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STRATÉGIES DES GRANDES

FIRMES PHARMACEUTIQUES
FACE AUX MÉDICAMENTS
GÉNÉRIQUES. ACCUMULATION
VS VALORISATION
DU CAPITAL-SAVOIR
Nejla YACOUB
Laboratoire de Recherche sur l’Industrie et l’Innovation
Université du Littoral Côte d’Opale — Dunkerque
Université de Tunis El Manar — FSEG Tunis
Réseau de Recherche sur l’Innovation
Yacoub_Nejla@yahoo.com
Blandine LAPERCHE
Laboratoire de Recherche sur l’Industrie et l’Innovation
Université du Littoral Côte d’Opale — Dunkerque
Réseau de Recherche sur l’Innovation
laperche@univ-littoral.fr

Depuis les dix dernières années, de nombreuses molécules brevetées dans


les années 1980 par les grandes firmes pharmaceutiques (Big Pharma 1) tom-
bent dans le domaine public et deviennent ainsi copiables. Ces copies des
médicaments princeps 2 dont le brevet a expiré, appelées médicaments géné-
riques, gagnent des parts de marché importantes du fait de leurs prix compéti-
tifs et représentent un manque à gagner pour les Big Pharma. La concurrence
mondiale est de surcroît forte sur ce marché dans la mesure où de nombreux

1. Par grandes firmes pharmaceutiques ou Big Pharma, nous entendons les laboratoires pharma-
ceutiques dont le chiffre d’affaires annuel dépasse les 3 milliards de dollars et qui recentrent leur
activité sur la R&D en vue de l’innovation.
2. Les médicaments princeps sont les médicaments de marque, appelés également médicaments
innovants ou médicaments d’origine ou encore médicaments éthiques. C’est de par leur nou-
veauté (entre autres critères) que, conformément aux dispositions des accords sur les Droits de
la Propriété Intellectuelle qui touchent au Commerce (ADPIC), ces médicaments sont breveta-
bles pour une période de 20 ans, au-delà de laquelle ils tombent dans le domaine public.

n° 32 – innovations 2010/2 DOI: 10.3917/inno.032.0081 81


Nejla Yacoub, Blandine Laperche

pays émergents ont profité de la non brevetabilité des médicaments pour


développer de véritables industries pharmaceutiques locales basées sur la
copie (Combe, Pfister, 2001). Dans cet article, nous nous intéressons aux
stratégies adoptées par les grandes firmes pharmaceutiques pour faire face au
nouveau contexte concurrentiel issu du développement des génériques et
pour pallier les pertes importantes de chiffre d’affaires qui en découlent.
Par une revue de la littérature et une analyse des données secondaires
(articles de presse, documents d’entreprises), nous étudions cette probléma-
tique sous un angle particulier, celui des stratégies d’innovation et de consti-
tution, de protection et de valorisation du « capital-savoir » des grandes
firmes pharmaceutiques. Le capital-savoir correspond à l’ensemble des infor-
mations, connaissances et savoir-faire produits, acquis, combinés et systé-
matisés par une firme dans le but d’être utilisés dans son processus de
production de valeur (Laperche, 2007 ; 2008, 2009). Nous cherchons en
particulier à déterminer l’arbitrage (ou la complémentarité) réalisé par les
grandes firmes pharmaceutiques entre les stratégies d’accumulation et les
stratégies de valorisation du capital-savoir face à la concurrence accrue des
génériques.
Cet article s’articule autour de trois parties. La première partie, s’appuyant
sur des données empiriques récentes, présente ce nouveau marché des géné-
riques et étudie les enjeux qui en découlent pour les grandes firmes pharma-
ceutiques (perte de chiffres d’affaires, entrée de nouveaux concurrents).
Dans un contexte d’affaiblissement des barrières à l’entrée, qui s’explique par
le fait que nombreux blockbusters 3 tombent dans le domaine public, la théo-
rie économique présente l’innovation comme le moyen privilégié de rehaus-
ser ces barrières à l’entrée et de maintenir une position dominante sur les
marchés (Schumpeter, 1911, 1942 ; Uzunidis, 2004 ; Tidd et al., 2001, 2005).
Les firmes pharmaceutiques se lancent-elles donc dans de nouveaux proces-
sus d’innovations technologiques, majeures et mineures, et donc dans des
stratégies d’accumulation de leur capital-savoir ? Dans la deuxième partie,
nous présentons les stratégies de constitution du capital-savoir en vue de
mettre en œuvre des stratégies d’accumulation. Celles-ci s’avèrent essentiel-
lement orientées vers l’innovation mineure. Plus globalement, ce sont les
stratégies de valorisation du capital-savoir existant qui dominent, comme
nous l’expliquons dans la troisième partie. Ces stratégies sont-elles à même
de maintenir de manière pérenne la domination des grandes firmes pharma-
ceutiques ? Dans la conclusion, nous ouvrons le débat sur cette question et

3. Par définition, un blockbuster est un médicament qui génère un chiffre d’affaires annuel supé-
rieur ou égal à un milliard de dollars.

82 innovations 2010/2 – n° 32
Stratégies des grandes firmes pharmaceutiques…

sur les enjeux de la situation présentée dans cet article, qui sont autant de
pistes de réflexion pour la poursuite de cette recherche.

LE DÉVELOPPEMENT DES GÉNÉRIQUES :


QUELS ENJEUX POUR LES GRANDES
FIRMES PHARMACEUTIQUES ?
L’innovation pharmaceutique est un processus complexe qui, outre les
modélisations théoriques, exige des essais cliniques longs et coûteux. Ce pro-
cessus est évalué, en moyenne, à une dizaine d’années : depuis la conceptua-
lisation de l’objectif à la découverte de la molécule et jusqu’à la mise sur le
marché d’un médicament nouveau (Weinmann, 2008 ; Abecassis, Coutinet,
2008). Il est donc impératif pour les laboratoires pharmaceutiques d’assurer
un retour sur investissement suffisant pour que de futures innovations soient
possibles et profitables. En outre, l’industrie pharmaceutique, basée sur le
savoir, est une industrie à externalités positives importantes, ce qui expose
fortement les laboratoires innovants au risque d’imitation (OMPI, 1992).
Pour assurer la rentabilité de cette industrie, la brevetabilité des médica-
ments s’est imposée à partir de la fin des années 1940, d’abord dans les pays
développés, et à partir de 1995, dans tous les pays membres de l’OMC par le
biais des accords sur les Aspects de Droits de la Propriété Intellectuelle qui
touchent au Commerce (ADPIC). Depuis les années 1980, l’importance de
l’innovation dans le domaine des sciences de la vie (Laperche, 2009) et en
particulier pharmaceutique 4 (Angelmar, 2006) et la reconnaissance de la
brevetabilité des médicaments dans les pays développés se sont traduits par
un essor notable du nombre de molécules brevetées. À l’issue de la période
de protection du brevet (20 ans), ces molécules tombent dans le domaine
public et deviennent ainsi copiables. Ceci explique l’accroissement de la
production des médicaments génériques et contribue à la restructuration
actuelle de l’industrie pharmaceutique mondiale.

Ampleur des génériques


sur le marché pharmaceutique mondial
Les médicaments génériques sont définis de diverses façons. Selon l’Organi-
sation Mondiale de la Santé (OMS), les génériques sont « des copies des médi-
caments princeps tombés dans le domaine public, contenant la même quantité de

4. Depuis la Seconde Guerre Mondiale, l’innovation pharmaceutique connaît un développe-


ment notable qui s’est accéléré dans les années 1980 avec un nombre moyen de 20 molécules
nouvelles par an et davantage dans les années 1990 où ce nombre a atteint 40 molécules nouvel-
les par an (Angelmar, 2006).

n° 32 – innovations 2010/2 83
Nejla Yacoub, Blandine Laperche

principe actif et présentés sous la même forme pharmaceutique. Ces médicaments


doivent être des équivalents thérapeutiques aux produits princeps (et sont de ce fait
interchangeables). Ils doivent en outre présenter un avantage économique »
(OMS, 2007). L’OMC (2006) quant à elle définit les génériques selon deux
conceptions. Selon la première, un générique est « un produit qui ne porte pas
de marque de fabrique ou de commerce », il est considéré dans ce sens un
« générique du point de vue de la marque de fabrique ou de commerce ». Selon la
deuxième conception, les génériques sont les « copies de médicaments brevetés
ou les médicaments dont le brevet est arrivé à expiration ». Dans cette optique,
ce sont des « génériques du point de vue du brevet ». Dans notre travail, nous
considérons la définition de l’OMS (qui correspond aussi à la seconde con-
ception de l’OMC) et donc appréhendons, dans ce qui suit, les génériques
comme des copies des médicaments princeps dont le brevet a expiré.
L’expiration des brevets des Big Pharma déstabilise relativement l’oligo-
pole qu’elles ont constitué, ce qui se lit dans les vastes mouvements de
fusions et acquisitions (F&A) destinés notamment à maintenir une position
dominante dans la concurrence (nous verrons plus loin qu’elles constituent
aussi un moyen de renforcer le potentiel d’innovation des entreprises).
L’année 2009 a ainsi été marquée par un fort mouvement de rapprochement
et de concentration entre les grandes firmes pharmaceutiques via des méga
F&A donnant lieu à un nouveau classement des leaders de l’industrie phar-
maceutique mondiale, illustré dans le tableau 1. À la suite de ces F&A, les
dix premiers laboratoires contrôlaient en 2009, 50% du marché mondial du
médicament, contre 20% seulement en 1985 et 48% en 2002.

Tableau 1 – Top 10 (2010) des Laboratoires Pharmaceutiques


après les Opérations de F&A
CA Global 2009 après F&A
Rang 2009 Rang 2010 Laboratoire
(milliards de dollars)

1 1 Pfizer (+ Wyeth) 64,0


7 2 (+) Roche (+ Genentech) 45,8
4 3 (+) Novartis (+ Alcon) 44,2
5 4 (+) Merck (+ Schering-Plough ) 42,9
3 5 (-) Sanofi-Aventis 39,0
2 6 (-) GlaxoSmithKline 35,9
6 7 (-) Astra-Zeneca 32,8
8 8 Johnson & Johnson 22,5
9 9 Eli Lilly 21,8
10 10 Bristol-Myers-Squibb 18,8

Source : Pharmactua

84 innovations 2010/2 – n° 32
Stratégies des grandes firmes pharmaceutiques…

Pourtant, à l’expiration de son brevet, le marché du princeps se trans-


forme d’une structure monopolistique en une structure plus concurrentielle.
Ainsi les génériques ont représenté environ 67 milliards de dollars des ven-
tes de médicaments aux États-Unis entre 2004 et 2008, soit 22 % du marché
américain (IMS Health, 2008). Le tableau 2 indique les pertes en termes de
chiffres d’affaires enregistrées par les Big Pharma suite à l’expiration des bre-
vets de leurs blockbusters. Par exemple, les ventes de médicaments phares,
comme Depakote (d’Abbott), Zocor (de Merck), Mopral (d’Astra-Zeneca) ou
Lipitor (de Pfizer), ont provoqué des pertes colossales pour les entreprises. Les
ventes de Depakote (Abbott) ont par exemple enregistré une baisse de 64 %
au deuxième trimestre 2009 ; celles de Mopral (Astra-Zeneca) ont diminué de
78 % depuis 2004, etc.

Tableau 2 – Pertes de Chiffre d’Affaires des Blockbusters Expirés

Date CA (milliards
Laboratoire Médicament Pertes en CA
d’expiration de dollars)

Abbott Depakote 2008 1,3 (2008) 64 % (pertes CA


Depakote 2e trim 2009)

Astra-Zeneca Mopral 2004 6,0 (2003) 78 % CA Mopral (depuis


2004)

Astra-Zeneca Casodex 2008 1,2 (2007) 27 % CA Casodex


(1er trim 2009)

Merck Zocor 2006 4,6 (2005) 25 % CA Zocor (2008)

Pfizer Lipitor 2010 12,7 (2008) 25 % CA global


(estimation 2010)

Sanofi-Aventis Ambien 2007 1,9 (2004) 6 % CA Ambien (2008)

Sanofi-Aventis Plavix 2011 5,9 (2008) 12 % CA Plavix


(estimation 2011)

Source : Auteures sur la base de Pharmactua ; R&D Directions, numéros divers

De même, les ventes de Sanofi-Aventis sont affectées par la percée des


génériques. Outre la perte de son brevet sur l’Ambien en 2007, le groupe pré-
voit une baisse de 1 milliard de dollars de son chiffre d’affaires suite à l’expi-
ration du brevet sur son médicament phare Plavix (environ 6 milliards de
dollars de chiffre d’affaires) en 2011 aux États-Unis et en 2013 en Europe
(Cousseau, 2007).
De surcroît, étant biologiquement équivalents et économiquement plus
compétitifs, les génériques deviennent une variable d’ajustement des politiques

n° 32 – innovations 2010/2 85
Nejla Yacoub, Blandine Laperche

publiques volontaristes de maîtrise des dépenses de santé 5. Le marché mon-


dial des génériques est évalué à 116 milliards de dollars en 2007, soit une part
de 26 % du marché pharmaceutique mondial. Sa croissance annuelle en
2008 (17 %) représente plus du triple de la croissance du marché global du
médicament (5 %). Comme le montre le tableau 3, la croissance des généri-
ques est marquée par une polarisation régionale en faveur des États-Unis,
avec 63 % de part de marché en volume en 2006 (EGA, 2007). En Europe,
c’est l’Allemagne qui se situe au premier rang, suivie par le Royaume-Uni
avec des parts de marché respectives de 46 % et de 34 %. En France, la part
de marché des médicaments génériques, évaluée à 18,2 %, a plus que triplé
par comparaison avec les 5 % enregistrés en 1999 (Cabut, Tourbe, 1999).

Tableau 3 – Évolution des Parts de Marché des Génériques (2004-2006)

Part en volume (%)

2004 2006

États-Unis 53 63

Allemagne 41,1 46

Royaume-Uni 49,3 34

France 12 18,2

Source : OCDE (2008a)

Par ailleurs, bénéficiant de la non brevetabilité des médicaments jusqu’à


une période récente, certains pays émergents ont pu développer leur poten-
tiel scientifique et technique et fonder de véritables industries pharmaceuti-
ques basées sur la copie ; le cas de l’Inde en est révélateur 6 ; les traitements
médicaux y coûtent de 10 à 40 fois moins cher qu’aux États-Unis 7. Cet écart
de prix affecte la compétitivité des princeps sur le marché indien mais aussi
sur des marchés d’exportation limitrophes. Également, le Brésil a largement

5. Ces politiques agissent au niveau de l’offre à travers l’exception de recherche (Geci, Harpin,
2006), la possibilité de dépôt d’Autorisation de Mise sur le Marché (AMM) abrégées (Mossin-
ghoff, 1999 ; Berthet-Maillols, 2008) et l’exclusivité de 180 jours attribuée au premier généri-
queur aux Etats-Unis, comme au niveau de la demande, à travers l’autorisation de la prescription
en Dénomination Commune Internationale (DCI), le remboursement de la sécurité sociale sur
la base du générique le moins cher (LEEM, 2008a).
6. En 1971, l’Inde a aboli la brevetabilité des médicaments (auparavant instaurée par les autori-
tés coloniales britanniques) en vue de promouvoir l’industrie pharmaceutique locale des généri-
ques (Reinhard, 2001 ; Launay et al., 2004).
7. Tel est le cas de l’Hytrin, traitement contre l’hypertension, dont le prix mensuel est de 44 dol-
lars aux Etats-Unis alors qu’en Inde il est disponible à 4 dollars, soit plus que 10% moins cher
(Reinhard, 2001).

86 innovations 2010/2 – n° 32
Stratégies des grandes firmes pharmaceutiques…

profité de la période transitoire avant l’application des brevets pharmaceuti-


ques pour développer son potentiel de production pharmaceutique à travers
la copie de molécules innovantes (Coriat, Orsi, 2003).
Comme illustré dans le tableau 4, des laboratoires de poids important
issus des pays émergents se positionnent sur le marché des génériques,
comme l’indien Ranbaxy dont le chiffre d’affaires en 2008 s’élève à 2,5 mil-
liards de dollars devançant les américains Mylan et Barr Pharmaceuticals.

Tableau 4 – Chiffre d’affaires des premiers génériqueurs mondiaux


(en milliards de dollars)

Laboratoire Teva Sandoz Ranbaxy Barr Pharma Mylan Dr Reddy’s

Nationalité Israélien Suisse Indien Américain Américain Indien

CA (2008) 11,08 7,1 2,5 2,33 1,9 0,83

Source : Pharmactua, (numéros divers)

De surcroît, les grandes firmes pharmaceutiques font face à la concur-


rence menée par des génériqueurs de petite taille qui, réunis, détiennent des
parts de marché non négligeables (Launay et al., 2004).

Comment maintenir et renforcer les barrières à l’entrée ?


Innovation et capital-savoir
Suite à l’expiration des brevets de leurs blockbusters et aux considérables per-
tes de chiffres d’affaires, les grandes firmes pharmaceutiques doivent répon-
dre à l’impératif de subsister sur un marché concurrentiel en renforçant les
barrières à l’entrée affaiblies et/ou en en établissant de nouvelles susceptibles
de détourner toute entrée de concurrents potentiels. Définies comme tout
facteur qui a pour effet de bloquer ou dissuader l’entrée d’une firme poten-
tielle sur le marché (Antomarchi, 1998), les barrières à l’entrée s’articulent
autour de trois séries d’obstacles identifiés par Morvan (1991) dans un pro-
longement des travaux de Bain (1956). Ces obstacles peuvent être naturels
comme artificiels. Ainsi, les avantages absolus de coûts et les économies
d’échelle de la firme établie par rapport aux entrants potentiels sont des barriè-
res à l’entrée naturelles dans le sens où ils se rapportent aux conditions objec-
tives liées à la structure du marché (Morvan, 1991 ; Antomarchi, 1998).
Par opposition, la deuxième et la troisième série d’obstacles représentent
des barrières à l’entrée artificielles. Respectivement, il s’agit i) des disposi-
tions juridiques et réglementaires qui inhibent l’entrée de nouvelles firmes
sur le marché, telles que les mesures protectionnistes ou les brevets et ii) des

n° 32 – innovations 2010/2 87
Nejla Yacoub, Blandine Laperche

comportements stratégiques sous forme de pressions exercées par les firmes


établies (selon leur poids dans l’économie) sur les pouvoirs publics afin
d’influencer la constitution/reconstitution du cadre légal et réglementaire de
fabrication et/ou de commercialisation en leur faveur. Ces pressions sont
d’autant plus opportunes que le poids économique des firmes en question est
important (Uzunidis, 2005). Toujours dans le cadre de la troisième série
d’obstacles, les firmes établies peuvent aussi adopter une stratégie de prix-
limite 8 (de sorte que toute entrée potentielle soit non profitable) ou encore
intimider les entrants potentiels par des annonces dissuasives (Morvan, 1991,
p. 90).
Contrairement à cette dernière série de comportements offensifs des fir-
mes établies dont la licéité serait remise en question, les brevets sont des bar-
rières à l’entrée légales obtenues par la firme sur ses innovations. Ce sont des
droits de propriété fortement exclusifs, qui garantissent un monopole qui,
bien que temporaire, permet à la firme de rentabiliser ses investissements,
d’où son intérêt économique. Mais, le rôle de l’innovation dans la concur-
rence ne se limite pas à la seule prérogative de réclamer un brevet, mais aussi
à la compétitivité hors-prix qu’elle génère à travers la différenciation par
rapport aux produits des concurrents. Elle constitue donc une barrière à
l’entrée per se. C’est ainsi que la théorie économique insiste sur l’importance
de l’innovation dans l’établissement, la consolidation et surtout le maintien
à long terme des barrières à l’entrée. Ainsi, dans les économies contemporai-
nes et, face à une concurrence mondialisée, la course aux connaissances, à la
science et à la technologie s’avère prioritaire, tant pour les entreprises que
pour les pays (Foray, 2009 ; Uzunidis, 2004 ; Laperche, 2008). Dans ses tra-
vaux, Schumpeter démontrait que l’innovation, qui est une source de des-
truction créatrice, permet de rendre obsolètes les produits concurrents et donc
de bénéficier d’un pouvoir de monopole (Schumpeter, 1911, 1942). C’est
dans ce sens que l’innovation se présente comme le moyen le plus fiable pour
constituer et renforcer des barrières à l’entrée permettant à l’innovateur un
meilleur positionnement (voire une domination) sur le marché.
L’avance technologique dont bénéficie l’innovateur sur ses concurrents
est une source de compétitivité hors-prix et donc un moyen de maintenir des
avantages concurrentiels durables (Porter, 1993 ; 1998). En outre, par l’inno-
vation, l’entreprise non seulement répond à de nouveaux besoins du marché
mais également relance des besoins existants et arrivés à un stade de matu-
rité (Tidd et al., 2005). Dans ce sens, la compétitivité des produits existants
et/ou arrivés au stade de maturité ne se limite pas au facteur prix, mais

8. Cette stratégie consiste à fixer un prix inférieur au prix de monopole pour dissuader toute
entrée potentielle.

88 innovations 2010/2 – n° 32
Stratégies des grandes firmes pharmaceutiques…

s’étend à la compétitivité hors-prix liée au design, à la qualité et à l’adapta-


tion à des besoins en évolution continue. Cette compétitivité hors-prix joue
actuellement un rôle déterminant dans la définition des performances des
firmes, dans un contexte où les cycles de vie des produits tendent à se rac-
courcir (Tidd et al., 2001).
Dans ce sens, l’innovation, étant à la fois un moyen d’ouvrir de nouveaux
débouchés et de relancer des débouchés stagnants ou en déclin, s’impose
comme la meilleure stratégie pour permettre aux grandes firmes pharmaceu-
tiques d’établir de nouvelles barrières à l’entrée et de maintenir et renforcer
les barrières affaiblies, et donc de faire face à la concurrence croissante des
génériques.
L’innovation, définie par Schumpeter comme « une combinaison nouvelle
des ressources de production » peut prendre différentes formes (Schumpeter,
1911) 9 ; en l’occurrence, elle peut être majeure ou mineure. L’innovation
majeure, appelée également innovation drastique ou radicale, consiste en un
changement technologique ou organisationnel et octroie à la firme une large
avance technologique par rapport à ses concurrents et lui permet donc de
bénéficier d’une position de monopole. Tandis que l’innovation mineure
consiste en la modification (souvent dans un sens d’amélioration) des carac-
téristiques des produits et procédés existants et ne permet pas de contourner
la concurrence à long terme (Caccomo, 2005).
L’innovation mineure peut être considérée comme une phase transitoire
entre deux développements technologiques importants. Selon la conception
de Schumpeter, l’innovation se produit en grappes, en ce sens qu’un cycle
d’innovations majeures (dues à un progrès technique ou scientifique), est
suivi par une série d’innovations mineures. Par une adaptation de ces défini-
tions à notre travail de recherche, nous appréhendons les innovations majeu-
res dans le sens de la mise sur le marché de nouveaux médicaments issus de
molécules radicalement nouvelles. Par innovations mineures, nous enten-
dons la mise sur le marché de médicaments nouveaux mais issus plutôt de
modifications (améliorations, combinaisons,…) apportées à des molécules
existantes.
L’investissement des grandes firmes pharmaceutiques dans des activités
d’innovation (mineures et/ou majeures) apparaît dans les stratégies qu’elles
adoptent dans la constitution, le développement et la protection de leur
capital-savoir. S’intéresser au capital-savoir des entreprises revient à étudier
la manière dont elles acquièrent et recueillent des informations sur les

9. Schumpeter (1911) distingue cinq types d’innovation : “The introduction of new goods (…),
new methods of production (…), the opening of new markets (…), the conquest of new sources of
supply (…) and the carrying out of a new organization of any industry”.

n° 32 – innovations 2010/2 89
Nejla Yacoub, Blandine Laperche

marchés (veille stratégique), produisent des connaissances seules ou en col-


laboration (R&D interne, partenariats), transforment ces informations en
connaissances, en routines et en savoir-faire sources d’avantages spécifiques
et utilisent ces connaissances et informations dans un processus de produc-
tion de valeur (par leur intégration dans leur propre processus de production
ou par la vente de tout ou partie de ce capital-savoir) (Schéma 1).

Schéma 1 – Le capital-savoir

Source : Laperche (2007)

Le capital-savoir constitue une source de création de valeur, aussi bien


par sa transmission à d’autres entreprises via les biens et services que la firme
vend, que par son utilisation interne dans le développement du processus de
production. C’est dans ce sens que la protection du capital-savoir est cruciale
pour l’entreprise afin de minimiser les effets négatifs de la diffusion (à travers
le transfert et/ou l’utilisation de ce capital) des informations, connaissances
et savoir clefs qui le composent.
Dans notre étude, nous appréhendons l’accumulation du capital-savoir
dans le sens de la constitution, l’enrichissement et le développement du
capital-savoir en vue de l’innovation technologique, aussi bien majeure que
mineure. L’objectif de cette accumulation est la mise sur le marché de médi-
caments radicalement et/ou relativement nouveaux. Par ailleurs, par valori-
sation du capital-savoir, nous entendons l’ensemble des stratégies juridiques et
commerciales adoptées par les grandes firmes pharmaceutiques pour mettre

90 innovations 2010/2 – n° 32
Stratégies des grandes firmes pharmaceutiques…

en valeur leur capital-savoir existant. Les deux stratégies ont pour but de main-
tenir et renforcer les barrières à l’entrée affaiblies par l’expiration des brevets.
En suivant la théorie économique, on peut penser que les stratégies d’accu-
mulation seront les stratégies privilégiées par les firmes pharmaceutiques pour
renforcer de manière déterminante leurs barrières à l’entrée. C’est ce que nous
cherchons à vérifier, en étudiant d’abord les stratégies d’accumulation puis cel-
les de valorisation du capital-savoir des grandes firmes pharmaceutiques.

LA CONSTITUTION ET LES STRATÉGIES


D’ACCUMULATION DU CAPITAL-SAVOIR
DES ENTREPRISES PHARMACEUTIQUES
L’analyse des stratégies d’accumulation du capital-savoir des Big Pharma
montre que sa constitution repose actuellement sur la rationalisation des res-
sources internes et sur le recours croissant aux ressources externes. Par ailleurs,
l’analyse de l’activité d’innovation de ces firmes montre que les innovations
majeures (nouveaux blockbusters) cèdent davantage la priorité aux innova-
tions technologiques mineures (médicaments de seconde génération).

La rationalisation des ressources internes


et la constitution collective du capital-savoir
Pour la constitution de leur capital-savoir, les grandes firmes pharmaceuti-
ques utilisent non seulement l’ensemble des ressources humaines, matériel-
les et immatérielles dont elles disposent, mais également celles partagées
avec d’autres entreprises et institutions via des rapports de partenariat et de
collaboration. Comme illustré dans le tableau 5, le capital-savoir est, en
effet, constitué à travers la combinaison d’un ensemble de ressources inter-
nes et externes (Laperche, 2008).

Tableau 5 – Les ressources internes et externes


pour la constitution du capital-savoir
Ressources internes Ressources externes

-Investissement dans les ressources -Contrats avec d’autres entreprises (y compris


humaines ; les accords licences) ;
-Investissement (dans) et management de la -Contrats avec des institutions : par exemple
R&D et des moyens de production (tangibles et avec des laboratoires de recherche universitai-
intangibles). res (y compris les accords de licences et le
recrutement à court terme des chercheurs) ;
-Contacts informels.

Source : Laperche, (2008, p. 256)

n° 32 – innovations 2010/2 91
Nejla Yacoub, Blandine Laperche

Disons d’emblée que les dépenses de R&D des firmes pharmaceutiques, si


elles ont beaucoup crû au cours des 20 dernières années 10, souffrent d’une
faible rentabilité. Sur les vingt dernières années, le nombre de médicaments
véritablement nouveaux lancés sur le marché s’est ralenti par rapport aux
années 1940 et 1980. En effet, « il n’y a eu aucune révolution dans le domaine
médical au cours des 25 dernières années 11 ». En 2000, 80 % des médica-
ments nouveaux enregistrés en France n’ont pas d’apport thérapeutique
remarquable, contre 50 % seulement en 1990 (Halpern, 2001). Aux États-
Unis, sur les 80 princeps approuvés par la Food and Drug Administration
(FDA) en 2005, 25 % seulement sont des entités composées de nouveaux
principes actifs, alors que 71 produits des 78 approuvés ne sont que des déri-
vés de produits plus anciens (FDA, 2005).
Contrairement au repli du rythme de l’innovation pharmaceutique, les
dépenses de R&D dans ce secteur se sont considérablement accrues, tradui-
sant un phénomène d’effet ciseaux illustré dans le graphique 1. Ainsi, l’aug-
mentation des dépenses de R&D s’explique plus par une augmentation de
valeur (coûts) que par une augmentation de volume.

Graphique 1 – Évolution des dépenses de R&D


et de l’innovation aux États-Unis : l’effet ciseaux

Source : Auteures sur la base de PhRMA (2009)

Les coûts de lancement d’un nouveau princeps sur le marché s’élèvent à


environ 800 millions de dollars, dont environ 65 % dédiés aux essais clini-
ques requis. De plus, du fait d’une réglementation plus rigoureuse au regard

10. Devancées seulement par l’industrie automobile, les dépenses de R&D pharmaceutique ont
notablement crû sur les vingt dernières années passant de 10 milliards de dollars en 1992 à envi-
ron 66 milliards de dollars en 2008 (PhRMA, 2009).
11. Selon Arthur Levinson (PDG de Genentech la plus grande entreprise de biotechnologies)
lors d’une interview avec Financial Times, 6 avril 2001, p. 14.

92 innovations 2010/2 – n° 32
Stratégies des grandes firmes pharmaceutiques…

des effets secondaires des médicaments, les tests cliniques sont élargis à une
plus grande échelle, passant d’une population de [1 000 ; 2 000] à une popu-
lation de [5 000 ; 10 000]. En outre, les exigences en termes de sécurité et de
qualité du matériel utilisé dans les essais pour affiner, faciliter et accélérer le
processus de développement du médicament, alourdissent davantage les
dépenses de R&D des grandes firmes pharmaceutiques.
Aujourd’hui, la stratégie des firmes est davantage axée sur la rationalisa-
tion des efforts de R&D. Celle-ci se traduit, comme nous l’expliquons ci-des-
sous, par la réduction/recentrage et la réorganisation de la R&D interne et
par la montée en puissance de la R&D collaborative. La crise économique
récente engendre en effet un mouvement généralisé (tous secteurs confon-
dus) de réduction des effectifs 12, notamment ceux employés dans la R&D.
Ce mouvement s’inscrit dans le cadre d’une stratégie de réduction des dépen-
ses de R&D et s’impose avec une plus grande acuité aux grandes firmes phar-
maceutiques également confrontées aux réductions du chiffre d’affaires liées
au terme de la période de validité de leurs brevets. Ainsi, alors que Wyeth a
supprimé 600 emplois de R&D en 2008, Pfizer et Sanofi-Aventis ont aban-
donné respectivement 3 000 et 1 300 postes de R&D dans le monde au cours
de 2009. Pour anticiper l’expiration en 2011 des brevets de ses deux médica-
ments les plus rentables (Zyprexa et Byetta 13), Eli Lilly se fixe l’objectif de
réduire sa structure de coût d’un milliard de dollars dans deux ans, via la sup-
pression de 5 500 emplois dans le monde, ramenant son effectif de 40 600 à
35 100 (Pharmactua).
Les suppressions d’emplois vont de pair avec la fermeture de nombreux
sites de production et surtout de sites de R&D. Ainsi, afin d’anticiper l’expi-
ration du brevet sur le Lipitor, Pfizer ferme le tiers de ses 20 sites de R&D
dans le monde en vue de ramener ses dépenses de R&D de 7,5 à environ
3,5 milliards de dollars sur les deux prochaines années. Il en est de même
pour Sanofi-Aventis qui ferme 27 sites de R&D dans le monde en vue d’anti-
ciper l’expiration du brevet du Plavix (Pharmactua).
Parallèlement, certains des sites de R&D fermés sont délocalisés dans des
pays émergents, en quête de facteurs de production moins chers. Ces déloca-
lisations visent dans leur majorité des pays hôtes asiatiques, tels que l’Inde,
qui a accueilli en 2009 de nombreuses filiales de R&D de Sanofi-Aventis, de

12. Les ressources humaines sont la composante principale du capital-savoir, dans la mesure où
elles incorporent, acquièrent, accumulent et enrichissent le savoir-faire, les connaissances et les
informations au sein d’une entreprise. Dans les premières grandes firmes pharmaceutiques mon-
diales les ressources humaines sont estimées à une moyenne de 75.000 salariés répartis dans le
monde, dont environ 15% dans la R&D.
13. Le Zyprexa (traitement de a schizophrénie) et le Byetta (antidiabétique) génèrent des chiffres
d’affaires annuels respectifs de 4,2 milliards de dollars et 0,678 milliard de dollars.

n° 32 – innovations 2010/2 93
Nejla Yacoub, Blandine Laperche

Novartis et d’Astra-Zeneca, et la Chine où Merck et Pfizer ont décidé d’instal-


ler deux filiales (indépendantes l’une de l’autre) dédiées aux essais cliniques.
Dans le même temps, la captation des ressources et des opportunités exté-
rieures acquiert un rôle prépondérant dans la constitution du capital-savoir
des grandes firmes pharmaceutiques. Le développement externe est une straté-
gie complémentaire de l’investissement dans les ressources internes (Rosen-
berg, 1990), nécessaires pour l’entreprise afin d’être en mesure d’assimiler et
d’absorber les connaissances, les informations, le savoir-faire et les résultats
scientifiques et techniques réalisés par d’autres entités (Cohen, Levinthal,
1990 ; Antonelli, 2005 ; Laperche, 2007, 2008). Le processus d’innovation
est aujourd’hui le « fruit » de la collaboration au sein de réseaux constitués
de diverses institutions et organisations qui contribuent à la constitution du
capital-savoir d’une firme (Hamdouch et al, 2008 ; Laperche et al., 2008,
Laperche, Uzunidis, 2010).
En multipliant les sources externes, les grandes firmes pharmaceutiques
cherchent à partager les coûts de la R&D et de la production mais aussi à
réduire les risques liés au processus d’innovation. Les stratégies utilisées sont,
les F&A et partenariats entre laboratoires pharmaceutiques et avec les labo-
ratoires de recherche universitaires.
Les opérations de F&A et de partenariats représentent pour les laboratoi-
res une stratégie de réalisation d’économies d’échelle permettant de limiter
les pertes inhérentes à l’expiration des brevets de leurs blockbusters. Une
étude des déterminants des F&A pharmaceutiques élaborée par Duflos et
Pfister (2007) analyse l’hypothèse que ces opérations résultent en général
d’un déficit d’innovation des laboratoires acquéreurs. Ces résultats sont
nuancés à travers l’analyse économétrique qui démontre au contraire un
potentiel d’innovation significatif du laboratoire acquéreur. Ainsi, la fusion
en 2009 de l’activité de recherche dans le domaine des anti-Sida entre
GlaxoSmithKline (GSK) et Pfizer s’inscrit plutôt dans un objectif de renforce-
ment mutuel de leurs efforts dans ce domaine de recherche et donnera lieu à
une nouvelle entité qui pourra représenter 19 % du marché des traitements
anti-Sida (R&D Directions). En outre, par les opérations de F&A et de par-
tenariats, chacun des deux laboratoires bénéficie mutuellement de l’accès au
portefeuille de brevets de son partenaire, pouvant lui être utiles pour le déve-
loppement de ses propres produits qui appartiennent à la même classe théra-
peutique (Boidin, Lesaffre, 2009).
Compte tenu de la complexité du processus de la R&D biotechnologi-
que, les grandes firmes pharmaceutiques cherchent à s’associer à des entre-
prises spécialisées plus innovantes et plus réactives aux changements
technologiques, ce qui leur permet d’accélérer leur rythme d’innovation et

94 innovations 2010/2 – n° 32
Stratégies des grandes firmes pharmaceutiques…

de dynamiser leurs projets de R&D stagnants et/ou peu rentables. Cette stra-
tégie répond à l’enjeu majeur de combler le pipeline gap ou l’innovation gap
(Estrin, 2008) des grands laboratoires pharmaceutiques qui expriment une
difficulté à produire de nouvelles molécules équivalentes (en termes de ren-
tabilité) à celles tombées dans le domaine public.
En 2008, 64 accords de coopération portant sur les biotechnologies ont
été recensés, contre 48 en 2007 14. Ces accords portent de manière prioritaire sur
la R&D, soit 83 % du total des 64 accords. Ils sont de plus transatlantiques,
signés entre les laboratoires biopharmaceutiques américains et entreprises
biotechnologiques européennes. Dans ce cadre, Clavis Pharma (laboratoire
pharmaceutique norvégien) a signé en novembre 2009, un accord de parte-
nariat d’un montant de 380 millions de dollars avec la société américaine
Clovis Oncology en vertu duquel cette dernière se charge du développement
et de la commercialisation d’un traitement expérimental contre le cancer du
pancréas (Pharmacuta).
Le rapprochement croissant entre les grandes firmes pharmaceutiques et
les entreprises de biotechnologies est un jeu à somme positive. D’un côté, de
par leur petite taille et leur flexibilité, les start-up de biotechnologies sont
plus réactives vis-à-vis de la mouvance du marché pharmaceutique mondial
que les grands laboratoires pharmaceutiques caractérisés par une structure plus
hiérarchisée. D’un autre côté, les petites entreprises de biotechnologies ne
disposent pas des ressources financières nécessaires pour étendre leur activité
productive et commerciale à une grande échelle. Le rapprochement entre
ces deux catégories d’acteurs permet de combiner les forces de chaque parte-
naire et d’en combler les faiblesses.
Un autre aspect des mouvements de l’industrie pharmaceutique est celui
de la multiplication des coopérations avec des organismes de recherche,
publics ou privés, universitaires ou de formation. Ces coopérations qui por-
tent sur des contrats de recherche permettent le rapprochement entre la for-
mation (théorique) et l’industrie (pratique/appliquée). D’une part, les entités
de recherche accèdent à des technologies de pointe assez diversifiées (coopé-
rant avec différentes entreprises pharmaceutiques) et à des subventions de
leurs projets de recherche. D’autre part, les laboratoires pharmaceutiques
bénéficient des connaissances et des idées innovantes, jusque-là théoriques
de professeurs, doctorants, post-doctorants, lesquelles seront raffinées, appli-
quées et expérimentées au sein des laboratoires pharmaceutiques en vue de
les concrétiser. Dans ce cadre, ERYtech Pharma, une entreprise de biotech-
nologie française a signé un contrat de coopération de recherche avec

14. Selon Le Monde « Regain des Accords entre Laboratoires et Sociétés de Biotechnologies »,
le 4 mars 2009.

n° 32 – innovations 2010/2 95
Nejla Yacoub, Blandine Laperche

l’américain MD Anderson Center, un des plus grands centres de recherche


anticancéreux. Un autre exemple est le contrat de partenariat conclu entre
l’université de Bordeaux 2 et les entreprises du médicament (LEEM), l’objet
duquel est de mieux adapter la formation universitaire aux besoins de
l’industrie pharmaceutique française.

L’accent mis sur l’innovation mineure


L’évolution des innovations pharmaceutiques dévoile d’une part, une con-
centration des activités d’innovation majeure sur les biotechnologies et/ou
sur des pathologies niches, telles que les maladies orphelines, d’autre part,
une prééminence des activités d’innovation mineure. Dans le cadre de
l’innovation majeure, la recherche biotechnologique constitue le nouveau
créneau prometteur pour les Big Pharma en vue de pallier la concurrence des
génériques. Contrairement à la pharmacie chimique, la biotechnologie ne se
limite pas à développer un traitement à une pathologie donnée, mais plutôt
à identifier la défaillance génétique responsable de cette pathologie et de
comprendre son fonctionnement. Par conséquent, il s’agit bien d’une vérita-
ble révolution scientifique qui joint des enjeux thérapeutiques importants
ayant une double dimension : curative et préventive (Hamdouch, Depret,
2001).
L’identification des gènes responsables des pathologies est, à la fois, de
nature à accroître les potentialités de découverte de nouveaux médicaments,
et surtout à réduire les coûts excessifs inhérents aux échecs de développe-
ment et qui représentent aux alentours de 75 % des coûts de développement
des médicaments chimiques (Radal, Alexandre, 2000). Ceci permet d’opti-
miser les dépenses de R&D pharmaceutique.
Bien qu’à l’expiration de leurs brevets, les bio-médicaments deviennent
copiables, la concurrence des bio-similaires 15 est largement moins intense
que celle des génériques. Dans la pharmacie chimique il y a un déséquilibre
substantiel entre les coûts de la R&D et ceux de la production. Dans la bio-
pharmacie ce déséquilibre est largement moins perceptible. Le marché des
bio-médicaments sera donc très segmenté et la concurrence limitée à deux
ou trois bio-similaires pour un bio-médicament contre des dizaines de géné-
riques pour un même princeps chimique. De la sorte, la production de bio-
similaires sera limitée à un nombre restreint de grandes firmes pharmaceuti-

15. Bien que leur principe soit le même, les bio-similaires se distinguent des génériques. Un
médicament bio-similaire est une préparation qui succède à un bio-médicament dont le procédé
de fabrication n’est plus protégé. La reproduction exacte d’un bio-médicament étant technique-
ment impossible, les bio-similaires sont similaires aux médicaments de référence sans toutefois
leur être identiques (LEEM, 2008b).

96 innovations 2010/2 – n° 32
Stratégies des grandes firmes pharmaceutiques…

ques et de génériqueurs puissants tels que Teva. Étant donné que ce sont les
premiers entrants sur le marché qui pourront s’y imposer, on assistera à une
course aux bio-similaires.
En revanche, les coûts élevés de développement comme de production
des bio-médicaments et des bio-similaires constituent le principal frein à
leur diffusion à une grande échelle. Ceci justifie les coopérations quasi géné-
ralisées en matière de recherches en biopharmaceutiques. Mais les résultats
(innovations majeures) ne pourront être enregistrés que sur le long terme.
Les grandes firmes pharmaceutiques s’engagent aussi dans la mise au point de
traitements de maladies rares et/ou nouvelles non explorées. L’investissement
dans ces traitements indique un ciblage sur les marchés lucratifs des maladies
rares, où les traitements sont particulièrement onéreux et bénéficient d’une
exclusivité commerciale de dix ans (7 ans aux Etats-Unis). C’est dans ce sens
que Pfizer renforce actuellement ses recherches dans ce domaine via l’acqui-
sition en novembre 2009, auprès de Protalix Biotherapeutics (une société de
biotechnologies israélienne), d’un traitement expérimental de la maladie de
Gaucher. De même, le groupe GSK développe un traitement expérimental
pour la dystrophie musculaire de Duchenne 16. Là encore, ces objectifs straté-
giques ne pourront pas donner de résultats à court terme.
Or, à l’heure actuelle, l’industrie pharmaceutique est face à des enjeux
multidimensionnels, voire paradoxaux. La percée de la concurrence des géné-
riques et la nécessité de rationaliser les dépenses de santé d’une part, et la
contrainte de rentabiliser les investissements pharmaceutiques de l’autre,
posent l’impératif d’optimiser les dépenses de R&D. La recherche de renta-
bilité est stimulée par le contexte concurrentiel (expiration des brevets),
mais aussi par la financiarisation des entreprises pharmaceutiques 17. En con-
séquence, le modèle des blockbusters est remis en cause autant par des facteurs
exogènes que par des facteurs endogènes aux laboratoires pharmaceutiques
(Boidin, Lesaffre, 2009). Même si l’innovation majeure destinée à dévelop-
per de nouveaux blockbusters est toujours présente, l’accent est mis sur
l’innovation mineure.

16. La maladie de Gaucher est une affection génétique de transmission autosomique qui touche
moins de 10 000 personnes dans le monde entier. La dystrophie musculaire de Duchenne est une
maladie grave qui implique une dégénération des fibres musculaires et qui touche à la naissance
1 sur 3500 garçons par an.
17. Grâce à la « gloire » (Angelmar, 2006) de l’innovation pharmaceutique dans les années 1990,
avec 40 nouvelles molécules en moyenne par an, le secteur est devenu très attractifs pour les
investisseurs en bourse en quête de profits à court terme ; les cours ont explosé, encourageant
davantage le processus de financiarisation. Ce processus traduit la subordination continue à la
volatilité des marchés financiers mondiaux (Montalban, 2009 ; Serfati, 2008). Le comportement
managérial des Big Pharma, leur performance, leur compétitivité et leur culture même devien-
nent subordonnés aux intérêts des actionnaires (Gleadle, Haslam, 2010).

n° 32 – innovations 2010/2 97
Nejla Yacoub, Blandine Laperche

Étant rentable sur le court terme, plus certaine et moins coûteuse, l’inno-
vation mineure est ainsi la stratégie privilégiée par les grands groupes pharma-
ceutiques. De plus, les gains cumulatifs en termes d’efficience des innovations
mineures permanentes peuvent être plus importants que ceux des innova-
tions majeures occasionnelles (Tidd et al., 2001). Dans ce sens, l’adaptation
des princeps expirés à l’usage pédiatrique permet par exemple de bénéficier
d’une période de 6 mois supplémentaires d’exclusivité sur la nouvelle version
du médicament original. En 2002, Schering-Plough a pu bloquer l’entrée des
génériques du Claritin et réaliser des ventes de 975 millions de dollars aux
États-Unis (Combe, Haug, 2006). L’avantage d’exclusivité a pour objectif
d’encourager la recherche pédiatrique. Étant donné que les enfants consti-
tuent une population particulièrement sensible, d’autres effets indésirables
(non significatifs chez les adultes) doivent être soigneusement étudiés.
L’extension vers le marché pédiatrique constitue donc, à la fois, une innova-
tion mineure de produit (modification des dosages, de la forme galénique,
etc.) et une innovation de marché.
Tout changement des caractéristiques externes du médicament (la forme
galénique, la voie d’administration), une modification des dosages, une amé-
lioration de ses effets thérapeutiques ou une combinaison avec d’autres molé-
cules sont autant des manipulations qui donnent naissance des médicaments
appelés de « seconde génération » (par rapport au princeps de base) et per-
mettent aux laboratoires de contourner la concurrence des génériques. Ce
sont donc des innovations mineures dont l’impact devrait être, positif pour
le consommateur comme pour le producteur (Mckeown, 2008).
L’exemple le plus célèbre demeure celui d’Astra-Zeneca qui, quatre ans
avant l’expiration du brevet de son blockbuster, le Mopral, en 2004, a lancé
un médicament de seconde génération, l’Inexium, dont le chiffre d’affaires
s’élevant à 5 milliards de dollars en 2008, a permis au laboratoire de compen-
ser le repli de ses ventes du Mopral. En dépit de leur apport thérapeutique
approuvé par les autorités d’octroi d’AMM, la valeur ajoutée (en termes de
recherche) de ces médicaments demeure restreinte et répond plus à des enjeux
concurrentiels. Ceci dénote de la prééminence des objectifs de valorisation
du capital-savoir dans les orientations des grandes firmes pharmaceutiques.

LES STRATÉGIES DE VALORISATION


DU CAPITAL-SAVOIR
Les stratégies de valorisation du capital-savoir, qui correspondent dans de
nombreux cas à la mise en place de barrières à l’entrée artificielles, peuvent
être classées en deux catégories : des stratégies juridiques de protection du

98 innovations 2010/2 – n° 32
Stratégies des grandes firmes pharmaceutiques…

capital-savoir, et des stratégies commerciales de préservation des parts de


marché.

Des stratégies juridiques de protection du capital-savoir


Les grandes firmes pharmaceutiques profitent des flexibilités juridiques de pro-
tection de la propriété intellectuelle pour bénéficier d’une période d’exclusi-
vité supplémentaire sur leurs princeps tombés dans le domaine public. Elles
tirent aussi partie des régimes juridiques relativement permissifs leur permet-
tant de mener des actions en justice à l’encontre des génériqueurs. L’exten-
sion légale de la période d’exclusivité est la première stratégie qui vient dans
l’esprit des décideurs des grandes firmes pharmaceutiques, pour lesquelles
« rien n’est aussi profitable que la prolongation du monopole que confèrent
les brevets à leurs médicaments-vedettes » (Angell, 2005, p. 187).
Parmi ces mesures, l’exclusivité des données techniques ou encore la pro-
tection administrative des données de l’AMM, est une procédure qui octroie
une protection indépendante du brevet, en vertu de laquelle aucune demande
d’enregistrement de générique ne peut être acceptée. En général, la période
de protection des données techniques est intégrée dans la période de protec-
tion du brevet. Mais, pour certains médicaments l’exclusivité des données
techniques dépasse celle du brevet, tel est le cas d’Aventis, qui a mis 17 ans
pour le développement de l’Arava qui, n’aurait bénéficié que de trois ans de
protection par brevet en dehors de l’exclusivité des données techniques
(Combe, Haug, 2006).
Une autre stratégie automatiquement adoptée par les grandes firmes
pharmaceutiques à la suite de l’expiration de leurs brevets, se manifeste dans
le dépôt de certificats complémentaires de protection (CCP) d’un maximum
de cinq ans (15 ans aux États-Unis) après l’expiration du brevet de base
(INPI, 2008). Cette extension de l’exclusivité joue donc un rôle important
dans l’augmentation du retour sur investissement puisqu’elle permet de pro-
longer le pouvoir de monopole lorsque le marché atteint sa taille maximale
(Combe, Haug, 2006). C’est ainsi que les ventes du Prozac d’Eli Lilly ont
atteint leur maximum (80 %) durant la période du CCP. Dans cette perspec-
tive, les Big Pharma peuvent même enfreindre la loi afin de bénéficier de
cette prérogative. C’est le cas d’Astra-Zeneca qui a communiqué des dates
falsifiées à de nombreux offices nationaux de brevets pour pouvoir réclamer
un CCP 18 sur le Mopral (OCDE, 2008b, p. 142).

18. Suite à cette falsification, Astra-Zeneca a été poursuivi par les autorités européennes pour
abus de pouvoir et a été condamné en Juin 2005, à une amende de 60 millions d’euros par la
Commission Européenne (Berthet-Maillols, 2008).

n° 32 – innovations 2010/2 99
Nejla Yacoub, Blandine Laperche

Par ailleurs, et sous l’égide d’un système de brevets relativement permis-


sif, les grandes firmes pharmaceutiques procèdent à des dépôts de brevets
auxiliaires sur le médicament expiré. L’échelonnement dans le temps de ces
dépôts doit être calculé avec précision afin d’atteindre une période d’exclusi-
vité maximale. Gilbert et Newberry (1982) les appellent des brevets préemptifs.
N’étant parfois pas exploités, ces brevets se transforment en brevets dormants
(Weeds, 1999) ; ils sont utilisés par leur titulaire plus pour bloquer l’innova-
tion des concurrents que pour protéger ses propres innovations (Yacoub,
2008). GSK a déposé quatre nouveaux brevets en 2000 sur l’Augmentin, à
peine deux ans avant l’expiration de son brevet de base (Grandfils et al.,
2004) et Sanofi-Aventis a déposé 120 brevets sur le Lovenox. Par le recours à
cette stratégie, les Big Pharma construisent un arsenal de brevets leur permet-
tant d’ancrer leur position dominante sur le marché (Yacoub, 2008).
Le passage en automédication est une stratégie qui permet aux Big Pharma
d’étendre la période d’exclusivité d’un an (trois ans aux États-Unis) sur leurs
princeps expirés. Cette stratégie débouche donc sur une innovation de mar-
ché. Les ventes du Tagamet de SmithKline (tombé dans le domaine public en
1994) sur le marché OTC ont largement dépassé celles du Tagamet prescrit
(Berndt et al., 2003 ; Combe, Haug, 2006).
Les grandes firmes pharmaceutiques ont souvent recours à des actions en
justice. En cas d’une action en justice pour violation de brevet, les législations
européenne et américaine mettent la charge de preuve sur l’accusé. Aux
États-Unis, de telles actions impliquent aussi une suspension immédiate de
la production de tout autre générique pour 30 mois, pendant lesquels, le
princeps continue de bénéficier de son exclusivité. En dépit de ses coûts éle-
vés, cette stratégie est très adoptée récemment par les grandes firmes phar-
maceutiques, telles qu’Astra-Zeneca qui a poursuivi sept génériqueurs pour
protéger le Crestor. Entre 2000 et 2007, le nombre de procès contre des géné-
riqueurs a quadruplé.

Des stratégies commerciales de préservation


des parts de marché
Pour contourner la concurrence des génériques, les grandes firmes pharma-
ceutiques ont recours à d’autres stratégies, telles que les contrats de négocia-
tion avec les génériqueurs et le retrait du princeps du marché et dont la
licéité est remise en question (Combe, Haug, 2006), les stratégies marketing
et les stratégies d’extension vers le marché des génériques.
Le retrait des princeps expirés du marché est une barrière réglementaire
dans la mesure où la loi implique la suspension immédiate des AMM de nou-
veaux génériques si le princeps expiré n’est plus commercialisé. Cette mesure

100 innovations 2010/2 – n° 32


Stratégies des grandes firmes pharmaceutiques…

a été abolie en Europe dans le cadre de la nouvelle législation communau-


taire et ne constitue plus une barrière réglementaire. En revanche, elle repré-
sente toujours une barrière économique qui se manifeste dans la difficulté de
substitution en l’absence du médicament de référence. C’est dans ce cadre
qu’en demandant l’annulation de l’AMM relative au Mopral, Astra-Zeneca a
pu bloquer l’entrée des génériques sur les marchés danois, suédois et norvé-
gien (Combe, Haug, 2006).
Également, les Big Pharma négocient souvent des contrats financiers avec
des génériqueurs, en vertu desquels ceux-ci s’engagent à reporter leur entrée
sur le marché du princeps expiré en contrepartie de redevances payées par les
laboratoires de marque. Cette stratégie est très répandue dans le secteur
pharmaceutique. Entre 2000 et 2008, plus de 200 contrats similaires ont été
recensés, portant sur 49 médicaments dont plus des deux tiers figurent parmi
ceux les mieux vendus. À titre d’exemple, Abbott a versé une somme men-
suelle de 4,5 millions de dollars au génériqueur Geneva Pharmaceuticals pour
qu’il renonce à lancer un générique de l’Hytrin (Combe, Haug, 2006).
Les grandes firmes pharmaceutiques peuvent maintenir des prix élevés de
leurs princeps expirés tout en capitalisant sur leur image de marque. C’est
dans ce sens que les dépenses en marketing (27,7 milliards de dollars) de
l’industrie pharmaceutique américaine tendent à dépasser celles de R&D
(29,6 milliards de dollars) (Gagnon, Lexchin, 2008).
Les opérations de F&A sont un moyen très répandu dans l’industrie phar-
maceutique pour la diversification du portefeuille de produits. Claude Allary 19
souligne qu’« aujourd’hui, les laboratoires doivent avoir plusieurs pieds pour
se développer ». Ainsi, par l’acquisition de Schering-Plough, Merck vise la
diversification de sa gamme de produits pour anticiper l’expiration des bre-
vets de ses blockbusters phares, Cozaar et Singulair, respectivement en 2010 et
2012. Par cette fusion, Merck double « son portefeuille de molécules en
phase ultime de développement » (Porier, 2009).
En outre, les grandes firmes pharmaceutiques développent récemment
leur activité dans l’industrie des génériques, soit par la production de généri-
ques propres ou rachetés auprès d’autres laboratoires (tels que ceux produits
par Sanofi-Aventis à travers sa filiale Winthrop ou par Novartis à travers sa
filiale Sandoz), soit par la production de génériques autorisés (qui sont le résul-
tat de contrats de production et/ou de distribution conclus avec des généri-
queurs indépendants). Dans le cadre de cette stratégie, Pfizer a annoncé le

19. Claude Allary est le cofondateur de Bionest Partners qui est un bureau spécialiste du conseil
financier, stratégique et managérial pour les entreprises en sciences de la vie. Il est le co-auteur
d'une étude qui anticipe de quelques mois la fusion Sanofi-Aventis : « Aventis-Sanofi-Synthélabo.
Un mariage de raison - Simulation d'une fusion », Etude Exane / Bionest Partners, septembre 2003.

n° 32 – innovations 2010/2 101


Nejla Yacoub, Blandine Laperche

rachat de 39 génériques aux États-Unis et 20 en Europe auprès du groupe


indien Aurobindo. De même, en septembre 2009, le laboratoire suisse
Nycomed a joint à sa gamme de produits, un portefeuille local de 20 médica-
ments génériques qu’il a rachetés auprès de Zentiva, la filiale tchèque de
génériques appartenant au groupe Sanofi-Aventis (Sanofi-Aventis, 2009).

CONCLUSIONS ET PERSPECTIVES
A l’heure actuelle, se posent à l’industrie pharmaceutique des contraintes de
triple dimension : i) un accroissement de la concurrence exercée par les
génériques et les pertes notables qui en découlent en termes de chiffres
d’affaires, ii) une augmentation des coûts de la R&D nécessitant sa rationa-
lisation et iii) un processus de financiarisation impulsé par des actionnaires
davantage exigeants au regard des profits. Pour faire face à ces contraintes,
les grandes firmes pharmaceutiques mettent de plus en plus l’accent sur la
valorisation de leur capital-savoir existant, et en même temps concentrent
leurs stratégies d’accumulation du capital-savoir sur l’innovation mineure.
Certes, la valorisation du capital-savoir existant et l’innovation mineure
sont des stratégies efficaces pour contourner la concurrence des génériques
et pour répondre à des objectifs de rentabilité à court terme. Mais, à long
terme, et en l’absence d’une accumulation du capital-savoir axée sur l’inno-
vation majeure, l’accent mis sur les stratégies de court terme peut nuire à la
compétitivité jusqu’à même se révéler autodestructif (March, 1991).
Pour forger une avance technologique et maintenir une force concurren-
tielle, il est donc impératif pour les Big Pharma de penser au renouveau des
stratégies d’accumulation du capital-savoir en vue de l’innovation majeure. En
effet, c’est autour de ce type d’innovation que se forgent des avantages com-
pétitifs durables. Le paradigme de la pharmacie chimique étant arrivé à une
phase de maturité/déclin, l’innovation majeure dans le domaine pharmaceuti-
que se concentre sur les biotechnologies. Les grandes firmes pharmaceutiques
entament et renforcent leurs recherches dans ce domaine principalement via
la recherche collaborative inter laboratoires pharmaceutiques, avec les labo-
ratoires de recherche mais surtout avec des entreprises innovantes de bio-
technologies.
La recherche collaborative et en particulier le rapprochement avec des
entreprises de biotechnologies permettent aux grandes firmes pharmaceuti-
ques d’enrichir leur capital-savoir, de minimiser les coûts et les risques inhé-
rents à la recherche et d’accroître leur flexibilité vis-à-vis des mutations du
marché. Mais, ces stratégies de recherche collaborative sont-elles (efficace-
ment) intégrées dans l’organisation des grandes firmes pharmaceutiques ?

102 innovations 2010/2 – n° 32


Stratégies des grandes firmes pharmaceutiques…

Sont-elles réalisées en complémentarité ou en substitution avec les stratégies


de renforcement du potentiel de recherche interne ? Ces questions portant
sur l’organisation de la R&D et la constitution du capital-savoir des firmes
pharmaceutiques dans le paradigme biotechnologique sont importantes au
regard de l’objectif de compétitivité. Elles constituent des pistes intéressan-
tes de poursuite de notre recherche.
D’autre part, et dans une perspective plus large, le nouveau contexte con-
currentiel marqué par la percée des génériques et le renforcement des DPI à
l’échelle mondiale, dessinent de nouveaux contours à l’industrie pharmaceu-
tique. En particulier, de nouveaux pays comme l’Inde et le Brésil renforcent
leur position dans les génériques, mais aussi à terme, dans des niches spécifi-
ques (domaines thérapeutiques abandonnés par les grands groupes). D’autres
pays, comme la Chine, profitent de leur attractivité et de leur potentiel
scientifique et technique pour se spécialiser dans des segments particuliers
de l’industrie pharmaceutique (à l’exemple des principes actifs). Enfin, des
pays plus en retard, comme la Tunisie, cherchent toutefois à développer une
industrie pharmaceutique à même de répondre aux besoins de leurs marchés
locaux et de conquérir de nouveaux marchés en profitant des opportunités
offertes par l’expiration des brevets des blockbusters (Yacoub, Yacoub, 2010).
L’étude de cette nouvelle géographie de l’industrie pharmaceutique est éga-
lement un programme de recherche important qui nécessite une attention
particulière.

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