-
manique au fédéralisme intégral d’ascendance proudhonienne1. Dix ans avant,
enfin, c’était déjà dans les locaux parisiens de Fédération que l’Union euro-
péenne des fédéralistes (UEF) voyait le jour sous le regard pressant
d’Alexandre Marc.
Assez vite marginalisé au sein du mouvement qu’il avait contribué à créer,
Marc scissionna dès 1954 pour s’installer à Nice et fonder le CIFE, Centre
international de formation européenne. Quatre ans auparavant, Denis de
Rougemont avait jeté les bases de son club genevois, le Centre européen de la
culture. La même année encore, une troisième figure du fédéralisme person-
naliste, Hendrik Brugmans, chef de file du courant hollandais, grand admira-
teur de Proudhon et militant européiste de la première heure, installait à
Bruges le fameux collège d’Europe (qu’il dirigera jusqu’en 1972). Avec Rou-
gemont et Marc, il forme en quelque sorte le triumvirat du fédéralisme inté-
gral : comme le premier, il est né dans une famille protestante (aux Pays-Bas) ;
comme le second, il s’est converti au catholicisme (pendant la Seconde Guerre
mondiale). À l’instar de l’activité militante de ses deux homologues, celle
de Brugmans ne se limitera pas à l’immédiat après-guerre  : intarissable sur
le fédéralisme européen, il publiera inlassablement jusqu’à sa mort en 1997,
se faisant presque un devoir d’occuper le terrain du débat public, dans une
sorte d’émulation rivale avec Marc et Rougemont2. Sa sensibilité socialiste

européenne ? », ibid., 1953, 102-103, p. 595-609 ; « Quelle Europe ? », ibid., 1956, 141, p. 630-
635. La subsidiarité sera systématiquement présente dans l’ensemble de ses publications ulté-
rieures  : M.  RICHARD, Une Politique fédéraliste. L’Europe, la liberté, la paix, Paris, Action
européenne fédéraliste, 1967, p. 15 ; Après la Révolution de Mai. L’heure du fédéralisme, Paris,
Mouvement fédéraliste, français, 1968 ; Le Fédéralisme, réponse à la crise du monde occidental,
Paris, Mouvement fédéraliste français, 1971, p. 18 ; « Un parti fédéraliste ? », Le XXe siècle fédéra-
liste, 1971, 401, p.  7-10 ; Lettre fédéraliste à un jeune Français, Paris, Le xxe  siècle fédéraliste,
1978, p.  34. Cf., enfin, son hommage à Denis de Rougemont, qui, en pas plus deux pages,
invoque trois fois le principe de subsidiarité (M.  RICHARD, «  Europe, nation, région  »,
Mélanges D. de Rougemont, Genève, Centre européen de la Culture, 1989, p. 187-189).
1. A. SÜSTERHENN, « Régime fédéral de Bonn », Fédération, 1956, 141, p. 611-615. Sur cinq
pages au total, le mot subsidiarité n’apparaît pas moins de quatre fois en français. « Le fédéra-
lisme en Allemagne, écrit le père fondateur de la Loi fondamentale, ne se limite pas au seul
domaine du droit constitutionnel, c’est-à-dire aux rapports entre la Fédération et les Länder.
C’est un principe général d’ordre sociologique, politique, social et philosophique qui, s’inspirant
de l’idée de subsidiarité, imprègne tous les secteurs de la vie humaine. » (Ibid., p. 615). Dans la
même veine mais sans le mot subsidiarité, deux ans auparavant, sous la plume de Heinrich Hell-
wege, ministre fédéral en charge des questions relatives au Bundesrat : « Le fédéralisme exprime
[...] une mentalité et un style de vie  : il répond à toutes les questions concernant la liberté, la
démocratie, la dignité humaine, la personnalité et la responsabilité. À l’époque du collectivisme
et de la “massification”, notre option pour ou contre le fédéralisme se révèle comme une option
entre la personne et la masse, entre la liberté individuelle et le totalitarisme, entre la responsabi-
lité et l’anonymat, entre la tradition et le déracinement. » (H. HELLWEGE, « Le fédéralisme est
un style de vie », ibid., 1954, 116-117, p. 629-638, ici p. 631).
2. Parmi une production impressionnante, cf. H. BRUGMANS, P. DUCLOS, Le Fédéralisme
contemporain, Leyde, Sijthoff, 1962 ; H. BRUGMANS, « Positions fédéralistes européennes »,
Fédération, 1949, 54, p. 393-398 ; La Cité européenne [1950], Maastricht, Presses interuniversi-
Subsidiarité et Europe post-totalitaire. La conjonction fédérale 409

le distingue assez nettement de l’un et de l’autre, tout comme ses réfé-


rences insistantes à la doctrine sociale de l’Église ou sa manière très réaliste
d’appréhender la solution fédérale. Dans le rapport d’Hendrik Brugmans au
catholicisme, il y a quelque chose comme un zèle de converti qu’on ne
retrouve pas chez Alexandre Marc — pourtant converti lui aussi1. Bien plus :
dans son rapport au fédéralisme, il y a un souci pragmatique qui fait très lar-
gement défaut à l’intransigeantisme marcien.
Le choc des egos était comme annoncé dès la naissance de l’UEF  : le
modéré Brugmans est élu président, le bouillonnant Alexandre Marc secré-
taire général et directeur du département institutionnel. Bien qu’ils posent les
principes fondateurs de la construction européenne à venir, les grands
congrès du Mouvement européen annoncent également les divorces pro-
chains2. Si les dissensions entre possibilistes (emmenés par Brugmans) et
maximalistes (emmenés par Marc et Spinelli) sont tues en août 1947 à Mon-
treux lors de la première assemblée de l’UEF, elles ne manquent pas d’éclater
au grand jour un an plus tard. À La Haye, en 1948, le Mouvement européen
ne réunit plus la seule UEF mais l’ensemble de la nébuleuse fédéraliste euro-
péenne3 : des courants autant personnalistes, démocrates chrétiens, socialistes
que social-démocrates, libéraux ou conservateurs4. Aussi, les paroles se
libèrent et les oppositions iront croissant, particulièrement entre la ligne du
fédéralisme intégral et celle de l’unionisme politique, qui avait été tracée par
Winston Churchill dans son célèbre discours prononcé à l’Université de
Zurich le 19 septembre 1946. C’est finalement Altiero Spinelli, doublement

taires européennes, 1985 ; « Un civisme européen », Fédération, 1955, 122, p. 125-129 ; Panorama
de la pensée fédéraliste, Paris, La Colombe, 1956 ; « Le fédéralisme et l’Europe », L’Ère des fédé-
rations, op. cit., p. 98-114 ; Les Origines de la civilisation européenne, I-II, Liège, Thone, 1958-
1961 ; L’Idée européenne, 1920-1970 [1965], Bruges, Collège d’Europe, Tempel, 1970 ; La Pensée
politique du fédéralisme, Leyde, Sijthoff, 1969 ; Présence des chrétiens sur le chantier européen,
Bruxelles, OCIPE, 1976 ; L’Europe vécue, Paris, Casterman, 1979 ; À travers le siècle, Bruxelles,
Presses interuniversitaires européennes, 1993.
1. Son maître ouvrage, La Pensée politique du fédéralisme, comprend un chapitre entier consacré
à la subsidiarité, significativement intitulé « De l’étatisme à la subsidiarité », où les citations des
encycliques pontificales voisinent avec la reprise des thèses croziériennes du Club Jean-Moulin
— alors très en vogue (nous sommes dans la période post-Mai 1968)  : la responsabilité et la
proximité contre l’État administratif (H.  BRUGMANS, La Pensée politique du fédéralisme,
op. cit., p.  65-81). Au-delà du cas Brugmans, un parallèle a clairement été établi entre Ordre
Nouveau et le Club Jean-Moulin : E. LIPIANSKY, B. RETTENBACH, Ordre et démocratie.
Deux sociétés de pensée : de L’Ordre Nouveau au Club Jean-Moulin, Paris, PUF, 1967.
2. Cf. A. COHEN, « De congrès en assemblées. La structuration de l’espace politique transna-
tional européen au lendemain de la guerre », Politique européenne, 2006, 18, p. 105-125.
3. UEF, Rapport du premier congrès annuel, Montreux, 27-31 août 1947, Genève, Palais Wilson,
1947 ; D. de ROUGEMONT, « L’attitude fédéraliste », ibid., p. 8-16 ; H. BRUGMANS, « Posi-
tions fondamentales du fédéralisme européen », ibid., p. 17-29 ; A. MARC, R. SILVA, « En guise
de conclusion... », ibid., p. 137-140. Cf. aussi « Le congrès de Montreux de l’UEF (27-31 août
1947)  », L’Europe en formation, 1989, 274, p.  45-56. Du second congrès, celui de La  Haye, il
ressortira le Message aux Européens, déclaration finale rédigée par Denis de Rougemont lui-
même et qui, de son propre aveu, aura un impact décisif sur Jean Monnet.
4. Pour une présentation non dénuée d’arrière-pensées, cf. le panorama donné dans Esprit
de novembre 1948, en guise de préambule à l’article déjà cité de Jean-Marie Domenach
(« Documentaire », Esprit, 1948, 150, p. 608-638). Outre un recensement des mouvements fédé-
ralistes, le dossier comprend des textes d’Hendrik Brugmans, Bernard Voyenne et Max Richard.
410 La subsidiarité germanique...

auréolé de son Ventotene Manifesto (1941) et de son projet de Communauté


politique (1953), qui emportera la mise, en pariant moins sur une révolution
immédiate par le fédéralisme intégral que sur un gradualisme mariant fonc-
tionnalisme et constitutionnalisme fédéraliste1.
Après Marc, Rougemont et Brugmans, notre reconstitution de l’histoire
de la subsidiarité oblige à mentionner une dernière figure importante du
fédéralisme intégral  : Guy Héraud. Quoique peu connu, ce professeur de
droit à l’Université de Strasbourg sera néanmoins un acteur déterminant de la
diffusion européenne du principe de subsidiarité, devenant pour ainsi dire le
théoricien juridique du fédéralisme intégral, cherchant en tout cas à donner
une formalisation scientifique au fédéralisme proudhonien. Son itinéraire
s’inscrit totalement dans l’ombre et dans les pas d’Alexandre Marc, à partir
du début des années 1960 surtout, quand l’ancien secrétaire général de l’UEF
dote le CIFE d’un nouveau périodique, L’Europe en formation (sous-titré
Les cahiers du fédéralisme)2. D’abord simple bulletin interne, la revue prend
réellement son envol éditorial en 1963 avec la publication d’une charte fédé-
raliste rédigée par l’antenne française du Mouvement européen, qui sera offi-
ciellement adoptée par l’UEF en avril 1964 lors du deuxième congrès de
Montreux. Fruit d’un travail collectif entamé deux ans plus tôt sous la coor-
dination d’Alexandre Marc et de Max Richard (la collaboration avait survécu
à la scission de Fédération), ce document à prétention juridique — dans
lequel l’empreinte personnelle du professeur Héraud se fait très perceptible
— invoque expressément le principe de subsidiarité3.

1. A. SPINELLI, E. ROSSI, Le Manifeste de Ventotene [1941], Rome, Associazione italiana per


il Consiglio dei Communi d’Europa, Centro italiano di Formazione europea, Movimento fede-
ralista europeo, 1981, p. 27-51 ; A. SPINELLI, « La lutte pour l’unité européenne » [1953-1984],
trad. fr., Commentaire, 1986-1987, 9 (36), p. 778-780 ; Manifeste des fédéralistes européens, Paris,
SEEI, 1957. De son opposant, proche du fédéralisme intégral, cf. M.  ALBERTINI, Qu’est-ce
que le fédéralisme ?, Paris, SEEI, 1963. Sur le rôle inaugural de Spinelli dans la construction
européenne et son projet d’Union, cf. L. LEVI, éd. Altiero Spinelli and Federalism in Europe and
in the World, Milan, Angelli, 1990 ; B. VAYSSIÈRE, « Le Manifeste de Ventotene (1941) : acte
de naissance du fédéralisme européen », Guerres mondiales et conflits contemporains, 2005, 217,
p. 69-76 ; Vers une Europe fédérale ?, Bruxelles, et al., Lang, 2006 ; « Alexandre Marc : les idées
personnalistes au service de l’Europe », Inventer l’Europe, dir. G. BOSSUAT, op. cit., p. 383-
401 ; D. BREDA, « De Gasperi, Spinelli et le projet de Communauté politique européenne »,
ibid., p.  341-353 ; J.-M. PALAYRET, «  Spinelli, entre cellule carbonara et conseiller des
princes  », ibid., p.  355-382 ; J.-P. GOUZY, «  Altiero Spinelli, un précurseur de l’Europe des
citoyens », L’Europe en formation, 2006, 2, p. 5-17.
2. Le CIFE et son périodique accueillent des juristes appelés à une grande postérité : Georges
Vedel (qui figurait déjà parmi les membres du comité de rédaction de la revue Fédération) et
François Luchaire : G. VEDEL, « Les conceptions politiques et les structures possibles de l’Eu-
rope  », Fédération, 1953, 106, p.  782-796 ; «  Caractères essentiels d’un régime fédéral  », ibid.,
1956, 141, p.  582-585 ; «  Le fédéralisme et l’État  », L’Ère des fédérations, op. cit., p.  87-97 ;
« L’État souverain contre la démocratie » [1955], L’Europe en formation, 1963, 42-43, p. 5-10 ;
F. LUCHAIRE, « Réflexions sur la subsidiarité », ibid., 2000-2001, 319-320, p. 201-210.
3. Cf. la « Note historique » qui accompagne la publication du texte de la charte (COMMIS-
SION d’ÉTUDES FÉDÉRALISTES de l’ORGANISATION FRANÇAISE du MOUVE-
MENT EUROPÉEN, Charte fédéraliste, Nice, Presses d’Europe, 1963, p. 8). Outre Alexandre
Marc, Max Richard et Guy Héraud, ont notamment participé au travail de rédaction de cette
charte fédéraliste : Robert Aron, Germain Desbœuf, Hyacinthe Dubreuil, Jean-Pierre Gouzy,
Claude-Marcel Hytte, Dominique Magnant, André Philip, André Thiery, André Voisin.
Subsidiarité et Europe post-totalitaire. La conjonction fédérale 411

«  Aucune autorité “supérieure”, lit-on, n’intervient dans la sphère d’action


d’une autorité “inférieure” tant que celle-ci reste efficace, car le fédéralisme
applique le principe de subsidiarité. [...]La recherche et la mise en œuvre d’une
meilleure justice sociale exigent que soit mis en œuvre, en même temps que les
trois autres principes : autonomie, coopération, subsidiarité, qui caractérisent le
fédéralisme, le quatrième principe fondamental, celui de participation1. »
C’est avec la diffusion de cette charte, par les soins du CIFE, que le
concept de subsidiarité essaime dès 1963 dans les cercles des militants pro-
européens. Mais le succès se révèle à la mesure des réticences grandissantes de
Guy Héraud lui-même. D’abord défenseur inconditionnel de la subsidiarité,
dès 19612, il se montre ensuite de plus en plus critique, prêtant au principe
soit des relents trop centralisateurs, soit une indétermination trop peu favo-
rable à la proximité. Il lui préférera dès lors le principe d’«  exacte adéqua-
tion » (appropriateness), sans qu’on ne perçoive aisément ni la portée clarifi-
catrice ni la percée conceptuelle du nouveau mot d’ordre3. Lui-même peu
réceptif au vocable subsidiarité (il le jugeait « lourd et pédant »), Alexandre
Marc ne manquera pas de suivre la recommandation sémantique de son
expert en droit4.
Autonomie, coopération, subsidiarité, participation : tout cela n’était pas
sans rappeler les trois lois du fédéralisme dégagées par Georges Scelle (super-
position, participation, autonomie). L’influence du grand juriste sur le fédé-
ralisme intégral avait pu transiter par l’intermédiaire d’un éminent disciple,
Michel Mouskhély, compagnon de route et ami de Guy Héraud5. Proche du

1. Ibid., p. 18-19. Il s’agit de la première publication dans la collection « Réalités du présent. Le


texte a été repris dans La Révolution fédéraliste, op. cit., p. 231-243, ici p. 236.
2. Dès 1961 : donc trois années avant la rédaction de la charte de 1964 : « L’esprit du fédéralisme
[...] est de mesurer au principe de subsidiarité l’étendue des compétences propres : le niveau infé-
rieur est compétent par principe, le niveau supérieur n’intervenant qu’à titre subsidiaire, pour les
affaires que les communautés de base ne sont pas en état de gérer efficacement et sans dommage
pour les autres communautés. » (G. HÉRAUD, « L’interétatique, le supranational et le fédéral »,
Archives de philosophie du droit, 1961, 6, p. 179-191, ici p. 190).
3. G.  HERAUD, Les Principes du fédéralisme et la fédération européenne. Contribution à la
théorie juridique du fédéralisme, Nice, Presses d’Europe, 1968, p. 49-50 ; « La société fédérale :
principes, schémas, conjectures », L’Europe en formation, 1976, 190-192, p. 97-114 ici p. 105. Le
principe d’exacte adéquation apparaît à partir de la fin des années 1960 : G. HÉRAUD, Les Prin-
cipes du fédéralisme et la fédération européenne, op. cit. ; «  Les principes du fédéralisme et la
construction de l’Europe  », La Révolution fédéraliste, op. cit., p.  39-56 ; «  L’état actuel de la
recherche fédéraliste », L’Europe en formation, 1976, 190-192, p. 25-53 ; « La société fédérale :
principes, schémas, conjectures », art. cit. ; « Le fédéralisme : modèle et stratégie », ibid., 1982,
249, p.  31-46 ; «  Démocratie et autodétermination  », Mélanges L.-J. Constantinesco, op. cit.,
p. 227-244 ; « Union européenne et fédération », ibid., 1984, 256, p. 63-73 ; « De la subsidiarité au
principe d’exacte adéquation », Le Fédéralisme personnaliste aux sources de l’Europe de demain,
éd. F. KINSKY, F. KNIPPING, op. cit., p. 232-239.
4. Cf. A. MARC, Fondements du fédéralisme, op. cit., p. 88 ; « Méthodologie du savoir et dialec-
tique des valeurs », L’Europe en formation, 1968, 103, p. 12-21, ici p. 14.
5. Outre les propres publications de Michel Mouskhély (M. MOUSKHÉLY, « La théorie du
fédéralisme  », La Technique et les principes du droit public. Mélanges G.  Scelle, Paris, LGDJ,
1950, I, p. 397-414 ; La Théorie juridique de l’État fédéral, Paris, Pédone, 1931 ; Structures fédé-
rales, Nice, Presses d’Europe, 1964, ici p.  27), cf. trois articles écrits à quatre mains  :
G. HÉRAUD, M. MOUSKHÉLY, « Fédéralisme, totalitarisme et particularisme », L’Europe en
formation, 1963, 37, p.  11-14 ; «  Démocratie et participation  », ibid., 1963, 42-43, p.  13-18 ;
« L’autonomie des communautés et la fédération européenne », ibid., 1964, 50, p. 19-27. Sur la
412 La subsidiarité germanique...

Parti radical, après un flirt platonique avec Vichy, Georges Scelle lui-même
ne cacha pas son engagement politique en faveur d’une Europe fédérale1.
Autre exemple, s’il en est, d’une connivence naturelle entre corporatisme et
fédéralisme, très loin de s’exprimer sur la seule aile maurrassienne de l’échi-
quier politique. Sous l’Occupation, il n’hésita pas, comme beaucoup d’autres
universitaires, à prendre la plume dans la revue de Maurice Bouvier-Ajam et
à s’y prononcer en faveur de syndicats obligatoires2 ; mais des syndicats
dégagés de toute tutelle étatique, précisait-il alors. Sur le plan interne, filia-
tion durkheimienne aidant, les faveurs de Georges Scelle allaient naturelle-
ment à un système fondé sur une décentralisation fonctionnelle et des corps
intermédiaires. Aussi l’expérience pétainiste sera-t-elle, au bout du compte,
fermement critiquée : pour son irrémissible péché d’étatisme, bien entendu.
Dans sa théorie fédérale, il voulait voir un prolongement direct des thèses de
Léon Duguit sur le terrain international : le fédéralisme comme continuation
logique et nécessaire du programme duguiste de démembrement de la puis-
sance publique. Les termes du couplage avec le fédéralisme intégral étaient
ainsi tout trouvés  : faire de la question de la souveraineté un enjeu fonc-
tionnel de répartition des compétences.
Du fédéralisme scellien, Guy Héraud retiendra l’inspiration générale mais,
à ses yeux, Georges Scelle n’allait pas assez loin dans la fédéralisation  : le
fédéralisme doit être intégral, professait-il à la suite d’Alexandre Marc, parce
que le mal de l’État est lui-même intégral3. Sa vocation est sociétale : consi-
dérer la vie sociale dans son intégralité en dehors même de la question institu-
tionnelle de l’État et de sa souveraineté. Volontiers inscrit dans le registre du
droit, le discours n’en était pas moins idéologique ; il ne surprenait pas chez
un juriste qui n’avait jamais prétendu faire œuvre de neutralité axiologique.
Mais l’insidieux mélange de littérature savante et de littérature militante est
devenu tel que l’apport conceptuel s’effaça peu à peu devant cette obsession
statophobique, décidément maladive. Guy Héraud poussa même l’engage-
ment public jusqu’à se porter candidat «  fédéraliste européen  » à l’élection
présidentielle de 19744. Dans son programme, un axe ressortait tout parti-
culièrement : L’Europe des ethnies, slogan dont il fera bientôt sa marque de
fabrique personnelle5. Un peu dans la veine de Rougemont, et peut-être pour

parenté Alexandre Marc-Georges Scelle, cf. C. NIGOUL, « René-Jean Dupuy et le fédéralisme


de Georges Scelle à Alexandre Marc », Mélanges R.-J. Dupuy, Paris, Pédone, 1991, p. 233-240.
1. G.  SCELLE, Précis de droit des gens  : principes et systématique I [1932], Paris, Dalloz,
2008, p. 187 sq. S’agissant de son engagement européen, qui s’exprime surtout après la guerre,
cf. G. SCELLE, Le Fédéralisme européen et ses difficultés politiques, Nancy, 1952.
2. G.  SCELLE, «  Corporatisme, ordre juridique, fédéralisme  », Cahiers de travaux, 1943, 1,
p. 6-8 ; « Évolution de l’administration économique », ibid., 1944, 8, p. 61-62.
3. Et Guy Héraud de se demander — et de demander benoîtement — comment « le fédéralisme
proudhonien [pourrait]-il s’avérer révolutionnaire, s’il ne [différait] fondamentalement d’une
théorie constitutionnelle d’aménagement de l’État ?  » (G.  HÉRAUD, «  Un anti-étatisme  : le
fédéralisme intégral », Archives de philosophie du droit, 1976, 21, p. 167-180, ici p. 168).
4. Signalons, au passage, que le candidat Guy Héraud reste à ce jour le titulaire du plus petit
score électoral jamais réalisé lors d’un scrutin présidentiel : 0,07 % des suffrages exprimés.
5. G.  HÉRAUD, «  Fédéralisme et groupes ethniques  », L’Europe en formation, 1968, 97,
p. 18-22 ; L’Europe des ethnies, Nice, Presses d’Europe, 1974 ; « Essai de typologie des statuts
Subsidiarité et Europe post-totalitaire. La conjonction fédérale 413

s’autonomiser de Marc, Héraud se fait le chantre d’une Europe organisée en


communautés linguistiques comme voie alternative à l’État. Si Rougemont,
infatigable défenseur des régions, n’emploie pas le vocabulaire ethnique, son
modèle européen converge en tous points avec celui défendu par Héraud  :
l’effacement des frontières nationales1.
Entre la charte de 1964 et la présidentielle de 1974, le moment Mai 1968
survient à point nommé, qui donnera une coloration nouvelle à l’engagement
de ces militants du fédéralisme intégral. Tout un numéro de L’Europe en for-
mation2, repris dans La Révolution fédéraliste, est consacré à l’explosion
printanière de la jeunesse, effervescence curieusement interprétée comme une
validation en actes des thèses fédéralistes. C’est à partir de Mai 1968 que Guy
Héraud lance son nouveau mot d’ordre ethnique ; c’est également à partir de
Mai 1968 que Denis de Rougemont donne un tour plus systématique à son
engagement régionaliste, s’attachant désormais à l’adosser à un autre thème
devenu porteur : l’écologisme. Comme annoncée par le courant ellulien du
personnalisme3, cette évolution intellectuelle de Rougemont est particulière-

ethniques », Mélanges F. Dehousse, Bruxelles, Labor, Paris, Nathan, 1979, II, p. 39-44 ; « Mino-
rités  », Dictionnaire international du fédéralisme, dir. D.  de ROUGEMONT, op. cit., p.  109-
116. Pour un commentaire synthétique sur ce programme ethnique, cf. C.  NIGOUL, «  Guy
Héraud ou l’Utopia Ethnica », L’Europe en formation, 2003, 4, p. 5-8.
1. Cf. D. de ROUGEMONT, « Vers une fédération des régions », L’Europe en formation, 1968,
100, p.  18-23 ; La Révolution fédéraliste, op. cit., p.  57-80 ; L’Un et le divers, Neuchâtel, La
Baconnière, 1970 ; Lettre ouverte aux Européens, Paris, Albin Michel, 1970 ; « Dépasser l’État-
nation  », Preuves, 1970, 4, p.  54-59 ; L’Avenir est notre affaire, Paris, Stock, 1977 ; «  Formule
d’une Europe parallèle ou rêverie d’un fédéraliste libertaire », Mélanges F. Dehousse, Bruxelles,
Labor, Paris, Nathan, 1979, II, p. 29-30 ; « Alexandre Marc et l’invention du fédéralisme », Le
Fédéralisme et Alexandre Marc, op. cit., p. 51-69 ; « L’État national contre l’Europe », Cadmos,
1984, 7 (25), p. 88-112. Cette dimension ethnico-régionaliste du fédéralisme sera célébrée autant
dans les cercles de la New Left américaine que du côté de la Nouvelle Droite française  :
L. KÜHNHARDT, « Federalism and Subsidiarity », Telos, 1992, 91, p. 77-86 ; G. L. ULMEN,
« Qu’est-ce que le fédéralisme intégral ? », trad. fr. A. de Benoist, Krisis, 1993, 13-14, p. 173-190 ;
R.  D’AMICO, P.  PICCONE, «  L’avenir du fédéralisme  », trad. fr. P.  Baillet, ibid., 1999, 22,
p.  69-80 ; P.  PICCONE, «  La crise du libéralisme et l’émergence du populisme fédéraliste  »,
trad. fr. A.  de Benoist, ibid., p.  127-158 ; P.  SALLERON, «  Le réveil ethnique en France  »
[1966], ibid., p. 167-180 ; A. de BENOIST, « What is Sovereignty ? », Telos, 1999, 116, p. 99-118 ;
G.  FELTIN-TRACOL, «  Pour la subsidiarité. Patrie, État et postmodernité dans le nou-
vel ordre de la Terre  », Krisis, 2009, 31, p.  130-150. Pour une mise en perspective critique,
cf. G. TALSHIR, « Knowing Right from Left : The Politics of Identity between the Radical Left
and Far Right », Journal of Political Ideologies, 2005, 10 (3), p. 311-335. Pour une analyse des
extrémismes (Ligue du Nord en Italie, Vlaams Belang en Belgique, FPÖ en Autriche) qui
invoquent la subsidiarité, cf. P. POIRIER, Subsidiarity, Regionalism and State-Nationalism : An
Ideological Gap Between European Parties of the New Right ?, Luxembourg, Centre de
recherche Gabriel-Lippmann, 2001 ; Les droites extrêmes en Europe. Histoire et identité(s)
politique(s), Thèse de doctorat en science politique, dir. P. Bénéton, P. Portier, Rennes, Univer-
sité de Rennes I, 2001 ; A.  COLOMBO, «  The “Lombardy Model”  : Subsidiarity-informed
Regional Governance », Social Policy and Administration, 2008, 42 (2), p. 177-196.
2. «  Après la révolte de mai, la révolution fédéraliste  », L’Europe en formation, 1968, 100.
Célébré par la « nouvelle droite », Héraud le sera aussi par la gauche française, pour peu qu’elle
ne soit pas jacobine : M. BRAUD, F. CÉPÈDE, « Enquête sur la subsidiarité », Cahiers et revue
de l’OURS, 1992, 207, p. 2-3 ; S. CLOUET, « Subsidiarité et cultures en Europe », ibid., p. 30 ;
M. BRAUD, « La subsidiarité remise sur ses pieds : le socialisme fédéraliste », ibid., p. 39.
3. Sur le retour personnaliste à la nature, à l’écologie et à la région, il faut souligner l’impact
déterminant des travaux de Jacques Ellul (le père spirituel d’Ivan Illich) et de son condisciple
Bernard Charbonneau. Tous les deux basés à Bordeaux, ils furent à l’origine du courant (dit
414 La subsidiarité germanique...

ment symptomatique d’un climat général : celui du retour antimatérialiste et


postindustriel à la nature1, lequel autorisera des thèmes anciennement conser-
vateurs à revenir sur le devant de la scène en se drapant avantageusement dans
des habits progressistes2. On relit Martin Heidegger (la critique de l’arrai-
sonnement technique) ; on redécouvre Simone Weil (l’apologie de l’enraci-
nement terrien) ; on se prend encore une fois à célébrer la Suisse, ses cantons,
ses communes et sa taille idéale pour une Europe des régions3 ; on entend le
message de Leopold Kohr, père du concept d’échelle humaine et de son
corollaire publicitaire  : le «  small is beautiful  », qui influenceront tant un
Ivan Illich et un Ernst Friedrich Schumacher, pour ne citer que deux de ses
compatriotes autrichiens4. La vie en petites communautés, voilà bien qui

gascon) du personnalisme écologiste, qui, dès les années 1930, mettait l’accent sur la préservation
de l’environnement naturel de l’homme (C. ROY, « Aux sources de l’écologie politique : le per-
sonnalisme “gascon” de Bernard Charbonneau et Jacques Ellul  », Annales canadiennes d’his-
toire, 1992, 27, p. 67-100 ; « Ecological Personalism : The Bordeaux School of Bernard Charbon-
neau and Jacques Ellul », Ethical Perspectives, 1999, 6 (1), p. 33-44 ; P. TROUDE-CHASTENET,
dir., Sur Jacques Ellul, Bordeaux, L’Esprit du temps, 1994 ; Jacques Ellul, penseur sans frontières,
Bordeaux, L’Esprit du temps, 2005 ; P. TROUDE-CHASTENET, Lire Ellul, Bordeaux, PUB,
1992 ; «  Jacques Ellul  : une jeunesse personnaliste  », Revue française d’histoire des idées poli-
tiques, 1999, 9, p. 55-75 ; « Christianisme, personnalisme et fédéralisme dans l’œuvre de Jacques
Ellul », L’Europe en formation, 1999-2000, 315-316, p. 239-260). Signalons la parenté avec l’évo-
lution de Bertrand de Jouvenel, également repérable chez Wilhelm Röpke (B. de JOUVENEL,
Arcadie. Essai sur le mieux-vivre [1969], Paris, Gallimard, 2002).
1. Cf., ici, les analyses classiques de Ronald Inglehart et d’Alain Touraine : R. INGLEHART,
The Silent Revolution, Princeton, Princeton University Press, 1977 ; La Transition culturelle
dans les sociétés industrielles avancées [1990], trad. fr. B. Frumer, A.-R. Maisonneuve, G. Sudrie,
Paris, Économica, 1993 ; A. TOURAINE, La Voix et le regard, Paris, Le Seuil, 1978.
2. Sur cette évolution idéologique, cf. M. DUBRULLE, éd., Régionalisme, fédéralisme, écolo-
gisme : l’union de l’Europe sur de nouvelles bases économiques et culturelles, Bruxelles, Presses
interuniversitaires européennes, 1995 ; P.  GRÉMION, «  Personnalisme, fédéralisme, progres-
sisme », Mélanges D. de Rougemont, Genève, Centre européen de la culture, 1989, p. 125-133 ;
F.  SAINT-OUEN, Denis de Rougemont et l’Europe des régions, Genève, Fondation Rouge-
mont, 1993. Cf. aussi la thèse de Jean Jacob, peut-être excessive mais souvent percutante
(J.  JACOB, Le Retour de L’Ordre Nouveau. Les métamorphoses d’un fédéralisme européen,
Genève, Droz, 2000), et la réponse non moins critique de Vlad Constantisnesco (V. CONSTAN-
TINESCO, « Le fédéralisme intégral n’est-il, au fond, qu’une idéologie de droite qui se dissi-
mule sous un masque révolutionnaire ? », L’Europe en formation, 2001, 321, p. 33-44).
3. Pensons, ici, au travail de l’historien bâlois Adolf Gasser  : A.  GASSER, Die Territoriale
Entwicklung der Schweizerischen Eidgenossenschaft, 1291-1797 [1932], Aarau, Sauerlander,
1952 ; L’Autonomie communale et la reconstruction de l’Europe. Principes d’une interprétation
éthique de l’histoire [1946], trad. fr. W. Perrenoud, Neuchâtel, La Baconnière, 1947.
4. L.  KOHR, The Breakdown of Nations [1957], Londres, Routledge and Paul, 1986 ;
E. F. SCHUMACHER, Small Is Beautiful. Une société à la mesure de l’homme [1973], trad. fr.
D. et W.  Day, M.-C. Florentin, Paris, Le Seuil, 1985. Pour l’établissement d’un lien explicite
entre Adolf Gasser ou Leopold Kohr et le principe de subsidiarité, cf. F. ESTERBAUER, et al.,
dir., Von der freien Gemeinde zum föderalistischen Europa. Festschrift A.  Gasser, Berlin,
Duncker und Humboldt, 1983 ; G.  HABERMANN, «  Müssen Utopien sozialistisch sein ?  »,
Ordo, 2004, 55, p. 99-126, spécialement p. 118 sq. Plus généralement, sur le fédéralisme et l’État
en Suisse lus à la lumière de la subsidiarité, cf. H. STADLER, Subsidiaritätsprinzip und Födera-
lismus. Ein Beitrag zum schweizerischen Staatsrecht, op. cit. ; J.  VOYAME, «  Le principe de
subsidiarité dans la répartition des tâches entre Confédération et cantons », Festschrift K. Eichen-
berger, Bâle, Francfort, Helbing und Lichtenhahn, 1982, p. 121-129 ; E. PROKOP, « La subsi-
diarité suisse face à la subsidiarité communautaire : une analyse juridique », La Suisse en Europe.
Une réflexion pluridisciplinaire, Genève, Institut universitaire d’études européennes, 1992,
p. 87-138 ; S. CATTACIN, R. VITALI, « La Suisse entre subsidiarité et étatisme », Revue des
Subsidiarité et Europe post-totalitaire. La conjonction fédérale 415

résume l’air du temps. Aussi la reprise du vocabulaire ethnique par Guy


Héraud se veut-elle un hymne à la diversité linguistique et culturelle. Aussi
la région de Rougemont se présente-t-elle comme un espace de participa-
tion civique : non pas la communauté naturelle chère aux conservateurs mais
le support capable de reproduire la mesure humaine des anciennes cités
grecques : l’amphictyonisme. Son héritier intellectuel, Suisse lui aussi, le poli-
tiste Dusan Sidjanski, avait activement préparé le terrain dès les années
d’après-guerre1. Tout au long de sa carrière universitaire, il restera fidèle à
l’enseignement du maître, se plaisant à densifier conceptuellement une pro-
blématique dont on connaît la force mobilisatrice dans l’histoire de la
construction européenne2. L’Europe des régions trouvera là l’une de ses
forces motrices essentielles en même temps que son principal ressort de légi-
timation théorique3.

études coopératives mututalistes et associatives, 1997, 61 (263), p. 35-47 ; N. SCHMITT, « Petit


aperçu comparatif du fédéralisme en Suisse, en Allemagne et aux États-Unis », L’Europe en for-
mation, 2003, 3, p.  19-147, spécialement p.  85  sq. ; B.  DUBEY, «  Administration indirecte et
fédéralisme d’exécution en Europe », Cahiers de droit européen, 2003, 1-2, p. 87-133, p. 93 sq.
1. Dès le milieu des années 1950 : S. CASTANOS de MÉDICIS, D. SIDJANSKI, « Les critères
du fédéralisme et le concept amphictyonique  », Fédération, 1954, 114-115, p.  519-532 ;
D.  SIDJANSKI, Fédéralisme amphictyonique, Lausanne, Rouge, Paris, Pédone, 1956. Nota  :
Amphictyonisme : mot issu du grec amphiktyones, qui signifie « ceux qui sont voisins ».
2. D.  SIDJANSKI, Du Fédéralisme national au fédéralisme international, Lausanne, Rouge,
Librairie de l’Université, 1954 ; « Les organisations européennes sont-elles fédératives ? », Fédé-
ration, 1956, 141, p. 636-644 ; « L’originalité des Communautés européennes et la répartition de
leurs pouvoirs », Revue générale de droit international public, 1961, 32 (1), p. 40-96 ; Dimensions
européennes de la science politique, Paris, LGDJ, 1963 ; « Actualité et dynamique du fédéralisme
européen », Revue du Marché commun, 1990, 341, p. 655-665 ; « Objectif 1993 : une commu-
nauté fédérale européenne », ibid., 1990, 342, p. 687-695 ; L’Avenir fédéraliste de l’Europe. La
Communauté européenne, des origines au traité de Maastricht, Genève, IUEE, Paris, PUF, 1992 ;
«  La nouvelle ère du fédéralisme  », Vers une Constitution européenne. L’Europe et les expé-
riences fédérales, éd. T.  FLEINER, N.  SCHMITT, Fribourg, Institut du fédéralisme, 1998,
p. 45-58 ; L’Approche fédérative de l’Union européenne ou la quête d’un fédéralisme européen
inédit, Paris, Groupe d’études et de recherche Notre Europe, 2001.
3. Sur le thème de l’Europe des régions, la littérature scientifique voisine le discours militant,
nous y reviendrons. Du côté de l’analyse, cf. J.-M. PALAYRET, «  De la CECA au Comité
des régions. Le Conseil des communes et des régions d’Europe, un demi-siècle de lobbying
en faveur de l’Europe des régions  », Le Fait régional et la construction européenne, dir.
M.-T. BITSCH, Bruxelles, Bruylant, 2003, p.  85-113 ; R.  PASQUIER, «  Villes et régions  »,
Science politique de l’Union européenne, dir. C. BELOT, P. MAGNETTE, S. SAURUGGER,
Paris, Économica, 2008, p.  335-353 ; M.  KEATING, L.  HOOGHE, «  By-passing the Nation
State ? Regions and the EU Policy Process », European Union : Power and Policy-Making, éd.
J. RICHARDSON, Londres, Routledge, 1996, p. 216-229 ; J. LOUGHLIN, « Representing the
“Third Level” in Europe : The Committee of the Regions », Regional and Federal Studies, 1996,
6, p. 147-165. Du côté du discours plus (ou moins) engagé : L. ROEMHELD, « Für ein Europa
der Regionen. Ein Konzept von Pierre-Joseph Proudhon  », Le Fédéralisme personnaliste aux
sources de l’Europe de demain, éd. F. KINSKY, F. KNIPPING, op. cit., p. 47-57 ; T. CHRIS-
TIANSEN, « Second Thoughts on Europe’s “Third Level” : The European Union’s Committee
of Regions », Publius, 1996, 26 (1), p. 93-116 ; J. LOUGHLIN, « “Europe of the Regions” and
the Federalization of Europe  », ibid., 1996, 26 (4), p.  141-162 ; L.  HOOGHE, G.  MARKS,
« “Europe with the Regions” : Channels of Regional Representation in the European Union »,
ibid., 1996, 26 (5), p. 73-91 ; N. SCHMITT, « Le régionalisme coopératif, une contribution à la
structuration fédérale de l’Europe », L’Europe en formation, 2003, 1, p. 27-53.
416 La subsidiarité germanique...

3. FÉDÉRALISME ALTHUSIEN, FÉDÉRALISME PROUDHONIEN

À la lumière des développements précédents, on ne s’étonnera pas de l’omni-


présence de la référence proudhonienne chez les personnalistes partisans du
fédéralisme intégral. Comme eux, Proudhon n’a pas de mots assez durs pour
condamner l’État jacobin, cet État niveleur, produit d’un volontarisme poli-
tique qui infantilise la société1. Comme eux, il se proclame anti-individualiste
et veut croire en un équilibre spontané des forces économiques. Comme eux,
il déclare la société capable de se diriger elle-même et refuse toute idée d’un
pouvoir séparé, toute idée de distance entre l’individu et la société. Comme
eux, il dessine un horizon eschatologique d’extinction de la politique, une
dilution du juridique dans le social. Hormis la question spirituelle, tout, en
pratique, rapproche Proudhon de cette troisième voie du fédéralisme person-
naliste2 : priorité donnée à la pluralité sociale sur l’unité politique, rêve d’une
harmonie universelle sans violence ni conflit, mystérieuse synthèse fédéra-
liste entre liberté et autorité.
«  Ces deux principes [l’Autorité et la Liberté] forment, pour ainsi dire, un
couple dont les deux termes indissolublement liés l’un à l’autre, sont néanmoins
irréductibles l’un dans l’autre, et restent, quoi que nous fassions, en lutte perpé-
tuelle. L’Autorité suppose invinciblement une Liberté qui la reconnaît ou la
nie ; la Liberté à son tour, dans le sens politique du mot, suppose également une
Autorité qui traite avec elle, la réfrène ou la tolère. Supprimez l’une des deux,
l’autre n’a plus de sens : l’Autorité, sans une Liberté qui discute, résiste ou se
soumet, est un vain mot ; la Liberté, sans une Autorité qui lui fasse contrepoids,
est un non-sens3. »
À considérer l’ensemble de l’œuvre proudhonienne, on aurait tort d’op-
poser un jeune Proudhon, dont les excès le conduiraient à un anarchisme tout
à fait malencontreux et un Proudhon de la maturité, qui, miraculeusement,
accepterait l’État sans difficultés particulières. Bien au contraire, le schéma
fédéraliste de l’auteur bisontin est l’aboutissement d’un long cheminement
théorique4, dans lequel les différentes strates s’additionnent plutôt qu’elles ne

1. Et d’invoquer la nature : la centralisation jacobine, écrit Proudhon, est « le produit de la poli-
tique bien plus que de la nature » (P.-J. PROUDHON, Du Principe fédératif, op. cit., p. 507).
2. Sauf deux points peut-être  : la dimension économique et l’idéal contractualiste. Au fonde-
ment de la société proudhonienne, on trouve non pas des familles mais des communes, des ate-
liers et des usines. Le modèle proudhonien de justice sociale se veut par ailleurs contractuel : il
repose sur l’égalité concurrentielle dans l’échange par la conclusion de contrats libres.
3. Ibid., p. 271. Plus loin, sur cette heureuse synthèse : « L’idée de Fédération est certainement la
plus haute à laquelle se soit élevé jusqu’à nos jours le génie politique. [...] Elle résout toutes les
difficultés que soulève l’accord de la Liberté et de l’Autorité. [...] L’opposition des principes
apparaît enfin comme la condition de l’universel équilibre.  » (Ibid., p.  352-353). Sur ce point
central, renvoyons à une étude de référence peu consultée en France : R. VERNON, éd., The
Principle of Federation by P.-J. Proudhon, Toronto, University of Toronto Press, 1979.
4. La pensée de Proudhon présente de multiples aspérités mais un dénominateur commun se
dégage à partir des années 1847-1850 qui, de l’anarchisme au mutuellisme en passant par le socia-
lisme autogestionnaire, aboutit au schéma du Principe fédératif. C’est en tout cas ce que
Proudhon a pu dire de lui-même : « Toutes mes idées économiques, élaborées depuis vingt-cinq
ans, peuvent se résumer en ces trois mots : Fédération agricole industrielle. Toutes mes vues poli-
tiques se réduisent à une formule semblable : Fédéralisation politique ou Décentralisation. [...]
Toutes mes espérances d’actualité et d’avenir sont exprimées par ce troisième terme, corollaire
Subsidiarité et Europe post-totalitaire. La conjonction fédérale 417

se recouvrent : il n’efface ni la conception anarchiste du pouvoir ni la concep-


tion socialiste de la propriété. Le dernier Proudhon se contente d’entériner
l’existence du fait étatique sans pour autant valider le principe institutionnel
de l’État, résidu de droit divin et, comme tel, parasite à éliminer1. S’il recon-
naît sur le tard que la société ne doit pas être totalement laissée à elle-même, il
rappelle surtout que l’État ne doit pas tendre à la dévitaliser en s’en faisant
l’instituteur. Bref, il accepte l’existence de l’État pour peu que celui-ci sache
se mettre au service de la société.
« La délimitation du rôle de l’État, écrit-il, est une question de vie et de mort
pour la liberté, collective et individuelle. Dans une société libre, le rôle de l’État
ou gouvernement est par excellence un rôle de législation, d’institution, de
création, d’inauguration, d’installation ; c’est le moins possible un rôle d’exé-
cution2. »
Rien, ici, qui ne supprime la méfiance obsessionnelle des débuts vis-à-vis
du pouvoir, cette crainte de la centralisation, cette manière de suspecter de
despotisme toute unité politique un tant soit peu organisée. À aucun moment,
Proudhon ne préconisera de s’emparer de l’État ; il invitera tout au contraire
à le dissoudre, via une logique contractuelle, à mille lieues de la logique insti-
tutionnelle du droit. Point d’institution fondatrice chez lui, mais la quoti-
dienneté, la proximité, la modestie des choses courantes de la vie. Point d’État
antérieur et supérieur à la société, mais une simple fonction étatique — la
fédération — qui ne saurait intervenir autrement que par suite de la carence
des individus. Et si la fédération en venait à excéder ses pouvoirs, écrit
Proudhon, elle
« redeviendrait une centralisation monarchique ; l’autorité fédérale, de simple
mandataire et fonction subordonnée qu’elle doit être, serait regardée comme
prépondérante ; au lieu d’être limitée à un service spécial, [l’autorité fédérale]
tendrait à embrasser toute activité et toute initiative ; les États confédérés
seraient convertis en préfectures, intendances, succursales ou régies. Le corps
politique, ainsi transformé, pourrait s’appeler république, démocratie ou tout ce
qu’il vous plaira  : ce ne serait plus un État constitué dans la plénitude de ses

des deux autres : fédération progressive. » (Ibid., p. 361-362). Et c’est aussi ce que disent ses prin-
cipaux interprètes : M. LEROY, « Le fédéralisme politique et social de Proudhon », Histoire des
idées sociales en France, III. D’Auguste Comte à Proudhon, Paris, Gallimard, 1954, p. 282-299 ;
G. GURVITCH, Proudhon : sa vie, son œuvre, avec un exposé de sa philosophie, Paris, PUF,
1965 ; J.-J. CHEVALLIER, « Le dernier mot de Proudhon », Revue des Deux Mondes, 1965,
p.  30-45 ; «  Le fédéralisme de Proudhon et de ses disciples  », Le Fédéralisme, op. cit., éd.
G. BERGER, et al., p. 87-127 ; B. VOYENNE, Histoire de l’idée fédéraliste, II. Le fédéralisme
de P.-J. Proudhon, Nice, Presses d’Europe, 1973, p. 91 sq. ; P. ROLLAND, « Le fédéralisme, un
concept social global chez Proudhon », Revue du droit public, 1993, 109 (6), p. 1521-1546 ; « La
théorie proudhonienne peut-elle éclairer la question du fédéralisme européen ? », Le Fédéralisme
est-il pensable pour une Europe prochaine ?, op. cit., p. 5-77.
1. Outre le Principe fédératif, cf., en particulier, P.-J. PROUDHON, La Guerre et la paix
[1861], éd. C. Bouglé, H. Moysset, Genève, Paris, Slatkine, 1982 ; De la Capacité politique des
classes ouvrières [1864], éd. C. Bouglé, M. Leroy, H. Moysset, Genève, Paris, Slatkine, 1982.
2. P.-J. PROUDHON, Du Principe fédératif, op. cit., p. 326. Plus bas : « De fondateur il se fait
manœuvre ; il n’est plus le génie de la collectivité, qui la féconde, la dirige et l’enrichit, sans lui
imposer aucune gêne : c’est une vaste compagnie anonyme, aux six cent mille employés et aux six
cent mille soldats, organisés pour tout faire et qui, au lieu de venir en aide à la nation, au lieu de
servir les citoyens et les communes, les dépossède et les pressure. » (Ibid., p. 329).
418 La subsidiarité germanique...

autonomies, ce ne serait plus une confédération. La même chose aurait lieu, à


plus forte raison, si, par une fausse raison d’économie, par déférence ou par
toute autre cause, les communes, cantons ou États confédérés chargeaient l’un
d’eux de l’administration et du gouvernement des autres. La république fédé-
rative deviendrait unitaire ; elle serait sur la route du despotisme1. »
Il y a plus  : en recourant à Proudhon, peut-être s’agissait-il aussi, pour
tous ces personnalistes chrétiens, de lever une autre hypothèque compromet-
tante à leurs yeux : lever le voile américain qui avait funestement recouvert
l’idéal fédéraliste. À les en croire, en effet, une saine compréhension du projet
fédéraliste supposait de se départir des différentes expériences fédérales déjà
réalisées, et spécialement de la voie impure tracée par les États-Unis2. S’y
référer, ç’aurait été reprendre une recette libérale compromise dans le
« désordre établi »3. Le fédéralisme intégral, à rebours, doit se penser comme
un dépassement de toutes les approches fragmentaires et incomplètes du
fédéralisme.
« Le fédéralisme est un tout, écrit Alexandre Marc : doctrine, attitude devant la
vie, méthode d’organisation et d’action, principe de transformation, politique,
économique et sociale4. »

1. Ibid., p. 319-320. « Tout pouvoir tend à la concentration et l’accaparement. » (Ibid., p. 505).


« La faculté de posséder, de commander et d’exploiter est indéfinie, écrit-il, elle n’a de bornes
que l’univers ». Et de répéter : « Tout État est de sa nature annexionniste. » (Ibid., p. 334).
2. Les non-conformistes des années 1930 avaient fait de l’anti-américanisme l’une de leurs prin-
cipales marques de fabrique (R. ARON, A. DANDIEU, Le Cancer américain [1931], Lausanne,
L’Âge d’homme, 2008), mais ajoutons que, de manière générale, aucun fédéralisme existant ne
pouvait réellement trouver grâce à leurs yeux, la Suisse mise à part.
3. On peut cependant trouver un équivalent américain des thèses marciennes (celles d’après la
Seconde Guerre mondiale) chez Daniel Elazar, professeur à Philadelphie et père du concept de
non-centralisation : D. J. ELAZAR, « Cursed by Bigness or Toward a Post-technocratic Federa-
lism », Publius, 1973, 3 (2), p. 240-298 ; « Les objectifs du fédéralisme », L’Europe en formation,
1976, 190-192, p. 165-179 ; « The Role of Federalism in Political Integration », Federalism and
Political Integration, éd. D.  J. ELAZAR, Ramat Gan, Turtledove, 1979, p.  13-57 ; Exploring
Federalism, Tuscaloosa, University of Alabama Press, 1987 ; Federalism as a Grand Design,
Lanham, University Press of America, Center for the Study of Federalism, 1987 ; The European
Community  : Between State Sovereignty and Subsidiarity, or Hierarchy versus Collegiality in
the Governance of the European Community, Jerusalem, Jerusalem Center for Public Affairs,
1991 ; Federalism and the Way to Peace, Kingston, Institute of Intergovernmental Relations,
1994 ; «  From Statism to Federalism  : A Paradigm Shift  », Publius, 1995, 25, p.  5-18 ; «  Con-
trasting Unitary and Federal Systems », International Political Science Review, 1997, 18, p. 237-
252 ; «  Federalism and Civil Society. Defining the Issue  », Federalism and Civil Society, éd.
J.  KRAMER, H.-P. SCHEIDER, Baden-Baden, Nomos, 1999, p.  34-41 ; «  The United States
and the European Union : Models for their Epochs », The Federal Vision. Legitimacy and Levels
of Governance in the United States and the European Union, éd. K. NICOLAÏDIS, R. HOWSE,
Oxford, Oxford University Press, 2001, p.  31-53 ; D.  J. ELAZAR, I.  GREILSAMMER,
« Federal Democracy : The USA and Europe Compared. A Political Science Perspective », Inte-
gration Through Law. Europe and the American Federal Experience, I. Methods, Tools and
Institutions, 1. A Political Legal Economic Overview, éd. M. CAPPELLETTI, M. SECCOMBE,
J.  H. H. WEILER, Berlin, New York, De Gruyter, 1986, p.  71-125. Dans la même ligne,
cf. I.  GREILSAMMER, Les Mouvements fédéralistes en France, op. cit. ; «  Theoretical
Approaches to European Integration in Its Four Periods  », The Jerusalem Journal of Inter-
national Relations, 1976, 2 (2), p.  129-156 ; «  Some Observations on European Federalism  »,
Federalism and Political Integration, éd. D. J. ELAZAR, op. cit., p. 107-131.
4. A. MARC, À hauteur d’homme, op. cit., p. 18-19. Cf. B. VOYENNE, « Le fédéralisme global »,
Histoire de l’idée fédéraliste III, op. cit., p. 235-263 ; J. BUCHMANN, « Du fédéralisme comme
technique générale du pouvoir », Le Fédéralisme et Alexandre Marc, op. cit., p. 94-124.
Subsidiarité et Europe post-totalitaire. La conjonction fédérale 419

Seront ainsi accusés d’approches partielles et partiales, non seulement les


théoriciens du fédéralisme américain, mais aussi tout ce que la France compte
de grands penseurs libéraux, Montesquieu et Tocqueville en premier lieu,
dont la réflexion n’aurait été qu’institutionnelle et politique1. Doublement
aveuglé par son anti-américanisme et son combat contre Altiero Spinelli,
Alexandre Marc se plaira à qualifier d’étatique et d’hamiltonien le fédéralisme
de son adversaire au sein de l’UEF2. Le militant fédéraliste italien avait lui-
même revendiqué cette étiquette mais pour prôner la mise en place d’un État
européen. Et Guy Héraud de compléter le chef d’accusation marcien en évo-
quant un projet anthropologique global de dépassement de l’État :
«  Le fédéralisme politique [...] participe de l’État, tandis que le fédéralisme
intégral tend à le faire disparaître. On voit ce qui leur est commun : le morcel-
lement du pouvoir politique. Mais, alors que le fédéralisme politique s’arrête en
chemin, émiettant l’État mais le laissant subsister, le fédéralisme intégral
continue, lui, jusqu’à la désintégration du politique ; au terme du processus
“dépolitificateur”, le politique est dissous dans le social3 »
Une fois refroidies, dédramatisées et décontaminées de leur charge idéolo-
gique, les étiquettes manipulées par Marc et Héraud revêtent assurément une
portée explicative. Il y a bien un fédéralisme intégral ; et un fédéralisme poli-
tique, hamiltonien ou madisonien. Le premier naît contre l’État, le second en
l’absence de l’État. Toutes proportions gardées, sommes-nous tenté d’ajouter,
le fédéralisme intégral d’ascendance proudhonienne rappelle le schéma althu-
sien  : un fédéralisme moins institutionnel que sociétal. Proudhon n’a vrai-
semblablement pas lu Althusius, mais la mise en regard des deux auteurs n’en
révèle pas moins combien ils font signe vers la même direction, combien c’est
la contingence historique et non le message qui les distingue. Exceptée la
question religieuse, le substrat idéologique s’avère parfaitement identique
chez les deux penseurs fédéralistes  : le refus de la souveraineté bodinienne,
le contournement du politique par l’économique et le social, le souci de faire
reposer le fédéralisme sur un schéma ascendant et non surplombant. Inscrit
dans le monde médiéval, Althusius ignorait les individus ; inscrit dans le
monde postrévolutionnaire, Proudhon part du fait individuel4. Si Alexandre
Marc ne dit mot de Johannes Althusius dans son panorama personnel des

1. Cf. G. VEDEL, « Les grands courants de la pensée politique et le fédéralisme », Le Fédéra-


lisme, op. cit., éd. G. BERGER, et al., p. 31-86 ; « La pensée politique et le fédéralisme » [1955],
Commentaire, 2002, 25 (97), p.  153-168 ; 25 (98), p.  361-371 ; T.  CHOPIN, «  Tocqueville et
l’idée de fédération », Revue française d’histoire des idées politiques, 2001, 13, p. 73-103.
2. En référence à ce qui été dit plus haut et en guise d’introduction aux développements à venir,
notons que l’anti-américanisme constitue un important dénominateur commun entre Marc et
Mounier (S. D. ARMUS, « The Eternal Enemy : Emmanuel Mounier’s Esprit and French Anti-
Americanism », French Historical Studies, 2001, 24 (2), p. 271-304 ; French Anti-Americanism,
1930-1948. Critical Moment in a Complex History, Lanham, Lexington Books, 2007).
3. G. HÉRAUD, « Un anti-étatisme : le fédéralisme intégral », art. cit., p. 177.
4. « L’individualité est pour moi le criterium de l’ordre social, lit-on dans le recueil établi par
Marc. Plus l’individualité est libre, indépendante, initiatrice, dans la société, plus la société est
bonne ; au contraire, plus l’individualité est subordonnée, absorbée, plus la société est mau-
vaise. » (A. MARC, Proudhon, op. cit., p. 245). « Dans la confédération, les unités qui forment le
corps politique ne sont pas des individus, citoyens ou sujets ; ce sont des groupes, donnés a priori
par la nature. » (Ibid., p. 546). Peu importe, ici, que Proudhon ne soit pas vraiment resté fidèle à
ce postulat (M. LEROY, Histoire des idées sociales en France III, op. cit., p. 294).
420 La subsidiarité germanique...

«  composantes  » du fédéralisme, c’est, comme Proudhon, faute de le


connaître et non par intention délibérée. Son compagnon de route Bernard
Voyenne se chargera plus tard de rétablir la filiation une fois redécouvert
l’auteur de la Politica1.

« La vraie surprise de la situation théorique réside


— du point de vue de l’histoire des idées — dans le fait
que les arguments et les perspectives qui avaient
naguère servi à la philosophie sociale de l’Église catho-
lique romaine ou d’autres Églises [...] pour relativiser
l’État face à l’Église — ces mêmes idées, on les avance
désormais pour défendre un socialisme de nature asso-
ciative et syndicale2. »

III. ENTRE PROUDHONISME JURIDIQUE


ET FONCTIONNALISME CHRÉTIEN

1. FÉDÉRALISME ASSUMÉ, FÉDÉRALISME INHIBÉ

En débutant ce développement, nous constations les divergences de vue


internes au personnalisme chrétien, celles notamment entre Alexandre Marc
et Emmanuel Mounier. Il y a lieu d’y revenir ici pour en préciser les termes :
car, tout bien considéré, les oppositions portent beaucoup moins sur la ques-
tion du fédéralisme que sur l’enjeu européen lui-même (et derrière l’enjeu
européen sur le rapport au communisme, au capitalisme et aux États-Unis)3.
Qu’il soit marcien ou mouniérien, le personnalisme chrétien dans son

1. A. MARC, « Les quatre composantes du fédéralisme », L’Europe en formation, 1976, 190-


192, p. 55-62. Marc passe en revue la Grèce antique, la Révolution américaine, Proudhon et le
personnalisme. Sur la filiation philosophique entre Althusius et Proudhon, outre Bernard
Voyenne (B.  VOYENNE, Histoire de l’idée fédéraliste, II. Le fédéralisme de P.-J. Proudhon,
op. cit.), cf. T. FLEINER-GERSTER, « L’esprit fédéraliste et l’Europe », Cadmos, 1991, 14 (54),
p. 61-73 ; I. KELLER, « Les références historiques du fédéralisme », La Pensée fédéraliste et la
construction européenne, Paris, Mouvement européen-France, 1998, p. 33-41.
2. C. SCHMITT, « Éthique de l’État et État pluraliste » [1930], trad. fr. J.-L. Schlegel, Parle-
mentarisme et démocratie, op. cit., p. 135 ; Positionen und Begriffe, op. cit., p. 154.
3. Sur le rapport d’Esprit au communisme après 1945, cf. G.  BOUDIC, «  La complexité des
foyers intellectuels. L’exemple d’Esprit à la Libération », Esprit, 2000, 263, p. 28-40. Sur l’histoire
du mouvement Esprit et sa diversité interne, cf. la thèse du même auteur  : G.  BOUDIC, Les
Métamorphoses d’une revue  : Esprit, 1932-1982, Thèse de doctorat en science politique, dir.
J.  Baudouin, Rennes, Université de Rennes I, 2000 (reprise dans G.  BOUDIC, Esprit, 1944-
1982 : les métamorphoses d’une revue, Saint-Germain-la-Blanche-Herbe, IMEC, 2005). Sur l’en-
semble de la période mouniérienne de la revue, cf. M. WINOCK, « Esprit ». Des intellectuels
dans la cité (1930-1950) [1975], Paris, Le Seuil, 1996. Pour une approche critique, mais qui s’ar-
rête en 1941, cf. P. de SENARCLENS, Le Mouvement « Esprit », 1932-1941, Lausanne, L’Âge
d’homme, 1974. Plus en amont, dans une revue traditionaliste déjà rencontrée plus haut,
cf. P.  ANDREU, «  “Esprit” (1932-1940)  », Itinéraires, 1959, 33, p.  35-49 ; M.  CLÉMENT,
« Emmanuel Mounier », ibid., 1959, 35, p. 65-77 ; 1959, 36, p. 61-76.
Subsidiarité et Europe post-totalitaire. La conjonction fédérale 421

ensemble dessine « une asymptote expressément fédéraliste », mais propose


des visions assez différentes de l’Europe1.
«  Entre le personnalisme et le fédéralisme, écrit Bernard Voyenne, il y a une
adéquation de nature. Aucune forme d’organisation n’est en effet compatible
avec l’autonomie de la personne, sinon celle qui fait de cette autonomie à la fois
le but et le moyen de la vie en société. L’idée fédéraliste requiert et garantit en
même temps la liberté personnelle, sans que celle-ci soit un obstacle à l’intégra-
tion communautaire. Le personnalisme chrétien avait, dès l’époque médiévale,
formulé le “principe de subsidiarité” qui proportionne la nature des moyens à
l’étendue des fonctions. [...] Après les siècles au cours desquels le christianisme
romain avait repris à son compte la conception impériale qui aurait dû lui être
la plus étrangère, le pape Pie XI venait — précisément à l’époque dont nous
parlons [les années 1930] — d’opposer cette exigence de décentralisation au
monisme des États totalitaires2. »
Convenons-en, les postulats ne sont pas tout à fait identiques de part et
d’autre. Chez Alexandre Marc, le fédéralisme intégral est d’emblée conçu
comme le seul et unique antidote au totalitarisme étatique ; et sa phobie
congénitale du pouvoir central s’exprime dès le départ dans une référence
constamment revendiquée à Proudhon3. Chez Emmanuel Mounier, le cur-
seur est différemment placé, le vocabulaire fédéraliste moins assumé et la
philosophie européiste fortement critiquée. Parti d’un même champ d’adver-
sité, l’étatisme totalitaire, le propos mouniérien ne débouchera pas sur le
même fédéralisme européen. Mais, question européenne mise à part, la struc-
ture mentale qui innerve les deux courants du personnalisme chrétien se
révèle dans toute sa parenté idéologique. Le Proudhon de Mounier est davan-

1. Bernard Voyenne, compagnon de route d’Alexandre Marc écrit : « Esprit répugne assez géné-
ralement à déduire des structures précises, préférant mener une réflexion de caractère philoso-
phico-moral sur les modalités de la vie personnelle et sociale. [...] Néanmoins une asymptote
expressément fédéraliste n’en est pas absente, surtout à partir de 1936 quand Mounier et ses amis
furent conduits à répondre plus clairement à ceux qui leur reprochaient de planer un peu au
niveau des grands principes. » (B. VOYENNE, Histoire de l’idée fédéraliste III, op. cit., p. 182).
Nous soulignons. De manière cursive, Lucien Jaume a également relevé la filiation entre Mou-
nier et Proudhon (L. JAUME, « Aux origines du libéralisme politique en France », Esprit, 1998,
243, p.  53-56, p.  55 notamment). Dans le numéro d’Esprit «  Les deux visages du fédéralisme
européen », outre l’article précité de Jean-Marie Domenach, cf. les contributions d’Emmanuel
Mounier et de Charles Ronsac  : E.  MOUNIER, «  Déclaration de guerre  », Esprit, 1948, 150,
p. 603-607 ; C. RONSAC, « Les États-Unis américains d’Europe ne sont pas l’Europe », ibid.,
p. 657-678. Dans un texte intégré au dossier documentaire, Bernard Voyenne rappelle l’engage-
ment fédéraliste de l’Esprit d’avant-guerre (quand la revue « se souciait davantage de l’intransi-
geance de sa doctrine », écrit-il) mais ne parvient pas à percevoir la distinction entre la question
fédérale et l’enjeu européen (B.  VOYENNE, «  Thèses sur le fédéralisme européen et sur le
fédéralisme en général », ibid., p. 627-629, ici p. 629).
2. B. VOYENNE, Histoire de l’idée fédéraliste III, op. cit., p. 171-172.
3. Le lien fédéralisme intégral-totalitarisme étatique n’est pas propre à la pensée marcienne, il est
structurel et consubstantiel à la pensée du fédéralisme intégral, comme peuvent en témoigner les
articles de Mireille Marc-Lipiansky parus après la chute de l’URSS dans L’Europe en formation
en pleine période maastrichtienne  : M.  MARC-LIPIANSKY, «  Totalitarisme  », L’Europe en
formation, 1990-1991, 280, p. 79-94 ; 1991, 282, p. 35-52 ; 1991-1992, 283, p. 39-49 ; « Le fédéra-
lisme est-il une idéologie ? », ibid., 1992-1993, 287, p. 41-64 ; « Problématique de la séparation
des pouvoirs », ibid., 1993, 290, p. 7-34 ; « Le personnalisme fédéraliste face au totalitarisme »,
ibid., 1993-1994, 291, p. 15-38 ; « L’État en question », ibid., 1994, 293, p. 37-62 ; « Le personna-
lisme fédéraliste face au totalitarisme », Le Fédéralisme personnaliste aux sources de l’Europe de
demain, éd. F. KINSKY, F. KNIPPING, op. cit., p. 101-121.
422 La subsidiarité germanique...

tage impensé, mais l’auteur du Principe fédératif n’en reste pas moins très
présent à Esprit (nous reviendrons plus bas sur les cas de Jean Lacroix et de
Georges Gurvitch)1.
Faute de suffisamment distinguer entre la question fédérale et l’enjeu
européen, entre la nation et l’État également, on est parfois tenté de diagnos-
tiquer un effacement progressif de la statophobie mouniérienne, spéciale-
ment à la faveur du philocommunisme de l’après-guerre2. Or, il n’en est rien.
De bout en bout, l’institution étatique reste assimilée à une idéologie jaco-
bine, dont la condamnation finit par tout emporter sur son passage  : l’État
comme sa perversion étatiste, qui fait office d’épouvantail et de repoussoir
mobilisateur.
« Nous ne dépeignons pas seulement sous ses traits l’État totalitaire limite. Le
cancer de l’État se forme au sein même de nos démocraties. Du jour où elles ont
désarmé l’individu de tous ses enracinements vivants, de tous ses pouvoirs pro-
chains, du jour où elles ont proclamé qu’“entre l’État et l’individu il n’y a rien”
(loi Le Chapelier), qu’on ne saurait laisser les individus s’associer selon “leurs
prétendus intérêts communs” (ibid.), la voie est ouverte pour les États totali-
taires modernes. La centralisation étend peu à peu son pouvoir, le rationalisme
aidant, qui répugne à toute diversité vivante : l’étatisme “démocratique” glisse
à l’État totalitaire comme le fleuve à la mer3. »
Comme dans le discours pontifical, la critique de l’État est ici tout à fait
solidaire d’une féroce mise en accusation de la démocratie, plus ou moins
réduite à des pathologies congénitales qui la prédestineraient au totalita-
risme  : la tyrannie du nombre, la loi majoritaire de la volonté générale, la
médiocrité ploutocratique du parlementarisme, «  le développement cancé-
reux de l’État ». Il convient de souligner ce point contre la tendance rétros-
pective à considérer le personnalisme à travers les lunettes déformantes de la

1. N’en déplaise à Jean-Marie Domenach, qui semble vouloir disculper Esprit de tout péché
fédéraliste (J.-M. DOMENACH, « Quelle Europe ? », art. cit., p. 641) pour mieux procéder à
une critique en règle de ses adversaires « proudhonisants » partisans d’une Europe fédérale et
appeler de ses vœux la réalisation d’« un fédéralisme nouveau, hardiment anticapitaliste » celui-là
(Ibid., p.  655). C’est bien la question du communisme, disions-nous, qui, derrière l’enjeu
européen, oppose les personnalistes. «  De curieuses alliances s’ébauchent entre capitalistes et
révolutionnaires, anciens vichystes et anciens résistants — unionistes et fédéralistes confondus :
ils ont tous en commun, disent-ils, le même amour de l’Europe. En réalité, ils ont tous en
commun d’abord la haine du communisme, qui est haine intellectuelle du marxisme chez les uns
et simple haine de classe chez les autres : car l’anticommunisme est la seule plate-forme qui per-
mette de réunir des individus si différents et des idéaux presque opposés. » (Ibid., p. 647).
2. Cf. J.-L. LOUBET DEL BAYLE, Les Non-conformistes, op. cit., p. 469 sq.
3. E. MOUNIER, Manifeste au service du personnalisme, Œuvres, op. cit., I, p. 614 ; rééd. Le
Seuil, p. 172-173. Sur l’hostilité à la démocratie, telle qu’elle s’exprime à Esprit, cf. l’étude d’un
ancien collaborateur de Georges Valois à la Librairie nationale, Aldo Dami (publiée de juin 1934
à février 1935) : A. DAMI, « La crise de la démocratie et la réforme de l’État », Esprit, 1934, 21,
p. 370-404 ; 22, p. 529-562 ; 23-24, p. 776-804 ; 26, p. 211-230 ; 1935, 29, p. 783-823. Contribuant
aussi à des revues ouvertement fascisantes (comme Plans), le Suisse Dami ne manqua pas de
vanter la solution fédérale : A. DAMI, « Une démocratie collégiale, fédérative, représentative et
directe  », Esprit, 1937, 61, p.  85-104. Après-guerre, dans un registre différent mais qui nous
semble témoigner d’un même « refus de la politique » (P. de SENARCLENS, Le Mouvement
« Esprit », op. cit., p. 91 sq.), cf. J. LACROIX, « Y a-t-il deux démocraties ? De la démocratie
libérale à la démocratie massive », Esprit, 1946, 120, p. 345-367.
Subsidiarité et Europe post-totalitaire. La conjonction fédérale 423

démocratie chrétienne1. C’est là oublier trop facilement que l’hostilité à la


démocratie rayonnait au centre même du code génétique de l’idéologie non-
conformiste. N’en déplaise à Étienne Borne, personnalisme et démocratie
chrétienne n’ont jamais été superposables2. À trop interpréter la pensée mou-
niérienne à l’aune de son propre engament dans Esprit, l’intellectuel du Mou-
vement républicain populaire a été porté à passer systématiquement sous
silence tout ce qui a pu opposer Emmanuel Mounier à la ligne blondélienne
d’un Paul Archambault ou d’un Marcel Prélot3. Ou bien alors voulait-il
donner raison à l’ancien silloniste Archambault qui invitait Mounier à recon-
naître son enracinement dans l’individualisme démocratique ? Souvenons-
nous, par exemple, de la querelle de 1934 dans laquelle Jacques Maritain
intervint personnellement pour prendre la défense d’Emmanuel Mounier4.
Que certains personnalistes eux-mêmes, Maritain et Mounier en premier
lieu5, aient pu se présenter comme les défenseurs de la vraie démocratie, de la
démocratie « saine » (comme disait Pie XII) ne change rien à l’affaire. Bien
plus  : prétendre détenir la vérité sur une chose, c’est souvent la stratégie
politique la plus efficace pour condamner par avance toute tentative de mise
en pratique, nécessairement imparfaite, toute amorce de réalisation. Pour
autant, ces quelques notations allusives ne sauraient justifier les procès en
fascisme régulièrement intentés à Emmanuel Mounier. Voir chez le fonda-
teur d’Esprit un crypto-fasciste (dont le cas personnel révèlerait un atavisme
proprement français), c’est considérer qu’une simple parenté de discours (le

1. Cf. P. TROUDE-CHASTENET, « La critique de la démocratie dans les écrits personnalistes


des années 1930 : Esprit et Ordre Nouveau », Cités, 2003, 16, p. 161-176.
2. Comme pour mieux retrouver la fibre de l’équation bergsonienne, Étienne Borne se plaisait à
parler d’« une complicité toujours plus heureuse » entre principe démocratique et personnalisme
chrétien (É. BORNE, « Démocratie et personnalisme », Le Personnalisme d’Emmanuel Mou-
nier. Hier et demain. Pour un cinquantenaire, Paris, Le Seuil, 1985, p. 143-162, ici p. 152).
3. Maurice Blondel incarne en quelque sorte une tentative non thomiste pour introduire la
modernité dans le catholicisme. Comme Paul Archambault (qu’il a beaucoup inspiré), il a voulu
voir dans l’individualisme le point de rencontre entre christianisme et démocratie. Cf., ici,
M. BLONDEL, « Les équivoques du “personnalisme” », Politique, 1934, 8 (3), p. 193-205.
4. Les textes de cette dispute, parus dans le quotidien démocrate chrétien L’Aube (P. ARCHAM-
BAULT, «  Lettre ouverte à Emmanuel Mounier  », L’Aube, 21  janvier 1934 ; E.  MOUNIER,
«  Lettre à Paul Archambault  », ibid., 27  février 1934), ont été reproduits par René Rémond
(R.  RÉMOND, «  La démocratie à l’épreuve  », Les Crises du catholicisme en France dans les
années 1930 [1979], Paris, Cana, 1996, p. 107-137) ; M. PRÉLOT, « Les démocrates d’inspiration
chrétienne entre les deux guerres (1919-1939) », La Vie intellectuelle, 1950, 2, p. 533-559. Cf. les
travaux d’Yves Palau sur la revue Politique et le courant du catholicisme républicain (Y. PALAU,
Contribution à l’étude du catholicisme social. Le cas de la revue Politique, 1927-1940, Thèse
de doctorat en histoire, dir. R. Rémond, Paris, Institut d’études politiques, 1995 ; « Approches
du catholicisme républicain dans la France de l’entre-deux-guerres  », Mil Neuf Cent, 1995,
13, p.  46-66). Dans le même numéro, cf. Jean-Luc Pouthier qui revient sur l’épisode de 1934
(J.-L. POUTHIER, « Chrétiens et démocrates, 1934-1944 », ibid., p. 67-80). Yves Palau a mis en
lumière l’influence de Maurice Hauriou dans l’évolution de ce courant issu du catholicisme
social (Y.  PALAU, «  Des catholiques et de la politique. Les transformations doctrinales du
catholicisme social, 1900-1930 », Revue française d’histoire des idées politiques, 1996, 4, p. 317-
344, spécialement p. 335 sq. : « Un enjeu majeur pour la transformation doctrinale du catholi-
cisme social : la thématique de l’institution dans l’œuvre du doyen Hauriou »).
5. Jacques Maritain opposait « démocratie réelle » et « démocratie manquée » (J. MARITAIN,
Christianisme et démocratie, Œuvres complètes, op. cit., VII, p. 716).
424 La subsidiarité germanique...

fameux ni droite ni gauche, la critique de la démocratie parlementaire) vaut


identité de projet (personnalisme égale fascisme). Mais on manque là la spé-
cificité de l’impasse mouniérienne, qui est aussi celle des accusateurs de
Mounier eux-mêmes  : l’incapacité à percevoir la différence d’essence entre
démocratie et totalitarisme1.
Critique de la démocratie, critique de l’État : telles sont les racines néga-
tives du fédéralisme personnaliste dans son ensemble. Certes, le mot fédéra-
lisme n’apparaît pas expressis verbis dans les écrits d’Emmanuel Mounier2.
Mais cette absence sémantique est moins le signe d’une résistance idéologique
que la conséquence directe d’une inhibition intellectuelle : la crainte, préemp-
tion maurrassienne oblige, qu’un halo nationaliste ne vienne parasiter ses
références à la fédération. Aussi les réticences mouniériennes vis-à-vis du
thème fédéral pourraient-elles finalement avoir la même racine que les
embarras de la revue Esprit à l’égard du mot d’ordre corporatiste.
«  L’idée [de fédération], écrit Mounier, paraît anachronique, un peu farfe-
lue, au surplus réactionnaire  : l’idée avec laquelle le peuple français a fait
la commune au Moyen Âge, la révolution en 1789, la dernière Commune en
1871, les mêmes qui défilent au mur des Fédérés la déclarent hérétique parce
qu’il a plu à M. Maurras de puiser quelque jour dans cette vieille tradition
française3. »
Rappeler cette peur de l’amalgame entre proudhonisme et maurrassisme,
ce n’est pas accréditer la thèse trop facile d’un Proudhon simple fourrier du
fascisme4 ; ce n’est pas non plus réduire abusivement la complexité idéolo-

1. Zeev Sternhell et John Hellman sur un terrain scientifique, Bernard-Henri Lévy dans un
style essayiste (Z.  STERNHELL, Ni droite, ni gauche. L’idéologie fasciste en France [1983],
Paris, Fayard, 2000 ; «  La troisième voie fasciste ou la recherche d’une culture politique alter-
native  », Ni gauche, ni droite, éd. G.  MERLIO, op. cit., p.  17-29 ; J.  HELLMAN, Emmanuel
Mounier and the New Catholic Left, 1930-1950, Toronto, University of Toronto Press, 1981 ;
B.-H. LÉVY, L’Idéologie française, Paris, Grasset, 1979). De manière générale, John Hellman a
peut-être trop tendance à mettre en cause l’identité de gauche d’Emmanuel Mounier. Force est
pourtant de constater que, si le leader d’Esprit lui-même entendait dépasser la droite et la gauche,
il avait, dès 1934 (après les événements du 6  février), implicitement choisi la gauche. C’est ce
choix politique qui le sépare d’Ordre Nouveau. Pour une défense de Mounier, cf. É. BORNE,
« Un Mounier hypothétique », Revue française de science politique, 1985 35 (5), p. 789-800. John
Hellman s’est plus récemment attaqué au cas spécifique d’Alexandre Marc : J. HELLMAN, The
Communitarian Third Way : Alexandre Marc’s Ordre Nouveau, 1930-2000, Montréal, Ithaca,
McGill-Queen’s University Press, 2002. Pour une riposte au ton assez véhément, cf. C. ROY,
« À propos d’une biographie spécieuse d’Alexandre Marc par John Hellman : le personnalisme
comme “antinazisme nazi” ? », L’Europe en formation, 2003, 4, p. 81-136.
2. Relevons Y. SIMON, « Note sur le fédéralisme proudhonien », Esprit, 1937, 55, p. 53-65.
3. E. MOUNIER, Anarchie et personnalisme [1937], Œuvres, 1931-1939, Paris, Le Seuil, 1961,
I, p. 694 (in E. MOUNIER, Écrits sur le personnalisme, Paris, Le Seuil, 2000, p. 267). Cf. aussi
J.-M. DOMENACH, « Quelle Europe ? », art. cit., p. 644-645. Sur le fédéralisme maurrassien,
cf. F. ROUVILLOIS, « Un fédéralisme réactionnaire : le cas Maurras », Décentraliser en France,
dir. C. BOUTIN, F. ROUVILLOIS, Paris, Guibert, 2002, p. 109-136.
4. Pensons aux accointances entre syndicalisme révolutionnaire et proudhonisme réactionnaire,
et à l’épisode du Cercle Proudhon — cercle créé par le maurrassien Georges Valois avec l’appui
du principal disciple de Georges Sorel, Édouard Berth. Cf. P. ANDREU, Georges Sorel. Entre le
noir et le rouge [1947], Paris, Syros, 1982 ; Y.  GUCHET, «  Georges Valois ou l’illusion fas-
ciste  », Revue française de science politique, 1965, 15 (6), p.  1111-1144 ; P.  ROLLAND, «  La
référence proudhonienne chez Georges Sorel », Mil Neuf Cent, 1989, 7, p. 149-153 ; G. NAVET,
« Le Cercle Proudhon (1911-1914). Entre le syndicalisme révolutionnaire et l’Action française »,
ibid., 1992, 10, p. 46-63 ; G. POUMARÈDE, « Le Cercle Proudhon ou l’impossible synthèse »,
Subsidiarité et Europe post-totalitaire. La conjonction fédérale 425

gique de l’Action française ; c’est considérer l’existence de passerelles intel-


lectuelles entre des rives apparemment opposées mais mobilisées par un
même objectif stratégique : abattre l’État jacobin. Si les lectures fascistes de
Proudhon ont été nombreuses dans les milieux maurrassiens, elles ne suf-
fisent pas à faire du socialiste bisontin un fasciste avant la lettre. Un détour-
nement de Proudhon au nom du « politique d’abord » n’a pas la même por-
tée qu’un réinvestissement de Proudhon au nom de l’« économie d’abord »1.
Cette mise en regard du proudhonisme, du maurrassisme et du personna-
lisme n’a d’autres buts que de comprendre les possibles ressorts du silence
mouniérien. Derrière la «  démocratie organique  » ou la «  cité pluraliste  »
proposée par Esprit, n’est-ce pas le fédéralisme proudhonien qui s’exprime
encore, tout comme, au même moment, il innerve le schéma maritainien des-
siné dans Humanisme intégral2 ? Un an après Maritain, Mounier précisera sa
pensée dans un ouvrage spécifiquement dédié à l’anarchisme. Son dialogue
avec les grands auteurs russes (Bakounine et Kropotkine) sera surtout l’occa-
sion de marquer sa dette à l’égard de Proudhon, ou plutôt de souligner la
proximité de vue avec les implications pratiques qu’il fait découler du Principe
fédératif, pour peu, bien sûr, que la « saine » (sic) utopie de l’anarchisme fédé-
raliste sache faire une place au message chrétien3. À lire Mounier, on finirait
presque par croire que Proudhon annonçait déjà la nouvelle doctrine de
l’Église, tant sa démocratie personnaliste revêt toutes les apparences d’un
fédéralisme spiritualisé et sanctifié par le christianisme.

ibid., 1994, 12, p.  51-86. Zeev Sternhell s’est très peu intéressé au cas Proudhon (Z.  STERN-
HELL, La Droite révolutionnaire, 1885-1914. Les origines françaises du fascisme [1978], Paris,
Fayard, 2000). Il faut ici se reporter aux analyses de J. Salwyn Shapiro (J. S. SHAPIRO, « Pierre-
Joseph Proudhon : Harbinger of Fascism », American Historical Review, 1945, 50, p. 714-737).
Pour une défense de Georges Sorel contre les accusations de Zeev Sternhell, cf. J. JULLIARD,
« Sur un fascisme imaginaire », Annales, 1984, 39 (4), p. 849-861.
1. Il est symptomatique que la description de la « société politique » faite par Mounier dans son
Manifeste au service du personnalisme succède au chapitre consacré à la présentation des ques-
tions économiques. Comme chez Proudhon et comme chez Marc : l’économie d’abord, le poli-
tique ensuite. Sur la conception mouniérienne de l’État « pluraliste », cf. E. MOUNIER, Mani-
feste au service du personnalisme, Œuvres, op. cit., I, p. 611-626 ; rééd. Le Seuil, p. 169-187). On
constate d’ailleurs que le chapitre « La société politique » suit celui consacré à l’économie : « Une
économie au service de la personne  » (Ibid., p.  579-610 ; rééd. Le Seuil, p.  131-168). «  La cité
pluraliste se constituera au sommet sur un ensemble de pouvoirs autonomes : pouvoir écono-
mique, pouvoir judiciaire, pouvoir éducatif, etc. Dans ce morcellement vertical devra jouer une
articulation horizontale d’inspiration fédéraliste. [...] L’État nouveau que nous envisageons sera
donc déchargé sur les grandes communautés nationales (économique, éducative, judiciaire, etc.)
des tâches d’organisation qui ne relèvent pas directement de l’État. Entre elles toutes, entre les
pouvoirs locaux ou régionaux, l’État n’est qu’un lien de coordination et d’arbitrage suprême,
garant de la nation à l’extérieur, à l’intérieur garant des personnes contre les rivalités ou les abus
des pouvoirs. » (Ibid., p. 624-625 ; rééd. Le Seuil, p. 185-186).
2. Mounier ne manque pas de se référer à Maritain. Cf. spécialement E. MOUNIER, Manifeste
au service du personnalisme, Œuvres, op. cit., I, p. 618 sq. ; rééd. Le Seuil, p. 178 sq. ; « Déclara-
tion des droits des personnes et des communautés  », Les Certitudes difficiles [1951], Œuvres,
op. cit., IV, p. 99-104. L’orientation proudhonienne de Jacques Maritain a elle aussi été identifiée,
par Ralph Nelson notamment (R. NELSON, « The Dialectic of Freedom and Authority in the
Formation of Maritain’s Political Philosophy », Jacques Maritain, a Philosopher in the World,
dir. J.-L. ALLARD, Ottawa, Éditions de l’Université d’Ottawa, 1985, p. 290-291).
3. « Utopie saine une fois dépouillée de sa fausse métaphysique » (E. MOUNIER, Anarchie et
personnalisme, Œuvres, op. cit., I, p. 694 ; rééd. Le Seuil, p. 267).
426 La subsidiarité germanique...

« Je ne vois guère de différence pratique entre les formules du Principe fédératif
et celles de l’État d’inspiration pluraliste dont le personnalisme a plus d’une fois
esquissé l’inspiration. L’État, retrouvé par Proudhon au-delà de ses négations
premières, est reconnu comme garant des libertés ; la liberté n’est plus réduite
au devoir négatif de pas “empiéter”, elle est reconnue comme une puissance
d’initiative créatrice. »
Et une note d’ajouter timidement :
« On surprendrait beaucoup les anarchistes en leur montrant avec les textes de la
tradition et des encycliques que, outrances et idéologies en moins, toute l’orienta-
tion effective de leur pensée va dans le sens de la doctrine catholique de l’État1. »

2. LE REFUS PERSONNALISTE DE LA MÉDIATION JURIDIQUE

Nous avons déjà dit en quoi l’invocation de Hannah Arendt chez les pen-
seurs catholiques de la démocratie post-totalitaire pouvait constituer un
mécanisme inconscient de déni de l’État. Toutes choses égales par ailleurs, il
en va peut-être de même s’agissant de leur rapport à Proudhon, et au droit en
général : le recours à l’auteur du Principe fédératif comme moyen de contour-
nement du phénomène juridique, le tout avantageusement justifié par une
condamnation générale du jacobinisme étatique. Considérée en ce sens large,
l’empreinte proudhonienne dépasse le seul cas du personnalisme chrétien2,
pour aller travailler l’ensemble du « catholicisme de gauche » : nous voulons
parler du proudhonisme diffus de ces courants progressistes internes au
catholicisme qui ont souterrainement préparé la révolution juridique de
Vatican II3. N’y aurait-il pas un parallèle à établir entre la propension du
proudhonisme à refuser la dimension hiérarchique du droit et la tendance
d’un certain catholicisme conciliaire à rejeter sa dimension impersonnelle ?
Deux manières de dire plus ou moins la même chose, en pointant la difficulté
à penser l’institution et la hiérarchie dépersonnalisante qu’elle suppose. On
sent bien de manière intuitive le cousinage idéologique qui rapproche antiju-
ridisme conciliaire et catholicisme proudhonisant. Il reste cependant à spéci-
fier ce lien, dont l’établissement rebute tous les interprètes — et ils sont nom-

1. Ibid., p. 693, p. 905, n. 81 (rééd. Le Seuil, p. 266, p. 267, n. 69).


2. Plus tard venue, la troisième branche du personnalisme chrétien (le courant bordelais emmené
par Jacques Ellul) pourrait aisément être justiciable de la même analyse. Cf. J.  ELLUL,
« Anarchie et christianisme », Contrepoint, 1974, 15, p. 157-173 ; La Subversion du christianisme,
Paris, Le Seuil, 1984 ; Anarchie et christianisme [1988], Paris, La Table Ronde, 1998.
3. Pensons à Henri de Lubac, grande figure du Concile et fin connaisseur de Proudhon (H. de
LUBAC, Proudhon et le christianisme, Paris, Le Seuil, 1945 ; « Proudhon contre le mythe de la
Providence », Les Traditions socialistes françaises, Neuchâtel, La Baconnière, 1944, p. 65-89). Le
concept de « catholicisme de gauche » a fait l’objet d’une récente systématisation (G.-R. HORN,
« Left Catholicism in Western Europe in the 1940s », Left Catholicism (1943-1955). Catholics
and Society in Western Europe at the Point of Liberation, éd. G.-R. HORN, E. GERARD, Lou-
vain, Leuven University Press, 2001, p. 13-44), mais il lui est toujours reproché d’être impropre à
saisir la spécificité française du progressisme catholique (Y. TRANVOUEZ, « Left Catholicism
and Christian Progressivism in France (1945-1955) », ibid., p. 91-101 ; Catholiques et commu-
nistes. La crise du progressisme chrétien, 1950-1955, Paris, Le Cerf, 2000). Pour un point synthé-
tique, cf. J.-M. DONEGANI, «  Typologie des chrétiens de gauche  », Que sont devenus les
chrétiens de gauche ?, Paris, Témoignage chrétien, 1995, p. 39-50.
Subsidiarité et Europe post-totalitaire. La conjonction fédérale 427

breux1 — qui se plaisent à voir en Proudhon un éminent juriste défenseur de


la souveraineté du droit (contre la souveraineté du pouvoir, cela va sans dire).
Notre hypothèse est strictement inverse  : nous pensons qu’en raison de sa
teneur proprement sociologique2, le fédéralisme proudhonien, tel que le
relisent et le consacrent les personnalistes chrétiens, s’indispose, par construc-
tion, à faire droit aux exigences spécifiques de la juridicité. À tel point, même,
qu’il apparaît a posteriori comme l’expression d’un angle mort théorique, le
moyen de reconduire un refus principiel de l’élément tiers — juridique ou
politique —, si caractéristique des pensées et idéologies anti-institutionnelles
qui postulent l’immanence du social.
Il y aurait ici à reconstituer l’itinéraire du schème proudhonien dans les
différentes théories pragmatistes du pluralisme juridique qui se sont épa-
nouies à la fin du xixe et au début du xxe siècle3. Nous avons déjà rencontré
ses principales figures britanniques : l’individualisme fédéral de Harold Laski
et le Guild Socialism de George Cole, qui, l’un et l’autre, moyennant socia-
lisme libéral et conception syndicale du politique, tendent à faire de l’État
une association banale et sans responsabilité spécifique. L’épanouissement
français des thèses proudhoniennes intervint dans un contexte similaire, celui
de l’envol des sciences sociales, et des conséquences qui s’ensuivirent pour la
discipline juridique : la diffusion des méthodes sociologiques, la tendance des
juristes eux-mêmes à fonctionnaliser leurs concepts, la naissance d’une
théorie du droit social.
Lorsqu’il stigmatise «  l’alliance, intellectuellement [...] surprenante, [...]
entre l’Église catholique et le fédéralisme syndical de Laski »4, Carl Schmitt

1. Dernier exemple en date d’une tendance désormais généralisée chez les meilleurs interprètes :
A.-S.  CHAMBOST, Proudhon et la norme. Pensée juridique d’un anarchiste, Rennes, PUR,
2004 ; «  Proudhon et les juristes. Actualité de la pensée proudhonienne au tournant du
xixe siècle », Mélanges Y. Guchet, dir. P. MORVAN, Bruxelles, Bruylant, 2008, p. 15-34.
2. Cf., ici, P. ANSART, Sociologie de Proudhon, Paris, PUF, 1967 ; Naissance de l’anarchisme.
Esquisse d’une explication sociologique du proudhonisme, Paris, PUF, 1970.
3. Nous faisons ici référence à William James (W. JAMES, Le Pragmatisme : un nouveau nom
pour d’anciennes manières de penser [1907], trad. fr. N. Ferron, Paris, Flammarion, 2007 ; Essais
d’empirisme radical [1912], trad. fr. G. Garreta, M. Girel, Paris, Flammarion, 2007).
4. C. SCHMITT, « Éthique de l’État et État pluraliste » [1930], trad. fr. J.-L. Schlegel, Parle-
mentarisme et démocratie, op. cit., p. 138 ; Positionen und Begriffe, op. cit., p. 156. Dans la même
veine, Carl Schmitt vise également Léon Duguit (C. SCHMITT, La Notion de politique, op. cit.,
p. 79 sq.) ainsi que Maxime Leroy, cheville ouvrière de l’école néoproudhonienne. À rapprocher
de la critique schmittienne de Gierke : « Selon Gierke, la législation de l’État est simplement le
“sceau formel ultime” apposé par l’État au droit, un “monnayage étatique” qui n’a qu’une
“valeur formelle”, qui est donc seulement [...] un pur constat de la valeur du droit, un constat qui
n’appartient cependant pas à l’essence du droit.  » (C.  SCHMITT, «  Théologie politique I  »
[1922], Théologie politique [1970], trad. fr. J.-L. Schlegel, Paris, Gallimard, 1988, p. 35). Cf. H. S.
JONES, The French State in Question. Public Law and Political Argument in the Third Repu-
blic, Cambridge, Cambridge University Press, 1993, p.  124  sq. ; P.  ROSANVALLON, Le
Modèle politique français, op. cit., p. 409 sq. ; A. CHATRIOT, « Maxime Leroy, la réforme par le
syndicalisme », Mil Neuf Cent, 2006, 24 (1), p. 73-94 ; P.-Y. VERKINDT, « Maxime Leroy et la
question syndicale », Mélanges J. Pélissier, Paris, Dalloz, 2004, p. 607-624. Cf. aussi la thèse de
Farid Lekéal (F. LEKÉAL, Syndicalisme juridique, personnalisme et fédéralisme intégral. Une
contribution originale à la théorie juridique du fédéralisme, Thèse de doctorat en droit public,
dir. J.-F. Julliard, Lille, Université de Lille II, 1989 ; « De la révolution du droit au gouvernement
du droit », L’Europe en formation, 1998, 309, p. 141-177).
428 La subsidiarité germanique...

invite à débusquer une parenté moins fortuite qu’il n’y paraît a priori  : le
contournement du politique par le social. Pour approcher son équivalent
français, il faut ici se tourner vers les courants contemporains de la sociolo-
gie juridique — Léon Duguit, Célestin Bouglé, Maxime Leroy, Georges
Gurvitch1 —, qui, tour à tour, puiseront chez Comte, chez Saint-Simon, chez
Proudhon et chez Durkheim pour dessiner la perspective de ce que Schmitt
appellera ironiquement « un État socialiste de syndicats et d’associations »2.
En réunissant de la sorte Saint-Simon et Proudhon, on s’autorise peut-être à
comprendre les tensions fondatrices évoquées plus haut dans la reconstitu-
tion de la culture politique de Jacques Delors : pari autogestionnaire sur la
société civile et insistance simultanée sur le besoin de planification écono-
mique3. Mais au-delà du cas personnel de Jacques Delors, ne serait-ce pas une
fibre typiquement saint-simonienne qui serait à même d’expliquer ce réflexe
personnaliste d’un retour à Proudhon ? Un Saint-Simon proudhonisé duquel
seraient retranchés à la fois l’idéal capacitaire et l’horizon technocratique ; un
Proudhon saint-simonisé chez qui le conflit entre bourgeois et prolétaires
serait avantageusement remplacé par la division entre oisifs et actifs ; mais un
Saint-Simon et un Proudhon christianisés proposant un modèle de société
démocratique et égalitaire dans lequel chacun pourrait trouver sa place. Aux
non-conformistes chrétiens des années 1930, Proudhon ouvrait la perspective
d’un socialisme non marxiste qui ne soit pas compromis avec la République
libérale. Aux autogestionnaires des années 1970, Saint-Simon ouvrira la
même perspective d’un socialisme non marxiste qui ne soit pas compromis
avec la République jacobine.

1. Nous reviendrons plus bas sur Léon Duguit et sur son débat avec Maurice Hauriou. Insis-
tons, ici, uniquement sur la relecture de Proudhon et de Saint-Simon  : C.  BOUGLÉ,
É. HALÉVY, Doctrines de Saint-Simon, Paris, Rivière, 1924 ; C. BOUGLÉ, « Proudhon socio-
logue », Revue de métaphysique et de morale, 1910, 18, p. 614-648 ; La Sociologie de Proudhon,
Paris, Armand Colin, 1911 ; « La sociologie de Proudhon », Bulletin de la Société française de
philosophie, 1912, p. 169-214 ; M. LEROY, La Coutume ouvrière : syndicats, bourses du travail,
fédérations professionnelles, coopératives. Doctrines et institutions, Paris, Giard et Brière, 1913 ;
Henri de Saint-Simon. Le socialisme des producteurs, Paris, Rivière, 1924 ; La Vie véritable du
comte Henri de Saint-Simon, 1760-1825, Paris, Grasset, 1925 ; Histoire des idées sociales en
France, op. cit. ; G. GURVITCH, L’Idée du droit social. Notion et système du droit social. His-
toire doctrinale depuis le XVIIe siècle jusqu’à la fin du XIXe siècle, Paris, Sirey, 1932, ici « La syn-
thèse proudhonienne. L’équilibre entre l’État et la société économique », ibid., p. 327 sq. ; Élé-
ments de sociologie juridique, Paris, Aubier, Montaigne, 1940 ; Les Fondateurs français de la
sociologie : Saint-Simon et P.-J. Proudhon, I. Saint-Simon sociologue [1952] ; II. Proudhon socio-
logue [1953], Paris, Centre de documentation universitaire, 1955.
2. C. SCHMITT, « Éthique de l’État et État pluraliste » [1930], trad. fr. J.-L. Schlegel, Parle-
mentarisme et démocratie, op. cit., p. 135 ; Positionen und Begriffe, op. cit., p. 153.
3. Sur la dimension autogestionnaire, cf. J.  BANCAL, Proudhon, pluralisme et autogestion,
I. Les fondements ; II. Les réalisations, Paris, Aubier, Montaigne, 1970 ; « L’anarchisme et l’auto-
gestion de Proudhon », L’Europe en formation, 1973, 163-164, p. 15-38 ; Proudhon et l’autoges-
tion, Paris, Éditions de la Fédération anarchiste, 1980. Sur la résonance du thème autogestion-
naire chez Georges Gurvitch, cf. J.  DUVIGNAUD, «  Une philosophie du collectivisme
décentralisé », Qui a peur de l’autogestion ?, Paris, UGE, 1978, p. 111-366. Sur la dimension pla-
nificatrice, pensons encore à Henri de Man, dont le rapport au socialisme est marqué par un
christianisme proudhonisant (L.  PHILIP, «  L’influence de la pensée d’Henri de Man sur le
socialisme français », Mélanges M. Grawitz, Paris, Dalloz, 1982, p. 249-260).
Subsidiarité et Europe post-totalitaire. La conjonction fédérale 429

Pour mieux comprendre les ressorts chrétiens de ce double travestisse-


ment sociologique et proudhonien du droit, il faut peut-être retourner à la
source mouniérienne, tant le cas du fondateur d’Esprit semble ici parfaite-
ment symptomatique du personnalisme dans son ensemble. Tout se passe,
chez lui, comme si un binôme devait en remplacer un autre, comme si à la
séparation mutilante entre l’individu et l’État devait se substituer la compé-
nétration fusionnelle de la personne et de la communauté1. Ce faisant, son
personnalisme refuse la part d’impersonnalité médiatrice consubstantielle au
droit et, donc, le droit lui-même, qui repose non sur une logique duale et
fusionnelle, mais suppose au contraire un élément tiers de distance institu-
tionnelle. Dans l’extériorité juridique, Mounier ne voudra jamais voir qu’alié-
nation, atomisation et massification. Ainsi en va-t-il de son concept de « dis-
tance unitive  »2  : il exprime inconsciemment cette «  pente fusionnelle  » et
totalisante qui travaille de bout en bout l’ensemble de la philosophie person-
naliste3. « Là où il y a médiation, écrit Mounier, l’aliénation guette4. » Quand
il consent ultimement à reconnaître le rôle médiateur du droit, c’est pour
aussitôt fustiger la froideur des conventions juridiques, destructrice selon lui
de la vérité des rapports interpersonnels.
Son compagnon de route, le philosophe lyonnais Jean Lacroix, auteur d’un
significatif Personne et amour, constitue un autre cas particulièrement emblé-
matique de ce tropisme chrétien5. Faute d’entrer de plain pied dans les enjeux
juridiques, faute de vouloir intégrer (jusqu’au bout) les termes de la moder-

1. Avec Dany-Robert Dufour, il faudrait rappeler combien Mounier est un cas symptomatique
de la pensée chrétienne, au sens où son schéma trinitaire se dégrade en définitive en une simple et
élémentaire binarité. L’auteur des Mystères de la trinité a démontré comment même un saint
Thomas avait fini par binariser la Trinité catholique. « Certaines contributions fameuses faites au
nom de la trinité, traditionnellement considérées comme appartenant à son histoire parce qu’elles
parlent de la seule forme reconnue de trinité, la  Trinité chrétienne, se révèlent en fait comme
des tentatives de vaste ampleur pour soumettre une fois pour toutes la trinité à la binarité.  »
(D.-R. DUFOUR, Les Mystères de la trinité, Paris, Gallimard, 1990, p. 22, p. 230).
2. E. MOUNIER, Révolution personnaliste et communautaire, Œuvres, op. cit., I, p. 173 (rééd.
Le Seuil, p. 78). Jacques Le Goff a réutilisé cette notion de « distance unitive » pour interpréter
l’ensemble de la pensée d’Emmanuel Mounier (J. LE GOFF, « Totalité et distance. Spirituel et
politique dans la réflexion de Mounier », Esprit, 1983, 73, p. 6 ; « Penser Politique avec Mou-
nier », Emmanuel Mounier. L’actualité d’un grand témoin, op. cit., p. 171-180).
3. L’expression «  pente fusionnelle  » est empruntée à Paul Ricœur (P.  RICŒUR, Soi-même
comme un autre, Paris, Le Seuil, 1990, p. 233, n. 2 ; « Mounier et Esprit au milieu du xxe siècle »,
Emmanuel Mounier. L’actualité d’un grand témoin, op. cit., p. 245-267).
4. E. MOUNIER, La Petite peur du XXe siècle [1949], Œuvres, op. cit., III, p. 389.
5. Cf. J.  LACROIX, Personne et amour [1942, 1955], Paris, Le Seuil, 1961. Jean Lacroix
deviendra le préposé aux questions juridiques au sein de la rédaction d’Esprit. En 1937-1938, il
publie coup sur coup deux versions d’un même texte qui peuvent témoigner de son point aveugle
juridique. Intitulée « Ce qui, chez nous, menace la personne humaine », la première publication
correspond à la restranscription écrite de la conférence donnée à la Semaine sociale de 1937
(J. LACROIX, « Ce qui, chez nous, menace la personne humaine », La Personne humaine en
péril, Lyon, Vitte, Paris, Gabalda, 1937, p.  99-122) ; la seconde augmente la première de trois
pages seulement (« Conséquences politiques et juridiques ») mais pour la publier sous un nou-
veau titre, «  La personne humaine et le droit  » (J.  LACROIX, «  La personne humaine et le
droit », Archives de philosophie du droit, 1938, p. 174-199). Les quelques ajouts juridiques (ibid.,
p.  196  sq.) sont extraits d’une publication concomitante dans le numéro  35 des Cahiers de la
Nouvelle Journée pour l’essentiel inspirée de Proudhon (J. LACROIX, « Proudhon ou la souve-
raineté du droit », Itinéraire spirituel, Paris, Bloud et Gay, 1937, p. 57-94).
430 La subsidiarité germanique...

nité politique, le personnalisme d’un Mounier ou d’un Lacroix se contente


d’appeler au respect de la dignité humaine et à la défense des communautés
naturelles. Fonctionnant sur le mode fusionnel de l’amour et de l’amitié, sur
le schéma de la charité fraternelle, il se place dans une incapacité logique à
penser le «  il  », ce lien pourtant nécessaire entre le «  je  » et le «  tu  », dans
l’impossibilité de comprendre que les institutions juridiques et le ferment
évangélique ne relèvent pas du même ordre, que la présence et l’amour de
Dieu ne peuvent tenir lieu de fondement du droit. Dans le «  il  », tout au
contraire, ils ne voudront déceler que des masses individuelles et anonymes1.
« C’est que l’amitié, écrit Lacroix, est ce sentiment métaphysique par lequel les
êtres sont parfaitement clairs les uns pour les autres et s’atteignent dans leur
essence même. Elle seule peut concilier à la fois la multiplicité et l’unité. Aussi
les anciens avaient-ils bien compris qu’elle est le véritable fondement de la
Cité2. »
En faisant de l’amour ou de l’amitié le véritable fondement de la cité, les
personnalistes s’enferment eux-mêmes dans un jeu d’injonctions contradic-
toires. On dénie à l’État son statut institutionnel de « personne collective »
tout en proclamant la nécessité de son rôle d’arbitre juridique. On renvoie
l’État à sa position d’impartialité tout en lui refusant la possibilité de la tenir :
« l’État personnaliste n’est pas neutre, écrit Mounier, il est personnaliste »3.
Derrière ce rejet mouniérien de l’impersonnalité juridique : le rejet de l’im-
perfection terrestre, l’incapacité à penser la justice humaine, la propension
chrétienne à ne voir qu’amour et charité là où il faudrait ménager de la place
pour la distance et la séparation. Lourde mais juste rançon pour une philoso-
phie chrétienne qui réserve à la communion ecclésiale le monopole temporel
de la médiation — trait d’union spirituel entre le Père et le Fils, dans lequel
autrui ne doit pas être un individu interchangeable mais un prochain respecté
pour son authenticité de créature divine. Prendre l’Église pour modèle
revient, par construction, à rejeter toute médiation terrestre, forcément
impure et imparfaite. Aussi est-ce l’ensemble des médiations non spirituelles

1. E. MOUNIER, Personnalisme et christianisme [1939], Œuvres, op. cit., I, p. 738, n. 6 (rééd. Le
Seuil, p. 453, n. 1). « Toutes les philosophies personnalistes contemporaines ont décrit cet uni-
vers de la dépersonnalisation. C’est l’on, que Heidegger oppose, dans le Dasein, l’Être-jeté-dans-
le-monde, à l’être qui affronte le monde ; c’est le Essein, le cela, en face du moi et du toi (Buber) ;
le monde de l’objectivation, en face de l’Esprit et de la liberté (Berdiaeff) ; le monde spatialisé ou
de la morale close, en face du monde de la morale ouverte (Bergson). » (Ibid., p. 908, n. 6 ; rééd.
Le Seuil, p. 453, n. 1). S’inspirant du philosophe allemand Max Scheler et de son fameux concept
de Gesamtperson, Emmanuel Mounier distingue entre la communauté véritable («  personnes
collectives » ou « personne de personnes ») et les pseudo-communautés parmi lesquelles il établit
une gradation qualitative : « monde de l’“on” », « sociétés en nous autres », « sociétés vitales » et
« sociétés raisonnables » (E. MOUNIER, Révolution personnaliste et communautaire, Œuvres,
op. cit., I, p. 185 sq., p. 196 sq. ; rééd. Le Seuil, p. 92 sq., p. 105 sq. ; Manifeste au service du person-
nalisme, ibid., p. 536 sq. ; rééd. Le Seuil, p. 81 sq.).
2. J. LACROIX, « Ce qui, chez nous, menace la personne humaine », La Personne humaine en
péril, op. cit., p. 119 ; « La personne humaine et le droit », art. cit., p. 193. Dans le même ordre
d’idées, sur la doctrine sociale de l’Église lue à l’aune du concept thomiste d’amitié,
cf. G. RENARD, « Amitié et société », Archives de philosophie du droit, 1940, 10 (1-4), p. 196-215.
3. E. MOUNIER, Manifeste..., Œuvres, op. cit., I, p. 617 (rééd. Le Seuil, p. 176) ; De la propriété
capitaliste à la propriété humaine, ibid., p. 472, p. 475 (rééd. Le Seuil, p. 430, p. 434).
Subsidiarité et Europe post-totalitaire. La conjonction fédérale 431

que les personnalistes sont finalement conduits à suspecter de malignité


perverse et de compromission bourgeoise  : le langage, le droit, l’État, la
représentation1. Au nom d’une généreuse philosophie du « nous », on se plaît
à rabattre le droit sur la médiocrité du monde de l’« on » — retrouvant par là
les grands philosophes du refus de la modernité, Heidegger pour les antihu-
manistes, Kierkegaard pour les autres.

3. LA DÉSINSTITUTIONNALISATION SOCIALE DE L’ÉTAT

Il était somme toute assez naturel qu’Esprit donne une si forte résonance aux
thèses de Georges Gurvitch. Grande figure intellectuelle sans laquelle la
pénétration ultérieure du mot d’ordre autogestionnaire dans la gauche chré-
tienne des années 1970 n’aurait certainement pas pu opérer, le sociologue
d’origine russe fut l’un des principaux passeurs intellectuels entre proudho-
nisme et personnalisme2. La rencontre entre le droit social — dont il s’est fait
le théoricien — et les courants chrétiens de l’anti-individualisme philoso-
phique était comme annoncée et écrite d’avance. Mais sa concrétisation fut
peuplée de sous-entendus et de contradictions, qui n’ont jamais été assumés :
que devient le sujet de droit cher aux personnalistes chrétiens quand, au nom
du collectif, on se met à défendre une conception objectiviste et sociale de la

1. Mounier écrit : « Il doit rester une place pour la représentation politique des opinions au suf-
frage universel, elle régira les grandes orientations de la politique d’État.  » (E.  MOUNIER,
Manifeste au service du personnalisme, Œuvres, op. cit., I, p.  625 ; rééd. Le Seuil, p.  186).
Conscient de cette difficulté, Paul Ricœur avait tenté d’insuffler une « structure ternaire » dans le
dualisme personnaliste. Son fameux texte « Approche de la personne », paru dans Esprit en 1990
(concomitamment à Soi-même comme un autre) proposait en ce sens une « triade de l’ethos per-
sonnel  »  : «  la visée de la “vie bonne” avec et pour autrui dans des institutions justes  »
(P. RICŒUR, Soi-même comme un autre, op. cit., p. 202 ; « Approches de la personne » [1990],
Lectures 2. La contrée des philosophes [1992], Paris, Le Seuil, 1999, p. 203-221). Et de revisiter, à
la lumière d’Aristote, l’opposition entre les deux logiques de l’amitié et de la justice, entre la
dimension personnelle de la charité et la logique juridique de l’institution.
2. La revue mouniérienne fut loin d’être la seule enceinte chrétienne à célébrer L’Idée du droit
social. Son concurrent Ordre Nouveau ne manquera pas une occasion de signifier une profonde
convergence de vue avec le sociologue du droit, se référant à suffisance, quelques réticences
mises à part, à ses principaux concepts fondateurs : le pluralisme et la pluralisation, la souverai-
neté du droit contre la souveraineté du pouvoir. Cf. J. LACROIX, « Le sens de l’évolution juri-
dique moderne », Esprit, 1933, 4, p. 653-665 ; « La souveraineté du droit et la démocratie », ibid.,
1935, 30, p. 878-901 ; « Force, droit, charité », ibid., 1940, 88, p. 139-158 ; « Marx et Proudhon »,
ibid., 1948, 145, p.  970-980 ; «  Le droit  », ibid., 1954, 217-218, p.  458-466 ; «  Éloge du positi-
visme  », ibid., 1956, 236, p.  377-388 (nota  : défense non pas du positivisme juridique mais du
positivisme sociologique). Rappelons les trois articles d’Alexandre Marc parus en 1935-1936
dans Ordre Nouveau (A. MARC, « Introduction à un droit nouveau », art. cit. ; « Le droit et les
faits sociaux », art. cit. ; « La “formation” du droit et de l’État », art. cit.), qui réservent une place
de choix à Gurvitch, Duguit et Hauriou. La tendance blondélienne, elle aussi, qui stigmatisait
pourtant l’antilibéralisme d’Esprit et d’Ordre Nouveau, ouvrira fréquemment ses colonnes aux
thèses proudhoniennes de Gurvitch. Cf., par exemple, P.  ARCHAMBAULT, «  D’Hauriou à
Gurvitch », Cahiers de la Nouvelle Journée, 1934, 27, p. 190-194 ; J. LACROIX, « Christianisme
et culture », Politique, 1935, 9 (4), p. 289-316. Dans un premier temps, cependant : car les réti-
cences de Paul Archambault vis-à-vis de Georges Gurvitch se feront ensuite plus explicites
(P. ARCHAMBAULT, « Droit social et droit individuel dans l’œuvre de M. Gurvitch », ibid.,
1938, 12 (10), p. 842-861) ; Archambault rejetait surtout la dimension matérialiste et économique
du proudhonisme gurvitchien.
432 La subsidiarité germanique...

juridicité ? Aveuglés par leur combat contre l’atomisation individualiste, les


personnalistes n’ont jamais répondu à cette question pourtant dirimante.
Qu’il suffise de considérer ici la relecture gurvitchienne de la théorie insti-
tutionnaliste proposée par le doyen Maurice Hauriou1. Très en vogue dans
l’entre-deux-guerres, elle a été diffusée hors des frontières du champ acadé-
mique et universitaire par les soins de Paul Archambault mais, antilibéralisme
aidant, l’interprétation retenue à Esprit et à Ordre Nouveau s’inscrira moins
dans la tonalité blondélienne donnée par les Cahiers de la Nouvelle Journée
que dans la ligne gurvitchienne du proudhonisme2. Il faut avouer que les
sources de malentendus étaient nombreuses. Travaillée de bout en bout par
de multiples tensions et des emprunts à de nombreuses disciplines, la pensée
d’Hauriou prêtait naturellement le flanc aux exégèses les plus contradic-
toires3. Tout se passa comme si la réception d’Hauriou devait en permanence
être aimantée par deux pôles opposés. D’un côté, la lecture proudhonienne et
gurvitchienne, celle diffusée dans les milieux du personnalisme chrétien et
qui, pour cette raison nous intéresse ici ; de l’autre, l’interprétation néotho-
miste d’un Georges Renard, d’un Joseph Delos, voire d’un Louis Le Fur4.

1. On la résume souvent par une définition ternaire  : une idée d’œuvre ou d’entreprise, une
incorporation par le pouvoir, une personnification par l’adhésion et le consentement (M. HAU-
RIOU, « La théorie de l’institution et de la fondation. Essai de vitalisme social », Cahiers de la
Nouvelle Journée, 1925, 4, p. 1-45 ; rééd. ibid., 1933, 23, p. 89-128 ; rééd. Centre de philosophie
politique et juridique, Université de Caen, 1986, p. 89-128). Le recueil est intitulé Aux sources du
droit : le pouvoir, l’ordre et la liberté et comprend plusieurs autres textes.
2. Nous nous référons à deux textes de Gurvitch : G. GURVITCH, « Les idées maîtresses de
Maurice Hauriou », Archives de philosophie du droit, 1931, 1, p. 155-194 ; « L’idée du droit social
et l’objectivisme métaphysique de Maurice Hauriou », L’Idée du droit social, op. cit., p. 647-710.
Dans la tendance blondélienne, outre les publications d’Archambault, cf. P. VIGNAUX, « La
théorie de l’institution », Politique, 1930, 4 (11), p. 973-989 ; M. PRÉLOT, « Autour de la théorie
de l’institution », Cahiers de la Nouvelle Journée, 1931, 19, p. 205-211.
3. Sur le nomadisme disciplinaire d’Hauriou, cf. J.-A. MAZÈRES, «  Hauriou ou le regard
oblique », Mélanges L. Sfez, Paris, PUF, 2006, p. 45-60. Nous considérons ici la réception fran-
çaise et laissons donc de côté le cas schmittien. Carl Schmitt s’est beaucoup réclamé de l’institu-
tionnalisme haurioutiste, mais cette invocation prête au doute, notamment parce que l’ouvrage
dans lequel il invoque le plus son illustre aîné est aussi celui dans lequel il élude le plus la ques-
tion juridique de l’institution pour aller sur le terrain de l’ordre concret (C.  SCHMITT, Les
Trois types de pensée juridique, op. cit.). Ce qui le rapproche de Maurice Hauriou, c’est peut-être
son anthropologie du Péché originel (C. SCHMITT, Théologie politique, op. cit., p. 65). Pour
une lecture de la pensée schmittienne à l’aune d’un schéma mental augustinien, cf. O. BEAUD,
« Carl Schmitt ou le juriste engagé », Préface à C. SCHMITT, Théorie de la Constitution, op. cit.,
p. 8-9. Mais on sait que les deux juristes ont tiré des conséquences bien différentes de ce pessi-
misme anthropologique  : libéralisme conservateur d’un côté, antilibéralisme autoritaire de
l’autre — Carl Schmitt taxant le libéralisme tour à tour d’angélisme et d’irénisme. Pour une mise
au point, cf. B. MANIN, « Libéralisme et puissance de l’État : la critique manquée de Carl Sch-
mitt  », Mélanges J.  Leca, Paris, Presses de Sciences Po, 2003, p.  151-162 ; L.  JAUME, «  Carl
Schmitt, la politique de l’inimitié  », History of Political Thought, 2004, 25 (3), p.  536-549 ;
B. RÜTHERS, « “Un sauveur face à l’Antéchrist” ? Carl Schmitt, théologien politique », trad. fr.
M. Fromont, Revue française de droit constitutionnel, 2002, 50, p. 377-384 ; S. RIALS, « Le chré-
tien Schmitt et le juif Jésus », Droits, 2004, 40, p. 163-172.
4. G.  RENARD, La Théorie de l’institution. Essai d’ontologie juridique, Paris, Sirey, 1930 ;
L’Institution, fondement d’une rénovation de l’ordre social, Paris, Flammarion, 1933 ; « De l’ins-
titution à la conception analogique du droit  », Archives de philosophie du droit, 1935, 5,
p. 81-145 ; La Philosophie de l’institution, Paris, Sirey, 1939 ; J. T. DELOS, « La théorie de l’ins-
titution. La solution réaliste du problème de la personnalité morale et le droit à fondement
Subsidiarité et Europe post-totalitaire. La conjonction fédérale 433

Entre les deux pôles : un foisonnement de lectures socialiste, libérale ou plus


classiquement conservatrice1. Chacun, que ce soit sur la rive néothomiste ou
sur la rive proudhonienne, opérant une sélection de ce qui dans l’œuvre
d’Hauriou nourrit sa propre problématique, sans véritable vue cohérente de
l’ensemble. Autant de prismes déformants desquels il faut s’extraire pour
bien comprendre le propos du doyen toulousain.
Les erreurs de la plupart des interprètes autorisés résident donc dans une
méprise sur la théorie de l’institution2 : soit ils n’en retiennent qu’une étape
ou qu’un aspect, soit ils la diluent dans l’ensemble des travaux du juriste. Là
encore, les sources de malentendus furent nombreuses  : œuvre d’une vie
entière, la théorie de l’institution est le fruit d’une longue et laborieuse matu-
ration à laquelle Hauriou n’a cessé de travailler3. Pour bien faire et pour res-

objectif », Archives de philosophie du droit, 1931, 1, p. 97-153 ; L. LE FUR, « Le droit naturel et
la théorie de l’institution », La Vie intellectuelle, 1931, 4, p. 76-102 ; « Droit individuel et droit
social. Coordination, subordination ou intégration », Archives de philosophie du droit, 1931, 3-4,
p. 279-309. Dans la période qui suit, il faut aussi mentionner André Desqueyrat qui défendra une
approche sociologique du droit en voulant s’écarter des déformations néothomistes de ses pré-
décesseurs (A. DESQUEYRAT, L’Institution, le droit objectif et la technique positive. Essai his-
torique et doctrinal, Paris, Sirey, 1933, p. 12 sq. ; p. 134 sq. ; « L’institution, sa nature, ses espèces,
les problèmes qu’elle pose », Archives de philosophie, 1936, 12, p. 65-115). Hormis les protago-
nistes de cette dispute, l’essentiel des interprètes ne manquent pas d’insister sur l’enracinement
thomiste de Maurice Hauriou : A. BRIMO, « L’humanisme institutionnaliste du doyen Hau-
riou », Les Grands courants de la philosophie du droit et de l’État, Paris, Pédone, 1967, p. 312-
327 ; « La philosophie du droit naturel du doyen Maurice Hauriou » [1968], La Pensée du doyen
Hauriou et son influence, Paris, Pédone, 1969, p.  63-78 ; O.  BEAUD, «  Hauriou et le droit
naturel », Revue d’histoire des Facultés de droit et de la science juridique, 1988, 6, p. 123-138 ;
C.  LAVIALLE, «  L’influence de saint Thomas d’Aquin sur la pensée de Maurice Hauriou  »,
Revue de la recherche juridique, 2000, 4, p. 1335-1347.
1. Pour une interprétation socialiste du doyen Hauriou, notamment sa théorie de la gestion,
cf. A. MATER, « L’État socialiste et la théorie juridique de la gestion » [1903], in C. M. HER-
RERA, Par le droit, au-delà du droit. Textes sur le socialisme juridique, Paris, Kimé, 2003,
p. 101-124, p. 125-136. On doit à Carlos Miguel Herrera d’avoir mis en lumière la réception des
thèses de Maurice Hauriou par le courant du socialisme juridique, et en particulier la redécou-
verte d’un texte inconnu du doyen toulousain paru au tout début du xxe siècle dans La Revue
socialiste : M. HAURIOU, « Le régime d’État » [1904], ibid., p. 179-195. Cf. C. M. HERRERA,
« Socialisme juridique et droit administratif », Influences et réceptions mutuelles du droit et de la
philosophie en France et en Allemagne, dir. J.-F. KERVÉGAN, H. MOHNHAUPT, Francfort,
Klostermann, 2001, p. 405-444 ; « Par le droit, au-delà du droit ? Sur les origines du socialisme
juridique en France », Par le droit, au-delà du droit, op. cit., p. 7-27.
2. S’agissant de la postérité intellectuelle de Maurice Hauriou, l’anthologie établie par Albert
Broderick a pu faire croire à l’existence d’une école institutionnaliste aux frontières bien définies
(A.  BRODERICK, éd., The French Institutionalists, trad. angl. M.  Welling, Cambridge, Har-
vard University Press, 1970). Fabrice Melleray a démontré ce qu’il en était en réalité, préférant
décrire les ramifications du «  courant  » institutionnaliste (F.  MELLERAY, «  Remarques sur
l’École de Toulouse », Mélanges J.-A. Mazères, Paris, Litec, 2009, p. 533-553).
3. Si la formulation principale de la thèse est exposée en 1925 sous le titre « La théorie de l’insti-
tution et de la fondation. Essai de vitalisme social » dans les Cahiers de la Nouvelle Journée, ses
linéaments sont présents dès 1896-1898 (M. HAURIOU, La Science sociale traditionnelle, Paris,
Larose, 1896 ; « Du fondement de la personnalité morale », Leçons sur le mouvement social (don-
nées à Toulouse en 1898), Paris, Larose, 1899, p. 144-162). Ce dernier texte est l’enrichissement
d’une étude d’abord paru sous la forme d’un article (M.  HAURIOU, «  De la personnalité
comme élément de la réalité sociale », Revue générale du droit, de la législation et de la jurispru-
dence en France et à l’étranger, 1898, p. 1-23, p. 119-140). Le doyen élabore et formalise surtout
ses vues de 1906 à 1909 (M. HAURIOU, « L’institution et le droit statutaire », Recueil de légis-
lation de Toulouse, 1906, 2, p.  134-182 ; «  Le point de vue de l’ordre et de l’équilibre  », ibid.,
434 La subsidiarité germanique...

pecter sa méthode incrémentale, il faudrait presque commencer par la fin, le


moment où, l’heure venue des bilans, le doyen livre l’état définitif de sa
pensée1. On ne saurait bien sûr ignorer l’ensemble des étapes intermédiaires,
mais on se doit en même temps de donner un poids tout particulier à l’ultime
formulation. C’est l’un des principaux reproches dont Georges Gurvitch
nous apparaît justiciable. Bien qu’écrivant en 1931-1932 (le doyen meurt en
1929), il a tendance à s’arrêter au fameux texte de 1925 dans lequel, à son
grand contentement, l’État semble être devenu une institution parmi d’autres
de l’architecture juridique ; puis à porter un jugement très sévère sur la der-
nière édition du Précis de droit constitutionnel, dans laquelle il croit pouvoir
diagnostiquer de dangereuses réminiscences autoritaires. À rebours, on peut
estimer qu’en 1925, Hauriou n’était pas encore parvenu à la formulation
exacte de sa théorie politique de l’État  : à considérer l’œuvre en totalité, il
apparaît même que les années 1925-1929 correspondent au moment charnière
où le doyen met au point les grandes articulations logiques du schéma d’en-
semble. En 1929, l’État ne fait donc jamais que retrouver son statut d’« insti-
tution des institutions » : l’État comme institution primaire supérieure, sans
laquelle il n’y a point d’institutions secondaires. Ne nous méprenons pas
pour autant : Hauriou ne renie en aucun cas ses écrits antérieurs2 ; il continue
comme auparavant d’insister sur l’antériorité chronologique et ontologique
de la « constitution sociale » (les libertés individuelles et la légitimité consti-
tutionnelle) par rapport à la constitution politique (l’organisation de l’État),
mais pour rappeler le caractère «  éminemment passif  » de la société et sa
dépendance nécessaire vis-à-vis de l’institution étatique. « De toutes les insti-

1909, 5, p.  1-86) puis en 1910 (M.  HAURIOU, Principes du droit public, Paris, Sirey, 1910).
Après le fameux texte de 1925, le dernier mot est livré dans le Précis de droit constitutionnel
(M. HAURIOU, Précis de droit constitutionnel, Paris, Sirey, 1929).
1. Parmi les nombreux commentaires à disposition : L. SFEZ, Essai sur la contribution du doyen
Hauriou au droit administratif français, Paris, LGDJ, 1966 ; V.  LEONTOWITSCH, «  Die
Theorie der Institution bei Maurice Hauriou », Institution und Recht, dir. R. SCHNUR, Darm-
stadt, Wissenschaftliche Buchgesellschaft, 1968, p. 176-264 ; H. S. JONES, « Maurice Hauriou
and the Theory of the Institution  », The French State in Question. Public Law and Political
Argument in the Third Republic, Cambridge, Cambridge University Press, 1993, p.  180-204 ;
É. MILLARD, « Hauriou et la théorie de l’institution », Droit et Société, 1995, 30-31, p. 381-
412 ; J.-A.  MAZÈRES, «  La théorie de l’institution de Maurice Hauriou ou l’oscillation entre
l’instituant et l’institué », Mélanges J. Mourgeon, Bruxelles, Bruylant, 1998, p. 239-293.
2. M. HAURIOU, Précis de droit constitutionnel, op. cit., 1929, p. 620. Il reprend là ses analyses
séminales proposées en 1896 dans La Science sociale traditionnelle. Il déclinait en trois niveaux
distincts sa description du « tissu social » : le tissu positif, le tissu étatique (ou métaphysique) et
le tissu religieux, eux-mêmes travaillés par une opposition fondamentale entre le monde matéria-
liste de la lutte pour la vie (tissu positif) et le monde idéaliste du sacrifice (tissu étatique et tissu
religieux) (M.  HAURIOU, La Science sociale traditionnelle, op. cit., p.  187). Les institutions,
telles qu’elles émergent du tissu de la société positive, ne sont au départ que « des organisations
provisoires, fondées le plus souvent sur la violence » (Ibid., p. 194) : la famille, le mariage, la pro-
priété. Le passage de l’organisation à l’institution proprement dite nécessite alors l’intervention
d’un élément spirituel, qui s’attache à sauver le corps, à lui redonner sa dignité : l’organisation
créée par la force est rachetée par le sacrifice et devient finalement institution. De là l’importance
du tissu étatique, qui agit prioritairement par le droit (Ibid., p. 351), et du tissu religieux, mû par
le sentiment de Dieu. Au fondement de la conception haurioutiste du droit, il y a le Péché ori-
ginel, la chute de l’homme, un pessimisme anthropologique qui appelle la nécessité d’une
rédemption et donne tout son sens à l’idée d’institution.
Subsidiarité et Europe post-totalitaire. La conjonction fédérale 435

tutions que l’ordre social a enfantées, précise Hauriou, celle de l’État est la
plus éminente1. » Quand trente ans plus tôt, dans La Science sociale tradition-
nelle, il écrivait que l’État ne devait pas être « chargé de toute l’administration
ni de toute l’intervention », il voulait donc dire que l’État se situait dans le
registre de l’être institutionnel, non celui de l’agir fonctionnel :
« Le progrès du droit public, ajoutait-il plus bas, consiste à restreindre peu à peu
la puissance publique, à la ramener à son véritable rôle qui est de réaction
contre la liberté individuelle et non pas d’action2. »
Chaussées avec trop d’empressement, les lunettes proudhoniennes de
Georges Gurvitch conduisent à débusquer des relents hiérarchiques, là où le
sociologue du droit ne voudrait voir qu’horizontalité anarchisante et imma-
nence du social. Ainsi oppose-t-il trop facilement son « transpersonnalisme »
à un supposé «  personnalisme hiérarchique  » d’ascendance thomiste, à ses
yeux coupable des dérives autoritaires du juriste toulousain3. Il nous semble
que, ce faisant, le sociologue tend à mutiler la théorie de l’institution, sous
prétexte de refuser un « nous » qui cacherait et enfermerait une totalité trans-
cendante. Proudhonien en mal de juridicité, Gurvitch voulait réaliser la syn-
thèse de Maurice Hauriou et de Léon Duguit ; il s’est surtout contenté de
noyer la difficulté dans un concept très problématique, le « fait normatif »,
qui lui permettait en quelque sorte de tirer un trait d’égalité entre idée
d’œuvre et fonction, institution et milieu social4. Sa méprise s’origine donc
dans une vision erronée du rapport que Maurice Hauriou a voulu entretenir
avec la sociologie. Jamais, le juriste catholique n’a cru dans l’horizontalité
autoconsistante de la société. Là où le doyen toulousain s’inspire de la socio-
logie interpsychologique d’un Gabriel Tarde, voire de l’école leplaysienne,
Gurvitch, quant à lui, poursuit son projet d’édification d’un droit social en
allant puiser chez Duguit, Durkheim et Proudhon5. Là où le doyen Hauriou

1. M. HAURIOU, Précis de droit constitutionnel, op. cit., p. 78. Même quand il le relativisait,
jamais il ne réduisait l’État à une simple ustensibilité : « L’idée de l’État dépasse singulièrement la
notion des fonctions de l’État. La fonction n’est que la part déjà réalisée ou du moins, déjà déter-
minée, de l’entreprise ; il subsiste dans l’idée directrice de celle-ci une part d’indéterminé et de
virtuel qui porte au-delà de la fonction. » (M. HAURIOU, « La théorie de l’institution », op. cit.,
p. 99). Cf. J. VIGUIER, « Existe-t-il une hiérarchie entre les éléments de l’idée d’œuvre de l’État
chez Maurice Hauriou ? », Mélanges J.-A. Mazères, Paris, Litec, 2009, p. 821-846.
2. M. HAURIOU, La Science sociale traditionnelle, op. cit., p. 259, p. 400.
3. « Durant la première phase de sa carrière, ses sympathies allaient réellement à la primauté du
droit social ; plus tard, il est plutôt pour une équivalence complète entre les deux systèmes de
droit [droit social et droit individuel], et dans la dernière phase de sa pensée, il paraît pencher
vers la primauté de l’ordre du droit individuel. Cela s’explique, d’une part, par le fait que dans la
dernière pensée d’Hauriou, le point de vue du personnalisme hiérarchique, de provenance tho-
miste, prédominait sur le point de vue transpersonnaliste, de provenance proudhonienne et berg-
sonienne, du début ; d’autre part, [...] cela est dû à un changement essentiel dans l’appréciation
des limites de la réalité juridique à laquelle peut s’appliquer l’idée du droit social. » Nous souli-
gnons (G.  GURVITCH, «  L’idée du droit social et l’objectivisme métaphysique de Maurice
Hauriou », L’Idée du droit social, op. cit., p. 678). Dans le même sens, cf. l’article cité plus haut :
G. GURVITCH, « Les idées-maîtresses de Maurice Hauriou », art. cit., p. 179.
4. On croit observer la même confusion chez Jacques Donzelot (J. DONZELOT, L’Invention
du social. Essai sur le déclin des passions politiques [1984], Paris, Le Seuil, 1994, p. 86 sq.).
5. Cf. G. TARDE, Les Lois de l’imitation [1890], Paris, Le Seuil, 2001. Hauriou ne rejoint pas la
conception durkheimienne d’une « conscience collective » transcendante aux consciences indivi-
436 La subsidiarité germanique...

reste juriste malgré son syncrétisme méthodologique parfois désarçonnant1,


Gurvitch se veut sociologue du fait juridique. Il a beau parler d’une réhabili-
tation proudhonienne du droit, si réhabilitation du droit il y a, c’est au prix
de sa redéfinition totale : un droit « social » au double sens de droit fusionnel
et fonctionnel, un droit antilibéral qui refuse toute idée de distance et de
séparation au nom de la primauté du collectif. À rebours, la doctrine hau-
rioutiste repose sur un individualisme foncier — quoique « faillible »2 —, qui
fait d’ailleurs toute la différence avec le personnalisme des non-conformistes :
Hauriou n’est ni antilibéral ni antirépublicain, et sa conception de l’institu-
tion n’a jamais signifié domination du social. En faire un juriste proudhoni-
sant ou réduire son propos à une simple entreprise de limitation de l’État
(décentralisation, représentation corporatiste des intérêts, constitution
sociale), c’est tordre la colonne vertébrale de sa pensée : l’État comme incar-
nation d’une idée morale garante de la liberté individuelle. Où les exégèses
proudhonienne et néothomiste se conjoignent dans leurs déformations res-

duelles (É.  DURKHEIM, De la Division du travail social [1893], Paris, PUF, 2004). Les
moments de communion qui sont au fondement de l’idée d’œuvre institutionnelle ne doivent
pas s’analyser comme des manifestations d’une conscience collective mais comme le rassemble-
ment de consciences individuelles à la faveur du sentiment interpsychologique d’une même idée.
S’agissant de Frédéric Le Play, Hauriou critique le caractère trop réactif de son enseignement
sociologique (M. HAURIOU, La Science sociale traditionnelle, op. cit., p. 393, n. 1).
1. Juriste et politiste, pourrait-on dire par anachronisme. Cf. G. VEDEL, « Le doyen Maurice
Hauriou et la science politique », Annales de la Faculté de droit et de sciences économiques de
Toulouse, 1968, 16 (2), p. 91-109 ; Pages de doctrine, Paris, LGDJ, 1980, I, p. 43-58. Il convien-
drait ici de revenir sur l’inspiration sociologique repérable chez de nombreux acteurs du renou-
veau thomiste au-delà du seul cas Hauriou (H. SERRY, « Saint Thomas sociologue ? Les enjeux
cléricaux d’une sociologie catholique dans les années 1880-1920  », Actes de la recherche en
sciences sociales, 2004, 153, p. 28-39 ; Pour une histoire des sciences sociales. Mélanges P. Bour-
dieu, dir. J. HEILBRON, R. LENOIR, G. SAPIRO, Paris, Fayard, 2004, p. 59-81). Pour une
synthèse sur le rapport du doyen Hauriou à la sociologie, cf. F. AUDREN, M. MILET, « Mau-
rice Hauriou sociologue. Entre sociologie catholique et physique sociale », Préface à M. HAU-
RIOU, Écrits sociologiques [1893-1899], Paris, Dalloz, 2008, p. V-LVIII.
2. « Par alluvions successives, la matière du droit s’est déposée autour d’une conception fonda-
mentale d’organisation sociale qui est celle de l’individualisme faillible et par conséquent relatif. »
(M. HAURIOU, Précis de droit constitutionnel, op. cit., p. VII). Ou encore : M. HAURIOU,
« Le droit naturel et l’Allemagne » [1918], Cahiers de la Nouvelle Journée, 1933, 23, p. 13-42, ici
p. 13. Cf. E. A. POLOUPOL, « L’idée de libéralisme dans l’œuvre juridique de Maurice Hau-
riou », Mélanges P. Negulesco, Bucarest, Imprimerie nationale, 1935, p. 587-607. C’est le tho-
miste Georges Renard, bien plus que Maurice Hauriou, qui en vient, à proposer une conception
anarchisante de l’État (P.  DUBOUCHET, «  Pour une théorie normative de l’institution  »,
Revue de la recherche juridique1993, 54, p.  739-756, ici, p.  745). Aussi est-ce en un sens bien
particulier qu’on a pu identifier les traces d’un principe de subsidiarité dans la théorie de l’insti-
tution de Maurice Hauriou : « À l’heure actuelle, on trouvera une application de ce principe [le
principe de subsidiarité] dans la si riche théorie de l’institution du Doyen Hauriou. L’éminent
auteur a montré qu’il existait des institutions dans lesquelles une idée directrice, un pouvoir, des
manifestations de communion consensuelle [...], permettaient la continuité sociale. On avait ainsi
des institutions-personnes ou corps constitués  : État, associations, au sein desquelles s’exerce
l’activité des individus. Toutes ces activités font partie du Bien commun. Ainsi  : particuliers,
groupements divers, État, participent au Bien commun. Ce dernier n’est donc pas à la charge
exclusive du Pouvoir politique. » (M.-P. DESWARTE, « Intérêt général, bien commun », Revue
du droit public, 1988, 104 (5), p. 1289-1313, ici p. 1308). Dans le même sens, mais selon une pers-
pective différente, sous la plume d’un théoricien de l’autogestion : R. LOURAU, La Subsidiarité
contre l’Europe, Paris, PUF, 1997, p. 85 sq.
Subsidiarité et Europe post-totalitaire. La conjonction fédérale 437

pectives : relativisation de l’idéologie républicaine de la souveraineté et rejet


du positivisme juridique ne sauraient valoir oubli de l’État en tant qu’institu-
tion première.

S’il est un exemple de théorie juridique aboutie qui eut recours à la socio-
logie pour assouvir sa phobie de l’État, c’est bien celle de Léon Duguit. On
sait que le doyen bordelais ne fut pas sans entretenir de nombreux points
d’accord avec son confrère toulousain  : refus de l’individualisme juridique,
rejet de la doctrine allemande de l’État (théorie de l’organe), critique de la
doctrine française de la nation (théorie de la représentation)1. Mais l’accord
s’arrête à ce seul versant négatif, qui lui-même fait fond sur des conceptions
anthropologiques radicalement opposées, qu’on aurait bien tort de réduire à
une simple querelle de droit administratif : la puissance publique (École de
Toulouse) contre le service public (École de Bordeaux)2. En thomiste consé-
quent, Hauriou est un défenseur du droit naturel (celui des Anciens), doublé
d’un réaliste bergsonien qui croit fermement en l’existence de personnes
morales (elles existent juridiquement au même titre que les personnes
physiques)3 ; en positiviste critique, Duguit tire les conséquences logiques de
son nominalisme juridique — le rejet des universaux, la fonctionnalisation du
droit — tout en refusant son débouché philosophique ultime — l’individua-
lisme4. Quand, pour sa part, Hauriou se fait critique du concept de souverai-
neté moderne, il s’en prend moins à l’État en tant que tel qu’à la République
radicale, légicentriste et anticléricale. D’où ses nombreuses références, plus

1. Pour Hauriou, la représentation n’est pas un lien entre les organes de l’institution et ses
membres, mais entre les organes et l’idée d’œuvre qui est au fondement de l’institution.
2. Pour une perspective synthétique circonstanciée, cf. M. MILET, « Léon Duguit et Maurice
Hauriou : quarante ans de controverse juridico-politique. Essai d’analyse sociorhétorique (1889-
1929) », Les Juristes face au politique. Le droit, la gauche, la doctrine sous la IIIe République, dir.
C. M. HERRERA, Paris, Kimé, 2003, p. 85-121. De manière plus générale, sur le dialogue intel-
lectuel entre les deux doyens, cf. M. WALINE, « Les idées maîtresses de deux grands publicistes
français : Léon Duguit et Maurice Hauriou », L’Année politique française et étrangère, 1929, 16,
p. 385-409, 1930, 17, p. 39-63 ; C. EISENMANN, « Deux théoriciens du droit, Duguit et Hau-
riou » [1930], Écrits de théorie du droit, de droit constitutionnel et d’idées politiques, éd. C. Leben,
Paris, Éditions Panthéon-Assas, 2002, p.  13-47 ; A.  de LAUBADÈRE, «  Le Doyen Maurice
Hauriou et Léon Duguit », Annales de la Faculté de droit et des sciences économiques de Tou-
louse, 1968, 16 (2), p.  209-228 ; Pages de doctrine, op. cit., I, p.  11-28 ; J.-M. TRIGEAUD,
« Théorie de l’État et réalisme sociologique dans la pensée de Duguit et Hauriou », L’État au
XXe siècle, éd. S. GOYARD-FABRE, op. cit., p. 19-34. Jean Rivero a par ailleurs insisté sur le rôle
décisif joué par Maurice Hauriou dans l’émergence de l’idée phare du système juridique
duguiste, à savoir la notion de service public (J. RIVERO, « Hauriou et l’avènement de la notion
de service public », Mélanges A. Mestre, Paris, Sirey, 1956, p. 461-471 ; « Maurice Hauriou et le
droit administratif  », Annales de la Faculté de droit et des sciences économiques de Toulouse,
1968, 16 (2), p. 141-155 ; Pages de doctrine, op. cit., I, p. 29-41).
3. Réaliste au sens où la personne morale n’est pas réductible à une simple fiction juridique. Elle
trouve au contraire à se définir hors des cadres habituels de la doctrine du droit : le nominalisme
français (fiction représentative) et le volontarisme allemand (réification organique).
4. Sur le rapport d’Hauriou au droit naturel, cf. O. BEAUD, « Hauriou et le droit naturel », art.
cit. S’agissant de Léon Duguit, cf. P.  RAYNAUD, «  Léon Duguit et le droit naturel  », ibid.,
1987, 4, p. 169-180 ; « Des droits de l’homme à l’État de droit. Les droits de l’homme et leurs
garanties chez les théoriciens français classiques du droit public », Droits, 1985, 2, p. 61-73.
438 La subsidiarité germanique...

en amont, à l’État régalien et justicier de l’Ancien Régime français1. D’où,


aussi, sa revalorisation des sources traditionnelles du droit (la coutume et la
jurisprudence) au détriment de ses figures progressivement devenues domi-
nantes (la loi et le contrat). D’où, enfin, son attachement à la prévalence de la
loi établie sur la loi à venir, ainsi que son souci constant d’un double renfor-
cement du pouvoir juridictionnel, garant de la constitution sociale, et du
pouvoir exécutif, garant de la constitution politique2.
L’anti-individualisme duguiste ne saurait donc s’assimiler à un quelconque
correspondant chrétien avec lequel il serait en dialogue souterrain ; il se veut
entièrement du côté de l’objectivisme, rejette le droit naturel tout autant que
les droits subjectifs. Non seulement Léon Duguit condamne le jusnaturalisme
dans sa totalité au nom d’une conception sociologique de la juridicité (« l’état
de conscience d’une société donnée  ») ; mais il condamne aussi le subjecti-
visme juridique au nom d’une conception non métaphysique du droit3. Être
juriste pour Duguit, s’inspirant en cela de la sociologie durkheimienne, c’est
partir d’une observation objective et impersonnelle des faits juridiques4.
Le point d’opposition principal qui nous intéresse ici porte sur la notion
de personne morale : pour Hauriou, les sujets collectifs existent et peuvent
recevoir la dignité de personnalités juridiques5 ; pour Duguit, seules existent
les personnes physiques (non pas l’Individu métaphysique mais les individus
empiriques) et le lien social objectif qui les réunit (l’«  interdépendance
sociale  »). On connaît sa boutade  : l’École de Bordeaux n’a jamais déjeuné
avec une personne morale. Le verdict s’adresse d’abord à l’État6. La stato-

1. J. DECLAREUIL, « Quelques remarques sur la théorie de l’“institution” et le caractère insti-


tutionnel de la monarchie capétienne », Mélanges M. Hauriou, Paris, Sirey, 1929, p. 159-185.
2. Sur la revalorisation de l’exécutif, cf. S. PINON, « Le pouvoir exécutif ans l’œuvre constitu-
tionnelle de Maurice Hauriou  », Revue d’histoire des Facultés de droit, 2004, 24, p.  119-163 ;
L. SFEZ, « Maurice Hauriou et l’avènement des exécutifs forts dans les démocraties occidentales
modernes », Annales de la Faculté de droit et des sciences économiques de Toulouse, 1968, 16 (2),
p. 111-125. Sur la dimension conservatrice de la défense de l’État de droit par les juristes de la
IIIe République, cf. M.-J. REDOR, De l’État légal à l’État de droit : l’évolution de la doctrine
publiciste française, 1879-1914, Aix-en-Provence, PUAM, Paris, Économica, 1992 ; « L’État dans
la doctrine publiciste française du début du siècle », Droits, 1992, 15, p. 91-100.
3. Sous sa plume, les droits subjectifs sont qualifiés de fictifs et de «  métaphysiques  »
(L. DUGUIT, Traité Traité de droit constitutionnel [1923], Paris, Boccard, 1927, I, p. 3, p. 73).
4. Il s’inspire d’Émile Durkheim mais critique paradoxalement la notion pivot qui structure
toute la pensée du grand sociologue français : la « conscience collective ». Sur les parentés et les
oppositions entre Émile Durkheim et Léon Duguit, cf. É  PISIER-KOUCHNER, Le Service
public dans la théorie de l’État de Léon Duguit, Paris, LGDJ, 1972, p.  84-95 ; «  La notion de
personne morale dans l’œuvre de Léon Duguit », Quaderni fiorentini, 1982-1983, 11-12, p. 667-
684 ; «  Le service public  : entre libéralisme et collectivisme  », Esprit, 1983, 84, p.  8-19 ;
H. S. JONES, « From Contract to Status : Durkheim, Duguit and the State », The French State
in Question, op. cit., p.  149-179. Cf. l’intéressant débat sur Émile Durkheim qui a opposé en
Évelyne Pisier-Kouchner à Pierre Birnbaum voilà plus de trente ans  : P.  BIRNBAUM, «  La
conception durkheimienne de l’État  », Revue française de sociologie, 1976, 17 (2), p.  247-258 ;
É. PISIER-KOUCHNER, « Perspective sociologique et théorie de l’État », ibid., 1977, 18 (2),
p. 317-330. Pour une relecture de Duguit à l’aune du solidarisme, cf. C. COUSIN, « La doctrine
solidariste de Léon Duguit », Revue de la recherche juridique, 2001, 4 (2), p. 1931-1989.
5. Cf., ici, R. MASPETIOL, « L’idée d’État chez Maurice Hauriou », Archives de philosophie du
droit, 1968, 13, p.  249-265 ; A.  DUFOUR, «  La conception de la personnalité morale dans la
pensée de Maurice Hauriou », Quaderni fiorentini, 1982-1983, 11-12, p. 685-719.
6. L.  DUGUIT, Traité de droit constitutionnel [1923-1925], op. cit., 1927-1930. Nous nous
Subsidiarité et Europe post-totalitaire. La conjonction fédérale 439

phobie duguiste fait d’ailleurs système avec l’anti-individualisme et l’antisub-


jectivisme qui viennent d’être relevés (la souveraineté n’est qu’un droit sub-
jectif appliqué à la puissance publique). Supposer que l’État existe et qu’il
puisse vouloir quelque chose, ce serait tout simplement ouvrir la voie au des-
potisme. Bien loin des concepts métaphysiques, il faut s’en tenir aux néces-
sités élémentaires de la société, à ces nécessités antérieures à la fois à l’indi-
vidu et à l’État. Ainsi assimilées à des faits, les règles de droit sont donc
appelées à évoluer en fonction des besoins objectifs de la société. Et l’État
d’en être le simple notaire, le gestionnaire  : non pas «  une puissance qui
commande, une souveraineté  », mais «  une coopération de services publics
organisés et contrôlés par des gouvernants »1. Son unique fonction : constater
des faits normatifs qui lui préexistent ; transcrire en règles de droit construc-
tives les différentes règles normatives spontanément formées dans l’épaisseur
et la densité du social. Du point de vue de l’État, reconnaître le droit, cela
revient tout simplement à observer la solidarité sociale et à en tirer les consé-
quences nécessaires via la mise en place de services publics appelés ultime-
ment à remplacer la puissance publique. Le Traité de droit constitutionnel ne
fait pas mystère de l’ambition duguiste : remplacer le concept d’État par la
notion de service public.
« Le service public est le fondement ultime et la limite du pouvoir gouverne-
mental et par là ma théorie de l’État est achevée. »
«  Tout acte des gouvernants est sans valeur, ajoute-t-il, quand il poursuit un
but autre qu’un but de service public2. »
Force est cependant de constater l’échec de Léon Duguit et de son objecti-
visme sociologique, qui aboutissait, sans se l’avouer, à une théorie du droit
naturel honteuse de son nom. On sait que le juriste bordelais sera finalement
contraint de fonder sa conception du droit sur un critère bien peu objecti-
viste : le « sentiment de socialité » ou « sentiment de justice »3. En brandissant
cette nouvelle notion, il faisait subrepticement retour à une définition subjec-
tive et normative de la juridicité, se contentant d’asséner une pétition de
principe en lieu et place d’une amende honorable  : n’accorder le label juri-
dique qu’aux seuls faits sociaux à même, selon lui, de réaliser la solidarité. Le
droit n’est droit, dit-il en substance, que pour autant qu’il se révèle conforme
à sa destination sociale, c’est-à-dire à lui-même. Difficile de ne pas voir dans
ce subterfuge autoréférentiel un nouvel avatar du droit naturel, à tout le

référons ici à la troisième (et dernière) édition parue en cinq volumes chez Boccard. Cf., en parti-
culier, les tomes II et III relatifs à la théorie générale de l’État.
1. Ibid., II, p. 59. Cf. également ibid., II, p. 93-131.
2. Ibid., II, p. 62, p. 75. Ou encore dans le dernier volume de son maître ouvrage : « Quelle que
soit la notion que l’on se forme de l’État et du droit, il faut affirmer que l’État a des devoirs
envers les individus, que son action est limitée positivement et négativement par le droit, c’est-
à-dire qu’il y a des choses qu’il ne peut pas faire et des choses qu’il est obligé de faire. Telle est
l’idée fondamentale qui domine tout ce traité de droit constitutionnel. » (Ibid., V, p. 1).
3. Les règles de droit, écrit-il, sont « tellement essentielles à la réalisation du double sentiment
qui est le fond irréductible et général de l’espèce humaine, le sentiment de socialité, sentiment
solidariste, et le sentiment de justice individualiste, que l’intervention de la force collective pour
les sanctionner apparaît à tous naturelle et légitime. » (Ibid., I, p. 93). Nous soulignons.
440 La subsidiarité germanique...

moins l’expression d’un besoin implicite de fondement transcendant. Échec


théorique doublé d’un échec pratique. En révélant les limitations objective-
ment posées au pouvoir des gouvernants, le système duguiste devait per-
mettre de réduire l’emprise de l’État sur le social et, in fine, le dissoudre par la
multiplication des services publics1. L’ironie sera telle que, tout au contraire,
la théorie du service public constituera l’une des principales armes théoriques
dans les mains de l’État pour justifier l’extension de ses missions. Pensons,
ici, s’agissant de la France, à l’abondante jurisprudence administrative qui a
présidé à la mise en place progressive de l’État-providence. Peut-être cette
réalité est-elle moins ironique qu’il n’y paraît au premier abord. Peut-être
n’est-elle en vérité qu’une des modalités de la fonctionnalisation de l’État que
Duguit appelait lui-même de ses vœux2.

4. LA FONCTIONNALISATION ÉCONOMIQUE DU DROIT

Ce qui, chez le doyen Duguit, répondait à un véritable projet intellectuel se


loge en creux, chez les personnalistes proudhoniens, dans un angle mort
théorique persistant : toujours de ce même refus de l’État et de sa verticalité
d’institution. À dire vrai, Léon Duguit ne faisait que raidir ce qui sera impli-
cite sous la plume des personnalistes chrétiens  : le droit non plus comme
socle de l’ordre politique (car l’ordre établi est bourgeois, compromis et,
donc, à rejeter) mais comme simple force sociale. Notre bref détour duguiste
voudrait néanmoins revêtir une autre vertu heuristique, qui annonce nos
développements à suivre : faire apparaître la portée autodestructrice des effets
du droit social sur le magistère juridique lui-même. À un triple niveau  : la
fonctionnalisation du droit d’abord, l’instrumentalisation des juristes ensuite,
la dissolution de la science juridique enfin. Sur le premier point, nous faisions
déjà référence plus haut à Carl Schmitt, qui a fortement décrit la transforma-
tion du droit en simple instrument de politique économique et sociale, ainsi
que ses conséquences logiques : la substitution du décret (loi « motorisée »)
à la loi, le remplacement du décret par l’ordonnance (décret «  motorisé  »),
l’avènement de l’État fonctionnel et administratif3. Sur le deuxième point,
il faut souligner combien la dimension juridique du droit social l’était en défi-

1. « La règle de droit est antérieure et supérieure à l’État et s’impose à lui. » (Ibid., III, p. 547).
2. La thèse classique d’Évelyne Pisier-Kouchner (É. PISIER-KOUCHNER, Le Service public
dans la théorie de l’État de Léon Duguit, op. cit.) a été abondamment reprise et confirmée
ensuite : P. RAYNAUD, « Léon Duguit et le droit naturel », art. cit. ; « Des droits de l’homme
à l’État de droit. Les droits de l’homme et leurs garanties chez les théoriciens français classiques
du droit public », art. cit. ; D. SALAS, « Droit et institution : Léon Duguit et Maurice Hauriou »,
La Force du droit, dir. P. BOURETZ, Paris, Éditions Esprit, 1991, p. 193-214.
3. C.  SCHMITT, «  La situation de la science européenne du droit  » [1943-1944], trad. fr.
M. Scalici, Droits, 1991, 14, p. 115-140. Ce diagnostic sur la loi n’est pas le propre de l’antilibéra-
lisme schmittien ; on le trouve pareillement du côté libéral, dans les analyses de Georges Burdeau
par exemple (G.  BURDEAU, «  Étude sur l’évolution de la notion de loi en droit français  »,
Archives de philosophie du droit, 1939, 1-2, p.  7-55). Pour un état des lieux plus général, qui
revient sur la parenté entre Duguit et le pluralisme anglais, cf. M. LOUGHLIN, « The Functio-
nalist Style in Public Law », University of Toronto Law Journal, 2005, 55 (3), p. 361-403.
Subsidiarité et Europe post-totalitaire. La conjonction fédérale 441

nitive si peu que les juristes eux-mêmes ont été progressivement marginali-
sés par son avènement. L’effacement de la cléricature qui a édifié l’État royal
puis l’État national ne se comprend pas en dehors de l’émergence de la nou-
velle figure de l’État-providence, qui consacre la montée en puissance des
praticiens du droit et des experts en sciences de l’administration au détriment
des universitaires et des savants. Fonctionnalisation de l’État et instrumenta-
lisation des juristes, mais aussi, troisième point, dissolution de la science juri-
dique. Si, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, les professeurs de
droit retrouveront quelque poids à la faveur de la construction européenne,
ils devront eux-mêmes se faire experts techniciens et se mettre au service d’un
droit devenu pour de bon fonctionnaliste.
De Duguit à l’Europe, simple changement de support en somme, révéla-
teur d’un glissement général des sphères d’activité : du droit social de la soli-
darité au droit ordolibéral de la concurrence. Il y a là un effet général de
l’économicisation du droit à l’échelle planétaire mais il y a aussi une double
spécificité européenne  : le fonctionnalisme économique d’abord, qui a
contribué à aggraver l’économicisation ; la praticisation de la doctrine juri-
dique ensuite : non qu’elle soit l’apanage de la seule Europe, mais force est de
constater que la part de la doctrine juridique assurée par des praticiens du
droit (fonctionnaires bruxellois, avocats, consultants juridiques de lobbies) y
est nettement plus élevée qu’ailleurs1. Économicisation et praticisation, poro-
sité des frontières entre les registres savant et expert : tels sont peut-être les
seuls ressorts d’autorité dont dispose encore le droit quand il est privé d’ap-
pareil d’État. Nous allons voir que cette nouvelle configuration détermine
grandement la relecture constructiviste du principe communautaire de subsi-
diarité dans le cadre d’un nouveau paradigme, qui servira à présent de fil
conducteur : la gouvernance néolibérale.
Mais renouons pour l’heure avec les étapes évoquées plus haut (Alle-
magne post-totalitaire, éthique chrétienne du fonctionnalisme communau-
taire, Europe delorienne). On aurait tort de penser que l’importation conti-
nentale des réquisits de la good governance répondait à une logique exogène
d’acculturation anglo-saxonne ; procédant d’une longue histoire, elle avait
puissamment été préparée par le droit régulateur de l’ordolibéralisme
européen. Une fois agrémenté d’une touche d’économie sociale de marché,
celui-ci deviendra droit régulateur du social, avec tous les contresens que sup-
pose le passage de l’épithète au substantif. Mais le plus frappant en la matière,

1. Pour une démonstration accompagnée de données chiffrées, cf. H. SCHEPEL, R. WESSER-


LING, «  The Legal Community  : Judges, Lawyers, Officials and Clerks in the Writing of
Europe », European Law Journal, 1997, 3 (2), p. 165-188. Pour un point synthétique sur le sujet,
cf. A.  VAUCHEZ, «  Droit et politique  », Science politique de l’Union européenne, dir.
C. BE-LOT, P. MAGNETTE, S. SAURUGGER, op. cit., p. 53-80 ; « Faire du droit sans l’État.
Hypothèses de recherche pour l’analyse du rôle des juristes dans la construction des espaces
transnationaux », Après le conflit, la réconciliation ?, dir. S. LEFRANC, Paris, Houdiard, 2006,
p. 101-116 ; C. ROBERT, A. VAUCHEZ, « L’Académie européenne. Savoirs, experts et savants
dans le gouvernement de l’Europe  », Politix, 2010, 23 (89), p.  9-34. De manière générale,
cf. Y. DEZALAY, Marchands de droit, Paris, Fayard, 1992 ; « Multinationales de l’expertise et
“dépérissement de l’État” », Actes de la recherche en sciences sociales, 1993, 96-97, p. 3-20.
442 La subsidiarité germanique...

ce sont moins les contresens que les convergences suggérées par les lumières
de la rétrospection. Évoquons les plus apparentes seulement. N’y aurait-il
pas, par exemple, une parenté innocente entre, d’un côté, le couplage droit-
économie (Law and Economics) tel qu’opéré par l’ordolibéralisme de la Frei-
burger Schule et, de l’autre, le même mariage tel que consacré par le libéra-
lisme social de la London School of Economics1 ? Que ce soit du côté de
William Beveridge, éminent directeur de la prestigieuse École, ou que ce soit
du côté des traductions concrètes de l’ordolibéralisme allemand, l’alignement
du droit sur le registre économique passera par le social, ce terrain spécifique
devenu question politique à la fin du xixe et enjeu de gestion au siècle suivant.
La mise en regard devient suggestive et livre tous ses fruits si l’on veut bien se
rappeler que la LSE, creuset britannique de la synthèse socialiste-libérale,
deviendra, dès les années 1930, un haut-lieu du néolibéralisme. C’est l’époque
où Lionel Robbins — bientôt rejoint par Friedrich Hayek en 1931 — combat
férocement les thèses de John Maynard Keynes, qui officie pour sa part à
Cambridge dans une Université rivale. Cinquante ans plus tard, ce sera
encore la même LSE qui accompagnera une nouvelle rencontre intellectuelle
décisive : celle de la gauche moderne avec la New Right. Songeons, bien sûr,
à la «  troisième voie  » d’Anthony Giddens, dans laquelle le futur Premier
ministre Tony Blair viendra puiser l’essentiel de son corpus théorique2. La
préface donnée par Jacques Delors à la traduction française des thèses du
tandem politico-intellectuel dit presque tout des connivences pro-euro-
péennes entre la deuxième gauche française et la troisième voie britannique
autour d’un rêve de dépassement des modèles dominants : social-démocratie

1. Émanation directe de la Fabian Society fondée en 1884 autour des époux Webb, Beatrice et
Sidney, la LSE naît onze ans plus tard en 1895. Forte de ces deux institutions, la ligne fabienne (du
nom de Fabius, général romain victorieux d’Hannibal lors de la Deuxième Guerre punique) l’em-
porte autour de 1900 au sein du Parti travailliste et des Trade-Unions. La pleine compréhension de
la spécificité du socialisme britannique de l’époque requiert ici de s’extraire des termes trop binaires
opposant Fabian Society et Guild Socialism (surtout si l’on y projette le prisme hexagonal socia-
lisme jacobin versus « deuxième gauche »). Les deux courants du socialisme anglais nous semblent
se rejoindre dans leur rapport à l’État. Ils ont au moins en commun de s’opposer au marxisme et de
défendre une ligne réformiste. Aussi comprend-on qu’un George Cole et un Harold Laski furent
très proches de la LSE. Cf. l’ouvrage de Ralf Dahrendorf, directeur de l’École de 1974 à 1984  :
R. G. DAHRENDORF, LSE. A History of the London School of Economics and Political Science,
1895-1995, Oxford, Oxford University Press, 1995. L’hostilité à l’État est évidente du côté du
Guild Socialism. Voulant organiser la classe ouvrière en quelques grandes fédérations, il trouve son
idéal de société dans les corporations et guildes médiévales (cette tendance a pu trouver une posté-
rité lointaine avec la New Left du tournant des xxe-xxie siècles). La Fabian Society, en revanche,
semble défendre l’institution étatique ; mais, l’objectif étant de réaliser le socialisme par l’intermé-
diaire de l’État, les Webb ne proposent guère autre chose qu’une dilution fonctionnelle de la puis-
sance publique. En témoigne leur mot d’ordre lancé en 1897  : la démocratie industrielle (B.  et
S.  WEBB, Industrial Democracy [1897], Londres, New York, et al., Longsmans, Green, 1920).
Repris en France par des Georges Gurvitch ou des Maxime Leroy, ce slogan permet d’établir une
parenté avec la sociologie juridique d’inspiration proudhonienne. Notons qu’à l’instar de leurs
compagnons de route littéraires, Herbert G. Wells (vite dégrisé pour sa part) et G. Bernard Shaw,
les Webb seront un temps séduits par le système soviétique (B. et S. WEBB, Soviet Communism :
A New Civilization ?, I-II [1935], Londres, New York, et al., Longsmans, Green, 1937).
2. A. GIDDENS, Beyond Left and Right, Cambridge, Polity Press, 1994. Pour une présentation
informée (et empathique) des thèses d’Anthony Giddens, cf. L. BOUVET, « Qu’est-ce que la
“troisième voie” ? Retour sur un objet politique mal identifié », Le Débat, 2003, 124, p. 33-52.
Subsidiarité et Europe post-totalitaire. La conjonction fédérale 443

et néolibéralisme1. Faut-il insister davantage sur la parenté avec la phraséo-


logie pontificale ? Sans surprise  : le dépassement annoncé ne fera que pro-
céder à une énième synthèse.
On comprend également que la LSE ait pu être un laboratoire de tout pre-
mier ordre dans la gestation du concept de gouvernance lui-même2. Ancien
élève de Lionel Robbins, le père de la corporate governance, Ronald Coase,
peut à lui seul résumer toute l’histoire de l’École : parti du socialisme, il se
convertit au néolibéralisme, via la Société du Mont-Pèlerin, pour finir sa car-
rière universitaire à Chicago et y obtenir un Prix Nobel. C’est à la faveur de
son concept de gouvernance, retraduit en good governance dans les années
1980, que s’opère un véritable changement de paradigme  : non pas simple-
ment un mariage entre l’économie et le droit mais une subversion managé-
riale de la notion de droit à l’intérieur même de sa matrice institutionnelle3.
Instrumentalisation, disions-nous plus haut  : la démonstration n’est plus à
faire du tour résolument antijuridique de cette gouvernance4. Anti-institu-
tionnelle, devrait-on dire plutôt, en ce qu’elle réussit l’exploit de réinvestir le
droit — de le subvertir — en le mettant désormais au service de ce que l’an-
thropologue Louis Dumont a appelé « l’idéologie économique »5. Nous ver-
rons plus bas en quoi elle s’épanouira naturellement en Europe, y trouvant
même son terrain rêvé de prédilection6.

1. Cf. J. DELORS, Préface à A. GIDDENS, T. BLAIR, La Troisième voie. Le renouveau de la


social-démocratie [1998], trad. fr. L.  Bouvet, É.  Colombani, F.  Michel, Paris, Le Seuil, 2002.
Pour une généalogie qui remonte jusqu’aux courants corporatistes, solidaristes et pluralistes, et
débouche sur la « troisième voie » européenne, cf. C. M. HERRERA, « La pensée constitution-
nelle du social », Droits, 2009, 49, p. 179-199. Dans le même sens, pour l’établissement d’un lien
entre subsidiarité, gouvernance et «  troisième voie  » européenne, cf. M.  AYUSO, «  Gouver-
nance, gouvernement et État », Revue de la recherche juridique, 2008, 2, p. 1053-1059.
2. En 1937, Ronald Coase thématisait la notion de corporate governance pour appeler à une
meilleure gestion des entreprises par la réduction des coûts de transaction (R. COASE, « The
Nature of the Firm » [1937], The Nature of the Firm. Origins, Evolution and Development, éd.
O. E. WILIAMSON, S. G. WINTER, New York, Oxford University Press, 1993, p. 18-33).
3. Sur la désinstitutionnalisation néolibérale de l’État et la fonctionnalisation managériale des
institutions, cf., selon des approches différentes, P.  LEGENDRE, Le Désir politique de Dieu.
Étude sur les montages de l’État du droit [1988], Paris, Fayard, 2005, spécialement p.  63-103 ;
J.-P. LE GOFF, Le Mythe de l’entreprise. Critique de l’idéologie managériale [1992], Paris, La
Découverte, 1995 ; Les Illusions du management [1996], Paris, La Découverte, 2000 ; La Barbarie
douce. La modernisation aveugle des entreprises et de l’école [1999], Paris, La Découverte, 2003 ;
L.  BOLTANSKI, È.  CHIAPELLO, Le Nouvel esprit du capitalisme, Paris, Gallimard, 1999 ;
V. VALENTIN, Les Conceptions néolibérales du droit, Paris, Économica, 2002.
4. Sur le plan théorique, on a pu relever que le thème de la gouvernance s’inscrivait dans la
continuité de la gouvernementalité foucaldienne (J.  de MUNCK, J.  LENOBLE, «  Les muta-
tions de l’art de gouverner  » [1995], La Gouvernance dans l’Union européenne. Cahier de la
Cellule de prospective, éd. O.  de SCHUTTER, N.  LEBESSIS, J.  PATERSON, Bruxelles,
Commission européenne, 2001, p. 31-54 ; J. CAILLOSSE, « Questions sur l’identité juridique
de la “gouvernance” », La Gouvernance territoriale. Pratiques, discours et théories, dir. R. PAS-
QUIER, V. SIMOULIN, J. WEISBEIN, Paris, LGDJ, 2007, p. 35-64 ; J. CROWLEY, « Usages
de la gouvernance et de la gouvernementalité  », Critique internationale, 2003, 21, p.  52-61 ;
C.  BARON, «  La gouvernance  : débats autour d’un concept polysémique  », Droit et Société,
2003, 54, p. 329-351) mais aussi de la sociologie croziérienne des organisations (V. SIMOULIN,
« La gouvernance et l’action publique : le succès d’une forme simmélienne », ibid., p. 307-328).
5. L. DUMONT, Homo aequalis. Genèse et épanouissement de l’idéologie économique, op. cit.
6. Cf. G.  PETERS, J.  PIERRE, «  Governance Approaches  », European Integration Theory
444 La subsidiarité germanique...

À considérer ce processus de fonctionnalisation des enjeux juridiques


internationaux, force est donc de constater qu’il ne date pas du seul après-
guerre. Les racines doctrinales en ont été posées dès l’avènement du droit
fonctionnel et du droit social à la fin du xixe et au début du xxe  siècle. Le
propre de l’ordre juridique européen, cependant, est d’avoir fait rejaillir
sa portée subversive sur la notion d’État elle-même ; d’avoir amplifié le mou-
vement d’instrumentalisation de l’État, croyant de la sorte tirer toutes les
leçons juridiques du totalitarisme. Songeons bien sûr à la théorie fonctionna-
liste, qui a présidé, dans les années 1950, à la naissance de la construction
européenne1. Une part essentielle de l’esprit — du mouvement — construc-
teur de l’Europe ne réside-t-elle pas en ce point névralgique, dans cette
logique fonctionnelle venue heurter de front la teneur institutionnelle
du droit ? Où la théorie a d’ailleurs commencé par être une pratique née du
traumatisme de la guerre. Élaboré dès les années 1940 par David Mitrany,
le fonctionnalisme ne se formalise vraiment, sous la plume de Ernst Haas,
qu’à la lumière des premiers pas de la Communauté européenne2. Le néo-
fonctionnalisme haasien pourrait bien n’être qu’une simple conceptualisation
de la méthode Monnet. Il en explicite les postulats et en développe les
attendus  : disqualification historique du cadre étatique en tant que garant
rationnel de la paix, inaptitude du cadre national à assurer la prospérité éco-
nomique, nécessité de s’en remettre à une politique technocratique, à une
éthique des besoins et à une téléologie du spillover3. Seul manque, ici,

[2003], éd. A.  WIENER, T.  DIEZ, Oxford, Oxford University Press, 2009, p.  91-104 ;
G. MARKS, L. HOOGHE, K BLANK, « European Integration Since the 1980s : State-Centric
v. Multilevel Governance », Journal of Common Market Studies, 1996, 34 (3), p. 343-378.
1. Dans le fameux débat entre réalisme intergouvernementaliste et fonctionnalisme fédéraliste, il
y a lieu de distinguer entre la logique des acteurs politiques et celle du discours savant tenu sur
les théories de l’intégration (A. WIENER, T. DIEZ, éd., European Integration Theory, op. cit. ;
S.  SAURUGGER, Théories et concepts de l’intégration européenne, Paris, Presses de Sciences
Po, 2010). Nous allons le voir dans la suite des développements, les registres académiques et
politiques développent une tendance naturelle à s’entremêler à la faveur d’une rivalité pour
imposer un sens au projet européen : direction dans un cas, signification dans l’autre.
2. Cf. D. MITRANY, A Working Peace System. An Argument for the Functional Development
of International Organization [1943-1944], Chicago, Quadrangle Books, 1966 ; « The Prospect
of Integration : Federal or Functional », Journal of Common Market Studies, 1965, 4, p. 119-
149 ; E.  B. HAAS, The Uniting of Europe. Political, Social and Economic Forces, 1950-1957
[1958, 1968], Notre Dame, University of Notre Dame Press, 2004 ; Beyond the Nation State.
Functionalism and International Organization [1964], Colchester, ECPR Press, 2008. La théorie
néofonctionnaliste sera reprise par Philippe Schmitter : P. C. SCHMITTER, « Three Neofunc-
tional Hypotheses about International Integration », International Organization, 1969, 23 (1),
p. 161-166 ; « Neofunctionalism », European Integration Theory, op. cit., p. 45-66.
3. Contre cette thèse néofonctionnaliste, Stanley Hoffmann, disciple américain de Raymond
Aron, a très tôt insisté sur la robustesse des États, mais pour montrer qu’ils restaient les princi-
paux acteurs de l’intégration européenne. Cf. S. HOFFMANN, « Obstinate or Obsolete ? The
Fate of the Nation-State and the Case of Western Europe », Daedalus, 1966, 95 (3), p. 862-915 ;
« Le sort de la nation dans l’Europe occidentale de l’après-guerre », Annales de philosophie poli-
tique, 1969, 8, p. 139-215 ; « Reflections on the Nation-State in Western Europe Today », Journal
of Common Market Studies, 1982, 21 (1-2), p. 21-37. Dans la filiation directe de Stanley Hoff-
mann, cf. les travaux de l’école néoréaliste, notamment ceux de Robert Keohane (R.  KEO-
HANE, S. HOFFMANN, Integration and Neofunctional Theory : Community Policy and Ins-
titutional Change, Harvard, Harvard University Press, 1989) et d’Andrew Moravcsik, qui
insistent sur un paradoxe apparent  : le renforcement des États provoqué par la construction
Subsidiarité et Europe post-totalitaire. La conjonction fédérale 445

l’horizon du fédéralisme qui est le propre du mystère européen1. Il reviendra


à Paul Reuter, artisan et concepteur du Plan Schuman, de donner sens juri-
dique au mystère politique2.
Peu importe en définitive que le mot d’ordre du fonctionnalisme commu-
nautaire ne dise pas tout de l’Union européenne : nous y voyons seulement
un ingrédient parmi d’autres du cocktail post-totalitaire européen, qui
dépasse de loin le moment inaugural incarné par Jean Monnet  : un esprit
fonctionnaliste au cœur de l’instrumentalisation communautaire du droit et
de l’État. Dans la propension spécifiquement européenne à épuiser la ques-
tion de la répartition des compétences en une élémentaire distribution des
rôles et des fonctions, il y a peut-être quelque chose comme un mécanisme de
refoulement  : un mécanisme dont la subsidiarité va bientôt constituer une
pièce maîtresse. Constructivisme ordolibéral, libéralisme social mais aussi
fonctionnalisme fédéraliste  : voilà, à nos yeux, les trois composants de la
reformulation managériale du concept, telle qu’opérée sous le haut patronage
de la gouvernance européenne.

européenne (A.  MORAVCSIK, «  Preferences and Power in the European Community  : A


Liberal Intergovernmentalist Approach  », Journal of Common Market Studies, 1993, 31 (4),
p. 473-524 ; « Federalism in the European Union : Rhetoric and Reality », The Federal Vision,
éd. K. NICOLAÏDIS, R. HOWSE, op. cit., p. 163-187 ; « The European Constitutional Com-
promise and the Neofunctionalist Legacy  », Journal of European Public Policy, 2005, 12 (2),
p. 349-386 ; « Liberal Intergovernmentalism », European Integration Theory, op. cit., p. 67-87).
1. On aurait tort, nous semble-t-il, d’opposer néofonctionnalisme et fédéralisme européen. Si
quelques divergences il y a, elles portent non pas sur l’horizon fédéral mais sur les voies et
moyens d’y parvenir  : méthode constitutionnelle dans un cas, pragmatisme incrémental dans
l’autre (L.-J. CONSTANTINESCO, « Fédéralisme-constitutionnalisme ou fonctionnalisme ? »,
Mélanges F. Dehousse, Bruxelles, Labor, Paris, Nathan, 1979, II, p. 19-27). Pour une synthèse
(orientée), cf. M. BURGESS, « Federalism », European Integration Theory, op. cit., p. 25-44.
2. P. REUTER, « La conception du pouvoir politique dans le Plan Schuman », Revue française
de science politique, 1951, 1 (3), p.  256-276 ; «  Aux origines du Plan Schuman  », Mélanges
F.  Dehousse, op. cit., II, p.  65-68. Sur le trio Robert Schuman-Jean Monnet-Paul Reuter  :
P. GERBET, « La genèse du Plan Schuman. Des origines à la déclaration du 9 mai 1950 », Revue
française de science politique, 1956, 6 (3), p. 525-553. Sur le rôle particulier et la vision fédérale de
Paul Reuter, dans des registres disciplinaires différents  : A.  COHEN, «  Le Plan Schuman de
Paul Reuter. Entre Communauté nationale et fédération européenne  », Revue française de
science politique, 1998, 48 (5), p. 645-663 ; O. BEAUD, « L’Europe vue sous l’angle de la Fédéra-
tion. Le regard paradoxal de Paul Reuter », Droits, 2007, 45, p. 47-71.
Chapitre 3
Subsidiarité et Europe maastrichtienne.
La confusion fédérale

I. CONTEXTUALISATION JURIDIQUE
DU PRINCIPE DE SUBSIDIARITÉ

Nota. Quinze ans après Maastricht, le traité de Lisbonne a fusionné les diffé-
rents piliers de la construction européenne et conféré un statut juridique
autonome à l’Union1 : consécration institutionnelle appelant par ricochet la
disparition de la Communauté désormais intégrée dans l’entité maas-
trichtienne2.
Par commodité de langage, nous parlerons d’Union européenne, y com-
pris pour désigner la Communauté telle qu’elle existe depuis 1992-19933.

1. Quand elle naît en 1992 à la faveur du traité de Maastricht, l’Union européenne reste privée de
personnalité juridique ; elle vient se superposer aux Communautés déjà existantes — la Commu-
nauté économique européenne de 1957 devenant, pour sa part, la Communauté européenne.
2. À l’exception de l’Euratom : la Communauté européenne de l’énergie atomique demeure dis-
tincte de l’Union et fait l’objet d’un protocole spécifique annexé au traité de Lisbonne.
3. Depuis le 1er décembre 2009, les traités fondateurs prennent le nom de traité sur l’Union euro-
péenne (TUE), reprise de la désignation maastrichtienne, et de traité sur le fonctionnement de
l’Union européenne (TFUE) ; la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE) devient,
quant à elle, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) (Traité de Lisbonne, 13 décembre
2007-1er décembre 2009 ; JOUE, C 306, 17 décembre 2007). Le traité de Lisbonne enregistre sur
ce point les apports du projet de traité constitutionnel (Projet de traité établissant une Constitu-
tion pour l’Europe, 10  juillet 2003-29  octobre 2004 ; JOUE, C 169, 18  juillet 2003 ; C 310,
16 décembre 2004). Notons, par ailleurs, que le Journal officiel des Communautés européennes
(JOCE) est devenu Journal officiel de l’Union européenne (JOUE) depuis le 1er février 2003, date
d’entrée en vigueur du traité de Nice (Traité de Nice, 26  février 2001-1er  février 2003 ; JOCE,
C 80, 10 mars 2001). Pour un aperçu général sur le traité simplifié, cf. J.-P. JACQUÉ, « Le traité
de Lisbonne, une vue cavalière », Revue trimestrielle de droit européen, 2008, 44 (3), p. 439-483 ;
« Les réformes institutionnelles introduites par le traité de Lisbonne », Le Traité de Lisbonne.
Reconfiguration ou déconstitutionnalisation de l’Union européenne ?, dir. E.  BROSSET, et al.,
Bruxelles, Bruylant, 2009, p. 57-73.
448 La subsidiarité germanique...

1. ENTRE CATÉGORIE D’ACTION ET CATÉGORIE D’ANALYSE

Notre interrogation porte sur le principe de subsidiarité tel qu’il est


entendu par le droit communautaire européen, et plus généralement sur la
question de la répartition des compétences entre l’Union et ses États
membres. Nous préciserons au fil de l’argumentation ce qu’il convient d’en-
tendre exactement par là1 ; mais soulignons d’ores et déjà combien cette inter-
rogation renvoie directement à l’enjeu crucial de la nature juridique de
l’Union2. Aussi une analyse de la subsidiarité européenne nécessite-t-elle
d’embrasser une matière très vaste, dont l’intimidante richesse, pour être rai-
sonnablement prise en compte, suppose des simplifications et des recoupe-
ments. Nous espérons cependant ne pas pécher par abus en empruntant ces
quelques raccourcis schématiques.
Fort des développements qui précèdent, nous savons pourquoi les acteurs
et protagonistes de la construction européenne ont eu recours à la subsi-
diarité avec autant d’insistance en 1992. À ce stade de l’analyse, notre regard
n’a plus à considérer les ressorts de l’inscription du concept sur l’agenda
politique européen ; il a à observer les effets de sa consécration dans le droit
positif communautaire, ou pour le dire autrement : à décrypter les effets de
naturalisation induits par sa codification juridique. Concept de consensus
certes, mais concept qui n’en a pas moins fait l’objet d’intenses luttes défini-
tionnelles3. Les considérer comme telles suppose de se déprendre des qualités

1. En l’espèce, il faudrait parler de régulation et non de répartition des compétences. Disons,


plus exactement, que derrière la question de la répartition des compétences se greffent deux
enjeux entremêlés, celui de la délimitation des compétences proprement dite et celui de la régula-
tion de leur exercice. Deux enjeux d’autant plus entremêlés dans le système communautaire que
les compétences n’y sont pas distribuées en fonction de leur nature matérielle mais en raison des
objectifs fonctionnels visés et des organes institutionnels susceptibles de les exercer.
2. Cf. G.  HÉRAUD, «  Observations sur la nature juridique de la Communauté économique
européenne  », Revue générale de droit international public, 1958, 29 (1), p.  26-56 ;
V.  CONSTANTINESCO, Compétences et pouvoirs dans les Communautés européennes.
Contribution à l’étude de la nature juridique des Communautés, Paris, LGDJ, 1974 ; O. BEAUD,
« L’Europe entre droit commun et droit communautaire », Droits, 1991, 14, p. 3-16 ; C. LEBEN,
« À propos de la nature juridique des Communautés européennes », ibid., p. 61-72 ; J. CHAR-
PENTIER, « De la personnalité juridique de l’Union européenne », Mélanges G. Peiser, Gre-
noble, PUG, 1995, p. 93-102 ; L. AZOULAI, « La nature juridique de l’Union européenne »,
Constitution européenne, démocratie et droits de l’homme, dir. G.  COHEN-JONATHAN,
J. DUTHEIL de LA ROCHÈRE, Bruxelles, Bruylant, 2003, p. 97-117 ; O. DUBOS, « L’Union
européenne  : sphynx ou énigme ?  », Mélanges J.-C.  Gautron, Paris, Pédone, 2004, p.  29-56 ;
J.-C. PIRIS, « L’Union européenne : vers une nouvelle forme de fédéralisme ? », Revue trimes-
trielle de droit européen, 2005, 41 (2), p. 243-260 ; J.-M. FERRY, « L’État européen », Quelle
identité pour l’Europe ? Le multiculturalisme à l’épreuve [1998], dir. R. KASTORYANO, Paris,
Presses de Sciences Po, 2005, p. 231-290 ; La Question de l’État européen, Paris, Gallimard, 2000.
3. Cf. M. JACHTENFUCHS, « Die europäische Gemeinschaft nach Maastricht. Das Subsidia-
ritätsprinzip und die Zukunft der Integration  », Europa-Archiv, 1992, 47 (10), p.  279-287 ;
G. KONOW, « Zum Subsidiaritätsprinzip des Vertrags von Maastricht », Die Öffentliche Ver-
waltung, 1993, 46 (10), p. 405-412 ; W. KAHL, « Möglichkeiten und Grenzen des Subsidiaritäts-
prinzips nach Art. 3b EG-Vertrag », Archiv des öffentlichen Rechts, 1993, 118 (3), p. 414-446 ;
R. von BORRIES, « Das Subsidiaritätsprinzip im Recht der europäischen Union », Europarecht,
1994, 29 (3), p.  263-300 ; T.  STRAUBHAAR, «  Ein Europa des funktionalen Föderalismus  :
Mehr als ein Denkmodell ? », Ordo, 1995, 46, p. 185-202 ; D. WINCOTT, « Federalism and the
Subsidiarité et Europe maastrichtienne. La confusion fédérale 449

oraculaires et autres vertus mystérieuses qu’on associe trop souvent à l’entrée


dans l’univers de la textualité juridique. Ainsi voudrions-nous lutter contre
quelques dangers d’amnésie, qui tendent à éluder la teneur proprement idéo-
logique de la subsidiarité. Même juridicisée, elle demeure marquée par son
passé sémantique (les mots ont une mémoire) et son indétermination fonda-
trice (ils ont aussi une génétique).

La subsidiarité privilégie-t-elle l’unité ou la diversité ? Est-elle un principe


centralisateur ou fédéral, intégrateur ou décentralisateur ? Donne-t-elle la
priorité à l’efficacité ou à la proximité, à la verticalité ou à l’horizontalité ?
Lorsqu’il est question de langage (langage juridique compris), le flou et la
polysémie n’ont bien sûr rien d’étonnant, mais ils ne manquent pas de poser
un sérieux problème quant à l’objet que nous considérons ici. En phénomé-
nologue ou en lexicographe, on peut tout à fait se contenter de repérer puis
d’inventorier les différentes acceptions d’un même syntagme tel qu’il appa-
raît dans la multiplicité des discours juridiques ou politiques. En juriste, on se
doit peut-être d’aller plus loin, on se doit peut-être d’identifier des usages
légitimes, de restituer au droit un minimum d’épaisseur propre, de sens auto-
nome et de densité textuelle. Codage spécifique recélant des exigences singu-
lières, il cesserait d’être un langage commun si l’on se refusait par principe à
conférer une portée normative aux concepts qu’il manipule. Non pas une
pâte sans forme que des responsables politiques viendraient modeler selon les
besoins du moment, mais un « roman à la chaîne »1, dans lequel se joue une
part de l’identité collective des individus qu’il regroupe. Ne pas oublier que
les codes linguistiques du droit servent le plus souvent d’habillage à de banals
conflits politiques, ne pas oublier non plus que toute norme vit par le seul
intermédiaire de ses interprétations multiples et contrastées : tout cela ne doit
pas conduire le juriste à abdiquer son rôle de triage des sens ; ce rôle autrefois

European Union : The Scope and Limits of the Treaty of Maastricht », International Political
Science Review, 1996, 17 (4), p. 403-415 ; H. LAUFER, T. FISCHER, Föderalismus als Struktur-
prinzip für di europäische Union. Strategien für Europa, Gütersloh, Verlag Bertelsmann Stiftung,
1996, spécialement p.  84  sq. ; T.  DÖRING, «  Das Subsidiaritätsprinzip in der europäischen
Union », Ordo, 1996, 47, p. 293-323 ; W. BÖTTCHER, J. KRAWCZYNSKI, Europas Zukunft :
Subsidiarität. Ein Plädoyer für eine europäische Verfassung, Aix-la-Chapelle, Shaker, 2000 ;
M.  W. SCHRÖTER, Das Subsidiaritätsprinzip als verfassungsgenerierender Modus. Working
Paper, Mannheim, Mannheimer Zentrum für europäische Sozialforschung, 2002 ; L. DÖRING,
Fundament für Europa. Subsidiarität, Föderalismus, Regionalismus, Münster, Lit, 2004, spéciale-
ment p.  23  sq. ; N.  W. BARBER, «  The Limited Modesty of Subsidiarity  », European Law
Journal, 2005, 11 (3), p. 308-325 ; W. SCHÄFER, « Europäische Union : Erweiterung cum Ver-
tiefung ? Erweiterung versus Vertiefung! », Ordo, 2007, 58, p. 51-65, ici p. 56 sq.
1. Selon la belle expression du juriste Ronald Dworkin (R. DWORKIN, Prendre les droits au
sérieux [1966-1977, 1984], trad. fr. M.-J. Rossignol, F.  Limare, F.  Michaut, Paris, PUF, 1995 ;
L’Empire du droit [1986], trad. fr. E. Soubrenie, Paris, PUF, 1994, ici p. 250 sq.). Deux chapitres
extraits de la version anglaise de ces ouvrages avaient été préalablement publiés par les soins de la
revue Droit et Société (R.  DWORKIN, «  Le positivisme  » [1967], trad. M.  Troper, Droit et
Société, 1985, 1, p.  35-60 ; «  La chaîne du droit  » [1986], trad. F.  Michaut, ibid., p.  61-98).
Cf. également R.  DWORKIN, «  “La théorie du droit comme interprétation”  », trad. fr.
F. Michaut, ibid., p. 99-114 ; « La complétude du droit », trad. fr., Controverse autour de l’onto-
logie du droit, dir. P. AMSELEK, C. GRZEGORCZYK, Paris, PUF, 1989, p. 127-135.
450 La subsidiarité germanique...

dévolu à la doctrine juridique mais que le positivisme se plaît à abandonner


sous le prétexte trop facile de la neutralité axiologique ; et que le sociologisme
condamne non moins facilement par réflexe antijuridique1. Analyser l’écri-
ture du droit appelle plus qu’un simple repérage sémantique, cela demande
un véritable effort d’interprétation.
Redisons-le, donc : eu égard aux objectifs que s’étaient fixés les rédacteurs
du traité de Maastricht, la subsidiarité n’a pas rempli sa fonction2. Érigée en
principe régulateur de l’exercice des compétences partagées au sein du sys-
tème institutionnel de l’Union, à grands renforts de justifications politiques
et démocratiques, elle n’a pas réussi à imposer ses droits dans le corpus juri-
dique de la normativité européenne. Non pas, en l’occurrence, que sa portée
opérationnelle ou sa justiciabilité soient en cause (le cœur de l’enjeu n’est pas
là), mais qu’à force d’avoir voulu tout dire et son contraire, la subsidiarité n’a
plus rien voulu dire du tout. D’elle-même, par un jeu d’injonctions contra-
dictoires sur lequel nous reviendrons, elle a comme auto-annulé ses effets
potentiels. Mais notre analyse sémantique ne saurait s’en tenir superficielle-
ment à un constat d’échec. Si échec il y a, convenons qu’il reste très relatif, et
n’enlève rien à l’intérêt du propos : en aucun cas, le défaut d’efficacité juri-
dique de la subsidiarité n’a pu empêcher le principe d’acquérir le statut de
règle fondamentale du droit communautaire3, qui, avec d’autres notions, plus
ou moins connexes (proximité, efficacité, proportionnalité, coopération,
complémentarité, etc.) peuple désormais l’abondant champ lexical de la gou-
vernance juridique de l’Union.
Il faut encore ajouter une spécification introductive sur les circonstances
particulières du débat juridique européen. Il se signale non pas tant par une
spécificité ontologique que par une radicalité quantitative : son fonctionne-
ment aggrave et redouble une originalité consubstantielle aux voies et moyens
modernes de la production doctrinale. Nous voulons parler de la pénétration
mutuelle — voire de la consanguinité — entre arènes militantes, répertoires
d’action politiques et cercles universitaires4. Il faut en convenir, la participa-

1. Sur l’antijuridisme sociologique en France de Michel Foucault à Pierre Bourdieu en passant


par Michel Crozier, cf. P.  RAYNAUD, «  Le sociologue contre le droit  », Esprit, 1980, 3,
p.  82-93 ; J.  CAILLOSSE, «  Le droit comme méthode ? Réflexions depuis le cas français  »,
L’Analyse des politiques publiques aux prises avec le droit, dir. D. RENARD, J. CAILLOSSE,
D. de BÉCHILLON, Paris, LGDJ, 2000, p. 27-68 ; Y. C. ZARKA, « Foucault et le concept non
juridique de pouvoir », Cités, 2000, 2, p. 41-52. Nous reviendrons sur le cas de Michel Crozier.
2. L’incapacité du principe à résoudre les problèmes auxquels il était a priori censé répondre est
la conséquence directe de l’ambiguïté du consensus maastrichtien. Aussi la subsidiarité est-elle
morte de l’unanimité qu’elle a réunie autour d’elle : du fait à la fois des objectifs contradictoires
qui lui avaient été assignés et des investissements stratégiques dont elle a été l’objet.
3. Cf. la trilogie remarquée due à deux politistes néerlandais : K. van KERSBERGEN, B. VER-
BEEK, «  The Politics of Subsidiarity in the European Union  », Journal of Common Market
Studies, 1994, 32 (2), p. 215-236 ; « Subsidiarity as a Principle of Governance in the European
Union  », Comparative European Politics, 2004, 2, p.  142-162 ; «  The Politics of International
Norms : Subsidiarity and the Imperfect Competence Regime of the European Union », Euro-
pean Journal of International Relations, 2007, 13 (2), p. 217-238.
4. La notion de répertoire d’action renvoie, en général, aux pratiques contestataires et à l’action
collective. Son concepteur, le politiste américain Charles Tilly désignait par là l’ensemble des
moyens de pression et d’influence virtuellement utilisables par une population mobilisée pour la
Subsidiarité et Europe maastrichtienne. La confusion fédérale 451

tion des praticiens du droit est une modalité habituelle et normale de l’éla-
boration du codage juridique. Tout comme est naturelle la contribution des
observateurs, théoriciens ou non, à sa fabrique concrète1. Sans lui être absolu-
ment spécifique, donc, cet enchevêtrement des répertoires nous semble tout à
fait symptomatique du gène juridique de la construction européenne. Qu’on
nous comprenne bien cependant : l’essentiel ne saurait résider dans la mise au
jour d’une particularité européenne qui, en l’espèce, existe moins qualitative-
ment que quantitativement ; il est simplement de considérer les effets alchi-
miques d’une rencontre  : entre la matière spécifique du droit et la nature
juridique de l’objet européen2.

défense d’intérêts collectifs (propagande, grève, manifestation, négociation, pétition, boycott,


sit-in, blocage, occupation, séquestration, etc.). La notion permet de comprendre en quoi, dans
un contexte historique donné, une population dispose d’un répertoire limité d’actions, de
moyens d’agir en commun sur la base d’intérêts partagés (C.  TILLY, From Mobilization to
Revolution, New York, Random House, 1978 ; La France conteste, de 1600 à nos jours [1986],
trad. fr. É.  Diacon, Paris, Fayard, 1986 ; «  Les origines du répertoire de l’action collective
contemporaine en France et en Grande-Bretagne  », Vingtième Siècle, 1984, 4 (1), p.  89-108).
Renvoyant à une réalité moins institutionnalisée que les « policy networks » (J. PETERSON,
« Policy Networks », European Integration Theory, A. WIENER, T. DIEZ, op. cit., p. 105-124)
et mettant surtout l’accent sur les transferts de capitaux intellectuels, elle peut être analogique-
ment appliquée aux cas des universitaires et juristes investis dans la construction européenne.
1. Elle est même devenue un sujet d’étude à part entière pour nombre de sociohistoriens. Les
prosopographies sociologiques, par exemple, ont permis d’établir la nature des transferts et
autres passages de frontière entre la sphère académique et la sphère politique, via l’expertise, la
mise à profit de capitaux symboliques ou de ressources intellectuelles. Cf. E. PAGE, People Who
Run Europe, Oxford, Clarendon Press, 1997 ; D. GEORGAKAKIS, M. de LASSALLE, « Les
directeurs généraux de la Commission européenne : premiers éléments d’une enquête prosopo-
graphique », Regards sociologiques, 2004, 27-28, p. 6-33 ; « Genèse et structure d’un capital insti-
tutionnel européen  : les très hauts fonctionnaires de la Commission européenne  », Actes de
la recherche en sciences sociales, 2007, 166-167, p. 38-53. Sur le rôle de l’expertise dans le passage
du discours savant au registre militant — en matière politique et juridique notamment,
cf. R. CASTEL, « Savoirs d’expertise et production de normes », Normes juridiques et régulation
sociale, dir. F. CHAZEL, J. COMMAILLE, Paris, LGDJ, 1991, p. 177-188 ; J. CHEVALLIER,
« L’entrée en expertise », Politix, 1996, 36, p. 33-50 ; O. NAY, A. SMITH, « Les intermédiaires
en politique. Médiation et jeux d’institutions », Le Gouvernement du compromis. Courtiers et
généralistes dans l’action publique, Paris, Économica, 2002, p. 1-21.
2. Pour des études de cas centrées sur la construction européenne, cf. les travaux du projet
Polilexes : A. COHEN, « Anatomie d’une utopie juridique. Éléments pour une sociologie his-
torique du fédéralisme européen : la constitution », Sur la portée sociale du droit. Usages et légi-
timité du registre juridique, dir. L. ISRAËL, G. SACRISTE, A. VAUCHEZ, L. WILLEMEZ,
Paris, PUF, 2005, p. 341-355 ; « L’Europe en constitution. Professionnels du droit et des institu-
tions entre champ académique international et “champ du pouvoir européen” », Les Formes de
l’activité politique. Éléments d’analyse sociologique, du XVIIIe siècle à nos jours, dir. A. COHEN,
B. LACROIX, P. RIUTORT, Paris, PUF, 2006, p. 297-315 ; O. BAISNÉE, A. SMITH, « Pour
une sociologie de l’“apolitique” : acteurs, interactions et représentations au cœur du gouverne-
ment de l’Union européenne », ibid., p. 335-354 ; J. WEISBEIN, « Des mobilisations sous (inter)
dépendances. Une approche configurationnelle du militantisme fédéraliste en Europe  », ibid.,
p. 317-334 ; « Les mouvements fédéralistes ou les entrepreneurs déçus d’une Europe politique
(années 1950-1990) », L’Europe telle qu’elle se fait. Européanisation et sociétés politiques natio-
nales, dir. O. BAISNÉE, R. PASQUIER, Paris, CNRS Éditions, 2007, p. 35-54 ; A. COHEN,
J.  WEISBEIN, «  Laboratoires du constitutionnalisme européen. Expertises académiques et
mobilisations politiques dans la promotion d’un Constitution européenne  », Droit et Société,
2005, 60, p.  353-371 ; Y.  DEZALAY, M.  RASK MADSEN, «  La construction européenne au
carrefour du national et de l’international », trad. fr. R. Bouyssou, Les Formes de l’activité poli-
tique, op. cit., p. 277-296 ; A. VAUCHEZ, « Droit et politique », Science politique de l’Union
européenne, dir. C. BELOT, P. MAGNETTE, S. SAURUGGER, op. cit., p. 53-80.
452 La subsidiarité germanique...

Du fait de leurs liens structurels avec le pouvoir, les juristes ont toujours
offert un point d’observation privilégié pour le politiste. L’enracinement his-
torique de cette proximité est bien connu1 ; mais, ici comme ailleurs, l’histoire
demanderait probablement à être renouvelée  : depuis longtemps déjà, cette
accointance naturelle ne met plus en scène la figure autoritaire du légiste
royal ; elle met en jeu la figure valorisante du juge, justicier défenseur des
droits individuels et garant des libertés fondamentales. Ce qui, auparavant,
devait être dénoncé comme consanguinité malsaine, comme complicité objec-
tive entre dominants, est aujourd’hui devenu banale normalité de la vie
démocratique. L’enjeu intellectuel consiste donc à se mettre en condition de
tirer les leçons d’une nouvelle configuration sans pour autant verser dans la
plate dénonciation de prétendues déterminations du droit par l’infrastructure
socio-économique. Redoutable défi, tant l’intrication se fait intime et capil-
laire entre la science du droit et le droit positif, entre le discours des analystes
et le langage des acteurs politiques qui, de bout en bout, concourent à la
fabrique de la matière juridique.
Toujours, le vocabulaire scientifique sera dépendant des mots des protago-
nistes qu’il prétend saisir et analyser ; toujours, néanmoins, il supposera une
rupture avec le sens commun2. Certes, la confusion entre registre analytique
et registre normatif ne constitue pas une raison suffisante pour faire dispa-
raître le mot subsidiarité sous la plume des observateurs, mais celui-ci ne
saurait revêtir une signification identique dans un cas et dans l’autre. Le pro-
blème n’est pas qu’un même vocable serve à désigner une pratique politique
et un concept juridique ; il est qu’on prétende user d’un mot en tant que
concept, sans l’avoir, au préalable, décontaminé de la pratique politique qui
lui est attachée. Il réside dans ce que nous appelions plus haut l’effet de natu-
ralisation induit par la codification. En soi, toute juridicité fait problème : ce
n’est pas, répétons-le, le caractère juridique ou non de la subsidiarité qui est
en cause ; ce qui est en cause, c’est qu’on fasse croire à l’effacement virginal de
la teneur politique d’une règle juridique par la simple entrée dans une neutra-
lité autoproclamée.

1. Cf. E. H. KANTOROWICZ, « La royauté médiévale sous l’impact d’une conception scienti-
fique du droit » [1961], trad. fr. J.-F. Spitz, Politix, 1995, 32, p. 5-22. Outre les travaux précités de
Pierre Legendre (P. LEGENDRE, « Qui dit légiste, dit loi et pouvoir » [1995], Sur la question
dogmatique en Occident, Paris, Fayard, 1999, p.  153-191), cf. J.  KRYNEN, L’Empire du roi.
Idées et croyances politiques en France, XIIIe-XVe siècle, Paris, Gallimard, 1994. Au-delà de l’anti-
juridisme foucaldien rencontré plus haut (M. FOUCAULT, « Il faut défendre la société ». Cours
au Collège de France, 1976-1977, op. cit., p. 3-36), on sait combien la sociologie marxisante du
soupçon a pu en tirer des conséquences quasi essentialistes sur la nature même du droit. Cf., en
particulier, les travaux de Pierre Bourdieu (P. BOURDIEU, « La force du droit », Actes de la
recherche en sciences sociales, 1986, 64, p. 3-19 ; « Esprits d’État », ibid., 1993, 96-97, p. 49-62 ;
« De la maison du roi à la raison d’État », ibid., 1997, 118, p. 55-68).
2. G. BACHELARD, La Formation de l’esprit scientifique (1938], Paris, Vrin, 2004. Cf. encore
les observations fondatrices de Max Weber sur la nécessaire frontière entre le savant (Wissens-
chaft als Beruf) et le politique (Politik als Beruf) : M. WEBER, Le Savant et le politique [1919],
trad. fr. J.  Freund, E.  Fleischmann, É.  de Dampierre, Paris, Plon, 1997. Dans l’oubli de ce
principe élémentaire, se loge bien souvent la première étape du glissement vers l’«  idéologie
scientifique » (G. CANGUILHEM, « Qu’est-ce qu’une idéologie scientifique ? », Idéologie et
rationalité dans les sciences de la vie [1977], Paris, Vrin, 2000, p. 33-45).
Subsidiarité et Europe maastrichtienne. La confusion fédérale 453

Tels sont bien les phénomènes de glissement qui brouillent négativement


le sens de la subsidiarité. D’autant qu’une fois achevée sa désintoxication
catholique, sur fond d’œcuménisme chrétien, de pacifisme et de fédéralisme
européen, le principe est agréablement venu se loger dans un nouveau para-
digme à la mode, allant jusqu’à y prendre une place de choix : non plus l’an-
cien corporatisme honni mais le référentiel doucereux de la gouvernance néo-
libérale1, celui qui sévit depuis la fin des années 1970 et le début des années
19802. Peut-être, d’ailleurs, cet atterrissage de la subsidiarité en des contrées
apparemment si lointaines révèle-t-il l’une des dimensions centrales du pro-
cessus en cours : le recyclage, dans des habits modernes, d’une très ancienne
rhétorique organiciste, qui fétichise non plus la Nature divine mais le Marché
autorégulé ? Toutes proportions gardées, il en va de la subsidiarité comme il
en va de cet autre concept — la gouvernance —, aujourd’hui entré dans la
langue courante3. La gouvernance, c’est bien sûr la multilevel governance, la

1. La notion de référentiel a été proposée par Pierre Muller, Bruno Jobert et Yves Surel pour
insister sur le rôle des représentations symboliques, des croyances sociales, des idées et des
affects dans l’élaboration des politiques publiques (B. JOBERT, P. MULLER, L’État en action,
Paris, PUF, 1987, p. 63-71 ; P. MULLER, « Les politiques publiques comme construction d’un
rapport au monde  », La Construction du sens dans les politiques publiques, dir. A.  FAURE,
G. POLLET, P. WARIN, Paris, L’Harmattan, 1995 ; Y. SUREL, « Idées, intérêts, institutions
dans l’analyse des politiques publiques », Pouvoirs, 1998, 87, p. 161-178). Les idées, discours, et
autres représentations sont, expliquent-ils, des variables à prendre en compte au même titre que
les intérêts et les institutions. La notion de référentiel permettrait ainsi de rendre raison des effets
de structure qui contraignent les acteurs et les cadres normatifs qui pèsent sur leurs actions.
Cette approche a été critiquée pour la dimension excessivement constructiviste qu’elle donne à la
réalité sociale et pour les difficultés méthodologiques auxquelles elle se heurte (comment saisir
les idées et évaluer les effets de la cognition sur l’élaboration des politiques publiques ?). Nous la
comprenons, pour notre part, dans la continuité de ce que nous disions plus haut sur la notion de
culture politique. Dans un souci de dédramatisation, Pierre Muller a indiqué aux sceptiques que
son constructivisme se voulait « modéré » (P. MULLER, « L’analyse cognitive des politiques
publiques », Revue française de science politique, 2000, 50 (2), p. 189-207). Pour une application
au cas de l’Union européenne, cf. Y.  SUREL, «  L’intégration européenne vue par l’approche
cognitive et normative des politiques publiques », ibid., p. 235-254.
2. Nous faisons référence à l’épisode du « tournant » néolibéral et à la réorientation monétariste
des politiques économiques fin des années 1970-début des années 1980 (désinflation compétitive,
réduction des déficits budgétaires, libéralisation des marchés). Sur les cas européen et français en
particulier (nous allons y revenir), cf. B. JOBERT, dir., Le Tournant néolibéral en Europe. Idées
et recettes dans les pratiques gouvernementales, Paris, L’Harmattan, 1994 ; B. THÉRET, « Rhé-
torique économique et action politique. Le néolibéralisme comme fracture entre la finance et le
social », L’Engagement politique. Déclin ou mutation ?, dir. P. PERRINEAU, Paris, Presses de
la FNSP, 1994, p. 313-334 ; B. LAUTIER, « L’État et le social », L’État, la finance et le social.
Souveraineté nationale et construction européenne, dir. B. THÉRET, Paris, La Découverte, 1995,
p. 483-508 ; F. DENORD, Néolibéralisme, version française, op. cit. ; P. DARDOT, C. LAVAL,
La Nouvelle raison du monde, op. cit., p. 273 sq.
3. Cf., en particulier, les travaux de Jean Leca (J. LECA, « Sur la gouvernance démocratique :
entre théorie normative et méthodes de recherche empirique », Politique européenne, 2000, 1 (1),
p. 108-129 ; La Démocratie dans tous ses états. Systèmes politiques entre crise et renouveau, éd.
C. GOBIN, B. RIHOUX, Louvain-la-Neuve, Bruylant, 2000, p. 17-59 ; « Gouvernance et insti-
tutions publiques. L’État entre sociétés nationales et globalisation », La France en prospectives,
dir. R. FRAISSE, J.-B. de FOUCAULD, Paris, Odile Jacob, 1996, p. 317-350), Jacques Cheval-
lier (J. CHEVALLIER, « La gouvernance, un nouveau paradigme étatique ? », Revue française
d’administration publique, 2003, 105-106, p. 203-217 ; « La gouvernance et le droit », Mélanges
P.  Amselek, Bruxelles, Bruylant, 2005, p.  189-207) et de Jean-Pierre Gaudin (J.-P. GAUDIN,
Pourquoi la gouvernance ?, Paris, Presses de Sciences Po, 2002). Pour une critique systématique
454 La subsidiarité germanique...

gouvernance multiniveaux, qui intègre joyeusement une pluralité d’acteurs


publics (collectivités territoriales), semi-publics (agences indépendantes de
régulation) et privés (entreprises, syndicats, associations, lobbies, organisations
non gouvernementales) dans un même projet de collaboration partenariale.
Mais c’est aussi la good governance : le bon pilotage de l’action publique et la
flexibilité des instruments qu’elle met en œuvre, la quête de la performance
et de l’efficience légitimée au nom de l’accountability et stimulée par force
techniques d’évaluation et autres méthodes de benchmarking. À la fois para-
digme scientifique et référentiel idéologique, à la fois utilisée par les observa-
teurs du politique et par les acteurs publics eux-mêmes, la gouvernance souffre
donc d’un double statut qui, d’abord, fait voisiner les usages scientifiques avec
les usages rhétoriques pour ensuite passer subrepticement du discours de l’ap-
profondissement démocratique au discours de la réforme managériale.
Il ne s’agit pas, là non plus, de jouer les esprits chagrins ni les bonnes âmes
sourcilleuses qui, par excès de retranchement critique ou par idéal de pureté
scientifique, refuseraient l’usage d’un concept issu du langage commun1 ; il
s’agit de pointer du doigt l’insuffisante décontamination idéologique d’un mot
par les observateurs scientifiques eux-mêmes qui revendiquent de le manipuler
moyennant d’habiles justifications empiriques. Même cause même effet s’agis-
sant de la subsidiarité, qui traduit sur le terrain du droit communautaire une
part — à circonscrire — des nombreux préceptes que nous venons de détailler.

Depuis 1992, droit positif oblige, le mot subsidiarité est officiellement


sorti des cercles militants pour être utilisé par des observateurs naturellement
dépendants du vocabulaire officiel. Mais la confusion des registres est
devenue telle que la rupture avec le sens commun de la positivité juridique
brille par son absence. Chez de nombreux juristes et politistes, faire référence
au principe de subsidiarité, ce n’est pas seulement mentionner la subsidiarité
des acteurs, c’est en même temps l’occasion d’exprimer un engagement per-
sonnel en faveur du fédéralisme européen ou, au minimum, des réticences, par
ailleurs légitimes, face aux instrumentalisations souverainistes du principe2.

du concept de gouvernance, cf. J.-G. PADIOLEAU, « L’action publique postmoderne », Poli-


tique et management public, 1999, 17 (4), p. 85-127 ; « La gouvernance ou comment s’en débar-
rasser », Espaces et Sociétés, 2000, 101-102, p. 61-73 ; B. JOBERT, « Le mythe de la gouvernance
dépolitisée », Mélanges J. Leca, Paris, Presses de Sciences Po, 2003, p. 273-285 ; R. DRAÏ, « La
gouvernance négative », Cités, 2004, 18, p. 85-94 ; G. HERMET, « La gouvernance serait-elle le
nom de l’après-démocratie ? », La Gouvernance. Un concept et ses applications, dir. G. HERMET,
A. KAZANCIGIL, J.-F. PRUD’HOMME, Paris, Karthala, 2005, p. 17-47 ; D. BOURMAUD,
«  La gouvernance contre la démocratie représentative ? Concept mou, idéologie dure  », La
Démocratie représentative devant un défi historique, dir. R.  BEN ACHOUR, J.  GICQUEL,
S. MILACIC, Bruylant, Bruxelles, 2006, p. 77-94 ; A. OGIEN, « La gouvernance ou le mépris
du politique », Cités, 2007, 32, p. 137-156.
1. Cf. V. SIMOULIN, « La gouvernance territoriale : dynamiques discursives, stratégiques et
organisationnelles », La Gouvernance territoriale, op. cit., p. 15-32 ; R. PASQUIER, J. WEIS-
BEIN, « La “gouvernance territoriale” : une perspective pragmatique », ibid., p. 211-222.
2. Convenons que les logiques du glissement ne sont pas univoques en termes de contenu (nous
nous situons sur un terrain épistémologique), mais force est de constater qu’elles tendent toutes
à défendre une même vision fédérale de l’Europe. De deux choses l’une  : soit on présente la
Subsidiarité et Europe maastrichtienne. La confusion fédérale 455

Tant est si bien qu’à force on ne sait plus vraiment distinguer entre la subsi-
diarité-catégorie d’analyse et la subsidiarité-catégorie d’action, entre la subsi-
diarité des observateurs et la subsidiarité des acteurs. De là notre malaise
persistant : comment recevoir des interprétations, toutes valables certes, mais
qui se démarquent si peu des propos qu’elles traitent qu’il devient très diffi-
cile de cerner le passage du discours juridique objet de l’analyse à l’observa-
tion du juriste auteur de l’analyse ?
Aussi, reconstituer l’évolution du sens de la subsidiarité communautaire, ses
itinéraires contrastés et les différents investissements stratégiques dont elle a été
l’objet suppose de tenir compte de ces entremêlements, eux-mêmes grandement
alimentés par la multipositionnalité des protagonistes. L’analyse se concentrera
non seulement sur le traité de Maastricht en tant que tel, mais également sur
l’ensemble de la littérature grise qui a accompagné et préparé l’entrée progres-
sive du principe de subsidiarité dans le droit communautaire ainsi que sur les
nombreux commentaires doctrinaux auxquels cette codification a donné lieu.
En plus de l’observation et du repérage des pratiques effectives, il conviendra de
discriminer entre plusieurs niveaux de discours. Celui, d’abord, du droit positif :
le droit originaire, le droit dérivé et la jurisprudence. Celui, ensuite, du discours
des acteurs politiques de l’Union : le discours des acteurs communautaires en
tant que tels mais aussi celui des acteurs nationaux et infranationaux. Celui,
enfin, des observateurs  : la doctrine juridique et l’analyse politologique. Ces
quelques repérages pourront utilement compléter les études sociohistoriques
déjà disponibles sur les grands technocrates de l’avant-garde européenne1.
À titre de bref aperçu de l’ampleur du brouillage des pistes, on peut d’ores
et déjà retenir trois configurations principales, telles que suggérées par le pas-
sage en revue systématique de la littérature à disposition.
Première configuration : les interventions doctrinales des juges communau-
taires via des articles de fond publiés dans des revues scientifiques. Quelques
grandes figures sont à relever  : Josse Mertens de Wilmars, Pierre Pescatore,
Alexander John Mackenzie-Stuart, Ole Due, Thymen Koopmans, Walter van
Gerven, Koen Lenaerts, Paul Joan George Kapteyn, Jean-Pierre Puissochet2.

subsidiarité comme un principe porteur d’un avenir fédéral ; soit on veut y voir un instrument
politique à rejeter car conçu à des fins souverainistes.
1. S’agissant des Français, pensons à Jean Monnet, figure séminale de l’eurocrate, mais aussi à
Michel Gaudet, Directeur du Service juridique de la Commission européenne de 1952 à 1969 ;
Émile Noël, Secrétaire général de la Commission de 1958 à 1987 ; Alain Prate, Secrétaire du
Comité monétaire et du Comité de politique conjoncturelle de 1958 à 1961, Directeur de la Divi-
sion des structures et du développement économique puis Directeur général du Marché intérieur
de 1961 à 1967 ; François-Xavier Ortoli, Directeur général du Marché intérieur de 1958 à 1961,
puis Président de la Commission européenne de 1973 à 1977 ; et, plus récemment, Pascal Lamy,
Jérôme Vignon et Jean-Pierre Jouyet. Cf. M. MANGENOT, « Une école européenne d’admi-
nistration ? L’improbable conversion de l’ÉNA à l’Europe », Politix, 1998, 43, p. 7-32 ; « La for-
mation à l’Europe des hauts fonctionnaires des Finances français entre économie mondiale et
planification nationale », R. POIDEVIN, R. GIRAULT, Le Rôle des ministères des Finances et
des ministères de l’Économie dans la construction européenne (1957-1978), Paris, Comité pour
l’histoire économique de la France, 2002, I, p. 119-142.
2. Josse J. Mertens de Wilmars, juge communautaire de 1967 à 1980 puis président de la Cour de
1980 à 1984 (J.  J. MERTENS de WILMARS, «  Du bon usage de la subsidiarité  », Revue du
Marché unique européen, 1992, 4, p. 193-201) ; Pierre Pescatore, juge de 1967 à 1985 (P. PESCA-
456 La subsidiarité germanique...

Deuxième configuration : les interventions politiques des observateurs et


universitaires via des contributions à des revues militantes ou des publica-
tions d’influence au profit de think tanks. Nous pouvons mentionner ici les
cas emblématiques des professeurs Constantinesco et Dehousse, proches du
club delorien Notre Europe, le premier favorable à la subsidiarité, le second
plus critique, mais l’un et l’autre ne faisant pas mystère de leur engagement
fédéraliste1.

TORE, « Mit der Subsidiarität leben. Gedanken zu einer drohenden Balkanisierung der Euro-
päischen Gemeinschaft », Festschrift U. Everling, dir. O. DUE, M. LUTTER, J. SCHWARZE,
Baden-Baden, Nomos, 1995, II, p. 1071-1094) ; Lord Alexander John Mackenzie-Stuart, juge de
1973 à 1984 puis président de la Cour de 1984 à 1988 (A. J. MACKENZIE-STUART, « Évalua-
tion des vues exprimées et introduction à une discussion-débat », Subsidiarité, défi du change-
ment, op. cit., p.  41-48 ; «  Subsidiarity, a Busted Flush ?  », Essays T.  F. O’Higgins, éd.
D. CURTIN, D. O’KEEFFE, Dublin, Butterworth, 1992, p. 19-24) ; Ole Due, juge de 1979 à
1988 et président de la Cour de 1988 à 1994 (O. DUE, « Article 5 du traité CEE. Une disposition
de caractère fédéral ?  », Recueil des cours de l’Académie de droit européen, éd. F.  EMMERT,
Dordrecht, Boston, Londres, Nijhoff, 1991, p. 17-35) ; Thymen Koopmans, juge de 1979 à 1990
(T.  KOOPMANS, «  The Quest of Subsidiarity  », Essays H.  G. Schermers, éd. D.  CURTIN,
T. HEUKELS, Dordrecht, Boston, Londres, Nijhoff, 1994, II, p. 43-55 ; « Subsidiarity, Politics
and the Judiciary  », European Constitutional Law Review, 2005, 1, p.  112-116) ; Walter van
Gerven, avocat général à la Cour de 1988 à 1994 (W. van GERVEN, « Les principes de “subsi-
diarité, proportionnalité et coopération” en droit communautaire européen », Mélanges M. Diez
de Velasco, Madrid, Tecnos, 1993, p. 1281-1292) ; Koen Lenaerts, juge au Tribunal de première
instante de 1989 à 2003 et à la Cour depuis 2003 (K.  LENAERTS, P.  van YPERSELE, «  Le
principe de subsidiarité et son contexte : étude de l’article 3 B du traité CE », Cahiers de droit
européen, 1994, 30 (1-2), p.  3-83) ; Paul Joan George Kapteyn, juge à la Cour de 1990 à 2000
(P. J. G. KAPTEYN, « Community Law and the Principle of Subsidiarity », Law and European
Affairs, 1991, 2, p.  35-43) ; Jean-Pierre Puissochet, juge de 1994 à 2006 (J.-P. PUISSOCHET,
« La subsidiarité en droit français », Subsidiarität. Idee und Wirklichkeit. Zur reichweite eines
Prinzips in Deutschland und Europa, dir. K. W. NÖRR, T. OPPERMANN, Tübingen, Mohr,
1997, p.  205-213). Pour une sociologie politique des juges communautaires, cf. A.  COHEN,
« “Dix personnages majestueux en longue robe amarante”. La formation de la Cour de justice
des Communautés européennes », Revue française de science politique, 2010, 60 (2), p. 227-246 ;
A. VAUCHEZ, « À quoi “tient” la Cour de justice des Communautés européennes ? Stratégies
commémoratives et esprit de corps transnational », ibid., p. 247-270.
1. Dans des revues militantes : V. CONSTANTINESCO, « Le projet de traité créant l’Union
européenne : analyse et perspectives », L’Europe en formation, 1984, 256, p. 53-62 ; « Le traité
établissant une constitution pour l’Europe : changement qualitatif ou simple consolidation ? »,
ibid., 2004, 4, p.  5-12 ; «  Régions, pierres angulaires d’une Europe fédérale  », ibid., 2008, 348,
p. 107-111 ; I. PERNICE, V. CONSTANTINESCO, La Question des compétences communau-
taires  : vues d’Allemagne et de France, Paris, Groupement d’études et de recherches Notre
Europe, Berlin, Deutsches Institut für internationale Politik und Sicherheit, 2002 ;
R. DEHOUSSE, « Convention européenne : pourquoi les antifédéralistes ont gagné », L’Europe
en formation, 2003, 2, p. 25-45 ; « Beaucoup de bruit pour rien ? », ibid., 2004, 4, p. 13-30.
Dans des revues doctrinales : V. CONSTANTINESCO, « Subsidiarität : Zentrales Verfassungs-
prinzip für politische Union », Integration, 1990, 13 (4), p. 165-178 ; « La subsidiarité comme
principe constitutionnel de l’intégration européenne », Aussenwirtschaft, 1991, 46 (3-4), p. 439-
459 ; «  Le principe de subsidiarité  : un passage obligé vers l’Union européenne ?  », Mélanges
J. Boulouis, Paris, Dalloz, 1991, p. 35-45 ; « “Subsidiarität” : Magisches Wort oder Handlungs-
prinzip der europäischen Union ?  », Europäische Zeitschrift für Wirtschaftsrecht, 1991, 18,
p. 561-563 ; « Subsidiarité... Vous avez dit subsidiarité ? », Revue du Marché unique européen,
1992, 4, p. 227-230 ; « Who’s Afraid of Subsidiarity ? », 1991 Yearbook of European Law, 1992,
11, p. 33-55 ; « La distribution des pouvoirs entre la Communauté et ses États membres. L’équi-
libre mouvant de la compétence législative et le principe de subsidiarité », From Luxembourg to
Maastricht. Institutional Change in the European Community After the Single European Act, éd.
C. ENGEL, W. WESSELS, Bonn, Europa Union Verlag, 1992, p. 109-138 ; « La structure du
traité instituant l’Union européenne. Les dispositions communes et finales. Les nouvelles com-
Subsidiarité et Europe maastrichtienne. La confusion fédérale 457

Troisième configuration  : les spécialistes, à mi chemin entre la pratique


universitaire et la pratique politique ayant à l’occasion mis directement leurs
compétences au service des institutions européennes. Pensons à Pierre Alexis
Feral, un temps conseiller du Président du Comité des régions puis adminis-
trateur aux Communautés européennes1 ; à Hervé Bribosia, aujourd’hui
membre du Groupe des conseillers politiques de la Commission2 ; ou, plus
généralement, aux nombreux intellectuels qui, à un moment ou à un autre, se
sont investis au sein de la Cellule de prospective sous le mandat de Jacques
Delors  : Marc Luyckx, Otto Hieber, Thomas Jansen, Notis Lebessis, Ken
Endo, entre autres3.

Par souci de méthode, nous procéderons en quatre temps successifs. La


contextualisation juridique du principe de subsidiarité (sa situation dans
l’univers juridique de l’Union européenne) suppose de retracer étape par

pétences », Cahiers de droit européen, 1993, 29 (3-4), p. 251-284 ; « La répartition des compé-
tences  », La Révision du traité sur l’Union européenne, dir. P.  MANIN, Paris, Pédone, 1996,
p. 15-26 ; « Les clauses de “coopération renforcée”. Le protocole sur l’application des principes
de subsidiarité et de proportionnalité  », Revue trimestrielle de droit européen, 1997, 33 (4),
p.  43-59 ; R.  DEHOUSSE, Does Subsidiarity Really Matter ? Working Paper, Florence, EUI,
1992 ; « La subsidiarité et ses limites », Annuaire européen 1992, éd. P. DRILLIEN, 1994, 40,
p.  27-46 ; «  Community Competences  : Are there Limits to Growth ?  », Europe After Maas-
tricht. An Ever Closer Union, éd. R. DEHOUSSE, Munich, Law Books in Europe, 1994, p. 103-
125 ; « Le principe de subsidiarité dans le débat constitutionnel européen », La Constitution de
l’Europe [2000], dir. P.  MAGNETTE, Bruxelles, Éditions de l’Université de Bruxelles, 2002,
p. 157-166 ; « Réflexions sur la naissance et l’évolution du principe de subsidiarité », Le Principe
de subsidiarité, dir. F. DELPÉRÉE, op. cit., p. 361-366).
1. P.-A. FERAL, «  Le principe de subsidiarité dans le cadre de la Conférence intergouverne-
mentale de 1996 », Les Petites Affiches, 1995, 147, p. 20-25 ; « Le principe de subsidiarité dans
l’Union européenne », Revue droit public, 1996, 112 (1), p. 203-240 ; « Le principe de subsidia-
rité : progrès ou statu quo après le traité d’Amsterdam ? », Revue du Marché unique européen,
1998, 1, p. 95-117 ; « Le principe de subsidiarité à la lumière du traité d’Amsterdam », Revue des
affaires européennes, 1998, 1-2, p. 76-82 ; « Le principe de subsidiarité après la signature du traité
établissant une Constitution pour l’Europe », L’Actualité juridique, Droit administratif, 2004,
38, p. 2085-2093 ; « Retour en force du principe de subsidiarité dans le traité constitutionnel : de
nouvelles responsabilités pour les parlements nationaux et pour le Comité des régions ? », Revue
du Marché commun et de l’Union européenne, 2004, 481, p. 496-499.
2. Publications d’une grande régularité : H. BRIBOSIA, « Subsidiarité et répartition des compé-
tences entre la Communauté et ses États membres », Revue du Marché unique européen, 1992, 4,
p. 165-187 ; « De la subsidiarité à la coopération renforcée », Le Traité d’Amsterdam. Espoirs et
déceptions, éd. Y. LEJEUNE, Bruylant, Bruxelles, 1998, p. 23-92 ; « Subsidiarité et répartition
des compétences entre l’Union et ses États membres dans la Constitution européenne », Revue
du droit de l’Union européenne, 2005, 1, p.  25-64 ; «  La répartition des compétences entre
l’Union et ses États membres », Commentaire de la Constitution européenne, éd. E. BRIBOSIA,
M. DONY, Bruxelles, Éditions de l’Université de Bruxelles, 2005, p. 47-82.
3. Thomas Jansen est l’auteur d’une note à l’attention du Comité d’initiative du Mouvement
européen alors même qu’il était conseiller en exercice au sein de la Cellule de prospective. Note
partiellement reprise dans T. JANSEN, « La subsidiarité ou la répartition de tâches et de compé-
tences », L’Europe et l’idée fédérale. Souveraineté et subsidiarité, Actes du colloque organisé par
Évangile et Société et la Konrad-Adenauer Stiftung, Abbaye Maria-Laach, 20-22 mars 1996,
p. 61-63. Cf., par ailleurs, M. LUYCKX, Histoire philosophique du concept de subsidiarité, op.
cit. ; O.  HIEBER, Le principe de subsidiarité  : «  l’État est postérieur à l’homme  ». Note de la
Cellule de prospective, Bruxelles, Commission européenne, 16 février 1990, p. 1-14 (8345-89) ;
K.  ENDO, Qu’est-ce que le delorisme ? Convictions de Jacques Delors. Note de la Cellule de
prospective, Bruxelles, Commission européenne, 14 avril 1993 (862-93).
458 La subsidiarité germanique...

étape le processus très complexe qui a présidé à sa juridicisation. Avant la


consécration maastrichtienne, la subsidiarité est passée par une phase d’in-
cubation et de maturation, dont il nous importe de rendre raison. Bien sûr,
elle se donne d’abord à voir comme un analyseur privilégié du traité de Maas-
tricht (nous n’éludons pas la question), mais il faut également se demander,
plus en amont, en quoi elle reflète l’esprit général du projet européen lui-
même. Si le moment maastrichtien devra être étudié en tant que tel, son
importance politique ne saurait non plus minorer les enjeux de la période
postérieure, au cours de laquelle les réinvestissements du principe se sont
avérés nombreux et contrastés.
Nous optons ici pour une présentation linéaire qui suit la chronologie, et
plutôt que de reporter à la toute fin les questionnements généraux sur les
accointances de la subsidiarité avec la nature profonde du droit communau-
taire, nous préférons les aborder d’emblée (et les retrouverons en conclu-
sion). Ils proposent, nous semble-t-il, une introduction efficace à l’intelli-
gence de la formule maastrichtienne, en même temps qu’ils en sont un
préalable nécessaire.

2. PRINCIPE DE SPÉCIALITÉ ET SPÉCIFICITÉ EUROPÉENNE


Premier niveau de contextualisation juridique : l’esprit général de la construc-
tion européenne. Nous l’avons dit, le traité de Maastricht cristallise expressis
verbis l’entrée officielle du principe de subsidiarité en droit positif commu-
nautaire. Mais la subsidiarité européenne a bien sûr une histoire plus ancienne
que celle du seul droit écrit. Il y a la lettre de lege ferenda : le principe juri-
dique appelé à encadrer et réguler l’exercice des compétences concurrentes
entre Union et États membres. Mais il y a aussi l’esprit de lege lata entraî-
nant et déterminant la subsidiarité par un effet de halo  : la règle implicite
du droit originaire qui préside à l’attribution des compétences, et le postu-
lat fondateur du droit dérivé tel qu’il s’exprime à travers la technique des
directives.
Sitôt le traité de Maastricht rédigé, la doctrine juridique s’est disputée sur
le point de savoir si la subsidiarité n’apparaissait véritablement qu’en 1992,
ou bien si elle était déjà inscrite de manière diffuse dans les traités constitu-
tifs1. C’est en retenant cette dernière hypothèse qu’on peut parler d’une sub-
sidiarité lato sensu, condensé de l’esprit général de la construction européenne
depuis son origine ; d’une ambiance générale, voire d’un concept horizon
d’attente2. Ajoutons que détecter quelque chose comme une subsidiarité

1. Traité instituant la Communauté économique du charbon et de l’acier, 18 avril 1951-23 juillet


1952-22 juillet 2002 (JORF, 3, 30 décembre 1952) ; Traité instituant la Communauté économique
européenne, dit traité de Rome, 25  mars 1957-1er  janvier 1958-1er  décembre 2009 (JORF,
1188, 2  février 1958 ; Notes et études de la Documentation française, 4  avril 1957, 2279).
Cf. J. RIDEAU, « Compétences et subsidiarité dans l’Union européenne et les Communautés
européennes », Annuaire européen d’administration publique, 1992, 15, p. 615-661 ; Droit insti-
tutionnel de l’Union et des Communautés européennes, Paris, LGDJ, 2006, p. 571-621.
2. Des juristes avisés ont parlé d’une « ambiance de subsidiarité » pour signifier à quel point le
principe ne se réduisait pas à un simple énoncé juridique, d’ailleurs lui-même bien difficile à
Subsidiarité et Europe maastrichtienne. La confusion fédérale 459

avant la lettre, ce n’est pas s’obstiner à la débusquer là où elle n’est pas pour
in fine la voir partout, c’est rester fidèle à la méthode sémantique, tout en y
réservant un statut particulier au langage juridique. Avant qu’un mot n’appa-
raisse dans un texte de droit, il a souvent besoin de s’exercer au dehors et de
fournir quelques gages de respectabilité. C’est ainsi qu’il nous importe de
revenir sur l’itinéraire du principe depuis les traités fondateurs pour déter-
miner en quoi la subsidiarité maastrichtienne se situe, ou non, dans la conti-
nuité des textes précédents.
À la source du droit communautaire, comme au fondement de toutes les
organisations internationales, il y a une règle élémentaire : le principe de spé-
cialité1, et son corollaire direct : le principe d’attribution. D’abord, la compé-
tence de principe des États (la Kompetenz-Kompetenz) ; ensuite, les compé-
tences attribuées à l’Europe2. Pour qu’un regroupement d’États existe, il faut
bien que des États préexistent. Mais une fois l’entité internationale créée,
l’enjeu de la distribution des pouvoirs entre les différents pouvoirs dépasse de
loin de simples préoccupations techniques ou d’ingénierie fonctionnelle ; il
touche à des considérations d’ordre symbolique politiquement très sensibles
et, s’agissant de l’Europe, à un point névralgique de sa définition. Toujours
cet éternel débat sur la nature juridique de l’Union : sujet de droit interna-
tional mais sujet de droit international qui se pense sur un mode tellement
particulier qu’il semble ressortir d’une catégorie juridique ad hoc. Notre dif-
ficulté vient ici de ce que la Communauté, puis l’Union, a d’emblée cherché à
s’extraire du droit commun de la vie des institutions internationales, peut-
être pour mieux conjurer les effets de son complexe inavoué vis-à-vis de l’État
— son rival mais son obligé3.
Point de fixation statique des normes dans l’ordre juridique communau-
taire, mais un processus dynamique mû par des objectifs toujours réali-
mentés : l’édification d’« une union sans cesse plus étroite » entre les peuples.
Point de territoire définitivement délimité mais un «  espace sans frontières

cerner. Cf., par exemple, F. CHALTIEL, « Le principe de subsidiarité dix ans après le traité de
Maastricht », Revue du Marché commun, 2003, 469, p. 365-374, ici p. 369 ; J.-C. GAUTRON,
« Subsidiarité ou néosubsidiarité ? », Revue des affaires européennes, 1998, 8 (1-2), p. 3-8.
1. La règle de spécialité ne fait que rappeler une évidence : pour qu’une institution interétatique
existe (sujet juridique dérivé), il faut d’abord que des États décident de la constituer (sujets origi-
naires) : C. CHAUMONT, « La signification du principe de spécialité des organisations interna-
tionales », Problèmes de droit des gens. Mélanges H. Rolin, Paris, Pédone, 1964, p. 5-66.
2. D’où ce piège du vocabulaire commun : le langage juridique parle de compétences résiduelles
(pour désigner les compétences non attribuées), alors même, en l’occurrence, que le reste (ou le
résidu) constitue précisément l’apanage de l’entité fondatrice principale : l’État souverain ; l’épi-
thète ne vaut donc que si l’on adopte le point de vue du droit international. Les compétences
résiduelles renvoient à tout ce qui n’est pas attribué à l’organisation internationale, et tout ce qui
ne lui est pas attribué continue, par définition, de résider dans les mains des États. Citons la défi-
nition juridique du principe d’attribution par le traité de Maastricht, qui sera modifiée à la marge
par le traité de Lisbonne : « La Communauté agit dans les limites des compétences qui lui sont
conférés et des objectifs qui lui sont assignés par le présent traité.  » (Traité de Maastricht,
article 5 al. 1 ; JOCE, C 191, 29 juillet 1992). Le traité de Lisbonne parle nommément de principe
d’attribution (TUE, article 5 § 1 ; JOUE, C 83, 30 mars 2010).
3. Autre manière de lire le débat néofonctionnalisme-réalisme intergouvernemental.
460 La subsidiarité germanique...

intérieures »1. Point de souveraineté étatique au sens institutionnel d’attribut


qualitatif mais un État fonctionnellement souverain, défini par l’exercice
d’une certaine quantité de compétences2. Conçus dans l’esprit fonctionnaliste
évoqué plus haut, les traités fondateurs n’ont jamais explicité qu’au minimum
les contours institutionnels des prérogatives européennes pour mieux s’en
remettre à des objectifs politiques : l’Union douanière, le Marché intérieur,
l’Union monétaire, la Concurrence libre et non faussée. Construction et pro-
cessus en devenir, l’objet européen préférera toujours le mouvement de la vie
économique à la rigidité du droit classique ; ou plutôt  : il fera du droit un
instrument au service de la première. Ainsi doit se comprendre la méthode
incrémentale du fait accompli, qui trouve dans la répartition des compétences
un cas d’école exemplaire3. Dès l’instant où une mesure vise à atteindre un
objectif désigné par les traités, sa vocation naturelle est d’entrer dans le champ
d’action de la Communauté4.
Ainsi s’entend également la jurisprudence constructive déployée par la
Cour. Faute de distribution générale des pouvoirs prévue dans les traités (et

1. Indiquons à gros traits la provenance de cette phraséologie juridique : « une union sans cesse plus
étroite entre les peuples européens  » (Traité de Rome, préambule ; JORF, 1188, 2  février 1958) ;
« une union sans cesse plus étroite entre les peuples de l’Europe » (Traité de Maastricht, article 1er ;
JOCE, C 191, 29  juillet 1992) ; «  un espace sans frontières intérieures  » (Acte unique européen ;
JOCE, L 169, 29 juin 1987 ; Traité de Maastricht), « un espace de liberté, de sécurité et de justice »
(TUE, article 3 ; JOUE, C 83, 30 mars 2010 ; TFUE, titre V ; JOUE, C83, 30 mars 2010).
2. On reconnaît ici la thèse de Pierre Pescatore pour qui la distinction entre compétence et sou-
veraineté serait invalidée par son caractère prétendument antijuridique (P.  PESCATORE,
Le Droit de l’intégration. Émergence d’un phénomène nouveau dans les relations internationales
selon l’expérience des Communautés européennes [1972], Bruxelles, Bruylant, 2005, p. 36 ; « La
répartition de compétences entre la Communauté et ses États membres », La Communauté et ses
États membres, Liège, Faculté de droit de l’Université de Liège, Institut d’études juridiques
européennes, La  Haye, Nijhoff, 1973, p.  61-93). Pour une discussion de cette question,
cf. O. BEAUD, « Compétence et souveraineté », La Compétence, Paris, Litec, 2008, p. 5-32. Sur
le rapport entre compétence et pouvoir, cf. V. CONSTANTINESCO, Compétences et pouvoirs
dans les Communautés européennes, op. cit. Sur la fonctionnalisation de l’État en droit commu-
nautaire, cf. M. HECQUARD-THÉRON, « La notion d’État en droit communautaire », Revue
trimestrielle de droit européen, 1990, 26 (3), p. 693-711 ; J. MOLINIER, « La notion de “pouvoir
public commun” et la nature des Communautés européennes », Mélanges G. Isaac, Toulouse,
Presses de l’Université des sciences sociales de Toulouse, 2004, I, p. 191-210.
3. Sur la répartition des compétences et la notion de compétence partagée, cf. L.  BUR-
GORGUE-LARSEN, « À propos de la notion de compétence partagée : du particularisme de
l’analyse en droit communautaire », Revue générale de droit international public, 2006, 110 (2),
p.  373-390 ; M.  KURCZ, «  La répartition des compétences au sein de l’Union européenne  »,
Revue du droit de l’Union européenne, 2005, 3, p. 575-608 ; J. DUTHEIL de LA ROCHÈRE,
« Fédéralisation de l’Europe ? Le problème de la clarification des compétences entre l’Union et
les États », L’Europe en voie de constitution, dir. O. BEAUD, et al., Bruxelles, Bruylant, 2004,
p.  317-332 ; C.  MÖLLERS, «  Thesen zur Kompetenzverteilung zwischen EU und Mitglieds-
taaten im Konventsentwurf », ibid., p. 333-345 ; N. LEVRAT, « Le pari fédéraliste du projet de
traité établissant une constitution pour l’Europe. Étude du système de partage des compé-
tences  », La Grande Europe, éd. P.  MAGNETTE, Bruxelles, Éditions de l’Université de
Bruxelles, 2004, p. 21-40 ; H. GAUDIN, « La répartition des compétences Communauté-États
membres. Un Janus constitutionnel  », Mélanges P.  Pactet, Paris, Dalloz, 2003, p.  629-647 ;
V.  MICHEL, Recherches sur les compétences de la Communauté, Paris, L’Harmattan, 2003 ;
« 2004 : le défi de la répartition des compétences », Cahiers de droit européen, 2003, 1-2, p. 17-86.
4. Bien sûr, toutes les compétences attribuées à l’Union européenne ne répondent pas à ce
schéma fonctionnel de répartition (certaines matières sont énumérées, à l’exemple de la politique
sociale) mais l’essentiel n’en reste pas moins concerné (nous parlons du Marché intérieur).
Subsidiarité et Europe maastrichtienne. La confusion fédérale 461

à la faveur de cette absence), les juges de Luxembourg se sont chargés de


donner un cadre d’ensemble au schéma de répartition dans une optique clai-
rement intégrationniste1. Ce volontarisme prétorien est bien connu ; mais son
résultat final sur la distribution des rôles au sein de l’Union a été très peu
étudié, sauf pour célébrer son étonnante plasticité et/ou appeler à une ratio-
nalisation écrite — constitutionnelle — de l’existant. On a là l’un des princi-
paux vecteurs de la fonctionnalisation du pouvoir dans le système institu-
tionnel communautaire, en même temps que la source de l’opacité et de
l’illisibilité de son fonctionnement. Si la distribution des compétences est dé-
pendante de la méthode jurisprudentielle du juge, alors c’est bien évidem-
ment le cas par cas qui domine, avec les conséquences évidentes qui s’en
suivent en termes de transparence démocratique2.

Bien avant Maastricht, les acteurs de la Communauté et la Cour de justice


en particulier ont eu recours à plusieurs leviers juridiques afin de conférer
son plein effet au principe d’attribution. Songeons, par exemple, à l’article 235

1. Rappelons les principaux arrêts de la Cour de justice sur l’effet direct et la primauté du droit
communautaire : CJCE, Van Gend en Loos, 5 février 1963 (aff. 26-62, Rec., p. 3) ; CJCE, Costa
c. ENEL, 15  juillet 1964 (aff. 6-64, Rec., p.  1141) ; CJCE, Internationale Handelsgesellschaft
mbH c. Einführ und Vorratsstelle für Getreide und Futtermittell, 17 décembre 1970 (aff. 11-70,
Rec., p. 1125) ; CJCE, Simmenthal, 9 mars 1978 (aff. 106-77, Rec., p. 629) ; CJCE, Factortame,
19 juin 1990 (aff. 213-89, Rec., p. I-2433) ; CJCE, Andrea Francovich et Danila Bonifaci et . al. c.
République italienne, 19 novembre 1991 (aff. jointes C 6-90, C 9-90, Rec., p. I-5357). Quelques
commentaires doctrinaux : V. CONSTANTINESCO, « La primauté du droit communautaire,
mythe ou réalité ?  », Mélanges L.-J. Constantinesco, éd. G.  LÜKE, G.  RESS, M.  R. WILL,
op. cit., p. 109-123 ; B. de WITTE, « Retour à “Costa”. La primauté du droit communautaire à la
lumière du droit international », Revue trimestrielle de droit européen, 1984, 20 (3), p. 425-454 ;
D. SIMON, « Les exigences de la primauté du droit communautaire : continuité ou métamor-
phoses ? », Mélanges J. Boulouis, Paris, Dalloz, 1991, p. 481-493 ; D. ALLAND, « À la recherche
de la primauté du droit communautaire », Droits, 2007, 45, p. 109-125 ; A. VAUCHEZ, « Judge-
Made Law. Aux origines du modèle politique communautaire (retour sur Van Gend en Loos et
Costa c. Enel), L’Europe des élites ?, dir. O.  COSTA, P.  MAGNETTE, Bruxelles, Presses de
l’Université de Bruxelles, 2007, p. 139-166.
2. Sur l’importance des objectifs de l’Union pour l’interprétation téléologique des traités dans
la jurisprudence communautaire, cf. P.  PESCATORE, «  Les objectifs de la Communauté
européenne comme principes d’interprétation dans la jurisprudence de la Cour de justice.
Contribution à la doctrine de l’interprétation téléologique des traités internationaux », Mélanges
W.  J. Ganshof van der Meersch, Bruxelles, Bruylant, Paris, LGDJ, 1972, II, p.  325-362 ;
J. H. H. WEILER, « Journey to an Unknown Destination : A Retrospective and Prospective of
the European Court of Justice in the Arena of Political Integration  », Journal of Common
Market Studies, 1993, 31 (4), p. 417-446 ; « The Least-Dangerous Branch : A Retrospective and
Prospective of the European Court of Justice in the Arena of Political Integration », The Consti-
tution of Europe, Cambridge, Cambridge University Press, 1999, p. 188-219 ; R. KOVAR, « La
contribution de la Cour de justice à l’édification de l’ordre juridique communautaire », Recueil
des cours de l’Académie de droit européen, 1993, 4 (1), p. 15-122 ; H. GAUDIN, « Les principes
d’interprétation de la Cour de justice des Communautés européennes et la subsidiarité », Revue
des affaires européennes, 1998, 1-2, p. 10-27. Sur le rôle de la Cour dans la constitutionnalisation
de l’ordre juridique communautaire, cf. J. H. H. WEILER, « Une révolution tranquille. La Cour
de justice des Communautés européennes et ses interlocuteurs  » [1994], trad. fr. J.  Pierre,
B. François, Politix, 1995, 32, p. 119-138 ; P. PESCATORE, « Une révolution juridique : le rôle
de la Cour de justice européenne », Commentaire, 1992, 15 (59), p. 569-574. Nota. Par constitu-
tionnalisation, la doctrine anglo-saxonne (Joseph Weiler en premier lieu) désigne le processus
par lequel la Cour a affirmé la supériorité de l’ordre juridique communautaire.
462 La subsidiarité germanique...

TCEE (devenu article  308 TCE), à la pratique des compétences implicites,


à la théorie de l’effet utile mais aussi à la technique des compétences
concurrentes.
L’article 235 du traité de Rome tout d’abord. Il renvoie à ce que la doctrine
a pu appeler la compétence subsidiaire de la Communauté. Parfaite illustra-
tion de son esprit fonctionnaliste, cette stipulation du droit originaire précise
que le Conseil est habilité à prendre des mesures lorsqu’une action de la
Communauté apparaît nécessaire pour remplir l’un des objectifs du traité
sans que des pouvoirs n’aient directement été prévus à cet effet. Les États et,
par ricochet, les institutions communautaires elles-mêmes, disposent ainsi de
la possibilité d’agir dans des domaines non visés par les textes en prenant, à
l’unanimité, les mesures indispensables à la réalisation de l’un de leurs objec-
tifs1. Via l’extension de la compétence fonctionnelle de la Communauté aux
dimensions de sa compétence matérielle (s’agissant du seul Marché commun),
ce levier a permis aux États membres de définir et de mettre en œuvre un
grand nombre de politiques communes sans être contraints à une révision du
traité en bonne et due forme.
Les pouvoirs implicites ensuite. La compétence dite subsidiaire ne doit
pas être confondue avec la théorie jurisprudentielle des pouvoirs implicites
(ou impliqués — si l’on préfère traduire plus exactement l’anglais implied).
Dans le cas d’une application de l’article 308, on fait référence à un objectif
fixé par le traité ; la doctrine des pouvoirs implicites, quant à elle, n’est pas
directement rattachée aux objectifs textuellement consignés. Là encore,
l’argumentaire de la Cour épouse une logique on ne peut plus fonctionnelle :
les compétences communautaires peuvent s’étendre à des activités non expli-
citement mentionnées mais nécessaires au fonctionnement de l’Union au
sens où l’exercice des pouvoirs attribués perdrait sinon toute son utilité. Le
meilleur exemple reste ici la jurisprudence AETR, permettant la projec-
tion externe (hors des frontières de la Communauté) des compétences
internes (expressément visées par les traités) en matière de conclusion
d’accords internationaux2. Aussi est-ce de manière tout à fait prétorienne que

1. « Si une action de la Communauté apparaît nécessaire pour réaliser, dans le fonctionnement
du Marché commun, l’un des objets de la Communauté, sans que le présent Traité ait prévu
les pouvoirs d’action requis à cet effet, le Conseil, statuant à l’unanimité sur proposition de la
Commission et après consultation du Parlement européen, prend les dispositions appropriées. »
(Traité de Rome, article  235 ; JORF, 1188, 2  février 1958). Nous soulignons. Cf. H.  LES-
GUILLONS, « L’extension des compétences de la CEE par l’article 235 du traité de Rome »,
Annuaire français de droit international, 1974, 20 (1), p. 886-904, ici p. 899 sq. ; A. TIZZANO,
«  L’article  235  CEE et le développement des compétences communautaires  », Mélanges
L.-J. Constantinesco, op. cit., p.  781-799. Valéry Giscard d’Estaing a parlé de «  subsidiarité
dérivante  » (V.  GISCARD d’ESTAING, «  La règle d’or du fédéralisme européen  », Revue
des affaires européennes, 1991, 1, p.  63-66, ici, p.  64). Pour un point de vue opposé, qui dis-
tingue nettement article  235 et subsidiarité, cf. A.  G. TOTH, «  The Principle of Subsidiarity
in the Maastricht Treaty  », Common Market Law Review, 1992, 29 (6), p.  1079-1105 ; «  A
Legal Analysis of Subsidiarity  », Legal Issues of the Maastricht Treaty, éd. D.  O’KEEFFE,
P. M. TWOMEY, Londres, New York, Wiley Chancery Law, 1994, p. 37-48.
2. Cette théorie jurisprudentielle avait au préalable été élaborée par la Cour internationale de
justice de La Haye. On parle communément, mais par abus de langage, de compétences externes.
«  Lorsque cette conclusion [la conclusion d’un accord international] est prévue dans un acte
Subsidiarité et Europe maastrichtienne. La confusion fédérale 463

les compétences de négociation internationale de la Commission ont été


étendues à la dimension extérieure de toutes les politiques communes.
À cette pratique jurisprudentielle s’en est adjointe une autre, non moins
fameuse : la technique de l’effet utile, qui a permis de donner une interpréta-
tion très large aux compétences explicitement transférées à la Communauté
ainsi qu’aux dispositions du traité fondées sur ces compétences, de manière
à ce qu’elles produisent un effet aussi utile que possible :
«  Les normes établies par un traité international ou une loi impliquent les
normes sans lesquelles les premières n’auraient pas de sens ou ne permettraient
pas une interprétation raisonnable et utile1. »
La technique des compétences concurrentes enfin. C’est avant tout à la
jurisprudence communautaire que l’on doit la distinction — ensuite consa-
crée par Maastricht — entre compétences exclusives et compétences concur-
rentes (non exclusives)2. S’agissant des premières, la Cour a d’emblée cherché
à se prémunir contre tout malentendu, déclarant, avec son audace habituelle,
que le pouvoir d’action de l’Union « se substitu[ait] pleinement et définitive-
ment  » aux compétences législatives des États membres3. S’agissant des
secondes, la Cour a retourné à son profit — en l’amplifiant — une pratique
bien connue du fédéralisme coopératif, dans sa version allemande notam-
ment. Sont ainsi devenus des compétences concurrentes tous les domaines
dans lesquels l’Union et les États peuvent en théorie légiférer, mais dans les-
quels ceux-ci ne peuvent en pratique exercer leur compétence que pour
autant, et dans la mesure où, celle-là n’a pas exercé la sienne4. Le parallèle

législatif de l’Union, ou est nécessaire pour lui permettre d’exercer sa compétence interne, ou
dans la mesure où elle est susceptible d’affecter des règles communes ou d’en altérer la portée. »
(CJCE, Commission c. Conseil, 31 mars 1971 ; aff. 22-70, Rec., p. 263). Sur le lien avec la pratique
de la préemption (sur laquelle nous reviendrons plus bas), cf. K.  LENAERTS, «  Les réper-
cussions des compétences de la Communauté européenne sur les compétences externes des États
membres et la question de la “préemption”  », Relations extérieures de la Communauté euro-
péenne et Marché intérieur, éd. P. DEMARET, Bruxelles, Story Scientia, 1988, p. 37-65.
1. CJCE, Fédération charbonnière de Belgique, 29  novembre 1956 (aff. 8-55, Rec., p.  291).
Cf. aussi CJCE, Gezamenlijke Steenkalenmijnen, 23 février 1961 (aff. 30-59, Rec., p. 46).
2. Les hésitations sémantiques s’en ressentent  : faut-il parler de compétences partagées, de
compétences mixtes ou de compétences concurrentes ? Pour être tout à fait exact, précisons que
les compétences mixtes ou concurrentes ne se limitent pas aux seules compétences partagées ;
elles intègrent aussi les compétences transitoires ou résiduaires (qui résultent de l’évolution dans
le temps du partage des attributions). Cf. J. RIDEAU, « Les compétences résiduaires et transi-
toires des États membres », Mélanges P.-H. Teitgen, Paris, Pédone, 1984, p. 441-471.
3. CJCE, Commission c. Royaume-Uni, 5 mai 1981 (aff. 804-79, Rec., p. 1045). Nous verrons
cependant que la Cour de justice de Luxembourg a conféré une portée plutôt restrictive à sa
définition des compétences exclusives, privilégiant les notions de compétences concurrentes et
de compétences exclusives par exercice (cf. infra). Selon le juge communautaire, seules relèvent
de la compétence exclusive — par nature — de l’Union la politique commerciale commune
(CJCE, Donckerwolcke, 15 décembre 1976 ; aff. 41-76, Rec., p. 1921), l’organisation commune
des marchés dans le cadre de la PAC (CJCE, Galli, 23 janvier 1975 ; aff ; 3-74, Rec., p. 364) et la
politique commune de la pêche (CJCE, Kramer, 14 juillet 1976 ; aff. 6-76, Rec., p. 1279).
4. Pour une lecture particulièrement empathique, cf. J.-V. LOUIS, « Quelques réflexions sur la
répartition des compétences entre la Communauté européenne et ses États membres », Revue
d’intégration européenne, 1979, 2 (3), p. 355-374. Notons que le Professeur Jean-Victor Louis
fut président du Comité d’initiative du Mouvement européen.
464 La subsidiarité germanique...

s’impose de lui-même avec l’article 72 de la Loi fondamentale allemande1. Les


compétences concurrentes du droit communautaire fonctionnent selon une
logique similaire de préemption disposant que leur exercice reste réservé aux
États tant que la Communauté n’a pas fait usage des siennes. Manière toute
fonctionnaliste de neutraliser la portée interétatique du principe de spécialité
en le flanquant d’un puissant contrepoids intégrationniste et supranational.
Manière toute fonctionnaliste de rappeler que l’Union a ultimement vocation
à occuper l’essentiel du terrain législatif.
Dans le même esprit, fidèles à leur méthode téléologique, les juges de
Luxembourg ont complété leur arsenal par l’actionnement de deux derniers
ressorts stratégiques. D’une part, ils ont rejeté l’idée de compétences éta-
tiques réservées2 et se sont attachés à poser des limites très strictes à la compé-
tence retenue des États — formalisant par exemple un principe de propor-
tionnalité spécialement taillé sur mesure3. D’autre part, ils ont élaboré une
distinction, à l’intérieur même des compétences exclusives, entre celles
expressément visées par les traités pour lesquelles ils excluaient dès l’origine
toute action nationale en raison de la nature des objectifs assignés à la
Communauté (compétences dites exclusives par nature) et celles issues de la
pratique effective, c’est-à-dire de la mise en œuvre des traités ayant eu pour
effet progressif d’exclure l’action des États membres (compétences dites
exclusives par exercice)4. Distinction jurisprudentielle audacieuse qui, à plu-
sieurs reprises, est venue heurter de front le refus constamment rappelé de
donner une définition matérielle stable aux compétences de l’Union. Mais,
pour la Cour de justice, cette théorie interprétative constituait surtout un
moyen très efficace de sanctuariser les pouvoirs communautaires tout en
conjurant les éventuelles menaces de retour en arrière.

1. On sait que cette règle donne au fédéralisme allemand un ressort très centralisateur. Rap-
pelons, au passage, que le terme préemption est issu de la doctrine américaine (E. D. CROSS,
« Preemption of Member State Law in the European Economic Community : A Framework for
Analysis  », Common Market Law Review, 1992, 29 (3), p.  447-472 ; S.  WEATHERILL,
«  Beyond Preemption ? Shared Competence and Constitutional Change in the European
Community  », Legal Isssues of the Maastricht Treaty, éd. D.  O’KEEFFE, P.  M TWOMEY,
Londres, New York, Wiley Chancery Law, 1994, p. 13-35 ; A. GOUCHA SOARES, « Preemp-
tion, Conflicts of Powers and Subsidiarity », European Law Review, 1998, 23 (2), p. 132-145).
2. Au point même qu’il n’existe plus de noyau de souveraineté qui puisse être invoqué comme
tel par les États à l’encontre de l’Union. La dénomination de compétences réservées a refait son
apparition lors des débats conventionnels — sans plus de succès. L’existence implicite des com-
pétences réservées conduit à les oublier, mais elles sont pourtant au fondement du principe de
souveraineté. D’où, une fois encore, l’ambiguïté de la dénomination compétences résiduelles.
3. CJCE, Casagrande, 3 juillet 1974 (aff. 9-74, Rec., p. 773). En l’espèce, la Cour de justice refu-
sait aux États le droit d’invoquer leur compétence en matière d’enseignement pour imposer aux
enfants des travailleurs migrants des conditions discriminatoires à l’accès aux établissement d’en-
seignement. Précisons, par ailleurs, que les compétences retenues (exemples  : le maintien de
réglementations nationales restrictives des échanges pour des raisons d’ordre public, de protec-
tion de la santé et de la vie des personnes) n’échappent pas totalement à l’emprise du droit com-
munautaire (L.-V. FERNANDEZ-MAUBLANC, «  L’évolution contrastée des compétences
retenues par les États membres », Mélanges J.-C. Gautron, Paris, Pédone, 2004, p. 321-332).
4. Cf., ici, K. LEANERTS, P. van YPERSELE, « Le principe de subsidiarité et son contexte »,
art. cit. ; V. MICHEL, « 2004 : le défi de la répartition des compétences », art. cit. ; Y. GAU-
TIER, « La compétence communautaire exclusive », Mélanges G. Isaac, op. cit., I, p. 165-189 ;
M. KURCZ, « La répartition des compétences au sein de l’Union européenne », art. cit.
Subsidiarité et Europe maastrichtienne. La confusion fédérale 465

Compétences exclusives, compétences concurrentes, compétences rete-


nues : la porosité des frontières est particulièrement accusée entre ces diffé-
rentes catégories, sans compter les nombreuses hésitations sémantiques qui
en découlent (compétences partagées, mixtes, parallèles, successives, etc.)1.
Cette complexité et ce flou constitueront un terrain particulièrement propice
à une utilisation extensive de toutes les clauses évolutives susmentionnées.
Sans surprise, et ainsi que l’ont bien établi les théoriciens anglo-saxons de la
constitutionnalisation rampante de l’ordre juridique communautaire, le traité
de Maastricht s’attachera pour l’essentiel à consacrer la jurisprudence de la
Cour en matière de répartition des compétences. Flexibilité oblige, le privi-
lège sera donc naturellement donné aux compétences concurrentes et parta-
gées — ce qui ne manquera pas, en retour, de conférer un poids supplémen-
taire au principe de subsidiarité, nous y reviendrons. Dans une très large
mesure, il en va de même s’agissant des règles actuellement en vigueur, bien
au-delà du seul moment maastrichtien.
À considérer la refonte lisboète du droit de l’Union, en effet, les clarifica-
tions du régime des compétences se signalent par leur très faible portée. Ins-
tillant une dose de logique matérielle dans un système qui reste majoritaire-
ment fonctionnel, le traité simplifié a retenu une classification tripartite assez
peu novatrice : compétences exclusives, compétences partagées, compétences
complémentaires. Aucun catalogue exhaustif des attributions partagées n’a
été dressé mais le texte s’efforce à présent de mentionner les domaines maté-
riels de certaines d’entre elles (dont les intitulés restent cependant très larges)2.
Par rapport au projet de traité constitutionnel, on observe des ajouts notables,
qui impriment une tonalité nouvelle, se voulant plus respectueuse des préro-

1. La distinction est-elle si aisée entre une compétence exclusive faiblement exercée par l’Union
et une compétence concurrente qu’elle exerce au maximum de ses possibilités ? Sur cette ques-
tion, cf., par exemple, M. FROMONT, « Les compétences respectives de l’Union européenne
et des États membres  », Teoria del diritto e dello Stato, 2003, 1-2, p.  149-161, ici p.  154 ;
J.-C. MASCLET, « La répartition des compétences dans l’Union européenne », L’État-nation
au tournant du siècle : les enseignements de l’expérience canadienne et européenne, dir. P. SOL-
DATOS, J.-C. MASCLET, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, 1997, p.  179-203.
Plus généralement  : K.  van KERSBERGEN, B.  VERBEEK, «  The Politics of International
Norms : Subsidiarity and the Imperfect Competence Regime of the European Union », art. cit.
2. Si l’essentiel de la rationalisation issue des travaux de la Convention a été intégré, on observe
un éclatement persistant des dispositions, ventilées entre le traité sur l’Union européenne et le
traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. D’une part, les principes d’attribution des
compétences, de subsidiarité et de proportionnalité sont définis à l’article 5 TUE (TUE, article 5 ;
JOUE, C 83, 30 mars 2010). D’autre part, les catégories et domaines de compétences de l’Union
sont énoncés au titre 1 de la première partie du TFUE — les articles 2 sq. reprenant pour l’essen-
tiel les articles I-12 sq. du projet de traité constitutionnel (TFUE, première partie, titre 1, article 2
sq. ; JOUE, C 83, 30  mars 2010 ; Projet de traité établissant une Constitution pour l’Europe,
article I-12 sq. ; JOUE, C 310, 16 décembre 2004). Enfin, les politiques économiques, les poli-
tiques d’emploi et la politique étrangère et de sécurité commune, qui n’entrent pas dans les caté-
gories élaborées, sont exclues du schéma général (TFUE, article 2 § 3, article 2 § 4 ; JOUE, C 83,
30 mars 2010). Pour un tableau général plus complet, cf. V. EDJAHARIAN, « Les compétences
dans le traité de Lisbonne  : la constitutionnalisation de l’Union européenne interrogée  », Le
Traité de Lisbonne. Reconfiguration ou déconstitutionnalisation de l’Union européenne ?, op. cit.,
p.  227-260 ; I.  BOSSE-PLATIÈRE, «  Traité de Lisbonne et clarification des compétences  »,
Revue du Marché commun et de l’Union européenne, 2008, 520, p. 443-445.
466 La subsidiarité germanique...

gatives nationales1. Aussi le texte révèle-t-il un changement important dans la


symbolique sémantique : le principe d’attribution des compétences s’exprime
désormais en des termes négatifs («  l’Union n’agit que dans les limites des
compétences que les États membres lui ont attribuées  »)2. Le même article
répète une formule (déjà présente à l’article I-5 du traité de 2004)3, qui émaille
de bout en bout le traité de Lisbonne : « Toute compétence non attribuée à
l’Union par les traités appartient aux États membres4. » Malgré son évidence,
ce leitmotiv est repris dans les déclarations 18 et 24 placées en annexe : la pre-
mière relative à la délimitation des compétences ; la seconde relative à la per-
sonnalité juridique de l’Union5. Contre-réaction des États face à l’utilisation
extensive des clauses évolutives, cette insistance sur le principe d’attribution
procède également de leur crainte face une Europe, dorénavant dotée de la
personnalité juridique, qui pourrait ultimement être tentée de faire oublier sa
spécialité constitutive.
1o S’agissant de la catégorie des compétences exclusives, le traité n’hésite
pas à procéder par énumération exhaustive, pour la simple et bonne raison
que les États sont entièrement dessaisis des matières concernées et ne sont
plus autorisés à y intervenir6. 2o S’agissant des compétences partagées, le
traité se contente d’en mentionner négativement les principaux domaines  :

1. Nous reviendrons en particulier sur le renforcement des mécanismes de contrôle politique de


l’application du principe de subsidiarité et la mise en valeur du rôle des parlements nationaux.
2. TUE, article 5 § 2 (JOUE, C 83, 30 mars 2010). Nous soulignons. Il est par ailleurs précisé
que la mise en œuvre de l’ex article 235 TCE, figurant à l’article 352 TFUE (nouvelle numérota-
tion désignant la clause d’adaptation), ne doit pas aller au-delà du cadre des dispositions des
traités. Le recours à cet article est notamment encadré par la Déclaration 42 (Traité de Lisbonne,
Déclaration 42, article 308 TFUE (ancienne numérotation) ; JOUE, C 306, 17 décembre 2007).
L’article  352, précise ladite Déclaration, «  ne saurait constituer un fondement pour élargir le
domaine des compétences de l’Union au-delà du cadre général résultant de l’ensemble des dispo-
sitions des traités, et en particulier de celles qui définissent les missions et les actions de l’Union.
Cet article ne saurait en tout cas servir de fondement à l’adoption de dispositions qui aboutiraient
en substance, dans leurs conséquences, à une modification des traités échappant à la procédure que
ceux-ci prévoient à cet effet  ». En matière de politique étrangère et de sécurité commune, le
recours à ce procédé est exclu (TFUE, article 352 § 4 ; JOUE, C 83, 30 mars 2010). À propos de
la disposition similaire contenue dans le projet de 2004, la doctrine a parlé de clause de flexibilité
(Projet de traité établissant une Constitution pour l’Europe, article I-18 ; JOUE, C 310,
16 décembre 2004). Les spécialistes ont souvent établi un parallèle entre clause de flexibilité et
principe de subsidiarité, notamment en raison de leur logique fonctionnelle commune.
3. Projet de traité établissant une Constitution pour l’Europe, article I-5.
4. TUE, article 4 § 1, article 5 § 2 (JOUE, C 83, 30 mars 2010).
5. Traité de Lisbonne, Déclaration 18 concernant la délimitation des compétences, Déclaration
24 relative à la personnalité juridique de l’Union (JOUE, C 306, 17 décembre 2007). « La Confé-
rence, précise la Déclaration, confirme que le fait que l’Union européenne a une personnalité
juridique n’autorisera en aucun cas l’Union à légiférer ou à agir au-delà des compétences que les
États membres lui ont attribuées dans les traités. » Ce rappel est également présent dans la Décla-
ration 42 relative à l’article 352 TFUE (nouvelle numérotation) (Traité de Lisbonne, Déclaration
42, article 308 TFUE (ancienne numérotation) ; JOUE, C 306, 17 décembre 2007).
6. TFUE, article 3 (JOUE, C 83, 30 mars 2010). Il s’agit de l’union douanière, de la politique
monétaire (dans la zone Euro), des règles de concurrence nécessaires au fonctionnement du
Marché intérieur, de la politique commerciale commune, de la conservation des ressources bio-
logiques de la mer et de la compétence externe en matière de conclusion d’accords internatio-
naux (telle qu’elle a été reconnue et consacrée de la jurisprudence AETR).
Subsidiarité et Europe maastrichtienne. La confusion fédérale 467

tous ceux qui ne sont ni exclusifs ni complémentaires1. Ainsi, en toute


logique, les États sont-ils seuls compétents tant que la préemption commu-
nautaire n’a pas été exercée. Leur faculté d’agir ne disparaît qu’à partir du
moment où l’Union intervient, mais une fois que l’Union a agi, ils ne peuvent
plus exercer leur compétence dans le champ couvert par l’action communau-
taire. Ce partage déploie donc des effets d’exclusivité ; mais des effets qui ne
sont pas définitifs pour autant, dans la mesure où les retours en arrière
demeurent possibles2. 3o S’agissant des compétences complémentaires enfin,
leur liste exhaustive est établie à l’article  6 TFUE3. Les actions d’appui, de
coordination ou de complément, de leur vrai nom, reposent sur un principe de
simultanéité, et non de préemption communautaire. Les secteurs concernés,
qui entrent ponctuellement dans la sphère d’action européenne, ne perdent
pas leur nature de compétences nationales. L’Union se contente simplement
d’y intervenir via des programmes d’appui, des actions d’encouragement ou
la mise en œuvre de procédures de coordination.

3. VERS LA CONSÉCRATION JURIDIQUE DE LA SUBSIDIARITÉ


Deuxième niveau de contextualisation juridique  : l’incubation prémaas-
trichtienne. Le mot subsidiarité surgit dans le discours communautaire à
partir du milieu des années 1970, non pas dans un texte juridique mais dans la
littérature grise émanant de la Commission. Trois rapports officiels publiés
coup sur coup en 1975, 1976 et 1977 mentionnent, nommément ou implicite-
ment, le principe de subsidiarité.
Un rapport de la Commission sur l’Union européenne, publié le 26 juin
1975, s’y réfère de manière expresse. Mais, sans force de droit, le texte ne dis-
posait d’aucune valeur juridique :
« Pas plus que les Communautés actuelles, dit le point 12 du rapport, l’Union
européenne ne doit conduire à la création d’un super État centralisateur. Par
conséquent, et conformément au principe de subsidiarité, ne seront attribuées à
l’Union que les tâches que les États membres ne pourront plus accomplir avec
efficacité. Si l’on veut attribuer à l’Union des compétences non prévues par
l’acte constitutif, il faudra amender celui-ci, par une procédure qui comportera
sans doute la ratification de tous les États membres. »

1. TFUE, article  4 (JOUE, C 83, 30  mars 2010). Il s’agit du Marché intérieur, de la cohésion
économique, sociale et territoriale, de l’agriculture et de la pêche (sauf compétences exclusives),
de l’environnement, de la protection des consommateurs, des transports, de l’énergie, de l’espace
de liberté, de sécurité et de justice, de la sécurité sanitaire.
2. La compétence des États est réactivée si l’Union renonce à exercer la sienne (en vertu des
principes de subsidiarité et de proportionnalité par exemple) : « Les États membres exercent à
nouveau leur compétence dans la mesure où l’Union a décidé de cesser d’exercer la sienne.  »
Cf., ici, la Déclaration 18 annexée au traité de Lisbonne relative à la délimitation des compé-
tences : l’Union cesse d’exercer sa compétence « lorsque les institution compétentes de l’Union
décident d’abroger un acte législatif, en particulier en vue de mieux garantir le respect constant
des principes de subsidiarité et de proportionnalité » (Traité de Lisbonne, Déclaration 18 concer-
nant la délimitation des compétences ; JOUE, C 306, 17 décembre 2007).
3. TFUE, article 6 (JOUE, C 83, 30 mars 2010). Elles interviennent dans la protection et l’amé-
lioration de la santé humaine, l’industrie, la culture, le tourisme, l’éducation, la jeunesse, le sport
et la formation professionnelle, la protection civile et la coopération administrative.
468 La subsidiarité germanique...

Avant de préciser :
« Il va de soi que dans la détermination des compétences de l’Union, le principe
de subsidiarité trouve sa limite dans la nécessité que l’Union ait suffisamment
de compétences pour que sa cohésion soit assurée1. »
Balancement bien pesé entre principe d’intégration et principe d’effica-
cité2 : nous le retrouverons plus loin au cœur même de la subsidiarité maas-
trichtienne.
Un deuxième rapport, rédigé sous la direction du Belge Léo Tindemans,
paraît l’année suivante, en 1976 ; rapport dans lequel le mot subsidiarité est
absent (il a été retiré de la version définitive du document) mais l’idée présente
de manière implicite, ainsi que peuvent en témoigner les propositions émises
pour améliorer le partage des compétences au sein des Communautés3. Elles
sont pour l’essentiel issues du travail de Riccardo Perissich, directeur de
cabinet du Commissaire en charge de la politique industrielle, Altiero Spinelli4.
En 1977, paraît un troisième document, fruit du travail d’un groupe d’écono-
mistes de la Commission placé sous la houlette de Sir Donald MacDougall.
Portant plus spécialement sur la question du fédéralisme fiscal, notion très en
vogue à l’époque5, le rapport conclusif mentionnait expressis verbis le principe

1. Un autre paragraphe s’intercale entre les deux extraits : « L’Union aura donc une compétence
d’attribution, ce qui signifie que les domaines de sa compétences seront déterminés dans son acte
constitutif, les autres domaines demeurant réservés aux États membres. Il n’y aurait pas à cet
égard de novation par rapport aux Communautés actuelles. Comme dans celles-ci, les compé-
tences attribuées à l’Union pourront être de trois ordres : soit exclusives, soit concurrentes, soit
potentielles [...]. Les conditions d’exercice de ces compétences pourront bien entendu être déter-
minées selon les matières  » (Rapport de la Commission sur l’Union européenne, 26  juin 1975,
point  12 ; Bull. CE, Supplément 5-75, p.  10-11). Rapport adressé par François-Xavier Ortoli,
Président de la Commission à Liam Cosgrave, Président en exercice du Conseil européen en tant
que Premier ministre d’Irlande. Pour une contextualisation du document, cf., ici, M. BURGESS,
Federalism and European Union  : Political Ideas, Influences and Strategies in the European
Community. 1972-1987, Londres, New York, Routledge, 1989, p. 81-92.
2. Peut-être issu du débat qui venait d’opposer les commissaires Dahrendorf et Spinelli.
3. L. TINDEMANS, dir., Rapport sur l’Union politique de l’Europe, 1975 (Bull. CE, Supplé-
ment 1-76). Cf., par exemple, H. SCHNEIDER, W. WESSELS, dir., Auf dem Weg zur Euro-
päischen Union ? Diskussionsbeiträge zum Tindemans-Bericht, Bonn, Europa Union, 1977.
4. Ricardo Perissich deviendra plus tard Directeur général du Marché intérieur et des Affaires
industrielles sous Jacques Delors. Sur le principe de subsidiarité, cf. R.  PERISSICH, «  Le
principe de subsidiarité, fil conducteur de la politique de la Communauté dans les années à
venir », Revue du Marché commun et de l’Union européenne, 1992, 3, p. 5-11. L’influence de
Spinelli sur le rapport Tindemans est rappelée par Jacques Delors dans son discours prononcé à
Maastricht en 1991 (J. DELORS, « Le principe de subsidiarité : contribution eu débat », Subsi-
diarité : défi du changement, op. cit., p. 8 ; Le Nouveau concert européen, op. cit., p. 164).
5. Sur le sujet, cf. W. E. OATES, Fiscal Federalism, New York, Harcourt, Brace, Jovanovich,
1972 ; « Ein ökonomischer Ansatz zum Föderalismusproblem », Föderalismus, éd. G. KIRSCH,
Stuttgart, Fischer, 1977, p. 5-26 ; « An Essay on Fiscal Federalism », Journal of Economic Litera-
ture, 1999, 37 (3), p.  1120-1149. Cf. aussi la littérature de la période maastrichtienne  :
D. BUREAU, P. CHAMPSAUR, « Fiscal Federalism and European Economic Unification »,
The American Economic Review, 1992, 82 (2), p. 88-92 ; A. PRATE, « Les finances de la Com-
munauté européenne », Commentaire, 1992-1993, 15 (60), p. 815-822 ; S. SMITH, « “Subsidi-
arity” and the Coordination of Indirect Taxes in the European Community », Oxford Review of
Economic Policy, 1993, 9 (1), p. 67-94 ; H.-W. SINN, « Wieviel Brüssel braucht Europa ? Subsi-
diarität, Zentralisierung und Fiskalwettbewerb im Lichte der ökonomischen Theorie », Staats-
wissenschaften und Staatspraxis, 1994, 2 (5), p. 155-186. De manière générale, pour l’établissement
d’un lien avec le principe de subsidiarité  : A.  BRETON, A.  CASSONE, A.  FRASCHINI,
Subsidiarité et Europe maastrichtienne. La confusion fédérale 469

de subsidiarité. Sa définition en l’espèce : le pouvoir et la charge des services


publics doivent reposer sur les populations concernées et qui en bénéficient
directement. S’en suivait une préconisation d’augmentation du budget
européen via l’application de la subsidiarité aux fins d’une mise en œuvre plus
optimale des grandes politiques économiques1. Le schéma général dessiné pro-
posait de réserver au niveau européen les orientations stratégiques à long
terme, les grandes politiques macro-économiques, les mesures d’ajustement
structurel ainsi que les actions contracycliques ; alors que les dépenses d’édu-
cation, de santé, de sécurité sociale et de logement devaient revenir aux niveaux
subsidiaires (entendre ici : l’échelon étatique voire les échelons infra-étatiques).
Dès les tout débuts de la décennie suivante, la première législature euro-
péenne élue au suffrage universel direct s’empare du principe. Peut-être se
sentait-elle investie d’une légitimité constituante. Très vite, dès 1981, la subsi-
diarité fera une entrée remarquée dans les travaux de la Commission parle-
mentaire chargée des affaires institutionnelles, travaux qui déboucheront sur
le projet Spinelli. Un an plus tôt, le bouillonnant eurodéputé italien, désireux
de renouer avec les ambitions de l’après-guerre, avait fondé à Strasbourg le
Club du Crocodile, groupe de réflexion fédéraliste. C’est de cette enceinte
qu’émanera l’essentiel du texte, lui-même reprenant les solutions préconisées
dans le projet de Communauté politique européenne, élaboré au début des
années 1950 mais aussitôt enterré suite à l’échec de la Communauté euro-
péenne de Défense (CED). En 1984, le projet de traité instituant l’Union
européenne, de son vrai nom, est soumis au vote du Parlement, qui l’ap-
prouve sous la forme d’une résolution2. Cependant, le texte n’ira pas plus
loin ; sa philosophie heurtait de manière trop frontale la susceptibilité des
États. Mais il n’en constituera pas moins une référence omniprésente dans les
milieux militants du fédéralisme européen, et exercera une influence décisive
sur les débats préparatoires de l’Acte unique puis du traité de Maastricht.
Force est aujourd’hui de constater que l’essentiel des dispositions du projet
Spinelli a été intégré dans les traités  : généralisation du vote à la majorité,

« Decentralization and Subsidiarity : Toward a Theoretical Reconciliation », University of Penn-


sylvania Journal of International Economic Law, 1998, 19 (1), p. 21-51.
1. D.  MACDOUGALL, dir., Le Rôle des finances publiques dans l’intégration européenne,
1977 (Série Économie et finances, A13-B13).
2. PARLEMENT EUROPÉEN, Résolution relative au projet de traité instituant l’Union euro-
péenne (projet dit Spinelli), 14 février 1984 (JOCE, C 77, 19 mars 1984). Crocodile est le nom du
restaurant strasbourgeois où le groupe de députés spinelliens avait pris l’habitude de se réunir.
Cf. A. THIÉRY, « Le principe de subsidiarité au Parlement européen », L’Europe en formation,
1990-1991, 280, p. 21-26 ; V. CONSTANTINESCO, « Le projet de traité créant l’Union euro-
péenne  : analyse et perspectives  », ibid., 1984, 256, p.  53-62 ; R.  CARDOZO, R.  CORBETT,
« The Crocodile Initiative », European Union : The European Community in Search of a Future,
éd. J. LODGE, New York, St Martin’s Press, 1986, p. 15-46 ; O. SCHMUCK, « The European
Parliament’s Draft Treaty Establishing European Union (1979-1984) », The Dynamics of Euro-
pean Union, éd. R.  PRYCE, Londres, Routledge, 1987, p.  188-216 ; C.  ROGNONI VER-
CELLI, «  Spinelli’s Initiatives in the European Parliament  : The Crocodile Club, the Institu-
tional Commission and the Draft Treaty », The Federal Idea. The History of Federalism since
1945, éd. A. BOSCO, Londres, New York, Lothian Foundation Press, 1992, p. 299-310. Pour
une mise en perspective, cf. J.-V. LOUIS, «  Les projets de Constitution dans l’histoire de la
construction européenne », La Constitution de l’Europe, dir. P. MAGNETTE, op. cit., p. 41-57.
470 La subsidiarité germanique...

codécision et renforcement des pouvoirs du Parlement, application du


principe de subsidiarité, achèvement du Marché intérieur1.
S’agissant plus particulièrement de la subsidiarité, le projet Spinelli propo-
sait l’une des définitions juridiques les plus abouties du principe, dans laquelle
on a pu voir, à juste titre, une reprise des solutions du fédéralisme allemand.
L’amélioration de la répartition des compétences entre la Communauté et les
États — annonçait clairement le préambule — suppose de :
« confier à des institutions communes, conformément au principe de subsidia-
rité, les seules compétences nécessaires pour mener à bien des tâches qu’elles
[peuvent] réaliser de manière plus satisfaisante que les États pris isolément ».
Cependant, l’apparition sémantique survenait hors du corps juridique de
la résolution. Et aucune mention du principe n’était à constater à l’article 12-2,
l’article qui traitait tout spécialement de la question des compétences2. On
aurait pu s’en étonner s’agissant d’un projet chapeauté par Altiero Spinelli.
Mais cette absence trouvait aisément à s’expliquer3  : l’ancien Commissaire
Spinelli n’avait oublié ni la réversibilité du principe (il fut le principal contra-
dicteur de Ralf Dahrendorf lors de la dispute de 1971 mentionnée plus haut),
ni les tergiversations du rapport Tindemans (la référence à la subsidiarité fut
finalement supprimée de la version définitive du document). Déçu et refroidi
par les faibles capacités mobilisatrices du mot d’ordre mais aussi par le peu
de garanties fédéralistes qu’il était capable d’offrir, Altiero Spinelli ne fut pas
en première ligne pour défendre sa présence sémantique dans le texte consti-
tutionnel. C’est en réalité l’eurodéputé britannique Christopher Jackson,
partisan du fédéralisme européen, qui pesa personnellement en faveur de la
mention du principe de subsidiarité.

Contrairement à une idée répandue, la locution principe de subsidiarité


ne figurait pas dans l’Acte unique européen. Mais, si le mot n’y était pas
explicitement mentionné, la définition de la chose rappelait on ne peut
plus clairement le vocabulaire du projet spinellien et annonçait déjà celui du
traité sur l’Union. La similitude des mots ainsi que les résonances séman-
tiques laissaient peu de doutes sur une parenté aujourd’hui bien établie. Deux
domaines seulement étaient concernés par cette subsidiarité maastrichtienne
avant la lettre : d’une part, la recherche et le développement technologique
pour lesquels la Communauté mène les actions «  qui complètent [celles]
entreprises dans les États membres  »4 ; d’autre part et surtout, l’environne-

1. Point sur lequel Bino Olivi avait insisté dans sa rétrospective : B. OLIVI, L’Europe difficile.
Histoire politique de la Communauté européenne, Paris, Gallimard, 1998, p. 307-328.
2. « Lorsque le présent traité attribue une compétence concurrente à l’Union, l’action des États
membres s’exerce là où l’Union n’est pas intervenue. L’Union n’agit que pour mener les tâches
qui peuvent être entreprises en commun de manière plus efficace que par les États membres
œuvrant séparément, en particulier celles dont la réalisation exige l’action de l’Union parce que
leurs dimensions ou leurs effets dépassent les frontières nationales.  » (PARLEMENT
EUROPÉEN, Résolution relative au projet Spinelli, article 12-2 ; JOCE, C 77, 19 mars 1984).
3. Cf. E.  GAZZO, «  Lever le voile de la “subsidiarité” pour ne pas tomber dans les pièges
qu’elle peut cacher », Revue du Marché unique européen, 1992, 4, p. 221-225.
4. Acte unique européen, article 24 (JOCE, L 169, 29 juin 1987).
Subsidiarité et Europe maastrichtienne. La confusion fédérale 471

ment1, domaine pour lequel la Communauté agit si, et seulement si, les objec-
tifs « peuvent être mieux réalisés au niveau communautaire qu’au niveau des
États membres pris isolément  ». Bientôt appelée à se répandre, la formule
sera généralisée par le traité de Maastricht à l’ensemble des compétences
concurrentes. D’où la confusion rétrospective avec l’énoncé formel du
principe de subsidiarité.
Dans la même séquence politique, il faut citer le contrepoint social du très
économique Acte unique européen  : la Charte communautaire des droits
sociaux fondamentaux des travailleurs adoptée en 19892, qui, pour sa part, men-
tionnait explicitement le principe de subsidiarité, dans un esprit delorien d’appel
à la société civile et d’« implication active des partenaires sociaux ». Thème lui
aussi destiné à une large diffusion dans la rhétorique communautaire :
« Considérant que les initiatives à prendre concernant la mise en œuvre de ces
droits sociaux relèvent, selon les cas, de la responsabilité des États membres et
des entités qui les constituent ou de la responsabilité de la Communauté euro-
péenne, en application du principe de subsidiarité ; que cette mise en œuvre
peut prendre la forme de lois, de conventions collectives ou de pratiques exis-
tantes aux différents niveaux appropriés et qu’elle nécessite, le cas échéant,
l’implication active des partenaires sociaux [...]3. »
Fin des années 1980-début des années 1990, entre l’Acte unique et le traité de
Maastricht, une deuxième fournée de littérature grise et de rapports officiels

1. « La Communauté, lit-on à l’article 130 R § 4 (devenu article 174 TCE), agit en matière d’en-
vironnement dans la mesure où les objectifs fixés au paragraphe 1 (préservation, protection et
amélioration de l’environnement ; contribution à la protection de la santé des personnes ; utilisa-
tion prudente et rationnelle des ressources naturelles) peuvent être mieux réalisés au niveau
communautaire qu’au niveau des États membres pris isolément. Sans préjudice de certaines
mesures ayant un caractère communautaire, les États membres assurent le financement et l’exé-
cution des autres mesures.  » (Acte unique européen, article  25 ; JOCE, L 169, 29  juin 1987).
Cf. « Le principe de subsidiarité et la politique européenne de l’environnement », Subsidiarité :
défi du changement, op. cit., p. 95 sq. ; K. LENAERTS, « The Principle of Subsidiarity and the
Environment in the European Union : Keeping the Balance of Federalism », Fordham Interna-
tional Law Journal, 1994, 17, p. 846-895 ; L. van BRINKHORST, « Subsidiarity and EC Envi-
ronmental Policy  : A Panacea or a Pandora’s Box ?  », European Environmental Law Review,
1993, 2, p. 16-24 ; W. P. J. WILS, « Subsidiarity and EC Environmental Policy : Taking People’s
Concerns Seriously », Journal of Environmental Law, 1994, 6 (1), p. 85-91 ; G. CROSS, « Sub-
sidiarity and the Environment », 1995 Yearbook of European Law, 1996, 15, p. 107-134. Pour
une étude de cas récente, cf. G. DESMOULIN, « Les aides financières de la Communauté euro-
péenne en matière de protection de l’environnement : un exemple de subsidiarité budgétaire et
financière ? », Revue française de finances publiques, 2005, 90, p. 97-107.
2. De manière symptomatique, la Charte déclare que la même importance doit être accordée aux
dimensions économique et sociale de la construction européenne : « Considérant qu’elle [la pré-
sente Charte] vise [...] à affirmer de façon solennelle que la mise en œuvre de l’Acte unique doit
pleinement prendre en compte la dimension sociale de la Communauté et que, dans ce contexte,
il est nécessaire d’assurer aux niveaux appropriés le développement des droits sociaux des
citoyens de la Communauté européenne.  » (Charte communautaire des droits sociaux fonda-
mentaux des travailleurs, 10 décembre 1989, considérant 13 ; COM (89) 471 final).
3. Charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs, considérant 14
(COM (89) 471 final). Cf. aussi COMMISSION, Rapports sur la Charte communautaire des
droits sociaux fondamentaux des travailleurs, 1991-1995 (COM (91) 511 final, COM (92) 562
final, COM (93) 668 final, COM (95) 184 final). On peut voir ici, via la culture chrétienne de
Jacques Delors, une tentative de connexion avec la subsidiarité catholique (T.  C. KOHLER,
« Lessons From the Social Charter : State, Corporation, and the Meaning of Subsidiarity », The
University of Toronto Law Journal, 1993, 43 (3), p. 607-628, spécialement p. 621 sq.).
472 La subsidiarité germanique...

occupe le devant de la scène européenne. À partir de l’arrivée de Jacques Delors


à Bruxelles, le principe de subsidiarité prend une place de plus en plus impor-
tante dans le débat européen et fait l’objet de nombreux rapports institution-
nels. Citons ici, par ordre chronologique de parution, le rapport Padoa-
Schioppa d’avril 1987 sur le troisième élargissement, le rapport Delors d’avril
1989 sur l’Union économique et monétaire1, le rapport Martin de février 1990
sur la conférence intergouvernementale (dans le cadre de la stratégie du Parle-
ment pour l’Union européenne). Le rythme s’emballe en juin 1990, mois pen-
dant lequel trois rapports sont présentés coup sur coup : le rapport Colombo
sur les orientations du Parlement relatives au projet de Constitution pour
l’Union européenne, le rapport Duverger relatif à la préparation de la rencontre
avec les parlements nationaux sur l’avenir de la Communauté, et le rapport Gis-
card d’Estaing rédigé au nom de la commission institutionnelle du Parlement2.
Arrêtons-nous sur ce dernier document entièrement consacré au principe
de subsidiarité3. Reprenant en grande partie la formulation du projet Spinelli,
l’article 3 bis du projet de traité intégré dans le rapport stipulait que :
« la Communauté n’agit que pour mener les tâches qui lui sont confiées par le
traité et pour les objectifs définis par ceux-ci. Au cas où les compétences ne sont
[...] pas complètement dévolues à la Communauté, celle-ci, dans la mise en
œuvre de son action, agit dans la mesure où la réalisation de ces objectifs exige
son intervention parce que leur dimension ou leurs efforts dépassent les fron-
tières des États membres ou peuvent être entrepris de manière plus efficace par
la Communauté que par les États membres [...]. »
Le rapport Giscard d’Estaing proposait d’établir des listes de compétences
tout en faisant de la subsidiarité la « règle d’or du fédéralisme européen »4.
Il prévoyait à cette fin deux dispositions  : 1o attribuer au Conseil le rôle de

1. Sur cette dimension en particulier, cf., par exemple, «  Le principe de subsidiarité dans le
domaine de l’Union monétaire européenne », Subsidiarité : défi du changement, op. cit., p. 71 sq.
2. T. PADOA-SCHIOPPA, dir., Rapport sur les conséquences économiques du troisième élar-
gissement de la Communauté, 23  avril 1987 (Bull. CE 4-87) ; J.  DELORS, dir., Rapport sur
l’Union économique et monétaire, 1989 (Bull. CE 4-89) ; D. MARTIN, dir., Rapport intérimaire
fait au nom de la commission institutionnelle sur la conférence intergouvernementale dans le
cadre de la stratégie du Parlement européen pour l’Union européenne, 27 février 1990 (PE Doc.
A3-47/90) ; E. COLOMBO, dir., Rapport intérimaire fait au nom de la commission institution-
nelle sur les orientations du Parlement européen relatives à un projet de constitution pour l’Union
européenne, 25  juin 1990 (PE Doc. A3-0165/90 A, B) ; M.  DUVERGER, dir., Rapport intéri-
maire fait au nom de la commission institutionnelle sur la préparation de la rencontre avec les
parlements nationaux sur l’avenir de la Communauté, 22 juin 1990 (PE Doc. A3-162/90 A, B).
Nota. Il ne faut pas confondre Tommaso Padoa-Schioppa, ancien ministre de l’Économie du
gouvernement Prodi, et Antonio Padoa-Schioppa, frère du premier, grand juriste de la Faculté
de Milan. Tous les deux se sont référés à la subsidiarité (A. PADOA-SCHIOPPA, « Sur les ins-
titutions politiques de l’Europe nouvelle », Commentaire, 1992, 15 (58), p. 283-292 ; « Modèles,
instruments, principes  », Justice et législation [1997], dir. A. PADOA-SCHIOPPA, trad. fr.
M.-A. de Kisch, Paris, PUF, 2000, p. 395-434 ; T. PADOA-SCHIOPPA, « Economic Federa-
lism and the European Union », Rethinking Federalism : Citizens, Markets and Governments in
a Changing World, éd. K. KNOP, S. OSTRY, et al., op. cit., p. 154-165 ; « Demos et Kratos en
Europe », trad. fr. O. Laurin, Commentaire, 2010, 33 (129), p. 99-107).
3. Le rapport comprend deux volumes : V. GISCARD d’ESTAING, dir., Rapport intérimaire
sur le principe de subsidiarité fait au nom de la commission institutionnelle du Parlement
européen, 22 juin 1990 (PE Doc. A3-163/90 A) ; idem, 4 juillet 1990 (PE Doc. A3-0267/90 B).
4. V. GISCARD d’ESTAING, « La règle d’or du fédéralisme européen », art. cit., p. 63.
Subsidiarité et Europe maastrichtienne. La confusion fédérale 473

garant politique (maintien de l’unanimité pour tout élargissement du champ


des compétences communautaires au titre de l’article 235 TCEE) ; 2o accorder
à l’ensemble des institutions bruxelloises et/ou à un nombre déterminé de par-
lementaires la possibilité de saisir la Cour de justice sur toute question ayant
trait à la portée de propositions ou actes susceptibles d’entraver l’application
du principe de subsidiarité1. À l’instar de celles du projet Spinelli, ces proposi-
tions n’aboutiront pas, mais elles n’en ont pas moins cristallisé un climat de
réflexion, qui a puissamment nourri les débats prémaastrichtiens de la Confé-
rence intergouvernementale2. La Commission européenne était d’accord avec
les conclusions du rapport pour faire de la subsidiarité un principe directeur de
l’action communautaire dans le cadre d’un article 235 TCEE rénové. De leur
côté, les représentants du Parlement européen et des parlements nationaux de
la Communauté européenne exprimaient pareillement leur vœu de faire de la
subsidiarité le guide de la nouvelle attribution des compétences à venir3.
Cette cascade de rapports n’a pas manqué de susciter une intense activité
parlementaire. À la suite du rapport Colombo, par exemple, deux résolutions
seront votées à Strasbourg, qui réservèrent une place non négligeable au
principe de subsidiarité — mais le plus souvent dans les préambules ou autres
exposés des motifs : l’une, en date du 11 juillet 1990, sur les orientations du
Parlement européen relatives à un projet de constitution européenne4 ; l’autre,
en date du 12 décembre 1990, sur les bases constitutionnelles de l’Union5. À

1. Selon un mécanisme de saisine suspensive : il était prévu que l’entrée en vigueur de l’acte soit
suspendue jusqu’à ce que la Cour ait statué au terme d’une procédure d’urgence Dans la même
veine, mentionnons le rapport Poniatowski (du nom du sénateur français, ancien bras droit
et ministre de Valéry Giscard d’Estaing) présenté lors de la Conférence des parlements des
Communautés européennes en novembre 1990, lequel reprenait cette même idée en proposant la
création d’un Sénat européen qui aurait eu vocation à devenir le garant du principe de subsidia-
rité et aurait eu pour mission, en marge de la jurisprudence de la Cour de justice, de clarifier le
partage des compétences (SÉNAT, Rapport d’information fait au nom de la Délégation pour les
Communautés européennes, dir. M. PONIATOWSKI, 1991-1992, 74, 1992-1993, 45).
2. L’ouverture d’une conférence intergouvernementale sur l’Union politique a été décidée lors
du Conseil européen de Dublin des 25-26 juin 1990 (Bull. CE 6-1990, point I.11., point I.35.).
Les conférences intergouvernementales qui aboutiront au traité de Maastricht ont été lancées
lors du Conseil de Rome des 14-15 décembre 1990 (Bull. CE 12-1990, point I.4., point I.8.).
3. COMMISSION EUROPÉENNE, Avis sur l’Union politique, 21  octobre 1990 (Bull. CE
10-1990, point 1.1.5.) ; CONFÉRENCE des PARLEMENTS de la COMMUNAUTÉ EURO-
PÉENNE, Déclaration finale, Rome 30 novembre 1990 (Bull. CE 11-1990, points 1.1.1., 2.3.4.).
4. PARLEMENT EUROPÉEN, Résolution sur les orientations relatives à un projet de constitu-
tion européenne, 11 juillet 1990 (JOCE, C 231, 17 septembre 1990). Le considérant H reprend le
projet Spinelli : « Considérant que la détermination des compétences futures de l’Union devra
s’inspirer du principe des compétences d’attribution et du principe de subsidiarité, sur la base
duquel elle sera tenue de s’acquitter des tâches qui du fait de leur ampleur ou de leurs effets ou
pour motifs de mise en œuvre efficace, sont susceptibles d’être mieux exécutées par les institu-
tions de l’Union que par les États pris isolément.  » Le point I-f parle d’«  une répartition des
compétences fondée lors de leur attribution d’abord, ou, notamment en ce qui concerne les
compétences concurrentes, lors de leur exercice ensuite, sur le principe de subsidiarité. »
5. PARLEMENT EUROPÉEN, Résolution sur les bases constitutionnelles de l’Union euro-
péenne, 12 décembre 1990 (JOCE, C 19, 28 janvier 1991). Au point 68 du préambule, on peut
lire : « Lorsque la réalisation des buts de l’Union exige que celle-ci ait des compétences qui ne lui
sont pas expressément attribuées, la loi peut lui conférer les pouvoirs nécessaires en vertu du
principe de subsidiarité. Toutefois, dans ce cas, le vote du Parlement à la majorité des membres
qui le composent et le vote du Conseil à la majorité qualifiée sont toujours requis. » La subsidia-
rité est mentionnée à multiples autres reprises, notamment au point 11 du préambule.
474 La subsidiarité germanique...

la suite du rapport Giscard d’Estaing, une résolution est par ailleurs adoptée
le 11 juillet 1990. Résolution qu’il importe de citer longuement pour l’ampli-
tude nouvelle qu’elle donne significativement à la subsidiarité. Elle clôt la
période prémaastrichtienne du principe :
« [Le Parlement européen] constate que le principe de subsidiarité figure déjà
implicitement dans les traités, que, depuis l’Acte unique européen, il y est men-
tionné de façon explicite et que le Parlement européen dans son projet insti-
tuant l’Union européenne a voulu lui donner une consécration politique émi-
nente et incontestable [...] ; est conscient de l’importance du principe de
subsidiarité dans la perspective de l’Union européenne ; est partisan du respect
de l’acquis communautaire, mais affirme que la répartition des tâches, des
domaines d’activité et des compétences devra tenir compte aussi bien du stade
actuel que de l’évolution inévitable de l’Union en vue de promouvoir et de
garantir les intérêts de l’ensemble des citoyens de l’Union, et de la spécificité des
régions [....] ; estime que la Cour de justice devrait être consacrée comme juri-
diction constitutionnelle ayant pour mission notamment de faire respecter la
répartition des compétences entre la Communauté européenne et les États
membres ; dans le cadre du respect du principe de subsidiarité, elle pourrait
être saisie soit à titre consultatif, à l’occasion de la première proposition de
la Commission ou des autres institutions bénéficiant du droit d’initiative, soit
a posteriori, par les États membres, par les institutions communautaires et les
juridictions suprêmes des États membres1. »

4. LES AMBIGUÏTÉS MAASTRICHTIENNES ET LEURS EFFETS

Troisième niveau de contextualisation juridique : la lettre du traité de Maas-


tricht2. C’est le traité instituant l’Union européenne, on le sait, et plus parti-
culièrement son article 5, qui intronise officiellement le principe de subsidia-
rité dans le droit communautaire positif. À lire attentivement l’ensemble du
traité, on observe que la locution principe de subsidiarité apparaît à deux
autres reprises dans le préambule et à l’article 2. Trois occurrences au total,
qui ne sont pas sans conférer au vocable des significations potentiellement
contradictoires. Seuls le préambule et l’article 5 présentent ici un réel intérêt ;
l’article  2 ne fait que renvoyer à l’article  5. Mais ce renvoi lui-même ne
manque pas d’ajouter à la tension, qui travaille de bout en bout la subsidiarité
communautaire, entre principe politique et règle juridique, entre déclaration
d’intention et portée opérationnelle :
« Les objectifs de l’Union sont atteints conformément aux dispositions du pré-
sent traité, dans les conditions et selon les rythmes qui y sont prévus, dans le
respect du principe de subsidiarité tel qu’il est défini à l’article 5 du traité insti-
tuant la Communauté européenne3. »

1. PARLEMENT EUROPÉEN, Résolution sur les orientations relatives à un projet de Consti-


tution pour l’Union européenne, 11 juillet 1990, § 1, 4, 14 (JOCE, C 231, 17 septembre 1990).
2. Traité de Maastricht (JOCE, C 191, 29 juillet 1992).
3. Traité de Maastricht, article 2 (JOCE, C 191, 29 juillet 1992).
Subsidiarité et Europe maastrichtienne. La confusion fédérale 475

Sans surprise, car c’est conforme à sa vocation naturelle, le préambule en


reste au stade de la déclaration d’intention : unité supranationale mais proxi-
mité locale. Les États membres, est-il dit, affirment leur volonté de poursuivre
« une union sans cesse plus étroite entre les peuples de l’Europe dans laquelle les
décisions sont prises le plus près possible des citoyens, conformément au principe
de subsidiarité »1.
À cette première difficulté, s’en ajoute une seconde : l’article 5 est composé
de trois alinéas, certes interdépendants, mais qui donnent à la subsidiarité un
sens différent selon que l’on considère le principe lato sensu (article  5 dans
son ensemble) ou le principe stricto sensu (article 5 al. 2 seulement).
« La Communauté agit dans les limites des compétences qui lui sont conférés et
des objectifs qui lui sont assignés par le présent traité.
Dans les domaines qui ne relèvent pas de sa compétence exclusive, la Commu-
nauté n’intervient, conformément au principe de subsidiarité, que si et dans la
mesure où les objectifs de l’action envisagée ne peuvent pas être réalisés de manière
suffisante par les États membres et peuvent donc, en raison des dimensions ou
des effets de l’action envisagée, être mieux réalisés au niveau communautaire.
L’action de la Communauté n’excède pas ce qui est nécessaire pour atteindre les
objectifs du présent traité2. »
Au sens strict, l’alinéa 1er définit le principe d’attribution des compétences3.
Nous l’avons déjà dit, les compétences attribuées à l’Union par les traités
correspondent à ce que la Cour appelle compétences exclusives par nature. Le
deuxième alinéa consacre également les élaborations jurisprudentielles des
juges communautaires ; il ne concerne pas les compétences exclusives de la
Communauté mais les compétences dites partagées. C’est en ce sens qu’il faut
lire la définition par la négative du domaine matériel d’application du
principe  : la subsidiarité considère les domaines qui ne relèvent pas de la
compétence exclusive de la Communauté. Si le principe de subsidiarité s’ap-
pliquait également aux compétences exclusives de l’Union, il deviendrait un
principe répartiteur des compétences et non plus seulement un principe régu-
lateur de leur exercice4. Or, dans le cadre de ce deuxième alinéa, la question

1. « Résolus à poursuivre le processus créant une union sans cesse plus étroite entre les peuples
de l’Europe, dans laquelle les décisions sont prises le plus près possible des citoyens conformé-
ment au principe de subsidiarité  » (Traité de Maastricht, préambule (JOCE, C 191, 29  juillet
1992). Citons aussi l’article 1er al. 2, où la subsidiarité n’apparaît pas explicitement mais où les
mots ont la même résonance : « Le présent traité marque une nouvelle étape dans le processus
créant une union sans cesse plus étroite entre les peuple de l’Europe, dans laquelle les décisions
sont prises dans le plus grand respect possible du principe d’ouverture et le plus près possible des
citoyens. » (Traité de Maastricht, article 1er al. 2 (JOCE, C 191, 29 juillet 1992).
2. Traité de Maastricht, article 5 al. 1, al. 2, al. 3 (JOCE, C 191, 29 juillet 1992).
3. Das Prinzip der begrenzten Einzelermächtigung si l’on veut reprendre les mots de la doctrine
allemande. Rappelons la formulation du traité de Lisbonne : « toute compétence non attribuée à
l’Union dans les traités appartient aux États membres  » (TUE, article  3 bis ; JOUE, C 306,
17  décembre 2007). Cette stipulation reprend les termes du projet de traité constitutionnel
adopté en 2004 (Projet de traité établissant une Constitution pour l’Europe, article I-11-2).
4. Cf. K. LENAERTS, P. van YPERSELE, « Le principe de subsidiarité et son contexte », art.
cit. ; K.  LENAERTS, «  Regulating the Regulatory Process  : “Delegation of Powers” in the
European Community », European Law Review, 1993, 18 (1), p. 23-49 ; R. DEHOUSSE, « La
subsidiarité et ses limites », art. cit. ; D. GADBIN, « Organisation des compétences et stratégies
d’intégration communautaire après le traité de Maastricht », Revue du droit public, 1995, 111 (5),
476 La subsidiarité germanique...

n’est pas de savoir si la Communauté est ou non compétente. Elle l’est par
construction1. Les incertitudes demeurent néanmoins  : dans les cas où
l’Union est compétente, doit-elle agir ou ne pas agir ? À quelles conditions
l’intervention de l’Union est-elle justifiée ?
C’est précisément pour répondre à cette question politique de la nécessité,
ou non, de l’intervention communautaire, qu’a été conçu le principe maas-
trichtien de subsidiarité (entendu au sens strict). Sorte de complément dyna-
mique à la règle statique énoncée à l’alinéa 1er, il conditionne l’exercice des
compétences concurrentes. Mais le contenu des conditions posées reste sujet
à débat.
L’analyse séparée des deux premiers alinéas de l’article 5 ne pose pas de pro-
blèmes particuliers. Rien que de très normal dans ces formules plus ou moins
alambiquées, spécialement calibrées pour réserver une marge d’interprétation
au moment de l’application. Les interrogations surviennent cependant dès lors
qu’on prend soin de les mettre en relation. Même s’ils régissent deux types de
compétences apparemment bien définis, les alinéas 1 et 2 ne manquent pas de
se parasiter l’un l’autre par de nombreuses interférences. Renvoyant à des
considérations directement politiques, la contradiction interne comprise dans
cet article 5 s’accuse d’autant plus que la logique fonctionnaliste d’attribution
des compétences laisse bien peu d’espace à une subsidiarité ainsi formulée.
La lecture de l’alinéa 3 n’enlève rien à toute cette confusion. À la subsidia-
rité (nécessité) de l’alinéa précédent, il ajoute la proportionnalité (intensité).
Non plus issue d’un compromis politique mais des élaborations jurispruden-
tielles de la Cour, la proportionnalité concerne également les modalités
d’usage, de mise en œuvre et d’exercice des compétences (le comment) ; à la
différence de la subsidiarité, cependant, il s’attache à définir l’intensité adé-
quate de l’action envisagée, non sa nécessité2. Strictement entendue, la subsi-

p. 1293-1328. Depuis le traité de Lisbonne, ce point est désormais clairement affirmé dans les
textes fondateurs : « Le principe d’attribution régit la délimitation des compétences de l’Union.
Les principes de subsidiarité et de proportionnalité régissent l’exercice de ces compétences.  »
(TUE, article 5 § 1 ; JOUE, C 83, 30 mars 2010).
1. Si elle n’est juridiquement pas compétente, alors, par définition, elle ne peut agir. Si elle
compétente, en revanche, elle peut ne pas agir : la potentialité juridique d’une action n’est pas son
actualisation effective. Dit autrement  : disposer d’une compétence ne préjuge en rien de son
exercice, encore moins des modalités de sa mise en œuvre.
2. S’agissant de la définition jurisprudentielle du principe de proportionnalité, cf. CJCE, Inter-
nationale Handelsgesellschaft mbH c. Einführ und Vorratsstelle für Getreide und Futtermittell,
17 décembre 1970 (aff. 11-70, Rec., p. 1125) ; CJCE, Buitoni Forma, 21 juin 1979 (aff. 122-78,
Rec., p.  677) ; CJCE, Régina c. Maurice Donald Henn et John Frederick Ernest Darby,
14 décembre 1979 (aff. 34-79, Rec, p. 3795) ; CJCE, Valsabbia, 18 mars 1980 (aff. 164-78, Rec.,
p.  907) ; CJCE, Union départementale des syndicats CGT de l’Aisne c. SIDEF Conforama,
28 février 1991 (aff. C 312-89, Rec., p. I-997). S’agissant de la doctrine, cf. J. SCHWARZE, Euro-
pean Administrative Law [1988-1992], trad. angl., Luxembourg, Office des publications offi-
cielles des Communautés européennes, Londres, Sweet and Maxwell, 2006 ; G.  de BÚRCA,
« The Principe of Proportionality and its Applications in EC Law », 1993 Yearbook of European
Law, éd. A. BARAV, D. A. WYATT, 1993, 13, p. 105-150 ; W. van GERVEN, « The Effect of
Proportionality on the Actions of Member States of the European Community », The Principle
of Proportionality in the Law of Europe, éd. E.  ELLIS, Oxford, Hart, 1999, p.  1-37 ; S.  BER-
RADA, «  Subsidiarité et proportionnalité dans l’ordre juridique communautaire  », Revue des
affaires européennes, 1998, 8 (1-2), p. 48-61 ; P. L. LINDSETH, « Democratic Legitimacy and
Subsidiarité et Europe maastrichtienne. La confusion fédérale 477

diarité répond à la question du ob («  si  »), alors que la proportionnalité


répond à celle du wie1. De lege lata, en revanche, elle englobe assez naturelle-
ment les deux questions, comme en témoigne la formule «  si et dans la
mesure  ». D’où une oscillation entre deux lectures possibles de l’article  5
dans laquelle réside l’essentiel de la difficulté juridique : la proportionnalité
doit-elle être considérée comme un élément de la subsidiarité ? Ou, à l’in-
verse, la subsidiarité comme un élément de la proportionnalité ? La confusion
vient aussi de ce que, contrairement à la subsidiarité de l’alinéa 2, la propor-
tionnalité ne s’applique pas seulement aux compétences partagées, elle vaut
aussi pour les compétences exclusives de l’Union.

Reprenons les deux séries de tensions internes qui travaillent cet article2.
Efficacité et suffisance, tout d’abord. Telle que nous venons de la pré-
senter, la notion de nécessité fait intervenir deux critères cumulés. Un pre-
mier test compare l’efficacité respective de l’action nationale et de l’action
commune ; un second test mesure la valeur ajoutée communautaire par rap-
port aux réglementations nationales existantes3. Il s’agit, d’une part, de déter-

the Administrative Character of Supranationalism  : The Example of the European Commu-


nity  », Columbia Law Review, 1999, 99 (3), p.  628-738 ; C.  HENKEL, «  The Allocation of
Powers in the European Union  : A Closer Look at the Principle of Subsidiarity  », Berkeley
Journal of International Law, 2002, 20 (2), p. 359-386, spécialement p. 374 sq.
1. « Dans la question du ob, pour savoir si telle responsabilité peut incomber à l’instance infé-
rieure ou doit relever de la Fédération ; et si elle relève de la Fédération, [et] dans la question du
wie, pour savoir de quelle manière la Fédération fera appliquer les mesures nécessaires  »
(C. MILLON-DELSOL, Le Principe de subsidiarité, Paris, PUF, 1993, p. 39). Le clin d’œil ger-
manique dépasse de loin le simple simple registre linguistique : le droit allemand lit le principe de
subsidiarité à travers celui de proportionnalité, via notamment le principe de l’interdiction de
l’excès : forte emprise du comment (wie) sur le si (ob) (C. MILLON-DELSOL, L’État subsi-
diaire, op. cit., p. 207). Sur ce point, cf. M. HOFFMANN-BECKING, « Die Begrenzung der
Wirtschaftlichen Betätigung der öffentlichen Hand durch Subsidiaritätsprinzip und Übermass-
verbot », Festschrift H. J. Wolff, éd. C. F. MENGER, Munich, Beck, 1973, p. 445-462.
2. Pour des commentaires à chaud : Making Sense of Subsidiarity : How Much Centralization for
Europe ?, Londres, Centre for Economic Policy Research, Monitoring European Integration,
1993 ; A.  DUFF, «  Towards a Definition of Subsidiarity  », Subsidiarity within the Euro-
pean Community, Londres ; Federal Trust for Educational and Research, 1993, p.  7-33 ;
K.  LENAERTS, P.  van YPERSELE, «  Le principe de subsidiarité et son contexte  », art. cit. ;
G. STROZZI, « Le principe de subsidiarité dans la perspective de l’intégration européenne : une
énigme et beaucoup d’attente », Revue trimestrielle de droit européen, 1994, 30 (3), p. 373-390.
Récemment : D. WYATT, « Subsidiarity. Is It too Vague To Be Effective as a Legal Principle ? »,
Whose Europe ? National Models and the Constitution of the European Union, éd. K.  NICO-
LAÏDIS, S. WEATHERILL, Oxford, Oxford University Press, 2003, p. 86-97 ; C. BLUMANN,
«  Démocratie et subsidiarité  », Constitution européenne, démocratie et droits de l’homme, dir.
G.  COHEN-JONATHAN, J.  DUTHEIL de LA ROCHÈRE, op. cit., p.  133-154. Pour une
perspective critique, cf. G. DAVIES, « Subsidiarity : The Wrong Idea, In the Wrong Place, At the
Wrong Time », Common Market Law Review, 2006, 43 (1), p. 63-84 ; « Subsidiarity as a Method
of Policy Centralisation », Essays R. Lapidoth. The Shifting Allocation of Authority in Interna-
tional Law, éd. T. BROUDE, Y. SHANY, Oxford, Hart Publishing, 2008, p. 79-98.
3. Dans un document important sur lequel nous reviendrons (la communication du 27 octobre
1992), la Commission propose d’effectuer un test d’efficacité comparative entre l’action des États
et celle de la Communauté, suivi d’un test de proportionnalité (COMMISSION, Communica-
tion au Conseil et au Parlement, 27  octobre 1992 ; SEC (1992) 1990 final). Cf., par exemple,
C. D. EHLERMANN, « Quelques réflexions sur la communication de la Commission relative
au principe de subsidiarité », Revue du Marché unique européen, 1992, 4, p. 215-220.
478 La subsidiarité germanique...

miner si les moyens disponibles à l’échelon étatique sont suffisants (critère de


l’efficacité stricte) ; il s’agit, d’autre part, de savoir si l’échelon communautaire
est capable de parvenir à une meilleure réalisation de l’objectif (critère de l’ef-
ficience relative). Dans tous les cas, hypothèse des compétences non attribuées
oblige, les États disposent d’une présomption de compétence1 ; à charge
ensuite pour les institutions européennes de prouver la nécessité d’une éven-
tuelle action commune. Mais pour détaillée qu’elle soit, la précision des cri-
tères ne règle pas les questions de fond : comment définir a priori la suffisance
ou l’efficacité d’une action envisagée ? L’inaptitude ou l’insuffisance d’un seul
État peut-elle justifier une action de la Communauté ou, au contraire, l’apti-
tude d’un ou plusieurs États suffit-elle à empêcher la Communauté d’agir2 ?
Le critère discriminant est-il celui de la défaillance de la base ou bien celui de
la capacité supérieure du sommet ? Le constat d’une première ambiguïté
logique s’impose d’évidence : l’efficacité d’une action n’est observable qu’après
la réalisation de cette action ; or, la conformité au principe de subsidiarité doit
être appréciée au moment même où l’action est envisagée. Une seconde ambi-
guïté interne s’ajoute à la première : l’épithète « suffisant » renvoie à un critère
d’efficacité relative, pendant que l’adverbe « mieux » renvoie à un critère d’ef-
ficacité maximale. Dans un cas, on aboutit à une logique décentralisatrice car
le niveau infra accomplit tout ce qu’il peut accomplir de manière suffisante ;
dans l’autre, à une logique centralisatrice autorisant le niveau supra à s’appro-
prier tout ce qu’il estime être en mesure de faire mieux que les échelons infra.
Ainsi définie, la subsidiarité pourrait laisser entendre, en théorie au moins,
que l’Union bénéficie dans l’absolu d’une présomption d’efficacité maximale.
Les deux membres de la phrase sont d’ailleurs reliés par un « donc » très pro-
blématique, qui donne l’impression d’un rapport d’équivalence. Par la force
des choses, cependant, la pratique a opté pour l’efficacité relative3.
Efficacité et proximité, ensuite. Au-delà des tensions internes au critère de
l’efficacité lui-même, il faut considérer une tension plus générale entre deux
pôles contradictoires, celui de l’efficacité technocratique, d’une part, et celui
de la proximité démocratique, d’autre part4. Dans l’équilibre entre critère
d’efficacité et critère de dimension, c’est l’autorité la plus proche de l’indi-
vidu, l’État, qui est théoriquement légitimée à agir5 ; toute autorité plus loin-
taine, ici les institutions européennes, ne pouvant intervenir que si elle

1. Nota. La réserve de compétence énoncée à l’article 5 al. 1er ne doit pas être confondue avec la
présomption de compétence qui figure à l’alinéa 2 du même article 5.
2. Selon les analyses déjà citées de Koen Lenaerts et Patrick van Ypersele, l’inaptitude d’un seul
État membre suffit en théorie à permettre le déclenchement d’une action communautaire
(K. LENAERTS, P. van YPERSELE, « Le principe de subsidiarité et son contexte », art. cit.).
3. Cf. CONSEIL EUROPÉEN, Edimbourg, 11-12 décembre 1992 (Bull. CE, 12-1992). Le
protocole sur l’application des principes de subsidiarité et de proportionnalité annexé au traité
d’Amsterdam parlera plus tard des « avantages manifestes » que doit présenter une action com-
munautaire pour être engagée et mise en œuvre (Traité d’Amsterdam, Protocole 7 sur l’applica-
tion des principes de subsidiarité et de proportionnalité ; JOCE, C 340, 10 novembre 1997).
4. Cf. J. J. MERTENS de WILMARS, « Du bon usage de la subsidiarité », art. cit., p. 193.
5. Si, en vertu du principe de l’autonomie institutionnelle des États, la subsidiarité ne régit que
les relations entre États et Union (et ne concerne donc pas les échelons infranationaux), alors
l’échelon le plus proche des citoyens reste l’échelon étatique. Nous verrons plus loin que cet
aspect a été remis en cause, moins dans le dispositif juridique que dans le discours politique.
Subsidiarité et Europe maastrichtienne. La confusion fédérale 479

démontre une efficacité supérieure. La règle semble limpide, toutefois on


ne sait pas bien si la proximité est prioritaire dans l’absolu ou si elle inter-
vient seulement quand il y a concurrence entre l’efficacité égale de deux
niveaux (pour les départager). Certes, telle que définie dans le traité, la subsi-
diarité accorde un privilège à la proximité (elle a en partie été conçue comme
une réponse au sentiment d’éloignement entre Union et citoyens des États
membres), mais ses ressorts centralisateurs ne peuvent être négligés, et sont
potentiellement toujours mobilisables.

Dans la mesure où seul le texte juridique (indépendamment de la pratique)


a été considéré jusqu’ici, nous ne saurions nous prévaloir de tous ces déve-
loppements pour diagnostiquer une quelconque absence de justiciabilité de la
subsidiarité. Dans l’absolu, ce n’est pas le caractère d’applicabilité (la clarté
des critères de définition), encore moins celui d’efficacité (l’application
concrète), qui définit une règle de droit comme règle de droit1 — et permet
d’établir avec certitude sa justiciabilité. Considérée à l’état de texte, une
norme est toujours indéterminée et suppose des interprétations circonstan-
ciées pour trouver à s’actualiser dans la réalité sociale. Mais là intervient pré-
cisément notre question : l’injonction contradictoire contenue dans la formu-
lation de l’article 5 pouvait-elle tenir lieu de norme juridique ? Pour exister,
une règle de droit doit évidemment laisser ouverte la possibilité de conduites
non-conformes à ce qu’elle prescrit. Mais que prescrit-elle au juste ? Nous
allons voir que les protagonistes ne s’accorderont jamais sur ce point. Et pour
cause : comment un même principe aurait-il pu à la fois réguler l’exercice des
compétences concurrentes, déterminer le juste niveau de pouvoir, rapprocher
l’Union des citoyens, diminuer l’excès de réglementation européenne et pro-
téger la souveraineté des États ? Faute de lui avoir prêté un caractère réelle-
ment opérationnel, la subsidiarité n’a pas su — n’a pas pu — se frayer de
chemin propre parmi d’autres notions communautaires, soit déjà bien instal-
lées dans le champ de l’action publique, soit déjà promises à un bel avenir : la
proportionnalité, la proximité, la gouvernance. Elle ne disparaît pas pour
autant, mais sera victime de ses nombreuses recompositions successives, cha-
cune dictée par les préoccupations politiques du moment.

5. RÉINVESTISSEMENTS DISPARATES APRÈS MAASTRICHT

Dans la période postmaastrichtienne, le traité d’Amsterdam ne dissipera pas


les équivoques. Bien au contraire : il ajoutera même son nouveau mot d’ordre
à un schéma déjà fort complexe  : les coopérations renforcées. Sans venir
la remplacer, ce slogan amsterdamien contraindra la subsidiarité maas-

1. On peut faire référence au critère kelsénien de la validité normative. Comme l’écrit le juriste
autrichien, la validité du droit s’apprécie « en gros et en général », et non à l’aune de son effica-
cité. Si l’on retient l’efficacité sociale comme critère de définition du droit, plus rien ne le dis-
tingue alors d’une loi biologique ou d’une règle religieuse (H. KELSEN, Théorie pure du droit
[1934], trad. fr. C. Eisenmann, Bruxelles, Bruylant, Paris, LGDJ, 1962, p. 383 par exemple).
480 La subsidiarité germanique...

trichtienne à une éclipse momentanée. Apparu dès la fin de l’année 1994,


après un an d’application du traité de Maastricht, le mécanisme avait été
pensé comme un moyen de réduire l’impact des sources de blocage dans le
processus décisionnel (le vote à l’unanimité en particulier) alors même que
l’horizon d’un nouvel élargissement approchait à grands pas1. Toutes propor-
tions gardées et malgré un changement d’échelle, ce slogan fut à Amsterdam
ce que le principe de subsidiarité avait été à Maastricht quelques années plus
tôt : dans le cadre du dispositif prévu par Amsterdam, la subsidiarité ne visait
plus les rapports entre les compétences de l’Union et celles des États, mais
bien les rapports entre les compétences des États dans leur totalité et les
compétences des États prenant part à une coopération renforcée2. Aussi n’est-
ce pas sur le fond que les deux logiques, subsidiarité et coopération renforcée,
se répondent ; c’est bien davantage la propension à vouloir les présenter
comme une solution miraculeuse aux problèmes européens, comme un
moyen de gérer la diversité des attentes nationales vis-à-vis de l’Union, qui
peut inciter à établir un parallèle.
À y regarder de près, force est de constater que ces coopérations renfor-
cées n’ont guère dépassé le stade de l’affichage politique. La parenthèse s’est
vite refermée, en raison notamment des conditions très restrictives posées à la
mise en œuvre technique du dispositif3. Malgré l’extension du champ d’appli-

1. Le dispositif des coopérations renforcées a été pensé sur le modèle des Accords dits de
Schengen relatifs à la suppression graduelle des contrôles aux frontières communes (Accord de
Schengen, 14 juin 1985 ; Conventions de Schengen, 19 juin 1990, 27 novembre 1990, 25 juin 1991,
6 novembre 1992 ; JOCE, L 239, 22 juin 2000). Relevant à l’origine de la coopération intergou-
vernementale, l’acquis de Schengen a été intégré dans le cadre de l’Union européenne par le
Protocole 2 annexé au traité d’Amsterdam (Traité d’Amsterdam, Protocole 2 intégrant l’acquis
de Schengen dans le cadre de l’Union européenne ; JOCE, C 340, 10  novembre 1997).
Aujourd’hui toujours en vigueur, mais sous une forme amendée, le dispositif autorise les États
membres qui le souhaitent à développer des rapprochements ciblés avec des partenaires choisis
dans les matières qui, anciennement (avant le traité de Lisbonne), relevaient du troisième pilier.
En aucun cas, le mécanisme n’a été conçu comme une possibilité de dérogation ou d’exemption
aux règles communes adoptées par les États membres ; ultime recours, il a vocation à permettre la
création d’une avant-garde, toujours susceptible d’être rejointe par les États non participants.
2. Nous suivons l’interprétation proposée par Hervé Bribosia : « Le nouveau mécanisme de la
coopération renforcée serait-il au traité d’Amsterdam ce que le principe de subsidiarité voulait
être au traité de Maastricht : une panacée, un remède miracle contre tous les maux de la construc-
tion européenne ? Les négociateurs ont-ils engendré un nouveau mythe que le monde acadé-
mique ne manquera pas une nouvelle fois de nourrir ? » « La subsidiarité classique permet à la
Communauté de suppléer à l’action des États membres, tandis que les coopérations renforcées
sont appelées à suppléer l’action de l’Union. » (H. BRIBOSIA, « De la subsidiarité à la coopéra-
tion renforcée », Le Traité d’Amsterdam, op. cit., p. 23, p. 89 ; « Différenciation et avant-gardes
au sein de l’Union européenne. Bilan et perspectives du traité d’Amsterdam », Cahiers de droit
européen, 2000, 36 (1-2), p. 57-115, ici p. 111 sq.). Sur la subsidiarité amsterdamienne, cf. G. de
BÚRCA, Reappraising Subsidiarity’s Significance After Amsterdam. Jean-Monnet Working
Paper, éd. J. H. H. WEILER, Cambridge, Harvard Law School, 2000.
3. Telle que prévue par le traité d’Amsterdam, la mise en œuvre des coopérations renforcées est
strictement conditionnée : le déclenchement doit être autorisé par une décision à la majorité qua-
lifiée des États membres ; l’accord de la Commission est requis pour les matières communau-
taires ; la coopération ne doit intervenir que si le processus de décision n’a pu aboutir à quinze
(condition du dernier ressort) ; enfin, la coopération doit concerner au moins une majorité
d’États membres (huit sur quinze) (Traité d’Amsterdam, article K 15 sq. ; JOCE, C 340,
10  novembre 1997). Pour une analyse détaillée du mécanisme, cf. V.  CONSTANTINESCO,
Subsidiarité et Europe maastrichtienne. La confusion fédérale 481

cation et l’assouplissement des conditions, il n’a jamais rencontré le succès


escompté.
Quoique le traité de Nice ait voulu faciliter le recours aux coopérations
renforcées1, il cristallise surtout un moment de retour en force et de solenni-
sation du principe de subsidiarité, non pas tant dans le dispositif juridique du
texte lui-même que dans les documents politiques d’accompagnement  : la
Déclaration 23 figurant en annexe du traité et la Charte des droits fondamen-
taux. 1o Officiellement adoptée lors du sommet de Nice le 7 décembre 2000,
cette dernière mentionne la subsidiarité à deux reprises2. Le préambule du
texte réaffirme d’abord les droits des citoyens européens « dans le respect des
compétences et des tâches de la Communauté et de l’Union, ainsi que du
principe de subsidiarité  » ; l’article  51 précise ensuite que ses dispositions
«  s’adressent aux institutions et aux organes de l’Union dans le respect du
principe de subsidiarité  »3. 2o  La Déclaration 23, pour sa part, se contente
d’annoncer le programme de travail de la Conférence intergouvernementale
(en charge de la préparation institutionnelle du nouvel élargissement). Parmi
les problèmes à résoudre, le texte niçois ne manque pas de soulever l’épineuse
question des compétences et, sous la pression des Länder allemands mais sans
plus de précisions, insiste sur la nécessité d’établir un partage des rôles davan-
tage conforme à la subsidiarité4.
Pareillement, ainsi qu’en témoignent les conclusions de la présidence du
Conseil européen des 14-15 décembre 2001, la Déclaration de Laeken accor-
dera une place de choix au principe5. En décidant la mise en place de la

« Les clauses de “coopération renforcée”. Le protocole sur l’application des principes de subsi-
diarité et de proportionnalité », Revue trimestrielle de droit européen, 1997, 33 (4), p. 43-59.
1. Le traité de Nice a maintenu le seuil de huit États malgré l’approche de l’élargissement ; mais
il a assoupli certaines règles, notamment en faisant disparaître le droit d’un État de s’opposer à
une coopération renforcée (sauf en matière de politique étrangère) (Traité de Nice, article 27 A
sq. ; JOCE, C 80, 10 mars 2001). Le traité de Lisbonne, comme avant lui le projet constitutionnel
de 2004, reconnaît la possibilité d’engager des coopérations renforcées dans tous les domaines de
compétences de l’Union à l’exception de ceux relevant de ses compétences exclusives (TUE,
titre IV ; JOUE, C 83, 30 mars 2010 ; TFUE, titre III ; JOUE, C 83, 30 mars 2010). La philoso-
phie des coopérations renforcées est par ailleurs maintenue : caractère restrictif des conditions de
recours, perspective d’intérêt général de l’Union, exigence d’un nombre minimal d’États (au
moins neuf), maintien de la clause dit du dernier ressort, quoique dans une version aménagée (il
n’est plus nécessaire de démontrer que toutes les dispositions pertinentes des traités ont été épui-
sées). L’autorisation d’une coopération renforcée ne peut être accordée par le Conseil que s’il est
établi que « les objectifs recherchés ne peuvent pas être atteints dans un délai raisonnable pour
l’Union dans son ensemble » (TUE, article 20 § 2 ; JOUE, C 83, 30 mars 2010).
2. Charte des droits fondamentaux, 7 décembre 2000 (JOCE, C 364-1, 18 décembre 2000).
3. Charte des droits fondamentaux, préambule, article 51 (JOCE, C 364-1, 18 décembre 2000).
En intégrant en son sein le texte de la Charte, le projet de traité établissant une Constitution
pour l’Europe lui accordait une pleine valeur juridique qui, jusque-là, lui faisait défaut (Projet de
traité établissant une Constitution pour l’Europe, II ; JOUE, C 310, 16 décembre 2004).
4. Cf. D.  O. REICH, «  Zum Einfluss des europäischen Gemeinschaftsrechts auf die Kompe-
tenzen der deutschen Bundesländer », Europäische Grundrechte Zeitschrift, 2001, 1, p. 1-18. Cela,
dans la continuité des différentes pressions exercées lors des conférences intergouvernementales
de Maastricht et d’Amsterdam (M. J. BAUN, « The Länder and German European Policy : The
1996 IGC and Amsterdam Treaty », German Studies Review, 1998, 21 (2), p. 329-346).
5. CONSEIL EUROPÉEN, Laeken, 14-15 décembre 2001 (Bull. UE, 10-2001). Quelques réfé-
rences doctrinales pour plus de détails sur ce point  : K.  LENAERTS, «  La déclaration de
482 La subsidiarité germanique...

Convention sur l’avenir de l’Union, les États lui donnent pour mission spéci-
fique de travailler sur quatre thèmes centraux  : la simplification des traités
existants, la rationalisation de la délimitation des compétences, le statut de la
charte des droits fondamentaux, la question du rôle des parlements nationaux.
Deux de ces quatre thèmes, le deuxième et le dernier, mettent directement en
jeu le principe de subsidiarité. Il sera au cœur de la réflexion de la Convention
européenne, particulièrement dans trois de ses onze groupes de travail  : le
groupe I exclusivement consacré à la subsidiarité, le groupe IV sur les parle-
ments nationaux et le groupe V sur les compétences complémentaires1.
Adopté par la Convention en juin-juillet 2003, le projet de traité établis-
sant une Constitution pour l’Europe ne faisait pas que réitérer les dispo-
sitions antérieures relatives à l’application du principe ; il apportait des
nouveautés notables par rapport au traité de Maastricht et au Protocole
d’Amsterdam. Reprises dans le traité de Lisbonne, les innovations concer-
naient deux points principaux  : d’une part, le renforcement des parlements
nationaux dans leur mission de contrôle des institutions communautaires ;
d’autre part, la référence explicite aux échelons infranationaux. Introduisant
par là un sérieux bémol au principe de l’autonomie institutionnelle et procé-
durale des États membres, l’article I-11 § 3 ne se contentait pas, à la différence
des traités antérieurs, de mentionner le seul niveau national, il visait égale-
ment les niveaux régional et local2. Là encore, la pression exercée par les
Länder et les régions d’Europe à compétences législatives a pu être décisive.
Comme en témoigne l’article  5 §  3 al.  1 TUE, le traité de Lisbonne recon-
duira la même formulation :
« En vertu du principe de subsidiarité, dans les domaines qui ne relèvent pas de
sa compétence exclusive, l’Union intervient seulement si, et dans la mesure où,
les objectifs de l’action envisagée ne peuvent pas être atteints de manière suffi-
sante par les États membres, tant au niveau central qu’au niveau régional et
local, mais peuvent l’être mieux, en raison des dimensions ou des effets de l’ac-
tion envisagée, au niveau de l’Union3. »

Laeken : premier jalon d’une Constitution européenne ? », Journal des tribunaux, droit européen,
2002, 10 (86), p. 29-43 ; G. de BÚRCA, B. de WITTE, « The Delimitation of Powers between
the EU and its Member States  », Accountability and Legitimacy in the European Union, éd.
A. ARNULL, D. WINCOTT, Oxford, Oxford University Press, 2002, p. 201-222 ; S. WEATH-
ERILL, «  Competence and Complexity, Simplification and Clarification... and Legitimacy
Too », Whose Europe ?, éd. K. NICOLAÏDIS, S. WEATHERILL, op. cit., p. 108-117.
1. CONVENTION EUROPÉENNE, Conclusions du groupe de travail I sur le principe de
subsidiarité, 23 septembre 2002 (CONV 286-02) ; Conclusions du groupe de travail IV sur le rôle
des parlements nationaux, 22 octobre 2002 (CONV 353-02) ; Conclusions du groupe de travail V
sur les compétences complémentaires, 31 octobre 2002 (CONV 375-02). Pour un tableau général
sur le sujet, cf. V. MICHEL, J.-P. de LA RICA, « Les compétences dans le traité établissant une
Constitution pour l’Europe  », Le Traité établissant une Constitution pour l’Europe, dir.
V. CONSTANTINESCO, Y. GAUTIER, V. MICHEL, Strasbourg, PUS, 2004, p. 281-310.
2. « En vertu du principe de subsidiarité, dans les domaines qui ne relèvent pas de sa compétence
exclusive, l’Union intervient seulement si, et dans la mesure où, les objectifs de l’action envisagée
ne peuvent pas être atteints de manière suffisante par les États membres, tant au niveau central
qu’au niveau régional et local, mais peuvent l’être mieux, en raison des dimensions ou des effets
de l’action envisagée, au niveau de l’Union. » (Projet de traité établissant une Constitution pour
l’Europe, article I-11 § 3 ; JOUE, C 310, 16 décembre 2004).
3. TUE, article 5 § 3 al. 1 (JOUE, C 83, 30 mars 2010). Nous soulignons.
Subsidiarité et Europe maastrichtienne. La confusion fédérale 483

Le paragraphe suivant du projet constitutionnel de 2004, l’article I-11 § 4,


renvoyait par ailleurs à un nouveau protocole sur l’application des principes
de subsidiarité et de proportionnalité, qui se faisait plus bref et plus précis
que celui annexé au traité de 19971. Consacrée par les textes actuellement en
vigueur, nous y reviendrons, la nouvelle version du protocole s’attachait
alors à solenniser la règle fixée à Amsterdam : faire du respect de la subsidia-
rité une obligation incombant à chaque institution dans l’exercice de ses
compétences ; ériger le principe au rang d’axiome fondamental de la pratique
du droit communautaire. Aussi l’article 1er du Protocole 2 annexé au traité de
Lisbonne rappelle-t-il, dans la même veine, que :
«  Chaque institution veille de manière continue au respect des principes de
subsidiarité et de proportionnalité définis à l’article  5 du traité sur l’Union
européenne2. »
Important retour en force symbolique du principe de subsidiarité dont il
reste à examiner pratiquement les ressorts politiques.

«  Qu’est-ce que la subsidiarité. Cela consiste en


deux principes dont le premier est le seul évoqué et sans
doute aujourd’hui le plus important  : décider des pro-
blèmes qui concernent les citoyens le plus près d’eux. Si
on peut le faire au niveau de la commune, pourquoi le
faire au niveau de la région ? Si on peut le faire au
niveau de la région, pourquoi le faire au niveau de
l’État national ? Si on le fait mieux au niveau de l’État
national, pourquoi le faire au niveau communautaire ?
Et à l’inverse, c’est le complément, chaque fois que l’ac-
tion communautaire apparaît indispensable, elle doit le
faire3. »

II. DISCOURS ET PRATIQUE


DE LA SUBSIDIARITÉ COMMUNAUTAIRE

Pour en recueillir tous les enseignements, notre repérage généalogique et


notre sémantique juridique doivent être complétés par une herméneutique
lexicale, par une analyse du jeu discursif des différents protagonistes et de
leurs pratiques effectives. Car, tout bien considéré, un dispositif juridique ne

1. Projet de traité établissant une Constitution pour l’Europe, article I-11 §  4 (JOUE, C 169,
18 juillet 2003) ; Traité d’Amsterdam, Protocole 7 sur l’application des principes de subsidiarité
et de proportionnalité, article 1er (JOCE, C 340, 10 novembre 1997).
2. Traité de Lisbonne, Protocole 2, article 1er (JOUE, C 83, 30  mars 2010). L’obligation de
motiver les projets d’actes législatifs au regard du principe de subsidiarité ne s’adresse plus seule-
ment à la Commission, mais également à tout acteur susceptible d’initier le processus législatif
— qu’il s’agisse du Parlement, d’un groupe d’États ou de la Banque centrale européenne.
3. Propos du Président Jacques Delors prononcés lors de la conclusion du sommet de Lisbonne
(J. DELORS, in CONSEIL EUROPÉEN, Lisbonne, 26-27 juin 1992 ; Bull. CE, 6-1992).
484 La subsidiarité germanique...

constitue rien de plus, du point de vue des acteurs, qu’une ressource dispo-
nible, mobilisable pour ainsi dire à l’infini, dont les usages sont en grande
partie déterminés par des relations d’influence et des stratégies politiques.
L’absence de signification précise du principe de subsidiarité n’a d’ailleurs
fait qu’enrichir le potentiel de la ressource1 ; et nous verrons en quel sens elle
a permis de multiples instrumentalisations. Pour préciser le rôle des diffé-
rents acteurs, nous distinguerons trois enjeux : la procédure législative et le
rôle de la Commission, d’abord ; le contrôle a posteriori et le rôle de la Cour
de justice, ensuite ; le contrôle politique (a priori) et le rôle des parlements
nationaux, enfin. Nous tâcherons par là de faire ressortir les grandes étapes
de l’itinéraire postmaastrichtien de la subsidiarité. Elles consistent essentiel-
lement en une succession de compromis entre proximité souverainiste (posi-
tion des États) et proportionnalité fédéraliste (position de la Commission) ;
compromis qui aboutiront in fine à la définition d’une approche dite globale
de la subsidiarité consacrée par l’Accord interinstitutionnel du 29  octobre
1993 puis par le Protocole amsterdamien de 19972.
Parmi les institutions communautaires, c’est surtout la Commission qui
a politiquement investi le principe de subsidiarité. De bout en bout de
la période étudiée, Parlement européen et Conseil sont restés très en retrait :
le Conseil, peut-être soucieux de se défausser, car il considérait que la subsi-
diarité concernait avant tout la Commission ; le Parlement parce qu’il a très
vite saisi combien le principe de subsidiarité le plaçait en porte-à-faux direct
avec les parlements nationaux3. Parmi les États qui eurent recours à la subsi-
diarité pour protéger leurs intérêts nationaux, le Royaume-Uni joua un rôle
de premier ordre. Dès le second semestre de 1992, le gouvernement conserva-
teur faisait de la reformulation du principe l’un des principaux axes directeurs
de sa présidence de l’Union en mettant l’accent sur la nécessité politique d’un
rapprochement entre le niveau communautaire et les citoyens des États4. Le

1. La subsidiarité est à double sens  : proximité démocratique et efficacité fonctionnaliste. En


fonction des exigences du contexte politique, on insistera tantôt sur l’une, tantôt sur l’autre de
ses dimensions. C’est ce qui fait l’intérêt du principe pour les acteurs politiques de l’Union. C’est
aussi ce qui fait son inconsistance pour les juristes positivistes.
2. CONSEIL, PARLEMENT EUROPÉEN, COMMISSION, Accord interinstitutionnel
relatif aux procédures pour la mise en œuvre du principe de subsidiarité, 29 octobre 1993 (Bull.
CE 10-1993) ; Traité d’Amsterdam, Protocole 7 (JOCE, C 340, 10 novembre 1997).
3. Pour une illustration assez parlante de cette frilosité, cf. PARLEMENT EUROPÉEN
(Direction générale des Études), « Les rapports entre compétences nationale et communautaire :
le principe de subsidiarité  », Revue du Marché commun et de l’Union européenne, 1993, 367,
p. 303-305. Cf. également P. ROUMELIOTIS, « Le principe de subsidiarité : le point de vue du
Parlement européen », Subsidiarité : défi du changement, op. cit., p. 35-40. Notons surtout que,
contrairement aux dispositions de l’Accord interinstitutionnel de 1993, le Parlement européen
n’a organisé aucun débat annuel sur sa mise en œuvre. Par ailleurs, la règle selon laquelle les
dépôts d’amendements au Parlement devaient être justifiés au regard du principe de subsidiarité
n’a pas été respectée. L’Accord de 1993 prévoyait que les amendements au texte de la Commis-
sion par le Conseil ou le Parlement devaient être justifiés en termes de subsidiarité, mais seule-
ment s’ils impliquaient une action communautaire plus intense ou plus étendue (CONSEIL,
PARLEMENT, COMMISSION, Accord institutionnel relatif aux procédures pour la mise en
œuvre du principe de subsidiarité, 29 octobre 1993 ; Bull. CE 10-1993).
4. Cf. A.  SCOTT, J.  PETERSON, D.  MILLAR, «  Subsidiarity  : A “Europe of the Regions”
v. the British Constitution ?  », Journal of Common Market Studies, 1994, 32 (1), p.  47-67, ici
Subsidiarité et Europe maastrichtienne. La confusion fédérale 485

contexte politique contribuait grandement à légitimer l’attitude britannique


aux yeux de ses partenaires moins souverainistes : le Royaume-Uni avait en
effet à gérer les résistances antimaastrichtiennes qui s’étaient notamment
exprimées lors des procédures de ratification référendaires au Danemark et
en France. De manière très significative, la première annexe aux conclusions
du sommet extraordinaire de Birmingham s’intitule «  Une communauté
proche de ses citoyens » ; déclaration dans laquelle la subsidiarité, plusieurs
fois invoquée, prend opportunément le sens de proximité1.

1. DISCOURS ET PRATIQUE DE LA COMMISSION

S’agissant de la Commission, la contradiction s’avère pour le moins flagrante


entre le discours et la pratique. Du point de vue bruxellois, la subsidiarité
maastrichitienne première mouture s’inscrivait avant tout dans une séquence
de communication politique — en direction notamment des Länder et du
gouvernement britannique —, et non dans un programme politique vérita-
blement consistant. Un indice troublant témoigne du peu de cas fait à la sub-
sidiarité avant la présidence britannique : passé le moment de l’élaboration du
traité sur l’Union européenne, il faut attendre le mois d’octobre 1992, après
la survenue des différentes réticences antimaastrichtiennes, pour que paraisse
le premier rapport officiel sur la subsidiarité émanant directement de la
Commission. Sans compter bien sûr les travaux de la Conférence intergou-
vernementale, la réflexion de fond sur cette pièce maîtresse du traité de Maas-
tricht n’était véritablement engagée à Bruxelles qu’après la codification juri-
dique du principe. Préparé sous la houlette d’un proche collaborateur du
Président Delors, François Lamoureux, bientôt surnommé « Monsieur subsi-
diarité », le rapport fut rendu public à l’automne 1992 juste avant le Conseil
européen de Birmingham2.

p.  61 ; M.  BURGESS, «  From Maastricht to Amsterdam  », Federalism and European Union  :
The Building of Europe, 1950-2000, Londres, New York, Routledge, 2000, p.  236 ; G.  de
BÚRCA, «  The Quest for Legitimacy in the European Union  », The Modern Law Review,
1996, 59 (3), p. 349-376, ici p. 366 sq. ; J. STEINER, « Subsidiarity under the Maastricht Treaty »,
Legal Issues of the Maastricht Treaty, op. cit., p.  49-64 ; J.  PALACIO GONZÁLEZ, «  The
Principle of Subsidiarity », European Law Review, 1995, 22 (4), p. 355-370.
1. CONSEIL EUROPÉEN, Birmingham, 16 octobre 1992 (Bull. CE 10-1992, p. 9). On peut
lire dans les conclusions : « Nous réaffirmons que les décisions doivent être prises le plus près
possible des citoyens. Une plus grande intégration peut être achevée sans centralisation ex-
cessive. Il revient à chaque État membre de décider de la manière dont ses propres pouvoirs
doivent être exercés. [...] Mettre en œuvre ce principe [de subsidiarité ou de proximité] est essen-
tiel pour que la Communauté se développe avec le soutien de ses citoyens. » Sur le tournant du
Conseil européen de Birmingham, cf. J. DELORS, Mémoires, Paris, Plon, 2003, p. 382-384.
2. Intitulé Proposition pour un accord interinstitutionnel sur le principe de subsidiarité (SEC (92)
1990), le rapport Lamoureux ne commence à circuler qu’au tout début de l’automne 1992 (pour
un résumé, cf. Agence Europe, 10 octobre 1992, 5833). La version définitive du document éma-
nant de la Commission (dont il sera question plus loin) paraît après le Conseil de Birminghan à
la fin du mois d’octobre 1992 (COMMISSION, Le principe de subsidiarité. Communication au
Conseil et au Parlement européen, 27 octobre 1992 ; SEC (92) 1990 final) ; Revue trimestrielle de
droit européen, 1992, 28 (4), p.  728-741). Les réflexions de François Lamoureux, qui a joué
un rôle central jusqu’à la mise au point du document final, sont notamment réunies dans une
486 La subsidiarité germanique...

Une double stratégie se mettait dès lors en place  : double stratégie ou


plutôt double langage. Un premier niveau de communication, en parfaite
complémentarité avec l’attitude adoptée par la présidence britannique, s’atta-
chait à maintenir le discours antérieur, qui visait à rassurer les États. Ce pre-
mier axe était rendu d’autant plus nécessaire que les difficultés rencontrées
par le traité de Maastricht attendaient une réponse politique au plus haut
niveau. Elle vint de Jacques Delors lui-même, qui n’hésita pas à opérer un
« retrait » tactique1. Jusqu’au début de l’année 1992, le ton delorien était resté
dans la veine du discours de 1985 qui célébrait l’ambition fédéraliste du projet
Spinelli. Au second semestre de 1992, la tonalité changeait de manière très
sensible : la dimension intégratrice de la subsidiarité passait au second plan au
profit d’une présentation destinée à conjurer les craintes étatiques2. Mise en
œuvre dès le non danois, cette tactique a peut-être démontré son efficacité
en contribuant à transformer le non potentiel des Français en courte victoire
du oui.
Un second niveau de discours atteste cependant d’une plus grande conti-
nuité dans l’attitude de Jacques Delors. À lire attentivement les différents
documents qui émanèrent de la Commission, on perçoit l’expression d’une
forme de rancœur — voire de colère feutrée. Non sans raisons, les instances
bruxelloises s’estimaient victimes d’une accusation excessive et imméritée. La
Commission chercha alors à reprendre l’initiative en faisant jouer la réversibi-
lité du principe3. Le 27  octobre 1992, dans le court intervalle qui sépare les
conseils européens de Birmingham (16 octobre) et d’Edimbourg (12 décembre),
les services de la Commission adressèrent au Conseil et au Parlement une
communication qui reprenait l’essentiel du rapport Lamoureux4 :

communication (Subsidiarité : mode d’emploi) donnée à l’occasion d’une conférence du Mouve-


ment européen à Paris le 6  février 1993 (Démocratie et subsidiarité dans l’Union européenne).
Sur le rôle de François Lamoureux au sein du cabinet Delors, cf., notamment, « Monsieur Subsi-
diarité », Revue des affaires européennes, 1993, 1, p. 46-48.
1. Sur ce point, cf. les différents travaux de Ken Endo (K. ENDO, « The Art of Retreat : A Use
of Subsidiarity by Jacques Delors, 1992-1993 », The Hokkaïdo Law Review, 1998, 48 (6), p. 394-
378 ; The Presidency of European Commission under Jacques Delors. The Politics of Shared
Leadership, Basingstoke, Macmillan, 1999 ; Subsidiarity and its Enemies. To What Extent is
Sovereignty Contested in the Mixed Commonwealth of Europe ? Robert-Schuman Centre for
Advanced Studies Working Paper, Florence, Institut universitaire européen, 2001). À lire dans la
continuité de ceux déjà cités (K. ENDO, « The Principle of Subsidiarity », art. cit.).
2. J.  DELORS, «  Le principe de subsidiarité  : contribution au débat  », Subsidiarité  : défi du
changement, op. cit., p. 7-19 ; « Le principe de subsidiarité », Discours au Colloque de l’IEAP,
21  mars 1991, Le Nouveau concert européen, op. cit., p.  163-176). En juin 1992, dans une
allocution devant le Parlement européen, Jacques Delors lance un appel à combler le déficit
démocratique européen par une plus grande transparence de la prise de décision et invoque la
subsidiarité, rappelant la nécessité pour les institutions européennes d’être des « inventeurs de
simplicité » (J. DELORS, Discours devant le Parlement européen, Strasbourg, 10 juin 1992, p. 3).
3. Sur la stratégie déployée par la Commission, cf., par exemple, M. WATHELET, « La subsi-
diarité au sein de l’Union européenne  », L’Europe de la subsidiarité, dir. M.  VERDUSSEN,
Bruxelles, Bruylant, 2000, p. 131-199 ; R. PERISSICH, « Le principe de subsidiarité, fil conduc-
teur de la politique de la Communauté dans les années à venir », art. cit.
4. Cf. les conclusions des sommets britanniques de 1992  : CONSEIL EUROPÉEN, Birmin-
gham, 16 octobre 1992 (Bull. CE 10-1992) ; Edimbourg, 12 décembre 1992 (Bull. CE 12-1992).
Subsidiarité et Europe maastrichtienne. La confusion fédérale 487

«  Ce doit être aussi une occasion de souligner que la mise en œuvre de ce


principe ne peut être ramenée à un exercice de tutelle sur la Commission par la
remise en cause de son droit d’initiative et donc de modification des équilibres
qu’organisent les traités1. »
Dans le même esprit, la Commission soulignait que l’exclusivité des com-
pétences ne résultait pas tant des matières juridiquement couvertes que des
impératifs communautaires eux-mêmes ; que, donc, la délimitation du bloc
des compétences exclusives était naturellement appelée à évoluer en fonction
des progrès de l’intégration européenne. Simple réaffirmation de la logique
fonctionnaliste présidant à l’esprit de la construction européenne depuis ses
origines. Faute de pouvoir assumer une subsidiarité ouvertement fédéraliste,
la Commission, comme d’ailleurs les juges de Luxembourg dans la même
séquence de temps2, s’employait à déplacer le débat du terrain, trop réver-
sible, de la subsidiarité vers celui, mieux maîtrisé, de la proportionnalité3.
Toutefois, l’insistance sur ce dernier principe de portée plus large (il s’ap-
plique également aux compétences exclusives) a pu, par ricochet, à la fois
étendre l’emprise de la subsidiarité et ainsi accentuer la porosité des fron-
tières entre les différentes catégories de compétences. D’autant qu’en établis-
sant une solution de continuité entre subsidiarité-proportionnalité et « inté-
rêt communautaire », la Commission contribuait, malgré elle, à alimenter le
mouvement symétrique du côté des États déterminés, pour leur part, à
imposer un axe subsidiarité-intérêt national4.
L’argumentaire de la Commission l’emportera finalement. Le tout — la
communication du 27  octobre 1992 et la stratégie de la Commission —
déboucha l’année suivante, le 29  octobre 1993, sur un nouveau compromis
entre l’approche souverainiste des États (logique de proximité) et l’approche
fédéraliste de la Commission (logique de proportionnalité). Mais, en consa-
crant cette approche dite globale de la subsidiarité, le texte de l’Accord inte-
rinstitutionnel, significativement intitulé « Démocratie, transparence et sub-
sidiarité  », ne dépassait guère le stade de l’arrangement sémantique ; il se
contentait pour l’essentiel d’avaliser le point de vue proportionnaliste de l’in-
térêt communautaire5.

1. Dans cette communication du 27 octobre 1992, la Commission acceptait sa part de responsa-


bilité dans les excès — en volume et en détail — de la réglementation communautaire, mais elle
soulignait aussi la coresponsabilité du Conseil et du Parlement européen (COMMISSION,
Le principe de subsidiarité. Communication au Conseil et au Parlement européen, 27  octobre
1992 ; SEC (92) 1990 final ; Revue trimestrielle de droit européen, 1992, 28 (4), p. 728-741).
2. Dans cette stratégie plus ou moins impensée, en tout cas non revendiquée intentionnellement
comme telle, la Commission de Bruxelles a bien sûr trouvé un allié de poids : la Cour de justice,
mère conceptrice du principe de proportionnalité, ainsi que nous l’avons rappelé plus haut.
3. Cf., par exemple, J.-L. SAURON, « La mise en œuvre retardée du principe de subsidiarité »,
Revue du Marché commun et de l’Union européenne, 1998, 423, p. 645-656, ici p. 648).
4. Ici encore, cf. les analyses suggestives des deux anthropologues Marc Abelès et d’Irène Bellier
(M.  ABELÈS, En attente d’Europe, Paris, Hachette, 1996 ; M.  ABELÈS, I.  BELLIER, «  La
Commission européenne, du compromis culturel à la culture du compromis », art. cit.).
5. Tout en stipulant que les parties cocontractantes étaient : « déterminées à fixer les conditions
d’application des principes de subsidiarité et de proportionnalité énoncés à l’article 5 du traité
instituant la Communauté européenne, afin de définir plus précisément les critères d’application
de ces principes et de faire en sorte qu’ils soient observés de façon rigoureuse et appliqués de
488 La subsidiarité germanique...

En 1997, cette formulation recevra une consécration solennelle avec le


traité d’Amsterdam. Son Protocole 7 sur l’application des principes de subsi-
diarité et de proportionnalité reprendra textuellement les solutions dégagées
quatre ans plus tôt dans l’Accord de 19931, scellant par là de manière un peu
plus définitive encore le couplage subsidiarité-proportionnalité au bénéfice
de la seconde.

Après Amsterdam, sous le double effet de la crise politique suscitée par la


démission de la Commission Santer et de l’entrée en fonction de Romano
Prodi2, l’approche globale sera peu à peu diluée à l’intérieur d’un nouveau
mot d’ordre d’ambition plus générale, destiné à raffermir la légitimité bruxel-
loise : la gouvernance multiniveaux. La crise de 1999 ayant encore aiguisé le
sentiment du déficit démocratique, on se mettait à nouveau à réfléchir aux
voies et moyens susceptibles de le résorber. Dans cet esprit, dès son arrivée
Rue de la Loi, Romano Prodi lança plusieurs grands chantiers3, dont une
vaste réflexion sur la «  gouvernance européenne  ». En quelques mois, le
thème devint incontournable à Bruxelles et atteignit sa consécration à l’été
2001 avec la publication du fameux Livre blanc4. Du reste, le travail avait été
préparé de longue date au sein de la Cellule de prospective puis de la Gover-
nance Team de Jérôme Vignon, par un foisonnement impressionnant de litté-
rature grise, Working Papers, notes et autres documents d’influence5. À ana-

manière cohérente par toutes les institutions  » (CONSEIL des MINISTRES, PARLEMENT
EUROPÉEN, COMMISSION, Accord institutionnel relatif aux procédures pour la mise en
œuvre du principe de subsidiarité, 29 octobre 1993 ; Bull. CE 10-1993).
1. Traité d’Amsterdam, Protocole 7 (JOCE, C 340, 10 novembre 1997).
2. Pour une analyse de cette séquence, cf. D. GEORGAKAKIS, « La démission de la Commis-
sion européenne  : scandale et tournant institutionnel (octobre 1998-mars 1999)  », Cultures et
conflits, 2001, 38-39, p. 39-71 ; « Was It Really Just “Poor Communication” ? Lessons From the
Santer Commission’s Resignation  », Politics and the European Commission, éd. A.  SMITH,
Londres, Rootledge, ECPR Studies in European Political Science, 2004, p. 119-133.
3. En février 2000, le Président Prodi annonce les quatre «  objectifs stratégiques  » de son
mandat  : une amélioration de la qualité de vie des Européens, un renforcement de la voix de
l’Europe dans le monde, la définition d’un nouvel agenda économique et social, la réforme de la
gouvernance de l’Union (COMMISSION, Communication sur les objectifs stratégiques 2000-
2005 : « Donner forme à la nouvelle Europe », 9 février 2000 ; COM (2000) 154 final).
4. COMMISSION, Livre blanc sur la gouvernance, 25 juillet 2001 (COM (2001) 428 final).
5. Dès le début de son mandat, Romano Prodi a souhaité se placer sous les auspices de son
illustre prédécesseur : en 2000, le lancement du Livre blanc est conçu sur le modèle de la stratégie
adoptée par Jacques Delors qui, dès 1985, avait préparé la relance politique de la construction
européenne (COMMISSION, Livre blanc sur l’achèvement du Marché intérieur, 14 juin 1985 ;
COM (85) 310). Le nouveau Président n’hésite pas rappeler auprès de lui l’ancien conseiller
Jérôme Vignon (officiant à la DATAR depuis 1998), cheville ouvrière du second Livre blanc
delorien (COMMISSSION, Livre blanc Croissance, compétitivité, emploi. Les défis et les pistes
pour entrer dans le XXIe siècle, 5 décembre 1993 ; COM (93) 700 final). Mais, très vite, dès le prin-
temps 2001, la création du Group of Political Advertisers (GOPA) tend à isoler la Cellule de
prospective (pour une étude détaillée de cette séquence, cf.  D.  GEORGAKAKIS, «  La gou-
vernance de la gouvernance. La politique du Livre blanc et les paradoxes du leadership de la
Commission européenne  », La Nouvelle gouvernance européenne. Les usages politiques d’un
livre blanc, dir. D. GEORGAKAKIS, M. de LASSALLE, Strasbourg, PUS, 2008, p. 175-208).
C’est dans le nouveau cadre du GOPA qu’un groupe de travail sera constitué autour de Domi-
nique Strauss-Kahn. En avril 2004, un rapport est remis à Romano Prodi au nom de la table-
ronde «  Un projet durable pour l’Europe de demain  », qui reprend l’ambition partiellement
Subsidiarité et Europe maastrichtienne. La confusion fédérale 489

lyser de près les différentes phases d’élaboration du nouveau concept, on


constate une prise de distance très nette à l’égard de l’approche classique, dite
«  tayloriste  », de la subsidiarité ; prise de distance d’autant plus frappante
qu’elle se trouve davantage assumée au fil des différentes publications. Aussi
la subsidiarité est-elle curieusement assimilée, dans une version faisant peut-
être référence au précédent giscardienne de 1990, à la mise en place d’un
catalogue de compétences, alors même que sa formulation maastrichtienne
avait précisément servi à éviter cette solution1. Et la cheville ouvrière des tra-
vaux préparatoires du Livre blanc, éminence grise de l’équipe Gouvernance,
l’universitaire Notis Lebessis, d’invoquer le concept de «  subsidiarité
active »2 ; nouveau mot d’ordre qui exprimait presque tout de l’exaspération
bruxelloise face aux tenants de la subsidiarité souverainiste3. C’était ainsi, par
l’adjonction d’une simple épithète qu’on faisait valoir une subsidiarité non

avortée du Livre blanc. Relevons, par exemple, que l’orientation 14 du rapport appelle à une
redéfinition «  des principes de la subsidiarité  » (GOPA, Construire l’Europe politique. Cin-
quante propositions pour l’Europe de demain, dir. D. STRAUSS-KAHN, 2004). Sur la subsidia-
rité en tant que telle, on observe une grande continuité de Jacques Delors à Romano Prodi
(R. PRODI, Europe As I See It [1999], trad. angl. A. Cameron, Cambridge, Polity Press, 2000).
1. « Alors que les tenants de la subsidiarité cherchent généralement à établir un catalogue des
compétences ou une nette division du travail (et donc à produire une version essentiellement
tayloriste du concept), l’approche adoptée ici souligne les difficultés associées à une telle rigidité
hiérarchique et se tourne, au contraire, vers les moyens de faciliter une articulation verticale et
horizontale plus flexible, plus dynamique et plus réactive. En d’autres termes, quels que soient
les avantages qu’offre la subsidiarité par rapport à une approche descendante, hypercentralisée,
les rigidités qui lui sont encore inhérentes ne peuvent qu’exacerber les problèmes liés à la seg-
mentation et au caractère étroit, réducteur, de la rationalité experte et bureaucratique.  »
(N.  LEBESSIS, J.  PATERSON, Développer de nouveaux modes de gouvernance. Working
Paper de la Cellule de prospective, Bruxelles, Commission européenne, 2000, p. 41).
2. Ibid., p. 41 sq. Parmi les autres travaux préparatoires du Livre blanc de 2001, citons COM-
MISSION, Gouvernance européenne  : vers une meilleure utilisation de la subsidiarité et de la
proportionnalité, 16  mars 2001 (SdR D 2001) ; N.  LEBESSIS, J.  PATERSON, Evolutions in
Governance  : What Lessons for the Commission ? A First Assessment. Working Paper de la
Cellule de prospective, Bruxelles, Commission européenne, 1997 ; The Future of European Regu-
lation. Working Paper de la Cellule de prospective, Bruxelles, Commission européenne, 1997 ;
Accroître l’efficacité et la légitimité de la gouvernance de l’Union européenne. Working Paper de
la Cellule de prospective, Bruxelles, Commission européenne, 1999. De manière quasi concomi-
tante  : O.  de SCHUTTER, N.  LEBESSIS, J.  PATERSON, éd., La Gouvernance de l’Union
européenne. Cahier de la Cellule de prospective, op. cit. Pour une lecture critique d’ensemble du
Livre blanc, qui dépasse le seul prisme de la subsidiarité ici retenu pour s’intéresser au concept
de gouvernance lui-même, cf. D. GEORGAKAKIS, M. de LASSALLE, dir., La Nouvelle gou-
vernance européenne, op. cit., spécialement X. DELCOURT, « La raison de la gouvernance »,
p.  91-116 ; A.  FOLLESDAL, «  The Political Theory of the White Paper on Governance  :
Hidden and Fascinating », European Public Law, 2003, 9 (1), p. 73-86 ; C. GOBIN, « Le dis-
cours programmatique de l’Union européenne. D’une privatisation de l’économie à une privati-
sation du politique  », Sciences de la société, 2002, 55, p.  157-169 ; C.  JOERGES, Y.  MÉNY,
J.  H. H WEILER, éd., Mountain or Molehill ? A Critical Appraisal of the Commission White
Paper on Governance. Jean-Monnet Working Paper, New York, School of Law, 2001.
3. Le thème de la subsidiarité active avait été lancé dès 1993 par Pierre Calame, haut fonction-
naire français aujourd’hui à la retraite ayant surtout exercé au ministère de l’Équipement  :
P. CALAME, « La subsidiarité active », L’État au cœur, le Meccano de la gouvernance, Paris,
Desclée de Brouwer, 1997, p.  167-205 ; «  Le principe de subsidiarité active. Concilier unité et
diversité », La Gouvernance dans l’Union européenne. Cahier de la Cellule de prospective, éd.
O. de SCHUTTER, N. LEBESSIS, J. PATERSON, Bruxelles, Commission européenne, 2001,
p. 247-260 ; « Les relations entre niveaux de gouvernance : la subsidiarité active », La Démocratie
en miettes. Pour une révolution de la gouvernance, Paris, Descartes, 2003, p. 171-199.
490 La subsidiarité germanique...

réductible à sa seule dimension territoriale (la proximité) pour investir un


registre plus fonctionnel : celui du rapport entre État et société. L’expression
« subsidiarité active » ne figurera pas en tant que telle dans la version défini-
tive du Livre blanc, mais son invitation à célébrer la société civile n’en sera
pas moins entendue par la Commission1. Tout se passa comme si, prenant
conscience des effets pour elle déstabilisants de la subsidiarité territoriale, elle
retournait l’argument contre l’État lui-même. Eu égard à nos hypothèses de
travail, la parenté avec la stratégie pontificale n’est bien sûr pas fortuite. Il y a
là quelque chose comme une riposte tactique à la facilité avec laquelle les
États tendent en permanence, et de longue date, à s’autodédouaner sur les
institutions communautaires en général et sur la Commission en particulier2.
Bruxelles avait donc beau jeu, pour s’attirer des vents plus favorables, d’ap-
peler à l’introspection étatique. Mais, si l’offensive paraissait légitime, le
champ lexical déployé répondait à une logique non moins manichéenne que
la défausse nationale prétendument visée. D’un côté, la rigidité des États, leur
mode de fonctionnement hiérarchique et descendant. De l’autre, la Commis-
sion, faisant valoir un modèle flexible, ouvert, dynamique et participatif3.
À grand renfort de gouvernance multiniveaux et de subsidiarité active, on
célèbre l’entrée en scène de nouveaux acteurs issus de la société civile4 ; on
prend le parti du consensus contre la brutalité de la loi majoritaire5. L’heure,
annonce le Livre blanc, est à la corégulation et à la méthode ouverte de coor-
dination (la « MOC »). Reprenant un langage très à la mode, celui de la régu-
lation douce, de l’ouverture aux partenaires sociaux et aux collectivités régio-
nales, la MOC vante les mérites de la coordination horizontale ; elle se plaît à
faire la promotion des pratiques de concertation entre les États membres en
dehors, bien sûr, des cadres habituels de la contrainte juridique. À l’instar du
principe jurisprudentiel de la reconnaissance mutuelle, méthode de contour-
nement de l’harmonisation réglementaire, elle a ainsi été promue en tant
qu’instrument de flexibilité permettant un plus grand respect des spécificités
nationales et locales6. À l’instar surtout de la subsidiarité (heureux successeur

1. COMMISSION, Livre blanc sur la gouvernance européenne, 25 juillet 2001, p. 17 sq.


2. «  Les États membres ne communiquent pas bien ce que fait l’Union ou ce qu’ils font
eux-mêmes en son sein. Les États membres blâment trop facilement “Bruxelles” pour des déci-
sions difficiles qu’ils ont eux-mêmes adoptées en commun, voire réclamées. » (Ibid., p. 8).
3. Et interactif : « Le modèle “linéaire” consistant à décider des politiques au sommet doit être
remplacé par un cercle vertueux, basé sur l’interaction, les réseaux et sur une participation à tous
les niveaux, de la définition des politiques jusqu’à leur mise en œuvre. » (Ibid., p. 13).
4. Pêle-mêle : associations, organisations non gouvernementales, experts, sages, élites spéciali-
sées, groupes d’intérêt, groupes de pression, lobbies. Autant d’acteurs qui, s’appuyant sur
d’autres principes de légitimité que l’élection, viennent opportunément bousculer les schémas
classiques du système représentatif majoritaire duquel l’Europe s’est toujours sentie étrangère.
5. Sur le heurt entre système majoritaire et système consensuel, cf. P.  MAGNETTE, «  Les
démocraties face à l’intégration européenne  : les transformations des doctrines constitution-
nelles », Revue suisse de science politique, 1997, 3 (1), p. 65-103 ; « La restructuration de l’État
dans l’Union européenne », Revue internationale de politique comparée, 1997, 4 (3), p. 733-754 ;
Le Régime politique de l’Union européenne [2003], Paris, Presses de Sciences Po, 2009.
6. Telle que consacrée en 2000 par la stratégie de Lisbonne, la MOC a vocation à s’appliquer en
matière d’emploi et en matière sociale (on ajoute parfois la recherche et le développement tech-
nologique, la santé et l’industrie). « Conçue pour aider les États membres à développer progres-
Subsidiarité et Europe maastrichtienne. La confusion fédérale 491

de la reconnaissance mutuelle après l’épisode de l’Acte unique), elle joua une


fonction rhétorique dans le discours communicationnel de la Commission :
c’est à dessein qu’elle fut érigée en alternative à la méthode communautaire
classique d’intégration fonctionnelle par le droit, notamment dans les
matières sensibles où les réticences étatiques semblaient faire blocage (son-
geons au domaine social). Certaines études savantes ont pu stigmatiser le
spectre à venir d’une « Europe sans Bruxelles » faisant le mauvais jeu de l’in-
tergouvernementalisme1, mais l’hiatus entre le discours politique et la pra-
tique concrète s’est vite révélé évident, tant la présentation que la Commis-
sion voulait donner d’elle-même ne reflétait pas l’inertie persistante des
pratiques. Plus qu’un remplacement de la méthode communautaire par la
MOC, il faudrait diagnostiquer une transformation du fonctionnalisme
européen lui-même, dont les cadres généraux sont définis et, pour ainsi
dire, systématisés par le Livre blanc : intégration par le droit toujours, mais
accompagnée dorénavant d’une implication des acteurs sociaux et d’une
ouverture aux acteurs locaux.

Avant de décliner point par point ses propositions concrètes, le Livre


blanc avait pris soin, dans une sorte de synthèse théorique autolégitimatrice,
de rappeler les grands principes de la good governance : ouverture, participa-
tion, responsabilité, efficacité, cohérence. À ces cinq axiomes, il ne manquait
pas d’adjoindre ce qui fait la touche spécifiquement européenne dans l’uni-
vers mondialisé du management public : les principes de proportionnalité et
de subsidiarité (relevons l’inversion significative des deux termes par rapport
à la phraséologie habituelle).

sivement leurs propres politiques, cette méthode consiste à : - définir des lignes directrices pour
l’Union, assorties de calendriers spécifiques pour réaliser les objectifs à court, moyen et long
terme fixés par les États membres ; - établir, le cas échéant, des indicateurs quantitatifs et qualita-
tifs et des critères d’évaluation par rapport aux meilleures performances mondiales, qui soient
adaptées aux besoins des différents États membres et des divers secteurs, de manière à pouvoir
comparer les meilleures pratiques ; - traduire ces lignes directrices européennes en politiques
nationales et régionales en fixant des objectifs spécifiques et en adoptant des mesures qui tiennent
compte des diversités nationales et régionales ; - procéder périodiquement à un suivi, une évalua-
tion et un examen par les pairs, ce qui permettra à chacun d’en tirer des enseignements.  »
(CONSEIL EUROPÉEN, Lisbonne, 23-24 mars 2000, § 37 ; Bull. CE 3-2000).
1. R. DEHOUSSE, dir. L’Europe sans Bruxelles ? Une analyse de la Méthode ouverte de coordi-
nation, Paris, L’Harmattan, 2004 ; R.  DEHOUSSE, «  La méthode communautaire a-t-elle
encore un avenir ? », Mélanges J.-V. Louis, op. cit., I, p. 95-107 ; « La Méthode ouverte de coordi-
nation. Quand l’instrument tient lieu de politique », Gouverner par les instruments, dir. P. LAS-
COUMES, P. LE GALÈS, Paris, Presses de Sciences Po, 2005, p. 331-356. Parmi une littérature
abondante, cf., par ailleurs, M. TELÓ, « La gouvernance économique et sociale et la réforme des
traités. La Méthode ouverte de coordination », Mélanges J.-V. Louis, op. cit., I, p. 479-497 ; « La
Méthode ouverte de coordination : de l’esprit de Lisbonne aux déficits de la mise en œuvre »,
Mélanges H. Delbeeck, Louvain, Acco, 2004 ; P. SYRPIS, Legitimising European Governance :
Taking Subsidiarity Seriously within the Open Method of Coordination. Working Paper, Flo-
rence, EUI, 2002 ; S. REGENT, « The Open Method of Coordination : A New Supranational
Form of Governance », European Law Journal, 2003, 9 (2), p. 190-214 ; T. GEORGOPOULOS,
«  La Méthode ouverte de coordination européenne  : “En attendant Godot” ?  », Revue de la
recherche juridique, 2006, 31 (2), p. 989-1004 ; J. LENOBLE, « The Open Method of Coordina-
tion and Theory of Reflexive Governance », Social Rights and Market Forces, éd. S. DEAKIN,
O. de SCHUTTER, Bruxelles, Bruylant, 2005, p. 19-38.
492 La subsidiarité germanique...

« L’application de ces cinq principes renforce les principes de proportionnalité et


de subsidiarité. De la conception des politiques jusqu’à leur mise en œuvre, le
choix du niveau d’intervention (du communautaire au local) et des instruments
doit être proportionné aux objectifs visés. Avant de lancer une initiative, il est
donc essentiel de vérifier systématiquement : a) qu’une intervention des pou-
voirs publics est réellement nécessaire ; b) que le niveau européen est le plus
adéquat ; c) que les mesures choisies sont proportionnées aux objectifs1. »
Le parallèle avec le discours pontifical est donc d’autant plus notable qu’en
raison des codes de l’exercice, la Commission faisait passer au second plan la
dimension technique du principe de subsidiarité pour lui restituer une part de
sa densité théorique perdue. Tel est le sens de l’ordre de présentation : a) sub-
sidiarité fonctionnelle ; b) subsidiarité territoriale ; c) proportionnalité. Voilà,
en tout cas, pour le message subliminal adressé aux États membres.

S’agissant des conséquences que la Commission tira elle-même pour la


conduite de sa propre action, la lecture proposée de la subsidiarité se voulut
et se fit beaucoup plus modeste. On observe presque une inversion de l’ordre
des facteurs. À tel point que, relue à la lumière de la proportionnalité, la sub-
sidiarité a pu s’apparenter à une simple invitation à la décrue réglementaire et
à la rationalisation législative2. Les affaires sociales et l’emploi ont ici valeur
d’exemples : exceptions à la règle, ils sont peut-être les deux seuls domaines
dans lesquels la subsidiarité théorique, via la MOC, a servi à justifier l’inac-
tion de la Commission (faute, d’ailleurs, de réels titres à agir, dans la mesure
où les États ont toujours souhaité que les affaires sociales restent hors champ
communautaire)3. En ce sens, la MOC peut être lue comme un cas d’applica-
tion de la subsidiarité aux questions sociales, un modèle néolibéral de gou-
vernance sociale assis sur la souplesse des agents et la coopération spontanée
des acteurs4.

1. COMMISSION, Livre blanc sur la gouvernance européenne, 25 juillet 2001, p. 13. Plus bas,
toujours à propos de ces cinq principes fondamentaux de la bonne gouvernance : « Ensemble,
ils permettent un meilleur usage des principes de proportionnalité et de subsidiarité. Cela
s’exprime, par exemple, dans l’importance que le présent Livre blanc attache à l’emploi de la
juste combinaison d’instruments pour mettre en œuvre des actions adaptées aux objectifs pour-
suivis, à la limitation de la législation à ses éléments essentiels et l’utilisation de contrats afin de
prendre mieux en compte les spécificités locales.  » (Ibid., p.  37-38). Cf. H.  MICHEL, «  La
“société civile” dans la “gouvernance européenne”. Éléments pour une sociologie d’une caté-
gorie politique », Actes de la recherche en sciences sociales, 2007, 166-167, p. 30-37.
2. Le Livre blanc insiste particulièrement sur cet aspect : « La Commission s’est engagée à retirer
ses propositions lorsque la négociation interinstitutionnelle sape les principes de subsidiarité et
de proportionnalité consacrés par le Traité ou compromet les objectifs desdites propositions. Le
Conseil et le Parlement doivent quant à eux s’en tenir aux éléments essentiels de la législation [...]
et ne pas surcharger ni compliquer inutilement les propositions. » (Ibid., p. 27).
3. Cf. « Le principe de subsidiarité et la dimension sociale », Subsidiarité : défi du changement,
op. cit., p.  139  sq. ; P.  SPICKER, «  The Principle of Subsidiarity and the Social Policy of the
European Community », Journal of European Social Policy, 1991, 1 (1), p. 3-14 ; P. RANJAULT,
« On the Principle of Subsidiarity », ibid., 1992, 2 (1), p. 49-52 ; A.-F. CAMMILLERI, « Les
enjeux de la subsidiarité au regard de l’Europe sociale », Les Petites Affiches, 1992, 44, p. 12-16 ;
P. LANGLOIS, « Europe sociale et principe de subsidiarité », Droit social, 1993, 2, p. 201-209 ;
N. RICHEZ-BATTESTI, « Union économique et monétaire et État-providence : la subsidiarité
en question », Études internationales, 1996, 27 (1), p. 109-128 ; G. LYON-CAEN, « Subsidiarité
et droit social européen », Droit social, 1997, 4, p. 382-387.
4. Contra, cf., par exemple, Philippe Pochet qui insiste sur les heurts entre la «  MOC  » et le
Subsidiarité et Europe maastrichtienne. La confusion fédérale 493

Au total, on passe d’une exigence générale de subsidiarité à une subsidia-


rité procédurale a minima réduite au rang de nouveau critère qualitatif de la
production légistique bruxelloise. Comme l’a révélé l’analyse de la doctrine
pontificale, les deux niveaux de discours font bien évidemment système  :
amplitude théorique de la subsidiarité quand il s’agit, pour la Commission,
de se défendre ; définition pratique pour le moins restrictive quand il s’agit de
se l’appliquer à soi-même. Dès 1993, brandissant opportunément l’étendard
de la subsidiarité, la Commission entreprenait en ce sens un travail de refonte
générale qui l’avait conduite non seulement à réduire de manière significative
le nombre de ses interventions législatives, mais aussi à rationaliser le corpus
existant1.
Ce souci d’améliorer la qualité des textes européens trouva tout particuliè-
rement à s’exprimer dans les rapports «  Mieux légiférer  » publiés annuelle-
ment par les services de la Commission. Au fil des différentes livraisons, ils
ont cherché à donner des gages de confiance aux États et aux opinions natio-
nales en adoptant de nouvelles pratiques de production normative. Le
dépouillement systématique des rapports fait ressortir trois dimensions prin-
cipales du discours de la Commission : 1o son autocensure dans l’exercice du
droit d’initiative ; 2o la généralisation de la technique des directives-cadre ; 3o la
généralisation du procédé des fiches-subsidiarité. Reprenons-les brièvement.
Longtemps de pure forme, l’exigence de motivation est progressivement
devenue de plus en plus rigoureuse, au point d’avoir été intégrée dans les
codes et usages de la fabrique bruxelloise du droit communautaire. Chaque
proposition de texte émanant de la Commission doit aujourd’hui comporter
une mention précise exposant de manière détaillée les motifs de l’intervention
communautaire et la légitimité de celle-ci au regard de la subsidiarité. En
d’autres termes, tout projet doit exposer les raisons pour lesquelles l’objectif
de l’Union serait mieux atteint à l’échelle européenne. À l’image du jeu des
vases communicants, le retournement sémantique au profit de la subsidiarité
procédurale s’effectue au détriment de la proportionnalité classique. La fiche-
subsidiarité, comme dit le jargon communautaire, doit permettre d’apprécier
non seulement le respect du principe de subsidiarité mais aussi celui du
principe de proportionnalité ; elle doit enfin faire apparaître l’impact finan-
cier et, en cas de directive, les implications en matière de réglementation à

principe de subsidiarité pour défendre la première contre la seconde (P. POCHET, « Subsidia-


rité, gouvernance et politique sociale », Le Principe de subsidiarité, dir. F. DELPÉRÉE, op. cit.,
p.  129-149 ; «  Subsidiarité, gouvernance et politique sociale  », Revue belge de sécurité sociale,
2001, 43 (1), p. 125-140). Cf. aussi D. HODSON, I. MAHER, « The Open Method as a New
Mode of Governance : The Case of Soft Economic Policy Coordination », Journal of Common
Market Studies, 2001, 39 (4), p. 719-746 ; B. CANTILLON, « Entre fédéralisme et subsidiarité :
la voie de l’Europe sociale », Revue belge de sécurité sociale, 2004, 46 (3), p. 581-606.
1. Quelques chiffres, émanant de la Commission, sur l’évolution du nombre de propositions
législatives (règlements, directives, décisions et recommandations)  : 787 en 1990, 622 en 1995,
493 en 2000, 439 en 2005. Depuis 2000, on observe une stabilisation relative autour de 450 et
500 textes, malgré un pic en 2004 (532) qui explique peut-être le recul de 2005. Ces données sont
reproduites par la Commission elle-même à partir des bases Eur-Lex et Pre-Lex (COMMIS-
SION, « Mieux légiférer 2006 », 6 juin 2007, p. 11 ; COM (2007) 286 final).
494 La subsidiarité germanique...

mettre en œuvre par les États1. Derrière le mot d’ordre général de la subsidia-
rité, les exigences de justification s’expriment non plus en des termes exclusi-
vement juridiques, elles s’expriment aussi en termes économiques, sociaux et
environnementaux (procédures de consultation, études d’impact, évaluation
de l’efficience selon un rapport coûts-avantages)2.
Au-delà même du discours, la subsidiarité est ainsi devenue un principe
central de la pratique légistique, entendue au sens le plus large, intégrant à la
fois la procédure prélégislative (obligation de motiver, obligation de justifier
la nécessité de l’intervention normative) et la procédure postlégislative (rap-
ports annuels d’évaluation). Si, in fine, on devait codifier le droit procédural
de l’Union, la subsidiarité, à n’en pas douter, figurerait en tête du recueil
législatif. Les changements d’intitulé des différents rapports d’évaluation sont
significatifs et révélateurs de l’ambition grandissante déployée par la Com-
mission et du sens évolutif conféré à la subsidiarité. Publié en 1993, le pre-
mier document s’intitulait Rapport sur l’adaptation de la législation existante
au principe de subsidiarité. Dès la deuxième livraison, en 1994, on ne parlait
plus seulement d’adaptation de la législation existante mais d’« application du
principe de subsidiarité »3. À partir de 1995, les rapports mettaient en avant le
mot d’ordre « Mieux légiférer » (Better Regulation) et établissaient systéma-
tiquement un lien entre subsidiarité et proportionnalité, avec un avantage
désormais attribué à la première. Les variations autour de ce slogan seront
multiples avant que ne se stabilise, dans les années 2000, un nouvel intitulé
faisant désormais référence à l’article  9 du Protocole amsterdamien4. Tou-

1. Citons le traité en vigueur : « Les projets d’actes législatifs sont motivés au regard des prin-
cipes de subsidiarité et de proportionnalité. Tout projet d’acte législatif devrait comporter une
fiche contenant des éléments circonstanciés permettant d’apprécier le respect des principes de
subsidiarité et de proportionnalité. Cette fiche devrait comporter des éléments permettant d’éva-
luer son impact financier et, lorsqu’il s’agit d’une directive, ses implications sur la réglementation
à mettre en œuvre par les États membres, y compris, le cas échéant, la législation régionale. Les
raisons permettant de conclure qu’un objectif de l’Union peut être mieux atteint au niveau de
celle-ci s’appuient sur des indicateurs qualitatifs et, chaque fois que c’est possible, quantitatifs. »
(Traité de Lisbonne, Protocole 2, article 5 ; JOUE, C 83, 30 mars 2010).
2. Parmi une littérature abondante, cf., par exemple, A. RACCAH, « Vers une formalisation de
la procédure prélégislative de l’Union européenne ?  », Revue française d’administration
publique, 2008, 127, p.  543-558 ; A.  ALEMANNO, «  Quis custodet custodes dans le cadre de
l’initiative “Mieux légiférer” ?  », Revue du droit de l’Union européenne, 2008, 1, p.  43-86 ;
R. DEHOUSSE, « L’activité législative : moins mais mieux », Élargissement : comment l’Europe
s’adapte, dir. R.  DEHOUSSE, F.  DELOCHE-GAUDEZ, O.  DUHAMEL, Paris, Presses de
Sciences Po, 2006, p. 23-38 ; B. FLYNN, Reformed Subsidiarity in the Constitution for Europe.
Can It Deliver on Expectations ? Working Paper [2004], Maastricht, European Institute of Public
Administration, 2005 ; S. van HECKE, « The Principle of Subsidiarity : Ten Years of Applica-
tion in the European Union », Regional and Federal Studies, 2003, 13 (1), p. 55-80. Sur les enjeux
de l’évaluation, cf. J. TOULEMONDE, « Peut-on évaluer la subsidiarité ? Éléments de réponse
inspirés de la pratique européenne », Revue internationale des sciences administratives, 1996, 62
(1), p. 53-73 ; O. RIEPER, J. TOULEMONDE, éd., The Politics and Practice of Intergovern-
mental Evaluation, New Brunswick, Transaction Publishers, 1996.
3. COMMISSION, Rapport au Conseil européen sur l’adaptation de la législation existante au
principe de subsidiarité, 24 novembre 1993 (COM (93) 545 final) ; Rapport au Conseil européen
sur l’application du principe de subsidiarité, 25 novembre 1994 (COM (94) 533 final).
4. Pour un aperçu des différents libellés  : COMMISSION, «  Mieux légiférer  ». Rapport au
Conseil européen sur l’application des principes de subsidiarité et de proportionnalité, sur la sim-
Subsidiarité et Europe maastrichtienne. La confusion fédérale 495

jours en son même article  9, le Protocole actuellement en vigueur stipule


que :
«  La Commission présente chaque année au Conseil européen, au Parlement
européen, au Conseil et aux parlements nationaux un rapport sur l’application
de l’article 5 du traité sur l’Union européenne. Ce rapport annuel est également
transmis au Comité économique et social et au Comité des régions1. »
Le rapport annuel de la Commission n’est donc plus adressé uniquement
au seul Conseil mais à l’ensemble des acteurs de l’Union, y compris aux ins-
tances consultatives comme le Comité des régions et le Comité économique
et social.

2. DISCOURS ET PRATIQUE DE LA COUR DE JUSTICE

Le contrôle juridictionnel et le rôle de la Cour de justice. À en croire les juges,


l’absence de définition précise de la subsidiarité les aurait empêchés de lui
conférer une réelle opposabilité juridique2. Les praticiens du droit leur ont vite

plification et la codification, s.d. (CSE (95) 580) ; « Mieux légiférer 1996 ». Rapport au Conseil
européen sur l’application des principes de subsidiarité et de proportionnalité, sur la simplification
et la codification, 26 novembre 1996 (CSE (96) 7/2) ; « Mieux légiférer 1997 ». Rapport au Conseil
européen, 26 novembre 1997 (COM (97) 626 final) ; « Mieux légiférer 1998 », une responsabilité à
partager. Rapport au Conseil européen, 1er décembre 1998 (COM (1998) 715 final) ; « Mieux légi-
férer 1999 ». Rapport au Conseil européen, 3 novembre 1999 (COM (1999) 562 final) ; « Mieux
légiférer 2000 ». Rapport au Conseil européen (conformément à l’article 9 du Protocole du traité
CE sur l’application des principes de subsidiarité et de proportionnalité), 30  novembre 2000
(COM (2000) 772 final) ; «  Mieux légiférer 2000  ». Rapport au Conseil européen, 7  décembre
2001 (COM (2001) 728 final) ; «  Mieux légiférer 2002  », 11  décembre 2002 (COM (2002) 715
final) ; «  Mieux légiférer 2003  », 12  décembre 2003 (COM (2003 770 final) ; «  Mieux légiférer
2004  », 21  mars 2005 (COM (2005) 98 final) ; «  Mieux légiférer 2005  », 13  juin 2006 (COM
(2006) 289 final) ; « Mieux légiférer 2006 », 6 juin 2007 (COM (2007) 286 final) ; « Mieux légiférer
2007 ». Rapport sur la subsidiarité et la proportionnalité, 26 septembre 2008 (COM (2008) 586
final) ; « Mieux légiférer 2008 ». Rapport sur la subsidiarité et la proportionnalité, 25 septembre
2009 (COM (2009) 504 final).
1. Traité de Lisbonne, Protocole 2, article 9 (JOUE, C 83, 30 mars 2010).
2. La littérature maastrichtienne est foisonnante sur cette absence de justiciabilité du principe de
subsidiarité. Pour des prises de position lors de la rédaction du traité, cf., outre le juge Pescatore,
A. J. MACKENZIE-STUART, « Évaluation des vues exprimées et introduction à une discus-
sion-débat  », Subsidiarité, défi du changement, op. cit., p.  41-48 ; «  Subsidiarity, A Busted
Flush ? », Essays T. F. O’Higgins, éd. D. CURTIN, D. O’KEEFFE, Dublin, Butterworth, 1992,
p. 19-24 ; P. J. G. KAPTEYN, « Community Law and the Principle of Subsidiarity », Revue des
affaires européennes, 1991, 2, p. 35 ; V. CONSTANTINESCO, « Subsidiarität : Magisches Wort
oder Handlungsprinzip der europäischen Union ? », art. cit. ; F. DEHOUSSE, « La subsidiarité,
fondement constitutionnel ou paravent politique de l’Union européenne ? », Mélanges E. Krings,
Bruxelles, Story Scientia, 1991, p.  51-59 ; G.  VANDERSANDEN, «  Considérations sur
le principe de subsidiarité  », Mélanges J.  Velu, Bruxelles, Bruylant, 1992, I, p.  193-210 ;
A. G. TOTH, « Is Subsidiarity Justiciable ? », European Law Review, 1994, 19 (3), p. 268-285 ;
T. SCHILLING, « A New Dimension of Subsidiarity : Subsidiarity as a Rule and a Principle »,
1993 Yearbook of European Law, 1994, 14 p. 203-255 ; J. CHARPENTIER, « Quelle subsidia-
rité ? », Pouvoirs, 1994, 69, p. 49-61 ; V. HARRISON, « Subsidiarity in the Article 3B of the EC
Treaty  : Gobbledegook or Justiciable Principle ?  », International and Comparative Law
Quarterly, 1996, 45 (2), p.  431-439. Au titre des partisans de la justiciabilité de la subsidiarité
(conçue dans le même esprit que le principe de proportionnalité), cf. surtout J.-P.  JACQUÉ,
J. H. H. WEILER, « On the Road to European Union, a New Judicial Architecture : An Agenda
for the Intergovernmental Conference », Common Market Law Review, 1990, 27, p. 185-207 ;
496 La subsidiarité germanique...

embrayé le pas, n’hésitant pas, eux aussi, à exprimer leur scepticisme quant
à sa portée normative. La subsidiarité, a-t-on dit ici et là, soulèverait soit une
question d’opportunité ne ressortissant pas de la compétence juridictionnelle,
soit une question d’efficience se prêtant mal à un traitement judiciaire.
Sa justiciabilité eut beau être reconnue par les juges à la faveur d’une
intense période de débats théoriques ; en conformité avec leurs réticences ini-
tiales, le nouveau moyen juridique se vit accorder bien peu d’effets concrets.
D’autant qu’aucune voie de droit spécifique n’avait été prévue et que, tour à
tour, les deux solutions supranationale et nationale avaient été exclues1.
Confier à la Cour le rôle de garant du principe était peu envisageable sur le
plan politique, dans la mesure où cela revenait à ériger cette dernière en ins-
tance constitutionnelle (à l’image d’une cour fédérale). La solution qui aurait
consisté à accorder aux juges nationaux un rôle de contrôle de la subsidiarité
n’a pas non plus été envisagée, dans la mesure où ceux-ci n’ont jamais été
habilités à apprécier la validité des actes communautaires. L’option retenue a
finalement consisté à faire entrer le principe de subsidiarité dans le droit
commun du contentieux communautaire et à emprunter les voies de droit
existantes : recours en annulation, recours en manquement étatique et, plus
encore : renvoi préjudiciel2.
En matière de contrôle de la subsidiarité, la Cour s’est donc montrée parti-
culièrement prudente, l’autolimitation des juges atteignant même son
maximum possible : sanction des seules erreurs manifestes d’appréciation via
un contrôle restreint3. Bien sûr, cette politique jurisprudentielle a évolué au

« Sur la voie de l’Union européenne : une nouvelle architecture judiciaire », Revue trimestrielle
de droit européen, 1990, 26 (3), p. 441-456 ; J.-P. JACQUÉ, « Centralisation et décentralisation
dans les projets d’Union européenne », Aussenwirtschaft, 1991, 46 (3-4), p. 469-483.
1. Outre l’aménagement d’une voie de droit spécifique devant la Cour de justice, plusieurs solu-
tions ont pu émerger au fil de la rédaction des traités de Maastricht, d’Amsterdam et de Nice,
lesquelles privilégiaient soit un contrôle a posteriori, soit un contrôle politique, soit un mixte des
deux (c’est la Conférence intergouvernementale de 1996 qui poussa la réflexion le plus loin) : une
chambre de la subsidiarité formée des parlements nationaux, un conseil de la subsidiarité sur le
modèle du Bundesrat allemand, un Comité des régions érigé en gardien de la subsidiarité, une
deuxième chambre législative, un organe juridictionnel ad hoc, etc. Aucune n’a abouti. Nous
reviendrons sur les innovations lisboètes en matière de contrôle a priori.
2. Le recours en annulation peut, en l’espèce, être introduit par tout justiciable ; il peut égale-
ment s’imaginer dans les cas où un État est mis en minorité au sein du Conseil. Dans un délai de
deux mois, il pourra alors demander à la Cour la censure de l’acte législatif incriminé. Le recours
en appréciation de validité sur renvoi préjudiciel d’une juridiction nationale, quant à lui, inter-
vient classiquement, pour assurer l’uniformité de l’interprétation du droit communautaire, dans
l’hypothèse, par exemple, où les juges nationaux ont des doutes sur le sens ou la validité d’un
acte. Rappelons que le droit communautaire ne connaît pas de procédure abstraite de contrôle
préventif a priori sur le modèle du contrôle de constitutionnalité des lois pratiqué en France ;
que, donc, tous les mécanismes interviennent a posteriori à l’occasion d’un litige, qu’il s’agisse du
recours direct en annulation (TFUE, article  263 ; JOUE, C 83, 30  mars 2010), de l’exception
d’illégalité (exercée à l’encontre des règlements) ou du renvoi préjudiciel.
3. Comme en de nombreux autres domaines, on peut identifier deux grands niveaux de contrôle.
Un premier niveau de contrôle de légalité externe visant au respect des formes et des procédures.
Un second niveau de contrôle par lequel la Cour procède à un examen des motivations ; elle
vérifie si la compétence exercée « n’est pas entachée d’une erreur manifeste, ou de détournement
de pouvoir, ou si l’autorité en question n’a pas manifestement dépassé les limites de son pouvoir
d’appréciation » (CJCE, Balkan, 22 janvier 1976 ; aff. 55-75, Rec., p. 19).
Subsidiarité et Europe maastrichtienne. La confusion fédérale 497

fil des années (contrôle formel puis contrôle normal), mais elle ne s’est jamais
départie d’une certaine forme de défiance vis-à-vis d’une règle bien peu sai-
sissable en droit, les hésitations et tergiversations de la doctrine pouvant
expliquer une part de cette timidité juridictionnelle. Cette seule explication
ne saurait pour autant suffire, notamment parce que la Cour n’a jamais
rechigné devant la nécessaire audace qu’implique sa mission. Pareille timidité
contraste en effet avec le caractère résolument volontariste de sa jurispru-
dence en matière de compétences1. Depuis les origines, la Cour de justice
avait été amenée à vérifier la conformité des actes communautaires avec les
principes de répartition fixés par le traité. Aussi a-t-elle très vite compris que
la subsidiarité — toujours réversible — ne constituait pas une arme juridique
assez solide pour appuyer sa politique jurisprudentielle.
Ayant par ailleurs à sa disposition un principe de proportionnalité qu’il
avait lui-même forgé de manière prétorienne, le juge communautaire eut
naturellement tendance à lire le nouveau à la lumière du déjà connu : la subsi-
diarité à la lumière de la proportionnalité. À cette raison contingente s’en
ajoutait une autre (qui permet de la préciser). Dans le cadre du contrôle de
proportionnalité — technique bien connue des juridictions administratives
françaises2 —, le juge met en balance des situations circonstanciées (selon un
calcul coûts-avantages) ; il compare différentes manières concrètes dont une
compétence peut être exercée ; et se place ainsi dans la possibilité de qualifier
juridiquement une situation objective sans entrer de plain pied dans le cœur
sensible de l’appréciation en opportunité. À l’inverse, un contrôle de la subsi-
diarité conduirait la Cour à se poser une question de pure opportunité rele-
vant en théorie du niveau politique.
Le ton de la méfiance avait été donné dès avant l’entrée en vigueur du
traité de Maastricht au cours de la phase préparatoire de la Conférence inter-
gouvernementale sur l’Union politique. Dans une communication en date du
20 décembre 1990, le juge communautaire résumait ainsi sa position, ne fai-
sant pas mystère de sa préférence pour la proportionnalité :
«  Nonobstant la connotation largement politique [du principe de subsidiarité],
l’examen, par la Cour, d’un tel moyen ne poserait pas à celle-ci des problèmes de
caractère nouveau. À cet égard, il suffit de renvoyer à un autre principe, peut-être
de caractère plus modeste, qui, depuis longtemps, est pris en compte comme élé-
ment d’interprétation pour la délimitation des compétences permettant aux insti-
tutions d’imposer des obligations aux citoyens communautaires, et notamment
aux opérateurs économiques, et dont la violation constitue également un moyen

1. Jamais, la Cour de justice n’a limité l’exercice d’une attribution prévue par les traités constitu-
tifs. Depuis l’origine, elle a toujours mis un point d’honneur à ne pas cantonner l’action de la
Communauté aux seules compétences explicitement accordées par les textes. Les principaux
leviers actionnés ont d’ores et déjà été évoqués : l’article 235 TCE, base de la théorie des pou-
voirs implicites, la technique de l’effet utile, les compétences exclusives par exercice, etc.
2. Nous pensons au contrôle de proportionnalité et à la théorie du bilan élaborée par Guy Brai-
bant (G. BRAIBANT, « Le principe de proportionnalité », Mélanges M. Waline, Paris, LGDJ,
1974, II, p. 297-306). Cf. CONSEIL d’ÉTAT, Fédération de défense des personnes concernées
par le projet « Ville nouvelle Est », 28 mai 1971 (Rec., 1971, p. 409). Pour une critique du principe
de subsidiarité par Guy Braibant, cf. G.  COHEN-JONATHAN, J.  DUTHEIL de LA
ROCHÈRE, dir., Constitution européenne, démocratie..., op. cit., p. 157-162.
498 La subsidiarité germanique...

d’annulation et d’exception, à savoir le principe de proportionnalité. Selon ce


principe, les mesures adoptées doivent être aptes et nécessaires pour atteindre les
objectifs visés par la compétence accordée à l’institution. Si, en appliquant ce
principe, également de connotation politique, la Cour a toujours reconnu une
large marge d’appréciation à l’institution en cause, elle a néanmoins contrôlé le
respect par celle-ci des limites extrêmes de ce pouvoir d’appréciation, notamment
par sa censure de la mesure en cas d’erreur manifeste1. »

À partir de la fin des années 1980 quand elle apparaît expressément sous la
plume des juges communautaires, la subsidiarité revêt une acception unique-
ment procédurale et processuelle : elle sert, de manière classique, à qualifier la
hiérarchie des voies de recours2. Il faut attendre la pleine entrée en vigueur du
traité de Maastricht pour qu’une double étape jurisprudentielle soit franchie.
Dans un arrêt SPO rendu le 21 février 1995, les juges du Tribunal de Luxem-
bourg sont les premiers à s’exprimer sur le principe maastrichtien. L’esprit
de la solution donnée au cas d’espèce ne manquait pas de fermeté : le deman-
deur qui invoquait le non-respect du principe de subsidiarité en matière de
droit de la concurrence pour la période antérieure au 1er  novembre 1993 se
voyait opposer un rejet on ne peut plus catégorique. Face au zèle rationalisa-
teur de la Commission, prise dans des impératifs politiques tout à fait spéci-
fiques, les juges communautaires commençaient donc par fixer des limites
très strictes à l’application du principe, insistant sur sa non-rétroactivité.
Avant l’entrée en vigueur du traité de Maastricht, la subsidiarité ne consti-
tuait pas « un principe général de droit en regard duquel devait être contrôlée
la légalité des actes communautaires »3.
Mais le véritable tournant intervint avec l’arrêt dit Bosman, dans lequel la
subsidiarité faisait son entrée officielle dans une décision de la Cour de jus-
tice4. Le principe maastrichtien — était-il affirmé par le juge — ne saurait

1. CJCE, Communication à la Conférence intergouvernementale de 1991, 20  novembre 1990


(cité dans SÉNAT, Rapport d’information fait au nom de la Délégation pour l’Union européenne
sur l’application du principe de subsidiarité, dir. C.  de LA MALÈNE, 1996, 46 ; J.  RIDEAU,
« Compétences et subsidiarité dans l’Union européenne », art. cit.). Nous soulignons.
2. Qu’il suffise ici de citer les conclusions des avocats généraux Marco Darmon, Giuseppe
Tesauro et Carl Otto Lenz, ainsi qu’une ordonnance rendue par la Cour de justice le 9  août
1994  : CJCE, Ordonnance La Pyramide SARL, 9  août 1994 (aff. C-378-93. Rec., p.  I-3999) ;
Conclusions de l’avocat général Marco Darmon, Évelyne Delauche c. Commission, 19 novembre
1987 (aff. 111-86. Rec., p.  I-5345) ; Conclusions de l’avocat général Giuseppe Tesauro, Assu-
rances du crédit SA et Compagnie belge d’assurance crédit SA c. Conseil et Commission, 23 jan-
vier 1991 (aff. C-63-89. Rec., p.  I-1799) ; Conclusions de l’avocat général Carl Otto Lenz,
Commission c. République italienne, 26  février 1992 (aff. C-362-90. Rec., p.  I-2353) ; Conclu-
sions de l’avocat général Giuseppe Tesauro, Brasserie du pêcheur SA c. République fédérale
d’Allemagne, 28 novembre 1995 (aff. jointes C-46-93 et C-48-93. Rec., p. I-1029).
3. TPICE, Vereniging van Samenverkende Prijsregelende Organisaties (SPO) in de Bouwnij-
verheid et al. c. Commission, 21 février 1995 (aff. T-29-92, Rec., p. II-289). Un mois auparavant,
le Tribunal de première instance faisait valoir le caractère dilatoire de l’argumentation invoquée
par les requérants : TPICE, Roger Tremblay et François Lucazeau et Harry Kestenberg c. Com-
mission, 24 janvier 1995 (aff. T-5-93, Rec., p. II-185) ; TPICE, Bureau européen des médias de
l’industrie musicale c. Commission, 24 janvier 1995 (aff. T-114-92, Rec., p. II-147).
4. CJCE, Union royale belge des sociétés de football association ASBL c. Jean-Marc Bosman,
Royal club liégeois SA c. Jean-Marc Bosman et autres et Union des associations européennes de
football (UEFA) c. Jean-Marc Bosman, 15 décembre 1995 (aff. C-415-93, Rec., p. I-4921). Avant
Subsidiarité et Europe maastrichtienne. La confusion fédérale 499

justifier que la réglementation des associations privées (en l’espèce une fédé-
ration de football) fasse obstacle à l’application du droit communautaire. Le
ton empruntait un registre d’autant plus intransigeant qu’il s’agissait en l’oc-
currence de garantir l’une des quatre libertés fondamentales : la libre circula-
tion des personnes. Et le juge de préciser  : si la subsidiarité implique que
l’intervention des autorités communautaires soit limitée au strict nécessaire
dans le domaine de l’organisation des activités sportives, elle ne peut conférer
aux dites associations, y compris au titre de leur autonomie institutionnelle
ou procédurale, la possibilité de limiter l’exercice des droits fondamentaux
reconnus aux particuliers par les traités constitutifs. L’argument invoqué
contre l’Union était donc logiquement rejeté.
À considérer la seule question de la subsidiarité, le tournant de l’arrêt
Bosman ne concernait guère plus que le droit du contentieux communau-
taire : après une première période où il cherchait des expédients pour éviter
d’avoir à se prononcer, après une période où il pratiquait un contrôle res-
treint (erreur manifeste), le juge acceptait alors de considérer les motifs
de l’acte incriminé. Mais, sur le fond, le mot avait beau surgir sous la plume
des juges, force est de constater que la ligne jurisprudentielle en matière de
répartition des compétences restait totalement inchangée. En conformité avec
leur attitude antérieure, subsidiarité maastrichtienne ou pas, les juges conti-
nuaient de s’adonner à leur défense imperturbable des prérogatives commu-
nautaires. Si valeur juridictionnelle la subsidiarité finissait par acquérir, c’était
au profit des institutions bruxelloises qu’elle devait jouer, non au profit des
États. Et le juge de bientôt s’en emparer pour l’opposer à des requérants gou-
vernementaux1. Ainsi, dans deux arrêts rendus en septembre 1996, il invoque
le principe de subsidiarité pour donner tort à la Belgique qui voulait se sous-
traire aux obligations définies par la directive Télévision sans frontières
relative à la redistribution des programmes par câble2.
Outre les arrêts Bosman et SPO, plusieurs étapes marquantes de la juris-
prudence communautaire peuvent être succinctement relevées. Une première
salve d’arrêts intervint dès 1996-1997, au cours de laquelle le contrôle s’est

l’arrêt Bossman, mentionnons les conclusions de certains avocats généraux déjà cités (sans valeur
juridique mais qui ont pu diffuser l’usage du mot) : Conclusions de l’avocat général Claus Chris-
tian Gulmann, Her Majesty’s Customs and Excise c. Gerhart Schindler et Jörg Schindler,
16  décembre 1993 (aff. C-275-92, Rec., p.  I-1039) ; Conclusions de l’avocat général Marco
Darmon, Commune d’Almelo et autres c. NV Energiebedrijf Ijsselmij, 8 février 1994 (aff. C-393-
92, Rec., p. I-1477) ; Conclusions de l’avocat général Walter van Gerven, Corsica Ferries Italia
Srl c. Corpo dei piloti del porto di Genova, 9 février 1994 (aff. C-18-93, Rec., p. I-1783) ; Conclu-
sions de l’avocat général Carl Otto Lenz, Jean-Marc Bosman, 20 septembre 1995 (aff. C-415-93,
Rec., p.  I-4921) ; Conclusions de l’avocat général Carl Otto Lenz, Buralux SA, Satrod SA et
Ourry SA c. Conseil, 23 novembre 1995 (aff. C-209-94 P, Rec., p. I-615).
1. CJCE, Commission c. Royaume de Belgique, 10  septembre 1996, 12  septembre 1996 (aff.
C-11-95, Rec., p.  I-4115 ; aff. C-278-94, Rec., p.  I-4307). Dans le même sens, mentionnons  :
CJCE, Commission c. Artegodan GmbH et autres, 24 juillet 2003 (aff. C-39-03, Rec., p. I-7885) ;
CJCE, Commission c. République portugaise, 6 juillet 2006 (aff. C-53-05, Rec., p. I-6215) ; CJCE,
Commission c. République italienne, 26 mars 2009 (aff. C-326-07, Rec., p. 7).
2. Pour plus de détails, cf. CONSEIL, Directive 89-552-CEE visant à la coordination de
certaines dispositions législative et réglementaires des États membres relatives à l’exercice d’acti-
vités de radiodiffusion télévisuelle, 3 octobre 1989 (JOCE, L 298, 17 octobre 1989).
500 La subsidiarité germanique...

maintenu au seul niveau formel, le juge cherchant alors à déterminer si la


motivation était suffisante au titre du principe de subsidiarité1. Dans un arrêt
en date du 12 novembre 1996, d’une part, arrêt rendu sur une affaire oppo-
sant le Royaume-Uni au Conseil, la Cour rejetait l’argumentation du gouver-
nement britannique qui se prévalait d’une violation du principe de subsidia-
rité (en matière de droit relatif aux conditions de sécurité et de santé des
travailleurs) pour s’extraire des obligations de l’harmonisation communau-
taire. L’année suivante, d’autre part, en 1997, la Cour répondait au gouverne-
ment allemand que l’absence de référence expresse au principe dans l’exposé
des motifs d’un texte communautaire ne constituait pas un cas de violation
juridique, dès l’instant où l’acte était effectivement justifié au regard de la
subsidiarité. Le juge ajoutait que le principe de subsidiarité exprimait une
règle générale de l’ordre juridique communautaire, et non une obligation de
motivation devant figurer dans les considérants2.
Une deuxième salve intervint dans la première moitié des années 2000 ; elle
franchissait une étape supplémentaire dans laquelle la jurisprudence actuelle
continue de se situer3 : du contrôle formel des motifs, le juge passe alors à un
contrôle normal de subsidiarité, n’hésitant plus à rechercher au fond si les
conditions de l’article 5 al. 2 sont bien réunies. Il continue de donner raison
aux instances de l’Union, mais s’oriente à présent vers un contrôle plus serré
de la réalité des arguments qu’elles invoquent pour justifier l’intervention
communautaire. En 2001, tout d’abord, dans son arrêt dit Biotech relatif à la
directive sur le brevetage en matière de biotechnologie4, elle rejette l’argument
d’une insuffisance de motivation. En 2002, ensuite, l’arrêt Tobacco négocie un
autre tournant notable : la Cour s’y livre à un contrôle plus minutieux encore
de l’appréciation retenue par les autorités communautaires. Différents arrêts
rendus en 2003 et 2005, enfin, s’inscrivent dans cette même ligne  : la Cour
s’attache à vérifier si les différences entre législations nationales justifient une

1. Citons deux arrêts en particulier : CJCE, Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du


Nord c. Conseil, 12 novembre 1996 (aff. C-84-94, Rec., p. I-5755) ; CJCE, République fédérale
d’Allemagne c. Parlement et Conseil, 13 mai 1997 (aff. C-233-94, Rec., p. I-2405).
2. Cf. C. HENKEL, « The Allocation of Powers in the European Union », art. cit., p. 379 sq. En
l’espèce, l’Allemagne voulait faire sanctionner le Parlement et le Conseil pour ne pas avoir visé le
principe de subsidiarité dans leur justification de l’intervention communautaire. Pour une mise
en perspective plus générale (avant la deuxième salve), cf. G. de BÚRCA, « The Principle of Sub-
sidiarity and the Court of Justice as an Institutional Actor », Journal of Common Market Studies,
1998, 36 (2), p.  217-235 ; E.  T. SWAINE, «  Subsidiarity and Self-Interest  : Federalism at the
European Court of Justice », Harvard International Law Journal, 2000, 41 (1), p. 1-128.
3. CJCE, Royaume des Pays-Bas c. Parlement et Conseil, 9 octobre 2001 (aff. C-377-98, Rec.,
p. I-7079) ; CJCE, The Queen c. Secretary of State for Health, ex parte British American Tobacco
(Investments) Ltd et Imperial Tobacco Ltd, 10 décembre 2002 (aff. C-491-01. Rec., p. I-11453) ;
CJCE, Commission c. République fédérale d’Allemagne, 22  mai 2003 (aff. C-103-01, Rec.,
p.  I-5369) ; CJCE, Royaume de Belgique c. Commission, 14  avril 2005 (aff. C-110-03, Rec.,
p. 2801) ; CJCE, The Queen, à la demande de Alliance for Natural Health et Nutri-Link Ltd c.
Secretary of State for Health et The Queen, à la demande de National Association of Health
Stores et Health Food Manufacturers Ltd c. Secretary of State for Health et National Assembly
for Wales, 12 juillet 2005 (aff. jointes C-154-04 et C-155-04, Rec., p. I-6451).
4. CONSEIL, PARLEMENT EUROPÉEN, Directive 98-44-CE relative à la protection juri-
dique des inventions biotechnologiques, 6 juillet 1998 (JOCE, L 213, 30 juillet 1998).
Subsidiarité et Europe maastrichtienne. La confusion fédérale 501

action communautaire en raison des entraves qu’elles pourraient constituer au


sein du Marché intérieur1. À chaque fois, sa réponse est invariable et aboutit
au constat que l’objectif poursuivi nécessitait bien une intervention de l’Union.
Malgré la profusion des requêtes en annulation excipant de la subsidiarité,
les exemples de rejet pourraient être multipliés : à ce jour, aucune censure n’a
été prononcée pour violation du principe2. La subsidiarité n’est devenue ni une
arme juridique à la disposition des États, ni un moyen de droit permettant aux
gouvernements de défendre leurs prérogatives contre des interventions com-
munautaires jugées impropres. La Cour a pour l’essentiel entériné l’approche
de la Commission ; approche, nous l’avons vu, qui tend à neutraliser l’effet
limitatif de l’action communautaire, en insistant sur les obligations procédu-
rales faites aux différentes institutions européennes, principalement via un
examen de l’obligation de motivation formelle. Il n’en reste pas moins vrai
qu’au fil de sa jurisprudence, la Cour a perfectionné ses techniques de contrôle
juridictionnel de la subsidiarité et, par là, précisé la justiciabilité du principe. Le
traité de Lisbonne en témoigne, qui nous semble confirmer cette consécration3.
Mais le texte lisboète apporte surtout deux nouveautés, sur lesquelles il
faut s’appesantir à présent. D’une part, le recours en annulation peut désor-
mais être introduit par les gouvernements au nom de leur Parlement national,
chaque assemblée ayant en amont la possibilité d’émettre un avis motivé
exposant les raisons pour lesquelles elle estime que le texte visé ne respecte
pas le principe de subsidiarité. Grands gagnants de la Conférence intergou-
vernementale de 2007, les parlements font ainsi l’objet des deux premiers
protocoles du traité de Lisbonne. D’autre part, le Comité des régions peut
saisir la Cour de justice quand l’acte incriminé est un acte pour l’adoption
duquel le traité prévoit sa consultation4.

1. Cf. M.  KUMM, «  Constitutionalising Subsidiarity in Integrated Markets  : The Case of


Tobacco Regulation in the EU », European Law Journal, 2006, 12 (4), p. 503-533. Sur l’exten-
sion du contrôle, cf. The American Journal of International Law, 2002, 96 (4), p. 950-955.
2. Aux arrêts déjà mentionnés, ajoutons : CJCE, Roger Tremblay, Harry Kestenberg et Syndicat
des exploitants de lieux de loisirs (SELL) c. Commission, 24 octobre 1996 (aff. C-91-95 P, Rec.,
p. I-5547) ; CJCE, Hilmar Kellinghusen c. Amt für Land- und Wasserwirtschaft Kiel et Ernst-
Detlef Ketelsen c. Amt für Land- und Wasserwirtschaft Husum, 22  octobre 1998 (aff. jointes
C-36-97 et C-37-97, Rec., p.  I-6337) ; CJCE, République fédérale d’Allemagne c. Parlement
et Conseil, 5  octobre 2000 (aff. C-376-98, Rec., p.  I-8419) ; CJCE, Royaume de Belgique
c. Commission, 18  avril 2002 (aff. C-332-00, Rec., p.  I-3609) ; CJCE, Royaume de Suède
c. Commission et autres, 18 décembre 2007 (aff. C-64-05 P, Rec., p. I-11389) ; CJCE, Vereniging
Nationaal Overlegorgaan Sociale Werkvoorziening et Gemeente Rotterdam c. Minister van
Sociale Zaken en Werkgelegenheid et Sociaal Economische Samenwerking West-Brabant
c. Algemene Directie voor de Arbeidsvoorziening, 13 mars 2008 (aff. jointes C-383-06 à C-385-
06, Rec., p. I-1561) ; CJCE, Arcor AG & Co. KG c. Bundesrepublik Deutschland, 24 avril 2008
(aff. C-55-06, Rec., p.  I-2931) ; CJCE, Michaniki AE c. Ethniko Symvoulio Radiotileorasis et
Ypourgos Epikrateias, 16 décembre 2008 (aff. C-213-07, Rec., p. 11).
3. L’article 8 al. 1 du Protocole 2 précise que : « La Cour de justice de l’Union européenne est
compétente pour se prononcer sur les recours pour violation, par un acte législatif, du principe
de subsidiarité formés, conformément aux modalités prévues à l’article 263 du traité sur le fonc-
tionnement de l’Union européenne, par un État membre ou transmis par celui-ci conformément
à son ordre juridique au nom de son parlement national ou d’une chambre de celui-ci » (Traité
de Lisbonne, Protocole 2, article 8 al. 1 ; JOUE, C 83, 30 mars 2010).
4. Traité de Lisbonne, Protocole 2, article 8 al. 2 (JOUE, C 83, 30 mars 2010).
502 La subsidiarité germanique...

3. L’ENTRÉE EN JEU DES PARLEMENTS NATIONAUX


Le contrôle politique et le rôle des parlements nationaux enfin. Une tendance
lourde court d’Amsterdam à Lisbonne, en passant par Nice et le projet avorté
de Constitution  : le renforcement du contrôle a priori de la subsidiarité. Il
est devenu un axe majeur de l’affirmation du rôle des parlements natio-
naux dans la construction européenne1. À tel point que cette montée en
puissance tend à déporter la question de la subsidiarité du terrain de la clarifi-
cation des compétences vers celui, plus général, de la réduction du déficit
démocratique. Ainsi un mécanisme de contrôle parlementaire ex ante s’est-
il peu à peu ajouté au contrôle juridictionnel ex post opéré par la Cour de
Luxembourg.
Nous présentons ici les principales dispositions nouvelles actuellement en
vigueur, quand bien même elles n’ont pas encore déployé leurs pleins effets
juridiques. S’agissant de la question qui nous intéresse, celle des compétences,
le traité simplifié de Lisbonne ne revient pas sur les résultats des débats
conventionnels. Il reprend l’essentiel des acquis de l’entreprise de clarifica-
tion lancée depuis Laeken, tout en procédant à quelques ajouts et réarticula-
tions non négligeables. Notons, de manière générale, l’autonomisation de la
subsidiarité par rapport à la proportionnalité — voire la disjonction des deux
principes2 —, les nouveaux mécanismes de contrôle ne concernant que la pre-
mière. Quatre articles au total intéressent ici le rôle des parlements natio-
naux : les articles 5 § 3 al. 2 et 12 b TUE, les articles 69 et 352 § 2 TFUE3 ; mais

1. Cf. une étude parue dès avant la fin des travaux de la Convention : A. VERGÉS BAUSILI,
Rethinking the Methods of Dividing and Exercising Powers in the EU : Reforming Subsidiarity
and National Parliaments. Jean-Monnet Working Paper, éd. J.  H.  H. WEILER, New York,
School of Law, 2002. Pour un bref état des lieux avant l’enterrement du projet constitutionnel,
cf. J.  PETERS, «  National Parliaments and Subsidiarity  : Think Twice  », European Constitu-
tional Law Review, 2005, 1 (1), p. 68-72. Pour un point avant l’élaboration du traité simplifié de
Lisbonne, qui insistait, en des termes peu avenants, sur le nouveau rôle des parlements natio-
naux, cf. I. COOPER, « The Watchdogs of Subsidiarity : National Parliaments and the Logic of
Arguing in the EU », Journal of Common Market Studies, 2006, 44 (2), p. 281-304.
2. Les parlementaires nationaux peuvent défendre le respect de leurs compétences, dit le nou-
veau traité, mais ne doivent pas interférer dans le processus législatif, via un contrôle indû de la
proportionnalité. Une fois que l’opportunité de l’action européenne est admise, le contenu n’est
plus du ressort des parlements. C’était déjà la ligne retenue par le projet de 2004. Pour une pré-
sentation plus générale, cf., par exemple, A. MET-DOMESTICI, « Les parlements nationaux et
le contrôle du respect du principe de subsidiarité  », Revue du Marché commun et de l’Union
européenne, 2009, 525, p. 88-96 ; M. LE BARBIER-LE BRIS, « Le nouveau rôle des parlements
nationaux  : avancée démocratique ou sursaut étatiste ?  », ibid., 2008, 521, p.  494-498 ;
J.-P. FELDMAN, « Le traité de Lisbonne et la subsidiarité », Politeia, 2008, 13, p. 193-203.
3. « Les institutions de l’Union appliquent le principe de subsidiarité conformément au proto-
cole sur l’application des principes de subsidiarité et de proportionnalité. Les parlements natio-
naux veillent au respect du principe de subsidiarité conformément à la procédure prévue dans ce
protocole. » (TUE, article 5 § 3 al. 2 ; JOUE, C 83, 30 mars 2010). « Les parlements nationaux
contribuent effectivement au bon fonctionnement de l’Union : [...] b) en veillant au respect du
principe de subsidiarité conformément aux procédures prévues par le protocole sur l’application
des principes de subsidiarité et de proportionnalité. » (TUE, article 12 ; JOUE, C 83, 30 mars
2010). «  Les parlements nationaux veillent, à l’égard des propositions et initiatives législatives
présentées dans le cadre des chapitres 4 et 5, au respect du principe de subsidiarité, conformé-
ment au protocole sur l’application des principes de subsidiarité et de proportionnalité. » (TFUE,
Subsidiarité et Europe maastrichtienne. La confusion fédérale 503

ce sont surtout les deux protocoles précités (1 et 2), placés en annexes du


traité, qui les érigent en gardiens du principe de subsidiarité1.
«  Les parlements nationaux, lit-on à l’article  3 al.  1 du Protocole  1, peuvent
adresser aux présidents du Parlement européen, du Conseil et de la Commis-
sion, un avis motivé concernant la conformité d’un projet d’acte législatif avec
le principe de subsidiarité, selon la procédure prévue par le protocole sur l’appli-
cation des principes de subsidiarité et de proportionnalité2. »
Les parlements nationaux ne se voient pas reconnaître un droit de veto en
bonne et due forme ; cependant le renforcement de la dimension politique du
contrôle parlementaire de la subsidiarité n’en est pas moins tout à fait signifi-
catif sur le plan formel. Déjà présente dans le Protocole 2 annexé au projet
constitutionnel de 2004, la procédure d’alerte précoce (dite carton jaune) est
maintenue dans le traité de Lisbonne. En effet, l’article 6 al. 1 de son Proto-
cole 2 s’applique potentiellement à tous les projets d’acte législatif, quel que
soit leur auteur et sans considérer non plus les modalités spécifiques d’adop-
tion des textes en cause3. Changement important néanmoins : le dispositif en
vigueur allonge le délai à l’intérieur duquel les parlements peuvent transmettre
leurs avis motivés : il était fixé à six semaines à compter de la date de transmis-
sion du projet ; le traité de Lisbonne le fait passer à huit semaines à compter de
la date de transmission du projet dans les langues officielles de l’Union. Si, au
terme de ce délai, le nombre d’avis motivés représente au moins un tiers des
voix attribuées aux parlements nationaux4, le projet d’acte législatif européen
devra obligatoirement être réexaminé par l’institution à l’origine du texte5.

article  69 ; JOUE, C 83, 30  mars 2010). «  La Commission, dans le cadre de la procédure de
contrôle du principe de subsidiarité visée à l’article 5 § 3, du traité sur l’Union européenne, attire
l’attention des parlements nationaux sur les propositions fondées sur le présent article. » (TFUE,
article 352 § 2 ; JOUE, C 83, 30 mars 2010).
1. Traité de Lisbonne, Protocole 1, Protocole 2 (JOUE, C 83, 30 mars 2010). Le Protocole 1 sur
le rôle des parlements nationaux dans l’Union européenne est identique au Protocole qui était
annexé au projet constitutionnel de 2004. Le Protocole 2 sur l’application des principes de subsi-
diarité et de proportionnalité a en revanche été modifié (Projet de traité établissant une Constitu-
tion pour l’Europe, Protocole 1, Protocole 2 ; JOUE, C 310, 16 décembre 2004).
2. Traité de Lisbonne, Protocole 1, article 3 al. 1 (JOUE, C 83, 30 mars 2010).
3. « Tout parlement national ou toute chambre de l’un de ces parlements peut, dans un délai de
huit semaines à compter de la date de transmission d’un projet d’acte législatif dans les langues
officielles de l’Union, adresser aux présidents du Parlement européen, du Conseil et de la Com-
mission un avis motivé exposant les raisons pour lesquelles il estime que le projet en cause n’est
pas conforme au principe de subsidiarité. Il appartient à chaque parlement national ou à chaque
chambre d’un parlement national de consulter, le cas échéant, les parlements régionaux possé-
dant des pouvoirs législatifs.  » (Traité de Lisbonne, Protocole 2, article  6 al.  1 ; JOUE, C 83,
30 mars 2010).
4. Dix-huit sur cinquante quatre, chaque pays disposant de deux voix (bicamérisme oblige).
5. Notons que le seuil d’un tiers est abaissé à un quart pour tous les projets d’acte législatif rela-
tifs à l’espace de liberté, de sécurité et de justice (le texte vise en particulier les questions relatives
à la coopération judiciaire en matière pénale et à la coopération policière). « Dans le cas où les
avis motivés sur le non-respect par un projet d’acte législatif du principe de subsidiarité repré-
sentent au moins un tiers de l’ensemble des voix attribuées aux parlements nationaux conformé-
ment au deuxième alinéa du paragraphe 1, le projet doit être réexaminé. Ce seuil est un quart
lorsqu’il s’agit d’un projet d’acte législatif présenté sur la base de l’article  76 du traité sur le
fonctionnement de l’Union européenne relatif à l’espace de liberté, de sécurité et de justice.  »
(Traité de Lisbonne, Protocole 2, article 7 § 2 ; JOUE, C 83, 30 mars 2010).
504 La subsidiarité germanique...

À ce carton jaune, l’article 7 § 3 adjoint un mécanisme renforcé (dit carton


orange). Contrairement au mécanisme de droit commun, il n’est applicable
qu’aux actes adoptés dans le cadre de la procédure législative ordinaire1, et ne
répond pas aux mêmes conditions de déclenchement. Les différences se
situent donc à deux niveaux : celui du champ matériel d’application et celui
du nombre de voix à recueillir. Le carton jaune concerne tous les projets
d’acte communautaire et est déclenché par un tiers ou un quart des voix attri-
buées aux parlements nationaux ; le carton orange ne concerne que les projets
d’acte régis par la procédure législative ordinaire et est déclenché par une
majorité simple des parlements2. Dans les deux cas, cependant, l’obligation de
réexamen ne débouche pas nécessairement sur le retrait du projet d’acte légis-
latif. La Commission — c’est bien la principale institution concernée en tant
que dépositaire principal du droit d’initiative — peut choisir de maintenir la
proposition, de la modifier ou bien de la retirer purement et simplement.
Dans l’hypothèse où elle choisit de la maintenir, elle doit émettre un avis
motivé exposant les raisons de son choix, qui sera ensuite soumis à l’appré-
ciation du législateur : Conseil ou Parlement3.
Au carton jaune et au carton orange, s’ajoute enfin le carton rouge. Prévu
à l’article 8 du Protocole 2, le mécanisme intervient non plus de manière pré-
ventive avant l’adoption de l’acte législatif mais ex post par la voie juridiction-
nelle, selon une procédure indirecte. C’est via les exécutifs nationaux et pour
les seules questions de subsidiarité qu’un droit de saisine de la Cour est
désormais reconnu au bénéfice des parlements nationaux. Les gouvernements
sont ainsi habilités, au nom de leur Parlement, à saisir le juge communautaire
d’un recours pour violation du principe de subsidiarité par un acte législatif
européen.

De manière plus générale, on comprend que le succès du mécanisme de


contrôle politique — qu’il s’agisse du carton jaune ou du carton orange —
repose en définitive sur la capacité de collaboration et de mise en réseau des
différents parlements. Car c’est bien la convergence des contestations natio-
nales qui pourra avoir un impact significatif sur le déroulement de la pro-
cédure. À cet égard, la Conférence des organes spécialisés dans les affaires
communautaires des parlements de l’Union européenne (COSAC), déjà ren-
contrée de manière cursive, sera vraisemblablement appelée à jouer un rôle
moteur, à tout le moins à sortir de l’ombre politique dans laquelle elle s’est

1. Nouvelle dénomination pour désigner la procédure de codécision.


2. « En outre, dans le cadre de la procédure législative ordinaire, dans le cas où les avis motivés
sur le non-respect par une proposition d’acte législatif du principe de subsidiarité représentent
au moins une majorité simple des voix attribuées aux parlements nationaux conformément au
deuxième alinéa du paragraphe 1, la proposition doit être réexaminée. À l’issue de ce réexamen,
la Commission peut décider, soit de maintenir la proposition, soit de la modifier, soit de la
retirer. » (Traité de Lisbonne, Protocole 2, article 7 § 3 al. 1 ; JOUE, C 83, 30 mars 2010).
3. Dans le cadre de la procédure du carton orange, il suffit que l’une des deux branches du légis-
lateur se prononce contre la compatibilité du texte avec le principe de subsidiarité pour que la
proposition législative soit abandonnée. De deux choses l’une : soit le Parlement statue à la majo-
rité simple des suffrages exprimés ; soit le Conseil à raison de 55 % de ses membres.
Subsidiarité et Europe maastrichtienne. La confusion fédérale 505

enfermée jusqu’ici1. Deux facteurs convergents corroborent l’hypothèse d’un


avenir prometteur à très court terme. 1o Sa consécration lisboète : créée à Paris
les 16-17 novembre 1989, formellement reconnue par le Protocole 13 du traité
d’Amsterdam, la COSAC est consacrée dans son existence institutionnelle par
l’article 10 du Protocole 1 annexé au traité de Lisbonne2. 2o L’appui bruxel-
lois  : depuis septembre 2008, avant même la conclusion des travaux de la
Conférence intergouvernementale de 2007 (et donc avant l’entrée en vigueur
du nouveau traité), la Commission européenne avait d’elle-même pris l’initia-
tive d’établir un dialogue direct avec les parlements des États membres en leur
transmettant ses propositions législatives sans passer par l’intermédiaire des
gouvernements. En réponse, les parlements nationaux ont pu émettre des avis
informels portant notamment sur l’application du principe de subsidiarité3.

1. Quand bien même, rappelle le règlement de la COSAC, il lui est fait obligation d’œuvrer
«  sans préjudice des compétences des organes parlementaires dans l’Union européenne  »
(COSAC, Règlement ; JOUE, C 27-02, 31  décembre 2008). Réunissant les représentants des
commissions en charge des affaires européennes dans les vingt-sept parlements des États
membres, elle est habilitée à adresser au Parlement européen, au Conseil et à la Commission toute
contribution qu’elle juge appropriée sur les activités législatives de l’Union. Elle est composée de
six représentants parlementaires par État et de six membres du Parlement européen. Elle se réunit
chaque semestre à l’initiative du Parlement de l’État qui exerce la présidence de l’Union.
2. Traité d’Amsterdam, Protocole 13 sur le rôle des parlements nationaux dans l’Union euro-
péenne (JOCE, C 340, 10 novembre 1997) ; Traité de Lisbonne, Protocole 1 sur le rôle des parle-
ments nationaux dans l’Union européenne (JOUE, C 83, 30 mars 2010). Dès sa seconde session,
réunie à Cork en Irlande les 10 et 11  mai 1990, la COSAC avait repris à son compte le mot
d’ordre de la subsidiarité en insistant plus particulièrement sur son intérêt dans la lutte contre le
déficit démocratique de la Communauté. Organisée à Londres les 10 et 11  novembre 1992, la
septième session avait pour sa part insisté sur la valorisation du rôle des parlements nationaux
comme réponse à la crise de la ratification du traité de Maastricht. Deux ans plus tard, la onzième
session, réunie à Bonn les 24 et 25 octobre 1994, confirmait la place centrale désormais réservée
au principe de subsidiarité dans la communication extérieure de la COSAC. Lors de sa treizième
session, tenue à Madrid les 8 et 9 novembre 1995, on a même étudié la proposition visant à créer
un Haut Conseil consultatif sur la subsidiarité composé de délégations des parlements natio-
naux. Enfin, la vingt-neuvième session, organisée à Athènes les 4, 5 et 6 mai 2003, a appelé à une
plus grande reconnaissance des parlements nationaux dans le projet de traité constitutionnel,
s’agissant, en particulier, de leur rôle de contrôle du principe de subsidiarité, via un accès direct à
la Cour de justice. Depuis 2004, ses différents rapports publiés de manière semestrielle
témoignent bien du souci de la COSAC de se situer à la pointe du mouvement en matière de
contrôle de la bonne application du principe de subsidiarité (COSAC, Rapports biannuels sur le
développement des procédures et des pratiques de l’Union européenne relatives au contrôle parle-
mentaire, mai et novembre 2004 ; mai et octobre 2005 ; mai et novembre 2006 ; mai et octobre
2007 ; mai et novembre 2008 ; mai et octobre 2009).
3. Cf., ici, le rapport d’information publié fin 2007 par la Délégation du Sénat français pour
l’Union européenne (SÉNAT, Rapport d’information fait au nom de la Délégation pour l’Union
européenne sur le dialogue avec la Commission européenne et sur la subsidiarité, dir.
H. HAENEL, 2007, 88). Ce rapport avait été précédé par deux autres publiés quatre ans plus tôt,
après les travaux de la Convention (ASSEMBLÉE NATIONALE, Rapport d’information
déposée par la Délégation pour l’Union européenne. Vers une Europe plus démocratique et plus
efficace : les parlements nationaux, nouveaux garants du principe de subsidiarité, dir. J. LAM-
BERT, D. QUENTIN, 2004, 1919 ; SÉNAT, Rapport d’information fait au nom de la Déléga-
tion pour l’Union européenne sur les conséquences constitutionnelles des dispositions relatives aux
parlements nationaux figurant dans le traité établissant une Constitution pour l’Europe, dir.
H.  HAENEL, 2004, 36). Cf. aussi H.  HAENEL, F.  SICARD, Enraciner l’Europe, Paris, Le
Seuil, 2003, spécialement p.  127-159. François Sicard, conseiller à la Commission des Affaires
européennes du Sénat, est également le co-auteur de P.  BRAULT, G.  RENAUDINEAU,
F. SICARD, Le Principe de subsidiarité, Paris, La Documentation française, 2005.
506 La subsidiarité germanique...

Cette montée en puissance des parlements nationaux peut apparaître


comme inversement proportionnelle au relatif repli du Comité des régions1.
Depuis sa mise en place, en effet, l’assemblée consultative avait stratégique-
ment repris à son compte le principe de subsidiarité n’hésitant pas à s’en pré-
tendre le « gardien naturel » et, au besoin, à invoquer la charte de l’autonomie
locale du Conseil de l’Europe2. Dès 1994, Jacques Blanc, le premier Président
du Comité, faisait part de cette ambition, pendant que sa collègue Claude du
Granrut, également conseiller régional, menait pro domo un intense travail de
conceptualisation théorique de la subsidiarité3. Constante, la revendication
du Comité subsistera jusqu’aux débats de la Convention sur l’avenir de l’Eu-
rope mais n’aura aucune suite juridique, sauf, peut-être, dans la promotion
symbolique du rôle des régions à compétences législatives. Songeons, par
exemple, à l’avis du 21  mars 1995 appelant à l’application du principe au
profit des niveaux infra-étatiques, aux avis du 11 mars 1999 et du 14 décembre
2000 appelant à l’édification d’une « véritable culture de la subsidiarité »4. La

1. Créé par l’Acte unique, mis en place après le traité de Maastricht, le Comité des régions est
une enceinte consultative composée de représentants des collectivités locales et entités régionales
des États membres (Traité de Maastricht, article 198 ; JOCE, C 191, 29 juillet 1992).
2. Adoptée le 15 octobre 1985 par le Conseil de l’Europe, elle fait implicitement référence à la
subsidiarité : « L’exercice des responsabilités publiques doit, de façon générale, incomber, de pré-
férence, aux autorités les plus proches des citoyens. L’attribution d’une responsabilité à une autre
autorité doit tenir compte de l’ampleur et de la nature de la tâche et des exigences d’efficacité et
d’économie. » (CONSEIL de l’EUROPE, Charte de l’autonomie locale et régionale, 15 octobre
1985, article 4-3). La France a procédé à sa ratification en 2007 (Décret 2007-679 portant publica-
tion de la Charte européenne de l’autonomie locale, 3 mai 2007 ; JORF, 5 mai 2007).
3. J. BLANC, « Comité des régions : une ambition politique pour une mission démocratique »,
Revue des affaires européennes, 1994, 2, p. 5-7 ; Le Monde, 25-26 septembre 1994. La démarche
de Claude du Granrut débouchera en 1997 sur un ouvrage entièrement dédié à la subsidiarité,
nouveau slogan démocratique de l’impératif régional (C. du GRANRUT, Europe, le temps des
régions, Paris, LGDJ, 1994 ; « De l’utilité des régions en Europe », Pouvoirs locaux, 1995, 27 (4),
p. 43-46 ; La Citoyenneté européenne. Une application du principe de subsidiarité, Paris, LGDJ,
1997). Sur la question du contrôle de l’application de la subsidiarité par le Comité,
cf. É.  BASSOT, «  Le Comité des régions  : régions françaises et Länder allemands face à un
nouvel organe communautaire  », Revue du Marché commun et de l’Union européenne, 1993,
371, p. 729-739 ; M.-F. LABOUZ, L. BURGORGUE-LARSEN, T. DAUPS, « Le Comité des
régions  : “gardien de la subsidiarité” ?  », Europe, 1994, 4 (10), p.  1-4 ; A.  SCOTT, J.  PETER-
SON, D.  MILLAR, «  Subsidiarity  : “Europe of the Regions” v. the British Constitution ?  »,
art. cit. ; P. van DER KNAPP, « The Committee of the Regions : The Outset of the Europe of
the Regions ? », Regional Politics and Policy, 1994, 4, p. 86-100 ; J. JONES, « The Committee of
the Regions, Subsidiarity and a Warning  », European Law Review, 1997, 22 (4), p.  312-326 ;
P.-A.  FERAL, «  Le Comité des régions de l’Union européenne  : trois années d’activités et
les perspectives de la Conférence intergouvernementale », Revue de la recherche juridique, 1997,
22 (1), p. 303-310 ; H. GROUD, « Le Comité des régions : moyen d’une participation des collec-
tivités locales à la construction européenne ?  », L’Europe en formation, 1999, 313, p.  33-71 ;
J.  LOUGHLIN, «  The Regional Question, Subsidiarity and the Future of Europe  », Whose
Europe ? National Models and the Constitution of the European Union, éd. K. NICOLAÏDIS,
S. WEATHERILL, Oxford, Oxford University Press, 2003, p. 74-85 ; K. LENAERTS, « L’accès
des régions à pouvoirs législatifs à la Cour de justice des Communautés européennes », La Mise
en œuvre du principe de subsidiarité, Bruxelles, Comité des régions, 2008.
4. COMITÉ des RÉGIONS, Avis sur la révision du traité sur l’Union européenne et du traité
instituant la Communauté européenne, 21 avril 1995 (CdR 136-95 final) ; Avis sur le principe de
subsidiarité : « Vers une culture de la subsidiarité ! Un appel du Comité des régions », 11 mars
1999 (CdR 302-98 final) ; Avis sur les nouvelles formes de gouvernance : « L’Europe, un cadre
pour l’initiative des citoyens », 14 décembre 2000 (CdR 182-2000 final).
Subsidiarité et Europe maastrichtienne. La confusion fédérale 507

réponse du législateur européen, elle aussi, fut d’une grande constance. C’est
sans ambiguïté aucune que le projet de traité constitutionnel refusait d’ac-
céder aux prétentions du Comité, spécialement à son souhait le plus cher  :
celui de bénéficier d’un droit de contrôle préalable de la subsidiarité avant
l’adoption de chaque acte communautaire. Par un jeu de vases communi-
cants, les parlements nationaux ont en quelque sorte ravi le rôle auquel le
Comité des régions avait toujours aspiré. Ce dernier a certes été rehaussé par
le traité de Lisbonne : à l’instar des parlements, il se voit reconnaître le droit
de saisir le juge d’un recours pour violation du principe de subsidiarité par un
acte législatif européen, mais ce droit de saisine ne vaut que dans les matières
où les textes constitutifs prévoient explicitement sa consultation1. Aussi
demeure-t-il confiné dans un rôle essentiellement consultatif, s’agissant des
seules affaires régionales2.
Le constat serait incomplet si l’on omettait d’ajouter une dernière
remarque sur la poussée symbolique de l’échelon régional. Conformé-
ment au principe de l’autonomie institutionnelle, qui interdit aux instances
communautaires de s’ingérer dans l’organisation territoriale interne des États
membres, le Protocole 2 du traité de Lisbonne laisse libre chaque État d’or-
ganiser la participation de ses assemblées régionales selon son propre mode
de fonctionnement. Cependant, face à la pression des régions d’Europe, et
notamment face à la pression des Länder allemands, le principe de l’auto-
nomie institutionnelle a été sérieusement amendé pour faire place à d’impor-
tantes concessions fédérales. Dans la ligne de l’article I-11 du projet de traité
constitutionnel, précisant que le principe de subsidiarité s’appliquait autant
aux niveaux régional et local qu’au niveau national, l’article  5 §  3 TUE
contient cette stipulation inédite selon laquelle la subsidiarité ne s’analyse pas
seulement au regard des capacités d’action de l’État, mais aussi au regard de
celles des entités régionales et locales3.
Peu remarquée, cette nouvelle formulation de la subsidiarité a pour-
tant nécessité une importante révision de la Constitution française. Fort des
décisions rendues par le Conseil constitutionnel en 2004 et en 2007, le consti-
tuant a totalement refondu l’ensemble de son titre XV4. S’agissant de la subsi-

1. Traité de Lisbonne, Protocole 2, article 8 § 2 (JOUE, C 83, 30 mars 2010).


2. TFUE, article 307 (JOUE, C 83, 30 mars 2010).
3. TUE, article 5 § 3 (JOUE, C 83, 30 mars 2010).
4. CONSEIL CONSTITUTIONNEL, Décision 2004-505 DC, Traité établissant une Consti-
tution pour l’Europe, 19  novembre 2004 (JORF, 24  novembre 2004) ; Décision 2007-560 DC,
Traité de Lisbonne modifiant le traité sur l’Union européenne et le traité instituant la Commu-
nauté européenne, 20  décembre 2007 (JORF, 29  décembre 2007). Le principe de subsidiarité
n’avait pas fait l’objet de commentaires spécifiques dans les décisions relatives au traité de Maas-
tricht (CONSEIL CONSTITUTIONNEL, Décision 92-308 DC, Traité sur l’Union, 9  avril
1992 ; JORF, 11  avril 1992 ; Décision 92-312 DC, Traité sur l’Union européenne, 2  septembre
1992 ; JORF, 3 septembre 1992 ; Décision 92-313 DC, Loi autorisant la ratification du traité sur
l’Union européenne, 23 septembre ; JORF, 25 septembre 1992). En 1997-1998, dans sa décision
sur le traité d’Amsterdam, le juge constitutionnel français exprimait sa méfiance à l’égard de la
capacité réelle du principe de subsidiarité à protéger les compétences étatiques : « La seule mise
en œuvre [du principe de subsidiarité] pourrait ne pas faire obstacle à ce que les transferts de
compétences autorisés par le traité revêtent une ampleur et interviennent selon des modalités
508 La subsidiarité germanique...

diarité en particulier, il lui revenait de créer les conditions juridiques ouvrant


désormais à l’Assemblée et/ou Sénat la possibilité de demander au gouver-
nement la saisine de la Cour de justice pour présomption de violation du
principe.
«  L’Assemblée nationale ou le Sénat peuvent émettre un avis motivé sur la
conformité d’un projet d’acte législatif européen au principe de subsidiarité.
L’avis est adressé par le président de l’assemblée concernée aux présidents du
Parlement européen, du Conseil et de la Commission européenne. Le gouver-
nement en est informé1. »
Signe du changement des temps dans le pays du jacobinisme — alors qu’il
venait de procéder à la ratification de la Charte européenne de l’autonomie
locale et régionale2 —, la chambre haute saisissait l’occasion de la présidence
française de l’Union européenne au second semestre 2008 pour organiser en
grande pompe, et de concert avec le Comité des régions, une conférence
entièrement consacrée au principe de subsidiarité  : Les Assises de la subsi-
diarité3.

«  Dans un État moderne [...] où tout est réglé du


sommet vers le bas, rien de ce qui a un caractère général
n’est confié à l’administration et à l’exécution des caté-
gories intéressées ; telle est devenue la République fran-
çaise ; et si ce style vétilleux du pouvoir persiste, il en
résultera une vie ennuyeuse et sans âme, que nous
aurons à subir dans le futur ; mais par ailleurs, quelle
sécheresse de vie ne voit-on pas régner dans un autre
État, aussi bien ordonné, à savoir l’État prussien. [...]
Nous ne nous bornons donc pas à distinguer au sein
d’un État, d’une part, ce qui est nécessaire, ce qui doit
résider entre les mains du pouvoir et être réglé par lui,
et d’autre part, ce qui est absolument indispensable à la
cohésion sans l’être pour autant au pouvoir lui-même ;
nous considérons en outre le bonheur d’un peuple
auquel l’État laisse une grande liberté dans les affaires
publiques subalternes, ainsi que la force infinie d’un

telles que puissent être affectées les conditions essentielles d’exercice de la souveraineté natio-
nale. » (CONSEIL CONSTITUTIONNEL, Décision 97-394 DC, Traité d’Amsterdam modi-
fiant le traité sur l’Union européenne, les traités instituant les Communautés européennes et cer-
tains actes connexes, 31 décembre 1997, considérant 22 (JORF, 3 janvier 1998).
1. Constitution de la République française, article  88-6 al.  1 ; Loi constitutionnelle 2008-103
modifiant le titre  XV de la Constitution, 4  février 2008, article  2 ; JORF, 5  février 2008). Les
modifications opérées en 2005 avaient déjà préparé la révision de 2008 (Loi constitutionnelle
2005-204 modifiant le titre XV de la Constitution, 1er mars 2005 (JORF, 51, 2 mars 2005). Notons
qu’en l’espèce le gouvernement se trouve en situation de compétence liée : dès qu’une chambre le
lui demande, il est contraint de saisir la Cour de justice (article 88-6 al. 2, 3).
2. Cf. Loi 2006-823 autorisant l’approbation de la Charte européenne de l’autonomie locale,
adoptée à Strasbourg le 15 octobre 1985, 10 juillet 2006 (JORF, 159, 11 juillet 2006).
3. SÉNAT, COMITÉ des RÉGIONS, Les Assises de la subsidiarité, 24  octobre 2008. Nous
aurons l’occasion plus loin de retrouver le maître de cérémonie officieux de cette grand-messe, le
Secrétaire général du Palais du Luxembourg, ancien professeur de droit constitutionnel qui, lui
aussi, avait en son temps officié au sein du Comité des régions : Alain Delcamp.
Subsidiarité et Europe maastrichtienne. La confusion fédérale 509

gouvernement qui peut avoir le soutien moral d’un


peuple libre et à l’abri des tracasseries1. »

« Certains [...] parlent [...] de ramener l’homme aux


objets qu’il peut manier, comme si la question n’était
pas de l’élever à ceux qu’il peut réellement penser, et
d’en élargir le cercle : retour à la terre, croisade de l’ar-
tisanat, défense du petit commerce, régionalisme naïf,
autant de formes d’un certain “proximisme” dont la
croyance principale est que la communauté est fonction
du rapprochement matériel de l’homme et des choses ou
des hommes entre eux2. »

III. FRANCE-EUROPE ET RETOUR :


SUBSIDIARITÉ VERSUS JACOBINISME

Qu’elles soient ou non européennes, les démocraties libérales se heurtent


aujourd’hui à peu près toutes aux mêmes défis : double processus de globali-
sation et de localisation des enjeux collectifs, enchevêtrement des compé-
tences partagées entre différents niveaux de responsabilité, revendication
d’une plus grande participation des populations à la définition des politiques
publiques, rejet des modes hiérarchiques d’exercice de l’autorité, appel géné-
ralisé à un rapprochement entre décision et citoyen3. Plus en amont encore,
elles s’interrogent sur la capacité des autorités démocratiquement élues à
répondre à des demandes sociales complexes et contradictoires, bref elles
s’interrogent sur leur « gouvernabilité »4. À ce climat de crise de la représenta-

1. G. W. F. HEGEL, La Constitution de l’Allemagne, op. cit., p. 52-53. Nous soulignons.


2. E. MOUNIER, Manifeste au service du personnalisme [1936], Œuvres, 1931-1939, Paris, Le
Seuil, 1961, I, p. 542, p. 614 (in E. MOUNIER, Écrits sur le personnalisme, Paris, Le Seuil, 2000,
p. 88, p. 173). Dans une veine comparable et aux fins de défendre une saine conception de la sub-
sidiarité : « C’est dire que, appliqué à l’excès, le principe de subsidiarité pourrait être détourné de
sa finalité et conduire à un repli sur soi, dans la chaleur douillette des petites communautés
écolo-bucoliques, accomplissement parfait de l’égoïsme inconscient d’autrui. Le “small is beau-
tiful” de cet individualisme de clocher peut favoriser un subjectivisme institutionnel générateur
d’anarchie et contraire à la solidarité inhérente à la subsidiarité. » (J.-B. d’ONORIO, « La subsi-
diarité, analyse d’un concept », La Subsidiarité, op. cit., p. 25).
3. Sur l’internationalisation des enjeux et les problèmes de la légitimité de la gouvernance mon-
diale, cf. R.  SINNOTT, «  Policy, Subsidiarity, and Legitimacy  », Beliefs in Government, II.
Public Opinion and Internationalized Governance, éd. O.  NIEDERMAYER, R.  SINNOTT,
Oxford, Oxford University Press, 1995, p. 246-276. À propos des dynamiques concomitantes de
déterritorialisation et de territorialisation, cf. les travaux de Norbert Elias redécouverts il y a peu.
Le sociologue allemand fut l’un des tout premiers à mettre au jour les ressorts de la dialectique
entre la globalisation des échanges, la dématérialisation de la communication et la relocalisation
des identités (N. ELIAS, La Société des individus [1939, 1987], trad. fr. J. Étoré, Paris, Fayard,
1991). La notion de réseau s’inscrit dans cette même filiation (M. CASTELLS, L’Ère de l’infor-
mation, I. La société en réseaux [1996], trad. fr. P. Delamare, Paris, Fayard, 2001).
4. La gouvernabilité est ici à entendre dans ses deux sens possibles : l’aptitude des groupes ou
entités collectives à être gouvernés ; les techniques de gouvernement à mettre en œuvre par les
gouvernants pour obtenir l’acceptation des gouvernés (J. CHEVALLIER, dir., La Gouvernabi-
lité, éd. CURAPP, Paris, PUF, 1996 ; R.  MAYNTZ, «  Governing Failures and the Problem
of Governability : Some Comments on a Theoretical Paradigm », Modern Governance : New
510 La subsidiarité germanique...

tion démocratique s’adjoignent de nouvelles contraintes managériales d’effi-


cacité, poussant à un déplacement sans précédent des modalités classiques de
l’action gouvernementale et des cadres territoriaux de son exercice. Figure de
proue du mouvement, l’Europe se vit très précisément, mais contradictoire-
ment, comme le laboratoire de cette redéfinition en cours du périmètre et des
missions de l’État. De là les transformations territoriales à l’œuvre dans la
plupart des pays membres — qu’elles prennent la forme de la décentralisa-
tion, de la régionalisation ou de la fédéralisation1.

1. ENTRE CONCEPT DE DROIT POSITIF ET CONCEPT DOCTRINAL

On l’aura compris, nous considérons à présent les prolongements nationaux


de la subsidiarité maastrichtienne, et spécialement ses prolongements fran-
çais, afin de clore le dialogue triangulaire — entre la France, l’Allemagne et
l’Europe — qui aura ici servi de fil conducteur2. Si la subsidiarité a pu être
considérée comme un bouclier à même de protéger les États contre les excès
de l’interventionnisme européen, elle doit également être analysée dans ses
effets boomerang  : sans être à l’origine du développement des différentes
revendications intra-étatiques, elle n’en a pas moins constitué un puissant
catalyseur.
Ne nous méprenons pas sur le sens de cette mise en regard. Dans les
réponses apportées à la question des incidences du développement de l’Union
européenne sur l’exercice du pouvoir local au sein des États membres, l’hy-
pothèse s’est progressivement imposée d’un lien de quasi causalité entre la

Government, Society Interactions, éd. J. KOOIMAN, Londres, Sage, 1993, p. 9-20). L’interro-
gation apparaît au début des années 1970 sous la plume de Michel Crozier et Samuel Huntington
(M. CROZIER, S. P. HUNTINGTON, J. WATANUKI, The Crisis of Democracy. Report on
the Governability of Democracies to the Trilateral Commission, New York, New York Univer-
sity Press, 1975, spécialement M. CROZIER, « Western Europe », p. 12-57). Établissant le dia-
gnostic d’une crise des démocraties avancées et de leur gouvernabilité, cet ouvrage joua un rôle
de détonateur dans la diffusion des nouvelles recettes de bonne gouvernance. Pour une mise en
cause directe de l’État, plus récente mais formulée dans les mêmes termes : BANQUE MON-
DIALE, The State in a Changing World, Oxford, Oxford University Press, 1997.
1. Toutes ces transformations en cours ont contribué à la remise en cause de la distinction cano-
nique entre État fédéral et État unitaire (sur le mode d’un rapprochement progressif des deux
catégories). À l’instar du cas allemand étudié plus haut, on observe une tendance à l’unitarisation
des systèmes fédéraux, pendant que les anciens États unitaires semblent s’engager dans des pro-
cessus divers de fédéralisation (Italie, Espagne et Royaume-Uni). Témoignent de cette hybrida-
tion des concepts les nouvelles catégories en voie d’élaboration  : l’État unitaire décentralisé,
l’État régional, l’État autonomique. Cf. A.  DELCAMP, J.  LOUGHLIN, La Décentralisation
dans les États de l’Union européenne, Paris, La Documentation française, 2003 ; C.  BIDÉ-
GARAY, dir., L’État autonomique. Forme nouvelle ou transitoire en Europe ?, Paris, Écono-
mica, 1994 ; L. VANDELLI, « Formes et tendances des rapports entre États et collectivités terri-
toriales  », trad. fr. H.  Taoufiqui, Revue française d’administration publique, 2007, 121-122,
p. 19-34 ; « La fin de l’État-nation ? », ibid., 2003, 105-106, p. 183-192 ; L. ORTIZ, « La décentra-
lisation à l’européenne : une remise en cause de la puissance publique étatique ? », La Puissance
publique à l’heure européenne, dir. P. RAIMBAULT, Paris, Dalloz, 2006, p. 137-159.
2. Cf., ici, G. AMMON, M. HARTMEIER, « Le fédéralisme et le centralisme : les deux prin-
cipes fondamentaux de l’organisation territoriale », Fédéralisme et centralisme. L’avenir de l’Eu-
rope entre le modèle allemand et le modèle français, Paris, Économica, 1998, p. 3-23.
Subsidiarité et Europe maastrichtienne. La confusion fédérale 511

transformation de l’État, l’accélération de l’intégration européenne et l’émer-


gence de nouveaux acteurs territoriaux. Aussi les généalogies du principe
communautaire de subsidiarité se plaisent-elles à diagnostiquer l’émergence
d’un standard européen qui essaimerait progressivement dans les différentes
traditions juridiques des États membres1. Mais un tel lien de nécessité entre
les deux mouvements d’européanisation et de territorialisation doit-il être
établi de manière aussi systématique ? Peut-être s’alimentent-ils l’un l’autre ;
peut-être, même, leur concomitance n’a-t-elle rien de fortuit ; force est néan-
moins de constater que la construction européenne n’a pas seule présidé à
l’émergence de ces revendications intra-étatiques. À défaut de les avoir ini-
tiées, l’Union tend bien davantage à en accélérer la dynamique2. C’est en cela
qu’elle constitue un levier de pouvoir particulièrement stratégique dans les
mains de l’échelon local. Le théâtre à considérer fait donc intervenir trois
acteurs à part entière — États membres, collectivités locales, Union euro-
péenne — et non deux acteurs exclusifs — l’État et l’Europe — qui domine-
raient des territoires passifs ou sans ressources.
Nos questionnements  : la subsidiarité est-elle l’expression d’une authen-
tique logique fédérale ? Ou bien, est-elle, plus simplement, l’effet d’un renou-
vellement communautaire du discours proximitaire ? Qu’en est-il exactement
de la France ? On s’accordera à dire qu’elle n’a pas attendu la construction
européenne, moins encore la subsidiarité communautaire, pour mettre en
œuvre une politique de décentralisation territoriale  : le slogan subsidiariste
émerge en cours de route dans un processus lancé de longue date. Il émerge
précisément en 2002-2003, à la faveur de l’Acte II de la décentralisation, censé
avoir consacré l’entrée officielle de la subsidiarité sur la scène juridique hexa-
gonale — à son plus haut degré de dignité juridique  : la Constitution3. Tel
était en tout cas le message adressé par le gouvernement de Jean-Pierre Raf-
farin lui-même dans les justifications de son projet de loi constitutionnelle.

1. Cf. A. DELCAMP, « La décentralisation française et l’Europe », Pouvoirs, 1992, 60, p. 149-
160 ; H. OBERDORFF, « Les incidences de l’Union européenne sur les institutions françaises »,
ibid., 1994, 69, p. 95-106 ; « Des incidences de l’Union européenne et des Communautés euro-
péennes sur le système administratif français », Revue du droit public, 1995, 111 (1), p. 25-49 ;
« L’Union européenne, l’État-nation et les collectivités territoriales : l’exemple français », Au-
delà et en deçà de l’État-nation, dir. C.  PHILIP, P.  SOLDATOS, Bruxelles, Bruylant, 1996,
p.  257-284 ; M.-F. LABOUZ, «  La subsidiarité dans le cadre national et ses conséquences sur
l’État-nation et l’Union européenne », L’État-nation au tournant du siècle, op. cit., p. 205-221 ;
L. MORENO, « Europeanization, Territorial Subsidiarity and Welfare Reform », Regional and
Federal Studies, 2007, 17 (4), p.  487-497. Ce registre interprétatif n’est bien sûr pas l’apanage
exclusif des analyses qui mobilisent le principe de subsidiarité. Cf., par exemple, J.-B. AUBY,
« L’Europe et la décentralisation », Revue française de la décentralisation, 1995, 1, p. 15-25.
2. Le Conseil de l’Europe également, via deux textes  : CONSEIL de l’EUROPE, Charte de
l’autonomie locale et régionale, 15 octobre 1985 ; Charte des langues régionales ou minoritaires,
25 juin 1992. La première charte a été ratifiée par la France en 2006 ; la seconde ne l’a pas été.
Cf. P.  FRAISSEIX, «  La France, les langues régionales et la Charte européenne des langues
régionales et minoritaires », Revue française de droit administratif, 2001, 17 (1), p. 59-86.
3. Loi constitutionnelle 2003-276 relative à l’organisation décentralisée de la République,
28 mars 2003 (JORF, 75, 29 mars 2003). Autant le révéler ici : ce sont ces questionnements qui,
de 2002 à 2004, ont présidé à la maturation et à la première formulation de notre sujet de thèse,
alors que les débats sur l’Acte II de la décentralisation agitaient l’espace politique français. Nous
les reprenons, après un long détour, au moment où la perspective de conclure approche.
512 La subsidiarité germanique...

L’exposé des motifs se réclamait explicitement de la complémentarité entre


« ce nouvel objectif à valeur constitutionnelle » et « la préoccupation qu’ex-
prime, en droit communautaire, le principe de subsidiarité  ». Plus haut
encore, dans le propos introductif du préambule :
« Une République plus responsable doit équilibrer l’exigence de cohérence et le
besoin de proximité. C’est à l’État, et d’abord au Parlement, qu’il appartient de
définir les grands principes et d’évaluer la façon dont ils sont mis en œuvre sur
tout le territoire. Mais ce rôle sera d’autant mieux assuré si l’État se recentre
sur ses missions principales. Quant aux collectivités territoriales, il convient de
reconnaître leur capacité et leur autonomie de gestion, sous le contrôle du
citoyen. Le droit à l’expérimentation permettra, pour chaque politique
publique, de déterminer le bon niveau d’exercice des compétences. Ainsi, les
conditions de la mise en œuvre du principe de subsidiarité seront réunies1. »
Cependant, si l’expression figure à deux reprises dans l’exposé des motifs
du projet de loi constitutionnelle déposé au Parlement le 16  octobre 2002,
elle n’apparaît pas dans le dispositif juridique du texte lui-même.
«  Les collectivités territoriales, dit le nouvel article  72 al.  2, ont vocation à
prendre les décisions pour l’ensemble des compétences qui peuvent le mieux
être mises en œuvre à leur échelon. »
Notre étonnement vient donc de ce que la doctrine juridique a allègrement
embrayé le pas au discours des acteurs politiques2. Autant dans la littérature
savante des juristes que dans les commentaires des praticiens les plus auto-
risés, on a célébré la nouvelle formulation de l’article  72 al.  2 comme une
consécration du principe en droit interne. Comment expliquer cette unani-
mité reprenant si facilement à son compte la rhétorique gouvernementale ?
Le diagnostic doit-il s’imposer avec autant d’évidence ? Rapportées au déve-
loppement massif du droit de la décentralisation, pareilles interrogations
pourraient a priori ne présenter qu’un intérêt assez marginal (sémantique). Il
n’en est rien cependant, tant elles touchent à un point central, soulignant
combien le langage du droit constitue une clef de lecture essentielle pour le
déchiffrage de la réalité politique et sociale. Nous allons voir que le flou de

1. Projet de loi constitutionnelle, 16 octobre 2002, Exposé des motifs. Nous soulignons.
2. S’agissant de la doctrine, cette interprétation va en général de pair avec une défense du
principe de subsidiarité : J.-M. PONTIER, « Nouvelles observations sur la clause générale de
compétence  », Mélanges J.-C. Douence, Paris, Dalloz, 2006, p.  365-394 ; J.-C. GROSHENS,
J.  WALINE, «  À propos de la loi constitutionnelle du 28  mars 2003  » [2003], Mélanges
P.  Amselek, Bruxelles, Bruylant, 2005, p.  375-429 ; J.  VIGUIER, «  Le principe de subsidiarité
comme nouvel objet du droit constitutionnel », Les Nouveaux objets du droit constitutionnel,
dir. H. ROUSSILLON, X. BIOY, S. MOUTON, Toulouse, Presses de l’Université des sciences
sociales de Toulouse, 2006, p. 123-131 ; J.-P. DEROSIER, « La dialectique centralisation-décen-
tralisation. Recherches sur le caractère dynamique du principe de subsidiarité », Revue interna-
tionale de droit comparé, 2007, 59 (1), p.  107-140. S’agissant des commentateurs autorisés, du
côté de la défense de la subsidiarité : B. RÉMOND, « Décentraliser : vraiment ? Enfin ! », Pou-
voirs locaux, 2002, 55, p. 83-90 ; H. PORTELLI, « Vers un droit constitutionnel local ? », ibid.,
p. 9-14 ; « Décentraliser en réformant la Constitution », Commentaire, 2002, 25 (98), p. 321-336 ;
J.-C. CASANOVA, « Jacobinisme : la fin d’un mythe », ibid., 2002-2003, 25 (100), p. 869-883.
Du côté de la critique de la subsidiarité, qui, en l’occurrence, se fait spécialement virulente  :
R. HUREAUX, « Subsidiarité ou constructivisme ? », Les Nouveaux féodaux. Le contresens de
la décentralisation, Paris, Gallimard, 2004, p. 141-148 ; « Faut-il encore décentraliser ? La décen-
tralisation contre le libéralisme », Le Débat, 2003, 123, p. 112-131.
Subsidiarité et Europe maastrichtienne. La confusion fédérale 513

cette disposition est sans doute révélatrice des injonctions contradictoires à


l’œuvre dans un processus décentralisateur très loin de se réduire aux repré-
sentations autolégitimatrices du discours politique ou à l’apparente simplicité
des catégories juridiques usuelles.
Disons-le d’emblée avec netteté, car la doctrine semble l’avoir oublié : la
subsidiarité ne dispose, en droit positif français, ni d’existence autonome ni
de substance propre. À aucun endroit, la locution principe de subsidiarité
n’apparaît expressis verbis dans le texte constitutionnel français. Sans verser
dans un nominalisme excessif, notons tout de même qu’outre la Constitu-
tion, aucun texte juridique officiel ni décision juridictionnelle n’a pour
l’heure consacré le concept de subsidiarité dans le corpus juridique hexagonal
— l’acception européenne du principe mise à part1. À l’instar de la Loi fonda-
mentale allemande, en effet, et ce depuis la révision occasionnée en 2005 par
la procédure de ratification du traité européen2, le titre XV de la Constitution
française renvoie par deux fois à la subsidiarité en son sens communautaire :
aux articles 88-6 al. 1 et 88-6 al. 2.
Cette absence sémantique des textes juridiques interdit-elle cependant de
parler, sur le plan doctrinal, d’une subsidiarité proprement française ? À cette
question, nous répondons par une règle épistémologique rappelée par les
plus grands juristes : distinguer entre concept doctrinal et concept de droit
positif3.
Un bref repérage étranger dans les États membres de l’Union peut ici nous
aider à mieux faire comprendre la situation française telle que la méthode
sémantique invite à la saisir. Deux pays ont retenu notre attention : le Por-
tugal et l’Italie. À notre connaissance, en effet, seule la Constitution portu-
gaise fait mention du principe de subsidiarité à la fois dans son sens européen
et à des fins d’organisation territoriale interne4 ; l’Italie étant dans une situa-

1. Un correctif, cependant, au moment de mettre un point final à ce travail. Depuis 2008,


l’expression principe de subsidiarité apparaît à l’article R. 215-15 du Code de l’action sociale et
des familles. Elle y a été introduite par un décret en date du 30 décembre 2008 (Décret 2008-1507
relatif à l’information et au soutien des personnes appelées à exercer ou exerçant une mesure de
protection juridique des majeurs en application de l’article 449 du Code civil, 30 décembre 2008,
article 1er ; JORF, 304, 31 décembre 2008). La disposition reste d’importance marginale et ne vise
que le droit à l’information des personnes exerçant une mesure de protection juridique (la pro-
tection juridique doit respecter les principes de nécessité, de proportionnalité et de subsidiarité).
Elle-même renvoie à l’article 428 du Code civil qui ne fait pas état du principe de subsidiarité,
parlant seulement de proportionnalité. Par le mécanisme de ce renvoi, le législateur semble donc
confondre subsidiarité et proportionnalité. Bien que marginale, pareille disposition n’en est pas
moins inédite en droit français car elle formule une règle de fond et non une règle de procédure
comme c’était l’usage auparavant (principe du subsidiaire).
2. Révision confirmée au moment de l’adoption du traité de Lisbonne en 2007, ainsi que nous
l’avons vu plus haut : Loi constitutionnelle 2005-204, 1er mars 2005 (JORF, 51, 2 mars 2005) ; Loi
constitutionnelle 2008-103, 4 février 2008, article 2 (JORF, 5 février 2008).
3. Renvoyons encore aux analyses de Charles Eisenmann (C. EISENMANN, « Quelques pro-
blèmes de méthodologie des définitions et des classifications en science juridique » [1966], Écrits
de théorie du droit, de droit constitutionnel et d’idées politiques, op. cit., p. 289-305), lui-même
héritier (élève et traducteur) de Kelsen (H. KELSEN, Théorie pure du droit, op. cit.).
4. Nous faisons référence à l’article 7 § 6 de la Constitution portugaise dans sa formulation issue
de la révision de 1992, qui introduit une clause Europe (une nouvelle modification est intervenue
en 2004) : « Le Portugal peut, sous réserve de réciprocité, dans le respect du principe de subsidia-
514 La subsidiarité germanique...

tion inverse à celle de la France et de l’Allemagne : la subsidiarité communau-


taire est absente de la Constitution mais le texte mentionne le principe en son
titre V pour définir l’organisation territoriale du pays. Deux révisions consé-
cutives, en 1999 et en 2001, ont coup sur coup modifié la Constitution de
1947. C’est à la faveur de la seconde que l’Italie a fait entrer le mot subsidia-
rité dans son texte suprême, non pas dans les dispositions qui concernent
l’Union, encore une fois, mais dans celles qui régissent son ordonnancement
territorial, aux fins de s’accorder avec les préconisations de la Charte euro-
péenne de l’autonomie locale1. Rien de comparable en droit constitutionnel
français où, en toutes hypothèses, la subsidiarité ne saurait prétendre au titre
de concept doctrinal.
Aussi voudrions-nous analyser cette question de la subsidiarité française,
en démêlant les différents niveaux qui président à son investissement séman-
tique et en prenant pour guide le précédent européen. Mieux cerner les
facteurs explicatifs du consensus doctrinal autour du concept suppose de
reconstituer plus précisément l’itinéraire du mot. Toutes proportions gar-

rité et le but de réaliser la cohésion économique et sociale, mettre en commun par voie de traité,
l’exercice des pouvoirs nécessaires à la construction européenne. » L’article 6 § 1, quant à lui,
mentionne la subsidiarité s’agissant de l’organisation territoriale interne du Portugal : « L’État
est unitaire et respecte, dans son organisation et son fonctionnement, le régime autonome des
régions insulaires et les principes de la subsidiarité, de l’autonomie des collectivités locales et de
la décentralisation démocratique de l’administration publique. » Citons quelques commentaires
informés  : M.  L. DUARTE, «  La Constitution portugaise et le principe de subsidiarité, de la
positivisation à son application concrète », Justice constitutionnelle et subsidiarité, dir. F. DEL-
PÉRÉE, op. cit., p. 107-135 ; J. S. CORREIA, « Portugal », Droit administratif et subsidiarité,
dir. R. ANDERSEN, D. DÉOM, op. cit., p. 231-245.
1. Loi constitutionnelle 1, Dispositions concernant l’élection directe du président de la Commis-
sion régionale et l’autonomie statutaire des régions, 22 novembre 1999 (JORI, 299, 22 décembre
1999), Loi constitutionnelle 3, Modifications du titre V de la seconde partie de la Constitution,
18 octobre 2001 (JORI, 248, 24 octobre 2001). On dénombre au total trois mentions explicites
du principe dans la Constitution. 1o  : «  Les fonctions administratives sont attribuées aux
Communes, à l’exception des fonctions qui, afin d’en assurer l’exercice unitaire, sont attribuées
aux Provinces, aux Villes métropolitaines, aux Régions et à l’État, sur la base des principes de
subsidiarité, de différenciation et d’adéquation. » (article 118 al. 1). 2o : « L’État, les Régions, les
Villes métropolitaines, les Provinces et les Communes encouragent l’initiative autonome des
citoyens, agissant individuellement ou en tant que membres d’une association, pour l’exercice
de toute activité d’intérêt général, sur la base du principe de subsidiarité.  » (article  118 al.  4).
3o : « Le Gouvernement peut se substituer aux organes des Régions, des Villes métropolitaines,
des Provinces et des Communes en cas de non respect des normes et des traités internationaux
ou des normes communautaires, ou bien en cas de danger grave pour la sécurité publique, ou
bien encore quand cela est requis afin de protéger l’unité juridique ou l’unité économique et,
notamment, afin de protéger les niveaux essentiels des prestations en matière de droits civiques
et sociaux, indépendamment des limites territoriales des pouvoirs locaux. La loi définit les pro-
cédures visant à garantir que les pouvoirs substitutifs seraient exercés dans le respect du principe
de subsidiarité et du principe de collaboration loyale. » (article 120 al. 2). Faute de disposer d’un
recul suffisant, la doctrine est encore loin de s’accorder sur le sens ultime de ces dispositions et
sur les effets qui en sont attendus  : C.  BARBATI, «  La mobilité des compétences  », trad. fr.
S.  Rivet, Revue française d’administration publique, 2007, 121-122, p.  49-60 ; A.  ROUX,
G.  SCOFFONI, «  Autonomie régionale et formes de l’État  », Mélanges L.  Favoreu, Paris,
Dalloz, 2007, p. 895-913 ; L. VANDELLI, « Du régionalisme au fédéralisme ? », trad. fr. M. Por-
telli, Pouvoirs, 2002, 103, p.  81-91. Pour une interprétation sensiblement différente, selon
laquelle la nouvelle subsidiarité italienne tendrait à favoriser le centre romain plutôt que le pou-
voir régional, cf. M.-P. ÉLIE, « L’Italie, un État fédéral ? », Revue française de droit constitu-
tionnel, 2002, 52, p. 749-757.
Subsidiarité et Europe maastrichtienne. La confusion fédérale 515

dées, ce parcours rappelle en de nombreux aspects celui de son homologue


communautaire. Les parentés, qui apparaîtront au fil des développements, se
caractérisent bien sûr par des contenus convergents mais aussi par un même
mixage épistémologique. S’agissant du fond, nous aurons à poursuivre le por-
trait croisé entre subsidiarité et gouvernance, en insistant ici sur la dimension
territoriale et juridique. S’agissant de l’analyse morphologique des différents
investissements du concept, nous verrons qu’ils naviguent dans un même
« mélange des genres »1 : entre le registre du discours des acteurs et celui des
analyses savantes — le tout relié, et comme légitimé, par l’office très discret
de l’expertise managériale.

2. PROXIMITÉ DÉMOCRATIQUE ET EFFICACITÉ MANAGÉRIALE

La remise en cause de la conception statocentrée du politique semble laisser


place à une forme de légitimité de proximité, qui redéfinirait en profondeur
les critères de l’efficacité publique. Ne s’agit-il là que d’une apparence super-
ficielle ou bien d’une tendance plus profonde qui travaille les systèmes démo-
cratiques ? Vraisemblablement les deux à la fois. Enserrés qu’ils sont dans
des impératifs de bonne gouvernance et de démocratie participative, les
gouvernements nationaux tendent, de manière pour ainsi dire stratégique, à
faire d’une pierre deux coups, couplant avantageusement territorialisation
proximitaire et rationalisation gestionnaire. C’est au carrefour de ces deux
mouvements en quelque sorte que trône la subsidiarité, dont les deux faces
— territoriale et fonctionnelle — sont opportunément redéfinies comme
«  gouvernance de proximité  »2. De manière tout à fait symptomatique, le
cercle conceptuel se referme autour de cette autre notion ancienne aux
contours eux aussi très mal fixés, et dont la diffusion semble, bien plus encore,
proportionnelle à la confusion qu’elle exprime. Mais, au-delà de leur diffé-
rence de statut, les mots ont finalement la même résonance, qui fait signe vers
cette tension typiquement contemporaine entre efficacité et proximité, entre
logique managériale de la performance économique et impérieuse nécessité
de l’approfondissement démocratique. Tension, précisons-le, qu’il ne s’agit
pas de postuler a priori, au sens où les deux impératifs peuvent bien sûr par-
venir à s’accorder, mais tension, en même temps, qu’il s’agit de ne pas éluder.
Car, dans ce mouvement, il est nécessaire de bien distinguer entre ce qui

1. Pour reprendre le titre d’un ouvrage collectif : P. HAMMAN, J.-M. MÉON, B. VERRIER,
dir., Discours savants, discours militants : mélange des genres, Paris, L’Harmattan, 2002.
2. La formule «  gouvernance de proximité  » est empruntée à Jean-Louis Quermonne
(J.-L.  QUERMONNE, L’Europe en quête de légitimité, Paris, Presses de Sciences Po, 2001,
p.  96). Comme l’écrit Pascal Lamy, la subsidiarité se fonde sur un équilibre entre proximité
démocratique et efficacité politique (P.  LAMY, La Démocratie-monde, Paris, Le Seuil, 2004,
p. 70). Remarque sémantique au passage : dans la foulée du traité de Maastricht, les pays scandi-
naves, qui ne disposaient pas d’un terme équivalent à la subsidiarité, ont parlé de nærhets-prin-
sippet (principe de proximité). Cf. J. HAALAND MATLARY, « New Forms of Governance in
Europe ? The Decline of the State as the Source of Political Legitimation  », Cooperation and
Conflict, 1995, 30 (2), p.  115. Valéry Giscard d’Estaing avait déjà fait cette remarque pour le
danois (V. GISCARD d’ESTAING, « La règle d’or du fédéralisme européen », art. cit., p. 65).
516 La subsidiarité germanique...

relève d’une évolution substantielle et ce qui est plus conjoncturel, superficiel


ou symptomatique1. Le phénomène pourrait très bien s’apparenter à un
simple changement d’échelle de formulation des questions et des réponses
politiques2. Souvenons-nous de la contradiction à l’œuvre dans la subsidiarité
communautaire, de la relecture managériale dont le concept est issu, et du
bien mauvais ménage de l’ensemble avec la positivité juridique. D’un côté, le
principe théorique : tel que prévu et présenté par les instances européennes
elles-mêmes, le balancement entre critère d’efficacité et critère de dimension
prétend donner avantage à l’autorité territorialement la plus proche (toute
autorité plus lointaine ne pouvant intervenir que si elle démontre une effica-
cité supérieure). De l’autre, la réalité pratique : le mot d’ordre proximitaire
intervient à l’intérieur d’un impératif toujours prééminent d’efficacité3.
C’est bien dans cette confusion lexicale et ce brouillage définitionnel qu’il
faut resituer la diffusion du principe de subsidiarité. Prolifération d’autant
plus générale qu’elle touche non seulement le discours des institutions et
des acteurs juridiques, mais aussi — ce qui est plus problématique — la parole
scientifique. Aussi le désordre ambiant ne saurait-il autoriser à reproduire
sans scrupules le langage indigène, à rabattre la subsidiarité sur une simple
présomption de compétence en faveur de la plus petite entité4, ou même à

1. Mais quand les deux impératifs se rejoignent, ce n’est pas nécessairement sur le mode de la
communion. L’emballement pour la proximité participative en matière de décisions publiques,
par exemple, n’est-il pas prioritairement explicable par « la redécouverte de l’efficacité et [...] des
limites du possible en matière de politiques publiques » ? (G. MAJONE, « Décisions publiques
et délibération », Revue française de science politique, 1994, 44 (4), p. 596). Tout en accompa-
gnant une exigence de démocratie, il ne manque, lui non plus, de répondre à une impérieuse
contrainte d’efficacité. Au point, même, que la légitimité participative soit devenue un élément
central du management administratif. Cf. M. CALLON, P. LASCOUMES, Y. BARTHE, Agir
dans un monde incertain. Essai sur la démocratie technique, Paris, Le Seuil, 2001.
2. Pour une analyse critique des ressorts de la rhétorique proximitaire en politique, cf. C. LE
BART, R. LEFEBVRE, dir., La Proximité en politique. Usages, rhétoriques, pratiques, Rennes,
PUR, 2005 ; M.-H. BACQUÉ, H.  REY, Y.  SINTOMER, Gestion de proximité et démocratie
participative. Une perspective comparative, Paris, La Découverte, 2005 ; O. NAY, « La politique
des bons offices. L’élu, l’action publique et le territoire  », La Politisation, dir. J.  LAGROYE,
Paris, Belin, 2003, p. 199-219 ; P. GENESTIER, « Némésis et Nicomède : quand les instances de
proximité deviennent les figures du salut », Annales de la recherche urbaine, 2002, 90, p. 23-33 ;
D. WOLTON, « Le local, la petite madeleine de la démocratie », Hermès, 2000, 26-27, p. 89-97 ;
J. LAGROYE, « De l’objet local à l’horizon local des pratiques », À la recherche du local, dir.
A. MABILEAU, Paris, L’Harmattan, 1993, p. 166-182. Les analystes sont dans l’ensemble d’ac-
cord pour voir dans ce discours l’expression d’un nouvel esprit démocratique marqué par la
sensibilité communicationnelle et la perte des cadres collectifs englobants. En l’absence de
grands récits, la proximité constituerait une solution de repli et se proposerait de fournir une
grille d’intelligibilité à même de réduire les incertitudes.
3. « La gouvernance moderne est-elle simplement un style de gestion plus négocié, ou bien une
dynamique alternative de démocratisation approfondie [...], triomphe des arrangements et mys-
tification démocratique, ou bien dynamisation des énergies collectives et concertations à la base ?
Et si la gouvernance était un peu tout cela ? Un mélange intime de subsidiarité fédéraliste et de
culture d’entreprise, valorisant la diversité des coopérations négociées entre institutions, entre-
prises et associations. Une sorte de cocktail néopolitique qui va si bien aux nouveaux pouvoirs
soft  : États poussés à la concertation, entreprises qui se veulent citoyennes, et nouveaux
ensembles économiques régionaux, telle l’Union européenne, dont l’organisation politique s’in-
vente cahin-caha aujourd’hui. » (J.-P. GAUDIN, Pourquoi la gouvernance ?, op. cit., p. 134).
4. Oswald von Nell-Breuning lui-même a défini la subsidiarité comme une règle établissant une
présomption de compétence en faveur de l’individu ou du groupe le plus restreint ; le principe
Subsidiarité et Europe maastrichtienne. La confusion fédérale 517

opposer de manière par trop réductrice logique descendante de la décentrali-


sation (verticalité hiérarchique) et logique ascendante de la subsidiarité (hori-
zontalité démocratique). Certes, la décentralisation suppose un centre, mais
est-on bien sûr que la subsidiarité n’en suppose pas un également — à sa
manière. Certes, dans un schéma de décentralisation, le pouvoir local n’est
jamais titulaire que de la part de compétence que le niveau central veut bien
lui concéder1. Mais, tout bien considéré, la subsidiarité managériale ne
conduit-elle pas au même résultat ? Est-ce le niveau local qui choisit de délé-
guer aux échelons supra les responsabilités qu’il s’estime incapable de prendre
en charge ? Est-ce le niveau supra qui, encore et toujours, continue de struc-
turer souterrainement l’attitude des territoires ?

Voici donc notre point de départ  : ne pas oublier à quel point ces deux
pôles — proximité et efficacité — travaillent solidairement la subsidiarité de
l’intérieur pour mieux questionner la rhétorique proximitaire du moment
— cette « idéologie “terrainniste” »2 — qui prétend à tort ou à raison, avec
grandiloquence en tout cas, au monopole de la régénération démocratique.
N’y a-t-il pas lieu de s’interroger plus avant sur la signification profonde de
ce discours ? La démocratie s’accomplit-elle nécessairement dans la proximité
territoriale ? Par delà les tensions internes qui viennent d’être évoquées, le
problème réside, de manière plus générale, dans un lien qu’on établit sur le
mode d’une évidence très peu scientifique, à grand renfort de références féti-
chistes à l’Antiquité hellénique et son mythe athénien (la cité grecque)3 ;

servant alors à régler la charge de la preuve : un groupe plus vaste intervient à partir du moment
où il a démontré que son action serait plus efficace et plus pertinente (O. von NELL-BREU-
NING, Baugesetze des Gesellschaft. Solidarität und Subsidiarität, Fribourg, Herder, 1990,
p. 132 ; « Solidarität und Subsidiarität im Raume von Sozialpolitik und Sozialreform », Sozialpo-
litik und Sozialreform, dir. E. BÖTTCHER, Tübingen, Mohr, 1957, p. 225).
1. Cf., entre autres références, J.-M. BELORGEY, « Décentralisation et subsidiarité », Revue
française des affaires sociales, 1998, 52 (4), p. 25-32 ; A. DELCAMP, « Droit constitutionnel et
droit administratif. Principe de subsidiarité et décentralisation », Revue française de droit consti-
tutionnel, 1995, 23, p. 609-624 ; Le Renouveau de l’aménagement du territoire en France et en
Europe, dir. J.-C. NÉMERY, Paris, Économica, 1994, p. 563-581. Plus en amont, c’est l’ancienne
représentation statique du rapport entre centre et périphérie qu’il s’agit de congédier
(A. MABILEAU, « Les institutions locales et les relations centre-périphérie », Traité de science
politique, dir. M. GRAWITZ, J. LECA, op. cit., II, p. 553-598). Pour une approche résolument
dialectique de la question, cf. J. CHEVALLIER, « Le modèle centre-périphérie dans l’analyse
politique  », Centre, périphérie, territoire, éd. CURAPP, Paris, PUF, 1978, p.  3-131 ;
J.-A. MAZÈRES, « Essai d’analyse archéologique de la décentralisation », Cahiers du LERASS,
1990, 21, p. 93-115 ; « Les collectivités locales et la représentation. Essai de problématique élé-
mentaire  », Revue du droit public, 1990, 106 (3), p.  607-642. Sur les travaux de Jean-Arnaud
Mazères qui nous intéressent ici, cf. J.  CAILLOSSE, «  Jean-Arnaud Mazères  : contribution à
une théorie juridique du “local” », Mélanges J.-A. Mazères, Paris, Litec, 2009, p. 61-79.
2. R. LOURAU, Le Principe de subsidiarité contre l’Europe, op. cit., p. 35.
3. Platon et Aristote se rejoignent pour considérer que la dimension optimale de l’organisation
politique se mesure à la connaissance réciproque des citoyens. Rappelons le critère aristotélicien
du « coup d’œil », qui définit la taille idéale de la cité : « Il est évident que la meilleure limite pour
une cité c’est le nombre maximum de citoyens propre à assurer une vie autarcique et qu’on peut
saisir d’un seul coup d’œil. [...] de même en est il pour le territoire : un territoire qu’on peut saisir
en un seul coup d’œil étant plus facile à défendre. » (ARISTOTE, Les Politiques [325-323 av.
J.-C.], trad. fr. P. Pellegrin, Paris, Flammarion, 1990, p. 464-466 ; liv. VII, ch. 4-5).
518 La subsidiarité germanique...

à Tocqueville (la commune comme lieu d’apprentissage de la démocratie) ;


à Montesquieu (les petits pays sont par nature disposés à la république) et
Rousseau (le rapport inversement proportionnel entre l’étendue territoriale
de l’État et sa vitalité démocratique)1 ; ou bien encore à Hannah Arendt
(l’idéal conseilliste des « républiques élémentaires »)2. Tout se passe, en défi-
nitive, comme si, pour ressourcer une démocratie en permanence sujette à la
crise, pour combler les inévitables déficits du système représentatif, pour ini-
tier le citoyen à la vie politique, réprimer ses réflexes étatiques, moraliser la
prise de décision, enrayer le despotisme, il fallait nécessairement en passer par
le local, ses vertus régénératives, sa pureté virginale, ses bienfaits rénovateurs.
Comme si les libertés locales étaient la liberté. Comme si la réunion des
conditions de la vie démocratique pouvait se réduire à l’exercice de quelques
responsabilités locales. Comme si, de leur participation à la vie municipale,
les individus ressortaient miraculeusement sevrés de tout besoin d’État. Bien
sûr le local a-t-il beau jeu de se parer des vertus tranquillisantes du terroir, de
la chaleur rassurante du proche et du petit. Mais l’examen des pratiques
concrètes de répartition du pouvoir fait aisément apparaître les phénomènes
de centralisation (au niveau infra comme au niveau supra) qui s’opèrent en
marge d’une rhétorique vantant les mérites de la proximité : la centralisation
bruxelloise au niveau européen, la centralisation parisienne au niveau fran-
çais. Le slogan du small is beautiful n’est-il pas lui-même à double tranchant ?
Brandi localement pour revendiquer le pouvoir, il se révèle surtout comme
un puissant levier de sa légitimation, jusques et y compris contre les protago-
nistes locaux initiateurs du mouvement. Voilà bien toute l’ambiguïté fonda-
mentale de notre objet  : promouvoir un rapprochement décision-citoyen
avec des arguments qui peuvent tout à fait justifier une dynamique inverse.
Aussi le sens ultime du rapport établi entre démocratie et proximité
résulte-t-il de positions normatives qui demanderaient à être davantage expli-
citées. Il n’est que de comparer des auteurs aussi différents qu’Alexis de Toc-
queville, Charles Dupont-White ou Carl Schmitt. Tous les trois s’accordent
pour établir une solution de continuité entre les deux termes de l’équation ;
mais en se référant chacun à des options philosophiques très différentes.

1. Argument culturaliste pour le premier  : «  La propriété naturelle des petits États est d’être
gouvernés en république ; celle des médiocres, d’être soumis à un monarque ; celle des grands
empires, d’être dominés par un despote.  » (C.  L. de MONTESQUIEU, De l’Esprit des lois
[1748], éd. J. P. Mayer, A. P. Kerr, Paris, Gallimard, 1970 ; p. 152-153 ; liv. VIII, ch. 20) ; et répu-
blicain pour le second : « En général, le gouvernement démocratique convient aux petits États,
l’aristocratique aux médiocres, le monarchique aux grands.  » (J.-J. ROUSSEAU, Du Contrat
social [1762], éd. B. Bernardi, Paris, Flammarion, 2001, p. 122-123 ; liv. III, ch. 9).
2. Rappelons, par exemple, l’insistance de la référence arendtienne à Thomas Jefferson, l’éternel
rival du leader des Fédéralistes, Alexander Hamilton (H. ARENDT, « La tradition révolution-
naire et son trésor perdu », Essai sur la révolution [1963], trad. fr. M. Chrestien, Paris, Gallimard,
1965, p. 317-417). Nota. Au moment des débats constituants, les Antifédéralistes militaient en
faveur d’une représentation « descriptive » fonctionnant à la ressemblance et à la similarité, en
faveur d’un système dans lequel les représentants auraient été proches de leurs électeurs, auraient
connu leurs conditions de vie et leurs besoins, auraient été capables d’assurer une image exacte
du peuple, d’en éprouver directement les misères comme les intérêts (cf. H.  PITKIN, The
Concept of Representation, Berkeley, University Press of California, 1967).
Subsidiarité et Europe maastrichtienne. La confusion fédérale 519

Angoissé qu’il était par la poussée des revendications égalitaires, l’aristocrate


français rappelait que la démocratie conduisait à des formes de centralisation
dangereuses pour la liberté.
«  Les Américains, écrit Tocqueville, ont combattu par la liberté l’individua-
lisme que l’égalité faisait naître, et ils l’ont vaincu. [...]. Les législateurs de
l’Amérique n’ont pas cru que pour guérir une maladie si naturelle au corps
social dans les temps démocratiques et si funeste, il suffisait d’accorder à la
nation tout entière une représentation d’elle-même ; ils ont pensé que, de plus, il
convenait de donner une vie politique à chaque portion du territoire, afin de
multiplier à l’infini, pour les citoyens, les occasions d’agir ensemble, et de leur
faire sentir tous les jours qu’ils dépendent les uns des autres. [...] C’était se
conduire avec sagesse1. »
Inquiet devant la montée du conformisme et de l’uniformité, Tocqueville
voulait voir dans le dynamisme américain de la vie communale et du phéno-
mène associatif des formes d’anticorps à l’instinct centralisateur des peuples
démocratiques. Loin de refuser la souveraineté du peuple cependant, il s’atta-
chait à en proposer une viabilité pratique susceptible de corriger ses excès
(poursuivant de la sorte l’œuvre de Montesquieu via l’adaptation de sa
théorie de la balance des pouvoirs au monde postrévolutionnaire). Message
implicite adressé à la France  : il revient aux corps associatifs et aux corps
municipaux de remplir le rôle autrefois dévolu à la défunte noblesse d’Ancien
Régime ; il leur revient d’assurer la relève des «  personnes aristocratiques
collectives  ». Tel est le sens de sa fameuse distinction entre centralisation
politique — qui est nécessaire — et centralisation administrative, qui
détourne du véritable esprit de liberté ; telle est aussi la portée critique de sa
comparaison historique : la France ne parvient pas à se hisser à la dignité libé-
rale non pas tant en raison de sa centralisation politique qu’en raison d’un
excès de centralisation administrative2.

1. A. de TOCQUEVILLE, De la démocratie en Amérique II [1840], Paris, Flammarion, 1981,


p. 132-133 ; part. II, ch. 4). « Que les idées des peuples démocratiques en matière de gouverne-
ment sont naturellement favorables à la concentration des pouvoirs » (Ibid., p. 355-358 ; part. IV,
ch. 2). Rappelons son éloge de la commune : « C’est [...] dans la commune que réside la force des
peuples libres. Les institutions communales sont à la liberté ce que les écoles primaires sont à la
science ; elles la mettent à la portée du peuple ; elles lui en font goûter l’usage paisible et l’habi-
tuent à s’en servir. Sans institutions communales une nation peut se donner un gouvernement
libre, mais elle n’a pas l’esprit de la liberté. Des passions passagères, des intérêts d’un moment,
le hasard des circonstances, peuvent lui donner les formes extérieures de l’indépendance ; mais
le despotisme refoulé dans l’intérieur du corps social reparaît tôt ou tard à la surface. » (De la
démocratie en Amérique I [1835], op. cit., p. 123 ; part. I, ch. 5). Sur ce point central de la démons-
tration tocquevillienne, cf. G.  GOJAT, «  Les corps intermédiaires et la décentralisation dans
l’œuvre de Tocqueville  », Cahiers de la Fondation nationale des sciences politiques, 1952, 21,
p. 1-43 ; G. BACOT, « L’apport de Tocqueville aux idées décentralisatrices » [1995], Tocqueville
et l’esprit de la démocratie, Paris, Presses de Sciences Po, 2005, p. 203-239 ; D. R. VILLA, « Toc-
queville and Civil Society », The Cambridge Companion to Tocqueville, Cambridge, Cambridge
University Press, 2006, p. 216-244.
2. Étudiant l’administration des deux derniers siècles de la monarchie française, Tocqueville, on
le sait, soulignait la grande continuité entre, d’une part, la centralisation royale (les intendants de
l’Ancien Régime) et, d’autre part, l’œuvre révolutionnaire puis napoléonienne (les préfets de
l’Empire ; même si la loi du 28 pluviôse an VIII n’est pas véritablement le fait de Bonaparte)
(A.  de TOCQUEVILLE, L’Ancien Régime et la Révolution [1856], Paris, Flammarion, 1988,
p. 127 sq. ; liv. II, ici ch. 2 : « Que la centralisation administrative est une institution de l’Ancien
520 La subsidiarité germanique...

Carl Schmitt, à l’opposé, enfermé qu’il était dans une lutte systématique
contre le pluralisme et le libéralisme, se plaisait à poser la centralisation auto-
ritaire comme l’une des conditions de possibilité de la démocratie authen-
tique1. Mais les variations du propos schmittien sur l’État rappellent, en
retour, que la défense de la centralisation n’a jamais été l’apanage de l’antilibé-
ralisme ; elle a tout autant pu s’épanouir en terrain libéral (ou bien, alors, c’est
toute l’épistémologie du concept de libéralisme qu’il faudrait interroger plus
en profondeur) : Charles Dupont-White par exemple, farouche défenseur de
l’État, traducteur français de John Stuart Mill, a lui aussi défendu le principe
démocratique de la centralisation2. Les références pourraient être multipliées
aux fins de désamorcer la fausse évidence du lien censé unir démocratie et
proximité ; et ce, sans avoir à en passer par une référence disqualifiante au
jacobinisme révolutionnaire ou au rousseauisme de la volonté générale.
L’intérêt, ici, consiste plus précisément à souligner les problèmes posés par
la réception juridique des analyses tocquevilliennes et de la vulgate dont elles
sont porteuses. Si Tocqueville a proposé une réflexion forte sur la nécessaire
démocratie locale, à aucun moment, il n’a raisonné en juriste. Son double
concept de centralisation, on en conviendra, reste pour le moins évasif, tout
comme d’ailleurs sa définition du fédéralisme3. Rien d’étonnant, donc, à ce
qu’il soit trop souvent lu à la lumière de la subsidiarité, voire érigé en penseur
libéral de la subsidiarité. Toujours ce besoin de trouver dans le passé autant
d’anticipations doctrinales à même de justifier, en bonne et prestigieuse
compagnie, la nouveauté du présent. Manière surtout, s’il en est, de rester à
distance de la matière juridique, laquelle impose ses exigences propres4. Il

Régime, et non pas l’œuvre de la Révolution ni de l’Empire, comme on le dit », ch. 3 : « Com-
ment ce qu’on appelle aujourd’hui la tutelle administrative est une institution de l’Ancien
Régime » ; ch. 5 : « Comment la centralisation avait pu s’introduire ainsi au milieu des anciens
pouvoirs et les supplanter sans les détruire », ch. 11 : « De l’espèce de liberté qui se rencontrait
sous l’Ancien régime et de son influence sur la Révolution »). C’est sous le règne de Louis XIV,
soulignait Tocqueville, que le tour administratif de la centralisation française atteint son apogée
(alors qu’outre-Manche la construction de l’État passa surtout par la justice royale).
1. À un autre niveau, la question pourrait d’ailleurs être extraite de la problématique démocra-
tique, comme chez Hippolyte Taine, le grand pourfendeur du jacobinisme (H.  TAINE, Les
Origines de la France contemporaine [1875-1893], éd. F.  Léger, Paris, Laffont, 1990, 10 vol.,
spécialement La Conquête jacobine [1881], in I. L’Ancien Régime ; La Révolution). Taine insis-
tait sur la contradiction entre centralisation et autorité. Sur ce point, cf. C. MILLON-DELSOL,
L’État subsidiaire, op. cit., p. 99 sq. ; L. FAYOLLE, « L’aristocratie, le suffrage universel et la
décentralisation dans l’œuvre de Taine  », Cahiers de la Fondation nationale des sciences poli-
tiques, 1952, 21, p. 45-77, spécialement p. 67 sq. ; J.-T. NORDMANN, « Taine libéral », Com-
mentaire, 1978, 1 (3), p. 361-366 ; Taine et la critique scientifique, Paris, PUF, 1992.
2. C. B. DUPONT-WHITE, La Centralisation, Paris, Guillaumin, 1860 ; J. S. MILL, Le Gou-
vernement représentatif [1861], trad. fr. C. B. Dupont-White, Paris, Guillaumin, 1877. Nous ne
confondons pas les deux auteurs cependant, Mill reprenant à de nombreux égards la réflexion de
Tocqueville. Cf. encore C. MILLON-DELSOL, L’État subsidiaire, op. cit., p. 83 sq.
3. Ce point est désormais bien documenté. Dans un sens convergent, renvoyons, par exemple, à
P. ROSANVALLON, L’État en France de 1789 à nos jours, Paris, Le Seuil, 1990 ; Le Modèle
politique français, op. cit. ; D. WINTHROP, « Tocqueville on Federalism », Publius, 1976, 6 (3),
p. 93-115 ; R. HANCOCK, « Tocqueville and the Good of American Federalism », ibid., 1990,
20 (2), p. 89-108 ; T. CHOPIN, « Tocqueville et l’idée de fédération », art. cit.
4. Cf. C. MILLON-DELSOL, L’État subsidiaire, op. cit., p. 63 sq. ; R. NELSON, « The Federal
Idea in French Political Thought  », Publius, 1975, 5 (3), p.  7-62, ici p.  22 ; J.-P.  FELDMAN,
Subsidiarité et Europe maastrichtienne. La confusion fédérale 521

suffit, pour s’en convaincre, de se tourner vers Charles Eisenmann, qui,


mieux qu’aucun autre, a souligné le caractère éminemment trompeur de l’af-
frontement binaire des catégories centralisation et décentralisation. Au terme
d’une démonstration méthodique faisant apparaître à quel point la première
travaillait à l’intérieur de la seconde, et réciproquement, il écartait toutes les
approches trop massives et englobantes empêchant, selon lui, d’appréhender
les pratiques décentralisatrices dans toute leur complexité1. En nous concen-
trant sur le cas français, nous voudrions ici suivre cet enseignement eisen-
mannien. À trop vouloir homogénéiser le vocabulaire et les notions, les spé-
cificités, qui font le propre de chaque ordre juridique ou de chaque époque
historique, deviennent totalement inintelligibles. Conséquence de notre
option méthodologique, qui conduit à passer la subsidiarité française — le
mot et la chose — au crible de l’analyse critique : inscrit dans son temps et
dans une sémantique, le langage juridique, encore une fois, ne doit pas
échapper à l’indispensable contextualisation des concepts.

3. LE FANTASME JACOBIN, CHAMP D’ADVERSITÉ NÉCESSAIRE

C’est à l’intérieur d’une rhétorique antijacobine, nous semble-t-il, que prend


pleinement sens le discours français de la subsidiarité. Lui-même ayant trouvé
l’appui décisif que l’on sait auprès des instances européennes, on peut alors
comprendre l’unanimité doctrinale des juristes et des politistes qui a voulu
voir dans l’Acte II de la décentralisation l’entrée officielle du principe de sub-
sidiarité dans le répertoire sémantique du droit positif hexagonal.
Il a été établi plus haut en quoi la subsidiarité européenne dialoguait sou-
terrainement avec le totalitarisme, et en quoi la subsidiarité allemande dia-
loguait souterrainement avec la prussiannisme ; nous voudrions à présent
émettre une hypothèse jumelle, sous forme de réplique, mais sans du tout
défendre l’idée d’une quelconque continuité historique  : le correspondant
français de la subsidiarité communautaire et/ou germanique n’entretiendrait-
il pas un colloque tout à fait singulier avec le jacobinisme, cette idiosyncrasie
culturelle on ne peut plus hexagonale2 ? Fabriqué à plusieurs mains par les

« Alexis de Tocqueville et le fédéralisme américain », Revue du droit public, 2006, 122 (4), p. 885.
Notons au passage que les philosophes américains d’inspiration tocquevillienne ne manquent
pas, à l’occasion, de se référer au principe de subsidiarité. Cf. R. N. BELLAH, et al., The Good
Society, New York, Knopf, 1991, spécialement p.  135-136, p.  282-283 ; A.  ETZIONI, The
Common Good, Cambridge, Polity Press, 2004, spécialement p. 171-172.
1. D’où son concept de semi-décentralisation, qu’il appliquait à la France, en parlant d’un
modèle français d’administration semi-décentralisée (C.  EISENMANN, Centralisation et
décentralisation. Esquisse d’une théorie générale, Paris, LGDJ, 1948). Cf., ici, la récente relecture
proposée par Jacques Caillosse (J. CAILLOSSE, « Ce que les juristes appellent “décentralisa-
tion”. Notes sur l’évolution du droit français à la lumière des travaux de Charles Eisenmann »,
Mélanges J.-C. Douence, Paris, Dalloz, 2006, p. 71-98 ; Les « Mises en scène » juridiques de la
décentralisation. Sur la question du territoire français, Paris, LGDJ, 2009, p. 53 sq.).
2. Par jacobinisme, il n’est pas fait référence ici à une réalité historique stricto sensu — celle du
gouvernement révolutionnaire de Salut public et de la Terreur robespierriste (printemps 1793-
été 1794) —, mais à ce que le substantif a progressivement servi à identifier ex post : la centralité
du politique, la centralisation de l’État, le rejet des corps intermédiaires, la conception abstraite
522 La subsidiarité germanique...

déçus du pouvoir, ceux qui aspirent à y accéder ou encore ceux qui, de


manière inconsciente, mettent en scène leur impuissance à réformer un pays
décidément ingouvernable, un consensus politique (jacobinisme versus subsi-
diarité) s’est progressivement mis en place au sein des élites modernisatrices à
partir des années 1970, incitant à relire l’histoire de France au point parfois de
la malmener. On n’hésite pas à invoquer le Général de Gaulle et son projet
avorté de régionalisation — pourtant inspiré de convictions régaliennes. On
se plaît à convoquer Robespierre que l’on cite dans le texte pour aboutir au
verdict — construit mais néanmoins étonné — que même le jacobinisme le
plus intransigeant peut se révéler accueillant à la subsidiarité1. Y compris chez
les observateurs, l’invocation du concept prendra cette dimension quasi
rédemptrice ou cathartique, ressentie comme une forme de libération désin-
hibante par rapport à un surmoi jacobin devenu trop lourd à assumer.
Nous empruntons ici le discours indigène mais en prenant bien soin de
nous distancier de toutes ces dramatisations disqualifiantes2. Fort de ses
connotations terroristes et de sa charge répulsive, le prisme déformant du
jacobinisme a pu répandre l’image trompeuse d’un État unitaire surpuissant
face à des périphéries nécessairement passives subissant le bon vouloir du
centre parisien. Mais centralité de l’État n’a jamais signifié passivité des auto-

de l’intérêt général. Sur le jacobinisme en tant que culture politique, cf. L. JAUME, Le Discours
jacobin et la démocratie, Paris, Fayard, 1989 ; P. ROSANVALLON, Le Modèle politique fran-
çais, op. cit. ; M.  OZOUF, «  Fortune et infortunes d’un mot  », Le Débat, 1981, 13, p.  28-39 ;
F. FURET, « Jacobinisme », Dictionnaire critique de la Révolution française, IV. Idées [1988],
dir. F. FURET, M. OZOUF, Paris, Flammarion, 1992, p. 233-251. Pierre Rosanvallon définit le
jacobinisme comme « culture politique de la généralité » et le décompose en trois dimensions
principales  : forme sociale (célébration du grand tout national), qualité politique (foi dans les
vertus de l’immédiateté) et procédure (culte de la loi). Dans le même sens, cf., également, le
concept de jacobinisme « diffus » proposé par Marcel Gauchet (M. GAUCHET, « L’héritage
jacobin et le problème de la représentation », Le Débat, 2001, 116, p. 32-45).
1. « Fuyez la manie ancienne des gouvernements de vouloir trop gouverner ; laissez aux indi-
vidus, laissez aux familles le droit de faire ce qui ne nuit pas à autrui ; laissez aux communes le
pouvoir de régler elles-mêmes leurs propres affaires en tout ce qui ne tient point essentiellement
à l’administration de la République ; rendez à la liberté individuelle tout ce qui n’appartient pas
naturellement à l’autorité publique et vous aurez laissé d’autant moins de prise à l’ambition et à
l’arbitraire. » (M. de ROBESPIERRE, Discours sur la Constitution prononcé devant la Conven-
tion, 10 mai 1793 (21 floréal an I), Le Moniteur universel, 13 mai 1793 (24 floréal an I), p. 363).
Extrait constamment cité dans les généalogies conceptuelles. Par exemple  : J.-M. PONTIER,
« La subsidiarité en droit administratif », Revue du droit public, 1986, 102 (6), p. 1515-1537, ici
p. 1535 ; C. MILLON-DELSOL, L’État subsidiaire, op. cit., p. 224 n. 1.
2. Rappelons que la fameuse opposition entre jacobins et girondins n’a jamais porté sur l’unité
de la République, ni sur son débouché institutionnel, la centralisation. Pour une mise au point
sur l’instrumentalisation de ce débat, cf. R. DEBBASCH, Le Principe révolutionnaire d’unité et
d’indivisibilité de la République, Aix-en-Provence, PUAM, Paris, Économica, 1988, spéciale-
ment p. 242-254 ; S. REGOURD, « De la décentralisation dans ses rapports avec la démocratie.
Genèse d’une problématique  », Revue du droit public, 1990, 105 (4), p.  961-987 ; L.  JAUME,
« Les girondins : un conflit véritable, une interprétation faussée », Décentraliser en France. Idéo-
logies, histoire et prospective, dir. C. BOUTIN, F. ROUVILLOIS, Paris, Guibert, 2003, p. 33-48.
Lucien Jaume rejette par ailleurs le concept de « fédéralisme jacobin », qui, souligne-t-il, ne fait
qu’ajouter une polémique à la polémique (Existe-t-il un fédéralisme jacobin ? Études sur la Révo-
lution [1986], Paris, Éditions du CTHS, 1987 ; M. DORIGNY, « Fédéralisme girondin et centra-
lisme montagnard : la mort d’une double légende », L’Administration territoriale de la France,
1750-1940 [1993], Orléans, Presses universitaires d’Orléans, 1998, p. 305-314).
Subsidiarité et Europe maastrichtienne. La confusion fédérale 523

rités locales (il s’agit en gros des mêmes acteurs), de même qu’aujourd’hui
perte de centralité de l’État ne signifie pas suprématie des autorités locales. La
réalité historique française ne saurait se résumer à cette dénégation de la
société civile ou des territoires. On sait d’ailleurs très bien qu’elle a progressi-
vement composé avec les exigences du social et du local, que le jacobinisme
s’est « amendé » et a été « apprivoisé »1 ; qu’un concept aussi englobant a tou-
jours recouvert des réalités disparates en même temps qu’évolutives ; que
l’épanouissement du régime parlementaire et la pratique généralisée du cumul
des mandats ont modifié en profondeur l’édifice initial. Certes le jacobinisme
a-t-il pu rendre le fédéralisme plus ou moins «  impensable  » à force de le
démoniser en «  hydre  » fédérale attentatoire à l’indivisibilité d’une Répu-
blique jalouse de son unité2. Mais gardons-nous des lectures simplificatrices
et appauvrissantes qui, de ce concept, font un topos idéologique oubliant trop
vite de distinguer entre jacobinisme dans les faits et jacobinisme dans les
têtes ; une notion fourre-tout désignant un ennemi aussi imaginaire que
mythique pour mieux s’en prendre indistinctement à l’État national tutélaire
et centraliste, bref au principe de la centralisation politique plutôt qu’à ses
excès3. Bien plus, tout comme le prussiannisme allemand n’a jamais été l’anti-
cipation du drame hitlérien, le jacobinisme français ne contient pas en lui-
même le code génétique des totalitarismes du xxe siècle.

C’est encore le repérage sémantique du syntagme principe de subsidiarité


qui nous invite à formuler pareille hypothèse : la première apparition notable
du mot dans la phraséologie politique française intervient en 1976 avec

1. Pierre Rosanvallon a récemment analysé l’«  amendement  » de la culture politique jacobine


depuis l’épisode révolutionnaire (P. ROSANVALLON, Le Modèle politique français, op. cit.).
Avant cela, dans une perspective différente, prioritairement axée sur la question territoriale (le
rapport entre préfets et élus locaux), Pierre Grémion avait parlé d’« apprivoisement » (P. GRÉ-
MION, Le Pouvoir périphérique, Paris, Le Seuil, 1976 ; « Crispation et déclin du jacobinisme »
[1980], Modernisation et progressisme, op. cit., p. 13-33), reprenant par là le thème croziérien de
la « régulation croisée » (M. CROZIER, J.-C. THOENIG, « La régulation des systèmes orga-
nisés complexes. Le cas du système de décision administratif local en France », Revue française
de sociologie, 1975, 16 (1), p. 3-32). Ce modèle a surtout caractérisé la France des années 1950-
1960 (J.-P. WORMS, « Le préfet et ses notables », Sociologie du travail, 1966, 3, p. 249-275) ; son
dépassement a depuis été mis en évidence au profit d’un système dit de « l’institutionnalisation
de l’action collective » (P. DURAN, J.-C. THOENIG, « L’État et la gestion publique territo-
riale », Revue française de science politique, 1996, 46 (4), p. 580-623).
2. Nous nous référons ici aux travaux d’Olivier Beaud (O. BEAUD, « Fédéralisme et fédéra-
tion en France. Histoire d’un concept impensable ? », Annales de la Faculté de droit de Stras-
bourg, 1997, 3, p.  7-82 ; «  Aperçus sur le fédéralisme dans la doctrine publiciste française au
xxe siècle », Revue d’histoire des Facultés de droit et de la science juridique, 2004, 24, p. 165-204).
À compléter par deux études précitées : G. VEDEL, « La pensée politique et le fédéralisme »
[1955], art. cit. ; R. NELSON, « The Federal Idea in French Political Thought », art. cit.
3. Recitons les notations de Pierre Legendre (P.  LEGENDRE, Jouir du pouvoir. Traité de la
bureaucratie patriote, Paris, Minuit, 1976, p. 99 sq. ; « Le roman de l’État français », Annuaire des
collectivités locales, 1981, 1, p. 693-700 ; « Les maîtres de la loi. Étude sur la fonction dogmatique
en régime industriel », Annales, 1983, 38 (3), p. 507-535, ici p. 528 sq.), auxquelles il faut ajouter
les mises au point de François Burdeau (F. BURDEAU, « L’État jacobin et la culture politique
française », Projet, 1984, 185-186, p. 635-648). En complément de F. BURDEAU, Histoire de
l’administration française, du XVIIIe au XXe siècle [1989], Paris, Montchrestien, 1994 ; « Affaires
locales et décentralisation  : évolution d’un couple de la fin de l’Ancien Régime à la Restaura-
tion », Mélanges G. Burdeau, Paris, LGDJ, 1977, p. 765-788.
524 La subsidiarité germanique...

la parution du rapport Guichard sur le développement des responsabilités


locales1. Relevons, au passage, la concomitance, peut-être moins fortuite
qu’elle n’en a l’air, avec le surgissement du mot dans la littérature grise des
instances européennes2. Quoiqu’il en soit, en arrimant ainsi le destin de la
subsidiarité à celui de son horizon d’adversité proprement hexagonal — la
centralisation jacobine —, ce moment inaugural annonce, pour ainsi dire, et la
trajectoire et la banalisation à venir de l’expression dans le lexique politique.
« [Le principe de subsidiarité] conduit à rechercher toujours le niveau adéquat
d’exercice des compétences, un niveau supérieur n’étant appelé que dans les cas
où les niveaux inférieurs ne peuvent exercer eux-mêmes les compétences corres-
pondantes. L’État doit ainsi déléguer aux collectivités tous les pouvoirs qu’elles
sont en mesure d’exercer3. »
De manière générale, le ton du rapport se faisait résolument croziérien,
reprenant l’essentiel des thèmes développés huit ans plus tôt par le Club Jean-
Moulin4 — think tank dont les réflexions avaient en grande partie été alimen-
tées par les analyses du sociologue Michel Crozier. C’est que, depuis Mai
1968, l’époque est spécialement porteuse pour la critique des blocages de la
société française  : à cet égard, le tournant giscardien de la droite, une fois
soldé le legs du raidissement messmérien, renouera avec le projet chabaniste
de « nouvelle société ». Aussi les généalogies conceptuelles ont-elles beau jeu
de citer le rapport Guichard pour souligner à quel point même le volonta-
risme d’un gaulliste historique ne refuse pas le libéralisme de la subsidiarité5 ;

1. Hormis ce qui a déjà été dit sur les emplois du mot par les cercles catholiques et européistes.
2. Nous faisons référence au rapport Ortoli cité plus haut (Bull. CE, Supplément 5-75). Fran-
çois Xavier Ortoli fut plusieurs fois ministre sous le Général de Gaulle et Georges Pompidou.
3. COMMISSION de DÉVELOPPEMENT des RESPONSABILITÉS LOCALES, Vivre
ensemble, dir. O. GUICHARD, Paris, La Documentation française, 1976, I, p. 97.
4. La Mission établit par ailleurs le constat d’un brouillage des deux niveaux d’action politique
et administratif tendant à faire des collectivités locales les « agents chargés de gérer des services
publics pour le compte de l’État  » (Ibid., I, p.  26). Un peu plus haut  : «  Les communes sont
devenues en réalité des agents chargés d’appliquer les politiques ministérielles. » (Ibid., I, p. 25).
Cf. CLUB JEAN-MOULIN, Les Citoyens au pouvoir, op. cit. Deux ans auparavant, à Gre-
noble, Michel Rocard lançait un mot d’ordre qui sera l’une des marques de fabrique de la nou-
velle gauche : « décoloniser la province » (M. ROCARD, dir., Décoloniser la province. Rapport
général proposé par le Comité d’initiative aux délibérations des colloques sur la vie régionale en
France, Grenoble, Rencontres socialistes de Grenoble, 1966). Mot d’ordre qui, même à l’époque,
n’est bien sûr pas le monopole de la deuxième gauche si l’on considère, par exemple, un ouvrage
de Gaston Defferre publié en 1965, annonciateur d’un certain destin (G.  DEFFERRE, Un
Nouvel horizon, Paris, Gallimard, 1965).
5. Rappelons que de Gaulle lui-même puisait dans plusieurs influences, au premier rang des-
quelles bien sûr la culture catholique (J.-M. MAYEUR, « Charles de Gaulle et le catholicisme
social  », Catholicisme social et démocratie chrétienne, op. cit., p.  255-260 ; F.-G. DREYFUS,
De Gaulle et le gaullisme, Paris, PUF, 1982, ici p. 11-66 ; « La lecture gaullienne du catholicisme
social  », La Politique sociale du Général de Gaulle, dir. M.  SADOUN, J.-F. SIRINELLI,
R. VANDENBUSSCHE, Lille, PUL, 1990, p. 305-317 ; P. LEVILLAIN, « La pensée sociale du
Général de Gaulle face à l’héritage du catholicisme social », ibid., p. 41-50 ; P. PORTIER, « Dis-
cours gaullien et pensée catholique : analyse d’une parenté », L’Aquarium, 1990, 6-7, p. 40-59, ici
p. 46, p. 54 ; « Le Général de Gaulle et le catholicisme. Pour une autre interprétation de la pensée
gaullienne », Revue historique, 1997, 602, p. 533-562, spécialement p. 542, p. 555 ; R. HUREAUX,
«  Aux sources du gaullisme  : Chateaubriand et le libéralisme catholique  », Liberté politique,
2006, 35, p.  9-41). Mais parmi les éléments les plus divers de la culture catholique, peut-être
empruntait-il plus à la tradition gallicane et régalienne qu’aux catholicismes social et libéral, à la
Subsidiarité et Europe maastrichtienne. La confusion fédérale 525

à quel point l’attachement à la hiérarchie entre le « niveau supérieur » et les


« niveaux inférieurs » peut tout à fait s’accompagner d’un appel sincère à une
décentralisation politique véritable qui ne soit pas une simple déconcentra-
tion administrative.
Dans la même séquence de temps, un autre compagnon de route du
Général, également passé au «  libéralisme avancé  », Alain Peyrefitte, alors
ministre des Réformes administratives de Jacques Chirac, s’attachait plus
explicitement les services de Michel Crozier et de son collègue Jean-Claude
Thoenig pour publier une enquête à plusieurs voix intitulée Décentraliser les
responsabilités. Pourquoi ? Comment ?1. Souvenons-nous ici de notre étude
du parcours personnel de Jacques Delors, qui a pu mettre au jour la coexis-
tence, apparemment contradictoire, de deux cultures politiques au sein de
l’élite modernisatrice de la période postgaullienne  : la persistance de l’état
d’esprit planificateur, d’un côté ; l’insistance nouvelle sur la priorité du social,
de l’économique et du local par rapport au politique, de l’autre2. La même
rencontre — permise par la fin du gaullisme — semble à l’œuvre sur l’aile
droite de l’échiquier politique. Deux institutions en seront les lieux d’expres-
sion privilégiés : le Commissariat général du Plan et la Délégation à l’Aména-
gement du territoire et à l’Action régionale (DATAR), portée sur les fonts
baptismaux en 1963 par un certain Olivier Guichard3. C’est à ce titre aussi
que l’auteur du rapport précité méritait qu’on s’y attarde : l’institution dont il
fut le père fondateur se souviendra de son enseignement4.
Le rôle de référence tutélaire joué par Michel Crozier (et par son équipe)
auprès des élites politiques et administratives est désormais bien documenté5.

démocratie chrétienne ou la pensée pontificale (L. JAUME, « De Gaulle dans l’histoire française
de la souveraineté », De Gaulle en son siècle, II. La république [1990], Paris, La Documentation
française, Plon, 1992, p. 15-27 ; P.-M. COÛTEAUX, « De Gaulle et la tradition capétienne »,
ibid., p.  243-266). Car le gaullisme présente cette spécificité tout à fait française de ne point
répondre à la définition classique de la droite comme antivolontarisme (S. RIALS, « La droite ou
l’horreur de la volonté », Le Débat, 1985, 33, p. 34-48).
1. M.  CROZIER, J.-C.  THOENIG, et al., Décentraliser les responsabilités administratives.
Pourquoi ? Comment ?, dir. A. PEYREFITTE, Paris, La Documentation française, 1976.
2. Alain Peyrefitte mettra à profit cette thématique croziérienne (cf. M. CROZIER, La Société
bloquée, Paris, Le Seuil, 1970) dans un ouvrage publié la même année que le rapport : A. PEY-
REFITTE, Le Mal français [1976, 1996], Paris, Fayard, 2006. Notons que le mot subsidiarité
n’apparaît pas sous la plume de Michel Crozier, sauf en 1989 (dans un ouvrage issu d’une
enquête sur le management participatif réalisée pour le compte de l’Institut de l’Entreprise), mais
il l’écarte pour lui préférer l’idée d’autonomie, se démarquant ainsi, comme Jacques Delors plus
tard, de la culture catholique. Un grand classique de la deuxième gauche (M. CROZIER, L’En-
treprise à l’écoute. Apprendre le management postindustriel [1989], Paris, Le Seuil, 1997).
3. Olivier Guichard assura la présidence de la DATAR de 1963 à 1968, avant de devenir ministre
de l’Aménagement du territoire (1972-1974) du dernier gouvernement de Pierre Messmer.
4. Pensons ici à Jérôme Vignon, directeur de la stratégie de 1998 à 2000, et à Jean-Louis Guigou,
directeur de la Délégation de 1997 à 2002, après en avoir été directeur scientifique. S’agissant de
la DATAR, cf. G. SAVARY, « Le principe d’intégration-subsidiarité : solution au dilemme terri-
torial français ? Controverse avec Jean-Pierre Balligand et Jean-Louis Guigou », Pouvoirs, 1999,
88, p. 123-138 ; D. PARTHENAY, A. AZÉMA, « Quels outils d’aménagement dans une “Répu-
blique décentralisée” ? », Pouvoirs locaux, 2002, 55, p. 41-46. S’agissant du Commissariat général
du Plan, cf. L. SCHMID, « L’État dans tous ses états », ibid., p. 54-58.
5. Cf. P.  BEZES, Réinventer l’État. Les réformes de l’administration française (1962-2008),
Paris, PUF, 2009 ; «  Aux origines des politiques de réforme administrative sous la Ve  Répu-
526 La subsidiarité germanique...

Il nous importe seulement ici de souligner combien nous sommes double-


ment au cœur de la logique qui préside à l’investissement conceptuel de la
subsidiarité. Auteur d’une œuvre sociologique incontestée1, Michel Crozier
n’hésitera pas à transférer son capital académique en un savoir-faire pratique
directement destiné aux responsables politiques et hauts fonctionnaires2. On
ne manque pas d’y déceler un regard très spécifique sur la question politique,
une posture de contournement, en quelque sorte, qui lui dénie toute forme de
contenu propre. Parler, en l’occurrence, d’«  une théorie non politique du
politique » ne nous semble pas exagéré, tant le rapport à la chose publique se
veut gestionnaire, tant la spécificité du politique lui-même ainsi que sa voca-
tion (sa prétention ?) à coordonner les autres systèmes d’action sont explici-
tement rejetées3.
Ce que nous avons dit plus haut sur la science administrative et le camé-
ralisme allemand semble pareillement valoir ici s’agissant de la sociologie
croziérienne des organisations. Non moins que ses aînés, elle marque un
important glissement de terrain des enjeux politiques via un déplacement
épistémologique de leur formulation du droit vers la sociologie. En France,
tout particulièrement, ce glissement n’a pas opéré sur le mode de la complé-
mentarité : forte de sa critique du formalisme, la sociologie des organisations
se plaira au contraire à donner dans le pragmatisme pour mieux fustiger le
vieux dogmatisme juridique  : produire des connaissances pertinentes sur
l’administration d’abord, identifier ses contraintes de fonctionnement
ensuite, optimiser ses ressources enfin4.

blique : la construction du “souci de soi de l’État” », Revue française d’administration publique,


2002, 102, p. 307-325 ; « L’État et les savoirs managériaux : essor et développement de la gestion
publique en France », Trente ans de réforme de l’État, éd. F. LACASSE, P.-E. VERRIER, Paris,
Dunod, 2005, p.  9-40 ; «  Publiciser et politiser la question administrative  : généalogie de la
réforme néolibérale de l’État dans les années 1970 », Revue française d’administration publique,
2006, 120, p.  721-742 ; I. BERREBI-HOFFMANN, P.  GRÉMION, «  Élites intellectuelles et
réforme de l’État », Cahiers internationaux de sociologie, 2009, 126 (1), p. 39-59.
1. Outre M. CROZIER, Le Phénomène bureaucratique, op. cit., cf. M. CROZIER, E. FRIED-
BERG, L’Acteur et le système. Les contraintes de l’action collective, Paris, Le Seuil, 1977.
2. Cf., entre autres, M. CROZIER, dir., L’Administration face aux problèmes du changement,
op. cit. ; La Société bloquée, op. cit. ; «  Pour une meilleure gestion du tissu collectif  », Où va
l’administration française ?, dir. M. CROZIER, E. FRIEDBERG, et al., Paris, Éditions d’orga-
nisation, 1974, p. 207-222 ; On ne change pas la société par décret, Paris, Grasset, 1979.
3. Cf. J. LECA, B. JOBERT, « Le dépérissement de l’État. À propos de “L’acteur et le système”
de Michel Crozier et Ehrard Friedberg  », Revue française de science politique, 1980, 30 (6),
p. 1125-1170, ici p. 1139. Jean Leca et Bruno Jobert relèvent une parenté très suggestive entre
Michel Crozier et Michel Foucault (Ibid., p. 1142, p. 1169-1170). Et d’ajouter : « Ce n’est pas
sacraliser le pouvoir politique ni prétendre qu’il est “au-dessus” de la société [...] que d’y recon-
naître l’instance qui organise, par le recours toujours possible à la violence, et justifie par les
processus de légitimation, les différences sociales, et les transforme en identités politiques réfé-
rées à la collectivité tout entière. » (Ibid., p. 1165-1166). Cf. aussi P. BEZES, « La réforme de
l’État à l’épreuve de la gouvernementalité », Gouvernement, organisation et entreprise : l’héri-
tage de Michel Foucault, Sainte-Foy, Presses de l’Université de Laval, 2005, p. 363-394.
4. Même en devenant des disciplines scientifiques, la sociologie des organisations et l’analyse des
politiques publiques conserveront cette tournure d’esprit pragmatique et opérationnelle. Sur
cette forte articulation entre l’analyse et la pratique, il y aurait un parallèle à établir entre les deux
rives de l’Atlantique, entre Michel Crozier et son aîné américain, Charles E. Merriam, par
exemple. Grand universitaire de l’entre-deux-guerres, conseiller du Président Roosevelt puis
directeur du National Ressource Board, Charles Merriam fut le professeur des futurs pères fon-
Subsidiarité et Europe maastrichtienne. La confusion fédérale 527

4. LA SUBSIDIARITÉ DANS L’ACTE II


DE LA DÉCENTRALISATION

Telles sont, nous semble-t-il, les conditions de possibilité hexagonales de la


relecture managériale du principe de subsidiarité1. Il n’est plus, désormais,
l’apanage exclusif des milieux catholiques et/ou européistes, il se diffuse plus
largement dans le champ de la sociologie et de l’action publique. Après le
moment inaugural du rapport Guichard, qui fera pour longtemps office de
référence totémique, la deuxième étape de notre itinéraire intervient en 1992
avec la loi d’orientation relative à l’administration territoriale de la Répu-
blique, dite loi ATR2. Diffusion sémantique il y a certes dès cette étape, mais
il faudra surtout attendre la relance européenne opérée par Jacques Delors
pour que le mot trouve peu à peu sa place dans le lexique politique national.
Il y entre par la petite porte de la déconcentration administrative dix ans
après l’Acte I de la décentralisation3. Son ambiguïté le prédestinait tout à fait
à un tel mélange des genres — assez tocquevillien — entre décentralisation et
déconcentration4 ; mais le concept s’avérera finalement impropre à rendre

dateurs de la toute nouvelle analyse des politiques publiques, Harold D. Lasswell et Daniel
Lerner (H. D. LASSWELL, D. LERNER, The Policy Sciences. Recent Developments in Scope
and Method, Stanford, Stanford University Press, 1951). Il a ainsi marqué plusieurs générations
de chercheurs et de praticiens en management public. Plus en amont encore, il faut mentionner le
rôle inaugural de Woodrow Wilson (W. WILSON, « The Study of Administration », Political
Science Quarterly, 1887, 2 (2) ; p.  197-222), qui, après les moments prussien et français des
sciences de la police, annonce la naissance américaine des sciences administratives modernes.
1. Il est notable, par exemple, que l’article précité de Patrice Duran et Jean-Claude Thoenig
s’ouvre et se ferme par une référence au principe de subsidiarité : privé de son hégémonie, l’État
retrouverait en quelque sorte une raison d’être dans l’institutionnalisation de capacités de négo-
ciation entre une grande diversité d’acteurs (P. DURAN, J.-C. THOENIG, « L’État et la ges-
tion publique territoriale », art. cit.). Dans la même inspiration, cf. P. MULLER, « Entre le local
et l’Europe  : la crise du modèle française de politique publique  », Revue française de science
politique, 1992, 42 (2), p. 275-297, spécialement p. 295 sq. pour quelques notations conclusives
sur la subsidiarité (dans sa double dimension territoriale et fonctionnelle).
2. Tardivement donc, si l’on considère la poussée décentralisatrice des années 1980.
3. La loi ATR vient compléter l’Acte I de la décentralisation par un important volet de décon-
centration (elle comprend également un volet décentralisateur relatif, entre autres, à l’intercom-
munalité) (Loi 92-125 relative à l’organisation décentralisée de la République, 6  février 1992 ;
JORF, 33, 8  février 1992 ; Décret 92-604 portant charte de la déconcentration, 1er  juillet 1992 ;
JORF, 154, 4 juillet 1992). Dans la même ligne, citons la loi Pasqua de 1995, qui crée les « pays »
(Loi 95-115 d’orientation pour l’aménagement et le développement du territoire, 4 février 1995 ;
JORF, 31, 5 février 1995) et la loi Voynet de 1999 (Loi 99-533 d’orientation pour l’aménagement
et le développement durable du territoire, 25  juin 1999 ; JORF, 148, 29  juin 1999). Cf., par
exemple, J.-F. AUBY, « La loi du 6 février 1992 et l’administration d’État », Revue française de
droit administratif, 1993, 9 (2), p. 234-238, spécialement p. 235-236. L’Acte II de la décentralisa-
tion, lui aussi, sera suivi de mesures de déconcentration (Décret 2004-374 relatif aux pouvoirs des
préfets, à l’organisation et à l’action des services de l’État dans les régions et départements, 29 avril
2004 ; JORF, 102, 30 avril 2004). Cf., ici, F. CHAUVIN, « L’Acte II de la déconcentration »,
Mélanges F.  Burdeau, Paris, Litec, 2008, p.  97-111. Pour l’établissement d’un lien avec la
construction européenne, cf. V.  MICHEL, «  Décentralisation européenne et déconcentration
nationale : les modalités d’européanisation des services territoriaux de l’État », Revue française
d’administration publique, 2005, 114, p. 219-228.
4. De manière générale, la déconcentration peut renvoyer à tous les procédés administratifs
de décentralisation étatique qui ont précédé la décentralisation politique de 1982. L’historien
allemand Rudolf von Thadden a démontré que le concept de déconcentration s’était imposé au
xixe  siècle dans l’ensemble des pays ayant connu les conquêtes napoléoniennes (R.  von
528 La subsidiarité germanique...

compte et de l’un et de l’autre des deux processus — décidément beaucoup


trop juridiques pour lui1.
Un seuil important est franchi néanmoins : en pleine année d’adoption du
traité Maastricht, alors qu’à gauche on essaie de démontrer que le passé
catholique du concept de subsidiarité ne le condamne pas définitivement au
camp de la réaction2, la doctrine juridique interprète la loi ATR comme le
premier acte de son entrée sur la scène du droit français. C’est sans succès,
cependant, que l’on cherchera le mot subsidiarité dans le dispositif du texte ;
il n’y est pas plus présent à l’article 72 al. 2 de la Constitution actuellement en
vigueur. Aussi les constitutionnalistes de 2003 n’ont-il fait que suivre le
chemin tracé dix ans plus tôt par les administrativistes et autres spécialistes
du local3. Et d’invoquer à l’appui le décret du 1er juillet 1992 : au niveau cen-
tral doit revenir le rôle « de conception, d’animation, d’orientation, d’évalua-
tion et de contrôle », aux échelons infra-étatiques la mise en œuvre des poli-
tiques nationales ou communautaires. Éclairant peut-être l’histoire à venir de
la subsidiarité française, ce moment ATR s’inscrit en tout cas dans la conti-
nuité du répertoire sémantique déjà adopté par le rapport Guichard (« niveau
supérieur », « niveaux inférieurs »).

Fin des années 1980, début des années 1990, nous sommes alors en plein
renouveau réformateur. Après l’échec du volontarisme socialiste des pre-
mières années de l’ère mitterrandienne, la deuxième gauche désormais au
gouvernement finit d’imposer sa relation gestionnaire à la politique. La célé-
bration du bicentenaire de la Révolution française lui offre l’occasion inat-
tendue d’une explication nationale. Ainsi, sur fond d’introspection his-
torique, la période est-elle à l’ébullition social-démocrate  : la France entre
(doit entrer) dans le droit commun des nations, disent de concert François
Furet, Jacques Julliard et Pierre Rosanvallon, au moment même où Michel

THADDEN, La Centralisation contestée. L’administration napoléonienne, enjeu politique de


la Restauration [1972], trad. fr. H.  Cusa, P.  Charbonneau, Paris, Actes Sud, 1989). Ce n’est
que rétrospectivement qu’il nous est possible de dissocier les deux concepts sur le plan
juridique.
1. Sur ce point essentiel, cf. G. MARCOU, « Principe de subsidiarité, constitution française et
décentralisation  », Entre l’Europe et la décentralisation, dir. J.-C. NÉMERY, S.  WACHTER,
Paris, Éditions de l’Aube, DATAR, 1993, p. 85-92 ; « La démocratie locale en France : aspects
juridiques », La Démocratie locale, éd. CRAPS, CURAPP, Paris, PUF, 1999, p. 21-44).
2. Rappelons cette publication citée plus haut : Cahiers et revue de l’OURS, 1992, 207.
3. A. FAURE, dir., Territoires et subsidiarité. L’action publique locale à la lumière d’un principe
controversé, Paris, L’Harmattan, 1997 ; A.-S. MESCHERIAKOFF, « France », Droit adminis-
tratif et subsidiarité, op. cit., p.  125-151 ; A.  FAURE, Territorialisation de l’action publique et
subsidiarité  : la fin annoncée du «  jardin à la française  », Boulogne-Billancourt, Institut de la
Décentralisation, 1999 ; B.  RÉMOND, La Fin de l’État jacobin ?, Paris, LGDJ, 1998 ;
C.  MILLON, F.  d’ARCY, dir., La Décentralisation dans la loi d’orientation pour l’aménage-
ment et le développement du territoire, Boulogne-Billancourt, Institut de la décentralisation,
1995 ; F. BAUDIN-CULLIÈRE, Principe de subsidiarité et administration locale, Paris, LGDJ,
1995 ; G.  DRAGO, «  Le principe de subsidiarité comme principe de droit constitutionnel  »,
Revue internationale de droit comparé, 1994, 46 (2), p. 583-592. Dans un registre politique mili-
tant, qui complète utilement les thèses de son épouse, Chantal Delsol, cf. C. MILLON, « L’im-
brication des pouvoirs, limite pour la démocratie », Pouvoirs, 1992, 60, p. 41-53.
Subsidiarité et Europe maastrichtienne. La confusion fédérale 529

Crozier publie son dernier vade-mecum sur le bon management public : État
modeste, État moderne1.
Ouvertes par un acte politique fort et remarqué — la circulaire de Michel
Rocard sur la modernisation des services publics2 —, les années 1990 sont
scandées par une prolifération de rapports et autres livres blancs émanant
tour à tour du monde intellectuel et des élites réformatrices de la haute fonc-
tion publique : les rapports Crozier (1988) et de Closets (1989), les rapports
Blanc (1993) et Picq (1994), le rapport public du Conseil d’État pour l’année
19933. La parenté avec la subsidiarité communautaire est une fois encore cor-
roborée, tout comme se confirme la profonde consanguinité des logiques
d’action et d’expertise académique. En l’espèce, le local se révèlera comme un
terrain très propice à l’entremêlement des sphères4, mais c’est le niveau
national qui reste pour l’instant en première ligne  : les «  courtiers  » s’y
recrutent parmi les hauts fonctionnaires généralistes, à la DATAR, au
Commissariat général du Plan (dont émanent directement les rapports de
Closets et Blanc) ainsi qu’au ministère de l’Équipement5. Mis à part le rap-
port public du Conseil d’État pour 1993, on insiste assez peu sur la décentra-
lisation territoriale. On se méfie même de la subsidiarité. Ainsi en va-t-il du

1. M. CROZIER, État modeste, État moderne, Paris, Fayard, 1987 ; F. FURET, J. JULLIARD,
P. ROSANVALLON, La République du centre. La fin de l’exception française, op. cit.
2. Circulaire sur le renouveau du service public, 23 février 1989 (JORF, 24 février 1989).
3. Par ordre chronologique de parution : M. CROZIER, Comment réformer l’État ? Trois pays,
trois stratégies  : Suède, Japon, États-Unis. Rapport au ministre de la Fonction publique et des
Réformes administratives, Paris, La Documentation française, 1988 ; COMMISSARIAT
GÉNÉRAL du PLAN, Le Pari de la responsabilité, dir. F. de CLOSETS, Paris, La Documenta-
tion française, 1989 ; Pour un État stratège, garant de l’intérêt général, dir. C.  BLANC,
A.  MENEMENIS, Paris, La Documentation française, 1993 ; J.  PICQ, dir., L’État en France.
Servir une nation ouverte sur le monde. Rapport de la mission sur les responsabilités et l’organisa-
tion de l’État, Paris, La Documentation française, 1994 (des extraits ont été publiés dans Revue
administrative, 1994, 281, p. 528-537, 282, p. 621-635) ; CONSEIL d’ÉTAT, « Décentralisation
et ordre juridique », Rapport public 1993, Paris, La Documentation française, 1994, p. 13-105.
4. Outre O. NAY, A. SMITH, dir., Le Gouvernement du compromis, op. cit., cf. J.-B. AUBY,
P. DURAN, « Droit et expertise : la délicate question du risque juridique », Les Nouvelles poli-
tiques locales. Dynamiques de l’action publique, dir. R. BALME, A. FAURE, A. MABILEAU,
Paris, Presses de Sciences Po, 1999, p. 385-401. Sur la porosité des frontières entre politique et
haute administration, cf. J.-M. EYMERI, « Frontière ou marches ? De la contribution de la haute
fonction publique à la production du politique », La Politisation, op. cit., p. 47-77.
5. Relevons, par exemple, le rôle joué par Pierre Calame et Jean-Claude Boual. S’agissant du
premier, notons que le thème de la « subsidiarité active », déjà évoqué plus haut (P. CALAME,
« Pour sortir des impasses actuelles de l’action publique », Revue du MAUSS, 1999, 14, p. 281-
291), a été repris par le Commissariat général du Plan (COMMISSARIAT GÉNÉRAL du
PLAN, Cohésion sociale et territoires, dir. J.-P. DELEVOYE, Paris, La Documentation fran-
çaise, 1997, p. 99 sq. ; Regards prospectifs sur l’État stratège, Paris, La Documentation française,
2004, I, p. 98 sq.). Du second : J.-C. BOUAL, dir., Vers une société civile européenne ?, La Tour
d’Aigues, Éditions de l’Aube, 1999 ; « Les services d’intérêt général dans le traité constitutionnel
de l’Union européenne », Pyramides, 2005, 9, p. 31-47 ; J.-C. BOUAL, P. BRACHET, « La sub-
sidiarité : un principe complexe qui rendrait la politique plus simple ! », Territoires, 2003, 443,
p.  16-18 ; La Subsidiarité, principe de la démocratie délibérative, et la décentralisation, Paris,
Comité européen de liaison sur les services d’intérêt général (CELSIG), 2005. Particulièrement
réceptif à la subsidiarité, nous l’avons vu plus haut, Alain de Benoist, chef de file de la Nouvelle
droite française, n’a pas manqué de reprendre le concept de subsidiarité active pour thématiser
son engagement fédéraliste et européen (A. de BENOIST, « Europe : la déception », Éléments,
2008, 127, p. 26-30, ici p. 28 ; « Europe : l’espoir ? », ibid., p. 30-37, ici p. 35).
530 La subsidiarité germanique...

rapport chapeauté par Christian Blanc, compagnon de route de Michel


Rocard1. C’est que la deuxième gauche, ce «  “rawlsisme à la française”  »
comme on a pu dire ironiquement2, doit à la fois se défendre contre l’accusa-
tion républicaine, venue de son propre camp, qui subodore une course vers le
« moins d’État », et répondre à l’accusation conservatrice, venue de droite,
qui fustige dans le socialisme, même converti au libéralisme, un danger per-
sistant d’étatisation : elle réplique alors par un nouveau slogan appelé à une
belle postérité — non pas «  moins d’État  » mais «  mieux d’État  » — et
entonne le refrain de l’« État stratège », qui lui aussi fera florès3. L’État, dit-
on, n’a plus à être un producteur qui agit via des politiques substantielles ; il
doit devenir un régulateur qui fait faire, via des politiques procédurales. Mais
la défiance à l’égard de la subsidiarité pourrait bien n’avoir été que séman-
tique. Le même rapport en témoigne encore  : après avoir laissé pointer ses
quelques réticences vis-à-vis du principe, qui traduirait « une méfiance fon-
damentale à l’égard de l’État », il recommandait finalement son application
en matière de décentralisation4.
Sur le fond, ce qui constituera le cœur de la définition française du principe
de subsidiarité parcourt de bout en bout l’ensemble de ces rapports du début
des années 1990 : au nom du bon management, on en appelle à la saine sépa-
ration entre les fonctions d’exécution et de conception. Mais il faut attendre
la contribution de la haute fonction publique plus explicitement classée à
droite pour que la subsidiarité obtienne son droit de cité dans le vocabulaire
politique national. Le seuil symbolique est franchi avec la mission Picq-Sili-
cani5. Insistant sur la nécessaire rationalisation des pouvoirs et la modernisa-

1. COMMISSARIAT GÉNÉRAL du PLAN, Pour un État stratège, op. cit., p. 42. Cf. égale-
ment les réticences croziériennes déjà relevées : M. CROZIER, L’Entreprise à l’écoute, op. cit.
2. Expression reprise à Bruno Théret (B.  THÉRET, «  Le rawlsisme à la française. Le marché
contre l’égalité démocratique ? », Futur antérieur, 1991, 8, p. 39-75 ; « Rhétorique économique et
action politique. Le néolibéralisme entre la finance et le social », L’Engagement politique. Déclin
ou mutation ?, dir. P. PERRINEAU, Paris, Presses de la FNSP, 1994, p. 313-334).
3. Cf. J.  CHEVALLIER, «  L’État stratège  », Mélanges P.  Birnbaum, Paris, Fayard, 2007,
p.  372-385 ; P.  BEZES, «  Le modèle de l’État stratège  : genèse d’une forme organisationnelle
dans l’administration française », Sociologie du travail, 2005, 4, p. 431-450. À compléter, sur le
thème du management public, par P. BEZES, « Le tournant néomanagérial de l’administration
française », Politiques publiques, I. La France dans la gouvernance européenne, dir. O. BORRAZ,
V. GUIRAUDON, Paris, Presses de Sciences Po, 2008, p. 215-254.
4. COMMISSARIAT GÉNÉRAL du PLAN, Pour un État stratège, op. cit., p. 42, p. 47.
5. J. PICQ, dir., L’État en France. Servir une nation ouverte sur le monde, op. cit., p. 20-21. Le
rapporteur de la mission Picq, Jean-Ludovic Silicani, conseiller d’État, sera l’auteur d’un autre
rapport remarqué quatorze ans plus tard (J.-L. SILICANI, dir., Livre blanc sur l’avenir de la
fonction publique. Faire des services publics et de la fonction publique des atouts pour la France,
Paris, La Documentation française, 2008). Le rapport Picq fut remis au Premier ministre
Édouard Balladur en mai 1994 puis enterré par les impératifs électoraux de son destinataire.
Cf. P. BEZES, « La “mission Picq” ou la tentation de l’architecte. Les hauts fonctionnaires dans
la réforme de l’État  », Le Gouvernement du compromis, op. cit., p.  111-147. Cette mission a
donné de nombreuses publications sous la plume de son principal maître d’œuvre : J. PICQ, « Il
faut aimer l’État ». Essai sur l’État en France à l’aube du XXIe siècle, Paris, Flammarion, 1995 ;
« Faut-il réformer notre État ? Exigences et leviers de changement », Revue française d’adminis-
tration publique, 1995, 75, p. 473-482 ; « L’administration comme pouvoir », Esprit, 1997, 236,
p. 127-136 ; « Les avatars du “service public” à la française », Projet, 1999, 260, p. 47-54 ; « Un
“autre” État pour une nation qui change », Commentaire, 1999, 22 (86), p. 415-424 ; « “Cessons
Subsidiarité et Europe maastrichtienne. La confusion fédérale 531

tion des règles de gestion, ce nouveau rapport contribua surtout à importer


en France le schéma européen de répartition des compétences. Il proposait
par exemple de distinguer entre les compétences propres de l’État (« les res-
ponsabilités de souveraineté » : justice, police, diplomatie) et les « responsa-
bilités partagées » avec d’autres partenaires, les collectivités et la société civile
(éducation, culture, recherche, aménagement, solidarité, économie). Si, sur le
plan lexical, le rapport Picq continuait de faire strictement référence au sens
communautaire du principe sans l’appliquer expressis verbis au cas français, il
marquait néanmoins une étape fondamentale dans l’acclimatation française
au nouveau mot d’ordre.
Sur cette même lancée, l’inhibition sémantique poursuivait sa résorption
progressive pour aboutir à une consécration plus officielle en 1995 sous la
plume du Premier ministre Alain Juppé. Mis entre parenthèses par la droite
balladurienne, l’enseignement du rapport Picq ressurgit sous la houlette de la
droite chiraquienne, elle aussi dégrisée du gaullisme et convertie à l’idéal
européen1 :
« Il est nécessaire [...], dit une circulaire en date du 26 juillet 1995, pour mieux
distinguer les missions exercées respectivement par l’Union européenne et par
l’État national, de donner une véritable consistance au principe de subsidiarité
reconnu par le traité de l’Union européenne. La conférence intergouvernemen-
tale de 1996 devra être l’occasion d’un progrès décisif sur ce point. Dès mainte-
nant, les différentes administrations doivent procéder au recensement des
domaines dans lesquels le partage des attributions avec les institutions commu-
nautaires est susceptible d’engendrer des difficultés ou de rendre nécessaires des
évolutions2. »
Entre le rapport Blanc, le rapport Picq et la circulaire Juppé, il faut souli-
gner l’office — discret mais décisif — rempli par le Professeur Alain Del-
camp, futur Secrétaire général du Sénat : publiciste spécialisé dans les ques-
tions territoriales, il joua un véritable rôle de passeur conceptuel entre la
France et l’Europe3. C’est lui, en effet, qui fut le principal inspirateur d’un

d’opposer l’État aux collectivités locales !” », Pouvoirs locaux, 2002, 55 (4), p. 59-63 ; « Résistance
collective au changement », Études, 2004, 400 (3), p. 319-329.
1. Sur la cure néolibérale du gaullisme, cf. J.  BEAUDOUIN, «  Le “moment néolibéral” du
RPR  : essai d’interprétation  », Revue française de science politique, 1990, 40 (6), p.  830-844 ;
« Gaullisme et chiraquisme : réflexions autour d’un adultère », Pouvoirs, 1984, 28, p. 53-66.
2. Circulaire relative à la préparation et à la mise en œuvre de la réforme de l’État et des services
publics, 26 juillet 1995, point 1.3. (JORF, 28 juillet 1995). La levée plus complète de l’inhibition
aboutira par exemple à l’étude de Frédéric Rouvillois, professeur de droit public, réalisée pour le
compte du think tank de l’UMP (F. ROUVILLOIS, L’Externalisation, ou comment recentrer
l’État sur ses compétences essentielles, Paris, Fondation pour l’innovation politique, 2008).
Contre les externalisations anarchiques, mais aussi contre une souveraineté « trop rigide » (Ibid.,
p.  56), Frédéric Rouvillois réinvestit les notions de pouvoir régalien et de subsidiarité (Ibid.,
p. 48, p. 57) et appelle en quelque sorte à une remise au goût du jour des thèses défendues par
Henri Fayol pendant l’entre-deux-guerres : désencombrer l’administration centrale par la priva-
tisation des activités de l’État ne relevant pas de ses missions névralgiques. Sur l’épisode fayolien,
cf. S.  RIALS, Administration et organisation (1910-1930). De l’organisation de la bataille à la
bataille de l’organisation dans l’administration française, Paris, Beauchesne, 1977 ; A.  CHA-
TRIOT, « Fayol, les fayoliens et l’impossible réforme de l’administration durant l’entre-deux-
guerres », Entreprises et Histoire, 2003, 34, p. 84-97.
3. Moins l’Union européenne que le Conseil de l’Europe en l’occurrence.
532 La subsidiarité germanique...

rapport préparé en 1994 pour le compte du Comité directeur des autorités


régionales du Conseil de l’Europe1. Autre signe de cette consécration séman-
tique, à mi chemin entre le local et l’Europe, en ce point aveugle de la fonc-
tion publique centrale, un numéro spécial de la Revue européenne de déve-
loppement régional paru en 1995 est entièrement consacré au principe de
subsidiarité2. Parmi les nombreuses enceintes françaises de diffusion, il fau-
drait encore mentionner l’Institut de la Décentralisation et la revue Pouvoirs
locaux (la seconde étant le périodique du premier) : deux interfaces relative-
ment confidentielles où les tendances politiques les plus diverses ont pu
confluer autour d’une même célébration des territoires ; deux interfaces stra-
tégiques qui ont pu exercer un effet proprement catalyseur dans la rencontre
entre universitaires, acteurs politiques et hauts fonctionnaires3.

Au total, une continuité de contexte s’observe s’agissant de l’importation


hexagonale de la subsidiarité dans le discours politique de la réforme de
l’État. Continuité de contexte qui, plus largement, explique le succès rem-
porté par le de concept de gouvernance à partir des années 1990 ; nous avons
déjà pu dire à quel point la subsidiarité s’inscrivait désormais dans son réfé-
rentiel managérial  : contractualisation, responsabilisation, décentralisation,
externalisation, partenariat public-privé4. Mais tel que porté par les élites
modernisatrices, ce processus de réforme (les actes autant que le discours) ne
s’assimile pas à un simple surgeon du néolibéralisme mondialisé5. Pas plus
qu’il n’est dû à un effet immédiat de la contrainte européenne. Il s’enracine
bien davantage dans une histoire plus lointaine, qui dessine rétrospective-
ment un consensus politique entre la droite et la gauche6 : de Jacques Chaban-

1. Définition et limites du principe de subsidiarité, Strasbourg, Éditions du Conseil de l’Europe,


1994 ; A. DELCAMP, Le Sénat et la décentralisation, Paris, Économica, 1991.
2. « Subsidiarité », Eureg. Revue européenne de développement régional, 1995, 2, 89 p.
3. Cf., par exemple, l’ouverture du numéro d’octobre 1994 de Pouvoirs locaux qui commente le
rapport Picq : J.-M. OHNET, « La subsidiarité, réforme de l’État », Pouvoirs locaux, 22 (3), p. 1.
Deux enceintes au sein desquelles officie notamment l’influent sénateur et publiciste Hugues
Portelli, que nous retrouverons plus loin pour son rôle dans la réforme de 2003 (H. PORTELLI,
dir., La Décentralisation française et l’Europe, Boulogne-Billancourt, Éditions Pouvoirs locaux,
1993). Dans la même ligne, cf. S. TROSA, dir., La Décentralisation, réforme de l’État, Boulogne-
Billancourt, Éditions Pouvoirs locaux, 1992 ; J. CHABAN-DELMAS, R.  MONORY, dir.,
Poursuivre la décentralisation, Boulogne-Billancourt, Éditions Pouvoirs locaux, 1994 (2 vol.) ;
A. FAURE, Territorialisation de l’action publique et subsidiarité, op. cit.
4. À de nombreux égards, la subsidiarité s’inscrit dans la dynamique de généralisation des
procédés contractuels — ou ce qui en tient lieu — dans le fonctionnement normal de l’admi-
nistration. Cf., ici, J.-P.  GAUDIN, Gouverner par contrat. L’action publique en question,
Paris, Presses de Sciences Po, 1999. Pour une mise en perspective critique de cet ouvrage,
cf. J. CAILLOSSE, « L’action publique contractuelle : beaucoup de bruit pour rien ? », Droit et
Société, 2001, 47, p. 285-293. Avant cela, cf. encore J. CAILLOSSE, « Sur la progression en cours
des techniques contractuelles d’administration  », Le Droit contemporain des contrats, dir.
L. CADIET, Paris, Économica, 1987, p. 89-124 ; P. LASCOUMES, J. VALLUY, « Les activités
publiques conventionnelles : un nouvel instrument ? », Sociologie du travail, 1996, 4, p. 551-573.
5. Bruno Jobert et Bruno Théret distinguent le « néolibéralisme doctrinal » (Grande-Bretagne)
du « néolibéralisme gestionnaire » (France) (B. JOBERT, B. THÉRET, « France : la consécra-
tion républicaine du néolibéralisme », Le Tournant néolibéral en Europe, op. cit., p. 21-85).
6. Cf. J.-G. PADIOLEAU, « Une piété française : “la réforme de l’État” », Le Débat, 2002, 119,
p.  20-34 ; L.  ROUBAN, «  Réformer ou recomposer l’État ? Les enjeux sociopolitiques d’une
Subsidiarité et Europe maastrichtienne. La confusion fédérale 533

Delmas à Alain Juppé, en passant par Valéry Giscard d’Estaing, Raymond


Barre, Jacques Delors, Laurent Fabius et Michel Rocard, on poursuit peu ou
prou la même politique de rationalisation budgétaire et de modernisation
administrative1.
Le tournant des années 1980 ne doit donc pas être dramatisé dans ses
effets ; reformulé par la culture républicaine et les « économistes d’État » du
ministère des Finances, il prit en France une teinte assez particulière  : celle
d’un « néolibéralisme gestionnaire », bien éloigné des thèses les plus radicales
du New Public Management. Par rapport aux années 1980, la décennie 1990
marque certes une acclimatation plus franche aux recettes néolibérales, mais
la résistance des services publics à la française est là pour témoigner de la
force sociale de la culture politique hexagonale et des mythes qui la tra-
vaillent2. Comme le démontrent par ailleurs les comparaisons internationales,

mutation annoncée », Revue française d’administration publique, 2003, 105-106, p 153-166 ; « La
réforme de l’appareil de l’État  », La Recomposition de l’État en Europe, dir. V.  WRIGHT,
S. CASSESE, Paris, La Découverte, 1996, p. 138-159, spécialement p. 142 sq. sur la subsidiarité.
Pour une déconstruction sociologique, cf. P. BEZES, « Déconstruire la “réforme de l’État” »,
Pouvoirs locaux, 2002, 55, p. 16-23 ; « Les hauts fonctionnaires croient-ils à leurs mythes ? L’ap-
port des approches cognitives à l’analyse des engagements dans les politiques de réforme de
l’État. Quelques exemples français (1988-1997)  », Revue française de science politique, 2000,
50 (2), p.  307-332 ; «  Le modèle de l’“État-stratège”  : genèse d’une forme organisationnelle
dans l’administration française  », Sociologie du travail, 2005, 4, p.  431-450 ; «  Concurrences
ministérielles et différenciation : la fabrique de la “réforme de l’État” en France dans les années
1990  », Science politique de l’administration  : une approche comparative, dir. F.  DREYFUS,
J.-M. EYMERI, Paris, 2006, p. 236-252 ; « The Hidden Politics of Administrative Reform : Cut-
ting French Civil Service Wages with a Low-Profile Instrument  », Governance, 2007, 20 (1),
p. 23-56 ; M.-O. BARUCH, P. BEZES, « Généalogies de la réforme de l’État », Revue française
d’administration publique, 2006, 120, p. 625-634.
1. Hommes politiques tous issus de la haute fonction publique d’État. Parmi les hauts fonction-
naires proches du pouvoir politique, en retour, citons au centre gauche Roger Fauroux et Ber-
nard Spitz, co-auteurs de deux best-sellers (R. FAUROUX, B. SPITZ, éd., Notre État. Le livre
vérité de la fonction publique, Paris, Laffont, 2000 ; État d’urgence. Réformer ou abdiquer : le
choix français, Paris, Laffont, 2004) et au centre droit Yves Cannac, déjà rencontré plus haut,
ancien directeur de l’Institut de l’Entreprise, aujourd’hui président du Cercle de la réforme de
l’État et membre du Conseil économique, social et environnemental (Y. CANNAC, dir., Pour
un État moderne, éd. Institut de l’Entreprise, Paris, Plon, Commentaire, 1993 ; La Qualité des
services publics. Rapport au Premier ministre, Paris, La Documentation française, 2004).
2. Cf. P.  CHAMBAT, «  Service public et néolibéralisme  », Annales, 1990, 45 (3), p.  615-647,
spécialement p. 618 et p. 627 pour une réinscription de la subsidiarité dans le discours néolibéral.
Sur le mythe du service public dans la culture politique française, cf. L. NIZARD, « À propos de
la notion de service public : mythes étatiques et représentations sociales », Mélanges C. Eisen-
mann, Paris, Éditions Cujas, 1977, p. 91-98 ; J. CHEVALLIER, Le Service public [1987], Paris,
PUF, 2008 ; F. MODERNE, « Les transcriptions doctrinales de l’idée de service public », L’Idée
de service public dans le droit des États de l’Union européenne, dir. G.  MARCOU,
F.  MODERNE, Paris, L’Harmattan, 2001, p.  9-81 ; J.  CAILLOSSE, «  Le service public à la
française : déconstruction d’un mythe ? », La Réforme de l’État, dir. J.-J. PARDINI, C. DEVÈS,
Bruxelles, Bruylant, 2005, p. 177-199. Pour une lecture de l’évolution des services public (spécia-
lement en France) à l’aune de la subsidiarité fonctionnelle, cf. G. TOSI, « Évolution du service
public et principe de subsidiarité  », Revue française d’économie, 2006, 21 (1), p.  3-36 ;
F. MODERNE, «  Le principe de subsidiarité fonctionnelle  », Le Principe de subsidiarité, dir.
F.  DELPÉRÉE, op. cit., p.  395-442 ; «  Existe-t-il un principe de subsidiarité fonctionnelle ?
À propos des rapports entre initiative économique publique et initiative économique privée dans
les États européens  », Revue française de droit administratif, 2001, 17 (3), p.  563-588 ;
O. DUBOS, « La subsidiarité », La Compétence, Paris, Litec, 2008, p. 193-218.
534 La subsidiarité germanique...

la promotion des réformes administratives managériales a pris des tours très


différents sur le continent européen et dans le monde anglo-saxon (Grande-
Bretagne, États-Unis, Nouvelle-Zélande, Australie). Inscrite dans son passé
propre, la trajectoire française s’inspire moins qu’ailleurs des logiques de
marketisation1. Toutes proportions gardées, le culte du service public a pu
jouer en France la fonction protectrice que, récemment encore, l’économie
sociale de marché exerçait outre-Rhin.
Au-delà de divergences politiques sur lesquelles nous reviendrons, toutes
les conditions du consensus sont à présent réunies, qui déboucheront sur la
réforme de 2003. Qu’il suffise de penser à la proximité des vues exprimées
dans les rapports Mauroy et Portelli parus de manière presque concomitante
en 2000-20012. Les deux documents n’ont certes pas le même statut (l’un est
institutionnel, l’autre émane d’un think tank), mais, publiés sous la responsa-
bilité de sénateurs issus des deux rives de l’échiquier politique, ils font signe
vers la même direction. Fruit d’un groupe de travail pluraliste présidé par
Jean-Pierre Balligand, Pierre Méhaignerie, Robert Savy et Adrien Zeller, le
second ne propose rien de moins que d’« introduire le principe de subsidia-
rité » dans la Constitution française.
«  La Constitution devrait reconnaître le principe de subsidiarité dans son
article 3 [...] de façon à laisser au juge constitutionnel le soin de l’interpréter et
de l’articuler avec les principes traditionnels du droit public français3. »

1. Cf. C. POLLITT, G. BOUCKAERT, Public Management Reform. An International Com-


parison [2000], Oxford, Oxford University Press, 2006 ; G. BOUCKAERT, « La réforme de la
gestion publique change-t-elle les systèmes administratifs ? », Revue française d’administration
publique, 2003, 105-106, p.  39-54 ; G.  PETERS, J.  PIERRE, dir., Handbook of Public Policy,
Londres, Sage, 2006. Dans leur tableau comparatif des réformes managériales, Christopher Pol-
litt et Geert Bouckaert, d’une part, Guy Peters et Jon Pierre, d’autre part, expliquent les diffé-
rences de trajectoire nationale en insistant sur les facteurs culturels (le rapport à l’État, au droit et
à l’administration). Ils distinguent principalement entre la culture du Rechtsstaat, celle des pays
de droit romano-germanique, et la culture du Public Interest, celle des pays de Common law. Sur
les évolutions du droit administratif français, cf. J. CAILLOSSE, La Constitution imaginaire de
l’administration. Recherches sur la politique du droit administratif, Paris, PUF, 2008 ; « Les insti-
tutions publiques entre droit et management », Institutions et gestion, dir. I. HUAULT, Paris,
Vuibert, 2004, p. 165-186 ; « Les figures croisées du juriste et du manager dans la politique fran-
çaise de réforme de l’État », Revue française d’administration publique, 2003, 105-106, p. 121-
134 ; «  Le droit administratif contre la performance publique ?  », L’Actualité juridique, Droit
administratif, 1999, 3, p.  195-211 ; «  L’administration doit-elle s’évader du droit administratif
pour relever le défi de l’efficience ? », L’Action publique, éd. J.-C. LACASSE, J.-C. THOENIG,
Paris, L’Harmattan, 1996, p. 307-333 ; « Le manager entre dénégation et dramatisation du droit »,
Politique et management public, 1993, 11, p. 85-109. Pour un point sur le contexte international,
cf. P.  BEZES, «  Construire des bureaucraties wébériennes à l’ère du New Public Manage-
ment ? », Critique internationale, 2007, 35, p. 9-29.
2. P. MAUROY, dir., Refonder l’action publique locale. Rapport au Premier ministre, Paris, La
Documentation française, 2000, p. 10, p. 26, p. 68, p. 70, p. 157 ; H. PORTELLI, dir., État, orga-
nisation territoriale : de la « réforme » aux évolutions constitutionnelles, Boulogne-Billancourt,
Institut de la Décentralisation, 2001.
3. Ibid., p. 41. Nous citons ici la proposition 14, qui appelle à la définition d’« une organisation
subsidiaire des compétences » de l’État. Un peu plus haut dans le même rapport Portelli : « Il
semble nécessaire de s’engager, par étapes, sur la voie d’une reconstruction subsidiaire de l’en-
semble de notre organisation territoriale, autour du pôle régional, d’une part, de l’agglomération
et du “pays”, d’autre part. On pourra pour ce faire s’inspirer de réformes et d’expériences étran-
gères, telle que l’approche “fédéraliste” originale amorcée en Italie. » (Ibid., p. 40).
Subsidiarité et Europe maastrichtienne. La confusion fédérale 535

5. LES ATERMOIEMENTS DE LA SUBSIDIARITÉ à la française


Pour saisir la portée du nouvel article  72 al.  2 dans toute sa complexité, il
convient de mieux le situer à l’intérieur du dispositif de la réforme constitu-
tionnelle de 2003. L’innovation y apparaît d’autant plus importante que la
Constitution de 1958, comme c’est classiquement le cas dans les États uni-
taires, était jusque-là restée muette sur la question de la répartition des com-
pétences territoriales1. Ce vide constitutionnel avait permis l’épanouissement
de nombreux concepts dans une atmosphère de fortes rivalités : libre admi-
nistration, affaires locales, clause générale de compétence, blocs de compé-
tences. En 2003, la Constitution est certes sortie de son mutisme mais pour
reconduire la même confusion, la subsidiarité s’ajoutant en définitive à cette
liste déjà longue. Si l’objectif de l’Acte II de la décentralisation était de clari-
fier la répartition des rôles respectifs de chacun, alors pourquoi avoir invoqué
un mot si obscur et un concept si complexe dont les échecs avaient déjà été
éprouvés au niveau communautaire ? Encore une fois, nous pensons qu’il se
joue là quelque chose d’important sur le plan culturel : à travers la subsidia-
rité, il pourrait bien s’agir, pour une frange importante des élites politico-
administratives, de se désinhiber par rapport à un surmoi jacobin — et gaul-
liste — devenu décidément trop encombrant.
À plus d’un titre, l’Acte  II de la décentralisation dessine un tournant
symbolique en matière d’histoire politico-institutionnelle : alors que la poli-
tique décentralisatrice avait jusqu’ici été menée à droit constitutionnel
constant, la relance raffarinienne de 2003 opte significativement pour une
révision en bonne et due forme du texte fondamental. Quoique non codifié,
le droit constitutionnel local n’en existait pas moins avant cette révision. On
a même pu dire que l’Acte II n’avait fait que constitutionnaliser l’acquis juris-
prudentiel de l’Acte I2. À partir du début des années 1980, en effet, le Conseil
constitutionnel, principal régulateur des rapports entre État et collectivités
territoriales, avait déployé une jurisprudence constructive3  : d’une part, en

1. Le législateur, lui aussi, s’est toujours gardé de s’engager trop précisément sur cette question.
Nota. En vertu de l’article  34 al.  4, l’attribution des compétences aux collectivités territoriales
constitue une attribution exclusive du législateur. Seule la loi est apte à définir les compétences
respectives de l’État et des collectivités. Liberté d’action constamment rappelée par la jurispru-
dence (CONSEIL CONSTITUTIONNEL, Décision 90-274 DC, Loi visant la mise en œuvre
du droit au logement, 29 mai 1990 ; JORF, 61, 1er juin 1990).
2. Citons les lois initiées par le ministre de l’Intérieur Gaston Defferre : Loi 82-213 relative aux
droits et libertés des communes, des départements et des régions, 2  mars 1982 (JORF, 3  mars
1982) ; Loi 83-8 relative à la répartition des compétences entre les communes, les départements, les
régions et l’État, 7 janvier 1983 (JORF, 9 janvier 1983) ; Loi 83-663 complétant la loi 83-8 relative
à la répartition des compétences, 22 juillet 1983 (JORF, 23 juillet 1983).
3. Le droit de la décentralisation fut l’un des principaux domaines de contentieux ayant permis
la montée en puissance du Conseil dans le jeu politique (B. FRANÇOIS, « Le Conseil constitu-
tionnel et la Ve République », Revue française de science politique, 1997, 47 (3-4), p. 377-404 ;
« La place du Conseil constitutionnel dans le système politique de la Ve République », Le Conseil
constitutionnel a quarante ans, Paris, LGDJ, 1999, p. 75-82 ; A. STONE SWEET, « La politique
constitutionnelle », La Légitimité de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, Paris, Écono-
mica, 1999, p. 117-140 ; « Le Conseil Constitutionnel et la transformation de la République »,
Cahiers du Conseil Constitutionnel, 2008, 25, p. 65-69 ; A. ROUX, Droit constitutionnel local,
536 La subsidiarité germanique...

ménageant une vraie autonomie locale aux collectivités via une interprétation
dynamique de l’article 721 ; d’autre part, en s’attachant à concilier cette auto-
nomie avec l’indivisibilité de la République, via le rappel des principes fonda-
mentaux de l’État unitaire  : unicité du peuple, unité du pouvoir normatif,
égalité devant la loi2.
De 1982 à 2003, la continuité est évidente derrière les apparences du chan-
gement, mais la portée symbolique de la dernière révision ne saurait pour
autant être négligée. Si elle en reste au stade des généralités programmatiques3,
elle ne tend pas moins à solenniser les acquis de la décentralisation pour
mieux les rendre irréversibles. Bien plus, elle ne s’en tient pas à la simple réé-
criture du titre  XII de la Constitution4 ; elle procède également à d’impor-
tantes retouches dans l’ensemble du texte. Sans toutes les passer en revue et
en écartant d’emblée les points relatifs à l’Outre-Mer, mentionnons, d’une
part, la modification de l’article 1er, qui érige le caractère décentralisé de la
République pratiquement au même niveau d’importance que les principes
d’indivisibilité, de laïcité, de démocratie et d’égalité ; d’autre part, l’introduc-
tion des articles 37-1 et 72 al. 4 (expérimentation locale), 72 al. 5 (collectivité
chef de file), 72-1 (référendum local) et 72-2 (autonomie financière et péré-
quation nationale) ; enfin, les modifications apportées à l’article 39 al. 2 (prio-
rité sénatoriale)5.

Paris, Économica, 1995 ; B.  FAURE, «  Existe-t-il un “pouvoir local” en droit constitution-
nel français ? », Revue du droit public, 1996, 112 (6), p. 1539-1553 ; « Le rôle du juge constitu-
tionnel dans l’élaboration du droit des collectivités locales  », Pouvoirs, 2001, 99, p.  117-133 ;
L. FAVOREU, A. ROUX, « La libre administration des collectivités territoriales est-elle une
liberté fondamentale ? », Cahiers du Conseil constitutionnel, 2002, 12, p. 88-92 ; L. FAVOREU,
«  La notion constitutionnelle de collectivité territoriale  », Mélanges J.  Moreau, Paris, Écono-
mica, 2003, p. 155-163 ; A. DELCAMP, « Contrôle de constitutionnalité et autonomie locale »,
Mélanges L. Favoreu, Paris, Dalloz, 2007, p. 629-635).
1. Également mentionné à l’article  34 al.  4, le principe de libre administration est peu à peu
devenu une norme de référence dans le cadre du contrôle de constitutionnalité des lois.
2. Citons, par exemple, CONSEIL CONSTITUTIONNEL, Décision 91-290 DC, Loi portant
statut de la collectivité territoriale de Corse, 9 mai 1991 (JORF, 50, 14 mai 1991) ; Décision 99-412
DC, Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, 15 juin 1999 (JORF, 71, 18 juin
1999). Pour des commentaires doctrinaux, cf. L. FAVOREU, « La décision “Statut de la Corse”
du 9 mai 1991 », Revue française de droit constitutionnel, 1991, 6, p. 305-316 ; G. MARCOU,
« Le principe d’indivisibilité de la République », Pouvoirs, 2002, 100, p. 45-65.
3. La loi constitutionnelle du 28 mars 2003 a été complétée par un important volet législatif : Loi
organique 2003-704 relative à l’expérimentation par les collectivités territoriales, 1er  août 2003
(JORF, 177, 2  août 2003) ; Loi organique 2003-705 relative au référendum local, 1er  août 2003
(JORF, 177, 2 août 2003) ; Loi organique 2004-758 relative à l’autonomie financière des collecti-
vités territoriales, 29 juillet 2004 (JORF, 175, 30 juillet 2004) ; Loi 2004-809 relative aux libertés
et aux responsabilités locales, 13 août 2004 (JORF, 190, 17 août 2004). Cf. aussi Loi 2003-1200
portant décentralisation en matière de revenu minimum d’insertion et créant un revenu minimum
d’activité, 18 décembre 2003 (JORF, 293, 19 décembre 2003).
4. Qui a conduit au doublement de l’article 72, passant de trois à six alinéas.
5. Au titre V de la Constitution, l’article 39 al. 2 dispose que les projets de loi qui ont pour prin-
cipal objet la libre administration des collectivités territoriales ainsi que la définition de leurs
compétences et de leurs ressources sont en premier lieu soumis à la Haute assemblée. S’agissant
de l’Outre-Mer, la réforme de 2003 modifie deux articles (73 et 74) et en introduit trois nouveaux
(72-3, 72-4, 74-1). On sait que cet enjeu spécifique alimente un éternel débat sur la fin de l’État
unitaire français, lequel aurait déjà périclité sous le coup des brèches ouvertes dans l’unité pou-
voir législatif. Pensons spécialement au cas de la Nouvelle-Calédonie. Une révision constitution-
Subsidiarité et Europe maastrichtienne. La confusion fédérale 537

Reprenons trois points importants qui intéressent directement le principe


de subsidiarité.
1o À l’instar des autres nouveaux principes directeurs du titre XII (collecti-
vité chef de file, expérimentation, autonomie financière), la subsidiarité
s’ajoute à des concepts plus anciens, qui s’avéraient déjà difficiles à stabiliser
et peu compatibles entre eux : la clause générale de compétence et les blocs de
compétences en particulier1 — deux principes figurant explicitement dans les
lois Defferre mais demeurés absents de la Constitution. Le retour sur les
termes de cette tension pourra aider à décrypter le nouvel article 72 al. 2. La
difficulté ne réside pas dans l’interprétation du principe des blocs de compé-
tences, qui s’inscrit dans un esprit de spécialisation par niveau ; elle réside
dans le sens donné à la notion de clause générale. Pour l’essentiel, deux lec-
tures tendent encore à s’affronter. D’une part, on peut la considérer de
manière formelle — et lointaine2 — en y voyant quelque chose comme un
fondement nécessaire du droit de la décentralisation, postulant par là l’exis-
tence d’affaires locales3. Selon cette lecture, la fonction de la clause générale

nelle de 1998 lui a conféré un pouvoir normatif autonome mais limité (Loi constitutionnelle
98-610 relative à la Nouvelle-Calédonie, 20  juillet 1998 ; JORF, 166, 21  juillet 1998). La loi
organique du 19 mars 1999 autorise la Nouvelle-Calédonie à adopter des lois « lois du pays » sur
certaines matières circonscrites (fiscalité, droit du travail, régime de la propriété, par exemple)
(Loi organique 99-209 relative à la Nouvelle-Calédonie, 19 mars 1999 ; JORF, 68, 21 mars 1999).
Ce régime dérogatoire a pour l’essentiel été reconduit par la réforme de 2003-2004 (Loi orga-
nique 2004-192 portant statut d’autonomie de la Polynésie française, 27 février 2004 ; JORF, 52,
2 mars 2004). La dénomination controversée « lois du pays » a été maintenue, mais les actes de
l’Assemblée de Polynésie restent des actes administratifs soumis au Conseil d’État (via un
contrôle spécifique, certes). En 2003, la Corse (référendum du 6  juillet), la Guadeloupe et la
Martinique (référendums du 7  décembre) ont refusé les évolutions statutaires qui tendaient à
leur faire bénéficier du régime calédonien. En 2009, l’Ile de Mayotte oppose un même rejet (réfé-
rendum du 29 mars). Sur ces questions sensibles, parmi la littérature qui se réfère à la subsidia-
rité, cf. F. LUCHAIRE, « La France d’Outre-Mer et la République », Revue française d’admi-
nistration publique, 2007, 123, p.  499-507 ; A.  DELBLOND, «  Décentralisation dans les
départements d’Outre-Mer : subsidiarité à l’aune de l’insularité », Subsidiarité infranationale et
territorialisation des normes, dir. J. FIALAIRE, Rennes, PUR, 2005, p. 149-167 ; O. GOHIN,
« Pouvoir législatif et collectivités locales », Mélanges J. Moreau, Paris, Économica, 2003, p. 177-
193 ; J.-Y. FABERON, G. AGNIEL, dir., La Souveraineté partagée en Nouvelle-Calédonie et
en droit comparé, Paris, La Documentation française, 2000, A. HAQUET, « La (re)définition du
principe de souveraineté », Pouvoirs, 2000, 94, p. 141-153.
1. S’agissant de la clause (sans faire mention de la jurisprudence administrative)  : Loi 82-213
relative aux droits et libertés des communes, des départements et des régions, 2  mars 1982,
article 59 al. 2 (JORF, 3 mars 1982) ; Code général des collectivités territoriales, article L. 4221-1.
S’agissant des blocs : Loi 83-8 relative à la répartition des compétences entre les communes, les
départements, les régions et l’État, 7 janvier 1983, article 3 (JORF, 9 janvier 1983).
2. La doctrine juridique a pris l’habitude de faire remonter ses origines lointaines aux deux
grandes lois — municipale et départementale — de la IIIe République. S’agissant de la première :
«  Le conseil municipal règle, par ses délibérations, les affaires de la commune.  » (Loi relative
à l’organisation municipale, 5 avril 1884, article 61 ; JORF, 6 avril 1884). De même, le Conseil
général a compétence pour statuer « sur tous les objets d’intérêt départemental dont il est saisi »
(Loi relative aux conseils généraux, 10 août 1871, article 46-28 ; JORF, 29 août 1871). On trou-
vait une formulation similaire du principe à l’article 87 de la Constitution de 1946.
3. Cf., par exemple, F.-P. BÉNOIT, Encyclopédie des collectivités locales, 1970, 1, p. 322-342 ;
«  L’évolution des affaires locales. De la décentralisation des autorités à la décentralisation des
compétences  », Mélanges J.-C. Douence, Paris, Dalloz, 2006, p.  23-44 ; J.-M. PONTIER,
« Semper manet. Sur une clause générale de compétence », Revue du droit public, 1984, 100 (6),
p. 1443-1472 ; « La décentralisation territoriale en France au début du xxie siècle », Revue géné-
538 La subsidiarité germanique...

serait de combler les vides juridiques créés par le silence des textes et de rap-
peler une sorte d’antériorité (chrono)logique des collectivités territoriales sur
l’État. D’autre part, dans la ligne d’un Georges Burdeau ou d’un Michel
Troper1, on peut l’entendre au pied de la lettre en établissant un lien d’équiva-
lence entre clause générale et compétence de principe, le tout en mettant en
doute la juridicité du principe de libre administration. Parler de clause géné-
rale de compétence pour caractériser le pouvoir des collectivités locales
reviendrait donc à ne laisser à la puissance publique centrale qu’une compé-
tence résiduelle d’exception et d’attribution2.
2o Considérons également les deux dispositions relatives à l’expérimenta-
tion (articles 37-1 et 72 al. 4) et à la notion de collectivité chef de file (article 72
al.  5), qui, selon les mots mêmes du gouvernement, concernent au premier
chef la question de la subsidiarité. Le lien est expressément établi dans
l’exposé des motifs du projet de loi constitutionnelle :
« La poursuite de cet objectif [l’objectif à valeur constitutionnelle défini par le
principe de subsidiarité] sera facilitée par la possibilité désormais ouverte par
l’article 37-1, puisque les expérimentations [...] permettront de déterminer effi-
cacement le niveau adéquat pour l’exercice de telle ou telle compétence. C’est
ainsi un ensemble de dispositions cohérentes qui sont introduites dans la Consti-
tution, afin de servir d’instruments pour la réforme de l’État3. »
La doctrine n’a pas manqué d’embrayer le pas à ce discours politique pour
diagnostiquer dans cette formule la naissance possible d’un État subsidiaire
rompant avec la tradition française de l’égalitarisme juridique4. Reste que la
portée de la modification laisse pour le moins perplexe, dans la mesure où,
depuis longtemps déjà, suivant l’exemple du Conseil d’État, le Conseil
constitutionnel a admis que le principe d’égalité ne faisait pas obstacle aux
discriminations circonstanciées ; qu’à des situations locales distinctes soient,

rale des collectivités territoriales, 2002, 22, p.  87-110 ; «  Nouvelles observations sur la clause
générale de compétence », Mélanges J.-C. Douence, op. cit., p. 365-394. Relevons ici une forme
de contradiction à l’œuvre dans la thèse de Jean-Marie Pontier qui semble poser l’existence d’af-
faires locales tout en remettant en cause par ailleurs la notion de compétence régalienne. Les
affaires de l’État n’auraient donc aucune substance juridique ! (J.-M. PONTIER, « La notion de
compétences régaliennes dans la problématique de la répartition des compétences entre les col-
lectivités publiques », Revue du droit public, 2003, 119 (1), p. 193-237).
1. Pour une critique ancienne, mais toujours rafraîchissante, du principe de libre administration
des collectivités territoriales, cf. Michel Troper qui écrit, non sans provocation : « la libre admi-
nistration est un terme dont la fonction est de transposer au niveau administratif l’idéologie
politique de la démocratie représentative  » (M.  TROPER, «  Libre administration et théorie
générale du droit », La Libre administration des collectivités locales. Réflexion sur la décentrali-
sation, dir. J. MOREAU, G. DARCY, Aix-en-Provence, PUAM, Paris, Économica, 1984, p. 62).
2. Nous reprendrons plus loin le décryptage de cette tension en nous référant aux travaux du
premier juriste français à avoir investi le principe de subsidiarité dans sa dimension interne  :
J.-M. PONTIER, L’État et les collectivités locales. La répartition des compétences [1975], Paris,
LGDJ, 1978, p. 40 sq. ; « La subsidiarité en droit administratif », art. cit.
3. Projet de loi constitutionnelle, 16 octobre 2002, Exposé des motifs.
4. Cf. G. CHAVRIER, « L’expérimentation locale : vers un État subsidiaire ? », Annuaire des
collectivités locales, 2004, 24, p. 43-52 ; A. ROUX, « Constitution, expérimentation et décentrali-
sation  », Mélanges L.  Philip, Paris, Économica, 2005, p.  207-218 ; N.  KADA, «  Acte  II de la
décentralisation et principe d’égalité », Revue du droit public, 2005, 121 (5), p. 1272-1302.
Subsidiarité et Europe maastrichtienne. La confusion fédérale 539

de manière prudentielle et expérimentale, appliquées des règles différentes1.


Sans compter quelques précédents législatifs non négligeables, qui se présen-
taient eux-mêmes comme des dispositifs expérimentaux2. En l’espèce, la véri-
table innovation de 2003 se loge ailleurs  : le droit à l’expérimentation n’est
plus seulement reconnu à l’État (article  37-1), il est également accordé aux
collectivités territoriales (article 72 al. 4), qui peuvent sous certaines condi-
tions déroger aux lois et règlements régissant l’exercice de leurs compétences3.
Mais les conditions de mise en œuvre de ce nouvel alinéa 4 sont telles (clause
de généralisation et perspective d’intégration nationale) qu’il risque fort de
rester très théorique4.
3o Il en va plus ou moins de même pour la notion de collectivité chef de
file5. En effet, en obtenant la constitutionnalisation du principe de la non-
tutelle entre collectivités territoriales (qui relevait auparavant du seul domaine
législatif), le Sénat a considérablement amoindri la portée du dispositif6. Où
le poids de la culture politique française se fait très persistant : comment les

1. Mentionnons CONSEIL CONSTITUTIONNEL, Décision 79-107 DC, Loi relative à cer-


tains ouvrages reliant les voies nationales ou départementales, 12 juillet 1979 (JORF, 31, 13 juillet
1979) ; Décision 85-189 DC, Loi relative à la définition et à la mise en œuvre de principes d’amé-
nagement, 17 juillet 1985 (JORF, 49, 19 juillet 1985) ; Décision 93-322 DC, Loi relative aux éta-
blissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel, 28 juillet 1993 (JORF, 204,
30 juillet 1993) ; CONSEIL d’ÉTAT, Denoyez et Chorques, 10 mai 1974 (Rec., 1974, p. 274) ;
Union nationale de la propriété immobilière, 22 juillet 1992 (Rec., 1992, p. 703).
2. Donnons brièvement trois exemples importants. 1o L’adoption de la loi sur le RMI en 1988 a
été précédée par une expérimentation dans les départements de l’Ille-et-Vilaine et du Territoire
de Belfort (Loi 88-1088 relative au revenu minimum d’insertion, 1er  décembre 1988 ; JORF,
3  décembre 1988). 2o La régionalisation des transports ferroviaires adoptée en 2000 a été pré-
cédée par une expérimentation lancée en 1997 dans sept régions (Loi 97-135 portant création de
l’établissement public Réseau ferré de France en vue du renouveau du transport ferroviaire,
13 février 1997 ; JORF, 39, 15 février 1997 ; Loi 2000-1208 relative à la solidarité et au renouvel-
lement urbain, 13 décembre 2000 ; JORF, 289, 14 décembre 2000). 3o Depuis 2002, les conseils
régionaux sont autorisés par la loi à exercer à titre expérimental, pour une durée limitée, des
compétences étatiques en matière portuaire, aéroportuaire et culturelle (Loi 2002-276 relative à
la démocratie de proximité, 27 février 2002, articles 104, 105 ; JORF, 50, 28 février 2002).
3. Notons tout de même qu’en 2001 le droit à l’expérimentation a été explicitement reconnu aux
collectivités territoriales sur le fondement de la clause générale de compétence (CONSEIL
d’ÉTAT, Commune de Mons-en-Barœul, 29 juin 2001 ; Rec., 2001, p. 298).
4. L’article 72 al. 4 renvoie ici à la loi organique (Loi organique 2003-704 relative à l’expérimen-
tation par les collectivités territoriales, 1er août 2003 ; JORF, 177, 2 août 2003). Pour une première
analyse, cf. J. FIALAIRE, « Le droit à l’expérimentation des collectivités territoriales et la subsi-
diarité  : les apparences et “faux-semblants” d’une prétendue territorialisation des normes  »,
Subsidiarité infranationale et territorialisation des normes, op. cit., p. 11-23.
5. Expressis verbis, la notion de collectivité chef de file n’est pas présente dans le texte constitu-
tionnel ; seul l’exposé des motifs du projet de loi constitutionnelle en fait mention explicite.
6. Le cinquième alinéa de l’article 72 procède à la constitutionnalisation de l’article L. 1111-3 du
Code général des collectivités territoriales. « Aucune collectivité territoriale ne peut exercer une
tutelle sur une autre. Cependant, lorsque l’exercice d’une compétence nécessite le concours de
plusieurs collectivités territoriales, la loi peut autoriser l’une d’entre elles ou un de leurs groupe-
ments à organiser les modalités de leur action commune. » Cf., notamment, J.-M. LEMOYNE
de FORGES, «  Subsidiarité et chef de file  : une nouvelle répartition des compétences ?  », La
République décentralisée, dir. Y. GAUDEMET, O. GOHIN, Paris, LGDJ, 2004, p. 47-55. Rap-
pelons que le dispositif avait déjà fait l’objet d’une censure constitutionnelle en 1995 : CONSEIL
CONSTITUTIONNEL, Décision 94-358, Loi d’orientation pour l’aménagement et le dévelop-
pement du territoire, 26 janvier 1995 (JORF, 183, 1er février 1995).
540 La subsidiarité germanique...

très aristocratiques communes de France pourraient-elle accepter que la


roture des collectivités territoriales prenne l’ascendant sur elles ? Elles préfé-
reront toujours la hiérarchie exercée par l’État à toutes les soumissions locales
de quelque forme qu’elles soient.

Fort des développements qui précèdent, nous pouvons mieux cerner la


portée du nouvel article 72 al. 2 et le caractère pour le moins flottant de son
énoncé. En témoigne d’abord le mot « vocation », qui exprime non une obli-
gation juridique mais une intention politique1. La suite de l’alinéa n’offre
guère plus de clarté : qui peut vraiment prétendre juger de ce « mieux » auquel
il est allusion ? Quels en sont les critères objectifs ? À l’instar de ce que nous
avons vu plus haut en étudiant le cas du droit communautaire, deux pro-
blèmes ne manquent pas de s’entremêler : l’efficacité comparative entre l’ac-
tion des collectivités territoriales et celle de l’État ; l’éventuelle valeur ajoutée
locale par rapport à l’action étatique. Mêmes causes, mêmes effets : le critère
discriminant auquel se réfère la disposition constitutionnelle est-il celui de la
défaillance de l’État ou bien celui de la capacité supérieure des collectivités
territoriales ? Faut-il raisonner en termes d’efficacité relative et de suffisance
ou bien en termes d’efficacité maximale ? En toute rigueur, si l’on suit analo-
giquement le sens officiel que lui donne le droit européen, le principe de sub-
sidiarité devrait être interprété comme conférant une compétence de principe
aux collectivités territoriales et une compétence d’attribution (d’exception) à
l’État, interrogeant ainsi ex abrupto la pertinence même de l’action étatique et
sous-entendant par là que les collectivités locales, au même titre que l’État,
ont vocation à exprimer l’intérêt général. Tel n’est bien sûr pas le cas dans la
Constitution de 1958. Le texte constitutionnel français ne confère aucun
droit opposable aux collectivités territoriales. Il ne fait que formuler une
simple règle de conduite, un objectif à atteindre. Certes, l’objectif est de
valeur constitutionnelle mais ce prestige honorifique ne lui confère aucune
clarté particulière2.

1. « On sait que certaines vocations peuvent ne pas se réaliser », écrit ironiquement Robert Savy
(R.  SAVY, «  Sur un trompe-l’œil constitutionnel  », Mélanges C. Lombois, Limoges, PULIM,
2004, p.  452). Cf. aussi R.  SAVY, «  Réflexions sur la gouvernance territoriale  », Mélanges
B. Jeanneau, Paris, Dalloz, 2002, p. 609-622, spécialement p. 614.
2. Cf. Y.  LUCHAIRE, F.  LUCHAIRE, Décentralisation et constitution, Paris, Économica,
2001, p.  21. Si cette absence de force obligatoire ne saurait être une condition suffisante pour
refuser à une disposition textuelle le caractère de règle de droit, elle est, s’agissant du principe de
subsidiarité, une condition suffisante pour lui refuser le statut de règle de droit positif. Les
exemples sont nombreux de règles valides mais dépourvues de toute force contraignante ; la sub-
sidiarité a néanmoins ceci de particulier d’identifier un objectif sans se soucier de son contenu
(on veut éviter d’avoir à se poser les questions embarrassantes qu’elle dissimule). Rappelons
qu’un objectif de valeur constitutionnelle n’a pas de force contraignante, qu’il peut simplement
justifier des dérogations circonstanciées à des principes constitutionnels. Sur cette question,
cf. B. FAURE, « Les objectifs de valeur constitutionnelle : une nouvelle catégorie juridique ? »,
Revue française de droit constitutionnel, 1995, 21, p. 47-77 ; A. LEVADE, « L’objectif de valeur
constitutionnelle, vingt ans après. Réflexions sur une catégorie juridique introuvable », Mélanges
P. Pactet, Paris, Dalloz, 2003, p. 687-702 ; F. LUCHAIRE, « L’objectif de valeur constitution-
nelle  », Revue française de droit constitutionnel, 2005, 64, p.  675-684 ; P.  de MONTALIVET,
Les Objectifs de valeur constitutionnelle, Paris, Dalloz, 2006.
Subsidiarité et Europe maastrichtienne. La confusion fédérale 541

Principe formel ayant théoriquement pour mission de réguler et d’ajuster


l’exercice des compétences, la subsidiarité ne dessine aucune délimitation
précise des domaines matériels dans lesquels elle est censée intervenir. La
subsidiarité de l’article 72 al. 2 ne fait que rejoindre le lot abondant des dispo-
sitions-programmes déjà existantes dont la valeur juridique est inversement
proportionnelle à leur généralité. L’imprécision était déjà assez grande en
l’état pour que le constituant n’y ajoute pas en plus le mot subsidiarité dans le
texte suprême. Prudence du constituant à laquelle, très logiquement, répond
la prudence du Conseil constitutionnel. Aux termes de sa décision du 7 juillet
2005 sur la loi de programme fixant les orientations de la politique énergé-
tique, le juge a révélé la lecture qu’il convenait d’adopter du nouvel alinéa 2
de l’article  72 et confirmé le caractère juridiquement si ce n’est inutile, du
moins peu contraignant, du principe de subsidiarité. Sans mentionner le mot
(absence significative), le douzième considérant de la décision est exempt de
toute ambiguïté :
« Il résulte de la généralité des termes retenus par le constituant que le choix du
législateur d’attribuer une compétence à l’État plutôt qu’à une collectivité ter-
ritoriale ne pourrait être remis en cause, sur le fondement de cette disposi-
tion, que s’il était manifeste qu’eu égard à ses caractéristiques et aux intérêts
concernés, cette compétence pouvait être mieux exercée par une collectivité ter-
ritoriale1. »
Le Conseil constitutionnel s’en tient donc à un contrôle de l’erreur mani-
feste d’appréciation. Il faut voir là comme une réponse indirectement adressée
au gouvernement, qui, dans l’exposé des motifs de son projet de loi constitu-
tionnelle, avait eu cette interprétation audacieuse, cherchant peut-être à
forcer la main des Sages de la Rue de Montpensier :
« Le principe de décentralisation étant inscrit à l’article 1er de la Constitution,
il apparaît souhaitable d’en définir la teneur et la portée. Tel est l’objet du
deuxième alinéa de l’article 72, qui dispose que les collectivités territoriales ont
vocation à exercer l’ensemble des compétences qui peuvent le mieux être mises
en œuvre à l’échelle de leur ressort. Traçant une ligne de partage, dans le
domaine administratif, entre l’action de l’État et celle des collectivités territo-

1. CONSEIL CONSTITUTIONNEL, Décision 2005-516 DC, Loi de programme fixant les


orientations de la politique énergétique, 7 juillet 2005 (JORF, 14 juillet 2005). Notons que la sai-
sine parlementaire à l’origine de cette décision ne prenait même pas la peine de mentionner le
principe de subsidiarité. Dans sa réponse, le Conseil, statuant pourtant ultra petita, ne fait pas
plus de cas du principe. De manière générale, à chaque fois que les requérants ont invoqué l’ar-
gument de la subsidiarité dans leur saisine, le Conseil a choisi de ne pas y donner suite favorable
et de ne pas faire référence au mot. La situation s’est produite pour au moins deux saisines parle-
mentaires en 1999 et en 2009. La première fois, les parlementaires contestaient la loi créant la
Couverture maladie universelle (CONSEIL CONSTITUTIONNEL, Décision 99-416 DC, Loi
portant création d’une couverture maladie universelle, 23 juillet 1999 ; JORF, 28 juillet 1999). La
seconde fois, ils contestaient la loi sur le travail dominical (CONSEIL CONSTITUTIONNEL,
Décision 2009-588 DC, Loi réaffirmant le principe du repos dominical et visant à adapter les
dérogations à ce principe dans les communes et zones touristiques et thermales ainsi que dans
certaines grandes agglomérations pour les salariés volontaires, 6 août 2009 ; JORF, 11 août 2009).
Lié en cela par les termes de la Constitution, le juge constitutionnel continue de réserver le
principe au seul droit communautaire (CONSEIL CONSTITUTIONNEL, Décision 2007-560
DC, Traité de Lisbonne modifiant le traité sur l’Union européenne et le traité instituant la
Communauté européenne, 20 décembre 2007 ; JORF, 29 décembre 2007).
542 La subsidiarité germanique...

riales, ce nouvel objectif à valeur constitutionnelle permettra de transposer


dans un État restant unitaire la préoccupation qu’exprime, en droit commu-
nautaire, le principe de subsidiarité1. »
Pour être raisonnablement prise en compte, répond le juge, la valeur
ajoutée de la collectivité locale doit être « manifeste » ; et c’est à elle, en défi-
nitive, d’apporter la preuve de cette valeur ajoutée potentielle. Si contrôle
juridictionnel de l’étendue matérielle des compétences locales il doit y avoir,
il ne pourra donc être que minimal et restreint. Que ce soit avant ou après
2003, il revient toujours au législateur de déterminer la « vocation » de chaque
niveau de collectivité, sachant, bien sûr, que l’existence d’attributions effec-
tives constitue aux yeux du juge une condition sine qua non de la libre admi-
nistration. Peut-être la révision de 2003 rend-elle ce contrôle plus effectif
qu’auparavant2, mais le doute profite bien sûr à l’État, qui, si l’on adopte le
point de vue du droit positif, continue de posséder une priorité ontologique
— à défaut, peut-être, d’antériorité chronologique — sur ses collectivités ter-
ritoriales. Ne sont-elles pas, comme l’Union européenne à son niveau, des
sujets juridiques dérivés ?

Précisons le parallèle entre la subsidiarité française de l’article 72 al. 2 et la


subsidiarité communautaire de l’article 5 TUE, entre la question européenne
des rapports États membres-Union et la question nationale des rapports col-
lectivités territoriales-État. A priori, le schéma tripartite européen (compé-
tences exclusives de l’Union, compétences réservées aux États, compétences
partagées entre l’Union et les États) n’a guère de résonance en droit interne
français. On ne saurait ignorer, par exemple, la dissonance profonde entre
l’esprit de la subsidiarité européenne, qui implique, au plan formel, une
logique de compétences concurrentes, et la logique française des blocs de
compétences3. À moins d’appliquer au principe de subsidiarité le raisonne-
ment qu’une partie de la doctrine réserve à la clause générale : la subsidiarité
comme disposition chargée de réguler le vide juridique des textes en vigueur4.

1. Projet de loi constitutionnelle, 16 octobre 2002, exposé des motifs. Soulignons le, la décision
du 7  juillet 2005 rappelle que la définition des objectifs à valeur constitutionnelle ne saurait
revenir à l’exécutif, qu’il s’agit d’un outil jurisprudentiel dont le monopole revient au juge.
2. Pour cette interprétation, cf., par exemple, J.-C. DOUENCE, « Libre administration et orga-
nisation décentralisée  », Mélanges J.-F. Lachaume, Paris, Dalloz, 2007, p.  441-447, ici, p.  445.
Peut-être, également, l’article 72 al. 2 deviendra-t-il opposable à une mesure de déconcentration ?
Dans l’hypothèse où le juge considérerait qu’une mesure serait «  mieux  » mise en œuvre à
l’échelon départemental ou régional (le niveau communal est par définition exclu car il ne corres-
pond à aucune administration déconcentrée de l’État), ce serait au Conseil général ou au Conseil
régional, et non au préfet, qu’il faudrait l’attribuer.
3. Lui-même peu compatible avec l’idée de clause générale si l’on suit la seconde option définie
plus haut. À l’échelle communautaire, on sait que la logique des compétences concurrentes
constitue précisément le fondement théorique qui justifie l’existence du principe de subsidiarité.
4. Jean-Marie Pontier défend la thèse selon laquelle les collectivités locales disposeraient tou-
jours, et par construction, d’une clause générale de compétence (principe qu’il juge compatible
avec la subsidiarité) (J.-M. PONTIER, « Nouvelles observations sur la clause générale de com-
pétence », Mélanges J.-C. Douence, op. cit., p. 365-394). Pour une réfutation de ce point de vue
(mais qui n’approfondit pas la question de la subsidiarité), cf. J.-P. PASTOREL, « Collectivité
territoriale et clause générale de compétence  », Revue du droit public, 2007, 123 (1), p.  51-87.
Subsidiarité et Europe maastrichtienne. La confusion fédérale 543

Mais, au-delà de ce premier niveau de repérage, les situations objectives de


la France et de l’Union ne sont-elles pas en partie comparables ? D’un côté,
une subsidiarité communautaire diluée dans un mouvement général qui tend
à la perméabilité et à la mobilité des compétences ; de l’autre, la logique hexa-
gonale des blocs de compétences qui n’a en rien empêché la montée en puis-
sance des compétences partagées1. On peut même penser, au contraire, que
les difficultés rencontrées par la spécialisation fonctionnelle des attributions
ont puissamment alimenté leurs concurrences. Aussi, alors que l’objectif offi-
ciel, annoncé en 2002-2003 par les initiateurs de la réforme constitutionnelle,
était de constituer des blocs homogènes de compétences et d’établir par là un
schéma plus clair, plus transparent et plus cohérent de leur répartition, le peu
de recul historique n’empêche pas de diagnostiquer un échec. Les pratiques
effectives ont d’ores et déjà conduit à aggraver davantage encore les empile-
ments et autres enchevêtrements, ainsi qu’en témoigne, par exemple, la multi-
plication sans précédent des financements croisés2. Aussi, contrairement à ce
que pense la majorité de la doctrine, nous ne voyons pas dans le principe de
subsidiarité une notion formelle valable dans l’absolu. Nous croyons qu’il
cristallise avant tout la marque d’une époque caractérisée par la dilution des
pouvoirs.
Certes, la philosophie de spécialisation qui, en France, préside officielle-
ment à l’attribution législative des compétences n’a jamais exclu les coopéra-
tions entre collectivités territoriales ou entre État et collectivité territoriale.
Force est d’ailleurs de constater qu’il est devenu presqu’impossible, en France
comme partout dans les démocraties avancées, de parvenir à une répartition
rationnelle des sphères de responsabilité3. Mais le problème se situe peut-être
à un autre niveau, moins dans un heurt entre théorie et pratique (tous les pays
le connaissent) que dans une contradiction théorique interne : le choix, à dire
vrai, n’a jamais été fait entre le système de la clause générale (reconnue au
profit de l’ensemble des collectivités locales) et celui de l’attribution légale de
compétences par bloc et par niveau. À l’instar de son homologue européen,
l’article  72 al.  2 s’offre ici comme un analyseur symptomatique d’une évo-
lution plus souterraine, laquelle, selon sa voie singulière mais de manière
concordante, rapproche le système français du fonctionnement européen.
Instrument de gestion de la complexité certes, mais instrument aussi

Jacques Caillosse reprend les analyses de Jean-Marie Pontier pour établir, lui aussi, une conti-
nuité entre subsidiarité de l’article 72 al. 2 et clause générale de compétence (J. CAILLOSSE, Les
« Mises en scène » juridiques de la décentralisation, op. cit., p. 96 sq. p. 121 sq.). Pour un point
synthétique sur les projets en cours d’élaboration, cf. M. VERPEAUX, « Vous avez dit “clause
générale de compétence” ? », Commentaire, 2010, 33 (129), p. 81-87.
1. La mise à mal de la logique de spécialisation n’empêche pas, bon an mal an, chaque niveau
territorial de se doter d’une forme d’identité fonctionnelle. Le Conseil d’État a toutefois précisé
que, même dans l’hypothèse où la loi appelle à la constitution d’un bloc de compétences, les
compétences en question ne peuvent devenir exclusives que si, et seulement si, toute intervention
d’une autre catégorie de collectivité territoriale est expressément interdite (CONSEIL d’ÉTAT,
Commune de Mons-en-Barœul, 29 juin 2001 ; Rec., 2001, p. 298).
2. Cf. le dernier bilan établi par la Cour des Comptes dans son rapport public thématique de
novembre 2009 (COUR des COMPTES, La Conduite par l’État de la décentralisation, 2009).
3. Tel était le constat établi par le rapport Picq en 1994.
544 La subsidiarité germanique...

complexe que la complexité qu’il est théoriquement chargé de réduire : il ins-


talle un bricolage boiteux en lieu et place d’un non-choix ; il formule un
compromis dilatoire au service de la timidité constituante, très soulagée de
renvoyer à l’intendance législative et/ou administrative le soin de régler la
répartition territoriale des pouvoirs1.
La réplique du scénario européen à l’échelle hexagonale ne serait-elle pas
un subterfuge tactique — pensé comme tel par les protagonistes de la décen-
tralisation — destiné à contourner la difficulté d’une clarification des compé-
tences et à tirer profit de l’opacité ainsi reconduite ? Nous ne le pensons pas,
mais la question a le mérite de rappeler que derrière les collectivités territo-
riales et l’État il y a souvent les mêmes acteurs2. De la thèse de l’alliance
objective autour d’un statu quo profitant à tous à celle du complot politique,
il y a un pas que nous nous garderons bien de franchir. L’indétermination
juridique de l’article  72 al.  2 ne saurait s’interpréter comme le résultat
escompté d’une stratégie consciente, destinée à maintenir l’existant derrière
l’apparence du changement. Aussi séduisante soit-elle, la thèse d’une ruse
ourdie par un État stratège soucieux de ne pas perdre la main face à des col-
lectivités territoriales conquérantes, fait en réalité système avec son complé-
ment inversé : la thèse de l’État creux. Deux grands récits de la transforma-
tion contemporaine de l’État, qui semblent se contredire mais qui, en
définitive, s’auto-alimentent l’un l’autre, ne faisant que désigner les deux
faces d’une même médaille rhétorique3. L’État n’est pas cette hypostase
omnisciente capable d’élaborer les stratégies qu’on lui prête, aussi impro-
bables que sournoises : retrouver du pouvoir sur le dos des collectivités terri-
toriales, en se délestant au passage de certaines compétences encombrantes

1. Le législateur et le gouvernement s’en sont ensuite remis au contrat.


2. Rappelons encore que la décentralisation territoriale n’a pas été un processus initialement
pensé et voulu par l’État ; qu’elle est d’abord et avant tout le fait des grands élus locaux (ceux des
métropoles et des régions) et, ensuite seulement, le résultat d’un mouvement externe plus général
(pression de la mondialisation et de la construction européenne). Mais, bien sûr, l’État central,
fort de ses ressources, a su après coup s’adapter à la situation nouvelle et en tirer profit. Cf., par
exemple, P. LE GALÈS, « Les deux moteurs de la décentralisation. Concurrences politiques et
restructuration de l’État jacobin », La France en mutation, 1980-2005, dir. P. D. CULPEPPER,
P. A. HALL, B. PALIER, Paris, Presses de Sciences Po, 2006, p. 303-341.
3. État creux ? Comme si l’État s’était complètement évidé au point de perdre toute substance
propre. État rusé ? Comme si l’État réussissait à toujours reprendre d’une main ce que l’autre
vient de concéder aux collectivités territoriales. S’agissant du cas français de la décentralisation,
parler de mètis étatique renvoie surtout au fait que le Centre reste seul en mesure de s’autodé-
finir, qu’il conserve la maîtrise de son espace juridique (J. CAILLOSSE, « Comment le “centre”
(se) sort-il des politiques de décentralisation ? Éléments de réponse du droit français », Pouvoirs
locaux, 2004, 63 (4), p.  43-53 ; Jeux d’échelle et transformations de l’État, dir. L.  BHERER,
J.-P. COLLIN, É.  KERROUCHE, J.  PALARD, Saint-Nicolas, Presses de l’Université de
Laval, 2005, p.  137-159 ; Les «  Mises en scène  » juridiques de la décentralisation, op. cit.,
p. 149 sq.). Patrick Le Lidec tend à prêter à Jacques Caillosse une thèse (celle de la ruse consciente
de l’État) qui ne reflète pas nécessairement le fond de sa réflexion (l’un et l’autre nous semblent
aller vers le même diagnostic). (P. LE LIDEC, « La relance de la décentralisation en France. De
la rhétorique managériale aux réalités politiques », Politiques et management public, 2005, 23 (3),
p. 101-125 ; « Le jeu du compromis : l’État et les collectivités territoriales dans la décentralisation
en France », Revue française d’administration publique, 2007, 121-122, p. 111-130 ; « La réforme
des institutions locales », Politiques publiques, I. La France dans la gouvernance européenne, dir.
O. BORRAZ, V. GUIRAUDON, op. cit., p. 255-281).
Subsidiarité et Europe maastrichtienne. La confusion fédérale 545

ou peu névralgiques. C’est précisément ici qu’il faut faire intervenir la


contrainte européenne  : elle peut aider à expliquer une part des messages
apparemment contradictoires à l’œuvre dans les différentes attitudes gouver-
nementales : décentralisation des compétences d’une part, resserrement éta-
tique de l’étreinte financière d’autre part1. Oublier que, du point de vue
européen des traités et du pacte de stabilité, l’État central reste seul comp-
table des finances nationales, c’est se condamner à fantasmer un État méchant
qui n’existe pas.
Cela dit, le contexte européen n’enlève rien à la spécificité française par
rapport à la trajectoire des autres grands pays de l’Union. Sans se réfugier
dans un culturalisme facile, il ne faut pas s’interdire de considérer les effets de
la pesanteur historique pour comprendre la situation présente. Alors que
tous les États traditionnellement unitaires de l’Union sont engagés sur la voie
de la fédéralisation ou de la régionalisation (Espagne, Italie, Royaume-Uni),
la France se singularise par une grande difficulté à rationaliser sa carte territo-
riale (le fameux émiettement municipal), par un empilement des dispositifs
(la difficile rationalisation intercommunale), par une multiplication des dou-
blons et un chevauchement des compétences. Les discours politiques qui font
état de cette situation chronique ne dépassent guère le stade de la déploration,
tant est forte l’inertie de certaines structures, au premier rang desquelles la
pratique très française du cumul des mandats2. C’est elle, via le Sénat, qui a
toujours permis aux grands élus locaux de faire systématiquement capoter les
réformes territoriales trop ambitieuses3. L’influence des grands élus locaux
avait déjà été déterminante en 1982-19834 ; elle ne le sera pas moins en 2002-
2003. À situation inchangée, résultat inchangé. C’est bien sur l’insistance des
sénateurs que la clause générale a été maintenue dans la loi, que le principe de
la non-tutelle a été constitutionnalisé, que le dispositif de la collectivité chef
de file a été tué dans l’œuf, que la rationalisation-démocratisation des struc-
tures intercommunales a été stoppée.
Il faut peut-être voir là comme une revanche implicite des sénateurs. Sous
la législature précédente, leur légitimité institutionnelle avait été fortement

1. Au-delà de quelques considérations de politique interne, au premier rang desquelles la discor-


dance partisane entre les responsables locaux et ceux en charge des affaires nationales.
2. Par cumul des mandats, il faut entendre cumul d’un mandat de parlementaire national avec un
mandat électif local ou une fonction exécutive locale. Pratique, très caractéristique du système
politique français, souvent critiquée mais qui semble faire l’assentiment. Cf. A.  BLAIS, «  The
Causes ans Consequences of the “cumul des mandats” », French Politics, 2006, 4 (3), p. 266-331 ;
R. LEFEBVRE, « Rapprocher l’élu et le citoyen. La “proximité” dans le débat sur la limitation
du cumul des mandats (1998-2000) », Mots, 2005, 77, p. 41-57 ; P. SADRAN, « Le maire dans le
cursus politique  : note sur une singularité française  », Pouvoirs, 2000, 95, p.  87-101 ; L.  OLI-
VIER, « La perception du cumul des mandats. Restrictions contextuelles et politiques à un appa-
rent consensus », Revue française de science politique, 1998, 48 (6), p. 756-771 ; A. MABILEAU,
«  Le génies invisibles du local. Faux semblants et dynamiques de la décentralisation  », Revue
française de science politique, 1997 47 (3-4), p. 340-376.
3. Entendre : remettant trop en cause les situations acquises.
4. La réforme defferrienne a en grande partie été nourrie par les élus locaux du Parti socialiste,
principal vivier du personnel politique lors de l’accession de François Mitterrand à la Présidence
de la République. Précisons-le, néanmoins, c’est sur l’insistance de François Mitterrand que le
département sortit grand bénéficiaire de la « nouvelle décentralisation » en 1982-1983.
546 La subsidiarité germanique...

remise en cause1, alors même qu’ils voyaient d’un très mauvais œil la montée
en puissance de l’intercommunalité à fiscalité propre2. L’Acte II de la décen-
tralisation sera en grande partie le fruit de cette angoisse ruminée de longue
date au Palais du Luxembourg : aussi, pour d’évidentes raisons corporatistes,
l’échelon départemental sera-t-il grandement privilégié au détriment de
l’échelon régional3, pendant que le niveau intercommunal n’aura finalement
droit à aucune reconnaissance constitutionnelle en bonne et due forme4.
Ce résultat contrasté de la relance décentralisatrice n’est pas une ruse de
l’État ; il exprime tout simplement la continuité d’une culture politique. En ce
domaine où l’inertie est reine, il ne saurait y avoir de passage brutal d’un
monde à l’autre : de l’ancien monde du jacobinisme centralisateur au nouveau
monde de la gouvernance fédérale. La subsidiarité fait ici figure de symp-
tôme  : non pas une règle juridique à appliquer, encore moins un concept
heuristique scientifiquement opérationnel. Elle désigne confusément un
grand écart théorique, dramatisé par la rencontre entre l’histoire française et
l’actualité européenne  : maintien farouche de l’unité de l’État et difficulté
persistante à penser l’autonomie locale sur un mode qui ne soit pas unique-
ment administratif5. Plus que chez ses partenaires européens fonctionnant sur
le mode unitaire, l’État, en France, conserve la maîtrise des pouvoirs d’impul-
sion et d’initiative et transfère aux collectivités territoriales des missions

1. Rappelons qu’en 1998 le Premier ministre Lionel Jospin avait souligné avec insistance cette
«  anomalie  » démocratique empêchant toute alternance politique au Palais du Luxembourg
(L. JOSPIN, « Le Sénat est une anomalie parmi les démocraties », Le Monde, 21 avril 1998). Il
semble que les évolutions récentes du paysage politique sont en train de lui donner tort.
2. Cette montée en puissance de l’intercommunalité à fiscalité propre a été impulsée par la loi
Chevènement (Loi 99-586 relative au renforcement et à la simplification de la coopération inter-
communale, 12 juillet 1999 ; JORF, 160, 13 juillet 1999). Cf. aussi la loi Vaillant (Loi 2002-276
relative à la démocratie de proximité, 27 février 2002 ; JORF, 50, 28 février 2002). En 2000, le
rapport de la Commission pour l’avenir de la décentralisation (présidée par Pierre Mauroy) pré-
conisait l’élection au suffrage universel direct des assemblées intercommunales à fiscalité propre
(P. MAUROY, dir., Refonder l’action publique locale, op. cit.).
3. Les élus départementaux constituent le deuxième gros bataillon des sénateurs, juste après les
conseillers municipaux. Ironie dont l’histoire a le secret : la stratégie du Premier ministre Jean-
Pierre Raffarin — mettre entre parenthèses ses convictions régionalistes (J.-P. RAFFARIN,
Pour une nouvelle gouvernance, Paris, L’Archipel, 2002) afin de satisfaire aux exigences départe-
mentalistes des sénateurs — a finalement échoué — il n’a pas accédé à la tête du Sénat. Sur l’ou-
vrage cité : C. LE BART, « La proximité selon Raffarin », Mots, 2005, 77, p. 13-28.
4. Pire, il semble avoir été en grande partie déconsidéré au nom de la subsidiarité. Cf. le constat
établi par la Cour des Comptes dans son rapport remis au Président de la République en
novembre 2005 (COUR des COMPTES, L’Intercommunalité en France, 2005). La Cour cri-
tique l’évolution vers une intercommunalité « “à la carte” » qui privilégie le principe de subsidia-
rité au détriment des principes de spécialité et d’exclusivité. Elle évoque le risque de réduire les
établissements de coopération intercommunale au rang de « “boîte à outils” » (Ibid., p. 161-162,
p. 165) ; et souligne les effets induits en termes de manque de lisibilité (Ibid., p. 200 sq.).
5. La Constitution parle des «  compétences qui peuvent être le mieux mises en œuvre à
[l’]échelon » des collectivités territoriales. L’exposé des motifs du projet de loi constitutionnelle
parle de «  domaine administratif  » et de «  réforme de l’État  » (Projet de loi constitutionnelle,
16 octobre 2002, Exposé des motifs). La révision de 2003 a pris le soin d’éluder les principaux
enjeux afférant à l’amélioration de la démocratie représentative locale (mise à part l’innovation
du référendum) : irresponsabilité des exécutifs devant les assemblées, absence de collégialité gou-
vernementale (si de gouvernement on peut parler), pauvreté des droits de l’opposition ? On pré-
fère s’en remettre aux slogans assez peu engageants de la démocratie participative.
Subsidiarité et Europe maastrichtienne. La confusion fédérale 547

d’ordre gestionnaire. Aussi la subsidiarité française s’assimile-t-elle moins à


une généreuse règle de proximité politique qu’à un banal instrument de
décentralisation administrative1, un principe qui fait signe vers les vieilles
recettes du fédéralisme d’exécution ; en somme, la traduction hexagonale du
système européen des directives via l’établissement d’une curieuse ligne de
partage entre la prise de décision et son application.
Comme si ce schéma heuristique avait son correspondant dans la réalité2.
Comme si les collectivités territoriales étaient de simples échelons techniques
destinés à mettre en œuvre les politiques publiques décidées par l’État3. De
longue date, la science administrative et la sociologie des organisations ont
pourtant révélé ce qu’une telle binarité séquentielle avait d’éminemment
trompeur4 : chaque phase d’une décision ne constitue-t-elle pas elle-même le
théâtre potentiel d’une multitude de microdécisions ? À tel point que l’enjeu
du questionnement consiste désormais à savoir si l’essentiel (l’essence5 ?)
d’une décision ne réside pas dans les microdécisions qui composent sa mise
en œuvre ? Sans compter que les instruments de l’action publique ne sont ni
des dispositifs neutres ni des mécanismes indolores  : eux non plus ne
manquent pas de produire des effets politiques6.

1. Conçu en conformité avec la logique de son acte inaugural, la loi ATR (Loi 92-125 relative à
l’organisation décentralisée de la République, 6 février 1992 (JORF, 33, 8 février 1992).
2. Cette vision binaire séparant les niveaux politique (décision) et administratif (mise en œuvre)
était l’un des postulats fondateurs du modèle bureaucratique wébérien (l’administration consi-
dérée comme moyen au service de la fin politique). Il a été remis en cause à l’instar de tous
les autres postulats : transmission hiérarchique des décisions au sein de l’appareil administratif,
spécialisation des services, règles juridiques formalisées, passivité du public. Cf. M.  WEBER,
Economie et société I [1922], trad. fr. J. Chavy, É. de Dampierre, Paris, Plon, Agora, 1995.
3. Sur le rôle de représentation des collectivités locales (représentation des populations regrou-
pées sur le territoire dont elles sont chargées d’assurer l’administration), cf. J.-A. MAZÈRES,
« Les collectivités locales et la représentation. Essai de problématique élémentaire », art. cit.
4. Cf. les analyses de Lucien Sfez mettant fortement en question le schéma linéaire et rationnel
de la décision (L. SFEZ, Critique de la décision [1973], Paris, Presses de la FNSP, 1992 ; La Déci-
sion [1984], Paris, PUF, 2004) mais qui présentent l’inconvénient de s’installer dans une polé-
mique franco-française, et dans une rivalité très académique, avec l’école croziérienne (accusée
d’abandonner la linéarité décisionnelle pour mieux conserver l’idéologie libérale du progrès).
Cf. M.  CROZIER, Le Phénomène bureaucratique, Paris, Le Seuil, 1963 ; M.  CROZIER,
E.  FRIEDBERG, L’Acteur et le système. Les contraintes de l’action collective, Paris, Le Seuil,
1977 ; E. FRIEDBERG, Le Pouvoir et la règle. Dynamiques de l’action organisée, Paris, Le Seuil,
1993. S’en prenant notamment à Jean-Claude Thoenig, le principal introducteur en France de la
grille d’analyse séquentielle de Charles Jones (C. JONES, An Introduction to the Study of Public
Policy [1970], North Scituate, Duxbury Press, 1977 ; Patterns of Social Policy. A Introduction to
Comparative Analysis, Londres, Tavistock Publication, 1985), Lucien Sfez semble faire comme
si l’identification heuristique des différentes phases de l’action publique (construction sociale des
problèmes, mise sur agenda, prise de décision, mise en œuvre, évaluation et éventuelle termi-
naison) valait défense normative d’une conception linéaire, chronologique et, pour tout dire,
décisionniste des politiques publiques. Cf. J.-C.  THOENIG, «  L’analyse des politiques
publiques  », Traité de science politique, dir. M.  GRAWITZ, J.  LECA, op. cit., IV, p.  1-60 ;
Y. MÉNY, J.-C. THOENIG, Politiques publiques, Paris, PUF, 1989.
5. Cf. l’ouvrage classique, qui met en cause cette notion : G. T. ALLISON, Essence of Decision.
Explaining the Cuban Missile Crisis, [1971], New York, Harlow, Longman, 1999.
6. Comme l’ont démontré Pierre Lascoumes et Patrick Le Galès (P.  LASCOUMES, P.  LE
GALÈS, « L’action publique saisie par les instruments », Gouverner par les instruments, op. cit.,
p. 11-44). L’instrument induit une « problématisation particulière », une « représentation spéci-
548 La subsidiarité germanique...

Au total, la subsidiarité pourrait bien s’apparenter à une simple reformula-


tion du vieil adage romain de minimis non curat praetor, revu et corrigé à la
lumière des impératifs managériaux1. La réponse à la question du rapport
entre centre et périphérie avait jadis été dominée par la verticalité hiérar-
chique, elle est désormais retraduite en termes d’optimum dimensionnel. On
retrouve là, d’une certaine manière, la contradiction de la subsidiarité catho-
lique en tension, sur ce point, avec l’origine germanique du concept (priorité
au local)2 ? Telle serait peut-être la manière typiquement française d’accli-
mater la logique de la subsidiarité : reconduire inconsciemment ce qui dans
le vieux catholicisme romain alimente sa centralisation, tout en exécutant la
figure imposée d’un renforcement du niveau local. Aussi est-ce davantage
en raison de sa provenance germanique (dimension ascendante et horizon-
tale) qu’en raison de sa provenance catholique (dimension descendante et
hiérarchique) que la subsidiarité semble étrangère à la culture politique hexa-
gonale. N’a-t-on pas très justement qualifié l’État français d’État catholico-
jacobin, rappelant par là l’évidente continuité des structures institutionnelles
— formatées dans le moule ecclésial — entre l’Ancien Régime et la Révolution ?

fique de l’enjeu qu’il traite » (Ibid., p. 32-33). Il est un « dispositif à la fois technique et social qui
organise des rapports sociaux spécifiques entre la puissance publique et ses destinataires en fonc-
tion des représentations et des significations dont il est porteur » (Ibid., p. 13).
1. Cf. A. PICOT, « Subsidiaritätsprinzip und ökonomische Theorie der Organisation », Diens-
prinzip und Erwerbsprinzip, dir. P. FALLER, D. WITT, Baden-Baden, Nomos, 1991, p. 102-
116 ; J. SCHÉRÉ, « Le principe de subsidiarité et la construction européenne. Une analyse sous
l’angle de la théorie des organisations et de la nouvelle économie », Pouvoirs locaux, 1998, 38,
p. 116-126, 39, p. 116-126. Pour un aperçu plus complet des positions personnelles de l’auteur,
cf. J. SCHÉRÉ, Au-delà de la régionalisation, fédéraliser la République, Paris, Institut Euro-92,
1999. Sur la relecture (néo)managériale du principe de subsidiarité à l’aune de l’exemple cana-
dien, cf. F.  ROCHE, C.  ROUILLARD, «  Décentralisation, subsidiarité et néolibéralisme au
Canada : lorsque l’arbre cache la forêt », Canadian Public Policy, 1998, 24 (2), p. 233-258.
2. Pie XI parlait bien des « affaires de moindre importance » et des « groupements d’ordre infé-
rieur » (PIE XI, Quadragesimo anno, 80 (in A. F. UTZ, I, p. 617). Nous soulignons.
Conclusion générale
DE L’ÉGLISE À L’EUROPE :
LECTURES CROISÉES
DE DEUX STATOPHOBIES.
LE SUBSIDIARISME OU L’ÉTAT
CONTRE LUI-MÊME
Nous avons reconstitué deux moments complémentaires de la vie discursive
de notre concept  : 1o, la subsidiarité comme pièce maîtresse de la doctrine
sociale de l’Église ; 2o, la subsidiarité comme pièce maîtresse de la gouver-
nance fédérale de l’Europe. Cette présentation qui procède par la reconstitu-
tion d’une sorte de face-à-face entre un point de départ et un point d’arrivée
appelle néanmoins certaines nuances et atténuations : non pas linéarité chro-
nologique de l’un à l’autre sur le mode de la progression inéluctable, mais
deux moments analytiquement isolés, qui auront permis de cerner quelques-
unes des principales passerelles idéologiques entre les phobies chrétienne et
européenne (communautaire) de l’État. Au principe de cette statophobie : un
travestissement totalitaire de l’institution étatique, et une expérience trauma-
tique, celle de l’Allemagne hitlérienne, à la fois champ d’adversité et creuset
historique contre lesquels émergera le fédéralisme européen.
550 Conclusion générale

«  [Les sciences sociales] se soucient seulement des


fonctions, et tout ce qui remplit la même fonction peut,
dans cette perspective, recevoir le même nom. C’est
comme si j’avais le droit de baptiser marteau le talon de
ma chaussure parce que, comme la plupart des femmes,
je m’en sers pour planter des clous dans le mur1. »

I. FONCTIONNALISATION ET PROSAÏSME ÉCONOMIQUE

Au moment de conclure, il faut commencer par assumer les heurts de la tra-


jectoire conceptuelle ici retracée. Philosophiquement, la subsidiarité fait réfé-
rence à un modèle de société dans lequel les capacités de chaque personne et
de chaque cellule de la vie sociale sont conçues comme naturelles et à l’inté-
rieur duquel, donc, l’attribution des compétences ne saurait constituer l’objet
d’un quelconque débat2. Rien de tel dans le fonctionnement institutionnel de
l’Union européenne — ou pas encore. Entre les deux, il y a tout ce qui sépare
l’utilitarisme moderne du naturalisme ancien3. D’un côté, la conception
catholique, d’après laquelle, au fondement du principe de subsidiarité, il y a
l’antériorité, le caractère prioritaire, des droits et des capacités des personnes
sur les structures de pouvoir, sur les institutions organisatrices de la vie en
société et autres instances artificielles issues de la volonté humaine. De l’autre,
la conception communautaire, tout empreinte de constructivisme et de ratio-
nalité technique, qui, sans surprise, aboutira au reformatage fonctionnaliste
de la subsidiarité. Mais derrière l’apparence du reformatage et du changement
de paradigme se profile peut-être une simple rencontre : n’est-ce pas précisé-
ment en Europe, avec l’onction conjointe du christianisme, du libéralisme et
du socialisme, que cette rationalité technique a épousé la rationalité mar-
chande pour mieux s’introduire dans la matière juridique et alimenter, en
retour, le ressort instrumental de la nouvelle « anthropologie démocratique »
en train de naître4 ?
Revenons, point par point, sur les principaux termes de ce glissement.
Côté catholique, d’abord, une confusion persistante a pu être alimentée entre

1. H. ARENDT, « Qu’est-ce que l’autorité ? » [1957], trad. fr. M.-C. Brossollet, H. Pons, La
Crise de la culture [1961], éd. P. Lévy, Paris, Gallimard, 1989, p. 121-185, ici p. 135.
2. Le concept catholique fait référence à des compétences par nature, à un état préjuridique des
choses censé pouvoir répondre en amont à la question de la distribution des rôles de chacun.
3. Non pas le naturalisme tel que stigmatisé par les papes mais l’idée thomiste d’un ordre naturel
des choses voulu par Dieu et accessible à l’homme via un sain exercice de la raison.
4. Nous reprenons ici une hypothèse formulée par Marcel Gauchet. « C’est à une véritable inté-
riorisation du modèle du marché que nous sommes en train d’assister — un événement aux
conséquences anthropologiques incalculables, que l’on commence à peine à entrevoir.  », écrit
Marcel Gauchet, qui n’hésite pas à parler d’« anthropologie démocratique » (M. GAUCHET,
La Religion dans la démocratie. Parcours de la laïcité, Paris, Gallimard, 1998, p. 86-87) : « Si la
démocratie n’est pas seulement le nom d’un régime, ni même d’un état social, mais celui d’une
nouvelle manière d’être de l’humanité, sous la totalité de ses aspects, alors il y a une anthropo-
logie démocratique. Il y a une redéfinition de l’être-soi correspondant à l’avènement de la société
des individus, au règne des individualités égales et libres.  » (M.  GAUCHET, La Démocratie
contre elle-même, Paris, Gallimard, 2002, p. XVIII-XIX).
De l’Église à l’Europe... 551

le contenu stratégique du discours pontifical et le contenu doctrinal du


principe philosophique. Point n’est besoin de revenir ici sur les méandres de
la dispute. Nous intéresse spécialement, à ce stade conclusif, l’importante
différence de traitement que l’un et l’autre réservent à la question institution-
nelle de la hiérarchie. Le contenu catholique du principe, on le sait, renvoie à
une hiérarchie naturelle et organique  : l’ordination (thomiste) au bien
commun. En revanche, lorsqu’ils invoquent la subsidiarité, les papes ne
cherchent pas autre chose qu’à stigmatiser l’usurpation et la prétention hié-
rarchique de l’État. La difficulté est qu’il s’agit là des deux faces de la même
médaille : la hiérarchie organique à laquelle il est positivement fait référence
dans la doctrine sociale se retourne négativement en son contraire pour
mettre en cause la hiérarchie constitutive de l’institution étatique. Aussi la
subsidiarité catholique se donne-t-elle à voir comme une arme de déstabilisa-
tion de l’État, qui, convulsions du xxe siècle aidant, la prédestine à une ren-
contre au sommet avec son homologue européen.
Rencontre qui peut également s’exprimer en des termes épistémologiques.
À la prétention de l’Église catholique d’échapper au regard sociologique pro-
fane, répond en écho la prétention de l’Union européenne de s’extraire d’une
analyse politique classique1. Dogmatisme de la Cause transcendante oblige,
Église et Europe arguent pareillement de leur extraterritorialité (sacralité
dans un cas, exclusivité dans l’autre) pour revendiquer leur traitement de
faveur conceptuel.
Entité sui generis inclassable, l’Europe a voulu se penser en dehors des
cadres théoriques existants (la souveraineté, l’État, la nation, la démocratie
représentative), invoquant par là sa spécificité ontologique à laquelle les caté-
gories politiques habituelles, en raison de leur tare constitutive, seraient par

1. Cf., par exemple, les travaux de Jean-Louis Quermonne  : J.-L. QUERMONNE, «  L’ap-
proche de l’Union européenne par la science politique  », L’Europe en voie de constitution,
dir. O. BEAUD, et al., Bruxelles, Bruylant, 2004, p. 153-164 ; « L’émergence d’un droit constitu-
tionnel européen », Revue internationale de droit comparé, 2006, 58 (2), p. 581-591 ; « L’Union
européenne : objet ou acteur de sa constitution ? Essai sur la portée d’une politique institution-
nelle à long terme », Revue française de science politique, 2004, 54 (2), p. 221-236 ; « De la gou-
vernance au gouvernement : l’Union européenne en quête de gouvernabilité », Mélanges J. Leca,
Paris, Presses de Sciences Po, 2003, p. 315-332 ; « Les défis d’ordre institutionnel lancés à l’Union
européenne  », L’Europe en formation, 2003, 2, p.  11-23 ; La Question du gouvernement
européen, Paris, Groupe d’études et de recherche Notre Europe, 2002 ; « L’Union européenne
entre “gouvernance” et “gouvernement”, ou quelle Constitution pour une Fédération d’États-
nations ? », Revue du droit public, 2002, 118 (1-2), p. 393-402 ; L’Europe en quête de légitimité,
Paris, Presses de Sciences Po, 2001 ; «  L’Union européenne entre organisation et institution.
L’apport du traité d’Amsterdam à sa définition », Mélanges F. Borella, Nancy, Presses universi-
taires de Nancy, 1999, p. 423-434. Pour une mise en perspective théorique et épistémologique,
cf. S.  SAURUGGER, «  Une sociologie de l’intégration européenne ?  », Politique européenne,
2008, 25, p. 5-22 ; D. DULONG, « La science politique et l’analyse de la construction juridique
de l’Europe  : bilan et perspectives  », Droit et Société, 2001, 49 (3), p.  707-728 ; V.  GUI-
RAUDON, «  L’espace sociopolitique européen, un champ encore en friche ?  », Cultures et
conflits, 2000, 38-39, p. 7-37 ; Y. SUREL, « L’intégration européenne vue par l’approche cogni-
tive et normative des politiques publiques », Revue française de science politique, 2000, 50 (2),
p. 235-254 ; C. LEQUESNE, A. SMITH, « Union européenne et science politique : où en est le
débat théorique ? », Cultures et conflits, 1997, 28, p. 8-31 ; « Interpréter l’Europe : éléments pour
une relance théorique », ibid., p. 171-178.
552 Conclusion générale

définition incapables d’accéder. Ordre international certes, mais d’une nature


si particulière et ayant atteint un niveau d’intégration tel qu’il serait devenu
sans égal. Ni un État, ni un État fédéral, ni une simple Confédération d’États.
Un peu tout cela à la fois. On assure même que les emprunts respectifs du
détonant cocktail varieraient à leur gré selon les secteurs observés ; mais le
mystérieux dosage est devenu tellement savant qu’il a fini par revêtir un sens
presqu’insaisissable pour le commun des mortels1. Lourde rançon démocra-
tique pour ces deux objets politiques qui, depuis leurs origines respectives,
ont prétendu n’être justiciables que des seuls concepts par eux créés. La sub-
sidiarité, nous semble-il, présente un cas exemplaire de cette pente autistique,
dont la circularité — car elle empêche de rompre avec l’autocompréhension
officielle que l’Église et l’Europe veulent donner d’elles-mêmes — en vient
souvent à avoir raison de l’analyse.
Ce qui nous importe au total, s’agissant de la subsidiarité européenne, c’est
moins son effectivité juridique que sa signification proprement symbolique :
un concept évanescent pour un projet indéfini — ceci expliquant cela, ou cela
ceci. Symptôme de l’indétermination du meccano européen, la subsidiarité
est dans le même temps un moyen inconscient de la reproduire, comme si,
par définition, elle devait de bout en bout lui être consubstantielle, sous peine
de disparaître ou de perdre son caractère d’irréversibilité. L’indétermination
dans l’irréversibilité : tel est bien le principal moteur d’une construction euro-
péenne qui se pense elle-même sur le registre eschatologique de l’attente et de
l’inachèvement. Ainsi en va-t-il du nouvel -isme dont la subsidiarité se trouve
désormais affublée : un -isme non du xxe mais du xxie siècle, une idéologie qui
se donne l’apparence d’une anti-idéologie, une politique qui se défend de
faire de la politique, mais un subsidiarisme qui se contente finalement de
creuser un fossé déjà béant entre le vécu de l’expérience — passée autant que
présente — et l’angoisse inhibante d’un avenir désormais indicible2. Non pas
horizon d’attente donc, car l’attente supposerait encore la perspective d’un
Progrès capable de donner sens eschatologique à la réalité du présent ; mais
horizon d’incertitude en ce que le futur réintègre modestement le lit du quoti-
dien pour mieux l’émanciper des lourdeurs trop encombrantes du passé.
Post-totalitarisme, postnationalisme, postmodernisme ? Peu importe en défi-
nitive : c’est tout entière, dans son intégralité, que la modernité européenne

1. Pour des clarifications, cf. C. LEBEN, « À propos de la nature juridique des Communautés
européennes », Droits, 1991, 14, p. 61-72 ; « Fédération d’États-nations ou État fédéral », What
Kind of Constitution for What Polity ?, éd. C.  JOERGES, Y.  MÉNY, J.  H.  H. WEILER,
Florence, IUE, 2000, p.  85-97 ; J.  ISENSEE, «  Integrationsziel Europastaat ?  », Festschrift
U.  Everling, dir. O.  DUE, M.  LUTTER, J.  SCHWARZE, Baden-Baden, Nomos, 1995, I,
p.  567-592 ; V.  CONSTANTINESCO, «  Europe fédérale ou fédération d’États-nations ?  »
[2000], Une Constitution pour l’Europe ?, dir. R.  DEHOUSSE, Paris, Presses de Sciences Po,
2002, p. 115-149 ; « La souveraineté est-elle soluble dans le fédéralisme ? », L’Europe sera fédé-
rale ? Mélanges F. Kinsky, Nice, Paris, Presses d’Europe, 2005, p. 23-34 ; E. ZOLLER, « Aspects
internationaux du droit constitutionnel. Contribution à la théorie de la fédération d’États  »,
Recueil des cours de l’Académie de droit international, La Haye, et al., 2002, 293, p. 39-166.
2. Cf. Marc Abelès, qui reprend ici le lexique koselleckien (M. ABELÈS, « De l’Europe poli-
tique en particulier et de l’anthropologie en général », Cultures et conflits, 1997, 28, p. 33-58).
De l’Église à l’Europe... 553

de l’État-nation a fini par s’auto-sacrifier sur l’autel d’une seule et même


idéologie totalitaire. Verdict à double détente, pour tout dire, qui affecte non
seulement son vecteur historique : la Guerre ; mais aussi, et surtout, son prin-
cipal ressort idéologique : le Progrès.
Face à ce déclin du Vieux Continent, les élites européennes de l’après-
guerre ont donc considéré que l’État-nation n’était plus l’unité politique
adaptée aux temps nouveaux. À quoi bon être encore souverain si la Guerre
et le Progrès ont perdu toute leur vocation historique ? À quoi bon être
encore souverain, devrait-on ajouter, s’il s’agit de subir de plein fouet les
effets économiques de la compétition mondiale1 ? Par delà les Temps
modernes de la nation, il fallait modestement faire retour au Moyen Âge de la
première mondialisation. Réminiscence de la Chrétienté — qu’elle soit réelle
ou fantasmée —, l’Europe trouvera dans la subsidiarité un support théorique
tout désigné pour exprimer son tropisme identitaire : rivée à un axe rhénan
resté inébranlable, elle assurera l’impossible reconversion postmoderne de
l’ancien corporatisme chrétien. Tropisme médiéval doublement interprétable
là encore : pontifical pour les uns — le rêve ecclésial de la souveraineté uni-
verselle —, impérial pour les autres — le rêve germanique de l’empire mon-
dial. Le Pape et l’Empereur : deux champions prémodernes de la supranatio-
nalité, deux figures politiques spécialement désignées pour permettre à la fois
le dégrisement post-totalitaire et le ressourcement symbolique d’une Europe
spirituellement ravagée2. Au-delà même du creuset germanique et de son axe
rhénan, la question du territoire offre ici un exemple supplémentaire du
parallèle euro-ecclésial tel que suggéré par la subsidiarité. De même que l’Eu-
rope ne parvient pas à se penser autrement que comme un espace sans fron-
tière (ou une gravitation hors-sol d’improbables cercles concentriques),
l’Église catholique s’est depuis toujours structurée sous la forme d’un vaste
réseau universel. De même que l’Europe dépend des États pour exister géo-
graphiquement, les papes ont toujours mis un point d’honneur à se ména-
ger une emprise territoriale, même microscopique. De même que l’Église a
été conduite à déréaliser son rapport au monde pour exorciser la perte de
ses États, l’Europe renaît après-guerre sous une forme spiritualisée, dont
l’évanescence politique du principe de subsidiarité semble tout à fait sympto-
matique3.

1. Cf. L. ROUBAN, « L’Europe comme dépassement de l’État », Revue suisse de science poli-
tique, 1998, 4 (4), p. 57-79 ; Le Pouvoir anonyme, Paris, Presses de la FNSP, 1994, p. 92-93.
2. Cf. M. WIND, « The European Union as a Polycentric Polity. Returning to a Neomedieval
Europe ?  », Europe Constitutionalism Beyond the State, Cambridge, Cambridge University
Press, 2003, p. 103-131. Dans un registre enthousiaste, cf. A. WINCKLER, Europe : la nostalgie
du modèle impérial ?, Paris, Fondation Saint-Simon, 1991 ; « L’empire revient », Commentaire,
1992, 15 (57), p. 17-25 ; « Description d’une crise ou crise d’une description ? », Le Débat, 1995,
87, p. 59-73 ; T. O. HUEGLIN, « The Idea of Empire : Conditions for Integration and Disinte-
gration in Europe », Publius, 1982, 12 (3), p. 11-42.
3. Sur la déterritorialisation du concept de souveraineté dans le cadre de la construction euro-
péenne, cf. P.  MAGNETTE, L’Europe, l’État et la démocratie. Le souverain apprivoisé,
Bruxelles, Complexe, 2000. Paul Magnette préfère insister sur cette dimension du reformatage
plutôt que sur l’idée d’un partage de la souveraineté (nous y reviendrons plus bas).
554 Conclusion générale

Creuset germanique, disions-nous. C’est, en effet, dans la refondation


post-totalitaire de l’Allemagne fédérale que la téléologie européenne viendra
puiser ses deux axiomes fondateurs : 1o un principe d’équivalence entre guerre
et liberté des nations ; 2o un principe de continuité entre guerre et politique
des États. En cette double et imparable équation, l’Allemagne pouvait assuré-
ment se présenter comme un modèle, version agrandie de la neutralité hel-
vétique qui lui permettait de rationaliser sa douloureuse mise en congé de
l’histoire. Elle le fera d’autant plus que son expérience de Guerre froide la
prédestinait symboliquement à cet office. Aussi, à l’instar du Mur de Berlin,
les frontières territoriales seront-elles bientôt assimilées à d’infranchissables
séparations — intolérables lignes Maginot qu’il s’agira de faire tomber une à
une. Ce sera le tribut allemand de l’Europe postnationale. Quand le Mur
tombera à son tour, et que le chemin de la Réunification s’offrira à l’Alle-
magne, les Allemands s’emploieront à réviser leur rapport à la nation mais
cette réévaluation sera pour l’essentiel d’ordre moral et ne rejaillira pas immé-
diatement sur la politique1. Leur souveraineté restera d’essence économique.

De la refonte post-totalitaire de l’Europe, il résulte moins une disparition


de la souveraineté étatique qu’une redéfinition quantitative du concept.
Redéfinition qui porte en elle la disqualification historique évoquée plus
haut2. Mais, là encore, les termes de cette redéfinition procèdent d’une diffi-
culté épistémologique qui dépasse de loin le stade des considérations séman-
tiques. Du simple constat — très aisé à établir — selon lequel l’exercice de la
souveraineté est rendu techniquement plus difficile par la globalisation des
échanges, la porosité des frontières et la complexification des économies, on a
trop rapidement voulu conclure à un verdict sans appel quant à l’essence
même de la souveraineté. Dans cet empressement, on a alors confondu deux
niveaux d’analyse : l’exercice d’une pratique, la nature d’un principe. Or les
difficultés du premier n’affectent pas automatiquement la seconde. Les assi-
miler revient tout simplement à identifier puissance et souveraineté, à perdre
de vue la nature juridique du concept d’État et, par là, le ressort spécifique du
droit3. Quoi de plus normal, en définitive, quand la souveraineté est fan-

1. On le perçoit en réintroduisant la figure de la guerre armée dans la définition de ce rapport : la


guerre conçue comme continuation de la politique par d’autres moyens (C. von CLAUSEWITZ,
De la guerre [1816-1831], trad. fr. D. Naville, Paris, Minuit, 1998) ; et l’État comme son simple
instrument (cf. E. KRIPPENDORFF, Staat und Krieg. Die historische Logik politischer Unver-
nunft, Francfort, Suhrkamp, 1985). Quoi de plus efficace, donc, pour éradiquer la guerre que de
répudier la politique elle-même ? De là, comme l’a très bien vu Michel Foucault, la reconstruc-
tion post-totalitaire de l’Allemagne sur des bases exclusivement économiques. Mais le diagnostic
n’était-il pas fondé sur une profonde erreur de jugement ? La guerre est-elle la continuation de la
politique par d’autres moyens, ou bien la simple conséquence de son échec ? En introduction,
nous disions de la même manière que les drames du xxe siècle avaient bien plus été causés par des
logiques impérialistes que nationales. Aussi l’approche dite consensuelle de la vie démocratique
pourrait-elle n’être qu’un simple renversement de son contraire belliciste — surgeon trompeur
d’une mécompréhension totale de la nature du conflit politique.
2. Le totalitarisme étatique est ici puissamment renforcé dans ses effets par la mondialisation.
3. Il consiste à traiter le fort et le faible sur un pied d’égalité. Un État souverain peut être plus ou
moins puissant, plus ou moins riche, plus ou moins étendu, plus ou moins peuplé, etc., il sera
De l’Église à l’Europe... 555

tasmée en délire de toute-puissance, en déni idéologique du réel ou en refus


des contraintes objectives de la contingence ? Redéfinir le principe de souve-
raineté en des termes quantitativement totalitaires, c’est se donner toutes les
armes pour prononcer son arrêt de mort1. Faut-il rappeler que même aux plus
belles heures de leur histoire les États territoriaux n’ont jamais prétendu être
en mesure de pouvoir tout contrôler ? La souveraineté répond depuis ses ori-
gines conceptuelles à une question d’autorité et de légitimité, non de quantité
ou de puissance.
Passé le moment natif de l’Europe, l’erreur de verdict trouvera tous les
prétextes autojustificateurs pour être reconduite à l’infini. Crise de la gouver-
nabilité politique : l’aptitude de l’État à décider rationnellement est mise en
doute. Crise de la représentation démocratique : ses circuits classiques sont
massivement contournés car gravement discrédités. Crise de l’État-provi-
dence  : la fin de la parenthèse des Trente Glorieuses renvoie les gouverne-
ments à leurs propres turpitudes de gestion. Sur ces trois terrains, l’approche
souverainiste du pouvoir aurait révélé son irrémissible anachronisme. Et le
subsidiarisme de se présenter en sortie de crise, silencieusement d’abord,
ouvertement ensuite, à mesure que l’échec soviétique deviendra patent.
L’URSS ne portait-elle pas en elle la vérité même de l’État-providence, tout
comme le nazisme avant elle avait révélé l’essence de l’État national ? À
l’image du modèle allemand, la riposte subsidiariste de l’Europe s’exprimera
logiquement sur le même terrain que son adversaire : le terrain économique.
Tout s’est passé comme si l’Allemagne avait quitté son Sonderweg pour
mieux le transmettre à l’Europe2.
Non pas fin mais refonte quantitative en effet  : d’une souveraineté juri-
dique à une souveraineté économique. C’est précisément dans le cadre de

toujours État. À distinguer de la souveraineté effective, la souveraineté au sens juridique désigne


un ensemble de prérogatives juridiques et non la capacité de les employer effectivement.
1. Dans une littérature prolifique qui se revendique de la subsidiarité  : N.  MACCORMICK,
« Beyond the Sovereign State », The Modern Law Review, 1993, 56 (1), p. 1-18 ; « Sovereignty,
Democracy, Subsidiarity », Rechtstheorie, 1994, 25 (1), p. 281-290 ; « Sovereignty, Democracy
and Subsidiarity », Democracy and Constitutional Culture in the Union of Europe, éd. R. BEL-
LAMY, V.  BUFACCHI, D.  CASTIGLIONE, Londres, Lothian Foundation Press, 1995,
p.  95-104 ; «  Democracy, Subsidiarity, and Citizenship in the “European Commonwealth”  »,
Law and Philosophy, 1997, 16 (4), p.  331-356 ; Questioning Sovereignty. Law, State, and
Nation in the European Commonwealth, Oxford, Oxford University Press, 1999 ; « Problem of
Democracy and Subsidiarity », European Public Law, 2000, 6 (4), p. 531-542 ; « The European
Constitutional Convention and the Stateless Nations  », International Relations, 2004, 18 (3),
p. 331-344 ; E. MATTINA, « Subsidiarité, démocratie et transparence », trad. fr. L. Duhannoy,
Revue du Marché commun et de l’Union européenne, 1992, 4, p.  203-213 ; D.  MAQUART,
« Le principe de subsidiarité », Projet, 1993, 235, p. 63-71 ; A. FOLLESDAL, « Subsidiarity »,
The Journal of Political Philosophy, 1998, 6 (2), p.  190-218 ; «  Subsidiarity and Democra-
tic Deliberation  », Democracy in the European Union. Integration through Deliberation, éd.
E.  O. ERIKSEN, J.  E. FOSSUM, Londres, New York, Routledge, 2000, p.  85-110. Pour des
analyses très proches, mais d’ampleur plus large, cf. R. BELLAMY, « Sovereignty, Post-Sover-
eignty and Pre-Sovereignty : Three Models of the State, Democracy and Rights within the EU »,
Sovereignty in Transition, éd. N. WALKER, Oxford, Hart Publishing, 2003, p. 167-189.
2. Pour une reprise de ce thème fameux, ici appliqué à l’Europe, cf. J. H. H. WEILER, « Fédéra-
lisme et constitutionnalisme : le Sonderweg de l’Europe », Une Constitution pour l’Europe ?, dir.
R. DEHOUSSE, Paris, Presses de Sciences Po, 2002, p. 151-176.
556 Conclusion générale

cette réinterprétation utilitariste — de cette relecture fonctionnaliste de


l’État — que la subsidiarité européenne trouvera à s’épanouir à la fois en tant
que référentiel idéologique et discours de légitimation politique. En retour,
elle s’offrira comme un analyseur privilégié du double reformatage managé-
rial et démocratique de la nouvelle gouvernance européenne. Désormais bien
installée dans le vocabulaire de l’ingénierie politique, elle invite à tous les
niveaux, par le haut et par le bas, à une redéfinition fonctionnelle du péri-
mètre étatique. Acteur parmi d’autres de l’architecture institutionnelle, l’État
est proclamé grand régulateur1. Et la gouvernance de répandre avec elle tout
son lexique d’humilité, de souplesse et de modestie : la régulation, le partena-
riat, le réseau, la proximité, la participation, etc. Et de diffuser ses insondables
trésors d’irénisme, son rêve d’une action publique sans hiérarchie où l’intérêt
général émergerait, comme par miracle, de l’harmonieuse coopération hori-
zontale entre partenaires censément égaux.

1. La version européenne de ce thème a été inaugurée par le politiste italien Giandome-


nico Majone (G.  MAJONE, éd., Regulating Europe, Londres, New York, Routledge, 1996 ;
G MAJONE, « The Rise of Regulatory State in Europe », West European Politics, 1994, 17 (3),
p. 77-101 ; La Communauté européenne : un État régulateur, Paris, Montchrestien, 1996 ; « From
the Positive to the Regulatory State », Journal of Public Policy, 1997, 17 (2), p. 139-167).
Pour une analyse approfondie des transformations managériales du droit, à l’aune du concept de
régulation, cf. G. TIMSIT, « Les deux corps du droit. Essai sur la notion de régulation », Revue
française d’administration publique, 1996, 78, p. 375-394 ; ainsi que les travaux de Jacques Che-
vallier  : J.  CHEVALLIER, «  De quelques usages du concept de régulation  », La Régulation
entre droit et politique, dir. M. MIAILLE, Paris, L’Harmattan, 1995, p. 71-93 ; « Vers un droit
postmoderne : les transformations de la régulation juridique », Revue du droit public, 1998, 114
(3), p. 659-690 ; « La régulation juridique en question », Droit et Société, 2002, 49, p. 827-846 ;
« La gouvernance, un nouveau paradigme étatique », Revue française d’administration publique,
2003, 105-106, p. 203-217 ; L’État postmoderne [2003], Paris, LGDJ, 2008 ; « L’État régulateur »,
Revue française d’administration publique, 2004, 111, p. 473-482.
Pour une théorisation enthousiaste des effets de la gouvernance sur le droit, cf. les travaux de
Gunther Teubner, André-Jean Arnaud, François Ost, Michel van de Kerchove et Boaventura de
Sousa Santos  : G.  TEUBNER, Le droit, un système autopoïétique [1989], trad. fr. G.  Maier,
N. Boucquey, Paris, PUF, 1993 ; Droit et réflexivité. L’autoréférence en droit et dans l’organisa-
tion [1994], trad. fr. N. Boucquey, G. Maier, Bruxelles, Bruylant, Paris, LGDJ, 1996 ; « Un droit
spontané dans la société mondiale ? », Le Droit saisi par la mondialisation, dir. C.-A. MORAND,
Bruxelles, Bruylant, 2001, p. 197-220 ; A.-J. ARNAUD, Critique de la raison juridique, Paris,
LGDJ, 1981, I ; Pour une pensée juridique européenne, Paris, PUF, 1991 ; Entre modernité et
mondialisation, Paris, LGDJ, 1998 ; Critique de la raison juridique, II. Gouvernants sans fron-
tières ? Entre mondialisation et postmondialisation, Paris, LGDJ, 2003 ; F.  OST, M.  van DE
KERCHOVE, « De la pyramide au réseau ? Vers un nouveau mode de production du droit »,
Revue interdisciplinaire d’études juridiques, 2000, 44, p. 1-92, spécialement p. 36 sq. ; De la pyra-
mide au réseau ? Pour une théorie dialectique du droit public, Bruxelles, Facultés universitaires
de Saint-Louis, 2002 ; F. OST, « Entre ordre et désordre : le jeu du droit. Discussion du para-
digme autopoïétique appliqué au droit », Archives de philosophie du droit, 1986, 31, p. 133-162 ;
« Pour une théorie ludique du droit », Droit et Société, 1992, 10-21, p. 89-98 ; « Le rôle du droit :
de la vérité révélée à la réalité négociée », Les Administrations qui changent, dir. G. TIMSIT, et
al., Paris, PUF, 1996, p.  73-84 ; «  De la pyramide au réseau  : un nouveau paradigme pour la
science du droit ? » [2000], Tisser le lien social, éd. A. SUPIOT, Paris, Éditions de la MSH, 2004,
p.  175-196 ; B. de SOUSA SANTOS, «  Droit  : une carte de la lecture déformée. Pour une
conception postmoderne du droit », Droit et Société, 1988, 10, p. 379-405 ; « Towards a Postmo-
dern Understanding of Law », Legal Culture and Everyday Life, dir. A.-J. ARNAUD, Onati,
Institute for the Sociology of Law, 1989, p. 113-123 ; Vers un nouveau sens commun [2002], trad.
fr. N. Gonzales Lajoie, Paris, LGDJ, 2004.
De l’Église à l’Europe... 557

Hostilité à l’égard du concept de souveraineté nationale, déni de la conflic-


tualité politique au nom du consensus et sous couvert d’un bienséant dis-
cours de la nécessité, prétention à se situer au-delà des idéologies sur le seul
plan axiologiquement neutre de la gestion. À tous égards, l’Europe contem-
poraine offre une parfaite illustration de la fameuse formule que Carl Schmitt
appliquait au libéralisme pour en stigmatiser le ressort antipolitique  : «  la
dépolitisation par la polarité éthique-économie »1. Utilisant le droit comme
principal vecteur, elle tend à le dénaturer en versant doublement dans le pro-
saïsme et dans le moralisme. L’évolution sémantique et conceptuelle de la
subsidiarité est tout à fait exemplaire de ce double refus éthique et écono-
mique de la souveraineté. Et pour cause : le système social-spirituel du chris-
tianisme dans lequel elle est née (nous l’avons abondamment décrit), n’a pas
manqué de l’y prédestiner2. On ne sait plus trop, d’ailleurs, si le concept
exprime, accompagne ou alimente ce qui, de tous points de vue, se donne à
voir comme un irrésistible mouvement. On peut dire en tout cas qu’il épouse
parfaitement les contours du logiciel européen, tout en ayant constitué une
pièce maîtresse de son reformatage.
Contre Schmitt cependant, il faut ajouter que ce n’est ni le libéralisme ni le
socialisme en tant que tels qui sont responsables ou coupables de ce glisse-
ment vers l’économisme et l’impouvoir politique ; ce sont, parmi de nom-
breux autres facteurs, certains courants du libéralisme et certains courants du
socialisme : ceux qui entretiennent un rapport quasi scientifique — quanti-
tatif et technique — à la politique, la réduisant — au choix — soit à un exer-
cice élémentaire de préservation biologique, soit à un exercice gestionnaire
d’intendance économique3.

Tel est, nous semble-t-il, le dénominateur commun aux versions chré-


tienne et européenne du principe de subsidiarité : support d’un reformatage

1. C. SCHMITT, La Notion de politique [1932], La Notion de politique ; Théorie du partisan,


trad. fr. M.-L. Steinhauser, Paris, Flammarion, 1992, p. 114 sq. La Cour de Luxembourg pour
l’économie (de marché), la Cour de Strasbourg pour la morale et l’éthique (des droits de
l’homme). Ajoutons le fétichisme de la monnaie, le mythe de l’échange impersonnel et de la
concurrence non faussée, la limitation des pouvoirs politiques par des organismes techniques au
nom d’impératifs économiques (la banque centrale indépendante en premier lieu). Sur le méca-
nisme de la croyance religieuse dans le marché, cf., par exemple, J.-C. PERROT, « La main invi-
sible et le Dieu caché », Mélanges L. Dumont, Paris, Éditions de l’ÉHÉSS, 1984, p. 157-181.
2. À cela, il faut ajouter la contribution spécifiquement allemande : à savoir la conjonction ger-
manique entre la politique de l’ordre (Ordo), la théologie politique luthérienne et l’appréhension
camérale de la politique. Cf. T. LINDENBERGER, « Ruhe und Ordnung », Deutsche Erinne-
rungsorte, dir. É. FRANÇOIS, H. SCHULZE, Munich, Beck, 2001, II, p. 469-484.
3. Solidarité du libéralisme et du socialisme que nous avons principalement saisie à travers le
prisme de l’antitotalitarisme, en particulier pour le dialogue de structure qu’il permet d’établir
avec le discours pontifical (et le discours chrétien en général). Dans les trois cas (libéralisme,
socialisme, christianisme), nous avons repéré une même phobie de l’État à laquelle le totalita-
risme sert de support d’expression. La traque obsessionnelle des origines du libéralisme chez les
papes postrévolutionnaires (du Syllabus à aujourd’hui) n’a d’égale que le débusquage des ori-
gines du socialisme chez les théoriciens libéraux de l’antitotalitarisme, le tout pouvant finalement
être interprété comme une dénaturation gnostique de la foi chrétienne (E.  VOEGELIN, La
Nouvelle science du politique [1952], trad. fr. S. Courtine-Denamy, Paris, Le Seuil, 2000).
558 Conclusion générale

technocratique et économique de la politique sur fond d’individualisme


démocratique et de droits de l’homme1. Dans les deux cas — dans le cas de
la subsidiarité chrétienne comme dans celui de la subsidiarité communau-
taire —, il s’agit de protéger l’homme et ses droits — ceux de la personne et
de l’individu plus que ceux du citoyen — d’une emprise qui voudrait réduire
ses capacités constitutives. À considérer l’ordre juridique européen, il n’ap-
paraît pas seulement comme le moyen rhétorique de garantir la souveraineté
quantitative des États ; il garantit aussi, et surtout, le renforcement de leur
action en procurant un avantage pour l’individu : une part de la souveraineté
d’un État (nous allons revenir sur ce vocabulaire) ne peut être abandonnée à
une institution supérieure (ici, l’Europe) sans qu’ait été évalué si cet abandon
porte ou non préjudice aux droits individuels. La subsidiarité s’érige ainsi en
principe cardinal de l’éthique démocratique, mais d’une éthique démocra-
tique propre à la nouvelle anthropologie du moment  : celle de l’Individu
total2. En affirmant la dignité de chaque niveau de compétences, elle débouche
ultimement sur une célébration de l’autonomie personnelle de chacun. Ainsi
fétichisation individualiste des droits de l’homme et fonctionnalisation subsi-
diariste de l’État font-ils logiquement système.

1. Sur les droits de l’homme en tant que « fait social global », symptôme d’une « éclipse du poli-
tique », citons encore les mots de Marcel Gauchet : « Tâchons de n’être pas dupes : les droits de
l’homme pourraient n’être qu’une façon d’éviter, en les nommant à côté d’une réponse toute
prête, les questions qui naissent de l’effondrement du projet de société forgé au cours d’un siècle
et demi de mouvement ouvrier. Ils pourraient même fort bien dans cette ligne revenir faire un
tour de piste, carrément, dans leur vieille spécialité d’instrument de mystification — de moyen,
très précisément, de faire passer la pilule d’une politique, paraît-il, nécessairement minimale  :
vous avez vu le Goulag ? Alors, n’en demandez pas trop. Ils pourraient surtout, et c’est le point
qui mérite plus particulièrement qu’on s’y attache, ne faire que fournir un nom enviable à l’im-
puissance. Car si l’on entend par politique une action qui cherche à se donner les moyens de
l’exigence qui la porte, alors les droits de l’homme, et on ne saurait trop fortement y appuyer, ne
sont pas une politique. » (M. GAUCHET, « Les droits de l’homme ne sont pas une politique »
[1980], La Démocratie contre elle-même, Paris, Gallimard, 2002, p. 1-26, ici p. 5).
2. « Nous ne risquons plus l’État total, écrit Marcel Gauchet, mais la déroute de l’État devant
l’individu total. » (M. GAUCHET, La Condition historique, Paris, Stock, 2003, p. 314).
De l’Église à l’Europe... 559

«  Si nous avons admis que l’État était défini et


caractérisé par la souveraineté, nous n’avons pas pour
autant proposé de critère unique et alternatif pour la
Fédération. De celle-ci, il convient seulement de dire
qu’elle n’est pas caractérisée par la souveraineté, mais
[...] par une série de principes qui sont en opposition
[...] : le principe de dualité fédérative (il y a deux puis-
sances publiques dans une Fédération), le principe de
parité fédérative (ces deux ordres juridiques fédéral et
fédéré sont égaux), le principe de pluralité fédérative (il
y a une Fédération, mais nécessairement plusieurs États
membres). Aucun de ces trois traits ne se retrouve dans
un État1. »

II. FÉDÉRATION EUROPÉENNE ET TROPISME ÉTATIQUE

Avec l’épanouissement du constitutionnalisme européen, la tendance s’est


généralisée, qui consiste à relire le fédéralisme des Pères fondateurs améri-
cains comme la mise en place d’un régime de division de la souveraineté.
Reste qu’en se mettant ainsi en quête d’un si prestigieux précédent historique,
les Européens oublient bien vite que la révolution fédérale d’outre-Atlan-
tique fut avant toute chose un contournement volontaire du paradigme de la
souveraineté étatique2. Aussi conviendrait-il de s’extraire de ce statomor-
phisme pour admettre que les États-Unis ne sont pas un État au sens
européen du terme mais bien une Fédération — vraisemblablement le seul
exemplaire du genre. En retour, les références européennes au fédéralisme
américain gagnerait en efficacité politique si elles assumaient la différence
civilisationnelle qui sépare les deux rives de l’Atlantique : les États-Unis sont
nés (ou presque) sous la forme d’une Fédération démocratique ; l’Europe
hérite d’un très lourd passé stato-monarchique.
Insistons-y : tout comme le concept européen de souveraineté, le principe
de subsidiarité ne revêt absolument aucune résonance aux États-Unis. Quand
on se plaît à le débusquer entre les lignes du Xe Amendement ou quand on
relit Madison et Hamilton pour en repérer l’expression théorique dans les
pages du Fédéraliste3, on ne fait que plaquer un concept européen sur une

1. O. BEAUD, Théorie de la Fédération [2007], Paris, PUF, 2009, p. 423-424.


2. Hannah Arendt ne disait pas autre chose quand elle écrivait que les Fédéralistes américains
avaient eu à cœur de se situer en dehors du paradigme de la souveraineté étatique (H. ARENDT,
Essai sur la révolution [1963], trad. fr. M.  Chrestien, Paris, Gallimard, 1965, p.  224). Mais au
moment de porter son regard sur l’Europe, peut-être oublie-t-elle cette spécificité de l’expé-
rience politique américaine. Cf. D. LACORNE, « Aux origines du fédéralisme américain : l’im-
possibilité de l’État », L’État en Amérique, dir. M.-F. TOINET, Paris, Presses de la FNSP, 1989,
p.  38-53 ; T.  CHOPIN, La République «  une et divisible  ». Les fondements de la Fédération
américaine, Paris, Plon, Commentaire, 2002, spécialement p. 246 sq. On a aussi pu dire que les
États-Unis constituaient moins une société à État qu’une société à centre politique (B. BADIE,
P. BIRNBAUM, Sociologie de l’État [1979], Paris, Hachette, 2004, p. 203 sq.).
3. Sur le sujet, parmi une bibliographie particulièrement surabondante, cf. D.  J. ELAZAR,
I.  GREILSAMMER, «  Federal Democracy  : The USA and Europe Compared. A Political
560 Conclusion générale

réalité qui lui est fondamentalement étrangère. À cette raison déjà dirimante,
il faudrait même en ajouter une dernière qui procède pareillement de notre
méthode historico-sémantique  : les États-Unis n’ayant jamais fait l’expé-
rience des totalitarismes sur leur territoire, le mot n’a pu s’y diffuser comme
sur le Vieux Continent.
Tous ces constats n’intéresseraient guère que les historiens des idées s’ils
ne déployaient pas des conséquences décisives pour le présent immédiat de la
politique européenne. Car c’est toujours en invoquant le contre-exemple
américain qu’on reproche à des juristes européens décidément trop rigides de
rester crispés sur le moment bodinien des Six Livres de la République. Cram-
ponnés au double dogme de l’omnicompétence de l’État et de l’indivisibilité
de la puissance publique1, ils souffriraient d’un malencontreux arrêt sur image
conceptuel, qui les empêcherait de penser l’avenir de la souveraineté, celui de
son partage2. On confond là encore la nature d’un principe avec l’exercice

Science Perspective », Integration Through Law. Europe and the American Federal Perspective,
I. Methods, Tools and Institution, 1. A Political, Legal and Economic Overview, éd. M. CAP-
PELLETTI, M.  SECCOMBE, J.  H. H. WEILER, Berlin, New York, De Gruyter, 1986,
p. 71-125 ; J. BUCHANAN, « Möglichkeiten für eine europäische Verfassung : Eine amerika-
nische Sicht », Ordo, 1991, 42, p. 127-137 ; C. HECKLY, E. OBERKAMPF, La Subsidiarité à
l’américaine  : quels enseignements pour l’Europe ?, Paris, L’Harmattan, 1994 ; G.  A. BER-
MANN, «  Taking Subsidiarity Seriously  : Federalism in the European Community and the
United States  », Columbia Law Review, 1994, 94 (2), p.  331-456 ; T.  APOLTE, «  American
Federalism and Emerging Federal Structures in Europe : A Comparative View », Ordo, 1996, 47,
p.  279-282 ; D.  J. EDWARDS, «  Fearing Federalism’s Failure  : Subsidiarity in the European
Union », The American Journal of Comparative Law, 1996, 44 (4), p. 537-583 ; G. L. NEUMAN,
« Subsidiarity, Harmonization, and their Values : Convergence and Divergence in Europe and
the United States », The Columbia Journal of European Law, 1996, 2, p. 573-581 ; « Fédéralisme
et citoyenneté aux États-Unis et dans l’Union européenne », trad. fr. D. Sabbagh, Critique inter-
nationale, 2003, 21, p. 151-169 ; D. COGLIANESE, K. NICOLAÏDIS, « Securing Subsidiarity :
The Institutional Design of Federalism in the United States and Europe », The Federal Vision.
Legitimacy and Levels of Governance in the United States and the European Union, éd.
K.  NICOLAÏDIS, R.  HOWSE, Oxford, Oxford University Press, 2001, p.  277-299 ;
J.-P. FELDMAN, « La conception américaine de la souveraineté », Les Évolutions de la souve-
raineté, dir. D.  MAILLARD DESGRÉES du LOÛ, Paris, Montchrestien, 2006, p.  83-99 ;
« Alexis de Tocqueville et le fédéralisme américain », Revue du droit public, 2006, 122 (4), p. 879-
901 ; K. DUNCAN, « Can the Doctrine of Subsidiarity Help Courts Interpret the Establish-
ment Clause ? », The Catholic Social Science Review, 2007, 12, p. 83-107. Pour une mise au point
critique limitée au seul registre de la technique juridique, cf. W. GARY VAUSE, « The Subsidia-
rity Principle in European Union Law. American Federalism compared », Case Western Reserve
Journal of international Law, 1995, 27 (1), p. 61-81, ici p. 62.
1. J.  BODIN, Les Six livres de la République [1583], Paris, Librairie générale française, 1993,
p. 111 sq., p. 151 sq. ; liv. I, ch. 8, 10. La définition bodinienne de la souveraineté repose sur la
fameuse théorie des marques qui renvoie directement au principe d’indivisibilité : chaque marque
présuppose les autres  : législation, guerre et diplomatie, commandement de l’administration,
justice. Toutes ces fonctions ne sont que les faces d’une seule et même réalité, non des parties
distinctes de la souveraineté (on peut ici établir un parallèle avec la distinction entre souverain et
gouvernement chez Rousseau : J.-J. ROUSSEAU, Du contrat social [1762], Paris, Flammarion,
2001, p. 95-100 ; liv. III, ch. 1). On le sait, Bodin ne les distingue sur le plan analytique que pour
mieux les ramener au pouvoir de faire et de casser la loi. Pour un commentaire approfondi,
cf. O.  BEAUD, La Puissance de l’État, Paris, PUF, 1994, p.  138  sq., p.  144  sq., et de manière
générale le chapitre 1 du titre II ; M. LOUGHLIN, « Ten Tenets of Sovereignty », Sovereignty
in Transition, éd. N. WALKER, Oxford, Hart Publishing, 2003, p. 55-86.
2. Sous la plume de deux sociologues : H. MENDRAS, « Le “mal de Bodin”. À la recherche de
la souveraineté perdue », Le Débat, 1999, 105, p. 71-89 ; U. BECK, « Redéfinir le pouvoir à l’âge
De l’Église à l’Europe... 561

d’une pratique. En quoi les atteintes portées aux conditions d’exercice de la


souveraineté devraient-elles affecter le principe lui-même ? L’erreur nous
semble procéder ’une mésinterprétation de la nature fondamentale du droit.
Reste néanmoins la réalité du défi théorique. De deux choses l’une : soit on
reformule la souveraineté de l’intérieur, au besoin en tentant de nouvelles
synthèses et hybridations ; soit on fait le choix plus ambitieux — plus coû-
teux ? — de se décentrer par rapport au concept.

La première voie débouche le plus souvent sur une dispute terminolo-


gique. Michel Troper, par exemple, dans la continuité d’un Carré de Malberg,
s’est attaché à réexplorer les différents sens du mot souveraineté de manière à
préciser davantage la démarcation entre les registres spécifiques du juriste
(qui s’abstient de juger politiquement) et de l’acteur politique (dont c’est le
rôle). À en croire le théoricien du droit, la réponse à la question de la possibi-
lité ou non d’un partage de la souveraineté dépend ultimement du sens prêté
au mot lui-même. Et de reprendre ici les grandes distinctions malbergiennes
— la Souveränität (la suprématie de la puissance étatique), la Staatsgewalt
(l’ensemble des pouvoirs compris dans la puissance d’État), la Herrschaft (la
puissance de l’organe souverain)1 — en y ajoutant une dernière acception : la
qualité de l’être au nom duquel l’instance suprême exerce son pouvoir,
à savoir le peuple souverain dans les démocraties représentatives (la souve-
raineté comme principe d’imputation)2. Où le terrain de la divisibilité se
trouve donc juridiquement circonscrit  : en tant que caractère suprême de
l’État, la Souveränität est par construction indivisible, mais la souveraineté au
sens quantitatif de l’ensemble des pouvoirs compris dans la puissance d’État
pourra, lui, très bien faire l’objet d’un partage. Pour cela, il suffira de pro-
céder à un découpage en fonctions et compétences, et, ancienne doctrine des
droits régaliens aidant, de séparer les affaires importantes (jura majora) des
affaires mineures (jura minora). Toujours cette même tendance à contrecarrer
la dimension subjectiviste de la notion de souveraineté en lui adjoignant la
portée objectiviste de la notion de compétence3. Toujours ce même déplace-
ment du débat du terrain juridique vers celui des faits. Et pour cause  : en

de la mondialisation. Huit thèses », trad. fr. P.-E. Dauzat, ibid., 2003, 125, p. 75-84. Pour une
mise en perspective philosophique, cf. P. RAYNAUD, « Éclipse de la souveraineté ? », France :
les révolutions invisibles, Paris, Calmann-Lévy, 1998, p. 239-247 ; « De l’humanité européenne à
l’Europe politique », Les Études philosophiques, 1999, 3, p. 375-381.
1. Raymond Carré de Malberg à propos du mot et du concept de souveraineté : « Dans son sens
originaire il désigne le caractère suprême d’une puissance pleinement indépendante, et en parti-
culier de la puissance étatique. Dans une seconde acception, il désigne l’ensemble des pouvoirs
compris dans la puissance d’État, et il est par suite synonyme de cette dernière. Enfin, il sert à
caractériser la position qu’occupe dans l’État le titulaire suprême de la puissance étatique, et ici la
souveraineté est identifiée avec la puissance de l’organe. » (R. CARRÉ de MALBERG, Contri-
bution à la théorie générale de l’État I [1920], Paris, Dalloz, 2004, p. 79 ; § 30).
2. Parmi de nombreuses références, cf. trois textes en priorité : M. TROPER, « Le titulaire de la
souveraineté », La Théorie du droit, le droit, l’État, Paris, PUF, 2001, p. 283-298 ; « L’Europe
politique et la souveraineté des États  », L’État au XXe  siècle, éd. S.  GOYARD-FABRE, Paris,
Vrin, 2004, p. 181-194 ; « La souveraineté comme principe d’imputation », Les Évolutions de la
souveraineté, dir. D. MAILLARD DESGRÉES du LOÛ, op. cit., p. 69-80.
3. O. BEAUD, « Compétence et souveraineté », La Compétence, Paris, Litec, 2008, p. 5-32.
562 Conclusion générale

retenant cette seule dimension, on se donne tous les moyens d’accoucher des
concepts si attendus : souveraineté partagée, souveraineté européenne, entre
autres1.
Pour le reste, les États continueraient d’être qualitativement souverains dès
lors qu’ils n’auraient pas à s’en remettre à un organe supérieur : « la norme la
plus élevée d’un ordre juridique national n’est fondée sur aucune autre
norme », rappelle Michel Troper2. Un État reste donc juridiquement souve-
rain si la liste des compétences qu’il continue d’exercer ne dépend que de lui-
même. À n’en pas douter, tel est bien le cas de l’Union européenne : les trans-
ferts de compétences y correspondent à une mise en commun entre États, non
à un dessaisissement de la part de chacun des États. Impossible, sinon, d’expli-
quer le consentement des gouvernements aux différents transferts3. Sauf, bien
sûr, que cette présentation des choses pèche par simplisme juridique ; elle
passe complètement sous silence la dialectique politique interne au concept de
souveraineté4 : celle — d’abord issue de la sortie de l’absolutisme monarchique
puis de la marche vers la démocratisation politique — entre souveraineté de
l’État (constitution de la puissance publique) et souveraineté du peuple (exi-
gence démocratique), entre principe de théorie juridique et modalités d’orga-
nisation pratique5. La forme nationale a bien tenté de faire tenir ensemble ces
deux faces étatique et démocratique du concept, mais la construction euro-
péenne a produit cet effet de réveiller l’intensité dramatique de la difficulté.
Au point qu’une forme de dé-démocratisation des États semble parfois l’ac-
compagner ou lui servir de support. Comme si le maintien théorique du
principe de la souveraineté étatique devait consentir en pratique à un évide-
ment de la souveraineté populaire. Rien de surprenant, donc, à ce que la subsi-
diarité ait tout pour réussir dans ce marasme conceptuel : par la combinaison

1. Cf., par exemple, les travaux de Florence Chaltiel : F. CHALTIEL, La Souveraineté de l’État
et l’Union européenne  : l’exemple français. Recherches sur la souveraineté de l’État membre,
Paris, LGDJ, 2000, p. 468 sq. ; « La souveraineté vue par l’Union européenne », Les Évolutions
de la souveraineté, dir. D. MAILLARD DESGRÉES du LOÛ, op. cit., p. 191-202.
2. M.  TROPER, «  L’Europe politique et la souveraineté des États  », L’État au XXe  siècle, éd.
S. GOYARD-FABRE, op. cit., p. 193. En France, comme dans toutes les démocraties, c’est en
vertu de la Constitution, donc du peuple qui l’adoptée, que les traités priment les lois.
3. Cf. A. MILWARD, The European Rescue of the Nation State, Londres, Routledge, 1992, et
les analyses d’Andrew Moravcsik, selon lesquelles la construction européenne a eu pour prin-
cipal effet de renforcer le pouvoir des États, en leur permettant d’arguer de la contrainte de la
coopération internationale pour contourner les demandes politiques internes (celles des parle-
ments ou des groupes d’intérêts) (A. MORAVCSIK, « Preferences and Power in the European
Community : A Liberal Intergovernmentalist Approach », Journal of Common Market Studies,
1993, 31 (4), p.  473-524 ; «  Federalism in the European Union  : Rhetoric and Reality  », The
Federal Vision. Legitimacy and Levels of Governance in the United States and the European
Union, éd. K. NICOLAÏDIS, R. HOWSE, Oxford, Oxford University Press, 2003, p. 163-187).
4. Cf., par exemple, J. BAECHLER, « Europe et Fédération » ; « Fédération et démocratie »,
Contrepoints et commentaires, Paris, Calmann-Lévy, 1996, p. 518-531, p. 292-308 ; T. CHOPIN,
Fédération et Europe. Un défi lancé à la souveraineté de l’État ?, Paris, Notes de la Fondation
Saint-Simon, 1998 ; « Fédération et démocratie en Europe », Commentaire, 1999, 22 (86), p. 377-
388 ; «  L’avenir du fédéralisme  », ibid., 2000-2001, 23 (92), p.  833-843 ; L’Héritage du fédéra-
lisme ? États-Unis/Europe, Paris, Notes de la Fondation Robert-Schuman, 2002.
5. Cf. É. BALIBAR, « Prolégomènes à la souveraineté » [2000], Nous, citoyens d’Europe ? Les
frontières, l’État, le peuple, Paris, La Découverte, 2001, p. 257-286.
De l’Église à l’Europe... 563

de son éthique démocratique et de son éthique fédérale, elle vient donner un


nom à l’aporie européenne et se faire une place dans le nouveau répertoire
lexical de la gouvernance néolibérale.

De manière plus ambitieuse, la seconde voie appelle au dépassement théo-


rique de l’État. Son principal artisan, Olivier Beaud, s’efforce de tracer les
contours d’un concept, celui de Fédération, à même de sortir de la summa
divisio répétée ad nauseam  : souveraineté versus fédéralisme, État fédéral
(Bundesstaat) versus Confédération d’États (Staatenbund), Constitution
versus traité international. L’entreprise théorique a ceci de profondément
salvateur d’inviter à rompre avec le statocentrisme ambiant pour appréhender
à nouveaux frais l’objet européen1 ; à comprendre en quoi, serions-nous tenté
d’ajouter, la statophobie communautaire résulte en grande partie d’un sta-
tocentrisme refoulé qui ne veut pas dire son nom2. N’y a-t-il pas en effet,
demande Olivier Beaud, un lien évident de continuité entre l’interprétation
de l’Union européenne comme entité sui generis et la crispation conceptuelle
sur les catégories traditionnelles de la modernité juridique ? Et le juriste de
répondre sans ambages à cette question : ne pas se donner les moyens théo-
riques de les dépasser, c’est aussi se condamner à toujours reproduire les
mêmes diagnostics politiques3.
Partant du constat schmittien de l’impossibilité qu’il y a à penser la Fédé-
ration à partir du langage conceptuel hérité de la tradition étatique, et mon-

1. O. BEAUD, Théorie de la fédération, op. cit. ; « Penser le fédéralisme », Commentaire, 2008,


30 (120), p. 953-961 ; « L’Europe vue sous l’angle de la Fédération. Le regard paradoxal de Paul
Reuter », Droits, 2007, 45, p. 47-71 ; « Du nouveau sur l’État fédéral », ibid., 2006, 42, p. 229-246 ;
« De quelques particularités de la justice constitutionnelle dans un système fédéral », La Notion
de « justice constitutionnelle », dir. C. GREWE, O. JOUANJAN, É. MAULIN, P. WACHS-
MANN, Paris, Dalloz, 2005, p. 49-72 ; « La question de l’homogénéité dans une Fédération »,
Lignes, 2004, 13, p. 110-129 ; O. BEAUD, S. STRUDEL, « Démocratie, fédéralisme et constitu-
tion », L’Europe en voie de constitution. Pour un bilan critique des travaux de la Convention,
dir. O. BEAUD, A. LECHEVALIER, I. PERNICE, S. STRUDEL, Bruxelles, Bruylant, 2004,
p. 3-36 ; O. BEAUD, « Fédéralisme », Dictionnaire de philosophie politique [1996], dir. P. RAY-
NAUD, S. RIALS, Paris, PUF, 2003, p. 267-276 ; « Fédération et État fédéral », Dictionnaire de
la culture juridique, dir. D. ALLAND, S. RIALS, Paris, PUF, 2003, p. 711-716 ; « La notion de
pacte fédératif. Contribution à une théorie constitutionnelle de la Fédération », Liberté sociale et
lien contractuel dans l’histoire du droit et la philosophie, dir. J.-F. KERVÉGAN, H. MOHN-
HAUPT, Francfort, Klostermann, 1999, p. 197-270 ; « Fédéralisme et souveraineté. Notes pour
une théorie constitutionnelle de la Fédération », Revue du droit public, 1998, 114 (1), p. 83-122 ;
« Propos sceptiques sur la légitimité d’un référendum européen ou plaidoyer pour plus de réa-
lisme constitutionnel  », Le Référendum européen, éd. A.  AUER, J.-F.  FLAUSS, Bruxelles,
Bruylant, 1997, p. 125-180 ; « La Fédération entre l’État et l’empire », L’État, la finance, le social,
dir. B. THÉRET, Paris, La Découverte, 1995, p. 282-304.
2. Sur le statocentrisme européen « qui tient lieu d’État », Étienne Balibar parle d’un « étatisme
sans État véritable » (É. BALIBAR, « “Es gibt keinen Staat in Europa” » [1990], Nous, citoyens
d’Europe ?, op. cit., p. 221-241, ici p. 238). Relevons le parallèle avec Andrew Moravcsik qui invite
à s’extraire du démocentrisme (la démocratie nationale n’a pas nécessairement à être l’étalon nor-
matif à partir duquel il faudrait mesurer les réalisations de la construction européenne), mais qui a
néanmoins tendance à minorer les enjeux politiques concrets de la légitimation démocratique.
3. Cf. O. BEAUD, « Déficit politique ou déficit de la pensée politique ? », Le Débat, 1995, 87,
p. 44-49 (dans un dossier spécial « Nation, fédération : quelle Europe ? » consacré à la discussion
des thèses eurosceptiques du juriste Béla Farago  : B.  FARAGO, «  L’Europe  : empire introu-
vable ? », ibid., 1995, 83, p. 42-58 ; « Le déficit politique », ibid., 1995, 87, p. 26-43).
564 Conclusion générale

trant que la Fédération n’est pas une sous-catégorie du concept d’État, le


juriste français s’attache, depuis près d’une quinzaine d’années, à redécouvrir
la Fédération comme voie alternative à l’État, et donc d’égale valeur juri-
dique1. Pour l’établir et accéder à un concept véritablement désétatisé, il a
d’abord commencé par s’extraire de la summa divisio classique entre État
fédéral et Confédération d’États. Il a ensuite réuni les conditions théoriques
lui permettant, une fois placé dans le cadre de la Fédération, de ne plus se
poser la question de la souveraineté. Il débouche enfin sur une définition de
la Fédération comme forme politique originale émanant directement d’un
pacte fédératif et institution de plein droit organisée par un partage consti-
tutif de la puissance publique.
Au-delà de la force suggestive de cette élaboration doctrinale, deux pro-
blèmes semblent néanmoins se poser. Premier écueil : la Fédération reste une
catégorie négative, définie non par une propriété unique (la souveraineté dans
le cas de l’État) mais par un faisceau de trois principes : dualité, parité, plura-
lité2. La Fédération, doit-on comprendre, est une institution politique dotée
de finalités spécifiques et limitées. Et c’est en ce point précis que la théorie
d’Olivier Beaud présente un problème conceptuel  : une institution au sens
propre du terme peut-elle être définie par le principe de spécialité ? Le telos
constitutif de la Fédération peut-il s’apparenter à une simple fonction tech-
nique ? Nous retrouvons là, à une échelle théorique, les débats sempiternels
qui taraudent la construction européenne, débats auxquels ce schéma confère
moins un horizon de dépassement qu’une rationalisation de l’existant. Tels
qu’ils sont actuellement mis en œuvre, les traités européens trouvent déjà
à s’interpréter comme un pacte fédératif. Car, à défaut d’idée d’œuvre à
contenu substantiel, l’institutionnalisme juridique pèse bien peu face au fonc-
tionnalisme économique. Second écueil  : une fois redescendu des hauteurs
théoriques on voit donc mal comment se défaire du réalisme étatique. Au
total, chacun est comme renvoyé à ses positions ultimes. Soit on voudra voir
dans la subsidiarité, une sorte de brèche fédéraliste dans le principe de spécia-
lité communautaire, un concept de transition permettant de négocier une
attente incertaine qui débouchera, si l’histoire le veut, sur l’avènement d’une
Fédération européenne. Soit on inclinera à davantage de scepticisme et, pour
des raisons historiques ou philosophiques, on préférera parler d’une forme
de subsidiarité politique de l’Union par rapport à l’État.

1. Étudiant la question de la souveraineté externe dans le cas du fédéralisme, Schmitt rappelait


en quoi deux autorités plénières ne pouvaient coexister à l’intérieur d’une même entité. De deux
choses l’une : ou bien l’une de ces deux autorités l’emporte, et il n’y en a qu’une qui soit suprême ;
ou bien les deux autorités se partagent le même pouvoir et aucune n’en possède séparément la
plénitude. « C’est [...] une caractéristique de l’essence de la fédération que la question de la sou-
veraineté reste toujours pendante (offen) entre fédération et États membres tant que la fédération
en tant que telle coexiste avec les États membres en tant que tels. » (C. SCHMITT, Théorie de la
constitution [1928], trad. fr. L. Deroche, Paris, PUF, 2008, p. 519).
2. Auxquels il faudrait ajouter le principe de spécialité.
De l’Église à l’Europe... 565

Sachant, bien sûr, que le concept n’épuise pas les termes du débat ; ce qui
est dit là pourrait tout à fait être dit avec d’autres mots. À de nombreux
égards — en bornant ici notre constat au seul niveau global de l’homologie
structurelle et en sortant du cadre strictement juridique —, le processus
supranational européen emprunte les mêmes voies que les constructions
nationales du xixe  siècle1. À suivre les interprétations de la sociologie
constructiviste, les nations européennes sont nées de la densification des
réseaux de communication à l’intérieur d’un territoire circonscrit ; du besoin
de former une main d’œuvre adaptée à la nouvelle économie industrielle2 ; du
développement de l’imprimé, support privilégié pour la création de « com-
munautés imaginées  »3. L’Union européenne n’est-elle pas la tentative de
recréer cette même dynamique à un niveau plus global et avec d’autres sup-
ports, à l’heure où le capitalisme électronique remplace le capitalisme de l’im-
primé ? Seul le temps pourra répondre à cette question4. Toujours est-il qu’en
raison même de son caractère mouvant et dynamique la construction euro-
péenne ne se laisse figer dans aucune catégorie politique, aussi approximative
soit-elle.

1. Cf. N.  ELIAS, La Société des individus [1939-1987], trad. fr. J.  Étoré, Paris, Fayard, 2006.
Nobert Elias aide à replacer la construction européenne dans le temps long de l’histoire, en l’in-
terprétant comme un reformatage de « l’équilibre je-nous » au profit du « je ». « Il semble que
l’on ne voie pas très clairement encore le fait, pourtant frappant, que le puissant mouvement
d’intégration de l’humanité [...] [représente] jusqu’à nouvel ordre la dernière étape d’un très long
processus d’évolution sociale non programmée qui a toujours systématiquement conduit, en
passant par de multiples stades, d’unités sociales plus petites et moins différenciées vers des
unités sociales de taille plus importante, plus différenciées et plus complexes. » (Ibid., p. 221).
Mettant au jour l’allongement des chaînes d’interdépendances, le sociologue insiste aussi sur la
résilience de l’« habitus national », à l’origine de nombreux « effets de retardement ».
2. Renvoyons respectivement à K. W. DEUTSCH, Nationalism and Social Communication. An
Inquiry into the Foundations of Nationality [1953], Cambridge, Londres, MIT Press, 1969 ; et
E. GELLNER, Nations et nationalisme [1983], trad. fr. B. Pineau, Paris, Payot, 1984.
3. Formule de Benedict Anderson  : B.  ANDERSON, L’Imaginaire national. Réflexions sur
l’origine et l’essor du nationalisme [1983], trad. fr. P.-E. Dauzat, Paris, La Découverte, 2006.
4. Il y aurait ici à poursuivre le débat par des considérations d’ordre sémantique. Car les tenants
du fédéralisme européen les plus conséquents se défendent bien sûr de vouloir reproduire le
schéma statonational à l’échelle du continent. Ils se réclament du postnationalisme. Pensons,
selon des voies différentes mais qui se rejoignent sur l’essentiel, à Jürgen Habermas et à Jean-
Marc Ferry (J.  HABERMAS, Après l’État-nation. Une nouvelle constellation politique [1998-
1999], trad. fr. R. Rochlitz, Paris, Fayard, 2000 ; « Citoyenneté et identité nationale. Réflexions
sur l’avenir de l’Europe », trad. fr. H. Pourtois, L’Europe au soir du siècle, dir. J. LENOBLE,
N. DEWANDRE, Paris, Éditions Esprit, 1992, p. 17-38 ; J.-M. FERRY, « Pertinence du postna-
tional » [1991], ibid., p. 39-57 ; « La Communauté européenne, entre État fédéral et fédération
d’États », Revue suisse de science politique, 1998, 4, p. 11-31 ; La Question de l’État européen,
Paris, Gallimard, 2000 ; Europe : la voie kantienne. Essai sur l’identité postnationale [2002-2005],
Paris, Le Cerf, 2005). Cf. aussi K.  NICOLAÏDIS, «  The Federal Vision Beyond the Federal
State  », The Federal Vision, éd. K.  NICOLAÏDIS, R.  HOWSE, op. cit., p.  439-481. L’intérêt
principal de leur démarche pour notre propos, outre de repenser à nouveaux frais le lien entre
nation et démocratie, réside dans le souci de reconsidérer la question de l’État en évitant
de l’épuiser dans la réalité historique du cadre national. Reste cependant une difficulté de taille :
la définition de la souveraineté comme procédure, qui passe à côté du problème essentiel de
la construction européenne, sa sécheresse symbolique, son atonie, voire sa « frigidité » (É. BAR-
NAVI, L’Europe frigide. Réflexions sur un projet inachevé, Bruxelles, Versaille, 2008).
566 Conclusion générale

«  La Communauté accomplit sa mission, dans les


conditions prévues au présent Traité, avec des interven-
tions limitées [...]. Les institutions de la Communauté
exercent ces activités avec un appareil administratif
réduit, en coopération étroite avec les intéressés. [...] La
Communauté assure l’établissement, le maintien et le
respect des conditions normales de concurrence et
n’exerce une action directe sur la production et le
marché que lorsque les circonstances l’exigent1. »

III. SUBSIDIARITÉ ET FÉDÉRALISME D’EXÉCUTION

Nous venons de le sous-entendre, le défi européen de la souveraineté ne sou-


lève pas seulement la question du titulaire légitime de la décision politique, il
pose aussi la question de son contenu et de sa pertinence intrinsèque. Une
communauté qui ne pourrait prendre que des décisions sans importance sur
la vie de ses membres serait-elle encore souveraine ? Pas plus, nous semble-
t-il, qu’une entité officiellement placée sous une tutelle étrangère2.
La subsidiarité déploie à ce niveau des effets beaucoup trop sous-estimés :
solennellement lancés au nom du bien commun européen, ses appels insis-
tants à l’efficacité managériale n’ont pas manqué d’entrer en évidente contra-
diction avec les exigences de la légitimation démocratique. Simple retour du
refoulé s’agissant de notre concept catholique : plus le bien commun européen
prend consistance dans les esprits, plus il exige des institutions centralisées
pour prendre en charge sa réalisation concrète3. Aussi, à l’instar de la souve-
raineté, la subsidiarité se trouve-t-elle pareillement piégée dans une dialec-
tique circulaire : car la rentabilité gouvernementale ne coïncide pas toujours
avec la proximité démocratique. Telle qu’exprimée par le principe, la pointe
ultime de l’ambition européenne réside ici dans la prétention à transformer la
répartition des compétences en une question purement technique (bilan
coûts-avantages entre proximité et efficacité), en contournant la dimension
éminemment symbolique de la hiérarchie des niveaux de gouvernement, et en
misant en quelque sorte sur une autorégulation naturelle des différents éche-
lons en concurrence. Mais comment la répartition des pouvoirs pourrait-elle
demeurer autre chose qu’un enjeu foncièrement politique4 ? Même en tradui-

1. Traité instituant la CECA, article 5 (JORF, 30 décembre 1952, 3).


2. Le fait de gérer ou de dépenser, par exemple, ne signifie pas que l’on dispose d’une capacité à
se donner des lois. Sauf à s’en remettre à une appréhension managériale des enjeux politiques.
3. Cf. C. MILLON-DELSOL, Le Principe de subsidiarité, Paris, PUF, 1993, p. 92 sq.
4. « La subsidiarité, écrivait ironiquement Paul Thibaud en 1992, ne nous dira jamais derrière
quel drapeau tel soldat accepte de risquer sa vie. Pour cette raison, la subsidiarité est, en dépit de
l’usage qu’en font les Anglais dans la Communauté, un principe sourdement fédéraliste  : elle
considère de la même manière les divisions administratives et les divisions politiques, les divi-
sions entre peuple et à l’intérieur du même peuple. » (P. THIBAUD, « L’Europe par les nations
(et réciproquement)  », Discussion sur l’Europe, Paris, Calmann-Lévy, Fondation Saint-Simon,
1992, p. 11-126, ici p. 71, n. 56, texte suivi d’une réponse de Jean-Marc Ferry : J.-M. FERRY,
« Une “philosophie” de la communauté », ibid., p. 127-218). De l’ancien rédacteur en chef de la
De l’Église à l’Europe... 567

sant les pouvoirs en compétences, même en séparant les questions majeures


des questions mineures ou les enjeux européens des enjeux nationaux, on ne
fait que déplacer en amont la difficulté.

À souveraineté partagée, compétences partagées. Non plus celle de la sou-


veraineté, la question est désormais celle de la mobilité, de la perméabilité et
de la fongibilité des compétences. Peut-on d’ailleurs encore parler (et l’a-t-on
jamais pu autrement que par le recours à des fictions juridiques ?) de compé-
tences appartenant en propre à l’Union européenne et d’autres aux États
membres, ou de compétences de l’Union exercées par une seule institution ?
Difficile, en effet, dans une ère d’interpénétration croissante des niveaux de
pouvoir, de maintenir un principe de spécialité des attributions contourné de
tous côtés par un exercice partagé des compétences. Convenons néanmoins
qu’en la matière l’Union européenne se contente de rendre plus visible un
profond et puissant mouvement partout à l’œuvre dans les grandes démocra-
ties. En l’absence d’un schéma clair de répartition des différentes préroga-
tives, les instances européennes ont développé une approche dite globale à
l’intérieur de laquelle les compétences ont vocation à devenir mobiles, poten-
tiellement communes en tout ou partie à l’Union et aux États, et non plus
l’apanage de l’une ou des autres.
Mais la spécificité européenne réside ici dans l’absence de réciprocité —
vraisemblablement dictée par les impératifs politiques de sa téléologie. D’un
côté, les attributions communautaires qui, quoiqu’il arrive, doivent rester
communautaires. De l’autre, les compétences des États membres qui courent
toujours le risque de devenir communautaires. Même malgré nous, le paral-
lèle s’impose encore une fois entre le mystère de cette autoreprésentation
européenne — la téléologie historique de l’Union — et le schéma catholique
de la mentalité ecclésiale — l’eschatologie chrétienne telle que prise en charge
par l’Église de Rome. Où la subsidiarité livre peut-être ses derniers trésors
analogiques en esquissant un dialogue avec la nouvelle ecclésiologie conci-
liaire de Vatican II. Voie alternative à la souveraineté, elle peut s’interpréter
comme une manière, détournée mais subtile, ayant « pour objet de penser le
rapport entre l’Europe et les collectivités nationales, régionales et locales dans
une perspective non hiérarchisante  »1. Un tour de passe-passe en quelque
sorte, destiné à permettre d’éviter la question qui fâche : celle de la hiérarchie
entre les ordres juridiques. Aussi mise-t-on, de tous côtés, sur les «  vertus

revue Esprit, citons aussi, avant ce texte de 1992  : P.  THIBAUD, «  L’Europe et la crise des
valeurs politiques », Esprit, 1989, 146, p. 34-44 ; « L’Europe : essai d’identification », ibid., 1991,
176, p.  47-62. Depuis Maastricht  : P.  THIBAUD, «  L’Europe interpellée  », ibid., 2003, 296,
p. 32-43 ; « Europe manquée, Europe à faire », Le Débat, 2005, 136, p. 69-85. Pour une mise en
cause comparable de l’Europe comme finalité sans fin et transcendance du fait accompli, ainsi
qu’une défense du lien entre nation et démocratie, cf. P.  MANENT, La Raison des nations.
Réflexions sur la démocratie en Europe, Paris, Gallimard, 2006 ; « La démocratie sans la nation ? »
[1996], Enquête sur la démocratie, Paris, Gallimard, 2007, p. 166-184.
1. M. ABELÈS, I. BELLIER, « La Commission européenne, du compromis culturel à la culture
du compromis », Revue française de science politique, 1996, 46 (3), p. 431-456, p. 448.
568 Conclusion générale

articulantes  » du principe1. Peut-être en se souvenant que cette sortie du


modèle classique des rapports entre centre et périphérie avait pour ainsi dire
été anticipée par l’Église au moment de sa refondation post-totalitaire lors du
deuxième Concile du Vatican.
Le parallèle remonte loin. Tout comme la Réforme grégorienne avait jeté
les bases d’un nouveau paradigme étatique, la réforme ecclésiologique entre-
prise par Vatican II s’offre presque naturellement en nouvelle grille de lecture
du modèle étatique en train d’éclore. Elle le donne à voir jusques et y compris
dans ses contradictions apparentes et dans ses échecs avérés (nous savons
désormais ce qu’il en est l’aggiornamento conciliaire) : schizophrénie subsi-
diariste de l’Église à laquelle répond la portée anti-étatique du principe par
elle créé. La subsidiarité, répète-t-on dans le camp ecclésial, est une règle
d’organisation sociale qui n’a pas à s’appliquer à la réalité sacramentelle de
l’Église. Il en ira de même, selon d’autres voies, pour cet autre concept théo-
logique déjà rencontré : la périchorèse. En effet, inquiète de certaines velléités
anti-institutionnelles, la réception ratzingérienne du principe finira presque
par lui retirer toute pertinence ecclésiologique, œuvrant avec obstination
pour les concentrer sur le seul État et ainsi maintenir la hiérarchie ecclésiale
dans toute sa fermeté2.
Ce retournement n’efface pourtant pas l’apport doctrinal de Vatican II,
qui continue de fournir un poste d’observation tout à fait privilégié au juriste
et au politiste. Implosion de la hiérarchie institutionnelle, indistinction des
niveaux de pouvoir, immanence réciproque  : la théologie catholique de la
périchorèse n’a absolument rien à envier à la gouvernance européenne. Appli-
quée à la réalité profane, le concept théologique permet même de résumer
d’une formule le nouvel ethos de l’intériorité mutuelle : tout est dans tout. Le
centre est présent dans la périphérie de même que la périphérie est comprise
dans le centre ; les États membres sont présents dans l’Union européenne
de même que l’Union européenne est présente dans les États membres ; les
collectivités territoriales sont comprises dans l’État de même que l’État est
compris dans les collectivités territoriales. Intériorité mutuelle : voilà qui est
séduisant quand on se place du point de vue de la théologie spéculative, mais
qui devient totalement inadapté pour penser la réalité politique de la hié-
rarchie institutionnelle. S’il n’y a pas d’extériorité entre au moins deux
niveaux distincts, comment pourrait-il exister une quelconque hiérarchie ? Et

1. L’expression est empruntée à Marc Verdussen et Élisabeth Willemart  : M.  VERDUSSEN,


E.  WILLEMART, «  La subsidiarité européenne, instrument d’articulation des ordres juri-
diques », L’Europe de la subsidiarité, dir. M. VERDUSSEN, Bruxelles, Bruylant, 2000, p. 253.
2. Selon la théologie trinitaire, le paradigme périchorétique renvoie à l’idée de la présence des
personnes divines l’une dans l’autre. Cf. Lumen gentium en 23-1 (VATICAN II, Constitution
dogmatique sur l’Église Lumen gentium, 21 novembre 1964, Acta Apostolicae Sedis, 1965, LVII,
p. 5-64, Sacrosanctum Œcumenicum Concilianum Vaticanum II, 1966, p. 93-206 (in H. DEN-
ZINGER, 4101-4179, p. 863-896) et le Code de droit canonique en 368 (JEAN-PAUL II, dir.,
Code de droit canonique [1983], éd. lat. et fr., Paris, Centurion, Le Cerf, Tardy, 1985) : « Les
Églises particulières [sont] formées à l’image de l’Église universelle, elles en qui et à partir de qui
[in quibus et ex quibus] existe l’Église catholique une et unique. » (VATICAN II, Lumen gen-
tium ; in H. DENZINGER, 4147, p. 877 ; Code de droit canonique, p. 66).
De l’Église à l’Europe... 569

pour cause : l’objectif inconscient de la démarche réside précisément dans la


suppression des conditions d’une possible distinction entre un supérieur et
un inférieur, entre un haut et un bas. En cela, même convoqué sur le seul
mode analogique, le paradigme périchorétique fait totalement système avec le
nouveau dogme de la mobilité des compétences.

En pratique, il y a contradiction européenne comme il y a schizophrénie


ecclésiale. Qu’il suffise ici de comparer le système communautaire à l’expé-
rience allemande1 : fonctionnant moins à l’autonomie et à la parité qu’à l’ad-
ministration indirecte et à l’exécution loyale, elle révèle combien à force de
coopérations le fédéralisme a fini par ne plus être fédéral du tout. La compa-
raison avec le modèle américain pourra convaincre les plus sceptiques ; elle
permet en tout cas de rappeler que le principe maastrichtien de subsidiarité
ne saurait trouver sa place dans un système dualiste établissant des listes
détaillées de compétences. À rebours des États-Unis, l’Union européenne,
pour exister concrètement, a besoin de la procuration des gouvernements
nationaux et des administrations étatiques. Constat élémentaire dont les
effets sont néanmoins massifs : pendant que les États disposent d’une admi-
nistration étendue héritée de leur histoire propre, l’Union, quant à elle, ne
dispose d’aucun appareil administratif d’envergure (mise à part une techno-
cratie de conception aux effectifs très réduits). Elle dépend donc des États
membres — depuis le gouvernement central jusqu’au fonctionnaire local en
passant par le juge national — pour la mise en œuvre de sa politique, l’appli-
cation des décisions et du droit européens. Celui-ci devant respecter l’acquis
communautaire et se diffuser de manière uniforme à l’échelle de l’Union, on
comprend que, bien souvent, le discours contemporain de la proximité
démocratique fasse place en pratique à d’importants phénomènes de centrali-
sation2. Si l’Union a fréquemment à se plaindre de la situation, elle ne manque
pas également d’en profiter  : car ce mode de fonctionnement lui permet
d’élargir silencieusement son champ de compétence sans accroissement
visible de son budget.
Nous avons rappelé plus haut que l’Europe n’était pas un État. Nous
voyons ici que l’Europe n’est pas non plus une Fédération. Peut-être n’est-
elle finalement qu’une simple puissance publique, une puissance publique
d’espèce très singulière, non étatique, moins coercitive que normative (au
sens du droit fonctionnel) ? Le monopole de la violence physique légitime

1. Les premiers, Maurice Croizat et Jean-Louis Quermonne ont parlé de « fédéralisme intergou-
vernemental » pour appliquer le concept de fédéralisme coopératif à l’objet européen. Ils vou-
laient montrer que l’Union était moins marquée par un phénomène de centralisation que par une
accentuation des interdépendances réciproques (M. CROISAT, « Le fédéralisme d’aujourd’hui :
tendances et controverses  », Revue française de droit constitutionnel, 1994, 19, p.  451-454 ;
M. CROISAT, J.-L. QUERMONNE, L’Europe et le fédéralisme. Contribution à l’émergence
d’un fédéralisme intergouvernemental [1996], Paris, Montchrestien, 1999, p. 59 sq.).
2. Cf. A. WIENER, « The Embedded Acquis Communautaire : Transmission Belt and Prism of
New Governance  », European Law Journal, 1998, 4 (3), p.  294-315 ; L.  AZOULAI, «  The
Acquis of the European Union and International Organisations », ibid., 2005, 11 (2), p. 196-231.
570 Conclusion générale

revient toujours à l’État1, mais, via les bienfaits du fédéralisme d’exécution,


les instances communautaires savent désormais le mettre directement à leur
profit. L’instrumentalisation est bien sûr réciproque  : il y a instrumentali-
sation des États par l’Union comme il y a instrumentalisation de l’Union par
les États (pensons aux différentes stratégies de communication gouverne-
mentales qui trouvent souvent en Bruxelles un coupable expiatoire tout
désigné)2. Inscrite au cœur de ce fonctionnement, la subsidiarité peut se
donner à voir comme le laboratoire conceptuel où s’opère la déliaison de la
puissance publique et de l’État national, moyennant une décentralisation qui
affecte en priorité le moment de gestion de l’action communautaire (ou des
aspects déterminés de son exécution)3. Se réclamer du vocabulaire fédéral
n’enlève rien à la confusion entre fédéralisme et décentralisation4. En prenant
sens au niveau de l’exécution et non à celui de la conception, la subsidiarité
tend à faire de l’État membre un simple rouage fonctionnel parmi de nom-
breux autres de la grande mécanique européenne5.
Non seulement la science administrative a révélé les difficultés analytiques
d’un tel découpage binaire6, mais la disjonction politique-intendance reste
fondamentalement antinomique avec les impératifs de la proximité, qui, dans

1. Dans la filiation wébérienne : C. COLLIOT-THÉLÈNE, « La fin du monopole de la vio-


lence légitime ?  » [2003], La Légitimité de l’État et du droit. Autour de Max Weber, dir.
M. COUTU, G. ROCHER, Laval, Presses de l’Université de Laval, Paris, LGDJ, 2006, p. 23-46.
2. C.  DENIZEAU, L’Idée de puissance publique à l’épreuve de l’Union européenne, Paris,
LGDJ, 2004 ; « L’instrumentalisation de la puissance publique par le droit communautaire », La
Puissance publique à l’heure européenne, dir. P. RAIMBAULT, Paris, Dalloz, 2006, p. 69-97 ;
O. DUBOS, « L’Union européenne est-elle une puissance publique ? », ibid., p. 53-68.
3. Cf. B. DUBEY, La Répartition des compétences au sein de l’Union européenne à la lumière
du fédéralisme suisse. Systèmes, enjeux et conséquences, Thèse, Paris, Fribourg, 2002 ;
L. AZOULAI, « Pour un droit de l’exécution de l’Union européenne », L’Exécution du droit de
l’Union, entre mécanismes communautaires et droits nationaux, dir. J.  DUTHEIL de LA
ROCHÈRE, Bruxelles, Bruylant, 2009, p.  1-23 ; «  Les fondements de l’autorité de l’Union  »,
L’Autorité de l’Union européenne, dir. L. AZOULAI, L. BURGORGUE-LARSEN, Bruxelles,
Bruylant, 2006, p. 5-15 ; A. LEVADE, « Les moyens des États », ibid., 2006, p. 157-182. Pour
une réflexion plus générale sur l’administration européenne, cf. R.  von BORRIES, «  Verwal-
tungskompetenzen der europäischen Gemeinschaft  », Festschrift U.  Everling, dir. O.  DUE,
M. LUTTER, J. SCHWARZE, op. cit., I, p. 127-147 ; J. ZILLER, « De la nature de l’administra-
tion européenne », Revue française d’administration publique, 2000, 95, p. 357-368 ; L’Autorité
administrative dans l’Union européenne. Working Paper, Florence, Institution universitaire
européen, 2004 ; J. ZILLER, « L’autorité administrative dans l’Union européenne », L’Autorité
de l’Union européenne, op. cit., dir. L. AZOULAI, L. BURGORGUE-LARSEN, p. 119-153 ;
J. ZILLER, « Les concepts d’administration directe, d’administration indirecte et de co-adminis-
tration et les fondements du droit administratif européen  », Droit administratif européen, dir.
J.-B. AUBY, J.  DUTHEIL de LA ROCHÈRE, Bruxelles, Bruylant, 2007, p.  235-243 ;
J. ZILLER, « Exécution centralisée et exécution partagée : le fédéralisme d’exécution en droit de
l’Union européenne  », L’Exécution du droit de l’Union, entre mécanismes communautaires et
droits nationaux, op. cit., dir. J. DUTHEIL de LA ROCHÈRE, p. 111-138.
4. Nombreux sont les auteurs de doctrine à ne voir qu’une différence de degré entre fédéralisme
et décentralisation — tous les deux opposés à « la toute puissance de l’État traditionnel, jaloux de
sa souveraineté » (J. RIVERO, « Fédéralisme et décentralisation : harmonie ou contradiction ? »
[1953], Pages de doctrine, Paris, LGDJ, 1980, I, p. 213-221, ici p. 218). En éludant ainsi la rigueur
juridique des concepts, ils ne manquent pas de faciliter la confusion politique.
5. Malgré ce que nous avons déjà rappelé sur la volonté affirmée dans le Livre blanc de juillet
2001 de sortir d’une définition dite « tayloriste » du principe de subsidiarité.
6. Outre la science administrative, dans un registre plus théorique, cf. L. SFEZ, Critique de la
décision [1976], Paris, Presses de la FNSP, 1992 ; La Décision [1984], Paris, PUF, 2004.
De l’Église à l’Europe... 571

son principe, ne se limite pas à la simple exécution de ce que le niveau supé-


rieur a décidé (mais prône la reconnaissance de compétences complètes —
depuis la conception jusqu’à l’exécution). Derrière la séquence décision-mise
en œuvre telle que l’entend la subsidiarité, se joue peut-être quelque chose
comme un retour de l’ancienne séparation législatif-exécutif au sein même du
système institutionnel de l’Union. Sous une forme bien sûr renouvelée car, à
la faveur d’une confusion persistante entre organe et fonction1, la délimita-
tion topographique des deux pouvoirs est devenue passablement embrouillée2.

À considérer le formidable appui — support — européen donné à la


logique utilitariste de l’efficacité, notre verdict était assez prévisible : à partir
du moment où l’on asseoit les États et les gouvernements sur un principe
managérial, alors on suppose implicitement qu’ils ont eux-mêmes la charge
d’entreprendre et de gérer. Or, l’institution étatique et l’ordre juridique ne se
situent pas dans le registre du faire ; ils se situent dans le registre du symbo-
lique et du transcendantal. Bien sûr, la logique n’est pas spécifiquement euro-
péenne ; elle procède d’un mouvement généralisé : montée en puissance des
exécutifs, gouvernementalisation de la fonction législative, appréhension
budgétaire de l’action politique (l’activité gouvernementale perçue à travers
le seul enjeu des dépenses publiques), par exemple. Mais l’Europe est plus
durement touchée tout simplement parce que l’État et le droit font partie de
son identité constitutive3. Droit et État qui ne devraient pas exister pour la
réalisation de certains objectifs, mais devraient au contraire être là pour per-
mettre que des objectifs soient collectivement et politiquement définis. Lier
cette existence à la réalisation d’objectifs spécifiques, c’est faire comme si

1. Nous faisons ici référence aux critiques formulées par Charles Eisenmann à l’encontre de
l’interprétation malbergienne de la séparation des pouvoirs chez Montesquieu (R. CARRÉ de
MALBERG, Contribution à la théorie générale de l’État II [1922], op. cit., p.  5  sq., p.  20-21,
p. 28 sq., p. 42 sq., p. 515 sq.) : C. EISENMANN, « L’Esprit des lois et la séparation des pou-
voirs », Mélanges R. Carré de Malberg, Paris, Sirey, 1933, p. 163-192 ; « La pensée constitution-
nelle de Montesquieu » [1952], Écrits de théorie du droit, de droit constitutionnel et d’idées poli-
tiques, Paris, Éditions Panthéon-Assas, 2002, p. 583-602. Pour une mise en perspective complète,
cf. M. TROPER, « Charles Eisenmann contre le mythe de la séparation des pouvoirs », Publica-
tions du Centre de théorie politique de l’Université de Reims, Bruxelles, Ousia, 1985, 2-3,
p.  67-79 ; G.  BACOT, «  L’esprit des lois, la séparation des pouvoirs et Charles Eisenmann  »,
Revue du droit public, 1992, 108 (3), p. 617-656 ; G. TIMSIT, « M. le maudit. Relire Montes-
quieu », Mélanges R. Chapus, Paris, Montchrestien, 1992, p. 617-632.
2. Cf. P. MAGNETTE, « Les démocraties face à l’intégration européenne : les transformations
des doctrines constitutionnelles  », Revue suisse de science politique, 1997, 3 (1), p.  65-103 ;
«  La restructuration de l’État dans l’Union européenne  », Revue internationale de politique
comparée, 1997, 4 (3), p.  733-755 ; Le Régime politique de l’Union européenne [2003], Paris,
Presses de Sciences Po, 2009. La division communautaire des pouvoirs revêt un caractère inédit
qui ne correspond pas au schéma classique de la doctrine constitutionnelle européenne. Outre le
renforcement des exécutifs et la gouvernementalisation de la fonction législative, Paul Magnette
insiste sur l’affirmation du pouvoir des juges et la reconfiguration du principe de majorité.
3. Dans une veine legendrienne, cf. les travaux d’Alain Supiot  : A.  SUPIOT, Homo juridicus.
Essai sur la fonction anthropologique du Droit, Paris, Le Seuil, 2005, spécialement p.  195 sq.,
p. 200 sq., p. 236 sq. ; « La fonction anthropologique du droit », Esprit, 2001, 272, p. 151-173 ;
«  L’inscription territoriale des lois  », ibid., 2008, 349, p.  151-170. Pour une lecture critique,
cf. J. CAILLOSSE, « Le juriste occidental en son théâtre », Droit social, 2006, 2, p. 206-215.
572 Conclusion générale

l’acceptation de l’État et du droit par les citoyens devait dépendre de la satis-


faction ou du contentement qu’ils éprouvent quant aux résultats de l’action
gouvernementale ; c’est oublier que cette légitimation provient, outre de la
pertinence des politiques menées, de leur consentement démocratique aux
procédures décisionnelles1.
Passée au crible de la subsidiarité, la loi se fait malencontreusement direc-
tive, marque peut-être la plus distinctive du fédéralisme européen. Au point
qu’on en vient à se demander si la subsidiarité correspond à fondamentale-
ment autre chose qu’au simple condensé procédural de cette technique euro-
péenne par excellence : fixer les résultats à atteindre, en laissant aux États le
choix des voies et moyens à mettre en œuvre. N’était-ce pas précisément cette
idée que Jacques Delors avait en tête lorsqu’il proposait, en pleine période
maastrichtienne de définition du principe, de remplacer la fameuse directive
par une « loi européenne »2 ? Ainsi, à l’instar de la philosophie fonctionnaliste
qui anime le droit communautaire en général et la forme directive en parti-
culier, faudrait-il parler de la subsidiarité comme d’une notion fonctionnelle
spécialement adaptée à cette nouvelle ère du droit instrumentalisé, appelée à
disparaître une fois rempli son office juridique3. Quoiqu’il en soit de la véra-
cité de ce diagnostic, convenons que la subsidiarité pourra difficilement être
rangée parmi les notions conceptuelles de la science du droit4 ; comment qu’on
la comprenne, elle s’apparente davantage à un discours idéologique qui refuse
de dire son nom. Tout l’enjeu de la période post-totalitaire réside bien en ce
point précis : retrouver un sens de l’institution étatique qui ne soit pas travesti
par l’idéologie. Il faudrait pour cela que l’État fonctionnel cesse de jouer
contre l’État institutionnel, que l’État cesse de jouer contre lui-même.

1. Sur la question de la légitimité, cf. les analyses de Guglielmo Ferrero (G. FERRERO, Pou-
voir, les génies invisibles de la Cité [1942], Paris, Librairie générale française, 1988). À compléter
par l’utile distinction, due à Fritz Scharpf, entre légitimité par les inputs (procédures démocra-
tiques, méthodes d’élaboration des politiques) et légitimité par les outputs (contenu des poli-
tiques, prestations, réponses aux demandes sociales et résultats) (F.  SCHARPF, Gouverner
l’Europe [1999], trad. fr. R. Dehousse, Y. Surel, Paris, Presses de Sciences Po, 2000).
2. Dont le pouvoir d’adoption aurait été attribué à la fois au Conseil et au Parlement
(J. DELORS, « Le principe de subsidiarité : contribution au débat », Subsidiarité : défi du chan-
gement. Colloque J. Delors, Maastricht, Institut européen d’administration publique, 1991,
p.  7-19 ; Le Nouveau concert européen, Paris, Odile Jacob, p.  163-176). Ce projet a été repris
dans le traité de 2004 mais abandonné par la Conférence intergouvernementale en 2007.
3. Selon la fameuse distinction védélienne entre notion fonctionnelle et notion conceptuelle  :
certaines notions du droit administratif, avait démontré le doyen Vedel, relèveraient d’une
logique essentiellement fonctionnelle car appelées à disparaître une fois leur fonction juridique
remplie (G. VEDEL, « La juridiction compétence pour prévenir, faire cesser ou réparer la voie
de fait administrative », Semaine juridique, 1950, I, 851 ; « De l’arrêt Septfonds à l’arrêt Baren-
stein (la légalité des actes administratifs devant les tribunaux judiciaires) », ibid., 1948, I, 682).
Pour une critique dans la ligne des travaux de Charles Eisenmann et de Michel Troper,
cf. G. TUSSEAU, « Critique d’une métanotion fonctionnelle. La notion (trop) fonctionnelle de
“notion fonctionnelle” », Revue française de droit administratif, 2009, 25 (4), p. 641-656.
4. Cf. X.  BIOY, «  Notions et concepts en droit  : interrogations sur l’intérêt d’une distinc-
tion... », Les Notions juridiques, dir. G. TUSSEAU, Paris, Économica, 2009, p. 21-53.
RÉSUMÉ

Sans l’accompagnement de son sous-titre, l’intitulé de ce travail pourrait


prêter à confusion1. Notre ambition, en effet, n’a pas été de reprendre à nou-
veaux frais la question déjà beaucoup travaillée — et surempruntée — du
totalitarisme ; elle a, au contraire, consisté à interroger un concept — la subsi-
diarité — en procédant avec méthode à sa contextualisation sémantique. À
rebours des différentes généalogies officielles qui, toutes, commencent par
attribuer la notion à Aristote pour ensuite, de manière aussi paresseuse
qu’imperturbable, en dérouler le fil jusqu’à nos jours, retraçant dans l’inter-
valle les mêmes passages obligés (saint Thomas, Althusius, Tocqueville, etc.),
ce travail historique veut avant tout démontrer que la subsidiarité s’enracine
dans un passé récent et circonscrit.

Notre reconstitution de l’itinéraire du vocable a notamment permis


d’isoler trois moments principaux de la vie du concept, qui, de l’Église catho-
lique à l’Union européenne via l’Allemagne fédérale, désignent à chaque fois
ce même champ d’adversité, hors duquel la subsidiarité nous semble perdre
l’essentiel de son contenu : le totalitarisme. À ces trois moments ont logique-
ment correspondu trois terrains de recherche, isolés comme suit pour les
besoins de la présentation, et par souci de clarté, mais dont l’enchaînement,
ainsi restitué, ne répond bien sûr à aucune linéarité automatique.
1o La doctrine sociale de l’Église catholique. Nous avons commencé par
traquer le mot subsidiarité dans le magistère des papes du xxe  siècle, pour
ensuite comprendre son incubation doctrinale au siècle précédent, en élargis-
sant la focale de notre enquête, autant que de besoin, par l’étude de quelques
auteurs laïques dûment sélectionnés.
2o Le fédéralisme allemand. Il s’est essentiellement agi de reconstituer les
différents investissements juridiques du mot dans les débats doctrinaux de

1. Nous faisons ici référence à la version initiale des titre et sous-titre de notre thèse  : L’État
post-totalitaire. Au principe de la subsidiarité européenne : libéralisme et christianisme.
574 État, libéralisme et christianisme

l’après-guerre, pour en décrypter les interactions possibles avec le droit


positif. Le tout selon une démarche régressive remontant jusqu’aux pensées
matricielles de l’État en Allemagne.
3o L’Union européenne. Au moyen d’un repérage circonstancié des
emplois et usages du mot subsidiarité, nous avons dressé un tableau aussi
exhaustif que possible de ses occurrences lexicales dans le discours et la pra-
tique des différents protagonistes de la construction européenne, au premier
rang desquels les institutions communautaires.

Fort de l’étude sémantique de ces différents foyers de sens, nous avons mis
au jour une série d’homologies structurelles qui, une fois stylisées, se sont
toutes distinguées par la stigmatisation d’un même objet polémique : l’État
souverain. Néanmoins, de la même manière que nous n’avons pas considéré
le totalitarisme pour lui-même et en tant que tel, nous n’avons pas voulu
entreprendre une énième théorisation de l’État ; l’institution étatique a bien
davantage été appréhendée à travers l’impact exercé sur elle par le trauma-
tisme totalitaire. C’est ainsi, dans cette configuration de dialogue conceptuel,
que la subsidiarité a pu progressivement se présenter et s’imposer à nous
comme un analyseur privilégié. Entre-temps, il a bien évidemment fallu
assumer à la fois son brouillage définitionnel et la dispersion de ses niveaux
de langage (langage juridique et langage doctrinal, registre savant et registre
militant) ; ce qui appelait de notre part la mise au point d’un véritable appa-
reillage épistémologique. Les précautions étaient d’ailleurs d’autant plus
nécessaires qu’à l’épreuve concrète de nos repérages le passage se révéla sou-
vent imperceptible entre la subsidiarité notion axiologique et la subsidiarité
subrepticement devenue catégorie d’analyse.

C’est la mise en regard de deux figures conceptuelles de l’État — l’État


totalitaire et l’État subsidiaire — qui nous a conduit à la formuler l’hypothèse
d’une statophobie post-totalitaire traversant de part et d’autre nos trois ter-
rains de recherche  : l’Église, l’Allemagne, l’Europe. Deux figures en miroir
dont le couplage dialectique ferait en quelque sorte système, un peu comme
si elles imageaient les deux faces — maléfique et angélique — de la même
pièce étatique. Mais deux figures qui en viendraient finalement à s’annuler
l’une l’autre. Erreur de diagnostic d’un côté : le fantasme de l’État totalitaire ;
prophétie autoréalisatrice de l’autre : le spectre de l’État subsidiaire.
Sans le mirage de l’État totalitaire, point de rhétorique de l’État subsi-
diaire. À partir du moment où l’on interprète le totalitarisme comme la vérité
de l’État moderne, la seule issue possible est d’en prendre l’exact contre-pied,
d’opter pour l’envers de la médaille. Si l’on admet, au contraire, que le totali-
tarisme cristallise la négation même de l’État, alors le jugement sur la moder-
nité politique se renverse à son tour. Tel est bien notre postulat : il n’a pas
existé d’États totalitaires, il a existé des perversions totalitaires de l’État. Ainsi
l’interrogation centrale au fondement de ce travail s’origine-t-elle directe-
ment dans le constat d’une difficulté persistante à penser l’État après le choc
Résumé 575

du totalitarisme. Comme si, pour croître, la fétichisation post-totalitaire de la


société et des droits de l’homme avait nécessairement besoin de la diabolisa-
tion de son support obligé. Pire  : en excluant les juristes de son œuvre de
dégrisement idéologique, la réflexion antitotalitaire s’est volontairement
condamnée à un malencontreux angle mort. Aveuglement malheureux du
post-totalitarisme car il se pourrait fort bien, dans le nouveau disposi-
tif européen en train de naître, que l’État ne soit pas devenu fondamentale-
ment autre chose que la simple contrepartie verticale de l’horizontalité démo-
cratique.
Prendre cet enjeu au sérieux de façon un tant soit peu systématique suppo-
sait de s’extraire des considérations contextuelles qui assaillent et parasitent
trop souvent la réflexion théorique. Il nous fallait contourner la mainmise des
sciences économiques et autres savoirs administratifs sur la question de l’État.
Non pas considérer l’intervention de l’État (la souveraineté quantitative)
mais sa nature (la souveraineté qualitative) ; non pas définir l’État en termes
de fonction mais en termes d’institution. Conçue comme telle, la décision de
se situer à ce seul niveau d’analyse invitait en retour à un déplacement du
regard et permettait de donner des contours davantage circonscrits à ce que
nous entendons par statophobie. La justification du rôle de l’État n’est pas
promotion de l’institution étatique, tout comme l’appel au retrait de l’État
n’est pas hostilité à l’État.

Retraçons brièvement les trois étapes marquantes de notre raisonnement,


en considérant tour à tour le point de départ catholique, le point d’arrivée
européen et le passage germanique de l’un à l’autre.
La naissance catholique d’abord. Riposte pontificale au totalitarisme, le
principe de subsidiarité naît en 1931 sous la plume de Pie XI (nous faisons
référence à l’encyclique Quadragesimo anno). Notre contextualisation
sémantique appelait ici une réinscription plus globale du concept dans la
continuité du conflit théologico-politique. Une fois réunis tous les ingré-
dients doctrinaux du corpus catholique (au premier rang desquels le pro-
gramme corporatiste), la subsidiarité nous est principalement apparue comme
une réaction souterraine aux évolutions anticatholiques de la modernité —
entendre  : la sécularisation de l’État. C’est, en effet, au moment même où
l’Église prend pleinement conscience de la disparition de l’ancien monde
dans lequel elle était Mater et Magistra qu’un mot idoine émerge pour dési-
gner et exprimer son horizon d’attente organique. Aussi mystérieux soit-il au
premier abord, le vocable ne traduit rien de moins qu’une profonde crise
existentielle de l’Église devant une institution concurrente prétendant, elle
aussi, absorber la sacralité terrestre.
La portée stratégique de la subsidiarité se révèle dans toute son évidence
si l’on veut bien considérer la dimension ecclésiologique du débat. C’est
dans le temps même où l’Église catholique, par la voix des papes, s’adresse
aux pouvoirs temporels en lançant de pressants appels à la subsidiarité que,
non moins instamment, elle refuse de se l’appliquer à elle-même. Ce faisant,
576 État, libéralisme et christianisme

elle donne à voir toutes les ambiguïtés du Concile Vatican II dont le volet
ecclésiologique annonçait pourtant un complet revirement par rapport au
modèle tridentin. Telle que mise au jour par notre analyseur conceptuel, la
contradiction pontificale réside donc dans ce cœur définitionnel du catholi-
cisme : l’imperturbable prétention de l’Église à incarner la seule Institution
possible.
Ramené à l’échelle de la doctrine catholique de l’État, le totalitarisme
— spécialement réinterprété — en vient presque à jouer le rôle de prétexte :
du point de vue pontifical, il est l’occasion inespérée de rappeler le pouvoir
temporel à son statut d’infériorité. Mieux : c’est à la faveur de cet épouvantail
totalitaire, il y a tout lieu de le considérer, que l’Église catholique parachève
son acclimatation au fait démocratique et libéral tout en reconduisant son
indéfectible rejet de l’idéologie libérale. Support théorique de cette stato-
phobie antitotalitaire, la subsidiarité déploie des effets d’autant moins per-
ceptibles qu’ils se circonscrivent à la seule dimension institutionnelle de leur
cible. Que l’État remplisse un rôle fonctionnel, voilà qui n’a jamais fait véri-
tablement problème aux yeux des papes. Que l’État prétende à la dignitas
institutionnelle, voilà qui le met en concurrence directe avec la médiation
ecclésiale. La pointe anti-étatique de la subsidiarité ne vise donc pas l’État
fonctionnel ; elle vise l’État lui-même en son principe institutionnel. Aussi
la parenté n’est-elle pas seulement fortuite avec les théories libérales de l’anti-
totalitarisme ; et trouvera logiquement à s’exprimer dans une même dénon-
ciation de la Providence étatique.

Le débouché européen ensuite. Le mot ne survient pas par hasard dans le


discours et la pratique des acteurs de l’Union. De l’après-Seconde Guerre
mondiale à la signature du traité de Maastricht, les canaux de transmission
furent multiples, qui, tous, confluèrent inconsciemment vers un appel una-
nime au dépassement des États. On pense d’abord à la démocratie chrétienne,
qui, dès l’origine, a constitué l’un des principaux soutiens idéologiques au
projet européen. Cet aspect est bien connu ; et nous n’avons pas voulu y
revenir autrement que par de brefs et épisodiques rappels. La méthode
sémantique ici empruntée invitait plutôt à concentrer l’analyse sur le cas fran-
çais et sur son dialogue souterrain avec l’expérience allemande. La pleine
appréhension de cette piste de recherche, on s’en doute, fut moins politique
que culturelle. Nous y avons découvert l’immense galaxie proudhonienne
des courants fédéralistes, puissant sillon intellectuel trop largement sous-
estimé. Du personnalisme chrétien aux adeptes du fédéralisme intégral, en
passant par la sociologie juridique et la gauche antimarxiste, le dénominateur
commun de la référence à Proudhon la prédisposait à un accueil plus que
bienveillant du principe de subsidiarité.
Après une longue traversée du désert, le mot était à la disposition des
rédacteurs du traité de Maastricht, au premier rang desquels Jacques Delors,
dont le cas personnel se fit même emblématique du rôle joué par le fédéra-
lisme européen dans la conversion du socialisme hexagonal au nouveau
Résumé 577

monde libéral. La consécration juridique du principe — son entrée officielle


dans le droit positif communautaire — procédera d’un compromis dilatoire
en bonne et due forme. Les principaux termes en ont précisément été for-
mulés par le Président français de la Commission. Sous sa houlette, la subsi-
diarité réussira le tour de force d’apaiser les angoisses respectives des Länder
allemands et des conservateurs britanniques. Où tous les investissements
stratégiques du mot se cristallisent : la subsidiarité est fédéraliste pour Jacques
Delors, souverainiste pour les Britanniques, régionaliste pour les Länder.
Aussi, depuis cet acte de renaissance maastrichtien, le mot revêt-il davantage
une portée symbolique (concept de consensus culturel) qu’une réelle effecti-
vité juridique (principe régulateur des compétences partagées entre les États
membres et l’Union européenne).
Les continuités apparaissent avec netteté entre la doctrine catholique et la
construction européenne. Mais elles révèlent aussi un passage difficile de la
théorie à la pratique, tant le principe est potentiellement sujet à des traduc-
tions variées, tant ses différentes significations ont fini par se neutraliser les
unes les autres. L’époque contemporaine n’a certes pas oublié sa signification
première, mais force est de constater qu’elle entre en concurrence ouverte
avec l’acception du droit communautaire, dont les propriétés communes avec
la précédente sont tout sauf évidentes. D’où l’intérêt de notre étape intermé-
diaire pour mieux comprendre la logique de ce passage.

Le creuset germanique enfin. C’est moins dans le catholicisme en général


que dans le catholicisme germanique en particulier que nous avons finale-
ment été conduit à resituer les origines culturelles et les anticipations doctri-
nales du principe de subsidiarité. Nos indices procèdent de l’acte de naissance
sémantique lui-même : Quadragesimo anno, qui a introduit le syntagme dans
le magistère pontifical, était d’abord le fruit du travail de deux plumitifs ger-
manophones, les Pères Oswald von Nell-Breuning et Gustav Gundlach, eux-
mêmes héritiers d’une tradition de pensée bien installée outre-Rhin depuis le
siècle précédent : le catholicisme social et le solidarisme jésuite.
Entre l’étape catholique et l’étape européenne, le creuset germanique
reformate doublement le principe de subsidiarité. 1o Le concept n’est plus
seulement catholique, il endosse désormais des habits chrétiens. 2o Le concept
n’est plus seulement naturaliste, il s’adjoint un volet constructiviste. Après
le traumatisme nazi, ces deux évolutions prennent corps sur deux terrains
distincts mais convergents, le fédéralisme et l’ordolibéralisme, qui, eux-
mêmes, renvoient à la double dimension territoriale et fonctionnelle de la
subsidiarité.
Notre analyseur permet ici d’identifier le substrat chrétien du fédéralisme
post-totalitaire ouest-allemand. Avant de devenir le concept de compromis
que l’on sait, la subsidiarité a d’abord commencé par s’extraire du camp
catholique pour épouser un discours plus généralement chrétien. La coïnci-
dence n’est pas fortuite, cette rencontre a lieu au moment même où protes-
tants et catholiques allemands enterrent la hache de guerre et se réunissent
578 État, libéralisme et christianisme

dans un parti politique unifié. Réconciliation historique qui ne manquera pas


de faciliter la renaissance de 1949 : la République fédérale comme seule issue
possible à la Tragédie. Au-delà même du dialogue confessionnel entre luthé-
riens et catholiques, on assiste parallèlement à une redécouverte théorique
du passé de l’Allemagne médiévale. Relire Althusius, faire retour au droit
naturel, perfectionner l’État de droit, c’est aussi, pour les Allemands, qui
cherchent à comprendre les causes de la Catastrophe, se donner les moyens
de lever l’hypothèque prussienne tout en sauvant l’un des principaux compo-
sants de leur identité culturelle : la Réforme. Toutes proportions gardées, un
schéma mental similaire se mettra en place de l’autre côté du Rhin, alors
même qu’une nouvelle configuration post-totalitaire invitait à réinterpréter le
moment révolutionnaire de 1789 ; en France aussi, la subsidiarité aura besoin
d’un champ d’adversité polémique pour déployer tous ses attributs, un
champ d’adversité dûment accompagné de son lot de fantasmes  : l’État
jacobin.
Paradoxe de taille : adossé qu’il était à la philosophie ordolibérale (version
rhénane du néolibéralisme), le fédéralisme ouest-allemand révèlera très vite
sa propension centralisatrice. Il ne s’agissait pas pour les acteurs de la recons-
truction économique de disqualifier l’État ou d’en finir avec lui. Il s’agissait
de refonder l’État sur des bases radicalement nouvelles : non plus retour anti-
volontariste à la nature des choses mais reformatage fonctionnaliste de l’État.
Sans cet épisode — le tournant constructiviste de la subsidiarité —, le principe
qui fait son entrée dans le droit communautaire en 1992 nous semble rigou-
reusement incompréhensible. Il permet en tout cas de mieux cerner quelques-
unes des passerelles souterraines, si spécifiques à l’Europe, qui opèrent le
couplage entre le contournement fédéral et l’évitement économique de la
souveraineté étatique  : l’État comme simple agrégat de compétences à par-
tager ; l’État comme simple instrument placé au service du marché.

Au total, cette enquête sur la subsidiarité nous conduit à jeter une lumière
nouvelle sur la construction européenne en général et sur sa statophobie
constitutive en particulier  : transformer la répartition des compétences en
une question purement technique (bilan coûts-avantages entre proximité et
efficacité) ; contourner la dimension éminemment symbolique de la hié-
rarchie des niveaux de gouvernement et miser en quelque sorte sur une auto-
régulation naturelle des différents échelons en concurrence. L’Europe pré-
tend sortir du dogme de la souveraineté étatique, elle est surtout le laboratoire
post-totalitaire de la fonctionnalisation de l’État.
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Documents institutionnels
Nota. Seuls sont mentionnés les documents émanant d’institutions publiques
mais dépourvus de valeur juridique. Les textes de droit (textes constitutionnels,
conventionnels, législatifs et autres) cités en notes de bas de page ne sont pas
repris ci-dessous.

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INDEX DES NOMS PROPRES

—A— Berdiaeff, Nicolas A. : 95, 407n, 430n


Bertrams, Wilhelm : 134, 250-251, 250n, 344n
Abelès, Marc : 307n, 487n, 552n, 567, 567n Blüm, Norbert : 359, 359n
Abensour, Miguel : 9n, 11n Blumenberg, Hans : 3n, 43n, 151n, 244n, 273n,
Adenauer, Konrad  : 306, 343-344, 359, 362, 274n, 277n
367n Bodin, Jean : 39, 39n, 60-61n, 184n, 194, 283-
Althusius, Johannes : IX, 17, 122n, 285, 296- 284, 283n, 284n, 317, 327-328, 327-328n,
297, 296-297n, 312n, 322, 325-335, 325n, 330, 330n, 331-334, 332n, 334n, 403, 419,
326n, 327n, 328n, 329n, 330n, 331n, 332n, 560, 560n
333n, 334-335n, 337n, 338, 340n, 396, 419- Böckenförde, Ernst-Wolfgang : 63n, 311n, 325n
420, 573, 578 Böhm, Franz : 355, 357, 358n, 362, 375-376n
Archambault, Paul : 69n, 96n, 423, 423n, 431n, Bongras, Eugène : 338
432 Borne, Étienne : 218n, 423, 423n, 424n
Arendt, Hannah : 3n, 4n, 9n, 10n, 11-12, 12n, Bottai, Giuseppe : 86, 86n, 165n
14n, 17-18n, 19, 19n, 77, 77n, 77-78n, 153n, Bouvier, Michel : 38n, 62n, 111n, 124n, 135n
172n, 187n, 196n, 201n, 245n, 274n, 313n, Bouvier-Ajam, Maurice : 92, 92n, 361, 361n,
321n, 426, 518, 518n, 550, 550n, 559n 388n, 406, 412
Aristote : 17, 119, 120n, 121n, 123-125, 123n, Brague, Rémi : 60n, 152n, 158n, 265n, 274n
124n, 125n, 130, 132, 132n, 136-137n, 137- Brèthe de La Gressaye, Jean : 92n, 213n
138, 137n, 141n, 153, 155n, 171-172, 171n, Bribosia, Hervé : 457, 457n, 480n
172n, 175, 184, 517n, 573 Briefs, Goetz : 26n, 99n, 104, 104n
Arnold, Franz Xaver : 223, 223n Brugmans, Hendrik : 305, 408-409, 408-409n
Aron, Raymond  : 3n, 9n, 11, 14n, 76n, 77, Búrca, Gráinne de : 476n, 480n, 481-482n, 484-
77-78n, 185n, 196n, 290n, 444n 485n, 500
Arquillière, Henri Xavier : 209-210, 210n, 280n, Burdeau, Georges : 36n, 284n, 440n, 538
281n Burdeau, François : 523n
Augustin (saint) : 105, 139, 139n, 154-158, 154n, Burkhard, John J. : 246n
155n, 156, 156n, 157, 157n, 158, 160-161,
161n, 189, 194, 196, 200, 208-210, 208n,
210n, 211-213, 212n, 216, 216n, 220, 228,
—C—
231, 232, 236, 279n, 281, 360 Caillosse, Jacques : 32n, 443n, 450n, 517n, 521n,
532n, 533n, 534n, 542-543n, 544n, 571n
—B— Calame, Pierre : 489n, 529n
Calvez, Jean-Yves : 27n, 51n, 136n, 207n, 222n,
Barion, Hans : 272-273n, 342n 223, 223n, 231n, 371n, 381n
Barret-Kriegel, Blandine : 1, 1n, 4n, 35n, 36, Calvin, Jean : 116n, 296n, 324n, 330, 330-331n
36n, 59n, 175n, 284n, 315-316, 315-316n, Cannac, Yves : 384-385, 384-385n, 386n, 533n
318n Carney, Frederick S. : 296-297n, 326n, 329n
Baudin, Louis : 92n, 106n, 361, 361-362n Carré de Malberg, Raymond de  : 91n, 561,
Beaud, Olivier : 60-61n, 195n, 319n, 406n, 432n, 561n, 571n
433n, 437n, 445n, 448n, 460n, 523n, 559, Cassirer, Ernst : 154n, 160n, 185n, 212n, 281n,
559n, 560n, 561n, 563-564, 563n 300, 318n
Benoît XV (Giacomo Della Chiesa) : 87, 87n, Castillo Lara, Rosalio José : 268, 268n
90-91n, 105, 213-214, 213n, 238 Castoriadis, Cornélius : 385, 385n
Benoît XVI (Joseph Ratzinger) : 217, 217n, 219, Chaplin, Jonathan : 308, 308n
219n, 228, 235-238, 236n, 237n, 238n, 241, Chenu, Marie-Dominique : 50, 50n, 51-52n,
265, 265n, 266n, 267-272, 267n, 270, 270n, 103n, 150n, 152n, 203n, 224n, 226, 226n,
271, 271n, 311, 311n, 568 228n, 250, 253n
740 Index des noms propres

Chevallier, Jacques : 5n, 32n, 451n, 453n, 509n, Duguit, Léon : 102n, 103n, 412, 427n, 428, 431n,
530n, 533n, 556n 435, 437-440, 437n, 438n, 440n, 441
Cicognani, Amleto Giovanni : 221n, 228n, 239, Durkheim, Émile : 102n, 111n, 187n, 412, 428,
239n 435, 435-436n, 438, 438n
Clément, Marcel : 143n, 224, 224n, 420n Duthoit, Eugène  : 94, 94n, 97n, 103n, 189n,
Club Jean-Moulin : 383, 385, 385n, 389, 409n, 193n, 197n, 211n
524, 524n Dumont, Louis : 37, 38n, 42n, 54-55n, 111n,
Cole, George D. H. : 336, 336n, 427, 442n 154n, 183n, 260n, 275n, 278n, 292, 292n,
Congar, Yves M.-J. : 27n, 52n, 127n, 133n, 150n, 298-299n, 325, 325n, 335n, 355n, 377, 377n,
152n, 204n, 219n, 223, 223n, 244n, 246n, 443, 443n
250, 250n, 252n, 256n, 257n, 259n, 260, Dupront, Alphonse : 16n, 253n, 268n, 298n,
260n, 262n, 267n 304n
Constantinesco, Vlad : 29n, 414n, 448n, 456,
456-457n, 460n, 461n, 469n, 480-481n, 495n,
552n
—E—
Courtney-Murray, John  : 133n, 146n, 150n, Eisenmann, Charles  : 29n, 32n, 343n, 437n,
195, 195n, 196n, 204n 513n, 521, 521n, 571n, 572n
Croce, Benedetto : 316, 316n Elazar, Daniel J. : 330-331n, 418n, 559-560n
Croisat, Michel : 29n, 569n Ellul, Jacques : 284n, 381n, 413-414n, 426n
Crozier, Michel : 385, 385n, 409n, 443n, 450n, Endo, Ken : 396n, 457, 457n, 486n
509-510n, 523n, 524-526, 525n, 526n, 528- Erhard, Ludwig : 354n, 355, 355n, 356n, 357-
529, 529n, 530n, 547n 358, 357n, 359, 362-363, 365-367, 365n, 366-
Curran, Charles E. : 52n, 206n, 238n 367n, 369, 373-375
Eucken, Walter : 300n, 355, 357, 357n, 358n,
—D— 362, 362-363n, 366n, 375-376, 375-376n
Eusèbe de Césarée : 209, 209n, 280-281, 281n
Dabin, Jean : 27n, 191n
Dahrendorf, Ralf G. : 297-298, 392, 392n, 394,
442n, 468n, 470
—F—
Daniel-Rops, Henri : 401n, 402n, 403n Feral, Pierre-Alexis : 457, 457n, 506n
Daujat, Jean : 406-407, 406n, 407n Ferry, Jean-Marc : 448n, 565n, 566n
Dehousse, Renaud : 28n, 389n, 456, 456-457n, Fichte, Johann Gottlieb : 170, 170n, 174-177,
475-476n, 491n, 494n 174n, 175n, 177n, 291n, 315-316, 338n
Delcamp, Alain : 508n, 510n, 511n, 517n, 531- Figgis, John N. : 336, 336n
532, 532n, 535-536n Fischer, Joschka : 2n, 397-398n
Delors, Jacques : 29, 31, 307, 308, 340n, 349, Follesdal, Andreas : 5n, 489n, 555n
378, 378n, 379, 379n, 380-398, 380n, 381n, Foucault, Michel : 4n, 20, 20n, 22n, 41-42, 41n,
382n, 383n, 384-385n, 387n, 389n, 390n, 42n, 184n, 245n, 353-355, 353n, 354n, 355n,
392n, 393n, 394n, 395n, 396n, 397n, 398n, 359-361, 359n, 360n, 367n, 368, 368n, 372-
399, 428, 442, 443n, 457, 457n, 468n, 471n, 374, 374n, 377n, 378n, 450n, 452n, 526n,
472, 483, 483n, 485-486, 485n, 486n, 488- 554n
489n, 525, 525n, 527, 533, 572, 572n, 576- Freund, Julien : 9-10, 10n, 321n
577 Friedrich, Carl J. : 14n, 78n, 283n, 290n, 296-
Delos, Joseph T. : 27n, 95, 95n 297n, 312, 312n, 326n, 327n, 329n, 335, 335n
Delpérée, Francis : 28n, 29n Furet, François  : 3n, 76n, 177n, 185n, 192n,
Der Velden, Joseph J. van : 103n 387n, 388n, 521-522n, 528-529, 529n
Der Ven, Joos J. M. van : 336n
Desbuquois, Georges : 98, 99n, 100
—G—
Domenach, Jean-Marie  : 400n, 405n, 409n,
421n, 422n, 424n Garrigues, Jean-Miguel : 72-73n, 157n, 197n,
Donegani, Jean-Marie : 3n, 34n, 35n, 40n, 41n, 198n, 205n, 372, 372n
53n, 148n, 381n, 426n Gasser, Adolf : 414n
Dooyeweerd, Hermann : 297n, 336, 336-337n Gauchet, Marcel : 2, 8n, 9, 9n, 16, 16n, 38n, 39n,
Dreitzel, Horst : 330, 330n 40n, 54-55n, 63n, 151n, 178n, 186n, 234n,
Droulers, Paul : 87n, 96n, 99n, 101n 334, 334n, 522n, 550, 550n, 558
Index des noms propres 741

Gaudemet, Jean : 219n, 268n, 280n, 282 —J—


Gaulle, Charles de : 522, 524-525n
Gehlen, Arnold : 275n Jarlot, Georges : 81n, 97n, 100n, 112n
Gentile, Emilio : 14n, 77n, 91n Jaume, Lucien : 6n, 181-182n, 183n, 421n, 432n,
Gentile, Giovanni : 14n, 85n, 86, 165, 165n, 166 521-522n, 522n, 524-525n
George, Joseph S. : 261n Jean XXIII (Angelo Giuseppe Roncalli) : 27,
Gerven, Walter van : 455, 456n, 476n, 499n 27n, 47n, 69, 69n, 144n, 148n, 217, 217n,
Gierke, Otto von : 296-297n, 326, 326n, 329n, 220-223, 220n, 221n, 222n, 228, 238, 238n,
335-336, 335n, 427n 249, 249n, 305, 305n
Giscard d’Estaing, Valéry : 384n, 462n, 472, Jean-Paul II (Karol Wojtyla) : 28n, 52-53, 52n,
472n, 473n, 474, 489, 515n, 524, 533 82, 138-139n, 160n, 164n, 197n, 203-204n,
Goyau, Georges : 64n, 108n, 109n, 110n, 178n, 214-215n, 217, 217n, 220, 222n, 226n, 227n,
213n 228-235, 228n, 229n, 230n, 231n, 232n,
Granrut, Claude du : 506, 506n 233n, 234-235n, 236, 240-241, 240n, 241n,
Greilsammer, Ilan : 400n, 418n, 559-560n 253, 259n, 263-267, 263n, 267n, 269n, 270n,
Guichard, Olivier : 523-524, 524n, 525, 525n, 273-274, 278n, 305-307, 305n, 371, 377
527-528 Jouanjan, Olivier : 315n, 320n
Gundlach, Gustav : 26, 26n, 99-101, 100n, 101- Journet, Charles : 91n, 131n, 133n, 156n, 157n,
102n, 103-104, 103n, 104n, 190, 246n, 248n, 194n, 215n
577 Jouvenel, Bertrand de : 407, 407n, 414n
Gurvitch, Georges : 416-417n, 422, 428, 428n, Juppé, Alain : 531, 533
431-432, 431n, 432n, 434-436, 435n, 442n
—K—
—H— Kalkbrenner, Helmut :
Habermas, Jürgen : 310, 310n, 311n, 565n Kant, Emmanuel : 31n, 69n, 116-117n, 118, 170,
Hansen, Mogens H : 58n, 119-120, 119n 170n, 175-176, 175n, 176n, 184, 184n,
Hauriou, Maurice : 36, 36n, 37n, 103n, 423n, 233
428n, 431n, 432-438, 432n, 433n, 434n, Karrer, Otto : 256n
435n, 436n, 437n, 438n Kasper, Walter : 259n, 270-271, 270-271n
Hayek, Friedrich A. : X, 11, 11n, 232, 232n, Kaufmann, Franz Xaver : 16n, 118n, 258n
318, 360, 362n, 364n, 373-374, 373n, 374n, Kerber, Walter : 219n
375n, 376, 376n, 378n, 442 Kersbergen, Kees van  : 140n, 370n, 450n,
Hegel, Georg W. F. : 6n, 25, 17, 19, 62-63n, 465n
170n, 233, 291n, 315-319, 316n, 317n, 320, Kervégan, Jean-François : 63n, 315n, 319n, 376n
322, 403, 509, 509n Ketteler, Wilhelm Emmanuel von : 89, 98, 98n,
Héraud, Guy : 337, 410-413, 410n, 411n, 412- 101, 105-110, 105n, 106n, 107n, 108n, 109n,
413n, 415, 419, 419n, 448n 110n, 111-112, 115, 140n, 164n, 177-182,
Herzog, Roman : 342n, 344-345, 344n 179n, 180n, 181n, 191, 191n, 193, 217, 296,
Hesse, Konrad : 342n, 343, 343n 304, 333n, 338n, 339n
Hobbes, Thomas : 6n, 7n, 37n, 39, 39n, 184n, Kimminich, Otto : 292n, 344-345n
194-195, 195n, 233, 317, 321n, 327n, 328n, Kinsky, Ferdinand : 306n, 401-402n, 404n
331-332, 331n, 332n, 403 Klüber, Franz : 66n, 245n
Höffe, Otfried : 17n, 52n, 234n Kogon, Eugen : 142n, 311n
Hours, Joseph : 218n, 303n Komonchak, Joseph A. : 59n, 225n, 244n, 246n,
Hrbek, Rudolf : 28n, 348n, 349n, 351n 247n, 259n, 264n, 266-267, 267n, 268n
Hueglin, Thomas O. : 17n, 326n, 327n, 334n, Koninck, Charles de : 126-127n, 206n
335n, 337n, 553n Koopmans, Thymen : 455, 455-456n
Humboldt, Wilhelm von : 182-183, 183n, 299n, Koselleck, Reinhart : IX, 19-20, 19n, 20n, 22n,
373n 23, 23n, 30n, 31n, 32n, 43, 43n, 58, 58n, 119n,
120, 120n, 157n, 292, 292n, 293n, 297-298n,
314n, 552n
—I—
Küng, Hans : 251-252, 251n, 252n, 262, 265-
Isensee, Joseph : 17n, 290n, 300n, 342, 342n, 266, 266n, 284
344n, 552n Kuyper, Abraham : 297n, 336, 336-337n
742 Index des noms propres

—L— Manent, Pierre : 9, 9n, 39n, 125n, 155n, 566-


567n
La Tour du Pin, René de : 71n, 95, 96n, 100, Manoïlesco, Mikhail : 116n
111-116, 111n, 112n, 113n, 114n, 115n, Marc, Alexandre : 94n, 305, 337, 382n, 384n,
116n, 125n, 153n 153n, 330n 400-405, 400n, 401-402n, 403n, 404n, 405n,
Lacroix, Jean : 95n, 422, 422n, 429-430, 429n, 406n, 407n, 408-411, 409n, 410n, 411n, 412-
430n, 431n 413, 412n, 418-420, 418n, 419n, 420-421,
Lamoureux, François : 396n, 485, 485-486n 420n, 421n, 424n, 425n, 431n
Landsberg, Paul Ludwig : 105, 105n, 400n Marc-Lipiansky, Mireille : 421n
Laski, Harold J. : 336, 336n, 427-428, 442n Maritain, Jacques : 14, 14n, 35n, 49-50, 49n,
Le Play, P. G. Frédéric : 115-116, 115n, 436n 69-70n, 91, 91n, 94n, 95n, 96, 96n, 117n,
Lebessis, Notis : 457, 489, 489n 122-123n, 126-127n, 131, 131n, 133n, 159n,
Lefort, Claude : 7n, 9n, 11, 11n, 76n, 151n, 316,
193-196, 193-194n, 195n, 196n, 200n, 203n,
316n
204-207n, 204n, 205n, 206n, 207n, 218n,
Legendre, Pierre  : 11n, 36, 36-37n, 58-59n,
219n, 226-227, 226n, 227n, 232, 237, 238n,
184n, 282n, 283n, 443n, 452n, 523n
253n, 265-266n, 301, 302n, 303n, 303-304n,
Lenaerts, Koen  : 348n, 455, 455-456n, 462-
312n, 313, 313n, 318, 336-337n, 402, 407,
463n, 471n, 475n, 477n, 478n, 481-482n,
407n, 423, 423n, 425, 425n
506n
Mattera, Alphonso : 303n, 390n
Léon XIII (Vincenzo Gioacchino Pecci) : 13n,
Maurras, Charles : 79, 113-115, 113-114n, 129n,
15, 47, 47n, 48n, 49, 49n, 51, 51n, 53-54, 54n,
194, 193-194n, 206, 272, 272n, 303-304n,
57n, 58n, 62n, 64n, 68, 70n, 72-75, 72n, 73n,
401, 424
84, 100, 100n, 101n, 102, 106n, 108n, 112n,
Meinecke, Friedrich : 316, 316n
120, 123, 127, 127n, 131n, 134-135, 134n,
Metz, René : 251n, 258n, 262n, 267n, 268n
138n, 140-141, 140n, 144-149, 144n, 145n,
146n, 147n, 148n, 160n, 166, 166n, 169n, Millon-Delsol, Chantal : 15, 15n, 17n, 18, 18n,
182, 182n, 198-199, 202n, 211, 224n, 230-231 71n, 98n, 118n, 122n, 134n, 150n, 188n,
Leys, Adrianus C. N. P. : 246n, 252n, 262n 317n, 328n, 330n, 333n, 340-341n, 372,
Liberatore, Matteo : 100-101, 100n, 101n 372n, 378n, 397n, 477n, 520n, 522n, 528n,
Lijphart, Arend : 336-337, 337n 566n
Link, Ewald : 344n Mitterrand, François : 380, 380n, 382-383, 545n
Lippmann, Walter : 361, 361n, 362n Monnet, Jean : 307, 307n, 409n, 444-445, 445n,
Loubet del Bayle, Jean-Louis : 94n, 381n, 399n, 455n
401n, 407n, 422n Montesquieu, Charles Louis de : 12n, 39-40,
Lourau, René  : 105n, 129n, 154-155n, 436n, 42, 171-172n, 291n, 299n, 332, 419, 518,
517n 518n, 519, 571n
Lubac, Henri de : 133n, 150n, 153-154, 154n, Mörsdorf, Klaus : 272, 272-273n
196n, 210n, 226, 250, 250n, 254n, 265, 265n, Mounier, Emmanuel : 69-70n, 92-96, 93n, 95n,
426n 96n, 105n, 227n, 303-304n, 379n, 381-382,
Luhmann, Niklas : 6, 6n 399-401, 399n, 400n, 401n, 402n, 404n,
Luther, Martin : 116, 207-208, 208n, 295, 298n, 419n, 420-426, 421n, 422n, 423n, 424n,
315, 322, 323n, 324-325, 324n, 331, 338 425n, 426n, 429-431, 429n, 430n, 431n, 509,
Luyckx, Marc : 329n, 340n, 396n, 457, 457n 509n
Muller, Albert : 81n, 98, 99n, 100
—M— Müller, Franz H. : 26n, 104, 104n
Müller-Armack, Alfred : 353, 353n, 356n, 357,
MacCormick, Neil : 555n 362-363n
Mackenzie-Stuart, Alexander John : 455, 455- Mun, Albert de : 106, 106n, 112-113, 112-113n
456n, 495n Mussolini, Benito : 14, 14n, 31, 59n, 77-86, 77n,
Madiran, Jean : 123n, 224, 224n 79n, 80n, 82n, 85n, 86n, 90, 94, 99n, 113,
Maier, Hans : 146n, 185-186n, 265n, 332-333n 165n, 319
Maitland, Frederick W. : 336, 336n
Man, Henri de : 388, 388n, 428n
Mann, Thomas : 289, 289n, 291n, 297n, 298-
—N—
299, 298-299n, 301, 301-302n, 313n, 325, Naudet, Jean-Yves : 237n, 372, 372n
325n Nawiasky, Hans : 337, 340, 340n, 343n, 361n
Index des noms propres 743

Nell-Breuning, Oswald von : 15n, 26, 26n, 49n, 189n, 190-193, 190-191, 190n, 191n, 192n,
79, 83, 98-101, 99n, 100n, 101n, 103-104, 193-194n, 196-198, 197n, 198n, 201-210,
103n, 104n, 126n, 137, 137n, 141n, 217, 223, 201n, 202n, 203n, 204n, 205n, 211, 212-213,
223n, 226, 270-271n, 307n, 310-311n, 363- 212n, 213n, 214-215n, 215, 216, 219, 223,
366, 364n, 366n, 367n, 516-517n, 577 228, 231, 233, 238n, 241, 243n, 247-251,
Nipperdey, Thomas : 178n, 179n, 292n, 294n, 248n, 249n, 250n, 251n, 254n, 260n, 263,
296n, 297-298n, 309, 309n, 322n, 325n, 332- 264, 271, 303, 303n, 304n, 307, 313n, 337,
333n, 365n 423
Novak, Michael : 206n, 371, 371n Piller, Joseph : 337-338, 337-338n
Pirou, Gaétan : 55n, 92n, 115n
—O— Plessner, Helmuth : 297-298n, 311, 311-312n
Ploncard d’Assac, Jacques : 81n, 303-304n
Onorio, Joël Benoît d’ : 18n, 253n, 269n
Polanyi, Karl : 54-55n, 355n, 376n
Pontier, Jean-Marie  : 29n, 512n, 522n, 537-
—P— 538n, 542-543n
Popper, Karl R. : 11, 11n, 318, 318n
Padoa-Schioppa, Tommaso : 472, 472n
Portier, Philippe : 146n, 231n, 524n
Passerin d’Entrèves, Alexandre : 119n, 173n,
Poulat, Émile : 40-41n, 49n, 62, 62n, 74n, 76n,
212n
107n, 122n, 133n, 146n, 148-149, 148-149n,
Paul VI (Giovanni Battista Montini) : 222n, 225,
194n, 203n, 204n, 207n, 239, 239n, 305n,
226, 226n, 227-228, 227n, 228n, 236, 237,
308n, 371n
239, 239n, 254, 254n, 264, 264n, 265, 304n,
Portelli, Hugues : 381n, 512n, 532n, 534, 534n
305, 305n
Prélot, Marcel : 91, 91n, 97, 97n, 147n, 327n,
Perissich, Ricardo : 468, 468n, 486n
423, 423n, 432n
Perroux, François : 27n, 81n, 86, 86n, 88, 88n,
89, 89n, 92-93, 92n, 93n, 226n, 388, 403n, Prodi, Romano : 307, 396-397n, 472n, 488, 488-
405n, 406n 489n
Pescatore, Pierre : 455, 455-456n, 460n, 461n, Proudhon, Pierre-Joseph : 17, 111n, 327, 381-
495n 382, 385, 387-388, 387n, 399, 399n, 401,
Pesch, Heinrich : 101-104, 101-102n, 104n, 110, 401-402n, 406, 408, 410, 412n, 416-420,
112, 137-138, 137n, 217 416n, 417n, 419n, 420n, 420-421, 421n, 424-
Peterson, Erik : 209-210, 209n 429, 424n, 425n, 426n, 427n, 428n, 429n,
Peyrefitte, Alain : 525, 525n 431n, 432-433, 435-436, 435n, 440, 442n, 576
Picq, Jean : 529, 529n, 530-531, 530n, 532n, 543n
Pie IX (Giovanni Maria Mastai Ferretti) : 62n, —R—
78n, 109n, 144n, 145n, 146, 177-178n
Pie X (Giuseppe Melchiorre Sarto) : 49-50n, Raffarin, Jean-Pierre : 511, 535, 546n
64n, 255, 255n, 383n Rahner, Karl : 75-76n, 150n, 214n, 223, 223n,
Pie XI (Achille Ratti) : 13, 13n, 15, 24, 31, 31n, 250, 250n
47n, 48-49, 49-50n, 53n, 54n, 55n, 56-57, Rauscher, Anton : 99n, 100n, 364n
56n, 57n, 60n, 62n, 67, 67n, 68, 69-70, 70n, Renard, Georges : 430n, 432, 432n, 436n
71n, 74-75, 75n, 77-78, 79, 79n, 80-85, 80n, Rendtorff, Trutz : 295n, 344-345n
81n, 82n, 83n, 84n, 85n, 88, 90, 90n, 92, Reuter, Paul : 445, 445n, 563n
98-99, 99n, 108n, 123, 125n, 127n, 133n, Richard, Max : 337, 399, 399n, 400n, 403n, 406,
134n, 135-139, 135n, 137n, 138n, 139-142, 407, 407-408n, 410, 409-410n
140n, 141-142n, 142-143n, 143, 144, 144n, Ricœur, Paul : 9n, 20n, 21n, 316n, 429n, 431n
147, 149-150, 165-169, 165-166n, 167n, Robespierre, Maximilien de : 522, 522n
168n, 169n, 186n, 188-189, 188-189n, 190- Rocard, Michel : 381, 382-383, 383n, 385, 386,
192, 196-201, 198n, 199n, 200n, 201n, 204, 524n, 529-530, 533
209-212, 211n, 214-216, 214n, 215n, 220, Rommen, Heinrich : 26n, 104, 104n, 155n
221, 226n, 228, 232, 233, 238, 241, 248, 252, Röpke, Wilhelm : 289, 289n, 301, 301n, 357,
421, 548n, 575 358n, 361n, 362-366, 362n, 363n, 364n,
Pie XII (Eugenio Pacelli) : 16n, 57n, 61n, 68, 365n, 366n, 373-375, 373n, 375n, 377n,
83n, 84n, 99, 105, 138n, 142, 142-143n, 143, 378n, 407, 413-414n
144, 145, 147n, 150, 150n, 152n, 168n, 188n, Rougemont, Denis de : 337, 379, 395-396, 395n,
744 Index des noms propres

396n, 401-402n, 403n, 404-405, 404n, 407n, Thomas d’Aquin (saint) : 17, 18n, 35-36, 49-51,
408-409, 408n, 409n, 410, 412-413, 413n, 415 49-50n, 61, 69n, 70n, 101n, 105, 115, 116-
Rougier, Louis : 361, 361n 138, 117n, 118n, 121n, 122-123n, 124n,
Rousseau, Jean-Jacques : 11, 134, 170, 170n, 125n, 126n, 127n, 128n, 129n, 130n, 131n,
175n, 194, 233, 317, 328, 328-329n, 332, 382, 132n, 133n, 136-137n, 140, 140-141n, 150,
403, 518, 518n, 520, 560n 153-155, 154n, 155n, 157-161, 157n, 158n,
Rosanvallon, Pierre : 7n, 39n, 54-55n, 94n, 130, 159n, 160n, 161n, 168, 168n, 172-173, 172n,
130n, 382n, 385-387, 385n, 386n, 387n, 173n, 187, 194, 202, 212n, 282n, 284-285,
388n, 427n, 520n, 521-522n, 523n, 528, 529n 360, 429n, 432-433n, 436n, 573
Rüstow, Alexander : 357, 361-362, 362-363n Tocqueville, Alexis de : 8, 8n, 11, 17, 39n, 111n,
180, 205-206, 385, 387, 387n, 419, 419n, 518-
520, 519n, 519-520n, 520-521n, 573
—S— Toniolo, Giuseppe : 101, 101n, 110, 113, 113n,
Saint-Simon, Claude Henri de : 307, 378n, 388, 147n
428, 428n Troeltsch, Ernst : 34-35n, 49n, 150n, 275-276n,
Scelle, Georges : 361n, 411-412, 411-412n 294n, 295n, 296, 296n, 298-299n, 323, 323n
Schmitt, Carl : 7n, 12n, 37n, 43, 43n, 72-73n, Troper, Michel  : 32n, 315n, 538n, 561-562,
119n, 151n, 184n, 195n, 209-210, 209n, 243- 561n, 562n, 571n, 572n
244n, 272n 272-273n, 273-274n, 283, 283n,
300, 315, 319-322, 319n, 320n, 321n, 331- —U—
332, 332n, 374-375, 374-375n, 420, 420n,
427-428, 427n, 428n, 432n, 440, 440n, 518, Utz, Arthur F. : 26n, 51-52n, 62n, 134n, 136n,
520, 557, 557n, 563-564, 564n 188n, 223n, 337n, 338, 344n, 370n
Schmitz, Richard : 89, 89n
Schuman, Robert : 2n, 306, 307n, 361n, 445,
445n
—V—
Senellart, Michel : 283n, 333, 334n, 354n, 355n, Vedel, Georges : 410n, 419n, 436n, 523n, 572n
360n, 368n Verbeek, Bertjan : 450n, 465n
Sidjanski, Dusan : 404n, 415, 415n Vialatoux, Joseph : 14, 14n, 103n, 195, 195n
Spinelli, Altiero : 28n, 349n, 361n, 392, 394-395, Vignaux, Paul : 94, 94n, 381n, 383, 432n
394n, 409-410, 410n, 419, 468-470, 468n, Vignon, Jérôme : 393n, 396, 396n, 455n, 488,
469n, 470n, 472-473, 473n, 486 488n, 525n
Stadler, Hans : 26n, 297n, 414n Villey, Daniel : 93n, 361, 361n
Stolleis, Michael : 314n, 315n, 318n, 327-328n, Villey, Michel : 35n, 50, 50n, 60n, 75-76n, 122-
330n, 332-333n 123n, 125, 141n, 154n, 326n
Strauss, Leo : 26, 35, 35n, 60n, 120, 155n, 173n, Voegelin, Eric : 14, 14n, 87, 90, 90n, 185-186n,
274n 195-196, 196n, 318, 557n
Sturzo, Luigi : 14, 14n, 59, 59n, 78, 87, 90-91, Vogelsang, Karl von : 88n, 89, 88-89n, 100n,
90-91n, 195, 214n, 304n, 318n 111-112
Supiot, Alain : 137n, 571n Voyenne, Bernard : 327n, 335n, 337n, 401-402n,
Süsterhenn, Adolf : 142n, 340, 340n, 342, 342n, 409-410n, 417n, 418n, 420, 420n, 421, 421n
358n, 408, 408n

—W—
—T—
Weber, Max : 34-35n, 151n, 183n, 208n, 245,
Taine, Hippolyte : 180n, 520n 245n, 275-276n, 296, 296n, 300, 321, 321n,
Talmon, Jacob L. : 11, 11n, 196n, 203-204n, 327, 371, 452n, 547n, 570n
407n Weiler, Joseph H. H. : 461n, 489n, 495-496n,
Taparelli d’Azeglio, Luigi : 101, 101n, 137n, 555n
213n, 333, 333n Winkler, Heinrich August : 290n, 297-298n,
Thibaud, Paul : 386, 386n, 400n, 566-567n 309, 309n, 314, 314n
Thieme, Karl : 337, 337n Wyduckel, Dieter : 17n, 326n
TABLE DES MATIÈRES

Remerciements VII

Préface IX

Introduction générale. Du mirage de l’État totalitaire


au spectre de l’État subsidiaire 1
I. Du traumatisme totalitaire à la construction européenne 1
1. L’ère du post-totalitarisme 1
2. Le mirage de l’État totalitaire 9
3. Le spectre de l’État subsidiaire 13
II. La contextualisation sémantique comme méthode d’analyse 19
III. La statophobie post-totalitaire : christianisme et libéralisme 24
1. Un premier repérage lexical 24
2. De la doctrine catholique à l’Europe communautaire 29
3. Entre la statophobie ecclésiale et la statophobie libérale 34
4. Une convergence inopinée 39

Première partie
La subsidiarité catholique
ou la statophobie souterraine de l’Église romaine
Chapitre préliminaire. L’Église, l’État, la Société 47
1. Le statut doctrinal de la subsidiarité 47
2. La question de l’intervention étatique 53
3. La conquête ecclésiale de la société 62
Chapitre 1. Subsidiarité et ordre économique. La compromission pontificale 67
I. Contextualisation factuelle de la subsidiarité 67
1. La théorie rattienne du corporatisme « sain » 68
2. Le révélateur du fascisme mussolinien 77
3. L’aveuglement des clercs catholiques 86
II. Contextualisation intellectuelle de la subsidiarité (1) 98
1. L’empreinte du solidarisme germano-catholique 98
2. La figure tutélaire de Mgr von Ketteler 105
3. La postérité contrastée de La Tour du Pin 111
II bis. Contextualisation intellectuelle de la subsidiarité (2) 116
1. L’instrumentalisation pontificale de saint Thomas 117
2. Thomas d’Aquin au-delà du thomisme magistériel 121
III. Signification doctrinale de la subsidiarité 135
1. Le nouvel argument de la « justice sociale » 136
746 Table des matières

2. Les ressorts stratégiques de la doctrine sociale 144


3. D’Augustin à Thomas, le système social-spirituel 150
Chapitre 2. Subsidiarité et autorité spirituelle. La condamnation pontificale 163
I. L’État éducateur, préfiguration de l’État totalitaire ? 164
1. Les prétentions éducatives de l’Église 165
2. Les prétentions éducatives de l’État 170
3. L’épisode bismarckien du Kulturkampf 177
II. L’État subsidiaire, figure de l’État post-totalitaire 189
1. De l’absolutisme au totalitarisme 192
2. La théorie pacellienne de la « saine » démocratie 201
3. Un retour du refoulé augustinien 211
III. Une acclimatation paradoxale à la modernité libérale 217
1. De la corporation à la socialisation 220
2. La phobie antitotalitaire de l’État-providence 228
3. L’élargissement conceptuel de la subsidiarité 237
Chapitre 3. Subsidiarité et société ecclésiale. La contradiction pontificale 243
I. Démocratie dans l’État, hiérarchie dans l’Église 243
1. Les coordonnées du problème 243
2. La convergence des réponses 247
II. La continuité ecclésiologique par-delà le Concile 254
1. Vatican II ou les conséquences de l’antijuridisme 254
2. Jean-Paul II et la reprise en main ratzingérienne 263
III. Le monopole ecclésial de la grâce institutionnelle 274
1. La double nature de l’institution 274
2. La spécificité de l’Église romaine 278

Seconde partie
La subsidiarité germanique
ou la statophobie refoulée de l’Europe chrétienne
Chapitre préliminaire. L’Allemagne, l’Europe, le fédéralisme 289
1. La tradition allemande du fédéralisme 289
2. La subsidiarité du libéralisme germanique 296
3. Les enjeux de la subsidiarité européenne 302
Chapitre 1. Subsidiarité et Allemagne chrétienne. La condition fédérale 309
I. Le système traumatique totalitarisme-fédéralisme 309
1. Fédéralisme, libéralisme, jusnaturalisme 309
2. L’État totalitaire : l’État bouc émissaire 315
II. Du fédéralisme germanique à la subsidiarité (territoriale) 322
1. Les matrices luthérienne et althusienne de l’État 322
2. La subsidiarité dans le fédéralisme post-totalitaire 338
3. Fédéralisme unitaire et revendications subsidiaristes 344
Table des matières 747

III. Du libéralisme germanique à la subsidiarité (fonctionnelle) 353


1. L’ordolibéralisme, un libéralisme post-totalitaire 354
2. La subsidiarité chrétienne dans l’ordolibéralisme 362
3. Subsidiarité ordolibérale et tournant constructiviste 372
Chapitre 2. Subsidiarité et Europe post-totalitaire. La conjonction fédérale 379
I. Entre libéralisme et socialisme chrétien 380
1. Un ordosocialisme à la française ? 380
2. Le baptême delorien de la subsidiarité 389
II. Entre fédéralisme et personnalisme chrétien 399
1. La statophobie du personnalisme fédéraliste 399
2. La subsidiarité dans le fédéralisme intégral 407
3. Fédéralisme althusien, fédéralisme proudhonien 416
III. Entre proudhonisme juridique et fonctionnalisme chrétien 420
1. Fédéralisme assumé, fédéralisme inhibé 420
2. Le refus personnaliste de la médiation juridique 426
3. La désinstitutionnalisation sociale de l’État 431
4. La fonctionnalisation économique du droit 440
Chapitre 3. Subsidiarité et Europe maastrichtienne. La confusion fédérale 447
I. Contextualisation juridique du principe de subsidiarité 447
1. Entre catégorie d’action et catégorie d’analyse 448
2. Principe de spécialité et spécificité européenne 458
3. Vers la consécration juridique de la subsidiarité 467
4. Les ambiguïtés maastrichtiennes et leurs effets 474
5. Réinvestissements disparates après Maastricht 479
II. Discours et pratique de la subsidiarité communautaire 483
1. Discours et pratique de la Commission 485
2. Discours et pratique de la Cour de justice 495
3. L’entrée en jeu des parlements nationaux 502
III. France-Europe et retour : subsidiarité versus jacobinisme 509
1. Entre concept de droit positif et concept doctrinal 510
2. Proximité démocratique et efficacité managériale 515
3. Le fantasme jacobin, champ d’adversité nécessaire 521
4. La subsidiarité dans l’Acte II de la décentralisation 527
5. Les atermoiements de la subsidiarité à la française 535

Conclusion générale. De l’Église à l’Europe :


lectures croisées de deux statophobies.
Le subsidiarisme ou l’État contre lui-même 549
I. Fonctionnalisation et prosaïsme économique 550
II. Fédération européenne et tropisme étatique 559
III. Subsidiarité et fédéralisme d’exécution 566

Résumé 573
748 Table des matières

Bibliographie 579
I. Sources primaires 579
Auteurs classiques 579
Textes ecclésiaux et pontificaux 580
Recueils 594
Documents institutionnels 595
Ensemble des références consultées 600
II. Sources secondaires 695

Index des noms propres 739


Photocomposition CMB Graphic
44800 Saint-Herblain

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