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« Sexuality »
Marolla, « “Riding the Bull at Gilley’s” : Convicted Rapists Describe the Rewards of
Rape », Social Problems, no 32, 1985, p. 251.
7. Tout ce passage semble évoquer la critique des biais masculins de la psychologie du
développement, telle qu’elle a été menée par exemple par Carol Gilligan dans In a
Different Voice : Psychological Theory and Women’s Development, Cambridge, Harvard
University Press, 1982 (N.d.T.).
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intégrée, mais que les femmes sont ce qui est ou non fonctionnel,
cette altérité à travers laquelle le moi s’éprouve comme ayant une
identité ; que les hommes ont des relations avec des objets, quand
les femmes sont les objets de ces relations. Et ainsi de suite. En
s’appuyant sur une telle critique, on pourrait alors tenter d’inverser
ou de corriger les prémisses et les conséquences de chacune de ces
thèses pour les universaliser, même si la réalité à laquelle elles se
réfèrent ressemble davantage à ces théories – une fois leur aspect
genré révélé – qu’à quelque chose d’égalitaire. Ou bien, on pourrait
tenter de sacraliser la singularité de « l’expérience des femmes »,
comme si celle-ci pouvait vraiment être autre chose qu’une dimen-
sion de la réponse des femmes à une commune condition d’impuis-
sance. De tels exercices mentaux seraient instructifs, et même
« dé-constructifs », mais limiter le féminisme au redressement d’un
biais, en faisant abstraitement comme si le pouvoir masculin n’exis-
tait pas, notamment en valorisant ce que les femmes n’ont pas choisi
d’être, ce serait limiter la portée de la théorie féministe de la même
manière que le sexisme limite la vie des femmes : à une réaction
aux termes posés par les hommes.
Une théorie spécifiquement féministe analyse la réalité sociale,
dont la réalité sexuelle est une dimension, selon ses propres termes.
Mais quels sont ces termes ? Si les femmes ont été massivement
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8. Kate Millett, Sexual Politics, Garden City, Doubleday, 1970 (La politique du mâle,
trad. de l’angl. par Elisabeth Gille, Paris, Stock, 1971).
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9. Jacques Lacan, Feminine Sexuality, trad. anglaise de Jacqueline Rose, édité par Juliet
Mitchell et Jacqueline Rose, New York, Norton, 1982 ; Michel Foucault, Histoire de
la sexualité. Power/Knowledge, édité par Colin Gordon, New York, Pantheon, 1980.
Voir plus généralement les textes discutés dans Robert A. Padgug, « Sexual Matters ;
On Conceptualizing Sexuality in History », Radical History Review, vol. 70, prin-
temps-été 1979.
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10. Dans sa critique de Freud dans Spéculum de l’autre femme (Paris, Éditions de Minuit,
1974), Luce Irigaray montre bien comment Freud construit la sexualité depuis le
point de vue masculin, la femme étant une déviation par rapport à la norme. Mais
elle aussi voit la sexualité féminine non pas comme construite par la domination
masculine, mais comme réprimée par elle.
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11. Référence aux enquêtes sur les comportements sexuels masculins, puis féminins,
conduites aux États-Unis sous la direction d’Alfred Kinsey, cf. note 12 (N.d.T.).
12. Alfred C. Kinsey, Wardell B. Pomeroy, Clyde E. Martin, Paul Gebhart, Sexual Beha-
viour in the Human Female, Philadelphie, W.B. Saunders, 1953 ; A. C. Kinsey,
W. B. Pomeroy, C. E. Martin, Sexual Behaviour in the Human Male, Philadelphie,
W.B. Saunders, 1948. Cf. la critique de Kinsey in Andrea Dworkin, Pornography :
Men Possessing Women, New York, Perigee, 1981, p. 179-198.
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13. Cf. M. Straus, « Sexual Inequality, Cultural Norms, and Wife-Beating », Victimology :
An International Journal, vol. 1, 1976, p. 54-76.
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Dans cette optique, quelqu’un doit être actif pour qu’il y ait
du sexe. Le sexe consenti – l’égalité sexuelle – c’est une agression
sexuelle égale. Si les femmes exprimaient librement « leur propre
sexualité », il y aurait plus de rapports hétérosexuels. La « résis-
tance » des femmes au sexe est ici un stéréotype culturellement
imposé, pas une forme de lutte politique. Le viol résulte de la résis-
tance des femmes, pas de la violence des hommes – ou si l’on veut,
la violence masculine, et donc le viol, résulte de la résistance des
femmes au sexe. Les hommes violeraient moins s’ils obtenaient des
femmes un peu plus de consentement à se soumettre gentiment au
sexe. Corollaire : la violence dans le viol n’est pas sexuelle du point
de vue masculin.
Sous-jacente à cette citation se cache l’idée, aussi répandue
qu’elle est implicite, que si les femmes voulaient juste bien accepter
une étreinte que les hommes ne peuvent actuellement obtenir que
par le viol, si elles voulaient bien arrêter de résister ou (selon un
scénario très prisé des pornographes) si elles pouvaient même
devenir des prédatrices sexuelles, eh bien alors le viol se volatiliserait.
D’un côté, c’est vrai par construction. Quand une femme accepte
ce qui serait un viol si elle ne l’acceptait pas, l’acte qui suit est alors
du sexe. Si les femmes acceptaient le sexe forcé comme du sexe, « le
sexe consenti serait accessible à un plus grand nombre d’hommes ».
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15. Susan Brownmiller (Against Our Will : Men, Women, and Rape, New York, Fawcett
Books, 1975) est à l’origine de cette approche, qui s’est depuis largement diffusée.
16. Annie McCombs m’a aidée à exprimer cette idée.
17. Cette anthologie qui fit référence regroupait des textes de théoriciennes et militantes
de premier plan sur les dimensions politiques de la révolution sexuelle (N.d.T.).
18. Ann Snitow, Christine Stansell, Sharon Thompson, Powers of Desire, New York,
Monthly Review Press, 1983, p. 9.
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22. A. Dworkin, « Why So-Called Radical Men Love and Need Pornography », in Laura
Lederer (dir.), Take Back the Night : Women on Pornography, New York, William
Morrow, 1980, p. 148.
23. Susan Sontag, Under the Sign of Saturn, New York, Farrar, Straus and Giroux, 1980,
chap. « Fascinating Fascism », p. 103.
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24. Robert Stoller, Sexual Excitement : Dynamics of Erotic Life, New York, Pantheon
Books, 1979, p. 6.
25. Harriet Jacobs, citée dans Rennie Simson, « The Afro-American Female : The His-
torical Context of the Construction of Sexual Identity », in A. Snitow, Ch. Stansell,
Sh. Thompson, Powers of Desire, op. cit., p. 231.
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26. Cette expression est de Michel Foucault, dans « The West and the Truth of Sex »,
Sub-Stance, vol. 5, 1978, p. 20. Foucault ne critique pas la pornographie en ces
termes.
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devons nous répéter, comme un mantra : le sexe c’est bon ; la nudité c’est joyeux ;
une érection c’est beau... Ne vous laissez pas ramollir par les connasses » (« Dear
Playboy », Playboy, juin 1985, p. 12).
30. A. Dworkin, Pornography..., op. cit., p. 69, 136 et chap. 2.
31. Ibid., p. 109.
32. Ibid., p. 113-128.
33. Ibid., p. 174.
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avec n’importe quoi ; le pénis est crucial mais il n’est pas forcément
dans un vagin. La grossesse n’est qu’un sous-thème mineur, jouant
un rôle à peu près aussi important dans le porno que la reproduc-
tion dans le viol. Le coït est contingent dans le porno, par oppo-
sition à l’usage de la force, qui est central. Le porno enseigne que
l’agression physique des femmes est l’essence même du sexe. Tout
ce qui s’y rapporte est sexe. Tout le reste est secondaire. Peut-être
que l’acte reproducteur n’est considéré comme sexuel que dans la
mesure où il est considéré comme une souillure et une agression
physique dirigées spécifiquement contre les femmes, et pas parce
que « sexuel » a priori.
Être traitée comme un objet sexuel, c’est se voir imposer une
définition de vous-même avant tout par les usages sexuels que l’on
peut avoir de vous, et vous utiliser ainsi. C’est ça le sexe pour les
hommes. La pornographie est une pratique de cette sexualité car
elle existe dans une société où la sexualité est toujours médiatisée,
que ce soit dans les pratiques ou dans les représentations. Il n’y a
pas d’essence irréductible, rien qui soit « pur sexe ». Si le sexe est
un produit du sexisme, les hommes ont des relations sexuelles avec
leur image de la femme. Le porno crée un objet sexuel accessible,
dont la possession et la consommation constituent la sexualité mas-
culine, la sexualité féminine étant le fait d’être ainsi possédée et
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Koedt (dir.), Notes from the Second Year : Women’s Liberation, New York, Radical
Feminism, 1970 ; Ti-Grace Atkinson, Amazon Odyssey : The First Collection of Writing
by the Political Pioneer of the Women’s Movement, New York, Links Books, 1974 ;
Linda Phelps, « Female Sexual Alienation », in Jo Freeman (dir.), Women : A Feminist
Perspective, Palo Alto, Mayden, 1979.
36. A. Dworkin, Pornography..., op. cit., p. 22.
37. Tel est l’intrigue de Deep Throat, le film porno que Linda « Lovelace » fut contrainte
à faire. Il s’agit probablement du film porno le plus vendu au monde. Que ce scénario
ait à ce point pu être apprécié suggère qu’il fait appel à un ressort puissant dans le
psychisme masculin.
38. A. Dworkin, Pornography..., op. cit., chap. « The Root Cause », p. 56.
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39. Cette citation et les suivantes sont tirées de Pat Califia, « A Secret Side of Lesbian
Sexuality », The Advocate, San Francisco, 27 décembre 1979, p. 19-21, 27-28.
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violeurs, malgré le fait que la plupart des femmes sont violées par
des hommes qu’elles connaissent (ce qui rend improbable qu’une
poignée de fous connaissent à peu près la moitié des femmes des
États-Unis), le viol reste considéré comme une pathologie psycho-
logique et de ce fait, pas comme une dimension de la sexualité.
Ajoutons à cela l’omniprésence et la légitimité du viol, et la
croyance répandue qu’il est rare et transgressif. Combinons à cela
la similarité des rythmes, rôles, émotions et actes qui constituent le
viol (et les violences) d’un côté, et les relations sexuelles de l’autre.
Tout ceci rend difficile de défendre les distinctions habituelles en
ce domaine entre le normal et le pathologique, la nomophilie et la
paraphilie, le sexe et la violence. Quelques chercheurs ont déjà noté
la centralité de l’usage de la force dans le pouvoir d’excitation du
porno mais ont eu tendance à l’attribuer à de la perversion. Stoller,
par exemple, remarque que le porno aujourd’hui repose sur l’hos-
tilité, le voyeurisme et le sadomasochisme, et considère la perversion
comme « la forme érotique de la haine 48 ». Si l’on voit la perversion
non comme le revers du bien dans une dichotomie normal/anormal,
mais comme l’expression brute d’une norme qui imprègne de nom-
breuses interactions ordinaires, alors la haine des femmes – la miso-
gynie – devient la dynamique même de l’excitation sexuelle. (...).
Toutes les femmes vivent dans l’exploitation sexuelle comme
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48. R. Stoller, Perversion : The Erotic Form of Hatred, New York, Pantheon, 1975, p. 85.
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liste des victimes jusqu’au jour de sa mort (et encore, qui sait ?), il
ne semble pas exagéré de dire que les femmes ne sont sexuelles
(c’est-à-dire qu’elles n’existent) que dans un contexte de terreur. Et
pourtant, la plupart des experts dans le domaine de la sexualité
persistent à étudier les mystères de ce qui est appelé la sexualité
féminine de manière décontextualisée, en faisant abstraction des
inégalités de genre et de la violence sexuelle – en se regardant le
nombril, ou juste en-dessous.
La théorie générale de la sexualité qui émerge de cette critique
féministe ne considère pas que la sexualité est une espèce de force
innée en chaque individu, ni qu’elle est culturelle au sens freudien
(c’est-à-dire incarnée dans une culture particulière mais fondée sur
des représentations et étapes psychiques invariantes). La sexualité
est au contraire culturellement variable, même si jusqu’ici le carac-
tère universel de la domination masculine, malgré la variété de ses
formes, constitue un invariant de fait. Bien que certains de ses excès,
comme la prostitution, soient aggravés par la pauvreté, la sexualité
varie peu suivant la classe sociale, même si la classe est l’une des
hiérarchies qui est sexualisée. La sexualité est alors sociale et rela-
tionnelle, produite par le pouvoir en même temps qu’elle le produit.
Les nourrissons, quoique dotés de sensations, n’ont pas en ce sens
de sexualité car ils n’ont pas encore eu les expériences, et ne pos-
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de leur contenu intrinsèque, mais parce que leur forme, leurs qua-
lités, leur texture, leurs normes, leur existence même sont dans la
réalité sociale le produit d’une situation d’impuissance. Elles exis-
tent sous cette forme parce qu’il n’y a pas eu le choix. C’est d’une
situation d’oppression et d’exclusion qu’elles ont émergé. Elles peu-
vent être mises stratégiquement au service de la survie ou même du
changement. Mais en l’état, elles ne donnent qu’un accès limité au
monde – et c’est à un accès illimité que l’on devrait avoir droit.
C’est pourquoi interpréter la sexualité féminine comme une expres-
sion de l’autonomie des femmes, comme si le sexisme n’existait pas,
est toujours péjoratif, étrange et réducteur, comme si l’on interpré-
tait la culture noire en faisant abstraction du racisme. Comme si la
culture noire était née sur les plantations et dans les ghettos d’Amé-
rique du nord, spontanément, en toute liberté, afin d’enrichir la
diversité et le pluralisme américains.
Aussi longtemps que l’inégalité sexuelle sera inégalitaire, et
sexuelle, les tentatives de revaloriser la sexualité « des femmes »,
comme si les femmes la possédaient réellement autant et pas seu-
lement grammaticalement, se borneront à réduire les femmes à ce
qu’on leur impose d’être. En-dehors de quelques moments d’excep-
tion (dont beaucoup de gens ont l’illusion qu’ils constituent la
majeure partie de leur vie sexuelle), rechercher une sexualité égali-
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49. T.-G. Atkinson, « Why I’m Against S/M Liberation », in F. Linden, D. Pagano,
D. Russell, S. Star, Against Sadomasochism : A Radical Feminist Analysis, Palo Alto,
Frog in the Well, 1982, p. 91.
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