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H I S T O I R E

Sous la direction de Frédéric HURLET et Bernard MINEO

Le Principal d'Auguste
Réalités et représentations du pouvoir
Autour de la Res publica restìtuta
Ύ

PRESSES UNIVERSITAIRES DE RENNES


Le Principat d'Auguste
Réalités et représentations du pouvoir
Autour de la Res publica restituta

Actes du colloque
de l'Université de Nantes
er
l -2 juin 2007
Collection « Histoire

Dirigée par Hervé MARTIN et Jacqueline SAINCLIVIER

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Sous la direction de
Frédéric H U R L E T et Bernard MINEO

Le Principat d'Auguste
Réalités et représentations du pouvoir
Autour de la Res publica restituiti,

Collection Histoire
Presses Universitaires de Rennes
2009
© PRESSES UNIVERSITAIRES DE RENNES
UHB Rennes 2 - Campus de La Harpe
2, rue du doyen Denis-Leroy
35044 Rennes Cedex
www.pur-editions.fr

Mise en page : APEX Création (Corps-Nuds)


pour le compte des PUR

e
Dépôt légal: 2 semestre 2009
ISBN: 978-2-7535-0952-8
ISSN: 1255-2364
Les auteurs

CITRONI Mario, Università degli studi di Firenze.


DEREMETZ Alain, Professeur de latin,
Université de Lille I I I , UMR 8164.
DEVILLERS Olivier, Professeur de latin,
Université de Bordeaux I I I , Ausonius (UMR 5607).
FERRARY Jean-Louis, Membre de l'Institut,
EPHE - Centre Gustave-Glotz (UMR 8585).
FREYBURGER-GALLAND Marie-Laure, Professeur de grec,
Université de Haute Alsace, UMR 7044.
GROS Pierre, Professeur Emèrite de latin,
Université d'Aix-Marseille 1.
HURLET Frédéric, Professeur d'histoire romaine,
Université de Nantes, CRHIA (EA 1163).
LE DOZE Philippe, Doctorant en histoire romaine,
Université de Nantes, CRHIA (EA 1163).
MARTIN Paul-Marius, Professeur Emèrite de latin,
Université de Montpellier I I I .
MINEO Bernard, Professeur de latin,
Université de Nantes (TLI-MMA).
Rosso Emmanuelle, Maître de conférences d'histoire romaine,
Université d'Aix-Marseille 1
SAURON Gilles, Professeur d'histoire de l'art romain,
Université de Paris-Sorbonne (Paris-IV).
SCHEIDJohn, Professeur au Collège de France,
EPHE - Centre Gustave-Glotz (UMR 8585).
SPANNAGEL Martin,
Université de Heidelberg.
LE PRINCIPAT D'AUGUSTE

SUSPÈNE Arnaud, Maître de conférences d'histoire romaine,


Université d'Orléans.
TARPIN Michel, Professeur d'archéologie romaine,
Université de Grenoble I I Mendès-France.
VERVAET Frederik, Lecturer in Ancient History,
Université de Melbourne.
Introduction

Res publica restituta


Le pouvoir et ses représentations à Rome
sous le principat d'Auguste

Frédéric HURLET et Bernard M I N E O

Sur le fond, l'affaire semble entendue. I l est communément admis que


la victoire du jeune César à Actium en septembre 31 av. J.-C. précipita
la chute de la République romaine et donna naissance au principat. Ce
changement de régime passe pour avoir mis un terme à la traditionnelle
concurrence entre aristocrates à la tête de l'État et réservé l'exercice du pou­
voir suprême à un seul homme, le princeps, et à sa famille, la domus Augusta,
assimilée à une dynastie. Ce résumé commode, s'il comporte une grande
part de vérité, n'en constitue pas moins par sa concision un raccourci qui
présente l'inconvénient de ne pas prendre suffisamment en compte les mul­
tiples évolutions perceptibles tout au long du principat d'Auguste. Un des
acquis des recherches récentes est en effet d'avoir souligné l'empirisme de
la démarche d'Auguste dans la manière dont il avait défini sa position à la
tête de l'État et cherché à être reconnu comme le princeps par le plus grand
l
nombre . On a pu ainsi établir que non seulement les fondements juridi­
ques du pouvoir impérial différaient selon qu'était prise en considération la
situation des années 20 av. J.-C. ou celle de la première décennie de notre
ère, mais que c'était aussi le regard des Romains sur leur nouveau régime
politique qui se modifia au fur et à mesure de la consolidation du principat.
Une des originalités du principat, reconnue depuis fort longtemps, était de
se présenter à sa création sous l'angle de la continuité avec les pratiques de
la défunte République plus qu'en termes de rupture avec l'ancien régime. Le
prestige de la Res publica (libera) était resté intact, en dépit de ses multiples
soubresauts et des conséquences politiques de la bataille d'Actium, si bien
qu'on a pu parler de « crise sans alternative » pour reprendre la terminologie

1. Pour un bilan de la production scientifique relative à Auguste et parue ces dix dernières années,
cf. H U R L E T Fr„ «Une décennie de recherches sur Auguste. Bilan historiographique (1996-2006) »,
Anabases 6, 2007, p. 187-218.
LE PRINCIPAT D'AUGUSTE

2
utilisée par Christian Meier . I l existait en vérité une alternative, à savoir
donner au nouveau régime, sans aucun doute monarchique dans les faits,
les apparences d'une restauration et inscrire les pouvoirs d'Auguste dans
le prolongement des pratiques républicaines. L'existence de ce qu'on a pu
appeler la façade républicaine du principat ne se discute pas : toute fiction,
3
si elle doit être dénoncée, ne peut être niée . Mais dans le même temps, si
les institutions républicaines servirent toujours de cadre institutionnel au
fonctionnement du nouveau régime (comment en aurait-il pu aller autre­
ment?), l'image que les Romains se faisaient de la République romaine
évolua au fil des années passées par Auguste à la tête de Rome et de l'Em­
pire. « Combien restait-il de gens qui avaient vu la Res publica ? », s'exclame
4
Tacite en décrivant le contexte politique à la fin du principat d'Auguste .
Il faut donc prendre en compte la dimension chronologique qui fit de la
République et de ses pratiques un souvenir estompé au fur et à mesure que
le temps passait et un précédent de moins en moins contraignant. On a
depuis longtemps, et à juste titre, fait remarquer que l'ambiguïté est un trait
inhérent à un nouveau régime qui a toujours refusé de dire ce qu'il était.
Il importe désormais de dépasser ce constat avéré et de partir de l'idée que
cette ambiguïté se manifestait de différentes façons selon la période et les
sources prises en compte. La fiction républicaine exploitée par Auguste pour
mettre en forme le nouveau régime a elle aussi une histoire.
Une étape capitale dans la mise en place du nouveau régime est le
moment où celui que l'on appelait jusqu'alors César (le Jeune) fut amené
à rétablir la paix et la stabilité au sein de l'Empire romain à l'issue de sa
victoire à Actium au terme de plus d'une décennie entrecoupée de conflits
civils. I l a été pendant longtemps admis sans la moindre discussion qu'à
son retour à Rome en 29 av. J.-C, le vainqueur de Marc Antoine et de

2. Sur la notion de «crise sans alternative», cf. M E I E R Ch., Res publica amissa. Studie zu Verfassung
e
und Geschichte der späten römischen Republik, 2 éd., Wiesbaden, 1980 ; sur la solution trouvée par
Auguste, cf. du même auteur, « Augustus. Die Begründung der Monarchie als Wiederherrstellung der
Republik», dans Ohnmacht des allmächtigen Dictators Caesar. Drei biographische Skizzen, Fran
1980, p. 225-287 [traduction italienne dans Cesare. Impotenza e onnipotenza di un dittatore. Tr
profili biografici, Turin, 1995, p. 195-251] et César, trad, française de l'édition allemande de 1982
par J. Feisthauer, Paris, 1989, p. 474-476. Sur la place de cette interprétation dans l'historiographie
actuelle, cf. B R U H N S H., «Crise de la République romaine? Quelle crise?», Fondements et crises
du pouvoir, F R A N C H E T D ' E S P E R E Y S. - F R O M E N T I N V. - G O T T E L A N D S. - R O D D A Z J.-M. (dir.),
Bordeaux, 2003, p. 373-376 qui réévalue positivement, ajuste titre, une notion de crise sans alter­
native peu prise en compte par l'historiographie actuelle et souvent critiquée sans être sérieusement
examinée, mais qui juge sans trop approfondir la question que l'alternative réalisée par Auguste pour
sortir de la crise affaiblit l'ensemble de la théorie (p. 375).
3. Comme l'a rappelé M A G D E L A I N Α., Auctoritas principis, Paris, 1947, p. 75.
4. Ann., I, 3, 7 : quotus quisque reliquus qui Rem publicam vidisset. On traduit généralement Res pu
par « République» (cf. Gcelzer dans la C. U.F. ; Burnouf, Tacite, Annales dans la Collection Garnier-
Flammarion et Grimai, Tacite, Annales, dans la Collection Folio), ce qui revient à adopter une signi­
fication spécifique de Res publica qui n'est apparue qu'à l'époque impériale. Si l'on gardait le sens
traditionnel et neutre de «chose publique», «bien commun» ou «État» (ce que nous entendons par
République se traduit d'ordinaire en latin par Res publica libera ou libertas), il faudrait comprendre
que dans l'esprit de Tacite, il y avait, à lafindu principat d'Auguste, très peu de gens qui avaient
vu l'État romain comme une chose publique ou, si l'on veut, comme un État de droit; la remarque
de l'historien romain n'en serait que plus mordante. Il est difficile de privilégier l'une ou l'autre des
solutions présentées. Cf. aussi, dans le même sens que Tacite, D I O N , LVI, 44, 3-4.

10
INTRODUCTION

Cléopâtre choisit d'apparaître comme le libertatisp(opuli) R(omani) uindex


5
et de présenter le nouvel État sous la forme d'une Res publica restituta .
C'était là un choix judicieux qui se justifiait par la capacité des sociétés
antiques foncièrement conservatrices à maintenir sans pétrification à travers
les changements leur adhésion à leur passé et à une tradition ancestrale
6
qu'elles ne cessaient de réinterpréter au fur et à mesure des évolutions .
L'objet des actes de ce colloque est d'étudier les différentes manifestations
de cette restitutio Reipublicae au moment de sa mise en place dans le cou­
rant des années 20 av. J.-C, puis de suivre son évolution jusqu'à la fin du
principat d'Auguste, voire au-delà lorsqu'une situation de crise conduisit les
vainqueurs à parler à leur tour de restauration (par exemple avec Vespasien,
Nerva ou Septime Sévère). I l est nécessaire au préalable d'étudier les diffé­
rents emplois de Res publica restituta de manière à en définir la signification
et en évaluer la pertinence dans le contexte des années 20 av. J.-C, mais
aussi au-delà de cette décennie. I l y a beaucoup à apprendre de l'enquête
terminologique.
Il est bien connu que la formule Res publica restituta est peu souvent
7
attestée dans les sources . On la trouve à coup sûr dans la Laudatio dite
de Turia, dans un passage qui fait suite à une référence à une pacification
de Worbis terrarum et qui décrit l'état de la Res publica à l'issue de la guerre
8
civile . Un passage des Fastes de Préneste à la date du 13 janvier a été égale­
ment souvent sollicité en ce sens, mais il faut préciser que c'est au prix d'une
restitution qui a été proposée par Mommsen et qui reste loin d'être assurée :
9
[~ quodRempublicam]p(opub) R(omano) restfitjufitj . On y lit à coup sûr
l'abréviation RR. pour p(opulus) R(omanus), mais sans que nous sachions
quel cas doit être utilisé en la circonstance, ainsi que le verbe restituere, mais
l'état de la pierre est tel que nous ne pouvons déterminer à quel temps et
à quel mode il faut le conjuguer. Quant au terme Res publica, il n'apparaît
nulle part dans la partie conservée et doit être entièrement restitué. Toutes
ces incertitudes expliquent qu'après Mommsen, d'autres restitutions plus ou

5. La légende libertatis p(opuli) R(omani) uindex apparaît sur le droit d'un cistophore sur le revers
2
duquel il est fait référence à la Pax (RPC, I, 2203 = RIC, I 79 Augustus Nr. 476) ; cf. aussi dans
ce sens les Res Gestae diui Augusti, 1.1 (on consultera la nouvelle édition et les analyses de J. Scheid
dans la C. U.F., 2007). Les emplois de la formule Res publica restituta sont étudiés dans le paragraphe
suivant.
6. Cf. dans un sens très proche les propos méthodologiques de F I N L E Y M.I., L'invention de la politique,
traduit de l'anglais par J. Carlier, Paris, 1985, p. 53.
7. Comme l'a déjà souligné M I L L A R F., «Triumvirate and Principate »,JRS 63, 1973, p. 63-64 [= Rome,
the Greek World, and the East, vol. I. The Roman Republic and the Augustan Revolution, éd. p
Cotton et C M . Rogers, Chapell-Hill - Londres, 2002, p. 264].
8. II, 1. 25-26 : pacato orbe tenarum, resftitutja re publica, quieta deinde nfobis etfelicia]/tempo
2
gerunt (FIRA, III ,69). On consultera sur ce document l'édition de D U R R Y M., Élogefunèbre d'une
e
matrone romaine (Éloge dite de Turia), Paris, 1950 (2 tirage revu et corrigé par Lancel S., 1992) ;
cf. aussi K I E R D O R F W., Laudatiofunebris. Interpretationen und Untersuchungen zur Entwicklung
römischen Leichenrede, Meisenheim am Glan, 1980, p. 36.
2
9. CIL, I, p. 312 et 384 = CIL, I , p. 231. La restitution de Mommsen a été adoptée par D E G R A S S I ,
7«ίίτ./ί.,ΧΙΠ,2,ρ. 113.

11
LE PRINCIPAT D'AUGUSTE

10
moins convaincantes ont été proposées . Quoi qu il en soit, l'ampleur des
lacunes est telle quii vaut mieux ne fonder aucune conclusion historique
sur un fragment épigraphique aussi mutilé. I l faut ajouter un passage de
Tite-Live où la formule Res publica restituta est utilisée dans le contexte de
réaction des sénateurs à un discours de fermeté prononcé par Cincinnatus
en 460 sans doute par analogie avec la situation politique dans lequel s'ins­
crivait la rédaction de la première décade (dans le courant des années 20,
n
plus précisément au début de cette décennie) . Par la suite, elle est attes­
tée sur la dédicace de l'arc sévérien du forum romain où elle est associée à
l'idée d'agrandissement de l'Empire pour souligner les hauts-faits militaires
accomplis par Septime Sévère à l'occasion des conflits civils et des guerres
12
contre les Parthes . Le (relatif) petit nombre de références de cette formule
n'a pas empêché un grand nombre de savants, depuis Mommsen au moins,
de faire de la Res publica restituta un élément constitutif de la politique
augustéenne dans le courant des années 20, et dans le même temps l'une des
manifestations les plus visibles de l'ambivalence d'un pouvoir qui n'en était
13
pas moins devenu monarchique . Deux interprétations ont été présentées
à ce sujet, qui ont en commun de s'interroger sur la sincérité d'Auguste :
la restauration de la Res publica doit-elle être analysée comme un moyen
formel d'inscrire le principat dans une forme de continuité historique et
érigée au rang de lien manquant entre République et Empire ? ou s'agit-il
d'un simple mensonge, voire d'un artifice qui est à mettre sur le compte

10. Pour une autre proposition de restitution, cf. J U D G E Ε.Α., «'Respublica restituta': A Modern
Illusion», E V A N S J.A.S. (dir.), Polis and Imperium, Toronto, 1974, p. 298: corona querc[ea autem
id est ciuica uti super ianuamjΊAugustiponerfetur quod ciuibus ab eo seruatis ipse]/p(opulus) R
rest[i]tu[i sibi uidebatur eodem s.c. sanctum est] ou pour les deux dernières lignes [— ipsum
p(opulum) R(omanum) rest[i]tu[isse]. Tirant parti de Y aureus de 28 av. J.-C. qui a été récemment
publié et sur lequel nous reviendrons, M I L L A R E , «The First Revolution: Imperator Caesar, 36-
28 BC», La révolution romaine après Ronald Syme: biUns et perspectives, éd. par A. Giovannini
Vandœuvres-Genève, 2000, p. 6-7 a proposé pour les deux dernières lignes une restitution qui
reprend le contenu de la légende de cette monnaie : [quod leges et iura]/p. R. rest[it]u[it]. Il faut
toutefois se demander s'il est justifié d'exploiter une formule utilisée dans le contexte de l'année
28 pour procéder à une restitution à propos d'un événement qui eut lieu l'année suivante, en
27 av. J.-C. La meilleure proposition de restitution est, à notre sens, celle qu'a proposée tout
récemment T O D I S C O E . , «La res publica restituta e i Fasti Praenestini», PANI M. (dir.), Epigrafia e
territorio. Politica e società. Temi di antichità romane, t. Vili, Bari, 2007, p. 353 où le verbe restitu
est conjugué au participe passé passif dans le cadre d'un ablatif absolu : corona querc[ea a senatu,
1
uti super ianuam Imp. Caesarisj /Augusti ponerfetur, decreta quod dues seruauit, re publica
R(omani) rest[itu]t[a] (cf. aussi p. 353, n. 47 où sont présentées diverses variantes qui ne remettent
pas en cause la construction avec l'ablatif absolu). Il est à noter que dans tous les cas sûrs où Res
publica est associé à restituere (cf. les notes suivantes), le verbe est toujours conjugué au passif: on
ne dit pas que quelqu'un a restitué au peuple Romain la Res publica, mais on précise simplement
que la Res publica a été restituta (que ce soit ou non dans le cadre d'un ablatif absolu).
11. Lrv., III, 20, 1 : erecti patres restitutam credebant Rem publicam.
12. CIL, VI, 1033 = 31230 = 36881, cf. p. 4318: ob Rem publicam restitutam imperiumque populi
Romani propagatum.
13. Les premières lignes du chapitre du Staatsrecht de Mommsen consacré au principat et à ses origines
portent sur les événements du 13 janvier 27 av. J.-C. et rappellent qu'à cette date, après avoir mis
fin aux pouvoirs du triumvirat, «le second César... restitua ce pouvoir lui-même au sénat et au
peuple» (DPR, V, p. 1-2). Il enregistre ensuite le 13 janvier 27 au nombre des jours de naissance
du principat, ce qui en dit long sur sa perception d'un nouveau régime qui restaure autant qu'il
innove. Une telle analyse a été prolongée et affinée sans être radicalement remise en question dans
E
un grand nombre d'études publiées au X X siècle (cf. à ce sujet la note suivante).

12
INTRODUCTION

14
de l'hypocrisie du nouveau régime ? Cette question est au cœur de la
problématique du colloque et doit être réexaminée à travers de nouveaux
angles d'approche qui vont être présentés, mais sans que l'on soit en mesure
de percer tous les secrets d'Auguste et de mettre au jour ses pensées les plus
intimes. I l est en revanche possible de scruter avec le maximum de soin les
manifestations formelles du nouveau régime à ses débuts, ainsi que l'image
qui en a résulté pour les contemporains et l'historiographie ultérieure.
L'opinion commune qui a fait de la Res publica restituta le point central
d'un programme politique mis en application à partir de la victoire finale
du jeune César avec plus ou moins de zèle a été remise en cause durant les
e
dernières décennies du xx siècle dans deux études qui ont été consacrées
spécifiquement à cette question, mais qui n'emportent pas la conviction.
En 1974, E.A. Judge a fait de cette notion ce qu'il a appelé «a Modem
15
Illusion ». Un examen des attestations et des différentes significations
du substantif res publica et de son association avec le verbe restituere l'a
conduit à minimiser la portée d'une telle formule et aboutit à deux prin­
cipaux résultats, d'inégale valeur. I l faut tout d'abord le créditer d'avoir
définitivement écarté l'idée selon laquelle Auguste aurait affirmé par un
16
acte solennel avoir rétabli la République en tant que régime politique .
Cette version constitutionnelle de la restitutio Rei publicae est présentée
comme étant hautement invraisemblable pour plusieurs raisons : elle n'est
attestée par aucune source, va à l'encontre d'un examen terminologique
- Res publica désignant d'ordinaire à cette époque ce que nous appelons

14. Sur l'ambivalence de la notion de Res publica restituta et pour un très utile état de la question,
3
cf. K I E N A S T D., Augustus. Prinzeps und Monarch, Darmstadt, 1999 , p. 80-98 où l'on trouvera
les principales références bibliographiques (notamment p. 90, n. 38-39). Pour une analyse repré­
sentative de la première interprétation, on citera deux études de E D E R W., dont les titres sont
révélateurs: « Augustus and the Power of Tradition : The Augustan Principate as Binding Link
between Republic and Empire», R A A F L A U B K.A., T O H E R M. (dir.), Between Republic and Empire.
Interpretations of Augustus and his Principate, Berkeley-Los Angeles-Oxford, 1990, p. 71-122 et
« Augustus and the Power of Tradition», G A L I N S K Y K . (dir.), The Cambridge Companion to the
Age of Augustus, Cambridge, 2005, p. 13-32; cf. aussi B L E I C K E N J., «Prinzipat und Republik.
Überlegungen zum Charakter des römischen Kaisertums», Sitzungsberichte der wissenschaftlichen
Geselhchaft an der Johann Wolfgang Goethe-Universität Frankfurt am Main, t. XXVII 2, Stuttg
1991, p. 80 [= Gesammelte Schriften, t. II, Stuttgart, 1998, p. 802] qui va dans le même sens en
rappelant que le principat est «der Aufbau einer monarchischen Ordnung ab eine Rechtsordnung»
le Recht étant défini par le savant allemand comme le droit public de la République. Pour une
analyse plus représentative de la seconde interprétation (la Res publica restituta comme mensonge
re
ou artifice), il faut citer le nom de S Y M E R., La révolution romaine, Oxford, l éd. en anglais 1939,
e
traduction de R. Stuveras d'après la 2 éd. de 1952, p. 298-299 et 307.
15. « 'Res publica restituta': A Modem Illusion », E V A N S JÄ.S. (dir.), Polis and Imperium, Toronto, 1974,
p. 279-311. L'analyse développée de E A. J U D G E recoupe les intuitions éclairantes exprimées à peu
près au même moment par M I L L A R E, «Triumvirate and Principate» art. cité supra η. 7, p. 63-64
[= Rome, the Greek World, and the East, I, p. 264].
16. Une telle interprétation a reposé uniquement sur le passage des Fastes de Préneste à la date du
13 janvier, dont on a pu supposer qu'il reproduisait une partie du sénatus-consulte adopté en cette
journée décisive de l'année 27 av. J.-C. L'idée que le rédacteur de ce calendrier - en l'occurrence
Verrius Flaccus, un proche d'Auguste - s'inspira d'un document officiel n'est pas en soi invraisem­
blable, mais il faut mettre au crédit de Judge d'avoir démontré de façon persuasive que la restitution
de Mommsen (/— quod Rem publicam] p(opulo) R(omano) rest [it]u[it]) ne s'imposait pas pour
différentes raisons qu'il détaille. Il propose lui-même, en y ajoutant toutes les réserves d'usage, une
autre restitution qui a été reproduite supra, n. 10.

13
LE PRINCIPAT D'AUGUSTE

« le bien commun » ou « l'État » plus que la nature du régime politique - et


repose sur un scénario politique qui est anachronique. Judge est en revanche
moins convaincant lorsqu'il refuse d'attribuer à Auguste la paternité d'un
programme politique qui incluait l'idée de restauration quelles qu'en soient
les formes. C'est une question centrale sur laquelle nous allons revenir très
rapidement. En 1986, N.K. Mackie a affiché à son tour, mais de manière
différente, son scepticisme à l'égard de l'existence d'une Res publica resti-
tuta en la qualifiant dans le titre même de son étude de «Roman Myth»,
la notion de mythe étant jugée plus adaptée que le concept de propagande
17
pour exprimer « des idéaux vagues et intemporels » (p. 305) . Plus diffuse,
son analyse tend à montrer que le thème de restauration de Res publica ren­
voie à deux réalités différentes selon que l'on s'intéresse au discours officiel
élaboré par Auguste ou aux aspects concrets du fonctionnement de l'État
romain et de ses institutions durant les années 20 av. J.-C. Cette diversité
des approches est d'autant plus complexe et difficile à saisir que ces deux
aspects s'interpénétraient, les prétentions du nouveau pouvoir pouvant être
hâtivement assimilées à une réalité institutionnelle. Qu'aux yeux de ses
contemporains et de la postérité, Auguste ait présenté l'État de son temps
comme une Res publica dont il aurait restauré les fondements ne fait pour
Mackie aucun doute. I l ajoute qu'il n'y a aucune réponse, et qu'il n'y en
aura jamais, à la question de savoir si l'État d'Auguste était réellement ou
non une Res publica.
Le doute sur la pertinence du thème de la Res publica restituta tout au
e
long des années 20 av. J.-C. n'a fait que croître à la fin du XX siècle jusqu'à
ce qu'un document nouveau ne réhabilite l'idée d'une «restauration» en
tant que partie intégrante du programme politique élaboré par le jeune
César. La publication récente d'un aureus daté de 28 av. J.-C. et dont le
revers fait explicitement référence à la restitution « au peuple romain des
lois et des droits » (ou à la restitution « des lois et des droits du peuple
Romain ») est venue certifier que ce thème faisait partie du discours offi­
18
ciel délivré par le nouvel État romain . La polysémie du verbe restituere
(restaurer avec le sens de «rétablir, refaire» ou de «rendre, transférer») et
l'emploi d'une abréviation sur la monnaie pour la référence au populus
Romanus dont on ne sait s'il était décliné au datif ou au génitif ont donné
lieu à deux interprétations : ou bien politique, le jeune César passant pour
avoir rendu au peuple Romain ses pouvoirs politiques sous la forme de

17. «Res publica restituta. A Roman Myth», Studies in Latin Literature and Roman History, IV
D E R O U X C . (dir.), Bruxelles, 1986, p. 302-340.
18. Cf. R I C H J . W . , W I L L I A M S J.H.C., « Leges et iura P. R Restituiti a New Aureus of Octavian and the
Settlement of 28-27 BC», NC, 1999, p. 169-213. Cf. aussi M I L L A R F., «The First Revolution»,
art. cité supra η. 10, p. 5-7; R O D D A Z J . - M . , «La métamorphose: d'Octavien à Auguste»,
F R A N C H E T D ' E S P E R E Y S. - F R O M E N T I N V. - G O T T E L A N D S. - R O D D A Z J.-M. (dir.), Fondements
et crises du pouvoir, Bordeaux, 2003, p. 398-402 et B R I N G M A N N Kl., «Von der res publica amissa
zur res publica restituta. Zu zwei Schlagworten aus der Zeit zwischen Republik und Monarchie»,
S P I E L V O G E L J. (dir.), Res publica reperta. Zur Verfassung und Geseüschafi der römischen Republik und
frühen Prinzipats. FestschriftfurJochen Bleicken zum 75. Geburtstag, Stuttgart, 2002, p. 113-1

14
INTRODUCTION

19
ses lois et de ses droits ; ou bien technique, les lois et les droits du peu­
ple Romain passant pour avoir été rétablis à la suite d'un édit attesté par
Dion Cassius (LUI, 2 5) qui mit fin aux illégalités commises à l'époque
triumvirale en matière de droit privé (les confiscations et les assignations de
20
biens de tous genres) . La question reste pour le moment ouverte.

Figure 1. -Avers et revers de / aureus de 28 av. J.-C. (photo British Museum).

Quel qu'en soit le sens précis, la légende de cette monnaie traduit


parfaitement l'atmosphère de restauration vécue par les Romains en
29-27 après les excès du triumvirat (non mos, non tus, rappelle Tacite, Ann.,
III, 28, 1). À ce titre, son contenu doit être rapproché, plus ou moins
directement selon son sens précis, de deux autres témoignages essentiels. S'il
vaut mieux n'établir aucun lien avec le fragment trop mutilé des Fastes de
Préneste à la date du 13 janvier, elle éclaire tout d'abord le sens à donner au

19. C'est l'interprétation défendue par Rieh et Williams et devenue depuis lors Vopinio communis
(cf. dans ce sens les conclusions de Roddaz, Millar et Bringmann).
20. C'est l'interprétation présentée récemment par M A N T O V A N I D., « Leges et iura p(opuli) R(omani)
restituit. Principe e diritto in un aureo di Ottaviano », Athenaeum 96, 2008, p. 5-54.

15
LE PRINCIPAT D'AUGUSTE

passage allusif de la Laudatio dite de Turia dont il a déjà été question. Elle
conduit ensuite à accorder le plus grand crédit aux affirmations d'Auguste
lui-même dans ses Res Gestae sur le caractère évolutif de la restitutio Rei
publicae: «Pendant mes sixième et septième consulats {i.e. en 28/27), après
avoir éteint les guerres civiles, in emparant de tout pouvoir par le consen­
tement universel, j'ai fait passer la Res publica de ma potestas au pouvoir
21
du Sénat et du peuple Romain . » Tout indique que la restauration de la
Res publica est à analyser comme un processus qui s'étala sur deux années.
Le jeune César renoua tout d'abord à partir de janvier 28 avec un exercice
strictement collégial du consulat, redonna au peuple Romain la plénitude
de ses fonctions électives et abrogea dans le domaine du droit privé les
mesures prises entre 43 et 29, ce qui eut pour effet de rendre toute leur
22
force aux lois et aux droits . Les décisions de 27 relatives à la question du
gouvernement provincial constituèrent la dernière étape du processus de
restitutio Rei publicae entamé l'année précédente. Les journées de janvier 27
(le 13, peut-être le 15, en tout cas le 16) apparaissent assurément comme un
moment fort de cette restauration. La mise en scène qui vit le jeune César
remettre les prérogatives du pouvoir sur les provinces au peuple Romain et
au Sénat, lequel conféra le 16 janvier au prince toute une série d'honneurs,
dont le surnom d'Augustus, fit de cette assemblée la source apparente de
son auctoritas. De fait, le prince affecta ne devoir sa position au sein de
l'État qu'au primat moral que lui reconnurent les autres sénateurs, au rôle
providentiel qui lui aurait permis de rétablir les institutions républicaines et
lui aurait conféré son auctoritas, un privilège de nature morale autant que
politique et purement personnel dont il ne manquait pas de se prévaloir
fièrement dans les Res Gestae: Post idtemfpus ajuctoritate [omnibuspraestiti,
potestjatis auftem njihilo ampliufs habu]i quam cet[eri, qui m]ihi quoque in
25
mafgisjtraftju conlegaeffueruntj .
Il faut nuancer l'analyse de Judge, dont le scepticisme est excessif, et
admettre que le Jeune César afficha bel et bien sa volonté de «restauration»
24
à partir des années 28-27 . On n'ira pas pour autant jusqu'à dire que la
restitutio Rei publicae constitua, dans la réalité, une restauration du gou­
vernement d'avant les guerres civiles, de ce que les modernes appellent la
République en opposant ce régime à la monarchie. Mais on imagine que
le flou entourant une machine institutionnelle encore en évolution, et les
quelques gestes accomplis susceptibles de donner l'impression d'un retour
à la normalité politique, permettaient d'alimenter les espoirs de ceux qui
rêvaient de l'ancienne République. Chacun avait de solides raisons de pen-

21. Res Gestae, 34.1 : in consulate sexto et septimo, postquafm bjelfla ciuiljia exstinxeram, per
sum uniuersorum [pojtens refrujm omfnjium, rem publicam ex mea potestate in senatfus p
R[om]ani fajrbitrium transtuli.
22. D I O N , L U I , 2, 5.
23. Res Gestae, 34, 3.
24. Sur cette atmosphère de restauration et de conservatisme durant les années 28-27, cf. C A R T L E D G E P.,
«The Seconds Thoughts of Augustus on the res publica in 28/27 B.C.», Hermathena 119, 1975,
p. 37-39.

16
INTRODUCTION

ser que les nouveaux dirigeants s'engageaient à garantir un gouvernement


25
«constitutionnel », ce que Ton pourrait appeler aujourd'hui un État de
droit, soit une reconnaissance de la souveraineté populaire et du primat des
26
lois de Rome , une situation politique bien éloignée, par conséquent, de
ce qu'avait été le triumvirat. Telle est donc, selon nous, la vitrine républi­
caine du principat. Ce n'est pas ici le lieu d'analyser ce que fut ou plutôt
ce que devint progressivement le principat, fondé sur l'inviolabilité tribu-
nicienne, sur la maîtrise de Yimperium, sur une auctoritas reconnue dans
27
tout l'Empire , tandis qu'on évita soigneusement le recours aux symboles
28
de la royauté, même si personne n'était dupe d'une réalité qui apparaîtra
29
progressivement sans fard après les années 20 . La question est plutôt de
déterminer ce que la formule Res publica restituta signifiait au moment
de sa conception et au fur et à mesure d'une évolution qui en transforma
progressivement le sens.
Les années qui suivirent la bataille d'Actium de 31 furent à n'en pas
douter décisives pour l'établissement, la mise en forme du principat et son
mode de représentation. L'État romain, passé de fait sous le contrôle d'un
seul homme et de ses proches pour la première fois de façon aussi indis­
cutable dans l'histoire de la République, fut amené à délivrer différents
types de messages destinés à inscrire le nouveau régime en gestation dans

25. Cf. S A L M O N E.T., «The Evolution of Augustus' Principate», Historia 5, 1956, p. 456-478
et F E R R A R Y J.-L., «Respublica restituta et les pouvoirs d'Auguste», F R A N C H E T D ' E S P E R E Y S. -
F R O M E N T I N V. - G O T T E L A N D S. - R O D D A Z J.-M. (dir.), Fondements et crises du pouvoir, Bordeaux,
2003, p. 421.
26. La notion de res publica devrait être entendue dans ce contexte comme elle l'est dans le De Republica
de Cicéron, à savoir comme un État de droit où se trouvent reconnus le primat des lois romaines et
la souveraineté populaire, à l'inverse de ce qui se passe dans un régime tyrannique. La res publica est
la respopuli, soit la propriété du peuple. Il convient ici de s'appuyer sur la définition que propose
Cicéron dupopulus, dans lequel il reconnaît la réunion d'une masse d'individus réunis en vertu de
l'acceptation commune du droit et par la jouissance collective des avantages que procure cette asso­
ciation (Cic, Rep.y 1.39). Il est du reste remarquable que pour Cicéron, le principe de la souverai­
neté populaire prévalut dès les premiers temps de la période royale : F E R R A R Y J.-L., « L'Archéologie
du De re publica (2,2, 4-37, 63) : Cicéron entre Polybe et Platon », JRS 74, 1984, p. 87-98. Pour
une analyse du sens de res publica dans le De Republica de Cicéron, cf. S C H O F I E L D M., Saving the
City, Londres, 1999, p. 178-194.
27. Bien des indices nous montrent, en effet, que Y auctoritas impériale était reconnue dès les premiers
temps du principat, notamment la fameuse inscription de Kymé qui prouve l'omniprésence et
la promptitude de l'autorité de l'empereur même dans les provinces que le partage de 27 avait
théoriquement affectées au seul Sénat (cf. à ce sujet et en dernier lieu H U R L E T Fr., Le proconsul et
le prince d'Auguste à Dioclétien, Bordeaux, 2006, p. 204-209).
28. Bien des contemporains ne sefirentaucune illusion sur le pouvoir augustéen : cf. C O R N É L I U S
N É P O S , Au., 20, 5; V I T R U V E , I, 1-2; O V I D E , Fastes, I, 531-532; II, 138-144. Cf. à ce sujet
R O D D A Z J.-M., « La métamorphose : d'Octavien à Auguste» [cité supra, n. 18], p. 410.
29. L'instauration du principat ne se limita pas à la restitutio Reipublicae des années autour de 28/27.
Dans les décennies qui suivirent, les pouvoirs du prince furent encore précisés : en 19, Auguste
obtint d'être précédé des douze licteurs consulaires à l'intérieur de la Ville et de siéger sur une
chaise curule entre celles des consuls. L'année suivante, puis en 8 av. J. C. et enfin en 14 ap. J. C,
la censoria potestas fut attribuée à l'empereur lors de la lectio senatus sans qu'il exerçât pour autant
le consulat, dès lors qu'il se trouvait à Rome et qu'il était pourvu d'un imperium consulaire. Dans
le même temps, les pouvoirs du prince en matière de juridiction s'étaient également développés.
Mais ce fut sans doute surtout à partir du moment où le prince commença à afficher son ambition
dynastique en adoptant ses deux petits-fils, Caius et Lucius en 17 av. J.-C, tous deuxfilsd'Agrippa
et de Julie, qu'il cessa de masquer la nature monarchique du pouvoir, laquelle était n'importe
comment devenue depuis longtemps un secret de Polichinelle.

17
LE PRINCIPAT D'AUGUSTE

une continuité institutionnelle et historique. Le paradoxe, qui est souvent


souligné et dont il a déjà été question, voulait que le pouvoir monarchique
d'Auguste se coulât dans le moule des pratiques et des usages républicains.
On comprend parfaitement dans ces conditions le caractère foncièrement
conservateur des messages affichés par le jeune César à la fin des années 30
et au début des années 20. Si l'on y regarde de plus près, les thèmes diffusés
par le pouvoir en place suivirent une évolution nécessaire liée à une mise
en place du régime qui se fit de façon toute progressive. Sans aller jusqu'à
utiliser le terme de propagande, dont l'emploi devient anachronique s'il
30
est trop systématique , les incitations du nouveau pouvoir se firent pres­
santes pour faire diffuser la nouvelle idéologie et sa propre image. Elles
prirent la forme de différents leitmotive dont certains se recoupent et qui
n'étaient pas que de simples slogans. La Res publica passe pour avoir été
«conseruata» - tel était le contenu d'une dédicace à Auguste élevée en 29
en liaison avec la victoire sur Marc Antoine et Cléopâtre et de la légende
31
d'une monnaie de 16 . Il fut également question durant ces années suivant
Actium d'une restauration de la République, idée à laquelle le Jeune César
32
songea à deux reprises si l'on en croit le témoignage de Suétone . On a
pu parler à cette occasion de Res publica redatta. Peu importe de savoir s'il
voulut réellement abandonner le pouvoir : nous sommes condamnés à ne
jamais avoir de réponse assurée à ce sujet. En revanche, l'inclusion d'un tel
projet d'abdication du pouvoir dans l'œuvre du biographe en dit long sur
l'exploitation politique qui a pu être faite de ces velléités. C'est dans le pro­
longement de ces programmes de conseruatio de la Res publica - bel et bien
revendiquée - et de redditio de cette dernière - pour sa part toujours
repoussée - que prit place le programme de la restitutio Reipublicae, attesté
à partir de 28.
Il y a désormais un consensus pour reconnaître que l'utilisation dans
le discours officiel de la formule Res publica restituta ne signifie pas que le
Jeune César ait jamais prétendu avoir restauré la République. I l faut ren­
voyer pour cela à la démonstration de E.A. Judge (cf. supra), à laquelle il
33
n'y a rien à redire sur ce point . Rempublicam reddere n'est pas en effet

30. Au concept de propagande, usé par les abus de langage et une utilisation trop galvaudée, est pré­
férée la notion, en vogue en Allemagne, d'« auto-représentation » ou celle d'apparat (cf. V E Y N E P.,
« Lisibilité des images, propagande et apparat monarchique dans l'Empire romain », RH, 2002, p. 3-
30 [propos repris et amplifiés dans L'Empire gréco-romain, Paris, 2005, p. 379-418] et W E B E R G . et
Z I M M E R M A N N M. (éd.), Propaganda - Selbstdarstellung- Repräsentation im römischen Kaiserräch d
I. Jhs. n. Chr., Stuttgart, 2003). S'il est vrai que ce terme peut paraître excessif en ce qu'il désigne
de nos jours une mise en condition des masses populaires par un régime politique autoritaire,
l'idée selon laquelle Auguste utilisa les potentialités de la machine administrative impériale pour
faire diffuser à Rome et dans l'Empire la nouvelle idéologie et sa propre image n'est pas non plus
sérieusement contestable.
31. CIL, VI, 873, cf. p. 4301 avec les commentaires de G . Alföldy = ILS, 81.
32. S U É T . , Aug., 28.1 : De reddenda Re p. bis cogitauit. Cf. à ce sujet G I R A R D E T KLM., «Das Edikt
des Imperator Caesar Augustus in Suetons Augustusvita 28,2. Politisches Programm und
Publikationszeit», ZPE131,2000, p. 231-243 [= Rom auf dem Weg von der Republik zum Prinzipat
Bonn, 2007, p. 363-384].
33. Dans le même sens que Judge, cf. plus récemment G A L I N S K Y K., Augustan Culture: an Interpretive
Introduction, Princeton, 1996, p. 63-66 et B L E I C K E N J., Augustus. Eine Biographie, Berlin, 1998,

18
INTRODUCTION

l'exact équivalent de Rempublicam restituerez, les seuls pouvoirs «rendus»


à proprement parler par le jeune César étant les pouvoirs triumviraux qu'il
détenait sur les provinces et qu'il transféra au peuple Romain le 13 jan­
35
vier 27 conformément au témoignage des Fastes d'Ovide . Comme l'a
récemment souligné J.-L. Ferrary, la notion de restauration est extrêmement
36
ambiguë et, ajoute-t-il, il n'y a pas de restauration à l'identique . De ce
point de vue, les propos de Velleius Paterculus sur le rétablissement de l'an­
cienne structure de la Res publica (2.89.4 : prisca ilia et antiqua Reipublicae
forma reuocata) contrastent avec le prologue de Vitruve, plus mesuré et
plus fidèle à la réalité, où le retour de la paix et le pouvoir du prince sur
07
le monde entier sont liés au soin avec lequel il réorganisa la Res publica .
Le jeune César se présenta par ailleurs dans un édit daté des années 29 ou
5
28 comme Y optimi status auctor *, ce qui veut bien dire qu'il avait fondé
39
un nouveau régime . Le passé fondant le présent et étant constamment
40
réinterprété à la lumière des évolutions dans une société romaine fixiste ,
le rétablissement d'anciennes pratiques et d'anciennes institutions apparut
comme le seul moyen de garantir la pérennité du changement. Le jeune
César l'a très bien et très vite compris. Il reste à déterminer ce qu'une telle
restitutio implique aussi bien dans le domaine des institutions que dans la
mise en forme du discours officiel délivré à l'initiative du jeune César et

p. 324 et 332; cf. aussi R I C H et W I L L I A M S , «A New Aureus of Octavian» [cité supra, n. 18],
p. 204-213 et G R U E N E., « Augustus and the Making of the Principate», G A L I N S K Y Κ. (dir.),
The Cambridge Companion to the Age of Augustus, Cambridge, 2005, p. 34. Contra C A R T L E D G
«Seconds Thoughts of Augustus on the res publica» [cité supra, η. 24], p. 38 qui n'emporte pas ici
la conviction en écrivant que « it is idle to pretend that there was a significant difference between
« reddo » and « restituo » ».
34. Cf. M I L L A R E, «The First Revolution», art. cité supra, n. 10, p. 6.
35. Ον., Fast., I, 589 : Redatta est omnispopuloprouincia nostro.
36. FERRARY J.-L., «Respublica restituta et les pouvoirs d'Auguste» [cité supra, n. 25], p. 421 qui juge
assez secondaire le fait que la formule Rem publicam populo Romano restituere ait ou non figuré
dans le SC du 13 janvier 27 (et reprise de ce texte par les Fastes de Préneste).
37. V I T R . , I, 1-2: Cum diuina tua mens et numen, Imperator Caesar, imperio potiretur orbis ter
inuictaque uirtute cunctis hostibus stratis triumpho uictoriaque tua dues gloriarentur etge
subactae tuum spectarent nutum populusque romanus etsenatus liberatus timore amplissi
tationibus consiliisquegubernaretur... Cum uero adtenderem te non solum de uita commu
curam publicaeque rei constitutione habere. Sur cette préface, composée aux environs de l'année 2
et renvoyant aux réalités politiques de cette époque, cf. les remarques de N O V A R A Α., Auetor in
bibliotheca. Essai sur les textes préfacieh de « Vitruve» et une philosophie ktine du Livre, Louva
2005, p. 26-34.
38. SUÉT., Aug., 28.2. Sur la question de la datation de cet édit, cf. l'étude de Girardet citée supra,
n. 32.
u
39. Comme l'a souligné B R U N T P.A., « Augustus e la respublica"», Rivoluzione romana inchiesta tra gl
antichisti, Naples, 1982, p. 239.
40. Sur le poids de la tradition sous la République romaine et Auguste, l'importance des exempla et les
modalités de leur fabrication, cf. L I N K E Β. E T S T E M M L E R M. (dir.), Mos maiorum. Untersuchungen
zu den Formen der Identitätsstiftung und Stabilisierung in der römischen Republik, Stuttgart, 2
en particulier l'étude de W. Blösel qui retrace l'histoire du concept de mos maiorum jusqu'à la
naissance du régime impérial et souligne que c'est précisément à partir du moment où Auguste
affirma vouloir donner à la postérité ses propres exempla à imiter que le mos maiorum sefigeadéfi­
nitivement et cessa de faire partie du jeu politique proprement dit pour être confiné dans le milieu
des antiquaires et des spécialistes du droit (« Die Geschichte des Begriffes Mos Maiorum von den
Anfangen bis zu Cicero», p. 88-90).

19
LE PRINCIPAT D'AUGUSTE

dans le regard porté sur le nouveau régime par les contemporains du prince
- poètes et historiens avant tout.
Quatre thèmes principaux seront développés, formant autant de parties.
La première question est celle des modalités de cette restauration, mais aussi
de ses limites. En d'autres termes, il reste à articuler la volonté clairement
affichée par le Jeune César d'un rétablissement d'anciennes pratiques avec
la réalité incontestable que constitue le changement de régime politique.
Plusieurs domaines seront étudiés dans cette perspective.
La première partie étudie la mise en place progressive de la notion de Res
publica restituta. En guise de préambule, M . Spannagel a étudié le contexte
politique antérieur aux années 31 à 27 en montrant dans quelle mesure le
Jeune César chercha à se présenter comme un princeps depuis l'année 44,
du moins de façon rétrospective, avant d'apparaître comme un restaura­
teur de la Res publica. Ce résultat présente l'intérêt de souligner toutes les
ambiguïtés de la restauration augustéenne. Si on se place d'un point de vue
institutionnel, il est bien connu que le Jeune César exploita les potentialités
de la tradition républicaine (le mos maiorum) pour se faire reconnaître après
Actium une primauté qui présentait toutes les assurances de la légalité. On
reviendra dans ces conditions sur la nature des pouvoirs dont le Jeune César
fut investi de 31 à 27 (Fr. Vervaet) et sur cet événement emblématique que
fut la célébration par le vainqueur d'Actium du (triple) triomphe en août
29 (M. Tarpin). La restauration de la Res publica passait également d'un
point de vue social par un rétablissement des structures traditionnelles de
la société romaine. Les sénateurs étaient les premiers concernés. Détenteurs
sous la République du cœur d'un pouvoir qu'ils furent contraints d'aban­
donner à un seul d'entre eux à partir de 31, ils retrouvèrent avec la mise
en place de la Res publica restituta un espace de liberté qu'ils avaient perdu
sous les triumvirs et auquel le jeune César redonna vie en contribuant à
ranimer à la tête de l'Etat une concurrence de nouveau subordonnée à
des règles strictes, mais désormais placée sous son contrôle. La nécessaire
invention d'un mode de relations entre les sénateurs et le prince résulta
d'un processus qui fut loin d'être linéaire et dont i l convient de définir
les formes institutionnelles inévitablement complexes (Fr. Hurlet). Quant
aux chevaliers, leur place dans la Res publica restituta est étudiée à partir du
cas singulier d'un personnage central et emblématique de cette période de
transition, Mécène, dont la place détenue durant les années 30 fut suivie
à partir de 29 par une plus grande discrétion de ses interventions politi­
ques. Le retrait de Mécène de la vie publique, souvent interprété comme
la conséquence d'une «disgrâce» liée à la conspiration de Murena de
23 ou de 22, fait l'objet d'une analyse qui justifie son comportement moins
par un engagement politique quelconque que par un contexte particulier
qui redonna aux sénateurs les premières places dans le nouveau régime et
confina ainsi les chevaliers dans un rôle subalterne, voire dans la recherche
de Yotium (Ph. Le Doze). I l faut enfin traiter de la place de la religion dans

20
INTRODUCTION

le processus de restitutio Rei publicae, importante quand on songe aux liens


intrinsèques entre les manifestations par Auguste de sa piété et la ligne
politique qu'il suivit à partir de 29. Les multiples restaurations religieu­
ses augustéennes répondaient à une stratégie et à une finalité politiques,
notamment parce que le caractère ritualiste, et donc pragmatique, de ce
qu'on appelle la religion romaine permit aux Romains de se représenter le
mode de fonctionnement de la Res publica restituta sous ses aspects les plus
visibles et les plus concrets (J. Scheid).
Le deuxième thème, constitué de quatre articles, traite de la manière
dont le programme de restauration de la Res publica fut présenté, représenté
et diffusé à travers le discours officiel qui émanait du nouveau régime. Un
des vecteurs fondamentaux de diffusion de l'information par le pouvoir,
utilisé à Rome et dans l'Empire, était la monnaie, pour laquelle A. Suspène
présente un bilan argumenté et adapté à la perspective spécifique de ce
livre. L'image et le message politique qu'Auguste voulut transmettre à ses
contemporains à travers le langage de l'urbanisme reçoit un traitement à
part avec une analyse de l'évolution qui fit de la propre résidence du prince
sur le Palatin un véritable ensemble palatial dès le principat d'Auguste
(P. Gros). G. Sauron prend en compte l'enjeu représenté par la statuaire
dans la construction du mythe augustéen. I l étudie en particulier de façon
détaillée l'utilisation politique qui a été faite à l'époque triumvirale du célè­
bre groupe connu sous le nom de « Pasquino » et illustre par de nombreux
exemples la facilité avec laquelle les chefs de l'aristocratie sénatoriale s'assi­
milaient aux héros de tragédie et aux dieux, en particulier à Énée et Apollon
dans le cas d'Octavien-Auguste. L'image officielle du nouveau régime sous
la forme d'une Res publica restituta ne se limita pas aux premières années du
principat d'Auguste, ni au seul principat d'Auguste, et réapparut à plusieurs
reprises dans des situations de crise. La périodeflaviennea été choisie pour
déterminer dans quelle mesure ce qui apparut comme le modèle augustéen
fut exploité en d'autres circonstances, mais aussi réinterprété et dévoyé
(E. Rosso).
Les deux derniers thèmes ont pour ambition de compléter la méthodo­
logie propre aux sciences historiques avec une approche littéraire en faisant
appel à des spécialistes de la poésie latine et de l'historiographie antique.
L'étude de la production littéraire contemporaine de la Res publica restituta
est susceptible d'apporter une aide précieuse à l'historien soucieux de ne
pas se laisser égarer dans son interprétation de ces documents. Les auteurs
dont la production date des premières années du principat d'Auguste, qu'il
s'agisse de Virgile, d'Horace, de Properce et de Tibulle, d'Ovide ou enfin
deTite-Live, furent tous témoins des guerres civiles, pour les uns surtout de
l'affrontement entre César et Pompée, pour les autres de celui qui opposa
le jeune César à Marc Antoine. Leurs ouvrages portent la trace de la ter­
rible épreuve que traversa alors le monde Romain et expriment souvent
la souffrance d'un peuple, introduisent l'inquiétude et un sentiment de

21
LE PRINCIPAT D'AUGUSTE

fragilité au sein de l'espace poétique ou encore posent une nouvelle fois le


problème des valeurs et de l'identité de Rome. Par-dessus tout, le thème du
chaos et celui de l'affrontement fratricide hantent certaines de ces oeuvres
en quête d'unité et d'expiation. Leur rencontre avec les slogans augustéens
évoquant le consensus autour du prince, le retour à la paix et le rétablisse­
ment de la pax deorum peut paraître de ce fait des plus naturelles et n'être
que l'illustration d'une attente collective dont le prince aura su prendre
la mesure. Le contexte de la Res publica restituta ne peut manquer d'être
important pour ces textes et il s'est donc ici agi d'essayer d'en retrouver avec
autant de précision que possible le reflet sur eux et d'en mesurer l'impact
sur leur propre genèse, conceptuellement préparée par une littérature de
la liberté. Ce seront donc des questions classiques que l'on posera : dans
quelle mesure ce contexte historique particulier a-t-il servi de catalyseur ?
Les auteurs se sont-ils simplement inspirés des thèmes du moment pour
alimenter leurs méditations, leurs rêveries, simples reflets de l'air du temps ?
N'y a-t-il pas cependant plus que cela, une prise de conscience de la crise
politique morale et religieuse (M. Citroni) et des interrogations, des prises
de position (P.-M. Martin, B. Mineo), susceptibles au reste d'être nuancées
par la prise en compte des contraintes génériques (A. Deremetz) ? Faut-il
aller encore plus loin et parler dans certains cas de propagande, ce que le
fonctionnement de la communication à cette époque semble rendre quel­
que peu anachronique ? Mais n'y a-t-il pas non plus de la part de certains
le désir de marquer un certain scepticisme, voire de l'incroyance à l'en­
droit du nouveau «catéchisme» qui accompagne la naissance du principat
(P.-M. Martin). Beaucoup a déjà été dit sur le sujet, mais il nous semble que
de nouveaux progrès sont devenus possibles grâce à une meilleure interpré­
tation de ce que fut en réalité la Res publica restituta. Il y a donc le regard du
poète et celui de l'historien sur la période (M. Citroni, B. Mineo). Mais en
même temps, ces textes sont parfois aussi l'occasion privilégiée de deviner
plus largement le regard de l'opinion publique sur la politique suivie par
Auguste et éventuellement les modifications de ce regard.
Plus tard, d'autres historiens se sont aussi penchés sur cette période, qu'il
s'agisse de Tacite (O. Devillers) ou de Dion Cassius (M.-L. Freyburger). Ils
ont eux aussi écrit dans des périodes de crise et ont pu proposer le modèle
augustéen à leurs contemporains. Leur témoignage nous est précieux, car
ils paraissent avoir surtout retenu l'idée d'un principat aux tonalités répu­
blicaines, seul susceptible d'apporter un remède aux maux produits par un
pouvoir tyrannique. En d'autres termes, il semble bien que l'ombre de la
Res publica restituta se soit étendue à l'ensemble du principat, en en occul­
tant les aspects les plus autoritaires et les plus brutaux, pour servir à de
nouvelles fins pacificatrices.

22
Première panie

La Res publica restituta


entre réalité et fiction
Annos undeviginti natus. . .
Die Rückführung yon Augustus' Principat
1
auf die Jahre 44/43 v. Chr.

Martin SPANNAGEL

Résumé

L'emploi actuel du concept de principat pour définir la forme d'État


mise en place avec le nouvel ordre de 28/27 av. J.-C. remonte à Mommsen.
L'objet de cette étude est de montrer au contraire qu'Auguste a prétendu
avoir agi comme princeps depuis le début de sa carrière en 44/43 av. J.-
C. On procédera tout d'abord à un tour d'horizon des sources antiques sur
la durée de son pouvoir. Le chiffre qui revient principalement lui attribue
au moins 56 années d'exercice du pouvoir. Cette durée peut être divisée en
une phase où il exerça le pouvoir avec d'autres et une autre où i l l'exerça
seul. Cela signifie qu'avec ces indications sommaires, il s'agit avant tout non
pas d'une position constitutionnelle, mais d'une position reposant sur une
prééminence personnelle. Que la conception d'une souveraineté d'Auguste
commençant dès 43 av. J.-C. remonte à son époque ressort du rôle que
jouèrent précisément les événements d'alors dans le culte du souverain.
C'est ainsi qu'un lien a été établi avec la prise de Yimperium le 7 janvier et
le commencement du premier consulat le 19 août de cette année lors des
cérémonies religieuses annuelles à Cumes et à Narbonne ou à l'occasion de
la réforme qui donna le nom d'Auguste au mois appelé jusqu'alors Sextilis.
L'accent est mis dans les Res Gestae sur les débuts de la carrière d'Auguste
dans la définition de l'idéologie du principat. Au chapitre 30, Auguste

1. Den Kern der folgenden Überlegungen habe ich bereits skizziert in S P A N N A G E L M., Exempkria
Principis. Untersuchungen zu Entstehung und Ausstattung des Augustusforums, Heidelberg,
337 f. Vorläufige Versionen dieses Vortrags habe ich im Februar 1999 am Seminar für Alte
Geschichte sowie im Mai 2007 am Archäologischen Institut der Universität Heidelberg vorgetra­
gen ; anregende Diskussionsbeiträge verdanke ich Fritz Gschnitzer, Géza Alföldy, Angelos Chaniotis
und Tonio Hölscher. Für die Einladung zum Colloquium in Nantes und für die französische
Übersetzung des Résumés möchte ich Frédéric Hurlet herzlich danken. Großen Dank schulde ich
auch Pierre Assenmaker, Louvain-la-Neuve, der meinen damaligen Text für den Vortrag in Nantes
ins Französische übertragen hat ; aufgrund der zahlreichen späteren Veränderungen konnte diese
Übersetzungfìirdie Publikation leider nicht mehr verwendet werden.

25
MARTIN SPANNAGEL

subordonne clairement des événements des années 30 à son rôle comme


princeps. Puis on peut prendre comme point de départ reconnu du princi­
pat les événements qui sont décrits au chapitre 1 et qui peuvent à eux seuls
justifier la prétention d'Auguste d'être parvenu à la position de princeps bien
longtemps avant qu'il se soit emparé seul du pouvoir. D'ailleurs, la référence
à de tels débuts n'est pas attestée pour la première fois dans les Res Gestae,
mais elle se trouvait plutôt déjà dans la manière dont Auguste se représenta
sa position durant les années 36 et 27 av. J.-C.

Zusammenfassung

Die heutige Verwendung des Begriffs Principat für eine Staatsform,


die mit der Neuordnung von 28/27 v. Chr. geschaffen wurde, geht auf
Theodor Mommsen zurück. Demgegenüber soll hier gezeigt werden, daß
Augustus den Anspruch vertreten hat, seit dem Beginn seiner politischen
Karriere 44/43 v. Chr. als princeps gegolten zu haben. Hierzu wird zunächst
ein Überblick über die antiken Quellen zur Dauer seiner Herrschaft
gegeben. Tatsächlich schreibt ihm deren überwiegende Zahl mindestens
56 Regierungsjahre zu. Gelegentlich kann dieser Zeitraum unterteilt
werden in eine Phase gemeinsam mit anderen und eine allein ausgeübter
Herrschaft; dies deutet darauf, daß es bei der summarischen Angabe primär
nicht um die Verfassungsform, sondern um die persönliche Vorrangstellung
geht. Daß die Vorstellung einer schon 43 v. Chr. beginnenden Herrschaft
des Augustus schon auf seine Zeit zurückgeht, wird sodann an der Rolle
gezeigt, die gerade damalige Ereignisse in der Herrscherverehrung spiel­
ten. So bezog man sich bei alljährlichen Kulthandlungen in Cumae und
Narbo oder bei der Umbenennung des Monats Sextiiis nicht zuletzt auf die
Übernahme des Imperium am 7. Januar und den Antritt des 1. Consulats
am 19. August jenes Jahres. Der Zusammenhang zwischen der Betonung
der Anfänge der Karriere des Augustus und der Principatsideologie wird
an den Res gestae erläutert. Im 30. Kapitel subsumiert Augustus eindeu­
tig schon Vorgänge der 30er Jahre unter seine Rolle als princeps. Dann
aber kann der gemeinte Ausgangspunkt des Principats nur bei den im 1.
Kapitel geschilderten Vorgängen liegen, die allein den Anspruch rechtfer­
tigen können, längst vor der Erlangung der Alleinherrschaft die Stellung
eines princeps erreicht zu haben. Tatsächlich hat sich Augustus auch nicht
erst in den Res gestae auf diese Anfänge berufen ; vielmehr ist er schon in
Selbstdarstellungen der Jahre 36 und 27 v. Chr. von ihnen ausgegangen.

Der Titel unseres Kolloquiums lautet „Res publica restituta. Le pouvoir


et ses représentations à Rome durant le principat d'Auguste". Den zeitli­
chen Rahmen bildet hiernach der Principat des Augustus ; in der ersten
Ankündigung war sogar nur vom Beginn des Principats die Rede, und als
terminus post quem für den zu behandelnden Zeitraum war zugleich das

26
A N N O S U N D E V I G I N T I N A T U S . . . DIE RÜCKFÜHRUNG VONAUGUSTUS'PRINCIPAT...

Jahr 28 v. Chr. angegeben. Doch woher kommt diese Verwendung des


Begriffs Principat für einen zeitlich begrenzten Abschnitt der Herrschaft
des Augustus, und inwieweit entspricht sie eigentlich dem antiken
Sprachgebrauch ?
Tatsächlich geht unsere diesbezügliche Terminologie erst auf Theodor
Mommsen zurück. Er hat mit seinem Römischen Staatsrecht eine streng
systematische Gesamtdarstellung der politischen Institutionen Roms vor­
gelegt; dabei hat er die Stellung des Kaisers in einem eigenen Halbband
behandelt und unter der Bezeichnung Principat in die Besprechung der
2
einzelnen Magistraturen eingereiht . Dadurch wurde dieser Begriff zu einer
quasi staatsrechtlichen Kategorie, ja zugleich auch zur Bezeichnung einer
Epoche, die für Mommsen klar umrissene zeitliche Grenzen hatte. Gleich
am Beginn seiner Darstellung schildert Mommsen die in der Verleihung
des Namens Augustus gipfelnden Vorgänge vom 13. und 16. Januar
27 v. Chr. und schreibt dann : „Dies sind die Geburtstage sowohl des römi­
3
schen Principats selbst wie der Benennung des neuen Herrschers ..." ;
4
als Endpunkt gelten für ihn die diokletianischen Reformen . Von dieser
Chronologie wird in der erwähnten Einladung zwar insofern abgewichen,
als dort bereits das Jahr 28 als terminus post quem angegeben ist ; doch das ist
nur eine geringfügige Korrektur, die an der Verknüpfung des Terminus mit
einer bestimmten Verfassungsform nichts ändert. Sie hat ihre Grundlage
darin, daß Augustus selber im 34. Kapitel der Res gestae seine entscheiden­
5
den Reformen ausdrücklich in beide Jahre setzt ; zudem ist für das Jahr
28 ein Edikt bezeugt, in dem Maßnahmen der Triumviratszeit fur ungültig
6
erklärt wurden , und eine zusätzliche Bestätigung für die Bedeutung des

2. MOMMSEN Th., Römisches Staatsrecht II 2 , Leipzig, 1887. Zu dem von Mommsen unterstellten
magistratischen Charakter der Stellung s. S. VI (= DPR V p. II ; aus dem Vorwort, das Mommsen
seit der 2. Auflage von 1877 diesem Halbband vorangestellt hat, um seine Neuartigkeit zu unter­
streichen), wo er den Principat als ausserordendiche Magistratur (magistrature extraordinaire) sowie
S. 749 (= DPRV p. 6) in margine, wo er ihn einfach als Magistratur bezeichnet.
3. M O M M S E N Th., ibid., 745 f. (= DPRVp. 3) ; ebenso schon in der 1. und 2. Auflage, Leipzig 1875
bzw. 1877, S. 708 bzw. 724. Zu den gemeinten Vorgängen s. besonders RgdA 34 In consulatu sexto et
septimo,postqua[m b]el[la civiltà exstinxeram, perconsensum universorum \po\tens re[ru]m
rem publicam ex mea potestate in senat[us populi]que R[om]ani [a]rbitrium transtuli. Quo
meo senat[us consulto Au]gust[us appe]llatus sum et laureis postes aedium mearum v[est
coronaq]ue dvica super ianuam meamfixaest (Text nach S C H E I D 2007) ; Ov. Fast. I 589-616; D
LUI 2, 7 - 22, 1 ; Inscr. Ital XIII 2, 396-397. 400. Vgl. G U I Z Z I F., //principato tra «respublica» e
potere assoluto, Napoli, 1974, 127ff.; L I E B E S C H U E T Z J . H. W. G., «The Settlement of 27 B. C. »,
D E R O U X C. (Hrsg.), Studies in Latin Literature and Roman History IV, Bruxelles, 1986, 345-365 ;
B L E I C K E N J., «Zwischen Republik und Prinzipat. Zum Charakter des Zweiten Triumvirats», Abh.
d. Ak. d. Wiss. Göttingen, phiL-hist. Kl. 3. F. Nr. 185, Göttingen, 1990, 86ff.; L A C E Y W. K., Augustu
and the Principate. The Evolution of the System, Leeds, 1996, 77-99 ; B L E I C K E N J., Augustus. E
Biographie, Berlin, 1998, 324ff.; K I E N A S T D., Augustus. Prinzips und Monarch, 3. Aufl., Darmstadt
1999, 83ff.;R I C H J. W. - W I L L I A M S J. H. C , « Leges et Iura P. R. Restituii. A New Aureus of
Octavian and the Settlement of 28-27 BC», NC 159, 1999, 169-213:188ff.; T O D I S C O E „ «La res
publica restituta e i Fasti Praenestini», PANI M. (dir.), Epigrafia e territorio. Politica e società. T
antichità romane, t. Vili, Bari, 2007, 341-358.
4. MOMMSEN Th., ibid., 749 (= DPR V p. 6).
5. s. oben Anm. 3.
6. Dio LIU 2, 5 ; TAC. Ann. III 28,2.

27
MARTIN SPANNAGEL

früheren Jahres liefert ein damals geprägter Aureus, der die Restituierung
7
von Gesetzen und Rechten durch den jungen Caesar feiert .
Doch mir geht es nicht um die zeitliche Festlegung der in Mommsens
Staatsrecht als Geburtsstunde des Principats hingestellten Neuordnung,
sondern um die Frage nach den antiken Vorstellungen vom Beginn von
Augustus' Principat bzw., denn hiervon ist der abstrakte Begriffprincipa­
ls ja erst sekundär abgeleitet, vom Beginn seiner Rolle als princeps. Daß
Mommsens Zeitgrenze in der Antike keine besondere Rolle spielte, hat
schon er selber festgestellt. In der 3. Auflage des Staatsrechts von 1887
schrieb er kurz nach der zitierten Stelle : „Indess wurde die Herrschaft des
ersten Monarchen bei seinen Lebzeiten wie später anders datirt", wobei
er im Anschluß die Übernahme des Imperium am 7. Jan. 43 v. Chr., den
Antritt des ersten Consulats am 19. Aug. desselben Jahres sowie - als von
Augustus selber ausschließlich verwendete Zählung — die hier auf den
8
1. Juli 23 v. Chr. festgelegte Übernahme der tribuniciapotestas nannte .
Und in einem bereits 1882 erschienenen Aufsatz über das sog. Feriale
Cumanum hatte er die unterschiedlichen Angaben zum Herrschaftsbeginn
sogar generell unter den Principatsbegriff subsumiert und zudem bereits
den Consulatsantritt als den von Augustus bevorzugten Ausgangspunkt
9
angesehen . Mommsen selber war sich also durchaus der Tatsache bewußt,
daß seine zeitliche Abgrenzung des Principats in den Quellen keinen rech­
ten Rückhalt hat, doch seine eigentliche Darstellung nahm darauf keine
Rücksicht, und unter dem Einfluß dieser Darstellung ist schließlich auch
das Gespür für die Problematik von Mommsens Terminologie verloren
gegangen. Ich möchte daher die Frage, wann der Principat des Augustus
bzw. dessen Rolle als princeps nach antiker Auffassung begonnen hat,
neu aufrollen. Hierzu möchte ich, nach Bemerkungen zu den genann­
ten Termini princeps und principatus und ihrer Anwendung auf Augustus,
zunächst einen Überblick über die antiken Aussagen zu Beginn und Dauer
von dessen Regierung unabhängig von deren jeweiliger Bezeichnung

7. R I C H & W I L L I A M S , «Aureus », op. cit. ; M A N T O V A N I D., « Leges et iura p(opuli) R(omani) restituit.
Principe e diritto in un aureo di Ottaviano», Athenaeum 96, 2008, 5-54.
8. M O M M S E N , ibid., 746 sq. (= DPRVp. 3-4). In den früheren Auflagen werden die von Mommsens
Ansatz abweichenden Datierungen noch nicht im Haupttext, sondern nur in den Anmerkungen
berücksichtigt; zudem werden dort die Belege fur den Herrschaftsbeginn im Jahr 43 v. Chr. - trotz
der Erwähnung der Ara Narbonensis und des Feriale Cumanum (s. unten Anm. 46. 53. 55 f.) -
summarisch allein späteren Historikern zugeschrieben und als willkürlich betrachtet, und überdies
läßt Mommsen, entsprechend seiner von der Frage nach der Rechtsstellung ausgehenden Konzeption,
innerhalb des Jahres 43 allenfalls den Beginn des Triumvirats als für den Herrschaftsbeginn
angemessenen Termin gelten, der allerdings gerade nicht berücksichtigt worden sei.
9. M O M M S E N Th., «Das Augustische Festverzeichniss von Cumae», Hermes 17, 1882, 631-643 =
ders., Gesammelte Schriften IV {= Historische Schriften Γ), Berlin, 1906, 259-270 : 638 bzv. 266.
Ausgehend von der These, das Festjahr in Cumae habe am Jahrestag des Consulatsantritts des Jahres
43 v. Chr. begonnen, schrieb er dort : "Damit ist also durch ein gleichzeitiges und urkundliches
Zeugniss entschieden, dass unter den mancherlei Tagen, welche als Ausgangspunkt des Principats
betrachtet werden konnten und betrachtet worden sind, Augustus selbst den der ersten Uebernahme
der höchsten ordendichen Gewalt als solchen angesehen wissen wollte und Tacitus also diesen mit
Recht als seinen Antrittstag bezeichnet." Zum Feriale Cumanum und Mommsens - in Wahrheit
keineswegs gesicherter - Festlegung des Beginns des dortigen Festjahrs s. unten Anm. 46, zur
Tacitusstelle unten Anm. 24.

28
A N N O S U N D E V I G I N T I N A T U S . . . DIE RÜCKFÜHRUNG VON AUGUSTUS' PRINCIPAT...

geben, sodann möchte ich zeigen, daß die bei weitem am häufigsten
belegte Auffassung hierüber, nämlich die, daß er die Herrschaft: bereits im
Jahr 43 v. Chr. angetreten habe, tatsächlich schon auf seine Zeit zurück­
geht, und erst dann möchte ich, ausgehend von den Res gestae, den
Zusammenhang dieser Auffassung mit dem Principatsbegriff erörtern.
Daß princeps als eigentliche Bezeichnung für Augustus' Stellung in
dem von ihm reformierten Staat gelten konnte, ist gut bezeugt ; so schreibt
Tacitus gleich im ersten Abschnitt der Annalen über ihn : cuncta discordiis
civilibus fessa nomine principis sub Imperium accepit-, etwas später heißt es
im sogenannten Totengericht : non regno tarnen neque dictatura, sedprincipis
10
nomine constitutam rem publicam . Doch ursprünglich war princeps, eine
Bezeichnung, die schon in der Zeit der Republik vielfach auf die fuhrenden
Politiker angewandt wurde, gerade kein staatsrechdich relevanter, an irgend­
ein Amt gebundener Terminus ; vielmehr galt als princeps einer, der auf­
grund seines durch herausragende Leistungen erworbenen Ansehens andere
11
Mitglieder der obersten Führungsschicht überragte . Der Begriff ent­
spricht damit tatsächlich weitgehend dem, was Augustus im 34. Kapitel der
Res gestae im Zusammenhang mit den Verfassungsreformen von 28/27 über
sich schrieb, nämlich daß er in der Folgezeit - post idtempus - an auctoritas
alle übertroffen, an Amtsgewalt, potestas, aber nicht mehr besessen habe als
12
seine jeweiligen Amtscollegen . Trotz der in diesem Satz enthaltenen zeit­
13
lichen Komponente darf man daraus jedoch keine generelle Festlegung
des Beginns der Rolle als princeps ableiten. Denn am Beginn eben dieses
Kapitels schreibt Augustus schon über seine Situation vor den Reformen, er
sei per consensum universorum \po]tens re[ru]m om[n]ium gewesen ; das aber
14
impliziert geradezu ein Höchstmaß an auctoritas . Tatsächlich ist es auch

10. TAC. Ann. 11,1 ; 19, 5 ; s. auch III 28, 2 sowie Ov. Fast. II 142.
11. Zum Sprachgebrauch im politischen Bereich s. W I C K E R T L., REXXll 2 (1954), 1998-2296
s. v. Princeps (civitatis); zum weiteren Wortgebrauch s. S C H W I N D B., Thesaurus Linguae LatinaeX
2 rase. VIII-Di (1995) 1275-1290 s. v.princeps 1995. Vgl. W A G E N V O O R T H. « Princeps», Phibbgus
91,1936,206-221 ; 323-345 (deutscher Text; englisch leicht verändert in ders., Studies in Roman
Literature, Culture and Religion, Leiden, 1956,43-79) ; W E B E R W, Princeps. Studien zur Geschi
des Augustus, Bd. I (mehr nicht erschienen), Stuttgart - Berlin, 1936; P R E M E R S T E I N A . V . , «Vom
Werden und Wesen des Prinzipats »,ABAW"N. F. 15, München, 1937; B É R A N G E R J., Recherches sur
l'aspect idéologique du principat, Bâle, 1953,31ff.; W I C K E R T L., « Princeps », Mélanges d'archéobgie
d'épigraphie et d'histoire offerts à Jérôme Carcopino, Paris, 1966, 979-986; G U I Z Z I F., Principat
op. cit., 34ff.;W I C K E R T L., «Neue Forschungen zum römischen Principat», ANRWll 1, Berlin
- New York, 1974,3-76 ; D R E X L E R H . , « Principes - princeps », Politische Grundbegriffe der Römer,
Darmstadt, 1988, 100-120:107 ff; S T A H L M A N N I., Von der Ideengeschichte zur Ideologiekritik.
Lothar Wickerts Beitrag zum Verständnis des Augusteischen Principats, AAWMNr. 9, Stuttgart
K I E N A S T , Augustus op. cit., 204ff.; S P A N N A G E L M„ Exemplaria Principis op. cit., 326ff.337 ff
348 ff.
12. RgdA 34 Post id tem\pus a]uctoritate [omnibuspraestiti, potest]atis au[tem n]ihib ampliu[
quam cet[eri, qui m] ihi quoque in ma\gis] tra[t] u conlegaef[uerunt].
13. In der griechischen Version fehlt ein Äquivalent zu post id tempus.
14. s. ο. Anm. 3. - Zum consensus universorum vgl. I N S T I N S K Y H. U., « Consensus universorum », He
75, 1940, 265-278 = (mit Ergänzungen) in: O P P E R M A N N (Hrsg.), Römische Wertbegriffe, Wege
der Forschung, Bd XXXIV, Darmstadt, 1967, 209-228 ; W I C K E R T L., RES. V. Princeps (civitatis),
2264-2269 ; P E T Z O L D K.-E. « Die Bedeutung des Jahres 32 fur die Entstehung des Principats »,
Historia 18, 1969, 334-351 = ders., Geschichtsdenken und Geschichtsschreibung. Kleine Schri
zur griechischen und römischen Geschichte, Historia Einzehchriften 126, Stuttgart, 1999, 608-6

29
MARTINSPANNAGEL

kaum sinnvoll anzunehmen, er hätte mit seiner Darstellung sagen wollen,


daß er erst mit den Reformen diese auctoritas erlangt habe, erst mit ihnen
zum princeps geworden sei. Plausibler scheint mir vielmehr, seine Aussage
in dem Sinne zu verstehen, daß er damals, eben weil er längst princeps war
und allgemein als solcher anerkannt wurde, auf seine außerordentlichen
Vollmachten hatte verzichten und sich künftig allein auf seine Rolle als
princeps hatte stützen können.
Grundsätzlichere Unterschiede zum modernen Sprachgebrauch beste­
hen bei principatus: der lateinische Begriff hat in den antiken Quellen nir­
gends eine solche dezidiert staatsrechtliche und zugleich zeitlich übergrei­
fende Bedeutung wie das deutsche Äquivalent bei Mommsen ; vielmehr ist
er im Zusammenhang mit der Kaiserherrschaft immer an eine bestimmte
15
Person geknüpft, meint die Führungsrolle eines Einzelnen . Soweit dabei
die Herrschaft des Augustus gemeint ist und sich überdies Vorstellungen
von deren zeitlicher Abgrenzung erkennen lassen, ergibt sich kein einheit­
liches Bild. Wenn Seneca in de dementia schreibt, Augustus sei ein milder
princeps gewesen, wenn man ihn von seinem principatus aus betrachte,
während der gemeinsamen Herrschaft aber habe er das Schwert gebraucht,
dann versteht er unter principatus offenbar die Zeit der durch den Sieg über
16
die Rivalen in den Bürgerkriegen erlangten Alleinherrschaft . Eine völlig
andere Vorstellung findet sich hingegen in dem um 370 n. Chr. abgefaß­
ten Abriß der römischen Geschichte des Eutrop. Dort heißt es : Ita bellis
toto orbe confectis Octavianus Augustus Romam rediit duodecimo anno quam
consul fuerat. ex eo rem publicam per quadraginta et quattuor annos solus
obtinuit. ante enim duodecim annis cum Antonio et Lepido tenuerat. ita ab
Vl
initio principatus eius usque adfinem quinquaginta et sex anni fuerunt \
Die hier für Augustus' principatus genannten 56 Jahre führen in das Jahr
43 v. Chr. zurück, so daß der Begriff hier nahezu seine gesamte politische

K I E N A S T D., Augustus op. cit., 67-69 ; 78-81 ; 214. 521 ; L O B U R J A , Consensus, Concordia, and th
Formation of Roman Imperial Ideology, New York - London, 2008, 12 ff. ; zum Begriff der auctori­
tas, W I C K E R T L . , RE S. V. Princeps (civitatis), 2287-2290 ; K I E N A S T D., Augustus op. cit., 84 f.
15. Dies zeigt die Dokumentation bei Hajdu, Thesaurus Linguae LatinaeX, 2 fase. DC (1995) 1300-
1305 s. v. principatus. Vgl. B É R A N G E R J . Recherches, op. cit., 55 ff. sowie G R U E N E . S., « Augustus
and the Making of the Principate», G A L I N S K Y K . (dir.), The Cambridge Companion to the Age
of Augustus, Cambridge, 2005, 33 f., der das Fehlen von principatus als Bezeichnung für die
Regierungsform zumindest fur die Zeit des Augustus konstatiert.
16. S E N . Clem. 19, 1 Divus Augustusfuit mitis princeps, si quis illum a principatu suo aestimare inc
in communi quidem rei publicae gkdium movit; vgl. R I C H T E R W., RhM 108, 1965, 146-170, bes.
151 ff. Vgl. auch A U R . V I C T . Epit. 1, 29 nam et in adipiscendo principatu oppressor libertatis es
habitus, et in gerendo, cives sic amavit, ut triduifrumentoin horreis quondam viso, statuisset
mori, si eprovinciis classes interea non venirent, wo man angesichts der vergleichbaren Aussage woh
von einer entsprechenden zeidichen Abgrenzung des principatus ausgehen darf. Bei E U T R . VII 8, 4
wird die milde Phase der Regierung des Augustus explizit mit der 44jährigen, d. h. ab der Schlacht
von Actium gerechneten (s. unten Anm. 19) Alleinherrschaft verbunden : quadraginta [et] quattuor
annis, quibus solus gessit Imperium, civilissime vixit, in cunetos liberalissimus, in amicos fidissimus
quos tantis evexit honoribus, utpaene aequaretfastigio suo ; zu den positiven Charakteristika an d
Stelle s. R A T T I S., Les empereurs romains d'Auguste à Dioclétien dans le Bréviaire dEutrope, Pa
1996, 75 ff. 99 f. 197 f.
17. E U T R . VII 8, 1-3; vgl. auch unten Anm. 43. In der griechischen Übersetzung von Paianios
(ed. H. Droysen, MGH auet. antiquiss. II, 1879, p. 119) fehlt der Satz über die Dauer des
principatus.

30
A N N O S U N D E V I G I N T I N A T U S . . . DIE RÜCKFÜHRUNG VON AUGUSTUS'PRINCIPAT...

Laufbahn bezeichnet, die dabei eindeutig der zwölf Jahre kürzeren Zeit
seiner Alleinherrschaft gegenübergestellt wird.
Somit stehen sich in den antiken Quellen zwei grundsätzlich verschie­
dene Auffassungen über den zeitlichen Umfang von Augustus' principatus
gegenüber, eine, die diesen mit der Alleinherrschaft verknüpft und damit
seinen Beginn zumindest in eine gewisse zeitliche Nähe bringt zu der für
Mommsens Terminologie ausschlaggebenden Verfassungsreform, und eine,
die von einem 56 Jahre andauernden, somit bereits 43 v. Chr. beginnenden
principatus ausgeht. Freilich entstammt der Beleg für die zweite Auffassung
einer ausgesprochen späten, zudem gerade hier keineswegs korrekten Quelle,
denn die Aufteilung in eine 12 Jahre gemeinsam mit den übrigen Triumvirn
und eine 44 Jahre allein ausgeübte Herrschaft stimmt nur dann, wenn man
die Zeitgrenze nicht wie in Eutrops Text bei der im Jahr 29 v. Chr. erfolgten
18
Rückkehr nach Rom , sondern bei der Schlacht von Actium zwei Jahre
19
zuvor ansetzt . Trotzdem glaube ich, daß die Anwendung des Begriffs
20
principatus auf die insgesamt 56jährige politische Karriere des Augustus
eher dessen Vorstellungen entspricht als die Anwendung auf die kürzere

18. Daß auch im Jahr 29 v. Chr. eine Epochengrenze angesetzt werden konnte, zeigen Dio LH 1, 1
und O R O S . VI 20, 1 f., die beide hier den Beginn der Monarchie ansetzen (bei Dio in Konkurrenz
mit anderen Daten; s. unten Anm. 36. 41) und die Bedeutung des Jahres überdies durch die
ausdrückliche Datierung in das 725. Jahr der Stadt hervorheben ; vgl. M A N U W A L D B., Cassius Dio
und Augustus. Philologische Untersuchungen zu den Büchern 45-56 des dionischen Geschi
Wiesbaden, 1979, 83 Anm. 39. "wahrend es bei Dio dabei primär um die Frage nach der Verfassung
geht, legt Orosius den Fokus auf die mit dem dreifachen Triumph verbundene Rückkehr nach
Rom, die er aber, um den postulierten Zusammenhang zwischen Augustus und Christus zu unter­
streichen, zugleich falschlich auf den 6. Januar - den Tag des christlichen Festes der Epiphanie -
legt und mit Augustus' erstmaliger Schließung des Ianus sowie der Verleihung des Augustusnamens
kombiniert (VI 20, 1-3. 8 ; vgl. I 1, 6 ; VI 22, 1. 5 ; VII 2, 16, wo die Geburt Christi in das Jahr
der dritten Schließung gesetzt wird). - Zur Betonung der Rückkehr aus dem Osten s. auch Veli.
II 89, 1 ff.
19. Vgl. die genauere, ausdrücklich auf Actium bezogene Angabe "44 Jahre weniger 13 Tage" bei
Dio LVI30, 5 (unten Anm. 36). Zur Aufteilung in 12 + 44 Jahre vgl. S U E T . Aug. 8, 3 ; A U R . V I C T .
Epit. 1, 30 (unten Anm. 25 f.) ; zu den 44 Jahren s. auch A U R . V I C T . de Caes. 1, 2 ; zur Schlacht
von Actium als Beginn von Augustus' Monarchie Dio LI 1, 1 f. sowie Hier, chron. 163 c Helm
z. J. 31 v. Chr. (unten Anm. 36 f.). Eutrop hat somit offenkundig die Zahlen aus der auf Actium
als Zeitgrenze bezogenen Überlieferung übernommen (auch die bei Paianios [oben Anm. 17]
eingefügte Nennung von Augustus' 32. Lebensjahr führt in das Jahr der Schlacht) ; die Bemerkung
von H E L L E G O U A R C ' H J., Eutrope, Abrégé d'histoire romaine, CUF, Paris, 1999, 88 Anm. 3, die
44 Jahre seien "approximativement de 29 avant à 14 après J.-C." gerechnet, ergibt keinen Sinn.
Vgl. auch R A T T I , Les empereurs romains op. cit., 190 f.
20. Der Wert von Eutrops Verwendung des Begriffs für das Verständnis der augusteischen
Principatsvorstellung wird sehr unterschiedlich beurteilt. So hat schon A N D E R S E N Η. Α.,
Cassius Dio und die Begründung des Principates, Berlin, 1938, 51 Anm. 148 die Formulierung
- wenn auch mit einer versehentlichen Zuschreibung an Euseb statt Eutrop - hervorgehoben
und in den Zusammenhang eines frühen Ansatzes des Principatsbeginns (s. unten Anm. 91)
gerückt; auch S C H M I T T H E N N E R W., «Octavians militärische Unternehmungen in den Jahren
35-33 v. Chr. », Hutoria7,1958,200 Anm. 1 zitiert die Stelle als Beleg fur einen frühen Principatsbeginn ;
BERANGER, Recherches, op. cit., 28 stellt fest : « Il n'y a donc pas obligatoirement correspondance entre
"principat" et collation des pouvoirs constitutionnels » ; nach R A T T I , Les empereurs romains, op. cit.,
191 hat der Terminus principatus hier, da er eindeutig auf die ganzen 56 Jahre angewandt wird,
„un sens affaibli". Hellegouarc'h {ibid.) läßt diese Verwendung von principatus hingegen unkom­
mentiert, und S I O N - J E N K I S K., Von der Republik zum Prinzipat. UrsachenfiirdenVerfassungswec
in Rom im historischen Denken der Antike, Stuttgart, 2000, 30 bezieht den Ausdruck an dieser Stelle
sogar fälschlich auf die Alleinherrschaft (vgl. auch ebd. 60).

31
MARTIN SPANNAGEL

Zeit seiner Alleinherrschaft, ganz zu schweigen von der noch kürzeren


Spanne ab den Verfassungsreformen von 28/27 v. Chr.
Daß Augustus 56 Jahre oder gar noch länger regiert habe, wird in der
bei weitem überwiegenden Zahl der antiken Äußerungen über die Dauer
21
seiner Herrschaft angegeben . Im Hinblick auf die Frage nach deren
Beginn ist hierbei zunächst Tacitus von Bedeutung. Auch er spricht im
Dialog über die Redner von einer 56jährigen Regierung des Augustus;
dabei fuhrt er unmittelbar zuvor die Consulatsübernahme zusammen mit
22
Q. Pedius an, während der Triumvirat unerwähnt bleibt . So kommt als
Ausgangspunkt für die 56 Jahre hier eigentlich nur der Consulatsantritt
23
am 19. August 43 v. Chr. in Frage . Er war tatsächlich auf den Tag genau
56 Jahre vor dem Tod des Kaisers erfolgt, da dieser, was Tacitus auch in
24
den Annalen hervorhebt, am Jahrestag dieses Ereignisses starb . Auch
Sueton, der freilich nicht diese Summe, sondern nur die beiden auch bei
Eutrop vorkommenden Teilabschnitte von 12 bzw. 44 Jahren nennt, geht
25
von einer insgesamt 56jährigen Regierung aus ; weitere Belege für die
glatte Zahl von 56 Jahren bieten die Epitome de Caesaribus, Tertullian,
26
Ausonius sowie mehrere Chroniken . Ferner gibt es verschiedene, meist
nach Monaten oder sogar Tagen differenzierende Angaben, die die glatte
Zahl von 56 Jahren übersteigen. So berechnen Theophilos von Antiochien,
Clemens Alexandrinus sowie eine Kaiserliste beim Chronographen von
354 n. Chr. die Regierung des Augustus auf 56 Jahre, 4 Monate und 1

21. Übersichten über die verschiedenen Angaben zur Regierungsdauer geben M O M M S E N , Staatsrecht
3
II 2 , 747 (= DPR V p. 3-4) mit Anm. 1 f. (deren Text gegenüber denfrüherenAuflagen verän­
dert ist; vgl. oben Anm. 8) ; B É R A N G E R , Recherches, op. cit., 26; Eusebius Werke VII, Die Chro
des Hieronymus, hrsg. und in zweiter Auflage bearbeitet von R Helm, Berlin, 1956, 389 zu S.
Rom.
22. TAC. Dial. 17, 2-3 nam ut de Cicerone ipso loquar, Hirtio nempe et Pansa consulibus, ut Tiro
eius scribit, septimo idus Decembris occisus est, quo anno divus Augustus in locum Pansae
Q. Pedium consules suffecit. statue sex et quinquaginta annos, quibus mox divus Augustus
rexit.
23. Zum Datum s. Dio LVI30, 5 sowie unten Anm. 44-46 ; zu den Umständen der Wahl B E L L E N H.,
„Cicero und der Aufstieg Oktavians", Gymnasium 92, 1985, 161-189 (= ders., Politik - Recht
- Geseüschaft. Studien zur Alten Geschichte, Historia Einzelschritten 115, Stuttgart, 1997 = 47-70) :
178-187 (= 62-69) ; S U M I G.S., Ceremony and Power. Performing Politics in Rome between Re
and Empire, Ann Arbor, 2005, 181 ; B R I N G M A N N Κ., «Von der res publica amissa zur res publica
restituta. Zu zwei Schlagworten aus der Zeit zwischen Republik und Monarchie », S P I E L V O G E L
J. (dir.), Res publica reperta. Zur Verfassung und Geselhchafi der römischen Republik und des
Prinzipats. Festschriftfur Jochen Bleicken zum 75, Geburtstag, Stuttgart, 2002, 58 f.
24. TAC. ann. I 9, 1 quod idem dies accepti quondam imperii princeps et vitae supremus; Dio LV
5.
25. S U E T . Aug. 8, 3 Atque ab eo tempore exercitibus comparatisprimum cum M. Antonio M.que
deinde tantum cum Antonio per duodecim fere annos, novissime per quattuor et quadragint
p. tenuit; vgl. auch unten Anm. 43.
26. A U R . . V I C T . Epit. 1, 30 imperavit annos quinquaginta et sex, duodecim cum Antonio, quadr
et quattuor solus; Tert. Adv. lud. 8, 10, 5 item adhuc Cleopatra conregnavit Augusto annis
post Cleopatram Augustus aliis annis XL et III imperavit - nam omnes anni imperii Augusti
L et VI; A U S O N . de XII Caes. 3, 2 Augustus post lustra decern sex prorogai annos; Chron.
min. I (= MGHauct. antiquiss. IX, 1892) p. 520 (Polemius Silvius; mit falscher Ausdehnung der
Alleinherrschaft auf die gesamten 56 Jahre) ; II (= MGHauct. antiquiss. XI, 1854) p. 453 (Isidorus
iunior) ; III (= MGHauct. antiquiss. XIII, 1898) p. 419 (Laterculus imperatorum ad Iustinum I).
435 (Laterculus Malalianus; überliefert 55 Jahre, angesichts der Parallelüberlieferung zweifellos
Schreibfehler fur 56).

32
A N N O S U N D E V I G I N T I N A T U S . . . DIE RÜCKFÜHRUNG VON AUGUSTUS'PRINCIPAT...

27
Tag , was fast genau auf seine erste Imperator-Akklamation am 16. April
28
43 v. Chr. zurückführt ; als weitere, jedoch nicht näher erklärbare
29 30
Summen sind 56 Jahre und 6 Monate , 57 Jahre oder gar 57 Jahre,
31
6 Monate und 2 Tage überliefert. Auch Angaben, die sich nicht eigentlich
auf die Dauer von Augustus* Herrschaft beziehen, können einen Ansatz
von deren Beginn im Jahr 43 v. Chr. implizieren. So endet nach dem
Breviarium des Festus die 467jährige Zeit sub consulibus mit Hirtius und
Pansa, den in bzw. kurz nach der Schlacht von Mutina am 21. bzw. 23.
April 43 v. Chr. gestorbenen ordentlichen Consuln dieses Jahres, worauf
mit Octavianus Caesar Augustus die bis zur Gegenwart des Autors bereits
32
407 Jahre währende Zeit sub imperatoribus beginnt ; die Geburt Christi
aber wird von christlichen Autoren meist, ausgehend von einem Ansatz in
33
unser Jahr 2 v. Chr., in das 42. Regierungsjahr des Augustus gesetzt .
Es gibt also eine Fülle von Quellen, wonach die Herrschaft des Augustus
bereits 43 oder gar schon 44 v. Chr. begonnen hat; der Sieg im Bürgerkrieg
wird hierbei nur insofern berücksichtigt, als in einem Teil von ihnen die
gesamte Regierungszeit in eine Phase gemeinsam mit anderen und eine allein
ausgeübter Herrschaft unterteilt wird. Doch kann auch jene Gesamtzeit
einheitlich als monarchische Herrschaft aufgefaßt werden, vor allem wenn,
wie in nahezu allen Chroniken, nicht Augustus, sondern bereits Caesar als

27. THEOPH. ANTIOCH. adAutol. 3,27 (nach Chryseros, einem Freigelassenen des Marc Aurel) ; C L E M .
ALEX, ström. I 21 § 144, 4 (überliefert sind hier 46 Jahre, was aber nach der Parallelüberlieferung
sicher zu korrigieren ist); Chron. min. I p. 145.
3
28. Cf. M O M M S E N Th., Staatsrecht II 2 , 747 Anm. 1 (= DPR V p. 3 n. 3). - Die Imperator-
Akklamation bezog sich auf den Sieg Octavians sowie der Consuln Hirtius und Pansa über
M.Antonius im Gefecht von Forum Gallorum am 15. (oder 14.; so Ovid, Fast. IV 625
ff.) April; am 20. April traf die Siegesmeldung in Rom ein, am 21. hielt Cicero die XIV.
Philippica, in der er u. a. die Bestätigung des Imperator-Titels, ein fünfzigtägiges Dankfest
sowie ein Monument für die gefallenen Soldaten beantragte. Vgl. dazu Inscr. Ital. XIII 2,
441 f.; B E N G T S O N H., «Untersuchungen zum Mutinensischen Krieg», Kleine Schrifien zur Alten
Geschichte, München, 1974, 479-531 ; B E L L E N , «Cicero » [zit. oben Anm. 23], 173-178 (= 57-
61) ; W O Y T E K B., Arma et Nummi, Forschungen zur römischen Finanzgeschichte und Münzpräg
der Jahre 49-42 v. Chr., Wien, 2003, 353; speziell zur Imperator-Akklamation s. C O M B È S R.,
Recherches sur l emploi et la signification du titre d'Imperator dans la Rome républicaine, Pa
87 f. ; 458 ; zu dem Monument s. S P A N N A G E L M., Exemplaria Principis op. cit., 75. Vgl. auch unten
Anm. 53 zur Berücksichtigung dieser Vorgänge im Feriale Cumanum.
29. Hier. Chron. p. 157 Helm; Chron. min. I p. 405 (ProsperTiro). 638 (Chronica Gallica a. DXI, wo
ann. D/Im. XVI \n ann. V/Im. VI zu korrigieren ist) ; II p. 134. 136 (Cassiodor; die Rückführung
der Angabe auf Aufidius Bassus durch B É R A N G E R , op. cit., 26 nach Peter überzeugt mich nicht).
Nach M O M M S E N (Staatsrecht, II 2\ 747 Anm. 1 = DPRVp. 3 n. 3), ist die Angabe möglicherweise
von Octavians dies imperii am 7. Januar 43 v. Chr. (dazu s. unten Anm. 54) abgeleitet.
30. E U S E B . Hist. eccL 19,2 (unter Berufung auf Iosephus) ; Chron. min. I p. 137, 378 (libergenerationis
/beim Chronographen von 354). Vgl. auch F L O R . Epit. II 14, 7 Marco Antonio Publio Dolabella
consulibus Imperium Romanum iam ad Caesarem transferente fortuna...
31. los. Bell. II 9, 1 § 168 ; Ant. XVIII 2, 2 § 32.
32. F E S T . Brev. 2, 1. 3. 4; vgl. S I O N - J E N K I S , op. cit., 29.
33. O R O S . 11, 6; VII 2, 14 f. (vgl. VII 3, 1: 752. Jahr der Stadt) ; H I P P O L Y T . R O M . , comm. in Daniel.
IV23; Eus. Hist. eccl. I 5, 2; H I E R . Chron. p. 169 c Helm; Chron. min. I p. 194 (liber genealo-
gus : 41. oder 42. Jahr) ; II p. 499 (Chron. Pseudoisidoriana) ; III p. 435 (Laterculus imperatorum
Malalianus). Allein das 41. Regierungsjahr nennt T E R T . C. lud. 8, 11 (mit gleichzeitiger Datierung
in das 28. Jahr nach dem Tod der Cleopatra), das 43. Sync. 315d (597,5). Vgl. H E L M , op. cit.,
395 zu S. 169 c (mit weiteren Belegen).

33
MARTIN SPANNAGEL

34
erster römischer Kaiser gilt . So wird etwa in der Chronik des Hieronymus
das Jahr 44 v. Chr. als das fünfte Regierungsjahr des ab 48 v. Chr. für
4 Jahre und 7 Monate als Romanorum primus herrschenden Caesar gezählt,
das Jahr 43 v. Chr. hingegen als das erste von insgeamt 56 einheitlich
durchlaufenden, bis 13 n. Chr. reichenden Jahren des Octavianus Caesar
35
Augustus ; so erscheint dieser, ungeachtet des tatsächlichen zeitlichen
Abstandes, als unmittelbarer Nachfolger seines ,Vaters.
Daß ein Historiker allein den Beginn der mit dem Sieg im Bürgerkrieg
einsetzenden eigentlichen monarchischen Phase als Ausgangspunkt von
Augustus Herrschaft nennt, ist hingegen selten. Immerhin ist für Cassius
Dio der Tag der Schlacht von Actium das entscheidende Datum, das er nicht
nur nach deren Schilderung, sondern auch in seinem Rückblick anläßlich
36
von Augustus' Tod hervorhebt , und in der Chronik des Hieronymus
findet sich zum Jahr der Entscheidungsschlacht zumindest der Zusatz,
37
daß Einige die Monarchie des Augustus von hier an berechneten . Für
andere Autoren ist dieses Jahr nicht so sehr das erste der Alleinherrschaft
3S
des Augustus als vielmehr das erste der Kaiserherrschaft überhaupt . Doch
eine größere Rolle für die Zeitrechnung spielt die Schlacht von Actium nur
als Ausgangspunkt weitverbreiteter, aber gleichwohl lokal begrenzt verwen­
deter städtischer oder provinzialer Ären im griechischen Osten, die sich
weniger durch allgemeine Erwägungen zur Regierungszeit des Augustus als
vielmehr durch den Wechsel der Herrschaft in den betreffenden Gebieten

34. Als erster Kaiser gilt Caesar in sämtlichen oben Anm. 26 f. 29 f. für eine mindestens 56jäh-
rige Regierung des Augustus angeführten Chroniken außer dem liber generationis I (Anm. 30)
und den laterculi imperatorum ad Iustinum I bzw. Malalianus {Anm. 26) ; außerdem zusätzlich
in der Chronica Pseudoisidoriana attributa Augustino et Hieronymo {Chron. min. II p. 499,)
enge Verbindung zwischen einem Beginn der Kaiserherrschart mit Caesar und einer langen
Regierungszeit des Augustus wird besonders deutlich bei C L E M . A L E X . Strom. I 21 § 144, wo
nacheinander zwei unterschiedliche Listen der römischen Kaiser zitiert werden ; die erste beginnt
mit Augustus, der hiernach 43 Jahre (d. h. ab 30 v. Chr. ; vgl. unten Anm. 40) regierte, die zweite
mit Caesar, wobei die (fehlerhaft überlieferte ; vgl. oben Anm. 27) Angabe der Regierungsjahre des
Augustus vom Jahr 43 v. Chr. ausgeht. Hinzu kommen weitere literarische Belege fur Caesar als
ersten Kaiser : V I T R . I praef. 2 ; P L I N . Ep. V 3, 5 ; T A C . Ann. XIII 3, 1 ff. ; F R O N T O epist. ad Verum
imperatorem II 1, 10 pag. 123 van den Hout; los., AJ, XVIII 2, 2 § 32; 6, 10 § 224; XLX 2, 2
§ 173-174; 2, 3 § 187; Axv.prooem. 6, 22-23; P L U T . Num. 19, 6 ; T H E O P H . Apnoen. AdAutol.
3,27 (nach Chryseros ; vgl. oben Anm. 27) sowie die Aufnahme Caesars in den Biographienzyklus
Suetons, die Epigrammzyklen des Ausonius oder Julians Caesares. Vgl. H Ä U S S L E R R., Tacitus und
das historische Bewußtsein, Heidelberg, 1965, 253 f. ; G E I G E R J., «Zum Bild Julius Caesars in der
römischen Kaiserzeit», Historia 24, 1975, 444-453; D O N I É P., Untersuchungen zum Caesarbild in
der römischen Kaiserzeit, Hamburg, 1996, 95. 152 f. Anm. 18; 158 f. 181. 215 f. 237 f. ; S I O N -
J E N K I S , op. dt., 53 fT. (dort 55 Anm. 254 ist S U E T . Calig. 60 zu streichen) ; K I E N A S T D., « Augustus
und Caesar», Chiron 31, 2001, 1-26, bes. 25.
35. H I E R . Chron. S. 156 f. Helm.
36. Dìo LI 1,1 f. ; LVI30, 5. Vgl. M A N U W A L D B., Cassius Dio und Augustus op. cit., 79; S I O N - J E N K I S ,
op. cit., 61 f.
37. p. 163 c Helm; vgl. ibid. 392 (weitere Belege).
38. A U R . V I C T . de Caes. 1,1; A U R . V I C T . Epit. 1, 1 ; in beiden Abrissen wird der Übergang zur
Kaiserherrschaft in das 722. Jahr der Stadt gesetzt. Nach der varronischen Chronologie wäre dies
32 v. Chr. ; vgl. jedoch die um ein Jahr abweichende Chronologie der Fasti Capitolini, wonach 722
a. u. c. 31 v. Chr. entspricht. Zum Verhältnis der beiden Geschichtsabrisse zueinander s. S C H L U M -
B E R G E R J., Die Epitome de Caesaribus. Untersuchungen zur heidnischen Geschichtsschreibu
Jahrhunderts n. Chr., München, 1974 , 17 ff.

34
A N N O S U N D E V I G I N T I N A T U S . . . DIE RÜCKFÜHRUNG VON AUGUSTUS'PRINCIPAT...

39
erklären . Dementsprechend geht die Zeitrechnung in Ägypten auch nicht
von Actium, sondern von der Eroberung von Alexandrien am 1. August
40
30 v. Chr. aus .
Noch geringer ist die Rolle, die die für Mommsen so entschei­
dende Neuordnung des Staates nach dem Ende der Bürgerkriege für
die Zeitrechnung spielt. Ausdrückliche Verknüpfungen des Beginns der
Monarchie mit der Verfassungsreform finden sich nur an zwei weiteren
Stellen bei Cassius Dio, nämlich im Zusammenhang mit der 29 v. Chr.
angesetzten, die Vor- und Nachteile der jeweiligen Systeme darlegenden
fiktiven Beratung Octavians mit Agrippa und Maecenas sowie anläßlich
41
der Reformen vom Januar 27 v. Chr. . Daneben ist noch Censorinus zu
nennen, der in seiner Schrift de die natali das Jahr 27, ausgehend von
der Verleihung des Augustusnamens, als erstes in einer Reihe von anni
42
Augustorum zählt .
Soweit der Überblick über die antiken Vorstellungen vom Zeitpunkt
des Beginns der Herrschaft des Augustus. Am häufigsten wird er im Jahr
43 v. Chr. angesetzt. Nirgends außer bei Eutrop findet sich freilich eine
Andeutung, daß dieser Ansatz etwas mit dem Principatsgedanken zu tun
haben könnte. Deutlich wird nur, daß er vom Konzept der Monarchie
zu trennen ist, denn es wird zwar vielfach die gesamte Regierungszeit als
Einheit gesehen und damit der Kaiserherrschaft zugerechnet, doch soweit
ausdrücklich von der Alleinherrschaft des Augustus die Rede ist, wird
- gleich ob mit ihr seine Herrschaft insgesamt oder nur die zweite Phase
seiner mindestens 56jährigen Regierung gemeint ist - deren Beginn frühe­
stens bei der Schlacht von Actium angesetzt. Als Ausgangspunkte fur die
auf einen frühen Herrschaftsbeginn bezogenen Zeitangaben lassen sich der
Antritt des ersten Consulats am 19. August und mit einiger Sicherheit die
erste Imperator-Akklamation am 16. April 43 v. Chr. fassen. Der Triumvirat
hingegen wird zwar berücksichtigt, wo es darum geht, eine Phase gemein­
sam mit Anderen ausgeübter Herrschaft von der monarchischen Phase zu
43
trennen, doch für die Zeitangaben spielt er offenbar keine Rolle . Im

39. L E S C H H O R N W„ Antike Aren. Zeitrechnung, Politik und Geschichte im Schwarzmeerraum un


in Kleinasien nördlich des Tauros, Stuttgart, 1993, 225ff.;K I E N A S T D., Römische Kaisertabelle.
Grundzüge einer römischen Kaiserchronologie, 2. Auflage, Darmstadt, 1996, 14 f.; zu einer
Berechnung nach der aktischen Ära s. auch los. Λ/XVIII, 2, 1 § 26.
40. K I E N A S T , Aren, op. cit., p. 15ff.(mit weiterer Lit. S. 68). Dementsprechend schreiben alexandrini-
sche bzw. von solchen abhängige Autoren dem Augustus 43 Regierungsjahre zu : P H I L O A L E X . leg.
ad Gaium 22 § 148 ; C L E M . A L E X . Strom. 121 £ 144,2 ; Tert. VIII10, 5 ; Chron. min. III p. 448.
451.454 (Kaiserlisten byzantinischer Zeit; zu ihrem alexandrinischen Ursprung s. H. Usener ebd.
p. 439). Vgl. auch C E N S . 21,9 zur Zeitrechnung der Ägypter.
41. Dio LH 1, 1 ; LUI 17, 1 ; vgl. M A N U W A L D B., Cassius Dio und Augustus op. cit., 77-100; S I O N -
J E N K I S , op. cit., 62 f.
42. C E N S . 21, 8; vgl. 22, 16 (s. unten Anm. 45).
43. Der im Vertrag von Bononia Ende Oktober 43 v. Chr. vereinbarte Triumvirat wurde durch
die lex Titta vom 27. November sanktioniert ( F A D I N G E R V., Die Begründung des Prinzipats.
Quellenkritische und staatsrechtliche Untersuchungen zu Cassius Dio und der Parallelüberlie
Berlin, 1969, 31ff.;K I E N A S T D., Augustus op. cit., 37-39) und lief wohl Ende 33 v. Chr. aus
( G I R A R D E T K. M., «Per continuos annos decern [rgdA 7, 1]. Zur Frage nach dem Endtermin des
Triumvirats», Chiron25, 1995,147-161 = ders., Rom auf dem Wegvon der Republik zum Prinzipat,

35
MARTIN SPANNAGEL

übrigen sind die Quellen fur die Dauer bzw. den Beginn der Regierung,
sieht man von den unmittelbar auf den Herrschaftswechsel in den betref­
fenden Regionen bezogenen lokalen Ären ab, durchweg erst nachaugu­
steisch, so daß das deutliche Übergewicht des Ansatzes im Jahr 43 v. Chr.
noch nichts über die Vorstellungen von Augustus' eigener Zeit aussagen
muß. Gleichwohl ist zu fragen, wie die in auffalligem Gegensatz zur neu­
zeitlichen Geschichtsschreibung stehende Tendenz der antiken Autoren,
den Beginn seiner Herrschaft derart früh anzusetzen, zustandekommt, und
ob ihre Wurzeln nicht schon in der augusteischen Zeit liegen. Tatsächlich
wurden auch zu Augustus' Lebzeiten Vorgänge des Jahres 43 in einer Weise
hervorgehoben, die hieran kaum zweifeln läßt.
Zunächst zum Consulatsantritt, der ja den Ausgangspunkt der
56 Regierungsjahre bildet, und dessen Tag von Tacitus später als dies
44
accepti quondam imperii princeps bezeichnet w i r d . Aufschlußreich ist
hier zunächst die im Jahr 8 v. Chr. erfolgte Umbenennung des Monats
Sextiiis zu Ehren des Herrschers. Denn daß man hierfür eben den Sextiiis
wählte und nicht etwa den gleichfalls in Betracht gezogenen September, in
dem Augustus geboren war, hatte zwar primär wohl damit zu tun, daß der
neue Monat Augustus dadurch, anstatt die Reihe der lediglich nach Zahlen
benannten Monate zu unterbrechen, an den nach Caesar benannten Iulius
anschloß, doch die offizielle Begründung in dem durch Macrobius über­
lieferten Dekret des Senats zielte allein auf die Bedeutung des Sextiiis für
die bisherige Laufbahn des Geehrten. Und hierbei wurde an erster Stelle
der Antritt des ersten Consulats im Jahr 43 genannt, sodann - in einer
weder an der Chronologie der Ereignisse noch an der Abfolge der jeweiligen
Jahrestage im Kalender ausgerichteten Aufzählung - die drei Triumphe des
Jahres 29, die wiederum in das Jahr 43 gehörende Herabfuhrung künftig
seinen Auspizien folgender Legionen vom Ianiculus und schließlich die
30 v. Chr. erfolgte Unterwerfung Ägyptens und das damit verbundene
45
Ende der Bürgerkriege . In Cumae war nach dem dort gefundenen

Antiquitas, 1 Bd. 53, Bonn, 2007, 315-332; vgl. die Diskussion bei H U R L E T Fr., «Le passage de
la République à l'Empire: questions anciennes, nouvelles réponses», REA 110, 2008, 215-236:
227-230). Von keinem dieser Daten lassen sich in den Angaben zur Herrschartsdauer Reflexe
fassen ; andererseitsfindensich in Quellen, die die gemeinsame Regierung der Triumvirn von
der Alleinherrschaft des Augustus trennen, Spuren anderer, unmittelbar auf diesen bezogener
Ausgangspunkte. So wird bei Eutrop (s. oben Anm. 17) zunächst der Consulatsantritt genannt,
und bei Sueton (s. oben Anm. 25) bezieht sich das ab eo tempore am Beginn des Satzes auf die
zuvor beschriebene Annahme von Caesars Erbe, die am 8. Mai 44 v. Chr. stattgefunden hatte
( S C H M I T T H E N N E R W., Oktavian und das Testament Caesars. Eine Untersuchung zu den politis
Anfangen des Augustus, 2. Aufl., München, 1972 ; G O T T E R U., Der Dictator ist tot! Politik in Ro
zwischen den Iden des März und der Begründung des zweiten Triumvirats, Stuttgart, 1996, 56-
S C H U M A C H E R L., « Oktavian und das Testament Caesars », ZRG116,1999, p. 49-70), während die
kaum zufallig an RgdA 1 anknüpfende Formulierung exercitibus comparatis zunächst auf Vorgänge
im Herbst desselben Jahres verweist (s. unten Anm. 63 f.).
44. TAC. Ann. 19, 1 ; s. oben Anm. 24.
45. M A C R . Sat. I 12, 35 : cum Imperator Caesar Augustus mense Sextiii etprimum consulatum i
triumphos très in urbem intulerit et ex Ianiculo legiones deductae secutaeque sint eius auspic
sed etAegyptus hoc mense in potestatem populi Romani redacta sitfinisquehoc mense belli
impositus sit atque ob has causas hic mensis huic imperio felicissimus sit ac fuerit, piacere
hic mensis Augustus appelletur. Vgl. auch S U E T . Aug. 31,2 Annum a Divo Tulio ordinatum, se

36
A N N O S U N D E V I G I N T I N A T U S . . . DIE RÜCKFÜHRUNG VON AUGUSTUS'PRINCIPAT...

spätaugusteischen Festverzeichnis der Jahrestag des Consulatsantritts einer


von zahlreichen an Ereignisse aus dem Leben des Augustus und weiterer
Mitglieder des Kaiserhauses anknüpfenden Terminen für alljährliche
46
Supplicationen . Einen weiteren Beleg für die Hervorhebung von
Augustus* erstem Consulat in augusteischer Zeit bieten die im Jahr 2 v. Chr.
entstandenen Fasti magistrorum vici; sie enthalten eine Liste der Consuln
und Censoren, und diese Liste beginnt im Jahr 43 mit dem Consulat von
Octavian und Q. Pedius, die hier, obwohl in Wahrheit nur für die im
Mutinensischen Krieg gefallenen Consuln Hirtius und Pansa nachgerückt,
fälschlich als ordentliche Consuln hingestellt werden ; so wird Augustus*
erste Übernahme des traditionellen jährlichen Oberamtes geradezu zu einer
47
Epochengrenze stilisiert . Die besondere Bedeutung, die dem damaligen

neglegentia conturbatimi atque confiisum, rursus adpristinam rationem redegit; in cuius


Sextilem mensem e suo cognomine nuncupavit, magis quam Septembrem quo erat natus,
et primus consulates et insignes victoriae optigissent; Dio LV 6, 6 f. ; C E N S . 22, 16 ; L Y D . mens
Vgl. A. D E G R A S S I , Inscr. Ital. XIII2 S. 321 f. ; S P A N N A G E L , op. cit., 50 Anm. 224 ; 189 Anm. 651 ;
338 Anm. 534. - Zum Consulatsantritt s. oben Anm. 23.
2
46. CIL I p. 229 η. X; CILX 8375; ILS 108; Inscr. Ital XIII2 S. 279, Z. 1 : [XlIIIk. Septembres). Eo
die Caesarprt\mum consulatem in[iit. Supplication. Cf. M O M M S E N , «Festverzeichniss» [zit. oben
Anm. 9] ; A L B E R T , R., Das Bild des Augustes auf denfrühen Reichsprägungen. Studien zur Vergöttli
des ersten Prinzeps, Speyer 1981, 96 f. ; zu den Supplicationen vgl. WISSOWA G., Religion und Kulte
der Römer (= HdA IV 5), 2. Aufl, München, 1912, 58 f. 423-426 ; F R E Y B U R G E R G., « La supplica­
tion d'action de grâce sous le Haut-Empire » ANRWll 16,2, Berlin - New York, 1978,1418-1439
y

(hier 1436 zum Feriale Cumanum). - Die fragliche Notiz ist die oberste erhaltene in dem allseitig
fragmentierten Verzeichnis, das zwischen 4 und 14 n. Chr. entstanden sein muß. Ob ihre in der auf
Mommsen zurückgehenden Ergänzung vorausgesetzte Fesdegung auf den 19. August zutrifft, ist
umstritten : da in den beiden folgenden Zeilen die irgendwann nach der Schlacht von Naulochos
erfolgte Unterwerfung des Heeres des Lepidus sowie der Geburtstag des Augustus (am 23. Sept.)
genannt werden, hat sie zur Folge, daß in dem Feriale (in dem, jedenfalls nach Mommsens
Ergänzung, das Gefecht von Forum Gallorum sogar doppelt berücksichtigt war; s. unten Anm.
53) weder die Schlacht von Actium noch die von Naulochos (am 2. bzw. 3. September) genannt
gewesen sein können. Deshalb nahm B O S W O R T H A. B„ « Augustus and August : Some Pitfalls of
1
Historical Fiction» , HSPh 86, 1982, 151-170 an, als Termin des Consulatsantritts hätte hier der 22.
September gegolten, eine Terminvariante, die nur bei Veil. 2, 65, 2 vorkommt und deshalb meist
als Fehler dieses Autors betrachtet wird, von Bosworth aber auf die Autobiographie des Augustus
zurückführt wird. Schon wegen der Rolle des Termins im Sextiiis bei dessen Umbenennung ist
diese Lösung aber kaum plausibel ; zudem fuhrt sie dazu, daß dann im Feriale fur die Unterwerfung
von Lepidus' Heer kein eigener Tag mehr zur Verfugung stünde. - Unklar ist auch, wann das vom
Kalenderjahr abweichende Festjahr in Cumae begonnen hat. Mommsen, der den untersten von
ihm ergänzten Eintrag (in der vorletzten erhaltenen Zeile) auf den Geburtstag Caesars am 12. Juli
bezogen hat, hat angenommen, daß der ihm zufolge am Beginn stehende 19. August zugleich
als lokaler Neujahrstag gegolten hätte, und hat darin einen Beleg für seine Vermutung gesehen,
daß Augustus selber den Consulatsantritt als Ausgangspunkt seines Principats betrachtet hätte
(s. oben Anm. 9). Doch auch die Ergänzung der unteren Zeilen ist unsicher (s. B O R M A N N E.,
AEM19, 1896, 118 f. ; S P A N N A G E L , op. cit., 42 Anm. 170 = AE1999, 28), und so kommen als
Neujahrstag des dortigen Festjahrs ebensogut der 1. Juli (so B O R M A N N a. O. in Analogie zu Pompeji
und Venusia), der 1. August (an ihm traten in Rom die Vicomagistri ihr Amt an: Inscr. Ital.
XIII 1 S. 289 f.; XIII 2 S. 490; N I B B L I N G G., Historia 5, 1956, 323 ff.) oder (gemäß S U E T . Aug.
59 quaedam Italiae civitates diem, quo primum ad se venisset, initium annificerunt)ein aus ö
Gegebenheiten abgeleiteter Tag in Frage.
47. Inscr. Ital. XIII 1 S. 282. 287 Taf. 86. 88 ; Inscr. Ital. XIII 2 S. 93 Taf. 24 f. ; B O D E L J., ZPE105,
1995,283 f. ; R Ü P K E J., Kalender und Öffentlichkeit. Die Geschichte der Repräsentation und religiö
Qualifikation von Zeit in Rom, R G W 40, Berlin - New York 1995, 59 ; allgemein zu den Fasti
ministrorum vici s. auch L O T T J.B., The Neighborhoods of Augustan Rome, Cambridge, 2004, 91 ff.
mit Abb. 7; 194 ff. Nr. 22. Auch weitere mit Kaiendarien kombinierte Consullisten könnten mit
dem 1. Consulat des späteren Augustus begonnen haben, so etwa die der Fasten von Tauromenium
( R U C K B., ZPE 111, 1996, 274), wo die erhaltenen Fragmente der Liste die Jahre 39-34 und 30-

37
MARTIN SPANNAGEL

Consulatsantritt beigemessen wurde, zeigt sich auch an der Nachricht,


4 8
daß hierbei zwölf Geier erschienen seien - ein gleichartiges Vorzeichen
49
soll schon dem Romulus bei der Stadtgründung zuteil geworden sein ;
der Dichter Ennius aber hatte dieses Vorbild, das auch im Giebel des von
Augustus gestifteten, 16 v. Chr. geweihten Neubaus des Quirinustempels zu
50
sehen war , in einem berühmten Vers als augurium augustum bezeichnet,
so daß das im Januar 27 verliehene Cognomen des Princeps nicht nur einen
51
deutlichen Verweis auf Romulus enthielt , sondern indirekt auch auf die
Amtsübernahme des Jahres 43 bezogen werden konnte.
Der Antritt seines ersten Consulats ist jedoch nicht das einzige Ereignis
aus der Anfangszeit der Karriere des Augustus, das auch während seiner
Alleinherrschaft besonders hervorgehoben wurde. Schon im Senatsbeschluß
zur Begründung des neuen Monatsnamens erscheint ja mit der Bemerkung
et ex Ianicub legiones deductae secutaeque sint eius auspicio, ac fidem noch ein
weiterer Vorgang desselben Jahres ; gemeint sind hier die bei Octavians zur
Consulwahl führendem zweitem Marsch auf Rom zu ihm übergelaufenen
52
drei Legionen . Die erste Imperator-Akklamation am 16. April 43, auf
die sich trotz einer geringfügigen Differenz wohl eine der Angaben zur
Herrschaftsdauer beziehen läßt, bildete - vorausgesetzt, die entsprechen­
den Ergänzungen treffen zu - ebenso wie das vorangegangene Gefecht
von Forum Gallorum, das ihr zugrundelag, den Anlaß für jährliche Opfer

28 v. Chr. betreffen, oder die der Fasti Praenestini (Inscr. hai XIII 1, S. 260; erhalten 5-7 und
18-19 n. Chr.). Zur Bedeutung als Epochengrenze vgl. das Breviarium des Festus (oben Anm. 32),
wo die Republik mit Hirtius und Pansa endet.
48. S U E T . Aug. 95 primo autem consulatu et augurium capienti duodecim se vultures utRomub ost
et immoknti omnium victimarum iocinera replicata intrinsecus ab ima fibra paruerunt, nem
torum aliter coiectante quam laetaper haec et magnaportendi; APP. Civ. III 94, 388 ; Dio XLVI
2-3 ; O B S E Q . 69. Vgl. E R K E L L H., Augustus, Felicitas, Fortuna. Lateinische Wortstudien, Götebor
1952, 30-32; S P E Y E R W, RAC9, Stuttgart, 1976, s. v. Geier 1976, 450 f.; S P A N N A G E L , op. cit.,
188 f. mit Anm. 649; S C H E I D J., «Ronald Syme et la religion des Romains», G I O V A N N I N I
A. (Hrsg.), La révolution romaine après Ronald Syme, Entretiens sur l'antiquité classique XLVI
Vandceuvres-Genève 6-10 sept. 1999, Genève, 2000, 39-72: 43-45; H U R L E T Fr., «Les Auspices
d'Octavien/Auguste », CCG 12, 2001, 156; S U M I G.S., Ceremony and Power op. cit., 312 f.
Anm. 59 zu S. 179; E N G E L S D., Das römische Vorzeichenwesen (753-27 v. Chr.). Quellen,
Terminologie, Kommentar, historische Entwicklung, Stuttgart, 2007, 685 f. RVW 350.
49. Cic. Diu 1, 107-108 = Ε Ν Ν . Ann. 72-91 Sk; Lrv. I 5, 4 - 7, 1 ; Ov. Fast. IV 813-818; D I O N .
H A L . Ant. I 86, 1 - 87, 1 ; P L U T . Rom. 9, 5 ff. Vgl. S P E Y E R W, RAC9, 448-450; S P A N N A G E L ,
op. cit., 179 ; D E M A G I S T R I S E., Paestum e Roma Quadrata. Ricerche sullo spazio augurale, Na
2007, 99 ff.; E N G E L S , op. cit., p. 307-309 RVW 11.
50. Bezeugt durch eine vielleicht vom Templum gentis Flaviae stammende Reliefdarstellung:
H O M M E L P., Studien zu den römischen Figurengiebeln der Kaiserzeit, Berlin, 1954, 9-22 Taf. 1 ;
R I T T E R S., Hercules in der römischen Kunst, Archäologie und Geschichte Bd. 5» Heidelberg, 1995,
142-146 Taf. 10, 6; S P A N N A G E L , op. cit., p. 189 mit Anm. 660.
51. Ε Ν Ν . Ann. 155 Sk Augusto augurio postquam incluta condita Roma est (= "VARRÒ Rust. III 1,2 ; S U
Aug. 7, 2, wo der Vers zur Erläuterung des Augustusnamens herangezogen ist). Vgl. S P A N N A G E L ,
op. cit., 179 mit Anm. 585 ; zu den Implikationen des Namens s. auch E R K E L L , op. cit., 9-39;
G U I Z Z I F., Principato op. cit., 137 ff.; S P E Y E R W, «Das Verhältnis des Augustus zur Religion»,
ANRWll 16, 3, Berlin - New York, 1986, 1797; S P A N N A G E L , op. cit., 188 f. mit Anm. 651.
52. A P P . Civ. III 92, 381 ; Dio XLVI 45, 2; vgl. A L F Ö L D I Α., «Der Einmarsch Octavians in Rom,
August 43 v. Chr.», Hermes 86, 1958, 483-486 = ders., Caesariana. Gesammelte Aufsätze zur
Geschichte Caesars und seiner Zeit, Bonn, 1984, 295-316; B O T E R M A N N H., Die Soldaten und die
römische Politik in der Zeit von Caesars Tod bis zur Begründung des Zweiten Triumvirats, Münche
1968, 153. 203; W O Y T E K B., Arma, op. cit., 363 f.

38
A N N O S U N D E V I G I N T I N A T U S . . . DIE RÜCKFÜHRUNGVONAUGUSTUS'PRINCIPAT...

53
in Cumae . Noch bedeutsamer ist die Überlieferung zu einem weiteren
Datum des Jahres 43, nämlich zum 7. Januar, an dem Octavian in Spoletium
das ihm fünf Tage zuvor auf Antrag Ciceros vom Senat zuerkannte pro-
54
prätorische Imperium angetreten hatte . Die an diesem Tag in Cumae
veranstalteten Supplicationen, zu deren Erläuterung es im Feriale hieß: [eo
die Caesar] primum fasces sumpsit, galten dem Iuppiter Sempiternus, so daß
55
hier der Gedanke der Ewigkeit mitspielte . Und bei dem 11 n. Chr. von
der Plebs der Narbonensier dem Numen des Augustus gestifteten Altar, wo
dies gleichfalls einer der vorgesehenen jährlichen Opfertermine war, lautete
%
die Begründung : qua die primum imperium orbis terrarum auspicatus est ;
der Tag wurde also mit der Verheißung der Weltherrschaft des Augustus
57
verbunden . Über die damalige Einholung der Auspicien ist sonst nichts
bekannt, doch wird mehrfach von einem besonderen Vorzeichen berichtet,
das sich bei einem anläßlich dieser Kommandoübernahme von Octavian
58
durchgeführten Opfer gezeigt haben soll . Im Bericht hierüber spricht
Plinius vom primo potestatis suae die, und tatsächlich hat Augustus von da
59
an bis an sein Lebensende kontinuierlich über ein imperium verfugt .

53. Inscr. ltd. XIII2 S. 279, Ζ. 15 f. : [XVII k. Mai. Eo die Caesar primum vicit. Suppli]catio Victor
Augustae bzw. [XVI k. Mai. Eo die Caesar primum imperator app]ellatus est. Supplicatio F
Imperi. Zu den Vorgängen s. oben Anm. 28.
54. Zu den Vorgängen s. K I E N A S T D., Augustus op. cit., 31 f.
55. Inscr. Ital. XIII 2 S. 279, Z. 9 : VII idus Ianuar(ias). [Eo die Caesar] primum fasces sumpsi
Supp<l>icatio Iovi Sempiterno] ; zum Tag und einer entsprechenden Eintragung in den Fasti
Praenestini s. auch ebd. S. 392. Als Epiklese des Iuppiter ist Sempiternus nur hier bezeugt;
vgl. K O C H C , «Roma aeterna», Gymnasium 59, 1952, 209 = ders., Religio. Studien zu Kult und
Glauben der Römer, Nürnberg, 1960, 173 = K L E I N R. (Hrsg.), Prinzipat und Freiheit, Wege der
Forschung 135, Darmstadt 1969, 64 Anm. 49. Allgemein zum römischen aeternitas-Gedanken
s. I N S T I N S K Y H.U., «Kaiser und Ewigkeit», Hermes 77, 1942, 313-355 = in: K L O F T H. (Hrsg.),
Ideologie und Herrschaft in der Antike, Wege der Forschung 528, Darmstadt, 1979, 416-472;
weitere Lit. bei A L F Ö L D Y G., Athenaeum 61, 1983, 372 = Anm. 23.
56. CIL XII4333 = ILS 112 = E-J, Nr. 100 Z. 23-28 : VII quoq(ue) idus Ianuar(ias), qua die primum
imperium orbis terrarum auspicatus est, thure vino supplicent et hostias singul(as) inmol
incolisque thus vinum ea diepraestent; zum Kult, vgl. K N E I S S L P., «Entstehung und Bedeutung
der Augustalität. Zur Inschrift der ara Narbonensis (CIL XII 4333) », Chiron 10, 1980, 291-326 ;
A L B E R T R., op. cit., 97 f.; zur Bedeutung des Numen Augusti auch P Ö T S C H E R W, «Numen und
numen Augusti», ANRWll 16, 1, Berlin - New York, 1978, 380 fF., zu den Supplicationen,
F R E Y B U R G E R G., ibid., II 16, 2,1435 f.
57. Zur Formulierung ist die an die Auspizien des Romulus geknüpfte Prophezeiung der Weltherrschaft
Verg. Aen. VI 781 fF. (en huius, nate, auspiciis illa incluta Roma/imperium terris, animos ae
Olympo...) zu vergleichen, zur Bezugnahme auf den orbis terrarum außerdem der Kommentar zum
Geburtstag des Augustus in derselben Inschrift: qua die eum saeculifélicitas orbi terrarum rectorem
edidit. Vgl. VOGT ]., Orbis. Ausgewählte Schriften zur Geschichte des Altertums, Freiburg - Bas
Wien, 1960,151-171 ; M O Y N I H A N R., « Geographical Mythology and Roman Imperial Ideology »,
W I N K E S R. (Hrsg.), The Age of Augustus. Conference held at Brown University Providence, Rhode
Island, 1982, Providence - Louvain-la-Neuve, 1985, 149-162; N I C O L E T C , L'Inventaire du Monde.
Géographie et politique aux origines de l'Empire romain, Paris, 1988, 41 ff. sowie unten Anm. 91
58. O B S E Q . 69 Caesari cum honores decreti essent et imperium adversus Antonium, immolanti d
exta apparuerunt; P L I N . Nat. XI 190 Divo Augusto Spoleti sacrificanti primo potestatis sua
sex victimarum iocinera replicata intrinsecus ab imafibrareperta sunt responsumque dup
intra annum imperium ; Dio XLVI 35, 4 ; vgl. auch S U E T . Aug. 95 (oben Anm. 48), der dasselbe
Vorzeichen auf den Consulatsantritt bezieht. Vgl. E N G E L S , op. cit., 685 RVW 349.
59. G i R A R D E T K. M., « Imperium maius : Politische und verfassungsrechdiche Aspekte. Versuch einer
Klärung», G I O V A N N I N I , Révolution, op. cit. (s. oben Anm. 48), 167-236 = G I R A R D E T , Rom, op. cit.
(s. oben Anm. 43), 461-521.

39
Die Annahme, der in der späteren Geschichtsschreibung dominierende
Ansatz des Beginns der Herrschaft des Augustus in das Jahr 43 v. Chr.
gehe schon auf seine Zeit zurück, findet in diesen Quellen zweifellos eine
Stütze. Freilich haben sie kaum etwas mit der Principatsideologie zu tun.
Denn während diese auf die zivile Stellung des Augustus zielte, implizie­
ren jene Quellen eine geradezu religiöse Überhöhung. Gleichwohl dürften
auch sie auf Vorstellungen des Augustus Bezug genommen haben, schon
deshalb, weil es sowohl bei dem neuen Monatsnamen als auch bei den
Opfern an einzelnen Gedenktagen ja letztlich darum ging, ihn in möglichst
anspruchsvoller Form zu ehren, und hierbei bezog man sich zweifellos
auch auf Erwartungen, die man dem Geehrten selber zuschrieb. So stellt
sich zwangsläufig die Frage, welchen Stellenwert die Vorgänge vom Beginn
seiner politischen Karriere eigentlich für ihn besaßen, und ob sie nicht
wenigstens in seinen Augen mit seiner Rolle als Princeps zu tun hatten, die
er ja als die eigentliche Grundlage seiner Herrschaft hinstellte. Tatsächlich
glaube ich, daß auch er selber schon seinen spektakulären Eintritt in die
Politik durchaus seinem Principat zurechnete. Ich möchte dies anhand
seiner Res gestae zeigen.
Zunächst zur Verwendung des Begriffs princeps. Bekanndich kann keine
Rede davon sein, daß Augustus dessen Anwendung auf sich selbst auf die
Zeit nach den Reformen der Jahre 28/27 beschränken würde. So heißt
es über die dreimalige Schließung des Ianus: [Ianum] Quirin[um... ter
meprinci\pe senat]us claudendum esse censui[t]; der erste der hier erwähn­
ten drei Senatsbeschlüsse aber erfolgte bereits am 11. Januar 29 v. Chr.,
so daß Augustus diesen Tag hier zweifelsfrei der Zeit seiner Stellung als
60
princeps zuordnet . Und eine weitere Stelle bezieht sich schon auf die
Zeit des Triumvirats. Im 30. Kapitel schreibt Augustus, als Einleitung
zu dem Bericht über die Eroberung Pannoniens durch seinen Stiefsohn
Tiberius: Pannoniorum gentes, qua[s d\nte meprincipempopuli Romani
exercitus nunquam adit... ; da aber er selber im Rahmen seiner illyrischen
Unternehmungen in den Jahren 35-33 v. Chr. bereits zu pannonischen
Völkerschaften vorgedrungen war, hat er auch diese Zeit hier offenbar sei­
61
nem Principat zugerechnet .
Wenn nun aber Augustus in den Res gestae schon seine Stellung in der
Mitte der 30er Jahre unter seine Rolle als princeps subsumiert, so zeigt
das unmißverständlich, daß der Begriff in seinen Augen nichts mit der

60. RgdA 13 ; zu den Schließungen unter Augustus s. S Y M E R., History in Ovid, Oxford, 1978, 170 f. ;
K I E N A S T D., Augustus op. cit., 222 f. ; zur Konsequenz im Hinblick auf die zeitliche Ausdehnung
der Rolle als princeps s. A N D E R S E N H.A., op. cit., 51 ; G U I Z Z I E, Principato, op. cit., 35.
61. RgdA 30; zur daraus resultierenden Einbeziehung der entsprechenden Jahre in den Principat
s. A N D E R S E N , op. cit., 51 ; S C H M I T T H E N N E R , « Octavians mil. Untern. » (zit. oben Anm. 20), 200,
Anm. 1 ; G U I Z Z I E, Principato op. cit., 37. W E B E R , op. cit., 211 und I N S T I N S K Y H.U., «Ante me
principem», Hermes 87, 1959, 380 f. (akzeptiert von W I C K E R T L., Neue Forschungen (zit. oben
Anm. 11), 26 ; vgl. auch die widersprüchliche Darstellung von W I C K E R T L . , RES. V. Princeps [civi­
tatis], 2070 f.) haben diese Konsequenz bestritten, doch ohne überzeugende Argumente.

40
A N N O S U N D E V I G I N T I N A T U S . . . DIE RÜCKFÜHRUNG VON AUGUSTUS'PRINCIPAT...

62
Alleinherrschaft oder gar der ,Principatsverfassung zu tun hat ; vielmehr
geht er offensichtlich von einem früheren Beginn seines Principats aus. Wo
aber ist dieser Beginn dann anzusetzen ? Ich denke, es kommen allein die
Ereignisse in Frage, mit denen Octavians selbständige politische Karriere
einsetzt. In den Res gestae sind jedenfalls allein sie genügend hervorgeho­
ben, um einen solchen Anspruch zu rechtfertigen ; mit ihnen, genauer
mit der noch im Herbst 44 erfolgten Aufstellung eines Heeres, setzt der
Tatenbericht wie mit einem Paukenschlag ein, während die Vorgänge der
30er Jahre nur eher beiläufig an verschiedenen Stellen erwähnt werden.
Betrachten wir dieses erste Kapitel etwas genauer. Zunächst den ersten
Satz. Er lautet : Annos undeviginti natus exercitum privato Consilio et privata
impensa comparavi, per quem rempublicam a dominationefactionis oppressam
60
in libertatem vindicavi .
Der Vorgang, der sich hinter diesem Satz verbirgt - das eigenmächtige
Anwerben von Soldaten für eine gegen den rechtmäßigen Consul
64
M. Antonius gerichtete Privatarmee im Spätherbst 44 v. Chr. - war alles
andere als gesetzlich. Aber indem er als Befreiungstat für den Staat hinges­
65
tellt wird, erscheint er als positive Leistung , wobei die Hinweise auf das

62. Daß er auch von anderen schon vor 27 v. Chr. als princeps angesprochen wurde, zeigt Hör.
carm. I 2, 50 (verfaßt wohl 29/28 v. Chr.) hic ames dici pater atque princeps. V E L L . II 81, 1
bezeichnet Augustus im Zusammenhang mit Ereignissen des Jahres 36 v. Chr. als princeps ;
s. S C H M I T T H E N N E R W. (zit. oben Anm. 20), p. 200 Anm. 1 ; T I M P E D., Untersuchungen zur
Kontinuität desfrühenPrinzipats, Wiesbaden 1962, 21 f.; K I E N A S T D., Augustus op. cit., 205 f.
Anm. 10 ( S C H W I N D , Th. L. L. s. v. princeps, col. 1283,64 wird die Stelle hingegen als Verwendung
per άναχρονισμόν betrachtet). Vgl. auch S I O N - J E N K I S , op. cit., 28 zur Verwendung des Begriffs
princeps bei Florus.
63. RgdA 1 ; vgl. W E B E R , op. cit., 136 ff.; 134* ff.; S K A R D E., «ZU Monumentum Ancyranum < 1 >»,
5031,1955,119-121 ; B R A U N E R T H., «Zum Eingangssatz der res gestae Divi Augusti», Chiron 4,
1974,343-358 = ders., Politik, Recht und Gesehschaftin der griechisch-römischer Antike. Gesamm
Aufsätze und Reden, Stuttgart, 1980, 238-254; E H R H A R D T C , «TWO quotations by Augustus
Caesar», LCM11, 8, 1986, 132 f. ; G A L I N S K Y K„ Augustan Culture. An Interpretive Introduction,
Princeton 1996,42 ff. ; L E H M A N N G A , « Der Beginn der Res gestae des Augustus und das politische
exemplum des Cn. Pompeius Magnus», ZPE148, 2004, 151-162; weitere Lit. bei MATIJEVICÎ Κ.,
Marcus Antonius. Consul-Proconsul-Staatsfeind. Die Politik der Jahre 44 und 43 v. Chr.,
Westf., 2006,189 f. Anm. 293.
64. Vgl. W A L S E R G . , «Der Kaiser als Vindex Libertatis», Historia 4, 1955, 353-367:357 ff.;
B O T E R M A N N H., op. cit. ; A L F Ö L D I Α., Oktavians Aufstieg zur Macht, Bonn 1976, p. 105-116;
B E L L E N , «Cicero» (zit. oben anm. 23), 163-168 (= 49-53) ; G A L I N S K Y K., Augustan Culture, op.
cit., 43 f. ; W o Y T E K , op. cit., 345 ff.
65. Zum hier zugrundeliegenden Konzept des Vindex Libertatis vgl. Weber, op. cit., 137* ff. Anm.
557 ; W I C K E R T , RES. V. Princeps, 2080 ff. ; WULSER, op. cit. ; S T Y L O W A.U., Liberias undLiberalitas.
Untersuchungen zur innenpolitischen Propaganda der Römer, Diss. München 1970, Münche
1972, p. 28 ff.; S C H E E R R., « Vindex Libertatis», Gymnasium 78, 1971, 182-188; W E L W E I K.W.,
« Augustus als vindex libertatis. Freiheitsideologie und Propaganda im frühen Prinzipat», AU
16, 3, 1973, 29-41 = ders., Res publica und Imperium. Kleine Schriften zur römischen Geschich
Stuttgart, 2004, 217-229; M A N N S P E R G E R D., «Apollon gegen Dionysos. Numismatische
Beitrage zu Octavians Rolle als Vindex Libertatis», Gymnasium 80, 1973, 381-404 ; R A M A G E E.S.,
The Nature and Purpose of Augustus Res Gestae, Stuttgart, 1987, 66 ff. ; G A L I N S K Y K., August
Culture, op. dt., 52-57 ; K I E N A S T Ό., Augustus, op. cit., 90 ff. ; R I C H & W I L L I A M S , «Aureus» (zit. oben
Anm. 3), 183 ff. ; SPANNAGEL, op. cit., 338 Anm. 541 f.

41
66 67
jugendliche Lebensalter und die Eigeninitiative die Besonderheit dieser
Leistung noch zusätzlich unterstreichen. Bekanntlich war diese Sicht der
Dinge von Cicero vorgegeben, der den jungen Caesar bereits in den höch­
68
sten Tönen als Befreier des Staates gepriesen hatte . Die Formulierung
der Res gestae knüpft unmittelbar an diese Vorgaben Ciceros an. In der
3. Philippica heißt es etwa : qua peste - gemeint ist die Bedrohung durch den
69
Consul M . Antonius - privato Consilio rem publicam... Caesar liberavit ;
auch sonst finden sich in den orationes Philippicae mehrfach Hinweise auf
Octavians privaten Entschluß, auf den Einsatz seines privaten Erbes und
70
auf die Freiheit des Staates als Ziel seines Handelns . Dabei hat Cicero
es zwar vermieden, den jungen Mann explizit als princeps im Sinne einer
herausragenden Persönlichkeit zu bezeichnen, doch hat er das Wort in
anderen Bedeutungen gleichwohl mehrfach auf ihn angewendet, wenn es
in der V. Philippica einerseits heißt, daß der Senat am 20. Dezember bei
den Ehrungen und Belohnungen derjenigen, die sich um den Staat verdient
gemacht hätten, an erster Stelle - principem - den jungen Caesar genannt
hätte, andererseits, daß dieser persönlich die Einberufung eines Heeres und
die Aufstellung von Schutztruppen veranlaßt hätte - ipse princeps exercitus
11
faciendi etpraesidi comparandi fuit . Es liegt nahe, hierin eine bewußte
71
Anspielung auf eine Stellung als princeps zu sehen . Ganz ähnlich war
Cicero auch in de re publica verfahren, der Schrift, in der er die wichtigsten
73
theoretischen Grundlagen fur den Principatsgedanken gelegt hatte ; dort
hatte er, nachdem er die Befreiungstat des L. Iunius Brutus, des Begründers

66. Zu der - nach traditionellem römischem Verständnis eigentlich ein selbständiges politisches
Agieren verbietenden - Jugend s. Cic. Phil. III 3 ; V 43 fF. ; Dio LUI 5,2 ; LVI36, 5 ; V E L L . II 61,
3 (unten Anm. 83 f.) ; vgl. W E B E R , op. cit., p. 135* Anm. 549a; G A L I N S K Y K., Augustan Culture,
op. cit., 48 f.; R A T T I , Les empereurs romains op. cit., 175 f.; H E L L E G O U A R C ' H J., op. cit., p. 194
Anm. 7 zu S. 84 (zu difFerierenden Angaben zum Alter Octavians) ; S P A N N A G E L , op. dt., p. 136
Anm. 297.
67. Zur Formel privato Consilio s. W E B E R , op. dt., 135* Anm. 550 ; M A G D E L A I N Α., Auctoritas Principis,
Paris, 1947, 22 f.; B É R A N G E R J . , «L'accession d'Auguste et l'Idéologie du Privatus», Palaeologia
7, 1958, 1-11 = ders., Principatus. Études de notions et d'histoire politiques dans l'Antiquité gréc
romaine, Genève, 1973, 243-258; deutsch in: K L O F T , Ideologie (zit. oben Anm. 55), 315-335;
G A L I N S K Y K . , op. cit., 49 fF.
68. W\LSER G., op. cit., 355-357 ; S C H Ä F E R M., « Cicero und der Prinzipat des Augustus », Gymnasium
64, 1957, 310-335, bes. 322-324; W I R S Z U B S K I Ch., Liberias ah politische Idee im Rom der spä­
ter Republik und des früher Prinzipats, Darmstadt, 1967, 124 fF. ; B E L L E N , «Cicero» (zit. oben
Anm. 23) ; R A M A G E , Nature, op. cit., 66 fF. ; G O T T E R , op. cit., 275 f.
69. Cic. Phil. III 5.
70. Cic. Phil. III 3. 14; IV 2.4; V 3. 43 fF.; VII 10; X 23; XI 20. Vgl. O R T M A N N U . , Cicero,
Brutus und Octavian - Republikaner und Caesarianer. Ihr gegenseitiges Verhältnis im Krise
44143 v. Chr., Bonn, 1988, 167 fF.; 200 fF.
71. Cic. Phil. V 28. 44. Vgl. auch Cic. Phil XIV 20, wo Cicero über sich selbst sagt: Memoria tenent
me ante diem XIII. Kalendas Ianuarias principem revocandae libertatis fuisse.
72. M A G D E L A I N Α., Auctoritas Principis, Paris, 1947, 38 und G U I Z Z I F., Principato op. cit., 35 mit
Anm. 74 verstehen die Stellen sogar im Sinne einer Anrede als princeps. Der Auffassung, wonach
es sich zumindest um eine Anspielung auf eine Rolle als princeps handelt, widerspricht auch nicht,
daß Cicero sonst vorwiegend sich selber in der Rolle des princeps civitatis gesehen hat (s. etwa Cic.
Phil. VII 20; XIV 18-20) ; vgl. M A R T I N P.M., «Cicéron Princeps», Latomus 39, 1980, 850-878.
73. Zur Diskussion hierüber s. S C H Ä F E R M., « Cicero », 320 fF. ; S C H M I D T PL., « Cicero "De re publica" :
Die Forschung der letzten fünf Dezennien», in ANRWl 4, Berlin - New York, 1973 262-333, bes.
323-332 ; Drexler, « Principes - princeps » (zit oben Anm. 55), 315-335, bes. 107 fF. ; B O N N E F O N D -
C O U D R Y M., Le Sénat de k République romaine, Rome, 1989, 696 fF.

42
A N N O S U N D E V I G I N T I N A T U S . . . DIE RÜCKFÜHRUNG VON AUGUSTUS'PRINCIPAT...

der römischen Republik, als Leistung eines Privatmanns gepriesen hatte,


74
den folgenden Satz mit den Worten quo auctore et principe begonnen .
So galt nach H . Wagenvoort, der sich freilich vielfach eher auf die analoge
Verwendung bestimmter Motive als auf explizite Äußerungen stützt, bereits
für Cicero nicht nur dieser Brutus, sondern auch Octavian als princeps, und
auf eben dieses ciceronische Ideal hat sich Augustus ihm zufolge dann mit
75
dem Anfangssatz der Res gestae bezogen . Noch ein weiteres Beispiel ftir
eine solche mit dem Begriff des vindex libertatis verknüpfte ,Befreiungstat'
ist in unserem Zusammenhang bedeutsam. In der Schrift über Caesars
afrikanischen Krieg hält Cato dem jungen Cn. Pompeius, dem Sohn des
Magnus, das Beispiel seines Vaters vor Augen, der einst in demselben Alter
den bedrängten Staat gerettet hätte : istuc aetatis cum esset et animadvertis-
set rem publicam ab nefariis sceleratisque civibus oppressam... privatus atque
adulescentulus paterni exercitus reliquiis collectis paene oppressam Italiam
76
urbemque Romanam in libertatem vindicavit . Es ist kaum Zufall, daß die
Formulierung der Res gestae auch hieran anklingt - Pompeius galt als der
bedeutendste unter den principes der römischen Republik und wurde als
77
solcher auch von Augustus durchaus als Vorläufer betrachtet .
Doch zum pnnceps gehört nicht nur die Leistung, sondern ebenso deren
öffentliche Anerkennung, in der die auctoritas sichtbar zum Ausdruck
78
kommt . Ihr gelten die folgenden Sätze, in denen Augustus zunächst
den Senat, dann das Volk als Subjekt auftreten läßt. Vom Senat heißt es,
er hätte ihn, unter Bezugnahme auf die zuvor geschilderte Leistung, mit
Ehrendekreten in seinen Kreis aufgenommen, und zwar mit einem Sitz
in consularischem Rang, und ihm ein Imperium verliehen ; überdies hätte
er ihn beauftragt, als Propraetor zusammen mit den Consuln dafür zu
sorgen, daß der Staat keinen Schaden nehme. Das Volk aber hätte ihn
noch in demselben Jahr zunächst - nach dem Tod der beiden bisherigen

74. Cic. Rep. II 46 qui cum privatus esset, totam rem publicam sustinuit, primusque in hac civita
in conservanda civium liberiate esse privatum neminem, quo auctore et principe concitata
Vgl. auch Cic. Phil. III 11... a L. Bruto, principe huius maxime conservanti generis et nomini
Cic. Brut. 53 L. Bruto Uli, nobilitatis vestrae principi. Nach " W A G E N V O O R T , « Princeps » (zit.
oben Anm. 11), 328 (= Studies, 61 f.) galt Brutus für Cicero als princeps', dagegen fehlt er in
der Liste republikanischer principes bei "WICKERT, RES. V. Princeps (civitatis), 2016, der derartige
Anspielungen grundsätzlich nicht berücksichtigt.
75. W A G E N V O O R T , «Princeps», 332 f. 341-345 (= Studies 66 f. 75-79)-, zustimmend zitiert von
V O L K M A N N H.,JAW279, 1942, 87, mit anschließender Einschränkung auch von B R A U N E R T ,
«Eingangssatz», 355 f. (= Politik, 250 f.).
76. Bell. Afr. 22, 2 ; im Anschluß daran ist (22, 3) von dem durch diese Taten erworbenen Ansehen
die Rede : Quibus ex rebus, sibi earn dignitatem quae estpergentes clarissima notissimaque
adukcentulusque atque eques Romanus triumphavit.
77. Vgl. SKARD E., «Mon. Anc. » (zit. oben Anm. 63) ; G A L I N S K Y K., Augustan Culture op. cit., 50 f. ;
SPANNAGEL, op. cit., 230; 329; 331 ; L E H M A N N G.A., «Der Beginn der Res gestae des Augustus
und das politische exemplum des Cn. Pompeius Magnus», ZPE148, 2004, 151-162; H U R L E T F.,
«Auguste et Pompée», Athenaeum 94, 2006, 467-485.
78. F L A I G E., Den Kaiser herausfordern. Die Usurpation im Römischen Reich, Frankfurt/M., 1992,
174 ff. spricht hier vom "Akzeptanz-System» ; vgl. H U R L E T F. «Une décennie de recherches sur
Auguste. Bilan historiographique (1996-2006) », Anabases 6, 2007, 187-218: 200 ff.

43
MARTIN SPANNAGEL

Amtsinhaber - zum Consul und schließlich zum triumvir rei publicae


79
constituendae gewählt .
Ich möchte hier wenigstens die zunächst genannten Ehrenbeschlüsse
näher betrachten. Sie gehen im wesentlichen auf Anträge Ciceros zurück,
80
die dieser am 1. Januar 43 gestellt hatte . Er hat dort für Octavian nicht
nur das propraetorische imperium beantragt, mit dem der Senat die eigen­
mächtig okkupierte Rolle als Heerführer nachträglich sanktionierte, son­
dern auch einen Senatssitz im Rang eines Praetoriers sowie das Recht, sich
81
um ein Amt zu bewerben, als sei er im Jahr zuvor Quaestor gewesen . Die
letzgenannten Anträge wurden durch Zusatzanträge Anderer sogar noch
überboten ; so wurde aus dem Senatssitz in praetorischem ein solcher in
consularischem Rang, was beim damaligen Fehlen der Censur die höchste
Rangklasse war, und das Recht zu vorzeitiger Bewerbung um ein Amt
82
wurde weiter ausgedehnt ; überdies wurde Octavian mit einer vergol­
83
deten Reiterstatue an den Rostra geehrt . Daß all das höchste Ehrungen
84
- summt honores - waren, hat schon Cicero ausdrücklich gesagt . Die
Kooptation in den Senat war sogar etwas völlig Neues, die verfassungsmäßi­
gen Kompetenzen dieses Gremiums eigentlich Überschreitendes; nach den
bisher gültigen Regeln konnte man nur dadurch in den Senat gelangen,
85
daß man vom Volk in ein entsprechendes Amt gewählt wurde . So konnte
diese Ehrung den Anspruch, auch damals schon zum Kreis der principes
gehört zu haben, zweifellos unterstreichen. Aufschlußreich ist in diesem
Zusammenhang eine der Übersetzungen des - in diesem Fall adjektivisch
und im Plural gebrauchten - Wortes princeps in der griechischen Version
der Res gestae: die principes viri, die zusammen mit einem Teil der Praetoren
und Volkstribunen und einem der Consuln dem Augustus 19 ν. Chr. nach
Campanien entgegengesandt wurden, heißen hier οι τάς μεγίστας αρχάς

79. RgdA 1 Eo [nomi]ne senatus decretis honorij[i]cis in ordinem suum m[e adlegit C. Pansa et
consulibus con[sula]rem locum s[ententiae dicendae tribuens eti]mperium mihi dedit. Res
quid detrimenti caperei], me pro praetore simulcum consulibus pro[videre iussit. P\opulus a
anno me consulem, cum [cos. uterqu]e in bel[lo cect\disset, ettriumvirum rei publicae co
creavit]. - Auch Dio LVI 36, 5 (in der Leichenrede des Tiberius auf Augustus; vgl. unten
Anm. 93), wird die (hier generell dem angesprochenen Volk zugeschriebene) Verleihung von
Ämtern mit dem Dank für die Rettung des Staates begründet.
80. Vgl. B E L L E N H., «Cicero» (zit. oben Anm. 23), 163-173 (= 53-57) ; M A T I J E V I C , op. cit., 297 ff.
81. Cic.PM.V45f.
82. Lrv. Per. CXVIII.
83. Cic. Ad Brut. I, 15 (= 23 Sjögren; 16 Kasten), 7; V E L L . II 61, 3; A P P . Civ. III 51, 209; Dio
XLVI 29, 2. Vgl. M A N N S P E R G E R D., «Annos undeviginti natus. Das Münzsymbol für Octavians
Eintritt in die Politik», Praestant Interna. Festschrift fur U. Hausmann, Tübingen, 1982, p. 331-
337; B E R G E M A N N J., Römische Reiterstatuen. Ehrendenkmäler im öffentlichen Bereich, Mainz,
1990, 34; 161-163 Kat. L 25; zur Inschrift s. auch A L F Ö L D Y Α., « Augustus und die Inschriften:
Tradition und Innovation. Die Geburt der imperialen Epigraphik», Gymnasium 98, 1991,
307 f., wonach Augustus sie im Eingangssatz der Res gestae zitiert.
84. Cic. Phil. V 49. In hoc spes libertatis posita est; ab hoc accepta iam salus; huic summt ho
exquiruntur etparati sunt; vgl. auch IV 2.... maximis senatus hudibus ornatus est sowie V E L L . II
3 zur erwähnten Reiterstatue : Eum senatus honoratum equestri statua, quae hodieque in rostri
aetatem eius scriptum indicai, qui honor non alii per trecentos annos quam L. SulUte et Cn
etC. Caesari contigerat.
85. B L E I C H E N J., Lex Publica. Gesetz und Recht in der Römischen Republik, Berlin - New York, 1975
497 f.; id., Augustus. Eine Biographie, Berlin, 1998, 105.

44
A N N O S U N D E V I G I N T I N A T U S . . . DIE RÜCKFÜHRUNG VON AUGUSTUS'PRINCIPAT...

αρξαντες, sie werden also für die griechischen Leser als die ehemaligen
Inhaber der höchsten Ämter beschrieben, und genau unter solche, die
86
Consulares, wurde Octavian im Januar 43 eingereiht .
So denke ich, daß die Eingangssätze der Res gestae bezweckten, Augustus
von seiner ,Befreiungstat' vom Spätherbst 44 und den daran anknüpfen­
den Ehrungen vom Januar 43 an als princeps erscheinen zu lassen. Die Res
gestae insgesamt wären dann nichts als eine Schilderung seines Principats.
Freilich war der ,Principal der Bürgerkriegszeit, wo Octavian noch
verschiedene Konkurrenten neben sich hatte, etwas anderes als der des
faktischen Alleinherrschers Augustus. Doch die Mehrdeutigkeit des Begriffs
princeps, der sowohl einen alle anderen überragenden Einzelnen wie ein
Glied einer ganzen Gruppe herausragender Persönlichkeiten bezeich­
87
nen konnte , erlaubte es, diesen Gegensatz zu überspielen. So konnte
die gesamte politische Karriere des Augustus von seinen revolutionären
Anfängen an unter seiner Rolle als princeps zusammengefaßt werden, ja
diese Rolle bot im Grunde die einzige Möglichkeit zu einer solchen die
Unterschiede der tatsächlichen Herrschaftsformen bewußt außer acht
lassenden Zusammenfassung, so daß die Vorstellung von einem frühen
Regierungsbeginn nicht von der Principatsidee zu trennen ist.
Dies ist zunächst von Bedeutung für die Beurteilung der oben zusam­
mengestellten Nachrichten zur Regierungsdauer. Denn auch wenn in
ihnen die spezifische Betrachtung als Principat kaum eine Rolle spielt, ist
es doch deutlich, daß diejenigen Quellen, die die Herrschaft des Augustus
43 oder gar schon 44 v. Chr. beginnen lassen, eher seiner Konzeption ent­
sprechen als die, welche den entscheidenden Wendepunkt beim Ende der
Bürgerkriege oder der anschließenden Verfassungsreform ansetzen. Diese
Vorgänge werden vielmehr mit dem Beginn der Monarchie in Verbindung
gebracht, einer Staatsform, die - im Gegensatz zum griechischen Osten,
wo man mit ihr vertraut war — im republikanisch bestimmten Rom weitge­
88
hend abgelehnt wurde . So kann auch die Unterteilung der insgesamt 56
in 12 + 44 Jahre kein genuin augusteisches Konzept sein, und zwar nicht
nur deshalb, weil hier der monarchische Charakter der zweiten Phase der
89
Ideologie der res publica restituta widerspricht . Vielmehr paßt auch die

86. RgdA 12. - Eine ähnlich aufschlußreiche Umschreibung findet sich in der griechischen Übersetzung
von RgdA 7, wo \p]rinceps s[enatus...fai]durchπρώτον αξιώματος τόπον εσχον της συνκλήτου
wiedergegeben wird; hier wird anstelle der titularen Rangbezeichnung, die selbstverständlich auch
den Anspruch auf eine allgemeine Stellung als princeps implizierte (s. S P A N N A G E L , op. cit., 342), das
in der Stellung enthaltene Ansehen betont (zu αξίωμα vgl. RgdA 34, 3, wo es für das lateinische
auctoritas steht).
87. Vgl. D R E X L E R , «Principes - princeps» (zit. oben Anm. 11) ; S P A N N A G E L , op. cit., p. 328 mit Anm.
453.
88. Vgl. M A R T I N P. M., L'idée de royauté à Rome, II. Haine de la royauté et séductions monarchique
Clermont-Ferrand, 1994; S P A N N A G E L , op. cit., 284 mit Anm. 174.
89. Zum Konzept der restitutio reipublicae s. C A S T R I T I U S H . , Der römische Prinzipat ab Republik,
Husum, 1982; M A C K I E N.K., «Respublica restituta: A Roman Myth», in D E R O U X , Studies W
(zit. oben Anm. 3), 302-340 ; R I C H & W I L L I A M S «Aureus» (zit. oben Anm. 3), 204 ff. ; S P A N N A G E L ,
op. cit., 328 Anm. 454; B R I N G M A N N K, « Von der res publica amissa zur res publica restituta. Z
zwei Schlagworten aus der Zeit zwischen Republik und Monarchie», in : S P I E L V O G E L (Hrsg.), Res

45
MARTIN SPANNAGEL

Einbeziehung des Triumvirats, dessen Eckdaten bei der Abgrenzung der


90
12 Jahre gemeinsamer Herrschaft ohnehin keine Rolle spielen , nicht zur
Principatsideologie, bei der es - im Gegensatz zur Betonung der Collegialität
in der Bezeichnung Illvir- gerade auf die Einzigartigkeit des einen princeps
ankam. So handelt es sich bei dieser Unterteilung allem Anschein nach
nur um einen sekundären Versuch, die vom Principatsgedanken abgeleitete
Vorstellung einer 56jährigen Regierungszeit mit der einer durch den Sieg
im Bürgerkrieg entstandenen Monarchie zu vereinbaren.
Doch nicht nur die späteren Vorstellungen vom zeitlichen Umfang
der Herrschaft des Augustus werden leichter verständlich, wenn man
sie vor dem Hintergrund der Principatskonzeption der Res gestae
betrachtet, sondern auch die diversen Bezugnahmen auf Vorgänge des
Jahres 43 v. Chr. in der religiös eingekleideten Herrscherverehrung bereits
91
der späteren augusteischen Zeit . Zumindest zwei der hier berücksich­
tigten Vorgänge, die Verleihung des Imperium und die Wahl zum Consul,
kommen auch im Eingangskapitel des Tatenberichts vor, als Zeugnisse
für die Würdigung von Augustus' Leistung durch Senat und Volk. Im
Zusammenhang mit der kultischen Verehrung wurden diese Vorgänge
freilich in einer Weise überhöht, die der bürgerlichen Attitüde der
Principatsideologie widerspricht, doch dies erklärt sich aus den anders­
artigen Intentionen. Daß man aber überhaupt die Jahrestage gerade die­
ser Ereignisse feierte, dürfte durchaus mit deren Bedeutung innerhalb der
Principatsideologie zu tun haben.
Dies setzt voraus, daß Augustus dieses bereits die Anfänge seiner poli­
tischen Laufbahn einbeziehende Konzept des Principats spätestens zu
Beginn des letzten Jahrzehnts vor der Zeitenwende entwickelt hat. Das für
uns grundlegende Zeugnis, die Res gestae, hat er - jedenfalls nach deren
Schlußsatz - dagegen erst in seinem letzten Lebensjahr abgefaßt ; zudem
92
hat er dafür gesorgt, daß es erst nach seinem Tod bekannt wurde . Und
fast genau in die Zeit dieser Veröffentlichung fällt eine gleichfalls von
den Vorgängen nach Caesars Tod ausgehende Schilderung der Laufbahn
des Augustus, nämlich die in der Fassung des Cassius Dio überlieferte,
bewußt auf sein öffentliches Leben beschränkte Leichenrede, die - als
Gegenstück zu der dem privat-familiären Bereich gewidmeten Rede, die
der jüngere Drusus von den alten Rostra aus vortrug - Tiberius von denen
93
des Divus-Iulius-Tempels aus gehalten hat . Doch ein weiterer Text bei

publica reperta. Zur Verfassung und Gesellschaft der römischen Republik und des frühen Pri
FestschriftfirJochen Bleicken zum 75. Geburtstag, Stuttgart, 2002, 113-123; T O D I S C O E . , «La r
publica restituta e i Fasti Praenestini, op. cit. », sowie weitere Aufsätze in den Akten des Kolloquium
Nantes, 2007.
90. S. oben Anm. 43.
91. A N D E R S E N H. A, ibid., p. 51 f. hat übrigens bereits die Notiz der ara Narbonensis zum 7. Januar
(s. oben Anm. 56) mit der Vorstellung einesfrühenPrincipatsbeginns in Verbindung gebracht,
diese jedoch primär den Initiatoren der dortigen Kultstiftung zugeschrieben.
92. RgdA 35 ; S U E T . Aug. 101, 4 ; Dio LVI 33,1 ; vgl. S P A N N A G E L , op. cit., 350.
93. Dio LVI 34,4 - 42, 1 ; S U E T . Aug. 100, 3. Vgl. K I E R D O R F W., Laudatio Funebris. Interpretationen
und Untersuchungen zur Entwicklung der römischen Leichenrede, Meisenheim am Glan, 1980, 7

46
A N N O S U N D E V I G I N T I N A T U S . . . DIE RÜCKFÜHRUNG VON AUGUSTUS'PRINCIPAT...

Cassius Dio, in dem als früheste Ereignisse, auf welche Bezug genommen
wird, wiederum jene Vorgänge von 44/43 v. Chr. erscheinen, findet sich
bereits in der Behandlung der Neuordnung des Staates im Januar 27 ; es
ist die Erklärung, mit der der junge Caesar den Verzicht auf seine umfas­
94
sende Vormachtstellung bekanntgab , wobei er Dio zufolge sein einstiges
Eingreifen als die - durch die Notlage des Staates veranlaßte - Übernahme
95
der Herrschaft dargestellt hat, die er nun niederzulegen gedächte . Und
schon in den Reden, die er 36 v. Chr. nach dem Sieg über Sex. Pompeius
vor Senat und Volk gehalten und anschließend publiziert hat, hat er laut
Appian seine Werke und seine Politik vom Beginn bis zur damaligen
96
Zeit aufgezählt ; auch hier dürfte also sein Vorgehen im Herbst 44 den
Ausgangspunkt gebildet haben, von dem er wohl damals schon seinen
Führungsanspruch abgeleitet hat. Wenn dies zutrifft, dann war selbst bei
der Entstehung des 'Principats' im Sinne von Mommsens « Römischem
Staatsrecht» die Vorstellung, daß der Schöpfer dieses neuen Systems schon
seit den Anfängen seiner Karriere die Rolle eines princeps erfüllte, längst
vorbereitet.

78; 113; 146 Nr. 26; 150; 154-158; G I U A Μ. Α., «Augusto nel libro 56 della storia romana
di Cassio Dione », Athenaeum 61, 1983, 439-456; K I E R D O R F W., «Funus und consecratio. Zu
Terminologie und Ablauf der römischen Kaiserapotheose», Chiron 16, 1986, 43-69: 56 f.;
SPANNAGEL, op. cit., 338; 351 Anm. 621 ; SWAN P. M., The Augustan Succession: An Historical
Commentary on Cassius Dio's Roman History, Books 55-56 (9 B.C. - A.D. 14), New York, 200
325-339.
94. Dio LUI 2,7 - 11, 1 ; zur Ausgestaltung durch Dio s. M I L L A R F., A Study of Cassius Dio, Oxford,
1964,101 ; R I C H J. W., Cassius Dio. The Augustan Settlement (Roman History 53-55.9), Warmins
1990, 136; ich sehe jedoch keinen zwingenden Grund, weshalb dieser Text nicht auf dem tat­
sächlichen Inhalt der damaligen Erklärung beruhen sollte. Auch in seiner Autobiographie dürfte
Augustus das Jahr 43 ausführlich behandelt haben ; vgl. D O B E S C H G., «Nikolaos von Damaskos
und die Selbstbiographie des Augustus », GBl, 1978, 91-174: 174 Anm. 256.
95. Dio LUI 5,1-3; zum Motiv der Notlage vgl. C i c Phil. XI20; APP. Civ. III 41, 169; Dio LV 9,
2. Der Triumvirat, der in der modernen Diskussion über Octavians rechtliche Stellung eine so
große Rolle spielt, bleibt in der Rede vom Januar 27 unerwähnt.
96. APP. Civ. V 130, 539; vgl. P A L M E R R. Ε. Α., «Octavians First Attempt to Restore the
Constitution (36 B.C.) », Athenaeum 56, 1978,_315-328: 319 f. 324 ; Y A V E T Z Z., « The Res Gestae
and Augustus' Public Image», F. M I L L A R - E. S E G A L (Hrsg.), Caesar Augustus. Seven Aspects,
Oxford, 1984, 5; S U M I G.S., Ceremony and Power, op. cit., 205 f. (der vermutet, der Bericht
habe mit der Einrichtung des Triumvirats begonnen) ; R I C H J., « Octavian and the Thunderbolt :
the Temple of Apollo Palatinus and Roman Traditions of Temple Building», CQ 56, 2006,
149-168: 150-152; A S S E N M A K E R P., «CAESAR DIVI F et IMP CAESAR. De la difficulté de
dater des émissions monétaires», M O C H A R T E Gh. et al. (Hrsg.), Liber amicorum Tony Hackens,
Louvain-la-Neuve, 2007, 166. - Möglicherweise ist die Reiterfigur auf einem zwischen 36
2
und 27 v. Chr. geprägten Aureus der CAESAR DIVI F-Serie (RIC I 262) auf die 43 v. Chr.
gestiftete Reiterstatue Octavians (s. oben Anm. 83) zu beziehen, doch ist dies umstritten;
vgl. M A N N S P E R G E R D., «Annos undeviginti natus», art. cit., 331-337; B E R G E M A N N J., Römische
Reiterstatuen, op. cit., 161 f. 171 Kat. M26Taf. 90f; A S S E N M A K E R P., art. cit., 175 f.

47
In What Capacity Did Caesar Octavianus
Restitute the Republic ?

Frederik J. VERVAET

Introduction

As disclosed by its title, this paper aims at establishing precisely in what


official capacity Caesar s adopted son and political heir staged the momen­
tous transition from the age of civil discord to the Augustan order that
marked the years 31-27 BCE. This question has again been catapulted to
the forefront ever since John Rich and Jonathan Williams, in their excel­
lent publication of an in every respect magnificent aureus from 28 \ have
conclusively demonstrated that Augustus' statement in Res Gestae 34.1 that
his transfer of the Res Publica took place in his sixth and seventh consulship
2
should be taken at face value . As Rich and Williams rightly point out, this
aureus indeed confirms Tacitus' statement in Ann. I l l , 28, If. that in his
sixth consulship, Caesar Augustus... deditque iura quis pace et principe ute-
remur, whereas Dio Cassius (LIU, 3-10) misrepresents as a single act what
3
was in fact a staged process extending over 28 and part of 27 . Since espe­
cially from his triumphant return from Egypt in 29 up to the momentous
settlements of January 27, Imperator Caesar Diuifilius laid the foundations
of a new order that would last for almost three centuries, the question in
what official capacity he did so indeed acquires tremendous importance.
Before, however, tackling this key issue two preliminary questions require
brief discussion, viz. the official terminal date of the Second Triumvirate
and, next, the precise nature of the official tempora of the extraordinary
magistracies of the Roman Republic.

1. R I C H J.W. & W I L L I A M S J.H.C., « Leges et Ivra RR Restitvit: A New Aureus of Octavian and the
Settlement of 28-27 BC», NC 159, 1999, p. 169-213.
2. In consulate sexto et septimo, pfojstquam bfellaj ciuilia extinxeram, per consensum uniuers
rerufm omjnium, rem publicam ex mea potestate in senates populique Rom[ani] arbitrium
3. R I C H & WILLIAMS, op. cit., p. 197, 201 & 212

49
FREDERIK J. VERVAET

The terminal date of the Second Triumvirate

Depending on different valuations of the relevant evidence from the


sources, the vast majority of scholars argue for either 31 December 33 or
4
31 December 32 BCE as the official end date of the Second Triumvirate .
Two powerful factors have caused this discussion to turn into a seemingly
endless debate, if not a complete stalemate. First, there is the disparate
nature (and often poor quality) of the extant source material. Second, none
other than Caesar Augustus himself famously claimed in his Res Gestae
(7, 1) that he "was Triumvir for the Constitution of the Republic for ten
consecutive years": Tri[umu]i[rum rei pujblicae c[on]s[ti]tuendae fui per
continuos an [nos] decern. Nonetheless, there are strong indications that the
second triumviral quenquennium did indeed end on 31 December 32, and
not precisely one year earlier.
In November of the fateful year 43, M . Aemilius Lepidus {cos. 46),
M . Antonius {cos. 44) and Caesar Octavianus {suffi 43) made the tribune
P. Titius propose and vote a plebiscitum Titium that invested them with the
unprecedented magistracy of triumuir reipublicae constituendae, for five
5
consecutive years and with greatly enhanced consular imperium . Since
the Fasti Colotiani record Lepidus, Antonius and Imp. Caesar as Hluir(i)
r(ei) p(ublicae) c(onstituendae) ex a(nte) d(iem) Vk. Dec. adpr(idie) k. Ian.
6
sext(as), i.e. from 27 November 43 up to and including 31 December 38 ,
it is clear that the three ringleaders of the Caesarian party assumed their
1
new and nigh omnipotent office on the site . Although their first quin­
quennium thus lapsed on 1 January 37, circumstances caused the triumvirs
to regularize their position only at some point towards the end of that
year. In XLVIII, 54, 6, at the very end of his summary of 37, Dio indeed
records that, among other arrangements, Octavianus and Marcus Antonius
"granted themselves the leadership for another five years, since the first
period had elapsed" :έαυτοιςδε τηνήγεμονίαν ες αλλα ετηπέντε, επειδή

4. For a summary of this seemingly endless debate, see, e.g., R E I N H O L D M., From Republic to Principate.
An Historical Commentary on Cassius Dios Roman History Books 49-52 (36-29B. C), Atlanta,
p. 224f. and, esp., G I R A R D E T K.M., « Der Rechtsstatus Oktavians im Jahre 32 V. Chr. », RhMlòò,
1990, p. 324 n. 2 & 4 and 325 n. 6 & 7.
5. A P P I A N Be IV, 2 (καινην δέ αρχήνές διόρθωσιν των εμφυλίων νομοθετηθέναι Λεπίδω τε καί
Άντωνίφκαί Καίσαρι, ην επίπενταετές αυτούς αρχειν, ίσον ίσχύουσανύπάτοις) & 4,7 (ένομο-
θέτεικαινην άρχην επίκαταστάσει τωνπαρόντωνέςπενταετές είναι τριών ανδρών, Λεπΐδου
τεκαί Αντωνίουκαί Καίσαρος, ίσον ίσχύουσανύπάτοις) ; for the magistracy being in quinquen­
nium, see also A P P I A N 5CV,13, 15 & 43 ; D I O XLVI, 55, 3 & Lrw, Per., 120. In Diu. Aug. 26, 1,
S U E T O N I U S , too, hints at the unprecedented nature of this magistracy: Magistratus atque honores et
ante tempus etquosdam novi generis perpetuosque cepit.
6. On the basis of the Fasti Colotiani, M I L L A R F., «Triumvirate and Principate », JRS 63, 1973, p. 51 ;
B R I N G M A N N Kl., « Das zweite Triumvirat. Bemerkungen zu Mommsens Lehre von der ausser­
ordentlichen konstituierenden Gewalt», K N E I S S L P. & L O S E M A N N V. (dir.), Alte Geschichte und
Wissenschaftsgeschichte. Festschrift für Karl Christ zum 65. Geburtstag, Darmstadt, 1988, p.
B L E I C K E N J., Zwischen Republik und Prinzipat: zum Charakter des Zweiten Triumvirats, Göttin
1990, p. 14 & G I R A R D E T , op. cit., p. 329 righdy concluded that 31 December 38 was thefinalday
of thefirsttriumviral quinquennium.
2
7. D E G R A S S I , Inscr. It. 13.1, p. 273 f. (= CIL I p. 64).

50
IN WHAT CAPACITY DID CAESAR OCTAVIANUS RESTITUTE THE REPUBLIC?

8
τα πρότερα έξεληλύθει, επέτρεψαν . In BC V, 95, Appian, too, relates
that both dynasts renewed their triumvirate for five years, without having
recourse to the People, although he somewhat inaccurately suggests that
their first term "was about expiring" at this time :έπεί δε ό χρόνος αύτοις
έληγε της αρχής, ή τοις τρισίν έψήφιστο άνδράσιν, έτέραν έαυτοις
9
ωριζονπενταετΐαν, ουδέν ετι του δήμου δεηθέντες .
There are, however, several indications that strongly suggest that well
before the expiry of their first statutory quinquennium, Caesar Octavianus
and Marcus Antonius had already decided to stay in office beyond
December 38. Dios observation in XLVI, 55, 3 that the quinquennial
duration of the triumvirate was merely pretence, and that the triumvirs
really intended to stay in power permanently can probably be explained
10
as retrospective insight . In XLVIII, 36, 4f, however, Dio records that at
the pact of Puteoli in 39, Caesar Octavianus and Marcus Antonius conce­
ded that, among other things, Sextus Pompeius "should be chosen consul
and appointed augur... and should govern Sicily, Sardinia and Achaea for
n
five years " . This arrangement virtually proves that already at that time,
12
Caesars chief heirs had decided to cling to the triumvirate after 38 . It is
simply inconceivable that they should have abandoned their office at the
end of 38 whilst leaving their arch-rival in command of a most strategic
province with a formidablefleetand for the next five years.
The two leading triumvirs' decision to appoint the consuls-designate
for several years past 38 is equally revealing of their intent to retain their
plenipotentiary magistracies after the first quinquennium. In XLVIII, 35, 1,
Dio claims that yet before the compact of Puteoli, the triumvirs appointed

8. Although the use of the plusquamperfectum speaks for itself, Dios subsequent clarification (in
XLIX, 1,1) that "all this happened in the winter in which Lucius Gellius and Cocceius Nerva
became consuls" strongly suggests that the summit between Octavianus and Antonius took place
during the second half of 37. In XLIX, 23, If., Dio explicitly indicates that Antonius spent the
entire year 37 in reaching Italy and returning again to Syria. Therefore, B R O U G H T O N T.R.S., The
2
Magistrates of the Roman Republic, Vol. 2 (= MRR 2), Ann Arbor, 1968 , p. 396 wrongly claims
that the meeting at Tarentum took place in the spring of 37, obviously on the basis of A P P I A N ,
BCVy 93. Although Appian indeed writes that Antonius set sail for Italy at the beginning of the
spring of 37, the rest of his account clearly shows Octavianus deliberately caused a protracted delay,
among other reasons because his own warships had to be finishedfirst.Since both Dio (XLVIII,
54,7) and APPIAN (BC V, 95) tell us that Antonius hastened back to Syria after the meeting, and
Dio (XLIX, 23) explains that his return to Italy cost him the opportunity offered by a year of
dynastic struggles in Parthia, Antonius cannot have been back before late in 37, which further
suggests a meeting in the late summer or even autumn of that year.
9. GABBA E., "La datafinaledel secondo triumvirale", RFIC9S, 1970, p. 10 brands Appians use of
the aorist as "una gravissima inesattezza", since thefirstterm had come to an end on 31 December
38. In my opinion, Appian is simply being a bit confused as regards the precise chronology of the
first triumviral quinquennium.
10. Compare Dios similar comment (in XLVIII, 36, 6) on the fact that Octavianus and M. Antonius
granted Sextus Pompeius a quinquennial command in 39 : "They limited him to this period of
time because they wished it to appear that they also were holding a temporary and not a permanent
authority."
11. As praefectus classis et orae maritimae - contra B R O U G H T O N , MRR 2, p. 388 : "Probably Proconsu
of Sicily, Sardinia, and Corsica."
12. APPIAN suggests in BCV, 13 & esp. 15 that the triumvirs were planning on a second quinquenium
as early as 41, before the outbreak of the bellum Perusinum.

51
FREDERIK J. VERVAET

the consuls-designate for no less than eight consecutive years, viz. from 38
up to and including 31. The treaty of Puteoli must have involved a subs­
tantial adjustment of this settlement, since Dio subsequently indicates in
XLVIII, 36, 4f that Sextus Pompeius fetched in a number of magistracies
and priesthoods for his partisans and himself. Finally, in L, 10, 1, at the
very outset of his account of the decisive year 31, Dio calls to mind that
before Marcus Antonius deposition, it had been the original plan for him
and Octavianus to jointly hold this year s consulship, and explains that this
arrangement had been made "at the time when they settled the offices for
13
eight years at once, and this was the last year of the period " . In 5CV, 73,
however, Appian records that on the second day of the Puteoli summit,
άπέφηναν δέ της έπιούσης ύπατους ές τετραετές Άντώνιον μεν και
Λίβωνα πρώτους, αντικαθιστάντος δμα>£ Αντωνίου, δν αν βούλοιτο, ém
δ ^έκεινοις Καίσαρα τε καίΠομπήιον, είτα Άηνόβαρβον καιΣόσιον, ειτ'
αύθις Άντώνιον τε καί Καίσαρα, τρίτον δή τότε μέλλοντας ύπατεύσειν
καί έλπιζομένους τότε και άποδώσειν τφ δήμω πολιτείαν.
"they designated the consuls for the next four years, for the first year
Antonius and Libo, Antonius being privileged to substitute whomever he
liked in his own place ; next Caesar and Pompeius; next Ahenobarbus and
Sosius ; and,finally,Antonius and Caesar again ; and as they would then
be consuls the third time it was expected that they would then restore the
government to the people".
Apart from the apparent contradiction between both accounts, each ver­
sion is problematic in itself. Even though it is obvious that in 39, the trium­
virs were planning on a second quinquennium from 37 up to and including
33, Dio's assertion that they designated the consuls as far ahead as 31,
two years past the expiry of their second term, strains belief. The problem
with Appian is that according to his scheme, the consuls-designate for the
next four years were M . Antonius & L. Scribonius Libo (38), Octavianus
& Sextus Pompeius Magnus Pius (37), Cn. Domitius Ahenobarbus
& C. Sosius (36) and M . Antonius & Octavianus (35), whereas in reality,
the ordinary consulships of these years were held by Ap. Claudius Pulcher
& C. Norbanus Flaccus (38), M . Vipsanius Agrippa & L. Caninius Gallus
(37), L. Gellius Publicola & M . Cocceius Nerva (36) and Sex. Pompeius
& L. Cornificius (35). At any rate, the fact that the consulships of 37
were held by none other than Agrippa and L. Caninius Gallus strongly
suggests that the consulships of 38 and 37 had already been designated
before the pact of Puteoli. Since the first triumviral term would lapse on
January 1,37, Octavianus and M . Antonius had to make sure that the consuls
of that year would be loyal and trustworthy partisans, as an additional pre­
14
cautionary measure . Therefore, it is more likely that the short-lived agree­
ment of Puteoli settled the magistracies for the years 36 up to and including

13. Τότε οτεές τα οκτώέτη τας αρχάςέσάπαξπροκατεστήσαντο,καί τό γε τελευταιον εκείνοήν.


14. See VAL. MAX. IV, 2, 6 for the fact that Caninius Gallus married C. Antonius' daughter in spite of
the fact that he had previously secured his conviction as prosecutor.

52
IN WHAT CAPACITY DID CAESAR OCTAVIANUS RESTITUTE THE REPUBLIC?

33 and that Appian produces the original list of consuls-designate for these
years. This reconstruction perfectly accounts for Appians valuable notes
{BC V, 72) that Pompeius was granted the privilege to hold his consulship
in absentia, "through any friend he might choose", and that he "should
govern Sardinia, Sicily, and Corsica, and any other islands in his possession,
as long as Antonius and Caesar should hold sway over the other countries".
If we accept that the three peacemakers of Puteoli partitioned consulships
and provincial commands from 36 through 33, then everything makes
perfect sense indeed. The triumvirs were to add another quinquennium to
their tenure, beginning 1 January 37 and conveniently capped by the joint
third consulship of M . Antonius and Octavianus in 33. I f need be, M .
Antonius, who had ambitious plans of his own in the East, could appoint
a suffect consul at his own discretion in 36. Sextus Pompeius, finally, was
to hold his powerful naval command from January 38 till January 33, with
the right to hold the consulship of 35 in absentia. As Appian emphatically
indicates that the triumvirs were expected to abdicate their office during the
third consulship of Antonius and Octavianus, a solemn return to constitu­
tional normality in, perhaps, January of that year would indeed imply that
15
Pompeius had held his command as long as the triumvirs theirs . History,
however, decided otherwise, as the renewal of mortal struggle between
Octavianus and Sextus Pompeius from 38 and M . Antonius' cumbersome
military campaigns and preparations in the East meant that the treaty of
1<s
Puteoli and much of its planning was to remain dead letter .
Although most scholars now believe that the grant of 37 retroactively
renewed the triumvirate from 1 January of that year, which by definition
17
implies that the second term was to lapse on 1 January 32 , there is every
indication that the second quinquennium officially ran from 1 January 36.
First, Appian produces some unequivocal evidence in Ilfyr., 28, where he
records that,
Νουμηνίςι δ ' έτους άρξάμενος ύπατεύειν, και την αρχήν αυτής
ημέρας παραδους Αύτρωνίςρ Παίτφ, ευθύς έξέθορεν αύθις επί τους
Δαλμάτας, άρχων έτι τήν των τριών αρχήν* δύογαρ έλειπεν έτη τή
δευτέρα πενταετία τήσδε τής αρχής, ην επί τή πρότερα σφίσιν αύτοις
έψηφίσαντο καί ό δήμος έπεκεκυρώκει.
"Entering upon his new consulship on the Kalends of January, and deli­
vering the government to Autronius Paetus the same day, he started back
to Dalmatia at once, being still triumvir ; for two years remained of the

15. Contra, e.g., B R O U G H T O N , MRR 2, p. 388, 392, 397, 402 & 408, who systematically terms Sextus
Pompeius "Cos. Desig. 33", which indicates that he believes that Pompeius at Puteoli gained the
consulship of 33, i.e., the year after hisfive-yearcommand, and that A P P I A N in BC V, 73 produces
the names of the consuls of the last four years of the alleged eight-year arrangement of 39. Had
Sextus Pompeius really been appointed consul-designate for 33, thefirstyear after his quinquennial
command, his privilege to hold the consulship in absentia would have made no sense at all.
16. For brief outlines of the most important events of 38 and 37, see B R O U G H T O N , MRR 2, p. 390-392
&396.
17. For what is by now the standard view, see also B R O U G H T O N , MRR 2, p. 396 : "A second term of
five years, counting retroactivelyfromthe end of thefirston December 31, 38."

53
FREDERIK J. VERVAET

second five-year period which the triumvirs themselves had ordained and
the People confirmed."

Appian, who must have paraphrased this unusually precise piece of


chronological information from a well-informed Latin source, clearly
records that at the very outset of 33, two of the secondfive-yearterm
remained and that the triumvirs eventually did take the trouble to have
18
the Comitia legalize their edict, probably at the outset of 36 . As several
scholars have rightly concluded, this means that the second quinquennium
19
ran from January 1, 36 till 31 December 32 . Regardless of the revealing
fact that the relatively quiet year 37 was thus not covered by either of both
20
statutory terms , there is some more indirect yet powerful evidence that
further corroborates Appians clarification.
First, there are the notorious and much-debated Senate meetings of
January 32. During the Senates first meeting on 1 January 32, it was the
consul C. Sosius legendary attack on Octavianus that sparked off a series
of cataclysmic events that ended in the lasting establishment of monarchy
in Rome. In 50.3.5, Dio recounts that after a period of mature delibera­
tion, Octavianus returned to Rome to convene the Senate, took his (cus­
tomary) seat between the consuls upon his sella curulis and, surrounded by
21
his guard of soldiers, vehemendy accused Sosius and Antonius . Although
Octavianus' move is often branded an outright coup d'état, especially as
both consuls secretly fled Rome after Octavianus counterattack, there is
every indication that he acted perfectly within his authority as triumvir.
In BCV, 21, Appian attests that unlike the consuls, the triumvirs were
22
entitled to an armed guard by virtue of their office, δια την αρχήν .
More importantly, however, the right of being seated between the consuls
simply indicates their well-attested superiority over the consuls in the offi­
cial state hierarchy. And last, but not least, the fact that until Antonius

18. Among others, B R I N G M A N N , op. cit., p. 28 & G A B B A , op. cit., p. 10 rightly conclude that the tri­
umvirs* decision to extend their tenure by another quinquennium was ratified by the People. Con
U., « Sui limiti di durata delle magistrature romane », Studi in onore di Vincenzo Arangio- Ruiz
nelXLVanno del suo insegnamento, Napoli, 1953, p. 415 makes the rather implausible suggestion
that only Octavian, "volendo apparire più rispettoso dei limiti costituzionali", bothered to have
the People ratify his second term.
19. G A B B A , op. cit., p. 11, followed by, e.g., A N E L L O P., « Lafinedel secondo triumvirato »,Φιλίας
χάριν - Miscellanea di studi classici in onore di E. Mannt, I, Roma, 1980, p. 109ff. M O M M S E N
3
Th., Römisches Staatsrecht, Leipzig 1887 , p. 718 n. 1 & B L E I C H E N , op. cit., p. 14 n. 28 reject this
evidence from Appian.
20. The year 37 turned out to be a veritable interlude in many respects (comp. Dio XLXI, 23, 1). This
irregular situation not only confused modern scholars, since Appians potentially misleading state­
ment that thefirsttriumviral term was "expiring" (BCV, 95) at the time of the second five-year
grant is at odds with his unambiguous explanation in Illyr., 28 and wrongly creates the impression
that the first triumviral quinquennium ran from January 41 to January 36.
21. In L, 3,2, Dio records that Octavianus again convened the Senate after the departure of the consuls
of 32. See, e.g., G E L L . XIV, 7, 5 for the fact that, extraordinario iure, the triumuiri r.p.c causa had
the ius consulendi senatum.
22. As A P P I A N in BCIV, 7 indicates that Octavianus, Antonius and Lepidus in 43 entered Rome
with their respective praetorian cohorts and one legion each, it is clear that the lex Titia merely
sanctioned a privilege that they had already appropriated for themselves.

54
IN WHAT CAPACITY DID CAESAR OCTAVIANUS RESTITUTE THE REPUBLIC?

23
formal replacement by M . Valerius Messalla Corvinus early in 3 2 , he
and Octavianus were scheduled to jointly hold the consulship precisely in
31 makes perfect sense only if one takes Appian s note in Illyr., 28 at face
value. In the above, it has been argued that as part of the decision-making
at Puteoli, the consulships as well as other public offices were assigned
for the period 36-33. In XLVIII, 54, 6, Dio records that at Tarentum in
37, Octavianus and Antonius inevitably deprived Sextus Pompeius of his
augurate as well as of the consulship to which he had been appointed.
Since Dio proceeds to tell that this meeting also occasioned the postponed
extension of the triumvirate by another five years (cf. supra), it should not
be doubted that the triumvirs decided on a reshuffle of existing arrange­
ments concerning the years 36 (L. Gellius Publicola & M . Cocceius Nerva),
24
35 (Sex. Pompeius & L. Cornificius), 34 (M. Antonius & L. Scribonius
Libo) and 33 (Octavianus & L. Volcatius Tullus), completed with a series
of additional designations for 32 (Cn. Domitius Ahenobarbus & C. Sosius)
25
and, finally, 31 (M. Antonius & Octavianus) . A considerable change of
the political constellation simply required a comprehensive and expedient
new arrangement. As the second quinquennium was now bound to expire
on January 1,31, Antonius and Octavianus made sure that their long
planned joint consulship should conveniently close their second triumviral
26
term . This projected calendar must have fed the expectation that at long
last, they intended to abdicate their triumvirate and so restore the traditio­
nal political order either at the very end of 32, or, more probably, as consules
tertium on January 1,31.

The precise nature of the triumviral tempos

In 1953, the Italian historian Ugo Coli wrote a brilliant but sorely
ignored paper on the temporal limitation of Roman magistracies in which
he deepens and significandy improves the relevant views of Th. Mommsen.
It is this pioneering study that holds the true key to resolve the question
of Octavianus official position from January 31 to the historic settlement
27
of January 27 .
23. BROUGHTON, MRR 2, p. 4l9f.
24. To my thinking, Sextus Pompeius Magnus Pius* replacement by another Sextus Pompeius was a
deliberate choice that was meant both as a sarcastic insult to the former and a public hint that even
Pompeii were eligible for the hightest honours if loyal and obedient.
25. As APPIAN (BC V, 73) lists Antonius and Libo for 38 (= 36) ; Octavianus and Sextus Pompeius
for 37 (= 35) ; Ahenobarbus and Sosius for 36 (= 34) ; and Antonius and Octavianus for 35
(= 33), all but one of the designations of Puteoli were simply postponed by two years, whereas new
arrangements had to be made for 36 and 35.
26. Dios untenable claim that the triumvirs in 39 assigned the consulships for the next eight years
becomes perfecdy explicable if we assume that he lumps the multi-year designations of 39 and 37
together and mistakenly believes the original arrangement of 39 to include the years 38 and 37,
too.
27. «Sui limiti di durata delle magistrature romane», Studi in onore di Vincenzo Arangio-Ruiz nelXLV
anno del suo insegnamento, Napoli, 1953, p. 395-418. This fundamental paper being published
in a Festschrift rather than in a journal probably accounts for its unfortunate and undeserved
obscurity.

55
FREDERIK J. VERVAET

Coli first points out that, whereas the basic principles of the Republican
polity required all Roman magistracies be ad tempus, some were ad tern-
pus certum, with a well-defined duration, and others ad tempus incertum,
without a fixed term. Given the continuous indispensability of their func­
tions, the consulship and all other permanently recurring magistracies were
limited to one year. Those magistracies, however, that carried exceptional or
unusual responsibilities had inherent temporal limitations, since their raison
d'être ceased to exist from the moment their designated task was fulfilled.
The best know examples of the latter category are the dictatorship, its dif­
ferent causae defining its specific functions, and the censura. Although the
dictatura rei gerundae causa and the censorship were indeed limited to six
and eighteen months respectively, these tempora were meant as maximum
terms for the completion of the set task.
In correlation with this sharp distinction there also existed a fundamen­
tal difference as regards the cessano of both categories of magistracies. Once
their term expired, the magistratus annui lapsed automatically, ipso iure. If
they had not been granted the right to further exercise the potestas of the
magistracy concerned by virtue of explicit prorogation (again ad tempus
certum or incertum), their occupants irreversibly became private citizens.
This form of cessano was termed magistratu abire and was an involuntary
28
act . The magistracies ad tempus incertum, however, could not cease ipso
iure, since their occupants had to abdicate, i.e., to commit the act of uolun-
tate abire magistratu. On the one hand, it was indeed generally expected
that the magistrate concerned should lay down his office as soon as the task
to which he had been appointed was completed. From this very moment,
there no longer was any cause for the magistracy and staying in office
was considered a censurable abuse. On the other hand, these magistrates
nonetheless continued to hold office until formal and explicit abdication.
Against Th. Mommsen, Coli rightly insists that even the tempora of the
dictatura ret gerundae and the censura did not involve automatical termi­
nation, as formal abdication was still required to make these offices cease.
Coli explains that these tempora were purely comminatory, indicating the
29
absolute maximum term for completion of the set task , and continues to
argue that the same was true for the terms of all magistracies that were crea­
ted outside the regular order of the magistratus annui. For this quite diverse
category of magistracies with extraordinary or unusual commissions, like,

28. Contra L A N G E L . , who confounds both procedures, C O L I 404 rightly explains that "il giuramento
in leges e il discorso in contione erano formalità άάΥ abire magistrato, paragonabili alle formalità
dell'aia? magistratum; ma Y abire magistratu, ossia l'uscita dalla carica, poteva aver luogo automati­
camente, per l'arrivo della scadenzafissa,ο volontariamente, per abdicazione. L'abdicazione veniva
fatta dal magistrato che non era soggetto ο non era ancora soggetto a perdere la carica per effetto
della scadenza".
29. C O L I , op. cit., p. 406 : "Essi erano dei termini puramente comminatorii, entro i quali il dittatore
e i censori dovevano assolvere i rispettivi incarichi e abdicare, ma la carica cassava pur sempre con
l'abdicazione e non con lo spirare dei termini" ; comp, also p. 408 : "Il termine Massimo fissato
dalla legge alla durata di queste magistrature non aveva altro scopo se non d'impedire che i loro
titolari impiegassero troppo tempo a esaurire quelle incombenze."

56
IN WHAT CAPACITY DID CAESAR OCTAVIANUS RESTITUTE THE REPUBLIC?

e.g., the dictatorship and the magisterium equitum, the censura, the IHuiri
00
mensarii, the III/XXuiri agris dandis adsignandis or coloniae deducendae,
de Iluiri aedi dedicandaellocandae and the Iluiri classis ornandae reficien-
daeque, the procedure of abdicare se magistratu was, apart from, of course,
31
the occupants decease or abrogation, the only possible means to end .
It is, at any rate, most important to emphasize that under normal circums­
tances, continuatio of these magistracies was highly unlikely, regardless of
this remarkable common feature. First, there was the unwritten rule that
the occupant should abdicate his magistracy immediately upon execution
of his chief and only task. Secondly, the possible additional definition of
a maximum term of fulfillment necessarily implied the threat of criminal
prosecution in case of continuation past the terminus ante quern without
proper authorization or a generally accepted ratio publica.
Concerning the triumuiratus r.p.c, Coli correctly indicates that the very
fact that the triumvirs stayed in office past 31 December 38 shows that
that the triumviral quinquennium was a comminatory term. As regards the
second triumviral quinquennium, Coli points out that Marcus Antonius
considered himself triumvir until his death in 30, and cautiously suggests
that if Octavianus had not already abdicated at the end of 32, he did so
only in January 27. Therefore, Coli rightly concludes that,
"Comunque è positivo che nè il primo nè il secondo termine avevano
efficacia estintiva di pien diritto e che la magistratura triumvirale poteva
32
cessare solamente con l'abdicazione dei suoi titolari ."

In other words : the triumvirate could normally only end by virtue of


voluntary abdication, the occupant s decease or, of course, formal abroga­
tion, regardless of the statutory definition of two more or less subsequent
00
quinquennia .

30. COLI,op. cit., p. 4l2f., suggests that the constitutive lex Sempronia of 133 provided for the annual
election of IHuiri agris assignandis and that, until its annulment by the lex Thoria (dated by C O L I
to 118), this Gracchan magistracy thus lapsed ipso iure after the expiry of the annual term. In a
forthcoming article, C. J. D A R T , « The Impact of the Gracchan Land Commission and the Dandis
Power of the Triumvirs », Hermes 137, 2009 will demonstrate that, in perfect keeping with tradi­
tion, this land commission, too, was ad tempus incertum.
31. COLI, op. at., p. 397-412. Although C O L I (p. 41 If.) insists "che la distinzione fra magistrature
permanenti e non permanenti non coincide con la distinzione fra magistrature ordinarie ο straor­
dinarie", it is important to ascertain that all non-annual magistracies alike could only end by means
of formal abdication on the part of the occupant, and that the so-called extraordinary magistracies
always belonged to the category of the non-annual magistracies.
32. COLI, op. cit., p. 406 & 415. In case Octavianus had indeed abdicated the triumvirate in December
32, Coli suggests that he at any rate continued to wield the triumuiralispotestas until January 27.
COLI (op. cit., p. 413 & 415) righdy explains that whereas the triumvirate r.p.c. and Sullas dicta­
torship both belonged to the category of magistracies that could only cease to exist by virtue of
abdication, the latter office simply lacked afixed,comminatory term for completion of its specific
task. For a discussion of this and all other constitutional aspects of Sulla's unprecedented dictator­
ship, see VERVAET HJ., «The Lex Valeria and Sullas Empowerment as Dictator*, CCG 15, 2004,
p. 37-84.
33. For Lepidus' deposition, see, e.g., Dio XLLX, 12, 3f. & A P P I A N BC V, 126. For SPQR depriving
M. Antonius of all his official authority in 32, see Dio L, 4, 3. C O L I apparendy overlooks statutory
abrogation as an "external" means to terminate an extraordinary magistracy.

57
FREDERIK J. VERVAET

Only against the background of this correct assessment of precise nature


the triumviral tempus do both content and timing of L. Antonius' statement
in Appian BC V, 43 make perfect sense. In the winter of All AO, shortly
before surrendering to Octavianus, L. Antonius (Pietas) {cos. 41) bitterly
lamented his failure to persuade the triumvirs to revive the magistracies in
accordance with the patrius mos and to achieve this goal during his own
consulship. L. Antonius twice insists that from the very start, the restora­
tion of the ancestral Republic had always constituted the true motive for
his armed struggle against Octavianus. Regardless of the debatable question
of his sincerity, L. Antonius high-flown argument is so interesting for the
further purposes of this paper, too, that it is worthwhile to quote it in its
entirety :
Έγώ τονπρος σέ πόλεμον ήράμην, ούχ ίνα σε καθελών διαδέξω-
μαι την ήγεμονΐαν, άλλ' ίνα την άριστοκρατΐαν αναλάβω τή πατρίδι,
λελυμένην υπό της των τριών αρχής, ως ούδ^ αν αυτός άντείποις' και
γαρ δτε συνΐστασθε αυτήν, όμολογοΰντες είναι παράνομον, ως άνα-
γκαίαν και πρόσκαιρον έτΐθεσθε, Κασσΐου καιΒρούτου περιόντων
έτι και υμών έκείνοις ου δυναμένων συναλλαγήναι. αποθανόντων δέ
εκείνων, οι το τής στάσεως κεφάλαιον ήσαν, καί τών υπολοίπων ει
τινα λείψαντα εστίν, ου τη πολιτεία πολεμούντων, άλλα υμάς δεδιότων,
επί δέ τούτφ καί τής πενταετίας παριούσης, άνακυψαι τάς αρχάς επί
τά πάτρια ήξΐουν, ου προτιμών ουδέ τον άδελφον τής πατρίδος, άλλ'
έλπίζων μέν έπανελθόντα πείσειν έκόντα, έπειγόμενος δέ επί τής έμής
αρχήςγενέσθαι, και ει κατήρξας σύ, μόνος αν και τήν δόξαν είχες, έπεί
δέ δη σε ουκ έπειθον, φμην έλθών επί 'Ρώμηνκαι άναγκάσαι πολίτης
τε ων καίγνώριμος και ύπατος. Αι μέν αίτίαι, δι* ας έπολέμησα, αύται
μόναι,και οΰτεό αδελφός οΰτεΜάνιος οΰτεΦουλβία, οΰτεή κληρουχΐα
τών ενΦιλίπποις πεπολεμηκότων οΰτε έλεος τώνγεωργών τά κλήματα
αφαιρουμένων, έπεί κάγώ τοις του αδελφού τέλεσιν οίκιστάς έδωκα, οι
τά τών γεωργών αφαιρούμενοι τοις στρατευσαμένοις διένεμον. αλλά
με σύ τήνδε τήν διαβολήν αύτοίς διέβαλλες, τήν αιτίαν του πολέμου
μεταφέρων επί την κληρουχΐαν από σαυτού, και τφδε μάλιστα αυτούς
ελών εμού κεκράτηκας' άνεπείσθησαν γάρ πολεμεισθαί τε ύπ' εμού
καί άμύνεσθαί με άδικούντα. Τεχνάζειν μέν δή σε έδει πολεμούντα'
νικήσαντα δέ, εί μέν εχθρός εί τής πατρίδος, κάμε ήείσθαι πολέμιον,
α έδοξα συνοίσειν αύτη, βουληθέντα μέν, ού δυνηθέντα δέ διά λιμόν.
" I undertook this war against you, not in order to succeed to the lea­
dership by destroying you but to restore the Fatherland the aristocratic
government which had been subverted by the triumvirate, as not even
yourself will deny. For when you created the triumvirate you acknowledged
that it was not in accordance with customary practice, but you established
it as something necessary and temporary because Cassius and Brutus were
still alive and you could not be reconciled with them. When they, who had
been the head of the rebellion, were dead, and the remainder, if there were
any left, were bearing arms, not against the state, but because they feared
you, and moreover thefiveyears' term was running out, I demanded that
the magistracies should be revived in accordance with the patrius mos, not
even preferring my brother to my Fatherland, but hoping to persuade him
to assent upon his return and hastening to bring this about during my own

58
IN WHAT CAPACITY DID CAESAR OCTAVIANUS RESTITUTE THE REPUBLIC?

term of office. If you had begun this reform you alone would have reaped
the glory. Since I was not able to persuade you, I thought to march against
the City and to use force, being a citizen, a nobleman, and a consul. These
are the causes of the war I waged and these alone : not my brother, nor
Manius, nor Fulvia, nor the colonization of those who fought at Philippi,
nor pity for the cultivators who were deprived of their holdings, since
I myself appointed the leaders of colonies to my brothers legions who
deprived the cultivators of their possessions and divided them among the
soldiers. Yet you brought this charge against me before the soldiers, shifting
the cause of the war from yourself to the land distribution, and in this
way chiefly you drew them to your side and overcame me, for they were
persuaded that I was warring against them, and that they were defending
themselves against my wrong-doing. You certainly needed to use artifice
while you were waging war. Now that you have conquered, if you are the
enemy of the Fatherland you must consider me your enemy also, since I
wished what I thought was for her advantage, but was prevented by famine
34
from accomplishing it ."
L. Antonius explains that the destruction of Cassius and Brutus had
been the main cause for the creation of an unprecedented, plenipotenti­
ary magistracy and the temporary suspension of the traditional balance of
power. He next clarifies that after Philippi there was no further reason for
the triumvirate to exist, especially since what at first was an instrument for
restoring order in the Republic now became a source of fear and continued
armed strife. Therefore, Antonius claims, he as consul demanded the resti­
tution of consular supremacy and the traditional order, something which
could, of course, only be realized through the triumvirs formal abdication.
Antonius next insists that he had even hoped for his brother to return to
Rome and make this dream come true during his own consular tenure,
and blames Octavianus for not having induced this glorious return to nor­
malcy by abdicating first on his own initiative. As there were still almost
three years left of the (first) quinquennial tempus at the time of Lucius
capitulation address, this argument becomes perfectly clear only i f one
fully considers the specific nature of the triumviral tempus and that of all
non-annual magistracies alike, regardless of his note that the triumviral
term, too, continued to run out. I f the triumvirate and its term had had the
qualities and characteristics of, for example, the consulship and its tempus,
both the tenor and the timing of these words would be quite nonsensical
indeed.

January 31 to January 27 :
Caesar's discretely clouded continuano

Since almost all scholars believe the triumvirate to have lapsed on either
1 January 32 or 1 January 31, it should not come as a surprise that there
exists a great variety of divergent theories on Octavianus official position

34. APPIAN BCV, 43.

59
FREDERIK J. VERVAET

until the settlement of January 27. For the growing majority of historians
who believe the Second Triumvirate to have ended on 31 December 33,
the year 32 has caused additional headaches. Some scholars think that
Octavianus heavily relied on the consensus uniuersorum mentioned in
RG 34, 1, wrongly lumped together with the oath of 32 (RG 25, 2), to
35
wield discretionary and overriding powers . In a more elaborate attempt
to solve the problem, K.M. Girardet argues that Octavianus ceased to be
triumvir after 33 but continued command his vast prouincia (the Western
provinces plus the war against Egypt) by virtue of the so-called consukre
imperium militine, first pro consule in 32 and from 31 through his succes­
36
sive consulships . J.-M. Roddaz rightly objects, however, that - among
many other problems - this hypothesis requires its adherents to believe
that Octavianus did not cross the pomerium at all in 32 and necessitates a
rather desperate demonstration that all acts of this year in which he played
37
a prominent role actually took place outside the Urbs . J.-M. Roddaz
currently is the chief advocate of the hypothesis that Octavianus simply
continued to exercise his triumviral powers till the arrangements of 28
and 27. Although Roddaz, too, believes "La charge et le titre de trium­
<< ,,
vir" to have lapsed certainement on 31 December 33, he convincingly
demonstrates that both M . Antonius and Octavianus continued to wield
00
the triumuiralispotestas from 32, just like they had already done in 37,

35. Sec, for example, R I C H & W I L L I A M S , op. cit., p. 188 : "The triumvirate, belatedly renewed in 37,
expired at the end of 33. Octavian, however, continued to exercise extensive powers, and his defeat
of Antony in 31-30 made him sole ruler of the Roman world. From 31 he held the consulship
continuously, but his power did not rest on any formal basis. In the Res Gestae (34,1, cited below)
he claimed rather to have been in possession of supreme power by universal consent. This consent
had received symbolic expression in the oath sworn in 32 by the people of Italy and the western
provinces, demanding him as leader in the war which he won at Actium (RG 25, 2)"
36. G I R A R D E T , op. cit., p. 324ff. (comp, also I D . , "Die Entmachtung des Konsulates im Übergang von
der Republik zur Monarchie und die Rechtsgrundlagen des Augusteischen Prinzipats", G Ö R L E R W.
& K O S T E R S. [dir.], Pratum Saraviense, FestgabefirPeter Steinmetz, Stuttgart, 1990, p. 100-104
"Zur Diskussion um das imperium consulare militiae im 1. Jh. v. Chr.", CCG 3, 1992, p. 217);
for a more or less similar argument, see already B E N A R I O H„ "Octavians Status in 32 B.C.",
Chiron 5, 1975, p. 301-309. Girardet's argument is based on his erroneous view {op. cit.
"Entmachtung", p. 96f. ; accepted by R O D D A Z J.-M., "La Métamorphose : d'Octavien à Auguste",
Fondements et crises du pouvoir, Bordeaux, 2003, p. 403) that the consukre imperium of the tri
umvirs consisted of two distinct components, viz. the (consulare) imperium domi and the (consul-
are) imperium militiae. Inevitably, however, Girardet {op. cit. "Rechtsstatus", p. 347-350) has to
speculate that in 32, on the demand of tota Italia {Res Gestae 25, 2), Senate and People invested
Octavianus with "die prouincia 'Krieg gegen Kleopatra"', and that, "Ganz sicher sind ihm auch
noch - und wieder ohne daß man aus den Res gestae Einzelnes erführe - gewisse Privilegien zuer­
kannt worden, die seine Rechtsstellung angesichts der 'Bedrohung aus dem Osten wohl derjenigen
annäherten, die er bis 33 v. Chr. als IHuir innegehabt hatte", a situation that lasted until the mea­
sures of 28/27. For the view that after 33, the consulship was Octavianus' only public office, see
also M I L L A R F., "The First Revolution : Imperator Caesar, 36-28 BC", La revolution romaine après
Ronald Syme, bilans et perspectives, Fondation Hardt, Genève, 2000, p. 3 : "After the termination
of the Triumvirate, at the end of 33, as is now generally agreed, the only official element which
distinguished him was the successive consulates, current or prospective, of31, 30, 29, 28 and 27"
& p. 22 : in 32, "his only public position was as consul désignants for the third time for 31".
37. R O D D A Z , op.cit., p. 405f. Roddaz (p. 406) righdy observes that Dio L, 2,4 unambiguously shows
that Octavianus had been present in Rome (= intra urbem) at the outset of 32. Roddaz (406f.) also
demolishes the suggestion that from 31 to 27, Octavianus exclusively relied on the consulship as
his legal power base.
38. S E N E C A Dial. XI, 16, 1 : triumuiralispotestas.

60
IN WHAT CAPACITY DID CAESAR OCTAVIANUS RESTITUTE THE REPUBLIC?

before the grant of the second quinquennium. Therefore, Roddaz conclu­


des, "Le consulat qu'il exerça à partir de 31 ne se substitue donc pas à ses
pouvoirs extraordinaires ; il venait les renforcer parce que, pour des raisons
d'opportunité politique, Octavien avait besoin, pour son image, de revêtir
cette magistrature." Roddaz subsequently explains that,
"Π n'y a pas pour autant de cumul & imperia. De 31 à 27, Octavien
possède un imperium militiae et domi du fait de la continuation de ses
pouvoirs extraordinaires et de sa charge de consul. Lorsqu'il proclame que
pendant son sixième et son septième consulat, il a rendu au peuple ses lois
et son droit et quii a restitué les provinces, il indique quii met un terme
aux pouvoirs exceptionnels qui lui avaient été confiés quinze ans plus tôt
39
par la lex Titia ."
To my thinking, Roddaz argument remains problematic. It still implies
the unlikely assumption that both Antonius and Octavian acted as a sort
of protriumvirs in 32, holding triumviral powers without the magistracy
40
yet retaining the right to enter Rome and conduct business with SPQR .
The suggestion that although the triumvirate itself necessarily lapsed on
31 December 33, lacking its formal (and, given Lepidus resignation, by
now impossible) renewal, "les pouvoirs qui avaient été attribués aux trois
hommes perduraient tant quii ne seraient pas déposés ou remplacés par
d'autres et aucune source ne nous dit qu'ils le furent avant 28-27" is equally
41
implausible . I f the triumviral tempus had had the same effect as the con­
sular tempus, both Antonius and Octavianus would have needed the Senate
to formally decree a prorogatio imperii, and this normally only authorized
further exercise of powers in the provinces.
As is clear from the above analysis of the triumvirate as an extraordi­
nary magistracy and the nature of its tempus in particular, the triumvirs
r.p.c. could only end their office by virtue of voluntary abdication, left
aside abrogation or death. After Lepidus' forced abdication in 36, Antonius
therefore continued to be triumvir either until 32, when SPQR in Rome
42
formally removed him from all his (future) authority , or till his suicide

39. RODDAZ, op.cit., p. 397-418 ; esp. 405-409. In this paper, Roddaz further refines an argument first
developed in a paper from 1992 which was more or less a critical assessment of Girardet's view to
the point.
40. Although R O D D A Z , op.cit., p. 403 rightly explains that "le triumvirat na pas crée un nouvel ordre
constitutionel - tel n'était pas d'ailleurs l'objectif proclamé dans la titulature- mais s'est surimposé
aux institutions républicaines sans toutefois les faire disparaître", he wrongly claims that "il est, en
effet, difficile de concevoir, à cette époque, un commandement dans le domaine provincial autre
qu'un proconsulat avec un imperium militiae consulare et Y imperium triumviral en dehors de l'Italie
était X imperium militiae des consuls qu'ils exerçaient pro consule" - comp, also p. 404 : "La nature
de Ximperium des triumvirs était fondé principalement sur les compétences militiae" and defines
them as "gouvernants pro magistrate". As regards the provincial commanders of the triumviral
era, Roddaz (loc. cit.) draws a distinction between the legati (propr.) and the "autres proconsuls".
Although the triumvirs certainly relied on their vast armies to impose their overriding authority,
it still concerns a magistrates Populi Romani with consulare imperium and a series of prerogatives
domi militiaeque. It would at any rate be a grave mistake to consider the triumvirate as a sort of
unprecedented promagistracy even if only in the militiae sphere.
41. RODDAZ, op. cit., p. 409.
42. Dio, L, 4,3.

61
F RED ERIK J. VERVAET

in Alexandria in August 30, depending on which side one takes. After


Antonius demise, Octavianus remained sole triumvir just as long as he did
not take the trouble of abdicating. It is, unsurprisingly, again Dio Cassius
who happens to record this milestone in quite circumstantial fashion.
In LIII, 2, 7, Dio tells that Octavianus, after having primed his closest
senatorial confederates, entered the Senate in his seventh consulship, i.e.,
right after the pompous restitutio of the leges et iura P.R. of the previous year,
and made a stately speech of tremendous importance. A few key passages
from Dio's meticulous summary of what must have been Augustus own
authorized edition (53, 3-10) unequivocally show that this address was
nothing but his formal abdication speech, first spoken before the Senate
and next before the People, as often happened under the Republic in state
43
affairs of the greatest importance .
First, he warns the senators that some of them might find the deci­
sion he has made incredible as something that none of them would be
willing to do. He immediately emphasizes that his intention does not
concern a crooked promise for the future, but "will be put into effect at
44
once today ". These opening words are clearly meant as a subtle allusion
to Antonius boastful promise from 32 to abdicate in the aftermath of the
45
war , as to contrast the latter's behaviour with his own resolve. Next,
Caesar Octavianus plainly states that it is in his power to rule over the
Romans for life, since the opposition has been liquidated or reconciled, his
own partisans amply rewarded and his army more powerful and loyal than
ever. In other words : who would dare or desire stop him from continuatio
perpetua ? Nonetheless, he magnanimously proclaims his abdication. Now
that Caesar has been avenged and the City itself rescued from a series of
grave threats, his official mission as triumvir is completed. Therefore, there
is absolutely no need for him to maintain his position of supreme power
and be accused of tyranny :
Ού μέντοι καί επί πλειον υμάς έξηγήσομαι, ουδέ έρει τις ώς εγώ της
αύταρχίας ένεκα πάντα τα προκαιτειργασμένα έπραξα* αλλά άφΐημι την
αρχήν άπασαν καί άποδίδωμι ύμιν πάντα απλώς, τα δπλα τους νόμους
τα έθνη, ούχ δπως εκείνα δσα μοι ύμεις έπετρέψατε, αλλά και δσα αυτός
μετά ταΰθ ' ύμιν προσεκτησάμην, ίνα καί εξ αυτών τών έργων καταμά-
θητε τουθ', δτι ούδ' άπ 'αρχής δυναστείας τινός έπεθύμησα, άλλ'δντως
τω τε πατρΐ δεινώς σφαγέντι τιμωρήσαι καί την πόλιν εκ μεγάλων καί
επαλλήλων κακών έξελέσθαι ηθέλησα.
"Despite all this, I shall lead you no longer. No one shall say that I per­
formed all that I have accomplished so far for the sake of supreme power.
I lay down my entire command and return to you absolutely everything :
the army, the laws and the provinces - not only those which you entrusted
to me, but also those which I subsequently acquired for you. I do this so

43. For this speech I have used the excellent translation by R I C H J . , Cassius Dio. The Augustan Settlement
(Roman History 52-55.9), Warminster 1990, slightly modified where necessary.
44. LIII, 3,3 (νυν δ* οπότε ευθύςκαί τήμερον επακολουθήσει τοέργον αύτφ).
45. Dio, L, 7, If.

62
IN WHAT CAPACITY DID CAESAR OCTAVIANUS RESTITUTE THE REPUBLIC?

that you may learn from my actions themselves that I did not set out from
the start to win a position of power, but genuinely wanted to avenge my
father, who had been foully murdered, and to rescue the City from the great
46
troubles that assailed it one after another ."
Caesar Octavianus proceeds to complain that the job of triumvir r.p.c.
was forced upon him by the Romans themselves, and that the survival of
Rome had always been his only goal. As he has now accomplished his task
of preserving the Republic, he gladly resigns to make way for SPQR to fully
resume their traditional roles and exercise their customary prerogatives :
επειδή δε καλώς ποιούσα ή τύχη καί τήν ειρήνην αδολον καί τήν
δμόνοιαν άστασίαστον δι' έμοΰ ύμιν άποδέδωκεν, απολάβετε καί τήν
έλευθερίαν και τήν δημοκρατίαν, κομίσασθε και τα δπλα και τα εθνη
τα ύπήκοα,και πολιτεύεσθε ωσπερ είώθειτε.
"Since fortune has smiled on you and, through my agency, has restored
to you unsullied peace and undisturbed harmony, receive back freedom and
democracy, take back the armies and the provinces, and govern yourselves
47
as you used to do ."
In return for abdicating his omnipotent magistracy, he shall earn eternal
glory:
αν τεκαι το εύκλεές, ούπερ ένεκα πολλοίκαι πολεμειν και κινδυνεύ-
ειν πολλάκις αίροϋνται, πώς μεν ουκ εύδοξότατόν μοι εσται τηλικαύτης
αρχής άφέσθαι, πώς δ' ούκ εύκλεέστατον εκ τοσούτου ηγεμονίας δγκου
έθελοντΐ ιδιωτεΰσαι; ωστ' εί'τις υμών άπιστει ταΰτ' δντως τινά άλλον
και φρονήσαι έπ' αληθείας και ειπείν δύνασθαι, εμοιγε πιστευσάτω.
"If glory is made the criterion, for whose sake many choose to go to war
and risk their lives, what could be more glorious than for me to give up so
great an office ? What could bring me greater fame than from so exalted a
position of power to become a private citizen of my own free will ? Thus
if there is any of you who does not believe that any one else could really
decide in earnest to do what I am doing and announce it, at least let him
48
believe it of me ."
Although the statement that he had now become a private citizen is
rhetorical to the extent that he was still holding the consulship of 27, it
perfectlyfitsthe procedure of abdicare se magistrate which normally auto­
matically implied the occupant s return to the status of priuatus.
After making the boastful claim that his decision to lay aside his monar­
chical position surpassed "the deeds of all our forefathers in the whole of
our previous history", Caesar Octavianus in quite modest words calls to
mind that the rule that abdication from a non-annual magistracy like the
triumvirate still remained a wholly voluntary act was particularly true in
his case:

46. LIII, 4, esp. LIII, 4, 3f.


47. LIII, 5; esp. LIII, 5, 4.
48. LIII, 6; esp. LIII, 6, 3.

63
FREDERIK J. VERVAET

Τις μενγαρ αν μεγαλοψυχότερος μου, ίνα μή καί τον πατέρα τον


μετηλλαχότα αύθις ειπω, τιςδε δαιμονιώτερος εύρεθείη; δστις, ώ
Ζεΰ καί "Ηρακλες, στρατιώτας τοσούτους και τοιούτους, καί πολί-
τας και συμμάχους, φιλοΰντάς με εχων, καί πάσης μεν της εντός των
Ηρακλείων στηλών θαλάσσης πλην ολίγων κρατών,έν πάσαις δε ταίς
ήπείροιςκαι πόλειςκαι εθνη κεκτημένος, καί μήτ' αλλοφύλου τινός ετι
προσπολεμοϋντός μοι μήτ' οικείου στασιάζοντος, άλλα πάντων υμών
καί ειρηνούντων καίόμονοούντων καί εύθενούντων και το μέγιστον
έθελοντηδον πειθαρχούντων, επειθ' εκούσιος αυτεπάγγελτος καί άρχης
τηλικαύτης άφίσταμαι και ουσίας τοσαύτης άπαλλάττομαι.
"Who might be found who is more magnanimous than I - not to men­
tion again my late father- or who more nearly divine ? These are my
circumstances - let Jupiter and Hercules be my witnesses. I have a huge
number of excellent soldiers, both citizen and allied, who are devoted to
me. I rule almost all the sea up to the Pillars of Hercules. I am the lord of
cities and peoples in every continent. No foreign enemy is still at war with
me and at home no one is stirring up opposition to me. You are all living
in peace and harmony, prospering and, most important, willingly to accept
my rule. Yet of my own free will and on my own initiative I am resigning
49
this formidable command and giving up this vast possession . "

While repeatedly emphasizing that he would rather die a private citizen


than a monarch, he next begs the senators to approve and firmly support
his decision to "restore to you the armies, the provinces, the revenues and
the laws' : άποδΐδωμι ύμινκαι τα όπλακαι τα εθνη τάς τε προσόδουςκαί
50
τους νόμους . The final part of the speech, then, concerns an exhortation
to preserve the established laws and customs, cultivate harmony and avoid
civil strife at all cost. Otherwise, they would cause him to regret his decision
(to abdicate the triumvirate r.p.c. as a guarantee for peace and security) and
51
plunge the City into new wars and dangers . In his funeral speech from
14 CE, Tiberius recalls Augustus abdication of the triumvirate as one of
his most magnimous acts ever, especially since,
δστις πάσας μεν τάς δυνάμεις υμών τηλικαύτας οΰσας εχων, πάντων
δε τών χρημάτων πλείστων δντων κρατών, και μήτε φοβούμενος τινα
μήθ' ύποπτεύων, άλλ' εξόν αύτφ πάντων συνεπαινούντων μόνφ αρχειν,
ουκήξίωσεν, άλλακαι τα δπλακαι τα εθνη καί τα χρήματα ές το μέσον
ύμιν κατέθηκεν ;
"He possessed all your armies, whose numbers you know ; he was master
of all your funds, so vast in amount ; he had no one to fear or suspect, but
might have ruled alone with the approval of all ; yet he saw fit not to do
52
this, but laid the arms, the provinces, and the money at your feet ."

In light of the above, it should not be doubted that Dio here describes
Caesar Octavianus' abdication (speech). Only i f one understands these

49. LIU, 7, 1 &8.1.Ê


50. LIII, 8,7 ; 9, 1 ; 9,3 OC 9, 6 (quotation). In LIII, 9, 5, he again refers to the destruction of Caesars
murderers, the original causa for the establishment of the Triumvirate.
51. Dio LUI, 10, esp. 1 & 8.
52. Dio IVI, 39, esp. 4.

64
IN WHAT CAPACITYDID CAESAR OCTAVIANUS RESTITUTE THE REPUBLIC?

words as Caesar Octavianus' pompous abdication statement does each and


every part of it become perfectly comprehensible.
In Res Gestae 34, 2f., Augustus himself commemorates that it was preci­
sely in reward of his benevolent willingness to abdicate voluntarily at a time
when there was literally no one left to contest his continuation or make
50
him resign, that Senate and People awarded him the nomen Augusti and
a series of unprecedented honours, and that after this act, he (allegedly)
ceased to hold superior potestas vis-à-vis the other magistracies :
Quo pro merito meo senatus consulto AufgustusJ appellatus sum, et lau­
reis postes aedium mearum uestiti fpubljice, coronaque ciuica super ianua
meamfixamest et clufpeusj aureus in curia Iulia positus quem mihi Senatum
[Pop]ulumq[ue Romjanum dare uirtutis clem[ent]iaeque iustitia[e et pietà]tis
causfsa testatujm est per eius clupei inscriptionem. Post id tempus a[uctorita
omnibus praestiti, potestatis autem nihilo amplius hahu[i quam cetjeri qui
mihi quoque in magistratu conlegae [fjuerunt.
However startling its simplicity, the conclusion that Octavianus abdica­
ted his triumvirate only in January 27 immediately elicits the pressing ques­
tion why modern historians have failed to take Dio's account at face value
and fully grasp its true significance. First of all, scholarship has focused
one-sidedly on the singular aspects of the unparalleled triumuiratus r.p.c.
A proper evaluation of the precise nature of the tempora of all extraordi­
nary magistracies of the Republic is vital to a correct understanding of the
tempus of the triumviral college and its termini. The chief blame, however,
lies with none other than Octavianus himself, for it is his very own policy
of concealment and artful delusion, both contemporaneous and after, that
has distorted the true face of history and deceived posterity.
In his most illuminating study on the domestic policy of Imperator
Caesar diui filius from 36 to 28 BCE, Fergus Millar conclusively shows
that it was especially in this crucial age of transition that Caesar's son
either induced or completed a multifaceted range of measures to restore
and aggrandize the traditional Res Publica of the Roman People, the monu­
mental and literary dignity of their shaken City and the glory of their age­
long religious institutions, so creating a powerful semblance of genuine
54
cultural, religious and constitutional revival . In perfect keeping with this
argument, it can be shown that Octavian had already initiated the return
to consular supremacy before his bid for total control and the battle of
Actium. Already in 33 or 32, Octavianus began to shift the emphasis from
his second triumvirate to his nomenclature and consulship, styling himself
55
as Imp. Caesar cos. desig. tert., Illuir r.p.c. iter . In his letters on the privi­
leges of Seleucus of Rhosus, Octavianus ceases to style himself as triumuir

53. Compare OVID, who in his Fasti (I, 589f.) relates that, Redditaque est omnispopuloprouincia nostro
let tuns Augusto nomine d'ictus auus: 'On that day [i.e., on 13, January 27], too, every province w
restored to our people, and thy grandsire received the title of Augustus."
54. M I L L A R , op. cit.

55. /1577.

65
FREDERIK J. VERVAET

from 31, placing the emphasis entirely on his successive imperial salutations
56
and consulships . After defeating Antonius and Cleopatra, he orchestrated
a phased return to normalcy and (temporary) consular supremacy, a process
culminating in the theatrical and momentous acts of 28 and January 27.
During these crucial years, too, Octavianus consistently presented himself
as Imperator Caesar Diui Iuli filius and consul rather than as triumuir: see,
e.g., ILS 79 (31 : cos. Ill) ; ILS 80 (29 : cos. V) ; the famous inscription from
his campsite memorial in Nicopolis (29 : Imperator Caesar diui filius, cos. V
7
& imp. VIP ) ; ILS 81 (29 : Senatus Populusque Romanus Imp. Caesari diui
Iulif. cos. quinct. cos. design, sext., imp. sept., re publica conseruatd) ; a letter
of his to Ephesus (29 BCE: [Αυτοκράτωρ Καίσαρ θε]οΰ υιός, ύπατος
5 8
το ε, αυτοκράτωρ το ζ ) ; and, of course, his remarkable aureus of 28
59
(obv. : IMP-CAESAR- DIVLF>COS-VI) . In sum, Octavianus and, after
his example, the Senate and the People of Rome completely ceased to style
him (self) as triumuir from 31, when the second triumviral quinquennium
had expired. Henceforth the emphasis was invariably placed on the unique
name he had assumed from 38 at the latest, viz. Imperator Caesar diui filius,
on his successive consulships(-elect) and on his cumulative imperatorial
salutations, regardless of the fact that he stuck to his triumvirate and its
vast powers until its grand finale on 13 January 27.
There is every indication that after he had reinvented himself as
Imperator Caesar Augustus and laid the foundations of his New Order
from 27 to 19, Octavianus decided to regularize and correct his past and so
further obscure the truth about his prolonged continuation for all posterity.
In his Res Gestae from 13 C.E., he makes the notorious claim to have held
the triumvirate per continuos annos decern, a highly biased version of history
indiscriminately reproduced by Suetonius in Diu. Aug. 27.1 : Triumuiratum
m
ret p. constituendae per decern annos administrauit . As this term perfectly
corresponds with the triumvirs' two official quinquennial tempora and since
the Fasti Consulares list Lepidus, Antonius and Imperator Caesar as triu­
61
mvirs for the year 37 , there is every reason to believe that Augustus had
the second triumviral term follow directly on the first one, running from
62
1 January 37 to 31 December 33 .

56. Roman Documentsfromthe Greek East. Senatus Consulta and Epistulae to the
SHERK R . K . ,
of Augustus, Baltimore, 1969, nr. 58 ; see esp. 11. 73f. (31 BCE : imp. VI, cos. III, cos. desig. IV)
& 11. 85f. (30 BCE : imp. VI, cos. IV).
57. For the most recent reconstruction of this inscription, see MURRAY W.M. & PETSAS P.M.,
'Octavians Campsite Memorial for the Actian War", Transactions of the American Philosophical
Society. Vol. 79 Part 4. Philadelphia, The American Philosophical Society, 1989, p. 86.
58. AE1993, 1461 = KNIBBE D., ENGELMANN Η. & IPLIKÇIOGLU Β., "Neue Inschriften aus Ephesos
YirjÖAIGl, 1993, Hauptblatt, p. 113-150, no. 2.
59. R I C H & WILLIAMS, op. cit., p. 169.
60. BLEICKEN, op. cit., p. 13 n. 29 rightly deduces that Suetonius must have used either the Res Gestae
or Augustus' memoirs.
61. DEGRASSI, Inscr. It. XIII, 1, p. 58f.
62. Since Dio records in L, 3, 1-3 that Antonius' divorce of Octavia was one of the reasons for Titius
and Plancus to team up with Octavianus early in 32, it is clear that Livy's epitomator {Per. 132)
believes the second tempus to have lapsed on 31 December 33. Apart from the fact that this suggests

66
IN WHAT CAPACITY DID CAESAR OCTAVIANUS RESTITUTE THE REPUBLIC?

However, in spite of Augustus' amazingly successful cover up, there still


happens to survive powerful if not conclusive evidence of his uncomfortably
long continuation from 31 to 27. First, there is the generally acknowledged
and well-documented fact that he kept exercising triumviral prerogatives
down to 27. Second, ILS 78, an inscription set up by the local authorities
of Luna in 28, unambiguously attests Imperator Caesar Divi filius as triu­
mvir for that year, since it was dedicated to Imp. Caesari d.f. imp. V, cos. VI,
Illvir. r.p.c. patrono. Whereas the dedicators are obviously mistaken insofar
as Octavian already was imp. VII at that time, they can hardly have been
wrong about his sixth consulship and his triumvirate, especially had he
abdicated this office on 31 December 33 or, at the very latest, 31 December
32. Third, John Rich and Jonathan Williams have conclusively shown that
especially the years 28 and 27 marked the culmination of Octavianus care­
fully spun program to restore constitutional propriety. As an opening to the
grandfinaleof January 27, Imperator Caesar first reinstated the monthly
65
turnus of the consular fasces at the outset of his sixth consulate in 28 . By
sharing the supreme command in the City with his colleague Vipsanius
Agrippa, he officially reasserted the consuls traditional role as the leading
magistrates of the Roman Republic, at least so in Rome and Italy. He thus
manifested his willingness to govern the Republic henceforth as consul and
no longer as triumvir. Among other things, he also issued a magnificent
aureus that portrayed him as sitting on a sella curulis, holding a scroll in his
right hand, with a scrinium on the ground beside him and with the power­
ful inscription that he had now officially restored the Laws and the Rights
64
of the Roman People : LEGES ETIVRA P(opuli) R(omani) RESTITVIT .
Rich and Williams plausibly suggest that this formula derives from a decree
of the Senate that reproduced the contemporaneous, quite remarkable edict
65
recorded by Tacitus and Dio Cassius . In Ann. I l l , 28, Tacitus indicates
that
Sexto demum consuhtu Caesar Augustus, potentiae securus, quae triumui-
ratu iusserat aboleuit deditque iura quis pace et principe uteremur.

At last, in his sixth consulship, Augustus Caesar, feeling his power secure,
cancelled the behests of his triumvirate, and presented us with laws to serve
our needs in peace and under a prince.
Dio further completes Tacitus' summary note in LIII, 2, 5 :
επειδή τε πολλά πάνυ κατά τε τάς στάσεις καν τοις πολέμοις, άλλως
τε καί έν τη του Αντωνίου του τε-Λεπίδου συναρχΐςι, καί άνόμως καί

that Livys account paid lip service to Augustus' representation of history and his biased official
statement on the duration of the triumvirate, this also indicates that, post factum, Augustus has
indeed made the second quinquennium follow immediately upon thefirstone.
63. Dio, LUI, 1,1.
64. As there is no evidence of massive legislation in 28 or 27, on the model of what Sulla had done as
dictator in 81, and since Octavianus in 28 merely annulled all his triumviral acts that ran counter
to existing laws and traditions, 'Populi Romani' is to be preferred over Populo Romano' : contra,
e.g.. RICH & WILLIAMS, op. cit., p. 182.
65. RICH & WILLIAMS, op. cit., p. 186f.

67
FREDERIK J. VERVAET

αδίκως έτετάχει, πάντα αυτά δι'ένος προγράμματος κατελυσεν, δρον


την εκτην αύτοΰ ύπατείαν προθεΐς.
"Since he had put into effect many wrongful and unjust measures during
the period of civil strife and wars, especially in his joint rule with Antony
and Lepidus, he now annulled them all, fixing his sixth consulship as the
limit."
To my thinking, Caesar Octavianus' political course of action in the
immediate aftermath of Actium only acquires its fidi meaning if one accepts
the fact that he was still acting as triumvir reipublicae constituendae. The
reconstitution of the shaken and embattled Republic after years of civil dis­
cord and turmoil, including the so-called restitutio legum et iurum, precisely
was the primary task of the ad hoc magistracy of triumuir reipublicae consti­
tuendae, its very cause and core business. Imperator Caesar s meticulously
prepared abdication of the triumvirate itself on 13 January 27, then, was
no more than the logical, inevitable, and anticipated climax of this carefully
staged road map to constitutional and political normality. In point of fact,
another key passage from Tacitus beautifully confirms this reconstruction.
In Ann. I , 2, Tacitus relates that,
Postquam Bruto et Cassio caesis, nulla iam publica arma, Pompeius apu
Siciliani oppressus, exutoque Lepido, interfecto Antonio, ne Iulianis quidem
partibus nisi Caesar dux reliquus, posito triumuiri nomine, consulem sefere
et ad tuendam plebem tribunicio iure contentum.
"When the killing of Brutus and Cassius had disarmed the Republic ;
when Pompeius had been crushed in Sicily and, with Lepidus thrown aside
and Antonius slain, even the Julian party was leaderless but for Caesar ;
after laying down his triumviral title, he conducted his business as simple a
consul content with tribunician authority to safeguard the commons."
The combination of what Tacitus records in Ann. I l l , 28 (supra) and
this obviously chronological summary of events further corroborates the
conclusion that Caesar Octavianus laid down the nomen triumuiri, i.e. the
66
triumvirate , only after having become sole ruler of the Roman world :
with Brutus and Cassius perished the Republic in 42 ; the Pompeian cause
was lost and Lepidus swept aside in 36 ; Antonius committed suicide in
August 30 ; Caesar, now the only remaining leader of the Caesarian faction,
first normalized political life in Rome during his sixth consulship and next
abdicated the triumvirate in January 27 and next was merely consul until
23, when he received the tribunicia potestas, neatly defined by Tacitus as
67
summi fastigli uocabulum .
Before concluding this discussion, two more pertinent questions need to
be answered. Why did Caesar Octavianus (and, for that matter, Antonius)

66. See Livy III, 33,3 & III, 34, 8 for references to (the fundamental distinction between) the consulum
nomen imperiumque.
67. RODDAZ'S observation {op. cit., p. 402, n. 43) that "cette remarque est éclaircie, en ce qui concerne
la chronologie, par Tacite, Ann., III. 28, et RGDA, 34", which implies that Octavianus laid down
his triumvirate during his sixth consulship, i.e., in 28 BCE, is in contradiction with the rest of his
argument on Octavianus' official position after 31 December 33.

68
IN WHAT CAPACITY DID CAESAR OCTAVIANUS RESTITUTE THE REPUBLIC?

decide on a second, potentially protracted continuation of what still was a


triumvirate? And why has he done everything in his power to consistently
cover up this continuation from its very start in 31 ? As regards the first
question, a fairly obvious answer offers. At first, the outbreak of a most
serious and decisive war provided both dynasts with the best possible pre­
text for continuation. As long as conflict raged, the triumvirate s chief task
of restoring the Republic to its former glory was unfulfilled by definition.
On the very contrary, the state of emergency fully warranted continuation
reipublicae constituendae causa, especially since dealing with this kind of cri­
sis had been the very reason for its existence and tremendous powers. That
Caesar Octavianus (and Antonius) legitimized their continued tenure of the
triumvirate as being in the interest of the Republic and its survival is clear
from, for example, the former s claim in the Nicopolis campsite memorial
68
that the war against Cleopatra was waged PRO [R]E [-]P[V/BLIC[A] .
And Augustus' own famous testimony in Res Gestae 34, If. shows that
after the conquest of Egypt in 30, he had justified his further continuation
as triumuir sine conlegis as something demanded by all inhabitants of the
Empire alike :
In consulatu sexto et septimo p[o]stquam b[ella] ciuilia exstinxeram, per
consensum uniuersorum potens rer[um omjnium, rem publicam ex mea pote
tate in Senatus Populique RomfaniJ arbitrium transtuli.
"In my sixth and seventh consulships, after I had extinguished civil wars,
and at a time when with universal consent I was in complete control of
affairs, I transferred the Republic from my power to the dominion of the
Senate and the People of Rome."
In reality, however, he still very much needed the triumvirate's wide
powers to realize his version of a Republic and, above all, ensure a flawless
transition to a new and more lasting format for his autocracy. Since as sole
remaining triumvir he now wielded the supreme command, the summum
imperium auspiciumque, indiscriminately over all provinces and armies, he
could be confident that no one should dare tamper with his policies and
projects
Lastly, remains the question why Imperator Caesar Augustus decided
to obscure his twofold continuation of the triumvirate, first in 37 with his
two colleagues, and then, after a quinquennial iteration, again for four more
years from 31. To my thinking, it is again possible to forward a quite sim­
ple answer. First of all, it is important to point out that both continuation
and iteration had always had a bad name in the Republic. Continuation
normally signaled either failure to achieve and incompetence, or, worse,
sheer unwillingness to abdicate. Such conduct was liable to criminal pro­
secution, in particular if the indicative term for completing the set task had
expired. In 363, for example, L. Manlius Capitolinus Imperiosus, who had
been appointed clauifigendi causa, aspired to take command in the war

68. See MURRAY & PETSAS, op. cit., p. 76.

69
FRED ERIK J. VERVAET

against the Hernici, so exceeding his religious function and continuing


his dictatorship past completion of its specific task. When his rigorous
levy met with the unanimous opposition of the tribunes of the plebs, Livy
narrates, "he yielded either to force or to a sense of shame, and resigned
69
his dictatorship ". Valerius Maximus records in V, 4, 3 that in 362, the
tribune of the plebs M . Pomponius summoned him "to trial before the
People for having exceeded the legal term of his command, led thereto
by an opportunity to end the war successfully" : L . Manlio Torquato diem
adpopulum Pomponius tribunus plebis dixerat, quod occasione bene < con
>ficiendibelli inductus legitimum obtinendi imperii tempus excessisset. As the
tempus legitimum of the dictatura c.f.c. was defined by the completion of its
very task, every day of continuation past that moment was deemed unac­
ceptable, as is clear from Cic. Off. I l l , 112: L . Manlio A. f., cum dictator
fiiisset, M. Pomponius tr. pi. diem dixit, quod ispaucos sibi dies ad dictaturam
70
gerendam addidisset . Second, in the war of propaganda that so marked
the triumviral era, both L. Antonius and M . Antonius had repeatedly bla­
med Octavianus for the continuation of discretionary triumviral rule past
completion of the triumvirates official commission to restore peace, law
and order in the Republic. As early as the winter of 41/40, L. Antonius
had accused Octavianus of being unwilling to abdicate in conformity with
customary procedure, regardless of the actual duration of the commina­
71
tory tempora légitima . In light of this accusation, it is most likely that
in January 32, the consul Sosius, too, put the blame for continuing triu­
mviral rule on Octavian. Especially since Octavianus himself had accused
72
Antonius of tyrannous continuation in January 32 and again 31 > he had
every possible personal interest in carefully obscuring his own continuation
of the triumvirate, both before and after the decisive battle of Actium and
the conquest of Egypt.

Conclusion

After the official outbreak of war early in 32 rendered much, i f not all,
previously planned arrangements for 31 (and after) null and void, Caesar
and his confederates concocted a simple plan to maintain and further
consolidate his supremacy in the Roman world, viz. a low profile continua­
tion of the plenipotentiary triumvirate r.p.c. combined with a sustained and

69. Lrw,VII,3,4&VII,3,9.
70. See BROUGHTON, MRR 2, p. 118 for (the sources for) the fact that Manlius Imperiosus was also
accused for raising a levy with too great severity and for mistreatment of his son, who eventually
compelled the tribune to give up the prosecution.
71. Compare also M. Antonius' statements from34 (Dio XLIX, 41,6) and 32 (Dio L, 7, If).
72. Dio L, 2, 3-5 (first Sosius and next Octavian made many accusations against one another at the
outset of 32) & Per. 132. It should not be doubted that Caesar Octavianus accused M. Antonius
of refusing to return to Rome for the purpose of abdicating his triumvirate. Mutatis mutandis,
RODDAZ, op. cit., p. 407 righdy suggests that Vest très probablement l'abandon de ces pouvoirs
que les consuls, et tout particulièrement Sosius, voulurent exiger d'Octavien au début de l'année
32, avec les conséquences et le succès que l'on sait".

70
IN WHAT CAPACITY DID CAESAR OCTAVIANUS RESTITUTE THE REPUBLIC?

much publicized iteration of the consulship. In 32, both Caesar Octavianus


and M . Antonius armed themselves with an unprecedented series of oaths
73
of allegiance . After 32, Octavianus scrupulously avoided to be named
triumvir in public documents, the emphasis now invariably being on his
specious nomenclature, his consecutive consulships and his steadily growing
number of imperatorial acclamations. After suicide had put an end to M .
Antonius' continued tenure as triumvir in the summer of 30, Imperator
Caesar Diui filius unrelentingly clung to the triumvirate until his theatrical
abdication in January 27. It is especially his continuation as sole triumvir
after the capture of Alexandria that reveals his undying will and determi­
nation to keep lording over the Republic and its expanding empire. After
the conquest of Egypt, when his exclusive tenure of the triumvirate had
become uncomfortably awkward, he insisted that his monarchical position
was forced upon him per consensum uniuersorum and that he had none­
74
theless benevolently and voluntarily returned it in January 27 .
Regardless of what Augustus wanted posterity to believe, the unvar­
nished truth is that Imperator Caesar, son of the Diefied Caesar, triumui-
rum reipublicae constituendae fuit per continuos annos circiter quindecim.
Therefore, his claim in the Res Gestae that he had been triumvir "for ten
consecutive years" accounts for just another prime example of Augustan
ambiguity and deceitfulness. The official statement that he had held the
triumvirate for ten consecutive years was surely not a blatant lie since he
had indeed been triumvir for ten consecutive years, but it was most defini­
tely not the whole truth either. Augustus' version of the facts clearly betrays
his anxiety to reconcile history with legitimacy. The fact that he had really
been triumvir for a period of time equivalent to another, unauthorized
quinquennium simply ran counter to constitutional propriety, regardless of
the circumstances of the moment. It was, moreover, in blatant contradic­
tion with the image he had carefully spun ever since 36, that of the absolute
champion of Rome's age-old moral, political and religious traditions.

73. RG 25 & Dio L, 6, 2-6.


74. AG 34,1.

71
L'aristocratie augustéenne
et la Res publica restituta

Frédéric HURLET

Apparue au début du principat d'Auguste, la notion de Res publica res­


tituta est indissociable des attentes de l'aristocratie romaine, à laquelle était
ainsi adressé un message complexe et foncièrement ambigu. Si la restau­
ration de l'État passait par des mesures légales qui reposaient sur une série
d'actes institutionnels déterminés, elle prenait également une dimension
politique et sociale qui n'allait pas sans une définition de la place des élites
romaines dans le nouveau régime. Le retour à un certain ordre fondé sur la
tradition signifiait en particulier qu'il fallait restaurer les sénateurs dans leurs
anciennes prérogatives, quelque peu bafouées à l'occasion des guerres civiles.
On perçoit mieux dans un tel contexte l'ampleur du problème : il s'agissait
d'articuler la primauté exercée désormais par le prince depuis ses succès
militaires avec l'idée selon laquelle la Res publica était un bien commun
auquel les familles sénatoriales de la noblesse avaient contribué tout au
long de l'histoire de Rome. La solution trouvée par Theodor Mommsen et
développée dans son Droit public romain est bien connue. Auguste aurait
instauré une dyarchie, définie comme un « pouvoir divisé une fois pour
toutes entre le Sénat, d'une part, et le prince considéré comme l'homme de
1
confiance du peuple, de l'autre ». Dans cette perspective, la restauration de
la Res publica dans le courant des années 20 av. J.-C. aurait été fondée sur
un partage des tâches entre ce qui apparaissait comme les deux principaux
pôles du pouvoir à Rome et dans l'Empire. L'interprétation de Mommsen
a été très tôt commentée et critiquée, sans d'ailleurs toujours avoir été
comprise. L'historiographie contemporaine a d'ordinaire rejeté l'existence
de la moindre dyarchie en rappelant que la suprématie d'Auguste sur l'État
romain ne se discutait plus après la bataille d'Actium. On a pu malgré tout
exploiter un tel concept pour faire valoir l'idée selon laquelle le principat

1. MOMMSEN DPR, V, p. 5 ; pour d'autres références à la dyarchie dans le Staatsrecht de Mommsen,


cf. DPR, III, p. 100; VII, p. 363-364 et p. 468-505 (chapitre consacré au «Sénat souverain du
principat», où le terme de dyarchie est défini) ; cf. aussi MOMMSEN, Abriss des römischen Staatsrechts,
Leipzig, 1893, p. 270-274 et p. 340-345.

73
FRÉDÉRIC HURLET

était le fruit d'un compromis entre le prince et l'aristocratie sénatoriale ou


pour souligner à quel point le nouveau régime était lié à l'ancienne noblesse
républicaine. I l ne faut toutefois pas prêter à Mommsen des jugements qui
n'étaient pas les siens et qu'il n'a pas pu développer dans le cadre d'une
œuvre aussi spécifique que le Staatsrecht. Son propos était de donner une
définition légale de l'État romain, du principat en particulier, à partir de
ce qui constituait son essence juridique et excluait volontairement de la
discussion tous les aspects plus spécifiquement politiques. La dyarchie a été
en ce sens conçue par son inventeur pour expliquer la présence à la tête de
l'État romain de deux niveaux de pouvoir concurrents et incompatibles qui
coexistèrent et cohabitèrent sans se mélanger. À la place tenue par le Sénat
en tant que garant de l'ordre politique traditionnel se superposa désormais
sans l'effacer une nouvelle autorité illimitée d'un point de vue militaire,
2
mais aussi précaire, celle du prince . C'est au prix de cette clarification que
l'analyse mommsénienne se révèle être un point de départ intéressant pour
une analyse approfondie de la fonction dévolue aux sénateurs dans la Res
publica restituta des années 20 av. J.-C.
Le terme de dyarchie est de nos jours d'un emploi délicat parce que
e
son utilisation a été galvaudée tout au long du xx siècle, mais il reste un
concept opérant à la condition de lui donner une signification plus socia­
le que politique. Si le Sénat avait définitivement cessé d'être le centre du
pouvoir avec la naissance du principat, il continua à être le lieu d'où étaient
issus les magistrats et promagistrats, une partie des administrateurs de l'Em­
pire et un grand nombre de collaborateurs du prince. Il est particulièrement
remarquable qu'en dépit de l'existence dès le principat d'Auguste d'une cour
(Yaula Caesaris) ou, si l'on veut être plus prudent, d'une «proto-cour», le
prestige social continua de reposer sur le statut même de sénateur et l'exer­
cice de magistratures poliades sans jamais avoir été supplanté par le seul
3
fait de la proximité physique avec le prince . La restitutio de la Res publica
passait donc sous Auguste par une restauration des fondements de la société
romaine en tant que société d'ordres telle qu'elle s'était progressivement
formée tout au long de la période républicaine. Le nouveau régime n'eut
dans ces conditions d'autre choix que de s'intégrer au sommet de l'ordre
social existant de manière à ce que le prince devînt le premier des sénateurs
- le primus inter pares. Que l'on aboutisse à une telle conclusion à partir
de la relecture du Staatsrecht de Mommsen peut paraître surprenant tant
nous avons pris l'habitude de dissocier l'examen de ce que nous appelons le
droit public de l'étude des structures sociales. Ce paradoxe n'est en réalité

2. Cf. sur ce point l'analyse récente et éclairante de WINTERLING Α., « Dyarchie in der römischen
Kaiserzeit. Vorschlag zur Wideraufhahme der Diskussion », NIPPEL W, SEIDENSTICKER B. (dir.),
Theodor Mommsens Langer Schatten. Das römische Staatsrecht ab bleibende Herausforderu
Forschung, Hildesheim - Zürich - New York, 2005, p. 177-198 où l'on trouvera un état de la
question complet sur la dyarchie mommsénienne, ainsi que sur les interprétations et les critiques
que cette théorie a suscitées.
3. Cf. à ce sujet en dernier lieu WINTERLING Α., « "Staat", "Gesellschaft" und politische Integration in
der römischen Kaiserzeit», KHo 83, 2001, p. 93-112.

74
L'ARISTOCRATIE AUGUSTÊENNEETLA RESPUBLICA RESTITUTA

qu'apparent et relève de la difficulté de définir sans anachronisme ce que


nous appelons de façon impavide l'«État d'Auguste», réalité qui prenait
dans l'Antiquité une forme complexe. I l s'agissait non seulement d'une
machinerie institutionnelle faite de règles strictes, mais aussi de pratiques
rituelles et sociales fortement codifiées et fondées sur la traditionnelle voca­
tion des élites à gouverner.
La décennie qui suivit la bataille d'Actium fut décisive en ce qu'elle
coïncida avec la mise en place des relations entre le prince et ce qui finit par
devenir le premier des ordres de Rome, Xordo senatorius. I l fallut inventer
4
un modus vivendi, amené à se prolonger tout au long du Haut-Empire .
Il est d'usage de subordonner la place tenue par les sénateurs à la main­
mise exercée par Auguste sur Rome et son Empire à partir du moment
où ses victoires sur Marc Antoine et Cléopâtre l'avaient rendu maître de
l'armée romaine. Ce jugement n'est pas foncièrement inexact, mais il pré­
sente le défaut d'analyser les rapports entre le prince et les sénateurs sans
prendre en compte les multiples évolutions qui allèrent dans le sens d'un
renforcement du nouveau pouvoir impérial. I l doit donc être nuancé à la
lumière du contexte politique dans lequel s'inscrivaient de telles relations.
S'il est vrai que la suprématie d'Octavien/Auguste ne se discutait pas dès les
années 20 av. J.-C, elle ne s'exprimait pas à cette époque de la même façon
que durant la seconde moitié du principat.
Un des acquis des recherches de ces dernières décennies sur la nais­
sance du principat est précisément d'avoir souligné, mieux que cela
n'avait été fait, l'empirisme de la politique suivie pour la mise en forme
du nouveau régime. I l faut en particulier éviter de chercher à toute force
dans la démarche d'Octavien/Auguste une cohérence qu'une vision
5
rétrospective de l'histoire a sinon créée, du moins amplifiée . Les rela­
tions du princeps avec les sénateurs furent au départ malaisées à défi­
nir non pas tant parce qu'il fallut les inventer que parce que la réus­
site du jeune César aurait pu ne pas durer dans le contexte des années
20 av. J.-C. I l n'avait échappé à personne qu'en dépit de sa plus grande
prudence, le fils de César pouvait subir le même sort que son père adoptif
ou qu'une maladie pouvait rapidement l'emporter étant entendu qu'il était
d'une santé fragile et que l'espérance de vie de l'époque n'était pas compa­
6
rable à la nôtre . Qui aurait pu donc prévoir au lendemain de la bataille

4. Sur la question des relations entre le prince et les sénateurs, l'ouvrage de référence reste la Révolution
re
romaine de R. SYME (l éd. en 1939), complété et amendé par son ouvrage plus récent sur l'aristo­
cratie augustéenne {The Augustan Aristocracyy Oxford, 1986).
5. Cf. dans ce sens MEIER Chr., « Augustus. Die Begründung der Monarchie als Wiederherrstellung
der Republik», Ohnmacht des allmächtigen Dictators Caesar. Drei biographische Skizzen, Francf
1980, p. 268 [traduction italienne dans Cesare. Impotenza e onnipotenza di un dittatore. Tre profil
biografia, Turin, 1995, p. 235] pour qui il est absolument douteux qu'Auguste ait eu dès le départ
un plan pour l'édification successive de son pouvoir.
6. HINARD Fr., «Entre République et principat. Pouvoir et urbanité», HANTOS Th. (dir.), Laurea
internationalis. Festschrift fur Jochen Bleicken zum 75. Geburstag Stuttgart, 2003, p. 334-336
rappelle à juste titre qu'on oublie trop souvent le sentiment de fragilité qu'une espérance de vie
réduite procurait aux acteurs de la vie politique et « qui donc... donnait à chacun de leurs actes une
valeur particulière dans la mesure où ils n'étaient guère assurés de pouvoir en contrôler les effets

75
FRÉDÉRIC HURLET

d'Actium ce qu'il allait advenir du nouveau pouvoir en place à Rome dans


les dix années à venir et comment la situation politique évoluerait ? En
prenant le parti de restaurer officiellement la Res publica et de diffuser un
tel programme politique, Octavien/Auguste donna d'emblée aux sénateurs
le sentiment non seulement que leur participation était requise pour le
(bon) fonctionnement du nouvel État, mais aussi qu'ils n'étaient pas irré­
médiablement écartés du pouvoir suprême. C'était là une garantie pour
7
ceux d'entre eux qui avaient pris le parti du prince ou l'avaient rallié .
À supposer qu'Auguste disparaisse, situation dont i l faut rappeler qu'elle
faillit se produire dans les années 20 (il fut malade à plusieurs reprises,
dont une fois très gravement en 23 av. J.-C), les cartes du jeu politique
auraient été redistribuées et la concurrence se serait ranimée entre les prin­
8
cipaux sénateurs . S'il faut se défier d'une présentation qui imagine ce
qui aurait pu résulter d'un événement qui n'a finalement pas eu lieu, elle
a le mérite de nous mettre en garde contre toute idée de linéarité de l'his­
toire et aide à mieux se représenter ce qu'un sénateur pouvait ressentir au
moment du passage de la République à l'Empire dans le courant des années
20 av. J.-C. Rien n'obligeait alors les Romains à penser qu'Auguste devait
mourir de vieillesse à près de 80 ans avec la satisfaction d'avoir su fonder
de manière durable un nouveau régime. Replacée dans son contexte poli­
tique, la restauration de la Res publica des années 28-27 prend une tout
autre dimension. Du rang de fiction auquel ce projet politique a été relégué
a posteriori par une historiographie accoutumée à projeter sur la Rome des
premiers temps d'Auguste le contexte plus apaisé des décennies suivantes, il
peut désormais passer au statut de réalité vécue dans une mesure et selon des
9
modalités qu'il reste à analyser . Ce n'est que progressivement, au fur et à
mesure que se mit en place une politique dynastique affirmée et résolue, que
les Romains comprirent qu'ils étaient passés d'une république oligarchique
dominée par un petit nombre de familles à une monarchie qui était hérédi­
taire dans les faits - même si l'hérédité du pouvoir ne fut jamais reconnue
dans le droit. Au bout du compte, l'appartenance à la famille d'Auguste

à long ni même à moyen terme». L'idée selon laquelle la disparition d'Auguste pouvait survenir à
tout moment durant les années 20 en raison de ses multiples maladies et plonger Rome dans une
nouvelle crise politique est également très présente dans la synthèse de CROOK J. (« Political History,
2
30 B.C. to A.D. 14», CAH, X . Cambridge, 1996, p. 78-84).
7. Comme le rappelle E C K W., Augustus und seine Zeit, p. 44.
8. G R U E N E . , « Augustus and the Making of the Principate», GALINSKY Κ. (dir.), The Cambridge
Companion to the Age of Augustus, Cambridge, 2005, p. 39 précise en ce sens avec raison qu'une
disparition d'Auguste en 23 aurait pu avoir des conséquences calamiteuses : « ruinous domestic
discord and civil war».
9. Cf. à ce sujet E C K W., « Senatorial Self-Representation : Developments in the Augustan Period »,
MILLAR F. et SEGAL E . (dir.), Caesar Augustus. Seven Aspects, Oxford, 1984, p. 131 où il est précisé
à juste titre que si la notion de Res publica restituta ne dit rien des conditions réelles dans lesquelles
le pouvoir était exercé, elle eut pour quelque temps une signification considérable dans les
formes extérieures de la vie publique ; cf. aussi E D E R W., « Augustus and the Power of Tradition »,
GALINSKY K. (dir.), The Cambrìdge Companion to the Age of Augustus, Cambridge, 2005, p. 25.

76
L'ARISTOCRATIE AUGUSTÉENNE ET LA R E S P U B L I C A R E S T I T U T A

(la domus) et/ou à la cour impériale (Yaula Caesaris) se superposa à Tordre


10
social traditionnel et perturba ainsi les hiérarchies établies .
L'objet de cette étude est de déterminer dans quelle mesure la restaura­
tion de la Res publica, si elle se plaçait sous les auspices d'Octavien/Auguste,
constitua aux yeux des principaux aristocrates qu'étaient les sénateurs une
réalité tangible. Les modalités d'application de ce programme politique
- ou de sa non-application - seront examinées aussi précisément que
possible avec le souci de prendre en compte tout ce que le terme de Res
publica implique : les institutions politiques, dont le fonctionnement est
analysé dans une première partie pour la période qui va de 31 jusqu'en
17 av. J.-C. ; les structures sociales, dont on examine dans une deuxième
partie dans quelle mesure elles furent ou non restaurées. Il reste à voir dans
une troisième partie ce qu'il est advenu de l'un des fondements de la vie
politique à l'époque républicaine : la concurrence que s'étaient livrées les
principales familles de sénateurs et qu'il fallut redéfinir en fonction de la
place occupée par le prince à la tête de l'État.

La restauration des institutions politiques :


entrefictionset réalités

Il ne s'agit pas de revenir ici sur les pouvoirs d'Octavien/Auguste et de


montrer comment ceux-ci s'inscrivaient dans le prolongement des institu­
u
tions tardo-républicaines . Mon propos se veut différent. I l est de montrer
dans quelle mesure les sénateurs étaient et se sentaient eux aussi concernés
par la restauration des institutions politiques traditionnelles. Les témoi­
gnages des Res Gestae, de Tacite, de Dion Cassius et du nouvel aureus de
28 se recoupent pour attester que ce processus fut entamé durant l'année
28 par un édit qui annulait les mesures illégales prises pendant le triumvirat
et prit fin en janvier 27 avec les dispositions relatives au gouvernement des
12
provinces . Les modalités du rétablissement d'anciennes pratiques insti­
tutionnelles sont bien connues. Octavien/Auguste rompit avec la pratique
triumvirale en vertu de laquelle les magistrats et promagistrats romains
avaient été choisis par les triumvirs une ou plusieurs années à l'avance. I l

10. Sur la naissance de la cour impériale et la question de l'articulation de la faveur impériale avec
l'idéal poliade fondé sur l'exercice des magistratures et l'appartenance au Sénat, cf. WINTERLING
A (dir.), Zwischen «Haus» und «Staat» : antike Höft im Vergleich, Munich, 1997, et WINTERLING Α.,
Aula Caesaris. Studien zur Institutionalisierung des römischen Kaiserhofes in der Zeit von August
Commodus (31 ν. Chr. - 192 η. Chr.), Munich, 1999.
11. Sur ce sujet, on renverra à l'étude approfondie de FERRARY J.-L., «À propos des pouvoirs d'Auguste »,
CCG 12, 2001, p. 101-154 et à l'intervention de Fr. Vervaet dans le cadre de ce colloque.
12. Res Gestae, 34, 1 ; Dion, LUI, 1-2; Tac., Ann., III, 28, 1 ; sur Xaureus de 28 av. J.-C, cf. R I C H J.W.
& WILLIAMS J.H.C., * Leges et iura P. R. Restituiti a New Aureus of Octavian and the Setdement
of 28-27 BC», NC, 1999, p. 169-213; BRINGMANN KL, «Von der res publica amissa zur
res publica restituta. Zu zwei Schlagworten aus der Zeit zwischen Republik und Monarchie »,
SPIELVOGEL J. (dir.), Res publica reperta. Zur Verfassung und Geselhchaft der römischen Republik
und des frühen Prinzipats. Festschrift fur Jochen Bleicken zum 75. Geburtstag, Stuttgart, 2002
p. 113-123 et MANTOVANI D., « Leges et iura p(opuli) R(omani) restituii. Principe e diritto in un
aureo di Ottaviano », Athenaeum 96, 2008, p. 5-54.

77
FRÉDÉRIC HURLET

restaura pour cela les modes de désignation traditionnels : élections par les
comices pour les magistrats à partir de Tannée 28 ; tirage au sort au Sénat
pour les proconsuls à partir de Tannée 27. I l faut ajouter les différentes
mesures datées de 28 qui faisaient partie d'une réforme plus générale redon­
13
nant au Sénat et au peuple Romain le contrôle du trésor . Pour donner
une meilleure idée de la manière dont la Res publica restituta fut perçue et
vécue par les principaux sénateurs, i l est nécessaire d'étudier en détail le
fonctionnement de la magistrature et de la promagistrature qui étaient les
plus élevées dans la hiérarchie traditionnelle et dont les titulaires furent les
figures les plus représentatives de la nouvelle Res publica.

Le consulat

Contrairement à une idée répandue, rien ne permet d'affirmer que la


magistrature ordinaire du sommet du cursus honorum républicain fut pri­
vée par Auguste de la composante militaire de son imperium - pas plus en
14
19/18 comme le pense KLM. Girardet qu'en 27 comme l'ont proposé
15
A. Giovannini et J.-M. Roddaz . Il apparaît au contraire que le consulat ne
16
fut l'objet d'aucune réforme de fond tout au long du principat d'Auguste .
Il faut convenir que le contexte ne se prêtait guère durant la décennie qui
va de 28 à 18 à une modification des principales règles du mos maiorum,
le prince veillant moins à innover qu'à rétablir les pratiques traditionnel­
les mises entre parenthèses durant le triumvirat. Pour ce qui concerne la
magistrature consulaire, sa restauration se traduisit par différentes mesures
significatives. Dans son désir de revenir aux stricts principes républicains,
Octavien mit tout d'abord fin à la pratique, née avec Jules César et diffuse
à l'époque triumvirale, de recourir à un ou plusieurs couples de consuls
suffects. Pour la période qui va de 28 à 5 av. J.-C, on ne compte que des
consuls ordinaires, deux par an, sauf lorsqu'un de ceux-ci disparaissait et
était remplacé par un consul suffect conformément à la règle tradition­
17
nelle . Le retour à un partage des faisceaux constitue un autre élément
de la restitutio Reipublicae. La règle suivie à l'époque républicaine pour les

13. DION, LUI, 2,1-3.


14. Cf. «Die Entmachtung des Konsulates im Übergang von der Republik zur Monarchie und die
Rechtsgrundlagen des augusteischen Prinzipats», GÖRLER W., KOSTER S. (dir.), Pratum Saraviense,
FestschriftfürP. Steinmetz, Stuttgart, 1990, p. 89-126 où il est question d'une «Entmachtung des
Konsulates» et d'un «Entmachtungsgesetz» [article reproduit dans GIRARDET, Rom aufdem Weg
von der Republik zum Prinzipat, Bonn, 2007, p. 385-423].
15. GIOVANNINI Α., Consulare imperium, Bale, 1983, p. 118-119 et 151 ; RODDAZ J.-M., «Imperium:
nature et compétences à lafinde la République et au début de l'Empire», CCG 3, 1992, p. 204-
206.
16. Cf. à ce sujet la démonstration de Ferrary. Cette conclusion a été acceptée dans ses grandes
lignes par RODDAZ J.-M., « La métamorphose : d'Octavien à Auguste», FRANCHET D'ESPEREY S.,
FROMENTIN V., GOTTELAND S, RODDAZ J.-M. (dir.), Fondements et crises du pouvoir, Bordeaux,
2003, p. 412-414; cf. aussi dans ce sens H U R L E T Fr., «Le passage de la République à l'Empire:
questions anciennes, nouvelles réponses », REA 110,2008, p. 231-232 et « Consulship and consuls
under Augustus », BECK H., DUPLA Α., JEHNE Μ., PINA POLO Fr. (dir.), Consulares, consuhandthe
constitution ofthe Roman Republic, Cambridge University Press (à paraître).
17. Comme l'a précisé BLEICKEN J., Augustus. Eine Biographie, Berlin, 1998, p. 322.

78
L'ARISTOCRATIE AUGUSTÉENNE ET LA R E S P U B L I C A R E S T I T U T A

consuls était une stricte alternance de ces insignia imperii, indissociables


d'une certaine capacité à exercer le pouvoir consulaire. Pour Y Imperium
domi actif à Rome au sein de Γ Vrbs, la périodicité du roulement était men­
suelle : l'un des consuls était accompagné par douze licteurs portant autant
de faisceaux durant le mois de janvier et les autres mois impairs, tandis qu'au
18
second étaient réservés les mois pairs . Le témoignage de Dion Cassius
indique que parmi les pratiques ancestrales auxquelles i l se conforma à
partir de 28, « César (= Octavien) remit à Agrippa, son collègue (en tant
que consul) les faisceaux comme il lui incombait de le faire, pendant quii
19
utilisa l'autre série ». I l faut comprendre que la traditionnelle alternance
des faisceaux avait été suspendue à l'époque triumvirale parce que ceux-ci
er
avaient été monopolisés par les triumvirs. Le 1 janvier 28, Octavien en
revint à l'usage de l'époque pré-triumvirale. Le passage de Dion Cassius
signifie qu'il y avait deux séries de douze faisceaux utilisés alternativement
par Octavien et Agrippa en fonction du mois : à Octavien durent échoir les
mois impairs, les plus importants parce des affaires importantes étaient trai­
tées en janvier et en juillet (par exemple les élections pour l'année suivante),
tandis qu'à Agrippa furent attribués les mois pairs. La restauration de la Res
publica est ainsi définie comme un retour au fonctionnement collégial du
consulat et une condamnation du non-respect de ce principe fondamental
durant le triumvirat. Dion Cassius poursuit la description des mesures
prises en 28 en livrant quelques précisions complémentaires qui vont dans
le même sens : Octavien « se mit à prêter serment conformément à la cou­
tume ancestrale... I l lui (= Agrippa) accorda toutes les fois qu'ils faisaient
campagne d'avoir une tente (= praetorium) semblable à la sienne et le mot
20
d'ordre était donné par tous les deux ». La seconde partie du passage pose
davantage de problème, parce que rien n'indique dans l'état actuel de nos
connaissances qu'Agrippa ait quitté Rome de 28 jusqu'à l'été 23 pour faire
21
usage de son imperium militiae . Deux solutions restent envisageables : ou
bien il faut admettre sur la foi du seul texte de Dion qu'Agrippa était parti
en campagne en 28 ou en 27 en compagnie d'Auguste ; ou bien i l s'agit
là d'une mesure purement symbolique en ce que le champ d'extension de

18. Il est vraisemblable que les consuls étaient toujours escortés tout au long de l'année chacun par
douze licteurs, ce qui faisait qu'il pouvait y avoir vingt-quatre licteurs simultanément à Rome
lorsque les consuls s'y trouvaient tous les deux, mais les faisceaux n'étaient attribués qu'à un seul
consul en fonction du mois. La question des rapports entre les consuls se résolvait lorsqu'un d'entre
eux franchissait le pomerium pour partir en compagne : dans le domaine de Y imperium militiae, il
n'y avait pas de partage des faisceaux, ni de roulement, sauf lorsque deux généraux avaient le même
statut et la même prouincia (ce qui n'est jamais le cas à l'époque augustéenne). Sur ces questions,
cf. la synthèse récente de VERVAET Fr., The Principle ofthe summum imperium auspiciumque und
the Roman Republic, à paraître.
19. DION, Uli, 1,1.
20. DION, LUI, 1, 1 et 2.
21. Bien que W.K. Lacey ait développé l'idée selon laquelle Agrippa aurait été investi dès janvier 27
d'une préfecture maritime qui lui aurait conféré un imperìum sur la Méditerranée et ses côtes à
l'exemple des pouvoirs conférés à Pompée en 67 {Augustus and the Principate. The Evolution ofthe
System, Leeds, 1996, p. 117-131, cf. mes critiques exprimées dans Latomus, 57y 1998, p. 453-454),
il semble toujours préférable dans l'état actuel de notre documentation de continuer de voir en
Agrippa un priuatus au terme de son dernier consulat.

79
FRÉDÉRIC HURLET

V imperium militiae d'Agrippa avait été limité aux environs de Rome sans
qu'il ait été amené à suivre Auguste en dehors de l'Italie. Si aucun argument
définitif ne peut être présenté dans un sens ou dans un autre, c'est cette
dernière solution qui paraît préférable dans la mesure où le prince avait
besoin d'être représenté à Rome par un proche aussi fidèle et compétent
qu'Agrippa pendant qu'il était en mission dans les provinces de l'Empire.
Les fréquentes absences d'Auguste de Rome contribuèrent à renforcer
l'idée selon laquelle les Romains avaient le sentiment de vivre durant les
années 20 dans une Res publica qui pouvait être qualifiée de restituta sans
que ce qualificatif apparaisse comme une contre-vérité trop évidente. On
sait qu'il quittaΓ Vrbs dès mai/juin 27, soit quelques mois à peine après les
mesures décisives de janvier de cette année, pour se rendre en Gaule, puis
dans la péninsule Ibérique pour conduire la campagne contre les Cantabres.
Ce voyage l'éloigna du centre du pouvoir pendant plusieurs années et i l
ne fut de retour à Rome qu'au début de l'année 24. I l partit de nouveau
en 22 pour une longue tournée en Orient qui dura environ quatre années
22
(il revint à Rome le 12 octobre 19) . I l est évident qu'il veilla à faire
défendre ses intérêts et celui du régime qu'il était en train de mettre en
place par ses plus fidèles conseillers, qu'il faut identifier pour cette épo­
que moins avec Mécène que des sénateurs consulaires comme Agrippa ou
T. Statilius Taurus. I l demeure que l'absence physique d'Auguste des réu­
nions du Sénat ou des comices contribua dans une certaine mesure d'un
point de vue formel à faire fonctionner l'État romain sans que la mainmise
d'un seul homme et de sa famille n'apparaisse à Rome comme trop pesante
et ne fasse disparaître des rouages de l'État les principales gentes de l'aristo­
23
cratie romaine . Un seul exemple suffira. L'élection en 25 de M . Iunius
Silanus au consulat, à un moment où Auguste se trouvait en tant que
consul en Espagne, signifia que ce descendant d'une antique famille noble
plébéienne rallié à Auguste après avoir été antonien et promu quelques
années plus tôt au rang de patricien se trouva seul à Rome pour diriger les
affaires civiles. I l convoqua le Sénat et les comices, fixa l'ordre du jour de
ces réunions, présida les élections des consuls et préteurs pour l'année 24 et
fut dans la hiérarchie le plus haut personnage présent dansΓ Vrbs pendant
une année.
L'analyse prosopographique des titulaires du consulat de 28 à 17 est un
dernier élément à prendre en compte pour mieux évaluer les modalités de
la restauration de la Res publica, mais aussi l'évolution et les limites d'un
tel programme politique. Au départ, de 28 à 23, le nombre de nouveaux
consuls fut fortement réduit en raison de la monopolisation du consulat par

22. Sur les déplacements d'Auguste de 27 à 19, cf. HALFMANN H., Itinera principum: Geschichte und
Typologie der Kaiserreisen im römischen Reich, Stuttgart, 1986 et KIENAST D., Römische Kaisertab
2
Darmstadt, 1996 , p. 63.
23. Cf. dans ce sens BLEICKEN, Augustus, p. 354; ANDO Cl., Imperial Ideology and Provincial Loyalty
in the Roman Empire, Berkeley, 2000, p. 139 et RAINER J.M., Römisches Staatsrecht. Republik un
Prinzipat, Darmstadt, 2006, p. 196.

80
L'ARISTOCRATIE AUGUSTÉENNE ET LA R E S P U B L I C A R E S T I T U T A

Auguste et, dans une moindre mesure, par Agrippa et T. Statilius Taurus.
Une telle situation ne manqua pas de poser problème à la fois parce qu'elle
contrevenait à l'interdiction de l'itération du consulat avant un délai de
dix années et qu'elle mécontenta l'aristocratie sénatoriale romaine en la
dépossédant de ce qui restait la magistrature suprême. L'abdication en 23
du consulat au profit de la puissance tribunicienne se justifie d'ailleurs
autant - sinon plus - par la crainte des sénateurs d'être concrètement privés
du gouvernement des provinces consulaires que par les difficultés institu­
tionnelles créées par l'exercice continu d'une magistrature qu'il n'était pas
24
d'usage de détenir aussi longtemps . Cette réforme conduisit à l'élection
de quatorze nouveaux consuls pour la période qui va de 23 à 17. On revien­
dra infra sur la question de leur origine sociale.
Bilan. Au terme d'une évolution qui trouve son point de départ dans
le contexte de l'année 28, la magistrature consulaire retrouva des règles de
fonctionnement qui avaient été perturbées par les pratiques d'époque triu­
mvirale. Élections des consuls par les comices, alternance des faisceaux et
du praetorium, serment prêté en fin de d'année, ces éléments s'inscrivaient
d'autant mieux dans le cadre d'une restauration de la Res publica qu'Auguste
fut fréquemment absent de Rome tout au long des années 20. S'y ajoute
qu'en dépit de diverses analyses récentes, aucune disposition légale n'est à
ce jour connue pour avoir introduit de réforme qui allait dans le sens d'un
affaiblissement des pouvoirs des consuls par rapport à ceux du prince. La
restauration du consulat, si elle est avérée à bien des égards d'un point de
vue formel, ne signifie toutefois pas que rien n'avait évolué dans l'exercice
même de cette magistrature. Le changement le plus important tient dans
le fait qu'à l'exception du prince, tous les consuls restèrent à Rome pendant
les douze mois de l'année sans jamais partir en campagne. I l s'agissait là
d'une déviation par rapport à une norme républicaine bien connue qui
ER
était toujours en vigueur durant la première moitié du I siècle av. J.-C.
Une telle « sédentarisation » des consuls, qui ne fit pas l'objet d'une mesure
législative et relevait plutôt d'une nouvelle pratique de gouvernement, eut
pour conséquence de les priver de facto de l'exercice de X imperium militiae,
composante de X imperium consulaire désormais réservé à Auguste et aux
autres gouverneurs de provinces.

24. Cf. Dion, LUI, 32, 3 qui précise qu'Auguste abandonna le consulat «afin que le plus grand nombre
possible (de sénateurs) puissent devenir consuls» ; cf. déjà dans ce sens MOMMSEN DPR, V, p. 147,
n. 1 ; cf. maintenant CARTLEDGE P., «The Second Thoughts of Augustus on the res publica in
28/7 B.C. », Hermathena, 119, 1975, p. 34 ; BLEICKEN J., Zwischen Republik und Prinzipat. Zum
Charakter des zweiten Triumvirats, Göttingen, 1990, p. 94-95 ; DETTENHOFER M . H . , Herrschaft un
Widerstand im augusteischen Principat. Die Konkurrenz zwischen res publica und domus Augu
Stuttgart, 2000, p. 103; EDER, « Augustus* [cité supra, η. 9], p. 25; GRUEN, « Augustus » [cité
supra, η. 8], p. 36.

81
FRÉDÉRIC HURLET

Les gouvernements provinciaux


L'exercice du pouvoir ne se concevant pas à Rome sans une atten­
tion portée aux provinces où étaient stationnés tous les soldats de Rome
et dont chacune était placée sous l'administration d'un gouverneur, i l
faut analyser en détail les mesures prises à ce sujet dans le courant des
années 20 pour déterminer si l'on peut ou non parler de restauration.
Jusqu'en 52, le gouverneur de province était d'ordinaire soit un magistrat
- consul ou préteur - , soit un promagistrat - d'ordinaire un proconsul
investi pour cette fonction d'un consulare imperium militine. La lexPompeia
de 52 introduisit plusieurs modifications en instaurant un délai quinquen­
nal entre l'exercice de la preture et du consulat et le droit de tirer au sort
une province, en limitant à une année la durée du gouvernement provincial
et en réservant aux consulaires le titre de proconsul et aux prétoriens celui
de propréteur. À l'instar du consulat, le gouvernement des provinces de
l'Empire fut fortement bouleversé à l'époque triumvirale par de nouvelles
pratiques qui visèrent à renforcer la mainmise des triumvirs sur les provinces
et les armées romaines notamment en leur donnant le droit de choisir pour
25
plusieurs années les différents gouverneurs . À l'issue de la guerre civile,
Octavien/Auguste ne pouvait manquer de mettre fin à tous les écarts à la
norme et d'en revenir aux usages proprement républicains, notamment
ceux qui avaient résulté de la lex Pompeia de 52. La légende du revers de
Xaureus de 28 indique que les mesures de janvier 27 constituaient à la fois la
dernière étape de la restauration de la Res publica entamée dès janvier 28 et
la composante militaire d'un tel processus dans la mesure où elles portaient
sur le partage des provinces et les règles d'attribution. On ne s'attardera pas
sur la loi qui investit le prince d'un commandement militaire sur une série
de provinces dites impériales dans la tradition des pouvoirs extraordinaires
26
de la fin de la République . On sait qu'Auguste les fit gouverner par des
délégués choisis parmi les sénateurs - au départ consulaires - et portant le
titre de légat. I l faut seulement rappeler dans le cadre de cette étude que ce
27
mode de gouvernement à distance s'inspira du précédent pompéien . La
loi de 27 sur les pouvoirs d'Auguste fut donc considérée au moment où elle
fut votée moins comme une innovation que comme une restauration de
pratiques qui avaient déjà été expérimentées. Tel était du moins le sentiment
que le régime voulait donner, l'extension des légations impériales dans le
temps et dans l'espace créant au bout du compte une situation nouvelle.
Le prince fit voter en janvier 27 une autre lexlulia relative au gouverne­
ment des autres provinces, celles qui avaient été rendues au peuple Romain
le 13 janvier 27 et qu'on peut qualifier de publiques. Elle est plus intéres­
sante pour notre propos, car elle concerna directement l'élite sénatoriale, à

25. Cf. RODDAZ J.-M., «Les Triumvirs et les provinces», H E R M O N E . (dir.), Pouvoir et imperium
(IIP av. J.-C.-I« ap. J.-C), Naples, 1996, p. 77-96.
26. Je renvoie à ce sujet à l'étude de Ferrary, citée supra, n. 11.
27. Cf. sur cette question H U R L E T Fr., «Auguste et Pompée», Athenaeum 94, 2006, p. 474-476.

82
L'ARISTOCRATIE AUGUSTÊENNE ET LA R E S P U B L I C A R E S T I T U T A

savoir des anciens préteurs et anciens consuls auxquels ces provinces étaient
désormais réservées. Là encore, la condamnation des pratiques triumvirales
fut articulée avec l'imitation du modèle pompéien pour donner toutes les
apparences d'un retour aux normes républicaines. Les similitudes entre la
lex Iulia de 27 et la lex Pompeia de 52 furent en effet si nombreuses que la
prégnance du modèle pompéien passait à l'époque augustéenne pour avoir
été incontestable. Réintroduction du tirage au sort, réinstauration du délai
quinquennal entre l'exercice de la preture ou du consulat et l'admission
au tirage au sort, rétablissement de la durée annuelle du gouvernement
de ces provinces publiques, ces éléments montrent que la restauration de
la Res publica, loin d'être un mensonge, trouvait une traduction dans des
réalités institutionnelles. Les différences constatées entre les deux lois, au
demeurant peu nombreuses (le fait que tout gouverneur de province publi­
que portait depuis 27 le titre de proconsul quelle que fût la magistrature
exercée précédemment ou encore présence dans la lex Iulia d'une clause
qui faisait du mariage et de la paternité des candidats au proconsulat un
critère à prendre en compte pour le tirage au sort), restent très techniques
et s'expliquent par un contexte qui avait bien changé. Elles ne remettent
en tout cas nullement en question l'idée selon laquelle avaient été fixées de
nouveau des règles strictes empruntées à un passé républicain pas si lointain,
mais appliquées à partir de 27 dans un tout autre esprit.
Les gouverneurs des provinces publiques étaient des dignitaires de haut
rang dont le nombre fut comparativement important à l'échelle de l'Empire
romain tel qu'il fut organisé au lendemain de la bataille d'Actium. De
27 à 22, on compte chaque année neuf proconsuls sur un total d'une ving­
taine de gouverneurs. Ce chiffre monte à onze en 22 avec l'intégration de
Chypre et de la Narbonnaise au rang de provinces publiques, puis à douze
sans doute entre 16-13 avec le transfert de la Bétique dans le domaine du
peuple Romain pour retomber à dix lorsque l'Illyrie et la Corse-Sardaigne
devinrent des provinces impériales (respectivement à la fin des années
10 av. J.-C. et en 6 ap. J.-C). Si on se place d'un point de vue formel, la
nouvelle situation issue du partage de janvier 27 ne se laisse pas assimiler
à une simple mainmise d'Auguste sur l'Empire : près de la moitié des pro­
vinces furent gouvernées tout au long du principat d'Auguste par des pro­
consuls dont le pouvoir était entièrement indépendant de celui du prince,
en théorie du moins. S'y ajoute que sur la dizaine de proconsuls désignés
chaque année, trois au moins continuèrent à commander des légions et
furent amenés pour cette raison à faire usage de leur imperium militiae (pro­
28
consuls d'Afrique, de Macédoine et d'Illyrie) . Qui plus est, les proconsuls
d'Afrique étaient des consulaires placés à la tête d'au moins une légion, voire
de plusieurs durant les décennies 20-10, et entourés dans l'exercice de leurs
29
fonctions de douze licteurs portant autant de faisceaux munis des haches .

28. HURLET Fr., Le proconsul et le prince d'Auguste à Dioclétien, Bordeaux, 2006, p. 135-154.
29. HURLET Fr., «Le proconsul d'Afrique d'Auguste à Dioclétien», Pallas 68, 2005, p. 153-154.

83
FRÉDÉRIC HURLET

Deux d'entre eux, L. Sempronius Atratinus et L. Cornelius Balbus, furent


en outre autorisés (par le Sénat et avec l'aval d'Auguste) à célébrer un triom­
phe après et en dépit des mesures de janvier 27, respectivement en octobre
21 et mars 19, ce qui confirme qu'ils furent investis du summum imperium
militiae. L'État augustéen fit donc procéder chaque année au tirage au sort
d'un gouverneur de province doté du même statut qu'Auguste (ils étaient
tous les deux consulaires), du même nombre de faisceaux et du même
consulare imperium militiae. Par son mode de désignation et l'étendue de ses
pouvoirs, le proconsul d'Afrique apparaissait à l'échelon provincial comme
une pièce constitutive et représentative de la Res publica restituta d'Auguste
sans être pour autant l'alter ego du prince ni avoir été considéré comme
tel, ne fût-ce parce que ses fonctions furent limitées à une année et à un
territoire moins vaste.
La restauration de la Res publica constitue une réalité si l'on analyse la
situation à Rome dans le courant des années 20. À l'issue d'un processus
er
qui commença le 1 janvier 28 pour s'achever avec la ou les séance(s) de
janvier 27 relative(s) au gouvernement des provinces, l'État romain redevint
un État de droit qui mit un terme aux pratiques triumvirales et subor­
donna le fonctionnement des institutions politiques au strict respect de
règles d'essence républicaine - qu'elles remontent à Pompée ou aux origines
de la République. Faut-il comprendre que d'un point de vue proprement
institutionnel, la Res publica restituta équivalait à une restauration de la
République ? Non, bien entendu, dans la mesure où la place occupée de
façon continue par Auguste à la tête de l'État avait définitivement per­
turbé les anciens équilibres. La principale modification institutionnelle est
à chercher dans la permanence des pouvoirs civils et militaires détenus par
le prince et dans leur cumul, situation qui se stabilisa avec la réforme de
23 autorisant le prince à passer le pomerium aussi souvent qu'il le voulait
sans être contraint de faire renouveler son imperium à chaque occasion.
Dans le même temps, le consume imperium détenu en même temps par
les consuls et les proconsuls, s'il ne fit l'objet d'aucun réforme de fond, fut
si bien fractionné que les premiers furent amenés à faire usage de la seule
composante civile de leur pouvoir (Yimperium domi) pendant une seule
année, tandis que les seconds ne furent investis que d'un pouvoir militaire
imperium militiae) pour la même durée. Sous l'apparence d'une restau­
ration formelle du fonctionnement de la vie politique, Auguste réussit à
se réserver la première place au sein de la Res publica restituta en se faisant
attribuer des pouvoirs extraordinaires qui comptaient des précédents répu­
blicains, en particulier pompéiens.

84
L'ARISTOCRATIE AUGUSTÉENNE ET LA R E S P U B L I C A R E S T I T U T A

Le rétablissement de Tordre social traditionnel

La restauration de la Res publica n'allait pas sans le rétablissement d'an­


30
ciennes valeurs , mais aussi d'un ordre social déterminé qui était celui de
la République romaine et accordait la primauté aux sénateurs, en particulier
à ceux qui étaient issus de la noblesse romaine et avaient suivi une carrière
31
des honneurs les conduisant aux plus hautes magistratures . Une remise en
ordre des structures traditionnelles de la société romaine fut jugée nécessaire
par Octavien/Auguste pour marquer une rupture avec l'époque triumvirale
caractérisée par une série de dérogations par rapport à la norme. Les années
43-31 furent en effet vécues comme une période de troubles propice à des
carrières exceptionnelles. Des affranchis profitèrent des circonstances pour
remplir au service de l'un ou l'autre triumvir des fonctions centrales dont
ils n'auraient jamais été investis en temps normal. Les sources ne cessent
également de dénoncer l'obscurité des origines de certains aventuriers inté­
grés dans la hiérarchie sociale de Rome à la faveur de leur amitié avec l'un
ou l'autre triumvir. Les critiques adressées à Ventidius Bassus à ce sujet
- il aurait été fournisseur de mulets pour l'armée - , qu'elles soient ou non
fondées, témoignent des réactions suscitées par l'ascension d'un proche de
Marc Antoine qui revêtit tour à tour la même année, en 43, la preture et
32
le consulat au mépris des règles élémentaires . Mais le personnage le plus
emblématique de ce dérèglement social reste Mécène, un chevalier originaire
d'Étrurie, qui fut laissé en 36 à la tête de Rome et de l'Italie en l'absence
d'Octavien et qui y exerça des pouvoirs répressifs même si les fondements
de son autorité sont encore loin d'être clairs. I l obtint une mission identique
de 31 à 29 pendant la présence d'Octavien en Orient, mais le retour de ce
dernier à Rome consacra une rupture dans la carrière de Mécène et coïncida
avec une politique de restauration qui finit par l'écarter des premiers rangs
55
de la vie politique et le confina dans la recherche de Yotium .
Octavien prit très tôt, peu après ses victoires sur Marc Antoine, une série
de mesures d'ordre social qui allèrent dans le même sens et dont l'objectif
était double : faire appliquer de nouveau les règlements traditionnels qui
distinguaient les divers groupes de la société romaine en subordonnant le
passage de l'un à l'autre à des conditions strictes et attribuaient à chacun
d'eux des tâches déterminées en fonction de leur place dans la hiérarchie ;
se donner dans le même temps les moyens d'intervenir dans le processus
de prise de décision qui autorisa un ou plusieurs individus à entrer au
Sénat ou à détenir au sein de celui-cî une position privilégiée. Dès 30,

30. Bien étudié par GALINSKY K . , Augustan Culture: an Interpretative Introduction, Princeton, 1996,
p. 63-64 et p. 80-140.
31. C'est en ce sens que le passage de la République à l'Empire ne s'accompagna d'aucune mutation
sociale et fut caractérisé par Fr. D E MARTINO comme « une révolution manquée » (« Une rivoluzione
mancata», Rivoluzione romana inchiesta tra gli antichisti, Naples, 1982, p. 20-33).
32. Sur les origines de Ventidius Bassus, cf. FERRIES M.-CL, «Nam mulas quifricabat, consulfactus est»,
REA 98,1996, p. 79-90.
33. Cf. à ce sujet l'article de Le Doze Ph. dans ce volume.

85
FRÉDÉRIC HURLET

il se fit reconnaître par la lex Saenia le droit d'augmenter le nombre de


34
patriciens . Ce privilège, exorbitant dans le contexte de l'époque, fut sans
doute diversement commenté, mais il témoignait aussi d'une volonté de
renouvellement d'un patriciat qui avait souffert des guerres civiles et dont
l'existence apparaissait comme indissociable de l'histoire de Rome. En
29-28, il exerça avec Agrippa les fonctions de censeur en vertu d'une censo-
35
ria potestas qui leur fut exceptionnellement accordée . La censure n'avait
plus été revêtue depuis 70 alors que sa périodicité était quinquennale, ce
qui en dit long sur l'atmosphère de restauration vécue par les Romains pré­
sents à Rome en 29-28. La cérémonie du cens fut tout d'abord de nouveau
organisée pour la première fois depuis plus de quarante ans. Elle contribua
à redéfinir la place de chaque citoyen dans la société en fonction du mon­
tant de la somme déclarée et à soumettre par ce biais le statut de sénateur
à une condition censitaire préalable, Octavien n'hésitant pas par ailleurs
à renflouer les fortunes de certaines familles de sénateurs qui n'étaient
pas ou plus en possession de la somme minimale à déclarer - à savoir
400 000 sesterces en 28. Dans le prolongement du recensement des citoyens
et conformément aux règles traditionnelles, Octavien et Agrippa procédè­
rent à une lectio senatus. Cette opération traditionnelle était nécessaire, dans
la mesure où un Sénat déjà largement pléthorique avec Jules César avait
accueilli depuis lors de nouveaux membres, dont certains n'avaient pas les
capacités requises, pour compter environ un millier de membres. Octavien
réussit à limiter le nombre de sénateurs, dont un certain nombre avait été
des partisans de Marc Antoine, mais il lui fallut pour arriver à ce résultat
deux lectionesy qui eurent lieu à dix années d'intervalle. En 28, il exclut du
Sénat 190 sénateurs (50 furent persuadés par Octavien de quitter le Sénat
volontairement, 140 autres y furent contraints). En 18, il révisa de nouveau
les listes pour atteindre le chiffre de 600 sénateurs au terme d'une procé­
36
dure complexe décrite en détail par Dion Cassius , mais sans parvenir à
aller au-delà et atteindre le chiffre de 300 qui avait été en vigueur avant la
dictature de Sylla. Quelles qu'en soient les limites, la restauration sociale du
Sénat fut à l'œuvre durant les années 20 et le début des années 10. Elle se
fit au détriment de plusieurs centaines de sénateurs, qui n'avaient pas tous
été des partisans de Marc Antoine.
La législation augustéenne en matière de moeurs est également inté­
ressante pour notre propos, car elle eut pour objet de remédier aux pro­
blèmes démographiques qui touchaient tout particulièrement les familles
sénatoriales. On connaît la lex Iulia de maritandis ordinibus, votée en
18 av. J.-C. et complétée en 9 ap. J.-C. par la lex Papia Poppaea, mais i l
faut rappeler que la question des privilèges à réserver aux sénateurs mariés
et père d'un ou plusieurs enfants fut débattue dès le retour d'Octavien à

34. Sur la lex Saenia, cf. Dion, L U , 4, 5 ; Res Gestae, 8 et Tac, Ann., X I , 25, 2.
35. Cf. à ce sujet le commentaire de Scheid dans la nouvelle édition des Res Gestae (Paris, CUF, 2007,
p. 39-40).
36. D I O N , LIV, 13-14.

86
L'ARISTOCRATIE AUGUSTÊENNE ET LA R E S P U B L I C A R E S T I T U T A

Rome en 29. C'est ce que laisse entendre un passage de Properce en vertu


duquel Octavien/Auguste songea à introduire une loi matrimoniale dès les
37
années 29-27 ; Dion Cassius précise dans le même sens que les privilèges
attachés au mariage et à la paternité furent pris en compte à partir de 27
38
pour la désignation des proconsuls à la tête des provinces publiques . I l a
été souligné que l'historien grec y faisait référence de manière anticipée à
une mesure qui devrait être plutôt analysée comme une clause de la lexlulia
39
de maritandis ordinibus de 18 . Philippe Moreau a présenté récemment à
ce sujet une nouvelle interprétation qui concilie l'ensemble des sources en
défendant l'idée selon laquelle une première série de mesures aient déjà été
40
prises dans ce sens dès 28/27 . I l faut pour cela admettre que l'opposi­
tion d'un certain nombre de sénateurs au projet initial de 29-27 conduisit
Octavien à retirer la rogano qu'il avait introduite à ce sujet avant d'être
soumise au peuple (tel est le sens de l'expression sublatam legem choisie par
Properce) et à insérer les privilèges liés au mariage et à la paternité dans les
différentes lois votées en 28-27 lors de la mise en application du programme
de restauration. Ce n'est qu'en 18 que de telles dispositions auraient été
regroupées dans une seule loi. Les mesures strictes prises par Auguste en
matière de législation morale étaient inédites, mais elles avaient pour objet
d'accroître le taux de natalité au sein des familles sénatoriales décimées par
les guerres civiles et de reconstituer ainsi un vivier où seraient recrutés les
futurs sénateurs. Elles visaient en tout cas à garantir une certaine forme de
continuité en donnant au Sénat les forces vives dont il aurait besoin pour
fonctionner. I l est remarquable que les innovations introduites à ce sujet
durant les années 20 et au début des années 10 aient finalement servi au
rétablissement d'un ancien ordre social qui plaçait les sénateurs à la tête
de l'État.
Les familles de sénateurs étaient loin de former un groupe homogène
au sortir de la guerre civile qui avait opposé Octavien à Marc Antoine. I l
faut en particulier distinguer l'ancienne noblesse républicaine des élites
italiennes dont Ronald Syme a montré qu'elles furent en général favorables
à la monarchie et qu'elles finirent par prendre le dessus. Cette transfor­
mation du Sénat reste toutefois un processus qui s'étendit sur plusieurs
décennies et dont l'articulation avec le contexte de restauration de la
Res publica des premières années du nouveau régime reste à étudier. Une ana­
lyse de l'origine sociale des consuls en fonction de 29 à 18 montre en parti­
culier qu'un grand nombre d'entre eux continuèrent à être issus des familles
de la noblesse romaine. On y retrouve Sex. Appuleius (cos 29), Potitus

37. PROPERCE, II, 7,1-3.


38. DION, LUI, 13, 2.
39. Cf. dans ce sens BADIAN E., «A Phantom Marriage Law», Philologus 129, 1985, p. 82-98, avec le
rappel de la bibliographie ; plus récemment, M E T T E - D I T T M A N N Α., Die Ehegesetze des Augustus.
Eine Untersuchung im Rahmen der Geselhchafispolitik des Princeps, Stuttgart, 1991, p. 16-17.
40. Cf. MOREAU Ph., «Florentsub Caesare leges. Quelques remarques de technique législative à propos
des lois matrimoniales d'Auguste», RHD 81, 2003, p. 461-477 (avec le rappel de toute la biblio­
graphie sur cette question).

87
FRÉDÉRIC HURLET

Valerius Messalla (cos 29), M . Iunius Silanus (cos 25), C. Norbanus Flaccus
(cos. 24), Cn. Calpurnius Piso (cos 23), M . Claudius Marcellus Aeserninus
(cos 22), Q. Aemilius Lepidus (cos 21) et les deux Cornelii de 18 dont Tun
- Cn. Cornelius Lentulus Marcellinus - était un descendant de Scipion
41
rAfricain . Si on laisse de côté Octavien/Auguste, consul sans interruption
de 31 à 23, on conviendra que seule une minorité de consuls n était pas ori­
ginaire de Rome durant les premières années du nouveau régime. En dépit
de leur importance politique, Agrippa et T. Statilius Taurus représentèrent
l'exception plus que la règle pour ce qui est de l'origine familiale des consuls
de cette époque. L'élargissement de la classe dirigeante aux élites italiennes,
si elle constitua une réalité, ne se manifesta donc que progressivement pour
ce qui touche les consuls. Durant les années 20 et au début des années 10,
le contexte de restauration de la Res publica ne manqua pas d'avantager
l'ancienne noblesse romaine dans les diverses compétitions électorales. Une
telle situation perdura jusqu'en 4 av. J.-C, en tout cas pour le consulat,
voire se renforça, puisque les consuls en fonction de 17 à 4 av. J.-C. étaient
42
presque tous issus de la noblesse .
Il faut enfin s'interroger sur l'attitude adoptée par Octavien/Auguste
dans ses relations avec l'ancienne noblesse républicaine, à laquelle il n'ap­
partenait pas par sa naissance. Son adoption posthume par Jules César fit de
lui un membre à part entière d'une atsgentes proprement romaines, préten­
dant être liée à la fondation même de Rome, même si elle ne fit pas totale­
ment oublier ses origines - du moins au départ. Le retour à un ordre social
traditionnel accentua la volonté d'Auguste, qui était aussi une nécessité, de
renforcer ses liens avec les grandes familles de Rome. Les modalités de cette
stratégie étaient multiples. Son mariage avec Livie n'avait pas été dénué
d'une signification politique qui lui attacha lagern Livia et h gens Claudia.
Une dizaine d'années plus tard, après sa victoire à Actium, il continua à
nouer des liens avec d'autres gentes par le biais d'alliances matrimoniales qui
passèrent par d'autres princesses de la famille impériale. Sa propre fille Julie
fut tout d'abord donnée en mariage à son neveu, M . Claudius Marcellus, le
fils d'Octavie, qui faisait partie d'une branche influente de la gens Chudia,
avant que la mort de ce dernier en 23 ne l'amenât à épouser peu après
Agrippa. Les deux Marcella et Antonia Maior furent elles aussi impliquées
dans des stratégies matrimoniales datées des années 20 et 10 av. J.-C.
Née vers 43, Marcella Maior, qui était la fille d'Octavie et de C. Claudius
Marcellus, fut donnée en mariage à Agrippa, puis à Iullus Antonius après
qu'Agrippa eut divorcé pour épouser Julie en 22-21. Née probablement
en 39, Marcella Minor eut selon toute vraisemblance trois maris, dont le
premier reste inconnu ; le second fut un membre de la noblesse romaine,
M . Valerius Messala Barbatus, un des consuls de 12 av. J.-C. (le mariage

41. Cf. dans ce sens la récente synthèse de ETCHETO H., «La parenté de Cornelia Scriboniaefilia et le
tombeau des Sapions», REA 110,2008, p. 117-125.
42. Pour un état de la question, cf. BIRLEY A.R., «Q. Lucretius Vespillo (cos. ord. 19)», Chiron 30,
2000, p. 722-723, n. 46.

88
L'ARISTOCRATIE AUGUSTÉENNE ET LA R E S P U B L I C A R E S T I T U T A

eut lieu à la fin des années 20 ou durant les années 10) ; à la mort de ce
dernier, elle épousa en troisièmes noces un autre noble issu d'une famille
43
prestigieuse, Paullus Aemilius Lepidus (cos 34 av. J.-C.) . Antonia Maior
fut donnée en mariage à L. Domitius Ahenobarbus, le consul de 16 av.
44
J.-C, également durant les toutes premières années du nouveau régime .
La belle-fille d'Auguste, Cornelia, issue du premier mariage de Scribonia
avec un Cornelius, fut mariée à Paullus Aemilius Lepidus également durant
ces années, tandis que sa cousine germaine Marcia - fille de L. Marcius
Philippus (cos suif 38) et d'Atia Minor - épousa Paullus Fabius Maximus
(cos 11 av. J.-C.) vers le même moment. I l faut ajouter que Sex. Appuleius,
le consul ordinaire de 29, était le neveu du prince en tant que fils de la
demi-sœur d'Auguste, Octavie (Maior). Au total, le prince s'assura dès les
années 20 des alliances avec d'autres puissants personnages issus de grandes
45
gentes . I l s'imbriqua ainsi au sein des grandes familles républicaines, liées
à sa famille par ce que le droit successoral qualifie d'adfinitas, parenté par
alliance. I l devint à ce titre un primus inter pares d'un point de vue non
seulement institutionnel comme i l a déjà été souligné dans la première
partie, mais aussi social grâce à l'étroit réseau d'alliances qu'il sut mettre
en œuvre.

L'aristocratie et le pouvoir à l'époque augustéenne :


une concurrence à réinventer

En dépit de l'appartenance revendiquée d'Octavien/Auguste à l'élite


de la noblesse romaine, sa victoire finale sur Marc Antoine créa une
situation nouvelle qui s'apparenta à la domination sans partage exercée
quinze années auparavant par Jules César pendant un bref laps de temps
(46-44). La question qui se posa à Rome aussi bien en 46-44 qu'en 31-29
fut de savoir comment les deux généraux victorieux comptaient articuler
à leur retour à Rome leur position issue d'un coup de force militaire avec
le traditionnel monopole exercé en politique par une poignée de familles
nobles. Jules César ne s'embarrassa guère pour sa part de précautions, les
sources attestant qu'il n'hésita pas à faire adopter des mesures contraires au
mos maiorum et perturber ainsi les anciens équilibres. Ce faisant, il mit à
mal un des principes sur lesquels avait reposé le fonctionnement de la vie
publique tout au long de l'époque républicaine, à savoir la concurrence que
n'avaient cessé de se livrer les sénateurs au sein d'un régime politique à la

43. Sur les mariages de Marcella Minor, cf. Fusco U. et GREGORI G.-L., «A proposito dei matrimoni
di Marcella Minore e del monumentum dei suoi schiavi e liberti», ZPE 111, 1996, p. 226-232.
44. Antonia Maior futfiancéeà L. Domitius Ahenobarbus alors quelle avait à peine deux ans en 37,
en relation avec les accords de Tarente conclus entre Octavien et Marc Antoine. Le mariage eut
lieu sept années plus tard.
45. Sur ces questions, cf. C O R B I E R M., «La Maison des Césars», BONTÉ P. (dir.), Épouser au plus
proche. Inceste, prohibitions et stratégies matrimoniales autour de la Méditerranée, Paris, 199
p. 243-291, en particulier p. 259-261 pour la multiplicité des alliances pour la période qui va de 43 à
28 av. J.-C.

89
FRÉDÉRIC HURLET

fois foncièrement aristocratique et compétitif. Arbitrée par le peuple, cette


rivalité entre aristocrates fut assimilée à une saine émulation qui avait fait
de la Rome républicaine une société non figée (des grandes familles pou­
vaient disparaître de la vie politique pendant plusieurs décennies au profit
d'autres gentes avant de réapparaître en réussissant à placer un de ses mem­
bres au sommet du cursus honorum) et qui fonda le consensus sur le rôle
46
central dévolu à une noblesse en perpétuel renouvellement . Jules César
fut assassiné pour avoir entre autres sous-estimé le poids de la concurrence
dans une culture politique aristocratique dont il était pourtant issu. Averti
par le sort réservé à son père adoptif, Octavien eut le choix entre plusieurs
attitudes à l'égard de l'aristocratie sénatoriale à son retour à Rome en 29 :
soit i l lui imposait le nouveau régime, si besoin par la force, à la manière
de Jules César ; soit il négociait avec celle-ci, d'une manière ou d'une autre,
son maintien à la tête de Rome et de l'Empire. De son côté, l'aristocratie
sénatoriale pouvait elle aussi hésiter entre l'opposition et la compromission
ou l'accommodement. Les propos qui suivent ont pour objet de déterminer
la solution retenue par Auguste en ne perdant jamais de vue sa dimension
évolutive et l'empirisme dont il fit toujours preuve lorsqu'il s'est agi de faire
accepter le nouveau régime par les sénateurs.
La nature des relations d'Octavien/Auguste avec les familles d'une
noblesse à laquelle i l appartenait est une question centrale qui a déjà été
traitée par l'historiographie contemporaine et à laquelle plusieurs répon­
ses différentes ont été apportées. Le premier modèle d'explication à avoir
été présenté tient dans l'idée d'un «compromis» qui aurait abouti à un
partage - inégal - du pouvoir accepté par les deux parties : la position iné­
dite du prince à la tête de Rome et de l'Empire aurait été reconnue par
les sénateurs à travers les pouvoirs dont ces derniers l'avaient légalement
investi, mais toujours de façon provisoire et à la condition que l'aristocratie
47
sénatoriale jouisse d'un espace de liberté politique . Un tel arrangement

46. Sur les rapports qui se sont établis dans la Rome républicaine entre le consensus (sur la nature
aristocratique du régime) et la concurrence (entre les aristocrates), cf. HÖLKESKAMP K . - J . ,
Rekonstruktionen einer Republik. Die politische Kultur des antiken Roms und die Forschung d
ten Jahrzente, Munich, 2004 (traduction française : Reconstruire une république, Nantes, 2008) qui
a montré que ces deux concepts souvent opposés l'un à l'autre étaient en réalité complémentaires
sous la République ; cf. aussi tout récemment HÖLKESKAMP, « Images of Power : Memory, Myth and
Monuments in the Roman Republic», SCI24, 2005, p. 249-271 et «Konsens und Konkurrenz.
Die politische Kultur der römischen Republik in neuer Sicht», Klio 88, 2006, p. 360-396.
47. L'idée d'une collaboration entre le prince et le Sénat, voire d'un accord (= Übereinstimmung) était
présente chez MEYER E . , Kaiser Augustus, Kleine Schrifien zur Geschichtstheorie und zur wirtsch
chen und politischen Geschichte des Altertums, 1.1, Halle, 1910, p. 444-449. Sur l'emploi du terme
« compromis », cf. MOMMSEN, DPR, VII, p. 486 ; BLEICKEN J., « Prinzipat und Dominât. Gedanken
zur Periodisierung der römischen Kaiserzeit», Wiesbaden, 1978 (Frankfurter Historiche Vortrage
6), p. 12 [= Gesammelte Schriften, t. II, Stuttgart, 1998, p. 824] ; Verfassungs-und Sozialgeschic
2
des römischen Kaiserreiches, 1.1, Paderborn, 1981 , p. 25 ; Zwischen Republik und Prinzipat, zum
Charakter des zweiten Triumvirats, Göttingen, 1990, p. 7; «Prinzipat und Republik. Überlegungen
zum Charakter des römischen Kaisertums », Sitzungsberichte der wissenschaftlichen Geselbchaft
der Johann Wolfgang Goethe-Universität Frankfurt am Main, t. XXVII 2, Stuttgart, 1991, p. 81
[= Gesammelte Schriften, t. II, Stuttgart, 1998, p. 803] ; Augustus, p. 327; CASTRITIUS H., «Das
römische Kaisertum als Struktur und Prozess», HZ, 230, 1980, p. 92; KIENAST D., Augustus.
Prinzeps und Monarch, Darmstadt, 1999 , p. 90-92 et 153; RICH-WILLIAMS, «A New Aureus of
3

90
L'ARISTOCRATIE AUGUSTÉENNEETLA RES PUBLICA RESTITUTA

politique se serait achevé durant la ou les séance(s) du Sénat de janvier 27,


lorsque l'Empire fut divisé en provinces impériales et provinces publiques
après qu'Octavien eut rendu le 13 janvier au peuple et au Sénat l'admi­
nistration des provinces qu'il gouvernait encore. Ainsi résumée, une telle
analyse est longtemps restée l'opinion dominante. Elle a été battue récem­
ment en brèche par Maria Helena Dettenhofer dans une monographie
qui retient plutôt l'idée d'une «résistance» durable d'un grand nombre de
48
sénateurs à l'égard d'Octavien/Auguste . Une telle contestation sénatoriale
du nouveau régime aurait été particulièrement active durant les années
20 av. J.-C, en dépit des victoires d'Octavien de la fin des années 30 ; elle
se serait éteinte sur le tard, dans le courant des années 8 à 14 ap. J.-C, à
partir du moment où la Res publica et la domus Augusta se seraient confon­
dues. Dans cette perspective, Auguste aurait été un César qui avait réussi
parce qu'il avait été non seulement plus prudent, mais aussi plus méfiant
que son père adoptif. La thèse de Dettenhofer est stimulante et originale
notamment parce qu'elle retrace l'évolution du principat augustéen à l'aune
des résistances suscitées à Rome par la prise du pouvoir d'Octavien/Auguste
et toutes étouffées. Elle se heurte toutefois à une série d'objections sérieuses
parce qu'elle fait un usage excessif de l'argument a silentio (notamment en
relation avec les Res Gestae) et force l'interprétation de plusieurs sources (de
49
Dion Cassius avant tout) .
Les modèles théoriques du « compromis » ou de la « résistance » ne peu­
vent convenir ni l'un ni l'autre en l'état. L'idée même du compromis de
janvier 27 n'est rien d'autre que la projection sur les premières années du
principat d'Auguste d'une situation qui apparaît plutôt comme le résultat
d'une évolution sur le long terme. Elle est donc anachronique dans le sens
où elle ne fut jamais ressentie comme telle par les Romains des années 20.
S'y ajoute que le sentiment de fragilité des destins humains de l'époque,
en particulier du destin d'Auguste eu égard à la faiblesse de sa constitution
physique comme il a déjà été souligné, interdisait à l'aristocratie sénatoriale
de faire en 27 le pari de la longue durée du principat. Quant à la thèse
de la résistance, outre qu'elle ne repose sur aucune source, elle présente
l'inconvénient d'assimiler les sénateurs concernés par cette attitude à de
farouches opposants qui n'auraient pas compris ou voulu comprendre la
nouvelle distribution des pouvoirs issue de la victoire d'Actium. Or aucun
d'entre eux ne pouvait raisonnablement espérer tirer un profit quelconque
d'une opposition stérile à un homme qui contrôlait une grande partie de
l'armée romaine et dont l'autorité ne cessa de se renforcer. I l est un autre
concept qui apparaît plus efficace pour rendre compte des rapports entre
le prince et l'aristocratie sénatoriale dans toute leur complexité: celui de

Octavian and the Settlement of 28-27 BC» [cité supra, n. 12], p. 203; EDER, « Augustus » [cité
supra, n. 9], p. 25.
48. DETTENHOFER, Herrschaft und Widerstand [η. 24].
49. Pour une critique plus développée des positions de Dettenhofer, cf. mon c.r. dans Latomus, 62,
2003, p. 192-195.

91
FRÉDÉRIC HURLET

concurrence. I l a déjà été utilisé à maintes reprises par Dettenhofer, mais


comme parfait synonyme de résistance de manière à souligner les difficul­
tés rencontrées par le prince pour imposer le nouveau régime à un certain
nombre de sénateurs. I l est une autre manière d'exploiter une telle notion
dans le contexte de l'époque augustéenne. I l faut pour cela distinguer la
concurrence opposant l'aristocratie sénatoriale à Octavien/Auguste et la
concurrence entre les aristocrates. La première variante, si elle ne disparut
jamais complètement, finit très vite par être d'autant moins visible que
l'emprise du prince sur Rome et l'Empire se renforça. La seconde fut au
contraire encouragée par Octavien/Auguste parce que ses manifestations
prolongèrent des pratiques en vigueur sous la République et contribuèrent
ainsi à définir le mode de fonctionnement de la Res publica restituta. Il faut
désormais analyser les modalités de ces différentes formes de concurrence.
L'enjeu est de déterminer dans quelle mesure et comment ce fondement de
la vie politique sous la République s'adapta à la présence à la tête de l'État
d'une autorité prééminente.

La concurrence entre Octavien/Auguste et Varistocratie sénatoriale

Le regard rétrospectif jeté sur la réussite d'Auguste ne doit pas faire


oublier que celui-ci eut à affronter et maîtriser au départ une situation
de concurrence avec la noblesse romaine après et en dépit de sa victoire
50
sur Marc Antoine . La rivalité fut particulièrement vive à son retour
à Rome de 29 à 27 et se manifesta dans différents domaines de la vie
publique et de différentes manières. La permanence des triomphes durant
cette période est un phénomène remarquable. Les Fastes triomphaux enre­
gistrent les noms de six généraux qui ont en commun d'avoir triomphé
en tant que proconsuls à la suite de campagnes menées entre la victoire
à Actium et la réforme provinciale de janvier 27: C. Calvisius Sabinus,
proconsul d'Espagne Citérieure en 29/28, dont le triomphe est daté du
26 mai 28 ; C. Carrinas, proconsul des Gaules en 29/28, qui triompha le
14 juillet 28 ; L. Autronius Paetus, proconsul d'Afrique en 29/28, qui triom­
pha le 16 août 28 ; M . Licinius Crassus, proconsul de Macédoine de 30 à
28, qui célébra son triomphe le 4 juillet 27 ; M . Valerius Messala Corvinus,
proconsul des Gaules en 28/27 et de retour à Rome en triomphateur le
25 septembre 27; Sex. Appuleius, proconsul d'Espagne Citérieure en 28/27,
dont la salutation impériale est attestée {CIL, IX, 2637 = ILS, 894) et qui
triompha le 26 janvier 26. Par la suite, seuls deux proconsuls d'Afrique
triomphèrent à la suite de succès remportés à coup sûr après la réforme
provinciale de janvier 27: en l'occurrence L. Sempronius Atratinus le

50. Sur l'existence dans les années 20 av. J.-C. d'une concurrence entre le prince et un certain nombre
de représentants de familles de la noblesse romaine, cf. l'article de CARTLEDGE, « The Second
Thoughts of Augustus » [cité supra n. 24], p. 30-40.

92
L'ARISTOCRATIE AUGUSTÊENNE ET LA R E S P U B L I C A R E S T I T U T A

51
12 octobre 21 et L. Cornelius Balbus le 27 mars 19 . Il est bien connu que
le triomphe de L. Cornelius Balbus fut le dernier à avoir été célébré par un
général qui ne fut pas membre de la famille impériale, mais on oublie sou­
vent de souligner ce que la permanence d'une concurrence dans le domaine
triomphal durant les années 20 impliquait d'un point de vue politique et
institutionnel. Ce phénomène signifiait que huit généraux romains tous
consulaires et à ce titre issus de l'élite du Sénat reçurent le même honneur
qui avait été décerné à Auguste en août 29. La préséance militaire du prince
ne se discutait pas en raison de l'état des forces militaires en présence,
mais la restauration de la Res publica créa un contexte favorable au départ
au maintien d'autres uiri triumphales. Une attention portée aux interven­
tions dans l'urbanisme de Rome depuis l'époque triumvirale jusqu'aux
années 20 aboutit à une conclusion identique. Elle a conduit François
Hinard à la conclusion qu'Octavien/Auguste, loin d'avoir conçu d'emblée
un véritable projet urbain, partagea le privilège d'imprimer sa marque sur
52
Γ Vrbs avec vingt-quatre autres uiri triumphales entre 43 à 19 . Si le prince
apparaît comme celui qui commandita et finança le plus grand nombre des
constructions « triomphales » de cette période, l'existence assurée de quel­
ques opérations prises en charge par d'autres membres de la noblesse après
Actium invite à ne pas faire remonter aux premières années du nouveau
53
régime le monopole impérial exercé à Rome dans le domaine édilitaire .
L'évolution était en tout cas loin d'être achevée en la matière en 29-27. La
question était à l'époque de savoir jusqu'où pouvait aller une telle rivalité.
L'épisode du refus des dépouilles opimes à M . Licinius Crassus à son
retour à Rome en 28 constitue à n'en pas douter un moment-charnière dans
l'évolution de la concurrence entre le prince et les principaux sénateurs. I l
est bien connu que cet ancien partisan de Marc Antoine rallié à Octavien
à la fin de la guerre civile réclama pour avoir tué de sa propre main le
chef des Bastarnes, Deldo, cet honneur militaire suprême, qui n'avait été
décerné auparavant qu'à trois généraux romains (Romulus selon la tradition,
e
A. Cornelius Cossus à lafindu V siècle et M . Claudius Marcellus en 222)
et qu'Octavien n'avait jamais été en mesure de demander. I l y avait donc
pour le prince un risque réel de voir son prestige militaire amoindri et
contrebalancé par les hauts faits d'un sénateur influent et issu de la vieille
noblesse romaine. Sans entrer dans le détail d'une affaire qui est complexe

51. Sur ces cérémonies triomphales, cf. les Fasti triumphales Capitolini et les Fasti triumphales
2
Barberiniani {CIL, I , p. 50 et 77 = Inscr. It., XIII, 1, p. 568-571). Cf. aussi les exemples de
M. Nonius Gallus et T. Statilius Taurus, qui furent salués tous deux imperator à la suite de succès
militaires remportés en 29 (Dion, LI, 20, 5; CIL, IX, 2642 = ILS, 895; CIL, II, 3556 = ILS,
893; CIL,X, 409 = ILS, 893a).
52. Cf. HINARD, «Entre République et principat» [cité supra, n. 6], p. 336-348.
53. Sur cette question, outre l'étude de Hinard citée à la note précédente, cf. ECK, « Senatorial Self-
Representation » [cité supra, n. 9], p. 139-141. Il ressort que sur les huit proconsuls qui triom­
phèrent après la victoire à Actium, trois d'entre eux sont connus pour être intervenus dans le
financement de constructions triomphales : C. Calvisius Sabinus et M. Valerius Messala Corvinus
pour la restauration de portions de la uia Latina; L. Cornelius Balbus pour la construction du
théâtre qui porte son nom.

93
FRÉDÉRIC HURLET

54
d'un point de vue institutionnel , Crassus n'eut finalement pas gain de
cause, puisqu'il célébra uniquement le triomphe le 4 juillet 27, tardivement,
sans avoir été autorisé à déposer les dépouilles opimes dans le temple de
55
Jupiter Feretrius . Son échec, lié peut-être au fait qu'on n'entendit plus
jamais parler de lui par la suite, montra aux Romains qu'une opposition
frontale au nouveau pouvoir était contre-productive, voire dangereuse.
C'était sans doute le meilleur moyen de faire comprendre que les rivalités
pouvaient continuer à se manifester au sein de l'élite sénatoriale à la condi­
tion expresse de ne pas concurrencer la position du prince. Cette prise de
conscience, qui fut sans nul doute rapide, explique que l'opposition au
prince et à son régime se soit manifestée par d'autres canaux que la voie
légale. Elle fut contrainte dans ces conditions de s'exprimer à travers les
conspirations qui furent au besoin inventées par le prince pour éliminer des
56
rivaux potentiels, en tout cas instrumentalisées par le nouveau régime .
Cette forme d'opposition, attestée dès l'époque triumvirale et peu après la
victoire d'Actium avec les agissements du fils du triumvir Lèpide, réapparaît
à partir de lafindes années 20 avec Murèna (23 ou 22) et L. Egnatius Rufus
(19) en partie parce que l'assassinat du prince fut considéré comme le seul
moyen de mettre fin à sa suprématie. L'évolution de la Res publica restituta
est donc à lier au glissement de sens d'une concurrence qui se déplaça du
centre du pouvoir finalement accepté comme tel par une grande partie
des sénateurs pour se limiter à l'octroi des honores secondaires auxquels les
mêmes sénateurs continuèrent à aspirer.

La concurrence au sein de Varistocratie sénatoriale

Octavien/Auguste comprit très vite qu'il lui fallait trouver à terme de


nouveaux champs de compétition à des sénateurs qui n'ignoraient plus
que la réalité du pouvoir leur échappait au fur et à mesure que le nouveau
57
régime se consolidait . La restauration de la Res publica passa donc par un
nouvel espace de liberté concédé à l'aristocratie sénatoriale par le prince,
mais aussi à terme au service du prince. Le retour au fonctionnement tradi-

54. Cf. en dernier lieu TARPIN M., «M. Licinius Crassus imperator, et les dépouilles opimes de la
République», RPh 77, 2003, p. 275-311.
55. Sur le refus d'octroyer à Crassus les dépouilles opimes, l'étude de R I C H J.W., « Augustus and the
spolia opima», Chiron 26, 1996, p. 85-127, a proposé une nouvelle interprétation en cherchant à
montrer que le prince aurait très bien pu manifester son opposition non pas officiellement, mais
de façon officieuse - « behind the scènes» - et sans avoir eu à intervenir au Sénat.
56. Sur l'instrumentalisation de l'opposition par le nouveau régime, cf. ROHR VIO Fr., Le voci del dis­
senso. Ottaviano Augusto e i suoi oppositori, Padoue, 2000 et COGITORE I., La légitimité dynast
dAuguste à Néron à l'épreuve des conspirations, Rome, 2002.
57. Vu par SYME, RR, p. 395 : «Malgré cela, ils pouvaient prospérer à l'ombre de la monarchie, pour­
suivre leurs vieilles querelles, conclure de nouvelles alliances - bref s'approprier une part non
négligeable du pouvoir et de ses profits»; cf. aussi PANI M., Potere e valori a RomafraAugusto e
e
Traiano, 2 éd., Bari, 1993, p. 29-37 qui montre que les différentes forces sociales de l'époque
julio-claudienne (c'est-à-dire l'ancienne nobilitas républicaine, une partie du nouveau Sénat...)
ne se tapissaient pas dans la Pax Augusta, mais reproduisaient la lutte politique comme à l'époque
républicaine, sous une forme toutefois différente (émeutes populaires, conjurations, révoltes de
palais jusqu'au « style de vie ») et sans remettre en question l'existence même d'un prince.

94
L'ARISTOCRATIE AUGUSTÊENNE ET LA R E S P U B L I C A R E S T I T U T A

tionnel des institutions politiques et à un ordre social fortement hiérarchisé,


s'il n'entendait pas rétablir la République en tant que régime politique,
signifiait tout d'abord que le jeu des rivalités entre familles pouvait se rani­
mer sous le contrôle étroit du nouveau pouvoir. Le seul changement, mais il
était de taille, résida dans la place prééminente que s'était réservée le prince
et à laquelle il ne fallait plus toucher. Si on laisse provisoirement de côté
le statut d'Octavien/Auguste, qui était d'ailleurs plus souvent en tournée
dans l'Empire qu'à Rome de 27 à 17, le résultat des mesures de 28 et de
27 le plus immédiatement perceptible aux yeux des Romains de cette épo­
que fut sans nul doute d'avoir recréé une atmosphère de concurrence entre
sénateurs dans la vie politique. La rupture par rapport à la période triu­
mvirale, au cours de laquelle la répartition des principaux honores comme
les magistratures et promagistratures avait été décidée par les seuls triu­
mvirs, était patente. À partir de 28, tous les magistrats romains dont les
consuls furent non plus désignés à l'avance par quelques hommes, mais
élus par le peuple Romain réuni en comices. Ce retour à la procédure en
vigueur sous la République eut pour conséquence que les élections furent
de nouveau précédées par des campagnes électorales qui étaient menées par
les différents candidats en lice et dont certaines furent mouvementées (en
58
21 et 19) . I l faut comprendre que d'ordinaire, il y eut plus de candidats
59
que de magistrats à élire , situation qui rappelait les pratiques républicai­
nes et était à mettre au crédit du programme de restitutio Reipublicae. Les
assemblées populaires retrouvèrent dans ces conditions la fonction princi­
pale qui avait été la leur à l'époque républicaine : départager les membres
des grandes familles romaines dans leurs luttes constantes pour le pouvoir,
à cette différence essentielle qu'il n'était plus désormais question que d'élec­
tion à des honneurs somme toute secondaires par rapport aux pouvoirs
impériaux. Le prince n'eut besoin du peuple qu'à des fins de ratification de
ses pouvoirs extraordinaires issus d'un coup de force militaire, mais il utilisa
les comices pour l'attribution annuelle des magistratures traditionnelles. I l

58. MILLAR F., «Triumvirate and Principate », JRS 63, 1973, p. 63 [= Rome, the Greek World, and
the East, vol. I. The Roman Republic and the Augustan Revolution, H . M . Cotton et G . M . Rogers
(éd.), Chapell-Hill - Londres, p. 264] a bien vu que le véritable changement en 28-27 était «the
recommencement of genuine competition for election ».
59. C'est la situation qui se produisit en 21 lorsque M . Lollius entra seul en fonction en tant que
consul, après qu'Auguste eut refusé d'être son collègue au consulat en dépit de son élection par
les comices centuriates. Dion 54.6.2-3 rapporte que deux candidats se présentèrent aux élections
consulaires pour occuper la fonction vacante, en l'occurrence Q. Aemilius Lepidus (Barbula; sur
ce personnage et sa carrière, cf. l'étude exhaustive d e T A N S E Y P., « Q . Aemilius Lepidus [Barbula?]
cos. 21 B.C.», Historia 57', 2008, p. 174-207) et L. Silvanus, et que le premier fut finalement
élu au terme une campagne électorale marquée par des troubles (sur ce Silvanus, qu'il faut peut-
1
être analyser comme une erreur d'un copiste et identifier comme un Silanus, cf. PIR I 827 ;
SYME, Augustan Aristocracy [supra, n. 4], p. 191 ; R I C H J.W., Cassius Dio and the Augustan Settl
[Roman History 53-55.9], Warminster, 1990, p. 179; E C K W . , Neue Pauly, 6, 1999, col. 69;
BIRLEYAR., «Q. Lucretius Vespillo [cos. ord. 19] », Chiron 30,2000, p. 715, n. 17). Des circons­
tances presque identiques sont attestées de nouveau au début de l'année 19, si ce n'est qu'un des
candidats, M. Egnatius Rufus, fut écarté par le seul consul en fonction, C. Sentius Saturninus, et
au bout du compte exécuté au motif qu'il avait organisé un complot contre Auguste.

95
FRÉDÉRIC HURLET

déplaça ainsi le champ de la compétition sénatoriale en dehors de ce qui


60
était devenu le cœur du pouvoir .
Le rétablissement du tirage au sort des proconsuls à partir de 27 contri­
bua à son tour à raviver la concurrence au sein de l'élite des sénateurs.
L'enjeu était loin d'être négligeable. I l s'agissait de choisir chaque année
par un tel mode de désignation la dizaine de gouverneurs des provinces
publiques parmi les sénateurs parvenus aux magistratures supérieures du
cursus honorum - anciens consuls pour l'Asie et l'Afrique, anciens préteurs
pour les autres provinces publiques. Les critères d'admission au tirage au
sort étaient très stricts et constituaient un premier filtre qui élimina d'office
un certain nombre de prétoriens et de consulaires, mais une analyse du
déroulement de cette procédure m'a conduit à défendre l'idée que pour la
période qui va de 27 à 17, les candidats pouvaient être plus nombreux que
61
les proconsulats à pourvoir . Même si des zones d'ombre subsistent dans
l'état actuel de nos connaissances sur les questions techniques, la procédure
de la sonino se conforma à l'époque augustéenne à un règlement complexe
qui combina les éléments suivants : délai quinquennal à respecter entre la
magistrature et le proconsulat avec une priorité accordée à ceux qui avaient
été consuls et préteurs précisément cinq années auparavant ; mariage et des­
cendance ou non des candidats ainsi que le nombre des enfants, avec la
possibilité laissée aux consulaires et prétoriens mariés et pères de plusieurs
enfants de devenir proconsuls moins de cinq années après l'exercice de leur
magistrature. Le hasard n'entrait en ligne de compte que si ces critères ne
suffisaient pas à départager tous les candidats admissibles. Une machine à
tirer au sort servait dans ces conditions pour attribuer les proconsulats qui
restaient vacants. La situation fut particulièrement concurrentielle pour
l'attribution des provinces consulaires d'Afrique et d'Asie durant les pre­
mières années qui suivirent la réforme de janvier 27 av. J.-C. parce que
les consuls suffects avaient été particulièrement nombreux à la fin des
années 30 et furent admissibles aux proconsulats consulaires entre 27 et 23.
Après une période (23-18) au cours de laquelle les candidats au proconsulat
vinrent au contraire à manquer en raison de la monopolisation du consulat
par Auguste et dans une moindre mesure Agrippa de 31 à 23, la procédure
se stabilisa dans le sens où les deux seuls consuls ordinaires élus chaque
année suffirent à assurer à partir de 17 un roulement annuel de deux pro­
consuls consulaires. Malgré quelques difficultés initiales, le dispositif mis
en place en 27 avec le rétablissement du tirage au sort eut le mérite de faire
jouer à plein la concurrence parmi les sénateurs les plus en vue tout en ne
mécontentant que peu d'entre eux (dans la loterie des années 27-17, les
numéros perdants furent tout compte fait peu nombreux).

60. SYME, RR, p. 357 a bien vu à propos de l'attribution du consulat durant les premières années du
consulat que « la compétition était intense et violente».
61. Cf. H U R L E T , Le proconsul et le prince [supra, n. 28], p. 36-49 à partir d'une analyse du témoignage
de Dion, LUI, 14, 3.

96
L'ARISTOCRATIE AUGUSTÉENNEETLA RES PUBLICA RESTITUTA

En dépit de ses fréquentes tournées dans l'Empire, Auguste suivit les


événements de Rome en intervenant directement ou en étant informé par
des proches qui ne quittaient pas YVrbs. Sa position fut celle d'un arbitre
qui intervenait plus ou moins directement dans le jeu politique. I l pouvait
tout d'abord accorder sa recommandation (commendatio) à l'un ou l'autre
candidat aux différentes magistratures. Une telle pratique ne se substitua
pas à l'élection proprement dite et prolongea un usage en vigueur sous la
République sans être contraignante, mais elle conféra sans nul doute au
candidat du prince un avantage sur les autres qui dut être décisif. Une autre
modalité du contrôle exercé par Auguste sur le choix des magistrats aurait
pu être la présidence des élections qui lui revenait en tant que consul et
dont on sait à quel point elle était déterminante à Rome, mais ses fréquentes
absences de Rome le privèrent d'une prérogative qui échut d'ordinaire à
ses différents collègues au consulat. L'abdication par Auguste du consu­
lat durant l'été 23 élargit le champ de la compétition entre sénateurs en
permettant d'accéder chaque année à la magistrature suprême non plus à
un seul, mais deux anciens préteurs - choisis qui plus est non pas néces­
sairement dans l'entourage direct du prince comme ce fut le cas de 28 à
26 avec les homines noui qu'étaient Agrippa et T. Statilius Taurus. Malgré de
multiples pressions populaires notamment dès 22 et 19 av. J.-C, le prince
refusa d'exercer de nouveau le consulat si ce n'est pendant quelques mois
en 5 et en 2 av. J.-C. en liaison avec l'entrée dans la vie politique de ses
fils adoptifs, Caius et Lucius César. A partir de l'année 23, il cessa donc de
présider les élections. Quelles que soient les zones d'ombre qui subsistent
encore sur les mesures de 19 relatives à l'octroi à Auguste d'un imperium
consulaire viager ou du moins des insignia de ce pouvoir, rien ne permet
d'affirmer qu'il ait présidé à partir de cette date les élections ni même qu'il
62
ait légalement exercé un pouvoir de contrôle sur les candidatures . Ce fut
donc un des consuls en fonction qui continua à arbitrer la compétition
électorale que se livrèrent les différents candidats à la magistrature suprême
tout au long du principat d'Auguste. Le prince ne se vit reconnaître en la
matière aucun pouvoir légal, mais la mise à l'écart et l'exécution du candidat
au consulat de 19, L. Egnatius Rufus, témoignent de l'influence informelle
qu'il ne cessa plus d'exercer.
L'intervention du prince ne doit pas non plus être surévaluée en matière
de désignation des proconsuls. Durant les années 20, Auguste se contenta
en général de faire appliquer et respecter la législation qu'il avait lui-même
fait voter à ce sujet en 27. Il pouvait être amené à arbitrer et à faire valoir en
particulier les droits attachés au mariage et à la paternité si l'on retient que
la lexlulia de 18 fut précédée en 28-27 par des mesures législatives allant
dans ce sens ; il pouvait également peser de son autorité morale - son auc-
toritas - pour dissuader les antoniens toujours en vie auxquels il n'avait pas
pardonné de se présenter au tirage au sort même s'ils étaient légalement en

62. Comme l'ajustement souligné FERRARY, «Pouvoirs d'Auguste» [cité supra, n. 11], p. 128.

97
FRÉDÉRIC HURLET

droit de le faire, mais il s'agit là d'une intervention extraconstitutionnelle.


Les seules mesures plus directes qu'il prit ou fit prendre au moment de l'at­
tribution des provinces publiques furent destinées à faire mieux fonctionner
un mode de recrutement qu'il avait fait adopter, mais dont la mise en place
se fit difficilement. Au nombre de celles-ci, il faut compter les prorogations
attestées à deux reprises en Asie au mépris de la règle de l'annalité rétablie
63
en 27 , peut-être aussi Xadlectio inter consulares de L. Cornelius Balbus
pour permettre à un sénateur proche du prince qui n'avait pas exercé le
consulat d'accéder au proconsulat d'Afrique en 21/20. Le seul domaine où
l'intervention d'Auguste fut plus pesante parce que juridiquement contrai­
gnante fut la nomination des sénateurs à la tête de provinces impériales,
les légats propréteurs d'ordinaire de rang consulaire, nomination qui lui
revenait de droit. I l se réserva donc le privilège de promouvoir les sénateurs
en leur confiant sous la forme d'une légation impériale des gouvernements
provinciaux dont certains furent fortement militarisés (par exemple en
Syrie ou dans les Gaules), mais qui restèrent toujours moins prestigieux en
dignité que les proconsulats d'Afrique ou d'Asie.

Epilogue: le devenir de la Res publica restituta

Il n'y eut pas à proprement parler d'acte de décès de la Res publica


restituta. L'État tel qu'il fut restauré par Auguste à la suite de ses victoires
militaires ne cessa de se transformer au fil des années et des décennies
dans le sens d'une plus forte emprise du régime sur les institutions et la
société. On peut citer divers événements datés des années 10 av. J.-C. qui
témoignent de l'évolution des relations de la nouvelle Res publica augus-
téenne avec l'aristocratie sénatoriale. La cérémonie des jeux séculaires de
17 marque une étape importante dans le sens où elle ouvrit une ère nou­
velle, le siècle d'or, qui était placée sous la protection symbolique du dieu
Apollon et dont la continuité était garantie avec l'adoption presque conco­
mitante de Caius et de Lucius par Auguste. L'évolution dynastique du nou­
veau régime, en germe dès la fin des années 30, ne fit désormais plus aucun
doute aux yeux des contemporains d'Auguste. D'un point de vue militaire,
la concurrence entre le prince et les sénateurs perdit de son intensité à partir
de 19 en liaison avec le phénomène avéré de monopolisation impériale
du triomphe. Elle n'eut plus aucune raison d'être à la fin des années 10
lorsque le commandement des légions stationnées en Macédoine fut confié
à un légat nommé par Auguste et que l'Illyrie passa au rang de province
e
impériale. La légion stationnée en Afrique, la I I I Auguste, devint la seule
à être gouvernée par un proconsul durant la seconde moitié du principat
d'Auguste, exception qui dura jusqu'au principat de Caligula. D'un point

63. Cf. les proconsulats d'Asie de Sex. Apuleius (cf. FERRARY J.-L., « Les inscriptions du sanctuaire de
Claros en l'honneur des Romains », BCH124, 2000, p. 331-376 = AB, 2000, 1392) et de Potitus
Valerius Messala (CIL, VI, 37075 et 41061 = ILS, 8964), tous deux datés de lafindes années
20 av. J.-C.

98
L'ARISTOCRATIE AUGUSTÊENNE ET LA R E S P U B L I C A R E S T I T U T A

de vue social, on signalera que le retour à une hiérarchie traditionnelle


qui plaçait les sénateurs à la tête de l'État déboucha lors de la lectio de
18 ou entre 18 et 13 sur l'institution d'un cens sénatorial qui préfigurait la
64
création proprement dite de l'ordre sénatorial . Cette mesure paracheva
le rétablissement de l'ordre social entamé à partir de 29. On aura compris
qu'il serait malvenu de privilégier une date plutôt qu'une autre pour fixer
le terme de ce qui est à analyser comme un processus. I l n'y eut pas un seul
événement déterminant, mais un faisceau d'événements dont un grand
nombre eut lieu dans le courant des années 10 av. J.-C. Par la suite, si la
Res publica restituta cessa d'être présentée comme un élément constitutif
du programme politique d'Auguste, elle ne disparut pas non plus défini­
tivement et s'articula avec les nouvelles priorités du pouvoir impérial. I l
suffit de penser à l'ensemble architectural du Forum d'Auguste, dont le
temple de Mars Ultor fut dédicacé en mai 2 av. J.-C, pour comprendre
dans quelle mesure le nouveau régime continua à se représenter à la fois
comme l'aboutissement d'une histoire longue de plusieurs siècles et comme
65
un modèle pour les princes à venir . Regards dans le passé et vers l'avenir
se croisaient et se combinaient pour façonner un régime dont le caractère
ambivalent apparaît d'autant plus nettement. Bien entendu, plus le temps
passait, plus la notion même de Res publica restituta apparaissait comme
une image vide de sens. C'était une réalité que Tacite avait bien comprise
lorsqu'il décrit le contexte politique à la fin du principat d'Auguste en se
66
demandant «combien restait-il de gens qui avaient vu la Res publica ». I l
demeure qu'Auguste avait mis en place une formule, assimilée à un mode
de gouvernement, que les dynasties futures exploitèrent à plusieurs reprises
pour sortir d'une situation de crise du pouvoir impérial (par exemple en 68-
69,96 ou encore 192-197). Il sera utile de déterminer comment ce modèle
augustéen fut utilisé, mais aussi détourné et réinterprété en fonction des
67
circonstances et d'un nouveau contexte .

64. Sur la question complexe des étapes conduisant à la création de Tordre sénatorial, cf. N I C O L E T CL,
«Le cens sénatorial sous la République et sous Auguste», JRS 66, 1976, p. 21-38, en particulier
p. 30-32 [republié dans Des ordres à Rome, Paris, 1985, p. 143-174] et « Augustus, Government,
and the Propertied Classes», MILLAR F. et SEGAL E . (dir.) Caesar Augustus. Seven Aspects, Oxford,
1984, p. 90-96; CHASTAGNOL Α., Le Sénat romain à l'époque impériale, Paris, 1992, p. 31-35 ;
SYME R., Augustan Aristocracy [cité supra, n. 4], p. 80, n. 118; E C K W., «La riforma dei gruppi
dirigenti. L'ordine senatorio e l'ordine equestre», Storia di Roma, II (L'impero mediterraneo),
2 (I principi e il mondo), éd. sous la direction de A. Schiavone, Turin, 1991, p. 75-79.
65. Sur ce double message délivré par le Forum d'Auguste, cf. SPANNAGEL M., Exemplaria principis.
Untersuchungen zu Entstehung und Ausstattung des Augustusfbrums, Heidelberg, 1999.
66. Ann. I, 3. Cf aussi dans ce sens DION, LVI, 44, 3-4.
67. On se reportera à ce sujet à la contribution d'Emmanuelle Rosso dans ce volume.

99
Aux origines d'une retraite politique :
Mécène et la Res publica restituta

Philippe LE DOZE

Mécène fut tout à la fois Tun des principaux collaborateurs d'Octavien-


Auguste et Tun des acteurs les plus énigmatiques de cette période. Les
conditions qui firent qu'il dut ou qu'il voulut abandonner ses activités
politiques demeurent encore obscures. Notre objectif est de montrer ici
que ce retrait constitua une des étapes d'un processus plus large, celui
de la Res publica restituta. Pourtant, les explications jusqu'ici proposées
tournent autour de l'hypothèse d'une disgrâce dans les années 23 ou
22 av. J.-C. Celle-ci aurait eu pour fondements deux éléments qui peuvent
être complémentaires : les rivalités entourant la succession d'Auguste et
l'affaire Murena. Nous voudrions, dans un premier temps, reprendre ici suc­
cinctement chacun de ces deux points afin de montrer leur insuffisance.

La question de la disgrâce

Les études récentes présentent encore très régulièrement la disgrâce de


Mécène comme un fait avéré. Pourtant, les travaux de deux universitaires
américains, G. Williams et P. White *, ont largement contribué à infirmer
cette assertion qui repose essentiellement sur un passage suspect de Suétone.
On a parfois cru que ce dernier liait le retrait de Mécène de la scène politi­
que romaine à l'affaire Murena : « [Mécène] avait violé le secret en révélant
2
à son épouse Terentia la découverte de la conjuration de Murena . » En
outre, la question de la disgrâce est liée par certains auteurs non tant à

1. WILLIAMSG., «Did Maecenas "fall from favor" ? Augustan literary patronage», RAAFLAUB ΚΑ. et
ToHER M.(dir.), Between republic and empire: interpretations of Augustus and his principate, B
University of California Press, 1990, p. 258-275; W H I T E P., « Maecenas' retirement », CPh, 86,
1991, p. 130-138.
2. « [Maecenas] secretum de comperta Murenae coniuratione uxori Terentiae prodidisset», Suéton
Aug., 66. Murena, que l'on identifie parfois avec le consul de 23, avait été, avec Caepio, l'un des
principaux meneurs d'une conspiration contre Auguste qu'il est difficile de dater avec précision
(23 ou 22 av. J.-C). Il s'était déjà fait remarquer lors du procès de M. Primus (dont la date est
également sujette à caution) pour avoir critiqué la notion a'auctoritas, pilier du régime augustéen
(DION, U V , 3,4).

101
PHILIPPE LE DOZE

cette affaire qu'au problème de la succession d'Auguste. Dans ce cadre, la


regrettable indiscrétion de Mécène n'aurait fait qu'accélérer un processus
déjà enclenché. En effet, dans les années de la conspiration Murena, un
combat feutré, favorisé par la santé alors fragile d'Auguste, dont les prin­
cipaux protagonistes seraient Livie, Agrippa, Octavie et Mécène, aurait
été mené dans l'entourage du Princeps afin de s'assurer une influence pré­
pondérante et de préparer sa succession. Agrippa aurait fait partie d'une
coterie à laquelle appartenait également Livie soucieuse des intérêts de son
fils Tibère, tandis que Mécène aurait été l'un des soutiens d'Octavie qui
défendait la position de Marcellus. La victoire du camp de Livie sur celui
d'Octavie aurait entraîné la déchéance de Mécène. L'hypothèse, défendue
3
en son temps par Ronald Syme et aujourd'hui par S. Byrne , est pour le
moins fragile : aucune source ne mentionne le rôle de Mécène dans de
pareilles intrigues. C'est pourquoi on a argué d'une hostilité latente entre
le conseiller d'Auguste et Agrippa qui aurait poussé le premier à défendre le
camp opposé afin de voir l'influence du second diminuer et ses ambitions
4
entravées . Jean-Michel Roddaz a largement contribué à rendre cette thèse
5
caduque .
Reste donc l'affaire Murèna. G. Williams et P. White, après avoir mis
en cause la fiabilité du témoignage de Suétone, accumulent les preuves
d'une amitié entre Auguste et son ministre qui dura bien après 23 ou
22 ap. J.-C. : la dédicace des Mémoires d'Auguste à Agrippa et Mécène;
l'anecdote de Sénèque le Rhéteur où l'on voit, en 17 av. J.-C, l'Arétin
intervenir avec tact lors d'une déclamation peu opportune de Porcius Latro ;
Auguste intervenant, en 12 av. J.-C. selon Dion Cassius, dans un tribunal
et interdisant qu'on insulte ses amis, alors que Mécène, présent comme
témoin de moralité, avait été pris à partie; la douleur, évoquée ici encore par
Dion Cassius, d'Auguste à la mort de son ministre et ses regrets, rapportés
par Sénèque, encore persistants en 2 av. J.-C, face aux frasques de Julie:
6
Mécène aurait su modérer sa colère, etc. . Ces travaux sont bien connus
et cette accumulation de faits doit être mise en parallèle avec l'absence de
preuve historique concrète quant à une disgrâce. Le fait que ni Velleius
Paterculus, ni Tacite, ni Dion Cassius ne mentionnent cette disgrâce,
événement qui pourtant aurait été notable compte tenu du rôle joué par
Mécène durant les guerres civiles et de sa proximité avec Octavien/Auguste
pendant de nombreuses années, est un indice important qui hypothèque
sérieusement cette conjecture. D'autant que Suétone lui-même ne parle

3. SYME R., La révolution romaine, Paris, 1967 (traduction française de R. Stuvéras à partir de l'édition
de 1952), p. 323-325 ; BYRNE S., Maecenas, Evanston, Northwestern university, 1996, p. 72-76.
4. Sur l'inimitié entre les deux hommes, cf. MARX R, « M . Agrippa und die zeitgenössische römische
Dichtkunst», RhMlA, 1925, p. 174-194; SYME R., op. cit., p. 324 et 368; REINHOLD M., Marcus
Agrippa, a biography, Rome, 1965, p. 66-68; ANDRE J.-M., Mécène, essai de biographie spiritue
Paris, 1967, p. 97; D E L L A CORTE E, Agrippa e Mecenate, Opuscula 13, Gènes, 1992, p. 119-135;
BYRNE S., op. cit., p. 67-73.
5. RODDAZ J.-M., Marcus Agrippa, Rome, 1984, p. 216-229.
6. SÉNÈQUE LE RHÉTEUR, Controu, II, 4,12-13; DION, LIV, 30,4; LV, 7; SÉNÈQUE, De ben., 6, 32,4.

102
AUX ORIGINES D'UNE RETRAITE POLITIQUE : MÉCÈNE ET LA R E S P U B L I C A R E S T I T U T A

pas de disgrâce : citant ceux qui avaient connu une telle mésaventure, il
ne mentionne que Salvidienus Rufus et Cornelius Gallus. Les autres amis
d'Auguste «connurent jusqu'au terme de leur vie la puissance et la pros­
7
périté ». Ce qui n'empêcha pas des dissensions épisodiques: ce n'est qu'à
ce moment là que l'exemple de Mécène est introduit. Précisons que si ce
dernier avait été disgracié, la punition paraîtrait avoir été bien légère compa­
rativement à la faute : l'aide apportée à un comploteur méritait au moins la
relégation, sinon la déportation. Ovide fut puni bien plus sévèrement pour
une faute qui, pour obscure qu'elle soit, paraît avoir été bien plus bénigne.
Révéler à un factieux que son complot avait été éventé revenait à porter
secours à un camp hostile à Auguste. Cela relevait quasiment du crime de
lèse-majesté. Or on sait qu'Octavien/Auguste savait frapper durement les
8
proches qui le trahissaient .
Par ailleurs, on n'a pas nécessairement pris toute la mesure de l'interven­
9
tion d'Auguste dans un tribunal en faveur de Mécène en 12 av. J.-C. : en
intercédant ainsi, Auguste sacrifiait aux devoirs de l'amitié, valeur essentielle
chez les Romains qui attendaient de leurs amis qu'ils les aident dans tous
les aléas de la vie. En tout état de cause, l'anecdote est très intéressante :
Auguste n'avait pas que de très bons souvenirs de ses interventions, notam­
10
ment comme témoin, dans les tribunaux . Sa prise de parole impromp­
tue, alors qu'il n'était invité par aucune des parties à s'exprimer et qu'il ne
présidait pas le procès, risquait d'apparaître comme un abus de pouvoir
(comme l'avait été sa venue au procès de M . Primus) : en occupant le siège
du préteur et en donnant un ordre aux accusateurs, il se conduisit comme
s'il présidait le procès. L'affaire montre suffisamment la solidité des liens
n
entre Auguste et Mécène .

7. SUÉTONE, Aug., 66.


8. Cornelius Gallus fut condamné à l'exil pour avoir désiré se voir par trop glorifié. Quant à
Salvidienus, autre collaborateur très proche et très précieux d'Octavien, il fut condamné à mort
pour haute trahison (Liv., Per., 127; VELLEIUS PATERCULUS, II, 76; APPIEN, BC V, 66; D I O N ,
y

XLVIII, 33,1-3).
9. DION, LIV, 30,4.
10. Cf. BADEL G, « L'empereur romain, un témoin impossible ? », GARNOT B. (dir.), Les témoins devant
la justice. Une histoire des statuts et des comportements. Rennes, Presses universitaires de Rennes,
2003, p. 33-42. Lors du procès de M. Primus, Auguste était venu témoigner de sa propre initiative,
alors qu'il aurait été nécessaire qu'il fût invité par l'une des deux parties (MOMMSEN T., Le droit
pénal romain, II, Paris, traduction de J. Duquesne, 1907, p. 84-87). Cette présence ne pouvait que
fausser le déroulement du procès, Yauctoritas du Princeps, supérieure à toutes les autres, ne pouvant
que décider de l'issue du jugement. Cet épisode occasionna un fort mécontentement qui, selon
C. Badel, joua un rôle non négligeable dans la naissance de la conspiration de Murèna. En tout état
de cause, en intervenant de nouveau dans un tribunal en 12 av. J.-C, Auguste risquait à nouveau
d'apparaître comme celui qui abusait de son auctoritas. La démarche est donc très significative,
surtout si l'on s'en tient à la conclusion de C. Badel : « L'empereur n'avait pas sa place dans un
procès» (BADEL G , op. cit., p. 38).
11. On pourrait arguer que c'était un homme affaibli, parce que désormais éloigné de la cour, qui
était attaqué en 12 av. J.-G, mais ce n'était pas seulement Mécène qui était ici pris à partie, mais
lui et son collègue Apuleius. Surtout, il n'est pas inutile de rappeler qu'on n'hésitait pas à Rome à
s'attaquer lors de procès à des hommes forts, notamment sous la République, afin de se forger un
nom. Ici, les modalités changent quelque peu, mais l'attaque pouvait avoir une portée politique
non négligeable. Il n'est pas sûr qu'Auguste ait été à ce point craint que l'on n'osât pas insulter
ses proches : encore une fois, en 23 ou en 22, Auguste lui-même, rétabli de sa maladie, se vit

103
PHILIPPE LE DOZE

Deux derniers arguments, parmi d'autres, allant contre la thèse d'une


disgrâce peuvent être avancés : tout d'abord, l'affectueuse mention faite à
son protecteur par Horace dans YOde 4, 11, 17-20, poème qu'il est difficile
y

de dater mais qui fut écrit après la parution des trois premiers livres des
Odes en 23 et qui fut inséré dans le quatrième livre publié probablement
en 13. Horace aurait-il agi ainsi si l'Arétin avait alors été persona non grata
12
à Rome ? On songe aux Tristes d'Ovide où le poète craint de mettre en
difficulté ses amis en les nommant dans ses pièces, rendant ainsi publique
leur amitié pour l'exilé. Enfin, on a, à notre connaissance, négligé jusqu'à
e
ce jour le témoignage de Sénèque. La 19 lettre à Lucilius est une invitation
à Yotium, à la retraite, loin des affaires de la cité et des mondanités, du
stoïcien adressée à son élève. Cette lettre est particulièrement intéressante
pour nous dans la mesure où elle laisse clairement entendre que Mécène a
lui-même effectué cette démarche de se retirer du monde: «Voilà le terme
qui t'attend, si tu ne te décides sur l'heure à plier la voile, et, comme il [ille :

demander vertement lors du procès de M. Primus ce qu'il venait faire là. Suétone mentionne une
autre intervention d'Auguste dans un tribunal : Asprenas Nonius, un de ses familiers, avait été
accusé d'empoisonnement. Le Princeps demanda au Sénat s'il devait paraître au tribunal (mais il
risquait alors d'être accusé d'abuser de son pouvoir) ou s'il devait s'en abstenir (et faillir aux lois de
Yamicitia) : le Sénat lui conseilla de siéger sur un des bancs de la défense, mais sans rien dire. Ce
qu'ilfit(SUÉTONE, Aug., 56). Dans le cas de Mécène, en dépit des risques potentiels, Auguste alla
donc beaucoup plus loin.
12. On a souvent interprété la place restreinte accordée à Mécène dans le livre IV des Odes comme
le signe d'une reprise en main du cercle de Mécène par Auguste. L'idée serait séduisante si, d'une
part, les cercles avaient constitué une réalité augustéenne, ce qui n'est assurément pas le cas, et si,
surtout, Auguste avait eu l'intention de contrôler la république des lettres. Or, même si nous ne
pouvons nous étendre sur la question dans le cadre de cette étude, cette hypothèse apparaît comme
très peu vraisemblable. Quant à dire que si Mécène n'est plus cité qu'une seule fois dans ce livre et,
qui plus est, dans un poème qui n'est pas placé en évidence dans le recueil, c'est parce qu'il a été
disgracié, c'est peut-être aller trop vite en besogne. Quelque chose a effectivement changé, on ne
peut l'ignorer, mais il s'agit moins de la situation de Mécène vis-à-vis d'Auguste que celle d'Horace
à l'égard de son protecteur. Ici encore, nous ne pouvons développer outre mesure la question. Mais
il est plus que probable que c'est à travers les rapports de client à patron qu'il faille envisager la
question. Le système clientélaire est basé sur des relations d'échange, même si les services échangés
n'ont pas la même valeur. Les deux parties doivent y trouver un intérêt. Surtout, et c'est là tout le
paradoxe (paradoxe sur lequel a insisté J.-R Medard, cf. MEDARD J . - R , «le rapport de clientèle»,
Revuefrançaisede science politique, 26, 1, 1976, p. 103-131), le système aboutit à une inégalité
des échanges au bénéfice du client qui reçoit plus qu'il ne donne. Quand Horace se plaint déjà
des exigences de Mécène dans YEpître, 1,7 (qu'il est difficile de dater exactement, mais le premier
livre des Epîtres a probablement été publié avant lafinde l'année 20), cela peut s'entendre dans le
cadre d'une réévaluation des bénéfices qu'il tirait de sa relation avec ce dernier. Horace avait pris
un ascendant moral certain sur son protecteur ; poète à l'honneur lors des Jeux Séculaires, il était
désormais bien installé et reconnu dans la société romaine; il était un proche d'Auguste (dont il
refusait néanmoins d'être le client direct). Sa relation avec Mécène, il la voulait maintenant plus
égalitaire : ce dernier avait autant à gagner, sinon plus, que lui de cette proximité (moralement,
mais également dans la perspective de l'immortalisation de son nom ou du prestige qu'il pouvait
tirer de cette intimité). Se considérant de plus en plus comme l'ami de l'Arétin, plus que le client,
il voulut faire comprendre publiquement que son statut avait changé. La place moindre de Mécène
dans le livre IV des Odes est, par conséquent, plutôt à interpréter comme une revendication et,
dans une certaine mesure, une provocation dont Horace savait qu'elle n'entraînerait pas de rupture
avec son puissant ami. La difficulté du système clientélaire résidait dans le fait que la balance des
échanges et leur valeur étaient difficilement quantifiables. La dimension subjective est évidente.
Le lien de dépendance, en partie symbolisé par la dédicace à Mécène du premier livre du recueil,
n'apparaît légitime que tant que le client pense recevoir plus qu'il ne donne. Or, lors de la parution
du quatrième livre, la contrepartie ne paraît plus à Horace aussi évidente. Mécène n'est, dès lors,
plus cité que comme l'on cite d'autres amis.

104
AUX ORIGINES D'UNE RETRAITE POLITIQUE : MÉCÈNE ET LA R E S P U B L I C A R E S T I T U T A

13
Mécène] l'a voulu trop tard, à raser la rive . » Sénèque établit donc une
analogie entre la démarche du conseiller d'Octavien/Auguste et celle que
doit suivre Lucilius. Or la lettre laisse clairement entendre que ce dernier
ne connaît aucun discrédit : bien au contraire, Sénèque explique un peu
plus haut dans son épître que Lucilius fait une brillante carrière qui l'a
mené jusqu'à la procuratèle de Sicile et qu'il peut s'attendre à des fonctions
14
toujours plus prestigieuses . Mais c'est parce qu'il n'y a rien à attendre
de tous ces honneurs, c'est parce qu'on n'en est jamais rassasié, qu'il invite
Lucilius à se retirer et à devenir un priuatus. D'où l'utilisation du fragment
de Mécène tiré de son Prométhée qui sonne comme une condamnation de
15
l'ambition . Sénèque indique bien que l'Arétin a voulu (uoluit) se retirer
même si, selon lui, il le fit trop tard (car alors, nous apprend-il dans une
16
autre lettre, « l'excès de prospérité lui avait porté à la tête », d'où les excen­
tricités si peu romaines de son mode de vie, et c'est contre cela qu'il met en
garde Lucilius). I l complète ainsi le propos que Tacite prête à Néron: son
trisaïeul Auguste avait autorisé Mécène à prendre du repos après les travaux
17
qu'il avait menés {ptium post labores concessa .

Le rôle politique de Mécène après 29 av. J.-C.

Les éléments sont donc suffisamment nombreux pour affirmer que


rien ne permet de conclure à une disgrâce de Mécène à la fin des années
20 av. J.-C. Or les témoignages ne paraissent pas non plus indiquer qu'après
29 Mécène a joué un quelconque rôle politique, \10de 3, 29 d'Horace a
pu rendre les choses quelque peu confuses car on l'a parfois un peu trop
hâtivement rapprochée de Y Ode 3, 8 qui paraît aborder le même thème:
la nécessité de s'écarter des soucis liés à la vie de la Cité. Elle est, pourtant,
à utiliser avec beaucoup de précautions : si elle prend l'aspect d'une invi­
tation à Mécène (« Pour toi, dans une jarre jamais encore inclinée, un vin
18
doux [...] est chez moi depuis longtemps : arrache-toi à toute entrave »),
19
elle n'est qu'un prétexte à une exhortation morale (critique de la villa de
Mécène sur l'Esquilin et des désirs creux de la ville, éloge de la vie humble à
la campagne) : il s'agit de s'extraire de tout ce qui entrave (morae) la marche
20
vers la sérénité de l'âme . C'est dans ce cadre qu'Horace regrette les soucis
que donne «le bon équilibre de la cité» à son ami. Ce passage est éminem­
ment intéressant dans la mesure où l'ode est parfois datée de 26 ou 25. S'il
s'agit d'une allusion à l'administration de Rome, cela signifie que Mécène a
de nouveau exercé un pouvoir équivalent à celui qui fut le sien entre 31 et

13. SÉNÈQUE, ad L u c . y 19,9.


14. Ibid., 19, 5.
15. Ibid., 19,6 et 19, 9.
16. Ibid., 114,8.
17. TACITE, Ann., XIV, 55, 2 ; cf. également XIV, 53, 3.
18. HORACE, Carm., 3, 29, 1-5.
19. Cf. le commentaire de F. Villeneuve dans l'édition des Belles Lettres, p. 145-146, n. 2.
20. HORACE, Carm., 3, 29, 5.

105
PHILIPPE LE DOZE

29. Néanmoins, i l faut sans doute, eu égard au contexte général du poème


et faute de preuve plus concrète, ne voir ici qu'une allusion à l'intérêt du
conseiller d'Auguste pour les affaires de la cité à un moment où le Principat
naissant demeure fragile. I l èst vraisemblable que Mécène continue plus ou
moins régulièrement à conseiller Octavien-Auguste, même s'il n'occupe plus
de charge officielle. Plus qu'un conseil à l'homme d'État, il y a peut-être
ici une allusion aux affinités du protecteur d'Horace pour la philosophie
épicurienne : Horace lui conseille de jouir du temps présent et d'éviter les
soucis liés à la vie de la Cité dès lors qu'il n'y a plus de danger immédiat. Les
vers 29-32 sont à cet égard très instructifs : « Dans sa prévoyance, la divinité
enveloppe d'une nuit ténébreuse l'issue où aboutit l'avenir, et elle rit si un
21
mortel porte ses inquiétudes plus loin qu'elle ne l'a permis . » Le caractère
inquiet de Mécène ressort d'ailleurs de plusieurs poèmes d'Horace. Mais il y
a plus : alors que dans Y Ode 3, 8, et cela est symptomatique, le poète exhorte
22
son ami à redevenir unpriuatus , on ne trouve plus pareille invitation dans
Y Ode 3, 29, comme si la carrière de Mécène avait déjà connu un tournant.
Il ne paraît pas, par conséquent, que l'ode puisse être utilisée pour arguer
d'une nouvelle expérience de l'Arétin à la tête de Rome et de l'Italie.
\10de 3, 29 constitue pourtant le seul indice qui aurait pu permettre
de suggérer une activité politique de Mécène après 29 et elle souffre de ne
trouver son pendant dans aucune autre source antique : Velleius Paterculus
indique clairement que Mécène eut la charge de l'ordre public à Rome
pendant qu'Octavien mettait fin aux guerres d'Actium et d'Alexandrie;
Tacite rappelle, pour sa part, que Mécène se vit confier l'administration
générale de Rome et de l'Italie durant les guerres civiles ; c'est également
durant les guerre civiles que, selon Pline l'Ancien, Mécène et Agrippa
eurent l'usage de l'anneau sigillaire d'Octavien ; Sénèque lui-même, dans
l'une de ses nombreuses diatribes contre Mécène, lui reproche son style
vestimentaire et son escorte composée d'eunuques alors même qu'il déte­
nait des responsabilités officielles «au moment où grondaient le plus les
23
guerres civiles ». I l demeure les trois allusions de Dion Cassius: dans un
premier passage des Histoires romaines, l'historien grec nous apprend que
Mécène dirigea Rome et l'Italie en 36 et longtemps par la suite, sans plus
2 4
de précision ; dans un second extrait, il précise que Mécène et Agrippa
reçurent le sceau d'Octavien à l'époque d'Actium ; enfin, lorsque Dion
rappelle le chagrin d'Auguste à la mort de son ami, il précise que ce dernier
assura la surveillance de la ville pendant une longue période. Deux époques
sont donc clairement identifiées par Dion Cassius, celle de 36 et celle de
25
31-29 . Demeure par deux fois une imprécision sur la durée de cette

21. Prudens futuris temporis exitum /caliginosa node premi deus/ridetque, si mortalis ultra/fas
HORACE, Carm., 3, 29, 29-32.
22. HORACE, Carm., 3, 8, 26.
23. V E L L E I U S PATERCULUS, I I , 88; TACITE, Ann., V I , 11 ; PLINE, H. Ν., X X X V I I , 10; SÉNÈQUE,
ad Luc, 114, 6.
24. Sur les allusions au rôle de Mécène en 36 à Rome, cf. aussi Appien, BC, V, 10, 99 et V, 11, 112.
25. D I O N , X L I X , 16, 2; L I , 3, 5-6; LV, 7, 1.

106
AUX ORIGINES D'UNE RETRAITE POLITIQUE: MÉCÈNE ET LA R E S P U B L I C A R E S T I T U T A

charge que l'historien présente comme longue. On peut néanmoins préciser


que si Mécène avait réellement eu de nouveau des responsabilités après 29,
Dion Cassius n'aurait pas manqué de le préciser. I l est très vraisemblable
que cette imprécision ne soit que la traduction des précédents témoigna­
ges qui parlent des pouvoirs de Mécène durant les guerres civiles, ce qui
laisse incertaine sa position entre 36 et 31, et notamment lors des guerres
26
menées par Octavien en Illyrie et en Dalmatie . Il faut noter que la plupart
des chercheurs pariant néanmoins sur l'hypothèse d'un Mécène reconduit
dans ses fonctions à la tête de l'Italie avouent qu'ils ne se fondent que sur
une probabilité qu'ils lient aux fréquentes absences de Rome d'Octavien/
27
Auguste à cette époque . Pour notre part, cette thèse nous paraît fort
hasardeuse. Nous pensons plutôt que le contexte politique des années 29
à 27 rendait difficilement tenable la position de Mécène à la tête de l'État
romain au nom d'Octavien, même de manière épisodique, pour des raisons
que nous allons maintenant évoquer.

La singularité des pouvoirs de Mécène


dans les années 30 av. J.-C.

Les années qui vont d'Actium à 27 av. J.-C. sont celles d'une « norma­
lisation » institutionnelle et il était difficile pour Octavien d'octroyer une
nouvelle fois à son ami une mission qui correspondait à un déni flagrant
de ses intentions déclarées. En effet, les pouvoirs de Mécène entre 31 et

26. Certains chercheurs prétendent encore que Mécène gérait seul les affaires de Rome et de l'Italie
pendant les absences d'Octavien entre 36 et 33 av. J.-C, cf. par exemple, MAC N E I L L R., Horace:
image, identity and audience, Baltimore, Johns Hopkins university Press, 2001, p. 98.
27. Parmi les chercheurs supposant une prorogation des pouvoirs de Mécène après 29,
cf. GARDTHAUSEN V., Augustus und seine zeit, Leipzig, Aalen, 1891 (édition de 1964), p. 766;
KAPPELMACHER A. et STEIN Α., «C Maecenas », Real-Encyclopädie, 14,1,1928, col. 212 ; SYME R.,
op. cit., p. 315 (selon lui, Auguste pouvait quitter Rome tranquille, « les principaux membres de son
parti, Agrippa, Taurus et Mécène, étaient là pour prévenir tout désordre ») et 367 ; FOUGNIES Α.,
Mécène, ministre d'Auguste, protecteur des lettres, Bruxelles, 1947, p. 25 et 29 (qui reste cependan
prudent) ; VITUCCI G., Ricerche sullapraefectura urbi in età imperiale (sec. I-III), Rome, 1956, p. 22
(selon lui, Mécène fut préfet de la Ville) ; GRENADE P., Essai sur les origines du principat, Paris,
1961, p. 463-464; A v A L L O N E R., Mecenate, Naples, 1962, p. 18 et p. 228, η. 22 et AVALLONE R.,
«Mecenate: uomo, scrittore, ispiratore», RSA 25, 1995, p. 134; RODDAZ J.-M., op. cit., p. 222-
223,231 et 309-310; GRIMAL P., Rome. La littérature et l'histoire, Paris, 1986, p. 824; COSME P.,
Auguste, Paris, 2005, p. 148. S. Byrne, à la suite de P. White (WHITE P., op. cit.), est quant à elle
plus prudente. Mécène n'occupe plus de fonctions publiques après 29 mais demeure selon elle
très actif durant toutes les années 20 : « Though he held no official position, Maecenas would still
have been an influential presence behind the scene of Rome, keeping an eye on the newly coopted
Senate in the absence of Augustus from 27 to 24 during the latter's visit to Gaul and Cantabrian
war, and ensuring mishaps such as Messalla's abandonment of the praefectura urbis after only
a few days did not diminish the auctoritas of Augustus » (BYRNE S, op. cit., p. 62). La véritable
retraite politique n'interviendra qu'à lafindes années 20 en liaison avec les luttes de succession
et l'affaire Murena (ibid., p. 65-76). C'est aller beaucoup trop loin sans preuve, si ce n'est l'ode 3,
29 dont nous avons vu ce qu'il fallait en penser. J.-M. André voit, pour sa part, Mécène assurer la
responsabilité d'une police occulte après l'échec de la préfecture de la Ville (ANDRE J.-M., op. cit.,
p. 65). A.J.M. Watson, 1994, ne prend en compte dans son étude sur l'administration de Rome
et de l'Italie par Mécène que les périodes 36 et 31-29. Il n'entre pas dans le cadre de son étude
de savoir si Mécène put ou non exercer le même type de pouvoir par la suite (WATSON A.J.M.,
«Maecenas'administration of Rome and Italy», Akroterion 39, 1994, p. 98-103).

107
PHILIPPE LE DOZE

29, plus importants encore à notre sens que ceux quii se vit attribuer en
28
36 av. J.-C. , constituaient une novation qui allait à l'encontre du concept
de Res publica restituta. Jamais un chevalier n avait exercé un tel pouvoir, pas
même C. Oppius et L. Cornelius Balbus au nom de Jules César. Ces deux
29
«chevaliers fameux par le pouvoir», pour reprendre l'expression de Tacite ,
ne pouvaient aucunement constituer un précédent même si nombre d'his­
30
toriens ont vu en eux les maîtres de Rome, les «fondés de pouvoir » de
César. Que les deux hommes aient été en liaison constante avec le dictateur,
31
toute une correspondance en fait f o i . I l s'agissait de tenir le général au
courant de tout ce qui se passait dansΓ Urbs durant ses nombreuses absen­
ces. Mais il semble que les deux hommes ne se contentèrent pas de remplir
le rôle d'une officine d'information. Ils s'occupèrent des relations avec les
32
personnalités les plus en vue de l'État romain, en premier lieu Cicéron .
Nous avons là une première différence avec le rôle joué par Mécène en 36
et en 31-29 : à aucun moment les sources ne laissent entrevoir que l'Arétin
eut pour fonction de rallier des adversaires potentiels à Octavien.
Mais l'essentiel n'est pas là. La principale différence entre Balbus,
Oppius et Mécène réside, selon nous, dans le fait que les deux premiers
ne paraissent pas avoir disposé d'une réelle autorité politique. À aucun
moment on ne les voit investi d'un pouvoir de répression et s'occuper du
maintien de l'ordre. Par ailleurs, les deux hommes ne disposèrent pas des
sceaux du dictateur et ne prirent pas de décisions en son nom. A contrario,
les pouvoirs de Mécène, essentiellement entre 31 et 29, paraissent avoir été

28. Mécène ne paraît avoir eu alors que des pouvoirs policiers.


29. TACITE, Ann., XII, 60.
30. L'expression est de J. Beaujeu (dans son édition de la Correspondance de Cicéron, t. 8, p. 204).
Cf. également MOMMSEN T., Histoire romaine. La monarchie militaire, Paris, 1985 (traduction de
C. A. Alexander à partir de l'édition 1853-1856), p. 380 ; N I C O L E T G , L'ordre équestre à l'époque
e
républicaine (312-43 avant J.-C), Paris, 1966, p. 710; CARCOPINO J., César, Paris, 1968 (5 édi­
tion), p. 491-493 ; L E GLAY M., Grandeur et déclin de la République, Paris, 1990 (édition de 2005),
p. 413 ; ETIENNE R., Jules César, Paris, 1997, p. 168-169. On pourra également consulter R. SYME,
op. cit., p. 67, 77 et 383. Pour cet historien, Balbus exerça à Rome un pouvoir plus grand que la
plupart des sénateurs et il faisait partie, avec Oppius, d'un cabinet entourant César où se prenaient
les vraies décisions de gouvernement.
31. Cf. notamment AULU G E L L E , Ν. Α., XVII, 9,1 : « Il y a des volumes de correspondance de C. César
avec C. Oppius et Cornelius Balbus qui s'occupaient de ses affaires (eius res) en son absence. » On
se reportera également utilement aux nombreuses références dans la Correspondance de Cicéron.
32. D'où la politique de clémence que Jules César présenta à Balbus : «J'agis d'autant plus volontiers
selon votre conseil, que je ne fais, d'ailleurs, que ce que j'ai résolu de moi-même, en me montrant
le plus doux possible, et en travaillant à me réconcilier avec Pompée ; essayons si par ce moyen
nous pouvons rallier tous les coeurs et assurer notre victoire; puisque avant nous la cruauté n'a
jamais fait que produire la haine et abréger la durée du succès, sauf pour L. Sulla seul, que je n'ai
garde d'imiter. Suivons donc cette nouvelle méthode, d'affermir notre victoire par l'humanité et la
générosité» (CICÉRON, adAtt., 9,7 c, 1). Jules César érigea donc la clémence en système de gou­
vernement car il avait compris qu'il valait mieux entretenir de bonnes relations avec les opposants
potentiels plutôt que de les proscrire et les condamner à l'exil. Oppius et Balbus paraissent avoir
été la cheville ouvrière de cette politique. C'est du moins l'impression qui est la nôtre à la lecture
de Cicéron (cf. la suite de la lettre : « Quant aux moyens d'y parvenir, il en est qui me viennent
déjà à l'esprit, et on peut en trouver beaucoup. Réfléchissez-y de votre côté, je vous en prie », ibid.).
Ce dernier faisait du retour des exilés un des critères de la renaissance de la Respublica. Le pardon
était la condition du rétablissement de la concorde sans laquelle la stabilité de l'État ne pouvait être
assurée. Le dictateur n'ignorait rien de ce point de vue, et il savait que le ralliement des principes
serait à ce prix.

108
AUX ORIGINES D'UNE RETRAITE POLITIQUE : MÉCÈNE ET LA R E S P U B L I C A R E S T I T U T A

33
extrêmement importants . Pline l'Ancien et Dion Cassius s'accordent sur
un point: Mécène disposait (avec Agrippa) de l'un des deux sceaux d'Octa-
34
vien représentant un sphinx . Il pouvait recacheter les lettres du vainqueur
d'Actium après les avoir lues et, éventuellement, modifiées. I l était pleine­
ment, avec Agrippa, l'homme de confiance d'Octavien dans la capitale, et
35
l'importance des affaires traitées imposait l'usage d'un code secret . On
sait par ailleurs que Mécène disposait de son propre sceau, figurant une
grenouille, qui lui permettait d'agir officiellement, probablement dès 36 :
«Bien sûr, la grenouille de Mécène était aussi fort redoutée lors des percep­
36
tions d'impôts », nous apprend Pline l'Ancien. I l est symptomatique que
pour certains actes l'Arétin n'ait pas eu recours à l'empreinte d'Octavien.
Un élément, néanmoins, doit retenir notre attention : le sceau de Mécène
paraît avoir été utilisé lors de la perception des impôts, ce qui n'était pas une
fonction régalienne puisque l'État romain se contentait, via les censeurs,
de les affermer à des compagnies de publicains. A priori Mécène n'agissait
donc pas ici au nom d'Octavien. Pourtant, la question est peut-être plus
complexe qu'elle n'y paraît car la phrase est sibylline : que voulait dire Pline ?
de quels impôts s'agissait-il ? Le tributum avait été rétabli en 43, probable­
ment pour 7 ans. Sa perception était faite par les tribuns du Trésor (tribuni
aerarti), sans doute des citoyens désignés pour faire l'avance des sommes
dues. On sait par ailleurs que de 43 jusqu'en 36 et la victoire sur Sextus
3 7
Pompée, voire jusqu'en 3 1 , les Romains sont soumis à un maelstrom
fiscal, les proscriptions ne pouvant suffire à couvrir tous les besoins. Trois
hypothèses s'offrent à nous: soit Mécène était l'un des directeurs (magis-
tri) d'une société de publicains à qui l'État affermait les impôts directs et
indirects (il était bien placé pour emporter de tels contrats, mais on ne voit
pas pourquoi il faisait alors usage de son propre sceau) ; soit il était chargé
de régler les contentieux (et les abus étaient nombreux dans ce système),
mais ils étaient en théorie du ressort des tribunaux; soit il était chargé de
rétablir l'ordre lors d'émeutesfiscales: les triumvirs avaient fait l'expérience
38
de troubles, par exemple en 43, en 40 et juste avant Actium . Lorsque
Pline écrit que la grenouille de Mécène in magno terrore erat, il fait proba­
blement référence à une de ces deux périodes, 43-36 ou 31 (étant entendu
que le spectre de telles contributions ne disparut réellement qu'avec la fin
des guerres). Cette dernière hypothèse a notre préférence car l'usage du

33. Sur les pouvoirs dont avait été investi Mécène, cf. WATSON A.J.M., op. cit., p. 102-103 (il serait
cependant nécessaire de nuancer plus ou moins fortement ses conclusions).
34. PLINE, H. Ν., XXXVII, 10; D I O N , LI, 3, 5-6.
35. DION, LI, 3,7. Sur l'idée, peufiableà notre sens, que Mécène ne partagea pas en 31-29 le pouvoir
avec Agrippa, cf. \GATSON A.J.M, op. cit., p. 101.
36. Quippe etiam Maecenatis rana per collationes pecuniarum in magno terrore erat, PLINE, H
XXXVII, 10.
37. DION, L, 6, 2 et L, 10,4-5.
38. APPIEN, BC, TV, 32-34; V, 67-68; D I O N , L, 10, 4-5.

109
PHILIPPE LE DOZE

terme terror, même si l'impôt ne fut jamais populaire à Rome, ne se justifie


59
vraiment que dans le cas d'une répression .
En 31-29 comme en 36, Mécène disposait donc de pouvoirs poli­
ciers comme en témoigne par ailleurs le règlement de la conjuration de
40
Lépidus . Même s'il demeure difficile de cerner exactement la nature des
pouvoirs du ministre d'Octavien, dont on perçoit néanmoins qu'ils furent
très importants, sa situation ne paraît clairement pas comparable à celle de
Balbus et d'Oppius qui ne purent, dès lors, pas constituer un précédent.
L'influence de ces derniers à Rome fut grande, mais elle s'exerça sur un autre
plan que celle de l'Arétin. Cela n'est d'ailleurs guère étonnant: la situation
politique de César entre 49 et 44 et celle d'Octavien dans les années 30
jusqu'en 29 étaient très différentes. L'un était dictateur, l'autre triumvir (la
dictature n'étant plus, après les Ides de mars 44, envisageable). Le premier
disposait d'un maître de cavalerie qui lui permettait de contrôler Rome et
l'Italie en son absence. I l pouvait, par ailleurs, s'appuyer sur des consuls
(César se réservant la plupart du temps un des consulats) en qui i l avait
toute confiance. Octavien, pour sa part, ne bénéficiait pas d'un maître de
cavalerie susceptible de le seconder. I l paraît avoir souhaité être représenté
dans Y Urbs par des hommes de confiance, même s'il se mettait ainsi en
marge de la légalité. En 31, la victoire sur Marc Antoine ne signifiait pas
la fin des turbulences et des troubles étaient à craindre à Rome et en Italie.
Octavien ne semble pas avoir désiré s'appuyer en cette période charnière
sur de simples consuls, mais plutôt sur ses deux plus fidèles compagnons.
La formule avait par ailleurs l'avantage de pouvoir être prorogée aussi long­
temps qu'il le faudrait, assurant par là même une continuité à la tête de
Y Urbs. C'est pourquoi le rôle d'Oppius et de Balbus ne nous paraît en rien
comparable à celui de Mécène, qui conserve toute son originalité.

Mécène et la Res publica restituta

La singularité du positionnement de Mécène, l'anomalie institution­


nelle qu'il constituait, sont à nos yeux fondamentales. Après la victoire
d'Actium et la guerre d'Alexandrie, l'État romain entra dans une phase
de normalisation institutionnelle, du moins en façade. La légitimité du
triumvirat résidait dans la promesse d'une restauration de la Res publica.
Les triumvirs eux-mêmes, qui théoriquement pouvaient agir comme bon
41
leur semblait sans recourir aux organes traditionnels de la République ,

39. Les excès de l'imposition ont donc provoqué un fort mécontentement. Cela peut, peut-être, contri­
buer à expliquer le retrait de Mécène, mais cela ne saurait suffire. La décision de créer les nouveaux
impôts ne lui appartenait certainement pas et le nom du véritable responsable était évident pour
tous. D'ailleurs, nous le verrons, il y avait pour les hommes les plus influents de Rome des raisons
plus profondes et moins circonstancielles pour souhaiter le départ de l'ami d'Octavien.
40. V E L L E I U S PATERCULUS, II, 88; APPIEN, BC, IV, 50; Lrv., Per., 133, 3 et SUÉTONE, Aug., 19.
Cf. également COGITORE I., La légitimité dynastique d'Auguste à Néron à l'épreuve des conspiration
Rome, 2002, p. 55 sq.
41. Prérogative qu'ils devaient à la lex Titia, cf. DION, XLVI, 55, 3. Ils ne se gênèrent d'ailleurs pas
pour user de ce droit, cf. LAFFI U., «Poteri triumvirati e organi repubblicani», FORABOSCHI D . et

110
AUX ORIGINES D'UNE RETRAITE POLITIQUE: MÉCÈNE ET LA R E S P U B L I C A R E S T I T U T A

avaient, en plusieurs occasions, été soucieux d'obtenir l'assentiment du


Sénat et des Comices. On perçoit ici le souci qu'avaient les triumvirs de
42
renforcer leur cause et leur légitimité . Par ailleurs, l'épisode de 32 sur les
donations d'Alexandrie, qui mit aux prises Octavien avec les deux consuls
Sosius et Domitius Ahenobarbus, montre suffisamment que les consuls
43
conservèrent leurs prérogatives et leur influence . Les triumvirs ont donc
par eux-mêmes su limiter leur arbitraire et ménager, en certaines occasions
au moins, les institutions en place (étant entendu qu'on en demeurait à un
44
«respect de façade du jeu républicain »). Une fois seul à la tête de l'État
romain, Octavien devait s'inscrire dans une continuité. La Res publica resti-
tuta impliquait donc le retrait de Mécène de la vie politique car l'anomalie
institutionnelle qu'il représentait constituait une rupture tropflagranteavec
le mos maiorum. Son positionnement était incertain, à mi-chemin entre
Octavien et les organes traditionnels de l'État. Lorsqu'en 28 Octavien abolit
45
les mesures prises sous le triumvirat , revenant ainsi sur les actes illégaux et
les injustices les plus flagrantes, il va de soi qu'il ne pouvait laisser en place
un acteur officieux à l'influence si grande qu'il incarnait l'ambiguïté d'une
46
période désormais révolue, celle du non mos, non ius .
Dans le cadre d'une « normalisation » institutionnelle, Mécène ne pou­
vait, par conséquent, trouver sa place. Or c'est précisément quand les sour­
ces cessent d'évoquer le rôle politique de celui-ci qu Octavien multiplie les
mesures allant dans le sens de la restitutio Rei publicae. Les faits attestent
qu'entre 28 et 27, les choses évoluent au niveau de l'État romain : outre
l'abolition citée précédemment des mesures prises par le triumvirat, le Sénat
est épuré {lectio senatus de 28) afin de rendre tout son lustre à la principale
4 7
institution de la Res publica, celle qui est le symbole de la légalité ; le
consulat est partagé avec Agrippa à égalité de potestas et alternance men­
suelle du port des. faisceaux, ce qui indique assez la volonté de rétablir la
tradition républicaine, le serment de fin d'année est remis en vigueur (on
jurait alors n'avoir enfreint aucune loi durant la magistrature), les pouvoirs

GARA A. (dir.), Il triumvirato constituante allafinedella Repubblica romana, Come, 1993, p. 42-4
Plus largement, sur les pouvoirs des triumvirs, cf. APPIEN, BC, IV, 2, 5-12.
42. Sur la permanence de l'activité des Comices et du Sénat, cf. M I L L A R F., «Triumvirate and
Principate»,yZ?S63, 1973, p. 52-54; LAFFI U., op. cit., p. 47-55; RODDAZ J.-M., «Les triumvirs
e
et les provinces», HERMON E. (dir.), Pouvoir et Imperium (III s. av. J.-C.-I" s. ap. J.-C), Naples,
1996, p. 88-91 et p. 95.
43. DION, XLLX, 41, 4-5. Marc Antoine voulut faire ratifier ces donations par le peuple. Les deux
consuls, alliés du triumvir, craignant les réactions hostiles, refusèrent prudemment une lecture
publique, malgré l'insistance d'Octavien.
44. RODDAZ J.-M., op. cit., p. 91.
45. TACITE, Ann., III, 28, 2; D I O N , LUI, 2, 5.
46. TACITE, Ann., III, 28.
47. Sur cette lectio, cf. DION, XLVIII, 34 et LU, 42 : la guerre civile avait permis de faire entrer à la
Curie nombre de chevaliers, desfilsd'affranchis voire des fantassins. Aussi le Sénat était-il désormais
composé de mille membres. Cf. également SUÉTONE, Aug., 35, qui parle d'un Sénat peuplé de
toute une foule mêlée et sans prestige (numerum deformi et incondita turba). Octavien décida par
conséquent de le ramener au chiffre d'autrefois afin, dit Suétone, de restaurer son antique éclat.
Velleius Paterculus confirme que l'action du nouvel homme fort de l'État romain avait permis de
rendre sa majesté au Sénat (senatui maiestas, II, 89).

111
PHILIPPE LE DOZE

triumviraux sont remis au Sénat et aux Comices. Tout se passe comme si


48
une période d'exception prenait fin . I l est très vraisemblable que le préa­
lable à ces décisions ait été une modification de l'organisation au sommet
de l'État et le retrait de Mécène.
La mise à l'écart de Mécène du devant de la scène romaine s'explique
donc par le fait que Mécène, qui était un rouage essentiel dans le triomphe
d'Octavien dans les années 30, ne pouvait plus inscrire son action dans le
cadre de la Res publica restituta prônée par Auguste. Mais il y a plus : l'un
des objectifs fondamentaux du maître de Rome était alors le rétablissement
49
de la concorde civile . Or celle-ci ne pouvait exister si le cadre social tradi­
tionnel était perturbé par une hiérarchie bouleversée. Il y avait à Rome une
sorte de division des fonctions sociales. Les chevaliers n'étaient pas appelés
à jouer un rôle politique de premier plan. On pense ici à la République de
Platon dont l'esprit devait être pregnant chez nombre d'hommes cultivés
de l'époque, à l'image deTite-Live. Or, précise B. Mineo, «la justice pla­
tonicienne consiste précisément à ce que chaque classe effectue son devoir
50
sans chercher à usurper le rôle d'une autre ». I l est symptomatique que
chez Tite-Live, contemporain de Mécène, la tyrannie commence préci­
51
sément avec le refus d'une juste répartition des rôles . La position de
Mécène, simple chevalier, dominant les magistrats, le Sénat et les Comices
par la volonté d'un seul, entravait le fonctionnement harmonieux de l'État
romain. I l est notable que les sources rappellent régulièrement le statut
équestre de Mécène, preuve de la position peu ordinaire par lui acquise
dans l'État romain du point de vue de la tradition. Dion Cassius rappelle
sa qualité de chevalier (ίππενς) avec insistance. L'historien grec précise
qu'Octavien craignit justement que ce statut ne soit source de mépris pour
son ami et que son auctoritas en souffre. Dans le même ordre d'idées, il est
significatif que les Élégies à Mécène « oublient » de mentionner la qualité de
chevalier du défunt dont elles prennent la défense et font l'éloge. Si Tacite
qualifie également le ministre d'Octavien deques, d'autres s'empressent de
rappeler son illustre origine et son sang royal, comme pour pallier une
anomalie difficilement acceptable par un esprit romain traditionnel : ainsi

48. Pour officiel qu'il fut, le triumvirat constitua une magistrature extraordinaire. Velleius Paterculus
note clairement cette volonté de revenir à une situation normalisée (VELLEIUS PATERCULUS, I I ,
89).
49. Sur la nécessaire recherche du consensus, un des moteurs de la vie politique romaine, cf. HURLET Fr.,
ER E
«le consensus et la concordia en Occident (I -III siècles après J.-C). Réflexion sur la diffusion de
l'idéologie impériale», INGLEBERT H . (dir.), Idéologies et valeurs civiques dans le monde romain:
hommage à Claude Lepelley, Paris, 2002, p. 163-178. Cf. également, les considérations sur cette
question dans H U R L E T Fr., « Une décennie de recherches sur Auguste. Bilan historiographique
(1996-2006) », Anabases 6, 2007, p. 187-218, et notamment la critique de la position de E. Flaig.
Remarquons simplement ici que la concorde était déjà l'objectif d'Enée, du moins dans l'esprit de
Virgile : «Je ne réclamerai pas pour moi la royauté : que les deux nations invaincues s'unissent sous
des lois égales, inaugurant une alliance éternelle» (Virgile,^«., 12, 190-191).
50. MINEO B., Tite-Live et l'histoire de Rome, Paris, 2006, p. 58-59.
51. Ibid., p. 64. L'auteur écrit également que «les tâches doivent être harmonieusement réparties au
sein de la cité afin d'y favoriser la concorde qui seule peut garantir la bonne santé de l'orga­
nisme civique» (ibid., p. 338). Sur le fait que chaque ordre doit conserver son rang, cf. également
SYME R., op. cit., p. 334.

112
AUX ORIGINES DVNE RETRAITE POLITIQUE: MÉCÈNE ET LA R E S P U B L I C A R E S T I T U T A

Velleius Paterculus parle-t-il de lui comme d'un equestri sedsplendido genere


natus\ Properce qualifie, pour sa part, Mécène deques Etrusco de sanguine
regum. Horace utilise parfois aussi le terme deques mais rappelle à l'occasion
52
l'origine royale de son ami et protecteur .
Parallèlement, la lectio senatus de 28 constitua un élément fondamental,
où les arrière-pensées ne manquèrent naturellement pas, de la restitutio Rei
publicae: la valorisation du rôle de la Curie constituait une étape d'impor­
tance : son prestige demeurait intact à la fin des guerres civiles, comme en
témoignent les événements de 31 : « Il [Octavien] rassembla à Brindes [...]
tous ceux des sénateurs et des chevaliers qui avaient de l'influence [...]. I l
voulait surtout montrer au monde qu'il était soutenu par la majorité des
53
Romains et les plus puissants d'entre eux . » Les Res Gestae accréditent
54
l'idée que le soutien du Sénat renforçait la légitimité du maître de l'État .
Confirmer le rôle de cette institution, l'ériger en principale collaboratrice du
Princeps, permettait, en quelque sorte, « de prouver la nature républicaine
55
du régime », point fondamental pour notre étude. La lectio senatus de 28,
l'abrogation de la décision de Jules César de rendre public les débats de cette
56
institution afin de la libérer du contrôle de la plèbe urbaine , l'abdication
du consulat en 23 qui permettait à davantage de sénateurs d'atteindre le
sommet du cursus honorum sont autant de marques de bonne volonté don­
nées à l'ordre sénatorial. Mais la révision de Xalbum commandait probable­
ment que l'on donnât des gages supplémentaires à ce dernier.
L'épuration du Sénat en 28 avait donc été menée en parallèle à une
réévaluation du rôle de Îordo equester dans l'État. Ségolène Demougin a
insisté sur le fait qu'Octavien/Auguste avait voulu renforcer la dignitas de
l'ordre sénatorial et avait pour cela établi une séparation nette entre cet
ordre et celui des chevaliers : « Reprendre en mains les ordres supérieurs,
mettrefinau désordre qui régnait dans leur recrutement, reconstituer leurs
forces, conserver leur rang dans la hiérarchie socio-politique : on pourrait
57
ainsi définir l'action d'Auguste . » La réévaluation du rôle de Mécène entre

52. DION, XLIX, 16, 2; LI, 3, 5 ; LV, 7, 1 ; TACITE, Ann., VI, 11 ; V E L L E I U S PATERCULUS, II, 88 ;
PROPERCE, EL, 3, 9, 1 ; HORACE, Carm., 1, 1, 1 ; 1, 20, 5 ; 3, 16, 20 et 3, 29, 1. Dans la première
ode, le terme de chevalier est utilisé essentiellement pour faire sentir l'honneur insigne qu'avait reçu
Mécène en étant applaudi au théâtre par la foule. La seconde a un caractère personnel. Cependant,
le poète utilise le plus souvent des qualificatifs à valeur morale quand il parle de Mécène.
Cf. également Carm., 1, 1, 1 («Mécène, issu d'aïeux royaux») et Carm., 3, 29, 1-2. L'allusion
à cette prestigieuse ascendance est plus discrète dans la satire, 1, 6, 1-4, mais immédiatement
compréhensible par tous les lecteurs. Sur cette ascendance royale, cf. aussi El. Maec, 1, 13;
MARTIAL, XII, 4,2 ; SILIUS ITALICUS, X, 40 (« Les sceptres étrusques »).
53. DION, L, 11,5.
54. Res Gestae, 4, 8,12, 13, 34.
55. BADEL G, La noblesse de l'empire romain. Les masques et la vertu, Seyssel, Champ-Vallon, 2005
p. 59.
56. SUÉTONE, Aug., 36.
57. DEMOUGIN S., L'ordre équestre sous les Julio-Claudiens, Rome, 1988, p. 135 et 169. L'idée d'une
stratégie de rééquilibrage entre les ordres se trouve également chez CRESCI G., « Maecenas, equitum
decus», RSA 25,1995, p. 174-175 (l'objectif de ce rééquilibrage tel qu'il est présenté ici nous paraît
néanmoins erroné: selon l'auteur, Octavien/Auguste aurait songé à faire jouer un rôle nouveau à
l'ordre équestre par le biais d'un cursus séparé, afin de contrebalancer la puissance de la nobilitas
tout en la ménageant. Mécène aurait alors symbolisé le prestige de l'ordre des chevaliers et aurait

113
PHILIPPE LE DOZE

dans ce cadre : si Ton considère que chaque ordo était chargé d'une mission
précise au sein de la cité, il avait amplement outrepassé ses prérogatives.
Mécène pouvait symboliser les prétentions illégitimes de cet ordre dans
l'État au regard de la tradition. Nous avons rappelé plus haut qu'Octa-
vien décida, lors de sa censure avec Agrippa, de revenir à une situation
plus orthodoxe. Mais, plutôt que d'effacer autoritairement de Valbum les
chevaliers qui y avaient pénétré sans en avoir les titres, il les engagea à se
retirer d'eux-mêmes. Cinquante d'entre eux, nombre relativement limité,
58
s'exécutèrent sur le champ . I l est vraisemblable que le retrait volontaire
de Mécène de ses fonctions ait été un préalable et qu'il ait eu pour objectif,
entre autres, d'influencer la décision de ses collègues de l'ordre équestre.
Dès lors que l'on admet que Y Ode 3, 8 constitue le dernier indice d'un
pouvoir exercé par Mécène et que celle-ci date de 29 av. J.-C. ; qu'aucune
allusion n'est plus faite chez aucun historien antique d'une quelconque
gestion de Rome et de l'Italie par Mécène après 29 ; que la Res publica res­
tituta impliquait un retour à une gestion plus orthodoxe de la péninsule ;
que la lectio senatus de 28 entraînait une réévaluation parallèle de la place
de l'ordre équestre afin d'atténuer certaines résistances, il apparaît comme
plus que vraisemblable que Mécène perdit toute responsabilité politique
durant l'année 29, peu avant ou peu après l'été au cours duquel fut fêté le
triple triomphe d'Auguste.

L'image de Mécène dans la tradition littéraire:


le reflet des attaques des tenants d'un ordre traditionnel?

Le lien qui peut être établi entre le retrait de Mécène et la remise en


ordre institutionnelle et sociale peut expliquer en partie l'image assez néga­
tive de celui-ci laissée par la tradition, essentiellement depuis Sénèque. La
vieille aristocratie supportait probablement assez mal de voir, en 36 et en
31-29 av. J.-C, les hiérarchies bousculées au profit de ce simple chevalier.
Les Elégies à Mécène font d'ailleurs le lien entre l'activité politique de l'Aré­
tin et l'image qu'il dégageait: «Envieux, quel mal t'ont fait les tuniques
flottantes, quel mal t'ont fait les plis de toge livrés au vent ? En était-il
59
moins le gardien de la Ville et le gage laissé par César ? » On a donc, très

incarné la faveur impériale à l'égard de ce dernier). C. Nicolet écrit également qu'Octavien/Auguste


avait voulu confirmer la hiérarchie entre les deux « ordres », et que l'augmentation progressive du
montant du cens pour briguer les magistratures et entrer au Sénat visait à renforcer la différence
entre chevaliers et sénateurs (NICOLET C , op. cit., p. 229 et 239). Dans un autre domaine, l'anec­
dote rapportée par Suétone dans Auguste, 14, confirme l'importance portée par Octavien/Auguste
au respect du rang (ici, au sein d'un théâtre) ; cf. également SUÉTONE, Aug., 74, 1. On rappellera
aussi utilement les propos tenus par HORACE dans YEpode 4 : le poète s'en prend à un parvenu, un
ancien esclave, qui s'était élevé bien plus haut qu'il ne l'aurait dû. Mais, précise Horace, sa fortune
était impuissante à le laver de sa naissance. Sa réussite n'allait pas, d'ailleurs, sans indigner les
passants (v. 7-10).
58. Cf. D I O N , LU, 42.
59. El. Maec, 25-27. Sur la validité du témoignage des Elégies à Mécène, voir la préface de J. Amat
rédigée pour l'édition du poème aux Belles Lettres (1997). Cf. également NICASTRI L., «Sul
Maecenas pseudovirgiliano», Vichiana 9, 1980, p. 258-298, et NIGRO M.-A., « La prima elegia a

114
AUX ORIGINES D'UNE RETRAITE POLITIQUE: MÉCÈNE ET LA R E S P U B L I C A R E S T I T U T A

tôt, voulu décrédibiliser son action politique en mettant en exergue son


excentricité. À l'origine de ces attaques, il y a les « envieux» cités par l'auteur
anonyme. I l est tentant d'y reconnaître les attaques des tenants d'un ordre
social traditionnel, d'autant que le De cultu suo de Mécène est généralement
perçu par les spécialistes comme une réponse aux critiques auxquelles le
fidèle d'Octavien avait dû faire face et qui servirent vraisemblablement de
60
sources à Sénèque . Jacques Heurgon avait, d'ailleurs, remarqué en son
temps que les griefs portés contre lui étaient des poncifs des Grecs et des
61
Romains contre les Etrusques . Les attaques ad hominem étaient classiques
à Rome et elles permettaient d'atteindre la grauitas et la dignitas attendue
des dirigeants. Cette dernière correspond à « l'attitude et aux sentiments
62
qui conviennent à un homme en fonction de sa situation ». C'est pour­
quoi les accointances de Mécène avec la philosophie épicurienne prêtaient
le flanc à la diffamation : les allusions chez Velleius Paterculus et, surtout,
chez Sénèque, à son tempérament mou, nonchalant, efféminé, constituent
65
des reproches classiques adressés aux disciples du Jardin . Tout épicurien
pouvait redevenir odieux si besoin était : Pison en fit l'amère expérience
quand il eut mécontenté l'injuste Cicéron. Le Contre Pison est un exemple
de portrait caricatural sciemment constitué où l'épicurisme de « l'accusé »
est largement mis en avant. De la même manière, Suétone nous dit de
M. Pompilius Andronicus, un grammairien, qu'il « devait à son attachement
à l'épicurisme la réputation d'exercer son métier de grammairien avec trop
6 4
de nonchalance et d'être peu apte à tenir une école ». Epicure étant perçu
par certains comme l'adepte de toutes les dépravations, il n'était pas difficile
de réactiver aux moments opportuns les contresens touchant traditionnel­
lement la secte du Jardin.
Mécène eut à faire face à des attaques plus traditionnelles que celles tou­
chant à son « étrusquité » et à son épicurisme, notamment celles concernant
Mecenate: apologia di un ministro e propaganda di regime», AC 67, 1998, p. 137-148. Pour un
avis contraire, cf. SHOONHOVEN H„ Elegiae in Maecenatem : prolegomena, text and commentary,
Groningen, 1980 et SHOONHOVEN H., «The Elegiae in Maecenatem», ANRWll, 30, 3, 1983,
o. 1788-1811.
60. Àtitred'exemples: GARDTHAUSEN V., op. cit., p. 774; LUCOT R., «Vertumne et Mécène», Pallas,
1953, p. 77; BARDON H., La littérature latine inconnue, T. II, Paris, Klincksieck, 1956, p. 16-17;
NICASTRI P., op. cit., p. 297; AIGNER FORESTI L., «L'uomo Mecenate», RSA 26, 1996, p. 10. Se
défendre à travers un petit traité était fréquent : Auguste lui-même répondit avec soin aux pam­
phlets dirigés contre lui (SUÉTONE, Aug., 55). Marc Antoinefitde même avec son De sua ebrietate
(PLINE, H.N., XIV, 148).
61. HEURGON J., La vie quotidienne des Etrusques, Paris, 1961 (édition de 1989), p. 321-322. D'une
certaine manière, Tite-Live témoigne de l'étendue de tels préjugés (cf. M I N E O B., op. cit., p. 186).
On notera que si on lit Velleius Paterculus, Mécène était tout et son contraire, tout comme le dieu
Vertumne, dieu étrusque, qui se caractérisait essentiellement par sa mobilité (PROPERCE, El, 4, 1 ;
OVIDE, Met., 14, 641-653).
62. HELLEGOUARC'H J., Le vocabulaire latin des relations et des partis politiques sous k république, Pa
1972, p. 391. Cf. aussi p. 404.
63. Cf. VELLEIUS PATERCULUS, II, 88: « [...] sitôt qu'il pouvait relâcher quelque peu ses activités, il
se laissait aller à une molle oisiveté et à une molle indolence qui dépassaient presque celles d'une
femme». SÉNÈQUE, De Prou, 3-10 (on y voit Mécène, «pourri de plaisirs», esclave d'une femme,
Terentia) ; son manque de virilité est noté dans SÉNÈQUE, ad LUC, 19, 9; 101, 10-13; allusions à
sa tenue vestimentaire: SÉNÈQUE, ad Luc, 92, 35 et 114, 4-8.
64. SUÉTONE, De gram., 8,1.

115
PHILIPPE LE DOZE

sa tenue vestimentaire. Les propos de Sénèque sur la tenue de Mécène, et


notamment le fait qu'il se soit promené dans les rues de Rome sans cein­
65
ture , sont un procédé classique, un topos, qui contribuait à dénigrer une
personnalité: le port de la toge contribuait à donner la dignitas et lagratii-
tas nécessaire à tout dirigeant. Tout comme le style littéraire, le désordre
66
vestimentaire était souvent perçu comme le miroir de l'âme . On peut
comparer cette méthode aux propos de Sylla sur César que nous rapporte
67
Suétone . I l en va de même, à en croire Pierre Grimai, de Pétrone quand
68
il dépeint Trimalcion . Scipion l'Africain, en son temps, avait fait lui-
même les frais d'un comportement qui s'écartait des normes traditionnelles.
L'originalité était incompatible avec la fonction de chef: c'est pourquoi une
69
commission fut dépêchée en Sicile pour enquêter sur son attitude . Tout
écart à la norme était facilement utilisable par les adversaires. Marc Antoine
70
vit également son mode de vie caricaturé . Ces attaques démontrent en

65. SÉNÈQUE, ad Luc, 114, 4 et 6. Les Elégies à Mécène, en évoquant la tenue vestimentaire de ce
dernier, prouvent qu'il fut aussi attaqué par ses contemporains sur ce point.
66. Dans Salluste, par exemple, la mise de Catilina traduit son désordre intérieur (Cat,, 15).
67. SUÉTONE, Caes., 45. La toge était considérée comme le symbole de Rome : cf., par exemple, Y Ode,
3, 5, 1 d'Horace où le poète déplore que des soldats de Crassus, aient pu accepter de vivre sous le
joug du vainqueur parthe, acceptant des épouses barbares, oublieux « du nom romain, de la toge, de
l'éternelle Vesta» (v. 10-11). Cf. également Lrv., XXLX, 19 et VIRGILE, Aen., 1,282. La toge était si
caractéristique de la romanité que Cicéron, plutôt que de la Gaule Cisalpine, parle de la Gaule en
toge, afin de mieux l'opposer à la Gaule Chevelue (Phil, 8, 27). Lorsque l'Arpinate attaque Marc
Antoine, il déclare porter la toge et les chaussures (calceis et toga), alors que l'on a vu son adversaire
avec des sandales gauloises et portant la cape. La tenue vestimentaire était à ce point importante que
le grand orateur Hortensius dut lui-même faire face aux sarcasmes et aux injures en raison de son
élégance (AULU G E L L E , N.A.,l, 5, 2-3). Scipion reproche également à Sulpicius Galus de porter
des tuniques descendant jusqu'à la naissance des mains, presque jusqu'aux doigts, ce qui était,
selon lui, déshonorant pour un Romain (AULU G E L L E , Ν. Α., VI, 12). Cette question de la tenue
vestimentaire revient d'ailleurs fréquemment chez Aulu Gelle (cf. aussi XIII, 22). Pour une des
rares études sur le rôle politique du vêtement à Rome, cf. FREYBURGER-GALLAND M.-L., « Le rôle
politique des vêtements dans l'histoire romaine de Dion Cassius », Latomus 52, 1993, p. 117-128.
Elle précise notamment que lorsqu'une personnalité arborait une tenue «grecque» ou fantaisiste,
cela entraînait systématiquement la réprobation de Dion. Dans cette société très hiérarchisée, le
costume avait une valeur symbolique évidente et il constituait un signe d'appartenance à un ordo.
Le respect du code vestimentaire constituait un devoir et tout écart ne manquait pas d'entraîner la
réprobation des pairs (à moins, comme le montre l'étude, qu'un changement de tenue, un magistrat
s'habillant comme un sénateur ou un sénateur comme un chevalier, ne soit légitimé par une bonne
raison : le deuil, la colère, etc.). À ces critiques d'ordre vestimentaire, il faudrait ajouter la noncha­
lance reprochée à Mécène. Curieusement, ces attaques rappellent les critiques touchant le jeune
Scipion Emilien, perçu par ses concitoyens comme apathique et endormi. Epaulé par Polybe, il
allait s'attacher à corriger cette fâcheuse réputation avant de se lancer dans la vie politique (POLYBE,
31, D, 1,23-24). Ces propos sont à mettre en parallèle avec ceux de VELLEIUS PATERCULUS, II, 88,
concernant Mécène (portrait positif mais qui signale bien la singularité de cet individu) : certains
comportements étaient la marque d'une incapacité à gouverner.
68. GRIMAL P., « Une intention possible de Pétrone dans le Satiricon », GRIMAL P., Voyage à Rome, Paris,
2004, p. 549-550.
69. Lrv., XXIX, 19-20.
70. L'image que nous avons conservée de Marc Antoine doit certainement beaucoup à sa liaison avec
la reine d'Egypte et à sa fascination pour l'Orient. Ces deux éléments donnaient à ses adversaires
des armes facilement exploitables. Ils venaient renforcer le portrait plus que négatif (mais finale­
ment très conventionnel dans le cadre de telles rivalités) dressé par Cicéron dans les Philippiques.
N'oublions pas non plus qu'il fallut légitimer la guerre d'Actium, la présenter comme une guerre
juste, menée au nom du peuple Romain. Montrer, par une propagande active sinon subtile, que
Marc Antoine était un débauché, buveur invétéré, prisonnier de la volupté et manipulé par une
reine étrangère à la beauté ensorceleuse dont il s'était rendu l'esclave, servait la cause d'Octavien.

116
AUX ORIGINES D'UNE RETRAITE POLITIQUE: MÉCÈNE ET LA R E S P U B L I C A R E S T I T U T A

tout état de cause que la position de Mécène était difficilement tenable dans
la perspective d'un retour apparent vers un fonctionnement normalisé de
l'État. I l est peu probable qu'elles aient touché un simple priuatus. I l est
vraisemblable que c'est lors de ses fonctions à la tête de Rome et de l'Italie
71
que l'on a forgé un portrait dont Sénèque a assuré la survivance . Ce
portrait témoigne selon nous du malaise créé par la position d'un chevalier
72
au sommet de l'État . C'est pourquoi, loin d'avoir été une disgrâce, la
retraite politique de Mécène en 29 av. J.-C. constituait le premier jalon
d'une stratégie politique. Les privilèges des nobiles étaient en quelque sorte
un palladium. Les fouler au pied trop ouvertement revenait à contredire la
prétention à restaurer la Res publica et risquer de subir l'accusation d'aspi­
rer à un nouveau regnum. Rien ne permet de penser que Mécène n'ait pas
pleinement accepté cette stratégie.

Pour se défendre, il dut écrire un petit ouvrage, le De sua ebrietate, peu avant Actium (PLINE,
ÄJV..XTV, 148).
71. H est plus que probable que le stoïcien tire ses informations d'une tradition « giàformatae orientata»
(NiCASTRi, op. cit., p. 298).
72. À titre de comparaison, les nobiles n'ont jamais admis la position privilégiée dans l'État de l'obs­
cur Agrippa qui faisaitfigurede parvenu. Il fut proche d'accéder au pouvoir suprême puisque
l'attribution, successivement, de la tribunicia potestas, puis de Y imperium proconsular faisaient de
lui le successeur officieux d'Auguste. On se rappelle également que c'est à lui que le Princeps avait
remis son sceau en 23, de préférence à Marcellus (DION, LUI, 30, 1-2). Le mécontentement de
l'aristocratie s'exprima de façon éclatante lorsqu'ils refusèrent d'assister à ses funérailles. Sur ces
dernières, cf. FRASCHETTI Α . , Rome et le prince, Paris, 1994 (traduction française de V. Jolivet à
partir de l'édition de 1990), p. 293 sq. On imagine que leur état d'esprit n'était guère mieux disposé
à l'encontre de Mécène.

117
Les restaurations religieuses
d'Octavien /Auguste

John SCHEID

Les restaurations religieuses dOctavien-Auguste ont toujours été mal


comprises. Pour certains historiens, comme Franz Cumont, par exemple,
elles traduisaient «l'alliance du trône et de l'autel», pour d'autres, comme
1
André Piganiol , Auguste fut touché par la «mystique apollinienne»,
parut comme un sauveur, et avait des préoccupations morales et philoso­
phiques, qui inspiraient davantage son oeuvre religieuse que le formalisme
traditionnel qu'on souligne trop souvent. Parmi ceux qui insistaient sur le
2
formalisme, on trouve par exemple Wolfgang Speyer qui en donna dans
un ouvrage de grande diffusion une description réunissant tous les lieux
communs que l'on peut trouver sur le sujet. D'après cet auteur, Auguste,
comme César avant lui, aurait coupé toute relation avec la piété populaire
des Romains, autrement dit, aurait séparé la religion du sacré, et en bon
aristocrate, aurait mis la religion au service de ses intérêts politiques. En
manipulant les mythes pour glorifier ses entreprises, il aurait hâté le déclin
de la mythologie et de la foi dans les dieux.
Même si de nos jours personne ne jugerait plus les initiatives religieuses
d'Auguste de cette manière, puisque la majorité des historiens ont compris
qu'à Rome la religion et la piété sont nécessairement liés à la politique, i l
reste que l'on est gêné lorsqu'il s'agit de décrire ces restaurations dans leur
ensemble et d'y voir une unité qui les expliquerait. On se rend compte
qu'elles sont rarement toutes réunies dans une même étude. D'autre part,
tous les auteurs citent le passage des Res Gestae sur les reconstructions, les
éloges et les commentaires de poètesr-les arvales ou les féciaux, le flaminat
de Jupiter ou les Vestales, comme s'il s'agissait de la même série de restau­
rations faites sous le principat d'Auguste, alors qu'elles étaient séparées de
plus de quinze ans et que les décisions les plus importantes furent prises

1. PIGANIOL Α., Histoire de Rome, Paris, 1939, p. 228-230.


2. SPEYER W., «Das Verhältnis des Augustus zur Religion», ANRW2, 16, 3, Berlin-New York,
1986, p. 1777-1805; cf. aussi BERGEMANN C , Politik und Religion im spätrepublikanischen Rom
(Palingenesia vol. 38), Stuttgart, 1992.

119
JOHN SCHEID

alors q u i i était encore triumvir. Une série impressionnante d'initiatives


remontent en effet aux années 36-27 av. J.-C, et une deuxième série, plus
3
restreinte, reprend en 12 av. J.-C. . Quelques faits marquants, comme la
célébration des Jeux séculaires ou la réforme du calendrier eurent lieu res­
pectivement en 17 et 8 av. J.-C.
Si Ton dresse la liste de ces initiatives, on constate que dans un pre­
mier temps, Octavien a soit restauré de très vieilles prêtrises, soit réparé,
reconstruit ou construit des temples. À l'extérieur de Rome, il a confirmé
les privilèges de grands lieux de culte, leur a restitué les biens dont les avait
privés son ennemi, Marc Antoine, ou bien il a transformé ces sanctuaires
4
en colonies romaines, ou du moins i l les a attribués à des colonies . La
deuxième série d'initiatives concernait les flaminats, les Vestales, les cultes
des quartiers de Rome célébrés aux carrefours, et enfin le calendrier.
Le premier bloc d'initiatives restauratrices me paraît former un tout. La
restauration des prêtrises archaïques a un côté royal qui me paraît renvoyer
à un même projet. Il s'agit de quatre initiatives, datant presque toutes de la
même époque. La mise en oeuvre de ce projet commença lors de la décla­
ration de la guerre à l'Egypte. Cette initiative ne visait pas seulement la
célébration de tous les actes formels liés à l'annonce de l'état de guerre, mais
préludait sans doute à un triomphe «à l'antique», peut-être inspiré par des
5
projets et des privilèges qui avaient été accordés à César . En même temps
qu'Octavien rappela à la vie le sacerdoce fecial, qui avait sombré dans l'obs­
e
curité à la fin du II s. av. J.-C, Auguste a fait restaurer le temple de Jupiter
6
Feretrius qui était le siège traditionnel des féciaux . Or, étant donné le
privilège accordé à César, de pouvoir y déposer des dépouilles opimes, et la
naissance au début du Principat, des Caeninenses, une prêtrise équestre de
7
haut rang , qui était certainement en rapport avec Caenina, la cité conquise
par Romulus, on peut supposer qu'Octavien préparait un triomphe à la
romuléenne, en ramenant comme lui des dépouilles opimes au temple de
Jupiter Feretrius. Les Caeninenses devaient célébrer les cultes de Caenina,
peut-être en rapport avec ce triomphe mythique, à l'instar des Laurentes
Lavinates. Féciaux et Caeninenses représentaient en quelque sorte les

3. Voir SCHEID J., «Auguste et le grand pontificat. Politique et droit sacré au début du Principat»,
RHD 77y 1999, p. 1-19; ID., «Ronald Syme et la religion romaine», GIOVANNINI A. (dir.), La
Révolution romaine après Ronald Syme. Bilans et perspectives (Entretiens sur l'antiquité classique
vol. 46), Vandoeuvres-Genève, 2000, p. 39-72.
4. RGDA 24, 1 : In templis omnium ciuitatium proufincijae Asiae uictor ornamenta reposui, q
liatis temfplis is], cum quo bellum gesseram, priuatim possederai. Auguste a, par exemple, resta
revenus sacrés d'Artémis d'Éphèse (IEphesos la, n° 18b). Pour les temples-cités, BROUGHTON T.R.S.,
«New Evidence on Temple Estates in Asia Minor», Studies in Roman Economic and social History,
in Honour of A. C.Johnson, Princeton, 1951, p. 236-250.
5. D I O N XLIV, 4, 3 : σκΰλά τέ τινα όπιμα ές τον τουΔιός του Φερετρίου νεών άναθειναί οι
ωσπερ τινάπολέμιον αύτοστράτηγον αυτοχειρίαπεφονευκότι.
6. Voir pour tout ceci Lrv., I, 10, 5; IV, 20, 7; NEP. ATT. 20, 3; cf. 4, 20, 7; D I O N . HAL. II, 34,
3 suiv. ; PROP. 4, 10; PAUL. FEST. p. 189 L; FLOWER H . , «The Tradition of the Spolia Opima:
M. Claudius Marcellus and Augustus », Class. Ant. 19, 2000, p. 34-64, avant tout p. 46, n. 75.
7. GRANINO C E C E R E M. Gr., in GRANINO C E C E R E M. Gr., SCHEID J., « Les sacerdoces publics éques­
tres», DEMOUGIN S., DEVIJVER H . , RÄP&ET-CHARLIER M. 1h. (dir.), Ordo equester. Histoire dune
aristocratie, Rome 1999, p. 79-113, surtout p. 99 suiv.

120
LES RESTAURATIONS RELIGIEUSES DOCTAVIEN'/AUGUSTE

prêtrises les plus anciennes de Rome, puisque, d'après l'initiative du trium­


vir, le temple de Feretrius et sans doute les prêtres qui étaient attachés à son
culte, existaient au moment du triomphe de Romulus sur le roi Acron. Le
même mélange de mythes et de rites anciens, à moitié disparus, se retrouve
avec les deux autres sacerdoces «royaux», les frères arvales et les so dales
Titti. Les arvales furent recréés entre 31 et 28 av. J.-C, des sodales on ne
connaît pas la date de création, mais leur côté romuléen pointe vers la même
période. Des arvales un nom était conservé, peut-être quelques prières, mais
8
on peut imaginer qu'on n'en savait rien d'autre . Un aition composé à
l'époque augustéenne ou déjà plus ancien reliait les arvales à Romulus.
Octavien en fit un culte public bien doté et de haut rang, qui célébrait, par
le biais de l'agriculture trahie par son nom, la perfection morale des arvales.
La fondation de la confrérie paraît également avoir marqué le retour aux
activités de la paix, et avoir oeuvré pour la réconciliation de l'élite. À côté
du sacerdoce célébrant le souvenir du premier roi et la cité soumise par lui,
Octavien créa aussi les sodales Titti, qui furent mis en relation avec le collè­
gue sabin du premier roi, comme l'atteste la traduction grecque du titre de
9
ces prêtres . Manquait dans ces restaurations inspirées par des mythes la
ranimation du lieu de culte de Lavinium. Mais à ce jour nous ne disposons
toujours pas d'indices en faveur de la restauration des cultes de Lavinium
10
sous le principat d'Auguste . La raison pourrait en être que Lavinium ne
renvoyait pas, comme les sacerdoces romuléens, à la fondation de Rome,
mais à l'origine de l'histoire des Romains, célébrée par Virgile. En tout cas,
les quatre autres prêtrises réinstituaient dans la Rome de la fin des Guerres
civiles des institutions de fondation, et faisaient inévitablement penser à la
refondation de la Ville par Octavien.
À côté de ces innovations qui inventaient des sacerdoces et des cultes
en fonction de mythes étiologiques, Octavien s'occupait également des
temples de Rome qui avaient eu à souffrir de l'époque des guerres civiles.
La ville entière devait résonner du bruit des chantiers de reconstruction
ou de réparation de temples. Et parallèlement le nombre des membres des
grands sacerdoces publics fut légèrement augmenté, sans doute dans le
cadre d'une reprise de la loi Julia sur les sacerdoces, et leurs privilèges furent
H
accrus . Le vieux rite de Yaugurium salutis fut célébré en 29, et le Janus
fut fermé. A l'extérieur de Rome, Auguste continuait les mêmes initiatives
de réparation et de reaffirmation des privilèges. I l reconnut les privilèges
12 13
de Diane Tifatine à Capoue , déduisit une colonie à Lucus Feroniae , à

8. Cf. SCHEID J., «Les frères arvales, où comment construire une étiologie pour une restauration
religieuse», CHASSIGNET M. (dir.), L'étiologie dans la pensée antique, Tournai, 2008, p. 293-303.
9. Α£Ί997,1425 :... ιερέα σακερδωτίουΤατίου...
10. Seul le viens Augustanus, situé à côté du site-sanctuaire pourrait renvoyer à un intérêt d'Auguste
pour le site.
11. SUÉTONE, Aug. 31, 3: sacerdotum et numerum et dignitatem sed et commoda auxit, praecip
Vestalium.
12. /ZS251 : Imp. Caesar/Vespasianus/Aug., cos. VIII (= 77),/fines agrorum/dicatorum/Dianae
Cornelio Sulla/exformaDiuilAug. restituit.
13. K E P P I E L . , Colonisations and Veteran Settlement in Italy, 47 BC-14 AD, Rome, 1983, p. 169.

121
JOHN SCHEID

14
Hispellum, qui était peut-être un grand sanctuaire ombrien , et attribua
15
à la nouvelle colonie le sanctuaire des sources du Clitumne . Une autre
colonie paraît avoir été fondée à Fanum Fortunae, qui ne semble avoir été
16
qu'un temple à l'époque de César .
En Asie Mineure, Auguste fit restituer aux temples les objets volés par
17
Marc Antoine . Et puis le silence retomba, jusqu'en 18 av. J.-C, quand
d'après la doctrine officielle i l restaura la vieille cérémonie des Jeux sécu­
laires. Lorsqu'on lit les récits des historiens et les protocoles des quindé-
cemvirs, on se rend compte que cette restauration aussi fut en grande partie
18
une invention à partir de quelques traditions plus anciennes . Enfin, en
12 av. J.-C, après son élection commepontifex maximus, un certain nom­
bre d'autres institutions religieuses furent prises. Un flamine de Jupiter fut
19
investi de sa fonction, peut-être même un flamine de Mars . De même le
nombre régulier des Vestales fut rétabli. Dans les quartiers de Rome, les uici
eurent le droit de disposer de magistri, qui célébreraient les jeux des compi-
20 e r
talia , interdits après les désordres du milieu du I s. av. J.-C. I l fait aussi
commencer une vérification, qui aboutit en 8 av. J.-C. à la correction du
21
calendrier fondé par César, et conféra le nom d'Augustus au mois Sextilis .
Restent un certain nombre de nouveaux cultes qui célébraient les vertus
d'Auguste et les effets de son action, dont certaines connurent une longue
postérité : Fortuna redux, Pax Augusta, dementia, Iustitia, etc.
Tout cela est bien connu, mais moins bien compris. Même si personne
ne parle plus de décadence ou de cynisme, comment interpréter toutes
ces initiatives ? Était-ce simplement de la propagande ? Octavien-Auguste
e
aurait-il gouverné, comme les Führer ou Duce du XX siècle, grâce à la pro­
pagande organisée ? I l faut souligner que les Anciens n'ont jamais mis en
22
doute sa sincérité. On a critiqué, à sa mort, sa divinisation , mais on n'a
jamais moqué sa piété, on n'a jamais prétendu que c'était de la propagande

14. COARELLI F., «Il rescritto di Spello e il santuario "etnico" degli Umbri», Umbria cristiana. Dalla
diffusione del culto al culto dei santi (sec. IV-X). Atti del XV Congresso internazionale di studi
sull'alto medioevo (2000), Spolète, 2001, p. 39-52.
15. PLINE, Ep. Vili, 8, 6.
16. CESAR, BC, I, 11 : Erat iniqua condicio postulare ut Caesar Arimino excederet atque in proui
reuerteretur ipsum [...]. 4. Itaque ab Arimino M. Antonium cum cohortibus VArretium mit
Arimini cum duabus [legionibus] subsistit ibi que dilectum habere instituit Pisaurum Fanum
singulis cohortibus occupât. Cf. CHAMPEAUX ]., Fortuna. Recherches sur le eulte de la Fortune à R
et dans le monde romain des origines à la mort de César. I. Fortuna dans la religion romaine
Rome 1982, p. 190 et n. 220; 454.
17. Cf.n.4.
18. WEISS P., « Die Säkularspiele der Republik - eine annalistische Fiktion ? Ein Beitrag zum Verständnis
der kaiserzeidichen Ludi saeculares», MDAIR 80, 1973, 205-217; SCHEID J., «Dell' importanza
di scegliere bene le fonti. L'esempio dei Ludi secolari», Scienze dellAntichità; Storia Archeologia
Antropologia 10, 2000, p. 645-657.
19. D I O N , LIV, 36,1 et T A C , Ann. III, 58 ; IV, 16, 4. Voir SCHEID 2000 pour la date précise. D'après
la datation de la monnaie de L. Cornelius Lentulus par GIARD J.-B., Catalogue des monnaies de
2
l'Empire romain. I. Auguste, Paris, 1988 , 115 n° 555- n° 559, leflaminede Mars semble avoir été
pris en 12. Voir pour les autres hypothèses PHP s.v. Cornelius n° 1384.
20. FRASCHETTI Α., Roma e il principe, Rome 1990 (tr.fr.1994), p. 250 sq.
21. Pour les détails, voir SCHEID J., «Auguste et le grand pontificat art. cité», p. 1-19.
22. TAC, Ann. I, 10,6.

122
LES RESTAURATIONS RELIGIEUSES D'OCTAVIEN/AUGUSTE

creuse. La propagande n'était d'ailleurs pas un concept qui s'applique à


23
Auguste et à l'Antiquité . Ces réformes, jointes à ses autres initiatives
religieuse comme la construction des temples d'Apollon et de Mars ultor
le faisaient effectivement paraître à leurs yeux comme un homme d'une
piété exemplaire. Et c'est en tant que tel qu'il fut imité par ses successeurs
en quête de légitimité, Vespasien ou Septime Sévère par exemple.
Apparemment Auguste n'était pas bigot. Ce n'était donc pas à ce genre
de conduite mais bien aux initiatives publiques que j'ai décrites que les
Romains attribuaient sa piété. Toutefois il a fait davantage que remplir ses
obligations religieuses qui consistaient à célébrer les cultes prescrits comme
ses prédécesseurs, ce qui aurait suffi pour le faire qualifier de pieux. Qu'est-
ce qui l'incitait donc à se lancer dans ces reconstitutions historiques, à la
ranimation de sacerdoces dont Rome se passait depuis longtemps ? C'est
sans doute par cette question que nous pouvons espérer comprendre la
logique de son activité restauratrice.
Si nous considérons que l'essentiel de ces restaurations s'est fait entre 36
et 27 et autour de 12 av. J.-C, avec le moment intermédiaire des Jeux sécu­
laires, nous pouvons identifier les raisons de ces initiatives et comprendre
qu'il s'agit d'un élément d'une stratégie politique plus générale. I l est pos­
sible que les mesures datant de la guerre civile soient encore liées à César et
à la recherche d'un pouvoir monarchique à la romaine. Je préfère toutefois
considérer qu'il s'agit essentiellement de la réparation de ce qui est présenté
comme un tort, comme une négligence. I l faut bien comprendre que rien
n'obligeait Octavien/Auguste à ces restaurations. La religion romaine avait
E
sans cesse évolué depuis le V siècle av. J.-C. I l était sans doute scandaleux
que le dernier flamine de Jupiter remonte à l'époque de Sylla, mais suivant
les principes ritualistes de la religion romaine, il suffisait que les pontifes
accomplissent ses devoirs à sa place pour que la piété soit préservée. Et
davantage encore, il n'y avait aucune nécessité de recréer des prêtrises qui
étaient de purs noms. Pourquoi donc Octavien s'est-il lancé, dès 32, dans
cette activité ?

Nul n'ignore — et ignorait à l'époque - que le pouvoir d'Octavien et des


collègues triumvirs était fondé sur un coup d'Etat. Même si toutes les déci­
sions prises par les chefs de guerre avaient été sanctionnées par des lois, et
sans même évoquer le spectre des proscriptions qui entachaient la fonction
triumvirale, il ne fait aucun doute que ces lois ont été votées sous la menace
de la violence. Le scénario mis au point l'hiver 28/27 consistait à remettre
tout le pouvoir au peuple et à gérer désormais la république avec lui. Cette
mise en scène suscitait encore naguère beaucoup d'ironie. L'incrédulité
était en partie due au fait que l'on ne comprenait pas bien la nature des

23. WEBER Gr. et ZIMMERMANN M., « Propaganda, Selbstdarstellung und Repräsentation. Die Leitbegriffe
des Kolloquiums in der Forschung zur frühen Kaiserzeit», WEBER Gr. et ZIMMERMANN M. (dir.),
Propaganda, Selbstdarstellung und Repräsentation im römischen Kaiserreich des I. Jhs. n. Chr.,
2003, p. 11-41.

123
JOHN SCHEID

pouvoirs dont Octavien jouissait à ce moment. Depuis les travaux de Kl.


24
Girardet et de J.-L. Ferrary , avant tout, il est apparu quOctavien possé­
dait désormais un pouvoir légal, le consulat, suffisamment vaste pour que
la remise des pouvoirs exceptionnels fût possible et crédible. A ces analyses
s'ajoute le nouveau fragment des Res Gestae qui permet d'éliminer « le coup
2 5
d'État» de 3 1 . Deux aurei sont depuis venus confirmer que le scénario
défini par Auguste lui-même dans les Res Gestae et longuement décrit par
26
Dion Cassius méritait la confiance. J'ai pu régulièrement constater que les
Res Gestae disaient généralement la vérité. Elles interprètent, certes, les faits,
mais elles ne les inventent pas. Les faits qu'elles rapportent correspondent à
la réalité. Au terme de l'affrontement avec Marc Antoine, un nouvel équi­
libre institutionnel fut mis en place, qui ramenait, d'une certaine manière,
les institutions d'antan et fondait en même temps un nouveau régime. Je
propose de considérer que les initiatives religieuses d'Octavien-Auguste sont
un élément important du dispositif de la remise des pouvoirs d'exception et
la gestion plus traditionnelle de la république après janvier 27.
Les autorités publiques, les magistrats, les prêtres et le Sénat, avaient la
charge des obligations du peuple Romain. Par conséquent ils portaient la
responsabilité du dysfonctionnement de la vie religieuse publique. Pour un
Romain, cette négligence était aussi grave, aussi criminelle que la violence
politique et l'entrave au fonctionnement normal des institutions. Pointer les
négligences en les corrigeant met en évidence l'impiété criminelle des prédé­
cesseurs. Restaurer des devoirs religieux négligés était donc une manière de
ramener la situation antérieure. En outre, les initiatives religieuses avaient
l'avantage d'être tout de suite visibles, elles étaient spectaculaires. Autrement
dit, si le slogan iura et leges P(opulo) R(omano) restituii avait une portée
réelle, elle pouvait se voir immédiatement sur le plan religieux.
Après deux générations et davantage encore, des obligations vénérables
qui étaient négligées ou abandonnées furent identifiées et restaurées. Tout
ce que les prédécesseurs d'Octavien avaient négligé, tous les droits des dieux

24. GIRARDET Kl. M., «Der Rechtsstatus Oktavians im Jahre 32 ν. Chr.», RhM 133, 1990, p. 322-
350, notamment p. 326-329 [= GIRARDET, Rom auf der Weg von der Republik zum Prinzipat,
Bonn, 2007, p. 333-362] ; GIRARDET, « Die Entmachtung des Konsulates im Übergang von
der Republik zur Monarchie und die Rechtsgrundlagen des augusteischen Prinzipats », Pratum
Saraviense. Festgabefur P. Steinmetz (Palingenesia vol. 30), Stuttgart 1990, p. 89-120 [= GIRARDET,
Rom aufder Weg von der Republik zum Prinzipat, Bonn, 2007, p. 385-423] ; GIRARDET, « Per con-
tinuos annos decern {res gesta divi Augusti 7,1). Zur Frage nach dem Endtermin des Triumvirats»,
Chiron 25, 1995, p. 147-161 [= GIRARDET, Rom auf der Weg von der Republik zum Prinzipat,
Bonn, 2007, p. 315-332] ; ID., «.Imperium "maius". Politische und verfassungsrechdiche Aspekte.
Versuch einer Klärung», Giovannini A. (dir.), La révolution romaine après Ronald Syme. Bilans
et perspectives (Entretiens sur l'Antiquité classique, vol. 46), Vandoeuvres-Genève, 2000, 167-
237 [= GIRARDET, Rom auf der Weg von der Republik zum Prinzipat, Bonn, 2007, p. 461-521] ;
FERRARY J.-L., «À propos des pouvoirs d'Auguste», CCG 12, 2001, p. 101-154; ID., «Respublica
restituta et les pouvoirs d'Auguste», FRANCHET D'ESPÈREY S., FROMENTIN V., GOTTELAND S.,
RODDAZ J.-M. (dir.), Fondements et crises du pouvoir, Bordeaux, 2003, p. 419-428.
25. BOTTERI P., « L'integrazione mommseniana a Res Gestae Divi Augusti 34, 1 "potitus rerum omnium
e il testo greco», ZPE 144, 2003, p. 261-267; DREW-BEAR Ih. et S C H E I D J., «La copie des
Res Gestae d'Antioche de Pisidie», ZPE 154, 2005, p. 217-260.
26. D I O N , LUI, 1, 1; 3-18.

124
LES RESTAURATIONS RELIGIEUSES D'OCTAVIEN/AUGUSTE

romains qui avaient été oubliés, tous leurs biens qui étaient tombés en
ruines et gisaient abandonnés, tout cela Octavien le restaura après en avoir
dressé l'inventaire. Le fait que la plupart des restaurations aient été réalisées
entre 32 et 27 prouve qu'elles faisaient partie de la stratégie politique que
le triumvir entendait appliquer dès sa victoire. I l ne s'agit pas d'improvisa­
tions, mais d'une stratégie mûrement réfléchie et préparée, qui aboutit en
même temps que la restitution des droits et des lois au peuple Romain.
Ne serait-ce pas en fin de compte de la politique malgré tout?
Certainement, mais pas dans le sens où les propagandistes des états totali­
taires la mettaient en œuvre. Les initiatives d'Octavien correspondaient à
ce qui était annoncé. I l ne s'agissait pas de paroles grandiloquentes gonflant
les projets ou certains aspects de l'action du prince, mais d'actes réels. Et ces
actes correspondaient à ce que les Romains attendaient de la piété. Dans le
culte public, ce qui était en cause, ce n'était pas la piété au sens moderne,
chrétien, du terme qui était en cause. Il ne s'agissait pas de piété intériorisée,
qui contemplait son lien avec l'ineffable, mais d'actes matériels qui plaçaient
ou replaçaient les dieux au centre de la vie sociale romaine. Ne pas faire cela
correspondait à tolérer une éthique sociale dévoyée, propre aux temps de
guerre civile. Et Octavien ne se contentait pas seulement de distribuer des
subventions aux prêtres et aux lieux de culte. Les restaurations d'Octavien
entraînaient également une implication profonde des élites, des sénateurs et
des chevaliers jusqu'aux habitants libres, affranchis ou esclaves des quartiers
de Rome. Tous devaient désormais donner de leur temps et de leurs moyens
pour maintenir ces obligations rituelles, plus riches que jamais, qu'Octavien
a (re)construites entre 32 et 27. I l faut se rappeler qu'un frère arvale, par
exemple, devait consacrer un minimum cinq à six jours complets par an
à la célébration du culte, et rapidement davantage. En outre, quand son
tour venait d'être «supérieur» annuel de la confrérie (magister), il devait
gérer le bois sacré et le temple de la déesse, avec l'aide de son appariteur,
des esclaves publics du collège et de son propre personnel. Pendant l'année
de cette charge, sa maison contenait même une chapelle publique de Dea
Dia. Et ce n'était là qu'une des fonctions religieuses du frère arvale. Il était
aussi père de famille, magistrat, et souvent membre d'autres collèges sacer­
dotaux, ce qui permet de multiplier le temps et les moyens investis dans le
culte public et privé. Le peuple Romain avait droit à ce service car c'était
la charge des sénateurs et des chevaliers de rendre en son nom le culte aux
dieux, comme magistrats, et/ou comme prêtres. Le peuple ne pouvait qu'en
bénéficier, et en revanche la négligence des élites pouvait entraîner l'ire des
dieux, qui risquait de provoquer des catastrophes. Remplir à la perfection
ses devoirs religieux était une obligation politique, comme les autres attri­
butions d'un magistrat supérieur. C'était un geste politique parce que cette
activité faisait partie des activités de gouvernement. Le faire mieux que
personne auparavant était cependant une qualité politique remarquable qui
attirait forcément l'attention.

125
JOHNSCHEID

Pour comprendre que la restauration de la vie religieuse ordonnée - c'est


ainsi qu'il faut l'appeler - visait les adversaires d'Octavien, il suffit de consi­
dérer ce qui se passa après 32. Son ennemi Lèpide était pontifex maximus.
27
Auguste a toujours refusé de le dépouiller de cette charge , même s'il
considérait que la fonction lui revenait à titre héréditaire et que Lèpide
s'en était emparé à la faveur des désordres consécutifs au 15 mars 44. Ce
refus était lui-même un signe de piété, car la fonction eminente du grand-
pontife était accordée à titre viager. Et puisque les comices sacerdotaux de
44 avaient élu Lèpide, il fallait respecter ce choix. Mais Auguste alla plus
loin. I l exploita la situation ainsi créée qui témoignait à chaque instant de
sa piété et de l'impiété foncière de Lèpide. Celui-ci avait obtenu par des
manoeuvres politiques malhonnêtes une charge qui était due à Octavien.
Auguste respectait le vote des comices. En empêchant toutefois Lèpide
de jouer un rôle religieux quelconque après son arrestation en 36, c'est-à-
dire en bloquant toutes les initiatives que seul le pontifex maximus pouvait
prendre, Auguste apportait la démonstration de l'illégitimité de ce dernier,
et prolongeait en quelque sorte la négligence qui avait été celle de Lèpide
entre 44 et 36, quand i l n'avait rien fait pour remédier à la négligence des
obligations religieuses. Une négligence qui avait toutefois aussi été celle de
César et de ses prédécesseurs, même s'il pouvait dire que César avait été
empêché d'agir. En tout cas, le grand-pontife exilé devenait le symbole de
tous les puissants qui depuis un demi-siècle avaient laissé les institutions
religieuses aller à vau-l'eau.
On ne peut manquer de penser ici aux autels de Vulcain, construits
par Domitien en 86, aux emplacements où s'était arrêté le grand incendie
28
de 64. Sur la dédicace , Domitien rappelait que l'aire de l'autel avait
« été dédiée par l'Empereur César Domitien Auguste Germanique, en
acquittement du vœu formulé et longtemps négligé sans être acquitté, afin
d'écarter les incendies, quand la ville brûla pendant neuf jours au temps
de Néron». L'acquittement du vœu de 64 servait donc à l'empereur pour
prouver son sérieux par opposition au tyran Néron, mais également par
rapport à son père et à son frère, qui n'avaient rien fait non plus pour
honorer le vœu. I l est clair que la réparation de cette dangereuse négligence
légitimait Domitien par rapport à Vespasien et Titus, glorieux militaires.
Et comme dans le cas d'Auguste, son initiative était spectaculaire. Plusieurs
autels furent dédiés le même jour, et chaque année, des sacrifices y étaient
célébrés. Et à l'arrière-plan le grand incendie néronien, qui prenait peu à
peu la forme d'un mythe.
Auguste agissait de même avec Lèpide. Et dès que ce dernier fut décédé,
il répara spectaculairement les négligences de ce dernier en faisant occuper
les prêtrises inoccupées et corriger le calendrier. Toutes ces tâches étaient
propres aux pontifes et au pontifex maximus. On comprend aisément
27. RGDA 10, 2 : Pontifjex maximus nefieremin uiui fcjonlefgae mei IJocum, [populo id sacejrd
deferente mihi, quod pater meu[s habuer]at r[ecusaui.
28. C/ZVI, 826 = 30837b (ILS, 4914).

126
LES RESTAURATIONS RELIGIEUSES D'OCTAVIEN/AUGUSTE

qu'Auguste, qui était lui-même pontife, et ses partisans avaient empêché le


collège pontifical et le grand pontife d'agir pendant les 26 ans de captivité
de ce dernier. C'était aussi en ce sens que la conduite d'Octavien-Auguste
après 30 était politique, mais sans risquer de choquer par son cynisme.
Octavien savait que les services religieux desflamineset des Vestales étaient
célébrées de toute façon, et donc la temporisation pour raisons politiques
n'était pas scandaleuse.
Quel fut alors le rôle des Jeux séculaires ? Ils confirment cette interpré­
tation. Ils occupent une position stratégique, dix ans après la cérémonie
de la reddition des pouvoirs d'exception. La mise en scène prouvait que
tout n'allait pas encore bien, puisqu'un ou des prodiges furent exploités
pour engager la consultation des Livres Sibyllins, qui révélèrent un autre
oubli, celui de la célébration de la « vieille » cérémonie des Jeux séculaires.
L'initiative de cette procédure fut prise par Auguste et Agrippa, en vertu
de leur puissance tribunicienne. Les pontifes et le grand-pontife n'y parti­
cipèrent pas en tant que tels. On dirait que dix ans après l'aménagement
nouveau des pouvoirs, souligné par une restauration spectaculaire de tous
les devoirs du peuple Romain à l'égard des dieux, Auguste rappelait que
tout n'était pas encore parfait, et en mettant en perspective les nouvelles
initiatives le jour où il serait, enfin, grand-pontife. Nous avons vu que c'est
effectivement ce qu'il fit dès 12 av. J.-C.
Les restaurations religieuses répondaient donc bien à une stratégie poli­
tique. Ce n'était cependant pas de la propagande, comme nous l'avons
29
souligné. Ce n'est toutefois pas non plus, comme le pense Armin Eich la
fonction, la justification de la fonction du prince qui était en cause, mais
simplement son institution. Eich a tout à fait raison de considérer que les
pouvoirs et la fonction d'Auguste n'avaient rien de choquant, puisqu'elles
consistaient en fait en pouvoirs qui existaient déjà avant lui. Ceci toutefois
est vrai après 27, pas avant. Avant cette date, Octavien possédait des pou­
voirs d'exception et le hasard militaire l'avait rendu seul détenteur de ce
pouvoir exceptionnel. À ce moment il y avait certainement une hésitation
de la plupart des Romains, qui l'avaient connu comme triumvir et qui se
demandaient ce que serait son régime, maintenant qu'il détenait la totalité
du pouvoir. Avant 27, il s'agissait donc bien de la fonction qui s'annonçait,
de son gouvernement traditionnel au moyen du consulat, et en s'appuyant
sur le reste des institutions traditionnelles. Ce n'est qu'après 27, quand
le nouvel équilibre des pouvoirs avait été défini, que c'était davantage la
personne d'Auguste qui était en cause que la fonction de princeps. C'était
de l'acceptation de sa personne et de sa sincérité qu'il s'agissait. Pouvait-on
vraiment lui faire confiance après tout ce qu'il avait fait auparavant ? Certes,
il s'agissait aussi d'une opération de communication, qui visait à établir la

29. EICH Α., « Die Idealtypen "Propaganda" und "Repräsentation" als heuristische Mittel bei der
Bestimmung gesellschaftlicher Konvergenzen und Divergenzen von Moderne und römischer
Kaiserzeit», WEBER Gr. et ZIMMERMANN M. (dir.), Propaganda, Selbstdarstellung und Repräsentation
im römischen Kaiserreich des I. Jhs. n. Chr., Stuttgart, 2003, p. 41-8$.

127
JOHNSCHEID

fonction de princeps, et à diffuser sa «représentation» comme Gr. Weber


30
et M . Zimmermann le proposent.
Quel était en fin de compte le rôle des restaurations religieuses
d'Octavien-Auguste dans le processus d'apaisement et de représentation ?
Contrairement à d'autres lignes politiques, la religion donnait des résultats
immédiats. On pouvait voir quotidiennement lesritesancestraux accompa­
gnant la vie publique, on pouvait voir et entendre les maçons et charpentiers
réparant et reconstruisant les vieux temples. Manifestement les Romains y
tenaient. La piété d'Auguste, restaurateur des obligations religieuses et du
respect des partenaires divins du peuple Romain, répondait aux attentes
du public. Ce n'était pas un message abstrait, sans garantie, mais l'accom­
plissement immédiat des attentes des Romains qui était en cause. C'est en
partie par ce biais qu'Octavien a pu réaliser, après 30 av. J.-C, le consensus
omnium derrière le pouvoir absolu qui était le sien. Après 27, la poursuite
paradoxale de cette conduite, qui consistait plutôt à ne pas agir pour com­
pléter les restaurations, pour respecter spectaculairement le caractère viager
de la fonction de Lèpide, devait rassurer ceux qui doutaient de lui.

30. WEBER Gr. et ZIMMERMANN M., « Propaganda, Selbstdarstellung und Repräsentation. Die Leitbegriffe
des Kolloquiums in der Forschung zur frühen Kaiserzeit », WEBER Gr. et ZIMMERMANN M. (dir.),
Propaganda, Selbstdarstellung und Repräsentation im römischen Kaiserreich des I. Jhs. n. Chr.
2003, p. 11-41.

128
Le triomphe d'Auguste :
héritage de la République ou révolution?

Michel TARPIN

À la rubrique des institutions qu'Auguste aurait restaurées pour les uns,


réinventées pour les autres, le triomphe occupe une place plus qu honora­
ble. Tous les travaux qui portent sur cette cérémonie se heurtent d'emblée
à la question préalable de la valeur des sources qui nous renseignent sur
le triomphe républicain, voire sur un «triomphe primitif», le doute qui
pèse sur celui-ci atteignant parfois celui-là. En un sens, la question de la
validité des sources et de la continuité ou de la rupture dans la pratique du
triomphe entre la République et l'Empire est plus fondamentale que les
problématiques habituellement développées autour de la signification du
cortège et de sa mise en scène. Nous pouvons aujourd'hui prendre comme
point de départ la thèse fort récente de Tanja Itgenshorst {Tota ilhpompa.
Der Triumph in der römischen Republik, Göttingen, 2005), qui aborde la
question sous un angle hypercritique. Dans sa condamnation des sour­
ces « impériales » — qui comprennent Tite-Live, contemporain d'Auguste-,
T. Itgenshorst est beaucoup plus radicale, par exemple, qu'E. Künzl {Der
römische Triump. Siegesfeiern im antiken Rom, Munich, 1988), qui prend
pour point de départ de son travail le triomphe juif de 71. Je n'entends pas
faire ici une critique du livre, fort utile, de T. Itgenshorst, mais simplement
y puiser les éléments qui nous permettront de poser la question sur des
bases aussi stables que possible. En effet, T. Itgenshorst a le grand mérite,
comme le reconnaît M . Coudry dans un compte rendu à paraître, d'isoler
les sources purement républicaines pour tenter d'identifier des éléments
incontestablement républicains dans le déroulement de la cérémonie.
Nous laisserons de côté les questions que pose T. Itgenshorst à pro­
pos de Plaute, dont les comédie, à mon sens, ont essentiellement pour
personnages des mercenaires grecs qui ne sauraient être représentatifs du
«soldat romain». Je n'accorderai pas non plus d'attention aux faiblesses
relevées par ce travail dans les descriptions des triomphes primitifs chez
les auteurs impériaux: c'est plutôt lorsque ces récits sont trop précis qu'ils

129
MICHEL TARPIN

1
nous semblent suspects . Enfin, la question de l'origine du cortège, fête
de Jupiter, cérémonie de purification, imitation de cortèges dionysiaques,
est sans intérêt pour notre propos, pour autant même qu'elle ait un intérêt
historique. La question du triomphe républicain, dans une lecture hyper-
critique est d'autant plus délicate que les triomphes sont devenus rares sous
l'Empire (BARINι C , Triumphalia. Imprese ed onori militari durante l'impero
Romano, Turin, 1952) et que la cérémonie n'est que très rarement décrite.
Paradoxalement, s'il est aisé de dire que le rituel impérial a contaminé les
récits des triomphes républicains, il est plus délicat de définir un triomphe
«impérial», qui se singulariserait à l'égard du triomphe républicain. Nous
nous intéresserons donc ici plus particulièrement à ce moment charnière
que représente le triple triomphe de 29 av. J.-C, chronologiquement encore
républicain, mais censé être un moment de basculement de la cérémonie.

Que sait-on du triomphe républicain?

Un des mérites du travail de T. Itgenshorst, je l'ai relevé, est d'avoir su


isoler les sources par phases chronologiques. De toute évidence, l'auteur
purement républicain chez qui nous trouvons les renseignements les plus
significatifs est Polybe, dont le vocabulaire nous ouvre d'intéressantes pers­
E
pectives sur la notion de triomphe vers le milieu du I I siècle av. J.-C. On
peut ainsi identifier des clés de fonctionnement de la cérémonie, que l'on
peut d'autre part comparer aux triomphes impériaux. Polybe consacre peu
de place au triomphe en général - c'est un rituel qu'il ne décrit pas en détail,
au contraire d'Appien, par exemple - et s'attarde rarement sur des triom­
phes précis. Mais les notices sont assez homogènes. Il y a peu à attendre
en revanche de Cicéron, qui n'accorde qu'un intérêt limité à la procédure
2
même du triomphe . Je ne le citerai donc que lorsque son propos interfère
avec celui de Polybe.
Dans la définition générale de l'Achéen, le triomphe sert à exposer au
yeux du public les exploits du général (VI, 15, 7-8 ; ci-dessous). En ce sens,
la présentation de la cérémonie est cohérente avec les autres aspects de la
société romaine exposés dans ce même livre six, en particulier le célèbre
passage sur les funérailles aristocratiques, qui rappelle, justement, que les
ancêtres qui ont eu droit au triomphe défilent dans le cortège funéraire
en tenue de triomphateurs. On peut soupçonner ici que Polybe, en bon
sophiste, a extrait de la pratique triomphale les éléments qui servaient un

1. Je tiens ici à me démarquer d'une attitude fréquente dans la littérature hypercritique ; pratique qui
consiste à refuser dans les récits des périodes anciennes tout ce qui paraît crédible au nom même
d'une crédibilité qui est jugée comme une preuve de fabrication. On peut se tromper autant par
scepticisme que par naïveté.
2. Il donne cependant un détail technique : on doit conserver en vie le chef ennemi pour l'exécuter
le jour même du triomphe. Cic, 2 Vert., 5, (30), 77 : At etiam qui triumphant eoque diutius uiuos
hostium duces reseruant ut his per triumphum duetts pukherrimum spectaculumfructumqueu
populus Romanus percipere possit, tarnen cum deforo in Capitolium currusflectereincipiunt,
in carcerem iubent, idemque dies et uictoribus imperii et uictis uitae finemfacit.

130
LE TRIOMPHE D'AUGUSTE: HÉRITAGE DE LA RÉPUBLIQUE OU RÉVOLUTION?

propos politique et social. L'exposition de la gloire du général et de sa


famille était cependant très certainement une des fonctions essentielles du
triomphe de son temps. L'exposition de ce général sur un char tiré par qua­
tre chevaux blancs, le sceptre à la main, entouré d'un apparat exceptionnel,
3
suffit à la rappeler .
Les notices polybiennes nous donnent en revanche des indices fonda­
mentaux pour une définition du triomphe républicain. Passons les rapide­
ment en revue. T. Itgenshorst inscrit dans la liste le « pseudo triomphe » car­
thaginois célébré en 238 après la guerre des Mercenaires (I, 88, 6-7). Certes,
on sait que l'on trouve occasionnellement chez Tite-Live des mentions de
pseudo triomphes, ou plus exactement de cortèges à forte connotation
triomphale célébrés dans des villes autres que Rome. C'est par exemple le
cas du retournement de procédure appliqué par les Capouans au lende­
main des Fourches Caudines pour créer l'illusion d'un retour triomphal
de l'armée romaine défaite (VAL. MAX., V, 1, ext. 5). C'est aussi le cas du
célèbre «triomphe» de Sempronius Gracchus à Bénévent, avec son armée
de uolones, dont i l savait qu'on ne la laisserait jamais triompher à Rome
(Lrv., XXIV, 15). Cependant, le cortège de Carthage n'a rien d'un triom­
phe : il ne prend pas place à Rome, il n'est pas fait mention d'un retour de
l'armée conduite par son général et il n'y a pas d'exposition du butin. Le
seul point commun, à bien y regarder, est que l'on fit subir toutes sortes
de supplices aux captifs, comme on le faisait à Rome pour le chef vaincu
sur le chemin du Tullianum. Mais, même ici, le parallèle n'est que partiel
et l'on doit considérer fautive la traduction de P. Pédech. Ce θρίαμβος est
un cortège de jeunes Carthaginois, qui font parcourir la ville aux vaincus
avant de les exécuter.
Le triomphe de L. Aemilius Papus est décrit en peu de mots, mais ils
sont parfaitement limpides, et la séquence paraît bien organisée en fonc­
tion du temps (je cite la traduction de P. Pédech) : I I , 31 : (3) Le consul
romain ramassa les dépouilles et les envoya à Rome; il rendit le butin aux
propriétaires légitimes. (4) Puis, à la tête de ses légions, traversant la Ligurie,
il se jeta sur le pays des Boïens. Quand il eut satisfait l'appétit du pillage
chez ses soldats, il arriva en quelques jours à Rome avec son armée; (5) il
décora le Capitole avec les enseignes et les torques [...], (6) et le reste des
dépouilles et les prisonniers lui servirent à orner son entrée dans la ville et
son triomphe (τοις δέλοιποίς σκύλοις και τοις αιχμαλώτοις προς τήν
είσοδον έχρήσατο την εαυτού καιπρος τήν του θριάμβου διακόμησιν).
La séquence comporte donc le retour à Rome (mais sans doute pas dans

3. L'archétype de la cérémonie est à rechercher non tant dans l'entrée cérémonieuse de Romulus
porteur des dépouilles d'Acron, que dans les triomphes du dernier siècle de la monarchie et du
E
début du V siècle. Pour Tite Live (I, 38, 3), suivi par Eutrope (1, 6, 1), le premier triompha­
teur est Tarquin l'Ancien, ce qui suppose une perception historicisée de l'évolution de la guerre :
Romulus pratique encore un combat « homérique ». Pour Eutrope (II, 2,2), Cincinnatus est le troi­
sième triomphateur, mais le premier pour lequel le triomphe est «decretus». Denys d'Halicarnasse
(II, 34,3), en revanche, attribue à Romulus d'emblée un triomphe déjà complètement formé, avec
une séquence du cortège qui est celle que nous connaissons pour lafinde la République.

131
MICHEL TARPIN

le pomerium malgré la préposition εις, la sélection des dépouilles, l'entrée


formelle dans la ville et le cortège. D'emblée, on peut noter que l'appel­
lation «triomphe» en français est excessive pour θρίαμβος, qui désigne
distinctement le cortège proprement dit. Polybe distingue bien l'entrée
dans la ville et le cortège, qui, ensemble, constituent ce que nous appelons
le «triomphe».
Dans la première notice consacrée au triomphe d'Aemilius Paullus en
219, notice fort brève, Polybe fait du θρίαμβος un élément du triomphe,
associé à la gloire (III, 19, 12) : μετά ταΰτα ληγούσης ήδη της θερείας
εις την 'Ρώμην επανήλθε, καί την είσοδον έποιήσατο μετά θριάμβου
καί της απάσης ευδοξίας. Mais on remarque surtout que 1'είσοδος est
l'élément principal de ce que nous nommons « triomphe » : leθρίαμβος est
ce qui accompagne l'entrée dans la ville. Dans la seconde notice, Polybe
regroupe les deux mots (IV, 66, 8) : Κατά δε τον καιρόν τούτον Αιμίλιος
έκ της Ίλλυρίδος εισήγε λαμπρώς εις την 'Ρώμην τον θρΐαμβον.
La redondance εισήγε [...] εις, courante en grec, rappelle l'importance du
franchissement de la muraille par l'armée en ordre de bataille.
Le triomphe de Scipion au lendemain de Zama nous fournit la notice
la plus détaillée de Polybe, sans doute du fait des liens qu'il entretenait avec
les Cornelii Scipiones (XVI, 23, 5) :ώςδεκαι τον θρίαμβον εισήγε, τότε
και μάλλον ετιδια τής των εισαγομένων ενεργείας μιμνησκόμενοι των
προγεγονότων κινδύνων, έκπαθεις έγίνοντο κατά τε τηνπρος θεούς
ευχαριστίαν καί κατά τηνπρος τον αίτιον τής τηλικαύτης μεταβολής
εΰνοΐαν. À nouveau on rencontre deux éléments, l'entrée et le cortège.
Polybe attribue au cortège triomphal une qualité particulière, Γένεργεία,
qui semble être l'effet émotif provoqué par la mise en scène du cortège.
Le triomphe de l'Asiatique, que Polybe présente comme un triomphe
des deux frères, est rapidement résumé en une phrase qui insiste sur la
double composante du triomphe (XXI, 24,17) : οίκαι μετά τινας ημέρας
είσελθόντες εις την 'Ρώμηνήγον θριάμβους. Le pluriel est ici surprenant,
mais sous-entend peut-être que la gloire est partagée entre les deux frères. I l
est à mon sens plus important de noter qu'à nouveau la traduction «célé­
brer un triomphe» est un peu rapide. En effet, la première composante, la
plus importante me semble-t-il, est l'entrée dans la ville, la seconde est la
conduite du cortège.
La rareté des notices, liées de surcroît aux seuls Aemilii et Cornelii
Scipiones, trahit le peu d'intérêt de Polybe pour cette cérémonie, qui ne
devait pas revêtir à ses yeux une grande importance politique. Ce point
peut aussi expliquer l'absence totale d'allusion au triomphe sur le mont
Albain ou à ïouatio, pour autant que ce ne soit pas une simple consé­
quence de la perte de la plus grande partie de l'œuvre. L'homogénéité des
notices est cependant intéressante. Comme nous l'avons vu, on ne saurait
conclure avec T. Itgenshorst que θρίαμβος désigne l'entrée du général dans
la ville. Θρίαμβος est clairement le cortège proprement dit. L'emploi de

132
LE TRIOMPHE D'AUGUSTE: HÉRITAGE DE LA RÉPUBLIQUE OU RÉVOLUTION?

verbes comme άγεΐν rappelle que le général conduit devant lui le butin et
les captifs. L'absence de comparaison avec un rituel grec précis me laisse
penser que Polybe n'a pas en tête un cortège précis, comme la pompé
dionysiaque, par exemple. On peut ajouter ici un élément qui vient, ce
me semble, confirmer notre propos. On sait qu'en 205 av. J.-C. Scipion
avait peut-être espéré un triomphe, mais n'avait pas insisté face aux réserves
du sénat. Dépourvu de véritable magistrature, il ne pouvait pas forcer la
main aux pères. Or Polybe dit de lui (XI, 33,7) : κάλλιστονθρίαμβονκαι
καλλίστην νίκην τή πατρίδι κατάγων. En effet, on sait pas ailleurs que
Scipion avait pris la précaution de ramener un butin exceptionnel et de
nombreux captifs. Tout ce qu'il fallait pour un beau triomphe, en somme.
Mais privé d'une entrée solennelle dans la ville, il se contenta de faire por­
4
ter en grande pompe le produit de ses victoires au trésor . Autrement dit,
Scipion, qui n'a pas triomphé, a eu quand même unθρίαμβος ; le triomphe
proprement dit, pour Polybe, qui n'a pas de mot pour le désigner, est donc
ailleurs que dans le cortège. L'acte que représente l'entrée dans la Ville est
en effet fondamental, au point que Cicéron, pourra se moquer de Gabinius,
5
entré en cachette et de nuit dans la ville, comme un envahisseur . Cicéron
6
paraît d'un avis différent à propos de Pison , mais, là encore, il insiste,
indépendamment de la question de l'exposition du butin, sur la manière
7
d'entrer dans Rome . On se rappelle que le premier triomphe prétorien,
0
celui de Purpureo, en 200, était dépourvu de pompa . Sa situation était
donc l'antithèse de celle de Scipion. Ce dernier avait eu un cortège glorieux,
mais pas de triomphe, le premier eut l'entrée solennelle mais pas de cortège.
Pour la tradition, seul Purpureo avait «triomphé».
Cette remarque de fond nous permet de passer à un historien volontiers
décrié par les hypercritiques, et qui, pourtant, a connu la République en ses
dernières années. Tite-Live est l'auteur antique à qui nous devons le plus
de notices triomphales. Or, sans même en faire l'inventaire exhaustif - qui
serait sans doute révélateur - , on peut noter que nombre de ses notices

4. Lrv., XXVIII, 38,4 : Ob has resgestas magis temptata est triumphi spes quam petita pertinaci
neminem ad earn diem triumphasse qui sine magistratu res gessisset constabat. (5) Senatu
est ingressus, argenti queprae se in aerarium tulit quattuordecim milia pondo trecenta quad
etsignati argenti magnum numerum [...].
5. Cic., Q_.fr-, 3,2,2: Cognosce nunc hominis audaciam et aliquid in re publica perdita delecta
Gabinius, quacumque ueniebat, triumphum se postulare dixisset subitoque bonus imperat
urbem hostium plane inuasisset, in senatum se non committebat.
6. O c , Pis., 25, 60: Vertes te ad alteram scholam; disseres de triumpho : «quid tandem habet ist
quid uincti ante currum duces, quid simulacra oppidorum, quidaurum, quid argentum, quid
equis et tribuni, quid clamor militum, quid tota illa pompa ì Inania sunt ista, mihi crede, del
paenepuerorum, captare plausus, uehi per urbem, conspici uelle. »
7. Ibid., 61: Quin tu me uides qui, ex qua prouincia T. Fkmininus, L . Paulus, Q. Metellus,
T. Didius, innumerabiles alti Imitate et cupiditate commoti triumpharunt, ex ea sic redii u
Esquilinam Macedonicam lauream concukarim, ipse cum hominibus quindecim male uestit
Caelimontanam sitiens peruenerim; quo infocomihi libertus praeclaro imperatori domum
biduo ante conduxerat; quae uacua si nonfuisset, in campo Marno mihi tabernaculum con
8. Lrv., XXXI, 49, 2 : Triumphauit de Gallis in magistratu L. Furiuspraetor et in aerarium tulit tre
uiginti milia aeris, argenti centum septuaginta milia mille quingentos. (3) Neque captiui
currum ducti neque spolia praelata neque milites secuti : omnia praeter uictoriam penes co
apparebat.

133
MICHEL TARPIN

comportent des tournures stéréotypées, comme triumphans in Romam rediit


(I, 38, 3) ; I I , 20,13 ; IV, 10, 7; IV, 20,1 ; V, 49,7 ; V I , 4,1), triumphans in
urbem inuehitur (IV, 29, 4), triumphans in urbem inire (III, 24, 8 ; V I I , 13,
10) triumphans inuectus urbem (IV, 29, 4), Romam reuertit triumphans (VI,
29, 8), triumphans Romam reduxit(scil exercitum) (IV, 34, 4). L'expression
triumphum egit n'exclut absolument pas la double composante du triom­
phe. Simplement, il semble que Tite-Live, plus que Polybe, insiste sur le
cortège, ce qui est très net à propos du triomphe de Paul Emile, peut-être
parce que cela permet d'accentuer le rôle du sénat, dont les membres avan­
cent en tête de cortège ou font compagnie au triomphateur. Tite-Live, au
contraire de Polybe, donne systématiquement les masses de métal précieux
et de monnaies portées à Xaeranum-, une donnée qui est sans doute aussi
d'origine sénatoriale. L'expression n'est d'ailleurs pas une invention de l'histo­
rien, puisqu'elle figure sur l'inscription de Sempronius Tuditanus, cos. 129 à
Aquilée : [ita Romaje egit triumpu[m] {CIL, X, 3 ; ILS, 8885 ; ILLRP, 334).
Faute d'attestation claire chez les auteurs purement républicains, je me
permettrais ici d'introduire le lexique deTite Live, chez qui le général entre
en Ville en portant ou conduisant devant lui le butin et les captifs. Par
exemple, à propos du triomphe de M . Geganius (IV, 10, 7) : Consul trium­
phans in urbem redit Cluilio duce Volscorum ante currum ducto praehtisque
spoliis, quibus dearmatum exercitum hostium sub iugum miserat Tite-Live ne
dit en général rien de l'armée qui accompagne le triomphateur : son récit est
donc l'exacte complément de celui de Polybe. Le premier se concentre sur
le butin, les captifs et le vainqueur (l'avant du cortège), tandis que le second
insiste sur le rôle du chef qui ramène l'armée à Rome (la deuxième partie
du cortège). Ce sont là des choix historiques cohérents avec les intentions
des historiens : il serait vain de chercher dans cette nuance une erreur systé­
matique de la part de Tite-Live. En outre, Tite-Live a connu les somptueux
triomphes de la République finissante, riches d'or et d'objets de prix, mais
souvent dépourvus de soldats-citoyens du fait des délais d'attente.
Enfin, i l faut noter que Polybe laisse planer une certaine incertitude
quant aux compétences du sénat en matière de triomphe. L'historien précise
certes que le sénat peut faire obstruction à un triomphe, voire l'empêcher
complètement, mais on oublie trop souvent l'explication qu'il donne : le
pouvoir d'obstruction du sénat repose sur sa capacité à refuser les fonds
9
nécessaires à la cérémonie . Dans son lexique, tel que nous l'avons vu,
le choix de ne parler ici que du θρίαμβος, c'est à dire du cortège, dont
l'apparat est évidemment fort coûteux, est révélateur. Les mésaventure de
Scipion Nasica, qui avait oublié de conserver par devers lui une somme
assez importante pour célébrer les jeux qu'il avait voués, rappelle que le
sénat se pose en bon gestionnaire et n'apprécie pas qu'on lui demande

9. POLYB., VI, 15, 8 : τους γαρπροσαγορευομένους παρ' αύτοίςθριάμβους, δι'ωνύπο τηνδψιν


άγεται τοίςπολιταις υπό των στρατηγών η τωνκατειργασμενωνπραγμάτων ενάργεια, τούτους
ου δύνανται χειρίζειν ωςπρέπει, ποτέ δέ τοπαράπαν ουδέ συντελείν, εάν μη το συνέδριον
συγκαταθηται καιδω την εις ταύταδαπάνην.

134
LE TRIOMPHE D'AUGUSTE: HÉRITAGE DE LA RÉPUBLIQUE OU RÉVOLUTION?

10
de l'argent a posteriori . Pour le reste, ni le texte de Polybe ni les notices
liviennes, pourtant souvent sénatoriales, n'indiquent que l'accord du sénat
n
soit obligatoire pour triompher au sens moderne du m o t . On ne manque
pas d'épisodes dans lesquels des généraux triomphent de leur seule volonté.
Et ce même Nasica, après sa victoire sur les Boïens, aurait licencié son armée
en lui donnant rendez-vous pour le triomphe sans même attendre un avis
du sénat. La recherche des «critères» d'attribution du triomphe est donc
passablement vaine, pour la simple raison que le pouvoir du sénat en ce
domaine est un pouvoir d'obstruction, qui va croissant avec le temps, et
12
non une obligation légale . Il n'y a d'ailleurs pratiquement pas de mention
de texte normatif, si ce n'est la loi, très discutée, qui limiterait la capacité
à triompher en fonction du nombre d'ennemis tués (5 000 au minimum),
pour éviter que n'importe qui ne puisse triompher (VAL. MAX., I I , 8, 1 ;
OROS., V, 4, 7). Mais, là encore, les sources ne précisent pas si la loi porte
sur l'entrée cérémonielle de l'armée dans la ville ou sur le cortège.
En bonne logique, l'application de la loi est du ressort des magistrats,
ce qui peut expliquer que le scandaleux triomphe d'Ap. Claudius Pulcher
en 143 se soit heurté au veto d'un tribun de la plèbe et que le consul ait dû
13
prendre sa sœur, vestale, sur son char, pour bénéficier de son immunité .
Le sénat paraît avoir été impuissant. Mais surtout, il faut tenir compte
de la modification du statut des triomphateurs pour mieux comprendre
l'écart entre Polybe et Tite-Live sans avoir à rechercher une manipulation
er
historique de la part du second: les triomphes du I siècle sont le fait de
promagistrats, qui ne peuvent légalement entrer dans la ville devant leur
armée que s'ils sont revêtus d'un imperium compétent; et cet imperium
doit justement être voté sous la forme d'une lex. L'exemple bien connu du
scandaleux triomphe de Pomptinus, en 54 éclaire parfaitement la situation :
Cicéron le rappelle, la loi avait été votée avant l'aube - ce qui l'invalidait
d'office - et par une poigné d'amis de l'impétrant, conduits par Servius
Galba, qui avait été son légat durant la campagne. Il avait fallu acheter, et
fort cher, des témoins (Cic., Att., 4,18). \1 imperium voté, la seule opposi­
tion possible est la force: plusieurs magistrats, dont l'inévitable Caton, alors
préteur, tentent de bloquer le cortège à la porta triumphalis. Des magistrats
de plus haut rang, comme le consul Ap. Claudius Pulcher, et des consulaires

10. Cf. ABERSON M., Temples votifs et butin de guerre dans k Rome républicaine, Rome, 1994,
p. 22-26. Liv., XXXVI, 36,2 : Nouum atque iniquumpostukre est uisus; censuerunt ergo quos l
+ sine consultu senatus + ex sua unius sententia uouisset, eos uel de manubiis, si quam pecu
reseruasset, uel sua ipse impensafaceret.
11. Si Ton admet, comme je le fais, queθρίαμβος/triumphus désigne le cortège proprement dit, et
non la procédure d'entrée de l'armée dans la ville, la mention d'un triomphe «décrété» pour
Cincinnatus ne fait pas problème : le sénat peut décider definancerle cortège (et le coût important
des victimes) en faveur du héros, dont on doit supposer qu'il n'aura presque pas écorné les finances
publiques qui lui ont été confiées pour la guerre, puisqu'elle n'a duré que vingt jours (EVTROP.,
II, 2, 2 : Quae omnia ab eo gesta sunt uiginti diebus, triumphusque ipsi decretus). Le Sénat
comme un général face à un héros: il paie la récompense.
12. On ne saurait opposer l'exemple de Scipion, cité ci-dessus. Son imperium de priuatus ne lui donnait
aucune autorité pour pénétrer en armes dans YVrbs.
13. Cic, Pro Caelio, 14,34 ; VAL. MAX., V, 4, 6 ; SVET., Tib., 2, 9 ; OROS., V, 4, 7.

135
MICHEL TARPIN

influents comme Cicéron, encadrent le char pour le protéger. L'affaire se


termine en émeute. Mais, il faut insister, Pomptinus n'est que promagis­
trat; en aucun cas il n'est mentionné la possibilité d'empêcher légalement
un magistrat en fonction d'entrer dans la ville à la tête de son armée. Or
er
les triomphes républicains les mieux documentés sont ceux du I siècle et
14
ne sont presque jamais le fait de magistrats en fonction . Une exception
cependant: le triple triomphe d'Octavien. Consul sans interruption de 31 à
23, il était triumvir durant la campagne d'Illyrie. Quoi qu'il en soit, et avant
même de voir ce que disent les sources de son triomphe, il faut donc noter
qu'il est le seul consul triomphant de la période. Son triomphe s'apparente
e e
donc à ceux des grands généraux du 111 et du II siècles. Je rappelle aussi
pour mémoire que le triomphe de 29 ne ferme pas la porte aux triomphes
des promagistrats. Ce n'est qu'en 19 que s'arrêtent les triomphes accordés
à des promagistrats qui ne sont pas issus de la famille impériale. En outre,
15
comme je l'ai rappelé, le triomphe se raréfie globalement sous l'Empire .

Le triomphe d'août 29 :
rituel révolutionnaire ou triomphe républicain?

Le triple triomphe d'Octavien, en août 29, ne nous est paradoxalement


pas si bien connu. Pourtant, l'importance de ce moment dans la formation
du nouveau régime paraît bien réelle, et le faste de la cérémonie a certaine­
ment marqué les esprits. Dion Cassius affirme qu'il y eut tellement d'argent
distribué que le taux de l'emprunt chuta au tiers du taux habituel. Et il faut
penser que l'on présenta aussi les trésors d'Alexandrie qui permirent d'orner
la ville, de restaurer quelque quatre-vingts temple et de construire le forum
d'Auguste. Le texte de Dion, qui constitue le témoignage indirect le plus
complet ne dit en fait pas grand chose. Suétone se contente de plagier les
16
Res Gestae en séparant les deux ovations et les trois triomphes curules . La
17
periocha 135 de Tite-Live est encore plus brève. Pour D i o n la séquence
est la suivante :
Lorsque parvient à Rome la nouvelle de la victoire d'Actium (certaine­
ment encore en 31), on prit un train de mesures honorifiques. La première

14. Si Ton suit les tableaux de T. ITGENSHORST, ont triomphé comme consuls: Cn. Pompeius Sex.
f. Cn. n. Strabo co(n)s(ul) de Asculaneis Picentibus (89); Q. Fabius Q.f Q. n. Maximus co(n)s
ex Hispania (45) ; L. Antonius M. f. M. n. co(n)s(ul) exAlpibus (41) ; L. Marcius L.f. C. n. Cen
rinus co(n)s(ul) ex Macedonia (39). Il faut y ajouter César, comme dictateur en 46 et 45, ainsi que
le triomphe de 40, célébré par Marc Antoine et Octavien pour avoir fait la paix. À l'exception
du triomphe de Pompeius Strabo, tous les autres sont des triomphes des guerres civiles. Et le
précédent triomphe consulaire datait de 129: C. Semfpjronius Cf. C. n. Tuditan(us) co(n)s(ul)
de Iapudibus.
15. Près d'un quart des mentions de triomphes chez Suétone se trouvent dans la vie de César.
16. S VET., Aug., 22, 1 : Bis ouans ingressus est urbem, post Philippense et rursus post Siculum
Curulis triumphos tris egit, Delmaticum, Actiacum, Alexandrinum continuo triduo omnes
17. Le texte de Dion est en effet le principal document. La mention du triomphe de 29 chez Velleius
(II, 89) n'apporte strictement rien.

136
LE TRIOMPHE D'AUGUSTE: HÉRITAGE DE LA RÉPUBLIQUE OU RÉVOLUTION?

18
mentionnée (LI, 19, 1) est le vote de νικητήρια en l'honneur d'Octavien .
Le mot n'est guère employé pour désigner le triomphe. À Athènes, il cor­
respond à une fête mal connue du mois de Boedromion, peut-être ajustée
sur la célébration de la victoire de Platée. I l est aussi décidé que le Vestales,
le sénat et le peuple iraient l'attendre hors de Rome, rôle normalement
19
dévolu aux proches du magistrat vainqueur (LI, 19, 2). Cet honneur fut
décliné (LI, 20, 4). L'été suivant, à l'annonce de la mort de Marc Antoine
(LI, 19, 4-5), on vota de nouveaux honneurs, dont des couronnes, des
20
supplications d'action de grâce et des επινίκια . Le mot, qui est le titre
donné aux poèmes de Pindare, est sans doute ici synonyme de νικητήρια.
La traduction de M.-L. Freyburger et de J.-M. Roddaz adopte pour les
deux termes la traduction « triomphe ». Cependant ce vote intervient avant
er
la validation des actes du consul, qui ne prit place que le 1 janvier 29
(LI, 20, 1). D'ordinaire, la ratification des actes, sur rapport du magistrat
intervient avant la délibération sur le triomphe. Cependant, on peut sup­
poser que fut reproduit de précédent de Cincinnatus, c'est-à-dire la décision
de financer une pompé pour célébrer la victoire sur Cléopâtre, puis sur
l'Egypte. Le verbe αγαγείν rappelle justement la distinction que j'ai relevée
plus haut entre l'entrée en ville de l'armée et le cortège.
Dès le premier janvier du cinquième consulat d'Octavien (29 av. J.-C),
21
ses actes furent ratifiés en bloc , ce qui ramenait le jeune homme à la posi­
tion normale d'un magistrat s'apprêtant à triompher.
Octavien rentre en Ville (LI, 2 1 , 1 : και αυτού ές την πόλιν έσελθόντος
οιτε άλλοι αθυσαν). L'expression désigne très certainement l'aggloméra­
tion et non le pomerium. À cette occasion, Potitus, le consul sufFect, offre
des sacrifices d'action de grâce au nom du peuple et du sénat, ce qui, dit
22
Dion, ne s'était jamais produit auparavant . Octavien félicite ses officiers
et les décore, en même temps qu'il fait une distribution à ses hommes.
Cela correspond à une contio classique. Nous en avons mention surtout
sur le champ de bataille, le lendemain de la victoire, mais il est plus que
probable que les contiones pré-triomphales étaient de norme, même si
25
nous n'en avons que de rares mentions . Octavien procéda aussi à une

18. DION, LI, 19, 1: τάτε γαρ νικητήρια αύτω,ωςκαι της Κλεοπάτρας,και αψίδα τροπαιοφόρον
εν τε τω Βρεντεσίωκαιέτέραν εν τη 'Ρωμαία άγοραέδωκαν.
19. On pressent ici révolution qui conduira Auguste à se poser au centre de son forum, entouré des
summi uiri comme un patricien au milieu de ses ancêtres:Γ identification de l'État comme famille
du futur Auguste est déjà en cours après Actium.
20. DION, LI, 19, 5 : και προσεψηφισαντο τω Καισαρικαι στεφάνουςκαι ιερομηνίαςπολλάς,και
αύτωκαιέτερα επινίκιαως καί των Αιγυπτίων αγαγείν εδοσαν.
21. D I O N , LI, 20, 1 : τότε μεν δη ταΰτ'έγνώσθη, ύπατεύοντος δ' αυτού το πέμπτον μετάΣέξτου
Άπουλειου τά τεπραχβένταύπ' αυτούπάντα εν αύτη τη τοΰ Ιανουαρίου νουμηνία ορκοις
έβεβαιώσαντο.
22. D I O N , LI, 21, 2: ούτος (ΠοτΓΐος) ούν δημοσίακαι αυτόςυπέρ τε τοΰ δήμου καιυπέρ της
βουλής επί τη τοΰ Καίσαρος άφΰξει έβουθύτησεν' δ μήπω πρότερον επί μηδενός άλλου
έγεγόνει.
23. PINA POLO Fr., Las contiones civiles y militares en Roma, Saragosse 1989, p. 199-208; PINA POLO,
«Procédures and functions of civil and military "condones" in Rome», Klio 77, 1995, p. 203-
216, p. 214-215 ; DAVID J.-M., «Les "contiones"militaires des colonnes trajane et aurélienne: les
nécessités de l'adhésion », SCHEID J. et H U E T V. (dir.), Autour de h cohnne aurélienne, Turnhout

137
MICHEL TARPIN

remise de dettes et refusa toutes les couronnes votées par les cités italiennes
(LI, 2 1 , 4). Cela se place forcément avant le triomphe, puisque les couron­
nes sont normalement destinées à y être présentées.
Dion enchaîne directement sur le triomphe proprement dit, qui est très
brièvement décrit: premier jour: victoires de 3 5 / 4 sur les Pannoniens, les
Dalmates, les Iapyges, quelques Gaulois et Germains (LI, 2 1 , 5). Octavien
exploite sans doute son autorité sur Caius Carrinas, qui avait remporté
24
des victoires en Gaule . Mais les Fastes semblent indiquer que Carrinas a
triomphé en 28. Deuxième jour: victoire d'Actium; troisième jour : victoire
d'Alexandrie (LI, 2 1 , 7 ) . Dion précise cependant que le butin d'Egypte
25
servit aux trois triomphes , ce qui est bien probable, les victoires, d'ailleurs
discutables, de Pannonie n'ayant sans doute pas donné grand chose de spec­
taculaire. La célèbre mention de la statue de Cléopâtre, remplaçant la reine
qu'Octavien n'avait pu prendre vivante, en position de suicide n'a rien pour
surprendre (LI, 2 1 , 8) : elle figure dans le cortège, en avant du char, ce qui
est la place des captifs (μετά τε των άλλων αιχμαλώτων), comme l'indique
par ailleurs la présence de ses enfants. Pompée avait déjà fait figurer dans
son cortège l'image de Mithridate se suicidant, ainsi que celles des membres
de sa familles qui l'avaient suivi dans la mort. Bien auparavant, Scipion
avait fait figurer dans son cortège un tableau représentant Hannibal en fuite
(SILIVS, 17, 6 4 3 - 6 4 4 ) . En effet, le général punique n'avait pas été capturé.
Dion précise, lorsqu'il arrive à la position d'Octavien, que ce der­
nier avait suivi précisément la tradition (LI, 2 1 , 9 : τα μεν αλλα κατά το
νομιζόμενον έπραξε). La suite met en évidence ce qui est pour Dion une
anomalie dans ce triomphe: le second consul, ainsi que les sénateurs sui­
26
vaient le char, au lieu de le précéder, comme le voudrait la coutume . Là
s'arrête la description du triomphe. Celui-ci achevé, Octavien s'occupa des
jeux, des dédicaces et des temples.
Si nous tentons maintenant de comparer les éléments du rituel répu­
blicain, au sens où l'entend T. Itgenshorst, et cette brève description du
triomphe de 29, il est difficile d'identifier des différences vraiment notables.
Le retour à Rome, accompagné au moins d'une partie de l'armée est parfai­
tement naturel. Le refus de l'or coronaire et la remise des dettes ne peuvent
prendre place qu'en amont du triomphe, et ne constituent donc pas une
révolution dans la pratique du triomphe. En revanche, le sacrifice d'ac-

2000, p. 213-226. Fulvius Nobilior tint une contio dans le cirque de Flaminius avant d'entrer en
ville (Lrv. XXXLX, 5, 17). On rencontre même la mention d'une contio le lendemain du triomphe,
ce qui est surprenant, puisque le général a alors déposé son imperium: Lrv., XXXVI, 40, 14.
24. Cf. Lrv., Per., 131, 2 : Caesar seditionem ueteranorum cum magnapernicie motam inhibuit, Iapyd
et Dalmatas et Pannonios subegit.
25. Dio, LI, 21,7 : επιφανείς μενδη καί αί αλλαιπομπαίδια τα άπ' αυτής (seil. Αιγύπτου)λάφυρα
έγένοντο (τοσαΰτα γάρ ήθροίσθη ωστε πάσαις έπαρκέσαι), πολυτελέστατη δ' ούν καί
αξιοπρεπέστατη αΰτηή Αιγύπτια.
26. Dio, LI, 21,9:Μετάδε δη τοΰτο ο Καίσαρέφ' απασιν αύτοίςέσελάσας τα μεν αλλακατά
το νομιζόμενονέπραξε, τονδε δη συνύπατον τους τε λοιπούς άρχονταςπεριείδε παρά το
καθεστηκοςέπισπομενους οί μετά τωνλοιπώνβουλευτών τών συννενικηκότων* είωθεσαν
γαρ οι μενήγείσθαι οιδεέφέπεσθαι.

138
L E T R I O M P H E D ' A U G U S T E : HÉRITAGE D E L A RÉPUBLIQUE O U RÉVOLUTION?

tion de grâce célébré par le consul suffect Potitus est tout-à-fait nouveau,
selon Dion. La pratique de Taction de grâce est cependant bien attestée à
Rome (HALKIN L., Les supplications d'actions de grâce chez les Romains, Paris,
1953 ; FREYBURGER G., «La supplication d'action de grâces sous le Haut
Empire», ANRW, I I . 1 6 . 2 , 1 9 7 8 , p. 1 4 1 8 - 1 4 3 9 ) . La nouveauté peut être
cherchée dans le thème du sacrifice, réalisé en vue du retour d'Octavien.
Les actions de grâce traditionnelles visent à remercier les dieux pour leur
action positive en faveur de Rome (cf., par exemple, Lrv., XXXVI, 2). Ici,
on voit poindre les vœux impériaux, liés à la santé, au voyage ou au retour
du Prince. L'expression adoptée par Dion n'exclut d'ailleurs pas que la pro­
cédure se soit reproduite par la suite, voire soit devenue rituelle, à l'occasion
de Xaduentus. Il n'est peut-être pas indifférent que Dion ait choisi de placer
le récit du triomphe immédiatement après les honneurs divins acceptés par
Octavien en Orient, et après la remarque que seuls les mauvais empereurs
avaient accepté des sanctuaires à leur noms en Italie.

Figure 1. — Légende à venir.

L'autre étrangeté, bien relevée comme telle par Dion, est la position des
sénateurs, qui suivent le cortège au lieu de le précéder. En effet, la tradi­
tion, bien représentée par Tite-Live, mais aussi par Denys d'Halicarnasse,
veut que la population de la ville, sénat en tête, accueille le vainqueur et le
guide en quelque sorte dans la ville. C'est en somme la vision développée
de la scène iïaduentus des reliefs de la Chancellerie : on y voit Domitien,
encadré par le Sénat et le Peuple romain, accueillir Vespasien, couronné
par la Victoire (fig. 1). Rien n'indique que l'ordre adopté par Octavien ait

139
M I C H E L T A R P I N

été suivi par les empereurs postérieurs. Le récit de Flavius Josephe (VII, 5,
4-5) ignore autant les sénateurs que les soldats. Les petites frises de Tare de
Titus et de l'arc de Trajan à Bénévent ne donnent pas non plus d'indica­
tion directe. On pourrait à la rigueur supposer que les deux personnages
acéphales qui accompagnent Titus sur le relief intérieur nord de l'arc de
la voie sacré soient le peuple et le sénat (plutôt quHonos et Virtus), ce qui
indiquerait l'adoption définitive de la procédure augustéenne (fig. 2).

Figure 2. — Légende à venir.

On retiendra donc la remarque de Dion, à savoir que cette disposition


était contraire à la tradition. Reste donc à l'expliquer. À mon sens, la raison
la plus simple est que le triomphe conclut une guerre pour laquelle toute
l'Italie avait prêté serment à Octavien. Ce dernier précise d'ailleurs, dans ses
27
Res Gestae, que plus de 700 sénateurs ont combattu sous ses enseignes .
Autrement dit, le serment les mettait en position de soldats et non plus
de représentants de l'autorité civile accueillant le vainqueur dans leur
Ville. L'exception relevée par Dion se comprend ainsi mieux, car elle se
justifie par une situation très particulière, qui était contraire à la pratique
républicaine.
Ces deux points mis à part, que nous reste-t-il pour tenter de montrer
que le triomphe d'Octavien n'était pas dans la tradition républicaine ? Peu
de choses en fait. I l est indéniable que la pratique du triomphe, et plus

27. RGDA, 25 : lurauit in mea uerba tota Italia sponte sua, et me belli quo uici ad Actium ducem depo-
poscit; iurauerunt in eadem uerba prouinciae Galliae, Hispaniae, Africa, Sicilia, Sardinia. Qui sub
signis mets tum militauerintfuerunt senatoresplures quam DCC, in iis qui uelantea uelpostea consul
facti sunt ad eum diem quo scripta sunt haec LXXXLII, sacerdotes circiter CLXX.

140
LE TRIOMPHE D'AUGUSTE: HÉRITAGE DE LA RÉPUBLIQUE OU RÉVOLUTION?

encore la manière de le raconter est en train de changer et que les récits


impériaux sont souvent ramenés à très peu de choses. Mais cela ne signifie
en rien qu'Octavien aurait changé d'un seul coup un rituel aussi bien ancré
dans les mentalités romaines et tellement caractéristique de Rome qu'on
ne parvient pas à lui trouver un véritable ancêtre hors d'Italie, voire hors
de Rome.

Le triomphe républicain et les sources impériales

Pour résumer l'évolution, on peut prendre comme point d'appui la


forme des notices triomphales. La thèse de T. Itgenshorst, comme l'ensem­
ble des travaux marqués par une démarche hypercritique, pose en a priori
la confusion ou la malhonnêteté des sources post-augustéennes, y compris
Tite-Live : le triomphe qu'ils décrivent serait celui de l'Empire et non celui
de la République. I l faut pourtant considérer que le triomphe n'est pas
une cérémonie figée : l'évolution des rapports entre magistrats et sénat,
l'amplification des butins et l'éloignement des champs de bataille suffisent
er e
à expliquer que le triomphe du I siècle ne soit plus celui du IV siècle. On
sait comment Florus faisait du triomphe sur Pyrrhus le début d'une certaine
28
décadence . De fait, l'évolution la plus importante est sans doute l'impor­
tance nouvelle accordée à la présentation du butin, qui devient l'élément
significatif du triomphe. On sait assez le soin que l'on prit dès les Guerres
Puniques pour donner au triomphe un apparat digne d'émouvoir. On pense
évidemment aux effets voulus par Paul Emile, qui avait pris soin d'emmener
un peintre athénien pour le décor de son triomphe. La mention par Polybe
deΓένεργεία du cortège — un concept sans doute emprunté aux péripaté-
ticiens ou aux stoïciens — montre que la notion d'impact du spectacle sur
e
le public était déjà bien assumée au II siècle. L'évolution se sent parfaite­
ment chez des auteurs comme Suétone, mais aussi chez Tite-Live parfois,
qui usent du verbe triumphare au lieu de la tournure composée qu'adopte
Polybe, et souvent Tite-Live lui-même ; tournure qui indique que l'on entre
en ville «triumphans». Cette forme n'est pas pour autant perdue. Appien,
dont T. Itgenshorst suppose qu'il décrit, à propos de Scipion, un triom­
phe impérial générique, utilise la forme polybienne (Punica, 9,65) : οδέ
Σκιπΐών ταύτα συνθεμένος εκ Λιβύης ές την Ίταλΐαν παντΐ τω στρατω
διεπλει, καιές την 'Ρώμηνέσήλαυνε θριαμβεύων (...)
En effet, il est clair que, très rapidement, certains éléments clés du
triomphe deviennent incompris. L'exemple le plus manifeste est la notion
de manubiae, directement liée à la victoire. Le long développement d'Aulu
Gelle, qui se cautionne de Favorinus d'Arles, montre bien que, de son

28. Ante hune diem nihil praeter pecora Volscorum, greges Sabinorum, carp
FLORVS, I , 13, 2 6 :
Gallorum,fractaSamnitium arma uidisses: tum si captiuos aspiceres, Molossi, Thessali, M
Bruttius, Apulus atque Lucanus; sipompam, aurum, purpura, signa tabuke Tarentinaeque
Sed nihil libentius populus Romanus asp exit quam illas, quam timuerat cum turribus suis b
non sine sensu captiuitatis submissis ceruicibus uictores equos sequebantur.

141
MICHEL TARPIN

temps, on ne parvenait plus à comprendre le sens de ce mot. Qui plus


est, les définitions qu'il va chercher dans les libri ueteres sont parfaitement
confuses, alors que ce mot correspond par force à un concept juridique
précis. Il paraît même probable que les inscriptions du forum de Trajan qui
suscitent cette discussion n'ont été faites que par imitation d'inscriptions
républicaines. En effet, les questions liées au partage du butin n'ont plus de
sens sous l'Empire, alors que toutes les guerres se font sous le même impe­
rium, que l'armée est professionnelle et que les butins, à de rares exceptions
29
près, ne sont plus vraiment spectaculaires .
En outre, deux grandes innovations viennent vider le triomphe de son
sens. D'une part, l'amplification de la cérémonie de départ et de retour de
l'empereur ôte tout son sens au retour formalisé du magistrat vainqueur
dans le cadre du triomphe. On notera d'ailleurs que le Prince, comme le
magistrat républicain, peut refuser cette grande manifestation, comme le fait
Auguste en 13, en choisissant de rentrer en Ville discrètement. I l y a donc
30
une claire rupture entre Yaduentus et la pompé . D'autre part, l'invention
des ornamenta dispense le général vainqueur d'un coûteux cortège, que le
sénat républicain ne finançait - s'il le faisait - qu'au prorata des sommes
déposées par le général dans Yaerarium. Les butins obtenus sur des petites
peuplades marginales ou dans des régions froides peu urbanisées ne cou­
vrant sans doute guère les frais de la guerre, il était sans doute préférable de
limiter les dépenses. Vespasien et Trajan, ramenant d'importantes quantités
d'argent, ont pu tout simplement réactiver une procédure spectaculaire.
En somme, rien ne montre qu'Auguste ait eu l'intention de révolutionner
le triomphe. Il me semble même que celui de 29 s'inscrit assez bien dans une
tradition déjà malmenée par les scandales de la République finissante. Ce
n'est certainement pas son action volontaire qui a conduit les auteurs impé­
riaux à modifier leur lexique et à donner parfois une vision un peu biaisée
du triomphe républicain, mais plutôt l'évolution interne du régime et d'une
cérémonie qui basculait, depuis Scipion, Flamininus et autres Manlius Vulso,
dans la théâtralisation du butin. Le fait que l'on puisse retrouver encore chez
Appien des tournures identiques à celles de Polybe suffit à montrer que,
comme on pouvait s'y attendre, le mode de description dépend tout simple­
ment des sources consultées et du travail de réécriture de chaque historien,
cherchant, comme le veut la discipline, une cohérence dans les informations
lacunaires dont il dispose. Pour le reste, il faut plutôt penser que le triomphe
est une cérémonie ancienne qui a beaucoup évolué sous la République,
avant de se figer dans un rituel archéologique sous l'Empire. Constance I I ,
adoptant la procédure du triomphe lors de son aduentus en 356 (AMMIAN,
XVI, 10, 1-12), n'avait sans doute même plus conscience qu'il singeait un
rituel déjà figé par des gens qui ne le comprenaient plus qu'à moitié.

29. G E L L . , XIII, 25. Cf. TARPIN M., Manubiae, à paraître.


30. On pourrait relever qu'en choisissant de privilégier l'entrée en ville comme élément sacralisant de la
fonction impériale, Auguste et ses successeurs évoquaient Pacte primordial du triomphe : le retour
en ville du magistrat et de son armée.

142
Deuxième partie

La Res publica restituta


dans le discours officiel
Aspects numismatiques de la
1
Res publica restituta augustéenne

Arnaud SUSPÈNE

C'est en partie à une découverte numismatique que nous devons le


regain d'intérêt dont bénéficient depuis quelques années le règlement
augustéen et plus particulièrement le thème de la Res publica restituta, dont
on aurait pu penser pourtant tout savoir et avoir tout dit. En 1992 en effet,
le marché numismatique a vu apparaître le bel aureus de 28 av. J.-C. publié
2
dans le Numismatic Chronicle en 1999 et représenté sur l'affiche de notre
colloque. Signalons au passage qu'un deuxième exemplaire a récemment
3
été identifié dans les collections du musée de Blackburn où i l figurait
depuis longtemps sans avoir été repéré. Cette découverte lève tous les doutes
sur l'authenticité de la monnaie publiée par Rieh et Williams et confirme
l'importance des sources numismatiques, que nous sommes encore loin de
maîtriser complètement, en particulier pour la période augustéenne.
Cet étonnant aureus pose de nombreux problèmes. Le lieu même de sa
frappe n'est pas sans surprendre : le traitement du portrait au droit comme
la titulature le rapprochent de cistophores frappés en Orient au même
moment (ils portent aussi la mention du sixième consulat d'Octavien),
4
presque certainement à Ephèse . Sa légende et son type de revers ne se
comprennent pourtant que dans un contexte très romain. Octavien (plutôt
qu'un magistrat) y est représenté en toge, tenant à la main un volumen et
5
siégeant sur un siège curule . La légende mentionne les lois et les droits ou

1. Je remercie M. Michel Amandry, M. Jean-Louis Ferrary et M. John Scheid qui ont bien voulu lire
une version antérieure de cet article, et M. Dario Mantovani qui a généreusement accepté de me
communiquer avant sa publication dans Athenaeum l'article fondamental qu'il a consacré à Yaureus
de 28.
2. RICH J.W. et WILLIAMS J.H.C., « Leges et iura p.R. restituiti A New Aureus of Octavian and the
Setdement of 28-27 B.C. », NC 159, 1999, 169-213 (fig. I).
3. ABDY R. et HARLING N., «Two Important New Roman Coins», NC 164, 2005, 175-178. La
monnaiefiguraitdans la collection Hart, entrée au musée de Blackburn en 1946. Quoiqu'un peu
abîmée, elle reste parfaitement lisible, pèse un peu plus lourd que la monnaie publiée en 1999
(8,03 g contre 7,95 g) et a été frappée avec les mêmes coins.
4. Cf. RICH et WILLIAMS, « New Aureus », art. cit.
5. Pour une analyse de la scène, voir aussi ZEHNACKER H., « Quelques remarques sur le nouvel aureus
d'Octavien (28 av. J.-C.)», BSFN7003, p. 1-3.

145
ARNAUD SUSPÈNE

6
les pouvoirs du peuple romain : leges et iura PR restituii . On ne s'attendait
guère à ce qu'une pareille thématique se déploie sur une émission frappée
7
en Orient, fût-elle destinée à l'armée . I l faut probablement faire preuve
de prudence sur les conditions de production de ces monnaies, bien que
les parentés relevées par Rieh et Williams avec les cistophores soient incon­
testables : peut-être des graveurs avaient-ils suivi Octavien en Occident,
peut-être n'y a-t-il là qu'inspiration commune ou imitation. I l faut garder
en mémoire que rien n'est vraiment assuré à propos des ateliers monétaires
augustéens, surtout dans la première partie du principat, et il faut se défier
de l'aspect imposant des catalogues des grandes collections, comme du RIC
lui-même, qui présentent comme sûres des attributions qui sont de simples
8
(et souvent de fragiles) hypothèses .
La typologie de cet aureus intéresse de près le thème idéologique de
la Res publica restituta. Selon Rieh et Williams, la scène et la légende de
revers renvoient à l'abolition par Octavien d'un certain nombre de pratiques
abusives de l'époque triumvirale dans le domaine juridique, mais aussi, de
manière plus générale, au procédé graduel par lequel Octavien-Auguste, en
28 et en 27, revint à un fonctionnement traditionnel des institutions (par
exemple selon eux, le rétablissement des élections). En choisissant une inter­
prétation large, Rieh et Williams soulignent qu'Octavien-Auguste a pris
certaines mesures destinées à remettre à l'honneur la légalité républicaine
et à refaire de l'État romain ce que nous appellerions un État de droit.
Pourtant, leurs conclusions restent très prudentes sur l'utilisation du thème
de la Res publica restituta par Octavien-Auguste lui-même, en quoi ils tien­
9
nent compte des mises en garde de Miliar et de Judge .
Depuis la parution de l'article de Rieh et Williams, D . Mantovani a
suggéré de se montrer plus prudent encore en plaidant pour une inter­
prétation plus restrictive et plus technique du revers de Xaureus', il serait
simplement question du droit privé romain, que le Prince aurait remis à
neuf en le débarrassant des « superstructures » qui lui avaient été imposées

6. C'est à partir de cette légende que MILLAR F. («The First Revolution: Imperator Caesar, 36-28
BC », A. Giovannini (dir.), La Révolution Romaine après R Syme, Bilans et Perspectives, Vandœuvre
Genève, 2000, p. 1-31) suggère de rétablir [quod leges et iura]/p. R. restfijtufitj dans l'inscription
Inscrit., XIII, 2, p. 113.
7. La surprise est d'autant plus grande qu'à cette période même sont probablement frappées à Rome ou
dans ses environs des monnaies de campagne certes un peu en retrait par rapport à l'iconographie
triumvirale, mais dont les types sont nettement moins civiques que Y aureus oriental : e.g. la victoire
sur l'Egypte sur les deniers RIC 275b (fig. 8).
8. Cf. B U R N E T T Α., «Catalogues, coins and mints », JRS 1978, 173-178 (voir aussi RN 2002,
p. 426). Pour une présentation générale des hypothèses, voir WOLTERS R., «Die Organization der
Münzprägung in iulisch-claudischer Zeit», NZ 1999, 75-89; Nummi Signati. Untersuchungen zu
römischen Münzprägung und Geldwirtschafi. Vestigia 49, Munich, 1999, p. 115-144. Dans la préface
donnée en 2001 à la nouvelle édition de son catalogue, J.-B. Giard suggère qu'une refonte complète
serait nécessaire {Catalogue des Monnaies de L'Empire romain I. Auguste, Bibliothèque Nationa
France, Paris, 2001, p. ix).
9. MILLAR F., «Triumvirate and Principate»,JRS63, 1974, p. 50-67; JUDGE E A , «Respublica restituta.
A Modern Illusion ?», Polis and Imperium. Studies in Honour ofE. T. Salmon, Toronto, 1974, 279-
311.

146
ASPECTS NUMISMATIQUES DE LA R E S P U B L I C A R E S T I T U T A AUGUSTÊENNE

10
à l'époque triumvirale . I l n'y aurait donc aucune allusion à l'élection
des magistrats ni à une quelconque mesure concernant le droit public ou
les institutions, même implicitement : la mesure serait juridique et non
politique. Son raisonnement repose sur un certain nombre de parallèles
avec des usages de restituere (notamment dans les domaines de la santé et
n
de la construction ) et avec des occurrences de leges et iura en contexte
juridique, où cette expression désigne les normes définissant le droit objec­
tif romain, c'est-à-dire d'abord le droit privé. Mantovani propose aussi un
développement des lettres PR au génitif et non au datif, car le choix du datif
signifierait qu'Auguste aurait rendu ses lois au peuple romain selon une
formule utilisée pour une communauté vaincue ayant fait acte de deditio
et que le vainqueur souhaite rétablir dans une forme (très relative) d'auto­
nomie : une interprétation peu vraisemblable dans le contexte de 28-27, si
12
on en croit Dion et les Res gestae .
Que l'on suive Rieh et Williams ou Mantovani, i l est de toute façon
clair que Xaureus renvoie bien au rétablissement par Auguste d'une partie au
moins de la légalité traditionnelle dès 28 (ce qui confirme la chronologie des
RGDA et infirme celle de Dion), mais qu'il ne prouve ni qu'Auguste ait voulu
restaurer la République, c'est-à-dire le régime oligarchique lui-même, ce que
presque personne ne croit aujourd'hui, ni même qu'il ait prétendu le faire,
13
ce sur quoi les avis sont plus partagés ; et il faut reconnaître que Xaureus de
14
28 ne fait pas la moindre allusion à la Res publica en tant que telle .
Mais le nouvel aureus n'épuise pas les enseignements que la numis­
matique peut apporter à ce sujet. En effet, il existe plusieurs autres mon­
naies augustéennes dont les types et l'épigraphie évoquent explicitement la
Res publica.
C'est le cas en particulier de deux séries d'un triumvir monétaire de l'an­
née 16 av. J.-C, L. Mescinius Rufus, un des rares triumvirs dont l'activité
soit précisément datée (par la mention de la huitième puissance tribuni-
15
cienne d'Auguste sur un de ses aurei ). Ces séries sont connues de longue
date mais elles ne bénéficient pas toujours de l'attention souhaitée.

10. MANTOVANI D., « Leges et Iura P(opuli) R(omani) Restituii. Principe e diritto in un aureo di
Ottaviano», Athenaeum 96, 2008, p. 5-54.
11. Ajoutons une occurrence augustéenne de restituere presque contemporaine de Yaureus: la lettre
de L. Vinicius, proconsul d'Asie, ordonnant quefigurerincription Imp. Caesar Deiuei f. Augustus
restituii sur la chapelle du thiase de Kymé en vertu d'un édit consulaire de 27 (SEG, 18, 555;
RDGE61,1. 9). Sur les mots restituere/restitutio, voir les remarques de D. Mantovani, mais aussi les
analyses de RICH et WILLIAMS, «New Aureus », art. cit. ; KOMNICK H., Die Restitutionsmünzen der
frühen Kaiserzeit: Aspekte der Kaiserlegitimation, Berlin, 2001, p. 3-8; STROTHMANN M., August
- Vater der res publica. Zur Funktion der drei Begriffe restitutio - saeculum - pater patriae im augu
steischen Principat, Stuttgart, 2000, passim.
12. À cet argument, qui me semble décisif, D. Mantovani ajoute une série de parallèles tirés de l'usage
latin confirmant sa lecture.
13. Qu'Auguste ait fait preuve sur ce point d'une hypocrisie calculatrice est une idée que l'on trouve
fréquemment chez les auteurs modernes et quifiguredéjà dans Macrobe : itaque inter amicos dixit
duos habere sefiliasdelicatas, quas necesse haberetferre, rem publicam etluliam {Sat. II. 4. 2
14. C'est aussi pour cette raison que la démonstration de D. Mantovani, dont je n'ai mentionné plus
haut qu'une partie des arguments, me semble devoir emporter la conviction.
15. RIC550.

147
ARNAUD SUSPÈNE

La première série (RIC356; fig. 2) est composée uniquement de deniers


dont on ne connaît qu'un tout petit nombre d'exemplaires. Elle figure
très discrètement dans les grands catalogues et elle n'est jamais citée dans
les articles récents consacrés à la Res publica restituta. Elle a pourtant un
grand intérêt : les monnaies portent au droit le buste d'Auguste de face, sur
un bouclier rond entouré d'une couronne de feuillages (c'est la première
16
attestation, sur une monnaie, d'une forme à!imago clipeata promise à
une grande fortune dans l'iconographie impériale). La légende qui court
le long du bouclier est très difficile à lire, mais en combinant les exem­
plaires, on parvient à restituer: S(ENATVS) C(ONSVLTO) OB R(EM)
P(VBLICAM) CVMSALVT(E) IMP(ERATORIS) CAESAR(IS) AVGVS(TI)
17
CONS(ERVATAM) . Au revers figure Mars casqué debout de face, regar­
dant à gauche, sur un cippe, tenant une haste et un parazonium. Sur le cippe
on lit S(ENATVS)P(OPVLVS)Q_(VE)R(OMANVS) V(OTA) P(VBLICA)/
S(VSCEPTA) PR(0) S(ALVTE) ET/RED(ITV) AVGÇVSTI). L'allusion est
double: le droit fait référence à un SC correspondant à l'acquittement de
18
vœux publics pour le Salut du Prince . Ces vœux avaient été vraisem­
blablement pris par Octavien en 32, avant son départ pour la campagne
contre Cléopâtre, et ils furent régulièrement acquittés tous les 4 ans par la
19 20
célébration de Jeux . En 16 av. J.-C, un triumvirat monétaire avait pour
la première fois l'occasion de les rappeler sur une émission: lors des éditions
précédentes (28, 24 et 20), l'atelier de Rome ne fonctionnait pas ou bien
21
se limitait à des émissions de bronze, à la typologie limitée . L'insistance
sur ces vœux tient peut-être aussi à des complots auxquels le Prince aurait

16. Sur les imagines clipeatae, voir SAURON G., Quis deum ? L'expression plastique des idéologies pol
et religieuses à Rome à lafinde la République et au début du principat, Rome, 1994, p. 62-78. Sur
l'insertion a'imagines dans les enseignes militaires, voir COSME P., «L'image de l'empereur dans
les camps romains», MOLIN M. (dir.), Images et représentations du pouvoir et de l'ordre social da
l'Antiquité, Paris, 2001, p. 261-268.
17. C'est le mot CONS(eruatam) qui est le plus difficile à lire. Mais j'ai pu vérifier le texte sans doute
possible sur l'exemplaire BNC 343, grâce à l'obligeance de Dominique Hollard.
18. RGDA 9, 1; cf. S C H E I D J., «Les vœux pour le salut d'Octavien de 32 av. J.-Chr.
(RGDA 9, 1) », HANTOS Th. (dir.), Laurea internationalis. Festschrifi fur Jochen Bleichen zum 7
Geburstag, Stuttgart, 2003, p. 359-365. Ces vœux sont à distinguer des vœux annuels pour le
salut de la Res publica et du Sénat, auquel le Prince fut associé au moins depuis 30 av. J.-C.
(cf. SCHEID J., Romulus et sesfrères.Le collège desfrèresarvales, modèle du culte public romain d
k Rome des empereurs, Rome, 1990, p. 299-316).
19. On ne sait pas quelle était exactement la teneur de ces vœux. On avait quelques années plus tôt
décidé de célébrer des vœux annuels pro salute en l'honneur de César (sans doute conjointement
avec les vœux annuels pour la République et le Sénat) et peut-être ces vœux avaient-ils été aussi
prononcés pour les successeurs de Césars (cf. SCHEID J., Romulus et sesfrères,ibid.)', il y avait
eu aussi des vœux extraordinaires pour le Salut d'Hirtius en 43 (Cic. Phil. 7, 12; 10, 16). Un
précédent (mais dans le cadre italien et non romain) existait enfin en faveur de Pompée en 50
( C I C . Att. 8.16.1 ; VELLEIUS II, 48; D I O N XLI, 6, 3-4; cf. DALY L.W., Vota publica pro salute ali-
cuius, TAPha 81, 1950, p. 164-168). C'est peut-être en relation avec ces vœux que le monétaire
Mn. Acilius frappe la même année des monnaies évoquant au droit Salus, au revers Valetudo
(RRC442), une association intéressante puisque, comme le rappelle John SCHEID («Vœux», art. cit.,
p. 363), les Romains ne confondent jamais des vœux pour la Salus et des vœux pour la Valetudo.
20. L'existence d'émissions «espagnoles» (RIC57) commémorant ces vœux montre bien que les triu­
mvirs choisissaient leurs types en accord avec le Prince, dans le cadre d'un programme iconogra­
phique cohérent.
21. Voir infra.

148
ASPECTS NUMISMATIQUES DE LA R E S P U B L I C A R E S T I T U T A AUGUSTÉENNE

récemment échappé (Dion mentionne qu'après l'octroi de la puissance tri-


bunicienne à Agrippa, plusieurs conspirations contre Auguste et lui furent
22
déjouées en 18 et après ). Le revers des monnaies de Mescinius Rufus
renvoie à une deuxième série de vœux pris pour assurer le retour du Prince
23
sain et sauf de la grande expédition qu'il s'apprêtait à conduire en Gaule .
Ajoutons enfin qu'il y eut aussi en 16 des vœux pour la santé d'Auguste,
24
attestés par l'émission d'un autre monétaire, Antistius Vêtus .
Ce qui est important pour nous est le lien explicitement établi par la
légende de droit entre le salut du Prince et la « conservation » de la Res
25
publica , au prix d'une formulation qui paraît assez inhabituelle. Notons
que le mot Res publica ne peut pas désigner ici une forme constitutionnelle,
mais plutôt Rome tout entière. L'iconographie de ce denier est également
très spectaculaire : un buste de face est chose rarissime et le pourtour du
bouclier sur lequel ce buste figure paraît orné avec un grand soin. Faut-il y
voir la trace d'un honneur supplémentaire en l'honneur d'Auguste à l'oc­
casion de l'acquittement des vœux en 16 ?
Toujours en 16 av. J.-C, le même monétaire a fait réaliser une autre
série de deniers qui a bénéficié d'un peu plus d'attention (RIC 358; fig. 4).
Rich et Williams la citent en note et Judge y fait une allusion en passant.
Les monnaies, qui sont également très rares, portent presque exclusive­
ment des textes épigraphiques, une habitude en vogue dans les années 17 à
15 et dont L. Mescinius Rufus semble s'être fait une spécialité. Le droit
est particulièrement saisissant : à l'intérieur d'une couronne <le chêne, on

22. D I O N L I V , 15, 1.
23. Sur une variante (RIC 357;fig.3), le revers porte un cippe encadré des lettres SC où se lit le texte
suivant: IMP/CAES/AVGV/COMM/CONS. La mention COMM CONS est souvent interprétée
communi consensu, mais on ne saurait exclure non plus communi conservatori, à cause des rapport
que ce titre aurait avec la légende de droit (cf. "WALLACE-HADRILL Α., « Image and authority in the
Coinage of Augustus », JRS 76, 1986, p. 66-87, n. 73 ; voir aussi la légende de RIC 99 : parenti
consumatori ì) suo et VITR., I., 1-2 : cum uero adtenderem te non solum de uita communi omnium
curam publicaeque rei constitutione habere). Ce revers se retrouve aussi, cependant, sur des mon­
naies qui ne portent pas la légende ob rem republicam conservatam où il paraît même plus fréquent
(RIC 358). Aussi ne faut-il peut-être pas chercher à mettre en rapport les légendes de droit et de
revers de la variante RIC 357. En faveur d'une interprétation communi consensu, avec d'intéressants
parallèles, cf. H U R L E T Fr., « Une décennie de recherches sur Auguste. Bilan historiographique »,
Anabases 6, 2007, p. 202.
24. Les émissions d'Antistius, qui sont réalisées avec beaucoup de soin (voir par exemple les aurei RIC
369, qui sont une des plus belles réussites de l'art monétaire augustéen), sont la seule référence
à la santé physique du Prince attestée entre 19 et 16, période pour laquelle Dion ne mentionne
aucune maladie. Il faut donc penser ou bien que le récit de Dion omet de signaler une rechute du
Prince en 16 (c'était l'hypothèse de Mattinglydans le BMCRE), ou bien que ces vœux sont liés
au souvenir du précédent voyage d'Auguste en Gaule, voyage au cours duquel le Prince avait été
très souffrant (cf. H E I N E N cité par Scheid, «Vœux», art. cit., p. 363). Enfin, il pourrait aussi s'agir
de la commémoration anniversaire d'un retour à la santé d'Auguste (cf. HORACE, Od. 2, 13 ; 3, 8
pour des parallèles).
25. L'expression Res publica conservata est connue aussi par une inscription ordinairement attribuée à
un arc honorifique en l'honneur d'Auguste et datée de 29 [CIL VI 873). L'inscription, aujourd'hui
disparue, mentionne simplement SENATVS POPVLVSQVE ROMANVS/IMP. CAESARI DIVI
NU F COS QVINCT/COS DESIGN SEXTIMP SEP/REPVBLICA CONSERVATA. Aucun lien
n'est établi entre le salut du Prince et la conservation de la République, mais le rapprochement avec
la légende de 16 incite à considérer que l'allusion n'est pas à une action ou à une mesure d'Octavien
mais au fait qu'il est sain et sauf, ce qui garantit la paix civile et les succès à l'extérieur.

149
ARNAUD SUSPÈNE

lit très facilement une dédicace à Jupiter Optimus Maximus qui doit se
développer comme suit: I(OVI) O(PTIMO) M(AXIMO) S(ENATVS)
P(OPVLVS)Q(VE) R(OMANVS) V(OTA) S(VSCEPTA) PR(0) S(ALVTE)
IMP(ERATORIS) CAE(SARIS) QVOD PER EV(M) R(ES) P(VBLICA) IN
AMP(LIORE) ATÇtfVE) TRAN(QVILLIORE) S(TATV) E(ST). Le revers
porte le même type que sur une variante de rémission précédemment citée:
un cippe encadré des lettres SC et où Ton peut lire IMP/CAES/AVGVI
COMMICONS.
Ces monnaies renvoient également aux vœux pris en 32 et cette fois,
l'action du Prince sur la Res publica est évoquée en détail. Grâce à cette
monnaie, on a une idée plus claire de ce qu'Auguste a pu prétendre appor­
ter à la Res publica, et de ce que le Sénat et le peuple Romain ont souhaité
approuver de façon très solennelle à l'occasion de l'acquittement pério­
dique des vœux pris pour le salut du Prince : une nouvelle extension et
la paix (in ampliore atque tranquilliore statu). L'extension territoriale doit
faire allusion à la conquête de l'Egypte et de l'Arménie, la paix est un des
thèmes constants de la communication augustéenne, depuis les cistophores
d'Ephèse jusqu'à YAra Pacis.
Le texte épigraphique figurant sur la monnaie relève très certainement
du sénatus-consulte correspondant aux jeux de 16. Sa formulation fait pen­
ser à un texte de Valére Maxime rapportant une altération que Scipion
Emilien aurait introduite dans la prière des censeurs lors de sa censure de
142. Selon Valére Maxime, la prière habituelle était adressée aux di immor-
tales « utpopuli Romani res meliores amplioresque facerent». Mais Scipion, à
l'issue de sa censure, aurait déclaré: « satis bonae et magnae sunt: ita precor
ut easperpetuo incolumis seruent» et il aurait modifié le texte de la prière en
conséquence. La parenté entre le SC de la monnaie de 16 et la prière des
censeurs avant la modification supposée de Scipion est indubitable (amplior
par exemple ne se trouve que dans ces deux textes).
Il faut sans doute penser que le texte traditionnel de cette prière n'avait
26
pas été altéré par Scipion, contrairement à ce qu'affirme Valére Maxime , et
qu'Octavien-Auguste et le Sénat ont pu s'en inspirer ou bien dès 32, lors de
la prise des vœux correspondant à la campagne d'Egypte, ou bien en 30, ou
encore lors de la célébration des jeux en accomplissement de ces vœux.
Bien que la similitude générale entre les deux textes soit claire, il y a aussi
des différences notables. Tout d'abord, il ne s'agit pas du même contexte
rituel. D'autre part, l'action du Prince est directement mentionnée dans

26. C'est ce que pensait Astin en se fondant sur les travaux de ses prédécesseurs : la version de Valére
Maxime contredit une information de Cicéron, selon qui ce n'est pas Scipion mais son collègue qui
aurait prononcé la prière, et paraît invraisemblable aussi bien pour des raisons religieuses (pouvait-
on ainsi modifier une prière traditionnelle?), qu'historiques (la situation en 142 ne se prêtait pas
à une semblable autosatisfaction) ou politiques (les adversaires de Scipion n'auraient pas manqué
de lui reprocher une attitude si désinvolte). Pour toutes ces raisons, Astin pensait que l'anecdote
livrée par Valére Maxime avait été forgée sous Tibère au moment où l'on recherchait des cautions
pour renoncer à une politique d'expansion territoriale (ASTIN A.E., Scipio Aemilianus, Oxford,
1967, p. 325-331).

150
ASPECTS NUMISMATIQUES DE LA R E S P U B L I C A R E S T I T U T A AUGUSTÉENNE

27
l'épigraphie monétaire au moyen de l'expression per eum , alors que la
prière des censeurs, de portée générale, n'était liée à l'action d'aucun magis­
trat en particulier. Le formulaire enfin comporte des écarts importants :
amplior est passé en première position et melior a laissé la place à tranquil-
lior, et à l'expression populi Romani res (au pluriel) a succédé Res publica
au singulier. Ces décalages, à l'intérieur d'une similitude globale, montrent
qu'un véritable travail de réécriture a été réalisé.
La prière des censeurs n'était au demeurant pas le seul modèle dispo­
nible : le texte de Tite-Live fournit un certain nombre de parallèles inté­
ressants. A plusieurs reprises dans le récit, notamment lors de la deuxième
guerre punique, des vœux sont pris pour que la République soit maintenue
28
à l'identique (in eodem statu esse/permanerei stare) sur une période fixe . Ce
sont des vœux à caractère défensif pris dans une situation de danger que
l'on soit en Italie ou dans une campagne lointaine (après Trasimène, avant
la campagne contre Persée, etc.).
Si d'après le témoignage de Tite-Live le formulaire traditionnel de prise
ponctuelle de vœux pour la préservation de la Res publica lors de circonstan­
29
ces particulièrement graves était plus modéré que la prière des censeurs ,
les vœux de 32 s'affirmaient comme une création très originale à l'inspi­
ration variée. Sans reproduire les vœux traditionnels pris par un magistrat
au moment de marcher à l'ennemi, ni reprendre strictement la prière des
censeurs, ces vœux s'ancraient dans la plus lointaine antiquité en même
temps qu'ils soulignaient l'importance inédite de la campagne de 32. Lors
de l'acquittement de ces vœux en 16 (et sans doute déjà en 28, 24 et 20),
on reconnut à Octavien-Auguste une influence déterminante sur le destin
30
impérial de Rome : sur ce point la présence du per eum est éloquente .
On peut sans doute être plus précis encore sur le sens de la légende
monétaire de 16: les adjectifs utilisés dans le formulaire renvoient certes à
l'expansion territoriale de Rome, mais aussi à la paix intérieure. L'adjectif
tranquillus en particulier est nouveau dans ce contexte et il sous-entend que

27. Cette expression est mal gravée sur un certain nombre de monnaies (GIARD, BNC345 par exemple),
signe quelle devait être inhabituelle et peut-être difficile à comprendre.
28. Lrv. 21.62.10 (en 218, à la suite de présages inouïs) : C. Atilius Serranuspraetor vota suscipere iussus
si in decern annos res publica eodem stetisset statu; Lrv. 22.9.10 (en 217, après consultation des libr
sibyllins, vœux de plus grande ampleur) si bellatum prospere esset res publica in eodem quo ante
bellum fuisset statupermansisset; Liv. 23.24.2 (en 208, vœux du dictateur T. Manlius Torquatus)
in quintum annum si eodem statu res publica staret (confirmé en Liv. 30.27.11) ; Lrv. 42.28.9
(en 172, vœux pour la guerre contre Persée) : Eodem die decreuit senatus C. Popilius consul ludospe
dies decern Ioni optimo maximofieriuoueret donaque circa omnia puluinaria dari, si res pub
annos in eodem statu fuisset. Dans tous les cas il s'agit de décisions officielles (sénatus-consultes ou
décision du dictateur; en 172, le grand pontife dicte la formule des vœux).
29. C'est ce formulaire qui a pu inspirer Valère-Maxime ou ses sources au moment de l'invention du
dictum de Scipion Emilien.
30. Quelques années plus tard, les Jeux Séculaires virent se développer d'autres formules adaptées au
projet d'expansion impériale mis en avant par Octavien. Voir SCHNEGG-KÖHLER B., Die augusteis­
chen Säkularspiele, Leipzig, 2002, lignes 96 et 129 (mais le texte est restitué d'après les documents
épigraphiques sévériens) : remquep(ublicam) populi R(omani) [Quiritium saluam seruetis maior
que faxitis...]; remquepublifcam p(opuli) R(omani) Quiritium saluam serues maioremque f

151
ARNAUD SUSPÈNE

31
la situation générale est stable et que la paix règne désormais . L'adjectif
amplus renvoie certainement à une extension territoriale mais il comporte
32
aussi une idée d'enrichissement et d'embellissement . L'expression Res
publica possède une riche polysémie (comme en témoignent les catégories
de sens isolées par Judge), bien plus que les res Populi romani de la prière
des censeurs, et renvoie peut-être à une forme de restauration légaliste que
33
le terme status peut également évoquer .
Assurément le SC correspondant aux vœux pro salute acquittés en 16,
et dont nous avons deux échos sur les monnaies de Mescinius Rufus, avait
34
été composé avec soin : il incorporait des éléments anciens empruntés à
la religion publique, reprenait et concluait l'impérialisme traditionnel et
caractérisait, sans entrer dans le détail et en restant à un niveau de généralité
qui pouvait tout laisser entendre, l'action bienfaisante du Prince sur une
Res publica dont il était désormais inséparable. Les jeux périodiques étaient
ainsi l'occasion pour le Sénat, au moyen de SC appropriés, de réaffirmer
solennellement l'indissoluble solidarité du Prince et de la Res publica, comme
les consuls et les prêtres le faisaient chaque début d'année au moins depuis
30 av. J.-C. à l'occasion des vœux annuels pour le salut de la République
35
et du Prince .
Enfin, une quatrième et dernière monnaie, tout aussi spectaculaire que
la monnaie de 28, touche directement à notre sujet, à la fois par sa typolo­
gie et par sa légende. I l s'agit là encore d'un aureus, probablement frappé à
Rome en 12 av. J.-C. par le triumvir monétaire Cossus Cornelius Lentulus
qui est sans doute le consul de 1 av. J.-C. La monnaie est connue par un
36
exemplaire unique, publié en I960 dans une revue italienne et appar-

31. Le seul point de comparaison livien ne laisse guère de doutes. Il s'agit du débat sur le sort des
Tarentins en 208 : Senatus consultum in sententiam M'. Acili factum est ut oppidum praesidio
diretur, Tarentinique omnes intra moenia continerentur, res integra postea referretur, cu
status Italiae esset (Lrv. 25.27.2).
32. Il me semble qu'on retrouve ces deux aspects, l'expansion et le renouvellement intérieur, sur l'ins­
cription sévérienne CIL VI 10333 = 31230 = 36881 (ob rem publicam restitutam imperiumque
populi Romani propagatum).
33. Cf. l'édit de date inconnue rapporté par Suétone « ita mihi saluam ac sospitem rem publicam in
sua sede liceat atque eius reifructum percipere, quem peto, ut optimi status auctor dicar et
feram mecum spem, mansura in uestigio suofondamentareipublicae quae iecero» (SUET. Aug.
Le mot status est commun aux deux textes ; dans Suétone, il a incontestablement un sens institu­
tionnel. Signalons que le texte de l'édit semble en contradiction avec une réflexion d'Auguste à
propos de Caton rapportée par Macrobe : quisquispraesentem statum ciuitatis commutari non u
etciuis et uir bonus est (Sat. II. 4. 18, cité par CARTLEDGE P., «The Second Thoughts of Augustus
on Res Publica in 28/27 B.C.», Hermathena 119, 1975, p. 30-40). Sur le texte de cet édit, qui
prouve qu'Auguste n'a pas caché qu'il avait modifié la Res publica, voir FERRARY J.-L., « Res publica
restituta et les pouvoirs d'Auguste», S. FRANCHET D'ESPEREY, V. FROMENTIN, S. GOTTELAND,
J.-M. RODDAZ (dir.), Fondements et crises du pouvoir, Bordeaux, 2003, p. 419-428 ; pour sa date et
sa publication, voir GIRARDET Kl., « Das Edikt des Imperator Caesar in Suetons Augustusvita 28,
2. Politisches Programm und Publikationszeit», ZPE131, 2000, p. 231-243 (= Rom auf dem Weg
von der Republik zum Prinzipat, Bonn, 2007, p. 363-384).
34. SUTHERLAND C.H.V., Coinage in Roman Imperial Policy (31 B.C.-A.D. 68), Londres, 1951, p. 51
attribuait cette légende à un proche du régime et suggérait Tarius Rufus, alors consul et qui aurait
pu animer le Sénat.
35. SCHEID, Romulus et ses frères, op. cit., p. 299-301.
36. VERMEULE C , «Un aureo augusteo del magistrato monetario Cossus Lentulus», Numismatica,
1960, p. 5-11.

152
ASPECTS NUMISMATIQUES DE LA R E S P U B L I C A R E S T I T U T A AUGUSTÊENNE

tenant à une collection privée. Elle a néanmoins été enregistrée dans le


57
RICsoxis le numéro 413 (fig. 5) .
La pièce porte au droit le portrait d'Auguste tête nue à droite, avec la
légende AVGVSTVS DIVI F, et au revers une figure féminine agenouillée
à droite et donnant la main à un personnage en toge debout à droite, qui
semble faire le geste de la relever. Des légendes identifient les deux pro­
tagonistes: RES PVB à l'exergue et AVGVST verticalement. Le nom du
monétaire complète le revers. Ce type de représentation est bien connu
dans l'iconographie numismatique postérieure (pas sous les Julio-Claudiens
38
cependant ), comme aussi dans la sculpture. Il semble que nous ayons avec
39
cette monnaie le prototype de cette tradition figurative : les antécédents
républicains possibles ne correspondent pas exactement. Le plus proche
équivalent est une monnaie d'Aquillius où un soldat semble porter secours
à la Sicile agenouillée (fig. 7): c'est une allusion à la répression menée contre
les révoltes serviles du deuxième siècle av. J.-C. Cette monnaie, frappée en
40 41
70 av. J.-C. , a précisément fait l'objet d'une sorte de restauration par
un L. Aquillius Florus, sans doute en 19 av. J.-C. Il est difficile de voir dans
la monnaie de Cossus Lentulus autre chose qu'une illustration sous une
forme ou sous une autre du thème de la Res publica restituta, bien que nul
verbe ne vienne caractériser l'action d'Auguste. Il est cependant impossible
d'en donner une interprétation plus précise : là encore l'action bienfaisante
d'Auguste est présentée dans sa globalité. Comme la Sicile au deuxième
siècle, la République a été débarrassée des dangers qui la menaçaient, tirée
42
d'un triste état et rendue à la prospérité . Cela peut impliquer ou non un
retour à la légalité constitutionnelle républicaine. Avec cette monnaie se clôt
la série des émissions romaines mentionnant explicitement les rapports du
Prince et de la République ou le thème de la restitutio. Qu'en conclure ?
Un premier résultat est que le nouvel aureus n'est pas le document le
plus explicite dont nous disposions pour envisager les aspects numismati-

37. Cette monnaie est depuis passée en vente chez Leu (vente 54, 28 avril 1992, n° 216). Je remercie
M. Michel Amandry qui m'a fourni cette information.
38. Voir cependant le sesterce de Tibère pour les cités d'Asie, seule attestation d'une restitutio à l'époque
julio-claudienne {RIC4S).
39. VERMEULE, «aureo», art. cit., p. 9. Dans les représentations postérieures, la scène est souvent une
scène de restitutio et la légende le précise régulièrement. Sur les occurrencesflaviennesde cette
scène, voir la communication d'Emmanuelle Rosso dans ce même volume. L'exacte correspondance
de la typologie confirme l'authenticité de Vaureus RIC 413 et incite à considérer son type de revers
comme une scène de restitutio.
40. RRC 401/1. M. Crawford voit dans cette scène une allusion aux beneficia reçus par la Sicile. On
pourrait aussi citer une très rare monnaie d'un partisan de Sextus Pompée {RRC510/Ì). Crawford
évoque enfin les reliefs sculptés représentant César et Oikouménè (DION, XLIII, 15, 6 et 21, 1),
mais on ne sait pas quelle était exactement la nature de la scène. Les monnaies de Turpilianus (RIC
292) et d'Aquillius (RIC 306) portant Armenia capta citées par Vermeule comme un des modèles
possibles me semblent très différentes : l'Arménie (ou plutôt un Arménien) est en position de
suppliante et il n'y a personne pour recevoir sa reddition ou la relever.
41. Restauration partielle puisqu'elle ne concerne qu'une face de la monnaie (cf. K O M N I C K ,
Restitutionsmünzen, op. cit., p. 3-8), l'autre étant occupée par le portrait d'Auguste.
42. C'est plutôt ainsi qu'il faut comprendre la scène : la province n'est pas soumise, mais au contraire
restaurée (pace ZANKER P., The Power of Images in the Age of Augustus, Ann Arbor, 1988, p. 91, selon
qui \'aureus de Cossus Lentulus fait au contraire penser à l'humiliation des provinces).

153
ARNAUD SUSPÈNE

ques de la Res publica restituta: d'autres émissions font plus directement


référence à la République, soit dans l'épigraphie monétaire seule, soit dans
le texte épigraphique et dans le type. Ces émissions soulignent qu'Auguste
est indispensable à la République dont la conservation dépend de son exis­
tence {RIC356), qu'il l'a agrandie et pacifiée (RIC358) et enfin, au moyen
d'une scène dont le sens général est très clair, mais qui ne dit rien de précis,
43
qu'il l'a «relevée», «remise sur pied » (RIC413) : je ne crois pas qu'on ait
profit à sortir de la métaphore.
Un second résultat est que ces monnaies se répartissent sur un écart
chronologique assez important : les dates de 28 et de 16 av. J.-C. sont assu­
rées, et celle de 12 av. J.-C. très probable. Cette dernière date est d'ailleurs
significative: il s'agit là de la toute dernière émission d'or frappée à Rome.
À partir de 12, toutes les monnaies précieuses d'Occident sont frappées à
Lyon, avec une typologie beaucoup plus rigide obéissant à des intentions
très différentes. Cette dispersion chronologique prouve que la question des
rapports d'Auguste et de la Res publica, et plus particulièrement l'action
bienfaisante du Prince sur cette dernière, reste un thème important dans le
discours officiel romain au moins jusqu'en 12 avant et ne se limite pas aux
années cruciales 28 et 27 av. J.-C.
Un troisième résultat est peut-être plus important : la Res publica n'est
jamais évoquée seule et ne bénéficie jamais d'un traitement autonome sur les
monnaies. Elle est toujours l'objet de l'action d'Auguste. Ce qui compte dans
la Res publica restituta, c'estfinalementla restitutio plus que la République,
c'est l'action plus que le résultat. C'est là un moyen de reconnaître la place
centrale du sujet de l'action, le Prince, dans la vie politique romaine et son
influence décisive sur le destin collectif. De fait, toutes ces monnaies se révè­
lent d'une parfaite unité thématique : le droit et le revers ne se partagent pas,
comme il arrive parfois à cette époque, en un thème inspiré par le monétaire
et un thème plus directement augustéen. Le Prince est même représenté
44
personnellement sur les deux faces des aurei, ce qui est très significatif .
La présence de la Res publica sur les monnaies augustéennes est finalement
l'occasion de mettre en oeuvre une dialectique dont le vrai bénéficiaire est
le Prince. Ultime élément important : le rôle du Sénat, par la mention des
SC honorifiques surtout, et via l'action des triumvirs monétaires, qui relè­
45
vent du Sénat , est essentiel dans la célébration de l'action bénéfique du

43. C'est d'ailleurs un des sens de « restituera».


44. Cf. R I C H et WILLIAMS, «New Aureus», art. cit., p. 180 et les remarques de D . Mantovani, art. cit.
45. Je ne crois pas que les triumvirs monétaires aient pu être nommés par les consuls à une quel­
conque époque : ils me semblent relever d'une élection sous la République comme sous Auguste
(cf. MATTINGLY H . B . , «The management of the Roman Republican Mint», AHN29, 1982,
p. 9-46; SUSPÈNE A. «Sur la loi monétaire de c.212 [?]», CCG 13, 2002, p. 33-43; contra
BURNETT Α., «The Authority to Coin in the Late Republic and Early Empire», NC 17, 1977,
p. 37-63, p. 40). Il est de toute manière clair que les magistrats étaient élus au moins entre
23 et 13 av. J.-C. : une réforme intervenue cette année-là spécifie qu'ils étaient auparavant auto­
risés à entrer au Sénat après leur année de charge (DION, LIV, 26, 5-6; cf. BURNETT, « Authority
to coin», art. cit., p. 38, qui fait remonter l'instauration de la procédure électorale à une réforme
césarienne).

154
ASPECTS NUMISMATIQUES DE LA R E S P U B L I C A R E S T I T U T A AUGUSTÉENNE

Prince sur la Res publica (mis à part sur Yaureus de 28, qui relève des mon­
nayages de campagne dans lesquels il était par définition impossible que le
Sénat intervînt, et à une date où de toute façon l'atelier de Rome n'était pas
en fonction). Le Sénat est donc au centre du processus d'élaboration du dis­
46
cours officiel . Dans une certaine mesure, ceci conduit à nuancer fortement
le célèbre passage des RGDA 34.1 par lequel Auguste évoque le transfert de
47
la République de son pouvoir à Yarbitrium du peuple et du Sénat : le Sénat
est certes en position de fonctionner normalement, en coopérant avec des
magistrats subalternes et en passant des SC. Mais il n'est pas le dépositaire
des intérêts de la République et il ne paraît pas en position de la diriger :
cela relève du Prince et les émissions monétaires évoquant la Res publica
sont très explicites sur ce point. L'on pourrait même dire qu'en célébrant les
mérites du Prince, le Sénat assure la continuité entre l'ancien régime et la
forme nouvelle qui lui a été conférée par Octavien-Auguste, dont il garantit
la légitimité. Je ne crois pas en tout cas que ces monnaies expriment une
nostalgie sénatoriale, ni qu'elles procèdent d'une tentative pour inspirer au
Prince un plus grand «républicanisme»: d'une part il y a une cohérence
entre les types de ces monnaies et Yaureus de 28, qui relève entièrement
d'Octavien-Auguste, ou les émissions d'Espagne qui dépendent de son légat;
d'autre part les monétaires sont très probablement d'ardents collaborateurs
du nouveau régime. Ainsi Mescinius Rufus exalte dans l'ensemble de son
monnayage tous les actes d'Auguste (dont, sur des aurei, les Jeux séculaires
accomplis par le Prince comme XVvir et la distribution des suffimenta à
laquelle il avait alors procédé) avec un zèle presque trop scrupuleux: on
connaît peu de coins par types, ce qui trahit probablement une volonté très
affirmée de varier la typologie afin de développer un discours complet, très
48
impérial dans le ton , plus même que les émissions des autres triumvirs de
16 dont la typologie fait parfois une certaine place à des thèmes personnels.
Quant à Cossus Cornelius Lentulus, le monétaire de 12 av. J.-C, c'est pro­
49
bablement un des grands proconsuls du principat d'Auguste .

46. Sur la question de la formation du discours numismatique, discours adressé au Prince par des
aristocrates, mais discours conçu en parfaite cohérence avec ses intentions, et en tenant compte
des attentes du peuple romain, voir la position équilibrée de WALLACE-HADRILL, « Image and
authority », art. cit., n. p. 68, et de LEVICK B., « Messages on the Roman coinage : types and inscrip­
tions», G.M. PAUL et M. IERARDI, Roman coins and Public Life under the Empire, Ann Arbor, 1999,
p. 41-60.
47. Rempublicam ex meapotestate in senatfuspopulique Rom]ani fajrbitrium transtuli (RGDA
48. Voir les remarques de SUTHERLAND C. H. V, «The senatorial gold and silver coinage of 16. BC »,
ÌVC3, 1943, p. 40-49. Il faut toutefois rester prudent sur la taille et l'organisation de l'émission,
en l'absence d'une étude détaillée sur le nombre "de coins et le rapport entre coins et exemplaires
conservés qui seule permettrait de conclure. Notons enfin que Mescinius est un des premiers
monétaires à ne pas faire systématiquementfigurerson titre de triumvir sur ses monnaies.
49. Sur ce personnage, voir en dernier lieu HURLET Fr., Le proconsul et le prince dAuguste à Dioclétien,
Bordeaux, 2006. Cossus Lentulus est le premier monétaire à ne jamais mentionner son titre sur ses
monnaies (Q. Rustius est un cas à part : on ne sait s'il s'agit d'un monétaire ou d'un représentant
du Prince, légat ou préfet, cf. Wallace-Hadrill, «Image and Authority », art. cit., p. 73, n. 63). Sur
l'appartenance des monétaires aux grandes familles de l'aristocratie augustéenne, voir WALLACE-
HADRILL, « Image and authority, art. cit. », p. 86 : on trouve un Statilius Taurus, un Calpurnius
Pison, un Asinius Gallus, un Rubellius Blandus, un Valerius Messala, etc. On rappellera que le triu­
mvirat monétaire devint ensuite une promesse d'avancement rapide dans la carrière sénatoriale.

155
ARNAUD SUSPÈNE

De l'analyse du petit corpus de monnaies augustéennes qui évoquent


explicitement la Res publica, il apparaît que même s'il n'avait nullement
l'intention de s'effacer, ni de perdre le contrôle du jeu politique après 27,
Octavien-Auguste a bien souhaité rendre à ses contemporains la jouissance
de la Res publica et à celle-ci son lustre ancien et une nouvelle prospérité:
les monnaies l'affirment clairement et confirment les autres sources dispo­
nibles. Pour donner crédit à cette volonté affichée, dont la réalisation fonde
50
les honneurs dont bénéficie le Prince , i l fallait bien que subsistent des
éléments reconnaissables de l'ancienne tradition politique. C'est ainsi que
des procédures (les élections) et des institutions (les magistratures) ont fait
leur retour dans un système qui comportait pourtant de profondes inno­
51
vations . Mais ce n'est pas seulement dans les institutions politiques qu'il
fallait pouvoir reconnaître l'Ancien Régime, la tradition, le mos. Ce serait
une erreur que de limiter l'œuvre d'Auguste au bénéfice de la Res publica
à la seule sphère politique et institutionnelle. La richesse sémantique du
52
mot indique au contraire une action beaucoup plus large et la restaura­
tion augustéenne devait aussi porter sur des éléments plus concrets, plus
tangibles de la vieille république : on pourrait citer les temples, la famille, la
morale... l'on trouverait pour chaque champ d'application de cette oeuvre
53
de restauration une illustration numismatique . Et il faudrait aussi inclure
dans la liste la monnaie elle-même.
À vrai dire, la chose est logique : la monnaie est un des plus forts sym­
54
boles de l'identité, de la prospérité et de la souveraineté communes . Elle
pouvait difficilement échapper à la refondation augustéenne, d'autant
55
moins que l'œuvre monétaire de Marc Antoine avait été considérable .
Il convient donc, après avoir parlé de quelques monnaies significatives,
d'élargir l'enquête à la monnaie en général.

50. Ainsi dans SUET. Aug. 23 comme dans les RGDA 34.1, les allusions à l'action d'Auguste au bénéfice
de la Res publica sont immédiatement suivies de la mention des honneurs qui lui ont été conférés
par le Sénat, dont on sait qu'ils constituaient une grande partie de son auctoritas.
51. Sur cette double nature du regime augustéen, cf. FERRARY, «Respublica restituta», art. cit.
52. H. M. Cotton et A. Yakobson ont aussi fait observer que le discours d'Auguste pouvait varier
considérablement et receler de nombreuses ambiguïtés, voire des contradictions lorsque le Prince
y trouvait avantage: rien ne l'obligeait après tout à être toujours cohérent et il arrivait aussi bien à
Auguste de faire très clairement sentir son pouvoir (COTTON H . M. et YAKOBSON, Α., «Arcanum
imperii: the Powers of Augustus », CLARK G. et RAJAKT. (dir.), Philosophy andPowerin the Graeco-
Roman World. Essays in Honour ofM. Griffin, Oxford, 2002, p. 193-209).
53. Citons exempli gratia la restauration des routes (RIC 360), l'édification d'une nouvelle curie (RIC
266), le retour des enseignes parthes et des prisonniers de Carrhes (RIC 131), la construction des
temples de Jupiter Tonans (RIC 64) et de Mars Ultor (RIC 72), les allusions possibles à l'âge d'or
(cf. DESNIER J.-L., « Ob dues servatos», RSN72, 1993, p. 113-131, etc.).
54. La notion de souveraineté reste commode, bien qu'elle doive être maniée avec prudence ; le décret de
Sestos prouve au moins que les monnaies permettent une promotion de l'image et du prestige de la
cité, assurément liée à une affirmation politique, et le discours de Mécène chez Dion atteste la valeur
de la monnaie comme marque d'identité, là encore dans une perspective politique (voir BURNETT Α.,
«The Roman West and the Roman East», HOWGEGO Α., HEUCHERT V. et BURNETT A (dir.), Coinage
and Identity in the Roman Provinces, Oxford, 2005, 171-180, p. 174).
55. Marc Antoine avait lancé de grands programmes de frappes pour ses légions, dont d'innombrables
exemplaires circulaient toujours (cf. SAURON G., L'Histoire végétalisée. Ornement et politique à Rome
Paris, 2001, p. 103), il avait conduit d'astucieuses réformes sur le bronze et il avait naturellement
frappé avec Cléopâtre.

156
ASPECTS NUMISMATIQUES DE LA R E S P U B L I C A R E S T I T U T A AUGUSTÉENNE

De fait, la période augustéenne est un moment de transformation pro­


fonde de la monnaie de Rome, transformation rendue nécessaire par les
troubles précédents qui avaient vu l'ancien système, une monnaie civique
56
réalisée à Rome sous le contrôle de magistrats subalternes , éclater en
autant de monnayages de campagne supervisés par les proconsuls, les triu­
57
mvirs ou leurs représentants .
Octavien lui-même avait contribué au détournement de la monnaie
civique: les derniers triumvirs monétaires disparaissent au début des
années 30 et à partir de cette date Octavien frappe en son nom propre
sur le territoire même de l'Italie, en toute irrégularité. I l poursuivit ses
frappes de campagne sans interruption, tout le long de son principat : les
58
ateliers d'Orient d'abord, puis d'Espagne (?) et enfin de Lyon équivalent
59
techniquement à des monnayages de campagne et ce n'est pas un hasard
si ces ateliers, comme les armées qui sont les principales destinataires des
monnaies, se trouvent dans les provinces confiées au Prince. Des nécessités
pratiques expliquent en partie cet état de fait; mais on ne peut s'empêcher
de penser qu'il y a aussi une volonté délibérée du Prince de se réserver le
contrôle de la monnaie, surtout à partir de 12 av. J.-C. où, en Occident du
moins, le seul atelier actif pour les métaux précieux est très probablement
l'atelier de Lyon. La monnaie touche de trop près aux questions militaires
pour que le Prince prenne un quelconque risque. Pourtant il semble bien
qu'à certains moments de son principat, Octavien-Auguste ait souhaité
utiliser le potentiel symbolique de la monnaie pour rendre crédible la res­
tauration de la Res publica.
Si l'on observe tout d'abord le rythme, la localisation et l'apparence
de ses frappes, on remarque qu'après Actium, Auguste a très vite cherché
60 61
à s'écarter des habitudes triumvirales pour ses émissions italiennes : il
commence par frapper en mentionnant ses consulats jusqu'en 27, ce qui est
une forme de retour à la légalité par rapport aux frappes triumvirales, puis

56. Je me concentrerai ici sur la monnaie proprement romaine, à l'exclusion des monnayages pro­
vinciaux. Certes l'œuvre monétaire d'Octavien-Auguste portait également sur les monnayages
provinciaux (voir par exemple le diorthôma thessalien IG, IX, 2, 415), mais la question de la
Res publica restituta doit être abordée à partir du monnayage propre à la République romaine,
monnayage civique contrôlé par le Sénat et par des magistrats spécifiques.
57. SUTHERLAND C. H. V., The Emperor and the Coinage, Julio-Claudian Essays, Londres, 1976,
p. 10-11.
58. Sur les problèmes posés par ces ateliers « espagnols », voir VOLK T. R., « Hispania and the gold and
silver coinage of Augustus », La moneda en temps dAugust. Curs d'Història monetària d'Hispania
Gabinet Numismatic de Catalunya, Museu Nacional d'art de Catalunya, Barcelone 1997, p. 59-
90.
59. GIARD, CBN, p. 5 ; Le monnayage de l'atelier de Lyon. Des origines au règne de Caligula (43 avan
J.-CAl après J.-C), Wetteren, 1983, p. 18.
60. Les séries IMP CAES et DIVI F étaient de ce point de vue un cas extrême : elles ne mention­
naient pas même le titre de triumvir RPC, contrairement à l'immense majorité du monnayage de
Marc Antoine lui-même, et portaient au droit un portrait anonyme, représentation habituelle­
ment réservée aux Dieux (sur ces séries, voir notamment Gurval, p. 52-3). Mannsperger remarque
que ces monnaies substituent au nom du monétaire le nom d'Auguste sous ses deux variantes
(MANNSPERGER D., « Die Münzprägung des Augustus », G. BINDER [dir.], Saeculum Augustum III,
Darmstadt, 1991, p. 348-399).
61. MANNSPERGER, «Münzprägung», art. cit., p. 376.

157
ARNAUD SUSPÈNE

à partir de cette date s'abstient de toute activité monétaire en Italie pour


plusieurs années. Les guerres ultérieures seront financées à l'aide d'émis­
sions réalisées en province. I l n'y aura plus jamais de frappes de campagne
en métal précieux sur le sol de l'Italie pendant le principat d'Auguste. En
23, une nouvelle étape est franchie: c'est de cette année qu'il faut très
probablement dater la réouverture de l'atelier de Rome et la réapparition
62
des triumvirs monétaires , qui réaliseront pendant 4 ans des monnayages
de bronze où l'autorité du Sénat en même temps que leur propre nom
s'afficheront largement. La réapparition d'un numéraire signé par des triu­
mvirs monétaires contrastait avec les monnaies de campagne d'Octavien
et surtout avec les monnaies antoniennes encore en circulation qui ren­
voyaient à un autre triumvirat, le triumvirat Rei Publicae Constituendae et y

ce contraste à lui seul devait immédiatement faire penser à une restitution


de la légalité traditionnelle : l'on observe une très forte insistance sur le titre
des monétaires pendant les premières années d'activité de l'atelier (jusqu'en
16 av. J.-C). Pratiquement toutes les monnaies portent Illvir, voire Illvir
AAAFF. Les triumvirs augustéens se présentaient comme les successeurs des
magistrats républicains et la continuité était d'autant plus aisée à percevoir
que de nombreuses monnaies républicaines portant la signature des triu­
mvirs circulaient encore à l'époque impériale.
Les premières émissions de l'atelier de Rome sont à mettre à l'actif d'un
triumvirat monétaire dont le magistrat principal est sans doute Calpurnius
Pison, probablement le futur consul de 7 av. J.-C. Des monnaies, mal­
63
heureusement assez douteuses , associent alors Auguste et Numa (fig. 6),
peut-être pour souligner qu'Auguste réitère l'œuvre fondatrice de Numa,
64
souvent présenté comme le père de la monnaie romaine . Il a fallu assuré­
ment une décision du Prince, avec la collaboration du Sénat, pour rétablir
65
le triumvirat monétaire .

62. Je me rallie pour la chronologie à l'arrangement proposé par Mattingly dans le BMCRE, qui reste
le plus vraisemblable malgré les solutions différentes proposées par Kraft et adoptées par Giard
(cf. l'exposé de BURNETT, « Authority to coin», art. cit.).
63. BURNETT, « Authority to coin, art. cit. », p. 51-2. Il y a aussi des monnaies à l'effigie de Numa et
de César dont l'authenticité paraît plus assurée (voir sur ces monnaies KIENAST D., « Augustus und
Caesar», Chiron 31, 2001, p. 1-26, p. 20).
64. P L I N E Λ/7/34.1 avec WALLACE-HADRILL, «Image and authority », art. cit., p. 82 et KIENAST,
« Augustus », art. cit., p. 21. Wallace-Hadrill postule un SC proposé par le consul de 23, lui aussi
un Calpurnius Pison (qui est peut-être le monétaire pompéien qui déjà frappait à l'effigie de Numa,
cf. RRC 446).
65. Une décision dont on a souligné le côté délibéré et spectaculaire, cf. PANVINI-ROSATI R, « Le emis­
sioni in oro e argento dei Tresuiri monetales di Augusto », Arch. Class. 3, 1951, p. 66-85, p. 67. Nul
besoin de penser, au contraire, que cette décision lui a été «arrachée» {contra LEVICK, «Message,
art. cit. », p. 54). Auguste savait qu'il ne risquait pas grand-chose à rétablir les monétaires : en
44 av. J.-C. déjà, et à nouveau au moment de la période triumvirale, les monétaires s'étaient mis au
service d'un pouvoir monarchique avec une très grande efficacité (pour 44, voir RRC 4&0 ; pour la
période triumvirale, voir RRC 494). Sur les modalités de cette coopération à l'époque impériale,
voir WOLTERS R . , «Die Geschwindigkeit der Zeit und die Gefahr der Bilder: Münzbilder und
Münzpropaganda in der römischen Kaiserzeit», Gr. WEBER et M. ZIMMERMANN (dir.), Propaganda
- Selbstdarstellung - Repräsentation im römischen Kaiserzeit des I.Jhs. n. Chr.> Stuttgart, 2003
p. 175-204.

158
ASPECTS NUMISMATIQUES DE LA R E S P U B L I C A R E S T I T U T A AUGUSTÊENNE

En 19, une nouvelle étape est franchie: les triumvirs monétaires frappent
de l'or et de l'argent et continueront à le faire jusqu'en 12. Dans le même
temps, on voit apparaître des types parlants (Florus par exemple), des types
familiaux (le denier des Aquillii), des jeux d'énigme et d'allusions dont
66
on sait combien ils étaient appréciés de l'aristocratie romaine , bref une
prolifération kaléidoscopique qui rappelle le foisonnement des types répu­
67
blicains . Parallèlement, le Sénat est très présent sur les types monétaires,
68
en particulier sur les monnaies de bronze . Dans les premières années du
principat d'Auguste, la monnaie romaine renaît et la chronologie de cette
renaissance est très parlante: 27, 23, 19. On retrouve les grandes dates de
l'action du Prince sur les institutions et il est donc probable que cette action
avait un volet monétaire.
Cette renaissance pourtant devait être de courte durée. Dès 15 av. J.-C,
69
les monétaires deviennent de plus en discrets sur eux-mêmes et de plus
en plus volubiles sur les mérites du Prince puis, à partir de 13, sur les
membres de sa famille : Agrippa, Julie, Caius et Lucius font leur apparition
70
sur le monnayage de Rome . À vrai dire, ce n'est là qu'un développement
de ce qui se trouvait en germe sur les premières monnaies : en effet, si les
premières émissions augustéennes de l'atelier de Rome rappelaient irrésisti­
blement la période républicaine par de nombreux aspects, en un contraste
marqué avec la période triumvirale, elles n'oubliaient pas dans le même
temps de rendre au Prince un hommage appuyé. Auguste est présent sur
chaque pièce frappée à partir de 23, sur le monnayage précieux comme sur
le monnayage vil, que ce soit par son nom, par ses honneurs ou par son
71
portrait . Une monnaie qui ne ferait pas mention du Prince n'était plus
envisageable. La restauration de la monnaie républicaine s'accompagnait
d'une promotion systématique de l'image du Prince. Et si la monnaie de
Rome n'avait jamais été si brillante (on frappait désormais les trois métaux,

66. Sur les possibilités offertes à ce moment aux jeunes aristocrates, ZANKER, Power, op. cit., p. 160 ;
WALLACE-HADRILL, «Image and authority*, art. cit., p. 79 et de manière générale, E C K W,
«Sénatorial self-representation: Developments in the Augustan period », F. MILLAR et E . SEGAL
(dir.), Caesar Augustus - Seven Aspects, Oxford, 1984, p. 129-167.
67. Les monétaires augustéens surpassent même, dans la variété typologique, leurs prédécesseurs répu­
blicains. Le collège composé de P. Petronius Turpilianus, L. Aquillius Florus et M. Durmius, qui
inaugure le monnayage précieux des triumvirs, fait ainsi réaliser plus de quarante variétés de mon­
1
naies, un chiffre sans équivalent (cf. SUTHERLAND, RIC , p. 32). Le bronze reste plus stéréotypé,
comme à la période républicaine (cf. MANNSPERGER, «Münzprägung», art. cit., p. 386). Pour une
interprétation suggestive de la typologie, voir DESNIER, « ob dues servatos», art. cit.
68. Sur les nombreuses allusions sénatoriales sur le monnayage des triumvirs, WALLACE-HADRILL,
«Image and authority », art. cit., p. 78. Je n'entre pas dans la question complexe de l'éventuel par­
tage des responsabilités de la frappe entre le Sénat et le Prince en fonction du métal utilisé. Voir sur
ces questions, avec la bibliographie précédente, WOLTERS, Nummi signati, op. cit., p. 115-144.
69. Wallace-Hadrill a bien mis en évidence cette tendance irréversible à l'anonymat (Image and
Authority, art. cit., p. 78-9).
70. Voir par exemple RIC'207 (fig. 9). Sur ces questions, cf. FULLERTON M., «The Domus Augusta in
imperial iconography of 13-12 BC», AJA 89, 1985, 473-483 ; MLASOWSKY Α., «Nomini acfortu­
me Caesarum proximi. Die Sukzessionspropaganda der römischen Kaiser von Augustus bis Nero
im Spiegel der Reichsprägung und der archäologischen Quellen », JDAI111, 1996, p. 249-388,
p. 272-294.
71. Cf. WUXACE-HADRILL, « Image and authority », art. cit., p. 71. César n'était pas allé aussi loin.

159
ARNAUD SUSPÈNE

72
ce qui ne s'était jamais produit , et l'on disposait d'un système complexe
avec des numéraires convertibles), c'était un effet de son charisme aussi bien
que la conséquence des versements importants qu'il consentait à Vaerarium
sur sa fortune personnelle. Au fond, on retrouve un schéma familier : la
consolidation institutionnelle de la position du Prince allait de pair avec
des concessions apparentes aux vieux symboles de la République, réinvestis
d'une charge symbolique nouvelle.
Progressivement, les thèmes centraux du pouvoir impérial s'écartèrent
de la tradition républicaine : les honneurs du Prince eux-mêmes, dont la
73
représentation monétaire avait encore des précédents républicains , furent
moins souvent évoqués et la monnaie devint de plus en plus un lieu d'ex­
pression du discours dynastique. Les monnaies qui annoncent l'avènement
74
de Tibère à partir de 13 ap. J.-C. parachèvent le processus . Maintenir
l'atelier de Rome avait dès lors de moins en moins de sens : au fond il
fallait mieux rapprocher les monnaies de ceux à qui elles devaient être
distribuées et qui étaient aussi les premiers destinataires de leur message
75
idéologique, c'est-à-dire les soldats . La centralisation globale que l'on
7 6
observe en matière monétaire pendant le principat d'Auguste amena le
Prince à ne plus laisser à Rome que des frappes de bronze, qui elles-mêmes
s'interrompirent en 4 av. J.-C, et à confier à l'atelier de Lyon toutes les
frappes en métal précieux.
Il convient donc de distinguer deux moments dans l'œuvre monétaire
77
d'Auguste , une oeuvre qui reste empirique et dont il ne faut pas s'exagérer

72. L'or n'était frappé massivement que depuis César et le bronze avait disparu à Rome depuis Sylla.
Pour le rétablir, Auguste s'était inspiré des tentatives de la période triumvirale, les siennes et celles
de Marc Antoine (cf. AMANDRY M., « La genèse de la réforme monétaire d'Auguste en Occident »,
Cercle d'études numismatiques, Bulletin, 23, 1986, p. 21-34; sur la situation à l'époque triumvirale,
voir BUTTREYT.V., « Halved coins, the Augustan Reform and Horace Odes l.ò», AJA 76, 1972,
31-48). Ce monnayage de bronze était particulièrement spectaculaire: les as et les sextans étaient
rouge vif et les dupondii, sesterces et semisses dorés. Le nouvel éclat de la monnaie romaine était
perceptible à chaque instant pour tous les Romains. Notons également que c'est à cette période
que les triumvirs auro aere argentoflandoferiundo eurent pour la première fois l'occasion de mériter
leur nom. C'est donc d'une certaine façon l'apogée du triumvirat monétaire.
73. ZANKER, Power, op. cit. p. 92.
74. RIC 226 par exemple.
75. KUNISZ Α., Recherches sur le monnayage et la circulation monétaire sous le règne d'Auguste, W
1976, p. 27.
76. SUTHERLAND, The Emperor and the Coinage, op. cit., p. 49.
77. Sur l'implication d'Auguste dans les réformes monétaires, citons KUNISZ, Recherches, op. cit.,
p. 119 : « En ce qui concerne la réforme monétaire, c'est à Auguste et à son entourage le plus proche
qu'en revient principalement l'initiative. Ce n'est pas par hasard que les plus grands changements
dans le monnayage avaient toujours lieu là où Auguste se trouvait à ce moment. On pourrait citer
à l'appui de nombreux exemples. Le long séjour d'Octavien en Orient après sa victoire sur Marc
Antoine, a apporté une abondante émission à'aurei et de deniers dans les ateliers de là-bas ; sa
seconde venue en Asie a amené une notable augmentation des émissions de monnaies impériales
sur ces territoires. Le séjour d'Auguste en Espagne, lors des combats qui y eurent lieu, est à la base
du monnayage impérial en métal précieux qui prit une grande extension dans plusieurs ateliers
espagnols. De même lorsque l'empereur revient d'Orient en 19 av. J.-C, l'atelier romain com­
mença à émettre des pièces d'or et d'argent. Il semble qu'Auguste ait surveillé personnellement
l'organisation de l'atelier impérial de Lyon lorsqu'il visitait la Gaule. »

160
ASPECTS NUMISMATIQUES DE LA R E S P U B L I C A R E S T I T U T A AUGUSTÉENNE

78
la portée ni le caractère systématique : entre 27 et 12 av. J.-C, un temps
de restauration de la monnaie civique, gérée par des magistrats de la Cité,
7 9
renouvelés annuellement, avec des émissions qui semblent modestes ; à
partir de 15 et surtout de 12 av. J.-C, un temps de création d'une nouvelle
monnaie, impériale et centralisée, mais frappée loin de Rome, dans une
province du Prince, selon un rythme qui n est plus annuel mais ponctuel et
qui échappe donc au rythme civique, marqué par la rotation des triumvirs,
pour se modeler sur la vie de l'Empire tout entier.
Peut-être cependant ne faut-il pas forcer l'opposition. La monnaie civi­
que voisinait déjà avec des frappes de type impérial héritées de la période
triumvirale et comprenait de toute façon une référence constante au Prince:
la Res publica restituta en matière monétaire se heurtait aux mêmes limites
que dans le domaine institutionnel. La monnaie de Lyon, d'autre part, est
plutôt la relève que l'antithèse des monnayages républicains, avec qui elle
cohabite toujours dans les trésors, où les monnaies républicaines sont même
les plus nombreuses au moins jusqu'à la période flavienne, ce qui montre
80
bien qu'elles s'échangeaient sans problème dans la circulation courante .
Il se pourrait même que certaines phases du monnayage lyonnais aient été
des tentatives pour réaliser une sorte de synthèse: je pense à l'imposant
monnayage d'or et d'argent à l'effigie de Caius et Lucius réalisé à partir de
2-1 av. J.-C. et jusqu'à une date qu'il est à l'heure actuelle impossible de pré­
81
ciser . En effet, on dispose avec ces monnaies d'un numéraire particulier qui
en rappelle peut-être un autre et sur lequel il n'est pas inutile de revenir.
Les monnaies en l'honneur des Césars relèvent clairement du mon­
nayage impérial : frappées selon toute vraisemblance à Lyon, au cœur d'une
province impériale, et supervisées par le Prince, peut-être via le légat de
Lyonnaise, elles portent au droit le buste d'Auguste, avec une titulature
classique et le titre tout récent de Père de la Patrie (fig. 10). Au revers figu­
rent Caius et Lucius, les héritiers annoncés. La représentation des Césars
en qualité de Princes de la Jeunesse, chargés d'animer la Iuventus de Γ Vrbs,
relève d'une incontestable volonté d'identification avec un autre couple fra­
ternel d'ascendance divine, qui a souvent été relevée : les Dioscures, figures

78. Voir les mises en garde de WUXACE-HADRILL, « Image and authority », art. cit., p. 70 ; GIARD, BNC,
p. 9 ; MANNSPERGER, «Münzprägung», art. cit., p. 391.
79. Les émissions portant le nom des monétaires jouaient un rôle bien moindre dans la circulation
monétaire que les monnaies émises à Lyon à partir de 2 av. J.-C. : ils n'apparaissent qu'en très petites
quantités dans les trésors, y compris en Italie (cf. KUNISZ, Recherches, op. cit., p. 105).
80. Sur la nature des numéraires en circulation en Occident à l'époque julio-claudienne, voir
AMANDRY M. et AUBIN G., «Le trésor d'aurei augustéens de la Gaumont/Saint-Martin à Angers
(Maine-et-Loire)», 1991, Trésors Monétaires XX, 2001-2002, p. 43-56; ESTIOT S. et AYMAR L,
«Le trésor de Meussia (Jura) : 399 monnaies d'argent et d'or d'époques républicaine et julio-
claudienne», Trésors Monétaires XX, 2001-2002, p. 69-160.
81. Les dates couramment proposées pour ce monnayage varient entre 2-1 av. J.-C. pour l'inter­
valle le plus court (interprétation qui repose sur le consulat désigné des Césars), et 2 av. J.-G-
14 av. J.-C. pour les arcs les plus larges. Sur la nécessité de travaux complémentaires sur ce mon­
nayage, voir les remarques d'AMANDRY, «Trésor», art. cit. (avec la bibliographie antérieure), et
l'article récent de WOLTERS R., « Gaius und Lucius Caesar als designierte Konsuln und principes
2
iuventutis. Die lex Valeria Cornelia und RIC l 205 ff», Chiron 32, 2002, p. 297-323.

161
ARNAUD SUSPÈNE

82
tutélaires de l'aristocratie équestre . La monarchie augustéenne est pré­
sente sur ces monnaies jusque dans son arrangement dynastique. Pourtant,
l'allure générale des monnaies renvoie également à des modèles civiques.
On y repère tout d'abord des éléments traditionnels faisant allusion à
la citoyenneté romaine (la toge), aux magistratures (le consulat désigné) et
aux prêtrises (les emblèmes de l'augurât et du pontificat). D'autre part, les
armes dont sont affublés les Princes de la Jeunesse sont les armes d'honneur,
83
lance et bouclier d'argent, dont les sénateurs leur ont fait l'hommage .
Mais surtout l'iconographie des Césars en Dioscures me semble renvoyer à
des modèles numismatiques familiers aux Romains.
De fait, une monnaie de la fin de la République montre les Dioscures
84
dans une attitude qui annonce celle des Césars (fig. 11) . Mais c'est sur­
tout à une autre série de monnaies que le type des monnaies aux Césars
fait penser : entre la seconde guerre punique et le milieu du deuxième
siècle av. J.-C, les deniers républicains portaient le type immuable de Castor
et Pollux armés d'une lance et chargeant un ennemi invisible (fig. 12). Ces
monnaies ont circulé abondamment dans le bassin méditerranéen et on les
trouve encore en nombre significatif dans les trésors d'époque impériale:
85
cela suffit à prouver qu'elles n'étaient pas oubliées et leur prestige devait
être considérable.

82. Pour les contributions les plus récentes, voir SAURON G., Histoire végétalisée, op. cit, p. 65-
80; SPANNAGEL M., Exemplaria principis. Untersuchungen zur Entstehung und Ausstattung d
Augustusforums, Heidelberg, 1999, p. 28-34 et surtout LA ROCCA E., «Memore di Castore:
Principi come Dioscuri », Castores. L'immagine dei Dioscuri a Roma, a cura di L. Nista, Rome,
1994, p. 73-90. Sur le choix d'un système à deux héritiers, dont la théorisation la plus poussée
reste le «Doppelnachfolge» de E. Kornemann, voir le bilan critique de H U R L E T Fr., Les Collègues
du prince sous Auguste et Tibère. De la légalité républicaine à la légitimité dynastique, Rome, 199
p. 374-380. Notons que d'autres couples fraternelsfigurentsur le monnayage républicain, qui
ont pu servir d'inspiration complémentaire : Romulus et Rémus naturellement, sur les premiers
didrachmes à caractère nettement romain (RRC 20), puis à nouveau de manière sporadique
(RRC2S7) ou encore les frères de Catane, modèle de piétéfiliale(RRC 511/3a). À la période
augustéenne elle-même, Tibère et Drususfigurenttrès probablement sur les premières monnaies
de l'atelier de Lyon (RIC 164-165). Il est donc aussi envisageable qu'Auguste et les Césars aient
souhaité oblitérer le souvenir de ce premier couple fraternel du Principat, désormais importun. Sur
la rivalité entre claudiens et juliens et l'utilisation du culte des Dioscures par les deux partis, voir
POULSEN B., « Ideologia, Mito e Culto dei Castori a Roma: dall'età repubblicana al tardo-antico»,
Castores. L'immagine dei Dioscuri a Roma, a cura di L. Nista, Rome, 1994, p. 91-100 et SUSPÈNE Α
«Tiberius Claudianus contre Agrippa Postumus: autour de la dédicace du temple des Castors»,
RPh 75.1, 2001, p. 99-124. Le destin tragique de Caius et Lucius enfin contribuait à renforcer
l'assimilation : les deux frères semblaient refuser d'être séparés par la mort (sur les particularités
de leur statut posthume, voir H U R L E T Fr., «Le statut posthume de Caius et de Lucius César»,
M. CHRISTOL, D. DARDE [dir.], L'expression du pouvoir au début de l'Empire. Autour de la Maiso
Carrée à Nîmes. Actes du Colloque de Nîmes du 20-22 octobre 2005, Paris, 2009, p. 75-82).
83. Grâce à cet équipement martial, les Césars reprennent à leur compte les promesses de victoire (voir
également l'émission RIC 198-9 en faveur de Caius César seul datée de 8 av. J.-C.), mais ils
sont aussi sensiblement plus pacifiques: ils sont en toge et ne chargent pas. Ils traduisent bien la
promesse augustéenne : une continuité dans la suprématie militaire, mais aussi un âge de paix et
d'épanouissement civique.
84. RRC 515/2. On notera que cette émission comprenait aussi des aurei portant au droit les têtes
accolées des Dioscures. Ce bimétallisme est encore un point commun avec lesfrappesen l'honneur
de Caius et Lucius.
85. On ne cessa jamais de frapper à l'image des Dioscures pendant la période républicaine, y compris
après la diversification typologique de lafindu deuxième siècle (voir le bilan détaillé de VALIMAA J.,
«I Dioscuri nei tipi monetali della Roma repubblicana», STEINBY E. M. (dir.), Lacus Iuturnae I,

162
ASPECTS NUMISMATIQUES DE LA R E S P U B L I C A R E S T I T U T A AUGUSTÉENNE

Je me demande si ce monnayage massif en l'honneur des Césars qui


ouvrait la voie à un monnayage global, techniquement plus avancé que
les monnayages antérieurs parce que réalisé à la fois en or et en argent et
selon une nouvelle échelle (comme l'atteste la présence massive de ces mon­
naies dans les trésors contemporains), et valable au moins pour l'Occident
(la répartition de ces monnaies au moins en Gaule et en Italie se fait de
façon très harmonieuse, alors que des émissions lyonnaises antérieures se
86
trouvent plutôt en Germanie ou plutôt en Aquitaine) , n'avait pas aussi
pour objectif, par sa typologie, de compenser la disparition de la monnaie
civique. Le destin cruel des Césars a conduit le Prince à infléchir son pro­
jet, en acceptant à la fin de son principat des types en l'honneur de Tibère,
mais cela ne doit pas conduire à sous-estimer son intention initiale. On
peut probablement parler d'une tentative de refondation de la monnaie
romaine, qui tout en comprenant d'importantes innovations techniques et
idéologiques renoue avec des influences très anciennes du monnayage répu­
blicain. L'effort particulier en matière monétaire qui caractérise le tournant
du millénaire constitue bien un aspect méconnu de l'œuvre d'Auguste.
Le Prince semble donc avoir porté un grand intérêt aux questions moné­
taires. Le plus intéressant est qu'il se soit soucié non seulement de la fonc­
tion économique de la monnaie romaine, ce qui allait de soi, mais égale­
ment des aspects symboliques de l'institution : la monnaie elle aussi a servi
87
à donner du corps au « mythe » de la restauration de la Res publica, en
88
l'illustrant bien sûr, mais aussi de manière plus directe . On a pu consta­
ter que la rénovation conservatrice de la monnaie avait été conduite avec
détermination entre 23 et 15 av. J.-C. De plus, lorsque la monnaie de
Rome a progressivement laissé la place à une monnaie d'Empire, celle-ci
ne rompit pas non plus avec les phases antérieures du monnayage romain,
dont certaines firent au contraire un surprenant retour.

Rome, 1989, p. 110-126). D'autre part, l'iconographie des Dioscures faisait partie du répertoire
figuratif familier à tout citoyen romain, les monnaies n'étant qu'un support parmi d'autres.
86. L'importance de la typologie pour les usagers des monnaies antiques a souvent été mise en dou­
te (voir le point sur ce débat dans LEVICK, « Messages, art. cit. », avec la bibliographie). Mais il est
évident que les Anciens accordaient toute l'attention nécessaire au métal dans lequel était frappée
la monnaie! Auguste et les Césars devaient être liés dans l'esprit des Romains à un monnayage
de masse en or et en argent, de bonne facture globalement: ce monnayage d'or et d'argent avait
sans nul doute un aspect plus brillant que le vieux monnayage républicain, frappé entièrement en
argent et en bronze. Le contraste entre les espèces de la vieille république, très usées mais toujours
présentes dans l'usage quotidien, et qui attirait même parfois une sorte de curiosité erudite et
superstitieuse (cf. O V I D E , Fast. I, 227-246), et les monnaies aux Césars devait produire un effet
puissant.
87. Mackie parle d'un «mythe», c'est-à-dire non pas une illusion, comme le voulait Judge, mais un récit
structurant qui s'apparente à un fait et repose en partie sur des faits (MACKIE N.K., «Res Publica
Restituta: a Roman myth», C. DEROUX (dir.), Studies in Latin Literature and Roman History, 4
Bruxelles, 1986, p. 302-340).
88. Il n est pas exclu que le Prince ait également mis en valeur le temple de Junon Moneta et l'atelier
monétaire qui en dépendait (voir par exemple l'article deTucci PL., «The «Tabularium» and the
temple of Juno Moneta »,JRA 18, 2005, p. 6-33). Il convient cependant de rester très prudent sur
l'utilisation de l'atelier lui-même comme lieu symbolique: cf. BURNETT Α., «The invisibility of
Roman Imperial Mints », / Luoghi della moneta. Le sedi delle zecche dall'antichità all'età modern
Atti del Convegno Internazionale, Milano 22-23 ottobre 1999, Milan, 2001, p. 41-48.

163
ARNAUD SUSPÈNE

La monnaie de Rome était bien un monument de la République et


Auguste Ta traitée comme telle: il Ta rénovée et y a apposé sa marque. À la
fin de son principat, la monnaie avait évolué et s'était considérablement écar­
tée de sa forme républicaine, mais sans complètement abolir une continuité
que la circulation monétaire et certaines reprises et citations se chargeaient
de souligner. Cet aspect particulier de l'œuvre d'Auguste n'avait pas échappé
à ses contemporains : on trouve dans les Fastes d'Ovide deux mentions qui
89
font écho à la transformation de la monnaie romaine . C'est un indice
supplémentaire de l'ampleur de la restauration augustéenne, que l'on aurait
décidément tort de ramener à une simple question de droit public.

Figure 2.

89. O V I D E , Fastes, I, 221-223; 227-246. Les écrits historiques, pour des raisons de genre littéraire,
sont plus discrets sur les questions de cet ordre, qui ne correspondent pas à l'idée que les Anciens
se faisaient de l'écriture de l'histoire. Le témoignage d'Ovide doit donc être considéré comme
particulièrement significatif.

164
ASPECTS NUMISMATIQUES DE LA R E S P U B L I C A R E S T I T U T A AUGUSTÉENNE

Figure

Figure 6.

165
ARNAUD SUSPÈNE

Figure 10.

166
ASPECTS NUMISMATIQUES DE LAKES PUBLICA RESTITUTA AUGUSTÉENNE

Figure 12.

Échelles variées.

167
Les limites d'un compromis historique :
de la domus vitruvienne
à la maison augustéenne du Palatin

Pierre GROS

Il peut sembler vain ou présomptueux de reprendre l'examen du


domaine augustéen du Palatin après les nombreuses études de topogra­
phie, d'architecture et d'iconographie qui en ont, au cours de ces dernières
décennies, analysé les composantes, en se donnant pour tâche principale
1
d'en dégager la portée idéologique . Certes, plusieurs questions restent
ouvertes, et non des moindres, comme celles de la localisation, de l'ex­
2
tension et de l'ordonnance du Portique des Danaïdes , de la situation du
Tetrastylum, de la nature de l'édifice de plan cruciforme que la Forma Urbis
5
sévérienne place au centre de l'area Apollinis , ou encore de la façon dont
4
le culte de Vesta s'y est matérialisé . Notre propos n'est pas de rouvrir
ces débats, au demeurant passionnants, mais plutôt d'essayer, à la lumière
des investigations qui se poursuivent actuellement sur le site, d'essayer de
repérer, à chacune des étapes de l'élaboration du complexe, les différents

1. Pour nous en tenir aux études les plus importantes de ces dernières années, citons SAURON G., Quis
deum ? L'expression plastique des idéologies politiques et religieuses à Rome à hfindelà Répub
au début du Principat, BEFAR 285, Rome, 1994,p. 577-592; IACOPI I., article Domus : Augustus
(Paktium), dans Lexicum topographicum Urbis Romae, II, 1995, p. 46-48; ROYO M., Domus imp
ratoriae. Topographie, formation et imaginaire des palais impérìaux du Palatin, BEFAR 303, R
1999, p. 119-172 ; MAR R., El Palati. La formacio dehpalaus imperiales a Roma, Tarragone, 2005
p. 76-104 ; GROS P., L'Architecture romaine du début du IHème s. av. J.-C. à lafindu Haut-Empi
e
2, Maisons, palais, villas et tombeaux, 2 éd., Paris, 2006, p. 233-240.
2. Voir par exemple sur la localisation et l'aspect de ce portique, outre les études citées ci-des­
sus, STRAZZULA M . J., // Principato di Augusto. Mito e propaganda nelle lastre campane del te
pio di Apollo Palatino, Rome, 1990; BALENSIEFEN L., «Überlegungen zu Aufbau und Lage der
Danaidenhalle auf dem Palatin», RM 102, 1995, p. 189-209; PENSABENE P., «Elementi architet­
tonici della casa di Augusto sul Palatino», RM 104, 1997, p. 149-172; MAR R., op. cit., p. 84-95 ;
Q u E N E M O E N C.K., «The Portico of the Danaids: A new Reconstruction», AJA 110, 2006,
p. 229-250.
3. Pour un état de ces questions, voir notre article Apollo Palatinus du Lexicon topographicum Urbis
Romae,l, 1993, p. 54-57.
4. La meilleure synthèse sur cette difficile question, qui a donné lieu naguère à des controverses
passionnées, est celle de CECAMORE Cl., Palatium. Topografia storica del Palatino tra III sec. A. C.
I sec. D. C, Rome, 2002, p. 155-159. Sur la portée idéologique de l'intégration du temple de Vesta,
FRASCHETTI A, Roma e il Principe, Rome, Bari, 1990, p. 342-360.

169
PIERRE GROS

genres d'habitats pour lesquels Octave et ses architectes ont opté entre
42 et 28 av. J.-C, afin de mieux cerner, en suivant les phases d'une opé­
ration qui fut rapide en termes de chronologie, mais singulièrement syn­
copée dans sa progression, l'évolution de l'idée que le Princeps s'est faite
de sa propre résidence au cours d'une période cruciale, et la façon dont,
finalement, mais non sans remords ni hésitations, il a fini par élaborer un
véritable ensemble palatial. Cet essai de déchiffrement, à partir des éléments
dont nous disposons aujourd'hui, est de ceux qui, croyons-nous, peuvent
restituer sous sa forme la plus concrète le cheminement d'un projet poli­
tique dont l'inscription sur le terrain, compte tenu de la puissance sym­
bolique des lieux investis et des formes retenues, constitue une illustration
5
assez claire . Et dans cette démarche, nous disposerons d'un témoignage
dont l'importance a souvent été oubliée, celle des notices du livre VI du
De Architectures sur la maison des responsables politiques, dont l'actualité,
comme celle de plusieurs autres passages du traité, n'a pas été toujours
6
appréciée à sa juste valeur . Sans aller, comme le suggère Sh. Haies, jus­
qu'à établir d'étroites correspondances entre la domus sénatoriale, telle que
la conçoit le théoricien, et la « description » de la demeure du Palatin par
Suétone, on ne peut qu'être frappé par certaines similitudes qui ne sont
7
assurément pas le fait du hasard . En d'autres termes, nous allons tenter,
sans méconnaître les difficultés inhérentes à l'état des sources et des vestiges,
une lecture typologique des maisons successives d'Auguste.
On connaît par les textes les étapes de l'implantation d'Octave, et un
article de Mireille Corbier a restitué avec précision les conditions dans
lesquelles la première domus, celle de Q. Hortensius, fils aîné et héritier de
l'orateur, mort à la bataille de Philippes dans l'armée des Césaricides, a été
8 9
confisquée en 42 . C'est encore une maison modeste au dire de Suétone ,
mais elle présente pour le futur Auguste l'avantage insigne, Dion Cassius
ne s'y trompe pas, de se trouver à proximité de l'endroit où la tradition
10
situe la casa Romuli . Peu de temps après, en 36, au retour de la campagne
victorieuse de Sicile, plusieurs autres demeures sont acquises par l'intermé-

5. Les modalités et les étapes du cheminement du Princeps dans l'élaboration d'un nouveau régime
et les ambiguïtés de la « restitution » de la légalité républicaine ont encore fait récemment l'objet
d'études inégales qui témoignent des difficultés d'une approche purement politique. Voir
SPIELVOGEL J., Res publica reperta. Zur Verfassung und Gesellschaft der römischen Republik und de
frühen Prinzipats, Festschrift fur Jochen Bleichen zum 75. Geburtstag, Stuttgart, 2002 et SCHÄFE
Th., Augustus und die Begründung des römischen Kaisertums, Berlin, 2002.
6. Sur VITRUVE, VI, 5, 2 nous disposons maintenant des excellentes éditions commentées de
CORSO Α., dans Vitruvio. De Architettura, II (a cura di GROS P.), Turin, 1997, p. 844 et p. 947-951
et de CALLEBAT L., Vitruve. De VArchitecture livre VI, Paris, CUF, 2004, p. 21 et p. 179-185.
7. HALES Sh., The Roman House and Social Identity, Cambridge, 2003, p. 28.
8. CORBIER M., « De la maison d'Hortensius à la curia sur le Palatin», MEFRA 104, 1992, p. 871-
916. Voir aussi maintenant GUILHEMBET J.-P., «Acquérir, louer ou négocier des biens immobiliers
de prestige à Rome à lafinde la République et aux premiers siècles de l'Empire», Cahiers de la
Maison de la recherche en Sciences humaines, Caen, 46, 2006, p. 100-101.
9. SUÉTONE, Aug., 72, 1. Les termes employés par cet auteur sont intéressants en ce qu'ils tendent à
évoquer une demeure dépourvue des caractéristiques essentielles de la belle domus selon Vitruve,
à savoir l'espace (laxitas) et les grands portiques (porticus breves).
10. DION, XLIX, 15, 5. Voir aussi VARRON, De lingua latina, V, 54, 1 et PLUTARQUE, Rom., 20, 4.

170
L E S L I M I T E S D'UN C O M P R O M I S H I S T O R I Q U E .

diaire de mandataires, qui agrandissent notablement l'espace disponible ;


au nombre de celles-ci se trouve la luxueuse maison de A. Lutatius Catulus,
11
voisine des scalae Caci . Ainsi se constitue un véritable quartier augustéen
12
que Suétone désignera d'une façon significative comme la domuspahtina .
Là-dessus, un coup de foudre opportun permet à Octave de revendiquer, au
cœur de la Roma Quadrata, une place pour Apollon, auquel il aurait, selon
Velleius Paterculus, promis de consacrer un temple au moment de la bataille
13 14
de Nauloque . On sait que l'édifice ne sera dédié que le 9 octobre 28 . Et
de fait c'est seulement après Actium que le projet définitif se réalise, pour
2
déboucher sur un chantier de près de 12 000 m . Tout cela est bien connu.
Mais ce qui nous a paru digne de considération, c'est le contraste qui s'éta­
blit, pour peu qu'on suive dans leur détail les modalités de l'occupation du
terrain, entre, d'une part, la volonté, qui s'affirme dès le début d'investir les
lieux les plus chargés d'histoire liés à la légende romuléenne et même aux
souvenirs de la primitive occupation arcadienne, et d'autre part l'apparent
bricolage qui a présidé à la réalisation de l'ensemble.
Contrairement en effet à ce qui a parfois été affirmé, le domaine augus­
téen ne s'est pas constitué d'une façon linéaire, par accumulation progressive
d'éléments complémentaires, prévus dans une vision globale dont la mise
en place n'aurait été différée que par la difficulté de conquérir les espaces
nécessaires sur un terrain encore encombré par un habitat très dense. I l s'est
formé selon une procédure dont la cohérence nous échappe, puisqu'elle a
consisté à détruire, à mesure qu'elles se construisaient, des structures qui à
chaque étape, semblent avoir voulu se suffire à elles-mêmes. Il est ainsi pos­
sible de mesurer l'amplification progressive des ambitions du futur Auguste
dans le domaine résidentiel, et le moins qu'on puisse dire est qu'elles se sont
en quelques décennies radicalement modifiées.
La publication des dernières recherches conduites sur le site par I . Iacopi
et G. Tedone permet, avec d'inévitables incertitudes rémanentes, de res­
15
tituer les grandes lignes de cette démarche un peu étrange . Les acquis
essentiels de leurs travaux ont consisté à établir que les énormes remblais
qui ont ennoyé la terrasse inférieure ne résultaient pas d'une restructuration
complète due à Domitien, mais dataient de la troisième phase de l'amé­
nagement augustéen, et d'autre part à établir que les bibliothèques latine
et grecque que les textes mettent en relation avec le temple d'Apollon ne
devaient pas être restituées sous la forme de deux salles jumelles et adjacen­
tes, mais plutôt, selon toute probabilité, sous celle d'un seul local, dont le
plan et l'organisation internes restent lisibles sous les constructions de la fin
ER
du I siècle ap. J.-C. Il y a là des observations qui bouleversent la vision que
nous avions jusqu'ici de la formation de la domus du Princeps.

11. VELLEIUS PATERCULUS, I I , 81.


12. SUÉTONE, Aug., 29,4; 57,4.
13. VELLEIUS PATERCULUS, I I , 81, 3. SUÉTONE, Aug., 29,4; D I O N , X L I X , 15, 5.
14. DION, LUI, 1,3. Fasti ArvaL, Amit., Ant. Min., CIL I , p. 214, 245, 249.
2

15. IACOPI I., TEDONE G., « Bibliotheca et Porticus ad Apollinis », RM 112, 2005-2006, p. 351-378.

171
PIERRE GROS

Dans un premier temps, la maison d'Hortensius récupérée par Octave


s ordonna autour d'un petit péristyle, qui n'occupait que la partie occiden­
16
tale du futur complexe (fig. 1 ) . Ce qui en a été retrouvé sur sa limite
s'avère bien modeste, puisqu'il s'agit d'un portique composé de colonnes
de tuf pourvues selon toute vraisemblance d'un entablement de bois, der­
rière lequel s'ouvrait un œcus tétrastyle, dont la capacité d'accueil, si l'on en
excepte le vestibule, se révèle inférieure à celui de la maison des Noces d'Ar­
gent de Pompei. Le « studiolo » qui le flanquait à l'est s'ouvrait au niveau
supérieur et il était longé à l'ouest par la trop célèbre « rampe» qui mettait
la terrasse inférieure de la maison en relation avec la terrasse du dessus, mais
non pas, comme on s'est plu à le répéter, avec le temple d'Apollon, lequel
n'était même pas projeté à l'époque. Des vestiges de pavements de mosaïque
ont été observés dans l'angle sud-est du péristyle, qui donnent à penser que
d'autres pièces de réception ou d'habitation complétaient l'aménagement;
on peut d'autre part sans grand risque d'erreur restituer l'angle sud-ouest
du quadriportique bien que toute trace en ait été abolie. Cette partie de la
première domus s'apparente donc, sans faste particulier et sur une superficie
relativement restreinte, aux schémas pompéiens de la fin de la République.
Dans les villes du Vésuve, les belles demeures sont du reste, pour la même
période, nettement plus élaborées, du moins dans le secteur le plus recher­
ché de l'habitation, celui du jardin-péristyle, puisqu'on y rencontre plus
souvent la version développée du salon tétrastyle, Y œcus corinthien, dont
la colonnade interne peut comporter dix supports, comme à la maison du
17
Labyrinthe, voire douze comme dans celle du Méléagre . Ostensiblement,
Octave semble avoir voulu se garder, à ce stade, des raffinements des nou­
veaux riches, et s'il retient tout de même, parmi les pièces de réception,
le type à la mode de Y œcus dont Vitruve nous donne la description et la
18
nomenclature , rendant compte pour une fois de la situation contempo­
19
raine de celle où sont compilées les fiches de son traité , il reste plutôt
modéré dans ses choix, à moins qu'il n'ait cherché la singularité, le salon
tétrastyle relevant d'un parti peu usité, ou du moins peu représenté dans
les domus de cette période. I l n'est pas sans intérêt de noter que les phases
tardo-républicaines des demeures du versant du Palatin vers le Forum, c'est-
à-dire en principe des quartiers les plus recherchés par l'aristocratie, explo­
rées par l'équipe de Andrea Carandini, n'ont livré aucune trace de ce genre
20
de salle de réception . On notera néanmoins que peu d'efforts ont été faits
dans ces premiers aménagements du site pour le compte d'Octave pour

16. Ibid., pl. 6, p. 368-369.


e
17. Sur les oeci vitruviens dan les domus de Pompei, voir notre Architecture romaine, 2, 2 éd., Paris,
2006, p. 60-67. Sur la rareté de Y œcus tétrastyle dans les maisons des villes du Vésuve, PESANDO F,
« Domus ». Edilizia privata e società pompeianafraIII e I secolo a. C., Rome, 1997, p. 68.
18. VITRUVE,VI,3,8-10.
19. Voir sur ce point COARELLI E, «La casa dell'aristocrazia romana secondo Vitruvio», Munus non
ingratum, Suppl. 2 au BABesch, 1989, p. 178-187.
20. PAPI E., dans CARANDINI A. et PAPI E., Palatium e sacra via II. L'età tardo-repubblicana e la prim
età imperiale, Bollettino di Archeologia, 59-60, Rome, 1999, p. 199-224.

172
L E S L I M I T E S D'UN C O M P R O M I S H I S T O R I Q U E . . .

Figure 1. - Le péristyle initial du complexe augustéen, d'après I. Iacopi et G. Tedone.

accroître la cohérence de la composition, puisque la vasque quadrangulaire


qui anime la partie dégagée du péristyle n a jamais été alignée sur Taxe de
ïœcusy bien qu elle ait subi au moins une modification : pour des raisons que

173
PIERRE GROS

nous ignorons, sans cloute liées aux contraintes d'une installation antérieure
21
au changement de propriétaire, elle reste décalée vers le nord-est .
L'acquisition, en 36, des habitations limitrophes eut pour conséquence
immédiate l'extension de ces modicae aedes Hortensianae, puisqu'un second
péristyle, symétrique du premier, fut édifié à l'est de celui-ci. Cette recher­
che d'un amplum laxamentum, première exigence de l'exhibition sociale,
qui devait aboutir au doublement de la surface antérieurement construite,
et satisfaire, chez le futur Princeps, cet attrait pour lapukhritudo iungendisi
répandu dans la classe dirigeante de cette fin de la République, impliquait
une refonte complète des installations antérieures : les anciens portiques de
la cour occidentale furent en effet reconstruits en travertin et munis d'archi­
traves de tuf, sur le modèle de ceux qui furent alors mis en place autour de la
cour orientale, communément désignée, à tort dans cette deuxième phase,
comme le «cortile delle biblioteche» (fig. 2). Pour assurer la cohérence de
ces deux unités contiguës une galerie couverte en voûte régnait sur leur face
sud-ouest, vers la vallée, sur laquelle fut percée une grande entrée, imposant
corridor situé entre les péristyles, dont la présence eut pour résultat d'inter­
rompre et probablement de rendre définitivement impraticable la rampe
22
transversale ci-dessus désignée, voisine du salon tétrastyle . Cette ordon­
23
nance relativement ambitieuse , assortie d'une tentative d'unification des
structures au moyen d'un accès axial, ne devait jamais être conduite à son
terme, et la plupart des pièces qui auraient dû s'ouvrir derrière les portiques,
anciens ou nouveaux, ne furent pas achevées. Un tel changement de parti,
après les efforts déjà considérables pour doter la domus de ce luxe des deux
peristylia, et des commodités qu'il offrait en principe pour la modulation
des activités d'accueil et de représentation témoigne du fait, à nos yeux
capital pour la compréhension des comportements augustéens, que le vain­
queur de Nauloque est désormais convaincu du fait qu'il n'a rien à attendre
24
d'une vaine rivalité avec les riches propriétaires du Palatin ou d'ailleurs ,
et que sa résidence devrait se signaler par d'autres éléments, sans rapport
direct avec les poncifs de la belle demeure patricienne, et d'abord par une
confusion savamment entretenue entre espaces privés et lieux publics, entre
aires profanes et aires sacrées, selon le programme défini en termes généraux
dès 36, qui promettait de réserver sa maison et ses dépendances publicis
25
usibus . Si l'on s'arrête toutefois un instant sur ce projet non abouti,
quelques observations s'imposent, qui donnent une idée de la pression des
modèles dominants, et plus encore des innovations qui, sur la colline du
ER
Palatin, se multiplient dans la seconde moitié du I siècle av. J.-C. : les

21. IACOPI L, TEDONE G., «Bibliotheca et Porticus ad Apollinis», art. cit., p. 363 etfig.5 p. 365.
22. Ibid., pl. 7, p. 372-373.
23. Cette démarche correspond à la procédure normale d'extension de la domus patricienne, souvent
vérifiée dans les maisons pompéiennes, par l'acquisition de propriétés adjacentes et l'ouverture de
péristyles supplémentaires (Vitruve, VI, 5, 2: peristylia amplissima).
24. IACOPI L, T E D O N E G., « Bibliotheca et Porticus ad Apollinis », art. cit., p. 367-375.
25. VELLEIUS PATERCULUS, II, 81, 3 : publicis se usibus destinareprofessus est. Voir aussi DION, LIV, 27,
3 et LV, 12, 5.

174
L E S U M I T E S D'UN C O M P R O M I S H I S T O R I Q U E . . .

Xu^i.ML i

Figure 2. - L'élargissement du domaine augustéen à partir de 36 av. J.-C.,


d'après I. Iacopi et G. Tedone.

exemples ne manquent pas à Pompei des maisons qui à la suite de l'inté­


gration des parcelles adjacentes se dotent de nouveaux péristyles, et cela
déjà à date haute. F. Pesando a pu montrer que l'expansion de la maison
du Cithariste, généralement attribuée aux années postérieures au séisme
de 62 ap. J.-C, remontait en réalité à l'époque syllanienne; dès lors cette
singulière demeure disposera de trois cours à portiques disposées en bat­
terie, si l'on peut dire, ce qui lui confère un caractère exceptionnel, mais

175
PIERRE GROS

er
nombreux sont les cas où Ton observe, tout au long du I siècle av. J.-C, la
duplication des péristyles par la monumentalisation de Xhortus ou Tachât
26
de propriétés voisines . Mais, comme Ta récemment souligné E. Papi dans
la publication du quartier qui entre Palatin et Velia domine la via Sacra,
les transformations qui affectent les résidences de ce secteur au cours des
dernières décennies républicaines sont pour la plupart dictées par la mise en
oeuvre de solutions inédites dans la disposition des pièces et leur utilisation:
les disponibilités financières des propriétaires, leurs goûts et leur culture, la
recherche effrénée de l'inédit ou au contraire l'affectation d'un traditiona­
lisme archaïsant contribuent à la création d'unités où l'on éprouve beaucoup
27
de peine à retrouver les schémas éprouvés au cours de siècles précédents .
C'est dans ce climat d'émulation où toute une classe politique rivalise d'in­
géniosité sur les lieux les plus emblématiques de Γ Urbs qu'il convient de
replacer les moments successifs de l'aménagement de la maison d'Auguste,
et particulièrement de cette deuxième phase. Evidemment ce qu'il en sub­
siste, puisqu'elle est, nous l'avons dit, seulement ébauchée ne permet pas
des analyses approfondies, mais on peut comprendre qu elle participe, avec
les contraintes spécifiques d'un terrain difficile en raison des dénivellations
qu'il comporte, de la seule constante identifiable dans les autres domus
contemporaines de la colline, à savoir la promotion des péristyles et des jar­
dins portiques au rang d'espaces centraux de la vie domestique et de tous ses
rituels sociaux. Déjà la demeure de Clodius, dans sa phase de plus grande
extension, c'est-à-dire pendant les mois d'exil de Cicéron, avait donné le
ton : le peristylium amplissimum qui sur l'emplacement probable de la domus
de Seius et de la porticus Catuli faisait plus que doubler la superficie de son
habitation initiale, et plus encore Yambulatio qui longeait l'ensemble sur la
pente septentrionale du Palatin, comparable, toutes proportions gardées,
à la galerie sus-mentionnée de la maison d'Auguste, définissaient avec une
redoutable efficacité les objectifs vers lesquels s'orienteraient désormais, avec
28
de multiples variantes, les résidences patriciennes (fig. 3). Certes l'ouver­
ture d'aires de détente ou de promenade dans les demeures urbaines de
cette zone avait toujours été l'un des signes les plus patents de la richesse et
de la puissance du propriétaire: Cicéron parle en 59, c'est-à-dire avant que
sa maison ne soit détruite par Clodius, d'une palaestra, et il ne manquera
pas, au moment de sa reconstruction, après être rentré dans ses droits en
55, de mentionner la promenade arborée qui en fait le charme, célébrant,
l'année suivante avec son frère, l'agrément de ses horti, pourvus d'un pra-
29
tulum . Mais les efforts déployés ensuite pour gagner sur les pentes ou sur
les propriétés adjacentes des aires aplanies où se déploieront des portiques
semblent avoir pris des proportions auparavant inusitées.

26. PESANDO E , op. cit., p. 27-34.


27. loc. cit., supra, n. 20.
PAPI E . ,
28. CICÉRON, De domo sua, 114-115. Voir Rovo M., op. cit., p. 94-100 et MAR R., op. cit., p. 70-75.
29. CICÉRON, Ad Attic, II, 4, 7 ; IV, 10, 2. Ad Quintumfr.III, 4. Voir GRIMAL P., Les jardins romains,
e
3 éd., Paris, 1984, p. 135.

176
L E S L I M I T E S D'UN C O M P R O M I S H I S T O R I Q U E . . .

Figure 3.- La domus Clodii et ses annexes lors de sa plus grande extension,
en 58-57av. J.-C. Plan schématique d'après R. Mar.

La seconde particularité caractéristique des habitations palatines de cette


période est assurément l'utilisation des dénivellations pour l'aménagement
de structures en sous-œuvre, partiellement ou totalement enterrées, réser­
vées le plus souvent aux services ou au logement des esclaves, mais aussi,
dans certains cas, à des balnea où l'on installait volontiers les systèmes de
chauffage les plus perfectionnés. Si l'état dans lequel a été retrouvée cette
deuxième version de la maison d'Octave ne permet pas de postuler la pré­
sence de niveaux souterrains très développés, nous aurons à nous souvenir
de cette utilisation domestique des substructions pour la dernière phase.
Celle-ci revêt d'emblée une forme radicale : soudain les travaux de res­
tructuration et d'agrandissement de la demeure sont interrompus au profit
d'un apport de remblais qui affecte toute la zone, son épaisseur atteignant
sept mètres dans les parties les plus basses. Les données stratigraphiques
récemment observées ne laissent aucun doute sur la période à laquelle
eut lieu cette singulière opération : elle ne peut se situer que sous le règne
d'Auguste. La seule question qui en principe reste ouverte est celle de savoir
si elle doit être mise en relation avec l'incendie de 3 ap. J.-C, dont on sait
30
qu'il affecta cette portion de la colline . Mais l'absence de toute trace d'élé­
ments brûlés dans les niveaux de terrass~ement autorise les fouilleurs à dater
31
ceux-ci des décennies antérieures, peu après Actium . Et de fait la notice
de Suétone qui relate la réfection de la domus palatina après la catastrophe
donne à penser que c'est le programme complet déjà achevé qui dut être
32
reconstruit ou restauré à cette occasion (fig. 4).

30. VALÉRE MAXIME, I , 8, 2. L'incendie affecta aussi le temple de Cybèle.


31. IACOPI L , TEDONE G . , loc. cit., p. 3 7 0 - 3 7 5 .
32. SUÉTONE, Aug., 57, 4 : In restitutionem Palatinae domus incendio absumptae...

177
PIERRE GROS

Figure 4 . - Restitution hypothétique de la partie orientale du complexe augustéen


dans sa dernière phase, d'après I. Iacopi et G. Tedone.

La conséquence la plus tangible de cette troisième phase fut l'élimi­


nation des aménagements privés de la terrasse inférieure et le transfert de
l'ensemble de l'habitation au niveau supérieur, sur l'aire adjacente au temple
d'Apollon, qui désormais constitue la structure dominante du complexe.
Même si des espaces furent préservés en sous-œuvre, dont certains devaient
être accessibles depuis les scalae Caci, ils se trouvèrent déclassés, car réservés,

178
LES UMITES D'UN COMPROMIS HISTORIQUE..

comme dans certaines domus de la colline déjà citées, à des usages subalter­
nes. Dans le même temps, de puissants murs périmétraux dont subsistent
des traces en fondation englobèrent l'essentiel des constructions attribuées
à la «maison de Livie», celui qui longe la plate-forme du temple à l'ouest
de ce dernier marquant la limite entre le secteur public et le secteur privé.
Si l'on ajoute que le même projet comportait la création de la bibliothèque
latine et grecque, dont il semble établi maintenant qu'à la différence de ce
que suggère la Forma Urbis sévérienne, qui donne évidemment l'état domi-
tianique de la zone, elle ne comportait initialement qu'une grande salle à
abside semi-circulaire centrée sur l'axe longitudinal du vaste quadriportique
qui occupe dès lors sans solution de continuité, et à une cote nettement
33
supérieure, la superficie des deux péristyles antérieurs , on obtient une
image d'ensemble sensiblement différente de celle à laquelle nous nous
étions accoutumés.
Cette démonstration bouleversante mais convaincante, due encore une
fois à I . Iacopi et à G. Tedone, et dans le détail de laquelle il n'est pas utile
d'entrer ici, autorise une lecture précise du complexe dans sa version défi­
nitive, et permet d'en proposer une interprétation plus cohérente. Après
les premières implantations, marquées par la volonté de suivre, tout en s'en
démarquant autant que possible, les tendances principales de l'évolution
de la résidence de prestige, telle qu'elle s'affirmait alors dans le voisinage
immédiat du domaine d'Octave, la nouvelle composition rassemble dans
un système d'une rare efficacité, et qui transcende toutes les tentatives
antérieures des imperatores ou des membres de l'oligarchie sénatoriale, les
formes et les messages nécessaires à l'affirmation d'un pouvoir sacralisé.
L'unité constituée par le temple apollinien, la porticus de Suétone et de
34 35
Velleius Paterculus ,l'aurea Phoebiporticus de Properce ou l'enclos sacré
36
(«téménisma») de Dion Cassius et la ou les bibliothèques, selon qu'on
évoque le monument lui-même ou ses deux sections, unité restituée pour
la première fois dans son extension sur la base d'observations archéologi­
ques, peut être dès lors mieux comprise dans son organisation syntaxique.
L'axialité impérieuse du temple par rapport au quadriportique, sur lequel
son escalier frontal empiète en interrompant la galerie nord, traduit sur le
57
terrain la formule de Properce : medium claro surgebat marmore templum .
Cette centralité était encore accentuée par la présence probable, au cœur
même de l'aire libre du péristyle, de l'autel monumental qui faisait partie
intégrante du sanctuaire, si du moins on admet l'hypothèse que j'avais
émise naguère selon laquelle la structure quadrangulaire munie sur deux
de ses faces d'un emmarchement formant escalier dont la Forma Urbis

33. IACOPI L , T E D O N E G., «Bibliotheca et Porticus ad Apollinis», art. cit., p. 352-355 et pl. 3,
p. 360-361.
34. SUÉTONE, Aug., 29,4. VELLEIUS PATERCULUS, I I , 81, 3.
35. PROPERCE, 11,31,1-2.
36. DION, LUI, 1,3.
37. PROPERCE, II, 31,9.

179
PIERRE GROS

nous a conservé l'image sur 1 'area Apollinis n'était autre que cette ara, dont
Properce précise qu'elle était entourée des agmenta Myronis, les fameuses
statues de Myron représentant des bovins, image pétrifiée et sublimée des
38
animaux sacrificiels . La présence d'une structure de ce genre paraît de
toute façon confirmée par les puissantes substructions retrouvées au centre
du téménos, au point de convergence des deux médianes perpendiculaires.
Ce point focal de toute l'ordonnance en exprime la sacralité globale, celle-
ci valant pour la bibliothèque dont l'unicité monumentale et la situation
elle aussi dominante, mais cette fois par rapport à l'axe longitudinal du
péristyle, vient d'être démontrée par les mêmes recherches récentes sur le
terrain.
Cette bibliothèque mérite, dans l'état où elle apparaît aujourd'hui, un
réexamen attentif, et les textes anciens qui la mentionnent en lui attribuant
des fonctions parfois inattendues prennent dans cette perspective un relief
particulier. Conservée seulement en fondation, mais d'une façon suffisam­
ment explicite pour qu'une restitution en soit proposée, cette salle, orien­
tée nord-ouest/sud-est, et parfaitement centrée sur le petit côté oriental du
péristyle, longue de près de 25 m et large de 20 hors tout et de 18 m sur
15 pour l'espace utile interne, présentait des dimensions sensiblement équi­
valentes à celles qui sont attribuées à la curia Iulia. L'aula était semble-t-il
divisée intérieurement en un secteur central dallé d'un opus sedile de mar­
bres colorés et deux secteurs latéraux relativement étroits, probablement
animés par une colonnade qui longeait les murs nord et sud et se retournait
devant l'abside, selon un schéma que l'on pourrait dire pseudo-basilical.
Dans l'abside fut identifiée la sous-base d'un podium puissant, destiné sans
39
doute à supporter une statue . Ces caractères structurels, joints à la posi­
tion de l'édifice, évidemment conçu pour faire partie du même ensemble
que le temple lui-même, rendent plus que probable son identification à
la bibliotheca ad Apollinis, dont D.L. Thompson avait dès 1981 postulé la
40
parenté avec la nouvelle curie césarienne . La connexion entre l'édifice
cultuel et la bibliothèque était du reste suggérée par le caractère elliptique
de la description périégétique de l'Ovide des Tristes, qui passe directement
des candida tempia dei aux lieux « où sont offertes au lecteur les créations
des doctes esprits, tant anciens que modernes», le passage des uns aux autres
41
s'effectuant à travers le Portique des Danaïdes : tout se passe comme si le
voisinage topographique se doublait d'une correspondance fonctionnelle,
les deux monuments s'avérant étroitement complémentaires. La subdivision
entre section latine et section grecque, suggérée par Suétone, mais surtout la

38. GROS P., article Apollo Palatinus, dans Lexicon topographicum Urbis Romae, I, Rome, 1993, p.
PROP., I I , 31, 7-8.
39. IACOPI I. TEDONE G . , « Bibliotheca et Porticus ad Apollinis », art. cit., p. 353 sq.
40. THOMPSON D.L., «The meetings of the Roman Senate on the Palatine», AJA 85,1981, p. 335-339.
Sur cette question, voir maintenant BONNEFOND-COUDRY M., Le Sénat de la République romaine
de la Guerre d'Hannibal à Auguste, BEFAR 273, Rome, 1989, p. 179-182 et PALOMBI D., article
Curia in Palatio, dans Lexicon topographicum Urbis Romae, I, Rome, 1993, p. 334.
41. O V I D E , Tristes, I I I , 1, 59-64.

180
LES UMITES D'UN COMPROMIS HISTORIQUE..

présence d'une statue d'Auguste habitu ac statu Apollinis, selon les commen­
42
taires du Pseudo Acron et de Servius , statue en situation de domination
par rapport à l'espace interne, selon toute vraisemblance donc dans l'abside
sus-mentionnée, comme un véritable simulacrum, c'est du reste le terme

employé dans la Tabula Hebana , confirment, s'il en était besoin, le carac­
tère religieux sinon cultuel de la bibliothèque, qui n'est pas seulement « près
du temple d'Apollon», mais également, et pleinement, «apollinienne» ; la
niche architecturée qui servait d'écrin à cette statue, surmontée d'un fronton,
44
fastigium, confirme la signification de cette mise en scène .
L'ambiguïté entretenue sur la définition de cette curieuse bibliothèque se
retrouve dans les diverses dénominations et fonctions que lui confèrent les
textes antiques. C'est faute d'avoir pris la mesure de sa dimension véritable
que plusieurs auteurs anciens ou récents ont proposé le temple d'Apollon
lui-même comme lieu périodique de réunions du Sénat, sous Auguste ou
les premiers Julio-Claudiens. En fait, inaugurée comme la curia Iulia, cette
bibliotheca, désignée comme une curie par Tacite et comme un templum
par la Tabula Hebana ou la Tabula Siarensis, où du reste elle est présentée
comme une composante intégrée au quadriportique qui constitue le témé-
nos du temple (in porticu(m) quae est ad Apollinis), elle présente toutes les
caractéristiques d'une aedes sive curia, comme l'a bien démontré avec de
nouveaux arguments Mireille Corbier, bien qu'elle fût encore tributaire de
45
l'hypothèse des salles jumelées . Les assemblées sénatoriales convoquées
au Palatin se sont vraisemblablement toutes déroulées, contrairement à ce
que j'ai pu dire moi-même naguère, dans cette curia in Palatio, qui n'était
autre que la bibliothèque, et non pas la «bibliothèque latine». Et de fait on
comprend mieux, en passant en revue les diverses fonctions impliquées dans
ces définitions à la fois larges et précises, que ce type d'édifice aurait perdu
l'essentiel de sa puissance et de sa signification tant fonctionnelle que sym­
bolique s'il avait revêtu l'aspect, qu'on lui reconnaissait jusqu'à présent, de
deux salles accolées, identiques certes, mais pourvues d'entrées différentes :
comment l'une d'elles aurait-elle pu être un templum rituellement inauguré
et pas l'autre? Et inversement comment concevoir l'inauguration de deux
salles contiguës dont l'une seulement aurait contenu l'équivalent d'une
statue cultuelle? La découverte archéologique de l'unicité de la bibliothè­
que du Palatin constitue en ce sens, et ce n'est pas le moindre de ses titres
à la crédibilité, une mise au point et une pleine confirmation des données
textuelles. Nous n'ignorons pas que Dion Cassius évoque des bibliothèques
46
lorsqu'il parle de la dédicace du complexe apollinien , mais outre que ce
pluriel peut s'expliquer par la présence de deux sections à l'intérieur d'un

42. Schol. Hor. Epist. 1, 37, 17; SERVIUS, Georg. 4, 10.


43. NSc 1947, 53, tab. I, 1, 1-4.
44. Sur l'ordonnance et la signification de cette bibliothèque, voir SAURON G., op. cit. p. 75-76.
45. Le dossier textuel et épigraphique a été remarquablement rassemblé et étudié par CORBIER M.,
«De la maison d'Hortensius à la curia», art. cit., p. 893-901.
46. DION, LUI, 1, 3.

181
PIERRE GROS

même édifice, on ne peut exclure le fait que l'image du complexe ait été
pour lui largement informée et donc altérée par celle qu'il avait sous les yeux
e
au début du 111 siècle, et qui remontait, au mieux, à la refonte complète du
temps de Domitien, dont nous savons qu'elle eut entre autres pour résultat
de mettre en place au même endroit, mais pas au même niveau, les deux
47
salles absidées dont la Forma Urbis a conservé le plan .
La charge sémantique supplémentaire de la bibliothèque nous incite
à reconsidérer la partie « publique » de cette résidence augustéenne. On a
souvent insisté, à juste titre, sur ses aspects hellénistico-orientaux en tirant
le meilleur parti du précédent pergaménien, effectivement caractérisé par la
confusion entre les composantes proprement palatiales et les composantes
sacrées à vocation non seulement dynastique mais poliade. La filiation est
indéniable, si l'on considère la sacralisation de la lignée et la protection
divine revendiquée par un pouvoir qui, dans le cas d'Auguste, ne peut
encore s'affirmer comme dynastique mais est déjà implicitement régalien.
Marianne Bonnefond-Coudry a naguère souligné avec raison l'importance
de la notice de Servius qui explique que Latinus, tel qu'il est mis en scène
par Virgile, consulte le Sénat dans sa maison, addomum regis, tout comme il
était, du temps de ses ancêtres, dit le glossateur, c'est-à-dire, de son point de
48
vue, au début de l'Empire, consulté in Palatii atrio . À ce titre, le complexe
augustéen mérite d'être comparé aux « basileia» les plus élaborés, et du reste
la description du palais du vieux roi dans Y Enéide contient, on l'a souvent
49
dit, des allusions assez directes à la domus palatine . Mais il est une autre
conséquence qui se dégage, croyons-nous, de la nouvelle ordonnance du
grand péristyle et de ses annexes cultuelles, culturelles et religieuses, telles
qu'elles se laissent reconstituer désormais.
Il convient ici de revenir à Vitruve, qui donne de la demeure de ceux
qu'il appelle les potentes une description très ambitieuse dont on peine
à retrouver les témoins archéologiques. Plus que la maison de Clodius
au temps éphémère de ses annexions abusives, plus que celle de Scaurus,
dont l'ampleur de Vatrium a été relevée comme exceptionnelle par Filippo
50
Coarelli , celle d'Auguste semble répondre, en première lecture, à la célèbre
notice de De Architectura, V I , 5, 2: si l'on cumule les données du terrain
et celles des textes, on peut en effet y retrouver les péristyles immenses, les
51
parcs (silvae) , les promenades, les bibliothèques et les basiliques d'une

47. RODRIGUEZ ALMEIDA R., Forma Urbis Marmorea. Aggiornamento generale 1980, Rome, 1981,
pl. XIV.
48. S E R V I U S , ^ » . 11, 235. BONNEFOND-COUDRY M., op. cit., p. 181.
49. Voir sur ce point ZANKER R, «Der Apollotempel auf dem Palatin», Città e Architettura nella
Roma imperiale, Rome, 1983, p. 21-40 et notre étude «Les palais hellénistiques et l'architecture
augustéenne : l'exemple du complexe du Palatin », Basileia. Die Palaste der hellenistischen Könige,
Mayence, 1996, p. 234 -239. Dans le même volume, l'article de FÖRTSCH R, « Die Herstellung von
öffendichkeit in der spätrepublikanischen Wohnarchitektur als Rezeption hellenistischer Basileia»,
p. 240-249 élargit le débat aux grandes domus patriciennes.
50. COARELLI F., loc. cit. supra n. 19.
51. GROS P., « Le bois sacré du Palatin : une composante oubliée du sanctuaire augustéen d'Apollon »,
RA, 2003, p. 51-66.

182
L E S L I M I T E S D'UN C O M P R O M I S H I S T O R I Q U E . .

ampleur comparable à celle de véritables édifices publics, présentés par le


théoricien romain comme nécessaires à la dignité de ceux qui exercent la
52
réalité du pouvoir . Et Vitruve d'ajouter, en observateur avisé des prati­
ques de son temps, c'est-à-dire du Triumvirat, que c'est souvent dans ces
résidences somptueuses que se déroulent les délibérations qui intéressent
l'ensemble de la communauté, les publica Consilia. Tout a été dit de ce texte,
et de sa pertinence historique, et les exemples ne manquent pas de décisions
capitales, prises au cours des dernières décennies de la République, dans des
locaux théoriquement privés, même si, encore une fois, il apparaît difficile
de retrouver dans les résidences les plus élaborées de cette période des basi­
53
liques, par exemple, dignes de ce nom . La tentation est grande, et l'on y
a parfois cédé, de prendre comme l'exemple emblématique, ou du moins
comme la résultante institutionnelle de cette personnalisation du pouvoir
dont la domus patricienne garderait le témoignage, le domaine augustéen
dans sa plus grande extension, puisque aussi bien le transfert des instances
de gouvernement y devient, au moins dans certaines circonstances, évident
et officiel. Mais ce serait là, croyons-nous, une erreur d'appréciation. I l
est en effet un élément qui modifie radicalement la situation et interdit
toute continuité plus ou moins artificiellement entretenue avec la tradi­
tion dont Vitruve se fait l'écho, c'est le temple apollinien et son téménos,
qu'on veuille ou non reconnaître dans ce dernier le portique des Danaïdes :
cette adjonction d'un édifice religieux au cœur du système n'a rien à voir
avec l'opération tentée par Clodius et son sanctuaire de la Libertas\ celui-
ci restait aux marges du complexe, et s'il comportait lui aussi un grand
péristyle, des salles de réunion (conclavia) et un monument consacré par
un Grand Pontife complaisant, L. Pinarius Cota, il n'eut pas, au cours de
sa brève existence, le rôle véritablement central accordé par Auguste à son
54
aedesApollinis . I l se trouve, selon une formule inédite, à la fois intégré à
la domus, puisque son propriétaire est censé la partager avec cette divinité,
et bientôt, après la mort de Lèpide, avec Vesta sous une forme qui reste à
définir, et séparé de celle-ci puisque le caractère public du sanctuaire est
55
affirmé dès sa création, même s'il a été construit sur sol privé . Le péristyle
qui apparaît malgré tout comme une dépendance directe de la maison,
au moins pour son secteur nord-ouest, sur lequel donnent directement les
salles d'apparat et les appartements privés, assume dans ces conditions la
fonction de lien et de transition entre ces deux secteurs en principe juridi­
quement différents mais en réalité complètement fusionnels. Ce n'est du

52. Dès son premier livre, Vitruve avait identifié les demeures des « puissants dont la pensée gouverne
l'état» à des édifices publics (I, 2, 9). Mais c'est évidemment le passage déjà cité de VI, 5, 2 qui
contient les éléments les plus clairs de ce point de vue.
53. GROS P., « La basilique dans la maison des notables », Autocélébration des élites locales dans le monde
romain, Clermont-Ferrand, 2003, p. 311-328.
54. CICÉRON, De domo sua, 115-117.
55· Sur la nature juridique du sol où a été construit le temple, SPANNAGEL M., Exemplaria Principis.
Untersuchungen zu Entstehung und Ausstattung des Augustusforums, p. 18, n. 26. Voir D I O
XLLX, 15,5etLIV,27, 3.

183
PIERRE GROS

reste pas un hasard si l'essentiel de l'aménagement de la domus Principis,


en partie établie sur les grands terrassements de la dernière phase, celui de
la maison dite de Livie comme celui des appartements d'Auguste, se situe
après Actium, au cours des années qui voient la construction du temple et
la redéfinition de celui-ci en ex voto de la victoire sur Marc Antoine; les
thèmes des décors picturaux, tels ceux si souvent scrutés du « triclinium »
ou de la «salle des masques», ne se comprennent, comme l'a bien montré
G. Sauron, que si l'on admet qu'ils illustrent, dans un contexte profondément
56
apollinien, l'Age d'Or dont Auguste se présente comme le restaurateur .
La valeur des constructions « publiques » de cette dernière période ne
peut être à vrai dire mesurée que si nous replaçons le sanctuaire dans le jeu
des axes et dans la hiérarchie des espaces suggérés par la nouvelle hypothèse
dont nous venons de rappeler les principaux aspects. Le temple d'Apollon
et le templum-curia-bibliotheca, qui dominent l'un et l'autre le même qua­
driportique, constituent les deux pôles d'un système dont il est possible
d'évaluer la portée politique et idéologique. La bibliothèque n'est plus une
annexe culturelle occasionnellement utilisée comme lieu de réunion du
Sénat, particulièrement, comme cela a été dit à la suite d'une notice de
Dion Cassius, lorsque le Princeps vieillissant répugnait à descendre de sa
57
colline pour rencontrer les patres . Son usage institutionnel ne peut pas
avoir été seulement dicté, comme le voulait par exemple D.L. Thompson,
par «la commodité du site». Elle apparaît maintenant, par sa position et
son poids monumental, comme l'autre centre du pouvoir, sur ce qui est
devenu un véritable forum intégré au domaine du Palatin.
La dyarchie du régime, qui s'exprimait encore sous une forme qui pou­
vait faire illusion dans le vieux Forum républicain remodelé par Auguste,
avec, sur le petit côté oriental, le sanctuaire de César divinisé et la porti­
cus Gai et Luci, qui exaltent la famille sinon directement la personne du
Princeps, et de l'autre côté, la Curie julienne, les Rostra Vetera et XAerarium
du temple de Saturne, qui rassemblent les organes et expriment les valeurs
58
de l'État républicain traditionnel , cette dyarchie au moins théoriquement
préservée n'est plus de mise sur le Palatin : les deux monuments s'équilibrent
autour de la grande Porticus, dont le nom seul sert parfois dans les textes
épigraphiques comme le senatus consultum de Larinum à désigner le lieu
des séances où sont prises les décisions officielles (in Palatio, in porticu quae
59
est ad Apollinis) . Si la prééminence du temple proprement dit s'affirme
justement par son empiétement sur le portique, qu'il interrompt en son
centre, la présence de la bibliothèque, accessible seulement derrière le por­
tique, n'en est pas moins lourde de sens : la vue ménagée à travers son entrée

56. Voir les analyses magistrales de SAURON G., op. cit. p. 577-592.
y

57. D I O N , LVI, 28, 2.


e
58. GROS P., dans Storia dell'urbanistica. Il mondo romano, 2 éd., Rome, 2007, p. 204.
59. Sur ces dénominations, voir H U R L E T Fr., «Les sénateurs dans l'entourage d'Auguste et de Tibère.
Un complément à plusieurs synthèses récentes sur la cour impériale», RPh 2000, 74, 1-2, p. 133
et n. 34.

184
L E S L I M I T E S D'UN C O M P R O M I S H I S T O R I Q U E . .

axiale vers l'autel monumental l'insère dans le complexe sacré, un peu à la


manière dont la basilique de Fano, telle que la concevait Vitruve, disposait
d'un «couloir visuel» vers le temple jovien qui lui faisait face de l'autre
60
côté de la place publique . Et sur ce même axe, au fond de l'exèdre de la
bibliothèque-curie, comme dans 1 aedes Augusti de la basilique vitruvienne,
la statue, apollinienne au sens le plus fort du terme, d'Auguste lui-même
régnait sur l'espace interne, quels qu'en soient les occupants et quelles que
soient les fonctions qui s'y accomplissaient. Entre ces deux divinités tutélai-
res équivalentes, la seconde n'étant que l'hypostase terrestre de la première,
qui se partagent la domination de l'ensemble, il n'y a plus guère de place
pour une autre forme d'exercice de l'autorité, et en ce sens le domaine du
Palatin, tel qu'en lui-même il nous est restitué, peut être déchiffré comme
le contrepoint et, d'une certaine façon, le démenti du retour prétendu à la
légalité républicaine.
Certes, Auguste n'a pas pu, et n'a du reste sans doute jamais prétendu,
circonscrire à cette vaste aire portiquée et à ses deux dépendances l'accom­
plissement de tous les actes du pouvoir, mais la formule architecturale, en
elle-même très démonstrative, qu'il y a fait adopter constitue une remar­
quable anticipation de ce que seront plus tard les forums impériaux, le sien
d'abord et celui de Vespasien, qui, à des titres divers, se révéleront assez
proches du grand péristyle apollinien, et deviendront pour longtemps des
lieux emblématiques de l'expression de la souveraineté. Vitruve, encore lui,
ne s'y est pas trompé : dans la préface de son premier livre, dont l'actua­
lité a été remarquablement mise en évidence par A. Novara, puisque, dit-
elle, « il résonne comme un condensé de la situation et des événements de
l'année 27», le théoricien, dont l'ambition, implicite mais assez claire, est
de faire entrer son ouvrage dans la toute nouvelle Bibliothèque palatine,
trouve les mots justes pour définir la forme de pouvoir dont Auguste peut
désormais se prévaloir dans sa résidence palatiale. L'esprit divin qui est
censé présider aux destinées de l'État (divina tua mens et numen) n'a besoin
que d'un signe de tête (nutus) pour se faire obéir, le peuple et le sénat étant
gouvernés par ses pensées et ses desseins sublimes — Consilia, le mot qui sera
employé par le même auteur au livre V I pour évoquer les délibérations
61
publiques qui se tiennent dans la demeure des puissants .

60. VITRUVE, V, 1, 7.
61. NOVARA Α., Auetor in bibliotheca. Essai sur les textes préfaciels de Vitruve et une philosophie latine
du livre, Louvain, Paris, 2005, p. 52, 138-139 et 162.

185
Du triumvirat au début du principat :
la construction du mythe augustéen

Gilles SAURON

Je ne voudrais ici tenter d'explorer qu'un terrain assez marginal par rap­
port aux problèmes posés par notre rencontre. I l ne s'agira donc nullement
des aspects institutionnels concernant l'évolution du cadre politique du
triumvirat et les transformations du pouvoir augustéen, mais uniquement
d'un des arrière-fonds idéologiques du déploiement de cette révolution
politique. Et, de ce point de vue, on ne peut nier l'évidente volonté de
rupture qui s'est manifestée de la part du princeps et du premier cercle de
ses conseillers.
Ce qui m'intéresse ici, c'est la volonté de tous les protagonistes du triu­
mvirat de s'inscrire dans un contexte héroïque, ou, si l'on veut, de penser
le monde au bouleversement duquel ils prenaient une part décisive comme
une scène tragique.
Il n'y avait de ce point de vue rien de nouveau par rapport au climat des
dernières décennies de la république, qui avaient vu s'affronter Pompée et
César avec leurs partisans. Le théâtre de l'un, construit au centre du Champ
de Mars, dont la décoration statuaire m'avait paru évoquer la dimension
mythique de Pompée comme conquérant de la terre jusqu'à l'Océan, sera
suivi du projet jamais réalisé par César de creuser un théâtre au flanc du
Capitole, ce qui aurait eu pour effet d'assimiler Rome à une capitale royale
hellénistique et à faire implicitement de lui-même un basileus basileôn.
Le thème cynique de l'assimilation de la vie au théâtre était aussi omni­
présent dans la vie des Romains de ce temps. La célèbre formule « la vie
est un théâtre» (σκηνή ό βίος) inscrite sur un gobelet en argent du trésor
de Boscoreale se retrouve presque identique sous la plume d'un poète de
XAnthologie palatine (X, 72, 1 : «Toute la vie est un théâtre», Σκηνή πας
òβίος), et plus tard sous celle de Clément d'Alexandrie (Protreptique, I I ,
12,1 : «... comme sur la scène de la vie », ... οίον επί σκηνής τοΰ βίου).
E
Diomede, un grammairien latin du IV siècle, mentionnait la définition
du mime par les Grecs comme «une imitation de la vie» {Grammatici
latini, III, 491 Keil: μίμος έστιν μίμησις βίου), en sorte que, on le voit, le

187
GILLES SAURON

théâtre et la vie entretenaient pour les Anciens des rapports d'identification


réciproque. Le cynisme s'était fait une spécialité de cette assimilation. Un
disciple de Diogene, Bion, cité par Télés (deuxième diatribe, Sur k nécessité
de se suffire à soi-même [peri autarkeias, περί αυτάρκειας], p. 5 sq. Hense),
1
assimilait la Fortune à une faiseuse de pièces :
«Tout comme un bon acteur doit brillamment défendre le personnage
que le dramaturge lui a attribué, ainsi l'homme de bien doit défendre celui
que lui a confié le destin. Comme un poète, en effet, au dire de Bion, le
destin attribue un rôle de premier plan (protagoniste) à celui-ci, de second
plan (deuteragoniste) à celui-là, rôle de roi et rôle de mendiant. Si donc tu
as un rôle en second, ne cherche pas à prendre la vedette, car alors tu seras
cause de discordance. »
Une mosaïque du musée de Naples (fig. 1 ) , provenant du complexe
artisanal d'une tannerie associée à une maison (I, 5, 2), s'inscrit dans cette
tradition, en représentant une tête de mort sous un niveau de chantier,
symbole d'égalité, auquel sont accrochés, d'un côté, les emblèmes d'un
roi (diadème, sceptre et manteau de pourpre) et, de l'autre, les oripeaux
2
d'un mendiant (bâton, besace, et manteau grossier) . On connaît aussi la
conversion d'un illustre Cynique, Cratès, grâce au théâtre : selon Diogene
Laërce (VI, 87), qui cite les Successions d'Antisthène, c'est après avoir vu
dans une tragédie le personnage de Télèphe portant un petit panier, que ce
dernier aurait réalisé sa fortune qui se montait à 200 talents et l'aurait ainsi
distribuée à ses concitoyens !
La diffusion de cette doctrine à Rome est confirmée à maintes reprises,
mais avec des significations qui peuvent varier. Dans un de ses dialogues,
Cicéron fait de la vieillesse « pour ainsi dire, le dernier acte de la vie, comme
d'une pièce de théâtre» (Cicéron, De la vieillesse, 85 : aetatis estperactio
tanquam fabulai) et parle même un peu auparavant de la «pièce de la vie»
(64 : « ceux qui ont usé avec panache des avantages de l'autorité, ont achevé,
à mon avis, la pièce de leur vie, sans s'effondrer au dernier acte comme les
acteurs sans expérience», quibus [seil, auctoritatispraemiis] qui splendide
usi sunt, ei mihi uidentur fabulam aetatisperegisse nee, tanquam inexercitati
histriones, in extremo actu corruissé). I l y a aussi le fait qu'Auguste aurait
cité un comique grec sur son lit de mort : « Si la pièce vous a plu, don­
nez-lui vos applaudissements, et tous ensemble, manifestez votre joie »
(Suétone, Diu Aug., 99, 2), après avoir déclaré: «J'ai bien joué le mime
de la vie (ecquid iis uideretur mimum uitae commode transegisse) » {ibidem,
99, 1). Dion Cassius donne une version légèrement différente de l'attitude
d'Auguste. Selon l'historien grec, « celui-ci demanda à son entourage de
l'applaudir à la manière des acteurs de comédies, comme s'il concluait un
mime, et il tournait complètement en dérision la vie des hommes» (LVI,

1. PAQUET L., Les Cyniques grecs. Fragments et témoignages, avant-popos par Marie-Odile Goulet-Cazé,
Paris, 1992, p. 173-189.
2. Musée archéologique de Naples, inv. 109982 : D E CARO S., Museo archeobgico di Napoli, Naples,
1999, p. 73 etfig.p. 76.

188
D U T R I U M V I R A T A U DÉBUT D U PRINCIPAT: L A CONSTRUCTION D UM Y T H E AUGUSTÉEN

30, 4: κρότον δέ δή τινα παρ' αυτών ομοίως τοις γελωτοποιοις, ώς καί


επί μίμου τινός τελευτη, αίτήσας καί πάμαπανυ πάντα τον τών ανθρ­
ώπων βίον διέσκωψε). Et nous savons qu'Auguste avait fait orner une
partie de sa maison du Palatin de fresques représentant des décors théâtraux,
3
en sorte qu'il évoluait devant ces fresques comme un acteur sur la scène .
Ayant fait représenter sur les murs de sa chambre un proskènion orné de
scénographies tragiques, comiques et satyriques, le propriétaire de la villa
de Boscoreale autour de 50 av. J.-C. se trouvait exactement à la place d'un
acteur évoluant sur Y orchestra d'un théâtre. Mais, dans ce dernier cas, cette
« mise à distance » de la vie que lui procurait l'assimilation à un acteur ne
s'accompagnait pas d'une dévaluation de l'existence et d'une indifférence à
l'égard de la mort, mais au contraire, d'une évocation permanente de son
destin posthume, qui nourrissait chez lui, comme chez le jeune Scipion
Emilien mis en scène par Cicéron dans le Songe, les plus grandes espérances
dans l'au-delà en l'incitant dans ce monde à une vie de justice et de piété.
L'allégorie picturale s'assimile ici à une incantation picturale.
Mais un phénomène très caractéristique de l'époque est la facilité avec
laquelle les chefs de l'aristocratie sénatoriale s'assimilaient aux héros de
tragédie. Cette identification pouvait certes se justifier, pour les familles
patriciennes, par le fait qu'elles prétendaient descendre d'Énée ou de ses
compagnons troyens. D'autres familles prétendaient faire remonter leur
ascendance à Héraclès, comme Marc Antoine (fig. 2), qui s'assimilait volon­
tiers à ce héros et prétendait faire remonter la famille Antonienne (gens
Antonia) au héros Anton, fils d'Héraclès (Plutarque, Marc Antoine, 4, 2;
Appien, Guerre civile, I I I , 16). D'autres gentes prétendaient même remon­
ter à Ulysse, comme la famille Mamilienne {gens Mamilia), originaire de
Tusculum, ville fondée par Télégonos, fils d'Ulysse et de Circé, comme
l'indiquent les sources littéraires (Denys d'Halicarnasse, Ant. rom., IV, 45, 1 ;
Tite Live, 1,49, 9) et les émissions monétaires de membres de cette famille
4
patricienne .
On sait aussi quelle fut l'utilisation des vers d'Euripide dans les conflits
internes à l'aristocratie romaine à la fin de la République. Ainsi, soucieux
de manifester tout l'écart qui séparait son caractère de celui de son père
adoptif, Auguste affectait souvent de citer le vers 599 des Phéniciennes
d'Euripide («Un chef qui prend des sûretés vaut mieux qu'un téméraire»,
ασφαλήςγαρ έστ' άμείνων ή θρασυς στρατηλάτης), ainsi que nous l'ap­
prend Suétone {Divin Auguste, 25, 5) plutôt que les vers 524-525 que
préférait César (« Si une chose vaut que l'on viole le droit, c'est la royauté,
admirable iniquité! Pour tout le reste, obéissons aux dieux», εΓπεργαρ

3. CARETTONI G.F., Das Haus des Augustus auf dem Palatin, Mayence, 1983, p. 23-27 et pl. coul.
A-I, SAURONG., Quis deum Ì L'expression plastique des idéologies politiques et religieuses à Rom
lafinde la République et au début du Principat (BEFAR, 285), Rome, 1994, p. 586-592 (salle des
Masques).
4. Monnaies émises en 189/180 et 82 av. J.-C. : CRAWFORD M., Roman Republican Coinage, Cambridge,
e
1974 (4 éd., 1989), n° 149 et 362.

189
GILLES SAURON

άδικείν χρή, τυραννίδος πέρι,/κάλλιστον άδικείν* ταλλα δ' εύσεβειν


χρεών) selon Cicéron {Des devoirs, I I I , 82) cité lui-même plus tard par
Suétone {Divin Jules, 30, 7). Dans ce cas, César s'assimilait au bouillant
Étéocle et son fils adoptif au prudent Polynice.
Mais Octavien préférait se comparer à Achille au lendemain des Ides de
Mars (Appien, Guerre civile, I I I , 13). Toutefois, le héros préféré de la plu- .
part comme modèle à l'époque des guerres civiles semble avoir été Ulysse,
sans doute en raison de l'alliance du courage et de la ruse qu'avait manifes­
tée le héros d'Homère. I l est possible que l'importation, à partir d'environ
60 av. J.-C. (cargaison d'Anticythère), pour les espaces privés des Romains,
de statues de marbre en grande dimension représentant des héros homé­
riques en action, et particulièrement Ulysse, ait un rapport avec ce genre
5
d'identification (fig. 3) . En mai 43, Cicéron promettait à L. Munatius
Plancus le destin d'Ulysse, s'il en finissait avec Marc Antoine : « L'homme
qui écrasera Marc Antoine sera celui qui terminera la guerre. Et c'est pour
cela qu'Homère a donné non pas à Ajax ni à Achille, mais à Ulysse le
nom de "destructeur de villes". » (Cicéron, Lettres à ses familiers, X, 13, 2:
Qui enim M. Antonium oppressent, is bellum confecerit: Itaque Homerus non
Aiacem nec Achillem sed Ulixem appellauitπτολιπόρθιον.) Plus tard, dans
une lettre à Tibère citée par Suétone {Tib., 21, 6), Auguste identifiera son
futur successeur à Ulysse en alléguant un passage de XIliade (X, 246-247)
dans lequel Diomede fait l'éloge de la sagesse d'Ulysse. Plus tard encore,
Caligula appellera Livie, la mère de Tibère, «Ulysse en jupons» (Suétone,
Caligula, 13: Ulixes sto latus).
C'est que les femmes n'étaient pas en reste, dans cette habitude d'en­
dosser la personnalité des figures héroïques. Sur un mode plaisant, on
peut rappeler, due à l'imagination de Térence, l'anecdote du tableau qui
représentait Jupiter pénétrant dans le domicile de Danaé sous la forme
d'une pluie d'or, image erotique qui avait sa place dans la maison de la
courtisane Thaïs, nouvelle Danaé s'offrant aux ardeurs de ses clients. Or
c'est en regardant le tableau, nous dit-il lui-même, que le faux eunuque
Chéréa, s'identifiant à Jupiter, fut incité à violer la jeune fille que Thaïs
prenait pour sa sœur (Térence, Eunuque, 583-591). Plus sérieusement,
Plutarque rapporte dans sa vie du césaricide Brutus (Plutarque, Brutus,
23), un épisode concernant Porcia, la fille de Caton le Jeune, qu'il dit avoir
lu dans les Mémoires sur Brutus de L. Calpurnius Bibulus, le fils de Porcia
{ibidem, 13) : se trouvant avec son mari à Velia et devant retourner à Rome
alors que Brutus devait quitter l'Italie, Porcia vint contempler à plusieurs
reprises un tableau représentant Hector reconduit par Andromaque, plus
précisément l'instant où Andromaque prenait des mains de son mari leur
petit enfant et jetait un regard sur Hector. Porcia aurait fondu en larmes
devant ce tableau qui ressemblait à son propre malheur, tandis qu'Aci-

dans Gnomon, 63,1991, p. 351-358 ; HIMMELMANN N., Sperlonga: die homerischen


5. SMITH R . R . R . ,
Gruppen und ihre Bildquellen, Opladen, 1995; SAURON G., dans RA, 1997, p. 261-296.

190
DU TRIUMVIRAT AU DÉBUT DU PRINCIPAT: LA CONSTRUCTION DU MYTHE AUGUSTÉEN

lius aurait cité les paroles qu'Homère avait placées dans la bouche d'An-
dromaque {Iliade, V I , 429-430: «Hector, toi, tu es à la fois mon père,
mon auguste mère et mon frère; et de plus tu es mon époux vigoureux»,
"Εκτορ, άταρ συ μοίέσσι πατήρ καί πότνια μήτηρ/ήδέ κασιγνητος, συ
δέ μοιθαλερός παρακοίτης), à quoi Brutus aurait répondu qu'il n'aurait
pas l'idée de citer les vers où Hector renvoie son épouse à ses travaux
domestiques {ibidem, 490-492: «Va donc à la maison, occupe-toi de tes
propres travaux, la toile, la quenouille, et ordonne à tes servantes de se
mettre au travail», 'Αλλ' εις οίκον ιοΰσα τα σ' αυτής έργα κόμιζε,/ίστόν
τ ήλακάτην τε, καί άμφιπόλοισι κέλευε/εργον έποίχεσθαι). Le
même Brutus, célébrant son anniversaire après l'assassinat de César, aurait
cité un vers d'Homère préfigurant sa fin tragique sous les coups de Marc
Antoine et d'Octavien, qui, nous précise Valére Maxime (I, 5, 7), devai­
ent prendre le nom d'Apollon comme signe de ralliement à la bataille de
Philippes. I l s'agit en effet d'un vers qu'Homère avait placé dans la bouche
de Patrocle à l'instant de sa mort de la main d'Hector, et qui disait: «Je
meurs victime de la Parque funeste et du fils de Léto », (Homère, Iliade,
XVI, 349 : Άλλα μεΜοιρ' όλοή καί Λητούς εκτανεν υιός).
Certaines de ces assimilations étaient désobligeantes et émanaient d'ad­
versaires. Ainsi, lorsque Cicéron compara Marc Antoine à Hélène de Troie
{Philippiques, I I , 55), un mensonge grossier selon Plutarque {Antoine, 6, 1).
L'ascendance vénusienne que César ne cessait de proclamer lui valut plus
d'un sarcasme d'adversaires, comme Cicéron, qui le disait « né de Vénus »
(a Venere ortus) en rappelant ses amours dénaturées avec le roi Nicomède
(Suétone, Divin Jules, 49, 7), et M . Caelius Rufus, qui le traitait sembla-
blement de « rejeton de Vénus » (Venereprognatus) dans une lettre à Cicéron
{Lettres à ses familiers, V I I I , 15, 2). Plus tard, l'œuvre d'Ovide, et en par­
ticulier les Métamorphoses, sont remplies d'allusions ironiques à l'égard
6
d'Auguste par dieux ou héros interposés .
Mais les Romains ne faisaient qu'adopter ici les modes de pensée hel­
lénistiques. Ainsi, l'épisode le plus spectaculaire illustrant ce genre d'assi­
milation se situe à la cour du roi d'Arménie. I l concerne la triste fin dont
fut victime Crassus, dont nous connaissons le récit par Plutarque {Vie de
Crassus, 33) et Polyen {Stratagèmes, 7, 41). Orodès, le roi des Parthes qui
venait de vaincre le Romain dans la plaine de Carrhes, se trouvait à la
cour d'Artavazdès, roi d'Arménie, pour sceller une alliance antiromaine
par le mariage de la sœur du roi avec son fils Pacorus. Au cours du ban­
quet, une représentation des Bacchantes d'Euripide, où l'acteur Jason de
Tralles jouait le rôle d'Agave, fut interrompue par l'arrivée d'un officier
parthe qui apportait la tête de Crassus. L'acteur échangea le masque qui
figurait la tête de Penthée (fig. 4) contre la tête de Crassus, et déclama avec
transport ces vers de la pièce : « Nous apportons, de la montagne, vers ce

6. LUNDSTRÖM S., Ovids Metamorphosen und die Politik des Kaisers (Acta Universitatis Upsaliens
Uppsala, 1980.

191
GILLES SAURON

palais, une touffe de lierre tout fraîchement coupée, - heureuse chasse»


(Euripide, Bacchantes, 1169-1170 : φέρομεν έξ όρέων/ελικα νεότομον επί
7
μέλαθρα,/μακάριον θήραν ). Et quand le choeur posa la question: «Qui
8
Ta frappé?» {ibid., 1179: Τις ά βαλοΰσα ), et que l'acteur eut répondu:
«À moi d'abord l'honneur» {ibid.: Πρώτον έμον το γέρας), l'officier
parthe, qui avait tué Crassus, Maxathrès selon Plutarque, Exathrès selon
Polyen, aurait revendiqué ici la place de l'acteur. Mais que pouvait signifier,
dans le contexte antiromain de la rencontre entre Orodès et Artavazdès,
l'initiative prise par l'Arménien de faire jouer les Bacchantes d'Euripide
devant son invité parthe ? Nous savons que les dynasties perses qui régnaient
en Asie Mineure, dans le Pont, en Cappadoce, en Arménie, en Commagène,
ne connaissaient pas de véritable équivalent du Dionysos des Grecs, mais
qu'elles étaient étroitement associées par des mariages à certaines dynasties
macédoniennes issues de l'Empire d'Alexandre, aux Attalides et surtout
aux Séleucides et qu'elles avaient affaire aux populations grecques, aussi
bien en Asie Mineure qu'en Grèce propre. On peut alors supposer que la
figure de Dionysos en général, et les Bacchantes d'Euripide en particulier,
ont pu constituer de la part d'Artavazdès un puissant levier de propagande
en direction des populations hellènes ou hellénisées dans le but de détacher
ces dernières de l'influence de Rome, où Dionysos n'était certes pas ignoré,
mais du moins où i l inspirait la plus grande méfiance, au point que, en
186 av. J.-C., le Sénat réprima dans le sang la célèbre affaire «des baccha­
nales ». La tête de Crassus brandie par l'acteur figurant Agave et récitant les
vers bien connus d'Euripide, ce qui avait pour effet d'identifier le général
vaincu à Penthée, le roi de Thèbes qui avait prétendu refouler la religion de
Dionysos hors de la ville natale du dieu, voilà une image saisissante qui, lar­
gement colportée, pouvait soulager bien des rancoeurs de Grecs frustrés par
les désagréments de la domination romaine. Et même si l'utilisation de la
tête de Crassus fut aussi fortuite que le suggère la tradition historique dont
nous disposons, le réflexe de l'acteur Jason de Tralles qui n'a pas hésité à s'en
saisir et qui, nous dit Plutarque, «fut pris de frénésie» (άναβακχεύσας...
μετ' ενθουσιασμού) n'en serait que plus représentatif de la sensibilité de
ses frères de sang.
Nous savons aussi que César fut comparé à deux reprises au héros Ajax.
D'abord par lui-même, puisqu'il fit disposer deux tableaux de Timomaque
de Byzance, l'un représentant Ajax méditant son suicide, l'autre Médée
s'apprêtant à tuer ses enfants, à l'intérieur du temple qu'il dédia dans son
forum à Vénus Genetrix (Pline, Histoire naturelle, V I I , 126, XXXV, 26, 136,
145). Sans doute César avait-il retenu ces deux héros parce qu'ils avaient
réagi par une sorte de folie meurtrière à une grave injustice subie, Ajax parce
qu'il avait été frustré des armes d'Achille, dont il avait sauvé le cadavre, par
les Grecs qu'il avait puissamment aidés, et Médée, que Jason, le père de

7. Plutarque ditθήραμα.
8. Plutarque ditΤις έφόνευσεν.

192
D U T R I U M V I R A T AUDÉBUTDUPRINCIPAT: L A CONSTRUCTION D U M Y T H E AUGUSTÉEN

ses enfants, avait repoussée, alors quelle lui avait permis de conquérir la
Toison dOr. On mesure ici tout de suite quelle affinité existait entre César
et ces deux héros de tragédie : ils avaient en commun d'avoir été les victi­
mes exemplaires de ces perversions de la justice, du droit et du regard que
sont l'iniquité (iniquitas), l'injustice (iniuria), la jalousie (inuidia). Toute
la tradition historiographique, à commencer par les écrits de César lui-
même, nous propose comme justification du franchissement du Rubicon
la gravité de l'injustice (iniquitas) subie par César de la part de Pompée et
de la majorité des sénateurs (César, Guerre civile, I, 6, 8 ; Suétone, Divin
Jules, 32, 3; Lucain, Pharsale, I, 340). César voulait ainsi manifester que,
de son côté, il avait été certes contraint à la guerre civile par les injustices
infligées par ses ennemis, mais qu'il avait toujours préféré la clémence à la
vengeance, et on pouvait comprendre qu'il devait cette singularité héroïque
au lien particulier qui l'unissait à la Vénus de Troie, et que matérialisait aux
yeux de tous sa propre statue équestre placée au centre du forum, et qui
9
faisait face à l'idole cultuelle de Vénus Genetrix .
Mais César fut une seconde fois comparé à Ajax, au lendemain de
sa mort. On entendit, en effet, au cours de ses funérailles, de la bouche
même de Marc Antoine, les lamentations d'Ajax tirées du Jugement des
armes de Pacuvius : « Fallait-il les sauver pour qu'ils devinssent mes meur­
triers ? » (Suétone, Divin Jules, 84, 3 : «Men semasse, ut essent qui me perde-
renti», Appien, Guerre civile, II, 146 : «έμε δεκαί τούσδε περισώσαι τους
κτενοΰντάς με ; »). C'est en tenant compte de ce climat que j'avais proposé
il y a quelques années d'attribuer à Marc Antoine l'utilisation à des fins
politiques du célèbre groupe statuaire connu depuis la Renaissance sous le
nom de « Pasquino » (fig. 5), voire même de lui attribuer la commande de
cette fameuse sculpture représentant selon les uns Ménélas sauvant le corps
de Patrocle, selon les autres Ajax sauvant celui d'Achille, et Bernard Andreae
a même proposé de voir, mais seulement dans la copie de Sperlonga, la
représentation d'Ulysse sauvant le cadavre d'Achille. Marc Antoine, qui,
après avoir été retenu aux portes de la curie de Pompée par Trebonius tan­
dis que Casca portait le premier coup à César, lui que les conjurés avaient
envisagé de mettre à mort en même temps que César et qui dut s'enfuir
et se cacher dans les heures qui suivirent l'assassinat, Marc Antoine était
en droit de se prévaloir de la valeur d'Ajax : si les césaricides furent dissua­
dés de jeter au Tibre le cadavre de celui qu'ils appelaient le "tyran", c'est,
nous dit Suétone, qu'ils craignaient Marc Antoine, le consul, et Lèpide, le
magister equitum, autrement dit les deux magistrats ayant l'autorité légale
sur les forces militaires (Suétone, Diu. lui., 82, 5 : Fuerat animus coniuratis
corpus occisi in Tiberim trahere, bona publicare, acta rescindere, sed metu

9. SAURON G., «Vénus entre deux fous au Forum de César», EVERS C. etTSINGARIDA A. (dir.), Rome
et ses provinces. Genèse et diffusion d'une image du pouvoir - Hommages à Jean Charles Ba
rassemblés par Bruxelles, 2001, p. 187-199; analyse voisine de HARRIS W.V., «Un indicio de ira
en el tempio de Venus Genetrix de Julio César », Semanas de estudios romanos, vol. XI, Universidad
Católica de Valparaiso, Valparaiso (Chili), 2002, p. 21-30.

193
GILLES SAURON

Marci Antoni consults et magistri equitum Lepidi destiterunt), et le surlen­


demain de l'assassinat, étant seul à la tête de l'Etat, puisqu'il s'opposait
encore en tant qu'augure à avaliser la prétention de Dolabella au consulat
et que le magister equitum Lèpide s'était placé sous ses ordres (Appien,
BC, I I , 118), Marc Antoine réunit le Sénat et obtint que César ne fût pas
traité en tyran ce qui eût impliqué une privation de sépulture (Appien,
10
BC, I I , 128) . Si le Pasquino représente bien Ajax sauvant le corps
d'Achille, c'est-à-dire du héros qui par son exploit s'est trouvé en droit
de revendiquer les armes du mort, on pourrait évidemment songer que
la prétention de reprendre à son compte l'héritage politique de César fut
le trait constant de l'action publique de Marc Antoine, des Ides de Mars
jusqu'à sa mort. Enfin, le curieux contraste entre la barbe du guerrier vivant
et le visage glabre du guerrier mort pourrait faire allusion au fait que Marc
Antoine se laissa pousser la barbe au lendemain des Ides de Mars et popu­
11
larisa sur des images monétaires ce signe de deuil qui contrastait avec la
coutume romaine d'alors de se raser la barbe, dont témoignent, à côté de
beaucoup de textes, d'innombrables portraits romains dont ceux de César.
Peut-être le choix iconographique surprenant, consistant à représenter un
Achille privé de sa panoplie, s'explique-t-il alors par référence à l'assassinat
d'un César désarmé.
Un exemplaire très mutilé du Pasquino a été découvert au centre du
e
Champ de Mars au tout début du xvi siècle, lors de la construction du
palazzo Braschi (fig. 6). A partir du moment où le cardinal décida de pré­
senter les vestiges de la statue sur un socle attenant à son palais, la popula­
tion attribua à celle-ci le nom d'un commerçant ou d'un artisan du quartier,
et elle devint dès lors le Pasquino. Dans son mémoire de 1936 sur l'original
du groupe du Pasquino, Bernhard Schweitzer mit en doute que le Pasquino
du Champ de Mars fût un original, comme on l'avait cru avant lui, et
surtout fit l'hypothèse qu'il dut appartenir au décor du stade de Domitien.
Mais on pourrait faire à ce propos, me semble-t-il, une autre suggestion.
Filippo Coarelli, en effet, posant la question de savoir si les tombes publi­
ques attribuées aux consuls décédés en 43, Hirtius et Pansa, avaient été pla­
cées à dessein au centre du Champ de Mars, juste au nord de l'Euripe, a fait
l'hypothèse que le Sénat, sur la possible inspiration de Cicéron lui-même,
avait pu choisir de les disposer en face du portail d'entrée de la maison de
Marc Antoine, à qui César l'avait donnée après le départ de son propriétaire
Pompée vers la défaite et vers la mort. Marc Antoine aurait pu commander
la réalisation de la statue dès les lendemains des Ides de Mars, et il aurait
pu la faire installer dans un lieu privé mais en la disposant à une place apte
à frapper l'imagination de ses visiteurs, par exemple dans le vestibule de

10. En octobre de cette même année 44, Cicéron reproche à Marc Antoine d'avoir organisé les « funé­
railles du tyran », en soulignant qu'il y a là une formule paradoxale et même contradictoire (par
définition, il ne peut y avoir de funérailles pour un tyran) : «.. .funeri tyranni, si illudfunus fuit,
sceleratissimepraefitisri »(Ciceron, Philipp., II, 90).
11. Voir par ex. TOYNBEE J.M.C., Roman Historical Portraits, Londres, 1978, p. 41 etfig.40.

194
D U T R I U M V I R A T A U DÉBUT D U PRINCIPAT: L A CONSTRUCTION D UM Y T H E AUGUSTÉEN

l'ancienne propriété de Pompée au Champ de Mars où il fit attendre lon­


guement Octavien au début de mai 44, lorsque le principal héritier désigné
par le testament de César vint lui réclamer des comptes (Velleius Paterculus,
I I , 60, 3 : « Le consul Antoine l'accueillit immédiatement avec arrogance
- moins par mépris que par crainte; le recevant dans les jardins de Pompée,
il lui laissa à peine le temps de s'entretenir avec lui ; bientôt même, il se mit
à l'accuser perfidement d'avoir attenté traîtreusement contre sa personne,
ce qui fut à sa honte reconnu faux», Hune protinus Antonius consul superbe
excipit - neque is erat contemptus, sed metus - uixque admisso in Pompeianos
hortos hquendi secum tempus dedit mox etiam uelut insidiis eius petitus sce­
y

leste insimulare coepit, in quo turpiter deprehensa eius uanitas est; Appien,
BCy III, 14 : « [Marc Antoine] se trouvait dans les jardins que lui avait offerts
César et qui avaient appartenu à Pompée ; comme César [seil. Octavien]
fut obligé d'attendre un certain temps à proximité des portes, il interpréta
le fait comme une manifestation de mépris de la part d'Antoine... », όδέ
ήν ένκήποις, ους ό Καίσαρ αύτω δεδώρητο Πομπηίου γενομένους*
διατριβής δέ άμφί ταςθύρας πλείονος γενομένης ό μεν Καίσαρκαί
τάδε ές υποψίαν Αντωνίου της άλλοτρίωσεως ετίθετο...). I l semble
bien en tout cas que les références héroïques eurent leur place dans le
débat entre les deux hommes : s'il faut en croire Appien, Octave aurait
argué d'une surprenante hiérarchie des ascendances pour expliquer à Marc
Antoine que César, qui n'était qu'un simple Enéade, n'avait pas osé le choi­
sir lui, un descendant d'Héraclès, comme fils adoptif (Appien, BC, I I I ,
16: ...καί τάχα αν αύτω καίθετον γενόμενον, ει ηδει σε δεξόμενον
Αινεάδην αντί Ήρακλείδου γενέσθαι) !
Il n'est pas interdit de penser que le Pasquino éponyme fut l'original
d'une série de onze copies à l'heure actuelle connues, toutes découvertes
en Italie, si l'on excepte celle qui appartenait à l'impressionnante collec­
tion de sculptures de la villa d'Hérode Atticus à Luku, l'antique Eva, entre
12
Argos et Sparte . En tout cas, dans cette hypothèse, Marc Antoine aurait
pu désigner au sculpteur un modèle qu'il connaissait bien, le groupe du
Gaulois qui se suicide et qui retient son épouse mourante (fig. 7), dont
César avait fait copier l'original pergaménien pour ses jardins du Pincio
en vue de célébrer en privé sa victoire sur la Gaule, selon l'ingénieuse et
13
très convaincante hypothèse de Filippo Coarelli , modèle qu'il aurait pu
combiner avec celui d'une autre représentation pergaménienne, mais cette
fois en deux dimensions, montrant le sauvetage du corps d'Achille par
Ajax. La frise de Civitalba est le seul témoin de l'existence de ce modèle au
E
début du II siècle av. J.-C, mais des copies ou des transpositions devaient

12. Mentionnée par W.M. Leake en 1830, puis perdue, cette copie du Pasquino a été retrouvée en
1995 par Th. Spyropoulos.
13. Voir l'impeccable démonstration de COARELLI R , Pergamo e Roma. I Galati nella città degli Attalidi,
Rome, 1995. De la même façon, le groupe d'Achille et Penthésilée aurait pu être transposé du
groupe du Gaulois qui se suicide, voire du «Pasquino».

195
GILLES SAURON

déjà se trouver à Rome et on pu servir d'intermédiaires entre le prototype


14
pergaménien et la frise de Civitalba .
C'était le temps où un sculpteur athénien de haute réputation, Arcésilaos
était présent à Rome, où il n'avait pas achevé la statue de Vénus Genetrixxi
jour de l'inauguration de son temple, le 26 septembre 46 avant J.-C. (Pline,
NH, XXXV, 156 : ab hoc [seil. Arcesilao]factam Venerem Genetricem in foro
Caesaris et, priusquam absoluereturfestinatione dedicandi positani). Arcésilaos
était dans la Rome d'alors un des sculpteurs les plus prisés : il reçut la
commande d'une effigie de Felicitas par un Lucullus, qui devrait être le
15
M . Licinius Lucullus mort à Philippes en 4 2 . Asinius Pollion fit entrer
dans ses monumenta ses Centaures portant les nymphes (Pline, NH, XXXVI,
33), et Varron possédait in priuato sa Lionne jouant avec des Cupidons ailés
(ibid., 41). Arcésilaos était, on le voit, éclectique au moins par la variété des
sujets traités, et ce sculpteur d'effigies divines, qui était en même temps un
remarquable animalier, célébré comme tel par Varron (Pline, NH, XXXVI,
41 : Arcesilaum quoque magnificat Varrò, cuius se marmoream habuisse leae-
nam aligerosque ludentes cum ea Cupidines), qui avait tiré d'un seul bloc
la lionne et les Cupidons de l'œuvre possédée par Varron (omnes ex uno
Upide), aurait bien pu façonner lui-même les deux guerriers du « Pasquino»
avec le décor du casque du guerrier vivant (oiseau-serpent, fauve, Centaure
luttant contre Héraclès).
Lui ou un autre de ses confrères au service de l'aristocratie romaine
du temps n'aurait sans doute pas eu de mal à s'inspirer de modèles per-
er
gaméniens du temps d'Attale I , pour concevoir une œuvre que Nikolaus
Himmelmann a qualifiée d'éclectique et datée pour cette raison de la fin
de la période hellénistique, où la majestueuse frontalité classicisante de la
composition sous son angle de vision privilégié, inspirée d'une frise ou
d'une peinture pergaméniennes, et la beauté idéalisante des portraits s'as­
sociaient à une audacieuse et savante inscription des corps sur un plan
triangulaire, inspirée d'un autre chef-d'œuvre pergaménien, mais cette fois-
ci en ronde bosse, le Gaulois qui se suicide, dont la copie était aussi visible
dans la Rome de cette époque. Le décor très complexe du casque d'Ajax
(fig. 8), qui paraissait incompréhensible à Shweitzer, m'avait paru figurer
les constellations proches du Scorpion et à ce titre évoquer la porte centrale
du ciel par où serait passé Héraclès au cours de son anodos, selon la alors
célèbre Vision d'Empédotime due à Héraclide le Pontique et popularisée à
Rome par Varron dans ses Satires Ménippées. Cette évocation de l'apothéose
d'Héraclès aurait précédé de quelques mois la proclamation de la filiation
divine du nouveau César comme Diui filius, et celle de Sextus Pompée,
qui se disait Neptuni (filius) sur ses monnaies et qu'Horace qualifiera de
Neptunius dux.

14. Comme le supposait F.-H. Pairault-Massa.


15. Voir le com. ad loc. de CROISILLE J.-M., Pline, Histoire Naturelle, Livre XXXV, Paris, 1985,
p. 266.

196
D U T R I U M V I R A T A U DÉBUT D U PRINCIPAT: L A CONSTRUCTION D U M Y T H E AUGUSTÉEN

J'ajoute que les manifestations théâtrales de Rome donnaient lieu aussi


à des identifications entre les héros et les hommes politiques du jour de la
part d'un public volontiers déchaîné. C'est ce qui arriva aux jeux scéniques
en l'honneur d'Apollon (ludi Apollinares) de 59 av. J.-C, lorsque l'acteur
Diphilus «fut obligé à répéter mille fois» (millies coactus dicere) un vers qui
disait « c'est par notre malheur que tu es grand» (nostra miseria tu es magnus),
et dont la foule s'empara pour manifester sa mauvaise humeur à l'égard de
Pompée qui, sur le modèle d'Alexandre, se faisait surnommer «le Grand»
(Magnus) (Cicéron, À Atticus, I I , 19, 3 ; Valére Maxime, VI, 2, 9).
Il faut ajouter enfin que certains sénateurs avaient composé eux-mêmes
des tragédies, comme Cassius de Parme, L. Cornelius Balbus le Jeune,
16
Quintus Cicéron et César lui-même . Nous savons aussi que la seule tra­
gédie que paraît avoir écrite Auguste était un Ajax, certes d'une qualité
littéraire médiocre au point que, selon son auteur même, cet Ajax-là aurait
disparu, non en se jetant sur son épée, mais en se précipitant sur une éponge
(Suétone, Diu Aug., 85, 3 ; Macrobe, Saturnales, I I , 4, 2) !
L'entreprise idéologique augustéenne au cours du triumvirat et aux len­
demains d'Actium fut surtout une tentative pour neutraliser la propagande
antonienne. De la décision prise en 36 av. J.-C. d'offrir à Apollon une
partie de sa demeure du Palatin aux émissions monétaires à thématique
apollinienne de 29-28 av. J.-C, qui répliquaient aux énormes quantités
de deniers de Marc Antoine représentant ce dernier en nouveau Dionysos
et qui continueront encore longtemps à circuler, et jusqu'à la construction
d'une gigantesque tombe familiale au bord du Tibre répondant à celle d'un
mausolée à Alexandrie pour Marc Antoine et Cléopâtre, le futur Auguste
paraît plus réagir sur ce terrain aux initiatives de son concurrent qu'affirmer
une doctrine originale.
Mais tout change rapidement dans les années 20 av. J.-C. Auguste entre­
prend d'abord une modification en profondeur du décor de l'Empire, for­
geant progressivement les normes de ce qui sera, selon l'heureuse formule
de Pierre Gros, l'ordre corinthien romain, conçu à l'image d'un monde
renouvelé, à la fois fécond et obéissant strictement aux lois infrangibles de
la nature. Le thème du retour de l'âge d'or, qu'il partageait sans doute avec
Marc Antoine, mais que ce dernier liait évidemment à la joie dionysiaque,
e
est, avec le règne d'Apollon, explicitement proclamé par la IV églogue
virgilienne devenue l'évangile secret du régime et implicitement supposé
par toutes les réalisations d'Auguste. Une épigraphie de grande qualité,
parfois réalisée en lettres de bronze, les litterae auratae, diffusait dans des
proportions inconnues jusque-là des dédicaces latines, dont beaucoup en
tout ou en partie honoraient Auguste, et pas seulement dans les provinces
occidentales. Ce nouveau départ du monde trouvait à Rome des expressions
inédites convoquant les formes les plus anciennes de la piété des hommes.
Si la reconstruction du vieux temple d'Apollon au Champ de Mars sem-

16. BARDON H., La littérature latine inconnue, I, L'époque républicaine, Paris, 1952, p. 327 sq.

197
GILLES SAURON

blait proclamer par l'éclectisme de ses références ornementales la puissance


universelle que le dieu possédait déjà dans les âges précédant le retour de
l'âge d'or, l'aménagement de l'horloge d'Auguste, en projetant tous les
23 septembre l'extrémité de l'ombre d'un obélisque apporté d'Héliopolis
sur la ligne droite des equinoxes en direction de Vara Pacts Augustae, dési­
gnait le Princeps comme l'instrument de l'Apollon solaire pour la pacifi­
cation du monde. Les théâtres construits dans les provinces occidentales
et dans certaines provinces de l'Orient hellénophone offraient à un public
hiérarchiquement distribué de Vorchestra au sommet de la cauea, l'image du
monde prospère et ordonné de l'âge d'or que représentait le front de scène,
centré la regia plaquée contre un hémicycle, symbole de l'étroite association
du ciel où règne Apollon et du Palatin augustéen. Le message est, on le sait,
explicité par les autels en marbre du théâtre d'Arles.
Mais rien ne montre mieux la rupture introduite par la révolution
augustéenne que l'évolution de la représentation du princeps. A l'occasion
de la grande exposition qui s'est tenue à Munich en 1979 sur les représenta­
tions d'Auguste, on en a dénombré environ 230 conservées sous la forme de
statues ou de portraits en ronde bosse, soit plus que pour tout autre de ses
successeurs. La recherche allemande distingue trois types de représentations
officielles d'Auguste, le type d'Octavien (Octavianstypus), qui correspond
aux statues dédiées à l'époque triumvirale et surtout dans les années qui ont
suivi la victoire d'Actium, le type principal (Haupttypus), dont le prototype
(Urbild) a pu être le modèle direct de la statue en marbre découverte à
Prima Porta dans la villa de Livie, et le type secondaire (Nebentypus), qui
s'inspire du précédent mais avec une chevelure plus simple et un traite­
17
ment moins idéalisé . Cette typologie a été récemment compliquée pour
l'époque triumvirale jusqu'à distinguer au total cinq modèles différents du
18
portrait d'Auguste . En tout cas, le plus remarquable est sans doute le
passage du premier au second type de la nomenclature traditionnelle, dont
nous savons qu'il fut décidé par Auguste lui-même, qui s'est vanté dans le
compte rendu de ses actions d'avoir retiré à l'intérieur de Rome environ 80
statues argentées qui le représentaient à pied, à cheval ou en quadrige, et
d'avoir dédié avec les sommes issues de la fonte de ces dernières des dons en
or (dona aurea, qui étaient, selon Suétone, Divin Auguste, 57y 1, des bassins,
aureas cortinas) dans le temple d'Apollon Palatin en son nom et au nom de
ceux qui lui avaient fait l'hommage de ces statues (Res Gestae Diui Augusti,
24, 2). C'est que le «type d'Octavien» montrait un visage d'Auguste en
mouvement, avec une chevelure déjà caractérisée par un assemblage de
mèches identifiables, ce qu'on appelle la «signature capillaire» d'un por­
trait, en l'occurrence, une juxtaposition de mèches disposées « en pinces » et
«en fourchette» sur le front, associé à des statues qui reprenaient les types
« achilléens » qui identifiaient le personnage représenté à des héros et à des

17. Die Bildnisse des Augustus. Herrscherbild und Politik im kaiserlichen Rom, cat. Expo., Mun
1979.
18. BÖSCHUNG D., Die Bildnisse des Augustus (Das römische Herrscherbild, I, 2), Berlin, 1993.

198
D U T R I U M V I R A T A U DÉBUT D U PRINCIPAT: L A CONSTRUCTION D UM Y T H E AUGUSTÉEN

dieux. Le monnayage des années entourant la bataille d'Actium nous fait


connaître en particulier les statues identifiant Octavien à Poséidon. Mais
le projet d'Auguste n'était certes pas de devenir un nouveau roi hellénis­
tique, et on sait avec quel mépris il déclina en 30 av. J.-C. l'invitation de
visiter le Ptolemaion d'Alexandrie où étaient ensevelis les souverains lagi-
des, prétextant qu'« il avait voulu voir un roi, et non des morts » (Suétone,
Diu Aug., 18,1). Il s'agissait désormais pour Auguste de se présenter comme
la projection terrestre d'Apollon, et d'accompagner sur terre les progrès de
l'âge d'or que le dieu répandait à l'intérieur du cosmos. Et c'est ce qu'illus­
tre la statue de Prima Porta (fig. 9): inspirée directement du Doryphore de
Polyclète, tant par ses proportions que par sa pondération, ce qui en fait
une statue achilléenne au sens strict du terme, celle-ci présente un ajout
capital, la cuirasse anatomique qui enveloppe tout le buste de l'empereur.
Le décor de celle-ci est paradoxalement circulaire et conviendrait donc à
un bouclier rond (clipeus), et en effet ce décor paraît inspiré de celui du
clipeus forgé par Vulcain et offert par Vénus à Enée, tel qu'il est décrit par
Virgile. Le bouclier de l'Enéide présentait trois frises concentriques, celle
située à l'extérieur représentant la succession des acteurs de l'histoire de
Rome des origines à Actium, celle du milieu montrant la bataille d'Actium
sous la forme de trois scènes enchaînées selon les principes de la narration
continue, et enfin celle du centre figurant Auguste recevant sur le parvis
d'Apollon Palatin l'hommage des nations soumises {Enéide, V I I I , 625-730).
De la même façon, le décor de la cuirasse de Prima Porta dispose sur un
cercle, en haut, le Ciel, entre le Soleil levant sur son quadrige et la Lune
(ou Vénus, l'Etoile du Matin ?) accompagnée de la Rosée, en bas, la Terre
entre Apollon sur un griffon et Diane sur un cerf, tandis que deux Nations
barbares soumises occupent les niveaux intermédiaires du cercle de part et
d'autre du motif central, qui montre un officier romain à la frontière de
l'Euphrate, accompagné d'un chien, recevant une enseigne des mains d'un
officier parthe. Le décor de la cuirasse, célébrant la pacification à l'échelle
du cosmos sous l'égide de l'Apollon solaire, et qui venait de connaître une
étape décisive sur terre avec la reddition des enseignes romaines par les
Parthes (20 av. J.-C), prolonge celui du bouclier d'Enée, qui représentait
le destin des hommes aux origines de l'histoire, et qui devait aboutir à la
pacification universelle par des siècles de conquêtes romaines, puis, à partir
d'Actium, conçu comme l'événement conclusif de l'âge de fer et instaurâ­
tes du retour de l'âge d'or, par l'union d'Apollon et d'Auguste, symbolisée
par le nouveau sanctuaire installé sur Te Palatin sur une partie de la domus
Principis. Le portrait d'Auguste de la statue de Prima Porta, le Haupttypus de
l'érudition allemande, présente un traitement classicisant qui, permettant
une réflexion uniforme de la lumière, donne le sentiment de la sérénité, la
qualité par excellence des dieux, avec une concentration éclatante de celle-ci
au niveau des yeux, conforme à un effet que le princeps recherchait dans sa
propre existence : « Ses yeux, écrit Suétone, étaient vifs et brillants ; il voulait

199
GILLES SAURON

même faire croire quii y avait dans son regard comme une autorité divine
et, quand il le fixait sur quelqu'un, il aimait à lui voir baisser la tête, comme
ébloui par le soleil » (Diu Aug., 79, 3). En somme, le type de représentation
imaginé par Auguste, après la destruction de ses plus précieuses statues du
temps des guerres civiles, l'identifiait à un nouvel Enée, chargé d'accomplir
le plan divin figuré sur le bouclier d'Énée, mais que ce dernier ne pouvait
pas comprendre (Enéide, V I I I , 729-730).
Ces quelques observations n'avaient pour but que de rappeler à la fois
la radicalité de la révolution augustéenne, au moins sur le terrain de l'idéo­
logie, plaçant Rome et le monde sous l'autorité d'un instrument terrestre
d'Apollon, mais en même temps privilégiant les messages subtils, voilés, les
symboles sans texte. Auguste a fait de l'implicite un formidable instrument
de domination sur les esprits.

200
D U T R I U M V I R A T A U DÉBUT D U PRINCIPAT: L A CONSTRUCTION D U M Y T H E AUGUSTÉEN
GILLES SAURON

Figure 3. - Cargaison d'Anticythère : Achille, au fond, et Ulysse, au premier plan


(Musée archéologique d'Athènes).

202
D U T R I U M V I R A T A U DÉBUT D U PRINCIPAT: L A CONSTRUCTION D U M Y T H E AUGUSTÉEN
203
GILLES SAURON
D U T R I U M V I R A T A U DÉBUT D U PRINCIPAT: L A CONSTRUCTION D U M Y T H E AUGUSTÊEN

Figure 6. - Rome, centre du Champ de Mars: le Pasquino près du palais Braschi.

205
GILLES SAURON
GILLES SAURON

Figure 9. - LAuguste de Prima Porta (Musée du Vatican).

208
Le thème de la Res publica restituta
dans le monnayage de Vespasien :
pérennité du «modèle augustéen»
entre citations, réinterprétations et dévoiements

Emmanuelle Rosso

L'historiographie moderne a souligné à l'envi le caractère prétendument


peu innovant de la dynastie flavienne et de son idéologie, qui ne seraient
1
qu'une pâle copie du style augustéen - son dernier avatar, en quelque
sorte. Pareille ligne interprétative, qui consiste le plus souvent en un simple
relevé des analogies, a contribué à forger l'image d'une seconde dynastie
d'empereurs prisonnière d'un paradigme augustéen dont se réclamaient tous
les successeurs du princeps et que reprenaient, depuis un siècle, l'ensemble
des moyens d'expression exploités par un pouvoir extrêmement conscient
des enjeux liés à son autoreprésentation. En revanche, on a moins souvent
noté qu'après l'épisode néronien et la fin de la dynastie julio-claudienne, et
après une guerre civile qui avait très gravement menacé le régime, le choix
de Vespasien de se présenter comme un nouvel Auguste, qui est incontes­
table, n'allait pas de soi, tant s'en faut, et dans le même temps, s'avérait
2
particulièrement judicieux .
En effet, alors que les successeurs immédiats d'Auguste avaient utilisé
3
son image en se plaçant dans une continuité dynastique relativement
amorphe, fondée en grande partie sur la réaffirmation des liens de sang qui
les rattachaient au fondateur, Vespasien au contraire pouvait s'appuyer sur
des analogies «objectives», à la fois événementielles et programmatiques
- à savoir, pour les résumer brièvement, une guerre civile doublée d'une

1. GOWING Α., Empire and Memory. The Representation of the Roman Republic in Imperial Cultu
Cambridge, 2005, p. 104 : « In some respects an odd and abbreviated iteration of the Julio-Claudian
[dynasty] ».
2. HURLET Fr., « La Lex de imperio Vespasiani et la légitimité augustéenne », Latomus 52,1993, p. 263 :
« [Vespasien] aurait pu profiter de la crise politique pour lever [...] le voile de lafictionrépublicaine
et gouverner l'empire comme un véritable monarque. Ce n'est pas du tout ainsi qu'il a agi. Vespasien
préféra jouer la carte de la restauration et dans le contexte des années 69-70, après l'expérience
désastreuse de Néron, le modèle ne pouvait être qu'augustéen».
3. GRENADE P., Essai sur les origines du Principat. Investiture et renouvellement des pouvoirs impér
{BEFAR, 97), Paris, 1961, Préface, p. vn.

209
EMMANUELLE ROSSO

guerre extérieure, une légitimité contestable et contestée, une crise politique


grave justifiant un coup d'état initial puis une restauration étatique, enfin le
projet de fonder une dynastie. Parallèlement à ce cadre historique commun,
qui rendait naturelle la confrontation entre les «pères» des deux dynasties,
et après avoir retenu comme principe fondateur celui de présenter la révo­
lution politique sous les espèces de la restauration, donc du conservatisme
- tels avaient été, en leur temps, le paradoxe et le ressort le plus puissant
de l'idéologie augustéenne - , il restait aux Flaviens à exploiter au mieux les
virtualités légitimantes du précédent augustéen dans un cadre nouveau.
Concrètement, l'héritage augustéen s'étant progressivement constitué en
«idéal», voire en symbole figé du régime, i l s'agissait tout à la fois, pour
la propagande flavienne, d'ajuster les événements récents non seulement
à ceux qui avaient conduit au principat d'Auguste, mais également aux
mythes et aux fictions politiques sur lesquels ce dernier s'était appuyé.
L'année 68 puis l'avènement des Flaviens représentent, pour le devenir
de l'image d'Auguste, un moment charnière et critique (au sens de discri­
minant), à double titre: tout d'abord parce que le réfèrent augustéen sort
pour la première fois de son cadre strictement dynastique pour se constituer
en symbole générique et universel du pouvoir impérial, avec une tonalité,
toutefois, qui demeure encore précise au niveau des analogies ; ensuite,
parce que la nécessité de tirer au mieux parti de cette analogie entraîne
nécessairement des adaptations, des relectures, mais aussi des distorsions.
Ainsi, paradoxalement, c'est au moment où elle se fige que la référence
à Auguste se transforme en se colorant de nouvelles significations : c'est
précisément ce que je serais tentée d'appeler « l'anamorphose flavienne de
l'image augustéenne» et en particulier du thème de la res publica restituta. Il
est donc légitime de se demander quelles images de la restauration étatique
augustéenne furent à la fois reprises et soumises à une « révision » dans le
dispositif idéologique flavien, et quelles furent leur fonction et leur signi­
fication dans ce dispositif.
Dans un tel contexte, i l est pour le moins insuffisant de dire que les
Flaviens se sont réclamés du précédent augustéen : la collection non argu-
mentée et non re-contextualisée des connexions ponctuelles, qui peut se
prolonger à l'infini, ne permet pas de les comprendre. Le corpus des docu­
ments pertinents pour cette question étant extrêmement étendu, j'ai choisi
de n'aborder ici la question qu'à partir de l'iconographie monétaire, en
limitant l'analyse à la période de fondation du pouvoir flavien, c'est-à-dire
au règne de Vespasien. Ce choix est dicté par le fait que le monnayage offre
le plus vaste répertoire figuratif lié au programme politique qu'il nous soit
donné de connaître pour la période. En outre, il comporte, de l'aveu de
l'ensemble des spécialistes, une proportion massive de citations empruntées
4
au répertoire augustéen, qu'il est aisé de repérer sur ce type de support .

4. MATTINGLY H., BMCEmp, II, introduction, p. xxxviii, XLIII : « restored types are a persistent feature
of the reign » ; CARRADICE I. Α., «Towards a new introduction to the Flavian Coinage », AUSTIN M.,
HARRIS J., SMITH C. (dir.), Modus operandi. Essays in Honor ofG. Rickman London, 1998, p. 94.
y

210
L E T H È M E D EL A RES PUBLICA RESTITUTA DANS L E M O N N A Y A G E D E V E S P A S I E N . . .

D'une manière générale, le monnayage de Vespasien présente deux carac­


téristiques notables : i l est à la fois extrêmement varié dans ses types et
pauvre en réelles innovations iconographiques - autrement dit, il comporte
un grand nombre de citations plus ou moins exactes de types monétaires
5
antérieurs . Le cumul de ces deux spécificités paraît paradoxal en première
lecture : pourquoi les équipesflaviennesauraient-elles opté pour une proli­
fération des images monétaires si ce programme n'avait pas été sous-tendu
par la volonté de diffuser de nouveaux messages, de nouvelles formulations ?
C'est donc bien que ce «conservatisme», ce «mimétisme» devaient revêtir
6
une signification politique précise , d'autant plus que les créations existent
7
par ailleurs dans ce monnayage .
Du fait de la nature même du document numismatique qui, en plus
d'être parfaitement daté, associe texte et image et présente, au moins pour
le monnayage dit « impérial », un discours figuré aux valences à la fois décla­
ratives (ou « illustratives ») et programmatiques émanant directement du
pouvoir, les monnaies constituent un support idéal dès lors que l'on sou­
haite comparer les revers monétaires afin de repérer dans le détail les reprises
aussi bien que les différences - les unes et les autres étant tout aussi signi­
fiantes. Il est d'ailleurs probable que les plus légères modifications soient
davantage révélatrices d'un glissement sémantique. Ici, on étudiera à la fois
les aspects « discursifs », les contenus, mais aussi les aspects chronologiques
et quantitatifs, en centrant le propos sur quatre aspects numismatiques de
la restauration étatique selon le modèle augustéen voulue par Vespasien :
Roma restituta comme thème monétaire «direct» ou explicite, la reprise des
symboles personnels d'Auguste, l'iconographie monétaire des princes de la
jeunesseflaviens,enfin l'utilisation de l'imagerie actiaque pour représenter
la victoire initiale des Flaviens et le retour de la paix. Ce dernier thème pose
la question corollaire d'une possible célébration du centenaire d'Actium,
8
hypothèse jadis défendue par L. Laffranchi . Cette analyse invite notam­
ment à s'interroger sur la validité de la thèse de J. Isager, auteur en 1976

5. Après l'étude fondatrice d'E. Bianco, l'article de BUTTREYT. V., « Vespasian as Moneyer», NC,
12, 1972, p. 89-109, eut un retentissement important: l'auteur y met en évidence une tendance
« antiquaire » globale du monnayage de Vespasien. Il l'explique par le fait que Vespasien aurait revêtu
au début de sa carrière la charge de triumvir monétaire, à l'occasion de laquelle il aurait acquis « de
l'intérieur» un savoir historique sur le monnayage de Rome. H. Mattingly se livre de même à une
série de développements sur une possible volonté, de la part de Vespasien, de sauver de l'oubli ou
de la destruction un certain nombre de types monétaires devenus «obsolètes»; MATTINGLY H.,
BMCEmp, II, introduction, xxxvrii. Indéniablement, les références et les citations sont empruntées à
des époques différentes : c'est ainsi que la « version originale » du reversfigurantRoma accompagnée
de la louve et des jumeaux reproduit un denier de 105 av. J.-C. {BMCRep, II, n° 562 p. 284).
6. MATTINGLY H., BMCEmp, II, introduction, p. xxxrx: « There is certainly method in the choice of
types for restoration. »
7. C'est le cas en particulier de la célébration monétaire de la victoire sur la Judée, mais aussi de certains
monnayages dynastiques.
8. LAFFRANCHI L., « Un centenario numismatico nell'antichità», RIN24, 1911, p. 427-436. Plus tard,
GRANT M., Roman Anniversary Issues. An exploratory study ofthe numismatic and medallic com
2
ration ofanniversary years (49B.C.-A.D. 375), Cambridge, 1950 (1977 ) étendit cette théorie des
« anniversary issues » à de nombreuses autres émissions flaviennes.

211
EMMANUELLE ROSSO

9
d'un article sur Vespasien et Auguste , selon lequel Y imitano Augusti ne
serait apparue pleinement et de façon officielle qu'à partir de 74 ap. J.-C,
10
quand le pouvoir de Vespasien était complètement affermi . La principale
question est donc de savoir quelle res publica Vespasien entendait restaurer:
celle qu'Auguste lui-même prétendait faire revivre, de tonalité « républi­
caine», ou au contraire celle d'Auguste lui-même, pleinement impériale?
Par ailleurs, quel Auguste Vespasien imite-t-il et à quelle occasion ? S'inspire-
t-il plutôt de la phase de fondation, et en particulier de la période comprise
entre 31 et 27 av. J.-C, ou des étapes ultérieures du règne?

Roma restituta et libertas restituta comme thèmes monétaires

Avant d'analyser en miroir les monnayages des deux fondateurs de


dynasties, il importe de s'arrêter brièvement sur le monnayage de la guerre
civile, afin de mieux saisir dans son principe l'évolution de la signification
de l'image d'Auguste et la réapparition de motifs promis à une postérité
certaine. En effet, au printemps 68, lors de la révolte des Gaules et des
Hispanies, dans l'impossibilité de frapper monnaie à l'effigie d'un prince
qui n'était plus reconnu comme légitime, les ateliers monétaires provinciaux
d'Occident retinrent trois «solutions» pour sortir de l'impasse: au droit des
monnaies, on trouve alternativement des têtes de divinités (Mars, Jupiter,
Vesta), des entités ou vertus politiques personnifiées {Concordia, Fides,
11
Salus generis humani, Pax...), enfin le portrait d'Auguste ou du diuus
12
Augustus (fig. 1 ) . L'utilisation de l'image du premier princeps comme
alternative à des figures divines ou à des abstractions révèle sa conversion
en réfèrent absolu du pouvoir impérial et l'élévation corrélative de son
13
portrait en symbole du régime lui-même , ou plus exactement de son
image idéalisée, par opposition à celui qu'incarne Néron. Cette mutation
est intéressante car elle constitue la première occurrence d'utilisation en
dehors d'un cadre strictement julio-claudien. Il s'agit clairement d'opposer

9. ISAGER J., «Vespasiano e Augusto», Studia Romana in honorem R Krarup septuagenarii, Odense,
1976, p. 64-71.
10. ISAGER, «Vespasiano e Augusto», art. cit., p. 68 : «va notato che Vespasiano non si sostituisce di
colpo all'imperatore Augusto, ma lascia che l'idea si depositi nella coscienza del popolo per poi
manifestarla apertamente al momento opportuno» ; n. 7 p. 70.
11. Cf. les deniers hispaniques et gaulois au nom d'Auguste : GIARD J.-B., Monnaies de l'empire romain,
III. Du soulèvement de 68 après J.-CàNerva. Catalogue, Paris-Strasbourg, 1998, n° 48-54 p. 28-29,
pl. 2. La variété des légendes associées à la tête lauree ou radiée d'Auguste est surprenante : AVG,
IMP, AVG DIVI F, CAESAR AVGVSTVS...
12. BMCRE, I, « Augustus and divus Augustus groups », p. cxcvii, n° 300 et suiv.; GIARD, Monnaies
de l'empire romain, III, op. cit., n° 63-65, p. 30, pl. 2 (Espagne et Gaule, deniers, 68-69 ap. J.-C.)
et n° 66-70, pl. 2-3 (Espagne et Gaule, aurei, 68-69 ap. J.-C). Pour une étude détaillée de ces
« monnaies oppositionnelles », voir NICOLAS E.P., De Néron à Vespasien. Etude et perspectives histo
riques suivies de l'analyse, du catabgue et de la reproduction des monnaies « oppositionnelles»
des années 67 à 70, Paris, 1979, p. 1343-1346, 1377-1387, catalogue Al à A30 p. 1437-1442,
pl. XX-XXII.
13. NICOLAS, De Néron à Vespasien op. cit., p. 1377 : « Ces monnaies [...] sont expliquées par la volonté
de Vindex et de Galba d'associer à leur entreprise le souvenir ravivé, l'image sacro-sainte du fon­
dateur du Principat. »

212
LE THÈME DE LA R E S P U B L I C A R E S T I T U T A DANS LE MONNAYAGE DE VESPASIEN..

le pouvoir d'Auguste à la «tyrannie» néronienne: dès lors, l'image du pre­


mier princeps n'est plus l'apanage des Julio-Claudiens ; elle devient un sym­
bole de la restitution de la libertas au Sénat et au peuple Romain, comme
le montrent les légendes des revers, S(enatus) P(opulus)Q(ue) R(omanus) ou
14
Genio P(opuli) R(omani) , où le datif pourrait exprimer précisément l'acte
de restitution. Parallèlement, on voit apparaître les types Libertas Restituta
15
et Roma Restituta, thèmes typiques d'un contexte de guerre civile . Cette
étape est d'une importance fondamentale pour comprendre l'usage flavien
de ces symboles.

Figure 1. - Aureus du monnayage «oppositionnel» de 68-69 ap. J.-C. portant, au droit,


le portrait du divus Augustus-, J.-B. GIARD, 1998, n° 63, p. 30, pl. 2.

Les premiers actes du pouvoir flavien après la reconnaissance sénatoriale


de décembre 69 désignent également le principat augustéen comme une
référence omniprésente, à visée légitimante: en témoignent notamment la
16
formulation de la lex de imperio Vespasiani > la reprise scrupuleuse d'une
titulature impériale incluant le nom de Caesar ainsi que le prénom d'Impe­
17
rator , mais aussi des réalisations plus symboliques, comme la fermeture
18
du temple de Janus , la construction du templum Pacis, ou encore l'achè­
vement de projets urbanistiques d'origine réellement ou prétendument

14. GIARD, Monnaies de l'empire romain, III, op. cit., n° 58-60 p. 29, pl. 2 (deniers, Espagne, 68-69
ap. J.-C.) ; voir notamment NICOLAS, De Néron à Vespasien, op. cit., n° 24 à 28, 30-31 p. 1419-
1420, n° 32-34 p. 1421, n° 38 p. 1422. L'association presque systématique du Génie du peuple
Romain à Mars Vltor sur le monnayage de la guerre civile (cf. notamment les deniers de l'atelier
d'Espagne : GIARD, Monnaies de l'empire romain, III, op. cit., n° 4-6 p. 23, n° 7 p. 24, pl. 1, frappés
en 68-69 ap. J.-C.) n'est d'ailleurs pas sans intérêt dans le cadre d'une étude sur la pérennité du
réfèrent augustéen.
15. Cf. GIARD, Monnaies de l'empire romain, III, op. cit., n° 8 et 9 p. 24, pl. 1 (atelier d'Espagne, libertas
restituta) ou n° 29 p. 26, pl. 1 (atelier gaulois, Roma restituta).
16. HURLET Fr., « La Lex de imperio Vespasiani» art. cit., p. 261-280. Le précédent augustéen est expli­
citement mentionné dans quatre clauses différentes ; il est introduit par des formules telles que ita
uti licuit diuo Augusto.
17. ISAGER, «Vespasiano e Augusto», art. cit., p. 65; HURLET, «La Lex de imperio Vespasiani»,
art. cit., p. 264.
18. En dépit de son importance idéologique, ce thème est peu célébré dans l'imagerie officielle - et
absent du monnayage; MATTINGLY H., BMCEmp, II, introduction, xxxv, interprète cette absence
par la réticence de Vespasien à se présenter sur ce point dans la continuité de Néron. Dans ce cas,
le précédent néronien, temporellement plus proche, fait écran et obstacle à l'établissement du
parallèle entre Auguste et Vespasien.

213
EMMANUELLE ROSSO

augustéenne l9 - en particulier les monuments du culte impérial julio-


claudien 20.Le monnayage reflète parfaitement ce parti initial, par une série
de reprises (ou, plus exactement, de réappropriations) A la fois très nourrie
et très concertée.

Figure 2 . - A u r a s de Cossw Corncliw Lcntulw (Rome, 12 av. J.-C.),


MC,1, no413.

Un premier groupe de reprises de revers augustéens comprend les images


les plus explicites de la restauration de Vespasien, qui évoquent directement
l'acte de restitution d'un état précédent ou la renaissance de Rome elle-
même. Le revers d'un aureus frappé à Rome en 12 av. J.-C. par le magistrat
monétaire Cossus Cornelius Lentulus figurait la personnification de Res
Pubiica (c'est-A-dire l'État) agenouillée, Auguste étant représenté à droite,
en toge, dans l'acte de la relever Z 1 $g. 2); or, cette image d'une très grande
clarté au plan symbolique réapparaît dans le premier monnayage romain
de Vespasien, dès 71 ap. J.-C., au revers de sesterces. Une même image
y est assortie de deux légendes différentes: Libertas RestitutaZZet Roma
Resui;qesZ3@g. 3). La modification flavienne intervient A la fois au niveau
de la légende, puisque Libertas ou Rome se substituent A Respublica, et de
l'image, avec l'ajout en second plan d'une figure féminine casquée, présen-
tée de profil, un sein dénudé, et tenant un bouclier circulaire. Toutefois,
la confrontation entre ces deux images ne saurait être pertinente sans une

19. C'est le cas de i'amphithéâue Fiavien: SvÉro~e,Vesp., 9 , l : item amphitheamm urbe media, ut&-
tinane compereratAugustum(ISAGER,"Vupasiano e Augusto 9, art. cit., p. 67). O n sait aujourd'hui
que la Meta S d n s flavienne constituait une version plus imposante d'une fontaine augustéenne
que les aménagements néroniens avaient oblitérée: Rosso E., rn Les desuns multiples de la domus
aurea. L'exploitation de la condamnation de Néron dans l'idéologie flaviennen, BENOIST,S.,
DAGUET-GAGEY, A. di^), Un discours en images de la condamnation & mimoire, Men, 2008,
p. 65-66.
20. Sur cette insmmentaiisation de l'héritage julio-claudien par les Flaviens -la plus imposante de ces
daiisaaons étant l'achèvement du tempfumdiui Chu& -, cf. Rosso E., n Culte impérial et image
dynastique: l u diui et diuae de la Gms Fkzviau, NOGALES T.,GONWZ J. (dir.), CuftoImperial:
pofitacaypo&r, Rome, 2007, p. 127-134.
21. RIC, 1, no 413; VERMEULE C. C., n Un aureo augusteo del magistato monetaie Cossus Cornelius
Lentulusn, Numismatica, n. S. 1, 1960, p. 1-7; RICH J.W. et WILLIAMSJ.H.C., ~Legeset Iura
PR mtituit: a New Aureus of Octavian and the Settlement of 28-27 BC B, Numismatic Chronick-,
1999, p. 208-209, pl. 20, 11.
22. BMCEmp, II, no 549 p. 118, pl. 2 1 , l ; GIARD, Monnaies& limpire m i n , I. Auguste, Patis, 1976,
rékd. revue et corrigée, 1988, no 506 p. 144, pl. 45 (Rome, sesterce, 71 ap. J.-C.).
23. BMCEmp, II, no 565 p. 121, pl. 2 1,9 ; G w ,Monnaies & limpire romain, III, op. kt., no 530
p. 148, pl. 47 (Rome, sesterce, 71 ap. J.-C.).
LE THEME DE LA RES PUBLICA RESTITUTA DANS LEMONNAYAGE DE VESPASIEN...

analyse des jalons intermédiaires qui conduisent de l'une à l'autre. Deux


éléments peuvent être versés au dossier: en premier lieu, Galba fit frapper
des sesterces qui constituent les antécédents les plus directs des frappes de
Vespasien 24. O n y voit Roma Restituta, puis Libertas Restituta, « relevées »,
« restaurées » ou ((rétablies» par l'empereur, représenté à droite. Dans le
premier cas, Rome, casquée, est armée d'un bouclier et d'une épée. Elle
tend un enfant au prince qui lui fait face en tenue militaire. Sur la seconde
monnaie, la figure drapée de Libertas remplace Rome au premier plan,
tandis que cette dernière se tient debout à l'arrière plan et assiste à la scène,
en quelque sorte. Roma devient-elle alors le simple «cadre»de la restaura-
tion de la Liberté au peuple Romain, ou doit-on au contraire postuler une
équivalence entre Rome conçue comme État et la Libertas25?Le second
jalon serait une émission extrêmement rare de Vitellius, jadis étudiée par
H. Mattingly : au revers, la légende malheureusement incomplète urbem
rebtituit SC!/se voit de nouveau associée à l'image de l'empereur rele-
vant une figure à genoux, en présence de deux soldats 26. Curieusement,
H. Mattingly, qui attribue la frappe à l'atelier de Lyon, refuse d'y voir une
personnification de Rome et préfere y voir celle de Lugdunum, mais son
hypothèse ne convainc pas réellement.

Figure 3. - Ld Libertas Rcstitllta de Wspasien,J.-B.GIARD,1998, no 506,pl. 45


(Rome, sesterce, 71 ap. J.-C.).

On retrouve sur les frappes de Vespasien la dualité (et l'ambiguïté) entre


Roma et Libertas déjà observée sur les sesterces de Galba. Toute la difficulté
tient dans la présence de la légende Roma Resurges associée à l'image à trois
protagonistes qui était naguère celle de Libertas Restituta. En effet, alors que
dans ce dernier cas, la coexistence de Rome et de la Liberté sur un même
revers ne fait difficulté ni au plan sémantique ni au plan iconographique,
le message devient peu lisible dès lors que les deux figures féminines sont
commentées par une légende ne faisant état que de la restitution de Rome.
Si Libertas peut être relevée en présence de Rome, en présence de quelle

24. GLUW,Monnak & I'empitr romain, III, op. rit., no 243 p. 59, pl. 18 (Rome, sesterce, juillet 68-
janvier 69 ap. J.-C.)
: u Galba, debout A gauche en habit militaire et tenant une lance, tend la main
Rome A genoux, qui tient un enfant. n
25. GOWING, Empitr a n d M m o g op. rit, p. 18.
26. ~ ~ ~ N H., G L nSome
Y Historicai Coins of the First Century AD., jRS 10, 1920, p. 40-41.
EMMANUELLE ROSSO

entité Rome est-elle relevée sur la seconde monnaie? L'identification de


cette troisième figure avec Roma sur le sesterce de Roma Resurges se révèle
beaucoup plus problématique : Rome y serait en effet représentée deux fois
27
sur une même image . Une telle redondance iconographique paraît peu
probable, dans la mesure où l'image monétaire, par son caractère nécessai­
rement synthétique, délivre un message qui doit être le plus clair possible.
Or, dans ce cas, l'idée de restitution ou de renaissance est indéniablement
« portée » tout entière par la figure agenouillée se relevant. Le sens glo­
bal de la composition interdit donc à mon sens de voir Roma dans cette
personnification, comme on l'a maintes fois proposé : l'hypothèse la plus
vraisemblable est que la figure située au second plan doive être identifiée à
Virtus dans les deux cas. I l est vrai que l'ambiguïté, voire la confusion ico­
nographique entre Roma et Virtus est presque totale dans le monnayage de
la période : il suffit pour s'en convaincre de comparer les revers des sesterces
28 29
àiHonos et Virtus d'une part, de Roma Victrix d'autre part, qui sont de
surcroît contemporains. Pour cette raison, l'hypothèse d'une représentation
de Virtus paraît vraisemblable. Enfin, il n'est pas inintéressant de mention­
ner une interpretano orientale de la Roma Resurges romaine de Vespasien :
un aureus de 72 ap. J.-C, attribué à l'atelier monétaire d'Antioche, figure
l'empereur nu, seulement revêtu d'un paludamentum, tenant une lance dans
30
une main et relevant de l'autre une figure féminine drapée et tourelée . La
légende célèbre la Pax Augusti, mais l'iconographie de l'allégorie féminine
oblige une fois de plus à y voir la personnification d'une cité, dans la tradi­
31
tion des tychai hellénistiques . Cette image simplifiée marque en quelque
sorte un retour à la sobriété du revers augustéen.
Si on retient que Vespasien relève Rome en présence de Virtus, le mes­
sage politique gagne en clarté : c'est grâce à la Virtus impériale - de fait, la
figure s'interpose spatialement entre le prince et Roma - que la liberté du
peuple Romain peut être restaurée et que Rome peut renaître. On le voit,
quoique la filiation soit indéniable, il ne s'agit pas d'une reprise directe de
Xaureus d'Auguste, puisque la légende est différente et, de surcroît, déjà
présente dans le monnayage provincial de 68-69 (quoiqu'associée à une tout
32
autre image ) : image et thème ont donc transité par le monnayage de la
33
guerre civile et celui de Galba . Toutefois, les «altérations»flaviennessont

27. C'est ainsi que MATTINGLY H., BMCEmp, II, introduction, p. XLVI, identifie une double représen­
tation de Rome : au premier plan, la personnification « géographique » ou politique proprement
dite, et à l'arrière-plan la « déesse Rome » (« the goddess Roma, here clearly distinguished from the
earthly city, is in attendance of the scene »). GIARD, Monnaies de l'empire romain, III, op. cit., p. 148
(à propos du n° 530) reprend cette lecture à son compte.
28. BMCEmp, II, n° 531 p. 114, pl. 20, 2 (Rome, sesterce, 71 ap. J.-C).
29. BMCEmp, II, * p. 121, pl. 22, 2 (Rome, sesterce, 71 ap. J.-C).
30. BMCEmp, II, n° 504 p. 106, pl. 18, 18 (Antioche, aureus, 72 ap. J.-C).
31. On sera tenté de voir dans cette représentation « achilléenne » de l'empereur une adaptation de
l'image romaine au langagefiguratiforiental.
32. Cf. supra n. 14; Liberias y est représentée au droit sous la forme d'un buste féminin drapé.
33. GIARD, Monnaies de l'empire romain, III, op. cit., n° 243 p. 59, pl. 18 (Rome, sesterce, juillet 68-
janvier 69 ap. J.-C.) : « Galba, debout à gauche en habit militaire et tenant une lance, tend la main
à Rome à genoux, qui tient un enfant. »

216
L E T H È M E D E L A R E S P U B L I C A R E S T I T U T A DANS L EM O N N A Y A G E D E V E S P A S I E N . . .

très significatives : si la Roma Restituta de Galba est relevée par un prince en


tenue militaire (et en présence de deux soldats sur la monnaie de Vitellius),
la Roma Resurges du monnayage flavien est le fait d'un empereur en toge
(princeps civilis). Vespasien met donc l'accent sur le caractère politique,
voire institutionnel, de son action. En outre, la figuration même de Rome
a changé : alors que l'iconographie monétaire du règne de Galba l'assimile
iconographiquement aux femmes captives des monuments triomphaux,
puisqu'elle tend son enfant à Yimperator, implorant sa protection dans un
54
geste de supplication , la Roma de Vespasien n'est ni la Rome casquée des
émissions antérieures, ni la Ville prisonnière d'un tyran : dépouillée de ses
attributs militaires, elle est simplement figurée comme entité politique ou
comme capitale de l'Empire. C'est bien Rome en tant qu'État qui est ainsi
relevée, et le prince flavien apparaît comme un recours dans le danger,
conformément du reste au portrait du princeps augustéen tel qu'il apparaît
notamment dans les Res Gestae. Parallèlement au monnayage consacré à
05
Roma, on trouve des frappes à Libertas Augusti et Liberias Publica , dont
la symétrie et la coexistence proclament de nouveau une équivalence entre
la libertas du populus, c'est-à-dire l'affirmation de la souveraineté populaire,
et celle que garantit l'empereur.

Figure 4. - Vespasien adsertor libertatis publicae, R I C , II, n° 411 ;


J.-B. GIARD, 1998, n° 468, pl. 42_(Rome, sesterce, 70 ap. J . - C ) .

34. Sur cette question, ZANKER P., « Le donne e i bambini barbari suirilievidella Colonna Aureliana»,
POLITO E . (dir.), Un arte per l'impero. Funzione e intenzione delle immagini nel mondo romano^
Milan, 2002, p. 63-78.
35. Libertas Publica-. GIARD, Monnaies de l'empire romain, III, op. cit., n° 502-505 p. 144, pl. 44-45
(Rome, sesterce, 71 ap. J.-C). Libertas restituta: GIARD, Monnaies de l'empire romain, III, op. cit.,
n° 500 p. 144, pl. 45 (Rome, sesterce, 71 ap. J.-C).

217
EMMANUELLE ROSSO

Dans ce contexte, une frappe du monnayage de Vespasien est particuliè­


rement éclairante: il s'agit d'un sesterce de 70 ap. J.-C. portant la légende
06
S(enatus) P(opulus)Q(ue) R(omanus) adsertori libertatispublicae (fig. 4).
Comme cela a été souligné, l'expression renvoie sans ambiguïté à la sphère
juridique et désigne l'action de saisir la justice contre une personne ayant
37
injustement traité un homme libre comme un esclave . Elle permet donc
d'insister à la fois sur la légalité de l'intervention impériale et sur l'acte
libérateur en tant que tel, qui sont précisément les deux éléments dont
Vespasien avait besoin pour justifier son engagement initialement illégal
dans la guerre civile. Pour le rendre acceptable, il fallait en effet qu'il soit
sous-tendu par une cause légitime : c'est dans ce cadre que la manipulation
idéologique consistant à convertir le coup d'état en défense de la libertas
du peuple Romain prend tout son sens. À vrai dire, la tâche était plus
simple pour Vespasien qu'elle ne l'avait été pour Octavien en son temps :
alors que ce dernier, ne pouvant réellement s'appuyer que sur la vengeance
de la mort de César, qui restait une cause «personnelle», avait dû «inven­
ter » la menace égyptienne et orientale associée à Marc Antoine, le géné­
ral flavien pouvait à la fois récupérer la propagande anti-néronienne d'un
Galba — et ainsi présenter son action comme visant à sauver Rome de la
38
tyrannie - et rappeler la menace de la guerre civile pour la stabilité de
l'empire et la paix, alors que la Judée pouvait opportunément fournir l'argu­
39
ment de la guerre extérieure .
Or, si la formulation exacte de la légende vespasianique est sans pré­
cédent, elle trouve en revanche un antécédent très direct dans une frappe
augustéenne qui permet de mieux en saisir la signification : il s'agit de tétra-
drachmes « cistophoriques » frappées en Asie, probablement à Éphèse ou
40
à Apamée de Bithynie, en 28-27 av. J.-C. (fig. 5): au revers, on lit la
41
légende Libertatis P(opuli) R(omani) Vindex, que R. Scheer et à sa suite
D. Mannsperger n'ont pas manqué de mettre en relation avec un passage
des Res Gestae: rempublicam a dominatione factionis oppressam in liberta-

36. RIC, II, 411 ; GIARD, Monnaies de lempire romain, III, op. cit., n° 468 p. 139, pl. 42 (Rome,
sesterce, 70 ap. J.-C.).
37. WATSON Α., « Vespasian: adsertor libertatis publicae», CR, 23, 1973, p. 127-128, p. 127-128.
Cf. également RIPOLL F., «Aspects et fonctions de Néron dans la propagande flavienne»,
Neronia V(Coll. Latomus, 247), Bruxelles, 1999, p. 141-142.
38. GOWING, Empire and Memory op. cit., n. 1 p. 102.
39. Cf. infra p. 235.
40. BMCEmp, I, n° 4, n° 691-693 (28 av. J.-C) ; sur la notion, SCHEER R., « Vindex Libertatis»,
Gymnasium 78, 1971, p. 182 sq. et WIRSZUBSKI C H . , Libertas as a Political Idea at Rome during
the Late Republic and Early Principate, Cambridge, 1960, p. 100-106; pour une interprétation de
cette émission augustéenne, voir MANNSPERGER D., «Apollon gegen Dionysos. Numismatische
Beiträge zu Octavians Rolle als Vindex Libertatis», Gymnasium, 80, 1973, p. 381-404. Sur la signi­
fication de la monnaieflavienne,cf. BIANCO E., «Indirizzi programmatici e propagandistici nella
monetazione di Vespasiano », RIN70, 1968, p. 153 et le rappel par M . HAMMOND, 1963, p. 94-96
des différentes interprétations possibles de la monnaie; en dernier lieu, JACOBO PEREZ Α., Auctoritas
et maiestas. Historia, programa dinastico e iconografia en U moneda de Vespasiano, Alicante,
p. 84-85.
41. SCHEER, «Vindex Libertatis », art. cit., p. 182-188; l'auteur analyse l'expression comme topos du
langage politique romain et souligne l'importance croissante du thème à partir de l'époque de
César.

218
LE THÈME DE LA R E S P U B L I C A R E S T I T U T A DANS LE MONNAYAGE DE VESPASIEN.

A1
tem uindicaui . L'image monétaire, inscrite dans une couronne de laurier,
figure Pax tenant le caducée, debout près de la ciste mystique. Le message
de ces frappes augustéennes est donc à la fois singulier et spécifique : i l
commémore le retour de la paix civile à travers la figure de Pax associée à la
couronne de laurier, mais aussi la légalité de l'action d'un Auguste combat­
tant pour le populus, le tout dans le contexte oriental de YAsia Recepta.

Figure 5. - Auguste Libertatis P(opuli) R(omani) Vindex: tétradrachme « cistophorique »


(BMCEMP, I, n° 691-693, 28 av. J . - C ) .

Quelles sont les analogies et les différences entre frappe augustéenne et


frappeflavienne? En premier lieu, la monnaie de Vespasien apparaît dans
un contexte romain, et non oriental, ce qui explique la disparition de la
ciste mystique dans ce cas. En second lieu, alors que le « prototype » a été
frappé avant l'octroi du titre $Augustus à Octavien, la monnaie flavienne
au contraire fut émise non pas lors du séjour de Vespasien en Orient, mais
bien après sa reconnaissance par le Sénat, c'est-à-dire dans le cadre de sa pre­
mière propagande romaine de tonalité «légaliste». En outre, la légende est
légèrement modifiée par la substitution du mot adsertor à celui de vindex.
Les deux termes étant de sens équivalent, on a expliqué ce changement par
la volonté d'éviter une confusion avec le rôle joué lors de la guerre civile par
43
C. Iulius Vindex , qui se présentait, selon Suétone, comme humant gene­
u
ris assertorem ducemque . Par ailleurs, le mot adsertor avait également été
45
employé sur un monnayage de la guerre civile, comme épithète d'Hercule
,46
ou de Mars : dans ce dernier cas, c'est le dieu qui est adsertor libertatis . I l
47
n'est cependant pas interdit de penser que le sens du terme uindex avait

42. Res GestaeDiuiAugusti, I, 1-2; MANNSPERGER, «Apollon gegen Dionysos», art. cit., p. 381, 398-
401.
43. RICH J.W. et WILLIAMS J.H.C., «New Aureus of Octavian», art. cit., η. 59 p. 186.
44. SUÉTONE, Galba, 9, 2.
45. BMCEmp I, p. 294 ; JUCKER H., « Der Ring des Kaisers Galbas », Chiron, 1975, p. 352.
46. BMCEmp, I, p. 308 ; NICOLAS, De Néron à Vespasien op. cit., n° 4 p. 1331, n° 21 p. 1418, pl. xix
(argent, Trêves, 70 ap. J.-C.) : la frappe est attribuée aux «tenants de Y imperium Galliarum» et
l'auteur l'interprète comme une célébration de « l'affranchissement du joug de Rome».
47. Claude est vindex libertatis sur l'arc de Cyzique: ILS, 217. RICH et WILLIAMS, «New Aureus of
Octavian», art. cit., p. 186.

219
EMMANUELLE ROSSO

été quelque peu altéré par l'image d'un Auguste «vengeur» de la mort
48
de César ; or c'est là un thème qui n'avait pas réellement sa place dans
le cadre de la politique flavienne de réconciliation nationale. I l se peut
donc que son remplacement par un synonyme ait été dicté par l'exigence
d'évacuer toute connotation belliqueuse ou vengeresse, pour ne retenir que
l'idée de défense et de protection dupopulus Romanus. L'emploi d'un terme
juridique renvoie quant à lui à un motif de prédilection de la première
idéologieflavienne,à savoir le jeu ostentatoire de la légalité.
Mais c'est au plan strictement iconographique qu'apparaît le plus net­
tement la différence de perspective derrière l'apparent décalque textuel:
alors que la monnaie augustéenne insiste sur le résultat de cette action
libératrice - le retour de Pax - et donc sur son lien avec la Victoire, le ses­
terce de Vespasien évacue au contraire toute référence «triomphaliste» au
profit d'une version épurée du message, à savoir la légende, qui demeure en
réalité l'unique motif central du revers. De façon significative, la couronne
qui cerne l'ensemble n'est plus la couronne de laurier, mais la couronne de
chêne, octroyée ob cives servatos. Enfin, la dernière différence notable ré­
side dans le sujet « grammatical » de la légende : dans le premier cas, c'est
IMP CAESAR D I V I F COS V I qui est présenté comme Libertatis P(opuli)
R(omani) vindex. Sous Vespasien en revanche, c'est le Sénat et le peuple
Romain qui rendent hommage au nouvel empereur (adsertori libertatis
publicae). L'emploi assez inhabituel du datif fait en quelque sorte de cette
émission une commémoration ou une dédicace du Sénat concernant le rôle
du principal « défenseur» de la liberté civique. C'est pourquoi on a pu l'in­
terpréter comme un témoin de l'octroi par le Sénat de la couronne civique à
49
Vespasien «en raison de sa qualité de champion de la liberté publique ».
Au total, l'analyse comparée de ces deux frappes directement apparentées
révèle à la fois le choix indubitable d'un réfèrent et la distance qui sépare
les deux fondateurs : à travers un texte très proche, on voit transparaître
des nuances, des adaptations et une réorientation riches de sens. Vespasien
« réactive » certes le thème augustéen de la restauration de la libertas du
peuple Romain, mais avec une tonalité davantage empreinte de modestia,
plus civique et plus légaliste ou constitutionnelle encore, qui évacue toute
référence directe à la guerre civile.
Le choix du texte inscrit dans une couronne comme motif unique des
revers paraît caractéristique non seulement de Ximitatio Augusti de Vespasien,
mais également d'une série assez restreinte d'émissions à la connotation
explicitement politique, c'est-à-dire renvoyant par exemple à l'octroi d'hon­
neurs exceptionnels par senatus consultum. C'est ainsi que les émissions ob
dues seruatos de Vespasien, proches du type adsertor libertatis publicae par
leur thématique comme par leur présentation formelle, ne peuvent avoir
d'autre fonction que celle de célébrer la sauvegarde de l'État romain dans un

48. SCHEER, « Vindex Libertatis», art. cit., p. 185.


49. RICH J.W. et WILLIAMS J.H.C., «New Aureus of Octavian », art. cit., n. 59 p. 186.

220
L E T H È M E D E L A R E S P U B L I C A R E S T I T U T A DANS L E M O N N A Y A G E D E V E S P A S I E N . .

contexte de politique intérieure. Présentes dès 70 ap. J.-C. sur des deniers
50
de Rome , elles sont elles aussi des copies précises d'émissions augus-
téennes et désignent comme réfèrent indubitable les honneurs décernés à
51
Auguste par le Sénat . L'ajout, sur les émissions lyonnaises, de la mention
52
SPQR en position privilégiée en tête de la légende souligne l'initiative
du Sénat ; en outre, une telle formulation présente l'avantage de consentir
une évocation de la victoire militaire au moyen d'un champ lexical civil.
Ainsi, la victoire, toujours anonyme et abstraite, évoquée par le monnayage
flavien renvoie à la fin des guerres civiles sans s'y référer explicitement. Dans
le même ordre d'idées, on peut également citer Y aureus d'origine gauloise
53
où Mars porte l'épithète de Conseru(ator) .
On pourrait être tenté d'en dire autant des frappesflaviennesfigurantles
deux lauriers de la demeure palatine d'Auguste, parfois associées au clipeus
virtutis, types qui sont de nouveau des emprunts directs au monnayage
augustéen et dont on ne sait s'ils correspondent à l'octroi à Vespasien d'hon­
neurs équivalents à ceux du premier princeps. C'est ce que semble suggérer
la légende du revers, ex s(enatu) c(onsulto). Ces frappes plus étroitement
liées, à l'origine, à la personne même d'Auguste plus qu'à des actes de gou­
vernement, représentent en réalité une forme de transition entre des revers
qui «citent» des événements politiques ou des honneurs précis et ceux
qui marquent un degré supplémentaire dans l'assimilation des symboles
politiques augustéens, dans la mesure où ils révèlent une véritable réappro­
priation, voire une annexion par les Flaviens des signes les plus personnels
d'Auguste — ceux qui, en première lecture, peuvent apparaître comme les
moins susceptibles d'être transposés hors du contexte augustéen.
C'est tout d'abord le thème du Capricorne, éminemment lié au destin
54
d'Auguste puisqu'il s'agit de son signe de naissance , qui peut paraître
étrange dans le contexte flavien ; en réalité, certaines légendes attachées
à ce motif à l'époque augustéenne, telles que l'expression signis receptis,
suggèrent une valence triomphale qui a pu être retenue dans la « version »
flavienne, notamment à l'occasion de la célébration des victoires rempor­
tées en Judée (fig. 6a-b). Si tel est le cas, il s'agirait d'un cas intéressant de
glissement de symbole personnel à symbole universel de retour de la paix.
Cette réappropriation visait à souligner que Vespasien avait été lui aussi
55
«désigné comme sauveur dès sa naissance ». Par ailleurs, cette interpré­
tation pourrait éclairer également la signification des frappes précoces à

50. BMCEmp, p. 7.
51. GIARD, Monnaies de l'empire romain, III, op. cit., n° 551-552 p. 150, pl. 49 (Rome, sesterce,
71 ap. J . - C ) .
52. BMCEmp n° 391 p. 80 pl. 13, 10 (denier, Lyon, non daté).
53. BMCEmp, n° 371 p. 75, pl. 12, 14 (denier, sans date, attribué à un atelier gaulois) ; JACOBO
PEREZ A, Auctoritas et maiestas op. cit., p. 55 ; GIARD, Monnaies de l'empire romain, III, op. cit.,
n° 26 p. 90, pl. 38 (Rome, aureus, 69-70 ap. J . - C ) .
54. SUÉTONE, Aug., 94, 18 ; KRAFT K., « Zum Capricorn auf den Münzen des Augsutus », Jahrbuch fur
Numismatik und Geldgeschichte 17, 1967, p. 17-27.
55. GIARD J.-B., «Signis Receptis. Armenia Capta. Images de reconquête à Rome», Bull. Bibl. Nat, 2,
1977, p. 26.

221
E M M A N U E L L E ROSSO

l'effigie de Domitien César, qui reprennent en 77 le thème du barbare


56
agenouillé restituant une enseigne romaine (fig. 7) apparu à l'occasion de
la restitution des enseignes de Crassus et Marc Antoine par les Parthes, en
57
20 av. J.-C . Cette citation paraît d'autant plus surprenante que Domitien
n'avait alors participé à aucune des campagnes militaires de ses père et frère
en Orient. On a même proposé d'interpréter ce revers comme une frappe de
«consolation» ou de «compensation», qui aurait en quelque sorte conféré
par l'image au prince de la jeunesse une gloire militaire que Vespasien lui
refusait pour la seconde fois : lors de la révolte de Civilis, puis de nouveau
58
en 77 contre les Parthes . Pareille lecture est bien évidemment peu vrai­
semblable : la récurrence de la réapparition des revers augustéens renvoyant
à un don de victoire inscrit le destin des protagonistes impériaux dans un
ordre voulu par les puissances divines, bienfaisant parce que destiné à rame­
ner la paix. Ainsi, plutôt que d'interpréter cette singulière émission comme
la célébration d'un «non événement», ce qui constituerait un cas inédit
dans le monnayage romain, on pourrait songer à une évocation générique
de l'entreprise de pacification menée par la nouvelle dynastie, dans la stricte

{aureus, Pergame, 19-18 av. J . - C ) .

Figure 6b. - Denier de Vespasien au Capricorne;


J.-B. GIARD, 1998, n° 218 p. 110, pl. 34, 79 ap. J . - C

56. BMCEmp II, Vesp., n° 231-233; GIARD, Monnaies de l'empire romain, III, op. cit., n° 205-206
pl. 333 {aureus, Rome, 77-78 ap. J.-C.) ; MATTINGLY H., BMCEmp II, introduction, p. XLI.
57. BMCEmp I, n° 10 sq., p. 3.
58. HALFMANN H., Itinera principum. Geschichte und Typologie der Kaiserreisen im römischen Reich,
Stuttgart, 1986, p. 41 ; LEVICK B., Vespasian, Londres-New York, 1999, η. 9 p. 189.

222
LE THÈME DE LA R E S P U B L I C A R E S T I T U T A DANS LE MONNAYAGE DE VESPASIEN.

Figure 7. - Aureus de Domitien César: barbare agenouillé restituant une enseigne,


BMCEmp II, Vesp., n° 2 3 1 - 2 3 3 ; J.-B. GIARD, 1998, n° 2 0 5 - 2 0 6 , pl. 3 3 3
(Rome, 77-78 ap. J . - C ) .

Enfin, on peut mentionner la parenté iconographique qui unit le revers


59
du nouvel aureus d'Octavien portant la légende leges et iura PR restituii
(lui-même très proche d'une frappe présentant simplement le princeps en
60
toge, assis sur une chaise curule ) et une émission de Vespasien, qui figure
61
l'empereur dans la même posture (fig. 8). La différence réside non seule­
ment dans le changement de légende, mais aussi dans le fait que l'empereur
tient dans la main un rameau d'olivier, au lieu d'un volumen ou d'une
statuette de Victoire ailée. La résurgence de ce type est d'autant plus signi­
ficative qu'Octavien-Auguste n'apparaît que très rarement en toge dans le
62
monnayage ; l'association avec la seUa curulis et avec des légendes moné­
taires ne mentionnant que les magistratures traditionnelles revêtues par le
prince montre que l'accent est porté sur le maintien de ces dernières dans
le cadre du principat.

Figure 8. - Vespasien assis sur la sella curulis; J.-B. GIARD, 1998, n° 86, pl. 2 9
(aureus, Rome, 7 3 ap. J . - C ) .

Quelle est la raison d'être de ces reprises dans le cadre spécifique de


l'idéologieflavienne? Par-delà l'expression d'une filiation politique reven­
diquée, il est clair que le caractère symbolique et indirect de la célébra-
59. RICH J.W. et WILLIAMS J . H . C , «New Aureus of Octavian», art. cit., p. 169-213.
60. RIC, 270 : RICH J.W. et WILLIAMS J . H . C , « New Aureus of Octavian », art. cit., p. 176 et 179, où
les auteurs soulignent également la similitude avec la représentation impérialefigurantsur Tune
des coupes de Boscoreale.
61. GIARD, Monnaies de l'empire romain, III, op. cit., n° 86-87 p. 96, pl. 29 {aureus, Rome,
73 ap. J . - C ) . Le type est également utilisé la même année pour des émissions de Titus: ibid.,
n° 95-96 p. 97, pl. 30 (aureus, Rome, 73 ap. J . - C ) .
62. RICH J.W. et WILLIAMS J . H . C , «New Aureus of Octavian», art. cit., p. 176.

223
tion augustéenne de la fin de la guerre civile entre en parfait écho avec la
politique de réconciliation nationale et la commémoration de la concorde
retrouvée, caractéristiques de la première idéologieflavienne: l'évocation de
la guerre civile y est systématiquement allusive, détournée et anonyme, elle
tend à éluder la rupture inhérente au bellum ciuile, c'est-à-dire l'idée même
de la guerre, pour ne retenir que la re-création du lien entre les différents
organes de l'État. Autrement dit, la guerre civile n'est évoquée que dans son
dépassement, réalisé sous l'égide de Vespasien, et la victoire apparaît ainsi
comme le facteur déclenchant la transition de l'état de chaos à l'état de paix.
Autrement dit, l'habillage augustéen que revêt l'évocation de la restauration
d'un état antérieur au double chaos, celui du règne de Néron et celui de la
guerre civile, est efficient en ce qu'il permet de couvrir l'entreprise flavienne
d'un voile de légitimité. I l permet d'établir un lien avec l'insigne précédent
augustéen, tout en passant sous silence les épisodes délicats des premiers
mois du pouvoir flavien en Orient.
La thèse de J. Isager selon laquelle Vespasien n'aurait officiellement imité
63
Auguste qu'à partir de 74 ap. J.-C. se trouve donc amplement démentie
par cette première série de reprises, dont la plupart remontent au tout
premier monnayage flavien à Rome, en 70-71 ; en outre, il est intéressant
de noter que les véritables modèles de ces frappes sont empruntés au mon­
nayage provincial d'Orient et qu'ils renvoient à la phase de formation du
principat augustéen davantage qu'à sa phase de consolidation. En outre,
on note que pendant les deux premières années du principat de Vespasien,
le précédent constitué par Galba et le modèle augustéen coexistent dans la
figuration de l'idéologie officielle; par la suite, la référence au premier, qui
fait office de relais, va en s'atténuant au profit du second. La raison en est
probablement que les thèmes de la propagande de Galba étaient davantage
appropriés à la connotation plus nettement anti-néronienne des débuts de
64
la période . Cela ne signifie en aucune façon que les références directes
au « premier » Auguste n'aient pas été présentes dès les toutes premières
formulations flaviennes.

L'iconographie des princes de la jeunesse flaviens

Contrairement à Auguste, Vespasien ne cacha jamais son intention de


fonder une dynastie ; toutes les sources historiographiques la mentionnent
et soulignent la précocité de la désignation de ses deux fils comme succes­
65
seurs à venir du pouvoir impérial . Cependant, par l'octroi à Titus et à

63. Cf. supra n. 10.


64. Cf. à ce propos les remarques de RIPOLL R, «Aspects et fonctions de Néron», art. cit., p. 144
n. 44 ; l'auteur souligne que Libertas et Concordia, thèmes qu'il qualifie de pro-sénatoriaux, dis­
paraissent dès 71, «parallèlement à l'abandon progressif de la référence à Galba au profit de la
référence augustéenne».
65. SUÉTONE, Vesp., 25,1 : autfilios sibi successuros aut neminem. Voir également EUTROPE, VII, 20, 3.
Dion Cassius (DION, LXVI, 12, 1) ne parle pas d'une succession double, mais affirme seulement
que Vespasien souhaitait que sonfilslui succédât.

224
L E T H È M E D E L A RES PUBLICA RESTITUTA DANS L EM O N N A Y A G E D E V E S P A S I E N . . .

Domitien des titres de Caesares et principes iuuentutis, qui avaient consacré


l'entrée dans la vie publique des fils aînés d'Agrippa et ainsi marqué les
débuts de la propagande dynastique d'Auguste, Vespasien assume pleine­
ment l'héritage augustéen et désigne le système d'association au pouvoir tel
qu'il avait été mis en place par Auguste comme le réfèrent incontestable :
la répétition des images qui avaient servi à le mettre en scène constitue le
parfait correspondant de la reprise des titres et des procédures. Ainsi, malgré
l'évidente évolution de la conception de l'idée dynastique, c'est bien à la fois
le discours politique et le discours figurés augustéens destinés à l'exprimer
qui furent repris avec précision sous Vespasien dans le monnayage romain
et provincial: en 70-71, autrement dit dès les premières émissions de la
capitale après le retour de Vespasien sur le sol italien, sont frappés pas moins
de six types de revers différents associant les princes Titus et Domitien, qui
révèlent l'importance du thème dynastique. Outre les bustes affrontés et
physiquement indifférenciés de Titus et Domitien, déjà présents au revers
66
des premières frappes de 69-70 ap. J.-C. (fig. 9), on trouve les deux prin­
67
ces figurés en pied, cuirassés et tenant une lance (fig. 10), en toge, tenant
68
patere et rouleau (fig. 11), à cheval, en tenue militaire, brandissant une
69
lance ou levant la main droite (fig. 12), en toge, assis sur une chaise
70
curule et tenant un rameau d'olivier (fig. 13), ou assis et se faisant face
71
sur deux estrades . Enfin, un type monétaire hispanique original figure les
72
princes debout, l'un tendant à l'autre une statuette de victoire .

66. Cf. notamment BMCEmp, II, n° 3 p. 1, pl. 1, 1 (Rome, aureus, 69-70 ap. J.-C.) ; n° 368 p. 73,
pl. 12, 4 (denier, atelier gaulois, sans date); n° 429 p. 88, pl. 15, 8 (Asie Mineure, denier,
69-70 ap. J.-C); n° 433 p. 89, pl. 15, 12 (Asie Mineure, denier, 69-70 ap. J.-C); n° 455 p. 95,
pl. 16, 7 (Éphèse, denier, 71 ap. J.-C). Cette liste ne vise pas à l'exhaustivité et ne présente qu'une
sélection des frappes romaines et provinciales présentant cette iconographie. La physionomie des
princes varie d'ailleurs d'un atelier à l'autre ; en outre, ils sont parfoisfigurésimberbes, et parfois
barbus; en revanche, le principe des portraits «jumeaux» demeure.
67. BMCEmp, II, n° 528 p. 113, pl. 20, 1 (Rome, sesterce, 71 ap. J.-C); n° 752 p. 183, pl. 32, 3
(Tarragone, sesterce, 71 ap. J.-C.) ; n° 755 p. 183, pl. 32, 4 (Tarragone, sesterce, 71 ap. J.-C.) ;
n° 798 p. 196, pl. 37, 6 (Lyon, sesterce, 71 ap. J.-C) ; n° 814 p. 203, pl. 39, 3 (Lyon, sesterce,
71 ap. J.-C).
68. GIARD, Monnaies de l'empire romain, III, op. cit., n° 4 p. 87, pl. 27 = BMCEmp, II, n° 6 p. 2,
pl. 1, 2 (Rome, aureus, 69-70 ap. J.-C); BMCEmp, II, n° 430 p. 89, pl. 15, 9 (Asie Mineure,
denier, 69-70 ap. J.-C); avec patere mais sans rouleau: n° 443 p. 92, pl. 15, 20 (Asie Mineure,
denier, 70 ap. J.-C.) ; n° 456 p. 96, pl. 16, 8 (Éphèse, denier, 71 ap. J.-C) = GIARD, Monnaies de
l'empire romain, III, op. cit., n° 349-350, pl. 38.
69. BMCEmp, II, n° 395-396 p. 80-81, pl. 13, 14-15 (Lyon, deniers, sans date: 71 ap. J.-C ?) ; n° 426
p. 87, pl. 15, 5 (Ilfyricum, denier, 69-70 ap. J.-C); n° 750 p. 181, pl. 31, 5 (Tarragone, sesterces,
69-70 ap. J.-C). GIARD, Monnaies de l'empire romain, III, op. cit., n° 28-29 p. 90, pl. 28 (Rome,
deniers, 69-70 ap. J.-C). Un sesterce de l'atelier d'Illyricum constitue une intéressante variante
de ce type: les princes cavaliers y sont précédés d'un fantassin tenant un vexillum: BMCEmp, II,
n° 878 p. 217, pl. 42-7.
70. BMCEmp, II, n° 45-46 p. 8, pl. 1-14 (Rome, denier, 70 ap. J.-C.) ; n° 392-394 p. 80, pl. 13-11,
13-12 (Lyon, aureus et denier, 70 ap. J.-C.) ; GIARD, Monnaies de l'empire romain, III, op. cit.,
n° 381- 390, pl. 39 (atelier oriental, 69-70 ap. J.-C.)
71. BMCEmp, II, n° 751 p. 182, pl. 31-9 (Tarragone, sesterce, 70 ap. J.-C).
72. GIARD, Monnaies de l'empire romain, III, op. cit., * p. 182, pl. 66a (exemplaire d'Oxford) (Espagne,
sesterce, 69-70 ap. J.-C).

225
EMMANUELLE ROSSO

Figure 9. - Bustes affrontés de Titus et Domitien,


BMCEmp, II, n° 2 (Rome, denier, 70 ap. J . - C ) .

Figure 10. - Titus et Domitien se faisant face en tenue militaire,


BMCEmp, II, n° 528, pl. 37, 6 (Rome, sesterce, 71 ap. J . - C ) .

Figure 11. - Titus et Domitien en toge, BMCEmp, II, n° 456, pl. 16, 8
= J.-B. GIARD, 1998, n° 349-350, pl. 38 (Éphèse, denier, 71 ap. J . - C ) .

226
L E T H È M E D E L A R E S P U B L I C A R E S T I T U T A DANS L E M O N N A Y A G E D E V E S P A S I E N .

Figure 13. - Titus et Domitien assis sur une chaise curule et tenant un rameau d'olivier,
BMCEmp, II, n° 392, pl. 13-11 (Lyon, aureus, 70 ap. J . - C ) .

73
Dans cette série monétaire fortement unitaire , la cohérence théma­
tique se double d'une cohérence référentielle et iconographique : en effet,
non seulement ces frappes présentent un même schéma de composition,
consistant à associer sur un même revers les deux princes côte à côte dans la
même position, selon un principe de duplication stricte de la même image,
mais toutes imitent avec plus ou moins de précision des revers augustéens.
La plupart sont des décalques de revers qui figuraient initialement soit
Auguste et Agrippa, c'est-à-dire le prince et son premier «co-régent», soit
les premiers princes de la jeunesse, Caius et Lucius Caesares, qui ont fourni
les paradigmes de la figuration monétaire des «princes héritiers». Si les
bustes affrontés des fils de Vespasien (fig. 9) ne rappellent que de façon
74
lointaine le droit des as de Nîmes , ils sont étonnamment proches d'émis­
sions hispaniques d'époque tibérienne consacrées à Germanicus et Drusus
75
Minor (fig. 14). Les types avec deux togati debout tenant patere et rou­
leau ou assis côte à côte sont plus directement issus d'émissions frappées en
76
13-12 av. J.-C., qui associaient Auguste et Agrippa (fig. 15 et 16). Mais

73. Sur l'ensemble de ces types, cf. JACOBO PEREZ A , Auctoritas et maiestas, op. cit., p. 115-119.
74. RIC, I, n° 155, 159-160 (as, Nîmes, 20-10 av. J . - C ) .
75. RPC, I, 74 (Romula, règne de Tibère).
76. GIARD, Monnaies de l'empire romain I op. cit., n° 539-540 p. 112, pl. 25 (Rome, denier de
C. Sulpicius Platorinus, 13 av. J.-C.) = HURLET Fr., Les collègues du prince sous Auguste et Tibère
De la légalité républicaine à la légitimité dynastique, Rome, 1997,fig.1 et GIARD, Monnaies d
l'empire romain I op. cit., n° 521 p. 110 et 528 p. 111, pl. 25 = HURLET, Les collègues du prince,

227
EMMANUELLE ROSSO

le décalque le plus parfait demeure celui d'un denier précoce de l'atelier de


Tarragone ou Aquileia, connu depuis 2004 et représenté à l'heure actuelle
77
par trois exemplaires seulement : cette frappe précoce copie précisé­
ment le célèbre revers figurant Caius et Lucius debout en toge, de part
et d'autre de hastes et de boucliers circulaires placés en position centrale
(fig. 17 a~b): outre la modification de la légende, qui désigne les fils de
Vespasien comme Vespasiani Augusti fili, on note comme seule modi­
fication la disparition des objets cultuels, dont le lituus, au-dessus des
têtes des jeunes princes. Enfin, le revers aux princes cavaliers reproduit
78
un type utilisé sous Caligula pour Néron et Drusus Caesares, ses frères
(fig. 18). Alors même que les représentations dynastiques n'ont cessé de se
développer en se diversifiant sous les successeurs d'Auguste, cette série de
reprises témoigne d'un évident retour aux origines.

Figure 14. - ReversfigurantGermanicus et Drusus Minor (?),


RPC, I, 7 4 (Romula, règne de Tibère).

Figure 15. - Auguste et Agrippa sur un denier de C. Sulpicius Platorinus,


J.-B. GIARD, 1988, n° 539, pl. 2 5 (Rome, 13 av. J . - C . ) .

op. cit.yfig.2 (Rome, denier de C. Marius, 13 av. J.-C.) ; JACOBO PEREZ Α., Auctoritas et maiestas,
op. cit., p. 116. Auguste et Agrippa en toge tiennent chacun un rouleau; une capsa à leurs pieds.
77. Harlan J. Berk, 138th Buy or Bid Sale, 1 June 2004, lot 223 = 140th Sale, 27 October 2004,
lot 280.
78. RIC, I, n° 34; BMCEmp, I, Caligula, n° 44 (Rome, dupondius, 37-38 ap. J.-C).

228
L E T H È M E D E L A R E S P U B L I C A R E S T I T U T A DANS L EM O N N A Y A G E D E V E S P A S I E N . .

Figure 16. - Auguste et Agrippa sur un denier de C. Marius,


J.-B. GIARD, 1988, n° 521 p. 110, 528, pl. 25 (Rome, 13 av. J . - C ) .

Figure 17a. - Caius et Lucius Caesares, BMCEmp, I, n° 533.

Figure 17b. - Revers dun denier de Vespasien, 69 ap. J.-C,


atelier de Tarragone ou Aquileia.

Or, une fois de plus, derrière l'apparente similitude des situations, qui
entraîne naturellement celle des formulations iconographiques - en l'occur­
rence celle de deux frères, fils de l'empereur régnant et ayant reçu les titres
et les charges caractéristiques de la « co-régence » - , on ne peut manquer
de souligner de frappantes différences. Titus et Domitien ne sont pas des
fils adoptifs, mais bien des héritiers directs ; en second lieu, si la gémellité

229
EMMANUELLE ROSSO

de représentation se justifiait sans difficulté, dans le cas de Caius et Lucius


Caesares, par une différence d'âge de deux ans à peine, dans le cas de Titus et
Domitien au contraire, que treize ans séparent, ces représentations jumelles
79
impliquent une plus grande entorse à la vraisemblance . Or, cette distor­
sion même ne fait que révéler davantage le fort marquage idéologique de
ces émissions.
Le fait que le modèle iconographique soit constitué pour partie par des
frappes précoces, antérieures à la mort d'Agrippa, révèle en réalité que ce
que tendent à évoquer ces images de manière allusive, c'est la collégialité
dans l'exercice des magistratures qui constitue l'essence du système poli­
tique romain d'époque républicaine. Par conséquent, on a là comme un
souvenir, qui n'est alors plus que de représentation, de ce partage et de
cette association au pouvoir. De façon significative, on y retrouve les autres
insignes de la res publica traditionnelle : chaise curule, volumina, port de la
toge, hastes et boucliers en lien avec l'ordre équestre sont autant d'éléments
qui vont dans le même sens. Ces représentations jumelles correspondent
à un moment très précis de l'histoire dynastique flavienne : en effet, avec
le triomphe sur la Judée de 71 ap. J.-C, les rôles des deux Caesares se
dissocient fortement du fait de l'acclamation impériale de Titus et de son
association au consulat.

L'imagerie actiaque

Dans le domaine spécifique de la célébration de la victoire, le modèle


80
augustéen s'avère particulièrement présent . Dans ce contexte, Xexemplum
d'Actium paraît très clair par l'ampleur et la diversité de ses prolongements :
son exploitation dans les représentations du pouvoir aboutit à la récupération,
par la seconde dynastie, de la plus large part du répertoire figuratif destiné à
commémorer Actium pour évoquer le triomphe flavien. Certes, les éphémères
princes de l'année 68-69 avaient repris à leur compte les types monétaires
de la Victoria Augusti pour évoquer en réalité leurs victoires « personnelles »
1
{Victoria Galbae Victoria Othonis* .. J. Dans le cas des Flaviens, une analyse
y

plus précise du contexte historique qui a dicté ce parallèle, des circonstances


d'émergence de cette imagerie et de l'adaptation des images révèle que la
valeur de Xexemplum d'Actium dépasse largement le cadre du simple emprunt
symbolique: il nous paraît en effet avoir «informé» dès l'abord la mise en
scène des événements victorieux initiaux de la seconde dynastie.

79. SAURON G., L'histoire végétalisée. Ornement et politique à Rome, Paris, 2000, p. 69, à propos de
Caïus et Lucius Caesares représentés comme des jumeaux et ainsi assimilés aux Dioscures : «Toute
la construction idéologique repose ici sur cette approximation. »
80. ISAGER J., «Vespasiano e Augusto », art. cit., p. 248-260 ; pour ses applications dans le domaine du
monnayage, cf. JACOBO PEREZ Α., Auctoritas et maiestas, op. cit.., p. 167-191.
81. Victoria Galbae: GIARD, Monnaies de l'empire romain, III, op. cit., n° 62-63 p. 39, pl. 5; Victoria
Othonis: GIARD, Monnaies de l'empire romain, III, op. cit., n° 18 p. 68, pl. 20; n° 20 p. 69, pl. 20
(Rome, aurei, 69 ap. J.-C.) : victoire sur globe avec couronne et palme ; cf. également HÖLSCHER T.,
Victoria Romana. Archäologische Untersuchungen zur Geschichte und Wesensart der römischen
Siegesgöttin von den Anfingen bis zum Ende des 3. Jhs n. Chr., Mayence, 1967, p. 18, 164.

230
L E T H È M E D E L A R E S P U B L I C A R E S T I T U T A DANS L E M O N N A Y A G E D E V E S P A S I E N . .

Revenons tout d'abord à la première investiture de Vespasien, de nature


militaire, orchestrée par le préfet Ti. Iulius Alexander : Vespasien aurait
été acclamé imperator à Nicopolis, camp légionnaire d'Alexandrie, le
er 82
1 juillet 69 . Or, c'est précisément d'Octavien que cette «ville nouvelle»
avait reçu son nom, au lendemain de la victoire sur Marc Antoine et de
er 83
l'entrée victorieuse dans la capitale égyptienne le 1 août 31 av. J.-C. . Le
lien avec Actium n'était pas seulement chronologique : l'autre Nicopolis, la
ville d'Epire située face au promontoire d'Actium où fut élevé le temenos-
trophée de la bataille, était celle qui avait accueilli le camp d'Octavien
jusqu'au jour décisif.

Figure 19. - Denier de Neptune Redux, BMCEmp, II, n° 14, pl. 1-5
(Rome, 69-70 ap. J.-C).

Dans un tel contexte, on peut difficilement considérer comme casuelle


84
l'apparition, dès le monnayage de 69-70, de Neptune (fig. 19) et de
85
Mars , qui sont précisément les divinités dédicataires du trophée aux ros­
tres érigé sur le site même d'Actium, symboles d'une paix terra manque
parta à la suite d'une guerre menée pro re publica, comme le rappelle l'ins­
86
cription du monument . À ce moment-là, Victoria est encore absente du
monnayage : ce sont deux des trois principales divinités d'Actium qui sont
convoquées pour représenter pour la première fois la victoire flavienne.
En outre, la monnaieflaviennede Neptune reprend fidèlement les frappes
87
orientales de 31-29 av. J.-C. : la divinité est figurée debout, le pied droit
sur un globe et tenant un aplustre. On trouve ainsi côte à côte Fortuna
Redux et Neptune Redux, où l'épithète indique on ne peut plus clairement
le retour et la restauration de la paix.

82. SUÉTONE, Vesp., 6, 6 : Tiberius Alexander [...]primus in uerba Vespasiani legiones adegit kal lu
également TACITE, Hist, II, 79.
83. STRABON, 17, 8 0 ; KEES H . , S. V. Nikopolis, RE, XXVII, 1, 1936, n° 9 col. 5 3 8 - 5 3 9 .
84. BMCEmp, II, n° 14 p. 3 , pl. 1- 5 (Rome, denier, 6 9 - 7 0 ap. J . - C ) .
85. BMCEmp, II, n° 10-12 p. 2, pi. 1-4 {aureus et deniers, Rome, 6 9 - 7 0 ap. J . - C ) .
86. Texte de l'inscription, selon la lecture donnée par MURRAY W. M . , PETSAS P., Octavians Campsite
Memorialfor the Actian War {Transactions of the American Philosophical Society, 79, 4), Philad
1989 : Imp(erator) Caesajr Diu[i Iuli]flilius) uictforiam consecutus bell]ο quodpro frje pfublicaj g
in hoc region fe consjul [quintum ijmperatfor sejptimum pace parta terra [marique Neptjuno et
cjastra [ex] quibufs adhostem in]sequendum egr]essu[s est naualibus spoli]is [exorna]ta cfonsa
87. BMCEmp, I, introduction, p. cxxiii; n° 615 p. 100, pi. 15-5 (denier, atelier oriental, 31-29 av. J . - C ) .

231
L E T H È M E D E L A R E S P U B L I C A R E S T I T U T A DANS L E M O N N A Y A G E D E V E S P A S I E N . .

tement consécutif à la bataille : même si la plupart des types ont « servi » à


célébrer Actium, parfois plusieurs années après la victoire effective, nombre
d'entre eux renvoient à une phase antérieure de l'ascension d'Octavien, alors
que d'autres insistent davantage sur la reconnaissance de la victoire par les
instances romaines (le Sénat en particulier), ce qui tend à prouver que la
sélection a été soigneusement concertée. On remarque néanmoins que ces
reprises sont fortement marquées par l'empreinte des ateliers provinciaux,
en particulier les officines monétaires de la partie orientale de l'Empire. La
fréquence de ces emprunts est telle qu'on a tenté d'expliquer leur apparition
par la possible commémoration numismatique d'un «jubilé», l'année 69
marquant le centenaire d'Actium : l'hypothèse, émise par L. Laffranchi au
e 96
début du xx siècle , a été depuis lors fréquemment reprise, notamment
par E. Bianco, dans un article de synthèse sur le programme monétaire
97
flavien ; H. Mattingly se ralliait également à cette théorie, quoique plus
98
prudemment . C'est là un problème délicat qui impose de cerner au préa­
lable les points d'application du paradigme, c'est-à-dire les éléments sur
lesquels s'est fondée l'analogie, afin d'en évaluer à la fois la pertinence et la
mise en oeuvre concrète, mais aussi de déterminer sur quelles éventuelles
déviations ou approximations elle repose.

Figure 21a. - Tétradrachme cistophorique d'Auguste: victoire sur ciste mystique entourée
de serpents (RIC, I, n° 276).

Figure 21b. - Aureus de Vespasien: victoire sur ciste mystique entourée de serpents,
RIC, II, n° 92; BMCEmp, II, 168 (Rome, aureus, 75 ap. J . - C ) .

96. LAFFRANCHI L . , «Un centenario numismatico nell'antichità», RIN, 24, 1911, p. 427-436;
ID., «Sulla numismatica dei Flavi», RIN, 1915, p. 139-156.
97. BIANCO, «Indirizzi», art. cit., p. 210-213; cf. également GRANT M., Roman Anniversary Issues.
An exploratory study of the numismatic and medallic commemoration of anniversary years (49 B.C.
2
A.D. 375), Cambridge, 1950 (1977 ), p. 88-98, 179-180.
98. MATTINGLY H., BMCEmp, II, introduction, p. xxxvui-xxxix.

233
EMMANUELLE ROSSO

Selon une idée courante, c'est la victoire définitive en Judée qui


représente «Γ Actium des Flaviens», pour reprendre la formulation de
G.-Ch. Picard"; en réalité, cette équivalence symbolique ne va pas de
soi. A un premier niveau de lecture, la localisation géographique s'impose
comme l'analogie « factuelle» la plus évidente unissant les deux avènements:
10
il s'agit de deux victoires fondatrices et orientales °, l'une comme l'autre en
lien très étroit mais indirect avec l'Egypte. En effet, dans le cas d'Octavien,
la bataille qui eut lieu dans le golfe d'Ambracie a été retenue, en tant que
victoire remportée sur Marc Antoine et Cléopâtre, comme ayant définiti­
vement consacré la défaite de l'Egypte, qui n'allait pas tarder à être trans­
formée en province romaine. Dans le cas de Vespasien, les acclamations
très rapprochées des légions stationnées à Alexandrie et de celles de Judée
faisaient de cette dernière une «victoire égyptienne».
Un commun contexte de guerre civile constitue le second point de
rencontre fondamental entre les deux événements : de la même façon que
la propagande du moment s'était employée à forger l'image d'un Octavien
sauvant l'empire de la menace que représentaient Marc Antoine et «l'Égyp­
tienne », la version officielle de l'avènement de Vespasien présenta son enga­
gement contre Vitellius comme un devoir envers l'État. Le bellum ciuile et
le thème de la Res publica en danger constituent donc dans les deux cas la
matrice qui permit l'émergence de la « mystique » de l'homme providentiel,
intervenant pour la sauvegarde de Rome et sauvant le monde du chaos. Par
conséquent, on retient comme principale base de la confrontation un statut
commun de victoire fondatrice et source de légitimité, remportée à l'exté­
rieur de l'Italie et plus spécifiquement en Egypte, mais dont les principales
conséquences concernaient la restauration d'un ordre bouleversé par les
guerres civiles : or, à ce stade, la confrontation peut parfaitement se passer
du réfèrent judaïque, de sorte que l'assertion de G.-Ch. Picard ne semble
pas a priori recevable.
A quel moment l'élément judaïque intervient-il? On peut d'emblée
noter que, contrairement à Actium, l'acclamation égyptienne ne faisait suite
à aucune «bataille» au sens strict du terme; surtout, il y manquait l'élé­
ment, voire «l'alibi» étranger ou extérieur que représentait Cléopâtre dans
la mise en scène de l'événement. En effet, c'est par lui exclusivement que la
reine d'Egypte avait pu être déclarée hostis, ennemie publique ; de même, la
fiction d'un bellum externum n'aurait pu être entretenue sans la réduction
effective de l'Egypte en province romaine. Or, de ce point de vue, le paral­
lèle entre l'ascension flavienne et la situation à la veille d'Actium paraissait
mal venu : à l'heure où Titus, légat de son père en Judée, entretenait avec
la reine juive Bérénice une relation qui pouvait légitimement rappeler celle
de Marc Antoine avec Cléopâtre, où l'investiture alexandrine avait reçu de
spectaculaires confirmations de la part des divinités égyptiennes, alors enfin

99. PICARD G.-CH., Les trophées romains. Contribution à l'histoire de la religion et de l'art triomphal à
Rome (BEFAR, 187), Rome, p. 343.
100. JACOBO PEREZ Α., Auctoritas et maiestas, op. cit., p. 182.

234
L E T H È M E D E L A R E S P U B L I C A R E S T I T U T A DANS L EM O N N A Y A G E D E V E S P A S I E N . . .

que le séjour prolongé de Vespasien à Alexandrie pouvait éveiller le soupçon


d'un transfert de la capitale de l'empire - argument déjà mis en avant en
son temps par la propagande anti-antonienne - , les membres de la gens
Flauia semblaient être davantage assimilables aux ennemis d'Octavien qu'à
Octavien lui-même. En outre, la victoire sur Marc Antoine et Cléopâtre
représentait la victoire sur l'Egypte, et plus généralement la victoire de
l'Occident sur l'Orient, alors que l'ascension de Vespasien acclamé par les
légions d'Alexandrie pouvait apparaître bien plutôt comme la victoire de
101
l'Egypte — de ses légions, de ses dieux faiseurs d'empereurs . Vespasien
n'avait pas poursuivi jusqu'en Orient un ennemi qui menaçait l'intégrité
deΓ Vrbsy il avait vaincu depuis l'Orient un adversaire qui avait été reconnu
comme légitime à Rome même. En définitive, ce détournement par sélec­
tion de la version officielle d'Actium peut légitimement être considéré
comme un tour de force majeur de l'idéologie flavienne de la victoire.
L'introduction, au prix de distorsions chronologiques et géographiques,
de la Judée dans le cadre de la victoire flavienne en Egypte — et donc du
parallèle actiaque, fut le moyen par lequel l'idéologie dynastique réussit à le
rendre efficient. La Judée allait se trouver investie, dans le dispositif flavien,
de la fonction remplie par l'Egypte dans la célébration et l'amplification
de la bataille d'Actium : c'est elle qui « créa » l'alibi de la guerre extérieure
et qui permit l'omission corrélative du volet civil du conflit, ainsi que le
développement d'une idéologie de la conquête. La distorsion qui permet
de rapprocher les avènements des deux dynasties est donc l'externalisation
de la guerre juive, au prix d'une synthèse entre les événements d'Egypte et
de Judée, englobés dans un « Orient » générique.
On pourrait dire que l'idéologieflavienneinventa lafiguredu «barbare»
juif dans le but de se conformer au paradigme actiaque : en d'autres termes,
102
ctstAegypto Capta qui dicta la transformation de «Iudaea Recepta»,
qui aurait représenté la formule historiquement la plus exacte, en Iudaea
Capta. Par cette mutation, les Flaviens faisaient donc subir à l'expression de
leur victoire initiale le même dévoiement que celui dont avait fait l'objet le
dénouement de la précédente guerre civile. Néanmoins, avec les Flaviens,
un pas avait été franchi : alors que, dans le cas de l'Arménie par exemple,
le monnayage augustéen avait, selon un procédé de distorsion parfaite­
ment analogue, progressivement abandonné le « slogan » monétaire Armenia
103
Recepta en Armenia Capta , l'idéologieflaviennefitd'emblée l'économie
de la première formulation pour proclamer immédiatement la « conquête »
de la Judée. Tout au plus peut-on déceler une hésitation, ou une sobriété,

101. LUCREZI E, Leges supra principem. La « monarchia costituzionale» di Vespasiano, Naples, 1982, p. 50 :
« una scelta e una vittoria del Levante».
102. GIARD, Monnaies de l'empire romain I, op. cit., n° 905 p. 144, pl. 35 (Éphèse, denier, 28 av. J.-C.) ;
ce denier est frappé la même année et l'année suivante à Pergame : GIARD, Monnaies de l'empire
romain I, op. cit., n° 928 p. 146, pl. 36; cf. également Y aureus émis en 27: ibid., n° 935 p. 147.
103. Pour une analyse trèsfinede ce changement, voir l'étude de SPANNAGEL M., «Armenia RECEPTA
aut CAPTA ? Zur Veränderung einer augusteischen Münzlegende», KLUGE B., WEISSER B. (dir.),
XII. Internationaler Numismatischer Kongress, Berlin, 1997, Akten, I, Berlin, 2000, p. 622-629.

235
EMMANUELLE ROSSO

dans la première version des légendes monétaires - qui remontent au début


de Tannée 70, soit avant la prise de Jérusalem : en effet, les toutes premières
frappes présentent une captive juive enchaînée à un trophée, accompagnée
104
de la légende I V D A E A . Ce n'est manifestement que dans un second
temps que vient s'ajouter le mot CAPTA. Les Flaviens employèrent égale­
105
ment la formule plus radicale encore de IVDAEA DEVICTA .
Ainsi, pour en revenir à l'affirmation de G.-Ch. Picard, il paraît inexact
106
de dire que «Jérusalem fut Γ Actium des Flaviens » : non seulement le
modèle d'Actium a été mis en œuvre de nombreux mois avant la prise
de la ville, mais il s'appuyait au moins autant sur la phase «égyptienne»
de l'avènement de Vespasien, comme le démontre également l'étude des
monuments triomphaux des Flaviens, que sur son volet judaïque. À cet
égard, il n'est pas impossible que le symbole du palmier, si caractéristique
du monnayage de Iudaea Capta, doive être considéré comme un témoignage
figuratif du raccourci événementiel et symbolique qui couplait, comme les
deux faces d'une seule et même victoire, défaite des Juifs et acclamation des
107
légions orientales : en effet, la palme et le palmier comptent parmi les
symboles de la célébration augustéenne de l'Egypte conquise, ainsi qu'en
témoignent les as de Nîmes figurant au revers un crocodile enchaîné à un
108
palmier , ou encore les chapiteaux figurés de la cella du temple d'Apollon
Sosianus, précisément voué à la célébration du triomphe de 29 av. J.-C, où
I09
les palmes se substituent à l'acanthe aux angles du chapiteau . Le trans­
fert du motif dans une iconographie triomphale renouvelée paraît relever
pleinement de la relecture du couronnement flavien à travers le prisme
110
actiaque . I l ne s'agit aucunement de nier l'importance du thème dans
le devenir du parallèle : si ce n'est pas la guerre de Judée qui « déclencha»
le paradigme, c'est bien la prise de Jérusalem qui le rendit pleinement opé­
ratoire et en décupla les potentialités symboliques, en fournissant le triple
atout d'une véritable victoire «inédite», d'un contexte étranger à la guerre
italienne et de la possibilité de démontrer la capacité des Flaviens à rétablir
l'ordre intérieur sans évoquer cette dernière. En d'autres termes, Actium

104. BMCEmp, II, n° 31-34 p. 5, pl. 1-10, l-ll(Rome, aurei, 69-70 ap. J.-C); deniers, n° 37 à42,
p. 6.
105. BMCEmp, II, n° 371 p. 74, pl. 12-11 (Gaule, denier, sans date) ; n° 388-391 p. 79, pl. 13-9 (Lyon,
deniers, sans date). MATTINGLY H., BMCEmp, II, introduction, p. LIX, souligne l'adéquation entre
image et légende - à défaut d'une adéquation entre fait historique et célébration monétaire : « The
epithet, "devicta", makes explicit what is clearly implied in the type itself. »
106. Cf. supra n. 99.
107. Il est significatif à cet égard que sur les premièresfigurationsmonétaires, la captive juive ne soit
pas enchaînée à un palmier, mais à un trophée d'armes : cf. supra n. 104.
108. RIC, I, n° 155, 159-160; RPC, n° 523-525 (as, Nîmes, 20-10 av. J.-C).
109. Rome, Musei Capitolini, inv. 3284. VON MERKLIN E., Antike Figuralkapitelle, Berlin, 1962, n° 631,
p. 267; GROS P., Aurea Tempia. Recherches sur l'architecture religieuse de Rome à l'epoque dAuguste (BEF
231), Rome, 1976, p. 181 ; VISCOGLIOSI Α., dans Kaiser Augustus unddie verlorene Republik, 1988,
n° 33 p. 140-141,fig.La partie centrale du chapiteau est occupée par une cuirasse; le départ des
bras se végétalise également en palme.
110. Il convient de souligner que le symbolisme du palmier de l'as de Nîmes est plus ambigu : alors que
les monnaiesflaviennesfigurentindiscutablement l'arbre, la représentation nîmoise ressemble à
une palme, qui pourrait être celle de la victoire, placée en position verticale.

236
L E T H È M E D E L A R E S P U B L I C A R E S T I T U T A DANS L EM O N N A Y A G E D E V E S P A S I E N . . .

fournit le masque et l'autorité qui permirent de sauver idéologiquement la


thématique égyptienne dans l'idéologie destinée à l'Occident romain.
Par conséquent, la propagande flavienne activa dans ce domaine un
processus complexe limitano Augustielle ne se contenta pas d'exploiter
l'événement actiaque comme référence historique ou comme image para-
digmatique de victoire, elle emprunta jusqu'aux procédés par lesquels ce
dernier avait été soumis en son temps à une relecture visant à en amplifier
la résonance politique. I l convient donc de bien mesurer les implications
idéologiques de ces manipulations successives : le miracle d'Actium n'ap­
paraît plus comme un exemplum exploité a posteriori, mais semble avoir été
posé comme un horizon, un modèle de construction idéologique réussie
à réitérer, en quelque sorte. L'analogie, parce qu'elle portait à la fois sur
les moments inauguraux d'un régime et de deux dynasties, était lourde de
conséquences : de l'habileté des équipesflaviennesà conférer à la « réplique »
d'Actium une recevabilité historique dépendait toute l'entreprise visant à
faire de Vespasien un nouvel Auguste.
Pour en revenir à la question de savoir si le programme monétaire de
Vespasien visait réellement la commémoration du centenaire d'Actium, on
peut noter en premier lieu que les reprisesflaviennesne sont pas des « res­
111
titutions» au sens strict du terme : la titulature est bien celle des princes
flaviens, ce qui implique une réappropriation des thématiques évoquées
par la dynastie. «L'actualité» du nouveau pouvoir était suffisamment riche
pour que ces images revêtent une signification parfaitement contextualisée,
même si elle fut parfois exprimée sur un mode générique. I l ne fait pas
de doute que ces Victoriae sur le modèle augustéen commémorent bel et
112
bien l'avènement de Vespasien, non lafinde la précédente guerre civile ,
antérieure d'un siècle. En second lieu, il ne s'agit pas non plus de la repro­
duction de la totalité d'un programme initialement cohérent, puisque les
emprunts sont faits à partir de frappes originelles elles-mêmes très étalées
dans le temps ; enfin - et c'est sans doute là l'argument principal - , dans
le cas de frappes célébratives, la réédition des types devrait logiquement
n'avoir lieu que l'année précise du centenaire, ce qui n'est pas le cas ici,
puisque la plupart des types augustéens continuent d'être frappés plus avant

111. BELLONI G. G., «Significati storici-politici dellefigurazionie delle scritte delle monete da Augusto
a Traiano», ANRW, II, 1, Berlin, 1974, p. 1062. On trouve sous Titus de véritables frappes de
restitution, répliques parfaitement exactes - il s'agit en réalité de rééditions — qui conservent au
revers la titulature originale et le portrait des princes Julio-claudiens (BMCEmp, II, n° 261-306
p. 281-293). Ces frappes, qui forment une série conséquente et cohérente, constituent Tune des
traductions monétaires les plus explicites de la restitutio julio-claudienne voulue par les Flaviens.
De façon significative, elles concernent, outre Auguste, Tibère, Claude et Galba, une série de
«co-régents» (Agrippa, Drusus le Jeune, Germanicus) mais aussi de princesses (Livie, Agrippine
l'Ancienne). Je ne les analyse pas dans la présente étude parce qu'elle ne porte que sur le règne de
Vespasien. Sur ce monnayage et sa signification, MATTINGLY H., «The "restored" coins of Titus,
Domitian and Nerva», Numismatic Chronicle, 20, 1920, p. 177-207; ID, BMCEmp, I I , intro­
duction, p. L x x v i i - L v w i i i ; Rosso E., «Culte impérial et image dynastique: les divi et divae de
la Gens Flavia», NOGALES, T., GONZALEZ, J. (dir.), Culto Imperial: politica y poder, Rome, 2007,
p. 133.
112. JACOBO PEREZ, Auctoritas et maiestas, op. cit., p. 171.

237
EMMANUELLE ROSSO

113
au cours du principat de Vespasien . La relation instaurée entre Auguste
et Vespasien par le biais de cette imitano multiforme est proprement ana­
logique, elle ne vise pas davantage à l'assimilation quelle ne constitue une
reprise objectivée et distante de l'imagerie actiaque augustéenne; s'il est
difficile de démontrer que la reprise de l'imagerie représenta une commé­
moration, au sens strict du terme, de l'événement d'Actium en tant que tel,
il paraît en revanche difficile de nier que les Flaviens s'employèrent à doter
leur avènement d'une signification quasiment séculaire; ils procédèrent à
une inflexion de la représentation de leur propre avènement dans le but
précis de le faire coïncider avec Actium, afin de le présenter comme le retour
cyclique d'une ère de paix sous l'égide d'un homme providentiel.
La reprise de Xexemplum d'Actium, qui s'exprime de façon privilégiée
dans le monnayage du fait du nombre élevé des reprises iconographiques
et symboliques, est en réalité le moyen par lequel la première idéologie
flavienne parvient à sauver le mythe de la res publica restituta: c'est par
la synthèse ou le recouvrement des événements de la guerre civile et des
campagnes en Judée que le paradigme augustéen pourvoyeur de légitimité
devient opératoire.

Conclusion

Toute construction idéologique est faite d'approximations. Si le carac­


tère nécessairement allusif, concis et abrégé du document numismatique
n'autorise pas une analyse approfondie des aspects proprement juridiques
ou constitutionnels du principat, l'image monétaire se prête particulière­
ment bien, pour les mêmes raisons, aux raccourcis et aux distorsions qu'im­
pose toute réinterprétation historique. La possibilité d'effacer la mémoire
a récemment fait l'objet de réflexions poussées et a été analysée comme
114
une composante essentielle de l'autorité politique sous le principat . La
reprise, par le premier empereur Flavien, d'une grande partie du répertoire
figuratif augustéen relatif à la res publica restituta illustre un aspect complé­
mentaire de cette faculté : le contrôle de la mémoire, dans le cas particulier
d'un précédent constitué en archétype et en modèle déjà «partagé» par
de nombreux prédécesseurs. Dans ce contexte, il ne pouvait être question
pour Vespasien de se livrer à une reprise totale ou systématique de ce réper­
toire, parce qu'il ne s'agissait pas pour lui d'apparaître seulement comme
un continuateur d'Auguste : les implications idéologiques présentes de la
relecture flavienne résidaient précisément dans les raisons et les modalités
de la sélection effectuée. Vespasien ne pouvait se contenter d'être un héri­
tier du premier princeps parmi d'autres : la légitimité flavienne en cours

113. BIANCO E., « Indirizzi », art. cit., p. 170-171, le note à propos des types de la victoire tenant palme
et couronne ; JACOBO PEREZ, Auctoritas et maiestas, op. cit., p. 171, 182 (à propos de la uictoria
naualis sur proue).
114. GOWING, Empire and Memory op. cit., passim, en particulier p. 2-21 ; p. 2 : « For Romans the past
wholly defined the présent». Cf. en dernier lieu BENOIST S., DAGUET-GAGEY A. (dir.), Un discours
en images de la condamnation de mémoire, Metz, 2008.

238
L E T H È M E D E L A R E S P U B L I C A R E S T I T U T A DANS L EM O N N A Y A G E D E V E S P A S I E N . .

de construction avait besoin d'un trait d'union plus marqué, plus signi­
fiant avec Auguste. Vespasien souhaitait en réalité être accueilli comme le
second fondateur du principat et c'est la raison pour laquelle le thème de
la restauration étatique revêtait une importance particulière. A ce niveau se
place un premier dévoiement non négligeable : après la chute de Néron en
effet, le projet de restaurer la République traditionnelle, fut-il exclusivement
discursif, n'est plus mis en avant. La res publica restituta est à comprendre
dans le sens d'une restauration étatique consécutive à une guerre civile et la
libertas à rendre aux Romains après une « parenthèse » tyrannique ne saurait
115
se concevoir désormais que dans le cadre du principat . De ce point de
vue, dans le monnayage, Vespasien reprend à son compte le rôle du princeps
augustéen : celui d'un homme qui se tient à la disposition de l'État comme
recours dans le danger.
L'esquisse de ce cadre général met en évidence l'intérêt d'une analyse
fonctionnelle des reprises vespasianiques. I l en ressort que la réappropria­
tion de l'imagerie augustéenne liée à la restauration étatique s'organise prin­
cipalement autour de trois thèmes : la célébration directe de la res publica
restituta, la mise en scène de l'idée dynastique à travers la représentation
des princes héritiers, enfin l'exaltation de la Victoria Augusti qui passe par
la récupération des symboles les plus personnels d'Auguste. Or, à chacun
de ces thèmes correspond une mise en œuvre iconographique différen­
ciée, qui permet l'ébauche d'une typologie des emprunts de Vespasien : les
modalités ou les degrés d'imitation observables dans le monnayage sont
d'une extrême variété — entre décalque parfait (image ^légende), reprise de
l'image avec modification de la légende, reprise de la légende avec modifica­
tion de l'image ou simple évocation d'un symbole augustéen, la palette très
large des principes de citations ne peut que refléter le caractère minutieux
de la sélection et le soin apporté à l'altération sémantique des messages.
C'est ainsi qu'un même revers flavien peut constituer la synthèse complexe
de plusieurs types monétaires, empruntés à différentes étapes, périodes ou
aires géographiques du monnayage augustéen. Il s'agit toujours de citations,
de reprises, de transpositions, mais pas de reproductions au sens strict du
terme.
Le thème de la res publica restituta ou, de façon plus générique, de
la renaissance de Rome, est sans aucun doute celui qui présente la plus
complexe stratification référentielle: si le prototype de l'image présentant
une allégorie de Rome (en tant que ville ou en tant qu'État) « relevée » par
l'empereur remonte indéniablement à"la seconde décennie avant le change­
ment d'ère, l'image utilisée par Vespasien témoigne d'autres filtres, d'autres
relais, d'autres prismes : Galba et peut-être Vitellius s'étaient en effet déjà
réapproprié la notion et l'image. Il semble dangereux toutefois de conclure à
l'antériorité ou à la prépondérance, dans les premières années de la seconde

115. GOWING, Empire and Memory, op. cit., p. 4-5, 102, 104.

239
EMMANUELLE ROSSO

116
dynastie, de la référence à Galba par rapport la référence à Auguste: les
deux « modèles » se cumulent plus qu'ils ne se succèdent, ce qui ajoute à la
complexité du message.
De même, la présentation monétaire des princes héritiers Titus et
Domitien marque un retour aux premières formulations figurées caracté­
ristiques d'un pouvoir s'affirmant progressivement comme dynastique et
suit de très près les images créées pour mettre en scène Auguste et Agrippa,
les premiers princes de la jeunesse, Caïus et Lucius, mais aussi les autres
Caesares julio-claudiens. Dans ce cas, la reprise des images est donc le strict
correspondant iconographique de la réactivation des principes institution­
nels de la « co-régence » augustéenne. Tout à fait naturellement, c'est par
conséquent le monnayage des années 13 av. J.-C.-4 ap. J.-C. qui est parti­
culièrement mis à contribution.
Le thème de la Victoire est enfin celui qui fait l'objet du plus grand
nombre de reprises de revers augustéens ; en tant que source principale de
la légitimité flavienne, Victoria devait tout à fait normalement figurer au
premier rang des « qualités » impériales célébrées par le monnayage. Le phé­
nomène est si massif qu'on a voulu y voir des séries commémoratives cohé­
rentes : ces frappes célébreraient soit le centenaire d'Actium, soit l'année
27 av. J.-C, conçue comme le véritable «avènement» du principat augus­
téen. Elles seraient donc assimilables à des «émissions jubilaires», en quel­
que sorte. Le fait que cette célébration ne soit pas limitée à la date anniver­
saire précise de ces centenaires, soit 70 et 74 ap. J.-C, mais très étalée dans
le temps, nous paraît être un premier élément allant à l'encontre de cette
hypothèse ; en outre, si les imitations sont effectivement précises, le règne
de Vespasien ne connaît pas les véritables rééditions monétaires - telles que
les frappes dites « de restitution » des règnes de Titus et Domitien - qui
auraient été davantage appropriées dans le cadre d'une commémoration
en bonne et due forme. En outre, l'idée - légèrement différente de celle du
centenaire quoique liée à elle - selon laquelle la prise de Jérusalem aurait
été mise en scène comme « l'Actium des Flaviens » ne paraît pas non plus
pleinement convaincante: tout démontre que X imitano Augusti commença
à Alexandrie dès 69 et non à l'été 70 - et encore moins en 74 comme le
117
prétend J. Isager ; les premières apparitions monétaires de ludaea Capta,
qui témoignent d'une synthèse entre les événements égyptiens et judaïques
établie en fonction du modèle et pourrait-on dire, de l'horizon actiaque,
comptent parmi les toutes premières frappes romaines des Flaviens. Le
«déclenchement» du réfèrent hautement privilégié que constitue Actium
est immédiat et non différé : il fait partie des actes fondateurs du nouveau
pouvoir, au même titre que la lex de imperio Vespasiani, et représente un
thème à la fois permanent et omniprésent de l'idéologie flavienne.

116. RIPOLL R, «Aspects et fonctions de Néron», art. cit., p. 144; cf. supra n. 64.
117. Cf. supra n. 10.

240
L E T H È M E D E L A R E S P U B L I C A R E S T I T U T A DANS L E M O N N A Y A G E D E V E S P A S I E N . . .

Même si les emprunts à l'imagerie actiaque se caractérisent par leur


grande variété, tant chronologique que géographique, leur analyse précise
révèle toutefois une concentration particulière de ces reprises dans les émis­
118
sions en métal précieux , apanage du monnayage impérial, mais aussi
119
dans les frappes issues des ateliers de la partie orientale de l'empire .
Cette prégnance des références orientales - le monnayage des années
120
19-13 av. J.-C. a manifestement retenu l'intérêt des monnayeurs - pour­
rait éventuellement s'expliquer par l'ascension au pouvoir des Flaviens,
acclamés par les légions d'Egypte, de Judée et de Syrie, où ils procédèrent
121
aux premières frappes monétaires à leur effigie . De toute évidence, dans
les premières années de la dynastie au moins, le monnayage fut considéré
comme un support privilégié de la nouvelle idéologie : de la même façon
qu'il avait su mettre à profit la multiplicité des théâtres d'opération pour
orchestrer son ascension et sa prise de pouvoir, Vespasien exploita dans un
premier temps toutes les virtualités qu'offraient en la matière la multiplicité
des ateliers monétaires provinciaux, avant de procéder à une concentration
progressive de la production monétaire dans l'atelier de Rome : à la fin de la
122
période, ce dernier a acquis une importance tout à fait prépondérante .
Plus encore qu'à une simple copie de l'appareil conceptuel augustéen de
la restitutio et du patrimoine figuratif qui lui est associé - ce qui ne signifie­
rait rien d'autre que la revendication d'une filiation politique - , on assiste
donc sous Vespasien à une projection ou à une transposition extrêmement
concertée de ces derniers dans un cadre historique nouveau, afin d'exploiter
au mieux les analogies entre les deux périodes. En d'autres termes, l'idéo­
logieflaviennene se contente pas de présenter de manière paratactique les
deux fondateurs de dynastie : c'est en fonction du premier que se construit
le second. L'idéologie flavienne n'emprunte pas seulement le langage du
pouvoir augustéen : elle est tout entière mise en forme en fonction de lui.
Qu'une inscription romaine relative à la reconstruction d'édifices reli­
gieux après l'incendie de 80 ap. J.-C. désigne l'empereur Titus comme

118. MATTINGLY H., BMCEmp, II, introduction, p. LXXVII: « Vespasian had almost confined his atten­
tion to gold and silver and gave no indication of restoration beyond the type itself. »
119. De la même façon, les motifs repris par le monnayage « oppositionnel » de l'année 68-69 ont fré­
quemment leur origine à l'époque augustéenne dans les émissions des ateliers gaulois ou espagnols :
SUTHERLAND, RIC, I , 1984, p. 199.
120. On peut étendre cette observation aux reprises de types augustéens ne relevant pas de la théma­
tique ici analysée.
121. TACITE, Hist., II, 82 (à propos des événements de juillet 69) : apud Antiochenses aurum argentumque
Signatur. Je développe l'influence de ces premiers monnayages orientaux dans un article intitulé
«Entre Orient et Occident : création et diffusion de l'image impérialeflavienne(69-71 ap. J.-C.) »
dans un article à paraître dans les actes du colloque « Des rois aux princes : pratiques du pouvoir
E ER
monarchique dans l'Orient hellénistique et romain (fin IV s. av. J.-C. - I s. ap. J.-C.) », Paris,
INHA, 23-24 mai 2008.
122. MATTINGLY H., «The Mints of Vespasian », Numismatic Chronicle, 1921, p. 223-224; CARRADICE
I.A., «Towards a new introduction to the Flavian Coinage », AUSTIN, M., HARRIS, J., SMITH,
C. (dir.), Modus operandi. Essays in Honor of G. Rickman, London, 1998, p. 94-95. Sur les ateliers
orientaux et leur fonctionnement sous Vespasien, voir METCALF W.E., « The Flavians in the East »,
HACKENS, T., WEILLER, R. (dir.), Proceedings of the 9th International Congress of Numismatics, Ber
1979, Louvain 1982, p. 321-339.

241
EMMANUELLE ROSSO

123
conseruator caerimoniarum publicorum et restitutor aedium sacrarum , en
une formulation qui n est pas sans rappeler certaines tournures des Res
Gestae divi Augusti, témoigne de l'étonnante pérennité, vitalité et actualité
du thème augustéen de la res publica restituta.

Bibliographie

BMCEmp, I: MATTINGLY,'H., Coins RIC, I : MATTINGLY, H . , SYDENHAM,


of the Roman Empire in the British E.A., The Roman Imperial Coinage,
Museum, vol. I, Augustus to Vitellius, vol. I, Augustus to Vitellius, London,
London, 1923. 1923.
BMCEmp, II: MATTINGLY, H . , RIC, I I : MATTINGLY, Η . , SYDENHAM,
Coins of the Roman Empire in the E.A., The Roman Imperial Coinage,
British Museum, vol. II, Vespasian to vol. II, Vespasian to Hadrian, London,
Domitian, London, 1930. 1926.
BMCRep: GRUEBER, H . , Coins of RFC, I : BURNETT, Α., AMANDRY, M „
the Roman Republic in the British RI POLLES, P. P., Roman Provincial
Museum, London. Coinage, vol. 1. From the death of
Caesar to the death of Vitellius (44 BC
AD 69), London-Paris, 1992.

123. CIL, VI, 934 ; CIL, VI, 934 add. ; ILS, 252.

242
Troisième partie

La Res publica restituta


dans la poésie d'époque augustéenne
Res publica restituta et la représentation
du pouvoir augustéen dans l'œuvre d'Horace

Mario CITRONI

Les thèmes de l'idéologie augustéenne traversent une partie considérable


de la production d'Horace et représentent un des aspects les plus comple­
xes, et aussi un des plus étudiés, de son œuvre. Je me limiterai, ici, à faire
seulement quelques observations, que j'espère avoir sélectionnées de façon
convenable aux fins de ce colloque. Les références bibliographiques seront
aussi extrêmement réduites.

1. Nous le savons, le fondement dans les sources antiques de la formule


res publica restituta en référence à l'ordre politico-constitutionnel augustéen
est très précaire. Je rappelle brièvement les faits, bien connus d'ailleurs. Dans
2
les Fasti Praenestini à la date du 13 janvier 27 {CIL I , p. 231), à propos
de l'attribution à Auguste de la couronne de chêne, rest[i]tui[t] est attesté,
mais pas rempublicam, qui est une conjecture probable de Mommsen (mais
1
des intégrations différentes sont possibles et ont été proposées) ; de plus,
on ne sait si p. R, qui précède rest[i]tui[t], doit être interprété comme un
datif ou comme un génitif: dans le premier cas, moins probable, le verbe
indiquerait la « restitution » au peuple Romain de l'État dont il avait été
exproprié (il s'agirait du même concept exprimé avec reddo par Suétone,
Aug. 28, 1 De reddenda r. p. bis cogitavit et déjà dans Ovide, Fast. I 589
redditaque est omnis populo provincia nostro ; cf. de plus res gestae 34 rem
2
publicam ex meapotestate in senatuspopulique Romani arbitrium transtuli) ;
dans le deuxième cas, il indiquerait la « restauration » de l'État du peuple

1. MILIAR E, «The First Revolution : Imperator Caesar, 36-28 BC», GIOVANNINI A. (dir.), La révolu­
tion romaine après Ronald Syme. Bilans et perspectives, Fondation Hardt, Entretiens sur l'Antiquité
classique 46, Vandoeuvres - Genève, 2000, p. 6 et s. suggère, sur la base de la légende de Y aureus
du 28 récemment publié, leges et iura p. R restituii. Une tentative de reconstruction très différente
chez JUDGE Ε. Α., « "Respublica restituta". A Modern Illusion ?», EVANS J. A. S. (dir.), Polis and
Imperium. Studies in Honour of Edward Togo Salmon, Toronto, 1974, p. 288-298.
2. MILLAR F., «Triumvirate and Principate », JRS 63, 1973, p. 64 et suiv. souligne que selon Suétone
Auguste en réalité décida de ne pas «restituer» la res publica (28, 1 in retinenda perseveravit) et
signale l'ambiguïté de l'expression de Res gestae 34 : Auguste ne dit pas avoir transféré le contrôle de
l'État, mais la décision (arbitrium) sur celui qui devait le contrôler. Il est donc improbable qu'avec
une formule comme res publica restituta, il ait pu officiellement professer avoir lui-même cédé le
contrôle de l'État. Millar rappelle aussi que dans Appien et Cassius Dion, comme dans Suétone, les

245
M A R I O C I T R O N I

3
Romain, qui avait été bouleversé et gravement endommagé . Dans un
passage de la «laudatio Turiae» (II 25) on lit pacato orbe terrarum, res[titut]a
re publica : la reconstitution de restituta doit être considérée ici comme cer­
taine, et le sens est évidemment le « rétablissement » de l'État, bouleversé
auparavant par les guerres. Il a été souvent observé que, même si nous étions
autorisés à déduire de ces deux témoignages un usage relativement stable,
ou même officiel, de la formule en référence à la politique d'Auguste, elle
n'aurait pas pu, quoi qu'il en soit, signifier le prétendu « rétablissement de
l'ordre républicain», dans le sens où l'historiographie moderne l'emploie
habituellement, car avant la consolidation du nouveau régime impérial res
publica ne pouvait pas signifier «république», en opposition à un régime
différent qu'on ne connaissait pas encore, mais « l'État » tel que les Romains
4
l'avaient hérité et connu depuis toujours . On observe que Res publica n est
pas attesté avec le sens clair de «république», en opposition à un système
constitutionnel différent (celui de l'empire) avant certains passages bien
connus de Tacite, qui continue de toute façon à utiliser habituellement res
5
publica à propos de l'État romain impérial .
En réalité, comme on le tire clairement de Cicéron, dans la locution res
publica, on reconnaissait le sens étymologique de respopuli, et une opposi­
tion implicite (qui parfois devient explicite) était ressentie avec res privata,
et donc avec un régime potentiel qui ne respecterait pas la nature profonde
de la res publica, qui est justement de garantir la gestion des intérêts de
6
toute la communauté . L'expression res publica implique en soi l'oppo­
sition à un régime tyrannique, et en premier lieu, et emblématiquement,
au gouvernement du dernier roi de Rome, dont l'inique tyrannie avait
justement provoqué la naissance de la res publica. Elle comporte en outre
une opposition moins lointaine et moins abstraite aux régimes autoritaires
et « tyranniques » qui de temps en temps pouvaient se profiler à l'horizon,
quand un des dynastes de l'oligarchie, ou une faction, prenait le dessus :
comme cela était advenu justement dans le cas de César et comme on
pouvait craindre - à raison - qu'il adviendrait encore. Dans ce cadre, le
concept de «rétablissement» de l'État de sa crise pouvait donc comporter
les résonances de l'angoisse de nombreux citoyens face à la perspective selon
laquelle la res publica, tout en continuant à exister comme «État», aurait
pu perdre sa vraie nature de res publica et se transformer en tyrannie. De
cette angoisse, qui parcourt la scène politique de l'âge de César et de l'âge

déclarations formelles où Auguste se dit disposé à procéder à la « restitution » du pouvoir, tant dans
la période triumvirale qu'après Actium, sont présentées comme non réalisées.
3. Excellente argumentation en faveur de cette interprétation dans MANTOVANI D., « Leges et iura
p(opuli) R(omani) restituii. Principe e diritto in un aureo di Ottaviano», Athenaeum 96, 2008,
p. 22-27.
4. Ainsi, par exemple MILLAR, «Triumvirate and Principate », art. cit., p. 63 ; MEIER Chr., Res publica
amissa. Eine Studie zu Verfassung und Geschichte der späten römischen Republik, Francfort a. M.
rc 2
(l éd. 1966), 1980 , p. 1.
2
5. S u E R B A U M W., Vom antiken zum frühmittelalterlichen Staatsbegriff, Münster, 1970 , p. 87 sq.
6. À propos du sens de res publica chez Cicéron une très bonne exposition chez SUERBAUM, Vom antiken
zum frühmitteUlterlichen Staatsbegriff, op. cit., qui discute largement la bibliographie antérieure.

246
L A REPRÉSENTATION D U POUVOIR AUGUSTÉEN DANS L'ŒUVRE D ' H O R A C E

triumviral, nous voyons la plus claire attestation chez Cicéron lui-même, et


en particulier dans l'importance qui est attribuée dans ses écrits au thème
de la res publica amissa, c'est-à-dire de la ruine, perte et annulation de la res
publica, thème auquel il se réfère fréquemment avec une terminologie riche
7
et variée . Dans le cadre de cette thématique, et de ce langage, se situe une
série d'occurrences de la locution res publica restituta chez Cicéron, dont on
8
ne tient presque jamais compte dans les discussions sur cette formule . Je
ne peux m'en occuper dans ces pages, qui sont dédiées à Horace, et je ren­
voie à un article que je publierai bientôt ailleurs. Mais sur un point, il me
semble utile de faire ici un remarque rapide : les circonstances qui font dire
à Cicéron que la res publica est perdue, ou vice-versa qu'elle a été, ou pour­
rait être restituta (tant au sens de « rétablie » que dans le sens de « redonnée »
à ceux qui en avaient été privés) se rapportent en grande partie justement
à sa dénaturation redoutée en res privata, au risque d'être aux mains d'une
faction ou d'un tyran. Et par conséquent dans le langage augustéen même,
que nous devrions considérer en continuité avec le langage cicéronien, le
rétablissement (ou la restitution aux citoyens qui en avaient été privés) de
la solidité de l'État, affaibli par les guerres intestines et par la large suspen­
sion de la légalité représentée par le triumvirat, pouvait être interprété aussi
comme une sauvegarde de sa nature de res publica, d'état de droit, garant
des intérêts de la communauté.
Ce n'est pas un hasard si le large emploi de la formule res publica restituta
dans l'historiographie moderne sur l'âge augustéen n'a pas été freiné de
façon significative par les fréquents rappels au petit nombre et à la nature
problématique de ses attestations. En effet, la polyvalence de la formule,
dérivant de l'ambiguïté de la signification de res publica («État» ou «État
en tant que garant des intérêts, des droits, et de la libertas de tous ») et de
l'ambiguïté de la signification de restituo («rétablir» et «rendre») exprime
la densité polyvalente d'aspects cruciaux de la politique augustéenne, qui
sont réciproquement entrelacés et pour certains aspects presque impossibles
à distinguer. A travers l'ambiguïté de res publica, la formule exprime d'une
part l'engagement à redonner stabilité à l'État en tant que tel, en remédiant

7. MEIER, Res publica amissa, op. cit., p. 1 (qui évalue d'ailleurs comme émotivement excessif et
rhétorique ce type de langage de la part d'un Cicéron qui en réalité ne douterait pas sérieusement
de la solidité, et peut être de l'immortalité de l'État de Rome). Alors que Meier et d'autres nient
que res publica ait le sens de « république » avant Tacite, d'autres, tout en soulignant que le terme
n'impliquait pas en soi une forme déterminée de constitution, reconnaissent, avec plus ou moins de
force, qu'il se reportait justement au modèle constitutionnel connu depuis des siècles, avec sa dis­
tribution de pouvoirs caractéristiques qui se prêtait à être décrite dans les termes d'une constitution
mixte, qui pouvait apparaître substantiellement contredite par la récente condition de l'État : voir
par exemple STARK R., Res Publica, Diss. Göttingen, 1937 (réimprimé dans OPPERMANN H . (dir.),
Römische Wertbegriffe, Darmstadt, 1967, p. 42-110), p. 43-47 ; MACKIE N. K., «Respublica restituta.
A Roman Myth», DEROUX C. (dir.), Studies in Latin Literature and Roman History, IV, Bruxelles,
1986, p. 328 sq. ; BRINGMANN Kl., 2002, «Von der res publica amissa zur res publica restituta. Zu zwei
Schlagworten aus der Zeit zwischen Republik und Monarchie », SPIELVOGEL J. (dir.), Res publica
reperta. Zur Verfassung und Gesellschaft der römischen Republik und des frühen Prinzipats. Festschrift
farfachenBleicken zum 75. Geburtstag, Stuttgart, 2002, p. 113-23.
8. La seule exception que je connaisse est Judge, «Respublica restituta», art. cit., qui à mon avis ne
donne pas une interprétation satisfaisante des passages en question.

247
MARIO CITRONI

aux dommages matériels et moraux subis par la communauté et en rétablis­


sant aussi, pour atteindre ces objectifs, un système fonctionnel d'autorité;
et il exprime d'autre part, et en même temps, l'engagement à réaliser ces
mêmes objectifs non seulement en respectant les valeurs traditionnelles, les
institutions et les formes traditionnelles de la gestion politique, mais juste­
ment en leur redonnant vitalité et vigueur. Cela signifiait restituer à l'État
sa nature de res publica, de garante de toute la communauté, qui avait été
perdue, totalement ou en grande partie, et qui est à son tour perçue, après
l'issue de la dictature de César, également comme condition nécessaire pour
garantir la durée dans le temps de l'œuvre de rétablissement de l'État en
tant que tel des dommages endurés. Et l'ambiguïté de restituo exprime le
fait que le rétablissement de l'État en tant que tel, et en tant que garant des
intérêts et des droits de tous, représente en même temps la restitution à tous
d'un bien perdu, de la même façon que la restauration d'un édifice public
coïncide avec sa restitution à la communauté pour qu elle en jouisse.
Du reste, la rareté des attestations augustéennes est contrebalancée par
la présence de la formule chez Cicéron, tout comme par l'analogie marquée
avec d'autres formules avec lesquelles on exprime des aspects différents de
ces mêmes objectifs de la politique augustéenne. On compte maintenant
parmi elles la légende de Xaureus de 28 leges et iura p. R. restituiti Dario
Mantovani a démontré, avec une analyse exemplaire, qu'elle se réfère seule­
ment à la « restauration » de la législation de droit privé à travers l'abolition,
attestée dans de passages bien connus de Cassius Dion et de Tacite, des
normes spéciales de la période triumvirale, et qu'elle ne peut s'étendre aux
dispositions relatives au système « constitutionnel » de l'État, comme cela
9
a, au contraire, souvent été affirmé . Sur le plan du langage avec lequel
s'exprimait la politique augustéenne du rétablissement des ordres à travers
une restauration, plus ou moins formelle, de la tradition, dans l'intérêt
de la communauté civique, la légende de Y aureus confirme quoi qu'il en
soit, dans son propre milieu spécifique, la présence et la pertinence dans
l'usage officiel du concept de restitutio. Dans le même cadre se placent, avec
une pertinence plus ou moins grande, les autres témoignages dans lesquels
reviennent des verbes comme restituere, revocare, reddere, et des expressions
comme adpristinum modum redigere et d'autres termes voisins qui font
référence à des lois, des normes, des ordonnances, des conditions du nouvel
10
État augustéen .

9. MANTOVANI, « Leges et iura p(opuli) R(omani) restituii», art. cit.


10. Outre les passages cités ci-dessus dans le texte, voir VELL. PAT. II 89 revocata pax... restituta vis
legibus, iudiciis auctoritas, senatui maiestas, imperium magistratuum adpristinum redac
prisca ilia et antiqua rei publicaeforma revocata... SUET., Aug., 24 in re militari... etiam ad anti
morem nonnulla revocavit; 31 annum... adpristinam rationem redegit... nonnulla... exa
caerimoniispaulatim abolita restituii', cf. aussi Res Gestae 8 multa exempU maiorum exoles
reduxi. Voir également CIL VI 873 (ILS 81), de 27 av. J . - C , re publica conservata ; VITRUVE, Praef.
te... de vita communi omnium curam publicaeque rei constitutione habere... À propos de Tib
TAC, Ann., IV 9 vana et totiens irrisa... de reddenda re publica ; à propos de Drusus : SUET., Tib., 50
ad resrìtuendam libertatem; Claud., 1 nec dissimulasse unquam pristinum se rei p. statum, qua
posset, restiturum.

248
LA REPRÉSENTATION DU POUVOIR AUGUSTÉEN DANS LŒUVRE D'HORACE

2. L'œuvre d'Horace, comme celle d'autres poètes augustéens, insiste


particulièrement sur le fait que la politique d'Auguste a été source d'énormes
bénéfices pour les citoyens de Rome, car elle a signifié le rétablissement de
l'État (res publica dans son sens le plus général) après une phase de crise,
la restauration de sa solidité intérieure et extérieure, de son pouvoir, de sa
prospérité et surtout des prémisses éthiques et idéologiques considérées
comme indispensables à sa solidité et à sa puissance, et en général à une
vie associée qui soit en mesure d'accroître les occasions de chaque citoyen
et de la communauté tout entière: c'est-à-dire la pratique d'un ensem­
ble de comportements vertueux, garanti par la religion, considéré comme
le noyau précieux de l'identité de la communauté depuis ses origines, et
constituant le mos maiorum. Au contraire, comme on l'a déjà observé, les
aspects proprement constitutionnels du gouvernement augustéen, sur les­
quels l'attention des historiens modernes s'est tellement concentrée, n'ont
pas d'importance dans la littérature contemporaine ou si peu (tandis qu'ils
en auront dans la littérature impériale, au moment où i l sera désormais
clair que, avec Auguste, une nouvelle monarchie stable était née et qu'il y
n
aura un intérêt à en reconstruire les passages génétiques) . Chez Horace,
et dans la poésie augustéenne en général, on ne fait aucune allusion à la
préoccupation d'Auguste - qui apparaît de façon si claire dans les Res ges­
tae et dans ses actes et comportements attestés par de nombreuses sources
anciennes - de présenter sa propre monarchie comme une restauration
d'un cadre institutionnel correct, comme un rétablissement des institu­
tions traditionnelles, établies après l'expulsion des rois et perfectionnées
par la suite, qui venaient d'être bouleversées dans le cadre des conflits civils.
Dans l'œuvre des poètes augustéens cet aspect de la restitutio rei publicae est
absent et on célèbre ouvertement Auguste comme un souverain, détenteur,
à lui seul, de tout le pouvoir. En ce qui concerne Horace, dont nous nous
occuperons exclusivement dans la suite de cette étude, on pourrait arriver à
dire que son œuvre nous propose une représentation du pouvoir augustéen
comme monarchie militaire de droit divin.
Si nous observons la récurrence de verbes avec le préfixe re- chez Horace,
les seuls cas où il est fait référence à la politique augustéenne de réappropria­
12
tion du passé renvoient à la restauration de temples , et donc à un réta­
blissement des valeurs religieuses ; au retour de la prospérité économique ;
à la récupération des enseignes des Parthes, symbole de récupération de
13
puissance impériale et de sécurité pour l'État ; au retour des veteres artes ;

11. GALINSKY K., Augustan Culture. An Interpretive Introduction, Princeton, 1996, p. 6. Cf. aussi
LITTLE D.M., « Politics in Augustan Poetry », ANRWll 30, 1, 1982, p. 263, p. 285 sq., et voir
ci-dessous, η. 16.
12. Carm. III 6, 1 s. Delieta maiorum inmeritus lues,/Romane, donee tempia refeceris.
13. Carm. IV 15> 4 s. et 12 tua, Caesar, aetaslfruges etagris rettulit ubereslet signa nostro resti
derepta Parthorum superbis!postibus... let veteres revocavit artis. FRAENKEL Ed., Horace 1957, O
1957, p. 450 sq., considère la récurrence du préfixe re- dans ce passage comme l'expression de
l'alignement conscient d'Horace à l'interprétation qu'Auguste se préoccupait de donner de son
nouveau système politique: non pas une «révolution», mais une restitutio de la res publica.

249
MARIO CITRONI

au retour des antiques vertus qui font partie du noyau le plus intime du
14
mos maiorum . I l n'y a aucune référence à la restitution de pouvoirs et
de prérogatives au sénat et au peuple, au rétablissement de règles et de
procédures.
Le phénomène se prête à des interprétations différentes. On pourrait
penser qu'au niveau de l'opinion publique on ne s'était pas encore rendu
compte de l'importance du passage institutionnel qui s'était produit, et
qu'on vivait avec spontanéité le régime d'Auguste comme un retour à l'or­
dre qui avait précédé les guerres civiles : comme un retour à un cadre insti­
tutionnel où le pouvoir extraordinaire d'une seule personne pouvait quand
même trouver sa place, comme cela s'était produit si souvent dans le passé,
15
sous une forme conjoncturelle et transitoire . Mais on peut aussi penser
que la nouvelle réalité monarchique apparaît déjà au contraire comme une
évidence pacifique, une réalité à laquelle on s'était préparé depuis longtemps
et avec laquelle on pouvait vivre facilement, vu que celle-ci avait représenté
le tournant salutaire depuis longtemps désiré par une communauté déchi­
16
rée par les guerres civiles . Cette explication contraste d'autre part avec
la prudence qu'Auguste avait démontrée face à l'acceptation de pouvoirs
exceptionnels et avec l'évidence que cette prudence reçoit dans le texte des
res gestae. On ne peut pas douter que ces précautions présupposent la notion
claire, de la part d'Auguste, du fait qu'une partie significative de l'opinion
publique n'aurait pas accepté de bon gré qu'il assumait explicitement des
17
formes monarchiques de gestion du pouvoir .
La représentation ouvertement monarchique du pouvoir d'Auguste et
le silence substantiel sur la question institutionnelle que nous relevons chez
Horace et en général dans la littérature latine contemporaine, posent donc
des questions complexes auxquelles i l est difficile de donner des réponses
précises et sur lesquelles nous reviendrons brièvement à la fin. Comme la
plupart des textes pertinents de la littérature latine du temps d'Auguste
qui ont été conservés sont des textes poétiques, on a quelquefois attribué la
responsabilité de cette forme de représentation du pouvoir à l'héroïsation
qui caractérise les modalités conventionnelles de présentation poétique des

14. Carm. saec. 57 s. iam Fides et Pax et Honos Pudorquelpriscus et neglecta redire Virtus/audet.
15. GALINSKY, Augustan Culture, op. cit., p. 52-54.
16. C'est la thèse soutenue par MILLAR, «Triumvirate and Principate», art. cit., qui souligne en parti­
culier comment dans la littérature contemporaine, il n'y a ni trace de la présumée proclamation de
la restitutio de la res publica en 27, ni même du fait qu'on se garderait un tant soit peu de célébrer
Auguste comme un monarque, autant de la part des poètes, que de la part d'un prosateur comme
Vitruve, dont la préface est écrite justement dans ces années où on présume qu'Auguste était engagé
à se présenter comme le restaurateur de la res publica.
17. EDER W., « Augustus and the Power of Tradition », GALINSKY K. (dir.), The Cambridge Companion
to the Age of Augustus, Cambridge, 2005, p. 13-32 reconstruit avec soin les efforts d'Auguste,
dans le texte des Res gestae et dans ses choix politiques, pour ne pas ressembler à un monarque
(ainsi GRUEN E., « Augustus and the Making of the Principate», GALINSKY (dir.), The Cambridge
Companion to the Age of Augustus, Cambridge, 2005, p. 33-51, bien qu'il souligne lui-même que
la locution res publica restituta n'est pas attestée dans les textes de l'époque), et refuse la thèse d'un
consentement pacifique, ou d'un désir général positif de monarchie de la part de l'opinion publique
romaine : un désir dont seul Auguste ne se serait pas rendu compte.

250
LA REPRÉSENTATION DU POUVOIR AUGUSTÉEN DANS L'ŒUVRE D'HORACE

personnages illustres ; et on a aussi insisté sur le fait que, dans les odes où il
fait Téloge d'Auguste, Horace utilise des modules déjà proposés par la tradi­
tion grecque du panégyrique, en poésie et en prose. Mais Horace démontre
18
qu'il sait agir librement face à cette tradition et il est clair qu'il aurait pu
introduire dans ses éloges des éléments susceptibles de rappeler la nature
constitutionnelle de la souveraineté d'Auguste.

3. Le texte d'Horace le plus ancien où apparaît une référence au jeune


César est la satire I 3, datable entre les années 38 et 35. Octavien apparaît
ici comme homme de pouvoir; mais dans ce cas - et c'est la seule fois où
cela se produit dans toute l'œuvre d'Horace — son pouvoir est vu comme
s'exerçant dans une dimension purement privée, dans ce tissu de relations
d'amitié qui est justement le cadre de l'exercice du pouvoir dans la société
de la libera res publica. Horace dit, dans un contexte de badinage, que même
César (Octavien) n'aurait pas réussi à convaincre le chantre Tigellius de
s'exhiber quand il n'en avait pas envie, bien qu'il eût pu le prétendre de bon
droit, s'il le lui avait demandé au nom des rapports d'amitié entretenus avec
son père et avec lui-même : Caesar, qui cogère posset, Isi peteret per amicitiam
patris atque suam {sat. I 3, 4-6). Octavien est donc évoqué ici comme la
personne dotée du plus grand pouvoir dans le cas en question : mais c'est
un pouvoir qui découle seulement de relations d'amitié opportunes dans
19
la haute société de la res publica .
Dans l'épode 1, de l'an 31, Octavien est le chef politique et militaire
qui se met en jeu, en courant le plus haut risque, au cours de la bataille
d'Actium. La solidarité du poète avec la cause de ce chef est présentée ici
comme dérivant d'un profond sens de l'amitié personnelle pour Mécène,
qui à son tour était dévoué à Octavien {Epod. 1, 1-6) :
Ibis Liburnis inter alta navium,
amice, propugnacula,
paratus omne Caesarispericulum
subire, Maecenas, tuo:
quid nos, quibus te vita si superstite,
iucunda, si contra, gravis?
Mais i l est tout à fait évident qu'ici le pouvoir d'Octavien n'est pas
celui de quelqu'un qui a un réseau opportun d'amitiés, mais plutôt celui

18. DOBLHOFER E., Die Augustuspanegyrik des Horaz informalhistorischerSicht, Heidelberg, 1966 le
démontre efficacement.
19. HEIL Α., «"Caesar qui cogère posset... " Das ^republikanische" Freundschaftsmodell im ersten
Satirenbuch des Horaz», BRODOCZA., MAYER C O . , PFEILSCHIFTER R., WEBER B. (dir.),
Institutionelle Macht. Genese — Verstetigung — Verlust, Cologne-Weimar-Vienne, 2005, p. 75
p. 87 sq., pense qu'Horace, en cohérence avec les autres passages sur le milieu des amis de Mécène
dans le livre I des Satires, veut nous faire comprendre ici qu'Octavien veut se conformer au modèle
«républicain» d'amicitia, sans exercer le potentiel coercitif caractérisant l'amitié avec les puissants.
Je crois plutôt qu'Horace veut exalter le degré extrême de l'obstination de son personnage, inat­
taquable même face à la pression la plus forte et la plus contraignante. Mais en tout cas le cadre
des rapports est présenté dans les termes de Yamicitia traditionnelle. Sur l'évolution des rapports
d'amitié à Rome entre république et principat, CITRONI MARCHETTI S., Amicizia e potere nelle
lettere di Cicerone e nelle elegie ovidiane dall'esilio, Florence, 2000.

251
de quelqu'un qui conduit des armées à un choc militaire avec un objectif
20
politique de la plus haute importance .
Dans l'épode 9 qui donne cours à la joie pour les premières nouvelles de
victoire à Actium, Octavien est caractérisé comme chef militaire de façon
plus ouverte : la victoire qu'Horace espère pouvoir fêter bientôt est la sienne
(2 victore laetus Caesare) ; c'est lui, évidemment (même si cela n'est pas dit
explicitement), qui a récemment mis en fuite les navires du capitaine (le
dux Neptuniusy c'est-à-dire Sextus Pompeius) qui avait menacé d'asservir
Rome à ses propres esclaves {épod. 9, 7-10). C'est en invoquant son nom
que mille cavaliers gaulois se sont rangés de son côté: 17 s. at huefremen-
tis verterunt bis mille equosl Galli canentes Caesarem. C'est pour lui qu'on
invoque un prompt triomphe: 21s. io Triumphe, tu morarisaureoslcurruset
intactas bovesi Si Octavien est ici un chef militaire solitaire dans sa grandeur
individuelle, les raisons au nom desquelles i l agit émergent toutefois : et
ces raisons se ramènent à la sauvegarde de la continuité de la res publica en
tant qu'État romain, et des valeurs morales qui en représentent l'identité et
qui sont la base de sa stabilité et de sa durée. En battant Sextus Pompeius,
Octavien a libéré Rome de ceux qui voulaient la réduire au rang d'esclave,
mettant ainsi fin à son existence d'État autonome (9 s. minatus urbi vinch,
quae detraxeratlservis amicus perfidis). Et avec la victoire sur Marc Antoine
il a agi de façon que la honte de l'asservissement d'une armée romaine à
une femme et à ses eunuques reste un épisode, que ce dernier ne représente
pas une fracture déchirante dans la continuité identitaire de l'État, qui
repose sur la sévérité de ses mores et sur l'énergie et le courage de ses soldats
(11-14):
Romanus eheu - posteri negabitis —
emancipatus feminae
fert valium et arma miles etspadonibus
servire rugosis potest

Les descendants considéreront cet épisode avec incrédulité car, grâce à


Octavien, ceux-ci pourront se sentir les héritiers et les continuateurs de la
tradition éthique et politique de la res publica, au sein de laquelle Octavien,
avec sa victoire, avait su replacer Rome après la honteuse dégénération qui
a été évoquée. L'image des soldats romains au service d'une femme et de
ses eunuques fait de nouveau miroiter, dans l'hypothèse d'une victoire de
Marc Antoine, la perspective de la perte d'autonomie de l'État de Rome
précédemment évoquée dans le cas d'une victoire de Sextus Pompeius. Les
victoires d'Octavien ont conjuré le danger, en sauvegardant la libertas des

20. Sur l'équilibre délicat entre dimension publique et dimension privée dans l'épode 1, je me limite à
renvoyer à Du QUESNAY I. M. LE M., « Amicus certus in incerta cernitur. Epode 1 », WOODMAN T.,
FEENEY D. (dir.), Traditions and Contexts in the Poetry of Horace, Cambridge, 2002, p. 17-37,
p. 195-210 et WVTSON L.C., A Commentary on Horaces Epodes, Oxford, 2003, p. 51-57, où l'on
trouvera une discussion de l'abondante bibliographie antérieure. Voir aussi FRAENKEL Ed., Horace
1957, op. cit., p. 69 sq.

252
LA REPRÉSENTATION DU POUVOIR AUGUSTÉEN DANS L'ŒUVRE D'HORACE

21
Romains et la continuité de l'État . Et le triomphe d'Octavien se placera
dans le sillage de ceux de Marius sur Jugurtha et de Scipion sur Carthage,
et il les dépassera (23-26) :
io Triumphe, nec Iugurthino parem
bello reportasti ducem
neque Africanum, cui super Carthaginem
virtus sepulcrum condidit.

Le nouveau chef, dans sa gloire de vainqueur militaire terra manque


(27), résumera donc en lui-même la plus haute tradition de la res publica,
dont ces hommes sont les emblèmes et qui risquait d'être bouleversée, et
il l'amènera à des objectifs plus élevés. Le choix même du poète d'épouser
la cause d'Octavien et de le faire savoir en des termes affectifs à la fin de
cette épode (33-38 Capaciores adfer hue, puer scyphosl... / curam metumque
Caesaris rerum iuvatldulci Lyaeo solvere), apparaît toutefois reposer sur les
raisons idéales auxquelles on s'est référé au cours du poème. Grâce à ses
victoires militaires Octavien a restauré la continuité entre la tradition de la
res publica et son avenir (11 posteri negabitis...): une continuité qui sem­
blait s'être perdue à cause de la corruption du mos maiorum et des guerres
civiles, comme le sait bien le lecteur du livre des iambes où la dénonciation
dramatique de l'accomplissement de cette fracture, la dénonciation de la
fin inévitable de la res publica, sont prononcées dans les épodes 7 et 16,
écrites avant l'an 38, quand Horace n'était pas encore entré dans le cercle
de Mécène.
Des considérations similaires peuvent être faites à propos de l'ode
I 37, composée en l'an 30, peu après la mort de Cléopâtre : ici aussi la vic­
toire est le mérite d'un seul homme comparé, comme l'Achille homérique
(cf. 77. 22, 139-142), au vautour qui se lance sur les colombes, ou au chas­
seur sur le lièvre (14-19) :
mentemque lymphatam Mareotico
redegit in veros timorés
Caesar ab Italia volantem
remis adurgens, accipiter velut
mollis Columbus aut leporem citus
venator...

Le fait que son vol provienne ab Italia nous dit que nous devons voir
en lui le champion de la res publica et de ses valeurs, autour desquelles tota
Italia a prêté serment. Mais sa figure de sauveur de la communauté et de
ses mores n'en reste pas moins fsolée face à ce qui aurait pu être le funus
imperii: Rome détruite et asservie à une femme et à la cour de ses eunuques
(6-10... dum Capitoliol regina dementis minasi funus et imperio parabatl
contaminato cum grege turpiumlmorbo virorum).

21. Sur la cohérence de ces vers avec les thèmes de propagande en faveur d'Octavien, qui en 28
se proclamait justement libertatisp. R. vindex, documentation et bibliographie chez WATSON,
Commentary on Horaces Epodes, op. cit., p. 313-316.

253
MARIO CITRONI

Dans la satire I I 5, écrite probablement peu après Actium, entre 31 et


30, Octavien est (w. 62-64) le chef militaire qui, bien qu'encore invents, est
déjà magnus pour ses victoires obtenues tellure manque (63; cf. epod. 9, 27;
epist. 116, 25); i l est déjà la terreur des Parthes (Parthis horrendus), doté
d'une nature héroïque (demissum genus Aenea) qui le rend supérieur à la
condition humaine ordinaire. Le passage est caractérisé par l'emphase visant
à caricaturer la figure de Tirésias, le personnage oraculaire qui prononce ces
mots dans la fiction de la satire : mais il est clair qu'Horace introduit ici des
22
thèmes d'éloge courants dans le langage politique d'alors .
Dans la satire I I 6, écrite probablement en l'an 30, quelques mois avant
l'ode de Cléopâtre, parmi les questions typiques qu'Horace s'entend poser
par les passants, convaincus qu'en raison de ses rapports avec Mécène il
est au courant des affaires d'état, il y a aussi celle-ci : 55-56 quid? militibus
promissa Triquetralpraedia Caesar an est Itala tellure daturusi Octavien est
donc, pour l'opinion publique courante, le chef en même temps militaire
et politique qui a la faculté de décider tout seul, en tant que chef politique,
quelles terres choisir pour les assigner aux soldats que, dans sa qualité de
chef militaire, il entend récompenser pour les services prêtés.
Dans la satire I I 1, de l'an 30 également, Trebatius Testa conseille au
poète de cesser de dénoncer les vices - au risque de se créer beaucoup d'en­
nemis - et de passer à un registre opposé, sûr et rémunérateur : les louan­
ges des puissants. Mais le puissant auquel on pense naturellement comme
destinataire de la célébration ne peut être qu'un et un seul personnage:
Octavien, en tant que chef militaire victorieux (10-12 audelCaesaris invicti
res dicere, multa laborumlpraemia laturus). À l'objection du poète, qui allè­
gue son incapacité de représenter de grandes scènes de bataille, on passe à
une alternative mineure : célébrer Octavien comme homme politique juste
et énergique: 16 at tarnen et iustumpoteras etscriberefortem. Une nouvelle
objection intervient ici à propos du risque de ne pas plaire, même avec les
louanges, à un personnage au caractère ombrageux et aux réactions plutôt
imprévisibles, à un personnage qu'on ne peut aborder sans risque que dans
des conditions particulièrement favorables (18-20) :
nisi dextro tempore Flacci
verba per attentam non ibunt Caesaris aurem :
10
cui male sipalpere, recalcitrat undique tutus .
Un seul homme est donc en même temps chef militaire et autorité
politique. Un homme dont les humeurs personnelles peuvent influencer les

5
22. Dans leur commentaire, KIESSLING A. et HEINZE R. (dir.), Q. Horatius Fkccus, Satiren, Berlin ,
10
1921 (Dublin-Zürich 1968) envisagent une allusion à des oracles effectivement prononcés
après Actium. L'affinité de ces vers avec des passages contemporains de Virgile est bien connue
{Georg. II 170-172; IV 560-562). DOBLHOFER, Augustuspanegyrik des Horaz, op. cit., 46-50 nous
rappelle que l'insistance sur le jeune âge tout comme la connexion conceptuelle « sur terre et sur
mer», et aussi la prophétie relative à la gloire future étaient des éléments cruciaux de l'éloge du
souverain.
23. De semblables préoccupations d'approche au prince, en tant que poète, avec tout le tact requis,
dans les épîtres plus tardives I 13, et puis II1, 1-4 et 219-21.

254
L A REPRÉSENTATION D U POUVOIR AUGUSTÉEN DANS L'ŒUVRE D ' H O R A C E

comportements et les choix des citoyens. D'autant plus que, comme cela
sera indiqué vers la fin de cette même satire (83-85), il a aussi le pouvoir
24
d'engager les procédures judiciaires .
Dans les odes des livres I-III, édités conjointement en l'an 23, Auguste
apparaît régulièrement comme la figure solitaire du chef militaire, conqué­
rant de vastes territoires à Y imperium de Rome, et comme triomphateur.
Cet aspect se représente continuellement, soit isolé (comme en I I 9, posté­
rieur à l'an 27, en I I 12, postérieur à l'an 29, et encore en epist. I I 1, 251-56,
25
probablement de l'an 13 av. J.-C.) , soit associé à d'autres aspects de la
représentation de son pouvoir. En I 35, qui est probablement antérieur à
26
Actium , Horace invoque la déesse Fortune pour qu'elle protège César et
son armée lors de ses futures expéditions de conquête (29 ss. serves iturum
Caesarem in ultimoslorbis Britannos...), qui sont ici souhaitées comme un
tournant heureux (38 ss. Ο utinam nova incude diffingas...) par rapport à
une phase historique où les armées des Romains s'étaient retournées contre
les Romains eux-mêmes : une discontinuité qui, comme dans les poèmes
sur Actium et sur Cléopâtre, doit être comprise comme un rétablissement
de la continuité par rapport aux temps où la communauté des Romains
employait les armes pour se défendre contre les ennemis extérieurs et pour
conquérir le monde.
Mais cette figure de chef militaire et de restaurateur de l'État après une
phase de guerre civile et de reniement des valeurs identitaires, morales et
religieuses, de la communauté (I 35, 34-38), n'est pas seulement un pro­
tégé de la Fortune : sa condition tend continuellement à empiéter sur la
condition divine et le sépare profondément du reste des concitoyens. Cet
aspect est un de ceux qui sont les plus étudiés et je pourrai me limiter ici
27
à quelques indications . Horace représente Auguste tantôt comme dieu
vivant, tantôt comme un homme à qui la divinisation après la mort est déjà

24. Dans ce passage Horace fait allusion au fait qu'Octavien conditionne, avec son jugement, la renom­
mée des œuvres littéraires, se servant d'un langage qui à son tour rappelle son pouvoir de se charger
de l'instruction des procès.
25. Carm. II 9, 19-21 (à l'ami poète Valgius) cantemus Augusti tropaealCaesaris etrigidumNiphatenJ
Medumqueflumengentibusadditum... ; II12,10-12 (àMécène) dices... proelia Caesaris,!...duct
per viaslregum colla minacium; epist. II 1, 251 ss. Res... gestaslterrarumque situs etflumina
arcesl... et barbara regna tuisquelauspiciis totum confecta bella per orbem.
26. La date de l'ode est habituellement placée en 27 ou en 26, mais NISBET R.G.M. et HUBBARD M.,
A Commentary on Horace: Odes, Book I, Oxford, 1970, p. xxviii s. et p. 387 proposent une date
antérieure à Actium (35 av. J.-C.) en raison également de l'angoisse persistante pour les guerres
civiles exprimée aux vers 14-16 et dans les deux strophes finales.
27. La bibliographie, déjà vaste, relative au culte impérial s'est enrichie ces dernières années d'ultérieures
analyses et de débats animés, aussi sur la base d'une nouvelle documentation archéologique. Pour
la situation augustéenne, je signale seulement les synthèses de KIENAST D., Augustus. Prinzeps
und Monarch, Darmstadt, 1982, p. 185-214 et de FEARS J.R., «Herrscherkult», Reallexikon fur
Antike und Christentum, t. XIV, Stuttgart, 1988, p. 1056-63, avec la bibliographie essentielle, et le
récent volume de GRADEL L, Emperor Worship and Roman Religion, Oxford, 2002 (en particulier
p. 109-139), à intégrer avec les importantes observations de SCHEID J., «Comprendre le culte dit
impérial. Autour de deux livres récents», A C 73, 2004, p. 239-249, p. 244-249. En ce qui concerne
la position d'Horace envers Auguste et l'idéologie augustéenne, la contribution de LA PENNA Α.,
Orazio e l'ideologia delprincipato, Turin, 1963 reste fondamentale. Les notes de Nisbet et Hubbard
et de Nisbet et Rudd aux passages pertinents sont souvent précieuses.

255
MARIO CITRONI

destinée comme prix de ses mérites exceptionnels, tantôt comme homolo­


gue terrestre du souverain des dieux qui règne dans les cieux.
La première de ces représentations se trouve en I 2, au sujet de laquelle
on discute pour savoir si elle est antérieure ou postérieure de peu à Actium.
Ici l'angoisse que suscitent la chute possible de Y imperium et l'épuisement
d'une descendance dont les parents se sont détruits dans des luttes civiles
plutôt qu'en combattant les ennemis de l'extérieur, est encore très vive :
et ici encore - comme dans épod. 9, 11 - on pense à l'étonnement de la
postérité, qui n'arrivera pas à comprendre la folle pulsion de ses ancêtres à
se détruire (21-24). Le peuple invoque un dieu sauveur, auquel on confie
l'expiation du scelus accompli : 25-30 quem vocet divum populus ruentisl
imperi rebus?!... I cui dabit partis scelus expiandil Iuppiter ? Ce sera peut-
être Apollon, ou bien Venus, ou Mars (32-41 sive... sive). Ou peut-être
Mercure est-il déjà sur terre parmi les mortels, et c'est lui qui, sous l'aspect
d'un jeune homme, vengera le meurtre de César, mettra fin aux guerres
civiles, célébrera des triomphes sur les ennemis extérieurs, gouvernera en
se faisant appeler pater, princeps, dux, Caesar, et qui retournera enfin au
ciel (41-52):
sive mutata iuvenem figura
ales in terris imitaris almae
filius Maiae patiens vocari
Caesaris ultor,
serus in caelum redeas diuque
laetus intersis populo Quirini,

hic ames dici pater atque princeps,


neu sinas Medos equitare inultos
te duce, Caesar.
Octavien est donc ici un dieu, le dieu Mercure qui, comme un Messie,
condescend à laisser quelques temps son siège céleste et à assumer de faus­
ses formes humaines pour sauver Rome et son imperium d'une chute cer­
28
taine .
Il est remarquable que cette forme plus poussée de divinisation soit pré­
sente dans une des odes les plus anciennes, qui situe l'avènement d'Auguste
dans le cadre bien connu des attentes messianiques d'un sauveur divin,
tandis que dans des odes plus récentes apparaissent les modalités plus pru­
dentes que j'ai rappelées ci-dessus. La modalité selon laquelle Auguste est
présenté comme un homme qui sera récompensé de ses mérites sur la terre

28. On a beaucoup discuté, et on continue de le faire, pour savoir si Horace entend ici dire qu'Auguste
est un dieu au sens propre. À mon avis, ses mots ne sont pas ambigus, hormis le fait que la pré­
sence sur la terre de Mercure/Octavien pour sauver Rome est introduite comme la dernière d'une
série d'hypothèses, seulement possibles, d'interventions de dieux divers. Mais qu'il ne s'agisse pas
uniquement d'une hypothèse dans ce dernier cas ressort non seulement de l'appellatif Caesar, en
évidence à lafinde l'ode, mais aussi du rôle de Caesaris ultor attribué au dieu, rôle, et fonction,
qui avait déjà été rempli par Octavien. Sur la signification de cette forme de divinisation dans
l'ode, il y a de très bonnes observations dans NISBET et HUBBARD, A Commentary on Horace: Odes,
Bookl, op. cit., p. 19 sq., p. 34-36.

256
L A REPRÉSENTATION D U POUVOIR AUGUSTÉEN DANS L'ŒUVRE D ' H O R A C E

par son avènement parmi les dieux est adoptée dans l'ode I I I 3, que l'on
date de l'an 27 ou peu après. En récompense de ses mérites, il sera accueilli
parmi les dieux après sa mort comme d'autres grands bienfaiteurs mythi­
ques de l'humanité, les Dioscures, Hercule, Bacchus, mais aussi Romulus
29
(9-16) :
hac arte Pollux et vagus Hercules
enisus arcis attigit igneas,
quos inter Augustus recumbens
purpureo bibet ore nectar,
hac te merentem, Bacche pater, tuae
vexere tigres indocili iugum
collo trahentes, hac Quirinus
Martis equis Acheronta fugit.

L'idée selon laquelle Auguste est sur la terre un homologue du roi des
dieux, et donc lui-même un monarque doué d'un pouvoir d'ordre supé­
30
rieur , se trouve dans l'ode 112, datable entre l'an 25 et l'an 23 : Auguste
jouit ici de la protection particulière de Jupiter, et comme son «second» sur
terre, il triomphera des ennemis de Rome en assurant la sécurité de l'Italie,
et gouvernera avec justice un monde heureux (49-60) :
gentis humanae pater atque custos,
orte Saturno, tibi cura magni
Caesaris fatis data: tu secundo
Caesare règnes,
ilk seu Parthos Latto imminentis
egerit iusto domitos triumpho
sive subiectos Orientis orae
Seras et Indos,
te minor latum reget aequos orbem :
tu gravi curru quaties Olympum...

On a dit que ces formes de divinisation plus modérées, plus accepta­


bles pour la mentalité romaine, reflètent justement un compromis, inter­
venu après l'an 27, entre les poussées vers une divinisation ouverte du
souverain, conformément à des traditions orientales et helléniques, et les
31
résistances à ce sujet venant d'une partie de l'opinion publique romaine .

29. Le motif de la divinisation d'hommes exceptionnels en raison de leurs mérites envers l'humanité,
diffus en Grèce, souvent traité par Cicéron, et adopté ensuite officiellement à Rome à travers
l'apothéose de l'empereur qui eut bien mérité, est habituellement illustré avec ces mêmes exemples.
Dans Horace cf. aussi carm. 112, 21 s. ; III 14, 1-4; IV 5, 35 s. ; epist. II 1, 5-17. Le motif avait déjà
été utilisé pour soutenir la divinité d'Alexandre le Grand. Cf. BELLINGER A.R., «The Immortality
of Alexander and Augustus », YCIS 15, 1957, p. 93-100; LA PENNA, Orazio, op. cit., p. 88-94;
DOBLHOFER, Augustuspanegyrik des Horaz, op. cit., p. 122-41 ; BRINK C O . , Horace on Poetry:
Epistles Book II: The Letters to Augustus andFlorus, Cambridge, 1982, p. 39-57; EIDINOW J.S.C.,
«"Purpureo bibet ore nectar*: a Reconsideration », CQ 50, 2000, p. 463-71, p. 466-69;
NISBET R.G.M., RUDD N., A Commentary on Horace: Odes, Book III, Oxford, 2004, p. 30
(n.àlll 2,21s.).
30. JOCELYN H.D., «Carm. 1.12 and the Notion of a Pindarising Horace», Sileno 19, 1993, p. 101-
29, 103, met en évidence que dans ce passage un pouvoir providentiel (fata), supérieur à celui de
chaque divinité olympique, joue le rôle de garant du pouvoir d'Auguste.
31. LA PENNA, Orazio, op. cit. a analysé avec une attention particulière l'évolution des choix d'Octavien
sur sa propre divinisation, et leur reflet dans l'œuvre d'Horace. Qu'Octavien, après des concessions

257
MARIO CITRONI

Mais dans la même ode I 12, on trouve une référence explicite à la nature
divine d'Auguste, à travers l'évocation du sidus Iulium : 46 ss. micat inter
omnislIulium sidus velut inter ignislluna minores. Habituellement on pense
qu'Horace parle de la comète qui avait « certifié » l'apothéose de son père
Jules César, mais d'autres pensent que l'astre représente ici directement
32
Auguste . Et dans l'ode I I I 5, qui date de la fin de l'an 27, Horace pro­
clame solennellement, en ouverture, qu'après la conquête de la Bretagne
et du royaume des Parthes qui s'annonçait imminente, Auguste sera juste­
33
ment, par reconnaissance générale, deus praesens, dieu sur terre , comme
Jupiter est dieu dans les cieux (1-4) :
Caeb tonantem credidimus Iovem
regnare : praesens divus habebitur
Augustus adiectis Britannis
imperio gravibusque Persis.
34
La condition de deus praesens est ici projetée dans le futur , mais nous
verrons maintenant que dans un texte plus tardif, Horace la proposera à
nouveau comme reconnue communément pour Auguste vivant.
Dans l'ode III 25, de datation incertaine, l'objet du chant d'Horace est
la divinisation d'Octavien au moyen du catastérisme (3-5) :
quibus
antris egregii Caesaris audiar
aeternum meditans decus
stellis inserere et Consilio Iovis ?

initiales à son propre culte, soit devenu ensuite plus prudent, et qu'Horace à son tour se soit pro­
gressivement conformé à une plus grande modération dans la divinisation du prince, était déjà la
thèse de FRAENKEL Ed., Horace 1957, op. cit. (p. 297, p. 353 sq., p. 356). Au contraire par exemple
TAYLOR L. R., The Divinity ofthe Roman Emperor, Middeltown, 1931, p. 235 sq., parle d'un passage
progressif, chez Horace, e: ensuite chez Ovide, de l'éloge du prince exprimé en termes religieux à
l'acceptation formelle de sa divinité.
32. Ainsi NISBET ET HUBBARD, A Commentary on Horace: Odes, Book I, op. cit., p. 162 sq., pour qui
un renvoi direct à César est improbable, en raison de la prudence bien connue d'Auguste à se
référer à la mémoire de ce dernier. Ils admettent la possibilité d'une allusion à la comète de César,
qui toutefois, comme le souligne aussi WEINSTOCK S., Divus Julius, Oxford, 1971, p. 378 sq.
(et cf. p. 371), devrait être comprise comme garante directe d'Auguste et du nouvel âge qui avait
été ouvert par lui, selon l'interprétation qu'Auguste lui-même aurait préféré en donner (cf. PLIN.,
NH, II 94). À propos de Yastrum Caesaris et de façon plus générale sur l'utilisation de la part d'Oc­
tavien de la condition divine attribuée à César, voir WEINSTOCK, Divus Julius, op. cit., p. 367 sq.
Une analyse utile des sources relatives à la comète dans CLAUSS M., Kaiser und Gott. Herrscherkult
2
im römischen Reich, Munich-Leipzig, 2001 , p. 57 sq. (mais la thèse de ce dernier à propos d'une
acceptation générale de la divinité du prince vivant aussi à Rome et en Italie, à partir de César, a
suscité de nombreuses objections et apparaît insoutenable).
33. Sur le concept de deus praesens (etθεός επιφανής), excellent développement chez BRINK, Horace
on Poetry op. cit., p. 49-53, avec une ample bibliographie. Voir aussi CLAUSS, Kaiser und Gott,
op. cit., p. 482-87.
34. Selon LUTHER Α., «Zur Regulus-Ode (Horaz, c. 3,5) », RhM 146, 2003, p. 10-22, à la date de la
publication des trois premiers livres des odes (23 av. J.-C), un équilibre dans les relations de Rome
avec les Partes et les Bretons avait été trouvé, que la propagande romaine pouvait faire passer pour
un assujettissement de ces peuples, et donc la condition imposée ici par Horace pour la divinité
d'Auguste vivant aurait dû être comprise comme déjà réalisée dans le présent. La thèse ne se concilie
pas facilement avec le futur habebitur.

258
L A REPRÉSENTATION D U POUVOIR AUGUSTÉEN DANS L'ŒUVRE D ' H O R A C E

La divinisation doit être ici considérée comme un événement futur, qui


aura lieu après la mort, mais qui est d'ores et déjà certain et donc déjà digne
d'être célébré par le poète.
Même en admettant que sur la divinisation d'Auguste il y ait eu chez
Horace une évolution en rapport direct avec les ajustements et les com­
35
promis de l'idéologie augustéenne, ce qui me semble douteux , il reste
toutefois le fait qu'en publiant les recueils des livres I-III en l'an 23, le poète
a décidé de mettre particulièrement en évidence l'ode dans laquelle Auguste
était plus ouvertement présenté comme un dieu, en la plaçant justement
au début du recueil, après la dédicace à Mécène. À la divinité d'Auguste,
Horace fait du reste d'explicites allusions dans des textes plus tardifs.
Dans l'ode I V 5 et dans l'épître I I 1, qui datent entre lafinde l'an 14
et les débuts de l'an 13, Horace se réfère au culte pour le numen d'Auguste
et, selon l'interprétation traditionnelle, aujourd'hui cependant discutée,
06
au culte pour son Genius aussi. Ces formes de vénération étaient res­
senties comme différentes du culte pour le souverain lui-même comme
dieu vivant, et pour cela, elles étaient admises et pratiquées également à
Rome et en Italie, tant dans leur dimension privée, à laquelle Horace fait
référence dans ces passages, que dans une forme publique. Mais à travers
elles, on s'approchait beaucoup du culte direct de l'empereur vivant et
Horace, comme nous le verrons, adopte un langage et crée un contexte
qui encourage cette impression. I l est intéressant de noter, d'autre part,
que les références d'Horace à la dimension privée de ces cultes précè­
dent de plusieurs années les attestations de leur adoption publique, qui,
pour le culte du Genius Augusti avec les Lares compitales, remontent à l'an
37 38
7 av. J.-C. et pour le culte du numen Augusti à l'an 5 ap. J.-C. . Comme
d'autres poètes augustéens, Horace attribue à Auguste une couleur divine
qui va donc au-delà de ce qui était codifié par le culte officiel, interprétant
certainement des comportements, et des sentiments, communément diffus.
Dans ces deux textes, Horace se réfère encore une fois aux personnages
mythiques qui avaient conquis la divinisation seulement après la mort,
grâce à leurs mérites exceptionnels (carm. I V 5, 35 s.; epist. I I 1, 5-14),
ce qui strictement parlant n'est pas compatible avec la divinisation de son
vivant qui n'est pas directement impliquée, ainsi que nous l'avons dit, par
les cultes pour le Genius et pour le numen d'Auguste. Mais comme je l'ai
indiqué, dans chacun de ces deux textes, Horace s'exprime de façon à faire
apparaître Auguste comme un être de condition surhumaine, objet de culte
divin alors qu'il est encore en vie.
Dans IV 5, Auguste est invoqué, en ouverture, avec une formule qui se
prête à être interprétée comme l'affirmation de sa nature divine (divis orte

35. BRINK, Horace on Poetry, op. cit., p. 51 sq., en doute lui aussi.
36. Voir ci-dessous, n. 4 1 .
37. NIEBLING G . , « Laribus Augusti magistriprimi. Der Beginn des Compitalkultes der Lares und des
Genius Augusti», Historia 5, 1956, p. 3 0 3 - 3 3 1 .
38. Cf. GRADEL, Emperor Worship, op. cit., p. 237.

259
MARIO CITRONI

59
bonis) , et, dans la deuxième strophe, le poète attribue à l'apparition de
40
son visage le pouvoir surnaturel, littéralement divin , d'accroître, comme
l'avènement du printemps, la splendeur du jour. Le peuple tout entier prie
pour son retour, conscient que la paix, la sécurité, la prospérité, les bonnes
mœurs dépendent de lui. Et chacun, après sa journée de travail, rentre chez
soi (carm. IV 5, 31-36) :
ad vina redit laetus et alteris
te mensis adhibet deum.
te multa prece, te prosequitur mero
defuso pateris, et Laribus tuum
miscet numen uti Graecia Castoris
et magni memor Herculis.
Ce passage témoigne du succès obtenu, au moins sur le plan des usages
privés, par la décision du sénat en l'an 30 av. J.-C. (Cassius Dion 51, 19)
d'introduire une libation au prince dans tous les banquets, publics et privés.
La référence aux Lares et au numen d'Auguste font certainement allusion à
des formes de culte qui anticipent, comme je l'ai déjà indiqué, la formali­
sation de l'introduction du Genius Augusti dans la célébration des lares com-
pitales et le culte du numen Augusti. Il est difficile d'établir s'il existe ou non
un rapport entre numen et Genius et de quelle nature : en effet, Horace, dans
une ode qui s'ouvre avec lafigured'un prince doué de pouvoirs surnaturels,
choisit de le désigner, de la bouche même de celui qui l'invoque durant ses
rites domestiques, comme un deus (v. 32), et ensuite comme un numen
(v. 35), concept dont l'équivalence substantielle avec deus est confirmée ici
par le parallèle avec deux des héros grecs toujours cités comme divinités
41
reconnues et objet de culte .

39. L'interprétation de divis bonis comme un ablatif absolu (« né grâce à la faveur des dieux»), défen­
due efficacement par FRAENKEL Ed., Horace 1957, op. cit., p. 440-42, est préférable par rapport à
celle qui en fait un ablatif d'origine (« descendant de dieux propices »), mais également en faveur
de cette dernière interprétation (récemment suivie par exemple par Du QUESNAY I. M. L E M.,
«Horace, Odes 4. 5 : Pro reditu Imperatoris Caesaris Divi Filii Augusti», HARRISON S.J. (dir.),
Homage to Horace. A Bimillenary Celebration, Oxford, 1995, p. 128-87, 153 sq.) militent des
parallèles très significatifs {carm. saec. 50 Veneris sanguis-, VERG. Aen., V I , 792 Augustus Caesar,
divi genus et d'autres), et il est vraisemblable qu'Horace ait joué de l'ambiguïté de l'expression. De
brèves synthèses sur le débat portant sur ce passage dans DOBLHOFER E., « Horaz, c. I V 5 - Eine
literarische "Kippfigur" ? », AAHung 39, 1999, p. 105-14, 106-08 ; KAMPTNER M., « Gedanken zu
Horaz, carm. 4, 5», WS 114, 2001, p. 285-87.
40. En particulier sur la connexion d'Auguste avec le soleil, qui rentre dans le vaste cadre de l'assimi­
lation de la majesté avec le soleil, et qui chez Horace revient aussi dans carm., I V 2, 46 ss. et epist.,
II 1, 17, voir WEINSTOCK Divus Julius, op. cit., p. 383 s. ; cf. aussi Du QUESNAY, «Horace, Odes
4. 5», art. cit., p. 157 sq.
41. L'idée courante est que dans ce passage numen soit utilisé comme l'équivalent de Genius, et que la
libation comme l'insertion entre les Lares se réfère au Genius. GRADEL, Emperor Worship, op. cit.,
p. 207-212 fait cependant noter que toutes les sources attribuent les libations au souverain lui-
même, non pas à son Genius, et soutient (235-50), avec des arguments d'un poids certain, que le
culte du numen d'Auguste n'est pas assimilable à celui de son Genius, mais coïncide, comme simple
variante linguistique, avec le culte du souverain même en tant que dieu. Le passage d'Horace en
donnerait une confirmation (246 s.) : ici la libation s'adresse au prince en tant que deus (et non
pas à son Genius) et le numen du prince vivant est objet de culte comme les Dioscures et Hercule,
qui sont des dieux déjà consacrés. Sur le rapport entre Genius et numen, concepts certainement
distincts mais en relation, et sur l'histoire de ce débat complexe, voir, en référence à Auguste,
surtout PÖTSCHERW, « "Numen" und "numen Augusti"», ANRW2, 16, 1, 1978, p. 380-392 et

260
L A REPRÉSENTATION D U POUVOIR AUGUSTÉEN DANS L'ŒUVRE D ' H O R A C E

En outre, dansΓ exorde de l'épître I I 1, directement destinée à Auguste


et exigeant de ce fait une attention et une précaution particulières dans
le choix des modalités de la représentation de son pouvoir, le prince est
explicitement opposé à la série des grands bienfaiteurs, Romulus, Bacchus,
les Dioscures (5-17), justement parce que, alors que ceux-ci reçurent des
honneurs divins seulement après leur mort, on lui attribue un culte divin
alors qu'il est praesens, vivant et actif parmi les hommes (15-17) :
praesenti tibi maturos largimur honores
iurandasque tuum per numen ponimus aras,
nil oriturum alias, nil ortum taie fatentes.

Comme objet de culte alors qu'il est vivant parmi les hommes (praesens)
on reconnaît donc implicitement à Auguste la qualification de deus praesens,
42
jamais attestée pour lui dans aucun document , et son numen est invoqué
comme garantie des serments, comme pour une divinité.
Je ne pense donc pas qu'il y ait chez Horace le souci de s'en tenir stricte­
ment à de prudents compromis relatifs à la divinisation d'Auguste. Horace
devait évidemment savoir que dans l'espace de l'œuvre poétique, ce souci
n'était pas requis. De même que, plus en général, il devait évidemment
savoir que, dans l'espace de l'œuvre poétique, le souci de représenter le
pouvoir d'Auguste comme inséré à l'intérieur du cadre des magistratures de
la res publica et comme un pouvoir partagé avec le Sénat ne s'imposait pas.
L'épître à Auguste est aussi particulièrement significative de cette dernière
perspective. Le premier vers justement, le moment le plus délicat de ce texte
très délicat, a comme mot-clé, comme mot qui porte le rythme, la syntaxe
et le sens, l'adjectif solus (epist. I I 1, 1 ss.) :
Cum tot sustineas et tanta negotia solus,
res Itaks armis tuteris, moribus ornes,
legibus emendes,

Auguste soutient tout seul toute compétence militaire et politique : il


défend l'Italie par les armes, l'agrémente de bonnes coutumes, la règle avec
les lois (le moment militaire a ici aussi la priorité, comme presque toujours
43
dans la représentation du pouvoir d'Auguste chez Horace) .

FISHWICK D., The Imperial Cult in the Latin West, vol. 2, 1, Leyde, 1991, p. 375 sq. Sur le fait
que le culte du Genius du prince, de ses virtutes et surtout de son numen, remplace un culte reli­
gieux formel au souverain vivant, cf. par exemple TAYLOR, Divinity ofthe Roman Emperor, op. cit.,
p. 193; FEARS J.R., «The Cult of Virtues and Roman Imperial Ideology »,ANRW II, 17, 2, 1981,
p. 827-948; BRINK, Horace on Poetry, op. cit., p. 55 sq. et FEARS J.R., «Herrscherkult», Reallexikon
fur Antike und Christentum, t. XIV, Stuttgart, 1988, p. 1061.
42. BRINK, Horace on Poetry, op. cit., p. 51.
43. Cf. sat., II 1, 10-17; epist., I 3, 7 s.; II 1, 229-231, et aussi carm., IV 5, 22 où la gratitude pour
avoir rétabli mos et lex est exprimée à un prince qui se trouve loin de Rome, engagé dans des
campagnes militaires. Dans les éloges des souverains la priorité des mérites militaires par rapport
aux mérites civils était une tradition stable, que l'on peut faire remonter jusqu'à Homère, qui était
garantie par les préceptes des rhéteurs, et à laquelle on contrevenait très rarement : cf. DOBLHOFER,
Augustuspanegyrik des Horaz, op. cit., p. 22-26. C'est encore DOBLHOFER, 92-108, qui soutient
qu'Horace, dans sa représentation du pouvoir d'Auguste, donne en réalité beaucoup plus d'es­
pace au thème de la paix qu'à celui de la guerre. Je n'en suis pas sûr, et de toute façon il est clair

261
MARIO CITRONI

4. En effet Horace ne se réfère jamais au pouvoir d'Auguste avec les


termes propres aux institutions de la res publica : le terme consul n'est
jamais attribué ni à Auguste ni à d'autres qui exercent cette charge au
temps d'Auguste. Les références à des personnes jouant un rôle militaire
et politique à ses côtés concernent seulement des membres de sa famille:
Marcellus (I 12, allusion indirecte), Agrippa (I 6; et cf. epist. 112), Drusus
(IV 4), Tibère (IV 14; epist. I 3, 2; I 12, 26 s.). À propos de dédicataires
d'odes d'Horace, on ne dit que dans de rares cas qu'ils sont impliqués dans
les préoccupations pour la politique romaine ou dans des expéditions mili­
taires, et toujours d'une façon assez vague, et sans références qui les lient à
la personne d'Auguste.
Dans les odes, i l n'y a que trois références à l'autorité du Sénat. Dans
le Carmen saecuUre les normes concernant l'encouragement aux maria­
44
ges et à la natalité sont attribuées au Sénat (patrum decreta) , mais les
conquêtes militaires et le retour aux vertus négligées sont en réalité rame­
nées à Auguste, envisagé en tant que chef militaire (51 s. bellante prior,
iacentemllents in hostem) dans sa condition héroïque de descendant direct
d'Anchise et de Vénus (50 clarus Anchisae Venerisque sanguis). En I V 5, où
l'on invite Auguste à rentrer d'une expédition militaire, on rappelle (3 s.)
qu'il avait promis un retour rapide au sanctum concilium des sénateurs. Le
Sénat apparaît donc ici, une seule et unique fois, comme étant titulaire d'un
pouvoir qui, d'une certaine façon, est au-dessus de celui d'Auguste. Mais
rappelons que c'est justement le poème où Auguste apparaît plus que dans
tous les autres comme une figure supérieure et surnaturelle : il est invoqué
effectivement comme un dieu, source de lumière sur la terre et de bonheur
parmi les hommes, gardien de la descendance de Romulus, objet de culte
de la part du peuple qui reconnaît en lui, et en lui seulement, le porteur
de la fécondité des champs, de la sécurité des mers, du respect des lois et
des coutumes, du triomphe sur les ennemis. Ces mêmes motifs reviennent
en I V 15, où le mérite en est attribué plus impersonnellement à Yaetas
Caesaris, et où Auguste est le garant de la stabilité de la paix, de la sûreté
et du bonheur de la communauté: i l est le custos rerum dont on célèbre
les divins ancêtres, mais qui n'est pas ouvertement divinisé lui-même (et
cf. 112, 49, où pater atque custos, référé à Jupiter, se reflète sur l'image
d'Auguste, son « second» sur la terre). Le Sénat apparaît encore en IV 14, pas
tellement comme titulaire d'un pouvoir mais plutôt comme promoteur, avec
le peuple des Quirites (Quae cura patrum quaeve Quiritium...), d'initiatives
de témoignage public des mérites (plenis honorum muneribus tuasjAuguste,
virtutes in aevumlper titulos memoresque fastuslaeternet...) de celui qui est
l'unique vrai détenteur du pouvoir, qualifié de maximus principum (6) sur

que les bénéfices de la paix ont pour Horace comme prémisses nécessaires les victoires militaires
(cf. LA PENNA, Orazio, op. cit., p. 73-78).
44. C. s. 17 s. (prière à Diane) producas subolem patrumquelprospères decreta super iugandislfemin
prolisque novae feraci! lege marita.

262
LA REPRÉSENTATION DU POUVOIR AUGUSTÉEN DANS L'ŒUVRE D'HORACE

toute la surface des terres habitées, soumises par lui à la domination de


Rome, avec l'apport de Drusus et de Tibère.
Le seul sujet politique avec lequel Auguste a un rapport fort et direct,
dans la représentation d'Horace, est le peuple. Et on comprend comment se
confirme sur cette voie une image du pouvoir augustéen qui est conforme
non aux règles de la constitution de la res publica, mais au principe monar­
chique, ou bien tyrannique si l'on veut, qui ne prévoit pas de structures
de médiation et de garantie institutionnelle dans le rapport de solidarité
ou de conflit entre le peuple et le souverain. C'est le populus qui invoque
Octavien comme un dieu déjà dans l'ode I 2, du temps d'Actium (25
s. quem vocet divum populus mentisi imperi rebus?... ; et cf. 45 s. serus in
caelum redeas diuquellaetus intersis populo Quirini), et puis encore dans
l'ode tardive I V 5, pour le retour d'Auguste des campagnes militaires, où
l'on trouve l'expression d'un lien de profonde affectivité entre le prince
et son peuple : ut mater iuvenem, quem Notus... trans maris aequora...
dulci distinet a domo... sic desideriis icta fidelibus quaeritpatria Caesarem.
En I 21, 14 populus et princeps Caesar sont comme une entité unique
45
qu'Apollon et Diane devront protéger . C'est «ce peuple qui est à toi»
(tuus hic populus) qui reconnaît la divinité de son souverain vivant dans
l'épître à Auguste (epist. I I 1, 18). En III 14 (de l'an 24) c'est laplebs (v. 1)
qui salue le retour d'Auguste, gouverneur du monde et garant de la sécurité
des Romains, de ses campagnes de conquête (motifs repris en I V 15). En
IV 2 c'est la civitas (v. 51) qui accueille Auguste de retour de ses victoires.
46
Du reste les vers que rapporte Horace {epist. I 16, 27-29) comme
l'exemple le plus typique des célébrations d'Auguste et par conséquent
immédiatement reconnaissables pour tout le monde justement en tant que
célébration du prince, proposent deux sujets, un individu et le populus,
dont, grâce à Jupiter qui prend soin de l'un comme de l'autre, on ne réussira
jamais à savoir lequel des deux a davantage à cœur le salut de l'autre.
« tene magis salvum populus velit an populum tu,
servet in ambiguo qui consulti et tibi et urbi
Iuppiter», Augusti laudes agnoscerepossis...

Jupiter comme garant divin, un prince protégé par Jupiter (parfois


même son homologue directement divinisé), le peuple: ce sont là, aussi
dans l'œuvre même d'Horace, les trois points de repère du pouvoir dans
l'État augustéen. Dans un autre passage de la même épître (40 s.), un inter­
locuteur imaginaire du poète propose une définition du vir bonus: c'est,
tout simplement, celui qui respecte les consulta patrum, les leges, les iura :

45. NISBET et HUBBARD, A Commentary on Horace: Odes, Bookl, op. cit., p. 261 considèrent l'omission
du Sénat dans ce passage une «énormité constitutionnelle», d'autant plus que la locutionpopu-
lusque patresque est très fréquente en poésie comme équivalent de la formule senatus populusque
Romanus, et notent qu'au temps de Néron encore, selon Suétone {Nero, 37, 3), ne pas citer le Sénat
avec le prince et le peuple était considéré comme impropre.
46. Pour une analyse approfondie de ce passage, en relation à la topique du panégyrique antique, voir
DOBLHOFER, Augustuspanegyrik des Horaz, op. cit., p. 52-66.

263
M A R I O C I T R O N I

mais cet État de droit réglé par le Sénat n'apparaît pas dans la res publica
restituta d'Horace.
La représentation horatienne du pouvoir augustéen est bien loin du
risque d'assumer des couleurs « tyranniques » en raison d'une série de
caractéristiques bien évidentes auxquelles nous avons déjà fait référence
dans les pages précédentes : l'insistance sur le rapport d'affection qui lie le
prince à son peuple; la mise en relief du sens de responsabilité envers le
peuple qui lui est confié, auquel renvoient les qualifications de pater (qui
anticipe l'attribution officielle du titre de pater patriae, qui adviendra en
47
l'an 2 av. J.-C.) et custos ; l'insistance sur la récupération augustéenne du
mos maiorum, qui implique des comportements publics et privés caracté­
risés par une exemplaire rectitude en conformité avec les lois. La grande
importance qu'assument, dans la quatrième ode romaine, les concepts du
lene consilium et de la vis temperata (III 4, 41 et 66) qui doivent guider le
souverain, en l'invitant à se garder des tentations tyranniques, confirment
l'importance et la délicatesse qu'Horace attribuait à la question. Mais ce
ne sont pas les aspects «constitutionnels», ce n'est pas le rôle du Sénat, des
magistrats, des comices qu'Horace invoque pour garantir la qualité non
tyrannique du pouvoir d'Auguste. Au contraire, le rapport d'Auguste avec
ces pouvoirs constitutionnels n'apparaît pas dans son oeuvre qui propose
le profil d'un monarque qui opère de la meilleure façon dans l'intérêt des
citoyens et de l'humanité.

5. Avant de conclure, revenons un instant sur l'autre aspect du thème de


la res publica restituta auquel nous nous sommes référé au début : celui du
rétablissement de la solidité, du prestige, de la sécurité, de la puissance de
l'État, ainsi que de la restauration des valeurs morales et religieuses, consi­
dérées comme le fondement nécessaire et la condition de la pérennité de
la communauté romaine et de son identité même. Nous avons déjà pris en
considération une série de textes d'Horace où le mérite de cette récupéra­
tion est attribué à Auguste qui reconstitue une continuité du présent et du
futur de Rome avec son passé : une continuité qui avait semblé interrompue
et qui risquait de se perdre. Ce motif tient une grande place chez Horace
et nous ne pouvons pas en parcourir ici toutes les diverses articulations
ultérieures. Je m'arrêterai seulement sur un aspect.
La phase qui a marqué la fracture avec le passé à laquelle Auguste porte
remède est évidemment celle des guerres civiles. Cela ressort plusieurs fois
de façon explicite. Mais puisqu'un des présupposés de cette crise politi­
que dramatique, ou mieux, une de ses implications intrinsèques qui en
est inséparable, est la crise des valeurs morales et religieuses, la fracture, le
début de la discontinuité se projette dans un passé plutôt indéfini. Dans
l'épode 7, écrite avant qu'Horace n'entre en rapport avec Mécène, la corrup-

47. À propos de ces qualifications et sur leur valeur idéologique, LA PENNA, Orazio, op. cit., p. 86-88,
p. 105 ; Du QUESNAY, « Horace, Odes 4. 5, 157 s. », art. cit., p. 153.

264
LA REPRÉSENTATION DU POUVOIR AUGUSTÉEN DANS L'ŒUVRE D'HORACE

tion qui mène aux guerres civiles est même déjà inscrite dans le mythe de
fondation, lequel fait intervenir un fratricide (17-20 ; cf. aussi epod. 16, 9 s. ;
carm. I I 1, 4 s.). L'idée d'une faute atavique à expier est au reste également
présente dans l'ode I 2 (cf. 17-20), que l'on date du temps d'Actium. Dans
la sixième ode romaine, de l'an 28 peut-être, qui identifie dans la défaillance
de la religiosité la cause authentique de la crise, Horace affirme en ouver­
ture, avec une emphase prophétique, que les Romains sont en train de payer
pour les fautes des aïeux, placés dans un passé indéfini (Delicta maiorum
immeritus lues. Romane donec tempia refeceris...) ; il poursuit avec une allu­
sion tout aussi indéfinie aux saecula (v. 17 s.) qui ont pollué la chasteté des
relations conjugales en donnant ainsi naissance à la corruption actuelle, et il
conclut le poème en affirmant un principe général de décadence de la com­
munauté romaine de génération en génération ; une décadence dont on ne
connaît pas le début, et qui n'a peut-être pas de fin (carm. I I I 6, 45-48) :
damnosa quid non inminuit diesi
aetas parentum peior avis tulit
nos nequiores, mox daturos
progeniem vitiosiorem.
Dans ce cadre d'indétermination chronologique, les points de référence
positifs du passé avec lesquels Auguste reconstitue la continuité de la res
publica sont les symboles d'un mos maiorum qui peuvent se situer, sur le
plan chronologique, aussi bien à la période des rois qu'à celle toute récente
des guerres civiles. Caton d'Utique, le martyr de l'opposition à la nouvelle
monarchie tentée par Jules César, peut maintenant devenir partie inté­
grante du panthéon des représentants symboliques des valeurs que le fils
et vengeur de César veut restaurer, pourvu que son sacrifice soit interprété
comme l'emblème d'une virtus qui fait passer la cohérence rigoureuse et
le sens de l'État avant les intérêts personnels, jusqu' à la totale abnégation
48
de soi . Mais ce panthéon des figures symboliques de la res publica avec
lequel Auguste restaure la continuité s'étend en même temps sans difficulté
en arrière, jusqu'aux rois de Rome. En premier lieu à Romulus qui, comme
nous l'avons vu, représentait le précédent romain des héros divinisés pour
leurs mérites envers l'humanité à la série desquels venait s'ajouter main­
tenant Auguste, qui tirait aussi du parallèle avec Romulus-Quirinus une
image de refondateur de l'État qui comportait donc une récupération de
continuité avec toute l'histoire de cet État, y compris de la période des
49
rois . Le texte le plus éloquent dans ce sens est l'ode I 12, où Romulus,
Numa, les Tarquins se trouvent dans une même série, au cours d'une seule

48. Sur l'utilisation de lafigurede Caton d'Utique de la part de l'idéologie augustéenne, voir LA PENNA,
Orazio, op. cit., p. 98-103.
49. Sur les différentes significations de la comparaison entre Auguste et Romulus voir MERKELBACH R.,
« Augustus und Romulus (Erklärung von Horaz Carm. 112, 37-40) », Philobgus 104,1960, p. 149-
153; LA PENNA, Orazio, op. cit., p. 92 sq. (avec une ultérieure bibliographie). Chez LA PENNA,
Orazio, op. cit., p. 95-104 excellent développement des valeurs idéologiques de l'ode I 12.

265
MARIO CITRONI

50
strophe, justement avec Caton d'Utique ; viennent ensuite d'autres figures
symboles du mos maiorum de l'âge républicain qui représentent la tradition
et l'identité de l'État romain, à partir de l'âge des rois, avec lequel le nou­
veau César réconcilie le présent et le futur de Rome.
L'importance attribuée à l'âge des rois dans l'exposition à grands traits de
ce passé de Rome avec lequel Auguste restaure la continuité est cohérente
avec ce qui ressort des considérations, que nous avons développées ci-des­
sus, des formes de représentation du pouvoir augustéen : Horace ne semble
pas s'intéresser à valoriser la dimension constitutionnelle spécifiquement
«républicaine» du pouvoir augustéen.
Comme je ne doute pas qu'Horace entende présenter les thèmes poli­
tiques et idéologiques sous la forme la plus cohérente avec les attentes de
Mécène et d'Auguste, et du milieu élevé de relations où sa poésie trouvait
le contexte de communication le plus direct, je crois qu'il nous faut prendre
acte, comme je l'ai déjà précisé, du fait que la poésie était considérée comme
un espace de communication où i l n'était pas nécessaire de tenir compte
des médiations constitutionnelles difficiles dans lesquelles le régime était
engagé pour se proposer d'être cohérent avec les institutions de la libera res
publica. Malgré la proximité remarquable entre les grands poètes augus-
téens, la personne du prince et son entourage, malgré aussi l'influence de
leurs oeuvres sur le public, leur voix était apparemment considérée, du point
de vue de l'engagement idéologique, comme analogue à celle des manifesta­
tions privées, non officielles, de célébration augustéenne, qui, comme nous
le savons, n'hésitaient pas à rendre un culte à Auguste, comme à un dieu
vivant. I l ne paraît pas possible d'établir s'ils avaient en cela transgressé la
volonté du prince ou interprété en réalité le véritable désir d'Auguste, ins­
pirés par un enthousiasme sincère ou par un zèle adulateur intéressé. Quoi
qu'il en soit, la tendance de la poésie à recourir à des formulations pourvues
d'une efficacité symbolique, étrangères aux détails d'ordre «technique»,
permettait aux poètes de transmettre une représentation plus directe du
pouvoir augustéen, moins prudente, mais plus vraie en définitive, plus
proche de la substance des choses et aussi de la perception qui prévalait
parmi leurs contemporains, que celle qui était construite par la diplomatie
prudente du prince.

50. Le placement de Caton immédiatement après les rois vise probablement à dissiper les associations
« tyranniques » que la référence aux rois pouvait comporter: ainsi MERKELBACH « Augustus und
Romulus », art. cit.

266
Res publica non restituta
La réponse d'Ovide : la legende de Cipus

Paul M . MARTIN

Ovide commença à écrire son œuvre immense intitulée les Métamorphoses


à partir de Tan 1 av. J.-C. jusqu'à Tan 2 ap. J.-C, puis, après un bref inter­
valle de temps, de la fin de Tan 2 jusqu'à la date de son bannissement, en 8.
C'est assez dire que cette œuvre échappe apparemment aux préoccupations
de ce colloque. Pourtant, il y est narré un épisode dans lequel tous les cri­
tiques ovidiens voient, avec raison, une allusion à un événement survenu
dans les années 20.
Rappelons brièvement que les Métamorphoses déroulent, sur quinze
livres, un panorama immense des métamorphoses recensées par la mytholo­
gie grecque d'abord, puis par ce qui tenait lieu aux Romains de mythologie,
à savoir des épisodes « historiques » mettant en œuvre des métamorphoses.
La Grèce se taille évidemment la part du lion dans cet ouvrage : ce n'est
qu'à partir du livre XIII, 623 sqq, que le lecteur commence à approcher de
Rome, si l'on peut dire, à travers les aventures d'Énée. Encore son périple
n est-il le plus souvent que le prétexte à narrer des métamorphoses qui ne
le concernent pas directement: des filles d'Anius en colombes; des filles
d'Orion en jeunes gens ; d'Acis enfleuve; du pêcheur Glaucus en dieu de
la mer, de Scylla en monstre marin, des Cercopes des îles Pythécusses en
singes... Ce n'est qu'avec l'histoire de Picus, changé en pivert \ que le récit
commence à s'enraciner en terre du Latium. Les légendes qui suivent ont
presque toutes rapport avec des épisodes de la préhistoire ou de l'histoire pri­
mitive de Rome : transformation des vaisseaux d'Énée en nymphes, source
d'eau froide du Capitole devenue chaude au moment de l'attaque sabine,
naissance miraculeuse de Tagès, métamorphose du javelot de Romulus en
arbre et, plus tard, venue d'Esculape à Rome sous la forme d'un serpent.
Ensuite, conformément à l'idéologie officielle, succèdent, au titre de méta­
morphoses, l'apothéose d'Énée, la divinisation de Romulus en Quirinus
(et de son épouse Hersilia en Hora), le catastérisme de César, annonçant la

1. OVIDE, Afe*. XIV, 308 sq.

267
PAUL M. MARTIN

2
divinisation de son «fils» Auguste . Ovide n'y fait que réciter, sinon pieu­
3
sement, du moins avec une feinte application , le «catéchisme» du régime,
4
abondamment attesté par ailleurs chez les auteurs contemporains .
C'est dans cet ensemble de tonalité politique apparemment homogène
5
que s'inscrit l'épisode de Cipus . Notons d'abord que c'est la seule méta­
morphose survenue, à lire Ovide, à l'époque républicaine - du moins si
l'on excepte la venue d'Esculape en serpent et si l'on considère qu'avec la
divinisation de César, Rome est déjà sortie de cette période. Le poète avait
pourtant matière à écrire : apparition des Dioscures après la bataille du lac
Régule, animation du corbeau sur le casque du champion gaulois opposé
à Valerius... Au lieu de ces épisodes connus de tous parce qu'ils faisaient
partie de l'imagerie « d'Épinal » du récit annalistique relatif aux siècles répu­
blicains, Ovide a choisi de raconter l'étrange - et confidentielle - histoire de
Cipus. S'il a fait ce choix, c'est qu'il avait, comme on dit, « une idée derrière
la tête». Mais laquelle?
Le récit fait suite, de manière chronologique, à deux épisodes : la nais­
sance miraculeuse du prophète étrusque Tagès à partir d'une motte de terre
et la transformation de la lance de Romulus, fichée dans le mont Palatin,
en arbre vivace, eux-mêmes précédés - avec une rupture chronologique
cette fois - de la transformation, beaucoup plus «classique», de la veuve
6
éplorée de Numa, la nymphe Egèrie, en source . Sans transition, le poète
enchaîne de la stupéfaction de Romulus au spectacle de sa lance se couvrant
7
de feuilles, à celle de Cipus :

Autsuaflumineacum uidit Cipus in unda Ou quand Cipus vit ses cornes (car il les vit!)
Cornua (uidit enim) fahamque in imagine credens
dans Tondefluvialeet qu'incrédule devant cette
Essefidem,digitis adfrontem saepe relatis, image qu'il croyait fausse, portant à plusieurs repri­
Quae uidit, tetigit; nec iam sua lumina damnans
ses ses doigts à son front, il toucha ce qu'il avait
Restitit, ut uictor domito remeabat* ab hoste,
vu ; cessant dès lors d'accuser ses yeux, il s'arrêta,
Ad caelum oculos eteodem bracchia tollens: au moment de retourner victorieux de l'ennemi
« Quidquid » ait «superi, monstroportenditurdompté,
isto, et levant au ciel ses yeux et ses bras :
Seu ketum est, patriae laetum populoque Quirini;
« Quoi que ce soit, dit-il, ô dieux, qu'annonce ce
Siue minax, mihi sit;» uiridique e caespitefactas
prodige, s'il est heureux, qu'il le soit pour la patrie
Plaçât odoratis herbosas ignibus aras et le peuple de Quirinus ; s'il est menaçant, qu'il
Vinaque datpateris mactatarumque bidentum, le soit pour moi seul»; et, sur les autels herbus de
Quidsibi significent, trepidantia consulti exta.
vert gazon qu'il dresse, il cherche à apaiser les dieux
Quae simul inspexit Tyrrhenae gentis haruspex,
avec des feux odorants, verse du vin avec une patere

a. Certains manuscrits ont ici la leçon ueniebat.

2. OVIDE, Afrt XIV 581-608 (Énée); 805-851 (Romulus et Hersilie); 745-851 (César et Auguste).
3. Sur Ovide « athée » de l'idéologie augustéenne, voir notre article « Les poètes élégiaques entre consen­
sus et intégration difficile », Properzio nel genere elegiaco. Modelli, motivi,riflessistorici. Atti del Co
Internaz. Assisi 2004 (C. Santini, E Santucci edd.), Assise, 2005, p. 147-186. Nous ne partageons
pas pour autant les thèses passablement délirantes de MALEUVRE J.-Y., Vrais etfaux héros dans les
Métamorphoses d'Ovide, Villiers-sous-Mortagne, 2005.
4. Cf. MARTIN P. M., L'Idée de Royauté à Rome, Clermont-Ferrand, 1994, II, p. 395-411.
5. OVIDE, Met. XV, 565-621.
6. OVIDE, Met. XV 547-564.
7. Le texte suivi est celui de la CUF. La traduction est originale.

268
R E S P U B L I C A N O N R E S T I T U T A , LA RÉPONSE D'OVIDE: LA LÉGENDE DE CIPUS

Magna quidem rerum molimina uidit in illis, et, dans les entrailles palpitantes des jeunes brebis
Non manifesta tarnen. Cum uero sustulit aere sacrifiées, il cherche ce que cela signifie pour lui.
Apecudisfibrìs ad dpi cornua lumen: À ce spectacle, un haruspice du peuple tyrrhénien
«Rex, » ait «ο salue! Tibi enim, tibi, Cipe, Puisque
y voit naître dans l'effort une immense révolution,
Hic locus et Latiae parebunt cornibus arces.sans fatalité absolue néanmoins. Et quand du foie
Tu modo rumpe moros portasque intrare patentes des bêtes il lève les yeux vers les cornes de Cipus :
Appropera; sicfata iubent; namque urbe reeeptus « Roi, dit-il, salut ! Car c'est à toi, oui à toi, Cipus,
Rex eris et seeptro tutus potière perenni. » et à tes cornes qu'obéiront cette terre et les cita­
Rettulit ille pedem toruamque a moenibus delles urbis du Latium. Toi cependant cesse de tarder et
Auertensfaciem: «Procul, a!proculomina» dixit hâte-toi de franchir les portes ouvertes ; ainsi l'or­
« Talia dipellant; multoque ego iustius aeuum donnent les destins ; de fait, une fois reçu dans la
Exsulagam, quam me uideant Capitolia regem. ville, tu» seras roi et, sans danger, tu t'empareras du
Dixit et extemplo populumque grauemque senatum sceptre à jamais. » Mais lui fait un pas en arrière
Conuocat, ante tarnen capitis noua cornua etlauro
détournant des murs de la ville son visage dur :
Vekt et aggeribus factis a milite forti «Arrière, ah ! arrière de tels prodiges, dit-il, que les
Insistitpriscosque deos e moreprecatus: dieux les écartent ! Il est beaucoup plus juste que
«Est» ait «hic unus, quem uos nisipellitis urbe,
je passe ma vie en exil, plutôt que le Capitole me
Rex erit. Is qui sit, signo, non nomine dicam; voie roi. » Il dit et aussitôt convoque le peuple et
Cornuafrontegerit; quem uobis indicaiaugur, le grave sénat, non sans avoir auparavant caché les
Si Romain intrarit, famularia iura daturum. cornes nouvelles de sa tête sous un laurier ; et, sur
Ille quidem potuit portas irrumpere apertasi le merlon élevé par le brave soldat, il monte ; puis,
Sed nos obstitimus, quamuis coniunctior ilio, ayant prié selon l'usage les dieux ancestraux : « Il
Nemo mihi est. Vos urbe uirum prohibite, Quintes,
y a, dit-il, ici un homme, un seul, qui, si vous ne
Vel si dignus erit, grauibus uincite catenis, le chassez pas de la ville, sera roi. Qui il est, je vais
Autfinite metum fatalis morte tyranni. » vous l'indiquer par un signe distinctif, non par son
Qualia succinctis, ubi trux insilibat Eurus, nom : il porte des cornes sur le front ; ce que vous
Murmura pinetisfiunt,aut qualia fluctus fait savoir l'augure, c'est que, s'il entre dans Rome,
Aequoreifaciunt, siquis procul audiat illos,il vous donnera des lois asservissantes. Il a pu,
Tale sonatpopulus; sedper confusa frementis certes, franchir les portes ouvertes ; mais je me suis
Verba tarnen uulgi uox eminet una: mis en travers, bien que nul ne soit plus proche de
«quis ille est?» lui que moi. Mais c'est à vous, citoyens, de frapper
Etspectantfrontes praedictaque cornua quaerunt.cet homme d'interdiction ou, s'il le mérite, de le
Rursus adhos Cipus: « Quem poscitis» charger de lourdes chaînes, à moins que vous ne
inquit «habetis, » mettiez finà votre crainte en tuant le fatal tyran. »
Et, dempta capiti, populo prohibente, corona, Semblable aux grondements dans les pins parasols
Exhibuit gemino praesignia tempora cornu.quand bondit l'Eurus furieux, ou à celui des flots
Demisere oculos omnes gemitumque dedere maritimes pour qui les entend de loin, est le bruit
Atque illud mentis ckrum (quis credere possiti)du peuple ; mais à travers les paroles confuses de
Inuiti uidere caput; nec honore carere la foule grondante jaillit un cri unanime : « Qui
Vlterìus passi, festam imposuere coronam. est-ce ? », et l'on regarde les fronts, on cherche les
Atproceres, quoniam muros intrare uetaris, cornes annoncées. Derechef, Cipus leur parle :
Ruris honorait tantum tibi, Cipe, dedere, « Celui que vous réclamez, le voici », et, ôtant la
Quantum depresso subiectis bubus aratrocouronne de sa tête malgré les protestations du
Complecti posses adfinemlucis ab ortu; peuple, il a montré ses tempes où se reconnais­
Cornuaque aeratis miram reforentia formam sent les deux cornes. Tous ont baissé les yeux en
Postibus insculpunt, bngum mansura per aeuum. poussant un gémissement, et c'est à contre-cœur
(qui pourrait le croire), qu'ils ont considéré cette
tête illustrée de mérites ; refusant de souffrir plus
longtemps qu'il soit dépouillé de cet honneur, ils
l'ont forcé à remettre sa couronne festive. Quant
aux grands, puisqu'il t'était interdit de franchir les

269
PAUL M. MARTIN

murailles, ils t'ont fait l'hommage, Cipus, d'autant


de terrain à la campagne que tu pourrais, avec un
attelage de bœufs, enfermer dans un sillon tracé
par la charrue du lever au coucher du soleil ; et sur
les portes de bronze, ils font sculpter des cornes
qui font référence à ce prodige, destinées à durer
pour la suite des siècles.

D'où Ovide sort-il cette histoire ? On n'en trouve que deux autres attes­
tations, toutes postérieures à lui, chez Pline et chez Valére Maxime. Le
premier «juge fabuleuses les histoires d'Actéon et, dans la tradition latine,
8
de Cipus ». La légende grecque du chasseur Actéon, transformé en cerf par
Artémis qu'il avait surprise au bain, et déchiré par ses propres chiens, avait
9
été racontée par Ovide dans un livre antérieur des Métamophoses . À vrai
dire, le rapport établi par Pline entre les deux légendes est très superficiel :
la légende d'Actéon obéit au schéma grec classique de la métamorphose
d'un être humain en animal (ou en plante) par la divinité en punition
d'une faute commise contre elle. Cipus, lui, n'est pas métamorphosé en
animal, mais il voit pousser sur son front un attribut animal étranger à la
condition humaine. Les deux légendes, quoi qu'en dise Pline, ne sauraient
être réduites l'une à l'autre.
Le témoignage de Valére Maxime, est plus intéressant, car plus déve­
loppé. Voici en quels termes il rapporte, dans la partie de son oeuvre consa­
10
crée à ceux qui ont bien mérité de la patrie, l'histoire de Cipus :

Genucio Cipo preatori, paludato portam egredienti,


Genucius Cipus était préteur et, couvert de son
noui atque inauditi generis prodigium incidit.
manteau de général, il sortait par une porte de la
Namque in capite eius subito ueluti cornuaville,
erepse-
quand il se trouva impliqué dans un pro­
runt, responsumque est regem eum fore, si indige
urbem
extraordinaire et inouï. Car sur sa tête tout
reuertisset. Quod ne accideret, uoluntarium à coup
ac on crut voir se développer des cornes et
perpetuum sibimet indixit exilium. Dignam unepieta-
réponse fut donnée disant qu'il serait roi s'il
tem quae, quod ad solidam gloriam attinet,revenait
septem dans la ville. Pour empêcher que cela ne
regibus praeferatur. Cuius testandae gratta se produisît,
capi­ il décida de rester volontairement
tis effigies aerea portae qua excesserat inclusa
et à jamais
est, en exil. Conscience qui, en fait de
dictaque Rauduscula, nam olim aera raudera gloire
dice-
digne de ce nom, mérite d'être préférée à
bantur. ce qu'étaient les sept rois. Et pour l'attester une
reproduction en bronze de sa tête a étéfixéesur
la porte par où il était parti et elle a été appelée
Rauduscula, car alors le bronze se disait raudus.

Le récit est très proche de celui d'Ovide; il s'en distingue néanmoins


par quelques détails, dont certains ne sont pas seulement imputables au

8. PLINE, NHX1, 123 : Acteonem enim et Cipum etiam in Latia historia fabulosos reor.
9. OVIDE, Met. III, 155-252; cf. aussi, pour la littérature latine, Hyg. Fab. 180.
10. \ALÈRE MAXIME V, 6, 3 (texte et traduction empruntées à l'édition de Valére Maxime dans la C U F
par COMBES R., Paris, 1997, II, p. 118 sq.).

270
R E S P U B L I C A N O N R E S T I T U T A , LA RÉPONSE D'OVIDE: LA LÉGENDE DE CIPUS

traitement poétique de la légende et qui interdisent donc de voir dans le


texte ovidien la source de Valére Maxime. La mention finale de la tête cor­
nue sculptée sur la Porta Rauduscula, Tune des portes qui, dans la muraille
11
servienne , donnaient accès au quartier de l'Aventin, invite à chercher
l'origine de la légende dans une étiologie rapportée par quelque antiquaire.
Peut-être Varron. On trouve en effet chez lui cette mention : « Ensuite
< vient la porte > Rauduscula, ainsi appelée parce que jadis elle était recou­
12
verte de bronze; or "bronze" se disait raudus . » On sait d'autre part que
13
celui-ci racontait, dans ses Antiquitates rerum diuinarum , le prodige de
la lance romuléenne qui précède immédiatement notre passage. Tout cela
nous oriente vers une source varronienne, sans certitude cependant.
Une autre précision qu'on ne trouve que chez Valére Maxime est le
gentilice de Cipus : Genucius. Les Genucii apparaissent à plusieurs reprises
dans le récit traditionnel du conflit patricio-plébéien, aux premiers siècles
de la République romaine : en 476 le tribun de la plèbe T. Genutius, auteur
14
d'une loi agraire, assigne le consul T. Menenius ; en 473 le tribun de la
plèbe Cn. Genutius paie de sa vie l'impudence d'avoir accusé devant le
15
peuple les deux consuls patriciens ; en 452, l'un des consuls désignés,
16
T. Genutius, devient l'unique plébéien membre du collège décemviral ;
en 440, M . Genucius est consul, alors que fait rage la question de
17
l'ouverture du consulat à la plèbe ; en 362 la mort du consul plébéien
L. Genucius dans la guerre contre les Herniques sert de prétexte au patriciat
pour ressortir l'argument, opposé quelques années plus tôt au partage de la
18
charge consulaire, de la pollution des auspices par un consul plébéien ;
en 343 enfin l'action du tribun L. Genucius, à l'issue d'une sédition plé­
béienne, obtient, par ses plébiscites, que soit appliquée la règle du partage
du consulat entre plèbe et patriciat, théoriquement acquise depuis les lois
liciniennes-sextiennes quelques années auparavant. C'est sur ce terreau plé­
19
béien que s'enracine la légende de Cipus . Car il s'agit bien d'une légende,
qui ne « s'accroche » à aucun Genucius connu par ailleurs : on ne trouve pas
trace d'un quelconque préteur appelé Genucius dans la période républicaine

11. Il semble bien que l'allusion ovidienne au « merlon élevé par le brave soldat» renvoie à celle-ci :
Cipus parle depuis le haut de la muraille servienne, afin d'éviter d'entrer dans la Ville et donc de
réaliser la prophétie.
12. VARRON LL V 163 (Deinde Rauduscula, quod aerata fuit Aes raudus dictum)-, cf. PAUL. FEST. 339 L
(... quod rudis et impolita sit relieta, uel quia raudo, id est aere, fuerìt uincta).
13. VARRON F 221 Cardauns (= Arnob. Nat. 4, 3).
14. Lrv.II,52;DH,LX,27.
15. Lrv. II, 54; DH, Di, 37-38; X, 38,4.
16. Lrv. III, 33, 3-4 ; DH, 54, 4 ; 56, 2.
17. Lrv. IV, 7, 1;DH, 53, 1.
18. Lrv. VII, 6, 10-12.
19. Cf. MASSA-PAIRAULT F. H., «Ovide et la mémoire plébéienne ou l'étrange prodige de Genucius
Cipus », Mélanges LévêqueV, 1990, 287-305.

271
PAUL M. MARTIN

20 21
antérieure à la seconde guerre punique et son cognomen est un hapax .
Cependant il est certain qu'Ovide connaît la qualité de magistrat supérieur
attribuée par Valére Maxime à Cipus, puisqu'elle seule lui donne le droit
de convoquer peuple et sénat.
C'est même cette qualité qui permet à Ovide de donner une version
du récit un peu différente de celle de Valére Maxime. La version ovidienne
accentue l'aspect politique et même idéologique de celle-ci, présent aussi
dans la version du prosateur, quand il juge supérieur aux sept rois de Rome
traditionnels le personnage de Cipus. Si le paludato de Valére Maxime ren­
voie en effet au uictor domato... ab hoste ovidien pour désigner dans les deux
cas un général, le texte du prosateur ne précise pas qu'il était victorieux. Et
pour cause : dans le récit de Valére Maxime, Cipus sort de la Ville - pour
se porter, selon toute vraisemblance, à la rencontre de l'ennemi - alors que
chez Ovide Cipus y revient victorieux; et c'est alors qu'il s'apprête à y entrer
qu'il découvre le prodige dont i l est l'objet. Si Valére Maxime ne donne
pas l'identité de celui qui interprète celui-ci, Ovide précise qu'il s'agit d'un
haruspice étrusque ; or on sait à quel point les prodiges annonciateurs de
22
royauté étaient une spécialité de la disciplina etrusca . La manière même
dont le prodige est expliqué est très étrusque: ce qu'il annonce n'est pas
fatal et peut être évité. Si l'on se souvient que c'est Tagès qui avait enseigné
23
aux Étrusques leur religion , un lien avec les épisodes immédiatement
antérieurs du récit ovidien pourrait bien se dessiner : celui de l'annonce
d'un destin royal. Rappelons en effet que le lancer de la lance par Romulus
24
eut lieu lors de l'auguration, selon Servius , c'est-à-dire au moment où
les dieux allaient marquer sa supériorité sur son frère pour le titre royal. La
25
lance apparaissait donc bien comme summa armorum et imperii .
Autre point spécifique à Ovide : la mention du laurier dont Cipus se
ceint les tempes pour cacher ses cornes, dans laquelle on reconnaît sans
peine la couronne du triomphateur; tout se passe comme si Ovide propo­
sait ici une étiologie de la couronne lauree du triomphe, rendue possible
dans sa version de la légende par le fait qu'il revient vainqueur de l'ennemi,
ce qui n'était pas le cas chez Valére Maxime. Les sources antiques voyaient
généralement l'origine du triomphe, à juste titre, dans une pratique étrus-

20. BROUGHTON T.R.S., II, 464 ne trouve nulle trace de sa prétendue preture. La période se déduit de
l'usage de Valére Maxime de classer ses exemph à peu près par ordre chronologique : or le suivant,
après Genucius, Aelius, serait contemporain de la bataille de Cannes (Val. Max. V, 6, 4).
21. Peut-on le mettre en rapport avec le mot cippus (cette orthographe du nom se trouve dans certains
manuscrits) ? Cela aurait-il alors un rapport avec la récompense de son civisme ? Cippus peut en
effet désigner la borne d'un champ. Ou bien faut-il le rapprocher du gentilice Cipius, attesté par
ailleurs (TLL Onom. C, s.v. Cipius, c. 453,56-82) ? Aucune des deux pistes ne mène bien loin.
22. MARTIN P.M., « Les signes de souveraineté dans la tradition sur les rois de la Rome étrusque et leurs
résurgences républicaines et impériales », La Divination dans le monde étrusco-italique (Table Ronde
de IVA. 041162 du CNRS), Tours, 1986, p. 16-36.
23. Cf. CICÉRON, De diu. I I , 23; FESTUS S.V.
24. SERVIUS adAen. III, 46.
25. PAUL. 55 L; cf. ALFÖLDI Α., «Hasta summa imperii. The Spear as Embodiment of Sovereignty in
Korne», AJPh 63, 1959, p. 1-27.

272
R E S P U B L I C A N O N R E S T I T U T A , LA RÉPONSE D'OVIDE: LA LÉGENDE DE CIPUS

26
que introduite à Rome par les Tarquins . Cependant certaines sources
27
désignaient Romulus comme l'inventeur du rite triomphal or le prodige y
28
de la lance et la divinisation de Romulus encadrent la légende de Cipus .
Que le renvoi se fasse à la cérémonie triomphale des rois étrusques ou aux
trois triomphes romuléens, i l devient clair que la légende baigne dans une
forte ambiance monarchique. Mais l'institution monarchique y est conno-
tée négativement, puisque c'est pour éviter à ses concitoyens le retour de ce
régime abhorré que Cipus préférera s'exiler. Double positif d'un Romulus
«négative», Cipus pourrait bien être né, selon nous, d'une tradition gen-
e
tilice des Genucii dans le contexte des luttes patricio-plébéiennes des V et
rv* siècles, en réplique à la valorisation contemporaine de Romulus par le
29
patriciat .
Telle qu'elle est racontée par Ovide, la légende, par d'autres détails,
semble d'autre part être un patchwork de topoi historico-mythologiques,
au point qu'on peut soupçonner le poète d'avoir enrichi la légende avec ce
que Jacques Poucet appelle des «motifs libres». Nous en décelons au moins
deux. Le premier est l'invocation initiale du héros pour que le prodige,
s'il est bénéfique, le soit pour sa patrie, s'il est maléfique, ne le soit que
pour lui. On reconnaît là un thème historico-littéraire assez banal. I l est
révélateur que l'exemple de Cipus soit aussitôt suivi, chez Valère-Maxime,
30
par celui d'un autre préteur tout aussi inconnu, Aelius , sur la tête de
qui un pic-vert s'était posé, ce qui annonçait soit le bonheur pour lui et sa
famille, mais le malheur pour l'État s'il le laissait vivre, soit l'inverse s'il le
31
tuait; Aelius tua l'oiseau . À la suite de quoi, il perdit dix-sept membres
32
de sa famille à la bataille de Cannes . De même, après la prise de Véies,
Camille demanda aux dieux d'attirer sur lui plutôt que sur Rome leur

26. Cf. CICÉRON, Rep. II, 36; Lrv. I, 35, 7-9; DH III, 68; PLUTARQUE, Rom. 16, 8; EUTROPE, I, 6.
Sur l'origine étrusque du triomphe, voir BONFANTE MARREN L., « Roman Triumph and Etruscan
kings », JRS 60, 1970, p. 49-66; LEMOSSE M., «Les éléments techniques de l'ancien triomphe
romain et le problème de son origine», ANRWl, Berlin-New York, 1972, p. 442-453. Mise au
point de la question par BASTIEN J.-L., Le triomphe romain et son utilisation politique, Rome, 2007,
p. 121-137.
27. Les raisons pour lesquelles Denys d'Halicarnasse II, 34, 1 ; 54, 2; 55, 5, et peut-être avant
lui Valerius Antias donnent le triomphe pour une institution romuléenne sont examinées par
MARINO R., «Tradizione storiografica sull'introduzione del trionfo a Roma», StudRom 28, 1980,
p. 161-171. Β RIQUEL D., «Trois études sur Romulus », Recherches sur les religions de l'Antiquité
classique, Genève-Paris, 1980, p. 310-319 invite à faire remonter cette tradition jusqu'à l'idéologie
tripartite indo-européenne.
28. Sur la proximité de Cipus à Romulus dans le livre XV, voir MARKS R., «Of Kings, Crowns and
Boundary Stones : Cipus and the hasta Romuli in Met. XV», TAPhA 134, 2004, p. 107-131.
29. Sur cette valorisation romuléenne par le patriciat, voir MARTIN P.M., L'Idée de Royauté à Rome, I,
Clermont-Ferrand, 1982, p. 329 sq.
30. Cf. BROUGHTON, II, 462.
31. Le pic-vert, animal de Mars le père de Romulus, n'est lui-même pas sans rapport avec la royauté:
il succède à son beau-père Janus comme roi au Latium (OVIDE, Met. XIV, 320 sq.) ; Virgile le saisit
dans la fonction augurale (Aen. VII, 187) et c'est dans son temple que le roi est intronisé (Aen.
VII 174 sq.), tandis qu'Ovide lui fait révéler à Numa les rituels de fulguration (FUI, 292 sq. ;
cf. Val. Ant. ap. Arnob. VI, 1 ; PLUTARQUE, Num. 15, 3-10).
32. VALÉRE MAXIME, V, 6, 4. Un lecteur sceptique pourrait objecter que le gain obtenu par Rome ne
fut guère probant dans l'immédiat. Mais Valére Maxime prévient l'objection en soulignant que la
puissance de Rome n'a cessé depuis de croître.

273
PAUL M. MARTIN

33
Némésis . Enfin, quand Paul-Emile, au sommet de sa gloire, perdit ses
fils, il se réjouit que, conformément au voeu qu'il avait fait, la Fortune, en
le frappant, eût détourné de Rome la Némésis que risquait de lui valoir ses
succès
L'autre motif est constitué par la récompense que lui vaut son action.
On sait qu'à l'aube de la République, seul Horatius Codés, pour avoir sauvé
35
Rome de Porsenna, reçut la même récompense . I l est symptomatique
qu'Ovide en crédite un homme qui, lui aussi, préserve Rome de retomber
dans le régime odieux du regnum. Excepté le mystérieux Aelius, toutes
les figures qu'on peut rapprocher des deux «motifs libres» du mythe de
Cipus sont donc — notons-le - de hautes figures républicaines : Horatius
Codés, Camille, Paul-Émile. Le caractère ouvertement républicain et anti­
monarchique du récit ne fait aucun doute. La conclusion du récit fait par
Valère-Maxime va dans le même sens : la gloire de Cipus l'emporte sur celle
des sept rois de Rome de la tradition. En face des sept rois fondateurs de
36
Rome et de leurs épigones, de Camille à Auguste en passant par Marius,
37
Sylla et Cicéron , Cipus s'inscrit donc dans la tradition antimonarchique
38
des conditores libertatis , qui va d'un Brutus à l'autre. De ce point de vue,
l'anecdote de Cipus « fait tache » en face des autres épisodes de cette fin du
livre XV, qui narrent avec une apparente complaisance les divinisations
passées de Romulus, de César et celle, future, d'Auguste, et qui magnifient
la figure de Romulus, sur laquelle le Prince, après César, fondait en partie
39
l'idéologie de son pouvoir .
Pourtant l'histoire de Cipus est unanimement, obstinément interprétée
par les commentateurs modernes comme une allusion à la solennelle restitu­
4 0
tio rei publicae de 27 ; on trouve aussi, comme variante d'interprétation, la
crise de 23, où Auguste, croyant sa fin prochaine, loin de désigner Marcellus
comme successeur, remit à Pison un breuiarium totius imperii — un « état de
l'Empire» - et son anneau à Agrippa, semblant ainsi cautionner un retour

33. Lrv. V, 21, 14-15; DH XII, 14-16; VALÉRE MAXIME, I, 5, 2; PLUTARQUE, Camil. 5.
34. Lrv. XLV, 41 ; PLUTARQUE, Paul-Aem. 36; VELLEIUS PATERCULUS, I, 10; \ A L E R E MAXIME, V, 10, 2;
ZONARAS, 9, 2.
35. Lrv. II, 10, 12 ; DH V, 25, 2 ; PLUTARQUE, Popi 16, 9 ; Moral. 820 E ; Vir. ULI 1 ; Tz. H. 3,826f;
Cf. PLINE, HNIS, 9 (qui prétend que c'était la récompense habituelle pour imperatorum acjortium
ciuium) ; \ A R R O N , Rust. I, 10, 1.
36. Cf. Lrv., II, 1 ; POUCET J., «La fonction fondatrice dans la tradition sur les rois de Rome»,
L'invention des grands hommes de la Rome antique, Paris, 2001, p. 195 sq. ; MARTINEZ PINNA J
« Sobre la funcación y los fundadores de Roma», Initia rerum - Sobre el concepto del origen en el
mundo antiguo, Malaga, 2006, p. 163-183.
37. Cf. MARTINEZ PINNA, op. cit.
38. Lrv., VIII, 34, 3.
39. Sur le romulisme de César et d'Auguste, voir MARTIN P.M., L'Idée de Royauté à Rome, II, Clermont-
Ferrand, 1994, p. 290-294 et p. 405-411 ; V E R E E K E M., La République et le roi. Le mythe de
Romulus à lafinde la République romaine, Paris, 2008, p. 357-486.
40. Auguste, RG 34, 1 ; cf. O V I D E , F. I, 589; VELLEIUS PATERCULUS, II, 89; Lrv. Per. 134; CIL VI,
873; 1527,1. 25.

274
R E S P U B L I C A N O N R E S T I T U T A , LA RÉPONSE D'OVIDE: LA LÉGENDE DE CIPUS

41
à l'État républicain . L'épisode de Cipus serait l'habillage mythique de cet
42
acte essentiel du régime - ou de la tentation de 23 .
Ce qui semble justifier cette interprétation c'est qu'en effet les rappro­
chements entre la promesse de royauté contenue dans les cornes apparues
sur la tête de Cipus et la personne d'Auguste ne manquent pas, même si
le texte a été trop souvent surinterprété: car, à l'examen, certains de ces
rapprochements s'avèrent ou banals, ou superficiels.
1. L'apostrophe de l'haruspice annonçant à Cipus la royauté sur Rome a
été rapprochée du prodige qui, selon l'archiviste d'Auguste Julius Marathus,
annonçait, peu avant la naissance d'Octave, que « la nature avait enfanté
43
un roi pour le peuple Romain ». L'examen par l'haruspice du foie des
victimes pour interpréter le prodige a pu être rapproché de la conclusion
qu'en avaient tirée, de même, les haruspices alors qu'Octavien était encore
44
à Apollonie en 43 . Mais le lien entre haruspicine étrusque et annonce de
royauté est - nous l'avons vu - une donnée fort banale de la tradition.
2. On a dit que les cornes de Cipus rappelaient les cornes de feu qui
4 5
avaient couronné le chef d'Octavien à Actium ; mais le prodige, égale­
46
ment échu à Iule , renvoie plutôt au prodige des flammes entourant la
47
tête de Servius , car il s'agit d'un prodige igné et temporaire, alors que les
cornes de Cipus n'ont aucun rapport avec le feu et que, selon toute vrai­
semblance, i l les garda jusqu'à la fin de sa vie.
3. Faut-il penser aux cornes d'Ammon et au modèle alexandrin ? Mais
Auguste a bien pris garde, depuis le conflit avec Marc Antoine, de se
démarquer du conquérant macédonien, dont le pouvoir était synonyme de
48
basiléia et renvoyait fâcheusement à l'image de son rival .
4. Plus intéressant est le rapprochement des cornes de Cipus avec le cha­
risme augustéen du Capricorne, dont le Prince joua en effet pour donner
une base mystique à un pouvoir qui s'affirmait de plus en plus ouvertement
49
comme monarchique .
Mais justement, c'est là où le bât blesse. Tous les rapprochements qui
ont été faits entre Octavien-Auguste et la légende de Cipus sont marqués
au coin d'une ambiguïté fondamentale. Nous sommes bien d'accord que,

41. DION, L U I , 30, 1-2; SUÉTONE, Aug. 2 8 ; 101, 6. Sur la crise de 23, voir notamment
KIENAST D., Augustus, Prinzeps und Monarch, Darmstadt, 1982, p. 84-92; BRUNT P A , « Augustus
e la Respublica», La Rivoluzione Romana. Inchiesta tra gli antichisti, Naples, 1982, p. 236-244;
LACEY W.K., « Augustus and the Senate: 23 B.C.» Antichthon 19, 1985, p. 60-63.
42. Cf. en dernier lieu, SCHMITZER U., Zeitgeschichte in Ovids Metamorphosen - Mythologische Dicht
unter politischen Anspruch, Stuttgart, 1990, p. 260-272, avec bibliographie antérieure.
43. SUÉTONE, Aug. 94 :... regem populo Romano naturam parturire.
44. SUÉTONE, Aug. 95.
45. VIRGILE, Aen. V I I I , 680 sq.
46. VIRGILE, Aen. I I , 682 sq.
47. Lrv. I , 39; DH IV, 2; PLINE, NH II, 101 et 241.
48. Cf. MARTIN, L'Idée de Royauté... II, p. 420-423.
49. Sur Auguste et le Capricorne, à la bibliographie que nous en avons donnée dans L'Idée de
Royauté II, p. 431, n. 323, il faut ajouter essentiellement: SIMON E., «Die drei Horoskope der
Gemma Augusta», NAC 15, 1986, p. 179-186 ; ABRY J.H., «Auguste : la Balance et le Capricorne »,
REL66, 1988, p. 103-121.

275
PAUL M. MARTIN

racontant l'histoire de Cipus, Ovide pense évidemment à Auguste et donc


que son lecteur ne pouvait pas ne pas y penser à son tour. De ce point de vue,
la plupart des autres rapprochements opérés par la critique entre les deux
personnages sont pertinents. Mais, à l'inverse des autres commentateurs
de ce texte, nous ne croyons pas que ces rapprochements soient destinés à
faire apparaître Cipus comme le lointain prototype d'un vertueux Princeps
quand il fit mine ou quand il fut tenté de résilier son pouvoir monarchi­
que. Nous pensons au contraire que Cipus représente son contraire absolu,
l'homme qui, marqué comme le Prince d'un destin monarchique annoncé,
le refusa net, lui, d'emblée, préférant l'exil à une royauté qui aurait réduit en
servitude ses concitoyens. Tout le discours qu'Ovide place dans la bouche
de Cipus baigne en effet dans la plus pure idéologie républicaine, nourrie
ài odium regni, et qui tient tout entière dans la double équation suivante:
50
libertas = res publica et regnum = servitium - fruste idéologie, dont se fit
héritière la Révolution française. Tout est républicain dans ce récit : l'at­
titude de Cipus, son discours, la réaction du peuple - qui n'est pas sans
rappeler celle de la foule quand Marc Antoine voulut couronner César
51
aux Lupercales — et les renvois implicites aux héros dé la République, de
Coclès à Paul-Émile. Cipus est en quelque sorte Yanti-adfectator regni, le
52
contraire des Sp. Cassius, Sp. Maelius et Manlius Capitolinus , le contraire
aussi de l'hypocrisie politique du régime augustéen.
Quoi qu'on en ait dit, rien ne permet d'interpréter l'épisode comme
favorable à Auguste. S'il renvoie bien aux événements de 27 ou de 23
- les rapprochements qui ont été soulignés sont en effet, répétons-le, trop
nombreux pour être fortuits - c'est pour en prendre le contre-pied. Cipus
se défait de la couronne lauree, qui, depuis César, modifée dans sa forme
pour mieux ressembler à l'attribut des rois étrusques, est devenue l'un des
53
attributs du pouvoir julien , repris par Auguste. Cipus quitte Rome pour
n'y plus revenir, quand le Prince installe sa domus sur le Palatin.
Et surtout, Cipus se dénonce lui-même comme futur roi et propose
même à ses compatriotes de l'exécuter en tant que fatalis tyrannus, alors
qu'Auguste n'eut de cesse de venger l'assassinat de son «père» Jules César
et prétendait, au contraire, par la restitutio rei p. de 27, avoir restauré l'État
dans ses fondements, après s'être vanté d'avoir, au début de sa carrière,
54
«rétabli la liberté ». Sur ce point, l'incrédulité affichée très tôt par les
55
sources grecques contraste avec l'apparente naïveté des sources latines

50. Cf. MARTIN, L'Idée de Royauté... II, p. 3 sq.


51. C I C É R O N , P M II, 85-87; Lrv.,Per. 116; SUÉTONE, Diu. lui. 79,3; DION,XLIV, U,2sq.; APPIEN,
BC II, 109; 456 sq. ; PLUTARQUE, Caes. 6l,2sq.
52. Sur les adfectatores regni du début de la République, cf. MARTIN P.M., L'Idée de Royauté... I,
p. 339 sq.
53. Cf. D.H. II, 34, 2 ; III, 62, 1. Voir KRAFT K., « Der goldene Kranz Caesars und der Kampf um die
Entlarvung des Tyrannen » Jahrb. f Numism. Bayern. 3-4, 1952-3, p. 1-31; WEINSTOCK S.,Diuus
y

Iulius, Oxford, 1971, p. 270 sq.


54. Res gestae 1, 1 : ...rem p. ...in libertatem uindicaui. Cf. la légende monétaire de 28: libertatis
p. R uindex (Mattingly 691).
55. Cf. STRABON, XVII, 3, 25 ; D I O N , LU, 1.

276
R E S P U B L I C A N O N R E S T I T U T A , LA RÉPONSE D'OVIDE: LA LÉGENDE DE CIPUS

contemporaines. I l faut attendre un siècle pour lire chez Florus l'aveu sans
fard qu'il n'y avait pas d'autre moyen pour le peuple Romain d'être sauvé
56
que de se précipiter dans la servitude . I l faut s'interroger sur cette appa­
rente cécité des Romains, que ce colloque a largement contribué à éclairer.
Il est certain que le retour à la paix civile et au fonctionnement régulier des
institutions, même vidées de leur contenu d'efficacité politique, explique
en grande partie le fait qu'aucun texte, en prose ou en poésie, ne contredise
57
l'affirmation officielle de la res publica restituta .
Aucun texte, hormis justement celui-ci. Pourquoi ? Parce qu'il faut pren­
dre garde aux dates. La plupart des poètes augustéens ont connu les horreurs
de la guerre civile et, lorsqu'ils chantent Auguste, ils le font à une époque
où le régime apparaît d'abord comme dispensateur d'ordre et de paix, alors
qu'il n'a pas encore achevé sa mutation monarchique — bref une époque
58
où la « Révolution romaine » n'est pas encore sentie comme telle . Virgile
commence son épopée vers 29. De même, le 1. IV des Élégies de Properce,
59
dont la sincérité générale n'est pas douteuse , a été écrit à partir de 23.
Enfin la perte des derniers livres de Tite-Live nous interdit de savoir ce que,
vers la fin de sa vie, celui-ci pensait de l'évolution d'un régime dont toute
l'œuvre, commencée autour de 30 - du moins toute l'œuvre que nous avons
60
conservée - approuve sans nul doute l'orientation générale . En somme,
tous ceux dont nous avons le témoignage ont écrit avant que ne soit achevé
le virage idéologique du régime, avant que le masque républicain dont il
s'était affublé ne tombe définitivement. Certes, Horace ne meurt qu'en
8 av. J.-C. et i l est vrai qu'il fut sans solution de continuité un thurifé­
raire sincère d'Auguste, mais ce fils d'affranchi, immensément honoré par
l'amitié du Prince, n'avait pas les mêmes raisons idéologiques que d'autres,
citoyens élevés dans les valeurs de la République, d'émettre la moindre
réticence à l'égard d'un régime à qui il devait tout.
Le bonheur d'Ovide fut aussi son malheur : bonheur de vivre une épo­
que de paix, la Pax Augusta, quand les autres avaient connu les guerres
civiles, malheur d'avoir vécu à une époque où le caractère monarchique du
régime, par son tournant dynastique, ne pouvait plus faire de doute pour
personne, mais où il fallait faire semblant de croire encore à la res publica
restituta, obstinément affirmée comme telle par Auguste jusqu'au bout,
jusque dans son testament politique. On n'a pas assez souligné le fait que,
56. FLORUS, I I , 14.
57. Récemment, OSGOOD J., Caesars Legacy. Civil War and the emergence of the Roman Empire,
Cambridge, 2006, a mis en évidence, à l'aide de documents épigraphiques, la réalité de cet immense
soulagement devant le retour à la paix civile et à la prospérité.
58. Sur cette expression célèbre de SYME R., une table ronde a eu lieu il y a déjà vingt-huit ans, où se
sont affrontés partisans et adversaires de cette notion : voir La Rivoluzione Romana. Inchiesta tra gli
antichisti, Naples, 1982.
59. Même si sa manière réductrice de chanter les grands mythes Romains pourrait bien trahir chez
cet «écorché vif» une forme de réticence à l'égard d'un régime né dans le sang des siens. Cf. nos
travaux: «Les poètes élégiaques... », art. cit.; «Apollon chez les Élégiaques latins: entre poétique
et politique», SAUZEAU P. e t T u R P i N J.-Cl. (dir.), Philomythia. Mélanges offerts à Alain Moreau,
Montpellier, 2008, p. 67-74.
60. Cf. MINEO B., Tite-Live et l'Histoire de Rome, Paris, 2006, notamment p. 74 sq. ; p. 337 sq.

277
PAUL M. MARTIN

par une démarche inouïe dans l'histoire de Rome, pour la première fois,
il était demandé aux Romains de croire à un dogme politique. Jusqu'alors
Rome avait fonctionné sur des valeurs admises de tous, hormis par la contes­
tation élégiaque - fruit de la déstabilisation de la cité et donc de la perte de
ces valeurs. La religion romaine elle-même n'était pas Ghubefrage. Et voilà
que, tout à coup, il faut croire à la divinité récente de César et à celle, future,
du maître de Rome et, malgré une évidence de plus en plus frappante, à
la res publica restituta. Ou, du moins, il faut faire semblant d'y croire. Les
Chrétiens apprendront bientôt, aieurs dépens ce qu'il en coûte de ne pas
adhérer à cette foi idéologique, la première de l'Histoire. Ovide aussi.
A la date de son bannissement, de son propre aveu, le poème des
Métamorphoses était inachevé, « encore en pleine croissance et ébauche
61
grossière ». Partant pour l'exil, Ovide brûla son manuscrit. Encore une
fois, la question se pose : est-ce seulement, comme pour Virgile, parce que
l'œuvre était imparfaite ? Mais voilà qu'il s'aperçoit que des copies en cir­
culaient dans Rome. Là-dessus, dépêchant à Rome son livre I I I des Tristes,
il découvre que toute son oeuvre est interdite dans les bibliothèques publi­
6 2
ques ; il supplie alors le bibliothécaire Hygin de prendre soin de ses livres
63
«enfants de l'exilé» et, parmi eux, des «trois fois cinq livres », c'est-à-dire
des Métamorphoses. Pourquoi faudrait-il prendre soin de cet ouvrage plus
que d'autres ? Pour que le Prince, en les relisant, change d'avis à son égard ?
C'est ce qu'il prétend :
« Nous avons chanté, bien qu'il ait manqué à l'entreprise la dernière main,
les transformations inédites des êtres. Si seulement tu réfrénais un peu ton
courroux, si tu t'imposais, à loisir, d'en faire lire quelques passages, tu verrais
que j'ai pris l'univers à son origine pour mener l'œuvre sans interruption
jusqu'à ton époque ! Tu découvriras que tu as dilaté mon inspiration et que
ma ferveur te chante, toi et les tiens . »
Mais c'est en même temps l'aveu que le Prince, à la lecture de l'œuvre,
risquait de «mal interpréter» celle-ci. Et pour cause! Relisons en effet le
livre XV, celui où se trouve l'histoire de Cipus et posons-nous la question :
comment le Prince, spontanément, pouvait-il interpréter un récit qui faisait
si manifestement allusion à lui et qui, en même temps, mettait en scène
comme un héros national un personnage qui était dépeint très exactement
comme son contraire ?
Et ailleurs dans le livre : en quoi, par exemple, mettre sur le même plan
la métamorphose de Daphne en laurier et celle de César en astre est-elle flat­
teuse, et surtout plausible, surtout quand il est manifeste qu'Ovide ne croit
pas une seconde à toutes les métamorphoses grecques qu'il narre sur treize
livres ? Faut-il penser que, brusquement, il va se mettre à croire, à partir de
la fin du livreXIII, aux «métamorphoses» romaines qu'il raconte? Nous

61. OVIDE, Trist. I, 7, 11 sq.


62. OVIDE, Trist. III, 1.
63. OVIDE, Trist. I I I , 14.
64. OVIDE, Trist. I I , 550 sq.

278
R E S P U B L I C A N O N R E S T I T U T A , LA RÉPONSE D'OVIDE: LA LÉGENDE DE CIPUS

avions, dans un précédent travail, analysé comment Ovide contestait abso­


lument Tun des dogmes fondamentaux du régime : Auguste comme diui
65
Iuliifilius, descendant d'Énée et de Romulus, et, par Mars, de Jupiter .
Pour notre part, nous sommes frappé par le fait que le récit de Cipus
va dans le même sens que la mise en question du dogme de la divinité de
César et de son ascendance divine, dans le même chant XV. Osons répéter
ce que nous disions il y a quelque temps : « Ovide ne croit pas plus à la
République rétablie par Auguste qu'à son ascendance divine et aux divini­
sations passées et futures. I l n est pas un opposant, il est un incroyant. Et,
en cela, il reste bien fidèle à l'esprit de l'élégie comme négation tranquille
des valeurs qui fondent la société. Celles qui fondent la nouvelle société ne
lui paraissent pas plus convaincantes que celles qui fondaient l'ancienne
66
et qui avaient engendré la rupture élégiaque . » En mettant en doute la
divinité de César et la chaîne génétique d'Auguste à Mars et Jupiter, il récu­
sait la justification mystique de cette monarchie, il blasphémait contre la
nouvelle religion politique. Et en posant Cipus comme une image inversée
d'Auguste, il a dénoncé, une génération après la prétendue restauration de
la République, le faux-semblant d'un régime dont il était désormais clair
qu'il était une monarchie héréditaire - la pire de toutes pour un Romain.
Éternel athée, éternel contestataire, dans ses deux dernières oeuvres, les
Fastes et les Métamorphoses, Ovide a osé dire qu'Auguste n'était qu'un roi
et, en plus, que le roi n'est pas dieu, mais un pauvre mortel tout nu. Cela
ne pouvait être pardonné, ni par Auguste, ni par son successeur. Et Ovide
mourut à Tomes, pour n'avoir pas voulu croire, pour n'avoir même pas
fait semblant de croire ni à la divine dynastie impériale, ni à la res publica
restituta.

65. Cf. MARTIN P.M., « Les poètes élégiaques... » (cf. supra).


66. MARTIN P.M., « Les poètes élégiaques... », p. 184.

279
La Res publica restituta
dans l'œuvre de Virgile

Alain DEREMETZ

Dans le domaine qui est le mien, la poésie augustéenne, et plus préci­


sément aujourd'hui la poésie virgilienne, le thème du colloque, tel qu'il est
formulé, m'a semblé devoir engager deux types d'investigations. La pre­
mière concerne l'expression Res publica restituta : i l s'agit de savoir si elle
apparaît ou non dans les oeuvres poétiques de l'époque augustéenne et, si
oui, dans quel contexte, à quel propos et sous quelle forme. La seconde,
complémentaire de la première, est plus large, si large qu'elle ne peut être
qu'effleurée, puisqu'elle concerne la représentation du pouvoir, et plus pré­
cisément celui d'Auguste, dans ces mêmes œuvres poétiques.

Le dossier historique

Avant d'esquisser une réponse à ces deux questions, il m'a été nécessaire,
étranger que je suis à la recherche historique, de prendre quelque peu la
mesure du problème soulevé. Car j'en étais resté à l'idée, que nous avons
sans doute tous partagée à un moment ou à un autre, que la Res publica res­
tituta était un slogan augustéen lié aux événements politiques de l'année 27
et, plus particulièrement, à la restitution par Auguste de leurs pouvoirs au
Sénat et au peuple de Rome, c'est-à-dire en gros à ce qui est consigné dans
le texte de présentation du colloque qui rappelle «qu'une de ses caractéris­
tiques est l'ambivalence d'un nouveau pouvoir qui était monarchique dans
les faits en prétendant ne pas rompre avec les institutions traditionnelles
de la République romaine... » et plus loin que le thème de la Res publica
restituta est « à la fois un slogan et un programme politique qui faisaient
d'Auguste le restaurateur de l'État romain».
Cette doxa s'appuie généralement sur divers éléments et arguments,
au centre desquels se trouve toujours citée cette confidence personnelle
1
d'Auguste, tirée de son testament :

1. In consulatu sexto et septimo, postquam bella civiltà exstinxeram, per consensum universor
rerum omnium, Rem publicam ex mea potestate in senatus populique Romani arbitrium tran

281
ALAINDEREMETZ

«Durant mes sixième et septième consulats (28-27), après avoir éteint


les guerres civiles, lorsque j'ai reçu du consentement de tous la direction
des affaires publiques, le gouvernement de l'état a été de mon fait transféré
de ma propre puissance au pouvoir du sénat et du peuple Romain. Pour
marquer sa reconnaissance envers moi, le sénat me décerna par décret le
titre a'Augustus, les montants de la porte de ma maison furent habillés de
lauriers par décision officielle et une couronne civique fut accrochée au-
dessus de ma porte. Un bouclier d'or fut placé dans la Curia Julia; le sénat
et le peuple Romain me l'ont donné "en raison de mon courage, de ma
clémence, de ma justice et de-ma piété", c'est ce qu'atteste l'inscription de
ce bouclier. Par la suite, malgré ma prééminence sur tous, je n'ai eu aucun
pouvoir supérieur à celui de mes collègues qui ont exercé les mêmes magis­
2
tratures que moi . »
Ce texte a souvent été commenté comme la définition officielle
qu'Auguste aurait donnée au régime instauré en 27. Il évoquerait ainsi:
d'abord, la suppression des pouvoirs extraordinaires qui caractérisent le
triumvirat et la liberté rendue au peuple, initiatives qu'attestent d'autres
témoignages - restituta Res publica, selon une inscription {CIL V I , 1527) ;
libertatispopuli Romani vindex, sur une médaille (Eckhel, V I , p. 83) ; reddi-
taque est omnispopulo provincia nostro, selon Ovide {Fastes, I , 589) ; ensuite,
l'octroi à Octave d'un titre nouveau, celui d'Augustus, qui l'élèverait au
premier rang en dignité de tous les citoyens, mais sans lui donner aucun
pouvoir spécifique ; enfin, l'attribution régulière au même Octave des dif­
férentes magistratures, sans que, dans l'exercice d'aucune de ces magistra­
tures, il ait bénéficié d'une autorité supérieure à celle de ses collègues. En
somme, d'après Auguste, il n'y aurait eu, en l'an 27, rien de changé dans
les anciennes institutions si ce n'est un titre de plus.
Sur l'interprétation de ce texte, les conclusions des savants varient
cependant quelque peu. Les uns vont, à une nuance près, dans le même
sens, qui disent que, dans les actes officiels, le système inauguré en 27 est
désigné sous le nom de Res publica redatta ou de Res publica restituta, ce
qui signifie, pour eux, que le pouvoir avait bien été «rendu» à ses légitimes
possesseurs, le Sénat et le Peuple de Rome. Cette interprétation peut selon
eux s'appuyer, parmi d'autres, sur le témoignage de Cicéron qui emploie
une formule proche dans le De lege agraria (9) :
« Et vous, pères conscrits, si vous m'assurez le concours de votre zèle dans
ma défense de notre dignité commune, je saurai remplir, n'en doutez pas,
le voeu le plus cher de la république, et restituer enfin à celle-ci l'autorité
3
dont le sénat jouissait chez nos aïeux » (ut huius ordinis auctoritas, quae

pro merito meo senatus consulto Augustus appellatus sum et laureis postes aedium mearum
coronaque civica super ianuam meamfixaest et clupeus aureus in curia Miapositus, quem mi
populumque Romanum dare virtutis clementiaeque iustitiae etpietatis caussa testatum est p
inscriptionem. Post id tempus dignitate omnibus praestiti, potestatis autem nihilo amplius
ceteri qui mihi quoque in magistratu conlegae fuerunt (Res Gestae, 34).
2. La traduction est de A. Cornu (http://www.noctes-gallicanae.org).
3. Quod si vos vestrum mihi Studium, patres conscripti, ad communem dignitatem defendend
mini, perficiam profecto, id quod maxime res publica desiderai, ut huius ordinis auctoritas,
maiores nostros fuit, eadem nunc longo intervallo Reipublicae restituta esse videatur.

282
LA R E S P U B L I C A R E S T I T U T A DANS L'ŒUVRE DE VIRGILE

apudmaiores nostros fuit, eadem nunc longo intervallo rei publicae restitut
A
esse videatur ).
Ces derniers confirment que les instruments du pouvoir étaient bien
restitués en droit aux organes politiques, magistrats et assemblées, mais
qu'ils étaient en fait confiés à un seul homme, ainsi doté d'une capacité
5
d'action exceptionnelle .
D'autres sont plus réservés qui pensent qu'il s'agit de la légende officielle
du régime impérial, telle qu'Auguste voulait qu'elle se répandît, mais qu'il
y a eu en réalité bien plus qu'un titre nouveau : toutes ces mesures, officiel­
les ou non, de l'année 27, étaient destinées à mettre ne place un système
de gouvernement, qui, quel que soit le nom qui lui a été donné, est bien
monarchique.
C'est à ce stade de l'enquête que j'ai cherché à approfondir la question
et que je me suis aperçu, en me plongeant dans la gigantesque bibliographie
qui lui est consacrée, que le problème était complexe et que cette différence
d'appréciation reposait sur toute une série de prises de position relatives à
quelque points centraux, notamment :
6
• Celui de la réalité historique et de l'attestation, certains, tel Mackie ,
parlant à propos de cette expression de «mythe» ou tel Judge, considérant
qu'Auguste ne l'a employée que dans des consultations privées et qu'elle n'a
jamais accompagné un programme politique officiel.
7 8
• Celui du sens de l'expression, Judge et Millar , par exemple, affir­
mant que le sens de l'expression, dans les années 20 av. J.-C, ne renvoie
pas à la restauration des institutions républicaines, mais à la remise en état,
c'est-à-dire « en bonne santé » de l'État romain, cette question étant à met­
tre en rapport avec l'existence attestée d'autres expressions, Le. Res publica
reddita ou reperta (par opposition à amissa).
Avant d'aborder le dossier poétique, et sans me prononcer sur le fond
9
du problème comme l'a fait J. L. Ferrary dans deux articles récents , pour

4. La traduction est celle de Nisard, Paris, 1840.


5. Voir sur la question SPIELVOGEL J. (dir.), Res publica reperta. Zur Verfassung und Geselhchaft der
römischen Republik und des frühen Prinzipats. Festschrift fur Jochen Bleicken zum 75. Geburtstag,
Stuttgart, 2002 et notamment, dans le même volume, l'étude de Klaus BRINGMANN qui porte sur
les deux slogans clés de cette période, Res publica amissa et Res publica restituta.
6. MACKIE N.K., «Respublica restituta, a Roman myth », DEROUX C. (dir.), Studies in Latin Literature
and Roman History, IV, Bruxelles, 1986, p. 302-340.
7. JUDGE E.A., «Res publica restituta. A modern illusion?», EVANS J.A. (dir.), Polis and imperium.
Studies in honour ofEdward Togo Salmon, Toronto, 1974, p. 279-311 : « There is no evidence that
Augustus ever used the phrase res publica restituta, with its connotation of restoring the republic,
to characterize his government. He did confront the issue it represents, at least in private debate and
consultation. His relation to the state was also expressed in the claim that the safety of the country
depended upon him personally and in the formal division of power in the government. »
8. MILLAR F. « Thefirstrevolution : Imperator Caesar, 36-28 BC », La révolution romaine après Ronald
Syme: bilans et perspectives, Vandceuvres-Genève, 2000, p. 1-30. L'historien pense que l'expression
res publica, dans les années 20 ne signifie pas autre chose que la « chose publique» (commonwealth),
et constate que l'expression res publica restituta, quand elle apparaît (ce qui est rare), veut dire que
l'État a retrouvé sa bonne santé.
9. FERRARY J.-L., «À propos des pouvoirs d'Auguste», CCG 12, 2001, p. 101-154, à propos du
«consulare imperium» dont disposait Auguste et «Respublica restituta et les pouvoirs d'Auguste»,

283
ALAINDEREMETZ

savoir quel type de régime Auguste avait réellement instauré, concernant


le problème qui nous occupe, il me semble permis de dire que nous nous
trouvons devant un doublet d'hypothèses :
• Si l'expression Res publica restituta désigne bien la restitution de leurs
pouvoirs au Sénat et au peuple, fut-elle un slogan politique, explicitement
figuré comme tel dans des actes officiels, ou une interprétation tardive
d'historiens tel Tacite ?
• Si elle désigne autre chose que cette restitution, par exemple la
remise en état de la République romaine, ne peut-on pas penser qu'elle
contient le message que, plus qu'à la restauration de ce que fut réellement la
Res Publica dans l'histoire romaine, l'œuvre d'Auguste a visé à l'instauration
de ce qu'elle aurait dû être, c'est-à-dire de ce qui correspond le mieux à la
définition et à l'identité profondes, dans les domaines politique et religieux,
de la romanité, depuis son origine.
Il resterait à savoir, dans ce deuxième cas, comment peut s'effectuer
une telle restauration de l'identité romaine, qui passe nécessairement par
l'idéalisation d'un passé choisi et limité à des traits saillants. C'est à cette
réponse que je vais m'attacher désormais en consultant le dossier poétique,
dans les deux directions déjà évoquées, à savoir:
• Les poètes ont-ils parlé de cette Res publica restituta et, si oui, com­
ment en ont-ils parlé ?
• Qu'ont-ils dit du pouvoir d'Auguste, quelle en fut leur représenta­
tion?
Plus que pour d'autres, l'interprétation historique des textes poétiques et
partant l'établissement de leur valeur documentaire - tout légitimes qu'ils
soient car ces textes émergent, comme les autres, d'un contexte « idéologi­
que» qui les détermine et au sein duquel ils prennent position - s'avèrent
difficiles et souvent incertains, et ceci en raison de deux particularités qu'un
exégète ne peut ignorer :
• Celle de l'effet des contraintes génériques qu'ils subissent, celles-ci
variant selon qu'il s'agit de l'épopée, de la poésie lyrique ou élégiaque...
• Celle des modèles, mythiques, historiques, voire métaphoriques par
lesquels ils représentent le réel historique.

Restituere chez Virgile et les poètes augustéens

Une enquête, que j'espère exhaustive, sur l'emploi de restituere dans la


poésie augustéenne m'a permis d'établir un constat sinon d'absence, du
moins de pauvreté. Dans la masse des textes que j'ai explorés, je n'ai trouvé
que quelques cas qui peuvent nous intéresser et notamment cette occur­
rence qui apparaît au vers 846 du livre 6 de XEnéide: «[...] tuMaximus ilk
es,/ Unus qui nobis cunctando restituis rem».

Fondements et crises du pouvoir, textes réunis par Sylvie Franchet d'Espèrey [et al], Bordeaux, 2003,
p. 419-428.

284
LA R E S P U B L I C A R E S T I T U T A DANS L'ŒUVRE DE VIRGILE

Cet extrait, on l'aura remarqué, concerne Fabius Cunctator et non


Auguste, mais le sens de l'expression rem restituere plaide en faveur du
second sens proposé plus haut, c'est-à-dire celui de la remise en état, en
ordre de marche de la république. Cet exemple est d'autant plus intéressant
qu'il procède d'une imitation d'Ennius, dans un passage qui concerne ce
10
même Fabius : « unus homo nobis cunctando restituii rem [...] », et qu'il
a été repris par Ovide (Fastes I I , 240-2) dans une imitation très proche de
ses deux modèles :
« Unus de Fabia gente relictus erat;
Scilicet ut posses olim tu, Maxime, nasci
Cui res cunctando restituenda foret»
«... avait été laissé (à Rome), seul de toute la famille, Fabius ; c'était bien
sûr pour rendre possible un jour ta naissance, ô Maximus, toi qui devais
11
rétablir la situation en temporisant ».
Il me semble lire également dans Properce (3, 3,5-12) un écho loin­
tain de cette expression dans un passage évoquant lui aussi les Annales
d'Ennius :
«parvaque iam magnis admoram fontibus ora
(unde pater sitiens Ennius ante bibit,
et cecinit Curios fratres et Horatia pila,
regiaque Aemilia vecta tropaea rate,
victricisque moras Fabii pugnamque sinistram
Cannensem et versos ad pia vota deos,
Hannibalemque Lares Romana sede fugantis,
anseris et tutum vocefuisse Iovem) »
«et j'avais déjà approché mes faibles lèvres de la grande source (d'où le
vénérable Ennius assoiffé a bu autrefois, et chanté les frères Curiaces et les
javelots des Horaces, et les trophées royaux chargé sur les vaisseaux d'Emile,
les lenteurs victorieuses de Fabius et le malheureux combat de Cannes,
les dieux redevenus sensibles à nos vœux de piété et nos Lares chassant
12
Hannibal du sol de Rome, Jupiter sauvé par les cris des oies) ... »
Un sens voisin du verbe restituere (ranimer, rendre la vie) apparaît éga­
lement dans une autre élégie de Properce (2, 1 62) :
«etdeus exstinctum CressisEpidaurius herbis
restituit patriis Androgeona focis»
« le dieu d'Épidaure ranima Androgée avec des herbes de Crète pour le
rendre au foyer paternel »,
ainsi que dans une ode d'Horace (4, 7, 24) :
« Cum semel occideris et de te splendida Minos
feceritarbitria,
non, Torquate, genus, non te facundia, non te
restituet pietas. »

10. ENNIUS, 383 Sk.


11. La traduction est celle de R. Schilling, CUF, 1992.
12. La traduction, comme la suivante, est celle de S. Viarre, CUF, 2005.

285
ALAINDEREMETZ

« Quand une fois tu auras succombé et que Minos aura rendu sur toi sa
sentence éclatante, ni ta naissance, Torquatus, ni ton éloquence, ni ta piété
15
ne te feront revivre . »
Tous ces exemples plaident de manière univoque en faveur d'un même
sens pour restituera: celui de redonner la vie, la force et la santé; et aucun
n atteste que les poètes ont donné à un moment ou à un autre le sens poli­
tique qu'on lui a conféré généralement.

Le poète et le prince

Passons maintenant au dossier de la représentation du pouvoir augus­


téen chez Virgile et ses contemporains. Si l'on se place préalablement du
point de vue socio-historique, l'on admettra peut-être, car c'est la doxa,
que l'essor de la poésie à Rome, ou plutôt d'une certaine poésie, à lafindu
ER
I siècle av. J.-C, est à mettre en relation avec l'instauration, ou le retour,
d'un régime de type monarchique qui, en créant les conditions de paix et
de prospérité, a rendu possible l'accès d'un plus grand nombre à l'exercice
du métier de poète : en assurant leur autonomie matérielle, des évergètes
fortunés ont permis à des hommes de condition modeste de vivre de leur
art en professionnels. L'exemple d'Horace, protégé de Mécène, semble à cet
égard éclairant, comme le fut un peu plus tôt celui d'Archias dont Cicéron
retrace la carrière dans le plaidoyer qu'il a prononcé en sa faveur.
Mais ce qui est important pour nous est moins cette réalité sociale - par­
fois contestable du reste si l'on admet que les poètes, de Virgile à Ovide,
avaient un statut social plus élevé que celui qu'ils prétendent avoir et qu'on
leur a reconnu (je pense notamment à Horace qui, selon les historiens
contemporains, avait le rang de chevalier) et qu'ils n'empruntaient ce mas­
que du modeste et humble poète que parce qu'il leur était imposé par les
genres qu'ils pratiquaient, le sermo notamment) - que la manière, tout aussi
conventionnelle, dont les poètes de cette époque ont parlé du prince et de
leur rapport à lui.
Le principal acquis qu'ils célèbrent unanimement dans l'œuvre d'Auguste
est qu'il a, par ses victoires légitimes, assuré le retour de la paix, de la
concorde et de l'harmonie. C'est ce qu'expriment ces passages de VEnéide
qui présentent Auguste, accompagné des Pères et du peuple, en vainqueur
et triomphateur instaurant la paix éternelle:
« D'un côté, menant les Italiens au combat, César Auguste,
entouré des pères et du peuple, avec les pénates et les grands dieux,
se dresse en haut de la poupe ; de ses tempes bénies
14
jaillissent deuxflammes,et l'étoile paternelle apparaît sur sa tête »
(8, 678-681).

4
13. Les traductions des Odes sont empruntées à F. Villeneuve, CUF, 1964 .
14. Les traductions de VEnéide sont de A.M. Boxus et Jacques POUCET, http://bcs.fltr.ucl.ac.be/Virg.

286
LA R E S P U B L I C A R E S T I T U T A DANS L'ŒUVRE DE VIRGILE

« Mais César, porté en un triple triomphe dans l'enceinte de Rome,


consacrait aux dieux de l'Italie une offrande impérissable,
trois cents temples immenses, répartis à travers la ville.
Les rues retentissaient de liesse, de jeux, d'applaudissements ;
dans tous les temples, un choeur de matrones ; partout, des autels ;
au pied de ceux-ci, des taureaux immolés couvrent le sol.
Lui, siégeant sur le seuil couleur de neige du brillant Phébus,
examine les présents de ses peuples et lesfixeaux superbes chambranles ;
en une longue procession marchent les nations vaincues que distinguent
tant les vêtements et les armes que la langue et les manières.
Ici, Mulciber avait représenté le peuple des Nomades africains
aux robes sans ceinture ; ici, les Lélèges et les Cariens, et les Gelons
porteurs deflèches;l'Euphrate s'avançait, les flots plus apaisés déjà;
les Morins, hommes des confins de la terre, et le Rhin à la double corne,
les Daces insoumis et l'Araxe indigné du pont qui le franchit »
(8, 714-726).
Avec la victoire, c'est la paix et la légalité retrouvées, le retour aux vertus
sociales du temps de la fondation et à l'alliance retrouvée de Romulus et
Rémus dont la rivalité était la cause des guerres civiles :
« Un Troyen naîtra, César, d'illustre naissance,
qui bornera son empire à l'Océan et sa renommée aux étoiles,
Jules, dont le nom lui vient du grand Iule.
Un jour, au ciel, tu l'accueilleras chargé des dépouilles de l'Orient,
et tu seras apaisée ; vers lui aussi monteront voeux et prières.
Alors, une fois les guerres délaissées, les âpres siècles s'adouciront :
la Bonne Foi chenue et Vesta, Quirinus et Rémus, son frère,
institueront des lois ; sinistres, étroitement serrées de ferrures,
les portes de la Guerre resteront closes ; la Fureur impie, redoutable,
s'assiéra à l'intérieur, les bras liés derrière le dos par cent nœuds d'airain,
sur des armes entassées et elle grondera, hérissée, la bouche sanglante »
(1, 286-296).
Après le désordre et les horreurs des guerres civiles, les poètes rêvent au
retour de l'âge d'or du temps du Latium primitif, celui de Saturne, d'Her­
cule rencontrant Evandre et fondant le culte de Y ara maxima, que seul un
nouvel Hercule ou un nouveau Liber leur paraît capable d'assurer. C'est
ce qu'il faut lire dans célèbres éloges de la terre de Saturne et de la Cité des
e e
abeilles développés par Virgile dans les 2 (136-176) et 4 Géorgiques (149-
e
227), dans la 4 Bucolique, mais aussi dans cet extrait du discours d'Anchise
au livre 6 de Y Enéide (679-807):
«Voici César, et toute la descendance de Iule,
qui un jour apparaîtra sous l'immense voûte céleste.
Ce héros, c'est lui, que si souvent tu entends dire qu'il t'est promis;
Auguste César, né d'un dieu, fondera un nouveau siècle d'or
dans les champs du Latium où régnait autrefois Saturne ;
il étendra son empire au-delà des Garamantes et des Indiens,
au-delà des étoiles, au-delà des routes de l'année et du soleil,
là où Atlas, qui porte le ciel, fait tourner
sur ses épaules l'axe semé d'étoiles de feu.
À l'idée de sa venue, les royaumes de la Caspienne maintenant déjà

287
ALAINDEREMETZ

frémissent devant les oracles des dieux, et la terre Méotide,


et les sept embouchures du Nil se troublent et tremblent.
En vérité Alcide na pas parcouru autant de terres,
bien quii ait transpercé la biche aux pieds d'airain,
pacifié les bois d'Érymanthe et fait trembler Lerne avec son arc;
il ne l'a pas fait non plus, dirigeant son attelage avec des rênes de pampre,
Liber, le victorieux, menant ses tigres depuis les hautes cimes de Nysa.
Et nous hésitons encore à déployer notre valeur par de hauts faits,
ou est-ce la crainte qui nous empêche de nous établir
en terre d'Ausonie ? »
Comme l'extrait précédent le montre, à la mission de refondation ori­
ginelle de Rome, est associée une divinisation poétique du monarque, fils
de dieu et futur dieu lui-même. Elle était déjà amorcée dans les Bucoliques
(1,6-8):
«T. : Ο Meliboee, deus nobis haec otta fecit,
namque erit ille mihi semper deus, illius (tram
saepe tener nostris ab ouilibus imbuet agnus»
« Ô, Mélibée, c'est à un dieu que nous devons ces loisirs ; car II sera pour
moi, toujours, un dieu ; Son autel, une tendre victime, un agneau de nos
15
bergeries, souvent l'ensanglantera »,
ainsi que dans les Géorgiques 2 (« Et toi enfin, qui dois un jour prendre place
dans les conseils des dieux à un titre qu'on ignore [...]») et 3 («[...] dans
la verte plaine, j'élèverai un temple de marbre, au bord de l'eau où en lents
détours erre le large Mincius et où le roseau tendre a couronné ses rives. Au
milieu je mettrai César, qui sera le dieu du temple»).
16
Contrairement à ce que l'on pense parfois , cette célébration poéti­
que de la monarchie s'appuie moins sans doute sur le modèle philosopho-
politique développé par des philosophes ou hommes d'État, tels Platon,
17
Philodème de Gadara ou Cicéron qui, certes, écrit dans son De Republica:
« Si la valeur morale gouverne l'État, que peut-il y avoir de plus beau » (34) ;
et fait dire à Scipion : «Au-dessus de chaque forme de gouvernement prise
séparément, je place une combinaison des trois. Si cependant il fallait en
choisir une à l'état de pureté, j'opterais pour la royauté» (35), que sur
ce que C. Calarne a appelé des « simulacres » poétiques, élaborés par leurs
modèles grecs qui, d'Hésiode à Callimaque en passant par Pindare, ont
toujours célébré l'alliance du roi et du poète dans la mission de guider les
autres hommes.
Les fondements idéologiques de la relation du poète au monarque ont
été souvent explicités, dans la poésie archaïque, par le recours à la notion
de personnages « démoniques » que l'on trouve attestés dans le fragment
115 des Purifications d'Empedocle, cité et commenté par J.-P. Vernant:
« Les voici enfin devins, poètes, médecins et conducteurs d'hommes [...].»

15. La traduction est celle d'E. de Saint-Denis, CUF, 1970.


16. LOUPIAC Α., Virgile, Auguste et Apollon, Mythe et politique à Rome, Paris, 1999.
17. PIHLODÈME, Du bon roi selon Homère.

288
LA R E S P U B L I C A R E S T I T U T A DANS L'ŒUVRE DE VIRGILE

Une enumeration semblable d»'hommes divins» avait déjà été établie par
Homère dans les vers 384-385 du chant XVII de l'Odyssée; ces vers sont mis
dans la bouche du porcher Eumée qui, en réponse à un reproche d'An-
tinoos, précise quels sont ces hommes divins que les rois vont quérir à
l'étranger:
«Antinoos, tu ne parles pas à propos, bien que tu sois noble! Quels
hôtes s'en va-t-on quérir à l'étranger sinon l'un de ces artisans, un devin,
un médecin ou un charpentier ou encore un aède inspiré qui charme par
son chant. »
Dans une remarquable étude intitulée « Ulysse l'aède et Homère le char­
18
pentier», E Bertolini explique les raisons qui fondent la parenté fonction­
nelle de toutes ces personnages dans le système sociopolitique archaïque :
« Se ora, a conclusione delle considerazioni sin qui fatte, torniamo alla
lista dei demiourgoi enunciata da Eumeo ad Antinoo, possiamo constatare
una singolare corrispondenza tra le professioni stesse e le funzioni che la
tradizione epica assegna alla poesia. Indovino, medico, carpentiere e aedo
sono chiaramente professioni autonome e distinte, ma mantica, iatrice e
carpenteria in quanto funzioni della poesia sembrano costituire un com­
plesso solidale. »
Callimaque, qui bénéficiait à Alexandrie des faveurs de Ptolémée
Philadelphe (situation que les poètes romains pouvaient juger compara­
ble à la leur), ne refusait pas lui non plus cette solidarité du monarque et
du poète, en rappelant qu'elle dépend des attributs et pouvoirs du dieu
Apollon : « Personne qu'Apollon n'a tant d'arts en sa main, i l a dans son
lot et l'archer et l'aède - car l'arc est son bien, et le chant aussi. À lui pro­
phetesses et devins ; et de Phoibos aussi les médecins tiennent la science de
19
retarder la mort » (Hymne à Apollon, 42-46).
À Rome même, à l'époque augustéenne, la coopération du prince et du
poète dans la production artistique et la création poétique est d'abord située
sur un plan extérieur à la genèse du poème ; le prince ou le mécène sont des
destinateurs réels qui participent concrètement et matériellement à l'activité
artistique, soit comme commanditaires ou conseillers qui poussent le poète
à traiter tel ou tel thème, à choisir tel ou tel genre poétique, soit comme
hommes de pouvoir qui, par leur action, ont favorisé l'établissement de la
pax impériale et offert aux poètes les conditions matérielles ou spirituelles
propices à la création poétique.
LOde 3, 4 d'Horace fournit une illustration typique de cet idéal hésio-
dique de coopération pacifique entre le poète et le prince. Dans une sorte
de réécriture de la scène fameuse de la Théogonie, le poète rapporte, sous la
fiction d'un songe, sa propre élection par les Camènes de Daunie. Un jour
qu'enfant il s'était endormi dans les montagnes de son Apulie, des colombes
vinrent le couvrir de laurier et de myrte, ces feuillages divins des poètes :

18. BERTOLINI E, «Odisseo aedo, Omero carpentiere: «Odissea» 17.384-85», Lexis2, 1988, p. 145-
164.
19. La traduction est de E. Cahen, CUF.

289
ALAINDEREMETZ

«Me fabulosae Volture in Apuk


nutricis extra limina Pulliae
ludo fatigatumque somno
fronde noua puerum palumbes
texere, mirum quodforet omnibus
quicumque cehae nidum Aceruntiae
saltusque Bantinos et aruum
pingue tenent humilis Forenti,
ut tufo ab atris corpore uiperis
dormirem et ursis, ut premerer sacra
huroque conlataque myrto,
non sine dis animosus infans. »
Ode 3, 4, 9-20.
« Depuis mon enfance, des colombes de la fable, sur le Vultur apulien, un
jour que, hors du seuil de ma nourrice Pullia, j'étais tombé épuisé de jeu
et de sommeil, vinrent, avec du feuillage nouveau, me couvrir, montrant
ce prodige à tous ceux qui habitent le nid de la haute Achérontie, et les
défilés de Bantia, et la campagne plantureuse de la basse Forente, de me
voir dormir sans craindre pour mon corps les vipères et les ours sinistres, de
voir, unis ensemble, le laurier et le myrte sacrés revêtir ce petit enfant dont
20
le courage venait des dieux ... »
Le poète rappelle que, depuis cette élection, il est devenu le protégé des
Muses (uester, Camenae, uester..., v. 21), l'ami de leurs fontaines et de leurs
danses, et demande que leur protection s'étende sur le grand César. Ce sont,
dit-il, ces mêmes Muses qui accueillent le prince dans leur grotte, pour le
délasser de ses « travaux» (sa geste héroïque) et lui donner le « doux conseil»
dans son oeuvre de paix. Si le prince, garant de la paix civile, permet par
son pouvoir l'exercice de la poésie, si l'on peut dire aussi qu'il est hissé par
le poète au rang d'Hercule et/ou d'Apollon comme figure de l'inspirateur,
21
le poète, en retour, se pose aussi comme son conseiller :
« Vos Caesarem altum, militia simul
fessa cohortes abdidit oppidis,
finire quaerentem labores
Pieno recreatis antro;
uos lene consilium et datis et dato
gaudetis, almae. « Scimus ut impios
Titanas inmanemque turbam
fulmine sustulerit caduco... »
Ode 3, 4, 37A4.
«Vous (Camènes), dès que le grand César a enfermé dans les citadelles les
cohortes fatiguées par les campagnes et cherche un terme à ses travaux, vous
le délassez dans l'antre du Piérus ; vous, déesses bienfaisantes, vous donnez
de doux conseils et vous réjouissez de les avoir donnés. »

20. Pour cette traduction d'un texte très controversé nous avons choisi de suivre une nouvelle fois
l'édition de Villeneuve déjà citée.
21. Voir aussi: Y Ode 3, 25: «Où m'entraînes-tu, Bacchus, tout plein de toi? dans quels bois, dans
quelles grottes m'emporte l'essor d'une inspiration nouvelle ? de quels antres serai-je entendu,
m'essayant à placer la gloire immortelle du grand César parmi les astres. »

290
LA R E S P U B L I C A R E S T I T U T A DANS L'ŒUVRE DE VIRGILE

L'allusion à Hésiode est transparente : l'expression lene consilium reprend


en l'adaptant au contexte historique latin, l'idée, chère au poète d'Ascra,
22
que ce sont les Muses qui dictent les «sentences droites des rois et des
poètes » et que ce sont elles aussi qui « entraînent les coeurs par des mots
apaisants». Pareil à Numa qui allait chercher conseil auprès de la nymphe
Egèrie, Auguste trouve auprès des Muses, Le. d'Horace, l'inspiration qui
lui dicte des lois justes pour son peuple.
Quelques générations plus tard, l'alourdissement du pouvoir impérial,
les contraintes, qui en découlent, du métier de courtisan, sans oublier le
développement du culte de l'empereur qui aboutit à sa divinisation de son
vivant, entraînent une systématisation et une généralisation de cette thé­
matique. L'empereur occupe définitivement le centre même de la création
poétique, aux deux niveaux de sa manifestation : au niveau de la communi­
cation, il conserve la position actantielle d'un commanditaire et protecteur
permanent, garant de la cohésion et de la paix sociales, mais surtout, au
niveau de l'énoncé de renonciation, il occupe celle des destinateurs divins,
Apollon, Bacchus et la Muse, en devenant le principe cosmique de l'ordre
et l'inspirateur du poète. Ceci apparaît fort clairement à la fin du long
prologue de la Pharsale:
« Mais tu es déjà un dieu pour moi ; et si je te reçois, tel un prophète, en
ma poitrine, je n aurai plus à invoquer le dieu qui révèle les secrets de Cirrha
ou à détourner Bacchus de Nysa : tu suffis à donner l'ardeur nécessaire à
23
celui qui entreprend d'écrire un poème romain » (Pharsale, 1, 57-66).
Néron concentre désormais en lui les pouvoirs prophétiques d'Apollon
et de Bacchus, les deux divinités associées du rituel delphique. Il suffit donc
que le poète, comme la Pythie ou comme l'initié du thiase, soit possédé par
ce dieu vivant pour qu'il puisse révéler les « causes de si grands événements »
(ibid., 67, Le. les guerres civiles). C'est ainsi que Lucain recompose le thème
hésiodique si ancien de l'alliance du roi et du poète au service d'un éloge de
l'empereur. Et il importe peu de savoir si le poète mettait une quelconque
sincérité dans cet éloge ; les circonstances politiques, le caractère de Néron
et son goût pour les grands mythes poétiques de la Grèce en ont sans
24
doute dicté les termes. Mais du temps où, selon ses biographes , Lucain
avait les faveurs du prince, il composa un éloge de Néron au concours des
Neronia, puis un poème sur Orphée, et l'on peut raisonnablement supposer
que cette adaptation ingénieuse de la thématique poétique de l'inspiration
divine y avait déjà été proposée ; et même si, à l'époque de la rédaction
du prologue, leurs rapports ont mal supporté leur rivalité littéraire, les
contraintes de la situation et les usages du genre suffisent à en justifier la

22. Contrairement à l'interprétation commune, nous proposons de faire de la suite du poème le chant
même des Muses : tel qu'il est placé ce chant est le lene consilium dont il est question juste avant.
En outre, en procédant ainsi, Horace imite le début de la Théogonie d'Hésiode qui met le récit
théogonique dans la bouche des Muses, imitation d'autant plus vraisemblable qu'elle poursuit celle
de la scène de l'élection.
23. La traduction est d'A. Bourgery, CUF, 1962.
24. Suétone et Vacca, dont on peut lire la biographie sur Lucain dans la RE., col. 2234 (Marx).

291
ALAINDEREMETZ

réutilisation. Quelques années plus tard, Pline l'Ancien, alors qu'il aborde
un genre nouveau, ne se comporte pas différemment : dans sa dédicace à
Titus, il reprend, en lui donnant un tour juridique, la thématique poétique
de l'éloge de l'empereur et pare le jeune prince du double titre de patronus
et de iudex, de protecteur qui communique avec le divin et de savant dont
le génie sans limite fait un juge idéal du mérite de l'écrivain.
Par ces deux exemples, on voit donc que l'instauration à Rome du pou­
voir impérial, que renforce le culte de la personne de l'empereur, favorise
la réutilisation adaptée du motif hésiodique. La relation du roi et du poète
est celle qui lie Jupiter à Apollon, ce dernier révélant l'ordre du monde dont
le premier est le garant; le roi connaît lui aussi les secrets du monde, les
causes profondes des événements, et le poète, à côté de lui, est son exégète,
qui parle en son nom.

292
Quatrième partie

La Res publica restituta


dans l'historiographie antique
La Res publica restituta livienne :
un pari sur l'avenir

Bernard M I N E O

Tite-Live entreprit d'écrire son Histoire de Rome autour de 27 av. J.-C,


alors même qu'Octave-Auguste s'employait à jeter les bases du nouveau pou­
voir avec toute la liberté que lui permettait sa victoire à Actium. L'instauration
du principat est en effet contemporaine des débuts de l'écriture livienne,
elle nous semble même en constituer l'événement fondateur, son horizon
référentiel. De fait, la pleine compréhension de l'orientation idéologique de
l'auteur ne nous semble possible qu'en prenant la mesure de ce contexte par­
ticulier où le prince prétend rétablir l'état de droit après la période triumvirale
et où le Sénat est présenté comme la source de Yauctoritas du princeps, une
auctoritas qui lui est reconnue non point en vertu d'un imperium supérieur
mais en raison du primat moral que valent à l'héritier de César son inter­
vention providentielle dans l'histoire de Rome et ses vertus proclamées sur
1
le clipeus uirtutis .
Nous essaierons donc de démontrer ici comment cette monarchie répu­
blicaine que le prince semble vouloir mettre en place constitue effective­
ment le point de référence idéologique de YAb Vrbe Condita de Tite-Live et
comment celui-ci a voulu faire le seul pari qui lui parût raisonnable, celui
de la réussite du projet politique que constituait la Res publica restituta,
comment enfin i l s'est employé à mettre cette entreprise en perspective
dans le cadre de sa conception de l'histoire. Cela ne signifie pas du reste
que l'historien ait voulu se faire alors le propagandiste zélé du nouveau
pouvoir : nous verrons ainsi que certains indices laissent en effet apparaître
les interrogations, voire les craintes de l'auteur sur le processus historique
en cours, et que la démarche du Padouan conserve une incontestable liberté
d'allure.
La concomitance de la restitutio reipublicae et du début de la rédaction
de l'œuvre constitue donc un premier indice de l'importance du contexte
de la Res publica restituta pour le projet livien. Tout laisse en effet pen­
ser que l'édition qui nous est parvenue du Livre I fut rédigée entre 27 et

1. On trouvera une définition plus précise de la res publica restituta dans l'introduction générale de ce
volume.

295
BERNARD MINEO

25 av. J.-C, notamment l'utilisation du titre à'Augustus au livre I


(I, 19, 3) et diverses allusions au refus impérial d'accorder les dépouilles
opimes à Licinius Crassus en 27 av. J.-C, peu suspectes d'être des ajouts
postérieurs, en raison de leur parfaite insertion dans le contexte narratif
2
(I, 10, 6-7; IV, 20) .
En outre, plusieurs passages des livres V et V I I , dont la composition
doit s'étaler entre 25 et 23 av. J.-C, montrent comment Tite-Live s'est plu
à croiser les titulatures officieuses d'Auguste, de Romulus et de Camille
dans des contextes qui rappellent celui de la Res publica restituta. Or ces
rapprochements ne sont pas anodins, puisque Octave avait envisagé de se
3
faire conférer le cognomen de Romulus , tandis que M . Furius Camillus
4
constitue, dans l'œuvre livienne, une figure analogique d'Auguste .
Ainsi voit-on les Romains décerner à Camille, après la défaite qu'il a
infligée aux Gaulois, le titre de Romulus ac parens patriae, conditorque alter
5
urbis , qualités derrière lesquelles il n'est pas difficile de reconnaître l'écho
de l'actualité augustéenne. I l est du reste probable que le rôle de deuxième
fondateur de Rome prêté à Camille soit une innovation livienne, même
6
si l'on ne peut exclure l'intervention antérieure d'un annaliste syllanien .
Rappelons, en outre, que si le titre de pater patriae ne devait être décerné à
Auguste qu'en 2 av. J.-C, il était déjà en revanche dans les esprits dès 23,
7
puisque une ode d'Horace pouvait le lui décerner symboliquement .
Le contexte de la Res publica restituta est également très sensible dans
l'éloge funèbre de Camille contenu au livre V I I , probablement rédigé vers
25-24, où l'auteur reconnaît au défunt héros le droit d'être tenu pour le
deuxième fondateur de la ville pour avoir permis le rétablissement de sa
patrie (patriam ipsam restituit), et cela dans un contexte où la titulature
reconnue au personnage croise de nouveau très exactement celle de l'em­
pereur, puisqu à l'instar de ce dernier, Camille est reconnu pour princeps et
nouveau Romulus :
«Fuit enim uere uir unicus in omni fortuna, princeps pace belloque prius-
quam exsulatum iret, cUrior in exsilio, uel desiderio ciuitatis quae capta abs
te implorauit opem uel felicitate qua restitutus in patrìam secum patriam ipsa
restituit; par deinde per quinque et uiginti annos-tot enim postea uixit- titulo
tantx gloriae fuit dignusque habitus quem secundum a Romulo conditorem
0
urbis Romanae ferrent . »

2. Sur la datation de l'œuvre, cf. MINEO B., Tite-Live et l'histoire de Rome, Paris, 2006, p. 12-14.
3. Dion Cassius (LUI, 16, 7) prétend qu'Auguste avait souhaité être appelé Romulus.
4. MINEO, op. cit., p. 222-241.
5. Lrv. V, 49, 7.
6. MINEO, op. cit., p. 235.
7. Horace, I, 2, 50 : hic ames dici pater atque princeps.
8. VII, 1, 9-10 : « Il se montra véritablement exceptionnel en toute situation et fut le premier citoyen
de Rome en temps de paix comme en temps de guerre avant d'être exilé. Son prestige grandit encore
avec son exil en raison du regret qu'éprouva la cité lorsqu'elle implora son secours en son absence;
il grandit également à cause du bonheur avec lequel une fois rétabli dans ses droits dans sa patrie, il
rétablit cette même patrie dans ses droits. Il fut ensuite pendant 25 ans - telle fut en effet après ces
événements la durée de sa vie - à la hauteur de ce qu'annonçait une si haute gloire et parut digne
d'être tenu pour le deuxième fondateur de Rome après Romulus. » On pourrait encore citer cet

296
LA R E S P U B L I C A R E S T I T U T A LP/IENNE: UN PARI SUR LAVENIR

Plus net encore, Tite-Live s'emploie à conférer aux figures pré-augus-


téennes de son récit une auctoritas qui rappelle le souci d'Auguste d'afficher
une autorité ne reposant pas sur la supériorité de son imperium, mais bien
plutôt sur une prééminence morale reconnue, ainsi qu'il devait le faire
graver dans le marbre de ses Res Gestae**: Auctoritateomnibuspraestiti,potes-
tatis autem nihilo amplius habui quam ceteri qui mihi quoque in magistratu
conlegae fuerunt. Or ce texte pourrait être aisément rapproché de celui qui
permet à Tite-Live de caractériser le pouvoir d'Évandre, autre figure analo­
gique du prince dans YAb Vrbe Condita :
«À cette époque, Évandre, un réfugié venu du Péloponnèse, gouvernait
ces lieux en s appuyant bien plus sur son autorité que sur un pouvoir officiel
10
(auctoritate magis quam imperio regebat loca) . »
De la même façon, au livre VI, si Xauctoritas de Camille, après la libé­
ration de Rome, prévaut sur celle de l'ensemble de ses concitoyens, le per­
sonnage n'en est pas moins, sur le plan institutionnel, qu'un simple tribun
à pouvoir consulaire, respectueux du principe de collégialité. La meilleure
illustration en est cette mise en scène dramatique de la menace de guerre
contre Antium en 386. De fait, alors que le personnage vient d'être réélu
tribun militaire à pouvoir consulaire pour la quatrième fois, sa prééminence
politique au sein du gouvernement de la République est alors reconnue
spontanément par ses cinq collègues, qui acceptent de subordonner leur
11
pouvoir à celui de Camille en raison du péril militaire du moment :
«Itaque senatus dis agere grattas quod Camillus in magistratu esset; et colle
gae fateri regimen omnium rerum, ubi qui bellici terrons ingruat, in uiro uno
esse sibique destinatum in animo esse Camillo summittere imperium nec qui
quam de maiestate sua detractum credere quod maiestati eius uiri concessiss
Conlaudatis ab senatu tribunis et ipse Camillus confusus animo grattas egit
Ingens inde ait onus a populo Romano sibi, qui se [dictatorem] iam quartum
creasset, magnum ab senatu talibus de se iudiciis [eius ordinis], maximum tam
12
honoratum collegarum obsequio iniungi . »
« Le Sénat remercia donc les dieux d'avoir Camille au gouvernement ;
il aurait fallu le désigner comme dictateur s'il avait été simple particulier.
Reconnaissant que la conduite des affaires devait être concentrée entre les
mains d'un seul individu quand les menaces de guerre se précisaient, ses
collègues étaient fermement décidés pour leur part à subordonner leur pou­
voir à celui de Camille. Ils ne croyaient pas qu'ils perdaient de leur autorité
en se soumettant à celle du grand homme. Le Sénat félicita les tribuns ;
Camille les remercia, visiblement ému. Le peuple Romain, disait-il, lui

autre passage (Liv. III, 20,1) faisant écho à la Res publica restituta, où la fermeté du discours du
consul L. Quinctius Cincinnatus laisse espérer la fin des bouleversements politiques induits par
les meneurs de la plèbe, de sorte que les Patriciens se prennent à penser que Tordre institutionnel
est rétabli (erecti patres restitutam credebant Rem publicam).
9. Res Gestae, 34 : « C'est par mon autorité que je fus au-dessus de tout le monde, mais je n'eus pas
plus de pouvoir que tous ceux qui furent mes collègues dans l'ensemble des magistratures qu'il me
revint d'exercer. »
10. Lrv. I, 7, 8 (Trad. J. BAILLET).
11. VI, 6, 6-7.
12. Lrv. VI, 6, 6-9.

297
BERNARD MINEO

avait confié une énorme responsabilité en l'élisant pour la quatrième fois;


le jugement siflatteurde la classe sénatoriale avait encore alourdi sa tâche,
mais la déférence de ses collègues, dont il se sentait si honoré, l'avait rendue
13
accablante . »
Le Sénat approuve donc pleinement la situation et proclame que l'État
n'aura jamais besoin de dictateur à l'avenir, « s'il a à sa tête des hommes poli­
tiques également prêts à obéir et à commander, plus disposés à mettre leur
14
gloire en commun qu'à s'approprier une part de la gloire commune ».
De façon générale, Xauctorifas des ducesfatales liviens est fondée sur une
capacité politique et des qualités morales qui ne manquent pas de rappeler
les grands traits caractéristiques de la figure impériale lorsque le principat
se met en place.
Ils sont tout d'abord capables de fédérer autour d'eux les forces politi­
ques et les groupes ethniques de façon à assurer la cohésion du corps civi­
que, et cela grâce au consensus qui se constitue autour de leur action : c'est le
15 16
cas d'Énée et d'Évandre, dont on reconnaît spontanément Yauctoritas ;
Romulus recherche lui aussi la concorde et écoute complaisamment les
conseils de son épouse Hersilia lorsque celle-ci lui recommande de favoriser
17
une politique d'union pour encourager le développement de l'État ; à
l'inverse de la version de Cicéron, Tite-Live affirme en outre que Romulus
et Tatius régnèrent en parfaite entente (sed Concors etiam regnum duobus
18
regibus fuit ). Le consensus dont jouit Camille est, quant à lui, exprimé
par une formule particulièrement explicite à propos de la guerre contre
Antium: «si quidlaboris uigiliarum obsequio adicipossit, certantem secum
ipsum adnisurum ut tanto de se consensu ciuitatis opinionem, quae maxima
19
sit, etiam constantem effîciat ». Pour sa part, Scipion l'Africain, autre figure
présentant certains traits analogiques avec la figure impériale, est toujours
élu à la faveur d'une unanimité des suffrages que le récit livien se plaît à
souligner, aussi bien pour le vote de son imperium qui le place à la tête des
20
forces romaines en Espagne, que pour son élection au consulat en 205 .
La mission de ces chefs providentiels permet, en outre, à ces derniers,
d'orienter ou de réorienter les destins de Rome en assurant l'ouverture de
cycles fondateurs ou refondateur (Évandre, Énée, Romulus, Camille). Ils
13. Lrv. VI, 6, 6-9 (trad. A. FLOBERT).
14. VI, 6, 18. Traduction adaptée d'A. FLOBERT {Tite-Live, VI-X, Paris, 1996).
15. Lrv. I, 2, 4-5 : «Celui-ci (Énée) était fort de ces sentiments et de l'union qui grandissait chaque
jour davantage entre les deux peuples » (cœlescentium in dies magis duorum populorum).
16. «À cette époque, Évandre, un réfugié venu du Péloponnèse, gouvernait ces lieux en s'appuyant
bien plus sur son autorité que sur un pouvoir officiel » (auctoritate magis quam imperio).
17. I, 11, 2 : Ita res cœlescere concordia posse.
18. Lrv. I, 13, 4-8; C i c , Rep. II, 7, 13. MINEO, op. cit., p. 167.
19. Lrv. VI, 6, 9 : « Pour autant qu'il était possible de se dépenser encore davantage en travaillant la nuit,
il chercherait à se surpasser et redoublerait d'efforts pour ne pas démentir l'opinion si favorable que
ses concitoyens avaient de lui, et ce avec une telle unanimité. »
20. Vote de Y imperium pour l'Espagne (Lrv. XXVI, 18) : « Puis, après qu'on eut donné l'ordre de voter,
non seulement toutes les centuries sans exception ordonnèrent que l'on déférât le commandement
de l'armée d'Espagne à Scipion, mais les individus aussi s'exprimèrent de la sorte»; ID., 41, 18;
élections consulaires de 205 (Lrv. XXVIII, 38, 6) : «Toutes les centuries désignèrent P. Cornélius
Scipion comme consul avec un enthousiasme extraordinaire» (ingentifauore).

298
LA R E S P U B L I C A R E S T I T U T A LMENNE: UN PARI SUR LAVENIR

sont donc conditores, mais aussi auctores, garants du développement orga­


nique de Γ Vrbs, grâce à un comportement politique qui permet d'assurer
les progrès de la concorde grâce à ces mêmes uirtutes que celles reconnues
au prince sur le clipeus uirtutis qui lui fut décerné en janvier 27 : uirtus,
dementia, iustitia, pietas. De façon plus générale, ils sont les garants du ius
et du fas.
La pietas de ces ducesfatales en fait ainsi de zélés artisans puis défenseurs
des institutions religieuses de Rome : c'est notamment le cas de Numa et de
Camille. Ils peuvent ainsi apparaître comme le reflet de la pietas d'Octave-
Auguste qui se glorifia d'avoir fait restaurer plus de 82 temples pour la seule
année 28, et s'attacha plus précisément à restaurer ceux dont la construction
21
remontait aux temps les plus antiques .
L'analogie entre la pietas des duces fatales liviens et celle d'Auguste est
au reste surtout frappante pour les personnages solaires ou apolliniens,
dont l'attitude religieuse ne peut manquer de rencontrer quelque écho dans
l'apollinisme en vogue au moment où l'on inaugure le temple d'Apollon sur
le Palatin en octobre 28 ; cela est particulièrement évident pour Camille qui,
avant de lancer son attaque finale contre Véies, déclare placer son action
sous les auspices du dieu, ce que signale un tuo ductu... Pythice Apollo
rejeté en tête de phrase comme pour mieux attirer l'attention du lecteur
sur ce patronage divin. Le récit livien soulignera également la façon dont
le personnage dut veiller au paiement de la dîme promise à Apollon pour
22
prix de la victoire .
Évandre est lui aussi, chez Tite-Live, un prince apollinien, ce que sym­
bolisent à la fois ses réalisations (il introduit l'écriture et la culture dans le
23
Latium) et sa filiation avec la nymphe Carmenta , présentée comme une
sibylle avant la lettre, détentrice des destins de Rome. Or ce nom ne pouvait
pas ne pas évoquer pour les contemporains de Tite-Live les Carmina ou
Libri Fatales, dont on avait pu envisager le transfert dans le temple palatin
d'Apollon dès les années 20.
Si toutes ces données permettent déjà de mesurer l'importance du
contexte de la Res publica restituta dans le tissu idéologique livien, elles
ne permettent cependant pas de définir très précisément le sens histori­
que que Tite-Live reconnaissait aux événements politiques dont il était le
témoin. Sur ce point, la structuration dialectique de l'œuvre en fonction de
la conception cyclique que Tite-Live applique à l'histoire, ainsi que je me
suis attaché à le démontrer dans de récents travaux, confirme que le princeps
et sa Res publica restituta constituaient les repères temporels au cœur d'une
construction analogique complexe permettant effectivement de relier entre
24
elles les politiques des grands duces fatales liviens .

21. GROS P., Tempia aurea, Rome, 1976, p. 26.


22. Lrv. V, 25, 4-6.
23. Lrv. I, 7, 8.
24. MINEO, op. cit., p. 84-107; p. 155-335.

299
BERNARD MINEO

L'analyse du texte livien, confirme, en effet, très nettement l'utilisation


par l'auteur de cycles historiques calqués sur le modèle de la Grande Année
et s'articulant autour de pivots historiques constituant autant de zéniths ou
25
de nadirs .
Ces cycles, Tite-Live a dû recourir à plusieurs types d'indices narratifs
26
pour les mettre en place et les rendre aussi évidents que possible . Mais
c'est surtout en conférant à certainesfigurescharismatiques le rôle de chefs
chargés des destins (duces fatales) que Tite-Live est parvenu à délimiter ses
tendances historiques. Les analogies suggérées entre chacun de ces grands
hommes permettaient d'autre part de souligner leur commune fonction
d'ouvreurs de temps nouveaux.
27
Les cycles de l'histoire livienne de Rome sont donc délimités par les
figures suivantes : Romulus (fondation) inaugure le premier cycle et une
tendance ascendante qui atteint son apogée avec le règne de Servius Tullius;
commence alors une tendance descendante, qui aboutit à la prise de Rome
par les Gaulois et à sa refondation grâce à Camille ; ce dernier ouvre alors un
nouveau cycle historique, dont l'apogée intervient en 207 avec la Bataille du
Métaure, qui fait disparaître le metus hostilis, tandis que Scipion l'Africain,
en engageant Rome, les années suivantes, dans son épopée méditerranéenne,
permet le début d'une tendance descendante, qui s'achèvera avec les guerres
civiles lorsque Auguste mettra fin à celles-ci et ouvrira à son tour une ère
nouvelle en rétablissant l'état de droit (Respublica restituta), point de départ
d'une nouvelle tendance théoriquement ascendante.

Servius Tullius ScipionΓAfricain

Romulus Camille Auguste


Fondation de Rome Prise de Rome/Refondation Guerres civiles/refondation

Premier cycle de Rome Deuxième cycle de Rome


(360/365 ans) (360/365)

25. Ibid., p. 84-108.


26. L'intervention dans le récit de duces fatales, mais aussi la multiplication de signes du destin aux
moments-clés de l'histoire, le recours à un symbolisme apollinien, ainsi qu'à une sémantique
tragique, l'intégration de l'histoire romaine à l'intérieur d'une trame historique dépassant la
conscience immédiate des hommes - un niveau transcendantal de l'histoire que soulignent en
particulier les listes de prodiges - sont autant d'indices qui permettaient au lecteur de situer la place
et la signification historiques des événements rapportés. Sur tous ces points, Cf. MINEO, op. cit.,
p. 102-103, p. 137.
27. G. B. MILES {Livy, reconstructing Early Rome, Ithaca et Londres, 1995, p. 62-68), a remarquable­
ment démontré que Tite-Live s'était bien plus attaché à faire apparaître dans la première décade
des schémas, des thèmes fondamentaux pour le développement de l'identité romaine, qu'à dégager
l'authenticité de traditions dont il souligne de façon cumulative la fragilité historique. Ce sont
précisément ces schémas qui, pensons-nous, sont constitutifs de la fonction analogique du premier
cycle d'histoire de Rome.

300
LA R E S P U B L I C A R E S T I T U T A LIVIENNE: UN PARI SUR L'AVENIR

Auguste devait donc bien apparaître dans l'œuvre livienne comme un


nouveau Romulus, mais surtout comme un nouveau Camille : après une
tendance historique caractérisée par la discorde et l'impiété qui avait abouti
à l'effondrement du vieux monde, il revenait au prince d'ouvrir un nou­
28
veau cycle historique . L'instauration du principat constituait dans l'œuvre
livienne comme un pivot temporel (cardo), et c'est à la lumière de cette
réalité qu'il convient d'interpréter ce fameux passage de la préface où Tite-
Live déclare que l'on en est arrivé à Rome au point où « nous ne pouvons
plus endurer nos vices ni leurs remèdes» (nec uitia nostra nec remedia pati
29
possumus «nec uitia nostra nec remedia pati possumus) . Autrement dit,
l'évolution de Γ Vrbs était parvenue, autour de 27, à un nadir, soit à une
situation où il n'était plus possible d'endurer plus longtemps les maux dont
la Ville souffrait sans en compromettre l'existence, et où il était tout à la fois
bien difficile de faire admettre les remèdes que l'on essayait d'administrer
au corps malade de la cité, probable allusion à l'échec d'une tentative de
30
législation sur le mariage autour de la même année .
La structuration dialectique de l'œuvre laisse donc clairement apparaître
que Tite-Live a voulu faire le pari du succès de la politique de restauration
nationale promue par le prince. L'auteur, comme Virgile ou Horace, a fait
alors le choix de l'ordre contre le chaos, celui du droit contre l'arbitraire
caractéristique des périodes troublées. Tite-Live encourage la politique de
«restauration républicaine» du prince parce que dans les circonstances qui
sont celles du début du principat cette voie lui a paru être la meilleure
façon de favoriser le retour à la paix ainsi qu'à une forme de normalité
institutionnelle.
Cependant, si l'historien semble donc bien avoir accompagné de ses
vœux la politique affichée par Auguste qui faisait de lui ce princeps répu­
blicain capable de rétablir la concorde et l'état de droit, d'ouvrir une ère
28. On notera aussi que cette conception historique qui fait d'Auguste le point d'aboutissement de
l'histoire, son nouveau fondateur, n'est pas isolée. La ressemblance est nette en particulier avec la
mise en scène des summt uiri du Forum d'Auguste qui permettait de mettre particulièrement en
évidence Énée, Romulus, Auguste, tandis que les grands moments fondateurs de l'histoire de Rome
se faisaient écho analogiquement (MINEO B., op. cit., p. 138-144). On pourrait encore faire état de
l'évocation des grandesfiguresdu futur au chant VI de Y Enéide de Virgile (755-886), qui vise à faire
du princeps le point d'aboutissement de l'histoire de Rome, un passeur temporel permettant à Rome
de quitter les rives des guerres civiles pour renouer avec la grandeur que promet la concorde.
29. Elle l'est, du reste, depuis quelque temps déjà, et l'on se rappellera ici les vers qui clôturent le
Livre I des Géorgiques de Virgile (498-501) et dont la tonalité et la thématique sont extrêmement
proches de celles que l'on devait retrouver deux ou trois ans plus tard chez Tite-Live.
30. Plusieurs poèmes de Properce, remontant probablement à cette époque, selon F. VILLENEUVE, lais­
sent notamment penser que le princeps avait très vite essayé, sans succès, de faire passer des réformes
encourageant le mariage et réprimant l'adultère bien avant le vote de la Lex Iulia de maritandis
ordinibus et de la Lex Iulia de adulteriis cœrcendis autour de 18 av. J . - C . L'échec de cette tentative
aura sans doute suscité l'amertume du prince et inspiré à Tite-Live sa remarque sur l'incapacité
de ses contemporains à accepter les remèdes qui leur étaient proposés. Deux passages de Properce
(I, 8, 21 ; II, 7, 1-10) pourraient confirmer la réalité historique de cette première tentative de
réforme. Pour la même année 27 av. J . C , Dion (LUI, 13, 3) parle aussi de privilèges qui auraient
été accordés aux sénateurs mariés ayant beaucoup d'enfants. Ph. MOREAU {«Florent sub Caesare
leges. Quelques remarques de technique législative à propos des lois matrimoniales d'Auguste»,
R H D y 81,2003, p. 462-469) soutient, à la suite de Th. MOMMSEN, qu'une rogatio avait été présen­
tée entre 28-26, puis retirée lorsque l'on eut constaté la résistance qu'elle rencontrait.

301
BERNARD MINEO

nouvelle pour Rome, cela ne signifie pas pour autant quii faille voir dans le
projet livien l'œuvre d'un thuriféraire ou d'un panégyriste. Certains indices
suggèrent en effet la complexité de la posture de l'historien qui a pu crain­
dre une dérive tyrannique du pouvoir, dès lors que celui-ci dépendait si
étroitement de Y auctoritas d'un seul individu. Au demeurant, en proposant
de la sorte, à travers le personnage de Camille, un modèle de comportement
politique idéal, Tite-Live n'a-t-il pas aussi voulu prendre le princeps au mot
et l'inviter à ne pas sortir du cadre politique dessiné par ses premières mesu­
res et qui allaient dans le sens d'une Res publica restitutaì
Or le Livre V I présente un récit des plus révélateurs à cet égard. Il s'agit
de la relation des menées révolutionnaires de M . Manlius Capitolinus, un
épisode où le sauveur du Capitole nous est dépeint à l'instar d'un déma­
gogue entretenant l'agitation parmi la plèbe à propos du problème de la
31
dette .
La situation historique et narrative des événements décrits rend le pas­
sage particulièrement éclairant pour notre propos, puisque cette crise poli­
tique intervient plusieurs années après l'épisode de la Prise de Rome par les
Gaulois, alors que Camille et Capitolinus jouissent tous deux à Rome du
prestige que leur vaut le fait d'avoir contribué de façon providentielle au
salut de la cité, l'un en empêchant le paiement de la rançon aux Gaulois
et en les écrasant ensuite militairement, l'autre en repoussant l'assaut des
mêmes envahisseurs sur le Capitole. La position politique des deux person­
nages pendant cette période, n'est donc pas sans présenter certaines analo­
gies avec la position du princeps à Rome après Actium. Si l'on songe que le
32
Livre V I a été rédigé probablement autour de 25 av. J.-C. , on comprend
que ces ressemblances ne sauraient être fortuites, mais constituent plus
probablement la traduction narrative de la réflexion livienne sur le rôle du
prince au sein de l'État.
Le fait le plus important de cet ensemble narratif tient en particulier
à la construction en contrepoint des deux personnages de Camille et de
Manlius Capitolinus, comme si Tite-Live entendait projeter dans son récit
les deux voies susceptibles d'être suivies par des hommes politiques de cette
envergure.
Pour la période qui précède le récit dans lequel interviendra Capitolinus,
le vainqueur de Brennus nous est en effet dépeint paré de toutes les qualités
augustéennes qui lui ont été reconnues au Livre V. On a déjà vu comment
le consensus s'était naturellement formé autour du personnage au moment
de la guerre contre Antium. L'épisode permettait de mettre en valeur la
33
modestie politique de Camille , lequel n'ayant aucunement recherché de

31. Sur cette mise en scène de la résurgence progressive de la discorde après la réconciliation nationale
qui avait suivi la renaissance de Rome après l'épisode gaulois, cf. MINEO, op. cit., p. 244 sq.
32. D'après RG. WVLSH, Tite-Live écrivait une moyenne de trois livres par an. Or la rédaction de
YAb Vrbe condita a dû commencer en 27 av. J.-C. (MINEO, op. cit., p. 13).
33. V I , 6-8.

302
LA R E S P U B L I C A R E S T I T U T A LIVIENNE: UN PARI SUR LAVENIR

position eminente au sein de l'État, se tenait prêt à obéir et à commander,


34
sans chercher à s'approprier une part de la gloire commune .
On voit bien que cette mise en scène vise en réalité à produire un effet
de miroir avec la situation politique qui avait prévalu à Rome après la guerre
civile, et notamment avec les mesures laissant accroire au rétablissement
35
de l'état de droit à partir de 2 8 : on observe en effet dans les deux cas
l'affirmation d'une même prééminence politique à partir d'un consensus ;
les fondements du pouvoir, à la fois l'autorité du Sénat et l'assise populaire,
sont identiques ; on retrouve encore une même normalité apparente du jeu
institutionnel : d'un côté la collégialité du consulat réaffirmée par Auguste,
de l'autre Camille flanqué de ses cinq collègues au tribunat militaire; pour
384, au reste, le nom du héros se fondra de façon très républicaine à l'in­
36
térieur de la liste des tribuns de l'année , conformément à l'esprit de la
préface du livre I I , où i l est précisé que le pouvoir royal a été utile, mais
37
seulement le temps nécessaire pour fonder la cité .
Enfin, la modestie de la posture de Camille, bien conforme à l'attitude
du personnage lorsque celui-ci avait proposé d'abdiquer sa dictature après
avoir vaincu les Gaulois, n'est pas sans rappeler encore une fois la mise en
38
scène de remise du pouvoir au Sénat de janvier 27 .
Le personnage de Manlius est quant à lui construit en contrepoint. La
référence explicite à la jalousie que lui inspire la prééminence reconnue à
39
Camille, en est un indice évident . L'attitude orgueilleuse du personnage
40
offre d'autre part un puissant contraste avec celle de son rival . Loin de
susciter le consensus autour de lui, le récit le montre tout occupé à jouer
au Catilina et au César en s'alliant, lui un patricien, aux représentants de
la plèbe et en proposant des projets subversifs (lois agraires et abolition
41
des dettes), bien propres à encourager le développement de la discorde .

34. VI, 18.


35. Cf. supra p 14-16.
36. VI, 18,1.
37. Lrv. II, 1,3-6 : « Nul doute que le même Brutus, qui mérita tant de gloire pour avoir chassé Tarquin
le Superbe, aurait agi contre l'intérêt général, si, désirant prématurément la liberté, il était parvenu
à arracher le pouvoir à n'importe lequel des précédents rois. Que se serait-il produit, en effet, si
cette foule de bergers et de vagabonds, qui avaient fui leurs propres nations, après s'être placés sous
la protection de quelque sanctuaire inviolable et avoir obtenu la liberté, ou du moins l'impunité,
une fois disparue la crainte du pouvoir royal, avaient commencé à être agités par les bourrasques
tribuniciennes, à entrer en conflit avec le Sénat, dans une cité qui leur restait étrangère, avant que
la tendresse pour leurs épouses et leurs enfants, l'attachement à la terre elle-même, qui ne vient
qu'à la longue, n'eussent uni solidement leurs aspirations ? L'État aurait disparu sous la pression de
la discorde, sans avoir eu le temps de se développer. »
38. Ci supra p. 16.
39. VI, 11,3.
40. VI, 11,6.
41. VI, 11, 8-9. Sur l'existence d'un schéma narratif commun aux récits relatifs à Sp. Cassius,
Sp. Maelius et Manlius Capitolinus, cf. MARTIN P. M., « Distortions dues à l'idéologie tripar­
tite dans le récit des trois «adfectationes regni» de la tradition romaine», Études Indo-européennes,
G. Dumézil in memoriam, 2, 1988, p. 16-21. Il est fort probable que le récit de la sédition de
Sp. Maelius et plus encore celui de la répression de Manlius Capitolinus procèdent d'une volonté
de la part des annalistes de trouver dans le passé un modèle légitimant le senatus consultum ulti­
mum «inventé» en 133 par les Optimates contre Ti. Gracchus: cf. FORSYTH G., The Historian
L. Calpurnius Piso Frugi and the Roman Annalistic tradition, Londres, 1994, p. 301. Sur le même

303
BERNARD MINEO

Surtout sa soif de pouvoir, et son désir de régner l'opposent à Camille dont


42
le rôle politique respecte les institutions républicaines .
Le contraste ainsi obtenu entre Camille et Capitolinus devait être par­
ticulièrement éloquent pour les lecteurs de ce récit composé autour de 25,
au moment même où le pouvoir augustéen donnait des gages de bonne
volonté en rétablissant progressivement les apparences d'un fonctionnement
traditionnel des institutions. Si le récit livien offrait à travers la peinture
de Camille l'illustration de la façon dont un sauveur de la patrie devait se
comporter politiquement, une fois passée la bourrasque des événements, la
figure de Manlius, le sauveur du Capitole, représentait, quant à elle, l'autre
voie qu'aurait pu être tenté de suivre un personnage auquel l'État devait
tant, à savoir celle d'un gouvernement tyrannique, celle-là même auquel le
pouvoir augustéen prétendait vouloir tourner le dos. Ainsi Tite-Live offrait-
il à ses lecteurs une clé de lecture utile à la compréhension de l'actualité :
la direction générale adoptée était la bonne ; la place du princeps dans la
République était justifiée par la nature même de la situation politique. En
même temps, le récit livien pouvait revêtir une fonction protreptique et
constituer une subtile invite à Auguste à continuer dans la même voie en
se conformant au modèle offert dans le passé par sa prestigieuse préfigu­
ration historique ; quant à Manlius Capitolinus, il lui revenait d'incarner
toutes les craintes que pouvait inspirer l'action d'un personnage entouré
du prestige que lui valait le fait d'avoir sauvé la patrie. À la lumière de
la restitutio rei publicae en cours au moment où Tite-Live rédigeait son
livre V I , le passage illustrait bien ce qu'Auguste avait choisi de ne pas être:
un nouveau César promis à de nouvelles Ides de Mars. I l indiquait aussi les
attentes des Romains et de l'auteur: le prince devait progressivement s'effa­
cer au sein des institutions, une fois la tourmente passée, pour ne ressurgir
éventuellement qu'à la demande générale, en cas de besoin.
L'ensemble de l'épisode, on le voit, est bien de nature à illustrer le pari
augustéen que fait Tite-Live à l'époque de la Res publica restituta; il éclaire
aussi les arrière-pensées, les inquiétudes et les attentes des contemporains,
et ce avec une relative liberté d'allure qui justifie pleinement la réputation

sujet, cf. CHASSIGNET M., « La «construction» des aspirants à la tyrannie : Sp. Cassius, Sp. Maelius
et Manlius Capitolinus», Coudry M., Spath Th. (dir.), L'invention des grands hommes de la Rome
antique. Actes du colloque du Collegium Beatus Rhenanus, 2001, p. 86-96). Outre une biblio­
graphie fort utile {ibid. p. 94-96), on y trouvera une analyse suggérant l'importance de la tradition
annalistique pro-sénatoriale dans l'élaboration des troisfigures.Tout en rappelant l'importance de
l'épisode des Gracques, celui de Livius Drusus et de Catilina dans l'élaboration de ces épisodes,
M. CHASSIGNET, à la suite d'A. "VALVO (« Le vicende del 44-43 a. C. nella tradizione intorno di
Livio et Dionigi su Sp. Melio», CISA 3, 1975, p. 157-183) et de R PANITSCHEK, («Sp. Cassius,
Sp. Maelius, M. Manlius als exempla maiorum», Philologus 133, 1989, p. 231-241), met en évi­
dence l'influence déterminante des événements survenus entre 63 et 44 av. J.-C. dans la formation
de ces récits (l'affaire Catilina, la proposition de loi agraire faite par César en 59 dont la loi de
Cassius serait le reflet) et souligne en particulier le fait qu'il n'existe aucune preuve formelle, avant
Cicéron, de la constitution du triptyque Sp. Cassius, Sp. Maelius et Manlius Capitolinus. Selon
S. P. OAKLEY, (A Commentary on Livy, Books, VI-X, vol. I, Oxford, 1997, p. 476-493) le noyau his­
torique du récit de Manlius se limitait à l'histoire de la condamnation du personnage pour atteinte
à la liberté : le détail du récit livien serait le fruit d'une élaboration tardive, en partie livienne.
42. V I , 11, 19.

304
LA R E S P U B L I C A R E S T I T U T A LP/IENNE: UN PARI SUR LAVENIR

defidesque Crémutius Cordus reconnaissait au Padouan lors de ses démêlés


43
avec Tibère .
Tite-Live considéra-t-il par la suite qu'il avait gagné ou perdu son pari ?
Sans doute ne lui était-il pas aisé de trancher sur ce point. Certes le princi­
pat augustéen avait évolué, après les années 20, dans un sens qui voilait de
moins en moins la réalité monarchique du pouvoir. Cependant, le Sénat
continuait d'être respecté, les magistrats traditionnels désignés, selon des
modalités certes nouvelles; surtout la paix civile restait globalement assurée,
et même célébrée par l'inauguration de YAra Pacis Augustae en 9 av. J.-C. ;
les aigles romaines perdues à Carrhes avaient été restituées en 20, l'Espagne
était pacifiée tandis que le désastre de Teutoburg ne devait intervenir qu'en
9 ap. J.-C. La réalisation de la politique de restauration morale et religieuse
voulue par Auguste n'avait rien, d'autre part, qui pût choquer la sensibilité
conservatrice de Tite-Live.
Il est cependant un point qui ne pouvait pas ne pas poser problème à
Tite-Live : c'est celui de la dimension dynastique que le nouveau pouvoir
affirma progressivement. Le récit livien dénonce, en effet, sans ambiguïté,
l'inéluctable dérive tyrannique du pouvoir lorsque celui-ci se transmet de
façon héréditaire. Les vertus inscrites sur le clipeus uirtutis du princeps en 27
prétendaient du reste garantir aux Romains qu'Auguste ne tomberait pas
dans ce travers et que la superbia n'aurait pas prise sur lui. Tel est sans doute
l'esprit qui inspire toutes les mesures et les postures politiques de ce que
nous pourrions appeler l'ère de la Res publica restituta. Dès lors, on pourrait
s'attendre à ce que l'affirmation de la dimension dynastique du régime ait
pu susciter bien des craintes chez Tite-Live, et éteindre ses espérances du
début du principat. Or les intentions impériales à cet égard n'avaient pas
trop tardé à se faire jour. Selon Frédéric Hurlet, elles auraient été patentes
dès l'adoption des deux fils d'Agrippa et de Julie, Gaius et Lucius César,
44
en 17 av. J.-C. . Les analyses de Gilles Sauron sur YAra Pacis Augustae
semblent du reste confirmer la dimension dynastique de la procession reli­
gieuse du 4 juillet 13 av. J.-C. que représente cet autel dédicacé le 30 janvier
45
9 av. J.-C. . I l semblerait que dès ce moment-là, la propagande impériale
ait cherché à établir un lien étroit entre l'idéal de paix et la pérennité de
la dynastie fondée par Auguste, tandis que l'on figurait de façon symbo­
lique sur l'autel la croissance parallèle de Caius et de Lucius César et la
progression des bienfaits de l'âge d'or. C'est cependant surtout à partir de
6 av. J.-C. que l'on vit progressivement les intentions dynastiques d'Auguste
s'afficher officiellement : cette année-là, i l fut proposé que Gaius fût élu
consul (Dion Cassius, LV, 9, 2), ce que l'empereur fit mine de refuser à
cause de l'âge de l'intéressé ; l'année suivante, cependant, Gaius fut en effet
désigné consul pour l'an 1 ap. J.-C; les chevaliers romains le saluèrent du

43. TACITE, Annales, IV, 34; MINEO, op. cit., p. 112.


44. HURLET Fr., Les Collègues du prince sous Auguste et Tibère, Rome, 1997, p. 113-141 et p. 446-
484.
45. SAURON G., L'Histoire végétalisée, Paris, 2000, p. 13, p. 35, p. 50.

305
BERNARD MINEO

titre de princeps iuuentutis. En 2 av. J.-C, Lucius reçut les mêmes honneurs
que son frère.
Est-il donc possible de retrouver dans YAb Vrbe Condita des traces d'une
possible désillusion politique suscitée par cette évolution du régime?Tite-
Live a-t-il eu à un moment où à un autre le sentiment que l'esprit de la Res
publica restituta avaitfinalementdisparu ?
Il est impossible de pouvoir atteindre sur ce point quelque certitude que
ce soit, compte tenu de ce que nous avons perdu toute la deuxième moitié
de l'ouvrage de notre auteur. Nous nous contenterons donc de suggérer des
pistes de réflexion par ces quelques remarques.
On notera tout d'abord qu'il ne se rencontre aucune manifestation de
froideur de Tite-Live à l'égard de l'empereur dans toute l'œuvre. Signe de
prudence ? C'est possible. Mais cette interprétation ne rendrait pas compte
des multiples marques d'adhésion, au moins ponctuelles, du Padouan, à
l'égard de la politique du prince.
Ainsi, au Livre IV, les qualités de templorum omnium conditorem ac
restitutorem que Tite-Live reconnaît à Auguste dans le passage relatif aux
46
dépouilles opimes de Cossus sont indubitablement positives, et tendent
même légèrement à l'hyperbole.
Au Livre IX, probablement rédigé autour de 20, l'enthousiasme de Tite-
Live ne s'est pas démenti, puisqu'on le voit conclure son fameux excursus
sur Alexandre par l'évocation enthousiaste de la concordia qui prévaut de
son temps : « Le soldat romain a repoussé et repoussera mille armées plus
dangereuses que celles des Macédoniens et d'Alexandre, pourvu que durent
cet amour de la paix et ce souci de la concorde civile que nous connaissons
47
aujourd'hui . » Cet indice de l'adhésion livienne à la politique augustéenne
est au reste d'autant plus significatif que rien dans le contexte n'obligeait
l'auteur à faire une allusion aussi explicite à son époque.
Au Livre XXVII, Tite-Live s'est attaché à faire de l'année 207 le point
d'inversion de la tendance ascendante initiée aux lendemains de la prise
de Rome par les Gaulois. I l y est parvenu en établissant notamment des
liens analogiques entre la grande cérémonie expiatoire de 207 et les Jeux
48
séculaires de 17, en insistant sur le symbolisme du destin , en faisant
de la bataille du Métaure le moment précis qui permet le passage d'une
tendance historique à une autre, puisque, en effet, le récit livien souligne
49
comment cette victoire fit disparaître le metus hostilis . La mise au point
de l'ensemble de ce dispositif narratif complexe, dont la dispositio s'ap­
plique à une grande partie du Livre XXVII, suggère donc que Tite-Live
n'a toujours pas renoncé à son projet initial qui visait à faire du principat
le point de référence idéologique de l'œuvre, puisque cette année 207 se

46. Lrv. IV, 20, 7.


47. Lrv. LX, 19, 17. MINEO, op. cit., p. 250-252.
48. Ibid., 314-320.
49. Il s'agit là d'un thème auquel les devanciers de Tite-Live avaient déjà largement eu recours pour
rendre compte des modifications du cours historique: cf. MINEO, op. cit., 320-322.

306
LA R E S P U B L I C A R E S T I T U T A LIVIENNE: UN PARI SUR LAVENIR

trouve précisément à equidistance de la Prise de Rome par les Gaulois


(en 387 av. J.-C dans la chronologie pictorienne et polybienne) et de l'ins­
50
tauration du principat .
On trouve du reste aussi au Livre XXVIII une allusion flatteuse à la
campagne victorieuse lancée par Auguste contre les Cantabres et achevée
51
par Agrippa en 19 .
Le reste de l'œuvre à notre disposition ne permet pas de trouver de claire
allusion au principat, même si les développements relatifs à l'abrogation
de la Lex Oppia et au vote de la Lex Voconia montrent que Tite-Live n'a
pris aucune distance par rapport à la politique de restauration des moeurs
d'Auguste, ce qui ne prouve rien, i l est vrai, quant au jugement de l'his­
torien sur l'évolution des institutions politiques. Reste que les periocha
semblent attester que la présentation livienne d'Octave puis d'Auguste était
très favorable, alors même que les livres correspondant ont dû être rédigés
52
vers la fin de la vie de l'auteur .
Ajoutons encore que bien qu'on ne sache pas grand chose de la bio­
graphie de l'historien, il est clair qu'il ne souffrit aucune disgrâce. Auguste
n'était pourtant pas particulièrement tolérant à l'égard de ses opposants.
Le fait que le Padouan ait pu encourager la vocation historique de Claude
constitue une preuve de la confiance impériale, même si l'on sait le dédain
53
d'Auguste pour le futur empereur '.
Rien dans ce que l'on peut deviner du corps de l'ouvrage ne permet donc
d'affirmer qu'effectivement Tite-Live fut déçu par l'évolution dynastique
du régime. Pourtant, le matériau sur lequel notre analyse est susceptible de
s'appuyer est trop fragile pour qu'on puisse s'interdire de le penser. Certains
ont ainsi voulu voir dans le choix de la date retenue pour mettre un point
final à l'œuvre un indice pour résoudre cette énigme. Pourquoi Tite-Live
a-t-il en effet voulu arrêter son récit en 9 av. J.-C. ? Voulait-il marquer ainsi
la fin d'un espoir avec la mort de Drusus, très attaché aux souvenirs répu­
blicains ? Ou était-ce pour éviter d'avoir à évoquer la montée en puissance
des futurs princes de la jeunesse, ce qui confirmerait les réticences livien-
nes devant l'évolution dynastique du pouvoir ? Ou, au contraire, Tite-Live
n'a-t-il pas voulu ponctuer son œuvre par l'évocation de l'inauguration de
YAra Pacts Augustae qui eut lieu cette année-là, symbole de ce début de
prospérité retrouvée sous les auspices d'Auguste ? À moins que la mort ne
l'ait tout simplement empêché d'aller plus loin. I l semble, en vérité, qu'il
soit impossible de trancher dans un sens ou dans un autre.
Le programme de la Res publica restituta est donc très profondément
inscrit au cœur du projet livien. Cela implique ni plus ni moins que l'his-

50. Sur les problèmes chronologiques des cycles liviens, Cf. MINEO, op. cit., p. 84-108.
51. Lrv. XXVIII, 12, 12 : Itaque ergo prima Romanis inita prouinciarum, quae quidem continentis
postrema omnium nostra demum aetate ductu auspicioque Augusti Caesaris perdomita est.
52. MINEO, op. cit., p. 117-124, p. 335-336.
53. SUÉTONE, Claude, 41,1: Historiam in adulescentiam hortante T. Liuto, Sulpicio uero Fauo et
adiuante, scribere adgressus est.

307
BERNARD MINEO

torien a partagé le même espoir que ses contemporains, celui d'un retour
à la paix civile et à la prospérité. Tite-Live a fait le pari de la réussite de
l'entreprise augustéenne, non sans s'inquiéter des possibles dérives d'un
pouvoir si dépendant de Xauctoritas du prince. Le Padouan reconnaît que
la direction générale est la bonne et apporte sa caution. Mais cela ne l'em­
pêche pas d'attirer l'attention du prince sur la nécessité de persévérer dans
l'esprit qui avait inspiré ses initiatives dans les années 20. Il l'invite à être un
nouveau Camille, tout disposé à s'effacer lorsque l'on n'aurait plus besoin de
lui. On sait cependant qu'au lieu d'agir comme l'avait fait sa préfiguration
républicaine, le prince avait fini par donner une dimension dynastique au
nouveau pouvoir. Rien ne laisse néanmoins penser sérieusement que l'his­
torien lui en tint rigueur, du moins ouvertement. Après tout Tite-Live avait
peut-être fini par trouver que la présence du prince restait nécessaire pour
parachever et consolider la paix civile, la restauration morale et religieuse:
n'avait-il pas fallu plusieurs rois avant que l'avènement de la République fut
rendu possible ? Tout semblait devoir être préféré au retour de la discorde.
Et c'est peut-être parce que le maintien d'une apparence de consensus autour
du prince offrait à Rome cette assurance contre la discordia que l'historien,
soucieux par-dessus tout de concorde civile, avait fini par goûter aux fruits
de la paix augustéenne au point d'en oublier ou de faire taire sa nostalgie
pour l'ancienne république.

308
Sed aliorum exitus, simul cetera illius aetatis,
memorabo {Ann. III, 24, 2). y

Le règne d'Auguste et le projet historiographique


de Tacite
Olivier DEVILLERS

!
E n III, 2 4 , signalant le retour à Rome de D . Iunius Silanus, Tacite
rappelle les mesures qu'Auguste prit contre cet homme, qui avait été accusé
d'adultère avec sa petite-fille Julie, Il annonce alors son intention d'écrire
un jour sur l'époque d'Auguste: Sed aliorum exitus, simul cetera illius aetat
memorabo, si, effectis in quae tetendi, plures ad curas uitam produxero («
je raconterai la fin des autres coupables avec tous les événements de cette
époque, si, après avoir réalisé le dessein que je me suis fixé, je peux pro­
longer ma vie pour des tâches nouvelles»). Dans un premier temps, nous
nous attarderons sur l'épisode qui suscite cette déclaration. Nous élargirons
ensuite nos observations aux mentions d'Auguste en I-III. Nous réserve­
rons toutefois pour une troisième partie les quinze premiers chapitres des
2
Annales* ceux dans lesquels, conformément à ce qu'annonce la préface ,
la personnalité d'Auguste est davantage présente. De façon générale, nous
n'envisagerons pas en termes de «défavorable» ou de «favorable» l'opinion
qu'avait Tacite d'Auguste, mais nous essaierons de déterminer ce que repré­
sentait à ses yeux, en termes d'histoire politique, l'action de ce dernier.

III, 24: le retour de Silanus

Qu'est-ce qui, dans le retour à Rome de Silanus et le rappel des adultères


de Julie, était de nature à amener Tacite à concevoir un projet historio­
graphique futur? Un premier motif tient au contexte général du livre III.
Commençant avec les funérailles de Germanicus et s'achevant avec celles

1. En l'absence de précision, les références renvoient aux Annales de Tacite ; les traductions sont celles
de la CUF, parfois légèrement modifiées.
2. 1,1,3 inde consilium mihipauca de Augusto et extrema tradere (« De là mon dessein de consacrer p
de mots à Auguste et seulement à safin»).

309
OLIVIER DEVILLERS

3
de Iunia, celui-ci consacre la mort et l'enterrement de la République . Le
régime instauré par Auguste s'installe définitivement, ce qui favorise une
prise de conscience de l'intérêt que revêt l'époque augustéenne.
Un second motif ressortit à la valeur exemplaire de l'événement lui-
même. En III, 24, 2, Tacite écrit: ut ualida diuo Augusto in rem publicum
fortuna, ita domi improspera fuit (« si la fortune aida le divin Auguste à
exercer sa mainmise sur l'État, elle se montra défavorable dans sa maison »).
Le chiasme souligne l'existence de deux pôles, l'un collectif et relatif à l'État
(rem publicum), l'autre privé et familial (domi). La suite du passage montre
4
ces deux pôles en interaction, puisque l'élément privé détermine l'action
publique d'Auguste, y compris dans son rapport à la tradition antérieure:
clementium muiorum suusque ipse leges egrediebutur (« il dépassait les l
fixées par la clémence des ancêtres et par ses propres lois »). Cette interaction
se poursuit au-delà de son règne dans la mesure où Tibère conserve envers
Silanus les sentiments de son prédécesseur, dont, précise-t-il, la volonté
n'a pas été détruite (III, 24, 4). Le parcours de Silanus permet donc aussi
d'observer la gestion de l'héritage politique d'Auguste.
Par ailleurs, Silanus appartient à la classe sociale la plus élevée. Tacite,
5
historien sénatorial , est sensible aux malheurs de celle-ci, comme l'ijidi-
quent d'emblée les mots inlustrium domuum aduersu «les revers d'illustres y
6
maisons» (III, 24, l ) . En l'occurrence, Silanus, bien qu'Auguste ne lui
7
ait rien signifié de plus qu'une renuntutio umicitiue comprend qu'on lui y

indique l'exil (III, 24, 3). Cette nécessité d'interpréter la parole du prince
est le symptôme d'une dégradation de la communication entre celui-ci
et les élites. Un flou subsiste du reste à cet égard : si Auguste est à l'ori­
gine d'une renuntiutio umicitiue interprétée comme un exil, c'est pourtant,
après la mort de celui-ci, à la fois l'empereur et le Sénat qu'implore Silanus
(III, 24, 3). De même, lorsque ce dernier adresse ses remerciements devant
les sénateurs (III, 24, 4 putribus corum)> Tibère lui-même répond, tout
en semblant envisager le point de vue du Sénat, puisqu'il rappelle que ce
personnage n'avait été banni ni par un sénatus-consulte ni par une loi.
La fin du texte, qui apprend que, si Silanus resta par la suite à Rome, il
ne parvint jamais aux honneurs (III, 24, 4), maintient l'ambiguïté, puis­
que semble dépendre de Tibère une mesure qui dépend en fait de ceux
qui élisent les magistrats, à savoir, depuis Tibère, les sénateurs. Dans le
même sens, il y a insistance sur la façon dont Auguste s'approprie les lois

3. GINGRAS M.T., « Annalistic Format, Tacitcan Themes and the Obituaries of Annab 3», C] 87,
1991-1992, p. 241 et p. 249.
4. Cf. III, 24,2 impudicitiamfiliaeac neptis\ 24,3 in nepti Augusti adulter.
5. Spec. SYME R., «The Senator as Historian », Histoire et historiens dans l'Antiquité (Entretiens sur
l'Antiquité dassique 4), Genève 1958, p. 187-201.
6. Aussi III, 24,2 casus. Auguste est vu comme une instance qui dispense un châtiment, exil ou mort
(24,2 morte autfugapuniuit; 24,3 saeuitum), et pèse sur la société (24,2 graut).
7. Sur cette pratique, ROGERS R.S., «The Emperor's Displeasure - amicitiam renuntiare», TAPhA 90,
1959, p. 224-237.

310
LE RÈGNE D'AUGUSTE ET LE PROJET HISTORIOGRAPHIQUE DE TACITE

8
(III, 24,2 suasque ipse leges, « ses propres lois ») . On relève également com­
ment une appellation ancienne a été récupérée et dotée d'une signification
nouvelle: culpam inter uiros acfeminas uulgatam graui nomine laesar
religionum ac uiolatae maiestatis appellando (III, 24, 2 «en donnant à u
faute si répandue parmi les hommes et les femmes les noms accablants de
9
sacrilège et de lèse-majesté») .
En somme, l'épisode réunit un grand nombre de thématiques suscep­
tibles d'être articulées en une réflexion de type historico-politique sur le
régime augustéen. La plupart de ces aspects se retrouvent en filigrane des
références à Auguste en An., I-III.

I-III : références éparses au pouvoir d'Auguste


En III, 18, 1, à propos de la proposition que le nom de Pison soit
rayé des fastes, Tacite évoque deux hommes dont le nom y demeurait:
M. Antonii, qui bellum patriaefecisset, IulliAntonii qui domum Augusti u
lasset (« Marc-Antoine, qui avait fait la guerre à la patrie, et Julius Antonius,
qui avait porté le déshonneur dans la maison d'Auguste»). La juxtaposition,
soulignée par la similitude de construction, entre l'ennemi public et l'en­
nemi privé rappelle la dialectique res publica/domus observée dans le passage
sur Silanus (III, 24, 2). Le chapitre I, 53, sur les adultères de Iulia, illustre
également cette interaction entre affaires privées et enjeux de pouvoir.
Parallèlement, l'action constitutionnelle d'Auguste est associée à l'ins­
tauration tout à la fois d'un nouveau régime et de la paix: Caesar Augustus,
potentiae securus, quae triumuiratu iusserat aboleuit deditque iura qu
et principe uteremur (III, 28, 2 « César Auguste, sûr de sa puissance, abolit
les actes de son triumvirat etfixaune constitution de nature à nous donner
10
la paix sous un prince») . Le sentiment de sécurité, absent des lignes sur
Silanus, revêt une signification différente pour le gouvernant et pour les
gouvernés: pour l'un, c'est la sécurité dans l'exercice du pouvoir (potentiae
securus), pour les autres, elle n'est accessible qu'au prix de la soumission
11
à ce pouvoir. Auguste a donc bien rompu avec l'antique libertas ; une

8. Aussi III, 2 4 , 4 iure... lege. On entrevoit en outre les conséquences de son action dans le domaine
de la religion ( 1 1 1 , 2 4 , 2 ) .
9. On relève une autre subtilité sémantique dans la façon dont libère qualifie par les mots peregrina-
Hone longinqua (III, 2 4 , 4 ) l'absence de D. Silanus. Ainsi, l'exil de ce demier est dit renuntiation
amicitiae par le premier empereur et «long voyage» par son successeur: dans les deux cas, il y a
volonté de travestir la réalité.
10. Cf. H.y 1 , 1 , 1 omnem potentiam ad unum conferri pacis interfuit (« il fallut, dans l'intérêt de la paix,
concentrer tout le pouvoir sur un seul homme ») ; pour ce qui est de la paix apportée par Auguste,
aussi III, 7 5 , 1 pacts decora. Cf. Luc, I, 6 7 0 cum domino pax Uta uenit. Sur le lien entre empire
et paix (sécurité), par ex. Ducos M., «La liberté chez Tacite: droits de l'individu ou conduite
individuelle», BAGB, 1977, p. 1 9 9 - 2 0 0 ; D'ELIA S., «L'evoluzione della storiografia tacitiana»,
RAAN54,1979, p. 40-41 ; HAVAS L., «Éléments du biologisme dans la conception historique de
Tacite», ANRWll 3 3 , 4 , 1 9 9 1 , p. 2 9 7 4 - 2 9 7 5 .
1 1 . L'association entre Principat et absence de liberté est manifeste dans les mots qui suivent: acriora
exeo uincla (III, 2 8 , 3 «dès lors, les contraintes furent plus fortes»).

311
OLIVIER DEVILLERS

rumeur voulait d'ailleurs que Drusus I ait été supprimé pour avoir songé à
la rétablir (II, 82, 2).
Par ailleurs, s'il ne manque pas de rappeler les vicissitudes de la mai­
12
son d'Auguste , Tacite s'attache tout autant au souci de ce dernier de
constituer une dynastie. L'idée d'une chaîne de succession apparaît lors­
qu'il évoque la puissance tribunicienne, conférée d'abord à Agrippa,
ensuite à Tibère (ne successor in incertoforet,« pour ne laisser aucune incer­
titude sur son successeur»), puis demandée par ce dernier pour Drusus II
l3
(III, 56, 1-3) . De même, lors des funérailles de Drusus I, la présence des
images à la fois des Claudii et des Iulii est l'indice d'une intention dynasti­
14
que . L'appartenance à la famille impériale devient alors une justification à
diverses revendications. On songe à Agrippine I qui ne manque pas de sou­
l5
ligner qu'elle descend d'Auguste (1,40,3) , à son époux Germanicus, pour
16
qui cette union constitute un atout , à la tentative d'un pseudo-Postumus
17 18
Agrippa (II, 39-40) ou aux espoirs de Libo Drusus (II, 27, 2) .
Après sa mort, Auguste devient en outre une référence pour les membres
19 2 0
de sa dynastie, au premier chef pour Tibère , mais aussi pour Germanicus
21 2 2
et pour Drusus I I . Si les passages qui y font écho apportent un éclairage
sur celui qui prend position par rapport au modèle augustéen, en particulier

12. Mort des petits-fils (II, 42,3; III, 6,2; 19,3), de Drusus I, de Marcellus (II, 41,3), adultères des
Iulia (I, 53; III, 18, 1), antagonisme entre C . Caesar et Tibère, contraint de se retirer à Rhodes
(I, 53,1 ; II, 42, 2; III, 48,1-2)...
13. Autre enumeration «dynastique» à propos des Augustaux, I, 54,1 Tiberius Drususque et Claudius
et Germanicus adiciuntur.
14. GINGRAS, «Annalistic Format», art. cit., p. 247.
15. Lors du retour des cendres de Germanicus, la foule appelle la même Agrippine I solum Augusti
sanguinem (III, 4, 2 «le vrai sang d'Auguste»); cf. II, 71, 4 (propos de Germanicus mourant à
ses amis) ostenditepopulo Romano diui Augusti neptem (« montrez au peuple Romain la petite-fille
du divin Auguste»). Lorsqu'elle embarque avec les cendres de Germanicus, elle est dite nobilitate
princeps (II, 75, 1 «la première par la naissance»).
16. I, 33, 1, au moment de la mutinerie en Germanie; II, 43, 5, dans l'optique d'une rivalité avec
Drusus II ; 53, 2, lorsqu'il arrive en Orient.
17. Sur la signification de cet épisode dans l'optique d'une réflexion taci tienne sur la légitimité dynas­
tique, DEVILLERS O. et HURLET Fr., « La portée des impostures dans les Annales de Tacite. La
légitimité impériale à l'épreuve», GIUA M.-A. (dir.), Ripensando Tacito (e RonaldSyme). Storia e
storiografia, Pise, 2007, p. 133-152.
18. Aussi III, 23, 1 : Aemilia Lepida, accusée sous divers griefs, suscite l'apitoiement lorsque la foule
se rappelle qu'elle a jadis été destinée comme bru à Auguste.
19. I, 72, 3 ; 77, 3 neque fas Tiberio infingere dicta eius (« et Tibère jugeait sacrilège d'enfreindre ses
paroles ») ; II, 49,1 ; 59,2 ; III, 54,2 ; 56,3-4 ; 71,2. Sans qu'il y ait utilisation d'Auguste comme
modèle, la référence à celui-ci peut apparaître comme une garantie, ainsi lorsque Tibère rappelle
que Pison, qu'il a envoyé en Orient où il entra en conflit avec Germanicus, a été le lieutenant ou
l'ami de son père (III, 12,1) ; cf. aussi IV, 37,3-5 ; VI, 46, 2.
20. I, 34,4 ; 42, 3 et 43, 3. Aussi II, 22,1, Augustefigureà côté de Mars et de Jupiter comme dédi-
cataire du monument érigé après la victoire sur les Germains; 53, 2, visite du site de la bataille
d'Actium.
21. III, 34,6, à propos des femmes des gouverneurs de province. Hors dynastie, l'action d'Auguste sen
aussi de référence: un de ses décretsfigureparmi les mérites dont la cité de Stratonice se prévaut
auprès du Sénat (III, 62,2) ; aussi 1,8, 3.
22. Proches de cette catégorie, les honneurs rendus à Auguste au sein de sa propre famille : 1,73,3 : II,
41,1. On retient aussi la dimension dynastique des honneurs à Germanicus; II, 83, 1 neue quis
flamen aut augur in locum Germanici nisigentis Iuiiae crearetur (« nul ne remplacerait Germanic
commeflamineou augure s'il n'appartenait à la famille Julia»).

312
LE RÈGNE D'AUGUSTE ET LE PROJET HISTORIOGRAPHIQUE DE TACITE

23
sur Tibère , ils reflètent aussi l'emprise qu'a exercée Auguste sur la société
24
à travers la pérennisation de son action par ses successeurs .

Plusieurs autres références ont trait au sort de la classe sénatoriale. Tacite


évoque ainsi les mesures prises contre Cassius Severus, auteur de libelles
25
scandaleux (I, 72, 3 ) , et il rappelle que Sempronius Gracchus, relégué
pour adultère avec Iulia, appartient à une famille noble (1,53,5). Mais c'est
surtout à propos de la lex Papia Poppaea, laquelle expose aux délateurs (III,
25, 1 omnes domus delatorum interpretationibus subuerterentur, « tou
maisons étaient bouleversées par les interprétations des délateurs»), que se
marque son attention pour les châtiments qui menacent la noblesse; la fin
de l'excursus consacré à cette loi reprend les idées de bouleversement et de
terreur (III, 28, 3-4) *
Il souligne aussi, chez le prince, l'existence d'une culture du secret. Il
en est question à propos de l'interdiction faite aux sénateurs et aux cheva­
liers de premier rang d'entrer en Egypte (II, 59, 3 inter alia dominationis
arcana, «entre autres ressorts secrets de sa domination») et à propos de
Sallustius Crispus, devenu après Mécène le détenteur des secrets impériaux
(III, 30, 3). L'influence des amici apparaît renforcée; parmi eux, Mécène,
précisément, pousse Auguste à la complaisance envers les spectacle d'his­
trions (I, 54, 2).
Autre sujet délicat: le partage des responsabilités entre prince et Sénat.
La requête adressée par M. Hortalus (III, 37-38), un passage où Auguste

23. On retient pour l'essentiel trois cas defigures.Γ La référence à Auguste paraît justifier de sombres
desseins. Ainsi, en III, 6, 2, le rappel par Tibère de la façon dont Auguste avait chassé la tristesse
après la mort de ses petits-fils explique l'absence de chagrin dont lui-même fait preuve lors des
funérailles de Germanicus. En III, 18,1, le fait qu'il invoque les cas de Marc Antoine et de Iullus
Antonius pour ne pas rayer le nom de Pison des fastes sonne comme une forme de complaisance
envers la famille de ce dernier. En III, 68, 1, durant le procès de C . Silanus, il lit un mémoire
d'Auguste sur Voles us Messalla afin de mieux faire accepter, sous couvert de ce précédent, les
mesures qu'il préparait contre l'accusé. 2° La référence à Auguste tourne à la confusion de Tibère,
inférieur à son prédécesseur. Ainsi, en 1,46, 3, le peuple note qu'Auguste visita plusieurs fois les
Germanies, alors que libère laissait Germanicus y régler la situation. En 1,54,2, Auguste apparaît
plus complaisant que Tibère envers les spectacles scéniques, idée qui revient à propos des spectacles
de gladiateurs (1,76,4). En III, 5,1 les funérailles de Germanicus font pâlefigureà côté de celles
de Drusus I, jadis organisées par Auguste. Il vaut la peine de noter que ces comparaisons, toutes
e
favorables à Auguste, sont formulées comme des opinions prêtées au peuple. 3 La comparaison
avec Auguste peut se retourner contre Tibère. En III, 29, 1, Tibère demande aux sénateurs un
certain nombre de privilèges de carrière pour Néron, lefilsde Germanicus, une requête qui ne va
pas sans provoquer des rires ; Tibère alléguait toutefois que pareille demande avait en son temps été
formulée par Auguste pour lui-même et pour son frère. Là intervient une remarque de l'historien ;
il ne doute pas qu'il y eut alors des gens pour railler en secret de telles prières. Tibère joue la carte
de la continuité avec Auguste, mais rien ne dit que ce dernier n'ait pas déjà lui-même prêté le flanc
à la critique. Dès lors, ce qui est recherché comme une continuité dans la légitimité s'avère une
continuité dans le ridicule (III, 29,1 inrisu; 2 inluderent). Ou encore, de façon peu flatteuse pour
les deux hommes, la foule voit une analogie entre la façon dont Tibère aurait éliminé Germanicus
et le sort qu'aurait réservé Auguste à Drusus I.
24. On a ainsi parlé pour le Claude des Annales d'une Augustusthematik : la récurrence de ses références
au fondateur du Principat a pour effet de démontrer son incapacité à égaler son modèle ; SEIF K.P.,
Die Claudiusbücher in den Annalen des Tacitus, Mayence, 1973, p. 259-262.
25. Aussi IV, 21,3.
26. Il y a en outre suggestion d'avarice; III, 25,1 augendo aerano («pour accroître le trésor public»).

313
OLIVIER DEVILLERS

est mentionné à cinq reprises, illustre cet aspect. Hortalus, descendant du


célèbre Hortensius, avait, en vue d'empêcher l'extinction de sa lignée, été
engagé par une libéralité d'Auguste à avoir des enfants. Appauvri, il n'avait
toutefois guère les moyens d'entretenir ses quatrefils.C'est pourquoi, sous
Tibère, lors d'une séance du Sénat, une fois son tour de parole venu, il
demanda une aide pour les élever. Il rencontra l'opposition de Tibère qui
estimait qu'Auguste ne lui avait pas donné d'argent à condition d'en donner
toujours. Ne se sentant pas suivi, Tibère modéra certes son avis, mais, au
final, la maison d'Hortalus tomba dans un dénuement honteux. L'affaire
fait songer à celle de Silanus: les conséquences d'une décision personnelle
d'Auguste (tantôt une renuntiatio amicitiae, ici une liberalitas) doivent êtr
conjointement gérées par son successeur et le Sénat ; si, comme Silanus,
Hortalus s'adresse au Sénat, c'est Tibère qui lui répond, d'une façon telle
cependant qu'il semble laisser le soin de trancher aux sénateurs, sans que
la liberté d'action de ceux-ci paraisse pour autant effective. À l'arrivée, la
libéralité d'Auguste se retourne pratiquement contre celui qui en a été le
bénéficiaire et qui doit subvenir aux besoins d'une descendance qu'il ne
souhaitait pas. On petient également comment Tacite met en avant la pres­
sion exercée par Auguste sur Hortalus à travers trois verbes successifs dont
chacun marque une incitation plus forte: II, 37,1 inlectus; 37,2 monebat\
37, 3 iussus.
Ainsi, le sénateur, tel que le voit Tacite est « au pouvoir» de l'empereur.
On songe encore au père de Pison, ancien ennemi d'Octave: il se voit offrir
le consulat, mais cette offre semble s'accompagner de pressions pour qu'il
accepte et, surtout, il s'agit du cadeau d'un seul individu (II, 43,3 delatum
ab Augusto consulatum «le consulat que lui offrait Auguste»). Ce dernier
y

exemple conduit à évoquer quelques carrières auxquelles s'attache Tacite.


Quirinius, malgré une obscure naissance, s'était sous Auguste élevé au
consulat grâce à ses qualités et avait ensuite obtenu les insignes du triomphe
(III, 48, 1) ; l'historien rappelle néanmoins l'impopularité de cet homme
durant sa vieillesse. De même, Auguste promut Capito, docile, mais qui se
rendit impopulaire, plutôt que Labeo, indépendant, mais qui jouissait de
27
plus de considération (III, 75) . De même, Pison, accusé après la mort
de Germanicus, pouvait se prévaloir d'avoir joui de l'estime d'Auguste
(III, 16, 4; aussi I, 13, 3). Il y a peut-être là une thématique que Tacite
considérait comme pertinente pour l'époque augustéenne: la question des
carrières, qui l'empereur promeut, et pourquoi, l'assentiment que ces pro­
28
motions rencontrent ... Un sujet éminemment «sénatorial», qui touche
aussi à l'emprise du prince sur la société.

27. La comparaison entre les deux hommes, que séparaient plus de douze ans, a semblé artificielle et
anachronique; GINGRAS, «Annalistic Format», art. cit., p. 255.
28. Cf. dans ce volume HURLET Fr., « L'aristocratie augustéenne et la Res publica restituta».

314
LE RÈGNE D'AUGUSTE ET LE PROJET HISTORIOGRAPHIQUE DE TACITE

Cette emprise, précisément, est évoquée dans divers domaines. Pour ce


qui est des lois, Tacite souligne l'intense activité d'Auguste: tota maioribus
repertae leges, totquas diuus Augustus tulit (III, 54, 2 « tant de lois imagin
par nos ancêtres, tant d'autres portées par le divin Auguste»). Les lignes
sur Silanus — qui ont comporté deux mentions de la lex (24, 1 et 4) — sont
29
d'ailleurs suivies par une digression sur les lois (III, 25, 2-28, 2 ) . Celle-ci
est suscitée par l'évocation de la lex Papia Poppaea, loi-clé dans la législation
augustéenne sur le mariage (III, 25), dont il est livré une image négative
(spéc. 25, 1) *°. E n I , 72, 3, l'idée selon laquelle Auguste détourne une loi
existante est explicite à propos de la loi de majesté (specie legis «sous le y

couvert de la loi»). E n III, 29, 1, une entorse aux lois est en relation avec
des motifs dynastiques : Tibère n'agit pas autrement qu'Auguste avant lui
en demandant que Néron, fils de Germanicus, obtienne la questure cinq
ans avant l'âge légal.
Pour ce qui est de la religion, un discours prêté à Servius Magulinensis
rend compte du fait que le grand pontife est l'empereur (III, 58, 3), ce qui
remonte à Auguste (12 ap. J . - C ) . La divinisation de ce dernier fait en outre
qu'il reste présent dans la cité: création des Augustaux (I, 54, 1 ; II, 83, 1)
31
et organisation de jeux Augustaux (I, 54, 2) , adorateurs d'Auguste qui
forment dans toutes les maisons une sorte de confrérie (1,73,2), permission
3 2
de lui élever un temple accordée aux Espagnols (I, 78, l ) . . . Les deux
premières accusations de majesté se font au nom de sa divinité (I, 73,2), un
grief qui revient à propos de Granius Marcellus (1,74,3), d'Appuleia Varilla
(II, 50, 1-2) et de C . Silanus (III, 66, 1). O n citera aussi la dédicace de
statues à Bovillae (II, 41, 1) et près du théâtre de Marcellus (III, 66, 2).
Les initiatives d'Auguste deviennent également le pivot de lg politique
extérieure. Le résumé des affaires parthes et arméniennes, en II, 1-4, insiste
sur le rôle qu'il a joué en tant qu'interlocuteur privilégié des rois de ces
régions. E n I I , 4, 1, en particulier, les mots deinde iussu Augusti impositu
Artauasdes et non sine clade nostra deiectus (« ensuite un ordre d'August
leur imposa Artavasdès, qui, non sans dommage pour nous, fut renversé»),
indiquent que les Romains paient collectivement (nostra clade) le prix d'une
01
décision prise par l'empereur (iussu Augusti) \ L'évocation des dispositions

29. O n se demandera s'il n'y a pas malice à juxtaposer le rappel des adultères des Julies et la digression
sur la lex Papia Poppaea* loi instaurée par Auguste qui concernait le mariage.
30. Sur les idées développées par Tacite dans l'excursus, H E I L M A N N W . , « Die Eigenart der Tadteischen
Vorstellung von der Urzeit in ann. 3, 26», Gymnasium 107, 2000, p. 409-424.
31. Aussi présence des Augustaux lors de supplications et de jeux pour la santé de Livie (III, 64,3-4).
32. De même, les Cretois revendiquent pour eux une statue du divin Auguste (III, 63, 4). O u
encore, c'est au nom de l'ancienne opposition d'Athènes au diuus Augustus que Pison estime que
Germanicus aurait dû en traiter les habitants avec moins d'affabilité (II, 55, 1).
33. Aussi II, 1,2 Phraates, quamquam depuUsset exercitus ducesque Romanos, cuncta uencrantium
ad Augustum uerterat (« Phraates, quoiqu'il eût chassé les armées romaines et leurs chefs, avait
tourné vers Auguste tous les hommages du respect» ; rappel de ce pacte en II, 58,1) ; 2,1 magnifi-
cum idsibi credidit Caesar auxitque opibus («cette démarche parut flatteuse à César, qui le combla
de richesses »), phrase dans laquelle le id reprend le fait que les Parthes envoient une ambassade
à Rome, ce qu'Auguste considère comme magnificum sibi (un écho aux RG, 33 est possible) ;
3, 2 datus a Caesare Armeniis Tigranes («Tìgrane donné aux Arméniens par César»).

315
OLIVIER DEVILLERS
34
prises en Thrace va dans le même sens . On se demandera aussi dans quelle
35
mesure la multiplication des rappels de la défaite de Varus n'a pas pour
effet de souligner la dimension personnelle et dynastique de campagnes en
36
Germanie que mènent des membres de la domus impériale . En tout cas,
Arminius lui-même se vante d'avoir remporté une victoire sur «Auguste
élevé au rang des dieux» (I, 59, 5).
Auguste est aussi plusieurs fois cité dans le récit des deux mutineries
37
que provoquent les craintes et les espoirs suscitées par le vide du pouvoir .
En Pannonie, notamment, les soldats reprochent à Drusus II de s'abriter
derrière Tibère comme jadis Tibère s'abritait derrière Auguste (I, 26, 2).
On rappelera aussi qu'à l'annonce de la mort d'Auguste, un esclave avait
conçu le projet d'enlever Agrippa Postumus pour le mener aux armées de
Germanie (II, 39, 1).
Pour ce qui est de la vie sociale, l'indulgence dont Auguste feit montre
38
envers les jeux (I, 54,2 ; 76,4) serait l'indice de son souci de nouer un lien
avec le peuple friand de tels spectacles (ainsi que le fera, à une vaste échelle,
Néron). Sa politique de constructions est également citée (II, 49,1).
On relèvera enfin le détournement des appellations traditionnelles: à
propos de la loi de majesté, nomen apud ueteres idem, sed alia in indicium
ueniebant (I, 72, 2 « nom qui existait chez les anciens, mais sous lequel
étaient englobées des accusations différentes») ; à propos de la puissance
tribunicienne, id summifastigi uocabulum Augustus repperit, ne regis aut
tatoris nomen adsumeretac tarnen appellatione aliqua cetera imperia p

34. II, 64, 2 Augustus partem Thraecum Rhescuporidi,firatrieius, partemfilsoCotyi permisit («Augu
donna une partie des Thraccs à son frère [= de Rhoemetalcès] Rhescuporis, l'autre à son fib
Cotys ») ; 64,3, sa mort suscite un regain d'activité anti-romaine, preuve que c'est à lui que les rois
se sentaient liés.
35. 1,43,1, dans le discours de Germanicus aux mutins, idée de venger cette défaite ; 55 rôle de Ségeste
(aussi 58, 2) ; 57, 2 participation de Ségimond et remords de ce dernier; 57, 5 récupération de
dépouilles de Varus ; 59,3 rappel de sa victoire par Arminius lui-même (aussi 65,4 ; II, 15,1 ; 45,
3-4) ; 60,3 récupération de l'aigle de la dix-neuvième légion (aussi II, 25,1-2 récupération d'une
autre aigle) ; 61-62 Germanicus sur le site de la bataille de Teutoburg; 65, 3 apparition de Varus
à Caecina; 71,1 pardon accordé au fib de Ségimer; II, 7,2-3 destruction du tombeau élevé aux
légions de Varus ; 41,1 dédicace d'un arc en l'honneur des enseignes perdues par Varus et recou­
vrées par Germanicus ; 46,1 mention par Maroboduus ; 88,2-3 notice nécrologique sur Arminius
(référence implicite).
36. Cf. aussi 1,46,3 (la foule attend de Tibère qu'il y règle la situation, sur le modèle de ce qu'avait fait
Auguste, qui avait plusieurs fob visité ces régions) ; 50,1 Oes Germains sont plongés dans l'insou­
ciance après la mon d'Auguste) ; 58,1 (c'est à travers le droit de cité que lui a conféré Auguste que
Ségeste envisage sa fidélité envers Rome) ; II, 22,1 (présence d'Auguste à côté de Mars et de Jupiter
comme dédicataire du monument érigé par Germanicus après sa victoire) ; 26,3 (Tibère indique
qu'il a été envoyé dans ces régions par Auguste). De même, Maroboduus évoque une résistance
aux légions de Tibère (II, 46,2), et non aux légions romaines.
37. En Pannonie, à la mort d'Auguste et à l'avènement de Tibère, le légat interrompt les exercices habi-
tueb, ce qui est à l'origine de la licence des soldats (I, 16, 1-2); de même, l'annonce de la mort
d'Auguste est à l'origine des troubles en Germanie (1,31,4). En Pannonie, les inquiétudes des soldats
quant aux conditions de leur service après Auguste interviennent (1,16,3); en Germanie, certains
réclament même l'argent légué par Auguste (1,35» 3). Enfin, le souvenir d'Auguste contribue à raison­
ner les mutins : en Pannonie, le premier empereur est invoqué sur le même pied que les généraux du
passé (1,19,2) et en Germanie, c'est le soud pour la dynastie - incamée par Agrippine I et Caligula
quittant le camp - qui change les dispositions des soldats (1,41,2; aussi 42,1).
38. Aussi 1,77,3, Auguste était favorable à ce que les histrions fussent exemptés des verges.

316
LE RÈGNE D'AUGUSTE ET LE PROJET HISTORIOGRAPHIQUE DE TACITE

neret (III, 56,2 « tel fut le terme que pour le rang suprême choisit Auguste,
désireux de ne pas prendre le nom de roi ou de dictateur, mais de dominer
toutefois par quelque titre les autres pouvoirs»). Dans cette phrase, les
mots summifastigii pourraient faire écho à une formulation retenue par
39
Auguste lui-même et conservée dans la laudatio funebris d'Agrippa . Une
autre allusion indiquerait l'emprise du prince sur la société; soulignant
que les dépenses somptuaires, remarquables depuis Actium jusqu'à Galba,
ont connu un arrêt à partir de Vespasien, Tacite écrit: nostra quoque aetas
multa hudis etartium imitandaposteris tulit (III, 55, 5 « notre époque auss
a produit beaucoup de vertus et de talents clignes d'être imités par la pos­
térité»), phrase qui a été considérée comme une réminiscence de RG, 8, 5
multarum rerum exempla imitanda posteris tradidi («j'ai transmis à la p
40
térité des exemples à imiter dans beaucoup de domaines ») . Derrière le
nostra aetas... tradidit des Annales, il faut reconnaître la première personne
tradidi des Res Gestae: l'époque s'identifie avec le prince.

En somme, à la lecture des trois livres, certains aspects s'ajoutent à ceux


qui ont été relevés à propos du seul épisode relatif à Silanus: la place de
la paix, la constitution d'une dynastie, voire la place des amici, tandis que
l'action d'Auguste est évoquée pour davantage de domaines (affaires exté­
rieures, armées, vie sociale...). La convergence n'en est pas moins grande.
Elle témoigne de l'existence chez Tacite d'une véritable vision du règne
d'Auguste. Celle-ci se manifeste dès les chapitres initiaux des Annales, ceux
dans lesquels lafigured'Auguste est le plus présente.

1,1-15 : le début des Annales et l'histoire d'Auguste


En I, 4, 1, le sentiment de sécurité qu'éprouvent les contemporains
d'Auguste est ainsi décrit : nuUa in praesensformidine,dum Augustus aetat
ualidus seque et domum etpacem sustentauit (« sans la moindre crainte po
le présent, tant que la vigueur de l'âge permit à Auguste de maintenir ses
forces, sa maison et la paix»). On retrouve, en association avec l'idée de
41
paix , le balancement déjà noté entre un pôle privé (seque et domum) et
un pôle collectif (pacem). Il y a aussi rupture avec la pratique précédente:
uerso ciuitatis statu, nihil usquamprisci et integri morts (I, 4, 1 «la révo
tion était accomplie et il n'y avait plus aucun élément intact de l'ancien
42
régime») .

39. GRAY E.W., «The Imperium of M. Agrippa. A Note on R Colon. Inv. Nr. 4701 », ZPE6,1970,
p. 228, n. 3, repris par KOENEN L., «Summum fastigium. Zu der Laudatio funebris des Augustus
(R Colon. Inv. Nr. 4701, Uff.)»,ZPE6,1970, p. 239.
40. URBAN R., « Tacitus und die Res gestae divi Augusti. Die Auseinandersetzung des Historikers mit
der offiziellen Darstellung», Gymnasium 86,1979, p. 69-70 (autre interprétation que celle qui est
proposée ici).
41. Aussi 1,1,1 cuncta discordiis ciuiUbusfessa(« le monde fatigué des discordes civiles ») ; 2,1 dukedine
otti («la douceur de la paix») ; tuta etpraesentia («la sécurité du présent»).
42. Aussi 1,4,2pauci bona libertatis in cassum disserere («quelques-uns exposent vainement les avan­
tages de la liberté»).
317
OLIVIER DEVJLLERS

De même, l'idée qu'Auguste a constitué une dynastie en vue d'assurer


43
la continuité de son pouvoir est explicite au moment de ses funérailles:
prouisis etiam heredum in rem publicam opibus (I, 8, 6 «ayant lui-même
pourvu à la puissance de ses héritiers en vue de leur mainmise sur l'État»).
Sa recherche d'un successeur, assimilée à celle de subsidia dominationis
4 4
(I, 3, l ) , est exposée, avec toutes les vicissitudes qui l'accompagnent en
I, 3 ; Tacite y laisse, comme dans le récit des derniers moments d'Auguste,
45
une large place aux interprétations et rumeurs, en particulier sur Livie .
L'intérêt pour Agrippa Postumus (I, 5,1-2 ; 6,1-4 ; déjà 3,4 et 4, 3) parti­
cipe à la prise de conscience que les intrigues dynastiques intéressent tout
46
le monde. En tout cas, l'idée de domus est bien soulignée , une domus qui
peut exercer une influence corruptrice sur ses membres, ainsi Tibère (1,4,4
eductum in domo regnatrice « élevé dans une maison régnante »). Ce dernier
y
47
s'efforce par ailleurs de se placer dans les pas de son prédécesseur .
Les chapitres initiaux mettent encore'en évidence la dégradation de la
communication entre prince et sénateurs. La montée de l'adulation en est
une manifestation (I, 1,2 gliscente adulatione «alors que l'adulation ne y

cessait de croître»). Mais Auguste lui-même fait preuve de dissimulation,


comme lorsqu'il sollicite le consulat pour les princes de la jeunesse: sous
48
une apparence de refus, il l'a désiré ardemment (I, 3, 2 ) . Le culte du
secret règne dans son entourage, ce que résume l'expression arcana domus
(I, 6, 3 «les secrets du palais»). On relève la référence à des amicorum
Consilia (I, 6, 3) ainsi que l'apparition de confidents privilégiés, tel Fabius

4 3 . Ces considérations dynastiques l'ont conduit à accélérer la carrière des siens contrairement aux
usages: ainsi Marcellus ( 1 , 3 , 1 ) et les princes de la jeunesse (I,3» 2 ) , voire Tibère ( 1 , 4 , 4 congesto*
iuueni consulates, mumphos, «lui [Tibère] qui avait été hargé dans sa jeunesse de consulats, de
triomphes»). Le recours à la tribuniciapotestas est bien noté dans ce contexte; sur celle-ci comme
signe du pouvoir impérial, aussi 1 , 3 , 3 (à propos de Tibère) consors tribuniciaepotestatis (« associé à
la puissance tribunicienne») ;7>3ne edictum quidem, quo patres in curiam uocabat, nisi tribunic
potestatis praescriptione posuit, sub Augusto acceptae («sur l'édit même par lequel il convoquait
sénateurs à la curie, il ne porta mention que de la puissance tribunicienne reçue sous Auguste»).
4 4 . Idée reprise en 1,3, 5 quopluribus munimentis insisterei (« pour s'appuyer sur plus d'un soutien ») ;
aussi 1 1 , 1 (propos de Tibère) se in partem curarum ab ilio uocatum («lui-même, appelé par ce
prince [Auguste] à assumer une partie des amures»).
4 5 . Ainsi I, 3 , 3 meurtre de Gaius par Livie, puis allusion générale à des intrigues de celle-ci ; 3 , 4
elle aurait dressé Auguste contre son seul petit-fils Agrippa Postumus; 4 , 5 impotentia; 5 , 1 elle
est soupçonnée d'un crime; 5, 2 mort suspecte de Fabius Maximus; 6 , 2 meurtre d'Agrippa
Postumus; 7 , 7 uxorium ambitum. Pour une réévaluation de la présentation de Livie chez Tacite
ainsi que des méthodes utilisées par l'historien, PERKINS C A , « Truth in Tacitus : The Case of Livia
Augusta», DEROUX C . (dir.), Studies in Latin Literature and Roman History XI, Bruxelles 2 0 0 3 ,
p. 4 1 9 - 4 2 7 .
4 6 . I, 3 , 1 integra etiam tum domo sua («bien que sa propre maison fut encore florissante»);
3 , 2 familiam Caesarum; 4 , 4 domo; 6 , 3 domus; 8 , 1 familiamIuliam...
4 7 . La volonté de Tibère de se conformer à Auguste est visible dans son souci de ne pas déroger au
nombre fixé de candidats à la preture dont l'empereur proclamerait les noms ( 1 , 1 4 , 3 ) . La première
invocation qu'il fait des ordres d'Auguste n'est pas moins présentée comme fallacieuse: il prétend
que le meurtre d'Agrippa Postumus a été ordonné par son prédécesseur ( 6 , 1 - 2 ) . De même, l'éloge
d'Auguste comme seul capable d'embrasser par son génie l'ensemble des affaires de l'État ( 1 1 , 1 )
figure dans un discours auquel est reconnu davantage de dignité que de franchise ( 1 1 , 2 ) .
4 8 . De façon plus générale BORGO Α . , «Augusto e l'istituzione del principato. Osservazioni a Tacito,
Ann. 1 , 1 - 1 0 » , Vichiana 15» 1986, p. 85, estime que l'hypocrisie délibère lorsqu'il prend le pou­
voir trouve partiellement ses racines et sa justification dans l'attitude préalable d'Auguste.

318
LE RÈGNE D'AUGUSTE ET LE PROJET'HISTORIOGRAPHIQUE DE TACITE

Maximus (I, 5, 1). Dès lors, certains faits demeurent obscurs, aussi bien
pour les Romains de l'époque que pour l'historien : on ne sait si Tibère,
de retour d'Illyricum, trouva Auguste encore vivant (I, 5> 3) et l'on hésite
sur les noms des capaces imperii cités par l'empereur avant de mourir
(I, 13, 3). Une telle situation favorise la propagation de rumeurs: autour
de la la succession d'Auguste (I, 4, 2), d'une réconciliation avec Agrippa
Postumus (I, 5, 1-2), voire d'une élimination de Fabius Maximus, ce qui
rappelle la précarité de la position des élites.
Les premiers chapitres signalent d'ailleurs la disparition des préro­
gatives de celles-ci : omnes, exuta aequalitate, iussa principis aspecta
(I, 4, 1 «tous, une fois rejetée l'égalité, attendaient les ordres du prince»).
Lors du meurtre d'Agrippa Postumus, quand Tibère semble tenté de saisir
de l'affaire le Sénat, qui en a dans un premier temps été tenu à l'écart, c'est
vraisemblablement en se fondant sur l'essence du régime tel qu'il a été
instauré par Auguste que Sallustius Crispus exhorte Livie à l'en dissuader:
neue Tiberius uim principatus resolueret cuncta ad Senatum uocando:
condicionem esse imperando ut non aliter ratio constet quam si uni red
(1,6,3 « afin que Tibère ne vînt pas à laisser se déliter l'essence du Principat
en renvoyant tout au Sénat; telle était la bonne règle du pouvoir impérial,
de ne rendre compte qu'à un seul »). Quant aux carrières possibles sous un
tel régime, elles sont une prime à la docilité, voire à la servilité: ceteri nobi-
lium, quanto quis seruitio promptior opibus et honoribus extollerentur (
« les nobles qui subsistaient recevaient, en fonction de leur empressement
à la servitude, richesses et dignités»). Les réflexions attribuées à Auguste
sur ceux qui, parmi les aristocrates romains, pourraient, et voudraient, lui
succéder (1,13,2) indiquent pourtant qu'à cette époque encore, on pouvait
envisager, même comme «cas de figure», un destin d'exception pour les
plus éminents parmi la noblesse.
Il n'empêche, en I, 2, 1, l'asyndète munta senatus, magistratuum, legu
in se trahere (« il tire à lui les attributions du Sénat, des magistrats, des
49
lois») traduit de manière frappante la personnalisation du pouvoir .
Les armées, auxquelles Auguste a présenté Tibère comme son successeur
50
(I, 3, 3)figurentparmi les piliers du régime (I, 6, 3 ) . En Germanie, les
opérations, mises en relation avec la défaite de Varus, ont des allures de
vendetta personnelle; la recherche d'un profit collectif ne semble pas y
entrer en considération (I, 3, 6 abolendae magis infamiae ob amissum cu
Quintilio Varo exercitum quam cupidine proferendi imperii aut dignum
praemium « [ces campagnes] visaient à effacer l'opprobre du désastre subi
y

par Quintilius Varus et son armée plus qu elles ne répondaient au désir


d'étendre l'empire ou à la recherche d'un avantage substantiel»). Le conseil
de ne pas reculer les frontières de l'empire, conseil que Tacite attribue soit

49. Cf. BORGO, «Augusto e l'istituzione del principato», art. cit., p. 79 («si noti l'efficacia dell'asin­
deto»).
50. Aussi 1,2,1 milium donis; 8,2 armée dans les legs d'Auguste (dans ces deux passages, on notera la
mention du peuple à côté de l'armée) ; 8,6 présence de la troupe lors des funérailles d'Auguste.

319
OLIVIER DEVILLERS

à la jalousie, soit à la crainte (I, 11,4), traduit pareillement l'irruption de


sentiments personnels dans un domaine, les affaires extérieures, qui, durant
la République, relevait du Sénat. Pour ce qui est de la religion, la divinisa­
tion d'Auguste (1,10,8) sonne comme l'argument qui règle définitivement
51
la question du jugement que portera sur lui la postérité ; sont de même
signalées l'élévation de Marcellus, encore jeune, au pontificat (I, 3, 1) et
l'institution des jeux Augustaux (I, 15, 2-3). C'est aussi en fonction du
bon plaisir d'Auguste (1,15,1 arbitrioprincipis) que se font les principales
élections, même si, jusqu'à la première année du règne délibère, certaines
restent aux suffrages des tribus. Enfin, l'attention portée aux dénomina­
tions ne se dément pas: nomine principis (I, 1, 1 «en prenant le nom de
prince») ; ponto triumuiri nomine (I, 2, 1 «après avoir abandonné le nom
de triumvir»); eadem magistratuum uocabula (I, 3, 7 «aucun changemen
dans les noms des magistratures»). En définitive, l'inventaire des ressources
publiques, écrit de la propre main d'Auguste et produit après ses funérailles
(I, 11,4), traduit parfaitement cette «mainmise» sur l'État.

De ce survol des chapitres initiaux ont été laissés jusqu'à présent à


l'écart les chapitres I, 9-10 - communément désignés par le nom de
Totengericht-, jugements, reproduits au style indirect, portés sur Auguste
au moment de ses funérailles. Tacite fait d'abord écho à l'étonnement que
le plus grand nombre manifeste devant ce qu'il qualifie pour sa part de
nana, de futilités (I, 9, 1), puis il en vient à des propos qu'il estime tenus
par des prudentes, des gens réfléchis (I, 9, 3), propos les uns élogieux pour
Auguste, les autres critiques.
Si nous nous référons à la thématique dégagée ci-dessus, nous observons
que les nana paraissent à l'opposé de la perspective tacitéenne. D'une part,
ils privilégient une dimension anecdotique et biographisante - Auguste
est mort dans la même chambre que son père Octavius le 19 juillet,
c'est-à-dire le jour où il a commencé son pouvoir en devenant consul en
43 av. J.-C. (I, 9, 1) - qui est contraire à la démarche analytique adoptée
1
dans les Annales* . D'autre part, ils admettent implicitement l'idée d'une
continuité entre République et Principat - la liste des honneurs qu'il a
reçus amène à une comparaison avec de grandes figures républicaines
53
(I, 9, 2) - ce qui à nouveau ne correspond pas à la vue de Tacite .
Par contre, si on regarde les avis des prudentes - et pour s'en tenir aux
événements postérieurs à 31 - , on retrouve la plupart des aspects aux­
quels Tacite est attentif, soit dans les propos partisans, soit dans les propos
critiqués, soit dans les uns et les autres: interaction des domaines privé et
51. Dès avant sa divinisation, au moment où les sénateurs prient Tibère d'accepter sa succession,
Auguste est invoqué dans le débat public presque sur le même plan que les dieux (1,11,3).
52. On peut songer à III, 56,4 : Tibère compare les âges où Drusus II et lui-même ont reçu la puissance
tribunicienne, alors que ce qui compte, c'est le recours à ce pouvoir comme mode de désignation
du successeur.
53. Par ex. CLASSEN C.J., «Tacitus - Historian between Republic and Principato», Mnemosyne 41,
1988, p. 93-116.
320
LE RÈGNE D'AUGUSTE ET LE PROJET HISTORIOGRAPHIQUE DE TACITE

public (I, 10, 5 Liuia grauis in rem publicam mater, grauu domui nouerc
«Livie, mère fatale à l'État, marâtrefetaleà la dynastie», expression où l'on
54
relève une construction symétrique) , rôle de la paix (I, 9, 4 non aliud
discordantispatriae remedium, « il ne restait d'autre remède aux discordes de
la patrie » ; 10,4 pacem sine dubio post haec, uerum cruentam, « sans dout
55
paix avait-elle suivi, mais une paix sanglante») , vicissitudes de la domus
impériale (I, 10, 5 nec domesticis abstinebatur, «on n'épargnait pas non
plus sa vie privée»), constitution d'une dynastie (1,10,7), Auguste comme
modèle pour ses successeurs (I, 10, 7 idée de comparano deterrimd), place
des amici (1,10,5), dangers qui menacent les élites (1,10,4), absence d'une
relation franche avec les sénateurs (1,10,7 discours au Sénat contenant sous
couvert d'éloge des pointes contre Tibère), prérogatives du Sénat (I, 10, 7
demande de la puissance tribunicienne pour Tibère), pouvoir d'un seul
(1,9,4 ab uno regeretur), action juridique (1,9, 5 tus apudciues), dimension
56
religieuse (1,10, 6) , action dans les armées et les provinces (1,9, 5 ; 10,4),
politique de construction (1,9, 5), nouvelles dénominations (9, 5 principis
nomine constitutum Rem publicam, «le seul nom de prince avait donné un
57
fondement à l'État») .
Autrement dit, dans le Totengericht, Tacite oppose deux façons de parler
58
d'Auguste, mais non pas, comme on le pense généralement , en bien ou
59
en mal, mais selon des catégories pertinentes ou non . Que l'avis global
soit positif ou négatif compte moins que de rendre cet avis sur la base
60
d'observations valides . D'ailleurs, s'agit-il seulement de deux façons de
parler d'Auguste - en se plaçant sous les auspices soit de la uanitas, soit de la
prudentia - et non, également, de deux façons d'écrire sur Auguste ? Tacite,
à travers sa remarque sur les uana et les prudentes, n'a-t-il pas aussi à l'esprit
des histoires et historiens qui, traitant de l'époque augustéenne, auraient,
ou non, satisfait à ses critères d'écriture de l'histoire? Une telle hypothèse
trouve du crédit dans la convergence thématique entre le Totengericht et
l'épisode de Silanus, qui inspire à Tacite le projet d'écrire sur Auguste.

54. Déjà à propos d'Octave, 1 , 1 0 , 3 quamquam fas sitpriuata odia publias utiUtatibus remitiere (« bie
que la religion permette de renoncer à des haines privées dans l'intérêt public»).
55. Aussi 1,9, 5 quies.
5 6 . Aussi 1,10, 5 consulti per ludibrium pontifices («les pontifes consultés par dérision»).
57. Peut-être aussi 1,10, 1, à propos d'Octave, ùietatcm erga parentem et tempora reipublicae obtentu
sumpta (« sa piétéfilialeet la situation de l'Etat avaient servi de prétextes »). Cette idée de dénomi­
nation n'est pas totalement absente des uana: 9 , 2 nomen imperatorissemelatque uiciespartum («
nom âiimperator obtenu vingt et une fois »).
58. Spec. CEAUSESCU P., «L'image d'Auguste chez Tacite», Hermes 5 6 , 1974, p. 1 8 6 - 1 8 8 ; BORGO,
«Augusto e l'istituzione del principato», art. cit., p. 88-94.
5 9 . Dans ce sens, SHOTTER D . C A , «The Debate on Augustus (Tacitus, Ann. I, 9-10) », Mnemosyne
2 0 , 1967, p. 1 7 2 «he is commending both for their attempt to be constructive*, opinion rejetée
par VELAZA J., «Tacito y Augusto {Ann. 1 9 - 1 0 ) », Emerita 6 1 , 1 9 9 3 , p. 3 4 3 .
6 0 . D'ailleurs, immédiatement avant le Totengericht, Tacite admet ( 1 , 8 , 6 ) , à propos de l'assassinat de
César, la possibilité d'une diversité de jugement: cum occisus dictator Caesar aliispessimum, aliis
pukherrimum facinus uideretur (« lorsque le meurtre du dictateur César paraissait aux uns un forfait
abominable, aux autres un exploit magnifique»).

321
OLIVIER DEVILLERS
Conclusion
Au début des Annales, c'est au motif qu'elle a déjà été traitée par de
brillants esprits que Tacite écarte l'idée d'écrire l'histoire d'Auguste
(1,1,2). Mais, dans ce cas, comment le prendre au sérieux quand en III, 24, '
il exprime son désir de produire une telle histoire ? La suite de la préface per­
met de mieux comprendre ses raisons : à partir de Tibère s'exerce une répres­
sion, associée aux mots metus et odia, qui était absente sous Auguste, pour
lequel il n'est question que d'adulation. Autrement dit, traiter d'Auguste
l'aurait amené à aborder un autre type de Principat que celui qu'il s'apprête
61
à envisager . L'unité thématique de son ouvrage aurait pu s'en trouver
amoindrie et c'est pourquoi il s'en abstient. Il demeure que, dès les premiers
livres des Annales, qui décrivent un Principat encore «en attente» de ses
excès ultérieurs, il s'est forgé une opinion sur Faction politique d'Auguste
aussi bien que sur la façon de la traiter. Ainsi s'explique que, dans le livre III,
à propos d'un épisode significatif à ses yeux - le retour de Silanus - , il fasse
part de son désir de se consacrer plus tard à cette période.
C'est là une perspective qui semble déjà figurer en filigrane du
Totengericht, passage qui ne paraît pas exempt d'implications sur le plan
historiographique. À cet égard, si les avis des prudentes renseignent sur
un certain nombre de thématiques «augustéennes» qu'aurait privilégiées
Tacite et qui se retrouvent du reste en I-III, la lecture des uana éclaire sur
ce que n'aurait pas été cette histoire. Premier point, elle n'aurait pas été pas
biographisante. N'ayant pas à centrer la narration sur les vices du prince
- soit que ceux-ci eussent été moindres à ses yeux, soit qu'il eût été à son
62
époque délicat de les évoquer - , l'historien aurait disposé d'un espace
pour développer, dans une perspective sénatoriale, une interrogation sur
65
l'essence du Principat, la uis Principatus (I, 6,3 ; III, 60, 1) . À ce propos,
et c'est le second point, l'examen des uana, comme celui des références à
Auguste éparses dans la première triade, suggère que l'historien réfutait
l'idée d'une continuité entre République et Principat. Son histoire augus-
ténne se serait sans doute attachée à démonter le mythe d'une Res Publica
64
Restituta . Il s'y serait plutôt montré sensible à la continuité entre Auguste
65
et ses successeurs . Il ne faut pas oublier que le regard qu'il porte sur
Auguste est rétrospectif et que c'est à partir des principats ultérieurs qu'il

61. Cf. BORGO, «Augusto e l'istituzione del principato», art. cit., p. 97.
62. CEAUSESCU, « L'image d'Auguste chez Tacite art. cité», p. 192-196; VELAZA, «Tàcito y Augusto»,
art. cit., p. 340.
63. Aussi III, 36,4 : uim imperii.
64. À cet égard, on note que la liste des honores condamnée par les uana figure dans les Res Gestae ;
URBAN «Taci tus und die Res gestae divi Augusti*, art. cit., p. 67; VELAZA, «Tàcito y Augusto», art.
cit., p. 355.
65. On note à ce propos une expression comme III, 29, 2 (à propos de la demande de la puissance
tribunicienne pour Tibère) tarnen initiafastigii Caesaribus erant (« cependant la grandeur des César
ne faisait que commencer») ; si le pouvoir des princes était à ses débuts, c'est qu'il avait déjà
commencé. Dans le même sens, les mots ïïberiùs uim principatus sibifirmans(III, 60,1 «Tibère
consolidant à son avantage l'essence du Principat») supposent la consolidation d'une situation
déjà existante. De même, en I, 6, 1, nouiprincipatus implique le renouvellement d'un régime en

322
LE RÈGNE D'AUGUSTE ET LE PROJET HISTORIOGRAPHIQUE DE TACITE

juge celui du fondateur, dans lequel se trouvaient déjà en germe les excès
à venir: Auguste, même s'il s'avéra à titre personnel plus modéré que les
autres Julio-Claudiens, avait irrémédiablement imposé un régime, d'ailleurs
qualifié à l'occasion de dominano ou de potential\ qui présentait pour ainsi
67
dire un «défaut de fabrication ». Pour prendre un exemple, l'historien
rappelle que, sous Auguste, il subsistait une munificence privée et que des
nobiles pouvaient encore embellir Rome à leurs propres frais (III, 72, 1).
L'expression qu'il emploie, necAugustus arcuerai, est révélatrice; s'il «n'avait
pas empêché», c'est qu'il était en position de le faire. En d'autres termes,
Auguste peut avoir quelque mérite dans son exercice d'un pouvoir absolu,
il n'empêche qu'un tel pouvoir est fondamentalement fragilisé par le fait
de dépendre de la pratique de celui qui le possède. Une telle position non
seulement concorde avec l'ensemble de l'idéologie tacitéenne, mais elle
est aussi - conformément à l'orientation majoritaire d'une historiographie
68
sénatoriale qui n'est pas oppositionelle - acceptable par le pouvoir en
place dans la mesure où elle renvoiefinalementà la qualité intrinsèque du
prince régnant, une qualité même que ne manque d'exalter aucune propa­
69
gande officielle .
Enfin, quelle période l'histoire tacitéenne d'Auguste aurait-elle cou­
70
verte? La bataille d'Actium est évoquée en I, 3, 7 , et même si son rôle
71
de tournant est moins marqué que dans les Histoires , elle reste le terme
72
le plus plausible . Toutefois, en I, 2, 1, le chapitre qui évoque l'ascension
politique d'Auguste commence par une évocation de la bataille de Philippes
(Bruto et Cassio caesis, «après la mort de Brutus et de Cassius»); celle-ci
apparaît encore comme un jalon dans la carrière de Pison (II, 43, 2) ainsi
que dans le discours de Cremutius Cordus (IV, 35, 2) ; enfin, le dernier

place. Ou encore le fait qu'on croyait que Drus us I rendrait la liberté (I, 3 3 , 2 ) montre qu'elle
était à rendre.
6 6 . Par ex. 1 , 3 , 1 subsidia dominations ; 8, 6 longa potential 1 0 , 1 cupidine dominandi; II, 5 9 , 3 inte
alia dominations arcana; III, 2 8 , 1 potentiaesecurus; cf. CEAUSESCU, «L'image d'Auguste chez
Tacite», art. cit., p. 1 8 9 - 1 9 0 .
6 7 . Dans ce sens, on peut jusqu'à un certain point rejoindre BORGO, «Augusto e l'istituzione del
principato», art. cit., p. 9 3 . « Il reale significato di questa condanna potrebbe invece essere indivi­
duato nell'intenzione dello storico di svelare il vero senso del principato augusteo, demistificando
l'equivoco su cui esso aveva poggiato le basi. » Dans cette citation, toutefois, le terme de «condam­
nation » ne paraît pas approprié à la totalité des passages sur Auguste; Tacite, nous semble-t-il, se
livre plutôt à une réflexion politique, non dénuée le cas échéant d'accents critiques, à partir de
l'action de celui-ci.
6 8 . Par ex. MEIER M . , « Das Ende des Cremutius Cordus und die Bedingungen fur Historiographie
in augusteischer und tiberischer Zeit», Tyche 1 8 , 2 0 0 3 , p. 9 3 .
6 9 . Dans ce sens, il ne semble pas - une vue défendue toutefois depuis WILLRICH H . , « Augustus
bei Tacitus », Hermes 6 2 , 1927, p. 5 4 - 7 8 - que la présentation d'Auguste dans les Annales soit à
rapprocher d'une quelconque déception devant l'évolution du règne de Trajan.
7 0 . Aussi III, 5 5 , 1 , à propos du déploiement du luxe.
7 1 . / / . , I, 1 , 1 postquam beUatum apudActium... ueritaspluribus modis infracta («quand on eut livr
la bataille d'Actium... la vérité subit de multiples atteintes»).
7 2 . Le choix de 4 3 , premier consulat d'Octavien, parait exclu par le fait que cette datefiguredans les
uana et qu'il n'aurait pas été judicieux de commencer par l'octroi de la plus haute magistrature
républicaine révocation d'une carrière qui devait précisément amener à lafinde la République. Une
autre division se trouve chez les Anciens : l'année 3 6 av. J.-C. et les premiers essais pour restaurer
la paix et revenir à la légalité ; on n'y voit aucun écho chez Tacite.

323
OLIVIER DEVILLERS

chapitre du livre III, livre qui marque la disparition de la libertas et l'enra­


73
cinement du Principat , contient, à propos de la mort de Iunia, une sur­
prenante datation à partir de cette même bataille: Iunia, sexagesimo quarto
post Philippensem aciem anno, supremum diem expleuit (III, 76, 1 « Iu
s'éteignit soixante-quatre ans après la bataille de Philippes»). On pourrait
voir là l'indice que, tout en commençant effectivement avec Actium, Tacite
aurait songé, conformément à ce qu'il fait dans les Histoires et les Annales* à
amplifier sa préface par un rappel historique, lequel aurait en l'occurrence
consisté en un survol de la situation depuis Philippes.

7 3 . Cf. GINGRAS, « Annalistic Format », art. cit., p. 2 5 6 : « Book 3 covers those years in history in which
this transition was especially marked, in which even the mask of Augustus' pseudo-Republic was
dropped and the Realpolitik of the new order was forged. »

324
Res publica restituta chez Dion Cassius

Marie-Laure FREYBURGER-GALLAND

Res publica restituta, ce prétendu slogan de la propagande augustéenne,


s'appuie, comme on Ta vu, sur quelques inscriptions et monnaies, dont
certaines sont sujettes à caution, et est soutenu par un faisceau d'attestations
littéraires qui méritent d'être étudiées sur le plan lexical autant qu'histori­
que. Ce n'est en effet pas en historienne, mais en linguiste que je voudrais
apporter ma modeste contribution au thème de ce colloque, et en helléniste,
puisque, partant naturellement de ces témoignages latins, je souhaiterais
surtout m'intéresser à la « traduction », la transposition en grec du slogan et
particulièrement dans Y Histoire romaine de Dion Cassius.
Je ne reviendrai donc pas sur les Fastes de Préneste qui présentent sans
1
doute restituit mais peut-être pas Rem publicam, ni sur Y aureus de 28 qui
a aussi restituit mais avec pour compléments leges et iura. Je serais assez
2
tentée de partager le scepticisme d'E.A. Judge sur la réalité formelle de
cette formule, mais la réalité de l'idée me paraît suffisamment établie pour
permettre un examen des témoignages littéraires, surtout ceux de Dion
Cassius, qui peuvent être plus explicites que les formules lapidaires et en
offrir d'éventuelles paraphrases ou approximations.
La periocha 134 de Tite-Live offre ainsi l'expression :
C. Caesar rebus compositis et omnibusprovinciis in certam formam redactis
Augustus quoque cognominatus est (« Quand l'ordre eut été rétabli et tou­
tes les provinces organisées de façon définitive, C. César fut aussi nommé
3
Auguste») .

1. Cf. RICH J.W., WILLIAMS J.H.C., « Leges et iura RR Restituit: a New Aureus of Octavian and the
Settlement of 28-27 BC», NC, 1999, p. 169-213.
2. «Res Publica Restituta, a modern illusion», EVANS J. (dir.), Polis and Imperium, Toronto, 1974,
p. 278-311. Voir aussi MACKIE N.K., «Respublica restitua, a Roman Myth», DEROUX C . (dir.),
Studies in Latin Literature and Roma History, IV, Bruxelles, 1986, p. 302-340 ; BRINGMANN Kl.,
«Von der res publica amissa zur res publica restituta. Zu swei Schlagworten aus der Zeit zwischen
Republik und Monarchie», SPIELVOGEL J. (dir.), Res publica reperta, 2002, p. 119-120;
WELWEI K.W., «Respublica und Imperium», Historia 177, 2004, p. 29-41 ; RODDAZ J.-M., «La
métamorphose: d'Octavien à Auguste», Fondements et crises du pouvoir, S. FRANCHET D'ESPEREY,
V. FROMENTIN, GOTTELAND, J.-M. RODDAZ (dir.), Bordeaux, 2003, p. 397-402.
3. Traduction P. JAL, CUF.

325
MARIE-LAURE FREYBURGER-GALLAND

Nous y trouvons res et prouinciae (au pluriel) ainsi que le verbe redigere
qui peut passer pour un équivalent de restituere.
4
Le texte des Fastes d'Ovide pour les Ides de janvier donne le texte:
Reddita omnis populo prouincia nostro (« En ce jour, toute la gestion des
provinces a été rendue à notre peuple»). Il présente la même idée que celui
de Tite-Live, mais au singulier, prouincia, et le verbe est reddere, synonyme
de restituere.
Mentionnons encore le texte plus explicite de Velleius Paterculus : Finita
vicesimo anno bella ciuilia, sepulta externa, reuocatapax, sopitus ubique armo-
rum furor, restituta uis legibus, iudiciis auctoritas, senatui maiestas, imperium
magistratuum ad pristinum redactum modum... Prisca illa et antiqua rei
publicae forma reuocata, rediit cultus agris, sacris honos, securitas hominibus,
5
certa cuique rerum suarum possessio (« Les guerres civiles furent terminées
au bout de vingt ans, les guerres extérieures s'éteignirent, la paix fut réta­
blie, la fureur des armes partout s'apaisa; on rendit aux lois leur force, aux
tribunaux leur autorité, au Sénat sa majesté, les pouvoirs des magistrats
retrouvèrent leurs limites originelles... On rétablit également l'antique
structure de l'État; les champs retrouvèrent leurs cultures, la religion sa
dignité, les hommes la sécurité, chacun la possession assurée de ses biens »).
Nous constatons que Res publica n'y est pas d'emblée exprimée mais ses
composantes, leges, iudicia, senatus, magistratus, et que le verbe restituere
y figure au participe restituta en compagnie de variantes, reuocata (utilisé
deux fois), et redactum, comme chez Tite-Live. Res publica arrive ensuite,
complément du nom forma dans un groupe de mots forts avec la répéti­
tion voulue de prisca et antiqua, «on rétablit l'antique structure de l'État».
Le texte peut apparaître comme une paraphrase explicative de la formule
lapidaire Res publica restituta. On y notera les termes-clés de la propagande
augustéenne, pax, auctoritas, maiestas, imperium, sacra, securitas, et l'insis­
tance de la référence au passé, au retour à un état antérieur, avec le préfixe
re- des trois verbes, re-uocata, re-stituta et red-actum et les trois adjectifs
pristinum, prisca et antiqua.
6
Il faut aussi signaler le texte de Suétone : De reddenda re p. bis cogitauit:
primumpost oppressum statim Antonium, memor obiectum sibi ab eo saepius,
quasi per ipsum staret ne redderetur... Sed reputans et se priuatum non sine
periculo fore et illam plurimum arbitrio temere committi, in retinenda per-
seuerauit, dubium euentu meliore ac uoluntate (« Il songea par deux fois à
rétablir la république : d'abord, aussitôt après avoir écrasé Marc Antoine,
en se rappelant que ce dernier lui avait bien souvent objecté qu'il était le
seul obstacle à son rétablissement... Mais, réfléchissant que le retour à la
vie privée ne serait pas sans danger pour lui, et que, d'autre part, il était
imprudent de remettre l'État entre les mains de plusieurs, i l conserva le
pouvoir, sans qu'on puisse savoir lequel fut le meilleur, du résultat ou de
4. I , 589, t r a d u c t i o n R. SCHILLING, C U R
5. Histoire romaine, II, 89, t r a d u c t i o n J. HELLEGOUARC'H.
6. Aug. 28, 1, t r a d u c t i o n H . AILLOUD, C U F .

326
R E S P U B L I C A R E S T I T U T A CHEZ DION CASSIUS

Tintention»). Nous retrouvons ici Res publica avec le même verbe reddere
que chez Ovide, comme synonyme de restituerez
Naturellement, une mention spéciale doit être faite du texte à la fois
littéraire et épigraphique, au cœur même de la propagande augustéenne et
1
incontournable dans notre thématique, celui des Res Gestae \ In consulatu
sexto et septimo, postquam bella [ciujilia extinxeram, per consensum univer-
sorum poftitus rerum omnjium, rem publicam ex mea potestate in senatfus
e e
populique Romani ajrbitrium transtuli (« Lors de mon 6 et de mon 7 consu­
lat, après avoir éteint les guerres civiles, étant investi du pouvoir absolu
par le consentement du peuple dans son ensemble, fai fait passer l'État de
mon pouvoir à la libre décision du sénat et du peuple Romain»). Ce texte
présente bien Rem publicam mais le verbe transtuli, «j'ai fait passer», «j'ai
transféré», qui ne comporte pas le préfixe re-, n'est pas l'équivalent de restituì
ou de reddidi et, pour le sens, serait à rapprocher du commini de Suétone,
d'autant que dans l'un et dans l'autre texte, nous trouvons aussi arbitrium.
Le premier texte grec que je voudrais étudier est évidemment la version
grecque des Res Gestae, souvent délaissée par les historiens:Έ ν ϋπατεί$
έκτη και εβδόμη μετά το τούς εμφυλίους ζβέσαι με πολέμους
[κ]ατα τάς εύχάς των έμών πολει[τ]ών εγκρατής γενόμενος
πάντων των πραγμάτων, έκ τής έμής εξουσίας ε'ις τήν του
συγκλήτου και του δήμου των "Ρωμαίων μετήνεγκα κυριήαν.
On y remarquera que le traducteur ne suit pas exactement le texte latin.
Je ne reviendrai pas sur per consensum universorum rendu par κατά τ ας
εύχας τ ώ ν έμών πολεΐτών, «selon les vœux de mes concitoyens»,
mais je voudrais insister sur la fin de la phrase : transtuli est traduit par
μετήνεγκα, ce qui est parfaitement correct, mais son complément rem
publicam n'est pas exprimé. I l faut le tirer de (εγκρατής γενόμενος)
πάντων τών πραγμάτων du membre de phrase précédent où i l tra­
duit le latin (potitus) rerum omnium, à moins que l'on ne voie κυριήαν
comme complément d'objet de μετήνεγκα et non comme traduction de
arbitrium et que l'on comprenne: «J'ai transféré la direction (des affaires)
de mon pouvoir à celui du sénat et du peuple Romain. » En tout cas, dans
le texte grec, ce qui est «transféré», ce sont «les affaires» ou «la direction
(des affaires) », mais pas Rem publicam qui est habituellement rendu par τα
8 9
κοινά πράγματα ou par τα δημοσία πράγματα .
Cette première approche nous a permis, en examinant les textes latins,
de montrer que restituere était souvent paraphrasé ou rendu par des équiva­
lents plus ou moins proches. C'est que ce verbe est polysémique. Composé
10
de statuere et du préfixe re-, il a en latin classique trois sens différents :

7. 34,1, traduction M. DUBUISSON.


8. Res Gestae, 1,1.τά κοινά πράγματα [εκ τή]ς τ[ώ]ν συνο[μοσα]μένων δουλήας [ήλευ]θέ-
[ρωσα.
9. 1,4; 7, 1.
10. Cf. STROTHMANN Μ., Augustus - Vater der res publica. Zur Funktion der drei Begriffe restituti
- saeculum - pater patriae im augusteischen Principat, Wiesbaden, 2000, p. 17.

327
MARIE-LAURE FREYBURGER-GALLAND

1. remettre debout ;
2. rétablir, remettre dans son état normal ou antérieur ;
3. rendre, restituer.
On notera la difficulté d'un complément d'attribution pour les deux
premiers sens alors qu'il est normal pour le troisième. Ce serait alors le
11
sens du texte des Fastes de Préneste s'il on admet la reconstitution populo
romano. Ce serait peut-être aussi le sens dans le texte de Velleius : restituta
uis legibus, iudiciis auctoritas, senatui maiestas... Mais le deuxième sens,
«rétablir», qui s'applique en latin classique à des institutions et à des magis­
tratures, conviendrait sans doute mieux, non seulement à restituere mais
aussi à ses équivalents reuocare et redigere et les datifs legibus, iudiciis, senatui
seraient alors des datifs d'intérêt. C'est encore ce sens que l'on retrouve
12
dans le verbe uindicare de l'expression des Res Gestae . On remarquera
aussi que restituere est souvent proche de constituere, qui signifie « mettre
en place» mais aussi « (re)mettre en ordre», « (ré)organiser», sens que l'on
trouve dans l'expression consacrée : triumuiri Rei publicae constituendae dans
laquelle l'idée de « rétablissement», « réorganisation» est évidente. D'ailleurs
13
Tacite ne s'y trompe pas, qui écrit à propos d'Auguste : principis nomine
constitutam Rem publicam. I l faut ajouter à la polysémie de restituere celle
de Res publica qui apparaît nettement dans ses traductions en grec. Nous
avons vu que le sens d ' « affaires publiques » est communément rendu en
grec - notamment dans les Res Gestae - par τα KOlvtì πράγματα ou
τα δημοσία πράγματα. Mais i l y a le sens de « république » pour dési­
gner le régime républicain des Romains, qui est rendu par δημοκρατία
chez Dion Cassius par exemple, qui assimile volontairement le régime
de Rome au modèle athénien idéalisé. Enfin i l y a le sens plus général
de « constitution », « régime » qui est le plus souvent rendu en grec par
π ο λ ι τ ε ί α ου πολίτευμα. C'est en effet par le biais des traductions
grecques que nous essaierons de mieux cerner le problème. Si les Res Gestae
ne nous donnent pas grand-chose puisque le mot latin de départ est trans-
tuli, nous possédons en revanche un récit complet, continu et détaillé, de
la fin de la République et du début du Principat, je veux parler de celui de
Dion Cassius.
Cet auteur est abondamment cité par les historiens qui s'intéressent aux
fondements du Principat, malgré les reproches dont il est l'objet. Le premier
est l'éloignement dans le temps puisqu'il écrit l'Histoire Romaine au début
du I I I siècle, sous les Sévères, et fait une relecture du règne d'Auguste à la
E

14
lumière des problèmes de son époque . Je vous propose cependant une
étude lexicale du concept de Res publica restituta dans les livres 50 à 56 de
2
11. CIL I 231 [Quod rem publicam]p(opulo) R(omano) rest[it]u[it].
12. 1,1. rem publicam [a dojminationefactionis oppressam in libertatem uindicafuij.
13. Annales, I, 9, 5.
14. Cf. MILLAR F., A Study ofCassius Dio, Oxford, 1964, p. 102-118 ; REINHOLD M., From Republic to
Principate: an Historical Commentary on Cassius Dio's Roman History Books 49-52, Atlanta
p. 165-210 ; REINHOLD M., SWAN P.M., « Cassius Dios Assessment of Augustus », Between Republic
and Empire, RAAFLAUB K.A. etToHERM. (dir.), Berkeley-London, 1990, p. 155-173.

328
RES P U B L I C A R E S T I T U T A CHEZ DION CASSIUS

X Histoire Romaine, c'est-à-dire de 31 avant J.-C. à 14 après J.-C, d'Actium


15
à la mort d'Auguste, et notamment les années 29-27 .
Il se trouve que ce slogan peut se rencontrer dans des textes de différente
nature. Dion Cassius présente un récit chronologique des faits marquants
en apparence linéaire et objectif. Mais il y introduit, à la manière de son
modèle Thucydide, des discours et des commentaires de sorte que nous
avons trois sortes de témoignages : des discours, le récit des réactions des
auditeurs et un commentaire personnel de l'auteur.
Dion Cassius est notre seule source du fameux discours «de restitu­
tion» du 13 janvier 27. La plupart des spécialistes doutent évidemment de
l'authenticité d'un tel discours. Cependant, comme Dion le dit, Auguste
16 17
l'a lu ( α ν έ γ ν ω , ά ν α λ έ γ ο ν τ ο ς ) , donc i l s'agit d'un texte écrit - et
18
Suétone signale qu'Auguste rédigeait toujours ses discours - qui a pu
être conservé et transmis par des sources dans lesquelles Dion en aurait
19
puisé la teneur (l'expression τοίαδε indique bien une approximation).
Nous possédons encore, grâce à XHistoire Romaine, trois autres discours qui
peuvent évoquer ce slogan, le fameux débat entre Mécène et Agrippa du
livre 52 et l'oraison funèbre d'Auguste par Tibère au livre 56. Le débat entre
Mécène et Agrippa est considéré comme encore plus fictif et beaucoup plus
e
en rapport avec les problèmes politiques du début du i n siècle. Octavien,
hésitant entre une «démocratie» et une «monarchie», demande conseil à
ses proches collaborateurs et chacun expose les avantages de l'un des régi­
mes, Agrippa ceux de la démocratie et Mécène ceux de la monarchie. Ce
débat rhétorique et de philosophie politique peut contenir des allusions à ce
qu'Agrippa, Mécène ou l'entourage du prince pouvaient penser du thème
Res publica restituta. De la même façon, lorsque Tibère procède à l'éloge
funèbre de son prédécesseur et père adoptif, i l est vraisemblable qu'il évo­
qua ses intentions de 27 et Dion peut s'en faire l'écho. À côté des discours,
lieux privilégiés de la propagande, nous avons, dans le récit de Dion, deux
passages intéressants consacrés à la réaction des auditeurs, les sénateurs en
27 avant J-C. et les Romains en général en 14 après J.-C.
Nous avons enfin les commentaires personnels de Dion, qui ne man­
20
quent pas d'intérêt, même si on a pu les juger décalés . La plupart des spé­
cialistes ont mis en avant la théorie de Dion du « meilleur régime possible »
et souligné que pour lui il ne faisait aucun doute qu'il s'agit du Principat
qu'il appelle «monarchie» et qu'il définit à plusieurs reprises. Notamment
beaucoup voient dans le discours de Mécène et ses conseils à Auguste les
vues personnelles de l'historien sévérien et ses conseils à Alexandre Sévère.
On voit aussi souvent chez Dion Cassius une admiration totale pour

15. Cf. MILLAR, A Study of Cassius Dio, p. 83.


16. LUI, 2, 7.
17. L U I , 11, 1.
18. Aug. 84.
19. LUI, 2, 7.
20. Cf. MILLAR, A Study of Cassius Dio, p. 92.

329
MARIE-LAURE FREYBURGER-GALLAND

Auguste, le fondateur du Principat. Or une étude plus minutieuse montre


qu'il est souvent ironique, voire critique et qu'il insiste fréquemment sur
la différence entre l'illusion (Res publica restituta ?) et la réalité (pouvoir
absolu, μοναρχία, voire αύταρχία). Aussi allons-nous essayer de lire entre
les lignes et de démêler les fils enchevêtrés de la trame tissée par Dion.
21
Si nous prenons le premier paragraphe du livre 50 , les choses sont
claires: Ό δέ δήμος ό τών "Ρωμαίων τής μεν δημοκρατίας
αφήρητο, ού μέντοι καί ές μοναρχίαν ακριβή άπεκέκριτο,
άλλ' ο τε Α ν τ ώ ν ι ο ς και ό Καίσαρ έξ ίσου ετι τα πράγματα
εΪχον, τά τε πλείω σφών διειληχότες, καί τά λοιπά τφ μεν
λ ό γ φ κοινά νομίζοντες, τω δέ εργω, ως που πλεονεκτήσαί τι
έκάτερος αυτών έδύνατο, ίδιούμενοι («Le peuple Romain avait été
privé de son régime démocratique mais n'avait cependant pas adopté une
monarchie au sens strict du terme. Marc Antoine et Octavien détenaient
encore le pouvoir à égalité. I l s'étaient partagé par tirage au sort la plupart
des fonctions, considéraient théoriquement les autres comme communes,
mais essayaient de se les approprier, chacun d'eux cherchant à prévaloir
sur son rival»). En 32 donc, c'en est fini de la «république», même si ce
n'est pas encore une «monarchie» puisqu'il sont encore deux à se partager
le pouvoir.
Au premier paragraphe du livre 51, Octavien détient seul le pouvoir;
22
nous sommes en 31, juste après Actium : Τούτο δέ ούκ άλλως έίπον,
άλλ' οτι τότε πρώτον ό Καίσαρ το κράτος παν μόνος ε\χε (« Si
j'ai donné cette date précise (2 septembre), contrairement à mon habitude,
c'est parce que pour la première fois alors César (Octavien) détint seul tout
le pouvoir»).
23
Le début du livre 52 présente un examen des différents régimes qu'ont
connus les Romains pendant les 725 années de leur histoire :Ταΰτα μέν
εν τε τή βασιλείς καί έν τή δημοκρατία ταις τε δυναστείαις,
π έ ν τ ε τε καί ε ί κ ο σ ι καί έ π τ α κ ο σ ί ο ι ς ετεσι, καί έπραξαν
οί "Ρωμαίοι και ε π α θ ο ν έκ δέ τούτου μοναρχεισθαι αύθις
ακριβώς ήρξαντο, καίτοι του Καίσαρος βουλευσαμένου τά τε
ό π λ α καταθέσθαι και τά πράγματα τή τε γερουσία καί τω
δήμω έπιτρέψαι.' Εποιήσατο δέ τήν διάγνωσιν μετά τε του
Ά γ ρ ί π π ο υ καί μετά του Μαικήνου («Voici ce que les Romains
accomplirent et subirent en 725 années sous la royauté, la démocratie et
les triumvirats. Après cela ils recommencèrent à avoir un régime monar­
chique, bien que César eût voulu déposer les armes et remettre l'État au
sénat et au peuple. I l prit sa décision avec l'aide d'Agrippa et de Mécène»).
On notera la restriction très importante introduite par καίτοι et indi­
quant les intentions d'Auguste (βουλευσαμένου) : «Remettre l'État au
sénat et au peuple », formule beaucoup plus proche des Res Gestae (trans-
li. L, 1, 1. Traduction M.-L. FREYBURGER pour la C U R
22. LI, 1, 1. Traduction M.-L. FREYBURGER pour la CUF.
23. LU, 1, 1-2. Traduction M.-L. FREYBURGER

330
R E S P U B L I C A R E S T I T U T A CHEZ DION CASSIUS

tulil μετήνεγκα) que du recidere de Suétone, en tout cas, au sein même


de YHistoire Romaine^ assez voisine de l'expression utilisée par Marc
24
Antoine lorsqu avant Actium il écrit au sénat pour exprimer sa volonté
(έθέλεΐ) de renoncer à sa charge de triumvir (της αρχής παύσασθαι) et
25
de «remettre les affaires de l'État au sénat et au peuple » dès sa victoire,
έπ' εκείνη τω τε δήμω πάντα τα πράγματα ποιήσασθαι. Et Dion
26
rappelle encore au livre suivant que Marc Antoine jure «de rendre tout
son pouvoir au sénat et au peuple», το παν κράτος τή τε γερουσία
καί τω δήμω άποδώσεΐν. Là, nous avons bien l'équivalent grec de resti­
tue™ ou de reddere. Or, toujours selon Dion, l'entourage de Marc Antoine
le supplie d'attendre un peu « afin d'avoir le temps de rétablir les affai­
res », ïva δή κατά σχολήν τα πράγματα καταστησήται. Le verbe
27

καθίστασθαΐ rend certainement ici constituerez plus que restituere et


correspond à la tâche des triumuiri Reipublicae (τα πράγματα) consti-
tuendae. Les silences de Dion sur des promesses identiques de la part
d'Octavien sont éloquents et correspondent bien à ce que dit Suétone dans
28
le passage que nous avons mentionné .
S'il n'en a pas fait la promesse avant Actium, Octavien se voit en tout
cas, la paix revenue, ses pouvoirs triumviraux arrivés à expiration ou même
largement dépassés, dans l'obligation de se trouver une nouvelle légitimité
qui passe soit par un retour à l'ancienne «constitution», la restauration de
la République, soit par la fondation d'un nouveau régime. C'est la signi­
fication du débat du livre 52 et Dion écrit: «Il prit sa décision avec l'aide
29 30
d'Agrippa et de Mécène . » Agrippa prend la parole en premier et dis­
suade son ami de μοναρχήσαι, « exercer le pouvoir tout seul » car ce régime
(πολίτευμα) serait difficile à faire adopter par des gens habitués depuis
si longtemps à vivre dans la liberté (fev έλευθερί^ βεβίωκότα) 31 .
Et de donner l'exemple - c'est l'historien grec qui parle par la bouche
32
d'Agrippa - de la démocratie athénienne avant d'en revenir au cas des
Romains qui, après un régime différent (άλλως πολιτευόμενοι) ont
choisi la liberté et ses avantages : ή τε γερουσία προεβούλευε καί
33

ό δήμος έπεκύρου τό τε στρατευόμενον προεθυμείτο και το


στρατηγούν έφιλοτίμείτο («le sénat délibérait, le peuple ratifiait, l'ar­
mée était pleine d'ardeur et les chefs pleins d'ambition»). Agrippa donne
enfin comme modèle « républicain » à Octavien la constitution sylla-

24. XLIX, 41,6. Voir PALMER R.EA, « OctaviansfirstAttempt to restore the Constitution (36 BC) »,
Athenaeum 56, 1978, p. 315-328.
25. Ibid. Traduction M.-L. FREYBURGER pour la CUE
26. L, 7, 1. Traduction M.-L. FREYBURGER pour la CUE
27. L, 7, 2. Traduction M.-L. FREYBURGER pour la CUE
28. Aug. 28, cf. supra p. 326.
29. LII, 1,2. Cf. i«/>m p. 330.
30. LII, 2-13 ; lafindu discours d'Agrippa et le début de celui de Mécène manquent dans toute la
tradition manuscrite.
31. LU, 5, 3-4.
32. LU, 9, 2.
33. LU, 9, 5. Traduction M.-L. FREYBURGER.

331
MARIE-LAURE FREYBURGER-GALLAND

34
nienne :Ob μέντοι και απλώς ούτω συμβουλεύω σοι τήν αρχήν
άφειναι, ά λ λ α πάντα τά συμφέροντα τω δημοσίω προπραξαι
και δόγμασι και νόμοις ά προσήκει κατακλεισαι, καθάπερ που
και ό Σύλλας έποίησε («Assurément jene te conseille pas de renoncer
purement et simplement au pouvoir, mais de prendre auparavant toutes
les mesures utiles à l'État et de les rendre contraignantes par des décrets et
35
des lois, comme l'a fait Sylla »). En fait, il le dissuade et de « renoncer
à sa charge » (le triumvirat ou son cinquième consulat ?) et d'établir une
μοναρχία qui serait insupportable aux Romains et risquerait de devenir
une tyrannie, encore plus odieuse.
Le premier conseil est naturellement repris par Mécène (ϊνα μή
δόξης τισίν εθελούσιος τής αρχής έφεΐσθαι, «afin de ne pas avoir
36
l'air aux yeux de certains de renoncer au pouvoir délibérément »). En
revanche, très subtilement, Mécène prône un gouvernement qui assurerait
τήν δημακρατίαν τήν αληθή τήν τε έλευθερίαν τήν ασφαλή,
37
«une vraie démocratie et une liberté sûre » et non pas ce que Dion
appelle ici ή του ό χ λ ο υ ελευθερία, «la liberté de la populace», et
38 39
plus l o i n , comme Polybe , ό χ λ ο κ ρ α τ ί α . Mécène conseille nette­
ment à Octavien d'établir un régime monarchique, μοναρχείσθαι τον
δήμον, et d'accepter volontiers ce que les Anglais appelleront «leadership»
(προστασία), la « fonction de chef», ou plutôt le fait de ne pas y renoncer
40 41
puisqu'il l'a déjà . Et Mécène de conclure :'Ωστε καί ημών αυτών
ένεκα καί τής πόλεως πεισθώμεν τή τύχη τή τήν μοναρχίαν
σοι διδούση. Καί χ ά ρ ι ν γε μ ε γ ά λ η ν αύτη εχωμεν, οτι μή
μ ό ν ο ν τών κακών τών εμφυλίων άπέλυσεν ήμας, αλλά καί
τήν κατάστασιν τής πολιτείας έπί σοι πεποίηται («Ainsi pour
nous-mêmes et pour la cité, obéissons à la Fortune qui t'a donné le pouvoir
personnel et rendons lui grande grâce non seulement de nous avoir délivrés
des maux des guerres civiles mais encore d'avoir placé entre tes mains la
(ré)organisation de l'État»). Dans ce texte, l'expression τήν κατάστα­
σιν τής πολιτείας évoque naturellement la fonction des triumvirs et
42
κατάστασίς pourrait traduire constitutio comme on a vu plus haut
que καθίστασθαι traduisait constituerez Quant à πολιτεία, on peut
se demander si c'est la traduction de Res publica ou un doublet de
πολίτευμα pour désigner un «régime» ou encore ce que Velleius Paterculus
appelle Reipublicae forma. Cette allusion à la Fortune, nous la retrouvons
dans un contexte très semblable, sur lequel nous reviendrons, dans la bouche

34. LU, 13, 5. Traduction M.-L. FREYBURGER.


35. Sur la restauration syllanienne, voir HANTOS Th., Res publica constituta Stuttgart, 1988.
y

36. LU, 18, 1. Traduction M.-L. FREYBURGER.


37. LU, 14, 4.
38. LUI, 8,4.
39. V I , 4, 6.
40. LU, 17, 1.
41. LU, 18, 4. Traduction M.-L. FREYBURGER.
42. Supra p. 331.

332
R E S P U B L I C A R E S T I T U T A CHEZ DION CASSIUS

43
d'Auguste lui-même : Ε π ε ι δ ή δε καλώς ποιούσα ή τύχη και
τήν είρήνην άδολον και τήν όμόνοιαν άστασίαστον δι' έμού
ύμίν άποδέδωκεν, απολάβετε και τ ή ν έλευθερίαν και τ ή ν
δημοκρατίαν, κομίσασθε και τα όπλα και τά εθνη τά ϋπήκοα,
και πολίτεύεσθε ώσπερ είώθείτε (« Puisque, par mon intermédiaire,
la Fortune a bien fait de vous rendre une paix sans ruse et une concorde
sans faction, recouvrez aussi la liberté et la démocratie, récupérez les
armées, les provinces et les pays soumis et soyez gouvernés conformément
à votre habitude»). Et pourtant Mécène va en même temps conseiller à
Octavien de faire procéder à l'élection des préteurs et des consuls της τών
πατρίων μνήμης ένεκα και του μη παντελώς τήν πολιτείαν
μεταλλάττείν δοκείν, « en souvenir des coutumes ancestrales et afin de
44
ne pas sembler changer complètement la constitution ». On remarquera
45
ce verbeδοκείν que l'on a déjà rencontré dans les propos de Mécène et
qui montre bien ce souci de l'apparence mis en valeur par Dion.
Après ces discours, Dion est formel, Auguste préféra les conseils de
Mécène, mais, précise l'historien, i l ne mit pas tout de suite à exécution
toutes les suggestions qui lui avaient été faites de peur d'essuyer un échec
αθρόως μεταρρυθμίσαι τούς ανθρώπους έθελήσας, «en voulant
46
complètement réorganiser le mode de vie des gens ». De fait, Mécène lui
47
avait donné ce conseil avisé :'Ώστε ει τι κήδη της πατρίδος, υπέρ
ής τοσούτους πολέμους πεπολέμηκας, υπέρ ής και τήν ψυχήν
ήδέως άν έπιδοίης, μεταρρύθμισον αυτήν και κατακόσμησον
προς το σωφρονέστερον (« De sorte que, si tu as quelque souci de ta
patrie, pour laquelle tu as mené tant de guerres et aurais si volontiers donné
ta vie, réforme-la et réorganise-la dans un sens plus modéré»). Et Dion
ajoute: άλλα τά μεν παραχρήμα μετεκόσμησε, τα δ'ύστερον, «ilfit
certaines réformes tout de suite, d'autres plus tard». L'utilisation du préfixe
μετα- dans les deux verbes, μετα- ρρυθμίζειν et μετα-κοσμείν, comme
plus haut avec μετ-αλλάττείν, indique bien et l'idée de changement et
l'intention réelle du prince. Parmi les mesures immédiates, signalées par
notre historien, figure l'augmentation des familles patriciennes, décimées
par les guerres civiles «parce que les patriciens sont réputés nécessaires à la
transmission des traditions ancestrales ». Dans ce passage l'ironie de Dion
se mesure à la présence d'un petit δήθεν, «soi-disant» qui accompagne
48
l'énoncé du fait que cette réforme lui aurait été confiée par le sénat .

43. LUI, 5, 5. Traduction M.-L. FREYBURGER.


44. LU, 20, 2. Traduction M.-L. FREYBURGER.
45. LU, 18, 1, supra p. 332.
46. LU, 41,1.
47. LU, 14, 1. Traduction M.-L. FREYBURGER.
48. LU, 42, 5. Pour l'ironie de Dion, cf. RICH J.W., Cassius Dio, The Augustan Settlement, Warminster,
1990, p. 15.

333
MARIE-LAURE FREYBURGER-GALLAND

49
Au début du livre 53 , pour Tannée 28, l'historien ne manque
pas d'insister sur le retour à la tradition dans le partage des faisceaux
d'Auguste avec son collègue Agrippa et sur le respect (apparent) des cou­
tumes ancestrales. Τότε μέν ταύτ' έγένετο, τω δέ έξης ετει έκτον
ό Καίσαρ ήρξε, καί τά τε ά λ λ α κατά το νομιζόμενον από
του πάνυ αρχαίου έποίησε, και τους φακέλους τών ράβδων
τω Άγρίππςί συνάρχοντί οι κατά το επιβάλλον παρέδωκεν,
αυτός τε ταις έτέραις έχρήσατο, και διάρξας τον ορκον κατά
τά πάτρια έπήγαγε («C'est ce qui se passa alors. L'année suivante,
e
César exerça sa charge [de consul] pour la 6 fois et se conforma à tous
les usages établis depuis des temps reculés et notamment il accorda à son
collègue Agrippa les faisceaux de verges auxquels il avait droit, tandis que
lui-même utilisait les autres, et, après avoir exercé sa charge jusqu'au bout,
prêta serment selon la coutume ancestrale»). Le prince prend bien soin de
ne pas se comporter en dictateur, en gardant les 24 licteurs, et de partager,
comme faisaient les consuls de l'ancienne république, justifiant ainsi ce qu'il
énonce gravement dans les Res Gestae: «Je n'ai jamais eu plus de pouvoir
50
que mes collègues . »
Nous en venons maintenant à ce fameux discours du 13 janvier 27:
Πρός με ώστε και πάνυ άν προστατεΐσθαι ϋπ' έμού έθελήσαι.
Οϋ μέντοι και έπί πλείον ϋμας έξηγήσομαι, ουδέ έρεί τιςώς
έ γ ώ τ ή ς α ύ τ α ρ χ ί α ς έ ν ε κ α π ά ν τ α τά π ρ ο κ α τ ε ι ρ γ α σ μ έ ν α
έπραξα· άλλά αφίημι τήν αρχήν άπασαν καί άποδίδωμι ϋμιν
πάντα απλώς, τά όπλα τούς νόμους τά εθνη, ούχ όπως εκείνα
οσα μοι ύμείς έπετρέψατε, α λ λ ά και οσα αυτός μετα ταυθ'
ϋμιν προσεκτησάμην, ϊνα και έξ αυτών τών έργων καταμάθητε
τούθ', ότι οϋδ' άπ' αρχής δυναστείας τινός έπεθύμησα, άλλ' όντως
τω τε πατρί δεινώς σφαγέντι τιμωρήσαι καί τήν π ό λ ι ν έκ
μεγάλων και επαλλήλων κακών έξελέσθαι («Je ne vous dirigerai
plus et personne ne pourra dire que c'est pour exercer le pouvoir absolu que
j'ai accompli tout ce que j'ai fait : je renonce à tout mon pouvoir et vous res­
titue absolument tout, l'armée, les lois, les provinces, non seulement toutes
celles que vous m'avez confiées mais encore celles que j'ai conquises pour
vous plus tard, afin que de mes actions mêmes vous tiriez l'enseignement
que dès le début je n'ai pas désiré de "pouvoir discrétionnaire" (triumviral),
mais qu'en réalité j'ai voulu venger mon père cruellement assassiné et libéré
51
la cité des maux qui s'étaient abattus sur elle sans interruption »).
Le vocabulaire du « leadership » est exprimé de diverses manières :
προστατεΐσθαι ϋπ' έμου, έξηγήσομαι, αϋταρχίας avant la phrase-clé
tant attendue: άλλά αφίημι τήν αρχήν άπασαν και άποδίδωμι ϋμιν

49. L U I , 1, 1. Voir FERRARY J . - L . , «Respublica restituta et les pouvoirs d'Auguste», FRANCHET


D'ESPEREY S., FROMENTIN V., GOTTELAND S., RODDAZ J.-M. (dir.), Fondements et crises du pouvoir,
Bordeaux, 2003, p. 419-420.
50. § 34 : nihilo amplius habui quam quifuerunt mihi quoque in magistratu conlegae.
51. L U I , 4, 3-4. Traduction M.-L. FREYBURGER.

334
R E S P U B L I C A R E S T I T U T A CHEZ DION CASSIUS

πάντα, phrase dans laquelle άποδίδωμί traduit assurément restituo ou


reddo, mais oùπάντα est un peu insuffisant pour rendre Rem publicam.
D'ailleurs Dion fait tout aussitôt expliciter par Auguste ce qu'il « rend » par
τα όπλα, τους νόμους, τα εθνη, comme le lui avait d'ailleurs conseillé
52
Agrippa : απόδος τω δήμω και τα όπλα και τα εθνη και τάς
άρχας και τα χρήματα (« après avoir rendu au peuple les armées, les
provinces, les magistratures et les finances»). Seulement Agrippa avait dit
τφ δήμω, «au peuple» et, dans son discours de 27, Auguste ditύμιν, «à
vous », c'est-à-dire aux sénateurs !
5 3
Auguste répète sa renonciation solennelle un peu plus l o i n :
'Αποδίδωμι ύμιν και τα όπλα και τα εθνη τάς τε προσόδους
καί τούς νόμους. Προσόδους, «revenus», reprend naturellement le
χρήματα d'Agrippa et νόμους semble faire écho au slogan de Y aureus, leges
et iura, et indiquer qu'Auguste rend aussi au sénat son pouvoir législatif et
judiciaire.
Auguste précise en outre qu'il n'a pas l'intention de livrer le sénat
54
aux caprices de la populace d'une «ochlocratie ». Bien au contraire, i l
affirme sa volonté de confier (άνατίθημι) l'État, πάντα τα κοινά, Rem
publicam, aux meilleurs et aux plus sensés, c'est-à-dire aux sénateurs :Μή
μέντοι μηδ'ύποπτεύση οτι προέσθαι τε ύμας καί πονηροίς τισιν
άνδράσιν έπιτρέψαι, ή και οχλοκρατί$ τινί, έξ ής ού μ ό ν ο ν
ουδέν χρηστόν άλλα καί πάντα τα δεινότατα άεί πασιν άνθρώποις
γίγνεται, έκδούναι βούλομαι.' Υμιν γάρ, ύμιν τοις άρίστοις καί
φρονιμωτάτοις πάντα τά κοινά άνατίθημι (« Que personne n'aille
soupçonner que je veuille vous remettre à des gens vils ou vous livrer à une
ochlocratie, dont rien de bien mais tous les pires maux proviennent. Non,
c'est à vous, les meilleurs et les plus sensés que je remets toute l'adminis­
tration de l'État»). I l reprend là encore une fois les conseils de Mécène qui
55
lui avait recommandé τήν διοίκησιν των κοινών εαυτφ τε και
τοις αρίστοις προσθειναι, ϊνα βουλεύωσι όι φρονιμώτατοι, «de
confier la gestion de l'État à lui-même et aux meilleurs afin que ce soient
les plus sensés qui prennent les décisions ». Dion ne ménage pas les clins
d'œil ironiques qui montrent qu'Auguste a bien appris sa leçon et qu'il
supprime ou modifie les arguments ouvertement « monarchiques » pour
plaire à ses interlocuteurs. La fin du passage est particulièrement révélatrice
à cet égard: Ε κ ε ί ν ο μεν γάρ ούδέποτ' άν έποίησα, ούδ' εί μυριάκις
άποθανειν ή και μοναρχήσαί με εδει· τούτο δέ καί υπέρ 'εμαυτού
καί υπέρ τής πόλεως ποιώ (« La première solution [livrer le sénat à la
populace], je ne l'aurais jamais prise, dussé-je endurer mille morts ou même
gouverner tout seul. La deuxième, je l'adopte dans mon propre intérêt et

52. LU, 13,1.


53. LUI, 9, 6.
54. LUI, 8, 4-5. Cf. supra p. 332. Traduction M.-L. FREYBURGER.
55. LU, 14, 3. Traduction M.-L. FREYBURGER.

335
MARIE-LAURE FREYBURGER-GALLAND

dans celui de la cité»). I l choisit officiellement la deuxième solution, mais


«gouverne tout seul» et ne meurt pas pour autant !
56
Après ce discours, Dion présente les réactions des sénateurs et l'at­
titude réelle d'Auguste. I l analyse ainsi très subtilement l'état d'esprit des
sénateurs médusés ou subjugués par l'habileté diabolique du prince, ne
sachant s'il fallait le croire ou non mais, résignés ou enthousiastes, récla­
mant à grands cris (δίεβόων) un régime monarchique (μοναρχεΊσθαΐ),
obligés de le forcer (κατηνάγκησαν δήθεν, avec la particule ironique)
à αύταρχήσαι, variante de μοναρχείν, «gouverner seul». Dion signale
aussi que certains sénateurs, écoeurés par les guerres civiles, n'étaient pas
défavorables à un changement de régime» (μεταστάσεί τής πολιτείας
57
ήρέσκοντο), bien qu'Auguste leur eût tenu des propos conservateurs :
Πρώτον μεν τους κείμενους νόμους ισχυρώς φυλάττετε, καί
μηδένα αυτών μεταβάλητε· τα γαρ 'εν ταϋτφ μένοντα, καν χείρω
fi, συμφορώτερα τών άεί καινοτομουμένων, καν βελτίω είναι
δοκή, εστίν («Tout d'abord, gardez soigneusement les lois établies, n'en
changez aucune. Car ce qui reste en usage, même si c'est moins bon, est
plus avantageux que de perpétuelles innovations, même si elles paraissent
meilleures»). Cette idée pourrait appartenir à un Dion sénateur traditio­
naliste car elle apparaît déjà tout au début de l'Histoire Romaine dans un
fragment que Boissevain, le grand éditeur de Dion Cassius, attribue au
58
livre 3 , comme étant soit un commentaire personnel de l'auteur, soit
une partie d'un discours supposé avoir été prononcé au moment de l'ex­
pulsion des Tarquins et de l'instauration de la République : «Tous les chan­
gements (μεταβολαί) sont dangereux et surtout ceux qui concernent les
régimes (ai έν τάίς πολιτείαις) occasionnent aux particuliers et aux
cités les maux les plus nombreux et les pires. C'est pourquoi les gens sensés
(oi νουν έχοντες) préfèrent garder le même régime, même si ce n'est
pas le meilleur, plutôt que de passer (μεταλαμβάνοντες) sans arrêt d'un
e
régime à l'autre. » Alors sont-ce les bouleversements du 111 siècle après J.-C,
ceux de 509 ou ceux de 27 avant J.-C. qui inquiètent notre historien ?
La fin du chapitre expose les faits : la première décision du nouveau
maître a été de se constituer, comme tout tyran qui craint pour sa vie, une
garde prétorienne particulièrement bien rémunérée : Καί παραυτίκα
γε τοις δορυφορήσουσιν αυτόν διπλάσιον τον μισθόν του τοις
άλλοις στρατιώταις διδομένου ψηφισθήναι διεπράξατο, όπως
ακριβή τήν φρουράν εχη. Ούτως ως αληθώς καταθέσθαι τήν
μοναρχίαν έπεθύμησε («Et aussitôt il s'arrangea pour faire voter à ses
gardes du corps un salaire double de celui des autres soldats afin d'avoir une
véritable garde personnelle. C'est la preuve qu'il voulut réellement établir
59
la monarchie »).

56. L U I , 11-12.
57. L U I , 10, 1-2. Traduction M.-L. FREYBURGER.
58. I I I , 12, 3a = M 17.
59. L U I , 11, 5. Traduction M.-L. FREYBURGER.

336
R E S P U B L I C A R E S T I T U T A CHEZ DION CASSIUS

Pour Dion, les intentions réelles d'Auguste sont claires et nous


assistons à un renversement complet par rapport au discours pré­
cédent: Τ ή ν μ ε ν οδν ή γ ε μ ο ν ί α ν τούτω τ φ τ ρ ό π φ και παρά
της γερουσίας του τε δήμου έβεβαιώσατο, βουληθείς δέ δή
και ως δημοτικός τις είναι δόξαι, τ ή ν μ έ ν φροντίδα τήν
τε προστασίαν τ ω ν κοινών πασαν ως καί επιμελείας τινός
δεομένων ύπεδέξατο, ούτε δέ πάντων αυτός τών εθνών άρξειν,
οΰθ' όσων αν άρξη, δια παντός τούτο ποιήσειν εφη, άλλα τα μέν
ασθενέστερα ως και είρηναΐα καί ά π ό λ ε μ α άπέδωκε <τή
βουλή>, τά δ' ισχυρότερα ώς και σφαλερά και επικίνδυνα
καί ήτοι πολεμίους τινάς προσοίκους έ χ ο ν τ α ή καί αυτά
καθ' έαυτά μέγα τι νεωτερίσαι δυνάμενα κατέσχε, λόγω μέν
όπως ή μέν γερουσία άδεώς τά κάλλιστα της αρχής καρπώτο,
αυτός δέ τούς τε πόνους και τούς κινδύνους εχη, εργφ δέ ϊνα
έπί τη προφάσει ταύτη εκείνοι μέν και άοπλοι καί άμαχοι
ώσιν, αυτός δέ δή μόνος καί όπλα εχη καί στρατιώτας τρέφη
(« De cette manière il fit ratifier son pouvoir par le sénat et par le peuple
et, tout en voulant passer pour démocrate, accepta la charge de s'occuper
des affaires de l'État sous prétexte qu elles en avaient grand besoin, mais il
prétendit qu'il ne gérerait pas lui-même toutes les provinces et, pour celles
qu'il gérerait, qu'il ne le ferait pas indéfiniment, mais il rendit au sénat les
provinces plus faibles sous prétexte qu'elles étaient pacifiées et sans guerre,
tandis qu'il garda pour lui les plus fortes, sous prétexte qu'elles étaient peu
sûres, dangereuses et soit avaient des ennemis à leurs frontières soit étaient
capables de fomenter par elles-mêmes des révoltes, en théorie pour que le
sénat jouisse des plus belles provinces de l'empire et que lui n'ait que les
peines et les dangers, en réalité pour que sous ce prétexte les sénateurs soient
sans armées et incapables de se battre, tandis que lui aurait seul les armées
60
et entretiendrait des soldats »).
Nous noterons dans ce texte le jeu subtil des apparences démocratiques
(βουληθείς δημοτικός τις είναι δόξαι) et de la réalité du pouvoir
personnel (τήν μέν φροντίδα τήν τε προστασίαν τών κοινών
πασαν, expression qui rend bien curam et tutelam Rei publicae), l'ironie
féroce de Dion concernant le gouvernement des provinces qui s'exprime par
ώς καί qu'on peut traduire par «sous prétexte que» et par l'opposition
λ ό γ φ μέν/εργω δέ correspondant aux motifs avancés et motifs réels
(garder l'armée avec lui et pour lui).
Ce renversement est encore plus net un peu plus loin lorsque Dion,
après avoir parlé des différentes réformes immédiates et du choix du
61
nom d'Auguste, affirme : Ούτω μέν δή τό τε τού δήμου και το
τής γερουσίας κράτος πάν ές τ ο ν Αΰγουστον μετέστη, καί
άπ'αυτού και ακριβής μοναρχία κατέστη («De cette façon tout le

60. LUI, 12, 1-3. Traduction M.-L. FREYBURGER.


61. LUI, 17, 1. Traduction M.-L. FREYBURGER.

337
MARIE-LAURE FREYBURGER-GALLAND

pouvoir du peuple et du sénat passa aux mains d'Auguste et à partir de là


fut établie une véritable monarchie»).
Nous pouvons mettre ce passage en rapport avec les considérations du
6 2
début des livres 50 et 52 et constater que le changement de régime est
parfaitement étudié par notre historien qui ne manque pas non plus de
6 3
donner à la fin du livre 53 son avis personnel (μοί δοκεΐ) sur l'état d'es­
prit non plus des seuls sénateurs mais des Romains en général qui, selon
lui, ont accordé à Auguste toute une série de marques d'honneur non «par
flatterie» (έκ κολακείας) mais «avec sincérité» (έπ' αληθείας) «parce
qu'il se comportait à leur égard comme s'ils étaient libres » (ώς έλευθέροίς
σφίσΐ προσεφέρετο), faisant allusion à toutes les mesures qui préservaient
en apparence la continuité républicaine, les élections notamment. Mais
6 4
Dion juge plus loin très sévèrement ces Romains et est tout à fait d'accord
avec la nécessité d'instaurer un régime beaucoup plus ferme, en rupture avec
les usages «démocratiques»: Και αυτού ενταύθα ετ' οντος ό δήμος
των 'Ρωμαίων τους υπάτους χειροτονών έστασίασεν, ώστε καί
έκ τούτου διαδειχθήναι οτι αδύνατον ήν δημοκρατουμένους
σφας σωθήναι. Μικρού γουν τίνος εν τε ταις άρχαιρεσίαις καί
έν ταις άρχαις αύταις κυριεύοντες έθορύβησαν («Et alors qu'il
était encore là [en Sicile], le peuple Romain se révolta lors de l'élection des
consuls. Cela a bien montré qu'il était impossible qu'ils soient sauvés sous
un régime démocratique. Alors qu'ils n'avaient qu'un tout petit pouvoir
pour ces élections et ces magistratures, ils fomentaient des troubles»). Cet
épisode montre bien que, pour Dion, les Romains ne sont plus capables
de gérer le peu de pouvoir qui leur reste, c'est-à-dire, de se gérer démocra­
tiquement.
Venons-en au dernier grand texte que je souhaitais soumettre, l'orai­
son funèbre d'Auguste. Naturellement, nous avons là un discours entiè­
rement réélaboré par Dion Cassius, élève de la Seconde Sophistique et
l'on sait que le logos epitaphios relève de règles strictes ; l'historien s'y sou­
65
met volontiers en donnant la parole à Tibère . Ποιήσας δέ ταύτα,
καί το μ έ ν στασιωτικον π ά ν το περιλειφθέν φιλανθρωπία
καταστήσας, το δέ σ τ ρ α τ ι ω τ ι κ ο ν το κράτησαν εύεργεσί^
μετριάσας, και δυνηθείς αν έκ τούτων και έκ τών οπλών τών
τε χρημάτων μόνος άναμφιλόγως κύριος απάντων, ων γε και
ύπ' αυτών τ ώ ν πραγμάτων έ γ ε γ ό ν ε ι , είναι, ούκ ήθέλησεν,
άλλ' ώσπερ τις ιατρός αγαθός σώμα νενοσηκός παραλαβών
καί έξιασάμενος, άπέδωκε πάντα υμίν ύγια ποιήσας («Ayant fait
cela, calmé par sa bonté les trublions qui restaient encore et modéré par sa
générosité la soldatesque victorieuse, alors qu'il aurait pu après cela avec ses
armées et ses richesses être sans conteste maître de tout, ce qu'il était devenu

62. Cf. supra p. 330.


63. LUI, 33, 1.
64. LIV, 6, 1-2. Traduction M.-L. FREYBURGER.
65. LVI, 39, 1. Traduction M.-L. FREYBURGER.

338
R E S P U B L I C A R E S T I T U T A CHEZ DION CASSIUS

par la force des choses, il ne le voulut pas mais, comme un bon médecin,
qui prend en charge un corps malade et le soigne, vous rendit l'État tout
entier après l'avoir guéri»). On notera dans ce passage l'irréel exprimé par
δυνηθείς αν, contredit par le réel έγεγόνεΐ (qui n'est pas sans rappeler
le texte des Res Gestae, εγκρατής γενόμενος qui traduit potitus) et par
l'intention affichée d'Auguste, ούκ ήθέλησεν. On remarquera aussi la
métaphore médicale soigneusement filée qui aboutit à la formule άπέδωκε
πάντα ϋμιν qui permet dans ce contexte métaphorique de la santé de
donner à άποδίδόναί le sens fort qu'il partage avec restituere, «rétablir»,
c'est-à-dire «guérir», puisque l'attribut du complément d'objet est ϋγία.
Signalons que cette image a été utilisée par Livie dans ses conseils à Auguste
66
au moment de la conjuration de Cinna, en 4 de notre ère .
Après ce rappel de la renonciation de 27, Tibère évoque la réaction
des Romains et l'approuve sans aucune pudeur «démocratique». À la
mort d'Auguste les apparences républicaines n'ont plus lieu d'être sau­
67
vées. Le seul régime possible est une π ρ ο σ τ α σ ί α ε ν ό ς ανδρός :
Ό θ ε ν π ε ρ καί ϋμείς, καλώς ποιούντες καί ορθώς φρονούντες,
ούκ ήνέσχεσθε ουδέ έπετρέψατε αύτω ίδιωτεύσαι, άλλ' άτε εδ
είδότες ότι δημοκρατία μέν ούποτ' αν τηλικούτοις πράγμα-
σιν άρμόσειεν, προστασία δέ ε ν ό ς ανδρός μάλιστ' αν αυτά
σώσειεν, οΰτε λόγω μέν έπανελθειν ές τήν αύτονομίαν εργφ
δέ ές τους στασιασμούς ήθελήσατε, και ε κ ε ί ν ο ν , ο ν αύτοις
τοις εργοις έδεδοκιμάκειτε, προκρίναντες ήναγκάσατε
χρόνον γέ τινα υμών προστήναι.' Εξ οδ δή πολύ μάλλον αυτού
πειραθέντες, καί δεύτερον αδθις καί τρίτον τεταρ-τόν τε καί
πέμπτον έξεβιάσασθε αυτόν έ ν τή τών κ ο ι ν ώ ν διαχειρίσει
έμμεΐναΐ. Καί μάλα είκότως (« C'est pourquoi, vous, vous avez bien
fait et bien pensé de ne pas accepter ni de lui permettre de redevenir un
simple particulier, mais, conscients qu'une démocratie n'est plus adaptée à
des affaires d'une telle envergure, mais que la direction d'un seul homme
pourrait les sauver, vous n'avez pas voulu retourner à une autonomie théo­
rique mais à des factions de fait, et lui, dont vous aviez mesuré la valeur
par ses exploits eux-mêmes, vous l'avez choisi et forcé à être votre chef
pour un certain temps. Ensuite, après l'avoir apprécié encore plus, vous
l'avez obligé à rester dans la conduite des affaires une deuxième, une troi­
sième, une quatrième et une cinquième fois. Et vous avez eu raison»). Et
68
Tibère de conclure : Τις μέν γαρ ούκ αν έλοιτο άπραγμόνως
σώζεσθαι καί ακινδύνως εϋδαιμονειν, καί τών μέν αγαθών τών
τής πολιτείας άφθόνως άπολαύειν, ταις δέ δή φροντίσι ταις
υπέρ αυτής μή συνεΐναί; (« Qui ne choisirait pas en effet la sécurité
sans trouble, la prospérité sans danger et la jouissance sans restriction des
bienfaits d'un régime sans en avoir les soucis en permanence?»)

66. LV, 17, 1.


67. LVI, 39, 5. Traduction M.-L. FREYBURGER.
68. LVI, 40, 1. Traduction M.-L. FREYBURGER.

339
MARIE-LAURE FREYBURGER-GALLAND

Dion commente ensuite, en développant les arguments qu'il avait mis


dans la bouche de Tibère, le chagrin réel (δεινώς έπόθουν) des Romains
69
à la mort d'Auguste par le succès de cette constitution mixte (μίξας) :
Διά τε οδν ταύτα, και οτι τήν μοναρχίαν τή δημοκρατία μίξας
τό τε ελεύθερον σφισιν έτήρησε καί το κόσμιον τό τε ασφαλές
προσπαρεσκεύασεν, ώστ' εξω μέν τοΰ δημοκρατικού θράσουςέξω
δέ καί τών τυραννικών ύβρεων όντας εν τε ελευθερία σώφρονι
καί έν μοναρχία άδεει ζην, βασιλευομένους τε άνευ δουλείας
και δημοκρατουμένους άνευ διχοστασίας, δεινώς αυτόν έπόθουν
(« Pour ces raisons et parce que, ayant mêlé la monarchie à la démocratie,
il veilla à leur liberté et établit l'ordre et la sécurité, de sorte qu'ils vivaient
dans une liberté modérée loin des excès démocratiques et des insolences
tyranniques et dans une monarchie sans crainte, gouvernés par un roi sans
être esclaves et dans un régime démocratique sans dissensions, ils le regret­
taient terriblement»).
Il termine ensuite par un commentaire personnel (γράφω) qui sem­
70
ble objectif et dénué d'ironie : Κεφάλαΐον δέ έφ' άπασιν αύτοις
γράφω οτι τό τε στασιάζον παν έπαυσε καί τό πολίτευμα πρός
τε τό κράτιστον μετεκόσμησε και ισχυρώς έκράτυνεν («Je dirai
simplement en résumé qu'il a fait cesser toutes les dissensions, a modifié le
régime dans le sens de la plus grande efficacité et qu'il l'a fortement conso­
lidé»). On notera l'emploi du verbe μετα-κοσμέΐν, qui exprime à la fois
l'idée de changement (μετα- ) et celle de mise en ordre et d'amélioration
(κοσμός).
71
Nous avons ailleurs comparé ces passages au texte de Tacite étudié par
O. Devillers, mais nous préférons rester ici à l'intérieur même de YHistoire
Romaine et mettre en perspective ces divers discours ainsi que les remarques
de Dion concernant les réactions des Romains et ses propres commentaires.
Pouvons-nous dire que, selon l'historien sévérien, il y a « rétablissement
de la République», restitution des institutions anciennes, retour aux pra­
tiques républicaines ou plutôt rupture, changement, instauration d'un
nouveau régime qu'il appelle d'abord μοναρχία, puis προστασία, mot
qui correspond sans doute le mieux à principatus, «première place» ? Il nous
semble que son analyse, pour rhétorique et parfois décalée qu'elle soit, n'est
dépourvue ni d'exactitude ni definesseet qu'elle rend bien et l'ambiguïté
de la conduite d'Auguste et celle de la réaction des Romains.
Pour la période allant de 31 à 27, utilisant les sources les plus variées
et connaissant aussi bien les documents officiels que la correspondance
privée et les mémoires d'un certain nombre d'acteurs politiques de cette
époque, Dion aboutit à un constat clair qui n'a rien de surprenant : dès
31, c'est pratiquement une «monarchie» qui s'installe. L'intention réelle
d'Octavien c'est bien de μοναρχείν, «gouverner tout seul», mais, habileté
69. LVI, 43, 4. Traduction M.-L. FREYBURGER.
70. LVI, 44, 2. Traduction M.-L. FREYBURGER.
71. Cf. « Tacite et Dion Cassius », Actes du colloque «Présence de Tacite «, Tours, 1992, p. 127-139.

340
R E S P U B L I C A R E S T I T U T A CHEZ DION CASSIUS

plus qu'hypocrisie de sa part, le prince a su assurer une transition sans rup­


ture en affectant un retour au mos maiorum. Pour notre historien, en 27, il y
a bien changement de régime, mais la Res publica, au sens d'« affaires publi­
ques», a bien été restituta, «rétablie», «remise en état», voire «soignée». I l
s'agit d'un changement «salutaire», pour reprendre la métaphore médicale
et les emplois nombreux de σώζεσθαι (et de σωθηρία) dans les discours
72
officiels, correspondant au latin (conjseruare. Livie dit ainsi à Auguste :
A i προστασίαι έπι τη τών αρχομένων σωθηρίςι καθίστανται
(«Les principats ont été institués pour le salut des gouvernés»). Une autre
lecture des livres 51 à 56 mériterait cependant d'être faite en rapport avec
les problèmes politiques contemporains de notre historien. Sénateur, appar­
tenant aux élites provinciales, vantées par Mécène, Dion est extrêmement
sensible aux ménagements d'Auguste à l'égard de l'aristocratie sénatoriale.
Dans tous les passages où il traite du meilleur régime possible, i l est clair
que pour lui la démocratie est toujours menacée par l'ochlocratie et que
ce n'est donc pas au peuple qu'il faut restituere Rem publicam, mais aux
meilleurs et aux plus avisés, c'est-à-dire aux sénateurs. Pour lui, le meilleur
régime possible est une constitution mixte, une sorte de « monarchie parle­
mentaire» dans laquelle le partage des pouvoirs se fait exclusivement entre
le prince et le sénat. MHistoire Romaine célèbre d'ailleurs comme optimi
principes ceux qui ont appliqué ces principes et comme mauvais ceux qui,
populaires ou tyranniques, ont brimé ou ignoré le sénat - et Dion lui-même
a eu à en souffrir. La Res publica selon lui n'est pas celle des tribuns de la
plèbe, mais celle des patres.

72. LV,20,2.

341
Conclusions

Jean-Louis FERRARY

Ce colloque est né de l'intérêt pour la période augustéenne de deux jeunes


professeurs à l'Université de Nantes, un historien qui venait de publier un
mémoire d'habilitation sur Le Proconsul et le Prince d'Auguste à Dioclétien
(Bordeaux, 2006) et un latiniste qui venait de publier un mémoire d'habili­
tation sur Tite-Live et l'histoire de Rome (Paris, 2006). Une première journée,
plus historique, fut consacrée à « La Res publica restituta entre fiction et réa­
lité» (communications de M . Spannagel, Fr. Vervaet, M . Tarpin, Fr. Hurlet
et Ph. Le Doze) et à «La Res publica restituta dans le discours officiel» (com­
munications de A. Suspène, P. Gros, G. Sauron et E. Rosso) ; la seconde jour­
née, plus littéraire, le fut à «La Res publica restituta dans la poésie d'époque
augustéenne» (communications d'A. Deremetz, M . Citroni, P. M . Martin) et
à « La Res publica restituta dans l'historiographie antique » (communications
de B. Mineo, O. Devillers et M.-L. Freyburger). J. Scheid, qui n'avait pu
participer au colloque, a envoyé un texte pour ce volume, en sorte que la seule
absence par rapport au projet primitif est celle de G. Alföldy, qui avait accepté
de faire une contribution sur l'épigraphie monumentale augustéenne: son
état de santé, malheureusement, ne lui a permis ni de participer au colloque
ni de faire parvenir une contribution.
Le sous-titre du colloque, Autour de la Res publica restituta, met l'accent
sur l'un des aspects du régime augustéen. L'expression n'apparaît d'ailleurs
de façon certaine que dans la Laudatio Turiae, qui n'est pas un texte officiel.
Elle n'est qu'une restitution, contestée, dans les Fastes de Préneste, et on ne
la trouve explicitement ni sur Y aureus de 28, ni sur celui de 12 (RIC 413),
ni dans le chapitre 34 des Res Gestae. Mais elle définit bien l'esprit des évé­
nements de 28 et 27, à condition de bien voir que restituere ne signifie pas
une restauration à l'identique et que res publica ne désigne pas nécessaire­
ment l'ancienne République aristocratique, mais toute forme de gestion de
la chose publique qui n'impliquait pas sa confiscation par un individu ou
une faction et permettait d'établir une continuité entre le nouveau status rei
publicae et le régime ancien. Dans leur excellente introduction au colloque,
Fr. HURLET et B. M I N E O ont rappelé que «l'objet des actes de ce colloque

343
JEAN-LOUIS FERRARY

est d'étudier les différentes manifestations de cette restitutio Rei publicae'au


moment de sa mise en place dans le courant des années 20 av. J.-C, puis
de suivre son évolution jusqu'à la fin du principat d'Auguste, voire au-delà
lorsqu'une situation de crise conduisit les vainqueurs à parler à leur tour
de restauration (par exemple avec Vespasien, Nerva ou Septime Sévère) »
(p. 11), de «déterminer ce qu'une telle restitutio implique aussi bien dans
le domaine des institutions que dans la mise en forme du discours officiel
délivré à l'initiative du jeune César et dans le regard porté sur le nouveau
régime par les contemporains du prince - poètes et historiens avant tout»
(p. 19). Un titre sensiblement plus large («Le principat d'Auguste. Réalités
et représentations du pouvoir») définit plus exactement l'ensemble du
volume, où apparaît clairement l'impossibilité de faire des années 28 et 27
un début absolu, comme de réduire à la Res publica restituta et à l'évolution
de cette formule l'étude du pouvoir augustéen, de la façon dont il s'afficha
et dont il fut conçu - par les contemporains d'abord, mais aussi rétrospec­
tivement, par Vespasien qui en reprit la thématique et fit pour la première
fois de l'image augustéenne un modèle idéal du principat affranchi de toute
revendication purement dynastique (E. Rosso), puis, dans l'historiographie,
par Tacite (O. DEVILLERS) et Dion Cassius (M.-L. FREYBURGER).
Plusieurs des communications sont plus précisément centrées sur les
années 28-27 et celles qui suivirent immédiatement. Ε VERVAET reprend
le problème, qu'on avait pu croire résolu, de la nature du pouvoir absolu
(potens rerum omnium - RDGA 34) auquel Auguste acheva de renoncer en
janvier 27 : à contre-courant des thèses actuellement dominantes, il revient
à celle d'un pouvoir triumviral qui n'aurait pu être formellement éteint que
par une abdication, même si Auguste, dès 31, avait cessé de s'en prévaloir.
Ces analyses devront être examinées et discutées avec soin : elles ont le
mérite de rendre compte de la difficile situation juridique du jeune César et
d'Antoine pendant l'année 37, de mieux expliquer leur consulat commun
prévu pour 31, ainsi que le récit par Dion de la réaction de César aux atta­
er
ques formulées par le consul Sosius le 1 janvier 32 (50.3), et plus encore
le discours prêté par cet historien à César lors de la séance sénatoriale de
janvier 27 (53.3-10) ; mais elles se heurtent à l'affirmation explicite d'Auguste
dans les Res gestae, c. 7: Tri[umu]i[rum rei pujblicae c[on]s[ti]tuendae fui
per continuos an[nos] decern. Alors que J. SCHEID, le meilleur connaisseur
actuel de ce texte, n'hésite pas à écrire : «j'ai pu régulièrement constater que
les Res Gestae disaient généralement la vérité ; elles interprètent, certes, les
faits, mais elles ne les inventent pas ; les faits quelles rapportent correspon­
dent à la réalité» (p. 124), l'hypothèse d'une extinction du triumvirat en
janvier 27 seulement impliquerait, une fois au moins, un mensonge déli­
béré. Au demeurant, et quel que soit leur intérêt, les problèmes du terme des
pouvoirs triumviraux et du fondement légal des pouvoirs augustéens pen­
dant les années 32-28 n'ont qu'une incidence limitée sur la signification et
l'importance de la restitutio des années 28-27. llaureus de 28 avec la légende

344
CONCLUSIONS

LEGES ET IVRA P(opuli) R(omani) RESTLTVLT qui illustrait l'affiche


y

et le programme du colloque, est étudié dans plusieurs communications


(FR. HURLET, A. SUSPÈNE, M . CITRONI) qui ont pu tenir compte de l'inter­
prétation nouvelle et convaincante qu'en avait proposée D. Mantovani, et
qui vient enfin d'être publiée {Athenaeum 9 6 , 2 0 0 8 , p. 5 - 5 4 ) . Fr. HURLET
a bien montré qu'un aspect important de cette restitutio fut la réinvention
d'une forme de concurrence entre aristocrates, dont K.-J. Hölkeskamp a
montré qu'elle avait été dans l'ancienne République un principe essentiel
de régulation, et l'un des fondements du consensus sur la nature aristocra­
tique du régime (p. 9 4 - 9 8 ) . Cet aspect important de la restitutio conduit
d'ailleurs à en nuancer les limites et la chronologie. C'est seulement après
qu'Auguste eut en 2 3 abdiqué le consulat que la compétition à son plus
haut niveau (celle pour l'exercice du consulat, puis le gouvernement des
provinces consulaires d'Afrique et d'Asie) put réellement revivre entre aris­
tocrates, tandis que la résurrection du triumvirat monétaire permettait de
nouvelles formes de compétition et d'autocélébration familiale en début de
carrière, entre 2 3 et 4 avant J . - C , mais surtout entre 1 9 et 1 2 (A. SUSPÈNE,
p. 158-161). En revanche, une compétition avec le prince ne put longtemps
être tolérée: en témoigne le fait que M . Licinius Crassus fut en 2 7 autorisé
à triompher, mais non à déposer des dépouilles opimes dont Auguste lui-
même ne pouvait se prévaloir, et qu'on ne trouve plus après 1 9 de triomphe
célébré par un autre que le prince ou un membre de sa famille. De même la
Res publica restituta impliquait-elle plus de discrétion dans les pouvoirs
exceptionnels dont avaient pu jouir des chevaliers amis du prince. L'exemple
le plus significatif est sans aucun doute celui de Mécène, et P H . L E DOZE
donne d'excellents arguments pour voir, derrière la prétendue disgrâce de
Mécène, un relatif effacement voulu par le prince, et consenti par l'intéressé,
en un temps où le retour de la hiérarchie sociale traditionnelle faisait partie
du compromis qu'exigeait l'acceptation du nouveau régime par la vieille
aristocratie. Il serait intéressant de voir si la carrière et les aléas d'un Vedius
Pollion ne peuvent être analysés de semblable façon. Mais le compromis, là
encore, avait ses limites : s'il se rendit compte qu'une préfecture de la Ville
ne pouvait être confiée qu'à un aristocrate de rang consulaire, Auguste resta
ferme dans le maintien d'un chevalier pourvu exceptionnellement d'un
imperium à la tête de l'Egypte, et le rôle excessif des amis du Prince, avec
un «secret du prince» échappant aux délibérations sénatoriales, est une des
critiques formulées par Tacite contre la politique d'Auguste (O. DEVILLERS,
p. 313). I l y a plus grave encore. Ainsi que le souligne P. GROS, c'est après
Actium et dans les années même de la restitutio que la maison d'Auguste
sur le Palatin cessa d'être seulement une forme exceptionnelle de grande
demeure patricienne pour prendre son aspect définitif, particulièrement
novateur et s'inscrivant davantage dans la tradition des structures palatiales
hellénistiques, avec le temple d'Apollon (voué en 3 6 mais dédié seulement
en 28) sur le long côté du grand péristyle, l'autel au centre de ce péristyle,

345
JEAN-LOUIS FERRARY

et sur le petit côté une bibliothèque qui fiat dès l'origine conçue comme
pouvant servir de curie : « la dyarchie du régime, qui s'exprimait encore
sous une forme qui pouvait faire illusion dans le vieux Forum républicain
remodelé par Auguste... n'est plus de mise sur le Palatin..., et en ce sens
le domaine du Palatin, tel qu'en lui-même i l nous est restitué, peut être
déchiffré comme le contrepoint et, d'une certaine façon, le démenti du
prétendu retour à la légalité républicaine» (p. 184-185).
Quelle légalité républicaine d'ailleurs ? En matière de réglementation du
gouvernement des provinces consulaires (FR. HURLET, p. 82-84), comme
en matière d'organisation des procès publics, la législation augustéenne fut
pour l'essentiel un retour à la législation du troisième consulat de Pompée
en 52. Le triple triomphe augustéen de 29, à la seule quoique notable
exception de la place des sénateurs dans le cortège, rappelant qu'ils avaient
eux aussi combattu sous les enseignes du Prince, s'inscrivait essentiellement
dans la tradition des grands triomphes de Pompée en 61, de César en 46
(M. TARPIN). Ainsi que le rappelle fort justement M . SPANNAGEL, le texte
des Res Gestae implique clairement qu'Auguste faisait remonter aux évé­
nements de 44-43 son principat et son auctoritas, même si cette dernière
devait devenir déterminante à partir de 27 et de l'octroi du titre £Augustus,
puis culminer avec le titre de pater patriae en 2 av. J.-C, parce que c'est
dès ce moment-là qu'il avait rendu à la liberté la Res publica opprimée par
la tyrannie d'une faction (Rem publicam a dominatione factionis oppressam
in libertatem uindicaui — c. 1) : Auguste, encore une fois, s'inspirait direc­
tement d'une phraséologie pompéienne, même si cette dernière nous a été
conservée par un texte du corpus césarien (Beli Afr., 22.2). La curie du tem­
ple d'Apollon Palatin et de la maison d'Auguste, enfin, aurait probablement
été plus difficilement concevable s'il n'y avait eu, là encore, des précédents
partiels : la curie de l'ensemble monumental érigé par Pompée sur le Champ
de Mars, et l'annexion de la nouvelle Curia Iulia dans la structure du Forum
de César. La République n'avait pas été une réalité institutionnelle et sociale
homogène et univoque : la Res publica de Sylla déjà n'avait pu ni voulu être
un retour purement réactionnaire à une République pré-gracquienne, et la
Res publica restituta d'Auguste ne prend son sens que si on la compare tout
particulièrement aux tentatives précédentes de Pompée et de César.
On a pu souligner à la fois le pragmatisme et la cohérence de l'œuvre
augustéenne. J. SCHEID l'a montré pour l'œuvre de restauration religieuse,
qui connaît une première phase très active dans les années 36-27, où elle
joue un rôle déterminant dans la formation du consensus qui lui permet­
tra de se présenter en chef voulu par l'Italie tout entière contre la menace
égyptienne (et le risque antonien d'un pouvoir romain dénaturé et orienta­
lise), puis une seconde lorsqu'en 12 av. J.-C. la mort de Lèpide lui permit
enfin de devenir grand pontife, tandis qu'entre temps était organisée en
17 la cérémonie des jeux séculaires : « une stratégie mûrement réfléchie et
préparée» (p. 125), bien qu'elle se fasse sur une longue durée, au fur et à

346
CONCLUSIONS

mesure des occasions qui se présentaient. De même P. GROS souligne-t-il


«le contraste qui s'établit, pour peu qu'on suive dans leur détail les moda­
lités d'occupation du terrain, entre, d'une part, la volonté qui s'affirme dès
le début d'investir les lieux les plus chargés d'histoire liés à la légende romu-
léenne et même aux souvenirs de la primitive occupation arcadienne, et
d'autre part l'apparent bricolage qui a présidé à la réalisation de l'ensemble»
(p. 171). Cet «apparent bricolage» est une expression qu'on pourrait appli­
quer à la mise en place des pouvoirs du prince entre 28/7 et 19 av. J.-C. telle
que j'ai essayé de la reconstituer (CCGG 12, 2001, p. 101-154), et là aussi
il coexiste avec un but qui reste fixe, même si Auguste sait renoncer à ce
qui se heurte à de trop forts obstacles (le cognomen de Romulus, auquel fut
substitué celui d'Augustus ; le consulat permanent, qui aurait impliqué que
le collège consulaire fut de trois membres, et dont un substitut, permettant
par dessus le marché l'institution de la tribunicia potestas, fut mis en place
entre 23 et 19). Le pragmatisme d'Auguste ne consistait pas seulement à se
plier aux exigences du moment, mais, en acceptant de prendre des voies de
traverse tout en maintenant le but fixé, il savait aussi tirer le meilleur parti
d'apparentes concessions : c'était en même temps un prodigieux oppor­
tunisme. C'est cela que les Res gestae gomment totalement, en présentant
rétrospectivement ce parcours souvent sinueux et syncopé comme une belle
ligne droite conduisant tout naturellement le princeps de la libération de
la res publica opprimée, avec les premières récompenses décernées pour
cette raison par le Sénat et par le peuple, jusqu'au titre de père de la patrie
décerné à nouveau par le Sénat et par le peuple. La restitutio de 28/7 est
alors rappelée comme une étape importante de ce parcours, mais dans la
phrase célèbre du c. 34, lorsqu'Auguste écrit Rem publicam ex mea potestate
in sena[tuspopulique Romjani [ajrbitrium transtuli, le plus remarquable est
peut-être qu'il implique que la Res publica avait pu survivre lorsqu'elle était
en sa seule puissance : il y a là une contradiction, même si elle est atténuée
par la précision per consensum uniuersorum potens omnium rerum. Dans
ce texte écrit à la fin de sa vie, Auguste n'est pas disposé à laisser entendre
que les années 43 à 29 auraient été celles d'une confiscation de la respopuli
au profit des triumvirs et, après l'élimination de Lèpide et d'Antoine, de lui
seul : uindex libertatis à l'âge de 19 ans, il l'était resté tout le long de sa vie,
et bien des détails se trouvent ainsi estompés, notamment la substitution
des césaricides à Antoine comme incarnant la factio contre laquelle il avait
défendu la Res publica, et le fait qu'au terme de l'expérience triumvirale il
lui avait fallu user de la prétendue menace égyptienne et du rétablissement
de la paix civile pour se prévaloir à nouveau du titre de uindex libertatis
(VINDEXP(opuli) R(omani) LIBERTATIS sur le droit d'un cistophore de
28 portant Pax au revers : RPCI, 2203).
Parmi les auteurs d'époque augustéenne, c'est incontestablement chez
Tite-Live qu'on trouve les échos les plus directs du thème de la Res publica
restituta, et la figure de Camille apparaît tout particulièrement comme un

347
JEAN-LOUIS FERRARY

précédent du prince, peut-être même comme un modèle que lui propose


Thistorien. Ainsi que le fait également remarquer B. MINEO, on n'a aucun
indice que l'affirmation dynastique du principat ait entraîné, de la part du
pompéien Tite-Live, un détachement par rapport au pari qu'il avait fait
de la sincérité et du succès d'Auguste (même si, bien entendu, la perte des
livres 46 à 142 n'est en aucune façon compensée par les periochae et par de
misérables fragments, en sorte que le dernier Tite-Live reste largement un
mystère). Dans ce qui nous reste de la littérature augustéenne, on n'a guère
de traces d'une opposition au régime. P. M . MARTIN voit dans la légende
de Cipus {Met., 15.547-564) l'expression de l'incrédulité d'Ovide face au
thème de la Res publica restituta: il a incontestablement raison contre ceux
qui avaient au contraire voulu interpréter ce texte comme une sorte de célé­
bration de la restitutio augustéenne, mais je ne suis pas aussi certain que lui
que, « racontant l'histoire de Cipus, Ovide pense évidemment à Auguste et
que donc son lecteur ne pouvait pas ne pas y penser à son tour», que «les
rapprochements... sont... trop nombreux pour être fortuits » (p. 276).
Plus intéressant est sans doute le fait que, chez Virgile comme chez
Horace (A. DEREMETZ, M . CITRONI), on trouve une image du prince bien
éloignée de la prudence qui avait inspiré Auguste dans la mise en place de
son nouus status, et qui imprègne encore le texte des Res gestae. À vrai dire,
notre surprise tient en grande partie à notre conception moderne d'une pro­
pagande où la ligne politique officielle doit être strictement reproduite dans
les oeuvres littéraires ou artistiques. Mais la propagande des régimes tota­
e
litaires du xx siècle n'est sans doute pas un instrument heuristique adapté
pour l'étude de la littéraure augustéenne. Ainsi que l'écrit M . CITRONI, « il
nous faut prendre acte... du fait que la poésie était considérée comme un
espace de communication où il n'était pas nécessaire de tenir compte des
médiations constitutionnelles difficiles dans lesquelles le régime était engagé
pour se proposer d'être cohérent avec les institutions de la libera res publica.
Malgré la proximité remarquable entre les grands poètes augustéens, la per­
sonne du prince et son entourage, malgré aussi l'influence de leurs œuvres
sur le public, leur voix était apparemment considérée, du point de vue
de l'engagement idéologique, comme analogue à celle des manifestations
privées, non officielles, de célébration augustéenne, qui, comme nous le
savons, n'hésitaient pas à rendre un culte à Auguste, comme à un dieu
vivant» (p. 266). Là encore, tout ne naît pas radicalement avec Auguste.
G. SAURON a souligné, d'une part «la volonté de tous les protagonistes
du triumvirat de s'inscrire dans un contexte héroïque, ou, si l'on veut, de
penser le monde au bouleversement duquel ils prenaient une part décisive
comme une scène tragique» (p. 187), et d'autre part «la radicalité de la
révolution augustéenne» (p. 200), que symbolise, dans la représentation
du prince, le passage de XOctavianstypus, qui relève encore d'un modèle
héroïque, à XHaupttypus, qui est celui d'une projection terrestre d'Apollon.
L'hétérogénéité du discours institutionnel et du discours poétique ne doit

348
CONCLUSIONS

pas trop vite conduire à supposer une spécificité du second. C'est plutôt
le discours institutionnel, du moins à Rome, qui est isolé. Les textes poé­
tiques (mais on pourrait en rapprocher aussi la préface au premier livre de
Vitruve, sur laquelle P. GROS appelle notre attention à la fin de son texte)
n'entrent pas en contradiction avec les images figurées, et les spécialistes
de la poésie augustéenne seraient peut-être surpris de se trouver à ce point
en terrain connu s'ils lisaient l'extraordinaire document qu'est la lettre du
proconsul Paullus Fabius Maximus au koinon d'Asie, faisant adopter l'anni­
versaire d'Auguste comme nouveau point de départ de l'année provinciale
(R. K. Sherk, Roman Documentsfrom the Greek East, n° 65 ; U. Laffi, SCO,
1967, p. 5-98).
Ce volume montre bien, nous semble-t-il, l'extraordinaire complexité
du pouvoir et de ses représentations à Rome durant le principat d'Auguste:
l'évolution chronologique révèle un mélange de pragmatisme et d'oppor­
tunisme qui poursuit malgré tout des desseins cohérents ; ces chemine­
ments complexes ont été rétroactivement estompés, d'abord par Auguste
lui-même dans ses Res gestae, lorsqu'il reconstruit une ligne droite menant
infailliblement de 44/3 av. J.-C. à 13 ap. J.-C, puis par les «anamorpho­
ses » qu'ont imposées à l'image augustéenne les princes qui ont voulu s'en
servir (E. Rosso, p. 210), ou enfin par les anachronismes des historiens,
qui n'ont pu que réinterpréter le principat augustéen à travers l'évolution et
le caractère de plus en plus monarchique du régime dont il était considéré
comme le fondateur. D'autre part, à côté de la construction du principat,
c'est-à-dire du bricolage destiné à créer une nouvelle Res publica conservant
des apparences de compétition aristocratique, d'autorité sénatoriale et de
souveraineté formelle du peuple tout en y insérant au profit du prince une
accumulation de pouvoirs sans précédent, il y a le charisme personnel (dont
Yauctoritas n'est en quelque sorte que la lecture politique) d'un personnage
hors du commun, considéré comme providentiel, choisi par les dieux, voire
d'essence divine, tant la cité et l'Empire de Rome, c'est-à-dire le monde
entier, lui devaient de reconnaissance pour avoir su rétablir et maintenir
la paix après des décennies de guerres civiles. Tout le problème de Tibère
allait être de maintenir le bricolage institutionnel sans disposer pour cela
du charisme augustéen.

349
Table des matières

Les auteurs 7

Frédéric HURLET et Bernard MINEO


Introduction
Res publica restituta. Le pouvoir et ses représentations
à Rome sous le principat d'Auguste 9

Première partie
La Res publica restituta
entre réalité et fiction

Martin SPANNAGEL
Annos undeviginti natus...
Die Rückführung von Augustus'Principat aufdie fahre 44143 v. Chr. 25
Frederik J. VERVAET
In What Capacity Did Caesar Octavianus Restitute the Republic ì 49
Frédéric HURLET
L'aristocratie augustéenne et h Res publica restituta 73
Philippe LE DOZE
Aux origines d'une retraite politique: Mécène et la Res publica restituta 101
John SCHEID
Les restaurations religieuses d'Octavien/Auguste 119
Michel TARPIN
Le triomphe d'Auguste: héritage de k République ou révolution ? 129

351
LE PRINCIPAT D'AUGUSTE

Deuxième partie
La Res publica restituta
dans le discours officiel

Arnaud SUSPÈNE
Aspects numismatiques de la Res publica restituta augustéenne 145
Pierre GROS
Les limites dun compromis historiquer
de U domus vitruvienne à la maison augustéenne du Palatin 169
Gilles SAURON
Du triumvirat au début du principat: k construction du mythe augustéen 187
Emmanuelle Rosso
Le thème de la Res publica restituta dans le monnayage
de Vespasien : pérennité du « modèle augustéen »
entre citations, réinterprétations et dévoiements 209

Troisième partie
La Res publica restituta
dans la poésie d'époque augustéenne

Mario CITRONI
Res publica restituta et U représentation du pouvoir augustéen
dans l'œuvre d'Horace 245
Paul M. MARTIN
Res publica non restituta. La réponse dOvide: h légende de Cipus 267
Alain DEREMETZ
La Res publica restituta dans lœuvre de Virgile 281

Quatrième partie
La Res publica restituta
dans l'historiographie antique
Bernard MINEO
La Respublica restituta livienne: un pari sur l'avenir 295
Olivier DEVILLERS
Sed aliorum exitus, simul cetera illius aetatis, memorabo (Ann., III, 24, 2).
Le règne d'Auguste et le projet historiographique de Tacite 309
Marie-Laure FREYBURGER-GALLAND
Res Publica Restituta chez Dion Cassius 325

Jean-Louis FERRARY
Conclusions 343

352
H I S T O I R E

Sous la direction de Frédéric HURLET et Bernard MINEO

Le principat d'Auguste
Réalités et représentations du pouvoir
Autour de la Res publica restituta

A la suite de la bataille d'Actium, Auguste est parvenu à fonder u n r é g i m e


politique durable, c o m m u n é m e n t a p p e l é principat, dont la nature continue
à faire d é b a t . L'apparition au d é b u t des a n n é e s 20 av. J.-C. du t h è m e de la
Res publica restituta, à la fois slogan et p r o g r a m m e politique q u i faisaient d'Auguste le
restaurateur de l'État r o m a i n , n'est pas le moindre des paradoxes. Si l'historiographie
reste sensible aux ruptures q u i r é s u l t a i e n t de la mainmise sur l'État d'un seul homme
et de sa famille, i l y a place é g a l e m e n t pour une é t u d e des c o n t i n u i t é s que le nouveau
r é g i m e n'a c e s s é de mettre en avant à ses d é b u t s .
Les organisateurs du colloque de Nantes, Fr. Hurlet et B. Mineo, ont r a s s e m b l é une
é q u i p e internationale d'une vingtaine de chercheurs pour susciter u n é c h a n g e de points
de vue sur le sujet entre l i t t é r a i r e s , historiens, historiens de l'art et a r c h é o l o g u e s . Les
auteurs a u g u s t é e n s - h i s t o r i e n c o m m e Tite-Live, p o è t e s comme Virgile, Horace ou
Ovide - ont é t é l'objet d'une attention p a r t i c u l i è r e à travers l ' é t u d e de leur perception
du nouveau r é g i m e et de la nature de leurs relations avec le prince ; l ' e n q u ê t e a é t é
é t e n d u e aux auteurs p o s t é r i e u r s à Auguste q u i ont t r a i t é de la naissance du principat
(Tacite et D i o n Cassius). Les é p i g r a p h i s t e s et les numismates ont a n a l y s é la m a n i è r e
dont le nouveau r é g i m e cherchait à se p r é s e n t e r sur les inscriptions et les monnaies afin
de m i e u x saisir toutes les subtilités du discours officiel. La mise en forme des pouvoirs
i m p é r i a u x et l'attitude de l'aristocratie au m o m e n t de la mise en place du principat ont
fait é g a l e m e n t l'objet d ' é t u d e s s p é c i f i q u e s . Ont é t é prises en compte les images liées
au nouveau pouvoir - m o n u m e n t s , demeure d'Auguste sur le Palatin, statues, reliefs,
c é r é m o n i e s religieuses - comme support m a t é r i e l de l'idéologie i m p é r i a l e .
U n tel faisceau de points de vue permet de m i e u x se r e p r é s e n t e r dans toute leur
c o m p l e x i t é les fondements du principat a u g u s t é e n à sa naissance.

Frédéric HURLET est professeur d'histoire romaine à l'université de Nantes et directeur de VIIFR
Histoire, Histoire de Vart et Archéologie. Il est membre du CRHIA (Centre de Recherche d'Histoire
Internationale et Atlantique, EA 1163). Il vient de publier, aux Presses Universitaires de Rennes, Rome
et l'Occident. Gouverner l'Empire.
Rernard MINEO est professeur de latin à Vuniversité de Nantes et directeur du département de Lettres
Classiques. Il est membre de l'équipe TLI-MMA (Textes, langages, imaginaires/marges, modernité de
l'antique, EA 4276). Il a publié, en 2006 aux Relies-Lettres, Tite-Live et l'histoire de Rome.

E n couverture : Portrait d'Octavien/Auguste provenant de Béziers. Conservé au Musée Saint-


Raymond, musée des Antiques de Toulouse, cliché Jean-François Peiré.

19 €
Avec le soutien
Réseau des Universités de l'université de Nantes
OUEST ATLANTIQUE 9"782753"509528 M

www.pur-editions.fr
ISBN 978-2-7535-0952-8

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