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LE PLURILINGUISME, OBJET DE LA SOCIOLINGUISTIQUE

DESCRIPTIVE

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Caroline Juillard

Éditions de la Maison des sciences de l'homme | « Langage et société »


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2007/3 n° 121-122 | pages 235 à 245


ISSN 0181-4095
ISBN 9782735111022
Article disponible en ligne à l'adresse :
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http://www.cairn.info/revue-langage-et-societe-2007-3-page-235.htm
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!Pour citer cet article :


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Caroline Juillard, « Le plurilinguisme, objet de la sociolinguistique descriptive », Langage et
société 2007/3 (n° 121-122), p. 235-245.
DOI 10.3917/ls.121.0235
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,E¬PLURILINGUISME
OBJET¬DE¬LA¬SOCIOLINGUISTIQUE¬DESCRIPTIVE

#AROLINE¬*UILLARD
5NIVERSITϬ0ARIS¬$ESCARTES
#AROLINEJUILLARD WANADOOFR

J’applique le terme « plurilinguisme1 » à des situations de contact entre


plusieurs langues ou variétés, présentes aussi bien dans les répertoires
verbaux que dans la communication sociale2. Depuis la présentation faite
par Uriel Weinreich dans Languages in contact en 1953, la conception et
l’analyse des situations plurilingues se sont déplacées, grâce à la construc-
tion d’objets plus spécifiques. La théorisation plus récente du contact de
langues découle principalement de la fréquentation de nouveaux terrains
d’enquête et d’observation, notamment urbains, et de la difficulté à opérer
des délimitations linguistiques en termes d’objets-langues ou systèmes
distincts. Cela a entraîné certains linguistes et sociolinguistes à revoir leurs
outils descriptifs. Des notions phares telles que diglossie, code-switching,
language mixing, language shift, entre autres, ont été reconsidérées à la
lumière des difficultés à analyser des interactions plurilingues. Les proces-
sus du changement (pidginisation, véhicularisation, créolisation, koinéi-
sation) qui avaient été dans un premier temps appliqués à des situations
particulières tendent à être généralisés. L’aspect social du fonctionnement

1. Ce terme traduit ici le terme anglais « multilingualism » utilisé à propos des situations
africaines dans le livre édité par Vic Webb et Kembo-Sure (2000).
2. André Martinet (1982), dans un article intitulé « Bilinguisme et diglossie. Appel à une
vision dynamique des faits », défend une approche réaliste des faits de contact linguis-
tique et utilise le terme « plurilinguisme » à propos des plurilinguismes collectifs.

© Langage et société n° 121-122 – septembre décembre 2007


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plurilingue est également repensé : on s’intéresse davantage aux reconstruc-


tions sociales dont témoigne un plurilinguisme évolutif, moins ethnicisé,
si l’on peut dire, ou sur le plan microsociolinguistique de l’analyse, aux

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manifestations fluides et parfois imprévisibles du positionnement inter-
personnel grâce aux possibilités variées des répertoires verbaux.
Je tente donc ci-dessous une mise en perspective de la construction
de l’objet plurilingue sur le terrain africain qui est celui que je connais le
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mieux, en m’intéressant successivement à la spécificité du « terrain », de


son approche et de sa construction en une diversité d’« espaces sociolin-
guistiques », puis aux aspects divers sous lesquels on peut aborder l’étude
du plurilinguisme urbain, enfin aux difficultés posées par l’étude de la
relation langue/identité dans les situations plurilingues.

¬,E¬TERRAIN¬ET¬LA¬CONSTRUCTION¬DE¬LOBJET¬DE¬RECHERCHE
Si certains sociolinguistes se sont attaqués avec succès à l’étude de pluri-
linguismes dispersés sur des territoires plus ou moins vastes (entre autres,
R. Le Page et A. Tabouret-Keller 1985, C. Myers Scotton 1993) lointains
héritiers en cela des études dialectologiques, on doit constater que la
majorité des études porte désormais sur des situations urbaines. Du fait
d’une concentration progressive de populations d’origines variées, un
plurilinguisme de contact apparaît, se transmet et se développe en ville.
Les avatars sociolinguistiques de ce plurilinguisme urbain sont l’objet de
descriptions selon les deux dimensions de l’espace et du temps.
La ville plurilingue peut donc être construite en « terrain » d’observa-
tion et de recherche par le chercheur qui y repère et y décrit divers aspects
et procès (L.-J. Calvet 1994). La spécificité de ce type de terrain réside,
me semble-t-il, dans le fait que les formes et les fonctions des langues en
contact se modifient au rythme des changements sociaux qui résultent
de l’urbanisation, laquelle, en Afrique, s’accroît rapidement, même si
les contacts des migrants avec leur terroir d’origine peuvent parfois se
maintenir. Il convient donc de pouvoir appréhender ces changements,
sur le double plan, linguistique et social. Et cela n’est pas facile, du fait
des descriptions encore très partielles des faits de variation linguistique, et
du fait, également, du manque d’informations sur les mutations sociales
en cours depuis les premiers temps de cette urbanisation. La recherche
en sociolinguistique descriptive rencontre donc certaines contraintes,
relatives, notamment, à la manière d’entrer sur le terrain et de construire
un objet d’étude. Il faut tenir compte d’un grand nombre de paramètres
explicatifs : la dimension urbaine (taille, nombre et diversité des habitants,
nombre et diversité des langues et variétés), la relation entre la ville et
LE PLURILINGUISME 237

son environnement (proche ou moins proche : monde rural, autres villes,


région, pays dans son entier, voire pays voisins ou pays colonisateurs), la
composition des quartiers et leur différenciation, la dimension du « coin »

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où l’on vit et celle des espaces de sociabilité ouverts. Le rôle des statis-
tiques, démographiques (données des recensements) et autres (données
scolaires ou économiques), est important ; mais, en leur absence totale
ou partielle, il faut pouvoir compter sur le savoir partagé des citadins sur
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leur ville afin de construire le terrain urbain. Les problèmes de documen-


tation sont nombreux en Afrique. Pour toutes ces raisons, il me semble
nécessaire d’identifier les espaces socio-symboliques de la vie citadine et
d’y mener des observations.

1.1. La notion d’« espace sociolinguistique »


Des lieux, des acteurs sociaux, des types d’activités, notamment discursives,
et des thématiques de discours définissent des espaces sociolinguistiques
au sein desquels la parole plurilingue se déploie en situation. Les formes et
fonctions des usages plurilingues en ville se décrivent au sein de ces espaces
qui sont considérés à la fois comme spécifiques et producteurs d’habitus
particuliers, et comme interdépendants les uns des autres, donc diffuseurs et
récepteurs de modèles communicationnels innovants ou conservateurs.
À partir de la notion de domaine de J. Fishman, qu’il envisage com-
me un construit du chercheur et des locuteurs dérivé par abstraction
des situations réelles, je tends donc à proposer plutôt, comme d’autres
l’ont fait, la notion d’espace sociolinguistique, que je place au centre
de la démarche théorique, méthodologique et descriptive. Je considère
ainsi certains des domaines de Fishman comme des espaces : les relations
familiales, dans la concession ou la maison de famille, sur le marché,
à l’école et dans la classe, sur le lieu de travail, sont ainsi envisagées et
observées dans leur répétition au sein d’espaces matérialisés qui peuvent
être définis comme l’espace où se déploie et se manifeste la gestion des
langues et des variétés habituelles à ce lieu et à ces gens, et où les choix
linguistiques sont symboliques des relations interpersonnelles dans ces
espaces. Il s’agit d’avoir plutôt une approche anthropo-linguistique (ou
ethno-linguistique ?) de ces espaces. Par exemple, dans le cas des relations
entre pairs au sein des groupes dont ils sont membres, la matérialisation
de leur rencontre en des lieux où se génèrent leurs activités (ainsi à Dakar
les ASC, Associations Sportives et Culturelles), qu’il s’agisse d’un terrain
de foot, d’une salle de bal, d’un coin de quartier ou d’une maison dans
laquelle ils se rencontrent, contribue à définir l’espace sociolinguistique
qu’ils ont construit et où se manifestent leurs échanges.
238 C AROLINE JUILLARD

Certains espaces urbains, en particulier sur le continent africain, peu-


vent également se concevoir comme un prolongement d’espaces villageois
ou ruraux, où s’observe un contact entre des pratiques citadines et des

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pratiques de migrants. La rue est un de ces espaces ; de même que les
concessions familiales dans les nouveaux quartiers des périphéries urbai-
nes ; ou encore les ateliers des artisans qui reçoivent en formation les
jeunes venus des villages. C’est la concentration d’acteurs de différentes
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origines et le va-et-vient entre ici et là-bas qui caractérisent ces espaces.


Le mouvement des acteurs sociaux entre ces espaces est également
révélateur de la gestion du plurilinguisme urbain en ce qu’il montre,
définit et déplace éventuellement des frontières : frontières entre les espa-
ces, associées à des délimitations linguistiques. J’ai constaté à Ziguinchor
(Sénégal) que le fait de sortir ou d’entrer dans une maison ou dans un
quartier donné, comme de déambuler dans la ville d’un quartier à l’autre,
était corrélatif de choix linguistiques variables lors des rencontres. D’autre
part, les acteurs sont des « passeurs » de langues d’un espace dans un autre,
contribuant ainsi à l’innovation et au changement. Dans la banlieue de
Dakar, on a ainsi pu constater, lors d’une étude portant sur le contact
de langues dans des écoles communautaires de base (secteur informel de
l’enseignement), le lien entre ce qui se passe dans le cadre de la classe et ce
qui se vit dans le quartier. Les élèves y sont des passeurs de français plus
correct pour leurs parents peu ou non scolarisés et, par ailleurs, les rituels
communicationnels entre élèves et maîtres en classe reproduisent jusqu’à
un certain point les actes de langage propres aux assemblées de quartier
ou aux écoles coraniques (Dreyfus et Juillard 2004 b).
Les méthodologies sont forcément liées de façon très étroite à la construc-
tion de ces objets de recherche. Je privilégie donc la démarche ethnographi-
que qualitative et le poids plus important des observations que des enquêtes
par questionnaires, même s’il est toujours nécessaire de procéder par une
pluralité d’approches complémentaires, d’ordre macro comme microsocio-
linguistique, pour cerner le fonctionnement d’un plurilinguisme urbain.
Certes, on ne peut connaître et parler toutes les langues répertoriées de
même qu’on ne peut pas aller voir/écouter partout. Fonctionner en équipe
(comprenant au moins un chercheur d’origine citadine et un chercheur de
l’extérieur) est alors très utile. Les locuteurs peuvent également participer à
la recherche de façon active, avec un peu de formation.

1. 2. Deuxième dimension des études : le temps


Qu’il s’agisse d’études en temps apparent ou en temps réel, on ne peut
comprendre véritablement la gestion d’un plurilinguisme qu’en prenant
LE PLURILINGUISME 239

en compte sa dimension temporelle. M.-C. Varol (1990) examine ainsi,


dans une famille judéo-espagnole d’Istanbul, la diversité des usages des
uns et des autres, sur trois générations. Cette gestion familiale des choix

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linguistiques (judéo-espagnol, turc, français, en contact) manifeste des
temporalités différentes coexistant et se confrontant à un moment donné
du temps, celui de la communication observée et recueillie hic et nunc.
Les répertoires et compétences de chacun sont les manifestations de ces
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temporalités différentes. Dans le cas du plurilinguisme urbain africain, la


dimension historique est également nécessaire pour mettre en perspective
les temporalités plus récentes et encore observables. La constitution des
villes est relativement récente et la documentation dispersée. Certains
sociolinguistes tentent néanmoins de situer la compréhension des phé-
nomènes actuels dans une perspective historique : ainsi F. Mac Laughlin
(à paraître) à propos du contact historique du français et du wolof au
Sénégal, ou D. Morsly (1996) qui présente une histoire linguistique
d’Alger. Ces études apportent une compréhension tout à fait nouvelle des
faits de variation observables actuellement dans les sociétés urbaines.

¬$IVERS¬ASPECTS¬DE¬LÏTUDE¬SUR¬LES¬PLURILINGUISMES¬URBAINS
2.1. Configurations sociolinguistiques urbaines
Dans des situations hautement plurilingues, comme le continent africain,
le maintien et l’extension des différentes langues conduisent à différents
types de configurations sociolinguistiques urbaines : du plurilinguisme de
contact à l’émergence d’une ou deux langues à fonction véhiculaire3.
On relève différents types, du plus plurilingue au moins plurilingue.
• Une coexistence de différentes langues dans l’espace urbain témoigne
d’un plurilinguisme traditionnel, où les uns apprennent la langue des
autres. C’est souvent le cas dans les petites villes (cas d’Oussouye, sous-
préfecture en Basse Casamance, à proximité de Ziguinchor, Sénégal).
• Le cas de Ziguinchor (préfecture régionale) présente une illustration
significative d’une configuration urbaine encore plurilingue, où sont
repérables les aspects suivants : pluringuisme de contact, émergence de
koiné citadine harmonisant les divergences dialectales, modification des
idiomes par contact et emprunt extensif aux langues dominantes (fran-
çais surtout, wolof, mandingue), rapports contrastés entre langues domi-
nées ou minoritaires (statistiquement et symboliquement) et langues
dominantes, variation inter-dialectale, véhicularisation linguistique (en

3. On trouvera des exemples dans Dreyfus et Juillard (2004 a), Manessy et Wald (1984),
Plurilinguismes 3 et 12, Des langues et des villes (1992).
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l’occurrence : mandinguisation, wolofisation), interprétariat de contact,


langage gestuel, catégorisations linguistiques par la compétence, l’accent,
le mélange, les habitus bilingues dans l’interaction intra-groupe, etc.

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Le plurilinguisme se maintient dans toute sa diversité, du fait d’une
grande mixité ethnico-linguistique au sein des familles, des concessions,
des quartiers, bien que l’expansion actuelle de l’usage du wolof en menace
les manifestations, surtout chez les jeunes citadins entre eux. Il semblerait,
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selon certains natifs, qu’une cinquantaine de langues et de dialectes soient


parlés en ville.
Le wolof, la langue venue du nord du pays, se situe au sommet de la
pyramide des langues ; on note une compétition d’usage entre les deux
langues régionales majoritaires, le diola, et le mandingue, celle-ci jouant
un rôle véhiculaire que la première ne joue pas. Les Wolofs sont les moins
plurilingues (ils le sont néanmoins), les membres des communautés
minoritaires le sont le plus (Baïnouk, Mandjak, etc.).
• On relève dans la capitale, Dakar, une autre configuration sociolinguis-
tique. La compétition se situe là entre le wolof, la langue la plus parlée
en ville, et le français avec une variabilité du code mixte qui situe les
locuteurs dans l’espace géographique et social ainsi que dans la dimension
temporelle. Le plurilinguisme est additif et son usage est plus marginal et
circonscrit à des relations intra-groupes, dans les quartiers périphériques
et la banlieue surtout. Son maintien dépend beaucoup, semble-t-il, des
allers-et-retours avec le terroir d’origine.
• Il existe également en Afrique un type de configuration où l’ex-langue
coloniale est dominante lorsqu’aucune langue africaine n’est à disposi-
tion pour être utilisée comme véhiculaire (Manessy et Wald 1984). À
Libreville, capitale du Gabon, le plurilinguisme citadin reste limité et
circonscrit à des négociations inter-personnelles particulières et le français,
dans sa diversité d’usages, est la langue d’intégration citadine. À Abidjan,
le français dans toute sa variation – depuis le français populaire ivoirien
jusqu’au français plus normé – joue faute de mieux le rôle de véhiculaire
dans la diversité des relations interpersonnelles en ville.

2.2. Les stratégies d’intégration urbaine :


l’option du plurilinguisme ou l’option véhiculaire ?
Face à cette diversité de situations, deux questions principales se posent :
comment en milieu plurilingue le locuteur se socialise-t-il par et avec le
langage, compte tenu de l’évolution de la société (rural/urbain, recons-
tructions sociales en cours) et de l’interdépendance des espaces où il
évolue ? Quelle est l’évolution de ses besoins communicationnels, de ses
LE PLURILINGUISME 241

modèles et repères langagiers ? Avec comme corrélat la question suivante :


quel est le coût du plurilinguisme, en termes d’effort d’ordre psycho-
social et d’ordre cognitif (Dreyfus 1990) ?

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Dans une ville telle que Ziguinchor, l’option du plurilinguisme et celle
de la véhicularité coexistent au sein des familles, des usages de groupes,
et pour les individus eux-mêmes. Le tableau des usages linguistiques
déclarés en famille montre une constante : le wolof est la deuxième langue
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déclarée la plus parlée par les enfants, après la langue emblématique du


groupe d’appartenance. Une grande majorité d’enfants déclare connaître
et utiliser également d’autres langues dans leur environnement proche ou
plus lointain. Les politiques linguistiques à l’œuvre dans les familles révè-
lent des tensions quotidiennes entre les efforts des pères pour maintenir
l’usage de la langue emblématique du groupe d’appartenance et ceux de
certaines mères et des jeunes pour promouvoir et consolider l’usage de
la langue la plus véhiculaire, le wolof, dans les relations intra-familiales.
Par ailleurs, si chez les jeunes en groupe mélangé le wolof domine dans
les interactions, le plus souvent à deux on parle dans la langue identitaire
de l’un et/ou de l’autre ; lorsqu’un conflit éclate, on retourne à l’usage
des langues de groupe.
Les stratégies d’apprentissage sont variées, tant pour l’option véhicu-
laire que pour l’option plurilingue. Les relations d’éducation (envoi des
enfants pendant les vacances au village, confiage des enfants), d’amitié ou
de voisinage développent et maintiennent le plurilinguisme. Ainsi, le fait
de changer de quartier peut encore avoir un effet sur la mise en latence de
certaines langues et l’appropriation/activation d’autres langues. Certains
nouveaux venus en ville décident encore d’apprendre les langues locales :
lycéens d’origine régionale dans leurs familles de tutelle en ville, bana-
banas (vendeurs ambulants venant du Nord du pays) vendant dans les
quartiers périphériques, jeunes de retour à Ziguinchor après une enfance
passée dans le Nord dans le sillage de leurs parents fonctionnaires.
L’apprentissage de la langue véhiculaire, nationale, le wolof, répond à
plusieurs motivations contradictoires selon l’âge, le sexe et les activités.
On apprend le wolof à l’âge adulte en « se sacrifiant », pour ne pas se faire
avoir dans les relations commerciales par les commerçants du Nord ; on
l’apprend également par conformisme social, surtout pour les femmes,
et parce que c’est la langue à la mode chez les jeunes. Mais, en période de
tension politique et sociale avec le Nord du pays, le recours au français
par des jeunes scolarisés peut éventuellement leur permettre d’exprimer
un positionnement différent, tout en gardant l’option de l’usage d’une
langue commune.
242 C AROLINE JUILLARD

L’option du plurilinguisme et l’option véhiculaire se maintiennent


au Sénégal, y compris à Dakar, parce que le pays est encore majoritai-
rement rural. La coexistence des options répond à des besoins. Parkin

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(1977) signalait déjà le renforcement sur des bases socio-économiques
du plurilinguisme des jeunes de Nairobi qui tenait compte des nécessités
suivantes : maîtrise de la langue étrangère ex-coloniale pour obtenir un
emploi à un certain niveau, connaissances de la langue véhiculaire pour
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établir des contacts inter-ethniques susceptibles, entre autres, d’aider à


trouver un emploi, maintien du parler vernaculaire pour communiquer
avec les membres du même groupe, ce qui constitue un refuge dans les
périodes sombres et une base de solidarité socio-politique. On peut consi-
dérer qu’il en est globalement encore de même au Sénégal, notamment
dans une capitale régionale telle que Ziguinchor, située dans une région
plurilingue.

¬,ÏTUDE¬DE¬LA¬RELATION¬LANGUEIDENTITÏ
DANS¬LES¬SITUATIONS¬PLURILINGUES
Les modalités urbaines de l’identité et de la relation langue/identité se
déclinent dans toute leur diversité à Ziguinchor. J’ai choisi de prendre
comme exemple ce que l’on pourrait appeler la « diola-ité », c’est-à-dire
la manifestation d’une identité diola en ville. Qui sont ceux qui se don-
nent actuellement le nom de Diola ? Y a-t-il une identité diola ? Quels
sont les répertoires et les usages des Diola en ville ? L’origine paysanne de
ces populations (des riziculteurs) reste encore très sensible en ville, dans
les quartiers ouest surtout. Leur implantation s’étend de part et d’autre
du fleuve Casamance. Ils sont majoritaires en Basse Casamance. Malgré
l’existence de nombreux sous-groupes villageois parlant des variétés dia-
lectales divergentes, une sorte d’unité se manifeste aujourd’hui. Ils se
disent tous « Diola ». L’absence d’autorité centrale, l’indépendance dans
laquelle vivent les villages les uns par rapport aux autres, l’égalité sociale
des membres du groupe, l’absence de castes et d’esclavage, sont les traits
caractéristiques des Diola qui ont le sentiment de partager le même patri-
moine culturel. Traditionnellement animistes, les Diola de Casamance se
sont cependant montrés réceptifs aux influences d’autres cultures : celles
des Mandingues et des Wolofs qui les ont islamisés, des Blancs qui les
ont christianisés. Ce sont des gens ouverts qui apprennent facilement les
langues des autres. Le sentiment identitaire s’est-il avivé à la suite des évé-
nements de la guerre civile d’indépendance qui a sévi depuis le début des
années quatre-vingt en Casamance ? La prise en compte de la variabilité
linguistique est un bon moyen de répondre à cette question.
LE PLURILINGUISME 243

L’appréhension de la relation entre identités et langues ou variation


linguistique dépend entièrement de la méthodologie utilisée lors des
enquêtes de terrain. Selon qu’on appréhende la question linguistique

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par le biais de questionnaires ou par le biais de l’analyse d’entretiens ou
d’interactions, la perception change complètement.
Ainsi l’analyse des répertoires déclarés de plus de 700 élèves de fin de
primaire dans différents quartiers de Ziguinchor (enquêtes de 1985 et
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de 1987) a conduit à une vision pyramidale et hiérarchique des langues


et des identités, minoritaires ou majoritaires, depuis la langue d’origine
emblématique du groupe d’appartenance jusqu'aux langues secondes,
caractéristiques de certains groupes ou de certains profils individuels,
familiaux, ou de quartiers en ville. Les langues déclarées utilisées étaient
désignées par leurs dénominations en français.
L’analyse des entretiens conduit à une vision différente du répertoire,
construit dans la durée, avec des périodes de latence ou de réactivation
des diverses composantes linguistiques ; donc à une vision également dif-
férente de l’identité. Si l’identité revendiquée par les usagers reste le plus
souvent celle que manifeste l’usage de la langue emblématique du groupe
d’origine (ou du père), elle se révèle parfois plus complexe lorsqu’on prend
en compte ce qui affleure, durant les entretiens, de la diversité des modèles
et des références identitaires, de la gestion des langues du répertoire dans
des circonstances et avec des interlocuteurs variables. L’identité sociolin-
guistique se révèle ainsi composite et construite différemment selon les cas
d’espèce, ce que les catégories « natifs, migrants, vieux, jeunes, hommes,
femmes, enfants, etc. » ne saisissent qu’imparfaitement.
L’analyse des interactions s’intéresse aux identités manifestées en situa-
tion, formes et contenus émergeant en contexte pour donner du sens et un
volume existentiel à ces identités. Ainsi les identités peuvent se révéler englo-
bantes ou différenciées, éclatées, selon le besoin du moment. Si des jeunes
diola de Ziguinchor se désignent tous comme « diola », parlant entre eux
un « joola » mélangé d’éléments de français, de wolof, voire de mandingue,
donc un joola urbain, se distinguant ainsi des autres jeunes de leur quartier,
le groupe peut manifester à d’autres moments une identité plurielle : parmi
nous – les jeunes diola de tel quartier – il y a des ruraux et des citadins.
En ce cas, s’agit-il d’une pluralité revendiquée par tous ou d’une tension
qui se manifeste hic et nunc entre les uns, ruraux, et les autres, citadins ? La
prise en compte du marquage par les interactants qui le relèvent traduit-elle
en ce cas une tension identitaire ? On repère en interaction des moments
significatifs de convergence et de divergence qui font sens sur le plan des
identités partagées ou temporairement vécues comme conflictuelles.
244 C AROLINE JUILLARD

La question fort intéressante de l’émergence d’une koiné joola en


ville n’a hélas pu être traitée jusqu’à présent. Or son étude pourrait être
fort significative de la (re)centration du groupe diola en ville. Dans la

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même perspective, on pourrait également envisager l’étude comparative
en temps réel des apprentissages et des usages du wolof par les jeunes
diola venant des villages, à leur installation en ville – les jeunes filles l’ap-
prennent en trois semaines, les jeunes gens beaucoup plus lentement –,
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ainsi que celle des apprentissages et des usages du diola, en contact avec
le wolof et le français, par les jeunes diola nés ou élevés dans le Nord et
revenus à l’âge adulte pour s’installer à Ziguinchor.
La question identitaire est donc complexe, car ce plurilinguisme à
dimension variable permet de manifester des identités enchâssées, plu-
rielles, ou latentes qu’on peut réactiver en fonction des situations et des
interlocuteurs, par différents procédés de marquage linguistique : identités
villageoises, identités de quartier, identité citadine, identité casamançaise,
identité sénégalaise, qui se reconnaissent toutes au plurilinguisme du
répertoire quelle qu’en soit la taille (au moins trois langues) et la nature, et
qui s’expriment au sein de réseaux relationnels plus ou moins endocentrés,
plus ou moins localisés.
Selon mon expérience, la recherche sociolinguistique en milieu urbain
plurilingue se révèle riche d’objets d’étude, d’approches et de tentatives
d’interprétation des procès en cours. Seule une description fine des usa-
ges en situation permet de mettre à l’épreuve des faits les concepts, les
théories et les méthodes. Il reste que l’étude du plurilinguisme demeure
un écueil pour le chercheur non natif et demeure encore un objet trop
peu prisé par les chercheurs autochtones davantage formés à la linguis-
tique qu’à des approches sociolinguistiques, plus coûteuses en temps et
en personnes qualifiées.

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