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Sociétés contemporaines

Éthique et droit dans l'exercice de la fonction de justice


Monsieur Jacques Commaille

Résumé
Résumé : Y-a-t-il une éthique dans l'exercice de la fonction de justice ? Bien que la question ne soit généralement pas
explicitement abordée, le constat de l'existence de deux grands modèles de justice conduit à penser que l'éthique des juges est
déterminée par des conceptions différentes du rapport au droit, en fonction d'une certaine place accordée au social et au
politique et en fonction de facteurs internes à l'institution judiciaire. A l'avenir, les transformations de la régulation juridique, en
bouleversant le modèle dominant de rapport au droit, devraient faire de cette question de l'éthique du juge une question centrale
pour la Justice.

Abstract
JACQUES СОММА1ШЕ Is there an ethic for the exercise of justice ? Although this question is seldom treated explicitly, to
recognize two major models for justice suggests that the judge's ethic is determined by different conceptions of his relationship
to the law, depending both on how he takes the social and political spheres into account and on internal institutional factors.
Changes in legal regulation which upset the prevailing model of relationship to the law should bring this question to the fore in
future debates on justice.

Citer ce document / Cite this document :

Commaille Jacques. Éthique et droit dans l'exercice de la fonction de justice. In: Sociétés contemporaines N°7, Septembre
1991. Ethique professionnelle. pp. 87-101;

doi : https://doi.org/10.3406/socco.1991.1011

https://www.persee.fr/doc/socco_1150-1944_1991_num_7_1_1011

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♦ ♦♦♦♦♦♦ JACQUIS С O M M A I L L I ♦ ♦♦♦♦♦♦

ÉTHIQUE ET DROIT DANS L'EXERCICE


DE LA FONCTION DE JUSTICE

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A l'opposé de ce qui s'est passé dans le monde anglo-saxon où les problèmes


éthiques des juristes sont considérés comme la simple transcription de difficultés
publiques en raison du rôle accordé à ces professionnels dans le destin du pays
(Luban, 1988), la question de l'éthique n'a pas été, en France, un objet privilégié des
travaux de sciences sociales consacrés à la fonction de justice ou aux professionnels
du droit. C'est pourquoi la réflexion que nous proposons ici ne saurait être fondée
sur une recherche consacrée spécifiquement à cette question.
Pourtant la sociologie est susceptible de donner toute sa valeur heuristique à la
question de l'éthique dans le domaine de la justice si elle ne se laisse pas enfermer
dans une approche interne et sacralisée du droit et de ses mises en oeuvre, si elle
admet à l'instar de Durkheim les interactions, ou le continuum, entre le droit et
l'éthique (Isambert, 1991), ou si elle ne réduit pas le sens de la logique des acteurs
strictement à celle de la poursuite de leur intérêt.
C'est ce que nous voudrions tenter de suggérer en nous appuyant principalement
sur les travaux que nous avons menés ou que nous menons sur la Justice dans le
domaine des personnes, de la famille (Commaille, 1987), sur le tribunal de famille
sous la Révolution française (Commaille, 1989), et sur la carte judiciaire française
(Commaille, 1991).
Nous soulignerons d'abord en quoi la Justice exclut formellement la question de
l'éthique tout en étant une pratique sociale fortement empreinte de valeurs ; nous
considérerons ensuite deux grands modèles d'exercice de la fonction de justice dans
la mesure où ils nous paraissent au fondement de conceptions éthiques différentes

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traversant les pratiques de justice. Nous définirons ensuite ces conceptions, pour
enfin justifier l'annonce d'une renaissance de la question d'éthique dans l'exercice
de la fonction de justice.
Toutefois, avant de tenter cette démonstration, il convient de préciser que lorsque
nous parlerons d'éthique, c'est principalement de l'éthique des magistrats dont il
s'agira (sauf exception, que nous mentionnerons, quand nous parlerons des avocats
ou des justiciables).
Nous n'entendrons pas éthique au sens étroit de déontologie d'un corps
professionnel mais comme expression par les magistrats dans leur pratique, au-delà
de la référence nécessaire à un droit porteur lui-même de jugements moraux, de
valeurs morales iduites de leur rapport au monde social, au monde politique ou de
leur adhésion à l'un ou l'autre corps de principes généraux existant au sein de la
Justice concernant la fonction socio-politique de l'institution judiciaire.
Le rôle du juge est défini formellement dans les prescriptions du droit lui-même.
Mais c'est précisément dans ces façons différentes de prendre en compte ces
prescriptions, de les interpréter, de les mettre en oeuvre que le juge construit une
pratique "judiciaire" (ce qui relève spécifiquement de l'exercice de la fonction de
justice au sein de l'institution judiciaire) qui a pour référence le "juridique" (ce qui
relève directement du droit et de ses modes de production) mais ne saurait être
confondue avec lui. L'éthique du juge serait ainsi à définir dans ce qui est à la fois
autonomie par rapport au juridique et rapport obligé à celui-ci. Mais le traitement
social explicite de cette éthique supposerait que cette place spécifique du judiciaire
soit mieux assumée et mieux maîtrisée.

1 . L'INCONSCIENT ÉTHIQUE DE LA JUSTICE

Or la référence juridique est présentée comme intangible, dotée d'une sorte de


naturalité, porteuse d'universalité. La Justice, en étant définie comme simple
exécutante de la Loi, est portée à évacuer toute autre référence, et donc celle de
l'éthique. Dans son acception la plus "pure", le juge a pour fonction de "dire le droit",
c'est-à-dire de mettre en oeuvre la "raison" juridique, cette rationalité particulière au
service de l'expression "scientifique" des intérêts supérieurs de l'ensemble social.
La "force du droit", c'est ainsi d'apparaître comme une construction incontestée,
épurée, grâce à des opérations de neutralisation et d'universalisation des conflits, et
des tensions qui traversent la société (Bourdieu, 1986). La nature particulière du droit
exclut qu'il puisse y avoir des enjeux de valeurs extra-juridiques dans sa construction
même et dans sa mise en oeuvre.
La Justice elle-même tend alors à n'être que l'instrument de cette vision mythifiée
du droit. Ces constructions idéologiques du droit et de la Justice ont une influence
potentielle sur la vision du monde des juges. Ceux-ci ne seraient alors que des sortes
de prêtres, simples ordonnateurs des rites d'accomplissement de l'oeuvre juridique
au nom d'une "humilité devant la loi". Comme le montre une analyse des magistrats
de la Cour de Cassation (Bancaud, 1987), il s'agit d'une humilité politique mais
également éthique. "Pour le haut magistrat, se soumettre à la loi c'est faire preuve
de loyauté républicaine et, au-delà, respecter un concept à majuscule qui incarne les
contraintes indispensables sans lesquelles le magistrat, l'homme, la société
sombreraient dans le chaos des passions ; plus encore, principe existentiel, la loi est
en fin de compte un 'fatalisme dur' qui ne s'interroge pas, auquel on ne peut que se

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résigner : le juriste doit admettre la mort, la grande loi de l'existence humaine,


comme
soumission"
il doit
(Bancaud,
accepter1987)
la loi
l. L'attitude
juridique, du
c'est-à-dire
juge ne se avec
comprend
une ici
sereine
que rapportée
et totale
à l'origine religieuse du droit qui se manifeste dans sa représentation et dans sa forme
(les symboles de la loi et de la Justice, les rituels dans la mise en oeuvre du droit).
L'idée est ici celle d'une transcendance qui se perpétue même lorsqu'il est
formellement laïcisé et que sa source sera dans l'Etat, "substitut du monothéisme"
comme le dit Pierre Legendre (Soulier, 1985 ; Legendre, 1974).
Pourtant l'analyse des pratiques de justice souligne l'influence du juge comme
individu, ou comme sujet d'un espace social déterminé, dans la mise en oeuvre
quotidienne du droit, dans les décisions qu'il prend ou dans les façons dont il les
prépare. L'extraordinaire pluralisme judiciaire (c'est-à-dire la diversité des décisions
prises par des juges différents dans des affaires semblables ou proches) qui va bien
au-delà du pluralisme juridique (c'est-à-dire la diversité des solutions des modes de
traitement proposés par la loi elle-même) n'a pas d'autre explication que cette
influence du juge comme interprète de la loi mais aussi comme acteur social. C'est
dans l'expression de cette autonomie relative du judiciaire que se retrouvent les
valeurs refoulées par l'idéologie de la loi. Le juge se trouve dans la nécessité "de
procéder à une évaluation sans filet des intérêts en présence et des conflits de valeur
(...). Au coeur du jugement juridique gît l'irréductibilité d'un pouvoir normatif
(Lenoble, 1990). Quoiqu'elle soit dans le non-dit de l'institution, c'est donc bien là
que se pose la question de la règle éthique. Si l'on reconnaît ainsi une place à l'éthique
par rapport au droit, en particulier dans les façons de mettre en oeuvre celui-ci, se
pose alors logiquement, plus que la question des compétences professionnelles des
juges, celle de leur éthique. Comme le souligne un texte de présentation d'un projet
de "séminaire sur la déontologie du juge" (Garapon, 1991), la règle éthique "concerne
en premier lieu le comportement des acteurs de justice, c'est-à-dire le verbal, le
gestuel, l'intonation de la voix, bref, tout ce qui n'est pas codifiable parce que trop
evanescent, personnel ou improvisé mais qui dans la réalité de la pratique se révèle
être d'une grande importance : il y a, par exemple, une manière raciste de s'adresser
à un prévenu étranger à l'audience tout en respectant les formalités prescrites par la
loi et qui échappera à toute tentative de bridage procédural. L'éthique interpelle
également la conduite de la procédure par le juge, processus rarement explicité voire
refoulé, c'est-à-dire, par exemple, la 'stratégie' de présentation des faits ou des
preuves à l'audience, la technique d'interrogatoire et ses armes non codifiées par le
droit telles que la pression psychologique, les menaces de voies de droit au demeurant
légales (comme la suppression des visites pour un détenu qui échappe à toute voies

1. Lesextraits suivants d'entretien avec de hauts magistrats recueillis par Alain Bancaud (Bancaud, 1987),
constituent la parfaite illustration de ce rapport à la loi chez le juge : "Le comportement "loyal"
étymologiquement respectueux de la loi, a toujours été pour le magistrat le devoir fondamental que la
fidélité au serment de sa vie impose... La loi est peut-être dure à certains, mais sans elle l'anarchie
déchaînerait la confusion dans la Société, le juste et l'injuste seraient pris l'un pour l'autre, le fort, le
malin, le riche auraient tout loisir de se jouer du faible, du simple et du pauvre au motif que des
considérations particulières peuvent primer sur des considérations d'intérêt public". "Or, nous juristes,
dont la vie intellectuelle est une soumission totale et constante à la loi, ne devrions-nous pas, plus
facilement que d'autres, accepter la vie telle qu'elle nous est imposée ? La vie, simple antichambre de
la mort, et la mort elle-même, ne devrions-nous pas les accepter avec sérénité, puisque la Mort est la
loi, la grande loi devant laquelle toutes les lois humaines tombent en poussière ? N'y a-t-il pas, dans
cette idée de loi, une explication ou, plutôt, une dispense d'explication, un fatalisme dur, qui peuvent
apporter en eux une certaine paix ?"

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JACQUES COMMAILLE ♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦

de recours), la rétention d'information voire l'allusion à de fausses informations, etc.


Enfin, l'éthique intéresse le mécanisme-même de prise de décision du juge (...) et,
de manière plus générale, toutes les décisions qui ne trouvent pas de solution
technique évidente ou le choix entre deux solutions procéduralement parfaites mais
aboutissant à des résultats diamétralement opposés". Il importe ainsi de se pencher
sur les "critères de choix effectués par les juges, comme par exemple celui de
renvoyer un mineur devant le tribunal pour enfants ou de le faire comparaître en
audience de cabinet : commodité procédurale, sanction d'un échec de la mesure
éducative ou reconnaissance d'un droit à un jugement par trois juges plutôt qu'un
seul, même pour un délit insignifiant, si les faits sont contestés ?" (Garapon, 1991).
Mais réintroduire ainsi justement la question de l'éthique dans la pratique du juge
ne suffit pas. Il faut tenter de comprendre précisément ce qui structure socialement
le recours à telle ou telle règle éthique au-delà des systèmes de valeurs personnels
des acteurs concernés. Et là, il convient de se rappeler que la pratique du juge est une
pratique sociale qui se développe dans le cadre d'une institution dont la spécificité
est à la mesure de l'importance de sa fonction sociale. Or cette institution, la pratique
de ses agents, leur éthique nous paraissent marquées par une tension fondamentale
entre deux grands modèles d'exercice de la fonction de justice.

a. LES MODÈLES D'EXERCICE DE LA FONCTION DE JUSTICE GÉNÉRATEURS DE CONCEPTIONS


ÉTHIQUES DIFFÉRENTES

Dans notre recherche sur la création d'un tribunal de la famille pendant la


Révolution Française, nous avons pu observer dans le débat autour de la création, du
fonctionnement, puis de la rapide disparition de cette institution "révolutionnaire",
un affrontement entre deux conceptions de l'exercice de la fonction de justice. Le
tribunal de famille comme justice des pairs, comme fonction de justice exercée par
la famille elle-même (ou par des proches ou voisins), comme fonction de justice
assumée par les citoyens eux-mêmes, a finalement laissé place à une Justice comme
institution spécifique, professionnalisée. Les termes du débat sont ici les suivants :
Faut-il que la fonction de justice soit assumée par les citoyens eux-mêmes plus en
fonction des règles d'équité, plus dans la recherche d'une solution en terme
d'arbitrage, de conciliation que de jugement ou faut-il que s'impose le "principe de
réalité" suivant lequel l'exercice de la fonction de justice exige une compétence
particulière et, donc, une spécialisation, une impartialité totale et, par conséquent,
une distance par rapport au social avec le recours à un instrument de régulation
"technique", "neutre" : le droit ?
Dans notre recherche sur les Chambres de la famille, création contemporaine de
juridictions spécialisées au sein de quelques tribunaux à l'initiative de certains
magistrats, la non-consécration de ce type de juridiction par la loi nous est apparue
devoir s'expliquer par l'opposition manifestée à cette forme de justice par un courant
"civiliste" hostile à un exercice de la fonction de justice plus "thérapeutique", plus
"social" que juridique. D'un côté, une justice rendue strictement en référence à la
loi : le juge est là pour "dire le droit" dans le cadre d'un ordre imposé où une grande
importance est accordée à l'audience et au rituel judiciaire. De l'autre côté, une
justice prônant une prise en compte de la personnalité du justiciable, des conditions
sociales de la situation et une solution relevant plus du traitement que de la sanction,
recherchée dans le cadre d'un fonctionnement en "cabinet" plutôt qu'en salle

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d'audience, dans des relations de "face à face", impliquant un suivi de l'intervention


avec l'assistance de "spécialistes de sciences humaines".
Dans notre recherche en cours sur la carte judiciaire, nous faisons le constat que
la tendance lourde, inscrite dans l'histoire, à la concentration des juridictions cache
en fait une opposition permanente entre les tenants d'une large diffusion des
juridictions sur l'ensemble du territoire français et les tenants d'une carte judiciaire
composée seulement de très grandes juridictions regroupées dans les centres urbains
importants. Ce sont ainsi deux modèles de territorialisation qui s'opposent suivant
cinq "raisons" principales comme le montre le tableau ci-dessous :

MODÈLE DE TERRITORIALISATION
RAISONS À L'OEUVRE
Modèle de concentration Modèle de justice de proximité
Raison politique La fonction de justice participe des La fonction de justice participe de
missions de souveraineté de l'Etat l'idée "d'esprit public"
Raison sociale Attente de justice symbolique Attente d'une justice de proximité
Raison technique Conception "juridiste" forte Finalité sociale du droit
Raison économique Rationalisation bureaucratique Efficacité par "capillarité" sociale
Raison institutionnelle Intérêt lié à une gestion Intérêt lié à un fonctionnement
hiérarchisée du corps des Juges et à une coopératif de la justice et à une
reconnaissance sociale par la reconnaissance par la proximité, la
distance familiarité

Nos observations sur les débats révolutionnaires concernant la fonction de justice


sont venues ainsi converger avec nos constats dans le domaine de la justice de la
famille contemporaine ou avec ceux sur l'histoire de la carte judiciaire pour souligner
qu'il ne s'agit pas d'une coexistence aimable entre des conceptions différentes de la
fonction de justice et des manières de l'exercer, mais d'une lutte. Celle-ci s'inscrit
dans le quotidien de la gestion des corps des magistrats et plus généralement des
professionnels du droit par des positions professionnelles (place dans la hiérarchie
et types de carrière) résultant d'une domination d'un modèle privilégié : par exemple,
de façon générale, plus les magistrats se rapprochent de la conception "noble" de la
fonction de justice (valorisation de "l'art juridique", de la technique juridique,
adhésion à la conception d'une fonction de justice d'exemplarité, au-dessus du
social), plus ils occuperont une place élevée. Cette lutte s'inscrit même dans des
positions physiques dans l'espace architectural du "Palais de Justice"(par exemple,
les juges "sociaux" seront plus souvent à la périphérie, dans des annexes).
Cette lutte peut avoir des conséquences institutionnelles sans que disparaissent
les positions la constituant : les tribunaux de famille ont été abandonnés, les
Chambres de la famille n'ont pas été consacrées par la loi, et les petites juridictions
ont été supprimées. Mais, confirmant qu'il s'agit bien d'une lutte jamais terminée
dans cette définition toujours discutée de la valeur de justice, les exemples de la
Chambre de la famille ou de la carte judiciaire montrent que la "base" (les juridictions
elles-mêmes et non la Chancellerie ou la haute hiérarchie judiciaire) développe à
nouveau des expériences qui ne sont pas dans le "sens de l'histoire" de la Justice :

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nouvelles mises en place de Chambres de la famille dans certaines juridictions,


expériences de Justice de "proximité" (Justice "de quartier" par exemple).
C'est pourquoi nous postulons l'existence d'une tension permanente entre ce que
nous appellerons un modèle d'exercice de la fonction de justice comme méta-garant
du social et un modèle d'exercice de la fonction de justice comme opérateur du
social.
Dans le premier modèle, la finalité de la fonction du juge est d'assurer la paix
sociale par l'exercice d'une autorité s'appuyant strictement sur la loi. Le meilleur
accomplissement de la fonction sociale dévolue au juge dans ce modèle de justice
est, au-delà du pouvoir concret d'intervention, l'exercice d'une fonction symbolique.
Tout ce qui concourt à l'institutionnalisation, à la professionnalisation, est fortement
valorisé. La référence au droit est centrale dans la constitution de l'identité judiciaire.
L'accent est mis sur la distance, distance physique, par l'apparence (l'habillement),
par le rituel, comme constitutive de la déférence imposée ou de la sacralisation de la
fonction.
Dans le second modèle, l'accent est au contraire mis sur la proximité ; celle-ci
autorise une certaine familiarité qui n'est pas ici perçue comme une menace de
promiscuité. L'efficacité de la fonction de justice découle de son immersion dans le
social. C'est un fonctionnement "à la capillarité" qui est préconisé et le tribunal est
ici fortement associé avec le "local" (c'est-à-dire avec des systèmes de normes qui
prévalent dans l'environnement même du tribunal et où n'apparaît pas ce refus de
séparer la sphère normative du droit des autres sphères et notamment de celle de
l'éthique) plutôt qu'avec le "central" (c'est-à-dire avec les systèmes de normes
étatiques). A l'inverse de la tendance lourde à la concentration des juridictions, à la
"Justice rare", c'est la plus large diffusion possible d'unités de Justice sur l'ensemble
du territoire qui est proposée.
Bien entendu, il ne s'agit pas de s'en tenir dans la présentation de ces deux
modèles à ce qui ne serait que l'expression noble d'une différence de conceptions
sur les idéaux de justice, qu'un débat d'idées au fondement des manifestations
concrètes de justice. Ce qui est expression de valeurs et ce qui est générateur
d'éthique, comme nous allons le voir, découle en fait des facteurs inscrits fortement
dans le fonctionnement de la société globale ou dans celui de l'institution concernée.
Mais là encore, il ne peut s'agir de s'en tenir à ces schémas hyper-déterministes où
tout se réduirait à "l'intérêt" des acteurs ou à leur origine sociale. C'est une
combinaison de facteurs qui explique l'existence de ces deux modèles et l'inclination
pour l'un ou pour l'autre.
Il est vrai, par exemple, que "les magistrats issus des nouvelles classes moyennes
ou de la fraction ascendante de la petite bourgeoisie se caractérisent (...) par une
éthique judiciaire moins autoritaire et moins solennelle ainsi que par une plus grande
sensibilité aux attentes sociales, et tout particulièrement à la nouvelle morale
juridique des nouvelles catégories de justiciables" (Bancaud, 1991).
Il est vrai également que ce qui se construit dans une certaine conception de la
fonction de justice, c'est le statut social de l'institution et de ses agents. Ainsi le
rapport au droit n'est pas simplement un principe. Il constitue un élément essentiel
pour la détermination des positions dans la hiérarchie des valeurs du corps
professionnel concerné. La distance au droit détermine la distance à l'excellence
judiciaire, ce qui ne se mesure pas mieux que dans les conditions faites aux agents,
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y compris, nous l'avons vu, dans la place qui leur est assignée dans l'espace
architectural des "Palais de justice" (Commaille, 1987).
Derrière le débat général par rapport aux finalités de la Justice, c'est l'intérêt du
corps professionnel des juges qui est considéré, mais la détermination de modèles
d'exercice de la fonction de justice n'est pas le fait de causes exclusivement internes.
Celles-ci se combinent effectivement avec d'autres éléments parmi lesquelles nous
retiendrons ce que nous appellerons les exigences sociales de justice, les attentes
sociales de justice. Or ces dernières peuvent être contradictoires. D'un côté, l'attente
de l'exercice d'une fonction symbolique par l'institution judiciaire, c'est-à-dire
l'attente d'une Justice comme l'incarnation institutionnelle d'une méta-raison,
comme la gardienne des référentiels universels. Dans ce cas, le recours à la Justice,
c'est le recours à une justice hors du social, qui le transcende en quelque sorte pour
mieux assurer sa fonction d'arbitre suprême par l'imposition attendue de ce que serait
à la fois une morale supérieure de l'ensemble social et un corps de normes assurant
le bon fonctionnement de l'ordre social. De l'autre côté, l'attente d'une justice
proche, accessible qui fait plus du juge un sage parmi la communauté, et qui
correspond à cette conviction selon laquelle "il est bon d'offrir aux justiciables un
juge facilement accessible qui s'efforcera de les concilier et qui, s'il n'y parvient pas
trouvera la solution de bon sens qui apaisera les passions" (Perrot, 1989). Dans ce
cas, le recours à la Justice, c'est une demande d'aide pour contribuer à retrouver une
harmonie sociale menacée, pour non plus imposer une morale supérieure mais
participer à la gestion collective d'une morale partagée de la paix sociale.

3. LES CONCEPTIONS ÉTHIQUES DE LA JUSTICE

L'évocation de ces attentes sociales comme facteurs de construction de modèles


contrastés d'exercice de la fonction de justice nous rappelle également que ce qui
est en jeu ici, c'est le fait qu'il ne peut y avoir une conception de la fonction de justice
sans une conception générale de l'ordre politique et de l'ordre social. C'est pourquoi,
derrière ce qui serait susceptible de se présenter, comme pour n'importe quelle
profession, comme une question de déontologie (entendue comme ensemble de
règles ou de principes internes à un corps professionnel) se pose ici en fait la question
de l'éthique. Les références de la fonction de justice, ce ne sont pas seulement des
références juridiques, ce sont des représentations du monde social et de l'ordre
politique et ce sont ces représentations qui influent sur l'éthique du juge comme elles
construisent le débat sur la fonction de justice au sein de la société globale.
Si nous nous référons aux affrontements d'idée de la Révolution française qui
donnent à voir de façon extrême cette dimension politique de la fonction de justice,
ce qui est en(Schnapper,
judiciaire" question c'est
1988),
ce "dilemme
entre la participation
entre le mytheladémocratique
plus large des
et l'efficacité
citoyens à
l'oeuvre de justice (comme, par exemple, dans les jurys populaires) et le recours
sélectif à des spécialistes dotés de compétences particulières, à commencer par la
maîtrise subtile du droit, capables d'une totale impartialité et de vertus morales
supérieures. Ce qui est en cause, c'est le choix entre une Justice conçue comme
référence symbolique dans le cadre d'un ordre politique fort avec des institutions et
des agents autonomes, spécialisés et l'exercice d'une fonction de justice participant
de l'idéal "d'esprit public" (Ozouf, 1988), relevant d'une pratique civique concernant
chaque citoyen et dans laquelle chaque citoyen peut être impliqué. Le tribunal de

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JACQUES COMMAILLE ♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦

famille est la parfaite illustration de cette conception si bien affirmée par Augustin
Charles Guichard, auteur d'un Traité du Tribunal de famille publié en 1791 : "rendez
justice à l'espèce humaine, et détruisez cette inégalité contre nature, que personne
ne soit étranger à la chose publique, et que chacun, dans son poste, s'aperçoive qu'il
contribue à la manoeuvre du vaisseau" (Guichard, 1791). En manifestant leur
méfiance à l'égard des professionnels du droit soupçonnés d'être intéressés pour des
raisons financières ou corporatistes et de dessaisir les justiciables de leurs problèmes
en les rendant étrangers à l'oeuvre de justice par un excès de technique, en instituant
les familles comme juges des conflits entre certains de leurs membres hors d'une
institution spécialisée comme le tribunal, ce n'est pas simplement des modalités plus
simples de règlement du contentieux familial (des "modes informels de règlement
des conflits", dirions-nous aujourd'hui) que les Révolutionnaires mettent en place.
Ce qu'ils visent à instituer, c'est une nouvelle conception de la démocratie (la
démocratie politique ne découle-t-elle pas d'ailleurs dans leur esprit de la démocratie
familiale ?) où les citoyens sont invités à participer directement à l'oeuvre de justice.
C'est bien pourquoi le déclin puis la disparition des tribunaux de famille, marqués
par le retour des professionnels du droit et la nouvelle consécration de compétence
des tribunaux, pourront être associés à la perte des idéaux révolutionnaires, à la fin
de la Révolution française.
Que leur genèse soit plus dans l'esprit de l'Ancien Régime, n'enlève rien au fait
que des formes de justice comme les Prud'hommes participent de cette même
aspiration à une justice des pairs, paritaire (employeurs, salariés), plus soucieuse
"à' équité" que d'application du droit, de conciliation que de jugement. C'est ce qui
explique probablement l'attachement du mouvement ouvrier à cette institution
comme élément précurseur d'une société idéale où "le règne de la vraie justice"
pourrait rendre inutile "l'existence d'un ensemble fonctionnel appelé "Justice"
(Olszak, 1987), ceci dans le cadre de l'avènement d'une "vraie démocratie" ("II ne
faut pas oublier que les Conseils de prud'hommes sont les seuls tribunaux se
rapprochant de la démocratie", cité par Olszak, 1987) 2. Dans cette forme de justice,
"reconnus comme citoyens à part entière de l'entreprise, les salariés sont (...)
reconnus capables de rendre justice (Bonafé-Schmitt, 1987).
Plus près de nous encore dans le temps, quand il s'incarne dans des expériences
de "Justice de quartiers" (Délégation Interministérielle à la Ville, 1989) ou qu'il
incite à Г autorégulation par les citoyens eux-mêmes, le modèle d'exercice de la
fonction de justice comme opérateur du social est certainement inspiré de ces
principes politiques fondés sur une conception absolue de la démocratie. Celle-ci
peut en l'occurrence aller jusqu'à la négation d'une Justice comme institution ou de
juges comme professionnels, au nom de l'idée que "tout programme, rêve ou espoir
d'émancipation humaine passe par la conception d'un monde où les conflits, les
discordes, les procès disparaîtraient ou se régleraient sans l'intervention de juristes

2. Il est certainement significatif ici que comme pour le tribunal de famille, on observe dans l'évolution
des Prud'hommes une tendance à la judiciarisation (à une plus grande intégration dans l'appareil
judiciaire) et à une "présence plus grande que par le passé des professionnels du droit" (Bonafé-Schmitt,
1987). On trouvera d'ailleurs confirmation que les termes du débat sont toujours les mêmes dans cette
observation suivant laquelle pour beaucoup de magistrats "les prud'hommes présentent un certain
danger pour le justiciable car en se basant plus sur les faits que sur la règle juridique, qui selon les juges
est identique pour tout, les conseillers risquent de faire de la justice un instrument ponctuel et arbitraire"
(Cam, 1981, cité par Bonafé-Schmitt, 1987).

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♦ ♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦ DROIT ET ÉTHIQUE

professionnels" (Ikni, 1988). Comme le montre particulièrement l'anthropologie du


droit, ce qui joue également ici, c'est le mythe d'une authentique société
communautaire avec des modes de résolution des conflits internes à la communauté,
sans intervention extérieure (Auerbach, 1983 ; Greenhouse, 1988). Dans cette
perspective, à la limite, les processus de règlement des litiges (...) [sont]
interprétables comme des schémas culturels ou des expressions politiques, sans
nécessairement passer par l'idée de droit (Assier-Andrieu, 1989). La référence
juridique a ici un statut qui se rapproche du "droit social" de Georges Gurvitch,
c'est-à-dire d'un droit "au-dessus, au-dessous, à côté de l'Etat et des superstructures
organisées" en rapport avec un "ordre social [qui] repose pour l'essentiel sur une
régulation immanente et non extérieure aux individus d'une part, à la collectivité
d'autre part" (Belley, 1986).
L'évocation des rapports entre la Justice et l'ordre politique ne peut être ici
qu'une simple illustration de ce qui est engagé quand est posée la question de
l'éthique à propos de l'exercice de la fonction de justice. La définition d'une éthique
professionnelle est d'autant plus difficile à établir que toute volonté d'insertion de
règles d'exercice de la pratique judiciaire devrait être précédée de la reconnaissance
que cette pratique judiciaire, plus que d'autres pratiques professionnelles, est
fortement impliquée dans le social et dans le politique. Bien entendu, le travail de
dévoilement nécessaire devrait être mené plus avant. Par exemple, l'analyse
mériterait d'être entreprise de la façon dont se construit une éthique au sein de la
Justice par référence à la question des classes sociales au-delà de celle, plus générale,
des conceptions de l'ordre politique. Ce ne serait pas pour revenir à la rhétorique
traditionnelle d'une "Justice de classe" ou à la mystification d'une Justice analogue
à celle de l'Etat comme espace neutre de la IIIe République. Ce serait plutôt pour
mieux comprendre dans les faits comment les différences entre classes sociales
influent implicitement sur les pratiques de la Justice et sur l'éthique des juges.
Ainsi les classes populaires se voient plutôt appliquer un mode tutélaire
d'intervention judiciaire : par exemple, dans le domaine de la protection de l'enfance,
la tendance de l'intervention judiciaire est de mettre en place pour les familles de
ces classes sociales des modes lourds d'encadrement (tutelle aux prestations
familiales, mesures d'assistance éducative, etc.). A l'inverse, les classes moyennes
ou supérieures aspirent ou ont des attentes en adéquation avec la tendance à
développer des modes contractuels de résolution des conflits : par exemple, le succès
de la médiation dans le traitement des conflits conjugaux ne semble pas mieux
s'affirmer que dans ces classes sociales ; ce sont également celles qui recourent le
plus volontiers au divorce "sur requête conjointe" comme type de divorce "par
consentement mutuel".
Ce ne sont plus seulement des différences de traitement suivant les classes
sociales mais des différences de valeurs dont témoigne la méfiance à l'égard des
jurys "populaires" prenant des décisions qui représentent une manifestation naturelle
des "moeurs populaires et, comme telles, 'scandaleuses' pour les classes dominantes"
(Claverie, 1986 ; voir également Pourcher, 1987) 3.

3. Manifestation d'un des modèles d'exercice de la fonction de justice, les jurys populaires des Cours
d'Assises peuvent être ainsi saisis comme expression particulière des valeurs "populaires" par rapport
aux valeurs "bourgeoises" . Mais il convient ici de noter, que du point de vue général de la relation entre
éthique et droit, ils peuvent être également analysés comme porteurs exemplaires de valeurs morales
qu'ils défendent à partir de la légitimité sociale dont ils sont dotés. Les jurys d'Assises exercent une

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JACQUES COMMAILLE ♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦

De même, le facteur social s'introduit dans la pratique judiciaire par l'influence


qu'est susceptible d'exercer la condition sociale de la clientèle des juges sur la
construction de leur statut au sein de l'institution. Par exemple, la situation de
dominés des Juges des enfants au sein du corps des magistrats correspond aux
conditions sociales de leur "clientèle" issue pour la plus grande part des fractions
inférieures des classes populaires, suivant la règle de "l'effet d'homologie"4.
Tous ces exemples sont autant d'illustrations parmi beaucoup d'autres pour
inciter à traiter ouvertement du facteur social dans la formation de l'éthique dans
l'exercice de la fonction de justice. "Comme le religieux, l'économique ou le
politique, le droit, ou le juridique [et par conséquent le judiciaire], est une de ces
références(Assier-Andrieu,
sociaux" génériques selon 1989).
lesquelles s'ordonne notre entendement des rapports

L'affirmation de l'existence d'éthiques différentes s 'incarnant dans des modèles


d'exercice de la fonction de justice ne saurait pourtant conduire à rechercher
l'explication dans une perspective strictement dichotomisée, en référence
exclusivement à l'univers politique et social extérieur. D'autres facteurs sont
susceptibles de venir un peu plus brouiller les cartes. Par exemple, la tentation
d'adhérer au modèle d'exercice de la fonction de justice comme opérateur du social
peut à certains moments justifier la volonté de refaire du droit un instrument
d'exemplarité, mais au service de la société civile et non de l'Etat, en vertu de l'idée
que le droit, généralement perçu comme un instrument au service de l'Etat, est aussi
limitation du pouvoir, défense contre l'arbitraire du pouvoir. Dans cette acception,
"le droit est l'instrument de contrôle et de légitimation de l'Etat par la société civile",
"l'effectivité du droit est une garantie de l'autonomie de la société civile par rapport
à l'Etat" (Soulier, 1985). La restauration du droit dans sa fonction symbolique par
des partisans de l'exercice d'une fonction de justice comme opérateur du social
découlerait alors de cette volonté d'une "désintrication du pouvoir et du droit" faisant
du droit, dans "l'Etat de droit", un "garde-fou du pouvoir" (Lefort, 1981). Par
exemple, l'idée de droits de l'homme procède bien de cette conception du droit face
au pouvoir (Rosanvallon, 1990). De même, les avocats en France au long du XIXe
siècle constituent une parfaite illustration de cet usage possible du droit ... et de la
fonction de justice. Dans des périodes où "le conflit fait rage entre l'Etat et la société
civile", la référence à la loi, l'usage des tribunaux comme "forum politique", visent
à lutter contre l'arbitraire et la toute puissance du pouvoir politique (Karpik, 1988).
L'évolution du juge américain vers l'exercice "d'un contrôle efficace des autorités,
essentiellement administratives, au regard des "civil rights" " constitue une autre
illustration de cette conception possible du rôle socio-politique de la fonction de
justice quel que soit le mode d'accès à la condition déjuge (qu'ils soient élus comme
aux Etats-Unis ou recrutés par concours comme en France). C'est ainsi que se
déroulent des "procès dont l'enjeu est l'examen de la validité de certaines pratiques

justice "profane" ou "laïque" se distinguant de l'exercice de la justice des "clercs" par le fait qu'ils
feraient prévaloir sur les règles de droit, "les normes de la droiture", qu'ils développeraient hors de la
sphère du droit, une "autre façon déjuger" touchant "à l'essentiel des liens entre l'homme et la société,
à la conception même de ce qu'est, socialement, un "homme". "Face aux experts en gestion de l'homme
par l'homme, aux instances juridico-politiques et médico-psychologiques, les jurés se [poseraient] (...)
en garants du lein social et d'une certaine image de l'homme" (Grael, 1991).
4. (correspondance entre des positions équivalentes dans des champs différents. Par exemple, l'opposition
gauche-droite dans le champ politique est homologue à l'opposition dominés -dominants dans le champ
des classes sociales, cf. Bourdieu, 1986).

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♦ ♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦ DROIT ET ÉTHIQUE

privées ou administratives au regard des 'civil rights' ; par exemple la légalité de la


politique de ségrégation sociale en matière d'éducation, de la politique pénitentiaire,
de la politique en matière de gestion d'hôpitaux psychiatriques (en vue de
l'appréciation de leur conformité aux exigences d'un traitement digne), de la
politique en matière d'environnement, en matière de logement social, d'emploi dans
les services publics, de découpages de circonscriptions électorales, etc." (Lenoble,
1990).
Dans tous ces exemples, la Justice et ses professionnels se servent du droit non
pour imposer une solution juridiquement juste mais pour opposer une morale au
pouvoir politique : celle de l'exigence de droits sociaux, celle de l'exigence de droits
civiques, celle de l'exigence de droits de l'homme, c'est-à-dire tout ce qui est moins
du droit au sens étroitement technique (juridique) du terme que des valeurs.
Les processus de construction de l'éthique au sein de la Justice sont susceptibles
d'être marqués également par la dynamique des interactions entre professionnels
engagés dans l'action de justice, à partir de referents symboliques respectivement
mis en oeuvre, sans que puisse être clairement discerné ce qui relève, dans cette
construction d'une éthique d'une profession par distinction d'une autre, d'un certain
positionnement par référence aux rapports sociaux ou d'une stratégie de défense
corporatiste. Par exemple, à l'éthique de désintéressement du juge constamment
invoquée, à l'affirmation répétée de son extériorité par rapport aux intérêts financiers
en jeu dans le processus judiciaire, s'oppose l'éthique de l'équité de l'avocat tirant
constamment parti de l'exigence d'un débat contradictoire. Au recours dominant par
le juge à une "régulation socialement organisée" (Durkheim, 1967) fondée sur un
droit "neutre et universel" s'oppose le recours dominant par le travailleur social
"auxiliaire de Justice" à une "régulation socialement diffuse", conçue comme une
"morale de l'aide" où la fonction d'opérateur social peut être assumée jusqu'à
l'excès, comme thérapie individuelle ou sociale (Terrenoire, 1982).

4. AFFAIBLISSEMENT DE LA LÉGITIMITÉ ET RENAISSANCE DE LA QUESTION ÉTHIQUE

Poser la question de l'éthique au sein de la Justice c'est, comme nous l'avons


déjà laissé entendre, nommer ce qui est curieusement plutôt dans l'ordre du non-dit.
Le pronostic que nous oserons formuler en conclusion est que cet état de choses est
susceptible à l'avenir de changer. Et ce n'est pas effectivement simplement en terme
de déontologie du juge que le débat risque de s'ouvrir mais sur les principes
politiques et sociaux impliqués dans un certain rapport de la Justice au droit et, par
conséquent, sur des principes au fondement de l'exercice de la fonction de justice au
sein de la société globale. Il nous faut tenter de justifier un tel pronostic. Même si
nous échouons à le faire, peut-être suffira-t-il pour l'instant de considérer que les
transformations de la régulation juridique et de son statut au sein de la régulation
macro-sociale sont propres à susciter des interrogations... en terme d'éthique parmi
les juristes eux-mêmes comme en témoigne ces réflexions de philosophie du droit
où il est affirmé que "la Raison se fait (...) moins orgueilleuse, elle se redécouvre
aujourd'hui cependant des compétences oubliées : elle renoue, quoique sous une
forme renouvelée avec le continent éthique. La justice n'est pas simple calcul
militariste du bien-être social. Elle est l'affaire d'un débat argumenté toujours à
reprendre sur des valeurs. La morale pénètre, à nouveau, mais sans l'assurance

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JACQUES COMMAILLE ♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦

dogmatique des anciennes certitudes moralisatrices, le champ du politique et du


juridique" (Lenoble, 1990).
L'acuité de la question de l'éthique dans le domaine de la fonction de justice
risque effectivement d'être à proportion de la crise des fondements mêmes du modèle
de rapport au droit dont on a vu qu'il était dominant au sein de la Justice, c'est-à-dire
de la crise de la Raison. Le destin de la Justice, comme celui du droit, parait être lié
en fait à la crise de légitimité de la domination (cette "chance pour un ordre de
rencontrer la docilité" comme le dit Weber) à la remise en question du modèle légal
rationnel comme modèle de domination légitime (Weber, 1986). Ce qui était
"soumission des sujets liés à leur acceptation de la légalité des règlements arrêtés et
du droit de donner des directives dans le sens de la rationalité", croyance en la validité
de la légalité des règlements établis rationnellement et en la légitimité des chefs
désignés conformément à la loi est-il encore possible? Le droit est-il encore
susceptible de contribuer "au maintien de l'ordre symbolique et, par là, au maintien
de l'ordre social" avec une efficacité qui était considérée comme d'autant plus grande
que le travail juridique confère le sceau de l'universalité au travail de domination
symbolique et que, précisément, "l'effet d'universalisation est un des mécanismes
(...) à travers lesquels s'exerce la domination symbolique (...), l'imposition de la
légitimité d'un ordre social" (Bourdieu, 1986)? Les processus de construction de la
légitimité intègrent-ils encore des processus de formalisation et de généralisation
suivant un travail de "désingularisation" qui entrerait particulièrement dans les
fonctions de la norme juridique et du juge (Boltanski, 1990) ?5
II serait admis qu'on s'écarterait de plus en plus de la conception d'un Etat
distributeur de la Raison dans un corps social incertain et que prévaudrait de plus en
plus l'idée d'un ordre politique et social soumis au principe général de "l'éthique de
la discussion" en vertu de laquelle "une norme ne peut prétendre à la validité que si
toutes les personnes qui peuvent être concernées sont d'accord (ou pourrait l'être)
en tant que participant à une discussion pratique sur la validité de cette norme"
(Habermas, 1987), ou régi par ce qui deviendrait un modèle dominant : celui de la
"négociation permanente" (Reynaud, 1980, 1989). Toutes les analyses de la
régulation juridique paraissent venir conforter ces diagnostics concernant la
régulation macro-sociale. Ce qui est annoncé par la théorie du droit comme le passage
d'un droit moderne à un droit post-moderne marqué par le pluralisme, le relativisme
et le pragmatisme (Arnaud, 1990) se vérifie dans ce qui est observé sur la
"contractualisation" du droit de l'Etat 6 ou l'avènement d'une "flexibilité juridique" 7

5. D est d'ailleurs intéressant de noter que cette crise de la légitimité apparaît de plus en plus au centre
des préoccupations des juges eux-mêmes dans leur quête d'identité sociale. La question de la crise de
la légitimité se substitue ainsi à la question de l'autonomie, de l'indépendance du pouvoir judiciaire
par rapport au pouvoir politique qui a longtemps fait les beaux jours des débats sur la Justice.
6. On entend généralement par ' contractualisation du droit de l'Etat", le fait que l'élaboration de la norme
légale et son application ne résultent pas d'une procédure strictement imposée en l'occurrence par
l'Etat mais d'un processus de négociation avec les partenaires sociaux dans le cadre d'une relation
devenant ainsi effectivement contractuelle. Par exemple, le traitement des affaires de pollution
industrielle font de plus en plus l'objet non plus d'une stricte application de la loi répressive mais d'une
négociation au cas par cas (Lascoumes, 1990).
7. On entend généralement par "flexibilité juridique", le fait que le droit laisse de plus en plus la possibilité
d'un pluralisme dans son interprétation, ceci en fonction de la diversité des situations... et de l'état des
rapports de force. C'est ainsi que la notion de "flexible droit" (Jean Carbonnier) appliquée au droit de
la famille et à son application a été utilisée ensuite dans le domaine du droit du travail (Chouraqui,
1989).

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♦ ♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦♦ DROIT ET ÉTHIQUE

croissante à partir d'une norme de moins en moins prescriptive, plus procédurale et


moins substantielle (Chazel et Commaille, 1991). La régulation juridique de nos
sociétés serait marquée à la fois par l'existence de zones de recouvrement de plus en
plus importantes entre le juridique et le social (Chouraqui, 1989), et par la remise en
question radicale d'un "monisme juridique étatique" et l'avènement d'une
"interlégalité" : le monopole du niveau de légalité nationale serait contesté par le
développement d'une multiplicité de "légalités locales" et par l'extension d'une
"légalité supra-nationale" (Sousa-Santos, 1988).
A cette redéfinition de la Norme fait écho celle de la fonction de juger exposée
à une sorte de paradoxe : constamment vécue comme menacée de "dessaisissement"
(développement de la régulation bureaucratique au détriment de la régulation
judiciaire, par exemple en matière sociale ou économique) ; attendue pour accroître
son rôle dans la régulation macro-sociale (par exemple, développement de la
juridiction constitutionnelle, extension de la compétence de référé du juge judiciaire,
attentes croissantes des acteurs sociaux à l'égard de la Justice comme "forum",
comme "lieu spécifique où l'action publique est évaluée au regard des valeurs de
base que le groupe identifie comme exprimant les exigences démocratiques", le juge
devenant lui-même "celui par qui la société inscrit ce moment d'indisponibilité qui
oblige le pouvoir à ne jamais prétendre (...) s'identifier à la vérité du social (Lenoble,
1990), etc.). Le modèle d'exercice de la fonction de justice comme méta-garant du
social où le juge était d'abord là pour "dire le droit" relevait principalement d'un
modèle légal-rationnel qui serait devenu obsolète. Le modèle d'exercice de la
fonction de justice comme opérateur du social s'inspirait d'un modèle
d'Etat-Providence qui serait lui-même en crise. Et les limites des formes de Justice
développées dans ce cadre sont désormais soulignées par les acteurs de l'institution
judiciaire eux-mêmes : limites de l'exercice d'une fonction thérapeutique participant
de ce pouvoir sanitaire et social dont Michel Foucault annonçait l'avènement, limites
d'une simple inscription dans une bureaucratisation ou une technocratisation
croissante.
La fonction de juger est présentée comme étant à redéfinir. Cette redéfinition ne
saurait être simplement le résultat d'une mobilisation des consciences. Elle sera le
fruit de ces conceptions éthiques différentes et de leurs fondements structurels dont
nous avons esquissé l'analyse, ceci dans un contexte de changement de nature de la
régulation juridique telle que nous venons de l'évoquer. La sociologie du droit et de
la justice pourrait devenir également une sociologie de l'éthique, justifiant ainsi les
conceptions de Durkheim, aux yeux des sociologues ... mais aussi peut-être à ceux
des juristes !
JACQUES COMMAILLE
Centre d'Etude de la Vie Politique Française, CNRS-FNSP
54 boulevard Raspail - 75006 PARIS
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