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3e TRIMESTRE 2019
L A R E V U E D E P R O PA R C O
MÉRO
NU
10 ANS DE SP&D
N
A
NI I
R
VERSA
SECTEUR PRIVÉ & DÉVELOPPEMENT
est une publication de Proparco,
SOMMAIRE
Groupe Agence Française
de Développement,
société au capital de 693 079 200 €,
151 rue Saint-Honoré, 75001 Paris - France
Tél. (+33) 1 53 44 31 07
Courriel : revue_spd@afd.fr
Site web : www.proparco.fr
Blog : blog.secteur-prive-developpement.fr
Directeur de Publication
Grégory Clemente 04 LES CONTRIBUTEURS 36 OPINION
06
Fondateur Soutien et mentorat, éléments
Julien Lefilleur
CADRAGE essentiels d’un développement
Directrice de la rédaction
et rédactrice en chef
Bien connaître les PME pérenne des PME
Anne-Gaël Chapuis des pays en développement Par Parminder Vir OBE
40
Rédacteur en chef exécutif pour mieux répondre à leurs
Romain De Oliveira
attentes ANALYSE
Assistante éditoriale
Véronique Lefebvre
Par Bertrand Savoye Le digital va-t-il révolutionner
12
Comité éditorial
le financement des PME
Axelle Bergeret-Cassagne, Christel FOCUS en Afrique ?
Concrétiser le potentiel
Bourbon-Seclet, Laure Bourgeois,
Myriam Brigui, Marianne Cessac, Par Aiaze Mitha
44
Jérémie Ceyrac, Fariza Chalal,
Anne-Gaël Chapuis, Johann Choux, de l’Afrique : financement
Xavier Echasseriau, Thomas Eloy,
Romain Esperon, Pierre Forestier, Peter
et compétences des PME ENTRETIEN CROISÉ
Glause, Djalal Khimdjee, Sophie Le Roy,
Olivier Luc, Elodie Martinez, Gonzague
Par Jonathan Lange Fonds propres pour le passage
16
Monreal, Alexandre Pointier, Véronique à l’échelle des PME : entretien
avec deux gestionnaires
Pescatori, Florence Priolet, Gregor
Quiniou, Françoise Rivière, Bertrand ÉTUDE DE CAS
Savoye, Camille Severac, Baptiste
Tournemolle Quelles sont les causes de de fonds africains
Advisory board défaut des PME en Afrique Avec Lucas Franck et J-P Fourie
48
Jean-Claude Berthélemy, Paul Collier,
Kemal Dervis, Mohamed Ibrahim,
subsaharienne ?
Pierre Jacquet, Michael Klein, Par Nicolas Picchiottino ENTRETIEN CROISÉ
Nanno Kleiterp, Ngozi Okonjo-Iweala,
20
Jean-Michel Severino, Fonds propres pour le passage
à l’échelle : entretien avec deux
Bruno Wenn, Michel Wormser
OPINION
Conception et réalisation
LUCIOLE Le numérique en Afrique : PME soutenues
Crédit photo (couverture)
un canal pour le financement Avec Jean-Philippe Bigot et Habib Hassim
50
Joan Bardeletti des PME
Traduction Par Matthew Gamser QUESTIONS-RÉPONSES
24
Comment financer les PME en
Jean-Marc Agostini
Neil O’Brien/Nollez Ink
Sam O’Connell
ANALYSE Afrique ? L’expérience de cinq
Secrétariat de rédaction
( : ? ! ; ) D O U B L E P O N C T U A T I O N,
Financement des PME vu institutions financières
par les régulateurs : gros plan
52
www.doubleponctuation.com
Impression sur papier certifié PEFC 70 % sur l’Afrique subsaharienne QUESTIONS-RÉPONSES
Pure Impression
ISSN 2103 3315
Par le Réseau AFI Financement des PME et
28 nouvelles technologies :
Dépôt légal 23 juin 2009
L
a création d’emploi constitue incontestablement un des enjeux majeurs des
années à venir pour le continent africain. Quelques chiffres suffisent à s’en
rendre compte. Ainsi, d’ici 2050, près de 450 millions de jeunes Africains
seraient amenés à rejoindre le marché du travail, un véritable défi pour le
continent. Pour y faire face, l’Afrique compte de nombreux atouts, dont
celui d’être le continent avec la plus grande proportion d’entrepreneurs : ces derniers
représentent près de 20 % de la population active.
Le continent peut également compter sur le développement important des petites et
Djalal Khimdjee moyennes entreprises (PME), un enjeu crucial dans la création d’emploi et la croissance
Directeur général délégué économique. Ces dernières ne représentent pas moins de 90 % des entreprises et créent
Proparco près de 60 % des emplois du secteur formel en Afrique ; en matière de création de
richesses, elles génèrent, en moyenne, 40 % du produit intérieur brut (PIB) des nations.
Malgré le dynamisme de ce secteur, les PME du continent africain continuent de faire face
à certains blocages qui freinent, voire enrayent leur potentiel de développement. L’une des
principales difficultés est celle de l’accès à des sources de financement adaptées : seules 20 %
des très petites et moyennes entreprises (TPME) bénéficient en effet d’un financement
bancaire et une part encore très réduite des PME ont accès à des investisseurs. En zone
subsaharienne, le déficit actuel de financement est ainsi estimé à 330 milliards de dollars1.
Les petites et moyennes entreprises africaines pâtissent également d’obstacles directement
liés à leur nature, leur environnement économique ou leur activité : perçues comme
plus risquées ; avec une gouvernance parfois défaillante ; ou ne possédant pas les fonds
propres ou les garanties nécessaires pour attirer les investisseurs.
Mais des solutions émergent du terrain. Le numérique, par exemple, se propage mas-
sivement et rapidement. Des fintechs en profitent ainsi pour développer de nouveaux
outils permettant d’accélérer et de diffuser l’accès aux financements.
De même, les autorités locales se mobilisent de plus en plus pour progressivement
libérer les entraves et résoudre les faiblesses structurelles dont souffrent encore certains
pays d’Afrique subsaharienne.
Enfin, confrontées à une concurrence accrue sur le segment des grandes entreprises, de
plus en plus d’institutions financières considèrent les PME comme un relai de croissance
fort et s’organisent de manière à répondre à leurs besoins, par des financements bien
sûr, mais aussi de l’accompagnement pour renforcer ces entreprises et par la mise en
place d’équipes et de systèmes de suivi dédiés.
Pour contribuer à cet enjeu majeur pour l’Afrique, la France a lancé en 2019 l’initiative
« Choose Africa ». Celle-ci vise à déployer, principalement via le Groupe AFD, près
de 2,5 milliards d’euros de financement à destination des start-up et PME africaines à
travers un continuum de solutions de financement2.
3
LES CONTRIBUTEURS
4
SECTEUR PRIVÉ & DÉVELOPPEMENT
COORDINATEURS DU NUMÉRO
Coordin
et contribateur
uteur
Le rôle déterminant des PME – qui composent l’immense majorité des entreprises des pays en
développement – n’est plus à démontrer, en particulier pour l’emploi. Pourtant, leurs besoins
en financement donnent lieu à bien des interprétations, parfois erronées. Les objectifs que
poursuivent ces PME ne sont pas ceux des grandes entreprises ; c’est en les connaissant
mieux qu’il sera possible de mettre en place des instruments et des dispositifs qui les aideront
à accéder plus facilement aux financements dont elles ont besoin.
D
ynamiques, flexibles, inno- toujours sur la façon de les définir précisément,
vantes, à taille humaine… Les notamment dans les économies en développe-
petites et moyennes entre- ment, ils reconnaissent unanimement leur rôle
REPÈRES
AFD prises (PME) sont désormais et leurs qualités. Dès lors, la question n’est plus
Institution financière publique parées de toutes les vertus. Si tant de savoir pourquoi les promouvoir, mais
et solidaire, l’Agence Française
de Développement (AFD) est les économistes et les décideurs ne s’accordent pas comment le faire au mieux.
l’acteur central de la politique
de développement de la France.
Elle s’engage sur des projets
qui améliorent concrètement le
QUAND LES HANDICAPS DES PME DEVIENNENT DES ATOUTS
quotidien des populations, dans
les pays en développement,
émergents et l’Outre-mer.
Le financeur, pourtant, était en droit de s’in- En fait, les contributions des PME et des grandes
Intervenant dans de nombreux terroger : que peut-il réellement attendre de la entreprises ne peuvent se penser indépendam-
secteurs - énergie, santé,
biodiversité, eau, numérique, part de cette population d’entreprises hétéro- ment : les forces des unes sont les faiblesses des
formation -, l’AFD accompagne gène, en général de petite taille ? Que ce soit autres. Ainsi, les PME sont plus flexibles – mais
la transition vers un monde plus
sûr, plus juste et plus durable, un dans les industries des pays développés comme au prix de conditions de travail souvent plus
monde en commun. Son action
s’inscrit pleinement dans le cadre
dans celles des pays émergents, les rendements précaires et de rémunérations moins élevées.
des objectifs de développement d’échelle et l’intensité capitalistique croissent Elles sont innovantes – mais leurs innovations
durable (ODD). Les équipes sont
engagées dans plus de 4 000 avec la taille des entreprises. Il en va de même sont essentiellement périphériques, les inno-
projets à fort impact social et pour la productivité apparente du travail et le vations radicales demeurant essentiellement le
environnemental dans les Outre-
mer français et 115 pays. En 2018, niveau moyen des salaires, à qualification égale. fait de très grandes entreprises compte tenu des
l’AFD a engagé 11,4 milliards
d’euros au financement de ces
Tout semble donc jouer en faveur des entreprises montants de recherche-développement qu’elles
projets. de grande taille. nécessitent. A contrario, si les conditions de travail
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SECTEUR PRIVÉ & DÉVELOPPEMENT
sont souvent plus difficiles dans les PME, elles pu observer simultanément une concentration
génèrent par leurs activités de proximité un lien financière croissante et une diminution de la
social précieux, dont on perçoit la valeur lorsqu’il taille moyenne des entreprises, liée en partie au
vient à manquer sous l’effet de la disparition choix de grandes entreprises de se réorganiser
des petits commerces des centres urbains. Et autour de structures plus petites. L’engouement
surtout, si elles sont effectivement moins pro- actuel pour les PME peut ainsi s’expliquer en
ductives que les grandes entreprises, elles sont partie par le regain du chômage à partir des
en revanche beaucoup plus créatrices d’emplois crises pétrolières et par la prise de conscience
grâce à leur mode de croissance extensif. En de la contribution majeure des PME à l’emploi
effet, plus les entreprises sont grandes, moins et à l’essor des services marchands. En effet, le
leur croissance génère, en moyenne, des emplois. phénomène des rendements d’échelle comme de
Dans les très grandes entreprises apparaissent l’intensité capitalistique jouent beaucoup moins
même, à partir des années 1980, des « élasti-
dans la plupart des activités de services, de sorte
cités négatives » de l’emploi : dans le cadre
que les barrières de taille à l’entrée sont moins
de stratégies de croissance intensive, les gains
fortes et qu’une taille moyenne peut s’avérer
de productivité s’accompagnent de réduction
optimale pour conjuguer compétitivité et flexi-
d’effectifs.
bilité. C’est pourquoi les grandes entreprises
Ainsi, dans un système productif, les PME et se situent en majorité dans l’industrie et plus
les grandes entreprises se complètent beaucoup des trois-quarts des PME dans les secteurs du
plus qu’elles ne s’opposent, au point que l’on a commerce et des services.
En fait, les contributions des PME et des grandes entreprises ne peuvent
se penser indépendamment : les forces des unes sont les faiblesses des
autres.
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B I E N C O N NAÎ TR E L ES PM E
D E S PAYS EN DÉVELOPPEM ENT
POU R M I E U X R ÉPONDR E À L EURS AT T E N T E S
Dans les pays industrialisés, l’intérêt porté aux homogène entre les pays africains plutôt qu’à
PME date du début des années 1970, avec notam- des définitions nationales différentes : les PME
ment la publication de l’ouvrage Small is beautiful, sont définies comme les entreprises de moins
dans la mouvance critique du productivisme. de 100 salariés au Cameroun, de moins de 200
En Afrique, cet intérêt est plus récent et fait au Maroc et en Côte d’Ivoire, de moins de 300
suite à l’attention portée à partir des années en Tunisie, d’un chiffre d’affaires inférieur à
1970 et surtout 1980 pour le secteur informel. deux milliards de francs CFA au Sénégal, etc.
On s’est d’abord intéressé à la PME pour s’in-
quiéter de sa faible présence, résumée par la À défaut de statistiques précises, on peut avancer
notion de « missing middle ». Cette notion est des ordres de grandeur, que l’on retrouve peu
désormais remise en question : les PME sont ou prou dans les différentes régions du monde.
essentiellement situées dans les services, où elles Dans la plupart des pays développés, les entre-
échappent en grande partie à l’observation sta- prises sans salarié, lorsqu’elles sont prises en
tistique, les enquêtes se limitant le plus souvent compte, représentent généralement un peu plus
au seul secteur industriel. de la moitié des entreprises et les microentre-
prises de moins de 10 salariés plus des neuf
Cette remarque sur les données statistiques dixièmes des entreprises. Moins les économies
soulève la question délicate de l’estimation du sont développées, plus ce taux est élevé. En
nombre des PME et de leur poids dans les éco- Afrique, les difficultés de dénombrement sont
nomies africaines. Elle souligne également la encore accentuées par le recours à la notion de
nécessité de recourir à des définitions précises secteur informel, qui peut conduire à écarter
des seuils de taille (plancher et plafond) et de des unités qui seraient considérées dans d’autres
ce que comprend la notion d’entreprise1, faute régions comme des microentreprises et qui de
de quoi les écarts entre les estimations peuvent fait présentent de nombreuses caractéristiques
être très importants (de l’ordre de 1 à 100 au similaires. La proportion de microentreprises
Sénégal, par exemple). Idéalement, il serait sou- dépasse les 95 % et microentreprises et PME
haitable de recourir également, comme dans représentent en nombre la quasi-totalité des
l’Union européenne, à une définition officielle entreprises.
1 Cette question se pose dans les pays développés (inclut-on les travailleurs indépendants, les autoentrepreneurs, les sociétés sans salarié ?)
et de façon accrue dans les pays en développement avec les unités de production dites informelles (sans comptabilité).
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SECTEUR PRIVÉ & DÉVELOPPEMENT
L
’accès au financement externe des PME
% moyen de PME considérant l’accès à / le coût de la finance comme une contrainte
majeure dans leurs activités en cours.
46 %
50
45 %
40
31 % 30 %
27 % 28 %
23 % 22 %
30
18 %
20
14 %
11 %
10 7 %
0
moins de 20 employés entre 20 et 99 employés plus de 100 employés
Les PME sont diverses de par leur taille (entrepre- plutôt que de faire croître un business. Ces
neurs indépendants, micro, petites ou moyennes objectifs permettent de comprendre pourquoi
entreprises) mais aussi de par les objectifs qu’elles certaines politiques publiques sont inadéquates
poursuivent et les stratégies qu’elles mettent en ou beaucoup trop ambitieuses ; on ne peut pas,
place pour les atteindre. Alors que les grandes par exemple, parier sur le caractère automatique
entreprises n’ont pas beaucoup d’autres alterna- des mesures de soutien à la création d’emploi.
tives qu’augmenter leur rentabilité ou conquérir
Ces objectifs conditionnent aussi la perception
des parts de marché, les objectifs des PME sont
des difficultés rencontrées par les PME. Lorsque
très variés, souvent indissociables de ceux du les entreprises des pays en développement sont
chef d’entreprise ou de la famille à laquelle l’en- interrogées sur leurs difficultés, les motifs d’in-
treprise appartient. De ce fait, dans leur grande quiétude les plus fréquemment évoqués relèvent
majorité, ces entreprises s’inscrivent dans des tout d’abord du climat des affaires, des effets
logiques de reproduction et non d’accumulation de la corruption et des formes de concurrence
et de croissance. De nombreuses entreprises déloyales. Puis viennent l’instabilité et le manque
manifestent une vraie réticence à embaucher du de lisibilité du cadre fiscal, le manque de sécuri-
personnel et à grandir – alors qu’elles bénéficient sation des moyens de production et du foncier,
d’une croissance importante de leur activité –, l’insuffisance et l’instabilité de la demande, le
tout simplement parce que leurs responsables manque de qualification de main d’œuvre, et
privilégient des critères extra-économiques, bien sûr les contraintes d’accès au crédit et ses
une volonté d’indépendance ou tout simple- conditions en termes de taux, de durée et des
ment parce qu’ils souhaitent exercer leur métier niveaux de garantie exigés.
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B I E N C O N NAÎ TR E L ES PM E
D E S PAYS EN DÉVELOPPEM ENT
POU R M I E U X R ÉPONDR E À L EURS AT T E N T E S
À la différence d’autres motifs de préoccupation, Comme pour les estimations du nombre des
les difficultés de financement sont d’autant plus PME ou leur contribution à l’emploi ou à la
importantes que les entreprises sont petites (voir valeur ajoutée, les montants des besoins de
figure). Dans l’édition de 2010 du World Business financement non couverts par les systèmes
Environment Survey de la Banque mondiale, ces financiers évoqués2 sont à prendre avec beau-
difficultés étaient placées en seconde position coup de prudence. Ils découlent d’estimations
RÉFÉRENCES par les PME et en quatrième seulement par les macroéconomiques de la demande potentielle de
Cadot, O., Disdier, A-C., Gourdon,
J., Héricourt, J., Suwa-Eisenmann, grandes entreprises. financements, qui reposent sur de nombreuses
A., 2014. « Évaluer l’impact hypothèses. Si l’on se place d’un point de vue
des instruments financiers en faveur Si les entreprises du monde entier trouvent microéconomique, plusieurs questions sont à
des entreprises », Document
de travail n°137, AFD, Paris. en général les banques frileuses, les banquiers considérer, en particulier dans le domaine des
Chauvet, L., Ehrhart, H., 2015. assurent que les projets d’investissements « ban- crédits d’investissement. La première, en appa-
« Aid and growth. Evidence from
firm-level data », Working paper cables » trouveront toujours un financement. La rence triviale, est de savoir si l’entreprise éprouve
n°563, Banque de France, Paris. vérité se situe quelque part à mi-chemin entre le besoin d’investir. Si une grande entreprise a
Collier, P., 2009. « Repenser
le financement des petites ces deux positions… Dans le premier dossier chaque année un programme d’investissement
entreprises en Afrique », Secteur de cette revue, – qui, déjà, était consacré à ce à financer, c’est loin d’être toujours le cas pour
Privé & Développement, n° 1,
Proparco, Paris. sujet il y a dix ans –, Paul Collier remarquait une PME. Une fois les investissements initiaux
Derreumaux, P., 2009. avec bon sens que le financement des petites réalisés, très peu d’entrepreneurs réinvestissent
« Les difficultés de financement des
PME en Afrique : à qui la faute ? », entreprises africaines cumule deux difficultés : par la suite dans leur affaire, parce que le fonc-
Secteur Privé & Développement, prêter au secteur privé en Afrique est plus risqué tionnement de leur entreprise (petit commerce
n° 1, Proparco, Paris.
Hsieh, CT. et Olken, B., 2014. que dans le reste du monde, et financer une de détail, métiers du bâtiment, services aux par-
« The missing ‘’missing middle’’ », petite entreprise est généralement plus risqué ticuliers, artisanat de production, etc.) ne l’exige
Journal of economic perspectives,
vol. 28, n°3, Pittsburgh. que de financer une grande entreprise. Mais pas et qu’ils ne sont pas nécessairement dans
dans ce même dossier, Paul Derreumaux, alors une logique d’accumulation ou de croissance.
PDG de la BOA, reconnaissait que les banques Si l’entreprise souhaite investir, a-t-elle besoin
ne s’étaient pas donné non plus les moyens de d’un financement externe ou est-elle en mesure
répondre à la demande de financement de cette de s’autofinancer ? Comme les taux d’intérêt
clientèle. Ce manque d’implication s’expliquait sont élevés, en particulier dans le domaine
notamment par la rentabilité des placements du micro-crédit orienté vers les TPE et que
dans les titres de dette publique. la rentabilité des activités exercée est souvent
Si les entreprises du monde entier importante, les entreprises paraissent souvent
en mesure d’autofinancer leur investissement
et préfèrent dans ce cas cette solution. Ensuite,
trouvent en général les banques frileuses, si l’entreprise considère qu’elle a besoin d’un
les banquiers assurent que les projets financement externe sous forme de crédit ban-
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SECTEUR PRIVÉ & DÉVELOPPEMENT
caire, encore faut-il qu’elle en fasse la demande Au final, l’application de ces différents filtres
et, quand c’est le cas, qu’elle présente un dossier aboutit à des estimations en besoins de finan-
recevable. Enfin, s’il est recevable, le dossier doit cements moindres que ceux qui découlent de
s’avérer « bancable » au regard de la qualité du méthodes macroéconomiques3.
projet et de la santé financière de l’entreprise.
Reste à savoir si les pays ou les partenaires le financement externe des entreprises. Mais IFC, 2017. « MSME Finance Gap,
assessment of the shortfalls and
techniques et financiers4 peuvent proposer des comme les évaluations scientifiques d’impact opportunities in financing micro,
instruments financiers (lignes de crédit conces- sont, pour différentes raisons méthodologiques, small and medium enterprises
in emerging markets »,
sionnelles, dispositifs de partage des risques, plus difficiles à réaliser dans le domaine de la World Bank Group, Washington.
capital-risque, etc.) en mesure d’avoir un réel mésofinance que dans celui de la microfinance, Quartey, P., Turkson, E., Abor, J.,
Iddrisu, A., 2017. « Financing
impact sur l’accès au financement et, au-delà, la connaissance des impacts de politiques visant the growth of SME’s in Africa :
sur les performances et la santé des entreprises. à améliorer l’accès des PME au financement what are the constraints to
SME financing within ECOWAS ? »,
La majorité des études économiques consacrées bancaire demeure assez imprécise et demande Review of Development Finance,
au lien entre finance et croissance conclut à encore à être approfondie pour s’assurer que Vol. 7, Issue 1, 2017.
Savoye, B., 1996. « Analyse
une influence positive du développement ces appuis ne se limitent pas essentiellement comparative des microentreprises
financier sur la croissance, grâce précisément à des effets d’aubaine pour les établissements dans les pays en développement
et dans les pays industrialisés »,
à la diminution des contraintes qui pèsent sur financiers. Revue Tiers Monde, vol. 37,
n° 148, Paris.
3 Dans une étude menée par l’AFD sur le secteur industriel à Madagascar, respectivement 40 % des entreprises individuelles et 55 % des sociétés
avaient déclaré avoir besoin d’un crédit, respectivement 13 % et 25 % l’avaient demandé et respectivement 3 % et 14 % l’avaient obtenu. Parmi
les entreprises qui n’avaient pas vu leur demande satisfaite, un tiers étaient déficitaires. Si on considère que toutes les entreprises bénéficiaires
auraient dû voir leur demande satisfaite, on serait passé de 3 % à 7 % des entreprises individuelles et de 14 % à 17 % des sociétés, soit des écarts
qui correspondent à un besoin solvable de financement non couvert par le système bancaire relativement faible (cf. http://bit.ly/2JbSn65)
4 Telle l’initiative française Choose Africa, qui va consacrer 2,5 milliards d’euros jusqu’en 2022 pour accompagner la croissance de 10 000 entreprises.
11
FOCUS
En Afrique, les PME représentent un fort potentiel d’emploi pour les jeunes en âge de travailler. Pourtant,
d’importants freins existent à leur financement : problèmes d’accès, de risque, de réglementation ou encore
d’expertise. Les différentes approches du risque, perçu comme élevé dans les prêts aux PME, suscitent donc
beaucoup d’intérêt. Deux solutions sont notamment possibles : le crédit adossé aux flux de trésorerie et les
garanties de portefeuille. Mais au-delà de ces outils, volonté et engagement seront nécessaires pour créer des
opportunités pour les millions de personnes enfermées dans la pauvreté – et en particulier, développer leurs
compétences.
L
REPÈRES e soutien aux petites et moyennes 80 % des emplois et 33 % du PIB. Pourtant, sur
BAD entreprises (PME) est un sujet très les marchés émergents, elles rencontrent des
La Banque africaine de
développement (BAD) compte
actuel pour toute la communauté difficultés de financement. Beaucoup peinent à
80 États membres (54 pays internationale du développement. accéder aux financements indispensables à leur
africains et 26 non africains).
Elle est la principale institution Et pour cause : les PME génèrent croissance – et ce malgré la prise de conscience
financière de développement une grande partie du PIB de ces pays et pré- de leur rôle économique clé par les gouverne-
en Afrique. Sa mission est de
promouvoir l’investissement sur le sentent un fort potentiel d’emploi pour les jeunes ments et les organisations internationales de
continent, dans une perspective accédant au marché du travail. En Afrique, par développement, et les efforts de ces derniers
de développement économique
durable et de progrès social. exemple, elles représentent 95 % des entreprises, pour relever les défis.
Elle propose à cet effet des
services de conseil stratégique et
d’assistance technique.
NE PAS LIMITER L’ACCÈS À CEUX QUI L’ONT DÉJÀ
Dans la plupart des pays développés, l’accès souvent réservées aux principaux clients des
au financement est une évidence. Il en va tout banques, à des taux élevés et principalement en
autrement en Afrique où, pour le plus grand devises fortes, évitant ainsi au prêteur le risque
nombre, cet accès est très limité. Là où des solu- de change en monnaie locale. Pour financer leur
tions de prêts à long terme existent, elles sont immobilier ou leurs équipements, les PME ne
trouvent donc que rarement un crédit dont la
Beaucoup [de PME] peinent à accéder aux maturité corresponde à la vie économique de
l’investissement. Elles doivent par conséquent
recourir à des financements à court terme, dont
financements indispensables à leur croissance – et les mensualités beaucoup plus élevées (souvent
ce malgré la prise de conscience de leur rôle intenables) créent des problèmes de trésorerie.
Les banques africaines limitent les financements
économique clé par les gouvernements et les à long terme parce qu’elles doivent se montrer
organisations internationales de développement. prudentes dans la gestion structurelle des matu-
12
SECTEUR PRIVÉ & DÉVELOPPEMENT
rités actifs-passifs : faute de marché obligataire
Un autre obstacle au financement
local dynamique et de prêts interbancaires à
long terme, leur financement est d’abord assuré des PME est la perception du risque
par les dépôts de leurs clients. Pour remédier à qu’elles représentent. Une banque
cette situation, les IFD prêtent massivement au
secteur financier – à long terme et bien souvent
guinéenne affiche par exemple une
en destinant explicitement les fonds au finance- exigence de 80 % de garantie pour ses
ment des PME. Mais, pour des raisons de risque, prêts aux PME. Cela limite évidemment
elles préfèrent encore prêter en devises fortes.
le nombre d’entreprises susceptibles
Un autre obstacle au financement des PME est d’obtenir un financement.
la perception du risque qu’elles représentent.
Une banque guinéenne affiche par exemple une
exigence de 80 % de garantie pour ses prêts aux les femmes. Pour y remédier, les IFD déploient
PME. Cela limite évidemment le nombre d’en- des services d’assistance technique afin d’aider
treprises susceptibles d’obtenir un financement les institutions financières à mieux évaluer les
et l’efficacité dans la lutte contre la pauvreté. risques, et proposent des dispositifs de réduc-
Cette perception d’un risque élevé se fait plus tion de ces risques pour inciter au financement
nette encore pour les jeunes entrepreneurs ou des PME.
La réglementation est un autre facteur limitant du neurs et les salariés. Dans toute l’Afrique, on est
financement aux PME. Pouvoirs publics, banques souvent confronté à une maîtrise insuffisante des
centrales et autorités monétaires régionales sont principes comptables élémentaires, induisant des
chargés d’établir et de faire respecter les règles difficultés de gestion financière, notamment dans
permettant d’assurer la bonne santé du système la présentation des états financiers ou des plans
financier. L’enjeu est donc de trouver le juste de développement à un prêteur potentiel. Les IFD
équilibre dans l’offre de crédit. Certains pays et certaines ONG offrent un appui en la matière,
africains appliquent des règles restrictives qui mais la demande dépasse très nettement l’offre.
limitent la capacité des banques à prêter aux Pour résorber ce déficit de compétences, mieux
PME. En Mauritanie, par exemple, une banque vaudrait coordonner des politiques nationales
explique qu’un emprunteur doit normalement d’éducation qui incluraient certains principes
fournir une garantie immobilière de 120 % du fondamentaux de gestion dans le cursus scolaire,
montant du crédit sollicité. De telles restrictions et favoriseraient l’esprit d’entreprise.
sont contreproductives et, dans ces pays, une
réforme s’impose pour permettre la croissance Parmi les quatre défis du financement des PME
des PME. dans ces pays (accès, risque, réglementation et
compétences), la gestion du risque perçu est celui
L’autre problème qui se pose dans les pays en qui suscite le plus d’intérêt. Les prêts adossés aux
développement est lié à la méconnaissance du flux de trésorerie et les garanties de portefeuille
monde de l’entreprise parmi les petits entrepre- sont deux des solutions possibles.
13
C O N C R É T ISER L E POTENTI EL
D E L’A F R I QUE : F I NANC EM ENT
E T C O MPÉTENC ES DES PM E
Dans l’approche classique du crédit, le prêt est refus) de rembourser, la limitation du nantisse-
adossé à un nantissement. En cas de défaut, le ment ne favorise pas nécessairement un taux de
prêteur devient propriétaire de l’actif nanti. Tou- défaut plus élevé. La relation privilégiée qui se
tefois, cette méthode ne favorise pas la croissance crée augmente au contraire la propension des
économique, car rares sont les futurs chefs d’en- entrepreneurs à honorer leur dette.
treprises qui disposent d’actifs suffisants pour
constituer la garantie. Une autre solution consiste En matière de risque, une autre solution est le
donc à adosser les prêts aux flux prévisionnels de recours à la garantie partielle des portefeuilles
trésorerie. Cela requiert, de la part des chargés de crédits aux PME, généralement proposée
d’affaires de la banque, une implication directe par les IFD. Au titre de cette garantie, l’IFD
auprès du chef d’entreprise, pour bien comprendre accepte d’absorber une quote-part définie
son activité et bâtir des prévisions financières (habituellement 50 %) des éventuelles pertes
permettant d’estimer les cash flows prévisionnels1. encourues par une institution financière sur
Le prêteur acquiert de ce fait une meilleure vision ses prêts aux PME. L’institution prêteuse paie
de la capacité de remboursement de l’emprunteur, une commission de garantie (comparable à une
mais aussi de son réel besoin de financement. Il prime d’assurance). Cette dernière est souvent
en résulte une relation plus étroite entre les deux en partie subventionnée pour encourager le
parties. Le banquier va ainsi pouvoir détecter recours à ces garanties et favoriser la réalisation
plus tôt les signes avant-coureurs d’un éventuel de certains objectifs du développement. Ainsi,
problème de remboursement, et proposer des Proparco propose actuellement la garantie ARIZ,
solutions. Même si une part de garantie reste et la Commission européenne a lancé un vaste
requise, une meilleure visibilité sur les risques programme de garantie EFSD (European Fund
permet à la banque d’accepter une couverture for Sustainable Development), offrant des produits
moins importante que sur un financement tra- d’atténuation du risque au travers d’un certain
ditionnel. Et parce que la majorité des défauts de nombre d’IFD, et notamment du programme
paiement résultent d’une incapacité (et non d’un de la BAD pour les PME africaines.
Les garanties de portefeuilles de prêts peuvent l’IFD absorbe une partie des défauts de paiements
prendre la forme d’une couverture de première sur les crédits aux PME dès qu’ils surviennent,
perte ou de deuxième perte. Dans le premier cas, en général à concurrence d’un plafond donné.
Pour la garantie en seconde perte, la banque
Dans l’approche classique du crédit, ayant consenti le prêt absorbe les défauts de
paiement jusqu’à un certain seuil, au-delà duquel
le prêt est adossé à un nantissement. l’IFD rembourse les pertes additionnelles. Les
En cas de défaut, le prêteur devient deux mécanismes sont utiles, mais n’ont pas
les mêmes objectifs.
propriétaire de l’actif nanti. Toutefois,
Tout prêteur doit s’attendre à ne pas être rem-
cette méthode ne favorise pas la
boursé en totalité des crédits qu’il a consentis.
croissance économique. C’est ce que l’on appelle la « perte attendue ».
1 C’est l’approche adoptée par la Frankfurt School of Finance & Management, qui est intervenue dans un très grand nombre de formations
aux institutions financières des marchés émergents, notamment dans le cadre du programme de la BAD pour les PME en Afrique.
14
SECTEUR PRIVÉ & DÉVELOPPEMENT
Son montant peut varier selon les pays, l’envi-
Le financement des PME
ronnement économique ou le type d’emprun-
teur. Beaucoup de banques sont réticentes à est essentiel au développement
prêter aux PME, qu’elles considèrent comme économique des pays pauvres
plus risquées et donc susceptibles d’augmenter
leur perte attendue. Lorsque ces pertes théoriques
et à la création d’emplois pour
passent par exemple de 6 % à 8 % du montant des populations jeunes, en forte
prêté, en raison d’une augmentation du crédit croissance. Les défis sont cependant
aux PME ou à une catégorie d’emprunteurs plus
risquée, une IFD peut proposer une garantie de nombreux lorsqu’il s’agit d’assurer
première perte sur l’écart de 2 %, ramenant à aux PME, de façon concrète et
6 % la perte attendue pour la banque prêteuse.
pérenne, les financements qui
C’est un outil efficace pour inciter à un surcroît
de crédits aux PME qui, sans cela, n’auraient leur sont nécessaires.
pas été accordés.
elle est protégée d’une éventuelle erreur de calcul
La garantie de deuxième perte s’apparente davan- de son risque prévisionnel, ou d’une catastrophe
tage à une assurance contre le risque de catas- entraînant des défauts de paiement supérieurs
trophe. Les frais de garantie sont généralement à 10 %. Ce type de garantie peut s’avérer utile
moins élevés, l’IFD ayant une probabilité plus lorsqu’il existe un risque politique latent, un
faible d’être appelée en garantie. Si l’on reprend risque important de catastrophe naturelle ou
l’exemple précédent, on peut imaginer une garan- une surexposition de l’économie au cours d’une
tie qui se déclencherait au-delà de 10 % de pertes matière première donnée. Elle n’a en revanche
(pertes « inattendues »). La banque prêteuse voit pas de rôle incitatif sur le financement des PME
toujours ses pertes attendues passer à 8 %, mais par les organismes de crédit.
Le financement des PME est essentiel au déve- bien pensée, combinant l’apport de liquidités,
loppement économique des pays pauvres et à la l’atténuation du risque, les nécessaires réformes
création d’emplois pour des populations jeunes, réglementaires et un appui à l’éducation et au
en forte croissance. Les défis sont cependant développement des compétences, sera à même
nombreux lorsqu’il s’agit d’assurer aux PME, de de relever ces défis, pour bâtir un secteur privé
façon concrète et pérenne, les financements qui solide et offrir ainsi des opportunités aux mil-
leur sont nécessaires. Plusieurs outils existent lions de citoyens prisonniers du cycle de la
pour surmonter ces obstacles. Une approche pauvreté.
15
ÉTUDE DE CAS
Au cœur du tissu économique d’Afrique subsaharienne, les très petites, petites et moyennes entreprises
(TPE/PME) font souvent face à un manque d’accès au financement. Ce dernier constitue l’un des
principaux obstacles à leur développement. Afin de mieux comprendre les mécanismes de défaut des
TPE/PME africaines, l’Agence Française de Développement (AFD) a produit une étude, en 2019, dont
voici quelques-uns des enseignements.
E
n Afrique subsaharienne, comme dans la société. Ainsi, les gouvernements africains
dans le reste du monde, les éco- cherchent aujourd’hui à repenser la manière de
nomies nationales se caractérisent stimuler une croissance économique inclusive,
généralement par un grand et répondre aux exigences des communautés en
nombre de très petites, petites voie d'urbanisation rapide et à l’augmentation
et moyennes entreprises (TPE/PME) qui consti- croissante des jeunes dans la population. La créa-
tuent l'essentiel des possibilités d'emploi.
tion et la croissance des PME en est un axe fort,
Néanmoins, la croissance économique accélérée car ces dernières sont un élément fondamental
qu’ont connue de nombreux pays d’Afrique sub- du tissu économique. Pour autant, la création
saharienne, au cours de la dernière décennie, ne et le développement des PME en Afrique sont
s'est pas accompagnée d'une création d'emplois fortement restreints, notamment à cause d’un
ou d'une répartition plus équitable des richesses manque d’accès au financement.
16
SECTEUR PRIVÉ & DÉVELOPPEMENT
LEVER L’OBSTACLE DE L’ACCÈS AU FINANCEMENT
En effet, devant les problèmes de gouvernance, risque qu’elles représentent. La capacité d'accès
d’insuffisance des infrastructures ou de fiscalité de nombreuses entreprises au financement est
abusive, l’accès au financement est le premier fortement liée aux taux d'intérêt.
des obstacles à la croissance des petites entre-
L’Agence Française de Développement (AFD)
prises en Afrique subsaharienne. Les PME se
intervient depuis 15 ans dans les pays en dévelop-
trouvent souvent restreintes dans l'accès aux pement pour soutenir l’accès au financement des
capitaux dont elles ont besoin pour croître et PME via un produit de garantie : ARIZ. Ayant à
se développer. L’offre de capitaux (dettes, fonds sa disposition des données diversifiées sur près
propres) est donc inadéquate et les PME sont de 7 400 lignes de prêts garanties dans sa zone
perçues de façon négative par les acteurs du d’intervention, l’AFD a souhaité produire une
financement. Toutefois, le statut juridique d’une analyse inédite des causes de défaut des PME
PME importe peu pour les banques, qui leur en Afrique subsaharienne. Parue en 2019, cette
accordent difficilement des prêts en fonction du étude a permis de relever plusieurs constats.
17
QU E L L E S SONT L ES CAUSES
D E D É FAU T DES PM E EN AF R I QUE
S U B SA H A RI ENNE ?
Les PME sont sensibles en premier lieu aux clientes de la banque : ce risque s’élève à 64 %.
problèmes liés aux retards de paiements par les Cependant, ce risque est considérablement réduit
clients (État inclus), et souffrent d’un manque de lorsque la durée du prêt est comprise entre 12 et
structuration et d’un manque de compétences 24 mois. Lorsqu’une entreprise est déjà cliente
managériales qui conduisent à de mauvais de la banque prêteuse, la taille de l’entreprise
choix managériaux (diversification excessive) est discriminante sur le risque de mise en jeu :
ou financiers (montant de prêt trop élevé, coût les entreprises de moins de 5 salariés (9 % de
de la dette trop important). l’échantillon global) ont un plus fort taux de
défaut (27 %) que celles de plus de 5 salariés (88 %
Elles sont par ailleurs sensibles aux problèmes
liés aux infrastructures locales (routières et éner- de l’échantillon global, 5 % de taux de défaut).
gétiques, ponctuellement ou chroniquement Dans une moindre mesure, la connaissance par
défaillantes), mais aussi aux crises politiques. le client d’une garantie ARIZ et le niveau de
Les crises environnementales sont aujourd’hui risque pris par la banque sont deux facteurs de
peu citées.
défaut récurrents.
Les politiques de soutien aux PME (de l’accélération
Enfin, un certain nombre de facteurs n’a pas
des procédures d’enregistrement des entreprises
d’effet sur le risque de défaut de l’entreprise :
à l’instauration des registres de garanties) sont
montant du prêt en euros, nature du prêt, type
déterminantes pour le bon fonctionnement des
de taux, pourcentage du prêt garanti, type d’in-
affaires mais elles sont défaillantes dans les pays
vestissement, âge de l’entreprise, chiffre d’affaires
de l’étude. De même, la communication de la part
de l’entreprise.
des gouvernements auprès des PME sur les actions
de soutien poursuivies est souvent insuffisante. Il est par ailleurs intéressant de noter qu’une
Tous prêts confondus, le premier impayé des divergence a été observée entre le discours de
entreprises en défaut est intervenu au bout de nos interlocuteurs et les résultats de l’étude sta-
40 % de la durée totale du prêt. Le pourcentage tistique : si l’on considère la population totale
garanti n’est pas discriminant ni le ratio mon- des entreprises couvertes par la garantie ARIZ,
tant des sûretés/montant du prêt. Les « petits » il n’y a statistiquement pas plus de risque de
prêts (inférieurs à 300 000 euros) et les prêts défaut selon les secteurs sur l’ensemble des
plus « importants » (supérieurs à 300 000 euros) quatre pays étudiés.
sont affectés de façon très distincte. Les prêts les
Cette étude a donc permis au Groupe AFD de
plus importants sont plus sensibles aux modi-
mieux connaître les causes de défaut des PME
fications du marché.
en Afrique subsaharienne, permettant ainsi de
Le risque de mise en jeu est fortement élevé pouvoir faire évoluer son offre de produits pour
dans le cas des entreprises qui ne sont pas déjà soutenir leur accès au financement.
18
SECTEUR PRIVÉ & DÉVELOPPEMENT
G
randes catégories de causes citées
41%
de défaut de prêt les plus cités sont :
36 % DES CAS
À L’ENTREPRISE
De mauvais choix
28% Les problèmes liés
aux fournisseurs,
managériaux ayant un
impact sur la gestion,
CAUSES EXTERNES À sous-traitants ou aux l’organisation, l’efficacité
L’ENTREPRISE, LIÉES clients de l’entreprise et les profits de
AU MARCHÉ QUI LA l’entreprise
CONCERNE
C
auses citées des défauts
Problèmes liés aux fournisseurs, aux sous-traitants ou aux clients
de l’entreprise 36 %
Choix managériaux ayant un impact sur la gestion, l’organisation,
l’efficacité et les profits de l’entreprise 29 %
Modification des caractéristiques du marché en cours de projet 23 %
Choix financiers et systèmes de financement 18 %
L’environnement financier 16 %
Défaut de compétences managériales 16 %
Problèmes liés aux infrastructures locales ou aux difficultés
de fonctionnement de l’écosystème local 16 %
Connaissance par le bénéficiaire final de l’existence
d’un dispositif de garantie 15 %
Niveau de risque pris par la banque 13 %
Environnement politique et social 12 %
Prêt détourné de son objet initial 5 %
Environnement juridique et fiscal 5 %
Crise de croissance 3 %
Facteur technique et technologique 2 %
Environnement macro-économique 2 %
Environnement géographique, climatique et épidémiologique 2 %
Environnement lié à l’enseignement et au développement
des compétences 1 %
Capital humain 1 %
Culture 1 %
Main d’œuvre 1 %
19
OPINION
Le numérique en Afrique :
un canal pour le financement des PME
Matthew Gamser, Directeur général du SME Finance Forum (SFI)
L’innovation peut-elle jaillir d’une quasi-destruction ? L’avènement du numérique qui a en partie conduit
à la crise financière mondiale pourrait-il du même coup gêner l’accès des PME aux financements dont
elles ont besoin pour continuer de jouer leur rôle, absolument crucial, sur le continent africain et
ailleurs ? Matthew Ganser se souvient du lancement de la revue Secteur Privé & Développement, il y a
plus de dix ans, et retrace le chemin parcouru jusqu’aux « super-autoroutes » de l’information numérique
qui relient aujourd’hui les PME africaines à des solutions venues du monde entier, notamment en matière
de financement.
L
REPÈRES a relecture du premier numéro de la d’autres marchés, et en particulier en Chine, nous
SME FINANCE FORUM revue Secteur Privé & Développement, avons en effet constaté qu’elle peut combler de
Le « Forum sur le financement des
PME » (SME Finance Forum)
publié il y a à peine plus de dix ans, façon très rapide les déficits de financement.
travaille à développer l’accès au est particulièrement édifiante. Cette
financement des petites et
première édition s’ouvrait sur un L’importance des PME pour la croissance écono-
moyennes entreprises. Son
réseau international regroupe des article de Paul Collier soulignant que « les banques mique était alors bien connue. Mais les raisons de
institutions financières, des
africaines venaient de commencer à s’intéresser leurs difficultés de financement faisaient débat.
entreprises de technologie et des
IFD. Ses membres partagent entre aux PME lorsque la crise financière mondiale a Julien Lefilleur, à l’époque chargé d’investissement
eux leurs connaissances, pour
inversé la tendance ». Le risque était donc de voir pour Proparco, considérait que la titrisation et les
stimuler l’innovation et encourager
la croissance des PME. Le Forum les PME privées de cet accès aux financements prêts garantis pouvaient permettre de compenser
agit sous l’égide de l’IFC, branche
à long terme dont elles avaient tant besoin. La efficacement les asymétries d’information et de
du Groupe de la Banque mondiale
consacrée au secteur privé. Parmi
situation ne s’améliorera, disait-il, qu’à condition stimuler le financement des PME. Chez Bank of
ses membres et partenaires,
il compte plus de 150 banques, d’une meilleure circulation de l’information sur Africa, Paul Derreumaux abondait dans son sens,
fintechs et banques de
les marchés d’Afrique subsaharienne, permettant appelant en outre à la mise en place de départements
développement, is-sues de
66 pays. aux investisseurs de mieux identifier les PME de spécialisés sur les PME et de produits alternatifs
qualité. Il concluait ainsi : « Un usage bien adapté tels que le leasing ou la mutualisation de garanties
des nouvelles technologies de l’information devrait pour les crédits aux entreprises. Patrice Hoppenot,
apporter la solution. » de l’Institut panafricain pour le développement
(IPD), appelait pour sa part à ne pas perdre de
Ces propos étaient clairvoyants. Nous avions vu vue l’apport en capital et l’assistance technique,
le numérique transformer des prêts immobiliers en complément des financements à long terme.
subprimes en instruments financiers toxiques,
qui ont bien failli conduire à l’effondrement du Paul Collier était ainsi le seul à évoquer les techno-
système financier international. Nous ignorions logies de l’information. Les autres auteurs privilé-
alors que ce même numérique pourrait changer giaient l’intervention « humaine » (spécialisation
la donne pour les PME en Afrique. Aujourd’hui, et innovation produit), reflétant en cela les thèses
nous commençons à comprendre le potentiel de qui prévalaient à l’époque pour résorber les déficits
la transition numérique pour ce continent : sur de financement sur les marchés émergents.
20
SECTEUR PRIVÉ & DÉVELOPPEMENT
F
igure 1 – Part des MPME qui connaissent un déficit
de financement, par région
EUROPE
ET ASIE
CENTRALE
27 %
ASIE DE L’EST
MOYEN-ORIENT ET PACIFIQUE
45 %
ET AFRIQUE
33 %
DU NORD
ASIE DU SUD
AMÉRIQUE
LATINE ET
CARAÏBES
38 %
22 %
AFRIQUE SUB-
SAHARIENNE
52 %
Source : Base de données MSME Finance Gap (mise à jour en octobre 2018)
On pensait alors que si l’on parvenait à changer La dernière enquête de la Banque mondiale sur
la façon de travailler des banques – en les faisant les entreprises montre qu’en Afrique, 50 % des
venir sur place pour inspecter les entreprises, microentreprises et PME du secteur formel
en attribuant des primes incitatives sur la per- souffrent d’un déficit de financement1. C’est
formance et en les rassurant sur les garanties en Afrique subsaharienne que la proportion de
et la titrisation – les PME deviendraient leurs MPME sous-financées est la plus importante au
chouchous. monde (52 %), devant la région Asie de l’Est et
Pacifique, avec 45 % (figure 1 ci-dessus). Le
En Afrique, cela a parfois fonctionné, souvent déficit global de financement pour les micros,
d’ailleurs sans garantie ni titrisation. Un certain petites et moyennes entreprises du secteur formel
nombre de banques et d’institutions de microfi- en Afrique subsaharienne dépasse les 328 mil-
nance ont ainsi étendu de manière rentable leurs liards de dollars (figure 2 p. 23), et 15 % de
petites activités de crédit aux PME. Dans d’autres ce montant correspondent à des entreprises
cas, les résultats ont été moins concluants, en détenues par des femmes. En outre, 52 % de ces
grande partie parce que les directions générales mêmes MPME détenues par des femmes sont
des banques n’adhéraient pas aux changements insuffisamment financées – là encore, le taux
nécessaires. L’un dans l’autre, on commençait le plus élevé de toutes les régions émergentes
à prendre conscience que cette approche ne dans le monde2. Si l’on ajoutait à ces totaux les
résoudrait pas le problème du financement. innombrables entreprises du secteur informel, ils
augmenteraient de façon significative, de même
que l’écart hommes-femmes.
1 Ces données, ainsi que d’autres, proviennent des bases de données accessibles sur le site www.smefinanceforum.org, en l’occurrence ici, la
base de données MSME Finance Gap sur le déficit de financement des MPME (mise à jour d’octobre 2018).
2 Base de données MSME Finance Gap (mise à jour d’octobre 2018).
21
L E NU MÉ R IQUE EN AF R I QUE :
U N CA N A L POUR L E F I NANC EME N T
D E S PM E
Ils ont moins besoin de notre aide numérique, et la distribution faisant intervenir
l’humain laisse la place aux canaux de téléphonie
mobile. Beaucoup de nouvelles marques, comme
pour former leurs équipes que pour Jumo, Zoona, Kopo Kopo, Pula, Copia, Branch ou
accéder aux meilleures idées – et pas Tala, sont entrées sur le marché en privilégiant
dès le départ l’approche digitale – et elles ont
seulement en Afrique. connu des taux de croissance jusque-là inédits.
Ces clients attendent aussi de nouvelles attitudes ces institutions, bénéficier de nos financements
de la part des banques de développement. Ils ont pourrait cesser d’être une priorité : ce dernier
moins besoin de notre aide pour former leurs ne restera attrayant que s’il s’agit de « smart
équipes que pour accéder aux meilleures idées financing », complété par d’autres sources de
– et pas seulement en Afrique. Ils ont besoin valeur ajoutée.
d’appui dans le développement d’interfaces de
programmation d’applications (API) ouvertes Une meilleure approche de la data et une plus
et d’une structure centrale adaptable, afin de grande fiabilité des infrastructures de traitement
pouvoir tirer parti des nouvelles technologies et des données chez nos clients pourraient viabiliser
de nouveaux partenariats, qui leur permettront des instruments tels que les garanties ou la titri-
de rester au meilleur niveau non seulement dans sation, et concrétiser enfin leur potentiel dans
les services bancaires aux PME, mais aussi dans la région. De la même façon qu’ils trouvent plus
d’autres types de services aux particuliers. simple et moins coûteux aujourd’hui d’évaluer
et de suivre leurs clientèles de PME par la col-
Du fait de la mondialisation de l’investissement lecte et l’analyse des données numériques, nous
et des marchés de capitaux, mais aussi grâce à pouvons nous aussi évaluer leurs portefeuilles
l’amélioration de l’environnement des affaires numériques, et ainsi piloter efficacement ces
en Afrique, nos clients disposent d’options de opérations de financements structurés ou de
financement toujours plus nombreuses. Pour partage du risque. Ainsi, nous pourrons peut-
22
SECTEUR PRIVÉ & DÉVELOPPEMENT
F
igure 2 – Déficit de financement des PME
en Afrique subsaharienne
OFFRE ACTUELLE DÉFICIT DE FINANCEMENT
(EN MILLIARDS DE DOLLARS) (EN MILLIARDS DE DOLLARS)
69,7 327,7
403,7
Source : Base de données MSME Finance Gap (mise à jour en octobre 2018)
Dix ans plus tard, les PME constituent la colonne pourrait-il – ironie du sort – permettre de dis-
vertébrale du secteur privé en Afrique, fournis- tribuer des services de détail, et notamment
sant de l’emploi en même temps que des biens de financement des PME, de telle sorte qu’une
et des services – mais elles demeurent un défi majorité de PME africaines puissent enfin attes-
pour le secteur financier dans la région. L’avè- ter qu’elles reçoivent le financement dont elles
nement du numérique, qui a failli aboutir à la ont besoin, lorsqu’elles en ont besoin, et à des
destruction du système financier international, taux abordables ?
23
A N A LY S E
L’accès au financement est un défi de taille pour les PME africaines. L’Alliance pour l’inclusion financière
vise à faire partager, au travers de cet article, les différentes pratiques et l’expérience des régulateurs
de certains de ses pays membres, qui ont mis en place des initiatives permettant aux PME d’accéder
plus facilement au financement. Cet article est issu d’une note d’orientation1 élaborée collectivement
dans le cadre d’un groupe de travail de l’AFI sur le financement des PME (SMEFWG).
A
REPÈRES fin d’assurer une croissance Pour atteindre pleinement leur potentiel, les
L’ALLIANCE POUR économique équilibrée et MPME ont besoin d’avoir accès aux finance-
L’INCLUSION FINANCIÈRE inclusive, il est indispen- ments. En effet, une MPME qui dispose de fonds
(AFI)
sable que le secteur des suffisants est à même de se développer, avec sur
L’Alliance pour l’inclusion financière
(AFI) est une organisation de micro-, petites et moyennes l’économie des effets favorables liés au paiement
référence en matière de politiques et
de réglementation du secteur de
entreprises (MPME) soit sain, et en progres- de l’impôt et à la création d’emploi. Lors du Global
l’inclusion financière. Son réseau sion. Selon l’Organisation internationale du Policy Forum de 2015, l’adoption à l’unanimité de
compte plus d’une centaine
d’institutions membres (issues de plus
travail (OIT), les MPME créent déjà 67 % des l’accord de Maputo par les membres de l’AFI est
de 90 pays, émergents et en emplois dans le monde. Elles pourraient toute- venue souligner l’importance d’un financement
développement), parmi lesquelles
des banques centrales, ministères fois jouer un rôle plus important encore dans adapté des MPME pour « la création d’emploi,
des finances et autres autorités de les économies. le développement économique et l’innovation ».
réglementation du secteur financier.
L’AFI s’emploie à donner aux
décideurs politiques les moyens
d’augmenter l’accessibilité et l’usage LE RÔLE DES RÉGULATEURS FINANCIERS DANS LE FINANCEMENT DES MPME
de services financiers de qualité, à
destination des populations mal
desservies. Cette démarche passe Le rôle d’un régulateur est d’assurer la stabilité considéraient globalement comme insuffisant le
par l’élaboration, la mise en œuvre et
la promotion, au niveau mondial, de
du secteur financier dans son ensemble. Pour financement public pour l’offre de prêts subven-
politiques inclusives et durables. ce faire, les décideurs doivent veiller à la mise tionnés aux MPME, leurs réponses révélaient
en place d’une supervision et de politiques per- néanmoins que les gouvernements ont mis en
tinentes, notamment sous la forme de règles et place divers plans, mesures ou dispositifs visant
schémas directeurs d’intermédiation. à améliorer l’accès au financement des MPME.
En 2016, le groupe de travail de l’AFI sur le Parmi ces mesures, on note l’intervention moné-
financement des PME (SMEFWG) a conduit taire directe, l’adoption d’un cadre juridique et
une enquête auprès d’un certain nombre de pays réglementaire spécifique aux MPME, ou encore
membres. Cinq d’entre eux2 étaient situés en les initiatives de développement de politiques
Afrique subsaharienne. Si les membres interrogés publiques et des marchés.
1 Note d’orientation AFI n° 23, « Le rôle des autorités de réglementation financière dans la promotion de l’accès au financement des MPME : les
enseignements du réseau AFI » (The Role or Financial Regulators in Promoting Access to Financing for MSMEs – Lessons from the AFI Network), août 2016.
2 Eswatini, Kenya, Tanzanie, Burundi et Madagascar
24
SECTEUR PRIVÉ & DÉVELOPPEMENT
L’INTERVENTION MONÉTAIRE
Le rôle d’un régulateur est d’assurer
DIRECTE la stabilité du secteur financier dans
L’intervention monétaire directe (DMI) fait inter- son ensemble. Pour ce faire, les
venir des prêts subventionnés ou programmes de décideurs doivent veiller à la mise
refinancement en faveur des MPME, à des taux
inférieurs à ceux du marché. Elle permet ainsi en place d’une supervision et
aux microentreprises et aux PME d’abaisser leur de politiques pertinentes.
coût. Pour les pouvoirs publics, elle constitue
une stratégie permettant de favoriser l’entre- de refinancement. Dans le cas de l’Eswatini, cela
preneuriat, de lutter contre la pauvreté et les consiste en un dispositif de garantie des prêts,
inégalités de revenu, et de stimuler la croissance un fonds de développement régional, un fonds
économique. L’étude conduite par le SMEFWG d’aide à l’entrepreneuriat des jeunes et un fonds
a révélé à cet égard que, si la DMI est une ten- de lutte contre la pauvreté des communautés. Au
dance forte en Asie du Sud, elle n’a en revanche Kenya, ce sont les Caisses d’épargne et de crédit
été adoptée en Afrique subsaharienne que par coopératif (SACCOS) qui ont reçu des crédits de
le Kenya et l’Eswatini (ex-Swaziland), dont les la part des banques commerciales, des pouvoirs
autorités de réglementation financière ont mis publics et de divers autres bailleurs, afin que cet
en place des prêts subventionnés ou programmes argent soit prêté à leurs sociétaires.
Les dispositifs d’encadrement juridique et régle- solutions incitatives étaient également citées,
mentaire spécifiques aux MPME ont pour but comme l’amélioration des processus de crédit
de favoriser leur croissance et leur dévelop- ou l’application de quotas aux institutions finan-
pement. Il ressort une nouvelle fois de l’étude cières leur imposant un certain taux de prêts aux
qu’en Afrique subsaharienne, seuls l’Eswatini MPME dans leur portefeuille de crédit global.
et le Kenya disposent d’une telle législation. En Afrique subsaharienne, seul l’Eswatini avait
mis en place une réglementation prudentielle,
La classification selon les catégories « micro », au titre de sa loi de 1991 sur les prêts d’argent
« petites » ou « moyennes » entreprises (collec- et le financement du crédit, visant à protéger
tivement, MPME) permet aussi aux décideurs les MPME emprunteuses.
politiques de cibler des secteurs spécifiques, favo-
riser l’assistance technique et bien orienter les De nombreuses MPME ne disposent pas d’im-
aides financières et autres politiques d’incitation. mobilisations corporelles suffisantes pour per-
Elle facilite également la collecte des données mettre de nantir leur valeur en garantie d’un
sur les MPME. crédit. Souvent, elles possèdent cependant un
actif « circulant », notamment des équipements
Les régulateurs financiers ont en outre la pos- et outillages, du bétail, des comptes clients ou
sibilité de publier des réglementations pruden- des stocks, susceptibles de servir de garantie. À
tielles et des orientations générales du crédit afin condition de disposer d’un cadre transactionnel
d’encourager (directement ou indirectement) les assurant une protection adaptée du prêteur, ces
banques et les institutions financières à prêter actifs peuvent être mis à profit pour obtenir un
aux MPME. Les pays membres sondés lors de financement sécurisé par un nantissement. Ce
l’étude ont indiqué que, parmi les réglemen- type de dispositif est toutefois moins courant
tations prudentielles mises en place, les deux en Afrique qu’il ne peut l’être en Asie de l’Est
plus courantes consistent à revoir à la baisse et du Sud-Est, en Amérique latine ou dans la
la pondération des risques et les exigences de zone Caraïbe.
liquidité pour les prêts aux MPME. D’autres
25
F I NA NC E M ENT DES PM E VU
PA R L E S R ÉGUL ATEUR S : GR OS P LAN
S U R L’A F R I QUE SUB SAHAR I ENNE
Le secteur bancaire joue un rôle important dans Les pays d’Asie de l’Est, du Sud et du Sud-Est ont
l’information des MPME, notamment par le depuis longtemps misé sur ce type de programmes
biais du renforcement des compétences et de de sensibilisation et d’éducation financière. Ces
la formation, qui sont des aspects essentiels. dix dernières années, cette tendance est également
Selon les résultats de l’étude du SMEFWG, apparue en Afrique subsaharienne. L’Eswatini
seuls l’Eswatini, la Tanzanie et le Kenya pro- propose ainsi du mentorat et du coaching, un
posent régulièrement des ateliers, séminaires guide des services financiers, une émission de
et modules de formation visant à accroître la radio et un numéro d’appel gratuit pour les
« capacité » du secteur dans ces domaines. Au MPME. Madagascar met en place des partena-
Kenya, les SACCOs conseillent les membres riats avec les bailleurs de fonds et d’autres types
de leur réseau sur les meilleures solutions pour d’organismes comme le « Réseau des associations
leurs dépôts. Ils mènent aussi des sondages de de microfinance », pour la sensibilisation et la
satisfaction en matière de financement et sur formation du public.
les défis technologiques des TIC. Dans le cas
de l’Eswatini une « Unité de microfinance » La bonne disponibilité des données relatives au
travaille avec plusieurs parties prenantes pour crédit permet aux prêteurs d’évaluer la solvabilité
le renforcement des capacités et la formation des demandeurs de prêts. Toutefois, dans le cas
des MPME. des MPME, cette information est souvent peu
transparente ou difficile à obtenir. En rendant
Les programmes nationaux publics de formation cette information disponible, les mécanismes
et de sensibilisation sur les sujets constituent d’information sur le crédit facilitent donc l’ac-
eux aussi un moyen de favoriser l’accès des cès au financement des MPME. Il ressort de
MPME aux financements. L’étude révèle que l’étude du SMEFWG que Madagascar, le Kenya,
cette démarche publique d’éducation financière la Tanzanie et l’Eswatini ont créé des centrales
est proposée sous diverses formes en Tanzanie, des risques qui mettent à disposition une infor-
Eswatini et à Madagascar. mation spécifique sur les MPME.
26
SECTEUR PRIVÉ & DÉVELOPPEMENT
Les banques ont pour leur part coutume de
Pour les start-up qui n’ont accès
produire elles-mêmes leurs analyses de crédit
ni aux marchés de capitaux ni à la
– tâche rendue impossible si l’on doit traiter un
très grand nombre de particuliers ou de MPME. banque traditionnelle, le capital-risque
À la place, elles ont donc régulièrement recours constitue une source vitale de soutien
au nantissement de collatéral, qui souvent n’est
pas disponible en Afrique subsaharienne. Les
financier.
centrales des risques sont nées pour pallier ces réglementation financière ou directement par
difficultés. En compilant les données de crédit, les États. Différents mécanismes sont utilisés
elles ont favorisé la baisse des coûts, et cette pour mettre en place les dispositifs de garantie.
désintermédiation se poursuit : les prestataires Publiés par la Banque mondiale, les « Principes
disposant de l’information la plus fiable, détail- relatifs aux systèmes publics de garantie de crédit
lée et approfondie sur les clients emprunteurs pour les PME » (Principles for Public Credit
sont aussi les mieux placés pour analyser cette Guarantee Schemes (CGSs) for SMEs) sont mis
information et tarifier les crédits (mais aussi les à la disposition de tous pour servir de référence
autres services financiers)3. Des exemples de ce et être mis en œuvre par les pays intéressés.
type d’entité existent dans tous les pays où le taux
de pénétration des nouvelles technologies est Pour les start-up qui n’ont accès ni aux mar-
important, comme au Kenya (Safaricom/M-Pesa). chés de capitaux ni à la banque traditionnelle,
le capital-risque constitue une source vitale de
De leur côté, les garanties de crédit, en per- soutien financier. L’étude SMEFWG témoigne
mettant le partage du risque avec les prêteurs, de l’existence de fonds de capital-risque au Kenya
offrent un accès au financement à des MPME et à Madagascar. Bien développés en Asie et
ne disposant pas de collatéral ou d’un histo- en Europe de l’Est, ces fonds ne sont toutefois
rique de crédit suffisant. Ces garanties peuvent pas encore largement disponibles en Afrique
être proposées par des autorités publiques de subsaharienne.
Pour diverses raisons, une MPME peut en outre, La majorité des pays étudiés avaient en revanche
à un moment donné, éprouver des difficultés à mis en place des mécanismes de protection du
rembourser un prêt. Dans les pays étudiés par consommateur. Dans beaucoup de ces pays, les
le SMEFWG, il n’existait pas de mécanisme de régulateurs financiers sont dotés d’une division
règlement de la dette. La résolution de problème dédiée à la protection des consommateurs, tandis
était laissée à l’initiative du marché, impliquant que d’autres ont créé une autorité spécifique
le rééchelonnement et la restructuration des sur le sujet, ou des structures de médiation.
crédits.
3 Rapport spécial de l’AFI « Les fintechs pour l’inclusion financière : cadre global pour la transformation financière numérique » (Fintech for Financial
Inclusion, A framework for digital financial transformation), septembre 2018.
27
CHIFFRES CLÉS
0,9–21,9
21,9–33,0
33,0–41,0
41,0–52,0
40 %
NT
DIFFICU
des PME
EME
52,0–75,0 africaines
C
É
LT
AN
D’A N
CCÈS AU FI
Données
non disponibles
28
SECTEUR PRIVÉ & DÉVELOPPEMENT
Un (lourd) déficit de financement pour les PME en Afrique subsaharienne…
Selon des estimations de la Société Financière International (SFI), les petites et moyennes entreprises d’Afrique
subsaharienne font face, chaque année, à un manque de financement de près de 330 milliards de dollars. À titre de
comparaison, ce déficit s’élève à environ 1 200 milliards en Amérique latine et à 776 milliards de dollars en Europe.
70 330 6 853
MILLIARDS DE DOLLARS MILLIARDS DE DOLLARS
330
PRÈS DE
MILLIARDS
DE DOLLARS
en Afrique
251
Source : SME Finance Forum, “MSME Finance Gap Database”, 2018
Femmes Hommes Total
29
CHIFFRES CLÉS
+450
millions
DE JEUNES AFRICAINS
SUR LE MARCHÉ DU TRAVAIL
En Afrique
subsaharienne
20 % 30 % 40 %
Source : Agence Française de Développement (AFD), Étude sur les causes de défaut des PME en Afrique subsaharienne : l’exemple d’ARIZ, 2018.
30
SECTEUR PRIVÉ & DÉVELOPPEMENT
Quel modèle de financement des PME en Afrique ?
PRIVATE EQUITY
5 000
CAPITAL-RISQUE
3 000 INSTITUTIONS FINANCIÈRES
EN PHASE FINALE
Taille classique de l’investissement (en milliers de dollars)
DE DÉVELOPPEMENT
1 000
CAPITAL-RISQUE
D’AMORÇAGE INVESTISSEUR D’IMPACT
200
INSTRUMENT FINANCIER
ADAPTÉ AU FINANCEMENT BANQUES COMMERCIALES
250 MEZZANINE
INVESTISSEURS
PROVIDENTIELS
100 DÉFICIT
DE FINANCEMENT
INTERMÉDIAIRE
À COMBLER
50
SERVICES DE SOUTIEN
À L’ENTREPRENEURIAT
10
FAMILLE ET AMIS
INSTITUTIONS DE MICROFINANCE
5
Source : LSEG Africa Advisory Group, “The challenges and opportunities of SME financing in Africa”, 2018.
Source : Investisseurs & Partenaires (I&P), Investir dans les PME en Afrique, une introduction au capital-investissement en Afrique, 2015.
31
FOCUS
Le secteur informel prend une place démesurée au Cameroun. S’il assure la survie de nombreux
travailleurs, il empêche le développement du pays en entretenant des faibles revenus et en réduisant
les rentrées fiscales. Il faut donc qu’il soit ramené à une proportion acceptable ; de nombreuses
initiatives existent pour favoriser la transition des PME de l’informel vers le secteur formel.
Pour gagner en efficacité, elles doivent être renforcées et menées de front.
H
istoriquement, le terme de Au Cameroun, l’Institut national de la Statistique1
« secteur informel » fait sa évalue le secteur informel en ayant recours à
première apparition publique trois critères : l’indépendance du promoteur
dans le rapport d’une mission (patron travaillant pour son propre compte),
générale sur l’emploi menée l’absence d’un enregistrement administratif
par le Bureau international du travail (BIT), (pas de numéro de contribuable) et l’absence
en 1972, au Kenya. Aujourd’hui, un consensus de comptabilité formelle. Sur cette base, les
semble se dégager sur ses principales caracté- estimations révèlent que le secteur informel
ristiques : le non-enregistrement administratif ; occupe une place prédominante dans l’éco-
l’absence ou la faible réglementation de l’activité ; nomie camerounaise, de près de 50 % du PIB
l’échelle relativement faible des activités et des en 2005. En 2010, 89 % des actifs en faisaient
capitaux mobilisés ; l’absence de local profes- partie, soit environ 9,2 millions de personnes,
sionnel fixe ; l’évolution en marge des circuits essentiellement dans les métiers de l’agriculture
organisés (marchés, etc.) ; le recours privilégié et de l’artisanat.
à la main d’œuvre familiale et, enfin, l’absence
de dispositif de sécurité et de protection sociale.
1 Trois éditions des Enquêtes sur l’Emploi et le Secteur informel (EESI) ont déjà été réalisées : en 2005, en 2010 et en 2018 ; les résultats de cette
dernière opération sont encore attendus.
32
SECTEUR PRIVÉ & DÉVELOPPEMENT
Seulement 5 % des promoteurs avaient atteint un
En l’absence d’un secteur industriel
niveau d’études supérieur, tandis que 46 % avaient
performant, l’économie tend à se
un niveau primaire et 49 % un niveau d’études
secondaires. Le chiffre d’affaires annuel moyen spécialiser dans les activités de
des unités de production informelle (UPI) non « bouts de filières » que sont, d’une part,
agricoles était alors évalué à 3 801 600 francs CFA
(environ 5 780 €), la valeur ajoutée moyenne
l’extraction (minière et pétrolière) et
à 1 150 800 francs CFA (1 750 € environ) et la l’agriculture de subsistance et, d’autre
productivité moyenne par tête était de l’ordre part, le commerce et les services.
de 887 520 francs CFA (environ 1 350 €).
33
CA ME R O U N : 90 % DE L A F OR CE
ACT I V E PI ÉGÉE DANS L E SEC TE U R
D E L’ I NF OR M EL
34
SECTEUR PRIVÉ & DÉVELOPPEMENT
L’État camerounais a notamment adopté une loi Des mesures contraignantes ont également été
sur la promotion des PME qui dispose de plu- mises en place pour décourager les opérateurs à
sieurs avantages potentiellement accessibles aux rester dans l’informel. L’administration fiscale
entreprises enregistrées. En outre, des Centres pratique par exemple des taux de prélèvement
de formalités de création d’entreprises (CFCE) à la source élevés pour des opérateurs du sec-
ont été mis en place pour constituer des guichets teur informel. Les entreprises du secteur formel
uniques regroupant en un lieu physique l’en- sont mises à contribution : elles sont légale-
semble des administrations intervenant dans la ment redevables de certaines taxes touchant
procédure de création d’entreprise. Des Centres de leurs fournisseurs et elles doivent obtenir leur
gestion agréés (CGA) ont également été déployés dossier fiscal avant le règlement de toute facture,
pour accompagner les petites entreprises dans faute de quoi elle ne sera pas admise comme
l’accomplissement de leurs obligations fiscales. charge ordinaire d’exploitation.
L’adhésion à un CGA est assortie d’avantages
en matière de réduction et d’exonérations tem-
poraires de certaines taxes.
Malgré ce dispositif, force est de constater que une des contraintes essentielles qui pèsent sur
le secteur informel continue de progresser. À leurs activités. Il faudrait aussi mieux structurer
l’évidence, les stratégies déployées, sans manquer les filières, pour que les PME puissent intégrer
de pertinence, semblent insuffisantes. Si une les chaînes de valeurs, par exemple en utilisant
partie de l’activité économique est sans doute la commande publique comme levier. Enfin,
vouée à demeurer dans l’informel, il faut impé- il faudrait aussi améliorer globalement l’envi-
rativement la limiter. ronnement des affaires, en rendant le système
de régulation des marchés plus performant, en
Pour cela, les réponses à apporter nécessitent résorbant les déficits en matière de gouvernance
une approche holistique. Il faut tout d’abord administrative et juridique (lenteurs administra-
densifier les programmes de renforcement des tives, corruption, harcèlement fiscal, protection
capacités, en enseignant mieux par exemple la du territoire économique, sécurité des biens et
culture de la norme et la démarche qualité, la des personnes, règlement des litiges commer-
gestion des ressources humaines, les techniques ciaux, etc.) – qui sont des freins spécifiques à
marketing. Par ailleurs, il faut permettre aux UPI la formalisation des entreprises.
d’avoir un meilleur accès aux financements : c’est
35
OPINION
La recherche sur le mentorat des entrepreneurs en Afrique est actuellement lacunaire, mais celle
qui existe met en évidence un réel « retour sur investissement de mentorat » (ROMI), sous forme de
croissance économique, et par la création de revenus et d’emploi. Ce constat confirme que le mentorat
est un vecteur efficace de développement sur le continent. De nombreux programmes très convaincants
existent en la matière, depuis plusieurs années. Ils épaulent et soutiennent des milliers de jeunes
entrepreneurs africains, dont beaucoup évoquent le mentorat comme un facteur clé de leur succès.
L
e principe du mentorat a fait son fidèle ami, Mentor. Dans toutes les sociétés, le
chemin dans le monde des affaires, mentorat a toujours été essentiel au développe-
où il est désormais largement ment personnel et professionnel des individus.
adopté, par le secteur public comme
dans le secteur privé. Entreprises Nombreux sont ainsi les entrepreneurs à succès
et organisations mettent en œuvre des dispo- qui attribuent – au moins en partie – leur réus-
sitifs internes de mentorat, pour permettre site à un mentor. Tony Elumelu attribue par
notamment aux femmes, ou aux personnes exemple la sienne à Chef Ebitimi Banigo, le
issues de milieux sociaux-économiques moins mentor qui a su détecter son potentiel et l’a
favorisés, de grandir professionnellement. En guidé dans sa découverte du métier de banquier.
outre, beaucoup d’entrepreneurs qui ont réussi Larry Page et Serguey Brin, les cofondateurs
mettent leur succès sur le compte de l’aide et de Google, ont été guidés et soutenus par Eric
du soutien apportés par un mentor. Schmidt, Mark Zuckerberg par Steve Jobs, et
Steve Jobs par Mark Markkula, investisseur et
Le concept de mentorat n’est pas neuf. Dans dirigeant d’Apple aux débuts de l’entreprise.
L’Odyssée d’Homère, Ulysse – avant de partir Richard Branson évoque pour sa part Sir Freddy
pour la guerre contre les Troyens – confie son Laker comme l’un des principaux artisans de sa
fils et tous ses domaines aux bons soins de son réussite dans l’industrie aéronautique.
36
SECTEUR PRIVÉ & DÉVELOPPEMENT
LE MENTORAT DANS L’ÉCOSYSTÈME AFRICAIN
Une analyse des études produites sur le mentorat La difficulté d’évaluation tient au fait que les
en Afrique met en évidence les incontestables projets de mentorat sont rarement autonomes,
bénéfices des programmes de mentorat, parmi s’inscrivant le plus souvent dans des programmes
lesquels la croissance économique, la création d’aide plus vastes et plus complexes.
d’emplois, la pérennité des affaires et le déve-
Dans son article Promoting Youth Entrepreneurship:
loppement personnel. Mais sur ces sujets, une
The Role of Mentoring1, l’économiste Ayodele
recherche probante et approfondie fait encore
Ibrahim Shittu examine les effets du mentorat
défaut.
sur les jeunes entrepreneurs. Il constate que le
En 2012, l’organisme EPS-PEAKS a publié sa nombre de programmes s’est multiplié, mais
Literature Review on Enterprise Mentoring, une vue conclut que « le manque de visibilité est une
d’ensemble sur le mentorat en entreprise, avec contrainte majeure pour les politiques et pro-
un gros plan sur la région « MENA » (Moyen- grammes de promotion de l’entrepreneuriat
Orient et Afrique du Nord). Ce travail souligne auprès des jeunes. »
les effets vertueux du mentorat sur les entre-
Au Nigeria, la Bank of Industry, la plus ancienne
preneurs, et rappelle quelques éléments clés
et la plus importante institution de financement
à prendre en compte dans la définition d’un
du développement, soutient activement le men-
programme de mentorat. Parmi ces éléments,
torat des jeunes entrepreneurs en herbe (selon
la recherche d’un juste équilibre entre approche
le quotidien The Punch, 2016). Dans le cadre de
formelle et approche informelle, ainsi que d’une
son programme de développement économique,
bonne adéquation entre le tuteur et son « pou-
la Banque centrale du pays (CBN) a en outre
lain ». Le rapport met notamment en exergue
déclaré que le mentorat pouvait constituer une
les programmes Mowgli, Techwadi, Oasis 500
ressource stratégique de la nation dans la valo-
et le Badar Young Entrepreneur Programme. La
risation du potentiel de ses jeunes. La Chambre
plupart de ces dispositifs existent depuis plusieurs
de commerce et d’industrie de Lagos a elle aussi
années, et disposent d’un cadre bien structuré,
identifié le mentorat comme un moyen « d’in-
avec des processus et des étapes clairement iden-
vestir dans l’avenir ».
tifiés. Le programme Mowgli est en outre salué
pour les études de cas concrets qu’il propose. Il
est intéressant de noter que c’est en Égypte que
Les projets de mentorat sont
l’écosystème entrepreneurial est le plus déve-
loppé. Le rapport signale également l’absence
rarement autonomes, s’inscrivant le plus
de recherches plus approfondies sur l’impact, souvent dans des programmes d’aide
les taux de réussite, les facteurs clés de succès plus vastes et plus complexes.
ou les enseignements à tirer pour la région.
1 Article disponible en anglais sur le site de l’Institute of Development Studies (IDS) : https://bulletin.ids.ac.uk/idsbo/article/view/2875/ONLINE
37
S OU T I E N ET M ENTOR AT, ÉL ÉM E N TS
E S S E NT I E L S D’ UN DÉVELOPPEME N T
PÉ R E NNE DES PM E
La Fondation Mowgli est l’une des rares orga- Mowgli a formé plus de 900 mentors, et les a
nisations à avoir formalisé un suivi de ses pro- mis en relation avec plus de 780 entrepreneurs.
grammes de mentorat, et ce depuis sa création, Son réseau d’anciens compte en outre 1 680
en 2008, par l’entrepreneur et philanthrope Tony membres, répartis dans 14 pays (dont 13 dans
Bury. C’est un organisme à but non lucratif qui la région MENA). Ces dix dernières années, la
déploie ses activités de mentorat dans toute la Fondation a rassemblé des données sur trois
région MENA. Il s’appuie sur la conviction que le catégories d’impacts : 1. croissance économique,
mentorat est un dispositif extrêmement efficace création et maintien de l’emploi ; 2. croissance de
pour le développement personnel et les qualités l’activité commerciale, développement durable
de leadership. Tony Bury lui-même attribue sa et réussite des entreprises ; 3. développement
réussite professionnelle aux mentors qui l’ont personnel et renforcement du leadership.
accompagné, et il tenait à ce que d’autres puissent
bénéficier de la même opportunité, au travers À partir de ces données, les équipes de la Fonda-
de sa fondation. Selon lui, le soutien aux futurs tion ont pu déterminer un ROMI (« retour sur
leaders et aux écosystèmes d’entrepreneuriat investissement de mentorat »), en matière de
pourrait constituer une solution face aux défis croissance économique liée à la création d’em-
économiques de l’Afrique, et notamment au ploi. Ces résultats2 confirment que le mentorat
chômage des jeunes. constitue un outil efficace de croissance et de
progrès.
Le mentorat doit être la pierre Ils valident aussi l’approche globale qui carac-
térise le programme de mentorat de Mowgli,
angulaire de tout dispositif de soutien et témoignent que, pour générer un ROMI,
il est essentiel d’ajouter au mentorat d’autres
ou écosystème placé au service des
dispositifs, notamment le développement des
entrepreneurs. compétences et la formation financière. Le
mentorat doit être la pierre angulaire de tout
dispositif de soutien ou écosystème placé au
service des entrepreneurs.
2 https://www.mowgli.org.uk/our-impact
38
SECTEUR PRIVÉ & DÉVELOPPEMENT
LES BIENFAITS DU MENTORAT
Travailler avec le bon mentor peut être la source conseils, de la motivation, mais aussi un accès
d’innombrables avantages. En Afrique, nom- à ses réseaux et de la visibilité. Il doit savoir
breuses sont pourtant les PME qui doivent encore mettre son « poulain » face à ses responsabilités,
comprendre ce qu’implique une telle démarche. lui proposer des idées, l’aiguiller, lui renvoyer
Le mentor « d’entrepreneuriat » remplit plu- la balle. Il doit aussi jouer le rôle de caisse de
sieurs fonctions. Il sert d’abord d’exemple et de résonance, poser les questions difficiles et l’aider
modèle à ceux qui s’engagent dans la voie de la à trouver les bonnes réponses. Il doit enfin lui
création d’entreprise. Il apporte son soutien, ses enseigner la valeur des réseaux, et leur bon usage.
Depuis son lancement en 2015, 3 000 mentors ont participé au programme dans le monde
entier. Ils ont accompagné au total plus de 4 000 entrepreneurs. Le modèle inclut aussi une
plateforme technologique qui permet d’accéder, partout sur la planète, à des tuteurs de tout
premier plan.
Le Forum TEF Entrepreneurship se tient une fois par an à Lagos, au Nigeria, et chaque année,
1 000 start-up sélectionnées dans toute l’Afrique sont invitées à y participer, dans le cadre des
sept piliers proposés par le programme.
39
A N A LY S E
Selon Aiaze Mitha, entrepreneur et expert des fintech, les nombreuses innovations numériques
qui voient le jour et existent déjà pourraient transformer chaque étape de la chaîne de valeur
du financement, ouvrant une nouvelle ère et de nouvelles perspectives pour les PME.
A
vec un besoin de financement national brut (PNB) des pays en développement,
estimé à près de 700 milliards et sont à l’origine de 4 emplois formels sur 52.
de dollars1, l’accès au crédit
représente un enjeu vital L’un des principaux obstacles au crédit réside
pour les PME africaines ainsi dans le déficit d’accès au système bancaire tra-
que pour les communautés qui les hébergent. ditionnel. Des difficultés persistent à plusieurs
Avec l’agriculture, les PME constituent en effet niveaux. Il est souvent ardu et coûteux pour les
le principal moteur du développement écono- institutions financières traditionnelles d’atteindre
mique et social de nombreux pays. et servir les PME là où elles se trouvent à travers
leur réseau d’agences. Par ailleurs, le manque de
Les besoins de financement des PME varient documentation et de données fiables au sein des
considérablement selon les segments considérés PME, doublé de l’absence d‘expertise comptable
et leur niveau de formalisation. Tandis que les permettant de prédire avec assurance les flux
PME de taille moyenne visent généralement la financiers futurs, rend l’analyse de risque plus
croissance, voire la conquête de nouveaux mar- complexe. Enfin, il est difficile pour les insti-
chés, les microentreprises sont pour la plupart tutions financières de s’assurer que le crédit
des entités unipersonnelles avec pour principale octroyé est bien employé à des fins productives
vocation de générer un revenu complémentaire et le recouvrement est souvent fastidieux. Il en
pour le foyer. Ainsi, les PME formelles consti- résulte qu’une partie significative des besoins
tuent aujourd’hui un élément essentiel du tissu de financement des PME est satisfaite dans le
économique : elles contribuent jusqu’à 60 % de la secteur informel, avec des taux d’intérêt pouvant
masse salariale et à hauteur de 40 % du produit atteindre jusqu’au double des taux commerciaux.
40
SECTEUR PRIVÉ & DÉVELOPPEMENT
ÉMERGENCE DE NOUVEAUX OUTILS À DESTINATION DES PME
Le coût du capital constitue souvent un obsta- risation des forces de vente permettent déjà aux
cle important pour les institutions souhaitant institutions financières d’augmenter le rende-
financer les PME, l’épargne publique étant ment de leurs agents de crédit en automatisant
prioritairement redirigée vers des clients la collecte d’information sur le terrain à partir
moins risqués. Un coût de capital élevé sur les de formulaires opérés au moyen de tablettes,
marchés de capitaux aura pour conséquence de réduisant ainsi le coût d’acquisition client. Cette
rendre le coût de crédit inaccessible aux PME. digitalisation de la collecte d’information client
De nouvelles plateformes de crowdfunding ou simplifie le recueil des données, évite les redon-
dances, réduit le risque d’erreur causé par les
de « peer-to-peer lending » telle que Kiva.org,
entrées manuelles et permet un traitement plus
déjà active dans plus de 80 pays, permettent de
efficace et plus rapide des demandes de crédit.
mobiliser capitaux privés et institutionnels de
manière plus efficace, offrant des solutions de
financement viables aux PME.
Le coût du capital constitue
Les coûts d’acquisition client sont tradition- souvent un obstacle important pour
nellement élevés du fait du manque relatif de les institutions souhaitant financer
sophistication des clients PME et de la nécessité
les PME, l’épargne publique étant
d’un entretien personnel guidé à chaque demande
de crédit. Là encore, les solutions numériques prioritairement redirigée vers
apportent un gain d’efficacité. Les outils de numé- des clients moins risqués.
41
L E D I G I TA L VA-T- I L R ÉVOLUTI O N N E R
L E F I NA NC EM ENT DES PM E EN AFRIQU E ?
ANALYSE DE CRÉDIT
Habituellement, les données requises pour l’ana- de valeurs agricoles (le cacao en Côte d’Ivoire,
lyse de crédit sont collectées manuellement au le café en Ouganda ou le coton en Zambie) ou
format papier. Cette collecte repose souvent sur des chaînes FMCG (produits de grande consom-
la relation personnelle entre la PME et l’agent mation) permet de rendre visible des données
de crédit, ainsi que sur la disponibilité de ces transactionnelles, rendant l’estimation des flux
informations, et est particulièrement onéreuse. financiers des points de vente possible.
De nouvelles solutions innovantes permettent
désormais de collecter des données dites alter- Par ailleurs, la disponibilité de sources de données
natives d’entrée aux algorithmes de scoring de plus complexes avec les progrès de l’imagerie
manière digitale. Certaines sociétés fintech telles satellitaire ou par drone, ou encore l’exploita-
que Tiaxa ou Jumo, spécialisées dans le crédit tion des données météorologiques permettent
scoring s’appuyant sur des données alternatives, à des sociétés comme FarmDrive d’automatiser
recueillent des milliers de points de données l’analyse de crédit pour les petits exploitants.
relatifs aux paiements mobiles effectués par les Tandis que des fintech comme Lenddo utilisent
PME, leur utilisation des réseaux sociaux, ou les données des réseaux sociaux, Facebook notam-
encore leur profil d’usage des services mobiles ment, pour alimenter leur moteur de décision.
pour alimenter leurs algorithmes, et rendent 4G capital, quant à elle, a recours à des questions
ainsi l’analyse de crédit possible en l’absence psychométriques pour l’évaluation des PME en
d’informations traditionnelles. Dans le même Afrique de l’Est.
esprit, la digitalisation croissante des chaînes
42
SECTEUR PRIVÉ & DÉVELOPPEMENT
Enfin, le développement du e-commerce fournit ria, elle fournit d’abord des outils numériques
également des informations précieuses pour la aux PME, dont un outil de gestion des factures,
décision de crédit. Ainsi Jumia, un des leaders pour s’appuyer ensuite sur ces informations pour
du e-commerce en Afrique, dispose-t-elle d’une prendre ses décisions de crédit puis collecter les
offre de crédit ciblant les PME ayant vendu plus remboursements directement auprès des ache-
de 25 produits en ligne sur une période de six teurs. À ce jour, près de 120 000 PME utilisent
mois, pour un montant total supérieur à 100 000 sa solution de gestion de facture et auront donc
naira (290 euros). Quant à Lidya, basée au Nige- potentiellement accès à un financement de Lydia.
DÉCAISSEMENT ET REPAIEMENT
Le décaissement pose souvent des difficultés le débit automatique comme premier levier de
dans le cas de PME se trouvant dans des zones recouvrement. D’autres, tels que Instamojo ou
mal desservies par les institutions financières. Kopo Kopo, pratiquent également le débit auto-
Là encore, les technologies tel que le « mobile matique pour collecter les remboursements tandis
money » (plus de 132 déploiements à travers que Tala s’en remet au repaiement volontaire.
l’Afrique et près de 400 millions de comptes
enregistrés3) apportent une touche d’efficacité À tous les niveaux de la chaîne de valeur du
en permettant aux crédits d’être déboursés direc- financement des PME, des entreprises ou des
tement dans un compte électronique opéré à technologies innovantes apportent des réponses
partir du téléphone portable. Certaines inno- permettant de réduire les coûts, accroître l’effi-
vations permettent également, en lien avec des cacité et changer d’échelle. La question de l’accès
fournisseurs, de décaisser le crédit directement au financement des PME, si elle n’est pas encore
au fournisseur en échange de produits délivrés tout à fait résolue, connaît sans aucun doute
à la PME. une nouvelle ère d’opportunités.
3 https://www.gsma.com/mobilefordevelopment/wp-content/uploads/2019/02/2018-State-of-the-Industry-Report-on-Mobile-Money.pdf
43
ENTRETIEN CROISÉ
En Afrique, les PME restent fortement tributaires des ressources internes et de la dette bancaire pour
leur financement. Le manque de capitaux appropriés, notamment les instruments de haut de bilan, limite
l’entrée sur de nouveaux marchés, l’investissement à long terme, l’expansion et l’innovation. Ascent
Capital et Metier sont deux gestionnaires qui ont réussi à surmonter les obstacles à l’investissement
en fonds propres dans des PME en Afrique. Dans ce numéro, ils évoquent l’importance des capitaux
propres pour le passage à l’échelle des PME, et nous décrivent leur activité d’un point de vue pratique.
44
SECTEUR PRIVÉ & DÉVELOPPEMENT
QU’EST-CE QUI DIFFÉRENCIE VOTRE STRATÉGIE DE CELLE D’AUTRES
FONDS OPÉRANT DANS LE MÊME SEGMENT DE MARCHÉ QUE VOUS ?
J-P.F : Metier a une stratégie de création de valeur produits de grande consommation, avant que
active. Les thèses d’investissement que nous Metier ne se retire en 2014.
mettons en œuvre ont pour but de transformer
l’activité des sociétés du portefeuille, afin de Metier a vu le potentiel de l’Afrique du Sud, où
l’émergence de la classe moyenne et l’évolution
répondre à des thèmes régionaux. Notre objectif
des habitudes des ménages stimulaient la consom-
en tant que gestionnaire est de faire émerger des
mation, tandis que l’urbanisation favorisait le
leaders de marché ou du moins des leaders sur
développement de la restauration ou les produits
un positionnement de niche. Cela peut passer
de santé et de bien-être. Dans le même temps,
par la transformation organisationnelle (pour
des détenteurs de marques externalisaient leur
préparer le passage à l’échelle) ; le renforcement
fonction de production, tandis que le marché des
des réseaux de distribution ; l’optimisation des
marques de distributeur faisait son apparition.
chaînes d’approvisionnement ; l’intégration ver-
ticale ; l’optimisation des capacités de production L.K : Nous avons des bureaux dans tous nos
et de stockage ; le développement de marques pays cibles dont le personnel local entretient
propres ; etc. Si nécessaire, nous faisons appel des liens forts avec la communauté. Cela nous
à du management, des consultants ou des spé- permet de détecter des opportunités d’affaires
cialistes externes. avant les autres, et d’inspirer aux entrepreneurs
la confiance et le fait que nous connaissons les
Les stratégies de plateforme sont particuliè-
marchés où ils opèrent.
rement efficaces. Elles consistent à consolider
plusieurs entreprises au sein d’un même secteur, La plupart de nos collaborateurs sont eux-mêmes
afin d’accroître leur valeur combinée. L’objectif d’anciens entrepreneurs, qui ont créé puis géré
est de réaliser des économies d’échelle (achats, des sociétés. Ils comprennent donc les défis aux-
consolidation du BFR, mise en commun des quels les partenaires d’Ascent font face, de sorte
canaux de distribution, etc.) et favoriser une phase qu’une véritable connexion est établie dans la
de croissance organique. Un exemple pertinent plupart des cas. Le promoteur peut discuter de
est l’investissement de Metier dans Libstar, un l’activité de la société avec le personnel d’As-
fabriquant de plats préparés dès 2005. Par la cent, d’un point de vue technique bien sûr, mais
suite, Libstar a pris des participations majori- aussi opérationnel. Les bureaux locaux d’Ascent
taires dans plus de 20 entreprises sud-africaines facilitent l’accès à l’équipe, lorsque les PME ont
actives dans la production et la distribution de besoin de soutien (ce qui est fréquent).
L.K : Sur ce chaînon manquant de l’offre de L’offre de fonds propres en Afrique existe, mais
capitaux, les sociétés sont en réalité assez nom- atteint rarement le segment des PME. Cela signifie
breuses. Ces cinq dernières années, dans nos que des investissements peuvent encore être
trois pays cibles – Kenya, Ouganda, Éthiopie –, faits à des niveaux de multiples raisonnables,
nous avons passé en revue pas moins de 960 surtout si l’on est prêt à intervenir dans des
transactions – sans compter celles jugées trop pays comme l’Éthiopie et l’Ouganda, ou même
petites pour être analysées. au Kenya, en dehors de Nairobi.
45
F OND S PR OPR ES POUR L E PAS SAGE À L’É CH E LLE DE S P ME :
E N T R E T I E N AVEC DEUX GESTI O N N AIRE S DE FON DS AFRICAIN S
L.K : En effet, le déficit de financement est pro- au Kenya, pays le plus développé d’Afrique de
bablement le principal obstacle à leur croissance. l’Est, où le plafonnement des taux d’intérêt a
C’est particulièrement vrai en Éthiopie lorsqu’il sérieusement limité l’appétit des banques pour
s’agit d’obtenir des financements en devises le crédit aux PME. En Ouganda, le financement
étrangères, nécessaires à l’achat de machines bancaire est disponible, mais les taux d’intérêt
et de matières premières. C’est également vrai (supérieurs à 20 %) sont impraticables pour la
plupart des entrepreneurs.
La réglementation a tendance à J-P.F : Une autre cause majeure est l’état de
préparation des entreprises. Trop souvent, nous
rendre l’activité des PME coûteuse, constatons la nécessité d’une introspection de
contrairement aux entreprises la part des promoteurs : sur leur modèle éco-
nomique, leur personnel, leur marché, ou leur
informelles qui ignorent les obstacles stratégie, avant de pouvoir accéder au finan-
réglementaires. cement.
L.K : Il est vrai que la réglementation a tendance mais plutôt à une concurrence intense, non
à rendre l’activité des PME coûteuse, contraire- seulement de la part des acteurs locaux, mais
ment aux entreprises informelles qui ignorent les aussi de la part des importations (souvent sans
obstacles réglementaires et aux grandes entre- acquittement des droits de douane). Il est parti-
prises dont les économies d’échelle permettent culièrement difficile pour les entreprises locales
de supporter les coûts additionnels.
d’être compétitives face à des importations bon
Les PME ne sont pas nécessairement confrontées marché, alors mêmes qu’elles ont parfois créé la
à une demande insuffisante pour leurs biens, demande et le marché au niveau local.
L.K : Les ressources humaines posent souvent Mais à mes yeux, la principale barrière à l’in-
problème en effet, en particulier hors du Kenya. vestissement dans les PME est le manque de
Par exemple, recruter un directeur financier données fiables, qu’il s’agisse des indicateurs
expérimenté en Éthiopie est un exercice coûteux financiers de la société ou des données de marché.
et chronophage. Beaucoup de pays (comme la
Tanzanie) limitent aussi le recours à la main- Le coût de l’institutionnalisation est une autre
d’œuvre étrangère. barrière importante. Les PME ont généralement
1 En vertu de la loi d’Engel, la part des dépenses allouées aux biens à faible valeur ajoutée et dont les barrières à l’entrée sont limitées (ex. minoterie,
textile, métallurgie légère) est plus grande en Afrique que dans d’autres régions.
46
SECTEUR PRIVÉ & DÉVELOPPEMENT
un mode opératoire souple, qui correspond à attractivité par rapport à sa situation initiale.
leur niveau de revenus et leur permet de dégager En outre, le délai de retour à la rentabilité est
des marges. Mais lorsqu’un fonds de private souvent plus long que prévu.
equity entre au capital, les coûts opérationnels
ont tendance à augmenter sans hausse corres- J-P.F : Le défi est d’amener l’entreprise à une
pondante du chiffre d’affaires – au moins la taille suffisante, afin de compenser le coût de
première ou les deux premières années. Cela l’institutionnalisation et d’en récolter les fruits,
peut décourager à la fois le promoteur et le tels que la facilitation des acquisitions ou des
fonds d’investissement, car l’entreprise perd en voies nouvelles de sortie pour les investisseurs.
L.K : Il s’agit d’un équilibre difficile qui, à notre J-P.F : Metier a commencé à lever des fonds
avis, n’a pas de solution simple. Une façon pour sectoriels dans les énergies renouvelables et
les gestionnaires de fonds de croître tout en main- les infrastructures propres. Nous convenons
tenant l’accent sur les PME est de créer des fonds que les plateformes permettent d’accéder à des
sectoriels. Cela permet de déployer une stratégie de marchés où il n’est autrement pas possible – ni
plateforme qui ne nécessite pas des tickets impor- pertinent – de déployer des capitaux importants
tants. Un autre moyen est de dédier une partie dans un seul investissement. Un défi que l’on
du fonds aux opérations de type capital-risque. rencontre souvent en dehors des plus grandes
L’idée serait d’avoir un ou deux actifs de cette économies africaines.
nature plutôt qu’un portefeuille entier.
POUR FINIR, LA THÉORIE DERRIÈRE LE SOUTIEN AUX PME EST QUE LES
ENTREPRISES PETITES ET INNOVANTES (QUALIFIÉES DE « GAZELLES »)
ONT UN IMPACT PLUS QUE PROPORTIONNEL SUR LA CRÉATION
D’EMPLOIS. LES ENTREPRISES QUE VOUS CIBLEZ SONT-ELLES
PARTICULIÈREMENT EFFICACES EN MATIÈRE DE CRÉATION NETTE
D’EMPLOIS ?
J-P.F : Oui elles le sont ! Les investissements de Le défi est d’amener l’entreprise à
Metier dans les PME ont créé 2 657 emplois,
de 2015 à fin 2018. L’effectif total est de 6 800 une taille suffisante, afin de compenser
personnes, dont 47 % sont des femmes. le coût de l’institutionnalisation et d’en
L.K : Les huit sociétés du portefeuille d’Ascent récolter les fruits.
ont créé 359 emplois directs supplémentaires
en 2018. Ce chiffre s’ajoute aux 1 364 salariés à
la fin de 2017. Et ce nombre ne comprend pas
les employés temporaires ni les emplois créés
par les fournisseurs.
47
ENTRETIEN CROISÉ
Nous l’avons répété à plusieurs reprises dans cette revue, et les différents articles l’ont démontré,
l’accès au financement est l’un des principaux enjeux du développement des PME en Afrique, mais
aussi l’un des principaux freins. Pour mettre cela en lumière, nous avons interrogé deux entrepreneurs
afin de recueillir leur témoignage de terrain et nous éclairer sur leurs difficultés, ou succès, dans leur
recherche de financements.
48
SECTEUR PRIVÉ & DÉVELOPPEMENT
l’évolution de notre gouvernance, nous avons employions moins de 50 personnes en France.
fait entrer un fonds de private equity au sein de Aujourd’hui, le Groupe y compte 150 salariés
Technopet, dont le « closing » vient de se faire. et près de 1 100 au Kenya. Entre 2002 et 2008,
Cet investissement a pour but d’augmenter notre Bigot Flowers Kenya n’étant pas propriétaire
capacité, d’accompagner la certification ISO et du foncier, elle n’a pas pu lever de fonds au
BRC/FDA, ainsi que de rayonner dans l’océan Kenya pour assurer son développement et a
Indien. Inside Capital Partners, basé à l’Île Mau- donc dû investir avec ses propres deniers. En
rice, nous a fait confiance et nous accompagne 2008, nous avons été mis en relation avec l’AFD
dans notre développement. Cette arrivée d’un et Proparco, et avons pu obtenir un concours de
actionnaire de référence conforte l’ensemble près de 1,7 million d’euros en 2010, via Fisea3.
des parties prenantes autour du projet, qu’elles Cela nous a permis d’acquérir le foncier dont
soient bancaires ou institutionnelles, ou bien nous avions besoin au Kenya et de construire de
nos principaux fournisseurs et clients. nouvelles serres plus modernes. Parallèlement,
Fisea a pris une participation de 10 % dans la
Jean-Philippe Bigot : La création de notre filiale Holding Bigot Finances. Fin 2013, une oppor-
au Kenya, en 2002, nous a permis de consolider tunité de croissance externe s’est offerte à nous.
et de développer nos positions en France, et Nous avons alors eu à nouveau recours à un
d’implanter une unité de production conséquente financement de Proparco et avons en parallèle
au Kenya pour accéder à d’autres marchés por- racheté la participation de Fisea dans la Holding
teurs – au Royaume Uni, en Allemagne et en Bigot Finances.
Suisse. Avant la création de cette filiale, nous
Jean-Philippe Bigot : Sans ces différents prêts de éthique. Notre principe a toujours été d’être à
Proparco, nous n’aurions jamais été capables de 100 % transparents et respectueux des lois sur
structurer l’aspect patrimonial de notre entreprise un plan fiscal (TVA, douanes, impôts, salariés
à l’étranger, ni d’asseoir notre position dans le déclarés), mais on avance moins vite quand on
paysage de la production et de la distribution est éthique.
de fleurs coupées, aussi bien en France qu’en
Europe. Être acteur du développement de ter- Rétrospectivement, nous aurions sans doute dû
ritoires ruraux, tant dans notre fief historique mettre en avant et revendiquer cette éthique. Il
de la Sarthe qu’au Kenya, est une tâche très en va de l’intégrité, de la crédibilité et de la légiti-
prenante mais également très gratifiante. En ce mité que nous accordent nos partenaires. Depuis
sens, notre engagement en faveur du commerce que nous sommes en mesure de communiquer
équitable prend toute sa dimension et constitue une situation financière claire et transparente à
un très fort moteur de notre implication au nos partenaires, le dialogue est plus constructif
service de la population kenyane. et ces derniers s’inscrivent dans une logique
d’accompagnement sur le long terme. Ce fut un
Habib Hassim : Dans les pays émergents, la ten- travail de longue haleine, voire un changement
dance est souvent de reléguer la conformité de paradigme, mais nous en sommes autant
au second rang et d’optimiser la rentabilité soulagés que fiers.
des entreprises, notamment familiales. Beau-
coup d’entreprises à Madagascar utilisent un
savant mélange de fraude et de corruption et
connaissent des taux de croissance et de marge
anormalement élevés : ce n’est ni durable ni
49
QUESTIONS-RÉPONSES
La création de départements spécialisés au sein des banques constitue une tendance de fond de ces
dernières années. Les PME constituent en effet un relai de croissance pour les banques. Généralement,
une équipe entièrement dédiée aux PME est mise en place ; et des critères d’analyse des dossiers et de suivi
des financements, spécifiquement adaptés au cas des PME, sont définis. Sous la forme de deux entretiens
« miroirs », Proparco a souhaité donner la parole à des institutions financières et des acteurs innovants sur
le marché des nouvelles technologies*, qui agissent en faveur de l’accès au financement des PME.
SOCIÉTÉ GÉNÉRALE
Banque internationale de renom, la
BEAUCOUP D’ÉTABLISSEMENTS BANCAIRES ONT DÉSORMAIS MIS
Société Générale est également très EN PLACE UNE « STRATÉGIE PME ». QUELLE EST L’APPROCHE ADOPTÉE
engagée en Afrique dans le soutien
des économies locales, et notamment PAR VOTRE ÉTABLISSEMENT ?
des PME du continent.
SONIBANK Advans : Nous avons développé une approche clients du risque de surendettement ou d’impayé,
Fondée en 1990, la Société d’analyse crédit plus adaptée au business model quelle que soit la complexité de leur activité.
nigérienne de Banque (Sonibank) et d’une PME qu’à celui d’un micro-entrepreneur.
la première banque commerciale du
Cela afin de mieux prendre en compte la com- Nous avons également développé une offre
pays, en matière d’emplois et de
ressources.
plexité et la diversité des chaînes d’approvision- complémentaire – de crédits à court terme –
UGANDA DEVELOPMENT nement, ainsi que des activités en expansion qui permet de répondre de façon pertinente à la
BANK parfois rapide. Cette méthodologie PME est diversité des besoins de financement des PME :
L’Uganda Development Bank (UDB)
partagée par toutes les filiales du Groupe, avec avance sur factures, financement de bons de
est une institution de financement du
développement qui soutient les PME une flexibilité donnée à chacune pour l’adapter et commande, escomptes. C’est en permettant aux
et les projets de développement
rendre d’autant plus efficace le processus d’ana- entrepreneurs d’être réactifs sur leurs marchés
d’envergure dans divers secteurs clés
(agriculture, éducation, santé, etc.). lyse de crédit. L’objectif étant de protéger nos que nous accompagnons leur croissance. Au
* Les réponses ont été obtenues par le biais d’un questionnaire envoyé à chacune des institutions bancaires. Leurs réponses ont ensuite été
compilées puis mises en forme.
50
SECTEUR PRIVÉ & DÉVELOPPEMENT
Cameroun, par exemple, nous avons développé s’adapter à la situation socioéconomique du Mali ;
une gamme de crédits complémentaires per- la réduction des taux d’intérêt par rapport aux
mettant aux entrepreneurs de débloquer des taux en vigueur pour les TPE ; une plus grande
sommes additionnelles à leur crédit productif en souplesse dans les conditions de décaissement,
cours, pour faire face rapidement à un surplus ou encore la mise en place d’une garantie flexible.
d’activité ou saisir une opportunité commerciale.
Sonibank : Le financement des PME étant au
Plus globalement, c’est l’ensemble du parcours centre de la stratégie de Sonibank, son orga-
client que nous avons adapté. Au Nigeria par nisation et ses procédures sont entièrement
exemple, nous avons développé un service de structurées pour répondre à leurs besoins. Le
« collecte mobile VIP » pour que nos clients financement des investissements des PME/PMI
n’aient plus besoin de se déplacer pour rem- nécessite des ressources stables. Nous avons ainsi
bourser leur échéance mensuelle et puissent négocié et obtenu des lignes de refinancement
se concentrer sur leur activité. Nous avons auprès d’institutions financières régionales et
également lancé une application1 permettant internationales, pour pallier le manque de res-
aux clients de réaliser l’ensemble de leurs tran- sources longues pouvant affecter notre mission
sactions à distance. d’appui au secteur privé nigérien.
Baobab Mali : De notre côté, plusieurs stratégies Un dispositif a également été mis en place à travers
ont été mises en place : un parcours PME permet- un partenariat avec un établissement financier
tant une prise en charge rapide et personnalisée chargé d’accompagner les promoteurs des PME/
en fonction des besoins réels du client ; la créa- PMI dans les études, le montage de dossiers et
tion d’une tranche intermédiaire de PME, pour l’accompagnement.
Baobab Mali : En effet ! Notre mission est de projet, du profil de cash-flow attendu, et de tout
rendre nos services accessibles aux personnes autre élément spécifique au projet, qui pourrait
exclues du système financier classique. Aussi, s’avérer pertinent. Une période de grâce initiale
dans un contexte de financements difficile au est également envisageable jusqu’à 36 mois. Les
Mali, les ajustements qui ont été réalisés nous entreprises agricoles dûment organisées sous la
ont permis de mieux répondre aux besoins des forme de sociétés anonymes ou de coopératives
PME à Bamako et en région. peuvent bénéficier de prêts de groupe ou de finan-
cements, un schéma particulièrement adapté au
UDB : L’Uganda Development Bank a été à même
de répondre aux besoins des PME, en particulier soutien du secteur agricole primaire et à la conso-
en matière de durée, de structuration et de taux lidation des sources d’approvisionnement pour les
d’intérêt. Nous calibrons nos interventions au entreprises de transformation. Nos taux d’intérêt
cas par cas, en fonction des besoins du client. sont aussi très raisonnables. Là où ils peuvent
Nous n’adhérons pas à l’approche « taille unique atteindre 22 % ou davantage auprès des banques
pour tous » qui caractérise souvent les banques commerciales, UDB propose des taux annuels de
commerciales classiques. 12 à 15 % sur les financements à long terme en
shillings ougandais (UGX). Notre banque finance
En ce qui concerne la maturité des prêts, elle peut aussi bien des entreprises existantes qu’en création.
aller jusqu’à 15 ans selon la nature du projet, la De ce fait, notre encours de prêt a augmenté de
date prévisionnelle d’achèvement de sa mise en 79 % en trois ans, passant de 169 milliards d’UGX
œuvre et les cash-flows associés. Les échéances en 2016 à 302 milliards en 2018.
de remboursement des crédits sont structurées
en fonction du calendrier de mise en œuvre du
1 Advans Mobile
51
QUESTIONS-RÉPONSES
La diversification des outils de financement proposés aux petites et moyennes entreprises (PME)
apparaît comme une voie à explorer pour améliorer les relations banques-PME. L’inclusion financière
des PME basée sur le numérique, par exemple, se développe rapidement. Les fintech génèrent ainsi
des écosystèmes numériques qui permettent de cartographier, développer et monétiser les besoins.
Néanmoins, le développement de ces produits se heurte, d’une part, au fait qu’ils sont souvent
étrangers à la culture des PME et, d’autre part, aux dispositions réglementaires généralement peu
favorables à ces instruments spécialisés. Sous la forme de deux entretiens « miroirs », Proparco a
souhaité donner la parole à des institutions financières et des acteurs innovants sur le marché des
nouvelles technologies*, qui agissent en faveur de l’accès au financement des PME.
* Les réponses ont été obtenues par le biais d’un questionnaire envoyé à chacune des entreprises. Leurs réponses ont ensuite été compilées puis
mises en forme.
52
SECTEUR PRIVÉ & DÉVELOPPEMENT
AVEZ-VOUS SUIVI UN MOUVEMENT DE LA CONCURRENCE OU BIEN
VOTRE APPROCHE VOUS A-T-ELLE JUSTEMENT PERMIS DE VOUS
DISTINGUER DE CETTE DERNIÈRE ?
Tunisie Leasing : Nous sommes pionniers en laisse pour le moins à désirer. Le traitement
matière de leasing en Tunisie. Nous avons toujours d’une demande de prêt peut prendre jusqu’à
travaillé de manière à conserver une avance par six semaines, le prêteur exige parfois jusqu’à
rapport à nos concurrents, en maintenant une 130 % de collatéral, et les crédits d’un montant
veille sur l’évolution des meilleures pratiques inférieur à 50 000 dollars (18 millions de nairas)
de notre secteur et en nous dotant des outils sont rarement accordés. Avec Lidya, les crédits
nécessaires pour améliorer notre gestion, à la fois sont octroyés sous 24 heures, sans exigence de
sur le plan commercial et sur le plan des risques. collatéral et pour des montants qui commencent
Lidya : Lydia a été un acteur précurseur dans à 150 dollars seulement (50 000 nairas).
la mise en place d’un modèle de crédit en ligne
Au Nigeria, la proportion élevée de prêts non
permettant de couvrir l’ensemble du territoire
performants (PNP) tend à éloigner encore les
du Nigeria, afin de dimensionner et de déployer
PME dans l’ordre de priorité d’accès au finan-
aisément une offre de financement à laquelle
cement. Les PNP s’élèvent en effet en moyenne
aient accès toutes les PME du pays.
à 10 % pour les prêteurs traditionnels et 45 %
Parmi les PME qui bénéficient des services pour les prêteurs alternatifs. Chez Lidya, en
de prêteurs traditionnels, l’expérience client revanche, ce ratio n’est que de 0,6 %.
Tunisie Leasing : Depuis notre création, nous À travers le financement d’un actif générateur
avons ouvert la porte à des entreprises qui ne de revenus, et en nous assurant que les béné-
sont pas « bancarisables » du fait de leur taille, fices produits par cet actif sont suffisants pour
d’un manque de visibilité sur le niveau de leurs couvrir le remboursement de la dette tout en
activités ou bien en raison de leur incapacité à garantissant un moyen de subsistance à son pro-
fournir des garanties. La proximité de nos équipes priétaire, nous sommes convaincus d’avoir un
commerciales avec nos clients, le développement
impact positif à la fois sur l’inclusion financière
de méthodes d’appréciation du risque adaptées
et sur le développement du patrimoine net de
à chaque taille d’entreprise et à chaque secteur
nos clients.
d’activité, l’utilisation des scores d’octroi et le
recouvrement efficient en cas d’impayé, nous Lidya : Absolument ! Le service proposé par Lidya
ont permis de répondre efficacement aux besoins fait l’objet d’une forte demande de la part des
d’une clientèle non servie par les banques, tout propriétaires de petites entreprises, dans tous
en maîtrisant le risque.
les secteurs de l’économie et sur l’ensemble du
SA Taxi : Oui, tout à fait ! SA Taxi vient combler territoire nigérian. Lidya a déjà octroyé plus de
un déficit de financement crucial, en accordant 6 500 prêts à 1 500 entreprises. En 2017, un peu
des crédits à des entrepreneurs qui, sans cela, se moins de 2 millions de dollars de prêts avaient
verraient exclus de l’économie formelle compte été accordés ; ce total est passé à 10 millions de
tenu de leur profil de crédit. Environ 12 millions dollars en 2018. En 2019, nous devrions atteindre
de Sud-Africains appartiennent à la catégorie au rythme actuel près de 30 millions de dollars
des personnes « non bancarisées », et cette part d’encours de crédit, et devenir ainsi le principal
significative de la population est donc limitée à prêteur en ligne pour les PME au Nigeria.
un nombre très réduit de canaux pour accéder
aux capitaux.
53
LES ENSEIGNEMENTS DU NUMÉRO
Il y a tout juste dix ans, la revue Secteur Privé & ou des clients présentant d’importants risques
Développement voyait le jour. Le sujet de son en matière de gouvernance, de garanties ou
tout premier numéro : Le financement des PME d’environnements économiques dans lesquels
en Afrique subsaharienne, et plus particulière- ils évoluent.
ment l’accès insuffisant des PME africaines au
financement, l’un des goulots d’étranglement Mais, pour reprendre l’expression de l’écono-
de la croissance du continent. miste Bertrand Savoye (pages 6 à 11), les han-
dicaps actuels des PME peuvent aussi devenir
Sujet d’importance majeure pour Proparco une leurs atouts. Rappelons que celles-ci constituent
décennie en arrière, la problématique est tou- la véritable force vive économique de l’Afrique
jours et plus que jamais d’actualité aujourd’hui. subsaharienne : 90 % des entreprises sont des
Hasard du calendrier à l’époque, ce premier PME. Un poids qui leur permet une contribution
numéro naissait dans un contexte de crise majeure à l’emploi – elles génèrent entre 60 et 80 %
économique menaçant directement les dispo- des emplois – mais également d’être des vecteurs
nibilités de financement pour les entreprises, de liens sociaux de proximité. Une importance
et d’autant plus pour les PME africaines. Dix qui prend tout son sens lorsque l’on sait que 450
ans plus tard, si la crise semble s’être éloignée, millions de jeunes Africains devraient rejoindre
le niveau d’endettement encore très élevé1 de le marché du travail d’ici 20502.
la zone subsaharienne continue de faire peser
un risque sur l’activité économique des nations. A dix ans d’intervalle, il est également intéres-
sant de noter les changements de mentalités,
Ces deux publications, à une décennie d’inter- les nouvelles approches et les nouveaux outils
valle, nous permettent ainsi de porter un regard qui sont apparus. A ce titre, le développement
rétrospectif sur l’évolution du financement des rapide du numérique sur le continent africain
PME du continent africain. Et s’il y a bien un en est un bon exemple. Dans son article (pages
constat qui n’a pas varié en dix années, c’est bien 40 à 43) Aiaze Mitha, entrepreneur, pense qu’in-
celui de la difficulté d’accès au financement. contestablement la révolution numérique et
Comme le rappelle Matthew Gamser, direc- l’émergence des fintech apporteront « des solutions
teur du SME Finance Forum, dans son article disruptives » pour favoriser le développement
(pages 20 à 23) : « C’est en Afrique subsaharienne des PME et résoudre les problèmes d’accès au
que la proportion de MPME sous-financées est la financement.
plus importante au monde (52 %), devant les régions
Asie de l’Est et Pacifique ». De même, alors qu’à l’époque la plupart des
investisseurs se focalisaient principalement
Les raisons expliquant ces contraintes sont sur les éléments financiers dans leur approche
variées : la part encore importante du secteur de soutien aux PME africaines, force est de
informel dans l’économie africaine ; une cer- constater aujourd’hui que la part des éléments
taine frilosité des investisseurs « classiques » non-financiers a considérablement pris de la
à investir le marché des PME du continent ; place, au point d’en être un des éléments centraux
des fonds propres bien souvent insuffisants ; et indissociable. Le déploiement de programmes
1 Fonds monétaire international (FMI), Afrique subsaharienne : asseoir la reprise économique, mai 2018. Disponible sur Internet :
http://bit.ly/2Hiuf1C
2 Selon les estimations de la Société financière internationale (SFI).
54
SECTEUR PRIVÉ & DÉVELOPPEMENT
LES ENSEIGNEMENTS
d’assistance technique en est un marqueur fort. L’intérêt porté au secteur des PME n’est pas
Tout comme la mise en place, par les États, nouveau, que ce soit en Afrique comme dans
d’arsenaux juridiques et réglementaires spéci- le reste du monde. C’était vrai il y a 10 ans,
fiques permettant de faciliter le développement ça l’est aujourd’hui et ce le sera probablement
et l’accès au financement. Ou encore la mise en encore dans une décennie. De là à y consacrer un
place de programmes de mentorat à destination énième numéro ? Rendez-vous pour les 20 ans
des entrepreneurs, dont Parminder Vir se fait de la revue pour le savoir !
l’écho dans cette revue (pages 36 à 39).
SP D
Depuis 2009, Proparco anime l’initiative Des contributions du blog
Secteur Privé & Développement (SP&D)
qui traite du rôle du secteur privé dans L’agriculture, moteur de la création d’emploi
le développement des pays du Sud. au Nigeria – Kola Masha, Directeur général
de Babban Gona
Déclinée sous forme d’une revue trimestrielle Renforcer les chaînes de valeur en Afrique :
et d’un blog dédié, l’initiative SP&D vise à les conditions d’une contractualisation
diffuser les idées et les expériences tant des durable – Jean-Christophe Debar, Directeur
chercheurs que des acteurs du secteur privé de la Fondation Farm
qui apportent une réelle valeur ajoutée dans
le développement des pays du Sud. Utiliser la « théorie du changement »
pour optimiser l’impact de l’investissement –
Les cinq derniers numéros Janske van Eijck, Senior manager chez Palladium
55
SP D 32
3e TRIMESTRE 2019
Secteur Privé & Développement (SP&D) est une revue trimestrielle destinée
à analyser les mécanismes par lesquels le secteur privé peut contribuer
au développement des pays du Sud. SP&D confronte, à chaque numéro,
les idées d’auteurs aux horizons variés provenant du secteur privé,
du monde de la recherche, d’institutions de développement ou de
la société civile. Un blog a été lancé dans la continuité de la revue
afin d’offrir un espace de réflexion et de débats plus large sur
le secteur privé et sur le développement.
blog.secteur-prive-developpement.fr