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LE TRUC TOUCHÉ DU DOIGT

22 MARS 2017
SOMEWHERE AU SUD DE GRENOBLE AVANT DE REPRENDRE LA ROUTE

Pendant de nombreuses années, théoriquement et littérairement d’abord, puis dans des formes artistiques et cinématographiques ensuite, j’ai
souvent posé le déficit de certaines images de soi (ou d’un « nous ») notamment au travail, comme l’un des enjeux de ce qui peut constituer une démarche
artistique aujourd’hui… Ce travail imperceptiblement remplacé par les mots « emploi », « activité professionnelle », « salariés » ou autres « employés »… Soit
une disparition progressive de l’idée d’un « travail » du monde, de sa modification, de son amélioration, de sa sculpture ou de sa construction par les corps
et les consciences qui pourtant continuent d’effectuer une opération sur ce même monde, mais désormais, au profit de « visions » et de « représentations
» massifiantes, chiffrées, comptables et catégorielles écrites (commandées) par la seule raison économique. Des représentations pensées à l’échelle des
mouvements de capitaux et des intérêts, mais plus du tout à l’échelle des hommes et des femmes… Des représentations et des désignations où la singularité
des personnes, des métiers, des histoires, des expériences et des existences singulières ont dû s’effacer, quand elles n’ont pas été tout simplement
délocalisées hors de notre vue.
Ces logiques d’effacement, de disparition se sont accompagnées d’une absence de plus en plus criante de représentation(s) de soi, de
représentations de ce qui est singulièrement, intimement, à l’œuvre quand une personne effectue une opération, un travail, fait un choix, prend une décision,
affine une tâche… réalise le monde. Certes, nous avons des images documentaires sur de nombreux métiers, nous avons des articles, des livres ou des
manuels nous les présentant, mais outre le fait que ces images sont souvent des plans larges et généraux s’en tenant à ce que l’œil voit de loin et à ce que
nous savons après avoir lu un article de dictionnaire ou de magazine, nous restons définitivement sans connaissance de ce cette relation singulière qui lie
celui ou celle qui effectue l’opération et ce qui est opéré… En l’occurrence, nous restons définitivement loin des expériences particulières de celles et ceux
qui font et surtout vivent tel ou tel métier.

C’est encore et toujours habité par ces questions que je me suis présenté à l’ENILV – CFPPA/CFA au 4 rue de la Paix 38800 Le Pont de Claix le
20 mars 2017, dans la classe des élèves apprenti(e)s d’Isabelle Montjaux. Ce que je viens d’écrire, je l’ai formulé rapidement à « la classe », derrière mon
bureau de « formateur » invité pour trois jours… Et puis, nous sommes allés en cuisine, avec l’appareil photo, avec quelques rudiments pour commencer à
construire une image, une image faite par les élèves apprenties et non par moi, une image révélant ce qui se vit, ce qui se joue, ce qui s’expérimente quand
l’on effectue telle ou telle tâche… Ici une image de concentration, là une image d’application, là une image de plaisir, là une image de ce qui vient d’être
réalisé ici et maintenant et dont on peut vraiment être fier ou fière…
Je ne sais pas si c’est la nécessité, le plaisir ou la curiosité de faire quelque chose de nouveau, de s’approprier un nouvel outil ou tout simplement
la possibilité de se représenter soi-même, d’avoir des images qui ne parlent plus à notre place, mais qui nous parlent… je ne sais pas si c’est une
conjugaison de tout ça, ou tout simplement un jeu auquel la plupart des apprenties constituant le groupe se sont pris(es) bravant chacun et chacune leurs
peurs, réticences ou autres timidités devant l’objectif ou les autres, mais je sais qu’au bout de quelques heures d’apprentissage de quelques fondamentaux,
des images de plus en plus justes étaient prises, je sais que progressivement mon rôle d’enseignant occasionnel disparaissait au profit de celui d’assistant
technique, je sais que soudain des liens de confiance et de plaisir se tissaient entre les apprenties au moment de la construction de telle ou telle image, je
sais que la patience, qui n’est pourtant pas la qualité la plus partagée quand on a entre 16 et 23 ans, s’est installée dans le temps et l’espace de travail
nécessaires à la réalisation de ces images qui allaient représenter l’être au travail et le travail de chacun(e) ici dans la cuisine pédagoqique…
Les élèves apprenti(e)s étaient en train de construire leur propre image, celle qui allait pouvoir les représenter et représenter l’école à l’extérieur,
tout simplement parce qu’elles étaient de plus en plus justes, tout simplement parce qu’elles étaient en train de les raconter ici et maintenant, parce qu’elles
étaient en train de devenir – au fil des cadrages refaits, précisés, améliorés, une image que l’on a envie de donner de soi, de partager (et pas que par
Facebook), de transmettre parce qu’elle est belle, parce qu’elle nous représente nous et pas l’image que l’on a de nous, parce qu’elle est l’image de ce que
l’on a vécu, senti, à tel ou tel moment de travail… un plaisir de faire, une concentration, une superbe et goûteuse réalisation. Le rêve d’une image juste et
sentie tout simplement.
Le rêve aussi de certaines images réalisées collectivement… les un(e)s commençant à chercher un cadre, puis de main en main, d’essais en
essais, de réglages en réglages, le cadre le plus juste finissait par être trouvé – la dernière personne de la chaîne bénéficiant des essais précédents pour
achever le travail…

Le 22 en fin de journée, en quittant le parking de l’école, au-delà du plaisir et du magnifique étonnement de n’avoir eu aucune image à faire alors
que ma carte SD était pleine d’images traduisant véritablement l’expérience dont j’avais été le témoin pendant trois jours (une justesse que je ne pouvais que
rêver en arrivant), j’étais sûr d’une chose : j’avais enfin touché du doigt la réalité de ce qui n’avait été que trop longtemps pour moi une problématique.

Camille, Charli, Cloé, Corentin, Elsa, Enis, Enzo, Jimmy, Louhane, Marceline, Meriem, Raddy, Ramazan, Suzanna, merci pour ce magnifique travail. Je
finis de préparer les fichiers « raw » et vous les restitue au plus vite.

En attendant, continuez à être comme ça entre et pour vous, you’re great !

– Jean-Charles Massera, le 28 mars 2017

Lettre aux 15 apprentis de 1ère année de CAP Agent Polyvalent de Restauration, ENILV - CFA, antenne de Pont de Claix,
suite à un workshop conduit dans l’établissement les 20, 21, 22 mars 2017.
Un projet en partenariat avec le Magasin des horizons et la Région Auvergne - Rhône-Alpes.

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