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CONSTITUTIONNALISME ?
Antonino Troianiello
Gallimard | « Le Débat »
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2003/2 n° 124 | pages 58 à 72
ISSN 0246-2346
ISBN 9782070708987
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d’affirmer le caractère « autonome ». Le but de « grand dessein » européen justifie de vouer aux
la manœuvre est clair : il s’agit de mettre la gémonies tout ce qui, dans le débat sur les droits
construction européenne à l’abri du souverain fondamentaux, ou plutôt dans le concert de
en évinçant ce dernier de la procédure consti- louanges qui en tient lieu, apporterait une fausse
tuante. La mise en place d’une constitution note. Peu importe, donc, que notre droit public
européenne est à ce prix. La récente charte des soit entraîné vers cette subjectivité brumeuse
droits fondamentaux obéit d’ores et déjà à cette chère à la pensée germanique, ou encore l’exal-
logique, pour l’heure moins constituante qu’édi- tation de l’office du juge qu’implique ce mouve-
fiante. Elle n’est qu’une des nombreuses illus- ment où l’on discerne très nettement l’influence
trations du « coup d’État de droit 2 » auquel la du monde anglo-saxon. Peu importe, encore,
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théorie des droits fondamentaux apporte une que la théorie des droits fondamentaux soit issue
caution morale. On peut dès lors s’émouvoir de de la rencontre des deux principaux courants de
l’empressement avec lequel une majorité de la la pensée juridique concurrents du droit romain.
doctrine française y a souscrit d’emblée. Car, à Ses origines juridiques laissent présager des
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l’évidence, il ne s’agit pas d’un simple effet de jours sombres pour la res publica qu’annonce la
mode. théorie des droits fondamentaux. Si son inspira-
L’élaboration de la théorie des droits fonda- tion n’était pas si insidieusement oligarchique,
mentaux repose en effet sur un parti pris idéo- la prétention constituante qu’elle affiche en exci-
logique qui est en phase avec une aspiration pant son caractère « autonome » prêterait certai-
sociale. Au plan idéologique, l’importation nement à sourire. Mais la subversion prétorienne
d’outre-Rhin de la théorie des droits fondamen- de la logique constituante et, par là même, du
taux participe d’un projet plus vaste consistant, constitutionnalisme, liée au mode d’édiction des
dans le prolongement du jus commune qui régna droits fondamentaux, conduit hélas à prendre
sur le continent européen du Moyen Âge aux ces droits très au sérieux 4. L’érosion des fonde-
Temps modernes, à dégager du droit comparé les ments républicains du droit constitutionnel, sur
bases d’un corpus juris européen ou d’un nou- fond de désagrégation de la normativité consti-
veau jus gentium 3. Comme on aura l’occasion de tutionnelle, conduit le constitutionnalisme libé-
le montrer, le succès de cette entreprise tient à ral à une impasse.
ce qu’elle rejoint une sociologie où domine l’in-
dividualisme démocratique. À rebours de cet
enthousiasme on déplorera que la pensée juri- 2. Pour reprendre l’expression couramment reprise
dique se déleste aussi promptement de son héri- depuis le fameux article d’Olivier Cayla, « Le coup d’État de
droit ? », Le Débat, mai-août 1998, n° 100, p. 108.
tage républicain. Au point que la seule évocation 3. S’inscrivent notamment dans cette perspective les
de ce dernier est systématiquement interprétée travaux de Mme Mireille Delmas-Marty, par exemple Pour
un droit commun, Paris, Éd. du Seuil, 1994, et dans une mise
comme le signe d’une résistance à un progrès en perspective historique, ceux de J.-L. Halpérin, par exemple,
dont il n’est naturellement pas permis de douter, Entre nationalisme juridique et communauté de droit, Paris,
P.U.F., 1999.
comme un acte de sédition susceptible d’hypo- 4. Nous sommes bien loin du célèbre ouvrage de
théquer l’avenir du Babel juridique dont les Ronald Dworkin (Prendre les droits au sérieux, Paris, P.U.F.,
1995) dont on détourne ici le titre ; ce dernier exalte au
droits fondamentaux sont appelés à devenir la contraire la reconnaissance des droits moraux dont les indi-
clef de voûte. Aux yeux de ses promoteurs, le vidus seraient détenteurs face à l’État.
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soudainement frappé de vétusté. Il apparaît, aux « constitutionnellement correct » ambiant,
yeux de beaucoup, devoir être dépassé pour Anne-Marie Le Pourhiet n’a, quant à elle, pas
satisfaire les besoins de plus en plus pressants manqué de relever : « L’énormité des violations
de ce qu’il convient d’appeler une « société de de principes constitutionnels de fond reflétant le
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Mme Le Pourhiet, une notion voisine de la légitime qu’il puisse l’être au niveau local ? C’est
« préférence nationale » qui, en métropole, avait à cette attente que répond l’imminente réforme
suscité une si vive indignation. Pour en tempérer constitutionnelle sur l’organisation décentralisée
le caractère choquant, on a souvent présenté ce de la République en consacrant, aux antipodes
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moins clairement à dévoyer le caractère transi- semble être, le communautarisme n’est rien
toire d’une disposition conçue, non pas pour d’autre que la forme la plus subtile prise par un
enferrer à jamais des populations fraîchement individualisme qui ne saurait décemment s’affir-
entrées dans le cadre de le République dans leurs mer comme tel, une « ruse de la raison indivi-
particularismes, mais, tout au contraire, pour dualiste » visant à s’affranchir des pesanteurs de
permettre leur intégration progressive et libre- l’égalité. Un peu à la façon du célèbre cheval de
ment consentie ; la citoyenneté reposant précisé- Troie, un individualisme radical se dissimule
ment, selon l’idéal républicain, sur ce postulat derrière l’alibi de la spécificité culturelle. Si bien
– au demeurant plein d’exigence envers soi- que le communautarisme est un individualisme
même – de l’aptitude de la conscience humaine qui, le plus souvent, s’ignore. On s’en aperçoit
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à s’autodéterminer. indiscutablement lorsque, faute de singularité
culturelle vraisemblable à invoquer, cet indivi-
L’égalité devant la loi dualisme doit avancer à visage découvert en
frappée d’obsolescence excipant une spécificité qui n’est plus que
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vaguement catégorielle.
Au postulat républicain du libre arbitre on Cela est visible, par exemple, s’agissant
objecte de façon croissante le fait – c’est-à-dire des revendications féministes ou homosexuelles
le constat sociologiquement avéré et se présen- puisque, de toute évidence, à l’exception de
tant en tant que tel indiscutable – qu’il existerait quelques cas pathologiques, l’immense majorité
des déterminismes culturels inexpugnables dont des femmes et des homosexuels n’aspire pas à
le droit tirerait grand avantage à mieux rendre vivre en communautés. On admettra dès lors que
compte. Le « pluralisme culturel » qui en décou- le discours communautaire n’est que le tremplin
lerait devrait notamment nous inciter à reconsi- d’aspirations qui demeurent foncièrement indi-
dérer l’acception républicaine de l’égalité qui vidualistes. En tant qu’il sert simplement de
serait vécue comme un carcan en raison de son porte-voix à des coalitions d’intérêts particuliers,
caractère abstrait et uniformisant, et accuserait le discours communautariste n’a pas de finalité
une rupture croissante avec les exigences du sectaire. La reconnaissance d’une communauté
réel. C’est ce diagnostic d’un prétendu plura- en tant que telle n’est qu’un détour permettant
lisme culturel qui fonde la plupart des revendi- de conforter l’autonomie irréductible des indivi-
cations « communautaristes » auxquelles la dus qui la composent. C’est dans cette perspec-
théorie sociologisante, dite de « l’anthropologie tive qu’il convient d’appréhender le si controversé
juridique », tend à conférer une légitimité acadé- Pacte civil de solidarité ou encore la reconnais-
mique. À bien y regarder cependant, on relève sance de la parité par la révision du 8 juillet 1999,
que les revendications que l’on englobe sous le où l’on a vu le pouvoir constituant dérivé consa-
label trompeur du communautarisme sont très crer de manière éclatante un phénomène, jus-
hétérogènes. Et ce n’est pas le moindre des para- qu’alors rampant, de ségrégation constitutionnelle.
doxes d’observer que, bien souvent, elles ne se Il s’est agi là, en s’inspirant de la théorie anglo-
fondent seulement qu’en apparence sur le souci
de protéger une singularité culturelle. On est dès coutumiers dans le droit constitutionnel français », Droit
lors enclin à penser que, en dépit de ce qu’il constitutionnel local (sous la dir. d’A.-M. Le Pourhiet), Paris,
Economica-P.U.A.M., 1999, p. 221.
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saxonne en vogue des « discriminations posi- retenue par à la décision du Conseil constitu-
tives », d’admettre une exception compensatoire tionnel du 22 janvier 1999, alors que, au même
au principe d’égalité afin de permettre une meil- moment, le président du Conseil constitutionnel
leure insertion des femmes – en tant qu’indivi- faisait l’objet de poursuites pénales. C’est enfin
dualités et non en tant que femmes – dans la vie avec la loi du 10 juillet 2000, « tendant à préci-
publique. Pour autant, on ne saurait pourtant ser la durée des délits non intentionnels 12 », que
envisager qu’avec circonspection l’argument l’irresponsabilité pénale des représentants
avancé selon lequel la parité permettrait l’ins- atteint son acmé. Compte tenu du large consen-
tauration d’une égalité plus concrète. Car, là sus dont son vote a été entouré dans une
encore, le processus de positivisation qui est à ambiance auto-amnistiante, ce texte n’a, comme
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l’œuvre menace d’épuisement même le principe on pouvait s’en douter, pas été déféré au Conseil
dont il prétend assurer la consécration. En effet, constitutionnel.
la démultiplication des exceptions compensa- Ainsi, la mise en question du principe d’éga-
toires au principe d’égalité n’est en rien motivée lité s’observe autant entre les citoyens et leurs
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par une passion égalitaire. Tout au contraire, elle représentants qu’entre les citoyens eux-mêmes.
atteste de la propension croissante des individus Cette déréliction du principe républicain par
à se penser plutôt au travers de ce qui les diffé- excellence témoigne d’un bouleversement
rencie que de ce qui les rassemble, c’est-à-dire éthique au terme duquel ce qui est en cause n’est
hors des catégories républicaines. rien de moins que la citoyenneté. Ce terme, note
À côté de cette altération catégorielle, le Dominique Schnapper, est galvaudé : jugé pas-
principe d’égalité est également mis en question séiste il y a vingt ans, il est aujourd’hui comme
entre les citoyens et leurs représentants. Certes, un nouveau talisman qu’on brandit pour appuyer
ces derniers jouissent traditionnellement d’im- toute revendication 13. Cette dépréciation s’ex-
munités et de privilèges de juridiction justifiés plique aisément : lorsque plus aucune valeur ne
par la vulnérabilité particulière à laquelle leur rassemble véritablement, sinon l’idée même
mandat les expose. On peut néanmoins se que tout se vaut et s’équivaut, l’éthique républi-
demander si le renforcement de ces dispositifs caine fondée sur le civisme n’est plus viable. Si
dérogatoires au droit commun n’atteint pas un cette analyse se confirme, une nouvelle étape du
niveau tel qu’il perd toute vraisemblance au processus de sécularisation serait appelée à
regard de son objectif initial. Il apparaît en effet lui succéder, annonçant, selon l’analyse de
que les représentants jouissent désormais d’une Gilles Lipovetsky, le basculement dans l’ère de
authentique irresponsabilité de fait devant les « l’après-devoir ». Cette nouvelle époque se tra-
juridictions répressives. On ne peut être que son- duisant par la crise du principe de responsabilité
geur, par exemple, devant la « dispense de peine » et « la montée des exigences authenticitaires, du
créée de toutes pièces par la Cour de justice de droit à être soi-même, hors de toute imposition
la République en faveur d’un ministre condamné
à l’occasion de l’affaire du sang contaminé. De 12. Loi n° 2000-647 tendant à préciser la durée des
même, on ne peut que s’interroger sur les motifs délits non intentionnels, Journal officiel du 11 juillet 2000,
p. 10484.
d’opportunité qui entourèrent l’interprétation 13. Dominique Schnapper, Qu’est-ce que la citoyenneté ?,
très extensive de l’immunité du chef de l’État Paris, Gallimard, coll. « Folio Actuel », 2000.
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cables à tous, précisément parce que tous
acceptaient de se reconnaître en elles. Or, tel
Les deux révisions constitutionnelles entre- semble être de moins en moins le cas. Au fond,
vues ont consenti d’invraisemblables sacrifices c’est la vieille représentation d’un pouvoir exté-
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afin de permettre que des prétentions catégo- rieur à ceux qu’il a vocation à régir qui achève
rielles accèdent au statut constitutionnel. S’en d’être mise en question. La Révolution démo-
tenant aux apparences, c’est-à-dire à leur carac- cratique avait reconduit cette représentation
tère apparemment collectif, la doctrine en est transcendante aux soubassements indéniable-
restée à une analyse très superficielle des reven- ment religieux, parce que plutôt que de mettre
dications catégorielles en les prenant pour telles. en cause la symbolique traditionnelle de l’auto-
Or, l’individualisme en favorise une lecture radi- rité, il lui a semblé opportun de se l’approprier ;
calement différente qui non seulement conduit à d’autant que sa logique de dissemblance entre le
dépasser l’habituelle litanie du « déclin de l’uni- pouvoir et ceux qu’il a vocation à régir, confor-
versalisme », mais permet – et c’est là tout son tait l’instauration de la représentation, indispen-
intérêt – de rapprocher des concepts aussi appa- sable à l’avènement de la démocratie en tant
remment étrangers que le communautarisme et qu’elle permettait au tiers état, conformé-
les droits fondamentaux, en montrant qu’ils sont, ment en cela à l’analyse de Sieyès, d’accéder à
en définitive, les produits dérivés du même phé- l’existence politique en se figurant 15. À l’ère de
nomène. En effet, à l’instar des revendications « l’après-devoir » on est plus que jamais conscient
catégorielles dont elle constitue parfois le pro- que le pouvoir n’est pas de nature métaphysique,
longement, la consécration de droits fondamen- mais qu’il répond à des déterminations humaines.
taux toujours plus nombreux s’inscrit dans ce Corrélativement, puisque le pouvoir est résolu-
même mouvement de désagrégation des soubas- ment de ce monde, ceux qui l’exercent sont
sements républicains du droit constitutionnel. jugés incapables de dégager un authentique inté-
Au point que l’on en vient à se demander si, à rêt général. Cette lucidité du corps social frappe
terme, le dépassement de l’État de droit par la
14. Gilles Lipovetsky, Le Crépuscule du devoir. L’éthique
société de droit n’annonce pas le spectacle déso- indolore des nouveaux temps démocratiques, Paris, Gallimard,
lant d’une guerre juridique de tous contre tous. 1992.
15. Voir, sur ce point, les précieuses analyses de Mar-
cel Gauchet, La Révolution des pouvoirs. La souveraineté, le
peuple et la représentation, 1789-1799, Paris, Gallimard, 1995.
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taire qui sous-tend le processus de positivisation entrevoir leurs soubassements idéologiques,
de la philosophie des droits de l’homme dont la c’est-à-dire un libéralisme dévoyé. En effet, alors
théorie des droits fondamentaux est issue. que les droits de l’homme et, dans leur sillage,
Quand bien même fait-il écho à une anthro- les libertés publiques véhiculaient un imaginaire
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pologie dominée par l’individualisme, le proces- collectif, un projet politique auquel tous pou-
sus engagé par la mythique décision du Conseil vaient souscrire, les droits fondamentaux font au
constitutionnel de 1971 n’en soulève pas moins contraire saillir les intérêts contradictoires et les
des difficultés inédites. Le champ constitution- dissensions inhérents à toute société. Loin de
nel est notamment soumis à une pression sociale contribuer à constituer une société autour d’un
considérable entraînant « la diffusion du consti- projet politique à l’instar des droits de l’homme,
tutionnalisme au-delà du Conseil constitution- la dynamique au cœur de laquelle s’inscrit la
nel 17 ». Or, cet effet d’entraînement n’est pas reconnaissance des droits fondamentaux la
sans susciter de « malaise » dans la mesure où la déconstitue juridiquement sans autre alternative
logique prétorienne paraît elle-même débordée qu’une régulation prétorienne des tensions
par cette dissémination 18. Dispersion normative, sociales qui, dans une société post-morale, tient
débordement prétorien : ces phénomènes sont lieu, faute de mieux, de principe de cohésion.
liés au caractère centrifuge de la « reconnais-
sance » des droits fondamentaux. Car, selon la
présentation actuellement en vogue, les droits
fondamentaux sont moins « édictés » que « recon- 16. Voir, sur ce point, Lucien Scubla, « Est-il possible de
mettre la loi au-dessus de l’homme ? Sur la philosophie poli-
nus ». Et l’originalité de ce mode de production tique de Jean-Jacques Rousseau », in Introduction aux
suffirait à les distinguer des traditionnelles liber- sciences sociales. Logique des phénomènes collectifs, École
polytechnique et Ellipses, 1992.
tés publiques. À la différence de ces dernières, 17. N. Molfessis, « La dimension constitutionnelle des
note Louis Favoreu, « […] leur mode opératoire libertés et droits fondamentaux », in Libertés et droits fonda-
mentaux, Paris, Dalloz, 6e éd., 2000, p. 77.
est distinct [… car] les droits fondamentaux sont, 18. D. de Béchillon, « De quelques incidences du
en quelque sorte, des créateurs de “réflexes” ou contrôle de la conventionnalité internationale des lois par le
juge ordinaire (malaise dans la Constitution) », Revue
des “germes” ou encore des “sources de rayon- française de droit administratif, 1998, pp. 225 sq., et « Conflits
nement” destinés à faire évoluer les concepts de de sentences entre les juges de la loi », Pouvoirs, 2001, n° 96,
pp. 107 sq.
base des diverses matières concernées. En outre, 19. Louis Favoreu (sous la dir. de), Droit des libertés fon-
les droits fondamentaux ne peuvent être placés damentales, Paris, Dalloz, 2000, 1re éd., p. 12.
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De l’état de droit à la société de droit part, alors que la généralité de la norme – et, en
fin de compte, l’idée même de norme – n’est
La positivation des droits de l’homme en plus vécue que comme un carcan, ce struggle of
droits fondamentaux s’inscrit dans une logique rights paraît inévitable. Sur fond de judiciarisa-
qui exacerbe ce qui sépare les individus au détri- tion des rapports sociaux, c’est le même combat
ment de ce qui les unit. D’où l’inflation des pré- que livrent le communautarisme et les droits
tentions subjectives et catégorielles vouées à fondamentaux qui, au-delà de l’égalité, expri-
accéder au statut de droit fondamental, dans un ment communément, pour parodier la formule
contexte où, à défaut de transcendance, cette d’un célèbre stratège prussien, la continuation de
normativité n’a plus guère de fondement légitime l’individualisme par d’autres moyens. Dans le
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que la force de ceux qui réclament sa reconnais- contexte de cet « état de nature juridique », où le
sance. Cela explique, par exemple, qu’un phé- caractère fondamental d’un droit ne dépend
nomène comme le lobbying, loin de susciter plus que de la capacité de celui qui le revendique
comme autrefois la réprobation sociale, ne à imposer sa reconnaissance, c’est le juge qui est
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prend plus guère la peine de se dissimuler, mais appelé à jouer le rôle du Léviathan garant de la
est présenté par ceux qui le mettent en œuvre cohésion sociale.
comme une contribution parfaitement légitime Ce rapprochement entre la société de droit et
à la production du droit ; production dont les l’état de nature hobbesien se précise de manière
avocats de l’impermanence les plus zélés nous inquiétante lorsqu’on se penche sur les soubas-
expliquent qu’elle doit désormais s’effectuer sements philosophiques très incertains des
spontanément, c’est-à-dire sans la médiation de « droits fondamentaux ». Ces derniers sont pour
l’État 20. Or, il s’avère que cette normativité cen- certains en rupture de ban avec la philosophie
trifuge se traduit par « la projection désordonnée des droits de l’homme. On peut douter, par
d’une infinité de passions individuelles, en riva- exemple, que le droit de grève, le droit de se syn-
lité entre elles, ego contre ego », comme le note diquer, ou la liberté de communication audiovi-
Jean Carbonnier 21. En ce sens, ce prétendu suelle correspondent à des droits inhérents à la
« droit sans l’État » auréolé de post-modernité personne humaine 22. Mais le divorce entre droits
rappelle de manière inquiétante le droit naturel de l’homme et droits fondamentaux va bien plus
hobbesien, c’est-à-dire le pouvoir purement loin. Il ne se résume pas seulement à l’émer-
physique de l’homme sur la chose présent à gence de quelques « nouveaux droits » peu sus-
l’état de nature ; « droit » dont l’abdication est ceptibles de se rattacher à une prétendue nature
pourtant chez Hobbes la condition d’accès à une humaine. Il se traduit également par la mise en
société politique et à l’instauration du jus civile. question de ceux des droits qui étaient initiale-
C’est pourquoi en parodiant la célèbre image du ment considérés comme les plus intangibles.
Léviathan, on peut craindre que les revendica-
tions catégorielles et les droits fondamentaux 20. On songe notamment aux ouvrages de Laurent
n’annoncent la survenance, dans nos sociétés Cohen-Tanugi, Le Droit sans l’État, Paris, P.U.F., 1985, et
de C. Million-Delsol, L’État subsidiaire, Paris, P.U.F., 1992.
dites post-modernes, d’une « guerre juridique de 21. Jean Carbonnier, Droit et passion du droit sous la
tous contre tous ». Alors que le label éthique est Ve République, Paris, Flammarion, 1996, p. 124.
22. En ce sens, cf. G. Lebreton, Libertés publiques et droits
partout, mais l’exigence de se dévouer nulle de l’homme, Paris, Armand Colin, 5e éd., 2001, p. 25.
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Car, au fond, lorsque plus aucune vérité n’est nauté aux yeux du juge – de voir l’un des siens
dans les cœurs, lorsqu’il est interdit d’interdire, livrer délibérément sa personne à un spectacle
tout devient objet de doute. Ainsi, par exemple, de curiosité jugé indigne 23. Comme tant d’autres,
dans un contexte où la maîtrise croissante de la cet exemple atteste du relativisme axiologique
fécondation et l’exploration des marges de l’exis- dont la théorie des droits fondamentaux est le
tence nous interdisent de savoir avec certitude prolongement. On peut dès lors penser que cette
quand commence et où finit l’être humain, on dernière manifeste ce que Mme Goyard-Fabre
en vient à s’interroger sur le sens qu’il convient appelle, dans une formulation qui traduit bien
de donner au droit à la vie. À telle enseigne que la confusion mentale de notre époque, le « prag-
ceux-là même qui l’invoquent pour réclamer matisme éthico-social »24. En rupture avec la
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l’abolition planétaire de la peine de mort envisa- philosophie des droits de l’homme, les droits
gent d’y déroger avec la plus grande sérénité fondamentaux ne manifestent plus qu’un indivi-
lorsqu’il s’agit d’abréger l’existence des vieillards dualisme intransigeant qui, ayant abdiqué tout
ou des fœtus, concluant à la possibilité de se universalisme, dissimule son hédonisme radical
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débarrasser de ces derniers qui, bien que fonda- derrière un discours éthique fait de bric et de
mentalement innocents – et, partant, bien plus broc et d’une éthique fluctuant au gré des modes.
embarrassants pour notre bonne conscience –, En y souscrivant trop promptement, il nous
sont, à l’instar de tous les faibles, sacrifiés faute semble que la pensée constitutionnelle s’est
d’être en mesure de se faire entendre. fourvoyée.
Dès lors qu’elle émerge sur fond d’éclipse de
la morale républicaine, on est fondé à regarder
avec la plus grande circonspection la fameuse Le constitutionnalisme dans l’impasse
« dignité de la personne humaine » dont on n’a
pourtant de cesse de nous rebattre les oreilles à
tout propos. Ce principe, dont tous s’accordent à Si le constitutionnalisme libéral a corres-
reconnaître la dimension éminemment fonda- pondu à la préoccupation, éminemment poli-
trice, voit en effet sa signification singulièrement tique, de mettre un certain nombre de droits
brouillée depuis sa récente transformation en naturels à l’abri d’une tyrannie majoritaire, tel
droit fondamental, au point qu’on en vient à n’est assurément plus le cas. À supposer même
demander quelle prétention il peut en définitive qu’il ait existé, ce risque paraît désormais loin-
exactement fonder. En effet, alors qu’on conce- tain. Depuis quelques années, c’est un tout autre
vait initialement la notion de dignité comme défi qui a été lancé au constitutionnalisme : il ne
irréductiblement attachée à l’individu, on a pu s’agit plus guère de protéger d’une majorité
constater l’aisance avec laquelle s’est opéré son menaçante de citoyens des droits naturels pré-
retournement antimoderne ; la doctrine s’en est
notamment émue à l’occasion d’une célèbre 23. À propos de cette jurisprudence on se reportera
principalement à la communication d’Olivier Cayla, « Jeux de
affaire où le Conseil d’État la retint afin de laver nains, jeux de vilains », in G. Lebreton (sous la dir. de), Les
l’affront qui résultait pour la communauté des Droits fondamentaux de la personne humaine en 1995 et 1996,
Paris, L’Harmattan, 1998, p. 149.
nains – à tout le moins pour un groupuscule 24. S. Goyard-Fabre, Les Fondements de l’ordre juridique,
suffisamment représentatif de cette commu- Paris, P.U.F., 1992, pp. 165 sq.
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existants, mais d’assurer la production massive villienne. Après avoir scruté la jeune démocratie
de droits subjectifs à l’attention d’une population américaine, cette dernière expliquait de façon
de plus en plus atomisée. Conçu pour endiguer prémonitoire la difficulté à durablement conci-
la turbulence des passions démocratiques, le lier l’amour de la liberté et celui de l’égalité. Et
constitutionnalisme n’était guère préparé à l’éro- c’est précisément ce que l’on observe : après une
sion à la fois plus insidieuse et efficace que pro- période très longue où l’égalité a prévalu par les
duisait sur lui l’individualisme. C’est pourquoi, voies d’une limitation de la liberté par la loi, un
faisant sienne la maxime selon laquelle mieux mouvement de balancier contraire s’est produit.
vaut plier que briser, il s’est mis à son service. Il s’agit moins, désormais, d’exalter cette fameuse
Cette révolution égocratique du constitution- liberté des Modernes que de la doter enfin d’un
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nalisme a son hymne : le discours des droits contenu. Au plan des catégories juridiques, ce
fondamentaux. balancement se traduit par la relégation des tra-
ditionnelles libertés publiques au profit des droits
La dérive individualiste fondamentaux. Car le glissement sémantique ne
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effet, la règle de droit n’est plus guère appelée à vailleurs d’être représentés dans certains orga-
être déterminée à partir d’une conception abs- nismes qui est pourtant un droit fondamental
traite de l’intérêt général, jugée étroitement éga- parce que inscrit dans la Constitution. On peut
lisatrice, mais elle doit par les voies miraculeuses douter également que les “droits des consomma-
du jugement réfléchissant se dégager d’une teurs” inscrits dans la Constitution portugaise
infinité de « cas » particuliers et de la prise en correspondent à des valeurs “fondamentales”. »
compte des exigences qu’appelle leur concilia- La démonstration est claire : il n’existe pas
tion. Nous enjoignant de « prendre les droits aux de droit intrinsèquement fondamental faute de
sérieux », sous les auspices d’une régulation dont valeurs fondamentales s’imposant à tous. Un
on vante les bienfaits, cette dérive scolastique du droit est fondamental simplement parce qu’il
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constitutionnalisme s’effectue au détriment fait l’objet d’une reconnaissance constitution-
du seul principe de transcendance collective : le nelle ou conventionnelle, et ce, en dépit du fait
principe de souveraineté. La casuistique de la que cette reconnaissance est contingente. Dans
fondamentalité tend alors inévitablement au ces conditions, on doit nécessairement en
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choux gras de nuances insignifiantes dans une argument d’autorité, « l’autonomie », dont on
perspective laborieuse où l’activisme exégétique parle avec tant de ferveur, est moins celle du droit
tient lieu de pensée et l’actualité juridique de que celle de ceux qui en édictent le contenu
doctrine. On est d’autant plus surpris alors d’ap- selon la formule chère à Hobbes : auctoritas non
prendre que l’actualisation permanente de ce veritas facit jus. Rares sont ceux qui, au contraire,
qui n’est autre qu’un catalogue à la Prévert persistent à se représenter le droit comme l’éma-
constitue – au moins aux yeux de ceux qui s’y nation d’une conscience morale inhérente à la
consacrent – l’essentiel de ce qui est présenté personne humaine et, en tant que telle, fonda-
comme une œuvre de renouveau disciplinaire. mentale. La doctrine qui est, en effet, majoritai-
Cette défaite de la pensée juridique est dissimu- rement acquise au positivisme suggère que
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lée par un effet d’annonce constant : la dogma- certains droits sont fondamentaux parce qu’ils
tique des droits fondamentaux elle-même. Savant sont juridiquement consacrés comme tels. Si
assemblage de formules autoproclamatrices et bien que le caractère autonome de la théorie des
de lieux communs, l’exaspération terminolo- droits fondamentaux en vient à se confondre
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gique à laquelle donne lieu cette rhétorique vise avec l’autonomie du droit positif lui-même. En
à nous distraire, si bien que dans un contexte où tant qu’elle réduit la problématique de la fonda-
la question du sens s’est éclipsée elle fait office mentalité à celle de l’autonomie du droit positif,
de « messianisme du néant 30 ». cette démarche tend à légitimer l’ordre juridique
en vigueur.
La fonction idéologique Tout en s’opposant catégoriquement à cette
des droits fondamentaux façon de voir, c’est paradoxalement à un résultat
parfaitement similaire que les tenants du droit
L’affirmation par la majorité de la doctrine naturel moderne – qui s’affichent d’ailleurs très
du caractère « autonome » de la théorie des droits rarement comme tels – aboutissent. Principale-
fondamentaux se veut indiscutable. On est du ment représentée dans la doctrine française par
moins fondé à le croire dans la mesure où, bien Étienne Picard, cette école soutient la thèse que
que toujours invoquée, cette prétendue autono- « la fondamentalité ne s’épuise dans aucune
mie n’est en revanche jamais débattue. Et pour norme formelle 31 ». On peut en résumer l’idée
cause, elle n’est qu’un postulat idéologique dont centrale comme suit : les droits ne sont pas fon-
la fonction est bien précise : il s’agit d’alimenter damentaux parce qu’ils font l’objet d’une recon-
en permanence un discours dissimulant, par un naissance constitutionnelle, mais ils font l’objet
effet d’annonce récurrent, la renonciation de la d’une reconnaissance constitutionnelle parce
plupart de ses promoteurs à dégager une nor- qu’ils sont fondamentaux – veritas non auctoritas
mativité qui serait authentiquement fondamen- facit jus. On souscrira volontiers à l’idée qu’un
tale. Car un discours réduisant la question de la certain nombre de valeurs considérées par beau-
fondamentalité à l’affirmation irréductible de
son existence, en faisant l’impasse sur sa dimen- 30. Vladimir Volkoff, Manuel du politiquement correct,
sion axiologique, s’assure par là même le mono- Paris, Éditions du Rocher, 2001, p. 11.
31. É. Picard, « L’émergence des droits fondamentaux
pole de la détermination de son contenu. Dès lors en France », Les Droits fondamentaux. Une nouvelle catégorie
que la fondamentalité se mue de la sorte en juridique ?, AJDA, n° spécial, 1998, p. 15.
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coup comme « fondamentales » contribuent à tenants du droit naturel moderne selon laquelle
façonner le droit. Pour autant, la question essen- les « droits fondamentaux ne se fondent juridi-
tielle semble moins être l’existence même de ces quement que sur eux-mêmes » rejoint dans ses
valeurs, existence d’ailleurs peu contestée, que prolongements le positivisme le plus dogma-
les modalités de leur prise en compte par le droit tique : alors que ce dernier justifie a posteriori
positif. Leur réception ne va guère de soi tant il les droits fondamentaux par le constat de leur
est avéré que « la fondamentalité en droit est reconnaissance institutionnelle, elle les justifie a
essentiellement relative » et que « les droits, priori par le postulat de valeurs fondamentales
même fondamentaux, ne peuvent qu’être plus appelées à se juridiciser. Dans les deux cas, on
ou moins fondamentaux ». Quand bien même conforte la représentation fallacieuse d’un droit
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admettrait-on que les droits fondamentaux pré- autonome, surplombant le social et prétendant
existent à leur positivation, force est de recon- s’imposer à lui dans une lointaine majesté. Ce
naître la contingence de cette dernière. Si bien consensus autour de la théorie des droits fonda-
que la fondamentalité des droits fondamentaux mentaux repose sur une sorte de pacte tacite de
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est en définitive une affaire d’interprétation. Et, non-agression entre jusnaturalistes et positi-
pour l’essentiel, cette dernière est laissée à la dis- vistes. Au terme de celui-ci, les premiers s’ac-
crétion de juges dont le rôle politique se trouve commodent tant bien que mal de la relativité
alors exalté, comme le martèlent les tenants de la des droits fondamentaux, tandis que les seconds
théorie réaliste de l’interprétation. Cette impor- sont invités à laisser au fourreau leur rasoir
tante objection est écartée d’un revers de main par d’Occam en faisant crédit à l’idée d’une fonda-
l’affirmation pour le moins énigmatique selon mentalité substantivée. Pour sceller ce pacte de
laquelle « le fondamental est entièrement fonda- non-agression, la nébuleuse – mais ô combien
teur des moyens qu’appelle sa mise en œuvre ». consensuelle – éthique de la communication est
Cette représentation classique d’une fonda- mobilisée à grands renforts. Il s’agit que tous
mentalité hypostasiée et dispensatrice de ses s’accordent à reconnaître que l’ensemble des
propres exigences prête le flanc aux reproches libertés et droits fondamentaux émerge à la
non moins classiques adressés à la pensée jusna- faveur d’un « dialogue » entre le Conseil consti-
turaliste. En particulier, celui de clore d’office tutionnel et la doctrine. Les divergences doctri-
tout débat. Postulée, cette fondamentalité méta- nales sont mises sous le boisseau avec d’autant
positive ouvre la voie à une justification pure- moins de difficulté que prévaut une aspiration
ment téléologique du droit positif. Cette dérive corporatiste visant à faire du droit une œuvre
est d’autant plus redoutable que, précisément, la purement savante. C’est à cette fin qu’on n’a de
fondamentalité est présentée comme une don- cesse d’exalter la représentation d’un droit
née irréductible à ses manifestations positives. « autonome » et extérieur à la société qu’il régirait
D’où la tendance à concéder l’imperfection de néanmoins. À l’heure où cette dernière est ron-
ces dernières et à ne pas mettre en cause en tant gée par un individualisme sans frein qui la
que telle la pertinence du discours des droits décompose, on nous objectera – non sans perti-
fondamentaux. Et ce, même si, bien souvent, la nence – que le droit gagne à être mis hors de
réalité qu’il recouvre n’a plus guère de fonda- portée de la société et présenté comme une
mental que le nom. De sorte que la thèse des superstructure. Doit-il pour autant devenir le
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monopole d’une caste d’exégètes essentiellement En ce sens, la théorie des droits fondamen-
composée de juges et de professeurs de droit ? taux participe d’un inquiétant phénomène de
Qu’il nous soit au moins permis d’en douter. « privatisation » du droit constitutionnel. Avec
leur consécration s’estompe progressivement la
✧ représentation classique d’un droit constitution-
nel dépositaire des valeurs et de projets collectifs
Cette fin de siècle nous lègue un droit consti- et, en tant que tel, réputé transcendant. Pour
tutionnel victime de son succès. L’explosion du autant, il paraît délicat politiquement d’afficher
contentieux constitutionnel et la mise en œuvre ostensiblement le caractère souvent prosaïque
de révisions consacrant des antinomies de plus de cette nouvelle normativité constitutionnelle.
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en plus vertigineuses aboutissent à une dévalua- D’où cet attachement à l’effet signalétique du
tion du texte constitutionnel qui, en tant que tel, discours des droits fondamentaux. Cache-misère
s’opacifie pour le commun des mortels à mesure d’une renonciation à toute normativité trans-
qu’il s’étoffe. Cette inflation induit une méta- cendante, le rôle de cette logomachie juridique
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