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Illustration de couverture :
Estampe illustrant un occasionnel publié en 1755, intitulé
Lisbonne abîmée ou idée de la destruction de cette fameuse ville.
© 2005, CHAMP VALLON, 01420 SEYSSEL
WWW. CHAMP-VALLON. COM
ISBN 2-87673-414-1
ISSN 0298-4792
LES TREMBLEMENTS DE TERRE
AUX XVIIe ET XVIIIe SIÈCLES
Grégory Quenet
LES TREMBLEMENTS
DE TERRE
AUX XVIIe ET XVIIIe SIÈCLES
LA NAISSANCE D’UN RISQUE
Champ Vallon
REMERCIEMENTS
Le moment des remerciements permet de prendre conscience de toutes les aides et encouragements qui ont
rendu possible un travail de si longue haleine. Par sa manière de diriger ce travail, Daniel Roche a su le faire
mûrir, refusant heureusement mes demandes répétées pour changer de sujet de thèse. J’ai une dette particulière
envers l’ouverture d’esprit et l’enthousiasme d’Agnès Levret qui a accepté de faire découvrir les séismes français
à un non-sismologue. Les échanges intellectuels et amicaux avec Bruno Helly ont été déterminants pour éclairer
cet objet historique, souvent si difficile à construire. Je repense aussi aux très nombreuses discussions stimu-
lantes avec René Favier, Claude Gilbert, Jean-Marc Moriceau, Geneviève Massard-Guilbaud, Jacques Berlioz,
Laurent Loty, Nicole Pellegrin, Serge Briffaud, Jacques Bernet, Catherine Verna, Jean Vogt.
Ce travail n’aurait pu voir le jour sans le soutien de l’Institut de Radio-Protection et de Sûreté Nucléaire (IRSN),
Électricité de France (EDF) et le Bureau des Recherches Géologiques et Minières (BRGM) qui m’ont accordé leur
confiance et la possibilité d’accéder à leurs riches fonds. Je tiens à remercier particulièrement leurs représen-
tants, Jérôme Lambert, Marc Durrouchoux et, encore une fois, Agnès Levret. Ma dette envers l’IRSN est consi-
dérable car cet institut a financé mes nombreux déplacements dans les archives provinciales et sur le terrain. Au
sein de cet organisme, le service du BERSSIN m’a accueilli avec générosité, sous la direction de Fabrice Cotton
puis de Catherine Berge. Oona Scotti et David Baumont n’ont pas ménagé leurs efforts pour répondre à mes
interrogations sur les séismes, me fournir des cartes et des données.
Les cartes ont été réalisées par Paul-David Régnier qui a eu l’amitié de me consacrer beaucoup de temps, après
avoir joué un rôle direct dans ma rencontre avec les tremblements de terre. De nombreux amis ont nourri mes
lubies telluriques, Michaël Biziou, Nicolas Franck, Jean L’Ivonnet, Frederik Steenbrink, Yann Sordet.
Sans l’aide constante de Joël Cornette, je n’aurais pu améliorer ainsi ce livre et il a été pour moi un modèle
d’écriture ainsi qu’une présence amicale encourageante. Patrick Beaune a su faire preuve d’une grande patience
avec moi et a fait bénéficier mon manuscrit de toute sa compétence d’éditeur, avec le renfort de Myriam
Monteiro-Braz.
Le département d’histoire de l’Université Paris-VIII, en m’accueillant pendant quatre années, m’a donné la pos-
sibilité de réaliser la thèse à l’origine de ce livre. Le soutien amical des modernistes a été précieux. Mes collègues
de l’Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yelines, Chantal Grell et Steven Kaplan, ont su m’encourager
pour la réécriture finale.
Enfin, un si long travail ne se fait pas tout seul. Carole a été constamment à mes côtés pendant toutes ces années.
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INTRODUCTION
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INTRODUCTION
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INTRODUCTION
ché le territoire métropolitain entre 1600 et 1800 dont 286 ayant causé
des dommages matériels. Au moins 27 d’entre eux ont provoqué des
dégâts considérables, pour certains des destructions, dans le Bigorre, la
Normandie, le Poitou, la Touraine, le Bordelais, les Vosges, la Vendée, le
Tricastin, la Provence. Aujourd’hui ces faits historiques sont tout sauf
anecdotiques car ils servent à définir les règles de la protection sismique.
Selon l’arrêté du 10 mai 1993, les centrales nucléaires et autres « bâti-
ments à risque spécial » (les barrages et les complexes chimique, gazier,
pétrolier) sont prévus pour résister au « séisme maximal historiquement
vraisemblable » (SMHV), majoré d’un coefficient de sécurité. Ce livre est
porté par plusieurs années de collaboration, sur le terrain, avec les sismo-
logues de l’Institut de Radio-Protection et de Sûreté Nucléaire (IRSN). Ce
travail pluridisciplinaire pour reconstituer et quantifier les séismes histo-
riques majeurs n’apparaît pas directement ici, mais il a nourri cette
réflexion sur les séismes de l’époque moderne.
Le titre de ce livre étonnera sans doute de prime abord, cette thèse de La
naissance d’un risque entre XVIe et XVIIIe siècles. À l’époque moderne, de
nombreux aléas naturels sont perçus et vécus comme des catastrophes,
c’est-à-dire des événements désastreux, qui rompent le cours ordinaire des
choses. Pourtant, la notion de risque est, elle aussi, applicable aux périodes
anciennes. Ce terme suppose, quant à lui, un certain degré de conscience
et de préoccupation, la probabilité de retour du phénomène. À partir de là,
il devient possible de s’en prémunir, d’en débattre. Cet outil heuristique
permet de saisir l’objet tremblement de terre comme le résultat d’une
construction, à condition d’utiliser les différents degrés de ce processus,
plus ou moins achevé. Le moins élaboré, mais qui s’éloigne déjà de la
catastrophe, signifie qu’un groupe humain estime qu’un type d’aléa peut
survenir en un lieu donné et l’affecter. Le deuxième niveau fait intervenir
la préoccupation sociale, quand une société se sent concernée par un type
de phénomène naturel, que le danger soit réel ou non, exagéré ou minoré.
Cette prise de conscience peut déboucher sur un degré supplémentaire, à
savoir la définition d’un nouvel objet, de connaissance, de gestion, de
représentation. Enfin, la mobilisation des énergies collectives pour se pré-
munir contre un certain type de danger révèle l’intervention d’institu-
tions, étatiques ou non, capables de manipuler cet objet et d’organiser des
moyens. Entre les XVIe et XVIIIe siècles, un tel processus de mise en risque
affecte les tremblements de terre. Nous verrons si cette histoire arrive à
son terme ou si elle demeure incomplète.
Cette idée de construction appelle une autre remarque, concernant cette
fois-ci les données utilisées et le travail de l’historien. Certains chapitres
insistent autant sur la fabrique de cette recherche que sur les résultats
qu’elle souhaite proposer. Le lecteur y verra, à juste titre, un souci déonto-
10
INTRODUCTION
logique car la science historique s’appuie sur des preuves, citées précisé-
ment afin de pouvoir valider ou réfuter les analyses proposées. La rigueur
de la critique historique est cruciale quand la responsabilité sociale de
l’historien est engagée, quand les faits du passé guident les décisions du
présent. Ces règles de méthode prennent ici un sens supplémentaire car ce
livre n’existerait pas sans l’élaboration d’un nouvel objet historique.
Pouvait-on faire des tremblements de terre le sujet d’une recherche en his-
toire ? Cette question m’est apparue tout de suite, en découvrant qu’il
existait de multiples sources et archives sur le sujet, sans que les livres
d’histoire les mentionnent. Les séismes, un sujet réservé aux géographes,
aux ingénieurs et aux sciences de la nature ? Cet argument est encore par-
fois utilisé. Les secousses françaises, un phénomène négligeable sauf pour
des hommes du passé ignorants et superstitieux ? Ce préjugé a la peau
dure. Il fallait donc définir un corpus réunissant des sources extrêmement
diverses, élaborer une méthode de reconstitution des séismes historiques
en collaboration avec les sismologues et déterminer une grille de lecture
capable d’articuler les aspects religieux, scientifiques, politiques et les
mentalités collectives.
Ce sujet n’est anecdotique ni dans les faits ni dans les archives : 751
séismes en deux siècles dont 27 destructeurs ; 560 sources manuscrites et
près de 300 imprimés ; 200 communications sur le sujet à l’Académie
Royale des Sciences de Paris ; plusieurs interventions royales et non des
moindres. En suivant ces phénomènes exceptionnels à travers les sources
les plus diverses et sur deux siècles, il est possible de comprendre com-
ment un événement naturel devient un objet de connaissance, de gestion,
de discours. L’apparition de débats savants, la peur du phénomène, les
informations distillées par les périodiques révèlent peu à peu que, avant
l’époque contemporaine, a pu émerger la prise en compte d’un risque nou-
veau.
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PREMIÈRE PARTIE
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CHAPITRE I
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HISTOIRE ET GEOGRAPHIE D’UN RISQUE
1. Annexe 1, tableau 1.
2. L’échelle MSK a été élaborée en 1964 par les sismologues Medvedev, Sponheuer et Karnik, à partir
d’une compilation des échelles macrosismiques les plus utilisées, depuis celle élaborée par Mercalli. Sergei
Vasil evich Medvedev, Wilhelm Sponheuer, V. Karnik, Seismic intensity scale version 1964, Iena, 1967.
3. Annexe 3, figures 1 et 2. Toutes les mesures sont ici données en échelle d’intensité MSK, utilisée en
France, sauf indication contraire.
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LES TREMBLEMENTS DE TERRE REELS, CONNUS…
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HISTOIRE ET GEOGRAPHIE D’UN RISQUE
1. Jérôme Lambert (dir.), Les Tremblements de terre en France, Orléans, 1997, pp. 118-119.
2. Gottfried Grünthal (dir.), European Macroseismic Scale 1998 (EMS-98), Luxembourg, Centre européen de
géodynamique et de séismologie, 2001, édition française Agnès Levret.
3. Pour l’échelle complète, voir Annexe 1, tableau 2.
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LES TREMBLEMENTS DE TERRE REELS, CONNUS…
1. http ://www.sisfrance.net
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LES TREMBLEMENTS DE TERRE REELS, CONNUS…
1. AM Nice, ms J. Scalier, La citta di Nizza di Provenza insigne per li sacri monumenti (1792), vol. 2, fol. 312 ;
U. BOSIO, La Province des Alpes-Maritimes, Nice, 1902, p. 136.
2. Annexe 2, cartes 2 et 5.
¨3. Avvisi della Gazetta di Genova, 12 mars 1644 ; Archives de l’Évêché de Nice, registre mortuaire de Saint-
Martin-de-Vésubie (1644).
4. AC d’Aups, BB 22 : délibérations (fol. 308).
5. Pour une estimation de l’intensité par localités, Enzo Boschi et alii, Catalogo dei forti terremoti in Italia dal
461 A.C. al 1980, Rome, Bologne, 1995, p. 276.
6. Jérôme Lambert, « The Catalonian (1428) and alpine (1564, 1644) Earthquakes : review of research in
France », in Massimiliano Stucchi (dir.), Materials of the CEC project « Review of Historical Seismicity in Europe »,
vol. 1, Milan, 1993, pp. 145-159 ; Andrea Moroni, Massimiliano Stucchi, « Materials for the investigation of
the 1564 maritime Alps Earthquake », ibid., pp. 101-125 ; Jérôme Lambert, Andrea Moroni, Massimiliano
Stucchi, « An intensity distribution for the 1564 maritime Alps Earthquake », in Paola Albini, Andrea Moroni
(dir.), Materials of the CEC project « Review of Historical Seismicity in Europe », vol. 2, Milan, 1994, pp. 143-152.
7. André Laurenti, Les Tremblements de terre des Alpes-Maritimes : histoire et sensibilisation, Nice, Serre, 1998.
8. Jérôme Lambert (dir.), Les Tremblements…, op. cit., 1997, pp. 22-26.
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HISTOIRE ET GEOGRAPHIE D’UN RISQUE
1. Jean Vogt, « The Pyrenees earthquake of 1660 : Effects in France », Disasters, 1983, pp. 191-193 ;
Jérôme Lambert (dir.), Les Tremblements…, op. cit., 1997, pp. 84-89. Annexe 2, carte 6.
2. AC de Bagnères de Bigorre, GG : registre mortuaire, 1658, fol. 13.
3. AC Bagnères, BB : délibérations 27 juin 1660 (fol. 15).
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LES TREMBLEMENTS DE TERRE REELS, CONNUS…
qu’ils campèrent plusieurs nuicts hors des maisons et durèrent par l’espace de
quatre ans »1.
Des destructions équivalentes apparaissent dans un rayon d’une trentaine
de kilomètres autour de l’épicentre, notamment au couvent de Médoux, à
Barèges, à Argelès-Gazost, au monastère de Saint-Savin… Les effets du
séisme s’étendent sur plus de 400 km, et sont signalés par de nombreux
témoins2.
En l’état de nos connaissances, le tremblement de terre du 12 mai
1682 est le plus destructeur de l’histoire des Vosges. L’intensité atteint
VIII à l’épicentre, situé à quelques kilomètres au sud de Remiremont3. De
nombreux documents permettent de connaître l’ampleur des dégâts dans
cette ville, notamment aux édifices monumentaux. Dans l’église des
Nobles Dames de Remiremont, « les deux croisons sont tombez jusqu’au
grand corps et la voutte », « la muraille sur le portail de la place Saint-
Jean est renversée », au « portail du costé de madame l’abbesse les cor-
niches sont tombées », « le remplissage d’un des vitraux du côté est tout
corrompu et va tomber », « cinq piramides au dessus des pilliers boutans
[…] sont renversées », les murailles de la tour sont fendues et il faut les
refaire en partie, tandis que la toiture de trois chapelles est à refaire entiè-
rement ainsi que celle d’une partie de la nef4. Les dégâts sont évalués à
25 900 l., 33 s., 4 d. soit plus de 50 000 francs de Lorraine, par un rap-
port du 5 septembre 16825. L’hôtel abbatial et l’église paroissiale ne sont
pas épargnés, la tour de la seconde étant par exemple fendue en plusieurs
endroits6.
Le rapport de visite dressé du 22 au 26 mai 1682 donne un bilan global
des dommages7. Il distingue trois ensembles. Pour l’église des Nobles
Dames de Remiremont, il aboutit à un total de 17 483 livres. Ce chiffre est
inférieur au précédent ; la différence s’explique peut-être par les nouvelles
secousses et les dégradations supplémentaires dans les mois qui se sont
écoulés. Deuxième groupe expertisé, les « maisons ecclésiastiques » sont au
nombre de 38 et le total des dégâts de 11 984 livres. Enfin, les 119 « mai-
sons particulières » visitées dans la ville et les faubourgs augmentent les
dommages de 22 321 livres, ce qui donne un total général de 51 728
livres. Au moins une dizaine de ces 119 bâtiments est entièrement écrou-
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HISTOIRE ET GEOGRAPHIE D’UN RISQUE
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LES TREMBLEMENTS DE TERRE REELS, CONNUS…
en Bigorre, celui du 7 juin 1778 (Saint-Pée). Ces événements ont été pré-
cédés d’un autre de degré VII, le 8 mai 1625, mais il reste mal connu. Les
Pyrénées centrales ne possèdent pas l’exclusivité des tremblements de
terre, qui affectent aussi les zones occidentales et orientales. Le 2 février
1783 se produit, par exemple, un séisme de degré VII dans le Vallespir
(Prats de Mollo). Le peu de sources disponibles incline cependant à relati-
viser cette estimation1. À propos de celui du 24 mai, Dupont – notaire à
Villelongue, à proximité d’Argeles – écrit sur son registre que
« Le soir de la Trinité de l’année 1750, à dix heures il a fait un tremblement de
terre si violent et si extraordinaire que plusieurs maisons ont croulé principale-
ment à Juncalas ou bien de personnes ont péri sous les ruines. Il n’y a point eu ou
presque de maison qui n’ait soufere, les murailles fêlées, lézardées, et considéra-
blement endomagées, le peuple alarmé. On a senti des secousses fréquentes pen-
dant tout le cours de lad. année, et encor bien avant dans celle de 1751. »2
Dans une lettre à l’Académie de Toulouse dont il est correspondant,
Lavant avance un chiffre global pour Juncalas qui est peut-être à prendre
avec précaution : « de 120 ou 139 maisons qui formoient le village de
Juncalas il n’en resta que 22, & deux seulement après les secousses du 26
au 27 [mai] »3. Les dégâts à Lourdes et dans sa région sont aussi impor-
tants.
« Du côté de Lourdes plusieurs maisons ont été renversées, la tour du château de
Lourdes, dont les murs sont d’une épaisseur énorme, a été lézardée d’un bout à
l’autre et la chapelle est entièrement endommagée. Le village de Goncalas, auprès
de Lourdes, a beaucoup souffert ; plusieurs maisons ont été renversées, et plusieurs
personnes ont péri sous les ruines. Les voûtes du monastère Saint-Pée, de même
que celles de l’église, se sont entr’ouvertes. »4
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HISTOIRE ET GEOGRAPHIE D’UN RISQUE
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HISTOIRE ET GEOGRAPHIE D’UN RISQUE
des plattes bandes [linteaux] des portes et des croysées entrouvertes aussi bien que
la voûte de la chapelle. Une partie de la balustrade de la galerie versée et plusieurs
autres dommages considérables. »1
À 25 km au nord de Loudun, l’église Saint-Martin de Candes est inutili-
sable car le tremblement de terre a fait tomber un des piliers de la nef qui,
dans sa chute, a entraîné les voûtes et endommagé deux autres piliers, sou-
tenant le clocher et les voûtes du chœur. Un effondrement complet est à
craindre, ce qui pousse le chapitre à rédiger un placet au roi dans l’espoir
d’obtenir des secours. Les réparations nécessaires sont estimées à 9 100
livres2. En dehors de cette zone de dégâts autour de Loudun, le séisme est
ressenti dans un vaste espace, du Havre à Limoges3. À une trentaine de
kilomètres au sud-ouest de Loudun, en Poitou-Gâtine (Parthenay), se pro-
duit le 9 janvier 1772 un autre séisme dommageable, preuve supplémen-
taire de la sismicité de cette région4.
La violence du séisme qui surgit le soir du 10 août 1759 surprend les
habitants du Bordelais car son épicentre est localisé dans l’Entre-Deux-
Mers, à une vingtaine de kilomètres à l’est de Bordeaux, entre Garonne et
Dordogne. Dans cette zone, l’intensité atteint VII-VIII et de nombreux vil-
lages subissent des destructions ou des dommages importants5. Sans passer
en revue tous les lieux touchés, contentons-nous de deux exemples, à
Saint-Aignan et à La Sauve.
« Le 10 août, à dix heures du soir, sans orage, la lune couverte d’un nuage, il y eut
un tremblement de terre si grand que beaucoup de maisons s’ouvrirent sur le côté,
plusieurs cheminées tombèrent, les voûtes des églises furent fendues en plusieurs
endroits ; on ne peut dire la messe en sûreté dans l’église de Saint-Germain ; pour
notre église elle n’a eu d’autre mal qu’il est tombé quelques pierres au milieu de
l’arceau de la voûte. »6
« La maison des Bénédictins fut très endommagée, plusieurs de leurs chambres
ayant eu leur murs crevés, et il tomba dans leur église ou dans le reste de leur mai-
son environ soixante pierres de taille. »7
À Carignan, l’église est considérablement endommagée : les murs de la
nef perdent leur aplomb, l’arc se disloque, les voûtes du chœur présentent
des crevasses8. La reconstitution des conséquences dans l’Entre-Deux-Mers
repose sur deux séries d’archives exceptionnelles qui regroupent des visites
1. Arch. privées : chronique de Henri Duplessis de Paumard, sénéchal de Saint-Jouin.
2. AN G7 530 : mémoire sur la demande du chapitre de Saint-Martin de Candes dioceze de Tours concer-
nant les réparations à faire à leur église (fol. 2).
3. Fonds de la Marine, B3 194 : correspondance de M. de Champigny (fol. 150v) ; BM Limoges, ms 123 :
fragments de chronique, 1709-1714.
4. Gazette de France, n° 7, 24 janvier 1772 ; ibid., n° 10, 3 février 1772 ; Annonces, affiches et avis divers pour
la ville du Mans et pour la province, t. 6, 1772, p. 22.
5. J. Faure et Agnès Levret, Compléments à l’analyse de la sismicité historique du Bordelais, Note technique
DSN/SERS n° 147, 1979 ; Jean Vogt, La Crise sismique bordelaise de 1759-1761. Mise au point de sismicité histo-
rique, rapport BRGM n° 81 SGN 624 GEG, 1981. Annexe 2, carte 11.
6. AC de Saint-Aignan : registre paroissial (1759).
7. AC de La Sauve : registre paroissial (1759).
8. AD Gironde, G. 647 Carignan : dégâts subis par l’église à cause des tremblements de terre.
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LES TREMBLEMENTS DE TERRE REELS, CONNUS…
1. AD Gironde, 1B, n° 3289 : fonds de la sénéchaussée de Fronsac ; AD Gironde, fonds de Malte, n° 674 :
Arveyres (fol. 188-189), Cadarsac (fol. 198), Fargues (fol. 246-247), La Grave (fol. 212), pigeonnier du château
d’Arveyres (fol. 269, 292), Saint-Germain d’Esteuil (fol. 235, 275), Saint-Pierre de Vaux (fol. 195).
2. Pour la discussion complète, cf. Jean Vogt, La Crise sismique…, op. cit., 1981, pp. 18-20.
3. AM Bordeaux, ms. 519.
4. Gazette de France, n° 100, 15 décembre 1769.
5. AC Bédarrides, BB 6 : délibérations du 26 novembre 1769 (fol. 246 v°-247) ; AC Bédarrides, DD 24 :
devis et désignation des diverses réparations de maçonnerie que la communauté doit faire mettre à l’enchère,
3 janvier 1770 (fol. 179-180)
6. AC de Clansayes : Relation des tremblements de terre principalement ressentis à Clansayes.
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HISTOIRE ET GEOGRAPHIE D’UN RISQUE
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LES TREMBLEMENTS DE TERRE REELS, CONNUS…
réveil qui est dans ma chambre a frappé plusieurs coups subits contre le timbre de
sorte qu’on 1’a entendu d’une salle qui est au-dessous. Tous les soliveaux de la
salle où j’étais, étoient en mouvement.
Il est tombé autour de moi plusieurs petits morceaux de plâtre et de mortier des
parties du mur qui touchaient aux soliveaux. Cet effet a encore été plus sensible
dans mes chambres.
Le chapiteau d’une des croisées s’est écarté d’environ trois lignes. Je ne puis ouvrir
la fenêtre. […]
Toutes les maisons de la ville ont été violemment agitées : cependant les unes plus
que les autres. Les têtes de plusieurs cheminées ont été renversées. Une croix de
pierre placée sur le pignon de la maison du Maître de musique de la collégiale de
Saint-Sépulchre a été penchée dans la direction du tremblement, quelques tuilles
sont tombées de dessus l’église. La couverture d’un grenier de la collégiale a été
fort endommagée du côté du midi
La commotion a été encore plus sensible du côté de l’abbaye de Saint-Étienne,
plusieurs murs, quoique très forts, sont lézardés.
J’ai vu des pierres de plus de 500 livres détachées du haut d’anciens murs et jet-
tées parterre. Une pierre, détachée de l’église Notre-Dame, est tombée sur la tête
d’une femme et sur le bras qui s’est cassé. Elle a été trépanée ; on espère qu’elle
n’en mourra pas. Un homme a eu le bras cassé d’une pierre qui est tombée de des-
sus une cheminée.
L’église du séminaire a été lézardée en plusieurs endroits. La secousse a été très
violente aux Casernes et l’on m’a assuré qu’une pierre a été poussée avec tant de
force de la tète d’une des cheminées, qu’elle a été jettée dans la cour sans toucher à
la couverture du bâtiment. La maison de M. de Manneville, proche les prés de
Louvigny, a été très endommagée par une grosse cheminée qui est tombée sur la
couverture. […]
À une lieue vers l’est de la ville, la tour de l’église d’Hérouville a été renversée.
Celle de Cormeille, à egale distance au sud-est, a été pareillement renversée.
Le tremblement a été très vif à Trouarn, à deux lieues et demie à l’est-quart-sud
de cette ville : une maison a entièrement écroulé. L’autel et la contre-table d’Éter-
ville, à l’ouest de Caen, qui étoient adossés contre le pignon de l’église, ont été
culbutés.
Les murs de l’abbaïe de Fontenay ont été lézardés en plusieurs endroits. […]
Au bourg de Cheux, à l’ouest de Caen, les secousses ont culbuté une maison. Le
tremblement de terre a été fort violent à Saint-Lô, très sensible à Baïeux et lsigny,
nul à Carentan et Valognes, très vif au Havre. »1
Dans son Journal, Étienne Desloges, échevin de Caen, confirme certains
de ces dégâts et en signale de nouveaux :
« Le 30 décembre 1776 [sic], il est arrivé à Caen un tremblement de terre sur les
onze heures du matin. Il a duré 3 secondes : il a abattu quantité de cheminées, les
tours de l’abbaye de Barbery, de Cormelles, d’Éterville et autres. Toute la ville a
été des plus émue par un bruit comme plusieurs équipages. Il a amené sur la côte
un poisson de 60 pieds et de 18 de hauteur [près de 20 m sur 8]. »2
1. Académie Royale des Sciences, Pochette de la séance du 7 février 1776 : lettre de l’abbé Adam à M. le
maréchal de Harcourt, du 24 janvier 1776.
2. « Journal d’Étienne Desloges », in G. Vanel, Recueil de journaux caennais, 1661-1777, publiés d’après les
manuscrits inédits, Rouen, 1904, p. 105.
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HISTOIRE ET GEOGRAPHIE D’UN RISQUE
Cette rapide description montre que, par rapport aux pays de forte sis-
micité, la France est affectée par des phénomènes moins violents et plus
rares, mais qui sont loin d’être mineurs et concernent de nombreuses
zones. Sur mille ans d’histoire, la carte des épicentres fait apparaître six
régions sismiques principales4.
Les Pyrénées présentent une activité élevée par rapport à la sismicité
française, en particulier en Bigorre (1660 et 1750). Plus à l’ouest, un
séisme d’intensité VIII, le 13 août 1967, a détruit ou rendu irréparables
80 % des maisons d’Arette tandis que 62 communes étaient déclarées
sinistrées. De nombreux microséismes sont enregistrés annuellement dans
cette région.
Le sud-est de la France est divisé en sous-ensembles régionaux, qui pré-
sentent aujourd’hui une activité microsismique faible ou pratiquement
nulle mais qui ont subi des séismes violents dans le passé. Dans la vallée
du Rhône, le Tricastin a connu trois essaims de séismes d’intensité VIII ou
VII-VIII (le 23 janvier 1773, le 8 août 1873 et le 12 mai 1934). La
Provence a subi des séismes d’intensité VIII à Manosque en 1509 et en
1708, VII-VIII à Beaumont de Pertuis en 1812 et à Volx en 1913, IX à
Lambesc en 1909. Sur la Côte d’Azur, la sismicité est faible au regard du
nombre d’épicentres mais forte quant aux intensités, qu’il s’agisse de
tremblements de terre locaux ou originaires de Ligurie ou du golfe de
Gênes. La Vésubie a subi de nombreux événements violents d’intensité
VIII, le 23 juin 1494, le 20 juillet 1564, le 18 janvier 1618 et le 15 février
1644.
1. AC Cormelles le Royal, Délibérations du 22 décembre 1776.
2. AC Maltot, registre paroissial (1775).
3. Gazette de France, n° 2, 5 janvier 1776 ; ibid., n° 3, 8 janvier 1776 ; ibid., n° 4, 12 janvier 1776 ; ibid.,
n° 6, 19 janvier 1776 ; ibid., n° 9, 29 janvier 1776 ; ibid., n° 12, 9 février 1776 ; ibid., n° 25, 27 mars 1776.
4. Annexe 2, carte 1. Jean Vogt, Les Tremblements…, op. cit., 1979, pp. 211-212. Les données ont été corri-
gées à partir des travaux postérieurs.
33
LES TREMBLEMENTS DE TERRE REELS, CONNUS…
1. Annexe 1, cartes 1 et 2.
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LES TREMBLEMENTS DE TERRE REELS, CONNUS…
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HISTOIRE ET GEOGRAPHIE D’UN RISQUE
constante est très rarement observé tandis que, dans les régions intra-
plaques comme la France, la probabilité d’occurrence des séismes est
encore moins bien déterminée. Les mouvements à long terme sont bien
plus lents et donc les séismes associés plus rares1.
Un séisme qui s’est produit une fois peut se produire à nouveau à l’iden-
tique, mais il n’est pas possible de savoir quand. Les périodes de retour
sont non seulement très longues mais irrégulières. La sismicité historique
est donc essentielle parce qu’elle permet de connaître les séismes les plus
importants qui se sont produits dans le passé. La méthode a ses limites car
la période de retour peut être supérieure au millénaire d’histoire couvert
par les recherches : le séisme de 1909 à Lambesc, le plus violent connu à ce
jour en France, a surpris la communauté scientifique de l’époque qui
considérait ce secteur comme non sismique. Aucun séisme équivalent n’a
été retrouvé dans le passé, ce qui montre que la faille de la Trévaresse pré-
sente des périodes de retour très longues. La Provence offre un bon
exemple de la complexité du comportement des failles car les deux autres
systèmes régionaux sont très différents2. La faille de la Moyenne Durance
se caractérise par la possibilité d’intensités élevées (VII à VIII) et une acti-
vité sismique régulière (1509, 1708, 1812, 1913). Quant aux failles de
Salon-Cavaillon et de Nîmes, elles présentent une activité sismique plus
modérée.
L’aire macrosismique désigne la zone touchée par les effets des séismes.
À moins d’effets de site, les effets s’atténuent lorsqu’on s’éloigne de la zone
épicentrale. Les lieux touchés par une même intensité sont enveloppés par
des lignes appelées isoséistes. Cependant, les données disponibles pour les
séismes historiques ne permettent pas toujours de les déterminer. Sur
5 283 vrais séismes recensés dans SISFRANCE en janvier 2003, seuls 38 %
sont connus en au moins deux points3.
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LES TREMBLEMENTS DE TERRE REELS, CONNUS…
1. Annexe 3, figure 3.
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HISTOIRE ET GEOGRAPHIE D’UN RISQUE
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LES TREMBLEMENTS DE TERRE REELS, CONNUS…
dommages notables (degré VII) est d’environ 350 km2. L’aire des dom-
mages est une chose, la sensation du tremblement de terre en est une
autre : une secousse peut être ressentie très loin de l’épicentre. Celle du 21
juin 1660 dans les Pyrénées ébranle le Rouergue, le Quercy, le Périgord, le
Limousin, le Languedoc, l’Angoumois et le Poitou1. Celle du 12 mai 1682
dans les Vosges est ressentie vers l’est en Allemagne (Francfort, Stuttgart,
Nurnberg…), en Suisse (Genève, Zurich), vers le sud jusqu’en Dauphiné,
Savoie, Lyonnais et Bresse, vers le nord dans les Flandres, vers l’ouest à
Paris2. S’il était possible de tracer l’aire macrosismique de chacun des 751
séismes connus de 1600 à 1800, la superposition de ces enveloppes couvri-
rait certainement la plus grande partie du territoire français.
Sur l’ensemble du royaume, l’expérience sismique ne concerne pas
chaque génération, mais néanmoins un nombre important de contempo-
rains. Les Parisiens, qui ne sont pas les plus exposés à ce risque, ont eu
l’occasion de ressentir une secousse en 1682, en 1711, en 1756, en 1775 et
en 1799. De telles sensations correspondent à des niveaux d’intensité II, III
ou IV sur l’échelle MSK, pour lesquels tous ne se rendent pas compte du
phénomène. Pour le niveau II, la secousse est à peine perceptible et ressen-
tie seulement par quelques individus au repos dans leur habitations, plus
particulièrement dans les étages supérieurs des bâtiments. Au degré III, la
secousse est faible et ressentie seulement de façon partielle par quelques
personnes tandis qu’elle est largement ressentie pour le degré IV. Pour
autant, tous ne sont pas également attentifs au phénomène ni capables de
l’identifier. L’horizon d’attente, la sensibilité, l’outillage intellectuel sont
en jeu, et il faudra se demander s’ils se modifient aux XVIIe et XVIIIe siècles.
Si les séismes pèsent peu à l’échelle de la France, leurs effets peuvent
être considérables à l’échelle locale, à l’intérieur de l’aire des dommages
notables, à partir du degré VII. Le chapitre 4 présentera un cas d’étude,
celui du tremblement de terre du 14 août 1708 à Manosque, pour lequel
nous pouvons proposer une reconstitution précise des dégâts.
Actuellement, peu d’exemples aussi bien documentés existent pour les
époques médiévales et modernes, le détour par des faits plus récents est
donc éclairant. Le séisme du 11 juin 1909 à Rognes-Lambesc, d’intensité
maximale IX, a donné lieu à une étude globale pour 1909. La zone d’inten-
sité maximale IX dessine une forme de haricot de 18 km sur 6, et de 40 sur
21 km à partir de l’épicentre pour l’intensité VIII. Dans cet espace, les
secousses ont tué 46 personnes, blessé 250, tandis que plusieurs milliers
de logements étaient détruits ou endommagés gravement. Le coût des
réparations a été estimé, en valeur de 1982, dans une fourchette comprise
entre 1 500 et 2 250 millions de francs.
1. Jérôme Lambert (dir.), Les Tremblements…, op. cit., 1997, p. 87
2. Ibid., p. 44.
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HISTOIRE ET GEOGRAPHIE D’UN RISQUE
Dommages et vulnérabilité
1. Emmanuel Le Roy Ladurie, Histoire du climat depuis l’an mil, Paris, 1967, 2e éd. Paris, 1983, t. 1, pp. 48-
51 ; Christian Pfister, Wetternachhersage. 500 Jahre Klimavariationem und Naturkatastrophen 1496-1995, Bern,
1999.
2. Claude Chaline et Jocelyne Dubois-Maury, La Ville et ses dangers : prévention et gestion des risques naturels,
sociaux, technologiques, Paris, 1994 ; Cyrille Sillans, « L’incendie dans les villes françaises du XIXe siècle : de la
vulnérabilité à la maîtrise du phénomène », in Geneviève Massard-Guilbaud, Harold Platt, Dieter Schott, Cities
and Catastrophes. Coping with Emergency in European History, Francfort s/Main, New-York, Peter Lang, 2002,
pp. 205-222.
3. Claude Nières, La Reconstruction d’une ville au XVIIIe siècle, Rennes, 1720-1760, Paris, 1972.
4. Jérôme Lambert (dir.), Les Tremblements…, op. cit., 1997, p. 150.
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LES TREMBLEMENTS DE TERRE REELS, CONNUS…
générale : les pertes en 1700 auraient été inférieures à cause des densités plus
faibles et du coût moins élevé des infrastructures.
Les édifices monumentaux (églises, châteaux…) sont généralement réa-
lisés avec des matériaux de qualité, des pierres taillées, et de ce fait assimi-
lés aux constructions de type B de l’échelles MSK. En réalité, ils peuvent
présenter des éléments de vulnérabilité qui les rendent aussi fragiles que
les constructions en pierres tout-venant du type A. Les effondrements
consécutifs aux fortes précipitations de l’année 2001 ont montré la fragi-
lité de fortifications ou de tours médiévales aux murailles extrêmement
épaisses, mais construites sans fondations et dans l’urgence du contexte de
la guerre de Cent ans1. L’épaisseur d’un mur procure parfois une impres-
sion trompeuse de sécurité. Lors du séisme du 23 novembre 1980 dans les
régions de la Campanie et de la Basilicate, les murailles du château-fort de
Laviano, épaisses en moyenne de 2,50 m, se sont effondrées de manière
spectaculaire. Ces murs imposants étaient liés avec un mortier de chaux et
non de terre, mais de très médiocre qualité. Tous les moellons, secoués par
les vibrations, ont écrasé rapidement le mortier de liaison et celui-ci est
aussitôt devenu pulvérulent, achevant de libérer les pierres de toute com-
pression. L’ensemble, en quelques secondes, est devenu un simple tas de
cailloux et s’est effondré sur lui-même2.
La complexité géométrique et structurelle du bâti constitue un autre
facteur. La forme et la hauteur d’un clocher peuvent le rendre plus fragile
et entraîner par exemple la chute d’une flèche élevée causant des dégâts
importants sur la nef en contrebas, comme dans l’église de Vendeuvre du
Poitou lors du séisme du 11 mars 17043. En revanche, des fermes à cour
carrée dont les quatre côtés sont solidaires présentent une bonne résistance
aux séismes, de même que des bâtiments reliés les uns aux autres par des
arcs. Un site urbain sur une colline risque de subir de plus grands dégâts
qu’un site rural en plaine : l’effet de site mis à part, dans le premier cas, la
chute des bâtiments sur ceux situés en contrebas peut causer plus de dom-
mages que le séisme lui-même, tandis que dans le second cas des bâti-
ments écartés ne se gênent pas4.
L’entretien et l’usage des constructions jouent un rôle déterminant. Aux
XVIIe et XVIIIe siècles en France, les sources signalent de nombreux dégâts
aux remparts lors des tremblements de terre. Or, depuis le XVIe siècle, leur
1. Citons le cas d’une partie des remparts de Saumur (Maine-et-Loire) et surtout de la tour de Montbazon
(Indre-et-Loire) à la suite des très fortes précipitations des premiers mois de 2001 (Le Monde, 2 mai 2001).
2. Jean-Pierre Adam, « Lésions et dommages dans le bâti ancien et propositions de confortements parasis-
miques », PACT, 1990, n° 28, pp. 172-173.
3. Agnès Levret, Grégory Quenet, Le Séisme du 11 mars 1704 en Poitou. Recherche de nouvelles sources historiques
et essai d’estimation de l’intensité à Vendeuvre en Poitou, Rapport IRSN, 1997, n° 97-17.
4. Emanuela Guidoboni, Graziano Ferrari, « Historical variables of seismic effects : economic levels, demo-
graphic scales and building techniques », in Enzo Boschi et alii, « Catalogue of strong Italian earthquakes from
461 B.C. to 1997 », Annali di Geofisica, vol. 43, n° 4, 2000, p. 697.
42
HISTOIRE ET GEOGRAPHIE D’UN RISQUE
43
LES TREMBLEMENTS DE TERRE REELS, CONNUS…
Conclusion
1. Mathieu Arnoux, Jean-Marc Moriceau, « Fléaux naturels et sociétés rurales : la nouveauté d’une histoire
sans cesse recommencée », Histoire & Sociétés Rurales, n° 15, 1er semestre 2001, p. 7.
2. Virginia Garcìa Acosta, Los sismos en la historia…, op. cit., 2001, pp. 118-134 ; Bernard Vincent, « Les
tremblements de terre… », op. cit., 1974, p. 584.
44
CHAPITRE II
Dans les pays les plus développés, les risques sont maintenant au cœur
des préoccupations collectives, tant pour la société civile que pour les
acteurs institutionnels. Ulrich Beck a défini cette « société du risque »
post-industrielle, qui produit elle-même des menaces de toute nature
(sociales, sanitaires, technologiques…) auxquelles personne n’échappe1.
Dans les sociétés technoscientifiques, les catastrophes sont de moins en
moins bien tolérées et le sentiment d’insécurité croît. De tels événements
remettent en question l’idée que le risque est aisément calculable et
connaissable, qu’il est sous le contrôle des spécialistes et des experts.
Jacques Theys a proposé le terme de « société vulnérable » pour expliquer
comment, à partir des années 1970, apparaît cette aversion croissante
pour les risques, exacerbée par les catastrophes naturelles2. La nature
représente en effet le prototype des risques involontaires, bien plus insup-
portables que des risques volontaires mille fois supérieurs. Les phéno-
mènes en cause ont un tel potentiel catastrophique qu’ils apparaissent
plus graves que des événements plus probables mais potentiellement
moins destructeurs. La complexité et l’incertitude des mécanismes en jeu
en font aussi l’archétype des risques difficilement maîtrisables et incer-
tains. Enfin, l’imaginaire est marqué par l’irruption brutale de l’aléa
naturel et valorise facilement les conséquences maximales possibles,
devant les impacts réels3.
Ces analyses, et celles qui les prolongent, sont aujourd’hui bien connues
mais il faut souligner qu’elles placent le processus historique au cœur des
débats, à plusieurs titres. Le sentiment d’insécurité qui se développe dans
les sociétés à risques accentue la force anthropologique de la catastrophe et
ouvre la voie au retour de dimensions archaïques de ce type de crise :
implications symboliques pour le pouvoir gestionnaire, phénomènes de
1. Ulrich Beck, La Société du risque. Sur la voie d’une autre modernité, Paris, 2001.
2. Jean-Louis Fabiani et Jacques Theys (dir.), La Société vulnérable. Évaluer et maîtriser les risques, Paris, 1987.
3. Ibid., p. 19.
45
LES TREMBLEMENTS DE TERRE REELS, CONNUS…
Un carrefour historiographique
1. Munich Reinsurance 2003 Company Annual Report, Munich, 2004, pp. 19-29.
46
ECRIRE L’HISTOIRE DES CATASTROPHES NATURELLES
économiques1. Pausanias rapporte ainsi que le séisme de 330 av. J.-C. accé-
lère le déclin de Sicyone face à Corinthe, dans un contexte de difficultés2.
Au Moyen Âge, les auteurs des Annales et Chroniques interprètent les
miracles, les prodiges et les merveilles, en leur accordant une signification
historique et sociale3. À l’époque contemporaine, l’intérêt ne faiblit pas
mais cette précocité laisse le sentiment d’une rencontre inachevée. L’aléa
est objectivé sous la forme d’un fait historique particulier, d’origine natu-
relle, intéressant pour ses conséquences et les interprétations qu’il suscite.
En d’autres termes, les catastrophes naturelles ne sont pas étudiées pour
elles-mêmes, elles demeurent un carrefour, emprunté par des historiens
qui ne travaillent nullement sur les risques4. Pour preuve, les différents
moments qui se détachent au XXe siècle ne sont que la déclinaison d’enjeux
historiographiques plus vastes.
Sur bien des points, la première moitié du XXe plante le décor, des
repères qui marquent durablement l’interprétation des catastrophes natu-
relles. Certains sont d’ailleurs plus anciens et leur généalogie a été analysée
en détail par les historiens de l’idée de nature et de l’écologie5. Selon une
certaine conception occidentale du destin historique qui n’a pas fini de
peser, le progrès est représenté comme le long combat des hommes contre
la nature. Cette histoire univoque sépare radicalement l’événement phy-
sique et les sociétés humaines, proposant du même coup un schéma global
d’interprétation, malheureusement encore défendu aujourd’hui. Les mal-
heurs des hommes auraient été essentiellement causés par une nature per-
pétuellement menaçante jusqu’à l’effacement des risques naturels au XIXe
siècle, pour laisser la place aux dangers venus de l’humanité elle-même, et
en particulier la guerre, le risque technologique et industriel6. Une telle
conception est résolument téléologique car le terme final est donné
d’emblée, à savoir l’affranchissement de l’homme vis-à-vis de la nature.
L’événement naturel reste irréductible et extérieur aux sociétés humaines.
Le hasard et le tragique ne sont pas loin, ce qui favorise les fantasmes de la
catastrophe et de la mort. Les historiens n’échappent pas toujours à cette
fascination des catastrophes. Le cas le plus célèbre demeure celui d’Arthur
Evans ressentant le séisme d’Héraklion de 1922, sur le site même du palais
1. Bernard Bousquet, Jean-Jacques Oufaure et Pierre-Yves Péchoux, « Connaître les séismes en
Méditerranée : de la vision antique à la vision actuelle », in Tremblements de terre, histoire et archéologie, Valbonne,
1984, pp. 23-39.
2. Ibid., p. 33.
3. Miracles, prodiges et merveilles au Moyen Âge, XXVe Congrès de la Société des Historiens Médiévistes de
l’Enseignement Supérieur Public (Orléans, 1994), Paris, 1995.
4. Serge Briffaud, « Vers une nouvelle histoire des catastrophes », Sources. Travaux historiques, 1993, n° 33,
p. 3.
5. Pascal Acot, Histoire de l’écologie, Paris, 1988. Jean-Marc Drouin, L’Ecologie et son histoire : réinventer la
nature, Paris, 1993. Marie-Claire Robic (dir.), Du milieu à l’environnement : pratiques et représentations du rapport
homme-nature depuis la Renaissance, Paris, 1992.
6. Jean Delumeau et Yves Lequin (dir.), Le Malheur des temps.., op. cit., 1987, pp. 6-10.
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LES TREMBLEMENTS DE TERRE REELS, CONNUS…
1. Arthur Evans, The Palace of Minos at Knossos, vol. II, part I, London, 1928, p. 312.
2. Georgia Poursoulis, « Des techniques sismo-résistantes dans les édifices de l’Âge du Bronze en Crête »,
in Rémi Marichal (dir.), Archéosismicité & vulnérabilité du bâti ancien, Perpignan, 2000, p. 121.
3. Marc Bloch, La Société féodale, Paris, 1939, Rééd., Paris, 1968, p.116.
4. Johan Huizinga, L’Automne du Moyen Âge (1919), Paris, 1977, p. 9.
5. Lucien Febvre, « Pour l’histoire d’un sentiment : le besoin de sécurité », Annales E.S.C., 1956, p.244
6. Jacques Berlioz, Les Catastrophes naturelles et calamités au Moyen Âge, Florence, 1998, chapitre 1.
7. Claude Gilbert, « Les catastrophes : une vision de l’intérieur est-elle possible ? », (à paraître).
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