Reconsidérer La Vulnérabilité Soulet

RECONSIDÉRER LA VULNÉRABILITÉ
Marc-Henry Soulet
ERES | « Empan »
2005/4 no 60 | pages 24 à 29
ISSN 1152-3336
ISBN 2-7492-0438-0
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EMPAN.book Page 24 Tuesday, February 14, 2006 4:01 PM
:
PRÉCARITÉS
Reconsidérer
Dossier
QUELQUES
MODÈLES
D’ANALYSE
la vulnérabilité
Marc-Henry Soulet
L’intention au cœur de ce court texte est simple : inviter à considérer

l’intérêt qu’il y a à raisonner en termes de vulnérabilité sociale en lieu
et place d’exclusion pour rendre compte des phénomènes contempo-
rains de fragilisation et de mise à la marge de certains individus et
ainsi comprendre les formes d’intervention qu’ils appellent. Cette
entreprise ne va pourtant pas de soi tant, d’une part, la référence à
l’exclusion s’est imposée depuis plus de vingt ans comme modalité
quasi exclusive de mise en scène et d’explication des situations socia-

les problématiques, et tant, d’autre part, la notion de vulnérabilité a
été, quant à elle, confinée à des états de fragilité révélée, bien souvent
incarnés en des individus particuliers. Pourtant, la vulnérabilité
mérite une attention soutenue, et ce pour deux raisons au moins. Tout
d’abord, elle me paraît être plus en phase avec la représentation con-

temporaine de l’être-ensemble (une société connectiviste de propriété
de soi) que l’exclusion qui suppose logiquement la préséance d’un
tout social cohérent, la société comme être sui generis. Ensuite, la vul-
nérabilité se présente comme une notion potentielle (étymologique-
ment « qui peut être blessé ») qui oblige à interroger tant les
conditions de possibilité de cette potentialité (le risque structurel
d’être blessé) que les conditions de réalisation de celle-ci (le fait
d’être effectivement blessé).
Après avoir rapidement exposé l’intérêt de recourir au registre analy-
tique de la vulnérabilité au regard de celui de la toute-puissante exclu-
sion, je souhaiterais ensuite caractériser les liens entre la configuration
sociétale qui se dessine actuellement et la montée de la vulnérabilité
comme modalité de caractérisation des enjeux sociaux. Enfin, je vou-
drais tenter de préciser le recours qu’elle offre pour comprendre les
enjeux de la transformation contemporaine des politiques sociales.
Marc-Henry Soulet,
professeur de sociologie ; Plus qu’une affaire de mots : exclusion versus vulnérabilité
titulaire de la Chaire
de travail social Par-delà les critiques nombreuses, radicales et pour tout dire bien
et politiques sociales ; souvent légitimes, qu’elle a connues, force est de constater que la
Université de Fribourg
notion d’exclusion a joué un rôle clé dans l’ouverture d’une série de
Bonnefontaines, 11.
CH 1700 Fribourg chantiers de l’analyse sociologique. En proposant de substituer la
Tél. 00 41 26 300 77 80 compréhension d’un processus (l’exclusion) aux déterminations
marc-henry.soulet @unifr.ch d’un état (la condition de pauvre), en proposant de faire de ce proces-
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Recons idérer la vul néra bilité
sus la conjonction de facteurs économiques, pour peu que l’on se refuse à prendre pour centre
sociaux et symboliques (la non-insertion sur le l’être – ou la catégorie – vulnérabilisé. En d’autres
marché du travail, la non-intégration dans des termes, elle présente un intérêt soutenu à condi-
réseaux denses de relations sociales et la non- tion de ne pas limiter son usage à des univers de
occupation d’une place socialement signifiante) démunition matérielle ou de non-accès à des biens
plutôt que chercher les seuils de possession ou ou des services, de ne pas enfermer l’analyse dans
d’accès à des biens en deçà desquels les indivi- un statut particulier de fragilité avérée ou dans une
dus chutaient inexorablement dans une condition essentialisation de l’exposition au risque, donc de
de pauvreté, le recours sociologique à l’exclu- ne pas en faire une des propriétés essentielles de
sion a ouvert une brèche considérable dans l’individu ou du groupe en question et de ne pas en
l’appréhension des situations de non-intégration faire un état intermédiaire entre intégration et
et de marginalité. Elle a ainsi largement contri- exclusion.
bué à actualiser les questions de solidarité, de Pour que la vulnérabilité se pare de ces réserves
socialisation et de citoyenneté, largement aban- analytiques, il convient d’insister sur sa dimen-
données aux certitudes de sociétés assises sur sion structurelle et sur son rapport aux transfor-
leurs richesses et leurs valeurs d’autoréalisation mations d’ensemble du système social. L’accent
individuelle. Mais ce faisant, elle s’est heurtée à est alors mis sur la nature spécifique de certains
une contradiction majeure qui tend à relativiser

types de liens sociaux qui fragilisent ou qui
par trop l’intérêt d’y recourir. maintiennent dans la fragilité. Raisonner en
En ouvrant ces perspectives, elle a en effet sou- termes de vulnérabilité plutôt qu’en termes
ligné le fait que l’examen des réalités sociales d’exclusion, c’est souligner le lien intrinsèque
qu’elle désignait n’était pas une fin analytique qui unit un mode d’organisation et de représen-
en soi et, surtout, le fait que sa valeur heuristi- tation des rapports sociaux et les déficits qu’il
que résidait dans son acception comme porte génère. La vulnérabilité est un concept sans con-
d’entrée pour comprendre des mécanismes traire, marquant le fait que l’on ne pense plus dès
globaux du vivre-ensemble. En réintégrant lors en termes de fractures entre eux et nous,
l’interrogation sur l’exclusion au cœur de la mais davantage en termes de potentialité com-
représentation que la société se fait de ses méca- mune à chacun, mais inégalement répartie, d’être
nismes de solidarité et de formation des identi- atteint du fait même de la logique intrinsèque de
tés individuelles et sociales, l’exclusion, non déploiement de ce type de rapports sociaux.
seulement devient un objet secondaire, mais Ainsi, la vulnérabilité est-elle à saisir dans la
surtout se dilue comme notion ; elle n’est plus relation entre un groupe ou un individu ayant des
qu’un prisme au travers duquel se donnent à voir caractéristiques particulières (notamment un
des phénomènes plus larges et plus centraux. déficit de protection pour se garder de la poten-
Elle ne forme plus en soi le centre de la réflexion tialité à être blessé) et un contexte sociétal qui
et appelle en ce sens à être dépassée comme valorise la capacité à agir à partir de soi. Autre-
objet princeps de l’analyse au profit d’une ment dit, parler de vulnérabilité en soi n’a pas de
notion mieux à même de rendre compte à la fois sens dans la mesure où des individus singuliers
des enjeux traversant la société en son centre et sont vulnérables dans certaines conditions
des épreuves que subissent concrètement cer- (variables et inégalement distribuées selon les
tains individus pris au cœur de ceux-ci. individus) et dans celles-ci seulement.
A contrario, la vulnérabilité offre des ressources
analytiques réelles pour peu que l’on accepte le La vulnérabilité :
une réalité éminemment contemporaine
dépassement de la réduction ontologique, fré-
quente quand cette thématique est abordée et que Une forte convergence des analyses des sociétés
l’on ouvre la réflexion à une approche élargie, contemporaines, malgré leur diversité intrinsèque,
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EMPAN N° 60
est aujourd’hui observable : celle de l’hypothèse d’une modification

Dossier
structurelle de l’être-ensemble et de l’émergence d’un nouveau
modèle socioculturel marqué par un individualisme normatif et par
une conception de la société exacerbant les dimensions du risque et
de la confiance. Ce modèle socioculturel se caractérise par une dé-
stabilisation des repères sociaux augmentant l’incertitude des mem-
bres sur leur identité. L’individu se voit en effet, dans une telle con-
figuration, contraint de re-conceptualiser continuellement son
rapport au monde physique et social et d’élaborer les conditions pro-
pices à l’instauration d’une reconnaissance mutuelle avec ses con-
temporains. Ce modèle se marque aussi par une modification du
statut des institutions qui ne se caractérisent plus tant par leur fonc-
tion instituante assignant des conduites et imposant de l’extérieur des
normes de comportement et d’action, que par leur statut de contenant
que les individus remplissent significativement et normativement, et
ce par le fait même qu’ils poursuivent leur quête d’authenticité et de
réalisation de soi.

Émerge ainsi une représentation réticulaire de la société dans
laquelle se fabrique du lien social par l’entrecroisement et le tressage
de relations « libres » (c’est-à-dire en tant que fins en soi) nouées
entre des individus relationnels. La société n’est plus pensée comme
un vaste ensemble préexistant et contraignant à la façon d’Émile

Durkheim, mais est conçue comme un mouvement de production
continue se nourrissant de l’interaction volontaire des individus et
s’instituant à partir d’eux. En fait, deux mouvements doivent être
mobilisés pour fonder cette idée d’une société réticulaire : d’une
part, la recherche de l’authenticité comme principe d’affirmation
identitaire des individus, d’autre part, le recul de ce qui faisait
société, les institutions.
Toutefois, la recherche d’authenticité et de réalisation des indivi-
dus, quoique éminemment individuelle, ne peut faire l’économie de
la relation à autrui. L’affirmation d’autonomie qui l’accompagne
recouvre en fait une nouvelle forme d’hétéronomie. Certes, dans
une telle configuration sociale, la conduite des individus n’est plus
dictée du dehors à partir de commandements émanant d’institutions
stables, mais elle est toujours dictée du dehors, a posteriori toute-
fois, à partir du regard évaluateur d’une diversité d’alter ego avec
lequel les individus choisissent d’entrer en relation. Il ne s’agit donc
pas de l’avènement triomphal de l’autonomie libérant les individus
d’un encastrement dans des collectifs, mais de l’émergence d’une
hétéronomie fragmentée, toujours incertaine, car les actes et les
choix individuels développés sans garde-fou et sans protection sont
soumis rétroactivement au tribunal des pairs avec lesquels les indi-
vidus ont choisi d’entrer en relation. Dès lors, l’incertitude se trouve
placée au centre d’un tel dispositif devant articuler aspirations indi-
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viduelles à se réaliser et exigence de réciprocité D’une part, les enjeux collectifs deviennent des
dans la relation. épreuves individuelles devant les exigences
Si la production du social repose davantage sur requises par une telle logique d’autogestion de
les épaules des individus par l’entremise des soi et de participation à la constitution du social.
interactions qu’ils choisissent de nouer et des Une crise de la subjectivation naît de ce report de
entreprises dans lesquelles ils décident de responsabilité de la collectivité sur l’individu en
s’engager, leur intégrabilité, i.e. leur capacité à raison de la difficulté à être sujet dans une société
se tenir debout par eux-mêmes et à tenir toutes qui demande justement à chacun de ses membres
les promesses attendues d’eux, devient centrale d’y être à partir de lui-même. L’affaiblissement
dans la dynamique collective. L’intégration, à de la socialisation et de l’intégration par confor-
entendre alors plus comme un processus que mité (traditionnelle ou intro-déterminée) fragi-
comme un état, devient en conséquence le résul- lise en effet les individus qui n’ont les moyens ni
tat de la participation des individus à la produc- de s’auto-instituer et de s’autogérer, ni de parti-
tion de la société. Toutefois, le prix à payer dans ciper de manière active à la production de la vie
ce report de charge sur l’individu, est non seule- collective. Un premier niveau de lecture de la
ment l’obligation de jouer le jeu de la responsa- vulnérabilité émerge donc de cette obligation de
bilité, sauf à devoir assumer une position de hors se tenir debout de l’intérieur sans autre support
que soi et le rapport auto-entretenu aux autres.

jeu, mais aussi la dissolution du tiers médiateur.
Il faut ainsi concevoir combien la déstructuration La vulnérabilité est donc ici à entendre, au plan
des institutions intermédiaires vulnérabilise les des individus, comme le résultat d’une impossi-
individus en les renvoyant à eux seuls pour struc- bilité vécue – ou d’une incapacité ressentie – à
turer leur existence. Les relations sociales pren- ne pouvoir pleinement devenir « individus » au
nent en effet une dimension immédiate et placent sens moderne du terme.

en leur cœur une exigence d’authenticité pour les D’autre part, les épreuves individuelles devien-
individus, accroissant d’autant la violence des nent des enjeux collectifs. La subjectivation, en
échanges. tant qu’institution et gouvernement de soi,
Ce contexte sociétal d’incertitude et de report de n’apparaît pas seulement comme un enjeu de réa-
responsabilité sur les individus produit structu- lisation individuelle, elle constitue en même
rellement un univers de vulnérabilité pour tous temps les soubassements d’une nouvelle question
dans la mesure où la société n’est plus tant à con- sociale en raison du caractère vital de la réalisa-
cevoir comme un univers de contrôle normatif tion de la norme d’individuation en tant que con-
des conduites de ses membres, que comme un dition de la production de la société. Il faut ici
contexte d’épreuves et d’évaluations permanen- concevoir toute l’importance du coût social des
tes auxquelles doivent faire face les individus. déficiences individuelles à assumer les obliga-
La vulnérabilité est ainsi à entendre comme tions sociales d’individuation dans la mesure où
endogène aux caractéristiques du système social, l’intégrabilité, la démarche de soi vers la collecti-
en interaction avec les propriétés du système et vité par l’affirmation de soi, est justement pensée
celles des individus qui en sont membres. Mais comme le principe de la cohésion sociale. Un
ceux qui ne peuvent, en raison d’un déficit per- deuxième niveau de lecture de la vulnérabilité naît
sonnel, des singularités de leur trajectoire bio- donc de la nécessité de l’aboutissement de la sub-
graphique et/ou de leur position dans la structure jectivité de chacun pour que s’institue le social.
sociale, participer de manière active à la produc- Une production inaboutie des individus en tant
tion continue de la vie collective, se voient alors qu’individus individués vulnérabilise en consé-
fortement fragilisés. Aussi faut-il concevoir le quence l’être ensemble car elle fragilise l’intégra-
fait que la subjectivité devienne et une question tion et la cohésion sociale. La vulnérabilité est ici
individuelle et une question sociale. à entendre, au plan de la société, comme le résultat
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EMPAN N° 60
de la non-atteinte, par certains individus, du statut d’acteur normatif

Dossier
capable de peser sur la production des normes sociales. Les individus
désocialisés apparaissent comme des individus peu dotés en ressour-
ces leur permettant de se conformer aux nouvelles normes de l’indivi-
duation, comme des individus incertains en panne de réalisation de soi.
La vulnérabilité :
un analyseur du déplacement de la question sociale
Les réalisations de cette vulnérabilité structurelle, c’est-à-dire sa
matérialisation dans des situations concrètes, se thématisent logique-
ment sous la forme de la blessure. La logique d’un tel raisonnement
peut se décliner comme suit : puisque la potentialité à être blessé est
commune en raison du caractère structurel de la vulnérabilité, celui
qui est atteint l’est donc en raison de ses particularités singulières
(parce qu’il est moins vigilant, moins prudent, moins prévoyant, plus
faible ou moins protégé). Est ainsi blessé celui qui n’est pas en
mesure de faire face avec ses propres ressources aux exigences de la

propriété de soi (promotion, gestion, protection).
Le contexte sociétal d’épreuves et de sélectivité identifie a posteriori
comme faible celui qui a moins réussi les épreuves. Le rapport à
l’intégration à l’être-en-société renvoie chacun à ses potentialités
mais aussi à ses doutes et à ses craintes, à ses possibles défaillances

passagères comme à ses éventuelles insuffisances rédhibitoires. La
souffrance qui en résulte est en fait la souffrance d’être une personne
limitée, inaboutie par rapport aux possibilités qui lui sont offertes de
se réaliser.
L’appréhension politique de la souffrance se fait dès lors sur la base
d’une individualisation des problèmes sociaux à laquelle la société
offre une réponse d’une double nature.
1) Elle valorise et promeut activement pour les vulnérables non bles-
sés une nouvelle culture du bien-être et du bien conduire son exis-
tence afin de renforcer leur capacité à gérer leur trajectoire future.
Cette culture de la prise en charge de soi permettant à chacun d’assu-
mer la gestion de ses incomplétudes individuelles s’apparente à une
mise au travail du capital humain dans toutes ses dimensions, qui se
donne notamment à voir dans l’ouverture de fenêtres importantes
dans l’espace public mettant en scène un langage de l’intériorité
(reality show, magazines féminins...), dans l’insistance sur le soin de
soi (soin du corps, balnéothérapies, relaxation...) comme conditions
1. Ombudsman : mot d’origine de maintien et de ressourcement de soi, et dans la promotion du bien
suédoise, qui qualifie une per- agir (alimentation, santé, protection...) comme modalités de prise en
sonne chargée de défendre les charge de son existence et de son devenir.
droits des citoyens devant les
pouvoirs publics et l’administra- 2) Elle met en œuvre pour les vulnérables blessés une forme de thé-
tion. rapeutique allégée afin de contenir les effets de cette souffrance qui
28
affecte les individus dans leur être psychique par quement liée à la vulnérabilité avérée, comme
leur être social. Cette modalité d’intervention une souffrance qui n’est pas une maladie mentale
proche de l’écoute, relevant plus de la sollicitude mais qui, en raison de son indéniable origine
et de la compassion que de la solidarité, se traduit sociale, affecte l’individu dans sa capacité psy-
par la mise à disposition d’appuis qui allègent chique à tenir sa place dans le monde social.
l’épreuve afin de permettre de la supporter, voire
de la surmonter, par son propre effort. Le déve- Les inégalités :
loppement de ces dispositifs d’écoute des plain- point critique de la vulnérabilité
tes et des souffrances se manifeste notamment
Mais force est de reconnaître, contrairement à ce
par la création ou le développement de la police
qui se donne à voir de prime abord, que cette
de proximité, des médiateurs et ombudsman 1 en
réalisation différentielle de la vulnérabilité n’est
tout genre, des maisons de justice, de la clinique
pas qu’une affaire personnelle. Une telle lecture
de rue, de dispensaires de santé mentale... Il se
occulte en effet les inégalités à agir à partir de
marque également par l’importance prise par
soi-même. Nous sommes inégalement position-
l’accompagnement au sein du travail social
nés dans ce contexte social d’incertitude, pas
comme forme de régulation des vulnérabilités
seulement en conséquence de nos choix mais
individuelles. Il s’agit à chaque fois de participer
avant tout parce que nous sommes inégalement
à la création d’un espace de parole et de convi-

protégés. Certains disposent d’armures,
vialités faciles, d’ouvrir un micro-espace de
d’autres de boucliers et d’autres entrent dans le
communication. Cette logique du bas seuil n’est
jeu, sans défenses, à mains nues. En d’autres ter-
pas centrée sur le soin, elle vise simplement la
mes, dire qu’il y a individus et individus revient
constitution d’un espace de réconfort et de pre-
à affirmer le fait que tous les individus ne dispo-

mière protection afin de permettre l’énonciation
sent pas des mêmes ressources pour être soi, et à
de la souffrance. Ces dispositifs mêlent disponi-
souligner le caractère socialement différencié
bilité à autrui et grande accessibilité par leur
des processus d’individuation. À trop mettre
logique d’intervention de proximité.
l’accent sur la diversité et la pluralité des par-
La santé sociale des membres de la société est cours biographiques des individus, à trop insis-
ainsi en passe de devenir un élément constitutif ter sur l’électivité des choix de vie, le risque est
de la question sociale contemporaine – sous la grand en effet d’euphémiser les facteurs sociaux
forme d’une préoccupation sociale pour les pro- qui pèsent sur ces parcours biographiques et ces
blèmes de subjectivation des individus – recon- orientations électives au point d’en structurer
figurant les rapports entre psychique et social. les conditions de possibilité. Le danger d’un re-
L’articulation santé mentale et précarité donne cours aveugle à la vulnérabilité comme forme de
figure à ce qui se présente comme un nouveau lecture des situations sociales problématiques
malaise dans la civilisation. Les subjectivités à serait en effet de sous-estimer les limites à la
l’épreuve et la lutte pour la reconnaissance disposition de soi et de ramener les problèmes
qu’elles engagent deviennent des enjeux cen- relevant du système social à des considérations
traux pour la société à partir du moment où elles strictement individuelles en leur ôtant leur di-
sont thématisées comme une souffrance intrinsè- mension politique.
29

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d’abord, elle me paraît être plus en phase avec la représentation con-