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Droit Processuel, Master 1 Droit – Madame le Professeur Gjidara-Decaix, 2009-2010.

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Droit processuel
Master 1 (Droit) - Madame le Professeur Gjidara-Decaix

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L’expression de droit processuel est ambigüe car création récente en droit français alors que
d’autres pays connaissent cette expression depuis longtemps notamment en Italie.
Sur le plan terminologique, ce terme est un néologisme qui n’appartient à aucune réflexion
classique en procédure civile, pénale ou administratif. C'est un mélange de terme procédure et
processus.
Certains auteurs préféreraient que l’on évoque le droit de la procédure.

En ce qui concerne l’objet du droit processuel


Si ce n’est rien d’autre que le droit du procès, la discipline se relie au droit de la procédure. Ce
terme de droit processuel s’entend par opposition au droit substantiel, il consiste prioritairement
dans l’étude des règles procédurales qui doivent permettre d’obtenir en justice la réalisation des
droits subjectifs qui forment le droit substantiel et aussi la réalisation du droit objectif. Il existe un
contentieux objectif à coté du contentieux subjectif. On a l’illustration de cette opposition dans les
écrits du doyen Merson par exemple.

On ne rendrait pas compte du droit processuel et de la raison d’être de cette discipline si on pensait
qu’elle se limite à l’étude des règles procédurales qui gouvernent le procès. Ce n’est pas que du
droit procédural, la terminaison du terme processuel marque une sorte d’élévation de l’idée de
procès. Elle laisse entendre que la procédure quel qu’elle soit est animée par un esprit qui fait d’elle
autre chose qu’une simple technique procédurale.
La procédure n’est pas seulement la suite formelle des actes de procédure accomplis dans les délais
impartis par la loi depuis la saisine jusqu’au jugement. Elle a un objet plus large et doit être définie
comme la manière de rendre la justice, de donner au litige une solution juridique. C'est en créant
cette notion de droit processuel qu’on a cherché à sortir de cette conception de la procédure qui
n’est pas qu’un ensemble de moyens, elle a aussi une dimension substantielle. C'est cette dimension
que le droit processuel veut appréhender.
Ca conduit donc à une réflexion plus large sur l’organisation du procès en tant qu’il contribue à la
décision rendue.
Au delà de la spécificité des contentieux et des caractéristiques propres à chaque procédure, il y’a
quelque chose qui leur est commun parce qu’inhérent à la notion de procès.
Ce cours permet d’étudier tous ces principes supérieurs qui s’appliquent à tous les contentieux.
Le droit processuel c'est le droit du procès alors que la procédure a pour objet l’étude du droit
applicable à un procès particulier.

Il existe différentes approches du terme de droit processuel. Le concept du droit processuel peut être
appréhendé de différentes manières.

! L’approche classique

Elle se place sous l’autorité de Motulsky et qui est actuellement défendue par certains auteurs
Jeuland et Martin. Selon Motulsky qui était un spécialiste de la procédure civile, pour lui le droit
processuel constituait une synthèse des grands types de procédure suivis en France devant nos trois
grands ordres de juridictions. L’idée est de comparer les trois grands contentieux (civil,
administratif et pénal) à travers les trois grandes théories qui illustrent chacun de ces contentieux

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(action, juridiction et instance). Dans le prolongement de cette pensée, on va dégager des principes
procéduraux communs.
Cette conception classique évolue. A l’époque de Motulsky, les trois contentieux étaient clairement
connus et définis mais depuis les nouveaux contentieux se sont multipliés notamment ceux de la
CEDH, ceux de la CIJ, de la CPI…
Certains contentieux ne sont pas réductibles au contentieux traditionnels, on voit apparaitre des
contentieux hybrides notamment celui généré par les AAI c'est à dire toute la question du
contentieux économique.
Cette approche classique peut tout de même soulever quelques interrogations, on peut constater
qu’un certain nombre de conséquences concrètes découlent de ce que chacun de ces contentieux a
de différents des autres. Or de ces rattachements différents découlent des conséquences non
négligeables.
Chacun de ces contentieux relève de catégorie de juridictions différentes.
De plus, les compétences, les actions et instances obéissent aussi à des règles différentes contenues
dans des codes différents. La source même de ces règles diffère également, la procédure civile
résulte d’un décret alors qu’il faudra une loi pour la procédure pénale.
Autre différence, l’esprit de ces différents contentieux. La procédure civile est irriguée par l’esprit
du droit privé c'est à dire que tout ou presque y est question d’intérêt particulier au contraire de la
procédure pénale et du contentieux administratif où l’intérêt général s’exprime.
La divergence est flagrante avec la procédure pénale car elle est le seul mode d’application de la loi
pénale, pas de répression pénale en dehors de la procédure pénale alors qu’avec le procès civil c'est
différent car il n’est qu’un des modes d’application du droit civil. La procédure civile est la chose
des parties, c'est ce qui lui confère un caractère principalement accusatoire alors que les deux autres
types de procédures seraient plutôt de type inquisitoire même si la distinction n’est pas aussi
tranchée.
Les relations qu’entretiennent ces différents contentieux sont plus marquées par leur autonomie que
par leurs rapprochements.
L’autonomie marque les rapports entre les différents contentieux, chaque type de contentieux a son
organisation propre et dans ces conditions, les règles d’organisation d’un type de procédure ne
peuvent servir à compléter les lacunes d’un autre type de procédure. En raison du caractère élaboré
et approfondi de ses règles, la procédure civile a servi d’organisation pour les autres contentieux
dans la mesure où ils partageaient la même logique : c'est vrai pour que le contentieux économique
porté devant les AAI.
Mais il n’y a rien de systématique, l’affirmation selon laquelle la procédure civile a vocation à
s’appliquer en cas de lacunes de la procédure pénale ou administrative n’est plus soutenable
aujourd’hui.

- Pour la procédure pénale

Elle relève de la législation alors que la procédure civile relève du règlement sous réserve des
principes fondamentaux. Les règles de la procédure civile ne peuvent être étendues par analogie à la
procédure pénale, la chambre criminelle de la Cour de Cassation a enfermé dans des limites étroites
la faculté pour les juridictions répressives de recourir à des règles issues de la procédure civile.
D’une part il faut qu’il s’agisse de principes généraux commandant toutes les procédures et qu’ils
ne soient pas incompatibles avec l’esprit de la procédure pénale. D’autre part, l’extension n’est
possible que si elle est prévue par une loi.

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C'est ainsi que la chambre criminelle a jugé dans un arrêt de 1981 que l’article du CPC qui
sanctionne l’abus du droit d’agir en justice pouvait s’appliquer parce qu’il y’avait eu une extension
législative. Pareil pour le recours en révision où il existait une disposition législative.

- Pour la procédure administrative,

Son origine est principalement jurisprudentielle et le CE a toujours retenu que les règles du CPC ne
sont pas d’elles mêmes applicables à la juridiction administrative.
A coté de cette position de principe il y’a eu quelques cas où on a accepté de faire jouer à la
procédure civile un rôle supplétif lorsque ces dispositions n’étaient pas incompatibles avec les
règles d’organisation et de fonctionnement des juridictions administratives. L’exemple le plus
frappant concerne la récusation où le CE a très tôt retenu que les dispositions du CPC étaient
applicables devant les juridictions administratives et même devant la cour des comptes et les
chambres régionales des comptes.
Mais cette expansion est vouée à disparaitre depuis l’entrée en vigueur du code de justice
administrative qui a désormais prévu une procédure pour la récusation des magistrats des
juridictions administratives. Certes, il renvoi au CPC mais il s’approprie la technique de récusation.

L’autonomie et les divergences entre ces différents contentieux n’empêchent par les
rapprochements.
D’une part, les juges civils ne se contentent pas de faire que du civil puisqu’il arrive que le juge
civil soit juge de droit administratif du moins pour les actes réglementaires qu’il peut interpréter. De
son coté le juge pénal peut être juge de droit civil quand il se prononce sur les mérites de l’action
civile. Quant au juge administratif, il peut être juge de droit civil quand il applique des dispositions
de droit civil par référence aux principes qui les sous tend.
Il peut aussi devenir un juge de droit pénal au titre du contentieux de la répression, ici c'est pour les
sanctions des juridictions financières.
L’existence du tribunal des conflits pour assurer la police des compétences entre juridictions
démontre les difficultés quelques fois pour déterminer le contentieux compétent.
Il existe aussi des phénomènes d’emprunts ou d’influence entre les contentieux. Des concepts du
contentieux civil sont appliqués au contentieux pénal et administratif. Parfois directement par
renvoi aux textes de CPC ou indirectement par une transposition légale.
Par exemple, le référé provision en droit administratif a été calqué sur celui de la procédure civile.
La procédure civile emprunte aussi au contentieux administratif notamment avec la saisie pour avis
devant la Cour de Cassation qui s’inspire de celui devant le CE.

Ces principes ne sont pas cloisonnés, là encore les différences l’emportent de loin sur les
ressemblances.
Formellement, le seul principe commun aux trois procédures est le principe de la contradiction. A ce
socle s’ajoute le principe des droits de la défense commun aux seules procédures civiles et pénales.
Le principe de publicité est commun aux procédures civiles et administratives.
Là encore la communauté ne veut pas dire identité, d’autant que la finalité des principes n’est pas la
même. Dans le CPC, les principes directeurs constituent une charte de la répartition des rôles entre
les parties et le juge tandis que dans la procédure pénale, la fonction de l’article préliminaire est la
soumission de la procédure pénale aux efforts pour faire advenir la juste solution du litige.
Pour le contentieux administratif c'est seulement un critère purement chronologique.
Les tenants et les aboutissants de ces trois contentieux ne sont pas les mêmes.

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On peut se demander quel enseignement pertinent peut-on tirer de cette comparaison ?
Le particularisme subsiste. Il est rare que les difficultés rencontrées dans un contentieux soient
résolues par des principes contenus dans un autre.
Dans le cas classique, quels principes procéduraux communs peuvent se dégager de ces contentieux
qui entretiennent plus de différences.
Ne se dégage aucune synthèse d’un droit processuel ainsi entendu.
Il faut donc aller chercher ailleurs ce qui irrigue le droit processuel.

! L’approche moderne du droit processuel

Elle est inaugurée par le professeur Guinchard. Ici pas seulement comparaison des contentieux,
mais le droit processuel serait une matière qui s’intéressent aux sources communes d’inspiration de
tous les contentieux, aux principes qui les transcendent et s’imposent ainsi dans la conduite de tous
les procès.
L’approche moderne se propose d’enrichir cette façon de voir et de se positionner différemment
pour montrer comment l’emprise de la garantie des droits fondamentaux sur les procédures a
conduit à les rapprocher et a permit d’élaborer un droit commun du procès qui confère au droit
processuel une originalité nouvelle.
La source d’inspiration commune est cet impératif d’assurer la garantie des droits fondamentaux.
Aujourd’hui, la procédure qu’elle soit civile, administrative ou pénale ne peut se comprendre sans
cet éclairage des droits fondamentaux. Tous les contentieux subissent de plein fouet l’influence de
la garantie de ces droits fondamentaux.
Ce concept était inconnu en France depuis une dizaine d’années ou au moins dans un sens différent
d’aujourd'hui.
Ce nouveau sens émane du droit comparé. Aujourd’hui, les libertés et droits fondamentaux
désignent tous les droits protégés par des normes supérieures de niveau constitutionnel et / ou
international et européen.
Il est apparu essentiel que le procès soit conduit dans le respect de ces libertés et droits
fondamentaux.
Cette idée n’était pas absente avant mais la conceptualisation de cette protection a conduit de nos
jours à la consécration de droits procéduraux.
On a dégagé des droits procéduraux et attachés ceux-ci à la garantie des libertés et droits
fondamentaux pour mieux assurer l’effectivité de droits substantiels.
Cette attraction du procès résulte de plusieurs facteurs, d’une part de l’existence d’instruments
internationaux de protection des droits fondamentaux avec pour élément central la garantie d’un
procès équitable, d’autre part l’internationalisation de ces sources a favorisé l’émergence d’un
standard commun à tous les procès en banalisant les spécificités traditionnelles.
L’autre facteur c'est l’existence d’un droit constitutionnel des droits et libertés fondamentaux, la
dimension du droit constitutionnel a changé. D’abord, le contrôle de constitutionnalité en France a
évolué et la perception nationale de cette discipline s’est transformée en une perspective
comparative et transnationale.
La justice constitutionnelle s’est fortement inspirée de ce qui se passait ailleurs.
Cette garantie des droits fondamentaux a favorisé l’émergence d’un ordre juridique processuel qui
repose sur l’architecture de principes intangibles garantissant à chaque justiciable le droit à un
procès équitable.

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En plaçant le procès sous l’emprise de ces droits fondamentaux, ces sources nationales et
internationales ont fait du droit processuel, un droit qui participe à l’effectivité de la protection des
droits fondamentaux aujourd’hui.
Cette protection est assurée par un certain nombre de droits procéduraux : droit d’accéder à la
justice, droit à une bonne administration de la justice, droit à un juge impartial, droit à être jugé
dans un délai raisonnable…
C'est sur ce socle commun que les contentieux aussi bien traditionnels que modernes se sont
rapprochés et qu’ils peuvent déployer la diversité de leurs règles.

C'est à ce droit processuel dans sa vision contemporaine que le cours sera consacré.

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PARTIE I : LES SOURCES DU DROIT PROCESSUEL

Ces sources ont créé les garanties fondamentales d’une bonne justice. Ces sources internationales
résultent essentiellement de conventions internationales qui sont venues imposer aux états parties en
matière de protection des droits fondamentaux, des garanties procédurales dans leur ordre juridique
interne.
Parmi ces instruments internationaux, on distingue ceux qui ont une vocation mondiale de ceux qui
ont une vocation régionale plus précisément européenne.
En raison de la hiérarchie des normes, le législateur national et les juges nationaux se doivent
d’assurer la mise en œuvre concrète des droits fondamentaux tels que garantis par ces divers
instruments internationaux. La question se pose de l’articulation de ces sources supranationales et
de nos sources nationales.
Des sources nationales ont élaboré des règles qui s’imposent dans la conduite d’un procès, certains
auteurs considèrent qu’en raison de la hiérarchie des normes l’impact des sources nationales est
réduit, elles apparaissent aujourd’hui comme des sources d’adaptation.
Pour Guinchard leur but est de faciliter la mise en œuvre des droits fondamentaux tels que dégagés
par le droit international et d’adapter ces droits fondamentaux qui se sont dégagés dans chaque type
de contentieux à tous les contentieux.
Il faut prendre en considération que dans la majorité les états signataires des instruments
internationaux de protection des droits fondamentaux n’ignoraient pas auparavant la nécessité d’un
procès équitable.
En France, si on regarde les sources, qu’elles soient législatives ou réglementaires, elles avaient
posé des règles pour qu’il y’ait une justice équitable. Il est vrai que la présence de ces principes
dans des instruments internationaux et leur influence sur notre façon de les voir a conduit à des
modifications.
Certaines de nos garanties procédurales notamment le principe du contradictoire se sont
perfectionnées au contact notamment de la jurisprudence européenne et au delà on voit apparaitre
de manière plus lisible cette finalité commune des règles processuelles qu’est le procès équitable et
leur inclusion dans un modèle national du procès équitable.
Donc les règles préexistaient mais elles ont été transcendées par les sources internationales.
Ces droits ont été proclamés sur le plan international que par des états qui étaient convaincus de leur
importance donc ces principes sont porteurs de valeurs communes aux états signataires.
Pas seulement une influence verticale, il y’aurait plutôt des rapports d’influence circulaire entre ces
sources nationales et internationales. La lecture européenne des exigences du procès équitable n’est
pas dépourvue de liens avec une certaine vision de notre droit français et réciproquement.
Nos juridictions suprêmes doivent certes céder à la CEDH mais celle-ci est aussi influencée par les
juridictions nationales. Il y’a donc un enrichissement multiple des droits procéduraux et de la
garantie d’un procès équitable.

Chapitre 1 : Les sources nationales

L’organisation procédurale est marquée en droit interne par la division classique des domaines
législatifs et réglementaires opérée par la constitution.
Cette dualité des sources est transcendée par la constitutionnalisation du droit en général et du droit
processuel en particulier qui matérialise en droit interne l’attraction du droit processuel à la garantie
des droits fondamentaux.

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§1 – Les sources législatives et réglementaires

Ce sont les deux sources concurrentes qui ont vocation à organiser la matière processuelle.

! La procédure pénale

L’article 34 alinéa 2 de la Constitution commence par énoncer que les règles de la procédure pénale
relèvent de la compétence législative, de même que les garanties fondamentales accordées aux
citoyens dans l’exercice des libertés publiques. Relève également du domaine de la loi, la création
de nouveaux ordres de juridiction.
La loi prédomine donc en matière de procédure pénale.

Mais il y a du réglementaire.
Le conseil constitutionnel dans une décision du 27 novembre 1959 précise que le pouvoir
réglementaire peut intervenir pour fixer les règles de détails. Cette précision est importante car la
lecture des textes ne la rendait pas évidente. Dans cette décision de 1959, le conseil constitutionnel
considère que quelque soit la matière que ca soit de l’alinéa 2 ou 1 de l’article 34, le pouvoir
réglementaire peut fixer les règles de détails. La répartition des compétences entre le parlement et le
gouvernement en matière de procédure pénale s’établit sur cette distinction mise en cause / mise en
œuvre.
Les dispositions qui mettent en cause les règles de la procédure pénale relèvent de la compétence
législative alors que les dispositions qui les mettent en œuvre relèvent de la compétence
réglementaire.
En définitive, c'est l’importance de la mesure qui détermine la compétence mais avec deux
précisions.
D’abord, le législateur peut descendre s’il le souhaite au niveau des détails de la procédure pénale
mais cela suppose que le parlement exprime cette volonté et ensuite que le gouvernement accepte
cette compétence.
Cette répartition n’est pas empreinte de sécurité juridique mais le conseil constitutionnel est là pour
la faire respecter et il lui est arrivé de sanctionner le législateur pour abandon de sa compétence
pénale.

! La procédure civile

Il résulte de la constitution que la loi n’a compétence que pour fixer les principes fondamentaux, le
reste relève conformément à 34 alinéa 1er de la compétence du pouvoir réglementaire.
La encore le découpage n’est pas aussi tranché.
D’abord, le conseil constitutionnel dans une décision du 30 juillet 1982 considère que le non respect
par le parlement de la répartition des domaines de compétence de la loi et du règlement n’était pas
une cause d’inconstitutionnalité. C'est à dire que théoriquement le parlement pourrait organiser
complètement la procédure civile alors même que d’après les textes elle relève du pouvoir
réglementaire à l’exception des droits fondamentaux.
On a des exemples notamment concernant les règles relatives à la médiation qui sont issues d’une
loi alors qu’on aurait du utiliser la voie réglementaire.
Il semble que le conseil constitutionnel ait un peu revu cette décision car le 21 avril 2005 il a
semblé marquer un retour à davantage de pouvoir reconnu à l’exécutif en considérant que certaines
dispositions ont à l’évidence le caractère réglementaire parce qu’elles ne mettent en cause ni les

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principes fondamentaux ni aucun principe ou règle que la constitution place dans le domaine de la
loi.
Concernant cette répartition des compétences entre le parlement et le gouvernement, si le pouvoir
réglementaire semble avoir la faveur il faut tenir compte du fait que dans l’organisation de la
procédure civile interfère des questions qui relèvent par leur nature du domaine de la loi et qui à ce
titre échappent au pouvoir réglementaire qui excéderait ses pouvoirs en intervenant. On a considéré
que si l’audition du parquet devant le TGI relève normalement du décret, elle doit être organisée par
la loi en vertu de 34 de la constitution lorsqu’elle intéresse des personnes présumées absentes car
l’intervention du ministère public dans ce cas interfère sur la garantie essentielle du droit de
propriété qui relève du domaine de la loi.
De même, on a considéré que l’organisation du recours en cassation relève du seul domaine de la
loi car cette voie de recours constitue pour le conseil constitutionnel l’une des garanties
fondamentales accordée au citoyen pour l’exercice des libertés publiques.

! La procédure administrative

Aucune disposition de la constitution ne relève formellement la compétence à la loi mais le fait est
que le Conseil d'Etat a dégagé des principes généraux applicables devant toutes juridictions
administratives créant ainsi une sorte de droit commun.
Ces PGD ont une valeur infra législative et supra décrétale. Donc ils s’imposent au pouvoir
réglementaire mais pas au législateur qui peut y déroger.

Quelle est la contribution de ces sources formelles au droit à un procès équitable ?


Au premier abord, on peut douter d’une contribution puisque ces sources tant législatives que
réglementaires n’évoquent que très rarement le droit à un procès équitable sous cette dénomination.
Mais l’exigence d’un procès équitable résulte de l’identification plus ou moins complète des
garanties qui composent le droit à un procès équitable mais sous des formulations diverses.
Pour la procédure civile, les principes directeurs sont en tète de CPC et recoupent certains aspects
du droit au procès équitable. C'est le cas pour le droit à un procès contradictoire mais certains
aspects du droit à un procès équitable ne sont pas clairement énoncés tels que le principe de la
motivation. D’autres sont en cours de formation notamment le principe de loyauté.
L’article préliminaire du CPP issue de la loi de 2000 renforçant la présomption d’innocence. Outre
la mention détaillée de différentes composantes des droits de la défense en matière répressive on a
une référence explicite à l’exigence du caractère équitable du procès puisqu’est énoncé que la
procédure pénale doit être équitable et contradictoire et préserver l’équilibre des droits des parties.
Le libellé semble faire du caractère équitable du procès non pas un standard englobant toutes les
autres garanties procédurales mais seulement l’une d’entre elles.

En ce qui concerne la procédure administrative, l’ordonnance du 4 mai 2000 portant code de justice
administrative a consacré une sorte de décalogue de la justice administrative à coté des principes
directeurs de la justice administrative.
On mentionne le principe de collégialité, le principe du caractère non suspensif des recours,
principe de publicité, et encore le principe de la motivation des jugements …
Cette tendance à la codification des principes directeurs des diverses procédures a permis dans un
sens de développer les sources formellement législatives ou réglementaires du droit à un procès
équitable.

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Mais il ne faut pas se méprendre sur la notion de principe directeur et le droit à un procès équitable
qui ne doivent pas être confondus.
Dans la plupart des cas les aspects du droit équitable recoupe les principes directeurs mais ces
derniers incarnent également l’identité propre de chaque procédure. A ce titre, ils sont susceptibles
de varier de sens de l’une à l’autre. C'est la raison pour laquelle en dépit de cette tendance à un
certain rapprochement, les principes directeurs de telle procédure ne peuvent se confondre avec
ceux d’une autre.
Les principes directeurs du procès ne possèdent par le degré de généralité que les différents aspects
du procès équitable présentent et n’en font pas tous partie.
A titre d’exemple, on peut citer le principe dispositif essentiel de la procédure civile et qui n’est pas
connu du droit au procès équitable.

Il faut évoquer d’autres sources que les textuelles car d’autres sources ont un rôle complémentaire
notamment les PGD.
Les PGD rendent généralement compte de divers aspects du droit au procès équitable de façon
parfois plus complète que les textes. Il y’a plusieurs explications qui peuvent être données.
D’abord textes et PGD n’ont pas toujours un objet identique et la notion même de PGD leur confère
un degré de généralité qui fait défaut aux différentes dispositions spécifiques à chacune des
procédures.
Ensuite, en matière procédurale, les PGD ont souvent précédés les textes.
Enfin, la nature jurisprudentielle des PGD leur confère une grande plasticité qui leur permet d’être
toujours en avance sur les textes. Ces PGD jouent un rôle considérable puisqu’ils contiennent des
principes généraux de procédure dont leur valeur est au minimum supra réglementaire. Donc la
référence aux PGD demeure indispensable même lorsqu’un texte réglementaire a codifié le principe
ou a posé la même exigence.
Les PGD ont une portée assez large puisqu’ils s’imposent au juge et sont aussi applicables dans des
procédures non juridictionnelles comme les AAI sauf texte spécial qui l’exclut.
Ce qui intéressant avec ces PGD c'est qu’ils constituent un vecteur privilégié de réception des
exigences supranationales du droit au procès équitable.

§2 – Les sources constitutionnelles

Cette attraction du droit processuel par les droits fondamentaux résulte en droit interne de
l’existence d’un droit constitutionnel des libertés qui repose sur le contrôle de constitutionnalité.
Son importance varie selon les contentieux en raison de la nature de la source de chacune de ces
procédures.
Le droit constitutionnel moderne s’est transformé, il s’intéresse au système normatif et à la
protection des droits et libertés fondamentaux.
Dans ce droit constitutionnel moderne qui laisse une large place aux droits fondamentaux, le conseil
constitutionnel a joué un rôle moteur le jour où il a abandonné sa simple mission de régulateur de
compétence pour s’imposer comme le gardien des droits et libertés défendus par la constitution.
On assiste récemment à une constitutionnalisation du droit en général et du droit processuel en
particulier. Cette constitutionnalisation s’est d’abord réalisée par le contrôle de constitutionnalité
des lois mais pas seulement car les procédures lui échappant ont subis une constitutionnalisation
indirecte car le conseil constitutionnel a dégagé des principes constitutionnels de portée universelle.

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Souvent lorsque le conseil constitutionnel a eu à connaitre de la constitutionnalité d’une loi en
matière de procédure pénale, il a répondu en énonçant que sa décision s’appliquait à toutes les
procédures.
Il en découle désormais que tout le procès doit être conduit dans le respect de droits fondamentaux
déterminé par la jurisprudence du conseil constitutionnel.
Le conseil a affirmé le caractère constitutionnel du droit de la défense, de la présomption
d’innocence, du double degré de juridiction…

Le conseil constitutionnel a contribué à former une sorte de constitution matérielle qui viendrait
compléter la constitution formelle mais au delà cette jurisprudence constitutionnelle a aussi profité
des suites qu’on lui a donné devant les tribunaux. Le CE comme la Cour de Cassation ont reconnu
l’autorité de la chose jugée des décisions du conseil constitutionnel mais aussi de la chose
interprétée par le conseil constitutionnel.
Ce phénomène de constitutionnalisation va en s’amplifiant avec la question prioritaire de
constitutionnalité qui sera effective le 1er mars 2010.

a) Le phénomène de la constitutionnalisation du droit processuel

Tout le droit processuel s’est constitutionnalisé. Cette constitutionnalisation a concerné d’abord la


procédure pénale en raison de sa nature législative.
Toutes les branches du droit pénal sont concernées par ce phénomène de constitutionnalisation donc
le droit pénal classique et le droit administratif répressif. Donc ce phénomène s’applique à toutes les
procédures répressives se déroulant devant les juridictions administratives habilitées à sanctionner.
Le conseil constitutionnel dans une décision du 17 janvier 1989, CSA, qu’une peine ne peut être
infligée qu’à la condition que soit respecté le principe du respect des droits de la défense et de la
présomption d’innocence. Ces exigences ne concernent pas seulement les peines prononcées par les
juridictions répressives mais s’étendent à toute sanction ayant le caractère d’une punition même si
le législateur a laissé le soin de la prononcer à une autorité de nature non judiciaire.

La procédure civile comme administrative ne sont pas restées à l’écart de cette


constitutionnalisation.
La procédure civile a subit une constitutionnalisation directe du fait que le conseil constitutionnel a
décidé de réintégrer dans le champ d’application de l’article 34 toutes les règles qui concernent des
matières qui par leur nature relèvent de la compétence législative.
De même ont été intégrées dans le champ de la compétence législative toutes les règles de la
procédure civile qui mettent en cause les droits de la défense.
C'est ainsi qu’il en a été décidé à propos de la détermination de la charge de la preuve ou des cas
d’ouverture en cassation, ou de l’audition du ministère public.

Les procédures civile et administrative ont été constitutionnalisées indirectement du fait de


l’autorité des décisions du conseil constitutionnel.
Pas de mécanisme qui permet au conseil constitutionnel d’imposer son interprétation mais il résulte
de l’article 62 que ses décisions s’imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités
administratives et juridictionnelles.
Cette autorité s’attache au dispositif et aux motifs dès lors qu’ils en sont « le soutien nécessaire et
en constituent le fondement même ».

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Dans une décision Société des entreprises Outters du 20 décembre 1985, le CE fait une application
explicite de l’article 62 pour la première fois et de l’autorité de chose jugée des décisions du conseil
constitutionnel. Par la suite, le CE a même fait application des réserves d’interprétation formulée
par le conseil constitutionnel.
Du coté de la Cour de Cassation il faut attendre un arrêt du 25 mars 1998 pour que la Cour de
Cassation vise explicitement l’article 62 et se conforme à la chose jugée par le conseil
constitutionnel. Elle avait laissé entendre en 1995 qu’elle appliquerait de plus en plus la
jurisprudence du Conseil d'Etat mais de manière indirecte en affirmant l’existence pour toute
personne d’un droit fondamental à caractère constitutionnel : la défense. La Cour de Cassation
considère que l’exercice effectif de la défense nécessite que chacun puisse accéder avec un
défenseur au juge chargé de statuer sur sa prétention.
La Cour de Cassation fait aussi application des réserves d’interprétation du conseil constitutionnel
dans une décision de 1989 où le conseil constitutionnel avait fait une réserve d’interprétation sur le
droit d’agir et cette réserve sera reprise par la Cour de Cassation.
Les juges judiciaires et administratifs prennent de plus en plus compte de la valeur constitutionnelle
des droits et libertés dont ils assurent la protection.

On dégage des principes ayant valeur constitutionnelle qui s’imposent non seulement au législateur
mais à toutes les autorités chargées de contrôler les actes administratifs et juridictionnels.
Certains auteurs sont réticents à parler de constitutionnalisation de la matière mais on peut dire qu’il
existe des principes constitutionnels d’importance majeure en droit processuel notamment le respect
des droits de la défense.

b) Les instruments de référence du droit processuel constitutionnel

Peu de choses sont dans la constitution à part le droit à la présomption d’innocence, l’inamovibilité
des magistrats du siège… le droit processuel constitutionnel ne procède pas de l’œuvre même de la
constitution mais plutôt de l’œuvre de la jurisprudence du conseil constitutionnel.
Ce droit processuel constitutionnel a pu s’élaborer car le conseil constitutionnel a reconnu valeur
positive à d’autres catégories que les normes constitutionnelles pour opérer son contrôle de
constitutionnalité des lois.
Extension des catégories de normes soumises au contrôle de constitutionnalité. L’extension se
réalise soit à partir d’un texte extérieur soit à partir d’une disposition générale de la constitution
notamment l’article 88-1.
Pour les textes extérieurs à la constitution, il s’agit du bloc de constitutionnalité avec le préambule
de 1958 qui fait référence à DDHC 1789 et préambule de la constitution de 1946, et la charte de
l’environnement depuis la loi constitutionnelle de 2005.
Le conseil constitutionnel a sanctionné la violation de la DDHC par le législateur pour la première
fois dans une décision de 1973, c'est le principe d’égalité devant la justice qui est mis en valeur
dans cette décision.
On a notamment en procédure pénale annulé une disposition visant à développer le recours au juge
unique en matière pénale au motif que le respect du principe d’égalité faisait obstacle à ce que les
citoyens se trouvant dans des conditions semblables et poursuivis pour des mêmes infractions soient
jugés par des juridictions composées selon des règles différentes.
Le conseil constitutionnel a depuis utilisé quasiment tous les articles de la DDHC et tous ces
principes par exemple l’article 16 qui s’est vu rattaché le principe du droit au recours juridictionnel.

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Dans le préambule de 1946, on a utilisé plusieurs principes comme les PFRLR ainsi que les
principes politiques économiques et sociaux particulièrement nécessaires à notre temps. Le droit à
la santé et le droit au logement peut s’y appuyer. Dans la loi du 29 juillet 1998 concernant la lutte
contre l’exclusion on a mêlé ces droits et des dispositions d’ordre procédural en énonçant que
l’article 1er avait pour but de garantir sur l’ensemble du territoire l’accès effectif de tous aux droits
fondamentaux dans les domaines de l’emploi, du logement, de la protection de la santé et de la
justice.
Pour les PFRLR ils ont longtemps eu une portée juridique incertaine. Un est important c'est le
principe du respect des droits de la défense.

Enfin, la constitution dans ses articles 88-2 et -3 fait référence aux stipulations du traité de l’union
ce qui a conduit le conseil constitutionnel à intégrer dans le bloc de constitutionnalité depuis 2004
les directives. Depuis cette date, les directives communautaires font partie des normes dont le
respect conditionne la validité des lois.
Une décision du 30 novembre 2006 qui sanctionne une loi non compatible avec une directive.
Donc il faut respecter une série évolutive de principes affirmée par le conseil constitutionnel qu’il
tire des textes à valeur constitutionnelle ou qu’il crée en décidant qu’il s’agit d’un principe figurant
parmi les PFRLR.

c) La question prioritaire de constitutionnalité

A partir du 1er mars 2010 tout justiciable pourra soutenir qu’une disposition législative applicable au
litige porte atteinte aux droits et libertés que la constitution garantit et solliciter que le conseil
constitutionnel soit saisi de cette question pour en décider l’abrogation. C'est un nouveau droit pour
les citoyens, une révolution juridique pour les auteurs de doctrine.
C'est la loi du 10 décembre 2009 qui fait entrer en vigueur l’article 61-1 de la constitution. C'est une
révolution car la constitution devient la propriété des citoyens qui vont pouvoir l’invoquer dans un
contentieux ordinaire subjectif et concret alors que le contrôle de constitutionnalité avait été conçu
en 1958 comme un régulateur entre les seuls pouvoirs publics parlement et gouvernement.
L’acclimatation d’un contrôle de constitutionnalité en France s’est fait difficilement, la question
d’une saisine du conseil constitutionnel par voie d’exception a fait l’objet de plusieurs projets de
révision constitutionnelle en 1990, 1993 sans jamais parvenir à son terme et le comité de réflexion
et de proposition sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions de la Vème république
s’est engagé dans un rapport en 2007 sur cette question.
Il insère dans ces propositions la faculté pour les citoyens d’obtenir la saisine du conseil
constitutionnel.
Le but est de purger l’ordre juridique de dispositions inconstitutionnelles, permettre aux citoyens de
faire valoir les droits qu’il tire de la constitution et assurer la prééminence de la constitution dans
l’ordre juridique.
La révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 a intégré ce nouveau dispositif dans la constitution.
On a un nouvel article 61-1.
Les dispositions de cet article sont complétées par l’article 61-2 selon lequel les dispositions
déclarées inconstitutionnelles sur le fondement de 61-1 seront abrogées à compter de la publication
de la décision du conseil constitutionnel ou d’une date ultérieure fixée par cette décision.
Dans une décision du 3 décembre 2009 du conseil constitutionnel et depuis on a deux décrets du 16
février 2010 qui précise avant l’entrée en vigueur de la loi organique les modalités d’application de
la question prioritaire de constitutionnalité.

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Il s’agit d’un nouveau droit pour le justiciable qui se concilie avec le principe d’une bonne
administration de la justice. Il s’agit d’un objectif constitutionnel résultant des articles 12 et 16.

Le qualificatif de « question prioritaire de constitutionnalité » (et non plus exception


d’inconstitutionnalité comme prévu) est important car il permet de comprendre l’articulation entre
le contrôle de conventionalité et de constitutionnalité, le contrôle de constitutionnalité est
prioritaire.

La question prioritaire de constitutionnalité peut être soulevée devant les juridictions relevant du
conseil d’état et de la Cour de Cassation. Il peut être soulevé pour la première fois en appel et en
cassation. Sont concernées toutes les juridictions c'est à dire de jugement comme d’instruction, de
fond comme du provisoire, de droit commun comme spécialisées.

! Conditions de la saisine

Par tout justiciable qu’il soit personne physique ou personne morale. En revanche, le juge ne peut
pas la relever d’office. Ca s’inscrit dans la logique de la réforme constitutionnelle qui fait du respect
des exigences constitutionnelles un droit pour le justiciable.
La question doit être présentée dans un écrit distinct et motivé, les décrets précisent le reste. La loi
organique a posé le principe selon lequel la juridiction saisie de la question prioritaire de
constitutionnalité lorsqu’elle la transmet au CE ou Cour de Cassation doit sursoir à statuer jusqu’à
réception de la décision de la cour suprême saisie ou du conseil constitutionnel si ce dernier a été
saisi.
Cette règle du sursis à statuer comporte beaucoup d’exceptions, par exemple le cours de
l’instruction n’est pas suspendu, pas de sursis si l’enjeu à l’instance est le devenir d’une mesure
privative de liberté et il est prévu que la juridiction peut statuer sans attendre la réponse si elle est
tenue de se prononcer dans un certain délai et en cas d’urgence.
De même le sursis à statuer peut être écarté s’il risque d’entrainer des compétences irrémédiables ou
excessives pour les droits des parties.
Le conseil constitutionnel justifie ce mécanisme au nom de l’objectif constitutionnel de bon
fonctionnement de la justice. Si la juridiction saisie statue au fond sans attendre la décision du CE
ou Cour de Cassation ou du conseil constitutionnel alors la juridiction saisie d’un appel ou pourvoi
devra en principe sursoir à statuer.

Il y’a un mécanisme de filtrage qui obéit à des conditions de délais et de fond.


D’abord le juge saisi d’une question de constitutionnalité doit transmettre sans délai la question au
Conseil d'Etat ou Cour de Cassation si un certain nombre de conditions sont remplies et si le
Conseil d'Etat ou Cour de Cassation ne se prononce pas dans le délai prescrit la question est
automatiquement transmise au conseil constitutionnel.

o Le premier filtrage

Quelles conditions doit respecter la juridiction saisie pour transmettre la question au CE ou Cour de
Cassation ?

- La disposition contestée doit être applicable au litige ou à la procédure ou constituer le


fondement même de ses poursuites.

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- Que la disposition contestée n’ait pas déjà été déclarée conforme à la constitution dans les
motifs et dispositif d’une décision du conseil constitutionnel sauf changement de
circonstances
- La question ne doit pas être dépourvue de caractère sérieux

o Le deuxième filtrage est celui opéré par la Cour de Cassation et le CE.

Les deux juridictions vont vérifier :

- L’appréciation portée par la juridiction qui saisie sur le caractère applicable de la disposition
contestée et
- Sur le fait que sous réserve d’un changement de circonstances elle n’a pas été déjà déclarée
conforme à la constitution.
- La question est nouvelle ou présente un caractère sérieux.

Il y’a trois juge successifs ce qui est long mais il est intéressant de souligner qu’on a créé entre la
Cour de Cassation et le CE et le conseil constitutionnel une relation nouvelle qui ne transforme par
le conseil en cour suprême mais l’investit d’un pouvoir général de contrôle de la constitution. Ce
qu’il est intéressant de constater c'est que cette question prioritaire rapproche le conseil de ces
homologues européens par le respect d’exigences procédurales qui le font rentrer dans les standards
de la CESDH.

Le conseil constitutionnel a considéré que la loi doit s’interpréter comme prescrivant devant le CE
et Cour de Cassation la mise en œuvre de règles de procédure conformes aux exigences du droit à
un procès équitable qui pourront être complétées dans un texte réglementaire (ce que font les
décrets de 2010). Le conseil rappelle que devant lui doivent être respectés des principes qui font
penser à ceux de la CEDH, respect d’un délai de 3 mois, publicité des audiences, motivation et
notification de la décision…

L’une des questions qui conditionne le succès de procédure consistait à savoir l’ordre dans lequel le
juge confronté à une question concomitante de conventionalité et de constitutionnalité portant sur
les mêmes dispositions doit traiter ces dispositions.
Le justiciable est conduit à choisir une stratégie adaptée à ses objectifs.
La loi organique insiste sur le caractère prioritaire de la question de constitutionnalité. Cela
n’enlève rien au contrôle de conventionalité car si la question de constitutionnalité est posée par le
justiciable le juge doit y répondre mais si la question n’est pas jugée nouvelle ou sérieuse par le
juge ou si la disposition est constitutionnelle, le juge pourra ensuite se prononcer sur la question de
la conventionalité.
Sur le plan procédural, le conseil considère normal de donner priorité à la question de la
constitutionnalité car il conduit à un effet plus radical qu’est l’abrogation de la disposition non
constitutionnelle.
Ce principe d’ordre ne règle pas toutes les questions qui pourraient se poser.
Que va-t-il se passer lorsque sera invoquée l’inconstitutionnalité d’une disposition législative
transposant une directive communautaire ?
La jurisprudence du conseil constitutionnel considère que le juge ne peut déclarer recevable la
question de constitutionnalité que si est invoqué à l’encontre de la loi un principe inhérent à

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l’identité constitutionnelle de la France. Cette solution doit être conjuguée avec une autre où le CE a
appliqué la technique de l’équivalence des protections constitutionnelles et européennes dans
l’hypothèse où est invoqué à l’encontre d’une loi de transposition un argument tenant à l’atteinte
portée à un droit garanti par la constitution.

Le justiciable est confrontée à plusieurs hypothèses soit il estime que la disposition est contraire à
un droit exclusivement reconnu dans l’ordre conventionnel et dans ce cas il souligne une question
de conventionalité. Au contraire, si le droit est propre à l’ordre juridique national il choisira la voie
de la question prioritaire de constitutionnalité. Mais ce cas est rare car le plus souvent les droits
invoqués sont protégés sur le plan constitutionnel et conventionnel.
S’il invoque un principe protégé au plan constitutionnel et conventionnel, il pourra soulever
uniquement la question de constitutionnalité, ou uniquement celle de conventionalité ou les deux à
la fois. Cette dernière option conduira à ce que la question puisse être tranchée directement par le
juge et plus rapidement, la sanction sera aussi plus efficace pour le justiciable qui obtiendra plus
rapidement satisfaction.
Si la question de constitutionnalité est posée prioritairement, elle entraine un allongement de la
procédure. Dans le cas où le justiciable n’obtient pas satisfaction sur le plan constitutionnel il peut
poser la question sur le plan conventionnel mais la procédure sera encore plus longue qu’elle ne
l’est actuellement.

Il faut absolument qu’on soit en présence d’une disposition législative ce qui peut poser des
questions pour des dispositions antérieures à 1958.
En ce qui concerne la référence entre droits et libertés, on en fait une interprétation assez large,
toute la question est de savoir si ce contrôle s’applique au droit tiré du droit communautaire. On n’a
pas réponse sur cette question.

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Chapitre 2: Les sources internationales

Il s’agit de sources qui s’adressent à tous les Etats = vocation universelle. Il faut d’emblée laisser de
coté les sources destinées à réguler des questions de compétence ou de procédure dans des litiges
internationaux, c'est à dire qui comportent un élément d’extranéité, ce qui nous renvoie aux
conventions multilatérales de La Haye, car elles n’intéressent que dans les litiges internationaux, et
car elles ne concernent que des aspects procéduraux très particuliers, et qu’en définitive elles
participent assez faiblement à l’élaboration d’un droit commun du procès. Indépendamment de tout
litige international, dans les litiges internes, les Etats ont accepté par la conclusion de conventions
internationales multilatérales des respecter un certain nombre de principes fondamentaux dans la
conduite des procédures au sein de leur ordre juridique. Ce sont ces conventions qui constituent la
véritable source internationale du droit processuel au sens de droit commun du procès.

Ces sources internationales sont elles-mêmes de deux sortes :

- D’une part on a des traités ou conventions qui comportent effectivement une proclamation
de principes de droit processuel, mais qui sont dépourvus de force contraignante ou du
moins ne sont pas dotés d’un mécanisme de sanctions qui permettent leur application directe
en droit interne. Leur effectivité suppose de trouver un relai dans la législation des Etats
signataires, de sorte que ce ne sont que des sources que l’on pourrait qualifier d’inspiration.

- D’autre part, on a également des traités ou convention qui contiennent là encore


l’affirmation de principes de droit processuel, mais qui sont sinon auto exécutoires, du
moins pourvus d’un mécanisme permettant d’imposer aux Etats Parties le respect des
principes affirmés. C’est ce que l’on peut appeler de véritables sources d’intégration de droit
processuel dans les systèmes juridiques nationaux.

Nous allons d’abord voir les sources d’inspiration avant de voir les sources d’intégration.

A. Les sources d’inspiration

1) La DUDH

La 1ère est la DUDH, qui a été proclamée le 10 décembre 1948 par l’assemblée générale des nations
unies. Cette déclaration n’a pas de valeur normative, elle a une simple valeur de recommandation.
Elle ne crée par d’obligations pour les Etats, et n’est donc pas source directe du droit. Selon les
rédacteurs, elle constitue un idéal commun à atteindre par tous les peuples et toutes les nations.

18 avril 1951, Conseil d'Etat, Election de Nolay : le Conseil d'Etat défend la thèse que la
déclaration n’étant pas un traité, elle n’a pas force de loi. La seule publication au JO ne permet pas
de ranger la DUDH au nombre des textes diplomatiques qui ayant été ratifiés et publiés en vertu
d’une loi ont aux termes de l’article 55 de la Constitution du 4 octobre 1958 une autorité supérieure

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à celle de la loi interne. Cet argument est régulièrement repris, c’est un argument purement
technique : l’absence de ratification ne permettant pas de ranger la DUDH dans la catégorie
classique du traité la disqualifie au titre de l’application de l’article 55.

A partir du moment où elle est dénuée de force obligatoire, elle ne peut être utilement invoquée à
l’appui d’un recours devant les juridictions internes. Plusieurs arrêts du Conseil d'Etat, par ex
Preptow 4 aout 2006.

Elle a été la source d’inspiration des principaux documents internationaux des droits de l’homme
adoptés postérieurement, et au 1er chef la charte des droits fondamentaux, et les pactes
internationaux des NU, et surtout la CEDH.

Aux articles 8 à 11 on y trouve proclamé le droit à un recours effectif devant les tribunaux en cas de
violation des droits fondamentaux et le droit à un procès équitable. Il y a un certain nombre de
proclamations du caractère fondamental de la présomption d’innocence, de l’interdiction des
arrestations et détentions arbitraires, ainsi que la non rétroactivité des lois pénales. Cette déclaration
est importante quant à son contenu, mais elle n’a aucune force impérative, juridiquement
contraignante : il n’y a d’ailleurs pas d’organes de contrôle, sa force est essentiellement
symbolique, car elle a influencé les conventions postérieures. C’est bien une source d’inspiration.

Il y a d’autres instruments. Par ex les déclarations dans le cadre de l’ONU des divers principes
fondamentaux de procédure et d’organisation juridictionnelle.

Ces déclarations n’ont que la valeur d’engagements politiques. On a posé en 1985 les principes
fondamentaux relatifs à l’indépendance de la magistrature, en 1990 déclaration relative aux
principes de base relatifs au rôle du barreau.

2) La CNY sur les droits de l’enfant

On pourrait également évoquer la Convention de NY sur les droits de l’enfant, complétée par
plusieurs protocoles, dont l’implication des enfants dans les conflits armés, d’autres concernant la
prostitution et la pornographie, date de 2002.

Sur le plan processuel, cette convention évoque un droit à un procès pénal équitable et énonce
certains droits de nature procédurale. La question du caractère auto exécutoire de cette proclamation
de principes s’est rapidement posée devant les juridictions internes, notamment dans le cadre de
procédures de divorce des parents d’un enfant. La convention précisait que les Etats Parties
s’engageaient à protéger les droits proclamés, ce qui laissait à penser qu’une transposition nationale
était nécessaire. Il y a eu une division entre les juridictions.

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Dans un 1er temps, la Cour de Cassation a tranché en décidant que les dispositions ne peuvent être
invoquées devant les tribunaux au motif que cette convention, qui ne crée des obligations qu’à la
charge des EP, n’est pas directement applicable en droit interne. Dans un 2nd temps (18 mai et 14
juin 2005), la Cour de Cassation a opéré un revirement : elle a accepté l’applicabilité directe de la
convention, mettant un terme à la solution contraire. Ce revirement a été confirmé dans un autre
arrêt du 22 novembre 2005, qui permettait d’invoquer l’article 3-1 de la Convention sur l’intérêt
supérieur de l’enfant, les tribunaux pouvant donc directement se référer à cet article. En 2006 on a
déclaré un autre article d’application directe : article 7-1 de la convention, relatif aux droits de
l’enfant à connaitre dans la mesure du possible ses parents et à être élevé par eux.

Cette convention n’a pas prévu de moyen juridique pour contraindre un EP a garantir ses
engagements à l’égard de ses propres justiciables . il existe un comité des droits de l’enfant, pour
contrôler l’application de la convention, mais la seule obligation est de lui transmettre à intervalles
réguliers des rapports sur les mesures adoptées pour donner effet aux droits reconnus par la
convention.

B. Les sources d’intégration

Charte Internationale des DDH

Quelles sont ces sources ? En 1966, était adoptés par les NU deux pactes internationaux relatifs
pour le 1er aux droits civils et politiques, pour le 2nd aux droits sociaux, économiques et culturels. Il
intéresse le droit processuel par son article 14 : droit à certaines garanties processuelles
fondamentales. Il constitue la seule convention à vocation universelle qui a instauré un mécanisme
de contrôle. Il a été complété de deux protocoles, et l’ensemble a été qualifié de charte
internationale des droits de l’homme.

! Pour les droits garantis

Le droit à un procès équitable est énoncé à l’article 14, souvent comparé à l’article 6 de la CESDH.
Mais l’énumération des droits est plus longue et se décompose en 7 paragraphes. §2 à 7 concernent
certaines garanties spécifiques à la matière pénale (présomption d’innocence droit à un interprète,
droits de la défense, §3 = principe de la publicité des audiences …).

Le §1 retient surtout l’attention, en raison de la généralité des garanties procédurales qu’il énonce.
Affirmation remarquable qui n’a pas d’équivalent dans l’article 6 : « tous sont égaux devant les
tribunaux et les cours de justice. ». Principe donc d’égalité devant la justice, qui doit être entendue
raisonnablement. Il s’agit d’une égalité en matière de procédure comme garantissant l’égalité dans
les résultats de cette procédure ou l’absence d’erreur de la part du tribunal compétent.

Le reste du texte ressemble à l’article 6§1 : toute personne a droit à ce que sa cause soit entendu
équitablement et publiquement. On y retrouve les mêmes notions, malgré des différences dans
l’interprétation de cet article 14 par rapport à l’article 6 : il ne protège que les droits des personnes
physiques, et non des personnes morales. Son applicabilité est limitée aux accusations en matière
pénale et aux contestations sur les droits et obligations de caractère civil. Cet article a posé une

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difficulté d’interprétation dans sa version anglaise qui a conduit beaucoup d’Etats signataires à
contester son applicabilité.

Concernant la France, elle l’a ratifié par une loi du 25 juin 1980, moyennant certaines réserves.
S’agissant de l’article 14, une réserve concerne une règle relative au régime disciplinaire dans les
armées. Par ailleurs il a été spécifié que le gouvernement de la république interprète l’article 14§5
comme posant un principe général auquel la loi peut apporter des exceptions. Cet article affirme le
droit pour toute personne déclarée coupable de faire examiner par une juridiction supérieure la
déclaration de culpabilité et la condamnation.

! Mécanisme de contrôle

La Convention a institué un comité des droits de l’homme, qui est chargé de contrôler l’application
du pacte par les Etats signataires. A cette fin, les EP doivent soumettre périodiquement un rapport
sur les mesures prises justement pour donner effet aux articles. Le comité rend également des
constatations sur les recours dont il est régulièrement saisi. Un protocole facultatif a été prévu qui
organise un droit au recours individuel à titre optionnel. Le comité doit tout d’abord apprécier la
recevabilité d’une demande, ce qui suppose qu’il y ait la violation d’un droit énoncé par le pacte,
que les recours internes soient épuisés et que l’atteinte alléguée n’est pas déjà fait l’objet d’un
examen réel sur le fond devant la CEDH.
Si la demande est recevable, le comité recueille les observations de toutes les parties et a le pouvoir
ensuite d’adresser une constatation au fond à l’Etat intéressé et au particulier.
Le fait qu’il y ait peu de constatations s’explique par le fait que la plupart du temps c’est la CEDH
qui est saisie sur le fondement de l’article 6.

- Ces constatations n’ont pas la valeur d’un jugement

Le comité lui-même n’est pas une juridiction. Même s’il indique quelles conséquences découlent du
manquement constaté, même s’il met à l’index l’Etat en lui notifiant qu’il a violé le pacte, ces
constatations sont quasiment sans portée, si ce n’est politiques, pour l’Etat dont on dit qu’il a violé
le Pacte.
La plupart du temps le comité fait des propositions. L’Etat est dans l’obligation de prendre
immédiatement des mesures pour faire respecter les dispositions du Pacte, mais il n’y a aucune
sanction à la clé.

- Ces constatations ne sont pas non plus purement déclaratoires

Le comité s’efforce de surveiller l’exécution de ses constatations, et d’autre part la pratique suivie
par les Etats montre que le plus souvent les communications conduisent à des modifications
législatives.

Ce Pacte n’est pas une simple source d’inspiration du droit processuel, d’autant plus qu’à la
différence des autres instruments, l’article 14 du Pacte et le reste a été jugé d’application directe
devant les tribunaux français. Il y a beaucoup de décisions de la Cour de Cassation qui font
directement application de ce Pacte et le citent directement, mais ces décisions invoquent en outre
d’autres textes ou conventions internationales, et la plupart d’entre eux se prononcent

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systématiquement dans le sens de la conformité de la législation française avec les exigences du
Pacte.
Il n’y a pas pléthore de décisions se référant à l’article 14§1, mais il y en a quelques unes, toutes
liées avec l’article 6§1.

En définitive, ce Pacte constitue une véritable source d’intégration du droit processuel en droit
interne, mais son importance est secondaire. Les véritables sources résident dans des textes plus
régionaux, dont la CESDH. Il n’est cependant pas dénué d’intérêt.

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Chapitre 3 : Les sources européennes

En réalité, certaines sources internationales ont une assise géographique limitée à certaines parties
du globe, ce sont des sources régionales, qui ne sont pas circonscrites à l’Europe (par ex aux USA
ou en Afrique). Ce sont surtout les Etats européens qui se sont engagés dans un processus
d’intégration régionale. Les traités désignent cette dynamique par l’objectif de créer une union sans
cesse plus étroite entre les peuples de l’Europe. Elle trouve son expression à travers deux ordres
juridiques autonomes : celui issu de la CESDH, et celui issu du droit de l’UE.

! Droit conventionnel

Prééminence du droit grâce à la garantie collective de certains droits. A la différence de la


déclaration, la CESDH est un instrument juridique obligatoire pour les EP, et elle présente
également une originalité, qui réside dans le mécanisme institutionnel de protection mis en place,
c'est à dire la CEDH siégeant à Strasbourg.

Telle qu’elle a été appliquée et interprétée par la Cour, elle a donné naissance au droit de la
CESDH, le droit conventionnel européen, qui puise tant à la source conventionnelle que
jurisprudentielle. Cette convention sur le plan procédural, à l’image du Pacte, contient deux types
de garantie : l’article 6 relatifs au droit à un procès équitable, et l’article 13 qui reconnait un droit à
un recours effectif devant une instance nationale en cas de violation des lois et libertés
conventionnellement garanties.

Ces deux articles méritent des précisions. L’article 13 n’a pas de portée autonome, il ne peut pas
être invoqué tout seul. Il n’énonce aucune garantie procédurale précise. L’article 6 se décompose lui
en trois § : le 1er énonce dans une formule un ensemble de garanties procédurales applicables à tous
types de procédure, les §2 et 3 annoncent des garanties spécifiques aux accusations en matière
pénale.
Il existe d’autres sources de droit processuel que la CESDH, comme la Convention européenne sur
l’exercice des droits de l’enfant, mais elles n’ont pas la même importance.

! Droit européen

Il a longtemps été silencieux sur les questions de justice qui constituaient un domaine sensible de
souveraineté nationale. La question de la protection des droits fondamentaux dans le cadre
communautaire est longtemps restée une question accessoire et marginale. L’Europe était avant tout
économique.

Face au silence des traités originaires, c’est la CJCE (bientôt CJUE) qui est venue combler cette
lacune et qui a assuré progressivement une protection efficace des droits fondamentaux La CJCE a
consacré les droits fondamentaux en tant que principes généraux du droit, qu’elle a dégagé des
traités institutifs, et surtout qu’elle a dégagé des traditions constitutionnelles communes aux EM, et
des instruments internationaux de protection au 1er rang desquelles se trouve la CESDH, qui s’est
imposée comme la source matérielle principale des droits fondamentaux en tant que principe
généraux du droit communautaire.

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L’Europe a ensuite pris des initiatives, en inscrivant le principe de la protection des droits
fondamentaux comme l’un des fondements de l’UE et en prévoyant un mécanisme de contrôle
politique, et la Charte des Droits Fondamentaux adoptée à Nice en 2000 est venue codifier les
principes jurisprudentiels dégagés par la CJCE et a doté l’UE d’un catalogue de droits
fondamentaux. Elle a désormais une force contraignante. Symboliquement, elle a été reproclamée
en 2007. Elle n’a pas force contraignante pour le RU et la Pologne. Elle avait déjà été intégrée dans
le bloc de légalité communautaire par la CJCE dans un arrêt du 27 juin 2006. La CJCE a apprécié la
non-contrariété d’une directive à l’aune de la Charte des Droits Fondamentaux, en soulignant que si
la Charte ne constitue pas un instrument juridique contraignant, elle est un instrument de référence ,
d’une part parce que le législateur dans la directive avait exprimé la volonté de la respecter, et
d’autre part parce que l’objectif principal de la Charte exprimé dans son préambule est de réaffirmer
des droits qui résultent notamment des traditions constitutionnelles et des obligations internationales
communes aux EM.

En ce qui concerne le contenu processuel de cette Charte, il est très important ; Elle contient un
chapitre 6 sur la justice, qui se décompense en 4 articles. L’article 47 est une sorte de condensé des
articles 6 et 13 de la CEDH.
Cette Charte, qui s’inspire de la Convention, prévoit une clause de renvoi à la Convention qui
indique que dans la mesure où la présente Charte contient des droits correspondants à des droits
garantis par alinéa Convention, leur sens et leur portée sont les mêmes que ceux que leur confère la
dite convention. Il est également précisé que cette disposition ne fait pas obstacle à ce que le droit
de l’UE accorde une protection plus étendue.

Au-delà de cette dualité, l’intégration européenne trouve son unité substantielle dans la Convention
EDH, qui en tant qu’instrumenta de référence à la fois du Conseil de l’Europe et de l’UE constitue
le pivot de la protection européenne des droits et libertés fondamentaux. Les deux systèmes sont
interdépendants, la Convention a influencé le système communautaire de protection. Le juge
communautaire se l’est appropriée, et s’appuie désormais sur la Convention comme sur la
jurisprudence de la CEDH directement. Il existe une complémentarité fonctionnelle entre les
systèmes qui renforce leur interdépendance normative.
Le traité de Lisbonne prévoit l’adhésion à la Convention de l’UE, de même le protocole 14 dans son
article 17 envisageait l’adhésion de l’UE à la CEDH. Reste maintenant à en fixer les modalités.

Section 1 : Les sources européennes dans le cadre du Conseil de l’Europe, le droit de la CEDH

La CEDH a été élaborée au sein du Conseil de l’Europe, ouverte à la signature en 1950, entrée en
vigueur en 1953 ; Elle engage 57 Etats de l’Europe, et consacre d’une part une série de droits et
libertés civiles et politiques, et d’autre part elle instaure un dispositif visant à garantir le respect par
les Etats contractants des obligations qu’ils assument. Cette convention prévoit deux types de
requêtes, étatiques et individuelles. Initialement, le droit à un recours individuel était optionnel, il
est devenu obligatoire en 1998 avec l’entrée en vigueur du protocole n°11, et constitue désormais la
clé de voute du système.

Les destinataires sont les nationaux des Etats signataires, et non les Etats au 1er chef. Les droits et
libertés contenus dans la Convention sont antérieurs à l’Etat, qui ne peut ni la attribuer, ni les

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concéder. Cela signifie que la Convention est déclarative, et non attributive de droit. De par leur
caractère fondamental, il n’y a pas de lien avec la nationalité : les droits sont déclarés non pas à
l’individu en tant que citoyen d’un Etat, mais en tant que personne humaine.
Les obligations ont essentiellement un caractère objectif, visant à protéger les droits fondamentaux
des particuliers contre les atteintes que pourraient leurs porter les Etats contractants. La CEDH,
dans une affaire du 18 janvier 1978, Irlande contre RU en a profité pour souligner que
contrairement aux traités classiques, la Convention a créé des obligations objectives qui bénéficient
d’une garantie collective débordant la simple réciprocité entre Etats contractants. Son objectif 1er est
de forger un OP européen dans le domaine des droits et libertés fondamentaux.

Autre trait distinctif : l’existence d’une protection juridictionnelle ad hoc des droits créés par la
Convention. Si les individus peuvent se prévaloir des droits reconnus directement devant les
juridictions nationales, la sanction de la violation de ces droits par le juge interne a été complété par
un mécanisme de garantie supra nationale au sein duquel le juge internationale occupe une place
centrale, car il peut être saisi directement par les justiciables.
La CEDH est une institution d’autant plus importante qu’elle a su enrichir et vivifier la convention
grâce à des méthodes d’interprétation originale. Elle a donné plein effet aux droits proclamés en
s’assurant qu’ils ne restent pas théoriques ou illusoires, mais qu’ils soient au contraire concrets et
effectifs.

La Convention confie en 1er lieu à chaque Etat contractant le soin d’assurer la jouissance des droits
et libertés qu’elle consacre. En principe, les autorités demeurent libres de choisir les mesures
qu’elles estiment appropriées dans les domaines régis par la Convention. Le mécanisme de contrôle
n’entre en jeu que par procédure contentieuse, et après épuisement des voies internes. Le salut de la
Cour sera dans les juges nationaux, car c’est dans le cadre national que commence la protection
effective : tout doit être fait pour éviter le recours à la CEDH.

§1 – La protection juridictionnelle des droits reconnus par la CEDH

Le système en place autrefois était complexe et manquait de crédibilité, d’où une restructuration
profonde avec le protocole n°11, adopté le 11 mai 1994, mais entré en vigueur seulement en 1998.
A compter de cette date, la CEDH a été reconnue comme le seul organe pouvant se prononcer sur
les violations éventuelles de la Convention. Elle est devenue permanente et le mécanisme européen
de contrôle a acquis un caractère pleinement juridictionnel. Le problème est que la Cour a été
confrontée à un développement exponentiel de saisines, une augmentation des requêtes fulgurante,
à laquelle elle n’a pas pu faire face. Or à défaut de pouvoir obtenir plus de ressources financières et
la rationalisation constante des procédures ayant montré leurs limites, il a fallu passer à l’étape
supérieure : le protocole 14 signé le 12 mai 2004 et visant à amender le système de contrôle de la
convention. En principe, il devait entrer en vigueur au cours du 2nd semestre 2006, mais au 1er juillet
2005, seulement 13 Etats sur 47 ont exprimé leur consentement à être lié par ce protocole. La
France l’a accepté par une loi du 29 mai 2006. Tous les Etats ont suivi ce chemin, sauf la Russie qui
a bloqué l’entrée en vigueur du protocole alors qu’il était accepté par tout le monde. A provoqué
l’entrée en vigueur d’un protocole 14bis pour éviter que la situation de la CEDH ne se détériore
d’avantage.

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Il a été convenu d’adopter en tant que mesure intérimaire et provisoire ce protocole 14bis limité aux
mesures d’ordre procédural contenues dans le protocole 14 qui serait le plus rapidement efficace
pour augmenter la capacité de traitement des requêtes pas la Cour. La 1ère mesure est la formation de
juge unique qui peur rejeter des requêtes clairement irrecevables, alors qu’avant il fallait trois juges.
Il y a ensuite une compétence élargie des comités de trois juges qui peut déclarer une requête
recevable et rendre un arrêt sur le fond lorsque la ou les questions soulevées font l’objet d’une
jurisprudence bien établie de la Cour, pour évacuer les affaires répétitives.
Les 1ers arrêts sous cette formation ont été adopté le 22 décembre 2009 dans une affaire concernant
l’Allemagne à propos de la durée excessive des procédures judiciaires, sur le fondement de l’article
6§1.

Ouvert à la signature en mai 2009, entré en vigueur en octobre 2009, mais appliqué dès le 1er juin
2009 par les Etats qui ont déclaré accepter son application. La Russie a fini par ratifier le protocole
14 le 15 janvier 2010 permettant ainsi à toutes les propositions de ce protocole d’entrer en vigueur
le 1er juin ou juillet 2010.

Ce protocole 14 est important à plusieurs points de vue : il assoupli le fonctionnement de la Cour


qui doit être dans la possibilité de traiter un plus grand nombre de requêtes. Il durcit les conditions
de recevabilité des requêtes individuelles et il permet d’améliorer le suivi des arrêts. Il y a des
changements sur le fonctionnement même de la Cour : le 1er tient à la condition des juges qui ne
sont plus rééligibles, mais élus pour 9 ans au lieu de 6, avec une limite d’âge de 70 ans. Le 2nd
résulte de la possibilité pour la Cour de siéger en formation de juge unique qui peut par une
décision définitive déclarer une requête individuelle irrecevable ou la rayer du rôle.
Par contrecoup, le rôle du comité qui est réduit désormais à 3 juges là où il y en avait 7 est
renforcé : il peut toujours par un vote unanime déclarer une requête irrecevable ou la rayer du rôle,
mais il peut aussi rendre des décisions de recevabilité, compétence anciennement réservée
exclusivement aux Chambres et Grandes Chambres, et si la jurisprudence est bien établie il peut
rendre une décision sur le fond relative aux conditions de recevabilité.

Tout cela pour délester les Chambres, qui vont pouvoir se concentrer sur l’examen au fond des
questions nouvelles. On peut augmenter le nombre des Chambres et réduire le nombre des juges à
5.

Les conditions de recevabilité des requêtes individuelles ont été durcies : la Cour peut déclarer
irrecevable toute requête individuelle lorsqu’elle estimera que le requérant n’a subi aucun préjudice
important. C’est neutralisé lorsque le respect des DDH exige un examen de la requête au fond et
que l’affaire n’a pas été dument examinée par un tribunal interne. Reste à voir comment la Cour va
interpréter tout ca.

On a essayé d’améliorer l’exécution des décisions. Il y a deux procédures. Le Comité des Ministres
peut demander l’interprétation d’un arrêt rendu par la Cour, il peut engager une action dans une
affaire où l’Etat défendeur refuserait selon lui de se conformer à un arrêt de la Cour, qui serait alors
priée de déterminer si l’Etat a respecté ou non son obligation et s’est conformé à l’arrêt définitif
rendu contre lui.

Plusieurs réformes ont visé à rendre la CEDH plus efficace, avec des mécanismes de rationalisation
des procédures en interne. Le protocole 14 était l’’espoir attendu d’une meilleure efficacité. Mais la

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Cour est confrontée à une augmentation continue de sa charge de travail, avec un accroissement
spectaculaire des requêtes individuelles. Le nombre de décisions a été notablement amélioré, mais
chaque mois un écart se creuse entre les entrées et les sorties qui augmente de 1800 affaires, sans
tenir compte des affaires pendantes où la situation est tout aussi alarmante. 12 000 affaires en
instance à la fin de 2009, nombre ayant augmenté de 25% en un an et de 50% en deux ans. On se
rend compte que 55% des requêtes sont en provenance de 4 Etats uniquement : Russie, Turquie,
Ukraine et Roumanie.
88% des requêtes sont manifestement irrecevables ou infondées : dénote un manque d’information
sur les procédures de la Cour.

Cet encombrement a de multiples causes, dont le nouveau paysage politique, mais aussi le
libéralisme avec lequel la Cour a accepté les requêtes, ainsi que sa très large compétence. L’avenir
de la CEDH s’est retrouvé au centre des débats des ministres responsables des droits de l’homme
les 18 et 19 février 2010 à Interlaken. Cette conférence est importante car elle a conduit à réaffirmer
l’engagement des EM envers la protection des DDH en Europe, ainsi que de la détermination de
permettre à la Cour, qualifiée de rouage essentiel du mécanisme de protection à faire face au
volume croissant des requêtes. L’objectif est de revitaliser l’objectif de la Convention, avec une
application vigoureuse du principe de subsidiarité et de sa mise en œuvre dans la pratique des
systèmes juridiques nationaux, ce qui devrait plaire aux Etats, puisqu’il leur est demandé de veiller
à la bonne application de la Convention. Le vice-président du Conseil d'Etat, Marc Sauvé a fait un
discours très intéressant qui rappelle l’importance de réaffirmer le principe de subsidiairité : le
respect de la Convention passe d’abord par les juridictions nationales.

Au-delà de ça, lors de la conférence d’Interlaken il a été clairement réaffirmé le droit de recours
individuel. Le principe de subsidiairité certes est important, mais le droit de recours individuel a été
réaffirmé comme étant la clé de voute du mécanisme de sauvegarde des DDH. Cependant, cela
n’empêche pas d’essayer de réguler l’augmentation du nombre des requêtes nouvelles. Au titre des
mesures de régulation à prendre, le Président Costa propose plusieurs pistes, dont la création d’un
mécanisme de filtrage pour faire un tri efficace et que la Cour ne se consacre qu’aux problèmes
nouveaux et les plus graves. Il est proposé de développer la pratique des arrêts pilotes, de favoriser
les règlements amiables, ainsi que les déclarations unilatérales pour régler de manière rapide et
équitable des affaires très nombreuses et du même type.

Le règlement amiable et la déclaration unilatérale :

! Le règlement amiable

Le règlement est prévu par la Convention. Il offre au requérant une compensation, surtout en cas de
jurisprudence bien établie, et c’est une question de transaction ouverte au gouvernement qui évite
de figurer dans les statistiques. Ce règlement est possible dès qu’une affaire est recevable selon
l’article 38, mais il peut intervenir à tout moment grâce aux termes larges de l’article 37. Les
négociations peuvent se dérouler hors intervention du greffe. Les négociations peuvent se dérouler
aussi avec le greffe, qui joue un rôle très actif : il peut aider les parties dans leurs discussions, mais
il peut aussi prendre l’initiative de leur proposer de transiger sur des bases qu’il propose. Dans tous
les cas, ces négociations sont confidentielles. Lorsqu’elles aboutissent, un formulaire de règlement
amiable est rempli par les parties. Le gouvernement s’engage à verser une somme d’argent ou à

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prendre une mesure, et cet accord n’implique aucune reconnaissance d’une violation de la
Convention.

! La décision unilatérale

Radiation d’une affaire du rôle en échange d’une admission de la violation de la Convention et le


versement d’une compensation adéquate pour le requérant. La Cour fait alors abstraction des
discussions intervenues pour faire droit à la demande de radiation. La Cour doit tenir compte d’un
certain nombre de facteurs. Il y a deux conditions principales : une reconnaissance de la violation
alléguée, ou en tous cas une concession en ce sens, et un redressement suffisant : paiement d’une
somme d’argent ou mesure permettant d’effacer les conséquences de la violation.

Le Président Costa a demandé à ce que le comité des Ministres contrôle mieux l’exécution des
arrêts. Toutes ces propositions ont été entendues par le Conseil de l’Europe qui a fait une
déclaration commune assortie d’un plan d’action (10 février 2010). Des mesures à court et moyen
terme sont préconisées pour améliorer le fonctionnement de la CEDH. Le Comité des Ministres est
invité à évaluer en 2012 et 2015 dans quelle mesure les mesures auront amélioré la situation de la
Cour, et avant la fin 2019 ce comité devra décider si les mesures se seront révélées suffisantes pour
assurer un fonctionnement efficace du mécanisme de la Convention, ou si des changements plus
fondamentaux sont nécessaires.
Cf. le site de la CEDH.

A. La procédure de contrôle supranational de la Convention

La CEDH prévoit deux types de requêtes, les requêtes étatiques étant relativement rares, quelques
affaires d’Irlande contre RU, ou Chypre contre Turquie. Deux requêtes étatiques pendantes
concernant la Géorgie contre la Russie.

Le droit de recours individuel est vraiment considéré comme l’innovation essentielle, la clé de
voute du mécanisme de sauvegarde des droits garantis par la Convention. Il confère à l’individu un
droit d’action direct devant la CEDH, qui a très tôt insisté sur le fait que ce droit de recours
individuel prévu à l’article 25 était une disposition essentielle à l’efficacité du système. Elle l’a
réaffirmé dans l’affaire Abdurasulovic contre Turquie du 6 février 2003 : les dispositions
procédurales doivent comme les dispositions normatives bénéficier d’une interprétation évolutive.

Ce droit de recours est ouvert de plein droit, et c’est un droit de saisine directe, ce qui n’était pas le
cas précédemment. La multiplicité des requêtes a été facilitée, d’autant plus que la procédure devant
la Cour de Strasbourg est gratuite, et qu’on peut bénéficier d’un système d’assistance judiciaire.

Généralités sur la procédure :

Elle est publique, contradictoire, se fait en grande partie par écrit. En principe les mémoires et les
documents sont accessibles au public. Les requérants individuels peuvent agir par eux-mêmes, mais
une fois que la requête a été communiquée au gouvernement défendeur, les requérants doivent être
représentés.

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Pour commencer la procédure, il y a un examen préliminaire de la requête.

1) La recevabilité de la requête

Concernant la saisine de la Cour :

On parle de recours individuel, il faut se méfier des termes. Il n’est pas forcément exercé par un
individu : le droit de recours individuel est reconnu par l’article 34 à toute personne physique, toute
ONG ou tout groupe de particuliers.

! En ce qui concerne la personne physique, il n’y a aucune condition relative à la nationalité, à


la résidence, à l’état civil ou la capacité même de l’individu, ce qui veut dire que la Cour
peut être saisie par les nationaux d’un EP, les ressortissants d’un autre Etat ou bien par des
réfugiés ou apatrides. Peut être saisie par des détenus ou des incapables sans être
représentés.

! Pour les ONG = toute structure organisée ne disposant d’aucune parcelle d’autorité
publique. Arrêt UNEDIC contre France du 18 décembre 2008 rappelle l’exclusion des
autorités disposant d’une puissance publique. Peuvent être des PM à but lucratif ou non, ou
exerçant une mission de SP dès lors qu’elle n’exerce aucune prérogative de puissance
publique et qu’elles jouissent d’une autonomie complète par rapport à l’Etat.

! Quant aux groupes de particuliers, cette notion vise les groupes régulièrement constitués
selon les lois internes de chaque EP.

Il faut invoquer une violation par l’Etat de la Convention sous la forme d’un intérêt personnel à
agir. L’article 34 n’offre pas aux particuliers une action populaire, et ne les autorise pas de demande
in abstracto s’ils souffrent d’une violation. Leurs droits doivent avoir été violés de manière concrète
par une disposition ou une mesure.

! La violation des droits garantis

Elle doit être imputable à l’une des Hautes Parties contractantes. C’est la notion de victime qui a le
plus retenu l’attention. Cette notion doit être comprise indépendamment des notions internes, telles
que celles relatives à l’intérêt ou la qualité pour agir (article 31 CPC).
Il convient ensuite d’interpréter cette notion d’une manière qui rende les exigences concrètes et
effectives. C’est ainsi que la Cour a considéré que le comportement délictueux d’un requérant dans
l’ordre juridique interne le ne privait en aucun cas de sa qualité de victime.

Cette notion de victime est en outre évolutive. Un requérant n’ayant pas agit à titre personnel au
niveau national ne pouvait pas se voir attribuer la qualité de victime au sens de l’article 34. La
CEDH a atténué cette rigueur dans un arrêt de 2004 : Gorraiz Lizarraga contre Espagne. Cf. le TD.
La Cour dans cet arrêt fait expressément référence à la méthode évolutive pour justifier son
revirement.

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La Cour estime que la condition de victime à laquelle est subordonnée sa compétence ne doit pas
faire l’objet d’une application rigide et mécanique. C’est ainsi par ex qu’elle a accepté d’être saisie
et d’examiner une requête après le décès du requérant et en l’absence d’héritiers susceptibles de
poursuivre la procédure, sous prétexte que celle-ci avait trait à une question d’IG, intéressant non
seulement l’EP, mais aussi les autres EM.

De même, on a considéré que l’IG pouvait conférer qualité à des requérants pour introduire une
requête au nom de leur époux et père décédé alors même qu’ils n’avaient pas été parties à la
procédure interne, dans une hypothèse où le requérant était décédé avant même l’introduction de sa
requête. 2003, Karner c/ Autriche

On a même reconnu la qualité de victime indirecte. Mais l’attribution de la qualité de victime est le
plus souvent liée au caractère d’IG de la question soulevée par la requête. Cette notion de victime
n’a eu de cesse de s’élargir dans deux directions : d’une part le droit au recours a été étendu aux
victimes potentielles ou éventuelles.

On a ainsi admis comme victime une personne susceptible le cas échéant de tomber sous
l’application d’une loi prétendue incompatible avec la Convention, dans l’affaire Soering contre
Royaume Uni du 7 juillet 1989 : est victime l’étranger qui court un risque réel de subir une violation
de ses droits si une mesure d’éloignement du territoire prise à son encontre est exécutée.
Le 29 octobre 1992, Open door et Dublin Well Woman c/ Irlande : a considéré comme victimes
d’une violation du droit de recevoir une information en matière d’IVG des femmes non enceintes
mais considérées comme en âge de procréer.

Le droit a été étendu aux victimes indirectes : celle qui a subi un préjudice en raison de la violation
des droits d’un tiers ou qui a un intérêt personnel valable à ce qu’il soit mis fin à la violation. Le
recours est ouvert ici à deux conditions :

- Il faut d’abord une victime directe, qui peut être effective ou potentielle de la violation de la
Convention
- Il faut un lien étroit et personnel entre la victime direct et la victime indirecte.

Affaire Burghartz c. Suisse, 22 février 1994 : on accepte la requête de l’épouse d’un homme victime
d’une atteinte discriminatoire au droit au nom, l’épouse ayant le statut de victime indirecte.

Le lien est parfois moins étroit : on a admis l’action du frère d’une victime très vulnérable alors
qu’il n’avait pas reçu procuration de cette dernière. Ilhan contre Turquie du 27 juin 2000.

Reste encore à apprécier trois séries de conditions de recevabilité, qui sont des conditions de délais,
négatives relatives à la requête.

! Condition de délai : la requête doit être présentée dans un délai de 6 mois à compter de la
date de la décision interne définitive (article 35§1)

La jurisprudence a assoupli cette règle en admettant que lorsque le droit interne prévoit une
notification de la décision, c’est à compter du lendemain de cette date que part le délai de 6 mois.
La détermination du point de départ est la date de la dernière décision nationale rendue sur le

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dernier recours. Quant à la date d’expiration du délai, c’est celle de la 1ère lettre par laquelle le
requérant formule chacun des griefs qu’il entend soulever.

! Conditions « négatives » :

- La requête ne doit pas être anonyme. L’auteur de la requête doit s’identifier devant la Cour.
L’article 47§3 prévoit l’octroi de l’anonymat mais uniquement pour la suite de la procédure.
- Cette requête ne doit pas être essentiellement la même qu’une requête qui aurait été
précédemment examinée par la Cour ou déjà soumise à une autre instance internationale, à
moins de contenir des faits nouveaux.
- Cette requête ne doit pas être abusive : l’abus vise les abus procéduraux révélant une
intention de nuire. Dans une affaire par ex du 15 septembre 2009, qui concerne la Lettonie,
la Cour a donné une définition générale de la notion d’abus concernant le droit de recours
« le non respect intentionnel de la règle de confidentialité ». C’est à l’Etat que revient de
prouver l’abus.
- La requête ne doit pas être manifestement infondée.

! Condition d’épuisement des voies de recours internes

C’est la manifestation du principe de subsidiarité de la Cour par rapport aux mécanismes nationaux.
L’article 35§1 indique que la Cour ne peut être saisie qu’après l’épuisement des voies de recours
internes telles qu’entendues selon les principes de droit international généralement reconnus. Cela
permet de ménager les Etats en leur permettant eux-mêmes de redresser les manquements allégués
par le requérant. Cela préserve aussi leur souveraineté.
Cette condition implique une défaillance avérée de l’Etat : on ne peut accéder au juge européen que
si la violation du droit en cause a été invoquée sans succès devant les juridictions nationales.

Dans un esprit de faveur pour les requérants, la Cour se contente d’un grief soulevé en substance
pour que la requête soit jugée recevable. Il suffit de soulever un grief équivalent à celui de la
Convention, de mettre en jeu implicitement la Convention pour donner la possibilité au juge
national d’intervenir et d’éviter la violation de la Convention.
La Cour a durci un peu sa jurisprudence par la suite : elle a tout d’abord condamné l’invocation
implicite (Cardot contre France 19 mars 1991), mais elle se dédit dans un arrêt postérieur en 1992,
B. contre France. La Cour semble exiger d’une part que la Convention soit directement invoquée,
ou du moins des dispositions équivalentes, et surtout que cette invocation se fasse le plus tôt
possible pour éviter notamment de s’exposer au risque d’irrecevabilité de moyens nouveaux
présentés pour la 1ère fois devant la Cour de Cassation.

Il faut bien cerner le contenu de cette notion : elle est autonome, donc dotée d’un sens
européen. L’objectif de la Cour n’est pas d’obliger le requérant à utiliser systématiquement tous les
recours possibles ouverts dans l’Etat contre lequel il agit, mais simplement à exercer les recours
qu’il peut qualifier d’utile, d’adéquat et d’efficace. Cette condition n’a donc pas un caractère
absolu, elle s’entend d’un usage normal des recours utiles.

L’usage normal suppose que la voie de recours interne soit à l’initiative du requérant. C’est ainsi
qu’on a considéré que tel n’était pas le cas de la purge par contumace, qui suppose soit l’arrestation
de l’accusé, soit que celui-ci se constitue prisonnier. De même, le recours doit être accessible. Le

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recours constitutionnel n’était pas considéré en France comme accessible, car il ne pouvait être mis
en œuvre personnellement et individuellement, ce qui a changé désormais.

La notion de recours utile suppose que le recours ne soit pas illusoire, c'est à dire que l’insuccès du
recours est grandement probable, en raison par ex d’une jurisprudence bien établie par une
juridiction suprême et contraire au droit de la Convention. Une question s’est posée à propos du
pourvoi en cassation, où on risque d’être sanctionné pour irrecevabilité de la requête pour non
épuisement des voies de recours interne. Dans une affaire de 1993, la CEDH a précisé que le
pourvoi en cassation figure parmi les voies de recours à épuiser en principe pour se conformer à
l’article 35. Le principe est que le pourvoi en cassation est considéré normalement comme une voie
de recours à épuiser parce qu’utile, sauf exceptions. On a eu du mal à cerner ces exceptions. Il en va
ainsi lorsqu’en présence de restrictions légales le pourvoi ne permet pas de prévenir ou de redresser
la violation de la Convention. La disponibilité du recours s’apprécie de manière concrète.

D’une manière générale, la jurisprudence européenne exige que les recours internes existent à un
degré suffisant de certitude en pratique comme en théorie, mais ce faisant la règle de l’épuisement
des voies de recours internes se fait en fonction du contexte juridique et politique et des situations
personnelles, donc selon une méthode réaliste. Il arrive à la CEDH de décider que le requérant est
dispensé de l’obligation d’épuiser les voies de recours dans certaines circonstances particulières,
comme la mauvaise foi des autorités nationales. Dans une affaire qui concerne la France, Selmouni
du 28 juillet 1999, la Cour a élargi cette dispense à un manque de célérité des autorités nationales
qui n’avaient pas pris les mesures positives qui s’imposaient pour faire aboutir des poursuites contre
des policiers.

Sur les mesures provisoires :

Il n’y a pas d’effet suspensif de l’introduction de la requête. Il y a cependant un pouvoir


d’appréciation qui permet d’attendre l’issue de la procédure européenne, mais ce n’est pas
obligatoire. C’est pour cela que la Cour peut ordonner des mesures provisoires dans les affaires
dont elle est saisie. Plus précisément, c’est l’article 39 du règlement qui permet à la Chambre ou à
son Président d’indiquer aux parties toute mesure provisoire qu’ils estiment devoir être adoptées
dans l’intérêt des parties ou du bon déroulement de la procédure. Ils peuvent même préciser les
conditions de mise en œuvre de ces mesures provisoires. Cela vise clairement à empêcher l’Etat de
mettre à profit la durée de la procédure pour créer une situation irréversible gravement attentatoire
aux DDH et par ainsi empêcher le recours individuel.
L’indication de mesures provisoires ne s’exerce qu’en cas de risque imminent de dommages
irréparables, et dans des domaines en fait assez limités, particulièrement les hypothèses d’expulsion
ou d’extradition.

Elle peut s’adresser à l’Etat ou à un requérant. Tel a été le cas dans une affaire pour obtenir qu’il
cesse une grève de la faim. Elles peuvent s’adresser aux deux parties en conflit, ce qui a été le cas
en 2008 dans des affaires opposant la Russie et la Géorgie.

Ces mesures ne sont pas expressément prévues par la Convention, et la question avait été posée de
savoir si ces mesures étaient obligatoires ou constituaient de simples recommandations. Dans un 1er
temps, dans l’affaire Cruz Varas et autres contre Suède du 20 mars 1991, la Cour a décidé que ces

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mesures n’avaient pas de caractère obligatoire, puis elle a opéré un revirement complet dans
l’affaire Mamatkulov et Askarov du 4 février 2005. Dans cette décision, la Cour consacre le
caractère obligatoire de ces mesures provisoires et a considéré que leur non-respect constituait une
entrave à l’exercice du droit au recours individuel, et donc une violation de l’article 34.

Lorsqu’une requête a été introduite, elle est attribuée par le président de la Cour à une section, qui
va décider de la faire traiter par une juridiction adéquate. Pour juger de la recevabilité, on a un juge
rapporteur qui est là pour réunir les éléments pertinents, les documents, et décider ou tout du moins
proposer soit de prendre une décision d’irrecevabilité, soit de communiquer la requête au
gouvernement. Ce juge intervient devant la Chambre.

2) Le contenu de l’arrêt

Phase décisoire :

Le règlement de l’instance devant la Cour abouti en principe à l’adoption d’un arrêt qui
conformément à l’article 45 doit être motivé. L’arrêt est adopté à la majorité des juges présents. En
cas de partage des voix, celle du Président est prépondérante. Tout juge peut adjoindre à l’arrêt son
opinion individuelle, séparée, qu’elle soit concordante ou dissidente.

Dans leur décision, les juges se prononcent s’il y a ou non dans l’affaire violation des droits garantis
par la Convention. Le cas échéant, la Cour peut également se prononcer sur la répartition au titre de
la réparation équitable prévue à l’article 41. Il appartient aux juges de déclarer la compatibilité ou
non des mesures nationales avec la Convention. Par conséquent, la Cour procède par voie de
jugement déclaratoire, et son pouvoir de décision est limité à la constatation de la violation : c’est
un contentieux de la légalité, et non un contentieux de l’annulation.

La Cour intervient plutôt sur le plan de la suggestion : la déclaration d’incompatibilité n’entraine


pas de fait l’invalidité de l’acte déclaré incompatible avec la Convention. Il appartient à l’Etat de
remédier à la violation constater dans son ordre interne. La correction de cette violation intervient
en principe par une restitutio in integrum, si cette dernière est possible. En cas d’impossibilité,
l’Etat devra réparer par équivalent sous la forme d’une indemnité.

Sur la satisfaction équitable :

Selon l’article 41, si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention, et si le droit interne ne
permet pas d’effacer les conséquences de la violation, la Cour permet s’il y a lieu une satisfaction
équitable. La Cour dispose en la matière d’un pouvoir d’appréciation discrétionnaire. Pour autant
cette satisfaction équitable présente un caractère subsidiaire par rapport à la restitutio in integrum,
qui doit être prioritairement recherchée et rend du coup inutile la satisfaction équitable.
La Cour a vite affirmé cette prépondérance, et dans un arrêt du 31 octobre 1995,
Papamichalopoulos contre Grèce, la Cour rappelle qu’un arrêt constatant une violation entraine
pour l’Etat défendeur l’obligation juridique au regard de la Convention de mettre un terme à la
violation et d’en effacer les conséquences de manière à rétablir autant que faire se peut la situation
antérieure.
La jurisprudence postérieure a confirmé que la restitutio in integrum prend sa source dans
l’obligation de résultat que l’EP s’est engagé à respecter au titre de l’article 46, qui lui impose de

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prendre à l’égard des victimes les mesures individuelles et/ou le cas échéant les mesures générales
propres à effacer la violation et assurer la remise des choses en l’état.

La réparation par équivalent n’intervient donc vraiment qu’à titre subsidiaire, et le plus souvent elle
est pécuniaire. Le préjudice doit être direct et certain. La Cour considère également que la
réparation peut n’être que morale : le constat de la violation constitue en lui-même la satisfaction
équitable, qui vise à la fois la réparation du préjudice matériel et moral, mais également la
compensation d’une dépense. La Cour peut prendre en compte tous les frais de justice exposés par
le requérant non seulement dans l’instance devant la CEDH, mais aussi devant les juridictions
nationales.

Pour être obtenue, la réparation doit être demandée par le requérant dans un délai de 2 mois à
compter de la décision déclarant sa requête recevable sauf empêchement.

La Cour peut statuer dessus par un arrêt distinct de l’arrêt au principal, et postérieur. Cela
s’explique par le fait que c’est d’abord au droit interne qu’il appartient de redresser la violation. Si
l’Etat intervient spontanément, si un arrangement amiable intervient, la Cour va rayer l’affaire du
rôle. Elle a tout de même tendance à se prononcer par un seul arrêt, afin d’accélérer la procédure.

3) L’exécution de l’arrêt

Un document a été élaboré qui a synthétisé la pratique du Comité des Ministres. En l’absence de
précisions dans l’arrêt, le secrétariat du comité s’en remet à un accord entre le requérant et l’Etat
défendeur.

Les arrêts, au-delà de leur exécution, ont une autorité relative. Cette exécution des arrêts de la
CEDH a été confiée au Comité des Ministres, étant précisé que l’exécution est d’abord laissée à
l’initiative de l’Etat. L’obligation d’exécuter concerne toutes les autorités nationales. Dans cette
exécution des arrêts de la CEDH, le comité des ministres est l’organe principal chargé de veiller à
l’exécution des arrêts de la Cour. L’article 46§2 confie la surveillance de l’exécution à ce CM, mais
sans pour autant lui donner de pouvoir sanctionnateur. Le CM s’en est en fait doté au fil du temps
en renforçant sa surveillance.

Dès qu’un arrêt est rendu il est transmis au CM qui l’inscrit à l’ordre du jour. L’affaire est ensuite
inscrite à toutes les réunions jusqu’à l’adoption d’une résolution finale constatant que l’Etat a pris
les mesures nécessaires. Depuis 10 ans, l’exécution des arrêts de la Cour est devenue prioritaire au
Conseil de l’Europe, et le CM a développé une pratique progressiste en contrôlant non seulement
l’exécution des arrêts prononçant une satisfaction équitable, mais en s’engageant également dans le
contrôle des mesure d’exécution générale. En 2006, l’article 46 a été complété par un document
énonçant les règles du CM pour la surveillance de l’exécution des arrêts et des termes des
règlements amiables.

Le CM a surtout accentué sa surveillance sur les arrêts qui révèlent un problème structurel, qui
nécessitent des réformes générales de la part de l’Etat. Les Etats doivent répondre de la mauvaise
exécution des arrêts non seulement devant ce comité, mais aussi devant les autres Etats. Cela a
permis d’influencer les plus récalcitrants et à conduire à une bonne conduite. Un problème n’avait
pas été résolu, c’est la tardivité de l’exécution des arrêts.

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Les Etats acceptent au final d’exécuter, mais ils le font le plus tard possible. C’est ce à quoi tente de
remédier le protocole 14 en instaurant la procédure de recours en manquement sur la seule saisine
du CM. Cependant on n’est pas allés assez loin, car il n’y a pas de possibilité de prononcer des
astreintes. Le fait est que cette exécution des arrêts n’est pas gérée uniquement par le CM. La Cour
s’est en effet impliquée dans l’exécution de ces arrêts de manière plus systématique et directive.
Pourtant, dans un arrêt Mehemi contre France du 10 avril 2003, à la question de savoir si un
individu pouvait invoquer devant la Cour la violation de l’article 46 aux motifs que l’Etat n’avait
pas exécuté un arrêt de la Cour antérieur constatant une violation de ses droits, la Cour a précisé
qu’elle n’avait pas compétence pour examiner si une partie contractante s’est conformée aux
obligations que lui imposent un de ses arrêts.
Sitôt après avoir posé ce principe, elle s’est arrangée pour se doter des moyens de surveiller
l’exécution de ses propres arrêts de plusieurs manières :

- Soit par le biais d’une nouvelle affaire identique à une affaire précédemment tranchée

Par ex dans l’affaire Rinzivillo contre Italie du 21 décembre 2000 : la Cour a constaté que la
modification législative rendue nécessaire comme elle l’avait exprimé dans deux arrêts antérieurs
Calogero Diana et Dominici n’était pas intervenue.

- En acceptant de connaitre dans le cadre d’une même affaire d’une requête ultérieure
soulevant un problème nouveau non tranché par le 1er arrêt

C’est l’affaire Mehemi contre France : dans une 1ère affaire le requérant s’était plein d’une
ingérence disproportionnée dans sa vie privée et familiale résultant d’une interdiction définitive du
territoire national, et la Cour avait reconnu une violation de la Convention par la France. Elle est à
nouveau saisie par le requérant, et dans le cadre du 2nd arrêt, elle vérifie que les autorités nationales
avaient bien pris rapidement toutes les mesures que l’on pouvait envisager d’elles à l’issue du 1er
arrêt. C’est un moyen détourné de contrôler l’exécution elle-même du 1er arrêt.

- 46§1 : la Cour accentue sa politique consistant à indiquer les mesures générales qui
s’imposent aux Etats

C’est la pratique des arrêts pilotes, inaugurée par Broniowski contre Pologne du 28 septembre
2005 : on fait injonction à l’Etat de prendre des mesures générales, éventuellement dans un délai
strict, et on met ainsi la main sur le contrôle de la compatibilité des mesures prises avec la
Convention.

B. La portée des arrêts de la CEDH

Il faut distinguer les effets juridiques de leur autorité.

1) Les effets juridiques

Comme tout acte juridictionnel, l’arrêt est revêtu de l’autorité de la chose jugée, encore faut-il que
l’arrêt soit définitif comme le précise l’article 44, c'est à dire susceptible ni de contestations, ni de
modifications. Il existe en effet la procédure de réexamen de l’article 43. D’autre part, le caractère

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définitif de l’arrêt ne fait pas obstacle à une demande en révision ou en interprétation adressée à la
Cour elle-même. La procédure de demande en révision est ouverte à toute partie en cas de
découverte d’un fait nouveau de nature à exercer une influence sur la solution rendue. La demande
en interprétation peut être faite dans un délai d’un an suivant le prononcé de l’arrêt par toute partie,
pour faire clarifier par la Cour le sens et la portée de sa décision. Désormais, le CM dispose
justement de la possibilité de saisir la Cour d’un recours en interprétation, notamment lorsqu’une
difficulté d’interprétation entrave l’exécution.

Selon l’article 46§1, les parties contractantes s’engagent à se conformer aux décisions de la Cour
dans les litiges auxquelles elles sont parties, c'est à dire qu’ils s’engagent à respecter les arrêts
définitif. Cependant, un arrêt ne vaut pas titre exécutoire : il appartient aux Etats condamnés de
donner effet à l’arrêt de la Cour dans leur ordre juridique. La Cour se refuse en principe à fixer les
conséquences à tirer de son arrêt.

Les arrêts de la cour sont revêtus de l’autorité relative de la chose jugée : ils n’obligent que les
parties au litige. L’autorité ne vaut donc pas erga omnes. Mais concrètement, l’Etat est fortement
incité à modifier la situation qui a causé la condamnation sous peine d’être de nouveau condamné,
bien qu’il demeure en principe libre d’adopter des mesures générales qui déborderaient le cas
d’espèce. En effet, il résulte de la Convention, et notamment de l’article 1er, qu’en ratifiant la
Convention, les Etats s’engagent à faire en sorte que le droit interne soit compatible avec celle-ci.

Il faut préciser les choses concernant la nature des mesures adoptées dans les arrêts.

! Mesures individuelles

L’obligation des restitutio in integrum implique l’adoption par l’Etat de mesures appropriées afin de
remettre les choses en l’état antérieur à la violation.
Quelles sont ces mesures individuelles ? Elles varient selon la nature de l’affaire ; peut être de
retirer ou modifier un acte ou la réouverture d’une procédure judiciaire interne. En matière pénale,
la mesure de réexamen d’une affaire est tout de même spectaculaire.
La Convention ne fait pas pour autant obligation aux Etats de remettre en cause l’autorité de chose
jugée de la décision interne qui serait déclarée incompatible avec la Convention par la Cour. Il faut
cependant que les Etats introduisent dans leur procédure interne des voies de réformation de
décisions judiciaires déclarées incompatibles avec la Convention. En France, la situation a évolué
depuis la loi du 15 juin 2000, inspirée par l’affaire Hakkar. Cette procédure a le mérite de concilier
le maintien d’une certaine souveraineté et l’effet direct des arrêts de la Cour.

Le dispositif mis en place permet à la personne intéressée d’effacer les effets d’une violation
constatée, ce qui du coup a permis à l’Etat français de s’engager dans la voie d’une réparation in
integrum, plutôt qu’une réparation par équivalent, qui avait sa préférence. La France fait partie des
Etats récalcitrants à l’octroi de mesures individuelles. Cependant, elle cède sur le terrain pénal.

C’est différent dans les autres matières administrative et civile.


11 février 2004, Chevrol : le Conseil d'Etat déclare qu’aucune stipulation de la Convention et
notamment de son article 46, non plus qu’une disposition de droit interne n’imposait que la décision
par laquelle la CEDH a condamné la France puisse avoir pour effet de rouvrir la procédure
juridictionnelle qui a été close par la décision du Conseil d'Etat.

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La Cour de Cassation adopte la même solution en énonçant régulièrement qu’un jugement définitif
constatant une violation de la Convention n’ouvre aucun droit de réexamen de la cause.

! Mesures générales

Il appartient à l’Etat, notamment lorsque la violation constatée résulte directement de l’existence


d’une norme législative d’abroger ou de modifier sa législation pour sa rendre conforme aux
exigences de la Convention. Cette opinion a été exprimée dans l’arrêt Vermeire contre Belgique du
29 novembre 1991 : l’Etat ne devait pas trop différer cette adaptation législative, sauf à s’exposer à
de nouvelles condamnations. La Cour a même été plus loin en signifiant au juge national que l’arrêt
de la Cour s’imposait à lui dans les affaires soulevant des questions similaires et qu’il lui incombait
d’écarter la loi interne jugée contraire à la Convention dès lors que la solution dégagée par la Cour
n’est ni imprécise, ni incomplète.
La Cour n’entend pas limiter aux seuls cas d’espèce et au seul Etat condamné les effets d’un arrêt
constatant la violation du fait d’une norme générale.

Le juge européen ici déborde très largement sa compétence de rendre des arrêts qui ne sont en
principe que déclaratoires. Sur le plan formel, l’article 46 laisse les Etats libres de prendre les
mesures générales de réformation de leur droit interne. L’Etat se trouve dans une situation qui est
politiquement embarrassante lorsqu’on met à l’index sa législation, il a tout intérêt à opérer les
modifications normatives qui s’imposent. Le CM a tendance à accentuer cette surveillance sur les
arrêts pilotes, de manière à créer un obstacle à l’afflux de demandes vers la Cour.

Mais pour autant, on se rend compte avec la jurisprudence de la Cour, avec l’influence du CM que
l’Etat ne dispose plus vraiment du choix des moyens de remédier à la violation de la Convention.

2) L’autorité des arrêts

Elle déborde largement leur stricte portée juridique. Lorsqu’on évoque les mesures générales et la
mise en compatibilité du droit interne avec le droit de la Convention, plusieurs voies sont possibles.
On peut passer par la voie législative, réglementaire ou jurisprudentielle.
On se rend compte qu’au final les décisions de la Cour entrainent une sorte de normalisation,
d’ajustement des législations internes. Aujourd'hui, les Etats ne se contentent pas des arrêts rendus à
leur encontre, ils regardent également les arrêts qui sont prononcés à l’égard des voisins dont les
institutions sont proches. Cela conduit à modeler un type universel de procès. De manière plus
théorique, la doctrine évoque ainsi l’autorité de la chose interprétée, qui est l’autorité propre de la
jurisprudence de la CEDH en tant que celle-ci interprète les dispositions de la Convention. Plusieurs
fondements peuvent légitimer cette autorité.

- L’article 32 de la Convention assigne à la Cour la tache d’interpréter la Convention. Cela se


comprend car l’efficacité du droit européen ne peut varier selon les qualifications du droit
national.
- La Cour, s’appuyant sur l’analogie des cas d’espèce a élargi la portée de ses arrêts aussi bien
à l’égard du juge national de l’Etat visé qu’à l’égard du juge d’un Etat tiers.

Elle se référait ici à la notion de précédent : la Cour explique sa méthode. Sans être formellement
tenue de suivre un de ses arrêts antérieurs, elle estime qu’il est dans l’intérêt de la sécurité juridique,

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de la prévisibilité et de l’égalité devant la loi qu’elle ne s’écarte pas sans motif valable des
précédents.

Elle a fait savoir qu’elle posait en axiome que les arrêts qu’elle rend dans un cas donné s’imposent à
toutes les autorités nationales dans toutes les affaires soulevant une question similaire dès lors que
sa solution est précise et complète. Sur le plan législatif, il est indéniable qu’un certain nombre de
modifications trouvent directement leur source dans des arrêts de condamnation de la France.

Les juridictions nationales tiennent compte de la jurisprudence de la Cour avec plus ou moins de
bonne volonté. L’influence de la jurisprudence européenne n’est plus à démontrer, mais elle
demeure toujours très difficile à repérer, car même lorsqu’elle reprend des décisions de la CEDH, la
Cour de Cassation comme le Conseil d'Etat ne font pas allusion à cette jurisprudence, tout au plus
ils se réfèrent au texte de l’article 6§1.

Concernant le droit processuel, la cour de cassation n’a pas hésité à adapter sa pratique processuelle
suite à un arrêt de la cour. Ex, suite à l’arrêt Reinhardt et Slimane Kaïd du 31 mars 1998, la cour de
cassation a modifié sa pratique. La cour avait sanctionné sur le fondement du principe de l’égalité
des armes la non communication à l’identique du rapport du conseiller rapporteur de la cour de
cassation à l’avocat général et aux parties.
La cour de cassation a alors accepté que le rapport du conseiller soit communiqué à l’avocat général
et aux parties. Mais ce rapport était modifié, chacun reçoit le rapport mais son contenu est différent.
Puis la cour a donné son aval dans un arrêt Pascolini c/ France du 26 juin 2003.

Dans les affaires mettant en cause le principe du contradictoire la pratique de la note en délibéré a
été instaurée. La CEDH a considéré que cette pratique pouvait contribuer au respect du principe du
contradictoire en y posant quelques conditions. Le Conseil d'Etat, dans un arrêt, a pris le relai en
précisant à son tour le régime de la note en délibéré. Il arrive que les juges nationaux devancent les
exigences du juge européen. Le JJ comme le JA ont par ex admis que les sanctions pécuniaires
prononcées par les AAI constituaient des sanctions pénales et donc relevaient de l’article 6§1 avant
même que la Cour n’ait à trancher la question dans un arrêt Didier contre France de 2002.
Les juridictions nationales n’hésitent pas à modifier sur le fond leur jurisprudence en faisant une
application dynamique de la jurisprudence européenne. On peut par ex mentionner les lois de
validation.

La CEDH considère que si le pouvoir législatif peut réglementer en matière civile par de nouvelles
dispositions à portée rétroactive des droits découlant des lois en vigueur, elle subordonne cette
faculté à plusieurs conditions :

- Le caractère non définitif de la procédure juridictionnelle


- La proportionnalité de l’atteinte au droit d’accès à un tribunal
- L’existence d’un motif d’IG impérieux

Arrêt Zielinski contre France, 28 octobre 1999. En droit interne, les lois de validation sont
également soumises à certaines conditions pour être déclarées valables, mais elles étaient plus
souples. A la suite de cette décision, le Conseil Constitutionnel en faisant référence à l’article 16 de
la déclaration de 1789 est venu modifier sa jurisprudence en exigeant à son tour un motif d’IG
impérieux. Cette décision est intéressante car le Conseil Constitutionnel procède à une véritable

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transplantation des solutions européennes sans jamais une seule fois l’évoquer et en ne visant que
de textes internes. Application dynamique de cette jurisprudence. Arrêt 23 janvier 2004, SCI Le
Noyer contre Société Castorama, l’AP de la Cour de Cassation est venue préciser le domaine
d’application de la jurisprudence Zielinski en affirmant que la règle européenne gouvernant les
validations législatives a une portée générale et s’applique quelle que soit la qualification formelle
donnée par la loi et même lorsque l’Etat n’est pas partie au procès.

II. L’interprétation de la Convention par la CEDH

Le droit est marqué par les règles générales d’interprétation, et surtout par des méthodes
d’interprétation de la Convention qui ont contribuées à amplifier le contenu de l’article 6§1 de la
Convention.
Pourquoi ces méthodes sont-elles si importantes, voire révolutionnaires ? La Cour a toujours été
obsédée par le souci de conférer au système et aux droits garantis une véritable effectivité. Dans
l’arrêt Airey contre Irlande de 1979, la Cour énonce que la Convention a pour but de protéger
des droits non pas théoriques et illusoires, mais concrets et effectifs. Cette exigence d’effectivité
va conduire le juge européen dans la voie d’une interprétation spécifique de la Convention,
évolutive et dynamique.

A. Les règles générales d’interprétation

La CEDH a dans un arrêt Wenhoff du 27 juin 1968, en prenant appui sur le préambule de la
Convention, qui se réfère à la sauvegarde, mais également au développement des DDH, défini une
directive générale d’interprétation en énonçant que s’agissant d’un traité normatif, il y a lieu de
rechercher quelle est l’interprétation la plus propre à atteindre le but et à réaliser l’objet de ce traité
et non celle qui donnerait l’étendue la plus limitée aux engagements des parties.
Autrement dit, la Cour a posé un postulat, celui de l’interprétation finaliste du texte. Elle a confirmé
cette méthode dans l’arrêt Golder du 21 février 1975. Ceci posé, la Cour, comme toute Cour de
justice, a accepté de se référer aux méthodes reconnues pour l’interprétation d’un texte normatif.
Plus précisément, elle a déclaré suivre les principes du droit international communément admis et
qui sont exprimés par la Convention de Vienne du 23 mai 1969 sur l’interprétation des traités.
La CEDH se réfère à cette Convention de Vienne alors qu’elle n’était pas encore en vigueur.
Articles 31 à 33 qui doivent entrer en ligne de compte pour l’interprétation de la Convention.

- L’article 31 mentionne que la Convention doit être interprétée de bonne foi en donnant aux
termes qu’elle emploie leur sens ordinaire suivant leur contexte et à la lumière de son objet
et de son but.
- Article 32 qui évoque à titre subsidiaire qu’il peut être recouru aux travaux préparatoires
pour interpréter la convention toutes les fois où les critères précédents conduisent à un
résultat absurde ou déraisonnable.
- Il découle de l’article 33 qu’en cas de doute, le choix doit se faire en faveur d’une
interprétation qui conduit à une protection effective des droits que la Convention entend
protéger. C’est ce qu’on appelle la théorie de l’effet utile.

La Cour a fait sienne ces directives, mais à sa manière.

1) Selon l’article 31

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1èrement, si la Cour s’attache effectivement à partir d’abord du sens ordinaire à attribuer aux termes
de la Convention, comme l’y invite l’article 31, elle complète son interprétation par le contexte,
l’objet, et le but de la Convention. La Convention est un instrument vivant, qui doit s’interpréter à
la lumière des conditions d’aujourd'hui. Elle avait développé cette idée dans l’arrêt Marckx contre
Belgique de 1979 et elle a systématisé cette méthode au fil de la jurisprudence. La Cour affirme
ainsi que si elle ne doit pas s’écarter sans motif valable des précédents, le souci de garantir
l’effectivité des droits est primordial. Ce qui impose d’avoir une approche évolutive et de réévaluer
constamment l’interprétation de la Convention à la lumière des conditions d’aujourd'hui.

La référence au contexte dont l’article 31 dit qu’il s’agit d’une règle d’interprétation a permis
d’interpréter 6§1 à la lumière de la notion de prééminence du droit et à celle des exigences d’une
société démocratique, qui sont deux notions qui font partie du contexte.

La notion de prééminence du droit est intimement liée et primordiale au droit processuel, puisque la
prééminence du droit passe par l’office du juge. Le juge européen a insisté sur ce lien privilégié
dans la décision Sunday Times du 26 avril 1979, où il a été affirmé que l’article 6 consacre le
principe fondamental de la prééminence du droit. Dans son arrêt Golder contre RU la Cour a
poursuivi dans cette voie. Cette prééminence du droit implique notamment qu’une ingérence de
l’exécutif dans les droits de l’individu soit soumise à un contrôle efficace que doit normalement
assurer le pouvoir judiciaire.

Le concept des exigences d’une société démocratique fait aussi partie du contexte pertinent de la
Convention, car il domine toute la matière, et que selon le préambule de la Convention, le maintien
des libertés fondamentales repose essentiellement sur un régime politique véritablement
démocratique. Pour la Cour EDH, il faut préserver et promouvoir un juste équilibre entre la défense
des institutions de la démocratie dans l’intérêt commun et la sauvegarde des droits individuels. Cela
a conduit à poser comme postulat l’interprétation extensive de l’article 6§1. Dans l’arrêt Delcourt
du 17 janvier 1970, la Cour a cette formule : « dans une société démocratique au sens de la
Convention, le droit à une bonne administration de la justice occupe une place si imminente qu’une
interprétation restrictive de 6§1 ne correspondrait pas au but et à l’objet de ses dispositions ».

La notion d’objet et de but de la Convention a coté du contexte on également permis d’élargir


l’application de 6§1. La Cour s’autorise, au nom de l’objet et du but de la Convention, à dégager
toutes les garanties nécessaires à assurer la prééminence du droit, notamment des garanties
implicites.

2) Selon l’article 33

2èmemement, le juge européen, suivant l’article 33, a toujours le souci de conférer au système
garanti par la Convention une véritable effectivité. Cette théorie de l’effet utile, la Cour l’a
pleinement exploitée. C’est ce qui explique que dans ses décisions, elle ne s’en tienne pas aux
apparences pour débusquer les atteintes aux droits fondamentaux. Le juge européen ici encore a pris
une voie dynamique pour donner un effet utile aux dispositions normatives. Cette voie était censée
prendre appui sur les dispositions convergentes du droit interne et constituer une interprétation
consensuelle. C’est ce que la Cour exprime lorsqu’elle explique que la Convention doit s’interpréter
à la lumière des conceptions prévalant de nos jours dans les sociétés démocratiques. La Cour

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exprime dans ses arrêts qu’elle anticipe sur le consensus : il y a une nécessité de réagir au consensus
susceptible de faire jour quant aux normes à atteindre. Dans l’arrêt Goodwin, la Cour va plus loin,
car elle souligne bien l’absence de consensus européen, mais elle considère que les Etats ne
disposent plus d’une marge de manœuvre d’appréciation telle qu’ils puissent priver les transsexuels
de leurs droits.

Il n’y a aucune contrainte de méthode dans l’interprétation de la Convention ; Tantôt on fait


prévaloir le contexte, tantôt le but et l’objet de la Convention. La Cour mobilise des techniques qui
s’appliquent sur le développement logique du droit conventionnel, mais qui est purement
discrétionnaire. Ce qui fait que sa méthode est inductive, constructive, mais aussi casuistique.

B. Les méthodes d’interprétation de la Cour

On distingue plusieurs méthodes, qui peuvent se compléter entre elles, qui ont une importance
inégale. Il y en a certaines qui se dégagent plus que d’autres, la plus importante étant celle des
notions autonomes.

1) Les notions autonomes

Il s’agit d’une technique d’interprétation qui permet de pallier l’imprécision des termes
conventionnels, et l’absence d’homogénéité des droits nationaux. Cette technique des notions
autonomes offre une définition uniforme aux engagements étatiques. Cette technique permet de
promouvoir une interprétation uniforme de la Convention, mais elle permet surtout de faire
abstraction des significations nationales pour doter ces notions autonomes d’un sens européen.

L’application de cette technique a considérablement amplifié le champ d’application de la


Convention. La notion de droits et d’obligations en matière civile été d’accusation en matière
pénale ont été détachée de leur interprétation nationale et dotées d’un sens européen destiné à
assurer l’effectivité d’un droit au procès équitable. Ces deux notions, qui sont des clés d’accès au
procès équitable, ont favorisé la soumission aux exigences de l’article 6 de contentieux inédit. C’est
dans l’arrêt Koenig du 28 juin 1978 que la Cour a donné le signal du dépassement de la définition
classique de la notion de contestation de l’article 6 et de l’extension du domaine de cet article, en
affirmant que si la contestation oppose un particulier à une autorité publique, il n’est pas décisif que
celle-ci ait agi comme personne privée ou en tant que détentrice de la puissance publique.
A partir de là, la Cour a montré toujours un peu plus d’audace et a fait tomber des contentieux
qu’on pensait ne jamais être touché, comme le contentieux disciplinaire ou de la protection sociale
dans le champ d’application de l’article 6§1.

Ces notions autonomes présentent deux caractéristiques majeures : elles ne concernent pas les
conditions d’exercice d’un droit, mais elles commandent son applicabilité. Les notions de droits et
obligations à caractère civil et d’accusation en matière pénale commandent le droit à un procès
équitable. D’autre part, l’interprétation autonome permet de vaincre l’opposition du droit interne
pour assurer l’applicabilité des droits garantis et éviter un contournement de la Convention. Dans
cet objectif, le juge européen opte pour une acceptation matérielle, et non formelle, des notions à
déterminer, ce qui lui permet de conférer aux notions autonomes une signification extensive.

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La Cour a tout de même apporté un caractère correctif, en reconnaissant aux Etats une marge
d’appréciation en vertu du principe de subsidiarité. La Cour prend acte de ce que les autorités
nationales ont une meilleure connaissance des circonstances et des conditions locales d’application
de la Convention, et elle admet à ce titre que chaque Etat dispose d’une liberté de choix dans les
mesures à prendre pour appliquer concrètement la Convention. Il est arrivé dans sa jurisprudence
relative à la notion de droits et obligations à caractère civil que la Cour renvoie au droit national en
soulignant que dans ce domaine, la législation de l’Etat concerné n’est pas dénuée d’intérêt. Mais
elle précise tout de suite qu’un droit doit être considéré ou non comme de caractère civil au regard
non de la qualification juridique interne, mais au regard du contenu matériel et des effets que lui
confère le droit interne. L’étendue de cette marge de manœuvre varie cependant selon le domaine,
les circonstances et le contexte. De plus, lorsqu’elle est admise, cette marge de manœuvre fait
l’objet d’un contrôle européen : la Cour vérifie la finalité de la mesure, pour voir si elle répond
concrètement au but poursuivi. Elle vérifie l’effectivité du droit dont la garantie est demandée, et si
l’atteinte est légitime, elle vérifie en dernier lieu qu’elle est proportionnelle au but poursuivi.

2) Les obligations positives

Grâce à ce concept, la Cour considère que la réalisation de droits énoncés par la Convention est
susceptible de réclamer des mesures positives de l’Etat, qui ne sauraient se borner à rester passif,
mais doit au contraire adopter des mesures raisonnables et adéquates pour protéger les droits
garantis par la Convention. Parce qu’elle est nécessaire à l’effectivité du droit, l’obligation positive
est selon le juge européen inhérente au droit garanti, c'est à dire qu’elle lui est consubstantielle.
Soit la Cour affirme que cette obligation positive est inhérente au droit spécifique, soit la Cour
découvre dans l’article 1er qui rappelle l’engagement des parties contractantes ne obligation positive
inhérente justement à l’engagement général que les Etats ont pris de reconnaitre à toute personne
relevant de leur juridiction les droits consacrés par la Convention.

Les obligations positives ont conduit à redéfinir les obligations pèsent sur les EP, qui engagent leur
responsabilité non seulement du fait de leur ingérence active, mais également du fait de leur
ingérence passive. Par le biais de ces obligations, la Cour essaie de combattre l’inertie des pouvoirs
publics de l’Etat concerné. Bien que la Cour se refuse à élaborer une théorie générale des
obligations positives, on se rend compte qu’elle fait un usage quasi systématique de cette technique,
qui se déploie tant sur le plan substantiel que sur le plan procédural. C’est ainsi qu’en matière
processuelle elle a pu considérer que le droit d’accès à un juge sans lequel l’équité, la publicité et la
célérité expressément visés par 6§1 n’offre pas d’intérêt en l’absence de procès et que par
conséquent le droit d’accès à un juge est un élément inhérent aux droits énoncés par 6§1. On s’est
assuré d’assurer l’effectivité du droit d’accès à un juge en enrichissant cette obligation de multiples
autres obligations, telle que celle d’établir un système d’aide juridictionnelle ou encore de vérifier
qu’un avocat désigné d’office accompli bien sa mission.

Quant à savoir s’il y a des limites à ces obligations : non jusqu’à présent, les limites sont à la
discrétion du juge européenne.

3) Autres méthodes

! Espérance légitime

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Risque d’avoir un effet amplificateur. Cette technique justifie les interprétations inédites. Arrêt Pine
Valley c./Irlande, 29 novembre 1991. Réutilisée dans 2003 dans un arrêt Anagnostopoulos c./Grèce,
2 avril 2003 a permis de sanctionner la violation du droit d’accès au juge : on rappelle que lorsque
l’ordre juridique interne offre un recours au justiciable, l’Etat a l’obligation de veiller à ce que
celui-ci jouisse des garanties fondamentales de l’article 6. En l’espèce, avait introduit une demande
d’indemnisation pour un montant qui correspondait à une somme que les juridictions pénales
examinent dans tous les cas, sans être obligé de renvoyer devant les juridictions civiles ; la Cour
souligne que le requérant avait dans ces conditions une espérance légitime d’attendre que les
tribunaux statuent sur cette demande d’indemnisation, que cela soit de manière favorable ou non.
Le dossier a été traité avec tellement de retard qu’il y a eu prescription des infractions, et le
requérant ne pouvait plus voir le tribunal statuer sur sa demande d’indemnisation, et par là il a été
privé de son droit d’accès à un tribunal.

III. Le champ d’application de la Convention

La Cour a tout fait pour ouvrir le plus largement possible ce champ d’application, et notamment
celui de l’article 6§1. Sur le plan de la délimitation rationae personae, il n’y a pas de difficultés, car
la Convention est invocable par les personnes physiques comme morales. La question de la
délimitation rationae materiae s’avère plus délicate en revanche : à quel contentieux s’appliquent les
garanties de l’article 6§1 ? La réponse varie selon l’époque où on se situe, et ce champ
d’application ne cesse de repousser ses limites naturelles.

On aurait pu penser que l’applicabilité de 6§1 était subordonnée à l’existence d’une procédure
contentieuse devant une juridiction. La Cour a préféré trancher en faveur d’un critère matériel. Elle
considère que l’article 6 est applicable dès lors qu’est en jeu une contestation sur un droit de
caractère civil ou une accusation en matière pénale. En résumé, l’article 6 est applicable à toute
procédure devant des organes qui décident soit en matière civile, soit en matière pénale, quand bien
même ces organes ne sont pas des juridictions au sens du droit interne. La notion de tribunal n’est
pas une condition d’applicabilité de l’article 6, mais il constitue un élément de la garantie de 6§1.

La Cour a détaché ces notions de leur contexte juridique pour leur donner un sens européen, ce sont
donc des notions autonomes qui ont été interprétées dans le sens qui semble le plus compatible avec
l’objet et le but de la Convention, ce qui explique qu’on a opté pour une conception matérielle et
non formelle de ces notions.
Ces deux notions sont d’une part les contestations sur les droits et obligations de matière civile et
les accusations en matière pénale. Cette distinction est fondamentale car les §2 et 3 de l’article 6
réservent certaines garanties spécifiques à celui qui fait l’objet d’une accusation pénale.

Il s’agit d’une suma division qui transcende la distinction que nous connaissons en droit français
des différents contentieux et qui est à la base même de notre organisation juridictionnelle.

A. La matière civile

La détermination du caractère civil d’un droit est la question la plus importante et la plus délicate,
mais la recherche également de l’existence d’une contestation sur des droits et obligations est un
préalable nécessaire à l’applicabilité de l’article 6§1.

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Il faut d’abord qu’il y ait une contestation sur un droit de caractère civil. Il faut préciser les termes
de contestation et de droit.

1) La contestation

Cette notion doit tout d’abord être comprise dans son sens matériel et non formel. C’est la
principale et la 1ère caractéristique dégagée dans l’affaire Le Compte, Van Leuven et De Mayer, du
23 juin 1981 : l’esprit de la Convention commande de ne pas prendre ce terme contestation dans
une acception trop technique et d’en donner une définition matérielle plutôt que formelle. Il est
également dit que la contestation peut porter aussi bien sur l’existence même d’un droit que sur son
étendue ou bien encore sur ses modalités d’exercice. Cette contestation peut porter aussi bien sur
des points de fait que sur des questions juridiques. Cela suppose que l’objet de la contestation relève
des fonctions du juge.
Sporrong et Lonnroth contre Suède du 23 septembre 1982 : la contestation doit avoir un caractère
réel et sérieux.

La Cour exige d’une part que le droit objet de contestation soit reconnu dans l’ordre juridique, c'est
à dire qu’il soit susceptible d’un contrôle juridictionnel dit de pleine juridiction. D’autre part, il faut
que l’issue de la procédure soit déterminante pour le droit en question, puisqu’un lien ténu ou des
répercussions lointaines ne suffisent pas à faire entrer en jeu l’article 6§1. Il faut donc un lien
directement déterminant entre la décision attaquée au titre de la garantie du procès équitable et le
droit substantiel revendiqué par les requérants. Si la procédure est sans intérêt ou sans lien avec un
droit civil au sens de la Convention, la garantie du procès équitable ne peut pas être invoquée.
La Cour fait preuve d’une certaine sévérité pour admettre le caractère déterminant de la procédure
sur un droit civil, notamment lorsque la décision contestée met en cause un acte de gouvernement,
et donc la souveraineté nationale.

2) La notion de droit

Il s’agit d’une notion autonome. 6§1 s’applique au droit auquel on peut prétendre au moins de
manière défendable, reconnu en droit interne. Pour déterminer l’existence d’un droit, il appartient
en principe au seul juge européen de se référer à un droit interne. Dans l’affaire Sporrong, il a été
clairement posé que l’objet de la contestation sur un droit dépend premièrement du système
juridique en cause. Cette notion de droit ne doit pas être prise dans une acception trop technique, et
la Cour demande à ce qu’on lui donne une conception matérielle plutôt que formelle : le juge
européen ne doit pas s’arrêter à la qualification de droit ou d’obligation donné en droit interne. Le
fait même qu’un intérêt qui existe dans un système de droit interne ne soit pas spécialement classé
ou décrit comme un droit n’empêche pas de le faire relever de l’article 6.

Dans une affaire Mennitto contre Italie, du 5 octobre 2000, la Cour a fait abstraction du droit
interne pour affirmer que la notion de droit est autonome au sens de l’article 6. Dans cette affaire il
y avait une contestation qui portait sur la suppression d’une allocation aux familles ayant à domicile
un handicapé. La Cour se retranche derrière le caractère autonome de la notion de droit pour se
dispenser d’examiner si cette notion englobe au regard du droit italien seulement le droit subjectif
ou également l’intérêt légitime. La Cour se borne à constater que le requérant avait un droit à
recevoir l’allocation litigieuse. Il y avait selon elle une apparence de droit.

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3) A caractère civil

L’applicabilité de 6§1 dépend du caractère civil de ce droit ou de cette obligation. Reste à


déterminer ce que recouvre le terme « à caractère civil ». La Cour affirme qu’il s’agit d’une notion
autonome et qu’à ce titre elle n’a pas à être entendue au sens du droit national et notamment du
droit français qui a en la matière beaucoup alimenté le contentieux. C’est dans l’affaire Koenig que
la Cour a affirmé l’autonomie de cette notion, car toute autre solution conduirait à des résultats
incompatibles avec l’objet et le but de la Convention.
Autre arrêt fondateur : Ringeisen, 16 juillet 1971 : les termes français de contestation sur des droits
et obligations de nature civile couvre toute procédure dont l’issue est déterminante pour des droits
et obligations de caractère privé. Peu importe la nature de la loi selon laquelle la contestation doit
être tranchée et la nature de l’autorité compétence en la matière.
Dans l’affaire Koenig du 28 juin 1978, la Cour souligne que l’article 6 trouve à s’appliquer que les
parties aux litiges soient des personnes privées n’est pas une exigence, la contestation peut très bien
opposer un particulier à une autorité publique, il n’est même pas décisif que celle-ci ait agi comme
personne privée ou comme détentrice de la puissance publique.

! Caractère privé

Les juges européens ont vite admis que les droits et obligation de nature civile englobent tout le
droit privé, mais ils ont précisé que les contestations concernées ne sont pas uniquement celles du
droit privé au sens classique du terme, car ce qui est essentiel c’est de se livrer à une appréciation
concrète du droit en cause et de se déterminer par rapport à son contenu et à ses effets en refusant
par conséquent d’être liés par les caractères propres au droit interne. Approche empirique qui
conduit à une extension du champ d’application de l’article 6. Peu importe par ex qu’en droit
national le litige soit considéré comme relevant du droit administratif. Idée du caractère patrimonial,
peu importe l’origine du différend et la compétence du JA.
De même la nature de la loi est indifférente, peu importe qu’elle soit qualifiée de civile, de
commerciale, d’administrative ou de sociale, c’est indifférent au regard de l’article 6. Peu importe
la nature de la juridiction compétente, et ce même s’il est constitutionnelle.
Affaire Ruiz Mateos du 23 juin 1993 : il s’agit d’une procédure en restitution de biens expropriés.
Une question préjudicielle d’inconstitutionnalité se posait. Cette affaire a donné l’occasion à la
Cour de considérer que relevait de l’article 6 cette procédure devant le juge constitutionnel.
Réaffirme sa position dans l’arrêt Voggenreiter contre Allemagne du 8 janvier 2004 : recours
constitutionnel sur saisine d’une partie privée contre une loi participant à la réalisation du marché
commun. Même la constitution de partie civile devant une juridiction pénale est considérée comme
relevant des dispositions de l’article 6§1, tant qu’elle ne vise pas simplement à corroborer l’action
publique, mais qu’elle s’accompagne d’une demande de réparation pécuniaire. Cette conception
extensive a été consacrée dans un arrêt Perez contre France du 12 février 2004 : la plainte avec
constitution de partie civile en droit français tendant à la réparation d’un préjudice résultant d’une
infraction relève de l’article 6§1.

! Critère patrimonial

En définitive, c’est le critère patrimonial qui parait déterminant et décisif au regard de la notion de
droits et obligations de caractère civil. Toute contestation ayant un objet patrimonial et se fondant
sur une atteinte alléguée à des droits eux-aussi patrimoniaux relève de la matière civile. Seul

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compte que le droit en cause, ou plus exactement la situation ou l’acte litigieux, ait une incidence
patrimoniale sur les droits du requérant. La matière civile englobe toutes les contestations afférentes
au patrimoine ou à l’activité économique du justiciable. Elle englobe toutes les procédures qui
entretiennent un lien avec ces intérêts pécuniaires. Ce sont le contenu et les effets de son droit qui
sont pris en compte et qui priment la classification de ce droit en ordre interne.

Cette approche de la notion de caractère civil qui fait de l’incidence patrimoniale le critère décisif
d’applicabilité de l’article 6 a contribué à étendre d’autant plus le champ d’application de cet
article, car on prend en compte non seulement l’incidence directe, mais également indirecte du droit
sur le patrimoine.

- Incidence directe

Les contentieux qui mettent en jeu le droit de propriété sont considérés comme relavant par essence
du droit privé, donc de la matière civile, sans que l’intervention de la puissance publique ne remette
en cause cet état de fait. Tout ce qui relève chez nous du DAB tombe dans la matière civile.
L’article 6 est applicable aux contestations concernant les décisions administratives touchant
l’exercice du droit de propriété, comme le contentieux de l’expropriation ou encore le contentieux
de l’urbanisme.
Tous les contentieux dont l’objectif est d’obtenir une compensation pécuniaire relèvent de la
matière civile au sens de l’article 6, c’est ainsi par exemple que les actions en restitution de sommes
versées au FISC au titre de l’impot sur le revenu sont considérées comme relevant de la matière
civile alors même qu’elles trouvent leur origine dans la législation fiscale. De même, les actions en
responsabilité pécuniaire d’une autorité publique relèvent également de la matière civile alors
même que l’action est dirigée contre l’Etat devant les juridictions administratives.
Cette interprétation a conduit à attraire à la matière civile ce qu’on appelle la matière financière : le
critère de la patrimonialité a emporté l’applicabilité de l’article 6 aux juridictions financières,
comme la procédure de gestion de fait. 7 octobre 2003, Richard Dubarry contre France : l’enjeu
patrimonial de la procédure de gestion de fait ne peut pas être contestée et l’aspect civil des
obligations en cause n’a pas de rapport avec l’exercice des prérogatives de puissance publique.
Dans cette affaire le maire d’une commune soumis à cette procédure a été appréhendé non pas
comme un fonctionnaire, mais comme l’auteur d’un délit civil qui cause au TP un dommage qu’il
doit réparer.

Le Conseil d'Etat face à cette jurisprudence a un temps résisté en distinguant entre la déclaration et
le jugement de compte et l’amende, mais a fini par se ranger du coté de la Cour en opérant un
revirement dans un arrêt Beau Soleil du 30 décembre 2003 en estiment que le juge des comptes
tranche à chaque étape de la procédure des contestations sur des droits et obligations de caractère
civil. Dans cette décision, il fait vraiment une application pure et simple de la jurisprudence
européenne.

Autre domaine : celui des jugements des comptes. La procédure de jugement des comptes des
comptables publics relève désormais de l’article 6. C’est ce qu’en a décidé un arrêt de la Cour
Européenne : Martinie contre France du 13 janvier 2004 qui a donné lieu à un arrêt de Grande
Chambre le 12 avril 2006. La Cour a estimé que l’obligation pour le comptable public de supporter
personnellement les conséquences d’une irrégularité dans la gestion des comptes, bien qu’elle
présente une coloration publique, vise avant toute chose à réparer le préjudice causé à la collectivité

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par la négligence du comptable public dans l’exercice des contrôles qu’il est tenu d’effectuer. Par
conséquent le conteste se rapproche de celui de l’auteur d’un délit civil, qui est tenu de réparer le
dommage qu’il a causé.
Dans cet arrêt, la Cour considère que les aspects de droit privé dominent. Le Conseil d'Etat est là
encore revenu sur sa jurisprudence en application de la solution Martinie : il juge l’article 6
applicable dès lors qu’est en cause la mise en débet du comptable (30 mai 2007)

- Incidence indirecte

Cette prise en compte conduit à faire rentrer un certain nombre de contentieux dans le domaine de
l’article 6§1.
C’est le contentieux disciplinaire qui a été incorporé dans le champ de l’article 6, qui va donc être
applicable aux sanctions disciplinaires rendues par les juridictions ordinales, dès lors qu’elles
mettent en cause le droit d’exercer la profession : suspension, radiation, refus de réinscription après
radiation. Jurisprudence inaugurée en 1978 dans l’affaire Koenig, et confirmée dans l’affaire Le
Compte pour les médecins. Elle a ensuite été étendue aux architectes, aux experts comptables et aux
avocats.
En revanche, les sanctions telles que l’avertissement ou le blâme, tant qu’elles sont sans
conséquences sur l’exercice de la profession et non donc pas de portée patrimoniale ne rentrent pas
dans le champ de l’article 6.
Longue résistance du Conseil d'Etat : arrêt Debout de 1978 et Subrini 1984, condamnation de la
Cour en 1992. 26 septembre 1996, affaire Diennet : nouvelle condamnation. Il y a eu une
modification réglementaire, un décret de 1993 est venu instituer la publicité des instances
disciplinaires dans le domaine médical. Le Conseil d'Etat a cédé dans l’arrêt Maubleu du 14 février
1996 et l’arrêt L’Hermite du 23 février 2000.

Affaire Association Ekin contre France, 18 janvier 2000 : la Cour considère que la décision
d’interdiction d’une publication à titre de mesure de police administrative relève de l’article 6 dans
la mesure où cette interdiction prive le diffuseur de recettes.

Autre domaine : la matière sociale. Les arrêts de principe sont les arrêts Feldbrugge contre Pays-
Bas, et Deumeland contre Allemagne du 29 mai 1986: l’article 6 est applicable à des procédures
relatives à l’attribution de prestations d’assurance sociale. A pris en compte le caractère ambigu de
la matière qui comporte à la fois des aspects de droit privé et public, mais de manière évolutive. Les
juges avant ces affaires considéraient que la puissance publique était un facteur déterminant
d’exclusion de la protection sociale de la sphère de la matière civile. Dans Feldbrugge, elle utilise
la même mise en balance pour affirmer exactement l’inverse. Elle fait ensuite une application
systématique de cette jurisprudence en assujettissant de manière plus ou moins systématique tout le
contentieux social. Elle a ajusté sa méthode dans l’arrêt Salesi du 26 février 1993 : nouvelle
extension en attirant dans la matière civile les prestations d’aide sociale.
La méthode utilisée est intéressante : la Cour affirme que l’applicabilité de l’article 6§1 constitue
aujourd'hui la règle dans le domaine de l’assurance sociale Elle fait référence aux anciens arrêts en
affirmant que la solution amorcée dans ces arrêts permet d’affirmer que c’est désormais la règle
dans le domaine de l’assurance sociale (différent de l’aide sociale). Affirme qu’il n’y a pas de
différence entre les deux et qu’il faut appliquer aux prestations d’aides sociales le même principe
que pour les prestations d’assurance sociale. L’intervention étatique ne suffit pas à écarter
l’applicabilité de 6§1.

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Dans la ligne de la jurisprudence européenne, le Conseil d'Etat déclare l’applicabilité de l’article 6


dans de nombreuses procédures relevant des juridictions sociales. La question ne fait désormais
plus débat. Cette approche européenne a permis de soumettre des contentieux très nombreux à
l’article 6, néanmoins, il faut prendre conscience que toute incidence patrimoniale ne suffit pas à
caractériser les droits à caractère civil. Il existe des zones d’exclusion, même si elles ne sont pas
nombreuses.

! Exclusion

Le contentieux électoral : mise en cause des intérêts généraux de l’Etat et des autres collectivités
publiques, ainsi que de la souveraineté publique. La Cour EDH s’est prononcée dans un arrêt Pierre
Bloch contre France du 21 octobre 1997 : le Conseil Constitutionnel avait constaté que le requérant
avait dépassé le plafond légal des dépenses électorales lors de sa campagne et l’avait déclaré
inéligible pour un an et démissionnaire d’office. La procédure a été considérée comme exclue de
6§1 au motif que le droit en cause, celui d’être candidat à une élection législative et de conserver
son mandat est un droit de caractère politique, étroitement lié au système électoral, et non un droit
civil au sens de l’article 6.
Le Conseil d'Etat a adopté une interprétation similaire à propos de contestations relatives à
l’inscription sur les listes électorales dans l’affaire Sarran du 30 octobre 1998.

De même, les procédures qualifiées de nature administrative et discrétionnaire sont exclues du


champ de l’article 6§1 dans son volet civil. Comment sont définies ces procédures ? Il s’agit de
procédures qui impliquent l’exercice de prérogatives de puissance publique. Elles englobent un
certain nombre de matière, à commencer par les procédures relatives aux taxations fiscales. Shouten
et Meldrum c./ Pays-Bas, 9 décembre 1994.
Idem pour le droit de douane et les taxations frappant les marchandises importées. Le fait que le
litige ait un caractère patrimonial n’est pas suffisant en lui-même pour entrainer l’application de
l’article 6 sous son aspect civil.
Dans l’affaire Ferrazzini contre Italie de 2001, la Cour considère que la matière fiscale relève du
noyau dur des prérogatives de puissance publique. Le caractère public du rapport entre le
contribuable et la collectivité restant prédominant.

Autre matière : police des étrangers. Pour les procédures d’octroi de l’asile ou d’éloignement du
territoire, la Cour EDH s’est prononcée à plusieurs reprises sur la question. Le Conseil d'Etat juge
de même qu’il s’agit de mesures de police échappant à l’article 6.
Idem pour les mesures relatives à l’interdiction du territoire qui ne relèvent ni de la matière civil, ni
d’ailleurs de la matière pénale. Grande Chambre, Maaouia contre France, 5 octobre 2000. Sur cette
question, la Cour de Cassation se prononce dans le même sens.

! Contentieux particuliers

Deux contentieux doivent être isolés : le contentieux de la fonction publique et le contentieux fiscal.

- Contentieux de la fonction publique

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Jurisprudence assez chaotique pour retenir l’attention. Traditionnellement, ce contentieux a d’abord
été considéré comme échappant au champ d’application de l’article 6. Dans une décision du 28 aout
1986, Glasenapp contre RFA, la Cour a affirmé le principe que les contestations concernant le
recrutement, la carrière et la cessation d’activité des fonctionnaires sortent en règle générale du
champ d’application de l’article 6.
La voie des exceptions a ensuite été ouverte lorsque l’objet du litige consistait en la revendication
d’un droit purement ou essentiellement patrimonial légalement né de l’activité professionnelle.
Article 6 applicable dès lors que les prérogatives discrétionnaires de l’administration n’étaient pas
principalement en cause, par ex pour les pensions de retraite.
Cependant, le critère retenu par la Cour a été difficile a gérer entre ce qui est ou pas essentiellement
patrimonial. La Cour a rendu des décisions vraiment casuistiques.
La Cour est alors venue préciser sa jurisprudence dans un arrêt du 8 décembre 1999, Pellegrin
contre France. Dans cet arrêt, la Cour a reconnu que le contentieux n’acquiert pas une nature civile
du seul fait qu’il soulève une question d’ordre économique. Puis, elle est venue poser un critère
nouveau, d’ordre fonctionnel, tiré de la participation de l’agent à l’exercice de la puissance
publique, en se fondant sur la nature des fonctions et des responsabilités exercées par l’agent. De ce
critère, elle a déduit que sont seuls soustraits au champ d’application de l’article 6 les litiges de
l’agent public dont l’emploi est caractéristique des activités spécifiques de l’administration publique
dans le mesure où celle-ci agit comme détentrice de la puissance publique.
Les agents exclus sont les diplomates, les hauts fonctionnaires du Ministère des affaires étrangères,
des magistrats, des militaires. On distingue en quelque sorte les fonctionnaires d’autorité des
fonctionnaires de gestion, en s’inspirant de la jurisprudence communautaire, qui est le critère
fonctionnel d’emploi dans l’administration publique. Cette jurisprudence a conduit à des anomalies,
car l’article ne va pas être applicable à tous les agents de la même manière, en raison de leurs
fonctions.

Arrêt Vilho Eskelinen contre Finlande, 19 avril 2007 : concerne 6 policiers et une assistante
administrative en raison de la perte d’un complément de salaire. L’application de la jurisprudence
Pellegrin conduisait à une solution contradictoire : l’article 6, pour un même litige n’était pas
applicable aux policiers, mais pas à l’assistante administrative. Cette discrimination a donné
l’occasion à la Cour de s’interroger sur l’opportunité d’une évolution de sa jurisprudence. La Cour
estime qu’il n’y a pas lieu de s’arrêter aux critères de Pellegrin, qui placent hors du champ de la
protection des emplois qui représentent une dimension d’administration publique et qui exige un
lien spécial de confiance et de loyauté. Doit être placé dans le contexte de la jurisprudence
antérieure, et compris comme une distanciation d’avec l’ancien principe d’inapplicabilité de
l’article 6 à la fonction publique, et comme un 1er pas vers l’applicabilité partielle.

La Cour pose 3 arguments et combine les articles 14 et 3 pour montrer que toute personne membre
d’un EP à la Convention doit jouir sans distinction aucune des droits et libertés garanties par la
Convention. En conséquence, tout fonctionnaire doit bénéficier du droit à un procès équitable. En
décider autrement constituerait une discrimination dans l’exercice de ce droit. La Cour reprend un
argument avancé par la doctrine soulevant le manque de pertinence de la distinction entre
fonctionnaires de gestion et d’autorité, qui conduisait à une discrimination. Elle se réfère au droit de
l’UE, « source précieuse d’indications » qui consacre le recours général en toute matière, sans
considération de la matière pénale ou civile du litige. Elle invoque également l’accès au juge, mais
on ne sait pas trop à quoi ça sert.

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La Cour pose donc une présomption d’applicabilité de l’article 6 au litige de la fonction publique en
se fondant sur le droit d’accès à un tribunal comme critère d’applicabilité de l’article 6, ainsi que
sur le principe de non-discrimination. L’accès à un tribunal ouvert aux fonctionnaires par le droit
interne entraine l’applicabilité automatique de l’article 6.

Néanmoins, par dérogation, elle admet l’exclusion de l’article 6 à deux conditions cumulatives :

- Le droit interne doit avoir expressément exclu l’accès à un tribunal s’agissant du poste ou de
la catégorie de salariés en question
- L’Etat devra démontrer que l’objet du litige est lié à l’exercice de l’autorité étatique ou
remet en cause le lien spécial de confiance et de loyauté entre l’agent et l’Etat employeur

En posant ces conditions, la Cour maitrise in fine ces dérogations.

! Contentieux fiscal

Ressort de la jurisprudence de la CEDH qu’il échappe au champ des droits et obligations de


caractère civil en dépit des effets patrimoniaux qu’il a nécessairement quant à la situation des
contribuables. C’est ce que dit la Cour dans l’arrêt Ferrazzini du 12 juillet 2001 : le faut de
démontrer qu’un litige est de nature patrimoniale n’est pas à lui seul suffisant pour entrainer
l’applicabilité de 6§1 car la matière fiscale appartient au noyau dur des prérogatives de la PP, et le
caractère public du rapport entre la collectivité et le contribuable reste prédominant.

Ce principe connait des exceptions. La Cour essaie de limiter strictement le champ d’application de
cette exception. Dans l’affaire Periscope contre France de 1992, il a été jugé que la contestation du
refus de l’administration d’accorder des avantages fiscaux à une société constitue un litige de
matière civile car cela concerne des droits patrimoniaux. De même, la Cour a considéré dans
l’affaire Ravon contre France du 21 février 2008 qu’une contestation relative à la régularité des
visites domiciliaires et saisies opérées par l’administration fiscale sur le fondement de l’article 16
du livre de procédures fiscales ne portait pas sur une question relevant du contentieux fiscal, mais
sur un droit civil, plus précisément le droit au respect du domicile, et elle conclue à l’applicabilité
de 6§1 dans son volet civil. Cet article institue un véritable droit de perquisition au profit de
l’administration qui lui permet sur autorisation du juge la visite du domicile et de tous les locaux du
contribuable ainsi que la saisie en ces différents lieux de toutes les pièces et documents. Or le fait
est que dans l’affaire Ravon, cet article a suscité la controverse en ce que les ordonnances autorisant
les visites domiciliaires étaient seulement susceptibles d’être contestées par un pourvoi en cassation.
La Cour considère dans cette décision que cette disposition n’est pas conforme aux exigences du
procès équitable, et que le pourvoi en cassation, en ce qu’il permet de connaitre uniquement en droit
de l’affaire n’assure pas l’accès effectif au juge. Il n’y a pas de recours effectif au juge puisque
devant la Cour de Cassation on ne procède qu’à une appréciation en droit, et que c’est insuffisant
pour apprécier la conformité de la procédure litigieuse aux exigences européennes. La France a
décidé par une loi du 4 aout 2008 de modifier cet article 16 en tenant compte des critiques de la
CEDH. Dans la nouvelle rédaction, le contribuable a désormais la faculté de faire appel de
l’ordonnance du juge autorisant les perquisitions auprès du 1er Président de la CA dans les 15 jours
qui suivent la remise des procès verbaux de visite domiciliaire.

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Kandler, 18 septembre 2008 : nouvelle condamnation de la France. La Cour rappelle que l’article 16
antérieur à la loi de 2008 ne répond pas aux exigences d’un procès équitable, car il n’y a pas accès à
un recours effectif pour contester la régularité des visites et saisies.

8 décembre 2009 : désormais, les dispositions de l’article L16 telles que modifiées assurent de
manière satisfaisante le respect des droits de la défense et concilie les nécessités de la lutte contre la
fraude fiscale avec le respect de la vie privée et du domicile.

Dans le dernier alinéa du II de l’article L16, il est prévu que le greffe du TGI transmet sans délai le
dossier de l’affaire au greffe de a CA où les parties peuvent le consulter. Or la CEDH déduit de
l’exigence du droit à un procès équitable que chaque partie ait la faculté de prendre connaissance de
toute pièce présentée au juge en vue d’influencer sa décision dans des conditions qui ne la
désavantagent pas d’une manière appréciable par rapport à la partie adverse. La Cour estime que la
faculté de consultation du dossier au greffe ne dispense par l’administration de communiquer à la
partie qui le demande les pièces dont elle fait état.

Les critères de l’attraction des sanctions pénales dans le champ du volet pénale n’ont pas toujours
été maniés avec une grande clarté. Dans Bendenoun, la Cour semble pencher vers une cumulation
des critères, alors que dans Engel, la Cour privilégiait une approche alternative des critères de
pénalisation des sanctions administratives et fiscales. Entre ces deux approches, l’arrêt Jussila du 23
novembre 2006 a tranché en se prononçant pour une application alternative des critères et se
présente ainsi comme un arrêt de revirement. Mais cet arrêt marque surtout l’intention de la Cour
EDH de renforcer la pénalisation des sanctions fiscales tout en en précisant la portée.

B. La matière pénale

La Cour oppose aux contestations sur les droits et obligations en matière civile le bien fondé de
toute accusation en matière pénale. Il s’agit là encore d’une notion autonome, la 1ère à être qualifiée
de telle. A la différence des notions de contestation de droits et d’obligations à caractère civil, la
Cour s’est ici risquée à donner une véritable définition de l’accusation et à poser des critères
d’identifications de la notion de matière pénale.

1) La notion d’accusation

Dans l’arrêt Koenig de 1978, Deweer contre Belgique, la Cour a opté pour une conception
matérielle et non formelle de l’accusation, en la définissant comme la notification officielle émanant
de l’autorité compétente du reproche d’avoir accompli une infraction pénale.
Il peut s’agir d’une date antérieure à la saisine de la juridiction de jugement. Par ex les mesures
telles que l’arrestation, l’inculpation, l’ouverture d’une enquête préliminaire sont des accusations,
dès lors qu’elles portent sur une infraction pénale, arrêt Wemhoff contre Allemagne du 27 juin 1968.

La notion d’accusation renvoie en fait à l’idée de répercussion importante sur la situation de


l’intéressé. C’est ainsi que dans l’arrêt Serves contre France du 20 octobre 1997, il a été jugé
qu’une assignation à comparaitre comme témoin pouvait s’analyser en une accusation.

En revanche, les procédures qui ne portent pas sur le bien fondé d’une accusation et ne déterminent
ni la culpabilité, ni la peine, sont en dehors du champ de l’article 6 : c’est le cas de l’enquête

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administrative ayant pour finalité l’établissement des faits et leur consignation et qui peut donc
servir de base à l’action de certaines autorités compétentes en matière de poursuite. Malgré tout,
cette enquête ne constitue pas le point de départ de l’accusation.
En ce qui concerne les actes d’enquête policière, tout placement en garde à vue n’équivaut pas
forcément à une accusation. On peut citer l’affaire Reinhardt et Slimane Kaid du 31 mars 1998 : la
Cour a considéré dans cette affaire que la garde à vue de Mme Reinhardt qui s’inscrivait dans le
cadre d’une enquête ouverte contre Slimane Kaid ainsi que la perquisition à domicile dans le cadre
de cette enquête n’ont pas été considérées comme une notification officielle, et donc comme le
point de départ de l’accusation. En revanche, la garde à vue de M. Reinhardt et la 2ème garde à vue
de Mme Kaïd se situent dans le cadre d’une instruction judiciaire après poursuite ont été qualifié
d’accusation au sens de la Convention.

2) Les critères d’identification de la matière pénale

La Cour EDH a dégagé les critères d’identification de la matière pénale dans l’arrêt Engel du 8 juin
1976 : 3 critères d’identification, affirmé dans l’arrêt Ozturk contre RFA du 21 février 1984

! Qualification donnée par le droit interne de l’Etat en cause

Il importe de savoir si au regard des indications nationales, l’infraction en cause est qualifiée de
pénale.

! Nature-même de l’infraction

C'est à dire la transgression d’une norme générale ayant à la fois un caractère dissuasif et répressif.

! Gravité de la sanction

Qui est appréciée en fonction du but de la sanction, de sa nature ou bien encore de ses modalités
d’exécution.

Ces critères dans Engel ont été utilisés alternativement. Toutefois, si l’analyse de chaque critère ne
permet pas d’aboutir à une conclusion claire, la Cour ne s’interdit pas de procéder à une approche
cumulative comme elle l’a fait dans l’affaire Bendenoun
« Aucun critère n’apparait à lui seul décisif, mais additionné et combiné ils confèrent à l’accusation
judiciaire la matière pénale. »
Arrêt Hüseyin Turan contre Turquie, 4 mars 2008.

! Importance des critères

Il apparait de la jurisprudence de la Cour que les critères dégagés n’ont pas une égale importance.
Le 1er, relatif à la qualification donnée par le droit interne n’a qu’une valeur relative, tandis que les
deux autres apparaissent décisifs.

La cour a jugé qu’elle n’était pas tenue par la qualification du droit interne : Escoubet contre
Belgique, 28 octobre 1999 : la Cour juge que la mesure de retrait immédiat de permis de conduire
n’est pas une sanction pénale au sens de 6§1, en raison de sa nature préventive et de son degré de

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gravité limité, alors que cette sanction relève au titre de la circulation routière d’une loi pénale
particulière.

L’emprise protective de cette notion de matière pénale s’est étendue grâce aux deux autres critères
décisifs de nature de l’infraction et de gravité de la sanction encourue.
En ce qui concerne la nature de l’infraction ou du comportement prohibé, il est déclaré d’un plus
grand poids, mais il n’est pas déterminant s’il ne permet pas de retenir la qualification de matière
pénale. En effet, il ne suffit pas toujours à décider si le contentieux relève de la matière pénale ou
d’un autre type de litige.

C’est en dernière analyse la gravité de la sanction qui constitue le critère le plus capital. Cette
gravité de la sanction doit être appréhendée au sens de la sévérité de la sanction. La sévérité ne tient
pas nécessairement à la nature même de la sanction : une peine privative de liberté ne participe pas
nécessairement de la matière pénale si elle est de durée limitée. On s’intéresse de plus à la peine
encourue, et non la peine prononcée. On va faire une comparaison entre la gravité du comportement
prohibé et l’importance de la sanction susceptible d’être prononcée.

Pragmatisme de la Cour qui parfois énonce tous les critères, parfois donne un poids tantôt fort ou
tantôt faible à la gravité d’une sanction pour retenir la pénalisation d’une sanction.

! Mouvement de pénalisation

Cette méthode de la Cour a permis d’enclencher un mouvement de pénalisation en faisant relever de


la matière pénale des normes qui le plus souvent n’appartiennent pas au droit pénal national. C’est
ainsi qu’on a inclus les poursuites disciplinaires pénitentiaires, militaires, ou professionnelles, ainsi
que les sanctions fiscales ou administratives.

- Contentieux disciplinaire

En ce qui concerne le contentieux disciplinaire, il a été vite assimilé pour un motif simple : dans
l’arrêt Engel, la Cour souligne que si les Etats contractants pouvaient à leur guise qualifier une
infraction de disciplinaire plutôt que pénal, le jeu des clauses fondamentales des articles 6 et 7 se
trouveraient subordonné à leur volonté souveraine, et une latitude aussi étendue risquerait de
conduire à un résultat incompatible avec le but et l’objet de la Convention.

- Disciplinaire pénitentiaire

Pour les pénitentiaires : arrêt Campbell et Fell contre RU du 28 juin 1984 « la justice ne saurait
s’arrêter à la porte d’une prison ». La condamnation à 570 jours de perte de remise de peine
constitue une nouvelle privation de liberté en ce qu’elle prolonge la détention bien au-delà de ce qui
aurait été le cas sans elle, elle était infligée à des fins punitives et par conséquent présentant un
caractère pénal.

En matière de sanctions disciplinaires, c’est surtout le degré de sévérité de la peine encourue qui est
déterminant.

- Disciplinaire professionnel

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Pour le disciplinaire professionnel, la Cour utilise soit le critère de nature de l’infraction, soit celui
de gravité de la sanction pour attraire ou exclure les contentieux de la matière pénale. On peut
évoquer le cas de la France : les amendes infligées par la Cour de discipline budgétaire et financière
aux ordonnateurs et administrateurs qui ont violé les règles relatives à l’exécution des recettes et des
dépenses ont été considérées comme relevant du volet pénal de 6§1, dans l’affaire Guisset, alors
que la France alléguait le caractère purement disciplinaire de la sanction. Il a été considéré qu’elle
avait un caractère pénal, en relevant l’objet de la sanction, répressif et dissuasif, la gravité de la
sanction et le caractère pénal de la norme.
Le Conseil d'Etat a fini par revirer en 1998, avec l’affaire Lorenzi. L’affaire Guisset est revenue
devant la Cour qui a confirmé l’applicabilité de l’article 6§1.

- Sanctions prononcées par les AAI

Question de l’attraction des sanctions administratives au volet pénal de 6§1. La Cour de Cassation a
posé le principe de l’applicabilité de 6§1 à l’ensemble des autorités de régulation sous son contrôle.
Elle en a ainsi décidé dans un arrêt du 5 octobre 1999 au sujet du Conseil de la Concurrence, dans
un arrêt d’AP du 5 février 1999 à l’égard de la COB (AMF). Le Conseil d'Etat qui initialement
jugeait que l’article 6 était inapplicable à une décision n’émanant pas d’une juridiction, et donc
d’une AA prononçant des sanctions a fini par revirer en abandonnant le critère organique pour
retenir le critère matériel européen dans l’arrêt Didier du 3 décembre 1999, relatif au Conseil des
marchés financiers.

Conditions : nature des attributions : il faut un pouvoir de sanction relevant de la matière pénale au
sens de l’article 6 + nature du vice allégué, qui doit contaminer l’ensemble de la procédure sans
pouvoir être purgé en amont.

IV. Articulation des normes

Difficulté lorsque les normes qui interfèrent sont à un même niveau dans la hiérarchie. Quid entre
source conventionnelle et sources internationales ? Entre Pacte International et CEDH.

Deux hypothèses de conflit :

! Lorsqu’il y a identité partielle des droits garantis par les sources en présence

o Par ex problème en droit interne

Quand les deux séries de normes sont directement applicables, même s’il faut reconnaitre la
supériorité institutionnelle de la Convention, parfois on préfère invoquer le Pacte, plus généreux et
protégeant plus de droits.

Le juge doit dans ce cas appliquer la disposition le plus favorable. Sur le plan des principes, cela
semble assez facile à résoudre. Cependant, un antagonisme peut rendre inapplicable la plus
protectrice, notamment quand il y a une prescription sur le fondement d’une garantie, interdite sur
le fondement d’une autre garantie.

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o Sur le plan international :

La coexistence de deux systèmes de contrôle pose un problème s’agissant des requêtes


individuelles : le cumul de recours internationaux
Lorsque l’Etat mis en cause a à la fois adhéré à la Convention et au protocole facultatif du Pacte, la
question se pose de savoir si le requérant doit choisir entre les deux voies ou les utiliser tour à tour.
Si on admet le cumul des procédures, l’instance qui interviendra en 2nd va devenir une instance de
réexamen, si ce n’est d’appel d’une décision rendue par une autre instance, ca les place dans un
rapport de hiérarchie. C’est plutôt théorique comme question.

On a opté pour la coordination, soit spontannée soit organisée.

A. La coordination spontanée

Elle prend la forme d’une conciliation jurisprudentielle. Le système onusien et le système européen
tentent d’harmoniser leur jurisprudence, ce qui permet de résoudre les problèmes du juge national,
qui pourra s’inspirer d’une jurisprudence harmonisée.
S’agissant du droit à une bonne administration de la justice, notamment en matière pénale, la Cour
n’a pas hésité à utiliser les dispositions du Pacte. La jurisprudence européenne a notamment
complété les garanties de l’article 6§1 en s’inspirant parfois de l’article 14 du Pacte.
Pour appliquer l’article 13 CEDH, la cour a fait référence à l’article 12 de la convention de 1984 sur
la torture pour imposer aux états l’obligation de procéder à une enquête impartiale chaque fois qu’il
y a des motifs de croire qu’un acte de torture a été commis.
Le comité des DDH ne fait pas abstraction de la jurisprudence de la cour même s’il ne s’y réfère pas
formellement. Il adopte une interprétation similaire de la règle non bis in idem que la cour.

Cette harmonisation contribue à réduire l’écart normatif entre les différents textes sur des matières
comparables. Il y a quand même des cas où il y a des différences entre les 2 instruments.

Les techniques de limitations des droits garantis ne sont pas identiques et peuvent aboutir à des
résultats divergents. Si le comité peut être saisi d’une même requête que celle précédemment
examiné par la cour, cela risque de nuire à la cohérence de la garantie internationale d’admettre et
de rendre possible une divergence de solutions. Ainsi beaucoup de pays ont cherché à éviter le
cumul de recours internationaux.

B. La coordination organisée

La France est tenue par le pacte de 1966 et la CEDH donc des problèmes de coexistence peuvent se
présenter.
Pour éviter que le comité des DH ne devienne l’organe d’appel des décisions prises par la Cour
EDH, la plupart des pays ont émis une réserve faisant obstacle à la compétence du comité si la
même question a déjà été examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

Le cumul de procédures dans l’autre sens n’est pas possible car l’art 35 précis que la cour ne retient
aucune requête individuelle quand elle est essentiellement la même qu’une requête déjà soumise à
une autre instance internationale et si elle ne contient pas de fait nouveau. Donc la cour ne peut pas
être saisie après le comité des DH.

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Le cumul dans l’autre sens est possible pour les états n’ayant pas souscrit à la réserve faite à l’art
5§2 du protocole facultatif. Il prévoit que le comité doit suspendre son examen si la question a déjà
fait l’objet d’une requête devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement. La
réserve dit que le comité des DH ne sera pas compétent pour examiner une question émanant d’un
particulier si la même est en cours d’examen ou a déjà été examiné par une autre instance
internationale d’enquête ou de règlement.
Le comité a précisé la notion de même question déjà examiné. La communication est irrecevable
devant le comité si une procédure parallèle est en cours dans la même affaire.

Il faut une identité d’affaire, c'est à dire identité de parties donc le comité sera compétent si le
demandeur n’a pas lui-même saisi la cour. L’identité s’étend à l’objet de la cause sur le fond. Arrêt
V c/ Norvège du 17 juillet 1985 : ressortissant norvégien divorcé soutenait qu’il n’avait pas
bénéficié d’un procès équitable et que les décisions internes contrevenaient au principe d’égalité des
époux après dissolution du mariage. La commission avait rejeté sa requête et le requérant avait
présente une communication devant le comité en soutenant que le pacte avait des dispositions
différentes et qui avaient en l’espèce une portée plus précise.
Il faut identité de griefs et de faits invoqués pour les justifier donc la communication était
irrecevable.

La notion d’affaire examinée : pour que la question soit considérée comme déjà examinée par le
comité, il faut que l’affaire ait été examinée au fond par la cour. Un examen de pure recevabilité
fondé sur une question de procédure ne constitue pas un examen au fond et n’interdira pas au
comité de se saisir de l’affaire.

Question de savoir si une requête déclarée irrecevable par la cour a bien été examinée au sens de
l’article 5§2 du protocole dès lors que les droits reconnus par la CEDH diffèrent de ceux inscrits
dans le pacte.
Dans un 1er temps le comité s’est interdit de connaître une affaire déjà portée devant la cour et la
commission quand il y a eu irrecevabilité pour défaut manifeste de fondement quand le requérant
alléguait d’un droit non reconnu par la cour dans une décision de 1982.
Puis revirement du comité dans une décision du 19 juillet 1994 Casanova c/ France : il se déclare
compétent pour connaître d’une requête précédemment déclarée irrecevable par l’ex commission.
En l’espèce un fonctionnaire révoqué avait saisi le comité qui avait considéré que la procédure de
révocation à l’encontre d’un fonctionnaire ayant une incidence patrimoniale était une contestation
de caractère civil au sens de l’art 14§1 du pacte. Or, la commission avait déclarée la requête
irrecevable comme incompatible rationae materiae pour défaut manifeste de fondement. La France
a soutenu que la recevabilité de la communication se heurtait à la réserve.

Le comité décide que comme les droits que proclame la convention différaient sur le fond des droits
proclamés par le pacte, une affaire déclarée irrecevable n’avait pas au sens de la réserve, été
examiné d’une façon excluant que le comité l’examine à son tour.

Il faut nuancer la portée de la décision Casanova. Ultérieurement, le comité a apporté deux


précisions :

- Pour conclusion qu’une question n’a pas été examinée par le juge européen, il faut qu’il y ait
une différence substantielle entre les dispositions de la Convention et celles du Pacte

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- Weiss contre Autriche, 3 avril 2003 : le comité a considéré que la plainte doit être considérée
comme ayant été examinée si la Cour est allées plus loin qu’une simple décision technique
ou procédurale concernant la recevabilité et a procédé à une appréciation du fond de
l’affaire.

En définitive, l’action du comité sur la base du Pacte s’avère précieuse, tout en étant
complémentaire de la Convention.

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Section 2 : Les sources secondaires dans le cadre de l’UE

Traité d’Amsterdam : nécessité d’une coopération judiciaire étroite entre les EM dans le domaine de
la justice et des affaires intérieures. On a fait de cette coopération un intérêt commun. C’est là qu’on
a formalisé l’objectif de coopération judiciaire. On a introduit au sein du traité CE un chapitre
relatif au développement de la notion d’espace, de liberté, de sécurité et de justice. Plusieurs
instruments juridiques ont été adoptés pour la concrétisation de cet espace judiciaire. Dominé par
l’importance de la protection de certains droits fondamentaux, notamment le droit à l’accès au juge.
En fait, le succès de la coopération européenne en matière judiciaire repose sur le principe de la
reconnaissance mutuelle, or celle-ci exige au préalable que s’installe un climat juridique et politique
de confiance mutuelle. Sur le plan processuel, il faut que chaque Etat soit convaincu que les
décisions rendues chez ses voisins respectent les principes et valeurs que son ordre juridique
protège, et spécialement les droits fondamentaux.

L’influence du droit communautaire en matière processuelle se manifeste à travers les instruments


de coopération judiciaire d’une part et les instruments de protection des droits et libertés
fondamentaux d’autre part. Au-delà de la question des sources européennes du droit processuel, le
fait qu’il existe deux systèmes de protection des DDH conduit à s’interroger sur les rapports entre
les sources de droits fondamentaux issus du droit de l’Union, et celle du droit de la Convention
européenne.

I. Les instruments de la coopération judiciaire

Le champ de cette coopération était limité aux mesures ayant une incidence transfrontalière et
nécessaires au bon fonctionnement du marché. En 1999, le Conseil Européen de Tampere a été
exclusivement consacré aux questions de justices et d’affaires intérieures, et on a jeté les grands
axes de l’espace judiciaire européen. A souligné que sa réalisation impliquait un accès plus simple à
la justice, l’identification des juridictions compétentes et du droit applicable, la résolution des
conflits de loi sur la compétence judiciaire et la mise en œuvre du principe de reconnaissance
mutuelle pour réduire les écarts existant en matière d’exécution des jugements. Le Conseil européen
a invité les partenaires à adopter un programme communs de mesures destiné à mettre en œuvre ce
principe. Adopté le 30 novembre 2000. Aborde explicitement l’établissement de règles communes
relatives d’une part à une procédure spécifique permettant le recouvrement rapide et efficace des
créances incontestées, et d’autre part la simplification et l’accélération du règlement des petits
litiges. A cela s’ajoute un autre objectif : celui de se concentrer sur les moyens de nature à faciliter
la reconnaissance et l’exécution des décisions rendues dans un autre EM.
La technique du règlement a été utilisée, ainsi que celle des directives. L’idée a aussi été d’élaborer
un droit judiciaire privé, qui a été abandonnée en raison des difficultés extrêmes à le réaliser. On n’a
pas pour autant renoncé à l’harmonisation dans des domaines spécifiques. La directive du 27 janvier
2003 par ex, visant à améliorer l’accès à la justice a conduit à une loi du 4 juillet 2005 qui a instauré
des minimales communs en matière d’aide judiciaire.

Objectif de mise en place d’une véritable culture juridique européenne : l’UE devait garantir un
accès effectif à la justice, en prenant des dispositions relatives à la compétence et à la
reconnaissance des conflits de loi, et en créant également des normes procédurales minimales afin
de garantir un niveau élevé de qualité des systèmes judiciaires, notamment concernant l’équité et le
respect des droits de la défense.

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Le Traité de Lisbonne va avoir une influence sur la consolidation de l’espace judiciaire européen.
Ce traité confirme la communautarisation du DIPvé, qu’il s’agisse de la question des conflits de loi
ou de juridictions.
Pouvoir de la Commission contrebalancé par le renforcement des pouvoirs des Parlements
nationaux qui disposent désormais d’un droit de veto, et également par une prise en compte plus
importante des traditions juridiques nationales.

En ce qui concerne les objectifs de la politique communautaire, le Traité ajoute désormais un accès
effectif à la justice, le développement de MARL et le soutien à la formation des magistrats et des
personnels de justice.

Marque la volonté de l’UE de s’engager plus concrètement dans la mise en place d’un espace de
justice véritablement effectif.

La Commission a récemment rendu public un nouveau programme. Les ambitions sont relativement
importantes : on veut à la fois améliorer le régime actuel de l’UE en ce qui concerne les dispositions
de droit procédural en matière civile. On cherche également à établir des normes minimales
communes ou des règles de procédure civile type pour améliorer l’exécution des jugements et des
décisions, par ex une astreinte européenne.

II. Les instruments de protection juridictionnelle des droits et libertés fondamentaux

Cette protection a été d’abord le fait de la CJCE, qui est venue consacrer les droits fondamentaux en
tant que PGD, qu’elle a dégagé des traités institutifs, mais également des traditions
constitutionnelles communes aux EM.
La CJ a fait référence aux traditions constitutionnelles communes pour renforcer le système
communautaire de protections des droits fondamentaux, mais cette référence a vite été éclipsée au
profit des instruments internationaux concernant la protection des DF auxquels les EM avaient
coopéré ou adhéré, et notamment au 1er chef la Convention EDH, qui est devenue une source
d’inspiration pour la CJCE.

A partir de l’arrêt Rutili du 28 octobre 1975, la Cour a pris acte de ce que tous les EM étaient parties
à la Convention pour se référer expressément à la Convention EDH, affirmant qu’elle revêtait en
matière de DF une signification particulière.
La Cour conjugue l’interprétation européenne de la Convention avec la logique communautaire : il
n’y a pas de transposition pure et simple, la façon dont la CJ a utilisé les textes de la Contention
EDH et la jurisprudence européenne s’inscrit dans la volonté de réaliser un marché intérieur, de
développer des politiques communes. Il y a un autre objectif que celui strictement poursuivi par la
Cour EDH. Mais cela n’a pas empêché le développement d’interprétations convergentes.

Certains auteurs ont considéré que la référence à la CEDH par la CJCE n’avait pas de fondement
juridique mais la situation a été clarifiée avec les traités d’Amsterdam et de Maastricht car ont été
affirmé que l’UE respectait les DF tels que garantis par la CEDH (article 6 TUE).

Le droit communautaire est resté longtemps silencieux sur toutes ces questions. C’est donc la CJCE
qui a pallié ses lacunes textuelles en s’appuyant notamment sur l’art 6§1. Elle a dégagé un certain

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nombre de droits procéduraux. Arrêt Johnston 1986 : le droit à un recours effectif a été élevé au
rang de PGDC en se référant à une directive (un de ses articles qui enjoignait aux états de mettre en
place un recours juridictionnel à la lumière des principes édictés par la CEDH).

En 1998, la CJCE a reconnu le droit à un procès équitable dans un délai raisonnable en s’inspirant
de la jurisprudence européenne, puis un droit à la PI.
Donc la CEDH telle qu’interprétée par la cour a constitué le socle commun des DF interprétés par la
cour en attendant la charte.

2nde étape : cap avec l’adoption de la Charte Communautaire des DF de l’UE. Cette CDF est
importante, car elle dote la communauté pour la 1ère fois d’un catalogue de DF, catalogue qui
constitue un enrichissement des droits et libertés reconnus par l’UE, parce que d’une part elle
renouvelle l’approche des DF, qu’elle structure de manière originale, et d’autre part elle innove en
consacrant des droits qui étaient jusque là énoncés dans des textes de manière éparse ou affirmé
seulement par la jurisprudence.
En outre, cette CDF ne procède pas seulement à une redite des droits consacrés, car elle consacre
des droits nouveaux, telle que la protection des consommateurs ou de l’environnement. Sur le plan
strictement processuel, tout un chapitre est consacré à la justice, dans lequel elle programme des
droits couverts également par la Convention, mais qui sont tout de même enrichis par le droit
communautaire, originaire ou dérivé. L’article 47 s’inspire des articles 6 et 13, auxquels il donne
une portée plus large. Le 1er alinéa pose le principe du droit de toute personne à un recours effectif.
La charte s’applique aux institutions communautaires et aux organes de l’UE. L’article 47 prévoit
un recours devant un tribunal alors que l’article 13 prévoit seulement un recours devant une
instance nationale (qui peut n’être qu’une AA). Le 2nd alinéa propose une version abrégée de
l’alinéa 1er avec cette différence que le droit à un juge impartial est garanti dans tous domaines
(civil ou pénal).

Le point essentiel, c’est que la Charte procède à une extension importante du champ du droit à un
juge impartial et indépendant en ne limitant pas cette exigence aux seules contestations sur des
droits et obligations à caractère civil et à toute accusation en matière pénale, puisqu’avec la Charte
on n’a pas ces limitations. A priori, le droit à un juge impartial est protégé dans tout domaine, ce qui
laisse une grande marge à la CJCE.

L’alinéa 2 de l’article 47 précise dans sa 2ème phrase que toute personne à droit de se faire conseiller,
défendre et représenter. La formule est à la fois plus large et moins précise que celle de l’article 6 :
elle ne se limite pas à la matière pénale mais ne mentionne pas la présence d’un avocat à titre de
conseil, sans l’exclure pour autant. Enfin, l’alinéa 3 de l’article 47 prévoit qu’une aide
juridictionnelle est accordée à ceux qui ne disposent pas de ressources suffisantes dès lors que cette
aide s’assure nécessairement pour assurer l’effectivité de l’accès à la justice.

Les droits de l’article 49 ne sont pas uniquement garantis dans le champ de la matière pénale au
sens strict, mais comprend toute les procédures répressives. Reprend les droits classiques de matière
pénale de légalité et non rétroactivité des textes en empruntant à l’article 6 de la Convention, mais
aussi à l’article 15 du Pacte. Il reprend également le principe de proportionnalité des peines.

Article 50 : nul ne peut être poursuivi et puni pénalement deux fois pour une même infraction. Le
droit garanti à le même sens que le droit correspondant à l’article 4 du protocole n°7 de la

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Convention EDH, mais son champ d’application est beaucoup plus large en ce qu’il fait référence
non seulement aux poursuites et condamnations à l’intérieur de la juridiction d’un même Etat, mais
à la poursuite des condamnations dans l’UE.

Cette Charte a désormais force contraignante avec l’adoption du traité de Lisbonne dont l’article 56
précise que la Charte à la même valeur juridique que les autres traités.

III. Articulation des sources européennes et conventionnelles

La CEDH peut être amenée lorsqu’elle est saisie par une personne invoquant le non respect de la
Convention à connaitre de certains actes communautaires sur lesquels les EP à la Convention se
seraient fondés. La Cour a donc à connaitre du droit communautaire.
2ème difficulté : tient à la réception de la Convention dans la jurisprudence de la CJCE.

A. La CEDH et le droit communautaire

Des interférences procédurales existent entre l’ordre juridique communautaire et le système de la


Convention EDH, puisque des recours mettant en cause directement ou indirectement la
conventionalité du droit communautaire peuvent être portés devant la CEDH.
Le recours dirigé contre la Communauté Européenne est considéré en tant que tel irrecevable dès
lors que celle-ci n’est pas partie à la Convention. Il s’agit d’une jurisprudence constante, marquée
par des affaires importantes, comme Comm. 10 juillet 1978, CFDT c./Communautés Européennes;
et Comm. 19 janveier 1989, Dufay c./Communautés Européennes

La Cour ne s’est pas prononcée sur la question de la recevabilité d’une requête relative à un acte
proprement communautaire et dirigé contre les EM et également parties à la Convention, pris
individuellement pour collectivement.

Ensuite, la cour ne s’est pas prononcée sur la question de la recevabilité d’une requête relative à un
acte proprement communautaire et dirigé contre les EM et parties à la convention pris
individuellement ou collectivement. Dans plusieurs arrêts (Société Guérin Auto c/ 15 états de l’UE
de juillet 2000, Senator Lines GMBH, Segi et gestoras pro amnistia de 2004), les requêtes ont été
déclaré irrecevables soit car le droit invoqué par le requérant n’était pas garanti par l’art 6 CEDH
soit par défaut de qualité de la victime. Mais la cour ne s’est pas prononcée sur sa compétence
personnelle : elle n’a pas écarté la possibilité d’un tel type de requête.
Arrêt Matthews c/ RU, 18 février 1999 : la cour évoque la responsabilité du RU conjointement avec
l’ensemble des autres états parties au traité de Maastricht dans une affaire où était en cause une
mesure nationale d’exécution prise sur le fondement du droit communautaire dérivé.
Mais la mis en jeu de la responsabilité de l’UE à travers la collectivité des EM était juridiquement
difficile à envisager car cela supposait de lever le voile de la PJ de la communauté.
Si une telle solution avait été retenue, elle aurait entraîné de fait une adhésion forcée de la
communauté à la convention. Donc tous les actes communautaires auraient pu être contrôlés par la
Cour EDH par le biais des recours c/ les EM.

La CEDH s’estime compétente pour connaitre des actes nationaux d’application du droit
communautaire car l’EM de la communauté n’agit pas ici en tant qu’organe de la communauté mais
exerce sa juridiction au sens de l’article 1er de la Convention. Par application de cet article, les EP à

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la Convention sont responsables de tous les actes ou omissions de leurs organes qui auraient violé la
Convention, que ces actes ou omissions interviennent en application du droit interne ou d’une
obligation internationale. Dans l’affaire Matthews c. RU, le juge européen a rappelé que la
Convention n’exclut pas le transfert de compétence à des organisations internationales pourvu que
les droits garantis par la Convention continuent d’y être reconnus. Un tel transfert ne fait pas
disparaitre la responsabilité des EP.
Avec l’affaire Matthews on a un exemple relatif au droit communautaire originaire, on a apprécié la
compatibilité de l’article 3 d’actes communautaires présentant un caractère constitutionnel.
Concernant le droit communautaire dérivé, dans l’affaire Cantoni c. France, on a apprécié la
compatibilité avec l’article 7 de la définition légale du médicament proposé par une directive
communautaire.

La Cour a posé une présomption d’équivalence dans la protection entre le système communautaire
et celle qui résulte de la Convention. Cette présomption, la Cour se réserve le droit de la renverser
que dans l’hypothèse d’une insuffisance manifeste de la protection communautaire.

En définitive, si l’action normative de la communauté n’échappe pas totalement au contrôle de la


Cour, il s’agit tout de même d’un contrôle qui s’effectue par ricochet, d’un contrôle indirect de la
conventionalité du droit communautaire.

B. Le juge communautaire et le droit conventionnel

La CEDH a été comme on l’a déjà vu la source principale de la protection communautaire des
DDH, ce qui s’explique par des raisons historiques et la volonté de la CJUE de contrôles les actes
d’application du droit communautaire.
Affaire du 15 juillet 1960, comptoir de vente du charbon de la Ruhr et 4 février 1959, Storck ont
affirmé cette position de la CJUE.
Il y a eu une méfiance des cours constitutionnelles italienne et allemande, signifiant leur volonté de
contrôler la constitutionnalité des normes communautaires au regard des DH garantis par leur
constitution nationale.

La cour a développé un corpus de DF à travers les PGD. Dans plusieurs arrêts, dont l’arrêt Nold du
14 mai 1974, la CJUE a affirmé qu’elle assurait le respect des DF qui sont compris dans les PG de
l’OJ communautaire.

La CJUE a puisé dans de nombreuses sources : droit interne des EM (traditions constitutionnelles
communes aux EM, instruments internationaux relatifs à la protection des DF auxquels les EM ont
adhéré ou coopéré, dont la CEDH,…
A compter de l’affaire Rutili, la CJUE a pris acte de ce que tous les EM de l’UE étaient aussi parties
à la CEDH en se référant expressément à la CEDH. Celle-ci est devenue la source matérielle
principale des DF.
Le passage par ces PGDC a permis d’affirmer un certain nombre de DF : le droit au juge dans
l’arrêt Johnston, le droit à un procès équitable dans un délai raisonnable dans l’arrêt
Baustahlgewebe et le droit à la PI dans l’arrêt Montecatini spa).

Ensuite le juge communautaire a appliqué directement le droit de la CEDH tel qu’interprété par la
cour et il y a eu une vraie appropriation de la CEDH par le juge communautaire.

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La CJUE s’est directement référé au droit au procès équitable au sens de l’art 6. Pour le délai
raisonnable, elle a directement pris en compte les critères du délai raisonnable dégagés par la Cour
EDH.

Par la suite, la référence aux PGD du droit communautaire est devenue plus informelle, parfois
l’application du droit de la Convention EDH telle qu’interprété par la Cour a été faite directement.
Appropriation de la Convention par le juge communautaire.
L’attitude de la CJCE n’est pas toujours uniforme. Il lui arrive de faire directement référence à la
Convention dans certains cas. Dans d’autres, elle revient à la référence de PGD. Mais il y a tout de
même une banalisation de l’usage du droit conventionnel par le juge communautaire. Il n’empêche
que cette source d’inspiration privilégiée n’est pas une source contraignante. D’une part, la
communauté n’est pas soumise en tant que telle au mécanisme de contrôle établi par la Convention,
et d’autre part la Convention ne s’applique qu’à travers le prisme du droit communautaire. Le juge
communautaire fait une application du droit conventionnel dans la logique communautaire. Cela
signifie que le respect des DF peut être aménagé en fonction des exigences propres du droit
communautaire. Affaire Nold : les DF doivent supporter certaines limites justifiées par des objectifs
d’IG poursuivis par la communauté.
Enfin, le juge communautaire, s’il s’inspire de la jurisprudence européenne, à tout loisir
d’interpréter de manière autonome le droit conventionnel, ce qui du coup peut générer des conflits
entre la jurisprudence communautaire et la jurisprudence européenne.

! Charte et Convention

En ce qui concerne la Charte et la Convention, dans la mesure où leurs champs se recoupent,


nécessairement leurs rapports doivent être aménagés, d’autant que si la Charte s’est nourrie de la
Convention, il y a tout de même des différences rédactionnelles, et au-delà de ça la nature
prétorienne du droit de la Convention fait aussi craindre des divergences d’interprétation.

La Charte a essayé d’aménager la coexistence entre les deux textes sur la base du respect de
l’acquis de la Convention tel qu’interprété par la Cour. Plus précisément, la Charte contient une
clause de renvoi. L’article 52§3 de la Charte dispose que dans la mesure où elle contient des droits
correspondants à des droits garantis par la Convention, leur sens et leur portée sont les mêmes que
ceux que leur confère la dite Convention.

Elle contient également une clause de non recul, ou cause de l’instrument de protection des droits le
plus favorable. L’article 53 contient cette clause qui stipule dans cet esprit que pour chacun des
droits reconnus, la Charte ne peut restreindre la protection du dit droit accordé par d’autres
instruments, dont la Convention. A l’inverse, on peut accorder une protection plus étendue.

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Chapitre 2 : Les droits procéduraux

On a, à travers les exigences du procès équitable sur le fondement de l’article 14 du Pacte ou bien
encore l’article 6 de la Convention, mais également de l’article 47 de la Charte contribué à une
modélisation du procès quel que soit le pays et le type de contentieux. Il convient maintenant de
caractériser ces droits procéduraux. Dominé par une notion-clé : celle du procès équitable.

Le concept d’équité est entendu objectivement. Cette référence à l’équité exprime essentiellement le
souci d’organiser un procès équilibré, loyal, qui offre toutes les garanties inhérentes à tout état de
droit. Cette expression de procès équitable, qui rassemble toutes les garanties fondamentales d’une
bonne justice est devenu le critère principal d’un état de droit et le vecteur d’un fonds commun
procédural qui s’impose à tous les Etats vu leur contentieux. Permet aussi d’apprécier la
proportionnalité des restrictions apportées par les Etats à l’exercice des droits substantiels garantis
par la Convention EDH. Le droit au procès équitable est devenu par ses interférences avec la
protection des droits substantiels la pierre angulaire des droits de la Convention. Se faisant,
l’autonomie acquise pas ce concept a permis d’aller au-delà des termes de la Convention en
affirmant des garanties implicites ou en faisant entrer des droits qui n’entraient pas nécessairement
dans le champ de la Convention.

S’inscrit dans le respect de normes fonctionnelles et institutionnelles nécessaires à une justice de


qualité. On s’est intéressé au-delà de l’extinction de l’instance à l’exécution des décisions avec
l’affirmation d’un droit à l’exécution des décisions de justice.

I. Le droit à un juge

Le droit d’accès à un tribunal est plus généralement le droit d’accès à un recours qui n’est pas
forcément juridictionnel. Droit pour toute personne physique ou morale, française ou étrangère
d’accéder à la justice pour y faire valoir ses droits.
L’accès à un juge est chronologiquement le droit essentiel, car s’il n’était pas consacré on ne
pourrait ni parler de bonne justice, ni même de procès équitable. Selon cette logique, ce droit a été
très rapidement consacré, car il est indispensable à la protection des DDH. C’est une conséquence
directe de la prééminence du droit qui implique un contrôle efficace de toute ingérence étatique
dans les droits des individus avec toutes les garanties offertes par le pouvoir judiciaire. Cependant,
la consécration d’un droit au juge n’a pas aplani toutes les difficultés.

A. La valeur de ce droit

La notion de droit au juge est assez imprécise, quoi que très importante, et on peut se demander si
d’abord on ne devrait pas faire une distinction avec certaines notions, comme le droit d’accès à un
tribunal et le droit à un recours, lequel peut ne pas être de nature juridictionnelle. Cette distinction
est d’ailleurs effectuée par de nombreux textes. Sur le plan international, le Pacte consacre
séparément le droit à un recours utile à 2§3 et le droit à un juge à l’article 14.
Le Pacte marque quand même sa préférence pour le recours juridictionnel en souhaitant que les
Etats développent les possibilités de recours juridictionnels. Le fait est que le comité des DDH de
l’ONU a une nette tendance à interpréter l’article 2 en liaison avec l’article 14 et ne semble pas lui
donner une portée autonome dès lors que le droit à un recours utile est subordonné à la constatation
d’une violation d’un droit substantiel du Pacte.

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Le droit au recours utile ne consacre pas un droit subjectif propre. Sur le plan européen, on retrouve
cette même distinction entre droit à un recours évoqué notamment à l’article 13 et le droit d’accès à
un tribunal, évoqué à l’article 6§1 de la Convention. La Cour a longtemps considéré que l’article 13
était absorbé par l’article 6§1, puis elle a reconnu son autonomie, et dans certains cas d’atteintes
grâce aux DDH, elle a même établi des constats de violation sur le fondement de l’article 13 plutôt
que de 6§1.

De son coté, la CJCE a très tôt consacré le droit à un recours juridictionnel, qu’il s’agisse du droit
pour toute personne d’accéder au juge interne pour assurer la mise en œuvre effective du droit
communautaire, ou qu’il s’agisse du droit de saisir le juge communautaire lui-même.
Plus précisément, l’article 47 évoque le droit à un recours effectif et le droit d’être entendu par un
tribunal établi par la loi.

En droit interne français, on distingue le droit à un recours administratif du droit à un recours


juridictionnel. Le Conseil Constitutionnel reconnait au droit à un recours administratif la portée
d’un droit fondamental à caractère constitutionnel, auquel il ne peut être dérogé que par une
révision de la Constitution. En ce qui concerne le droit à un recours juridictionnel, le Conseil
Constitutionnel lui reconnait également valeur constitutionnelle, mais il admet que des atteintes
puissent lui être portées par le législateur dès lors qu’elles ne sont pas substantielles.

Même aspiration ; offrir au justiciable la possibilité qu’il obtienne de l’Etat qu’il remplisse sa
mission d’organisation de la justice. Au-delà des droits de recours particuliers que constituent
notamment le droit à un tribunal établi par la loi, on envisagera plus globalement le droit au juge.

Ce droit à un juge en tant qu’instrument de protection effective des DDH a été consacré comme
fondamental par toutes les sources du droit processuel, mais la reconnaissance de ce caractère
fondamental ne l’a pas conduit à en faire un droit absolu.

1) L’affirmation du caractère fondamental du droit à un juge

Ce droit au juge est affirmé avec force par plusieurs textes internationaux. La source d’inspiration
1ère et commune à toutes les autres est la DUDH, qui dispose dans son article 8 que toute personne à
droit à un recours effectif devant les juridictions nationales compétentes contre les actes violant les
DF qui lui sont reconnus par la Constitution ou par la loi.

Dans le Pacte : toute personne à droit à ce que sa cause soit entendue par un tribunal. Ne constitue
pas un droit subjectif autonome ne ce qu’ile st subordonné à la constatation de la violation d’un
droit substantiel du Pacte. Cet article d’ailleurs ne figure pas parmi les dispositions auxquelles les
Etats ne peuvent déranger.
L’article 2§3 du Pacte évoque que les EP s’engagent à garantir que toute personne dont les droits et
libertés reconnus dans le présent Pacte auront été viols disposera d’un recours utile. C’est
l’affirmation d’un droit au recours qui n’est pas nécessairement juridictionnel.
En matière pénale, la reconnaissance d’un droit à un tribunal est renforcée. L’article 9§4 du Pacte
reconnait à toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention le droit d’introduire un
recours devant un tribunal afin qu’il statue sans délai sur la légalité de sa détention, et s’il juge la
détention illégale, qu’il ordonne sa libération.

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En plus de ce droit d’accès au tribunal aux fins de vérifier la mesure d’arrestation ou de détention,
le Pacte prévoit dans certaines hypothèses, notamment en cas d’arrestation ou de détention que
l’intéressé ait le droit d’être aussitôt traduit devant un membre de l’autorité judiciaire pour qu’il
exerce un contrôle juridictionnel de la mesure prise. Cet accès à un membre de l’autorité judiciaire
n’est prévu que dans certaines hypothèses prévues par le Pacte.

En ce qui concerne les sources européennes, à commencer par la Convention, elle consacre le droit
à un juge dans plusieurs textes : l’article 6§1 fait référence au droit qu’a toute personne à ce que sa
cause soit entendue. Si le droit d’accès à un tribunal n’est reconnu que de manière allusive par les
textes, la Cour EDH reconnait bien l’existence d’un droit au recours juridictionnel qu’elle fonde
justement sur cet article 6 grâce à une interprétation finaliste depuis l’arrêt Golder c. RU du 21
février 1975, dans la matière civile. La Cour a bien précisé qu’on ne reprendrait pas dans cet article
les détails de la procédure accordée aux parties s’il ne protégeait pas d’abord ce qui permettait seul
d’en bénéficier en réalité, c'est à dire l’accès au juge. « Les conditions d’équité et de célérité
n’offrent pas d’intérêt en l’absence de procès ». Toutes les garanties ne sont que des conséquences
du droit d’accès à un juge.

Au-delà de cette interprétation constructive, la solution se trouve fondée sur d’autres principes : la
prééminence du droit évoquée dans le préambule de la Convention, qui ne saurait être respectée
sans un droit d’accès au juge, l’inclusion du droit d’accès à un tribunal au sein de l’article 6 apparait
comme la condition nécessaire à la protection effective de l’individu au-delà de la Convention.
Cette invocation a permis à la Cour de combattre une interprétation restrictive de la Convention
pour déduire qu’en matière civile la prééminence du droit ne se conçoit pas sans l’accès à un
tribunal.

Autre principe invoqué : le principe de droit international qui prohibe le déni de justice en l’absence
de disposition expresse d’un droit au juge.

Le droit d’agir en justice est considéré comme un élément inhérent du droit à un procès équitable
énoncé à 6§1.
Deweer c. Belgique, 27 février 1980, qui vient affirmer le droit à un tribunal pour toute personne
contre laquelle est dirigée une accusation. Le fait est que la reconnaissance du caractère
fondamental du droit à un juge se trouve dans la matière renforcée par l’article 5§4, qui évoque le
droit pour toute personne privée de sa liberté d’introduire un recours devant un tribunal. Le texte est
suffisamment large pour s’appliquer à toute personne privée de liberté, quel que soit l’organe et
l’origine de la décision.

Le contrôle assuré porte également sur la légalité de la décision, et non sur l’opportunité. Là encore
les juges ont réussi à tordre le texte en interprétant de manière large la notion de légalité. Cet article
5§4 garanti en tout état de cause le droit à un recours, mais il s’agit d’un droit particulier, droit au
contrôle de la légalité de la décision.

L’article 13 énonce que toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la Convention ont
été violés à droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale. Cette disposition
énonce moins un droit subjectif qu’un mode de sauvegarde des droits consacrés par la Convention.
Elle présente en fait un caractère hybride et se raccroche plutôt au moyen de mettre en œuvres les
droits et libertés tout en reconnaissant un droit subjectif de nature particulière dont l’objet est

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d’obtenir la sanction des droits substantiels garantis par la Convention. Ce droit à un recours effectif
apparait comme complémentaire, en ce sens qu’il ne peut être invoqué qu’en relation avec un autre
droit reconnu par la Convention. L’objectif recherché est en fait d’instaurer un mécanisme de
contrôle national indépendamment du contrôle européen, qui permet de remédier à la source à une
violation de la Convention. Accessoire, car l’article 13 offre un droit de recours générique valant
pour toutes les atteintes à l’un des droits garantis par la Convention, mais ne garanti pas un droit
général de recours contre tout acte de l’autorité publique.
Cependant, cet article est devenu progressivement un droit autonome pour la Cour EDH. Tout
d’abord, si le droit au recours est la conséquence juridique d’un manquement à un des droits
protégés par la Convention, la Cour ne subordonne plus ce droit à la constatation de la violation
d’un droit substantiel de la Convention. Pour donner son effet utile à l’article 13, la Cour EDH a
jugé que le requérant pouvait se prévaloir de l’article 13 sans avoir nécessairement à établir une
violation d’un autre article de la Convention. Elle a plus précisément accepté de constater une
violation de l’article 13 lorsque celui-ci était invoqué en combinaison avec un autre article, qui il y
finalement violation ou non de cet article.
Concernant cet article 13, son champ d’application a suscité des difficultés dans le mesure où il peut
entrer en concurrence avec d’autres textes de nature équivalente, que ce soit l’article 5§1 ou 6§1.
Ces articles constituent une sorte de lex specialis par rapport à l’art 13 dont les garanties se trouvent
absorbées par elle. Si la cour constatait que l’art 6 n’avait pas été violé, elle considérait qu’il n’y
avait pas lieu d’examiner la procédure au regard de l’art13. Donc le droit au recours effectif était
devenu un droit subsidiaire dont la portée a été obérée par la théorie de l’absorption.

La cour a progressivement affirmé la pleine autonomie de l’art 13. Arrêt de revirement Kudla c/
Pologne, 26 octobre 2000 : elle décide d’examiner l’affaire sur le terrain de l’article 13 isolément
après avoir pourtant conclu à un manquement de l’état à son obligation d’assurer au requérant un
procès dans un délai raisonnable.
Selon la cour il garantit un recours devant une instance nationale permettant de se plaindre d’une
méconnaissance de 6§1. La cour a distingué entre la question de savoir si le requérant avait pu
obtenir un jugement dans un délai raisonnable dans une affaire donné au titre de 6§1 ; et la question
de savoir s’il disposait en droit interne d’un recours effectif pour se plaindre du non respect du délai
raisonnable.
Il n’y a alors plus absorption de la règle de l’article 13 par celle de l’article 6. Ce revirement repose
sur deux motifs :

- Le 1er fondé sur l’effectivité de l’exigence de célérité. L’article 13 renforce l’article 6 pour le
délai raisonnable car le droit de chacun à voir sa cause entendue dans un délai raisonnable
ne peut être que moins effectif s’il n’existe aucune possibilité de saisir d’abord une autorité
nationale des griefs tirés de la CEDH.
- Le 2nd est stratégique : si l’article 13 devait être interprété comme ne s’appliquant pas
comme un droit à un tribunal dans un délai raisonnable, les justiciables devraient soumettre
systématiquement à la Cour EDH. Cet article 13 garantit désormais à chacun un recours
effectif devant une instance nationale permettant de se plaindre d’une violation de
l’obligation de célérité inscrite à l’article 6.

Cette autonomie du droit au recours effectif a obligé chaque état à instaurer une voie de recours
spécifique permettant au justiciable de se plaindre de la durée de la procédure sauf à enfreindre
l’article 13. Cette jurisprudence a été confirmée dans un arrêt Lutz c/ France du 26 mars 2002 :

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France condamnée au motif que le recours devant le JA en responsabilité de l’état pour
fonctionnement défectueux des JA, ne constituait pas un recours effectif au sens de l’art 13
permettant de se plaindre de la durée excessive de la procédure administrative.
La France n’admettait la responsabilité de l’état pour fonctionnement défectueux qu’en cas de faute
lourde. Depuis cet arrêt, le Conseil d'Etat reconnaît le caractère effectif du recours en responsabilité
que jusque là il lui déniait.
Décret du 28 juillet 2005 : le Conseil d'Etat est compétent pour connaitre en 1er et dernier ressort
des actions contre l’état pour durée excessive.

En droit communautaire, le droit à un recours juridictionnel en tant que principe fondamental n’est
reconnu par aucun texte primaire du droit communautaire. C’est la CJCE qui dans l’arrêt Johnston a
affirmé le caractère fondamental du droit à un recours juridictionnel. Elle considère que le contrôle
juridictionnel constitue une garantie fondamentale, le droit au jugé étant inhérent à l’état de droit.
L’UE étant composé d’états de droit, elle est nécessairement une communauté de droit, dans
laquelle la protection juridictionnelle doit être effective.
Elle considère que toute personne à droit à un recours effectif devant une juridiction compétente et
l’Etat doit assurer cela sur le respect des dispositions applicables du droit communautaire.

Ce droit à un juge est à la fois le droit à un juge du droit communautaire devant les juridictions
nationales et le droit à un juge communautaire.

En droit interne, le droit d’accès au juge ne résulte d’aucune disposition expresse du droit français.
Il a cependant un caractère fondamental qui varie selon la matière civile ou pénale.
En matière civile, il n’existe pas de principe affirmant directement le droit à un juge (contrairement
à l’Allemagne ou l’Espagne). Le seul texte à y faire allusion est l’article 30 CPC définissant l’action
en justice.
Mais cela n’a jamais empêché de considérer ce droit comme fondamental. La constitutionnalisation
du droit au juge s’est opérée indirectement par la reconnaissance de la valeur constitutionnelle du
droit d’agir en justice.

Le Conseil Constitutionnel a consacré explicitement le droit fondamental au juge dans une décision
du 9 avril 1996 : il résulte de l’art 16 DDHC qu’en principe il ne doit pas être portée d’atteinte
substantielle au droit des personnes intéressées d’exercer un recours effectif devant une juridiction.
La cour de cassation a rendu plusieurs arrêts reconnaissant le caractère fondamental du droit
d’accès à un juge, notamment un arrêt du 30 juin 1995 rendu en AP. Elle souligne que l’exercice
effectif de la défense constituant un droit fondamental à caractère constitutionnel, exige que soit
assuré l’accès de chacun au juge chargé de statuer sur sa prétention.
Le Conseil d'Etat a reconnu que le droit d’agir en justice entrait dans la catégorie des garanties
fondamentales accordées au citoyen pour l’exercice des libertés publiques (arrêt Dame Lamotte,
1950). Il a ensuite reconnu au droit d’exercer un recours juridictionnel une valeur constitutionnelle
et évoque l’article 16 DDHC comme fondant le droit d’accès au juge.
Ce droit permet d’assurer l’efficacité de droits substantiels aujourd'hui. De nombreux textes
affirment sa valeur : loi du 29 juillet 1998 relative à la lutte contre les exclusions qui consacre
implicitement un droit fondamental d’accès à la justice (notamment par l’accès pour des SDF à
l’aide juridictionnelle).

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En matière pénale, la reconnaissance du droit à un juge est encore plus renforcée. Le noyau du droit
à un tribunal en matière pénale est le droit de voir toute accusation portée contre une personne
d’avoir commis une infraction pénale, jugée au fond par un tribunal. Le législateur l’a étendu en
amont du jugement et même de l’accusation, à certaines opérations de police ; et en aval de
l’accusation, en matière d’application de peine. Toutes les décisions du JAP peuvent faire l’objet
d’un appel soit devant le président de la chambre d’application des peines, soit devant la chambre
de l’application des peines des CA.

2) Les limites du droit d’accès au juge :

Le droit au juge est fondamental mais n’est pas pour autant absolu. Sur le plan international, il n’y a
que le comité des DH qui affirme que le droit d’être jugé par un tribunal indépendant et impartial
est absolu et ne souffre aucune exception (décision 28 octobre 1992, affaire Miguel Gonzalez c/
Pérou).

Sur le plan européen et interne, la Cour EDH et la CJUE considèrent que le droit au juge est relatif.
Dans l’arrêt Golder, la cour a admis que le droit d’accès à un tribunal appelle par sa nature une
règlementation de l’état et qu’il peut faire l’objet de limitations implicitement admises. Mais elles
ne doivent pas porter atteinte à la substance même du droit.
Arrêt Geouffre de la Pradelle c. France du 16 décembre 1992 : les limitations ne doivent pas
restreindre l’accès offert à l’individu d’une manière ou à un point tel que le droit s’en trouve atteint
dans sa substance même.
Le but poursuivi par la limitation doit être légitime. Le plus souvent c’est la bonne administration
de la justice. Il faut encore qu’il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens
employés et le but visé.

Ce mode de raisonnement est également celui de la CJUE et du Conseil Constitutionnel qui réfutent
le caractère absolu du droit d’accès en admettant au minimum des accommodements et
éventuellement des limitations. En droit constitutionnel, les limites sont admises dès lors qu’elles ne
sont pas substantielles. Au titre des accommodements, la CJUE, le Conseil Constitutionnel
n’exigent pas que toutes les procédures soient portées dès la 1ère instance devant une juridiction de
l’ordre juridictionnel et qu’il ne soit pas satisfait à 100% à toutes les exigences du procès équitable
devant ces organes dès lors que le justiciable dispose d’un recours de pleine juridiction devant un
organe judiciaire indépendant offrant toutes les garanties du procès équitable.

Il y a les limites résultant du caractère dérogeable par l’Etat Partie du droit d’accès à un tribunal.
L’article 2 du protocole n°7 énumère 3 cas dans lesquels les états peuvent limiter le droit à un
examen de l’affaire par une juridiction supérieure :

- Infractions mineures.
- Personne jugée en 1ère instance par la plus haute juridiction.
- Individu déclaré coupable et condamné à la suite d’un recours contre son acquittement.

Il existe d’autres limites :

- Limites résultant de techniques procédurales


- De la sanction de l’abus de droit

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- Des immunités
- De l’effectivité du droit au juge, son contenu

La Cour a toujours posé en principe que les états peuvent légitimement conditionner l’exercice du
droit à un juge dans l’intérêt même de la bonne administration de la justice. Ce droit peut ainsi être
limité par l’existence d’une prescription acquise (arrêt Stubbings c/ RU, 22 octobre 1996). Ou
encore les délais de forclusion constituent une limite au droit d’accès à un juge.

Civ 3ème, 20 mai 2009 : le délai de forclusion de l’action en rescision pour lésion qui court le majeur
protégé ne porte pas atteinte à son droit d’accès à un tribunal dès lors que son droit d’action peut
être exercé par l’intermédiaire de son représentant légal.

Ce droit peut encore être limité par l’existence de conditions restrictives quant à l’exercice de
l’action en justice ou de la recevabilité de la demande (intérêt et qualité à agir).
Ces limites sont parfois considérées comme attentatoires au droit au juge (question de l’introduction
d’action de groupe). L’état peut règlementer les conditions de recevabilité d’un recours en
instaurant des délais ou des conditions de forme. L’intérêt d’une bonne administration de la justice a
permis de légitimer les mécanismes de filtrage (procédure d’examen des chances de succès d’un
appel ou pourvoi en cassation).
La Cour EDH a admis que le législateur national puisse soumettre un recours à une autorisation
préalable pour éviter les recours dilatoires (arrêt Ashingdale).
Les déchéances des voies de recours ont été admises avec plus de réserves (jurisprudence sur
1009-1 CPC concernant le retrait du rôle de la cour de cassation d’une affaire).

! La déchéance des voies de recours, article 1009-1 CPC

Cet article organise ce qu’on appelle la procédure de radiation du rôle. C’est un article qui permet
au 1er Président de la Cour de Cassation de retirer du rôle le pourvoi formé contre l’arrêt de la CA
tant que celui-ci n’a pas été exécuté. La Cour EDH a considéré que ce type de restriction n’est pas
en soi contraire à l’article 6§1. Néanmoins son application ne doit pas conduire à vider de sa
substance le droit au recours. Notamment cet article qui évoque les conséquences manifestement
excessives entrainées par cette exécution qui doivent faire l’objet d’une appréciation par celui qui
décide ou non de retirer l’affaire du rôle. Par ex si l’arrêt est impossible à exécuter pour des raisons
financières, il ne faut pas retirer l’affaire du rôle.
Condamnation de la France : Annoni di Gussola contre France novembre 2000. Arrêt Venot 1999 et
Ferville de 1998 : dans cette décision, la Cour commence par considérer comme légitimes les buts
poursuivis par l’obligation d’exécuter une décision frappée d’un pourvoi en cassation, mais elle
considère que la mesure de radiation atteint dans sa substance même le droit au juge lorsqu’elle est
décidée alors que la situation financière des parties ne permet pas d’exécuter et donc entraine des
conséquences manifestement excessives. La Cour par la suite a précisé les critères de recherche
pour déterminer si la mesure de radiation constitue ou non une entrave au droit d’accès à la Cour de
Cassation dans l’affaire Bayle du 25 septembre 2003 : on a insisté sur la situation matérielle du
requérant, sur le montant des condamnations et l’effectivité de l’examen par le juge de ces
éléments d’appréciation.

! En matière pénale

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En ce qui concerne la matière pénale, la Cour EDH a eu l’occasion d’apprécier l’ancien article 583
du CPP, qui imposait à celui qui s’est pourvu en cassation de se constituer prisonnier la veille de
l’audience, faute de quoi il est déchu de son pourvoi. Elle a considéré que l’article imposait une
mesure disproportionnée avec l’objectif poursuivi. Il faut un juste équilibre entre le souci légitime
d’assurer l’exécution des décisions de justice et la préservation des droits de la défense et le droit
d’accès à un juge de cassation.
La cour a considéré qu’il s’agissait là d’atteintes sérieuses à la substance même du droit de recours,
puisqu’en définitive on oblige le prévenu à se constituer prisonnier en exécution d’une décision qui
est l’objet même du recours.
Affaire Poitrimol de 1993, Omar contre France 29 juillet 1998. Cet article a été abrogé.

Même raisonnement à propos de l’article 630 pour celui qui est condamné par contumace, ce qui
empêche son avocat de prendre la parole à l’audience.
Krombach contre France nous condamne. Loi de 2004 pour mettre le droit français en conformité
avec le droit conventionnel.

La Cour à l’inverse a estimé que l’article 575 qui subordonne le droit pour la partie civile pour
former un pourvoi en cassation contre un arrêt de la Chambre d’Accusation à l’exercice de cette
voie de recours par le Ministère Public ne porte pas atteinte à la substance même du droit du
justiciable d’accéder à un tribunal.

! L’abus de ce droit

L’exercice du droit au juge ne doit pas dégénérer en abus. La perte d’un procès ne constitue pas un
fait générateur de responsabilité du demandeur, mais celui-ci peut être sanctionné lorsqu’il a abusé
de son droit d’agir.
La Cour EDH avait admis que l’abus du droit d’agir en justice puisse être sanctionné par une
amende pour des exigences de bonne administration de la justice. Pas de prohibition dès lors que le
montant de l’amende en raison de sa faiblesse et de son caractère non automatique ne porte pas
atteinte à la substance même du droit d’accès à un tribunal. Il n’empêche que la CEDH a quand
même eu l’occasion de préciser dans l’affaire Dulaurans du 21 mars 2000 que l’amende civile ne
doit pas apparaitre disproportionnée au regard des circonstances de la cause, notamment lorsque le
juge a fait une erreur manifeste d’appréciation.

! Immunités et privilèges

Ils constituent des obstacles au sens qu’une demande intentée contre une personne couverte pas une
telle immunité est irrecevable. Si la Cour l’admet, c’est sous conditions : qu’elle poursuive un but
légitime et présente un caractère proportionné. Il faut distinguer les immunités et privilèges qui
trouvent leur origine dans le droit interne des Etats et ceux qui ont leur origine dans les règles du
droit international.

- Immunités de droit interne

La Cour EDH opte pour un contrôle assez restreint. Pour reconnaitre l’absence de violation de
l’article 6, la Commission et ensuite la Cour utilisent trois critères :

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o La spécificité de la fonction, de l’emploi couvert par l’immunité
o Le caractère limité de l’immunité, qui ne peut couvrir que certains actes
o L’existence d’une compensation à l’exonération de responsabilité

La règle de l’immunité parlementaire a toujours été considéré comme compatible avec l’art 6§1 par
la cour en raison de la légitimité du but poursuivi (protection de la liberté d’expression au
parlement), de la séparation des pouvoirs. La cour ne la considère pas comme une entrave
disproportionnée. Elle exerce quand même un contrôle de légitimité et de proportionnalité. Ce
dernier a permis de considérer comme disproportionnée l’immunité accordée à la police dans
l’affaire Haussman c/ RU de 1998. Elle a admis que la spécificité de la fonction de policier puisse
justifier une immunité mais qui ne peut pas être absolue et automatique. Le requérant devait
pouvoir obtenir réparation du préjudice subi.
Le plus souvent le contrôle de proportionnalité est absorbé par le contrôle de légitimité du but
poursuivi. Toutes les fois où la cour estime que le jeu de l’immunité est en adéquation avec
l’objectif poursuivi, elle déclare l’immunité justifiée et arrête son contrôle.
Arrêt Cordova a illustré cette démarche concernant l’immunité parlementaire : les actes litigieux
n’étaient pas liés à l’exercice des fonctions parlementaires stricto sensu. En l’espèce l’immunité
avait été détournée au profit d’un objectif illégitime. Comme le requérant ne disposait d’aucune
autre voie de recours pour protéger efficacement ses droits, la cour a considéré que l’immunité était
une entrave disproportionnée.

- Immunités de droit international

La compatibilité des règles organisant l’immunité des OI avec l’article 6§1 est illustrée par l’arrêt
Beer et Regan c/ Allemagne et Waite et Kennedy c/ Allemagne : la règle de l’immunité de
juridictions des OI est une limitation implicite du droit d’accès à un tribunal compatible avec
l’article 6 car cette limitation suit un but légitime mais au-delà, cette règle n’est pas compatible avec
l’article 6 que si les requérants disposent de voies de recours internes qui leur permettent de voir
protéger leurs droit garantis par la CEDH.

Il en va de même pour la règle de l’immunité de juridiction des états : la cour considère qu’elle ne
serait passée pour disproportionnée car elle reflète les principes de DI généralement reconnus, arrêt
Fogarty c. RU et McElhinney c. Irlande et Al-adsani c. RU du 21 novembre 2001. Le juge
européen renonce en la matière à l’exercice de son contrôle sur l’existence d’une voie de recours
alternative.
La justification tient à la nécessité d’observer le droit international, de favoriser les bonnes
relations entre Etats grâce au respect de la souveraineté de chacun. Cette position est peu
conciliable avec le droit d’accès au tribunal et le principe de prééminence du droit.

Les juridictions internes et notamment françaises sont beaucoup plus exigeantes que la Cour. La
cour de cassation a refusé de faire jouer l’immunité de juridiction d’un état dans un litige
concernant l’employé d’une ambassade n’ayant aucune responsabilité particulière. Elle a limité le
domaine de l’immunité de l’état étranger employeur aux actes participant à l’exercice de la
souveraineté de l’état et l’a exclut pour les actes de gestion administrative.
Arrêt 25 janvier 2005, la cour de cassation fait encore jouer la protection du salarié en admettant le
jeu de l’immunité qu’en présence d’une OI disposant d’un vrai tribunal interne dont les juges sont
indépendants et dont les décisions sont effectivement pourvues d’autorité.

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Dans cette affaire, l’OI invoquant l’immunité de juridiction, ne disposait pas à l’époque des faits
d’un tribunal ayant compétence pour statuer sur des litiges de cette nature. La cour de cassation a
considéré que l’impossibilité pour une partie d’accéder au juge chargé de se prononcer sur sa
prétention et d’exercer un droit relevant de l’OP international, constituait un déni de justice fondant
la compétence de la juridiction française dès lors qu’il existe un rattachement avec la France.

B. Le contenu de ce droit

Ce droit s’entend d’un droit d’accès effectif, qui suppose que le justiciable dispose d’une possibilité
claire et concrète de contester un acte constituant une ingérence dans ses droits. Ce faisant, les juges
européens ont fini par préciser que l’obligation d’assurer un droit d’accès effectif au juge constituait
une obligation positive indispensable à la bonne exécution par l’Etat de ses engagements
conventionnels.
La Cour fait preuve de pragmatisme en appréciant au cas par cas et en tenant compte des faits de
l’espèce le caractère effectif ou non de l’accès au juge, ce qui lui confère une marge de manœuvre
assez importante. Cette préoccupation d’effectivité n’est pas la seule préoccupation de la Cour
EDH. La CJCE a de son coté mis en évidence le rôle essentiel des mécanismes judiciaires nationaux
dans la mise en œuvre de la règle communautaire dans l’affaire Simmenthal du 9 mars 1978 : la
CJCE soulignait l’obligation de faire prévaloir l’effectivité de la norme communautaire qui pèse sur
le juge national en tant qu’organe d’un EM. Elle a même autorisé le juge national à s’affranchir des
contraintes du droit national. Bien entendu, les EM jouissent d’une autonome procédurale qui leur
permet de décider des voies de cours utilisables pour mettre en œuvre le droit communautaire, mais
ils sont soumis à quelques contraintes : doivent mettre en place des procédures qui ne sont pas
moins favorables que celles qui visent à la sauvegarde des droits fondés sur des dispositions
nationales, c’est ce qu’on appelle le principe du traitement égal. D’autre part, ils doivent instaurer
des procédures qui ne doivent pas être de nature à rendre pratiquement impossible ou
excessivement difficile l’exerce de ces droits que les juridictions nationales ont l’obligation de
sauvegarder. Concrètement, le droit d’accès à un juge se manifeste par le droit d’accès à un juge de
1ère instance, mais la question de savoir s’il se prolonge dans le droit à plusieurs juges
successivement dans le temps est également ouverte. Existe-t-il un droit à un ou plusieurs recours
contre une décision de justice dans le cadre du droit d’accès à un juge ?

1) L’accès effectif à un tribunal

Cet accès se concrétise dans l’élimination des obstacles que peuvent rencontrer les justiciables,
qu’il s’agisse d’obstacles de droit ou de fait. Cette élimination des obstacles s’effectue par
l’exercice d’un contrôle opéré par la Cour EDH, contrôle qui obéit à deux principes :

- Le principe de la légitimité du but poursuivi


- Le principe de proportionnalité

Avant d’apprécier cette élimination des obstacles, il faut regarder les outils de contrôle de
l’effectivité du droit d’accès à un juge.

a) Les outils de contrôle de l’effectivité

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Arrêt Ashingdane : la Cour EDH est venue préciser que si les Etats disposent d’une marge nationale
d’appréciation dans la réglementation du droit d’accès à un juge, ces limitations ne sauraient
restreindre l’accès à un juge d’une manière ou à un point tel que le droit s’en trouve atteint dans sa
substance même.
Pour qu’il n’y ait pas d’atteinte substantielle, il faut que les limitations poursuivent un but légitime
et qu’il existe un rapport de proportionnalité entre le but visé et les moyens employés pour
l’atteindre. A la condition de l’intangibilité de la substance du droit d’accès, la Cour ajoute
l’exigence d’un but légitime et l’exigence d’un rapport de proportionnalité. Une analyse de la
jurisprudence européenne révèle cependant que le contrôle des limitations du droit d’accès à un
juge s’effectue en réalité en deux temps :

- On contrôle d’abord la légitimité du but poursuivi


- On contrôle ensuite la proportionnalité

Ce dernier contrôle absorbe le contrôle de l’absence d’atteinte à la substance du droit d’accès à un


juge.

! Contrôle de la légitimité du but poursuivi

Le juge européen opère par référence aux exigences d’une bonne administration de la justice. Cette
notion est en réalité une norme balai qui souffre d’une relative indétermination. Son contrôle
soulève peu de difficultés dans la mesure où la CEDH le plus souvent se range aux éléments
avancés par le gouvernement.

Certains juges assimilent le contrôle opéré en matière de limitation implicite au droit d’accès à un
tribunal au contrôle des restrictions conventionnellement organisées dans les articles 8 et 11§2 de la
Convention. Autrement dit, lorsque la Cour contrôle le but de l’ingérence, elle vérifie si les motifs
invoqués par le gouvernement pour justifier la restriction correspondent aux motifs prévus par le
texte conventionnel, qui évoque la sécurité national, la défense de l’ordre etc. … . De même, la
Cour contrôle la situation au regard de l’objectif dans l’intérêt duquel l’exercice du droit est limité.
Autrement dit, l’examen du but légitime et de la nécessité de la mesure se font au regard de la
clause générale exigeant de sauvegarder et de promouvoir les valeurs d’une société démocratique.
Concrètement, la Cour va puiser parmi les valeurs fondamentales propres à une société
démocratique pour opérer son contrôle, ce qui du coup laisse une marge de manœuvre considérable
dans l’appréciation de ce que sont ces valeur fondamentales.

La plus fréquente est l’exigence d’une bonne administration de la justice, souvent invoquée comme
but légitime. Pris dans son sens large, la notion de bonne administration de la justice apparait
comme un objectif à atteindre et recouvre en fait l’ensemble des critères que doit remplir la justice
pour être bien administrée. Puisant son contenu dans les valeurs fondamentales de toute société
démocratique, chacun s’accorde à considérer qu’une justice bien administrée est une justice
accessible, impartiale et efficace.

Pris dans son sens étroit, la bonne administration de la justice est envisagée comme une finalité qui
servirait l’emploi de moyens techniques appropriés. Dans ce cas, cette notion va servir de notion à
une technique juridiquement, et c’est en considération en fait des nécessités que les Etats procèdent
à un aménagement des règles juridiques.

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Il y a une ambivalence dans cette notion, qui est à la fois ambitieuse, visant un idéal de justice à
atteindre, pertinente, équitable, rapide, et une notion fonction. Le principe de bonne administration
de la justice devient alors un instrument de mesure de la normalité qui va être apprécié a posteriori à
la lumière des circonstances de chaque espèce. C’est une notion fonctionnelle qui va servir à
justifier un certain nombre d’entorses aux principes traditionnels.

La Cour EDH considère que les limites dictées par les nécessités d’une bonne administration de la
justice relèvent de la marge d’appréciation des Etats. Ce sont parfois des circonstances particulières
qui vont légitimer les restrictions au droit d’accès à un juge.

On peut citer Lightgow c. RU du 8 juillet 1986 : dans cette affaire, les requérants alléguaient une
atteinte au droit d’accès car ils ne pouvaient saisir directement les tribunaux. A la suite d’une
nationalisation, on avait institué un système collectif de règlement des litiges. La Cour EDH a
considéré que cette loi visait à éviter dans le contexte d’une mesure de nationalisation de grande
envergure une provision de demandes et d’instances introduites par tel ou tel actionnaire. Autrement
dit, la Cour a validé cette restriction pour des raisons particulières qui tenaient à l’adoption d’une
mesure de nationalisation qui ne portait pas atteinte à la substance du droit d’accès.
Dans d’autres cas, c’est la nécessité de protéger certaines catégories de personnes dans l’intérêt
d’une bonne administration de la justice : c’est le cas des majeurs incapables et des mineurs. De
manière plus générale, la Cour admet que la réglementation relative aux conditions de recevabilité
d’un recours vise à assurer une bonne administration de la justice. On a ainsi vu valider les
réglementations relatives à un délai pour introduire les instances, celles imposant un certain
formalisme … Dès lors que les motifs sont justifiés, souvent par le fait d’éviter des recours
dilatatoires ou abusifs ou dans le fait de désengorger les tribunaux, il n’y a pas de souci.

Dès lors que la Cour estime que les buts légitimes sont poursuivis, elle ne leur confère pas un brevet
de conventionalité. Il reste encore à opérer une confrontation entre la légitimé du but poursuivi et
les moyens adoptés pour y parvenir, ce qui donne lieu au 2nd contrôle, celui de proportionnalité.

! Contrôle de la proportionnalité

Cette idée se retrouve par ex à 15§1, 8 et 11§2 de la Convention EDH. La jurisprudence européenne
a étendu cette exigence de proportionnalité à tous les secteurs conventionnels, y compris en matière
de contrôle de restriction au droit d’accès à un juge. C’est là encore dans l’arrêt Ashingdane contre
Royaume-Uni du 28 mai 1985 que la Cour a soumis les restrictions à l’exigence d’une
proportionnalité.
Ce principe sert d’une part comme outil de vérification de l’absence d’atteinte à la substance même
du droit d’accès à un juge.
Le principe d’intangibilité est en principe distinct de la proportionnalité, mais parfois ils se
recoupent : si toute limitation disproportionnée d’un droit fondamental ne constitue pas
nécessairement une atteinte à sa substance, toute atteinte à la substance d’un droit fondamental, elle,
est nécessairement disproportionnée.
D’autre part, le principe de proportionnalité sert d’outil de vérification dans le contrôle du respect
de la marge nationale d’appréciation. Cela permet à la Cour de vérifier que l’Etat, en limitant le
droit d’accès au juge, n’a pas outrepassé sa marge d’appréciation. Pour se faire, la Cour utilise deux
méthodes : elle recherche d’abord s’il existe une juste proportion entre les moyens employés et le

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but visé, et elle apprécie ensuite s’il existe un juste équilibre entre l’intérêt individuel et l’intérêt
général. Conditionné par l’ampleur de la marge d’appréciation de l’Etat : si la Cour reconnait que
l’Etat dispose dans certaines hypothèses d’une marge d’appréciation plus grande, elle va auto
limiter son contrôle. La Cour reconnait que la marge d’appréciation laissée à chaque Etat varie en
fonction de différents paramètres.
Le 1er, le plus fréquent est celui de l’absence ou de la présence d’un dénominateur commun aux
systèmes juridiques nationaux. Par ex, dans l’affaire Stubbings et autres contre Royaume Uni du 22
octobre 1996, où on avait à connaitre du délai de prescription.

b) L’élimination des obstacles

Il faut éliminer des obstacles de fait, qui tiennent pour l’essentiel à prendre en compte la réalité
économique du procès, en réduisant ou supprimant le cout du procès pour les justiciables les plus
démunis, mais au-delà toutes les fois où un individu est mis matériellement dans l’impossibilité
d’exercer son droit, on va considérer que l’accès au juge est purement et simplement fermé. A coté,
il y a des obstacles de droit, c'est à dire tous les instruments juridiques qui entravent l’accès à la
justice.

! Les obstacles de fait

On compte évidemment les obstacles financiers, et plus précisément les faits liés à la procédure, car
tout procès présente un cout qui s’il est excessif peut conduire le justiciable à renoncer à son droit
d’agir en justice. A ce titre, on a reconnu comme étant des entraves disproportionnées un certain
nombre d’obstacle, par ex le fait d’avoir à payer des frais de procédure excessifs au regard de la
capacité d’un requérant à les payer a été jugé comme disproportionné dans l’affaire Kreuz c.
Pologne du 19 juin 2001 : les frais de justice représentaient dans cette affaire l’équivalent du salaire
annuel moyen, ce qui rendait impossible au requérant l’accès à un juge.
On a également sanctionné le faire d’avoir à effectuer une consignation pour constitution de partie
civile dans l’affaire Ait-Mouhoub de 1998, car cette consignation était excessive dans son montant
par rapport aux capacités financières du requérant.
Le fait de condamner un plaideur débité de sa demande en diffamation à payer les frais des
demandeurs qui étaient fixés à une somme conséquente et assortis d’un taux d’intérêt élevé a
également été considéré comme une entrave disproportionné dans l’affaire Pordea du 16 mars
1999.
Pour autant, toute restriction financière n’est pas illégitime et peut être justifiée aux fins d’une
bonne administration de la justice. Dans un arrêt du 30 juin 2009, la CEDH a ainsi déclarée
irrecevable une requête qui contestait la conventionalité d’une obligation de consigner
préalablement à la contestation du procès-verbal de constatation de l’infraction la somme due au
titre d’un excès de vitesse constaté par un radar automatique. La Cour a estimé que la
réglementation relative aux formes à respecter avant d’introduire un recours visait à assurer une
bonne administration de la justice. Concrètement, cela permettait de prévenir l’exercice de recours
dilatoires ou abusifs, et permettait d’éviter l’encombrement excessif des tribunaux de police. Par
ailleurs, la Cour avait estimé dans cette affaire qu’il n’était pas démontré que le requérant était
insolvable et qu’il ne pouvait pas acquitter cette consignation.

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De manière plus positive, cela a conduit à exiger des Etats qu’ils pallient à l’insuffisance des
moyens financiers de certains justiciables en organisant un système d’aide juridictionnelle pour
éviter que la situation financière ne constitue une entrave à l’accès au juge.
Ce droit à l’AJ a été pleinement consacré par le droit communautaire par une directive de 27 janvier
2003. Depuis, elle a fait l’objet d’une intégration dans le CPC. Au-delà, on a la Charte des DF qui
énonce clairement qu’une aide juridictionnelle doit être accordée à ceux qui ne disposent pas de
ressources suffisantes dès lors qu’elle est nécessaire pour assurer l’effectivité de l’accès à la justice.

En droit interne, le droit à l’AJ est fondé sur l’idée de solidarité, qui doit également être financière
et qui justifie l’instauration d’une telle aide. Pour la Cour EDH, la question de l’AJ se présente
différemment selon que le litige ressort de la matière civile ou pénale. En ce qui concerne la matière
pénale, il s’agit d’un droit conventionnellement garanti, même si soumis à condition. L’AJ gratuite
est garantie à l’article 6§3 de la Convention : tout accusé a droit à pouvoir être assisté gratuitement
par un avocat d’office lorsque les intérêts de la justice l’exigent. Ce texte se fonde sur les moyens
de l’accusé. L’assistance n’est de plus accordée que si les intérêts de la justice l’exigent. Par ex la
gravité de l’infraction, la sévérité de l’infraction ou bien encore la sévérité de l’affaire.
En matière civile, le droit à l’AJ n’est pas expressément consacrée, et la Cour ne déduit du droit en
matière pénal aucun droit à l’AJ en matière civile. Au contraire, dans ses 1ères décisions, elle a eu
l’occasion de préciser que la Convection ne comporte aucune clause relative à l’AJ en matière civile
et qu’on ne peut déduire de l’art 6§1 ni un droit inconditionnel d’obtenir une AJ gratuite de l’Etat en
matière civile, ni un droit à une procédure gratuite. Affaires Airey et Kreuz.
Néanmoins, la Cour a consacré l’obligation pour les Etats sous certaines conditions d’organiser un
système d’AJ afin que soit assurée l’effectivité du droit d’accès à un juge.

L’impose dans 2 hypothèses :

- Lorsque la complexité de la procédure ou de la cause rend l’assistance indispensable


- Lorsque la loi prescrit la représentation d’un avocat

Le droit à une aide ne se traduit pas forcément par l’octroi d’une aide financière, l’Etat garde le
choix des moyens. Cela peut résulter soit d’une assistance gratuite d’un avocat commis d’office,
soit d’une simplification de la procédure avec la suppression de la représentation obligatoire. Par
ailleurs, au fil de sa jurisprudence la Cour EDH a reconnu aux Etats la possibilité de conditionner
l’octroi de l’aide financière soit en instaurant un plafond de ressource pour bénéficier de l’AJ, soit
en instaurant une possibilité de filtrage des demandes, dès lors que ces conditions ne portent pas
atteinte à la substance même du droit au juge. C’est ainsi que la Cour EDH a admis le refus
d’accorder l’aide dans une procédure avec représentation obligatoire dès lors que la prétention ne
paraissait pas sérieuse, affaire Aerts c. Belgique, 30 juillet 1998. Elle a adopté la même solution
dans une affaire dans laquelle on invoquait le défaut de moyen de cassation sérieux, d’abord dans
une procédure sans représentation obligatoire, en soulignant que le rejet n’empêchait pas ipso facto
la poursuite du pourvoi : affaire Gnahoré c. France, 19 septembre 2000 et dans une affaire où la
représentation était obligatoire : Del Sol c. France de 2002.
La Cour admet que la sélection n’est pas en soi contraire à 6§1, néanmoins il faut que ce système
offre des garanties substantielles de nature à préserver les justiciables de tout arbitraire. Par ex la
possibilité d’un recours contre la décision de rejet d’accorder l’aide, ou le fait que la présidence du
bureau de recours soit assurée par un magistrat indépendant, etc. ….

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! Les obstacles de droit

o Défaut de clarté de la règle de droit

On peut ranger dans une 1ère catégorie tous les obstacles liés aux défauts de prévisibilité ou de clarté
de la règle, en ce qu’ils constituent une barrière à l’accès au droit, et par ricochet à l’accès à un juge.
C’est ainsi que la Cour considère que constitue une entrave à l’accès à un juge un texte législatif qui
s’avère insuffisamment clair pour permettre à un individu de prendre connaissance de ses
possibilités de recours. Affaire Bellet c. France 4 décembre 1995. Dans cette affaire, la Cour de
Cassation avait rejeté faute d’intérêt à agir l’action des personnes hémophiles contaminées par le
VIH pour obtenir réparation de leur préjudice au motif qu’elles avaient été indemnisées par le fond
d’indemnisation. Le Conseil d'Etat avait adopté une position contraire à celle de la Cour de
Cassation, qui avait tout de même maintenu sa jurisprudence avant de s’incliner. Elle a admis que
les personnes qui avaient accepté une offre d’indemnité du fonds n’avaient pas été mises en mesure
d’apprécier la portée de leur acceptation quant à leur droit à agir contre le tiers responsable.
Le législateur a fini par prendre en compte cette jurisprudence et s’est montré plus prudent
ultérieurement, notamment dans l’affaire de l’amiante. Dans la loi du 23 décembre 2000 qui crée le
fonds d’indemnisation, il est clairement énoncé que l’acceptation de l’offre du fonds vaut
renonciation à toute action en réparation.

Ce critère de clarté a également été invoqué à propos de la difficulté pour le justiciable de


comprendre clairement s’il dispose ou non d’une voie de recours. L’accès au juge suppose la
possibilité claire et concrète pour un individu de contester un acte constituant une ingérence dans
ses droits.
Arrêt Geouffre de la Pradelle c. France : la Cour a assimilé à l’atteinte à la substance le régime de
computation des délais de recours contre les décisions de classement des sites en s’appuyant sur
l’extrême complexité du droit résultant d’une part de la multiplicité des modes de publicité que
prévoit la législation de protection des sites et de la jurisprudence concernant le classement des
décisions administratives. Pour la Cour, le système était tellement complexe et peu cohérent qu’il ne
permettait pas au requérant d’exercer correctement son recours.

A ces obstacles provenant de la procédure mise en place par le législateur, il faut étendre le propos :
on sanctionne parfois des lois peu claires, mais aussi des interprétations jurisprudentielles qui sont
peu arrangeantes.
Par exemple, dans une affaire du 13 octobre 2009, Ferré Gisbert c. Espagne, la Cour EDH a
considéré que la réglementation relative aux formalités et aux délais à respecter pour former un
recours était légitime et claire, mais l’interprétation que les tribunaux faisaient des textes conduisait
à imposer une charge disproportionnée et rompait l’équilibre entre le souci légitime d’assurer le
respect des conditions formelles et le droit d’accès, en l’occurrence au juge constitutionnel.

o Obstacles tirés du fond du droit

A ces obstacles s’ajoutent les obstacles juridiques tirés du fond du droit. C’est ainsi que la condition
relative à la personnalité juridique peut être considérée comme une entrave au libre accès à la
justice. Le juge européen a eu l’occasion à plusieurs reprises de sanctionner les règles procédurales
empêchant certains sujets de droit d’agir en justice.

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Dans un arrêt du 16 décembre 1997, Eglise Catholique c. Grèce, la Cour a sanctionné le refus de
reconnaitre la personnalité à une Eglise catholique grecque dès lors que ce refus mettait l’Eglise
dans l’impossibilité d’agir en justice et de faire trancher par un juge le litige qui l’opposait au
gouvernement grec relativement au droit de propriété.

Arrêt 15 janvier 2009, Ligue du Monde islamique et OM du secours islamique contre France : arrêt
important. Dans cette affaire, on a considéré que la soumission d’une association étrangère à la
déclaration préalable de l’article 5 de la loi de 1901 portait atteinte à la substance même du droit
d’accès à un juge et violait l’article 6§1, puisqu’elle aboutit de fait à priver les associations
étrangères n’ayant pas d’activité dans notre pays de la capacité d’agir.

On peut également citer les initiatives législatives et les comportements fautifs des auxiliaires de
justice. Dans cette hypothèse, les Etats, qui sont responsables de l’activité des auxiliaires de justice
ne doivent pas se contenter en cas de défaillance de ces derniers de mettre en place des actions en
responsabilité, mais également mettre en œuvres les moyens nécessaires pour remédier aux
conséquences concrètes de cette défaillance lorsqu’elle empêche un justiciable d’accéder à un juge.

Pour l’hypothèse des initiatives législatives, il s’agit des lois de validation, que la Cour EDH ne
condamne pas en leur principe, mais qu’elle soumet à des conditions strictes pour admettre leur
conformité à la Convention. Il y a plusieurs décisions en la matière qui concernent la France. Le
contrôle européen a commencé par les lois de validation, il a ensuite été étendu aux lois rétroactives
ainsi qu’aux lois interprétatives. L’article 6 ne prohibe pas l’intervention du législateur dans le cours
d’une procédure juridictionnelle à laquelle il serait partie, mais il soumet cette ingérence à plusieurs
conditions, qui tiennent au caractère non définitif de la procédure juridictionnelle, à l’exigence de la
proportionnalité de l’atteinte au droit d’accès à un tribunal, et à l’exigence d’un impérieux motif
d’IG.

Concernant les lois interprétatives, décision Le Carpentier et autres de 2006 : des emprunteurs
avaient engagé une action contre leur banque pour les voir déchu de leur droit à intérêt pour ne pas
avoir respecté l’obligation d’indiquer un échéancier des amortissements dans le prêt. Entre la
décision de 1ère instance et celle d’appel, une loi intervient pour régulariser toutes les offres de prêt
déclarées irrégulières. La Cour EDH a considéré cette intervention injustifiée notamment au regard
de l’exigence d’un impérieux motif d’IG. L’invocation d’un intérêt financier est rarement retenue
par la cour.
Arrêts Cabourdin, Vezon, Saint Adam et Millot : l’intervention du législateur dans les litiges, en ce
qu’elle réglait définitivement de manière rétroactive le fond du litige n’était pas justifiée par
d‘impérieux motifs d’IG et constituait une violation du droit au procès équitable.
Un simple motif financier ne constitue pas un impérieux motif d’IG.

Cette jurisprudence a fortement influé les jurisprudences internes, qui ont renforcé leur contrôle sur
l’impérieux motif d’IG, même si la Cour de Cassation reste plus souple.

La question s’était posée de savoir si l’application de l’article 6 ne valait que pour les procédures où
l’Etat était partie ou non. L’arrêt Cabourdin tranche la question : l’ingérence du législateur dans une
procédure en cours doit être compatible avec l‘article 6, qu’il s‘agisse de litiges auxquels l’Etat est
partie ou qu’il s’agisse de litiges entre particuliers.

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2) L’accès successif à un tribunal

S’il est admis que le droit au juge se concrétise naturellement dans le droit d’action et se prolonge
dans le droit au jugement, en ce que le jugement constitue l’aboutissement de l’action, la question
de savoir s’il se prolonge dans le droit à un 2nd juge est plus discutée. Cette question de l’intégration
du droit à une voie de recours dans le droit d’accès à un juge se dédouble selon qu’il s’agit du droit
d’appel ou du droit à un pourvoi en cassation.

Si on considère que les voies de recours visent à sanctionner les irrégularités dans la procédure ou à
réformer une solution sur le fond qui résulte soit d’une mauvaise application de la loi, soit d’une
appréciation erronée des faits, on devrait considérer que le droit à un recours est une garantie
évidente de bonne justice.
Pour autant, la tendance générale n’est pas en ce sens. Sur le plan international et européen le droit
au recours ne figure par parmi les exigences fondamentales, sauf en matière pénale, où il est
consacré par le Pacte International des Droits Civils et Politiques et par le protocole n°7 à la
Convention.
En matière civile, on a une recommandation du Conseil des Ministres de 1995 qui recommande que
toute décision rendue par un tribunal intérieur soit soumise au contrôle d’un tribunal supérieur et
qu’un recours devant une troisième juridiction soit réservé aux affaires contribuant au
développement et à l’uniformisation de l’interprétation de la loi, ou souvent une question
d’importance générale.

Le fait est que cette recommandation n’a aucune valeur contraignante, et que les Etats se voient
reconnaitre la possibilité de restreindre un recours.
Sur le plan interne, le droit à un recours de nature juridictionnelle semble revêtir un caractère
fondamental pour la jurisprudence judiciaire à travers la théorie des recours nullité. Au terme de
cette théorie, la jurisprudence considère que lorsque la loi a expressément supprimé un recours en
matière civile, il faut tout de même admettre l’existence d’un recours nullité autonome en présence
d’un excès de pouvoir du juge. D’autre part, il résulte des textes que le droit fondamental du recours
de nature juridictionnelle est pleinement consacré par l’ouverture d’un pourvoi en cassation, même
lorsque la loi ne l’a pas spécialement envisagé, ce qui fait que malgré la prohibition ou le différé
d’un recours, la jurisprudence ouvre aussi bien l’appel que le pourvoi, faisant ainsi du droit au
recours de nature juridictionnel un véritable droit fondamental.

! Droit à un juge d’appel

Le double degré de juridiction a soulevé beaucoup de discussions, notamment à l’occasion du projet


du possible abandon de l’effet suspensif de l’appel. A cette occasion, certains ont soutenu que
l’accès des personnes au juge est mieux protégé par un jugement de 1ère instance exécutoire, alors
que d’autres ont estimé que le droit de se préserver d’un mal-jugé devait être protégé par l’effet
suspensif attaché à ce recours. Le débat a été clos par l’abandon du projet de rendre l’exécution
immédiate, ce qui montre un attachement à un double degré de juridiction.

Nuance entre la matière pénale et civile. En matière civile, la Cour EDH a eu l’occasion de préciser
que l’article 6§1 concerne d’abord les juridictions de 1ère instance et ne requiert pas l’existence de
juridictions supérieures : affaire De cubber + arrêt Delcourt c. Belgique du 17 janvier 1970 : on
reconnait aux Etats une totale liberté en la matière, la Cour ayant précisé que rien ne leur imposait

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d’instituer des voies de recours. Autrement dit, pour la Cour, le fait que l’accès à un tribunal
remplissant les garanties du texte conventionnel soit satisfait en 1ère instance suffit à remplir les
exigences du droit à un tribunal et à assurer la protection juridictionnelle du justiciable. La Cour a
également reconnu qu’avec la mise en place de voies de recours, l’Etat peut soumettre leur exercice
à des conditions. L’Etat dispose d’une marge d’appréciation pour le droit d’accès à des voies de
recours.

Néanmoins, la CEDH a précisé que l’Etat qui se dote de juridictions de cette nature à l’obligation
de veiller à ce que les justiciables jouissent auprès d’elle des garanties fondamentales de l’article
6§1 : autrement dit, dès lors qu’existent des voies de recours, 6§1 est applicable à la procédure en
appel comme en cassation.

En outre, la marge d’appréciation reconnue à l’Etat pour encadrer l’exercice des voies de recours
n’est pas sans limite, elle donne lieu à un contrôle européen, qui va vérifier que l’accès ouvert au
juge d’appel ou au juge de cassation n’est pas restreint à un point tel que le droit à ce juge est atteint
dans sa substance même.
Cependant, ce contrôle européen prend en compte les particularités des procédures d’appel et de
cassation, ce qui l’a conduit à exercer en réalité un contrôle moins strict que celui concernant
l’accès à un 1er juge. Comment expliquer cette solution ? Par des raisons pragmatiques : la Cour ne
peut pas, obliger les Etats à offrir aux justiciables le système le plus performant compte tenu des
moyens matériels limités dont certains disposent. L’organisation de alinéa justice doit réaliser une
conciliation entre les attentes légitimes des justiciables et les ressources de l’Etat avec les exigences
du procès équitable.
Actuellement, il semblerait que le droit à un 2nd juge ne constitue pas encore une atteinte légitime
du justiciable pour la Cour EDH, ce qui ne veut pas dire que cela ne changera pas. La Cour pourrait
tout à fait trouver dans le texte même de l’article 6§1 un fondement à un droit au recours par
référence à une interprétation avant-gardiste de la notion d’équité du procès, comme cela a été fait
pour l’égalité des armes ou le droit à la motivation.

En droit interne, la question de la valeur du double degré de juridiction a également soulevé des
interrogations.

! Droit à un juge de cassation

On raisonne de la même manière que par rapport au droit d’appel, on appréhende le droit
d’introduire un pourvoi en cassation différemment selon qu’il s’agit de la matière civile ou de la
matière pénale. En matière civile, on l’a vu dès l’introduction, le droit d’introduire un pourvoi en
cassation ne figure pas au nombre des droits reconnus par le texte de la convention. Néanmoins, la
recommandation du conseil des ministres, du conseil de l’Europe de 1995, envisageait la possibilité
d’un contrôle juridictionnel devant un troisième juge qui statuerait en droit pour vérifier la
conformité des jugements à la règle de droit.

Quel est le sens de la jurisprudence européenne ? Relativement au pourvoi en cassation on note


deux tendances contraires de la Cour Européenne. Il apparait tout d’abord que toutes les fois où la
Cour a eu à connaître de la procédure suivie devant une Cour Suprême, elle a admis des restrictions
au droit d’accès au juge de cassation qu’elle n’aurait jamais accepté pour d’autres juridictions.

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Autrement dit, elle tient compte du particularisme, de la spécificité du rôle des cours de cassation
pour justifier des limites à l’accès à ce juge.

Prenant en compte à la fois les nécessités d’une réglementation stricte et la marge d’appréciation de
l’Etat pour réglementer le droit au pourvoi, la Cour Européenne estime de manière générale que
l’article 6§1 ne s’oppose pas à une réglementation de l’accès des justiciables à la Cour de cassation.

C’est dans cet esprit qu’elle a admis le monopole de la prise de parole pour les affaires plaidées
devant la Cour de Cassation et le Conseil d’Etat. De même qu’elle a accepté que la procédure suivie
du jugement de la Cour de Cassation soit plus formaliste. La spécificité du rôle de la Cour de
cassation autorise par principe des limitations plus larges au droit d’accès à cette voie de recours
extraordinaire et justifie un contrôle européen plus souple.

Mais, la Cour européenne a posé des limites aux restrictions admissibles. La cour s’assure que les
restrictions du droit d’accès au recours ne constituent pas une entrave disproportionnée au droit
d’accès au juge. Ce n’est pas parce que le droit au recours en cassation n’est pas fondamental qu’il
ne bénéficie pas de la garantie de 6§1. La Cour considère que lorsque les systèmes juridiques
nationaux prévoient le pourvoi en cassation ou des voies de recours, celles-ci doivent être
organisées de manière telle qu’elles soient effectives. Par conséquent, toute restriction qui porterait
atteinte à la substance même du droit d’accès au tribunal, ne sont pas tolérables.

Radiation du rôle de l’article 1009-1 du CPC. La question s’est posée à la CEDH de savoir si cette
procédure était compatible avec le droit d’accès au juge. La Cour européenne a estimé légitime le
but poursuivi par cette procédure de radiation du rôle. Il est dans l’intérêt d’une bonne
administration de la justice de veiller à assurer l’exécution des décisions de justice. Par conséquent,
la procédure n’est pas en elle-même contraire à l’article 6§1. Mais la CEDH s’est octroyée le
pouvoir de contrôler l’application qui est faite de cet article 1009-1, elle vérifie concrètement que la
radiation du rôle du pourvoi, n’est pas disproportionnée au but recherché. Arrêt Bayle c/ France :
dans cette décision la Cour commence par affirmer que le droit à un tribunal se prête à des
limitations notamment quant aux conditions de recevabilité d’un recours. Elle reconnait que l’Etat
dispose en la matière d’une certaine marge d’appréciation, puis ensuite la Cour se livre à la
vérification concrète, et considère que dans l’affaire qui lui a été soumise, la radiation du rôle
constitue une mesure disproportionnée au regard du but visé. Elle constate une entrave à l’accès
effectif du justiciable à la Cour de cassation. La radiation du rôle du pourvoi peut constituer une
atteinte au droit d’accès au juge de cassation s’il est démontré que cette mesure constitue une
atteinte disproportionnée en raison des conséquences manifestement excessives entrainées par
l’exigence de l’exécution de la décision. Pour savoir quels sont les critères utilisés par la Cour pour
caractériser l’entrave disproportionnée il faut se référer à toute une autre série d’arrêt concernant la
France : Annoni di Gussola, Mortier, Page, Carabasse, etc. … On se rend compte que différents
critères sont utilisés comme la situation personnelle du requérant : s’il bénéficie de l’aide
juridictionnelle on peut présumer qu’exiger l’exécution de la décision entrainera manifestement des
conséquences excessives. On tient compte également du montant des condamnations, de
l’effectivité de l’examen effectué par le premier président. On tient compte aussi de l’âge du
requérant comme dans l’affaire Carabasse où on a considéré que l’âge particulièrement avancé du
requérant pouvait être un élément pris en considération.

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Au-delà du contrôle de proportionnalité, la Cour vérifie également que les restrictions ne résultent
pas d’une erreur manifeste d’appréciation. C’est l’affaire Dulaurans qui incarne cette solution. Dans
cette affaire, la Cour dégage l’idée que la possibilité accordée à la Cour de cassation par l’article
619 du CPC de déclarer irrecevable tout pourvoi fondé sur un moyen nouveau ne doit pas
déboucher sur une limitation excessive du droit d’accès au juge notamment lorsqu’on est en
présence d’une erreur manifeste d’appréciation. En l’espèce la Cour de Cassation avait rejeté un
pourvoi pour irrecevabilité du moyen unique invoqué au motif qu’il avait été pour la première fois
présenté devant elle. Or la Cour Européenne, en examinant les faits et les décisions successivement
rendues, a découvert que le requérant n’avait pas cessé depuis le début de la procédure d’invoquer
ce moyen litigieux et elle a considéré que la Cour de cassation s’était contredite d’autant plus que
dans l’arrêt de la CA, le dispositif invoquait ce moyen litigieux. On en a conclu à une erreur
manifeste d’appréciation de la CEDH. Contradiction nette entre la motivation de la Cour de
Cassation et le dispositif de la CA.

Concernant le droit interne sur ce droit à un pourvoi, ou ce droit plutôt à un juge de cassation pour
ce qui concerne la matière civile, il faut tout d’abord partir de la position du Conseil
Constitutionnel. Celui-ci considère que le pourvoi en cassation constitue pour les justiciables une
garantie fondamentale de bonne justice, dont en vertu de l’article 34, il appartient seulement à la loi
de fixer les règles.

Il ressort de la jurisprudence du Conseil Constitutionnel, que le droit au pourvoi constitue un droit


fondamental en ce qu’il assure l’égalité devant la loi en permettant à la Cour de cassation de jouer
son rôle de gardienne de l’application correcte de la loi. Mais ce droit fondamental n’est pas absolu
et il peut comporter certaines limites d’origine légale qui ne sont acceptées qu’autant qu’elles ne
portent pas atteinte substantiellement au droit d’exercer un recours.

Pour le CE : principe général du droit. Il est ouvert sauf texte législatif expresse l’excluant.
Pour la Cour de Cassation : le pourvoi en cassation est ouvert toutes les fois que le législateur ne l’a
pas formellement et expressément exclu.

En matière pénale, et le droit au pourvoi : en ce qui concerne la position de la Cour européenne, le


fait est qu’elle n’est pas aussi souple en matière pénale qu’elle l’est en matière civile. Et à ce titre
elle a plusieurs fois condamné la France pour atteinte substantielle au droit d’accès au juge de
cassation.

En premier lieu la Cour s’est prononcée sur la question de l’irrecevabilité du pourvoi en cassation,
en cas de non exécution d’un mandat d’arrêt. L’obligation de se constituer prisonnier pour exercer
une voie de recours a été qualifiée par la Cour Européenne d’atteinte disproportionnée au droit
d’accès au juge de cassation. On a plusieurs affaires qui illustrent cette solution : Poitrimol contre
France du 23 novembre 1993. Guerin c/ France 29 juillet 1998. Omar c/ France et Van Pelt c/
France du 23 mai 2000. Dans toutes ces affaires la Cour a estimé que la déchéance du pourvoi en
cassation qui frappe le condamné qui n’a pas déféré au mandat d’arrêt décerné contre lui, constituait
une mesure disproportionnée rompant le juste équilibre qui doit exister entre le but légitime
d’assurer l’exécution des décisions et le droit d’accès au juge.

La Cour de Cassation a résisté à cette jurisprudence européenne dans l’affaire Papon ce qui lui a
valu une nouvelle condamnation. Le législateur de son côté a tergiversé quelques temps. Il a

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commencé par limiter le champ d’application de ce texte sans le remettre en cause et en définitive la
loi du 15 juin 2000 est venue abroger les dispositions litigieuses.

En 2nd lieu, la Cour Européenne a condamné la France relativement à l’impossibilité du condamné


de se pourvoi en cassation contre l’arrêt de condamnation par contumace rendu en premier et
dernier ressort par la Cour d’Assises. La Cour Européenne a en fait sanctionné le dispositif de
l’article 636 du CPP au motif qu’il s’agissait là encore d’une entrave disproportionnée au droit
d’accès au juge de cassation. Ce qui a aussi agacé la Cour Européenne, c’est le refus de laisser
plaider les avocats de la défense en l’absence de l’accusé.

Pour la Cour Européenne, c’est ainsi priver le requérant de toute possibilité de faire contrôler sa
condamnation. Là encore, et ça s’est fait avec moins de discussion, le législateur est intervenu dans
la loi du 9 mars 2004 qui a mis le droit Français en conformité avec les exigences européennes en
remplaçant la procédure de contumace par la procédure de jugement par défaut.

Qu’en est-il en droit interne de ce droit à un juge de cassation en matière pénale ? Ici on a
exactement le même type de jurisprudence. Le Conseil Constitutionnel considère que le pourvoi en
cassation est une garantie fondamentale pour les justiciables et qu’il appartient seulement à la loi de
fixer les règles. Le Conseil d’Etat et la Cour de cassation ont la même position en matière civile
qu’en matière pénale. Il s’agit d’un droit fondamental dont l’exercice ne peut être limité que par une
disposition expresse et formelle de la loi.

II. Le droit à une bonne administration de la justice

Le droit à un juge qui est le préalable obligé dans l’ordre des garanties s’accompagne de garanties
institutionnelles et procédurales qui viennent assurer la qualité de la justice rendue, le respect de ces
garanties institutionnelles et procédurales participent à l’équité du procès mais l’équité du procès ne
se résume pas et ne se réduit pas au respect de ces garanties formelles, il les dépasse donnant lieu à
des applications multiples plus importantes en matière pénale qu’en matière civile compte tenu des
intérêts en jeu.

L’équité qui est entendue au sens d’égalité, d’équilibre, dispose donc d’une autonomie propre en ce
sens qu’elle peut permettre de sanctionner un état pour procès non équitable relativement à une
décision qui aurait été pourtant rendue dans le respect des garanties formelles de l’article 6§1.

A. Les garanties institutionnelles

Pour que le droit d’action des justiciables puisse se réaliser, pour que leur droit de soumettre au juge
leurs prétentions soit effectivement garanti, il faut que l’Etat organise un système judiciaire, offre
aux justiciables des institutions juridictionnelles aptes à trancher leur litige. Aussi bien l’article 6§1
reconnait à chacun le droit d’être entendu par un tribunal établi par la loi, c'est-à-dire en réalité qu’il
reconnait le droit de bénéficier d’une justice étatique.

Cette garantie première doit être entendue de manière pragmatique, concrètement, et non pas
abstraitement de manière purement formelle. Le droit à un tribunal établi par la loi doit permettre un
contrôle juridictionnel véritable. Pour la CEDH cela implique que le juge soit appelé à trancher sur
la base de normes de droit et à l’issue d’une procédure organisée toute question relevant de sa

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compétence. Sramek c/ Autriche du 22 octobre 1984, formule qui doit être comprise de la manière
suivante : Le tribunal dont la loi doit garantir l’accès doit avoir pleine juridiction c'est-à-dire être
compétent en fait et en droit, sans quoi le contrôle juridictionnel risquerait d’être trop restreint pour
être effectif.

L’activité juridictionnelle doit être respectueuse de certaines garanties institutionnelles qui tiennent
à l’exigence d’impartialité et d’indépendance. A quoi servirait-il de garantir le droit à un tribunal si
on ne garantissait pas en même temps que ce tribunal est neutre et juste ?

1) L’exigence d’un tribunal établi par la loi

D’une façon générale il importe de savoir identifier un tribunal dans la mesure où cette notion
conditionne largement l’application des garanties du procès équitables. En droit interne la notion de
tribunal est génériquement considérée comme équivalent à celle de juridiction et c’est la raison pour
laquelle le droit au juge est fréquemment désigné sous le nom de droit à un recours juridictionnel.
Cette synonymie explique également que les juridictions françaises aient refusé l’application des
garanties du procès équitable en dehors des juridictions. Le fait est que la définition de juridiction
pose des difficultés en droit interne. En dehors des cas où la qualification de juridiction résulte des
termes mêmes du texte de loi, la jurisprudence comme la doctrine s’est efforcée de déterminer les
critères caractérisant la juridiction.

Il y a certaines divergences doctrinales. Mais au-delà, il existe tout de même une approche
multicritères consensuelle de la notion de juridiction. On admet couramment qu’un organe ne peut
être qualifié de juridiction ni ses actes qualifiés de juridictionnels sans une composition collégiale
sans exception, des garanties d’indépendance et d’impartialité, et l’assujettissement à une procédure
contradictoire à l’issue de laquelle toute question relevant de sa compétence est tranchée sur la base
de normes de droit.

Mais au sens des sources supra nationales la notion de tribunal ne se recoupe pas exactement avec
celle de juridiction. Il la déborde pour englober notamment certaines autorités administratives non
juridictionnelles notamment lorsqu’elles mettent en œuvre des procédures administratives
répressives. A l’inverse, toute juridiction au sens national n’est pas automatiquement qualifié de
tribunal au sens de la Convention dans la mesure où cette qualification suppose la réunion de
qualités dont les organes formellement réputés juridictionnels ne peuvent se prévaloir. Pour les
juges européens et communautaires mais également pour le comité des droits de l’Homme, la
notion de tribunal est une notion autonome qui doit être définie indépendamment des qualifications
nationales. Il ne s’agit pas nécessairement des juridictions de type classique, elles doivent répondre
à des critères matériels et organiques pour être qualifié de tribunal.

Sur le plan matériel le tribunal se caractérise pas sa fonction juridictionnelle : il doit s’agir un
organe à qui il appartient de trancher sur la base des normes de droit et à l’issue d’une procédure
organisée toute question relevant de sa compétence. Formule élaborée dans un arrêt Sramek. Selon,
l’article 14 du Pacte, il doit s’agir d’un tribunal compétent. Selon le droit communautaire, il doit
s’agir d’un organe juridictionnel, selon 6§1, c’est un tribunal qui décide. Tout cela recouvre en fait
la même réalité : le tribunal doit disposer d’une compétence suffisante et trancher tant les questions
de fait que les questions de droit dont il se trouve saisi. Dans l’affaire Le Compte c. Belgique du 23

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juin 1981, le juge européen estime que seul mérite le nom de tribunal un organe jouissant de la
plénitude de juridiction.
Cette notion de pleine juridiction ne revêt pas la même signification selon que la matière est civile
ou pénale.

- En matière civile : contrôle de légalité du juge sur les questions de fait et de droit
- En matière pénale : pouvoir qui s’accompagne du pouvoir de réforme en tous points, en fait
comme en droit, la décision rendue par un organe inférieur.

Ce qui importe, c’est que le contrôle du juge ne soit pas trop limité, sous peine de vider le droit à
l’accès au juge de sa substance. Affaire Obermeier c. Autriche, 28 juin 1990 : le contrôle restreint à
l’examen de la motivation des faits et du détournement de la procédure est insuffisant. Il importe
que soit exercé un contrôle complet de légalité. Le juge national (affaire Zumtobel), doit être
compétent pour les points de fait comme pour les points de droit. Le pouvoir de décider, et plus
précisément de rendre une décision obligatoire qu’une autorité non judiciaire n’aurait pas le pouvoir
de modifier est inhérent à la notion même de tribunal.
Affaire Ravon c. France : il avait été considéré que ne satisfaisant pas aux exigences
conventionnelles dès lors que l’ordonnance du président du TGI autorisant les perquisitions et les
saisies n’est susceptible que d’un pourvoi en cassation. Il n’y a pas de contrôle juridictionnel
effectif en matière de visites domiciliaires au sens de la Cour EDH. Il doit s’agir d’un contrôle en
fait comme en droit de la régularité de la décision prescrivant la visite, ainsi que le cas échéant de la
régularité des mesures prises sur ce fondement. Le recours disponible doit permettre en cas de
constat d’irrégularité soit de prévenir la survenance de l’opération, soit dans l’hypothèse où
l’opération irrégulière a eu lieu, de fournir à l’intéressé un redressement approprié. Or, le pourvoi en
cassation ne répond pas à ces exigences dès lors qu’il ne permet pas un examen des questions de
faits fondant les autorisations litigieuses. En tout état de cause, la Cour EDH veille en fait au respect
de l’intégrité de la fonction juridictionnelle à ce que le juge national ne soit pas dessaisi de sa
compétence lui permettant d’examiner des faits importants pour le règlement du litige.

Le tribunal ne s’entend pas forcément d’une juridiction de type classique. Il n’est pas interdit à
l’Etat de déléguer une partie de la justice à des juridictions non étatiques. Le contrôle juridictionnel
de certaines situations peut être valablement confié à un organe administratif ou corporatif plutôt
qu’à un tribunal proprement dit. Le juge européen admet que des impératifs de souplesse et
d’efficacité justifient l’existence de tels organes, à condition qu’ils remplissent les exigences de
l’article 6, ou si elles n’y répondent pas qu’elles subissent le contrôle ultérieur d’organes de pleines
juridictions, qui eux présentent les caractères de l’article 6.

Le tribunal doit être établi par la loi, au sens large et non formel. Ce qui compte, c’est que
l’établissement de la juridiction ne soit pas laissé au pouvoir discrétionnaire de l’exécutif, et de faire
en sorte que cette matière soit régie par la loi.
Cette expression est relative à l’existence du tribunal et à sa compétence, mais aussi à tout
disposition de droit interne relative à la composition du tribunal dans chaque affaire dont le non
respect rend irrégulière la participation d’un juge à l’examen de l’affaire et emporte violation de
l’article 6§1.

Cela n’interdit pas évidemment l’arbitrage, puisque c’est une simple faculté de se soumette à la
justice publique, et non une obligation. L’Etat doit garantir l’accès à la justice étatique, mais rien

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n’interdit à ceux qui le souhaitent de soumettre leur juridiction à un arbitrage conventionnel. Dans
l’affaire Deweer, la Cour reconnait au justiciable la faculté de renoncer) la justice étatique, à la
condition que cette renonciation soit libre et non équivoque. Se pose alors la question de savoir si la
juridiction arbitrale constitue un tribunal établi par la loi au sens de l’article 6 de la Convention. Il a
été répondu négativement : lorsqu’il n’y a aucune obligation en fait ou en droit pour les parties de
recourir à l’arbitrage, lorsque les autorités publiques ne sont pas impliquées dans le choix de
l’arbitrage, l’appellation de juridiction et de tribunal ne peut être retenue. Jurisprudence de la CJCE
là-dessus.
On évoque l’arbitrage volontaire, et non forcé. Dans l’hypothèse d’un arbitrage forcé, on est en
présence d’un tribunal au sens de 6§1 : arrêt 20 février 2001.

2) La garantie d’un tribunal indépendant et impartial

Le droit à un tribunal établi par la loi serait une garantie illusoire si l’impartialité et l’indépendance
du juge institué par l’Etat n’était pas garantie. C’est ce qui explique que tous les instruments
internationaux de protection des droits et LF font de cette indépendance et impartialité un élément
essentiel du procès équitable. La Cour a précise que ces exigences mettant l’accent sur la confiance
que les tribunaux d’une société démocratique se doivent d’inspirer aux justiciables. C’est l’attendu
de l’affaire Remli c. France du 23 avril 1996.

L’indépendance renvoie à la liberté du pouvoir judiciaire par rapport aux autres pouvoirs,
constitutionnels comme factuels (pouvoir médiatique). Il ne faut pas seulement garantir
l’indépendance du pouvoir judiciaire par rapport à ces pouvoirs, mais également préserver le
pouvoir judiciaire des pouvoirs des parties elle-même. C’est ce qui explique que l’exercice de la
fonction juridictionnelle implique l’instauration de garanties qui entourent le statut du juge.
La notion d’impartialité renvoie non seulement à l’organisation et au fonctionnement interne des
juridictions, mais également à la liberté de caractère du juge, plus précisément à sa capacité de juger
objectivement sans parti pris.

Ces deux notions d’indépendance et d’impartialité ne se confondent pas, mais en pratique elles sont
intimement liées, ce qui explique que la Cour EDH ne cherche pas toujours à les distinguer
pleinement.

a) Notion d’indépendance

! Indépendance organique

Sur le plan international, dans le cadre de l’article 14 du Pacte des droits civils et politiques,
l’indépendance du tribunal est considéré comme un élément essentiel de garantie de bonne justice
reposant sur la séparation des pouvoirs. Le Comité des DH a considéré qu’était incompatible la
situation dans laquelle les fonctions et les attributions du pouvoir juridictionnel et du pouvoir
exécutif ne peuvent être distinguées, ou dans lequel le second est en mesure de contrôler ou de
diriger le 1er.

En droit français, ce principe de séparation des pouvoirs à une valeur constitutionnelle : article 64
alinéa 1er Constitution pour le pouvoir judiciaire, et ainsi que l’a reconnu le Conseil Constitutionnel
dans une décision du 22 juillet 1980 s’agissant des juridictions administratives, et ensuite à propos

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de toutes les juridictions dans une décision du 29 aout 2002. Il s’agit pour lui d’une composante
indispensable pour l’exercice de la fonction juridictionnelle.

Il ne faut pas non plus subir l’influence des parties au litige : si la Cour EDH considère que le
régime de protection du juge, notamment conte l’exécutif relève de la compétence des EP, elle
contrôle qu’ils l’ont bien mis en place, et surtout qu’il offre des garanties suffisantes. Ce sont des
garanties objectives, comme le mode de désignation et la durée des mandats, avec en plus un critère
psychologique, pour vérifier s’il y a ou non apparence d’indépendance.

Concernant les garanties statutaires objectives : la Cour EDH s’intéresse à différentes paramètres
pour évaluer l’indépendance du juge. Elle prend en compte notamment la durée du mandat, le
monde désignation, d’avancement et de révocation des juges, elle prend en considération leur
indépendance statutaire dans la prise de décision, et d’une manière générale, elle réclame également
des garanties constitutionnelles et légales protégeant les juges contre plus largement les pressions
extérieures.

En ce qui concerne le mandat du juge, la Cour EDH s’est intéressée à différents aspects.

Tout d’abord la durée, étant précisé qu’un mandat long est une garantie d’indépendance par rapport
à l’autorité de nomination, en même temps qu’il constitue un gage d’efficacité, puisqu’il permet
d’exercer une continuité de l’action contentieuse. Elle a jugé que le caractère ad hoc sans durée fixe
de la nomination de deux officiers parmi les membres d’une Cour martiale ne suffit pas en soi à
rendre la composition de cette Cour incompatible avec l’exigence d’indépendance, mais impose
seulement des mesures de protection contre toute pression extérieure. En définitive, tout est affaires
de circonstances pour la Cour EDH. Dans l’affaire Campbell, elle a considéré qu’un mandant de 3
ans était suffisant pour assurer l’indépendance des membres d’un comité dès lors qu’il ne percevait
pas de rémunération et qu’il était malaisé de trouver des personnes capables d’assumer de lourdes et
importantes charges pendant un laps de temps plus long.

Autre critère : absence de révocation arbitraire du juge, qui est un élément important.
L’inamovibilité du juge en cours de mandat est selon la Cour le corollaire de leur indépendance.
Elle a aussi considéré que l’absence de consécration expresse en droit de cette inamovibilité
n’impliquait pas en soit un défaut d’indépendance. Tout est affaire de casuistique, le juge européen
procédant plutôt par faisceau d’indices.

Au-delà des garanties statutaires objectives, la Cour EDH mesure l’indépendance à l’épreuve des
apparences. C’est ainsi que lorsque le juge dans le cadre de ses fonctions professionnelles autres
que contentieuses apparait comme hiérarchiquement subordonné à l’une des parties au litige, la
situation est jugée problématique, car même si ce juge bénéficie d’un statut de nature à garantir son
indépendance, le requérant peut éprouver des doutes légitimes sur la réalité de cette indépendance.

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La Cour EDH va très loin, en considérant que dans cette hypothèse, les apparences seraient-elles
fausses parce que contredites par la réalité, elles vont peser de tout leur poids et consommer une
violation de la Convention si elles donnent du tribunal l’image d’un organe dépendant.

Il faut pour retenir la théorie de l’apparence que les appréhensions du justiciable puissent apparaitre
comme objectivement justifiées.
Dans l’affaire Sramek, la présence de fonctionnaires au sein de la juridiction n’a pas été jugé
incompatible avec la Convention puisque des garanties légales empêchaient le gouvernement
d’adresser à ces fonctionnaires des instructions relatives à l’accomplissement de leurs taches
juridictionnelles. En revanche, le fait qu’il existe un lien de subordination entre le juge et l’une des
parties consomme définitivement et quelque soit la nature des garanties statutaires accordées la
violation de l’exigence d’indépendance. Le fait que l’un des fonctionnaires occupant un poste clé au
sein de l’autorité régionale des transactions immobilières ait pour supérieur hiérarchique le
représentant du gouvernement du Land qui était partie à l’instance a été jugé incompatible avec
l’article 6§1 de la Convention.
Un arrêt a juté qu’était contraire à l’article 6§1 le fait qu’un tribunal du contentieux de l’incapacité
soit présidé par le représentant du président des affaires sanitaires et sociales alors que cette
juridiction avait à juger une affaire à laquelle était partie une caisse primaire d’assurance-maladie et
que le Président du tribunal du contentieux de l’incapacité avait des liens avec cette caisse du fait de
ses fonctions administratives.

Tout ces faits sont de nature à faire naitre du justiciable un doute légitime sur l’indépendance du
tribunal.

Selon la même logique, le Conseil d'Etat a affirmé que le principe d’indépendance s’oppose à la
participation à une juridiction spécialisée d’un fonctionnaire dont les fonctions le font participer à
l’activité des services en charge des questions soumises à cette juridiction spécialisée. Affaire
Trognon, 6 décembre 2002. De même, la présence dans une juridiction ordinale siégeant en
formation disciplinaire du représentant du Ministre, même avec voie consultative, a été jugé
contraire aux exigences de l’article 6, comme l’est d’ailleurs celle d’une personne classée sous
l’autorité hiérarchique directe du plaignant.

! Indépendance fonctionnelle

Les garanties statutaires objectives ne sont là que pour offrir au juge les conditions optimales pour
lui permettre d’exercer convenablement sa fonction de juger, sans qu’aucune autorité extérieure ne
lui dicte ses décisions.
Pour la Cour EDH, seul l’organe indépendant par rapport à tous les pouvoirs constitués mérite
l’appellation de tribunal.
Par rapport au pouvoir législatif, l’indépendance suppose que le pouvoir législatif ne puisse pas
intervenir par des lois de circonstance pour dicter au juge une solution qui lui serait favorable dans
un contentieux l’opposant à des requérants. Le pouvoir législatif ne doit pas avoir la possibilité de
s’immiscer dans le pouvoir juridictionnel.
La Cour EDH a donc condamné certaines pratiques législatives, telles que les lois de validation qui
ont pour conséquence d’influer de manière directe sur la prise de décision du juge. Les lois de
validation ne sont pas en elles-mêmes interdites. En droit interne elles sont admises par le Conseil
Constitutionnel, tant qu’elles respectent certaines conditions : ne doivent pas s’appliquer à des actes

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qui auraient été annulés par des décisions de justice passées en force de chose jugée, et elles doivent
avoir pour objet la satisfaction d’un intérêt général, et donc ne pas avoir pour unique objectif
d’influer sur le juge à l’occasion d’un litige déterminé.
La CEDH est plus stricte quant à l’appréciation de la 2nde condition, car elle exige elle un impérieux
motif d’intérêt général. Elle a influencé notre droit positif qui désormais exige aussi un tel
impérieux motif d’intérêt général. Sous ces réserves, l’application en cours d’une loi de validation
n’est pas en principe contraire à 6§1. Ce qui est valable pour les lois de validation l’est aussi pour
toutes les lois ayant un effet rétroactif qui interviennent en cours d’instance pour modifier l’issue du
procès, quelque soit la qualification formelle donnée à la loi, et même lorsque l’Etat n’est pas partie
au procès. Ce principe n’a été que dans le sens d’une extension et a touché aussi les lois
interprétatives, qui sont implicitement rétroactives.

Par rapport à l’exécutif, l’indépendance de l’autorité judiciaire suppose que l’exécutif ne puisse
intervenir directement dans le cours de la justice en se substituant au pouvoir judiciaire, ou bien
encore indirectement, de sorte que le pouvoir judiciaire s’estime lié par les décisions de l’exécutif.
Dans ces cas, il y a une négation de la fonction juridictionnelle et une remise en cause du principe
de la séparation des pouvoirs.
Affaire Benthem c. Pays-Bas : dans le cadre du prononcé d’une décision conditionnant l’exercice de
l’activité professionnelle du requérant, la section du contentieux du Conseil d'Etat n’émettait qu’un
simple avis, suivi dans la majorité des cas par la Couronne, chef de l’exécutif auquel il revenait de
trancher le litige par décret royal. La Cour a considéré que le Conseil d'Etat n’assumait pas le
règlement juridictionnel du litige, on est donc dans un cas de confusion entre l’exécutif et le
judiciaire.
Affaires Beaumartin et Chevrol : abdication du pouvoir de juger par l’autorité judiciaire. Dans ces
deux affaires, le Conseil d'Etat est amené à demander au Ministre des affaires étrangères son
appréciation, mais le juge administratif se considérait lié par l’interprétation donnée. Dans les deux
cas, les décisions du juge sont en réalité dictées par le pouvoir exécutif, c’est l’indépendance
fonctionnelle du Conseil d'Etat qui est mise en cause.

D’une manière plus générale, l’indépendance du tribunal exige aussi de protéger la fonction
juridictionnelle contre tous les pouvoirs de fait, et surtout celui des médias. Il faut également
protéger les juges de l’influence des experts, qui font la pluie et le beau temps dans certaines
affaires, étant suivis les yeux fermés par les juges. Il y a des groupes de pression qui sont autant de
danger pour l’indépendance fonctionnelle des juges. Pour autant, la Cour EDH est moins incisive
sur ce terrain : elle considère notamment que la mise en cause de la justice est libre dès lors qu’elle
s’effectue sur un ton polémique et non agressif. Ce n’est qu’à titre exceptionnel que la liberté
d’expression ne profite pas aux médias, ce qui sera le cas lorsque son ton est susceptible d’exercer
une influence décisive sur une procédure en cours.

b) Notion d’impartialité

Il y a une jurisprudence très abondante de la Cour EDH, qui a eu une influence notable sur notre
droit positif et qui a suscité des réformes de nos procédures. Cette exigence n’a pas été découverte
avec la jurisprudence des droits de l’Homme.
En droit français, la procédure de récusation qui est organisée vise justement à travers différentes
causes de récusation à s’assurer de l’impartialité du juge. Il en va de même de la procédure de
suspicion légitime qui concerne la juridiction toute entière.

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Depuis l’ordonnance du 8 juin 2006, cette règle a été introduite à l’article L111-5 du COJ, qui
prévoit l’impartialité des juridictions judiciaires. L’article L721-1 du CJA a fait de l’impartialité une
justification de la récusation.
Elle a souvent été invoquée cumulativement avec le manque d’indépendance. Mais pour la Cour
EDH, il s’agit bien de deux notions autonomes, l’impartialité traduisant essentiellement le principe
de neutralité du juge. Mais il arrive que la Cour EDH considère qu’indépendance et impartialité se
recoupent dans certaines circonstances.

La Cour EDH voit deux aspects dans l’impartialité.

- Il faut que le tribunal soit subjectivement impartial

Aucun de ses membres, qu’ils soient magistrats professionnels ou jurés de Cour d’assise, ne doit
manifester de parti pris ou d’opinion personnelle. L’impartialité s’attache ici plus à la personne du
juge qu’à la fonction. Il ne doit pas être soupçonné de vouloir favoriser l’une des parties en raison
de ses comportements ou de ses opinions. C’est important pour la Cour EDH, qui présume cette
impartialité subjective jusqu’à preuve du contraire. C’est à partir d’éléments objectifs que la Cour
va éventuellement pouvoir constater la partialité du juge.
Seule la partialité extériorisée, prouvée par des éléments objectifs peut être sanctionnée
juridiquement.
Affaire 28 novembre 2002, Lavents c. Lettonie : on interroge un magistrat qui venait d’être chargé
d’une affaire, et ce magistrat déclare à la presse qu’il a un parti pris très défavorable à l’égard de
l’accusé.

- Il faut que le tribunal soit objectivement impartial

C'est à dire offrir des garanties suffisantes pour exclure tout doute légitime. Cette impartialité
objective se rapporte à la juridiction au sens organique et fonctionnel. L’idée est que l’exercice de
certaines fonctions par un juge peut suffire à le rendre partial, à raison même de ses fonctions. Cela
conduit à se demande si nonobstant la conduite personnelle du juge, certains éléments vérifiables
permettent de suspecter l’impartialité de ce juge.
Cette impartialité objective, qui concrètement interdit le pré jugement à fait l’objet d’une approche
qui a évolué d’une conception abstraite à une conception concrète.

Dans un 1er temps, la Cour EDH a adopté une interprétation stricte de la règle de l’impartialité en
posant le principe de l’interdiction de l’exercice successif de fonctions juridictionnelles différentes
par un même juge dans une même affaire. Autrement dit, le principe de la séparation des fonctions
juridictionnelles impose qu’un juge ne puisse pas connaitre deux fois de la même affaire.
C’est ainsi que l’incompatibilité entre les fonctions de poursuite, d’instruction et de jugement s’est
imposée comme le critère de l’impartialité du juge. Cette jurisprudence est illustrée par trois arrêts :
l’arrêt Piersack c. Belgique du 1er octobre 1982 : celui qui exerce des poursuites a nécessairement
opéré un pré jugement qui lui interdit de juger de l’affaire dont il est l’instigateur en tant que
déclencheur des poursuites. Dans l’affaire De Cubber c. Belgique du 26 octobre 1984, c’est le
cumul des fonctions d’instruction et de jugement jugé contraire au principe d’impartialité. Affaire
Oberschliek c. Autriche, 23 mai 1991 : le juge ayant rendu la décision attaquée ne peut siéger dans
la juridiction du 2nd degré.
Cette conception est apparue comme trop rigoureuse.

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Dans un 2nd temps, à partir d’un arrêt Hauschildt c. Danemark du 24 mai 1989, la Cour EDH a
estimé que l’impartialité devait s’évaluer non pas seulement au regard des doutes légitimes que peut
ressentir le justiciable, mais en fonction du rôle effectivement assumé par le juge avant l’examen de
l’affaire au fond. Autrement dit, la Cour s’attache à la réalité du fonctionnement judiciaire et refuse
désormais de prohiber par principe le cumul des fonctions. Elle va tenir compte du caractère plus ou
moins approfondi des investigations menées par le juge avant le jugement. La simple apparence du
non-respect du principe séparatiste est nécessaire, mais pas suffisante pour caractériser une
violation de l’article 6. Ce faisant, la Cour EDH se montre beaucoup plus pragmatique : elle
apprécie in concreto l’impartialité, en fonction des circonstances de la cause. Elle prend en compte
le rôle effectif du juge pour voir si les appréhensions du requérant sont objectivement justifiées. Ce
qui est important, ce n’est pas de savoir si le juge a déjà connu de l’affaire, mais s’il a contribué à
prendre une décision qui implique une appréciation quant à la solution que les faits doivent recevoir
au fond. Est-ce que sa 1ère intervention lui a fait prendre une appréciation qui objectivement peut
influencer sa 2ème intervention ?

On voit pour autant que la mise en œuvre n’est pas forcément facile, mais que néanmoins l’usage
qu’en a fait la Cour EDH a modifié notre droit positif.

La mise en œuvre des principes relatifs à l’impartialité a conduit à un renouvellement. La


jurisprudence a renforcé sur le fondement de la CEDH et de l’art 6§1 les moyens préventifs de
garantir l’impartialité des magistrats.
En procédure civile, l’art 341 du CPC permet au plaideur de récuser sous conditions, leur juge,
quand il justifie de circonstances faisant douter de sa neutralité. Le texte évoque 8 cas de récusation
et pose que celle-ci n’est admise que pour les causes déterminées par la loi, ce qui lui reconnait un
caractère limitatif.
La Cour de Cassation a décidé que l’article du 341 CPC n’épuise pas nécessairement l’exigence
d’impartialité requise de toute juridiction et qu’une récusation peut être directement fondée sur
l’article 6§1 en dehors des cas prévus par la loi. Les juges peuvent sanctionner des causes
permettant de douter de l’impartialité de juges même si la loi ne les a pas expressément prévues. La
Cour de Cassation a précisé que celui qui n’invoque pas l’article 341 CPC alors qu’il envisage le
motif de la récusation, ne peut ensuite se prévaloir de l’art 6§1 s’il a eu connaissance de la
juridiction statuant au fond et qu’il n’a pas fait usage de la possibilité de récuser ce magistrat avant
la clôture des débats.
L’arrêt rendu par la Civ 2ème, le 10 septembre 2009 a rappelé cette jurisprudence résultant d’un arrêt
d’Assemblée Plénière du 24 novembre 2002.

L’interprétation de la Cour EDH en matière d’impartialité a conduit à sanctionner des pratiques


judiciaires dont on a considéré qu’elles portaient atteinte à l’exigence d’impartialité objective. C’est
le cas lorsqu’au sein de la formation de jugement, il y a un juge qui antérieurement a exercé
certaines fonctions qui risquent de l’amener à préjuger de la solution à donner à l’affaire.

Il existe plusieurs hypothèses mettant en cause l’impartialité du juge (partialité objective) :

! Quand un juge a déjà connu de la même affaire au cours d’une précédente instance ayant le
même objet.

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Exercice successif de fonction juridictionnelle identique au titre du même litige. Un juge ne peut
statuer sur une recours formé contre sa propre décision car sinon il n’y aurait pas de contrôle
hiérarchique effectif. Cette interdiction de siéger au sein de la formation statuant sur un recours a
une portée générale et concerne tout organe portant une appréciation sur l’affaire. Mais la cour de
cassation a toujours exclut du champ d’application de cette prohibition, les hypothèses des voies de
rétractation (opposition, recours en révision). Dans une décision de 1997, la Cour de Cassation
affirme que l’opposition étant une voie de rétractation qui remet en question devant le même juge
les points jugés par défaut, c’est sans méconnaitre l’obligation d’impartialité qu’une CA peut être
composé par des magistrats ayant délibéré de la décision objet de l’opposition. De même pour le
recours en révision.

Il ressort de la jurisprudence européenne et française que tout juge ayant préalablement participé à
une décision juridictionnelle lui ayant donné l’occasion de porter une appréciation sur les faits qui
doivent être jugés, ne doit pas participer à leur jugement. La participation à une décision
juridictionnelle ne crée un préjudice au fond que si le juge est amené à apprécier les mêmes faits.
Par exemple, le JAF ayant prononcé le divorce peut figurer dans la formation de jugement du TGI
en liquidation du régime matrimonial. Un magistrat peut siéger au civil et au pénal s’il ne se
prononce pas sur les mêmes faits. De même, un juge peut juger une affaire à propos de laquelle il
n’a pris qu’une décision provisoire ne préjugeant pas du fond.
Il faut distinguer au sein des mesures provisoires : le juge qui octroie une provision en référé ne
peut ensuite juger l’affaire au fond de l’obligation car il a déjà jugé la question. C’est un arrêt
d’Assemblée Plénière du 6 novembre 1998.
Mais le magistrat qui prend une mesure provisoire pour préconstituer une preuve car l’affaire n’est
pas en état d’être jugée au fond peut figurer dans la formation de jugement qui connaîtra de l’affaire
au fond.

! Quand un juge a exercé préalablement des fonctions administratives ou consultatives dans la


même affaire ou au sujet d’une affaire soulevant la même question.

Affaire Procola c/ Luxembourg, 28 septembre 1995 : sanction de la pratique du Conseil d'Etat


luxembourgeois tolérant que les mêmes conseillers d’état participent à la fonction de conseil du
gouvernement puis à la fonction juridictionnelle sur les mêmes questions.
Cette solution a eu un écho en France à propos du Conseil d'Etat. La pratique a veillé à ce qu’un
même magistrat ne se trouve pas dans cette situation.
Un décret du 6 mars 2008 a renforcé les règles suivies par le Conseil d'Etat en la matière. L’article
R121-21-1 du CJA pose la règle selon laquelle une personne ayant participé à une activité
administrative ne peut siéger dans la fonction contentieuse dans le dossier où il est intervenu.
Ce décret a réorganisé le Conseil d'Etat en séparant activité administrative et contentieuse.
La Cour EDH a ensuite adopté une position moins stricte en considérant que la dualité des
fonctions consultative et juridictionnelle dans une haute juridiction n’est pas en soi contraire à 6§1,
elle fait du cas par cas.
CEDH, 6 mai 2003, Kleyn c/ Pays Bas et CEDH, 9 novembre 2006, Sacilor-Lormines c/ France.

! Exercice successif de plusieurs fonctions judiciaires différentes à propos d’une même


affaire.

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• En matière pénale : les fonctions de poursuite, instruction et jugement doivent être
séparées.

La principale application concerne les magistrats du Ministère Public. S’ils deviennent magistrats
du siège, ils ne peuvent pas juger les affaires pour lesquelles ils ont déjà fait un acte de poursuite.
Au début cela s’appliquait seulement aux cours d’assises, aujourd'hui c’est une règle générale
devant toutes les juridictions répressives, ce qui a été consacré par la loi du 15 juin 2000 (article
préliminaire). C’est un principe fondamental des droits de la défense consacré par le Conseil
Constitutionnel dans une décision de 1995 et par la CEDH dans l’affaire Pier Sachs.
Le juge d’instruction ne peut participer à la juridiction de jugement dans les affaires qu’il a
instruites. Cette question de l’exercice successif de plusieurs fonctions judiciaires dans une même
affaire pénale par un même magistrat est parfois moins sévèrement appréhendée.

La Cour EDH a glissé dans sa jurisprudence d’une partialité objectivement admise à l’exigence
d’une partialité positivement établie au vue des circonstances. CEDH, Bulut c. Autriche, 22 février
1996 : le magistrat n’avait connu que très partiellement des poursuites avant de participer à la
formation de jugement et la Cour a considéré qu’il n’y avait pas partialité. Elle regarde donc la
participation réelle du magistrat dans les poursuites et dans le cadre de l’instruction. Si son
intervention n’était que mineure et accessoire, il peut échapper au grief de partialité.

CEDH, Tierce, 25 juillet 2000 : violation de l’art 6 à propos d’un juge d’instruction ayant fait un
usage très étendu de ses pouvoirs d’enquête qui ne pouvait alors siéger dans la formation de
jugement.

La séparation de ces fonctions est aussi garantie devant les autorités disciplinaires et les autorités de
régulation exerçant des fonctions répressives.
Assemblée Plénière, Oury, 5 février 1999 : la cour de cassation approuve une CA d’avoir décidé que
ne pouvait pas participer au délibéré de la formation de jugement celui désigné comme rapporteur et
chargé d’une mission d’enquête sur les faits poursuivis. Cette jurisprudence a conduit à une réforme
de la COB (aujourd'hui l’AMF).

Il y a beaucoup de jurisprudence dans le même sens concernant le conseil de l’Ordre des avocats :
l’avocat désigné pour enquêter sur les faits, ne pouvait ensuite faire partie de la formation
disciplinaire.

Mais le Conseil d'Etat dans l’arrêt Didier du 3 décembre 1999 avait considéré que la présence du
rapporteur au délibéré du conseil de la concurrence n’était pas une cause de partialité. Même
solution à propos de la CNIL. Il considérait que la fonction du rapporteur n’entame pas son
impartialité. S’il n’intervenait pas dans la saisine et le classement de l’affaire et qu’il ne pouvait
ordonner des mesures de contrainte, il pouvait délibérer sur la sanction disciplinaire. Cette approche
du Conseil d'Etat n’était pas éloignée de celle de la Cour EDH (appréciation objective des fonctions
de l’organe en cause) et a été validée par la Cour EDH estimant que dès lors qu’un juge ne dresse
pas d’acte d’accusation, sa connaissance approfondie du dossier ne permet pas de mettre en doute
son impartialité pour trancher au fond. Devant l’AMF, la Cour EDH a reconnu que l’intervention du
rapporteur ne constituait pas un grief de partialité quand il participait au délibéré.

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La Cour EDH peut cependant rendre des solutions différentes. CEDH, 11 juin 2009, Dubus c/
France : une société fait l’objet d’une inspection et une infraction règlementaire lui est signifiée
ainsi qu’une régularisation de la situation. Le 28 septembre 2000, la commission bancaire décide
d’ouvrir une procédure disciplinaire. Le 28 décembre 2000, la requérante dépose ses observations
dans lesquelles elle conteste la partialité de celle-ci en raison du cumul des fonctions d’instruction
et de jugement. La commission l’invite à participer à l’audience. Le 8 octobre 2001, un blâme est
prononcé contre la requérante et que la procédure ne connaît aucune irrégularité. Le Conseil d'Etat
est saisi mais il rejette le pourvoi de la requérante (pas de cumul des fonctions au sein de la
commission). La requérante saisit alors la CEDH. Celle-ci commence par affirmer que le cumul des
fonctions peut être compatible avec le respect de l’impartialité et rappelle la jurisprudence Didier.
Elle recherche ensuite si la commission a pu décider d’une sanction disciplinaire sans pré jugement.
En l’espèce, elle constate une confusion du rôle. Le secrétaire général et la commission ont
diligenté les poursuites, le président lui a notifié les griefs retenus, l’instruction n’était pas dévolue à
une personne précise et que la décision de sanction a été prise par le président de la commission et 5
de ses membres. Elle note que le secrétaire général a notifié à la requérante la sanction. Elle tire
comme conclusion que de cet enchaînement d’actes, il résulte que la société requérante pouvait
raisonnablement avoir l’impression que ce sont les mêmes personnes qui l’ont poursuivi et jugé
(apparence légitime de doute). Il n’y avait pas de distinction claire entre ces différentes fonctions.

• En matière civile

L’exercice successif de fonctions distinctes au sein d’un même organe juridictionnel pour une même
affaire a soulevé des interrogations. Il y a eu une extension des solutions retenues en matière pénale.
Arrêt Morel, 2000 : le juge commissaire pouvait connaître de la question à propos de la viabilité du
plan de continuation.
Mais la réforme a affirmé qu’il ne pouvait plus siéger au sein du TC quand il s’agissait de statuer
sur des questions pécuniaires ou sur des sanctions.
Solution à propos du juge de la mise en état et du conseiller de la mise en état.

B. La garantie d’un procès équitable

Cette notion apparait à l’article 6§1 et à l’article 47 de la Convention EDH. Cette notion n’est pas
inconnue dans notre droit interne : elle est invoquée dans certaines décisions constitutionnelles et
elle est utilisée par la jurisprudence tant administrative que judiciaire. Mais cette notion n’est
apparue que récemment dans les textes du CPP. Cette notion d’équité est devenue une valeur phare,
autour de laquelle toute la matière processuelle s’organise. Cette exigence d’équité est une nécessité
première dans toute activité processuelle. Il faut garantir une situation égalitaire à ceux qui ont à
connaitre de la justice, ils doivent bénéficier d’un traitement équitable.

De cette exigence d’équité, la Convention EDH a tiré un certain nombre de principes dont elle a
sanctionné la violation alors même que toutes les garanties énumérées à l’article 6§1 avaient été
respectées au motif qu’il faut tenir compte du but et de l’objet de la Convention pour assurer
effectivement la garantie d’un procès équitable. Autrement dit, la garantie d’un procès équitable a
été dotée d’un contenu propre, indépendant des garanties spécifiques accordées par l’article 6. Ces
applications du droit à un procès équitable se manifestent dans la matière civile, mais encore plus
dans la matière pénale.

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27 octobre 1993, Dombo Beheer c. Pays-Bas : la Cour EDH a insisté sur le fait que les impératifs
inhérents à la notion de procès équitable ne sont pas nécessairement les mêmes dans les litiges
relatifs aux droits et obligations de caractère civil que dans les affaires concernant des accusations
en matière pénale.

D’ailleurs, en matière pénale, les §2 et 3 de l’article 6 offrent des garanties spécifiques à l’accusé,
qui selon la jurisprudence de la Cour EDH représentent des aspects particuliers du droit à un procès
équitable tel que garanti à l’article 6§1.

On dénombre dans les principes celui de l’égalité des armes, celui du contradictoire mais également
l’obligation de motivation. La liste n’est pas exhaustive, limitative. Il n’est pas exclu qu’on puisse
voir apparaitre d’autres principes dans le futur dégagés de cette exigence d’équité. Il est intéressant
de souligner que ces notions, ces principes, sont des exigences connues de notre droit interne, et
appliquées. Mais ces notions ont été utilisées par la Cour EDH pour véhiculer une conception du
procès véritablement centrée sur les intérêts du justiciable, ce qui a conduit à une lecture parfois
différente de ce que l’on connait, et ce qui a provoqué pour un certain nombre d’Etats Parties une
remise en cause de certaines traditions juridiques nationales, comme l’illustre justement l’exemple
du commissaire du gouvernement, devenu rapporteur public.

La Cour EDH adopte une approche qui présente trois caractéristiques :

• C’est l’examen de l’ensemble de la procédure qui est pris en compte, ce qui permet à la
Cour de déclarer conforme à la garantie d’un procès équitable des procédures qui recèlent
des vices à un certain stade du déroulement du procès, mais qui sont purgés par les autres
phases du procès.

• La prise en compte des apparences est essentielle, car ce sont elles qui vont montrer si ce
principe d’équité a été ou non respecté au-delà des garanties énumérées à l’article 6§1. La
théorie des apparences joue un rôle considérable dans l’appréciation de l’équité, dans la
mesure où elle a permis de sanctionner des pratiques dont pourtant on reconnaissait la
conformité aux exigences formellement exigées à l’article 6§1.

• L’appréciation de l’équité s’effectue in concreto, c'est à dire d’après les circonstances de


chaque cause.

1) Le principe d’égalité des armes

Sur le plan interne, il n’existe pas de principe à proprement parler d’égalité des armes. Cependant
notre droit processuel a toujours été animé par le souci de garantir selon les spécificités propres à
chaque procédure une égalité entre les parties. Ce caractère équitable de la procédure a été
récemment exprimé littéralement dans le CPP, qui précise que le respect des droits de la défense,
notamment en matière pénale, implique l’existence d’une procédure juste et équitable garantissant
l’équilibre des parties.
Cette formule est issue du Conseil Constitutionnel, qui s’est inspiré de la jurisprudence européenne
et a influencé la loi du 15 juin 2000. Ce principe d’égalité des armes n’a pas d’expression de
soutient explicite dans le texte de l’article 6§1, alors même que l’article 14 du Pacte affirme bien
que tous sont égaux devant les tribunaux et les Cours de Justice. Ayant à connaitre de cette

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exigence, le Comité des DDH lie étroitement égalité et équité, étant donné qu’il s’agit d’une égalité
juridique, mais également d’une égalité de moyens, ce qui suppose concrètement de pouvoir
disposer de temps suffisant pour pouvoir préparer sa défense ou de se faire assister gratuitement par
un interprète.

Historiquement, l’affirmation du principe d’égalité des armes est ancienne, en ce qu’elle constitue
la 1ère expression autonome du droit à un procès équitable. Dans une affaire du 30 juin 1959,
Szwabowicz c. Suède, la Commission à l’époque avait élaboré le contour du principe d’égalité en
déclarant que toute partie à une action civile et a fortiori à une action pénale doit avoir une
possibilité raisonnable d’exposer sa cause au tribunal dans des conditions qui ne la désavantage pas
d’une manière appréciable par rapport à la partie adverse. Ce principe a été retenu pour la 1ère fois
dans l’arrêt Neumeister du 27 juin 1968, où il a été consacré implicitement, puis de manière plus
forte la Cour a dans un arrêt Delcourt c. France du 17 janvier 1970 affirmé que l’égalité des armes
est le principe fondamental di procès équitable qui caractérise l’ensemble du droit à la justice.

L’approche de la Cour EDH est la suivante : le principe de l’égalité des armes implique d’offrir à
chaque partie une possibilité raisonnable de présenter sa cause dans des conditions qui ne la placent
pas dans une situation de net désavantage par rapport à son adversaire. Autrement dit, l’égalité des
armes s’entend au sens de juste équilibre entre les parties. C’est ce qu’a exprimé l’arrêt Dumbo
Beheer, le 27 octobre 1993.

a) Le domaine d’application du principe d’égalité des armes

Le principe s’applique particulièrement à la matière pénale, du fait de la nécessité de rétablir


l’équilibre entre les droits de l’accusation et ceux de la défense. C’est peut être ce qui explique que
cette notion d’équité se trouve expressément mentionnée dans les textes du CPP.
Mais ce principe est également appliqué à la matière civile. A ce titre, il s’applique à toutes les
procédures mettant en cause des droits ou obligations à caractère civil, donc aussi bien des affaires
fiscales que sociales. Ce principe concerne même la procédure suivie devant les juridictions
constitutionnelles, comme la Cour l’a affirmé le 26 juin 1993 dans l’affaire Ruiz Mateos c.
Espagne, dès lors que la décision à rendre peut influer sur l’issue du litige civil dont il est débattu
devant les juridictions ordinaires.
Ce principe concerne aussi les organes qui peuvent décider de droits et obligations à caractère civil,
notamment aux AAI qui disposent d’un pouvoir de sanction en matière économique. Ce principe
d’égalité des armes est applicable également à toutes les phases de la procédure, y compris la phase
d’instruction. De même qu’il doit également être garanti dans l’exercice des voies de recours. C’est
ainsi que dans l’affaire Ben Naceur c. France du 3 octobre 2006, la Cour EDH a considéré que
l’article 505 du CPP portait atteinte au principe d’égalité des armes dès lors que le fait pour le
Parquet bénéficiait d’un délai d’appel plus long que celui accordé au prévenu conjugué à
l’impossibilité pour le requérant d’interjeter un appel incident plaçait ce dernier dans une position
de net désavantage par rapport au Ministère Public, qui a des intérêts distincts et opposés.

Cette égalité des armes ne joue qu’entre les parties au litige, et son application est exclue
expressément contre une partie et une juridiction qui ne saurait passer pour l’adversaire de l’une des
parties. C’est notamment ce qu’affirme la Cour EDH dans l’arrêt Nideröst-Huber c. Suisse du 18
février 1997. En revanche, cette égalité des armes doit être observée quelque soit la qualité des

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parties au litige, et ce notamment s’il s’agit d’un litige entre l’Etat et un simple individu, comme
c’est le cas notamment en matière fiscale.
Le fait est que sur ce terrain, la Cour EDH a adopté une conception extensive de l’égalité des
armes : si les parties au sens strict, demandeur et défendeur, doivent bénéficier d’un traitement
procédural égalitaire, la Cour considère que l’exigence d’équité concerne aussi les rapports entre les
parties, et toute personne qui intervient dans la procédure avec la possibilité d’influer sur la décision
du juge, ce qui conduit à avoir une conception plus large de la notion de partie.

Cette exigence a ainsi conduit la Cour EDH à partir de sa jurisprudence Borgers c. Belgique du 30
octobre 1991 à remettre en cause le rôle du Ministère Public, dont l’intervention au cours de la
phase d’instruction comme au cours du délibéré a été jugée contraire au principe de l’égalité des
armes.
Le juge européen a mis l’accent sur son rôle réel, soulignant que ses conclusions ont une autorité
particulière, qu’elles ne sont pas neutres pour l’intéressé. Le Ministère Public, en recommandant
l’admission ou le rejet du pourvoi devient objectivement soit l’allié, soit l’adversaire du requérant.
Dès lors que son intervention exerce une influence sur la décision du juge, le Ministère Public a été
assimilé à une partie, et donc soumis au principe de l’égalité des armes.

Cette solution révèle une nouvelle approche de la notion de procès équitable, en raison de
l’importance que la Cour EDH en la matière a accordé à la théorie des apparences. Alors même que
la Cour reconnaissait l’importance et l’impartialité du Ministère Public, elle a néanmoins considéré
que sa participation au délibéré ne pouvait être que sanctionnée, parce qu’elle offrait une occasion
supplémentaire à ce dernier d’appuyer ses conclusions sans que le requérant puisse bénéficier d’un
avantage similaire. Justement, la Cour considère que le plaideur ne peut éprouver qu’un sentiment
d’inégalité si après avoir entendu les conclusions défavorables du commissaire à l’issue de
l’audience publique, il le voit se retirer avec les autres juges de la formation de jugement pour
assister au délibéré dans le secret de la Chambre du Conseil.

Cette jurisprudence a eu une importante répercussion en droit interne. Pour ce qui concerne l’avocat
général, sa présence a été jugée contraire au principe de l’égalité des armes dans l’arrêt Slimane
Kaïd c. France du 27 novembre 2003, dans lequel la Cour EDH est venue préciser que même s’il ne
prend pas part au débat, sa seule présence au délibéré de la Cour de Cassation est incompatible avec
l’article 6§1 de la Convention. Cette solution a été confirmée à plusieurs reprises par l’arrêt Quesne
c. France du 1er avril 2004. Pour le commissaire du gouvernement, c’est dans l’arrêt Kress du 7 juin
2001 que la Cour a condamné la présence du commissaire du gouvernement au délibéré du Conseil
d'Etat, alors même que le Conseil d'Etat avait adopté une position contraire dans l’affaire Esclatine
du 29 juillet 1998. La Cour a maintenu sa position dans l’arrêt Théraube du 10 octobre 2002, puis
dans l’arrêt Marie-Louise Loyen du 5 juillet 2005.
Un décret du 19 décembre 2005 est venu préciser le rôle du commissaire du gouvernement en
affirmant que si ce magistrat assiste aux délibérés, il n’y prend pas part. Cependant, cette tentative
de négociation n’a pas abouti, car dans l’arrêt Martinie c. France du 12 avril 2006, la Cour a
affirmé que le commissaire du gouvernement ne peut être présent au délibéré, aucune distinction ne
pouvant être opérée entre une distinction active ou passive. La sanction était évidente en
considération de la théorie des apparences. Un décret du 1er aout 2006 a introduit une
différenciation entre la juridiction administrative devant laquelle le commissaire intervient : pour le
Conseil d'Etat, l’article R733-3 du CJA lui permet d’assister au délibéré si les parties ne s’y sont pas

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expressément opposées, et pour les TA et CAA, la présence du commissaire est expressément
exclue par l’article R732-2.
Ce qui est intéressant de souligner, c’est que suite aux réformes et changements terminologiques, le
Conseil des Ministres est intervenu pour reconnaitre la conventionnalité des dispositions de l’article
L733-3. La Cour EDH, dans une décision du 15 septembre 2009, Etienne c. France, est venue
conforter cette opinion en déclarant irrecevable la requête qui plaidait que la présence du
commissaire au délibéré constituait une rupture de l’égalité des armes. Cette affaire avait été
délibérée après l’entrée en vigueur du décret du 1er aout 2006 : la requérante avait été informée de la
possibilité pour elle de la possibilité de s’opposer à cette présence, et son abstention a été
considérée comme une volonté de renoncer à cette faculté.

b) La mise en œuvre du principe d’égalité des armes

L’égalité doit s’apprécier raisonnablement. Concrètement, l’égalité des armes implique une égalité
procédurale dans la communication des pièces aux parties ainsi que dans la présentation et
l’examen par les parties des pièces de la procédure. Il est également certain que les parties doivent
avoir la possibilité non seulement de présenter d’une manière égale leurs moyens de preuve, mais
d’une façon plus générale leurs arguments. Concernant la communication des pièces aux parties,
c’est le déséquilibre d’information entre les parties qui est susceptible de constituer une violation de
l’égalité des armes. C’est ainsi que dans l’affaire du 27 avril 2000, Kuopila c. Finlande, a été
sanctionnée la transmission au seul procureur et non à la défense d’un rapport de police, ou bien
encore que dans l’affaire Rowe et Davis c. Royaume-Uni du 16 février 2000 a été sanctionné le fait
pour l’accusation de ne pas divulguer la déclaration d’un témoin à charge pour motif de sécurité
nationale. C’est également sur ce fondement que la Cour EDH est venue sanctionner la non-
communication à l’identique du rapport du conseilleur-rapporteur de la Cour de Cassation à
l’avocat général et aux parties. Dans l’affaire Reinhardt et Slimane Kaïd du 31 mars 1998, les juges
européens ont condamné le fait que les parties n’aient eu accès qu’à un rapport plus épuré et ne
peuvent connaitre que le sens de l’avis du conseiller rapporteur quelques jours avant l’audience sans
plus d’autres éléments.
La Cour de Cassation a fini par modifier sa pratique : désormais, le rapport du conseilleur
rapporteur est communiqué dans son 1er volet à la fois aux partis et à l’avocat général, tandis que le
2ème volet, qui comprend l’avis sur la décision et le projet d’arrêt n’est communiqué ni aux parties,
ni à l’avocat général. La nouvelle pratique a été validée par la Cour EDH dans l’arrêt Pascolini c.
France du 26 juin 2003, et Fabre c. France du 2 novembre 2004.

S’agissant de la présentation et de l’examen des pièces de la procédure, la jurisprudence de la Cour


EDH vise à sanctionner le déséquilibre dans la possibilité de faire valoir utilement sa cause. C’est
ainsi que la différence de traitement dans l’audition des experts ou des témoins peut être constitutif
d’une violation de l’égalité lorsqu’elle place le requérant dans une situation de net
désavantage. Dans le même esprit, l’égalité des armes implique que les parties puissent participer
également dans la recherche de preuves.

Dans la mesure om chaque partie doit pouvoir faire valoir ses arguments, il est impératif qu’elles
puissent voir chaque pièce du dossier. Il n’est donc pas équitable que l’accusation puisse produire
des pièces à la juridiction à l’insu de la défense, car c’est à la défense de savoir si les observations
méritent ou non une réaction.

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L’égalité implique une égalité de moyens pour faire valoir ces arguments. La Cour EDH a ainsi
considéré qu’il y avait une rupture d’égalité lorsqu’une règle de procédure n’est applicable qu’au
bénéfice de l’Etat à l’exclusion du requérant. L’illustration vient de l’affaire Platakou c. Grèce du
11 janvier 2001 : la Cour a considéré que la suspension des délais de procédure pendant les
vacances judiciaires au seul profit de l’Etat place le requérant dans une situation de net désavantage,
dans la mesure où en l’espèce si le requérant avait pu profiter de cette suspension, son recours
n’aurait pas été déclaré forclos.

La Cour recherche parfois si un procédé déloyal n’est pas venu fausser l’équilibre entre les parties.
On va plus sanctionner le déséquilibre déloyal dans tous les niveaux : communication des pièces,
recherche de preuve, que le déséquilibre seul.

2) Le principe du contradictoire et du respect des droits de la défense

Selon la Cour EDH, le principe de l’égalité des armes représente un élément de la notion plus large
de procès équitable, qui englobe aussi le droit fondamental au caractère contradictoire de la
procédure. Cette formule a été répétée à plusieurs occasions : Brandstetter c. Autriche du 28 aout
1991, puis dans l’affaire Ruiz Mateos c. Espagne, ou le 24 novembre 1998, dans l’affaire Wermer c.
Autriche. Cela n’épuise pas le contenu du droit au procès équitable, qui englobe aussi le caractère
contradictoire de la procédure, qui est envisagé comme la condition d’exercice des droits de la
défense.

Les notions ne doivent pas être confondues dès lors que la Cour EDH leur a attribué un champ
d’application et un contenu propre. Pour autant, la doctrine opère parfois une confusion entre ces
deux notions, ce qui confère à leur autonomie un caractère relatif. Le fait est que si l’égalité des
armes est parfois envisagée sous l’angle du contradictoire, elle peut également recevoir des
applications en dehors même du contradictoire.
Pour cela il faut revenir aux définitions : l’égalité des armes est l’obligation d’offrir à chaque partie
une possibilité raisonnable de présenter sa cause dans des conditions qui ne la place pas dans une
situation de net désavantage par rapport à l’adversaire. A l’inverse, le principe du contradictoire se
définit comme la faculté pour les parties à un procès de prendre connaissance et de discuter de toute
pièce ou observation présentée au juge en vue d’influencer sa décision. Le contradictoire va au-delà
des relations des parties entre elles : il concerne aussi les relations des parties avec le juge, et plus
loin les relations avec toute personne qui aurait une influence sur la décision du juge.

a) Le domaine du principe du contradictoire

Bien qu’il ne soit pas expressément reconnu dans les textes, ce principe ressort de la règle générale
selon laquelle toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement. La Cour EDH
estime donc que le droit au procès équitable englobe aussi le droit fondamental au caractère
contradictoire de la procédure.
Plus précisément, dans l’affaire Feldbrugge c. Pays-Bas du 29 mai 1986, la Cour est venue préciser
que la contradiction repose sur la possibilité de discussion avec le juge, ainsi que la faculté de
consulter et de critiquer le dossier de l’affaire. Cette formule a été affinée avec la même teneur dans
une autre affaire : le droit à une procédure contradictoire implique pour une partie de prendre
connaissance des observations ou pièces produites par l’autre, ainsi que d’en discuter devant le
juge.

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Ce principe du contradictoire reçoit une application similaire en matière civile et en matière pénale :
l’objectif est le même, il s’agit d’assurer l’effectivité du débat contradictoire. Ce principe du
contradictoire s’applique à toute procédure, pénale ou civile, administrative, disciplinaire,
constitutionnelle … . Il s’applique également à toutes les phases de la procédure, y compris celle de
l’expertise technique, dès lors que celle-ci à une influence sur la décision du juge. C’est ce
qu’illustre l’affaire Mantovanelli c. France du 18 mars 1997, où l’expertise médicale avait été
ordonnée par le JA dans le cadre d’une procédure en responsabilité contre un CHR. L’expertise
devait être soumise au principe du contradictoire dès lors que sa solution allait nécessairement avoir
un impact sur la procédure en responsabilité.

b) La mise en œuvre du principe du contradictoire

Concrètement, ce principe s’exprime dans le droit à l’information des parties, c'est à dire dans le
droit d’accéder à tous les éléments du dossier. C’est le droit d’être informé des faits reprochés et de
connaitre la qualification juridique retenue. Le principe du contradictoire permet de sanctionner
l’égal défaut de transmission d’information lorsque les deux parties ont été privées de la possibilité
de connaitre une information utile qui a été fournie au juge.

Le principe du contradictoire implique le droit pour les parties de discuter des pièces du dossier. Ce
qui suppose le droit pour le requérant de comparaitre à l’audience. En matière civile, la Cour EDH a
reconnu que les parties disposaient du droit de comparaitre à l’audience dans l’affaire Pelbrugge, en
considérant que la procédure n’est pas contradictoire si le président n’a pas entendu la requérante et
ne l’a pas invitée à présenter ses observations.
Toutefois, le droit de comparaitre ne signifie pas le droit de comparaitre en personne : si les parties
doivent être invitées et mises à même de présenter leur défense au sens large, elles ne sont pas
obligées de pouvoir le faire personnellement. La Cour EDH admet que la représentation obligatoire
puisse être imposée dans un souci de bonne administration de la justice.
En matière pénale, on a également une application de ce même principe du droit de comparaitre,
étant précisé que l’alinéa 3 de l’article 6 précise les conditions de cette comparution.

Le principe suppose également le droit d’être entendues et de présenter ses observations. Ce droit
s’adresse aux parties à l’instance, mais également au juge, avec lequel il doit être possible de
discuter. Le droit des parties de présenter leurs observations n’est effectif que si ces observations
sont vraiment entendues et examinées par le juge. Le contradictoire suppose donc d’entendre le
justiciable, mais également de lui donner la possibilité de répondre aux observations qui lui sont
faites.

Les applications de ce principe sont nombreuses. Celle qui est apparue comme la plus intéressante
et novatrice concerne le Ministère Public : après avoir constaté que l’intervention du Ministère
Public n’est pas neutre, la Cour EDH a conclu que son intervention est soumise au principe du
contradictoire, et a sanctionné la non-communication des conclusions de l’avocat général et du
commissaire du gouvernement aux parties, et l’impossibilité pour ces dernières d’y répondre.
Dans un 1er temps, la Cour EDH a d’abord examiné cette question sous l’angle de l’égalité des
armes, puis à partir de Vermeulen contre Belgique du 20 février 1996 au regard du principe du
contradictoire. La conclusion de la Cour que ces conclusions ne se situent pas hors de la phase

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contradictoire du procès, mais doivent au contraire y être soumises. Cela a été jugé dans des arrêts
contre la France, dont notamment Lacas contre France, du 8 février 2005.

La jurisprudence européenne a conduit à des modifications de la pratique. La Cour EDH est


d’ailleurs venu approuver la pratique qui s’est instaurée, notamment pour l’impossibilité des parties
de répondre aux conclusions de l’avocat général. Aujourd'hui le principe du contradictoire se trouve
assuré dès lors que les parties et leurs avocats sont informés du sens des conclusions de l’avocat
général et de la date de l’audience, ce qui leur permet de répondre à ses observations, soit par une
note en délibéré, soit oralement au cours de l’audience.
Pour ce qui concerne le commissaire du gouvernement, la Cour EDH a considéré que la pratique de
la note en délibéré permettait de respecter le principe du contradictoire. Le Conseil d'Etat a
d’ailleurs précisé le régime de cette note en tenant compte des exigences européennes, et sa solution
a été avalisée par la Cour EDH, notamment dans l’arrêt Nesme du 14 décembre 2004, jusqu’à ce
qu’un décret de 2005 vienne codifier cette pratique à l’article 731-5 du CJA.

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3) Le principe de motivation des décisions de justice

L’exigence de motivation des décisions de justice est considéré traditionnellement comme une
garantie des droits de la défense en ce qu’elle protège les plaideurs contre l’arbitraire judiciaire et
leur permet de comprendre le sens de la décision rendue, d’apprécier la pertinence de son
fondement et de décider en connaissance de cause d’exercer le cas échéant une voie de recours.

Cependant, le respect de cette obligation en droit interne prête à discussion. Elle a été introduite par
la loi des 16 et 20 aout 1990, ensuite reprise dans tous les Codes de Procédure respectifs. En
procédure civile, cette obligation de motiver les décisions de justice est inscrite aux articles 455 et
458 CPC, elle est prescrite au juge étatique à peine de nullité du jugement rendu. Cette obligation
s‘impose également à la juridiction arbitrale, puisque l’article 1471 l’exige à peine de nullité de la
sentence arbitrale.

Elle est assortie d’un certain nombre de dispenses et fait l’objet d’assauts récurrents du pouvoir
réglementaire, qui propose régulièrement son allègement pour permettre d’accélérer le cours de la
justice. Mais ces revendications n’ont jamais abouti, ce qui peut être le signe qu’on peut
difficilement se passer de motivation.

Dans la procédure administrative on la retrouve aussi, même si la référence textuelle est apparue
tardivement. Le Conseil d'Etat a toujours considéré que l’obligation de motiver était une règle
générale de procédure à portée impérative, et s’imposait même en présence de texte exprès, et ne
pouvant être écartée que par des dispositions formelles. Avec l’édiction du CJA, le principe de
motivation a été inscrit à l’article 9 dans un titre liminaire énonçant des principes directeurs. Ce qui
est intéressant de souligner, c’est que la codification ayant été le fait du législateur, les codificateurs
ont consacré la valeur législative de l’obligation de motiver.

En ce qui concerne la procédure pénale, l’obligation se trouve à l’article 485 du CPP, qui impose
une obligation de motiver tous les jugements correctionnels ou de police. La violation de cette
obligation est sanctionnée par l’article 593 du Code, qui frappe de nullité les arrêts et jugements en
dernier ressort qui ne contiennent pas des motifs suffisants pour permettre à la Cour de Cassation de
vérifier si la loi a été respectée. Dans la mesure où la matière pénale relève du pouvoir législatif,
l’obligation de motiver dispose d’une valeur légale, ce qui permet au législateur de l’écarter ou de
l’imposer ou d’en prévoir les modalités. Sur ce plan, on constate d’ailleurs dans cette matière un
renforcement constant de l’obligation de motiver.

Cette promotion de l’obligation de motiver tranche avec l’écueil constitué par les arrêts de Cours
d’Assises, qui bien que jugeant des infractions les plus graves, ne sont pas assujetties à l’obligation
de motiver, jugée incompatible avec l’intime conviction.
Cette pratique a pourtant été validée par la Cour EDH dans l’affaire Papon du 15 novembre 2001,
dans laquelle elle a considéré que l’exigence de motivation doit s’accommoder des exigences de la
procédure, notamment devant les Cours d’Assises où les jurés ne doivent pas motiver leur intime
conviction. Elle souligne par ailleurs que le Ministère Public et les jurés peuvent contester les
questions libellées et posées aux jurés par le Président de la Cour d’Assises, et demander d’en poser
d’autres, sachant qu’en cas de contestation la Cour d’Assises statue par un arrêt motivé. Si le jury
n’a pu répondre que par un oui ou un non à chacune des questions posées par le Président, ces
questions forment une trame sur laquelle est fondée la décision.

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La position de la Cour EDH semble s’être infléchie dans l’affaire Taxquet c. Belgique du 13 janvier
2009.

C. Les garanties procédurales

Elles assurent le bon déroulement de l’instance.

1) Le droit à la publicité de la procédure

La publicité de la justice permet d’assurer sa transparence. Cependant, elle ne suffit pas à elle seule
à assurer l’équité de la procédure. Parfois elle peut même porter atteinte à la sérénité de la justice.
Cela explique l’attitude partagée face à cette exigence. La publicité est un principe fondamental qui
fait l’objet d’aménagement.

a) Le principe de publicité

Il est expressément énoncé dans l’article 10 de la DUDH, l’article 14 du Pacte, l’article 47 de la


Charte et l’article 6§1 de la Convention EDH.
La Cour EDH est attachée à ce principe de publicité car elle estime qu’il contribue à réaliser le
caractère équitable du procès par la transparence qu’il donne à l’administration de la justice et en ce
qu’il préserve la confiance des justiciables dans l’institution judiciaire. Il faut que chacun puisse
constater que la justice a été correctement rendue.
Cette exigence s’attache à l’audience et au prononcé des décisions. Ces deux aspects font l’objet
d’un contrôle différencié. Le principe de publicité des audiences a été qualifié de fondamental dans
une décision du 24 juin 1993, Schuler-Zgraggen c. Suisse. Ce principe est un droit pour tout
justiciable d’être entendu publiquement et un droit pour le public de s’informer.

b) Les tempéraments

Pour la publicité du prononcé du jugement, la Cour EDH a une interprétation plus souple. Ce
principe n’est pas conçu comme absolu mais souffre de tempéraments qui sont prévus par l’art 6§1
lui-même et beaucoup d’exceptions prétoriennes.
Pour la publicité des débats, la Convention EDH et le Pacte prévoient des restrictions justifiées par
l’intérêt général : interdiction de la salle d’audience au public et à la presse dans l’intérêt de la
moralité, de l’ordre public, de la sécurité nationale, ou quand les intérêts des mineurs ou la
protection de la vie privée ou des parties l’exigent.

Il y a des exceptions prétoriennes. D’abord le requérant peut renoncer à la publicité des débats, de
manière libre, sans contrainte et de manière non équivoque et qu’il n’en résulte pas une
renonciation à un principe d’intérêt supérieur tel que l’impartialité.
Ensuite, les critères de la Cour EDH pour apprécier le respect du principe de publicité permettent
des accommodements.
Le droit d’être entendu publiquement implique, quand la procédure se déroule devant un tribunal
statuant en 1er et dernier ressort, le droit à une audience sauf circonstances exceptionnelles tenant à
l’absence de problèmes de droit ou de fait nécessitant une audience ou à l’absence de l’intérêt du
public.

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La solution inverse prévaut pour une procédure d’appel ou de cassation dont les particularités
peuvent justifier l’absence de publicité. Arrêt Sutter c/ Suisse du 22 février 1984 : le procès devant
une cour suprême qui ne statue qu’en droit peut ne pas être public car la publicité des audiences
n’aurait pas permis un meilleur contrôle du fonctionnement de la justice.
Si les débats publics ont eu lieu en 1ère instance, leur absence au 2nd degré et en cassation peut se
justifier en vertu des caractéristiques de la procédure dont il s’agit. Mais la cour atténue sa position
en considérant que la publicité est nécessaire quand une CA a à connaître d’une affaire dont l’enjeu
revêt une certaine gravité.

La Cour adopte une appréciation globale sur l’ensemble du procès selon la spécificité des
différentes phases et la nature de l’instance. Donc la publicité à un niveau de la procédure peut
compenser son absence à un autre stade. En tout état de cause, la publicité doit être respectée quand
on est à un stade déterminant.

Il y a des tempéraments textuels. La Cour EDH dans l’arrêt Campbell et Fell affirme que ce droit à
la publicité du prononcé du jugement ne doit pas être considéré comme assortie de limites
implicites. La publicité du prononcé du jugement est érigée en règle absolue.
Pour autant la Cour EDH a adopté une interprétation qui a pris en compte la particularité de la
procédure, ainsi que le but et l’objet de l’art 6 qui diminuent la portée de ce droit.
Elle a laissé une marge de liberté importante aux états pour mettre en œuvre les moyens d’appliquer
cette exigence. Arrêt Axen c. Allemagne du 8 décembre 1983 : quand le jugement d’une cour de
cassation ne contient que la déclaration d’admission ou de rejet du pourvoi, la lecture du jugement
est inutile au regard des buts de la règle de publicité.

Alors même que ce principe dépasse les seuls intérêts des justiciables, la cour a validé des modes de
publicité peu conformes aux intérêts du public. La publicité du jugement peut être réalisée par le
simple dépôt de la décision au greffe où elle est accessible au public.
Elle a aussi considéré que la seule notification aux parties d’une décision répondait aux exigences
de publicité dès lors que l’accès au public était assuré par d’autres moyens (par ex publication dans
un recueil officiel).

Donc tout mode de publicité semble recevoir l’aval du juge européen dès lors que la cour apprécie
in concreto la publicité du jugement. L’essentiel est que l’objectif (assurer le contrôle du pouvoir
judiciaire) soit atteint.
Deux affaires concernant la France en 2007, à propos de l’article 450 alinéa 2 CPC qui prévoit que
le jugement peut être prononcé par sa mise à disposition au greffe de la juridiction n’est pas
contraire à l’art 6§1 dès lors qu’il est permis à chacun d’avoir accès à la décision.

Concernant le droit français, il est dans son ensemble conforme à la Convention EDH. Les textes
posent en effet des exceptions limitées à la publicité. Parfois les textes français vont au-delà des
exigences européennes. Il y a eu cependant quelques difficultés émanant du Conseil d'Etat,
concernant le respect de ce principe devant les juridictions financières et disciplinaires. Le Conseil
d'Etat a fini par s’aligner sur la Cour EDH notamment pour les juridictions financières. Le Conseil
d'Etat et la Cour de Cassation ont admis l’application du principe de publicité. Le Conseil d'Etat a
longtemps refusé de l’appliquer pour les juridictions disciplinaires, il y a donc eu des réformes
réglementaires pour que les décisions soient conformes à la CEDH.

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Le principe reste donc la publicité sous la réserve de circonstances exceptionnelles.
2) Le droit à un délai raisonnable (la célérité de la justice)

Que le délai soit trop court ou trop long, il est susceptible d’être sanctionné comme contraire à
l’article 6§1 de la Convention EDH. Cette exigence que les décisions soient rendues dans un délai
raisonnable figure dans quelques textes : l’article 9 du Pacte International, et également aux articles
5 et 6, qui évoquent un délai raisonnable. Enfin, l’article 47 de la Charte, qui reprend cette formule,
mais qui n’est pas nouvelle, car avait été affirmée par la CJCE qui a toujours affirmé que le respect
d’un délai raisonnable participe des droits fondamentaux.
La CJCE a d’ailleurs à ce titre directement fait application de l’article 6 en utilisant les mêmes
critères que la Cour EDH pour apprécier le caractère raisonnable ou non du délai. Elle a également
eu besoin de se démarquer de l’article 6 en affirmant que le droit à un délai raisonnable constituait
un principe général de droit communautaire. Désormais cette garantie est inscrite à l’article 47.

Notre droit interne n’est pas non plus sourd à cette exigence de sévérité, qui a été intégrée dans
certains textes de droit interne : on évoque la durée raisonnable de la détention provisoire par
exemple. On a des textes plus généraux comme l’article 111-3 du COJ, qui énonce que les décisions
sont rendues dans un délai raisonnable. Cette notion apparait dans de nombreux autres codes,
comme le CGI, le CMF ou le Code de la Santé.
De nombreuses réformes ont également conduit à mettre en place des outils permettant d’accélérer
les procédures. En procédure civile, le décret du 28 décembre 2005 a renforcé le rôle du juge de la
mise en état qui est devenu en quelque sorte le garant du délai raisonnable. Dans le même temps, en
procédure administrative, avec le décret du 19 décembre 2005, on a également permis aux parties
qui jugent que leur procédure a duré excessivement longtemps de saisir le chef de la mission
permanente des juridictions administratives pour que ce dernier puisse faire des recommandations
visant à remédier à cette situation.
En matière de procédure pénale, la loi du 15 juin 2000 a également prévu un certain, nombre de
dispositions pour poursuivent cet objectif d’imposer un délai raisonnable conformément aux
exigences européennes.

Cette notion de délai raisonnable n’est pas pour autant facile à définir. Le raisonnable est un concept
à contenu variable. Il faut déterminer la période à prendre en considération, dégager les critères
d’appréciation du caractère raisonnable du délai et régler la question de la sanction du non respect
de ce délai.

! Détermination de la période à prendre en considération

La Cour EDH doit déterminer la durée du procès, qui est la période à prendre en considération. Ce
bornage s’effectue par la détermination du dies a quo, le point de départ du délai et le dies ad quem,
le point de fin du délai. Il faut distinguer les matières civiles et pénales.

o Pour le dies a quo

• Matière civile

Le point de départ est la date de la saisine de la juridiction compétente : affaire Pretto c. Italie, 8
décembre 1983. Il est possible que ce délai commence plus tôt : à chaque fois qu’un processus

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préalable à la saisine du juge est imposé au justiciable, ce qui est fréquent en contentieux
administratif, ce préliminaire va marquer le point de départ de la période considérée. Le recours
préalable gracieux peut constituer un point de départ, comme la Cour EDH l’a exprimé dans une
affaire du 31 mars 1992, X c. France. Le fait aussi que l’on doive respecter une procédure
préliminaire obligatoire devant un organe non juridictionnel peut servir de point de départ.
Dans l’affaire Santomi c. France du 29 juillet 2003, on a fait courir le dies aquo à partir de la
saisine de la Commission Nationale des Accidents, qui est une procédure obligatoire avant toute
saisine d’un juge. De même, en matière de successions, le délai pris en compte doit englober la
durée de la procédure de liquidation de la succession devant le notaire, car elle est si étroitement
liée au contrôle du tribunal qu’elle ne peut en être dissociée : affaire Dumas c. France du 23
septembre 2003.

• Matière pénale

Le délai ne commence pas à courir à partir de la saisine de la juridiction, mais à compter du


moment où le requérant s’est retrouvé en situation d’accusé. Le dies a quo, c’est la date où
l’accusation au sens de l’article 6§1 aurait été portée à la connaissance de l’intéressé. Dans l’affaire
Bertin-Mourot c. France du 2 aout 2000, c’est l’adoption par le procureur du réquisitoire introductif
d’instance qui a fait courir le délai. Dans l’affaire Djaid c. France du 29 septembre 1999, le point de
départ a été la mise en examen du requérant. Dans l’affaire Rouille c. France du 6 janvier 2004,
c’est la date à laquelle l’administration des douanes a dressé le procès-verbal constatant les
infractions qui a servi de point de départ.

o Pour le dies ad quem

En ce qui concerne le dies a quem, il est constitué par la date de la décision judiciaire qui statue
définitivement sur le bien fondé de l’accusation en matière pénal ou qui vide en matière civile la
contestation de manière définitive.

• En matière civile

C’est le jour où le requérant à connaissance de la décision : le jour de la lecture s’il est présent, et à
défaut le jour de la notification. Mais la matière a évolué : on considère que le délai doit couvrir
l’ensemble de la procédure, et donc aller jusqu’à la date à laquelle le jugement a été effectivement
et complètement exécuté.
C’est donc en réalité la date d’exécution complète du jugement. Dans l’affaire Boily c. France du 5
décembre 1999, la Cour EDH à propos d’une procédure administrative qui duré 5 ans, 3 mois et 4
jours a évoqué l’effectivité totale du jugement.

• En matière pénale

C’est le jour où l’accusé est définitivement fixé sur sa condition juridique, donc la date du jugement
statuant définitivement sur le bien-fondé de l’accusation.

! Les critères d’appréciation du délai

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La Cour EDH apprécie le caractère raisonnable de la durée du procès selon les circonstances de la
cause. Néanmoins, pour conférer à cette appréciation in concreto une certaine homogénéité, la Cour
a posé trois critères principaux.

• Le critère de la complexité de l’affaire

La complexité se détermine par rapport aux faits, mais aussi aux questions juridiques soulevée.
Dans l’affaire Pretto par exemple, les faits ne prêtaient par à controverse, en revanche la Cour a
estimé que l’application d’une loi relativement nouvelle pouvait constituer une question juridique
complexe.
La complexité peut également résulter de la multiplicité des procédures ou bien encore de la
pluralité des parties ou de la matière même objet du litige. C’est le cas notamment dans des affaires
touchant à l’urbanisme ou à la protection de l’environnement.

• Le comportement des autorités nationales

La Cour EDH apprécie non seulement le comportement des autorités judiciaires, mais également
des autorités étatiques : celui de l’Etat, s’il est partie à la procédure, et de tous les intervenants qui
visent à assurer l’exécution des décisions.

o Comportement des autorités étatiques

La Cour estime qu’il incombe aux Etats d’organiser leur système judiciaire de tel sorte que les
juridictions garantissent à chacun le droit d’obtenir une décision définitive dans un délai
raisonnable. De cette obligation positive, la Cour déduit que très peu de motifs invoqués par l’Etat
peuvent l’exempter du respect de cette obligation. L’encombrement des juridictions n’est pas
considéré comme un argument recevable, sauf dans des circonstances exceptionnelles comme une
crise économique ou un contexte politique troublé. Cela par exemple été reconnu dans l’affaire
Guincho c. Portugal du 10 juillet 1984 : on a admis la reconnaissance de difficultés du système
judiciaire liées au retour de la démocratie au Portugal.
Mais même si on retient ce motif exceptionnel, la Cour va vérifier que l’Etat compte tenu de ces
circonstances exceptionnelles a adopté les mesures appropriées rapidement, pour surmonter de
telles circonstances. Dans le même ordre d’idées, la Cour EDH a considéré qu’un Etat ne peut
invoquer le manque de crédit pour justifier à retard excessif à exécuter une décision et conduire
ainsi à un dépassement du délai : c’est l’affaire Bourdov c. Russie du 7 mai 2002.

o Comportement des autorités judiciaires

Plus généralement, c’est le comportement des autorités judiciaires qui va peser dans l’appréciation
du délai raisonnable de la procédure. Concernant la France, il y a plusieurs décisions dans lesquelles
la Cour EDH a apprécié le rôle du juge de la mise en l’état, notamment lorsqu’il avait omis d’user
de ses pouvoirs pour assurer le respect du délai raisonnable. Dans l’affaire Gozalvo c. France du 9
novembre 1999, concernant l’indemnisation des victimes du SIDA, la Cour EDH a considéré que le
juge n’avait pas utilisé ses pouvoirs, notamment celui d’injonction.
La Cour a rappelé que même dans les pays où on respect le principe du dispositif, c'est à dire quand
on laisse beaucoup de pouvoirs aux parties, le juge a un rôle à jouer et on ne peut tolérer qu’il
n‘utilise pas la totalité des ses pouvoirs pour faire respecter le principe du délai raisonnable.

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L’Etat est également responsable de tous ses services qui contribuent à la fonction de la justice, tel
que le greffe d’un tribunal, le travail accompli par les mandataires judiciaires en matière de faillite,
ou l’activité d’un notaire dans une procédure de partage.

• Le comportement du requérant

Il ne doit pas par son attitude être à l’origine de la durée excessive de la procédure. Le droit à un
procès raisonnable est subordonné à sa diligence normale. On tient ainsi compte de sa passivité,
comme ca a été le cas dans l’affaire Vernillo c. France du 20 février 1991, où on a reproché aux
parties d’avoir grandement concouru à prolonger les procédures en ne déposant pas leurs
conclusions dans un délai raisonnable.

On peut également reprocher aux requérants une utilisation abusive des procédures. Pour autant, il
faut atténuer ce propos : on ne peut pas reprocher à un requérant d’avoir utilisé toutes les
possibilités qui lui étaient offertes par le droit interne. Mais on va sanctionner tout abus. La Cour se
montre moins sévère dans l’appréciation de ce critère.

Ce que la Cour recherche, c’est de savoir si les initiatives du requérant marquent une volonté
d’obstruction ou au moins une attitude de non coopération, qui dans ce cas légitime un allongement
de la procédure.

• Autres éléments pris en compte

Le fait est qu’aucun de ces trois critères n’est à lui seul décisif. L’appréciation du caractère
raisonnable du délai de la procédure n’est pas mécanique. Le juge européen doit essayer notamment
de veiller à un juste équilibre entre l’exigence de célérité et le principe général de bonne
administration de la justice également consacré à 6§1. C’est ce qui explique que cette appréciation
du délai raisonnable tienne compte d’autres éléments, tels que la nature de la procédure.

Par exemple, on va attendre plus de rapidité d’un juge des référés que d’un juge qui doit intervenir
au fond. On peut citer l’affaire caractéristique Ceriello c. Italie du 26 octobre 1999 où un juge saisi
en référé a déclaré son incompétence 10 ans et 2 mois après la délivrance de l’assignation.

La Cour va tenir compte de la situation des requérants, par exemple dans l’affaire Bailey c. France
de la courte espérance de vie des demandeurs, par exemple dans le cas des personnes contaminées
par le SIDA.

La Cour va tenir compte de l’enjeu du litige pour les requérants : par exemple en cas de contestation
de licenciement. Un salarié suspendu par son employeur a intérêt à être rapidement fixé du fait de
son manque de ressources. Idem en cas de placement d’enfants. En résumé, dès que la Cour EDH
estime que l’issue du procès revêt une importance particulière, elle va exiger une accélération de la
procédure. Par exemple en matière pénale, le délai ne s’apprécie pas pareillement selon si le détenu
est en détention ou en liberté.

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! La sanction du non respect de ce délai

La Cour EDH sanctionne les Etats qui ne font rien pour remédier aux lacunes de leur système
judiciaire en la matière. Au-delà de cette exigence, la Cour EDH considère également depuis
l’affaire Kudla c. Pologne que le requérant doit pouvoir disposer d’un recours effectif devant une
instance nationale pour se plaindre de la durée excessive de la procédure. On a vu les liens entre
l’article 6 et l’article 13 et la conclusion qu’en a tiré la Cour EDH que ce genre de violation devait
d’abord être assurée dans le droit interne avant de saisir la Cour EDH. Lorsqu’elle est saisie d’une
question relative au non respect d’un délai raisonnable, la Cour va vérifier s’il existe end t interne
un recours effectif permettant de se plaindre de cette violation.

Concernant ce contrôle, il a donné lieu à une évolution de notre jurisprudence et de notre


législation. Il y a un recours prévu à l’article 781-1 du COJ permettant au justiciable de se plaindre
de la durée de la procédure en mettant en cause la responsabilité de l’Etat pour défectuosité du
service de la justice. Le Conseil d'Etat a également proclamé l’existence d’un tel recours en matière
administrative dans l’affaire Magiera.
La Cour a jugé que le recours de 781-1 n’était pas un recours effectif, car les conditions fixées
étaient strictes et que l’interprétation jurisprudentielle qui en étant faite ne permettait pas de
sanctionner le non respect du délai raisonnable, qui n’était considéré ni comme une faute lourde ou
un délit de justice.

La jurisprudence française a fini par évoluer, et on a adopté une notion beaucoup plus large de la
faute lourde dans laquelle on a inclus la violation du délai raisonnable. Cette évolution a reçu
l’assentiment de la Cour EDH dans l’affaire Giummarra c. France du 12 juin 2001 : la Cour a
estimé que le recours de l’article L781-1 du COJ avait désormais acquis un degré de certitude
suffisant pour constituer un recours effectif.
Il y a deux arrêts importants : MIF Sud du 11 septembre 2002 rendu dans ce sens contre les
juridictions judiciaires et l’arrêt Broca et Tiexer-Micaut du 21 octobre 2003 concernant les
juridictions administratives. Concernant ces juridictions, un décret du 28 juillet 2005 est venu
donner compétence au Conseil d'Etat pour connaitre en premier et dernier ressort des actions en
responsabilité dirigées contre l’Etat pour les durées excessives de la procédure devant les
juridictions administratives. L’application qui a été faite de ce décret a été jugée satisfaisante par la
Cour EDH, car le système choisi s’est inspiré des exigences européennes.

Bonus : affaire Sartory contre France du 24 septembre 2009. C’est une décision intéressante, car
dans cette affaire la Cour EDH a intégré la procédure d’indemnisation de la durée excessive des
procédures administratives dans l’appréciation du délai raisonnable. Il a été précisé dans cet arrêt
que cette procédure d’indemnisation était soumise aux exigences d’un procès équitable et devait
conduire à des réparations d’un montant suffisant et effectivement versées dans un délai
raisonnable.
Dans cette affaire on avait un inspecteur de police qui avait été muté dans l’intérêt du service par le
ministère de l’Intérieur. Décision intervenue après des accusations de divulgation d’informations à
la presse concernant le fonctionnement des services de police. Le requérant a contesté sa mutation
devant les juridictions administratives. Il a obtenu raison devant la CAA. La procédure a duré de
septembre 1995 à avril 2002. Estimant que la durée de la procédure concernant sa mutation était
excessive, le requérant a demandé indemnisation devant le TA de Grenoble. En janvier 2006 sa

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demande a été transmise devant le Conseil d'Etat, compétent pour connaitre en premier et dernier
ressort des actions de ce type. Le CE en mai 2007 accueille la demande du requérant. Il reconnait la
responsabilité de l’Etat et alloue une indemnité de 3000!. Le requérant saisi la CEDH en raison de
la durée excessive de la procédure et invoque également la faiblesse de l’indemnisation qui lui avait
été octroyée. Ses arguments sont retenus par les juges européens, qui soulignent en utilisant les
critères usuels et en s’appuyant sur la décision du CE qu’effectivement la durée a été excessive. La
Cour réaffirme ensuite qu’il incombe aux Etats d’organiser leur système judiciaire de telle sorte que
soit garantie le droit des justiciables à obtenir un jugement dans un délai raisonnable et qu’une telle
célérité est nécessaire notamment en cas de litige relatif à l’emploi, ce qui n’était pas le cas dans
cette affaire.
Le 2ème point intéressant concerne la procédure d’indemnisation. Le point de départ est le fait que le
gouvernement déniait la qualité de victime au requérant, car le Conseil d'Etat avait fait droit au
recours indemnitaire introduit devant lui. Mais la Cour contrôle l’effectivité de la réparation en se
fondant sur 2 critères essentiels : le montant de la réparation accordée, le cas échéant la sévérité
dans le paiement et la durée de la procédure d’indemnisation. Là, la Cour EDH considère que la
procédure d’indemnisation a duré plus de 4 ans, et que le requérant en définitive a reçu la somme de
3k!, ce qu’elle juge insuffisant en regard de la durée cumulée des procédures au fond et en
réparation. Elle en conclut que le requérant a été pénalisé deux fois, et que donc il peut se prévaloir
de la qualité de victime, car le redressement n’est pas approprié et suffisant.

III. Le droit à l’exécution des décisions de justice

L’exécution des décisions de justice est une question primordiale, car l’absence ou la mauvaise
exécution d’une décision conduit à une injustice. Ca ne sert à rien de gagner son procès si on ne
peut pas obtenir l’exécution de la décision qui nous est favorable. Le fait que l’idée selon laquelle il
existerait un droit à l’exécution des décisions de justice est assez récente, car on considérait
traditionnellement que la mission du juge s’arrêtait au prononcé du jugement.
Mais la conception européenne du droit à un procès équitable et son exigence d’assurer l’effectivité
des droits reconnus par la Convention EHD la conduit à tenir compte de cette phase d’exécution des
décisions de justice. L’effectivité du droit d’accès à un juge suppose que soit garantie l’exécution
des décisions. C’est dans la sens que la Cour dans son arrêt du 19 mars 1997 Hornsby s’est
prononcée lorsqu’elle déclare que l’exécution des décisions de justice fait partie intégrante du droit
au procès équitable et qu’elle en déduit l’existence d’un droit à l’exécution des décisions.

Si le droit à l’exécution des décisions de justice a été promu à l’échelle européenne comme un
élément du droit au procès équitable, il a également bénéficié d’une reconnaissance en tant que
droit fondamental dans les autres sources du droit processuel, tant communautaires qu’internes.
Cependant, ni en droit européen ni en droit communautaire ni en droit interne ce droit fondamental
à l’exécution des décisions de justice n’a été conçu comme un droit absolu, ce qui en limite sa
portée.

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A. La reconnaissance du droit à l’exécution des décisions de justice

On peut constater que l’évolution contemporaine de ce droit est caractérisée par le passage du
devoir d’exécuter du débiteur au droit à l’exécution du créancier, que ce soit sur le plan européen,
interne ou communautaire.

1) Sur le plan européen

Le droit à l’exécution n’est pas expressément mentionné à l’article 6§1, mais la Cour EDH s’est
souvent référée à l’idée d’exécution des décisions de justice, avant même d’ailleurs de reconnaitre
explicitement ce droit. La question de l’exécution des décisions était plus souvent abordée sous
l’angle de l’article 13, qui consacre le droit à un recours effectif, combiné avec l’article 1er du
protocole n°1 sur le droit des biens.
Le rattachement de l’exécution des décisions de justices à l’article 6 s’est d’abord effectué sous
l’angle du droit au délai raisonnable. C’est au moment où le jugement trouve sa réalisation effective
qu’il faut se placer pour juger du caractère raisonnable du délai, la Cour EDH a donc estimé qu’il
fallait prendre en compte la durée de la procédure d’exécution pour estimer le délai raisonnable.
L’application de l’exigence de sévérité à l’égard de l’exécution ne valait cependant pas un droit à
l’exécution des décisions. C’est la raison pour laquelle l’arrêt Hornsby marque vraiment une étape
dans l’extension des garanties de l’article 6§1, qui n’est pas limité au cadre strict du procès. Cet
arrêt s’inscrit dans la ligne de l’arrêt Golder qui en reconnaissant un droit d’accès à un tribunal a
constitué le socle de toute la jurisprudence relative à l’article 6. La Cour rappelle que sa
jurisprudence consacre le droit à un tribunal, et elle estime que ce droit serait illusoire si les
décisions de justice restaient inopérantes au détriment d’une partie. Suivant ce raisonnement, elle a
considéré que l’exécution d’une décision de justice doit faire partie intégrante du procès au sens de
l’article 6§1. Dans cet arrêt Hornsby, on retrouve tous les ressorts de l’arrêt Golder, le souci de
protéger des droits concrets et effectifs, le choix d’une interprétation utilitariste, les conséquences
fâcheuses d’une interprétation différente. L’effectivité du droit, qui se caractérise sur l’exécution des
décisions conduit la Cour EDH a fondé sa décision sur le principe de prééminence du droit.
Comme l’accès au tribunal, l’exécution des décisions a pour finalité d’assurer l’application du droit,
il est une condition nécessaire à l’effectivité du droit exigée par le principe de prééminence du droit.
En faisant de la prééminence du droit le socle et la source du droit à l’exécution des décisions de
justice, la Cour ne limite pas le champ d’application de ce dernier à l’article 6§1. Ce droit à
l’exécution est également rattaché au droit de propriété garanti par l’article 1er. Dans l’optique
justement de la prééminence du droit, ce droit à l’exécution est de plus en plus mis en jonction avec
d’autres droits garantis par la Convention EDH : droit de propriété, droit au respect des biens, etc.

2) Le droit interne

Le droit à l’exécution a également connu une évolution substantielle : le Conseil Constitutionnel a


donné une force particulière au droit à l’exécution lors de l’examen de la loi relative à la lutte contre
l’exclusion. Le Conseil Constitutionnel considère que la règle selon laquelle tout jugement doit
donner lieu à exécution ne peut être écartée que pour des circonstances exceptionnelles tenant à la
sauvegarde des DDH.

Plus généralement, on peut considérer que ce droit à l’exécution est affirmé dans toutes les
matières.

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! En matière civile

Le droit à l’exécution des décisions de justice est consacré solennellement à l’article 1er de la loi de
9 juillet 1991 sur les voies d’exécution.

! En matière administrative

Il y a tout un livre 9 dans le CJA consacré à l’exécution des décisions, étant précisé que le Conseil
d'Etat considère que l’exécution d’une décision de justice fait partie intégrante du droit à un procès
équitable. C’est en ce sens qu’il s’est prononcé dans l’affaire Alais du 15 mars 2000.
Les mécanismes d’astreinte et d’injonction permettant aujourd'hui de limiter les cas de non
exécution en matière administrative, et la rénovation des référés a permis justement de mieux
assurer l’effectivité des décisions de justice.

! En matière pénale

L’exécution des peines est à la charge de Ministère Public. La matière est particulière et renvoie
plus à la procédure pénale proprement dite.

3) Le droit communautaire

Ce droit a fait l’objet d’avancées graduées. Certains auteurs ont décelé dans les décisions de la
CJCE l’affirmation d’un droit à l’exécution des décisions en tant que composante du droit à un
procès équitable, notamment à propos de l’obligation de la Commissions d’exécuter un arrêt sur le
fondement de l’article 233 du Traité CE. Cette solution a été étendue à la situation dans laquelle un
Etat refuse d’exécuter un arrêt de la CJCE.

Concernant la question de l’effectivité de l’exécution des décisions rendues par la CJCE, il faut
savoir que la CJ dispose de divers moyens pour parvenir à imposer le respect de sa décision à un
Etat. La Cour adopte des motivations très détaillées pour guider l’action de l’Etat dans la mise en
œuvre des mesures à prendre. A l’occasion d’un renvoi préjudiciel, elle peut également préciser le
sens à donner à un arrêt en manquement. Si en définitive cet arrêt n’est toujours pas respecté, la
Commission dispose également d’autres moyens fondés sur l’article 228 du Traité, notamment celui
de condamner par un recours en manquement sur manquement, le moyen le plus efficace restant la
sanction financière.

Pour ce qui concerne l’exécution des décisions de justice sur le territoire de l’UE, il faut noter
l’importance des changements depuis 1997, date à laquelle on a inscrit la coopération judiciaire
civile au nombre des objectifs de la communauté européenne puis de l’UE. Beaucoup de
règlements, de directives ont conduit à améliorer la question de l’exécution des décisions de justice
sur le territoire de l’Union (on est en train de discuter d’une astreinte européenne).

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B. La portée du droit à l’exécution des décisions de justice

Toutes les sources du droit processuel consacrent le droit fondamental à l’exécution des décisions
de justice, mais ce droit n’a pas été reconnu sans limites.

1) Le champ d’application de ce droit

En ce qui concerne le champ d’application de ce droit, les dispositions mêmes de l’article 6§1
conduisent à limiter le droit à l’exécution, à limiter son domaine, en ce qui concerne les décisions
qui en font l’objet. Il faut supposer que soit mise en œuvre une procédure devant un tribunal qui
décide sur une contestation portant sur un droit ou une obligation de caractère civil.

Le droit à l’exécution ne peut a priori concerne que des décisions qui tranchent une contestation, qui
sont définitives et obligatoires.

! Une décision qui tranche une contestation

La Cour a souligné cet aspect notamment à l’encontre d’une mesure de référé prescrivant une
mesure conservatoire dans l’affaire Meillard c. Portugal du 28 juin 2001. Toutes les décisions
temporaires sont donc exclues.

! Une décision définitive et obligatoire

Dans l’arrêt Ouzounis du 18 avril 2002, la Cour a décidé que le droit à l’exécution n’était pas
attaché aux décisions qui sont encore susceptibles d’être infirmées en appel. Par décision
obligatoire, il faut entendre une décision qui n’est plus susceptible de recours.
Il faut préciser qu’une décision exécutoire immédiatement en raison de l’exécution provisoire n’est
cependant pas une décision obligatoire au sens du droit européen.

A l’origine, ce droit à l’exécution a été circonscrit à la procédure civile, mais il a très vite débordé
pour concerner la procédure pénale. Dans sa décision Assanidzé c. Georgie du 8 avril 2004, la Cour
a jugé que la non exécution pendant plus de 3 ans d’une décision d’acquittement rendait illusoire les
garanties de l’article 6 dont la personne acquittée avait pu bénéficier durant son procès et privait de
tout effet utile les dispositions de l’article 6.

La Cour a une interprétation toujours plus extensive de ce droit à l’exécution puisqu’elle l’étend au
delà des décisions judiciaires. Dans l’affaire Hornsby, seules les décisions judiciaires étaient visées,
mais par la suite la Cour EDH a étendu le droit, par exemple aux procédures d’exécution d’un acte
notarié d’une créance, dans l’arrêt du 21 avril 1998, dans la mesure où cette procédure était
déterminante pour la réalisation effective du droit de la requérante. Il en a été décidé de même a
bénéfice d’un acte de conciliation. La Cour a également étendu le domaine de l’article 6 dans le
contentieux relatif aux frais de justice, notamment la condamnation aux dépens.

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2) Les conséquences de la reconnaissance de ce droit

! Les conséquences positives

Les conséquences de l’intégration de ce droit à l’exécution dans le procès équitable sont


essentielles, car la Cour EDH considère là qu’il y a une obligation positive pour l’Etat de ne pas
entraver, ne serait-ce par une attitude passive l’exécution d’une décision. Plus encore, l’Etat a
l’obligation de mettre en œuvre toutes les mesures adéquates et suffisantes afin d’exécuter les
décisions de justice définitives et obligatoires. Le fait est que si l’obligation à exécuter s’impose
d’abord aux personnes privées et aux parties au litige, c’est à l’Etat en cas de défaillance des
intéressés d’assurer l’effectivité des décisions de justice à travers l’action de son administration ou
bien encore de sa législation.
Si l’Etat est partie à la décision, il doit comme n’importe quelle partie ordinaire exécuter les
décisions qui le condamnent. La carence ou le refus de l’autorité publique d’exécuter une décision
de justice la condamnant constitue un manquement inacceptable à l’obligation d’exécuter une
décision de justice. En tout état de cause, l’Etat doit s’abstenir de toute ingérence active qui
résulterait du refus d’exécuter un jugement ou d’un simple retard à l’exécuter. Dans une affaire
Antonetto c. Italie du 20 juin 2000, on a sanctionné le retard prolongé des autorités de Turin
d’ordonner la destruction d’un immeuble construit illégalement.

Si l’Etat n’est pas partie à la décision, en sa qualité de dépositaire de la puissance publique, il doit
prendre toutes les mesures que l’on peut raisonnablement attendre afin d’assister le justiciable dans
l’exécution de la décision qui lui est favorable. Au titre de ces obligations positives, l’Etat doit par
exemple prêter le concours matériel de la force publique. Au-delà de cet aspect, l’Etat est soumis à
de nombreuses contraintes : il ne doit pas pouvoir remettre en cause des décisions devenues
définitives par exemple en intervenant dans une instance juridictionnelle pour en modifier le
dénouement.

Dans une affaire Immobiliare Saffi du 28 juillet 1999, la Cour a sanctionné l’Italie dans une affaire
où c’était en fait sa législation nationale qui paralysait l’exécution d’une ordonnance d’expulsion
d’un immeuble. De même la responsabilité d’un Etat sera retenue lorsque l’inexécution des
décisions trouve sa cause dans les agissements d’une personne privée.
Les affaires emblématiques sont les affaires Pinou et Bertani, Manera et Atripali c. Roumanie du 22
juin 2004 : dans une affaire d’adoption, un établissement d’accueil d’enfants mineurs se refusait de
confier les enfants à leurs parents adoptifs en violation d’un jugement d’adoption. Cette situation a
duré 3 ans, jusqu’à ce qu’un huissier et des parents se présentent à l’établissement et se fassent
séquestrer sans que les autorités interviennent. La Cour EDH a ici sanctionné la carence de l’Etat
qui pendant trois ans n’a pas pris les mesure nécessaires pour faire appliquer le jugement d’adoption
et n’est pas intervenu dans la séquestration des requérants. S’opposaient ici le droit à l’exécution et
le droit au respect de la vie privée. Il a été affirmé que l’exécution en nature, c'est à dire la reprise
des enfants, faisait partie intégrante du droit à l’exécution.

De même, l’Etat est responsabilité de la défaillance des agents de justice : affaire Platakou c. Grèce
de 2001 : l’huissier de justice agit en tant qu’organe publique représentatif de l’Etat dans es
missions dès lors que le système législatif leur confère un monopole dans l’exécution des décisions.
Par conséquent l’Etat doit assumer ses responsabilités en cas de défaillance de ses agents
d’exécution.

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On peut constater que la Cour EDH fait peser sur les Etats des obligations positives toujours plus
étendues, sous réserve des circonstances exceptionnelles, dans des limites étroites qu’elle a définies.

! Les limites à ce droit

Le fait est que ce droit à l’exécution n’est pas absolu. La Cour EDH reconnait une marche
d’appréciation aux Etats, notamment lorsqu’il s’agit de concilier le droit à l’exécution avec d’autres
droits fondamentaux. Mais ces limites ne sont acceptées qu’étroitement et sont soumises à un strict
contrôle de proportionnalité par la Cour EDH.

Le droit à l’exécution peut se trouver confronté à d’autres droits, comme celui à une certaine
dignité, le droit au logement, le droit à la vie. Plus généralement, l’Etat poursuivi pour, échapper à
sa responsabilité, pour justifier d’une exécution tardive, peut invoquer la protection de l’ordre
public. En matière d’expulsion, le législateur peut fixer des priorités et décider de sursoir. Les
autorités d’application peuvent décider de sursoir à l’exécution d’ordonnances d’expulsion en
tenant compte de la précarité des personnes frappées par l’expulsion et des risques de troubles à
l’OP. La Cour EDH a reconnu que des circonstances exceptionnelles peuvent justifier que l’on
sursoit à l’exécution d’une décision de justice, mais uniquement le temps nécessaire à trouver une
solution satisfaisante.
Les autorités doivent en effet prévoir les mesures adéquates pour éviter le prolongement excessif de
l’inexécution. Au final, on accorde simplement un délai aux Etats avec la finalité que l’exécution
doit l’emporter.

Cette jurisprudence a conduit à se poser la question de savoir si notre droit national relatif à
l’indemnisation des bénéficiaires de l’exécution qui se voient refuser le concours de la force
publique répondait aux exigences européennes. Le fait est que la réponse semble positive, dans la
mesure où la Cour admet l’exécution par équivalent, même si elle privilégie l’exécution en nature.
La Cour va apprécier les causes d’exonération invoquées par les Etats : elle regarde si cela poursuit
un but légitime, et surtout s’il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre le but visé et
les moyens employés. La Cour exerce un contrôle de proportionnalité sur les circonstances
exceptionnelles invoquées par les Etats pour ne pas exécuter des décisions de justice.
A ce titre, la Cour considère que l’intérêt général purement budgétaire ne peut pas faire obstacle au
droit à l’exécution, c’est la solution de l’arrêt Burdov. De même, lorsqu’un sursis à exécution d’une
décision d’expulsion a été décidé, la Cour va vérifier que l’Etat a recherché une solution générale au
problème de logement, afin en définitive de permettre l’exécution des décisions de justice.

A ce contrôle de proportionnalité il faut également ajouter que la Cour EDH vérifie que les
exceptions apportées au droit à l’exécution aient une base légale raisonnable, c'est à dire que les
décisions ne doivent pas être arbitraires, elles doivent respecter le principe de la légalité. En
l’absence de base légale, la Cour constatera la violation du droit à l’exécution, sans même effectuer
de contrôle de proportionnalité. Lorsqu’une telle base existe, elle va soumettre alors les exceptions
prises au contrôle de proportionnalité en vérifiant au préalable si ces exceptions poursuivent un but
légitime.

Indications sur le partiel :


- Dissertation :

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Sans problème, thème classique qui a besoin d’être illustré par les TD et le cours.
- Sujet pratique :
Pas difficile sur le plan technique, il se rapproche très fortement du galop d’essai, et de problèmes
vus en TD assez récurent. Explications des notions : accusation, obligations positives, théorie des
apparences.

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