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L'APPORT FREUDIEN SUR LES NÉVROSES DE GUERRE : UN

NOUAGE ENTRE THÉORIE, CLINIQUE ET ÉTHIQUE


Laura Sokolowsky, Jean-Claude Maleval

ERES | « Cliniques méditerranéennes »

2012/2 n° 86 | pages 209 à 218

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ISSN 0762-7491
ISBN 9782749234359
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Pour citer cet article :


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Laura Sokolowsky, Jean-Claude Maleval« L'apport freudien sur les névroses de
guerre : un nouage entre théorie, clinique et éthique », Cliniques méditerranéennes
2012/2 (n° 86), p. 209-218.
DOI 10.3917/cm.086.0209
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Cliniques méditerranéennes, 86-2012

Laura Sokolowsky 1
Jean-Claude Maleval 2

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L’apport freudien sur les névroses de guerre :
un nouage entre théorie, clinique et éthique
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La prise en considération par Freud des traumatismes de guerre constitua


un moment charnière dans l’histoire de la psychanalyse. Non seulement leur
étude eut des répercussions au niveau de la théorie freudienne, elle eut aussi
des conséquences au niveau de l’expansion du mouvement analytique à
l’orée des années 1920. Au niveau théorique, le rêve répétitif des névroses
traumatiques en temps de guerre fournit à Freud l’occasion d’aborder autre-
ment le phénomène de la répétition comme répétition du déplaisir et de
jeter les bases d’un nouveau dualisme pulsionnel. Par ailleurs, les névroses
de guerre eurent aussi des répercussions sur la théorie psychanalytique de
l’angoisse, du narcissisme et de l’identification.
Pour autant, la psychopathologie freudienne était indissociable de
l’éthique qui la fondait. L’expertise présentée en 1920 par Freud devant la
commission du Parlement autrichien chargée d’examiner les plaintes d’an-
ciens soldats à l’encontre de certains médecins psychiatres met ce fait parti-
culièrement en évidence.

TRAUMATISMES DE GUERRE ET NARCISSISME

C’est au niveau économique que Freud établissait une distinction entre


la névrose traumatique et la psychonévrose hystérique. Dans une lettre qu’il

Laura Sokolowsky, psychanalyste, psychologue clinicienne, maison d’enfants Elie Wiesel de l’OSE
(Taverny), structure éducative de la SNCF (Eaubonne), association Thélèmythe (Paris). Docteur en
psychologie, université de Haute-Bretagne Rennes 2, UFR de sciences humaines, membre de l’équipe
d’accueil 4050 : « Recherches en psychopathologie : nouveaux symptômes et lien social » ; 87, avenue du
général de Gaulle, F-94160 Saint-Mandé – laura.sokolowsky@gmail.com
Jean-Claude Maleval, psychanalyste, professeur de psychologie clinique, membre de l’EA 4050, université
de Rennes 2, place du recteur Henri Le Moal, F-35043 Rennes Cedex.

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adressa à Jones après la Première Guerre mondiale, au mois de février 1919,


Freud soulignait que la névrose traumatique était une affection narcissique
au même titre que la démence précoce. La défense des névroses traumati-
ques n’est pas identique à celle des névroses. L’effet du traumatisme sur la
libido narcissique tient au fait que la défense contre les stimuli (Reizschutz)
s’est trouvée submergée. La condition d’émergence d’une névrose trauma-

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tique est que le psychisme n’a pas eu le temps de recourir à cette protection,
qu’il s’est trouvé débordé, surpris, sans y avoir été préparé. La dimension
temporelle de l’angoisse est un élément capital, l’angoisse assurant une
protection contre le choc (Schreck). Les névroses de guerre ajoutent un
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élément nouveau à cette conception du traumatisme. En cas de guerre, en


effet, un conflit surgit entre le moi habituel et le nouvel idéal guerrier : « Le
premier est subjugué, mais lorsque l’“obus” arrive, ce vieux moi comprend
qu’il peut être tué par les instruments de l’Alter Ego », précise Freud (Freud,
Jones, 1908-1939). Avec la survenue du choc, un renversement s’opère dans
la mesure où ce nouveau maître devient, à son tour, un Ich faible et démuni.
L’ensemble constitué par cette division entre l’ancien moi et le nouvel idéal
guerrier constitue le noyau de la névrose traumatique de guerre. Le conflit
entre ces deux identifications en est la caractéristique.
La différence entre la névrose traumatique de paix et la névrose de
guerre, c’est que dans le premier cas le moi est fort, mais surpris, alors que
dans le second cas le moi est préparé, mais affaibli. Ceci amène Freud à consi-
dérer que la névrose de guerre correspond à une situation de conflit narcis-
sique, analogue au mécanisme inhérent à la mélancolie. Dans la mélancolie,
l’ombre de l’objet s’abat sur le moi, tandis que dans la névrose de guerre,
l’alter ego se présente sous les espèces d’un idéal auquel le sujet se trouve
identifié. Ce que Freud démontre surtout de la sorte, c’est qu’en temps de
guerre, l’ennemi n’est pas qu’à l’extérieur, il est aussi à l’intérieur. Il s’agit de
la fonction spécifiée d’un Autre, interne au sujet, qui pousse à la jouissance
du sacrifice de soi.
Dans l’Au-delà du principe de plaisir, Freud apporte encore des précisions
sur la fonction rétrospective de l’angoisse. La fixation au traumatisme dans le
rêve répétitif des névroses de guerre a pour fonction de produire l’angoisse
qui avait fait défaut dans la réalité. La répétition du déplaisir, authentique
infraction à la théorie du rêve comme satisfaction d’un désir, permet de
distinguer la reproduction (Reproduzieren) de la remémoration (Erinnern) et
de la répétition (Wiederholen).
On se souvient qu’en 1914, Freud définissait la répétition en fonction de
sa différence d’avec la remémoration, en précisant qu’au cours de l’analyse,
répéter est une façon particulière de se remémorer, puisqu’il s’agit toujours
d’une répétition en acte (Freud, 1914). Au début de l’analyse, le patient ne

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raconte pas qu’il se souvient de certains faits de son enfance : il les répète en
acte dans le transfert. Par exemple, il ne se souvient pas qu’il a eu honte de
certaines activités sexuelles, mais il a honte du traitement ; il fait de sa cure un
secret qu’il cherche à dissimuler à son entourage. Il répète donc ce qui vient
du refoulé : les inhibitions, les attitudes inadéquates et les traits de caractère
pathologiques. C’est la raison pour laquelle il se produit fréquemment une

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aggravation de l’état du patient pendant la cure, indiquait Freud.
Dans la première phase cathartique de l’analyse, la détermination du
moment de la formation du symptôme et l’effort soutenu pour faire repro-
duire les processus psychiques liés à cette situation devaient aboutir à la
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décharge au moyen d’une activité consciente. À cette période, le travail d’in-


terprétation était conçu comme devant pallier ce qui ne pouvait être remé-
moré. La communication au patient de ses résistances devait lui permettre de
surmonter ces dernières, ce qui donnait accès à des situations oubliées. Mais,
au cours de la phase ultérieure, avec la mise en évidence de la compulsion
de répétition dans le transfert, le psychanalyste ne traite plus une maladie
passée. Il s’affronte à une force actuelle et agissante : la névrose de transfert.
Le symptôme entre désormais dans le champ d’action de la cure comme
quelque chose d’actuel. Freud mentionne que le traitement analytique porte
le patient à reconsidérer son propre rapport à sa maladie. Celle-ci ne lui
apparaît plus comme méprisable, dérangeante, superflue. À l’inverse, sa
maladie va retenir toute son attention ; elle devient une partie de son être qui
s’appuie sur d’excellents motifs et dans laquelle il convient de rechercher des
éléments qui seront précieux pour son existence post-analytique.

LES RAPPORTS DE LA PENSÉE AU RÉEL

La prise en considération des névroses traumatiques entraîna aussi un


remaniement de la théorie de l’angoisse. Si la frayeur était la condition sine
qua non de la névrose traumatique, dans la lettre à Jones citée plus haut, il était
aussi question de la fonction de l’angoisse comme signal. Si celle-ci a fait défaut
au moment du choc, la mise à distance de quantités excessives de stimuli ne
peut s’accomplir et la libido narcissique reçoit l’angoisse sous la forme de
signes d’angoisse. Ceci revient à dire qu’après le choc, l’angoisse comme signal
se situe au niveau du moi. C’est précisément ce point qui sera repris en 1926
dans Inhibition, symptôme et angoisse. L’angoisse y apparaît comme la réaction à
la situation de danger. L’angoisse est un signal et les symptômes sont formés
afin d’éviter la situation de danger signalée par le développement de l’an-
goisse. Freud indique toutefois que le danger dont il s’agit se rapporte toujours
à la castration. Au moment du choc, le sujet se confronte à sa propre mort et
cette mort a la signification de la castration. Ainsi, dans sa répétition même, le

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rêve de la névrose traumatique a pour fonction primaire de raccrocher le sujet


au joint le plus intime du sentiment de la vie.
Mentionnons en ce point que Lacan a commenté le franchissement qui va
de la remémoration à la répétition. D’après lui, il n’est guère étonnant que les
débuts de la psychanalyse aient mis l’accent sur le processus de remémoration.
Avec les patients hystériques, les souvenirs affluaient et la cure donnait accès

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aux événements refoulés qui refaisaient surface. Lacan formulait que « pour le
bénéfice de celui qui prend la place du père, on se remémore les choses jusqu’à
la lie » (Lacan, 1964). Cette remémoration de la biographie a néanmoins des
limites puisque la pensée évite toujours la même chose. Le réel est ce qui
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revient toujours à la même place. Il s’agit de la place où le sujet, en tant qu’il


cogite, se défend de ce réel et ne le rencontre pas. C’est la raison pour laquelle
la découverte par Freud de la répétition comme fonction est venue pointer ce
rapport de la pensée et du réel. Lacan ajoute que, dans le cas de la névrose
traumatique, le réel apparaît comme un point dont le sujet ne peut s’approcher
qu’en se divisant en différentes instances. Comme Freud y insiste, le souvenir
du bombardement se reproduit en rêve, la nuit, mais le même événement laisse
l’individu habituellement indifférent le jour. La division du sujet se perçoit
déjà au niveau de cette différence entre le jour et la nuit, entre l’éveil et le rêve.
Si Freud repère que la fixation onirique au traumatisme relève de l’au-delà du
principe de plaisir, ce principe est aussi responsable de la résistance singulière
du patient à guérir. Les conséquences de l’introduction par Freud de la pulsion
de mort sur l’application thérapeutique en psychanalyse s’avèrent décisives. Il
ne s’agit plus de savoir ce qui fait obstacle ou non à la guérison et les moyens
d’y remédier. La résistance thérapeutique négative renvoie à un certain type
d’inertie. Il peut s’agir de la résistance du patient aux interventions qui visent
à le soigner en s’efforçant de le normaliser.

FREUD AU PARLEMENT

Contrairement à ce que l’on pourrait imaginer, la psychanalyse des


névroses de guerre ne fut pas entérinée par la signature de l’armistice de
novembre 1918, loin s’en faut. Elle donna lieu à une vive polémique entre les
partisans de la psychanalyse et ses détracteurs après la chute de la double
monarchie austro-hongroise. Dès la fin de la guerre, en effet, le parlement
autrichien vota la création d’une commission chargée d’enquêter sur les
forfaitures militaires. Cette commission parlementaire enregistrait les plaintes
d’anciens soldats à l’encontre de certains médecins psychiatres, les accusant de
s’être livrés sur eux, durant la guerre, à des traitements électriques inhumains
et inefficaces à partir du postulat que leurs symptômes nerveux n’étaient que
de la simulation pour fuir la violence des combats et percevoir une pension.

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L’APPORT FREUDIEN SUR LES NÉVROSES DE GUERRE 213

La commission tentait d’examiner si ces praticiens n’avaient pas exposé les


névrosés de guerre hospitalisés dans leurs services à des violences volontaires
dans le seul but de débusquer et punir les présumés simulateurs.
Parmi eux, se trouvait le lieutenant Kauders ; Freud fut appelé à se
prononcer sur son cas. L’histoire de Kauders est exemplaire à plus d’un titre.
Ce patriote, qui se battait pour l’empereur, avait été expédié à la frontière

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russo-polonaise dès le mois de septembre 1914. Tout indique que son idéal
s’était effondré lorsqu’il fut confronté à l’incroyable indigence de l’armée
autrichienne. Pour tout équipement, le lieutenant était en possession d’anti-
ques jumelles, d’un sabre qui le gênait pour marcher et d’un vieux modèle
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de pistolet. Il n’avait pas non plus de carte de la région où il devait s’avancer


avec ses hommes. À la place de celle-ci, on lui avait fourni un dessin au
crayon très inexact de la forêt et de ses environs. À cette pénurie de matériel,
s’ajoutait le fait que ses hommes, pour la plupart, ne parlaient pas l’alle-
mand, mais seulement le hongrois, ce qui n’avait rien d’exceptionnel au sein
des armées des puissances d’Europe centrale. Son régiment fut pris près
de Zamosz sous les tirs nourris des Russes. Ce fut dans ce contexte, d’une
extrême violence, que Kauders vit mourir sous ses yeux deux de ses officiers
et que lui-même fut atteint. À cet instant précis, il sentit ses sous-vêtements
mouillés : sans s’en apercevoir, il avait uriné sous lui. Sa dernière sensation,
avant de s’évanouir, fut une puanteur suffocante.
Kauders se réveilla dans un poste de secours. Le lieutenant, déclaré
invalide par la commission d’arbitrage, fut renvoyé chez lui à Berlin. Il eut
l’occasion de consulter le plus célèbre neurologue allemand de l’époque, qui
confirma la nature neurologique de ses symptômes. Ce spécialiste estima que
Kauders souffrait d’une fissure partielle dans la partie gauche de l’occiput, ce
qui expliquait ses violents maux de tête et ses difficultés à marcher. Pourtant,
à l’automne 1917, un médecin autrichien d’une commission militaire volante
revint sur cette décision. Il suspecta Kauders de simulation et l’envoya à
Vienne. De là, le malheureux lieutenant fut conduit à l’hôpital de la garnison
et fut immédiatement placé dans une sorte de cellule munie d’une fenêtre
grillagée. Le lendemain, on l’emmena en ambulance à la clinique du célèbre
professeur Julius Wagner-Jauregg où il séjourna plusieurs semaines dans
un service fermé. Kauders resta soixante-dix-sept jours en chambre d’isole-
ment. Il relata, de façon détaillée, les séances de faradisation auxquelles il fut
soumis par l’assistant de Wagner-Jauregg. Il décrivit les douleurs insuppor-
tables qu’il endura en s’obligeant à ne pas hurler. « Ces notes sont la preuve
que mon traitement par faradisation n’avait pas pour but de m’aider à guérir
mais que j’ai été l’objet d’une torture pleinement voulue. La première torture
dura plus d’une demi-heure, je fus ramené à la cellule et, là, m’effondrai sur
mon lit », rapporta-t-il (Eissler, 1979).

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L’EFFET D’UNE PAROLE TRAUMATIQUE

Kurt Eissler, amplement critiqué pour avoir empêché l’accès à un certain


nombre d’archives freudiennes, rencontra le lieutenant Kauders, bien des
années après ces événements, aux États-Unis. Son étude documentée sur les
névroses de guerre inclut donc ce témoignage précieux. Soulignant qu’au

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moment précis où le lieutenant Kauders avait vu mourir les deux sous-
officiers, une fonction corporelle avait échappé au contrôle exercé par son
moi, Eissler appréhenda cette défaillance de la fonction vésicale comme le
véritable traumatisme. Il s’agit là d’une remarque clinique très pertinente,
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associant le traumatisme à un phénomène de corps et de dépersonnalisa-


tion particulier. Non seulement l’évacuation involontaire d’urine suscita
une honte, notait-il, mais il s’agissait surtout d’une authentique expérience
de morcellement éprouvée par le lieutenant car, « à cet instant, la relation
à son propre corps avait subi un trouble profond. Son corps n’était plus le
sien propre » (Eissler, 1979). Cette désagrégation de l’unité du corps ou bien
symbolisait – directement – une expérience de mort subjective, ou bien, par
la dimension phallique qui y était convoquée, renvoyait à la signification de
la vie et, donc, foncièrement, à la culpabilité du survivant : pourquoi l’autre
et pas moi, puisque l’autre a perdu la vie et que j’en réchappe ?
De fait, le traumatisme de l’année 1914 en cachait un autre, plus ancien,
qui remontait à l’enfance du lieutenant. Il s’agissait du traumatisme infantile
causé par la parole de son père autoritaire qui l’avait, à diverses reprises,
accusé d’être un menteur. Le suicide d’un demi-frère aîné, dont l’existence
fut entièrement dominée par le despotisme paternel, fut un moment décisif
dans la constitution de la personnalité de Kauders. Dans la distance affective
où le tenait l’autorité de son père, ce frère aîné occupait, pour lui, une position
paternelle. Ce suicide le confronta donc à la mort violente et soudaine d’un
substitut du père. On pourrait faire l’hypothèse que la formule du fantasme
de Kauders ait été le meurtre du père par un autre père. En définitive, sa vie
durant, il s’était toujours défendu de l’accusation surmoïque : « Tu mens ! »,
en s’obligeant à dire la vérité, toute la vérité et rien que la vérité.
Durant la guerre, l’accusation de simulation formulée par le médecin
militaire autrichien fit écho au traumatisme infantile. Le « Tu mens » attei-
gnit Kauders de plein fouet, à la manière des projectiles qui heurtèrent, sous
ses yeux, les deux officiers, ses semblables, à la frontière russo-polonaise.
C’est qu’il avait déjà rencontré, enfant, la parole qui blesse et les mots qui
foudroient.

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L’APPORT FREUDIEN SUR LES NÉVROSES DE GUERRE 215

L’EXTENSION DU CHAMP PSYCHANALYTIQUE

L’appel à la justice aurait-il pu mobiliser tant d’énergie et le recours au


savoir d’un expert tel que Freud, si la plainte du lieutenant Kauders avait été
fondée sur le seul désir de laver son honneur ? Ce dont il se défendait avec
force, au fond, c’était d’avoir menti aux autorités militaires. Freud rédigea

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un rapport d’expertise pour la procédure qui eut lieu le 14 octobre 1920. Il
affirmait que les névrosés de guerre n’étaient pas des simulateurs et que la
médecine courait le risque de se perdre elle-même en se mettant au service
de desseins qui lui étaient étrangers. En devenant un fonctionnaire de guerre,
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le médecin devenait le siège d’une opposition entre les exigences de l’hu-


manité et celles de la guerre nationale. Freud dégagea des niveaux distincts
de responsabilité : « Le médecin doit, en premier lieu, être le défenseur des
malades, pas de quelqu’un d’autre. Lorsque le médecin entre au service de
quelqu’un d’autre, sa fonction est détruite et, dès l’instant qu’il avait pour
tâche de rendre le plus vite possible les gens aptes au service de guerre, il
devait en résulter un conflit dont il est impossible de rendre la profession
médicale responsable » (Freud, 1914). La thérapeutique des névroses de
guerre était pratiquée par des médecins qui ne visaient pas le rétablissement
des malades, mais le rétablissement de leur aptitude à combattre. Le médecin
qui se mettait au service de la guerre vivait, lui aussi, dans la crainte d’être
accusé de négligence et de trahison.
Sans exclure la possibilité qu’une névrose traumatique ait résulté de
l’épisode où le lieutenant Kauders avait été blessé au front, Freud eut d’em-
blée la suspicion de la nature neurologique des symptômes dont le lieute-
nant blessé avait pâti. Pour autant, la stratégie qu’il adopta ne consista pas à
mettre directement en cause le professeur Wagner-Jauregg. Freud se garda
de contredire le diagnostic d’hystérie traumatique établi par son éminent
collègue et déclara que ce dernier avait traité Kauders selon les méthodes qui
étaient traditionnellement utilisées dans les cliniques viennoises de l’époque.
Un grand spécialiste tel que Wagner-Jauregg ne pouvait pas être accusé
d’avoir sciemment torturé un lieutenant. Il était impossible de prétendre
qu’il ait pu agir avec cruauté. Freud réfuta que Wagner-Jauregg ait pu
commettre un quelconque acte de forfaiture.
Cet épisode prend place dans un contexte plus vaste, ayant trait à
l’essor du mouvement freudien dans la période de l’immédiat après-guerre.
Au moment où Freud rendait ces conclusions en tant qu’expert devant la
commission, la société psychanalytique viennoise projetait d’ouvrir une
institution à Vienne sur le modèle de celle qui venait d’être inaugurée à
Berlin. Il s’agissait de rendre la psychanalyse accessible à ceux qui n’étaient
pas en mesure de financer leur traitement. Du point de vue politique, pour

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obtenir l’aval des autorités médicales autrichiennes, il n’aurait pas été très
judicieux de provoquer l’un de ses plus éminents représentants. Du fait de
son conservatisme et de sa notoriété, Wagner-Jauregg était un adversaire
qu’il fallait, tactiquement, ménager.
Nonobstant les précautions oratoires de Freud à l’égard des activités
des psychiatres autrichiens durant la guerre, la psychanalyse fut violem-

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ment interpellée par la partie adverse lors des débats de la commission. Tout
d’abord, Wagner-Jauregg fit remarquer que Freud n’avait jamais lui-même
traité des névrosés de guerre. De plus, il estimait que la multiplicité des
langues parlées dans l’armée de l’Empire – pas moins de onze langues –
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constituait un authentique obstacle à l’utilisation de la psychanalyse en


temps de guerre. À quoi Freud répliqua résolument que la psychanalyse était
utilisable durant les conflits armés. Les résultats probants obtenus durant
la guerre par des médecins formés à la psychanalyse, qui avaient traité des
névrosés de guerre au sein des hôpitaux militaires, l’avaient prouvé. Ces
élèves de Freud avaient utilisé une méthode mixte qui associait l’interpréta-
tion des rêves et la méthode cathartique. Ce procédé imparfait n’était, certes,
qu’un alliage entre la psychanalyse et l’hypnose, mais il n’avait rien en
commun avec des traitements corporels douloureux, voire mortels. L’affaire
était suffisamment sérieuse pour que le Parlement en ait été saisi. Wagner-
Jauregg fit remarquer que la psychanalyse pouvait, à la limite, servir à traiter
des cas isolés, ce que Freud contesta avec vigueur en répondant que la
psychanalyse avait bel et bien servi, durant la guerre, à traiter une multitude
de cas (Eissler, 1979).

QUEL LIEN SOCIAL APRÈS LA CATASTROPHE ?

Après que l’alliance de la technique et de la destruction eut conduit la


civilisation au bord de l’abîme, il fallait tout reconstruire. Freud réitéra le geste
qui l’avait conduit à définir, durant la guerre et par anticipation, une politique
d’avenir pour la psychanalyse. Dès le mois de septembre 1918, il avait engagé
les psychanalystes à ne pas reculer devant l’ampleur du traumatisme collectif
en les incitant à rendre le traitement analytique accessible aux masses. Inau-
gurée en février 1920, la policlinique pour le traitement psychanalytique des
maladies nerveuses de Berlin (Berliner Poliklinik für Psychoanalytische Behan-
dlung Nervöser Krankheiten) dirigée par Karl Abraham, Max Eitingon et Ernst
Simmel fut conçue comme le laboratoire original de cette expérience.
Il s’agit là d’un exemple frappant de la façon dont les avancées théori-
ques de l’inventeur de la psychanalyse se doublèrent de son engagement très
concret dans la société de son temps afin d’y faire entendre une objection de
raison à la déliquescence du lien social.

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L’APPORT FREUDIEN SUR LES NÉVROSES DE GUERRE 217

BIBLIOGRAPHIE

EISSLER, K.R. 1979. Freud sur le front des névroses de guerre, Paris, PUF, 1992.
FREUD, S. 1914. « Remémoration, répétition et perlaboration », dans Œuvres complètes,
vol. XII, 1913-1914, Paris, PUF, 2005.
FREUD, S. ; JONES, E. 1908-1939. Correspondance complète, Paris, PUF, 1998, p. 402.

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LACAN, J. 1964. Le séminaire, Livre XI, Les quatre concepts fondamentaux de la psychana-
lyse, Paris, Le Seuil, 1973, p. 49.

Résumé
La prise en compte des traumatismes de la Première Guerre mondiale constitua un
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moment charnière dans l’histoire de la psychanalyse. L’étude des névroses trauma-


tiques en temps de guerre eut des répercussions au niveau de la théorie psychanaly-
tique et des conséquences au niveau de la politique freudienne au début des années
1920. Cette catégorie clinique permit à Freud d’aborder autrement le phénomène de la
répétition, comme répétition du déplaisir, et de jeter les bases d’un nouveau dualisme
pulsionnel. Elle le mena aussi à formuler des avancées de la théorie psychanalytique
de l’angoisse, du narcissisme et de l’identification. Freud fut appelé comme expert
devant une commission du parlement autrichien, chargée d’examiner les plaintes
d’anciens soldats qui avaient été traités par le biais de traitements corporels à visée
punitive. Il dut se prononcer sur le cas exemplaire du lieutenant Kauders. Ce soldat,
atteint de symptômes post-traumatiques, fut suspecté de simulation et hospitalisé
dans la clinique du professeur Wagner-Jauregg afin d’y être traité par le procédé
électrique, alors couramment employé. Dans le cadre de son expertise, Freud prit la
défense du lieutenant en affirmant la dimension psychique du trauma. Il souligna que
l’application thérapeutique de la psychanalyse sur une large échelle était justifiée, les
expériences menées par ses élèves auprès des soldats traumatisés l’ayant déjà prouvé.
Le développement d’institutions psychanalytiques, sur le modèle de la policlinique
de Berlin, fondée en février 1920, constitua la toile de fond de cette argumentation et
la visée politique d’une psychanalyse pour tous.

Mots-clés
Traumatismes, névroses de guerre, policlinique psychanalytique de Berlin, Freud.

THE FREUDIAN CONTRIBUTION TO WAR NEUROSIES : A TIE BETWEEN THEORY, CLINIC AND
ETHICS

Summary
Accounting for the traumatisms of the First World War constituted a crucial moment
in the history of psychoanalysis. The study of traumatic neuroses in times of war had
repercussions on psychoanalytical theory and consequences for Freudian politics
at the beginning of the 1920s. This clinical category allowed Freud to approach the
phenomenon of repetition differently, as the repetition of displeasure, and to lay the
foundations of a new dualism of the drive. It also lead him to formulate advances

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in the psychoanalytical theory of anxiety, narcissism and identification. Freud was


summoned as an expert witness before a commission of the Austrian Parliament, in
charge of examining the complaints of veterans who had undergone therapies than
made use of corporal punishment. He had to give his opinion on the exemplary
case of Lieutenant Kauders. This soldier, suffering from post-traumatic symptoms,
was suspected of faking symptoms and was hospitalized in the clinic of Professor

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Wagner-Jauregg to undergo the electric shock therapy readily applied at that time.
In his expertise, Freud took the lieutenant’s defense, affirming the psychic dimen-
sion of the trauma. He insisted that the therapeutic application of psychoanalysis on
a large scale was justified ; the work with traumatized soldiers lead by his students
had already proved so. The development of psychoanalytic institutes, modeled after
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the Berlin Policlinic, founded in February 1920, was the backdrop for this argument
as well as the political aim of a psychoanalysis for all.

Keywords
Traumatisms, war neurosis, Berlin psychoanalytic policlinic, Freud.

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