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Emmanuel BECHE
École Normale Supérieure de Maroua
BP 55
bechefr@gmail.com
Résumé : Cet article explore les différentes formes de disparité et de différenciation entre les filles et
les garçons face aux TIC aux lycées Général Leclerc et bilingue de Yaoundé Contrairement à d’autres
travaux sur cette question, celui-ci explore un ensemble de quatre variables à savoir l’accès, les
représentations sociales, les usages et les compétences. L’examen des données des entretiens et
observations menés montre que les différenciations sont quasi inexistantes au regard de la dimension
scolaire et communicationnelle de l’ordinateur et de l’Internet. Elles apparaissent lorsque ceux-ci sont
pris comme objets de loisir et du quotidien.
**************
Abstract: This article explores the various forms of disparity and differentiation between girls and boys
in their relationship with ICTs in General Leclerc and bilingual high school of Yaoundé. Contrary to other
works on this question, this one explores a whole of four variables: Access, social representations,
uses and competences. The analyze of the data of interviews and direct observations, shows that
differentiations are quasi non-existent regarding to the school and communicational aspect of the
computer and the Internet. Disparities between girls and boys appear rather when ICTs are taken as a
daily tool.
Pour le montrer, les résultats de l’enquête du ROCARÉ (2006) par exemple indiquent qu’au niveau
de l’accessibilité à l’outil, « il n’est pas signalé des cas de marginalisation entre genres ». Matchinda
(2008) note aussi que 90,9% de filles contre 90,76% de garçons accèdent aux TIC à l’école. Pour elle, il
n’y a pas de différenciations « genrées » particulières dans l’accès à l’ordinateur et à l’Internet à l’école.
Elle écrit ainsi que « presque tous les élèves, sans distinction de sexe, montrent un intérêt particulier à
l’ordinateur et à l’Internet à l’école ». Partant du contexte français pour apprécier celui du Cameroun,
Onguéné Essono (2010, http://www.cursus.edu/?module=document&uid=71773) note qu’« on ne relève
aucune différence entre les filles et les garçons » dans l’accès aux TIC à l’école. « Il y a [plutôt] un effet
générationnel massif en matière d’utilisation des outils numériques ».
Ainsi qu’on le voit, les travaux ci-dessus mettent particulièrement l’accent sur la variable « accès »
comme indicateur de l’évolution des rapports genre-TIC à l’école. De notre point de vue, l’accès seul ne
donne pas la possibilité d’évaluer précisément « où on est » en ce qui concerne l’égalité filles-garçons à
l’école et face aux TIC. Derrière cet accès des filles et des garçons aux TIC à l’école et qu’on présente
comme égalitaire, se cachent des dynamiques socioculturelles importantes. Les considérations sociales
attachées au sexe structurent profondément le système social et scolaire (Gurumurthy, 2005 :
www.ids.ac.uk/bridge), qu’il s’agit d’aller au-delà de l’accès pour comprendre ce que les filles et les garçons
pensent, vivent, font au regard de l’ordinateur et de l’Internet à l’école. Les questions comme : « Qui
possède le plus d’opportunités en termes de représentations favorables aux TIC et de compétences? »,
1
Les TIC dont il est question ici renvoient notamment à l’ordinateur et l’Internet
« Qui dicte l’usage des TIC? », « Qui en exerce le plus le pouvoir et la violence symboliques? », ne peuvent
pas être suffisamment explorées en s’intéressant uniquement à l’accès. De plus, l’accès en tant
qu’indicateur de la dynamique des rapports genre-TIC à l’école, va au-delà des possibilités d’utiliser
l’ordinateur et l’Internet pour aussi se comprendre comme pouvoir de s’en servir ou investissement dans leur
appropriation. Et lorsqu’il est pris dans le sens de pouvoir et de s’investir, l’accès revêt le jeu du « rôle de
sexe ».
Donc pour évaluer les dimensions sexospécifiques des TIC au LGL et au LB de Yaoundé, nous
retenons l’accès, les représentations sociales, les usages et les compétences comme des indicateurs.
Nous allons au-delà de la dimension « accès » pour nous intéresser aussi à ce que les filles et les
garçons pensent socialement de l’ordinateur et de l’Internet, à ce qu’ils en font effectivement et à la
maîtrise cognitive et technique qu’ils en ont. Cela nous amène à poser les questions suivantes. Comment
se structure l’accès des filles et des garçons à l’ordinateur et à l’Internet à l’école? Les considérations
sociales du sexe influencent-elles les modalités suivant lesquelles ils se servent de ces outils
informatiques? Quelles représentations sociales y construisent et partagent-ils ? Ces représentations
sociales paraissent-elles « genrées »? Peut-on déceler des indices du « rôle de sexe » dans la
construction et la circulation des compétences des filles et des garçons à l’égard des TIC à l’école?
L’examen de ces questions et variables permettra à notre avis d’apporter une réponse à cette autre
question : « Où est-on effectivement en ce qui concerne l’égalité filles-garçons face aux TIC dans ces
deux écoles? », ce qui nous amène à présenter les éléments de méthodologie nous ayant permis de
l’aborder.
2. Éléments de méthodologie
Notre méthodologie s’inscrit dans une démarche qualitative et s’appuie sur une diversité de variables.
1.1. Une diversité de variables pour une vue large des rapports genre-TIC à
l’école
Ainsi souligné plus haut, ce travail étudie les rapports des filles et des garçons aux TIC en examinant les
variables « accès », « représentations sociales », « usages » et « compétences ». Ces variables
qualitatives sont susceptibles de fournir un point de vue large des rapports genre-TIC à l’école. Ce travail
s’inscrit donc dans une perspective plus globale que celle suivie non seulement par les travaux ci-dessus
évoqués, mais aussi dans une certaine mesure par d’autres recherches réalisées dans d’autres contextes
sur le genre et la technologie. Nous pouvons mentionner à cet effet l’enquête menée par Jouët et Pasquier
(1999) sur les jeunes et la culture de l’écran. Dans cette enquête, les auteurs privilégient notamment les
variables « accès », « usages » et « équipements », pour entre autres étudier les « modalités de pratiques
de consommation […] des médias dits nouveaux ». L’on peut aussi dans un sens évoquer le travail de
Millerand, Piette, Pons et Giroux (1999). Il a certes le mérite d’étudier les usages de l’Internet chez les
adolescents québécois en tenant compte de trois dimensions d’analyse que sont l’utilisation, l’appropriation
et les représentations. Mais non seulement il ne met pas suffisamment en corrélation ces trois dimensions,
mais aussi ne s’intéresse pas spécifiquement aux rapports genre-Internet. Il y a également celui de Bernier
et Laflamme (2005) qui lui, met l’accent sur la connectivité, les fréquences et types d’usage des hommes et
des femmes, relatifs aux TIC.
Toutefois, contrairement aux recherches ci-dessus qui situent leur objet dans un contexte quotidien
davantage global, ce travail se limite à étudier ces variables dans le cadre scolaire. Il ne s’agit pas pour
nous de fragmenter ou de morceler le fait social, mais d’étudier comment ce fait social se manifeste et
signifie précisément dans un milieu social donné (école).
Le choix du LGL et du LB de Yaoundé comme terrain de recherche, obéit à deux principales raisons.
Premièrement, ces écoles font partie des établissements pilotes pour l’intégration pédagogique des
TIC. En tant que telles, elles constituent des portes d’entrée permettant d’explorer les réalités socio-
scolaires des TIC au Cameroun. Elles sont également les premières à être dotées de CRM. De plus, tous
les élèves de ces lycées possèdent une adresse électronique, ce qui signifie qu’ils accèdent plus ou moins
régulièrement à l’ordinateur et/ou l’Internet. L’évolution des usages des TIC dans ces lycées fait donc qu’ils
peuvent être des champs de recherche indiqués pour mieux cerner la question genre-TIC à l’école. C’est
d’ailleurs dans leurs CRM que nous avons conduit nos observations directes. Celles-ci nous ont notamment
permis de scruter les usages informatiques effectués en contexte par les filles et les garçons, les différentes
formes de leur groupement ou sociabilité, ainsi que leurs discours et réactions.
3. L’accès des filles et des garçons aux TIC aux LGL et LB de Yaoundé : Où
en-est-on ?
En considérant les travaux évoqués plus haut et certaines données d’enquête, l’on peut poser dans
un sens que les rapports en termes d’accès des garçons et des filles aux TIC aux lycées Général
Leclerc et bilingue de Yaoundé, semblent en voie de renversement ces dernières années.
Cet accès quasi équitable des garçons et des filles aux TIC à l’école peut être expliqué par
l’attachement de la dimension pédagogique à ces outils. Le fait que l’informatique soit rendue discipline
scolaire a progressivement développé autant chez les filles que chez les garçons, un certain intérêt à s’en
servir. Matchinda (2008) note que les TIC utilisées dans un contexte scolaire semblent avoir un effet
significatif et positif aussi bien chez les filles que chez les garçons. On peut donc dire qu’au niveau de
l’accès aux TIC au LGL et au LB de Yaoundé, il n’y a pas d’inégalités majeures entre les garçons et les
filles. Mais cette vision globale et scolaire des TIC occulte de profondes disparités. Celles-ci apparaissent
ainsi lorsque l’accès signifie pouvoir et investissement.
Tableau 1 : Descriptions de l’accès des filles et des garçons à l’ordinateur et l’Internet à l’école
Dans ce tableau, on remarque qu’au niveau de la modalité « accès occasionnel », les filles (50%)
recourent davantage aux TIC que les garçons (46,66%). Mais elles y accèdent moins fréquemment
qu’eux (30% contre 43,33%). Elles connaissent aussi plus de difficultés d’accès que leurs camarades de
sexe masculin (20% contre 10%). Ces difficultés se manifestent davantage dans leurs accès aux CRM.
Dans ces structures justement, le nombre d’ordinateurs disponibles est insuffisant comparativement au
nombre d’élèves. Le ratio ordinateur/apprenants est ainsi qu’il se dégage de la prise en compte des
données du site http://www.observatoiretic.org, de 0,006. Et même si l’accès aux CRM se fait suivant une
programmation, disposer d’un certain pouvoir symbolique devient important pour les apprenants. Les
garçons n’hésitent ainsi pas à acquérir et conquérir les places devant les postes d’ordinateur par le
moyen de ce que Bourdieu (1998 : 5) appelle la « violence symbolique », c’est-à-dire celle qui se veut
« douce, insensible […] qui s’exerce pour l’essentiel par les voies purement symboliques de la
communication et de la connaissance ». Ils tiennent des discours qui symbolisent une certaine « vision
dominante de la division sexuelle » (ibid.).
Les propos suivants que nous avons notés lors des observations sont révélateurs à cet effet. « Laisse-
moi la place, l’ordinateur n’est pas le “way” (l’affaire) des “ngas” (filles) »; « laisse-moi “sit” (m’asseoir) à
ta place, je vais t’aider »; « quitte, c’est notre boulot ici »; « ça, c’est notre “way” (affaire), vous pouvez
disposer »; « laisse-moi, je vais te “show” (montrer) un truc »… Loin d’être neutres, ces discours
traduisent clairement une certaine « domination masculine » qui, pour Bourdieu (1990 : 5) « est assez
assurée pour se passer des justifications : elle peut se contenter d’être et de se dire dans des pratiques et
des discours qui énoncent l’être sur le monde de l’évidence ». Et parce que « la violence symbolique
s’accomplit au travers d’un acte de méconnaissance et de reconnaissance », certaines filles dont les
compétences sont moins développées que celles des garçons, tiennent aussi des propos qui d’une
certaine façon « reconnaissent » le pouvoir symbolique des garçons. Ces propos sont de type : « Est-ce
que tu peux me montrer un truc-là? »; « j’ai besoin que tu m’aides »; « est-ce que tu connais accéder au
site que le prof a indiqué », « Mais tu es fort là! ».
Il y a cependant d’autres filles qui se montrant aussi compétentes que les garçons, ne se laissent pas
faire. C’est d’ailleurs là un des aspects du progrès des rapports genre-TIC au LGL et au LB de Yaoundé.
Elles résistent à la violence symbolique des garçons en faisant valoir leur contre-pouvoir ou opposition
symbolique ainsi que leurs savoir-faire informatiques. Nous avons relevé dans ce sens les propos ci-
après. « Qui vous dit que l’ordi est seulement réservé aux garçons? C’est pour tout le monde! »; « Je sais
aussi manipuler l’ordinateur et je peux même te montrer certaines applications que tu ne connais peut-
être pas »; «Je ne quitte pas devant cet ordinateur, c’est aussi un outil pour les filles ». On pourrait donc
souligner une certaine avancée dans les rapports genre-TIC dans ces écoles. Mais cela ne dissout pas
certaines disparités entretenues aussi dans les représentations sociales.
Dans ce tableau, les éléments « outil technologique », « outil de travail », « outil de recherche » et
« moyen de communication » se trouvent exprimés autant chez les garçons que chez les filles presque
dans les mêmes proportions. Tous les répondants se représentent ainsi l’ordinateur et l’Internet comme
outils technologiques et moyens de communication. De même, 90% de garçons et 93,33% de filles le
perçoivent comme un outil de travail. Et l’ordinateur en tant qu’outil de recherche, se trouve traduit chez
93,33% de garçons et 96,66% de filles. Ces éléments de représentation ne paraissent donc pas
particulièrement « genrés ». Ils sont socialement partagés. Et en tant que tels, ils occupent une place
dominante dans le champ de représentations sociales de l’ordinateur et de l’Internet chez les apprenants.
En fait ces éléments apparaissent dans au moins 91,66% de la totalité des discours des répondants.
Compte tenu de leur prégnance dans ce champ représentationnel, on peut avancer qu’ils constituent le
noyau central de la représentation (Abric, 1994).
Chez les garçons comme chez les filles, les TIC apparaissent donc comme un objet technologique,
scolaire et communicationnel. Et parce que ces contenus constituent le système central de la
représentation de l’ordinateur et l’Internet chez les apprenants, ils traduisent aussi d’une certaine
manière une avancée non négligeable dans les rapports genre-TIC au LGL et au LB de Yaoundé. Mais
Outre cet aspect, l’ordinateur chez les apprenants apparaît « genré ».
Tableau 3 : Des représentations sociales « genrées » des TIC chez les apprenants
Chez elles, les représentations qui dominent spécifiquement sont celles qui mettent notamment en
évidence le caractère judicieux, affectif et relationnel des TIC. Aussi se représentent-elles l’ordinateur et
l’Internet comme un moyen de tchatcher, échanger ou dialoguer. Cela apparaît dans 86,66% de
discours des filles. Par contre moins de la moitié de garçons (46,66% d’entre eux) les traduisent ainsi.
Pour ceux qui se le représentent ainsi et notamment les filles, les TIC leur permettent de « tisser et
entretenir des relations avec les amis » (Barbara, 16ans, Fém, 2nde, LGL). Elles permettent de
« construire des relations et des amitiés » (Ngono, 15ans, Fém, 3ème, LB).
Les filles se représentent également l’ordinateur comme un outil indispensable et important. Sur 30
filles, 18 autrement dit 60% d’entre elles, expriment cette dimension de représentation. Chez les
garçons, elle apparaît 6 fois, soit 20%. Pour ces sujets, « l’ordinateur permet de résoudre des
problèmes quotidiens » au même titre que la télévision ou le téléphone portable (Ambolo, 15ans, Fém,
2nde, LB). Et bien que la dimension de l’ordinateur comme « moyen de détournement » ne soit pas
prégnante dans le champ représentationnel de l’ordinateur, elle est quand même à être signalée,
puisqu’elle n’apparaît que dans les discours des filles.
Ces éléments différenciés selon le genre constituent des variations dans des prises de position par
rapport aux « enjeux communs » de l’ordinateur et de l’Internet, c’est-à-dire des « différences
interindividuelles » ou inter-genres dans l’appropriation de ces outils (Doise et al. 1992 : 18). Pour elles,
lorsque la dynamique sociale s’élabore autour des questions importantes, elle suscite des prises de
position spécifiques qui sont liées aux insertions spécifiques des individus. Nous concevons ces
représentations différenciées suivant le genre comme des prises de position des filles et des garçons par
rapport aux enjeux scolaires et communicationnels communs de l’ordinateur. Ces prises de position
traduisent leur insertion dans des rapports sociaux genrés. Ce sont elles qui déterminent la signification et
la portée des représentations sociales (1992 : 189). En clair, les représentations de l’ordinateur comme
objet complexe, de loisir et du quotidien portent les empreintes du genre. Et parce que ces prises de
position traduisent ce qu’il convient de dire ou de faire avec l’objet de représentation (Abric, 1994), elles
deviennent importantes pour saisir la dynamique des rapports genre-TIC. Elles orientent et organisent
les opinions, communications et usages relatifs à l’objet (Jodelet, 1989 : 38).
L’activité de traitement de texte est ainsi réalisée autant par des filles (80%) que par des garçons
(86,66%) presque dans les mêmes proportions. Les répondants de deux sexes affirment qu’ils utilisent ce
service pour « saisir leurs travaux », « produire des textes », « réaliser les activités pratiques » ou
« rédiger les exposés ». Il en est de même pour ce qui regarde les recherches documentaires sur Internet.
Tous les apprenants interrogés affirment se servir de l’ordinateur et de l’Internet pour effectuer des
recherches. L’apprenant Essama (17ans, Masc, Tle, LB) déclare par exemple qu’il recoure aux TIC pour
« avoir des informations pour comprendre les cours et traiter les exercices ». L’apprenante Apo Ebodé
(16ans, Fém, 1ère, LB) affirme aussi qu’elle « utilise l’ordinateur et Internet pour chercher des
informations », ce qui lui permet de « comprendre certains aspects des cours ». De même, 100% de filles
et autant de garçons ayant participé à cette enquête, déclarent utiliser TIC pour les mails.
Lors des observations menées dans les CRM, nous avons aussi noté que les usages ci-dessus
présentés constituent chez les apprenants, des pratiques dominantes. Au cours de nos séances
d’investigation qui duraient chacune deux heures, nous observions en moyenne pour l’ensemble de
deux lycées, 139 fois l’usage des recherches sur Internet chez les garçons et 140 fois chez les filles.
Pour le mail, nous en avons constaté l’usage 137 fois chez les premiers et 139 fois chez les seconds.
La même tendance se fait observer pour ce qui regarde le traitement de texte. Comme on le voit, ce
sont des usages qui relèvent des pratiques scolaires et communicationnelles. Et similaire à ce qui vient
d’être dit concernant les représentations sociales, ils ne portent pas une marque « genrée » spécifique.
Nous pouvons d’ailleurs poser que bien qu’elle ne soit pas suffisamment affirmée, l’intégration des TIC
aux LGL et LB de Yaoundé a en partie favorisé l’appropriation scolaire de ces outils autant par les filles
que par les garçons. Cependant, s’il n’y a pas de différenciations particulières entre les filles et les
garçons au niveau de ces usages scolaires, elles existent en ce qui concerne les pratiques
informatiques relevant du quotidien et des loisirs.
Les filles et les garçons n’accordent donc pas le même intérêt aux usages relevant du quotidien et
des loisirs. Si chez les garçons, l’importance est accordée aux jeux, musiques, films et
téléchargements, en revanche, chez les filles, ce sont les tchatches qui revêtent un intérêt particulier.
Les filles les préfèrent parce que ceux-ci comportent une dimension de l’affectif et du lien. Ces
différents usages différenciés suivant le genre revêtent des symboliques particulières. Les usages
majoritairement masculins mettent l’accent sur la force, la domination, le pouvoir et l’autonomie. Quant
aux usages spécifiquement féminins, ils portent les valeurs de l’affectif et de la coopération. Jouët et
Pasquier (1999 : 52) l’ont d’ailleurs montré dans leurs travaux. Ils écrivent en effet que « la différence des
valeurs et des prescriptions de comportement dans l’éducation des deux sexes se lit dans leurs usages
des médias qui schématiquement s’organisent autour du thème du lien pour les filles et du thème de
l’autonomie pour les garçons ». Les usages à prédominance virile traduisent l’intérêt des garçons à
montrer qu’ils sont capables de faire. Ils nécessitent ainsi un investissement considérable dans
l’appropriation des TIC.
Les tchatches pour lesquels les filles sont davantage portées, leur permettent de « s’épancher sur le
soi et sur les autres » (Jouët et Pasquier, 1999 : 48). Ces auteurs montrent que la préférence des filles
pour cette activité d’échange « se ressource dans les valeurs de l’affectif et de coopération encouragées
dans l’éducation des filles » (p.43). Certes, cette dimension des usages favorise chez elles des usages
judicieux des TIC (Matchinda, 2008). Mais elle n’appelle pas au même titre que les usages majoritairement
masculins, un investissement important dans l’appropriation active des nouvelles technologies.
De ce qui précède, nous retenons qu’au niveau des usages scolaires, les disparités liées au genre
ne se manifestent pratiquement pas. Elles se traduisent plutôt aux niveaux des usages qui relèvent des
loisirs et du quotidien. Cette dissymétrie dans les relations filles et garçons aux objets techniques, se
traduit aussi dans un sens au niveau des compétences qu’ils développent pour les maîtriser.
Dire que les filles dépassent les garçons dans l’utilisation de l’informatique,…euh ! C’est
vrai…mais c’est quand même exagéré. Il y a bien des filles qui s’en sortent, mais les
garçons sont plus nombreux à savoir mieux utiliser l’ordinateur et l’Internet. Et puis, ce sont
eux qui aident certaines filles (Soakeng, 16ans, 1 ère, LB).
Chez les garçons par contre, les réponses données relèvent du genre « pas du tout ! ». Même si
cette réponse ne traduit pas objectivement la réalité, il révèle cependant une certaine domination
masculine dans le développement des compétences à l’égard des TIC. Pour mieux étayer les points de
vue exprimés par les garçons, nous avons retenu les propos ci-dessous.
Oh ! non ! non ! non ! Les filles dépasser les garçons? Je ne pense pas ! C’est vrai qu’il y a
des filles qui s’en sortent ou qui se débrouillent, mais elles viennent toujours chez les
garçons chercher de l’aide. Cela montre que les garçons dépassent les filles dans la
manipulation des TIC (Essama, 17ans, Tle, LB).
Non ! Les filles ne peuvent pas dépasser les garçons dans la manipulation de l’ordinateur !
Les garçons sont experts en ça ! Ila aident même les filles à naviguer sur Internet
(Atangana, 18ans, 1ère, LGL).
Pour amener les répondants à traduire ces déclarations en des termes concrets, nous leur avons
aussi posé cette question : « Que savez-vous faire très bien avec l’ordinateur et/ou l’Internet? » En
examinant les réponses données par les filles et les garçons par rapport à cette question, nous relevons
qu’il n’y a pas de différences fondamentales au niveau des savoir-faire informatiques ci-après : ouvrir et
fermer l’ordinateur (filles : n=30; garçons : n=30), ouvrir une page web (filles : n=30; garçons : n=30),
traiter un texte avec Word/Excel (filles : n=25; garçons : n=26), créer un fichier Word/Excel (filles : n=28;
garçons : n=27), créer un dossier (garçons : n=19 ; filles : n=21), connaître les parties de l’ordinateur
(filles : n=30; garçons : n=30), enregistrer un fichier (filles : n=20; garçons : n=20), utiliser un
périphérique externe (garçons : n=25; filles : n=26), envoyer et recevoir des mails (filles : n=30;
garçons : n=30), ouvrir et consulter sa boîte électronique (filles : n=30; garçons : n=30), effectuer des
recherches documentaires sur Internet (filles :n=27; garçons : n=28). Ce qui est remarquable dans la
configuration de ces compétences, c’est qu’elles sont ce qu’on peut appeler dans une certaine mesure
des compétences de base. Elles aussi celles enseignées et apprises en classe dans le but de permettre
aux élèves de les mobiliser dans le cadre de leurs travaux scolaires et communicationnels.
Nous avons ainsi montré qu’en ce qui concerne les savoir-faire scolaires et communicationnels ou de
base, il n’y a pas de disparités majeures entre les filles et les garçons. Mais elles apparaissent quand nous
prenons en compte les compétences mobilisées davantage dans les sphères quotidiennes.
L’écart entre les filles et les garçons en ce qui concerne les compétences informatiques devient
donc grand quand il s’agit de celles mises en action davantage dans la sphère quotidienne ou dans le
cadre de loisirs. Ces compétences requièrent aussi un niveau d’habileté plus ou moins élevés par
rapport à celles relevées plus haut. Et dans cette deuxième catégorie de compétences, il y a plus celles
à dominance masculine (n= 13) que celles mobilisées davantage par les filles (n=2). En fait, l’accès plus
ou moins grand aux TIC en termes de pouvoir et d’investissement dont jouissent les garçons favorisent
chez eux le développement des compétences. Les représentations sociales positives et valorisantes
de l’ordinateur chez eux jouent aussi en leur faveur. Cette sorte de valeur ajoutée leur offre une marge
de liberté plus grande. Comme l’écrit Fluckiger (2007 : 17), « les compétences sont […] un outil
d’autonomisation ». Une maîtrise cognitive et technique suffisante des TIC favorise chez le sujet leur
appropriation effective. Et le résultat, c’est que ce sont davantage les garçons qui organisent et
contrôlent les fonctions de l’espace virtuel et socio-scolaire. Cela leur permet de créer une sorte de
culture masculine (Bernier et Laflamme, 2005), ce qui leur donne un réel pouvoir symbolique.
Le fait que des filles recourent aux services des garçons constituent une des formes de cette
reconnaissance. Celle-ci se lit aussi dans les façons d’utiliser l’ordinateur dans les CRM par les
apprenants. Lors des observations, nous avons en moyenne remarqué que sur 137 postes d’ordinateur
que comptent les deux lycées, au moins 95 pouvaient être utilisés par des groupes dirigés par des
garçons. Cela représente 69,25%. Nous avons aussi observé que les groupes menés par un garçon
étaient constitués à la fois des garçons et des filles. Par contre ceux dirigés par des filles étaient
composés uniquement ou davantage des filles.
De ce qui précède, nous pouvons dire qu’il y a chez les apprenants, une diversité de compétences
informatiques. Mais celles mobilisées davantage dans des activités de loisir, sont portées par un type
de socialisation « genrée » dans lequel les filles et les garçons sont immergés. Le développement et la
circulation des compétences informatiques suivent ainsi les trajectoires du genre. Ils font le jeu du
« rôle du sexe » (Morro et Vouillot, 2004 : 13).
Conclusion
Dans ce travail, nous portions un regard investigateur sur la question genre et TIC aux LGL et LB de
Yaoundé. Il s’est agi d’examiner les différentes formes de disparité qui au-delà de certains progrès,
relèvent des rapports genres-TIC. Pour davantage explorer ces rapports, nous avons pris comme
indicateurs, l’accès des garçons et des filles à l’ordinateur et/ou Internet, leurs usages, représentations
sociales et compétences.
Du point de vue de l’accès, nous avons relevé une certaine égalité entre les filles et les garçons. Ce
résultat se situe d’ailleurs dans la lignée des récents travaux réalisés sur cette question en contexte
camerounais. Mais la conception de la notion de l’accès en termes de pouvoir et d’investissement fait
apparaître une certaine domination masculine. Cette domination se lit aussi dans les représentations de
l’ordinateur comme objet de loisir. Ainsi, les garçons se le représentent-ils notamment comme un objet
de puissance et d’autonomisation, contrairement aux filles qui se le représentent davantage comme
outil de relation et d’affection. Mais pris sous l’angle scolaire et communicationnel, l’ordinateur ne fait
pas apparaître des représentations sociales « genrées ». De manière générale, l’attachement de la
dimension pédagogique et scolaire à l’ordinateur fait reléguer l’aspect genre au second plan.
Aussi n’apparaît-il pas de manière significative dans la configuration des usages scolaires et des
compétences mobilisées pour effectuer ces types d’usages. A partir de là, on peut suggérer qu’une
réelle et effective intégration pédagogique et scolaire des TIC, peut contribuer à faire évoluer les questions
et rapports genre-TIC. En revanche, les usages relevant du loisir et les procédures complexes portent
particulièrement la marque du genre masculin. On voit ainsi que l’accès aux TIC en termes
d’investissement, leurs usages et représentations non-scolaires et leurs procédures complexes traduisent
en dépit des progrès réalisés, un type de rapport social de genre beaucoup plus favorable aux garçons.
Références bibliographiques
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ROCARÉ-Cameroun. (2005). Rapport d’enquête sur l’intégration des TIC dans l’éducation en Afrique de
l’Ouest et du Centre : Étude des écoles pionnières, Yaoundé : ROCARÉ-Cameroun,
www.rocare.org/Rapportfinal_TICICM2005.pdf, consulté le 14 mai 2010.
TABLE DES MATIERES
Genre et TIC aux lycées Général Leclerc et bilingue de Yaoundé (Cameroun) : Au-delà des
progrès, des disparités...............................................................................................................11
1. Introduction...........................................................................................................................12
2. Éléments de méthodologie....................................................................................................13
1.1. Une diversité de variables pour une vue large des rapports genre-TIC à l’école..........13
2.2. Échantillon et techniques de collecte des données........................................................14
3. L’accès des filles et des garçons aux TIC aux LGL et LB de Yaoundé : Où en-est-on ?....15
3.1. L’accès est-il devenu équitable ?...................................................................................15
3.2. Et quand l’accès signifie pouvoir et investissement ?...................................................16
4. Des représentations sociales … mais genrées.......................................................................17
4.1. Ce qui est collectivement partagé..................................................................................17
4.2. Des représentations genrées...........................................................................................18
5. Vers des usages égalitaires ?.................................................................................................21
5.1. L’informatique scolaire n’a pas de sexe........................................................................21
5.2. Au-delà de l’informatique comme objet scolaire...........................................................22
6. Des compétences diverses mais différenciées......................................................................23
6.1. Au niveau des compétences collectivement partagées : progrès et égalité ?.................23
6.2. Compétences féminines vs compétences masculines....................................................25
Conclusion................................................................................................................................26
Références bibliographiques.....................................................................................................27