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Les services de renseignement doivent sans cesse intégrer de nouvelles disciplines et les
empiler sans pour autant abandonner les autres. La CIA a un temps pensé que le
renseignement technique pouvait, dans certains cas, avantageusement remplacer le
renseignement humain en étant à la fois moins dangereux, moins compliqué et globalement
moins cher à mettre en œuvre. Ce fut une erreur qu’elle a corrigée aujourd’hui. La lutte
contre le terrorisme a montré que nos adversaires savent à la fois maîtriser les nouvelles
technologies (téléphonie mobile, messageries cryptées, emails, réseaux sociaux etc.), mais
aussi revenir à des techniques plus « rustiques » si le besoin s’en fait sentir. Ainsi, au début
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de l’intervention au Sahel, il était assez facile d’écouter et de localiser les différents groupes
armés à partir des émissions de leurs téléphones satellites ou de leur radio V/UHF. Après
avoir subi un certain nombre de pertes, ils se sont adaptés et utilisent, maintenant,
également des messagers à moto pour communiquer. C’est certes beaucoup moins rapide
mais beaucoup plus sûr. De la même manière, dans les milieux du terrorisme ou du grand
banditisme, de plus en plus de précautions sont prises vis à vis des téléphones mobiles et
des objets connectés. On peut voir ainsi réapparaître des techniques dignes des années
1960 pour transmettre des messages (petites annonces, boîtes aux lettres, etc.). Les
services de renseignement doivent donc aussi s’adapter à leur tour et réutiliser les « bonnes
vieilles techniques » de surveillance (filatures, pose de micros, etc.).
Ce constat est vrai aussi pour les matériels et les équipements de recueil du renseignement.
Entre la définition d’un besoin qui est exprimé en fonction des connaissances que l’on a à un
instant T, le délai des appels d’offres respectant le code des marchés publics et la livraison
du matériel, il peut se passer plusieurs années – quelques cas dépassent même largement
la décennie – et il y a toutes les chances que le matériel livré ne corresponde plus
exactement – voire plus du tout – au besoin actualisé. Ce phénomène est aggravé par la
vitesse à laquelle la technologie évolue. Aujourd’hui la rigidité des conditions d’acquisition
des équipements n’est plus compatible avec l’évolution des technologies et l’environnement
international. Il conviendrait donc de s’interroger quant à la pertinence de continuer à
projeter les besoins sur plusieurs années. Ces projections se montrent souvent sous-
dimensionnées ou mal ciblées, seule la croissance constante des besoins peut être
mécaniquement anticipée. Laisser plus de liberté et de souplesse aux services de
renseignement pour l’acquisition de matériel en privilégiant l’achat sur étagère quand c’est
possible (il est évident que l’on ne peut pas acheter un satellite sur étagère), cela pourrait
éviter les dépenses inutiles pour des équipements devenus inadaptés et éviter la présence
de matériel neuf dormant dans des entrepôts, comme cela arrive parfois. Cette démarche
favoriserait aussi les développements sur fonds propres, permettant ainsi aux sociétés de
stimuler leur propre innovation sans attendre une expression de besoin étatique et de les
rendre, ainsi, plus compétitives sur le marché international.
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L’INNOVATION TECHNOLOGIQUE, PORTEUSE DE DÉFIS
HUMAINS
Le recours aux techniques de traitement Big Data ou à l’intelligence artificielle ne peut que
marginalement limiter la croissance des effectifs. D’autant plus qu’en réalité, personne ne
sait quand l’intelligence artificielle et/ou les traitements Big Data seront réellement
opérationnels et s’ils tiendront toutes leurs promesses… De toute façon, il faudra toujours
des humains spécialistes de chaque domaine pour guider, piloter et exploiter les résultats
issus de ces systèmes. Or, les projections des effectifs se font généralement sur un état de
la connaissance et de la technologie qui est, en réalité, déjà périmé au moment de la prise
de décision. Ainsi il est prévu d’augmenter les effectifs des services de renseignement
français de 3 000 personnes sur la période 2019-2025 mais le problème est que cette
projection est basée sur les besoins actuels et non sur ce qu’ils seront réellement en 2025.
Ainsi les besoins sont systématiquement sous-dimensionnés, ce qui fait que les services
doivent dépenser beaucoup d’énergie pour expliquer, en permanence, leurs besoins
toujours croissants.
Les services de renseignement sont ainsi aspirés dans une logique de croissance continue
de leurs moyens humains et matériels sans qu’il soit réellement possible de totalement
abandonner certaines compétences. Un informaticien ne remplacera jamais un serrurier ni
un agent de terrain. Cela pose nécessairement problème, étant donné que les ressources
humaines et financières ne sont pas extensibles à l’infini. Certaines compétences sont
particulièrement difficiles à maintenir en raison d’un besoin somme toute limité,
quoiqu’indispensable. Si l’Etat et les armées savent mettre en place des formations, le
système ne fonctionne que s’il y a un minimum de personnes à former chaque année pour
justifier les instructeurs et les infrastructures de cours. Pour les spécialités nécessitant
plusieurs dizaines de nouveaux spécialistes chaque année, il n’y a pas trop de problèmes, le
système interne arrive à assurer un flux de spécialistes suffisant pour combler les départs
ou l‘accroissement des besoins. Par contre, dès qu’il s’agit de compétences rares, ne
nécessitant que quelques spécialistes, cela devient plus compliqué, surtout s’il n’existe pas
d’offre de formation dans le civil. En effet, il n’est pas toujours possible de trouver des
instructeurs, voire des volontaires pour suivre de tels cours. En effet, soit l’avancement
éloigne rapidement les spécialistes de leur cœur de métier soit, au contraire, la filière ne le
favorise pas au détriment du déroulement de carrière.
Dans ces cas, le recours à des structures privées peut s’avérer pertinent. Une société
privée, même pour un très petit nombre de spécialistes, peut plus facilement fidéliser son
personnel par des rémunérations attractives et pérenniser plus aisément les compétences
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en maintenant les spécialistes dans leur cœur de métier. Le recours à des structures privées
donnerait également à l’Etat une plus grande souplesse d’emploi, en faisant appel à ces
spécialistes en fonction des besoins, sans avoir à soutenir une structure de formation
permanente consommatrice de personnel, d’infrastructures et forcément coûteuse.
Favoriser ce type de sociétés pourrait éviter certaines externalisations subies, comme ce fut
le cas pour la DGSI qui a dû faire appel, faute de solution nationale, à la société américaine
PALANTIR pour le traitement de ses données sensibles. Si le recours à des prestataires
privés peut sembler risqué compte tenu de la sensibilité de certains sujets, être obligé
d’avoir recours à une société étrangère (financée par la CIA dans le cas de PALANTIR) est
bien pire. Au global, même si le prix des prestations de ces sociétés peut paraître, dans
certains cas, élevé, il faudrait le comparer avec ce que coûte réellement le même travail
réalisé en interne (structures de formation, personnel, infrastructures etc.).
Si ce type de solution n’est pas idéal, il est à considérer dans une conjoncture où les
moyens humains sont comptés. Ce type de sociétés existe déjà en France mais elles ont
parfois du mal à gagner la confiance de l’Etat alors même qu’il devrait les encourager et les
soutenir, car elles peuvent lui être d’une aide précieuse en cas de besoin.
Les liens entre la technologie et le renseignement sont étroits mais ne se limitent pas
seulement au matériel. La technologie impacte également l’organisation, les ressources
humaines et les compétences.
Une réflexion de fond doit être engagée sur l’organisation du recueil et du traitement des
données afin de contrôler leur inflation. La « solution » ne peut reposer sur le seul espoir
que l’intelligence artificielle et le Big Data règlent les problèmes. Il n’est pas possible de faire
reposer toute la stratégie de renseignement d’un Etat sur les espoirs portés par une
technologie qui n’est pas encore mature et qui n’a pas encore prouvé qu’elle tiendrait toutes
ses promesses.
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