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LE WEEK-END A NOGENT

à notre chère Morgane, et, dans une moindre mesure, à Lldemars.

Était-ce l'exceptionnelle rigueur de cet hiver 99 qui avait vu le toit du lycée


s'envoler et retomber épars sur la pelouse du parc -jusqu'à la fin de l'année ils
avaient assisté aux cours de mathématiques dans la chaufferie du gymnase-,
était-ce encore la réserve toute professionnelle de Jérôme ou la pudeur
adolescente de Céline, toujours est-il qu'il avait fallu attendre le retour du
printemps pour qu'ils s'avouent leur amour dans un café éloigné du quartier
Sully. Jérôme avait été engagé comme surveillant à la rentrée et un seul regard
avait suffi, dans le foyer, pour que les deux jeunes cœurs s'embrasent, et l'on
sait combien l'attente muette et l'interdit peuvent nourrir le sentiment. Après
deux mois de rendez-vous secrets dans des rades nogentais que le garçon
connaissait bien pour les avoir fréquentés gamin avec son père, après deux
mois de promenades dans les bois alentour dont chaque arbre figurait une
équation ou une date du programme d'histoire, Céline décrocha son bac avec
mention. Ils décidèrent alors de partir voir la mer dans la petite AX verte de
Jérôme, avec la bénédiction d’Éliane et Bruno, les parents de la jeune fille.

Ils garderaient longtemps le souvenir d'un coucher de soleil sur un parking


de Noirmoutier. Ils n'avaient pas de quoi se payer l'hôtel, mais Céline avait
trouvé la parade : une fois le matelas glissé à l'arrière de la voiture, il suffisait
de le gonfler pour s'y étendre et contempler l'océan le coffre ouvert, en
sirotant l'apéritif. Jérôme regardait passer les cargos au large en sifflant les
premières mesures du générique de Thalassa. Céline riait et se laissait bercer
par la rumeur du ressac.

En octobre elle entra à la faculté d'Arts Plastiques, à Rennes. Jérôme, lui, ne


se voyait pas la suivre dans sa vie d'étudiante, ou du moins pas maintenant. Il
se décida donc à reprendre son poste de pion à Nogent. Céline revenait le
vendredi soir dans la maison de ses parents, où Jérôme l'attendait. Elle livrait
peu de sa vie à Rennes, disait qu'il n'y avait rien à en dire et préférait s'enquérir
des événements locaux et des histoires du lycée que Jérôme mimait avec
talent. Une séance de cinéma le samedi soir, un long déjeuner le dimanche et si
le temps le permettait une promenade dans le Perche, puis Jérôme la
raccompagnait à la gare en début de soirée.

Dans le sillage de cette calme routine leur amour filait bon train. Ils n'avaient
pas de dispute, ou presque : une fois seulement Céline essaya d'intéresser
Jérôme à l'un des rares cours qui la passionnaient, le monologue bizarre d'un
prof à la grande barbe blanche qui se déplaçait et tonnait comme un acteur ou
un avocat -il te plairait, disait-elle- à propos de la naïveté et de l'innocence. Elle
s'attarda sur les échos sûrement farfelus que l'enseignant trouvait dans des
œuvres qui n'avaient pas de rapports entre elles, « par exemple entre les deux
Rousseau, Jean-Jacques et Henri, le philosophe et le peintre ». Quand elle
s'aperçut que Jérôme, au lieu de l'écouter, était absorbé dans la contemplation
des horaires du train, elle se vexa terriblement et ne partagea plus jamais ses
préoccupations universitaires.

Aux vacances de Noël cependant, tout le monde remarqua un changement


dans l'attitude de la jeune femme. Elle avait parfois de ces absences dont il
fallait la tirer en la rappelant à la conversation, au jeu de société, à l'assiette
fumante où son regard se perdait. Tandis qu'elle enfilait une robe pour le soir
de Noël, Jérôme qui la regardait dans le reflet de la vieille armoire à glace lui
demanda d'où lui venait ce scaphandre qu'elle semblait enfiler depuis son
retour. Céline ne put réprimer un sourire à l'idée du scaphandre, mais se
rembrunit aussitôt. Jérôme se leva, lui caressa l'épaule en silence. « Je suis
enceinte », glissa-t-elle à son reflet.

Elle avait tardé à se poser des questions sur son retard de règles. Elle était
finalement allée consulter un gynécologue de Rennes, qui lui avait annoncé
qu'elle était enceinte de trois mois. A l'annonce de la nouvelle, alors que le
potage n'était pas encore servi, Éliane, Bruno et Jérôme furent partagés entre
la joie d'accueillir l'enfant à naître et l'étrange sourire de Céline où se lisait sans
peine une certaine inquiétude. Elle ne se sentait pas prête. Jérôme la rassura en
lui disant qu'elle n'aurait même pas à suspendre ses études. Les parents se
joignirent à lui. « On s'occupera de l'enfant pendant que tu finiras ton cursus ».
Quand Céline reprit le train pour aller passer les partiels du premier semestre,
elle avait retrouvé son habituelle sérénité. Elle embrassa Jérôme d'une façon
intense et qui lui parut nouvelle.

Un après-midi de fin juin, Céline accoucha d'un garçon qu'elle proposa de


prénommer Émile, prénom d'un grand-père maternel qu'elle avait connu et
aimé toute petite. Le lendemain même, les traits encore tirés par la fatigue de
l'enfantement, elle reprit le train pour Rennes afin de passer les examens de fin
d'année qu'elle réussit haut-la-main.

A Nogent, les membres de la famille de Céline -le père de Jérôme était


décédé et sa mère était repartie vivre dans le Finistère- se succédèrent au-
dessus du berceau, rivalisant de gazouillis et de sourires béats dont le jeune
couple se moquait en silence, échangeant des clins d’œil furtifs. Aux yeux de
Jérôme toutefois ces comportements paraissaient bien naturels. Il n'osait pas
le dire à sa compagne, de peur de briser la secrète connivence qui les unissait.
A mesure que l'été filait, le garçon remarqua que Céline se montrait de plus en
plus évasive, songeuse à ses côtés, et parfois même terriblement distraite avec
le petit. Un jour elle avait échappé le couffin qui avait dégringolé les quelques
marches du perron menant au jardin. Ils s'étaient approchés le cœur glacé de
la petite corbeille sans oser respirer. Émile dormait. « C'est bien le fils d'une
scaphandrière », plaisanta Jérôme qui tremblait encore. Céline regardait le petit
sans le voir et ne répondit pas.

Elle repartit à Rennes pour la rentrée et ne revint pas à Nogent le premier


week-end, ni le second. La deuxième année demandait beaucoup plus de
travail, disait-elle au téléphone. Il y avait des exposés, des ateliers, un contrôle
continu dans certaines matières. Si elle rentrait, elle le savait, elle n'aurait pas le
temps de travailler et prendrait un retard qui s’avérerait fatal. Elle demandait à
Jérôme de lui passer Émile, qui restait interdit devant le téléphone en
regardant son père. Entre ses horaires de pion et les soins apportés au petit,
Jérôme n'eut pas le temps de s'inquiéter de l'absence de Céline.

Mais elle ne revint pas les week-ends suivants.

Quand il décida finalement de s'en ouvrir à Éliane et Bruno, ceux-ci lui


avouèrent qu'ils n'avaient pas de nouvelles de leur côté non plus. Céline
n'appelait plus et ne répondait pas aux appels. Tout à leur inquiétude, ils
acceptèrent la proposition de Jérôme qui le samedi suivant -on était à la mi
novembre- prit son AX verte en direction de Rennes.

L'appartement de Céline se trouvait dans une rue pavée, au dernier étage


d'un vieil immeuble du centre. Jérôme qui n'était jamais venu à Rennes s'égara
un peu dans le quartier et se trouva plusieurs fois bousculé par des hordes
d'étudiants qui titubaient au milieu de la rue piétonne, hurlant à la cantonade
-en breton ou en argot de carabin?- des chants auxquels il ne comprenait rien.

Il finit par trouver la rue et se ravisa au moment d'appuyer sur la sonnette.


D'étranges bruits sortaient de la fenêtre entrouverte du dernier étage, comme
de casseroles amplifiées et d'un saxophone anarchique, surmontés d'une voix
de canard qui paraissait réciter quelque chose avec emphase. Jérôme se résolut
à attendre que le capharnaüm prenne fin. Un quart d'heure plus tard de petits
groupes sortirent de l'immeuble, cigarettes et verres à la main. N'y tenant plus,
Jérôme s'adressa à l'un d'entre eux qui fumait adossé au mur à côté de lui. Le
garçon semblait incapable de répondre à ses questions de manière simple ou
même intelligible. Dans ses élucubrations, il n'était question que d' « Art » qui
était « la vie même », un « sacerdoce », un « hapax ». Jérôme essaya de
détourner ce monologue prétentieux sur Céline. Le jeune homme lui dit
qu'elle était sa muse. « Qu'est-ce que tu lui veux, morveux ? » envoya-t-il à
Jérôme en esquissant un rictus qui se voulait menaçant. Jérôme lui décocha un
coup de poing dans le ventre et décida de rentrer à Nogent.

Les mois qui suivirent, Céline ne reparut pas. Ses parents proposèrent à
Jérôme de s'installer chez eux, à trois ce serait plus facile de s'occuper du petit,
et ça ferait moins de bagnole. Jérôme accepta sans hésiter.

La vie suivait son cours. Le garçon avait toujours aimé la routine. Sans y
penser. Sans se demander ce que le mot recouvrait. Il aimait son boulot de
pion, il aimait aussi donner le biberon à Émile, changer ses couches, jouer
avec le petit. Le week-end, il restait à la maison, bricolait dans le garage et le
soir il prenait l'apéritif et donnait un coup de main à Éliane pour le dîner. Il
tâchait de ne pas penser à Céline ni à l'épisode rennais qu'il n'osait pas
comprendre. Certains soirs pourtant le vin de Bruno le plongeait dans la
nostalgie. Noirmoutier, la douceur de Céline ressurgissaient et le poussaient
comme un somnambule jusque dans sa chambre de jeune fille. Il s'allongeait
sur le lit qui commençait à sentir le renfermé et se perdait dans des rêveries
charnelles dont il ne lui restait finalement que la mélancolie. Un de ces soirs-là,
alors qu'il laissait son regard errer sur les affaires de Céline, la tranche d'un
livre attira son attention. Pour une raison simple : son titre, c'était L’Émile.

Jérôme l'emporta et commença à le lire avec application et méthode, lui qui


ne lisait pour ainsi dire jamais. Il l'emmenait partout, au lycée, à la pause
comme pendant le travail, en s'occupant du petit, et même au volant de l'AX,
ce qui lui valut quelques frayeurs dans les rues de Nogent. Puisqu'il le posait à
côté de son assiette au moment du dîner, Bruno, pressentant quelque chose
d'inhabituel, finit par lui demander de quoi il s'agissait. Le lendemain matin, le
père de Céline faisait l'acquisition d'un nouvel exemplaire du livre.

Ils se lancèrent dans des débats passionnés autour du livre de Rousseau, qui
leur devint peu à peu un étrange bréviaire, sous l’œil tantôt amusé, tantôt
étonné mais indéfectiblement bienveillant d’Éliane. Émile devait marcher
dans les pas d’Émile, voilà ce dont ils convenaient au début comme au terme
de leurs discussions, qui à raison de la quantité de vin absorbée étaient
quelquefois émaillées de disputes. L'enfant était doté d'une raison naturelle
qu'on ne devait court-circuiter sous aucun prétexte, à coups de jouets idiots,
de dessins animés et d'activités abêtissantes et abstraites. Émile n'irait ni à la
crèche ni à l'école. Le jardin serait son royaume. Il serait libre de développer
ses facultés à son rythme et selon son bon plaisir. On ne lui imposerait rien
que d'apprendre par lui-même.

Les mois qui suivirent virent Émile, vêtu selon les rigueurs de la saison,
s'égayer seul ou en compagnie des adultes dans le petit jardin du pavillon
familial. Le printemps revint et tous passaient le plus clair de leur temps
dehors, un œil distrait posé sur Émile ou au contraire partageant ses jeux sans
en dicter les règles pour autant. Qu'il tombe ou se frappe la main du plat d'un
caillou, qu'une abeille le pique ou qu'il aille rouler dans un buisson
d'aubépines, Émile ne pleurait jamais ou jamais très longtemps, et n'exigeait
pas qu'on le cajole. Il babillait encore mais Jérôme pensait qu'il apprendrait à
parler bien assez tôt, qu'il n'était pas besoin de lui imposer le corset d'un outil
qui nous éloignait tant des choses mêmes. Bruno acquiesçait avec vigueur.

Certes ils ne s'aventuraient pas beaucoup à l'extérieur de la maison, en


dehors des sorties obligatoires pour le ravitaillement, car le regard plein de
sous-entendus et de reproches voilés des voisins, à qui les joues souvent
souillées et l'aisance physique du garçonnet ne plaisaient guère, répugnait à
Jérôme autant qu'à ses beaux-parents. Il s'en faisait alors de peu que leurs
phalanges ne s'abattent sur les moues désapprobatrices de ces idiots, ou que
bagues et chevalières aillent caresser l'aile de leurs voitures neuves. Ils ne
savaient donc pas ce qu'est un enfant !

Le printemps et l'été furent, et demeurèrent dans leurs souvenirs respectifs,


une époque idyllique.

Quatre ans plus tard, c'était en juin, Émile, Jérôme et Bruno avaient consacré
la journée à la construction d'un cerf-volant qu'ils faisaient désormais voleter
dans la brise tiède du soir. Les éclats de rire des trois garçons emplissaient
l'espace du petit jardin. Émile, joues et mains crottées, se perdait en
explications balbutiées dans un sabir confus que ses père et grand-père
paraissaient comprendre tout à fait. L'enfant faisait montre d'une habileté
remarquable dans le maniement de l'engin et les menues réparations qu'il
fallait lui apporter au retour de ses embardées.

Lorsque la sonnette retentit, Jérôme et Bruno se regardèrent. Émile n'y prêta


aucune sorte d'attention. Après un deuxième, puis un troisième coup de
sonnette de plus en plus appuyés, suivis d'un martèlement à la porte, Bruno se
résigna à aller voir de quoi il en retournait. Quelques secondes plus tard,
Céline apparut au seuil du jardin. Elle n'embrassa ni son père, ni Jérôme ni
Émile, mais embrassa la scène du regard pendant deux longues minutes,
comme interdite.

Céline fit reconnaître les « mauvais traitements » ainsi que l'insuffisance de la


situation de Jérôme, et obtint la garde exclusive d’Émile qu'elle emmena à
Rennes où elle vivait avec son compagnon, intermittent du spectacle, tandis
qu'elle excerçait la profession d'enseignante en arts plastiques au collège.

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