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Horizons et débats
Horizons et débats
9e année
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L’invasion israélienne
et les gisements gaziers de Gaza situés au large des côtes
Israël: Au lieu d’acheter le gaz situé au large des côtes aux Palestiniens,
ils mènent la plus minable des guerres – et l’Occident les protège
par Michel Chossudovsky*
L’invasion militaire de la Bande de Gaza par n’achèterait jamais de gaz de la Palestine»,
les Forces israéliennes, est directement liée à suggérant ainsi que les réserves marines de Mediterranean Sea
la possession et au contrôle de réserves straté- Gaza appartenaient à Israël.
Mediterranean Sea
giques de gaz en mer. Il s’agit d’une guerre de En 2003, Ariel Sharon a opposé son veto
conquête: on a découvert de vastes réserves à un premier accord, qui aurait permis à Bri-
de gaz au large du littoral de Gaza en 2002. tish Gas d’approvisionner Israël en gaz na-
Dans un accord signé en novembre 1999, turel provenant des puits marins de Gaza.
l’Autorité Palestinienne (AP) a garanti des («The Independent», 19/8/03).
droits de prospection de gaz et de pétrole La victoire électorale du Hamas en 2006
d’une durée de 25 à British Gas (BG Group) a contribué à la chute de l’Autorité Palesti-
et son partenaire situé à Athène Consolidated nienne, par conséquent confinée à la Cisjor-
Contractors International Company (CCC), danie sous le régime mandataire de Mahmoud
une propriété des familles libanaises Sabbagh Abbas.
et Koury. En 2006, British Gas «était sur le point de
Ces droits sur les gisements de gaz en mer signer un accord pour acheminer le gaz en
sont de 60% pour British Gas, de 30% pour Egypte.» («Times», 28/5/07). Selon les re-
Consolidated Contractors, et de 10% pour le portages, le premier ministre britannique de Gisements gaziers en Méditerranée au large des côtes de l’Egypte, d’Israël et de Gaza. Un des objec-
tifs de la guerre d’Israël contre Gaza est-il de dépouiller les Palestiniens de leurs gisements gaziers?
Fonds d’investissement palestinien. («Haa- l’époque, Tony Blair est intervenu pour le
retz», 21/10/07) compte d’Israël pour faire capoter l’accord «Des sources de la Défense ont déclaré Il y a quelques semaines, le conseil
L’accord AP-BG-CCC inclut l’exploitation avec l’Egypte. qu’il y a six mois [en juin ou avant], le mi- d’administration d’IEC, dirigé par le prési-
des gisements et la construction d’un gazo- L’année suivante, en mai 2007, le Cabi- nistre de la Défense Ehoud Barak a demandé dent Moti Friedman, a approuvé les principes
duc. (Middle East Economic Digest, 5/1/01) net israélien a approuvé une proposition du aux Forces israéliennes de se préparer pour de la proposition cadre. Les pourparlers avec
La licence de BG couvre toute la zone ma- premier ministre Ehud Olmert, «d’acheter cette opération, bien qu’Israël ait commencé BG Group commenceront dès que le conseil
ritime située au large de Gaza, laquelle est du gaz de l’Autorité Palestinienne.» Le con- à négocier un accord de cessez-le-feu avec d’administration approuvera l’exemption
contigüe à plusieurs installations gazières is- trat proposé était de 4 milliards de dollars et le Hamas. (Barak Ravid, Operation «Cast pour l’offre. (Globes, 13/11/08)
raéliennes. (Voir les cartes ci-contre). Il con- les profits envisagés à 2 milliards de dollars, Lead»: Israeli Air Force strike followed
vient de souligner que 60% des réserves de dont un milliard irait aux Palestiniens. months of planning, «Haaretz», 27/12/08) Gaza et la géopolitique de l’énergie
gaz le long du littoral de Gaza et d’Israël ap- Toutefois, Tel-Aviv n’avait aucune inten- Durant ce même mois, les autorités israé- L’occupation militaire de Gaza a pour but de
partient à la Palestine. tion de partager ses recettes avec la Pale- liennes ont contacté British Gas afin de re- transférer la souveraineté des gisements ga-
BG Group a foré deux puits en 2000: Gaza stine. Une équipe de négociateurs israéliens prendre des négociations cruciales relative- ziers à Israël, en violation du droit interna-
Marine-1 et Gaza Marine-2. British Gas a été constituée par le Cabinet israélien afin ment à l’achat du gaz naturel de Gaza: tional.
estime que les réserves sont de l’ordre de d’arriver à un accord avec le BG Group en «Les directeurs général du Trésor et du mi- A quoi pouvons-nous nous attendre après
1,4 billions de pieds cubes, évaluées à envi- écartant à la fois le gouvernement du Hamas nistère des Infrastructures nationales Yarom l’invasion?
ron 4 milliards de dollars. Ce sont les chiffres et l’Autorité Palestinienne: Ariav et Hezi Kugler ont convenu d’informer Quelle est l’intention d’Israël en ce qui
publiés par British Gas. La dimension des ré- «Les autorités de la Défense israéliennes BG qu’Israël souhaitait renouer les pour- concerne le gaz naturel de la Palestine?
serves de gaz palestiniennes pourrait s’avérer veulent que les Palestiniens soient payées en parlers. Y aura-t-il un nouvel arrangement territo-
largement supérieure. biens et en services, et insistent pour que le Les sources ont ajouté que BG n’a pas rial, avec le stationnement de troupes israéli-
gouvernement du Hamas ne reçoive aucun encore répondu officiellement à la requête ennes et/ou la présence de «forces de main-
Qui possède les réserves de gaz? argent.» (Ibid, souligné par l’auteur.) d’Israël, mais que des cadres de la compa- tien de la paix»?
La question de la souveraineté sur les gise- L’objectif était avant tout de rendre caduc gnie viendraient probablement en Israël dans Assisterons-nous à la militarisation de la
ments gaziers de Gaza est cruciale. D’un point le contrat signé en 1999 entre le groupe BG quelques semaines afin de discuter avec des totalité du littoral de Gaza, lequel est straté-
de vue légal, ces réserves appartiennent à la Group et l’Autorité Palestinienne, alors sous officiels du gouvernement.» (Globes online- gique pour Israël?
Palestine. La mort de Yasser Arafat, l’élection Yasser Arafat. Israel’s Business Arena, 23/6/08) Les gisements gaziers palestiniens seront-
du gouvernement du Hamas, ainsi que la dé- En vertu de l’accord proposé en 2007 Chronologiquement, la décision d’accélérer ils purement et simplement confisqués, et la
bâcle de l’Autorité Palestinienne ont permis avec BG, le gaz palestinien des puits marins les négociations avec British Gas (le Groupe souveraineté israélienne sur les zones mariti-
à Israël de prendre de facto le contrôle de ces de Gaza devait être acheminé au port israé- BG) coïncidait avec la planification de mes de la bande de Gaza sera-t-elle déclarée
réserves. lien d’Ashkelon par un gazoduc sous-marin, l’invasion de Gaza amorcée en juin. Il semble unilatéralement?
British Gas (BG Group) a négocié avec transférant ainsi à Israël le contrôle de la qu’Israël s’empressait de conclure un accord Si cela devait arriver, les gisements ga-
le gouvernement de Tel-Aviv. En revan- vente du gaz naturel. avec BG Group avant l’invasion, dont la pla- ziers de Gaza seraient intégrés aux installati-
che, le gouvernement du Hamas n’a pas été Le plan a échoué et les négociations ont nification était déjà à un stade avancé. ons adjacentes d’Israël en mer. (Voir la carte
consulté en ce qui a trait à la prospection et été suspendues: Qui plus est, ces négociations étaient me- ci-dessus).
l’exploitation des gisements gaziers. «Le chef du Mossad, Meir Dagan, s’est op- nées par le gouvernement d’Ehoud Olmert, Ces diverses installations en mer sont
L’élection du premier ministre Ariel Sha- posé à la transaction pour des raisons de sé- qui était au courant qu’une invasion militaire aussi reliées au couloir de transport énergéti-
ron en 2001 fut un tournant majeur dans cette curité, craignant que les recettes engrangées était planifiée. Selon toute vraisemblance, le que d’Israël, qui se prolonge du port d’Eilat,
affaire. A l’époque, la souveraineté de la Pa- ne servent à financer le terrorisme (Membre gouvernement israélien envisageait aussi un port maritime terminal du pipeline sur la Mer
lestine sur les réserves gazières en mer était de la Knesset Gilad Erdan, allocution à la nouvel accord politico-territorial «d’après- Rouge, au terminal du pipeline à Ashkelon, et
contestée à la Cour suprême d’Israël. M. Knesset sur «Les intentions du vice-premier guerre» pour la bande de Gaza. vers Haïfa au nord. Le corridor se rattacherait
Sharon affirmait sans ambiguïté qu’«Israël ministre Ehud Olmert d’acheter du gaz des En fait, les négociations entre British Gas éventuellement par un pipeline israélo-turc,
Palestiniens alors que les paiements profite- et les officiels israéliens étaient en cours en actuellement à l’étude, au port turc de Cey-
ront au Hamas», (1/3/06, cité dans l’article octobre 2008, soit 2 à 3 mois avant le début han.
du lieutenant-général (à la retraite) Moshe des bombardements le 27 décembre. Ceyhan est le terminal du pipeline Trans-
Yaalon, Does the Prospective Purchase of En novembre 2008, les ministères israé- Caspien Bakou-Tbilissi-Ceyhan (BTC). «On
British Gas from Gaza’s Coastal Waters Th- liens des Finances et des Infrastructures na- envisage la liaison du pipeline BTC au pipe-
reaten Israel’s National Security? Jerusalem tionales ont sommé Israel Electric Corpora- line Trans-Israel Eilat-Ashkelon, aussi connu
Center for Public Affairs, octobre 2007). tion (IEC) d’entamer des négociations avec sous le nom d’Israel’s Tipline.» (Voir Michel
L’intention d’Israël était d’éviter la possi- British Gas concernant l’achat de gaz natu- Chossudovsky, The War on Lebanon and the
bilité que des redevances soient payées aux rel de ses concessions en mer à Gaza. (Glo- Battle for Oil, Global Research, 23/7/06). •
Palestiniens. En décembre 2007, BG Group bes, 13/11/08)
s’est retiré des négociations avec Israël, et, Yarom Ariav, directeur général du mini- Source: Mondialisation.ca, le 12 janvier 2009
en janvier 2008, ils ont fermé leur bureau en stère des Finances, et Hezi Kugler, directeur (Traduction Pétrus Lombard. Révisée par Julie
Lévesque pour Mondialisation.ca)
Israël. (site Internet de BG). général du ministère des Infrastructures Na-
tionales, ont écrit récemment à Amos Lasker, * Michel Chossudovsky est directeur du Centre de
Le plan d’invasion à l’étude chef de la direction d’IEC, l’informant de la recherche sur la mondialisation et professeur d’éco-
Selon des sources militaires israéliennes, le décision du gouvernement de permettre aux nomie à l’Université d’Ottawa. Il est l’auteur de
Guerre et mondialisation, La vérité derrière le
plan d’invasion de la bande de Gaza, nommé négociations d’aller de l’avant, conformé- 11 septembre et de la Mondialisation de la pau-
Projets israéliens de couloirs de transport de gaz l’«Opération Cast Lead» (Opération plomb ment à la proposition cadre approuvée plus vreté et nouvel ordre mondial (best-seller interna-
et de pétrole. durci) a été mis en branle en juin 2008: tôt cette année. tional publié en 11 langues).
page 2 Horizons et débats No 2, 19 janvier 2009
hd. Le Conseil des droits de l’homme a clos sive» conforme au droit international et à la dans la bande de Gaza, soit par une série chômage était monté à près de 75% et que le
le 12 janvier sa neuvième session extraordi- Charte des Nations Unies et qu’il n’y a aucune de conditions mises en doute par la minis- système sanitaire était en train de s’effondrer
naire, consacrée aux «graves violations des «crise humanitaire» rendant «excessives» et tre israélienne des affaires étrangères, Mme sous l’effet du blocus. En raison de ces condi-
droits de l’homme dans le territoire palesti- «disproportionnées» l’ampleur et la nature de Tzipi Livni, lors de diverses séances officiel- tions cadre, les observateurs internationaux
nien occupé, y compris la récente agression cette opération. les. Selon Mme Livni, une trêve militaire ne impartiaux sont totalement convaincus que la
dans la bande de Gaza occupée». serait pas nécessaire, car il n’y aurait pas de population de Gaza a déjà souffert d’une crise
A l’issue de la session, le Conseil a adopté
une résolution dans laquelle il condamne 2 Bien qu’Israël prétende ne plus être une
puissance occupante en raison du retrait
crise humanitaire. Elle fait valoir qu’Israël
aurait permis le passage des frontières pour
humanitaire avant le 27 décembre.
4
prétendant que leur incursion militaire dans La présente session extraordinaire est Je voudrais également insister sur le fait installations et des fournitures médicales
la bande de Gaza était une opération «défen- motivée par la situation urgente qui règne que les trois principes cardinaux du droit ainsi que l’impossibilité pour les médecins
international humanitaire, c’est-à-dire la assiégés et d’autres personnels médicaux
proportionnalité, la distinction et la pru- de parvenir jusqu’aux victimes ou de les
dence, s’appliquent pleinement à ce conflit, soigner de manière adéquate ont créé une
Croix-Rouge suisse comme aux autres situations de guerre. Le situation catastrophique. Le Comité inter-
premier principe interdit les attaques sus- national de la Croix-Rouge a accusé Israël
Aide d’urgence médicale ceptibles de provoquer parmi les civils des
morts et des blessés en quantités excessives
de ne pas remplir ses obligations en ne por-
tant pas secours aux civils blessés dans un
en faveur des victimes de Gaza par rapport aux avantages militaires atten-
dus. Le second principe impose aux belligé-
endroit précis de la ville de Gaza et d’em-
pêcher le CICR et le Croissant Rouge pales-
Le conflit armé dans la bande de Gaza fait de Pour faire face à la pénurie de médica- rants de faire la distinction entre les civils et tinien d’apporter leur aide aux blessés.
nombreuses victimes parmi la population ci- ments, de poches de sang et d’appareils tech- les combattants et entre les «biens de ca- Les responsables des violations du droit
vile. Face à la situation humanitaire drama- niques, le Comité international de la Croix- ractère civil et les objectifs militaires». Les international doivent rendre des comptes.
tique, la Croix-Rouge suisse (CRS) déblo- Rouge (CICR) achemine du matériel médical attaques ne doivent viser que des combat- Dans un premier temps, des enquêtes cré-
que dans l’immédiat 200 000 CHF au titre de vers les établissements de soins. Hier, une tants ou des objectifs militaires légitimes. Le dibles, indépendantes et transparentes doi-
l’aide d’urgence médicale. équipe chirurgicale de la Croix-Rouge s’est dernier principe enjoint aux parties au con- vent être menées afin d’identifier les viola-
Dans la bande de Gaza, densément peu- vu délivrer une autorisation d’entrée afin de flit de prendre toutes les précautions pos- tions et d’établir les responsabilités. Il est
plée, les habitants peuvent difficilement se traiter des blessés de guerre à l’hôpital Shifa, sibles afin d’éviter, ou du moins de réduire également très important de faire respec-
mettre à l’abri des combats qui font rage. En dans la ville de Gaza. Jour et nuit, le Crois- au maximum, les pertes en vies humaines et ter le droit des victimes à réparations. Je
témoigne le nombre élevé des victimes civi- sant-Rouge palestinien transporte des blessés les blessés parmi les civils ainsi que les dom- rappelle à ce Conseil que les violations du
les. Les hôpitaux de la région sont submer- vers les cliniques et prodigue les premiers se- mages aux biens de caractère civil qui pour- droit international humanitaire peuvent
gés, les besoins d’assistance médicale énor- cours. raient être causés incidemment. […] constituer des crimes de guerre engageant
Je m’associe au Secrétaire général qui la responsabilité pénale individuelle.
mes. Dans l’immédiat, la CRS débloque Les dons en faveur des victimes de la bande de Gaza déplore les frappes tout à fait inaccepta-
200 000 CHF au titre de l’aide d’urgence. sont les bienvenus sur le compte postal 30-4200-3, * Extraits de la déclaration de Navanethem Pillay
bles d’Israël contre des installations des
Cette somme permet d’approvisionner les mention «Gaza».
Nations Unies bien signalées où des civils
lors de la session extraordinaire du Conseil des
hôpitaux en médicaments de première néces- droits de l’homme du 9/1/2009 à Genève
Source: www.redcross.ch/activities/international/ avaient trouvé refuge. (Traduction Horizons et débats)
sité et en matériel de pansement. news/news-fr.php?newsid=1055
No 2, 19 janvier 2009 Horizons et débats page 3
««Violations flagrantes du droit …» tion était adéquate et défensive. La plupart disproportion. Une autre mesure est celle de à éviter la souffrance du danger immédiat par
suite de la page 2 des descriptions de la trêve de durée défi- l’ampleur de la dévastation et des attaques. la fuite et deviennent des «personnes dépla-
nie démontrent qu’un recours israélien à la Il est évident que la destruction d’installations cées à l’intérieur du pays» ou «réfugiés». Par
fusées à partir de Gaza n’a provoqué de décès force mortelle a eu lieu le 4 novembre der- de la police et de nombreux bâtiments offi- son stricte contrôle des possibilités de sortie,
d’Israélien. Depuis juin 2008, les deux par- nier, mettant de facto un terme au cessez- ciels sis dans un secteur urbain surpeuplé est Israël a privé la population civile de la bande
tis ont observé un cessez-le-feu. Si quelques le-feu, ce qui a provoqué une augmentation un recours excessif à la force, même si l’on de Gaza, directement ou indirectement, de la
violations ont été enregistrées, elles n’ont pas immédiate de la fréquence des tirs de fu- accepte totalement les allégations israélien- possibilité de devenir réfugiés, ce qui n’était
modifié la volonté des deux parties de le res- sées à partir de Gaza. Il faut aussi consi- nes. Aussi peu convaincant que l’emploi dis- jamais un choix, mais une expression de dés-
pecter. On s’attendait à ce qu’Israël lève ou, à dérer que le Hamas a offert à plusieurs re- proportionné de la force est l’absence de con- espoir. Le refus israélien rend plus plausible
tout le moins, atténue le blocus qui a imposé prises de prolonger le cessez-le-feu jusqu’à nexion entre la menace provenant soi-disant que la population de la bande de Gaza est pri-
de sévères restrictions à toute la population de 10 ans si Israël levait le blocus. Pour autant de Gaza et les buts des attaques israéliennes. sonnière de la politique israélienne d’occupa-
Gaza, notamment dans l’approvisionnement que l’on puisse en juger, Israël n’a pas exa- Cette lacune confère un poids supplémentaire tion. En droit humanitaire international, cette
en nourriture, médicaments, appareils médi- miné ces possibilités diplomatiques, bien aux reproches d’après lesquels le recours is- suppression de la possibilité de fuite des ha-
caux et carburants. Il n’en fut rien. De hauts qu’il faille admettre que le statut légal con- raélien à la force serait une forme d’agression bitants de la bande de Gaza constitue une ac-
fonctionnaires des Nations Unies sur le ter- testé du Hamas comme représentant de facto interdite par le droit international public et centuation marquée des périls auxquels une
rain, tel le Commissaire général de l’Office de la population de la bande de Gaza compli- excessive selon les critères de proportionna- population civile est soumise et souligne l’am-
de secours et de travaux des Nations Unies quait les choses. Cette situation a son impor- lité et de «nécessité». pleur de la crise humanitaire qui règne dans la
pour les réfugiés de Palestine au Proche- tance juridique, car un principe fondamental bande de Gaza depuis le 27 décembre. Depuis
Orient (UNRWA), qui ont mission le plus di-
rectement de satisfaire aux besoins de la po-
pulation civile, ont relevé à maintes reprises
de la Charte des Nations Unies veut que le
recours à la force n’ait lieu qu’en dernier res-
sort, ce qui oblige Israël, en toute bonne foi,
10 En outre, des observateurs qualifiés
ont émis un grand nombre d’alléga-
tions d’après lesquelles les Israéliens pren-
le début de l’opération militaire, la situation
s’est détériorée sensiblement. Un commentaire
d’un porte-parole de la Croix-Rouge en ville
la souffrance aiguë infligée ainsi aux civils à s’appuyer sur la non-violence pour mettre draient comme cibles des objectifs juridi- de Gaza reflète bien la perception générale de
de Gaza. fin aux attaques par fusées. quement inacceptables et recourraient à des la situation: «L’ampleur des opérations (mili-
armes juridiquement douteuses, qui violent taires) ainsi que celle de la misère et des be-
Causes et conséquences
de la crise économique et financière actuelle
Débats dans la gauche allemande
par Jürgen Elsässer
La crise économique que le monde traverse le reste du monde. L’expression est de War- C’est pourquoi Marx appelle ces bons du Tré- Non content d’avoir été le principal créa-
en ce moment n’est pas une simple affaire ren Buffett, un milliardaire américain clair- sor «des doubles en papier d’un capital eng- teur de produits dérivés, le géant de la banque
d’économie, mais bien aussi d’impérialisme. voyant, qui a toujours critiqué l’économie-ca- louti». Il ne pouvait pas se douter que les re- J. P. Morgan contrôle aussi la plupart des
C’est moins une aggravation de l’exploita- sino pratiquée par ses pairs. quins de la finance pourraient un jour mettre hedge funds mondiaux, soit 398 (chiffres de
tion par l’industrie capitaliste (suraccumu- en circulation des «représentants nominaux 2005). Rien d’étonnant donc si le premier
lation du capital) que les spéculations, lan- «Capital fictif» d’un capital inexistant», et en quantité bien responsable du grand krach en a été aussi
cées à partir de ses bastions états-unien et Les «armes financières de destruction mas- supérieure à celle que se permettaient les le premier profiteur. Au printemps 2008
britannique, auxquelles se livre la finance in- sive», ce sont des produits financiers haute- Etats. J. P. Morgan a avalé Bear Stearns pour 2 dol-
ternationale qui ont conduit à la catastrophe ment spéculatifs, dits «produits dérivés», Les CDS (Credit Default Swaps) per- lars l’action; un an plus tôt les participations à
du siècle, dont nous vivons désormais les dé- créés à l’époque où Alan Greenspan était mettent de mettre en évidence ce que sont Bear Stearns se négociaient encore à 159 dol-
buts. Des «armes financières de destruction Président de la FED (1987–2006), et surtout les produits dérivés et leur fonctionnement. lars. Lorsqu’en septembre 2008 la banque
massive» ont été systématiquement mises en à partir de la fin des années 90. «Ils recèlent Au départ les CDS étaient des assurances Washington Mutual fit faillite – à ce jour le
place, transformant des régions industrielles des dangers invisibles pour l’instant mais po- qui devaient garantir les créanciers contre le plus gros krach de l’histoire – J. P. Morgan
entières en «terre brûlée». Comme Londres tentiellement mortifères» écrivait Buffett dès défaut de paiement. Ils devinrent un danger a encore frappé: la banque s’offrit des ac-
et Washington bloquent toute tentative de ré- la fin 2002. Les munitions pour ces armes quand les institutions de crédit furent autori- tifs estimés à 176 milliards de dollars pour
guler l’économie-casino mondialisée, c’est c’est le «capital fictif» (ou virtuel), qui ne sées à les revendre et qu’ils disparurent ainsi 1,9 milliard tout juste.
aux Etats-nations d’agir: en Allemagne, il ne provient pas de la création de valeur et de des bilans. Pour mieux les vendre on les pré- «Les USA ressemblent eux-mêmes à un
faut pas sauver les grandes banques qui par- l’accumulation capitaliste (donc de l’exploi- senta comme de bons investissements – et les gigantesque hedge fund. La part des entre-
ticipent à l’étranglement de l’économie réelle. tation de la main-d’œuvre, comme l’analyse dettes de Californiens qui se faisaient bâtir prises financières dans les profits totaux des
Il faut bien plutôt les nationaliser sans les la gauche), mais qui est généré par des or- un petit pavillon se transformèrent comme entreprises (après impôts) a bondi de moins
dédommager et les placer sous contrôle dé- dinateurs – ce qui ne l’empêche pas de cau- par magie en actifs entre les mains de retrai- de 5% en 1982 à 41% en 2007» écrivait en
mocratique strict. ser d’épouvantables dégâts, bien réels ceux- tés souabes crédules. La finance sembla alors février 2008 Martin Wolf dans le «Financial
là. Les principaux coupables sont les «hedge avoir inventé le mouvement perpétuel en ma- Times». Il n’en va pas autrement en Grande-
La Chancelière allemande a qualifié à la funds» et les «Private Equity funds» – les tière d’accroissement de la richesse. Mais Bretagne: un quart de la richesse annuelle
mi-octobre la crise économique de «mise à «criquets pèlerins», selon le mot de Franz la réalité ne tarda pas à faire son grand re- provient des hedge funds. Rien d’étonnant à
l’épreuve la plus dure depuis les années 20.» Müntefering, qui utilisent ces armes pour tour: quand un nombre sans cesse croissant ce que les deux pays se soient jusqu’ici dé-
Quelles sont les raisons de ce bouleverse- le compte des banques d’investissement. Un d’emprunteurs ne fut plus à même de rem- fendus avec bec et ongles contre toute limita-
ment, le pire depuis les années 20? Deux seul chiffre suffit à prouver leur totale décon- bourser, les assureurs de ces prêts durent tion apportée aux hedge funds.
pistes d’explication s’opposent. Pour la gau- nexion d’avec l’économie réelle: en décembre mettre la main à la poche: institutions, firmes
che il s’agit avant tout d’un problème d’exploi- 2007, les produits dérivés représentaient au et créanciers privés détenteurs de CDS. Mais Rompre avec les USA
tation et de répartition; le terme qu’emploie total la somme astronomique de 596 billions ils en étaient bien incapables; ayant agi hors Le Président russe, Medvedev, a déclaré
Marx en pareil cas est celui de «suraccumula- [1 billion= 1012, soit 1000 milliards, ndlt] de de tout contrôle bancaire exercé par les Etats en novembre dernier dans son Discours
tion»; les capitalistes ne font en définitive que dollars, selon la Bank for International Sett- ils n’avaient pas le capital répondant néces- sur l’état de la nation: «La crise financière
ce qu’ils ont toujours fait, mais cette fois-ci lements [BIS, «banque des Banques centra- saire. Si, durant ces dix à quinze dernières a montré qu’une réforme des systèmes po-
ils se sont montrés particulièrement brutaux; les», ndlt]. Point de comparaison: le total années, l’oligarchie financière internatio- litique et économique s’impose. Mettre fin
l’exploitation a été telle que le capital qu’on en mondial des pertes subies par les banques nale n’avait pas proposé aux super-riches du à l’hégémonie politique et économique des
retire ne peut plus être investi de façon ren- l’été 2007, début de la crise immobilière monde entier des investissements hautement Etats-Unis constitue l’axe et la base de cette
table dans la production et a donc trouvé un aux USA, s’élevait fin octobre 2008 à 2,2 rentables (et hautement spéculatifs) au ca- réforme». Sur ce point, il diffère des con-
exutoire dans la spéculation. billions d’euros – en soi une somme astrono- sino mondial de l’économie, jamais la crise clusions que tire de la crise financière une
Pour les commentateurs «bourgeois», en mique, certes, mais à peine 0,5% du poten- n’aurait pu se transformer en tsunami finan- grande partie de la gauche, qui fait l’im-
revanche, le problème relèverait plutôt de la tiel de destruction des produits dérivés. 596 cier. Car, sans ces nouvelles offres, les multi- passe sur l’aspect impérialiste de la crise
sphère financière. Le Spiegel, par exemple, billions de dollars, c’est douze fois le mon- milliardaires auraient été contraints d’investir actuelle («l’hégémonie politique et écono-
développait son titre de la mi-novembre der- tant de la richesse produite dans le monde en de manière relativement conventionnelle les mique des Etats-Unis») et voit «l’axe et la
nière en parlant de «crime capital […] com- un an. Pour parvenir à ce montant, il aurait profits qu’ils retiraient d’une exploitation base de cette réforme» dans la suraccumula-
mis par les banquiers, tolérés par les politi- donc fallu retirer l’économie réelle la valeur accrue: soit dans des investissements tradi- tion et la répartition «en particulier en Alle-
ciens.» Cette explication, comme nous allons totale des biens et services produits pendant tionnels, épargne, emprunts ou actions, et magne» (fraction du parti Die Linke au Bun-
le montrer dans ce qui suit, est paradoxale- douze ans, jusqu’à la dernière vis, et la der- l’essentiel se serait retrouvé entre les mains destag). Ce qui dans la pratique la conduit à
ment plus «marxiste» et surtout plus réaliste nière goutte de pétrole et les investir dans ces des banques, des Etats ou dans le capital des commettre des erreurs politiques.
que celle de la gauche. La focalisation sur titres. Il est donc évident que ce «capital vir- entreprises et donc aurait pu être mis à la dis- Par exemple, à la mi-septembre, quand les
les «boursicoteurs» et «spéculateurs» induit tuel» n’est pas un élément dérivant de la créa- position de l’économie réelle, soit dans les USA mirent «de façon agressive» («Frank-
en erreur surtout parce qu’elle évoque avant tion de valeur ni de l’accumulation capitaliste produits de luxe, baignoires en or et yachts furter Allgemeine Zeitung») le gouverne-
tout des hommes cupides et irresponsables boursière ordinaire, comme le ferait croire gigantesques, ce qui aurait également fait ment fédéral en demeure de soutenir leur
et réduit donc cela à une affaire d’individus. l’étymologie latine derivare, mais un tour de fonctionner l’économie réelle. La formation plan de sauvetage des banques. Pour une fois
Il vaudrait mieux parler de capital financier passe-passe financier. d’une bulle de la dimension actuelle n’aurait avisée, réflexe rare chez elle, la Chancelière
ou d’aristocratie de la finance, qui à partir Karl Marx avait déjà étudié les prémices pas été possible. refusa le rôle d’exécutrice des basses œuvres
de leurs principaux bastions, aux USA et en de ce tour de passe-passe et créé le terme de de l’Oncle Sam. «Je suis très critique quant
Grande-Bretagne, ont pratiqué systématique- «capital fictif». Dans le volume 3 du «Capi- Le rôle de Wall Street au rôle qu’entendent jouer les marchés fi-
ment une stratégie de dérégulation des mar- tal», il écrit: «Avec le développement du ca- Il est exact que l’Allemagne s’est ouverte à nanciers – ils se sont malheureusement trop
chés. C’est ainsi qu’ont été mises en place, pital portant intérêt et du crédit, tout capi- ce type de spéculations sous le gouverne- longtemps opposés à toute régulation volon-
surtout dans ces dix dernières années, des tal semble doubler et parfois tripler du seul ment Schröder. Mais ses créateurs n’en sont taire, avec l’appui des gouvernements états-
«armes financières de destruction massive» fait que lui-même ou des créances passent pas moins une aristocratie financière dont unien et britannique» déclara Merkel. Stein-
qui permettent aux super-riches de pressurer de main en main en revêtant des formes dif- les principaux bastions se trouvent aux USA brück ajouta: «Les USA sont à l’origine de
férentes. La plus grande partie de ce capi- et en Grande-Bretagne, même si elle dispose la crise.» Oskar Lafontaine critiqua ces «dé-
tal est purement «fictive». Mais Marx parlait de bases dans d’autres pays, chez nous par clarations qui sentent leur province». «Je
de «doublement» ou «triplement» du capi- exemple à la Deutsche Bank. Les inventeurs regrette que les Allemands veuillent lais-
Horizons et débats tal. Qu’il puisse être multiplié par cent, voire de ces armes financières de destruction mas- ser les USA se débrouiller tout seuls. C’est
Hebdomadaire favorisant la pensée indépendante, mille, jusqu’à représenter douze fois la tota- sive sont à Wall Street. «C’est essentiellement une prise de position erronée.» Et le Sarrois
l’éthique et la responsabilité lité de la richesse produite en un an dans le dans les «think tanks» des grandes banques d’adjurer le gouvernement fédéral «d’aider
pour le respect et la promotion du droit international, monde, voilà ce qu’il n’aurait pas osé imagi- d’investissement états-uniennes et tout particu- les USA à sauver les banques ébranlées par
du droit humanitaire et des droits humains ner. Il ne s’agit plus d’un simple saut quanti- lièrement chez J. P. Morgan qu’ont été élabo- la crise». Rüsselsheim, la ville d’Opel, est
Editeur
tatif, mais d’un changement qualitatif. rés les étranges modèles de l’étrange multipli- en revanche sur la même ligne que Medve-
Coopérative Zeit-Fragen Marx distingue nettement deux types de cation de l’argent, des modèles qui maintenant dev.
«capital virtuel». Le premier désigne un capi- partent en fumée l’un après l’autre par un «effet S’exprimant sur la crise que traverse la
Rédacteur en chef
Jean-Paul Vuilleumier tal non encore réalisé, mais parfaitement réa- domino»,» ainsi que le résume le Spiegel. firme, le maire, Stefan Gieltovski (SPD) a dé-
lisable: des titres de propriété qui représentent «La plupart des «hedge funds» opèrent claré; «L’origine de la crise ne se trouve pas à
Rédaction et administration
Case postale 729, CH-8044 Zurich un capital réel, soit des actions qui sont des à partir des USA ou de Grande-Bretagne» Rüsselsheim, mais à Detroit.» Le reporter du
Tél. +41 44 350 65 50 participations dans des entreprises réelles. Il écrit également l’institut munichois ISW. Dès Spiegel a été témoin de la colère de toute la
Fax +41 44 350 65 51 ne le confond en rien avec le capital «totale- 1905, à Londres et New York, près de la moi- ville contre la direction de l’entreprise améri-
E-Mail: hd@zeit-fragen.ch
ment illusoire» qui ne recouvre rien d’autre tié des transactions sur les titres portait sur les caine. «Il faut rompre avec General Motors»
Internet: www.horizons-et-debats.ch que le papier sur lequel est imprimé le titre de «hedge funds». Chez nous ils n’ont été auto- a déclaré une passante. Une autre a eu une
propriété. A l’époque où Marx écrivait, cette risés qu’en 2004. Au milieu de l’année 2007, formulation brutale: «Les Allemands font du
CCP 87-748485-6 catégorie comprenait à ses yeux essentielle- 36% des hedge funds opéraient à partir de bon boulot, et pour nous remercier les Améri-
Imprimerie ment les emprunts d’Etat. Pour financer des New York, 21% à partir de Londres et seule- cains nous sucent jusqu’à la dernière goutte.»
Nüssli, Mellingen dépenses somptuaires ou d’armement, l’Etat ment 3% de l’ensemble des autres places fi- Le reporter résumait ainsi son impression:
Abonnement annuel 198.– frs / 108.– €
récoltait des fonds auprès de ses citoyens en nancières européennes. Bien qu’ils opèrent à «C’est le plus petit dénominateur commun
échange desdits «emprunts». Les créanciers partir de New York et Londres, le siège des des habitants de Rüsselsheim.» Les propos
ISSN 1662 – 4599 avaient droit au remboursement et touchaient criquets pèlerins anglo-saxons est en général tenus sont sans doute empreints d’un certain
des intérêts (cumulatifs). Mais le problème situé dans des paradis fiscaux où ils ne sont ressentiment. Mais la réalité économique qui
© 2009 Editions Zeit-Fragen pour tous les textes et les illustrations.
Reproduction d’illustrations, de textes entiers et d’extraits impor- fondamental était que l’argent des citoyens soumis à aucune juridiction: 63% se trouvent l’engendre ne doit pas rester ignorée de la
tants uniquement avec la permission de la rédaction; reproduction
d’extraits courts et de citations avec indication de la source «Hori-
était bel et bien fichu, investi dans des édi- aux Iles Caïman, 13% dans les îles anglo- Gauche. •
zons et débats, Zurich». fices de prestige et des canonnières que le normandes, 11% aux Bermudes et 5% aux (Traduit par Michèle Mialane et révisé par Fautso
gouvernement avait financés avec cet argent. Bahamas. Giudice, www.tlaxcala.es)
page 6 Horizons et débats No 2, 19 janvier 2009
«L’expérience de …» leur pays. Au royaume de Yougoslavie (plus tiquer une économie de proximité et la soli- naie complémentaire réservée aux jeunes.
suite de la page 4 exactement, en Serbie) en France et en Es- darité dans une communauté: voilà ce qu’on Tous les plus de 12 ans peuvent participer.
pagne, diverses communes sont encore ten- fit à Wörgl lors de l’expérience de la mon- Ils travaillent dans des services locaux, des
Schuschnigg, ainsi qu’au gouverneur du land tées par l’exemple de Wörgl en 1934,1935 naie fondante. associations ou rendent des services à leurs
de Styrie, Rintelen. et 1936. Rien d’étonnant à ce que l’exemple de voisins. En échange, ils reçoivent des tickets
Le gouvernement chrétien-social d’Inns- Sans en être personnellement conscient et Wörgl ait aujourd’hui encore diverses po- – en principe, chaque heure travaillée vous
bruck résiste aux appels que lance de Vienne à plus forte raison sans avoir établi de théo- stérités. Au début des années 80 la fonda- rapporte un à-valoir de 2,5 euros. Ils peuvent
le Ministère des Finances à en finir avec les rie, Unterguggenberger a contribué dès les tion d’un système d’échanges a créé un échanger ces tickets à la mairie contre des
«folies» de Wörgl en faisant traîner volontai- années 30 du siècle dernier à inventer et sur- mouvement qui, selon Bernard Lietaer, ex- bons leur permettant d’effectuer des achats
rement la procédure, voire en fournissant des tout à mettre en pratique la «circulation de pert en systèmes monétaires, utilise au total dans les entreprises régionales ou de prati-
renseignements incomplets. monnaie complémentaire». Sur «Wikipédia» 4000 monnaies complémentaires de par le quer des activités de loisir (piscine, piste de
Quoi qu’il en soit, l’émission d’«argent le rôle de cette monnaie est formulé comme monde, aux USA, en Europe, dans presque luge, patinoire). •
fondant» osée par Unterguggeberger sera re- suit: «Une monnaie complémentaire relève toutes les nations industrialisées, mais aussi
(Traduit par Michèle Mialane, www.tlaxcala.es)
prise par les communes de Sankt-Pölten et Li- d’un accord conclu par une communauté gé- dans les pays émergents et en développe-
lienfeld (Basse-Autriche), Kirchbichl (Tyrol) néralement restreinte d’accepter parallèle- ment. Leur diversité est prodigieuse: il exi-
et Liezen (Styrie). Pour finir 200 commu- ment à la devise officielle un autre moyen ste des monnaies complémentaires classi- 1
Définition de monnaie complémentaire sur Wiki-
nes autrichiennes environ voulaient tenter d’échange. Cette monnaie complémentaire ques, comme à Wörgl (mais dont la plupart pédia en français: «Les monnaies complémentai-
l’expérience. peut être aussi bien une marchandise ou ne sont pas «fondantes»), des cercles de troc, res communautaires décrivent un vaste groupe de
monnaies et de systèmes de bons conçus pour être
C’est là que le chancelier Engelbert Doll- un service, qu’un bon à valoir représentant des «sociétés Barter» (sociétés de crédit mu- utilisé en combinaison avec des monnaies stan-
fuss, qui en Conseil des Ministres s’était pour- l’équivalent en argent. Elle est de l’argent tuel fonctionnant entre PME et fournissant dards ou d’autres monnaies complémentaires. Elles
tant exprimé très favorablement au sujet de en ce sens qu’elle remplit la fonction habi- à ses membres des prêts sans intérêt, ndlt), peuvent être évaluées par rapport aux monnaies na-
l’«argent fondant» tire la sonnette d’alarme. tuelle dévolue à l’argent. Un tel accord vise des bourses temporaires et des bons régio- tionales, ou échangées avec elles, elles fonction-
Sur les instances du Ministère des Finances à compenser des déséquilibres sociaux, éco- naux (bons pour des marchandises utilisab- nent néanmoins comme un moyen d’échange à part
entière. Les monnaies complémentaires sont en de-
et surtout de la Nationalbank et de son prési- nomiques ou écologiques résultant de la si- les seulement dans une région donnée); il exi- hors du cadre national du cours légal, et n’ont donc
dent Victor Kienböck – derrière lequel se re- tuation de monopole de la devise officielle ste même des «monnaies» couvertes par de pas cours légal. Taux de change, zone de circula-
tranche Dollfuss – le tribunal administratif lorsque celle-ci demeure rare sur une lon- l’énergie, visant à garantir durablement aux tion et utilisation avec d’autres monnaies diffèrent
interdit définitivement l’expérience de Wörgl gue période, sans vouloir la remplacer to- régions correspondantes des avantages éco- grandement entre les différents systèmes de mon-
en novembre 1933. L’«argent fondant» lui- talement.»1 nomiques ou écologiques. Sans cesse éclo- naie complémentaire, comme dans le cas des systè-
mes de monnaie nationale.
même avait dû être retiré de la circulation dès Ce que Silvio Gesell a formulé en théo- sent de nouvelles initiatives qui ne «rentrent Certaines des monnaies complémentaires com-
septembre. rie voici presque un siècle et dont il a fait pas dans des cases». munautaires incluent des échelles de valeur basée
L’expérience de Wörgl dépasse les fron- la base de son étude en 18 volumes, et Les monnaies complémentaires sont une sur le temps ou des réserves de ressources réelles
tières de l’Autriche, même après avoir été qu’Unterguggenberger a mis en pratique à sorte de boîte à outils où l’on peut se servir (or, pétrole, service etc.) Une monnaie basée sur le
interdite. Elle fascine le président du Con- Wörgl dans les années 30 du siècle dernier, d’outils pour bricoler quelque chose. Mais temps est évaluée par le nombre d’heures passées
pour réaliser un service, indépendamment de la va-
seil français Edouard Daladier, qui se rend à trouve sa place dans notre actualité – et des le but est toujours de mettre au point un sy- leur de marché potentielle du service.
Wörgl en 1934 et s’entretient durant 3 heu- ouvrages scientifiques modernes ont repris stème sur mesure permettant à une com- Des monnaies complémentaires incluent le prin-
res avec Unterguggenberger. Elle fascine le sujet. «Le système du loyer de l’argent mune, une ville ou une région de créer de la cipe de la monnaie fondante, une dévaluation in-
également le poète américain Ezra Pound réalise de manière invisible et à l’insu du valeur supplémentaire au service de la com- tentionnelle de la monnaie à travers le temps, sem-
qui lui dédie deux de ses célèbres Cantos plus grand nombre une répartition du bas munauté. blable à un taux d’intérêt négatif. Cela stimule les
échanges de la monnaie dévaluée, propage une par-
pisans. vers le haut. Contrairement à l’opinion com- En Autriche il y a des centaines de cer- ticipation étendue au système de monnaie et décou-
L’expérience de Wörgl fait des vagues munément admise selon laquelle ce système cles de troc. En simplifiant, leur fonctionne- rage le stockage de la richesse (thésaurisation) pour
jusque sur l’autre rive de l’Atlantique, aux est profitable pour tous ceux qui perçoivent ment est le suivant: un spécialiste des ordi- lui préférer des outils qui stockent la valeur de ma-
Etats-Unis. 22 villes états-uniennes imitent des intérêts, seule une petite minorité en nateurs propose à un boulanger d’améliorer nière plus permanente comme la propriété, l’amé-
en 1933 l’exemple de Wörgl. Un projet de tire profit, la majorité de la population étant son système informatique. Pour ce service il lioration, l’éducation, la technologie, la santé, etc.
D’autres systèmes de monnaie complémentaire
loi demandant l’introduction d’argent fon- la victime ou en tout cas le perdant du sy- reçoit, virtuellement ou sous forme de bon, communautaire utilisent de forts taux d’intérêts
dant dans l’esprit de Silvio Gesell et selon le stème.» selon Bernd Senf, économiste de une certaine valeur d’échange. Qui lui per- pour promouvoir une forte compétition entre les
modèle de Wörgl est présenté au Sénat amé- renom et professeur d’économie politique mettra d’obtenir du pain chez le boulanger ou participants, et le retrait de la richesse de structu-
ricain et à la Chambre des Représentants. En à l’Université de Berlin. Et il ajoute «Cré- de payer l’installateur. res qui la maintiennent à long terme (richesse natu-
Tchécoslovaquie aussi un certain nombre de dit égale intérêt, et intérêt signifie que l’on Mais il y a aussi des monnaies complé- relle, matérielle, propriété, etc.) pour aider le pro-
cessus d’industrialisation rapide, de production de
communes se décident à émettre une sorte encaisse plus que l’on n’a prêté». «Il devi- mentaires classiques («argent local»), par masse, d’automatisation et d’innovation compéti-
de monnaie fondante. On y réfléchit égale- ent nécessaire à notre époque de revenir à exemple le «Babenbergertaler» à Mödling, tive.
ment au Liechtenstein, de même qu’à Mo- une économie de proximité» déclarent pour le»Styrrion» à Graz ou le «Silbergulden» à La capacité à spéculer est en général absente des
naco, Paris et Nice. La Suisse, où certaines leur part Erich Kitzmüller et Herwig Bü- Hall. Emises par la ville, elles ne sont ac- paramètres de conception des monnaies complé-
villes envisagent l’émission de «monnaie chele dans leur ouvrage intitulé «Das Geld ceptées que par les commerçants et presta- mentaires. Les monnaies complémentaires sont
souvent, et de manière intentionnelle, restreintes
franche» interdit même à Unterguggenber- als Zauberstab und die Macht der interna- taires de services de cette même ville, ce qui dans leur étendue régionale, dans leur durée de va-
ger l’accès à son territoire. Le gouvernement tionalen Finanzmärkte» (L’argent, une ba- est censé profiter à l’économie locale. Et à lidité ou dans leur secteur d’utilisation. Elles peu-
helvétique et ses banques craignent de voir la guette magique au service de la puissance Wörgl aussi on refait une petite expérience: vent nécessiter d’être membre d’une communauté
«fièvre monétaire de Wörgl» s’étendre dans des marchés financiers internationaux). Pra- Le premier octobre 2005 on a créé une mon- d’individus.»
No 2, 19 janvier 2009 Horizons etHorizons et débats
débats – La página hispánica page 7