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ÉPOQUES

EST UNE COLLECTION


DIRIGÉE PAR
JOËL CORNETTE

Illustration de couverture :
Estampe illustrant un occasionnel publié en 1755, intitulé
Lisbonne abîmée ou idée de la destruction de cette fameuse ville.
© 2005, CHAMP VALLON, 01420 SEYSSEL
WWW. CHAMP-VALLON. COM
ISBN 2-87673-414-1
ISSN 0298-4792
LES TREMBLEMENTS DE TERRE
AUX XVIIe ET XVIIIe SIÈCLES
Grégory Quenet

LES TREMBLEMENTS
DE TERRE
AUX XVIIe ET XVIIIe SIÈCLES
LA NAISSANCE D’UN RISQUE

Champ Vallon
REMERCIEMENTS

Le moment des remerciements permet de prendre conscience de toutes les aides et encouragements qui ont
rendu possible un travail de si longue haleine. Par sa manière de diriger ce travail, Daniel Roche a su le faire
mûrir, refusant heureusement mes demandes répétées pour changer de sujet de thèse. J’ai une dette particulière
envers l’ouverture d’esprit et l’enthousiasme d’Agnès Levret qui a accepté de faire découvrir les séismes français
à un non-sismologue. Les échanges intellectuels et amicaux avec Bruno Helly ont été déterminants pour éclairer
cet objet historique, souvent si difficile à construire. Je repense aussi aux très nombreuses discussions stimu-
lantes avec René Favier, Claude Gilbert, Jean-Marc Moriceau, Geneviève Massard-Guilbaud, Jacques Berlioz,
Laurent Loty, Nicole Pellegrin, Serge Briffaud, Jacques Bernet, Catherine Verna, Jean Vogt.
Ce travail n’aurait pu voir le jour sans le soutien de l’Institut de Radio-Protection et de Sûreté Nucléaire (IRSN),
Électricité de France (EDF) et le Bureau des Recherches Géologiques et Minières (BRGM) qui m’ont accordé leur
confiance et la possibilité d’accéder à leurs riches fonds. Je tiens à remercier particulièrement leurs représen-
tants, Jérôme Lambert, Marc Durrouchoux et, encore une fois, Agnès Levret. Ma dette envers l’IRSN est consi-
dérable car cet institut a financé mes nombreux déplacements dans les archives provinciales et sur le terrain. Au
sein de cet organisme, le service du BERSSIN m’a accueilli avec générosité, sous la direction de Fabrice Cotton
puis de Catherine Berge. Oona Scotti et David Baumont n’ont pas ménagé leurs efforts pour répondre à mes
interrogations sur les séismes, me fournir des cartes et des données.
Les cartes ont été réalisées par Paul-David Régnier qui a eu l’amitié de me consacrer beaucoup de temps, après
avoir joué un rôle direct dans ma rencontre avec les tremblements de terre. De nombreux amis ont nourri mes
lubies telluriques, Michaël Biziou, Nicolas Franck, Jean L’Ivonnet, Frederik Steenbrink, Yann Sordet.
Sans l’aide constante de Joël Cornette, je n’aurais pu améliorer ainsi ce livre et il a été pour moi un modèle
d’écriture ainsi qu’une présence amicale encourageante. Patrick Beaune a su faire preuve d’une grande patience
avec moi et a fait bénéficier mon manuscrit de toute sa compétence d’éditeur, avec le renfort de Myriam
Monteiro-Braz.
Le département d’histoire de l’Université Paris-VIII, en m’accueillant pendant quatre années, m’a donné la pos-
sibilité de réaliser la thèse à l’origine de ce livre. Le soutien amical des modernistes a été précieux. Mes collègues
de l’Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yelines, Chantal Grell et Steven Kaplan, ont su m’encourager
pour la réécriture finale.
Enfin, un si long travail ne se fait pas tout seul. Carole a été constamment à mes côtés pendant toutes ces années.

6
INTRODUCTION

Voici une curieuse histoire, qui pourrait s’intituler Comment Frédéric le


Grand, roi de Prusse, a interdit l’existence des tremblements de terre dans son
royaume. Le récit commence le matin du 18 février 1756, lorsque le bruit se
répand à Magdeburg, dans le royaume de Prusse, qu’un tremblement de
terre a été ressenti au Monastère de Berge1. Blumenthal, président de la
Chambre de la guerre et des domaines du duché de Magdeburg, exige aussi-
tôt un rapport de l’abbé dudit monastère. Certaines personnes ont ressenti
une nette secousse du bâtiment à ce moment, tandis que la majorité n’a rien
noté, ce qui permet au clerc d’exclure un tremblement de terre. Cependant,
le même jour et à la même heure, une secousse tellurique est observée à
Halle, et immédiatement relatée par le journal de la ville2. L’article rapporte
soigneusement le nom des témoins, les lieux d’observation et la direction
sud-nord indiquée par une paire de ciseaux et un couteau de chasse. Un
mouvement identique, rappelle le périodique, a été observé par le pasteur
d’un bourg voisin, le 1er novembre de l’année passée. Cette commotion s’est
révélée coïncider avec le fameux tremblement de terre de Lisbonne.
L’histoire ne fait que commencer car Lamprecht, président de la ville de
Halle, conseiller à la guerre et aux domaines, envoie le numéro des
Hallische Zeitungen le 20 février au président de la Chambre de
Magdeburg. De son côté, Lamprecht penche plutôt pour une rafale de vent
inhabituelle. Sceptique lui aussi, le journal de Magdeburg, le Magdeburg.
privilegirte Zeitung, ne rend compte des secousses ni à Magdeburg ni à
Halle3. En revanche, son concurrent à Halle fait le récit de la secousse à
Magdeburg dans son numéro du 21 février, contredit immédiatement par
le Magdeburgische du 26 février qui accuse l’imagination de s’être emparée
d’un simple coup de vent4.
1. D. Heinemann, « Friedrich der Grosse und dass Erbeben in Magdeburg und Halle a. S. von 1756 »,
Geschichtsblätter für Stadt und Land Magdeburg, n° 45, 1910, pp. 359-362.
2. Hallische Zeitungen, n° 29, 19 février 1756.
3. Magdeburg. privilegirte Zeitung, n° 24, 24 février 1756.
4. Magdeburgische, n° 25, 26 février 1756.

7
INTRODUCTION

Entre-temps, le président de la Chambre, Blumenthal, a écrit au roi le


22 février en faisant sien le point de vue de l’abbé Steinmetz et de
Lamprecht, président de la ville de Halle. La réponse de Frédéric le Grand
ne se fait pas attendre. Dans une lettre au même Blumenthal, le roi
tranche en affirmant qu’un « tel bruit s’est plus produit dans l’imagina-
tion de quelques personnes fantaisistes et craintives que dans la réalité »,
que l’article du journal de Halle n’est « qu’exagération et légèreté, il a
voulu ainsi induire le public en erreur ». Il commande donc de « déclarez
partout que le premier qui s’aviserait à nouveau de parler de secousse tel-
lurique serait mis en prison »1. Une fois communiqué, cet ordre est appli-
qué strictement par les journaux du duché de Magdeburg. Cet interdit ne
les empêche pas, dans les semaines qui suivent, de rapporter plus ou moins
en détail les phénomènes sismiques observés le même jour et à la même
heure en d’autres lieux, en particulier au bord du Rhin, en Hesse, en
Westphalie, aux Pays-Bas. Le même séisme est relevé en France, par
exemple à Clermont. Dans son Petit journal, Legras de Préville indique
qu’il « a tout au plus duré le temps qu’un homme employeroit à faire deux
pas ; il n’a fait aucun tort »2.
L’ampleur prise par cet épisode place en pleine lumière la figure de la
catastrophe et son importance dans la culture des Lumières : au royaume
du despote éclairé, la calamité naturelle n’a pas sa place. Le fameux trem-
blement de terre du 1er novembre 1755 est bien sûr en cause car il détruit
Lisbonne et ébranle les esprits européens, déclenchant un vaste débat phi-
losophique. Les événements prussiens montrent, cependant, que les polé-
miques ne se limitent pas aux cercles érudits et touchent le roi, les respon-
sables locaux, les savants, les gazettes urbaines, voire les hommes
ordinaires. La profusion des interventions sur les séismes étonne et dépasse
les années 1750. Les tremblements de terre mettent en jeu le sens à donner
à la Providence et à la quête de bonheur ici-bas. Ils interrogent la capacité
de la science à expliquer les phénomènes physiques et les attentes des
contemporains envers les savants. Pourtant l’importance historique des
aléas naturels est encore largement sous-estimée par les historiens, pour ne
pas dire ignorée. Que savons-nous des séismes en dehors du désastre de
Lisbonne ? Comment les hommes des décennies précédentes les appréhen-
daient-ils et qu’en connaissaient-ils ?
Aujourd’hui encore, le désastre de Lisbonne éveille nos souvenirs d’éco-
liers, qui du Poème sur la destruction de Lisbonne, qui des mésaventures de
Pangloss et de Candide dans la capitale du Portugal. Cette postérité litté-
raire ne doit cependant pas faire oublier la nécessaire déconstruction de
1. Archives royales de Magdeburg, Rep. A 9 n° 575.
2. BM de Clermont (Oise), ms. 43 : Legras de Préville, Petit journal et Mémoire de mes affaires, ainsi que des
choses dont j’ay été curieux de me retracer le souvenir pour ma satisfaction particulière, jour par jour, suivant l’ordre des
dattes, commençant par le 6 octobre 1755 (fol. 13).

8
INTRODUCTION

l’événement. Toutes les catastrophes naturelles ne suscitent pas un reten-


tissement européen, et le séisme de Lisbonne est sans doute la première
d’entre elles à y parvenir. Quelles que soient les rumeurs en circulation, ce
fléau n’est pas le plus meurtrier de l’époque moderne. Faut-il alors recon-
naître au philosophe, à Voltaire, le pouvoir d’ériger le phénomène naturel
en événement européen ? Certaines interprétations ont défendu cette
thèse, mais le succès des attaques voltairiennes révèle une curiosité collec-
tive forte, rentre en écho avec d’autres prises de position.
Toutes ces questions sont centrales mais restent classiques dans leur for-
mulation, car elles relèvent de la nécessaire analyse historique d’un événe-
ment retentissant et de sa signification. Celui auquel nous sommes
confrontés est pourtant très particulier, aux limites du champ de l’histoire,
et nécessite d’aller plus loin. Pourquoi une secousse aussi légère en Prusse
suscite-t-elle une intervention personnelle du souverain, assortie d’un ordre
strict ? Une inondation, un gel brutal, un incendie, une épidémie auraient-
ils provoqué une réaction équivalente ? et encore plus s’ils n’avaient causé
aucun dégât ? La teneur des discussions étonne car celles-ci portent sur la
qualification du phénomène et non sur son origine. Les termes ne sont pas
si clairs car qu’est-ce qu’un tremblement de terre pour les hommes du
temps ? Entre la secousse, qui désigne un effet sur les constructions et les
hommes, et le mécanisme souterrain, que nous appelons séisme, existe
toute une gamme de définitions, d’objectivations. Le tremblement de terre
est-il en 1756 un objet défini par les savants ? géré par les gouvernements ?
commenté par les autorités religieuses ? mis en scène par la littérature et
les récits de voyage ? ou encore mobilisé par les élites ?
Rapprochons-nous encore un peu plus du phénomène physique. À pre-
mière vue, ni les États allemands ni la France ne semblent concernés par
une sismicité notable, et encore moins la Prusse et le Bassin parisien.
Comment qualifier l’événement dont parlent les différentes sources ? Très
vite, le malaise s’empare des termes utilisés. Un fait anecdotique et surpre-
nant, noté par curiosité, est très différent d’une catastrophe, qui frappe les
esprits, les biens ou les corps. Le tableau se brouille un peu plus en faisant
intervenir les mots de fléau, prodige, danger, désastre, aléa, phénomène
physique, voire risque. Les sociétés du passé sont-elles des sociétés sans
risque, soumises à l’irruption brutale d’événements dont elles ne maîtri-
sent ni les causes ni les conséquences ? Force est de reconnaître que cette
histoire demeure très mal connue car peu de travaux ont été consacrés aux
accidents qui ponctuent la vie des hommes d’Ancien régime, hormis ceux
qui ont des conséquences démographiques notables, tels les épidémies, les
dérèglements climatiques et les famines.
Les séismes, pourtant, sont loin d’être négligeables en France. Nous
savons aujourd’hui que 751 tremblements de terre, au minimum, ont tou-
9
INTRODUCTION

ché le territoire métropolitain entre 1600 et 1800 dont 286 ayant causé
des dommages matériels. Au moins 27 d’entre eux ont provoqué des
dégâts considérables, pour certains des destructions, dans le Bigorre, la
Normandie, le Poitou, la Touraine, le Bordelais, les Vosges, la Vendée, le
Tricastin, la Provence. Aujourd’hui ces faits historiques sont tout sauf
anecdotiques car ils servent à définir les règles de la protection sismique.
Selon l’arrêté du 10 mai 1993, les centrales nucléaires et autres « bâti-
ments à risque spécial » (les barrages et les complexes chimique, gazier,
pétrolier) sont prévus pour résister au « séisme maximal historiquement
vraisemblable » (SMHV), majoré d’un coefficient de sécurité. Ce livre est
porté par plusieurs années de collaboration, sur le terrain, avec les sismo-
logues de l’Institut de Radio-Protection et de Sûreté Nucléaire (IRSN). Ce
travail pluridisciplinaire pour reconstituer et quantifier les séismes histo-
riques majeurs n’apparaît pas directement ici, mais il a nourri cette
réflexion sur les séismes de l’époque moderne.
Le titre de ce livre étonnera sans doute de prime abord, cette thèse de La
naissance d’un risque entre XVIe et XVIIIe siècles. À l’époque moderne, de
nombreux aléas naturels sont perçus et vécus comme des catastrophes,
c’est-à-dire des événements désastreux, qui rompent le cours ordinaire des
choses. Pourtant, la notion de risque est, elle aussi, applicable aux périodes
anciennes. Ce terme suppose, quant à lui, un certain degré de conscience
et de préoccupation, la probabilité de retour du phénomène. À partir de là,
il devient possible de s’en prémunir, d’en débattre. Cet outil heuristique
permet de saisir l’objet tremblement de terre comme le résultat d’une
construction, à condition d’utiliser les différents degrés de ce processus,
plus ou moins achevé. Le moins élaboré, mais qui s’éloigne déjà de la
catastrophe, signifie qu’un groupe humain estime qu’un type d’aléa peut
survenir en un lieu donné et l’affecter. Le deuxième niveau fait intervenir
la préoccupation sociale, quand une société se sent concernée par un type
de phénomène naturel, que le danger soit réel ou non, exagéré ou minoré.
Cette prise de conscience peut déboucher sur un degré supplémentaire, à
savoir la définition d’un nouvel objet, de connaissance, de gestion, de
représentation. Enfin, la mobilisation des énergies collectives pour se pré-
munir contre un certain type de danger révèle l’intervention d’institu-
tions, étatiques ou non, capables de manipuler cet objet et d’organiser des
moyens. Entre les XVIe et XVIIIe siècles, un tel processus de mise en risque
affecte les tremblements de terre. Nous verrons si cette histoire arrive à
son terme ou si elle demeure incomplète.
Cette idée de construction appelle une autre remarque, concernant cette
fois-ci les données utilisées et le travail de l’historien. Certains chapitres
insistent autant sur la fabrique de cette recherche que sur les résultats
qu’elle souhaite proposer. Le lecteur y verra, à juste titre, un souci déonto-
10
INTRODUCTION

logique car la science historique s’appuie sur des preuves, citées précisé-
ment afin de pouvoir valider ou réfuter les analyses proposées. La rigueur
de la critique historique est cruciale quand la responsabilité sociale de
l’historien est engagée, quand les faits du passé guident les décisions du
présent. Ces règles de méthode prennent ici un sens supplémentaire car ce
livre n’existerait pas sans l’élaboration d’un nouvel objet historique.
Pouvait-on faire des tremblements de terre le sujet d’une recherche en his-
toire ? Cette question m’est apparue tout de suite, en découvrant qu’il
existait de multiples sources et archives sur le sujet, sans que les livres
d’histoire les mentionnent. Les séismes, un sujet réservé aux géographes,
aux ingénieurs et aux sciences de la nature ? Cet argument est encore par-
fois utilisé. Les secousses françaises, un phénomène négligeable sauf pour
des hommes du passé ignorants et superstitieux ? Ce préjugé a la peau
dure. Il fallait donc définir un corpus réunissant des sources extrêmement
diverses, élaborer une méthode de reconstitution des séismes historiques
en collaboration avec les sismologues et déterminer une grille de lecture
capable d’articuler les aspects religieux, scientifiques, politiques et les
mentalités collectives.
Ce sujet n’est anecdotique ni dans les faits ni dans les archives : 751
séismes en deux siècles dont 27 destructeurs ; 560 sources manuscrites et
près de 300 imprimés ; 200 communications sur le sujet à l’Académie
Royale des Sciences de Paris ; plusieurs interventions royales et non des
moindres. En suivant ces phénomènes exceptionnels à travers les sources
les plus diverses et sur deux siècles, il est possible de comprendre com-
ment un événement naturel devient un objet de connaissance, de gestion,
de discours. L’apparition de débats savants, la peur du phénomène, les
informations distillées par les périodiques révèlent peu à peu que, avant
l’époque contemporaine, a pu émerger la prise en compte d’un risque nou-
veau.

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PREMIÈRE PARTIE

LES TREMBLEMENTS DE TERRE


REELS, CONNUS, IMAGINES

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CHAPITRE I

Histoire et géographie d’un risque

En dehors du cercle des spécialistes, le risque sismique en France est mal


connu, pour ne pas dire ignoré, tant il est associé spontanément à d’autres
aires géographiques. Limitées à une dizaine, les références présentes dans la
bibliographie de la France moderne témoignent de la faiblesse des échanges
entre les sciences sociales et les sciences de la terre. Les historiens qui signa-
lent des séismes le font de manière ponctuelle et anecdotique1. Marcel
Lachiver, évoquant le tremblement de terre de 1692 et les réactions des
contemporains, estime que tout cela ne mériterait qu’une brève mention
dans les annales des instituts de physique du globe, et dans les livres pieux,
si les gens de l’époque n’avaient pas ressenti ce tremblement de terre
comme un avertissement, préludant à la famine de 16932. Ceux qui se sont
penchés sur les annotations consignées par les curés dans les registres
paroissiaux arrivent aux mêmes conclusions : les tremblements de terre
seraient un phénomène tout à fait exceptionnel, de l’ordre du fait divers3.
Quelques études s’avancent sur l’importance et la signification globale
des phénomènes sismiques dans la France d’Ancien Régime. Lucette
Davy, reconnaissant la place notable qu’occupent les séismes dans les
sources du Midi de la France aux XVIe et XVIIe siècles, affirme qu’ils sont
mentionnés comme une curiosité et non comme une catastrophe4. Élisa-
beth Forlacroix, à propos de La Rochelle et de ses environs aux XVIIe et
XVIIIe siècles, note qu’ils sont assez nombreux mais courts et peu violents,
et constituent seulement une source de frayeur supplémentaire. Pourtant,
son relevé des faits importants de l’histoire de la cité, consignés par les
notables rochelais entre le milieu du XVIe siècle et la Révolution française,
montre que les tremblements de terre arrivent en deuxième position (10
1. Louis Secondy, « Quand l’Église faisait la pluie et le beau temps », dans Météorologie et catastrophes natu-
relles dans la France méridionale à l’époque moderne, Montpellier, 1993, pp. 101-110.
2. Marcel Lachiver, Les Années de misère. La famine au temps du Grand Roi, Paris, 1991, p. 114.
3. Alain Croix, Moi, Jean Martin, recteur de Plouvellec. Curés « journalistes » de la Renaissance à la fin du XVIIIe
siècle, Rennes, 1993.
4. Lucette Davy, « Préface », in Météorologie…, op. cit., 1993, p. 7.

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LES TREMBLEMENTS DE TERRE REELS, CONNUS…

citations contre 11 aux tempêtes) et représentent 24 % du nombre total


des catastrophes rapportées1. Claude Nières, dans la seule synthèse existant
sur les catastrophes en France du Moyen Âge au XXe siècle, écrit que les
tremblements de terre sont soit de « simples secousses, notées […] comme
des événements extraordinaires dignes d’être remémorées » et nous infor-
mant sur « l’attitude des hommes, inhabitués à ces phénomènes », soit,
dans les régions à haut risque, des phénomènes potentiellement dangereux
mais bien connus des habitants2.
Ce tableau reflète très mal l’originalité et la complexité des phénomènes
sismiques sur le territoire français. Les épisodes mentionnés ci-dessus suf-
fisent à le prouver. Loin d’être anecdotique, le tremblement de terre du 18
septembre 1692 est un événement majeur, dont l’épicentre est situé aux
environs de Liège. Plusieurs morts sont signalés à Liège et à Mons, tandis
qu’à Laon et à Liry dans les Ardennes, la visite de l’église constate les
ruines causées par les secousses et le danger d’effondrement3. Le miracle
qui se produit à Verviers donne naissance au fameux pèlerinage annuel de
la Vierge, tandis qu’une procession est fondée à Chimay4. Le séisme est res-
senti jusqu’à Paris, Caen, Metz, et en Angleterre5. Il est signalé par le
Mercure galant, commenté par Locke6. Les environs de La Rochelle s’inscri-
vent, eux, dans le vaste ensemble coincé entre le Massif armoricain et le
Massif central, marqué par une sismicité régulière, voire assez importante
en Poitou. Pour les XVIIe et XVIIIe siècles, plus de 40 secousses sont
connues, dont l’épicentre est localisé dans un rayon d’une centaine de kilo-
mètres autour de La Rochelle. Dans la version de 1991 du zonage sis-
mique de la France, la ville est entourée de trois zones soumises à l’appli-
cation de règles parasismiques de construction pour les ouvrages courants
dits à « risque normal » : le Bocage vendéen, la région de Rochefort à
Oléron, et un ensemble à cheval sur le Poitou et la Touraine7. Quant à la
distinction binaire entre, d’un côté, des espaces sans risque ni culture sis-
mique, de l’autre des régions où les secousses seraient régulières, fortes et
connues par les populations du passé, elle reste à démontrer. Or, les
1. Élisabeth Forlacroix, « Colères du ciel, de la terre et de la mer à la Rochelle et dans les environs entre le
XVIe et le XVIIIe siècle », ibid., pp. 213-229.
2. Claude Nières, « Le feu, la terre et les eaux », in Jean Delumeau et Yves Lequin (dir.), Les Malheurs des
temps, Histoire des fléaux et des calamités en France, Paris, 1987, p. 367.
3. Registre de Mons, Paroisse Saint-Nicolas-en-Bertaimont, n° 135 ; BM Troyes, ms 2317 : Annales ou
Antiquités de la ville de Troyes par Michel Semilliard (t. 2, fol. 335-336) ; AD Aisne, G. 1874 : visite, répara-
tions et prières publiques à l’église de Laon par suite du tremblement de terre du 18 septembre 1692 ; AD
Marne, G. 283, n° 4 : procès-verbal de visite des paroisses de son doyenné par M. Toussaint Charlier.
4. « L’histoire des Récollets et l’événement du 18 septembre 1692 », Temps jadis, n° 39, septembre 1992 ;
Chronique du doyen Michel le Tellier du chapitre de Chimay, citée par G. Hagemans, Histoire du pays de Chimay,
Bruxelles, 1866, t. 2, p. 446.
5. Marcel Lachiver Les Années…, op. cit., 1991, p.113.
6. « Tremblements de terre », Mercure galant, octobre 1692, pp. 143-144 ; Lettres 1534 et 1538 dans The
Correspondence of John Locke, éditée par Esmond Samuel de Beer, Oxford, 1979, vol. 4, pp. 517-524.
7. Jean Despeyroux et Pierre Godefroy, Nouveau zonage sismique de la France (1985) en vue de l’application des
règles parasismiques de construction et de la mise en œuvre des plans d’exposition aux risques (PER), Paris, 1986.

16
HISTOIRE ET GEOGRAPHIE D’UN RISQUE

recherches en sismicité historique menées ces vingt dernières années ont


profondément renouvelé la géographie historique et sismique de la France.

Plus de 750 séismes entre 1600 et 1800

En deux siècles, la France a ressenti au minimum 751 séismes1. L’inten-


sité de chaque secousse est estimée sur l’échelle MSK adaptée aux pays de
sismicité modérée et, de ce fait, utilisée en France et dans la plupart des
pays européens2. Cette échelle d’intensité macrosismique estime l’intensité
d’une secousse à partir des effets sur les hommes et les bâtiments.
Comportant 12 degrés, elle ne doit pas être confondue avec la magnitude,
introduite par Richter, et qui quantifie la puissance d’un tremblement de
terre, représentative de l’énergie rayonnée au foyer sous forme d’ondes sis-
miques. Sauf indication contraire, toutes les intensités données seront
exprimées dans cette échelle MSK. Ce chiffre de 751 correspond à l’état
actuel de nos connaissances, compilées dans la base SISFRANCE. Les lacunes
sont particulièrement visibles pour le début de la période moderne car le
nombre de tremblements de terre connus diminue à mesure que l’on
remonte dans le temps.
Cette constatation est encore plus évidente sur mille ans d’histoire sis-
mique. Jusqu’au XVe siècle, les séismes majeurs – d’intensité supérieure à
VII – semblent assez complets, sauf pour le XVIe siècle3. Cette classe creuse
traduit la division du travail historique. À la charnière entre deux spéciali-
sations, entre médiévistes et modernistes, le XVIe siècle est moins étudié.
Le volume des sources conservées est nettement inférieur à celui des siècles
suivants, celles-ci sont aussi plus difficiles à lire et à analyser. Sur
l’ensemble des classes d’intensité épicentrale, le XVIIIe siècle est proche de
la période contemporaine tandis que la diminution est nette dès le XVIIe,
particulièrement pour les phénomènes d’intensité moyenne.
En 1999, et pour la période 1600-1800, SISFRANCE recensait 286
séismes d’intensité épicentrale supérieure ou égale à V entre 1600 et 1800,
dont 83 de degré V, 78 de degré VI, 42 de degré VII, 13 de degré VIII et
un de degré X-XI. Parmi ces 286 séismes, certains ont un épicentre loin-
tain et l’intensité maximale donnée ne concerne pas le territoire français.
Le tremblement de terre de Lisbonne a atteint une intensité épicentrale de
X-XI sur l’échelle MSK, sans rapport avec les effets ressentis dans la

1. Annexe 1, tableau 1.
2. L’échelle MSK a été élaborée en 1964 par les sismologues Medvedev, Sponheuer et Karnik, à partir
d’une compilation des échelles macrosismiques les plus utilisées, depuis celle élaborée par Mercalli. Sergei
Vasil evich Medvedev, Wilhelm Sponheuer, V. Karnik, Seismic intensity scale version 1964, Iena, 1967.
3. Annexe 3, figures 1 et 2. Toutes les mesures sont ici données en échelle d’intensité MSK, utilisée en
France, sauf indication contraire.

17
LES TREMBLEMENTS DE TERRE REELS, CONNUS…

majeure partie de la France, à plus de 1 700 km de l’épicentre. Sur


l’ensemble des références, le tri est complexe car SISFRANCE est destinée à
la connaissance du risque sismique aujourd’hui, et s’appuie sur les fron-
tières actuelles. Quel est le nombre de séismes dont l’épicentre est situé
sur le territoire français de l’époque ? L’estimation se corse d’autant plus
que la localisation des épicentres est le résultat d’une interprétation, plus
ou moins fiable comme l’indiquent les codes de qualité figurant dans la
base SISFRANCE1. Rappelons les principales étapes territoriales des XVIIe et
XVIIIe siècles2. Au sud-ouest, Louis XIII entre en 1620 dans Pau, le Béarn
et la Basse-Navarre, tandis que le Roussillon est définitivement réuni au
royaume par la paix des Pyrénées (1659) qui met en place la frontière
pyrénéenne. Dans les Alpes, Henri IV acquiert la Bresse, le Bugey, le
Valromey et le pays de Gex en 1601, en attendant la réunion de la Savoie
en 1860. Les frontières du Nord et du Nord-Est ont été affectées par de
plus grandes variations car la France a peu à peu conquis l’Alsace (1648,
1697) et Strasbourg (1681), l’Artois (1659), la France-Comté (1678), la
Dombes (1762) et les duchés de Bar et de Lorraine (1766). La Corse
(1768), Nice (1860) et la Savoie (1860) viendront plus tard.
En se limitant aux épicentres localisés à l’intérieur des frontières de
l’époque, le territoire français a connu, entre 1600 et 1800, 59 séismes
d’intensité V et V-VI, 51 d’intensité VI et VI-VII, 21 d’intensité VII et VII-
VIII, et enfin 6 d’intensité VIII et plus. En ajoutant les tremblements de
terre dont l’épicentre est situé sur le territoire actuel, les chiffres passent à
64 (V et V-VI) et 52 (VI et VI-VII). En comptant ceux dont l’épicentre est
situé à moins de 50 km du territoire actuel, ils montent à 71 (V et V-VI),
69 (VI et VI-VII) et 26 (VII et VII-VIII). Le royaume est aussi ébranlé par
des séismes plus lointains, dont l’intensité sur le territoire est souvent dif-
ficile à estimer : neuf de degré V et V-VI, quinze de degré VI et VI-VII,
douze de degré VII et VII-VIII, six de degré VIII et plus. Si l’on considère
que ces tremblements de terre, dont l’épicentre est situé à plus de 50 km,
ont été ressentis avec une intensité inférieure à V dans le royaume, le
nombre de secousses sur deux siècles s’élève à 577.
Ces chiffres obtenus à partir de l’intensité épicentrale ne correspondent
pas nécessairement à l’intensité maximale observée. Lors d’un effet de site,
les conséquences en surface sont amplifiées par les terrains sédimentaires
récents (les alluvions notamment) ou par la topographie (une butte).
1. SISFRANCE dispose d’un code de qualité de la localisation de l’épicentre (A : quelques km. Précise ; B :
autour de 10 km. Assez sûre ; C : entre 10 et 20 km. Imprécise ; D : de quelques km à 50 km. Supposée ; E :
supérieure à 50 km. Arbitraire ; I : observation isolée et d’un code de qualité de la valeur de l’intensité épicen-
trale (A : sûre, distribution serrée et valeur précise des intensités ponctuelles maximales ; B : assez sûre, distri-
bution moins serrée et valeur précise des intensités ponctuelles maximales ; C : incertaine, distribution éparse et
valeur peu précise des intensités ponctuelles ; K : assez sûre, issue d’un calcul fondé sur une loi d’atténuation
(Sponheuer) ; E : arbitraire, compte tenu de la faible quantité et de l’éloignement des intensités ponctuelles).
2. Daniel Nordman, Frontières de France. De l’espace au territoire XVIe-XIXe siècle, Paris, 1998.

18
HISTOIRE ET GEOGRAPHIE D’UN RISQUE

L’intensité ponctuelle maximale observée donne pour le XVIIIe siècle neuf


séismes supérieurs à VII au lieu de huit. Pour l’instant, aucun séisme
d’intensité IX n’est recensé pour les XVIIe et XVIIIe siècles. L’événement le
plus grave est celui du 16 juin 1660 dans les Pyrénées centrales, qui
atteint VIII-IX à l’épicentre. Ce chiffre le place au même rang que le
séisme de Lambesc du 11 juin 1909, le plus violent connu à ce jour sur
mille ans d’histoire sismique française. Celui-ci a cependant atteint une
intensité maximale plus importante, estimée à IX.

Derrière les chiffres d’intensité, les dégâts

Les valeurs données ci-dessus appellent plusieurs éclaircissements.


L’échelle MSK est une échelle d’intensité macrosismique. En d’autres
termes, elle mesure les effets des secousses sur les hommes et les construc-
tions. Introduite par l’américain Richter en 1935, la magnitude est fonda-
mentalement différente car elle prend en compte l’énergie totale libérée
par le séisme. Cette quantification suppose l’utilisation de sismomètres,
inexistants pour les séismes historiques. Certes, certaines lois permettent
de déterminer la magnitude à partir de l’intensité, en s’appuyant sur les
cartes d’intensité. Ces documents montrent une série de lignes concen-
triques – les isoséistes – marquant la limite de zones égales d’intensité.
L’intensité est généralement maximale au voisinage de la faille et décroît
avec la distance, tout comme les amplitudes des ondes1. En réalité, le pas-
sage de l’intensité à la magnitude est complexe et donne lieu, aujourd’hui,
à des calculs très différents et discutés.
L’échelle MSK sert de standard européen car elle est adaptée aux pays de
sismicité modérée, mais il existe plusieurs échelles d’intensité, depuis celle
inventée par Mercalli. Les Italiens utilisent souvent l’échelle MCS.
(Mercalli – Cancani – Sieberg), tandis qu’une nouvelle échelle – EMS-98 –
est destinée à remplacer progressivement l’échelle MSK2. En attendant
cette mise à jour, nous continuerons à parler en MSK 1964, qui comporte
12 degrés exprimés en chiffre romains. Elle s’appuie sur trois critères : le
degré d’endommagement des constructions (5 niveaux), la qualité des
bâtiments (trois types), le pourcentage d’édifices endommagés3. Précisons
que, à l’origine, celle-ci a été élaborée pour les enquêtes macrosismiques
du XXe siècle et non pour les périodes historiques.
À partir du niveau V, les premiers dégâts matériels apparaissent mais

1. Jérôme Lambert (dir.), Les Tremblements de terre en France, Orléans, 1997, pp. 118-119.
2. Gottfried Grünthal (dir.), European Macroseismic Scale 1998 (EMS-98), Luxembourg, Centre européen de
géodynamique et de séismologie, 2001, édition française Agnès Levret.
3. Pour l’échelle complète, voir Annexe 1, tableau 2.

19
LES TREMBLEMENTS DE TERRE REELS, CONNUS…

restent limités. De légers dommages du 1er degré (fissuration des plâtres ;


chutes de petits débris de plâtre) sont possibles dans les bâtiments de type
A, de plus mauvaise qualité (maisons en argile, en pisé, en briques crues ;
maisons rurales et construction en pierres tout venant). Le séisme est res-
senti à l’intérieur par les occupants et à l’extérieur par de nombreuses per-
sonnes. Les constructions sont agitées d’un tremblement général et les
effets sur les objets sont nombreux : balancement des objets suspendus,
mouvement des tableaux, battement violent des portes ou des fenêtres,
déplacement possible des objets peu stables. La vibration ressemble à celle
d’un objet lourd dégringolant dans le bâtiment.
Au niveau suivant, à savoir VI, les dommages du 1er degré deviennent
nombreux dans les constructions du type A où ils atteignent parfois le
2e degré (dommages modérés : fissuration des murs ; chutes d’assez gros
blocs de plâtre, chutes de tuiles ; fissurations de cheminées ou chutes de
partie de cheminées). Les constructions du type B (constructions en
briques ordinaires ou en blocs de béton ; constructions mixtes en maçon-
nerie et en bois ; constructions en pierres taillées) sont touchées par des
dommages du 1er degré. De nombreuses personnes sont effrayées et se pré-
cipitent à l’extérieur, d’autres perdent l’équilibre. Les assiettes et les verres
peuvent se briser, les livres tomber. Le mobilier lourd peut se déplacer et
dans les clochers, les petites cloches tintent spontanément. Parfois, de
petits glissements de terrains se produisent en montagne et des change-
ments dans le débit des sources et le niveau des puits sont constatés.
Le degré VII est caractérisé par des dommages aux constructions. La plu-
part des personnes se précipitent au dehors, beaucoup ont de la difficulté à
rester debout. La vibration est ressentie par les conducteurs de voitures
automobiles. De grosses cloches se mettent à sonner. Dans de nombreux
bâtiments du type C (constructions armées ; constructions de qualité en
bois) apparaissent des dommages du 1er degré ; dans de nombreux bâti-
ments du type B, des dommages du 2e degré. De nombreux bâtiments du
type A sont endommagés au 3e degré (sérieux dommages : lézardes larges
et profondes dans les murs ; chutes de cheminées) et quelques-uns au
4e degré (destruction : brèches dans les murs ; éventuels effondrements
partiels ; destruction de la solidarité entre parties différentes d’une
construction ; destruction de remplissages ou de cloisons intérieures).
Dans quelques cas, on observe un glissement des routes le long des pentes
raides, des vagues se forment sur l’eau, les niveaux d’eau dans les puits et
le débit des sources changent. Certaines sources asséchées se remettent à
couler et, à l’inverse, des sources existantes se tarissent.
Le degré VIII est défini par des destructions. De nombreux bâtiments du
type C (constructions armées ; constructions de qualité en bois) subissent
des dommages du 2e degré et quelques-uns du 3e degré. De nombreux
20
HISTOIRE ET GEOGRAPHIE D’UN RISQUE

bâtiments du type B sont endommagés au 3e degré et quelques-uns au 4e


degré. De nombreux bâtiments du type A sont endommagés au 4e degré et
quelques-uns au 5e degré (dommage radical : effondrement total de la
construction). Les monuments et les statues se déplacent ou tournent sur
eux-mêmes. Les stèles funéraires se renversent. Les murs de pierres s’effon-
drent. La population est saisie d’une forte panique ; même les personnes
conduisant des voitures automobiles sont effrayées. Dans quelques cas, des
branches d’arbre cassent. Le mobilier, même lourd, se déplace ou se ren-
verse. Les lampes suspendues sont abîmées. Les crevasses dans le sol attei-
gnent quelques centimètres de largeur. L’eau des lacs devient trouble. De
nouvelles retenues d’eau peuvent se créer dans les vallées.
Au degré IX, les constructions subissent des dommages généralisés. Un
tel séisme s’accompagne d’une forte panique, renforcée par des dégâts
considérables au mobilier, tandis que les animaux affolés courent dans
toutes les directions en poussant des cris. De nombreux bâtiments du type
C subissent des dommages du 3e degré, quelques-uns du 4e degré. De
nombreux bâtiments du type B subissent des dommages du 4e degré et
quelques-uns du 5e degré. De nombreux bâtiments du type A sont endom-
magés au 5e degré. Les monuments et les colonnes tombent. Les réservoirs
au sol subissent des dommages considérables, et les canalisations souter-
raines des ruptures partielles. Dans quelques cas, des rails de chemins de
fer sont pliés, des routes endommagées. Des projections d’eau, de sable et
de boue sur les plages sont souvent observées. Les crevasses dans le sol
dépassent 10 cm de largeur. On observe des chutes de rochers, de nom-
breux glissements de terrain et de grandes vagues sur l’eau. Des puits assé-
chés peuvent retrouver leur débit et des puits existants se tarir.

Plusieurs séismes destructeurs

Les progrès de la sismicité historique permettent de présenter un


tableau des tremblements de terre les plus violents qui ont ébranlé la
France aux XVIIe et XVIIIe siècles. Ces événements, peu connus des histo-
riens, méritent chacun une rapide présentation. Sur le territoire français
de l’époque et à la périphérie proche, ils sont 27. Nous avons distingué
les séismes destructeurs (intensité VIII et plus) et les séismes causant des
dommages importants (intensité VII et VII-VIII). Les monographies qui
suivent présentent les effets les plus notables et, dans la mesure du pos-
sible, un bilan global. Pour obtenir la liste exhaustive des documents et
des lieux, il faut se reporter à SISFRANCE1. Les séismes de la Moyenne

1. http ://www.sisfrance.net

21
LES TREMBLEMENTS DE TERRE REELS, CONNUS…

Durance feront l’objet d’une analyse plus longue et complète, dans le


chapitre 4.
L’épicentre du premier séisme d’intensité VIII, le 18 janvier 1618, n’est
pas situé dans le royaume, mais dans le Comté de Nice, près de Coaraze.
Des maisons et des fermes s’écroulent à Coaraze et Roquespervièra, les
murailles du château de Saorge sont éventrées1. La Vésubie est le théâtre
d’un autre événement d’intensité équivalente, le 15 février 1644, localisé
près de Roquebillière2. D’après la Gazetta di Genova, il cause de nombreux
morts, ce qui est confirmé localement par les trois décès relevés dans le
registre mortuaire de Saint-Martin-de-Vésubie3. La secousse est ressentie
en Provence, elle crée des ouvertures importantes dans les murailles de
l’église et de la chapelle d’Aups4. Dans certains villages perchés de la
Vésubie, l’intensité atteint le niveau VIII-IX et le bilan est lourd5. La
même région de Roquebillière a subi deux tremblements de terre
d’intensité VIII aux XVe et XVIe siècles, le 23 juin 1494 et le 20 juillet
15646. Ces épicentres représentent les risques sismiques majeurs de
l’actuel département des Alpes-Maritime, avec les séismes de la côte
Ligure dont plusieurs violents se succèdent en 1831, 1854 et 18877.
Celui du 23 février 1887 cause des dégâts importants sur la côte niçoise
puisque 155 maisons s’effondrent à Menton tandis que 5 % des maisons
niçoises sont lézardées. Les localités de l’arrière-pays, situées sur des pro-
montoires, sont encore une fois les plus touchées : le village de Castillon
où deux enfants sont tués doit être abandonné et reconstruit sur un autre
emplacement. L’origine sous-marine du foyer provoque un raz-de-marée
d’environ un mètre. Pendant ces deux derniers siècles, la mer Ligure a
connu une quinzaine de forts séismes, dont celui du 19 juillet 1963 de
magnitude 5,78.
En France, les Pyrénées font partie des zones de sismicité les plus
actives, comme le montre le séisme du 21 juin 1660. D’une intensité épi-
centrale proche de IX, c’est le plus important connu à ce jour, après celui

1. AM Nice, ms J. Scalier, La citta di Nizza di Provenza insigne per li sacri monumenti (1792), vol. 2, fol. 312 ;
U. BOSIO, La Province des Alpes-Maritimes, Nice, 1902, p. 136.
2. Annexe 2, cartes 2 et 5.
¨3. Avvisi della Gazetta di Genova, 12 mars 1644 ; Archives de l’Évêché de Nice, registre mortuaire de Saint-
Martin-de-Vésubie (1644).
4. AC d’Aups, BB 22 : délibérations (fol. 308).
5. Pour une estimation de l’intensité par localités, Enzo Boschi et alii, Catalogo dei forti terremoti in Italia dal
461 A.C. al 1980, Rome, Bologne, 1995, p. 276.
6. Jérôme Lambert, « The Catalonian (1428) and alpine (1564, 1644) Earthquakes : review of research in
France », in Massimiliano Stucchi (dir.), Materials of the CEC project « Review of Historical Seismicity in Europe »,
vol. 1, Milan, 1993, pp. 145-159 ; Andrea Moroni, Massimiliano Stucchi, « Materials for the investigation of
the 1564 maritime Alps Earthquake », ibid., pp. 101-125 ; Jérôme Lambert, Andrea Moroni, Massimiliano
Stucchi, « An intensity distribution for the 1564 maritime Alps Earthquake », in Paola Albini, Andrea Moroni
(dir.), Materials of the CEC project « Review of Historical Seismicity in Europe », vol. 2, Milan, 1994, pp. 143-152.
7. André Laurenti, Les Tremblements de terre des Alpes-Maritimes : histoire et sensibilisation, Nice, Serre, 1998.
8. Jérôme Lambert (dir.), Les Tremblements…, op. cit., 1997, pp. 22-26.

22
HISTOIRE ET GEOGRAPHIE D’UN RISQUE

du 2 février 1428 dont l’épicentre est situé hors du territoire, en Cerdagne


à Puigcerda (intensité IX)1.
« Le vingt et un juin 1660, à quatre heures du matin, un si terrible terretremble
arriva qu’il mit par terre une partie du clocher de l’Eglise Saint Vincens de Bai-
gnères et quelques pierres des arceaux de la voute, ensemble plusieurs maisons
entre autres celle de feu Pierre Bergès au bourgvieux, contre l’horloge, dessous
les ruines d’icelle ont été surprises écrasées et étouffées Marie de Bergès, veuve à
feu Dominique Estors, Cathérine de Vignoles de la paroisse d’Antalos, et une
servante de M. Dubouch chirurgien à Tarbes, nommée Marie de Barran ; le
devant de la maison de maitre Rogier de Berné, juge, tenue à louage par Odot
Bousigues cordonnier, est aussy tombée de ce tremblement de terre où s’est
trouvée écrasée et étouffée la servante dud. Bousigues Odet, nommée Guillel-
mina et toutes quatre ont été ensevelies, la première dans l’église du susd. St
Vincens et les autres au cimetière le soir même ; l’office faict par moy sous[sig]-
né. A même heure sont tombées contre le pont de l’Adour, la maison de Jean
Forcade et de Ramonet de Souriguère dit Pourrachou, tailleur, ayant surpris sous
les ruines cinq petits enfants dud. Fourcade et deux dud. Souriguère, et ensevelis
au cimetière de lad église le même jour et le lendemain. Dangos, prébandé et
vicaire »2.
Ces onze morts couchés sur un registre de Bagnères ne représentent sans
doute qu’une partie des décès causés par la secousse. L’ampleur des dégâts
à Bagnères est confirmée par de nombreuses autres sources, comme les
délibérations du conseil de ville qui soulignent le 27 juin « qu’il seroit
naissère de esviter de ruines qui menasset de grandz maus, come est de
l’églize et maison de ville et de toutes les tours et portes de lad. ville »3. À
Lourdes aussi et dans l’ensemble de la région, les dégâts sont considé-
rables :
« Il fit un horrible tremblement de terre qui fut entendeu presque par tout le
royaume de France et bien avant dans l’Espagne et par tout à la mesme heure, plu-
sieurs cloches sonnèrent d’elles mesmes, plusieurs églises furent renversées,
d’autres furieusement secouées, une partie de la pierre taillée qui couvroit la
muraille de la guérite de Lavedan fut renversée, le chasteau de Castelloubon et
celui de Geu abattus, de grandes pierres de rochers se détachèrent et croulèrent
des deux Gers et du Beau. La terre creva en plusieurs endroicts, les fontaines tari-
rent et on en vid sourdre de nouvelles. Grand nombre de maisons furent renver-
sées, non seulement en ville, mais encore à Baignères où plusieurs personnes
furent escrasées, et presque par toute la montaigne, principalement à Preschac et
jusqu’à Luz en Bareitge, et de celles qui demeurèrent sur pied, il n’y en eut pas
une qui ne fut peu ou prou crevassée, les cabanes des pasteurs qui estoit sur le haut
des montaignes renversées, les brebis et les vaches laitières en perdirent le lait, le
bestail bondissoit tout effaré sans pouvoir s’asseurer. Ce tremblement de terre fut
suivy de plusieurs autres bien furieux qui estonnèrent si fort le monde en ville

1. Jean Vogt, « The Pyrenees earthquake of 1660 : Effects in France », Disasters, 1983, pp. 191-193 ;
Jérôme Lambert (dir.), Les Tremblements…, op. cit., 1997, pp. 84-89. Annexe 2, carte 6.
2. AC de Bagnères de Bigorre, GG : registre mortuaire, 1658, fol. 13.
3. AC Bagnères, BB : délibérations 27 juin 1660 (fol. 15).

23
LES TREMBLEMENTS DE TERRE REELS, CONNUS…

qu’ils campèrent plusieurs nuicts hors des maisons et durèrent par l’espace de
quatre ans »1.
Des destructions équivalentes apparaissent dans un rayon d’une trentaine
de kilomètres autour de l’épicentre, notamment au couvent de Médoux, à
Barèges, à Argelès-Gazost, au monastère de Saint-Savin… Les effets du
séisme s’étendent sur plus de 400 km, et sont signalés par de nombreux
témoins2.
En l’état de nos connaissances, le tremblement de terre du 12 mai
1682 est le plus destructeur de l’histoire des Vosges. L’intensité atteint
VIII à l’épicentre, situé à quelques kilomètres au sud de Remiremont3. De
nombreux documents permettent de connaître l’ampleur des dégâts dans
cette ville, notamment aux édifices monumentaux. Dans l’église des
Nobles Dames de Remiremont, « les deux croisons sont tombez jusqu’au
grand corps et la voutte », « la muraille sur le portail de la place Saint-
Jean est renversée », au « portail du costé de madame l’abbesse les cor-
niches sont tombées », « le remplissage d’un des vitraux du côté est tout
corrompu et va tomber », « cinq piramides au dessus des pilliers boutans
[…] sont renversées », les murailles de la tour sont fendues et il faut les
refaire en partie, tandis que la toiture de trois chapelles est à refaire entiè-
rement ainsi que celle d’une partie de la nef4. Les dégâts sont évalués à
25 900 l., 33 s., 4 d. soit plus de 50 000 francs de Lorraine, par un rap-
port du 5 septembre 16825. L’hôtel abbatial et l’église paroissiale ne sont
pas épargnés, la tour de la seconde étant par exemple fendue en plusieurs
endroits6.
Le rapport de visite dressé du 22 au 26 mai 1682 donne un bilan global
des dommages7. Il distingue trois ensembles. Pour l’église des Nobles
Dames de Remiremont, il aboutit à un total de 17 483 livres. Ce chiffre est
inférieur au précédent ; la différence s’explique peut-être par les nouvelles
secousses et les dégradations supplémentaires dans les mois qui se sont
écoulés. Deuxième groupe expertisé, les « maisons ecclésiastiques » sont au
nombre de 38 et le total des dégâts de 11 984 livres. Enfin, les 119 « mai-
sons particulières » visitées dans la ville et les faubourgs augmentent les
dommages de 22 321 livres, ce qui donne un total général de 51 728
livres. Au moins une dizaine de ces 119 bâtiments est entièrement écrou-

1. AC Lourdes, GG 1 : registre paroissial (1660, fol. 1).


2. Annexe 2, carte 6.
3. G. Faury, « Le séisme dit de Remiremont en 1682 », in Jean Vogt (dir.), Les Tremblements de terre en
France, Orléans, 1979, pp. 179-188. Annexe 2, carte 7.
4. AC Remiremont, DD 2 : procès-verbal de la visite des ruines arrivées en la ville de Remiremont par un
tremblement de terre le 12 mai 1682 (fol. 2-3). Voir aussi AD des Vosges, G. 1476.
5. Paris, BnF, ms n. a. fr. 3671 (fol. 129).
6. AC Remiremont, DD 2 : procès-verbal de la visite des ruines arrivées en la ville de Remiremont par un
tremblement de terre le 12 mai 1682 (fol. 3-4).
7. Ibid.

24
HISTOIRE ET GEOGRAPHIE D’UN RISQUE

lée, dont quatre de trois étages et un de deux étages. « Il y a environ cent


cinquante toises de murailles en plusieurs endroits aux murailles de
l’enceinte de la ville qui sont renversées »1. Cette liste ne comprend que les
édifices qui sont le plus endommagés car le rapport précise que
« Dans toutes les maisons […] de la ville et faubourg de Remiremont, toutte la
maçonnerie est corrompue, les murailles fendues en plusieurs endroits, n’en ayant
pas fait mention dans les articles particuliers du présent procez verbal, non plus
que des crespys, et enduits des chambres »2.
D’après certaines sources, le séisme aurait tué plusieurs personnes. Le
Journal des savants parle de deux religieuses à Remiremont et le Mercure
galant de « plusieurs personnes tuées et blessées du costé de Pluinbier et
du Valdago »3. Cependant, le registre des décès de Plombières n’indique
pas de sépultures le 12 mai et les jours suivants4. À Remiremont non plus,
aucune trace n’a été trouvée des deux femmes mentionnées par le Journal
des savants5. Une source allemande rapporte qu’une maison se serait écrasée
sur ses occupants à Fougerolles6. Pour terminer sur les effets spectaculaires
de la secousse du 12 mai dans la région de Remiremont, mentionnons
cette anecdote lue à l’Académie royale des sciences de Paris :
« La secousse fut si grande qu’une statue de pierre de l’église des chanoinesses
haute de 8 pieds qui estoit elencé contre un pilier a 8 ou 10 pieds de terre fut jet-
tée à 4 toises loin de sa place par-dessus la cloison d’une chapelle, qui estoit plus
haute de beaucoup que n’estoit l’endroit sur lequel la statue estoit posée »7.
L’aire macrosismique, c’est-à-dire l’aire touchée par la secousse, est consi-
dérable : des dommages sont signalés en Alsace et en Champagne, tandis
que les secousses sont ressenties en Allemagne (Francfort, Stuttgart…), en
Suisse (Genève, Zurich…), vers le sud jusqu’en Dauphiné, Savoie,
Lyonnais, Bresse, vers l’ouest à Paris, vers le nord dans les Flandres8.
Le tremblement de terre du 24 mai 1750 en Bigorre n’est pas sans rap-
peler celui de 1660. La localisation de l’épicentre est très proche (à l’ouest
de Bagnères de Bigorre), ainsi que la zone ébranlée et l’intensité (VIII
contre VIII-IX). Pour souligner la réalité du risque sismique dans la région
pyrénéenne, rappelons que deux autres tremblements de terre d’intensité
VII suivent de peu celui du 24 mai en Bigorre : le 15 juin 1750 (Juncalas)
et le 12 janvier 1752 (Bagnères). Peu d’années plus tard – à l’échelle des
mouvements sismiques – un autre phénomène d’intensité VII se produit
1. Fol. 21.
2. Ibid. fol. 21.
3. Journal des savants, 1er juin 1682, p. 163 ; Mercure galant, mai 1682, p. 314.
4. G. Faury, « Le séisme dit de Remiremont »…, op. cit., 1979, p. 183.
5. P. Heili, « Le grand tremblement de terre de Remiremont. 1682 », Le Pays de Remiremont. Bulletin de la
société d’histoire locale de Remiremont et de sa région, t. 2, 1979, p. 22.
6. Theatrum Europaeum, 1691.
7. Académie Royale des Sciences, Registre des Procès-verbaux des séances, 21 avril 1683, vol. 11, fol. 143.
8. Annexe 2, carte 7.

25
LES TREMBLEMENTS DE TERRE REELS, CONNUS…

en Bigorre, celui du 7 juin 1778 (Saint-Pée). Ces événements ont été pré-
cédés d’un autre de degré VII, le 8 mai 1625, mais il reste mal connu. Les
Pyrénées centrales ne possèdent pas l’exclusivité des tremblements de
terre, qui affectent aussi les zones occidentales et orientales. Le 2 février
1783 se produit, par exemple, un séisme de degré VII dans le Vallespir
(Prats de Mollo). Le peu de sources disponibles incline cependant à relati-
viser cette estimation1. À propos de celui du 24 mai, Dupont – notaire à
Villelongue, à proximité d’Argeles – écrit sur son registre que
« Le soir de la Trinité de l’année 1750, à dix heures il a fait un tremblement de
terre si violent et si extraordinaire que plusieurs maisons ont croulé principale-
ment à Juncalas ou bien de personnes ont péri sous les ruines. Il n’y a point eu ou
presque de maison qui n’ait soufere, les murailles fêlées, lézardées, et considéra-
blement endomagées, le peuple alarmé. On a senti des secousses fréquentes pen-
dant tout le cours de lad. année, et encor bien avant dans celle de 1751. »2
Dans une lettre à l’Académie de Toulouse dont il est correspondant,
Lavant avance un chiffre global pour Juncalas qui est peut-être à prendre
avec précaution : « de 120 ou 139 maisons qui formoient le village de
Juncalas il n’en resta que 22, & deux seulement après les secousses du 26
au 27 [mai] »3. Les dégâts à Lourdes et dans sa région sont aussi impor-
tants.
« Du côté de Lourdes plusieurs maisons ont été renversées, la tour du château de
Lourdes, dont les murs sont d’une épaisseur énorme, a été lézardée d’un bout à
l’autre et la chapelle est entièrement endommagée. Le village de Goncalas, auprès
de Lourdes, a beaucoup souffert ; plusieurs maisons ont été renversées, et plusieurs
personnes ont péri sous les ruines. Les voûtes du monastère Saint-Pée, de même
que celles de l’église, se sont entr’ouvertes. »4

Ces descriptions sont confirmées par les archives, à Lourdes et à


Bagnères comme au monastère Saint-Pée5. Cette secousse est ressentie
dans la plus grande partie du bassin aquitain et jusqu’à Montpellier6.
1. Octave Mengel, « Monographie des terratremols de la région catalane », Bulletin de la société Ramond,
t. 44, 1909, pp. 66-85 ; Eduard Fontserè, Josep Iglésies, Recopilacio de dades sismiques de les terres catalanes entre
1100 i 1906, Barcelona, 1971 ; archives privées de la famille Roquelaure, citées dans E. Ferran, « Exposé som-
maire des phénomènes météorologiques survenus aux XVIIe et XVIIIe siècles dans les anciens diocèses de Pamiers,
Mirepoix, Couserans, Rieux et Alet », in Comptes rendus du congrès des sociétés savantes de Paris et des départements,
Paris, 1900, p. 83
2. AD des Hautes-Pyrénées, E 285 bis : notes de Dupont, notaire à Villelongue (1750-1752).
3. « Sur un tremblement de terre et sur des effets singuliers de la foudre », in Histoires et mémoires de
l’Académie royale des sciences de Toulouse, Toulouse, t. 2, 1755, pp. 16-17.
4. BM Bordeaux, fonds de l’Académie, ms 13 : lettre du P.Lambert, capucin, écrite de Toulouse à un
membre de l’Académie de Bordeaux.
5. AC Lourdes, BB 43 : pertes et ruines à Lourdes à cause du tremblement de terre, 1750 (fol. 40) ; AC
Bagnères, BB, délibérations du 24 juillet 1750 : délibération du conseil politique ordonnant aux consuls de
faire dresser par des maîtres charpentiers et maçons un état des réparations indispensables à l’église Saint-
Vincent et autres édifices publics, extrêmement endommagés par suite des tremblements de terre (fol. 21-23) ;
BM Tarbes, ms 45 : Glanages ou preuves (t. 21, pp. 104-106).
6. Jérôme Lambert, Actualisation et interprétation des données de sismicité historique relatives au Bassin aquitain et
au Quercy, rapport BRGM, n° 86 SGN 372 GEG, 1986, pp. 42-45. Annexe 2, carte 9.

26
HISTOIRE ET GEOGRAPHIE D’UN RISQUE

À la toute fin du XVIIIe siècle, sous la République, se produit un dernier


événement destructeur, sans doute le plus important de ces derniers siècles
dans cette partie de la France1. Les sources sont très nombreuses, grâce à la
nouvelle administration en place : une correspondance active est envoyée
par les directoires exécutifs des départements, les commissaires de ces
directoires, les municipalités, la gendarmerie, les commissaires cantonaux
à destination de leurs supérieurs et jusqu’au ministère de l’Intérieur2. Le 6
pluviôse an VII (25 janvier 1799), une secousse formidable survient vers 4
heures un quart du matin. Les dégâts sont très importants, comme le rap-
porte Mignon, commissaire cantonal de Bouin :
« La ville quoiqu’assé maltraitée ne l’a point été autant que le marais, des quar-
tiers surtout sont abîmés, des maisons ont écroulés en entier, les habitants obligés
de se sauver par les brèches des murs et de la toiture.
D’autres maisons, les murs au ras des terres, se sont détachées de leurs fondements
et déportées soit en avant ou en arrière.
Enfin plusieurs maisons sont délogés et les habitants se sont réfugiés dans la ville.
Car sy les unes n’ont pas été totalement mises hors de service, elle n’en sont pas
non plus logeables, menaçant de s’écrouler au premier fort vent. On estime 60, ou
80 maisons dans cet état. »3
Le même type de dégâts est décrit dans une grande partie du Marais
vendéen, principalement autour de Bouin. L’épicentre d’intensité VII-VIII
est situé en fait en mer, entre Bouin et Noirmoutier, mais l’intensité
atteint VIII dans le marais de Bouin : de récentes études géologiques et
géophysiques ont montré l’existence d’un effet de site à cause de la nature
et de la constitution des terrains superficiels. Le séisme est ressenti forte-
ment à Nantes où il renverse des cheminées et endommage plusieurs
murs. Son aire macrosismique est très étendue, englobant la Bretagne et
les Iles anglo-normandes, la Normandie, l’Île de France, l’Anjou, le
Maine, la Touraine, l’Orléanais, le Morvan, le Poitou, le Berry, le
Limousin, l’Auvergne, les Charentes, l’Aquitaine. En Vendée, les consé-
quences sur les populations ont été accentuées par le contexte difficile de
l’insurrection vendéenne.

Et de nombreux séismes fortement dommageables

Le tremblement de terre du 7 septembre 1706 dans la vallée de la Loire


n’est connu que par trois annotations de registres paroissiaux. À Sainte-
Radegonde et à Vivy, il est simplement mentionné par le curé, sans indi-
1. Jérôme Lambert, Les Tremblements…, op. cit., 1997, pp. 71-74. Annexe 2, carte 13.
2. Pour la bibliographie complète, se reporter à Jérôme Lambert et Agnès Levret-Albaret (dir.), Mille ans de
séismes en France. Catalogue d’épicentres. Paramètres et références, Nantes, 1996, pp. 53-54.
3. AD Vendée, L 222 : correspondances du commissaire cantonal de Bouin au commissaire central (9 plu-
viôse an VII).

27
LES TREMBLEMENTS DE TERRE REELS, CONNUS…

cation d’éventuels dégâts1. En revanche, les conséquences à Langeais justi-


fient une intensité VII et la localisation de l’épicentre à cet endroit. Le
séisme « a quasi renversé toutes les maisons, & le clocher de Sainct Jean en
a fendu & est fort bien endommagé & des pierres d’une muraille de mon
presbitere mesme en ont sorty ». Le récit insiste sur la frayeur causée par
cet événement « si terrible & si épouventable » que « tout le monde en a
esté dans une grande consternation »2. Cet épisode mériterait sûrement
des recherches approfondies en Touraine.
Avec une intensité VII-VIII à l’épicentre, le séisme du 6 octobre 1711
est le plus violent connu à ce jour dans l’histoire du Poitou3. Loudun est la
ville la plus touchée, comme le raconte le subdélégué de Loudun,
Gueniveau, dans une correspondance transmise au contrôleur général des
finances :
« Hier sur les sept heures et demye du soir, il a fait en cette ville un sy grand
tramblement de terre que tous les habittans depuis les plus grands jusqu’au plus
petits en ont pensé mourir de poeur. Ce tramblement a fait par plusieurs fois dont
deux ont estez furieux qui ont duré le temps d’un demy quart d’heure. On croioit
que touttes les maisons tomboient les unes sur les autres. Il ny en a poinct dou il
nayt tombé des pierres et plusieurs cheminée ; et mesme beaucoup de personnes
sont blessée par les pierres qui ont tombé sur eux.
Beaucoup de personnes ont abandonné leurs maisons et ont sorty la ville jusqu’au
jour. je ne scaurois à présent vous dire le mal que cela fait mais il est grand. Je
croy quil y a plusieurs personnes qui sont mortes et d’autres qui en moureront de
poeur. »4
Le Journal de Poirier rapporte que « plusieurs bâtimens dans cette ville
ont tombé et des chaminées renversées »5. Lors de la séance du 28
novembre 1711, le conseil de ville décide de faire procéder de manière
urgente à la visite de la porte du Martray et de son corps de garde, ainsi
qu’à celle du portail Chaussé, dont une partie s’est effondrée par suite du
tremblement de terre et des orages6. Une quinzaine de kilomètres au sud-
ouest, à Moncontour, « il y avait eu plusieurs logis écroulés, et entre autres
celuy de la cure de Nostre Dame, et le sacristin nommé Laurand […]
ayant été près de deux mois à guérir de ses blessures »7. À quelques kilo-
mètres de là, l’abbaye de Saint-Jouin de Marnes subit elle aussi des dégâts
importants.
« On croyoit que tout était perdu. Les bastiments de l’abbaye en ont esté beau-
coup endommagés. Il y avoit eu trois ou quatre cheminées renversées. La plupart
1. AC Sainte-Radegonde : registre paroissial (1706) ; AC Vivy : registre paroissial (1706).
2. AC Langeais : registre paroissial (1706).
3. Jean Vogt, « L’évolution de la connaissance d’un ancien séisme : le tremblement de terre poitevin de
1711 », in Jean Vogt (dir.), Les Tremblements de terre…, op. cit., pp. 190-192. Annexe 2, carte 8.
4. AN, G7 529 : correspondance de Loudun du 7 octobre 1711.
5. Arch. privées, Journal de M. Poirier de Loudun.
6. AC Loudun, BB 9 : délibérations du 28 novembre 1711.
7. AC Moncontour : registre (1711).

28
HISTOIRE ET GEOGRAPHIE D’UN RISQUE

des plattes bandes [linteaux] des portes et des croysées entrouvertes aussi bien que
la voûte de la chapelle. Une partie de la balustrade de la galerie versée et plusieurs
autres dommages considérables. »1
À 25 km au nord de Loudun, l’église Saint-Martin de Candes est inutili-
sable car le tremblement de terre a fait tomber un des piliers de la nef qui,
dans sa chute, a entraîné les voûtes et endommagé deux autres piliers, sou-
tenant le clocher et les voûtes du chœur. Un effondrement complet est à
craindre, ce qui pousse le chapitre à rédiger un placet au roi dans l’espoir
d’obtenir des secours. Les réparations nécessaires sont estimées à 9 100
livres2. En dehors de cette zone de dégâts autour de Loudun, le séisme est
ressenti dans un vaste espace, du Havre à Limoges3. À une trentaine de
kilomètres au sud-ouest de Loudun, en Poitou-Gâtine (Parthenay), se pro-
duit le 9 janvier 1772 un autre séisme dommageable, preuve supplémen-
taire de la sismicité de cette région4.
La violence du séisme qui surgit le soir du 10 août 1759 surprend les
habitants du Bordelais car son épicentre est localisé dans l’Entre-Deux-
Mers, à une vingtaine de kilomètres à l’est de Bordeaux, entre Garonne et
Dordogne. Dans cette zone, l’intensité atteint VII-VIII et de nombreux vil-
lages subissent des destructions ou des dommages importants5. Sans passer
en revue tous les lieux touchés, contentons-nous de deux exemples, à
Saint-Aignan et à La Sauve.
« Le 10 août, à dix heures du soir, sans orage, la lune couverte d’un nuage, il y eut
un tremblement de terre si grand que beaucoup de maisons s’ouvrirent sur le côté,
plusieurs cheminées tombèrent, les voûtes des églises furent fendues en plusieurs
endroits ; on ne peut dire la messe en sûreté dans l’église de Saint-Germain ; pour
notre église elle n’a eu d’autre mal qu’il est tombé quelques pierres au milieu de
l’arceau de la voûte. »6
« La maison des Bénédictins fut très endommagée, plusieurs de leurs chambres
ayant eu leur murs crevés, et il tomba dans leur église ou dans le reste de leur mai-
son environ soixante pierres de taille. »7
À Carignan, l’église est considérablement endommagée : les murs de la
nef perdent leur aplomb, l’arc se disloque, les voûtes du chœur présentent
des crevasses8. La reconstitution des conséquences dans l’Entre-Deux-Mers
repose sur deux séries d’archives exceptionnelles qui regroupent des visites
1. Arch. privées : chronique de Henri Duplessis de Paumard, sénéchal de Saint-Jouin.
2. AN G7 530 : mémoire sur la demande du chapitre de Saint-Martin de Candes dioceze de Tours concer-
nant les réparations à faire à leur église (fol. 2).
3. Fonds de la Marine, B3 194 : correspondance de M. de Champigny (fol. 150v) ; BM Limoges, ms 123 :
fragments de chronique, 1709-1714.
4. Gazette de France, n° 7, 24 janvier 1772 ; ibid., n° 10, 3 février 1772 ; Annonces, affiches et avis divers pour
la ville du Mans et pour la province, t. 6, 1772, p. 22.
5. J. Faure et Agnès Levret, Compléments à l’analyse de la sismicité historique du Bordelais, Note technique
DSN/SERS n° 147, 1979 ; Jean Vogt, La Crise sismique bordelaise de 1759-1761. Mise au point de sismicité histo-
rique, rapport BRGM n° 81 SGN 624 GEG, 1981. Annexe 2, carte 11.
6. AC de Saint-Aignan : registre paroissial (1759).
7. AC de La Sauve : registre paroissial (1759).
8. AD Gironde, G. 647 Carignan : dégâts subis par l’église à cause des tremblements de terre.

29
LES TREMBLEMENTS DE TERRE REELS, CONNUS…

de bâtiments relevant du duc de Fronsac et de l’Ordre de Malte1. À


Bordeaux, l’intensité est moins forte mais les sources sont peu précises car
certaines parlent de chute de vieilles murailles de diverses maisons, ou de
cheminées tandis que ce manuscrit de la bibliothèque de la ville minimise
plutôt les dégâts2 :
« Les charpentes craquèrent ; quelques parcelles de mortier se détachèrent des
murs : on prétend que quelques horloges sonnèrent ou s’arrêtèrent, la voûte d’une
église qui menaçait ruine, s’écroula (l’église des religieuses de Notre-Dame) mais
il n’y eut aucun accident grave : néanmoins les promenades et les places publiques
furent toute la nuit couvertes de personnes effrayez qui fuyaient leurs maisons. »3
La vallée du Rhône est secouée par deux séismes d’intensité VII en 1769,
le 18 novembre et le 21 décembre, dont l’épicentre est proche de
Bédarrides, à une quinzaine de kilomètres au nord-est d’Avignon. L’événe-
ment est ressenti à Avignon et rapporté par la Gazette de France qui
affirme, avec un peu d’exagération que « plusieurs maisons et la moitié des
cheminées en ont été renversées »4. Les archives communales montrent
que plusieurs bâtiments sont endommagés (fissures, couverture à refaire,
écroulement partiel du clocher et des remparts)5.
À partir du 8 juin 1772, les villages du Tricastin sont ébranlés par une
série de secousses qui dure jusqu’en décembre 1773, pour atteindre son
paroxysme le 23 janvier et le 7 février. Les dégâts les plus importants se
concentrent à Clansayes, village perché sur un promontoire en bordure du
Rhône. En mai 1773, la communauté fait dresser un procès-verbal qui
nous permet de connaître les différentes étapes de cet essaim sismique6. La
secousse du 11 juin cause la chute de plusieurs pierres des vieux remparts.
Elle est suivie de plusieurs répliques sans gravité, jusqu’aux quatre trem-
blements de terre du 18 janvier 1773 qui font tomber plusieurs pierres des
remparts et des maisons, infligent des fissures sur plusieurs bâtiments,
fendent la nef sur environ un pouce. Le 23 janvier, deux nouveaux ébranle-
ments agrandissent la lézarde de la nef, abattent le couronnement du clo-
cher, rendent la maison curiale et une partie du village inhabitables.
L’ampleur des dégâts est confirmée par la décision, prise par l’architecte
envoyé sur place, de détruire certains bâtiments. Les secousses suivantes ne
causent pas de pertes notables. Les dégâts à Clansayes sont estimés à un

1. AD Gironde, 1B, n° 3289 : fonds de la sénéchaussée de Fronsac ; AD Gironde, fonds de Malte, n° 674 :
Arveyres (fol. 188-189), Cadarsac (fol. 198), Fargues (fol. 246-247), La Grave (fol. 212), pigeonnier du château
d’Arveyres (fol. 269, 292), Saint-Germain d’Esteuil (fol. 235, 275), Saint-Pierre de Vaux (fol. 195).
2. Pour la discussion complète, cf. Jean Vogt, La Crise sismique…, op. cit., 1981, pp. 18-20.
3. AM Bordeaux, ms. 519.
4. Gazette de France, n° 100, 15 décembre 1769.
5. AC Bédarrides, BB 6 : délibérations du 26 novembre 1769 (fol. 246 v°-247) ; AC Bédarrides, DD 24 :
devis et désignation des diverses réparations de maçonnerie que la communauté doit faire mettre à l’enchère,
3 janvier 1770 (fol. 179-180)
6. AC de Clansayes : Relation des tremblements de terre principalement ressentis à Clansayes.

30
HISTOIRE ET GEOGRAPHIE D’UN RISQUE

degré VII-VIII et s’expliquent par un effet de site, l’accumulation des


secousses et la vulnérabilité des bâtiments. En dehors de ce lieu, le rapport
conservé à Clansayes signale que dans un village proche situé dans le val-
lon, Saint-Raphaël, plusieurs maisons ont été considérablement lézardées.
Les conséquences dans la région sont mal connues mais les tremblements
de terre ont été ressentis : celui du 8 juin par exemple « se fit sentir sur
une grande étendue des deux rives du Rhône en Dauphiné et en Vivarais,
mais particulièrement sur le terroir de Clansayes, Solérieux, Saint-Restitut
et Saint-Paul-Trois-Châteaux »1. La région a subi d’autres essaims sis-
miques du même type, en 1873 et en 1934-1936. Entre 1873 et 1876 se
succèdent une trentaine de secousses qui endommagent considérablement
Châteauneuf-du-Rhône, obligeant le conseil municipal à demander des
secours au conseil général et au gouvernement2.
Le 22 octobre 1775 surgit un tremblement de terre dans une région rat-
tachée au territoire français depuis peu, la Corse. Par le traité de Versailles
du 15 mai 1768, Gênes a en effet transféré ses droits sur l’île au roi de
France. Cette domination devient effective avec le débarquement d’une
armée française, qui conduit au départ de Paoli le 13 juin 1769. La Gazette
de France rapporte que la dernière secousse survenue ce 22 octobre « a ren-
versé une maison à Vico, & une au village de Quillani, distant d’une lieue
de cette bourgade »3. Avec cet événement, la Corse apparaît pour la pre-
mière fois dans la base SISFRANCE, ce qui montre l’influence des anciennes
frontières politiques sur la connaissance actuelle des séismes du passé : l’île
est peu présente dans les sources françaises jusqu’en 1769 et relève plutôt
de sources génoises. Dans l’ensemble, la Corse ne présente pas une activité
sismique notable car ce séisme de 1775 semble être le seul à avoir provo-
qué des dommages.
Le 30 décembre 1775 vers 10 heures et demie se produit un des plus
violents séismes qu’ait connu la Normandie4. L’intensité à l’épicentre,
situé dans la région de Caen, est estimée à VII. Dans la ville même de
Caen, les effets sont précisément décrits par une lettre que l’abbé Adam,
professeur de philosophie, adresse au maréchal de Harcourt et qui est lue à
l’Académie Royale des Sciences de Paris le 24 janvier 1776. Elle complète
une autre correspondance, adressée cette fois-ci aux Annonces, affiches et avis
divers de la Haute et Basse Normandie et qui semble elle aussi due à l’abbé
Adam5.
« Toutes les tuilles qui couvrent ma maison ont été fort agitées, ainsi que les
vitres des croisées dont le cliquetis a été fort sensible, et même le marteau d’un
1. AC Saint-Restitut : registre paroissial (1772).
2. Jérôme Lambert (dir.), Les Tremblements…, op. cit., 1997, pp. 16-18.
3. Gazette de France, n° 93, 20 novembre 1775.
4. Annexe 2, carte 12.
5. Annonces, affiches et avis divers de la Haute et Basse Normandie, 5 janvier 1776, pp. 2-3.

31
LES TREMBLEMENTS DE TERRE REELS, CONNUS…

réveil qui est dans ma chambre a frappé plusieurs coups subits contre le timbre de
sorte qu’on 1’a entendu d’une salle qui est au-dessous. Tous les soliveaux de la
salle où j’étais, étoient en mouvement.
Il est tombé autour de moi plusieurs petits morceaux de plâtre et de mortier des
parties du mur qui touchaient aux soliveaux. Cet effet a encore été plus sensible
dans mes chambres.
Le chapiteau d’une des croisées s’est écarté d’environ trois lignes. Je ne puis ouvrir
la fenêtre. […]
Toutes les maisons de la ville ont été violemment agitées : cependant les unes plus
que les autres. Les têtes de plusieurs cheminées ont été renversées. Une croix de
pierre placée sur le pignon de la maison du Maître de musique de la collégiale de
Saint-Sépulchre a été penchée dans la direction du tremblement, quelques tuilles
sont tombées de dessus l’église. La couverture d’un grenier de la collégiale a été
fort endommagée du côté du midi
La commotion a été encore plus sensible du côté de l’abbaye de Saint-Étienne,
plusieurs murs, quoique très forts, sont lézardés.
J’ai vu des pierres de plus de 500 livres détachées du haut d’anciens murs et jet-
tées parterre. Une pierre, détachée de l’église Notre-Dame, est tombée sur la tête
d’une femme et sur le bras qui s’est cassé. Elle a été trépanée ; on espère qu’elle
n’en mourra pas. Un homme a eu le bras cassé d’une pierre qui est tombée de des-
sus une cheminée.
L’église du séminaire a été lézardée en plusieurs endroits. La secousse a été très
violente aux Casernes et l’on m’a assuré qu’une pierre a été poussée avec tant de
force de la tète d’une des cheminées, qu’elle a été jettée dans la cour sans toucher à
la couverture du bâtiment. La maison de M. de Manneville, proche les prés de
Louvigny, a été très endommagée par une grosse cheminée qui est tombée sur la
couverture. […]
À une lieue vers l’est de la ville, la tour de l’église d’Hérouville a été renversée.
Celle de Cormeille, à egale distance au sud-est, a été pareillement renversée.
Le tremblement a été très vif à Trouarn, à deux lieues et demie à l’est-quart-sud
de cette ville : une maison a entièrement écroulé. L’autel et la contre-table d’Éter-
ville, à l’ouest de Caen, qui étoient adossés contre le pignon de l’église, ont été
culbutés.
Les murs de l’abbaïe de Fontenay ont été lézardés en plusieurs endroits. […]
Au bourg de Cheux, à l’ouest de Caen, les secousses ont culbuté une maison. Le
tremblement de terre a été fort violent à Saint-Lô, très sensible à Baïeux et lsigny,
nul à Carentan et Valognes, très vif au Havre. »1
Dans son Journal, Étienne Desloges, échevin de Caen, confirme certains
de ces dégâts et en signale de nouveaux :
« Le 30 décembre 1776 [sic], il est arrivé à Caen un tremblement de terre sur les
onze heures du matin. Il a duré 3 secondes : il a abattu quantité de cheminées, les
tours de l’abbaye de Barbery, de Cormelles, d’Éterville et autres. Toute la ville a
été des plus émue par un bruit comme plusieurs équipages. Il a amené sur la côte
un poisson de 60 pieds et de 18 de hauteur [près de 20 m sur 8]. »2
1. Académie Royale des Sciences, Pochette de la séance du 7 février 1776 : lettre de l’abbé Adam à M. le
maréchal de Harcourt, du 24 janvier 1776.
2. « Journal d’Étienne Desloges », in G. Vanel, Recueil de journaux caennais, 1661-1777, publiés d’après les
manuscrits inédits, Rouen, 1904, p. 105.

32
HISTOIRE ET GEOGRAPHIE D’UN RISQUE

Les dommages à Cormelles apparaissent dans les délibérations de la com-


munauté qui se prononce sur « la réédification du clocher de la ditte église
ainsi que de la nef et beffroy renversé par le tremblement de terre du
trente décembre dernier »1. À Maltot, au sud de Caen, le curé rapporte que
« plusieurs pierres des maisons et surtout des cheminées se sont déta-
chées », tandis que la tour de l’église de Hubert-Folie s’est elle aussi
écroulée2. Au total, le tremblement de terre est ressenti jusqu’à Saint-
Malo, Laval, Paris ainsi qu’à Corbeil, Alençon, Mortagne, Segré et même
Toulouse d’après la Gazette de France3.

Une géographie subtile et étendue

Cette rapide description montre que, par rapport aux pays de forte sis-
micité, la France est affectée par des phénomènes moins violents et plus
rares, mais qui sont loin d’être mineurs et concernent de nombreuses
zones. Sur mille ans d’histoire, la carte des épicentres fait apparaître six
régions sismiques principales4.
Les Pyrénées présentent une activité élevée par rapport à la sismicité
française, en particulier en Bigorre (1660 et 1750). Plus à l’ouest, un
séisme d’intensité VIII, le 13 août 1967, a détruit ou rendu irréparables
80 % des maisons d’Arette tandis que 62 communes étaient déclarées
sinistrées. De nombreux microséismes sont enregistrés annuellement dans
cette région.
Le sud-est de la France est divisé en sous-ensembles régionaux, qui pré-
sentent aujourd’hui une activité microsismique faible ou pratiquement
nulle mais qui ont subi des séismes violents dans le passé. Dans la vallée
du Rhône, le Tricastin a connu trois essaims de séismes d’intensité VIII ou
VII-VIII (le 23 janvier 1773, le 8 août 1873 et le 12 mai 1934). La
Provence a subi des séismes d’intensité VIII à Manosque en 1509 et en
1708, VII-VIII à Beaumont de Pertuis en 1812 et à Volx en 1913, IX à
Lambesc en 1909. Sur la Côte d’Azur, la sismicité est faible au regard du
nombre d’épicentres mais forte quant aux intensités, qu’il s’agisse de
tremblements de terre locaux ou originaires de Ligurie ou du golfe de
Gênes. La Vésubie a subi de nombreux événements violents d’intensité
VIII, le 23 juin 1494, le 20 juillet 1564, le 18 janvier 1618 et le 15 février
1644.
1. AC Cormelles le Royal, Délibérations du 22 décembre 1776.
2. AC Maltot, registre paroissial (1775).
3. Gazette de France, n° 2, 5 janvier 1776 ; ibid., n° 3, 8 janvier 1776 ; ibid., n° 4, 12 janvier 1776 ; ibid.,
n° 6, 19 janvier 1776 ; ibid., n° 9, 29 janvier 1776 ; ibid., n° 12, 9 février 1776 ; ibid., n° 25, 27 mars 1776.
4. Annexe 2, carte 1. Jean Vogt, Les Tremblements…, op. cit., 1979, pp. 211-212. Les données ont été corri-
gées à partir des travaux postérieurs.

33
LES TREMBLEMENTS DE TERRE REELS, CONNUS…

Dans les Alpes, la sismicité est principalement localisée dans trois


régions. En Ubaye, l’activité microsismique est toujours importante
actuellement, soulignée par un séisme d’intensité VIII le 5 avril 1959. En
Haute-Savoie, de nombreux épicentres sont localisés au sud du lac Léman
et dans la haute vallée du Rhône (le 19 février 1822 en Bugey, intensité
VII-VIII). Rappelons le séisme du 15 juillet 1996 à Annecy dont les dégâts
matériels ont été estimés à 500 millions de francs. Dans la région du
Mont-Blanc, un séisme d’intensité VIII est survenu le 29 avril 1905. En
Dauphiné, de nombreux séismes affectent le Vercors, dont celui du 25
avril 1962 d’intensité VII-VIII.
Quatrième ensemble, le Nord-est est marqué par la présence des
séismes du fossé rhénan qui affectent l’Alsace, dont le fameux du 18
octobre 1356 à Bâle entre 22 et 23 heures, d’intensité IX à l’épicentre.
Dans les Vosges, un seul séisme d’intensité VIII est connu, celui de 1682 à
Remiremont.
Dans le Massif armoricain et ses bordures, la sismicité est assez diffuse
en Bretagne, centrée sur une bande qui va de la Pointe du Raz à Angers.
Dans le nord de la Bretagne, le Cotentin, les Îles anglo-normandes, la sis-
micité peut atteindre VII. Elle est plus forte dans la zone périphérique,
coincée entre le Massif armoricain et le Massif central : le Poitou et la
Touraine ont subi plusieurs séismes destructeurs (1657, 1704, 1711,
1772) et la Vendée celui de 1799. Les recherches en sismicité historique se
concentrent aujourd’hui sur le Poitou et la Touraine où subsistent encore
de nombreuses incertitudes.
Enfin, le Massif central présente une sismicité d’ensemble faible, mais
l’Auvergne a été ébranlée par deux séismes d’intensité VIII, le 29 juin
1477 et le 1er mars 1490, et de manière moindre en octobre 1833 et en
août 1892 (intensité VII). Au nord, le Berry a été aussi affecté par plusieurs
séismes : le 26 janvier 1579 (intensité maximale observée de VII, pour un
épicentre peut-être localisé aux environs de La Châtre), le 14 septembre
1866 (aire macrosismique de plus de 200 000 km2 et intensité VII à l’épi-
centre en Brenne), le 3 décembre 1925 (aux environs de La Châtre, inten-
sité VI).
La comparaison de cette géographie millénaire avec celle des XVIIe et
XVIIIe siècles souligne la complexité de la sismicité française. Certaines
zones sismiques, tels les Alpes, l’Alsace et le Massif central, ne connaissent
pas de séisme de forte intensité entre 1600 et 1800. En revanche, cette
période compte des secousses importantes en dehors des principaux
domaines sismiques : en 1759 dans le Bordelais, en 1775 dans le
Rouergue (dont l’intensité reste incertaine), en 1775 dans la région de
Caen. Ajoutons l’essaim sismique de Picardie en avril et mai 1756,
d’intensité VI à l’épicentre, entre Breteuil et Saint-Just-en-Chaussée.
34
HISTOIRE ET GEOGRAPHIE D’UN RISQUE

Les différences entre la carte de la sismicité instrumentale et celle de la


sismicité historique sont encore plus nettes1. La première est établie à par-
tir des secousses enregistrées par les sismomètres depuis les années 1960.
Les premiers appareils sont bien plus anciens, par exemple celui installé à
l’Observatoire du Parc Saint-Maur à Paris en 1914. Mais il a fallu
attendre une cinquantaine d’années pour la mise en place d’un réseau sis-
mologique de surveillance continue, permettant d’avoir des données
fiables et homogènes sur une grande partie du territoire. Or, le catalogue
instrumental (version 2002) ne montre aucune sismicité de magnitude
modérée dans le Centre de la France et le Massif central tandis que le cata-
logue historique contient plusieurs événements d’intensité supérieure à VI
pour ces régions : en Auvergne, l’événement du 29 juin 1477 a atteint
l’intensité VII-VIII, celui du 1er mars 1490 l’intensité VIII. Le Détroit de
Calais n’apparaît pas alors qu’il présente deux épicentres de séisme
d’intensité VII-VIII, survenus le 21 mai 1382 et le 6 avril 1580. Ces évé-
nements ont été pris en compte lors de la construction du tunnel sous la
Manche.

Les failles, des mécanismes complexes

Ces différences mettent en valeur une caractéristique essentielle des


séismes français, leur longue période de retour, en moyenne supérieure à
cinq siècles, voire nettement plus, ce qui est typique des régions intracon-
tinentales à faible taux de déformation. En effet, la France est en bordure
d’une frontière entre deux plaques tectoniques majeures, africaine et eura-
sienne, qui convergent l’une vers l’autre à près de deux centimètres par an.
Ce schéma est complexifié par la présence de petites failles prises en étau
par ce mouvement convergent (Adriatique, Égée, Anatolie, Ibérie…). Les
réseaux complexes de failles en bordure de ces plaques donnent la sismicité
forte de la Grèce ou de la Turquie. Le territoire métropolitain, bien
qu’éloigné de ces zones de frontières, est lui aussi parcouru de failles sus-
ceptibles de rejouer et de provoquer des séismes. Les Alpes et les Pyrénées
ont été formées par la collision continentale, entraînée par le déplacement
de la plaque ibérique et de la plaque adriatique : les grandes failles respon-
sables de la formation de ces reliefs sont à l’origine des plus fortes
secousses sismiques de notre histoire. Mais des failles sont aussi présentes
en dehors de ces zones montagneuses, héritées d’épisodes tectoniques pas-
sés. Les grandes failles hercyniennes du socle armoricain qui se sont for-
mées il y a 300 millions d’années, sont maintenant réactivées, produisant

1. Annexe 1, cartes 1 et 2.

35
LES TREMBLEMENTS DE TERRE REELS, CONNUS…

la sismicité sporadique de la Bretagne et de la Vendée. Les failles bordant


les grabens d’Alsace, du Rhône et du Massif central, formées par une
extension est-ouest de la croûte terrestre il y a 30 millions d’années,
rejouent maintenant en générant une sismicité notable. Quant aux régions
qui présentent une sismicité historique quasi nulle (les Bassins parisien et
aquitain), les séismes destructeurs y sont très peu probables mais pas
impossibles, comme le montrent les événements de 1756 et de 17591.
Les mécanismes des failles expliquent ces caractéristiques2. Des
contraintes sont exercées en permanence sur le matériau terrestre.
Sollicité, celui-ci se déforme, mais peut casser si les contraintes dépassent
son seuil de résistance : c’est un séisme. Le point de rupture est la source
sismique, le foyer du séisme, situé en profondeur3. La rupture sismique
s’initie en une petite zone de plus faible résistance sur la faille et un front
de fracturation se développe à grande vitesse sur la surface fragile de la
faille. Cette cassure fait coulisser les deux blocs de part et d’autre, de plu-
sieurs centimètres, voire de plusieurs mètres en fonction de la magnitude.
Il existe différents types de coulissage, en fonction des caractéristiques de
la faille. Le glissement relatif des deux faces de la faille est bloqué ou gêné
par des aspérités de toutes tailles, provoquant dans les roches des vibra-
tions de fréquences variées se propageant au loin dans la faille : ce sont les
ondes sismiques. Deux types d’ondes élastiques peuvent se propager, de
compression ou de cisaillement. Ce sont ces ondes qui sont ressenties à la
surface du sol. Depuis leur source, elles peuvent être atténuées ou ampli-
fiées car elles subissent des effets de propagation (atténuation avec la dis-
tance, perturbation par l’hétérogénéité des roches) et des effets de site
(amplification par les terrains sédimentaires récents ou par la topogra-
phie). Les effets à la surface dépendent donc aussi de la profondeur du
foyer. En France, les foyers sont presque exclusivement superficiels, avec
une profondeur comprise entre 5 et 15 km : par exemple, moins de 10 km
de profondeur pour le séisme de 1909 à Lambesc et celui d’Arette en
1967.
Ces mécanismes posent la question de l’existence d’un modèle théorique
des cycles sismiques : une fois que la faille a cédé et relâché les contraintes
tectoniques, elle se bloque à nouveau, se rechargeant lentement jusqu’à
une nouvelle rupture sismique. Ce modèle permettrait des prédictions à
long terme mais, en réalité, il est trop simpliste, et la notion même de pré-
dictibilité est récusée par un certain nombre de sismologues. Dans les
régions de forte sismicité, le retour périodique d’un séisme de magnitude
1. Jérôme Lambert, Agnès Levret-Albaret, Mille Ans…, op. cit., 1996, p. 9 ; Jérôme Lambert, Les Tremble-
ments…, op. cit., 1997, pp. 9-12.
2. Ibid., pp. 105-119 ; Jean Bonnin, « Les tremblements de terre, quelques éléments de sismologie »,
PACT, n° 18, 1987, pp. 3-18.
3. À ne pas confondre avec l’épicentre, qui est le point situé en surface du sol, à la verticale du foyer.

36
HISTOIRE ET GEOGRAPHIE D’UN RISQUE

constante est très rarement observé tandis que, dans les régions intra-
plaques comme la France, la probabilité d’occurrence des séismes est
encore moins bien déterminée. Les mouvements à long terme sont bien
plus lents et donc les séismes associés plus rares1.
Un séisme qui s’est produit une fois peut se produire à nouveau à l’iden-
tique, mais il n’est pas possible de savoir quand. Les périodes de retour
sont non seulement très longues mais irrégulières. La sismicité historique
est donc essentielle parce qu’elle permet de connaître les séismes les plus
importants qui se sont produits dans le passé. La méthode a ses limites car
la période de retour peut être supérieure au millénaire d’histoire couvert
par les recherches : le séisme de 1909 à Lambesc, le plus violent connu à ce
jour en France, a surpris la communauté scientifique de l’époque qui
considérait ce secteur comme non sismique. Aucun séisme équivalent n’a
été retrouvé dans le passé, ce qui montre que la faille de la Trévaresse pré-
sente des périodes de retour très longues. La Provence offre un bon
exemple de la complexité du comportement des failles car les deux autres
systèmes régionaux sont très différents2. La faille de la Moyenne Durance
se caractérise par la possibilité d’intensités élevées (VII à VIII) et une acti-
vité sismique régulière (1509, 1708, 1812, 1913). Quant aux failles de
Salon-Cavaillon et de Nîmes, elles présentent une activité sismique plus
modérée.
L’aire macrosismique désigne la zone touchée par les effets des séismes.
À moins d’effets de site, les effets s’atténuent lorsqu’on s’éloigne de la zone
épicentrale. Les lieux touchés par une même intensité sont enveloppés par
des lignes appelées isoséistes. Cependant, les données disponibles pour les
séismes historiques ne permettent pas toujours de les déterminer. Sur
5 283 vrais séismes recensés dans SISFRANCE en janvier 2003, seuls 38 %
sont connus en au moins deux points3.

Tremblements de terre et malheurs des temps

En l’état de nos connaissances, peut-on donner une idée du poids des


séismes par rapports aux autres malheurs des temps ? Cartographie à
l’appui, Claude Nières a proposé une synthèse sur l’aléa sismique dans la
France moderne, tirée des premiers résultats du projet SIRENE4. Les progrès
de la sismicité historique obligent à contester de nombreuses données.
1. Jérôme Lambert (dir.), Les Tremblements…, op. cit., 1997, p. 109.
2. Annexe 2, carte 3.
3. Oona Scotti, David Baumont, Grégory Quenet, Agnès Levret, « The French Macroseismic Database SIS-
FRANCE – Objectives, Results and Perspectives », Annals of Geophysics, vol. 47, 2/3, avril-juin 2004.
4. Claude Nières, « Le feu, la terre et les eaux », in Jean Delumeau et Yves Lequin (dir.), Les Malheurs…,
op. cit., 1987, p. 368.

37
LES TREMBLEMENTS DE TERRE REELS, CONNUS…

Parler des « branches cassées, du mobilier déplacé, des animaux apeurés »


ou de « tremblements de faible intensité » à Sainte-Maure-de-Touraine en
1657, dans le Nord en 1692 et dans le Bordelais en 1759 relève d’une
sous-estimation importante. En revanche, la base SISFRANCE ne conserve
nulle trace de l’effondrement d’une montagne dans la vallée d’Héas en
1750 ayant donné naissance à un lac, ni de la destruction d’un barrage en
1788 qui aurait entraîné l’inondation de la vallée de Luz, l’interruption
des routes, la destruction des ponts et des bâtiments. Le tremblement de
terre de 1644 en Vésubie n’entraîne pas de destructions dans la région de
Digne. Celui de juin 1660 ne cause pas l’effondrement d’une vingtaine de
maisons et la destruction d’une centaine d’autres à Toulouse.
Dans l’histoire sismique française, les XVIIe et XVIIIe siècles présentent-ils
une activité particulièrement intense ? Par rapport aux siècles antérieurs,
le nombre de séismes recensés supérieurs à V est plus important, ce qui
reflète sans doute plus les orientations de la recherche que la réalité des
événements physiques. Le même raisonnement explique le déséquilibre
avec les siècles postérieurs car les XIXe et XXe totalisent 221 séismes
d’intensité VI et VI-VII contre 69 entre 1600 et 1800. Cependant, notre
période compte, pour plusieurs régions, le séisme le plus violent connu
dans l’histoire. C’est le cas pour les Pyrénées (21 juin 1660), pour le
Bordelais (10 août 1759), pour la Vendée (25 janvier 1799), pour le Poitou
(6 octobre 1711), pour la Basse-Normandie (30 décembre 1775), les
Vosges (12 mai 1682), l’Oise (30 avril 1756) et peut-être la Moyenne
Durance (14 août 1708). Chacun de ces événements a eu un fort retentisse-
ment.
Le règne de Louis XIV a été particulièrement touché car, entre son
mariage et sa mort, se sont produits quatre séismes majeurs à l’échelle de
la France – le 21 juin 1660 dans les Pyrénées, le 12 mai 1682 dans les
Vosges, le 14 août 1708 en Haute-Provence et le 6 octobre 1711 dans le
Poitou. En élargissant le tableau à l’ensemble du règne et à la périphérie
du royaume, trois événements supplémentaires apparaissent, le 15 février
1644 dans les Alpes maritimes, le 15 février 1657 en Touraine et le 18
septembre 1692 dans le Pays de Liège. Il faut ajouter deux séismes italiens
qui ont eu un fort retentissement en France, ceux du 11 janvier 1693 en
Sicile et du 14 janvier 1703 dans les Apennins. Les années 1750 consti-
tuent le deuxième moment de forte activité sismique des XVIIe et XVIIIe
siècles1. Elles sont marquées par le séisme du 24 mai 1750 en Bigorre,
celui du 9 décembre 1755 dans le Valais, du 18 février 1756 dans le
Rheinland, du 10 août 1759 dans le Bordelais et bien sûr du 1er novembre
1755 à Lisbonne. Le nombre de secousses d’intensité inférieure à V atteint

1. Annexe 3, figure 3.

38
HISTOIRE ET GEOGRAPHIE D’UN RISQUE

un total de 68 quand la moyenne des décennies antérieures tourne autour


de 16. Les années 1770 sont marquées elles aussi par de très nombreuses
secousses, notamment 86 d’intensité inférieure à V. Cette chronologie
reflète sans doute moins la sismicité réelle que l’enregistrement des phé-
nomènes par les sources historiques, sauf pour les tremblements de terre
les plus violents. En tout cas, elle traduit l’expérience et la perception que
les contemporains en ont eues.
À l’échelle de la France des XVIIe et XVIIIe siècles, les tremblements de
terre ne font pas partie des périls majeurs, de ces catastrophes qui revien-
nent fréquemment pour forger un Ancien Régime marqué par les mal-
heurs des temps. Avec une vingtaine de morts sur deux siècles, les séismes
pèsent peu, même si le chiffre réel devait être doublé ou triplé. De fait,
aucun séisme n’a frappé de plein fouet une ville importante. En 1759,
l’épicentre n’est pas situé à Bordeaux même, ni en 1775 à Caen. Le
nombre total de secousses entre 1600 et 1800 est élevé, mais les séismes
causant des dommages matériels importants sont minoritaires, environ
27. Aucun séisme n’a causé de catastrophe démographique et économique
à l’échelle d’une région. Les incendies et les inondations sont incontesta-
blement plus fréquents, même si nous ne connaissons pas encore le chiffre
pour l’ensemble du royaume.
Le risque sismique en France est donc très différent de la situation des
pays à forte sismicité qui ont donné lieu à des études historiques. En Italie,
48 % de la population vit aujourd’hui dans des zones sismiques, 2 960
communes soit 35 % du total sont classées comme sismiques, plus de
4 000 soit 40 % ont subi un tremblement de terre destructeur dans le
passé. En moyenne, un tremblement de terre destructeur se produit tous
les trois ou quatre ans. Pour le seul XXe siècle, les séismes ont causé la mort
de 200 000 personnes et un coût estimé à 93 milliards d’euros entre 1968
et 19981. En Espagne, dans la province d’Alméria, les nombreux séismes
qui se suivent entre les XVe et XIXe siècles ont affecté l’économie de la
région (décès, facteur de migrations, dégâts matériels), jouant un rôle non
négligeable dans le déclin de la province2. Cette remarque vaut aussi pour
certaines parties de l’Amérique latine, en particulier le Mexique3.
Les jeux d’échelle font apparaître plus nettement l’originalité des
séismes. Peu de catastrophes naturelles sont capables de toucher une zone
aussi vaste. Pour le séisme le plus important, celui de juin 1660, l’aire des
1. Emanuela Guidoboni, « Tremblements de terre et politique d’intervention en Italie : une synthèse des
attitudes adoptées au cours des quatre derniers siècles », in René Favier (dir.), Les Pouvoirs publics face aux risques
naturels dans l’histoire, Grenoble, MSH Alpes, 2002, pp. 153-174.
2. Bernard Vincent, « Les tremblements de terre dans la province d’Almeria (XVe-XIXe siècle) », Annales
E.S.C., mai-juin 1974, n° 3, pp. 571-586.
3. Virginia Garcìa Acosta, Gerardo Suárez Reynoso (dir.), Los sismos en la historia de México, México, LA
RED/CIESAS, vol. 1, 1996 ; Virginia Garcìa Acosta, Los sismos en la historia de México, México, LA RED/CIE-
SAS, vol. 2, 2001.

39
LES TREMBLEMENTS DE TERRE REELS, CONNUS…

dommages notables (degré VII) est d’environ 350 km2. L’aire des dom-
mages est une chose, la sensation du tremblement de terre en est une
autre : une secousse peut être ressentie très loin de l’épicentre. Celle du 21
juin 1660 dans les Pyrénées ébranle le Rouergue, le Quercy, le Périgord, le
Limousin, le Languedoc, l’Angoumois et le Poitou1. Celle du 12 mai 1682
dans les Vosges est ressentie vers l’est en Allemagne (Francfort, Stuttgart,
Nurnberg…), en Suisse (Genève, Zurich), vers le sud jusqu’en Dauphiné,
Savoie, Lyonnais et Bresse, vers le nord dans les Flandres, vers l’ouest à
Paris2. S’il était possible de tracer l’aire macrosismique de chacun des 751
séismes connus de 1600 à 1800, la superposition de ces enveloppes couvri-
rait certainement la plus grande partie du territoire français.
Sur l’ensemble du royaume, l’expérience sismique ne concerne pas
chaque génération, mais néanmoins un nombre important de contempo-
rains. Les Parisiens, qui ne sont pas les plus exposés à ce risque, ont eu
l’occasion de ressentir une secousse en 1682, en 1711, en 1756, en 1775 et
en 1799. De telles sensations correspondent à des niveaux d’intensité II, III
ou IV sur l’échelle MSK, pour lesquels tous ne se rendent pas compte du
phénomène. Pour le niveau II, la secousse est à peine perceptible et ressen-
tie seulement par quelques individus au repos dans leur habitations, plus
particulièrement dans les étages supérieurs des bâtiments. Au degré III, la
secousse est faible et ressentie seulement de façon partielle par quelques
personnes tandis qu’elle est largement ressentie pour le degré IV. Pour
autant, tous ne sont pas également attentifs au phénomène ni capables de
l’identifier. L’horizon d’attente, la sensibilité, l’outillage intellectuel sont
en jeu, et il faudra se demander s’ils se modifient aux XVIIe et XVIIIe siècles.
Si les séismes pèsent peu à l’échelle de la France, leurs effets peuvent
être considérables à l’échelle locale, à l’intérieur de l’aire des dommages
notables, à partir du degré VII. Le chapitre 4 présentera un cas d’étude,
celui du tremblement de terre du 14 août 1708 à Manosque, pour lequel
nous pouvons proposer une reconstitution précise des dégâts.
Actuellement, peu d’exemples aussi bien documentés existent pour les
époques médiévales et modernes, le détour par des faits plus récents est
donc éclairant. Le séisme du 11 juin 1909 à Rognes-Lambesc, d’intensité
maximale IX, a donné lieu à une étude globale pour 1909. La zone d’inten-
sité maximale IX dessine une forme de haricot de 18 km sur 6, et de 40 sur
21 km à partir de l’épicentre pour l’intensité VIII. Dans cet espace, les
secousses ont tué 46 personnes, blessé 250, tandis que plusieurs milliers
de logements étaient détruits ou endommagés gravement. Le coût des
réparations a été estimé, en valeur de 1982, dans une fourchette comprise
entre 1 500 et 2 250 millions de francs.
1. Jérôme Lambert (dir.), Les Tremblements…, op. cit., 1997, p. 87
2. Ibid., p. 44.

40
HISTOIRE ET GEOGRAPHIE D’UN RISQUE

Peu de catastrophes sont capables de causer de tels dommages en si peu


de temps, touchant à la fois les personnes, les biens et les constructions.
Les inondations les plus graves peuvent endommager de vastes zones, mais
de tels phénomènes sont exceptionnels1. À l’époque moderne, le rappro-
chement avec les incendies s’impose car l’embrasement généralisé n’a pas
encore cédé la place à l’événement circonscrit par les actions de prévention
et d’intervention2. Le grand incendie de Rennes en 1720 est l’archétype de
ce fléau, capable de détruire entièrement un ou plusieurs quartiers. La
commission composée du maire et de cinq échevins arrive en 1721 à un
total de 945 bâtiments détruits ou endommagés et 8 000 sinistrés3. Les
séismes se rangent cependant parmi les catastrophes irruptives et non
contagionnistes, à la différence des épidémies, des famines, des incendies.
L’enveloppe spatiale du feu n’est donc pas semblable aux aires macrosis-
miques.

Dommages et vulnérabilité

L’exemple de 1909 permet de comprendre que les dommages ne sont pas


la conséquence directe des caractéristiques physiques de l’aléa. D’après une
simulation pour un événement comparable en 1982, les secousses cause-
raient entre 400 et 970 morts, 1 850 et 5 650 blessés. Sur les 25 420 bâti-
ments de la zone étudiée, 450 seraient entièrement détruits, 21 850 endom-
magés, et seuls 315 resteraient intacts4. Le coût direct des reconstructions
monterait à 4 660 millions de francs, soit plus du double de 1909. Le coût
indirect sur l’activité économique n’a pu être calculé en 1909 ; il serait de
400 ou 500 millions de francs en perte de production pour 1982, chiffre
auquel s’ajoutent 50 à 60 millions de francs pour la mise hors service de cer-
tains grands ouvrages. La comparaison entre les deux dates montre que les
dégâts dépendent du contexte économique et social, de la rencontre entre un
aléa et la vulnérabilité des installations humaines. Quels dégâts aurait causés
la même secousse en 1700 ? Le calcul n’est pas aisé et l’exemple de Manos-
que permettra, là aussi, de poser le problème de la vulnérabilité dans la
France d’Ancien régime. Contentons-nous, pour l’instant, d’une remarque

1. Emmanuel Le Roy Ladurie, Histoire du climat depuis l’an mil, Paris, 1967, 2e éd. Paris, 1983, t. 1, pp. 48-
51 ; Christian Pfister, Wetternachhersage. 500 Jahre Klimavariationem und Naturkatastrophen 1496-1995, Bern,
1999.
2. Claude Chaline et Jocelyne Dubois-Maury, La Ville et ses dangers : prévention et gestion des risques naturels,
sociaux, technologiques, Paris, 1994 ; Cyrille Sillans, « L’incendie dans les villes françaises du XIXe siècle : de la
vulnérabilité à la maîtrise du phénomène », in Geneviève Massard-Guilbaud, Harold Platt, Dieter Schott, Cities
and Catastrophes. Coping with Emergency in European History, Francfort s/Main, New-York, Peter Lang, 2002,
pp. 205-222.
3. Claude Nières, La Reconstruction d’une ville au XVIIIe siècle, Rennes, 1720-1760, Paris, 1972.
4. Jérôme Lambert (dir.), Les Tremblements…, op. cit., 1997, p. 150.

41
LES TREMBLEMENTS DE TERRE REELS, CONNUS…

générale : les pertes en 1700 auraient été inférieures à cause des densités plus
faibles et du coût moins élevé des infrastructures.
Les édifices monumentaux (églises, châteaux…) sont généralement réa-
lisés avec des matériaux de qualité, des pierres taillées, et de ce fait assimi-
lés aux constructions de type B de l’échelles MSK. En réalité, ils peuvent
présenter des éléments de vulnérabilité qui les rendent aussi fragiles que
les constructions en pierres tout-venant du type A. Les effondrements
consécutifs aux fortes précipitations de l’année 2001 ont montré la fragi-
lité de fortifications ou de tours médiévales aux murailles extrêmement
épaisses, mais construites sans fondations et dans l’urgence du contexte de
la guerre de Cent ans1. L’épaisseur d’un mur procure parfois une impres-
sion trompeuse de sécurité. Lors du séisme du 23 novembre 1980 dans les
régions de la Campanie et de la Basilicate, les murailles du château-fort de
Laviano, épaisses en moyenne de 2,50 m, se sont effondrées de manière
spectaculaire. Ces murs imposants étaient liés avec un mortier de chaux et
non de terre, mais de très médiocre qualité. Tous les moellons, secoués par
les vibrations, ont écrasé rapidement le mortier de liaison et celui-ci est
aussitôt devenu pulvérulent, achevant de libérer les pierres de toute com-
pression. L’ensemble, en quelques secondes, est devenu un simple tas de
cailloux et s’est effondré sur lui-même2.
La complexité géométrique et structurelle du bâti constitue un autre
facteur. La forme et la hauteur d’un clocher peuvent le rendre plus fragile
et entraîner par exemple la chute d’une flèche élevée causant des dégâts
importants sur la nef en contrebas, comme dans l’église de Vendeuvre du
Poitou lors du séisme du 11 mars 17043. En revanche, des fermes à cour
carrée dont les quatre côtés sont solidaires présentent une bonne résistance
aux séismes, de même que des bâtiments reliés les uns aux autres par des
arcs. Un site urbain sur une colline risque de subir de plus grands dégâts
qu’un site rural en plaine : l’effet de site mis à part, dans le premier cas, la
chute des bâtiments sur ceux situés en contrebas peut causer plus de dom-
mages que le séisme lui-même, tandis que dans le second cas des bâti-
ments écartés ne se gênent pas4.
L’entretien et l’usage des constructions jouent un rôle déterminant. Aux
XVIIe et XVIIIe siècles en France, les sources signalent de nombreux dégâts
aux remparts lors des tremblements de terre. Or, depuis le XVIe siècle, leur
1. Citons le cas d’une partie des remparts de Saumur (Maine-et-Loire) et surtout de la tour de Montbazon
(Indre-et-Loire) à la suite des très fortes précipitations des premiers mois de 2001 (Le Monde, 2 mai 2001).
2. Jean-Pierre Adam, « Lésions et dommages dans le bâti ancien et propositions de confortements parasis-
miques », PACT, 1990, n° 28, pp. 172-173.
3. Agnès Levret, Grégory Quenet, Le Séisme du 11 mars 1704 en Poitou. Recherche de nouvelles sources historiques
et essai d’estimation de l’intensité à Vendeuvre en Poitou, Rapport IRSN, 1997, n° 97-17.
4. Emanuela Guidoboni, Graziano Ferrari, « Historical variables of seismic effects : economic levels, demo-
graphic scales and building techniques », in Enzo Boschi et alii, « Catalogue of strong Italian earthquakes from
461 B.C. to 1997 », Annali di Geofisica, vol. 43, n° 4, 2000, p. 697.

42
HISTOIRE ET GEOGRAPHIE D’UN RISQUE

situation a beaucoup évolué. Entre 1520 et 1560, une vingtaine de villes


(dont Tours, Marseille et Poitiers) voient leurs murailles bâties, complétées
ou transformées, en particulier par des ingénieurs italiens, comme à Tou-
louse. Ensuite, dans le premier tiers du XVIIe siècle, les enceintes bénéficient
de grands travaux, dans quelques places stratégiques, particulièrement à la
périphérie du royaume (Marseille, la frontière du nord). Le règlement de
1604 établit fermement le contrôle royal, par l’intermédiaire des gouver-
neurs et des ingénieurs du roi sur tous les travaux menés sur les enceintes
urbaines. Enfin, les travaux de Vauban achèvent les protections aux fron-
tières, ce qui accélère le démantèlement des enceintes des villes de l’inté-
rieur, privées de leur utilité militaire. La destruction commence à Paris dès
1670, suivie par la province, sauf cas exceptionnel (comme à Rennes, dès
1602). Dès le XVIIe siècle, les murailles de l’intérieur du royaume ne sont
donc plus entretenues, ce qui les rend particulièrement vulnérables. Ainsi à
Pézenas, le lieutenant général constate en 1610 que « les murailles sont en
plusieurs endroits ruinées, ne pouvant les rondes passer autour d’icelles, à
cause des ruines et qu’il n’y a point de corps de garde à l’entour »1.
Le 15 juin 1731 se produit un tremblement de terre à Cavaillon, le soir,
vers dix heures moins le quart. Les Histoires et mémoires de l’Académie par-
lent d’un « si grand tremblement de terre, qu’il sembloit que toute cette
ville allât être entièrement renversée. Le Dôme de la Porte de la Couronne
tomba »2. Une lettre publiée par le Journal de Trévoux nuance cette descrip-
tion en soulignant qu’« il n’y eut pourtant de renversé qu’une vieille tour
placée sur une des portes de la ville, et quelques cheminées »3. Un manus-
crit conservé à la Bibliothèque Municipale d’Avignon confirme le mauvais
état de cette partie d’enceinte : « ce tremblement n’a laissé aucune marque
de son effet, qu’à une espèce de tour couverte qui étoit sur la porte de la
coronne, il est vray que cette tour […] menaçoit ruine depuis longtems »4.
Quelques mois plus tard, est décidée la « démolition de la grande tour de
la porte de la Couronne qui avait été tellement ébranlée et lézardée par ce
tremblement de terre qu’elle menaçait ruine »5. La ville a donc soit profité
de l’occasion pour détruire une vieille tour qui n’était plus entretenue, soit
estimé que les réparations nécessaires étaient trop importantes. Dans ce
cas, la reconstitution des caractéristiques du bâtiment conduit à revoir à la
baisse les effets mentionnés par un premier document. Le même type
d’analyse pourrait être mené pour des forteresses médiévales.
1. Georges Duby (dir.), Histoire de la France urbaine, t. 3, La Ville classique : de la Renaissance aux révolutions,
Paris, Seuil, 1981, pp. 121, 145, 454.
2. « Tremblement de terre extraordinaire arrivé à Cavaillon le 15 juin 1731 », Histoire et Mémoires de
l’Académie Royale des Sciences, 1731, pp. 19-20.
3. R.P. Sarrabat, « Lettre à propos du tremblement de terre du 15 juin 1731 », Journal de Trévoux, juillet
1731, pp. 1282-1283.
4. BM Cavaillon, ms. 2113 : Puiricard d’Agar, Antiquités ou histoire civile et ecclésiastique de Cavaillon, fol. 290.
5. AC Cavaillon, CC 348 : pièces justificatives des comptes (1731).

43
LES TREMBLEMENTS DE TERRE REELS, CONNUS…

Conclusion

Chaque aléa, chaque fléau possède sa propre histoire dans la longue


durée. Il existe une histoire des maladies animales et des épizooties de
même qu’il existe une histoire des inondations et des épidémies1. Rares,
locaux, irréguliers mais parfois destructeurs, les tremblements de terre
d’Ancien Régime ne se prêtent pas au même questionnaire que les crises
de subsistances et les épidémies, aux conséquences démographiques
lourdes. Le caractère naturel ou humain de la calamité n’est pas à lui seul
un critère car les variations climatiques extrêmes (pluies torrentielles,
coups de froid, orages de grêle, sécheresse) s’intègrent, elles, au complexe
formé par les crises d’Ancien régime, mêlant les facteurs climatiques et le
prix des céréales, les épidémies et le cadre socio-économique. Seule une
coïncidence chronologique entre une crise démographique et un séisme
permettrait, à la rigueur, de relier les mouvements de la terre à des problé-
matiques socio-démographiques.
Les secousses s’intègrent mal dans un tableau des conditions générales
de l’existence, siècle par siècle. Elles résistent à une histoire sérielle et sta-
tistique divisée en phases, pertinente pour les fluctuations climatiques.
Certes, les désastres méritent d’être réhabilités et de figurer parmi les évé-
nements historiques, mais l’articulation entre le général et le particulier se
pose en des termes spécifiques. Leur dimension événementielle reste irré-
ductible et constitue à la fois une spécificité et une difficulté de cet objet.
À défaut de rechercher des cycles sismiques qui n’existent pas en l’état de
nos connaissances, pourrait-on distinguer de manière empirique et phéno-
ménologique des phases de plus ou moins grande activité sismique ? La
méthode peut se défendre pour l’Espagne, le Mexique et l’Italie mais la
dimension monographique reste forte car seuls quelques faits catastro-
phiques sont capables par leurs conséquences d’influer sur l’évolution
d’une région ou d’un pays2. Les séismes français ne sont pas de ce calibre.
Constituer des séries d’événements s’applique mal aux pays de sismicité
modérée, la sismicité n’y est pas assez forte pour devenir régulière dans le
vécu des populations. Ces fluctuations échappent à l’histoire humaine et
mettent en jeu plusieurs milliers, voire des dizaines de milliers d’années.
En d’autres termes, l’intégration des catastrophes naturelles à l’écriture de
l’histoire constitue un problème majeur.

1. Mathieu Arnoux, Jean-Marc Moriceau, « Fléaux naturels et sociétés rurales : la nouveauté d’une histoire
sans cesse recommencée », Histoire & Sociétés Rurales, n° 15, 1er semestre 2001, p. 7.
2. Virginia Garcìa Acosta, Los sismos en la historia…, op. cit., 2001, pp. 118-134 ; Bernard Vincent, « Les
tremblements de terre… », op. cit., 1974, p. 584.

44
CHAPITRE II

Écrire l’histoire des catastrophes naturelles,


entre passé et présent

Dans les pays les plus développés, les risques sont maintenant au cœur
des préoccupations collectives, tant pour la société civile que pour les
acteurs institutionnels. Ulrich Beck a défini cette « société du risque »
post-industrielle, qui produit elle-même des menaces de toute nature
(sociales, sanitaires, technologiques…) auxquelles personne n’échappe1.
Dans les sociétés technoscientifiques, les catastrophes sont de moins en
moins bien tolérées et le sentiment d’insécurité croît. De tels événements
remettent en question l’idée que le risque est aisément calculable et
connaissable, qu’il est sous le contrôle des spécialistes et des experts.
Jacques Theys a proposé le terme de « société vulnérable » pour expliquer
comment, à partir des années 1970, apparaît cette aversion croissante
pour les risques, exacerbée par les catastrophes naturelles2. La nature
représente en effet le prototype des risques involontaires, bien plus insup-
portables que des risques volontaires mille fois supérieurs. Les phéno-
mènes en cause ont un tel potentiel catastrophique qu’ils apparaissent
plus graves que des événements plus probables mais potentiellement
moins destructeurs. La complexité et l’incertitude des mécanismes en jeu
en font aussi l’archétype des risques difficilement maîtrisables et incer-
tains. Enfin, l’imaginaire est marqué par l’irruption brutale de l’aléa
naturel et valorise facilement les conséquences maximales possibles,
devant les impacts réels3.
Ces analyses, et celles qui les prolongent, sont aujourd’hui bien connues
mais il faut souligner qu’elles placent le processus historique au cœur des
débats, à plusieurs titres. Le sentiment d’insécurité qui se développe dans
les sociétés à risques accentue la force anthropologique de la catastrophe et
ouvre la voie au retour de dimensions archaïques de ce type de crise :
implications symboliques pour le pouvoir gestionnaire, phénomènes de
1. Ulrich Beck, La Société du risque. Sur la voie d’une autre modernité, Paris, 2001.
2. Jean-Louis Fabiani et Jacques Theys (dir.), La Société vulnérable. Évaluer et maîtriser les risques, Paris, 1987.
3. Ibid., p. 19.

45
LES TREMBLEMENTS DE TERRE REELS, CONNUS…

rumeur, pessimisme et peurs collectives. La vulnérabilité croissante face


aux aléas naturels est aussi une réalité. Les assureurs savent bien que, dans
le monde, le coût des dommages causés par ces phénomènes augmente
plus vite que la croissance économique et peut exploser brutalement lors
d’un phénomène exceptionnel1. L’augmentation des densités constitue la
première explication, car d’anciens espaces ruraux ou peu peuplés sont
aujourd’hui urbanisés, la nécessité d’étendre les implantations conduit à se
rapprocher des zones à risque. Le deuxième facteur réside dans l’apparition
d’infrastructures coûteuses, de dispositifs technologiques très complexes.
Ainsi, dans les années 1970, le programme électro-nucléaire a totalement
modifié l’enjeu des tremblements de terre en France : le degré de sûreté
exigé par des équipements aussi sensibles exigeait de prendre en compte ce
risque rare mais réel.
Face à de tels défis, quelles réponses les historiens peuvent-ils apporter ?
La première question que l’on peut se poser est historiographique. Avant
cette ère du risque, les historiens se sont-ils intéressés aux catastrophes et,
dans ce cas, avec quelles grilles de lecture ? Faut-il, au contraire, admettre
que le renouveau des travaux historiques est récent et constituerait une
manifestation de plus de ces nouvelles préoccupations sociales ? Le pro-
blème suivant est transversal et pluridisciplinaire. En effet, ces aléas relè-
vent des sciences de la nature et force est de reconnaître qu’un tremble-
ment de terre met en jeu des mécanismes complexes qui échappent à
l’histoire des hommes. Dans ces conditions, une étude historique sérieuse
réclame un minimum de collaboration entre disciplines : comment ce dia-
logue peut-il se nouer ? sur quels termes peut-il être fructueux ? Le der-
nier débat est une manière de répondre à cette interrogation car il tourne
autour de la définition de la catastrophe, entre fait social et aléa naturel.
L’histoire a-t-elle une définition originale à avancer ou est-elle condamnée
à rester seconde, à se pencher sur les miettes d’un objet appartenant en
propre aux sciences de la nature, si ce n’est à se mettre à leur service ? Ces
questions sont un préalable à une nouvelle histoire des catastrophes natu-
relles à l’époque moderne.

Un carrefour historiographique

Les historiens se sont intéressés dès le départ à cette forme particulière


de l’événement historique, une des plus spectaculaires. Chez les Anciens,
et en particulier les Grecs, les séismes étaient intégrés dans le tissu poli-
tique des relations entre cités, au même titre que les guerres et les crises

1. Munich Reinsurance 2003 Company Annual Report, Munich, 2004, pp. 19-29.

46
ECRIRE L’HISTOIRE DES CATASTROPHES NATURELLES

économiques1. Pausanias rapporte ainsi que le séisme de 330 av. J.-C. accé-
lère le déclin de Sicyone face à Corinthe, dans un contexte de difficultés2.
Au Moyen Âge, les auteurs des Annales et Chroniques interprètent les
miracles, les prodiges et les merveilles, en leur accordant une signification
historique et sociale3. À l’époque contemporaine, l’intérêt ne faiblit pas
mais cette précocité laisse le sentiment d’une rencontre inachevée. L’aléa
est objectivé sous la forme d’un fait historique particulier, d’origine natu-
relle, intéressant pour ses conséquences et les interprétations qu’il suscite.
En d’autres termes, les catastrophes naturelles ne sont pas étudiées pour
elles-mêmes, elles demeurent un carrefour, emprunté par des historiens
qui ne travaillent nullement sur les risques4. Pour preuve, les différents
moments qui se détachent au XXe siècle ne sont que la déclinaison d’enjeux
historiographiques plus vastes.
Sur bien des points, la première moitié du XXe plante le décor, des
repères qui marquent durablement l’interprétation des catastrophes natu-
relles. Certains sont d’ailleurs plus anciens et leur généalogie a été analysée
en détail par les historiens de l’idée de nature et de l’écologie5. Selon une
certaine conception occidentale du destin historique qui n’a pas fini de
peser, le progrès est représenté comme le long combat des hommes contre
la nature. Cette histoire univoque sépare radicalement l’événement phy-
sique et les sociétés humaines, proposant du même coup un schéma global
d’interprétation, malheureusement encore défendu aujourd’hui. Les mal-
heurs des hommes auraient été essentiellement causés par une nature per-
pétuellement menaçante jusqu’à l’effacement des risques naturels au XIXe
siècle, pour laisser la place aux dangers venus de l’humanité elle-même, et
en particulier la guerre, le risque technologique et industriel6. Une telle
conception est résolument téléologique car le terme final est donné
d’emblée, à savoir l’affranchissement de l’homme vis-à-vis de la nature.
L’événement naturel reste irréductible et extérieur aux sociétés humaines.
Le hasard et le tragique ne sont pas loin, ce qui favorise les fantasmes de la
catastrophe et de la mort. Les historiens n’échappent pas toujours à cette
fascination des catastrophes. Le cas le plus célèbre demeure celui d’Arthur
Evans ressentant le séisme d’Héraklion de 1922, sur le site même du palais
1. Bernard Bousquet, Jean-Jacques Oufaure et Pierre-Yves Péchoux, « Connaître les séismes en
Méditerranée : de la vision antique à la vision actuelle », in Tremblements de terre, histoire et archéologie, Valbonne,
1984, pp. 23-39.
2. Ibid., p. 33.
3. Miracles, prodiges et merveilles au Moyen Âge, XXVe Congrès de la Société des Historiens Médiévistes de
l’Enseignement Supérieur Public (Orléans, 1994), Paris, 1995.
4. Serge Briffaud, « Vers une nouvelle histoire des catastrophes », Sources. Travaux historiques, 1993, n° 33,
p. 3.
5. Pascal Acot, Histoire de l’écologie, Paris, 1988. Jean-Marc Drouin, L’Ecologie et son histoire : réinventer la
nature, Paris, 1993. Marie-Claire Robic (dir.), Du milieu à l’environnement : pratiques et représentations du rapport
homme-nature depuis la Renaissance, Paris, 1992.
6. Jean Delumeau et Yves Lequin (dir.), Le Malheur des temps.., op. cit., 1987, pp. 6-10.

47
LES TREMBLEMENTS DE TERRE REELS, CONNUS…

de Knossos, alors en cours de fouille1. Cette expérience a été déterminante


dans l’élaboration de l’hypothèse de destructions sismiques des palais
minoens2.
Dans l’historiographie, ces représentations se sont traduites par l’utilisa-
tion de la catastrophe comme critère pour définir les états de civilisation.
La période historique la plus marquée est sans conteste le Moyen Âge,
devenu l’archétype d’un temps des catastrophes, écrasé par la peste, la
guerre et la famine. Dans la Société féodale, Marc Bloch écrit que
« jointes aux violences journalières, ces catastrophes [grandes épidémies] don-
naient à l’existence comme un goût de perpétuelle précarité. Là fut probablement
une des raisons majeures de l’instabilité de sentiments, si caractéristique de la
mentalité de l’ère féodale, surtout durant son premier âge. »3
Dans une perspective vitaliste, Johan Huizinga décrit un affrontement
plus fort qu’aujourd’hui entre l’homme et la nature, des sens exacerbés par
« l’âpre saveur de la vie »4. Dès les années cinquante, Lucien Febvre met-
tait pourtant en garde contre le danger de « reconstruire l’histoire à partir
du seul besoin de sécurité »5. L’image d’un homme médiéval soumis aux
caprices de la nature et qui se réfugie dans la superstition a, depuis, été
sérieusement nuancée6. La fragilité de l’existence ne doit pas masquer les
intentions moralisantes et les lieux communs littéraires, ni faire oublier
certaines périodes, relativement épargnées par les fléaux.
Dernier élément de cette lecture historienne, le risque naturel est défini
comme une variable qui échappe à l’histoire des hommes et vient pertur-
ber le fonctionnement normal des sociétés. Il n’est pas inutile d’insister sur
cette approche, largement spontanée, parfois thématisée. Une partie du
travail des sciences humaines consiste aujourd’hui à se dresser contre cette
vision en montrant la centralité des facteurs humains, au premier plan des-
quels la vulnérabilité des constructions et des dispositifs. Pourtant, les
approches spontanées reviennent très vite, y compris de la part des experts
et des décideurs7.
Les séismes apparaissent souvent comme l’archétype de cette extériorité
de la catastrophe naturelle, voire de sa radicale altérité :
« Les faits ne peuvent être empiriquement connus que de deux manières : ou bien
directement si on les observe pendant qu’ils se passent, ou bien indirectement, en
étudiant les traces qu’ils ont laissées. Soit un événement tel qu’un tremblement de
terre, par exemple : j’en ai directement connaissance si j’assiste au phénomène,

1. Arthur Evans, The Palace of Minos at Knossos, vol. II, part I, London, 1928, p. 312.
2. Georgia Poursoulis, « Des techniques sismo-résistantes dans les édifices de l’Âge du Bronze en Crête »,
in Rémi Marichal (dir.), Archéosismicité & vulnérabilité du bâti ancien, Perpignan, 2000, p. 121.
3. Marc Bloch, La Société féodale, Paris, 1939, Rééd., Paris, 1968, p.116.
4. Johan Huizinga, L’Automne du Moyen Âge (1919), Paris, 1977, p. 9.
5. Lucien Febvre, « Pour l’histoire d’un sentiment : le besoin de sécurité », Annales E.S.C., 1956, p.244
6. Jacques Berlioz, Les Catastrophes naturelles et calamités au Moyen Âge, Florence, 1998, chapitre 1.
7. Claude Gilbert, « Les catastrophes : une vision de l’intérieur est-elle possible ? », (à paraître).

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