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Z7
5 JUILLET 1962
PREFACE
de Geneviève de Ternant
Ce livre est un cénotaphe : c'est le tombeau vide des
morts et disparus du 5 juillet 1962 demeurés pour toujours
martyrs et poussière dans la terre de ce qui fut notre belle
Algérie française. C'est une œuvre de piété, certes bien
imparfaite : beaucoup de noms manquent sur ce Monument
aux morts. Beaucoup de témoins de ce jour de douleur n'ont
pas voulu ou pas osé parler. Mais ce livre a du moins un
mérite, celui d'exister, celui de crier à la face du monde ce
que l'on a voulu cacher, oublier, nier. Mais nous refusons
d'oublier; nous refusons les masques commodes de
l'histoire telle qu'on la raconte. Nous voulons dire ce qui
s'est réellement passé et comment un beau jour d'été a
brusquement basculé dans l'horreur et le carnage. Nous
voulons dire que cela a été non pas la fatalité ou le hasard
mais l'action délibérée de meneurs.
L'agonie d'Oran ne se résume pas à la journée du 5
juillet 1962, c’est pourquoi Claude Martin a écrit un rappel
historique des faits qui ont amené l’abandon de l’Algérie
française. Notre propos est de retrouver l'atmosphère de
cette tragique journée, de réunir des témoignages publiés
ou inédits, ce que ces hommes et ces femmes ont vécu et
qu'ils racontent avec simplicité et sincérité. Chacun dans
son quartier a été témoin de scènes atroces : il est impossi
ble que l’action de l’A.L.N., des A.T.O. et de la foule arabe
n'ait pas été concertée ou à tout le moins orchestrée par une
bande de meneurs et relayée par les chefs de la rébellion
dans les quartiers. Beaucoup de témoignages concordants
le donnent à penser. Nous publions ces témoignages dans
leur vérité bouleversante. On trouvera ensuite les noms des
morts et disparus de cette journée; notre liste est incom
plète : Nous n'avons pu mentionner que les identités de
ceux dont les familles, les amis, nous ont adressé leur
témoignage ou qui ont figuré sur des listes publiées à l'épo
que. Il était dur de se replonger dans ces cruels souvenirs
1
plus de vingt ans après que les évènements aient eu lieu.
Nous les remercions d'avoir fait cet effort afin d'apporter à
tous un morceau de vérité.
Nous ne parlons pas du massacre des Musulmans
fidèles à la France et surtout des harkis, d'autres l'ont fait et
tel n'est pas notre propos. Qu'ils sèchent cependant que
nous n'oublions pas.
Des témoignages nous sont parvenus, concernant des
personnes mortes ou disparues avant ou après le 5 juillet,
ou dans des localités autres qu'Oran; nous en donnons la
liste après celle des morts et disparus d'Oran le 5 juillet, ce
qui était notre propos initial car il nous est apparu néces
saire de montrer l'insécurité qui régnait en Oranie avant et
après l'indépendance de l'Algérie. Là aussi, nos listes sont
très incomplètes. Elles suffisent cependant à prouver les
difficultés, les risques, les tragédies que les Européens d'Al
gérie ont affrontés et cela explique l'ampleur de leur exode
vers une marâtre-patrie qui les abandonnait.
Que sont devenus les disparus du 5 juillet 1962 ? Beau
coup ont subi d'atroces tortures et leurs corps ont fini dans
des charniers comme celui du Petit Lac. Mais il y eu certai
nement des survivants. On a parlé de camps, de maisons de
prostitution et d'esclaves blancs. Toutes ces horreurs sont
infiniment probables, mais nous n'auront sûrement jamais
de certitudes : Ceux qui savent, Arabes ou Français se sont
tu et se tairont car l'agonie d'Oran est une tâche indélébile
au front de la République algérienne née dans le sang,
comme elle avait été conçue dans le sang durant huit
années de terrorisme, et surtout au front de la France qui a
laissé s'accomplir ce génocide.
Plus de vingt ans ont passé, beaucoup de témoins de
cette tragédie sont morts, mais il importe que leurs enfants
sachent la vérité et puissent la proclamer. II fallait doncque
ce Livre Noir de l'Agonie d'Oran soit publié.
C'est l'honneur de Claude Martin qui en a eu l’initiative
et de l'Echo de l'Oranie qui a centralisé les témoignages de
verser ce livre au dossier accablant de la rébellion algé
rienne unie dans l'ignominie à la lâcheté de la France
gaullienne.
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Un Vœu
3
A
L'AGONIE D'ORAN
Le Livre Noir du 5 Juillet 1962
Historique des faits par Claude MARTIN
I
I ORAN
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Dupré de Saint Maur jusqu'aux paysans espagnols, aux
viticulteurs du Midi français et aux pêcheurs napolitains
étaient venus là en quête d'une vie meilleure.
Ces divers apports s'étaient fondus dans le creuset
français ou, pour mieux dire, franco-algérien. Les législa
teurs de Paris avaient décidé en 1889 que les fils d'étran
gers nés en territoire français -et l’Algérie était selon la loi
aussi française que Paris ou Romorantin - seraient automa
tiquement français s'ils ne demandaient pas , à leur majo
rité, de garder leur nationalité d’origine. La plupart des
étrangers d'Algérie avaient accepté ce marché en vertu du
vieil adage que la patrie est où l'on est bien. Pour les gens
nés en Algérie, qu'ils descendissent de Français ou d’étran
gers, leur terre se trouvait sur les rivages méridionaux de la
Méditerranée; pas ailleurs. Ils se proclamaient d'abord
"algériens". Les Français de la métropole et les "Espagnols
d’Espagne" appartenaient à un monde un peu différent. Ce
qui n'empêchait pas ceux qui le pouvaient d'aller passer
des vacances en France en transitant parfois par l'Espagne.
Mais les Métropolitains n'appartenaisnt pas au peuple de
pionniers qui avaient transformé ce pays aride, élevé de
grandes villes là où n'existaient que Quelques gourbis etqui
mettaient tout leur dynamisme à développer de plus en plus
ses richesses.
Cette conception, bien sûr, n'était pas rigoureusement
exacte. Sans l'armée française, sans les ingénieurs et les
administrateurs venus de la Métropole, l'œuvre de l'Algérie
française n'aurait pas été accomplie. Les Européens d'Algé
rie le savaient; les petits blancs, s'en doutaient vaguement.
Mais, ils se disaient qu'après tout ils avaient payé leurdette
en 1914 et en 1939 en versant leur sang pour la lointaine
métropole. Il suffisait de voir les noms gravés sur les monu
ments aux morts de la guerre, de lire les noms espagnols,
italiens, maltais mêlés aux vieux patronymes de France
pour admettre qu'ils avaient les droits que Clémenceau
avait reconnus aux anciens combattants des armées de la
République.
Cette population "latine", comme on disait à l'époque
où le docteur Molle administrait la ville, l'époque du cente-
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naire de la conquête, ne constituait que la moitié de la
population. L'autre était faite des descendants des auto
chtones : "Arabes" et juifs. Le nom d'Arabe n'était pas
exact. Il aurait fallu dire "arabo-berbère" -avec beaucoup
plus de berbère que d'arabe. Pendant longtemps, ils
n'avaient été qu'une minorité. La modestie des monuments
de style maure, la médiocrité du "village nègre" le mon
traient. L'art musulman qu'on pouvait admirer à Tlemcen
manquait à Oran. Mais l'arrivée de fellahs venant de l'inté
rieur du département et surtout la fécondité des familles
arabo-berbères comblaient progressivement le retard de la
communauté indigène. Les nouveaux quartiers du Sud de la
ville constituaient leur fief. Une zone où pendant longtemps
les Européens pouvaient circuler sans plus de crainte que
ne le faisaient les porteurs de chéchia ou de burnous qui
traversaient la ville française.
La communauté juive n'existait pas légalement. Depuis
le décret Crémieux, ses membres étaient français. Il existait ■
cependant à l'Ouest de la place d'armes et de l'hôtel de vilie
un quartier où vivaient les petits commerçants, les artisans
.et les ouvriers Israélites. On pouvait y rencontrer encore des
grands-pères vêtus à la mode indigène et portant le turban
jaune d'antan ou de vieilles femmes vêtues comme les
modèles de Delacroix. Quant aux Juifs aisés, ils avaient
quitté depuis beau temps ce mellah et, médecins, avocats,
gros commerçants ou courtiers, vivaient dans les quartiers
européens. Au XIXome siècle, sous la pression du Consis
toire central des Israélites de France et de ses délégués, ils
avaient adopté non parfois sans résistance les lois civiles
françaises et envoyé leurs enfants dans les écoles fran
çaises. Ils en avaient tiré d'énormes bénéfices. De la situa
tion de sujets exposés à toutes les avanies ils étaient
devenus citoyens français, égaux aux conquérants. Eux
aussi ayant payé l'impôt du sang étaient attachés au statut
de l'Algérie. Les trois communautés vivaient côte à côte,
travaillaient ensemble, sans se fondre. Européens et
Musulmans se mêlaient aux heures de travail, dans les
usines, les boutiques, au comptoir des bars et sur les stades.
Ils parlaient ensemble, plaisantaient, mais ces relations
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n'étaient guère profondes. Bien sûr, les indigènes qui fré
quentaient les écoles françaises, les joueurs de football qui
jouaient dans les équipes de la ville n'étaient l'objet d'au
cune discrimination. Mais le mariage d'un Européen avec
une Mauresque ou d'un "Arabe” avec une "pied-noir” était
quasi inconcevable. Même le mariage d'un Juif ou d'une
Juive avec un membre d'une autre communauté était rare.
Aucune loi, aucun règlement ne l'interdisait, mais il y avait
entre les communautés des différences de mœurs et de
cultures si marquées - sans parler des positions sociales
-que, pratiquement, il n'y avait pas de mariages mixtes.
Comment une Européenne aurait-elle pu admettre que
son mari musulman lui adjoignît, un jour, une ou deux ou
trois femmes légitimes, comme le Coran l'y autorisait ?
Comment un Européen aurait-il pu s'éprendre d'une de ces
passantes enveloppées dans un grand drap blanc qui traver
saient la ville comme autant de fantômes ? Les Républiques
françaises successives ignoraient l'apartheid, mais il y avait
entre les communautés algériennes une barrière aussi effi
cace que les règlements sud-africain, l'islam. Un croyant ne
pouvait pas renoncer aux prescriptions non seulement reli
gieuses mais civiles que le prophète avait données aux
Musulmans. Dès Napoléon III, les hommes d'état français
avaient offert aux indigènes algériens de devenir français
en adoptant le code civil. L'échec avait été complet. Patiem
ment, les hommes politiques de Paris attendaient que les
"lumières” de la démocratie laïque fassent leur effet et
permettent l'assimilation des indigènes comme une longue
co-existence avait permis aux gens des différentes pro
vinces de France de former un peuple. Ils ne soupçonnaient
guère que les étudiants arabo-berbères, après avoir appris
que les hommes étaient égaux en droit, réclameraient ces
droits et, loin de s'assimiler, seraient les champions d'une
indépendance qui les mettrait à la première place. Cela se
percevait vaguement sur place. Mais la France semblait si
forte que son départ d'Algérie paraissait aux uns comme
aux autres une pure vue de l'esprit. Il suffisait d'ailleurs de
voir, les jours de fête, les notables musulmans et, plus
encore, les anciens combattants indigènes fiers d'arborer
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les médailles qu'ils avaient gagnées sur les champs de
bataille, droits derrière les drapeaux tricolores pour être sûr
de l'avenir.
L'essentiel était de travailler ensemble. On le faisait. Et
les résultats étaient bons. Quand les Français avaient
débarqué là, en 1830, Oran était une bourgade de 4.000
habitants. La ville avait grandi très vite. Elle arrivait à
400.000 habitants à la veille de l'insurrection. C'était le
grand port d'un vaste hinterland qui s'étendait de l'Ouest du
département d'Alger au Maroc Oriental. Les barriques de
vin, les sacs de blé, les primeurs, les moutons que les colons
et les éleveurs exportaient en France, les automobiles, les
camions, les machines, les produits finis que la Métropole
envoyait en Algérie occidentale et au Maroc oriental pas
saient en majeure partie par ses quais et ses docks. De
nombreux bateaux y venaient charbonner el
s'approvisionner.
La prospérité de la cité était liée à la valeur des récoltes.
Quand celles-ci étaient bonnes, l'argent roulait, le com I
merce florissait. On construisait de grands immeubles dans
les quartiers neufs ou des "Cabanons" au bord de la nier, on
achetait des autos du dernier modèle, on célébrait à la
plage, autour du plantureux riz à l'espagnole telle ou telle
fête familiale. Les années de vaches maigres, la vie se
ralentissait. On appelait au secours les banques en atten
dant que les choses aillent mieux. On grognait, mais on ne
désespérait pas. Ces fils ou petit-fils d'immigrés pauvres
dont l'histoire familiale était celle d'une ascension contre
vents et marées avaient un optimisme robuste. En pleine
guerre d'Algérie, alors qu'un observateur moyen pouvait
discerner l'esprit d'abandon des milieux dirigeants métro
politains, des chefs d'entreprise oranais faisaient des plans
d'agrandissement de leur affaire ou renouvelaient leur
matériel. Les beaux jours devaient revenir.
Ces richesses laborieusement acquises étaient-elles
équitablement partagées ? Ni mieux, ni pis qu'ailleurs. Il y
avait des riches, des moins riches et des pauvres dans les
trois blocs de population du pays. L'erreur que les métropo
litains n'ont pas cessé de commettre jusqu'à la fin de l'AIgé-
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rie française était de croire que les Européens jouissaient
d'une vie délicieuse en sirotant l'absinthe (version 1898) et
l'anisette (version 1950-62) tandis que les pauvres Arabes
peinaient comme des serfs médiévaux pour les enrichir. Il y
avait certes de grands propriétaires parmi les européens,
mais il y en avaient aussi chez les Arabes. Il y avait égale
ment chez les hommes d’affaires des indigènes et leur
nombre croissait depuis la guerre. Et il existait dans les
vieilles rues des bas quartiers et dans les faubourgs des
“petits blancs” dont le niveau de vie ne dépassait pas de
beaucoup celui du prolétariat indigène ou des pauvres juifs
du ghetto. Le témoignage d’un écrivain de gauche comme
Emmanuel Robles sur son enfance oranaise (1) est assez
significatif.
Ce n'était pas d'ailleurs les prolétaires, à l'exception de
ceux qui avaient vécu dans les usines de France, qui avaient
été en contact avec les communistes anti-colonialistes et
leurs semi-compagnons de l'Etoile nord africaine, mais les
bourgeois arabes, médecins, avocats, commerçants à leur
aise, qui rêvaient de jouer un rôle polilsque, dans une Algé
rie autonome sinon indépendante. Des projets comme celui
de l'ex-gouverneur général Violette avant ia guerre, puis les
discussions autour du statut de 1947 leur faisaient penser
qu'ils avaient une partie à jouer. Mais ces sentiments
paraissaient plus développés dans la capitale ou dans l'Est
algérien qu'en Oranie. C'est ce qui explique que l'Oranie
demeura paisible, quand dès 1945, le sang commença à
couler à Sétif et dans la Kabylie des Babors.
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II LA RUPTURE
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La nuit du 31 octobre au 1cr novembre 1954 une série
d'attentats se produisirent en différents points de l'Algérie. Zi
Les plus graves eurent lieu dans le Constantinois : deux
sentinelles sénégalaises furent tuées à Batna, un sous-
lieutenant et un factionnaire eurent le même sort à Ken-
chela; enfin dans l'Aurès, des coupeurs de route arrêtèrent
un autocar près d’Arris et assassinèrent le caïd Hadj Sadock
et un jeune instituteur, dont la femme fut grièvement bles
f'
sée. A Alger quelques bombes firent long feu. En Oranie,
aucun incident ne troubla la tranquillité du chef-lieu, mais
des coups de main exécutés par des hommes armés eurent
lieu dans l'intérieur. A Cassaigne, ceux-ci attaquaient la
ferme Monsonégo, tuaient en face de la gendarmerie un
automobiliste, Laurent François, qui était allé alerter les
gendarmes, assommaient un gardien de ferme pour lui
voler son fusil et tentaient vainement de faire sauter le
transformateur d’Ouillis. Le 5 novembre, le garde forestier
François Braun était abattu chez lui par une bande dirigée
par un employé de la C.A.D.O. de Saint Lucien, Ahmed
Zabana. !
C'était le signal d'une insurrection préparée par une
poignée de dissidents du Mouvement pour le Triomphe des
libertés démocratiques de Messali Hadj, qui avaient ras-
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h
À
semblé quelques centaine d'hommes et, ayant vu la France
se faire vaincre à Dien Bien Phu et battre en retraite devant
les ''fellaghas” tunisiens pensaient qu'en soulevant le peu
ple algérien, ils réussiraient à rendre l'Algérie indépen
dante. Ben M'Hidi, le chef de la Willaya 5, qui s'étendait sur
l'Oranie avait lancé ses hommes sur des objectifs
modestes. L’important était de frapper les esprits et de
provoquer le soulèvement national.
Tentative décevante. Les fellahs ne firent pas de diffé
rence entre les brigands et les insurgés. Les renseigne
ments qu'ils donnèrent aux forces de l'ordre, qui étaient
d’ailleurs squelettiques, permirent d'en arrêter un certain
nombre. Huit des assaillants de Cassaigne, dont le second
de Ben M'Hidi, Ramdane, furent pris. L’un des derniers de
ces hors-la-loi, Bendani Youssef ould Ahmed, qui s'était
réfugié dans la forêt au nord-est d'Ouiîlis, se rendit à la fin
du mois de décembre.
Les autorités départementales no s'émurent pas trop.
Le préfet Lambert déclara : "Il n'y a l ier: de grave, mais il faut
être vigilant”. Après tout, l'attaque de ia poste d'Oran par
Ahmed ben Bella, quelques années auparavant, avait été
plus spectaculaire et s'était terminée par la capture des
bandits.
Par malheur, le déroulement des opérations dans l’Au-
rès et en Kabylie avait un aspect plus grave.
Fait curieux, la révolte, qui selon certains commenta
teurs politiques métropolitains était due aux abus des
colons et aux humiliations des indigènes naquit et se déve
loppa dans les régions les moins colonisées. Combien y
avait-il de colons européens dans les Aurès et en Kabylie?
En Oranie, l'insurrection fut lente à démarrer, ne sévit pen
dant les premiers mois que dans le bled où la gendarmerie
était notoirement insuffisante et aux dépens des indigènes
auxquels il fallait imposer par tous les moyens -y compris la
terreur - la volonté du mouvement révolutionnaire.
Il ne s’agissait pas de faire une guerre noble comme
celle de Mokrani eh 1871 avec déclaration de guerre,
concentration d'hommes en armes et batailles rangées que
l'armée française, mieux équipée, auraitfini par gagner. Les
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leçons de la guérilla pendant la llcmo guerre mondiale, celles
de la guerre révolutionnaire qui sévissait d'Irlande en Pales
tine avaient été assimilées par les meneurs de la révolte.
Quelques centaines d'hommes armés se dissimulant dans
les cavernes ou les forêts, effectuant de temps en temps un
coup de main, puis rentrant dans leur repaire suffisaient à
gripper la vie d'un arrondissement. Tout cela grossi, magni
fié et exhalté par les radios des pays arabes qui invoquaient,
pour que les Musulmans d'Algérie soutinssent les moudja-
hids, la guerre sainte, le droit des peuples à l'indépendance,
l’injustice de la condition des Musulmans algériens qui
n'étaient que des citoyens de seconde catégorie non seule
ment en face des Français, mais des Juifs et des fils d'étran
gers, l'espoir, pour les fellahs, de reprendre la terre aux
colons. Et, si ces arguments ne portaient pas, il restait, pour
réduire les récalcitrants et impressionner la foule des indé
cis, des timides et des lâches, la terreur.
Il fallait, pour les meneurs, frapper l'imagination des
gens simples, montrer que la France ne pouvait pas proté
ger les siens. Les insurgés s'attaquèrent donc aux agents de
l'administration française, des caïds aux gardes-
champêtres et aux conseillers municipaux. Puis ils s'en
prirent aux travailleurs indigènes qui ne tenaient pas
compte des mots d'ordre de grève et à tous ceux qui refu
saient de payer les impôts révolutionnaires. Le plus souvent
ils entouraient ces "exécutions” d'une mise en scène
macabre qu'on peut attribuer à la férocité de primitifs ou à
un art sadique de la propagande : victimes égorgées ("le
sourire kabyle”), marquées sur la plante des pieds du cachet
de "l'Armée de Libération nationale", comme les bêtes de
l'abattoir, cadavres d'hommes châtrés, le sexe enfoncé
dans la bouche, femmes et parfois fillettes violées avant
d'être tuées, ablation du nez et des lèvres d'hommes qui
avaient fumé et donc acheté du tabac à la régie française.
Ces horreurs faisaient comprendre aux "pieds-noirs” ce
que leur confiaient des musulmans : "Si nous désobéissons
aùx Français, ils nous mettent en prison, mais si nous le
faisons aux hommes de l'A.L.N. ils nous coupent la gorge.
Alors...'*.
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Oran, pendant un certain temps, échappa à cet enfer.
Lorsque l'organisation rebelle ordonna aux Musulmans de
se mettre en grève pour célébrer l’anniversaire du 1er
novembre, son ordre ne fut pas suivi. Inaugurant la Foire
d'Oran, le gouverneur général Soustelle se félicitait de
T'attachement de l’Oranie à la politique d'intégration”.
Ce bon point n'allait plus valoir pour longtemps. Afin de
frapper l'opinion, Boudiaf, successeur de Ben M'Hidi, lança
dans l'Oranie occidentale, notamment à Nedroma, près de
la frontière du Maroc, une vague d'attentats destinées à
montrer que 'TArmée de Libération nationale” était bien
vivante. Le fait que les auteurs de ces attaques fussent en
bonne partie des Marocains venus renforcer les maigres
effectifs de la willaya 5 n'étant pas connu du public, l'effet
cherché put être obtenu.
"En frappant simultanément une dizaine de caïds et
d'agents de renseignements ils (les fellaghas) ont mis fin à
la légende de l'Oranie havre de sécurité”, notait Gilbert
Mathieu dans "le Monde”. Mais le journaliste observait
"Oran qui a eu connaissance seulement hier des attentats
commis à 150 kilomètres de là, conserve son habituelle
tranquillité...".
Quelques semaines plus tard pourtant le terrorisme
urbain y apparaissait. Le 7 février 1956, Philippe Minay
parlait dans le même journal parisien de "quelques gre
nades qui avaient éclaté à Bougie, à Alger ou à Oran”. Mais
l'auteur assurait encore qu'il n'y avait pas eu de terrorisme
urbain anti-européen.
. En revanche, le bled pourrissait. A la mi-février, une
embuscade près deTurenne, non de loin deTlemcen, contre
un convoi militaire français tuait cinq soldats et en blessait
cinq. A 3 kilomètres de Nemours, on trouvait les cadavres de
deux musulmans égorgés pour "trahison” par l'A.L.N. En
automne, l'activité du FLN redoublait. La bombe, placée au
"Milk Bar” d'Alger par Zohra Drif, à une heure d'affluence,
inaugurait la période du grand terrorisme urbain. Quelques
jours après, une grenade était jetée sur une voiture de
police à Oran. A Mostaganem, un attentat analogue tuait un
militaire et blessait dix personnes.
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f
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fellaghas. Si cela continue, les deux communautés finiront
pas s'entretuer".
Les faits justifiaient les craintes de ce musulman fran
cophile. Et ils justifiaient les calculs des meneurs de la
révolte arabe. Ceux-ci savaient bien qu'ils ne pouvaient pas
battre militairement l'armée française. Mais ils espéraient
que, comme la France avait cédé en Tunisie et au Maroc à
l'agitation musulmane et à la pression du Tiers Monde, du
bloc soviétique et à l'attitude réservée des Etats-Unis, sans
parler de la propagande de la gauche française anticolonia
liste, elle finirait par céder aussi en Algérie. Les appels à la
libération des radios arabes, le retentissement de certains
coups de main des katibas de l’A.L.N attiraient les jeunes
Arabo-Berbères. En un certain sens, un conflit de généra
tions opposait les vieillards et les hommes mûrs, notam
ment les anciens combattants, à leurs cadets - ce qui ne
signifie pas qu'il n'y avait pas d'anciens militaires français
parmi les rebelles - à commencer par Ben Bella - ni de
jeunes parmi les fidèles à la France.
Ainsi, la rupture qui se dessinait à la fin de 1956 allait
croître jusqu'aux journées de mai 1958. Il serait fastidieux
de faire la chronique de ces meurtres. Mais il faut en citer
quelques-uns pour faire comprendre l'évolution des esprits.
Le 1er janvier 1957, à Oran, des rafales de mitraillettes
étaient tirées sur des éléments de l'unité territoriale qui
relevaient la garde dans le quartier arabe des Planteurs.
Deux territoriaux étaient tués, trois blessés. Plusieurs
attentats avaient lieu dans le département.
Le 4 janvier, un sabotage de la voie ferrée causait le
déraillement du train omnibus Oran-Relizane, à 12 kilomè
tres de l'Hillil. Les guerriers de l'A.L.N mitraillaient les voya
geurs sans défense. On relevait six cadavres : ceux de deux
hommes, de trois femmes, dont deux avaient été violées
puis éventrées et d'un enfant de douze ans. Le 24 janvier,
un sabotage provoquait le déraillement du train d'Oran à
Alger.
Le 4 février, à Nédroma, l'explosion de deux bombes
; causait la mort de sept Israélites dont deux fillettes et un
l
garçonnet. Le 1 8 mars, le curé de Saint Aimé était mortelle-
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ment blessé près d'Ammi Moussa. Plus heureux que lui, le
vicaire de la paroisse de Sainte Marcienne, à Mostaganem
n’était que blessé par un terroriste.
A la mi-avril, une bande d'insurgés attaquait la ferme
Saint Jacques à Sidi Mamoun et massacrait les époux
Favier, âgés respectivement de 75 et 70 ans.
Le commandement de la "Willaya cinq” était passé dans
les mains de Houari Boumediene, qui, tout en poursuivant
les coups de main dans le bled, entreprit de frapper la
population des villes. Les attentats à la grenade y devinrent
monnaie courante.
Le 2 juillet, par exemple, une grenade jetée dans la rue
blessait neuf personnes, le 28 septembre, une grenade
lancée dans un bar du quartier juif, où l'on fêtait le nouvel an
Israélite, faisait neuf blessés dont trois grièvement. Deux
heures plus tard,, un car était mitraillé sur la route de La
Sénia; deux passagers étaient blessés; puis une auto de 2 cv
était attaquée dans les mêmes parages. Une fillette était
blessée aux jambes.
Le 30 du même mois, à Mostaganem, une grenade-
lancée dans une baraque foraine frappait dix-huit per
sonnes, dont plusieurs enfants.
Le 1cr octobre, le premier attentat sur la corniche avait
lieu. Un autocar civil était mitraillé. Un passager, Antoine
Bernabeu, était tué.
A la fin du mois de décembre, encore dans le quartier
juif, une grenade lancée dans le bar "Le Claridge”, près du
Théâtre d'Oran, tuaitje gardien de la paix Charles Dray et
blessait cinq consommateurs israélites.
Ces attentats ne faisaient pas trembler sur ses fonda
tions l'édifice.de l'Algérie française. Mais ils étaient un des
facteurs d'inquiétude de la population. Les Français d'Algé
rie ne comprenaient pas que certains secteurs de l'opinion
métropolitaine se montrassent solidaires des "fellaghas”.
Pendant la guerre de 1914-18 une caricature de Forain,
devenue célèbre, montrait des "poilus” disant à propos des
civils de l'arrière "Pourvu qu'ils tiennent”. Les "pieds-
noirs” pouvaient se poser la même question à propos des
métropolitains. Au nom des grands principes et de l'assimi-
19
lation, plus qu'approximative, de l’occupation allemande
pendant la llo,no guerre mondiale à la domination française
en Algérie ne les sacrifieraient-ils pas ? Les campagnes de
beaucoup de journaux parisiens, les déclarations des
"grands intellectuels" comme Mauriac et Sartre consti
tuaient des signes préoccupants. Et enfin la pression des
puissances étrangères. Tout cela faisait souhaiter qu’un
gouvernement fort, capable de tenir tête à l'étranger et de
réduire à l'impuissance les "traîtres" de l'intérieur, se
constituât avec l'appui de l'armée, de cette armée qui avait
su gagner la bataille d’Alger sur les terroristes du F.L.N.
C'est cet état d'esprit qui explique l'enthousiasme que
soulevèrent les journées de Mai 1958 à Alger. Bien que le
général Réthoré ait été réticent et que le maire Fouques-
Duparc, à la fois gaulliste et ex-collaborateur de Pierre
Mendès-France, ait paru flotter, un mouvement analogue à
celui d'Alger suivit le mouvement de la capitale. Chose
curieuse : le préfet Lambert qui était populaire chez les
Européens ayant déclaré qu'il restait fidèle à la République
fut expulsé et quelque peu malmené par ;a foule. Un Comité
de Salut public fut formé puis remanié après la visite du
colonel Trinquier, envoyé du générai Salan. Et Oran put
célébrer dans l’enthousiasme l'arrivé au pouvoir du Sau
veur, le général de Gaulle.
Il y avait déjà dans l'Histoire de France une "Journée
des dupes" mais les bévues du 11 novembre 1630 ne sont
rien auprès de l'erreur colossale des civils algérois (puis
algériens) et des militaires français qui, pour sauver l'Algé
rie française, rappelèrent au pouvoir l'homme qui devait la
liquider.
Pour de Gaulle et son clan, le soulèvement algérien
n'était qu'un prétexte pour reprendre le pouvoir que le
général avait abandonné imprudemment en 1946etqu'ilne
pouvait pas reconquérir par le jeu des urnes. Pendant son
séjour à Colombey-les-deux-églises, il avait parlé de l'Algé
rie à ses interlocuteurs, mais ses propos variaient selon
ceux-ci. Le 3 octobre 1956, il disait au prince héritier maro
cain Hassan :
"L'Algérie, mais elle est indépendante, qu'on le veuille
20
!
!'
!•
(1) Claude Paillai - Vingt ans qui déchirèrent la France.. T.U La liquidation.
P.385.
(2) ID. p. 459.
21
H.
était égorgé. Un agriculteur de Mascara, Antoine Sala, était
tué sur le pas de sa porte.
Ces attentats signifiaient que les insurgés étaient réso
lus à empêcher coûte que coûte la fraternisation qui, spon
tanée ou dirigée par les services psychologiques de l'armée,
s'était produite au Forum d'Alger d'abord, puis dans la plu
part des villes algériennes. Lasses de la "guerre révolution
naire" et de ses crimes quotidiens, les deux communautés
manifestaient le désir de retrouver la paix. La consolidation
de cet état d'âme eût amené la débâcle du F.L.N. C'est
pourquoi ses chefs, installés à l'étranger, qui avaient, en
réponse au 13 mai formé un gouvernement provisoire pré
sidé par le vétéran Ferhat Abbas, appelèrent la population
algérienne à boycotter le référendum sur la nouvelle consti
tution de la République-française. Si, en effet, la population
répondait à l'appel du gouvernement par un "oui" massif,
elle se prononçait pour le caractère français de l'Algérie. On
comprend dès lors l'intensité de la bataille de propagande
que se livrèrent l'armée française d'une part et de l'autre
l'appareil clandestin du F.L.N., qui employait la propagande
de bouche à oreille, y compris les menaces aux indigènes
qui oseraient voter, et les assassinats exemplaires.
Or, malgré cette pression, 3.350.000 électeurs sur
3.500.000 votèrent le 28 septembre. Que dans le bled la
pression des officiers ait joué est plus que probable. Mais,
dans les villes, où le contrôle des autorités ne pouvait pas
jouer, les résultats étaient éloquents. A Alger, on dénom
brait 586.000 oui contre 26.000 non. A Oran, l'avantage
des réponses favorables était encore plus écrasant :
140.000 oui contre 4.500 non (1 ). Les militaires, les pieds-
noirs et les musulmans francophiles ou ralliés au plus fort
avaient le droit de croire qu'après cette victoire, l’avenir de
l'Algérie française était assuré.
(1) Les élections législatives, faites pour la première fois selon la formule du
collège unique, confirmèrent ces résultats.
22
En fait, ils entraient dans la voie qui de déception en
déception allait les mener au désespoir et à la révolte.
Car, devenu président de la République, le général de
Gaulle allait d'abord séparer les officiers des Comités de
Salut public, puis éloigner d’Algérie les militaires du 1 3 mai
qu'il remplaça par des hommes sûrs. Par un jeu de déclara
tions savamment graduées, il prépara ensuite l'opinion
publique à mettre fin à une entreprise coûteuse et san
glante, qu'il présentait comme condamnée à recommencer
si la paix s'établissait cette fois. Il passa ainsi de la "paix des
braves" (23 octobre 1958) au droit à l'autodétermination
(16 septembre 1959) (1), à "l'Algérie algérienne" (5 mars
1960) et à l'institution d’un "Etat algérien souverain et
indépendant par la voie de l'autodétermination" (2 octobre
1961) .
Chacune de ces étapes détermina une modification
sensible du climat psychologique des communautés. La
démoralisation des sympathisants du F.L.N., nette à la fin du
mois de mai 1958, tendit à diminuer. Les combattants de
l'ALN reprirent leurs attentats. Le 30 décembre, par exem
ple, le fils et le frère du bachagha Boualam, un des plus
fidèles serviteurs de la France, furent tués dans une embus
cade, près d’Orléansvilles. La masse musulmane revint
alors à l’attentisme. A quoi bon s'exposer ou exposer les
siens à de terribles représailles si le gouvernement français
s'entendait avec le G.P.R.A. et lui donnait l'autonomie ou
l'indépendance ?
Chez les Français d'Algérie, au contraire, les premières
mesures du président de la République surprirent, déçu
rent, puis indignèrent. Les "pieds-noirs" se demandaient
comment de Gaulle pouvait traiter en adversaires loyaux
des égorgeurs, des profanateurs de cadavres. Que signifiait
l'adoucissement de la captivité de Ben Bella, qui avait une
23
condamnation de droit commun pour le "hold-up" à la poste
d’Oran ? Et la libération de terroristes que l'armée avait mis
dans des camps de concentration dont on ouvrait mainte
nant les portes ? Et qu’était-ce que cette "Algérie algé
rienne" qui démentait tout ce que les gouvernements
français successifs avaient dit depuis plus d’un siècle et ce
que de Gaulle lui-même avait proclamé à Mostaganem ? Il
devenait évident qu’en contribuant à rappeler au pouvoir
"l'homme du 18 juin" les Français d'Algérie avaient pré
paré leur perte. De là venaient leur indignation et leur
colère.
Cette colère détermina la demi-insurrection des Barri
cades d'Alger (janvier 1961). Son échec montra que l'ar
mée, elle, ne se soulèverait pas contre le gouvernement
légal. Dès lors, les jeux étaient faits. La situation s'aggrava.
Les opérations menées par le général Challe avaient décimé
les katibas algériennes. Les insurgés étaient donc revenusà
la guerre subversive dans les villes. Les stratèges de l’ALN
calculaient que les attentats qui se succéderaient provo
queraient tôt ou tard la réaction des parents et des amisdes
victimes qui frapperaient à leur tour aveuglément. Ainsi se
consommerait la séparation, irrémédiable cette fois, des
musulmans et des "roumis".
En feuilletant la collection de l'Echo d'Oran on trouve
presque chaque jour le compte rendu d'attentats plus ou
moins sanglants. L'année 1960 s'était ouverte sur un atten
tat à Sidi Bel Abbés qui tua six civils et en blessa 43.
Bien d'autres suivirent. Les invitations de de Gaulle à
laisser les couteaux au vestiaire ne s'étendaient pas aux
engins explosifs. Le 6 juin, une grenade était lancée dans
une salle de bal d'Oran, où une centaine de personnes
fêtaient un mariage. Bilan : 43 blessés, dont 18 enfants.
L'un des exécutants de cette opération, Tayeb Khalifa,
avait déjà assassiné un candidat aux élections cantonales,
M. Mekki, cousin d'un député d'Oran.
Le 16 septembre, une bombe était lancée sur les
gradins du cirque théâtre "Montecarlo" de Mostaganem.
On relevait quatre morts et une cinquantaine de blessés,
dont une fillette de sept ans et un enfant de trois ans. Une
24
semaine plus tard, à Oran, une grenade lancée au faubourg
Bastié blessait neuf personnes. A Pérrégaux, deux gre
nades explosaient dans la rue principale, tuant deux jeunes
gens et blessant 27 personnes (1).
Les gens vivaient ou s'efforçaient de vivre à peu près
normalement au milieu de ces crimes. Si l'on n'était pas
directement témoin d'un attentat, si un meurtre ne frappait
pas un parent ou un ami du lecteur du journal qui le relatait,
celui-ci s'indignait, puis passait à un autre article. On se
blase de crimes comme de tout. Certains faits particulière
ment horribles produisaient cependant une impression trop
profonde pour s'effacer. Tel fut l'assassinat de la famille
Kyricos.
Le lendemain de la mort du sultan du Maroc, Moham
med V, les Musulmans avaient tenu à manifester leur peine
en observant une journée de deuil. Les boutiques étaient
fermées et les ouvriers et les employés ne s'étaient pas
rendus au travail. Pour honorer la mémoire du champion de
l'indépendance marocaine, une bande d'environ deux cent
personnes se forma et se tint à la limite du quartier arabe.
Ses membres commençèrent par attaquer un brigadier de
police, Antoine Martinez. Blessé, celui-ci put leur échapper.
Mais les émeutiers continuèrent leur jeu en lançant des
pierres sur les autos d'Européens qui passaient. L'une
d’elles, une Aronde, conduite par M. Georges Vesque, et où
étaient le boulanger Kyricos, sa femme et Mme Segura fut
attaquée par eux et renversée. Le conducteur put s'échap
per. Les trois passagers demeurèrent dans la voiture qui fut
arrosée d'essence et flamba. Des occupants, il ne resta que
des cadavres calcinés .
Qu'à cette nouvelle, une explosion de colère ait secoué
la ville est d'autant plus naturel que d'autres Européens, M.
Légion et M. Karouby, furent assassinés le même jour dans
d’autres quartiers. Craignant des troubles, les autorités pla
cèrent les parachutistes à la limite des villes des deux com
munautés. Mais, après l'enterrement de M. Karouby et de
Mme Kyricos, où se réunirent plusieurs milliers de per-
(1) Trois des assassins furent condamnés à mort, gardés en prison et mis en
liberté en vertu des accords d'Evian.
25
F
26
des années les généraux successifs qui avaient commandé
en Algérie, elle les abandonnerait. Le soulèvement d'Alger,
réussi sans difficulté, annonçait, pour la population le sou
lèvement général qui, comme en mai 1958, provoquerait un
changement de gouvernement à Paris. L'enthousiasme se
déchaîna. La ville pavoisa. La joie atteignit son paroxysme
quand des détachements de la Légion, musique en tête,
apparurent dans les rues d'Oran.
En fait, c'était une nouvelle journée des dupes. Le
général de Pouilly, commandant le corps d'armée d'Oran,
refusa de se joindre à un mouvement au succès duquel il ne
croyait pas. Il se rendit à Alger où Challe le fit arrêter. Mais le
colonel Brothier, commandant du 1er Régiment étranger, ne
voulut pas aller plus loin. ATIemcen, le général restait fidèle
au gouvernement. D'autres chefs militaires dans toute l'Al
gérie l'imitaient. Tardivement, Challe pensa armer les
anciennes unités territoriales formées d'Algériens, puis il
décida d'abandonner une partie qui, en face de l'intransi
geance de de Gaulle (mais ne l'avait-il pas prévue ?), de
l'opportunisme de la plupart de ses anciens subordonnés -
sans parler des soldats du contingent qui réclamaient "la
quille" -s'annonçait très difficile. L'échec du soulèvement
militaire allait permettre au général de Gaulle de procéder à
une épuration de grand style en Algérie. Une vague d’arres
tations et de mutations dans l'armée et l'administration
éliminèrent’ de celles-ci la plupart des éléments qui
condamnaient la politique du président de la République.
Celui-ci sortait renforcé de l'épreuve.
Pour les Français d'Algérie qui avaient vécu trois jours
d'espoir la déconvenue était effroyable. De nouveau le
dilemme "la valise ou le cercueil" apparaissait devant eux,
comme le "Mané, thecel, pharès" de la Bible.
Quant aux musulmans, ils savaient désormais qui
gagneraient la guerre. A plus ou moins bref délai, le GPRA
allait imposer sa volonté. Il n'y avait plus qu'à se rallier à lui. i
Certains pensaient qu'il serait bon de se signaler aux yeux
des vainqueurs par quelque coup d'éclat exécuté aux
dépens des "pieds-noirs". D'autres, qui avaient des !
comptes à régler avec les Européens se disposaient à pren-
27
dre leur revanche. Un redoublement de terrorisme devait en
découler.
Pendant le putsch, on avait découvert dans les bureaux
du général de Pouilly une note du 22 mars du premier
ministre annonçant que le gouvernement envisageait un
cessez-le-feu unilatéral de l’armée française. Dévoilées,
ces instructions avaient fait l'effet d'une véritable trahison.
De fait, à l'ouverture de la Conférence d'Evian, M. Joxe
annonça aux délégués du GPRA cette trêve, en même
temps que la libération de 6.000 internés presque tous
musulmans, membres ou complices du FLN. Ces attentions
n'auendrirent pas les négociateurs algériens qui, ne dou
tant plus de leur succès, ne voulurent rien concéder. Mais
elles favorisèrent grandement l'action des katibas dans le
bled et des terroristes dans les villes. L'Echo d'Oran que
dirigeait le député libéral Pierre Laffont, qui suivait une
ligne modérée, constatait le 30 mai :
"Au bilan positif de l’action française, le FLN ne peut
opposer qu'un bilan criminel et tragique. En une semaine,
dans l'ensemble de l'Algérie, 113 attentais ont fait 85 morts
(62 musulmans, 20 militaires, 3 européens), 4 disparus et
121 blessés (70 musulmans).
Le colonel Bernard Moinet écrit que 450 européens ont
été assassinés dans le dernier semestre de 1961 (1).
Dans ces conditions, comment les Français d'Algérie
qui se jugeaient trahis par le gouvernement métropolitain,
abandonnés par leurs compatriotes de la métropole, brimés
par la police - CRS et gendarmes mobiles - qui leur montrait
une hostilité que tous les témoins ont dénoncée,
n'auraient-ils pas finalement décidé de se défendre eux-
mêmes et de venger leurs morts ?
L'heure de l'OAS sonnait.
28
III LES DERNIERS COMBATS
29
"...Jean-Marie Micheletti, fils d'un industriel, vient
proposer à Pancho des/possibilités en cheddite et un
concours financier. Charles Micheletti, son père, a de nom-
• breuses relations dans le monde des affaires, tandis que
Pancho, joueur de football renommé, est introduit dans tous
les milieux sportifs. Ils vont pouvoir structurer l'OAS avec
des hommes qui n'ont pas encore milité ouvertement. Ce
sera la grande force de l'O.A.S. oranaise de comprendre
beaucoup d'anonymes que la police ignorera, malgré ses
recherches actives. En outre, hors de tout soupçon, ces
hommes pourront circuler librement en ville. La mise sur
pied du mouvement en sera largement facilitée" (1).
Le général Johaud, oranien lui-même (son village
natal, Bou-Sfer, n’était qu'à quelques kilomètres d'Oran)
vint à la fin du mois d'août prendre le commandement de
l'organisation de résistance de l'Algérie de l'Ouest.
Le terrorisme y régnait plus que jamais. Au mois de
mai, Pierre Laffont,le député d'Oran campagne, propriétaire
de l'Echo d'Oran, qui, en bon métropolitain qu'il était, ne
comprenait pas toujours les réactions de ses électeurs et de
ses lecteurs (2) renonçait à son mandat, étant donné que
"seuls les extrémistes des deux bords sont écoutés" "la
passion triomphe" (3) notait-il tristement.
De fait, le sang coulait beaucoup. L'exaspération de la
foule se traduisait par des réactions furieuses, venant en
général de jeunes gens qui se laissaient entraîner par la
colère à jouer le rôle de justiciers improvisés. Le 5 juillet,
après les obsèques d'une petite Européenne assassinée
dans des conditions atroces, des Européens attaquèrent des
"Arabes" qui passaient en auto. Le 28 août, au cours de
30
l'enterrement de Michel Renault, tué l'avant veille dans la
ville arabe, on apprit qu'un jeune homme, Edouard Sanchez
avait été abattu quand il se rendait à son travail. Des bandes
d'Européens pillèrent alors des boutiques de Musulmans,
attaquèrent des "Arabes" qui voyageaient dans un autobus.
A la fin de la journée, on comptait 6 morts, 38 blessés, 1 6
arrestations. Le 30 août les musulmans lançaient un mot
d’ordre de grève. L'OAS alertait ses hommes. De nouvelles
bagarres eurent lieu, 5 musulmans furent tués et il y eut 31
blessés entre les deux camps.
En septembre, les commandos arabes s'en prenaient
aux juifs qui fêtaient leur nouvelle année. Le 10, un de leurs
membres poignardait un coiffeur isréalite, Henri Schroun.
Le 12, des musulmans qui faisaient une descente dans le
quartier juif, pillaient une boutique de la rue de la Révolu
tion. Les Israélites contre-attaquaient. On relevait 2 morts
et 4 blessés musulmans contre 6 blessés israélites.
• Le week-end des 25 et 26 novembre voyait l’assassinat
de Michel Carot dans la cité du Petit Lac et de Jean Rivars
dans le quartier de la Marine. Les Européens lynchaient des
musulmans qui voyageaient dans un trolleybus. A 10 kilo
mètres d’Oran, sur la route de Misserghin, on découvrait les
cadavres de deux Européens. Leur enterrement donnait lieu
à de nouvelles représailles : deux musulmans étaient tués
et 12 blessés.
Ces "ratonnades" n'étaient pas, à coup sûr, ce que les
généraux de l'OAS avaient souhaité. Persuadés que beau
coup de Musulmans, à l'instar du bachagha Boualam et des
harkis restaient fidèles à la France, ils voulaient raviver
l'esprit du 13 mai et opposer au gouvernement de Paris un
front du refus composé de militaires, de pieds-noirs et de
Musulmans. Or, chaque meurtre d’un passager d'autobus
ou d'un passant arabe dans la ville française rendait plus
difficile l'entente franco-musulmane. Mais, si une cer
taine discipline pouvait être imposée aux membres des
"collines" (1 ), il n'en était pas de même d’une foule rendue
(1} Nom des commandos de l'OAS à Oran. Ceux d'Alger se nommaient "deltas".
31
enragée par six ans d’attentats contre les siens que corsait
un nouveau meurtre. Dans cet état d'exaspération, tout
"Arabe” était un meurtrier en puissance qu'on pouvait tuer
avant qu’il ne tue. Henri Martinez cite le cas d’un père dont
l’enfant avait été assassiné par un Arabe et qui, depuis, tuait
les musulmans qu’il rencontrait en clamant que l’homme
abattu était le meurtrier de son fils. En septembre 1961, il
en avait tué une trentaine (1).
Le général Jouhaud rappela, au cours de son procès - et
ses accusateurs en convinrent - qu'il avait fait distribuer des
tracts de l'OAS condamnant et interdisant "les raton
nades”. Henri Martinez précise qu'à partir de janvier 1962
son commando avait l'ordre d’exécuter tout terroriste, quel
qu'il fût. Mais on n'impose pas une discipline à une popula
tion en proie à une sorte de fièvre obsidionale comme à des
troupes enrégimentées et encadrées.
En revanche, les actions de propagande destinées à
montrer que l'organisation existait bien *t qu'elle était sui
vie par la population avaient un vif succès. Les "concertsde
casseroles”, les pavoisements où l'on arborait les ori
flammes de l'OAS, les arrêts de circulation étaient exécutés
quasi unanimement. La destruction d’un transformateur
interrompait, le 2 octobre, l'allocution du président de la
République qui annonçait une nouvelle étape du glissement
vers l'Algérie du FLN. A sa place, les Oranais écoutaient le
général Jouhaud leur prêcher la résistance.
32
L'OAS pouvait donc compter sur la complicité de la
majeure partie de la population européenne. Les postiers lui
communiquaient les renseignements qu'ils prenaient au
passage et branchaient une table d'écoute permettant
d'écouter les communications des autorités (1), les
employés de l'E.G.A. aidaient à intercepter les messages de
de Gaulle.
Des officiers, “Laure" pour ('Armée de terre et
"Bataille" pour la Marine, entre autres, "multiplièrent les
antennes qui permirent (au général Jouhaud) de connaître
en détail l'activité de l'armée" (2).
De combien de combattants disposait-il ?
"On ne sait pas combien de groupes de guérilleros
("collines") furent mis sur pied, ni combien d'hommes ils
rassemblaient. Henri Martinez donne quelques indications
intéressantes. En octobre 1961, son groupe (le groupe 5,
commandé par un officier dissident revenu d'Espagne où il
s'était rendu après l’échec du putsch des généraux, qu'il
nomme "capitaine", comprenait dix hommes dont le pins
âgé avait 27 ans et le plus jeune 18. Cinq d'entre eux
n'avaient pas fait de service militaire. “Capitaine" estimait
qu'il y avait alors une dizaine de groupes, soit une centaine
d'hommes. Il ne pensait pas que l'OAS pourrait rassembler
plus de 300 hommes. En dehors de quelques légionnaires
en rupture de caserne, il s'agissait de garçons du pays.
Henri Martinez dit que dans son groupe, recruté dans les
quartiers de l'Ouest de la ville, c'est-à-dire des quartiers
populaires il y avait trois juifs, les autres ayant un type
méditerranéen, de ces gens dont de Gaulle disait au journa
liste Raymond Tournoux que “ce n'étaient pas des Fran
çais", mais que la République française sait fort bien
envoyer au front.
De son côté, le capitaine Moinet, notant dans son jour
nal comment l'OAS avait occupé la poste centrale d'Oran,
écrivait : “le conducteur de la camionette s'appelait Lucien
33
et était infirmier civil à l'hôpital d'Oran, l'homme qui l'ac
compagnait était boucher au quartier Miramar, les petits
boutiquiers du quartier de Saint Pierre avaient assuré la
surveillance périphérique et Saint Eugène avait fourni les
hommes du groupe d'action directe''.
Et surtout, ces forces relativement faibles pouvaient
compter sur la complicité de l'immense majorité de la popu
lation européenne, condition essentielle de la guérilla
urbaine.
Quant aux adversaires, gaullistes, communistes et
membres du FLN, l’OAS employait contre eux, l'intimidation
des plasticages et, quand ils étaient dangereux, l'élimina
tion de ce monde que, suivant le camp auquel on appartient,
on appelle ''exécution'' ou ''assassinat”. Cela a valu aux
derniers défenseurs de l'Algérie française d'être taxés de
criminels par la propagande adverse que diffusaient la télé
vision et la radio de l'Etat ainsi que la grande majorité de la
presse métropolitaine.
A la fin de 1961, un tract de l'OAS demandant aux
Oranais, de ne pas se laisser entraîner aux "ratonnades''
exposait qu’elle avait "exécuté” des chefs FLN et des com
munistes (22 dont 3 européens) (1 ). Le FLN tuait beaucoup
plus. La guerre subversive ne fait pas de sentiment. Tous
pouvaient d'ailleurs invoquer le précédent de la Résistance.
Comme devaient le dire dans leurs plaidoiries, les avocats
des chefs de l'OAS devant le hautTribunal qui les jugeait, le
général de Gaulle était mal venu de condamner les géné
raux qui s’étaient révoltés, quand, en juin 1940, il leuravait
donné l'exemple de la révolte contre un pouvoir légal qu'il
jugeait néfaste au pays. Et la Résistance n'avait pas craint
de verser le sang des "mauvais Français” qui la combat
taient pour le régime de Vichy. Après la guerre on avait
exallé par les reportages, les mémoires, les films et les
romans, les déraillements des trains, les jets de bombes ou
de grenades et les exécutions individuelles. C'était pour une
cause sacrée, disaient les métropolitains; mais pour les
34
Français d'Algérie, vouloir conserver l'Algérie à la France
était tout aussi sacré. Il ne leur manqua que le succès qui
justifie tout, du moins en ce bas monde.
La situation était curieuse à la veille des fêtes de fin
d'année. Le majestueux décor de l'administration subsis
tait. Il y avait un igame, un préfet, un préfet de police, des
généraux aux manches ornées d'un nombre variable
d'étoiles, des régiments et des cohortes de CRS, de gen
darmes, de gendarmes mobiles et de policiers en civil. Le
parti gaulliste renforça même ceux-ci en envoyant des poli
ciers amateurs, recrutés Dieu sait où, prêts à toutes les
besognes, qu'on appela les "barbouzes". Mais la ville arabe
obéissait au FLN et la cité européenne à l'OAS. Tout au plus,
les "Forces de l'Ordre" servaient à contrôler plus ou moins
la frontière des deux zones et à intervenir quand il y avait
trop de "casse" entre les activistes des deux communautés.
Mais l'état d'esprit de ces agents de l'ordre avait varié
depuis le commencement de la guerre d'Algérie. Pendant
de longues années, ceux-ci, en partie recrutés sur place et
témoins des actes barbares des insurgés, avaient sympa
thisé avec la population européenne. A partir du moment où
celle-ci était entrée en lutte contre la politique de de Gaulle,
le Président avait épuré la police comme l'armée. On avait
envoyé dans la métropole des suspects et on les avait rem
placés par des métropolitains qu'on avait dûment préparés
à dresser les insupportables contestataires d'Algérie. La
propagande de l'OAS et la jubilation que provoquaient l'in
terruption des discours de de Gaulle et les harangues de
Jouhaud, de Salan ou de Gardy ne pouvaient qu’irriter les
"défenseurs de l’ordre républicain".
Un grave incident révéla cet état d'esprit, le 29 décem
bre 1961. De Gaulle devait prononcer son allocution de fin
d'année. L'OAS fit sauter les studios de la Télévision, Cité
Perret. Sur son ordre, les magasins avaient été fermés et les
lumières éteintes àl'heure où le président devait parler.
Mais, à la place du discours solennel du président, la radio
"pirate” transmit une imitation de celui-ci par le chanson
nier Henri Tisot. Cette blague déclencha une série de mani
festations en faveur de l’Algérie française. Elle exaspéra
35
des soldats du contingent. Des zouaves de faction devant la
caserne Saint Philippe tirèrent sur des manifestants et tuè
rent deux Israélites, Alain et Roger Bendaoud et un jeune
marin originaire de Beni-Saf, Julien Agullo. La mort de trois
jeunes hommes dans l'Algérie de 1961 ne dépassait pas le
stade du fait divers. On étendit sur elle un voile pudique. Elle
confirmait cependant l'hostilité qui s’acroissait, des jeunes
métropolitains tenus à servir en Algérie, à l'égard des
''pieds-noirs''. Dans ces conditions, le rêve de faire basculer
l’Armée dans le camp de l'Algérie française était bien fra
gile. Des officiers de cœur avec les généraux rebelles, il y en
avait, certes, mais quelles chances avaient-ils d’entraîner
leurs soldats ? Et, chez les militaires fidèles au régime, des
faits comme l'attentat mortel commis contre le chef du 2cme
Bureau à Oran, le colonel Rançon, qui prenait part à la lutte
contre l'OAS, devaient renforcer leur hostilité contre cette
organisation.
Du Rocher Noir, cette cité artificielle, où s'étaient réfu
giés les services officiels pour se mettre à l'abri des coups de
main possibles des Algérois, le Délégué général Morin
annonçait que les Forces de l'Ordre allaient être renforcées.
De Gaulle qui s'identifiait à l'Etat, après s'être identifié à la
France, sous l'œil ironique du président Franklin D. Roose
velt, entendait bien avoir le dernier mot dans sa lutte contre
des gens qu'il ne considérait même pas comme Français.
En attendant, ni les policiers en uniforme, ni leurs collè
gues en bourgeois n'arrivaient à empêcher les attentats de
suivre leur train.
Le 3 janvier 1962, par exemple, les assassinats com
mençaient de bon matin. A 7 heures. Pedro Guerra étaittué,
Boulevard Joffre. A peu près à la même heure, un employé
de l'hôpital Baudens était blessé, rue de Gênes, lorsqu'il
allait à son travail. A 8 heures, on trouvait le cadavre de M.
Kress qui avait été poignardé à Gambetta. Au milieu de la
matinée, un Israélite de 71 ans était blessé au quartier juif.
Une jeune femme enceinte Israélite, Mme Karsenty était
tuée. Cité Petit, le matelassier François Cortès était blessé
d'un coup de couteau.
De leur côté, des Européens lynchaient des Musulmans
36
I
pris pour des terroristes. A la fin de la journée, on établissait
le bilan quotidien : seize morts, dont six européens.
Les journaux signalaient le lendemain que les Musul
mans qui habitaient la ville européenne la quittaient parce
qu'ils ne s'y sentaient plus en sûreté. Le FLN atteignait son
but : le fossé entre les deux communautés s'élargissait.
Naturellement, les raids de tueurs continuaient. Trop
souvent leurs victimes étaient incapables de se défendre.
On le voit en lisant l'âge de celles-ci : Joseph Junco, 68 ans,
tué à coups de hache le 2 janvier 1 962, Gabriel Ennin, 15
ans {5 janvier), Dominique Rossi, 66 ans, Antoine Exposito,
76 ans, Emile Davo, 66 ans (21 janvier). Et, le 1er mars, la
femme du concierge du stade de Mers-el-Kebir, Rosette
Ortega et ses deux enfants, André, âgé de quatre ans et
Sylvette, cinq ans. La mère fut tuée à coups de hache et les
enfants eurent le crâne brisé contre le mur. Selon, le com
muniqué donné à la presse oranaise, trois ries assassins
furent tués par les policiers. Les meurtriers étaient-ils dro
gués ou rendus fous par la vue du sang ? ou pensaient ils se
faire admirer de leurs chefs et de leurs camarades en se
montrant féroces envers des colonialistes ? (1).
Cette fois pourtant, le crime était trop répugnant. Non
seulement des milliers d'Oranais et de Kebiriens accompa
gnèrent au cimetière les corps sans vie des victimes, mais
des Musulmans demandèrent au maire de Mers-el-Kébir,
Janvier Ferrara, de manifester solennellement leur répro
bation. Environ sept mille personnes formèrent un cortège
où les Musulmans, anciens combattants et jeunes gens
mêlés, étaient les plus nombreux, et défilèrent derrière des
drapeaux tricolores. Ainsi, à quelques jours de la conclusion
des pourparlers d’Evian, des membres des deux commu
nautés avaient le courage de manifester leur solidarité. En
d'autre temps, les organes d'information français auraient
donné un grand relief à cette manifestation. Ils la mention-
37
nèrent discrètement. La consigne était déjà à la liquidation.
Cette liquidation fut scellée le 18 mars à Evian. Le
lendemain, le cessez-le-feu que l'armée française observait
depuis de longs mois, était proclamé. Les terroristes algé
riens remis en liberté, pouvaient triompher, mais ils pou
vaient aussi se venger des mois qu'ils avaient passé dans
des camps de concentration et des traitements auxquels ils
avaient été soumis pendant les heures chaudes de la
répression. Ils ne s’en privèrent pas.
Chez les pieds-noirs, au contraire, le désespoir de voir
ce de Gaulle qu'ils avaient contribué à faire sortir de sa
retraite morose livrer, contrairement à ses assurances, leur
pays, non à des soldats victorieux, mais à des terroristes, les
rendait furieux. Ils auraient pu, comme le leur conseillaient
les bons apôtres du Rocher Noir, faire confiance aux signa
taires d'Evian. Mais quelle confiance accorder à des gens
qui depuis sept ans avaient fondé leur tactique sur la terreur
et le meurtre ? Beaucoup d'Oranais avaient un parent,
proche ou lointain ou un ami qui étaient tombés sous les
coups d'un tueur arabe ou qui avaient disparu sans qu'on
sût jamais ce qui leur était advenu. Comment auraient-ils
pu accepter de tomber sous la coupe des ces ex-”fellaghas"
devenus par la grâce de de Gaulle, de Pompidou, de Joxe et
de Broglie d'honorables hommes d'état ?
Il ne leur restait donc plus qu'à se battre en désespérés
avec les quelques militaires français qui, ayant multiplié
leurs garanties aux Arabes loyalistes et aux pieds-noirs,
refusaient de se plier aux reniements de de Gaulle et cher
chaient à déclencher un sursaut chez leurs compagnons
d'armes qui hésitaient encore entre le dogme de l'obéis
sance à leurs supérieurs et le dégoût du parjure de ceux-ci.
Le général Jouhaud assure qu'au moment de son arresta
tion et de celle de Salan des conversations se tenaient avec
des colonels de régiments qui étaient prêts à se soulever
pour défendre des "plateformes” européennes. Des "acci
dents” policiers, difficilement évitables quand le gouverne
ment avait envoyé des renforts de police massifs firent
échouer ce plan. Mais, au moment de franchir le Rubicon
ces unités auraient-elles marché ? Et auraient-elles pu
■ 38
entraîner une armée dont les cadres supérieurs étaient
constitués par les fidèles du général de Gaulle ou par des
arrivistes prêts à beaucoup de compromissions pour ajouter
une étoile à leur képi ?
On ne sait pas à laquelle de ces catégories apparte
naient le général Joseph Katz qui succéda au général
Fritsch, à la tête du secteur autonome d'Oran. Ce dernier ne
voulant pas faire une besogne de policier s'en alla moins
d’un mois après son arrivée.
Son successeur n'eut pas de tels scrupules.
Quand il n'était que colonel dans le Sud-algérien, il
avait fait rudement la guerre aux insurgés musulmans. Il
avait gagné la réputation d’un beau soldat, d'une humeur
parfois étrange, selon Claude Paillat... Au moment du 13
mai, il avait carrément pris parti pour les généraux d’Alger.
Au procès du général Salan, Me Tixier-Vignancour lut la
proclamation qu'il avait faite le 28 mai 1958.
"Cette colère légitime, disait l'auteur, est la réponse à
ceux qui pourraient croire en France et à l'Etranger que
l'Algérie et le Sahara accepteraient d'être séparés de la
patrie.
"L'Armée que je représente n'aurait jamais permis que
l'Algérie et le Sahara fussent abandonnés. Derrière ses
chefs, le général de Crévecœur et le général Salan, elle
reste à vos côtés, habitants du M'zab, et aux côtés des
populations de l'Algérie et du Sahara unanimes, derrière
leurs Comités de Salut Public, pour que l'Algérie et le
Sahara demeurent à jamais Français".
Mais le vent avait changé. Devenu général, Katz se
prononçait en mai 1961 à Perpignan pour la thèse gaul
lienne : "L’Armée a parfaitement rempli sa mission en Algé
rie, annonçait-il. Elle la remplira jusqu'au bout dans la ligne
que lui a tracée le général de Gaulle pour la sauvegarde des
intérêts légitimes de la France et de ses enfants d’outre-
Méditerranée".
Les "enfants d'outre-Méditerranée" n'allaient pas tar
der à connaître la sollicitude de ce militaire qui s'inspirait
probablement de ce vieil adage ''qui aime bien châtie bien".
En 1962, il se disposait à servir aveuglément la politique de
39
son gouvernement, sans se soucier de l'Algérie qu'il avait
proclamée française quatre ans plus tôt et dont il se prépa
rait à remettre une province à ces fellaghas qu'il avait pour
fendus. Et, bon exécutant, il s'apprêtait à écraser ceux qui
refusaient d’obéir à ses chefs, distributeurs d'honneurs et
de prébendes.
Pour lui et ses pareils, le climat de la ville était détesta
ble. Le lendemain des accords d’Evian, l'OAS invita les
Oranais à manifester leur réprobation en arrêtant toute
activité. A midi, la vie se figea. Pendant dix minutes Oranfut
une cité morte. Puis, ayant montré leur fidélité à une patrie
qui les répudiait, les habitants scandèrent à coups de klaxon
"l'Algérie française” devenue leur cri de guerre.
La guerre en effet, allait s'élargir et devenir moins une
lutte franco-arabe qu’un combat entre civils et forces de
l'ordre. Le lendemain, la radio clandestine de l'OAS devait
retransmettre le message du général Salan contre les
accords d’Evian. La police gaullienne devait faire un effort
désespéré pour s'emparer du poste émetteur clandestin.
Pour l’en empêcher, les "collines” de l'OAS prirent position.
Une véritable bataille se livra entre ces commandos et les
gendarmes mobiles qui utilisaient largement des engins
blindés, que gênaient des bouchons de véhicules de toute
sorte et qui recevaient des terrasses voisines des "coktails
Molotov”. L'émission eut lieu. On releva les morts et les
blessés. Le lendemain, on observa une grève générale de
deux heures en signe de deuil (1).
Le 24 mars, la fusillade reprenait. Selon la presse, elle
causait un tué et 15 blessés chez les gendarmes, 3 blessés
chez les soldats, 1 tué et 21 blessés chez les civils.
Cette combativité ne pouvait que rendre furieux les
"gouvernementaux”, du général de Gaulle aux "gendarmes
rouges”. Le premier, parce que les pieds-noirs osaient
contrecarrer sa politique; les autres parce que ceux-ci leur
tiraient dessus quand ils faisaient leur métier. Le gouverne
ment les payait pour cogner’ sur ses adversaires. Ils
(1) Edmond Jouhaud: op. dtp. 424 Henri Martinez en fait le récit vivant op.cit
pp. 292-294.
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cognaient donc. Et voilà que les insurgés ripostaient. Les
Algérois avaient tiré sur les gendarmes du colonel Des
brosses qui les chargeaient. Les Oranais tiraient sur ceux
qui cherchaient les postes émetteurs clandestins. Et l'im
mense majorité de la population applaudissait. Tous ces
gens étaient donc des ennemis. Qu'ils luttassent pour sau
ver une province française, pour défendre leurs biens, la
tombe de leurs parents et de leurs aïeux n'importait pas aux
prétoriens gaulliens (1). Ils auraient répondu à tous ces
arguments le classique "J'veux pas le savoir'' des adjudants
courtelinesques. Leurs chefs leur ordonnaient de mater les
rebelles. Ils le faisaient en ajoutant aux vertus de l'obéis
sance passive une haine que le réglement de la gendarme
rie ne prescrit pas.
Le général Katz ne cherchait pas d'ailleurs à les retenir.
Les "collines" de l'OAS ayant utilisé les terrasses et tes
fenêtres de certains immeubles pour tirer sur ses gen
darmes, il annonça dans une proclamation à la population
du 19 avril qu'il était "interdit de stationner sur ies terrasses
des immeubles et les balcons". "Le feu, précisait-il, sera
ouvert sans sommation sur les contrevenants à partir du .23
avril. De même, le feu sera ouvert par tous les moyens, y
compris l'aviation sur les éléments OAS circulant en ville".
C'était ratifier une pratique qui avait déjà été utilisée.
De nombreux témoignages attestent que les gen
darmes rouges tirèrent à tort et à travers dans les rues de la
cité européenne. Me Sarocchi, avocat à la cour d'appel
d'Oran, exposa, au cours du procès du général Salan, que le
20 mars la gendarmerie avait tiré "non seulement sur les
immeubles desquels le feu avait été ouvert mais encore sur
des immeubles desquels manifestement, indiscutable
ment, aucun coup de feu n'avait été tiré".
Et il ajoutait : "L'immeuble que j'habite a reçu des
coups de feu : j'atteste qu'aucun coup de feu n’avait été tiré
de cet immeuble. J'ai ma chambre à coucher, ma salle de
bains, ma bibliothèque traversées par des balles, mais l'ap-
41
partement de M. Martinet, président du tribunal de grande
instance d’Oran, a reçu beaucoup plus de balles que le
mien".
Selon l'avocat, plusieurs autres magistrats avaient eu
la même mésaventure. Du moins n’avaient-ils subi que des
dommages matériels. Mais il n’en fut pas toujours ainsi.
Une jeune fille de 16 ans, Melle Dominiguetti, une autre,
âgée de 14 ans, Melle Monique Echtiron, qui étendaient du
linge sur leur balcon, furent tuées par les gendarmes. Les
projectiles d'une mitrailleuse lourde fauchèrent dans leur
appartement Madame Amoignan, née Dubiton (dont le père
avait été tué par le FLN), sa petite fille, âgée de deux ans et
demi, et sa sœur Sophie (13 ans) qui, alleinteà la jambe par
une balle de mitrailleuse lourde qui lui arracha le nerf sciati
que, dut être amputée par le docteur Couniot. Or, précisait
un communiqué du Conseil de l'ordre des avocats d'Oran
"le calme régnait dans la rue où habitait cette famille" (1).
Le même acharnement s'observait dans les perquisi
tions. Recherchant des chefs de l’GAS, les membres des
commandos et les postes de radio clandestins, les CRS et
les gendarmes mobiles effectuaient ces visites domici
liaires avec une brutalité qu'ont dénoncée aussi bien les
témoins au cours des procès des généraux Jouhaud et
Salan que les mémorialistes comme le colonel Bernard
Moinet dans son "Journal d'une agonie". Les humiliations,
les bris de meubles, les vols même ne manquent pas dans
ces exposés. Après de telles scènes, la haine de la popula
tion française pour les policiers ne pouvait que croître.
C'est au cours d'une de ces perquisitions que ces der
niers arrêtèrent le général Jouhaud, que ses faux-papiers
au nom de L. Jerbert ne suffirent pas à protéger. La rumeur
de son arrestation provoqua de nouvelles fusillades entre
les "collines" et les gendarmes. Cette arrestation, due au
hasard ou à des renseignements que le FLN, devenu le
collaborateur des autorités françaises avait donnée (2), rui-
42
naît les plans de l'OAS. Le général Jouhaud travaillait à
créer des maquis dans les régions de Mostaganem, de Reli-
zane et de Tlemcen. De là, le 5eme régiment étranger aurait
donné le signal du soulèvement puis Oran serait entré en
jeu. Son arrestation bloqua tout. Bien que le général Gardy
ait pris le relais, ces projets ne se réalisèrent pas.
En revanche la petite guerre civile continua à Oran,
guerre d'escarmouches, ponctuée d'explosions de plastic,
de coups de main, d'exécutions sommaires et de “hold-up".
Le plus important de ceux-ci fut exécuté en plein jour. Des
hommes armés entrèrent dans la Banque de l'Algérie, au
centre de la ville, l'après-midi du 23 mars, et emportèrent
2.140.315.000 anciens francs. Jusqu'à la fin des troubles,
des ponctions de ce genre se firent dans différentes caisses
publiques, sans qu'on pût très bien distinguer qui les faisait
et s'il s'agissait de membres de l'OAS ou de malfaiteurs.
Pendant ces soubresauts, le plan politique du général
de Gaulle se déroulait sans obstacles. Le peuple français
appelé à ratifier les accords d'Evian le faisait à une très forte
majorité. Sur un peu plus de 75 pour cent d'électeurs ins
crits, 90,7 pour cent approuvèrent la séparation de l'Algérie
de la France. Les Français d'Algérie n'avaient même pas eu
le droit de se prononcer sur le sort de leur province. Belle
application du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes.
Les métropolitains, soumis à une propagande massive qui
faisait miroiter à leurs yeux les avantages du retour à la paix,
après vingt-trois ans de guerres incessantes sous toutes les
latitudes, la prochaine rentrée dans leur foyer des soldats
du contingent perdus au milieu de tueurs sauvages et la fin
de dépenses inutiles qui amènerait une prospérité sans
précédent dans l'hexagone, votèrent "oui". Pour ne pas
choquer leur amour-propre national, on leur exposait d'ail
leurs gravement que l'armée française ayant gagné la
guerre, on les appelait à ratifier un accord magnanine, tout à
fait conforme à la philosophie des temps modernes, qui
allait assurer la co-existence pacifique des Algériens et des
bons citoyens français. Ils le crurent ou firent semblant de le
croire. Les apparences étaient sauves. Que demander de
plus ?
43
Il restait le million de citadins et de colons d'Algérie qui
voyaient avec stupéfaction comment des insurgés comme
Belkacem Krim, qualifiés pendant des années de terroristes
et de brigands, se muaient en partenaires distingués. La
France invitait les pieds-noirs à se soumettre aux lois que
feraient leurs nouveaux gouvernants. Mais quelle
confiance leur accorder ? Quelle foi donner à leur parole ? Le
joui du référendum français, des terroristes musulmans
avaient abattu six personnes qui attendaient un autobus
Cité Petit. Belle façon d'inaugurer l'ère de fraternité ouverte
par les accords d’Evian.
44
IV LE CHAOS
45
et songeaient à un départ plus ou moins proche. Depuis
1961, les capitaux s'écoulaient vers la métropole. Un obser
vateur, le capitaine Moinet, notait qu'à partir de 1961 la
courbe mensuelle des départs s'élevaient régulièrement.
En mai, 1200 familles quittaient la ville. Si l'OAS n'avait pas
interdit aux hommes en état de porter les armes de laisser
Oran sans son autorisation, il y en aurait eu davantage. A la
fin d'avril, l'évacuation des familles commença "de longues
colonnes d'Européens stationnaient sur la route de Sidi-
Bel-Abbès, en plein soleil et attendaient là, trois, quatre,
cinq heures parfois, l'arrivée d'un problématique avion pour
Marseille, Lyon ou Paris”, écrit le 25 avril 1962 le capitaine
Moinet dans son journal.
Dans le "bled", le repli de l'armée française sur cer
tains points laissait les colons exposés aux fantaisies (dan
gereuses) des bandes de l'ALN. Des colons étaient enlevés
et ne réaparaissaient plus. D'autres étaient assassinés
dans leur fermes (1), les survivants no savaient pas combien
(1) On relève dans l'Echo d'Oran’' les cas suivants entre beaucoup d'autres:
Saida : plusieurs Européens sont enlevés. MM. Cuche. ingénieur des Tra
vaux publics. Rubline. ingénieur. Blanquer. Sanchez. chefs de chantier.
François Belmonte et Eugène Diaz. A Saint Denis du Sig. Jean Joseph
Santiago. 25 ans est enlevé depuis le 8 mai. selon "l'Echo" du 17 mai.
Ain en Turk : depuis un mois, quatre Européens ont disparu (Echo. 8 mai). Le
19 mai. “L'Echo d'Oran" publiait les avis de décès à Ain Farès de Louis
Pierre Villaret. de Manuel Erades et d'André Maisonneuve, “victimes du
terrorisme". Le 26 mai on trouve l'avis de décès de Bruno Pola. d'Ain
Témouchent. Le 28 mai. on enterrait à Saint Cloud André Derosa et Louis
Aubié (63 ans), tué à Mostaganem. Le 30 mai. le journal d'Oran signalait la
disparition d'André Dessoliers. maire de Mockta Douz. Le 2 juin on trouve la
mention de l'enterrement de Roian Nus. à Ain Sidi Chérit.
“L'Echo" du dimanche 3-4 juin annonçait que Louis Bedel. de Saint Lucien
et son épouse avaient été tués dans leur auto sur la route d’Oran. Le 6 juin
trois Européens étaient enlevés à Tlemcen. Le 9 juin, on énonçait l'assassi
nat du maire de Palissy. Pierre de Champtassin et de son beau-frère Axel
Garda, ainsi que le meurtre du gardien de ferme Schrabacher. Le journal du
10-11 juin donnait la nouvelle qu'un commando de l’ALN avait mitraillé à
Baudens un café et tué la propriétaire. Espérance Rodriguez. Le journal du
14 juin publiait les remerciements des familles d'Eugène Pain, è Aboukir et
de Claude Garby. de Sidi Bel Abbés, "victimes du terrorisme". Le 15. avis
de décès de Félix Alvarez. 52 ans. chef de bureau de la compagnie
algérienne à Cassaigne. victime des fellaghas.
46
de temps dureraient cette situation précaire. Il ne leur res
tait plus qu'à se replier sur la ville la plus proche, non sans
courir le péril d'être mitraillés en route. Pour faire face à
cette situation, l'OAS, dans une émission du 14 juin,
demandait à la population de la campagne de se regrouper
dans les centres d'Oran, de Mostaganem, de Perrégaux,
d'Arzew et de Sidi-Bel-Abbès où elle aurait des armes pour
se défendre. Mais combien de temps ces centres, isolés au
milieu d'une campagne aux mains des ennemis,
pourraient-ils tenir ?
Car l'agonie de l'Algérie française devenait de plus en
plus sanglante. La guerre des communautés s'intensifiait,
provoquait chaque jour la mort de Français et de musul
mans, pendant que les gendarmes et les commandos de
l'OAS poursuivaient leur guerre particulière. Le 30 mai, par
exemple, on découvrait le cadavre du directeur de
l'O.F.A.C., Joseph Monfort. Le 31, deux musulmans assas
sinaient à Tlemcen, Me Pierre Guidecelîi, avocat à la Cour
d'Appel d'Oran, ex-délégué à l'Assemblée algérienne. Le fi
soir, on trouvait à Pont Albin le corps de Joseph Ivorra,
enlevé quelques jours avant par des Musulmans. A 9
heures, autre découverte macabre : les cadavres de M. et de
Mme Duclos, assassinés dans leur villa de la Cité des Pal
miers. On trouvait aussi à la gare les cadavres de deux
Européens sans pièces d'identité, mais portant l'inscription
: "je suis un traître, j'ai commis des vols au nom de l'OAS".
Un blessé en uniforme militaire transporté dans une clini
que était achevé par deux hommes masqués.
Enfin, à Eckmuhl, une musulmane "non identifiée"
était "tuée par balles" (1).
Et cela se répétait tous les jours avec des proportions
variables de meurtres d'Européens ou d'Arabes.
47
Pour réduire la communauté française à l’obéissance,
le gouvernement déportait ou arrêtait ses notables. Dans la
nuit du 10 au 11 mai, la police "emballait" pêle-mêle et
envoyait au camp d'Arcole, l'archiprêtre Carmouze, âgé de
76 ans, un autre septuagénaire, M. Gardet, le chanoine
Dauger, le docteur Laborde, coupable d'avoir dénoncé quel
ques jours auparavnt devant le Haut Tribunal militaire les
brutalités de la police, ses confrères Jarsaillon et Finas, le
vice-président de la Chambre de Commerce, Ambrosino, le
directeur de l'E.G.A., M. Poitevin, le président du Syndicat
des pharmaciens, M. Santa, le président de l'Aéro-club, M.
Yvon Milhe-Poutingon et son fils, le président des officiers
de réserve, M. Astruc. Au cours du procès du général Salan,
des témoins avaient révélé que les policiers français
s'étaient rendus chez le docteur Parienté, président d'hon
neur de l'ordre des médecins d'Oran, mais n'avaient pas pu
remplir leur mission : le docteur Parienté était mort depuis
vingt-deux mois !
Ces mesures, n'avaient aucune chance d'arrêter la
résistance de la population. Au contraire, en décapitant la
communauté française elle laissait les "desperados" agir
au gré de leurs passions. L'appel sous les drapeaux de 6000
jeunes gens en âge de porter les armes et leur envoi dans la
métropole était plus efficace, car il privait les "collines" de
certains de leurs éléments.
Le calendrier fixé par le président de Gaulle et ses
partenaires algériens rendait chaque jour plus proche
l'échéance de la passation des pouvoirs. L'armée ne bascu
lant pas vers la dissidence, les dirigeants de l'OAS devaient
se résigner à envisager la défaite. Certains prêchaient la
politique de la terre brûlée. On ne laisserait pas aux Algé
riens ce qui avait été bâti par la France. D'autres, à Alger,
rêvaient, puisque la France les abandonnait d'une réconci
liation in extrémis avec les vainqueurs. A moins que ce ne
fût qu'un moyen de permettre aux hommes de l'organisa
tion d'évacuer la ville. Me Farès, devenu président de l'exé
cutif provisoire après un court séjour en prison, et Susini, au
nom de l'OAS se mettaient d'accord pour arrêter la lutte et
pour bâtir une République algérienne où les pieds-noirs
48
auraient leurs droits garantis.
Un tel accord était fort difficile à faire accepter par les
combattants de la "guerre révolutionnaire" qui comporte
des actesquel'on ne se pardonne guère d'un camp à l'autre.
Me Farèsfut désavoué. L'OAS menaça de mener à fond la
politique de la terre brûlée. Pour éviter cette catastrophe des
"libéraux" comme l'ex-maire d'Alger Jacques Chevallier,
s'entremirent. De sa prison, le général Jouhaud lui-même
demanda au général Salan de proclamer la fin des combats.
Le chef de l'OAS ne répondit pas tout de suite à cette
requête, mais l'administration française se chargea de la
diffuser solennellement le 5 juin.
Quelle autorité peut avoir un chef prisonnier ? L'appel
du général Jouhaud ne fut pas écouté. D'ailleurs son suc
cesseur, le général Gardy, refusait de déposer les armes. Il
prévoyait - et les faits devaient lui donner raison - que Farès
et les bourgeois algériens qui assuraient la transition
seraient balayés par les éléments révolutionnaires de l'ex
F.L.N. Dès lors que valaient les accords qui seraient éven
tuellement pris avec eux ? Ou les Français pourraient créer
des plates formes territoriales avec l'aide de certains régi
ments et notamment de la Légion, dont Gardy avait été
inspecteur, où ils devraient évacuer le pays pour ailer en
France ou en Espagne et y commencer une nouvelle vie.
Pendant ces jours indécis, les violences ne cessaient
pas. Les enlèvements d'Européens continuaient, ainsi que
les attentats contre les imprudents qui s'aventuraient trop
près des quartiers arabes. Les cadavres de Musulmans
qu'on relevait dans la ville française rétablissaient l'équili
bre. Par représailles ou par défi certaines actions comme le
bombardement au mortier du quartier musulman de Victor
Hugo se produisaient sans cependant faire sortir les Arabes
de leur forteresse. Le FLN y faisait la loi. Ses hommes
devenus membres de la Force locale y assuraient l'ordre. Au
procès du général Jouhaud, le président des anciens com
battants d'Oranie, M. Robert Cerdan, aveugle de guerre,
exposa qu'il y fonctionnait un tribunal militaire F.L.N. qui
avait condamné quarante indigènes anciens combattants
comme "traîtres". Henri Martinez conte que sa mère vit
49
passer à Eckmühl, où elle tenait une épicerie, un convoi
militaire de troupes algériennes transportées dans des
camions français. Aux spectateurs ébahis les soldats "mon
traient leurs poignards et... faisaient le geste symboliquede
la lame ouvrant une gorge". Ils criaient et riaient tous en
même temps, dit Mme Martinez, je n'avais jamais vu des
couteaux pareils et certains ont fait aux femmes qui étaient
là des gestes qui me font encore rougir" (1).
Sur un autre front, la gendarmerie mobile et les "col
lines" de l'OAS poursuivaient leurs accrochages. Les com
mandos harcelaient les cantonnements des "rouges" et des
C.R.S. qui, dans leurs escarmouches, n'avaient pas peur de
tuer des civils en même temps que leurs adversaires. Fait
nouveau : alors que l'OAS avait évité de s'en prendre à
l'Armée, plusieurs attentats se produisirent à la mi-juin
contre des officiers supérieurs français. Le 13, le
lieutenant-colonel Mariot, responsable du secteur du cen
tre de la ville, était abattu quand il sortait de l'Hôtel Martinez
que l'armée avait réquisitionné. Le lendemain, le général
Ginestet, qui allait s'incliner devant son corps était grave
ment blessé et devait mourrir, quelques jours après, au Val
de Grâce. Le médecin-colonel Mabille, médecin-chef de
l'Hôpital Baudens, qui l'accompagnait, était également tué
(2). Ces crimes attribués à l'organisation rebelle s'expli
quent mal si l'on pense que ses chefs cherchaient encore à
soulever des régiments français. Même si des officiers
étaient de cœur avec une population qui défendait désespé
rément sa terre, il leur était difficile d’admettre qu'on assas
sinât froidement leurs chefs (3). Mais comment retenir des
jeunes gens qui se jugent trahis et qui ont des armes dans
les mains ?
50
L'échéance du 1cr juillet approchait. A Alger, le Dr Mos-
tefai, et une émission pirate de l'OAS annonçaient, le 17
juin, un accord entre le F.L.N. et l'organisation française. Le
délégué du mouvement algérien appelait les Algériens
d'origine française et les Musulmans à se réconcilier et à
oublier le passé. Le général Salan de sa prison donnait le
même conseil, mais la masse des pieds-noirs ne croyant pas
à ces promesses ne pensait plus qu'à partir.
Le général Gardy résista encore. Mais la Légion ayant
finalement refusé une aventure qui n'avait guère de
chances de succès, il ne restait plus qu'à assurer le départ
des combattants et de la population civile dans les condi
tions les moins désastreuses possible. Tandis que des mil
liers d'Européens s'entassaient sur les quais du port et aux
environs de l'aéroport, des commandos incendiaient l'hôtel
de ville, le palais de justice, des bureaux de perception, des
écoles. Puisque les Français devaient quitter leur ville, pen
saient ces désespérés, ils laisseraient à leurs vainqueurs la
terre nue, comme leurs ancêtres l'avaient trouvée. Le plus
impressionnant de ces incendies fut celui d'un réservoir de
mazout du port. 30 millions de litres de mazout brûlèrent,
couvrant la ville d'une nuée noire et menaçant de communi
quer le feu aux autres dépôts, ce qui eût pu provoquer une
terrible catastrophe.
Ce radicalisme désespéré peut être jugé diversement-
cependant ceux qui le condamnent célèbrent la même
détermination lorsqu'il s'agit, par exemple, des patriotes
polonais face aux nazis. Il amena pourtant les autorités
locales à négocier avec les enragés qui entretenaient
encore la guérilla. Le délégué à l'information, M. Soyer,
avait eu des conversations avec des chefs de l'OAS. Par son
intermédiaire, les conversations commençèrent entre deux
de ceux-ci MM. Bellier et Laborde et le préfet de police, M.
Biget en présence du général Katz. L'OAS envisageait
encore de maintenir une enclave française comprenant
Orah, Mers-el-Kebir, Arcole et Misserghin. Leurs interlocu
teurs ne disaient pas non, mais pendant ce temps, l'igame
Thomas consultait Paris et les postiers d'Oran communi
quaient naturellement sa dépêche à l'organisation clandes-
51
tine. Les pourparlers furent suspendus. Cependant ils
avaient eu un résultat sérieux. Les autorités locales avaient
accepté de libérer les Français internés au camp d Arcole (où
ils avaient succédé aux fellaghas, quand la République fran
çaise avait libéré ceux-ci dans la dernière phase de la politi
que algérienne du général de Gaulle).
Il restait la possibilité de faire donner l'ordre de cesser
le feu aux Oranais par les signataires de l'accord avec le
FLN. Le directeur de l'Echo d'Oran, M. Pierre Laffont se
rendit au Rocher Noir par avion militaire et hélicoptère,
comme il l’a raconté, ce qui impliquait l'accord et même un
peu plus des autorités locales. Il vit Susini, qui sachant que
c'était le général Gardy qui commandait l'OAS à Oran et
non pas lui, ne put rien faire.
Pendant ce temps, le général Gardy quittait Oran ainsi
que les "officiers perdus" et des membres des "collines’’.
Les représentants du gouvernement ne semblent pas avoir
cherché à s'opposer à la retraite des vaincus. Leur départ
permettait de faire une passation des pouvoirs moins ora
geuse que si les "desperados" avaient livré bataille jus
qu'au dernier jour. L'ancien colonel de la Légion, Dufour,
venu d'Alger, après un entretien avec le directeur de l'ECHO
D’ORAN" accepta de donner l'ordre de cesser le feu aux
sections spéciales de l'OAS. Une "émission pirate" de
l'OAS diffusa son appel.
"... Afin de ne pas aggraver les malheurs de nos compa
triotes qui vivent ici des jours particulièrement douloureux,
je vous donne l'ordre d’interrompre les destructions qui ont
été préparées et qui pourraient aggraver le calvaire de ceux
qui attendent avec angoisse le moment de s'embarquer".
De leur côté, les autorités locales (l'inspecteur général
régional Thomas, le préfet de police Biget et le général Katz,
commandant le secteur autonome d'Oran)diffusaientà leur
tour un appel d'un optimisme qui, après coup, semble déli
rant :
"Il n'est que temps maintenant de préparer tous
ensemble, la réconciliation des communautés par des
manifestations concrètes de solidarité et de fraternité.
... Français et Française d'Oran, ayez avec nous confiance
s?
en votre avenir, qui est sur cette terre et que vous garantis
sent le peuple français, son armée et nos amis Musulmans"
(1).
Le 29 juin, un nouvel appel à la population paraissait
dans les journaux. On annonçait que des mesures étaient
prises pour l'évacuation de la population, mais on conseil
lait de rester en Algérie : "En attendant, nous faisons appel,
une fois de plus, à votre calme et à votre sang-froid. Votre
avenir se dessine plus dans la réconciliation et la fraternité
que dans un exode irraisonné dont vous seriez les premiers
à souffrir" (2).
Les optimistes ou les gens que retenaient dans la ville
leurs intérêts pouvaient être rassurés : l'armée qui était
encore à Oran, garantissait leur sécurité.
53
V LE MASSACRE
55
réconciliation se forma sous la présidence de M. Nemiche
Boumediène. Selon, un journaliste de l'agence France
Presse, qui assista à la réunion, l'évêque d'Oran, Mgr
Lacaste ayant demandé des garanties contre les enlève
ments, le capitaine Bakhti répondit : "Nos gouvernements
ont signé et, depuis le cessez le feu, nous avons respecté les
accords. Nous continuerons. Dans aucun pays, aucune
organisation n'aurait pu maintenir une population soulevée
par les attentats. Mais en temps de paix, je réponds des
Musulmans".
Les Européens furent rassurés ou firent semblant de
l'être. L'un d'eux, l'armateur Ambrosino observa : "Tout le
monde a une peur panique du 1cr juillet. Quand le 3 juillet,
les rapatriés s'apercevront qu'il ne s'est rien passé, ils ver
ront qu'on leur a monté la tête. Il faut que bientôt ils fassent
la file à Marseille pour leur retour".
Le comité de réconciliation lança un appel "à tous les
Oranais", organisa des réunions où des Musulmans et des
Européens de bonne volonté entendirent prêcher l'entente
pour un avenir meilleur. Le préfet de police ayant abrogé les
arrêtés sur le couvre-feu et la circulation des véhicules, on
pouvait croire que la vie normale renaissait.
Tout eût été parfait si, en même temps, un Européen de
27 ans, Jean-Pierre Galibert, n'avait disparu entre la Sénia
et Oran, si des Musulmans armés n'avaient pas intercepté
un autocar transportant des travailleurs de l'ERM de La
Sénia et n'avaient pas soumis à un interrogatoire l'un d'eux
avant de le laisser repartir. Que représentaient ces Musul
mans armés ? De quel droit exerçaient-ils un contrôle ? Que
feraient-ils le jour de la proclamation de l'indépendance
algérienne ? Malgré les paroles apaisantes des notables, les
Oranais pouvaient se le demander. La plupart ne se
posaient même pas la question. Ils partaient ou attendaient
avec angoisse leur tour de départ.
Pourtant, le 1er juillet se passa sans incident. Le réfé
rendum était gagné d'avance par le FLN, auquel les accords
d'Evian laissaient la place libre. Le prestige de la victoire
faisait automatiquement basculer les masses vers lui. Les
quartiers européens étaient vides. Les gens restaient chez
56
eux, tandis que les Musulmans circulaient en habits de fête
et que des camions pavoisés aux couleurs algériennes
scandaient "Algérie algérienne".
Sur 483.723 inscrits - et 52.243 abstentions - la quasi
unanimité (418.179) répondaient favorablement. Sur
26.000 Européens, 20.500 s'étaient dérangés : 17.000
pour dire "oui", et 3.500 pour exprimer jusqu’au bout leur
refus.
En somme, pouvaient penser les ralliés, les choses ne
se passaient pas si mal que çà.
Pendant quatre jours, les Algériens célébrèrent
bruyamment leur victoire. Le 5 juillet, les réjouissances
devaient atteindre leur apogée avec la fête de l'indépen
dance. Au 5 juillet 1830 date de la capitulation d'Alger,
devait s’opposer la reconquête de la souveraineté
algérienne.
Il restait à savoir si cette tranquillité durerait. Le général
de Gaulle qui s'était débarassé du "boulet algérien", /
comme disait déjà Napoléon III, présentait ses bons vœux au
gouvernement de la République algérienne tandis que les
Algérois célébraient avec enthousiasme l'arrivée du prési
dent du G.P.R.A., Ben Khedda. Mais le même jour, l'armée
française ouvrait les frontières de Tunisie et du Maroc à
l'armée bien équipée du colonel Boumediène qui avait
regardé de loin les guérilleros se battre contre les Français.
Or celle-ci se prononçait pour les éléments révolutionnaires
dirigés par Boumediène, qui se prononçaient pour Ben Bella
contre les bourgeois du G.P.R.A. et les Kabyles de Belkacem
Krim. L'interview d'un officier d'état major publiée par
"Paris-Presse", le 25 juin, indiquait que l'amnistie conclue
par le Dr Mostefaï et Susini n'était "ni possible, ni pensa
ble". Si cette tendance triomphait, les accords signés ris
quaient fort de n'être plus que des chiffons de papier.
L'Algérie devenue indépendante, l'administration fran
çaise n'avait plus qu'à se retirer pour laisser la place à une
structure nouvelle. A Alger, le chef de l'exécutif provisoire,
Farès, pouvait régler la transition avec Ben Khedda. A Oran,
ce fut à peu près le vide. Le secrétaire du général Katz, M.
Thierry Godechot, écrivait le 5 juillet (selon une lettre qu'il a
57
envoyée au "Monde" et que ce journal a publié le 25 juillet
1972) : "Depuis hier soir l'atmosphère s'est considérable
ment alourdie à Oran. En sont cause : 1) Les dissensions
internes du GPRA-ALN. 2) Ces dissensions sont aggravées
par le fait que le GPRA et l'éxécutif provisoire n'ont rien
prévu, aucune autorité, préfet, sous-préfet, commissaire de
police pour prendre la place des fonctionnaires nommés par
la France : aussi la confusion la plus grande règne. Le préfet
de police est parti avec son cabinet pour Alger et la France
sans laisser de successeurs, sans transmettre ses pouvoirs.
L'igame est resté en place, mais sans grande autorité et, en
butte à la méfiance de tous, "pieds-noirs" et musulmans''.
Le vide.
Certes l'armée française n'avait pas évacué la cité.
Mais, en dehors de quelques postes en ville, ses hommes
étaient consignés dans leurs casernes. Le général Katz,
selon M. Gérard Israël, avait des "instructions incompré
hensibles". Les troupes françaises n'étant plus en France
n'avaient le droit d'intervenir que si les autorités algé
riennes le leur permettaient. Les garanties qu’on avait don
nées aux civils au derniers jours de la domination française
l'avaient été avec une légèreté difficile à excuser.
En fait, l'ordre reposait sur l'ALN. Sept "Katibas’’
étaient entrées à Oran le 3 juillet et avaient défilés devant le
capitaine Bakhti et le premier adjoint au maire d'Oran,
Roger Coignard. Le capitaine Bakhti avait participé à la
réunion où s'était formée la commission de conciliation.il
avait rassuré ses auditeurs. Il répéta ses propos : "L'ALN est
présente à Oran. Pas question d'égorgements. Bien au
contraire, nous vous garantissons une vie meilleure".
Deux jours plus tard, pourtant, on égorgea.
Ce 5 juillet, au cours de la matinée, un foule considéra
ble de Musulmans se rendit des quartiers arabes dans la
ville française. Une foule prodigieusement excité, dit le
consul honoraire de Suisse M. Gehrig, criant, dansant,
brandissant les drapeaux verts et blancs tandis que les
femmes lançaient leurs "yous-yous stridents" qui expri
ment la joie aussi bien qu'ils animent les guerriers à
combattre.
58
Fait insolite, il y avait des hommes armés dans ce
cortège pacifique, "presque tous" précise M. Thierry Gode-
chot. On sait que les "Arabes" aiment "faire parler la pou
dre". Mais ils ne font pas la fantasia en pleine ville.
Craignaient-ils une attaque ? Voulaient-ils faire payer aux
Français leur résistance à l'indépendance algérienne ?
Le fait certain est que vers onze heures, quand le cor
tège se trouvait place d'Armes, des coups de feu retentirent.
Des cris s'élevèrent "C'est l'OAS ! L'OAS nous a tiré des
sus". Ce fut le signal du massacre. Des manifestants armés
commençèrent à tirer au hasard, abattant parfois leurs
compagnons, puis attaquant des sentinelles françaises
devant le Château neuf, siège du commandement français,
et l'Hôtel Martinez, où logeaient beaucoup d'officiers.
Celles-ci ripostèrent. Des Musulmans tombèrent. Tandis
que la masse des manifestants se dispersait dans tous les
sens, des bandes d'hommes armés, dont beaucoup en uni
forme se lancèrent dans la ville européenne et commencè
rent à abattre les gens qu'ils rencontraient.
Les Européens encore dans la ville se méfiaient de
l’exaltation des "Arabes". Les uns se tenaient chez eux,
d'autres avaient quitté la ville pour leurs "cabanons" du
bord de la mer, à proximité des marins de Mers-el-Kebir et
des aviateurs de Bou-Sfer. Certains, comme Me Sarrochi ou
M. Gehrig le firent sans difficultés. D’autres purent craindre
le pire. M. J.P. Filizzola, par exemple, vit l'auto, où il se
trouvait avec sa femme, entourée de Musulmans qui aux
cris d'"Algérie Algérienne" commençèrent à balancer la
voiture, en cherchant peut-être à la renverser. L'arrivée
d'un policier à motocyclette interrompit ce jeu. M. et Mme
Filizzola purent prendre la route de la corniche. L'incident
montre cependant la tension des manifestants et leur hosti
lité envers les Européens.
Un autre témoignage, celui de M. G. Jaume le confirme.
Employé au service de la répression des fraudes, celui-ci
devait aller à son bureau, 52, rue du général Ferradou. Il prit
l'autobus à Saint Hubert. Au cours du trajet, des musul
mans y montèrent et fixèrent à l'extérieur du véhicules des
drapeaux algériens. Un voyageur arabe ayant remarqué M.
59
Jaume, le seul Européen du convoi commença à dire à voix
haute : "Ca sent le roumi ici” et esquissa un geste mena
çant. Ses camarades l'arrêtèrent en lui disant : "Pas encore.
Tu vas tout faire rater”. Un des voisins dit en arabe à son
voisin : "Qu'on est bourricots, ça va tout casser”. Les choses
n'allèrent pas plus loin. M. Jaume put descendre de l’auto
bus sans incident et entrer dans son bureau. Mais lorsqu'il
en sortit, à midi, la chasse à l'Européen était ouverte. Il
retourna dans son bureau, persuadé que les phrases qu’il
avait entendues dans l'autobus dénotaient la préméditation
du massacre.
Cette préméditation a été niée par les autorités, qui
rejetèrent la responsabilité des faits sur une provocation
européenne.
C'est l'OAS, criaient les Musulmans de la place
d'Armes. Et M. Godechot, qui reflète ce que pensait l'entou
rage du général Katz, notait le 5 juillet : "un élément CAS
aurait tiré sur un cortège musulman, déclenchant unefusil-
lage qui a duré une heure”. (On noiera au passage le condi
tionnel prudent de l'auteur et l'inexactitude de ses
renseignements, le massacre ayant duré de 11 heures à 17
heures).
Cette assertion est contredite par le docteur Raymond
Alquié, ex-adjoint au maire d'Oran, qui objecte que "les
commandos de l'organisation avaient quitté l'Algérie, à ce
moment-là”.
Il semble donc inutile d'ajouter aux actions de l'OAS
celle-là. Reste l'hypothèse qu'un isolé, un de ces enragés
qui rendaient la justice par leurs propres moyens, ait été
exaspéré par le triomphe bruyant des Musulmans et aittiré
sur eux. Mais personne n'a vu cet enragé, personne n'a
donné son signalement. En revanche on a vu beaucoup de
Musulmans brandir des armes, puis s'en servir sur les
cibles vivantes que constituaient les roumis qu'ils rencon
traient. Si l'existence d'Européens capables de "faire un
carton” sur un passant arabe dans la ville française est
indéniable, il est non moins vrai que dans la ville arabe, il y
avait des tueurs, qui bien avant l'entrée en scène de l'OAS,
avaient abattu ou enlevé des Européens. Qu'après la vie-
6U
toire de l’insurrection algérienne, ils aient voulu se venger,
venger leurs camarades tombés dans leur "guerre de libé
ration" entre dans leur logique.
Il eut fallu d'extraordinaires précautions pour empê
cher des excès, ces jours-là. Si l'ALN et l'armée française
avaient contrôlé la ville, la paix y eût peut-être été préser
vée, ce qui ne veut pas dire que le drame n'eût pas éclaté un
autre jour. Mais les précautions nécessaires ne furent pas
prises. Et, comme disent les conteurs des "Mille et une
nuits", ce qui devait arriver arriva.
Le fait certain est qu'à partir des premières détonations
sur la place Foch, des Algériens, les uns en uniforme, les
autres en civil se lancèrent dans la ville européenne et
tuèrent à tort et à travers, abattant ceux qu'ils rencon
traient, comme le propriétaire de l'Hôtel Martinez ou allant
chercher leurs victimes dans les restaurants - on était à
l'heure du repas, les bars, les boutiques, voire dans leurs
appartements.
M. Gérard Israël a raconté le traitement infligé aux
clients de l'"Otomatic" :
"Une dizaine d'hommes (de l'ALN) en uniforme camou
flé entrent dans le restaurant, ils fouillent tout le monde.
"Vous n’avez pas d'armes ? On nous a tiré dessus de votre
direction. Celui qui semble le chef dit d’un ton rageur : "Ils
ont dû planquer les armes, allez au commissariat central.
On verra là-bas". Les vingt consommateurs sortent du res
taurant, les mains sur la tête. Ils arrivent au commissariat
central.
Le chef de poste demande à celui qui dirigeait l'escorte :
- "Qu'est-ce qu'ils ont fait ?
- Ils nous ont tiré dessus.
- Avez-vous trouvé des armes ?
- Non
- Bon, qu'ils attendent ici.
- Si on les tuait toute de suite.
- Non, pas toute de suite".
Même scène dans un restaurant grec de la rue de la
Fonderie "Des musulmans sont arrivés subitement, ont
ouvert la porte et tiré à bout portant sur les gens qui pre-
61
naient leur repas, raconte le consul honoraire de Suisse,
René Gehrig. Plusieurs personnes ont été tuées, d’autres
encore ont été enlevées, parmi lesquelles mes amis Mas-
caro, Palumbo et Bonamy... Ceux qui avaient un nom à
consonance française ont été relâchés pour la plupart, dont
Bonamy. Par contre, on n'a plus jamais revu les autres
parmi lesquels étaient Mascaro et Palumbo".
Idem à la Brasserie de Paris, rue du général Leclerc, où
des "Arabes" entrèrent et tirèrent au hasard sur les clients.
Le propriétaire de l'établissement, Sylvain Bensoussan,
sauva sa vie en se jetant à terre.
Place Karguentah, le propriétaire du bar "Chiquete''fut
enlevé par "des Arabes" et dut monter dans une camionette
qui prit la direction de la ville arabe. En cours de route, un
des indigènes le précipita hors du véhicule, puis il vint le
chercher et l'emmena chez lui. Chiquete en fut quitte pour
des cicatrices au visage.
Les restaurants et les débits de boisson ne furent pas
seuls à recevoir les épurateurs. Vers midi, une douzaine
d'indigènes en uniforme entrèrent dans l'Hôtel des postes,
arrêtèrent 35 fonctionnaires, pris, semble-t-il, arbitraire
ment et les menèrent au commisse.. iat central. Ils furent
remis en liberté vers 1 6h30, après l'iniervention d'officiers
de zouaves. Mais tous ne furent pas sauvés pour cela. Le
directeur-adjoint, M. Roger Jourde, partit de la Poste emme
nant dans sa voiture l'inspecteur central Davo et Mme Bet-
tan, contrôleur principal des PTT, épouse d'un instituteur et
mère de quatre enfants. On ne les revit jamais plus. Circuler
dans les rues d'Oran était courir un péril de mort. Un agent
technique stagiaire, M. Legendre, reçut une balle dans la
joue, rue de Mostaganem. Il fut conduit à l'hôpital, soigné,
puis disparut. Au total, neuf fonctionnaires des postes
d'Oran furent victimes du massacre.
Non loin de là, rue d'Alsace-Lorraine, des hommes en
uniforme abattaient le quartier-maître de la Marine Chris
tian Romero qui passait devant eux en motocyclette (1).
62
I
|
. i
M. René Gehrig, revenant de son bureau vers une
heure et demie dans des rues désertes, s'entendit interpel
ler par un voisin qui lui cria de se mettre à l'abri, car "les
Arabes tuent tout le monde". Il se mit dans l'embrasure
d'une porte en voyant arriver une voiture d'où descendirent
des hommes en uniforme qui abattirent un homme au coin
de la rue. Rentré dans son bureau, le consul honoraire revit
la voiture qui avait fait le tour du pâté de maisons "C'était
-dit-il, une petite camionette sur laquelle quatre Musul
mans avaient pris place, chacun ayant une mitraillette à la
main. Ils tiraient sur tout ce qui bougeait, parfois dans les
vitrines ou les fenêtres ouvertes... et ils rigolaient". Dans le
parking, un autre Européen arrive à son tour pour se garer.
"Il semble que les Musulmans lui demandent ses papiers...
mais au moment où il met sa main dans la poche, l'un deux
lui tire à bout portant, une balle dans la tête".
Vers cinq heures du soir, la fusillade ayant diminué
d'intensité et les gendarmes mobiles étant sortis de leurs
casernes, M. Gehrig retourna chez lui. Près de son domicile,
rue Dutertre, il vit une nouvelle scène funèbre.
Devant moi, expose-t-il, à 30 ou 40 mètres une grosse
voiture. Elle s'arrête subitement. J'aperçois quelques
Arabes, révolver ou mitraillette au poing qui font descendre
les deux Européens de la grosse voiture. Cela m'a permis...
de rentrer précipitamment... De mon balcon du 3eme étage, à
plat ventre pour ne pas être vu, j'ai pu apercevoir les deux
Européens emmenés par les Arabes, leur voiture restée
seule au milieu de la chaussée... J'ai su après que l'on
n'avait jamais plus eu de leurs nouvelles (1).
Passons à un autre témoignage, celui de M. Robert
Valé, commandant de réserve. Son auto passait Boulevard
de l'industrie. Deux autres voitures la précédaient. Des
manifestants arabes occupaient cette artère. Ils tirèrent
soudain sur une des autos et atteignirent son conducteur.
La voiture alla s'écraser contre un mur.
63
M. et Mme Paul Benaroch, qui pensaient rester en
Algérie, descendaient vers le centre de la ville par le fau
bourg Choupot. Le frère du mari et son beau-père se trou
vaient également dans la voiture. Un camion arrêté gênait le
passage. Devant lui, une douzaine d'Algériens en treillis,
coiffés d'une casquette militaire et deux hommes en kaki,
tous armés de mitraillettes, sauf le chef qui portait un pisto
let, assuraient le contrôle de la rue. Le chef, après avoir fait
arrêter l'auto dit d'un ton agressif :
"Descendez immédiatement et vous allez payer ce que vous
avez fait". Sous la menace des armes, les passagers furent
collés au mur. Une jeep occupée par quatre CRS français,
passa alors sans s'occuper des malheureux, dont le sort
semblait décidé. La chance voulut que le père de Mme
Benaroch connût pour des raisons professionnelles un tri
pier arabe dont il cita le nom comme témoin de ses bons
sentiments envers le FLN. Le chef de groupe laissa alors
partir les prisonniers qu'un motard arabe qui portait l'uni
forme kaki des agents de police de l'ex-Algérie française,
escorta jusqu'à leur domicile. Pendant ie trajet, les Bena
roch virent d'autres Algériens faire descendre d'auto ou
sortir de leur demeure des Européens qu'ils enfournaient
dans des camions où ils devaient faire un voyage probable
ment sans retour.
Tout le monde n'eut pas la chance des Benaroch. Deux
fonctionnaires du service hydraulique de Mostaganem
venus à Oran pour des raisons de service, M. Henri Pru-
dhomme et M. Jean Ferrio ont été vus le 5 juillet vers trois
heures par un ingénieur, M. Rezzi, Boulevard Hippolyte
Giraud. Puis ils ont disparu.
M. Christian Husté, inspecteur principal des contribu
tions, quitta en voiture son domicile, cité Protin, pour s'em
barquer pour la France, il n'arriva pas au port. Le même sort
échut à Roger Courette, des Abdellys, qui fut enlevé en
partant d'Oran. M. Cyr Jacquemain partit de son domicile de
la cité Robespierre, à Saint Eugène, à 13 heures avec son
oncle, M. Joseph Garcia, à bord d'une 403. On ne sut plus
rien d'eux.
M. Jean Barthe, inspecteur principal des PTT nous a
64
I
exposé que sa mère avait vu de son HLM de la Cité Maraval
des indigènes forcer une jeune Européen à descendre de sa
voiture et l'emmener.
M. Roger Coignard, premier adjoint au maire de la
municipalité française a dit que des voitures de police
munies de haut-parleurs avaient circulé dans les rues
d’Oran en invitant les gens à ne pas sortir de chez eux. Les
témoins que nous avons pu interroger ne les ont ni vues, ni
entendues. Probablement n'étaient-elles pas assez
nombreuses.
D'ailleurs les "roumis" qui restaient chez eux étaient-
ils en sûreté ? Il est prouvé que des musulmans en armes
allèrent chercher à leur domicile des Européens qu'on ne
revit jamais plus. Madame Radicich a assisté à l'un de ces
enlèvements au 13 de la rue d’Alsace-Lorraine, au centre
de la ville.
Madame Jeannine Navarro sortant de son travail, rue
du général Leclerc, rencontra une femme en chemisé de
nuit, pieds nus, échevelée, qui lui demanda :
"Madame, dites-moi où ils ont emporté mon mari ?
Celui-ci venait d'être enlevé sans qu'on lui laissât le temps
de se vêtir.
La famille d'un officier, M. Ricard comprenant ia mère,
trois filles, un fils et le fiancé d'une des filles. Christian
Mismacque était dans sa villa. Elle a disparu toute entière.
M. André Lopez, qui avait une épicerie au faubourg
Maraval a été enlevé par des musulmans au moment où il
prenait son repas. On trouva dans sa cuisine des assiettes et
du riz sur le sol, sur les murs des taches de sang.
M. Breuil voisin de M. Jourde, Cité Petit était invité à
déjeuner chez celui-ci. Il avait entretenu d'excellentes rela
tions avec les indigènes. Il semblait n'avoir rien à craindre
d’eux. Pendant que la maîtresse de maison et ses invités
attendaient M. Jourde, des Arabes vinrent annoncer à M.
Breuil que sa villa était ouverte et exposée au pillage. M.
Breuil et sa femme partirent pour voir ce qui s'était passé.
On retrouva leurs cadavres. Peut-être avait-il déconseillé à
des musulmans d'aller au FLN et le lui faisait-on payer.
Dans ce cas, il ne s'agit pas d'un meurtre commis dans un
65
moment de rage, mais bien d'un guet-apens.
S'il y eut des criminels algériens, il y eut aussi des
musulmans qui aidèrent des "roumis" à échapper aux
balles et aux couteaux des massacreurs. On a vu plus haut
comment l'un d'eux avait sauvé "Chiquete" en le jetant
hors de la camionette qui le menait à la boucherie. On nous
a cité d’autres cas de cette nature. Par exemple, un musul
man voisin de la famille de M. Marcel Larprand, 31 rue
Valentin Haüy, faubourg Maraval, vint la ravitailler en
cachette, pendant la journée. Un autre sauva M. Lozes,
épicier dans la même rue, qui avait reçu une dizaine de
coups de couteau.
Nous avons vu tout à l'heure, Mme Jeannine Navarro
partir de son travail, fort inquiète pour le sort des siens. Une
voiture militaire transportant des aviateurs la reccueillit en
chemin et ses occupants expliquèrent aux hommes de
l'ALN qui les interrogeaient à propos de cette femme qu'il
s'agissait de la mère d'un de leurs camarades. Les Algé
riens se contentèrent de cette explication. Mme Navarro
retrouva son mari qui, en rentrant chez lui avec son fils, âgé
de six ans, avait été arrêté dans la rue par des militaires
algériens qui l'avaient collé contre un mur, un révolversur
la nuque. Il croyait sa dernière heure venue, mais sans qu’il
comprît pourquoi, on le laissa partir. Il était alors tombé,
boulevard Joffre, sur un autre groupe qui tirait de tous les
côtés. Un de ces hommes s'interposa, prit l'enfant dans ses
bras et le ramena ainsi que son père à leur domicile. Ces
Algériens mériteraient de ne pas rester dans l'anonymat.
A partir de cinq heures, les gendarmes mobiles français
sortirent de leurs casernes et entreprirent de rétablir l'or
dre. C'est-à-dire que pendant six heures, ils étaient restés
l'arme au pied pendant qu'on massacrait dans les rues -
souvent dans des conditions atroces. M. Valé a aperçu près
du cinéma "Rex" un corps pendu par la gorge à un croc de
boucherie et, un peu plus loin, dépassant d'une poubelle,
"un cadavre, la gorge ouverte d'une oreille à l'autre" (1).
Comment expliquer cette inertie ?
66
Il est possible que le général Katz ait été prévenu tard, le
central téléphonique récemment plastiqué n'ayant pas été
totalement rétabli. M. Coignard l'appela en vain. Il semble
que le général ait mésestimé l'importance des évènements
qui se déroulaient dans la ville. Son secrétaire de l'époque,
M. Godechot, a contesté dans "Le Monde" du 25 juillet
1972 les faits décrits par M. Gérard Israël, en affirmant avec
une belle tranquillité qu'il y eut "malheureusement 20 à 25
victimes européennes qui tombèrent sous les balles des
manifestants, mais non pas des dizaines". Cela reflète peut-
être la pensée de l'entourage du général français.
Le premier réflexe de ce groupe fut d'attribuer à l'OAS la
responsabilité de ce qui n'était pour lui que des incidents.
Après la guerrilla que l'OAS avait menée contre ses forces
de police, il était disposé à l'accuser de tous les maux
d'Oran. Connaissant le soutien qu'avait donné la population
européenne à l'organisation rebelle, il ne devait pas éprou
ver pour elle une sympathie immodérée.
Mais surtout le général Katz avait l'ordre de ne pas
intervenir sans accord avec les autorités algériennes. Il s'y
est tenu à la lettre, comme il avait agi depuis son arrivée à
Oran, en exécutant aveugle des ordres de ses supérieurs. La
quatrième étoile que lui donna, après la guerre d'Algérie, le
général de Gaulle a récompensé son attitude, il a incontes
tablement le droit de voir son nom figurer à une place
d'honneur au palmarès du gaullisme.
Un autre, à sa place, eût peut-être pris l'initiative d'in
tervenir pour protéger des civils désarmés. Des colonels,
des officiers moins galonnés se seraient peut-être élancés
hors de leur caserne. Mais, en 1962, l'obéissance passive
régnait. Personne n'osait prendre d'initiative pour ne pas
être assimilé aux "soldats perdus".
Au lycée Jules Ferry, où s'était réfugié M. Valé, le
capitaine V, interrogé sur ce qu'il allait faire, répliqua, "qu'il
avait des ordres formels de ne pas sortir de son cantonne
ment afin de ne pas laisser supposer qu'il y a eu provocation
ou incident".
Et Mme Jeannine Navarro qui demandait à des mili
taires une aide pour rentrer chez elle s'entendait répondre
67
"Madame, nous sommes là pour faire respecter le couvre-
feu par les Européens, pas pour les aider". Heureusement
pour elle, un sous-officier plus compatissant que ceux-ci
s'offrit à la guider et, comme on l'a dit plus haut, des avia
teurs la firent monter dans leur véhicule et la ramenèrent
chez elle.
La carence des forces françaises fut d'autant plus
regrettable que lorsqu'elles sortirent de leur immobilité,
leur vue suffit à faire refluer les tueurs dans leurs tanières.
A partir de ce moment, les bandes armées musulmanes ne
livrèrent pas une seule escarmouche. Il ne resta qu'à
ramasser les cadavres et plus tard à constituer le dossier
des disparus. La morgue de l'Hôpital civil était pleine.
Dès le 6 juillet, Jean-François Chauvel, envoyé spécial
du Figaro à Oran, donnait les chiffres de 96 morts dont 21
Européens et de 163 blessés, dont 40 Français, plus 10
blessés graves militaires dont un officier supérieur(1 ). Mais
les demandes de recherche croissaient d’heure en heure
pour arriver à cinq cents. Elles émanaient des familles res
tées à Oran. Mais certains chefs de famille étaient restés
seuls dans leur ville. Il n'y avait personne pour signaler leur
disparition. Dans la plupart des cas, les recherches n'ont
donné aucun résultat. De là les variations extrêmes du bilan
de cette journée. 500, selon M. Gérard Israël, 1.500 à 2.000
suivant le Dr Alquié, autour de 3.000, selon une haute
autorité ecclésiastique. Le 19 mars 1962, le chiffre des
disparus en Algérie était de 3.080. On l'estima ensuite à
6.080. Ces trois milles victimes supplémentaires sont
prises dans tous les départements algériens, mais le mas
sacre d'Oran ayant été le plus important de ces mois tragi
ques, doit en avoir fourni une bonne part.
Le lendemain du massacre, le GPRA publia un commu
niqué vengeur sur les évènements d'Oran. Il accusa ''les
(1) Thierry Godechot écrit : "Il est probable que les 74 musulmans ont été tués
par leurs propres coréligionnairos. Un journaliste américain de la NBC..
avait assisté à de violents tirs entre Musulmans affolés" (Le Monde
25.7.1972.)
68
débris de l'OAS" qualifiés de "provocateurs fascistes",
d'avoir commis cet acte criminel pour remettre en cause le
principe même de la souveraineté du peuple algérien en
provoquant l'intervention des militaires français".
Cependant le capitaine Bakhti donnait une version très
différente des gens d'Alger. Il réunit à Pont Albin, près
d'Oran les représentants de la presse internationale et leur
annonça :
"Il y a longtemps que l'ALN connaissait l'existence
d'une bande d'assassins dans les faubourgs du Petit Lac, de
Victor Hugo et de Lamur" dirigée par un certain moueden dit
"Attou". Dans la nuit du dimanche 8 au lundi 9 juillet, deux
bataillons de l'ALN avaient donc encerclé cette zone et
arrêté deux cents brigands et tué leur chef. Au cours des
perquisitions, les militaires avaient trouvé deux tonnes de
matériel de guerre, d'armes et des objets volés le 5 juillet.
Les prisonniers furent présentés aux journalistes. Selon le
commandant des forces algériennes à Oran, ils devaient
passer en conseil de guerre qui les ferait relâcher ou fusil
ler, suivant les révélations de leur procès.
Ces hommes faisaient probablement partie des massa
creurs du 5 juillet et peut-être des équipes de tueurs qui,
pendant des années, avaient abattu des pieds-noirs et les
avaient amenés à appliquer finalement ia ioi du talion. Mais
ils n'étaient pas les seuls à avoir pratiqué la chasse au
roumi, car celle-ci continua quelque temps encore.
M. Gehrig revenant à Oran, après un bref séjour à
Marseille, était prévenu le 20 juillet qu'il était dangereux de
circuler en auto entre l'aéroport de La Sénia et Oran-ville.
Effectivement, des maraîchers de Bou-Tlélis, André Pérez et
son oncle, Ange Castelo qui conduisaient à Oran, le 7 juillet,
un camion chargé de légumes, avaient été enlevés et,
comme toujours, n'avaient plus donné signe de vie.
69
être jeté dans un fourgon (1).
Le 18 juillet, le chef du centre de tri postal Oran-Saint
Charles annonçait au directeur intérimaire qu'un conduc
teur, M. RenéTournegros, manquait depuis plusieurs jours.
Il accompagnait son beau-frère, M. Lopez, qui allait s’em
barquer. A la grille du port, des agents de la police auxiliaire,
l'ATO, les arrêtèrent. On retrouva leurs corps, le 15 août,
dans une citerne abandonnée à 15 kilomètres d’Oran.Tour-
negros avait le crâne fracassé et les deux avant-bras sec
tionnés. Il n'est pas douteux que parmi les centaines de
victimes qui ont pourri ensuite dans le charnier du Petit Lac,
plusieurs ont subi des traitements aussi barbares.
Ces morts, la France ne les a guère pleurés. Il est vrai
qu'elle n'a pas su grand-chose de leur fin. Les organes
d'information signalèrent bien les ''incidents" d'Oran, mais
ils se gardèrent d'insister. Il ne fallait pas gâter le plaisir
d'avoir retrouvé la paix. Il ne fallait surtout pas annoncer
que cent jours après leur signature, les garanties des
accords d'Evian n'avaient pas joué. Ces accords n'étaient-
ils pas un des grands actes politiques du "plus illustre des
Français ?" L'opposition de gauche aurait pu attaquer les
hommes au pouvoir, mais elle était anticolonialiste et les
victimes étaient des coloniaux. On tourna donc la page.
Et s'ils avaient su ce qui s'étaiï vraiment passé le 5
juillet à Oran, les Français auraient-ils réagi ? Certains sans
aucun doute. Mais la masse ? On avait tant dit aux hexago
naux que les "évènements" d'Algérie représentaient la
révolte des pauvres indigènes opprimés contre les "gros
colons" et les buveurs d'anisette des grandes villes qu’ils
auraient conclu qu'il s'agissait d'une bavure de plus de la
décolonisation, un évènement ennuyeux sans doute, mais
irrémédiable. Le vent de ('Histoire avait soufflé un peu trop
fort ce jour-là, mais on ne peut rien contre le vent de l'His-
toire, auraient-ils conclu philosophiquement.
(1) On nous a signalé plusieurs cas où des policiers algériens vinrent arrêter des
Français qui avaient déjà quitté la ville. Les uns avaient fait partie de l'OAS.
I D'autres avaient congédié un employé indigène.
70
Le résultat de cet art de manier la lumière et l'ombre
dans la présentation des faits est patent. Combien de nos
compatriotes savent aujourd'hui qu'il y a eu un massacre de
Français à Oran le jour de l'indépendance algérienne ? Ils
savent tous que les Allemands de la division "Das Reich"
ont tué les 642 habitants d'Ouradour, en 1944. Mais ils
ignorent tout de celui d'Oran. On pourrait en conclure qu'il y
a une hiérarchie dans les tueries, qu'il y en a qu'il faut
perpétuer et d'autres sur lesquelles il faut jeter un voile.
Qu’on nous excuse d'avoir eu le mauvais goût de tirer de
l'oubli le massacre de tant de nos concitoyens.
Madrid - Carnoux en Provence, août 1984.
71
LES TÉMOINS DE L'AGONIE D'ORAN
Témoignages recueillis par i'Echo de l'Oranie
eî
Geneviève ce TERMANT fl
LES TÉMOINS DE L'AGONIE D'ORAN
RACONTENT :
Pour la première fois, vous lirez un récit - que nous pouvons dire
complet - des sanglants évènements qui ont marqué, à Oran, l'avène
ment de l'Algérie algérienne. Son auteur, un de nos fidèles amis, a été
le témoin de cette tragédie. Il n'aurait pas attendu jusqu'à ce jour
pour la raconter, mais, étant donné le climat gaullien, vous ne vous
étonnerez pas que nous ayons différé la publication de ce témoignage
: RIVAROL avait déjà suffisamment payé son indépendance par rap
port au Pouvoir et sa passion de la vérité pour ne pas risquer de mettre
en péril son existence même.
Aujourd'hui, les années ont passé, de nombreux ouvrages et des
articles plus nombreux encore ont été consacrés à l'abominable
affaire algérienne. L'armée française a été elle-même mise en
cause... par nos adversaires. Sinon sur elle, du moins sur certains de
ses chefs, d'autres choses sont à dire - d'une nature et d'une portée
toutes différentes. Nous nous y sommes déjà employés : notre ami J.P.
Roi se charge, dans son reportage rétrospectif, de dire toute la vérité
75
sur l'un des épisodes les plus infamants de la geste gaullienne.
Nous espérons que ceux qui liront ce n° et qui ne sont pas néces
sairement d'accord avec nous sur tous les sujets, comprendront, du
moins, pour quelles raisons essentielles, nous qui savions tout cela, si
même nous ne pouvions l'écrire, n'avons cessé de manifester au
personnage et à son «œuvre» une hostilité irréductible et totale.
Le gouvernement pompidolien s'apprête à envoyer une déléga
tion officielle représenter la Vcmc République aux fêtes «populaires»...
et militaires organisées à El Djezaïr pour le 10cmc anniversaire delà
victoire sur la France. Cette page sera notre contribution personnelle
à la célébration de cette «grande date».
76
Les massacres du 5 juillet sont évidemment la suite
logique, prévisible des évènements des trois derniers mois
de l'Algérie française, si l'on peut dire qu'elle était restée
française sous Christian Fouchet. Dans un retournement
cynique, la France du référendum était l'alliée puissante, la
force principale de la lutte contre les Français d'Algérie.
(Que l'on imagine Bazaine envoyé aider les Prussiens pour
écraser Denfert-Rochereau...).
Jusqu'au 30 juin, les responsables locaux étaient : le
préfet igame M. Thomas, personnage falot qui s'enfuit à la
base de Mers-el-Kébir dans des conditions qui ne ('hono
rent pas, le général Cantarel, commandant le Corps d'Ar-
mée, et qui avait sous ses ordres les détachements de
l'Armée de l'Air, dont les avions avaient mitraillé Oran le 19
mars, le préfet de Police, M. Biget, et le général Katz, com
mandant le secteur.
77
reconnut avoir torturé et tué vingt-sept personnes. Il fut
inculpé (1) : le général Katz le fit libérer.
Au hasard des rafles qui avaient lieu, le jour dans les
rues, la nuit dans les maisons, les hommes étaient entassés
dans des camions de C.R.S. ou de la Garde mobile et
promenés enchaînés dans les quartiers musulmans pour/
exciter la foule, et lui montrer comment la France traitait ses
ennemis. Pareille épreuve fut infligée à l'inspecteur généra?
des Ponts-et-Chaussées, venu à Oran pour le fameux Plan
de Constantine.
Un matin, le préfet Biget fit arrêter, comme otages, les
personnalités les plus notables de la ville : le vicaire général
du diocèse, les présidents de la Chambre et du Tribunal de
Commerce, le président de l'Ordre des Médecins, etc.
La fraternisation entre gardes mobiles et F.L.N. était
sans retenue : le soir, les premiers étaient généreusement
pourvus en prostituées envoyées par les seconds. Le 2
juillet, un banquet eut lieu pour fêter la victoire. Toute honte
bue, le chef d'escadron, qui co.mmandait la Gendarmerie
mobile, y assista. Au dessert, cet officier français alla jus
qu'à dénoncer certains de ses compatriotes dont il connais
sait les opinions contraires à la politique gaulliste.
Ces faits, choisis entre cent, montrent que, dans les
mois qui précédèrent l'indépendance, les autorités fran
çaises responsables à Oran menaient à grands fracas,
auprès des masses musulmanes, une campagne d'excita
tion à l'encontre de ces odieux Pieds-Noirs, ces criminels,
qui restaient le dernier obstacle à la vie nouvelle, joyeuse et
opulente qui était promise.
Cette politique, voulue et ordonnée en haut lieu, exécu
tée à Oran par des fonctionnaires sans envergure, allait
bientôt porter ses horribles fruits. Or, c'était l'époque où les
Buron, les Joxe et autres, multipliaient les appels, les pro-
78
messes pour que restent en Algérie le plus grand nombre de
Pieds-Noirs. La présence de l'Armée n'avait d'autre but que
de les protéger. C'est donc, dans un vaste traquenard, dans un
piège sanglant, que ces gens - dont on voudrait croire qu'ils
n’étaient que des incapables, mais hélas... -tentaient de
retenir toute une population.
Dans cette atmosphère surchauffée, le 1er juillet au
matin, tout service d'ordre est retiré des rues d'Oran, les
troupes françaises consignées sont dans les postes qu'elles
occupent pour quadriller la ville. Leur présence rassure les
Européens, tandis que s'exaspère le délire de la foule
musulmane.
Des orchestres à tous les carrefours jouent nuit et jour.
Ce ne sont que yous-yous frénétiques, cortèges hurlants
«•Algérie Ya-Ya», camions pleins de femmes dévoilées,
tapant dans leurs mains, parcourant, à tombeau ouvert, la
ville abandonnée à leur hystérie.
Une nouvelle Saint-Barthélémy était à prévoir, la
répression atroce, haineuse des autorités françaises l'avait
préparée. L'absence de service d'ordre l'encourageait.
Comment cela a-t-il commencé ? Y eut-il des agents
provocateurs ? C'est possible. Mais il suffisait d'un bruit
quelconque, d'une explosion dans un pot d'échappement,
pour précipiter cette masse, enfiévrée, vers n’importe
quelle folie.
Vers dix heures, aux abords de la ville nouvelle se
produisent des mouvements de foule. Des musulmans
fuient en criant : «Les voilà !>• Ils se calment d’eux-mêmes,
ne voyant rien venir. Mais, dès cette heure, des groupes
armés parcourent la ville, arrêtent les Européens qu'ils ren
contrent, les entassent dans des camions et les emmènent
soit au Palais des Sports, soit au commissariat central.
La route passe devant un hôtel réquisitionné pour les
sous-officiers de l'Armée française. Deux camions de mili
taires français montent la garde devant la porte. Ils regar
dent passer leurs compatriotes tenus à coups de crosse les
mains en l’air. Ils ne bougent pas. Des cadavres jonchent
déjà les trottoirs de la côte qui mène à la geôle.
Une rue sépare ce commissariat de la caserne du 28e,no
79
Train. Des hommes sont alignés contre le mur d'enceinte,
les mains en l'air. Ils sont fusillés. Mais des tringlots accou
rent au bruit de la fusillade, et du haut du mur, empêchent la
tuerie de se prolonger.
Un peu plus haut, des scènes d’horreur se déroulent
sous les yeux des gardes mobiles cantonnés près du lycée
de jeunes filles. Le chauffeur d'un avocat, Maître Flinois,
cherche à se frayer un passage en auto pour retrouver sa
femme, infirmière à l'hôpital, qu'il croit en danger. Il est
arrêté, poignardé, et ses meurtriers, montés dans sa voi
ture, passent sur son corps. Les gendarmes mobiles n'inter
viennent pas et ce sont des musulmans qui le portent à
l’hôpital proche ou il meurt en arrivant.
Vers midi, une véritable chasse au Français a lieu dans
toute la ville. En auto, à pied, des hommes armés tirent sur
tout Européen aperçu, mitraillant les restaurants, les cafés.
C'est à cette heure que sont attaqués les postes mili
taires de la gare et de l'Opéra. La riposte fera une cinquan
taine de morts parmi les musulmans.
Certains officiers, commandant des postes périphéri
ques, prennent sur eux de faire tirer sans sommations sur
les voitures armées qui passent à leur portée.
Le massacre général a commencé, cependant que Katz
ne change pas ses ordres. Quelques officiers français
conseillent à d'autres Français de se cacher, mais ils refu
sent de les prendre sous leur protection.
De leur côté, les chefs F.L.N. font ce qu'ils peuvent pour
empêcher ou arrêter les massacres. Il est évident qu’ils
avaient à cœur de donner au monde l'image d'une organisa
tion disciplinée, capable de maintenir l'ordre...
En fin de matinée, le commandant Bakhti, qui était le
responsable militaire pour Oran, téléphone à Katz pour le
prier de l'aider à contrôler la situation^ j. Il n'a que quel-
( 1) Plus tard, au cours des négociations qui auront lieu à la demande de l'amiral
Lainé. commandant la base de Mers-el-Kébir, pour obtenir le départ d'une
Katiba, qu'il avait imprudemment laissée s'installer dans le périmètre delà
base, ce commandant rappellera ses démarches du 5 juillet auprès du
généra! Katz à son interlocuteur, le sous-préfet chargé des a flaires civiles de
la base française.
80
ques centaines d'hommes aidés de quelques supplétifs. Il
les envoie parcourir la ville, allant de maison en maison
pour demander aux habitants de se barricader. Dans l'im
meuble que j'occupe, quelques hommes en uniforme pas
sent, conseillant de tout fermer. Mais ils ne sont pas plus tôt
partis que d’autres se présentent pour nous enlever. Ils ont
avec eux six Français, qu'ils alignent sous les fenêtres de
mon bureau et qu'ils rouent de coups. L'un d'eux, employé à
la base de Mers-el-Kébir, est tué.
Comment décrire toutes les scènes d'horreur qui se
déroulèrent dans la ville et dans les faubourgs ?< Donnons
plutôt les preuves que la passivité du général Katz s'exerça
de propos délibéré.
Il avait, dès avant midi, été sollicité par le commandant
des éléments réguliers F.L.N. d'Oran. L'évêché d'Oran
l'avait également supplié de délivrer certains Français dont
l'endroit de détention était connu.
Vers midi, la grande poste est envahie ; les employés
français enlevés ou massacrés. Au deuxième étage du bâti
ment, se trouve le poste radio-maritime d'Oran. Les
employés de service envoient un appel-radio demandant du
secours. De fait, quelques heures plus tard, trois cargos
étrangers viennent mouiller devant le quai pour emmener
les personnes échappées aux tueries. Seuls, la Marine fran
çaise de Mers-el-Kébir et les services d'écoute de l'Armée
n’auraient rien entendu ?
Vers 16 heures, quelques auto-mitrailleuses fran
çaises prennent position au centre de la ville et à certains
carrefours. Mais elles n'empêchent ni les enlèvements ni
les assassinats de se poursuivre (1).
A l’hôpital dirigé par les médecins F.L.N., et où se trou
vaient encore quelques médecins, religieuses et infirmières
françaises, les blessés sont soignés avec un entier dévoue-
(Il Les ramilles des militaires français ne sont pas épargnées. A la Cité militaire,
la femme et les deux filles d’un adjudant sont enlevées. Le Commandement
français apprendra plus tard qu'elles "servent" dans des maisons de
tolérance de la banlieue. H demande aux autorités locales leur libération.
Elles sont alors transférées à Tlemcen. L'adjudant sera, à ce moment, muté
en France. Seule mesure jugée opportune en haut-lieu...
81
ment. C'est, d’ailleurs grâce à l'énergie de l’un de ces
jeunes médecins algériens que nos blessés ne sont pas
achevés par une bande qui avait fait irruption dans l'hôpital
à cette fin.
Voilà donc, résumé, l'essentiel de cette journée dont les
horreurs, ajoutées à celles de la fusillade de la rued'lslyet
de bien d'autres devrait inspirer à la France gaullienne la
pudeur de ne plus parler désormais d'Oradour.
S'il est certain que ces massacres du 5 juillet n'ont pas
été ordonnés par les dirigeants du F.L.N. local (de même que
ceux de l'O.A.S. n'avaient été pour rien dans les raton
nades), il est non moins certain que les éléments de l'Armée
française avaient reçu l’ordre de rester neutres et ne devoir
en aucun cas secourir nos compatriotes.
Cet ordre avait été donné et confirmé par Katz, mais il
paraît impensable que, devant une situation aussi tragique,
un général quelconque, fût-il Katz, ait pris, sur lui seul, cette
atroce décision. Il a dû prendre un «parapluie» et se faire
couvrir par Paris, c'est-à-dire par Foccart, Tricot ou De
Gaulle lui-même. C'est la version la plus vraisemblable.
Pour le Pouvoir, il fallait à tout prix (même payé de sept cent
victimes françaises) que la France, que le monde ignorent
l'échec total, dès le début de juillet 1962, de la politique
d'Evian. De Gaulle se devait, pour sauver son «prestige»de
jeter le manteau de Noé sur les conditions ignominieuses
dans lesquelles il abandonnait l'ALGÉRIE FRANÇAISE.
Je rappelle que Katz était chef de bataillon en 58, briga
dier en 62. Il sera général de Corps d'Armée en 1963. Aquoi
a-t-il dû cet avancement napoléonien qu'est venu couron
ner une citation fracassante ? En reconnaissance des cada
vres français offerts par lui à la gloire de son maître ? C'est
l'hypothèse la moins honteuse pour lui : il fut simple exécu
tant des ordres donnés à l'échelon le plus élevé.
Si les familles pleurent toujours leur disparus, il y eut
un autre épilogue à cette journée qui restera une tache
ineffaçable dans l'histoire de la France : aux escadrons de
Gendarmerie mobile, ramenés d'Oran en Alsace en
automne 62, furent remis solennnellement des étendards !
Paris-Match s'était précipité pour publier les photos de cet
82
évènements patriotique... Rien ne manqua à la cérémonie
même pas les mots «Honneur et Patrie» écrits en lettres
d’or...
Exemple entre mille de l'imposture gaulliste...
P S.-LE MONDE a publié dans son n° du 9 juin, un récit des massacres du 5
juillet, signé B. Israël, In Fine, l'auteur rapporte qu'un commandant du F.L.N.
implacable mais juste, avait fait juger par un tribunal révolutionnaire les respon
sables de la tuerie et avait lui-même abattu le principal d'entre eux, un nommé
Attou. chef d'une bande qui terrorisait, pillait, rançonnait les quartiers S.-E. de la
ville : dans les jours suivant le 5 juillet, ce «brave» s'était, en outre illustré en
organisant la mise à mort de 500 Français enlevés - et cela au cours de fêtes
populaires. Je suis au regret d'opposer à M.B. Israël le démenti le plus catégori
que: l'illustre Attou se porte comme un charme. Ilestmêmefça ne s'inventerait
pasjemployé aux Abattoirs municipaux d'Oran I Un homme, vous le voyez, dont
la vocation est indéracinable..
J.P. RO!
83
pour l'Algérois, qui promit des camions. Tout était prêt. Mais
pris de scrupules, M. Nondedeu consulta son consul géné
ral Juillet et tous deux décidèrent de mettre Jeaneney au
courant. Ils allèrent à Rocher Noir et là, ('Ambassadeur de
France s'opposa à la délivrance des 40 Français : "Tout doit
être réglé par voie diplomatique !" Les 40 Français furent
tués. MM. Nondedeu et Juillet insultèrent leur ambassa
deur et s'en furent sans lui serrer la main. (Je tiens ceci de
M. Nondedeu lui-même).
Quant à l'A.L.N. d'Oran elle comprenait une Katiba (soit
une compagnie). Leur capitaine était un oranais bien connu
M. Némich (Bakti était son nom dans la résistance et son
frère était Directeur du Lycée Ardaillon), Némich était
employé avant 54 à la comptabilité des téléphones et l'ami
de nombreux Français, dont les Daber. Il a tout fait pour
empêcher les massacres...".
84
Témoignage de Madame Jeanne Cheula
extrait de son livre : "Hier est proche d'aujourd'hui"
Editions de l'Atlanthrope
85
mois d'octobre ! Avec nous était Monsieur le Curé de Saint-
Aimé, qui pensait partir dans la soirée par le "Kairouan”.
Une grande agitation régnait dans cette rue pourtant
loin des quartiers musulmans, et la circulation était difficile
au milieu des voitures aux couleurs de l'A.L.N. ou du F.L.N.
Ce n'était plus la grande joie, mais une démence sans
mesure et, pour nous, un malaise lourd d’angoisse.
Pour ne pas se heurter à un cortège plus bruyant et plus
important, qui semblait venir de la place Karguentah, les
abbés qui regagnaient le séminaire d'Eckmülh, me laissè
rent au bas du boulevard Marceau. Un boulevard Marceau
étrangement vide : à part un ou deux restaurants, tous les
magasins étaient fermés. Même vide dans les rues qui
entourent le plateau.
Je rentre vite. Il était près de midi. On entendait un bruit
confus de voitures, de klaxons et de coups de feu.
Je ne m'attarde pas dans les salles vides du commissa
riat. Ce vide partout est effrayant. Le désordre de l'apparte
ment, c'est tout ce qui reste de vie dans cette grande
maison.
Vers 13 heures, les coups de feu se rapprochent. Ce
n'est plus la fantasia. Les rues sont désertes et les rares
voitures qui circulent passent en trombe. Je descend véri
fier la fermeture de la grande porte d'entrée. La précaution
me parait pourtant dérisoire : les bâtiments communiquent
avec ceux de la poste{ qui sont vides eux aussi, à demi
incendiés, les ouvertures béantes.
Alors je me force à continuer mon travail. Mais la fusil
lade se rapproche tellement ! J'ai connu d'autres crépite
ments de mitrailleuses, mais ce sont des bruits auxquels on
ne s'habitue pas et ceux-ci claquent si près qu'on dirait une
grêle qui fouette la maison.
Par l'interstice du volet, toujours le même volet, à peine
soulevé, j'ai toute la rue Dutertre en enfilade. Sans doute
d'autres gens guettent et tremblent comme moi derrière ces
volets clos.
Et j'ai vu sans comprendre, pendant trois heures - ce
cauchemar a duré trois heures-, des hommes se poursuivre
86
en descendant la rue Dutertre. Ceux qui n'étaient pas armés
ne couraient pas longtemps : une rafale les clouait sur
place. Combien ? vingt, trente ? Qui tuait ? Qui mourait ? Je
ne voyais pas d'uniformes, mais les A.T.O. en avaient-ils ?
Seulement des pistolets sans étui dans leur ceinture.
Aux détonation qui ébranlent la maison et font vibrer
les vitres s'ajoutent maintenant les hurlements, des hurle
ments de fous, d’indiens de Western ! C'est à peine soute
nable. Des hommes hurlent, tirent et courent de tous côtés.
Il y a des cadavres partout.
Des coups de crosse ébranlent la porte. S'ils entrent ce
ne sera pas la peine de me cacher... Et pourtant, incons
ciemment, je reste dans la cuisine, la seule pièce qui n'a pas
d’ouverture sur la rue. Et je m'habille malgré la chaleur : Je
ne veux pas qu'on me trouve à demi vêtue.
Vers dix-sept heures, il y eut un peu moins de cris,
moins de tirs et plus personne dans la rue. Où étaient les
militaires ? Que faisait l'armée ? L’armée qui devait nous
protéger était-elle devenue un otage ?
Pendant un long moment encore, la rue fut déserte.
De la première voiture que je vois déboucher sur la
place descendent des agents que je connais; notamment M.
Nicolas, un des policiers du 5on,G(1 ), muté en France comme
les autres. Prudemment il rampe sur la chaussée pour rega
gner son domicile. Je n'ose pas encore lever les volets.
Ce silence de mort qui maintenant enveloppe la ville,
c’est tout ce qui reste de la fête; et ce qui domine en moi et
me laisse tremblante, c'est l'immense angoisse qui va per
sister jusqu'au retour des miens.
Un bruit de camions dans la rue... des gensau commis
sariat... Ce sont les Gardes Mobiles qui viennent provisoire
ment y installer leur P.C. Voir de si près des uniformes
pourtant détestés, ce fut à ce moment rassurant !
Alors je suis descendue. Dans la rue, il y avait du sang
partout, et des gosses, les rares gosses du quartier qui
87
n'étaient pas partis, ramassaient les douilles des balles en
criant : "40 F le kilo" !
Ce n'est que le lendemain que les nouvelles ont com
mencé à circuler sur les horribles tueries qui ont ensan
glanté tous les quartiers. Les gens se cherchent, beaucoup
sont resté cachés n'importe où, les disparitions ont été
longues et difficiles à établir. Le soir du 5 juillet, il n'y a plus
de place à la morgue. On en refuse l'entrée. Les corps
entassés, mutilés, sont méconnaissables.
On ne saura jamais toutes les horreurs de cette jour
née. Ceux qui en ont réchappé évitent d’en parler, ceux qui
les ont vues renoncent à les décrire. Il y eut plus d'un millier
de disparus qui connurent une fin atroce, tués sur place,
traînés en Ville Nouvelle, égorgés aux abattoirs, torturés au
Petit Lac et abandonnés dans les eaux boueuses de cet
endroit sinistre où l'on ne s'aventurait jamais.
Ce brusque retour à la sauvagerie, ces crimes d’une
cruauté inouïe qui, en quelques heures achevèrent de vider
Oran ont créé l'irréparable. Un jeune Musulman ami le
sentait très bien, qui nous disait quelques jours après :
"Madame on a trop honte; ne parlons pas de ce jour-là".
En moi, qui revis en les écrivant ces images de douleur
et de sang dont je ressens encore l'écho, revient la crainte
de ne pas savoir dire l'essentiel; je me sens trop concernée.
Un tel massacre, déclanché simultanément dans tous
les quartiers de la ville au lendemain de l'indépendance,
était l'aboutissement de cette vague de fanatisme si bien
entretenue par la propagande de huit années de men
songes. S'y ajoutèrent tout naturellement "les ralliés" de
dernière heure, prêts à tout pour se faire pardonner leur
attentisme et l'amitié gardée trop longtemps pour les
Français.
Aux entrées de la ville, on arrêta les Européens qui
arrivaient de l'intérieur. Beaucoup devaient s'embarquer
sur le "Kairouan", d'autres venaient pour leur travail. Com
bien ont disparu ? Arrivera-t-on à en établir la liste ? Long
temps le Petit Lac resta rouge de sang.
Boulevard de Mascara et boulevard Joseph-Andrieu,
les rares Européens qui circulaient furent les premières
88
cibles, en même temps que les concierges de ces boule
vards, une soixantaine, massacrés sur place. Vers dix
heures, la horde que j'avais vu déboucher sur la place Kar-
guentah se répandit dans le centre, dans les marchés, les
magasins, au "Monoprix". Des musulmans réussirent
pourtant à sauver quelques clientes. Les femmes arabes
étaient déchaînées, plus cruelles que les hommes. On eut le
temps de fermer la grande porte, des gens qui s'y étaient
réfugiés y restèrent tout le jour. D'autres restèrent dans le
hall de l"'Echo d'Oran", dont on avait aussi fermé la grosse
porte. Rue de la Bastille, le carnage fut atroce, les apparte
ments envahis, les gens tués chez eux. Ceux que j'avais vu
courir et tomber rue Dutertre, c'étaient ceux qui avaient été
surpris dans la rue ou qu'on avait fait sortir des cafés et des
restaurants.
Par son silence, l'autorité a été complice des atrocités
commises ce jour-là. La population Européenne d'Oran a
été abandonnée au massacre.
Et la liste est longue, longue, des disparus de ce 5 juillet
et des jours qui suivirent.
J'ai connu la grande peur qui régna à Oran à partir du 5
juillet et qui vida des quartiers entiers : Choupot, les Mimo
sas, Eckmülh, Delmonte... Tous ceux qui, par hasard au
cours des mois précédents avaient fait l’objet de vérification
d'identité, et ceci sans raison, s'étaient vu enlever leur carte
d'identité. Ils risquaient, maintenant que le fichier de la
gendarmerie était aux mains du F.L.N. de se voir arrêter et
exécuter dans la minute suivante.
Les gens se sentaient tellement menacés en ville qu'ils
préférèrent camper entassés au port ou à La Sénia, dans
des conditions absolument inhumaines; ce fut une autre
forme de supplice.
Il fallait d'abord pouvoir arriver jusqu'aux endroits de
départ. Toutes les routes de l'intérieur étaient contrôlées
par l'A.L.N.; jusqu'à La Sénia, on arrêtait l'immense file de
voitures.
Beaucoup restèrent plusieurs jours accroupis, couchés
au milieu des ordures, sans nourriture, dans le seul espoir
89
d'être le plus près possible des avions au cas où il y aurait
des défections ou des vols supplémentaires.
On refusait le passage aux aides bénévoles : infir
mières, religieuses, docteurs ne pouvaient apporter leur
secours qu'à certaines heures. De jeunes enfants, des vieil
lards en moururent.
Peu d'avions. Les transports maritimes furent en grève
plusieurs jours, les bateaux supprimés. Ultime brimade, on
refusait aux Oranais les moyens de sortir de leur enfer, on
leur refusait l'exode !
Les centres d'accueil fermèrent peu à peu leurs portes,
les derniers réfugiés partis, leur œuvre était terminée.
Oran était maintenant une ville morte. La joie hystéri
que des premiers jours de l'indépendance avait fait place à
un silence de mort. Le canon et les mitraillettes avaient
remplacé le tam-tam.
Par ordre du nouveau préfet de police musulman, L.
Souiah, très conscient de ceux qui étaient responsables du
massacre des Européens, une cinquantaine d'A.T.O.
avaient été fusillés et beaucoup désarmés.
Et d'ailleurs, pour de vieux réglements de compte, les
A.L.N. et les A.T.O. setuaientfacilement entreeux. Il y eut le
5 juillet des centaines de morts musulmans tués et enterrés
par d'autres musulmans.
Nous évitions de sortir. Le voisinage des Gardes rouges
était pénible, la préparation du déménagement bien diffi
cile. Les cadres, qu'on clouait à même les rues vides, accu
saient davantage cette impression de mort qui pesait sur la
ville. Ces clous, ces planches, c'étaient les cercueils de ceux
qui partaient.
Peu importait d'ailleurs ce qu'on emportait, ce qu'on
retrouverait, où ? Et quand ? Pauvres souvenirs de toute une
vie !
Ce qu'on abandonnait sur place était autrement pré
cieux : tant de jours vécus sous ce ciel de lumière, tant de
tombes !
Quand deux yeux se ferment c'est bien plus qu'eux-
mêmes qu'ils emportent ! Dans ce pays que nous avons vu
90
mourir, c'est bien plus que des réalisations matérielles que
nous avons laissé : c'est l'âme de tous ceux qui l'avaient
marqué en faisant par delà la mer, une province de France.
Quatre ans et sept semaines après le 13 mai, la longue
plainte de l'Algérie se tait : il ne reste que le chaos.
Et nous sommes comme d'autres, tout étonnés d'être
encore vivants.
Le crêpe de deuil qui enveloppait Oran avec la fumée du
port s'est dissipé; mais sous le soleil retrouvé, au lendemain
de ces fêtes sanglantes, les misères de la ville paraissent
encore plus cruelles.
Le silence est oppressant. Dans les quartiers saccagés,
les rues sont désertes, les ordures achèvent de brûler, les
volets qu'on a oublié de fermer battent aux fenêtres, les
autres sont clos sur le vide des maisons. Les chats et les
chiens abandonnés errent misérablement, les oiseaux se
sont envolés des cages qu'on a laissées ouvertes. La pous
sière et les papiers s'accumulent derrière les grilles des
magasins qu'on n'ouvrira plus. Sur les chantiers désertés,
les bâtiments en construction restent inachevés, flanqués
de grandes grues inutiles. Et. lancinant, au dessus de ce
gâchis, le ronronnement de l'hélicoptère, oiseau de mal
heur qui n'a pourtant plus grand chose à surveiller.
Alors comme tous les autres, nous avons été ceux qui
allaient partir puisqu'on ne nous laissait pas d'autre issue
que la terreur ou l'exil. Il n'y a plus de place, plus de liberté
pour les Pieds-Noirs dans le nouvel Etat qui va naître.
Déménager, la question se posait depuis des semaines !
Après bien des démarches, bien des refus, j'avais trouvé
une maison qui se chargeait d'acheminer notre mobilier à
condition que tout soit emballé et surtout à condition de
trouver des cadres. Le bois, les clous étaient devenus très
rares; il fallut d'autres démarches, d'autres courses pour
trouver dans les environs d'Oran une entreprise qui se
chargeait de les construire. Et malgré tout ce qu'on nous
avait promis, ils n'arrivèrent qu'après notre départ ! Et pas
assez grands : je m'était trompée dans le cubage du mobi
lier. Jacqueline eut la pénible besogne de surveiller par
91
deux fois un chargement que nous avons miraculeusement
retrouvé deux ans après 1
Des quinze derniers jours vécus à Oran, je garde le
souvenir confus des démarches épuisantes pour le départ,
des bagages préparés dans une demi-inconscience.
Entre-temps, dix jours après le 5 juillet, on avait embar
qué plus de deux milles personnes sur le porte-avion
"Lafayette" et sur le "Kairouan”.
Plus de ravitaillement; mais nous ne nous en soucions
guère. Les provisions qui restaient étaient plus que suffi
santes, on les partagea avec ceux qui n'avaient plus rien.
Aïcha, à qui je ne pouvais cacher ces préparatifs, se
griffait le visage de désespoir : "Madame, tu reviendras !”
Les Gardes rouges avaient quitté le commissariat,lais
sant la place aux nouvelles forces de police ; elles étaient
correctes mais nous évitions de nous rencontrer... Aïcha
n'osait plus traverser les bureaux, je t'accompagnais.
La plupart des nouvelles recrues de police ne savaient
pas écrire 1 Alors le demandeur consignait lui-même les
motifs de sa plainte, qu'on enregistrait d'une nouvelle
manière : en collant le P.V. sur un registre, qui évidemment
grossissait à vue d'œil. On ne sut jamais qui avait volé notre
voiture : on la retrouva huit jours après sur la Corniche, sans
qu'elle ait subi aucun dommage.
Et ce fut le matin du départ. Personne à qui faire un
signe d'adieu, comme s'il ne restait plus que nous sur notre
trottoir au plateau Saint-Michel !
Ce matin-là, il faillait surtout faire vite, tellement vite...
Et pourtant il n'y avait plus rien à fuir, que nos seules
émotions et notre attendrissement.
C'était hier...".
92
Extraits du livre de Gérard Israël :
"Le dernier jour de l'Algérie Française'
Editions Robert Laffont - Chapitre VIH
"Mourir à Oran"
93
des foulards vert et blanc, se rassemblent silencieusement.
Sur l'autre trottoir, les petites filles des écoles, chemisier
blanc, jupes vertes, obéissent aux ordres des monitrices.
Des jeunes gens vont et viennent à la recherche de leur
place dans ce qui semble devoir être un immense défilé
pacifique. En effet, vers neuf heures, toute cette foule se
met en mouvement. Elle se dirige tout naturellement vers la
ville européenne. Il y a quelques chants, quelques cris,
quelques slogans, mais pas d'excitation, pas d'appels à la
vengeance. La manifestation descend le Boulevard Joffre,
inonde la Place d'Armes, déborde Rampe Valès séparant
ainsi le Château-Neuf, siège de l'état-Major de l'hôtel Mar
tinez réquisitionné par l'armée française et sur lequel flotte
un pavillon tricolore.
“Plus loin, un immense bras de défilé a descendu le
Boulevard du 2cme Zouave, a envahi la place Karguentah,
devant la “Maison du Colon" qui est à la fois une banque et
le siège d'un syndicat d'exploitants agricoles. Enfin des
groupes compacts atteignent la Place Jeanne d'Arc située
devant la Cathédrale. Les manifestants marquent une
pause. Une certaine impatience se fait jour.
“Une musulmane, après avoir poussé une série de
you-you stridents, grimpe sur le socle de la statue équestre
de la pucelle d'Orléans. On lui tend un drapeau vert et blanc.
Après plusieurs tentatives infructueuses, scandées par les
cris vengeurs de la foule, la femme réussit à accrocher
l'emblème algérien à l'épée que Jeanne d'Arc pointe vers le
ciel. Une immense clameur accueille la performance. Alors
l'égérie entreprend une danse du ventre endiablée entre les
pattes de la monture cabrée de celle qui bouta hors la
France, l'envahisseur anglais. Un gigantesque cri de satis
faction parcourt la multitude. Puis les mains claquent au
rythme de la danse. Des milliers de mains scandent léchant
à deux temps de cet étrange ballet.
“Paul Chambreau, qui descend de la rue Beauprêtre où
il habite, jusqu'au mess des sous-officiers où il va déjeûner,
assiste de loin à ce spectacle incroyable. Parmi les militaires
français, la discussion va bon train. “Il était entendu que la
manifestation ne déborderait pas dans les quartiers euro-
94
péens. Ils sont maintenant des dizaines de milliers, place
d’Armes, place Karguentah, place Jeanne d'Arc. A mon
avis, çà va aller mal", dit le barman. Paul entend un gradé
qu'il ne connait pas répondre :
"Non, ils sont en bordure du cœur européen d'Oran,
tant qu'ils ne pénétreront pas boulevard Clémenceau, rue
du général Leclerc, on ne pourra pas dire qu'ils ont envahi la
ville européenne".
L'autre continue : "Moi, je vous dit qu'ils ont rompu leur
engagement, des milliers d'européens habitent là où ils se
trouvent maintenant".
Le gradé hausse les épaules : "Enfin, ils sont chez eux non ?".
"Dehors la foule semble attendre quelque chose, un
ordre, un événement. Le bruit court que l'armée du djebel va
défiler dans Oran. C'est elle qu’on attend avec impatience.
La tension monte de minute en minute. Les petites filles
elles-mêmes si sagement alignées dès le matin dans leurs
beaux uniformes neufs, commencent à crier et à reprendre
des slogans qu'elles ne comprennent pas.
"Pourtant aucune clameur hostile aux Français n'est
entendue. On dit dans la foule qu'une manifestation de
réconciliation est prévue et que c'est pourquoi les arabes
sont "descendus en ville". C'est du moins ce que certains
militaires français ont entendu dire dans la rue.
"Paul Chambreau qu: est en civil descend vers la place
d’Armes. La chaleur est extrême. Des groupes de femmes et
d’enfants dansent sur un rythme, des chants arabes puis
sants et désordonnés sont repris par tous. Il y a une atmo
sphère de liesse qui paraît inquiétante à Paul. Il décide de
rentrer chez lui pour se mettre en uniforme.
Le général Katz pense pouvoir s'accorder quelques ins
tants de détente. Il a confiance en la parole du capitaine
Bakhti. Mais le général est amer : non seulement le gouver
nement l'a laissé "se débrouiller" pendant des mois avec
les oranais déchaînés, mais encore au moment de l'indé
pendance, on lui donne des instructions incompréhensi
bles. En effet, s'il faut appliquer à la lettre ce qui est
demandé à l'armée, il ne peut être question de sortir des
95
cantonnements ; l'armée n'a plus de compétence territo
riale. Elle peut intervenir dans les cas graves, si /'autorité
française en obtient la permission de /'autorité algérienne.
L'autorité française ? C'est quoi ? Il n'y a plus à Oran de
préfet, ni de préfet de police. MM. THOMAS et BIGET sont
partis. Il n'y a pas encore de représentant diplomatique, pas
de consul général. L'autorité algérienne ?Théoriquementil
devrait s’agir d'un fonctionnaire d’autorité nommé par l’ex-
cécutif provisoire. Or une telle nomination n’a pas eu lieu.
S'agit-il d'un représentant du G.P.R.A. ? Il n'y en a pas non
plus.
"Alors, dans quelle hypothèse peut-il envisager une
intervention de l'armée française ? La seule possibilité c’est
la réquisition des Algériens. En somme, Katz ne peut imagi
ner rétablir l'ordre, en cas de trouble, que si le F.L.N. vient le
lui demander. Bakhti est bien le maitre de la situation. Mais
quel est l'imbécile qui a rédigé les instructions générales
pour l'armée française après l'indépendance ? Katz, après
avoir matraqué les katibas, a dû faire la guerre aux pieds-
noirs et le voilà aujourd'hui transformé en bras séculier de
la République algérienne que personne ne dirige.
"Bref, aujourd'hui, 5 juillet, les troupes françaises, sur
tout les gardes mobiles sont consignées. Les C.R.S. relevant
du ministère de l'intérieur sont hors de jeu depuis le jourde
l'indépendance. Que reste-il ? Quelques militaires du
contingent en faction devant les postes militaires : collège
Ardaillon, école Jules Ferry, lycée Ali-Chekkal, hôpital Bau-
dens. Il n'y a pas d'unités mobiles en ville, pas de patrouilles
et par conséquent pas de renseignements sur la situation
véritable à Oran. La seule liaison normale qui relie l'arméeà
la ville, c'est le téléphone. Les Pieds-Noirs peuvent appeler
l'armée. Mais le central a été sérieusement endommagé et
les communications sont difficiles sinon impossibles dans
certains quartiers.
"Devant le théâtre municipal, un mouvement d’abord
imperceptible se produit dans la foule. Une sorte de silence
s'établit, une ombre plane sur la multitude. Quelques res
ponsables du F.L.N. sont là, ils regardent vers le boulevard
Joffre, semblant attendre un.signal. On entend brusque-
96
ment, un, deux, trois, quatre coups de feu isolés. Au même
moment, plusieurs jeunes gens partent en courant dans
toutes les directions, ils crient : "C'est l'OAS, c'est l'OAS qui
nous a tiré dessus". La foule est d'abord incrédule, puis tout
le monde se met à courir en hurlant O.A.S., O.A.S., O.A.S.
"De ce rassemblement si pacifique émergent soudain
des hommes en armes qui tirent dans toutes les directions.
Des hommes, des femmes, tombent morts ou blessés. On
tire sur les sentinelles françaises en faction devant la mai
rie, le château-neuf ou l'hôtel Martinez. Après un moment
d'hésitation, les soldats français tirent à leur tour. Des
musulmans tombent. Des européens qui se promenaient à
l’entrée du boulevard Clémenceau entre les palmiers qui
sont à l'angle du boulevard Galliéni, sont foudroyés sur
place par des tireurs algériens. Fernand Martinez, le pro
priétaire de l'hôtel qui porte son nom, est tué d'une balle
dans la poitrine. A l'angle de la rue des Jardins, et de la place
d’Armes, tout près du chemisier Temime, quatre européens
et un arabe sont étendus morts. Tout le monde court, les
femmes arabes s'échappent en hurlant par le boulevard
Joffre, les européens se précipitent dans le boulevard Clé
menceau, cherchent un refuge dans les immeubles. Mais
les concierges ont le réflexe rapide. Les portes sont
fermées.
"Place Karguentah la fusillade éclate à peu près au
même moment. Tous les européens sont tués sur place.
Dans une brasserie, quatre Français jouent aux cartes en
buvant leur anisette. Des Arabes entrent dans le café, les
font sortir les mains en l'air et les abattent sur place. Là
aussi la foule commence à courir en tous sens, mais la
plupart des manifestants se dirigent vers la rue d'Arzew.
Arrivés au carrefour, ils bifurquent dans le boulevard Clé
menceau, comme s'ils obéissaient à un mot d'ordre.
"La foule montante et la foule descendante se rencon
trent Place Villebois-Mareuil, à hauteur du Café Riche. Là
aussi, il y a des morts, car on tire toujours et dans toutes les
directions, sur les européens, sur les fenêtres, dans les
couloirs des immeubles, sur les terrasses. Des hommes en
uniforme apparaissent, ils sont les plus pressés d'ouvrir le
97
feu. Des civils, la chemise grande ouverte sur la poitrine,
tenant un pistolet ou un fusil à la main, courent dans le
sillage des militaires du F.L.N.
"L'armée française ne tire plus et se barricade dans les
postes de garde en position de surveillance. On a amené le
drapeau français qui flottait sur l'hôtel Martinez, pour ne
pas exciter la multitude. La place d'Armes est vide. Lestirsy
ont cessé, mais boulevard Clémenceau, la place Karguen-
tah, la rue d’Arzew, les détonations se succèdent à un
rythme accéléré.
"Un hélicoptère survole la ville : le général Katz essaye
d'apprécier la situation. D'après le rapport des sentinelles
de la place d'Armes, il y au moins vingt morts européens.
Mais maintenant, la ville semble calme, tout est, apparem
ment, rentré dans l'ordre, c’est du moins ce que, du haut de
son hélicoptère, le général Katz croit pouvoir conclure. Il
vaut mieux éviter un affrontement avec le F.L.N., pense-t-il.
"Quelques instants plus tard, l'hélicoptère a disparu.
"Paul Chambreau se rend compte qu'en dehors de la
vingtaine de morts européens qu'il a pu voir dans la rue,
d'autres exactions se sont produites. Des Oranais télépho
nent à leurs amis, ils sont affolés. Les "absents" sont nom
breux. S’agit-il de vérifications d'identité, d'internements
administratifs ou alors tout simplement de représailles ?
A-t-on décidé de faire payer aux Oranais leur folie, leur
passion pour l'Algérie française ? Les Algériens et les forces
de l'ordre françaises ont-elles décidé de donner une leçonà
cette population qui a soutenu l'O.A.S. ?
"Personne ne peut croire que des gens de l'organisa
tion subversive aient pu être assez fous pour tirer sur la
foule arabe. Il n'y a plus de commandos en ville. Ilssonttous
en exil. A supposer même que des déments aient voulu s'en
prendre à la manifestation joyeuse des Arabes, ils auraient
sûrement choisi un autre moyen que deux ou trois coups de
feu isolés. La provocation est évidente. On a livré Oran aux
pogromistes. D'ailleurs où étaient durant toute cette jour
née, les septs katibas de l'A.L.N. qui ont impeccablement
défilé l'avant-veille boulevard Herriot ? Il aurait suffi qu'elles
se montrent pour faire cesser les troubles ; où était le
98
capitaine Bakhti, l'homme fort, l'homme de confiance,
celui-là même qui déclarait le 3 juillet qu'il n'était pas ques
tion d'égorgement ? Enfin où était le 5 juillet, M. René
SOYER, si actif pour obtenir la réconciliation, la fuite des
derniers commandos O.A.S. et des assurances du F.L.N.
Paul se demande vraiment si le général Katz a su apprécier
dans toute son ampleur le drame qui se préparait, dès le
déclanchement du premier coup de feu.
"Dans les conversations angoissées qu'il entend, Paul
Chambreau note qu'il est souvent question du ''Petit Lac".
Des exécutions en série y aurait eu lieu. Le "Petit Lac" c'est
un endroit situé à la grande périphérie d'Oran, en direction
de l'aéroport, jouxtant les quartiers arabes. C'est une
grande étendue d'eau salée qui sert de dépotoir clandestin
et aux bords duquel personne ne passe jamais.
"La nuit tombe sur Oran. Comme aux plus beaux jours
de l'Algérie française, la gendarmerie mobile veille".
99
rue, sans parler des 110 musulmans également tués le plus
souvent par des balles perdues.
"Pourtant Oran semble reprendre l'apparence d’une
ville civilisée : un préfet musulman va prendre sesfonctions
: M. Laouari Souiah a été officiellement désigné par l'exécu
tif provisoire, mais tout le monde connaît ses sympathies
ben bellistes. Apparemment, ce haut fonctionnaire n'était
pas à Oran le 5 juillet. Il se fixe aujourd’hui pour mission de
ramener le calme et d'empêcher le départ général des Ora-
nais. Les événements de la veille sont le fait d'irresponsa
bles qui seront sévèrement châtiés, dit-il à tous ceux qu’il
rencontre.
"Des soldats réguliers de l'A.L.N., en tenue "para"
circulent en ville, l'air calme, fiers de leur discipline. Des
gardes mobiles assurent l'ordre. Le général Katz est heu
reux d'avoir pu obtenir, malgré le silence des accords
d'Evian sur ce point, qu'une telle mission lui soit confiée.
"Pourtant, au commissariat central, à l'état major de
l'armée française, à la mairie, les déclarations de disparition
s'accumulent. En quelques heures, cinq cents noms sont
enregistrés.
"Le général Katz peut se dire que bon nombre de per
sonnes portées disparues ont, en fait, pu quitter Oran en fin
de soirée sous la protection de l’armée sans avoir pu préve
nir personne. Mais les Oranais pensent exactement le
contraire. Ceux qui sont partis par le "Kairouan" ou par La
Sénia étaient des célibataires occasionnels, personne n'a
pu faire de déclaration les concernant. Même si, des per
sonnes ayant encore leur familles à Oran, prises de pani
que, ont choisi de fuir, elles auraient télégraphié dès leur
arrivée. Au demeurant, il n'est pas dans les habitudes des
Oranais d'abandonner femmes et enfants.
"En fait, c'est le contraire qui est la vérité. L'existence
de 500 dossiers de disparition ne donne pas une idée suffi
sante du nombre d'enlèvements. Beaucoup d'Oranais
étaient seuls chez eux, leur famille étant en France, per
sonne n'a pu signaler leur absence. D'autre part, plusieurs
habitants des villes de l'intérieur venuss'embarquerà Oran
100
sur le "Kairouan" ont très bien pu disparaître sans que
personne ne s'en inquiète.
"Le général Katz est perplexe. Mais que faisaient donc
tous ces Oranais dans la rue en ce jour qui devait marquer la
grande réjoussance algérienne ? Si les Oranais avaient été
capables de rester chez eux, rien ne se serait produit. Et
puis, se dit-il il y a eu cette provocation, ces fameux tirs de
commandos attardés de l'O.A.S. sur la foule musulmance
qui manifestait sa joie, place d'Armes...
"Pour le général, il n’y a aucun doute : le nombre des
disparus est exagéré et l'O.A.S. a provoqué les incidents en
tirant sur les arabes. C'est confiant dans cette double certi
tude que le général Katz prend connaissance, le samedi 7
juillet, des premières déclarations du préfet Souiah :
"Européens, Musulmans,
Des événements douloureux et regrettables causés
dans la journée du 5 juillet par des éléments provocateurs et
incontrôlés ont endeuillé la ville d'Oran. Ces faits font l'objet
d’enquêtes actuellement en cours aux fins de châtier sans
pitié les responsables. Nous ne pouvons tolérer pareils
actes criminels à un moment où il est demandé une mobili
sation de toutes les énergies saines pour la reconstruction
de notre pays, objectif suprême de notre révolution. En
conséquence, des mesures très sévères viennent d'être
prises dès notre installation à la préfecture, notamment le
désarmement complet des éléments incontrôlés et nous
assurons que rien ne sera négligé pour ramener le calme et
la confiance, conditions fondamentales pour la réalisation
d’une véritable coopération et le respect des accords
d'Evian".
"Curieusement, le nouveau préfet ne rejette pas la
responsabilité des incidents sur des européens de l'O.A.S. Il
annonce qu'il va désarmer les éléments incontrôlés. Il
aurait été facile de laisser croire à l'opinion internationale
que les événements dramatiques du 5 juillet étaient impu
tables aux fascistes de l'O.A.S. Laouari Souiah ne le fait pas.
Le général Katz peut-il continuer à le faire ? se demandent
les Oranais.
101
"Quant au nombre des disparus, il est évident que le
représentant du gouvernement algérien à Oran prend la
chose très au sérieux. Il a laissé M. Coignard, adjoint au
maire, constituer un comité provisoire de liaison, dont le but
est de retrouver les disparus. Il a reçu ce comité, donné des
assurances.
"Mardi 10 juillet, tous les journalistes présents à Oran
sont conviés à une conférence de presse du capitaine
Bakhti, le responsable de la zone autonome d'Oran, c'est-à-
dire celui sur qui pèse depuis l'indépendance, la responsa
bilité de l'ordre. Il s'agit de faire la lumière sur les
événements du 5 juillet.
"Vers six heures du soir, au lycée Ardaillon, le capitaine
Bakhti se présente aux journalistes venus l'écouter. Il
annonce que dans quelques instants tout le monde sera
conduit en un lieu où sont détenus plus de deux cent bandits
responsables des massacres du 5 juillet. Cette nouvelles
fait sensation. Personne ne se pose ni ne pose au capitaine
Bakhti la question de savoir si au nombre des provocateurs
se trouvent des européens.
"Quelques minutes plus laid, un convoi de voitures
prend la direction de Pont-Albin, un petit village situé à une
dizaine de kilomètres d'Oran et où sont installés des déta
chements de l'A.L.N.
Arrivés dans la cour d'une ferme, les journalistes for
ment le cercle autour du chef de zone autonome d'Oran.
Celui-ci parle d'un ton courtois mais sec. Il a l'air sévère
mais essaie de séduire.
Voici les différentes phases de l'opération qui ont per
mis à l'A.L.N. d'arrêter deux centémeutiersdu 5 juillet. Il y a
longtemps que l'A.L.N. connaissait l’existence d'une bande
d'assassins dans les faubourgs du Petit Lac, de Victor-Hugo
et de Lamur...
Il était évident dès les premières heures que ces indivi
dus étaient responsables des événements de jeudi dernier.
Mais il fallait que l'A.L.N. puisse agir avec certitude. La
patience était donc nécessaire.
D'après les renseignements recueillis, on commença à
se flatter dans certains quartiers de la ville nouvelle de
102
l'invulnérabilité d'un gang à la tête duquel se trouvait
Moueden dit Attou. Ce dernier était connu pour son carac
tère sanguinaire et sa cruauté.
Dans la nuitdedimancheà lundi, à deux heures et demi
du matin, deux bataillons de l'A.L.N. ont bouclé le quartier.
C'est au cours de cette opération que deux cent meurtriers
furent arrêtés. Attou tenta de résister, il tira sur l'A.L.N. Il fut
abattu (1).
De plus, deux tonnes de matériel de guerre, armes et
fournitures diverses, ont été récupérées. On retrouva plu
sieurs objets qui avaient été volés le 5 juillet.
Puis le capitaine Bakhti présenta les prisonniers. Ils
étaient correctement vêtus et ne semblaient pas avoir subi
de sévices.
La tête baissée, les mains derrières le dos, ils obéirent
aux ordres du commandant du camp qui les rassembla
facilement dans la cour de la ferme. On demande au capi
taine Bakhti : "Seront-ils jugés ?"
- Ils passeront devant le tribunal militaire de l'A.L.N.
Un avocat, officier de l'A.L.N. assurera leur défense. Coupa
bles, ils seront fusillés. Dans le cas contraire, la liberté leur
sera rendue".
103
cette série d'enlèvements. C’est un bien triste leg que nous
ont laissé ces bandits”.
Les journalistes quitte le commandant de Z.A.O. forte
ment impressionnés par la détermination de cet hommequi
semble tout-puissant sérieux et animé de la meilleure
volonté de paix.
"Malgré toutes ces explications, souvent honnêtes
notamment du côté algérien, Paul Chambreau se demande
à la lecture de l'"Echo d'Oran”, pourquoi le 5 juillet, ni le
général Katz, ni le capitaine Bakhti, ni leskatibasdel’A.L.N.,
ni le préfet Souiah, ni le préfet de police n'étaient en ville,
ou, ce qui revient au même, s'ils y étaient, pourquoi n'ont-ils
rient tenté avant cinq heures du soir pour arrêter le massa
cre. La chose était facile : l’autorité algérienne disposait de
sept compagnies disciplinées et entraînées. L'autorité fran
çaise pouvait, aux termes des accords, sur réquisition des
Algériens, faire donner la gendarmerie mobile.
"A-t-on d'un commun accord, livré Oran auxémeutiers?
Cela n'est pas pensable.
Beaucoup de journalistes pieds-noirs qui ont assisté à
la conférence de presse du capitaine Bakthi se sont deman
dés si, après les explications du chef de la Z.A.O., le général
Katz allait persister dans sa thèse selon laquelle l’O.A.S
aurait provoqué les Arabes.
Pour ce qui est du nombre des disparus, le nouveau
consul général adjoint de France à Oran, Jean Herly, a jugé
la chose tellement importante qu’il en fait l'objet de sa
première démarche auprès des autorités.
"Paul Chambreau et les nombreux oranais qu'il voit
quotidiennement comprennent qu'une terrible ambiguïté
est en train de s'installer à Oran concernant l'affaire des
disparus. Certes, les familles espèrent, elles ne peuvent pas
faire autrement, certes une vingtaine de malheureux ont
été libérés depuis le 5 juillet, mais les autres ? En fait,
personne ne croit plus qu'on puisse les retrouver. En vérité,
chacun sait que l'histoire du Petit Lac est tristement vraie.
Les Algériens ont bien annoncé qu'on avait fouillé, dragué,
recherché, personne ne le croit.
104
"Politiquement en tous cas, les Algériens ont intérêt à
maintenir aussi longtemps que possible l'idée que les dispa
rus sont bien des disparus, c'est-à-dire des victimes d'enlè
vements et non des morts victimes d'assassinats. Les
Algériens soucieux de l'image que se fait l'opinion interna
tionale de la révolution algérienne espèrent qu'avec le
temps, cette tragique affaire d'Oran pourra rentrer dans le
cadre de l’histoire des souffrances des populations euro
péennes et musulmanes durant cette terrible guerre (qui
était pourtant finie le 5 juillet).
"Et puis, il y a un autre avantage à ne pas reconnaître
encore comme morts ceux qui ont disparu. C'est que les
enlèvements-continuent, à Alger, dans les campagnes, à
Mostaganem, Aïn-Témouchent, des colons, des pieds-noirs
disparaissent... Les familles fuient, des biens sont déclarés
vacants... Il vaut mieux que ces malheureux soient considé
rés comme ayant fait l'objet d'une arrestation plutôt que
d'un meurtre.
"Enfin, surtout si l'on admet que les cinq cent disparus
d'Oran le 5 juillet sont morts, enfouis dans les détritus du
Petit Lac, emmurés dans les quartiers arabes, enterrés dans
les faubourgs, alors il faut reconnaître que l’émeute d'Oran
le 5 juillet a été l'événement le plus sanglant de toute la
guerre d'Algérie.
L'épilogue pour beaucoup d'Oranais se situe le mardi
17 juillet. Ce jour-là, le porte-avions "La Fayette" et l'infati
gable "Kairouan” emmènent trois mille quatre cents pieds-
noirs qui attendaient depuis le 6 juillet le moment de fuir le
lieu du drame.
Quelques semaines plus tard, une nouvelle publiée par
T'Echo d’Oran" laissera une impression d'angoisse au fond
de la conscience des Oranais encore présents dans leur
ville.
On annonce que la décharge publique du Petit Lac va
disparaître.
D'une surface de quinze hectares, d'une hauteur de
cinq mètres, un champ d'immondices jouxte l'étendue
d'eau salée.
105
Depuis quelques jours, l'odeur pestilentielle qui éma
nait du gigantesque tas d'ordures devenait insupportable à
la population.
Le service des Ponts et Chaussées travaille d'arrache-
pied pour faire disparaitre le dépotoir qui déshonore la ville
d’Oran".
106
Témoignage de Monsieur Pierre TANANT
Extrait de son livre : "Algérie, 4 ans d'une vie
Editions ARTHAUD
107
tesque défilé s'ébranle en direction de la ville musulmane.
Au coude à coude, débordant de la chaussée sur les trot
toirs, hommes, femmes et enfants avancent en hurlant. Les
femmes enveloppées dans leurs longs voiles blancs sont
particulièrement excitées. Les enfants sont habillés de neuf
dans un coloris où le vert domine. Toutes les communes à
cent lieues à la ronde ont dû déferler sur Oran qui a du mal
à contenir ce peuple en folie. Les hommes à cheval portent
le traditionnel chapeau de paille pointu à larges bords et une
gandoura blanche qui s'étale sur la croupe de leur monture.
Les Français contemplent ce spectacle étonnant et
oublient un instant leur propre malheur, comme s'ils assis
taient à une extraordinaire féérie. Le défilé se poursuit
depuis un long moment et l'on n’en voit pas la fin. Je me
trouve moi-même sur le pas de notre porte cochère, avec
une partie du personnel de mon service. Il est alors 11
heures 15, lorsque, soudain, des coups de feu claquent à
une centaine de mètres plus haut. Mon assistante-chef,
Melle Prost, et moi-même montons au premier étage de
notre maison espagnole. De ses fenêtres, elle a cru distin
guer l'endroit d’où sont partis les coups de feu, le haut d’un
grand immeuble. A ce moment les balles claquent à nou
veau (1).
Une immense clameur monte de la foule où les femmes
extériorisent leur frayeur par des cris aigus qui ont l’air de
sirènes. Et voilà le défilé qui se transforme en une fuite
éperdue, tandis que de tous côtés on entend le tir d'armes
automatiques. Les cris de joie sont métamorphosés en des
appels de détresse. En un clin d’œil le boulevard se vide de
ses occupants qui courent en remontant vers les quartiers
musulmans. Pendant ce temps je bondis sur le téléphone
dont quelques lignes ont été rétablies depuis l'explosion qui
a détruit le central. Je réussis à joindre le chef d’état - major
du corps d'armée qui, à château-Neuf, ne sait rien encore. Il
me répond que le général est parti à La Sénia et qu’il ne voit
(1) Les premiers coups de feu sont partis d'un immeuble du boulevard Magenta,
entre le boulevard Maréchal Joffre et la place Karguentah.
108
pas ce qu'il peut faire. Je lui explique que la situation risque
de devenir rapidement très grave et je le supplie d'agir.
En effet la fusillade se répand comme une traînée de
poudre à travers la ville. Tout se passe exactement comme
je l'avais craint. La foule a disparu, mais des agents du
F.L.N. armés de pistolets-mitrailleurs tirent sur les Euro
péens qui n'ont pas encore eu le temps de se mettre à l'abri
ou s'emparent d'eux et les obligent à les suivre. Le défi s'est
transformé en colère.
Pourtant cette colère n'est pas celle d'un peuple, ce
peuple qui quatre ans plus tôt avait acclamé dans un
enthousiasme aussi délirant le général de Gaulle et la
France. Elle est celle des extrémistes de la révolution, trop
heureux de l'occasion, qu'ils ont peut-être provoquée, pour
assouvir leur haine contre ces "pieds-noirs” dont ils veulent
l’élimination définitive. Au moment où est tirée la première
rafale qui abat deux soldats de la force locale -nous l'ap
prendrons un peu plus tard -, des hommes de main, à
l’allure de miliciens sont disséminés dans toutes les rues
d’Oran. Pendant trois heures, iis seront les maîtres absolus
de la ville, à travers laquelle ils se livreront à une tragique
chasse à l'homme.
Une quarantaine d'hommes et de femmes parviennent
en courant le long des murs, tandis que les balles claquent
de toutes parts, à hauteur du nôtre. Ils nous demandent
asile. Je donne immédiatement l’ordre de leur ouvrir la
porte que nous venions de fermer. Ils s'engouffrent à l'inté
rieur de nos locaux, heureux d'avoir la vie sauve. Ils étaient
venus de quartiers assez éloignés, par simple curiosité.
Pour eux comme pour beaucoup d'autres, la surprise avait
été totale. Deux vieux Israélites, le mari et la femme, le
visage ensanglanté l'un et l'autre, viennent à leur tour se
mettre sous notre protection. Ils habitent derrière chez nous
et ils ont été assaillis dans leur appartement. Devant notre
immeuble, des "miliciens”, l'arme à la bretelle, passent et
repassent. Je m'attends à une perquisition et aux consé
quences qu'elle pourrait entraîner; aussi je demande à nos
protégés que nous avons camouflés un peu partout, le
silence total, car leur frayeur n'a pas tari leur exubérance de
109
"pieds-noirs". Rien ne se produit, mais le bruit de la fusil
lade continue.
110
avec le F.L.N., et n’ait pas tenu la promesse faite aux ressor
tissants français. Quant à ceux-ci, au sommet d'une souf
france qu'ils subissent depuis plusieurs mois, ils n'ont plus
qu'une seule idée; partir coûte que coûte, quitter ce pays où
ils n'ont plus leur place. Dans le silence de la nuit, Oran
pleure ses morts.
Toute la journée du 6 juillet, nos unités, enfin libérées
de leurs entraves patrouillent pour rechercher les Euro
péens disparus, plus de 200 d'après les premiers rensei
gnements. Elles n'en retrouvent aucun et elles n'en
retrouveront pas plus les jours suivants. On découvrira une
vingtaine de cadavres dans une fosse commune. Après ce
sera fini, le rideau retombera sur la tragédie d'Oran comme
il est retombé sur toutes celles qui l'ont précédée pendant le
long drame algérien. On ne connaîtra jamais le nombre
exact des victimes de cette folle journée, 500 selon les uns,
1.500 selon les autres, parmi la population européenne,
200 à 250 parmi la population musulmane, mais celle-ci /
gardera son secret. Aucun recensement ne pourra être fait, !
car l'exode qui reprend va disperser les familles oranaises.
Celles qui ont perdu un ou plusieurs des leurs garderont
leur douleur dans l'isolement, oubliées de la nation, comme
cela se passe toujours après les grandes catastrophes; pen
dant quelques jours, elles remplissent les colonnes des
journaux et puis l'on tire un trait, on n'en parle plus.
111
tice nous révolte d’autant plus que des précisions nous
parviennent sur les horreurs commises hier.
De ces horreurs, nous connaîtrons tous les détails peu
à peu par un certain nombre de témoignages.
"Depuis que le S/S Phocée a quitté le port, m’écrit le 10
juillet la femme d'un médecin d'Oran, dont mon service a
facilité l’embarquement, je ressens une impression de
calme et de sécurité que j'avais presque oublié. Mais hélas!
Ce merveilleux bateau n'effectue pas une traversée de croi
sière. Partout autour de moi, des premières aux touristes en
passant par les ponts, les gens racontent les événements
affreux qu'ils ont vécu, les tragédies auxquelles certains ont
été mêlés.
Moi qui suis restée enfermée dans mon appartement,
je tombe des nues en apprenant tout ce qui s'est déroulé ce
triste jeudi 5 juillet. Les fusillades ont, paraît-il, été orches
trées puisqu'un peu avant midi, elles ont éclaté partout à la
fois : place des Victoires, plateau Saint-Michel, place de la
Bastille, place Karguentah, place Maréchal Foch et même
dans les faubourgs de Maraval, de Choupot et de la cité
Petit, où les Européens ont dû évacuer leurs villas ou leurs
appartements qui ont été occupés sur-le-champ par des
Musulmans. Place des Victoires, les propriétaires de la
brasserie "Majestic" - qui voyagent sur le Phocée - se sont
sauvés par une trappe en empilant les tables jusqu'à leur
appartement situé au premier étage. Les religieuses et les
pensionnaires de la "Protection de la Jeune Fille’’ ont
trouvé asile dans un petit cinéma, l'idéal.
Partout, même au centre de la ville européenne, des
hordes de brigands ont essayé d'enfoncer portes et portails.
Boulevard Front-de-Mer, trois frères, marchands de pois
son ont été égorgés dans leur appartement. Des postiers -
dont certains miraculeusement sont à bord - prenaient leur
repas de midi à la cantine de poste centrale. Des hommes
de l'A.L.N., dans des tenues léopard, firent irruption brutale
ment dans la salle, collant aux murs à coups de crosses
hommes et femmes les mains en l'air. L'air méchant et
naquois, ils braquèrent leurs armes contre les malheureux,
accompagnant ce qu'ils appelaient une "fouille au corps"
112
de coups, d’insultes, d'injures grossières et menaçant de
tuer quiconque bougerait. Puis après s'être demandé s'il
fallait tuer ou non ces Européens - comme on joue à pile ou
face - , ils les ont rassemblés en plein soleil et les ont
emmenés au pas de course, toujours les mains en l'air
devant le commissariat central où ils les ont laissés pendant
plusieurs heures. Les uns ont été relâchés, les autres, dont
une femme et le directeur des postes, ont été emmenés plus
loin et depuis on est sans nouvelles d'eux.
Samedi 7 juillet, alors que le Phocée se trouvait en rade
de Toulon, il avait capté le message d'un opérateur de la
station radio d’Oran, lançant un appel à tous les navires en
mer, puis tout avait été brouillé.
Il y a à bord des agents de police. L’un deux, balafré,
plein d'ecchymoses, a reçu une balle dans la cuisse tandis
qu'il s'enfuyait. Il se trouvait rue René Etienne, devant le
service social, où il attendait son tour pour demander un
ticket d'embarquement. Tous les policiers présents ont été
pris à partie. Trois ont été abattus sur la place Karguentah".
Il y aurait eu une vingtaine de pendaisons, des lyn
chages, des pillages, des viols. Le fils de mon comptable, un
garçon de 17 ans, a été menacé d’avoir la gorge tranchée.
Les familles de militaires de la cité Petit ont particulière
ment souffert. Un adjudant-chef a perdu sa femme et ses
quatre enfants. Que sont devenues toutes les personnes
enlevées ? On parle beaucoup du Petit Lac où de nombreux
cadavres auraient été jetés. Dieu seul sait quel a été le sort
réservé à ces hommes, à ces femmes et à ces enfants”.
113
Ce qui se passait à l'Echo d'Oran
extrait du livre de Gérard Israël :
“Le dernier jour de l'Algérie française"
Editions Robert Laffont
114
Il était temps, dans la rue de l'Hôtel-de-ville des tirs
partaient dans tous les sens.
Un jeune officier de l'armée française et quelques
hommes assuraient la garde du journal. Dès le début des
troubles une sentinelle avait été placée sur la terrasse de
l'immeuble. Quelques instants plus tard, le factionnaire
était redescendu, livide, il venait d'essuyer une rafale de
fusil mitrailleur.
La nervosité commençait à gagner les réfugiés. Les
femmes surtout étaient à bout de nerfs. Chacun voulait
téléphoner, donner ou prendre des nouvelles. Un vieux
monsieur exigeait que les responsables de ''L'Echo d'Oran"
fassent quelque chose.
Mais vers midi, la situation s'est aggravée brusque
ment. Des coups répétés et violents étaient frappés à la
porte. Des invectives résonnaient dans le hall du journal,
semant l'effroi. Et maintenant une menace précise... le
bazooka.
Gailhoustet décide de parlementer. Tous les réfugiés
crient en même temps : "N'ouvrez pas, vous êtes fous, ils
vont nous massacrer. "Il n’y a pourtant pas d'autre solution
que d'essayer de calmer les Arabes. Dans un premier
temps, sans ouvrir, Gailhoustet et l'officier de garde
essaient de voir ce que les agresseurs veulent au juste. A
grand peine on obtient le silence à l'intérieur.
- "Que voulez-vous ?"
- "Vous avez des Arabes que vous retenez en otages,
libérez-les tout de suite ou nous faisons tout sauter".
- "Nous n'avons aucun otage ici, seuls quelques ven
deurs de journaux et un manœuvre musulmans".
- "Laissez-les sortir et vous pourrez refermer votre
porte".
A l’intérieur des femmes hurlent : "C’est un piège,
n'ouvrez pas... "Des hommes reprennent sur un ton de
prière : "N'ouvrez pas...".
Maurice Gailhoustet et l'officier prennentfinalement la
décision de laisser sortir les employés musulmans. Mais
ceux-là n'y tiennent pas du tout. Ils sont au moins aussi
115
effrayés que les Européens. Finalement, ils veulent bien ne
pas mettre en danger les femmes et les enfants qui se
trouvent là.
Tout se passe bien, du moins pour les assiégés. Les
Arabes sont sortis, la porte a pu être refermée. Mais dehors,
les hurlements, les coups de feu, les cavalcades de la foule
en furie continuent. Personne ne peut voir ce qui se passe à
l'extérieur. On entend un hélicoptère".
116
Témoignage du Docteur ALQUIÉ
(Habitant 12 avenue Charles-Magne, le Docteur1 Alquié
avait son cabinet médical 6 place des Victoires).
Témoignage rapporté par le journaliste Claude PAILLAT
dans un article intitulé "Le jour où Oran fut livré" paru le
samedi 24 juin 1972 dans "Le Méridional La France".
117
sur place, qui moururent comme des soldats et ne furent
pas torturés au Petit Lac, au Village nègre, à Lamur par une
populace féroce et ignoble...”.
118
Témoignage de Robert ARNOUX
Article paru dans le journal "LE MÉRIDIONAL"
le lundi 12 avril 1982
"Les disparitions du 5 juillet 1 962, 635 Français dont on n'a
jamais retrouvé la trace”.
119
qu'ont pu être les journées qui ont suivi la proclamation de
l'indépendance. L’administration française, la police, l’ar
mée se sont évanouies comme par enchantement. Depuis
des mois les villes sont aux mains des terroristes F.L.N.
contre O.A.S. Exécutions, plasticages. La population Euro
péenne semble ne pas vouloir croire que tout est joué. A
Oran des familles s'accrochent à ce qui fut leur patrie. Elles
veulent espérer un retournement miraculeux de la situation
et croient encore en l'O.A.S. dont les commandos ont déjà
pris la mer en direction de l’Espagne.
A midi, le 5 juillet des coups de feu éclatent dans le
centre d’Oran. Qui les a tiré ? On ne le saura jamais. Mais
ces coups de feu vont déclencher un des plus effroyables
massacres que l’Algérie ait jamais connu. Tout le monde
tire. L'A.L.N. dont les éléments ne sont plus, depuis le 1er
juillet des "rebelles" mais des héros de la libération natio
nale ne parviennent pas à contenir la foule ivre de haine. On
se rue sur les quartiers européens. On arrête les hommes,
les femmes, les enfants. L’armée française ? Le général
Katz qui commande le secteur d’Oran, avouera plus tard
avoir reçu des ordres pour ne pas intervenir. Il obéit à l’éf-
froyable consigne "venue d’en haut" et ne fait pas un geste
pour venir en aide à ses compatriotes.
A la poste d’Oran, un employé s'est barricadé dans la
salle des communications. Comme d'un navire en train de
sombrer, il lance au monde entier des S.O.S. auxquels per
sonne ne répondra. Ces appels de détresse, relayés par les
bâtiments qui croisent en Méditerranée, parviennent à
Madrid qui, aussitôt, en informe le gouvernement français.
A Paris, personne ne bouge. Apparemment on a décidé de
sacrifier Oran et sa population à la raison d'Etat. De Gaulle
attendait sans doute quelques "bavures”. Alors que de
Paris, la radio évoque pudiquement "les incidents qui se
déroulent à Oran", les Oranais dès la fin de l'après-midi,
comptent leurs disparus, pas moins de 2 000 !
Les cadavres jonchent les rues. Pour un corps emporté
par sa famille, ou abandonné sur place, car les bateaux
n'attendent pas, dix, vingt, trente autres restent introuva
bles. Chez les Chérubino, l'angoisse, la terrible angoisse de
120
l’incertitude s'installe. "Mon père a passé des journées
entières à la morgue "raconte aujourd'hui Annie, la sœur
cadette de Gérard Chérubino, "pour tenter de reconnaître
son fils, en vain. "De folles rumeurs se répandent dans les
quartiers européens. On a vu les "djounoud" de l'A.L.N.
opérer des tris dans les commissariat. Ceux qui n'ont pas
été libérés ont été embarqués dans des camions. Vers
quelle destination ? On parle de camps de prisonniers. On
parle aussi de cadavres jetés par dizaines dans le "Petit
Lac", entassés dans des fosses hâtivement creusées et
ensevelies sous la chaux vive.
L'Echo d’Oran le 6 juillet publie une liste d’une cin
quantaine de disparus. Gérard Chérubino est du nombre. Le
rédacteur du journal promet pour le lendemain "une liste
plus complète". Elle ne sera jamais publiée. "Il y a eu des
pressions" estime aujourd'hui Annie Chérubino. Son père
restera cinq ans en Algérie pour tenter de retrouver son fils.
Cinq ans d'espoirs et de dépressions, de fausses nouvelles,
de vraies incertitudes. Au bout de quelques mois, les
décomptes sont faits : restent 635 personnes dont les corps
n'ont pas été retrouvés. Des Européens, évadés des camps
établis à la hâte par l'A.L.N. font état de témoignages terri
fiants. Un commandant Chaigneau parle de tortures, de
massacres. Et entre les familles des "disparus", une boule
versante chaîne de solidarité se crée : "Gardez espoir" écrit
aux parents de Gérard, le commandant Chaigneau, "car
là-bas comme partout, nous avons rencontré des Algériens
compréhensifs, à côté des tortionnaires cruels".
121
Les rapports entre la France et l'Algérie sont alors on
ne peut plus ambigüs. Trop de haine, de douleur, de ran
cœur, d'incompréhension accumulés depuis près de dixans
ne facilitent pas la tâche des consuls chargés de veiller aux
besoins des Français devenus des étrangers en Algérie. De
plus, comment conduire une enquête de police quand on
connaît les circonstances dans lesquelles les "dispari
tions" se sont produites ? Les témoins sont morts. Les
"rapatriés" dispersés en métropole. Quant aux Algériens,
ils ont apparement d'autres chats à fouetter. Ben Khedda,
Boumedienne, Ben Bella se livrent une lutte sans merci. De
quel poids pèse la mémoire d'un adolescent, de dix, de cent,
de six cent trente cinq personnes disparues par une belle
journée d'été et d'émeute ?
"Une attestation" du consul général de France à Oran
viendra, froidement, officialiser, le 16 mai 64, le désespoir
des parents de Gérard Chérubino. Sur formulaire adminis
tratif sans doute tiré à des centaines d'exemplaires, M. le
consul général atteste que "Selon la conviction commune
au lieu de notre résidence, les circonstances dans les
quelles M. Gérard Chérubino a disparu le 5 juillet 62à Oran
étaient de nature à mettre sa vie en danger". Plus sincère,
ou plus maladroit, Jean de Brogiie écrira le 1er juin de cette
même année que "Nous n’avons plus guère d'espoir au
sujet des disparus du 5 juillet à Oran, le Consul de cette ville
a conclu à une présomption de décès en ce qui concerne
votre fils".
dent, se rétracte :
"Dans le courant du mois d'août, je recueillai quelques
rumeurs qui semblaient indiquer que des Français blessés
lors des événements étaient soignés et gardés par l’A.L.N.
Un jeune nègre d'Oran dont j'ignore le nom mais qui sem
blait bien connaître M. Chérubino Gérard me déclara quece
jeune homme se trouvait parmi ses Français.
122
Il m’est naturellement difficile de donner une valeur à cette
déclaration”.
Des associations de rapatriés voudront porter l'affaire
en justice, envisageront de publier "un livre blanc". On les
en dissuadera. Les Chérubino, eux, écriront à tous les hôpi
taux d’Algérie et de métropole. Qui sait, peut-être leur fils
est-il vivant, choqué, amnésique ? Ils écriront même à Ben
Bella. En vain. Pendant les cinq années que M. Chérubino
restera en Algérie, il fera la tournée des charniers. "Il y a
quelques mois, raconte Annie, des gens qui revenaient
d’Oran m'ont dit que les petits Arabes qui jouent sur les
rives du Petit Lac trouvaient encore aujourd'hui, des osse
ments humains”.
Cette année, cette année seulement, Mme Chérubino
s'est résolue à se défaire des vêtements, des affaires per
sonnelles de son fils. Il n'y avait pas de camp à Cuba, ni
d'amnésique dans les hôpitaux.
L'histoire a gommé les évènements du 5 juillet à Oran.
Mais le temps n'a pas gommé le souvenir. Six cent trente
cinq familles espèrent aujourd’hui encore l'impossible
miracle”.
123
Témoignage de Monsieur Jean BARTHE
Inspecteur Principal des P.T.T.
124
disparition et certainement la mort de M. LOPEZ, notre
voisin. Une personne avait vu, lors d'un achat au magasin
entrer trois musulmans adultes qui le demandèrent. Quel
ques instants après il avait disparu. Sa cuisine était sens
dessus dessous, les chaises renversées, des assiettes de riz
encore pleines,des traces de riz et de sang aussi sur les
murs : il y avait eu sûrement bagarre avant l'enlèvement.
A cette constatation, je me rendis au consulat pour
signaler cette disparition. Un employé que j'interrogeais sur
le nombre de personnes assassinées me répondit : "Le
chiffre de 1.500 est déjà dépassé I".
Voilà l'horreur de ce massacre qui fut perpétré soi-
disant par des "éléments incontrôlés" sous l'œil morne et
assoupi de l'armée qui resta, honte extrême ! L'arme au pied
sans intervenir. Il est vrai qu'elle avait des ordres émanant
du général Katz qui les tenait du grand chariot...
Ma pauvre mère assista à l'enlèvement dans une voi
ture d'un jeune homme qui habitait dans les H.L.M. Je ne
puis vous dire son nom, l’ayant oublié, et ma mère étant
morte je ne le saurais plus. Il avait un nom espagnol.
Il y eut aussi M. GAILLARD enlevé lui aussi et qui ne dut
son salut qu'à sa connaissance admirable de l'arabe : il
demanda à ses bourreaux de faire sa prière avant de mourir,
il fut projeté hors de la voiture et s’enfuit.
Il y eut encore le fils de Monsieur De Sola (collecteur de
lait) à Maraval. Ce fils militaire était venu voir sa famille ce
jour-là. Mous avons vu le père un mois après, son fils n'avait
pas été retrouvé.
Nous avons revu Madame LOPEZ à Aix-en-Provence.
Cette pauvre femme qui espérait toujours était méconnais
sable. Blanchie, vivant dans un monde de terreur, de cha
grins et de vains espoirs.
Un autre Monsieur LOPEZ a disparu, il habitait rue de
Braza.
Monsieur Albert FERNANDEZ, policier, ancien tailleur
disparu ce même jour, il habitait rue du sergent Bobillot.
Un autre policier motard demeurant à Maraval, rue
Valentin Hauy, Edouard PRIETO ancien douanier habitant la
125
Cité Douanière a disparu aussi. Monsieur LOZES épicier rue
Valentin Hauy reçu une dizaine de coups de couteau mais
fut sauvé malgré ses blessures par un musulman qui le
connaissait et intervint à temps.
Maintenant je vais vous faire part de ce que peut-être
vous connaissez déjà par d'autres voix que la mienne :
l'enlèvement et la disparition d'une vingtaine de personnes
employées des P.T.T. de la direction des Postes d'une part,
et de la Recette Principale, rue de la Bastille. Il s'agit de
Monsieur JOURDE, directeur des Postes en fonction ce
jour-là à la Direction, de Monsieur DAVO, Inspecteur Princi
pal, de Madame DAHAN et d’une vingtaine d'autres per
sonnes dont beaucoup de facteurs dont un m'est bien connu :
Monsieur GALVAN. Son frère ancien receveur à Ondes,
Haute Garonne, est maintenant décédé lui-aussi.
Voilà les nombreux cas que je connais personnelle
ment sans parler de ceux dont j’ai oui dire au cours de mes
conversations avec des gens do là-bas...".
126
Témoignage de Monsieur A. CERDAN
127
Tarabot, car le Dr Roméo m’avait fait enlever par quatre de
ses hommes, me prenant pour une "barbouze” !
"J'ai travaillé également avec les Renseignements
Généraux, d'où ma connaissance du complot du 5 juillet 62 :
trois semaines avant la fin de notre Algérie, soit avant la fin
juin 62, ma liaison avec les Renseignements Généraux, un
commissaire de police m'avait prévenu de ce futur massa
cre et m'avait conseillé d'avertir ma famille et les êtres
chers là-bas. Ce qui fut fait. Ils partirent s'installer sur la
Corniche ou dans leur famille à Sidi-Bel-Abbès...
"Quand je pris sous un faux nom en compagnie d’offi
ciers en fuite le dernier bateau pour Alicante, le 28 juinc'est
d'un cœur lourd que je quittais le port en flammes. Le jour
du massacre, je ne fus pas surpris, je fus surtout indigné et
meurtri".
128
Témoignage de Paul Chambreau *
Extrait du livre de Gérard Israël :
"Le dernier jour de l'Algérie française"
Edition Robert Laffont
129
Témoignage du Rabbin Samuel Cohen
Extrait du livre de Gérard Israël :
"Le dernier jour de l'Algérie française"
Editions Robert Laffont
130
Témoignage de Pascal COLIN
Extrait du livre de Gérard Israël :
Le dernier jour de l'Algérie française
Edition Robert Laffont
131
Pascal remonte en courant la rue Schneider puis ralen
tit le pas en arrivant rue Jacques. Il est presqu'en face de
chez lui, mais il hésite à traverser le boulevard. Un groupe
de femmes arabes passe en courant devant lui... des
hommes qui semblent également effrayés les suiventà une
courte distance; Pascal regarde vers la place d'Armes, un
autre groupe arrive au pas de course.
Pascal traverse. Heureusement la porte est ouverte. Il
s'y engouffre. En se retournant il voit un jeune arabe le
mettre en joue. Pascal est déjà chez lui. Il risque un regard
de sa fenêtre, le même arabe surveille les façades. Pascal
traverse son appartement et regarde de l'autre côté, rue de
l'Hôtel-de-ville où se trouvent les locaux de "L’Echo
d'Oran". Des Européens entrent précipitamment dans le
hall du journal. Pascal reconnaît son garçon de course,
Djillali porteur d'un brassard F.L.N. Celui-ci tente de diriger
les Européens vers le refuge que constitue le grand hall de
l'"Echo d'Oran". Pascal ignorait tout de l'activité politique
de Djillali.
"Mais que fait l'armée, bon Dieu, que fait l'armée ?" dit
Pascal en se laissant tomber dans un fauteuil. Il ferme les
yeux. Il entend encore les hauts-parieurs des camions mili
taires promener dans toute la ville, le lancinant et rassurant
appel :
"Oranais, Oranaises,
ne vous affolez pas, l’armée est et restera en Algérie
pendant trois ans pour assurer votre sécurité".
C’était il y a six jours seulement.
132
Témoignage de Mme R.F.
133
Général me croyant encore en pays civilisé - pour signaler
la disparition de mon mari. Quelle foule ! Les uns pour un
membre de leur famille, les autres pour leur voiture.
"Pendant ce temps, ma belle-sœur faisait le tour des
cliniques et hôpitaux. A l'hôpital d'Oran, près dechezmoi.il
y avait une fiche d'entrée au nom de mon mari. Elle a été
autorisée à parcourir les salles : rien. Elle a été priée d'aller à
la morgue. Elle croyait la morgue comme on la voit dans les
films. Les cadavres étaient entassés les uns sur les autres.
"Mon récit est un peu en désordre : j'ai oublié de
dire que les premiers coups de feu se situent aux
environs de 11 heures et demi et qu'il était seize heures
passé lorsque ma sœur m’a téléphoné pour me dire que
la troupe qui avait été consignée dans les casernes
faisait enfin une sortie. Ainsi pendant plus de 4 heures
les autorités ont laissé massacrer tant de victimes sans
donner l'ordre d'intervenir.
"Près de l'hôpital se trouvait un petit détachement de
soldats. Je leur ai demandé s'ils avaient assisté à un enlève
ment ; Oui, me fut-il répondu.
- Qu'avez-vous fait ?
- Rien nous n'avions pas d'ordres.
Textuel !
134
de prisonniers. Mais les jours passant il a bien fallu se
rendre à l'évidence. Je n'ai entendu parler du cimetière du
Petit Lac qu'à mon retour en 1963.
"En 1964, la Croix-Rouge étant venue à Oran, je suis
retournée en Algérie, je leur ai parlé du Petit Lac, mais on
m'a fait comprendre que la Croix-Rouge savait bien des
choses mais ne pouvait rien dire. Le charnier doit y être
toujours.
"En 1970, je descendais de Paris en voiture avec une
amie. Nous avons fait halte à Aubenas dans l'Ardèche à
l’Hôtel Bellevue, dont le patron, un Algérois m'a dit savoir ce
qui s'était passé ce triste 5 juillet par un docteur habitant la
région et qui se trouvait à l'hôpital ce jour-là. Effectivement,
les blessés sont arrivés pour être soignés mais des Algé
riens sont entrés à l'hôpital. Docteurs au mur avec mitrail
lettes sur le ventre et ils ont fait sortir tous les blessés. On
n'en a revu aucun. Je n'ai pu voir ce Docteur et j'ignore son
nom.
135
Témoignage de MM. Edouard Faure et Montoya
Extrait du livre de Gérard Israël :
"Le dernier jour de l'Algérie française"
Edition Robert Laffont
136
car on ne peut aimer, à Oran, le football sans être en contact
avec les musulmans. Or, lui, Fauré, aime le football, il était
sélectionné d'Oranie en équipe junior. Il jouait à l'U.S.F.A.T.
(Union Sportive Franco-Arabe de Tlemcen), puis il était
devenu arbitre départemental. Ses amitiés algériennes
étaient nombreuses. Mais celà ne ralentissait nullement
son zèle activiste. Simplement le temps de l'O.A.S. avait
marqué la fin du temps du football.
"La fête de l'indépendance est pour Edouard Fauré la
fin des illusions. Cette Apocalypse qui n'en est pas une, ce
calme des rues et des consciences l'étonne au plus haut
point, surtout aujourd'hui, mais il ne se pose pas la question
de savoir si l’Algérie peut-être, à l'image de son ancien club
de football, franco-arabe. Non l'Algérie sera Arabe.
"Fauré et Montoya arrivent place de la Bastille. Ils
entrent dans leur restaurant habituel situé au coin du Pas
sage Clauzel, tout près de ('Eglise du Saint-Esprit.
"Le patron, un ancien espagnol, les reçoit amicalement
comme chaque jour. Il y a une vingtaine d'habitués. On
échange quelques mots. "Alors, c'est pour quand le départ ?"
137
Ils fouillent tout le monde.
"Vous n'avez pas d'armes ? "On nous a tiré dessus de
votre direction".
Celui qui semble être le chef ditd'un ton rageur : "ilsont
dû planquer les armes, allez au commissariat central, on
verra là-bas. "Les vingt consommateurs sortent du restau
rant les mains sur la tête. On les fait mettre en colonne par
deux. Ils s'engagent dans la rueThiers. Ceuxqui lesgardent
les font avancer à coups de crosse. Faure qui est en tête ne
sait pas comment régler son pas. S'il va trop lentement, il
aura l'air de renâcler, s'il va trop vite, on pourra l'accuser de
vouloir s'échapper au premier carrefour. La colonne croise
des groupes d'Arabes qui leur décochent au passage des
coups de pied ou des insultes. Des femmes algériennes leur
crachent au visage. Enfin ils arrivent au commissariat cen
tral. U est midi dix.
"On les aligne le long du mur, les mains en l'air, en
appui instable sur les pieds. Le chef de poste demande à
celui qui dirigeait l'escorte :
- Qu'est-ce qu'ils ont fait ?’
- "Ils nous ont tiré dessus."
- Avez-vous trouvé des armes".
- "Non".
- "Bon qu'ils attendent ici".
- "Si on les tuait tout de suite".
- "Non, pas tout de suite", répond le chef de poste.
- Ça ferait toujours çà de moins à faire".
- "Non, attends" et le responsable rentre dans un
bureau.
Faure entend nettement la sentinelle armer son pisto
let mitrailleur. Une rafale part. Faure prête moins d’atten
tion à la détonation qu'à la prière qu'à haute voix, prononce
l'homme qui est à côté de lui.
138
tremblent comme des feuilles. La sentinelle se fait tout de
même rudoyer par le chef de poste.
"Incident de tir", répète le tireur pour se justifier.
Fauré a l'impression qu'une certaine fébrilité s'empare
du commissariat tout entier. On crie en Arabe des ordres qui
ressemblent au "garde-à-vous" de l'armée française. Les
prisonniers ne peuvent rien voir. Ils sont face au mur. Un
homme marche derrière eux. Il s'arrête à hauteur de Fauré.
- "Qu'est-ce que tu fais là ?"
Le jeune homme tourne la tête, il reconnaît Slimane
son collègue arbitre de football, l'ancien arrière de
l’U.S.M.O.; ainsi ce sportif est un grand responsable F.L.N.
Fauré explique toute l'affaire.
- "Tu habites toujours Cité Lescure ?"
- "Oui" répond Fauré.
- "Bon, viens avec moi."
Fauré hésite ... H sait que Slimane et lui sont des amis, il
risque :
- "Et ...les autres ?"
- "Je ne peux rien faire, viens".
- "Emmenons au moins Montoya".
- "Venez tous les deux".
Cinq minutes plus tard, Fauré boucle une valise sous
l’œil pressé de Slimane et de Montoya, vingt minutes après,
ils sont en jeep sur la route de Mers-el-Kebbir. La base
navale est sous administration française. Les deux prison
niers sont remis à la sentinelle. Slimane serre la main de
Fauré et lui dit :
- "Pars et ne revient plus".
Slimane connaissait sûrement l'activité de son ami au
sein de l'O.A.S.
Une heure plus tard, Fauré traverse Oran dans un
camion militaire français. Il a réussi à convaincre un lieute
nant de l’accompagner jusqu'à l'aéroport. La ville est vide et
tous les barrages F.L.N. sont franchis sans difficultés.
"L’aéroport de La Sénia est noir de monde. Les malheu
reux qui attendent depuis au moins quarante-huit heures,
sur l’hippodrome du Figuier qui jouxte l'aérogare sont
139
agglutinés autour des arbres sur lesquels on a planté des
pancartes indiquant les directions : Paris, Bordeaux, Lyon,
Toulon, Marseille, Nice. Quand un avion arrive, on vient
chercher ceux qui attendent sous l'arbre correspondantà la
destination de l'appareil.
Dans cette foule, les bruits les plus alarmants courent
sur la situation à Oran. Les candidats au voyage sont
inquiets non seulement pour leurs amis restés en ville mais
aussi pour eux-mêmes. Qui peut dire que les Arabes ne
viendront pas jusqu'à La Sénia pour massacrer les Euro
péens ?
"Mais Fauré est conduit à Valmy, la base militaire. Là
aussi l'agitation est très grande. Des officiers sont pris à
partie par de jeunes Français.
- "Pourquoi n'intervenez-vous pas ? Vous laissez des
Français comme vous se faire égorger par les Arabes. Vous
êtres trop lâches. Vous étiez plus actifs il y a huit jours,
contre une population européenne désarmée. Si vous
n'avez pas le courage d'aller en ville, donnez-nous des
armes, nous irons nous-mêmes I".
"Des officiers sont bouleversés par les récits qu’ils
entendent. Ils ne disent rien. Beaucoup pensent qu’il faut y
aller. Mais ils n'ont pas d'ordre. Fauré se mêle au groupe de
ceux qui manifestent leur ressentiment contre l'armée. Il
est un peu plus de quatre heures.
140
Témoignage de M. et Mme J.P. FILIZZOLA
Ma journée du 5 juillet 1962
141
venir chez lui à Bouisseville où il y avait un peu d'armée
française stationnée à Bou Sfer. A 6 heures j’allais à la Cité
Perret prendre la voiture et les rues étaient vides. Je revins
en vitesse chercher ma femme car dans le laps de temps
“ils" s'étaient réveillés et avaient envahi le centre-ville.
J'avais laissé ma voiture garée devant le Clichy, à l'angle de
la rue Lamoricière et rue d'Arzew, et au moment de nous y
engouffrer, nous fumes assaillis de toutes parts au cri (en
arabe) "d'Algérie algérienne’’ et la voiture balancée de
droite à gauche au point d'être presque renversée. A ce
moment nous fumes dégagés par un motard de la police (qui
avait fait partie de la police française) qui nous fit signe de
démarrer en vitesse et qui nous accompagna jusqu’à la rue
Pelissier. Prenant la rue d'Alsace-Lorraine puis la rue El
Moungar je descendis jusqu'au lycée Lamoricière et c’est
alors (il était environ 7 heures du matin) que nous fûmes
stoppés par une véritable marée humaine. Une épingle
jetée en l'air n'aurait eu aucune chance de toucher le sol.
Ma femme déjà éprouvée par la séance de voiture décrite
plus haut, eut alors une crise de nerfs et m'obligea à faire
marche arrière jusqu'à la rue Pauhans, de prendre cette rue
et la rue de la Vieille Mosquée en sens interdit jusqu'à la rue
de la Mina, descendre jusqu'à ia route du port et ainsi
rejoindre la Corniche. Dieu était avec nous, car si je n'avais
pas fait cette manœuvre où serions-nous ? En effet, j’ai
appris plus tard que quelques minutes seulement plus tard,
un commandant de l'armée française et Monsieur Martinez
(hôtel Martinez) étaient molestés par la foule et... énucléés
(1 ). Ce fut le début des atrocités du 5 juillet à Oran. Mais sur
les plages nous n'en savions rien et nous ne l’apprimesque
dans la soirée par des "rescapés" qui avaient encore dans
les yeux des lueurs d'effroi. Je terminerai donc en faisant
une prière pour tous les "disparus" du 5 juillet. QU'ON SE
SOUVIENNE...
142
Témoignage de Monsieur René GEHRIG, Consul de
Suisse à Oran
143
Dans la journée, je revenais à mon bureau, devant être
à mon poste de Consul Honoraire de Suisse, le plus souvent
possible. A midi, je prenais mes repas dans un des rares
restaurants ouverts, tenu par des Grecs, dans la rue de la
Fonderie. Je retrouvais là, d'autres amis, notamment MAS-
CARO, qui était voyageur chez un de mes principaux clients
(les Savonneries Lever), ainsi que PALUMBO et BONAMY,
qui eux, travaillaient à la Sté Marseillaise de Crédit, ma
banque.
144
Une voiture apparaît, en bas de la rue Jalras, à 100
mètres. Je traverse la chaussée en courant, me plaque
contre la porte du couloir pour l'ouvrir., juste à temps... une
rafale de mitraillette siffle et abat un homme qui était au
coin, un peu plus loin que moi. Il avait l'air de regarder qui
venait... ou voulait-il me parler ou se réfugier dans le cou
loir, avec moi ? Le fait est qu'il a été tué et que si je ne m'étais
pas collé contre la porte...
Aussitôt dans le couloir et après avoir fermé, sans bruit,
j’ai grimpé quatre à quatre les escaliers m'amenant au 1er
étage. De mon bureau, à travers les lamelles des volets
fermés, j'ai revu cette voiture, qui avait fait le tour du pâté de
maisons. C'était une petite camionnette sur laquelle quatre
Musulmans avaient pris place, chacun la mitraillette à la
main, tiraient sur tout ce qui bougeait, parfois dans les
vitrines ou fenêtres ouvertes... et ils rigolaient...
Je les vois entrer dans le parking, où j'aurais dû garer
ma voiture, ce que je n'avais pas fait exceptionnellement.
Peut-être me cherchent-ils ? Un autre Européen arrive à son
tour, en moto, pour se garer. Il me semble que les Musul
mans lui demandent ses papiers... mais au moment où il
met sa main dans la poche... l'un d'eux lui tire, à bout
portant, une balle dans la tête...
J'ai donc, effectivement, vite été mis dans l’ambiance
du moment I!
Depuis mon poste d'observation, j'ai réussi, un peu plus
tard, à converser avec les gens qui étaient, eux aussi, der
rière les volets, au premier étage de la maison d'en face. Ils
m'ont appris que, dès 11 heures, les Algériens, pour une
raison inconnue, étaient devenus complètement fous... Ils
enlevaient ou tuaient sur place, tous les Européens qu'ils
rencontraient.. Il paraîtrait que ce jour-là, entre 11 et 1 5
heures, il y aurait eu, ainsi, plus de 4000 morts ou disparusll
Chiffres avancées, ultérieurement, par diverses sources,
généralement bien informées.
Je reviens sur ma position du moment. Me voilà,
enfermé dans mon bureau, le téléphone coupé, tout seul,
me demandant ce que je devais faire, car les coups de feu.
145
les cris, arrivaient par vagues., coupés par des silences, non
moins inquiétants...
Vers 17 heures, une plus longue accalmie a incité les
gens à ouvrir peu à peu les volets et à se faire voir aux
fenêtres.
On a vu passer dans les rues, des auto-mitrailleuses
des gardes-mobiles français. On a dit que les Autorités
Algériennes d’Oran, débordées et dépassées par les événe
ments auraient demandé aux seuls militaires français res
tants, de les aider à rétablir l'ordre.
146
Nous étions une des rares maisons encore habitées,
dans tout le quartier. Les tirs reprenant, nous commen
cions, tout de même, à ne plus être tranquille. Les voisins
qui s'étaient regroupés chez moi, m'ont demandé d'essayer
d'intervenir afin que nous soyions un peu gardés.
J'ai pû contacter, par téléphone, en tant que Consul de
Suisse et par l'intermédiaire de l'Evêque d'Oran, le général
Katz, qui commandait les gardes-mobiles et lui exposer
notre situation. Une heure après, une patrouille de gen
darmes motorisés était là et toute la nuit n'a cessé de
tourner dans notre secteur... pendant que nous jouions aux
cartes, pour ne pas dormir !
Le lendemain, j'ai appris qu’au restaurant Grec, de la
rue de la Fonderie, dans lequel je devais aller déjeuner, à
midi, la veille, 5 juillet, des Musulmans sont arrivés, subite
ment, ont ouvert la porte et tiré à bout portant, sur les gens
qui prenaient leur repas. Plusieurs personnes ont été tuées,
d'autres blessées. D'autres encore ont été enlevées, parmi
lesquels mes amis, MASCARO, PALUMBO et BONAMY...
Ceux qui avaient un nom à consonnance française ont
été relâchés, pour la plupart, devant le commissariat cen
tral, dont BONAMY. Par contre, on n'a plus jamais revu les
autres, hélas, parmi lesquels étaient MASCARO et
PALUMBO...
Si donc, j'avais été, comme prévu, prendre mon repas
avec ces amis que me serait-il arrivé ? En résumé, dans la
même journée, j'ai échappé, par miracle, au moins trois fois
à la mort...
Il est inutile de dire que le moral des Européens, le
lendemain et les jours suivants, n'étaient pas au beau fixe...
Le peu de gens qui étaient encore là, désiraient partir au
plus vite, d'autant que des histoires dramatiques couraient
les rues.
Par hasard, j'ai rencontré le 9 juillet, au matin, devant la
poste un de mes très bons clients. Monsieur ABHISSIRA; il
était catastrophé. Etant tout seul, il avait loué une chambre
dans un immeuble du centre de la ville, car son domicile se
trouvait en plein quartier juif, où tout ce qui existait là-bas
avait été massacré, démoli, brûlé...
147
Ce pauvre ABHISSIRA, qui a la vue très faible, ne savait
plus que faire, ne pouvant presque pas se diriger tout seul. Il
voulait partir, rejoindre sa famille qui était réfugiée à
Marseille.
De mon côté, je voulais aussi y aller, car je n'avais plus
pû donner de mes nouvelles depuis de nombreux jours. Je
décidais donc d’essayer de prendre un avion, le lendemain.
Ce n'était pas facile, comme on peut bien le penser. Il n’y
avait plus de ligne régulière mais simplement encore quel
ques avions qui rapatriaient les centaines de personnes
restant encore, qui d'ailleurs étaient là, sur place, depuisde
nombreux jours, en plein air sur l’aérodrome de La Sénia.
J'ai proposé à M. ABHISSIRA de le prendre dans ma
voiture, le lendemain matin, pour aller ensemble à La Sénia,
pour tenter notre chance et essayer de partir sur Marseille
ou ailleurs, car on n'avait pas le choix de la destination...
Dès 9 heures, chacun, une petite valise à la main, nous
embarquons dans la petite 4 CV verte, un drapeau suisse en
tissus, de 20 cm de côté, plaqué sur le pare-brise et filons
vers La Sénia.
148
A La Sénia, je connaissais le Commandant de la Base
Militaire Française, puisque c'est grâce à lui, que j'avais pû
organiser, auparavant le rapatriement de la Colonie Suisse
d'abord, mais aussi aider mon confrère Allemand, pour
celui de ses compatriotes.
Il a pû, in extremis, nous caser dans le dernier avion qui
a quitté Oran pour Marseille. C'était vers 15 heures. Dans
cet appareil, il y avait une dizaine de malades et de blessés
qui étaient allongés entre les banquettes et la plupart des
gens ne savaient pas du tout où ils allaient aboutir...
Vous décrire l’arrivée à Marseille-Marignane, inutile...
on ne m'attendais pas, par contre la famille ABHISSIRA
était là, au complet, depuis trois jours, surveillant chaque
arrivage en espérant bien revoir leur mari et père... Cette
famille m’a d'ailleurs, gardé reconnaissance pour ce
sauvetage.
Après quelques jours passés à Marseille, il m'a fallu
songer à retourner à Oran où j'avais laissé, mon mobilier,
mon affaire, le compte en banque, les documents profes
sionnels, ma situation, etc. et où j'étais toujours Consul
Honoraire de Suisse.
Je pensais donc y retourner pour quelques temps, afin
de régulariser tout ce qui pouvait l'être.
J'ai repris l'avion vers le 20 juillet. Cette fois-ci, il
s’agissait je crois bien, du premier vol de ligne officiel, de la
Cie Air France au départ de Marseille, vers Oran.
Dans cette caravelle, nous étions ... 7 passagers II
Parmi eux, M. O'NEILL, directeur de la Sté Hamelle-Afrique
à Oran, qui était un de mes clients. Durant le voyage, je lui
dis :
- A l’arrivée à Oran, j'ai ma voiture dans le garage de l'aéro
gare. Si vous le voulez, je peux donc vous amener jus
qu'en ville.
- Oh, que non, merci ! J'ai reçu, hier, un coup de fil depuis
Oran. On enlève encore les gens sur la route, entre La Sénia
et la ville. Je préfère donc prendre le car, dans lequel nous
serons quand même une dizaine de personnes ensemble.
Je vous conseille d'ailleurs de courir, dès l'arrivée pour
149
chercher votre voiture et ensuite de rouler devant le car, afin
que vous ne soyiez pas seul sur la route, jusqu'en ville.
Ces paroles n'étaient pas très réconfortantes pour
moi...
Aussitôt sorti de l'avion, je suis parti en courant vers le
garage située à près de 400 mètres. Zut ! La porte est
fermée, personne., je tambourine sur le rideau métalliqueet
soudain il commence à monter... un jeune Musulman, que
j'avais réveilleé de la sieste est là.
- Qu'est-ce que tu veux ?
- J'ai laissé ma voiture, une 4 CV, il y a quelques jours...
- Oui, il n'y en a qu'une, c’est la tienne...
Heureusement, elle était encore là, mais il n'avait pas
d'essence et mon réservoir était au plus bas... J'essaie de
démarrer... rien à faire. Pendant que nous poussons cette
maudite voiture... voila le car de la Cie Air-France qui
passe... Zut... je suis maintenant vraiment seul !
Finalement le moteur se décide à tourner. Je repars
vers l'aérogare, vide... personne... sauf ma valise seule au
milieu du hall, que l'on avait déchargée de l'avion et posée
là... cela fait une drôle d'impression I!
Pas très fier, j'ai parcouru la dizaine de kilomètres qui
séparent La Sénia de mon domicile, au volant de la voiture,
craignant à chaque instant de tomber en panne d'essence...
Je n'ai rencontré, ni croisé personne, c'était très heureux,
mais aussi inquiétant...
La rue Parmentier était vide. Au n° 17, plus aucun
locataire, semble-t-il... mon appartement est, toutefois,
intact.
J'avais hâte de revoir mon bureau, où devait se trouver
deux jeunes employés que j’avais laissé lors de mon
départ... Hélas, j'ai trouvé un mot m'indiquant qu'ils avaient
été contraints, eux aussi, de quitter la ville, avec leurs
familles, trois jours après mon départ.
J'étais donc seul, absolument seul... Sans téléphone,
sans personnel au milieu de documents, connaissements
éparpillés sur mon bureau, lesquels représentent des
tonnes de marchandises qui se trouvent sur les quais et
150
dans les magasins du Port d'Oran, pour lesquels, je suis,
professionnellement responsable.
Il fait une chaleur torride., j'ai le moral à zéro...
Peu à peu, les chefs d'entreprises reviennent de
France, dans le même état d'esprit que moi, pour essayer de
régulariser chacun leurs problèmes. A la Douane et sur les
quais, quelques guichets commencent à ouvrir.
Je vais donc faire un tour sur le port, pour me rendre
compte dans quelles conditions je peux reprendre une cer
taine activité. Comme dans tous les ports, il y a des gardiens
à la grille d’entrée, auxquels ont doit présenter le laisser-
passer. Or là, ce sont maintenant, des militaires Algériens,
bien armés, qui sont substituées aux gardiens traditionnels.
J’arrive à la grille et sors de la poche un laissez-passer,
que j'avais d'avant... le soldat le regarde, le tourne dans sa
main... me regarde... et me dit : "Va" en me rendant mon
papier.
Au moment de le remettre dans la veste, je m'aperçois
que je lui avais montré le laissez-passer délivré auparavant
par l'OAS, avec un beau cachet... au lieu de celui, que
j'avais, dans l'autre poche, qui m'avais été donné par le
I
FLN II!
Heureusement que le "gars" ne savait pas lire... sinon,
j'étais fichu.
Dès que je fus plus loin, j'ai pris les deux cartes, les ai
déchirées et jetées discrètement, pour m'en faire établir
une autre, par les nouvelles autorités portuaires.
Je le regrette d'ailleurs maintenant, car elles auraient
été des documents-souvenirs...
A partir de ce moment-là, j’ai travaillé durant près de 6
mois, tout seul, à raison de 15/16 heures par jour. Je dois
dire que durant ce laps de temps, j'ai presque récupéré les
pertes importantes dûes au fait du départ de nombreux de
mes clients, partis avant le 30 juin, en "oubliant" pour la
plupart de régler les factures 11!
Quelle vie ai-je dû endurer durant ces mois-là...
Très peu de restaurants étaient ouverts, quelques
magasins, quelques épiceries assuraient le ravitaillement.
151
Les Musulmans occupent peu à peu, tous les appartements
d'où sont partis les Européens. C'est ainsi qu’au 17 rue
152
Témoignage de Monsieur G. JAUME
du Service de la Répression des Fraudes
153
étape, j'avais dans le larynx le même goût des affres res
senti jadis sur le front de la 2o,no D.B. Je n'en ai pas pour
autant perdu mon sang-froid pour lequel j'ai obtenu la Croix
de Bronze en 1945, ni ma dignité. J'étais résigné à la mort
puisque j'avais les mains nues contre des milliers de bar
bares. Je n’ai rien esquissé de mon siège où j'étais assis. Il
était situé à gauche dans le sens de la marche. En face de
moi, un peu plus à gauche, sur la banquette perpendiculaire
à la mienne il y avait trois jeunes musulmans qui m’obser
vaient. L'un d'eux faisaient remarquer en arabe à ses coreli
gionnaires pendant que l'énergumène s'était excité contre
mon odeur : "Qu'on est bourricots, ça va tout louper" et un
autre de répondre : "Si ça se trouve, il comprend l’arabe...
Oui, il a tout compris I".
"Moi, je ne détournais pas mon regard protégé par mes
lunettes de soleil, afin de ne pas donner de prétexte à une
provocation. Donc pas de maladresses ! Heureusement
nous étions arrivés à destination. Sans me préoccuper
davantage, je me laissais couler dans le flot de la sortie, qui
débouchait sur une marée immaculée : une myriade de
draps blancs jonchant la Place de la Mairie (place Fochjles
murs du théâtre, les lions et les marches de l'Hôtel de Ville.
"Dès que j'eus posé les pieds sur le sol, j'allumais une
cigarette pour me donner une contenance et me dirigeais
vers le Boulevard Galliéni, en face du Prix Unie pour prendre
la correspondance pour Gambetta. J'empruntais l'axe
médian de la chaussée libre car les trottoirs étaient imprati
cables à cause de la densité de la population venue assister*
au spectacle : eux seuls étaient au courant : ils se pourlé
chaient. La police militaire les contenait (il s'agit de l'A.L.N.).
Tous mes sens en éveil, je ne mis que quelques secondes à
rejoindre ma correspondance. Rasséréné dans ce bus de la
délivrance dont le chauffeur était un Européen, je n'enten
dais plus le brouhaha et les you-you stridents du dehors.
Tout le parcours fut un véritable désert. J'arrivais dans les
locaux de mon service où chacun racontait son histoire.
Bref, aux alentours de midi, il fallut retourner chez nous
pour déjeuner. Me revoilà arrivé au Prix Unie. Sur cette
place Foch, face au mess militaire, toutes les barques à voile
154
avaient pris le cap (1 ) pour où ? Une chaîne s'était formée de
gens qui comme moi attendaient le bus. Il arriva en même
temps qu'un déluge de balles dans un fracas étourdissant
d’armes à feu mélangés aux cris de frayeur des femmes,
enfants et autres qui s'interpellaient. Beaucoup de gens
s'engouffrèrent dans ce bus qui fut stoppé par les arabes
devant le cinéma Rex. On attend encore de leurs nouvelles.
"Pour moi, dès le premières détonations, j'eus la clair
voyance de faire demi-tour en sprintant sous les projectiles
pour reprendre le même bus qui m'avait amené de Gam
betta et qui partait déjà en marche arrière et en sens interdit
vers le lycée de Garçons. A ma vue le chauffeur ouvrait la
portière avant sans ralentir son allure et faisait demi-tour au
Lycée pour repartir vers Gambetta. Il me largua Place des
Victoires, toujours sous le feu des armes. Je me déplaçais
par bonds vers le haut de la rue Béranger toujours tiré
comme un lapin. Là je pus observer de derrière les volets
clos ceux qui nous tiraient dessus : "les braves" à qui De
Gaulle avait offert la paix; ils étaient en militaires et se
servaient de leurs armes avec toute la bravoure que l'on
peut avoir pour cette gigantesque battue aux enfants, I
femmes, infirmes, vieillards et vaillants désarmés par les
perquisitions des C.R.S. sous les yeux des soldats français
qui avaient l'ordre de ne pas tirer II".
155
Témoignage de Monsieur André LERME
156
l’arme à bout de bras. Vont-ils tirer ? Non ! Mais nous n'en
menions pas large. Une femme a été tuée par la rafale et un
militaire blessé.
Les femmes ont été libérées et invitées à gagner leur
domicile (Jugez de leur état d'esprit I). Les militaires fran
çais ont été relâchés également.
Quant à nous, sur deux rangs, les mains sur la nuque,
bien encadrés nous remontions la rue. De temps en temps
des coups de feu étaient tirés, en l'air, pour nous faire peur
peut-être pour nous intimider... C'était réussi mais du
moment que nous entendions les coups pas de souci à se
faire... du moins dans l'immédiat.
Un bus est arrivé; on nous a invité à monter pour nous
conduire au Commissariat central. Là, en descendant du
car, certains, les plus jeunes, ont été bousculés, puis tout le
monde fut parqué sur le trottoir... Et nous attendions, nous
attendions sous le soleil. On nous a apporté de l'eau pour
boire. Nous étions observé par des résistants de la "25°
heure” et certains ont commencé à tomber la veste pour
venir nous tabasser.
J’ai reconnu mon marchand de légumes du marché
d’Eckmülh mais un soldat de l'ALN s'est planté devant eux
arme croisé sur la poitrine et a dit : "Vous me passerez sur le
corps avant de les toucher !” Ils n'ont pas insisté et nous
n'avons à aucun moment été brutalisés.
Un officier, le commandant Rognoni, si ma mémoire ne
me fait pas défaut, discutait avec les autorités du FLN de sa
propre initiative. Après des heures de palabres, ce coura
geux commandant nous a rassemblés et conduits à la
caserne du recrutement, derrière le commissariat. Il a fait
réquisitionner des autobus. Nous avons été groupés par
quartiers, embarqués dans des cars et sous la protection de
sentinelles françaises conduits vers nos domiciles. Je suis
arrivé chez moi vers 18 heures. Ma femme m'attendait,
dans quel état ?
Je dois dire que nous revenons de loin et que nous
avons eu beaucoup de chance.
La baraka, quoi I
157
Témoignage de Monsieur Antoine Martinez concernant
PHILIPPE CASTELLANO
158
Témoignage de Monsieur Gérard VINCENT
Pharmacien au Plateau St Michel
159
"A 18 heures, le calme régnait dans le quartier et nous
avons vu alors passer des G.M.C. conduits par des soldats
français remplis de blessés soignés qui revenaient de
l'hôpital.
"Le lendemain matin, le commissariat du 5o,no arron
dissement était coiffé par un groupe de gendarmes mobiles
(les rouges). J'ai pu assister alors à une violente altercation :
un lieutenant d'infanterie insultait un capitaine de gendar
merie qui ne savait plus que répondre pour se défendre. Et le
7 juillet, la compagnie du R.LM.A., pour sa brillante
conduite, était rapatriée d'urgence en France.
"Merci quand même à ce lieutenant sans qui beaucoup
d’amis du quartier (et moi-même) serions restés pour tou
jours à Oran...
160
Témoignage de Madame Valérien NAVARRO
Femme de ménage
161
geais vers la Place de la Bastille, puisqu'ils logeaient au
Grand Hôtel. Tout d'abord, j'aperçus le cadavre d’un
homme, tête vers la rue de la Bastille, une personne m'a dit;
"Il est là depuis midi, on vient seulement de le couvrir''. Je
me dirigeais vers la foule des journalistes qui étaient là
devant la porte. Le curé de Saint-Esprit se tenait sur le seuil
de l'église (la photo a paru sur Paris-Match). La dame qui
m'avait parlé précédemment me suivait, m'expliquant ce
qui s'était passé dehors. Je lui dis mon désir de regagner au
plus vite la rue de Tlemcen. Elle habitait Boulevard Sébasto
pol. Les voitures de Presse couronnaient le centre de la
Place de la Bastille. Je m'adressais plus directement à un
journaliste qui me répondit: "Madame, on est là pourtémoi-
gner, pas pour nous faire tuer". Un sous-officier alors nous
aborda : "Venez avec moi. Mesdames, je vais essayer de
vous protéger; moi-même je veux regagner le mess des
sous-officiers. "J'habite juste à côté" dit la dame et nous
partons.
"Des voitures transformées en char par des musul
mans circulaient sans cesse, nous attendions à chaque pas
notre dernière heure. Arrivés à hauteur du marché Kargen-
tah nous nous arrêtons net : la place est un moutonnement
blanc et retentit de you-you. Mes compagnons décident
d'essayer de passer en contournant (square garbé, etc.).
J'hésite. Survient une voiture militaire de l'aviation. Ils me
prennent en charge. La voiture fut inspectée par des mili
taires de l'A.L.N. qui demande ce que je fais là. "C'est la
mère d'un de nos camarades, elle est malade, nous la rame
nons". J'avais 33 ans ! Ils me déposèrent chez moi. Les
miens étaient sains et saufs.
"Mon mari me conta alors les péripéties qu'il avait vécu
avec notre fils âgé de 6 ans. Plusieurs fois, ils s'étaient vu
bousculés, fouillés, lui face au mur, le canon d'un révolver
appuyé sur la nuque, le gamin hurlant : "Papa, ils vont te
tuer !" Péniblement, ils parvinrent à hauteur de la poste du
boulevard Maréchal Joffre, face au boulevard de Mascara.
Là, un groupe fort énervé et armé de mitrailleuses décida
d'en finir avec eux. Un militaire de l'A.L.N. s'interposa, il se
fit insulter par ses congénères qui tiraient sans relâche.
162
"Heureusement qu'ils étaient énervés car s'ils avaient tiré
plus calmement, je serais criblé de balles I".
"Ce musulman demanda l'hospitalité pour eux dans un
immeuble, mais les occupants refusèrent d'ouvrir. Cet
homme prit alors mon fils dans ses bras, aggripa de l'autre
main mon mari : ''Viens, mon petit, dit-il à mon fils qui
pleurait, je vais vous conduire vivants chez vous, toi et ton
père”.
"En chemin, ils recueillirent un jeune homme pris à
parti par un groupe de jeunes musulmans : "Pourrez-vous
l’héberger chez vous, sinon ils vont l'étriper ! "Il venait
d'être contrôlé : la fureur des musulmans avait été provo
quée par l'emblème "Pied-Noir" apposé sur sa carte d'iden
tité. Il revenait en mobylette de l'appartement qu'il occupait
avec sa mère vers le quartier Boulanger-Maraval. Ils
s'étaient récemment réfugiés dans un immeuble aux alen
tours du Collège de jeunes filles. Je lui conseillais de passer
la nuit chez nous, mais il pensait sans cesse à sa mère.
Malheureusement, une de nos voisines s'interposa : "Je
connais bien le chef du bureau F.L.N. qui s'est ouvert là tout
près. Je vais lui demander un iaissez-passer".
"C'était un ancien habitant du quartier, lui et sa famille
en avaient été chassés par une charge de plastic. Cette
dame ne nous écouta pas, lui non plus. Il partit pour le poste
et ne revint plus. Quelques instants plus tard, un musulman
vint chercher la mobylette. Le mari de cette dame apparte
nait à l'O.A.S. nous l'avons retrouvé, deux jours tard à
l’aéroport de La Sénia".
163
Témoignage de Monsieur Marcel VERHILLE
164
moqueur m'a dit : "Bon voyage !"
La place d’Armes ne suffisait pas à contenir cette foule
exhubérante. Toutes les rues annexes étaient bondées.
Tout à coup, peu de temps avant midi, des coups de feu ont
éclaté. Aussitôt, ce fut la panique. On entendait partout des
cris. En regardant avec précaution par la fenêtre du 6cmo
étage, j'ai vu le brusque reflux des arabes qui remontaient
en courant le boulevard Joffre. Des coups de feu sporadi
ques continuaient mais il était impossible de localiser les
tireurs. Les membres du F.L.N. avaient leurs armes et
tiraient, parfois sur les terrasses. De véritables crises d'hys
térie ont commencé. Des femmes musulmanes, visage
complètement dévoilé, trépignaient sur place et criaient des
"you-you”. A ce moment là, j’ai vu un groupe d'arabes qui
poussaient devant eux un Européen de 30 ans environ qui
avançait, les bras en l'air. Il avait la chemise complètement
arrachée et sa poitrine ruisselait de sang. Deux arabes le
forçaient à avancer avec des poignards très effilés. Tout à
coup, l'Européen se mit à courir et se précipita vers l'entrée
du Tribunal militaire. Il réussit à entrer mais les arabes
allèrent le rechercher. Ils se déchaînèrent alors sur lui à
coup de poubelles et l'achevèrent un peu plus loin.
"Un peu plus haut, un membre du F.L.N. avait le canon
de son révolver braqué contre la tète même d'un Européen.
Au bout de quelques minutes, il le fit monter dans une
camionette avec d'autres Européens.
"Pendant ce temps, les coups de feu crépitaient de plus
en plus fort et de plus en plus nourris. Un membre du F.L.N.
avait installé son fusil mitrailleur au milieu du boulevard et à
plat ventre arrosait les façades des immeubles.
"En face de moi, quelques Européens ont réussi à pren
dre refuge dans l'immeuble du Service Social des Armées. Il
faut dire que le capitaine responsable de ce service était à la
porte et faisait signe aux Européens de le rejoindre. Ensuite,
il dût user de toute son autorité pour empêcher les per
sonnes de sortir car elles auraient été immédiatement
massacrées.
"Ce n’est que vers 15 heures que l'on commença à voir
une accalmie. A ce moment une voiture de l'armée fran-
165
çaise annonça par haut-parleur l'établissement du couvre-
feu. Tout était devenu désert. Une auto-mitrailleuse
française s'installa au bas du boulevard Joffre. Vers 16
heures, j'ai rejoint Châteauneuf. Un peu avant d'arriver,
une voiture bondée d'arabes en armes a surgit d’une rue.
J’ai eu le réflexe de me mettre derrière un arbre au moment
de son passage.
"Il faut rendre hommage au capitaine responsable du
service social des Armées qui a sauvé par son initiative
beaucoup de vies humaines".
166
Témoignage de Monsieur Robert VALE
Assureur, commandant de réserve
167
d'avertisseur, M. Valé se fraie un passage vers le boulevard
de l'industrie. Deux voitures le précèdent. Coups de feu sur
les véhicules, dont l'un des conducteurs touché, s'affaisse
au volant, tandis que la voiture désemparée s'écrase contre
un mur. Se souvenant de la proximité d’un autre poste de
zouaves, au lycée Jules Ferry, et dont le capitaine V... est
également un ami, l'assureur tente de le rejoindre pour s'y
mettre à l'abri.
"L'officier écoute les explications de M. Valé alors que
des balles s'écrasent sur des immeubles avoisinants. A
13h30 la compagnie est en alerte, reliée aux autres unités
d'Oran par téléphone militaire et par radio. Et toujours à
l'extérieur des clameurs, des coups de feu. Deux reporters
de Match, revenant d'un reportage à Oujda sur les troupes
de Ben Bella qui s'apprêtent à entrer en Oranie, sont sauvés
in extrémis. Des toits du Lycée on a quelques aperçus du
massacre. Ainsi une Européenne qui sort sur son balcon du
boulevard Joseph Andrieu est-elle abattue. De même pour
un homme qui à plat ventre sur son balcon et puis se
redressant un moment est tiré comme un lapin.
"La fusillade est alors systématique sur toutes les
ouvertures des immeubles où se sont réfugiés des Pieds-
Noirs. Là c'est un musulman qui se débat au milieu de la
foule en délire. Réussissant à rejoindre les grilles du lycée
en hurlant des appels au secours, son corps s'écroule dans
une mare de sang. Vers 15 h, toujours selon M. Valé, l'in
tensité de la fusillade augmente encore, on entend même le
crépitement d'armes automatiques.
Interrogé sur ce qu'il va faire, le capitaine V.. réplique
qu'il "a des ordres formels de ne pas sortir de son cantonne
ment, afin de ne pas laisser supposer qu'il y a eu provoca
tion et d’éviter tout incident. "Il ajoute qu’il a "essayé de
joindre le général Katz". Il ne répond pas, on dit même qu'il
est à la chasse. En fait, Katz déjeunerait à la base aérienne
de La Sénia où, averti des événements, il aurait répondu à
un officier : Attendons 5 heures (17 heures) pour aviser !
"Vers 17 heures, la fusillade se calme. On voit alors des
troupes F.L.N. accompagnées de civils en armes entrer dans
les immeubles et en ressortir en encadrant des Européens,
168
femmes, hommes, enfants, vieillards. Où les emmène-t-on?
Que va-t-on en faire ?
"Au commissariat central, où se sont réfugiés d'autres
malheureux Pieds-Noirs, un tri est opéré par les musul
mans. Les uns partent et on n'aura jamais plus de leurs
nouvelles, d'autres, et sans qu'on sache pourquoi sont sau
vés par un commandant F.L.N. qui vient demander aux
zouaves du lycée Jules Ferry de les évacuer. Une navette
entre les deux locaux s'instaure, par voitures pour ramener
les femmes et les enfants; les hommes arrivent à pied
"hagards et hébétés”. Un silence étrange s'abat peu à peu
sur ce quartier d'Oran.
Vers 18 h, M. Valé quitte le capitaine V... pour rejoindre
un autre cantonnement militaire : pas question en effet de
se hasarder en ville. Sa voiture est encadréepar deux jeeps.
Sur sa route, des débris de meubles, du verre brisé, des
étuis de cartouches, du sang. A un croc de la boucherie, près
du "Rex", il aperçoit, pendue par la gorge une des victimes
de ce massacre. Un peu plus loin, c'est un cadavre dépas
sant d'une poubelle, la gorge ouverte d'une oreille à
l'autre".
169
Témoignage de Monsieur Paul OLIVA
Inspecteur principal des Télécommunications
(Direction Départementale des P.T.T.)
170
travail à différentes reprises, pour éxécution des travaux
prescrits de raccordement des câbles. Des explications qui
me furent données, j'ai principalement retenu ce commen
taire /'Nous acceptons d'être contrôlé par les A.T.O. (police
du F.L.N.) puisqu'ils sont les vainqueurs mais pas par les
C.R.S. car ils n'ont plus qualité pour celà. “C'était la démis
sion de la France dans la pensée de cet agent dont les
propos étaient d'ailleurs approuvés par la grosse majorité
de ses collègues qui m'entouraient (1). Je me présentais
alors au planton, demandant à parler au responsable. Ce
dernier s’abrita derrière les ordres reçus et me donna
l'adresse de son commandant d'unité. Voulant pénétrer à
mon tour dans le central en vue d'inciter les réfractaires à
me suivre, je dus me soumettre à une fouille sommaire
accompagnée d'excuses fort courtoises. Je fis demi-tour et
invitai mon chauffeur à me conduire au casernement des
C.R.S. Quelques centaines de mètres plus loin, la circula
tion devenait très difficile. Une marée humaine occupait les
rues. Toute la population musulmane des environs immé
diats de la ville et vraisemblablement des douars pas trop
éloignés s'était joint aux habitants des quartiers arabes
d’Oran. Les agents (A.T.O.) s'efrorçaient de canaliser cette
multitude. Je commençais à avoir quelque appréhension.
Mon chauffeur me dit brusquement Je ne veux pas aller
plus loin
“Quatre mois et demi avant, notre Président directeur
départemental, M. DEMARE avait été tué à bout portant au
moment où il sortait du véhicule conduit pas ce même
chauffeur. Je compris très bien sa réaction et acquiesçais,
ce qui me parut le plus sage.
“De retour dans mon bureau, après un bref compte-
rendu verbal à mon supérieur, je visai comme chaque jour à
la même heure, les minutes des correspondances rédigées
par les sections des télécommunications. Quelques coups
RI line faut pas oublier que les C.R.S. français s'étaient rendu coupables de
contrôles musclés et de perquisitions sans douceur ainsi que de nom
breuses arrestations, interrogations et internements d'Européens durant
les mois précédents.
171
de feu se firent entendre à plusieurs reprises mais j'étais
habitué depuis de nombreux mois à des tirs sporadiques.
"A 11 h55, soit dix minutes de retard sur l'horaire nor
mal de fin de vacation du personnel sédentaire de la Direc
tion, j'abandonnai mon bureau pourprendre le volant de ma
voiture en stationnement rue Ramier. Les coups de feu
étaient plus fréquents et de moins en moins lointains. Ils se
précipitèrent. La panique commençait à gagner les gens. Je
fis monter dans mon véhicule une infirmière du Service
Social des P.T.T., Mme PONS et son fils qui demeuraient à
proximité de mon domicile (Groupe de Lattre deTassigny).
Un groupe de trois automobiles allant dans la même direc
tion se constitua. J'empruntais spontanément un sens
interdit pour gagner du temps. Dans la ville, la fusillade
s'accentuait.
“Après maintes hésitations, vers 15h, je repris le che
min de mon bureau. Ma ligne téléphonique n'ayant pu
encore être rétablie (plasticage fin juin au central automati
que), j'ignorais tout de la situation. Les rues étaient
désertes. J'entendais des coups de feu que je localisais aux
alentours de l'Hôtel des Postes. L'inquiétude me gagna.
“Un Européen, en observation au seuil de sa maison,
rue Mirauchaux, ne put me fournir la moindre indication.
Tout à coup, un jeune Européen d'une quinzaine d'années,
dévalant à pied une rue transversale en pente me cria :
“Sauvez-vous, les soldats FLN tirent sur tout le monde
172
rétabli, j'obtins une communication avec la Direction des
P.T.T. C'est un de mes collègues qui me répondit. Ils étaient
enfermés dans les services. Les ordres étaient de demeurer
chez soi. J’appris ainsi l'arrestation d'une trentaine de fonc
tionnaires et agents dans la cour même de l'Hôtel des
Postes.
‘'Vers treize heures, des cars de police patrouillèrent
dans la ville. Leur hautparleurdiffusait un communiqué : En
accord avec les autorités algériennes, l'ordre dans les quar
tiers européens serait assuré par la gendarmerie française.
Des applaudissements nourris saluaient chaque annonce.
"Le lendemain 6 juillet, c'était devant la Direction des
P.T.T. le rassemblement de tout le personnel européen de la
ville. La grève spontanée, sans mol d'ordre syndical était
totale. Mon directeur me pria d'assurer les fonctions de
Directeur adjoint en l'absence du titulaire du poste : Mon
sieur Roger JOURDE. Nous rimes le pointde la situation. Par
télex, nous rendîmes compte des événements : 12 Musul
mans en uniforme et en armes avaient pénétré la veille vers
12 heures dans la cour du bâtiment. Ils avaient tiré en l'air
quelques rafales d'intimidation, puis avaient conduit au
Commissariat Central, 35 personnes prises au hasard.
C’était au moment du repas à la cantine des P.T.T. et des
changements de vacation, dans différents services, c'est-à-
dire à un instant particulièrement propice. La grève se pour
suivit toute la journée sauf en ce qui concerne notre petit
état-major qui s'efforcait de recueillir des éléments d'infor
mation. Peu à peu, la vérité se fit jour. Nous dressâmes une
liste des disparus. Par la suite, après diverses fluctuations,
sont chiffre définitif devait être arrêté à neuf.
173
cienne de 4 étages à l'administration algérienne : elle man
quait donc de locaux.
"Monsieur JOURDE, Directeur départemental adjoint,
s'était rendu du Commissariat central à l'Hôtel des Postes. Il
avait fait monter à bord de sa 403 deux de ses voisins :
Monsieur DAVO, inspecteur central et Madame BETTAN,
contrôleur principal (épouse d'un instituteur, mère de 4
enfants). Depuis, plus de nouvelles de ces 3 disparus.
"Un agent technique stagiaire. Monsieur LEGENDRE à
Oran depuis un mois, circulait dans une artère passante, la
rue de Mostaganem. Il fut blessé à la joue par une balle et
conduit à l'Hôpital civil par deux de ses collègues. Notre
assistante sociale dépêchée le lendemain à cet établisse
ment, n'a pas trouvé trace du séjour de l'intéressé. Il serait
encore porté disparu.
"Je n'ai plus présent à la mémoire les noms des 5
autres disparus. Je me souviens d'un facteur, père de 3
enfants, a qui j'avais facilité le déménagements d’Aïn-Kial à
Oran. Sa place était jalousée. Il avait subi des menaces
avant le scrutin sur l'indépendance.
"J'ai personnellement aidé un jeune agent d'exploita
tion à rédiger son rapport. Bouleversé, il était incapable
d'écrire. Il m'a relaté que, réfugié dans un couloir, des
Musulmans armés avaient invité à les suivre les per
sonnes appartenant à la police ou à la magistrature.
"L'un de mes collègues. Inspecteur principal : Mon
sieur CASTELLANO avait été entouré d'Algériens. Les
mains liées derrière le dos, il avait subi sarcasmes, crachats
au visage et coups de pieds aux fesses. Amené en camion
dans un local et sa qualité ayant été connue il fut l'objet
d'une allocution d'un lieutenant de l'A.L.N. On lui deman
dait de comprendre son rôle et ses devoirs dans l'Algérie
nouvelle qui manquait de techniciens (1).
"Le secrétaire fédéral F.O. des P.T.T., M. Emile ECOF-
FET, qui devait embarquer dans l'après-midi du 5 juillet,
174
pour passer son congé annuel en métropole, fut entouré
dans la matinée par une bande d'énergumènes musulmans
alors qu'il était au volant de son auto. La présence bien
opportune d’un petit porteur de télégrammes arabe qui
intervint auprès des agresseurs lui sauva sans doute la vie.
Monsieur ECOFFET, en bras de chemise, sans bagage, sans
véhicule et sans pièce d'identité gagna la France par le
premier courrier maritime qu'il put emprunter.
"Personnellement, je fus frappé par la disparition d'un
cousin germain : Monsieur Jules GALINDO, brigadier de
police, père de 3 enfants. Il avait été muté en France et
persuadé qu'il n'avait rien à redouter, il avait le 5 juillet
continué à procéder à la passation des services au garage de
la police.
"Aussi le 7 juillet, la grève du personnel des P.T.T.
persistait, le chef de cabinet du premier I.G.A.M.E. algérien
se rendit auprès de mon directeur. Je fus chargé des
contacts entre grévistes et l'autorité préfectorale. Nos
entretiens avec le personnel furent pathétiques. C'était
pour tous les Européens la hantise d'être pris dans une
souricière. Nous réussîmes à faire promettre publiquement
(dans la cour de l'Hôtel des Postes) au chef de cabinet que
tout agent muté ou devant prendre son congé en France ne
rencontrerait aucune difficulté pour son départ. Quelques
reprises de service s'en suivirent, et jour après jour des
réfractaires regagnèrent leur bureau d'attache. Mais tous
les agents en congé en France faisaient parvenir des certifi
cats médicaux et d'autres dont le tour de départ arrivait
pouvaient emprunter sans encombre bateau ou avion. Les
effectifs étaient plus qu'insuffisants. Tous les télégrammes
en provenance ou à destination de la France étaient chaque
soir transportés par avion en raison de l'insuffisance en
personnel qualifiée et de l'accroissement subit du trafic
consécutif aux événements, aux retards dans l'achemine
ment postal et au nombre restreint d'installations télépho
niques en service. De nombreux bureaux de poste durent
être momentanément fermés.
"Le 18 juillet, un coup de téléphone du chef du centre
de tri postal Oran - S( Charles, Monsieur Gabriel SEGURA,
175
m'informait, en tant que Directeur départemental des P.T.T.
par intérim, de la disparition d'un préposé conducteur. Mon
sieur René TOURNEGROS. Quelques jours avant, il accom
pagnait à l'embarquement son beau-frère. Monsieur LOPEZ
lorsqu'à la grille du port des A.T.O avaient invité les deux
hommes à les suivre.
"La 4 CV du manquant avait été aperçue en stationne
ment devant la nouvelle préfecture. Le Directeur des P.T.T.
n'ayant pû réussir à se mettre en rapport avec l'I.G.A.M.E.
ou son secrétaire général (maitre Ben Abdella, un des
défenseurs à Paris d'Ahmed Ben Bella) contacta Monsieur
Ben Bassal Benouada, agent du central télégraphique
d'Oran en disponibilité depuis 6 ans et qui devait être
nommé directeur départemental au départ du titulaire
français.
"M. Ben Bassal fit connaître qu'il s'agissait d'UNE
AFFAIRE MINEURE qu’il convenait de considérer d’ores et
déjà comme classée. Elle fut en effet définitivement classée
le 15 août 1962, lorsque, dans une citerne abandonnée à 15
kms d'Oran, une patrouille de soldcts français devait décou
vrir parmi des cadavres ceux de viM. TOURNEGROS et
LOPEZ. Le corps de M. TOURNEGROS, le crâne fracassé et
les deux avant-bras coupés, fut identifié grâce aux
sequelles d'une intervention chirurgicale à la plante des
pieds".
Interrogé sur le point de savoir s'il avait existé sur les
toits de la poste centrale d'Oran un emetteur de T.S.F. et si
ce poste avait dès midi, émis des appels au secours, le
témoin, M. Paul OLIVA répondit que la rumeur en circulait
effectivement les jours suivants.
Ce point paraît aujourd'hui certain : voir à ce sujet
l'article de Claude PAILLAT paru dans "Le Méridional-La
France" le samedi 24 juin 1972 : Annexe III.
176
Témoignage de Monsieur Sydney Zémor
Directeur d'une agence de publicité
177
raccroche. Au dehors se dit-il, la fête continue, on
entend au loin une série de détonations... des pétards.
178
Le soldat tire à nouveau., Sydney toujours indemne se tasse
dans le coin d'une porte d’immeuble. Il frappe sans violence
à la vitre. Et si le tireur avançait jusqu'à lui ?... Une minute
passe. La porte s'ouvre, une petite fille de douze ans lui
laisse le passage. C'est la fille de la concierge. Une femme
se précipite vers Sydney un verre d'eau à la main. "Je n'ai
pas de cognac, excusez-moi". Il y a là plusieurs Européens
dont deux jeunes pieds nus. Ils allaient à Aïn-el-Turck, les
Arabes leur ont pris leur 4CV et leur ont tiré dessus.
Il est une heure quarante cinq minutes.
"Zémor se demande encore pourquoi l'Arabe ne l'a pas
poursuivi. Les deux garçons lui expliquaient que l'homme
était en train de garder cinq Européens alignés le long d'un
mur du boulevard Laurent-FouquequeZémor n'avait paspu
voir. Poursuivre Sydney, c’était laisser cinq Européens
s'échapper.
"Un homme sur un scooter arrive du boulevard Front-
de-mer. On ne peut le prévenir du danger qu'il court, il a déjà
franchi le carrefour et s'est engagé boulevard Laurent-
Fouque. Un autre véhicule arrive lentement.
C'est une voilure de police. Des Algériens en civil la
conduisent. Il est trois heures et demie. Un haut parleur
annonce que le couvre-feu est instauré à Oran avec effet
immédiat et jusqu'à nouvel ordre. L'avis est répété en arabe.
Sydney Zémor et les deux jeunes gens pieds nus ne
veulent pas passer la nuit dans un couloir, sans manger,
sans dormir. Ils décident de sortir. Sydney se dirige vers le
centre, les deux autres vers Gambetta à l'est de la ville.
Zémor se retrouve à nouveau seul dans ce désert urbain. Il
s'engage dans la rue de Mulhouse, puis longe les murs du
boulvard de Metz. Rien...
"Arrivé au square Cayla, il aperçoit la rue d'Alsace-
Lorraine entièrement vide, la rue de la Vieille-Mosquée l'est
également. Il continue par la rue Bugeaud. A l'angle de la
rue Jalras, une Simca grand large surgit brusquement. Une
tête connue : le pharmacien Vallier.
- "Que se passe-t-il ? Je rentre de la plage, vous êtes la
première personne que je rencontre".
-"Je ne sais rien.
179
On tire sur les Européens, il y a le couvre-feu".
- "Vous voulez monter ?".
- "Non merci, je suis presque arrivé". Zémor pense
qu'il est plus en sécurité à pied. Il remonte la rue d'Isly. Dans
l'axe de la rue El-Moungar, il aperçoit un char français.
"Il y a seulement cinq jours, la vue d’une unité de
l'armée française l'amenait à changer de chemin. Parmi les
Oranais, la peur de la rafle était un sentiment quotidien. Il
suffisait de se trouver dans un café, un cinéma, dans un
magasin, pour que les hommes de Katz bouclant le quartier,
capturent tous les adultes mâles et les entraînent dans les
stades sportifs de la périphérie. Là, on gardait tout le monde
trois ou quatre jours, en plein soleil presque sans rien à
boire ni à manger.
"Aujourd'hui la rafle est faite par les Arabes. Les Fran
çais seraient-ils devenus à nouveau des alliés ? Il ne peut
pas en être autrement. Zémor marche au milieu de la chaus
sée et se dirige droit vers le char. Il demande à un lieutenant:
- "Est-ce-que je peux passer ?".
- "Çà dépend où vous allez".
- "Chez moi, boulevard Clémcnceau".
- "Vous n'y pensez pas ! C'ost là-bas que çà se passe.
Allez plutôt au lycée Lamoricière et demandez la protection
de l'armée.
Il va être quatre heures.
"Le lycée est à cent cinquante mètres. Zémor redes
cend la rue El-Moungar. Il se demande si les militaires vont
vouloir le prendre sous leur protection. Pendant des mois
l'armée a été l'ennemie des Oranais.
"Sydney se retrouve maintenant devant la porte du
lycée qu'il n'a pas franchie depuis près de vingt ans. La
sentinelle le fait entrer avant qu'il ait le temps d'ouvrir la
bouche. Dans la grande cour, des unités de l'armée sont au
repos. Il y a des chars, des faisceaux d’armes, des hommes
qui se promènent les mains dans les poches.
"Ne restez pas là, entrez dans la cour intérieure".
"Zémor passe devant la loge du concierge. A l'époque
de son enfance, un Corse exerçait cet office. Il était la
180
terreur des retardataires. Sydney entre dans la cour d'hon
neur du lycée : un immense quadrilataire entouré de cou
loirs de marbre surmonté par des piliers de brique rouge.
Tout ici semble avoir perdu de sa grandeur.
"Dans la cour, au moins deux cent Européens, hommes
et femmes sont là, abattus, assis sur des caisses de limo
nades, certains parlant fort, d'autres visiblement accablés
par les minutes qu'ils viennent de vivre.
"Dans un coin, un officier interroge les Pieds-Noirs et
prend des notes. De l'autre côté, des soldats vendent des
casse-croûtes et de la bière chaude. Oui, il faut payer.
Zémor se souvient qu'il n'a rien mangé de consistant depuis
la veille. Il est inquiet pour sa sœur.
181
volontaires. "Et nous ?" Qu'allons-nous devenir ? Nous ne
pouvons pas partir et nos familles ?" crie quelqu’un.
"Nous allons vous raccompagner chez vous" répond
l'officier. "Mais n'oubliez pas que ce pays est indépendant
et que nous ne pouvons pas grand chose pour vous".
"Déjà les candidats au rapatriement "vulgaire" se ras
semblent. C'est la catastrophe, personne n'aurait pu imagi
ner, même au plus fort de la bataille, devoir quitter Oran
dans ces conditions. Des camions démarrent. Zémor
regarde ces gens, ils sont pour la plupart en chemisette,
pantalon et sandalettes. Us n'ont rien sur eux que leurcarte
d'identité et quelque argent. Sydney pense que si l'armée
en arrive à évacuer des gens comme çà, comme s'il y avait le
feu dans une maison, c'est que la situation à Oran et dans
toute l'Algérie doit être bien plus grave qu'il ne le pensait.
"Sydney en tant que vieil Oranais connaissant parfaite
ment la ville, aide l'officier chargé de ramener les réfugiés
jusque chez eux à établir un itinéraire économique en fonc
tion des demandes. Quelques instants plus tard, Zémor
monte à côté du chauffeur et lo petit convoi démarre. Il
prend à droite en sortant du lycée, passe devant la
S.O.T.A.C, la station d'autobus pour la plage, remonte la
rampe Valès et débouche dans une place d'Armes déserte.
Le chauffeur se retourne vers les gens qui descendent là.
"Engouffrez-vous chez vous rapidement. Ne regardez ni à
droite ni à gauche".
Et le camion repart vers le boulevard Clémenceau.
"A quelques mètres du n° 11 où habite Sydney, il y a un
barrage F.L.N. Le chauffeur fait un signe amical. Il demande
à Zémor de lui indiquer l'endroit exact où il veut descendre.
182
à sa sœur. Non, ce n'est pas son écriture. Il lit :"ouvrez-vite,
nous sommes des Européennes”. Il éclate en sanglots.
Qu’ont dû devenir ces femmes ? se demande-t-il.
"Au bout d'un long quart d'heure, il remarque que la
salle à manger est criblée de balles. Il y a des impacts sur
tous les meubles, dans les murs, au plafond. Zémor entend
dans la rue le bruit caractéristique d'un convoi de camions.
Il sort sur le balcon, c'est la gendarmerie mobile française. Il
descend. Des factionnaires en Képi sont devant sa porte.
''On peut sortir ?”.
-''Oui, nous assurons l'ordre depuis cinq heures du
soir”.
-”Ah, très bien”.
-''Vous êtes contents de nous voir maintenant, il y a
trois jours vous nous tiriez dessus”.
-"C'est vous qui nous avez mis dans cette situation. On
vous disait bien que ce serait çà l'Algérie Algérienne”,
répond Zémor en remontant chez lui. Les G.M. prennent
position dans toute la ville. Comme par miracle, les F.L.N.
ont disparu. Le général Katz a obtenu, enfin, que la respon
sabilité de l'ordre lui soit confiée pour les jours qui vien
nent...".
183
MORTS QU DISPARUS
LE 5 JUILLET 1962 A OR AN
AGUILLAR
Marcel
ALBERGE
Etienne
186
ALEMAN
Charles
AMAR
Pierre
ANTON
Michel
187
ARANDA
Alfred
ASNAR
Moïse
ATTILANO
Juan
188
BEDOCK
Adolphe
BEDOCK
Moïse
3ELTRAN
François
BERNABEU-MURCIA
Florence
189
BERTOMEU
Henri
BENOÎT
Eugène
Adjoint Forestier
58 ans (né le 07.01.04)
habitant 37 Avenue Albert 1er à Oran
Disparu le 5 juillet ! 962
190
BETTAN
née BENGUIGUI
mariée, mère de 4 enfants
Contrôleur Principal des P.T.T.
habitant 9 Boulevard Maryse Bastié à Oran
Disparue le 5 juillet 1962
BENYAMINE
Salomon
BERNABEU
Thomas
191
BLANCHARD
Pierre
habitant 3 rue Brancion à Oran
Disparu le 5 Juillet à Oran
BLASCO
Victor
habitant 25 Rue Cavaignac à Oran
Disparu le 5 juillet 1962
BOTELLA
Joseph
192
BREUIL
CADERA
Entrepreneur de Transports
193
CAMPOS
Raymond
CHARLES
Louis
CHERUBINO
Gérard
employé de Banque
18 ans
habitant 9 rue d'Orléans à Oran
194
CARATINI
Georges
Profession : Chauffeur
Disparu le 5 juillet 1962
enlevé en même temps que M. Joseph Quintana, au cours
de son travail, vers le Boulevard Front-de-Mer
CHLOUCH
Mouchy
195
COURETTE
Roger
27 ans
marié, 1 enfant
habitant les Abdellys (Tlemcen)
Disparu le 5 juillet 1962
enlevé entre St Louis et Oran
COVIAUX
Roger
196
DAVID
DAVO
Honoré
DESSOLA
Jean-Pierre
197
DOMENEGUETTY
Louis
DUPRAT
Rémy
55 ans
Monteur chez Renault
FABRE
Gaston
198
FAGET
Lucien
FAGET
Marcel
FELLOUS
Cafetier
199
FERNANDEZ
Albert
ancien tailleur
policier
FERRIO
Jean
Ils ont été vus pour la dernière fois Boulevard Hippolite Giraud
vers 15 heures.
200
FLANDRIN
Armand
Commerçant
GALERA
François
201
GALINDO
Jules
Brigadier de Police
marié, 3 enfants
G ARC» A
Alphonse
Eckmüih
Disparu le 5 juillet 1962
GARCIA
Armand
202
GARCIA
Joseph
GARCIA
Marcel
Instituteur
203
GAUCIRON
René
Sûreté Urbaine
habitant Rue René Etienne
GENRE
GIL
François
204
GIMENEZ
Ignace
GIMENEZ
Joseph
Boulanger
habitant Eckmulh - 8 Rue Marie Feuillet à Oran
GONZALES
Poissonnier au Tlelat
Mme GRIGUER
Solange
205
GUERRERRO
Pierre-Louis
GUILABERT
Roger
GUIRADO
René
206
HERBAUD
Gaston
HERNANDEZ
Joseph
habitant Eckmulh
HIDALGO
Paul
HUSTE
Christian
207
JACQUEMAIN
Cyr
208
JOURDES
Roger-Louis
JUNIOT
Paul
209
LAFUENTES
Diego
habitant Eckmulh
LA LANCE
Marcel
LAURES
Gustave
210
LEGENDRE
Agent Technique stagiaire
LEHRE
LENORMAND
Jean
211
Madame LEVY
née BENKIMOUN
LOPEZ
LOPEZ
Henri
212
LOPEZ
René
Electricien
habitant Eckmulh
LORENTE
José
MACROM
Henri
213
MANCHON
Jean
MANOGIL
Vincent
MANUEL
Francisco
214
MARTIN
Joseph
MARTINEZ
Ernest
22 ans
MARTINEZ
Ernest
215
MARTINEZ
Fernand
Hôtelier - Restaurateur
habitant Hôtel Martinez 1 boulevard Georges Clémenceau à Oran
MARTINEZ
José
MARTINEZ
Michel
216
MASCARO
MESMACQUE
Christian
18 ans
MIRA
Directeur de l'O.N.I.C.
217
MOJICA
Jules-Louis
MOLINES
Jean-Roger
MORALES
José
218
MORRO
François
MULLER
Henri
Entrepreneur de transports
marié, 1 enfant
219
MOURMES
Pierre
NAVAB?eO
Germain
220
NAVARRO
Jean-Paul
NAVARRO
José
habitant Eckmuhl
Madame ORIGUER
Solange
O RTS
Antoine
221
PALUMBO
Nicolas Mario
PAR DO
Raymonci-Eir.ïkï
PEREZ
François
23 ans
habitant 20 Avenue de la République à Oran
222
PEREZ
François
52 ans
habitant chez M. Jh. Martinez, "Le Building" Bât. A
16 Rue Molla à Oran
PEREZ
Pierre
PEREZ-SANCHEZ
Juan
223
PIERRE
Xavier
Carrossier
habitant Eckmülh
PRIEÏO
Grégoire
ancien douanier
habitant la Cité Douanière - Inspection des Douanes
nouvelle Route du Port à Oran
224
PRUDHOMME
Henri Jean-Louis
225
"Ayant rejoint ma famille à Nantes le 20 juillet, mon père, seul, a
continué ses démarches dans tous les bureaux FLN de mosta et
des environs jusqu'au jour où un officier FLN est venu occuper
notre villa qui avait été pillée début juillet alors que nous atten
dions mon frère chez lui, immeuble de l'Hydraulique entre Maza
gran et Mostaganem.
"De Nantes, mon père a continué ses démarches voir liste jointe
avec le relevé des correspondances dont je détiens tous les
originaux".
226
QUINTANA
Joseph
RAT
Emile
ROBLES
Edouard
Chauffeur du taxi n° 72
RODRIGUEZ
(père)
Boulanger
habitant Eckmulh
227
!
!
RODRIGUEZ
dit "Minute"
ROMERO
Christian
Quartier-Maitre
228
ROMERO
Julien
31 ans
de la D.C.A.N.
ROS
André
RUIZ
Jean
229
RUIZ
Pierre
SAEZ
Félix
SAGNIEN
Pierre-Jean
230
SALMENON
Jean
SIERRA ANTILLANO
SIGURET
Claude
231
SOLA
Manuel
SOUMÂ
François
TAILLANT
232
TIZON
Juan
TORREGROSSA
René
Chauffeur
233
TOUATI
Marcel
TREMINO
Guy
14 ans et 1 <f2
Disparu le 5 '.962
U LP AT
Marcel
Instituteur à Vialar
234
UTRAGO
Alfred
VALENZA
Joseph
VALERO
François
235
VALLET
Alfred
59 ans
Chef comptable à la Gare Maritime d’Oran
VITE!
Gabriel
XAES
Moïse
YNIENTA
Roland
236
MORTS ET DISPARUS AVANT ET APRÈS
LE 5 JUILLET 1962
ALMOZNI
Henri
BELLOD
Agriculteur à Oued-Imbert
BIRBES
Paul
238
BOULE
François
CALATAHUT
Jean-Baptiste
CARATON
Agriculteur à Oued-Imbert
239
CARBONA
M.
CASANOVA
Claude
CHEVILLARD
Maurice
240
CASTELLO
Ange
50 ans
Marié, 4 enfants
DAHAN
Elie Paul
241
DESMARETS
Jean-Jacques
DUMAS
Maurice
GOMIS
Philippe
242
JOVER
Henri
né le 31 octobre 1937
travaillant aux Ponts et Chaussées
LOPEZ
André
LOPEZ
Joseph
243
LOPEZ
LESCAUER
Guy
MERINO
René
244
M1RAILLES
René
MONTERO
Aimé
ORTEGA
Rosette
30 ans
Concierge du Stade de la Marsa
Mers-el-Kébir Oranie
Assassinée le 1er mars 1962 à 14 heures 30
avec ses deux enfants : Sylvette 5 ans et André 4 ans.
245
ORTEGA
Sylvette
5 ans
fille des concierges du Stade de la Marsa à Mers-el-Kébir
ORTEGA
André
4 ans
fils des concierges du stade de la Marsa à Mers-el-Kébir
Assassiné le 1er mars 1962
(crâne fracassé contre les murs)
avec sa mère Rosette et sa sœur Sylvette.
PERAL
Jeanne
246
PEREZ
André
POMARES
François
POULONNOT
Guy
247
;
QESSARDIERE
Bernard
RAT
Henri
RIOT
Pascal
248
ROQUES
Georges
ROUILLY
Claude
RUBIO
Antoine
Instituteur
habitant Aïn-Témouchent
249
i
RUIZ-SALMERON
José
SANCHEZ
Bernabé
SCHOUKROUN
Aron
250
SANCHEZ
Emile
57 ans
Marié, père de 3 enfants
employé de la Chambre de Commerce
251
i
TIGERAT
TOURHEGROS
René
252
ZAPATA
Célestin
49 ans
marié, père de 5 enfants
Cafetier Boulevard Alexandre de Yougoslavie-Faubourg Lamur
à Oran
Mme ZAPATA
Antoinette
45 ans
Disparus le 17 avril 1962
avec leur fils Lucien en voiture
253
danger il s'engouffra avec son épouse et son jeune enfant dans la
rue Er Rouaz. Hélas, à partir de là, on ne sut plus rien d'eux.
Alertés par notre famille de l'absence du retour de leurs parents,
décida, mon fils Pascal et moi de faire une démarche auprès de
ceux que l’on considérât comme les dirigeants du mouvement de
l'indépendance.
Bien estimés de toute la population musulmane du faubourg,
nous nous rendîmes au Faubourg Lamur où nous fîmes cordiale
ment reçus et l'on nous promis de faire une enquête sur la dispa
rition des nôtres.
On alla également au village nègre où à l'entrée de la rue Stora on
nous demanda l'objet de notre visite.
Là aussi on nous reçu aimablement et j'eus le plaisir de revoir
tous les anciens de l’U.S.M.O. et sélectionnés de football de
l’Oranie qui nous promirent de faire une enquête sur les dispari
tions des trois membres de notre famille.
Et depuis, voila plus de vingt ans plus de nouvelles de nos dispa
rus. Ont-ils été assassinés ? Sont-ils prisonniers ? Le mystère
reste entier.
ZAPATA
Lucien
18 ans
habitant Faubourg Lamur
254
PROCÈS VERBAL D'ENQUÊTE
255
i
P.V. N° 658/R
DU 4 MAI 1962
GENDARMERIE NATIONALE
PROCES VERBAL D'ENQUÊTE PRÉLIMINAIRE
ARRESTATION DE CHOUAIL CHAIBA KADAY
Ce jour huit Mai mil neuf cent soixante deux
LAUDETTE Jean A/C O.P.J. Cdt. Brigade ORAN
HOEL Alexandre MDL Chef OPJ Cdt Brigade ORAN
CALLEJAS Maurice
CANOVAS Gilbert
DE VARGAS Joseph
256
"Hier 4 mai 1 962, vers 10 heures, lorsque les militaires
m'ont appréhendé je réglais la circulation sur la V.O. N° 9 au
Petit Lac. J'étais vêtu d'une tenue militaire de toile kaki avec
insigne FLN et coiffé d’un calot vert et blanc frappé de
l'étoile et du croissant. Dans l'Organisation FLN, je suis chef
de la Police sous les ordres du responsable ATTOU, qui me
paye 30.000 anciens francs par mois.
"Mes fonctions au sein de cette organisation consiste :
1) à soigner les malades, en qualité d’infirmier
2) je m'occupe de la police du Petit Lac avec mon équipe, je
surveille la fouille des véhicules et des occupants de pas
sage dans mon quartier, en qualité de lieutenant.
257
"Là ils ont été étranglés ou égorgés par Bélacène
Lahouari, qui sans pitié puis jetés dans la Sebkra du Petit
Lac.
"Je n’étais pas présent lorsque ces victimes ont été
tuées, mais c’est Bélacène lui-même qui nous faisait part de
ses méfaits. Je compte environ 30 personnes du sexe mas
culin assassinés par Bélacène Lahouari et son équipe sui
vant les dires de ce Chef.
"Toute l’organisation FLN de la région dépend de l'ALN
mais nos membres agissent à leur guise.
"Chacun profite de la situation : suivant son rang et son
autorité, ATTOU a été récemment battu et blessé très
sérieusement par des Officiers de l'ALN pour sa conduite.
"Le Centre Médical du Petit Lac est tenu par le docteur
NOUVIAN 50 ans. Je connais aussi le Professeur JEAN-
NOT, 22 ans, qui doit instruire les jeunes musulmans.
Le 5 mai 1962 à 9 heures.
Lecture faite par moi de la déclaration ci-dessus, j'y
persiste et n'ai rien à ajouter, à y changer ou à y retrancher
(a signé au carnet de déclaration).
Vu les articles 63 et 65 du code de procédure pénale, pour
les nécessités de l'enquête nous estimons devoir retenir
CHOUAIL CHAIBA KADAY au bureau de la Brigade. Cette
mesure de garde à vue prend effet du 4 mai 1962 à 16
heures. De 16 heures le 4 Mai 1962 à 8 heures le 5 Mai
1962 CHOUAIL CHAIBA KADAY a bénéficié d'un temps de
repos de la chambre de sûreté de notre brigade. A 14
heures, nous procéderons à une seconde audition de
CHOUAIL CHAIBA KADAY, qui déclare :
258
"MOHAMED BEN KADDA JEN''(Démon-diable)demeurant
au N° 10 de la cité du Gai Logis est le chef "Fidai" tueur de la
région, cité des Oliviers et du Gai Logis. Le chef des abat
toirs a 5 hommes sous ses ordres qui sont : KADDOUR -
TAYEB -KOUIDER et AISSA et le FLN KADER. Ils sont tous
armés de P.A. 9m/m. Je sais qu'une vingtaine de F.S.E. et
une dizaine de F.S.N.A ont été tués par l'équipe de Bélacène
Lahouari. Ces chiffres ne sont qu'approximatifs. J'ignore si
des militaires ont été appréhendés par notre organisation et
s'ils ont été tués ou relâchés.
Le 5 mai 1962 à 14 heures 30.
Lecture faite par lui de sa déclaration, y persiste n'a rien
à y changer, à y ajouter ou à y retrancher. (Asigné au carnet
de déclaration).
''En raison des indices graves et concordants qui dans
l'état actuel de l'enquête existant contre "CHOUAIL
CHAIBA KADAY" de nature à motiver son inculpation pour
"Séquestrations arbitraires et complicité d'assassinats'', le
5 Mai 1962 à I 6 heures, nous portons ces faits à la connais
sance de Monsieur le Procureur de la République d'Oran.
Ce magistrat nous fait part de nouveaux textes permettant
une garde à vue de quinze jours.
"Procédons une fouille à corps de CHOUAIL CHAIBA
KADAY, lequel n'a été trouvé porteur d'aucun objet dange
reux susceptible de servir à la manifestation de la vérité.
"Le 5 mai 1962, à 19 heures, nous procédons à une
nouvelle audition de CHOUAIL CHAIBA KADAY, lequel n'a
été trouvé porteur d'aucun objet dangereux susceptible de
servir à la manifestation de la vérité.
"Le 5 mai 1962, à 19 heures, nous procédons à une
nouvelle audition de CHOUAIL CHAIBA KADDA qui déclare:
259
i
possédait des pierres, des bâtons ainsi que des couteaux.
Nos policiers et moi étions armés de beretta 9m/m avec
chargeurs pleins. Ces P.A. n'avaient pas de numéros.
C'est cette simca qui est arrivée la première sur le barrage.
La foule commença à jeter des pierres et à casser les vitres
de celle-ci. Les 5 occupants ont bien été massacrés par la
foule pendant 10 minutes. Au moment est arrivé une autre
voiture marque Versailles chargé de 5 occupants euro
péens. Entre temps étaient passés d’autres voitures
conduites par des Musulmans que nous avions laissées
passer après contrôle.
260
les a immédiatement lynchés à mort à coups de pierres et de
couteaux.
“S.l, je l'ai vu, j'étais présent.
“S.l. la foule a embarqué les 10 cadavres sur une
camionette 203 peugeot bâchée et les a conduits à la Seb-
kra du Petit Lac, j'ignore l’endroit exact.
“S.l. les noms que je vous ai donnés dans la première
déclaration sont faux car je n'ai pas vu leur identité et je ne
leur ai pas parlé.
“S.l. je sais que de nombreux européens ont ainsi été
lynchés par la foule et qui même ont été conduits morts au
Petit Lac. Des femmes et même des enfants sont morts
ainsi, les véhicules de ces victimes sont gardés par nous et
les pièces de certaines servent à réparer les autres.
“Avant les 10 européens dont je viens de parler, j'en ai
attrapé d’autres dans les mêmes conditions. Je me sou
viens plus particulièrement de 4 européens dans 2 véhi
cules, l'une une dauphine rouge, l'autre une simca Aronde
ancien modèle. Ils avaient eux aussi été massacrés par la
foule à coups de pierres avenue de Sidi Chami. Eux aussi ont
été amenés à la S.A.U. du Petit Lac par moi et mes hommes
dans le but de les torturer à la cravache. Dans le bureau de
la SAU le nommé Mohamed les a arrosés d'eau. Nous ne les
avons pas attachés car ils étaient assomés et saignaient de
la tête, nous les avons mis torse nu et je les ai frappé avec
une cravache (nerf de bœuf). Cette arme est actuellement
dans mon bureau de la SAU. Durant un quart d'heure Kad-
douri et moi les avons frappés.
“S.l. Je les ai frappés parce que c'étaient des pieds-
noirs, j'ai reconnu que c'étaient des pieds-noirs parce que
l'un d'eux avait le cachet de l'O.A.S. imprimé à l'encre bleue
dans le dos. Les autres n'avaient rien mais je les ai frappés
aussi car ils étaient ensemble.
“Après les avoir frappés, j'ai sorti mon 9 m/m et j'ai tiré deux
balles à bout portant dans la tète sur deux d'entre eux,
Kaddouri a tiré de la même manière sur les deux autres
européens.
“Puis nos hommes ont embarqué les cadavres dans la
camionette Peugot 203 374 EX 9G qui se trouve encore à
261
l'heure actuelle au Petit Lac, Kaddouri a pris le volant et est
parti avec 6 hommes armés de beretta.
"C'est Kaddouri qui a pris là encore les portefeuilles.
S.l. J’ignore l'identité de ces victimes.
S.l. Je sais que sur les 10 premiers, 4 ont été égorgés par la
foule, mon camarade Abdelkader Ben Noucehn demeurant
à la cité des Oliviers me l'a dit et d'ailleurs ils étaient armés
de couteaux et de haches. Sur les 4 autres un seul a été
égorgé par Kaddouri.
C'est tout ce que j'ai fait depuis la deuxième fois que je
suis au Petit Lac. Il y a d'autres groupes qui font comme moi
la chasse avec la foule musulmane aux Européens.
"J'ignore combien ils peuvent en avoir tués. J'en ai vu 4
égorgés par Belkacem Laouar aux 4 Chemins comme je
vous l'ai déjà dit, rue 7 le numéro que je vous avais donné
est faux car je l'ignore. Belkacem en a égorgé 20 environ. La
pièce où ont lieu ces égorgements est grande, n'a qu'une
fenêtre qui donne sur la rue 7, pas de meubles, pas d'abat
jour. Les 4 corps étaient dans le fond de la pièce face à la
porte. Cette pièce est éclairée par une ampoule. Les murs de
cette pièce sont peints en rouge avec une bande noire près
du plafond qui est blanc.
"Au moment de mon arrestation par les militaires, je n'étais
pas armé, j'avais laissé mon révolver au bureau.
"Je sais aussi que ATTOU a torturé à l'électricité une
musulmance enceinte sous les yeux de son mari. Il a aussi
emprisonné des musulmans.
Le 5 Mai 1962 à 10 heures 30
Lecture faite par moi de la déclaration j'y persiste et n’ai rien
à y changer, à y ajouter ou à y retrancher. (A signé le cahier
de déclaration)
Le 7 Mai 1 962, à notre brigade, nous gendarme Calle-
jas entendons : ANTON Yvon né le 5 février 1951 à Oran qui
nous déclare à 11 Heures 15 en présence de sa mère
Madame ANTON Françoise :
Le mardi 17 avril 1962, je me trouvais dans le véhicule
de mes parents et avec eux lorsque passant Avenue de Sidi
Chami en direction de La Sénia un F.N.S.A nous a lançé une
pierre sur notre 4 CV Renault Grise, plus loin une voiture,
262
genre Aronde camionette, couleur bleu sale, toute rayée
(peinture enlevée) venant dans notre direction de marche
nous a dépassé et s'est mise en travers nous barrant la
route. Mon père qui conduisait a dû immobiliser notre voi
ture pour éviter la collision. Il y avait une foule de gens
F.S.N.A. Parmi eux certains étaient porteurs de haches. Un
F.N.S.A s'est adressé alors à nous, nous ordonnant de des
cendre. Mon père a mis pied à terre ainsi que ma mère
tandis que je descendais de la voiture. J'ai fait le tour du
véhicule vers l'arrière pour descendre ma petite sœur Joelle
âgée de 3 ans et demi. A ce moment précis, j'ai remarqué la
disparition de mon père. Ma mère était amenée par deux
musulmans que la poussaient vers la route principale du
Petit Lac, voyant cela ma petit sœur et moi avons suivi ma
mère et ses gardiens et les avons rejoints à l'hôpital du Petit
Lac. Nous avons été placés dans une pièce où il y avait un
tas de linge nous avons été libérés le soir même sous la
conduite d’un garde mobile.
Parmi toutes les photos que vous me présentez, je
reconnais formellement l’une d'elles qui représente le por
trait du chef fellagha qui est venu nous rendre visite au
centre médical du Petit Lac (NOUREDINE, alias BENOUA-
CEUR, alias Si OMAR). Je n'ai plus revu mon père.
Le 7 mai à 12 heures.
Lecture faite par moi de ma déclaration ci-dessus, j'y per
siste et n'ai rien à y changer à y ajouter ou à y retrancher.
(L'intéressé, mineur, n'a pas signé le carnet).
Même jour, même lieu, nous Gendarme CALLEJAS, nous
entendons :
ANTON Françoise, née de la CRUZ le 1/11 1929 à Oran,
demeurant Cité Jean de la Fontaine Bt C.A et Rue Président
Fallières à Oran nous déclare à 12 heures 30 : le 17 avril je
me trouvais dans le véhicule 4 CV Renault 729 DE 9C
conduit par mon époux. Nos deux enfants se trouvaient sur
la banquette AR. Nous roulions sur l'Avenue Sidi Chami en
direction de La Sénia, il était 8 h 30 environ lorsque au
milieu de cette artère un F.N.S.A. nous a jetté une pierre et
m'on mari a accéléré. Cent mètres plus loin une camionette
tôlée genre Simca ou Juva quatre de couleur bleu sale et
263
rayée de blanc nous a doublé et s’est mise en travers de la
route. A bord de ce dernier véhicule, il n'y avait qu'un seul
F.N.S.A. d’une trentaine d'année, brun portant une mous
tache, mon mari a dû s'arrêter pour éviter le pire. La foule
musulmane s'est alors précipitée sur nous, du côté gauche
de la voiture un FNSA a frappé à la portière intimant l’ordre
d'ouvrir, ce que j'ai fait.
264
S.l. Je reconnais l'individu que vous me présentez et que
vous dites se nommer CHOUAIL CHAILA. Ce dernier était
parmi la foule et les individus qui m'ont arrêtée. Je l'ai revu
dans la cour de l'hôpital fellagha.
Ce jour-là vers 12 heures, l'un des membres FLN de cet
hôpital un européen d'origine métropolitaine est venu pren
dre ses repas avec les autres malfaiteurs; je l'ai supplié de
me donner des nouvelles de mon mari. Il est sorti et quel
ques instants après il est revenu en me disant que mon
époux se portait bien et qu’ils l'interrogaient.
J'ai vu un docteur européen âgé de 60 ans environ aux
cheveux blancs (Docteur NOUVIAN) qui s'occupait des
malades. J’ai conversé quelques instants avec lui, il m’a dit
qu'il était là depuis 2 mois mais ne m’a pas révélé son
identité.
Je n'ai plus revu mon mari ni notre voiture.
Je n'ai su qu'il y avait des européens prisonniers en même
temps que moi que lorsque nous avons été conduits ensem
bles vers le PC du Cdt HUGON. Il y avait alors 10 hom
mes,mes 2 enfants et moi-même.
Je précise que les membres du FLN ne m'ont pas interrogée,
je n’ai pas subi de sévices de leur part.
Le 7 mai 1962 à 13 heures.
Lecture faite par moi de la déclaration ci-dessus, j'y persiste
et n'ai rien à y ajouter ou à y retrancher ( a signé le carnet de
déclaration).
Après avoir confronté Mme ANTON Antoine avec CHOUAIL
CHAILA KADAY nous recueillons une nouvelle déclaration
de ce dernier à 14 heures.
"J'ai vu la dame européenne ici présente que vous dites se
nommer Madame ANTON au centre médical du Petit Lac en
conversation avec BENAOUMEUR alias SI OMAR (en réalité
BOUMEDIENNE Ali). Ce dernier est le grand chef pour tous
les quartiers d'Oran. Il est sous les ordres d'ABDELHAMID.
"S.l. L'individu qui conduit la camionette Renault Blanche
et une 403 noire avec poste de radio sur l’avenue Sidi Chami
et au Petit Lac est le fidai BOUCERA Kada, c’est certaine
ment lui qui a provoqué l'arrêt de la 4 CV de M. ANTON,
d'ailleurs il correspond au signalement donné par Mme
265
ANTON, il porte une moustache, il loge au Gai Logis.
"Je n'ai pas vu M. ANTON mais j'ai appris par les membres
de mon organisation qu'il avait été tué par eux et son corps
jeté à la Sebkra, car tous les morts sont conduits là-bas.
Parmi les photos que vous me présentez je reconnais for
mellement un d'entre eux qui représente les portraits de :
1) Un individu au visage noir portant de grandes mous
266
QUE SONT DEVENUS LES DISPARUS ?
267
nent de très rares prisonniers qui ont réussi à s'échapper.
C'est ainsi qu’un ancien harki évadé est témoin que X... (un
Français) a été enlevé le 14 juillet dans les environs de
Marceau, puis transféré dans ce camp et enfin exécuté
quelques jours après dans les conditions suivantes : ligoté à
un arbre, les yeux crevés, émasculé, les mains et les avant-
bras coupés. Ce camp est connu, régulièrement repéré
d'avion, d’où l’on peut voir les Européens et les musulmans
détenus installés dans des baraquements sur la plage. Les
djounouds (soldats de l’A.L.N.) ont tous les droits sur ces
prisonniers.
II - Camp de Sidi-Simiane
Situé à 15 Km au sud de Fontaine-du-Génie :
D'après un témoin évadé, les prisonniers sont
employés à des travaux de piste toute la journée (juillet et
août). Si le travail est insuffisant, les intéressés sont roués
de coups jusqu'à la mort.
III - Camp du douar Ridane
Situé à 15 km au sud-ouest d'Aumale. En juillet, tous
les harkis de la région y ont été rassemblés et divisés en
équipes. Chaque soir, l'équipe qui avait eu le moins de
rendement était exécutée avec les raffinements habituels.
Tous les gradés de ces anciennes harkas ont été tués. Un
sergent de vingt-trois ans (quatre citations, médaille mili
taire à titre exceptionnel) est mort d'épuisement après qua
tre jours de tortures.
On peut encore citer d'autres camps : camp de Mar
ceau, de Bousemane, de Dupleix...
PROBLÈME DES ENLÈVEMENTS
Les enlèvements continuent, hélas ! en Algérie, et per
sonne n'a l'air de s'en soucier outre mesure. Sait-on que
plus de deux mille Européens ont disparu en Algérie depuis
juillet et qu'une quantité infime de ceux-ci on été rendus ?
Où sont les autres ? Quant aux Musulmans qui avaient été
fidèles à la France, c'est par milliers qu'ils ont disparu, dont
la plupart ont été déjà exécutés.
Sait-on en France que les femmes et les jeunes filles
européennes prisonnières servent au plaisir des soldats de
268
l'A.L.N. avant d'être achevées quand elles ne sont plus
bonnes à rien ?
CONCLUSION
Etant donné que les autorités militaires et civiles ont
connaissance de tous ces faits et des lieux où ils se situent,
on est en droit de se demander ce qu'elles attendent pour
faire mettre un terme à tous ces crimes les plus odieux, qui
sont à la fois un défi au bon sens et à l'humanité et un
affront perpétuel à notre pays.
Quand va-t-on se décider à faire respecter les accords
d'Evian, pour sauver avant qu'il ne soit trop tard, ceux qui
espèrent encore une hypothétique libération ?
Le 20 septembre 1962’’.
269
En 1963 paraissait en Suisse un opuscule émanant de
la "Commission internationale de recherche historique sur
les événements d'Algérie"
Voici ce texte :
COMMISSION INTERNATIONALE
DE
RECHERCHE HISTORIQUE
SUR
LES ÉVÉNEMENTS D'ALGÉRIE
LE DRAME
DES
“DISPARUS" D'ALGÉRIE
1963
IMPRIME EN SUISS •
270
LE DRAME DES «DISPARUS» EN ALGÉRIE
I.
LES ENLÈVEMENTS
C'est par milliers que des Algériens musulmans, chré
tiens et Israélites ont été enlevés par le F.L.N. : quelques-
uns entre le 1er novembre 1954 et les accords d'Evian (18
mars 1962), la plupart entre le 18 mars 1962 et l'indépen
dance de l'Algérie (1er juilet 1962) ou pendant les semaines
qui ont suivi.
Si les enlèvements massifs d'Européens ont à peu près
cessé en raison même de l'exode de cette population, des
enlèvements isolés, surtout de femmes, se produisent
encore actuellement.
Il est extrêmement difficile d'avancer un chiffre rigou
reusement exact des enlèvements. En ce qui concerne les
enlèvements de Musulmans, on estime grosso modo à
10.000 le nombre des disparus; ce chiffre s'ajoute aux
150.000 Musulmans assassinés au moment de l'indépen
dance. Notons au passage que ce chiffre de 150.000 morts
résulte des renseignements recueillis par les autorités mili
taires françaises et qu’il est vérifiable en faisant le compte
village par village, douar par douar, ville par ville des
«veuves de la libération», c’est-à-dire des femmes dont les
maris ont été abattus, dans des conditions très souvent
atroces et barbares, dans les jours qui ont précédé et suivi la
proclamation de l'indépendance. Citons deux chiffres à cet
égard : Boghari, petite sous-préfecture du département du
Titteri, dans l'Algérois, compte 700 «veuves de la libéra
tion»; Aïn-Boucif, village voisin, en compte plus de 400; ces
«veuves de la libération» ne perçoivent plus les allocations
familiales parce que femmes de traîtres et leurs enfants
qualifiés fils et filles de traîtres ne sont pas admis dans les
établissements scolaires «pour des motifs d'ordre public».
En ce qui concerne les enlèvements de Chrétiens et
d'Israélites, les chiffres sont très variables. Le prince de
BROGLIE, secrétaire d'Etat aux Affaires Algériennes du
gouvernement français, a donné deux chiffres : le 7 mai
271
1963, devant ('Assemblée Nationale, il indiquait 3.080 dis
parus; le 5 novembre 1963, devant le Sénat, il donnait
«environ 1.800 personnes disparues, mais pas davantage».
Le 19 novembre, le Sénateur DAILLY (Gauche démo
cratique, Seine et Marne) déclare devant le Sénat (Journal
Officiel, p. 2571 ) :
«Il est maintenant certain que 2.100 personnes civiles
ont été enlevées depuis les accords d’Evian en plus de 400
militaires ... dont 50 ont été, eux aussi, enlevés après les
accords d’Evian».
Dans un communiqué remis à la presse le 9 novembre,
l'Association de Défense des Droits des Français d'Algérie
que préside M. Robert BICHET(ancien ministre, dirigeantdu
M.R.P.), apporte les précisions suivantes :
«Revenant sur le chiffre de 3.080 qu'il avait donné le 7
mai devant l’Assemblée nationale en réponse à une ques
tion de M. René PLEVEN, M. de BROGLIE affirme aujour
d'hui qu'il y a «environ 1.800 personnes disparues, mais pas
davantage». Ce chiffre correspond en effet à celui des cas
enregistrés par l’Association de Défense des Droits des
Français d'Algérie, qui n'a cependant pas la prétention
d’avoir pu faire un recensement complet, cerlainesfamilles
demeurées en Algérie n'ayant pu ou n'ayant pas voulu se
faire connaître. Il semble que le chiffre produit par le minis
tre constitue véritablement un minimum».
C'est donc entre 1.800 et 3.000, avec un chiffre proba
ble de 2.100, que se situe le nombre des non-Musulmans
enlevés après le «cessez-le-feu» et dont le sort demeure un
angoissant mystère.
Comment une telle imprécision est-elle possibl ? Dans
l'affolement de l'exode des Français d'Algérie, en juin, en
juillet et août 1962, des familles se sont trouvées séparées,
certaines ne s'étant pas encore reconstituées, et des per
sonnes portées disparues ont été retrouvées par la suite;
d'autres ont disparu volontairement soit pour raisons de
sécurité personnelle, soit pour des motifs d'odre passion
nel; mais il convient de noter aussi que des disparitions n'on
pas été signalées, c'est le cas par exemple de personnes
vivant seules ou bien encore des familles enlevées entières.
272
Aucun contrôle n'ayant été exercé par la France au moment
de l'exode des Français d'Algérie, il est impossible de
connaître à 50.000 unités près le nombre des personnes
rapatriées en France, à fortiori le nombre des personnes
dont on n'a plus de nouvelles; si le Comité International de
la Croix-Rouge peut donner à 10 unités près le nombre des
Hongrois ayant quitté leur pays au moment des événements
de Budapest ou celui des Nords-Coréens ayant gagné le Sud
après Pan-Mun-Jong, il est dépourvu de tous moyens d'es
timation en ce qui touche les Français d'Algérie.
II.
QUE SONT DEVENUES LES PERSONNES ENLEVÉES ?
273
i
ment de comptes. On ne peut donc raisonnablement nourrir
l'espoir de retrouver en vie la plupart des personnes ainsi
enlevées.
Le sort des personnes enlevées, quelquefois avec une
certaine apparence de légalité, pour activité anti-F.L.N. ou
pro-O.A.S., est plus douteux. Il est certain, ainsi qu’on le
verra plus loin, que certaines sont encore en vie, mais la
plupart ont été massacrées.
La quasi-totalité des personnes enlevées pour permet
tre le pillage ou le vol de leurs biens ont été abattues aussi
tôt après leur capture; c'est le cas notamment des
personnes circulant à bord de véhicules automobiles. Dans
de nombreux points du territoire algérien on trouve de petits
charniers contenant les restes des victimes de vols de voi
tures, ainsi au puits de Boughzoul, au sud de Boghari, à
l'intersection des nationales 1 et 40, dans lequel une qua
rantaine d'Européens et de Musulmans ont été jetés après
avoir été égorgés ou tués au couteau.
Un Français d'Oran, M. MIMRAN, a été enlevé près de
Charon, en août 1962. Ses ravisseurs avaient laissé dans sa
voiture la photographie de deux d'entre eux, les «djounoud»
(membres des groupes armés F.L.N.) Boualem et Kasiche.
De nombreuses femmes ont été enlevées uniquement
pour la prostitution. Certaines ont été livrées aux maisons
closes, telle Madame VALADIER, enlevée à Alger le 14 juin
1962; retrouvée dans une maison close de Belcourt, rendue
à sa famille le 9 janvier 1963 et considérée maintenant
comme folle incurable; d'autres ont été attribuées à des
officiers de l'A.L.N. comme Mademoiselle Claude PEREZ,
institutrice à Inkermann; d'autres enfin ont été vendues à
des trafiquants internationaux et acheminées vers le Maroc
ou le Congo ex-belge, peut-être même pour certaines vers
l'Amérique du Sud. La plupart de ces malheureuses sont
irrécupérables; certaines ont été tatouées, voire mutilées;
beaucoup ont des enfants nés des œuvres de leurs geôliers.
Les rares femmmes récupérées, comme Madame VALA
DIER, actuellement à Nîmes, sont devenues folles ou
demeurent prostrées; l'une d'elles, femme d'un officier
français dont on doit taire le nom, la famille ignorant heu-
274
reusement tout, mère de trois enfants, s'est donné la mort le
lendemain de sa libération d'une maison close de la Bocca
Schanoun à Orléansville. Le trafic des femmes se poursuit
en Algérie à l'heure actuelle comme on peut le constater à la
lecture du témoignage joint d'une jeune infirmière
lyonnaise.
Enfin des techniciens ou réputés tels ont été enlevés
pour servir soit dans des unités de l'A.L.N., soit dans des
organismes logistiques, soit même comme main d'œuvre
bon-marché chez les fellah du bled. D'autres ont été
employés sur des chantiers de déminage, notamment à la
frontière tunisienne, d'autres dans des mines comme celle
de Miliana dans laquelle le jeune soldat AUSSIGNAC,
enlevé le 21 juillet 1962 à Maison-Carrée et évadé au prin
temps 1963, a travaillé plusieurs mois durant, d'autres
enfin sur des chantiers de routes comme celle d'Afflou à
Laghouat.
La plupart des personnes enlevées sont mortes comme
sont morts la quasi-totalité des Français enlevés à Oran
dans la seule journée du 5 juillet 1962. Cette tragique
journée a été marquée par des massacres en pleine rue
sous les yeux des militaires français auxquels leur chef, le
général KATZ, avait interdit toute intervention. On ne saura
jamais le nombre exact des morts de cette journée, comme
on ne connaîtra jamais le nombre des personnes enlevées
dans les rues, les cafés, les restaurants, les hôtels même,
dirigées vers le commissariat central de police ou les
maisons closes des quartiers périphériques, torturées, vio
lées - même les jeunes gens - égorgées, éventrées, enfin
I
incinérées pour la plupart dans les chaufferies des bains
maures. Des estimations de source officielle donnaient peu
après le chiffre de 91 morts et de 500 disparus; les chiffres
réels sont très certainement supérieurs. A une dizaine d'ex
ceptions près, aucune trace des disparus n'a été trouvée.
Les charniers découverts au quartier du Petit Lac contien
nent les corps de victimes abattues au cours des semaines
précédentes, notamment celles de la tristement célèbre
«banque du sang» du Docteur LARRIBERE, ancien député
communiste d'Oran, dans laquelle des malheureux et mal-
275
heureuses étaient vidées de leur sang pour permettre des
transfusions aux fellagha blessés; tous les renseignements
i sur cette scandaleuse ignominie dont les auteurs sont
maintenant libres et chargés d’honneurs ont été recueillis
par la gendarmerie nationale d'Oran; ils sont irréfutables.
276
riété publique en Algérie que l'autorité de M. BEN BELLA ne
s'étend pas au-delà de sa capitale et des principales villes
d'Algérie.
S'inclinant devant les dénégrations du Gouvernement
algérien, le Gouvernement français s'est alors adressé à la
Croix Rouge Internationale. Moyennant une subvention -
quinze millions d'anciens francs par mois- le Comité Inter
national de la Croix Rouge a opéré quatre mois durant en
Algérie. Ses quelques quarante représentations locales se
sont attachées principalement à rechercher les morts et à
les identifier, pas toujours heureusement, du reste, puisque
dans un cas très précis la Croix Rouge a avisé le Gouverne
ment français pour information aux familles de la décou
verte et identification de trois corps trouvés au Sud des
Gorges de la Chiffa et qui se sont révélés être ceux de trois
autres disparus. Les représentations de la Croix Rouge,
composées exclusivement et selon le règlement de cette
organisation de citoyens helvétiques, donc ne connaissant
guère l’Algérie et ses habitants n'ont pratiquement pas
recherché les vivants. Un exemple suffira.
La mère d’un disparu d'Orléansville s'était rendue dans
cette localité pour y rencontrer des délégués de la Croix
Rouge; ils n'étaient pas à leur bureau; on la renvoya à la
piscine en précisant qu'ils s'y trouvaient d'habitude; en
réponse à la question «Avez-vous des nouvelles de mon
petit ?», il lui fut répondu «Mais tournez la page. Madame, ils
sont tous morts 1». Et comme cette malheureuse mère,
insistant demandait si les délégués avaient entrepris des
recherches dans le bled et le djebel «Vous voudriez donc que
nous disparaissions à notre tour ou que nous soyons égor
gés ?».
La mission dé la Croix Rouge Internationale était limi
tée aux seuls Européens. Tous les renseignements concer
nant les Musulmans étaient systématiquement transmis au
Croissant Rouge Algérien, donc à la police benbelliste. Des
arrestations de familles de harkis ont été opérées à la suite
de telles transmissions.
Les protestations officielles n'ayant servi à rien, l'action
de la Croix Rouge Internationale se révélant inefficace, voire
277
dangereuse, le Gouvernement français a alors recours aux
bons offices d'initiative privée. Des enquêteurs se sont ren
dus en Algérie sans aucun caractère officiel; ils ont par
couru le pays, se sont aventurés dans les zones de
dissidence, ont interrogé tous ceux qui connaissaient quel
que chose; ils ont même mené de véritables négociations
avec des responsables locaux.
Sur quelles bases ?A leur départ, le Gouvernement
français reconnaissant ses échecs estimait qu’une seule
solution restait possible : le rachat des captifs, tout comme
au Moyen-Age les Trinitaires et les Mercédaires rache
taient aux Barbaresques les Chrétiens prisonniers. La Croix
Rouge Internationale avait refusé de se prêter à une telle
opération jugée contraire à ses principes. Les enquêteurs
privés n'avaient pas d'autre moyen à leur disposition. Ce
moyen même n'a pas suffi puisque dans l’ensemble les
résultats ont été décevants. Les quelques libérations obte
nues l'ont été par d'autres moyens.
Les enquêteurs privés sont rentrés riches de rensei
gnements certes, avec la conviction accrue de la survie de
groupes de disparus, mais avec la tristesse de n'avoir pu
mener à bien leur tâche. Ils ont rencontré sur le sol algérien
des unités de l'Armée française auxquelles il est formelle
ment interdit de s'occuper à quelque titre que ce soit de la
recherche des prisonniers.
L'existence de ces malheureux est constamment
menacée et il est douteux qu'ils puissent affronter un nou
vel hiver dans les conditions inhumaines qu'ils subissent.
Au cours de son intervention au Sénat le 19 novembre
1963, M. DAILLY a fourni les chiffres suivants :
Sur 1.143 enquêtes ouvertes par les services officiels,
244 ont abouti à une «constation de décès», 500 à une
«présomption de décès», 311 n'ont été suivies d'aucune
conclusion, 88 personnes auraient été libérées, et on igno
rait totalement le sort de 968 malheureux.
Il y aurait donc encore en Algérie un millier d'hommes
et de femmes vivants, ou plutôt de morts-vivants, dont le
nombre décroît évidemment chaque jour en raison des
278
sévices auxquels ils sont soumis et de l'inaction totale du
Gouvernement français.
Le Prince de BROGLIE, présent au Sénat, s'est borné à
répondre (Journal Officiel, p. 2573) :
«Vous venez de nous dire que vous avez la conviction
qu'il y a des Français vivants en Algérie... je n'ai pas, moi,
votre conviction».
En d'autres termes, le Gouvernement préfère considé
rer une fois pour toutes que tous les disparus sont morts, ce
qui le dispense d'entreprendre aucun effort pour sauver
ceux qui sont encore en vie. Il va même jusqu'à interdire aux
unités militaires françaises demeurées en Algérie de venir
au secours des Français séquestrés et torturés !
III.
DOCUMENTS
1. Le cas de Mme VALADIER
Vous ne pouvez pas ignorer, n'est-ce-pas - je vais citer
cinq ou six cas- l'histoire de cette jeune femme française de
vingt-sept ans, enlevée à Alger le 14 juin 1962, donc trois
mois après les accords d'Evian, à un barrage de la police
algérienne et retrouvée par hasard parmi les pensionnaires
d'une maison close, à Belcourt. Par qui ? Par l'ancien loca
taire de sa belle-sœur. Ce Musulman la rachète et réussit à
l’en extraire, mais dans quel état ! Elle rentre à l'hôpital
Maillot, dans le service de médecine numéro deux du méde
cin colonel Favier; c'est là en effet qu'il l'a conduite le 9
juillet 1962, quand il a pu la libérer. Elle est rapatriée sani
taire le 4 août à Marseille. Sa belle-sœur, qui a fui devant
d'autres menaces, vient l'accueillir et ne la reconnaît même
pas. Elle part pour l'hôpital de Nîmes en ambulance, fait un
long séjour au centre neuro-psychiatrique de cet hôpital,
puis c'est le centre de Mondevergue, celui de Montfavet et
depuis le 9 janvier 1963 - car c'est bien de cette année que
nous discutons sur le plan budgétaire - elle est rendue à sa
famille, à sa belle-sœur repliée à Nîmes, parce
qu'incurable».
(Sénateur DAILLY - Journal Officiel, p. 2571).
279
Sous le titre «Une martyre», l’hebdomadaire parisien
«Aux Ecoutes» du 22 novembre 1963 a publié l'article sui
vant :
«Mme Evelyne Valadier, 27 ans, résidait à Alger. Le 5
mars 1962, son mari, Marc Valadier, était arrêté par la
police française et, le 20 juin il était condamné à trois ans de
prison. Mme Valadier se réfugia alors chez sa sœur, Mme
Baudel, qui habitait El Biar. Le 14 juin, Mme Valadier est
appréhendée, sur un barrage, par des éléments du F.L.N.
Elle est enfermée dans une villa de Belcourt, avec trois
autres Européennes, dont la femme d'un ingénieur. Et les
tortures commencent : la villa est un lieu de plaisir réservé
aux soldats de l'A.N.P. Mais, le 9 juillet, un miracle se
produit. Un militaire F.L.N. entre dans l’établissement. C'est
un locataire de Mme Baudel. Il reconnaît Mme Valadier. Il
l'emmène, l'embarque dans un taxi et, en cours de route,
s'aperçoit qu’elle est folle. Sans doute a-t-il honte. Sans
doute n'ose-t-il pas présenter la malheureuse dans cet état.
En tout cas, il l'abandonne en ville. Mme Valadier pénètre
dans une église. Elle y reste deux heures. Enfin, elle
regagne le domicile de Mme Baudel. Personne, hélas !
Après avoir vainement écrit à Ben Bella, à de Gaulle, aux
ministres, Mme Baudel a pris peur pour elle-même : elle
s'est réfugiée à Nîmes, au 10, de la Rue Félix-Eboué. Par
bonheur, une voisine reconnaît Mme Valadier. Elle se
charge d'elle, mobilise une ambulance.
Admise à l’hôpital Maillot, Mme Valadier subit un trai
tement d'un mois dans le service de médecine n° 2 que
dirige le colonel Favier. Le 4 août 1962, elle part pour
Marignane. Sa sœur, qui a été prévenue, ne la reconnaît
pas, tant son aspect physique a changé. Le 8 janvier 1963,
Mme Valadier sort de l'hôpital neuro-psychiatrique de
Montfavet. Elle est incurable. On peut la voir à Nîmes, chez
Mme Baudel. Le Gouvernement lui a fait la grâce de libérer
son mari sous condition».
Le cas de Mme Valadier a été également exposé par
l'hebdomadaire «Carrefour» du 27 novembre 1963, qui
ajoute, sous signature de M. R.L. LANGLOIS :
280
«Il y a encore en Algérie plusieurs dizaines de Fran
çaises portées «disparues» mais encore vivantes - on parle
même de cent - qui ont été enfermées dans les maisons
closes... On signale que parmi ces malheureuses une qua
rantaine, pour la plupart des femmes d'officiers ou de sous-
officiers, seraient devenues folles».
2. Le cas de Melle MARINETTE B.
L'important quotidien marseillais : «Le Méridional»du 4
novembre a publié ce qui suit :
«Terrible confession d'une jeune infirmière lyonnaise
volontaire pour la coopération franco-algérienne : «Je mets
en garde les femmes et les jeunes filles de France contre ce
qui les attend en Algérie !
C'est une jeune infirmière lyonnaise, pas du tout douée
pour l'aventure, mais animée de beaux sentiments humains
qui est venue hier, nous conter son calvaire, plus exacte
ment son martyre.
Alors qu'elle poursuivait à Genève, des études de psy
chiatrie, Melle Marinette B. 23 ans, voulait, selon sa propre
confession «tout connaître, découvrir tous les problèmes».
«Ainsi, j'ai assisté à Genève, poursuit-elle à une réunion de
l’Amicale des Algériens. De jeunes Musulmans adressaient
de pressants appels aux infirmières, institutrices, jardi
nières d'enfants, etc... «Venez en Algérie, suppliaient-ils,
pour arracher à la mort des enfants, des vieillards».
«Pupille de l'assistance publique, je suis restée sensible
aux maux des autres, surtout en ce qui concerne les enfants
que j’adore. Aussi ai-je voulu servir.
«Voici 4 mois, après avoir accompli des formalités
auprès du Consulat algérien à Genève, j'étais engagée
comme infirmière dans un dispensaire de Philippeville.
Après avoir fait un stage dans cet établissement, je devais
être appelée à diriger un orphelinat».
Melle Marinette B. est arrivée à bord du «Commandant-
Quéré». Sa première visite a été pour notre journal, sa
première phrase prononcée au basde la passerelle : «Je suis
une miraculée».
281
LES JEUNES FILLES AUSI SONT DÉCLARÉES
«BIEN VACANTS»
C’est en présence d'un commandant en retraite, offi
cier de la Légion d'Honneur, que la jeune infirmière lyon
naise m'a parlé de son martyre et de sa miraculeuse
évasion.
«Deux jours après mon arrivée à PhilippeviIle, je me
suis rendu compte que l'on attendait de moi autre chose que
des soins à donner aux enfants ou aux grabataires.
ENFIN UN MIRACLE
C'est un capitaine de réserve qui était client dans le
magasin où j'étais employée qui m'a sauvée, qui m'a arra-
282
chée à la folie et sans aucun doute à la mort. J'ai pu m'éva
der grâce à lui et placée sous la protection de l'Armée
Française, j'ai recouvré la liberté.
«Mon terrible cauchemar est enfin terminé. Mais je
pense aux jeunes femmes de France qui se laisseraient
prendre aux mensongers appels de l'Amicale des Algériens
en France et en Suisse.
«Je leur dis : attention ! Toutes les promesses sont
fallacieuses; là-bas on recherche surtout de jeunes Euro
péennes pour créer partout d'infectes maisons de plaisir.
283
aujourd'hui à Bordeaux, employé chez Peugeot. Il souffre
d'une dépression nerveuse.
(Aux Ecoutes. 22 novembre 1963).
284
4. Deux jeunes gens torturés et mutilés
Langiano, vingt ans, et Falcone, dix-sept ans et demi,
des enfants du quartier populaire d'Alger-le-Ruisseau. Le 4
mai 1962, donc trois mois après Evian, ils sont enlevés,
subissent quarante et un jours de tortures effroyables à la
villa Lung : on leur coupe le nez, les oreilles, on crève les
yeux de l'un, on matraque l'autre ; il a perdu l'usage de la
parole. L'aveugle peut parler ; celui qui voit ne parle plus.
Ils ont été libérés par un commando et remis aux ser
vices médicaux de l'armée française à l'hôpital Maillot. Les
familles sont prévenues par une femme de salle, laquelle
ensuite les prévient de leur rapatriement en France. La
Croix Rouge Française est avisée de leur rapatriement en
France par la Croix Route Internationale. Ils sont partis pour
Nancy. Je vous lis d'ailleurs l'article du journal «Le Méridio
nal» qui relaie cette affaire.
Voici seize mois qu'un père, une mère gravissent le
plus terrible calvaire : Leur fils Daniel Falcone, à cette épo
que âgé de dix-sept ans et demi, avait été enlevé le 4 mai
1962 alors qu'avec un camarade il se rendait du Ruisseau
au port d'Alger.
Demeurés à Alger durant plusieurs mois pour effectuer
des recherches, M. et Mme Falcone ne pouvant plus tenir
dans l'enfer algérien, décidaient de regagner la France.
Ils devaient bientôt apprendre que leur fils avait été
libéré entre le 11 et le 13 juin.
En avril 1 963, M. Falcone recevait une lettre de la Croix
Rouge Internationale de Genève, lui disant que Daniel était
vivant. Grand blessé de la face, il avait été rapatrié à bord
d'un avion sanitaire dirigé sur Nancy. Le délégation de Mar
seille de la Croix Rouge Française, avisée par le C.I.C.R.,
confirmait la nouvelle.
Immédiatement, M. Falcone se rendait à Nancy,
Aucune trace de son fils dans aucun hôpital. A Lyon, à
l'hôpital Edouard Herriot, il parcourait tous les pavillons. Là
non plus, aucun résultat.
Les demandes de recherches faites officiellement
devaient rester vaines.
(Journal Officiel, p. 2572)
285
M de Brogiie, secrétaire d'Etat aux affaires aigériennes-
«L'affaire sans doute est compliquée : il subsiste quelques
points obscurs ... Je fais actuellement poursuivre sur le
territoire national des recherches extrêmement poussée».
(19 novembre 1963 - Journal Officiel, p. 2581)
286
rendre visite tout récemment. J'ai donc vu cet homme et j'ai
là tout son dossier. Il s'évade alors une troisième fois avec
deux camarades. Ils seront tués. Lui ne l'est pas. Il est
recueilli dans un fossé, épuisé, par des Français d'Algérie
qui le ramènent à Alger, qui l'embarquent sur un chalutier.
Il est attendu à Marseille. On le débarque et on l'achemine
sur son domicile en mars 1963.
(Journal Officiel, p. 2572).
IV.
LES TENTATIVES DE «RACHAT»
La mission privée mentionnée plus haut n'a pas été,
semble-t-il, unique en son genre. Une grande discrétion a
été observée jusqu'à présent sur ces tentatives. Cependant
l'hebdomadaire «Aux Ecoutes» du 23 août 1963 a révélé que
le général Bouvet, président de l'Association «Rhin et
Danube», s'était rendu en Algérie entre juin et août pour
287
négocier le «rachat» des civils prisonniers, notamment des
femmes et des jeunes filles.
Le général Bouvet aurait reçu à cet effet un crédit de
cinquante millions versé par le Gouvernement français,
lequel en même temps s'abstenait de lui founir aucun sou
tien auprès des autorités algériennes ni même de l'ambas
sade et des consulats de France et Algérie.
Il n'est pas étonnant dans ces conditions, que la mis
sion Bouvet se soit avérée décevante. Quelques prisonniers
auraient été effectivement rachetés et seraient hospitalisés
en Corse.
Il est également signalé qu'un envoyé parti de France le
24 juin et rentré vingt jours plus tard, aurait récupéré
moyennant rançon, quelques femmes qui sont soignées
dans une maison de repos, en France, près de la frontière
Suisse (A.E., 30 août 1963).
Ce qui est le plus frappant dans toutes ces affaires, c'est
la totale inertie des services consulaires et du Commande
ment militaire français en Algérie. C'est ainsi, par exemple,
que M. Jean POMMIER, directeur de société à Alger, était
enlevé le 11 août 1 962 par le F.L.N. Le consulat de France à
Alger est informé que M. Pommier est détenu à Maison-
Carrée : Aucune démarche. Un mois plus tard, le départ de
M. Pommier de Maison-Carrée est signalé : aucune réac
tion. Le 26 octobre, un soldat algérien informe la famille
Pommier que le disparu est interné dans un camp près de
Tigzirt. Aussitôt prévenu, le consulat ne bouge pas.
Le 23 avril 1962, M. VERNHES est enlevé à 10 kilomè
tres d'Oran, sous les yeux d'un détachement français. A sa
femme en larmes, le lieutenant qui commande le détache
ment répond : «Nous n'avons pas d'ordres pour poursuivre
les ravisseurs».
Même inertie de l'armée de Blida quand le Dr BOILLÈE
est enlevé en mai 1962. Même inaction des autorités
consulaires à Tlemcen quand, le 20 juin 1962, M. Roger
CHASTEAU, son fils de 16 ans et sa fille de 10 ans sont
enlevés et disparaissent eux aussi.
Cette carence généralisée ne peut s'expliquer que par
des instructions formelles du Gouvernement français, à
288
moins d'admettre que tous les consuls et tous les officiers
sans exceptions aient été des lâches insensibles à la plus
élémentaire humanité. Ils se sont tus et ils n'ont pas bougé,
parce qu'Hs avaient des ordres.
V.
OBSERVATIONS
La documentation qui précède permettra à chacun de
tirer en conscience, les conclusions qui conviennent :
On se bornera à souligner deux faits :
1) C'est après les accords d'Evian et souvent même
après la proclamation de l'indépendance algérienne, que
deux mille personnes ont été enlevées, séquestrées, tortu
rées, soumises à des traitements dégradants et souvent
assassinées.
Cette constatation permet d'apprécier à sa juste valeur
la thèse officielle selon laquelle les accords d'Evian, geste
de sagesse politique du plus haut degré, ont jeté les bases
d’une coopération confiante entre la France et le nouvel Etat
algérien.
2) Un millier d'hommes et de femmes vivent encore, ou
vivaient encore il y a quelques semaines, dans les camps de
travaux forcés, dans les mines ou dans les maisons de
prostitution. Le Gouvernement français préfère nier obsti
nément ce fait et laisser sans suite les ouvertures, dues à
des initiatives non officielles, qui auraient pu conduire à la
libération de quelques-uns de ces infortunés.
La conscience du monde civilisé, qui s'émeut à juste
titre quand les droits de la personne humaine sont violés où
que ce soit sur la terre, continuera-t-elle à opposer un
silence honteux à la tragédie des disparus d'Algérie ?
289
UN ARTICLE DE MARC BABRONSKI
France-Soir du Samedi 17 avril 1982 titrait :
Des pieds-noirs toujours détenus en Algérie
290
libère-t-on pas les survivants de la tragédie ? Pourquoi nous
empêche-t-on d'enquêter sur place ? Pourquoi disons cette
gêne des autorités algériennes lorsqu'on évoque ces dispa
ritions, ces enlèvements ? J'ai subi des menaces, des pres !
sions de toutes sortes, on m'a même offert cinq cent mille
francs pour détruire mon fichier qui comporte encore 3.500
noms”.
Marc Leclair, a soixante-deux ans, n'est pas n'importe
qui. Ancien de la France Libre, il a participé en 1943 à
l'évasion du Maréchal de Lattre de Tassigny de la prison de
Riom avec le réseau "impérium gallia". Il a servi comme
officier de renseignement en Algérie pendant huit ans.
Sur les 9000 disparus, dit encore Marc Leclair, ils sont
peut-être encore un millier dont on peut espérer qu'ils
soient vivants. Ils sont détenus dans des prisons clandes
tines en Algérie. On les déplace d'un camp à l'autre, loin des
routes, des villes, des témoins. Ainsi des informations très
précises et dignes de foi concernent un camp de détention
militaire à Tizi-Ouzou.
Je ne cesse de recevoir aujourd'hui encore des témoi
gnages, des indices de survie. Des correspondants travail
lent pour nous en Algérie, surtout des Musulmans. Alors ne
me demandez pas trop d'entrer dans les détails : ces
hommes, ces femmes risquent leur vie pour nous informer.
Un peu d'histoire maintenant pour éclairerceuxqui ont
oublié, pour aider la mémoire des autres.
Tout le conflit algérien a été marqué par de nombreux
enlèvements d'Européens, mais ils n'ont pas cessé avec les
accords d'Evian et l'indépendance de l'Algérie. Au
contraire. Leur nombre est estimé entre 6000 et 9000 dont
450 femmes, en général jeunes et jolies.
A la fin de 1962, la Croix-Rouge Internationale, saisie
par le gouvernement français aboutit à un résultat... néant.
En 1963, le secrétaire d'Etat chargé des affaires algé
riennes, Jean de Broglie, clôt officiellement le dossier :
selon lui, il ne reste plus que 135 cas litigieux.
Les années passent. Au début des années 1970, l'Algé
rie se referme sur elle-même, sur "l'islamisation''. Il faut
291
attendre l'après Boumedienne pour que le dialogue franco-
algérien reprenne.
292
ont été témoins : l'enlèvement a été commis par le respon
sable algérien du secteur de la Chiffa, son adjoint et un
troisième homme. Odile aurait eu deux enfants... Mais on
perd sa trace en 1966 comme celle de Chantal.
Il faudrait parler aussi des soixante jeunes garçons
détenus dans les mines de Miliana dont on est sans nou
velles. Et des cent hommes et d'une dizaine de femmes
prisonniers en août 1963, dans un camp clandestin de
l'armée algérienne à vingt kilomètres seulement
d'Orléansville.
Et de Fernand Lornavoum, un jeune juif de 24 ans,
enlevé par des membres du F.L.N. à Oran, le 5 juillet 1 962.
Les autorités algériennes annoncent sa mort, mais il est
reconnu par des voisins dans un camp de travail forcé. La
famille propose une rançon mais n'arrive pas à rassembler
assez vite les cent cinquante mille francs qu'on lui
demande. On perd alors la trace du jeune homme.
Et de Georges Marman, un autre juif enlevé près
d'Oran, dont on a retrouvé la trace dans le désert. Mais il
a perdu la raison.
Et de Pierre Chalanson, enlevé dans son lit habillé d'un
pyjama... Et d'Isaac Elbaz qui avait soixante-dix ans et qu'on
n'a plus revu depuis le camp proche d'Alger où des prêtres
ont tenté de le faire libérer avec trois autres vieillards.
Il y a pourtant quelques cas de disparus qui ont réussi à
s'enfuir, à rentrer en France par miracle. Ainsi N... enlevé le
29 avril 1962 et d'abord interné au camp de Beni-Oussif, il a
réussi à s'enfuir le 2 août 1963 avec l'aide d'un musulman.
"Prisonnier, dit-il, j'étais enfermé dans les caves d'une
ferme abandonnée par ces anciens propriétaires à une ving
taine de kilomètres d'Orléansville. Par la fenêtre du local où
j'étais interrogé chaque jour, j'ai pu apercevoir le camp des.
internés européens, une centaine environ. Leur habillement
n'était .pas uniforme, mais beaucoup portaient le treillis
militaire. Il y avait aussi quelques femmes. Mais je n'ai
jamais pu entrer en contact avec un d'entre eux".
■
:
été traîné de camp de fortune en prison clandestine. Il a été
en contact avec des Européens disparus en 1962 et il en a
identifié sept. Parmi eux, il a reconnu formellement T...dont
la famille a reçu le 21 décembre 1963 des autorités fran
çaises un "jugement déclaratif de décès" prononcé par le
tribunal de grande instance d'une ville algérienne en août
1963. T... se trouvait alors en Willaya 4. Or en 1964, la
famille apprend qu'il est dans une maison forestière avec
treize autres Européens. Mais les conventions franco-
algériennes d’août 1964, mettent un terme aux recherches
officielles.
Un dernier exemple faute, hélas ! de pouvoir les citer
tous... L’affaire Falcone qui n'a pas fini d'alimenter les
polémiques.
Le 4 mai 1962, à Alger, Daniel Falcone, 17 ans, est
enlevé comme tant d'autres. En avril 1963, son père reçoit
une lettre de la Croix Rouge : Daniel, détenu par le F.L.N., a
été libéré en juin 1962 après avoir subi les pires tortures :
"Grand blessé de la face, votre enfant a été rapatrié et
hospitalisé à Nancy". M. Falcone court à Nancy. On n'y a
jamais vu Daniel, ni à Lyon où sa présence était également
signalée. M. Falcone n'a jamais pu en apprendre davantage
sauf cette terrible confidence d'une religieuse qu'il est diffi
cile de démontrer et pour cause : "On cache les victimes des
fellaghas, tant que ne sont pas effacées les traces mons
trueuses des tortures subies". Faut-il croire qu'il y avait
alors des hôpitaux français clandestins pour les pieds-noirs
torturés par le F.L.N. ?
C'est à ce dossier atroce que s'attaque Me Michel,
spécialiste des disparitions, l'homme qui en 1977, a obtenu
la libération des otages français du Polisario".
294
ARTICLE DE LOUIS ROY
Paru dans "Spécial dernière"
du Vendredi 23 au Jeudi 29 avril 1982 n° 727
295
de 1954 à 1961. "Depuis sa création en 1967, l'A.S.F.E.D. a
établi un dossier de trois mille cinq cent noms de personnes
enlevées en Algérie et qui peuvent être encore vivantes.
Près d'un millier de ces disparus ont été déclarés morts
d'après des actes de décès dressés à la va-vite en 1 962 par
les services de Louis de Broglie, secrétaire d'Etat aux
Affaires algériennes, sans qu'aucun corps ait été retrouvé
ou sur la foi de cadavres mutilés, méconnaissables. L'A.S
.F.E.D. pour sa part a fait casser plusieurs dizaines de ces
actes de décès, dont un grand nombre n'ont d'ailleurs
jamais été retranscrits, explique Marc Leclair. C'est le cas
de l'acte de décès de Chantal Argenti née le 25 juin 1945 en
Algérie et enlevée par le F.L.N. en juin 62. L'acte avait été
établi avec le cadavre d'une femme musulmane repêchée
au fond d'un puit à Mouzaïaville. Le docteur Framinet et
plusieurs témoins ont prouvé par la suite qu'il ne pouvait
s'agir de la dépouille de Chantal Argenti. D’autre part un
Algérien avait proposé en 1963 de restituer la jeune fille
contre une somme de dix millions d'anciens francs. Un
arrêté de la Cour d'Appel de Paris a donc cassé le 16 décem
bre 1971, l'acte de décès. Nous pourrions faire ainsi casser
la plupart des actes de décès établis en 1962 sur ordre du
gouvernement français, qui ne voulait pas que l'on fasse de
vagues autour de ce problème important et gênant des
milliers de détenus français abandonnés au F.L.N. par l'in
dépendance. Mais s'il n'a pas été demandé de preuves de
décès pour établir ces actes, on nous en demande en
revanche d'irréfutables pour obtenir la révision des actes.
L'A.SF.E.D. a justement été fondée au vu de l'ensemble de
preuves attestant le non-décès d'un grand nombre de pri
sonniers français du F.L.N. Ces preuves ont été apportées
par le comité international de la Croix Rouge.
296
qui s'est chargé de cette démarche : il a été sèchement
éconduit par le général De Gaulle.
Tous les prisonniers français du F.L.N. ne sont pas des
gens de l'O.A.S. L'organisation avait signé en février 62 à
Tlemcen un cessez-le-feu qui fut respecté par le F.L.N.
Quatre vingt dix pour cent des gens enlevés de janvier à
juillet 62 étaient des libéraux et des socialistes quelquefois
même des communistes ? Il est faux de croire que tous ces
gens ont été tués. Deux éléments incontestables appuient
cette affirmation. Le premier est un décret passé au "Jour
nal Officiel" algérien, annonçant en 1964, - à un moment
où le gouvernement français prétendait qu'il n'y avait que
quelques "droits communs" français dans les prisons algé
riennes - que le gouvernement algérien restait seul juge
pour décider de la libération des personnes (française) déte
nues pour faits de guerre en Algérie.
"Ce qui prouve que le problème se posait bien et donc
que des Français, dits O.A.S. étaient toujours emprisonnés
en 1964. En 1 965, le même "Journal Officiel" ajoutait que
l’amnistie (décrétée à Alger cette année-là) ne concernait
pas les dits O.A.S.
Le deuxième élément est le témoignage de Joseph Le
Gourierec, charché de mission au cabinet du président de
('Exécutif provisoire à Rocher-Noir, en Algérie. Recherchant
Oliver des Garets, président du Yacht-Club d'Alger, enlevé
par le F.L.N. et porté disparu, il apprit par un coup de télé
phone à un ancien policier musulman qu'OIivier des Garets
était toujours en vie et détenu au siège de l'ancienne P.J.,
boulevard Baudin. Plusieurs dizaines d'autres Français s'y
trouvaient aussi.
Dans son rapport, Joseph Le Gourierec explique qu'à
son avis "tous mes compatriotes enlevés n'ont pas été
libérés et que bon nombre d'entre eux se trouvent encore
internés dans des camps où la Croix Rouge, les missions de
parlementaires et autres envoyés de métropole n'ont jamais
eu accès. Ceux-ci en cas de conflit ou de divergences quel
conques entre les deux gouvernements pourraient peut-
être servir ultérieurement de monnaie d'échange".
297
Et puis il y a un élément tout nouveau et capital. La
semaine passée, Michel Poniatowski, ancien ministre de
l'intérieur, a révélé que le gouvernement français n'avait
jamais ignoré la détention en Algérie de centaines de nos
compatriotes.
"En 1975, dit l’ancien ministre, nous avions obtenu du
gouvernement algérien la promesse de libération de cen
taines d'entre eux (les prisonniers français en Algérie). Mais
cette libération n'a pu avoir lieu, après l'annulation de la
visite du Président Giscard d'Estaing à Alger".
Je pense qu'il y a peu de gens aussi bien placés qu'un
homme qui fut ministre de l'intérieur, pour dire, si oui ou
non, des Français sont détenus en Algérie. L'affirmation de
Michel Poniatowski représente ce qui nous manquait : la
confirmation irréfutable d'un homme qui savait si bien la
vérité qu'il a négocié la libération des prisonniers avec le
gouvernement algérien. Ce dernier va-t-il encore long
temps avoir le front de nous accuser d’être des fous et des
menteurs ? " ajoute le capitaine Marc Leclair".
298
ARTICLE DE LOUIS ROY
paru dans “Spécial Dernière"
du Vendredi 7 au jeudi 13 mai 1982 - N° 729
299
nous dire que les murs qui s’élevaient devant nous étaient
ceux d'un pénitencier. "Le grand bâtiment ? hum, oui, c'est
vrai, c'est une prison". A-t-il finit par lâcher. Pour le rendre
plus loquace, nous avons employé un sésame plus sûr que
l'argent. Nous avons prétendu que nous étions algéro-
français grâce au fait que nous parlions tous deux l’arabe.
Puis nous avons plaisanté. "Une prison ? ai-je dit, il ne doit
pas y avoir grand monde dedans. Avec le peu de banques
qu'il y a à attaquer en Algérie...
- Pas du tout, s'est écrié Hossein, la prison est archi-
pleine : il y a plus de trois mille prisonniers.
- Trois mille Algériens ?" Ai-je demandé à brûle-
pourpoint.
Le plus tranquillement du monde, sans se rendre
compte de l'énormité de ce qu'il disait, Hossein a lâché avec
le sourire : "Absolument pas, une grande partie des prison
niers sont des étrangers. Il y a beaucoup de Marocains et
près d’une centaine de Français I”.
Pour Hossein, c’était une évidence. Un secret de poli
chinelle que chacun connaît dans celte bourgade et qu’à
Alger, on nie effrontément. Car le pénitencier de Lambèse
fait travailler un millier de gardiens, dont la plus grande
partie habite Lambèse-Tazoult avec leurs familles. Tout ce
qui se passe à l'intérieur de la prison est donc archi-connu
de la population.
Un peu plus tard, nouvelle confirmation, celte fois avec
une précision supplémentaire. "Les Français de la prison ?
Mais oui, ils sont dans le deuxième bâtiment", m'a expliqué
sans difficulté, un gosse abordé dans les rues de Lambèsis.
Une question me travaillait. Si les Français sont empri
sonnés depuis vingt ans, certains sont déjà morts. Où
peuvent-ils avoir été enterrés ? Ce ne pouvait être dans le
cimetière musulman de la ville. Restait l'ancien cimetière
chrétien de Lambèse, autrefois florissante petite bourgade
habitée par de nombreux pieds-noirs.
En entrant dans le cimetière chrétien de Lambèse, j'ai
connu le choc de ma vie. Le spectacle qui s'offrait à nous
était poignant : croix arrachées, tombes fracassées,
caveaux éventrés, cercueils béants ouverts grossièrement à
300
coups de hache avec de pauvres squelettes visibles à tra
vers les planches de bois déclouées.
"C’a été fait il y a vingt ans, m'a expliqué un jeune
Algérien, au moment de l'indépendance''.
Je n'en ai été que plus outré. En vingt ans le plus
élémentaire respect des morts aurait dû amener les autori
tés algériennes à réparer ces sépultures. Dans le caveau
béant de la famille Fouloune, des gosses algériens jouaient
clans les cercueils ouverts sans s'offusquer pour autant.
Mais au milieu de ce cimetière ravagé, de ces pauvres
sépultures françaises violées, il y avait quelques tombes
grossièrement rebouchées d'un mortier tout frais. Par
recoupement l'évidence nous est apparue : si ces tombes
ont été rebouchées alors que les autres ont été laissées à
l’abandon, c'est pour une bonne raison. De nouveaux corps
ont été rajoutés dans ces caveaux et ce sont ceux des
Français morts on captivité à Lambèse-Tazoult.
Après les témoignages de Lambèse, d'autres recueillis
auprès de gens de Batna discrètement interrogés, sont
venus en sus : "Oui, il y a des Français détenus à Lambèse,
m'a dit un commercant d'une quarantaine d'année. Com
bien, je ne le sais pas exactement. Je sais seulement qu'ils
sont plusieurs dizaines emprisonnés depuis longtemps,
depuis l'indépendance.
Bien sûr, nous ne sommes pas entrés dans la prison de
Lambèse, pour y rencontrer ces fameux prisonniers fran
çais. Nous ne serions plus là pour relater ce que nous avons
appris a Lambèse. Car si l’on sait quand on entre au péniten
cier, on sait bien plus difficilement quand on en ressortira,
sinon les deux pieds en avant.
301
Nous sommes maintenant en 1985; vingt trois ans se
sont écoulés depuis les mois tragiques de 1962 et surtout
cette horrible journée du 5 juillet 1 962 à Oran. Si, comme il
est probable, des Européens ont survécu au drame, ils sont
certainement morts depuis, et si quelques uns d'entre eux
sont encore vivants, les plus jeunes et les plus résistants,
jamais nous ne les reverrons car l'Algérie préférera les tuer
que d’avouer au monde leur existence; de les laisser racon
ter les sévices et les tortures qu'ils ont enduré, l'esclavage
dans lequel ils ont été réduits. Cependant, ce n'est pas une
raison pour baisser les bras et nous devons encourager et
aider de toutes nos forces les organismes et les hommes qui
se sont donné pour tâche de savoir ce que sont devenus les
disparus de l'Algérie française et peut-être de sauver ceux
qui peuvent encore être sauvés.
Puisse ce livre aider à comprendre.
Puisse ce livre témoigner que notre souvenir demeure fidèle
aux morts et disparus du 5 juillet 1962
à ORAN
302
ANNEXES
ANNEXE I
304
14/5/62 CALATAHUT Jean-Baptiste, Bd du Corps
Expéditionnaire Français - Oran
21/5/62 POMARES François H.L.M. Gambetta Bât. B2
1orc ent. - Oran
4/6/62 RIOT Pascal, Palaumet Bias (Lot-et-Garonne)
7/6/62 BOULE François Gendarmerie Dar-Beïda-Oran
11/6/62 CHEVILLARD Maurice, BELLOD et CARAYON
Agric. Oued - Imbert.
13/6/62 BIRBES Paul Saint-Maur - Oran
15/6/62 CASANOVA Claude Rue Pelissier (près angle
Rue de la Bastille) - Oran
16/6/62 Mme PERAL Jeanne, Maison PERAL-Tlélat Rte de
Sidi-Bel-Abbès
26/6/62 DAHAN Elie Paul, 7 Rue Floréal-Mathieu - Oran
27/6/62 DESMARETS J.Jacques. POULONNOT G.
17 Rue Coulmiers - Oran
RAT Henri 13 Rue Sintie-Petit - Oran (Fille) et
Maison Long à La Sénia
29/6/62 MERîNO René et SANCHEZ Bernabé -
Rio-Saiado - Oran
30/6/62 LOPEZ Joseph et MIRAILLES René 2 Bd Lescure
Oran
305
Mme BETTAN née BENGUIGUI 9 Bd Maryse
Bastié - Oran
BLANCHARD Pierre 3 Rue Brancion - Oran
BLASCO Victor 25 Rue Cavaignac - Oran
BREUILH Robert et Mme BREUILH
13 Rue Damas - Cité Petit - Oran
CAMPOS Raymond Av. Jules Ferry - Oran
CHARLES Louis Cité Perret Aile
2, Rue René Bazin - Oran
CHERUBINO Gérard 9 Rue d'Orléans - Oran
CHLOUCH Mouchy 3 Rue Lamoricière - Oran
COVIAUX Roger 3 Place Laurice - Oran
DAVO Honoré Inspecteur Central des P.T.T.
Oran
DESSOLA Jean-Pierre Rue Valentin Haüy -
Maraval - Oran
FABRE Gaston 32 Rue A. Dumas - Oran
FAGET Marcel 13 Rue Cavaignac - Oran
FLANDRIN Armand 2 Rue Cavaignac - Oran
GALERA François 12 Rue Duperre - Saint Michel
Oran
GARCIA Marcel Instituteur
GAUCIRON René Sûreté Urbaine
Rue René Etienne - Oran
GENRE 20 Avenue Louise de Beltignie - Oran
GIL François 3 Rue St Saens Maraval - Oran
GIMENEZ Ignace 20 Avenue de la République
Oran
GIMENEZ Joseph 8 Rue Marie-Feuillet -
Eckmül - Oran
GRIGUER Solange (Mme) - GUILLABERT Roger,
Inspection des Douanes - Oran
GUIRADO René, Agt des Douanes, Caserne des
douanes - Phihppeville
HERBAUD Gaston 15 Rue Sergent Blandan
Oran
HIDALGO Paul 4 Rue René-Etienne - Oran
HUSTE Christian 39 Rue Général Claverie -
Protin - Oran
JOURDES Louis, Directeur des P. et T. - Oran
3g»;
JUNIOT Paul, Agent des P. et T.
LAURES Oulée Gustave Attaché de Préfecture -
Service des Rapatriés au Consulat d'Oran
LENORMAND Jean 19 Avenue d'Oujda - Oran
LOPEZ Henri 3 Place des Quinconces - Oran
LORENTE José - Cité La Fontaine - Oran
MACRON Henri - Rue de Nancy (Miramar) et
4 Rue Commandant Dummont (Bel-Air) - Oran
MANCHON Jean 20 Avenue Guynemer -
Gambetta - Oran
MARTIN Joseph 1 Rue des Flandres - Eckmülh
Oran
MARTINEZ Ernest 14 Rue Rabelais - Oran
MARTINEZ José 5 Rue Condorcet - Oran
MARTINEZ Michel 9 Rue Soleillet - Oran
MOJICA Jules-Louis Hôtel Martinez - Oran
MOLINES Jean-Roger 10 Rue Henri Poincaré -
Oran
MORALES José 1 Bd Henri-Martin - Oran
MORRO François 1 Avenue de Verdun -
Perregaux
MULLER Henri 5 Avenue Albert 1er - Oran
NAVARRO Germain Cité Bel-Air - Oran
NAVARRO Jean-Paul Résidence J.Ferry
Avenue Jules Ferry - Oran
ORTS Antoine 76 Avenue Aristide Briant - Oran
PALUMBO Nicolas - Mario
10 Bd Laurent-Fouque - Oran
PARDO Raymond Emile Ecole Jean Zay
91 Av. d'Oudja - Oran
PEREZ François 23 ans, 20 Av. de la République
Oran
PEREZ François 52 ans. Chez M. Martinez Jh.
“Le bulding" Bât. A 2, 16 Rue Molla - Oran
PEREZ Pierre Assi-ben-Okba - Oran
PRIETO Grégoire Inspection des Douanes Nelle
Rte du Port - Oran
RAT Emile (Voir Sicard-Maison de ['Agriculture)
Oran
ROBLES Edouard Chauffeur de taxi n° 72
307
ROS André 1 Rue des Bienvenus - Choupot
Oran
RUIZ Jean 22 Rue Safrane - Oran
RUIZ Pierre - Rue Caveyran - Oran
SAEZ Félix 1 Rue Joseph Sabot - Oran
SAGNIEN Pierre-Jean 9 Rue d’Alsace-Lorraine
Oran
SALMENON Jean 31 Rue Serg. Blandan - Oran
SIERRA ANTILLANO 6 Passage Germain - Oran
SIGURET Claude Cité'Marine Bât. A 612 Valmy
SOLA Manuel 5 Rue Ampère - Oran
SOUMA François 19 Rue de l'Arsenal - Oran
TOUATI Marcel 48 Rue de la Bastille - Oran
TREMINO Guy (14 ans 1/2) 42 Rue Guillaumet
Cité Protin - Oran
ULPAT Marcel Instituteur à Vialar et
Logis Familial moderne - Cité Maraval - Oran
UTRAGO Alfred Résidence Perret Bât. E,
Rue Colonel Moll - Oran
VALERO François 1 Rue Pomel - Oran
VITEI Gabriel (Voir Sicard - Maison
de l'Agriculture) - Oran
YNIENTA Roland 48 Avenue d'Oudja - Oran
308
Toutes les bonnes volontés sont accueillies avec reconnais
sance pour collaborer à cette œuvre humaine, en dehors de
toute activité politique ou confessionnelle.
Les disparus signalés dans la liste ci-dessus qui
auraient été retrouvés sont priées de le signaler. Les per
sonnes disparues qui n'ont pas été retrouvées par le bureau
de l'Association, doivent être signalées par leur famille ou
leur entourage, 7 Rue Floréal-Mathieu afin de coordonner
les recherches, éviter à toutes les autorités des pertes de
temps en fin de compte préjudiciable aux disparus et des
démarches pénibles et inutiles aux familles légitimement
angoissées.
Des bureaux régionaux seront mis en place dans le
département ci'Oran. Pour tous renseignements, s'adresser
à M. SOYER, Association de sauvegarde, 7 rue Floréal-
Mathieu, Oran.
309
ANNEXE II
ECHO D'ORAN DU VENDREDI 6 AU LUNDI 9 JUILLET
1962
310
Georges ROUET;
Roger BALLESTER;
Joseph RUIZ;
ATTAR Mustapha;
Paul SASSANOW;
DARMON Mimoun;
Georges LAMBERT;
Louis GUILLAUMIN.
MM. Emile ORTEGA et CARRASCO légèrement blessés ont
regagné leur domicile après soins.
311
KHALBOUCHE Belkheir, 23 ans;
SOUADRIA Ahmed, 28 ans;
BENAINE Larbi, 19 ans;
KERNADI Zitouni, 30 ans;
ADDALA Kadda, 17 ans;
BEZZOUINE Abdellah, 21 ans;
HELALY Mohamed, 43 ans;
BELMEKKI.
X..., 21 ans environ;
BERRAZA Mokhtar (?);
SALAH Ahmed, 19 ans;
ZIOUAL Mouloud, 37 ans;
MAZOUZI Djillali, 39 ans;
AMORE Amar, 40 ans;
EMBAREK Sayah, 4 ans;
X..., 9 ans;
GUENOUEUR Mohames, 39 ans;
SEDOUD Ahmed, 23 ans;
RESTANI Abdelkader, 55 ar.s;
ABDELKADER Benabdeslem, 27 ans;
BELKADI Mohand, 5 ans;
DERADJ Mohamed be, Azerki, 27 ans;
KLINGE Abdelkader, 56 ans;
AIT AMAR Belaïd, 41 ans;
CHAIB Miloud, 61 ans;
KADDA Abdellah, 36 ans;
MOHAMED Ben Mimoun, 34 ans;
X..., 40 ans;
Mmes BOUCIF Lahouaria, 22 ans;
X..., 32 ans environ;
AZZIZI Fatma, 29 ans;
SNP Fatma bent Ali, 36 ans;
SEDDIK Halima, 19 ans;
BRAHIMI Noura, 8 ans;
X... 45 ans;
BENAISSA Yamina, 48 ans;
BELAIDI Souria, 24 ans;
X...;
Che Kheira, 23 ans;
312
BENTURKIA X..., 37 ans environ;
BENHAMOU Aïcha, 23 ans;
TOULA Habiba, 20 ans;
Mmes X..., 35 ans environ;
X..., 35 ans environ;
X... 30 ans environ;
BENT MOHAMED Fatiha, 21 ans;
KADRA Bent Zouaoui, 19 ans;
SKELER Rahmouna, 43 ans.
313
ANNEXE III
LE JOUR OU ORAN FUT LIVRÉ
314
Témoignage de Gérard ISRAËL dans son livre :
“Le dernier jour de l'Algérie française"
Editions Robert Laffont, page 295
315
ANNEXE IV
ATTESTATION
Cachet Signature
316
kl BICRÉTAIRB D'iTAT PARIS. LS 13 SEPT 1983 73
«3
AWMlS DU PRRMIRR MINISTRB •O. RUB DR UUI Vil"
CN1M1 DM AFFAIRES ALaSRIBNNOO •k
c-'S< : Ifrn
Monsieur,
Mon attention a été appelée sur la disparition de
> votre fils. Monsieur Georges CARATINI, enlevé le 5 Juillet
19A2, à üran, en même temps que Monsieur Joseph QUINTANA.
J'ai la trist»* mission de porter à votre connais
sance que l'enquâte que J'avais tout particulièrement demandée
à la Croix-Rouge In !ern-c ionale au sujet de cette disparition
se traduit nar une très forte pr^som tion de décès.
En effet la C*cix-\ouge estime que Monsieur CARATINI
et son compagnon fo- t i et le des personnes dont
‘ g estL J
.. —
on ——-J
demeuré
de'. 4 et 5
sans nouvelles dep* -s 3-i dramatiques Journées de*.
juillet 1962 et que mal -eureusement le oire est à envisager.
En l'état ac* *1 des choses, seuls des éléments
eu ‘es inf ■»nnations nouveaux courraient modifier cette posi
tion. ne a'-un ef r.»»t X rf H»n nue nos I
chances soient infiniment mi ces.
En tout état oe cause, je crois devoir vous trans
mettre ci-joint, une notice relative aux proolèmes patrimo
niaux, qui pourraient se po-er.
Sachez que, dans votre angoisse, n-us restons soli
n 'parquerons aucune démarche - our qu'il y soit
daires et n'
mis fin.
Veuillez agr ex, Je vous oriev Monsieur, 1*assurance
de ma considération distinguée.
ean de BROGLXE
317
K- • ■CRÉTAIRK D’ÉTAT ■AMIS. LS
Ï-BRARS1»M
1MHL* AlOKHlINNSa
-...... —
318
I
I
I
Nouaisur,
r*-
Monsieur,
319
«.i w-i-a» r»
O ■. A N
A ORAN
V- À * ï?**
320
ANNEXE V
NOS DISPARUS EN ALGÉRIE
321
T 1
à Oran, le 5 novembre 1905, employé à la Base Aérienne
d'Oran. Enlevés le 5 juillet 1962, sur la route d'Oran-La
Sénia, à bord de leur auto «403» noire, n° 822 EA 9 G.
Ecrire à M. Joseph Di Pasquaïe, Président de i'ANFANOMA.
H.L.M. «Le Thoron» entrée n° 5, appartement n° 65, route de
Fréjus-Saint-Raphaël, Fréjus (Var).
322
ANNEXE VI
BILAN DU 5 JUILLET :
Echo d'Oran du vendredi 6 au lundi 9 juillet
323
ANNEXE VII
Echo d'Oran du Vendredi 6 au lundi 9 juillet
Depuis le 5 juillet
70 EUROPÉENS DISPARUS
ET 5 MUSULMANS ENLEVÉS
324
spéciale d'A.T.O. s'emploie activement à la recherche de
ces voitures.
Enfin, au cours de la journée d'hier, nous avons appris
que cinq musulmans auraient été enlevés par des inconnus
circulant en voiture. Parmi ces victimes de kidnapping figu
rent quatre employés municipaux de Victor-Hugo et un
patient qui se rendait à une consultation chez un médecin
du centre-ville.
Plusieurs Européens ont disparu samedi sur la route
entre Oran et La Sénia.
325
ANNEXE VIII
i
FRONT DE LIBÉRATION
NATIONALE
i
..adame 10, Quai de la
Charité - Zi,. .£'^..1... -
-O-C-
Chère ixiame,
J’ai reçl voire lettre *n date du ZI Septembre I9L2
par laquelle vous attiriez mon attention sur la disparition
de votre mari, ..enaieur w.-lICilûX Ltiile survenue le 20 Juillet
1962.
Toutes les démarches ..tiles seront entreprises et Je
ne :can._uerais pas de .ou* .n communiquer les résultats.
Soyez toujours persuadée eue r.cus déplorons ce £>e:.re
ûfexactions hautement pré ju..icial2es à la cause de notre
pays.
Croyez, chère 1-aLsm- sSmccnsi&érati or..
( X.VJ
ISÏi B-LLi
<2
326
:
r
i
V
COMITÉ INTERNATIONAL
or ta
CROIX-ROUGE
Xadaze Sanchez,
chez Kadaae Courbet,
1J8, rue René Bazin, /
0 R A N
Kadane, *
Votre lettre du 12 et. est en notro possession.
Notre délégation h Oran ayant été ferzée, nous vous ccnscilions
de garder le contact avec le Consulat Général de France.
les recherchez entreprises pour retrouver votre cari sont restées
vaines jusqu’à ce jour; nous les continuons n''araoins.
Loua voua prions de croire, Kadace, à l'expression de«nos sentiments
distingués. / >
Délégué.
327
LE SECRÉTAIRE D’ÉTAT paris. L« 2 1 AOyT |g63
AUPRÈS DU PREMIER MINISTRE / ■O. RUS DI LILLK. VII"
CHARGE DES AFFAIRES ALGERIENNES /(,6^0
Mad ?.-.e f
328
COMITÉ INTERNATIONAL DE LA CROIX-ROUGE
Agença Central. rfa Recherchai
Madame SANCHEZ
c/o K. Noxdédéo, Villa SagèSSe.
CASTÎÎLNAU-lc-LEZ (Hérault)
srr sss
France
Madame,
Nous avens l’honneur de vous faire savoir
j...> ____ ——- .11
que- 1le _rapport -..ï1*-- -
d1 enquêtes de nos délégués en Al
Al-
gérie, concernant vôtre cari
Xnnnir-ur Emile SANCHEZ
a été transmis, conformément à un accord entre le
Gouvernement français et le C.Ï.C.F.. ,-au
Secrétariat d'Etat aux Affaires Algérienne!
50, rue de Lille
PARIS 7e
seul habilité a communiquer le résultat de ne s
recherches. Nous ne pouvons donc gue vous conseil
ler de vous adresser directement à cette Adminis
tration.
Nous veus prions d'agréer, Ifertjjpx. 1'assu
rance de notre considération di
**> ctmjJX
329
L
CONSULAT. CEDERAI DE" FRANCE
à ’ 1 fORAK- •
Certificat de Disparition
----- o
’—n-i
ANNEXE IX
ASSOCIATION
POUR LA SAUVEGARDE
DES FAMILLES ET ENFANTS
DE DISPARUS
Bordeaux, le 20 septembre 1983
OBJET: DISPARUS D'ALGÉRIE
Monsieur, Madame,
Du douloureux problème des Français disparus en
Algérie, nous portons à votre connaissance que depuis juin
1982 plusieurs actions diverses mais complémentaires
sont en cours pour régler définitivement et avec les garan
ties souhaitables cette pénible et triste affaire.
Sur le plan national, plusieurs députés sont intervenus
et continuent d'intervenir; Monsieur Robert FABRE, Média
teur, a été officiellement saisi du dossier; Madame Danielle
MITERRAND reste à l'écoute de tous ceux qui, comme vous,
connaissent cette épreuve.
D'autres actions, à de très hauts niveaux, sont en cours.
Pour renforcer et élargir sur le plan national nos
démarches, nous suggérons d'écrire à votre député pour le
prier instamment d'intervenir en faveur de votre parent
disparu.
Cette intervention pourrait se référer au Journal Offi
ciel de la République Algérienne du 9 avril 1965 (pièce
jointe) qui rapporte la décision prise par le Gouvernement
algérien de garder des prisonniers auxquels elle refuse
l'amnistie et qu'elle détient actuellement comme otages.
Et s'appuyer sur la campagne de presse d'avril 1982 qui
faisait état de nouvelles révélations sur les lieux de déten
tion présumés, révélations qui n'ont pas été démenties.
331
■
Les questions posées pourraient être de cet ordre :
- Combien de personnes ont-elles été jugées comme étant
O.A.S. ou assimilées O.A.S. ?
- Que sont devenus les jugements ?
- Comment faire appel ?
- Combien de personnes ont-elles été libérées depuis
cette décision ?
D'autre part nous vous conseillons très vivement
d'écrire à Madame Danielle MITERRAND, Palaisde l'Elysée,
55 Rue du Faubourg Saint-Honoré, 75008 PARIS, pour lui
exposer votre cas personnel.
Il serait URGENT, si vous le voulez bien, de fajre cette
démarche; nous vous serions reconnaissants de bien vou
loir nous adresser photocopie des réponses et de transmet
tre si possible, notre suggestion à d’autres familles dans
votre cas.
Veuillez croire. Monsieur, Madame en nos sentiments
distingués.
332
ANNEXE X
Madame-,
■'*-*“4 SAfAC'JcT
«ï la Martinière
- SSLLKffi
ri
AN N EXE VI
ASSOCIATION POUR LA SAUVEGARDE
DES FAMILLES ET ENFANTS DE DISPARUS
Secrétariat Général
30/32, rue do Vlncennes
•<33000 - BORDEAUX
T^l(56) 96/78/èè . Madame Geneviève de TERNANT
Directrice de l'ECHO de l'ORANIE
11,Avenue Georges Clemenceau
06000 - N I C E -
Madame,
Pour vous aider dans ce pénible travail nous tenens à votre dis
position toutes les archives de l'Association dupuls cetco date à nos
jours.
334
TABLE DES MATIÈRES
Pages
Préface ................ 1
Un vœu 3
Oran 7
La rupture 13
Les derniers combats 29
Le chaos .......................................................... . 45
Le massacre 55
Témoignages 75
Morts ou disparus le 5.7.62 à Oran ........ . 185
Morts ou disparus avant et après le 5.7.62 . 237
Procès verbal d'enquête ............................... . 255
Que sont devenus les disparus ? .............. . 267
Annexes .......................................................... . 303
LL__
Achevé d'imprimer
le 15 avril 1985
i sur les Presses
de l’imprimerie Marcel GAMBA - NICE
i
I
i
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