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scandale sanitaire »
Par Propos recueillis par Paula Pinto Gomes, le 24/9/2019 à 06h26
La Croix : La littérature scientifique est « indiscutable » sur les effets des écrans
domestiques, écrivez-vous. « Plus les élèves utilisent les écrans, plus leurs notes
s’effondrent. » Comment sont menées ces études ?
Michel Desmurget : La plupart des études suivent une méthodologie classique en
prenant en compte les grands facteurs susceptibles d’influer sur la réussite scolaire
comme le niveau socio-économique, l’âge et le temps passé sur les différents écrans.
D’autres appliquent des protocoles plus expérimentaux en donnant des écrans à des
familles qui n’en possèdent pas, pendant quelques mois. Toutes comparent des milieux
sociaux équivalents. Et toutes aboutissent aux mêmes résultats : au-delà de 6 ans, dès
une heure par jour – et même une demi-heure si on en fait une lecture stricte – les
résultats scolaires baissent.
S’il n’y avait que des corrélations sèches, on pourrait douter. Mais on comprend très
bien les mécanismes à l’œuvre. Dans l’une des études, on a demandé à des enfants
d’apprendre une liste de mots. Certains ont ensuite joué à un jeu vidéo d’action
pendant une heure. D’autres n’ont rien fait de particulier. Le lendemain, on a vérifié le
vocabulaire retenu. Ceux qui n’avaient pas utilisé d’écrans avaient oublié 20 % des
mots. Ceux qui avaient joué au jeu vidéo en avaient oublié quasiment la moitié.
? VIDÉO. Effets des écrans sur les enfants : pourquoi il n’y a pas de consensus
Les études que vous citez montrent également que les écrans altèrent « les échanges
intrafamiliaux en quantité et en qualité », « le volume et la qualité des échanges verbaux
précoces » ou encore qu’ils « entravent l’entrée dans le monde de l’écrit ». Expliquez-
nous.
En ce qui concerne l’écrit, on sait que plus un enfant passe de temps devant un écran,
moins il en a pour lire. Or, la vraie richesse du langage est dans l’écrit. Aujourd’hui, on
assiste à un effondrement du niveau de langue. Il suffit de voir la nouvelle version des
livres de la bibliothèque rose, par exemple, pour constater un appauvrissement du
vocabulaire.
M.D. : Oui, là encore, les études montrent les effets délétères des écrans sur la
concentration. Le cerveau humain n’est pas fait pour subir un bombardement sensoriel
permanent. Il souffre et il se construit mal. Il faudra des centaines de milliers d’années
pour qu’il devienne (peut-être) multitâche, n’en déplaise à ceux qui vantent les «
incroyables » capacités des digital natives.
La plupart des études que vous citez ne sont pas nouvelles. Comment expliquez-vous
qu’elles ne soient pas plus connues du grand public ?
M.D. : On n’en parle pas beaucoup parce que les intérêts économiques sont colossaux
! L’industrie du tabac a mis quarante ans avant de reconnaître que la cigarette était
cancérigène. Nous sommes face aux mêmes techniques de désinformation et à un
scandale sanitaire de même ampleur. Si n’importe quelle maladie avait les mêmes
effets que les écrans sur nos enfants, on mobiliserait une armée de chercheurs.
Vous préconisez de ne pas donner d’écrans récréatifs avant 6 ans et de limiter ensuite
l’utilisation à une heure par jour, tous usages cumulés. N’est-ce pas un peu radical ?
(1) La fabrique du crétin digital - Les dangers des écrans pour nos enfants, Ed. Seuil