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Pour les auteurs, d’autres points de comparaisons sont possibles entre la catastrophe de
Tchernobyl et le moment Covid-19. On peut par exemple faire le lien entre le rôle des
liquidateurs de la centrale et celui des soignants, qui garderont des séquelles de
l’exposition au virus : "Comme les liquidateurs, même ceux qui ont guéri de cette
maladie mortelle en porteront des traces dans leurs poumons et auront des lésions
neurologiques, tous risquent de subir des conséquences du stress inhumain qu’ils ont
enduré. Ils n’en sortiront pas indemnes".
Même chose du côté des conditions de vie : "On sait que le relogement a eu des
conséquences graves pour les « tchernobyliens », dépouillés de leurs biens et arrachés
à leur cadre de vie : le stress, des dépressions, des maladies cardiovasculaires,
l’alcoolisme. On commence à savoir que le stress du confinement provoque notamment
des violences conjugales. [...]
En plus du relogement obligatoire pour une partie des zones contaminées, les
contremesures appliquées aux habitants restés sur place consistaient en une longue
série d’interdiction de fréquentation des lieux « naturels » tels que les forêts ou les
marais, et de pratiques économiques et sociales normales : travaux agricoles, élevage,
ainsi que la pêche, la chasse et la cueillette de champignons, qui leur permettaient de
s’alimenter correctement. C’était déjà une sorte de confinement".
Le mal invisible
Autre point de comparaison entre les deux catastrophes : le mal contre lequel il faut se
battre est invisible. Il est à la fois partout et nulle part : "Mais le principal problème qui
se pose à nous aujourd’hui, comme il se posait aux européens en 1986, est celui de
savoir : Suis-je contaminé ? Mon domicile, mon jardin le sont-ils ? Puis-je consommer
les produits du jardin ?"
Au fond, estiment les auteurs, ce qui nous arrive était impensable, c’est la raison pour
laquelle on ne l’a pas anticipé. La dernière grande épidémie en France était trop
lointaine pour qu’on s’en souvienne vraiment. Il n’y a pas d’éducation aux catastrophes
qui nous permettrait de les comprendre et de les prévoir. Et les auteurs de conclure :
"L’heure est peut-être venue de comprendre enfin le message : nous ne sommes pas les
maîtres de la nature et il nous faut faire la paix avec elle".
À RÉÉCOUTER
53 min
SÉRIE
Tchernobyl en héritage
3 épisodes
Nous sommes entrés dans un inconnu angoissant : "Le futur – au sens de ce que nous
projetions à partir des données du présent – se dérobe désormais pour nous laisser face
à l’incertain radical de l’à-venir, dont nous n’avons pas la maîtrise".
Le retour du religieux
Si le progrès technique abandonne sa promesse d’une vie moins inquiétante, il nous
reste à chercher ailleurs des manières de nous rassurer. Les auteurs font le lien entre ces
incertitudes et le retour du fait religieux : "Le retour du religieux, sous des formes
fondamentalistes, millénaristes, hystériques ou piétistes, ces dernières années, a sans
doute été la traduction de l’inquiétude diffuse devant un monde dont la complexification
rendait à beaucoup le futur insaisissable".
Or, ce qu’il faudrait plutôt serait, selon eux, d’accepter l’incertitude fondamentale de
notre être au monde : "ce qui ne veut pas dire renoncer à penser ni à connaître, mais le
faire dans la conscience que si nous prenons en charge notre destin, nous ne pouvons
en être totalement les maîtres, ni individuellement ni collectivement. Cette prise de
risque passe par la disponibilité à l’inconnu qui vient".
Et un certain degré d’inconnu, concluent-ils, ne peut être accepté que par des
démocraties. C’est leur force comme leur faiblesse, face à des régimes autoritaires qui
clament avoir toujours la bonne réponse en toute circonstance.
Pour lui, c’est l'hygiénisme médical qui est le nouveau dieu : "On mesure ici comment
les deux autres religions de l’Occident, la religion du Christ et la religion de l’argent,
ont cédé la primauté, apparemment sans combattre, à la médecine et à la science [...]
Si l’on observe l’état d’exception que nous vivons, on dirait que la religion médicale
conjugue ensemble la crise perpétuelle du capitalisme avec l’idée chrétienne d’un
dernier temps, d’un eschaton […]. C’est la religion d’un monde qui se sent à la fin et
toutefois n’est pas en mesure, comme le médecin hippocratique, de décider s’il survivra
ou mourra".
À RÉÉCOUTER
41 min
Le Temps du débat
Quelle place pour les religions en temps de crise ?
A chacun sa rationalité
Or les calculs "rationnels" sont eux-mêmes fort variables les uns avec les autres. Cela
interroge leur rationalité, nous dit l’anthropologue Didier Fassin : "Les Centers for
Disease Control and Prevention (CDC), principale institution de santé publique aux
Etats-Unis, dénombrent une douzaine de modèles principaux développés dans autant
d’institutions de recherche nord-américaines et européennes. Leurs résultats, même à
des échéances très courtes, sont extraordinairement différents, variant du simple au
quadruple. Dans ces conditions, pour des décideurs et pour celles et ceux qui les
conseillent, le choix entre ces modèles est crucial, mais opaque".
Naviguer entre rationnel et irrationnel est donc le défi qui se pose à nos dirigeants, mais
aussi à chacun d’entre nous. Exiger moins de certitude de la part de ceux qui nous
gouvernent serait peut-être, paradoxalement, une discipline salutaire.