Sunteți pe pagina 1din 57

Problématique de la prise en charge

du patient fonctionnel
P. Cathébras, P. Lachal

Le terme de symptômes « fonctionnels » ou « médicalement inexpliqués » se réfère à des plaintes


subjectives sans cause organique lésionnelle sous-jacente, ni physiopathologie avérée. Les symptômes
fonctionnels représentent près d’un tiers des symptômes présentés en soins primaires, et sont présents à
tous les niveaux du système de santé. La nosologie des troubles fonctionnels est complexe et ambiguë,
reflétant des points de vue différents sur un même phénomène : la « somatisation ». La prise en charge
des patients fonctionnels fluctue entre le scientisme biomédical conduisant à une quête vaine
d’organicité, et une approche fondée sur la psychogenèse présumée des symptômes, à laquelle la plupart
des patients tendent à résister, même si beaucoup laissent la porte ouverte à une explication
psychosociale. Dans la démarche diagnostique, les « interventions somatiques » (explorations
complémentaires, avis spécialisés, traitements physiques), peuvent se révéler iatrogènes dans ce
contexte, et doivent être proposées avec parcimonie. Certains symptômes fonctionnels résultent de
mécanismes physiopathologiques relativement simples : activation du système nerveux autonome,
tension musculaire, hyperventilation, conséquences des troubles du sommeil, effets de l’inactivité,
phénomènes « d’hypersensibilité centrale », etc. D’autres résultent de causalités circulaires plus
complexes faisant intervenir des facteurs physiologiques, psychologiques, et socioculturels, eux-mêmes
jouant selon les cas un rôle prédisposant, précipitant, ou d’entretien et de renforcement des symptômes.
Dans l’abord thérapeutique, la « réassurance » est un acte médical essentiel, plus difficile qu’il n’y paraît
de prime abord. La réassurance ne se résume pas à l’affirmation « qu’il n’y a rien de grave » mais doit être
fondée sur des explications personnalisées, faisant le lien entre les facteurs physiques et psychosociaux. La
médecine « centrée sur la maladie » est en effet inopérante et iatrogène face aux symptômes
médicalement inexpliqués, et seule une médecine « centrée sur le patient » peut offrir des explications
médicalement plausibles, congruentes avec les modèles explicatifs du patient, et acceptables par les deux
parties.
© 2011 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Mots clés : Symptômes fonctionnels ; Symptômes médicalement inexpliqués ; Somatisation ;


Troubles somatoformes ; Réassurance ; Médecine centrée sur le patient

Plan ■ Patient fonctionnel ou symptôme


¶ Patient fonctionnel ou symptôme fonctionnel ? 1
fonctionnel ?
¶ Terminologie et concepts de la « somatisation » 2
Les « patients fonctionnels » sont « des patients qui se
Symptômes fonctionnels 2
présentent pour des plaintes, des malaises, décrits comme
Symptômes médicalement inexpliqués 2
survenant dans le corps, et pour lesquels le médecin ne trouve
Ampleur du problème des symptômes fonctionnels
aucune lésion justificative. On parle alors aussi de “somatisa-
ou médicalement inexpliqués 2
tions” » [1]. Même si cette définition est assez consensuelle, il
Plainte fonctionnelle 2
Somatisation 2 nous paraît discutable que le qualificatif « fonctionnel » soit
Troubles somatoformes 3 attribué aux patients plutôt qu’aux symptômes. Cela laisse
Syndromes somatiques fonctionnels 3 entendre que la nature fonctionnelle des symptômes serait
Somatisation : un processus plutôt que des catégories 3 inhérente à certains individus (intrinsèquement prédisposés à la
« somatisation »), à l’exclusion des autres. Or, l’épidémiologie et
¶ Effets pervers de la recherche d’organicité 3
l’observation clinique montrent qu’il n’en est rien : on peut
¶ Explorer : du symptôme au contexte 4 « somatiser » transitoirement, avoir une maladie organique et
¶ Rassurer : un acte médical essentiel mais plus difficile des symptômes fonctionnels, et souffrir de troubles fonctionnels
qu’il n’y paraît 4 sans qu’une psychopathologie soit décelable. Les symptômes
¶ Conclusion : l’impérieuse nécessité d’une médecine centrée fonctionnels ne sont pas « tout dans la tête » [2]. L’assimilation
sur le patient 6 largement abusive entre « symptôme fonctionnel » et « symp-
tôme psychogène », lui-même marqué d’une connotation

morale péjorative (qui tend à transformer la victime en coupa- symptôme à une cause unique (qu’elle soit organique ou
ble), explique que les médecins soient aussi mal à l’aise face à psychologique, d’ailleurs) : l’arthrose lombaire visible sur les
ces symptômes, comme l’avait déjà noté Balint (que nous radiographies explique-t-elle à elle seule ces douleurs rachidien-
citerons largement tout au long de cet article) : « ... les maladies nes invalidantes ? Cette discrète anémie justifie-t-elle une
sont ordonnées en une sorte de classification hiérarchique asthénie aussi profonde ?
correspondant approximativement à la gravité des altérations
anatomiques dont on peut supposer qu’elles s’accompagnent. Ampleur du problème des symptômes
Malheureusement cette classification hiérarchique ne s’applique
pas seulement aux maladies, mais aussi aux malades qui ... s’y fonctionnels ou médicalement inexpliqués
rattachent. Les patients dont les troubles peuvent être ramenés Les symptômes, médicalement expliqués ou non, sont extrê-
à des altérations anatomiques ou physiologiques apparentes ou mement fréquents dans la population générale : en un mois
vraisemblables sont d’une catégorie supérieure tandis que les donné, sur 1 000 adultes, 800 présentent des symptômes,
névrosés sont en quelque sorte la lie qui subsiste lorsque tout 327 envisagent de consulter et 217 le font effectivement en
le reste a été éliminé. Il est donc compréhensible que chaque médecine de premier recours, 13 se présentent aux urgences, et
médecin, lorsqu’il se trouve face à un nouveau patient, ... ne le 8 sont hospitalisés [4]. Confronté à un symptôme quel qu’il soit,
relègue dans la catégorie de névrosés que lorsqu’il ne trouve le médecin doit donc se représenter qu’il n’observe que la partie
rien qui puisse lui conférer un statut respectable » [3]. émergée d’un iceberg. En soins primaires, en moyenne un tiers
Le diagnostic de trouble fonctionnel entraîne une souffrance des symptômes restent médicalement inexpliqués (de 20 % à
paradoxale chez le patient et le médecin. Chez le patient la 74 % selon les études) [5] . En consultations spécialisées ou
souffrance vient du symptôme lui-même (douleur, fatigue, hospitalières, la proportion est grosso modo identique. Même à
malaise, etc.), de l’incertitude sur sa cause, et de l’absence de l’hôpital, les symptômes médicalement inexpliqués ne sont pas
légitimité médicale de la plainte. Chez le médecin, elle trouve exceptionnels : dans une étude danoise [6] 20 % des patients
sa source dans le doute diagnostique, et dans la difficulté à admis plus de 10 fois en 8 ans n’ont pas de maladie organique.
rassurer et à soulager. « Après une série d’examens consciencieux
et approfondis, lorsqu’on dit à un malade qu’il n’a rien, les
médecins espèrent qu’il va se sentir soulagé et même guéri. Cela Plainte fonctionnelle
arrive, en effet, assez souvent ; mais dans un grand nombre de Balint disait que la plainte représente le stade « inorganisé » de
cas, c’est juste le contraire qui se produit et le médecin réagit à la maladie : à ce stade, on ne sait pas si ce qui est important est
cette situation - toujours inattendue malgré sa fréquence - par de se plaindre, ou le symptôme lui-même [3]. L’avantage du
une surprise douloureuse et de l’indignation. » [3] terme de « plainte » est qu’il situe le problème davantage au
On comprend donc qu’il soit délicat d’aborder la nature niveau du recours aux soins que du symptôme lui-même. Or, les
fonctionnelle d’un symptôme avec les patients, mais aussi qu’il déterminants du recours aux soins relèvent d’un enchevêtrement
soit difficile d’en parler entre professionnels de santé, tant les complexe de facteurs sociologiques, économiques, cognitifs,
malentendus sont nombreux sur les concepts visant à rendre émotionnels, et propres à l’histoire de chaque patient. Parmi
compte de ce type de situation. Il faut donc s’interroger sur les eux, on doit citer l’expérience antérieure du symptôme, le
mots utilisés par les médecins pour caractériser les plaintes niveau d’inquiétude qu’il entraîne, la perception du normal et
somatiques médicalement inexpliquées : symptômes fonction- du pathologique dans un milieu socioculturel donné, l’accessibi-
nels, symptômes médicalement inexpliqués, plainte fonction- lité des soins médicaux, les conduites de maladie apprises dans
nelle, somatisation, troubles somatoformes, syndromes soma- l’enfance, les traits de personnalité, les événements traumatiques,
tiques fonctionnels. Chacun de ces termes recouvre en fait des et enfin, last but not least, la détresse psychologique au sens
facettes distinctes d’un même phénomène, qui méritent qu’on large, et les troubles psychiatriques caractérisés [7].
s’y arrête.
Somatisation
■ Terminologie et concepts C’est un concept ambigu. Une première définition fait de la
de la « somatisation » somatisation l’expression atypique, quoique fréquente, d’une
maladie psychiatrique (essentiellement dépression et troubles
anxieux) sous la forme d’une plainte somatique [8]. La somati-
Symptômes fonctionnels sation est alors conçue comme l’expression « masquée » des
Ils s’opposent aux symptômes « d’origine organique » de troubles psychiatriques (presenting somatisation des Anglo-
cause lésionnelle, ou relevant d’une physiopathologie établie. Ils Saxons), et il est prouvé que cette présentation « atypique »
sont subjectifs, au contraire des signes d’examen, des anomalies entraîne un défaut de reconnaissance des troubles mentaux par
d’imagerie et des résultats de laboratoire. Ils ont une connota- les médecins. En fait, la présentation somatique de la dépression
tion de bénignité, parfois trompeuse, car certains symptômes et de l’anxiété, en médecine générale, est la règle plutôt que
fonctionnels peuvent être invalidants : « Les médecins, condi- l’exception : elle concerne plus de la moitié des cas de consul-
tionnés par leur formation, pensent généralement d’abord à un tations pour troubles psychiatriques, alors que la présentation
diagnostic “physique”. Les raisons qu’on avance d’habitude sont « psychiatrique » (symptômes émotionnels exprimés d’emblée)
qu’une maladie physique est plus sérieuse, plus dangereuse ne concerne que 15 % des consultations pour troubles psychia-
qu’une maladie fonctionnelle. C’est une demi-vérité dange- triques [9]. Une définition moins restreinte de la somatisation en
reuse ; dans certains cas la maladie physique représente effecti- fait une « conduite de maladie » particulière : tendance à
vement une menace plus grave ... mais dans d’autres, la maladie ressentir et à exprimer des symptômes somatiques dont ne rend
fonctionnelle est nettement le danger le plus grand... » [3]. pas compte une pathologie organique, à les attribuer à une
maladie physique, et à rechercher pour eux une aide médi-
cale [10]. La pathologie psychiatrique n’est plus indispensable, le
Symptômes médicalement inexpliqués conflit d’attribution devient central, et le recours aux soins fait
Ils sont définis « en négatif » et résultent de la représentation partie intégrante de la définition. Enfin, certains auteurs ont
de la tâche primaire du médecin comme celle de « l’élimina- choisi de définir la somatisation comme une plainte durable de
tion » d’une cause organique (ou « médicale », ce qui implique- symptômes fonctionnels invalidants, en mentionnant que leur
rait que lorsque celle-ci n’est pas trouvée, le problème sort du étiologie est multifactorielle, et que les troubles psychiatriques
champ de la médecine). Ce processus d’élimination d’une cause sont fréquemment, mais non constamment, présents (functional
organique peut contribuer, comme on le verra plus loin, à la somatisation) [11]. Dans cette perspective, les troubles psychiatri-
construction, à partir de symptômes fonctionnels banals, de ques, et plus largement la détresse psychique, sont conçus
situations de somatisation chronique et invalidante. D’autre davantage comme comorbidité que comme cause des symptô-
part, il y a incontestablement un certain arbitraire à attribuer un mes fonctionnels.

Troubles somatoformes et iatrogène, qui tend à la pérenniser. Les investigations


multiples restent négatives, et alors que cela est vécu comme
Il s’agit d’un groupe de troubles psychiatriques ayant en rassurant par le médecin, c’est comme une négation de la réalité
commun la présence de symptômes somatiques sans explication des symptômes que l’entend le patient. Les explications médi-
organique, et un recours aux soins médicaux. Les troubles cales confuses et discordantes renforcent l’anxiété et la perte de
somatoformes du Diagnostic and Statistical Manual of Mental confiance. Le conflit moral de « légitimité » des symptômes
Disorders IV (DSM IV) [12] comprennent le trouble somatisation, devient central dans la relation et induit des crispations souvent
le trouble somatoforme indifférencié, le trouble de conversion, irréversibles : si la contribution psychologique n’a pas été
le trouble douloureux, l’hypocondrie, la dysmorphophobie, et le abordée jusque-là, la détresse émotionnelle négligée par le
trouble somatoforme non spécifié. Il n’est pas question de médecin devient farouchement niée par le malade [15].
reprendre ici les critères de chacun de ces troubles, et de
discuter de leur pertinence en psychiatrie de liaison, mais on
peut tout de même avancer que les troubles somatoformes du
DSM IV ou de la Classification internationale des maladies ■ Effets pervers de la recherche
(CIM 10) représentent l’approche catégorielle en psychiatrie
dans ce qu’elle a de plus contestable. Les entités sont purement d’organicité
descriptives, n’impliquant aucune psychopathologie spécifique,
Le contexte social de la somatisation est celui de la médica-
les seuils de définition sont arbitraires et variables (nombre de
lisation de la vie quotidienne, conçue comme l’amplification
symptômes par exemple), la validité des catégories est douteuse,
des préoccupations de santé de la population et l’extension du
l’interpénétration entre elles est importante, et les catégories
champ de compétences de la médecine [16]. La médicalisation
résiduelles sont hypertrophiées. Ces troubles sont fréquemment
promeut la croyance que tout symptôme doit avoir une cause
comorbides avec d’autres troubles psychiatriques, et avec des
ou une explication, que toute souffrance relève de la médecine,
troubles de la personnalité. Enfin, certaines catégories pour-
et que celle-ci dispose de thérapeutiques efficaces, pour peu
raient être reclassées utilement dans d’autres groupes de troubles
qu’on ait la chance de rencontrer le « bon médecin » [16] .
mentaux : l’hypocondrie comme un trouble anxieux centré sur
L’orientation de la biomédecine vers les maladies (et leur
la santé, la conversion comme un trouble dissociatif, le trouble
substratum lésionnel ou biologique), plutôt que sur les malades
douloureux comme un ensemble de « facteurs psychologiques
et leurs symptômes, fait qu’une plainte somatique est d’abord
influençant une maladie organique », etc. [13]. Tout cela expli-
considérée comme l’indice d’une pathologie organique à mettre
que que ces catégories soient peu utilisées en pratique, même en
en évidence ou à éliminer. Et l’organisation du système de soins
psychiatrie.
pousse à ce que chaque médecin consulté ne se sente responsa-
ble que d’écarter une maladie organique relevant de sa spécia-
Syndromes somatiques fonctionnels lité, contribuant à une dilution des responsabilités vis-à-vis du
Au contraire des troubles somatoformes, qui sont des catégo- parcours médical du patient (ce que Balint appelait la « collu-
ries développées par les psychiatres au contact de patients vus sion de l’anonymat » [3]). La tendance moderne à la judiciarisa-
en psychiatrie de liaison, les syndromes somatiques fonctionnels tion de la pratique médicale est un facteur supplémentaire de
sont des étiquettes médicales descriptives posées par les soma- surinvestigation des symptômes : avoir « manqué » un diagnos-
ticiens : ensemble de symptômes médicalement inexpliqués et tic de maladie organique est considéré comme une faute
sans explication physiopathologique solidement admise, dont professionnelle, alors qu’il n’est jamais reproché aux médecins
chaque spécialité médicale connaît au moins un type : fibro- la cascade iatrogène des examens complémentaires contribuant
myalgie pour la rhumatologie, syndrome de l’intestin irritable à des situations réfractaires de somatisation.
pour les gastroentérologues, syndrome de fatigue chronique Médecins et malades veulent avoir de plus en plus de certi-
pour les internistes et infectiologues, syndrome d’hyperventila- tudes. Cependant, la médecine clinique est irréductiblement un
tion et douleurs thoraciques non cardiaques pour les pneumo- domaine de complexité et d’incertitudes. Vouloir réduire
logues et les cardiologues, etc. Ces catégories résiduelles de la l’incertitude est la raison principale des investigations paraclini-
médecine d’organe sont volontiers utilisées par les médecins, et ques réalisées en cascade [17]. Le médecin assume que si les
font parfois l’objet d’autodiagnostics par les patients. Or, ce examens complémentaires sont négatifs, on est en droit de
découpage paraît répondre davantage à celui des disciplines rassurer le patient, mais le malade peut quant à lui comprendre
médicales qu’à la cohérence clinique des syndromes eux- que le « bon examen complémentaire » n’a pas été fait, ou que
mêmes. Les syndromes somatiques fonctionnels s’avèrent le « bon spécialiste » n’a pas encore été rencontré. Son anxiété
fréquemment associés entre eux, sont significativement associés croît dans l’attente des résultats, ce qui renforce sa focalisation
à la détresse psychique, à la dépression et à l’anxiété, et à des sur les manifestations corporelles et favorise la déclaration de
facteurs de risque communs à l’ensemble des situations de nouveaux symptômes. Les attentes déçues créent une détresse
troubles fonctionnels. Leur physiopathologie, certes mal supplémentaire. Au pire, les examens complémentaires mettent
connue, a de nombreux points communs (en particulier le en évidence des anomalies de signification douteuse (« inciden-
phénomène neurologique dit « d’hypersensibilité centrale »), et talomes » biologiques ou radiologiques ; « faux positifs »
les traitements qui ont montré quelque efficacité dans ces d’autant plus fréquents que la probabilité de la maladie que l’on
syndromes n’ont rien de spécifique (antidépresseurs, thérapies cherche à éliminer est faible) qui génèrent de nouveaux exa-
comportementales et cognitives) [14]. mens ou consultations, et majorent l’angoisse. La découverte
d’anomalies fortuites lors d’examens complémentaires est un
Somatisation : un processus plutôt facteur majeur de « construction » de situations bloquées [18].
Ainsi, loin de réduire l’incertitude, les examens complémentai-
que des catégories res prescrits sans discernement peuvent l’accroître, renforcer les
Il faut donc se représenter l’important recoupement entre conduites de maladie des patients, et favoriser la chronicité des
présentation somatique de la dépression et des troubles anxieux, symptômes fonctionnels. Comme le notait Balint, « l’“élimina-
troubles somatoformes et syndromes somatiques fonctionnels. tion par les examens scientifiques appropriés” est également
L’interface, qu’on pourrait considérer comme le noyau phéno- fallacieuse d’un autre point de vue. Elle implique, bien que cela
ménologique de la somatisation, relève d’un processus caracté- ne soit pas explicitement établi, qu’un patient n’est pas modifié
risé par : une plainte durable de symptômes fonctionnels, leur ou influencé par le processus de l’“élimination” [...] Cette
attribution par le patient à une cause organique et la répu- opinion peut être fausse. L’attitude du patient est habituelle-
gnance à relier les symptômes à une détresse psychique pour- ment modifiée d’une manière considérable pendant et par les
tant souvent perceptible, la quête infructueuse de soulagement examens physiques. Ces changements qui peuvent influencer
auprès des professionnels de santé, et un retentissement profondément le cours d’une maladie chronique ne sont pas
familial, social et professionnel. La somatisation chronique ainsi pris au sérieux [...] (et) n’ont jamais fait l’objet d’une véritable
caractérisée induit une relation médecin-malade insatisfaisante investigation scientifique » [3].

Contrairement à une idée reçue, il n’existe en général pas de à se priver de clés qui pourraient s’avérer très utiles pour faire
pression explicite des patients sur les médecins pour obtenir des « changer l’agenda », c’est-à-dire glisser sans heurts de la plainte
explorations complémentaires ou des traitements somatiques [19, somatique à la détresse psychique [30].
20], mais cela n’empêche pas les soignants de se sentir « contrô- L’évaluation des symptômes doit prendre en compte les
lés » par les patients dans ces situations [21]. Indépendamment facteurs prédisposants, précipitants, et d’entretien ou de renfor-
des attributions faites pour les symptômes par les malades, des cement de la somatisation [10] . Un modèle étiologique des
« interventions somatiques » (explorations complémentaires, symptômes fonctionnels et de la somatisation au sens large,
avis spécialisés, prescriptions médicamenteuses, etc.) sont plus prenant en compte différents facteurs étiologiques et certains des
fréquemment proposées aux patients qui décrivent leurs cercles vicieux pérennisant les symptômes, est présenté dans la
symptômes en détail dans le but d’impliquer davantage leur Figure 1 [2]. L’évaluation doit être personnalisée, le poids relatif
médecin, ou qui n’abordent pas explicitement leurs difficultés de ces différents facteurs s’avérant très variable d’un patient à
psychologiques. Lorsque les médecins favorisent l’expression des l’autre. C’est dans cette perspective que l’évaluation permet de
problèmes psychosociaux, la probabilité d’intervention somati- découvrir des explications potentiellement congruentes avec les
que s’en trouve diminuée [20, 22]. représentations du patient et du médecin. Il faut bien distinguer
les facteurs ayant pu initier les symptômes somatiques de ceux
qui ont contribué à les pérenniser. Par exemple, un patient
asthénique chronique met en avant l’épisode infectieux qui a
■ Explorer : du symptôme marqué le début de sa fatigue, mais n’est pas conscient du
facteur d’entretien que représente le déconditionnement
au contexte musculaire secondaire à l’inactivité. Il faut pouvoir lui expliquer
Dans la perspective « bio-psycho-sociale » proposée par que la recherche du virus n’a pas d’intérêt (« le cambrioleur a
Engel [23], les facteurs psychologiques et sociaux interviennent quitté la maison »), mais qu’on peut agir sur le comportement
problématique que représente un repos prolongé (« mieux vaut
dans toutes les situations pathologiques, qu’il y ait ou non une
remplacer les objets volés que de se lamenter sur leur perte en
lésion organique, ou un mécanisme physiopathologique plausi-
restant assis à ne rien faire »). C’est par la mise à jour de ces
ble. L’approche psychosomatique moderne considère qu’il n’y a
cercles vicieux pathogènes que passe le traitement de la soma-
pas de causalité linéaire entre problèmes psychologiques et
tisation et des troubles fonctionnels, dans une perspective com-
symptômes (ou maladies) somatiques, mais que certains facteurs
portementale et cognitive tout à fait applicable à la médecine
psychologiques et sociaux jouent un rôle important dans la
générale [31, 32].
prédisposition, la survenue et surtout la pérennisation des
symptômes et syndromes fonctionnels, comme dans celles des
maladies organiques, au sein d’une causalité circulaire.
Dans l’approche thérapeutique des troubles fonctionnels,
■ Rassurer : un acte médical
l’évaluation des symptômes et du contexte est un préalable essentiel mais plus difficile
indispensable, et peut s’avérer à elle seule thérapeutique [24]. La
démarche diagnostique aboutissant au diagnostic de somatisa- qu’il n’y paraît
tion passe théoriquement par l’exclusion d’un trouble organique
La prise en charge des symptômes fonctionnels est réputée
responsable des symptômes, et la recherche d’arguments positifs
difficile pour les médecins. Ceux-ci conçoivent l’importance de
en faveur d’une psychogenèse des symptômes. Mais les symptô-
leur rôle dans cette prise en charge à travers leurs explications,
mes fonctionnels ne sont pas tout « dans la tête » [25] , et
leurs conseils, et leur rôle de garde-fou pour éviter les investi-
beaucoup résultent de mécanismes physiopathologiques relati- gations inutiles et néfastes [33]. Lorsque les symptômes sont
vement simples : activation du système nerveux autonome en chroniques, ils cherchent avant tout à maintenir une relation
réponse au stress et aux émotions, tension musculaire, hyper- médecin-patient de bonne qualité [34]. Dans tous les cas, ils
ventilation, conséquences des troubles du sommeil, effets de insistent sur l’importance de rassurer les patients. Mais est-ce si
l’inactivité, et traitement neurologique des informations somati- simple ?
ques, en particulier douloureuses (phénomènes « d’hypersensibi- La réassurance peut être définie comme une communication
lité centrale ») [26]. En conséquence, et pour éviter toute entre médecin et patient visant à soulager les inquiétudes du
dichotomie caricaturale, la démarche diagnostique ne doit pas patient vis-à-vis de sa santé. Le processus implique de fournir
s’effectuer de façon séquentielle (abord des problèmes psychoso- une explication pour les symptômes et l’assurance qu’ils ne
ciaux une fois la recherche d’organicité « épuisée ») mais de peuvent être dus à une maladie grave [35]. La réassurance est
façon parallèle, en gardant en tête la possibilité d’une pathologie l’exemple d’une activité psychothérapeutique « spontanée » et
organique d’une part, et celle d’un trouble psychiatrique (épisode quotidienne du médecin [36], pourtant absente dans l’enseigne-
dépressif et troubles anxieux essentiellement) parfois susceptible ment à la faculté ou à l’hôpital. La plupart des praticiens
d’expliquer à lui seul les symptômes, d’autre part. Il est aussi estiment que leur empathie et leur autorité scientifique et
nécessaire à un stade précoce, d’explorer le vécu et les représen- morale sont les conditions nécessaires et suffisantes à une
tations des symptômes, les attentes et les craintes, ce qui bonne réassurance. Mais il n’en est rien. Tout un corpus de
constitue l’axe de l’approche « centrée sur le patient » [27] . recherche empirique indique que les médecins échouent
L’entretien doit être initialement aussi peu dirigé que possible, souvent à rassurer leurs patients [35]. Parfois des facteurs liés aux
l’interrogatoire attentif, secondairement recentré, puis complété patients sont en cause : sujets ayant de fortes croyances hétéro-
de l’examen clinique, dont l’importance est considérable (le doxes sur la santé ou une expérience antérieure d’erreur
malade pouvant avoir l’impression de ne pas être pris au sérieux diagnostique, sujets hypocondriaques (l’hypocondrie est par
s’il est négligé). Les explorations complémentaires doivent être nature une pathologie de la réassurance [37]), patients anxieux
parcimonieuses et choisies en fonction des craintes et des faisant une interprétation catastrophique des symptômes (le
attentes des malades, et il faut expliciter avec le patient leurs médecin peut sous-estimer le « scénario du pire » que le patient
intérêts, limites, et résultats attendus. Enfin, il ne faut pas hésiter n’ose le plus souvent pas exprimer spontanément). L’omnipré-
à proposer une nouvelle consultation pour respecter ses propres sence du médical dans le champ des médias est un fond culturel
impératifs horaires car le manque de temps engendre toujours renforçant à la fois la perception d’une vulnérabilité et de la
des solutions de facilité. faillibilité des médecins. Face à un patient de plus en plus
En pratique, la majorité des patients exposent leurs symptô- informé, il est devenu difficile d’affirmer sans douter « qu’il n’y
mes en faisant des références implicites à une préoccupation a rien de grave ». Les médecins peuvent échouer à rassurer, en
psychologique ou sociale sous-jacente [28, 29]. Cependant, les exprimant leurs doutes, en fournissant des explications ambi-
médecins ne les relèvent que trop peu souvent en n’explorant guës, ou en prescrivant des examens complémentaires. Les
les symptômes que d’un point de vue somatique [28]. Négliger examens paracliniques peuvent en effet parfois permettre de
de reconnaître le « savoir du malade » peut conduire le médecin crédibiliser un diagnostic de bénignité et contribuer ainsi à

Facteurs prédisposants :
- génétiques
- apprentissage
Facteurs déclenchants :
intrafamilial des
- événements de vie
conduites de maladie
- stress non spécifique
- antécédents médicaux
- maladie organique
- maltraitance et
- trouble dépressif
traumatismes
et/ou anxieux
- culture et classe
sociale
- personnalité

Sensations somatiques d'origine


physiologique ou pathologique

Interprétation des sensations


corporelles comme symptômes
(amplification somatique) :
- attention sélective au corps
- attribution somatique
- inquiétudes sur la santé

Facteurs d'entretien
biologiques et Facteurs d'entretien
comportementaux : psychosociaux :
- concomitants - renforcement du rôle
physiologiques de de malade par famille
l'émotion et proches
- hyperventilation - dépression et anxiété
- hyperalgésie - iatrogénie
- déconditionnement - systèmes de
musculaire compensation
- troubles du sommeil - conflits avec les
- recherche de organismes sociaux
réassurance

Recherche de soins
Symptômes chroniques
Invalidité

Figure 1. Modèle étiologique de la somatisation et des symptômes fonctionnels (d’après [2]).

réduire la symptomatologie et l’anxiété. Cependant, cet effet il ne faut pas rassurer prématurément, le patient risquant de
peut n’être que transitoire, voire inexistant en pratique [38, 39], considérer qu’il n’a pas été pris au sérieux. Il faut rechercher
et paradoxalement, la prescription d’un examen complémen- derrière le problème mis en avant d’autres craintes parfois plus
taire peut induire ou renforcer chez le malade la croyance importantes. « Le premier principe doit donc être : ne jamais
« qu’il y a quelque chose à trouver », quoi qu’en dise le conseiller ou rassurer un patient avant d’avoir mis à jour le
médecin, et aggraver la focalisation sur les symptômes [40]. De problème véritable. » [3] Il est nécessaire d’évaluer l’impact des
façon générale, plus les investigations sont invasives, plus elles symptômes sur la vie quotidienne, l’activité de réassurance étant
ont le pouvoir de renforcer les inquiétudes vis-à-vis des maladies bien sûr plus difficile si cet impact est majeur (retentissement
physiques, les symptômes, et l’invalidité, l’exemple le plus familial, arrêt de travail prolongé, etc.). Il faut explorer attenti-
caricatural étant celui des douleurs thoraciques persistant après vement le sens du symptôme pour le malade en lui faisant
une coronarographie normale chez un patient souffrant d’un préciser ses explications spontanées. En cas d’examens complé-
trouble anxieux [41]. Le recours à des consultations spécialisées mentaires, il faut préparer le patient à la possibilité de résultats
rendant des avis discordants, sources d’inquiétude, ou encore les négatifs, ambigus, ou faussement positifs [35]. Ne jamais s’en
hospitalisations pour « bilan », qui créent des attentes irréalistes tenir au verdict « vous n’avez rien », qui, selon Balint « ne
et favorisent l’adoption de conduites de maladie, ont le même rassure presque jamais un névrosé, bien qu’il puisse rassurer un
pouvoir iatrogène. patient physiquement malade » [3]. La réassurance ne se résume
La réassurance doit reposer sur un diagnostic le plus précis pas à l’affirmation « qu’il n’y a rien de grave » mais doit être
possible où le symptôme est exploré et compris dans le contexte fondée sur des explications alternatives plausibles et congruen-
du patient. Idéalement, des explications tangibles, « disculpan- tes avec les modèles explicatifs du patient, en faisant autant que
tes », et « impliquantes » délivrées aux patients sont seules possible le lien entre les facteurs physiques et psychologiques
susceptibles de rassurer, et de limiter l’insatisfaction des deux (rôle du « stress », de la tension musculaire induite par l’anxiété,
parties [42]. La première étape de la réassurance est de reconnaî- place des cercles vicieux comportementaux et cognitifs tels que
tre le symptôme comme réel et la plainte comme légitime. Pour l’hypervigilance involontaire aux sensations corporelles, le
délivrer une information médicale réellement rassurante [35, 36], déconditionnement musculaire, l’hyperventilation, etc.) [31, 32].

“ Points essentiels
Principes généraux de « prise en charge » des symptômes fonctionnels et de la somatisation (d’après [2]).
1. Établir une relation empathique et de confiance. Ne pas contester la réalité des symptômes (et de la détresse qu’ils entraînent).
Accepter les symptômes comme une plainte a priori légitime.
2. Évaluer chaque symptôme en se gardant de le relier trop vite à une origine psychogène. Faire toujours un examen clinique. Faire
une synthèse des constatations médicales (positives et négatives) incontestables.
3. Limiter les investigations complémentaires. Centrer celles qui paraissent indispensables sur les craintes spécifiques du patient. Ne
pas se débarrasser du malade en l’adressant à un nouveau spécialiste.
4. Mettre à jour les explications spontanées du patient pour ses symptômes, qui laissent souvent la porte ouverte à la part de psycho-
ou de sociogenèse. Être attentif aux « clés » psychosociales fournies par les patients. Toujours faire expliquer au patient ses craintes,
ses représentations du symptôme et ses attentes vis-à-vis de la médecine.
5. S’intéresser aux symptômes. Centrer l’entretien sur la façon dont ils sont perçus et gérés, plutôt que sur les éventuelles maladies à
découvrir. Glisser progressivement des symptômes au contexte psychosocial (personnalité, événements contemporains de
l’installation des symptômes, possibles bénéfices secondaires, conflits familiaux, professionnels, ou avec les organismes sociaux, etc.).
6. Ne pas se contenter « d’éliminer » des maladies. Proposer des explications positives basées sur une causalité circulaire (mise à jour
des cercles vicieux renforçant et entraînant les symptômes et la détresse). Éviter les « diagnostics » fallacieux.
7. Établir (et négocier) des objectifs thérapeutiques raisonnables. Viser le soulagement des symptômes et l’amélioration de la qualité
de vie plutôt que la « guérison ».
8. Proposer un suivi régulier indépendamment des symptômes et de leurs fluctuations. Éviter les consultations en urgence.
9. Dépister et traiter la dépression et l’anxiété si elles existent. Dans le cas contraire, éviter les médicaments.
10. Aborder explicitement les conflits entre malade et médecin. Gérer les émotions pénibles (souffrance, hostilité) et être attentif à ses
propres attitudes contre-transférentielles.
11. Ne jamais adresser le patient au psychiatre sans avoir discuté avec lui des motifs de cette consultation, et sans prévoir de le revoir
ensuite. Éviter le dualisme (« tout physique » ou « tout psychologique »). Un seul praticien doit se sentir responsable de l’intégration
des différentes « prises en charge ».

Le langage utilisé pour expliquer la nature fonctionnelle des


symptômes doit être facile à comprendre et à retenir (comme la
■ Références
métaphore d’une machinerie corporelle « déréglée » et non [1] Bury JA. Problématique de la prise en charge du patient fonctionnel. In:
« cassée »). Comme dans toute activité d’information, il Grimaldi A, Cosserat J, editors. Les pathologies dites fonctionnelles.
convient enfin de vérifier la bonne compréhension de ces Paris: Elsevier; 2004. p. 17-23.
explications. [2] Cathébras P. Symptômes fonctionnels et somatisation. Comment
aborder les symptômes médicalement inexpliqués. Paris: Masson;
2006.
■ Conclusion : l’impérieuse [3]
[4]
Balint M. Le médecin, son malade et la maladie. Paris: Payot; 1980.
Green LA, Fryer GE, Yawn BP, Lanier D, Dovey SM. The ecology of
nécessité d’une médecine centrée medical care revisited. N Engl J Med 2001;344:2021-5.
[5] Kroenke K. Patients presenting with somatic complaints:
sur le patient epidemiology, psychiatric comorbidity and management. Int J Methods
Psychiatr Res 2003;12:34-43.
À l’approche biomédicale conventionnelle centrée sur la [6] Fink P. The use of hospitalizations by somatizing patients. Psychol Med
maladie (disease) en tant qu’entité physiopathologique définie, 1992;22:173-80.
l’approche clinique « centrée sur le patient » apporte la consi- [7] Cathébras P, Rousset H. Plainte fonctionnelle ou symptômes
dération de la maladie en tant que vécu par le patient (ill- médicalement inexpliqués. EMC (Elsevier Masson SAS, Paris), Psy-
ness) [27]. L’abord du patient doit ainsi être une investigation chiatrie, 37-405-A-20, 1998 : 5p.
parallèle de deux « agendas » : celui « du médecin » et celui « du [8] Bridges RN, Goldberg DP. Somatic presentation of DSM-III
patient ». Le premier consiste à émettre des hypothèses dia- psychiatric disorders in primary care. J Psychosom Res 1985;29:563-9.
gnostiques en fonction d’une anamnèse, d’un examen clinique [9] Wereyer S. Relationships between physical and psychological
et parfois d’explorations complémentaires, quand le second disorders. In: Sartorius N, Goldberg D, de Girolamo G, Costa e Silva J,
s’intéresse à l’expérience du malade face à sa maladie avec ses Lecrubier Y, Wittchen U, editors. Psychological disorders in general
représentations, ses craintes, ses attentes et ses espoirs. Dans le medical settings. Toronto: Hograefe and Huber; 1990. p. 34-46.
cas de symptômes fonctionnels, l’approche centrée sur la [10] Lipowski ZJ. Somatization: the concept and its clinical application. Am
maladie s’avère particulièrement inopérante et frustrante pour le J Psychiatry 1988;145:1358-68.
malade comme pour le médecin, au contraire de l’approche [11] Mayou R. Somatization. Psychother Psychosom 1993;59:69-83.
centrée sur le patient, qui permet de s’intéresser réellement au [12] American Psychiatric Association. DSM-IV-TR. Manuel diagnostique
patient « qui n’a rien » [1], et à ses symptômes, plutôt qu’à une et statistique des Troubles mentaux, 4e édition, Texte révisé (Washing-
improbable maladie organique ou psychiatrique sous-jacente. ton DC, 2000). Paris: Masson; 2003.
L’objectif d’une médecine centrée sur le patient est d’intégrer de [13] Mayou R, Kirmayer LJ, Simon G, Kroenke K, Sharpe M. Somatoform
façon personnalisée et cohérente les symptômes somatiques disorders: time for a new approach in DSM-V. Am J Psychiatry 2005;
et/ou la pathologie organique, le contexte psycho(patho)logique 162:847-55.
et social. Elle peut représenter la première ébauche d’une [14] Wessely S, Nimnuan C, Sharpe M. Functional somatic syndromes: one
psychothérapie, dont les objectifs dans les situations de soma- or many? Lancet 1999;354:936-9.
tisation sont surtout de modifier des comportements (par [15] Cathébras P, Rousset H. Des symptômes médicalement inexpliqués à
exemple l’inactivité) et d’aider le patient à « réattribuer » ses la somatisation. Concours Med 1995;117:3393-8.
sensations corporelles anormales à des phénomènes physiologi- [16] Aïach P. Les voies de la médicalisation. In: Aïach P, Delanoë D, editors.
ques bénins (hyperventilation, tension et déconditionnement L’ère de la médicalisation. Ecce home sanitas. Paris: Anthropos; 1998.
musculaires) ou psychologiques (anxiété) [31, 32]. p. 15-36.

[17] Kassirer JP. Our stubborn quest for diagnostic certainty. A cause of [31] Sharpe M. Cognitive behavioural therapies in the treatment of
excessive testing. N Engl J Med 1989;320:1489-91. functional somatic symptoms. In: Mayou R, Bass C, Sharpe M, editors.
[18] Cathébras P, Charmion S. Maladies construites. Médecine 2007;3: Treatment of functional somatic symptoms. Oxford: Oxford University
465-8. Press; 1995. p. 122-43.
[19] Ring A, Dowrick CF, Humphris GM, Salmon P. Do patients with [32] Fink P, Rosendal M, Toft T. Assessment and treatment of functional
unexplained physical symptoms pressurize general practitioners for disorders in general practice: the extended reattribution and manage-
somatic treatment? A qualitative study. BMJ 2004;328:1057-60. ment model - an advanced educational program for nonpsychiatric
[20] Salmon P, Humphris GM, Ring A, Davies JC, Dowrick CF. Why do doctors. Psychosomatics 2002;43:93-131.
primary care physicians propose medical care to patients with [33] Reid S, Whooley D, Crayford T, Hotopf M. Medically unexplained
medically unexplained symptoms? A new method of sequence analysis symptoms. GPs’ attitudes towards their cause and management. Fam
to test theories of patient pressure. Psychosom Med 2006;68:570-7. Pract 2001;18:519-23.
[21] Woivalin T, Krantz G, Mäntyranta T, Ringsberg KC. Medically [34] Olde Hartman TC, Hassink-Franke LJ, Lucassen PL, van
unexplained symptoms: perception of physicians in primary health Spaendonck KP, van Weel C. Explanation and relations. How do
care. Fam Pract 2004;21:199-203. general practitioners deal with patients with persistent medically
[22] Salmon P, Humphris GM, Ring A, Davies JC, Dowrick CF. Primary
unexplained symptoms: a focus group study. BMC Fam Pract 2009;
care consultations about medically unexplained symptoms: patient
10:68.
presentations and doctor responses that influence the probability of
[35] Loft P, Meechan G, Petrie K. Reassurance. In: Ayers S, Baum A,
somatic intervention. Psychosom Med 2007;69:571-7.
McManus C, Newman S, Wallston K, Weinman J, West R, editors.
[23] Engel GL. The need for a new model: a challenge for biomedecine.
Science 1977;196:129-36. Cambridge handbook of psychology, health and medicine. Cambridge:
[24] Price JR. Managing physical symptoms: the clinical assessment as Cambridge University Press; 2007. p. 487-90.
treatment. J Psychosom Res 2000;48:1-0. [36] Hubert P. Rassurer : un aspect thérapeutique de la relation médecin-
[25] White P, Moorey S. Psychosomatic illnesses are not “all in the mind”. malade. Ann Méd Interne (Paris) 1995;146:3-7.
J Psychosom Res 1997;42:329-32. [37] Warwick HM, Salkovskis PM. Reassurance. BMJ 1985;290:1028.
[26] Sharpe M, Bass C. Pathophysiological mechanisms in somatization. Int [38] Sox Jr. HC, Margulies I, Sox CH. Psychologically mediated effects
Rev Psychiatry 1992;4:81-97. of diagnostic tests. Ann Intern Méd 1981;95:680-5.
[27] Stewart M, Brown JB, Weston WW, McWhinney IR, McWilliam CL, [39] McDonald IG, Daly J, Jelinek VM, Panetta F, Gutman JM. Opening
Freeman TR. Patient-centered medicine. Transforming the clinical Pandora’s box: the unpredictability of reassurance by a normal test
method. Thousand Oaks: Sage; 1995. result. BMJ 1996;313:329-32.
[28] Salmon P, Dowrick CF, Ring A, Humphris GM. Voiced but unheard [40] Kiefer B. Rassurer. Med Hyg (Geneve) 1996;54:1568.
agendas: qualitative analysis of the psychosocial cues that patients with [41] Potts SG, Bass CM. Psychosocial outcome and use of medical
unexplained symptoms present to general practitioners. Br J Gen Pract resources in patients with chest pain and normal or near-normal
2004;54:171-6. coronary arteries: a long-term follow-up study. Q J Med 1993;86:
[29] Kirmayer LJ, Groleau D, Looper KJ, Dao MD. Explaining medically 583-93.
unexplained symptoms. Can J Psychiatry 2004;49:663-72. [42] Salmon P, Peters S, Stanley I. Patients’ perceptions of medical
[30] Keller PH. La médecine psychosomatique en question. Le savoir du explanations for somatisation disorders: qualitative analysis. BMJ
malade. Paris: Odile Jacob; 1997. 1999;318:372-6.
Céphalées essentielles
bénignes
H Massiou

L a céphalée est un symptôme extrêmement fréquent ; on estime qu’elle motive plus de 2 % des consultations
de médecine générale. Il importe avant tout de distinguer les céphalées essentielles bénignes, de loin les plus
fréquentes, des céphalées symptomatiques. Le profil évolutif de la céphalée est l’élément capital du diagnostic
étiologique, qui repose donc sur l’interrogatoire du patient.
© Elsevier, Paris.


les filles sont touchés dans la même proportion peut se terminer avec le sommeil, ou se prolonger
Introduction jusqu’à l’âge de 12 ans, puis on observe une sur plusieurs jours. Elle est souvent pulsatile,
augmentation rapide du nombre de cas de migraine classiquement unilatérale (hémicranie), mais peut
chez les filles aux alentours de la puberté, ce qui être bilatérale. D’intensité variable, souvent sévère,
Une céphalée récente, d’installation brutale ou
aboutit à la nette prépondérance féminine à l’âge elle gêne ou oblige à cesser l’activité quotidienne.
rapidement progressive, impose la pratique
adulte. Une chute nette de la prévalence s’observe Elle est aggravée par les efforts, la lumière, le bruit, et
d’explorations complémentaires en urgence, à la
après 60 ans. soulagée par le repos, le calme et l’obscurité. Elle
recherche d’une pathologie neurologique organique
(tableau I). En revanche, les céphalées chroniques s’accompagne généralement de nausées et
‚ Clinique vomissements, qui font parfois parler à tort de « crise
qui évoluent par crises et les céphalées permanentes
sont dans la grande majorité des cas des céphalées Il existe plusieurs types de crises migraineuses ; les de foie », de photophobie, phonophobie,
dites « essentielles bénignes ». L’examen plus fréquentes sont la migraine sans aura (autrefois osmophobie, d’une asthénie extrême, de troubles de
neurologique, l’examen du fond d’œil et appelée migraine commune) et la migraine avec l’humeur. On observe souvent une pâleur du visage,
l’auscultation craniocervicale sont par définition aura (migraine accompagnée, migraine une saillie anormale des vaisseaux temporaux
normaux dans les céphalées essentielles bénignes, ophtalmique). superficiels, plus rarement une obstruction ou un
et les examens complémentaires inutiles lorsque le écoulement nasal, une hyperlacrymation.
tableau clinique est typique. Migraine sans aura
C’est la plus fréquente des migraines. Migraine avec aura
L’International Headache Society (IHS) en donne une


La céphalée y est précédée ou plus rarement
définition précise [4], maintenant utilisée dans tous accompagnée d’une « aura », qui est un
Migraine les travaux concernant cette affection (tableau II). La dysfonctionnement neurologique focal transitoire.
crise est souvent annoncée par des prodromes : L’extension progressive de l’aura en 5 à 60 minutes,
‚ Épidémiologie troubles de l’humeur, asthénie, somnolence, ce que l’on appelle la « marche migraineuse », est
sensation de faim, constipation. La céphalée atteint quasiment pathognomonique de l’affection. Elle est
La migraine est une affection très répandue : elle
son maximum en quelques heures ; elle peut bien différente de l’extension en quelques secondes
touche environ 12 % des adultes et prédomine
débuter à n’importe quel moment de la journée, et il de l’aura épileptique, et de l’installation brutale des
nettement chez les femmes, qui sont atteintes deux
n’est pas rare que le malade se réveille avec. Elle déficits neurologiques lors des accidents vasculaires
à trois fois plus souvent que les hommes [5]. La
migraine débute tôt dans l’existence, avant 40 ans cérébraux. Les auras les plus fréquentes sont
dans 90 % des cas, et des cas très précoces, dès l’âge Tableau II. – Critères diagnostiques de la mi- visuelles et intéressent toujours les deux yeux. Les
de 1 an, ont été rapportés. On évalue à 5 % le graine sans aura selon l’International Heada- deux principales manifestations en sont le scotome
pourcentage d’enfants migraineux ; les garçons et che Society. scintillant, point lumineux et scintillant s’étendant par
un de ses côtés vers la périphérie du champ visuel et
A. Au moins cinq crises répondant aux critères B-D laissant place au scotome, et les phosphènes, qui
Tableau I. – Céphalées symptomatiques d’ur- sont des taches, zigzags, éclairs, brillants ou colorés.
B. Crises de céphalées durant de 4 à 72 heures
gences neurologiques. (sans traitement) Plus rares sont les phénomènes purement
Céphalées d’installation brusque récente C. Céphalées ayant au moins deux des caractéristi- déficitaires, comme l’hémianopsie latérale
Hémorragie méningée ques suivantes : homonyme, ou les troubles de la perception visuelle,
Accident vasculaire cérébral — unilatéralité tels que les métamorphopsies de l’enfant. Les auras
Dissection des troncs supra-aortiques — pulsatilité sensitives font généralement suite à une aura
Encéphalopathie hypertensive — intensité modérée ou sévère
visuelle ; il s’agit le plus souvent de paresthésies
— aggravation par les activités physiques de
Céphalées d’installation rapidement progressive routine, telles que montée ou descente des escaliers unilatérales de distribution cheiro-orale. Les troubles
Hypertension intracrânienne (tumeur, abcès, du langage et l’hémiparésie sont encore plus rares.
hématome sous-dural, thrombose veineuse céré- D. Durant les céphalées, au moins l’un des carac-
La céphalée s’installe généralement lors de la
brale, hypertension intracrânienne bénigne) tères suivants :
Méningite — nausées et/ou vomissements décroissance de l’aura. Lorsqu’elle est unilatérale, elle
Artérite temporale — photophobie et phonophobie siège le plus souvent du côté opposé à l’aura. Elle est
souvent plus courte que dans la migraine sans aura
et les nausées y sont moins fréquentes. La céphalée est presque toujours réparateur. Les auras visuelles peu plus élevé en cas de migraine avec aura et
peut être absente et on parle alors d’« aura isolée ». extraordinaires à type de micropsie, d’inversion augmente avec le tabac et les contraceptifs oraux,
d’image ne sont pas rares. Certains phénomènes d’autant plus que leur contenu en œstrogène est
Variétés rares de migraine récurrents observés chez l’enfant, tels que des élevé. La migraine ne représente pas une
Elles posent des difficultés diagnostiques et douleurs abdominales, des vomissements cycliques, contre-indication à la contraception orale, sous
nécessitent, contrairement aux formes précédentes, des vertiges aigus récidivants, sont considérés réserve de quelques règles de prudence : une
la pratique d’explorations : imagerie par résonance comme des « équivalents migraineux ». Il faut se migraineuse sous œstroprogestatifs ne devrait pas
magnétique (IRM) ou scanner, élec- garder de porter trop vite ce diagnostic et réaliser les fumer ; chez les femmes souffrant de migraines, il
troencéphalogramme (EEG), ponction lombaire examens complémentaires nécessaires pour faut préférer les pilules faiblement dosées en
selon les cas. éliminer une lésion organique [7]. œstrogènes ; une aggravation importante des
Dans la migraine basilaire, l’aura comporte, de migraines sous pilule nécessite d’interrompre celle-ci,
‚ Migraine et vie quotidienne surtout s’il s’agit de crises avec aura.
façon diversement associée, des troubles visuels et
sensitifs bilatéraux, des vertiges, une ataxie, une Facteurs déclenchants des crises ‚ Physiopathologie
dysarthrie, une diplopie, des troubles de la vigilance.
Leur liste est longue : facteurs psychologiques, La physiopathologie de la migraine reste encore
La migraine hémiplégique familiale est une forme
aliments (chocolat, alcool…), modifications du mal connue. Selon les hypothèses actuelles, le
rare, transmise selon un mode autosomal dominant,
rythme de vie (week-end, grasse matinée…), repas cerveau migraineux serait caractérisé par des
dont l’aura comporte une hémiparésie ou une
sautés, bruit, lumière, effort physique, odeurs… Il ne anomalies des fonctions corticales et hypothala-
hémiplégie.
faut pas confondre la maladie et ses facteurs miques de régulation de la douleur et du tonus
La migraine ophtalmoplégique, également très
déclenchants : la migraine n’est pas plus une vasculaire. Chez ces sujets porteurs d’un « seuil
rare, débute presque toujours dans l’enfance. La
maladie psychologique parce que les crises migraineux » bas, un certain nombre de facteurs
céphalée y est suivie d’une paralysie unilatérale d’un
surviennent après une contrariété qu’elle n’est une peuvent déclencher la crise : stimuli externes (stress,
ou plusieurs nerfs oculomoteurs, qui régresse en
maladie digestive parce que le chocolat déclenche aliments, émotions, lumières vives, odeurs) ou
quelques jours à quelques semaines. C’est un
les crises. Il est rare qu’un patient identifie un facteur internes (variations hormonales chez la femme…).
diagnostic d’élimination, et une paralysie
déclenchant unique, et la crise peut aussi survenir de Durant l’aura migraineuse, existe une diminution
douloureuse du III doit faire rechercher avant tout
façon totalement imprévisible. régionale du débit sanguin cérébral. La zone
un anévrysme de la terminaison de la carotide
interne. d’hypoperfusion progresse des régions postérieures
Profil évolutif de la migraine
vers l’avant, à la vitesse de 2 mm/min, et est
Complications de la migraine La migraine est une maladie capricieuse ; les contemporaine d’anomalies métaboliques. Cette
crises sont variables d’un patient à l’autre, et chez un progression est superposable à la marche
L’état de mal migraineux est la persistance d’une
même patient, d’une période de la vie à l’autre. La migraineuse et s’expliquerait par un phénomène de
céphalée qui a, au départ, les caractères d’une
fréquence moyenne des crises est de une à deux par dépression corticale propagée, qui cependant n’a été
migraine et se transforme, au fil des jours, en
mois, mais la variabilité est extrême entre les mis en évidence pour l’instant que chez l’animal,
céphalée chronique, presque toujours associée à un
patients qui n’ont que quelques crises dans leur vie après stimulation du cortex. Un modèle animal de la
abus des médicaments de crise et à un état anxieux
et ceux qui en ont plus de dix par mois. céphalée migraineuse a été proposé par
ou dépressif.
Moskowitz [1] : la stimulation antidromique des fibres
L’infarctus migraineux : on le rencontre Migraine et vie hormonale de la femme du trijumeau qui innervent les vaisseaux méningés
exceptionnellement lors d’une crise de migraine
La vie hormonale de la femme a une influence entraîne la libération de neuropeptides : substance P,
avec aura ; les symptômes de l’aura ne sont pas
importante sur le cours de la maladie migraineuse. calcitomine-gene-related peptite (CGRP) et
réversibles et un infarctus est confirmé par la
La prépondérance féminine de la migraine neurokinine A. Il en résulte une inflammation
neuro-imagerie. Une étiologie migraineuse ne peut
n’apparaît qu’après la puberté, période durant neurogène de la dure-mère, avec vasodilatation,
être retenue qu’une fois éliminées toutes les autres
laquelle 20 % des migraineuses voient débuter leur extravasation de protéines plasmatiques,
causes d’accident ischémique cérébral. Le bilan doit
maladie. Cinquante pour cent des femmes dégranulation mastocytaire. Les fibres sensitives
être complet et comporter une artériographie
établissent un lien entre leurs migraines et leurs afférentes sont alors stimulées en retour dans le sens
cérébrale, un bilan d’hémostase, un bilan
règles, et 5 % des migraineuses présentent orthodromique et véhiculent l’influx vers les noyaux
inflammatoire et immunologique, une échographie
uniquement des crises menstruelles. Durant la hypothalamiques et thalamiques et vers le cortex, ce
cardiaque avec sonde transœsophagienne.
grossesse, la migraine s’améliore ou disparaît chez qui rend compte des nausées, des vomissements et
près de 70 % des femmes ; elle peut néanmoins de la douleur. Durant la crise migraineuse, on a
Migraines symptomatiques
rester inchangée ou s’aggraver. Contrairement à une retrouvé chez l’homme une élévation du taux
Des crises migraineuses peuvent parfois être idée reçue, la migraine ne disparaît pas toujours à la plasmatique de CGRP dans le sang veineux jugulaire
symptomatiques d’une lésion cérébrale, en ménopause et elle a même tendance à s’aggraver du côté de la céphalée [2].
particulier d’une malformation vasculaire. transitoirement lors de l’installation de celle-ci. La Des récepteurs de la sérotonine 5 HT1 sont
Lorsqu’elles surviennent toujours strictement du contraception orale peut modifier l’évolution de la localisés sur les terminaisons du trijumeau et sur les
même côté et surtout lorsqu’existent des atypies maladie migraineuse, dans le sens d’une artères cérébrales. Le sumatriptan, l’ergotamine,
sémiologiques ou des signes neurologiques aggravation ou d’une amélioration, ou la laisser agonistes de ces récepteurs, sont des médicaments
d’examen, la poursuite des investigations est inchangée. En cas d’apparition des migraines sous de la crise migraineuse ; ils sont vasoconstricteurs et
nécessaire. Une symptomatologie migraineuse peut pilule, l’arrêt des contraceptifs n’apporte pas toujours bloquent l’inflammation neurogène de la dure-mère
aussi s’observer dans des maladies générales telles une amélioration immédiate des crises et, dans chez l’animal. Le système nerveux central est
que le lupus, le syndrome des antiphospholipides, le certains cas, la maladie migraineuse continue également riche en récepteurs sérotoninergiques, en
cadasil, les thrombocytémies, les cytopathies d’évoluer pour elle-même. Plusieurs études récentes particulier dans les structures du contrôle endogène
mitochondriales. ont montré que la migraine représente un facteur de de la douleur. Les récepteurs 5 HT1 sont à ce niveau
risque d’accident ischémique cérébral chez les principalement inhibiteurs et les 5 HT2 excitateurs ;
Migraine de l’enfant femmes de moins de 45 ans [9]. Néanmoins, le risque certains traitements de fond antimigraineux sont des
Elle diffère peu de celle de l’adulte. La céphalée est absolu reste extrêmement faible : il est d’environ antagonistes des récepteurs 5 HT2.
souvent frontale, les vomissements et les douleurs 6/100 000 par an chez les non-migraineuses et de Diverses anomalies ont été mises en évidence
abdominales volontiers au premier plan. Le sommeil 19/100 000 chez les migraineuses. Le risque est un chez les migraineux : une diminution de la
concentration de magnésium cérébral, une élévation aux antimigraineux dits « •spécifiques » que sont les
de certains acides aminés excitateurs, une Tableau III. – Médicaments de la crise dérivés ergotés et le sumatriptan. Ces substances
migraineuse.
hyperactivité catécholaminergique centrale, une sont vasoconstrictrices, et il est nécessaire de
formation excessive d’oxyde nitrique (NO), molécule Antalgiques respecter les contre-indications cardiovasculaires en
susceptible de déclencher des crises migraineuses. Aspirine rapport avec cette propriété (coronaropathie,
Le caractère familial de la migraine est bien Phénacétine (contenue dans de nombreuses spé- hypertension artérielle sévère ou mal contrôlée,
connu. Les bases génétiques des variétés habituelles
cialités) artériopathie). Certains médicaments adjuvants sont
Dextropropoxyphène (contenu dans de nombreu-
de migraine sont en cours d’exploration. Dans une ses spécialités) susceptibles d’augmenter l’efficacité des traitements
forme rare de migraine, la migraine hémiplégique Noramidopyrine (contenue dans de nombreuses de crise : la caféine, les anxiolytiques, les
familiale, la moitié des familles atteintes ont une spécialités dont Optalidont) antiémétiques. Chez les migraineux qui souffrent de
anomalie d’un gène du chromosome 19 [6], qui code Paracétamol (contenu dans de nombreuses spé- nausées et de vomissements, la voie orale est à
cialités)
pour un canal calcique [8]. déconseiller au profit des voies rectale, nasale ou
Anti-inflammatoires injectable. Les traitements doivent être pris dès le
‚ Approche thérapeutique Ibuprofène (Brufent, Nureflext, Advilt…) début de la crise ; au moment de l’aura, il est
Naproxène (Naprosynet, Apranaxt)
Avant de lui prescrire un traitement, il est préférable d’utiliser de l’aspirine ou des AINS. Les
Flurbiprofène (Cebutidt)
indispensable d’expliquer au patient que la migraine Acide méfénamique (Ponstylt) prises de médicaments de crise ne doivent pas être
est une maladie à part entière, qu’il n’a pas une Diclofénac (Voltarènet) trop fréquentes, en raison de la toxicité propre des
tumeur cérébrale, un problème vasculaire ou une Indométacine (Indocidt) substances et surtout du risque d’accoutumance et
« maladie de foie », et qu’il est inutile de pratiquer des Dérivés de l’ergot de seigle d’apparition d’une céphalée chronique avec abus
examens complémentaires. Tout en étant rassurant, Tartrate d’ergotamine (Gynergènet caféiné : cp médicamenteux.
il faut montrer que l’on prend en compte le à 1 mg, supp à 2 mg ; Migwellt : cp à 2 mg)
Dihydroergotamine
caractère invalidant de sa maladie. Les principaux Traitement de fond
(Dihydroergotamine-Sandozt injectable IM, SC
facteurs déclenchants des crises seront rappelés, afin ou IV ; Diergot-Spray nasal) Il a pour objectif la réduction de la fréquence des
de les éliminer lorsque c’est possible. La différence crises. Il est généralement proposé aux patients qui
Sumatriptan
entre le traitement de crise et le traitement de fond Imigranet : cp à 100 mg, injection SC à 6 mg souffrent d’au moins deux crises par mois. Son
sera soulignée. indication dépend aussi de la réponse aux
IM : intramusculaire ; SC : sous-cutanée ; IV : intraveineuse. traitements des crises, de la durée et de l’intensité de
Traitement de crise celles-ci, de leur retentissement sur la qualité de vie
Quelques gestes simples peuvent aider à soulager III). Les antalgiques et les anti-inflammatoires non et du risque éventuel d’abus d’antalgiques. Les
la céphalée : application de froid ou de chaleur sur le stéroïdiens (AINS) sont des médicaments de médicaments de fond majeurs, dont l’efficacité a été
crâne, pression sur la tempe, repos à l’abri du bruit et première intention. Des anti-inflammatoires démontrée dans au moins deux essais contrôlés
de la lumière, prise de thé ou de café. Quatre différents méritent d’être utilisés sur des crises contre placebo sont : certains bêtabloquants, le
groupes de substances ont une efficacité démontrée successives car il n’y a pas d’efficacité croisée entre pizotifène (Sanmigrant), le méthysergide
dans le traitement de la crise migraineuse (tableau eux. En cas d’échec de ces traitements, on a recours (Désernil-Sandozt), l’oxétorone (Nocertonet), la

Tableau IV. – Traitements antimigraineux de fond majeurs.

Posologie par jour Effets secondaires Contre-indications


Bêtabloquants
Propranolol (Avlocardylt) 40-240 mg Fréquents : asthénie, mauvaise tolé- Asthme, insuffısance cardiaque, bloc
Métoprolol (Lopressort, Selokent) 100-200 mg rance à l’effort auriculoventriculaire, bradycardie,
Timolol (Timacort) 10-20 mg syndrome de Raynaud
Aténolol (Ténorminet) 100 mg Rares : insomnie, cauchemars, impuis- NB : possibilité d’aggravation des mi-
sance, dépression graines avec aura. Potentialisation de
Nadolol (Corgardt) 80-240 mg l’effet vasoconstricteur du tartrate d’er-
gotamine
Pizotifène (Sanmigrant) 2 mg (3 cp) en une prise le soir Somnolence, prise de poids Glaucome, adénome prostatique
Oxétorone (Nocertonet) 120-180 mg (2-3 cp) en une prise le Fréquents : somnolence
soir Rares : diarrhée nécessitant l’arrêt du
traitement
Méthysergide (Désernil-Sandozt) 4-6 mg (2-3 cp). Fréquents : nausées, vertiges, insom- Hypertension artérielle, insuffısance
nie coronarienne, artériopathies, ulcère
Arrêt nécessaire 1 mois tous les 6 mois Rares : ergotisme, fibrose rétropérito- gastrique, insuffısance hépatique et
néale rénale
Flunarizine (Sibéliumt) 10 mg (1 cp) le soir, pas plus de 6 mois Fréquents : somnolence, prise de poids Syndrome dépressif, syndrome extrapy-
d’affılée Rares : dépression, syndrome extrapy- ramidal
ramidal
Amitriptyline 20-50 mg le soir Sécheresse de la bouche, somnolence, Glaucome, adénome prostatique
(Laroxylt, Élavilt) prise de poids
AINS 1 100 mg Troubles digestifs, ulcère, baisse d’effı- Ulcère digestif, stérilet
Ex : naproxène cacité du stérilet
(Naprosynet, Apranaxt)
Valproate de sodium 500-1 000 mg Nausées, prise de poids Pathologies hépatiques
(Dépakinet) somnolence, tremblements,
alopécie, atteinte hépatique
flunarizine (Sibéliumt), l’amitriptyline (Laroxylt, déclenchant positionnel. Dans ces cas très rares, les Il n’est pas rare qu’un patient souffre à la fois de
Élavilt), les AINS et le valproate de sodium crises peuvent s’améliorer après infiltrations ou migraines et de céphalées de tension. Leurs
(Dépakinet). Leur posologie, leurs effets secondaires manipulations cervicales. traitements sont différents, et il est important de les
et contre-indications sont résumés dans le tableau La migraine cataméniale : chez les femmes distinguer par un interrogatoire extrêmement précis
IV. D’autres substances peuvent aussi être utilisées souffrant de migraines exclusivement cataméniales et la tenue d’un agenda des céphalées.
en traitement de fond : la dihydroergotamine, et dont les cycles sont réguliers, l’estradiol en gel


l’aspirine, l’indoramine (Vidorat), le vérapamil percutané à la dose de 1,5 mg/j (Œstrogelt, Estrevat)
(Isoptinet). Un traitement de fond est jugé efficace a une bonne efficacité préventive lorsqu’il est Céphalées liées à un abus
lorsqu’il permet de réduire la fréquence des crises commencé 48 heures avant la date prévue de d’antalgiques
d’au moins 50 %, ce qu’il faut expliquer au patient survenue de la migraine et poursuivi pendant les 7
qui pense souvent que ses crises vont complètement jours suivants. Chez les patients souffrant de migraines ou de
disparaître. Aucun essai contrôlé n’ayant démontré céphalées de tension, la prise trop fréquente de
médicaments de crise, quelle qu’en soit la nature, peut


la supériorité d’un de ces médicaments par rapport à
l’autre, le choix du premier traitement à essayer conduire à une accoutumance responsable d’une
Céphalées de tension céphalée chronique quotidienne. Cet abus
repose sur plusieurs éléments : les effets secondaires
et les contre-indications de la substance, les d’antalgiques est loin d’être exceptionnel [10], et il est
éventuelles pathologies associées du patient et le La définition qu’en donne l’IHS est purement souvent sous-estimé car le patient ne le mentionne
type des crises migraineuses. Par exemple, la femme descriptive : il s’agit de céphalées à type de pas spontanément. Le traitement nécessite
jeune préférera éviter les traitements qui font pression ou de serrement, non pulsatiles, impérativement l’arrêt des médicaments responsables,
prendre du poids, le sujet sportif les bêtabloquants ; d’intensité modérée ou moyenne, le plus souvent ce qui entraîne durant plusieurs jours un syndrome de
les migraines du réveil sont souvent sensibles à bilatérales, ne s’aggravant pas avec l’effort sevrage avec recrudescence des céphalées, et parfois
l’oxétorone et les migraines avec aura à l’aspirine. physique. Les nausées, la photophobie et la nausées et vomissements, anxiété, insomnie. Certains
Dans la plupart des cas cependant, il est impossible phonophobie sont généralement absentes. Les patients parviennent à interrompre l’abus
de prédire quel médicament aura le meilleur rapport céphalées de tension épisodiques, qui surviennent d’antalgiques en externe, aidés par exemple par des
efficacité/tolérance chez un patient donné, et il est avec une fréquence inférieure à 15 jours par mois, doses modérées d’amitriptyline (30 à 50 mg) ; pour
souvent nécessaire d’essayer plusieurs traitements touchent près de deux tiers de la population. Les d’autres, une hospitalisation est nécessaire.
successivement avant de trouver le plus approprié. céphalées de tension sont dites « chroniques »
lorsqu’elles sont présentes au moins 15 jours par


Les doses des médicaments seront toujours
mois depuis plus de 6 mois ; leur prévalence est
augmentées très lentement afin de limiter les effets Algie vasculaire de la face
d’environ 3 %, avec une prépondérance féminine.
secondaires fréquents chez ces patients. Si la tolérance
La physiopathologie de ces céphalées reste
est bonne, un traitement de fond doit être pris au
obscure. Plusieurs mécanismes entrent Beaucoup moins fréquente que la migraine,
moins pendant 2 à 3 mois, durant lesquels le patient
certainement en jeu : un dysfonctionnement du l’algie vasculaire de la face (AVF) a une prévalence
tiendra un calendrier de ses crises. À la fin de cette
contrôle central de la douleur, une tension d’environ 0,1 %. Elle touche l’homme cinq à six fois
période, en cas d’échec, un autre traitement sera mis
excessive des muscles craniocervicaux, des plus souvent que la femme, et débute généralement
en route. En cas de succès, la dose efficace est
troubles psychiques de nature très variable, une entre 20 et 30 ans. Le tableau clinique est
maintenue pendant environ 6 mois, puis diminuée
prédisposition génétique. Le traitement des stéréotypé : les douleurs sont strictement unilatérales
très lentement afin d’essayer d’arrêter le traitement ou,
céphalées de tension épisodiques repose sur la à prédominance orbitaire et temporale,
au moins, de trouver la dose minimale efficace.
relaxation, les antalgiques et les AINS. Le extrêmement sévères, évoluant par crises
Les traitements non médicamenteux : l’acu-
traitement des céphalées de tension chroniques est quotidiennes (de une à huit, en moyenne deux à
puncture, la relaxation, les méthodes de biofeedback
souvent difficile. Il est essentiel de proscrire la prise trois), qui durent de 15 à 180 minutes. Les crises
sont aussi susceptibles d’apporter une amélioration
quotidienne d’antalgiques, qui est un facteur s’accompagnent souvent de signes homolatéraux à
des migraines.
d’aggravation. La relaxation, associée éventuel- la douleur : injection conjonctivale, larmoiement,
lement au biofeedback musculaire, et de faibles congestion nasale, rhinorrhée, sudation de la face,
Cas particuliers
doses d’amitriptyline peuvent apporter une myosis, ptosis, œdème de la paupière. Dans l’AVF
Chez certains patients, les crises de migraine sont amélioration. Lorsqu’il existe une pathologie épisodique – la plus fréquente –, les crises
strictement unilatérales et débutent toujours dans la psychiatrique bien définie, une prise en charge surviennent par salves, appelées « accès » ou
région latérocervicale haute, avec un facteur spécialisée est nécessaire. « épisodes », qui durent de 2 à 8 semaines en

Tableau V. – Traitements de l’algie vasculaire de la face (AVF).

Traitements préventifs Posologie moyenne par jour Traitements de crise autoriés


AVF épisodiques
re
1 intention
Vérapamil (Isoptinet) 360-480 mg Imijectt ou oxygène
Si échec
Méthysergide (Désernil-Sandozt) 6-12 mg Oxygène seulement
Tartrate d’ergotamine (Gynergène caféinét, Migwellt) 1-4 mg Oxygène seulement
Prednisone (Cortancylt, Solupredt) 40-60 mg Imijectt ou oxygène
Indométacine (Indocidt) 75-150 mg Imijectt ou oxygène
AVF chroniques
Substance Posologie moyenne par jour Traitements de crise autorisés
Vérapamil (Isoptinet) 360-480 mg Imijectt ou oxygène
Lithium (Téralithet) 500-750 mg (lithiémie < 0,9 mEq/l) Oxygène seulement

moyenne et se reproduisent une à deux fois par an. ‚ Céphalées sexuelles bénignes
Dix pour cent environ des patients souffrent d’une Autres céphalées essentielles Elles apparaissent soit progressivement, soit
forme chronique avec des crises quotidiennes, soit brutalement au moment de l’orgasme. Lorsque la
d’emblée, soit après quelques années de forme survenue de la céphalée est très brutale, en « coup de
épisodique. Les crises peuvent être déclenchées par ‚ Céphalées en « coup de piolet » (icepick tonnerre », il est nécessaire d’éliminer un anévrysme.
l’alcool. La physiopathologie de l’AVF reste headaches) Le propranolol peut être proposé préventivement si
totalement inconnue. leur fréquence devient gênante.
Le but essentiel du traitement est la prévention Ce sont des douleurs extrêmement brèves et
des crises durant la période de l’accès dans les aiguës ressenties comme des « coups de poignard ».


formes épisodiques ou au long cours dans les Dans les rares cas où un traitement est rendu
formes chroniques [3]. Les médicaments de fond de nécessaire par leur fréquence, l’indométacine ou le Conclusion
l’algie vasculaire de la face et leur mode d’utilisation propranolol peuvent être utilisés.
sont résumés dans le tableau V. En crise, seuls deux L’interrogatoire est l’élément essentiel du
traitements ont fait la preuve de leur efficacité : ‚ Céphalées liées à la toux diagnostic d’une céphalée. En précisant son profil
l’inhalation d’oxygène pur à un débit de 7 L/min évolutif, il permet de distinguer les urgences
pendant 15 minutes et le sumatriptan en injection Elles sont bilatérales, de survenue soudaine, neurologiques des céphalées essentielles bénignes.
sous-cutanée à la dose de 6 mg (Imijectt, remboursé durant moins d’une minute après un effort de toux. Celles-ci ne nécessitent, la plupart du temps, aucun
dans cette indication sur prescription de médicament Avant d’en affirmer le caractère bénin, il importe examen complémentaire. La migraine est une
d’exception). d’éliminer une pathologie intracrânienne, en maladie très fréquente et invalidante, que l’on peut,
particulier les malformations de la base du crâne et dans la majorité des cas, soulager en essayant de
les tumeurs. façon successive les médicaments de crise et, le cas

chronique

Hémicranie paroxystique

Il s’agit d’une variante rare d’algie vasculaire de la


‚ Céphalées d’effort

Elles doivent également faire l’objet d’une


échéant, les traitements de fond. L’abus
d’antalgiques est un problème souvent sous-estimé
chez les patients souffrant de migraines ou de
céphalées de tension ; il est responsable d’une
face, caractérisée par la fréquence élevée des crises enquête étiologique approfondie, car bien des céphalée chronique quotidienne, qui nécessite un
(de 5 à 30 par jour), leur brièveté (de 2 à 45 minutes), céphalées symptomatiques peuvent s’exacerber à sevrage parfois très pénible. L’algie vasculaire de la
la forte prédominance féminine, et la disparition l’effort. Les céphalées essentielles déclenchées par face est une affection extrêmement douloureuse qui
totale des crises sous indométacine (Indocidt) à la l’effort peuvent, chez certains patients, être relève de traitements spécifiques. Son profil évolutif
dose de 75 à 150 mg/j. prévenues par le propranolol ou l’indométacine. caractéristique permet de l’identifier aisément.

Références

[1] Buzzi MG, Bonamini M, Moskowitz MA. Neurogenic model of migraine. [6] Joutel A, Bousser MG, Biousse V, Labauge P, Chabriat H, Nibbio A et al. A
Cephalalgia 1995 ; 15 : 277-280 gene for familial hemiplegic migraine maps to chromosoms 19. Nat Genet 1993 ;
5 : 40-45
[2] Edvinsson L, Goadsby PJ. Neuropeptides in the cerebral circulation: rele-
vance to headache. Cephalalgia 1995 ; 15 : 272-276 [7] Massiou H. Migraine de l’enfant. Neuro-Psy 1996 ; 11 : 299-304

[8] Ophoff RA, Terwindt GM, Vergouwe MN, Eijk RV, Oefner PJ, Hoffman SM
[3] Ekbom K. Treatment of cluster headache: clinical trials, design and results. et al. Familial hemiplegic migraine and episodic ataxia type-2 are caused by
Cephalalgia 1995 ; 15 (suppl) : 33-36 mutations in the Ca channel gene CACNL1A4. Cell 1996 ; 87 : 543-552

[4] Headache classification committee of the International Headache Society. [9] Tzourio C, Tehindrazanarivelo A, Iglésias S, Alperovitch A, Chedru F, D’An-
Classification and diagnostic criteria for headache disorders, cranial neuralgias glejan Chatillon J et al. Case-control study of migraine and risk of ischaemic
and facial pain. Cephalalgia 1988 ; 8 (suppl 17) : 1-96 stroke in young women. Br Med J 1995 ; 310 : 830-833

[5] Henry P, Michel P, Brochet B, Dartigue JF, Tison S, Salomon R. A nationwide [10] Vonkorff M, Galer BS, Stang P. Chronic use of symptomatic headache medi-
survey of migraine in France: prevalence and clinical features in adults. Cephalal- cations. Pain 1995 ; 62 : 179-186
gia 1992 ; 12 : 229-237

5
Syndrome fibromyalgique
M.-F. Kahn

La fibromyalgie, ou mieux le syndrome fibromyalgique, est un état douloureux spontané et provoqué


frappant essentiellement les femmes d’âge moyen, associé fréquemment à une fatigue générale et locale,
un état anxiodépressif et des troubles du sommeil. Aucune lésion anatomique ou biochimique univoque
n’y a été identifiée, ce qui a conduit à une reconnaissance assez tardive mais maintenant assurée. Les
symptômes évoluent au long cours sans invalidité majeure. Le diagnostic utilise faute de mieux les critères
du Collège américain de rhumatologie (American College of Rhumatology [ACR]) qui, en dehors des
symptômes, utilise la mise en évidence de points anormalement douloureux à la pression. Ces critères
sont des critères de classification, en l’absence de critères de diagnostic plus précis. Des tableaux proches
sont observés dans différents états pathologiques précis de différente nature et qui pour beaucoup sont
des diagnostics différentiels. C’est aussi le cas pour des tableaux fonctionnels comme le syndrome de
fatigue chronique. La physiopathologie la plus admise écarte la responsabilité initiale du muscle et celle
d’un désordre mental primitif. Il semble, grâce au progrès de la recherche, qu’on soit en présence d’un
désordre neurologique central où sont perturbées la transmission, la modulation et la perception des
affects douloureux, au niveau de la moelle et des structures de la base du cerveau. La prise en charge qui
nécessite un minimum d’empathie associe les antalgiques simples (paracétamol, tramadol) et
éventuellement, sans en attendre des résultats spectaculaires, différentes classes de neuromodulateurs, y
compris antidépresseurs et antiépileptiques. Mais une prise en charge physique avec des techniques
variées doit être associée à une prise en charge psychologique et médicosociale.
© 2009 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Mots clés : Fibromyalgie ; Syndromes fibromyalgiques ; Contrôle central de la douleur ;


Reconditionnement ; Neuromodulateurs

Plan ■ Introduction
¶ Introduction 1 Des travaux épidémiologiques récents montrent que des
symptômes attribuables à la fibromyalgie (souvent nommée
¶ Historique 2
aujourd’hui syndrome fibromyalgique) s’observent chez environ
¶ Clinique 2 2 % des femmes adultes [1]. Comment la définir ?
¶ Examen clinique 2 C’est un syndrome douloureux, diffus, spontané mais aussi
¶ Diagnostic de la fibromyalgie 3 provoqué par la pression, localisé aux régions axiales et aux
Diagnostic positif 3 régions proximales des membres, touchant surtout les femmes
Diagnostic différentiel 3 d’âge moyen, et ne comportant, à ce jour, aucune lésion
anatomique précise.
¶ Physiopathologie 4
Ce syndrome est souvent associé à d’autres troubles fonction-
Muscle 4
nels : fatigue générale et locale, troubles du sommeil, état
Mental 5
anxiodépressif avec difficultés dans la vie familiale et
Progrès dans les recherches neurophysiologiques 5
professionnelle.
Progrès dus à la neurochimie 5
Progrès dans la neuro-imagerie 5
Ce syndrome s’installe dans la durée, avec des hauts et des
bas, parfois nettement liés au stress et aux événements de la vie.
¶ Prise en charge thérapeutique 5
Des arguments concordants amènent à penser qu’il s’agit
¶ Étape des traitements médicamenteux 6 d’une (ou de plusieurs) anomalies du contrôle central de la
¶ Moyens non médicamenteux 6 douleur et de diverses fonctions neurovégétatives.
¶ Conclusion 7 Sa première appellation, fibrosite, était incorrecte, mais son
appellation actuelle – fibromyalgie – le reste doublement dans
la mesure où ni les tissus fibreux, ni le muscle, ne sont pour
quelque chose dans cette symptomatologie.

■ Historique La note anxieuse est complexe [2]. Elle a trois composantes :


• une anxiété permanente avec, comme dans les névroses
Son relevé a plus qu’un intérêt purement académique. La anxieuses primitives, des phobies – agoraphobie par exemple ;
fibromyalgie fut bien connue et décrite, dès le début du • une anxiété de situation, centrée sur la crainte d’un avenir de
e
XX siècle, en Angleterre où les traités de médecine et les plus en plus sombre, marqué par une invalidité majeure avec
premiers traités de rhumatologie la décrivaient d’une façon paralysie et dépendance ;
précise. • mais il existe fréquemment en plus des crises d’anxiété
Le début de l’étude scientifique de l’affection remonte à 1976, paroxystique (attaques de panique) dont les manifestations
avec les travaux de Smythe sur les points douloureux provoqués somatiques (sensation d’étouffement entraînant une hyper-
et de Moldowski sur les troubles du sommeil in [2]. Et c’est en pnée) peuvent entraîner des symptômes tétaniques [8]. Il n’est
1981 que nous l’avons présenté au public médical français [3]. pas rare de voir des patientes qui ont été étiquetées « spas-
Depuis sa reconnaissance par l’Organisation mondiale de la mophiles » en raison de ces manifestations.
santé (OMS), plus de 4 000 publications, de nombreux livres [2, Ces présentations semblent très spécifiques pour les femmes.
4] , une présence de plus en plus massive dans les congrès Les hommes chez qui le diagnostic de fibromyalgie a été porté
internationaux ont fixé son statut. ont beaucoup plus rarement ces manifestations [9] . Ils se
En France, l’excellent rapport de Menkes et Godeau [5] à présentent souvent, en tout cas dans notre expérience, comme
l’Académie de médecine est venu apporter une consécration de grands obsessionnels, compulsifs, sans que des éléments
officielle longtemps attendue. anxiodépressifs soient présents [10].

■ Clinique ■ Examen clinique


Il comporte bien sûr un interrogatoire précis qui relève le
La fibromyalgie est une affection essentiellement féminine. mode d’apparition et le détail des symptômes évoqués ci-dessus
Dans la plupart des travaux portant sur de larges séries, 85 à et leur retentissement sur la vie quotidienne, familiale et
95 % des cas sont des femmes. Elle a été observée dans le professionnelle.
monde entier, y compris, plus récemment, en Asie. Dans ce qui On note tout d’abord l’absence de toute manifestation visible,
suit, nous parlons donc de patientes. Le plus souvent, le début articulaire, musculaire ou cutanée.
se fait à ce que l’on nomme l’âge moyen, de 25 à 65 ans. En fait si le diagnostic est envisagé, l’examen va être centré
Certaines formes débutent plus jeunes, mais dans la plupart des sur la recherche des points douloureux, probablement déjà
enquêtes, après la puberté. signalés par Valleix au XIX e siècle, mais surtout précisés et
L’existence de formes infantiles, prépubertaires a été invoquée standardisés par Hugh Smythe in [2].
mais reste contestée. Les zones considérées siègent surtout là où les téguments sont
À l’autre extrémité de la vie, il est exceptionnel de voir proches d’un socle osseux, et non, par exemple, au milieu des
débuter une fibromyalgie primitive, après 70 ans. masses musculaires. L’American College of Rheumatology
Le début peut succéder de façon assez brutale à un trauma- (ACR), dans sa présentation des critères de classification, en a
tisme physique ou psychique [6]. Dans ce dernier cas, la perte décrits 18, la plupart symétriques (Fig. 1) en précisant que la
d’un proche, un divorce, un problème professionnel majeur présence de 11 définissait la positivité du critère.
sont souvent invoqués. La pression (4 kg/cm3) correspond à celle exercée par le pouce
Ce début peut être polyalgique d’emblée. Les douleurs sont à et aboutissant au blanchiment de l’ongle. La patiente doit
prédominance axiale, spontanées, permanentes, aggravées par le esquisser une grimace ou un retrait du membre pour valider la
mouvement, les efforts, le contact, mal calmées par le repos. positivité de la recherche.
L’intrication est quasi constante avec une fatigue générale et La valeur absolue de ce critère a fait l’objet de controverses.
locale, dans ce dernier cas se manifestant aux efforts surtout On l’a dit absent ou douteux dans des cas de fibromyalgie
répétitifs et aggravant les douleurs dans les zones intéressées. apparemment authentiques, et à l’inverse, présent sans que les
Mais souvent, le début peut être plus ou moins localisé, cause sujets aient un tableau douloureux spontané.
d’erreurs de diagnostic [3]. Malgré ces réserves, la valeur sémiologique de la recherche de
Les zones les plus souvent intéressées sont les régions ces points douloureux reste certaine.
cervicoscapulaires et trapéziennes, les lombes et les fesses, les Pour rendre cette recherche plus précise et plus spécifique, on
régions périarticulaires aux genoux et aux coudes. a utilisé des instruments divers : algomètres calibrés, brassards.
À l’inverse, les régions distales, mains et pieds, sont rarement Aucun de ces procédés ne fait partie de critères standardisés.
mentionnées spontanément par les patientes, sauf coïncidence Cette sensibilité à la douleur provoquée n’est pas isolée. Les
ou association. patients atteints de fibromyalgie ont souvent une intolérance
La généralisation des phénomènes douloureux peut prendre aux bruits, à la lumière vive et aux odeurs. L’examen clinique
un temps variable, des mois, parfois des années. peut également quantifier la fatigabilité musculaire aux efforts
Dans les formes en apparence localisées, l’interrogatoire répétitifs ou soutenus, par exemple en mesurant le temps de
retrouve les autres localisations douloureuses et la fatigue. tolérance du port d’une charge (500 g à 1 kg) portée à l’extré-
D’autres manifestations que douleur et fatigue sont souvent mité du membre supérieur, bras tendu.
associées. Les plus fréquentes sont les troubles du sommeil, les Le reste de l’examen clinique est, par définition, négatif, sauf
problèmes d’anxiété et de dépression. Plus rarement peuvent association ou coïncidence.
exister des céphalées, des dystonies temporomandibulaires, une Il en va de même pour les examens complémentaires dans les
colopathie fonctionnelle. domaines de l’imagerie et de la biologie. En ce qui concerne
Leur évolution est en général parallèle à celle du tableau l’imagerie, le problème n’est pas toujours simple dans la mesure
douloureux et asthénique. où l’on connaît la fréquence des remaniements – par exemple
Les troubles du sommeil [7] ne sont pas une insomnie totale, vertébraux – sans signification mais pouvant conduire à des
bien qu’elle puisse exister. C’est essentiellement un sommeil de thérapeutiques inutiles ou intempestives.
mauvaise qualité, avec des réveils fréquents, et la sensation au L’évolution de la fibromyalgie s’étend sur des années. Cette
matin qu’il n’a pas été réparateur. La fatigue est présente avec durée constitue souvent un argument diagnostique après des
les douleurs dès le lever. périodes d’hésitation. Cette évolution est fluctuante même s’il
Un syndrome anxiodépressif est très fréquent, présent dans persiste en permanence un fond douloureux continu. Il est
plus de la moitié des cas. La note dépressive aggravée par les habituel que les périodes estivales, surtout si elles comportent
douleurs, la fatigue et les difficultés familiales et professionnelles un dépaysement agréable, améliorent les symptômes, sans
peut devenir la manifestation prédominante et faire ainsi partie toutefois les voir disparaître. Le rôle du temps qu’il fait [11] et
d’un cercle vicieux délétère difficile à combattre. celui du tabagisme restent controversés [12].

■ Diagnostic de la fibromyalgie
Diagnostic positif (Fig. 2)
Il fait l’objet, depuis 20 ans, de controverses in [14].
C’est il y a 20 ans que des critères de classification proposés
par l’American College of Rheumatology ont été publiés [15]. On
les trouve dans le Tableau 1.
Ces critères n’étaient pas présentés comme critères de dia-
gnostic. Ils devaient uniquement servir pour unifier les travaux
de recherche. Mais en pratique, on a assisté à un dérapage qui
a fait qu’on les a utilisés à visée diagnostique malgré les
recommandations d’un de ceux qui avaient contribuer à les
établir [16, 17].
Ils étaient pourtant très critiquables. Les biais méthodologi-
ques qui ont entachés leur contribution expliquent largement
leur insuffisance in [14].
Outre la durée trop brève requise pour que la fibromyalgie
soit reconnue, il y a le fait qu’en dehors de l’élément doulou-
reux subjectif et des points douloureux provoqués, aucun des
autres éléments tels que fatigue, troubles du sommeil [7] et
dépression n’a été pris en compte. Des critères épidémiologiques
plus satisfaisants et intégrant la fatigue ont été proposés par des
auteurs canadiens [1].
Mais le point le plus litigieux – et qui le reste – est la non-
distinction entre la fibromyalgie primitive et les formes de
fibromyalgie dites « associées » ou « concomitantes » qui ont été
indistinctement mélangées lors de l’établissement des critères de
l’ACR. Or il apparaît que ces formes dites « associées » sont en
fait des diagnostics différentiels.
Sur quels éléments peut-on alors asseoir un diagnostic positif
de fibromyalgie ? En attendant que des méthodes totalement
objectives soient mises au point et validées, on peut proposer de
garder les éléments subjectifs et semi-objectifs des critères de
l’ACR, en allongeant le critère de temps à au moins 6 mois, en
ajoutant comme critère majeur la fatigue (générale et/ou locale),
un syndrome anxiodépressif caractérisé, et les troubles du
sommeil. Et comme critère d’élimination, toute pathologie
précise entraînant un tableau polyalgique.
Figure 1. Critères de classification American College of Rheumatology
(ACR) de la fibromyalgie : les points douloureux. Diagnostic différentiel
• Un certain nombre de pathologies précises sont susceptibles
de s’accompagner d’un syndrome douloureux subjectif et
provoqué, très proche de celui que réalise la fibromyalgie.
En revanche, les problèmes de vie entraînent souvent l’aggra- • Les trois diagnostics les plus fréquents sont le syndrome de
vation de ces symptômes en même temps qu’ils rendent leur Sjögren, les pathologies thyroïdiennes (thyroïdite de Hashi-
tolérance plus difficile. moto et myxœdème primitif ou secondaire) et les causes
Les grossesses, parfois redoutées par les patientes, sont en iatrogènes.
• Ensuite il faut citer certaines maladies virales à évolution
général bien tolérées et entraînent même assez souvent une
prolongée, l’hyperparathyroïdie et les diabètes phosphorés.
amélioration transitoire. Mais les suites et les premières années
• Les formes enthésalgiques des spondylarthropathies, et
de soins maternels, avec leur surcroît inévitable d’efforts et de notamment du rhumatisme psoriasique, peuvent poser des
fatigue, peuvent produire une aggravation de l’état. problèmes difficiles que les progrès de l’imagerie permettront
La ménopause est incontestablement une période critique peut-être de résoudre.
pour la fibromyalgie. Il n’est d’ailleurs pas rare de voir débuter • En ce qui concerne les médicaments responsables, il faut
la symptomatologie à cette période, y compris dans les quelques ranger en premier les hypocholestérolémiants, de toute
années qui la précèdent. nature car c’est un effet classe. Moins fréquemment, il faut
L’arrêt brutal des traitements substitutifs estroprogestatifs, dû citer l’usage abusif des laxatifs et des diurétiques entraînant
aux inquiétudes suscitées par des études récentes d’outre- une déplétion potassique. Nous avons vu (cf. supra) le rôle
Atlantique à propos de cancers mammaires, a vu survenir une possible de l’arrêt brutal des estroprogestatifs [13].
véritable épidémie de syndromes de type fibromyalgique [13], On peut déduire de ce qui précède les examens complémen-
rappelant le rôle probable des hormones dans la modulation des taires à pratiquer (Tableau 2) sans qu’il soit nécessaire de les
phénomènes douloureux et bien entendu, la prédominance répéter inlassablement.
massive des femmes. À côté de ces pathologies organiques et définies, il faut
envisager des syndromes fonctionnels plus ou moins proches
L’évolution dans le troisième (et même le quatrième) âge
et dont l’intrication avec la fibromyalgie reste un sujet de
soulève une question encore débattue.
controverses.
Le suivi à 20 ans de patientes vues à l’âge de la ménopause • Le syndrome de fatigue chronique [17] est considéré par
semble montrer que la symptomatologie douloureuse a ten- certains comme une variété de fibromyalgie. Décrit initiale-
dance à s’atténuer, ou en tout cas à être mieux supportée. Ces ment comme conséquence d’une infection persistante à virus
vues, en somme plutôt optimistes, ne font pas l’unanimité. Epstein-Barr, puis d’une réaction immunologique exagérée à
Mais aucun cas d’évolution vers une incapacité motrice totale diverses infections, son diagnostic repose sur des critères
n’a jamais été vu et signalé et doit faire douter du diagnostic. précis in [17] pour éviter que toute asthénie lui soit attribuée

Syndrome douloureux diffus, spontané et provoqué


Associé à fatigue, dépression, troubles du sommeil
Chez une femme

Moins de 3 mois Plus de 3 mois au minimum,


Chercher souvent beaucoup plus
– pathologie infectieuse
– connectivite
– cancer
– problème iatrogène
– syndrome de fatigue chronique

Examens complémentaires
(radiographies, biologie)

Positifs
En faveur d'une affection
précise donnant des
polyalgies au long cours Négatifs ou non significatifs
(exemple : arthrose banale)

Pour l'ACR : fibromyalgie concomitante ou associée


Pour d'autres : diagnostic différentiel Fibromyalgie primitive

Figure 2. Arbre décisionnel. Prise en charge diagnostique de la fibromyalgie. ACR : American College of Rheumatology.

Tableau 1. • Les troubles improprement nommés troubles musculosque-


Critères de l’American College of Rheumatology (ACR) (résumé) [15].
lettiques (TMS), qu’il vaudrait mieux nommer syndrome
1. Douleur (droite et gauche, haute et basse, spontanée, axiale)
douloureux de surmenage professionnel, sont très différents
lorsqu’ils se révèlent par exemple sous la forme d’un syn-
2. Douleur provoquée (11 points douloureux sur 18 standardisés)
drome du canal carpien. En revanche, quand ils affectent les
- Les critères sont obligatoires régions cervicoscapulaires, les racines des membres supérieurs
- Durée au moins 3 mois et le dos, la présentation peut évoquer une fibromyalgie,
- Une pathologie précise associée ou concomitante n’élimine pas le dia- notamment sous la forme d’une symptomatologie que les
gnostic auteurs de langue anglaise différencient sous l’appellation de
syndrome des points gâchettes (trigger zone). Il n’est pas
impossible qu’un terrain fibromyalgique favorise l’émergence
Tableau 2. des TMS sous leur forme diffuse [18, 19].
Examens de débrouillage des cas de douleurs diffuses. • Certaines formes d’hyperlaxité primitive peuvent réaliser des
tableaux douloureux, mais avec une sémiologie précise.
En première intention En seconde intention • Enfin, alors que la fibromyalgie n’entraîne jamais une
VS, CRP Biopsie des glandes salivaires invalidité majeure, certains syndromes conversifs peuvent
NFS, fer sérique et ferritine Biopsie musculaire prendre le masque d’une fibromyalgie. Une patiente qui
Enzymes musculaires Dosage PTH arrive à la consultation avec des béquilles ou en chaise
roulante n’a pas de fibromyalgie !
Enzymes hépatiques Marqueurs tumoraux
Recherche des virus d’hépatite Gène de l’hémochromatose
Calcémie et phosphorémie ■ Physiopathologie
Autoanticorps (FR, FAN, SSA et SSB)
Enzyme de conversion Les dernières années ont vu des progrès considérables dans la
Recherche de cryoglobuline connaissance physiopathologique de la fibromyalgie [2-4, 10, 20, 21].
TSH
VS : vitesse de sédimentation ; CRP : C reactive protein ; NFS : numération-formule
Muscle
sanguine ; TSH : thyroid stimulating hormone ; PTH : parathormone. La première question débattue depuis les premières descrip-
tions a été de savoir s’il s’agissait d’une maladie musculaire. Son
quelle que soit son origine. Comme son nom l’indique, la appellation en témoigne.
fatigue extrême, souvent de début brutal, est au premier plan. S’il est exact que la fatigue combinée aux douleurs sponta-
L’élément douloureux diffus ressemble effectivement à celui nées et provoquées attire l’attention sur le muscle, il semble à
de la fibromyalgie. Comme élément éventuellement différen- peu près admis qu’il ne s’agit pas d’une maladie musculaire
tiel, il y a le sex-ratio (environ 30 % d’hommes), un état primitive, inflammatoire ou dégénérative. Aucune lésion
subfébrile, un mal de gorge avec adénopathies satellites. Mais spécifique n’a été mise en évidence. Certes, il y a souvent,
ces caractères différentiels sont inconstants et la question de associée au désordre fonctionnel, une relative atrophie. Et des
savoir s’il faut ranger ce syndrome comme une forme clini- études fines en microscopie optique et surtout électronique ont
que de fibromyalgie reste posée. montré des remaniements notamment mitochondriaux. Mais

tout porte à croire qu’il s’agit de lésions de déconditionnement, Tableau 3.


liées à ce qu’on nomme la kinésophobie (peur de l’activité Quelques substances chimiques intervenant dans la perception, la
physique liée à la douleur et à la fatigue). transmission et la modulation de la douleur.
Il n’empêche que l’atrophie musculaire participe à un cercle Prostaglandines Substance P
vicieux et que sa prise en compte est nécessaire.
Kallidine Nerve growth factor
Bradykinine Glutamate
Mental G-protéine NO
Les secondes hypothèses sur l’origine de la fibromyalgie tirant Neurokinine Cytokines
partie de la fréquence des éléments anxiodépressifs vont dans le Peptide proche de la calcitonine Sérotonine
sens d’une origine psychique pure. Ces hypothèses psychoso- N-méthyl-aspartate Noradrénaline
matiques – ou somatomorphes – restent au premier plan pour
un noyau dur de cliniciens in [2].
Mais un certain nombre d’arguments s’inscrivent contre une fibromyalgiques se caractérisent par des anomalies dont on ne
telle possibilité, même si comme nous l’avons vu, le rôle sait pas encore si elles sont initiales et causales ou non [2].
déclenchant possible d’affects psychiques et la fréquence des
syndromes anxiodépressifs pourraient paraître aller dans ce Progrès dans la neuro-imagerie [4, 23-26]
sens :
• l’évaluation psychométrique des patientes atteintes de Ces progrès spectaculaires sont dus à l’utilisation de l’imagerie
fibromyalgie ne montre aucune différence avec une popula- par résonance magnétique (IRM) fonctionnelle et du positon
tion témoin ; emission tomography (PET)-scan.
• les patients atteints de dépression majeure, uni- ou bipolaire On sait que ces études permettent de visualiser in vivo les
ne développent de symptômes fibromyalgiques que dans une réponses à divers stimuli physiques ou expérimentaux. Sans
minorité de cas ; entrer dans les détails, il est constaté que les fibromyalgiques se
• inversement, toutes les patientes fibromyalgiques n’ont pas différencient de façon significative par rapport à des sujets
de troubles psychiques caractérisés en dehors de l’angoisse, témoins. Les zones cérébelleuses (amygdales) et surtout basicé-
compréhensible, d’un avenir difficile (catastrophisme). rébrales (cortex cingulaire, insula et bien sûr thalamus) jouent
Si bien qu’on est amené à se demander si les éléments un rôle capital dans la gestion et la modulation des stimuli
dépressifs et les crises d’angoisse ne pourraient pas être des douloureux.
manifestations traduisant un désordre central primitif. Par ailleurs, on sait que ces zones jouent un rôle majeur dans
Le phénomène douleur, tenu autrefois, pour Descartes par toute une série de fonctions perturbées dans la fibromyalgie [7].
exemple, comme une fonction simple : stimulus – transmission Fatigue, humeur, sommeil, appétit, libido, régulation hypothalamo-
– perception, s’avère en fait d’une extraordinaire complexité. hypophyso-surrénalienne en font partie. Ces zones, sensibles au
Cette complexité est encore relativement peu étudiée au stress, voient leur activité sous-tendue par deux familles de
niveau des récepteurs périphériques, mais se manifeste dès médiateurs dépendant les uns de la sérotonine, les autres de la
l’arrivée du stimulus nociceptif à la corne postérieure de la noradrénaline.
moelle in [4]. À ce niveau, un certain nombre de médiateurs On peut donc admettre qu’un ou plusieurs dérèglements de
chimiques aux propriétés facilitatrices ou au contraire inhibitri- l’ensemble de ces mécanismes de régulation centrale, puisse
ces vont constituer un premier niveau de modulation, où jouer un rôle à la fois sur les phénomènes douloureux, mais
interfèrent des faisceaux descendants, facilitateurs ou inhibiteurs aussi sur les troubles du sommeil, de l’humeur et sur les
venus des centres supérieurs. D’autres faisceaux véhiculent les anomalies hormonales.
stimuli douloureux jusqu’aux structures complexes de la base du Il est bien sûr possible qu’il n’y ait pas une seule anomalie en
cerveau et du cervelet, structures qui jouent un rôle capital dans cause, mais plusieurs, variables d’un cas à l’autre. La fibromyal-
la modulation du signal vers les structures corticales de percep- gie n’est probablement pas une entité unique, mais un
tion. Les hypothèses physiopathologiques avancées pour la syndrome.
fibromyalgie semblent également jouer dans des situations a Ces anomalies sont-elles congénitales ou acquises ?
priori très différentes comme la lombalgie chronique [22] et les Certains travaux ont fait état d’une prédisposition généti-
colopathies fonctionnelles [8]. que [21]. C’est ainsi qu’on a étudié la génétique d’un transpor-
Les progrès qui permettent d’avoir une vue à peu près teur d’un métabolite de la sérotonine [27]. Mais dans l’état actuel
cohérente du mécanisme conduisant aux syndromes fibromyal- des travaux, il est difficile de conclure. Il se peut d’ailleurs que
giques sont de trois ordres. la spécificité discutable des critères de classification ait compli-
qué ces travaux de génétique.
Le rôle des hormones mérite également des commentaires.
Progrès dans les recherches L’axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien montre, dans
neurophysiologiques [4] certaines études, des anomalies qui avaient conduit à utiliser la
fluodrocortisone, sans résultat probant.
Ces études ont conduit à deux notions [23]. L’allodynie est le
Bien sûr, la forte prédominance féminine, le rôle possible de
fait de ressentir de façon pénible une stimulation banale. De
la ménopause et de l’arrêt des traitements estroprogestatifs [13]
plus, au lieu que la stimulation soit ressentie très localement,
conduisent à s’intéresser au rôle des estrogènes [22]. Certains
elle est perçue dans un territoire beaucoup plus étendu. Les
travaux montrent que des structures nerveuses et la production
patientes atteintes de fibromyalgie présentent cette caractéristi-
de certains neurotransmetteurs nociceptifs sont sensibles aux
que. On peut considérer la fibromyalgie comme une allodynie
estrogènes. Mais on ne dispose, pour l’instant, que de travaux
généralisée. Pour l’expliquer, on invoque une anomalie dans
préliminaires et la piste estrogénique devra susciter de nouvelles
l’épuisement physiologique temporal et spatial des sensations
études.
douloureuses liées à des stimulations répétitives. Cet épuisement
ne se produit pas chez les fibromyalgiques, phénomène que les
anglophones nomment wind up. ■ Prise en charge thérapeutique
Progrès dus à la neurochimie [4] En l’absence d’un mécanisme univoque et d’un traitement
spécifique, il vaut mieux parler d’une prise en charge, ce qui
Le rôle d’un certain nombre de neuromédiateurs [4, 10] semble souligne d’emblée le fait que cette prise en charge est com-
important (Tableau 3). En dehors de la concentration de plexe [10, 28].
certains ions, tel le calcium (d’où le rôle possible d’un déficit en Les diverses étapes de cette prise en charge viennent de faire
vitamine D), des études portant sur le liquide céphalorachidien l’objet d’une recommandation de l’EULAR (European League
(LCR) montrent que par rapport à des sujets témoins, les Against Rheumatism) [29].

Tableau 4. le recours aux morphiniques majeurs quels que soient les


Les 12 questions des patient(e)s. produits, les voies d’administration et les doses utilisées. Leur
Questions Réponses efficacité est très médiocre, la survenue d’une assuétude quasi
constante.
Pourquoi est-ce que je souffre ? C’est une fibromyalgie
• Les anti-inflammatoires non stéroïdiens et a fortiori les
Est-ce une maladie reconnue ? Oui, officiellement, depuis 15 ans cortisoniques ne sont pas utiles, sauf dans quelques cas pour
Est-ce dans ma tête ? Non, ce n’est pas « psychique » différencier une fibromyalgie d’un rhumatisme inflammatoire
Pourquoi, alors, suis-je dépri- Parce que vous souffrez depuis débutant.
mé(e) ? longtemps En fait, en dehors des traitements médicamenteux à visée
Serai-je invalide un jour ? Non, on peut vous le garantir purement antalgique, ce sont surtout les thérapeutiques à
Et dans le troisième âge ? Vous irez plutôt mieux action centrale qui vont être utilisées.
Y a-t-il un traitement ? Pas de spécifique, un ensemble • Les anxiolytiques, et surtout les benzodiazépines, peuvent
Les médecines parallèles ? Aucune n’est efficace aider les patientes dont la composante anxieuse est majeure.
La rééducation ? Il faut l’envisager Mais il faut prendre garde de ne pas créer une accoutumance
Un soutien psychique ? Il peut être utile irréversible. Chez les patientes dont les troubles du sommeil
Ma famille ne me croit pas Une consultation avec elle est utile sont majeurs, on peut recourir à quelques gouttes de clona-
Vais-je guérir ? Vous irez mieux, et vous saurez
zépam (Rivotril®).
faire avec • Les antidépresseurs et singulièrement l’amitriptyline
(Laroxyl ® ) ont longtemps été la classe de produits qui
donnent, dans des essais contrôlés, bien qu’à court terme, des
La première étape est le colloque singulier entre la patiente et résultats positifs nets [2] . On peut utiliser le Laroxyl® en
le praticien. Ce dernier doit impérativement recevoir la plainte gouttes au coucher en commençant par une dose très faible
sans la discuter. Il doit en relever les détails et l’évolution, ne (1 à 2 mg) en laissant la patiente gérer elle-même l’augmen-
pas contester l’intensité du trouble et manifester un minimum tation progressive des doses, sans dépasser 30 à 40 mg. Il faut
d’empathie. Si l’on fait partie de la minorité qui ne « croit » pas insister sur le fait que ces doses sont très inférieures aux doses
à l’existence du syndrome, ou si l’on estime que « c’est entière- utilisées dans les dépressions majeures. Si une telle éventualité
ment dans la tête », mieux vaut se désister et passer la main. est constatée, on peut aller jusqu’aux tricycliques majeurs,
Cette première étape implique donc une écoute bienveillante alors que les autres antidépresseurs classiques (fluoxétine,
et prolongée, malheureusement mais inévitablement consom- Prozac®) n’apportent rien. Le problème avec le Laroxyl® est
matrice de temps, d’autant qu’il faut aussi faire préciser le qu’il ne soulage pas totalement les troubles et comporte des
retentissement personnel, familial, sexuel et professionnel des
effets secondaires. De ce fait, de nombreuses patientes
troubles.
l’abandonnent au bout de quelques mois [30].
En général, le diagnostic peut rarement être affirmé à une
• Deux autres antidépresseurs ont été proposés depuis 2 ans :
première consultation car il est nécessaire de faire pratiquer les
examens mentionnés au Tableau 2 pour éliminer les diagnostics certains s’opposent à la recapture de la sérotonine (duloxé-
différentiels. Une fois ces diagnostics éliminés, la seconde tine, Cymbalta®) [31, 32] ou à la recapture de ce médiateur,
consultation permet d’avancer le diagnostic et de répondre aux mais aussi de la noradrénaline (milnacipran, Ixel®) [33]. Ces
inévitables questions posées par la patiente (Tableau 4). deux produits ont fait l’objet d’études contrôlées récentes. Ils
Souvent la patiente a déjà consulté d’autres praticiens, et lu ont eu l’agrément de la Food and Drug Administration (FDA)
sur les très nombreux sites internet des indications souvent aux États-Unis, mais à ce jour, pas en Europe. Leur prescrip-
contradictoires. tion en France dans l’indication « fibromyalgie » ne peut se
On discute encore pour savoir si l’attribution d’une étiquette faire qu’hors AMM (autorisation de mise sur le marché).
précise dans une situation qui reste largement imprécise était Il est juste de préciser que ces produits sont très loin d’avoir
positive ou néfaste. Une majorité admet que l’identification une efficacité totale, qu’ils ont des effets secondaires souvent
d’une souffrance apportée par le mot fibromyalgie est positive ; très gênants et que leur efficacité n’a pas été vérifiée sur de
surtout quand on l’assortit de précisions pronostiques et qu’on longues périodes.
accepte de la prendre en charge. • On peut dire la même chose des anticomitiaux très utilisés
Une question fréquente concerne l’origine de la maladie. dans le traitement des douleurs neuropathiques. Qu’il s’agisse
Une comparaison métaphorique facile à comprendre consiste de la gabapentine (Neurontin ® ) ou de la prégabaline
à comparer la sensibilité anormale du système nerveux à un (Lyrica®), ils ont fait l’objet de travaux contrôlés publiés dans
dispositif d’alarme trop sensible tel qu’on a pu le constater en les grandes revues rhumatologiques [34, 35], mais les réserves
passant près d’une voiture où ce dispositif se met spectaculaire- exposées ci-dessus à propos des antidépresseurs s’appliquent
ment en marche sans qu’il y ait eu choc ou tentative
également ici.
d’effraction !
Finalement, force est d’admettre qu’actuellement, nous ne
disposons pas d’une thérapeutique médicamenteuse totale-
■ Étape des traitements ment et durablement efficace, même si l’essai des produits
ci-dessus cités peut être tenté en informant avec précision les
médicamenteux [2, 5, 10]
patientes de leurs caractéristiques positives mais aussi négati-
ves.
Même si des progrès récents ont apporté des moyens nou-
veaux, il faut préciser d’emblée qu’aucun n’est décisif. • Ces résultats avec leurs insuffisances expliquent le recours
• Les antalgiques simples (niveaux 1 et 2 de l’OMS) doivent fréquent des patientes à des thérapeutiques non orthodoxes
toujours être essayés. Certaines patientes sont – au moins comme l’homéopathie. En fait, la désillusion se manifeste
partiellement – soulagées par l’aspirine et surtout le paracéta- rapidement.
mol, à condition de s’astreindre à une prise continue et à Il est admis que les traitements médicamenteux, même
bonnes doses (3 à 4 g/j pour le paracétamol). Là encore, une quand ils sont partiellement efficaces, doivent être associés à
explication précise sur ce mode d’administration est néces- une prise en charge plus globale [2, 10].
saire, car l’expérience prouve que l’observance de ces produits
– considérés comme mineurs – est médiocre. Le tramadol,
seul ou associé au paracétamol, est souvent efficace, à ■ Moyens non médicamenteux [36, 37]

condition d’être bien supporté ce qui est loin d’être toujours


le cas. Il figure en bonne place dans les recommandations de Ils sont de mieux en mieux évalués. Leur principe est d’agir
l’EULAR. En revanche, il y a un consensus pour condamner sur les phénomènes douloureux par les agents physiques et une

rééducation musculaire douce et progressive, destinée à la fois Certains semblent faire l’objet d’un consensus in [5]. Dans
à utiliser la sécrétion d’endorphines et à rompre le cercle vicieux toute la mesure du possible, il faut essayer de maintenir la
construit autour de l’atrophie et du déconditionnement muscu- patiente dans son milieu professionnel quitte, dans certains cas,
laire. à œuvrer pour qu’un poste mieux adapté à son état lui soit
• Ces conditions sont idéalement présentes dans la balnéothé- proposé. Avec l’accord du médecin du travail et de celui de la
rapie chaude. Le caractère momentanément efficace d’une Sécurité sociale, il faut essayer de couper l’année par des arrêts
douche chaude matinale est d’ailleurs très souvent spontané- de 10 à 15 jours tous les 3 à 4 mois. Il n’est pas souhaitable,
ment rapporté par les patientes, de même que le soulagement dans l’intérêt de la patiente, qu’elle soit placée en invalidité
temporaire apporté par le massage. À l’inverse, une rééduca- totale, que seul pourrait justifier un retentissement psychiatri-
tion d’emblée énergique et non dosée, à sec, risque d’être que majeur. Dans certains cas de professions exposées particu-
délétère et de dégoûter la patiente de tout abord physique lièrement à des efforts répétitifs, l’aide de la Commission
ultérieur. technique spécialisée peut être sollicitée.
• Une autre possibilité est le recours aux gymnastiques lentes Les patients peuvent se regrouper ou solliciter l’aide et les avis
et douces, d’inspiration orientale type tai-chi. Si la patiente d’associations de fibromyalgiques. Certaines sont bien informées
accepte de coopérer, un programme associant ces méthodes à et donnent des conseils utiles. D’autres sont le siège de conflits
la marche avec des objectifs au départ limités mais lentement internes, et orientent parfois les patients vers des prises en
progressifs donne en quelques semaines des résultats appré- charge discutables.
ciables. Malheureusement, l’expérience prouve que la mise en
jeu de ces méthodes n’est pas toujours aisée, faute de centres
spécialisés et de possibilités matérielles. ■ Conclusion
Que penser des autres moyens non médicamenteux ?
• L’acupuncture a fait l’objet de travaux contrôlés [38] aux À cette époque charnière où l’étude du fonctionnement du
résultats d’ailleurs discordants et dans le meilleur des cas, système nerveux sort de l’empirisme et des préjugés, le syn-
transitoires. Son innocuité justifie qu’elle soit essayée par des drome fibromyalgique, c’est ainsi qu’il est raisonnable de
patients, surtout s’ils sont a priori favorables à ce type de nommer cette pathologie, est un bon exemple de ce que le
prise en charge. grand Charcot avait pressenti à la fin du XIXe siècle. Il affirmait
• L’ostéopathie est essayée par de nombreuses patientes. Aucun – face à beaucoup de préjugés, de scepticisme et d’hostilité
résultat positif convaincant n’a été publié. – que les syndromes nerveux fonctionnels devaient faire l’objet
• L’hypnose est justifiée dans une situation où le fonctionne- d’une approche scientifique. C’était loin d’être le cas à son
ment du système nerveux est en cause. Mais elle n’a fait époque, et cela le reste parfois aujourd’hui. En tout cas, les
l’objet d’aucune étude contrôlée. médecins doivent garder en tête que la douleur fut la première
Reste à envisager la prise en charge psychologique [36, 39]. raison pour laquelle l’homme et la femme primitifs eurent
Il est contre-productif de la proposer d’emblée, ne serait-ce recours à ceux dont ils pensaient – à tort ou à raison – qu’ils
que parce qu’elle va, au mieux, faire penser à la patiente que pourraient les soulager. Les années à venir nous apprendront
sont mal est d’origine psychiatrique, « dans la tête », et au pire beaucoup sur cette fonction vitale, ses troubles et les façons de
qu’on ne la croit pas. la combattre.
Il n’est pas trop difficile d’expliquer que dans une situation
de douleur, de fatigue, d’incompréhension éventuelle de
l’entourage familial et professionnel, il est « normal » d’être Conflit d’intérêt : M.-F. Kahn a bénéficié de prises en charge de Pfizer et
déprimée. Et que cet état de dépression, comme dans toutes Pierre Fabre pour des congrès et des réunions scientifiques.
maladies majeures, infectieuses, voire tumorales, exige d’être .

pris en charge de façon spécifique, indépendamment du


traitement propre de la fibromyalgie. Cette démarche est plus ■ Références
facile à exposer qu’à mettre en pratique. Un recours à un ou
une psychologue non médecin est parfois mieux accepté que la [1] Bannwarth B, Blotman F, Roué-Lelay K, Caubère JP, André E, Taïeb C,
et al. Étude de la prévalence de la fibromyalgie dans la population fran-
prise en charge par un psychiatre, surtout si ce dernier estime,
çaise. Rev Rhum 2009;76:274-8.
comme on le voit, que toute la symptomatologie est de son
[2] Blotman M, Branco J. La fibromyalgie. Toulouse: Privat; 2006.
ressort.
[3] Kahn MF, Audisio F. La polyentésopathie (fibrositis). In: Sèze de S,
Les difficultés familiales exigent d’être particulièrement Ryckewaert A, Kahn MF, éd. L’Actualité rhumatologique. Paris:
considérées. Un mari peu compréhensif va s’irriter devant le fait Expansion scientifique française; 1981.
qu’il a à prendre en charge des activités domestiques dont il [4] Wallace DJ, Clauw DJ. Fibromyalgia and other central pain syndro-
s’estime à tort, exempt. D’autant qu’il peut avoir du mal à mes. Philadelphia: Lippincott-Williams and Wilkins; 2005.
comprendre et à accepter une maladie « qui ne se voit pas », et [5] Menkes CJ, Godeau P. Rapport du groupe de travail sur la fibromyalgie.
qui entraîne fréquemment des difficultés sexuelles qui viennent Paris: Académie de Médecine; 2007.
miner l’entente conjugale [40]. Une consultation de couple peut [6] Cohen H, Neumann L, Haiman Y, Matar MA, Press J, Buskila D.
s’avérer nécessaire et utile, notamment pour convaincre le Prevalence of post traumatic stress disorder in fibromyalgia patients.
conjoint sceptique de la réalité des symptômes. Overlapping syndromes or post traumatic fibromyalgia syndrome.
En dehors de la prise en considération des problèmes person- Semin Arthritis Rheum 2002;32:38-50.
nels et familiaux des patients, il faut aussi évaluer et tenter de [7] Moldovsky H. Importance du cycle veille-sommeil dans la compréhen-
prendre en charge les problèmes sociaux et professionnels. Leur sion des douleurs musculo-squelettiques diffuses et de la fatigue au
impact économique est loin d’être négligeable [41]. Ils influent cours de la fibromyalgie et des syndromes apparentés. Rev Rhum 2008;
75:586-9.
de façon importante sur la qualité de vie des fibromyalgiques et
[8] Malt EA, Berle JE, Olafsson S, Lund A, Ursin H. Fibromyalgia is
font partie de façon plus ou moins directe de l’atteinte à la
associated with panic disorder and functional dyspepsia with mood
qualité de vie [19]. Cette atteinte peut être évaluée grâce à des disorders. J Psychosom Res 2000;49:285-9.
échelles standardisées [42] dont il existe une version française [9] Yunus MB, Inanici F, Aldag JC, Mangold RF. Fibromyalgia in men.
dont on peut souhaiter qu’elle soit utilisée par les organismes Comparison of clinical features with women. J Rheumatol 2000;27:
sociaux. 485-90.
Quels conseils peut-on donner aux patientes qui font état de [10] Kahn MF, Audisio F, M’Bappé P. La fibromyalgie en 2007. In:
difficultés professionnelles qu’elles rencontrent du fait de leur Kahn MF, Bardin T, Myer O, éd. L’actualité rhumatologique. Issy-les-
pathologie ? Moulineaux: Elsevier-Masson; 2007. p. 3317-32.

[11] Fors EA, Sexton H. Weather and the pain in fibromyalgia. Are they [28] Kahn MF, M’Bappé P, Chazerain P. Le syndrome de fatigue chronique.
related? Ann Rheum Dis 2002;61:247-50. In: Kahn MF, Bardin T, Myer O, éd. L’actualité rhumatologique. Issy-
[12] Yunus MB,Arslan S,Aldag JC. Relationship between fibromyalgia and les-Moulineaux: Elsevier-Masson; 2004. p. 170-86.
smoking. Scand J Rheumatol 2002;31:301-5. [29] Carville SF, Arendt-Nielsen S, Bliddal H, Blotman F, Branco JC,
[13] Ribot C, Pouilles JM, Tremollières F. Les syndromes algiques Buskila D, et al. EULAR evidence based recommandations for the
de la privation estrogénique. In: Kahn MF, Bardin T, Myer O, éd. management of fibromyalgia syndrome. Ann Rheum Dis 2008;67:
L’actualité rhumatologique. Issy-les-Moulineaux: Elsevier-Masson; 536-41.
2008. p. 227-39. [30] Sewitch MJ, Dobkin PL, Bernatsky S, Baron M, Starr M, Cohen M,
[14] Houvenagel E. Fibromyalgie et syndromes apparentés. Rev Rhum et al. Medication non adherence in women with fibromyalgia.
2003;70:285-358. Rheumatol 2004;43:648-54.
[15] Wolfe F, Smythe HA, Yunus MB, Bennett RM, Bombardier C, [31] Russell IJ, Mease PJ, Smith TR, Kajdasz DK, Wohlreich MM,
Goldenberg DL, et al. The American College of Rheumatology 1990 Detke MJ, et al. Efficacy and safety of duloxetine for treatment of
criteria for the classification of fibromyalgia. Arthritis Rheum 1990;33: fibromyalgia in patients with or without major depressive disorder:
160-72. results from a 6-month, randomized, double-blind, placebo-controlled,
[16] Crofford LJ, Clauw DJ. Fibromyalgia: where are we a decade after the fixed-dose trial. Pain 2008;136:432-44.
ACR classification criteria were developed? Arthritis Rheum 2002;46: [32] Chappell AS, Little John G, Kajdacz D. A 1-year safety and efficacy
1136-9. study of duloxetine in patients with fibromyalgia. Ann Rheum Dis 2008;
[17] Wolfe F. Fibromyalgia wars. J Rheumatol 2009;36:671-8. 67(supplII):253-8.
[18] Henriksson C, Liedberg G. Factors of importance for work disability in [33] Branco JC, Perrot S, Bragee G. Milnacipran for the treatment of
women with fibromyalgia. J Rheumatol 2000;27:1271-6. fibromyalgia syndrome. A European multicenter randomised double
[19] Kivimäki M, Leino-Arjas P, Virtanen M, Elovainio M, Keltikangas- blind placebo controlled trial. Ann Rheum Dis 2008;67(supplII):251-2.
Järvinen L, Puttonen S, et al. Work stress and incidence of newly [34] Arnold LM, Goldenberg DL, Stanford SB, Lalonde JK, Sandhu HS,
diagnosed fibromyalgia: a prospective cohort study. J Psychosom Res
Keck Jr. PE, et al. Gabapentin in the treatment of fibromyalgia: a
2004;57:417-22.
randomized controlled trial. Arthritis Rheum 2007;56:1336-44.
[20] Yunus MB. Central sensitivity syndrome: a new paradigm and group
[35] Crofford LJ, Rowbotham MC, Mease PJ. Pregabalin in the treatment of
nosology for fibromyalgia and overlapping conditions. Semin Arthritis
fibromyalgia syndrome. Results of a randomised double blind placebo
Rheum 2008;37:339-52.
controlled trial. Arthritis Rheum 2005;52:1264-73.
[21] Ablin J, Neumann L, Buskila D. Actualités sur la fibromyalgie. Rev
Rhum Mal Osteoartic 2008;75:398-404. [36] Cedraschi C, Desmeules J, Raptti E. Fibromyalgia, a randomized
[22] Giesecke T, Gracely RH, Grant MA, Nachemson A, Petzke F, controlled trial of a treatment programme based on self-management.
Williams DA, et al. Evidence of augmented central pain processing in Ann Rheum Dis 2004;63:290-6.
idiopathic chronic low back pain. Arthritis Rheum 2004;50:613-23. [37] Mannerkorpi K, Henriksson C. Non-pharmacological treatment of
[23] Desmeules JA, Cedraschi C, Rapiti E, Baumgartner E, Finckh A, chronic musculo-skeletal pain. A review. Best Pract Res Clin
Cohen P, et al. Neurophysiologic evidence for a central sensitization in Rheumatol 2007;21:513-34.
patients with fibromyalgia. Arthritis Rheum 2003;48:1420-9. [38] Mayhew E, Ernst E.Acupuncture for fibromyalgia.Asystematic review
[24] Gracely RH, Petzke F, Wolf JM, Clauw DJ. Functional imaging of randomized clinical trials. Rheumatol 2007;46:801-4.
evidence of augmented pain processing in fibromyalgia. Arthritis [39] Van Koulil S, Kraalmat F, Van Lankveld W. Tailored cognitive
Rheum 2002;46:1333-43. behavioral therapy in fibromyalgia: a randomised controlled trial. Ann
[25] Guedj E. Quelle est la signification clinique des anomalies retrouvées Rheum Dis 2008;67(supplII):2-3.
en neuro-imagerie dans la fibromyalgie? Rev Rhum 2009;76:379-81. [40] Prins MA, Woertman L, Kool MB, Geenen R. Sexual functioning of
[26] Wood PB, Patterson JC 2nd, Sunderland JJ, Tainter KH, Glabus MF, women with fibromyalgia. Clin Exp Rheumatol 2006;24:555-61.
Lilien DL. Reduced presynaptic dopamine activity in fibromyalgia syn- [41] Hughes G, Martinez C, Myon E, Taïeb C, Wessely S. The impact of a
drome demonstrated with position emission tomography. A pilot study. diagnosis of fibromyalgia on health care resource use by primary care
J Pain 2007;8:51-8. patients in the UK. Arthritis Rheum 2006;54:177-83.
[27] Offenbaecher M, Bondy B, de Jonge S, Glatzeder K, Krüger M, [42] Perrot S, Dumont D, Guillemin F, Pouchot J, Coste J, French Group for
Schoeps P, et al. Possible association of fibromyalgia with a Quality of Life Research. Quality of life in women with fibromyalgia
polymorphism in the serotonin transporter gene regulatory region. syndrome: validation of the QIF, the French version of the fibromyalgia
Arthritis Rheum 1999;42:1482-8. impact questionnaire. J Rheumatol 2003;30:1054-9.
Facteurs psychologiques
des rachialgies chroniques :
de l’évaluation à la prise en charge
S Perrot

L ’approche du rachialgique chronique doit être multiple. Cherchant à analyser les facteurs mécaniques, elle
devra prendre en compte les facteurs psychologiques intriqués, cette prise en compte permettant d’éviter des
erreurs diagnostiques et thérapeutiques.
© Elsevier, Paris.

■ ■
lombalgies particulièrement invalidantes pourront
Introduction Physiopathologie : des mécanismes avoir des conséquences sur l’humeur des patients,
complexes encore méconnus
notamment dans des contextes professionnels
manuels où la perte d’activité peut entraîner des
La douleur est un phénomène complexe ‚ Altérations morphologiques
conséquences dramatiques pour la famille de ces
difficilement évaluable qui fait très souvent discuter rachidiennes
patients. La représentation symbolique de la
une origine organique prouvée ou une atteinte dite Elles n’ont aucune corrélation avec le niveau de colonne rachidienne a un rôle majeur et il n’est pas
psychogène, la réalité étant le plus souvent une douleur. La cause des rachialgies reste encore rare de remarquer que tout s’effondre quand la
intrication des deux. Les douleurs rachidiennes sont mystérieuse. On sait maintenant que tous les colonne ne tient plus. On considère que les
très fréquentes dans les pays occidentaux, à l’origine composants rachidiens et périrachidiens participent rachialgies chroniques qui ne sont pas résolues en
d’un nombre élevé de consultations et de journées à la genèse de la sensation douloureuse et que le moins de 6 mois se compliquent presque
d’arrêt de travail, représentant un réel problème de disque intervertébral n’est pas le seul en cause. Des inéluctablement de désordres psychologiques tels
société et de santé publique. Les rachialgies nocicepteurs sont présents dans toutes les structures que dépression, anxiété voire somatisation dans
occupent une place particulière dans la douleur car locales : plateaux vertébraux, ligament commun d’autres sphères physiques. Certains patients
pour les patients, elles ne sont pas forcément liées à intervertébral postérieur, muscles paravertébraux, lombalgiques chroniques sont typiquement
un problème médical. En revanche, la prise en articulations interapophysaires postérieures et déprimés, coléreux, préoccupés par leurs
charge classique des rachialgies a tendance à être jouent un rôle dans les différentes composantes de symptômes physiques, la sévérité de l’atteinte étant
essentiellement médicamenteuse, alors que les la douleur rachidienne chronique. La part corrélée à la durée des symptômes [8]. En fait, ce
facteurs professionnels, psychologiques ou inflammatoire est mieux connue grâce aux progrès point reste controversé, et dans une étude sur des
récents de l’imagerie rachidienne qui ont permis de mineurs, Leino et Magni [7] n’ont pas confirmé que
d’hygiène de vie sont au premier plan et restent
mettre en évidence des anomalies inflammatoires les lombalgies chroniques prolongées pouvaient se
négligés. Ce mal de dos, que l’on qualifie souvent de
des plateaux vertébraux en postopératoire, après compliquer de dépression au long cours.
« mal du siècle », n’est souvent que l’expression
une nucléolyse ou dans les discarthroses Malgré tout, si la douleur chronique est à l’origine
somatique de personnes vivant dans un
destructrices rapides. d’un retentissement psychologique important, les
environnement difficile, dans des conditions de vie
Malgré tout, les niveaux de douleur sont très caractéristiques préalables de la personnalité des
et de travail pénibles et devant des responsabilités
différents selon les patients pour des atteintes patients semblent jouer un rôle important dans la
lourdes à assumer.
rachidiennes comparables et il ne semble pas détermination de l’extension, de la nature et de la
Il faut donc actuellement envisager une autre
exister de parallélisme entre l’imagerie rachi- sévérité des symptômes psychologiques [2]. Il est
approche des douleurs chroniques, en particulier des dienne quelle que soit la technique employée et le donc important d’évaluer précisément ces patients et
rachialgies, le médecin se trouvant confronté à une niveau de douleur ou de handicap. L’imagerie n’est de tenter de démêler ce qui relève de leur structure
demande qui souvent le dépasse et qui ne pourra utile que lorsqu’elle se confronte à l’analyse psychologique et de problématiques préalables et ce
être raisonnablement satisfaite par des moyens sémiologique pour permettre d’éliminer des qui découle de la douleur et de sa pérennisation.
médicaux habituels et strictement rhumatologiques. diagnostics de gravité.
Ainsi, nous envisagerons dans un premier temps les


modalités de l’évaluation psychologique des ‚ Caractéristiques psychologiques
du rachialgique
Évaluation psychologique
lombalgies, qui doit aller au-delà de la différenciation des patients rachialgiques
classique entre les douleurs du dos et celles qui ne Les facteurs psychologiques jouent un rôle
seraient que « dans la tête ». Nous tenterons ensuite majeur dans les rachialgies [1], mais on ne peut Lorsqu’un patient consulte pour rachialgie,
de définir une prise en charge globale des rachialgies définir précisément si c’est la douleur qui modifie les l’évaluation physique va reposer sur des critères
qui devrait éviter les dérives iatrogènes, souvent caractéristiques psychologiques des patients ou si, à d’examen clinique et des techniques d’imagerie
néfastes, mais qui viserait aussi à ne pas faire l’inverse, ces rachialgies surviennent sur un terrain adaptées. Dans une rachialgie chronique, même sur
supporter par le médecin tous les problèmes que le prédisposé. On sait ainsi que des rachialgies peuvent un terrain ne présentant pas de caractéristiques
dos des patients n’est plus à même d’assumer. révéler une dépression dite masquée. À l’inverse, des psychologiques morbides évidentes, on sait que

1
vont s’intriquer rapidement des difficultés malades souffrant d’une lombalgie aiguë [7]. Si ces D’autre part, dans un contexte d’accident de
professionnelles, sociales, parfois financières et éléments sont retrouvés, les risques de développer travail, les litiges éventuels en cours avec
conjugales [6] . Il est donc indispensable que une lombalgie chronique après un épisode aigu sont l’employeur, les organismes d’assurance ou les
l’évaluation clinique soit complétée par une multipliés par deux à cinq. organismes sociaux ne permettent pas d’envisager
évaluation psychologique. Cette évaluation peut se d’amélioration notable de la douleur. Vouloir
faire par le médecin traitant, ne nécessitant pas de ‚ Évaluation du contexte supprimer une douleur dans un contexte de litige est
techniques particulières, devant suivre un plan précis psychosomatique et du « coping » illusoire : la douleur en cause est l’élément sur lequel
tel que nous l’envisageons. Parfois, dans le cadre de s’appuie le patient, à tort ou à raison, pour faire
Les rachialgiques chroniques sont plus souvent
protocoles de recherche, d’évaluation des soins ou valoir ses droits face à une décision considérée
atteints de céphalées et de syndromes douloureux
de thérapeutiques, il peut être utile de s’aider de tests comme injuste.
divers tels que la fibromyalgie. Les antécédents
psychométriques et de questionnaires réalisés par
morbides psychologiques et somatiques sont ‚ Évaluation de la demande du patient
des spécialistes. Nous verrons ainsi que l’évaluation
importants à préciser dans ce contexte. Des
du rachialgique chronique est proche de celle de Avant de débuter une prise en charge, il est
antécédents de maladie chronique modifient
tous les douloureux chroniques, à ceci près qu’ici les important de savoir analyser la demande du patient,
également la perception du rachialgique chronique
facteurs professionnels, les litiges et le handicap sont de décrypter les espoirs et les priorités en jeu. Il est
en particulier sur ses capacités de guérison. De
des éléments incontournables. ainsi abusif de promettre un soulagement total des
nombreuses recherches en cours étudient les liens
douleurs dans certains cas : un déménageur
‚ Évaluation du contexte psychologique entre mémoire et douleur en particulier grâce aux
lombalgique chronique ne pourra pas être
apports de la psychologie comportementale [5].
À l’interrogatoire, les antécédents de dépression, totalement soulagé tant qu’il continuera son activité
Le patient rachialgique chronique est souvent
de traumatismes (guerres, accidents, viols...), de professionnelle sans adaptation de celle-ci, ce qui
maintenu dans une passivité délétère par tous les
deuils dans la vie antérieure sont des éléments n’est pas toujours possible. Il faut donc faire évoluer
intervenants, médicaux ou non. Le concept de
importants à prendre en compte. Plusieurs auteurs la demande, l’aménager de façon réaliste sous peine
« coping », c’est-à-dire la façon de faire face à la
ont récemment insisté sur le lien possible entre les de se trouver dans une impasse thérapeutique.
douleur, a permis de mieux analyser les possibilités
traumatismes sexuels de l’enfance et certains Le médecin se place souvent sous la pression de
d’évolution des patients en fonction de leur attitude
tableaux douloureux chroniques de l’âge adulte, la demande du patient et il est tenu de dépister la
face au symptôme. La douleur ne doit pas guider la
mais de nombreux biais méthodologiques se posent cause des douleurs et si possible de soulager
vie des patients et les médecins ont trop longtemps
dans les séries publiées, le plus souvent américaines. rapidement les symptômes. Dans les rachialgies, les
favorisé cette attitude. On a très souvent préconisé
La vie conjugale et le vécu actuel du patient devront spécialistes sont nombreux (chirurgiens, rhumato-
du repos prolongé dès la moindre douleur et des
être analysés avec tact et discrétion. Les études logues, ostéopathes, manipulateurs,
arrêts de travail prolongés dès la moindre rachialgie
épidémiologiques ont ainsi montré que le risque de kinésithérapeutes, paramédicaux...) à promettre
aiguë. Tous ces conseils ont pour conséquence de
lombalgie chronique est majoré chez les personnes trop rapidement une guérison sans séquelles, dans
désinsérer le patient de son milieu professionnel et
seules, divorcées ou veuves. En revanche, le risque des délais rapides, conduisant à des escalades
social et rendent plus difficile toute reprise d’activité.
de lombalgie est minoré par la présence d’enfants thérapeutiques iatrogènes et dramatiques pour la
Actuellement, on insiste sur le concept de
au foyer. vie des patients. Cette demande insistante des
réactivation à l’effort qui permet à certains patients
La problématique conjugale joue un rôle patients, que parfois rien ne peut satisfaire, en cache
travailleurs manuels de reprendre une activité
important dans les lombalgies. Les cas d’impuis- d’autres plus profondes, la plainte douloureuse
professionnelle.
sance masculine ou de frigidité féminine sont n’étant plus que le seul moyen d’exister pour
fréquents, la relation entre les douleurs et les certains patients. Vouloir dans ce cas-là supprimer la
‚ Évaluation du contexte professionnel
troubles sexuels pouvant être envisagée de deux douleur rachidienne est illusoire, voire dangereux,
façons. Les relations sexuelles sont écartées car Il est couramment admis que les facteurs pour la survie du patient. Il faudra auparavant faire
ressenties comme douloureuses, et parfois la positionnels sont importants dans le travail : les évoluer la vie du patient grâce à une prise en charge
dévalorisation physique qui accompagne le tableau personnes sédentaires, travaillant sur écran ou globale intégrant éventuellement un travail
des rachialgies peut également entraîner des conducteurs, se plaignent plus souvent de dorsalgies psychothérapique. Il faut attendre le moment où le
troubles du désir. À l’inverse, comme dans la qui pourront être réglées par des conseils posturaux patient pourra se détacher de sa douleur sans
migraine, les rachialgies peuvent être un moyen ou par l’adaptation du poste de travail aidée par une rencontrer le vide.
d’éluder les problématiques conjugales et les analyse ergonomique. Or, l’analyse du contexte
difficultés relationnelles. professionnel ne doit pas se limiter à l’évaluation des
La dégradation de l’image de soi et la restriction
ressentie des capacités sont des éléments importants
dans les rachialgies chroniques. En effet, un grand
nombre de patients rachialgiques sont relativement
contraintes mécaniques [ 6 ] . Les contraintes
psychologiques sont probablement encore plus
déterminantes, notamment dans des périodes de
difficultés économiques. Le stress, les conflits, les

Prise en charge globale
des rachialgies
Ce n’est qu’après une évaluation complète et
jeunes, sportifs et actifs et l’apparition de ces tensions sociales peuvent influer sur les douleurs et exhaustive des facteurs participant à la genèse des
symptômes est vécue comme les premiers signes la façon de les gérer. Une faible qualification rachialgies chroniques, qu’il parait possible
d’un vieillissement, voire d’une dégradation. Les professionnelle, l’inadaptation physique aux d’envisager une prise en charge thérapeutique
médecins sont souvent en cause dans ce contexte : il contraintes, un travail monotone ou pénible, dans adaptée et réaliste [4].
n’est pas rare d’entendre un médecin dire à un un environnement désagréable ou bruyant,
patient de 30 ans qu’il a le dos d’un patient de favorisent l’absentéisme et l’invalidité. L’absence de
‚ Prise en charge psychologique
85 ans ! possibilités d’aménagement du poste de travail au Pour certains patients, une prise en charge
À côté de l’évaluation globale de ces patients, une décours d’un épisode lombaire est un facteur psychologique sera utile, permettant de démêler les
analyse sémiologique psychologique plus fine peut péjoratif. Enfin, l’insatisfaction au travail, la faible intrications avec un passé difficile et un présent
parfois être nécessaire, aidée par un psychiatre ou ancienneté au poste et une mauvaise évaluation conflictuel. Dans tous les cas, cette approche doit
un psychologue. Ainsi, l’anxiété, la dépression, hiérarchique des employés, les facteurs linguistiques, être librement consentie, préparée et adaptée, le
l’inhibition psychomotrice, des éléments le bas niveau des ressources... sont des facteurs suivi médical devant se faire en parallèle, sans
hypocondriaques ou conversifs, voire paranoïaques, corrélés à la gravité des lombalgies. Des abandonner les patients aux psychothérapeutes.
peuvent jouer un rôle. Ils semblent qu’ils aient questionnaires permettent d’identifier les patients à Une collaboration active entre le psychothérapeute
surtout une valeur prédictive sur l’évolution des risque en milieu professionnel. et le médecin peut être nécessaire, à l’image des

2
protocoles mis en place dans les centres de ‚ Relaxation et techniques dérivées Benzodiazépines
traitement de la douleur. La reprise d’une activité physique doit chercher à
Elles sont fréquemment utilisées dans les
redonner au patient une place à son corps, à son
‚ Réactivation des patients rachialgies [3]. Elles n’ont pas d’effet formellement
dos. La maîtrise du stress, des douleurs, de l’anxiété
démontré sur les douleurs. En revanche, elles sont
La réactivation des patients implique une doit faire partie de cette prise en charge physique et
utiles pour diminuer les contractures musculaires
réactivation psychologique et physique, basée sur psychologique. Dans ce cadre, de nombreuses
paravertébrales et l’anxiété liée aux douleurs aiguës.
des principes d’approche comportementale. techniques psychologiques peuvent être bénéfiques
Fordyce [ 5 ] a proposé une théorisation du pour gérer le stress et la douleur : la relaxation, le
comportement du douloureux selon le modèle yoga, le biofeedback, voire l’hypnose, peuvent être
opérant. Ce conditionnement, également dénommé
skinérien, signifie qu’un comportement est
déterminé par les conséquences qui suivent sa
réalisation. Ce concept assez récent va à l’encontre
utiles.

‚ Psychotropes dans les rachialgies


chroniques

Conclusion

des habitudes médicales et des patients qui ont trop Antidépresseurs L’approche psychologique des patients
souvent préconisé le repos et l’inactivité dans les Les propriétés antalgiques des antidépresseurs rachialgiques chroniques est indispensable, que les
douleurs rachidiennes. On distingue ainsi des sont connues depuis quelques années, en particulier facteurs psychologiques soient ou non au premier
techniques d’approche comportementale globale, dans les lombalgies [3, 9]. Ce sont essentiellement les plan et nécessite de laisser de côté de nombreuses
associant des rééducateurs, des psychologues et des antidépresseurs tricycliques qui sont utilisés dans ces idées reçues. Dans l’évaluation du patient, il faut
rhumatologues. On décrit également des indications. Seules l’imipramine (Tofranilt) et éviter de différencier les douleurs du dos et celles qui
programmes de réactivation à l’effort, proposés sur l’amitriptyline (Laroxylt) ont l’autorisation de mise seraient « dans la tête », les mécanismes étant
plusieurs semaines, qui se rapprochent de sur le marché dans des indications antalgiques. Les intriqués la plupart du temps. Dans la prise en charge
programmes d’entraînements intensifs pour sportifs. doses utilisées sont ici moins importantes que dans des patients, la négligence des facteurs
La réactivation physique et psychique se fait au prix la dépression, de l’ordre de 20 à 50 mg/j. Il n’y a pas psychologiques risque d’être source de difficultés
d’une réactivation douloureuse transitoire acceptée, d’indication à introduire de traitement par voie thérapeutiques, voire de conduites iatrogènes.
que prennent en charge des antalgiques parfois injectable, en dehors du traitement d’une véritable Malgré la prise en compte de tous ces facteurs,
majeurs et à fortes doses. Cela nécessite une dépression associée. Il est important d’expliquer aux l’échec de la prise en charge de certains patients
inversion de la prescription médicale et des patients les raisons de la prescription d’antidépres- rachialgiques chroniques déborde largement le
habitudes en cours qui visent encore trop souvent à seurs en différenciant l’effet antalgique de l’effet problème médical, rejoignant les problèmes
mettre les patients au repos en prescrivant des antidépresseur recherché. Ces molécules sont assez économiques et les choix de société. Dans ces cas
doses minimales d’antalgiques alors que l’inverse souvent utilisées dans les rachialgies rebelles, en dramatiques, il reste à se demander si seule l’éthique
est nécessaire. particulier persistant après chirurgie rachidienne. médicale doit se trouver confrontée à ce problème.

Références

[1] Croft PR, Papageourgiou AC, Ferry S, Thomas E, Jayson MI, Silman AJ. [6] Gatchel RJ, Polatin PB, Mayer TG. The dominant role of psychosocial risk
Psychologic distress and low-back pain. Spine 1995 ; 20 : 2731-2737 factors in the development of chronic low back pain disability. Spine 1995 ; 20 :
2702-2709
[2] De Groot KI, Boeke S, Van den Berge HJ, Duivenvoorden HJ, Bonke B,
Passchier J. The influence of psychological variables on postoperative anxiety and [7] Leino P, Magni G. Depressive and distress symptom as predictors of low back
physical complaints in patients undergoing lumbar surgery. Pain 1997 ; 69 : 19-25 pain, neck shoulder pain and musculo-skelettal morbidity. Pain 1993 ; 23 : 89-94

[3] Deyo RA. Drug therapy for back pain. Which drugs help which patients? [8] Pilowsky I. Spine update. Low back pain and illness behavior (inappropriate,
Spine 1996 ; 21 : 2840-2850 maladaptive or abnormal). Spine 1995 ; 20 : 1522-1524
[4] Elkayam O, Ben Itzhak S, Avrahami E, Meidan Y, Doron N, Keidar I et al. [9] Turner JA, Denny MC. Do antidepressant medications relieve chronic low
Multidisciplinary approach to chronic back pain: prognostic elements of the out- back pain? J Fam Pract 1993 ; 37 : 545-553
come. Clin Exp Rheumatol 1996 ; 14 : 281-288

[5] Fordyce WE. Behavioral factors in pain. Neurosurg Clin North Am 1991 ; 2 :
749-759

3
Glossodynies
H. Szpirglas, S. Zucca-Quesemand

C’est une langue qui brûle, une souffrance qui n’empêche pas de dormir et qui disparaît lors des repas. La
langue, comme le reste de la cavité buccale, est le plus souvent normale, ce que confirme l’examen
stomatologique spécialisé. Il faut d’abord et toujours reconnaître la réalité de cette souffrance au niveau
de la langue.
© 2011 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Mots clés : Stomatodynie ; Dysesthésies buccales ; Dépression ; Psychothérapie

Plan ments électriques, quelquefois avec un goût métallique, ou


amer, quelquefois avec une sensation de corps étrangers comme
du sable.
¶ Introduction 1
Ces sensations, dysesthésies plutôt que douleurs, atteignent le
¶ Diagnostic clinique 1 plus souvent la pointe de la langue, et les bords latéraux ; mais
¶ Diagnostics différentiels 2 souvent, elles affectent aussi les gencives, les lèvres, le palais,
¶ Que dire à un patient qui consulte pour une glossodynie ? 2 soit isolément, soit associées aux brûlures de la langue.
L’intensité des douleurs est variable ; elles n’empêchent pas
¶ Formes cliniques des glossodynies 2
de dormir. Le plus souvent, la sensation de brûlure est discrète
¶ Thérapeutique 3 au réveil et augmente au cours de la journée, avec un pic
Écoute psychothérapique 3 maximal en fin d’après-midi.
Médicaments 3 Un élément quasi pathognomonique : les repas sont un
Autres approches 3 moment d’accalmie ; certains patients sont d’ailleurs soulagés
¶ Conclusion 3 par le grignotage, la mastication de gommes ou de bonbons.
Cette douleur peut être accompagnée d’une plainte de
bouche sèche, qu’il convient d’apprécier de façon grossière mais
suffisante par le test au sucre car le plus souvent, l’impression
■ Introduction de sécheresse est subjective : un morceau de sucre placé sous la
langue fond normalement en 3 à 6 minutes ; au-delà de
Les glossodynies (de glosso = langue et odynie = douleur) 6 minutes, le degré d’hyposialie est proportionnel au temps mis
sont des douleurs de la langue d’un type très particulier, des par le sucre à fondre. L’hyposialie est fréquente chez les patients
sensations de brûlures plus ou moins importantes. Quand elles âgés et aggravée dans tous les cas par l’action atropinique des
sont plus étendues dans la cavité buccale, on parle de stomato- psychotropes, sédatifs, antidépresseurs et neuroleptiques.
dynies ; sans support organique, elles sont qualifiées de façon Quelquefois, les patients se plaignent de salivation excessive ;
plus précise de dysesthésies buccales psychogènes [1] mais le elle correspond le plus souvent à des troubles de la déglutition
terme de glossodynie reste, en pratique, le plus souvent utilisé ou à des dyskinésies linguales.
au sens large. L’intensité de la glossodynie est très variable d’un patient à
Deux particularités sont à retenir d’emblée : l’autre ; simple gêne pour certains, elle peut envahir la vie d’un
• le diagnostic d’une glossodynie doit être évoqué par tout patient dont toutes les activités sociales, conviviales, familiales,
médecin confronté à un patient qui se plaint de sensations de sont littéralement organisées autour de cette brûlure de la
brûlures de la muqueuse buccale : ce diagnostic encore trop langue ; pour certains patients, elle est un symptôme doulou-
souvent méconnu est relativement simple à établir ; reux parmi d’autres : œsophagite, gastrite, colite, etc.
• un patient glossodynique est un patient qui souffre : il L’intensité de la brûlure varie aussi selon les jours, les saisons,
revient au médecin de reconnaître cette souffrance, tout en les circonstances de la vie, bonnes ou mauvaises : il peut y avoir
rassurant son patient sur l’absence d’organicité sous-jacente. des jours, voire des semaines, de rémission complète.
Cette bouche qui brûle est, par ailleurs, d’autant plus inquié-
tante pour le sujet que personne en général dans son entourage
■ Diagnostic clinique n’a entendu parler d’un tel symptôme : contrairement au
migraineux ou au colopathe qui entend toujours raconter, un
La plainte est assez remarquablement constante : sensations jour ou l’autre, autour de lui, l’histoire d’un autre migraineux
de brûlures évoquant l’idée de piment, de poivre, de picote- ou d’un autre colopathe, le glossodynique est isolé et la

description de sa plainte suscite souvent l’incrédulité de son de visible, mais faire comprendre que, comme pour les
entourage. Affection chronique, elle entraîne de nombreuses douleurs d’un membre amputé, la douleur de la langue a son
consultations médicales dont la conclusion est trop souvent siège ailleurs.
« vous n’avez rien » Pourtant, l’anxiété, l’angoisse ou, selon les • Il s’agit dans un second temps de rassurer et d’expliquer :
cas, un syndrome dépressif peuvent d’emblée se manifester dans C la glossodynie n’est pas un cancer : il est important de
le discours du patient, ce qui donne à la tonalité de la consul- l’affirmer, car beaucoup de patients, sans être tous cancé-
tation du patient glossodynique une résonance particulière. rophobes, pensent que cette douleur, inconnue de tant de
L’examen clinique par le médecin généraliste est un moment médecins déjà consultés, est forcément suspecte ; la biopsie
très important : la langue comme le reste de la cavité buccale est et le scanner sont inutiles ;
le plus souvent normale. Mais l’examen spécialisé stomatologi- C la glossodynie n’est pas une mycose, et les antifongiques
que reste un recours nécessaire pour rassurer totalement le par voie générale ou topique sont superflus ;
patient, souvent cancérophobe, et quelquefois aussi pour C la glossodynie n’est pas une infection, et les bains de
rassurer le médecin.
bouche sont plutôt néfastes ; beaucoup sont irritants et
augmentent les brûlures ; il n’y a par ailleurs aucun risque
de contagion et on peut embrasser ses petits enfants !
■ Diagnostics différentiels C la glossodynie n’est pas une allergie, et les régimes, les
évictions ou restrictions alimentaires sont inutiles ; on peut
Un problème nouveau est apparu dans la confrontation manger tout ce que l’on aime ;
médicale à la glossodynie, volontiers balayée jusqu’alors par un C la glossodynie, enfin, n’est pas en relation avec une
« vous n’avez rien » sans appel ; c’est une démarche de recher-
nouvelle prothèse, ou le bridge posé il y a quelques mois :
ches, plus ou moins convaincantes, pour faire entrer cette
certes, il arrive parfois qu’une glossodynie se déclenche à
affection dans un cadre organiciste objectivant scientifiquement
la suite de soins dentaires. Dans ce cas, bien plus qu’un
telle ou telle dégénérescence de fibres nerveuses, ou défaillance
de neurotransmetteurs [2-6]. Rappelons que par définition, on processus mécanique, c’est un processus psychopathologi-
réserve le nom de glossodynie aux brûlures buccales sans cause que de déplacement et de focalisation de l’angoisse qui est
organique ; il convient de s’y tenir en attendant que la confir- en cause.
mation des hypothèses avancées en impose un jour la révision. • Il s’agit aussi d’informer car cette douleur n’est ni mysté-
L’examen de la bouche n’est jamais « négatif » ; dans une rieuse, ni exceptionnelle et d’autres patients en souffrent ; il
bouche normale, des anomalies mineures ou plus ou moins faut dire en quelques mots « cette douleur dont vous vous
pathologiques peuvent être rencontrées au niveau de la plaignez a un nom : la glossodynie ; il faut volontiers l’écrire
muqueuse, des gencives et des dents, des restaurations dentaires car à l’ère d’internet, le patient en retrouvera les descriptions
ou prothétiques sans pour autant qu’elles puissent être incrimi- dans lesquelles il se reconnaîtra ; c’est le témoignage d’une
nées dans les glossodynies ; on peut quelquefois hésiter si la difficulté ou d’un état soit anxieux, soit dépressif, et c’est cet
sécheresse buccale est manifeste ou devant une muqueuse état là qu’il convient de soigner afin que ces brûlures puissent
linguale un peu érythémateuse : cesser ou au moins s’atténuer : ces mots-là ont une grande
• il faut alors éliminer un problème anémique sur les résultats importance ; ils authentifient la souffrance, trop souvent niée
d’un hémogramme, le fer sérique, la ferritine, le dosage de la par les médecins, dès lors qu’elle n’a pas de support
vitamine B12 ; organique.
• ou un problème salivaire en vérifiant l’issue de salive aux À l’inverse, il importe de ne pas dramatiser à l’excès, en
ostiums des canaux excréteurs, le test au sucre, en écartant la portant un diagnostic de chronicité irrémédiable à la glossody-
xérostomie du syndrome de Gougerot-Sjögren, ou plus nie : au contraire, il faut en affirmer la guérison à venir dans
souvent celle associée à une prise médicamenteuse ; tous les cas. Bien sûr, la glossodynie a un cheminement insi-
• on peut vérifier l’absence d’une mycose buccale, fréquem- dieux, sur plusieurs mois ou plusieurs années selon les cas ; mais
ment évoquée et abusivement traitée pendant des mois ; elle elle peut aussi se manifester de façon très passagère, voire
est éventuellement confirmée par un examen mycologique fugitive.
d’un frottis de la langue, en rappelant que le Candida albicans Au fil du temps, le patient lui-même va remarquer que cette
est un saprophyte occasionnel de la cavité buccale et que brûlure n’est pas obligatoirement permanente, qu’elle varie
seule une culture positive avec plus de 20 ou 30 colonies est parfois, mais pas toujours, en fonction de différents paramètres
significative ; de la vie, activités, distractions, rencontres. Il devient alors
• le lichen plan buccal est diagnostiqué sur l’examen des possible de souligner ces moments de rémission pour nuancer
muqueuses, surtout les joues, où il se manifeste par un réseau la notion de chronicité, et insister sur l’émergence d’un espoir
blanc kératinisé caractéristique, quelquefois par des érosions de guérison ; cela constitue un premier temps du traitement,
chroniques des joues ou des sillons gingivojugaux ; peut-être le plus important.
• enfin, l’absence de tumeur linguale doit toujours pouvoir être
attestée sans ambiguïté, surtout par exemple au niveau des
amygdales linguales, grosses papilles dont la découverte par le
patient anxieux est très inquiétante.
■ Formes cliniques
Les glossodynies doivent aussi être distinguées des douleurs des glossodynies
sans cause apparente qualifiées de « névralgies atypiques » dont
le siège est fixe, point de départ d’irradiations faciales, souvent Les patients sont très souvent des femmes ; la description
accompagnées de manifestations vasculaires, d’intensité cons- classique des glossodynies en faisait l’apanage de la femme
tante, permanentes pendant les repas qui deviennent une ménopausée âgée. La réalité clinique est moins restrictive : des
épreuve redoutée. femmes plus jeunes et des hommes, plus rarement il est vrai,
consultent aussi pour une glossodynie.
On peut schématiquement distinguer deux cas de figure.
■ Que dire à un patient qui • La glossodynie isolée de la femme âgée. À l’occasion d’un
traumatisme (deuil, maladie d’un proche, etc.) ou d’un repli
consulte pour une glossodynie ? obligé, retraite, départ des enfants, la langue se met à brûler,
imposant à ces femmes, pratiquement à leur insu, un ques-
• Il faut d’abord et toujours reconnaître et admettre la réalité tionnement amer sur leur vie passée, une intolérance à la
de la souffrance au niveau de la langue, même s’il n’y a rien solitude, auxquels s’ajoute une appréhension révoltée de la

mort. La notion de dépression masquée, latente, peut alors Médicaments


souvent être évoquée chez ces femmes qui ne présentent par
ailleurs aucun autre élément de syndrome dépressif : seule la Il arrive que les patients, ou quelquefois leurs praticiens, se
glossodynie signe la souffrance morale, plus ou moins refusent à toute idée d’entretiens psychothérapiques. Dans
volontiers reconnue. certains cas aussi, les patients très âgés sont peu mobilisables
• La glossodynie associée. La glossodynie s’inscrit d’emblée psychiquement, rétifs à la notion de toute prise en charge ;
comme un épiphénomène parmi d’autres symptômes au sein d’autres encore présentent de toute évidence un syndrome
d’un tableau clinique riche en éléments psychopathologiques. dépressif plus ou moins grave ; enfin, certains présentent une
On peut rencontrer plusieurs situations. La plus fréquente est douleur si massive et envahissante que la seule approche par la
la glossodynie survenant dans un tableau dépressif évident : parole semble irréaliste.
Dans tous ces cas, la chimiothérapie peut être envisagée, en
C soit il s’agit d’un syndrome dépressif connu depuis de
évitant la multiplicité des thérapeutiques et la poursuite des
longues années, authentifié par la longue liste d’antidé-
traitements inutiles.
presseurs, d’hospitalisations, de médecins consultés, que le Quels sont les médicaments dont dispose le médecin ? Et
ou la patiente décline dès son arrivée ; surtout, qui doit les prescrire ? À partir du moment où il est
C soit il s’agit d’un syndrome dépressif débutant, avec perte clairement démontré qu’une souffrance psychique domine le
de l’élan vital, désintérêt, aboulie, tristesse, insomnie ; tableau, la prescription doit revenir au médecin traitant,
C soit il s’agit au contraire d’un syndrome dépressif appa- généraliste averti ou psychiatre qui connaît la glossodynie. C’est
remment résolu dont la glossodynie exprime un reliquat. dire ici l’importance de la mise en lien entre praticien de la
Plus rarement, chez des hommes et des femmes plus jeunes, bouche et généraliste et psychiatre.
la glossodynie peut s’intégrer à un cortège de symptômes • En cas d’angoisse prédominante et/ou de glossodynie modé-
témoignant d’une angoisse plutôt que d’un syndrome dépressif : rée, on peut utiliser les anxiolytiques, benzodiazépines,
il s’agit alors souvent d’un patient surmené, professionnelle- comme le bromazépam (Lexomil® 1/4 à 1 comprimé/24 h) en
ment très actif, ou suractif écarté de son activité ; des manifes- doses fractionnées, ou le clonazépam (Rivotril® 1 à 10 gout-
tations somatiques, palpitations, sueurs, boules dans la gorge, tes). Il faut adapter la posologie à l’âge, proscrire l’automédi-
manifestations dites « spasmophiles » sont alors retrouvées, soit cation de ces médicaments trop largement utilisés et
en même temps, soit en alternance ou en relais de la glossody- surveiller de près l’escalade des doses, en se souvenant que
nie, obligeant le ou la patiente à s’interroger sur son mode de tous les psychotropes peuvent en même temps assécher les
vie et à consulter, souvent en urgence. muqueuses.
Dans quelques cas, les glossodynies s’accompagnent de • Au-delà de ces traitements « maniables », la chimiothérapie
sensations de brûlures génitales. psychotrope est du domaine du spécialiste.
La glossodynie peut, plus rarement il est vrai, s’inscrire dans • Les antidépresseurs sont utilisés en cas de glossodynie très
un tableau d’hypocondrie, ou de manifestation psychotique sévère ou associée à un syndrome dépressif.
notamment délirante : ainsi en est-il de certaines glossodynies • Les neuroleptiques ou antipsychotiques sont réservés aux
survenant sur une personnalité paranoïde, revendiquante, et formes plus graves, avec personnalité sous-jacente justifiant
dont l’activité délirante s’est organisée peu à peu autour de cette une telle prescription.
bouche brûlante, hyperalgique.
Autres approches
Il existe évidemment des cas rebelles à tout traitement
■ Thérapeutique médical pour lesquels il faut savoir éviter le passage à une
médicalisation chronique inefficace, dont les inconvénients se
Dans un très grand nombre de cas, l’écoute et la réassurance surajoutent à la douleur chronique. D’autres approches sont
du patient constituent une attitude thérapeutique suffisante ; alors recherchées par les patients et peuvent avoir un effet
elles peuvent être assurées par le médecin habituel ou le bénéfique au moins passager, l’acupuncture par exemple, ou la
stomatologiste, ou tout autre spécialiste d’organe attentif et relaxation, qu’il est légitime d’encourager, en évitant les dérives
patient, assidument fréquenté par le malade ; en effet, chaque ésotériques.
consultation peut être suivie d’une amélioration suffisante, voire
d’une rémission complète, qui dure jusqu’à l’approche du
rendez-vous suivant ; un bon rythme s’établit entre 4 et 6 mois. ■ Conclusion
Mais lorsque la glossodynie est très intense, douloureuse,
envahissante, invalidante parfois, trois modes d’approche Les glossodynies sont fréquentes et faciles à reconnaître ; dans
peuvent être envisagés et éventuellement associés. tous les cas, le médecin doit être à la fois ferme et précis dans
son diagnostic, tout en donnant au patient le temps d’exprimer
sa souffrance, ses doutes, ses interrogations. S’il le pense
Écoute psychothérapique nécessaire, le médecin peut se faire aider dans la prise en charge
par un psychiatre ou un psychothérapeute, en choisissant le
Lorsqu’il semble évident que le malade, à partir de cette
moment adéquat, surtout sans rejet du malade, le fameux
brûlure de la langue, commence à élaborer un questionnement
« vous n’avez rien » étant définitivement à proscrire, et doit être
sur une souffrance autre, une psychothérapie est conseillée. Il
substitué par une explication calme, validant la douleur et
peut s’agir d’une psychothérapie de soutien, d’une thérapie
excluant un support organique qui est quasiment toujours
d’inspiration psychanalytique, voire dans quelques cas d’une
suspecté par le patient (souvent cancérophobe) et sans éluder la
psychanalyse. Mais il ne s’agit pas pour autant d’assurer ou de
poursuite d’une relation médicale confiante ; cette double
promettre qu’au bout de quelques mois d’une telle démarche, la
approche est la plus utile.
langue ne brûlera plus. La glossodynie est une douleur têtue et
De la clarté du cadre thérapeutique mis en place dépendent
imprévisible dans sa durée. Parler, travailler dans le cadre d’une
l’établissement et la permanence du lien avec ces malades
écoute psychothérapique ou analytique peut néanmoins se
difficiles, en espérant leur épargner un nomadisme médical qui,
révéler tout à fait important. La glossodynie peut y perdre son
loin de les soulager, ancre leur souffrance dans la déception à
caractère incurable, elle peut surtout être reconnue comme le
l’égard des médecins.
signe d’un mal-être psychique, et non plus comme un symp-
.

tôme uniquement somatique. Le médecin, généraliste ou


spécialiste, peut être amené à prendre contact avec le thérapeute
pour l’informer du diagnostic de glossodynie, souvent mal
■ Références
connu des psychothérapeutes et/ou des psychiatres, et confirmer [1] Kuffer R. Paresthésies buccales psychogènes (stomatodynies et
l’absence de pathologie buccale sous-jacente. glossodynies). Ann Dermatol Venereol 1987;114:1589-96.

[2] Demange C, Husson C, Poï-Vet D, Escande JP. Paresthésies buccales [5] Lauria G, Majorana A, Borgna M, Lombardi R, Penza P, Padovani A,
psychogènes et dépression. Une approche psychanalytique. Rev et al. Trigeminal small-fiber sensory neuropathy causes burning mouth
Stomatol Chir Maxillofac 1996;97:244-52. syndrome. Pain 2005;115:332-7.
[3] Fleury JE, Deboets D, Assaad C, Maffre N, Duboc B, Ferrey G. Les
glossodynies. Rev Stomatol Chir Maxillofac 1990;91:276-80. [6] Ylmaz Z, Renton T, Yiangou Y, Zakrewska J, Chessell IP, Bountra C,
[4] Poire M. Étude clinique et thérapeutique des glossodynies, à propos de et al. Burning mouth syndrome as a trigeminal small fibre neuropathy:
130 cas. [Mémoire pour le CES de Psychiatrie], Faculté de Médecine increased heat and capsaicin receptor TRPV1 in nerve fibres correlates
Saint Antoine, 1981. with pain score. J Clin Neurosci 2007;14:864-71.
Prurit idiopathique
L. Misery

Le prurit psychogène ou prurit somatoforme ou trouble fonctionnel prurigineux doit être retenu après
avoir éliminé toute cause organique et en fonction de critères diagnostiques. Il peut donc se différencier du
prurit idiopathique, qui n’est pas forcément fonctionnel. Une prise en charge spécifique est alors
nécessaire.
© 2009 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Mots clés : Prurit ; Trouble fonctionnel prurigineux ; Prurit psychogène ; Prurit somatoforme

Plan

¶ Introduction 1
¶ Démarche diagnostique 1
Orientation diagnostique 1
Conclusions diagnostiques 2
¶ Trouble fonctionnel prurigineux ou prurit psychogène 2
Réalité clinique 2
Définition 2
Diagnostic différentiel 4
Physiopathologie 4
Psychopathologie 4
Relation médecin-malade 4
Traitements 4
¶ Conclusion 4

■ Introduction
Le prurit se définit comme une sensation désagréable condui-
Figure 1. Lésions de grattage.
sant au besoin de se gratter [1]. Le prurit idiopathique se définit
comme un prurit dont la cause n’a pas été déterminée. Avant
de conclure à une pathologie dite « fonctionnelle », il est guident le diagnostic étiologique. Un aspect vernissé des ongles
nécessaire d’avoir une démarche diagnostique structurée [2]. est en faveur d’un prurit ancien et intense. L’interrogatoire doit
préciser les caractères du prurit :
• date et mode de début (brutal ou progressif) ;
■ Démarche diagnostique • facteurs déclenchants (stress, irritants...) ;
• évolution (aigu, paroxystique ou chronique) ;
• chronologie (heure de la journée, période de l’année) ;
Orientation diagnostique • intensité (gêne dans le travail, la vie quotidienne, la vie
affective ou le sommeil) ;
Devant une sensation cutanée anormale, il faut d’abord • topographie et extension ;
s’assurer qu’il s’agit bien d’un prurit et non de sensations • facteurs aggravants (hypersudation, sport, bains, douches,
cutanées voisines, comme des douleurs, des paresthésies ou des repas) ou calmants (froid, détente) ;
dysesthésies. • contexte associé (maladies, toxiques) ;
L’appréciation des aspects qualitatifs du prurit est ensuite • liens avec signes objectifs (avant, pendant ou après signes
basée sur les classiques examen clinique et interrogatoire. cutanés) ;
L’examen clinique montre les lésions de grattage (Fig. 1) • existence ou non d’un prurit collectif ;
(nombre, profondeur, localisation, disposition), des papules ou • effets des traitements.
des nodules de prurigo, des lésions de dermographisme, des La mesure de l’intensité du prurit se fait volontiers sur une
lichénifications. Des signes cutanés ou généraux associés échelle visuelle analogique, de 0 à 10.

Tableau 1.
Causes dermatologiques de prurit.
Dermatoses inflammatoires Dermatoses infectieuses Dermatoses génétiques Dermatoses cancéreuses Diverses causes
- psoriasis - folliculites - maladie de Darier - lymphomes - xérose
- dermatite atopique - gale - maladie de Hailey-Hailey - mélanome - prurit anogénital
- eczéma de contact - pédiculoses - NEVIL - érythème solaire
- prurigo - piqûres d’insectes - prurit sénile
- pemphigoïdes - larva migrans - prurit cholinergique
- dermatite herpétiforme - autres parasitoses - prurit adrénergique
- urticaire - varicelle - flushs
- dermographisme - dermatophytie - lichen amyloïde
- mastocytose - candidose - irritants
- lichen plan - impétigo - puvathérapie
- miliaire - dermatoses liées au VIH - cicatrisation
- pityriasis rosé de Gibert - prurit aquagénique
- parapsoriasis en plaques
- pityriasis rubra pilaire
- toxidermies
- lucites
- maladie de Grover
- dermatoses gravidiques
- folliculite d’Ofuji
- papuloérythrodermie
d’Ofuji
- syndrome de Fox-Fordyce
- dermatite séborréique
- dermatoses perforantes
VIH : virus de l’immunodéficience humaine ; NEVIL : nævus épidermique verruqueux inflammatoire linéaire.

Si l’examen montre des lésions cutanées à l’origine d’un admise. Pourtant, les références bibliographiques sont assez rares
prurit, ce qui est généralement le cas, il s’agit d’un prurit puisque PubMed en recensait 37 en août 2008. Le prurit
dermatologique. Sinon, il s’agit d’un prurit sine materia, c’est- psychogène n’est pas fréquent. Il serait présent chez 6,5 % des
à-dire sans lésion étiologique visible. Rappelons toutefois que le consultants d’un service spécialisé en dermatologie
prurit peut précéder les lésions cutanées, en particulier au cours psychosomatique [3].
de l’urticaire, du dermographisme, de la dermatite atopique ou Le prurit psychogène n’est pas cité en tant que tel dans la
de la pemphigoïde. classification internationale des maladies (ICD-10) mais il est
Le bilan étiologique qui suit alors n’est pas codifié et doit être inclus dans les « autres troubles somatoformes » (F45.8), avec
orienté en fonction de la clinique et des données anamnesti- certaines dysménorrhées ou dysphagies, certains torticolis et le
ques. Les causes de prurit sine materia sont en effet multiples : bruxisme.
médicamenteuses, endocriniennes, métaboliques, toxiques, liées Dans la classification psychiatrique Diagnosis and statistical
à l’insuffisance rénale ou à la cholestase hépatique, paranéopla- manual of mental disorders (DSM) IV, il n’est pas non plus
siques, infectieuses, neurologiques, sans oublier le prurit sénile. individualisé et on peut le reconnaître sous diverses appella-
Pour mémoire, nous avons inclus une liste de causes dermato- tions :
logiques (Tableau 1) et non dermatologiques (Tableau 2). Un • troubles somatoformes indifférenciés (300.81) : une ou
bilan standard peut néanmoins être proposé (Tableau 3). plusieurs plaintes somatiques, maladie médicale ou mentale
permettant d’expliquer la présence ou l’intensité des symptô-
Conclusions diagnostiques mes, durant depuis 6 mois ou plus. Ce symptôme n’est pas
Si l’ensemble de cette démarche diagnostique ne permet intentionnellement auto-induit ni simulé ;
aucune conclusion, on retient alors le diagnostic de prurit • troubles douloureux associés à des facteurs psychologiques
idiopathique, qui n’est qu’un diagnostic d’attente. Le diagnostic (307.80) : les facteurs psychologiques jouent un rôle majeur
de prurit psychogène, que nous préférons appeler trouble dans le déclenchement, l’intensité, l’aggravation ou la
fonctionnel prurigineux, nécessite des critères diagnostiques persistance de la douleur (note de l’auteur : rappelons que le
positifs (cf. infra) car il est très important de ne pas attribuer de prurit n’est pourtant pas une douleur a minima) ;
caractère psychogène à un prurit au seul motif qu’un bilan n’a • troubles somatoformes non spécifiques (300.81) : troubles
pas été concluant (Fig. 2). Une telle attitude pourrait être avec des symptômes somatoformes qui ne répondent pas aux
dommageable pour le patient, qui pourrait se sentir abandonné critères d’un trouble somatoforme spécifique.
ou incompris, ou même dangereuse. En effet, il faut savoir Par ailleurs, des facteurs psychologiques peuvent augmenter
renouveler le bilan plus tard, et toujours avoir à l’esprit que des des sensations somatiques telles que le prurit ou la douleur [4].
maladies graves, comme des lymphomes, peuvent se manifester Pour certains [5] , il n’existerait pas de prurit uniquement
pendant plusieurs années uniquement par un prurit sine psychogène ou uniquement organique. En fait, si des facteurs
materia. psychiques peuvent aggraver un prurit d’origine organique, il
existe bien un prurit que l’on peut classer parmi les troubles
fonctionnels ou psychogènes ou somatoformes.
■ Trouble fonctionnel prurigineux
ou prurit psychogène Définition
Le groupe psychodermatologie de la Société française de
Réalité clinique dermatologie a proposé de définir le prurit psychogène comme
Comme pour d’autres troubles fonctionnels, l’existence du « un trouble au cours duquel le prurit est au centre de la
prurit psychogène est parfois discutée mais elle est généralement symptomatologie et où des facteurs psychologiques jouent un

Tableau 2.
Causes non dermatologiques de prurit.
Insuffisance rénale chronique Prurit

Cholestase
Lithiase biliaire
Pancréatite Lésion dermatologique
Cancer du pancréas
Métastases hépatiques ou pancréatiques
Hépatites
Cirrhose biliaire primitive Oui Non
Cholangite sclérosante primitive
Cholestase gravidique
Hémopathies Prurit dermatologique Prurit sine materia
Lymphomes hodgkiniens ou non
Gammapathies bénignes ou malignes
Maladie de Vaquez
Bilan étiologique
Mastocytose
Troubles endocriniens et métaboliques
Carence en fer
Dysthyroïdies
Négatif Positif
Hyperparathyroïdie
Diabète
Grossesse
Tumeur carcinoïde Prurit Prurit non
idiopathique dermatologique
Prurits psychogènes
Prurit sénile
Autres
Cancers digestifs Critères diagnostiques de
trouble fonctionnel prurigineux
Cancers neurologiques
Médicaments
Troubles neurologiques
Parasitoses
Infection par le VIH Oui Non
Prurit aquagénique
Animaux marins
VIH : virus de l’immunodéficience humaine. Prurit psychogène Prurit
trouble fonctionnel prurigineux idiopathique

Tableau 3.
Bilan étiologique standard. Figure 2. Arbre décisionnel. Démarche diagnostique en cas de prurit.
Biopsie de peau (avec IF si sujet âgé)
NFP, numération CD4/CD8
VS, CRP Tableau 4.
Urée, créatinine Critères diagnostiques du trouble fonctionnel prurigineux.
Bilan hépatique Trois critères obligatoires :
Glycémie à jeun, hémoglobine glycosylée - prurit sine materia localisé ou généralisé
Calcémie - prurit chronique (> 6 semaines)
Fer sérique, ferritine - pas de cause somatique
TSH
Trois critères sur sept facultatifs :
Électrophorèse et Immunoélectrophorèse des protéines
- relation chronologique entre la survenue du prurit et des événements
Sérologie VIH de vie pouvant avoir une répercussion psychique
Sérologie VHA, VHB, VHC - variations de l’intensité avec le stress
Sérologie amibe, douve, Toxocara - variations nycthémérales
Examen parasitologique des selles - prédominance pendant les périodes de repos ou d’inaction
Radiographie thoracique - trouble psychique associé
Échographie abdominale - prurit qui peut être amélioré par des psychotropes
IF : immunofluorescence ; NFP : numération-formule-plaquettes ; VS : vitesse de - prurit qui peut être amélioré par des psychothérapies.
sédimentation ; CRP : C reactive protein ; TSH : thyroid stimulating hormone ; VIH :
virus de l’immunodéficience humaine ; VHA : virus de l’hépatite A ; VHB : virus
de l’hépatite B ; VHC : virus de l’hépatite C.

Cette définition a été complétée par dix critères diagnostiques


rôle évident dans le déclenchement, l’intensité, l’aggravation ou (Tableau 4). Trois critères sont obligatoires et sept optionnels.
la persistance du prurit » et préfère le terme de « trouble Pour retenir le diagnostic de trouble fonctionnel prurigineux, les
fonctionnel prurigineux » à celui de « prurit psychogène » ou de trois critères obligatoires et trois critères optionnels sur sept sont
« prurit somatoforme » [6]. nécessaires.

Diagnostic différentiel Le traitement des lésions de grattage (prurigo) peut être fait
par des pansements occlusifs, ou par l’application de dermocor-
D’autres pathologies dites « fonctionnelles cutanéomuqueu- ticoïdes, d’inhibiteurs de calcineurine et surtout d’émollients
ses » sont voisines et peuvent donc être discutées pour le contenant ou non des antiprurigineux (capsaïcine, doxépine,
diagnostic différentiel : psychalgie cutanée, paresthésies cuta- lidocaïne, menthol, glycocolle, endocannabinoïdes, raffinose ou
nées, vulvodynie, stomatodynie, glossodynie, trichodynies et autres). La puvathérapie ou les ultraviolets B (UVB) sont parfois
quelques peaux sensibles (ou réactives). utiles.
D’autres diagnostics différentiels sont de nature différente : L’approche émotionnelle est centrée autour de la relation
urticaire psychogène, dermographisme psychogène, excoriations médecin-malade et du soutien psychologique, le médecin
psychogènes sans prurit et pathomimie. devenant alors l’équivalent d’un médicament. Lorsque le patient
est prêt à cela, diverses psychothérapies peuvent être proposées :
psychanalyse, psychothérapies d’inspiration analytique, hypnose
Physiopathologie ou thérapies comportementales. Des psychotropes sont souvent
efficaces : hydroxyzine, doxépine et inhibiteurs de recapture de
Les voies spécifiques du prurit commencent à être mieux la sérotonine.
connues. Au niveau cérébral, des aires sensorielles mais aussi Quant à l’approche cognitive, elle consiste en l’éducation du
motrices et affectives sont activées simultanément. Le prurit patient, pour qu’il comprenne sa maladie, se déculpabilise et
peut alors être défini comme « une sensation qui est accompa- sache se prendre en charge, en évitant aussi les conduites
gnée par l’activation controlatérale du cortex antérieur et de aggravantes (en particulier le grattage intempestif).
l’activation surtout ipsilatérale de l’aire motrice supplémentaire
et du lobule pariétal inférieur, le grattage pouvant suivre » [7], ce
qui signifie bien que pour ressentir un prurit, des mécanismes
cérébraux sont indispensables. La naissance d’un prurit, si elle
a lieu généralement au niveau cutané, peut aussi survenir à des ■ Conclusion
niveaux supérieurs : nerveux, médullaires ou cérébraux. Le
Ainsi, en présence d’un prurit idiopathique, il ne faut pas
prurit peut d’ailleurs être induit mentalement [8].
hésiter à répéter le bilan car des diagnostics peuvent être de
révélation tardive, et il ne faut pas avancer le diagnostic de
Psychopathologie prurit psychogène sans arguments solides.

Il est aussi possible de comprendre la survenue de troubles


fonctionnels prurigineux par des théories psychologiques [9].
Sans entrer dans les détails, il existe principalement deux écoles.
L’une voit dans le trouble fonctionnel prurigineux un trouble
du « Moi-peau » [10], le trouble fonctionnel prurigineux étant
“ Points forts
alors un moyen de ressentir sa limite cutanée autant que sa • Le prurit se définit comme une sensation conduisant au
limite psychique. L’autre voit dans le trouble fonctionnel besoin de se gratter.
prurigineux une dissociation, c’est-à-dire une anomalie de • Le prurit psychogène ou trouble fonctionnel
perception ou un trouble cognitif [11]. prurigineux se définit comme un trouble au cours duquel
le prurit est au centre de la symptomatologie et où des
Relation médecin-malade facteurs psychologiques jouent un rôle évident dans le
déclenchement, l’intensité, l’aggravation ou la persistance
Les théories qui faisaient du trouble fonctionnel prurigineux du prurit. Il existe dix critères diagnostiques.
une manifestation masochiste ou une « masturbation psychi- • Des facteurs psychiques peuvent aggraver tous les
que » sont aujourd’hui à peu près abandonnées : il n’y a pas de prurits.
plaisir mais au contraire beaucoup de souffrance chez les
• Avant de parler de prurit idiopathique ou de trouble
patients qui souffrent de trouble fonctionnel prurigineux.
fonctionnel prurigineux, il est nécessaire d’avoir éliminé
L’altération de la qualité de vie est importante.
toute cause somatique.
Mais le cercle vicieux prurit-grattage-prurit est difficile à
• Pour évoquer un trouble fonctionnel prurigineux et le
rompre car il existe une sensibilisation périphérique (hyperplasie
des fibres nerveuses) et centrale au prurit, c’est-à-dire que toute
différencier d’un prurit idiopathique, il faut des arguments
sensation finit par être ressentie comme prurigineuse [12]. positifs.
L’annonce du diagnostic de trouble fonctionnel prurigineux
doit être prudente et appuyée sur des arguments solides. Il peut
en effet être très perturbant, voire culpabilisant, d’entendre qu’il .

n’y a pas de cause organique mais une cause psychique. Au


contraire, d’autres patients peuvent très bien s’en satisfaire mais ■ Références
abandonner toute prise en charge médicale. C’est pourquoi il
[1] Misery L. Prurit. EMC (Elsevier Masson SAS, Paris), Dermatologie,
est nécessaire d’envisager le diagnostic de trouble fonctionnel
98-140-A-10, 2006.
prurigineux dès la première consultation comme une des causes [2] Misery L, Camabazard F. Prurit (avec le traitement). Rev Prat 2002;
de prurit. Si le diagnostic n’est ensuite pas certain ou probable, 52:1139-44.
il vaut mieux parler de prurit idiopathique. Sinon, il faut [3] Stangier U, Gieler U. Somatoforme Störungen in der Dermatologie.
expliquer pourquoi c’est possible et surtout quelle thérapeutique Psychotherapie 1997;2:91-101.
on peut proposer. Il est important de bien préciser au patient [4] Gieler U, Niemeier V, Brosig B, Kupfer J. Psychosomatic aspects of
que l’on a compris que les démangeaisons n’étaient pas imagi- pruritus. Dermatol Psychosom 2002;3:6-13.
naires ou inventées. [5] Fried RG. Evaluation and treatment of ″psychogenic″ pruritus and self-
excoriation. J Am Acad Dermatol 1994;30:993-9.
[6] Misery L, Alexandre S, Dutray S, Chastaing M, Consoli SG, Audra H,
Traitements et al. Functional itch disorder or psychogenic pruritus: suggested
diagnosis criteria from the French psychodermatology group. Acta
Il n’existe pas d’essai thérapeutique et donc pas de conduite Derm Venereol 2007;87:341-4.
à tenir codifiée. Toutefois, la prise en charge peut être envisagée [7] Savin JA. How should we define itching? J Am Acad Dermatol 1998;
à trois niveaux : lésionnel, émotionnel et cognitif [5]. 39:268-9.

[8] Niemeier V, Kupfer J, Gieler U. Observations during an itch-inducing [12] Yosipovitch G, Greaves MW, Schmelz M. Itch. Lancet 2003;361:
lecture. Dermatol Psychosom 1999;1:15-9. 690-4.
[9] Consoli SG. Psychiatrie et dermatologie. EMC (Elsevier Masson SAS,
Paris), Dermatologie, 98-874-A-10, 2001.
[10] Anzieu D. Le moi-peau. Paris: Bordas; 1985. Pour en savoir plus
[11] Gupta MA, Gupta AK. Medically unexplained cutaneous sensory
symptoms may represent somatoform dissociation: an empirical study. Misery L. La peau neuronale. Paris: Ellipses; 2000.
J Psychosom Res 2006;60:131-6. Misery L, Ständer S. Itch. Berlin: Springer-Verlag; 2008.
Syndrome de l’intestin irritable

J Frexinos, O Croizet, E Lagier

L es troubles fonctionnels intestinaux sont responsables de la majorité des consultations de gastro-entérologie.


Le diagnostic évoqué par la chronicité des troubles, en l’absence d’altération de l’état général, reste un
diagnostic d’élimination. La coloscopie ne doit être réalisée en première intention qu’au-delà de 50 ans, et surtout en
cas d’antécédents familiaux de cancer rectocolique. Aucun régime ne doit être recommandé de façon systématique.
La qualité de la relation médecin-malade est le facteur essentiel de la prise en charge.
© Elsevier, Paris.


soins ont motivé de nombreuses recherches motricité colique puis intestinale (fig 1). À ces
Introduction épidémiologiques. Drossman a démontré que 15 à problèmes de motricité s’ajoutent aujourd’hui des
20 % d’une population apparemment saine, anomalies de la sensibilité viscérale. Grâce aux études
c’est-à-dire ne consultant pas, présentaient des de distension réalisées avec un barostat, une
Le syndrome de l’intestin irritable (irritable bowel symptômes semblables à ceux habituellement hypersensibilité viscérale (colique et intestinale) a été
syndrome, IBS) a été décrit en 1944 pour désigner retrouvés au cours des TFI [4]. D’autres enquêtes ont mise en évidence dans la plupart des TFI [2]. Elle se
des troubles fonctionnels intestinaux chroniques à confirmé l’importance des plaintes digestives traduit par un abaissement des seuils de perception
type de douleurs abdominales associés fonctionnelles dans la population générale. Tout de la douleur (fig 2). Des anomalies semblables de la
éventuellement à des troubles du transit. Il fait récemment, des symptômes fonctionnels digestifs viscérosensibilité ont été également retrouvées au
actuellement partie du grand ensemble des troubles ont été retrouvés dans 61 % de la population niveau de l’estomac ou de l’intestin chez les patients
fonctionnels intestinaux (TFI). Ce dernier terme générale française. ayant une dyspepsie fonctionnelle, ou au niveau de
représente mieux la réalité du problème et se définit Il s’agit d’une affection à prédominance féminine l’œsophage chez les patients présentant des
par l’association ou l’alternance de douleurs (deux femmes pour un homme). Le diagnostic initial douleurs rétrosternales non coronariennes. Ainsi, les
abdominales, de troubles du transit intestinal se fait habituellement entre 30 et 40 ans, mais l’âge troubles fonctionnels intestinaux et la dyspepsie
(diarrhée, constipation ou alternance de diarrhée et réel du début de la maladie peut être beaucoup plus seraient des expressions cliniques de la même
de constipation) et de ballonnements abdominaux. précoce, et les TFI de l’enfant sont loin d’être maladie, le « tube digestif irritable ». Une enquête
C’est celui que nous utiliserons préférentiellement. exceptionnels. récente [1] a permis de constater que 87 % des
En pratique, le médecin se trouve souvent Les facteurs environnementaux et les patients avec IBS répondaient aussi aux critères de
confronté à des plaintes floues et difficiles à évaluer antécédents d’agression physique ou sexuelle dyspepsie et, qu’à 1 an, environ 50 % des patients
dont la prise en charge n’est pas toujours facile. semblent jouer un rôle important dans l’apparition avaient changé de profil symptomatique. La
Faut-il privilégier la certitude en appliquant à la lettre de cette pathologie fonctionnelle. En effet, en 1990, séparation des symptômes gastro-intestinaux
les règles strictes du diagnostic d’élimination ? Faut-il Drossman a montré qu’il existait une plus grande fonctionnels en dyspepsie ou TFI est donc
avoir essentiellement une vision pragmatique fréquence « d’abus sexuels » ou physiques parmi les actuellement peu appropriée.
reposant surtout sur la clinique ? La réponse est patients consultant pour des troubles fonctionnels
souvent affaire de bon sens. intestinaux [3]. L’importance des perturbations de la personnalité
Le terme de « colite », souvent utilisé par les associées aux TFI est également reconnue et illustre
malades, doit être proscrit car il peut provoquer la le lien commun qui peut réunir le cerveau et le


confusion avec une véritable affection organique du système nerveux entérique [6]. En règle générale,
côlon d’origine inflammatoire, parasitaire, Physiopathologie l’anxiété, l’hypochondrie et la dépression sont
infectieuse..., comportant des ulcérations, des fréquentes, et environ 80 % des colopathes ont une
hémorragies et un pronostic autrement plus grave exacerbation des symptômes en situation de stress.
que celui des TFI ! Jusqu’à présent, les TFI étaient considérés comme Un certain nombre de tableaux caricaturaux ont
résultant de « troubles primitifs de la motricité et/ou aussi été répertoriés : le méticuleux obsessionnel (qui


de la sécrétion, sans lésion organique décelable ». La narre avec une précision extraordinaire ses
Épidémiologie reconnaissance du caractère multidimensionnel symptômes), l’obsédé fécal (qui décrit avec précision
(motricité, sensibilité digestive, personnalité) de la le rythme, la couleur, la consistance et l’odeur de ses
physiopathologie des TFI et la participation de selles), l’hystérophobique polyalgique (dont les
Les TFI sont responsables de la majorité des plusieurs segments du tube digestif (intestin, côlon, symptômes sont présentés avec aisance et
consultations en pathologie digestive. rectum) ont permis des progrès considérables dans séduction, mais dont le discours est souvent
L’importance de cette prévalence et les leur compréhension. imprécis, plein de contradictions et d’affabulations),
conséquences économiques majeures que suscitent Les premiers travaux consacrés à la physiopatho- le déprimé cénestopathe (qui incorpore les
la demande d’examens à visée diagnostique et les logie des TFI [5] ont mis en évidence des troubles de la symptômes digestifs dans un ensemble de plaintes

1
l’abdomen, ou localisés à un angle colique, allant de
la simple gêne postprandiale (et la nécessité de
Constipation de progression Diarrhée motrice indolore
desserrer la ceinture) à une distension douloureuse
très violente, souvent renforcée par une sensation
d’angoisse insupportable, qui est souvent cause
d’hyperaérophagie, c’est-à-dire d’une déglutition
excessive, involontaire et inconsciente d’air, ce qui
renforce le gonflement abdominal. Chez certains
patients, un volume excessif de gaz dans l’intestin
semble bien être à l’origine des ballonnements.
Cependant, ceux-ci sont loin de s’accompagner
systématiquement d’une augmentation significative
de la production des gaz, et la sensation de
ballonnement sans météorisme traduit le plus
souvent une hypersensibilité intestinale à des
volumes normaux de gaz.

‚ Troubles du transit
Ils sont variables selon les différentes formes
cliniques. Il s’agit le plus souvent d’une constipation
Augmentation de la segmentation
plus ou moins douloureuse, pouvant être
Augmentation du péristaltisme
entrecoupée de débâcles de fausse diarrhée après la
Diminution du péristaltisme Diminution du frein sigmoïdien prise de laxatifs, ou spontanée. Dans ce dernier cas,
la débâcle est provoquée par une hypersécrétion
1 Physiopathologie schématique des troubles du transit au cours des TFI. réactionnelle à la stase fécale dans le côlon distal. Il
peut également exister une alternance véritable de
périodes de diarrhée et de constipation.
10 Inconforts Une diarrhée indolore mais gênante par la
10 Douleurs
Patients fréquence et le caractère impérieux des selles doit
Patients faire suspecter une diarrhée motrice (présence de
8
Nombre de sujets

8 débris alimentaires aisément reconnaissables dans


Nombre de sujets

les selles, caractère postprandial, absence de


Contrôles malabsorption et d’amaigrissement). Plus rarement,
6 Contrôles
6 on retrouve la classique émission de ruban de
mucus, autrefois désignée sous le terme de « colite
4 mucomembraneuse ». Ce dernier signe est souvent
4
très alarmant pour le malade qui croit « perdre ses
intestins » alors qu’il ne rejette que le moule de la
2 cavité colique, fait dans une matière mucoïde
2
gélifiée.
0 À côté de ces trois plaintes fondamentales, il
0 200 400 600 0 existe souvent un cortège de manifestations
0 200 400 600
Volume du ballon (mL) digestives autres, telles que nausées et
Volume du ballon (mL)
vomissements, dyspepsie, sensation de boule dans
2 Troubles de la sensibilité colique au cours des TFI. Les sujets ayant des TFI tolèrent plus mal la distension la gorge, mauvaise haleine, éructations, flatulence,
colique que ceux du groupe contrôle. Les seuils de perception (inconfort et douleur) sont abaissés chez les borborygmes, nausées, prurit anal, proctalgies
patients présentant des TFI.
fugaces. Des manifestations extradigestives (fatigue,
migraines, palpitations, cystalgies) et psychiatriques
somatiques), le délirant hypocondriaque (qui ne peut du cadre colique, irradier en arrière ou vers les sont également très fréquentes. Il est difficile de
être persuadé de l’absence d’organicité malgré de cuisses, ou encore en barre dans la région mesurer l’importance du lien entre la colopathie et
nombreuses investigations). ombilicale. ces problèmes extradigestifs, mais il n’est pas exclu
Elle survient habituellement après le repas mais que l’explication principale passe par des profils de

Présentation clinique des TFI

‚ Douleur abdominale
■ peut tout à fait être matinale (douleur « réveille-
matin »), plus rarement nocturne. Elle évolue
pendant un temps variable, de quelques heures à
quelques jours, soulagée classiquement par
personnalité communs à tous ces troubles
fonctionnels et à ce que l’on appelait autrefois la
« dystonie neurovégétative ».

l’émission de gaz ou de selles, augmentée par les


C’est le signe le plus fréquemment retrouvé. C’est
repas copieux et riches en graisses ou en alcool, le Diagnostic
elle, avec les ballonnements, qui est le symptôme
stress, l’anxiété, la fatigue physique. Elle est
déterminant le plus souvent le malade à consulter.
améliorée enfin par la détente, le repos, les
Classiquement à type de contraction, de spasme,
vacances.
parfois de tension intolérable, elle siège Le diagnostic de troubles fonctionnels intestinaux
habituellement au niveau des fosses iliaques droites (fig 3) est évoqué par la chronicité des troubles,
‚ Ballonnements abdominaux
ou gauches, ou dans la région ombilicale. Elle peut évoluant au minimum depuis plus de 3 mois, et
également se localiser aux hypocondres (syndrome Ils sont également très fréquents au cours de la l’absence évidente d’altération de l’état général, en
de l’angle colique droit ou gauche), dessiner le trajet colopathie. Ils peuvent être généralisés à tout particulier de tout amaigrissement. Le diagnostic de

2
dans ces cas-là, à éliminer un syndrome de
malabsorption (épreuve au D-xylose et biopsie
Douleurs abdominales chroniques jéjunale) ou rechercher la présence de laxatifs dans
et/ou ballonnements les selles (anthraquinones, phénolphtaléine).
et/ou troubles du transit

En faveur du caractèreonctionnel
f : Év
aluation du terrain
év
olution > 3 mois Stress ou anxiété ? Quand demander une coloscopie ?
pas d'altér
ation de l'état génér
al Facteurs déclenchants ? ✔ Antécédent familial de polype ou de
cancer colorectal et âge supérieur à
50 ans.
Coloscopie ? ✔ Modification récente du transit
(diarrhée ou constipation).
✔ Émissions rectales anormales (sang
OUI si : NON si :
âge > 50 ans âge < 50 ans
ou glaires).
ou anémie, rectorragies, inflammation aucun facteur de risque ✔ Éléments en faveur d’une
ou facteurs de risques : aucun signe d'alarme organicité (fièvre, altération de l’état
antécédents (cancers) général, syndrome inflammatoire).

Tumeurs colorectales
‚ Principaux diagnostics différentiels
Traitement
Exérèse endoscopique
puis symptomatique À évoquer dans les cas difficiles, ils sont centrés
ou chirurgicale d'emblée
sur les problèmes pancréatiques (pancréatite
3 Troubles fonctionnels intestinaux : conduite à tenir. chronique ou cancer) ou rénaux, et, en urgence, sur
les crises d’appendicite, de coliques néphrétiques ou
hépatiques, ou sur certaines sigmoïdites
certitude reste un diagnostic d’élimination reposant provoquées sur le trajet colique et des signes de
diverticulaires évoluant à bas bruit.
essentiellement sur un examen complémentaire : la distension (un côlon droit dilaté et douloureux, un
coloscopie. Deux impératifs doivent donc être météorisme, une « corde colique » gauche
soulignés : ne pas commettre une erreur de douloureuse). Le toucher rectal est normal ou peut
diagnostic par défaut, car les TFI peuvent être
associés à d’autres pathologies latentes (cancer ou
polype coliques, maladie gynécologique…), ne pas
commettre une erreur de diagnostic par excès, en
ramener des selles chez un sujet constipé, en dehors
de tout besoin de défécation (dyschésie rectale). En
1978, Manning [7] a démontré que six critères
avaient une valeur discriminante pour le diagnostic

Formes cliniques,
évolution et pronostic

découvrant des anomalies asymptomatiques par d’IBS, la présence de trois d’entre eux ayant déjà une La diversité des formes cliniques s’explique par la
des examens non justifiés (par exemple, une lithiase valeur pour le diagnostic. possibilité de différentes combinaisons associatives,
biliaire, une hernie hiatale, des kystes biliaires). qui peuvent être regroupées en sept formes cliniques
L’interrogatoire doit rechercher des antécédents ‚ Réalisation d’examens complémentaires principales : douleur sans trouble du transit, douleur
personnels ou familiaux de pathologies digestives et et diarrhée, douleur et constipation, douleur et
Chez un sujet présentant des troubles
des signes en faveur d’une organicité : début récent alternance de diarrhée et de constipation, diarrhée
fonctionnels intestinaux, elle a pour but essentiel
des troubles, douleurs nocturnes, amaigrissement, indolore, constipation indolore, alternance de
d’éliminer une affection organique et, accessoi-
fièvre, rectorragies, selles glaireuses. Il faut diarrhée et de constipation indolores.
rement, de reconnaître certains signes positifs peu
également rechercher des éléments d’ordre L’évolution à court terme, sur 2 ou 3 mois, est le
spécifiques. Ces examens complémentaires sont
psychologique : le déclenchement ou l’accentuation plus souvent favorable. La symptomatologie peut
orientés par les symptômes et ne devront pas être
des troubles par le stress, des signes de dépression s’accentuer à l’occasion de stress, de facteurs
renouvelés en dehors de modification de la
(manque d’entrain, asthénie, insomnie, perte de psychologiques, familiaux, professionnels ou
symptomatologie.
confiance en soi, perte d’appétit…), et l’abus sociaux. En période de détente ou de vacances, les
La coloscopie doit être réalisée en première
éventuel de laxatifs. symptômes s’atténuent souvent. À long terme,
intention au-delà de 45 ans, et surtout en cas
d’antécédents familiaux de cancer rectocolique. Le l’évolution des TFI est cependant moins bien
‚ Examen clinique connue, mais il semble que des formes de passage
bilan biologique (normulation formule sanguine,
Il peut mettre en évidence des douleurs vitesse de sédimentation) n’est pas systémati- entre dyspepsie et colopathie soient très fréquentes.
quement demandé, mais en cas de coloscopie, il La fréquence des troubles dyspeptiques au cours des
convient de vérifier, avant l’anesthésie, la normalité TFI, les limites imprécises des deux syndromes et les
Critères de Manning en faveur de des électrolytes, et tout particulièrement celle de la plaintes mal définies font obligatoirement penser à
l’IBS : kaliémie, parfois abaissée par la diarrhée que un dysfonctionnement global du tube digestif.
– selles non moulées au début des provoque la préparation colique. Les problèmes Le retentissement de cette évolution chronique
douleurs ; posés par les formes avec diarrhée chronique rebelle doit être envisagé à plusieurs niveaux. Les arrêts de
– selles plus fréquentes au début des aux traitements symptomatiques motivent le recours travail sont parfois fréquents et responsables d’un
douleurs ; à des explorations biologiques qui seront choisies en fort absentéisme professionnel… La consommation
– Douleurs calmées par la défécation ; fonction des données de l’anamnèse : examen de médicaments peut être parfois excessive, 80 %
– distension abdominale objective ; parasitologique des selles, éventuellement dosages des patients prenant en permanence des laxatifs,
– impression fréquente d’évacuation hormonaux à la recherche d’une hypersécrétion antispasmodiques ou anxiolytiques. Enfin, les TFI
incomplète ; endocrine (thyroid stimulating hormone [TSH], exposent à de fréquentes erreurs diagnostiques, soit
– présence de mucus dans les selles. gastrinémie, sérotoninémie et 5-hydroxy-indol- par défaut (difficilement évitables quand le « hasard »
acétique urinaire [HIA]). Il faut également penser, fait du colopathe un cancéreux), soit par excès.

3

cas de glaucome par fermeture de l’angle ou Des cures thermales (Châtelguyon, Plombières-
Thérapeutique d’adénome prostatique) comme le Libraxt, le les-Bains) peuvent parfois être bénéfiques. D’autres
Vésadolt. Ces médicaments peuvent avoir des effets techniques, comme l’hypnothérapie ou l’acu-
secondaires gênants (sécheresse de la peau et des puncture, sont parfois employées avec succès dans
muqueuses, mydriase, troubles de l’accommodation, la colopathie rebelle aux approches thérapeutiques
La relation médecin-malade est le facteur
tachycardie). On leur préfère souvent les régulateurs conventionnelles (mais leurs effets restent à
essentiel de la prise en charge. Aucun régime ne doit
de la motricité comme la trimébutine (Débridatt) ou démontrer par des études contrôlées).
être recommandé de façon systématique.
les antispasmodiques musculotropes comme le
phloroglucinol (Spasfont), la mébévérine ‚ Indications et conduite à tenir
‚ Moyens
(Duspatalint), le pinavérium (Dicetelt), le citrate
L’effet placebo, dans l’amélioration à court terme d’alvérine (Météospasmylt), etc. On ne doit plus Douleurs abdominales et constipation
des symptômes des TFI, est important (évalué entre utiliser d’antispasmodiques contenant de la sans ballonnement
40 et 60 %). Quelle que soit l’attitude thérapeutique, noramidopyrine (Avafortant, Viscéralgine fortet) en
raison du risque imprévisible et mortel Le traitement de la constipation est au premier
la qualité de la relation médecin-malade est le
d’agranulocytose. plan. Les mesures diététiques consistent à apporter
facteur essentiel de la prise en charge. Le premier
d e s fi b r e s a l i m e n t a i r e s e n l ’ a b s e n c e d e
acte thérapeutique doit toujours être d’apporter des
Adsorbants et pansements ballonnements.
explications sur le caractère bénin de la maladie,
l’évolution chronique, l’amélioration vraisemblable Ces produits sont largement employés. En cas de Les traitements médicamenteux de la
de la maladie et la certitude de l’absence de lésion ballonnements, on utilise les pansements intestinaux constipation sont les régulateurs de l’hydratation des
astringents ou adsorbants type argile (Bedelixt, selles, tels que le polyéthylène glycol (Transipegt,
organique.
Smectat) ou le charbon activé (Formocarbinet, Forlaxt, Movicolt), les laxatifs osmotiques : lactulose
Quinocarbinet). En cas de diarrhée, on utilise (Duphalact), lactitol (Importalt), les mucilages, qui
Règles hygiénodiététiques
d’autres types d’argile (Actapulgitet, Smectat). augmentent le volume du bol fécal (Transilanet,
La question sur le régime à suivre est une des Spagulaxt) et les laxatifs lubrifiants, comme l’huile
premières que pose le patient. Ralentisseurs du transit
de paraffine (Lansoÿlt, Laxamaltt). En cas de
Les intolérances alimentaires de nature sont Les ralentisseurs du transit sont utilisés à la dyschésie rectale (c’est-à-dire de constipation
souvent accusées à tort. Le rôle des fermentations demande en cas de TFI avec diarrhée motrice. On terminale avec difficulté d’évacuation), il est souvent
coliques semble plus réel. Une maldigestion de utilise essentiellement le lopéramide (Imodiumt,
utile d’adjoindre des suppositoires à la glycérine, des
l’amidon ou de certains sucres (fructose ou sorbitol) Arestalt), analogue des opiacés, dont le seul
suppositoires d’Éductylt ou des petits lavements
peut entraîner des fermentations excessives, inconvénient peut être l’apparition d’une
(Microlaxt).
elles-mêmes productrices d’une libération constipation secondaire en cas de surdosage.
Le traitement de la douleur repose sur les
d’histamine se traduisant alors par une L’acétorphan (Tiorfant) est un antisécrétoire
intestinal. Plus rarement, on peut avoir recours au antispasmodiques et les régulateurs de la motricité, à
symptomatologie pseudo-allergique. Cela pourrait fortes doses en cas de crise aiguë.
expliquer, du moins partiellement, les discordances dyphénoxylate (Diarsedt) ou à des produits
contenant de la codéine. Il est exceptionnel,
surprenantes qui viennent d’être constatées.
aujourd’hui, d’utiliser l’élixir parégorique, qui Ballonnements et/ou douleurs
Généralement, mise à part l’exclusion de sans constipation
comporte un risque de toxicomanie.
nutriments trop fermentescibles en cas de
ballonnements (légumes secs, haricots blancs, Sur le plan des mesures hygiénodiététiques, on
Quelle est la place des anxiolytiques
choux, jus de pomme, prune), aucun régime ne doit et des antidépresseurs ? doit surtout conseiller d’éviter les aliments
être recommandé de façon systématique à ces fermentescibles (légumes secs et choux), de manger
L’utilisation des anxiolytiques ne doit en aucun
patients qui ont spontanément tendance à se lentement, de bien mastiquer, de diminuer la
cas être systématique. Elle peut cependant être
restreindre en aliments « ballast ». Seule l’intolérance consommation de boissons gazeuses ou de gomme
recommandée chez les patients avec une
au lactose peut être considérée comme une cause à mâcher…
personnalité anxieuse, mais elle doit toujours se faire
possible de diarrhée et doit donc être recherchée en de façon transitoire et à faibles doses. En ce qui Les traitements médicamenteux que l’on peut
priorité. Lorsqu’elle est suspectée, un régime concerne les antidépresseurs, on doit garder à l’esprit proposer reposent sur les pansements intestinaux à
d’exclusion des produits lactés peut être tenté. que ces traitements ne sont pas dénués d’effets base d’argile (Bedelixt, Smectat) ou de charbon
Le régime sans résidu peut également être utile secondaires, et qu’ils favorisent notamment la activé (Formocarbinet, Quinocarbinet) associés à
temporairement pour atténuer les symptômes d’une constipation. Il faut cependant se souvenir qu’une des antispasmodiques ou à des régulateurs de la
poussée aiguë chez un sujet non constipé. dépression masquée peut se révéler par des troubles motricité (Débridatt).
L’enrichissement en fibres alimentaires (son de blé fonctionnels intestinaux.
administré à doses progressives jusqu’à atteindre Diarrhée motrice
Prise en charge psychothérapique
20 g de son par jour afin de limiter les
L’abord psychologique des patients souffrant de Sur le plan diététique, il faut limiter les apports en
ballonnements en début de traitement) et mucilages
TFI est fondamental. Lorsqu’on le néglige, la prise en résidus alimentaires (mais il est rarement nécessaire
est recommandé dans les formes avec constipation
charge est rapidement vouée à l’échec. Le premier d’instaurer un régime sans résidu strict) et l’abus
prédominante sans ballonnement excessif.
acte thérapeutique doit toujours être d’écouter et de d’alcool, de tabac ou de café (stimulants de la
comprendre les patients qui, en général, aiment motricité digestive). Les médicaments utilisés sont les
Antispasmodiques et régulateurs ralentisseurs du transit, comme le lopéramide
exposer en détail leurs symptômes. Il faut les
de la motricité
rassurer, car la cancérophobie est fréquente, être (Imodiumt), les antisécrétoires intestinaux ou, plus
En l’absence de médicaments disponibles persuasif, dédramatiser la situation et expliquer rarement, le dyphénoxylate (Diarsedt), la codéine,
agissant exclusivement sur les voies de la sensibilité l’origine fonctionnelle des symptômes, sans pour voire l’élixir parégorique, exceptionnellement. Les
digestive, le traitement des douleurs repose surtout autant en minimiser l’intensité et rejeter ces patients. pansements digestifs, comme les argiles
sur les antispasmodiques (inhibant la contraction Bien que non systématique, la psychothérapie peut (Actapulgitet, Smectat), sont souvent efficaces. En
musculaire lisse) et les régulateurs de la motricité. se révéler très utile pour certains d’entre eux. Le cas d’alternance diarrhée-constipation, on traitera
Il peut s’agir d’antispasmodiques neurotropes (à recours au psychiatre reste en revanche d’abord la constipation, et l’on se méfiera toujours
effet anticholinergique, et donc contre-indiqués en exceptionnel. des fausses diarrhées par constipation.

4

La pression des malades peut amener le médecin conduite maladive, pouvant être acquise durant
Conclusion à demander des examens complémentaires non l’enfance, de parents trop angoissés.
justifiés, débouchant sur la découverte de Le médecin généraliste a un rôle majeur à jouer
Les TFI sont donc considérés, à juste titre, comme pathologies latentes, et conduisant aussi à des dans la prise en charge de ces patients. Une écoute
responsables de la majorité des consultations en thérapeutiques inutiles et inadaptées (cholécystecto- attentive et intelligente peut éviter de nombreux
pathologie digestive. L’importance de cette mies, appendicectomies, interventions examens complémentaires et obtenir, en association
prévalence peut entraîner des conséquences gynécologiques...), multipliant les risques iatrogènes. avec les moyens thérapeutiques classiques, des
économiques majeures. Un autre risque, d’ordre socio-éducatif, est la résultats très significatifs.

Références

[1] Agréus L, Svardsudd K, Nyren O, Tibblin G. IBS and dyspepsia in the general [5] Frexinos J, Bueno L, Fioramonti J, Delvaux M, Staumont G. La motricité
population: overlap and lack of stability over time. Gastroenterology 1995 ; 109 : colique au cours du syndrome de l’intestin irritable. Gastroenterol Clin Biol 1990 ;
671-680 14 : 18C-22C

[2] Bradette M, Delvaux M, Staumont G, Fioramonti J, Bueno L, Frexinos J. [6] Frexinos J, Louvel D, Delvaux M. Physiopathologie des troubles fonctionnels
Evaluation of colonic sensory thresholds in IBS patients using a barostat. Defini- intestinaux. Progrès en hépatogastroentérologie. Paris : Doin, 1995 : 124-133
tion of optimal conditions and comparison with healthy subjects. Dig Dis Sci
1994 ; 39 : 449-457 [7] Manning AP, Thompson WG, Heaton KW, Morris AF. Towards positive diag-
nosis of the irritable bowel. Br Med J 1978 ; 2 : 653-654
[3] Drossman DA, Leserman J, Nachman G, Li ZM, Gluck H, Toomey TC et al.
Sexual and physical abuse in women with functional or organic gastrointestinal
disorders. Ann Intern Med 1990 ; 113 : 828-833

[4] Drossman DA, Sandler RS, Mckee DC, Lovitz AJ. Bowel patterns among
subjects not seeking health care. Use of a questionnary to identify a population
with bowel dysfunction. Gastroenterology 1982 ; 83 : 529-534

5
Dyspepsie chronique idiopathique

B Coffin

L a dyspepsie chronique idiopathique (DCI) motive 2,5 % des consultations non spécialisées et 10 à 25 % des
consultations de gastroentérologie. C’est un diagnostic d’interrogatoire ; les examens complémentaires sont le
plus souvent inutiles. Le traitement, largement empirique, fait appel aux antiacides, aux antisécrétoires ou aux
prokinétiques. La prise en charge du patient sur le plan psychologique fait partie intégrante du traitement.
© Elsevier, Paris.


Introduction Tableau I. – Principales causes des symptômes dyspeptiques.

— Dyspepsie chronique idiopathique


— Obstruction (tumeurs gastriques et duodénales, inflammatoires...)
Parmi les patients ayant une pathologie — Dermatomyosite, sclérodermie, dystrophies musculaires et autres collagénoses
fonctionnelle du tube digestif, un grand nombre se — Neuropathies viscérales (diabétique, amylose, dysautonomies primitives)
plaint de symptômes chroniques dont l’origine est — Myélopathie, hypertension intracrânienne, anorexie mentale
— Médicaments (dopaminergiques, anticholinergiques, psychotropes, opiacés)
attribuée au tractus digestif haut. Parmi ceux-ci, la — Gastro-entérites virales
majorité répond à la définition de la dyspepsie — Séquelles de la chirurgie gastrique (vagotomie)
chronique idiopathique qui, étymologiquement,
signifie « difficultés à digérer ». Ces dernières années,
des techniques d’exploration de plus en plus
sophistiquées ont permis d’objectiver de pouvant faire évoquer une pathologie ulcéreuse, est Ils doivent être présents, depuis au moins 3 mois,
nombreuses anomalies fonctionnelles au cours de la parfois présente. Le plus souvent, les patients se en l’absence de prise médicamenteuse susceptible
dyspepsie chronique idiopathique, essentiellement plaignent davantage d’une sensation d’inconfort d’interférer avec la vidange gastrique.
au niveau de la sphère gastroduodénale. digestif, désagréable. Bien que la gêne soit difficile à En cas de doute clinique, il faut éliminer, par
quantifier, ces symptômes interfèrent directement endoscopie, une pathologie ulcéreuse ou
obstructive.


avec la qualité de vie des patients. L’absence
Syndrome dyspeptique d’amaigrissement doit être soulignée. ‚ Dyspepsie chronique idiopathique
La DCI est de loin la cause la plus fréquente de ces et autres pathologies
symptômes, mais certaines pathologies organiques, fonctionnelles digestives
‚ Définition parfois exceptionnelles, peuvent provoquer la même Il existe un chevauchement considérable entre les
Longtemps, la multiplicité des termes utilisés pour symptomatologie ( t a b l e a u I ) . Elles seront différentes pathologies fonctionnelles digestives.
qualifier la dyspepsie (dyspepsie chronique recherchées au moindre doute, notamment L’interrogatoire soigneux d’un patient se plaignant
idiopathique, non ulcéreuse, essentielle, motrice, l’existence d’une obstruction par une endoscopie et de DCI retrouve fréquemment des signes évocateurs
estomac irritable) témoignait de l’absence de la prise de médicaments susceptibles d’interférer de reflux gastro-œsophagien ou d’autres évoquant
définition consensuelle de cette entité. Depuis le avec la vidange gastrique par un interrogatoire un syndrome de l’intestin irritable. Il est admis de
début des années 1990, un accord s’est établi après soigneux. considérer le reflux gastro-œsophagien comme une
de nombreuses réunions d’experts internationaux. entité propre, répondant à un mécanisme
Le terme de dyspepsie chronique idiopathique (DCI) physiopathologique précis, et de ne plus l’intégrer
doit être utilisé en présence de symptômes Les symptômes de la dyspepsie dans le cadre de la DCI, comme cela a été fait, à tort,
chroniques, évoluant depuis au moins 3 mois, qui chronique sont : pendant longtemps. Les liens entre la DCI et le
semblent émaner de l’estomac. Les autres ✔ satiété précoce ; syndrome de l’intestin irritable, c’est-à-dire une
qualificatifs ne doivent plus être utilisés. Ces ✔ plénitude gastrique postprandiale ; douleur améliorée par l’émission de selles ou de gaz,
symptômes comprennent une sensation de satiété ✔ distension épigastrique ou des troubles du transit digestif, sont extrêmement
précoce avec difficultés à terminer un repas normal, postprandiale ; forts. Des études épidémiologiques ont montré
une sensation de plénitude gastrique postprandiale, ✔ nausées, vomissements ; qu’avec le temps, la symptomatologie était
une distension siégeant dans la région épigastrique ✔ douleur épigastrique ; susceptible de se modifier du syndrome de l’intestin
en période postprandiale, des nausées et des ✔ sensation d’inconfort digestif irritable à la dyspepsie et inversement.
vomissements alimentaires et une impression de en l’absence d’amaigrissement. Dans tous les cas, c’est le symptôme qui
digestion lente. La douleur épigastrique vraie, prédomine et qui motive la consultation qui

1
permettra de classer le patient dans un cadre constante. D’après les données publiées dans la
nosologique particulier, de réaliser les explorations % de sujets littérature, on estime qu’elle est présente chez
éventuellement nécessaires et d’entreprendre un 100 environ 60 % des patients. Aucune corrélation avec
Dyspeptiques
traitement adapté. les anomalies de la motricité gastrique n’a été
Témoins
80 retrouvée.
P < 0,001
Le siège de cette anomalie sensitive, localisé à


Épidémiologie 60

40
l’estomac ou diffuse à l’ensemble du tube digestif,
reste encore discuté. Certaines études suggèrent que
l’atteinte serait uniquement gastrique ; dans d’autres
travaux, cette anomalie serait diffuse à l’ensemble
Plusieurs études épidémiologiques, réalisées du tube digestif comme au cours des autres troubles
20
essentiellement dans les pays anglo-saxons et fonctionnels digestifs.
scandinaves, ont montré que la DCI est une Cette anomalie de la sensibilité viscérale s’intègre
0
pathologie particulièrement fréquente. Entre 20 et 0 100 200 300 400 500 600 700 800 peut-être dans le cadre d’une neuropathie viscérale
40 % des sujets interrogés signalent des symptômes Volume de distension (mL) sensitivomotrice diffuse évoluant a minima. En effet,
dyspeptiques. Il est possible que ces différences un travail a montré qu’il existait, chez ces patients,
1 Pourcentage de sujets dyspeptiques ressentant une
soient dues à des variations géographiques, mais il d e s a n o m a l i e s d ’ u n e b o u c l e r é fl e x e
douleur lors d’une distension gastrique par un bal-
est plus probable qu’elles soient dues aux problèmes lonnet. Le seuil douloureux est obtenu pour des volu- duodénogastrique.
de définition. En France, la fréquence de cette mes de distension plus faibles chez les patients que L’origine de cette hypersensibilité viscérale au
pathologie est certainement très proche de ces chez les sujets sains contrôles (d’après Lémann cours de la DCI, mais aussi au cours des autres
chiffres. Actuellement, on estime que la DCI motive 2 et al) [6]. pathologies fonctionnelles digestives, reste encore
à 5 % des consultations non spécialisées et 10 à
méconnue, compte tenu de la multiplicité des
25 % des consultations en gastroentérologie. des dissociations sont parfois possibles. À partir de la structures nerveuses mises en jeu et des nombreux
seule analyse des symptômes, il est difficile d’isoler mécanismes régulateurs impliqués. Les nouvelles


nettement les patients ayant des troubles moteurs. techniques d’exploration neurophysiologique qui
Physiopathologie Seule la sensation d’une digestion lente semble avoir apparaissent actuellement, comme la scintigraphie à
une certaine valeur prédictive pour l’existence d’une émission de positron ou la résonance magnétique
gastroparésie. Cette stase gastrique postprandiale est nucléaire fonctionnelle, permettront sans doute
sous-tendue par une hypomotricité antrale en d’élucider les questions qui restent en suspens.
Le développement de nombreuses techniques
période postprandiale. Outre ces anomalies de la
d’exploration fonctionnelles a permis de mieux saisir ‚ Sécrétion gastrique acide
motricité antrale, il existe fréquemment une
la physiopathologie de la DCI. Plusieurs études ont tenté de faire la preuve d’une
mauvaise coordination de la région antropyloroduo-
dénale et, parfois, des anomalies de la motricité anomalie de la sécrétion gastrique acide chez les
intestinale. patients ayant une DCI. Il est aujourd’hui
Physiopathologie de la dyspepsie
Le rôle physiopathologique de ces anomalies de relativement clair qu’une telle anomalie n’est pas en
idiopathique chronique
la motricité gastrique reste discuté. D’une part leur cause chez ces patients. Parfois, les patients
On évoque :
présence est inconstante, d’autre part l’utilisation de décrivent une symptomatologie qui reproduit à s’y
✔ des anomalies motrices avec une méprendre une symptomatologie ulcéreuse.
prokinétiques, qui corrigent le retard de vidange
hypomotricité antrale et duodénale, Certains d’entre eux sont même manifestement
gastrique chez ces patients, ne fait pas totalement
à jeun et surtout en période soulagés par la prise d’un antiacide ou
disparaître les symptômes.
postprandiale ; d’antisécrétoires. Cette efficacité a été confirmée lors
✔ des anomalies de la sensibilité ‚ Anomalies de la sensibilité gastrique d’études randomisées contre placebo selon les
gastrique avec une hypersensibilité méthodes classiques, mais aussi en utilisant de
Au cours des autres pathologies fonctionnelles
viscérale à la distension ; nouveaux plans thérapeutiques, dits en
digestives, comme les douleurs thoraciques non
✔ un abaissement par la sécrétion multicrossover, permettant de comparer le
angineuses et le syndrome de l’intestin irritable,
gastrique acide du seuil douloureux traitement au placebo selon un ordre aléatoire chez
certains travaux ont montré qu’il existait chez ces
lors de la distension mécanique ; un même patient. Ces résultats suggèrent que
patients une hypersensibilité viscérale à la
✔ le rôle déclenchant de certains distension. Cette anomalie a été également
certains patients pourraient présenter une
aliments, souvent évoqué, est retrouvée au cours de la DCI. Lorsqu’on effectue des
hypersensibilité gastrique à l’acide. Cette hypothèse
possible mais non démontré ; il n’y a n’a pas encore été confirmée chez des patients, mais
tests de distension par un ballonnet placé dans la
pas d’allergie alimentaire vraie. un travail récent vient de montrer que l’acide
cavité gastrique, la douleur survient pour des
Il n’y a pas de profil psychologique chlorhydrique était capable de modifier le seuil
volumes ou des pressions de distension plus faibles
particulier. douloureux lors d’une distension mécanique chez le
chez les patients que chez les sujets sains contrôles
sujet sain. L’acide chlorhydrique agirait comme un
(fig 1). Cette hypersensibilité gastrique à la distension
sensibilisateur.
n’est pas due à un défaut d’« extensibilité » de
‚ Anomalies motrices
l’estomac. En effet, la compliance, c’est-à-dire les ‚ Reflux duodénogastrique
La première anomalie qui a été clairement caractéristiques mécaniques des cellules musculaires L’hypothèse d’un reflux duodénogastrique de
démontrée chez ces patients était l’existence de lisses, était toujours normale. Dans la majorité des sécrétions biliaires ou pancréatiques a aussi été
troubles de la motricité gastroduodénale. À jeun, il cas, ces tests de distension permettent de reproduire évoquée. À ce jour, aucune étude n’a permis de
existe une hypomotricité antrale et duodénale. Mais les symptômes spontanément ressentis par les mettre en évidence une telle anomalie chez ces
c’est surtout en période postprandiale que les patients. Cela suggère fortement que cette anomalie patients.
anomalies sont les plus marquantes. Les études de soit directement impliquée dans la genèse des
transit scintigraphiques ont montré qu’environ 50 % symptômes. Cette hypersensibilité viscérale n’est pas ‚ Gastrite et Helicobacter pylori
des patients sont atteints de gastroparésie. Le retard associée à une hypersensibilité somatique, qui est La découverte histologique d’une gastrite
de la vidange gastrique porte aussi bien sur la toujours normale. Mais comme les anomalies de la inflammatoire localisée ou diffuse n’est pas corrélée
vidange des solides que sur celle des liquides, mais motricité, cette hypersensibilité viscérale n’est pas à l’existence des symptômes.

2
Plus récemment, le rôle d’Helicobacter pylori (Hp) a
été évoqué. Dans ce cas, son éradication, par une Tableau II. – Place des examens complémentaires nécessaires chez des patients ayant un syndrome
dyspeptique sans signes de gravité.
association d’antibiotiques et d’antisécrétoires, devrait
entraîner une disparition rapide et durable des Examen indispensable :
symptômes. Malheureusement, les résultats sont - aucun
contradictoires. Dans certains travaux, l’éradication de
Examens possibles :
Hp entraîne une diminution, voire une disparition, des - fibrosocopie œsogastroduodénale
symptômes, alors que dans d’autres, cet effet n’est pas - glycémie
retrouvé. Dans la majorité des études, l’efficacité sur - mesure de la vidange gastrique (par un centre de référence)
les symptômes était jugée à court terme (4 à 8 - test de sensibilité gastrique (par un centre de référence et dans le cadre d’un protocole)
semaines). Deux études ont cherché à déterminer si Examens inutiles :
l’éradication de Hp entraînait une amélioration - fibrosocopies œsogastroduodénales répétées (sauf modifications récentes du tableau clinique)
symptomatique à long terme. Dans ces travaux, alors - transit œsogastroduodénal
que l’amélioration symptomatique était faible au bout - recherche d’Helicobacter pylori (quelle que soit la méthode)
de 4 semaines chez les patients éradiqués, au bout de
plusieurs mois, les symptômes finissaient par réaliser en cas de syndrome douloureux d’allure ‚ Antiacides et antisécrétoires
disparaître. Cela pourrait suggérer un rôle de Hp dans ulcéreuse, et si les symptômes sont apparus
Certains patients sont nettement améliorés par la
la genèse des symptômes, mais pourrait aussi être récemment chez un patient âgé de plus de 45 ans.
simple prise d’un antiacide ou par des antisécré-
seulement le reflet de l’histoire naturelle de la maladie. La prévalence du cancer de l’estomac et du
toires, anti-H2 ou inhibiteurs de la pompe à protons.
Concernant l’étude de la sensibilité viscérale, les lymphome gastrique est faible en France, mais cette
Cette efficacité laisse supposer un rôle physiopatho-
seuils douloureux à la distension ne sont pas hypothèse diagnostique doit être gardée à l’esprit.
logique à la sécrétion gastrique acide. Les anti-H2
différents chez les patients à Hp positif et ceux à Hp Dans les autres cas, aucun consensus ne se dégage. devraient être préférés aux inhibiteurs de la pompe à
négatif. Ces résultats suggèrent que le rôle de Hp est Des études comparant le rapport coût/bénéfice protons, compte tenu essentiellement d’un coût plus
limité dans la genèse des symptômes et n’invitent thérapeutique d’un traitement empirique versus un faible. Ils peuvent être administrés sous leur forme
pas à effectuer une éradication systématique de ce traitement précédé d’une fibroscopie ont été réalisées, classique ou sous leur forme effervescente, qui
germe chez les patients ayant une DCI. essentiellement en Grande-Bretagne et aux États-Unis, comporte également des antiacides. Dans cette
deux pays qui se différencient nettement de la France indication, il est probable que des prises répétées
‚ Profil psychologique par les possibilités d’accès aux soins et par le coût des dans la journée, deux à trois fois par jour, soient plus
examens complémentaires. Dans ces études, aucune efficaces qu’une prise unique le soir, bien qu’aucune
Plusieurs travaux avaient montré que les patients
différence significative de coût entre les deux étude n’ait comparé ces deux protocoles
ayant des troubles fonctionnels digestifs avaient des
stratégies ne se dégage. L’avantage à réaliser thérapeutiques.
profils psychologiques particuliers, comme une
rapidement une endoscopie est d’éliminer avec
tendance hypochondriaque ou une personnalité
certitude une pathologie organique, ce qui rassurera le ‚ Prokinétiques
hystérique. Ces études initiales étaient biaisées car
patient et confortera le médecin traitant dans son
réalisées chez des patients consultant pour leur Les différents prokinétiques disponibles et leurs
diagnostic. Cependant, il ne faut jamais répéter cet
pathologie. Plus récemment, d’autres travaux mécanismes d’action sont rapportés dans le tableau
examen de manière itérative, sauf modifications
éliminant ce biais n’ont pas confirmé l’existence de III. À l’exception de l’érythromycine, l’efficacité des
importantes de la symptomatologie clinique.
ces anomalies. Seuls les patients consultants ont prokinétiques a été démontrée dans de nombreuses
Les autres examens complémentaires, comme la études au cours de la DCI. Dans l’ensemble, ils
parfois une personnalité particulière, qui ne s’intègre
mesure de la vidange gastrique par scintigraphie, ou améliorent significativement les symptômes et,
pas dans un cadre physiopathologique précis. Le
l’étude de la sensibilité viscérale par des tests de quand cela a été étudié, ils accélèrent la vidange
rôle du stress dans l’apparition des symptômes est
distension, sont réservés aux patients ayant une gastrique. Quant à l’érythromycine, son action
difficile à apprécier. Plus que l’importance du stress, il
forme clinique sévère, adressés à des centres de prokinétique a été montrée au cours de la
semble que ce soit la manière dont il est ressenti par
référence de type CHU et, si possible, dans le cadre gastroparésie diabétique avec de faibles doses
les patients qui doive être prise en compte.
de protocoles de recherche clinique ou (125 mg), mais n’a pas été confirmée au cours de la
‚ Alimentation thérapeutique précis. DCI. De nouvelles molécules dérivées de
La recherche de H pylori par biopsies, cultures ou l’érythromycine, sans action antibiotique et avec un
Le rôle déclenchant de certains aliments est très tests sérologiques n’est pas souhaitable à titre
souvent évoqué par les patients. Mais il ne faut pas effet moteur plus important, sont en cours
systématique. d’élaboration.
parler d’allergie alimentaire vraie, qui est exceptionnelle Les examens radiologiques, comme un transit
chez l’adulte. Il est possible que certains aliments, œsogastroduodénal, n’ont aucune place dans ‚ Modificateurs de la sensibilité viscérale
comme ceux riches en lipides, par les libérations l’évaluation diagnostique de ces patients et doivent
hormonales qu’ils induisent, en particulier la La recherche de molécules ayant une action
être abandonnés. Peu sensible et peu spécifique, le spécifique sur la sensibilité viscérale est un des
cholécystokinine, favorisent l’apparition d’anomalies transit œsogastroduodénal ne permet pas
motrices ou une hypersensibilité gastrique. grands challenges de la recherche pharmaceutique
d’apprécier quantitativement la vidange gastrique. pour ces prochaines années. Des résultats
Dans tous les cas, sauf modifications récentes du encourageants ont été obtenus avec certaines


tableau clinique ou devant l’existence d’une molécules en cours de développement, comme la
Place des explorations altération de l’état général, il est totalement inutile de
complémentaires fédotozine, un agoniste des récepteurs opiacés
les répéter. périphériques, ou certains antagonistes des
récepteurs de type 3 (les anti-5HT-3) à la sérotonine.
Des examens complémentaires seront éventuel-
lement réalisés en fonction des données obtenues par
l’interrogatoire et l’examen clinique (tableau II). Dans
la majorité des cas, ils sont inutiles, le diagnostic de

Approche thérapeutique

Les différentes approches pharmacologiques qui


Cependant, aucune de ces molécules n’est encore
disponible sur le marché.

‚ Modificateurs de l’humeur
DCI reposant sur l’interrogatoire. Le problème vont être proposées au patient dépendent du Peu d’études ont cherché à mettre en évidence
essentiel est la réalisation ou non d’une fibroscopie mécanisme physiopathologique établi ou supposé une efficacité des anxiolytiques ou des antidépres-
œsogastroduodénale. Il semble légitime de la être à l’origine des symptômes. seurs à faible dose au cours de la DCI. Dans certains

3
Tableau III. – Différents prokinétiques avec leurs mécanismes d’action proposés pour le traitement de la DCI.

Molécule Action Mécanisme d’action Nom commercialt et posologie


Primpéran, Anausin Métoclopramide, Prokinyl
Accélère la vidange gastrique, centre des Facilite la libération d’acétylcholine
Métoclopramide LP, Primpéroxane
vomissements
? 1cp x 3/j
Accélère la vidange gastrique. Motilium, Péridys
Dompéridone Antidopaminergique
Améliore la coordination antropyloroduodénale 1cp x 3/j
Agoniste des récepteurs 5-HT-4 Prepulsid
Cisapride Accélère la vidange gastrique
Faciliterait la libération d’acétylcholine 1 cp x 3/j
Éry (nourrisson)
Érythromycine Accélère la vidange gastrique (à faibles doses) Agoniste de la motiline
125 mg x 3 j

cas, cette option thérapeutique est parfois charge psychologique, sont des attitudes très mal d’action différents, ou l’association de prokinétiques
nécessaire. Elle ne doit en aucun cas être ressenties. Elles ne font qu’augmenter le désarroi du et d’antisécrétoires n’ont jamais été testées dans des
systématique. patient. études randomisées.
Un régime alimentaire draconien n’est justifié en
‚ Prise en charge psychologique ‚ Quelle option thérapeutique choisir ? aucun cas. Par lui-même, le patient aura tendance à
La prise en charge du patient sur le plan Le traitement de la DCI est largement empirique. éliminer certains aliments susceptibles de majorer
psychologique fait partie intégrante du traitement. On utilisera plus facilement les antisécrétoires en cas ses symptômes.
L’efficacité de techniques de relaxation plus ou de douleurs d’allure pseudo-ulcéreuse et les
moins profonde, dont l’hypnose fait partie, a été bien
établie au cours du syndrome de l’intestin irritable,
mais pas spécifiquement au cours de la DCI. Sans
pousser les patients à entreprendre de tels
prokinétiques en cas de symptômes évoquant une
pathologie motrice. Aucun schéma thérapeutique
standardisé n’est reconnu. Dans la mesure du
possible, il faut réaliser initialement un traitement de

Conclusion

La DCI est une pathologie fonctionnelle bénigne


traitements, il est indispensable de les rassurer sur la 4 à 6 semaines et juger, à ce terme, de l’évolution particulièrement fréquente. Grâce aux nombreux
bénignité de leurs symptômes en leur expliquant, si symptomatique. Si les symptômes disparaissent, il progrès technologiques réalisés ces dernières
possible, les mécanismes physiopathologiques n’y a pas lieu de poursuivre un traitement années, de nombreuses avancées ont été réalisées
évoqués. Les notions d’« estomac paresseux » ou d’entretien. En cas de récidive, toujours possible, un sur le plan physiopathologique, avec, notamment, la
d’« estomac trop sensible » sont bien acceptées par traitement à la demande est souvent suffisant. En mise en évidence d’anomalies de la motricité et de la
les patients et les aident à mieux vivre avec leurs revanche, si les symptômes persistent malgré un sensibilité viscérale. Il est probable que dans les
symptômes. En revanche, nier l’origine digestive des traitement bien conduit, il est logique, soit d’essayer années à venir, des prokinétiques puissants et des
symptômes, les rejeter sur une anomalie certaines associations thérapeutiques, soit de antalgiques agissant spécifiquement sur la douleur
psychologique, et orienter d’emblée les patients vers compléter les investigations. L’association de viscérale verront le jour. Ils permettront sans doute
une consultation psychiatrique, ou une prise en plusieurs prokinétiques ayant des mécanismes une meilleure prise en charge de ces patients.

Références

[1] Barbera R, Feinle C, Read NW. Nutrient-specific modulation of gastric mecha- [5] Jian R, Ducrot F, Ruskone A, Chaussade S, Rambaud JC, Modigliani R et al.
nosensitivity in patients with functional dyspepsia. Dig Dis Sci 1995 ; 40 : Symptomatic, radionuclide and therapeutic assessment of chronic idiopathic dys-
1636-1641 pepsia : a double-blind placebo-controlled evaluation of cisapride. Dig Dis Sci
1989 ; 34 : 657-664
[2] Coffin B, Azpiroz F, Guarner F, Malagelada JR. Selective gastric hypersensi-
tivity and reflex hyporeactivity in functional dyspepsia. Gastroenterology 1994 ; [6] Lémann M, Dederding JP, Flourié B, Franchisseur C, Rambaud JC, Jian R.
107 : 1345-1351 Abnormal perception of visceral pain in response to gastric distension in chronic
idiopathic dyspepsia : the irritable stomach. Dig Dis Sci 1991 ; 36 : 1249-1254
[3] Coffin B, Flourié B. Sensibilité gastrique : de la physiologie à la clinique. In :
Sensibilité digestive : données récentes en physiologie, pathologie, thérapeutique. [7] Talley NJ. A critique of therapeutic trials in Helicobacter pylori positive func-
Paris : Elsevier, 1996 : 113-124 tionnal dyspepsia. Gastroenterology 1994 ; 106 : 1174-118
[4] Coffin B, Lémann M, Jian R. La sensibilité viscérale digestive. Med Sci 1994 ;
10 : 1107-1115

4
Dyspareunies

S Mimoun

S i la douleur est qualifiée de psychogène, la patiente le vit comme une non-« validation », une non-acceptation
de sa plainte.
© Elsevier, Paris.


Un examen clinique rigoureux est indispensabele – palpation des aines à l a recherche
Introduction pour évaluer ce symptôme. Il s’appuiera sur d’adénopathies inguinales ;
l’interrogatoire, l’examen clinique et quelques – examen de la vulve avec minutie et délicatesse
Les dyspareunies sont des rapports sexuels examens complémentaires. pour déployer et observer le vestibule (orifice des
douloureux difficiles. Cette plainte, essentiellement Quand la plainte est chronique ou répétitive, une glandes de Bartholin), l’orifice vaginal, l’hymen et le
féminine, s’observe avec une fréquence notable : 4 à prise en charge sur un mode psychosomatique est bas vagin. Des leucorrhées peuvent exister et
28 % des femmes en souffriraient [8]. Ces douleurs hautement souhaitable, éventuellement aprés l’avis orienter le diagnostic.
sont aiguës ou chroniques. La sphère vulvovaginale d’un gynécologue chirurgien « peu intervention- La mise en place, quand elle est possible, d’un
est un lieu d’une sensibilité intense, tant pour le niste » pour les dyspareunies profondes, ou d’un spéculum lubrifié simplement à l’eau, permet
plaisir que pour la gêne ou la douleur. Quand celle-ci dermatologue connaissant bien la pathologie d’inspecter le col utérin et le vagin. L’existence de
devient obsédante, récalcitrante, la répercussion sur vulvaire pour les dyspareunies superficielles. leucorrhées peut orienter le diagnostic ici aussi. Cet
le psychisme est obligatoire, et ce même si des examen permet enfin d’observer les modifications
causes organiques existent. vulvaires éventuelles, susceptibles de générer une
Nous verrons qu’il est utile de tenir compte de cet
état de fait si l’on veut renforcer l’impact
thérapeutique et les chances de guérison.

Interrogatoire

Patient et minutieux, il cherchera à préciser :


douleur (bride de la fourchette, hymen élastique
distendu mais non rompu...).
Au terme de tout ceci, nous pourrons faire le
diagnostic différentiel avec le vaginisme (contraction


■ le siège de la douleur : involontaire des muscles releveurs de l’anus qui
Définition – vulvaire, orificiel, parfois au niveau du enserrent le vagin, rendant la pénétration
vestibule, d’autres fois au niveau de l’anneau impossible).
Les dyspareunies sont des douleurs génitales hyménéal diffus ou localisé ;


provoquées par le rapport sexuel, le rendant ainsi – pelvien, médian ou latéralisé ;
difficile. ■ l’intensité : permettant ou non l’intromission Causes
On différencie habituellement les dyspareunies vaginale, inhibant ou non l’orgasme ;
primaires (qui ont toujours existé) et secondaires (qui ■ le déclenchement : par le moindre contact
sont survenues après une période sans douleurs). (même l’effleurement parfois), les mouvements, les ‚ Dyspareunies superficielles
On distingue aussi la dyspareunie superficielle positions ;
(douleurs à l’entrée du vagin), qui peut parfois ■ la chronologie : au début, pendant ou à la fin
du rapport ; Étiologies des dyspareunies
empêcher la pénétration vaginale et la dyspareunie
■ la constance : persistante, intermittente ou superficielles à rechercher
profonde (douleurs au fond du vagin), qui intéresse
le pelvis. permanente, en sachant que 15 à 25 % des femmes systématiquement
Il est difficile de connaître la réelle prévalence de éprouvent quelques douleurs coïtales plusieurs fois ✔ Vulvovaginites infectieuses.
ce trouble car, à notre connaissance, il n’a pas été par an, selon Paniel [8] ; ✔ Causes iatrogènes.
évalué isolément, mais si l’on considère le problème ■ les facteurs déclenchants éventuels : période ✔ Causes générales :
de la douleur pelvienne chronique (DPC) (qui cache du cycle, stress professionnel, conjugal ou autre... – diabète ;
une dyspareunie dans près de 40 % des cas d’après Bien que la part des facteurs psychiques soit – neuropathies.
notre expérience clinique), on peut mieux repérer toujours présente et parfois même prépondérante, ✔ Carence œstrogénique.
cette prévalence. Trente pour cent des cœlioscopies les causes organiques doivent toujours être ✔ Dermatoses :
et 12 % des 600 000 hystérectomies annuelles recherchées, avec soin bien sûr. – lichen scléreux vulvaire ;
réalisées aux États-Unis concernent cette DPC, – lichen plan ;
selon Reiter cité par Dellenbach [2]. Par ailleurs, nous – vestibulite ;
savons que nombre de symptômes fonctionnels
féminins (asthénie, troubles du sommeil, irritablité...)
qui motivent des consultations chez le généraliste
ont comme origine une plainte sexuelle non dite.

Examen

Il doit être doux, progressif et méthodique :


– VIN (néoplasie intraépithéliale
vulvaire) de grade 3 (atypies
cellulaires avec deux entités
cliniques : la maladie de Bowen et la
Parmi celles-ci, la dyspareunie occupe une bonne – palpation de l’abdomen à la recherche d’une papulose bowenoïde).
place. éventuelle tuméfaction abdominale ;

1
■ Les vulvovaginites infectieuses : elles sont en – Les rétroversions utérines sont classiquement ‚ Causes psychologiques
général de début brutal, s’accompagnent de prurit, décrites mais sont rarement en cause. Si c’est le cas,
de leucorrhées et de lésions dermatologiques. Les une douleur soudaine et brutale peut être retrouvée
infections les plus fréquentes sont les mycoses, les lors de la mobilisation du fond utérin à l’examen Causes psychologiques
trichomonases et les infections à Gardnerella clinique. Il faut être très prudent avant de conseiller ✔ Problématiques psychosexuelles.
vaginalis. Plus rarement, les Chlamydiae (qui la cure de rétroversion. ✔ Conflits conjugaux et/ou
génèrent peu de douleurs vulvaires habituellement) – Le syndrome de Masters et Allen lié à la relationnels.
ou l’herpès. Le plus souvent, ces causes infectieuses déchirure obstétricale de la face postérieure du ✔ Syndromes dépressifs (masqués).
génèrent une dyspareunie aiguë. Si ces infections se ligament large. Il entraîne des dyspareunies ✔ États névrotiques.
répètent, le traitement de la cause infectieuse paroxystiques. La mobilité anormale de l’utérus
seulement ne suffit plus et on se met dans le cadre évoque le diagnostic qui sera confirmé par la
des douleurs chroniques. coelioscopie. Elles sont en fait multiples. Elles peuvent être
■ Les causes iatrogènes : – Les complications des fibromes en nécrobiose. seules en cause, ou associées, intriquées aux causes
– les toilettes ou irrigations vaginales répétées ; – L’hystérectomie totale peut être en cause en organiques.
– l’utilisation intempestive de tampons cas de raccourcissement du vagin, surtout s’il y a eu Schématiquement, on peut les répertorier comme
périodiques en dehors des périodes de une curiethérapie associée. suit, en allant des causes les plus immédiates, les
menstruations ; Ce catalogue, un peu schématique, des différentes plus superficielles, les plus conscientes, vers les
– les psychotropes et les hypotenseurs (qui causes organiques ne doit pas faire perdre de vue causes les plus profondes, les plus inconscientes :
induisent une hyperprolactinémie, donc une cependant que, pour la femme, ce symptôme a – les problématiques psychosexuelles ;
sécheresse vaginale) ; peut-être un autre sens (conscient ou inconscient), – les conflits conjugaux et/ou relationnels ;
– les suites opératoires de lésions vulvovaginales. surtout si la dyspareunie persiste depuis quelques – les syndromes dépressifs (masqués) ;
■ Les causes générales : mois ou quelques années, d’autant que ce – les états névrotiques.
– le diabète ; symptôme a une interférence sur la fonction
– les neuropathies. sexuelle et l’on sait que, dans les dysfonctions Problématiques psychosexuelles
■ Les causes hormonales : elles sont sexuelles, il y a dans tous les cas une participation Ici se retrouvent toutes les causes susceptibles
représentées essentiellement par toutes les causes des facteurs psychologiques (éventuellement d’induire une frustration sexuelle :
de carence œstrogénique, dont l’atrophie associés aux causes organiques), cause ou – une éducation sexuelle stricte et/ou religieuse
physiologique postménopausique est la plus conséquence du mal-être qui accompagne le trouble (avec la culpabilité de ressentir du plaisir) ;
fréquente. sexuel. – le manque d’expérience (quel que soit l’âge de
■ Les rares malformations congénitales de C’est pourquoi il ne faut pas perdre de vue que, la la femme) ;
l’hymen et du vagin. plupart du temps, quand une femme vient nous – l’angoisse due à un état gynécologique :
■ Les dermatoses : consulter, elle cache sa plainte derrière d’autres infertilité, ménopause, hystérectomie, éventuel-
– le lichen scléreux vulvaire ; termes et d’autres plaintes. La douleur dans la lement le post-partum, mais aussi l’angoisse
– le lichen plan ; dyspareunie semble être, pour certaines femmes, le existentielle bien sûr ;
– la vestibulite ; seul symptôme sexuel présentable, alors que la – des éventuels traumatismes passés : tentative
– les VIN de grade 3 (atypies cellulaires avec frigidité ou l’insatisfaction sexuelle ne l’est pas, de viol, voire d’inceste ;
deux entités cliniques : la maladie de Bowen et la d’autant que le médecin est plus habitué (et habilité) – plus fréquemment, l’insatisfaction sexuelle qui
papulose bowenoïde). à s’occuper de douleur que de plaisir. induit la disparition de la lubrification vaginale et
D’autres fois la plainte est plus détournée. Les l’installation de la sécheresse vulvovaginale.
‚ Dyspareunies profondes femmes parlent de mycose à répétition, exprimant Rappelons que la lubrification résulte d’une
ainsi leur inconfort vaginal ou leur prurit vulvaire. transsudation à travers les parois de la muqueuse
Étiologies des dyspareunies profondes D’autres fois encore, ce sont les signes urinaires qui vaginale à partir de la stimulation érotique physique
sont au premier plan : pollakiurie, miction ou psychique. Il s’agit en fait d’un processus
✔ Endométriose.
impérieuse, cystalgie, troubles de la continence... vasocongestif intéressant les plexus veineux,
✔ Infections génitales hautes aiguës
Mais quelquefois, derrière cette plainte, on ne périvaginaux et périutérins. Le temps d’apparition de
ou chroniques.
retrouve que le manque de lubrification [9, 10]. cette lubrification varie beaucoup selon l’âge et les
✔ Kystes fonctionnels ou organiques
La sécheresse vaginale est parfois découverte au situations : de 10 à 30 secondes chez l’adolescente,
de l’ovaire.
cours de l’examen clinique. Précisons quand même elle peut demander de 2 à 3 minutes chez la femmes
✔ Syndrome de Masters et Allen. que c’est surtout quand le médecin demande, de ménopausée [3]. Ce retard à la lubrification s’aggrave
façon claire, « si le vagin est lubrifié » que la réalité en cas d’interruption notable de l’activité sexuelle.
Ce sont la plupart des causes responsables des apparaît. Le phénomène de lubrification vaginale chez la
douleurs pelviennes. Mais les dyspareunies ne s’expliquent pas toutes femme est en fait l’équivalent de la survenue de
– L’endométriose : elle est diagnostiquée plus par la sécheresse : c’est pourquoi l’examen l’érection chez l’homme. Dans les deux cas, cela
facilement si la femme a une dysménorrhée tardive gynécologique est ici très important. dépend des conditions physiologiques adéquates
(douleurs les deuxième ou troisième jours des Si, comme toujours en médecine, le premier mais aussi, et en même temps, d’un contexte
règles). Le plus souvent, une cœlioscopie est objectif de l’examen est de faire un diagnostic, ici il psychologique favorable, c’est-à-dire un contexte qui
nécessaire pour faire le diagnostic. pourra nous permettre en outre d’évaluer le vécu permette une détente et un laisser-aller, tout en
– Les infections génitales hautes, aiguës ou psychologique de ce symptôme. En effet, le autorisant une stimulation érotique suffisante. Si ces
chroniques, accompagnées de séquelles pronostic et la conduite à tenir ne sont pas les conditions font défaut, la lubrification sera
adhérentielles et de dysfonctionnement ovarien, mêmes si l’examen gynécologique est possible, insuffisante ou absente et, de ce fait, la qualité de la
sont sources de dyspareunies. Après la confirmation voire assez facile, ce qui est plutôt de bon augure, ou réponse sexuelle sera altérée et pourra engendrer
diagnostique par l’examen clinique et la cœlioscopie, si au contraire le simple contact de la vulve est vécu inquiétude, frustration, sentiment d’échec,
on pourra mettre en place un traitement comme insupportable. appréhension vis-à-vis des rapports ultérieurs et...
anti-infectieux et anti-inflammatoire prolongé. Chez certaines femmes, la peur (véritable phobie) des douleurs.
– Les kystes fonctionnels ou organiques de de la pénétration peut être telle que même la simple Enfin, n’oublions pas qu’un certain nombre de
l’ovaire. évocation imaginaire de celle-ci est intolérable. frustrations sexuelles féminines sont induites par un

2
trouble sexuel masculin, comme l’éjaculation chronique, c’est la concordance dans le temps entre charge complètement cette patiente, tant pour les
prématurée ou les troubles de l’érection par une lésion initiale et une tension émotionnelle due à aspects physiologiques organiques que
exemple. un autre événement (rupture sentimentale, deuil...). psychologiques, ou s’il préfère faire le tri
De ce fait, la patiente peut intimement lier ces deux diagnostique et l’adresser à un confrère.
Conflits conjugaux événements. À chaque tension inexprimable, cet En effet, mettre en place un traitement
Le conflit conjugal est en général peu propice à la organe (devenu cible) risque de se manifester à symptomatique ne suffit pas le plus souvent, et si ce
détente et à la stimulation érotique. Il n’est donc pas nouveau par des douleurs. traitement symptomatique est répété à plusieurs
étonnant que la sécheresse vaginale et la C’est encore plus évident : reprises et toujours sans succès, cela peut même
dyspareunie qui l’accompagne surviennent comme – lorsque l’événement marquant a été à l’origine induire une résistance à toutes les thérapeutiques
une vraie barrière entre les deux partenaires quand de la douleur : une vaginite contractée à la suite d’un qui vont suivre.
la mésentente conjugale s’installe. rapport adultérin du mari, par exemple, associera Pour apaiser ce type de plainte, il faut le plus
Derrière ces conflits conjugaux, on peut retrouver volontiers une vulvodynie chronique en « souvenir » souvent des consultations répétées qui associent les
une ambivalence affective vis-à-vis du conjoint, ou de ce qu’il ne faut pas oublier ; moyens médicamenteux certes, mais aussi une
plus nettement son rejet, ou encore la peur d’être – lorsque le point d’appel du traumatisme initial approche psychosomatique [6] qui aide ces femmes à
rejetée, donc un sentiment d’insécurité. est lourd de sens, par exemple une dyspareunie percevoir les conflits sous-jacents qui s’expriment par
Quoi qu’il en soit, vis-à-vis du conjoint, il est plus profonde après une interruption volontaire de leur plainte. Qu’il s’agisse de frustration sexuelle qui
facile de dire « j’ai mal ou je ne peux pas », que « je ne grossesse, « imposée » par le conjoint. ne peut se formuler, de désamour de soi, ou encore
veux pas ». D’une manière plus générale, la vulvodynie peut de difficultés relationnelles, la plainte mise en avant
Ici, le partenaire a un rôle dans l’économie n’être qu’un prétexte, un alibi. Elle fait barrière entre peut être alors un appel à l’aide.
défensive de ces patientes. Les uns sont décrits la femme et son partenaire. Sur le plan sexuel, les
En fait, quand une femme consulte pour ces
comme gentils et patients (quand ils acceptent femmes qui se plaignent de vulvodynies refusent
troubles, il s’agit le plus souvent de mettre en place
l’absence de vie sexuelle), les autres sont décrits souvent la sexualité dans son ensemble, nous
les moyens thérapeutiques suivants :
comme bougons et taciturnes. l’avons dit. Elles sont agressives contre elles-mêmes
– en cas de pathologie vulvovaginale organique,
(à l’inverse des femmes qui se plaignent de
le traitement dépend bien sûr de la cause ;
État dépressif vaginisme qui sont plutôt anxieuses mais ne
– en cas de carence hormonale, le traitement
refusent pas le contact sexuel, tant que celui-ci évite
C’est, par définition, une inhibition dont général et/ou local sera mis en place, s’il n’y a pas de
la pénétration).
l’inhibition et l’insatisfaction sexuelle ne sont qu’un contre-indications ;
Sur un autre plan, il semblerait ressortir de
des éléments. Cette dépression peut être évidente, – comme il s’agit de troubles affectant la sphère
nombreuses études sociopsychologiques [4, 12] que
tristesse, envie de rien, amertume, mais le plus sexuelle et psychoaffective, les sexothérapies et les
les femmes qui ont subi des abus sexuels dans
souvent elle est masquée, le symptôme sexuel ou la divers types de psychothérapies, associées aux
l’enfance souffrent beaucoup plus fréquemment que
douleur étant le seul signe apparent, le « j’ai mal » traitements symptomatiques, seront indispensables.
les autres de douleurs gynécologiques.
signifiant alors « je vais mal ». Prendre en compte cet Pour ce troisième point, il nous faut garder
état dépressif (cause ou conséquence des douleurs) clairement à l’esprit que pour ces femmes qui ont


est très utile en thérapeutique. mal dans leur corps, c’est presque toujours sur le
Prise en charge thérapeutique plan somatique qu’il nous faut débuter la prise en
États névrotiques charge et installer la relation de confiance
Certaines femmes ne peuvent faire entendre leur Une des principales difficultés rencontrées quand médecin-patiente qui va être le moteur du
mal être, leur détresse, qu’en parlant de leurs on est face à une femme qui se plaint de changement.
douleurs, d’autant que ce n’est qu’à ce moment que dyspareunies chroniques, c’est d’aborder la phase Pour pouvoir aider ces femmes, il faut s’appuyer
certains médecins tendent l’oreille. thérapeutique. Autant rechercher les éléments sur ce que l’on sait de la physiologie (et des conseils
Dans ces cas, le symptôme peut avoir plusieurs diagnostiques de ces troubles fait partie de la que celle-ci nous pousse à donner) et sur un certain
fonctions, dont la plus évidente à percevoir est le démarche habituelle de tout médecin, autant mettre nombre d’éclairages que la psychologie peut nous
bénéfice secondaire : évitements des rapports, se en place une thérapeutique adaptée nécessite de apporter.
sentir « entourée »... faire appel à une association de moyens. Les conseils et le soutien du médecin se doivent
Mais il est très fréquent aussi qu’à l’origine du En premier lieu, dans la démarche thérapeu- d’être aussi détaillés que son ordonnance, plus
symptôme de vulvodynie, on retrouve le refus de la tique, nous n’avons pas pour objectif de séparer les encore même quand le contexte est angoissant
sexualité, voire de la féminité et/ou la peur du sexe patientes « organiques » de celles considérées (dyspareunie postintervention mutilante pour cancer
masculin. L’acte sexuel est alors ressenti par la comme psychogènes. par exemple).
patiente comme quelque chose de persécutant. La D’ailleurs, pour la malade, cette séparation est un L’information à donner à la femme, la
dyspareunie est ici une manifestation corporelle de non-sens. Elle a mal dans son corps, donc elle vient modification des perceptions locales du fait des
la frigidité. consulter un médecin pour qu’il l’aide à vaincre cette divers traitements (ovules, pommades, crèmes, bains
Ce qui complique les choses, c’est que certaines douleur. Si la douleur est qualifiée de psychogène, la de siège, préparations pharmaceutiques, lubrifiant,
formes de dyspareunies sont associées à une patiente le vit comme une non-« validation », une polycarbophile) aide beaucoup à faire en sorte que
intense érotisation de la douleur, la douleur pouvant non-acceptation de sa plainte. la patiente croit à nouveau à sa guérison et qu’elle
alors être, consciemment ou inconsciemment, Mais comme l’a montré J Paavonen dans une veuille aussi se prendre en charge.
recherchée. revue de la littérature [7], souvent la vulvodynie L’objectif premier de la thérapie est de ne pas
Dans ces cas, le pronostic est plutôt réservé, du (et/ou la dyspareunie) reste un syndrome inexpliqué, aggraver le symptôme par des actions chirurgi-
fait du fond dépressif et du vécu corporel très comportant une dysfonction sexuelle et une cales, ou même par des actions médicales trop
perturbé qui existe souvent chez ces femmes. difficulté psychologique. ponctuelles et limitées (comme le fait de prescrire
Vaincre la dyspareunie et le rapport de couple En pratique, quand le médecin rencontre des uniquement des ovules ou des crèmes pendant des
sadomasochiste qui y est associé signifie donc aider dyspareunies chroniques ou une sécheresse semaines), sans prendre en compte le fait qu’il s’agit
la patiente à surmonter les difficultés qui vaginale persistante qui dure depuis longtemps aussi et d’abord d’un symptôme sexuel. C’est
l’empêchent de parvenir au plaisir. (c’est-à-dire des troubles qui ont de fortes chances pourquoi, le plus souvent, une formation à
Finalement, soulignons très schématiquement d’avoir des composantes psychologiques associées), l’approche des difficultés sexuelles est souhaitable
que ce qui semble prédisposer à la douleur génitale il devrait se demander s’il souhaite prendre en pour venir compléter le traitement médical.

3
En effet, pour ce type de symptôme, il est prendre en charge la douleur, le médecin doit croire
indispensable de soulager le symptôme Erreur à ne pas commettre à cette douleur et au potentiel de changement de la
« insatisfaction sexuelle » dans son ensemble, ✔ Ne pas dire « vous n’avez rien » ou patiente. De ce fait, il peut agir au moins sur la
d’autant que nous savons que le meilleur même « c’est psychologique ». dimension psychologique de la perception de cette
antidouleur, c’est le plaisir [5]. Mais pour cela, il faut ✔ Ne pas aggraver le symptôme par douleur, c’est-à-dire la souffrance.
pouvoir aider la patiente pour qu’elle cesse d’être des actions chirurgicales, ou même
Dans ce contexte, l’impression d’impuissance
dans la loi du tout ou rien, loi qui la maintient dans par des actions médicales trop
l’attente d’une cessation complète de la douleur thérapeutique est en général éphémère si nous ne
ponctuelles et limitées.
avant qu’elle ne s’autorise à tenter la recherche du nous laissons pas gagner par le découragement,
plaisir. l’agressivité et le renvoi de la patiente, ou encore si
Une thérapeutique sédative, ainsi que des nous ne nous lançons pas, sans aucun recul, dans
symptôme, ce qui évoque la nécessité d’une prise en
méthodes psychocorporelles, peuvent être associées une escalade thérapeutique qui ne peut qu’induire
charge psychanalytique plus introspective (avec un
aux conseils sexothérapiques. une escalade de la résistance du symptôme.
autre thérapeute).
Dans une étude en cours, la prescription de Dans de nombreux cas, la relaxation ou Quelquefois, cependant, il apparaît clairement
petites doses d’amineptine (Survectort 50 à l’hypnose éricksonnienne (relaxation mentale) est que le symptôme a une fonction (dans la dynamique
100 mg), associée à une prise en charge un excellent adjuvant thérapeutique. Si la patiente psychique) qu’il est utile de respecter.
sexothérapique, à 52 patientes souffrant de peut détourner son attention de son périnée,
dyspareunies, a permis la cessation de la plainte L’objectif thérapeutique n’est alors plus le même
l’obsession de son symptôme perd de son acuité.
chez 41 d’entre elles (79 %). puisque la douleur est ici un « moindre mal » et que
Cependant, n’oublions pas qu’indépendamment Cette approche médicale et psychologique sa suppression, si tant est que l’on puisse le faire, fait
de toute prescription, il est parfois indispensable de dynamise les patientes et les couples qui se sentent courir le risque d’une décompensation
résoudre d’abord des éventuels problèmes soutenus par ces moyens thérapeutiques. Très psychologique.
relationnels avec le conjoint, donc d’entreprendre souvent, au début de leurs troubles, les femmes se
Globalement, par cette approche multidirectio-
une psychothérapie de couple. Le symptôme sentent dépassées par leurs symptômes qui les
nelle qui cherche à s’adapter au cas par cas, les
vulvopérinéal est bien placé pour servir de rempart bloquent et les obligent à « tourner en rond ».
divers travaux [1, 5, 11] soulignent le fait que l’on peut
contre les rapports sexuels. Aussi, la prise en compte
La mise au point d’un « programme thérapeu- aider de 50 à 80 % des patientes, et ce même si la
plus directe de la problématique sexuelle et
tique » les aide et elles reprennent confiance. douleur est installée depuis plusieurs années.
conjugale aide parfois à éclaircir et à résoudre les
conflits latents, qui cherchent souvent à s’exprimer à On se rend vite compte, dans ce domaine, que la C’est à travers cette communication, par le biais
travers ces symptômes. personnalité du médecin et sa compétence de la thérapie personnalisée, au cas par cas, telle que
D’autres fois, ce sont des troubles plus psychologique sont des facteurs thérapeutiques, au nous l’avons définie, que pourra s’établir,
inconscients qui peuvent gêner la résolution du même titre que sa compétence technique. Pour pensons-nous, le processus de guérison.

Références

[1] Consoli SG. L’approche psychanalytique du syndrome des brûlures vulvaires. [8] Paniel BJ, Haddad B, Meneux E. Les dyspareunies : approche gynécologique.
Contracept Fertil Sex 1988 ; 16 : 1045-1048 In : Chapron C, Benhamou D, Belaisch-Allart J, Dubuisson JB eds. La douleur en
gynécologie. Paris : Arnette Blackwell, 1997
[2] Dellenbach P, Haeringer MT. Douleur pelvienne chronique. L’expression d’un
problème psychologique. Presse Med 1996 ; 25 : 615-620 [9] Reid R, Omoto KH, Precop SL, Berman NR, Rutledge LH, Dean SM et al.
Flashlamp-excited dye laser therapy of idiopathic vulvodynia is safe and effica-
[3] Germain B, Landis P. La sexualité : regards actuels. Paris : Maloine, 1990 cious. Am J Obstet Gynecol 1995 ; 172 : 1684-1701

[4] Jehu D. Clinical significance of sexual abuse. In : Wijna K, von Schoultz B [10] Sonnendecker EW, Sonnendecker HE, Wright CA, Simon GB et al. Recalci-
eds. Reproductive Life. Carnforth, United Kingdom : Parthenon Publishing Group, trant vulvodynia. A clinicopathological study. South African Med J 1993 ; 83 :
1992 730-733

[5] Mimoun S. Les dyspareunies : approche psychosomatique et sexologique. In: [11] Steg G. La douleur vulvovaginale et ses obsessions. Contracept Fertil Sex
Chapron C, Benhamou D, Belaisch-Allart J, Dubuisson JB eds. La douleur en 1987 ; 15 : 1211-1217
gynécologie. Paris : Arnette Blackwell, 1997
[12] Wijma B, Wijma K. Physical and sexual abuse of women: an obscured health
[6] Mimoun S. Des maux pour le dire. Les troubles psychosomatiques en gynéco- care problem. In : Wijna K, von Schoultz B eds. Reproductive Life. United King-
logie. Paris : Edition J’ai lu, 1998 dom : Parthenon Publishing Group, 1992
[7] Paavonen J. Diagnosis and treatment of vulvodynia. Ann Med 1995 ; 27 :
175-181

4
Hypoglycémie réactive
A. Grimaldi

Le déclin de l’hypoglycémie réactive a suivi celui de la pratique de l’hyperglycémie provoquée par voie
orale. Cependant, l’hypoglycémie réactive idiopathique reste fréquente. Elle pourrait n’être qu’une
accentuation d’un phénomène physiologique survenant volontiers chez des personnes jeunes ayant une
hypersensibilité à l’insuline et aux catécholamines. Elle doit être distinguée de l’hypoglycémie réactive
post-prandiale précoce après chirurgie gastrique bariatrique, et de l’hypoglycémie réactive post-prandiale
tardive prédiabétique. La prise en charge de l’hypoglycémie réactive idiopathique nécessite d’éliminer une
hypoglycémie organique, de reconnaître le trouble de la patiente au lieu de le nier, de proposer des
mesures diététiques simples (diminution, fragmentation des apports glucidiques en privilégiant les
glucides à faible index glycémique) associées à un traitement de l’angoisse, au besoin par des techniques
de relaxation. Une telle prise en charge débouche en général sur une diminution de la fréquence et de
l’importance des symptômes, sans toutefois parvenir à les supprimer.
© 2009 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Mots clés : Hypoglycémie post-prandiale ; Hyperglycémie provoquée par voie orale ; Insulinome ;
Dumping syndrome ; GLP1 ; Catécholamines

Plan de fatigue, fringale, tremblements, palpitations, irritabilité,


sueurs, nausées, pâleur, sensation de malaise, etc.) survenant 2
¶ Introduction 1 à 4 heures après les repas et calmées rapidement (en moins de
10 minutes) par la prise de boisson sucrée. Le problème réside
¶ L’hypoglycémie réactive existe-t-elle vraiment ? 1 dans le fait que ces manifestations neurovégétatives ne sont pas
¶ Mécanismes de l’hypoglycémie réactive 2 spécifiques. Et si l’absence d’effet du resucrage va fortement à
Hypoglycémie réactive digestive 2 l’encontre du diagnostic, son succès n’en est pas la preuve. C’est
Hypoglycémie réactive prédiabétique 2 pourquoi, devant cette symptomatologie, il est essentiel d’être
Hypoglycémie post-prandiale idiopathique 2 à l’affût, d’abord par l’interrogatoire, d’éléments qui feraient
Conduite à tenir 2 suspecter une hypoglycémie organique [3, 4] :
¶ Conclusion 3 • existence de manifestations cliniques de neuroglycopénie
(diplopie, troubles du langage, confusion, mouvements
anormaux, crise convulsive, etc.) ;
■ Introduction • difficultés du patient à se souvenir et à raconter ses malaises,
alors qu’au contraire lors de l’hypoglycémie réactive idiopa-
L’hypoglycémie réactive idiopathique a eu son heure de thique, le discours est souvent riche ;
gloire médicale il y a 25 ans, jusqu’à ce que l’on démontre qu’il • survenue de manifestations identiques à jeun ou à l’effort ;
n’y avait pas de corrélation dans la majorité des cas entre les • impossibilité (vérifiée et non pas seulement supputée) pour le
malaises et la glycémie mesurée instantanément, et encore patient de pouvoir sauter un repas sans faire de malaise ;
moins de corrélation entre le nadir hypgolycémique mesuré lors • évolution de la symptomatologie fluctuante, majorée par les
de l’hyperglycémie provoquée orale (HGPO) et la glycémie, et périodes de stress et ralentie voire supprimée lors des vacan-
les symptômes post-prandiaux [1]. Ces études ont abouti à une ces, en cas d’hypoglycémie réactive, plus anarchique mais
révision conceptuelle radicale, puisqu’on a parlé alors du avec souvent une aggravation récente sans cause apparente
syndrome de « non-hypoglycémie » [2]. Cependant, les symptô- en cas d’hypoglycémie organique.
mes, eux, n’ont pas disparu et les mots des patients ont résisté : Au moindre doute, et évidemment si la glycémie à jeun est
« Docteur, je fais de l’hypoglycémie ». Quand le diagnostic inférieure à 0,60 g/l, une épreuve de jeûne s’impose pour
médical vient contredire le diagnostic profane, on n’est pas loin éliminer un insulinome. En effet, si l’hypoglycémie réactive
du conflit relationnel. vraie ne survient jamais à jeun, l’insulinome peut se manifester
par des épisodes d’hypoglycémies exclusivement
■ L’hypoglycémie réactive post-prandiales [5].
L’interrogatoire permet également d’évoquer des malaises
existe-t-elle vraiment ? neurovégétatifs d’autre origine : malaise vagal, attaque de
La réponse est : oui ! Il s’agit de manifestations neurovégéta- panique, crise d’angoisse, etc. Ces malaises surviennent non
tives habituellement décrites au cours de l’hypoglycémie (accès seulement après les repas, mais aussi à jeun et dans un contexte

particulier (surmenage, transports, lieux clos, foule). La sympto- particulier de la sécrétion d’adrénaline, se font à partir d’un
matologie comporte des signes qui ne font pas partie des seuil glycémique situé autour de 0,60 g/l [10]. De plus, il existe
manifestations neurovégétatives de l’hypoglycémie : sensation des variations individuelles des seuils, tant pour les manifesta-
d’oppression, soif d’air, hyperventilation, contracture des tions cognitives infracliniques que pour l’activation du système
extrémités, épisode de diarrhée motrice, flushs, impression de neurovégétatif et la sécrétion des hormones de contre-
mort imminente. L’effet du resucrage sur ces manifestations est régulation [11]. Il existe également une variation de la sensibilité
retardé, partiel ou absent. périphérique aux catécholamines, comme nous l’avons montré
il y a quelques années. Les patients présentant des hypoglycé-
mies réactives ont une sensibilité périphérique nettement
■ Mécanismes de l’hypoglycémie augmentée aux catécholamines, mise en évidence par la mesure
de la dose d’Isuprel® nécessaire pour augmenter la fréquence
réactive cardiaque de 25 battements/minute [12]. En fait, il est parfaite-
ment physiologique et cliniquement banal d’avoir de petites
Trois types d’hypoglycémie réactive sont distingués.
manifestations neurovégétatives lorsque la glycémie baisse de
0,90 g/l à 0,70 g/l ou 0,60 g/l. Ce qui est moins normal, c’est
Hypoglycémie réactive digestive de percevoir de façon pénible ces manifestations au point de
consulter. C’est là qu’intervient la personnalité souvent particu-
Elle est bien connue lors du dumping syndrome secondaire aux
lière des patients se plaignant d’hypoglycémie réactive. Il s’agit
gastrectomies pour tumeur. Elle est surtout observée aujourd’hui
volontiers de personnes anxieuses, perfectionnistes, parfois
après bypass gastrique pour traitement de l’obésité sévère [6].
migraineuses ou tachycardes [12]. Il s’agit le plus souvent de
L’hypoglycémie réactive est la conséquence de l’accélération du
femmes minces ayant une sensibilité importante à l’insuline [13],
transit gastrique, entraînant une élévation brutale de la glycé-
en bref, de « personnes sensibles ».
mie provoquant un pic d’insulinosécrétion. Ce pic serait majoré
par une sécrétion accrue des incrétines GLP1 et GIP [7]. Le pic
de sécrétion insulinique est à l’origine de l’hypoglycémie
Conduite à tenir
réactive. Quelques cas de nésidioblastose responsables d’hypo- Devant une personne qui consulte pour hypoglycémie
glycémie organique apparaissant après bypass gastrique ont été réactive :
rapportés [8]. L’existence de manifestations neuroglycopéniques • il convient d’éliminer une hypoglycémie organique, d’abord
doit indispensablement conduire à l’épreuve de jeûne. Quant au par l’interrogatoire puis, si nécessaire (heureusement rare-
rôle d’une hypersécrétion de GLP1 dans la pathogénie de ces ment), par une épreuve de jeûne de 3 jours. Il faut également
nésidioblastoses, il reste pour le moins hypothétique. penser à d’autres diagnostics, les manifestations neurovégéta-
tives pouvant avoir d’autres étiologies : malaises vagaux,
attaque de panique, crises dites de « spasmophilie », dyspep-
Hypoglycémie réactive prédiabétique sie ;
Au contraire de l’hypoglycémie digestive, l’hypoglycémie • il faut reconnaître le diagnostic d’hypoglycémie fait par le
réactive observée lors de l’intolérance aux hydrates de carbone malade. Il est possible de chercher à authentifier la baisse
prédiabétique est tardive. Elle est en effet la conséquence d’une glycémique au moment du malaise grâce à des dosages de la
anomalie de la cinétique de sécrétion insulinique. Lors de glycémie faits au laboratoire après des repas riches en gluci-
l’intolérance aux hydrates de carbone, le pic précoce de sécré- des ; néanmoins, la mesure par lecteur de glycémies capillai-
tion d’insuline est aboli ou diminué, avec pour conséquence res n’est pas suffisamment précise pour être conseillée.
une hyperglycémie initiale. Cette hyperglycémie provoque une L’HGPO est déconseillée [2, 14]. Si elle est réalisée, il ne faut
amplification de la seconde phase de l’insulinosécrétion, retenir en faveur du diagnostic que des hypoglycémies
responsable, 4 à 5 heures après le repas, d’une hypoglycémie s’accompagnant de manifestations cliniques semblables à
réactive. Lorsqu’on réalise une HGPO, il faut donc prolonger les celles perçues habituellement par le patient. La constatation
prélèvements jusqu’à 5 heures et ne pas arrêter l’épreuve, d’une hypoglycémie asymptomatique lors de l’HGPO serait
comme cela est habituel, à 2e ou 3e heure. Ces hypoglycémies plutôt un argument contre le diagnostic. Enfin, l’enregistre-
tardives de l’intolérance aux hydrates de carbone existent ment d’un holter glycémique sur trois jours, en demandant
indiscutablement. Elles favorisent l’obésité. Elles sont aisément au patient de bien préciser l’heure des repas et des malaises,
corrigées par les mesures diététiques visant à réduire la charge pourrait être utile mais, à notre connaissance, n’a pas fait
glucidique des repas,en fragmentant les apports et en augmen- l’objet d’étude ;
tant la part des glucides à index glycémique faible. C’est dans • quoiqu’il en soit, deux erreurs symétriques sont à éviter :
cette forme clinique que le traitement par acarbose peut être expliquer au malade qu’il n’a pas d’hypoglycémie, que ses
utilisé avec succès. Toutefois, il s’agit d’une période transitoire ; symptômes sont d’origine psychologique et lui conseiller de
l’aggravation du déficit insulinosécrétoire conduit à un diabète voir un psychiatre ou, au contraire, se lancer dans des
patent ne comportant plus de phase d’hypoglycémie réactive explorations multiples inutiles et souvent inutilement
tardive. répétées, à la recherche d’une pathologie organique. Les
patients arrivent souvent avec plusieurs HGPO avec dosage de
Hypoglycémie post-prandiale idiopathique l’insulinémie et parfois recours abusif à une imagerie (écho-
graphie et scanner), potentiellement dangereuse si elle amène
Reste la forme la plus fréquente de l’hypoglycémie post- à découvrir un incidentalome bénin sans rapport avec la
prandiale, celle dite idiopathique. Elle n’est en réalité que symptomatologie du patient ;
l’expression anormale d’un phénomène physiologique parfaite- • il faut expliquer au patient le mécanisme de ces malaises en
ment normal, à savoir une baisse modérée de la glycémie 2 à lui faisant comprendre qu’il est possible de les améliorer mais
3 heures après les repas. L’erreur des endocrinologues a été qu’on ne peut pas guérir, dans la mesure où il s’agit d’un
pendant longtemps de se polariser sur le niveau glycémique trouble fonctionnel et non pas d’une pathologie organique. Il
nécessaire pour pouvoir parler d’hypoglycémie. Les plus rigou- faut le rassurer sur l’absence de gravité de son trouble, même
reux fixaient la barre à 0,40 g/l. Il n’y avait alors que syndromes si l’importance de la gêne fonctionnelle est reconnue ;
de « non-hypoglycémie ». La plupart montaient la barre à • des mesures diététiques simples sont à conseiller, visant à
0,50 g/l, soit le seuil habituellement reconnu pour définir la diminuer la charge glucidique, à augmenter la consommation
neuroglycopénie [9]. Pourtant, les études fines de la contre- des aliments ayant un index glycémique faible, à diminuer,
régulation hormonale ont bien montré que les premières voire supprimer, les consommations d’alcool qui, chez
manifestations cognitives infracliniques, mises en évidence par certains patients, entraînent une augmentation de la sécrétion
des tests très sensibles, apparaissent lorsque la glycémie baisse insulinique. L’alimentation peut être fragmentée avec prise de
en dessous de 0,70 g/l. L’activation de la réponse neurovégéta- collations. Enfin, il faut encourager les patients à découvrir
tive et le déclenchement de la contre-régulation hormonale, en eux-mêmes, par des tests répétitifs d’adjonction et d’éviction,

les aliments qui paraissent susceptibles de provoquer lesdites est en difficulté, la relation médecin-malade est à l’épreuve. Le
« hypoglycémies réactives » ; médecin, après avoir éliminé une pathologie et en particulier
• toute technique de relaxation peut être bienvenue, ainsi une hypoglycémie organique, doit rassurer le patient et l’aider
qu’une éventuelle psychothérapie de soutien, habituellement à améliorer ses symptômes. Cela commence par la reconnais-
refusée par le patient ; sance du diagnostic, à l’opposé d’une trop fréquente
• enfin, en dernière instance, on peut être amené à essayer des dénégation.
médicaments. L’acarbose réduit le pic glycémique post- .

prandial [15], les bêta-bloquants peuvent diminuer les palpita-


tions, des ralentisseurs du transit gastrique peuvent être
essayés. Aucun de ces médicaments n’a réellement démontré,
■ Références
dans des études contrôlées, une supériorité par rapport à un [1] Palardy J, Havrankova J, Lepage R, Matte R, Belanger R, D’Amour P,
placebo. et al. Blood glucose measurements during symptomatic episodes in
patients with suspected postprandial hypoglycaemia. N Engl J Med
1989;321:1421-5.
“ Points importants [2] Lefebvre PJ. Hypoglycemia or non-hypoglycemia. Diabetes 1991.
Proceedings of the 14th International Diabetes Federation Congress,
Washington, 23-28 June 1991.
• Devant des symptômes d’hypoglycémie réactive, [3] Marks V, Teale JD. Hypoglycaemia in the adult. In: Gregory JW,
éliminer une hypoglycémie organique s’il existe des Aynsley-Green A, editors. Hypoglycaemia: clinical endocrinology and
symptômes de neuroglycopénie ou si les malaises metabolism. New York: Bailliere’s Tindall; 1993.
surviennent à jeun ou à l’effort. La suspicion d’une [4] Service FJ. Hypoglycemic disorders. N Engl J Med 1995;332:1144-52.
hypoglycémie organique doit conduire à une épreuve de [5] Wiesli P, Spinas GA, Pfammatter T, Krahenbuhl L, Schmid C. Glucose-
jeûne sur 3 jours en milieu hospitalier. induced hypoglycaemia. Lancet 2002;360:1476.
• L’hypoglycémie réactive comporte trois formes [6] Meier JJ, Galasso R, Butler AE, Butler PC. Hyperinsulinemic
cliniques : hypoglycemia after gastric bypass surgery is not accompanied by islet
hyperplasia or increased b-cell turnover. Diabetes Care 2006;29:
C l’hypoglycémie digestive, due à une accélération du
1554-9.
transit gastrique, en particulier après chirurgie [7] Hadji-Georgopoulos A, Schmidt MI, Elahi D, Hershcopf R, Avinoam
bariatrique ; Kowarski A. Increased gastric-inhibitory polypeptide levels in patients
C l’hypoglycémie réactionnelle tardive dans le with symptomatic postprandial hypoglycaemia. J Clin Endocrinol
prédiabète de type 2 ; Metab 1983;56:648-52.
C l’hypoglycémie post-prandiale idiopathique, qui [8] Carpentier T, Trautmann ME, Baron AD. Hyperinsulinemic
n’est qu’une manifestation neurovégétative hypoglycaemia with nesidioblastosis after gastric-bypass surgery. N
excessive secondaire à une baisse, le plus souvent Engl J Med 2005;353:249-54.
physiologique, de la glycémie après charge en [9] Genter P, Ipp E. Plasma glucose thresholds for counterregulation after
glucose. an oral glucose load. Metabolism 1994;43:98-103.
• L’hyperglycémie provoquée par voie orale (HGPO) est [10] Chalew SA, Mersey JH, Avinoam Kowarski A. Evidence for elevated
glucose threshold in patients with impaired glucose tolerance and
inutile.
symptoms of hypoglycaemia during OGTT. Diabetes Care 1990;13:
• En cas d’hypoglycémie post-prandiale idiopathique, il
507-12.
faut reconnaître le diagnostic ou lieu de le nier, rassurer le [11] Snorgaard O, Lassen LH, Rosenfalck AM, Binder C. Glycaemic
patient et lui proposer des traitements symptomatiques thresholds for hypoglycaemic symptoms impairment of cognitive
susceptibles de l’améliorer sans pouvoir pour autant le function, and release of counterregulatory hormones in subjects with
guérir. functional hypoglycaemia. J Intern Med 1991;229:343-50.
[12] Berlin I, Grimaldi A, Landault C, Cesselin F, Puech AJ. Suspected
postprandial hypoglycaemia is associated with b-adrenergic
■ Conclusion hypersensitivity and emotional distress. J Clin Endocrinol Metab 1994;
79:1428-33.
L’hypoglycémie réactive idiopathique fait partie des patholo- [13] Tamburrano G, Leonetti F, Sbraccia P, Giaccari A, Locuratolo N,
gies dites fonctionnelles qui défient la médecine, parce qu’il n’y Lala A. Increased insulin sensitivity in patients with idiopathic reactive
a pas de pathologie d’organe, mais seulement des symptômes et hypoglycaemia. J Clin Endocrinol Metab 1989;69:885-90.
des anomalies biologiques minimes, à la limite de la normalité ; [14] Lev-Ran A, Anderson RW. The diagnosis of postprandial
parce qu’en outre le terrain anxieux joue un rôle important et hypoglycaemia. Diabetes 1981;30:996-9.
milite en faveur d’un facteur psychogène. Il s’agit par consé- [15] Richard JL, Rodier M, Monnier L, Orsetti A, Mirouze J. Effect of
quent d’un trouble relevant de la psychosomatique, ni pure- Acarbose on glucose and insulin response to sucrose load in reactive
ment psychique, ni purement somatique. Quand la médecine hypoglycaemia. Diabete Metab 1988;14:114-8.
Asthénie
P. Cathébras, M. Koenig

La fatigue est le motif principal de consultation pour environ 7 % des visites chez le médecin généraliste.
Un interrogatoire et un examen clinique détaillés sont les principales clés de la démarche diagnostique. En
cas d’asthénie chronique, la multiplication des examens complémentaires et des avis spécialisés n’a pas
d’intérêt. La décision thérapeutique repose sur l’enquête étiologique. Dans les cas d’asthénie isolée, une
attitude pouvant être assimilée à une « psychothérapie » non spécifique doit être adoptée. La place de
l’exercice physique dans le traitement de l’asthénie est grandissante.
© 2009 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Mots clés : Asthénie ; Fatigue ; Syndrome de fatigue chronique ; Dépression ; Cancer

Plan Quels traitements symptomatiques peuvent être utiles ? Quels


conseils donner ? C’est à ces quelques questions que nous nous
¶ Introduction 1 proposons d’essayer de répondre.
¶ Définitions 1
¶ Épidémiologie de la fatigue 2 ■ Définitions
Dans la population générale 2
En médecine générale 2 La fatigue est un phénomène physiologique qui associe une
¶ Démarche diagnostique 2 baisse des performances (musculaires, sensorielles ou cognitives),
Asthénies physiologiques méconnues 4 induite par l’effort et réversible par le repos, à un vécu généra-
Asthénies d’origine organique 4 lement désagréable incitant à cesser l’effort. La fatigue comporte
Asthénies d’origine psychique 4 donc un versant objectif, théoriquement mesurable (ce qui n’est
¶ Principes de prise en charge de l’asthénie 4 faisable en pratique que pour la fatigue musculaire), et un
Asthénie au cours d’une pathologie organique identifiée 5 versant subjectif, sans qu’il y ait nécessairement de concordance
Asthénie apparemment isolée 5 entre ces deux éléments [4].
Asthénie chronique 5 La fatigabilité traduit l’apparition anormalement précoce de la
Place des traitements médicamenteux 5 sensation de fatigue au cours de l’effort [4, 5].
Qu’attendre du psychiatre ? 6 L’asthénie veut caractériser une fatigue pathologique :
¶ Conclusion 6 sensation de fatigue généralement chronique sans cause immé-
diate (absence d’effort ou effort minime) qui n’est pas effacée
par le repos. L’asthénie s’accompagne souvent d’une perte de
l’élan vers l’activité (adynamie). L’asthénie peut être d’origine
■ Introduction somatique, psychique ou environnementale (réactionnelle), et
résulte souvent d’une intrication de ces différents facteurs [4].
La fatigue et l’asthénie sont des motifs extrêmement fré- La psychasthénie désigne parfois par extension toute asthénie
quents de consultation en médecine générale [1-3]. Ces symptô- d’origine psychique. Il est plus précis de réserver ce terme à un
mes sont parfois le signe de pathologies somatiques, et plus trouble de personnalité décrit par Janet dont les traits associent :
souvent de troubles psychiatriques tels que la dépression. Ils le sentiment d’« incomplétude » (caractère insuffisant et
résultent aussi fréquemment de facteurs d’environnement. Ils inachevé que les sujets attribuent à tous leurs phénomènes
restent en fait dans la plupart des cas sans explication médicale, psychologiques), la tendance aux scrupules et aux doutes,
symptômes « fonctionnels » par excellence. L’asthénie doit être l’indécision, un état d’asthénie chronique à prédominance
abordée d’emblée comme un problème psychosomatique, car matinale et une propension aux plaintes hypocondriaques [4].
une dimension psychique, en particulier motivationnelle, n’est La neurasthénie rassemblait à la fin du siècle dernier des
jamais absente de la plainte de fatigue : « Être fatigué, c’est à la manifestations psychiques et somatiques variées autour de la
fois éprouver une incapacité et s’y abandonner », écrivait Ey. physiopathologie hypothétique d’un « épuisement de la force
Lorsqu’elle persiste, l’asthénie pose des problèmes complexes et nerveuse ». On emploie encore parfois ce terme un peu désuet
parfois irritants au praticien : ne « laisse-t-on pas passer » une pour désigner les troubles neurovégétatifs associés aux asthénies
cause médicale ? Faut-il prescrire des examens complémentaires, d’origine psychique. Cette catégorie diagnostique est toujours
ou demander des avis spécialisés ? Comment dépister une présente dans la dixième classification internationale des
dépression « masquée », un trouble anxieux ou de personnalité ? maladies (CIM-10) et reste très usitée dans les pays asiatiques [4].

Le syndrome de fatigue chronique (un temps popularisé sous Comorbidité


le nom de « syndrome des yuppies », ou « encéphalite myalgi-
que » pour les auteurs britanniques) est d’autonomie contestée Avec les maladies somatiques
mais des critères diagnostiques ont été établis en 1994 par les
Les diagnostics médicaux portés chez les malades consultant
Centers for Disease Control américains. Sa prévalence est
pour fatigue en médecine générale sont divers, mais leur lien
estimée entre 0,006 % et 3 % dans la population générale et
dans la population consultant en médecine générale. Il est avec la fatigue relève parfois davantage de l’attribution que de
caractérisé par un état d’asthénie chronique invalidante durant la causalité : par exemple, le diagnostic de « syndrome viral »
au moins 6 mois et accompagnée de symptômes non spécifi- vient en tête dans les études les plus anciennes. Parmi les
ques rhumatologiques (myalgies et arthralgies migratrices), diagnostics le plus fréquemment relevés, on trouve l’anémie,
infectieux (pharyngite), neuropsychiatriques (céphalées, troubles l’hypothyroïdie et les infections virales.
de la concentration et de la mémoire, troubles du sommeil,
faiblesse musculaire) et généraux (fébricule, ganglions cervicaux Avec d’autres symptômes « fonctionnels »
ou axillaires sensibles). Des troubles psychopathologiques En médecine générale comme dans la population générale, la
(dépression, anxiété, troubles somatoformes) sont fréquemment fatigue s’associe souvent à d’autres symptômes de cause impré-
rencontrés au cours de ce syndrome. Dans l’état actuel des cise tels que douleurs musculosquelettiques, céphalées, douleurs
recherches, aucune étiologie précise n’a été mise en évidence de abdominales ou sensations vertigineuses. Les « syndromes
façon probante. Il s’agit probablement d’un syndrome hétéro-
somatiques fonctionnels » tels que la fibromyalgie et le syn-
gène, multifactoriel, caractérisé par plusieurs anomalies physio-
drome de l’intestin irritable sont très fortement associés à la
pathologiques s’exprimant sous la forme de symptômes
fatigue [8].
identiques [6].
Avec les troubles psychopathologiques

■ Épidémiologie de la fatigue Les symptômes psychologiques évalués par questionnaires, et


les antécédents de troubles anxieux ou dépressifs, sont plus
fréquents chez les patients fatigués consultant en médecine
Dans la population générale générale que chez les témoins. Le diagnostic d’épisode dépressif
peut être porté sur des critères stricts chez les patients consul-
Prévalence tant pour fatigue en médecine générale dans environ 20 % des
Trois études de prévalence assez concordantes menées aux cas. Les autres troubles psychiatriques communs (troubles
États-Unis, en Suisse et en Grande-Bretagne montrent que la anxieux, troubles somatoformes) ne sont pas, dans la plupart
fatigue touche de 10 % à 15 % des hommes et environ 20 % des études, significativement plus fréquents que chez les autres
des femmes adultes. consultants.

Comorbidité
Il existe dans toutes les études menées en population générale
une association de la fatigue avec la plupart des symptômes et
diagnostics psychiatriques. Ceci est vérifié que l’on choisisse une “ Point fort
définition catégorielle (diagnostics psychiatriques générés par les
questionnaires structurés) ou dimensionnelle (scores sur une Épidémiologie
échelle de psychopathologie générale). Il a également été • La fatigue est un symptôme très fréquent dans la
montré une corrélation entre la sensation subjective de fatigue population générale, qui ne conduit qu’inconstamment à
et l’hypotension artérielle. D’autres symptômes fonctionnels, et consulter. Dans la communauté comme en médecine
en particulier les douleurs musculosquelettiques diffuses, sont générale, la plainte de fatigue est le plus souvent associée
fortement associés à la fatigue, et aux symptômes anxieux et à d’autres symptômes somatiques (tels que douleurs
dépressifs. multiples, troubles fonctionnels intestinaux, vertiges), à la
détresse psychologique (dépression, anxiété) et à une
En médecine générale altération de la qualité de vie perçue.
• La fréquence de la psychopathologie varie selon le lieu
Prévalence d’étude : plus on a affaire à des centres spécialisés, plus
elle est prévalente. Tout se passe, en fait, comme si la
La fatigue comme symptôme ou « diagnostic » isolé repré-
psychopathologie déterminait moins la fatigue elle-même
sente de 1 % à 3 % des visites au médecin généraliste en
Amérique du Nord et en Europe. Une fatigue invalidante est que la tendance à consulter. L’importante comorbidité
présente chez 10 % à 25 % des patients consultant en médecine psychiatrique de la fatigue mise en évidence dans les
générale lorsqu’on s’enquiert spécifiquement de sa présence par études publiées résulte donc en partie d’un biais de
un questionnaire. Certaines études retrouvent toutefois des sélection.
chiffres de prévalence supérieurs à 30 %, mais la fatigue comme • Le syndrome de fatigue chronique, défini par des
motif de consultation principal constitue moins de 10 % des critères de recherche, ne correspond au plus qu’à un quart
cas. Une étude française réalisée auprès de 3 784 patients des cas de fatigue chronique et invalidante observés en
consultant en médecine générale montre une prévalence de la centres spécialisés, et doit être considéré comme
plainte de fatigue de 41,2 %, mais seulement 7,6 % des patients exceptionnel en médecine générale.
déclarent que ce symptôme est la raison principale de leur
consultation [7]. Nous avons estimé à Montréal parmi
686 consultants en médecine générale la prévalence « sponta-
née » (plainte spontanément formulée par les patients) de la
fatigue à 13,6 %, la fatigue étant le motif de consultation
prédominant dans 6,7 % des cas [2]. L’âge ne paraît pas influen- ■ Démarche diagnostique
cer de façon importante la fréquence du symptôme, mais les
femmes consultent plus souvent que les hommes pour ce Pour la commodité de l’exposé, nous distinguons les asthé-
symptôme. nies physiologiques, organiques et psychiatriques, selon une

Plainte de «fatigue»

Interrogatoire approfondi

Récente Enquête médicale approfondie


Effet du repos ? Nul ou faible ? Asthénie
Très chronique Enquête psychologique
et sur les conditions de vie approfondie
Somnolence ? Rechercher troubles du sommeil, narcolepsie,
apnées du sommeil

Fatigabilité Enquête neurologique approfondie


musculaire isolée ?

Enquête psychologique approfondie


Détresse psychique ?
(sans négliger la possibilité de problèmes organiques associés)

Symptômes associés ?
Facteurs déclenchants ?

Conditions de vie ?
Exercice physique ?

Médicaments ?

Altération de l'état général ? Poursuivre l'enquête à la recherche d'une pathologie organique,


Amaigrissement ? Fièvre ? sans négliger la détresse psychique et les facteurs d'environnement

Examen clinique complet

Normal Anormal

Examens complémentaires simples


Hémogramme, protéine C-réactive, glycémie, ferritine,
transaminases, CPK, TSH, créatinine, bandelette urinaire

Normaux Anormaux

Enquête psychosociale, Poursuivre l'enquête à la


réassurance, promotion de recherche d'une pathologie
l'exercice physique (gradué) organique, sans négliger la détresse
psychique et les facteurs d'environnement

Figure 1. Arbre décisionnel. Plainte de fatigue. CPK : créatine-phosphokinase ; TSH : thyroid stimulating hormone.

démarche dichotomique. Il faut en fait envisager les différents rémission. Cette asthénie est multidimensionnelle, intriquant
niveaux de façon simultanée (au cours de la même consulta- des facteurs biologiques, psychologiques, sociaux et person-
tion) (Fig. 1). Un bon exemple est celui de l’asthénie liée au nels [9]. Dans tous les cas, on doit donc considérer la potentia-
cancer, qui est un problème des plus courants en oncologie (de lisation des facteurs responsables de fatigue. Par exemple,
60 % à 96 % des patients pris en charge pour un cancer se une anémie modérée, associée à un manque de sommeil et à un
plaignent d’asthénie), dont la prévalence reste élevée à distance état dépressif mineur, peut être responsable d’une asthénie
du traitement anticancéreux une fois la maladie considérée en sévère.

Tableau 1. Tableau 2.
Étiologies somatiques des asthénies apparemment isolées (liste non Examens complémentaires utiles face à une asthénie apparemment
exhaustive). isolée.
Asthénies infectieuses Hépatites virales, mononucléose infectieuse, Examens biologiques Numération formule sanguine, fer sérique et
brucellose, tuberculose, infection par le virus (première intention) saturation de la sidérophiline ou ferritine,
de l’immunodéficience humaine, endocardite vitesse de sédimentation et protéine C réac-
infectieuse, tæniasis, syndrome de fatigue tive, transaminases, créatine-kinases, glycé-
chronique (postinfectieux) mie à jeun, thyroid stimulating hormone, créa-
Asthénies Insuffisance surrénalienne, insuffisance anté- tinine, bandelette urinaire
endocriniennes hypophysaire, insuffisance thyroïdienne, hy- Examens biologiques Ionogramme, calcémie, cortisolémie, thy-
et métaboliques perthyroïdie, hypercorticisme, insuffisance (seconde intention) roxine libre, électrophorèse des protéines,
rénale, hypercalcémies (hyperparathyroïdie), anticorps antinucléaires
hyponatrémies, hypokaliémies, hyperglycé- Examens radiologiques Radiographie thoracique
mies, carence martiale (même sans anémie) (première intention)
Asthénies Maladies musculaires (dystrophies musculai- Examens radiologiques Échographie abdominopelvienne
neurologiques res, myosites, myopathies stéroïdiennes ou (seconde intention)
thyroïdiennes, myopathies métaboliques ou
mitochondriales), myasthénie, neuropathies
périphériques, sclérose en plaques, maladie de
Parkinson, syndromes d’apnées du sommeil, dépistées par les examens complémentaires cités dans le Tableau
narcolepsie, hypersomnie idiopathique 2. Les causes neurologiques sont souvent démasquées tardive-
Asthénies Cancers digestifs (pancréas) ou pelviens, syn- ment car l’interrogatoire et l’examen doivent être très fins :
néoplasiques dromes paranéoplasiques des cancers bron- distinguer fatigue et somnolence dans les pathologies du
chiques ou rénaux, lymphomes sommeil, envisager systématiquement une myasthénie devant
Asthénies Anémies, hyperprotidémies du myélome ou une fatigabilité fluctuante, rechercher un syndrome extrapyra-
hématologiques de la maladie de Waldenström midal débutant, faire une enquête familiale en cas de doute sur
Asthénies Hépatites chroniques et cirrhoses, hémochro- une myopathie. Lorsque l’on suspecte une pathologie muscu-
des hépatopathies matose, maladie de Wilson, maladie cœlia- laire, une épreuve d’effort sur bicyclette ergométrique, avec
et d’origine digestive que, entéropathies inflammatoires, abus de dosages des enzymes musculaires, des lactates et du pyruvate, et
laxatifs réalisation dans le même temps d’une biopsie musculaire (à la
Asthénies Insuffisance cardiaque débutante, troubles du pince dans notre expérience) sont souvent plus informatives
cardiovasculaires rythme non ressentis, insuffisance respira- qu’un électromyogramme [5]. Il faut toujours évoquer les causes
et respiratoires toire chronique iatrogènes, relativement fréquentes, dresser la liste des médica-
Maladies de système Sarcoïdose, polymyosite, lupus érythémateux ments reçus et s’enquérir par ailleurs des habitudes toxiques
disséminé, polyarthrite rhumatoïde, maladie (alcool, stupéfiants).
de Horton, amylose
Asthénies toxiques Psychotropes, antihypertenseurs centraux,
et iatrogènes bêtabloquants, inhibiteurs calciques, interfé- Asthénies d’origine psychique
ron, antinéoplasiques, antihormones, alcool,
syndromes de sevrage Les épisodes dépressifs majeurs sont une des causes les plus
communes d’asthénie [2, 3]. La dépression masquée n’existe pas :
le diagnostic d’épisode dépressif majeur peut toujours être porté
sur les critères du diagnostic and statistical manual of mental
disorders (DSM) IV ou de la CIM-10. Encore faut-il poser les
Asthénies physiologiques méconnues questions indispensables, et savoir que la tristesse n’est pas le
symptôme le plus caractéristique de la dépression, au contraire
Certaines causes physiologiques de fatigue a priori évidentes de la fatigue, que l’on peut considérer comme l’expression
sont parfois méconnues. Le manque de sommeil (horaires de subjective du ralentissement psychomoteur [10].
travail et trajets, enfants en bas âge, surmenage, etc.), l’inadap- Les états anxieux chroniques (anxiété généralisée, phobies
tation au travail posté, et la malnutrition (liée à la pauvreté ou sociales par exemple) ou paroxystiques (attaques de panique)
à des troubles des conduites alimentaires) en font partie. Le conduisent parfois certains patients à consulter pour une
surentraînement physique, étiologie non exceptionnelle « fatigue » inexpliquée. Le diagnostic de trouble panique est
d’asthénie, est souvent difficile à faire admettre aux grands particulièrement utile à considérer, car, non traité, ce trouble
sportifs. L’existence d’une grossesse méconnue ne doit pas être fréquent peut devenir très invalidant. Les circonstances de
négligée chez la femme. découverte et les arguments pour le diagnostic, en médecine
générale, sont exposés ci-après.
Les troubles somatoformes, et en particulier le trouble
Asthénies d’origine organique somatisation (hystérie), comportent couramment parmi leurs
symptômes physiques une asthénie, rarement isolée.
Le praticien doit garder à l’esprit un certain nombre de causes Les troubles de personnalité sont à envisager pour les patients
organiques possibles de l’asthénie. Ces causes sont innombra- « difficiles », hostiles ou dépendants, qui avouent parfois être
bles et le Tableau 1 en propose une liste non exhaustive. Dans fatigués « depuis toujours », et chez qui l’on perçoit assez vite
tous les cas, un examen clinique détaillé est la principale clé. que l’asthénie relève d’un mécanisme de défense. La dysthymie
Aucun examen complémentaire n’est indispensable en toute est un trouble de l’humeur très chronique, difficile à distinguer
première intention, mais devant une asthénie traînante, ou en pratique d’un trouble de personnalité.
dans un but de réassurance, quelques examens peuvent être
prescrits (Tableau 2). Certaines causes somatiques sont particu-
lièrement trompeuses, car l’examen clinique peut être normal :
c’est le cas de l’insuffisance antéhypophysaire chez les person-
■ Principes de prise en charge
nes âgées, de l’insuffisance thyroïdienne débutante, de l’hyper- de l’asthénie
parathyroïdie, de l’insuffisance rénale, du diabète, des
hépatopathies chroniques (hépatites virales ou immunologiques Le problème est différent selon que l’asthénie survient dans
surtout), des néoplasies bronchiques, du cancer du pancréas et le cours d’une maladie connue ou facilement identifiable, ou de
du cancer du rein. Ces causes d’asthénie sont en principe façon apparemment isolée.

Asthénie apparemment isolée


“ Point fort La décision thérapeutique repose sur l’enquête étiologique
guidée par la démarche diagnostique (cf. supra). Mais, dans tous
Arguments pour le diagnostic d’épisode dépressif les cas, une attitude pouvant être assimilée à une « psychothé-
• La fatigue est ressentie dès le lever (attention, ceci est rapie » non spécifique doit être adoptée :
possible dans les asthénies somatiques et habituel dans les • prendre le patient consultant pour fatigue au sérieux : un
asthénies névrotiques, même en l’absence de examen physique complet et un entretien détaillé sur l’état
dépression !). affectif et les conditions de vie s’imposent ;
• Il existe des troubles du sommeil (insomnie ou • envisager simultanément les problèmes somatiques et psy-
hypersomnie). chologiques (et non pas sur un mode mutuellement exclu-
• Il existe des troubles de l’appétit et des variations sif) ;
pondérales. • rassurer : la fatigue n’est généralement pas le seul signe d’une
• La plainte de fatigue paraît disproportionnée par maladie organique grave comme un cancer ;
rapport à l’état clinique. • s’enquérir des explications spontanées que le patient propose
• La perte du désir (« n’avoir goût à rien »), du plaisir pour sa fatigue, afin d’éviter les malentendus.
(anhédonie) et de l’agir (adynamie) peuvent être mises en
évidence par les questions appropriées.
• Des antécédents personnels ou familiaux de dépression Asthénie chronique
sont habituels.
Dans cette situation, il est bien prouvé que la multiplication
• En revanche, la dévalorisation, la culpabilité et les idées
des examens complémentaires et des avis spécialisés n’a pas
de suicide manquent souvent.
d’intérêt. Bien au contraire, une médicalisation exagérée
renforce chez ces patients la conviction qu’il y a « quelque
chose » à découvrir, et les encourage à adopter un rôle de
malade. Le traitement consiste essentiellement dans la lutte

“ Point fort contre les cercles vicieux qui renforcent l’asthénie. Il est capital
de faire comprendre aux patients que les facteurs qui ont
déclenché la fatigue (par exemple une infection virale) ne sont
Circonstances de découverte du trouble panique pas ceux qui la perpétuent (par exemple la crainte d’une
• Malaises brusques avec faux vertiges, oppression, maladie grave, la démoralisation et l’inactivité). C’est sur ce
palpitations, tétanie (« spasmophilie ») qui constituent les principe que sont basées les thérapies comportementales et
« attaques de panique » pendant lesquelles les cognitives qui sont les seuls traitements à avoir montré une
symptômes psychologiques d’anxiété peuvent manquer efficacité dans des essais contrôlés, au cours du syndrome de
ou être au second plan. fatigue chronique [11, 12] . Dans l’asthénie liée au cancer, la
• Craintes irraisonnées d’une maladie grave (par exemple recherche d’une étiologie spécifique est également souvent
cardiaque ou neurologique) chez un sujet jeune infructueuse et la prescription de repos plus délétère que
(hypocondrie non délirante) ; l’entraînement physique [9].
• Asthénie chronique, fibromyalgie, troubles fonctionnels
intestinaux.
• Dépression majeure. Place des traitements médicamenteux
• Agoraphobie.
Les médications à visée antiasthénique peuvent être regrou-
• Recours (souvent caché) à l’alcool.
pées en trois grandes classes.
Arguments pour le diagnostic
Les médicaments « antiasthéniques » dont le dictionnaire
• Une ou plusieurs « crises » inopinées ont précédé les Vidal® dresse une liste impressionnante, mais d’efficacité non
troubles cités. prouvée, associent très souvent divers principes « énergéti-
• Souvenir précis de la première crise. ques » : acides aminés, acides nucléiques, minéraux, vitamines,
• Antécédents familiaux de troubles anxieux. oligoéléments, etc. Ces produits, généralement anodins, peuvent
• Présence d’une anxiété anticipatoire et/ou d’une être utilisés comme placebos dans les asthénies aiguës.
agoraphobie. Les psychostimulants sont d’efficacité certaine pour les
• Relative inefficacité des benzodiazépines en prévention dérivés des amphétamines, à proscrire à cause de leur pouvoir
des crises. toxicomanogène et d’ailleurs pour la plupart retirés du com-
merce, et d’efficacité plus douteuse pour les autres produits tels
que les dérivés du déanol (Acti 5 ® , Clérégil ® , etc.) ou la
sulbutiamine (Arcalion®). Ces produits peuvent aider à passer
Asthénie au cours d’une pathologie un cap difficile. Le méthylphénidate (Ritaline®), dérivé amphé-
organique identifiée tamique, a été testé dans le traitement de l’asthénie du cancer,
mais n’a pas d’autorisation de mise sur le marché dans cette
Le traitement de l’asthénie repose avant tout sur celui de la
indication. Il en va de même pour le modafinil (Modiodal®),
pathologie organique, mais il convient de rechercher systémati-
commercialisé pour le traitement de la narcolepsie.
quement des facteurs de majoration :
• la fatigue peut-elle être d’origine iatrogène (excès de diuréti- Les antidépresseurs sont d’efficacité prouvée en cas de
ques par exemple) ? dépression majeure. Si l’asthénie prédomine dans le tableau
• existe-t-il un trouble métabolique surajouté (tel qu’une clinique, un produit à composante psychostimulante, attendue
hyponatrémie, une hypercalcémie, une anémie) ? pour les molécules noradrénergiques et surtout dopaminergi-
• y a-t-il dénutrition ? ques [13], peut être préféré. Dans notre expérience, les médica-
• existe-t-il une psychopathologie associée (en particulier un ments les plus utiles sont les plus anciens : imipramine
état dépressif) ? (Tofranil®), clomipramine (Anafranil®), fluoxétine (Prozac®). La
• peut-on améliorer l’environnement matériel et/ou le support tianeptine (Stablon®) a l’avantage d’être bien tolérée, et peut
social du patient ? s’avérer intéressante chez les patients qui redoutent les effets

“ Point fort
Conseils aux patients atteints de fatigue (asthénie) chronique
• Quelle que soit sa cause initiale, après quelques mois d’évolution la fatigue est entretenue par des facteurs de renforcement. Ces
facteurs n’ont pas créé les symptômes, mais ils contribuent à empêcher une vie normale. Les facteurs d’entretien les plus importants
sont : l’inactivité, la démoralisation et la perte de confiance en soi et dans les soignants.
• Le repos est lors des premiers symptômes une attitude logique et bénéfique, mais très vite les patients se rendent compte que le
repos ne soulage pas leur fatigue, ou très transitoirement, et que l’effort physique, voire intellectuel, devient de plus en plus difficile.
Ce phénomène s’appelle le déconditionnement, et il est indispensable de lutter contre lui par la reprise très progressive, mais
quotidienne, d’un exercice physique (et intellectuel) régulier.
• La démoralisation est toujours présente du fait de la chronicité des symptômes ou de leur rechute. Parfois, cet état de
démoralisation devient une véritable dépression qu’il peut être utile de traiter par des médicaments antidépresseurs. La
démoralisation ou la dépression aggravent les symptômes par plusieurs mécanismes : elles rendent plus fragiles les défenses de
l’organisme, elles augmentent l’attention sur les aspects négatifs de la vie (et en particulier sur la fatigue), elles diminuent encore les
capacités physiques, elles créent souvent de nouveaux symptômes (comme des douleurs diffuses).
• La perte de confiance en soi est due aux difficultés à vivre normalement, à l’isolement, aux problèmes familiaux et professionnels
que les symptômes entraînent, et au fait que l’entourage comprend rarement bien que l’on soit si gêné alors que tous les examens
sont normaux. La perte de confiance dans les médecins provient de l’impression que ceux-ci pensent que les symptômes sont
imaginaires ou uniquement « dans la tête », et de leur incapacité à expliquer la cause de la fatigue. Tout ceci contribue en retour à la
démoralisation alors que tous les examens médicaux sont normaux.
• Il est important de ne pas s’interroger trop sur la cause de la fatigue, mais de lutter pour retrouver une vie autonome et satisfaisante
sur les plans familial, affectif et professionnel, avec le moins de symptômes possible.

secondaires des médicaments. Les nouveaux inhibiteurs de la trouble panique, certaines dépressions chroniques, et utiles
recapture de la sérotonine (IRS) et les nouveaux inhibiteurs de dans le syndrome de fatigue chronique. Encore faut-il
la monoamine-oxydase (IMAO) n’apportent pas beaucoup, à s’adresser à un thérapeute adéquatement formé à ces psycho-
notre avis, par rapport aux produits plus anciens. Dans les thérapies et désireux de collaborer avec les somaticiens.
attaques de panique, on prescrit de petites doses d’imipramine
(de 20 à 40 mg de Tofranil®) ou de clomipramine (Anafranil®),
souvent efficaces, ou un IRS comme la paroxétine (Deroxat®) ou
le citalopram (Seropram®), pas forcément mieux tolérés. Il est
■ Conclusion
parfois utile de prescrire des antidépresseurs en dehors de la
L’asthénie est un modèle de symptôme où s’intriquent les
dépression majeure, bien que les indications en soient rarement
participations somatiques, psychologiques et environnementa-
validées : dans la fibromyalgie, les douleurs et les troubles du les, véritable problème de médecine psychosomatique, qui
sommeil réagissent assez souvent à de petites doses d’amitripty- impose une prise en charge globale et une démarche de soin
line (de 10 à 40 mg de Laroxyl®), au milnacipran (Ixel®) ou à typiquement généraliste. Mais la « fatigue » est aussi une plainte
la duloxétine (Cymbalta®). qui dépasse la médecine pour concerner la société tout entière,
La prescription d’antidépresseur chez des patients qui refu- et la réponse à cette plainte ne peut être strictement médicale.
sent, souvent non sans raison, d’endosser une étiquette de Il convient parfois de le rappeler aux patients, comme aux
déprimés n’est pas chose simple. La justification de la prescrip- médecins.
tion (comme quelques éléments de physiologie des neurotrans-
metteurs), le délai d’action et les effets secondaires .

incontournables (atténués par une augmentation progressive des


doses) doivent être clairement expliqués, faute de quoi le ■ Références
médicament ne sera pas pris, et les chances de succès d’un
[1] Cathébras P, Bouchou K, Cartry O, Rousset H. Épidémiologie de la
traitement ultérieur seront compromises. fatigue : conséquences sur la définition du syndrome de fatigue chro-
nique. Sem Hop Paris 1995;71:111-8.
[2] Cathébras PJ, Robbins JM, Kirmayer LJ, Hayton BC. Fatigue in
Qu’attendre du psychiatre ? primary care: prevalence, psychiatric comorbidity, illness behaviour,
and outcome. J Gen Intern Med 1992;7:276-86.
Si la prise en charge de l’asthénie relève au tout premier chef [3] Kroenke K, Wood DR, Mangelsdorff AD, Meier NJ, Powell JB.
du médecin généraliste, relayé dans les cas difficiles par Chronic fatigue in primary care. Prevalence, patient characteristics,
l’interniste, il est parfois nécessaire d’orienter certains patients and outcome. JAMA 1988;260:929-34.
vers le psychiatre. À notre avis, le psychiatre devrait être sollicité [4] Bugard P. La fatigue et les états asthéniques. Paris: Doin; 1989 (188p).
pour : [5] Féasson L, Camdessanché JP, El Mandhi L, Calmels P, Millet GY.
• aider à établir le diagnostic d’un trouble somatoforme : Fatigue et affections neuromusculaires. Ann Readapt Med Phys 2006;
hypocondrie, trouble somatisation, symptôme de conversion ; 49:289-300.
• étayer le diagnostic d’un trouble de personnalité et définir [6] Afari N, Buchwald D. Chronic fatigue syndrome: a review. Am
J Psychiatry 2003;160:221-36.
l’attitude thérapeutique à adopter ;
[7] Fuhrer R. Épidémiologie de la fatigue en médecine générale. Encephale
• engager ou orienter le patient vers une thérapie psychodyna- 1994;20(suppl3):603-9.
mique, lorsque l’asthénie est le signe d’une fragilité caracté- [8] Cathébras P. Symptômes fonctionnels et somatisation. Comment
rielle ou d’une crise existentielle, et si une demande de travail aborder les symptômes médicalement inexpliqués. Paris: Masson; 2006
psychologique se fait jour ; (240p).
• engager le patient dans les thérapies comportementales- [9] Pavic M, Sève P, Rousset H, Debourdeau P. Prise en charge de l’asthé-
cognitives, brèves et remarquablement efficaces dans le nie associée au cancer. Presse Med 2008;37:957-66.

[10] Arnold LM. Understanding fatigue in major depressive disorder and Pour en savoir plus
other medical disorders. Psychosomatics 2008;49:185-90.
[11] Sharpe M, Hawton K, Simkin S. Cognitive behaviour therapy for the Debray Q. Le livre de la fatigue. Paris: Masson; 2003 (94p).
chronic fatigue syndrome: a randomised controlled trial. BMJ 1996; Dupond JL. Psychologie de la fatigue. Le mal des maudits. Paris: Éditions du
312:22-6. Cygne; 2006 (114p).
Hatron PY. Asthénie, fatigue. Paris: Masson; 2006 (166p).
[12] Deale A, Chalder T, Marks I, Wessely S. Cognitive behaviour therapy Mayou R, Bass C, Sharpe M. Treatment of functional somatic symptoms.
for chronic fatigue syndrome: a randomized controlled trial. Am Oxford: Oxford University Press; 1995 (452p).
J Psychiatry 1997;154:408-14. Wessely S, Hotopf M, Sharpe M. Chronic fatigue and its syndromes. Oxford:
[13] Stahl SM. The psychopharmacology of energy and fatigue. J Clin Oxford University Press; 1998 (440p).
Psychiatry 2002;63:7-8. http://www.chu-rouen.fr/ssf/pathol/asthenie.html.

S-ar putea să vă placă și