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Résumé…………………………………………………………………………. 3
Introduction……………………………………………………………………. 4
Conclusion…………………………………………………………….. 28
3
RESUME
La loi n° 90/053 du 19 décembre 1990 est venue sonner le glas du monopartisme de fait
imposé par le président Ahidjo en 1966. A partir de ce moment, tout le monde avait compris
que l’accession au pouvoir devait se faire désormais par la voie des urnes. Mais, au lieu de
mettre tout le monde d’accord par leurs résultats, les urnes au Cameroun ont suscité une levée
de boucliers, surtout de la part des adversaires du RDPC. Pressé de part et d’autre de mettre
en place un système électoral assurant un jeu électoral régulier, le pouvoir de Yaoundé décide
finalement de se plier aux exigences des acteurs politiques. On a sitôt fait de penser que le
RDPC avait accepté de se lancer dans une compétition électorale saine avec ses adversaires
politiques, surtout qu’en 2006, l’organisation et la gestion des opérations préélectorales et
électorales avaient été retirées au Ministère de l’administration territoriale, pour être confiées
à ELECAM, les commissions électorales étant mises hors-jeu. Mais, l’on va se rendre compte
très vite qu’ELECAM n’a jamais été conçu pour organiser des élections crédibles,
transparentes et fiables. Ce qui pouvait passer pour des avancées dans le processus électoral
camerounais s’est avéré être un mirage. Et le masque n’a pas tardé à tomber. L’objectif de cet
article est donc de mettre en exergue la fourberie du pouvoir de Yaoundé dans les réformes
électorales et d’identifier les manouvres qu’il a jusqu’ici orchestrées pour que le verdict des
urnes lui soit toujours favorable.
4
INTRODUCTION
Dans la vie moderne, la tenue des élections est un moment important de la vie d’un Etat. Les
élections sont considérées comme un signe de vitalité démocratique1. C’est elles qui
permettent au peuple de prendre part à la gestion des affaires de la cité en désignant leurs
représentants2. C’est donc par elles que s’effectuent le renouvellement de l’appareil politique.
Autrement dit, c’est elles qui rendent possible l’alternance. Or, on sait quelle place occupe
l’alternance dans le processus démocratique. Pour que celle-ci puisse se réaliser, les élections
doivent être libres, justes, transparentes, donc dénuées de toutes fraudes, de toute manœuvre
tendant à favoriser un parti au détriment des autres…. Dans les pays ayant une tradition
démocratique profondément ancrée dans le passé, la tenue des élections est un acte normal,
presque banal, qui contribue au fonctionnement en douceur des institutions. Dans ces pays les
élections mettent rarement à mal la cohésion sociale. Mais, on ne peut pas dire autant des pays
en développement où les élections contribuent très souvent à la déstabilisation de l’Etat, à
l’instauration d’un climat de violence après la proclamation des résultats. C’est ce qu’on
appelle crise postélectorales. On ne finit pas de les compter particulièrement en Afrique :
Kenya3, Zimbabwe4, Côte-d’Ivoire5, Burundi6, Gabon7, Gambie8… Pour éviter cette situation,
le gouvernement camerounais a progressivement mis en place un dispositif juridique et
institutionnel destiné à améliorer le processus électoral9, à le rendre crédible, fiable.
Toutefois, les avancées obtenues se sont avérées des leurres dans la mesure le pouvoir y est
très vite revenu.
1
« Les élections constituent la caractéristique principale de la démocratie représentative… » in « Les conflits et la violence politique
résultant des élections. Consolider le rôle de l’Union africaine dans la prévention, la gestion et le règlement des conflits », Rapport du
Groupe des Sages de l’UA, décembre 2012, International Peace Institute, la Collection Union Africaine p.1
2
« ... Elles (les élections) permettent au peuple de régulièrement choisir leurs dirigeants et leurs programmes politiques… » idem.
3
Du 29 décembre 2007 au 31 janvier 2008/
4
De mai 2008 à juin 2008.
5
Du 28 novembre 2010 au 11 mai 2011.
6
Depuis le 26 avril 2015
7
Depuis le scrutin du 27 octobre 2016
8
Depuis l’élection présidentielle du 1er décembre 2016 jusqu’à la prise de pouvoir par Adama Barrow.
9
Le processus électoral se veut une chaine d’actes et d’opérations accomplis en vue d’une élection. Il inclut « l’inscription des électeurs sur
les listes électorales, la convocation du corps électoral l’examen des dossiers de candidature, le déroulement de la campagne électorale, la
distribution des cartes électorales, le déroulement du scrutin, le dépouillement du scrutin, le contrôle des procès-verbaux de l’élection,
l’examen des éventuels recours et requêtes, le recensement général des votes et la proclamation des résultats officiels de l’élection. (Ecovox,
n°47, janvier-juin 2012, p.7)
5
Le point commun à toutes ces élections est la vague de contestations qui a suivi ou précédé à
chaque fois la proclamation des résultats y afférents. Ces contestations ont débouché parfois
sur de véritables crises postélectorales comme ce fut le cas lors de l’élection présidentielle du
11 octobre 1992. Il faut rappeler qu’avant la tenue de cette élection, le Cameroun a été plongé
dès le mois d’avril 1991 dans une période de troubles avec pour manifestation principale les
« villes mortes » et d’importantes émeutes particulièrement à Douala.10 Face à ces troubles,
un « état d’urgence de fait est instauré avec la création en mai 1991 de « commandements
militaires opérationnels » pour pacifier le pays »11 (« Histoire contemporaine du Cameroun »,
Wikipédia). C’est dans ce contexte que « le 25 août 1992, Paul Biya annonça qu’il convoque
le corps électoral le 11 octobre 1992 pour élire le Président de la République. »12 Si plusieurs
partis politiques avaient décidé de participer à cette élection, il n’en demeure pas moins que
deux challengers principaux avaient émergé : le Président sortant, Paul Biya, candidat du
RDPC, et le candidat John Fru Ndi du Social Democratic Front (SDF) qui a reçu le soutien
d’autres partis13. Selon les résultats proclamés le 23 octobre 1992 par le Premier Président de
la Cour Suprême, le candidat Paul Biya a été réélu avec 39,9% des voix, contre 35,9% pour
John Fru Ndi. Samuel Mack Kit (2007) affirme que cette proclamation s’est faite malgré que
le président de la cour suprême ait au préalable « énuméré une longue liste de fraudes14
avérées constatées au cours de ce processus électoral »15 et « parce qu’il ne disposait d’aucune
possibilité juridique pour sanctionner les fraudes constatées »16. Tout compte fait, le pouvoir a
été accusé de fraudes par l’opposition et la validité des élections a été mise en doute par une
ONG américaine de scrutateurs, le « National Democratic Institute for International Affairs »
(NDI)17. Cette validation des fraudes par la Cour Suprême a conduit une partie du peuple à la
10
Lire à ce sujet Fanny Pigeaud, Au Cameroun de Paul Biya, Editions Karthala, Paris, 2011, pp 52-53.
11
ibidem
12
Samuel Mack Kit, « Les élections au Cameroun », 2007, p.27
13
Ibidem.
14
« Certes il y a eu des bourrages d’urnes, des intimidations, des obstructions au vote, des falsifications des procès-verbaux, etc., mais la loi
électorale ne permet pas à la cour d’annuler l’élection » in « Campagne internationale d’action pour la démocratie au Cameroun » Le
Messager du 17 décembre 2003.
15
Ibidem, p.28
16
Ibidem
17
« Bien qu’ils se soient déroulés sans violence, la campagne tout comme le scrutin ont été sévèrement critiqués, en particulier par l’institut
américain « National Democratic Institute for International Affairs » (NDI). Dans un rapport, le NDI a estimé que le régime avait « eu
recours à des méthodes exceptionnellement graves et illégitimes pour assurer la victoire du président » sortant. L’administration acquise à
Biya a ainsi été mise à contribution pour la campagne et le contrôle du processus électoral : préfets, gouverneurs, ministres et autres
fonctionnaires ont mis la main à la pâte. Au cours des semaines qui ont précédé le vote, de nombreux journalistes ont été harcelés, arrêtés ou
obligés de se cacher. Le traitement de la campagne électorale par les médias publics a été très inégal ; le NDI a relevé que le 7 octobre la
6
révolte. « Des marches de protestation ont été organisées à Douala, violemment réprimées par
les forces de sécurité. Des émeutes ont éclaté dans le Nord-Ouest, où l’état d’urgence a été
décrété le 27 octobre. La violence est devenue extrême. […] De nombreux leaders et militants
de l’opposition ont été arrêtés. Fru Ndi a été placé en résidence surveillée dans son fief de
Bamenda…. »18
A nouveau, à, l’occasion des élections législatives du 17 mai 1997, les partis politiques ont
remis cela. Les résultats de ce scrutin donnaient le RDPC vainqueur avec 116 sièges, suivi du
SDF avec 43 sièges, de l’UNDP avec 13 sièges et de l’UDC avec 5 sièges. « Ce résultats a été
vivement contesté par les forces de l’opposition qui ont invoqué des irrégularités et pratiques
frauduleuses, allégations corroborées par les rapports des observateurs internationaux. »19 Du
fait de ces contestations, la cour suprême annula les résultats concernant trois circonscriptions
(sept sièges), sans pour autant apaiser les contestataires.
Cameroon Radio-Television avait consacré 142 minutes au candidat Biya contre 7 minutes seulement à l’ensemble des candidats de
l’opposition. Les principaux journaux privés, le Messager, La Nouvelle Expression et Challenge Hebdo n’ont pas pu paraître les semaines
précédant le scrutin. (…) Incident gênant pour les autorités : le gouverneur de l’Est, George Achu Mofor, a démissionné quelques jours après
le vote, le 19 octobre, pour dénoncer « l’administration du processus démocratique »et les « violations flagrantes des droits de l’Homme ». Il
accusait le ministre de l’administration territoriale, Gilbert Andzé Tsoungui, d’avoir donné l’ordre d’employer tous les moyens, quels qu’ils
soient, pour assurer une victoire à hauteur de 60% du candidat du RDPC » dans les provinces. « Pour nous aider dans cette tâche, un
document en six pages émis par l’UDC sur les techniques de fraude électorale nous a été distribué », expliquait Mofor dans sa lettre de
démission. La liste des irrégularités relevées le jour de l’élection est longue : électeurs à qui le vote a été refusé, bureaux de vote fictifs,
d’autres dont l’emplacement a été changé au dernier moment , bureaux dont 100%s des électeurs ont voté et à 100% en faveur de Biya,
nombreux délégués de partis d’opposition interdits d’entrer dans les bureaux de vote, faux représentants de partis d’opposition dans certains
bureaux, trafic de cartes d’électeurs, noms d’électeurs rayés à tort sur les listes… » (Fanny Pigeaud, précité, pp. 57-58)
18
Ibidem, p.59. Lire aussi Edouard Kingue, « 1990-1992. Comment la démocratie est confisquée au Cameroun », Le Messager, in
www.cameroonvoice.com
19
« Cameroun. Chambre parlementaire : Assemblée nationale-National Assembly. Elections tenues en 1997 » in www.ipu.org/parline-f/rep
20
Friedrich Ebert Stifung, Prévenir et lutter contre la fraude électorale au Cameroun, Editions CLE, Yaoundé, 2012, p.9
21
C’est ce que révèlent les rapports d’observation de Transparency International Cameroon (présidentielle 2011), Cameroun O Bosso
(présidentielle 2011), Justice et Paix (municipales et législatives 2007)
7
Du fait de la « crise de confiance »22 sans cesse grandissante « à l’égard des organes
traditionnels devant assurer la régularité des élections au Cameroun »23, le gouvernement
camerounais a, dans un premier temps, opté pour la création en l’an 2000 d’un Observatoire
National des Elections (ONEL), censé « apporter un souffle virginal au processus électoral ».
Mais l’incapacité de celui-ci à impacter le bon déroulement du processus électoral a obligé le
pouvoir de Yaoundé à faire une concession majeure en la création en 2006 d’ « Elections
Cameroon » (ELECAM).
22
Zbigniew Paul Dime Li Nlep, « La garantie des droits fondamentaux au Cameroun », mémoire de DEA, 2004 in
www.memoireonline.com
23
Ibidem
24
Selon Zbigniew Paul Dime Li Nlep, « les partis de l’opposition, les observateurs de la scène politique estiment que l’administration, qui
organise les opérations électorales au Cameroun, a la mainmise sur celles-ci et les influence dans l’intérêt du pouvoir en place.
L’indépendance et l’impartialité des différentes structures participant au processus électoral étaient ainsi fortement remises en cause.» (op.)
25
Loi n° 2000/016 du 19 décembre 2000 portant création d’un Observatoire National des Elections
26
In www.unice.fr>bcl>ofcaf>partie1
27
8
Ainsi, au terme de l’article 1er de la loi n°2000/016 du 19 décembre 2000, l’ONEL est une
« structure indépendante chargée de la supervision et du contrôle des opérations électorales et
référendaires… » Selon le Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales (CNRTL),
« superviser » revient à « contrôler dans ses grandes lignes une activité, l’exécution d’un
travail accompli par d’autres ». On comprend donc qu’en utilisant à la fois les termes
« superviser » et « contrôler », le législateur a voulu indiquer la même activité, mais
certainement avec emphase. Dans tous les cas, cette disposition confirme que l’ONEL ne
prend pas en charge l’organisation des opérations préélectorales et électorales, mais observe
seulement leur exécution dans le but de s’assurer de leur régularité, leur objectivité, leur
transparence et leur sincérité, bref garantir aux électeurs et partis que la loi électorale est bien
respectée (article 2).
L’article 6 de ladite loi précise les opérations électorales pouvant ou devant faire l’objet de
supervision et de contrôle de la part de l’ONEL. Il s’agit :
- Connaitre de toutes les réclamations ou contestations concernant les listes et les cartes
électorales non réglées par les commissions de supervision compétentes ;
- Ordonner les rectifications rendues nécessaires à la suite de l’examen, par lui, des
réclamations ou contestations dirigées contres les actes de l’autorité administrative ou
des commissions mixtes électorales concernant les listes et les cartes électorales ;
- Connaitre des contestations et des réclamations portant sur les candidatures et le
comportement des candidats ou de leurs représentants en période électorale non
réglées par les commissions de supervision compétentes ;
Par ailleurs, afin de leur éviter toute épée de Damoclès, l’article 4 dispose en son alinéa 1
qu’ « il ne peut être mis fin, avant l’expiration de leur mandat, aux fonctions de membre de
l’ONEL que pour incapacité physique après avis conforme de l’ONEL ou sur leur demande ».
Et puisqu’il s’agissait de ramener la sérénité et la confiance dans le système électoral, une
liste de personnalités publiques, dont l’impartialité et l’indépendance vis-à-vis du pouvoir
sont remises en cause, a été dressée par l’article 5 comme ne pouvant « être nommées
membres de l’ONEL :
28
Dans le même ordre, « les manquements commis par les partis politiques, les candidats ou les électeurs peuvent également être portés par
l’ONEL devant les autorités judiciaires »
10
Il apparaît dans la loi un autre souci, celui de rendre transparentes les observations faites par
l’ONEL. En effet, « après le scrutin, l’ONEL établit un rapport général sur le déroulement des
opérations électorales et l’adresse au président de la république qui le fait publier ». Il ya donc
là une préoccupation du législateur qui voudrait que les manquements observés par l’ONEL
lors d’un scrutin puissent être portés à la connaissance de tous les acteurs du système électoral
pour que des réflexions soient menées après coup dans le dessein d’apporter des correctifs
qui s’imposent pour l’avenir.
A ce stade, on peut dire que le gouvernement, initiateur de la loi créant l’ONEL, avait voulu
donner des gages de bonne foi aux partis politiques d’opposition afin que ceux-ci levassent
toute suspicion qu’ils faisaient peser par le passé sur le système électoral camerounais, sans
pour autant céder sur la revendication des opposants. Mais, ces gages furent bien légers s’il
fallait s’en tenir à l’accueil froid que l’opposition réservât à la loi et à son décret d’application
n° 2001/306 du 08 octobre 2001. Ce texte (la loi) fut d’emblée perçu comme « un énième
monument d’illusionnisme normatif et de remplissage institutionnel »29 qui institue une
structure « mort-née »30. La raison principale de cet accueil mitigé résidait dans le fait que
l’ONEL n’est pas ce que voulaient les partis d’opposition. Mais, au-delà de cette opposition
formelle31, il était reproché à l’ONEL de n’avoir pas les coudées franches pour garantir la
crédibilité, la sincérité des scrutins au Cameroun. Sur cet aspect des choses, il faut bien
admettre que les pourfendeurs de l’ONEL n’avaient pas totalement tort.
Déjà, l’article 3 alinéa 1 disposait que « l’ONEL est mis en place en année électorale dès le
début du processus électoral ». L’alinéa 2 du même article poursuivait sur la même lancée en
précisant que « son mandat prend fin dès que le processus électoral est arrivé à son terme ».
Cette restriction dans l’existence matérielle de l’ONEL était de nature à porter préjudice à son
efficacité. En effet, face à une administration rompue dans les pratiques électorales
irrégulières, faire fonctionner l’ONEL uniquement en début du processus électoral ne lui
aurait pas permis de s’imprégner abondamment des mécanismes pour pouvoir déceler les
irrégularités en question. D’autre part et compte tenu de l’ampleur des opérations à contrôler,
il eut été plus avisé que l’ONEL exerçât ses activités de manière permanente. Cela lui aurait
permis par exemple d’assainir efficacement le fichier électoral, de mieux vérifier la
conformité des listes électorales aux données démographiques réelles des circonscriptions
électorales…Bref, de faire un meilleur travail. La période de travail assez courte à lui
accordée par la loi l’oblige à être expéditif, donc inefficace. Dans une telle situation, l’ONEL
n’a été conçu que pour servir de paravent à l’administration en charge de l’organisation et de
la gestion des scrutins, surtout que ses membres devaient être nommés par le président de la
république. (Article 3 alinéa 1). De ce fait, « et de l’avis des membres de l’opposition
camerounaise, l’ONEL ne peut qu’être une structure inféodée au pouvoir en place ».32 Certes,
l’alinéa 3 du même article faisait obligation au président de la république de désigner des
personnalités indépendantes connues pour leur intégrité morale, leur honnêteté intellectuelle,
29
A.D. Olinga, L’ONEL : Réflexions sur la loi camerounaise du 19 décembre 2000 portant création d’un Observatoire National des
Elections, Yaoundé, Presses de l’UCAC, 2001, p.7 in Zbigniew Paul Dime Li Nlep, op.
30
Zbigniew Paul Dime Li Nlep, op.
31
D’après sa dénomination, l’ONEL serait simplement « une structure de vigilance de l’ensemble du processus électoral, avec un rôle de
rassemblement de l’information utile à transmettre aux décideurs, à l’effet d’éclairer leurs décisions (…) futures » (A.D. Olinga, op. p.7
32
Zbigniew Paul Dime Li Nlep, op.
11
leur neutralité et leur impartialité, mais comment vérifier de manière objective ces critères ?
De surcroît, le 10 octobre 2001, les onze premiers membres de l’ONEL furent nommés par le
président de la république ; Et l’essentiel de ces membres seraient sortis du comité central du
RDPC, le parti au pouvoir, de l’avis de John Fru Ndi33. En pareil cas, « leur rôle consisterait,
le moment venu, à entériner les décisions du ministère de l’administration territoriale en
faveur du parti au pouvoir »34 puisqu’une partie en était l’émanation et notamment le
président Enock Kwayep. Cette insuffisance semble avoir été rectifiée par la suite à un double
niveau. Premièrement, en décembre 2003, la loi du 19 décembre 2000 portant création de
l’ONEL connut de notables modifications : « jusque-là désignés par le chef de l’Etat de
manière absolument discrétionnaire (…), les membres de cette institution, tout en restant
nommés par le président de la république, le sont après consultation des partis politiques et de
la société civile »35. Deuxièmement, le 26 mai 2004, le président de la république nommait de
nouveaux membres de l’ONEL par décret n°2004/132. Il en ressort que « les personnalités
retenues sont en nette rupture avec celles choisies en 2001, dont certaines étaient des militants
du Rassemblement Démocratique du Peuple Camerounais (RDPC), au pouvoir»36. Ce
changement de cap semblait avoir obtenu l’adhésion de l’opposition37, ce d’autant que les
personnalités retenues l’ont été à l’issue des consultations menées par le premier ministre,
Peter Mafany Musonge, auprès des partis politiques et des représentants de la société civile.
Autre élément qui pourrait laisser penser à une inféodation de l’ONEL au pouvoir politique, le
fait que le rapport établi par l’ONEL après un scrutin soit adressé plutôt au président de la
république, à charge pour lui de le faire publier (Article 19 loi de 2000). Rien n’indique que le
rapport que le président de la république ferait publier sera fidèle à celui adressé par l’ONEL.
Il pourrait être expurgé d’éléments particulièrement compromettants pour l’administration. Ne
perdons pas de vue que le président à qui l’ONEL adresse son rapport est aussi membre d’un
parti politique. C’est donc dire de manière subtile que l’article 19 établissait un lien de
dépendance et de subordination de l’ONEL au pouvoir politique, et ce, en violation de
l’article 1er qui fait de lui une « structure indépendante » et des dispositions de l’alinéa 3 de
l’article 3 d’après lequel les membres de l’ONEL « ne doivent solliciter ni recevoir
d’instructions ou d’ordre d’aucune autorité publique ou privée ».
Ces limites supposées ou réelles n’ont pourtant pas empêché l’ONEL de réaliser quelques
actions d’éclat lors des élections couplées municipales et législatives du 30 juin 2002, en
droite ligne de ses missions et pouvoirs. A l’occasion de ces élections, l’ONEL « a aidé à
33
Lire « Les membres de l’ONEL prêtent serment devant la cour suprême » in www.parapress.com
34
D’après John Fru Ndi, ibidem
35 Valentin Zinga, « Cameroun : l’ONEL en observation » in www.rfi.fr/actufr/articles
36
Ibidem.
37
Le secrétaire adjoint du SDf déclarait d’ailleurs : « Nous n’avons pas de préjugés. Il faudra juger le maçon au pied du mur », ibidem.
38
A.D. Olinga, op.
12
signaler de graves irrégularités qui ont justifié l’annulation des élections dans le département
du Nkam en vertu de l’article 12 alinéa 3 de la loi de 2000 »39. Auparavant, il « avait demandé
et obtenu que les bureaux de vote ne soient pas installés dans des domiciles privés »40.
système électoral camerounais. Il faut rappeler que c’est en octobre 2000 que les conseils
d’administration du FMI et de la Banque Mondiale ont déclaré le Cameroun éligible à
l’initiative PPTE47. Du fait de cette admission, le pays devait exécuter certaines réformes pour
pouvoir atteindre « le point d’achèvement ». Après donc avoir franchi le premier pallier en
octobre 2000, il fallait au Cameroun 3 ans pour franchir le second pallier afin de bénéficier
d’une réduction de sa dette. Mais, le 30 octobre 2004, il est retiré de la liste des pays pauvres
très endettés par les institutions de Bretton Woods pour cause d’échec de mise en œuvre des
réformes prescrites dans le Document de Stratégie pour la réduction de la pauvreté (DSRP).
Immédiatement, le gouvernement camerounais a manifesté des signes de bonne volonté pour
tenter de faire revenir le FMI sur sa décision. A cet égard, il s’est dit prêt à appliquer les
prescriptions des institutions financières internationales. C’est ainsi qu’en novembre 200548, il
est approuvé le Programme National de Gouvernance révisé pour la période 2006-2010.
Celui-ci identifie six axes prioritaires dont la modernisation du cadre électoral. Il y est en effet
admis que « le rapport général sur le déroulement des élections de juin et octobre 2002, remis
en décembre 2002 au président de la république par l’Observatoire National des Elections
identifie (…) une série de carences affectant les différentes étapes du processus électoral, qui
restent aujourd’hui d’actualité… »49 L’une des réponses aux « carences »incriminées a donc
été la création d’Elections Cameroon par la loi du 29 décembre 2006.
A priori cette loi semble aller dans le sens voulu par les partis d’opposition et les bailleurs de
fonds. En effet, « Elections Cameroon est un organisme indépendant chargé de
l’organisation, de la gestion et de la supervision de l’ensemble du processus électoral et
référendaire » (Article 1er alinéa 2)50. Il « est doté d’une personnalité juridique et jouit d’une
autonomie de gestion » (Article 1er alinéa 4)51. On peut donc à première vue penser que le
ministère de l’administration territoriale est désormais exclu des opérations électorales et
référendaires au Cameroun. C’est dans ce sens qu’on devrait comprendre les dispositions de
l’article 42 alinéa 2 selon lesquelles « les attributions des structures compétentes de l’Etat en
matière électorale sont (…) transférées à Elections Cameroon »52.
Est aussi éliminé du jeu électoral l’ONEL dont l’attribution de supervision est dévolue
dorénavant à ELECAM53 et plus précisément au conseil électoral qui doit veiller « au respect
de la loi électorale par tous les intervenants de manière à assurer la régularité, l’impartialité,
l’objectivité, la transparence et la sincérité des scrutins » (Article 6 alinéa 1)54. En un mot,
ELECAM reprend intégralement les missions et les attributions qui étaient dévolues tant au
Ministère de l’administration territoriale qu’à l’ONEL.
47
On parle de « point de décision »
48
En mars 2005, le Cameroun est réintégré dans la liste des PPTE, ce qui lui permet d’atteindre le point d’achèvement
49
Programme National de Gouvernance 2006-2010, p.81
50
Disposition reprise intégralement par l’article 4 (1) du code électoral. Mais cet article n’est pas en phase avec l’article 3 du même code
électoral qui dispose que « L’organisation, la gestion et la supervision du processus électoral et référendaire sont assurées par « Elections
Cameroon », en abrégé « ELECAM » ». Dans cet article 3, l’expression « l’ensemble » a été abrogée, signe de la réintroduction de
l’administration dans le jeu électoral, comme nous le verrons plus bas.
51
Disposition reprise dans l’article 4 (3) du code électoral
52
Cette disposition n’a pas été reprise dans le code électoral. Ce qui est normal car ce code fait plutôt des commissions électorales les
principales actrices du processus électoral au Cameroun.
53
Article 1er alinéa 2 de la loi de 2006 précité repris par l’article 4 (1) du code électoral
54
Qui équivaut aujourd’hui à l’article 10 (1) du code électoral
14
Par ailleurs l’indépendance accordée à ELECAM par l’alinéa 2 de l’article 1er précité semble
rélever du possible à certains égards. Tout d’abord, l’organisme examine et approuve ses
projets de budget élaborés par le Directeur général ; ce qui semble lui conférer une certaine
autonomie financière. Egalement, à la différence de l’ONEL qui ne pouvait qu’utiliser le
personnel à lui fourni par l’administration, ELECAM, par son Directeur Général, recrute son
propre personnel. Et cette possibilité de recruter son personnel est de nature à pouvoir réduire
les risques d’inféodation du personnel d’ELECAM à l’administration, même si ELECAM
peut également solliciter le détachement des fonctionnaires ou l’affectation des personnels de
l’Etat relevant du code du travail ainsi que des agents décisionnaires. Le dernier élément
créditant une certaine indépendance d’ELECAM est à rechercher dans l’article 23 du décret
n° 2008/372 du 11 novembre 2008 fixant les modalités d’application de certaines dispositions
de la loi n° 2006/011 du 29 décembre 2006. Cet article élargit les sources de financement
d’ELECAM, qui ne proviennent plus uniquement du trésor public, mais aussi de la
« coopération internationale ou de dons et legs… »
C’est dire que des pas ont été franchis dans le sens de rendre crédible le système électoral
camerounais d’une part par la mise à l’écart de l’administration de l’organisation et de la
gestion du processus électoral ; d’autre part parce qu’ELECAM jouit d’une certaine
indépendance. Mais ces pas ont-ils donné entière satisfaction aux défenseurs d’élections
justes, libres et transparentes ? Autrement dit la création d’ELECAM a-t-elle suffit à redorer
le blason de notre système électoral ?
Loin s’en faut car au-delà de quelques avancées obtenues et concédées par le pouvoir pour
qu’ELECAM garantisse la sincérité des scrutins, l’institution n’a pas obtenu toutes les
coudées franches pour accomplir pleinement cette noble et périlleuse mission. Un triple
faisceau d’arguments seront utilisés pour étayer notre position :
1°) Le texte qui crée ELECAM le place sous la coupe bien réglée de l’administration et du
pouvoir ;
2°) Quelques temps après la création d’ELECAM, le pouvoir orchestre des manœuvres pour
contrôler son fonctionnement ;
3°) Des lois adoptées ultérieurement sont venues réduire ELECAM à un acteur parmi tant
d’autres du processus électoral.
En premier lieu, nous avons dit que certaines dispositions de la loi créant ELECAM
maintiennent celui-ci sous la coupe des pouvoirs publics. La première de ces dispositions se
trouve dans l’article 8 (3). Cet article exige certes que le Président de la République consulte
d’abord les partis politiques représentés à l’Assemblée nationale et la société civile avant de
procéder à la nomination du président, du vice-président et des membres du conseil
électoral ; mais aucune obligation ne lui est faite de s’en tenir aux avis et propositions donnés
par ces derniers. En conséquence, le pouvoir discrétionnaire du président de la république
dans le choix des personnalités à nommer a été subrepticement maintenu par le législateur.
Dans ce cas, il y a fort à parier que les personnalités nommées pour présider aux destinées
d’ELECAM seraient celles dont l’allégeance au pouvoir en place est établie. Cette inquiétude
15
55
Voir www.atangana-eteme-emeran.com>spip
56
Voir www.cameroon-today.com>njeuma
57
« Cameroun : ELECAM : née pour ne pas fonctionner » in www.camer.be
58
« Les membres du conseil électoral d’ELECAM ont été nommés en violation flagrante des textes dudit organe. En effet, alors que
conformément à l’article 13 de la loi de décembre 2006 créant ELECAM, ses membres devaient être indépendants et neutres, finalement des
membres du comité central du parti au pouvoir (RDPC) ont été nommés dans cet organe à la surprise générale. Mieux, c’est un hiérarque de
ce parti, M. Fonkam Azu’u, qui a été porté à la présidence du conseil électoral. Dans le même temps, c’est un ancien faucon du système
électoral au Ministère de l’administration Territoriale qui a été porté à la tête de la direction générale de cet organe. Cette prise de liberté
politique par rapport au pouvoir a suscité dans le tout le pays une vague de débats et surtout de protestations animées par des universitaires,
des organisations de la société civile, certains partis politiques… » (« Lettre ouverte aux évêques du Cameroun », William Tallah,
26/01/2012
59
Dans une déclaration, lord Avebury, au nom du Commonwealth, indiquait notamment que « la communauté internationale en général et le
Royaume uni de Grande Bretagne ont demandé de mettre ELECAM en place aussi rapidement que possible (…) Le 30 décembre 2008 (…)
après consultation des partis politiques comme le veut la loi, le président Biya a annoncé les noms des personnes nommées à ELECAM. Il
n’y a aucun membre des partis politiques de l’opposition parmi ces personnes, et nombre d’entre elles sont de hauts cadres du parti au
pouvoir (…) Le Commonwealth devrait demander au président Biya de reconsidérer ces nominations et parvenir à une liste plus équilibrée ».
Pour le représentant du « club des Gentlemen », trois des douze membres désignés (Adamou Ali, Pierre Roger Efandene Bekono et Mme
Sadou Daoudou) n’ont pas d’appartenance politique connue, « même si au regard de la coloration politique des militants du parti au pouvoir
qui y sont, il est probable que ces trois membres soient dévoués au RDPC ». Dans le tableau de désignation des membres d’ELECAM qui
accompagne son communiqué, Lord Avebury indique que cinq des douze membres sont des cadres du RDPC (Dorothy Limunga Njeuma,
Cécile Mbomba Nkolo, Fonkam Samuel Azu’u, Jules Mana Nschwangele, Abdoulaye Babale), que l’un d’eux (Thomas Ejake Mbonda) est
« un ancien gouverneur RDPC, qu’Elie Mbonda est un cadre de la Fondation Chantal Biya alors que Justin Ebanga Ewondo est un ancien
membre de l’ONEL (…) Jusqu’à ce que les réserves émises ci haut soient prises en compte, le Commonwealth demande la suspension des
paiements de ces subventions» » (Jean Francis Belibi, « ELECAM : Le Commonwealth crie sa colère », Mutations du 13/01/2009, in
www.camerounlink.com
16
Le second faisceau d’indices qui plaide pour le noyautage d’ELECAM par le pouvoir
politique tient au contrôle par celui-ci des ressources financières d’ELECAM. Selon l’article
30 de la loi de 2006, le projet de budget approuvé par le conseil électoral est transmis au
gouvernement « pour examen concerté »61. Ce qui donne par conséquent la possibilité au
gouvernement de tailler le budget d’ELECAM selon les objectifs qu’il veut le voir atteindre
ou ne pas atteindre. En clair, ELECAM, à partir de la loi n° 2006/011 pouvait se prévaloir de
tout, sauf d’une indépendance comme indiquée d’entrée de jeu à l’article 1er (2). L’arrêté n°
087/PM du 16 avril 2007 portant création d’un comité interministériel ad hoc de facilitation
de la mise en place d’ELECAM est venu confirmer, s’il en était besoin, la prise de contrôle
d’ELECAM par les pouvoirs publics, réduisant ainsi son indépendance à sa portion congrue.
L’article 2 dudit arrêté assigne les missions suivantes au comité :
Si la première mission ne pose aucun problème de légalité62 et ne peut même être assimilée à
une volonté de contrôler ELECAM, la seconde mission porte par contre gravement atteinte à
la lettre et à l’esprit de la loi créant ELECAM. Il est vrai que l’article 3963 de cette loi prévoit
un règlement intérieur qui déterminera les règles de procédure et les modalités de
fonctionnement d’Elections Cameroon ; mais auparavant, l’article 764 initial de la loi de 2006
donnait pouvoir au conseil électoral d’adopter le règlement intérieur d’Elections Cameroon. A
priori donc, il doit revenir à la direction générale d’élaborer le projet de règlement intérieur.
Certes, l’arrêté ci-dessus parle d’ « avant-projet de règlement intérieur », mais cela est très
suspicieux de voir des autorités gouvernementales mettre sur pied un avant-projet de texte
pour une structure qui est censée ne recevoir ni instruction ni ordre d’une autorité publique.
On lit bien l’intention du gouvernement qui est celle d’orienter la rédaction du règlement
intérieur dans un sens voulu, qui protège sans doute les intérêts du parti au pouvoir. Cet avant-
projet de règlement intérieur était par conséquent une technique destinée à lier les membres
d’ELECAM qui, soulignons-le, n’étaient pas encore désignés.
60
Aujourd’hui article 10 (1) du code électoral
61
Disposition reformulée en ces termes dans le code électoral : « Le président du conseil électoral transmet les projets visés à l’alinéa 1 (…)
au gouvernement pour examen concerté et présentation au Parlement, aux fins d’adoption dans le cadre de la loi de finances. » (Article 33
alinéa 2)
62
En effet, l’article 43 de la loi n° 2006/011 prévoit des textes particuliers du président de la république qui fixeront les modalités
d’application de la présente loi. Or, dans le travail gouvernemental, c’est généralement le gouvernement qui prépare les projets de loi sur
instruction du président de la république.
63
Aujourd’hui article 42 du code électoral
64
Aujourd’hui article 11 (1) du code électoral
17
La troisième mission n’est non plus indemne de toute critique quand on l’associe à l’article 3
alinéa 1 dudit arrêté qui décrit la composition du comité. Il n’y figure que les membres du
gouvernement et plus largement de l’administration. C’est donc à ces personnalités qu’il
revient la charge de proposer « les mesures utiles pour la nomination des membres
d’ELECAM… »Or, le contexte sociopolitique au Cameroun veut que les membres de la haute
administration soient automatiquement des militants du RDPC, parti au pouvoir, même contre
leur gré. Ils doivent aussi montrer leur allégeance au parti en prenant par exemple part aux
meetings de celui-ci. Dans une telle situation, comment imaginer que les mesures qu’ils
proposeraient seraient empreintes de neutralité, d’impartialité ?
Avec tout ceci, on peut s’autoriser à penser qu’ELECAM n’a été créé que pour servir de
mirage au pouvoir dans ses rapports aux institutions internationales. La preuve, une fois le
point d’achèvement atteint par le Cameroun, son gouvernement n’a pas mis longtemps pour
revenir sur les quelques avancées concédées sur le système électoral. Cette déconstruction des
avancées s’est faite à travers les lois n° 2010/005, 2011/001 et 2012/001.
C’est le 13 avril 2010 qu’est promulguée la loi n° 2010/005 modifiant et complétant certaines
dispositions de la loi n° 2006/011 du 29 décembre 2006 portant création, organisation et
fonctionnement d’ « Elections Cameroon » (ELECAM). Cette loi (2010) opère un véritable
volteface par rapport à celle qu’elle modifie. En effet, la loi créant ELECAM faisait de celui
le seul organisme en charge de l’organisation et de la gestion du processus électoral et
référendaire. Pour s’en convaincre, nous convoquerons certaines dispositions de la cette loi.
La première disposition est l’article 1er (2) : « Elections Cameroon est un organisme
indépendant chargé de l’organisation, de la gestion et de la supervision de l’ensemble du
processus électoral et référendaire. » L’utilisation du substantif « ensemble » ne laisse aucun
doute sur le fait qu’ELECAM est venu supplanter toutes les autres structures qui étaient
impliquées dans l’organisation, la gestion et la supervision des élections et référendum au
Cameroun. Ces structures étaient le Ministère de l’administration territoriale et les diverses
commissions électorales65 dont les commissions de révision des listes électorales, les
commissions de contrôle de l’établissement et de la distribution des cartes électorales, les
commissions locales de vote, les commissions départementales de supervision, la commission
nationale de recensement général des votes, les commissions communales de supervision, les
commissions régionales de supervision. Ces structures qui précédaient ELECAM sont censées
avoir été supprimées dans la mesure où la loi créant ELECAM n’y fait aucunement mention.
La deuxième disposition vient de l’article 6 (2) qui détermine les attributions du conseil
électoral d’ELECAM. Celles-ci portent tant sur les opérations préélectorales qu’électorales.
Ainsi le conseil électoral :
65
Celles-ci furent instituées par le titre V de la loi n° 91-20 du 16 décembre 1991 fixant les conditions d’élection des députés à l’Assemblée
nationale, modifiée et complétée par la loi n° 97-13 du 19 mars 1997 et par la loi n° 2006/009 du 29 décembre 2006 ; le chapitre IV du titre
III de la loi n° 92-002 du 14 août 1992 fixant les conditions d’élection des conseillers municipaux, modifiée et complétée par la loi n°
2006/010 du 29 décembre 2006 ; le chapitre V de la loi n° 2006/004 du 14 juillet 2006 fixant le mode d’élection des conseillers régionaux et
le chapitre V de la loi n° 2006/005 du 14 juillet 2006 fixant les conditions d’élection des sénateurs.
18
- examine les dossiers de candidature et publie la liste ou les listes définitives des
candidats à l’élection présidentielle, aux élections législatives, sénatoriales, régionales
et municipales ;
- rend publiques les tendances enregistrées à l’issue du scrutin pour l’élection
présidentielle, les élections législatives et sénatoriales ;
- transmet les procès-verbaux des élections au conseil constitutionnel ou aux instances
prévues par la loi ;
- veille à ce que la liste des membres des bureaux de vote soit publiée et notifiée, dans
les délais impartis, à tous ceux qui, selon la loi électorale doivent la recevoir (…)
- contrôle la mise en place du matériel électoral et des documents électoraux dans les
délais impartis par la loi ;
- connait des contestations et réclamations portant sur les opérations préélectorales et
électorales, sous réserve des attributions du conseil constitutionnel et des juridictions
administratives compétentes ;
- ordonne les rectifications rendues nécessaires à la suite de l’examen des réclamations
ou contestations reçues, relatives aux élections ou aux opérations référendaires.
En bref, cet article confère au conseil électoral les pouvoirs de contrôle des opérations
préélectorales et électorales, cependant que les opérations électorales ou référendaires doivent
être réalisées par les soins du directeur général d’ELECAM (article 22 alinéa 2). Il s’agit là
d’attributions qui revenaient par le passé au ministère de l’administration territoriale et aux
diverses commissions électorales. En les conférant à ELECAM, le législateur mettait fin à
l’existence des commissions électorales (abrogation implicite) et retirait aussi au minatd66 ses
pouvoirs dans le cadre des élections et du référendum.
La dernière disposition montrant que la loi de 2006 a désigné ELECAM comme seul
conducteur du processus électoral et référendaire au Cameroun est l’article 42 dans ses alinéas
1 et 2. D’après l’alinéa 1er, « sont et demeurent abrogées toutes les dispositions antérieures
contraires ». Autrement dit, les textes qui créaient les commissions électorales en leur
attribuant des pouvoirs dans l’organisation et la gestion des élections sont considérés comme
ne faisant plus partie de l’ordonnancement juridique camerounais. Il en est de même du texte
qui crée et organise l’ONEL. Plus explicite est l’alinéa 2 qui dispose : « les attributions des
structures compétentes de l’Etat en matière électorale sont transférées à Elections
Cameroon ». Ces structures impliquent non seulement le Minatd, mais aussi les commissions
électorales dans la mesure où celles-ci n’avaient aucune personnalité juridique ; elles ne
pouvaient être considérées que comme des structures déconcentrées de l’Etat.
Au regard donc de toutes ces dispositions, l’administration était désormais mise hors-jeu en
matière d’organisation, de gestion et de supervision du processus électoral et référendaire. Cet
acquis va être remis en cause par le législateur à travers la loi n° 2010/005. Cette loi enlève à
ELECAM son monopole dans l’organisation et la gestion du processus électoral et
référendaire67. Elle remet dans le jeu les anciennes commissions électorales que la loi n°
66
Ministère de l’administration territoriale et de la décentralisation.
67
Article 7 (2) de la loi n° 2010/005 : « le conseil électoral organise des concertations avec l’administration, la justice, les partis politiques et
éventuellement la société civile dans le cadre de la gestion du processus électoral notamment en vue de la constitution des commissions
mixtes électorales prévues par la loi »
19
2006/011 avait supprimées. La seule différence qui existe entre les commissions électorales
créées par la loi de 2010 et celles qui les précédaient est que les nouvelles sont présidées
désormais par un représentant d’ELECAM et l’administration n’y dispose désormais que d’un
seul représentant là où par le passé elle en avait plusieurs. Ce retour à la situation initiale
traduit bien la fébrilité du gouvernement et du parti au pouvoir qui entendent s’assurer les
victoires électorales par tous les moyens. Et pour cela, il est nécessaire d’avoir une mainmise
sur l’organisation et la gestion des opérations préélectorales et électorales. Pour sa part, le
gouvernement indiquait dans l’exposé des motifs du projet de loi suscité que telle qu’élaborée
en 2006, la loi « consacre le monopole de l’organisation, de la gestion et de la supervision de
l’ensemble du processus électoral par ELECAM, à l’exclusion des partis politiques et des
administrations de l’Etat ». Une option qui, de l’avis des rédacteurs du texte, « ne garantit
cependant pas l’efficacité recherchée et la maitrise des complexités de la transition vers le
nouveau système de gestion des élections ainsi établi »68. Une justification assez légère quand
on sait qu’ELECAM n’avait pas encore été mis à l’épreuve. En effet, ce n’est que le 13
octobre 2010 que le décret prévu à l’article 42 (4) de la loi de 2006 sera pris. L’espoir d’une
partie de la classe politique de voir un organisme indépendant organiser et gérer les élections
au Cameroun venait de s’évaporer. Malheureusement, la déconstruction de la loi n° 2006/011
n’allait pas s’arrêter là, puisque le 06 mai 2011 allait être promulguée la loi n° 2011/001
modifiant et complétant certaines dispositions de la loi n°2006/011.
Tirant les leçons de cette crise, le gouvernement camerounais a initié un nouveau projet de loi
devant modifier une fois de plus la loi n° 2006/011 portant création d’ELECAM. Une session
extraordinaire de l’Assemblée nationale fut convoquée. Elle aboutira à l’adoption de la loi n°
2011/001 du 06 mai 2011. Il ressort de cette nouvelle modification qu’ELECAM, et
précisément son conseil électoral, n’a plus le pouvoir de rendre publiques les tendances
enregistrées à l’issue des scrutins. De toute évidence, le pouvoir a craint que les manipulations
électorales auxquelles il a l’habitude de s’adonner n’éclatent au grand jour du fait des voix
discordantes entre ELECAM et le conseil constitutionnel. Quelle crédibilité aurait le système
électoral si ELECAM annonçait des tendances favorables à l’opposition alors que le conseil
constitutionnel déclarait de son côté le parti au pouvoir vainqueur ? Cette modification traduit
la fébrilité du parti au pouvoir soucieux de son image auprès de l’opinion nationale et
internationale tout en voulant se maintenir au pouvoir par tous les moyens. En réduisant au
68
Lire le dossier : « Rétrospective 2010 : les raisons d’espérer », in www.nkul-beti-camer.com
69
« Crise ivoirienne », Wikipédia.
20
silence ELECAM, le pouvoir a évité une contradiction qui aurait permis de jeter l’opprobre
non seulement sur le processus électoral, mais aussi et surtout sur le conseil constitutionnel
qui serait alors accusé de connivence avec le pouvoir. Cette dernière modification de l’article
6 (2) de la loi de 2006 enlevait définitivement à ELECAM la dernière possibilité (quoique peu
probable) qu’il avait d’influer sur le processus électoral dans le sens de l’expurger de toutes
les pratiques abjectes qui l’ont jusqu’ici entaché.
Et d’ailleurs le pouvoir ne s’est pas contenté de réduire au silence ELECAM. Hanté par le
scénario ivoirien de 2010-2011, il a étendu l’interdiction de publier les tendances aux médias,
ceci à l’occasion des élections législatives et municipales du 30 septembre 2013. Les
autorités70 ont justifié cette mesure par la volonté de laisser au conseil constitutionnel « la
primeur de la diffusion des informations sur l’issue des scrutins »71. Toutefois, l’interdiction
ainsi formulée était illégale dans la mesure où l’article 113 de la loi n° 2012/001 du 19 avril
2012 portant code électoral, modifiée et complétée par la loi n° 2012/017 du 21 décembre
2012 semble rétablir le droit à la publication des tendances des scrutins en disposant
qu’ « immédiatement après le dépouillement, le résultat acquis dans chaque bureau de vote est
rendu public ». C’est un revirement du législateur que le CNC72 n’a manifestement pas perçu.
Précisons néanmoins que cette fois, la publication des tendances n’est plus du ressort
d’ELECAM, mais des commissions locales de vote.
Au bout du compte, pas grand-chose n’a changé dans l’organisation et la gestion des
opérations électorales au Cameroun. On est parti en 1992 des élections gérées par les
commissions électorales dominées et contrôlées par l’administration aux élections qui
devaient être organisées et gérées par un organisme indépendant (ELECAM) pour revenir très
vite à la configuration du départ, c’est-à-dire des commissions électorales, certes chapeautées
par ELECAM, mais ayant toujours en leur sein des représentants de l’administration. Ceci n’a
donc contribué ni à mettre fin aux fraudes électorales, qui se sont poursuivies, ni à apaiser le
climat de suspicion qui grève les élections au Cameroun depuis 1992. Dans ce contexte, la
bouée de sauvetage du processus électoral ne pouvait que se trouver dans le système du
contentieux électoral qui entre temps a subi un réaménagement conséquent.
70
Le conseil national de la communication.
71
Alexandre T. Djimeli, « Elections : le CNC aux prises avec les médias », Actualité du 19/10/2013 in icicemac.com/actualite
72
Conseil National de la Communication
21
Pour le Pr. Maurice Kamto, le contentieux électoral est « l’ensemble des contestations ou de
litiges liées à l’organisation, au déroulement et aux résultats des élections, ainsi que de
l’ensemble des règles régissant la solution de ces litiges par le juge.»73 Il est conforté dans ce
sens par le Pr. Djedjro Francisco Meledje74 pour qui, c’est « l’opération qui vise à régler les
litiges mettant en cause la régularité des processus électoraux»75. Autrement dit, c’est le
règlement par des organes juridictionnels d’un différend lié aux élections. « Il est
incontournable pour assurer la crédibilité de la consultation électorale. L’existence du
contentieux et sa fiabilité sont un signe de la légitimité des procédures de désignation des
gouvernants (…) Il vaut mieux organiser le contentieux électoral que d’avoir recours aux
violences postélectorales »76.
Le Cameroun semble s’être approprié cette vision des choses. En effet, après avoir été plus ou
moins contraints de restaurer le multipartisme77, les pouvoirs publics du Cameroun devaient
logiquement organiser des compétitions électorales. Et afin d’éviter que celles-ci ne
dégénèrent en guerre civile, il fallait mettre en place un système de contentieux électoral de
nature à garantir la régularité des processus électoraux. Ce contentieux fut mis en place
d’abord de manière disparate par les lois n° 91/20 du 16 décembre 1991 fixant les conditions
d’élections des députés à l’Assemblée nationale, la loi n° 92/10 du 17 septembre 1992 fixant
les conditions d’élection et de suppléance à la présidence de la république, la loi n° 92/002 du
14 août 1992 fixant les conditions d’élection des conseillers municipaux, mais aussi de
manière incidente par l’ordonnance n° 72/6 du 26 août 1972 fixant l’organisation de la cour
suprême. Toutes ces lois trouvaient leur fondement dans l’alinéa 4 de l’article 32 de la
constitution initiale du 2 juin 1972 d’après lequel « la cour suprême est chargée de statuer
souverainement sur les litiges qui lui sont expressément attribués par la loi ». C’est
conformément à cette disposition que la loi n° 92/010 du 17 septembre 1992, en son titre IX78
confiait à la cour suprême le contentieux électoral concernant l’élection présidentielle. La loi
91/20 en faisait de même pour le contentieux des élections à l’Assemblée nationale alors que
le chapitre IX de la loi n° 92/002 du 14 août 1992 réservait au juge administratif compétence
exclusive pour connaitre du contentieux des élections municipales.
Or, il se trouve que les règles qui présidaient à la résolution des litiges électoraux par le juge
n’étaient pas de nature à lui permettre de régulariser véritablement les opérations électorales.
Par exemple, la cour suprême qui était le juge du contentieux de l’élection présidentielle et de
l’élection des députés à l’Assemblée nationale devait trancher les litiges conformément aux
73
M. Kamto, « Le contentieux électoral au Cameroun », Lex Lata, n° 20, novembre 1995, p/3 in Mbassi Bedjoko, Le processus électoral au
Cameroun, mémoire de master droits de l’Homme et action humanitaire, 2004.
74
Doyen de la faculté de droit de l’Université d’Abidjan
75
Djedjro Francisco Meledje, « Le contentieux électoral en Afrique », n° 129, Le Seuil, p.256, 2009 in www.cairn.info
76
Ibidem
77
C’est le sommet France-Afrique tenu dans la commune française de La Baule Escoublac en juin 1990 qui va finir par infléchir la position
du gouvernement camerounais quant au multipartisme. De retour du sommet, le président Biya convoque en juillet 1990 un congrès
extraordinaire du RDPC au cours duquel il prépare ses camarades au retour vers le multipartisme. Au sortir de ces assises, Paul Biya
demande à ses collaborateurs de préparer l’ensemble des textes relatifs à la liberté associative au Cameroun. Une commission de révision de
la législation sur les libertés publiques est créée le 21 juillet. Les textes préparés sont déposés à l’Assemblée nationale qui les adoptera. Parmi
eux figure la loi n° 90/005 du 19 décembre 1990 portant partis politiques.
78
Article 93 (1) : « La cour suprême peut faire droit à toute requête adressée par un éligible, un parti politique ou un candidat à l’effet
d’annuler les opérations électorales. »
22
Ces limites du juge du contentieux de l’élection présidentielle ont du reste été observées à
l’occasion de la proclamation des résultats de l’élection présidentielle du 11 octobre 1992. En
effet, « après avoir énuméré une longue liste de fraudes électorales avérées, constatées au
cours de ce processus électoral (…) le président de la cour suprême (…) déclarera Paul Biya
élu président de la république, parce que, dit-il, il ne disposait d’aucune possibilité juridique
pour sanctionner les fraudes constatées. »79 On se souvient qu’à la suite de cette proclamation,
il y eut des violences à l’origine de l’état d’urgence qui sera décrété plus tard80.
Pour rectifier le tir, le contentieux électoral va être quelque peu repensé. A la place de la cour
suprême sera institué le conseil constitutionnel dont l’une des missions sera de veiller sur la
régularité de l’élection présidentielle, parlementaire et des consultations référendaires. Le juge
administratif va conserver sa compétence sur le contentieux de l’élection municipale ; mais,
celle-ci sera élargie au contentieux des élections régionales et il sera procédé à une
réorganisation du juge administratif.
Après l’expérience démocratique ratée de 1992 et l’inertie de la cour suprême face aux
fraudes électorales de tous genres, le pays était plus que jamais mis sous pression dans le sens
d’instaurer un véritable système démocratique. En effet, « au sommet du Commonwealth de
Chypre d’octobre 1993, l’admission81 du Cameroun a encore été différée, le pays ne
respectant pas les critères préalables »82 parmi lesquels l’établissement d’un système
démocratique. Prenant en compte ces exigences, le gouvernement va déposer le projet de loi
n° 590/PLI/AN sur le bureau de l’Assemblée Nationale en décembre 199583. De l’exposé des
motifs de ce texte, il ressort que le gouvernement voulait « consolider l’option démocratique
79
Samuel Mack-Kit, « Les élections au Cameroun », 2007.
80
« Des marches de protestation ont été organisées à Douala, violemment réprimées par les forces de sécurité. Des émeutes ont éclaté dans le
Nord-Ouest, où l’état d’urgence a été décrété le 27 octobre. La violence est devenue extrême. A Bamenda, un leader d’un parti de la majorité
présidentielle est mort dans l’incendie de sa maison (…) De nombreux leaders et militants de l’opposition ont été arrêtés. Fru Ndi a été placé
en résidence surveillée dans son fief de Bamenda. Des ressortissants de l’Ouest et des Anglophones, accusés d’avoir voté pour lui, ont été
victimes de violences dans le Sud du pays, dans la région de Biya… » (Fanny Pigeaud, 2011, p. 59)
81
Le Cameroun avait formulé une demande d’admission au Commonwealth en 1989
82
Piet Konings, « Le problème anglophone au Cameroun dans les années 1990 », p.31)
83
Mais ce projet de loi est déposé après l’admission du Cameroun au Commonwealth le 1 er novembre 1995. Cette admission s’est faite
« bien que le Cameroun n’ait pas fait de grands progrès sur le plan démocratique (…) La Grande-Bretagne (…) a voté pour l’admission
estimant que ceci obligerait le régime Biya à être « plus convenable » politiquement (…)»
23
et libérale du Cameroun… »84De l’Assemblée nationale, il ressortit une loi « portant révision
de la constitution du 2 juin 1972 ». Son titre VII est consacré au Conseil constitutionnel,
structure distincte du pouvoir judiciaire, lui institué par le titre V.
De prime abord, le Conseil constitutionnel se veut le garant de l’Etat de droit. Mais l’article
48 de cette loi constitutionnelle a décidé de faire de lui le garant du système démocratique
camerounais : « Le Conseil constitutionnel veille à la régularité de l’élection présidentielle,
des élections parlementaires, des consultations référendaires. Il en proclame les résultats. »
Mais alors, qu’est-ce qui garantit que le Conseil constitutionnel réussira là où la cour
suprême, plus haute juridiction de l’ordre judiciaire, a échoué ? Pour cette question, il faudra
tout d’abord convoquer le professeur Vignon pour qui « l’idée de création d’une juridiction
constitutionnelle indépendante et placée en dehors du pouvoir judiciaire procède de la volonté
de rompre avec un pouvoir marqué par son passé. La réputation du pouvoir empêchait que
soit directement confié aux juridictions ordinaires le soin de trancher des questions de
constitutionnalité et d’assurer la primauté des droits inclus dans la constitution, le pouvoir
judiciaire ayant en effet été marqué depuis l’indépendance par ses liens avec le pouvoir
exécutif et sa faible volonté de promouvoir un système juridictionnel indépendant de toute
pression politique.»85 En fait, il est reproché au pouvoir judiciaire en Afrique, et
particulièrement au Cameroun, son accointance avec le pouvoir exécutif dont il contribue au
maintien en place en couvrant toutes sortes d’irrégularités électorales en sa faveur. Cette
situation n’a cependant rien d’étonnant connaissant la nature et les origines des pouvoirs
politiques en place dans les ex-colonies françaises. Encore que pour le cas de la cour suprême
du Cameroun, le constituant et le législateur de 1972 n’ont pas voulu une cour suprême
émancipée du pouvoir exécutif. C’est ainsi que l’article 33 de la constitution initiale de 1972
et l’article 4 (1) de la loi n° 72/6 portant organisation de la cour suprême disposaient ceci :
« lorsque la cour suprême est appelée à se prononcer dans les cas86 prévus aux articles 7, 10 et
27 (de la constitution de 1972), elle est complétée à nombre égal par les personnalités
désignées en raison de leur compétence et de leur expérience pour une période d’un an par le
président de la république ». Il s’agissait donc d’une manière assez subtile d’amoindrir le
pouvoir des magistrats, mieux de les assujettir aux hommes politiques. C’est donc pour
contourner ces obstacles que le constituant de 1996 a créé le Conseil constitutionnel tout en
lui fournissant les éléments qui lui permettront de veiller effectivement à la régularité des
élections au Cameroun.
Le premier de ces éléments était l’indépendance à lui conférée par le constituant et législateur
à travers l’inamovibilité des membres nommés du conseil constitutionnel. Ce principe
d’inamovibilité a d’abord été consacré par l’article 51 (1)87 de la loi constitutionnelle initiale
de 1996. Il fut repris par l’article 788 de la loi n° 2004/004 du 21 avril 2004 portant
84
Léopold Donfack Sokeng, « Existe-t-il une identité démocratique camerounaise ? La spécificité camerounaise à l’épreuve de l’universalité
des droits fondamentaux » in polis.sciencespobordeaux.fr>donfack
85
Yao Biova Vignon, « La protection de droits fondamentaux dans les nouvelles constitutions africaines », Revue nigérienne de droit, n° 3,
décembre 2000, pp. 92-93 in Zbigniew Paul Dime Li Nlep op. cit.
86
Les cas auxquels il était fait référence sont : la constatation de l’empêchement définitif du président de la république (article 7), le contrôle
de constitutionnalité des lois (article 10), le cas de doute ou de litige sur la recevabilité d’un texte de proposition ou de projet de loi devant
l’Assemblée nationale (article 27)
87
« Le conseil constitutionnel comprend 11 membres désignés pour un mandat de 9 ans non renouvelable ».
88
« Le conseil constitutionnel comprend 11 membres désignés pour un mandat de 9 ans non renouvelable »
24
La seconde force dont peut se prévaloir le Conseil constitutionnel par rapport à la cour
suprême lui est donnée par l’article 14 de la loi n° 2004/004 précitée. Celui-ci dispose en son
alinéa 1 que « les décisions et les avis du conseil constitutionnel comportent les visas des
textes applicables, les moyens de fait sur lesquels ils se fondent et un dispositif. » Avec cette
disposition, le juge constitutionnel se voit investi de plus de pouvoirs que son homologue de
la cour suprême qui ne peut statuer que sur les points de droit parce que les juges inférieurs
statuent souverainement sur les faits. Autrement dit, le conseil constitutionnel a le pouvoir
d’examiner les faits matériels liés aux élections afin de se prononcer sur la régularité du
scrutin. C’est aussi dire que le conseil constitutionnel n’est pas lié par les procès-verbaux qui
lui sont transmis par la commission nationale de recensement général des votes alors que la
cour suprême l’était lorsqu’il fallait proclamer les résultats de l’élection présidentielle (article
98 de la loi n° 92/010).
89
« Les membres du Conseil constitutionnel sont inamovibles. Leur mandat ne peut être ni renouvelé ni révoqué ».
90
C’est la dénomination des membres du Conseil constitutionnel
91
Ils sont différents des conseillers de droit qui sont les anciens présidents de la république
92
Etienne Kenfack Tenfack, « L’autorité de la norme constitutionnelle au Cameroun », DEA de droit public, Université de Douala, 2005.
93
Ibidem
94
Article 51 (nouveau)
25
Tous ces atouts restent cependant une vue de l’esprit, le conseil constitutionnel n’étant pas
encore mis en place. Et il ya même à craindre que les fruits ne tiennent pas la promesse des
fleurs car on connait l’état de la gouvernance au Cameroun et l’on est au fait de la quasi-
absence du goût du risque qui anime bon nombre de personnalités publiques camerounaises.
En effet, au-delà de toutes les garanties légales d’indépendance qui peuvent être accordées à
une institution, c’est surtout l’esprit d’indépendance animant les personnes qui l’incarnent qui
permet à cette institution de jouer pleinement son rôle. En tout cas, l’avènement tant attendu
du conseil constitutionnel nous fixera sur sa capacité à faire des élections présidentielles et
parlementaires au Cameroun des scrutins dénuées de fraudes et reflétant la réalité des urnes. A
cet exercice, les juridictions administratives s’y frottent depuis quelques années. Au départ,
elles devaient se borner à assurer la régularité des élections municipales ; mais depuis la
réforme constitutionnelle de 1996, leur compétence a été étendue aux élections régionales.
Cette mutation a nécessité une restructuration de la juridiction administrative.
plus du contentieux des élections municipales, ces mêmes juridictions sont compétentes
désormais pour connaitre du contentieux des élections régionales100.
Celles que nous mettrons en exergue se rapportent aux délais de saisine du juge qui ont été
revus à la baisse par rapport à la situation antérieure à 2006. En effet la loi n° 92/002 du 14
août 1992 fixant les conditions d’élection des conseillers municipaux donnait 10 jours aux
candidats ou aux électeurs, à compter de la date de proclamation des résultats par la
commission communale de supervision, pour former tout recours en annulation devant le juge
administratif102. Ce délai a été ramené à 5 jours par l’alinéa 2 de l’article 194 du code
électoral. Ce raccourcissement des délais de saisine va à l’encontre des intérêts du justiciable
qui n’aura pas suffisamment de temps pour rassembler tous les éléments103 nécessaires au
succès de sa prétention ; ce qui vouerait probablement sa requête au rejet. De même le délai
accordé au juge pour vider le contentieux des élections municipales a été abrégé par rapport à
la situation de 1992. Alors qu’il avait 60 jours à compter de la date de saisine pour statuer104,
le juge du contentieux des élections municipales n’en a désormais que 40. Ce
raccourcissement est-il de nature à permettre un travail efficace du juge, surtout quand on sait
la pléthore de recours en annulation de résultats qui sont souvent formulés ?
Au-delà de ce recul, on décèle une volonté du législateur d’amener le juge du contentieux des
élections municipales et régionales à effectuer un travail plus efficient, empreint de moins de
subjectivité. Dans l’ancien texte, le contentieux des élections municipales relevait de la
compétence du président de la juridiction saisie105. Aujourd’hui, il y aurait comme un
glissement vers une solution de collégialité dans la mesure où l’alinéa 3 de l’article 194 du
code électoral n’utilise pas le mot « président » mais celui de « juridiction administrative ». Si
cette option se confirme, les décisions dans ce domaine seraient revêtues de plus d’objectivité.
Cependant, un souci demeure : le pouvoir exécutif a gardé le contrôle sur les organes
compétence pour connaitre en premier ressort du contentieux des élections municipales et régionales puisqu’elle dispose que la chambre
administrative de la cour suprême connait en appel ce contentieux ; ce qui suppose que les juridictions inférieures tranchent en premier
ressort. Or, seuls les tribunaux administratifs constituent des juridictions administratives inférieures.
100
Les régions ont été créées par la loi constitutionnelle du 18 janvier 1996 en tant que collectivités territoriales décentralisées (article 55
alinéa 1). Elles remplacent les circonscriptions administratives qu’étaient les provinces (article 61 alinéa 1). L’organe délibérant de la région,
le conseil régional, est constitué à la suite d’élections dites régionales (article 57 alinéa 1de la loi constitutionnelle du 18 janvier 1996).
101
Contentieux des élections locales.
102
Article 34 (2).
103
De fait et de droit
104
Article 34 (3) loi n° 92/002 du 14 août 1992 précitée.
105
« Le président statue dans un délai de 60 jours à compter de la date de saisine »
27
Pour pouvoir légitimer les procédures de désignation des gouvernants, le contentieux électoral
doit lui-même être fiable. L’un des éléments de sa fiabilité réside dans l’indépendance des
juridictions et des juges appelés à vider les contentieux. Or, en la matière, le constituant de
1972, puis celui de 1996 ont clairement placé les organes juridictionnels sous l’emprise du
pouvoir exécutif. Précisément, la constitution du 2 juin 1972 donnait déjà au président de la
république le pouvoir de nommer les magistrats (article 31). C’est dire que le président de la
république avait la possibilité de placer à la tête des juridictions appelées à connaitre du
contentieux électoral des hommes dont il se serait au préalable assuré la loyauté. Le
constituant de 1996 n’a pas changé de cap. Le président de la république continue de nommer
les magistrats, même s’il est assisté dans cette mission par le conseil supérieur de la
magistrature. Ainsi en nommant les juges des tribunaux administratifs, le président de la
république garderait potentiellement un contrôle sur l’issue des élections régionales et
municipales, surtout que ces magistrats ne sont pas inamovibles. Inamovibilité qu’ont perdue
les membres nommés du conseil constitutionnels. Ceux-ci le sont aussi par le même président
de la république, quand bien même, tous ne sont pas désignés par lui106. Dans tous les cas, en
l’état actuel du fonctionnement des institutions, le Sénat, l’Assemblée nationale et le conseil
supérieur de la magistrature sont plus qu’assujettis au président de la république qui est la clé
de voûte du système politique camerounais. Dans une telle configuration, même le
contentieux électoral n’est pas de nature à restaurer la sérénité dans les esprits. Bien au
contraire, il fait l’objet de méfiance et de suspicion. Au lieu de purger « le scrutin de tous les
vices susceptibles d’entacher la légitimité interne et internationale des élus »107, le contentieux
électoral n’est pas loin de raviver les contestations électorales. Il y a même lieu de craindre
qu’il devienne un jour « un facteur de conflits »108. « En effet, au lieu d’être un facteur
d’apaisement des conflits, par un règlement impartial des litiges électoraux, il offre l’image
d’un champ miné par la corruption avec une dépendance vis-à-vis du politique et des
jurisprudences à « éclipses » »109.
106
Effectivement le, Président de la république ne désigne que trois membres du conseil, le président du sénat en désigne aussi trois ; pareil
pour le président de l’Assemblée nationale alors que le conseil supérieur de la magistrature n’en désigne que deux. Cependant, toutes ces
institutions sont totalement dévouées au président de la république. Il ne serait pas excessif de penser qu’elles se référeraient à lui pour la
désignation indiquée.
107
Léon Dié Kassabo, « Le contentieux de l’élection présidentielle en Afrique », janvier 2014, p.2 in afrilex.u-bordeaux4.fr >sites >IMG
>pdf
108
Ibidem. P.3
109
Ibidem P.5
28
CONCLUSION
110
De 1966 à 1990
111
Au Cameroun quasiment tous les cadres de la haute administration sont membres du RDPC.
112
Notamment Cabral Libii Li Ngué
29
BIBLIOGRAPHIE
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Nationale
Loi n° 92/002 du 14 août 1992 fixant les conditions d’élection des conseillers municipaux
Loi n° 2004/005 du 21 avril 2004 fixant le statut des membres du conseil constitutionnel
Loi n° 2006/011 du 29 décembre 2006 portant création d’un Observatoire National des
Elections
Loi n° 2012/001 du 19 avril 2012 portant code électoral, modifiée et complétée par la loi n°
2012/017 du 21 décembre 2012