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Marie Nimier
absence et perte

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Collection “Regards croisés”
Dirigée par Nicolas Pien

Éditions Passage(s)
www.editionspassages.fr
ISBN : 979-10-94898-11-6

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Marie Nimier
absence et perte
Études réunies par Carine Fréville
& Ana de Medeiros

Passage(s)
« Regards croisés »

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Marie Nimier
absence et perte

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Les éditrices de ce volume souhaitent vivement remercier toutes les
personnes ayant participé au colloque à l’origine de cette publication, et
tout particulièrement Marie Nimier pour sa disponibilité, à la fois pour
l’entretien qu’elle nous a accordé et pour son travail subséquent pour la
version publiée de cet entretien pour ce présent ouvrage.

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Introduction

L’ œuvre littéraire de Marie Nimier comprend à ce jour plus de vingt


volumes. Elle se compose d’expérimentations dans les domaines de
la fiction, de l’autofiction, de la littérature pour la jeunesse, du théâtre et des
paroles de chansons, et a reçu plusieurs prix prestigieux, tel le Prix Médicis
en 2004 pour La Reine du silence. Son avant-dernier roman, Je suis un
homme (2013), a été extrêmement bien accueilli par la critique et largement
commenté. Il a donné lieu à un débat particulièrement animé dans
l’Hexagone au sujet de son exploration du genre et de la sexualité. Les trois
personnages de La Plage, publié en 2016, sont une nouvelle expérience
d’écrire pour « dir[e] l’amour et son contraire, le désir et la perte, la
métamorphose ou l’enfermement ». Ces deux derniers romans en date
continuent la réflexion de longue date de l’auteure sur les thèmes
intrinsèquement liés de l’absence et de la perte.
C’est autour de ce double thème – le double, lui-même leitmotiv de son
œuvre – que s’est organisée une conférence internationale sur l’écriture de
Marie Nimier, intitulée Marie Nimier : Absence et Perte, qui s’est tenue les
7 et 8 juillet 2014 sur le campus parisien de l’Université du Kent. La
conférence s’est terminée sur un entretien public avec Marie Nimier, qui a
eu la gentillesse d’accepter notre invitation, et qui nous a donné une occasion
privilégiée de partager avec elle nos réflexions.
Ce double thème de l’absence et de la perte peut être connecté à une
grande variété de motifs, entraînant quantité d’autres pistes particulièrement
vastes et source intense de réflexions, telles que la sexualité, l’enfance, le
gender, le genre, la liminalité, ou encore la figure de l’auteur et l’acte d’écrire ;
mais aussi tout ce qui a trait à la souffrance, au traumatisme, sans oublier les

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rapports humains / animaux, la psychanalyse, l’importance des couleurs ou
la synesthésie. Autant de propositions dont cette conférence et cette présente
publication, en sont l’écho, à l’image des renvois et résonnances des œuvres
de Marie Nimier.
L’entretien public avec Marie Nimier, retravaillé depuis avec l’auteure,
permettra d’ouvrir ce présent volume aux voix des écrivains – tout en
ébauchant, nous l’espérons, de nouvelles pistes de réflexions, un nouveau
champ des possibles, entrant à nouveau en résonnance. Thierry Illouz –
auteur de romans, de pièces de théâtre et de chansons (souvent avec Marie
Nimier) – ajoute sa voix d’auteur en nous offrant une étude, centrée sur Les
Inséparables (2008), visant à explorer le travail qu’effectue Marie Nimier à
partir du réel, considérant son écriture comme étant celle du déplacement et
de la rupture. Accomplissant ce qu’il nomme une torsion du réel, Thierry
Illouz argumente que le réel se retrouve piégé, dans un processus d’écriture
aboutissant au final à mieux rendre compte de la réalité, tout en permettant
l’expression de l’ineffable et du non-dit.
Le texte et l’image sont ensuite au cœur des articles d’Adrienne Angelo
et de Carine Fréville, qui se sont intéressées à la problématique de la
perception et des troubles de la perception dans le roman Photo-Photo (2010),
texte empreint de traces, de ce qu’elles révèlent mais aussi recouvrent,
cachent, dans autant d’absences et de disparitions. Dans “Blind Spots, Seeing
Double: Writing and Vision in Photo-Photo”, Adrienne Angelo se penche
sur l’intensité des sens et de la corporalité et sur le processus d’écriture de la
narratrice, lié intrinsèquement à une vision perturbée et perturbante, pour
donner lieu à une analyse poussée des jeux de dédoublement et des
interconnections de l’absence et de la présence. Adrienne Angelo considère
Photo-Photo comme un texte singulier dans l’œuvre de Marie Nimier, du
fait de la prédominance de la coexistence entre le visuel et l’invisible dans ce
récit de perte. Au travers du double processus de lecture et d’écriture, elle
démontre comment Photo-Photo s’affirme comme un autoportrait s’écrivant
en marge, dans les interstices duquel la reconnaissance de soi et des autres
peut enfin se réaliser, donnant à lire – et à voir – l’émergence progressive
d’un portrait de soi en guérison.
S’attelant également aux problématiques de l’inquiétante étrangeté
(Freud), de la spectralité (Derrida) et de la photographie (Barthes), dans les
enjeux de la perception désorientée et de l’écriture, l’article de Carine Fréville
s’ouvre sur la question que pose la narratrice de Photo-Photo : « … et qui saura
photographier le langage ? » (Photo-Photo, p.50). Elle y analyse la forte
visualité de Photo-Photo, à laquelle s’ajoute quantité de dédoublements, dans

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ce Photo-roman qui se joue de la référentialité, de la photographie – comme
du texte – comme reproduction d’une mise en scène d’une scène originelle.
S’ensuit tout un travail sur les marques, cicatrices, et preuves, sur toutes ces
possibles traces face à l’érosion, la disparition, des êtres et des choses.
La troisième section s’intéresse aux corrélations entre le mot et le geste.
Dans “Les mots, le double sens et la double vue chez Marie Nimier”, David
Gascoigne entame ces réflexions à travers une analyse des jeux de mots, de
la pratique du double sens, d’éléments homophoniques et anagrammatiques
dans l’écriture de Marie Nimier. Il révèle, dans cette image du mot comme
noyau se fissurant, la portée sémantique, symbolique mais aussi hautement
créatrice de l’approche du mot chez l’auteure.
Peter Schulman poursuit ces pistes d’analyse par une étude du geste,
et plus précisément des gestes perdus, dans les œuvres théâtrales La
Confusion (2011) et Adoptez un écrivain (2012). Il y décrit ainsi un
langage de gestes, permettant la réintégration de personnages fragmentés,
dont le décentrement permet justement une meilleure perception de soi et
des autres, par une mise en exergue où les gestes se révèlent là où les mots
ne suffisent pas/plus.
Par rapport à l’absence et à la perte, et en termes de genre et de sexualité,
formant la quatrième section, Karin Schwerdtner se penche sur les
corrélations entre auteure et personnages, s’intéressant aux protagonistes
masculins, et plus particulièrement au narrateur masculin de Je suis un
homme (2013). Partant d’un entretien qu’elle a réalisé avec l’auteure, et dans
lequel Marie Nimier parlait d’effacement, de disparition et de désintégration
dans la position autoriale, Karin Schwerdtner considère ce choix d’une voix
narrative masculine (et de surcroît grossière et antiphatique) comme « une
mise en danger de l’auteure par elle-même », une prise de risque du fait d’une
position hors de soi, pouvant surprendre, mais qui s’affirme et s’affiche
comme défi d’écriture, et se révèle être un beau danger (Foucault).
Toujours dans ce domaine de possibilités créatives autres, Adina Stroia
se concentre quant à elle sur le deuxième roman de Marie Nimier, La Girafe
(1987), dans lequel la voix narrative était déjà masculine. Adina Stroia y
étudie le spectre du père, l’enfance (et de l’état infantil du narrateur, adulte),
et les déviances sexuelles du personnage Joseph, au travers de l’idée
controversée de Freud concernant la perversion polymorphe des enfants, re-
théorisée par Kristeva. Elle considère ainsi la sexualité perverse de Joseph,
dans sa relation transgressive avec Hedwige – la girafe dont il s’occupe au
Zoo de Vincennes – comme une transgression de l’hétéronormativité, au
sein du contexte spécifique du zoo, lui-même site d’exhibition et de

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voyeurisme, et donc lieu des possibles en termes de transgressions ; un autre
espace en marge, décentré donc, permettant l’expression de la différence.
Père et perte : deux mots qui s’inscrivent, en creux et en plein, en
filigrane, à travers toute l’oeuvre de Marie Nimier. Les articles d’Edith Perry
et de Jeanne-Sarah de Larquier portent tous deux sur ce point crucial et
fondateur de l’absence et de la perte qu’est la figure du père, constituant la
cinquième section. Edith Perry montre en quoi La Reine du silence s’affiche
comme « la mission insolite, non seulement de dire en silence mais encore
de dire le vide, le rien, le manque, l’absence ». Comment dire l’absence du
père ? Car il est bien question de représenter l’absence, de cette quête de
traces, de rendre visible, présent, ce qui est si fondamentalement absent, alors
que même les traces manquent. Edith Perry explicite ainsi « le non-père »,
mais aussi « le non du père », au cœur de ce texte palimpseste, naviguant
dans les eaux troubles du non-dit, entre absence et présence, mais toujours
bien ancré dans la perte.
Jeanne-Sarah Larquier étend quant à elle les considérations de genre des
deux articles de la section précédente, en considérant ensemble la confusion
des genres, l’absence et l’enfance dans La Reine du silence et dans Je suis un
homme. Elle considère ce dernier comme le premier à s’inscrire dans un
espace purement romanesque, un « nouvel espace vierge totalement fictif »,
dans lequel « personnage fictif et histoire fictive concrétisent la conclusion
ouverte de La Reine du silence et concomitamment l’introduction de ce
douzième roman affranchi des contingences du thème de manque de père,
de vide dès l’enfance. »
Marinella Termite clôt ce travail collectif autour de l’absence et de la
perte du point de vue de la spatialité et du végétal. Dans son article intitulé
“Surfaces et coquilles : un sentiment de perte ?”, Marinella Termite
entreprend l’analyse de l’œuvre de Marie Nimier d’un point de vue de
considérations spatiales, au travers des images de surface et de coquille,
qu’elle envisage comme des « outils, “porteurs d’absence” » permettant de
mettre en récit la perte, comme autant de creux pouvant être vus/lus.
Marinella Termite met en lumière le fonctionnement de la végétalisation
de l’espace comme « une autre solution scripturale de la spatialité »,
fonctionnant comme autant de points de repères, mais aussi comme moteur
de la création. Elle montre ainsi comment d’autres perceptions spatiales,
dimensionnelles, fonctionnent dans les textes de Marie Nimier, et
comment la perte se transforme en matière : la matière romanesque et nous
renvoie ainsi aux voix des auteurs.
Carine FREVILLE & Ana de MEDEIROS

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I
La voie ou la voix des écrivains

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Entretien avec Marie Nimier

Jeanne-Sarah de Larquier : Je vais peut-être commencer avec une première


question pour ouvrir. Je me souviens d’une conversation qu’on avait eue, on
avait parlé de Beckett, de Samuel Beckett, pour parler du jeu du langage,
pour parler du langage, et moi je suis fascinée à travers tous vos textes,
surtout la ponctuation, les jeux de mots, les associations, les connections qui
se font, qui sont peut-être provoquées mais je me demande si elles sont faites
justement pour permettre de dire sans dire. Est-ce qu’il y a un travail
conscient dans vos travaux, dans vos écrits, sur les mots pour dire ce qui n’est
pas dans les mots justement ? Et peut-être provoquer l’inconscient ?

Marie Nimier : Je pense que ce qui relie tous mes textes, c’est que je prends
beaucoup de temps… à les relire. C’est leur dénominateur commun. Un petit
dénominateur chronophage. Je passe, je repasse, avance lentement. Et avant
de me plonger dans l’écriture d’un roman, je prends beaucoup de notes que
souvent je n’utilise pas, mais qui font comme un matelas pour les rêves, un
moment de ma vie où je fais sans faire, où je me laisse le temps d’associer,
d’imaginer, de construire. Ce temps vit sur chaque page, c’est peut-être lui
qui donne cette impression d’épaisseur.

Jeanne-Sarah de Larquier : Comment s’organisent vos journées d’écriture ?

Marie Nimier : Quand je commence ma journée de travail, je relis ce qui a


précédé, ce que j’ai pu écrire dans les deux semaines qui ont précédé. Ainsi
tous les mots sont intimement liés, ils ricochent, et c’est tout un réseau
d’images, de sons qui se renvoient la balle, au-delà du présent de la page…

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J’enlève aussi beaucoup, je pense que c’est là une grande partie de mon
travail. Ce travail du creux. De ce qui n’est pas dit, en apparence. Et aussi le
travail sur la fluidité. Je n’ai pas envie que les mots arrêtent. Que les mots
figent, bloquent le sens, s’imposent trop. J’aime qu’ils soient à la fois précis
et ouverts, à double entrée parfois, double son, double sens, mais sans
forcément le souligner. Denses et légers. La langue française permet ces jeux
de double-fond.

Jeanne-Sarah de Larquier : Vous relisez-vous à voix haute ?

Marie Nimier : Pour les paroles de chansons, les textes pour enfants, le
théâtre, enfin tout ce qui est destiné à être dit, chanté, raconté, interprété, oui,
je me relis à voix haute. Les romans, c’est différent : je ne les relis pas à voix
haute. Ou alors une espèce de voix haute qui est à voix basse. Silencieuse. Je
cherche la fluidité, je l’ai dit déjà, mais une fluidité qui passe par les yeux,
pas par les oreilles. S’il y a résonance, ce serait d’inconscient à inconscient
plus que de son à oreille. Ce n’est pas vraiment calculé, mais je crois que
c’est comme ça que ça marche.

Jeanne-Sarah de Larquier : Quelle est la place du lecteur ?

Marie Nimier : Quelqu’un a soulevé, hier je crois, cette façon que j’avais de
provoquer l’émotion de façon économe. C’est vous qui avez dit ça ? Je ne
sais plus… S’appesantir dans les moments délicats, les scènes clés du récit,
ce n’est pas ma façon de faire. Il ne s’agit pas d’une impuissance à dire à ce
moment-là, mais plutôt d’une façon de céder le pas au lecteur. Ce qu’il va
ressentir, imaginer, est plus puissant que tout ce que je pourrais développer…
Ce n’est pas à moi de lui dire ce qu’il doit ressentir. J’aimerais, dans mes
livres, qu’il y ait beaucoup de place pour le lecteur. Et, en fait, beaucoup de
place pour moi aussi, puisque je suis ma première lectrice. Il y a donc pas
mal de zones floues, des ellipses également. Est-ce que ça répond à la
question ? Ce sont les mots qui m’inspirent, qui m’offrent l’émotion. Et c’est
pour ça aussi que je peux avoir de la distance et me réjouir de ce que j’entends
ici comme si ce n’était pas moi qui avais écrit ces livres étudiés, parce que
finalement je laisse parler les mots. Et le langage, c’est ce que nous
partageons tous. Je travaille avec ça, avec cette chose que nous partageons
tous. Les mots passent par moi, évidemment – ils ne sont pas moi. Ils ne
m’appartiennent pas.

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Carine Fréville : On revient à ce dont nous avons discuté hier, au rapport
entre le désir et la violence. On en a parlé spécifiquement dans La Girafe et
dans Je suis un homme, et par contre on a l’impression que la violence dans
le désir, elle est absente quand on a les relations entre femmes dans le texte.
La question serait, est-ce que le désir sans violence ne pourrait exister que
dans une relation du même, dans le texte entre femme-femme, alors que
quand c’est l’autre, ça introduit de la différence, et donc peut-être de la
violence ?

Marie Nimier : Oui alors je pense que c’est vraiment purement


autobiographique cet aspect-là. C’est-à-dire que pour moi l’extrême violence
apparente (je dis bien apparente) est du côté du père, depuis toujours. Là je
crois que je ne peux pas échapper à ce que je suis, à ce qui m’a constituée en
tant qu’être humain. Dans mes livres, la brutalité est prise en charge par des
personnages masculins, même si évidemment les personnages féminins ne
sont exempts ni de violence, ni de colère. Une colère sourde, parfois.
Explication un peu sommaire sans doute, qui trouve des développements
plus raffinés, moins à l’emporte-pièce, dans La Reine du Silence ou Les
Inséparables. J’ai également travaillé directement sur la violence conjugale
et les abus de tous genres dans Je suis un homme, parce que c’est un sujet de
société qu’il me semble important de mettre en mots du point de vue de
l’homme. Essayer de comprendre ce qui le submerge, pourquoi il en arrive
là, pourquoi il se sent autorisé à en arriver là.

Ana de Medeiros : J’avais pensé comme question au niveau de la lecture et


l’écriture dans vos textes, parce que plusieurs de vos personnages ont à voir
avec l’écriture. Il y a souvent, on l’a vu dans Les Inséparables, dans Photo-
Photo, il y a un texte à l’intérieur du texte lui-même, et souvent le fait d’écrire
a peut-être un effet cathartique, c’est quelque chose qui aide le personnage
qui est en train de développer son roman. Est-ce que vous voyez tout ça
quand vous écrivez, quand vous écrivez le texte à l’intérieur de votre propre
roman ?

Marie Nimier : Le processus de création me passionne vraiment, aussi bien


dans l’écriture que dans les autres arts. Un critique un jour qui a écrit « Il y a
beaucoup d’auteurs qui parlent de leurs nombrils. Marie Nimier, elle ne parle
pas de son nombril, elle parle de sa plume. » Pour lui, c’était une critique
négative. Moi, ça m’a plutôt fait plaisir. J’aime voir le texte se construire sous
les yeux du lecteur, lui donner à partager ça, à goûter ça. C’est une façon

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aussi d’exprimer le doute, le « en même temps » évoqué par Karin
Schwerdtner dans Se risquer à raconter (des histoires). La simultanéité des
émotions (le présent de l’écriture et les enjeux de la fiction). Rien n’est jamais
tout blanc, tout noir. Univoque. Je ne suis pas toute droite, rarement
affirmative à 100 %, tout ceci ou tout cela, j’ai du mal à trancher, je peux dire
ça, et ça en même temps ça – c’est mon côté normand ! Vous avez beaucoup
parlé ces deux derniers jours des paradoxes, et du trait d’union dans mes
textes. C’est une façon d’échapper à la violence aussi. Je pense que le monde,
c’est ça et ça. Ce n’est jamais juste une chose. Un mot, c’est très rarement
juste une chose. Donner à voir ce chemin de l’écriture, c’est une façon de
confier les clés au lecteur. Et de pouvoir regarder le monde de plusieurs
façons, sous des angles différents. L’histoire pourrait aller par là, mais non,
elle va aller par là, il n’y a rien qui semble défini à l’avance. Alors que mes
livres sont très structurés, je fais des plans, je trace des lignes, on est à la
lecture toujours dans l’impression que l’auteur découvre son récit au fur et à
mesure. Le tâtonnement est mis en scène, il fait partie de la construction.
Cette façon d’explorer tout en gardant une ligne ferme, un destin qui court,
me ressemble assez… parce que la vie est ainsi faite qu’elle peut basculer
d’une minute à l’autre grâce à une rencontre, un accident, un hasard. Je
pourrais écrire des livres très lisses, imposer la certitude du récit, mais je
préfère être dans la retenue, et travailler les ombres. Ne pas juger. Ne pas
figer. Ce doute-là, cette ouverture au présent, c’est la vie même.

Ana de Medeiros : Jusqu’à quel point est-ce que vous voudriez insister sur
l’écriture comme une action corporelle ? Et comme un acte qui puisse avoir
une influence sur la société même?

Marie Nimier : Mon premier livre, pour moi, a été une bouée de sauvetage.
Une façon de revenir à la vie. Un roman, ce n’est pas seulement un outil pour
rendre compte du monde, c’est aussi un moment de plaisir, de partage. Une
façon d’échapper au monde tel qu’il est, à sa rapidité. Donc ça aide à vivre.
Après, je pense que mes personnages, on ne peut pas dire que ce soit des
modèles, mais ce sont quand même des gens qui cherchent, qui sont
empêtrés, mais qui imaginent, qui se sortent de la noirceur par l’imagination.
En cela, je suis un pur produit de la génération après 68, quand on écrivait
sur les murs : l’imagination au pouvoir. On manifestait dans la rue quand
j’étais étudiante pour que l’université ne soit pas liée aux entreprises. On
voulait apprendre pour apprendre. Ne pas être formatés. Je me sens très
fortement appartenant à cette génération. Après, il y a cette question qui

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revient souvent de « est-ce qu’on vit quand on écrit »… quand on est à son
bureau, c’est comme si on était à moitié mort, à moitié endormi. Alors
qu’évidemment, moi mon sentiment c’est que je ne vis jamais autant que
quand je suis avec les mots, je suis extrêmement vivante. C’est-à-dire mon
esprit est extrêmement éveillé, même si ce n’est pas le même éveil que je
peux vivre en étant là en face de vous, alors que je réponds à vos questions.
Mais les connexions sont présentes et je pense que lire comme écrire, c’est
donner sens. Naissance et sens. Et en cela, c’est utile. Pas directement
politiquement, mais humainement utile. Nécessaire, indispensable en ces
temps chavirés.

Carine Fréville : Et je me demandais comment vous définiriez le rapport que


vous avez en tant qu’auteure avec les personnages, justement on a tellement
de formes, de couleurs, de textures dans vos textes, par contre les
personnages eux c’est comme si on ne les voyait pas.

Marie Nimier : Je ne les vois pas du tout. C’est-à-dire que non seulement je
ne les vois pas mais je ne veux pas les voir. Ils ne sont pas définis par une
description physique. Ou alors un détail, l’écharpe rouge autour de la gorge
de Joseph dans La Girafe, une façon peut-être de saisir un objet ou une façon
de marcher en attaquant le sol avec le talon, en laissant ou en ne laissant pas
des empreintes dans le sable. Et vraiment, ce n’est pas une coquetterie : ça
m’embarrasserait de les voir. Ils m’encombreraient si je les voyais. Donc ce
sont, je le répète, des êtres de mots et si ce n’était pas ça, je ne saurais pas
travailler. C’est-à-dire que quand j’ai travaillé avec un personnage réel
comme par exemple Léa qui est directement inspirée d’une amie d’enfance,
qui est toujours vivante aujourd’hui et que je vois toujours, je l’ai définie dans
le livre par quelque chose qui n’est pas du tout elle dans la réalité : ses
cheveux roux. Cette espèce de puissance inscrite dans la couleur de ses
cheveux. J’aurais pu faire la description de cette amie, qui a des cheveux
châtain foncé en réalité, oui j’aurais pu décrire son visage, son corps, enfin je
la vois très bien, je sais très bien comment elle est elle « de l’extérieur ». Mais
au moment où j’écris, ce qui est important, c’est cette vitalité qu’elle a et qui
se manifeste par ses cheveux imaginés et ça me suffit. Et je pense que comme
ça, le lecteur aussi pourra projeter son… se faire sa propre image. Mais je
pense qu’il y a beaucoup de lecteurs qui ne se représentent pas les
personnages non plus. Les personnages sont vivants pourtant. Ils existent, ils
sont vivants, mais on n’a pas besoin de passer par le regard pour qu’ils nous
fassent vibrer. D’ailleurs, je trouve que le mot imagination est un peu

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restrictif. Dans imagination, il y a image. Mais pour moi l’imagination, ne
passe pas forcément par l’image. Quand je parle de géométrie, je parle de
lignes, de mouvements, c’est abstrait. On peut les dessiner, mais c’est quand
même le minimum de la description. Un angle. Alors oui, il y a les couleurs.
Vous avez noté le rouge qui revient souvent dans mes romans. Le rouge, le
blanc, le noir. Et puis les taches de couleur comme les baskets tilleul dans
Photo-Photo. En fait, elles existent vraiment ces baskets, puisque ce sont les
chaussures que je portais pour aller à la séance de photos avec Karl Lagerfeld,
qui a réellement eu lieu, mais elles ne sont pas exactement tilleul. Elles sont
verveine. Mais des baskets verveine, à l’écrit, ça ne sonne pas bien. Ça ne
marche pas du tout des baskets verveine, parce qu’on a envie de dormir tout
de suite avec des baskets verveine. Pourtant le tilleul est aussi une infusion,
on est assez proche, on est dans le monde végétal, on peut en faire une
infusion, mais le tilleul avec ce T inaugural, c’est plus percutant. « Tilleul »
c’est gai, je ne sais pas, c’est beaucoup mieux que verveine. Les deux V de
verveine, ce son è redoublé, ça fait traîner les pieds. Donc si je veux parler de
ces baskets qui existent vraiment, elles se définissent beaucoup mieux par le
mot tilleul que par le mot verveine. Donc les mots ont leur impact qui est
décalé de la réalité. Pour donner la réalité de la vivacité de ces baskets, et de
ce que je voulais raconter avec ces baskets, une certaine façon d’être au
monde de la narratrice, il me fallait un mot qui ne collait pas avec la vérité de
ces chaussures. Voilà, c’est un exemple simple, qui pourrait semblait anodin,
mais qui je pense pourrait se retrouver dans des constructions plus complexes.
Et donc la description, oui, je devrais essayer un peu, dans un de mes
prochains livres je vais m’essayer à la description… Parce que c’est
intéressant de faire ce qu’on ne sait pas faire ou ce qu’on n’a pas envie de
faire. Je pense que j’ai du mal. C’est totalement paradoxal, je travaille
beaucoup sur le corps, les parties du corps, les articulations, la circulation de
l’énergie, les organes, les sens beaucoup, puisque presque dans chaque livre,
il y a un sens dominant. Photo-Photo avec le regard, Je suis un homme avec
l’ouïe etc. Il y a cette idée de la perception. Donc le corps est
extraordinairement présent mais je ne veux pas voir les personnages. Encore
un paradoxe…

Jeanne-Sarah de Larquier : Est-ce que les sens donnent un sens au


personnage ? En tant que lectrice, je pense qu’on peut voir les personnages,
je n’avais jamais vraiment réfléchi au fait qu’il n’y ait pas de descriptions, de
très longues descriptions, mais en même temps, on a une intuition, une
perception et elle passe par le sens plus que par la description. Pour moi,

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c’était plus ou moins une question mais qui est un point commun à tous vos
travaux. Et y compris je pense, jusque dans les autres travaux, dans le théâtre,
la jeunesse, enfin c’est toute une sorte de commentaire à part, c’est plus
vraiment formulé comme une question. Le travail des sens.

Marie Nimier : J’avais commencé à dire, on parle de l’imagination, et donc


il y a le mot image qui domine et qui me semble très restrictif… Il faudrait
trouver un autre mot, je ne sais pas s’il existe, pour dire imaginer mais pas
seulement en images, réelles ou symboliques. Fantaisie, hallucination…
Quelque chose qui passe par tout le corps. [Public : Fabulation ?] Fabulation,
pourquoi pas. Oui peut-être, ça correspondrait mieux à ma façon de travailler.
Alors fabulation, oui. C’est intéressant, donc fable. Disons que mes livres
sont des fables. La Girafe c’est une fable, La Caresse également. Et dans
l’idée de fable, il y a cette idée de décalage avec la réalité, le quotidien. Et
évidemment, mes albums pour enfants, ce sont des fables, tous. C’est-à-dire
qu’on flotte au-dessus de la réalité. Il y a décalage, transposition. C’est un
peu comme une montgolfière, ou une tente qui serait construite au-dessus de
la réalité, reliée au sol par des petits fils transparents, avec des piquets plantés
dans le réel. Ces piquets au contraire des fils, sont très brillants, ils sont très
neufs, très bien plantés. Ça va être un nom de station de métro, ça va être un
détail très précis du quotidien. Une espèce de précision dans l’évaporation,
comme dans les rêves.

Carine Fréville : Est-ce que votre propre expérience d’interprétation de


théâtre influence votre écriture ?

Marie Nimier : Ce que j’ai appris en faisant du théâtre concerne l’espace, le


plateau. Les choses vraiment fondamentales que j’ai pu apprendre, c’était ça.
L’équilibre du plateau, l’introduction des accessoires. Parce que si on apporte
une échelle sur scène, ça ne va pas être juste pour s’en servir une seconde. Il
faut qu’elle ait un sens, une utilité qui dépasse l’anecdote, et peut-être qu’elle
soit transformée après, parce que dans le camion qui transporte les décors en
tournée, l’échelle va prendre de la place. Donc je pense que je garde dans les
romans cette gestion de l’espace et des objets, de l’équilibre. Cette notion
aussi des trajets, que j’ai pu expérimenter avec les danseurs. Les directions,
les flux, le haut, le bas, l’horizontal, la verticale. On parlait pendant le
déjeuner d’Ulysse lié au mât de son bateau, vertical. La construction de
L’Hypnotisme à la portée de tous, spirale. Celle de Anatomie d’un chœur,
deux triangles qui, superposés, forment une étoile.

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Jeanne-Sarah de Larquier : Je pose une question tout à fait différente, je
repense à tous les thèmes dont on a parlé pour la conférence et puis il y a une
sorte de récursivité à travers votre œuvre de tous ces thèmes, du double, du
silence, de la spatialité, de l’absence, qui tournent, qui pivotent autour de
l’absence. Je me demandais si cette récursivité est une façon d’écrire les
rapprochements ou les différences, pour repousser les limites. Je ne sais pas
si ma question est peut-être un peu trop abstraite. Parce qu’encore fois
comme lectrice je pense que je fais des rapprochements, mais je cherche
aussi des différences. Mais je me demande (pose) toujours cette question
aussi de repousser les limites.

Marie Nimier : Chaque fois que j’aborde un livre, j’ai l’impression vraiment
d’aborder un nouveau territoire. C’est peut-être ça, repousser les limites. Ne
pas se contenter du même. De ce qui a été. Alors je sais qu’il y a beaucoup
de choses qui reviennent malgré tout de livre en livre, il y a des thématiques,
des tournures d’esprit, une façon d’aborder les émotions, d’utiliser les mots,
de construire les histoires, j’en suis consciente après coup, mais moi je me
donne l’illusion, à chaque livre, de me lancer un nouveau défi. Et quand
j’écris du théâtre, c’est encore plus visible. Chaque pièce répond à des
questions théâtrales qui se posent à moi. Ensuite les personnages se
développent, ils ont leurs corps, leurs logiques etc., mais au début, il y a une
interrogation sur la forme même.

Jeanne-Sarah de Larquier : Pouvez-vous nous donner des exemples ?

Prenons ma première pièce publiée, La Confusion. Ce texte est né de ce


postulat très simple qui est qu’un acteur se présente devant vous sur la scène,
il dit : « je suis menuisier », et il est menuisier. Il y a ce pacte entre l’acteur et
le public qui fait que ce qu’il énonce le définit. On le croit. Et je me suis dit
tiens, ce serait intéressant d’inventer un personnage, le personnage de Simon,
le personnage masculin, qui dit une chose et puis qui se contredit, et se
contredit encore au fil de la pièce. On ne sait jamais qui il est finalement. Et
ça rend fou. C’est un peu ça l’histoire de la Confusion. C’est parti de cette
question presque enfantine de la croyance, de ce pacte entre spectateur et
acteur. Dans ma deuxième pièce publiée, dont vous avez parlé, Adoptez un
écrivain, j’ai voulu travailler sur le cabotinage. Une histoire de chiens,
comme dans La Caresse. Et donc de l’idée de mettre en scène des
personnages qui sont là, uniquement là, pour se faire aimer par le public.

22
Cette situation de l’acteur aux abois, condamné à se faire aimer. Quatre
chiens comme ça, qui sont donc des écrivains, des vieux écrivains orphelins
qui veulent être adoptés par un couple fictif assis dans le public. Ils vont tout
faire pour être aimés, préférés. Cette pièce met en scène ce besoin d’amour
de l’acteur, et, côté public, ce besoin de s’identifier. Certains textes ont été
aussi inspirés par des espaces, par les lieux eux-mêmes. Ou par des questions
de société qui vont sous-tendre le récit, sans jamais être présentées de façon
théorique – il n’est jamais question de tenir un discours, de juger, de
démontrer, d’affirmer. Plutôt (on en revient au théâtre) de mettre en scène,
de révéler.

Adina Stroia : J’ai une question sur La Nouvelle Pornographie, parce qu’on
s’est beaucoup attardés sur le caractère post-moderniste de La Nouvelle
Pornographie, mais on n’a pas assez parlé de la dimension post-féministe.
Parce que j’ai un peu l’impression que vous mettez en jeu deux facettes
différentes du post-féminisme dans les figures du personnage qui s’appelle
Marie Nimier et Aline. Aline qui déborde de sexualité et Marie Nimier qui
hésite entre ses instincts vers une sexualité débordante, comme Aline, et
l’amour. Et je voulais vous demander si vous avez fait ça de manière
consciente, si différentes conceptions du post-féminisme vous ont
influencées ?

Marie Nimier : Je dois vous avouer que je ne sais pas très bien ce que ça
signifie, post-féministe, post-moderniste, même aujourd’hui, donc à
l’époque encore moins… Je n’ai pas fait d’études littéraires, je manque de
vocabulaire. Tout ce que je peux dire, c’est que La Nouvelle Pornographie
est une réflexion de femme sur la pornographie, les fantasmes imposés, le
commerce de la sexualité et le commerce tout court et son environnement
publicitaire, le tout résonnant sur la construction de l’image paternelle
(souvenirs personnels, ou absence de souvenirs, confrontés aux images de
papier glacé véhiculés par les journaux). Il faudrait que je relise ce texte, il
me semble loin…

Adina Stroia : C’est aussi un roman sur l’écriture, la construction ?

Marie Nimier : Oui, une sorte de variation sur les écritures liées à la sexualité
et plus globalement à la place de l’intime dans notre société. Et là encore,
comme dans Je suis un homme, sur la façon dont chacun construit les
représentations imaginaires qui le conduisent au plaisir. Les hommes sont

23
exposés à des représentations stéréotypées depuis leur plus jeune âge, des
rituels, des positions, des corps formatés, souvent entravés ou monstrueux,
comme celui de la fille perchée sur son tabouret dans La Violence des
potiches. La pornographie considérée comme une éducation, ou comment y
échapper, voilà ce que raconte ce livre (écrit au siècle dernier, il faut le
rappeler. Depuis, les choses ont changé, car les filles comme les garçons ont
accès ou sont exposées à ces images qui circulent sur le Net). Nous, en tout
cas à l’époque où j’ai écrit ce livre (entre 1998 et 2000), on avait envie de
dire : moi cet étalage de viande crue, ça me dégoûte plutôt qu’autre chose.
Ça ne m’excite pas. Je n’ai pas été éduquée pour que ça m’excite – car j’y
reviens, la pornographie, dans ce livre, est présenté comme une éducation.
Une drôle d’éducation sexuelle, très sommaire, bourrée de clichés basés sur
la violence, la domination, etc., mais quand même une éducation, générant
beaucoup d’argent. En essayant de mettre en mots, avec humour, cette idée
d’une pornographie différente, d’une nouvelle pornographie, grâce au
personnage de cette pauvre Marie Nimier aux prises avec ce monde qu’elle
découvre, j’ai imaginé quelques fantasmes qui n’étaient pas attendus, qui
n’étaient peut-être pas les fantasmes dominants. Une sexualité joyeuse et
fantasque. Et deuxième chose, en parallèle, c’est le fantasme du prince
charmant qui est démonté, sur un pied d’égalité avec la pornographie. Une
certaine forme d’amour ou de soi-disant accomplissement de l’amour, très
fleur bleue, qui fait verser beaucoup de larmes – Prince Charmant et Cie. Et
donc, on a d’un côté le caractère débridé d’Aline, qui jouit de la vie avec
gourmandise. Et de l’autre cette pauvre Marie Nimier qui tombe amoureuse
évidemment de son éditeur, enfin le plan le plus casse-gueule, et qui se
retrouve à boire de la vodka dans une rue de Paris pour noyer son chagrin
d’amour. Donc, évidemment c’est une attaque d’une certaine façon des
stéréotypes de la pornographie commerciale, mais en les mettant en
perspective avec les stéréotypes romantiques qui ont bercé notre enfance.
Alors post-féministe, tout ça, moi je ne sais pas, je ne suis pas compétente,
chacun son boulot. À vous de le dire ! Peut-être féministe, tout simplement,
ce serait déjà pas mal.

24
*

Piéger le réel
Petites réflexions autour du roman de Marie Nimier
Les Inséparables

J e suis d’abord et avant tout – et depuis de nombreuses années – un


lecteur passionné de l’œuvre de Marie Nimier, un simple lecteur déjà,
et de cette place déjà j’aime témoigner de mes émotions – le lecteur n’est-
il pas aussi le sujet du livre ? Par ailleurs, j’écris des romans et du théâtre,
et à ce titre plus précisément les problématiques et le travail qui est à l’étude
dans ce volume croise et interroge ma modeste pratique de « couturier de
l’écriture ». Enfin, je me permets de parler un peu parce que j’ai une chance
toute particulière, il m’arrive donc d’écrire avec Marie Nimier à quatre
mains des chansons et à ce titre j’ai peut-être un peu accès à son travail
d’une façon un peu différente.
J’ai circonscrit mon essai aux contours d’un roman qui comme tout
roman dans toute œuvre occupe une place particulière, je veux parler des
Inséparables, paru en 2008, et qui m’a semblé réunir de manière très
aboutie les attributs de l’écriture de Marie Nimier sur lesquels je me
propose de revenir, et en premier lieu la question du réel et du biographique.
Je crois sincèrement que la tâche de tout travail littéraire est sans doute
d’abord d’affronter l’opacité du réel, d’en découdre avec ce qui, dans nos
vies, dans le moment de nos vies, nous est d’abord invisible, caché, déguisé.
Cet effort, cette tentative d’exploration, a connu les avatars les plus
singuliers, les formes les plus complexes. Le matériau biographique (notre
réel pourrait-on dire) a ainsi été soumis à toutes les manipulations et la liste
serait infinie des procédés déployés pour y accéder, pour sommer
l’événement biographique de livrer son contenu. L’œuvre de Marie
Nimier est depuis longtemps en quête de trouver une voie originale et

25
personnelle, de faire effraction dans cette épaisseur du réel et de la
biographie. C’était déjà le cas de La Reine du silence évidemment.
Mais c’est encore une nouvelle avancée sur ce terrain que semblent
dessiner ces Inséparables, une avancée subtile, rusée pourrait-on dire, qui
déplie le récit et le prend au piège du réel. Le souci n’est jamais en effet
uniquement de dérouler la chronologie de cette histoire d’amitié, dont on
connait le socle autobiographique, entre deux adolescentes dans le
« triangle d’or » d’un Paris des années 70 plus vrai que nature, mais de
procéder à une forme de travail de ricochet entre l’anecdote, la mémoire et
la surface ondulante du roman.
Un Paris plus vrai que nature, comment finalement résumer mieux
cette entreprise et comment la cerner mieux ? N’est ce pas cela qui ressort
de cette lecture qui nous prend et nous entraîne dans cette sorte de vertige ?
Plus vrai que nature, c’est-à-dire que ce qui survient, ce qui advient des
personnages, procède de la restitution du souvenir mais de toute évidence
rompt sans cesse avec lui.
Marie Nimier, on le sent, on le respire à chaque instant, approche
l’événement, approche le réel de son histoire, de ce qu’elle nous livre, et
subitement, au moment de l’émotion, au moment du trouble le contourne,
le retourne, le fuit, et déjà se précise une forme d’économie interne. Ce qui
suit l’instant du souvenir bascule chez le lecteur. C’est à lui de construire
le chemin des émotions, des vertiges, des craintes et des affolements.

Élément premier de la machinerie : le mot. Ce que Marie Nimier


constitue d’œuvre en œuvre, ici comme ailleurs, pourrait être désigné
comme « l’invention du mot ». Je veux ici parler d’invention dans le sens
premier de découverte d’inspection.
Elle se livre sans cesse à ce travail d’effraction (à l’ouverture de
brèches) dans la matière du mot et cela me touche, me bouleverse, si vous
m’autorisez cette appréciation émotive que je peux livrer, moi qui ne suis
pas un universitaire mais juste un lecteur.
Cette brèche, c’est peut-être le geste qui permet de percevoir le
caractère définitivement personnel de cette écriture et de ce travail. Refuser
la tranquillité du langage, le postulat du langage, au sens de la convention,
de la règle convenue. Il s’agit ici de faire du langage lui-même l’instrument
bien sûr mais aussi l’objet du récit. Au-delà du cheminement des deux
jeunes filles, Les Inséparables inspecte sans cesse cette collision entre le
monde et le mot. Ce récit initiatique, qui déjà déplie des contours multiples,
ménage des doubles fonds, des ouvertures, qui en agrandissent le cercle.

26
En effet, cette trame narrative et anecdotique va rencontrer quasiment en
permanence le contour des mots.
Il y a alors une forme d’élargissement de l’idée de la topographie déjà
si présente dans cette histoire : la topographie des lieux, le triangle d’or de
ce quartier privilégié de Paris mais aussi ce lieu de culture de l’opium,
double sens déjà précieux dans cette histoire, les espaces, les rues, les
quartiers arpentés par les demoiselles, mais aussi la topographie du mot, le
dessin du mot, de ses résonances, de ses acceptions, de ses possibilités :

d’une écriture maladroite elle m’appelait toujours sa bambi sa petite sœur de


sang. Suivait un poème où amitié rimait avec pérennité. Pourquoi avait-elle choisi
ce terme étrange ? Quand je lisais pérennité je voyais tout de suite le mot père,
même s’il fallait changer le sens de l’accent. Étaient-ce les pères qui nous liaient ?

Ce que Marie Nimier nous somme de faire, c’est cela, regarder à deux
fois le terme qu’elle choisit. Et elle opère ce choix simplement d’un geste
souvent vertigineux tant il ouvre des abimes ou des trésors. Changer le sens
de l’accent. Elle s’attaque à tout ce qui dans la forme même répond du sens :
« Il était américain mon père à moi était décédé ça nous faisait à toutes les
deux un petit air penché, un truc à mettre en italiques. » Il faut que tout le
sens soit réduit, subjugué par ce détail typographique, et le gouffre s’ouvre
là, de ce qui n’est pas dit et de qui explose pourtant.
Oui, que fait donc Marie Nimier avec les mots ? Eh bien elle écrit, je
veux dire qu’elle prend le mot à la lettre si j’ose dire, elle ne le prend pas à
la légère, elle le prend en considération, que cet outil de l’écriture devient
chez elle le contenu du récit, l’histoire de la narratrice et de Léa, mais aussi
le parcours de l’incorporation du langage. En effet, elles grandissent et
grandit avec elles le contenu du langage à disposition, du vocabulaire lui-
même. Le mot suffit à contenir le moment, l’expérience, l’apprentissage. Il
n’y aurait presque plus besoin d’histoire pour dire ces deux figures liées.
C’est peut-être cela la force de l’auteur, dire comme personne que le mot
suffit, qu’il épuise le récit.

Il faudra aller voir ailleurs aussi, il faudra aller voir dans tout ce qu’écrit
Marie Nimier pour réaliser pleinement ce travail, cette insistance à
contraindre le mot à tout livrer, tout ce qu’il contient et qui nous contient.
Il faudra aller voir dans ses romans bien sûr, mais aussi dans tout ce qu’elle
écrit, dans le théâtre qu’elle installe pièce après pièce et dans lequel le mot
devenu verbe subit la même traque, cette fois charnelle, articulée à la
présence des acteurs, des corps, la même interrogation, le même vertige,

27
comme dans La Confusion, pièce essentielle où le dialogue devient
l’effondrement, porte la douleur, saisit l’infiniment petit des rapports, des
souvenirs, des blessures ; il est le seul accès à la folie des histoires, il est
tout ce qui reste.
Le mot, le langage, le verbe lui-même – dont le théâtre est sans doute
le territoire privilégié – deviennent ainsi le décor et la chair véritables. Tout
se passe dans les mots, toujours, dans leur sens, double parfois, incertain
souvent. Marie Nimier parvient à faire de ce travail du langage qui lui est
propre un formidable procédé théâtral qui inscrit les émotions, l’histoire,
les choses, les corps mêmes, dans le décalage dramatique, et ce dans tous
les sens du terme.
Une simple séquence très courte de La Confusion par exemple illustre
et dit parfaitement cela :

Simon : J’ai vu une pièce hier soir


Sandra : Avec ta femme
Simon : Avec quelqu’un

C’est cette richesse, cette amplitude, ce mouvement de la pensée des


sentiments, des émotions, qui repose sur un exercice du mot qui donne
toujours un frisson au lecteur, à l’auditeur, au spectateur, au témoin.

À ce stade peut-être serait-il judicieux aussi évoquer les chansons. Ce


n’est pas pour rien que ce territoire-là fait partie de l’exploration de Marie
Nimier, puisqu’il est lui même saisi par le vertige des échos, des sonorités,
des jeux de mots, tout ce qui procède une fois encore de cette mise à nu du
langage. Sur ce terrain où je me trouve être un observateur privilégié, je
repère et retrouve ce regard sur le double sens, sur la sonorité, sur la nuance,
l’ironie, l’humour que Marie Nimier peut apporter par son commerce si
spécial avec le langage.

Il n’y a pas de littérature sans rapport au biographique, il n’y a pas de


littérature non plus sans développement fictionnel. Cela est vrai de la
biographie la plus canonique, des Confessions de Jean-Jacques Rousseau
à la plus apparemment imaginaire. Mais les modalités du croisement entre
ces deux pôles sont toujours la cheville la plus passionnante, la plus
mystérieuse.

28
Après le succès que l’on connaît de l’autofiction la plus crue, la plus
clinique, la plus résolument impudique, la vision de ces Inséparables
introduit une rupture obstinée, délibérée.
Marie Nimier n’a pas négligé les implications de l’impudeur
notamment dans sa Nouvelle Pornographie, où elle se mettait en scène
comme auteur, mais cette fois elle cherche une voix plus secrète et plus
profonde. La référence à Truman Capote à la fin du livre n’est pas gratuite
et ces Inséparables, à leur manière, s’approchent de la réalité comme De
sang-froid cherchait à le faire par l’investigation peut-être au fond pour en
finir avec un de ses pans, le liquider.

Qu’est-ce qu’un narrateur au juste, qu’est ce que cette entité qui dit je
et qui invente sans cesse son histoire ? C’est cette question que fouille le
roman pour la déplier et la saisir et la retourner littéralement. Comment
pourrait-on penser un instant que l’on puisse tenir la chronique
absolument fidèle de quoique ce soit, de quelque événement que ce soit ?
Rien qu’un réseau de correspondances, de clefs, d’associations. C’est
bien la nature de ce travail. Puiser dans l’attirail de micro-événements, de
micro-sensations, de fragments, de souvenirs, un écho qui naîtrait non pas
– et c’est l’originalité de ce parti pris à l’intérieur du récit mais hors de lui
– dans la mémoire, dans l’imagerie superposée de qui le découvre. À
l’opposé du « je me souviens » de Perec, refuser le strict recours à la liste,
juste travailler l’évocation.

Peut-on oser parler d’un art du mélange, d’un raccourci à l’image de


ce que chacun tisse de son passé, un amalgame, une synthèse dont chaque
élément n’a de sens que relié, que recomposé ?
L’enjeu de ce livre tient dans cette articulation intime au souvenir, il
reconstitue le mécanisme à l’œuvre en chacun qui fait du souvenir non pas
une simple image mais un appareil tout entier de corrélation et d’édification.
Bien sûr la trame de l’époque est là, les lieux, les instants, les
événements, les noms, les marques : le lait de Mendès France, le tiers-
temps pédagogique, les premiers McDo, les cinémas des Champs-Élysées,
les bas de laine, etc. Mais le sujet est toujours ailleurs. Il n’est jamais
contenu dans l’anecdote. Et si, mieux encore, la reconstitution avec son
souci du détail, de la restitution, son souci de vraisemblance, de cohérence
chronologique masquait, luttait contre l’évidence du sujet réel, contre
l’expérience même de la narration, comme si cette trame, cette toile de fond,

29
comme on le dirait d’un tableau, cherchait à prendre la première place par
pudeur, par effacement, par crainte !
Je crois que les écrivains ont peur d’écrire, que les vrais romanciers
sont terrorisés de ce qui pourrait apparaître sous leur plume, des évidences
mêmes qu’elles pourraient dévoiler, et qu’ils s’acharnent donc à enfouir
inlassablement, enfouir à l’infini, la réalité sous ses manifestations les plus
factices : le concret en somme.
C’est sans doute la vérité de tout projet romanesque que de trafiquer,
que de tâcher de modifier, de déformer. C’est ce geste-là de recouvrement,
d’enfouissement, qui va, je le crois, livrer le plus précis, le plus intime, le
plus juste.

Comment donc une « reine du silence » raconte-t-elle son enfance, sa


jeunesse, comment s’y prend-elle pour offrir un tableau précis, détaillé,
quasi historique ? C’est d’abord cela, écrire ce besoin, cette nécessité,
répondre au silence. Ici, la narratrice dit même très exactement : « c’était
mon genre à moi, le genre à ne pas dire ». Le genre de celui qui écrit est
peut-être celui-là précisément, le genre à ne pas dire. Et pourtant trouver
des moyens de sortir du silence.
Le modèle absolu, À la Recherche du temps perdu, ne cesse-t-il pas de
se livrer à ces jeux de déplacement, de déformation, de retranscription,
d’allusions d’anecdotes apparentes ?
Plutôt que d’emprunter les voies désormais convenues de l’auto-
narration que peu finalement sont parvenus à rendre intéressantes, Marie
Nimier s’échappe du côté du débordement, du bouillonnement, du
foisonnement, pour poursuivre l’entreprise d’exploration profonde, sourde.
Et ces inséparables, noyées dans le picaresque de leurs aventures (souvent
drôles au demeurant), dans les rues dorées du 8ème arrondissement, tissent
à l’envers, comme dans un exercice de broderie délicat, et contre toute
attente, une géographie de la séparation, de la distance, de l’inconciliable.
C’est cet aspect brûlant du réel que le livre atteint.
Ce que le récit dévoile petit à petit est bien en effet la question de la
faille, de la rupture. Une fois de plus, Marie Nimier refuse la frontalité du
constat, la brutalité de l’idée, c’est sa façon à elle de décrire, de donner à
voir.

Léa, l’amie et complice de toute une jeunesse, ne cesse de quitter, de


s’éloigner, de rompre, de disparaître, et la narratrice, de son côté, insiste

30
désespérément sur les éléments contraires, les retrouvailles, les retours, les
réconciliations.
C’est cela aussi le tissu de La Confusion, le thème et la musique qui
courent peut-être dans toute l’œuvre de Marie Nimier, cette tension, cet
antagonisme, ce mouvement qui déchire.
De même – et l’exemple est édifiant – le père absent de la narratrice se
construit en filigrane, comme dessiné en creux par le « père » omniprésent
de Léa. L’importance démesurée de ce personnage de John Palmer dans le
récit, ce père mythique, imaginaire, pourrait-on dire – en résumant ainsi le
travail et le projet de l’œuvre – ce père bon et mauvais à la fois, rassurant
et menaçant, travaille lui-même une sorte de théorie du père, de
« substitut » de père qui est plus encore que dans La Reine du silence un
exercice sur la construction et le démontage de la figure paternelle.

Le double portrait dont ce roman est une forme parfaitement maîtrisée


rompt avec la tradition égocentrée de la récente et abondante littérature du
« je ».
Léa est plus que l’évocation d’une amie, c’est un véritable portrait
retourné, chiral, négatif au sens photographique, de la narratrice. La vraie
première personne se cache dans le personnage d’en face pourrait-on dire,
et ces deux héroïnes, ce duo, ces inséparables constituent en quelque sorte
à elles deux une figure rhétorique, un oxymore littéral.
Au détour d’un passage, presque insidieusement le récit le dit (j’allais
dire littéralement, mais ce mot ici n’a pas cours), le récit l’intègre dans une
très courte évocation, une scène qui raconte les rapports de la narratrice avec
un analyste, un psychologue – sa fonction précise n’est pas nommée – ;
Marie Nimier écrit :

je voyais deux fois par semaine quelqu’un qui m’écoutait et ne me disait


presque rien. Je lui parlais beaucoup de Léa, des bras de Léa, des trous comme des
stations cette image me hantait.
Au bout de deux ou trois mois il me demanda si je ne voulais pas parler un peu
de moi plutôt que de mon amie (il trouva d’autres mots pour dire cela beaucoup
moins précis, plus allusifs). Je lui répondis que je parlais de moi quand je parlais de
Léa. Sa tête s’inclina légèrement. Il décroisa les mains. Notre parcours s’arrêta là.

C’est dit, c’est écrit, voilà ce qu’il en est du personnage et de l’auteur.


Il faut accepter cela, que le personnage est plus l’auteur que l’auteur. Que
le personnage contient l’auteur.

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Léa, le corps, l’audace, la violence, la drogue, la colère, le père fait
fonctionner une forme de reflet complexe secret, subtil, et orphelin : « les
enfants ont des peines qu’ils cachent sous la table » dit le roman. Encore et
encore le récit va déplacer, contourner, éviter, et faire apparaître, par
l’évitement même, la couleur et la nature des choses, cacher cela sous la
table. Le lecteur en revanche captera inévitablement les enjeux de la scène
et du souvenir, c’est cela l’intérêt de toute narration.

La procuration, voici un mot qui pourrait traduire le développement du


projet littéraire, romanesque en tout cas, et ces Inséparables fonctionnent
sur ce registre, le personnage quel qu’il soit est naturellement l’habitacle de
celui qui écrit. Le célèbre « madame Bovary c’est moi » ne dit rien d’autre,
mais ici l’écho dont le personnage de Léa est sans cesse le territoire déploie
une envergure plus impressionnante encore en ce que ce qu’elle est le siège
des expériences, le lieu de l’accomplissement des choses.
La drogue par exemple. Ses données théoriques, ses implications
poétiques voire le dessein même de sa tentative sont clairement posés,
repris, développés par la narratrice. Léa, elle le vit, l’accomplit, le réalise
ce dessein, de même, pendant le temps du récit, la maternité, la prostitution,
la délinquance sont du côté de l’expérience. La narratrice est encore à la
porte de la vie, Léa est entrée. De cette irréductible confrontation le roman
nous rend témoins, nous fait pénétrer par les contours d’une sorte de
frustration.

L’originalité de l’approche, du point de vue, tient donc et c’est sa force


dans cette économie du glissement, Marie Nimier dont on sait qu’elle s’est
intéressée au travail des danseurs, à la figure des patineurs (Vous dansez ?)
fait de cet exercice un pas de deux singulier, elle opère par un jeu de
translation presque imperceptible à l’œil nu, un glissement des points de
vue. Il se peut que la narratrice soit plus vraie encore, plus lisible, plus
dévoilée dans le personnage de Léa livrée pourtant à tous les ravages
impensables a priori pour sa camarade d’enfance.

Il y a un courage à aller dans un roman jusqu’au bout de l’intention :


c’est ce que font Les Inséparables. Ou ce que fait leur auteur. Un courage
à écrire ce qui ne s’écrit pas et qui brûle les lèvres du lecteur. Le roman se
termine de cette manière, le roman sait ce dont il parle, il sait ce qu’il
contient, tout le périmètre des thèmes évoqués, le récit, le face-à-face entre

32
un auteur-narrateur et un personnage, le reflet de l’un et le pouvoir de
l’autre pour finir.
Le roman parle de la littérature, de ce qu’est le roman. Et c’est Léa qui
écrit la fin du roman et la façon dont elle le fait est encore un tour de force,
de magie, en bref, d’écriture : « Elle dit tu vois c’est un roman et qui décide
à la fin est ce que c’est le personnage qui décide ou l’auteur ? » Léa
propose une fin pour le livre, c’est Léa le personnage qui propose une fin,
une fin au réel, une fin décidée, déterminée, le contraire du réel donc, et
pourtant tout est là : le sens, le cœur du sens et du projet, révéler la vraie
nature du narrateur, sa fragilité, son exposition au danger, qui tout au long
du livre était le lot de son personnage.

Comment comprendre autrement la dernière ligne de ce roman où la


narratrice et Léa – la sage et l’intrépide, la silencieuse et l’impétueuse, la
douce et la violente – sont confondues dans la surprise d’être encore
vivantes, à égalité, comme si le risque avait toujours été le même pour les
deux de ne pas survivre à ces années ? Cette phrase qui nous reste en tête
le livre refermé : « Deux filles qui marchent d’un bon pas dans les rues de
Paris. Toutes les deux, vivantes. C’est bien ça qui est extraordinaire non ?
Toutes les deux. Vivantes. »

Thierry ILLOUZ

33
34
*

II
Texte et image

35
36
*

Visualizing the Self and Vanished Others:


The Specters of Loss
in Photo-Photo

M arie Nimier’s literary corpus unequivocally centers on the overlap


and interplay between imagination and memory used in the service
of writing the self. In stories that revisit family secrets, childhood loss, and
scenes of violence and (attempted) suicide – certain events that reveal
kernels of truth about the author’s early home life – Nimier has often
evoked the weight of silence that burdens her characters, textual doubles
of the author herself. As every text is always a form of self-expression,
writing offers an outlet for creativity and catharsis, but to publish and so to
render public one’s private thoughts is not without its own set of risks. The
author acutely feels the ramifications of crossing the boundaries between
public and private, perhaps an unavoidable challenge for any writer. This
explains, in part, a recurrent tension between self-revelation and self-
concealment that permeates her writing style and suggests, at times, an
eschewal of authority over the narrative itself.
Three works in particular – La Nouvelle Pornographie (2000), Les
Inséparables (2008), and Photo-Photo (2010) – unveil Nimier, in the first
example by name, and in the other two through details that link the
unnamed narrator to the author of her other writings. These examples offer
an especially intimate glimpse into the scene of writing via the narrator’s
auto-commentary on her writing practices, which foreground the
imaginary world that exists alongside reality – the moment of writing. Self-
reflexive literature lends itself perhaps most readily to the unearthing of
epistemological questions related to self-knowledge in subject/object

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relations.1 Such writing also calls attention to the liminal qualities of the
textual space by revealing the porosity of the borders that exists between
the narrative and the metatext, between fiction and reality. These moments
of introspection further reveal symbolic writer’s gaps and memory lapses
that alert the author, the narrator, and the reader that much more may lie
beneath the story, which might itself be a pretext for working through past
trauma.
Photo-Photo, however, distinguishes itself as a texte singulier in Marie
Nimier’s corpus on account of the emphasis it places on the coexistence of
the visual and the invisible in a first-person account of bereavement.
Summarizing the narrative, while potentially overly reductive and which
might unavoidably read as a series of disjointed events, nonetheless proves
helpful at this juncture so as to orient preliminarily a rather fragmented self-
account. Published in 2010, the narrative revisits events that played out in
the author’s life from mid-2008 through early 2009. At the time of writing,
Nimier was awaiting the publication of Les Inséparables during the rentrée
littéraire of that autumn. Throughout, we read an exchange of (unmarked)
correspondence between the author and her companion, Stephen, who is
living in Montreal, having moved there at some point after the suicide, on
October 15, 2007, of his childhood friend – artist, photographer, and writer
Édouard Levé – with whom Nimier collaborated. The opening scene
reimagines her first encounter with Karl Lagerfeld in his studio in Paris
when she poses for a portrait which was published in the October 2, 2008
issue of Paris Match – a singular photograph later digitally manipulated so
that the author appears in the company of eight other prominent French
writers also making the literary headlines of that season. During this photo
shoot, Karl Lagerfeld informs the author that she has a doppelgänger, “un
sosie” – Frederika – who lives in Baden-Baden. 2 Once published, the
photograph – or rather a detail in the photograph, the author’s shoes – grabs

1
In their introduction to Self-Reflexivity in Literature, Werner Huber, Martin Midekke, and
Hubert Zapf chart the evolution of self-reflexive literature from its roots in Cartesian
thought and articulate questions raised by writing one’s self-awareness in this vein. “…
[T]his capacity for self-reflection has simultaneously posed an epistemological
problem. Can the subject and the object ever converge in an act of understanding? Is
there a reality outside the confines of our own subjective perception of the world, and,
if so, how do we gain knowledge about it? How do we understand ourselves, in fact,
can we ever understand ourselves at all?” Werner Huber, Martin Midekke, and Hubert
Zapf, “Introduction”, in Werner Huber, Martin Midekke, and Hubert Zapf, Self-
Reflexivity in Literature, Würzburg, Königshausen & Neumann, 2005, p. 8.
2
Marie Nimier, Photo-Photo, Paris, Éditions Gallimard, 2010, « Folio », p. 36.

38
the attention of an elderly woman –Huguette Malo – a Lagerfeld
aficionado, who writes to Nimier under the guise of wanting to know
where the author purchased them. Nimier makes several visits to Huguette,
coming to know her better, and, later, travels to Baden-Baden where she
spends the Christmas holiday with Frederika. The author’s writing process
is interrupted when she experiences headaches, irritated eyes, and blurred
vision, prompting her to visit an ophthalmologist who eventually
prescribes a new pair of eyeglasses. Finally, after resolving her struggle
over how to piece together the structure, or flow, of what will become
Photo-Photo, she poses for a final portrait –a never-to-be published, thus
private, Polaroid – shot again by Lagerfeld in a more intimate setting.
Already, the reader will note that I have omitted significant and
symbolic details that fall through the cracks of the “visible” story. Put
differently, I have not mentioned the spectrality of this text, an aspect
demonstrated by the author’s recurring hallucinations of her neighbor’s cat
– a cat who appears in these visions in cadaveric form but who is in reality
very much alive – as well as the presence of and references to disappeared
others – missing persons, Édouard Levé, and, of course, the author’s father,
Roger Nimier, who died in a car accident during Nimier’s childhood.
These revenants should thus be understood as the inverse of the face story
in much the same way that a photograph always carries with it traces of its
negative. As said above, Photo-Photo is therefore a texte singulier. It is an
uncontainable work in that its narrative exceeds the limits of the text itself.
It is also an undecidable text; while offering first-person testimony bearing
witness to a specific period of the author’s life, it also includes first-person
letters from Stephen and Huguette Malo, which serve to destabilize the
primacy of the author’s voice as well as the demarcation between public
and private. It is a text preoccupied with and mediated by questions of self-
reflection and vision, especially as they apply to self-portraiture and
symptomatic ocular disturbances. Through its consistent use of opposite
visual perceptions, its unsettling evocations of doubles and revenants, its
conflation of absence and presence, and its foregrounding of disorienting
self-perception, Photo-Photo thus embodies the sense of the uncanny as
the author struggles throughout with that which is known (unconsciously)
but which is also “kept from [her] sight … withheld from others.”1 As the
introductory summary above suggests, the disparate foci of Photo-Photo

1
Sigmund Freud, “The 'Uncanny’,” [1919], in James Strachey, The Standard Edition of the
Complete Psychological Works, vol. XVII, London, Hogarth Press, 1995, p. 223.

39
render it a mosaic narrative whose own creation mirrors a certain subjective
fragmentation that the narrator experiences, one set in motion by the
narrative’s opening photo shoot with Lagerfield. However, this schismatic
sense of self is already established in the author’s psyche at the time of
writing and attests to a more problematized confrontation between public
visibility and private textuality. Nimier thus struggles with her own
vulnerability related to authorial self-exposure as well as her unspoken,
known-of-old meditations on loss and death – events which mark the end
of Les Inséparables and are (re)activated by Levé’s suicide in 2007. It is
precisely due to the spectral aspect of this text – the coexistence of absence
and/as presence – that Nimier here departs from the binary tropes of speech
and silence so prevalent in her previous works to focus on vision and visual
metaphors. This article considers the author’s “eye/I” problem as one both
conscious – an anxiety centered on self-exposure – and unconscious – her
unresolved sense of loss projected or cathected onto the figure of Levé. I
will argue that the text’s self-reflexivity and its collage-like structure –
crystalized in the dyadic, titular photographs – duplicate the narrator’s own
experience of moving from a disembodied, self-as-other to a unified and
seen self who gains insight about, and sees more clearly, the spots to which
she was blind.

Pretexts, Always Pretexts


Understood in its colloquial sense, a pretext serves as a pretense or an
alleged reason masking one’s true intentions behind a gesture or an action.
In this manner a pretext bears the mark of repression. In a self-reflexive
work so expressive of the author’s hesitations, doubts and moments of
denial – even and especially as to what story is actually being told – it is
perhaps telling that this word, prétexte, appears explicitly in Photo-Photo.
As the narrator reflects on what Huguette Malo describes in her letter as
her “distractions,” given Huguette’s advanced age, she feels an affinity
towards Huguette. She too experiences “absences” or mental lapses that
interfere with the writing process. “Des prétextes, toujours inventer des
prétextes quand le texte lui-même en vient à faire défaut.”1 Understood in
more literary terms, a pretext, or in what Gérard Genette would term
“hypotext,” applies to a previous work in an author’s oeuvre that shares

1
Marie Nimier, Photo-Photo, Paris, Éditions Gallimard, 2010, « Folio », p. 63.

40
some degree of overlap with the succeeding text. Although it would be
erroneous to suggest that there is any explicit citation of the previous work
in question – Les Inséparables – it is nonetheless true that this work reflects
an inner disquiet more explicitly recounted in Photo-Photo. First, in Photo-
Photo, at the same time that Nimier recounts being photographed in
recognition of her prolific status among the French literati, she also
anticipates the release (and thus possible scrutiny) of this preceding work.
Second, Les Inséparables also articulates loss and carefully broaches the
topic of death only to deny its possibility in its very last words.
As a pretext, therefore, Les Inséparables sows the seeds for the specter
of mourning that haunts Photo-Photo. This example anticipates the elegiac
atmosphere of Photo-Photo, most notably in its final pages. Les
Inséparables is a work in which the narrator (presumably the author herself)
revisits her childhood and recounts her coming of age in Paris alongside
her friend and double, Léa. Their inseparability – or rather the narrator’s
dependence on Léa as her double self – impels the process of self-narration.
She writes: “… [Je] parlais de moi quand je parlais de Léa.”1 That the
bonds of female friendship are explored in Les Inséparables and that the
narrator of Photo-Photo, too, finds in her uncanny double, Frederika, a
kindred spirit, also suggests that Nimier counterbalances the weight of
singular difference with the dimension of pairing whereby the figure of the
female companion, now externalized, may serve as a mirror of self – a
point of entry into the problematics of identity and also another point of
visual importance.2 Elizabeth Abel, in her work on literary representations
of female friendships, notes that “through the intimacy which is knowledge,
friendship becomes a vehicle of self-definition for women, clarifying
identity through relation to an other who embodies and reflects an essential
aspect of the self.”3 It is especially important that Léa’s and the narrator’s
feelings of being conjoined in their symbiotic friendship are founded

1
Marie Nimier, Les Inséparables, Paris, Éditions Gallimard, 2008, « Folio », p. 222.
2
In light of Photo-Photo it should be recalled that photography is also mentioned in Les
Inséparables in terms of offering a possible conduit for self-recognition. For example,
we will recall Léa’s words in a letter she writes to the narrator: “J’aimerais bien que tu
m’envoies une photo. Il y a tellement de bazar dans ma tête que parfois, quand je pense
à toi, c’est moi que je vois. Et puis d’autres fois, j’essaie de m’imaginer, et c’est ton
visage qui apparaît.” Idem, p. 130. Here, the photograph is described as a sort of visual
anchor, one that might confirm, as a mirror, a self-identity that is otherwise bound up
with optical confusion about self as/and other.
3
Elizabeth Abel, “[E]merging Identities: The Dynamics of Female Friendship in
Contemporary Fiction by Women”, Signs 6, 1981, p. 416.

41
precisely on each one’s respective sense of being different from and
misunderstood by others – their existence singulière. Notably, this
individual singularity is born from loss: the absence of their fathers, one
deceased and one who has disappeared.
The novel’s closing pages coincide with the women’s impending and
permanent separation: it is in the final scene that the narrator learns of Léa’s
HIV-positive status. Lea’s death, already present though not-yet-mourned,
is an unbearable reality for the narrator, one that is denied as soon as its
possibility is articulated. “Non, il n’était pas question de s’amuser avec ça,
avec ce feu-là, le jeu était trop dangereux … pour moi.”1 The narrator’s
insistence on denying their rupture—thus disavowing the eventuality of
Léa’s passing, and thus bypassing altogether the work of mourning—
resonates in the very last words of the novel: “Toutes les deux. Vivantes.”2
Despite an optimistic closure, it is undeniable that the question of death has
been evoked, and that an anticipatory mourning is established.

Blind Spots, Seeing Double


Near the end of Freud’s 1919 essay, “The Uncanny,” to his question
“what is the origin of the uncanny effect of silence, darkness, and solitude?”
he finds the answer in “the part played by danger.”3 As we have seen in the
ending of Les Inséparables, the possibility of Léa’s death is described
precisely as “trop dangereux,” and I consider the repetition of the event of
death (the suicide of Édouard Levé) that comes back to haunt the narrative
of Photo-Photo in a doubly masked fashion. This element of loss manifests
first in the narrator’s own sense of a divided self, which, in turn, leads to
various optical troubles she experiences especially in her hallucinations of
a dead or harmed cat. To evoke, or as Derrida would say, to “conjure”
ghosts, is to encroach upon the dissolution of the borders between absence
and presence. On this topic Derrida has notably described the limbic nature
that any inquiry into them supposes: “La question des spectres est donc la
question de la vie, de la limite entre le vivant et la mort, partout où elle se

1
Marie Nimier, Les Inséparables, Paris, Éditions Gallimard, 2008, « Folio », p. 273.
2
Idem, p. 275.
3
Sigmund Freud, “The 'Uncanny’,” [1919], in James Strachey, The Standard Edition of the
Complete Psychological Works, vol. XVII, London, Hogarth Press, 1995, p. 246-247.

42
pose.”1 And, to speak of ghosts and hauntings – the return of the dead, or
the return of the once known in an unfamiliar form – at this point brings us
to consider the application (one might even say haunting) of the Freudian
concept of the uncanny – a theory he situates on the plane of optics and
misguided visions – to Photo-Photo.2 To this end, he cites examples of the
uncanny in relation to a fear of going blind, being lost in one’s environment,
experiencing a doubling experience, and seeing one’s reflection (one’s self)
as an other.
Freud’s definition of this both-and experience stems from his several-
page ponderings of the etymology of both “canny” (“heimlich”) and
“uncanny” (“unheimlich”). He insists on the binary yet co-existing
ambiguity that the uncanny entails: it is both familiar (homey or known for
some time) and unfamiliar (kept hidden). To recognize something as
uncanny is a disorienting and possibly frightening experience precisely
because one has the impression of existing in a liminal state, somewhere
between reality and the imaginary. In this manner, the uncanny encroaches
upon one’s relation to space and one’s relation to self and others. Yet
Freud’s essay also demonstrates, as Nicholas Royle points out, that the
uncanny problematizes any writer’s attempt to engage with it – particularly
in first-person accounts. Royle posits that “[it] is impossible to think about
the uncanny without this involving a sense of what is autobiographical,
self-centered, based on one’s own experience. But it is also impossible to
conceive of the uncanny without a sense of ghostliness, a sense of
strangeness given to dissolving all assurances about the identity of a self.”3
Such subjective destabilization lies at the heart of Photo-Photo, a self-
portrait in the making that is pieced together in a textual space sought as

1
Jacques Derrida, Marc Guillaume, and Jean-Pierre Vincent, Marx en jeu, Paris, Éditions
Descartes & Cie, 1997, p. 23.
2
Nimier also seems to make a number of nods to Freud’s essay in Photo-Photo. First, E. T.
A. Hoffman’s optically charged story, “The Sandman,” which Freud considers a
literary exemplar of the uncanny, abounds with visual imagery including references to
burning eyes, eyesight and the figure of the lawyer-cum-optician, Coppelius/Coppola.
This story, like Photo-Photo, is also divided between first-person narrative and the
exchange of correspondence. Too, Nathaniel mistakes the automaton, Olympia, for a
living person, thus confusing ontological states of being. Second, Freud evokes Otto
Rank’s work on the double to explore the experience of seeing oneself as external as in
the doppelgänger figure. Nimier invents the anecdote of Lagerfeld’s imaginary
childhood friend (and double) whom she names Otto—after Otto Preminger and Otto
Rank.
3
Nicholas Royle, The Uncanny, Manchester, Manchester University Press, 2003, p. 16.

43
haven or refuge but also wrought with misrecognition and a burgeoning
acknowledgement of grief.
The first articulation of strangeness related to self-recognition emerges
in the narrative’s opening pages, in what might normally serve as an
anchoring point for the story that follows. The premise of this first scene –
the first photo session – thus already imbues the text with an inquiry into
the limits of vision and the visible. Nimier is instructed to come to the shoot
“as she is” yet her authenticity is somehow insufficient for the reality that
the camera means to capture. Therefore, her “real” self undergoes a number
of cosmetic embellishments at the hands of different members of
Lagerfeld’s team who work to make separate parts of Nimier’s body photo-
ready. She describes the scene in a way that suggests disembodiment, or
seeing herself as an other: “Quelque chose attire mon regard, des taches de
sang sur mon manteau. Je me soulève : ce sont mes mains. Des mains que
je ne reconnais pas. Des organes autonomes.”1 Here, the uncanny surfaces
in a moment of dissociative disavowal of her own body. On this point,
Royle asserts that the uncanny “may thus be construed as a foreign body
within oneself, even the experience of oneself as a foreign body, the very
estrangement of inner silence and solitude.” 2 Visual perception, as
Nimier’s citation illustrates, is clearly assigned to first-person experience,
but the image that is meant to cohere with it –acknowledging the red color
of one’s fingernail polish – is one that is foreign and frightening in its
connotations of violence (mistaking the red polish for blood).
It is also during this scene that she reflects on a strange vision she had
that morning on the way to the train station, a vision of her neighbor’s cat
lying injured and possibly dead on the side of the road: “J’avais vu le chat
blanc de la voisine allongé sur le bord de la route, un filet de sang
s’échappant de son ventre. Vu, ou cru voir, cru ou imaginé qu’il était
blessé.”3 The neighbor confirms that her cat, sleeping peacefully, is very
much alive, but Nimier is haunted by the angle that the cat’s figure makes
on the pavement, so much so that she ponders how and in what form she
might represent it and decides she might sketch the apparition in a still-life
tableau: “nature morte au chat fantôme, ligne de craie tout autour de son
corps, etiquette à la patte, etiquette sur laquelle est inscrite une date…”4

1
Marie Nimier, Photo-Photo, Paris, Éditions Gallimard, 2010, « Folio », p. 36
2
Nicholas Royle, The Uncanny, Manchester, Manchester University Press, 2003, p. 2.
3
Marie Nimier, Photo-Photo, Paris, Éditions Gallimard, 2010, « Folio », p. 16
4
Idem, p. 34.

44
Here we see a confusion between living and dead or mistaking an animate
object for an inanimate one—one of the uncanny experiences Freud
outlines. This citation also relates to the problems in representing the
imaginary invisible or bearing witness to death. In other words, the gesture
of capturing the image of this phantom cat – one described in moribund
terms – relates to a certain pictorial burial thus assigning a place, a time,
and a space to memorialize or to grieve.
An equally jarring visual disturbance arises at some time after this
shoot, and it is one that draws attention to psychosomatic symptoms and
their symbolic function related to repression. Although relishing her
productive work sessions and her overall sense of balance, a problem with
her vision soon surfaces. The pharmacist tells her that her condition is most
likely due to her computer screen – “l’écran” 1 – but it soon becomes
apparent that her troubled eyesight could itself be a “screen” or a mask for
deeper-seated anxieties related to the story she is writing. Similarly, the
ophthalmologist diagnoses her problem as “une chambre étroite … des
histoires de plomberie”2 explaining that fluid buildup in her eyes, pressing
on her optic nerve, causes a compression that may be the source of her
hallucinations. However, his medical diagnosis is not without a more
psychoanalytically charged nuance referencing “plumbing” – the hidden
and subterranean networks of unconscious symptomology. It could
therefore be argued that the retention of ocular fluid is one due to an over
surplus of unshed tears suggesting either unaccepted or unprocessed
mourning.
After her second visit needed to rule out any condition that she fears
might lead to blindness, she leaves the doctor’s office with eyes still dilated
only to experience a moment of déjà vu. Crossing the street, she believes
that she sees the neighbor’s cat lying in the gutter. In this apparition,
however, the “cat” (in reality a piece of carpeting) appears to be the victim
of more intentional physical harm, and may still be alive: “Il était sale, le
poil collé, et comme ligoté avec une ficelle de boucher.”3 While the first
vision of the cat was clearly described as a hallucination – it left no traces
and had disappeared when she looked again – this object remains lodged
in the gutter and is in some ways more “real.” But her interpretation of this
second appearance is one tinged with anxiety: the string wrapped around

1
Idem, p. 95.
2
Idem, p. 106.
3
Idem, p. 115.

45
its “body” clearly ties in to the image of the cord with which Levé used to
end his life. In her rush to help the cat, she trips, landing on her right side
to break the fall and breaks her right wrist (connected, symbolically, to her
writing hand), which presents a further impediment to her writing process.
It is clear that the narrator experiences a near panic attack as pages of her
manuscript “buried” in her bag tumble out onto the sidewalk. “[U]ne seule
chose était importante, nécessaire, indispensable : que tous ces gens autour
arrêtent de tripoter mon manuscrit.”1 Again, the emergence of that which
should remain hidden (her private drafts) but which has come to light
(scattered on the Parisian sidewalk and touched and collected by strangers
in public) is met with resistance and suggests the elements of uncanny
repression related to the narrative she is writing.
Once she obtains her new eyeglasses, meant to resolve faulty vision,
she sees everything in a new and unfamiliar light – a new vision that is both
better (she catches details of which she was previously unaware) and worse
(she sees “reality” in all its flaws). Her new perspective coincides with a
desire to change settings, to travel to a different location, to escape herself
and to “[c]lore l’épisode de la chambre étroite.”2 It is at this moment in the
narrative that Nimier recounts her trip to Baden-Baden where she will meet
her double, Frederika.
From her first novel, Sirène (1985), on Nimier has shown continued
interest in doubles, particularly as they relate to a double identity or
subjective splitting in relation to her female characters. Frederika,
designated in the opening pages as Nimier’s double, is similar in her
difference. She, like Nimier, is a femme singulière, and this symbolic
dualism echoes in her divided work – she is both a massage therapist and
an art therapy teacher. At the time of their initial meeting, Nimier is indeed
struck by their physical likeness; however, as time passes, she realizes that
they are actually quite physically different. But still, the problem of
unresolved self-recognition remains: “[C]omment ressembler à quelqu’un
qui vous ressemble quand on ne se ressemble pas soi-même?” 3 It is
therefore the figure of the double (and it could also be said that others with
whom she interacts in this story) that acts as a point of orientation to allow
her to write her way out of the uncanny labyrinth of unprocessed grief.
Although the figure of the doppelgänger in German Romantic literature is

1
Idem, p. 116.
2
Idem, p. 130.
3
Idem, p. 187.

46
one often portrayed as a threat or the embodiment of some inner
malevolent force, here, the narrator’s pseudo-double, as the etymology of
Frederika’s name suggests, is a source of protection, and, because of her
therapeutic line of work and also her earlier training as a psychologist, a
link making possible Nimier’s process of healing. At the end of her
massage, Nimier’s initial optical problem of retained fluid seems to resolve
itself at the moment she cries under Frederika’s curative hands: “Finis, les
gros chagrins. Envolées les peaux mortes, évacuées les eaux stagnantes.”1
For Royle, writing about the uncanny means “losing one’s bearings,”2
and this idea of losing oneself in the text is evinced by the numerous
questions Nimier asks throughout as to what story might be hidden in these
various threads, or angles. However, her confusion comes to a head when
she attempts to assemble these textual fragments. Royle contends that “the
uncanny calls for a different thinking of genre and text…”3 and Nimier
seems to answer this call as she turns to visual art to structure the finished
product.

Portraiture and the Scene of Writing


The complexity of photography as a vehicle to represent reality and
oneself – as numerous critics and philosophers have discussed – is echoed
in a number of ideas that run throughout Photo-Photo: recognition and
misrecognition; a simultaneous revelation and obscuration of self; the
paradoxical status one occupies as subject and/or object of the image; the
secrets and stories that lie in the subtext of the isolated image. Comparable
to the knotty and fluid nature of autobiographical projects, which prove that
any written self-reflection is subject to a degree of fictionalization,
photography, too, is a medium that is both indexical (bearing a certain trace
of the referent) and subject to distortion. Timothy Dow Adams suggests
that autobiography and photography share “an attempt at reconciling
authors’ sense of self with their lives through an art that simultaneously
reveals and conceals.”4 On this point, Marianne Hirsch asserts that both
modes of self-representation “share … a fragmentary structure and an

1
Idem, p. 177.
2
Nicholas Royle, The Uncanny, Manchester, Manchester University Press, 2003, p. 8.
3
Idem, p. 18.
4
Timothy Dow Adams, Light Writing & Life Writing: Photography in Autobiography,
Chapel Hill, The University of North Carolina Press, 2000, p. 21.

47
incompleteness that can be only partially concealed by narrative and
conventional connections.” 1 These comments attest to the dichotomous
poles of self-revelation and self-concealment at the core of any textual and
visual project in which self-investigation is at stake. In the case of Photo-
Photo, Nimier’s comments on photography frequently dissolve into her
auto-commentary about the narrative she scripts, a slippage suggesting the
importance of visuality to the textual domain. At one point, the narrative is
likened to the absent/present elusiveness of photographs: “Il pourrait s’agir
d’un cliché, … de la lente disparition d’un cliché. Une histoire inscrite entre
deux angles … Deux photographies, en somme, l’une qui se voit, et l’autre,
qui ne se voit pas.”2 The unease of being photographed is explained, too,
as an out-of-bodiness that the she also perceives when writing where
language in some ways speaks in and to her own absence: “Les mots
parlent pour moi, certes, mais pour un moi flottant, protéiforme…N’est-ce
pas cette invisibilité que je recherche…?”3 In this section, I explore the role
of the two self-portraits as well as the childhood sketch to consider how
this latter relic acts as a supplementary aid in unlocking an element of the
repressed. I will argue that the tension between self-representation and self-
misrecognition plays a role in the construction of the text as a literary
portrait.
Despite its pictorial title, Photo-Photo does not “show” any image to
supplement the narrative. The types of images textually referenced (or
imagined) include the author’s own self-portraits which serve to frame the
narrative, a childhood sketch, and others’ photographs that ascribe to a
particular mode of representation. Among these other photographs, we
recall the following: the photographs of missing persons in the Saint-
Lazare train station, Édouard Levé’s erotic photographs, Huguette Malo’s
family album, Jules’s digital photographs of cows, Frederika’s photograph
of her father as a child, and, evocations of Chris Marker’s photographic
film, La Jetée. All of these bear their own markings of absence and
presence. For example, Levé’s artistic photographs only suggest, rather
than explicitly reveal, sexual acts; Huguette’s family scenes fail to
corroborate her memories of the moments they depict; digital photography
is more readily subject to erasure; Frederika’s photograph, described as a

1
Marianne Hirsch, Family Frames: Photography, Narrative and Postmemory, Cambridge,
Harvard University Press, 1997, p.84.
2
Marie Nimier, Photo-Photo, Paris, Éditions Gallimard, 2010, « Folio », p. 35.
3
Idem, p. 49.

48
“témoignage” poignantly underscores a sense of outliving photographic
time; finally, the form of Marker’s film plays with perception in the
mobility and immobility of the photograms of which it is composed while
its narrative recounts the experience of “a man haunted by the image of his
own death.”1
It is Barthes’s seminal work on the topic, La Chambre claire (1980),
that finds a textual echo in both scenes of self-portraiture in Photo-Photo.
Using a phrase that rings equally true to Nimier’s text, Joann Blais
describes Barthes’s project as “a book about memory, images, mortality,
and irretrievable loss.” 2 Written shortly after the death of his mother,
Barthes’s theoretical analysis is also a self-reflective one, one which speaks
to the on-going (yet as he says perhaps interminable) process of mourning.3
Although it is in the second part of this work that Barthes speaks of the
Winter Garden photograph—the only image of his mother that bears a
marker of truth, and the only image that is withheld from the text—from
the very first pages a macabre lexicon permeates his analytic perspective.
Barthes thesis rests on the paradoxical relationship photography constructs
between life and death. The uncanny discourse thus inevitably bleeds over
into a Barthesian consideration of photography, which highlights the
medium’s doubling properties and its potential to signify “le retour du
mort.”4
Nimier appears to ventriloquize Barthes in the two scenes that frame
Photo-Photo, in both of which she is the ostensible object of Lagerfeld’s
camera while at the same time acting as the narrating (and authorial)
subject. We read her inner monologue accompanying the moments before,
during, and after her posing for the picture. For Paul Jay, Barthes’s
discourse on posing reveals his own “existential drama”: “[Posing]

1
Patrick French, “The Memory of the Image in Chris Marker’s La Jetée,” French Studies,
2005, LIX, 1, p. 31.
2
Joann Blais, “Negation and the Evil Eye: A Reading of Camera Lucida,” in Daniel Fischlin,
Negation, Critical Theory and Postmodern Textuality, Dordrecht, Springer
Netherlands, 1994, p. 229.
3
It might also be pointed out that Barthes’s coming to write on photography, as he claims
early on in this text, is born from a feeling of self-division. The hybridity of La Chambre
claire, one whose tone straddles the line between theory (objectivity) and life writing
(subjectivity) speaks to a divided sense of self, an idea clearly in line with considering
the entirety of Nimier’s corpus but especially her first work – thus her coming to
literature – Sirène (1985).
4
Roland Barthes, La Chambre claire : Note sur la photographie, Paris, Éditions de l’Étoile,
Gallimard, Le Seuil, 1980, p. 23.

49
constitutes a form of self-representation at once conscious and unconscious,
fraught with anguish, uncertainty, suffering, and doom. Posing involves a
dramatic struggle between intentionality and convention, the essential and
the objectified.” 1 However, for as much as Nimier overlaps with Barthes’s
comments in her account of posing, her use of shared metaphors and
certain word choices, she omits (perhaps tellingly) a striking comment that
Barthes shares about his portrait: “ … je crus lire sur cette image le chagrin
d’un deuil récent.”2 Might we not also consider an unarticulated and hence
perceived-yet-hidden marker of loss that (although not reproduced in
visual form in the narrative) explains the numerous references to death and
disappearance in this text?
Nimier casts the opening photo session in a dream-like or spectral
atmosphere; the use of the conditional mode reflects the speculative and
thus reimagined possibility of narrating a moment that has already been
lived and so suggests a link between the space of the text and the space of
the photograph. As she is being made up, she articulates vulnerability and
overexposure – moving from a living subject to visual object. In fact, she
experiences a sensation of disappearing altogether: “…je me sentais
rétrécir, j’allais finir petite, si petite que j’allais disparaître.”3 The fear of
disappearing is linked explicitly to a fear of dying or vanishing without a
trace, of being consumed by the image and being buried within the camera
– a fear of being buried alive that, per Freud, is one of the most primal in
the uncanny experience. “Oui, quelque chose en moi se laissait embaumer,
pour préparer le passage de mon être de trois à deux dimensions. Un déclic,
et clac ! dans la boîte, comme les autres écrivains qui m’avaient précédée.
Une mort sans cadavre… .” 4 The evocation of Paul-Jean Toulet’s
elegiacally titled poem, “Épitaphe,” – “Je mourus comme les oiseaux sans
laisser de cadavre” – at the end of this citation resonates with the spectrality
of this experience that runs throughout Photo-Photo, namely the fear that
one will disappear without leaving traces, that one might be forgotten in
death.

1
Paul Jay, “Posing: Autobiography and the Subject of Posing,” in Kathleen M. Ashley,
Leigh Gilmore, and Gerald Peters, Autobiography and Postmodernism, Boston, The
University of Massachusetts Press, 1994, p. 194.
2
Roland Barthes, La Chambre claire: Note sur la photographie, Paris, Éditions de l’Étoile,
Gallimard, Le Seuil, 1980, p. 31.
3
Marie Nimier, Photo-Photo, Paris, Editions Gallimard, 2010, « Folio », p. 29.
4
Idem, p.30.

50
Nimier’s account of being photographed is imbued with a fragmentary,
existential unease. The resulting “public” image – published in Paris
Match – is one that fails to capture her private essence. Or, as Barthes puts
it, “c’est ‘moi’ qui ne coïncide jamais avec mon image.” 1 Nimier
acknowledges that this image might depict her as she sees herself –
“pourrait être le mien” – but there is just the slightest alteration to render it
different or strangely familiar: “s’il ne manquait quelque chose au niveau
des yeux…”2 But this problematic also gives pause concerning the very
conundrum of self: who is “I”? What is self-image? The impossibility of
rectifying one’s sense of self with the image that is produced in self-
portraiture leads both Barthes and Nimier to use the term “imposture” to
describe the fradulent aspect of this form of representation.
The final scene takes place in a more modest and intimate setting; in
fact, we might say that Nimier is much more at home especially because
images from her previous works (namely La Girafe and La Caresse) are
“visible” on the wallpaper. In this way the idea of the text as a safe haven
takes form and allows the possibility for reconciling a sense of self. Here
she and Lagerfeld are alone together leaving behind the chaos of his
bustling studio. The overly posed portrait from the opening scene is
replaced by a more instantaneous and natural type of photograph: the
Polaroid snapshot. There are no directions to the pose and the scene passes
in silence. Rather than a full-face shot, she is shown in profile, her eyes
avoiding the lens and so allowing her to maintain a degree of privacy. Lost
in her reflections about the narrative, about the inverse, both-and nature of
things, she thinks again about the cat. This time however, the once-dead
“phantom” cat is very much alive and well. Lagerfeld succeeds in
capturing her “true” image exactly as a smile crosses her face. Although
this image, described as “opaque” and “impénétrable,” 3 is an unlikely
source of providing visual self-recognition, cloaked as it is in shadows due
to the limited natural light in the room, Nimier seems much more at peace
precisely with the privacy it allows her to maintain. Barthes terms this
convergence of self and image the “air,” “l’ombre lumineuse qui
accompagne le corps.”4 Lagerfeld therefore occupies a certain life-giving

1
Roland Barthes, La Chambre claire : Note sur la photographie, Paris, Éditions de l’Étoile,
Gallimard, Le Seuil, 1980, p. 27.
2
Marie Nimier, Photo-Photo, Paris, Editions Gallimard, 2010, « Folio », p. 47.
3
Marie Nimier, Photo-Photo, Paris, Editions Gallimard, 2010, « Folio », p. 234.
4
Roland Barthes, La Chambre claire : Note sur la photographie, Paris, Éditions de l’Étoile,
Gallimard, Le Seuil, 1980, p. 169

51
force, preventing the death of the photographic subject. In this final scene,
it could also be said that Lagerfeld’s photograph coincides with a moment
not only of self-recognition but also with self-revelation. To paraphrase
Barthes, we could say that Lagerfeld succeeds in “surprising” (or shocking)
Nimier. About this element of surprise, Barthes writes: “Le ‘choc’
photographique consiste moins à traumatiser qu’à révéler ce qui était si
bien caché, que l’acteur lui-même en était ignorant ou inconscient.” 1
Barthes’s words resonate with the idea of acknowledging something that
has been repressed – “si bien caché” “ignorant,” “inconscient” – but also,
the end of this quotation – “l’acteur lui-même en était ignorant ou
inconscient” – echoes in one of the epigraphs that frames Photo-Photo: a
citation from Édouard Levé’s Suicide (2007) – a literary (and impossible)
address to his friend who committed suicide – a work that Levé had
submitted to his publisher ten days before taking his own life.
Between these two photographic portraits, another visual depiction
surfaces and it is described as a pretext – an excuse to have a reason to
approach Frederika. The drawing, made when Nimier was eight years old
(thus three years after her father’s death) depicts a young girl skipping rope.
It is a type of visual palimpsest as it was modified keeping details of the
original drawing beneath. In the first version, the girl occupies an in-
between physical space, “en équilibre précaire”2; she appears unanchored
as if she is on the verge of falling into emptiness, “plonger, basculer dans
le vide.”3 Despite the smile on the girl’s (un-outlined) face, the narrator is
unsettled by this drawing, which might itself be said to be an uncanny
representation. In fact, this malaise makes her aware that the drawing
contains a suppressed memory. In the retouched sketch, she adds a line
encircling the girl’s face as well as an arched circle between her hands –
the jump rope – and triangular-shaped points to the end of her eyelashes.
All of these secondary markings point to an attempt to protect and to
balance; however, the rope in this drawing is evoked directly in relation to
Levé: “une corde à sauter. La corde d’un pendu, la corde d’Édouard
Levé.” 4 It is this portrait-like sketch, rather than the medium of
photography, that is more suited to revealing past traumas – namely her
father’s death which was also preceded by his own suicide attempts.

1
Idem, p. 57.
2
Marie Nimier, Photo-Photo, Paris, Editions Gallimard, 2010, « Folio », p. 141.
3
Ibid.
4
Idem, p. 202.

52
Can photography ultimately “tell” a story and “not tell” a story, or tell
a story after the fact? Is the form of the novel better equipped to do so?
These are the questions that the author ponders before her final photograph.
She suggests that the text-as-drawing would somehow better convey the
whole story. “[L]a palette des couleurs se précise, le rythme s’impose, le
dessin s’affirme.” 1 By describing the formation of the story in more
pictorial words, she also conveys the importance of the imaginary as a
better mode of visual representation for articulating veracity about self-
knowledge. It is only after she follows Frederika’s suggestions to display
the pages in the same way that Frederika’s students show their artwork –
and in the same manner that Nimier’s childhood sketch stood out (because
of its difference) from her classmates’ drawings – that the problem of
structuring the narrative meets resolution.

Conclusion, or Moving towards Hauntology


André Green conceptualizes the reading-writing experience as one
predicated on absence and mourning. He writes: “In writing no one is
present. To be more precise, the potential and anonymous reader is absent
by definition. He might even be dead … Reading and writing constitute an
uninterrupted work of mourning.”2 I have considered the peculiar visuality
of Photo-Photo as staging a number of uncanny moments in Nimier’s
narration of a vulnerable unrecognized subject who, in turn, is haunted by,
and thus experiences reawakened fears of death, loss, and abandonment. In
light of Green’s comments, it is important to consider the reading-writing
experience also at stake in Photo-Photo. Although physically absent from
the author’s life during her writing of the narrative, Stephen remains her
primary correspondent and reader. It is mentioned that he dealt with his
grief after Levé’s suicide by moving to Canada. Stephen therefore is in
some ways better placed to offer, as he does, guiding questions, revealing
the blind spots in the story that Nimier writes. Halfway through the
narrative, Stephen articulates directly his loss while stressing the
importance of continuing to live: “C’est nous qui l’avons perdu. Nous qui

1
Idem, p. 208.
2
André Green, “The Double and the Absent,” in Alan Roland, Psychoanalysis, Creativity,
and Literature: A French-American Inquiry, New York, Columbia University Press,
1978, p. 282, 284.

53
devons vivre à sa place … vivre… .”1 However, Nimier’s response to
Stephen’s imperative would suggest that she voices an unwillingness to
accept Levé’s passing: “[J]’aimerais que tu en parles comme s’il gagnait
toujours, tu comprends ?”2 Yet it could also be said that her comments
imply a recognition – not that Levé has not died – but that he is still present
in their memory and that Stephen’s suggestion to “live in his place” would
somehow usurp Levé’s place as a now-deceased but never-forgotten
specter. In fact, as the following passage reveals, Nimier not only speaks
of Levé in the past (and provides details about his death), she emphasizes
her continued “dialogue” with him: “Il s’appelait Édouard. Édouard Levé.
L’adresse de son atelier est inscrite dans mon répertoire. Je suis incapable
de l’effacer, pourtant je ne pourrai plus jamais l’utiliser. Plus jamais écrire
à Édouard Levé ni lui rendre visite. Ou si, bien sûr, je pourrai lui parler, lui
écrire, la preuve, je lui parle, je lui écris, mais il ne me répondra plus et ce
ne sera pas par négligence. On ne met pas fin à ses jours par négligence.
Edouard Levé avait quarante-deux ans. Un lundi. Son corps inerte au bout
d’une corde.”3
It is this fear of being forgotten—of not leaving traces, as was
mentioned in connection to Toulet’s poem – that reveals the true
problematic at the core of the absent-present conception of death, a duality
that is viewed in the hallucination of the dead-but-still-alive cat who forms
a specific and evocative angle, “l’angle de la disparition.”4 To disappear
without a trace – “volatiliser” – is thus evoked on several occasions. It
precedes the first citation of Toulet’s poem and it describes Shiro, the
Japanese makeup artist, whose talent lies precisely in not leaving traces of
his work, and whose “evaporation” is tied to a phenomenon in Japanese
culture whereby individuals (rather than risking shame, for example, in
defaulting on their debts) choose to disappear until they are recognized as
deceased. In this way they may reappear, resurrected as it were from a
figurative death.
Levé’s death, however, like Nimier’s father’s, is a permanent one;
while there is no possibility of physical resurrection, there is at least as the
author suggests, the option that an afterlife exists. Such a conception of a
world populated – thus lived by – deceased beings creates a limbic

1
Marie Nimier, Photo-Photo, Paris, Editions Gallimard, 2010, « Folio », p. 133-134.
2
Idem, p. 134.
3
Idem, p. 53-54.
4
Idem, p. 208.

54
spatiality: neither living nor dead, or perhaps both living and dead. We
could similarly conceive therefore of Photo-Photo, the published text – the
text-as-object – as creating its own type of space, a space that allows for
interconnections between the (absent) reader and the (absent) author which
forms its own set of “angles,” this time creating a protected space, “une
zone protégée. Un ciel. Un refuge. Un endroit où aller.”1 This formulation
of the reading-writing process – tied as Green suggests to mourning and its
own type of absent/presence – finds an echo in the line that Nimier includes
– perhaps as homage to her father and a means of connecting him to this
story of grief – taken from the margins of his notebook: “Le ciel comme
un endroit.”2 The reversal of heaven and earth in this way offers a type of
grounded space in which these revenants might finally find refuge and
peace. It is only after her final portrait, her moment of self-revelation, that
she comes to articulate a need to leave Levé in peace, allowing him to “fly
away” – “s’envoler.”3 However, this verb, understood not in its evocations
of evaporation or disappearance, can here be tied to a new conception of
post-living physicality: Levé’s ghost might continue to “live” in a
terrestrial sky or heaven.
If it remains true that Nimier’s privileged focus on optics here allows
for a limning of a self-portrait of a healed self in the domain of a textualized
(rather than visualized) pictorial narrative, it is nonetheless plausible that
the self-fragmentation set in motion in the opening pages by the medium
of photography itself spoke to another loss, one very recent and one from
long ago. This investigation into Photo-Photo – an uncanny text bound up
with questions of not seeing and also seeing too much, a narrative
populated with multiple stories and multiple visions, a trajectory charting
self-misrecognition to self-revelation, a private encounter published in
public view – has perhaps from the very beginning, been moving towards
suggesting Nimier’s engagement with the Derridean concept of
hauntology, foremost stemming from the spectral interplay of absence and
presence in this work. What is at stake in Nimier’s narrative is ultimately
and simultaneously self-recognition (visualizing the self) and the
recognition of (vanished) others, or the ethical imperative Derrida calls for
to acknowledge specters, to live in their presence, and to speak with them.
Specters, in Derrida’s view, reside outside of knowledge: “C’est quelque

1
Idem, p. 139.
2
Ibid.
3
Idem, p. 234.

55
chose qu’on ne sait pas … et on ne sait pas si précisément cela est, si ça a
existé, si ça répond à un nom et correspond à une essence. On ne le sait
pas: non par ignorance, mais parce que ce non-objet, ce présent non-présent,
cet être-là d’un absent ou d’un disparu ne relève pas du savoir. … On ne
sait pas si c’est vivant ou si c’est mort.”1 Therefore, Nimier’s conjoined
imagination and memory work seems an appropriate terrain on which to
cast this uncanny encounter. Colin Davis contends that “hauntology is part
of an endeavour to keep raising the stakes of literary study, to make it a
place where we can interrogate our relation to the dead, examine the elusive
identities of the living, and explore the boundaries between the thought and
the unthought.”2 To understand Photo-Photo as a self-portrait of the author
implies in similar fashion that we recognize the plurality, liminality, and
fragmentation in such an endeavor, the limits of what can be shown, and
the dependence on textual visualization to create an intermediary space in
which to depict self and recognize others.
Adrienne ANGELO

ORIENTATIONS BIBLIOGRAPHIQUES
ABEL, Elizabeth, “[E]merging Identities: The Dynamics of Female
Friendship in Contemporary Fiction by Women”, Signs 6, 1981.
ADAMS, Timothy Dow, Light Writing & Life Writing: Photography in
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Éditions de l’Étoile / Gallimard / Éditions du Seuil, 1980.
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DAVIS, Colin, “État Présent: Hauntology Spectres and Phantoms,” French
Studies, Vol. LIX, No. 3, 2005
DERRIDA, Jacques, Spectres de Marx, Paris, Éditions Galilée, 1993
DERRIDA Jacques, GUILLAUME, Marc, and VINCENT, Jean-Pierre, Marx
en jeu, Paris, Éditions Descartes & Cie, 1997

1
Jacques Derrida, Spectres de Marx, Paris, Éditions Galilée, 1993, p. 25-26.
2
Colin Davis, “État Présent: Hauntology Spectres and Phantoms,” French Studies, Vol. LIX,
No. 3, 2005, p. 379.

56
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French Studies, 2005, LIX, 1.
FREUD, Sigmund, “The ‘Uncanny’,” [1919], in James Strachey, The
Standard Edition of the Complete Psychological Works, vol. XVII,
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GREEN, André, “The Double and the Absent,” in Alan Roland, Psycho-
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HIRSCH, Marianne, Family Frames: Photography, Narrative and Post-
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HUBER, Werner, MIDEKKE, Martin and ZAPF, Hubert, “Introduction”, in
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M. Ashley, Leigh Gilmore, and Gerald Peters, Autobiography and
Postmodernism, Boston, The University of Massachusetts Press, 1994.
ROYLE, Nicholas, The Uncanny, Manchester, Manchester University Press,
2003.

57
58
*

« … et qui saura photographier le langage ? »


Visualité, disparitions et dédoublements
dans Photo-Photo de Marie Nimier

« comment ressembler à quelqu’un qui vous ressemble quand on ne


se ressemble pas soi-même ? »
Marie Nimier, Photo-Photo

P artant d’une photographie prise par Karl Lagerfeld pour Paris Match,
Photo-Photo, publié en 20101, peut être lu comme l’ébauche d’une (de)
réponse(s) à cette question que pose la narratrice : « et qui saura
photographier le langage ? » (p.50). Photo-Photo comporte une forte
visualité : couleurs et textures accompagnent précisément la narration,
dans un jeu de renvois et de rappels qui tissent autant de liens qu’il
appartient au lecteur de réunir, tels le vernis rouge des ongles renvoyant au
sang du chat sur le bord de la route, ou le noir et le blanc de la tenue de Karl
Lagerfeld, renvoyant aux taches des vaches normandes que prend en photo
le voisin de la narratrice…
À cette profonde visualité du texte s’ajoute toute une série de
dédoublements : ce chat qui semble à la fois vivant et mort, Otto, le double
imaginaire de Karl Lagerfeld, Frederika, le « sosie » de la narratrice, vivant
dans un autre lieu au nom dédoublé, Baden-Baden, qui renvoie à cet autre
dédoublement du titre lui-même, Photo-Photo… D’autant qu’une
photographie est elle-même un dédoublement, et une fiction, puisqu’elle
est reproduction d’une mise en scène d’une scène originelle.

1
Marie Nimier, Photo-Photo, Paris, Éditions Gallimard, 2010 [Toutes les citations feront
référence à l’édition Folio, 2012].

59
C’est dans cette optique – c’est le cas de le dire – que sera abordé ici
Photo-Photo, autour des thèmes de la visualité, des disparitions et
dédoublements, de la photographie et du texte comme mises en scène
fictionnelles et spectrales.

Première mise en scène photographique : la photo de la rentrée


littéraire
La première section du texte s’intitule « L’angle du chat ». C’est dans
cette première partie que se concentrent toutes les problématiques de
Photo-Photo. Il est question de l’angle qui, s’il est un angle parmi d’autres,
est en tout cas celui qui révèle qu’il n’est que ça, un angle, une vision
particulière, fractionnée, un jeu sur l’absence / présence, le visible /
invisible, le réel / l’irréel – ou le virtuel. Ce sont les frontières de ces couples,
en apparence antinomiques, qui deviennent elles-mêmes poreuses.
La photo commandée par Paris Match à Karl Lagerfeld est celle de neuf
écrivains de la rentrée littéraire 2008. Or, cette photo qui devait réunir neuf
écrivains, ne les réunit que virtuellement. En effet, chacun est photographié
individuellement. Il sera ensuite question d’un montage photographique,
d’un collage, aboutissant à une mise en scène désormais collective. Un
photomontage se chargera ainsi de réunir – en apparence donc – ces
écrivains qui se retrouvent dans un même temps ‘réunis’ en amont de ce
photomontage, dans un non-lieu, celui de l’appareil photographique :

Je me demandais où se cachaient les écrivains de la rentrée, étaient-ils en


retard, ou m’avait-on donné, pour de mystérieuses raisons, rendez-vous en avance ?
Je posai la question à Lorenzo. Il m’expliqua que les auteurs étaient déjà dans la
boîte.
– Dans la boîte ?
[…] Les autres écrivains avaient déjà été photographiés, séparément, au fur et
à mesure de leur arrivée. La réunion des corps se ferait par ordinateur interposé.
J’étais la dernière, la cerise sur le gâteau, en somme, que l’on placerait au premier
rang sur la photo. (pp.14-15)

« Dans la boîte », c’est-à-dire dans l’appareil, sur la pellicule – ou dans


la mémoire de l’appareil photo, si l’on parle de photos numériques. Elle
décrira ainsi la photo publiée, cette photo qui réunit / désunit : « Le malaise
qui s’en dégage peut se résumer en une phrase : nous sommes là assis, tous
les neuf, comme si nous étions ensemble. Mais nous ne sommes pas
ensemble. » (p.47)

60
Il y a également tout un jeu sur le voilement / dévoilement de l’être,
qui s’ajoute au montage. Tout d’abord, la romancière est intimée de venir
comme elle est, « en l’état » (p.15), c’est-à-dire tel qu’elle se présente aux
autres au quotidien. Or, si elle garde bien sa « tenue de travail » pour la
photo, c’est tout un travail sur son apparence – cheveux, yeux, visage,
jusqu’à ses ongles – qui est réalisé sur sa personne. Ainsi, Shiro, le
maquilleur, réalise « un maquillage invisible, “à l’identique” selon les
propres mots du Kaiser » (p.193), puisqu’il est « capable de travailler une
heure sur un modèle sans laisser de trace de son passage. Ce qu’il ajoute
est invisible, comme s’il maquillait la personne de l’intérieur. » (p.24)
C’est ici que le terme d’artifice prend tout son sens, celui de métier et d’art
de la dissimulation.1 Du fait de l’intervention du maquilleur – et de la durée
de cette intervention – la narratrice s’attend à un rendu, à une différence,
mais c’est la mêmeté qui lui est renvoyée :

D’une houppette légère, Shiro peaufinait son travail. Je risquai un regard dans
la glace. Je m’attendais à trouver quelqu’un de vraiment différent, j’étais prête à
toutes les métamorphoses, mais non : j’étais la même.
La même, même pas en mieux.
Juste un peu plus pâle. Comme cirée. Seuls les yeux avaient remonté d’un
ton. (p.32-33)

Quant à la coiffeuse, « après avoir enlevé les rouleaux, [elle] entreprit


de retravailler les cheveux au fer, pour un rendu plus naturel. » (p.29) Tout
ce travail esthétique dont le but est un ‘meilleur rendu’ devient en fait la
recherche du naturel, du non-travaillé visible, ce qui implique donc de
masquer, dissimuler, de rendre trouble les frontières entre le visible et
l’invisible, entre intériorité et extériorité.
La narratrice doit se laisser faire. Elle résume ainsi que : « Mains, cils,
sourcils… tout se passait comme si ces parties de moi ne m’appartenaient
plus, et ce n’était pas désagréable finalement. » (p.27) L’abandon de sa
personne physique devient également abandon de sa personne psychique,
un abandon qui s’affilie à celui d’une disparition :

À mesure que le temps passait et que tous ces gens s’occupaient de moi, je me
sentais rétrécir, j’allais finir petite, si petite que j’allais disparaître. La phrase sur les

1
‘Artifice’, du latin artificium, signifiant ‘métier’, ‘talent’, ‘art’, ‘habilité’, et dont la définition
est la suivante : « Subtilité, ruse, en vue de tromper » (Petit Larousse en couleurs, Paris,
Librairie Larousse, 1972).

61
oiseaux me revint à l’esprit. D’où sortait-elle, de quelle plume, quelle source, quel
voyage ? « Je mourus comme les oiseaux sans laisser de cadavre… » (p. 29)

Le récit qu’entreprend la narratrice est ainsi celui de la repossession de


cette dépossession, celui de re-fictionnalisation de cette fictionnalisation
qu’est cette photographie.
On retrouve d’ores et déjà les notions de disparition et de traces,
centrales au texte. En attendant que Karl Lagerfeld soit prêt à la
photographier, la manucure la fait patienter avec un massage des mains. La
disparition serait celle d’une partie d’elle, d’une dimension d’elle, dans le
passage du réel à l’image :

Ce massage des mains me mettait dans un drôle d’état. J’avais l’impression


non pas de rétrécir, ce n’était pas le bon verbe, mais plutôt d’être aplatie, étirée […].
Oui, quelque chose en moi se laissait embaumer, pour préparer le passage de mon
être de trois à deux dimensions. Un déclic, et clac ! dans la boîte, comme les autres
écrivains qui m’avaient précédée. Une mort sans cadavre, pensai-je, sans pleurs ni
couronnes, sans compassion, sans rien. Je continuerais à vivre, à rire, à manger, mais
une partie de moi resterait figée dans l’immense bibliothèque. (p. 30)

La boîte de l’appareil devient celle du cercueil, mais dans laquelle le


corps physique, le cadavre – la trace donc physique – est absente. Cette
perte de soi s’accompagne en effet de tout un travail en amont et en aval de
la prise photographique, pour gommer, pour effacer les traces. Ces traces
corporelles font partie intégrante du corps de la narratrice, telle la
« callosité » sur son doigt, la « marque du stylo » (p.25), trace laissée sur le
corps par l’acte répété d’écrire. Ce qui est mis en avant, au niveau des
mains, sont les ongles, peints en rouge par la manucure pour la photo. C’est
d’ailleurs sur ses mains qu’elle se focalise pendant la prise de la photo :
« me concentrer sur les mains, ce sont elles qui posent, pas moi, on ne verra
qu’elles sur la photo, leurs ongles très rouges, je le sais déjà et cette idée
me rassure » (p.38), explique-t-elle ainsi.
Apprenant qu’elle sera « plac[ée] au premier rang sur la photo » (p.15),
la narratrice s’inquiète de ses chaussettes : « Au premier rang ? Je regardai
mes pieds. En les rangeant sous la chaise, peut-être réussirais-je à cacher
mes chaussettes à fleurs. » (p.15) Si la narratrice aurait souhaité cacher le
motif de ses chaussettes, il est au contraire bien visible sur la photographie,
alors que d’autres éléments ont, eux, été dissimulés :

Comme prévu, on voit bien mes mains et leurs ongles rouges. Et les
chaussures tilleul aussi, et les chaussettes à fleurs. En remontant au-delà du manteau

62
vert, il y a un visage qui pourrait être le mien, s’il ne manquait quelque chose au
niveau des yeux, la cicatrice peut-être, oui, à bien y regarder, manque aussi, plus bas,
la marque de varicelle. Manquent les livres de la bibliothèque, empilés sur la tranche
jusqu’au plafond, et la passerelle métallique pour y accéder. Les écrivains se
détachent sur fond uni, façon photo de classe. Manque par-dessus tout la patte du
photographe, comme si lui-même avait tenu à s’effacer, à gommer son regard.
Comment tout cela a-t-il pu disparaître ? Je ne parle pas de l’aspect technique des
choses, évidemment. (p. 47-48)

Sous les yeux de la narratrice, il manque certaines choses : le manque


est pour elle révélateur de ce qui était présent, mais qui ne l’est désormais
plus, parce qu’elle connaît l’existence de ces éléments qu’elle ne retrouve
plus dans la photo finale, celle publiée, celle que verront tant de gens, qui
ne pourront, eux, pas se rendre compte de ces éléments manquants. La
photo apparaît donc comme subie par la narratrice, une photo de surcroît
modifiée par un photomontage et par des retouches qui sont autant de
techniques (invisibles) d’effacement. Photo-Photo interroge ainsi les
nouvelles techniques, et les rapports entre le réel, le virtuel et le
technologique.

Remises en doute photographiques


Comme l’a expliqué Marie Nimier dans un entretien à la parution de
Photo-Photo, ce qui est fondamental est le décalage – ou plutôt
l’opposition – entre la photo comme preuve, comme instantané de vie, et
cette photo de Karl Lagerfeld, montée et retouchée :

ce qui était intéressant dans cette photo-là, et c’est pour ça que je l’ai
minutieusement détaillée, c’est que c’était la photo d’un moment qui n’a pas existé.
Jusqu’à présent, enfin avec Barthes et tout ça, toute cette idée que la photo, c’était la
preuve, c’est-à-dire qu’un peintre, ou un romancier, va jamais amener la preuve de
ce qu’il raconte. La photo, c’est la preuve d’un moment qui a existé. Elle dit au moins
ça : « Ce moment a existé ». Alors que, dans cette photo de Karl Lagerfeld, comme
c’était une photo montée – alors que ce soit un montage avec des découpages et des
scotchs, y’aurait aucun problème, le montage se verrait – mais là, avec les nouveaux
moyens technologiques, le montage ne se voit pas. Donc non seulement les
personnages n’étaient pas ensemble, tous ces auteurs de la rentrée littéraire n’étaient
pas ensemble, et en plus, ça a été retouché après, donc là quand même on est dans

63
un artifice qui est pas forcément idiot mais qui annule cette idée que la photo est
l’immortalisation d’un endroit, d’un moment précis.1

En effet, dans son essai sur la photographie intitulé La Chambre claire,


Roland Barthes affirmait, en 1980, que la Photographie permettait
« d’attester que cela que je vois, a bien été », que « l’essence de la
Photographie est de ratifier ce qu’elle représente », faisant de la
Photographie « un témoignage sûr, mais fugace ». De ce fait, pour Barthes,
« Toute photographie est un certificat de présence », faisant de « la
Référence » « l’ordre fondateur de la Photographie »2. Or, ce que montre,
démontre et démonte Marie Nimier dans Photo-Photo est clairement cette
notion de référent photographique barthien, c’est-à-dire « non pas la chose
facultativement réelle à quoi renvoie une image ou un signe, mais la chose
nécessairement réelle qui a été placée devant l’objectif, faute de quoi il n’y
aurait pas de photographie »3. La notion de leurre, de montage, est absente
de cette théorie barthienne de la photographie. Si pour Barthes, la
Photographie est « à coup sûr, ce qui a été »4, la photo de la rentrée littéraire
décrite dans Photo-Photo est elle bien une photo à la fois de ce qui a été –
dans ces éléments pris individuellement, mais dans une moindre mesure –
mais surtout de ce qui n’a pas été, ou en tout cas, de ce qui n’a pas vraiment
été : collage, montage, et retouches oblitèrent cette référentialité supposée
de la Photographie.
C’est ainsi que dans Photo-Photo, les photos n’agissent pas comme
preuves mais comme remises en doute de la référentialité de la
Photographie, comme il vient d’être vu avec cette photo de la rentrée
littéraire. Mais ce n’est pas la seule photo dans ce cas. Si celle-ci est un
photomontage, d’autres photos, même sans photomontage, sont pointées
du doigt comme ne donnant qu’une vision partielle, voire erronée, donnant
à lire une histoire alors qu’une autre s’y cache en filigrane, comme le
montre l’attitude et les explications d’Huguette Malo devant son album
photo, avec ses chroniques qui ne sont qu’une version officielle de son
histoire familiale :
1
Dominique Antoine, « “Un écrivain n’est pas un modèle” », Entretien avec Marie Nimier,
émission Interlignes, 10 décembre 2010.
http://www.lefigaro.fr/livres/2010/12/10/03005-20101210ARTFIG00579-marie-nimier-
un-ecrivain-n-est-pas-un-modele.php [page consultée le 20-06-2016]
2
Roland Barthes, La Chambre claire – Note sur la photographie, Paris, Éditions de l’Étoile,
Gallimard, Le Seuil, « Cahiers du Cinéma », 1980, p.129, p.133, p.146, p.135 et p.120.
3
Idem, p.120.
4
Idem, p.133.

64
La nuit était tombée. Huguette Malo parlait toujours des photos, page après
page, ou plutôt de tout ce qui se cachait derrière les photos, car les images elles-
mêmes lui inspiraient de la méfiance, comme si elles n’étaient que le témoignage
d’une mise en scène destinée à tromper le monde. […]
– On a tous l’air tellement heureux, explique-t-elle, mais nous n’étions pas
heureux, en vérité. Manger, dormir, se soigner, voyager : tout était compliqué. (p.
81-82)

Les photographies ne se substituent pas au souvenir, au quotidien de


la ‘vraie’ vie, mais forment une autre trame. Ainsi, au sujet de sa mère,
Huguette Malo explique que :

Quand elle avait mal à la tête, elle en coupait des rondelles [de pommes de terre]
qu’elle plaçait sur les yeux, jusqu’à ce qu’elles noircissent, mais à ce moment-là,
personne n’aurait pensé à la photographier. Pourtant, les rondelles de patate en guise
de regard, voilà une image éloquente.
– Il ne faut pas croire à tout cela, répétait Huguette. Les photos sont faites pour
oublier, pas pour se souvenir.
Malgré ses avertissements, je me laissai prendre au jeu. Un récit par défaut
se construisait peu à peu, une histoire faite de poses et d’énumérations. (p. 82-83)

Un récit par défaut : un récit donc qui s’établit dans le manque, dans
ce qui est absent, non-visible dans la photographie donnée à voir. La
photographie devient liée à la mort, à une mort sans cadavre, à ce qui
demeure caché ; et, comme l’affirme Stephen, l’amant de la narratrice :
« rien de mieux qu’un album pour enterrer les secrets de famille »1 (p. 135).

Le texte comme mise en scène du rapport entre écrivain, écriture,


lecteur
Dans Photo-Photo, il n’y a pas que les photographies qui sont données
à voir dans ce qu’il y a derrière, dans ce qui est caché. C’est le texte lui-
même qui est montré dans son élaboration au travers du récit de cette
narration autodiégétique, le texte devenant lui-même la mise en scène du
rapport entre écrivain, écriture et lecteur. Le lecteur se trouve comme
impliqué, en parallèle de Stephen, l’amant de la narratrice, dans le
processus de création du texte, mais en tant que spectateur – et non, comme
Stephen, comme commentateur. Il y a ainsi comme une relation entre le
spectateur et un spectacle, se déroulant sous ses yeux, un rapport à la

1
Nous soulignons.

65
formation du texte, d’images au sein du texte. La construction est comme
apparente – mais l’est-elle vraiment ? Il est en effet bien question d’une
mise en scène de l’écriture, puisque le lecteur est aussi dans un décalage
temporel car, tenant le livre entre les mains, le lecteur sait que ce texte est
fini, non modifiable. Lorsque la narratrice évoque les problèmes
d’avancement du livre, dont « On pourrait même dire qu’il reculait »
(p.207), c’est quasiment à la fin du livre que tient le lecteur entre ses mains,
livre qui a été lu presque en entier, donc qui a non seulement bien avancé,
mais a abouti, puisqu’il est là sous sa forme finale, publiée.
La première citation en exergue de Photo-Photo, d’Édouard Levé,
oriente d’ores et déjà vers un jeu sur l’autofictionnel : « Tu es comme cet
acteur qui, à la fin de la pièce, révèle par un dernier mot qu’il fut un autre
personnage que celui dont il tenait le rôle. » « La romancière » est à la fois
Marie Nimier et n’est pas elle1, sorte de truchement, avec cette répétition
tout au long du texte de son « statut de romancière », tel un état civil.2
« Certains jours, j’ai l’impression que le langage lui-même dicte le
texte, le langage avec ses règles, son rythme, son histoire, ses contraintes,
ses failles, et qui saura photographier le langage ? » (p.50) questionne la
narratrice. À l’image de ce que nomme la narratrice elle-même comme
« cette mise en scène » (p.49), concernant cette photo de la rentrée littéraire,
en répond une autre, celle au sein du texte écrit. Se dégage ainsi une
technique du leurre, de la mise en abyme, du texte dans le texte, de l’image
dans l’image, de l’image dans le texte et du texte dans l’image, dans un jeu
de miroirs réflectifs3 et déformants, qui questionne la représentation – les
représentations – de toute chose4, au travers des va-et-vient continuels entre
le noir du texte, le noir de l’écriture, et le blanc de la page / de la
photographie.

1
Au sujet de la narratrice de Photo-Photo, Marie Nimier a expliqué qu’elle « […] me
ressemble beaucoup, oui, mais c’est une espèce de ‘je’, c’est moi…euh on va dire que
c’est une partie de moi, quelque chose comme moi, mais qui… ça me permet justement
de pas construire un personnage, c’est un ‘je’ assez transparent, on parle pas vraiment
d’elle » (Dominique Antoine, « “Un écrivain n’est pas un modèle” », op.cit.).
2
Ainsi de Karl Lagerfeld, qui l’appelle « ma romancière » (p.36), et de cette conversation de
présentation entre Huguette Malo et la narratrice : « - Ainsi, vous êtes romancière,
lâcha-t-elle enfin, me voilà très impressionnée. […] - Oui, romancière, confirmai-je en
plissant les yeux » (p.75).
3
Le terme anglais de reflective writing renvoie bien cette image.
4
On peut d’ailleurs établir un parallèle avec la / les représentations du père, de Roger Nimier,
de l’image / des images paternelle(s) dans les œuvres de Marie Nimier.

66
C’est Huguette Malo qui pose la question de la lisibilité : « Ce que
vous écrivez, c’est lisible ? demandait-elle en feuilletant le roman que je lui
avais offert » (p.91). Ce qui est lisible, c’est ce qui est déchiffrable, sans
efforts, sans éléments cachés. Cette lisibilité se pose tant pour le texte que
pour l’image. Ce qui est caché, comme dans les photographies de l’album
de famille d’Huguette Malo, peut aussi relever du camouflage, c’est-à-dire
de la dissimulation de la vérité, du déguisement. La couverture de l’édition
Folio de Photo-Photo est un exemple d’une instance de camouflage. Le
camouflage ne relève pas uniquement d’aspects visuels, mais peut aussi
être en rapport au langage, à une transmission codée, et donc en rapport à
sa lisibilité ou non-lisibilité.

Voir mieux ou pire ?


Du fait de migraines répétées, la narratrice finit par consulter un
opticien. Bien entendu, se pose la question de la qualité de la vision, du
flou :

J’étais astigmate, je crois, et légèrement hypermétrope, sans que ni l’une ni


l’autre de ces affections ne m’empêche de bien voir, ponctuellement. La lecture ne
devenait difficile qu’au bout d’un certain temps de concentration. Alors, les lignes
avaient tendance à se mélanger, les horizontales n’étaient plus aussi horizontales et
les verticales prenaient des airs penchés. (p.102)

La qualité de la vision entraîne un questionnement de la fiabilité de ce


qui est vu. Il s’avère que la narratrice a un « glaucome à angle fermé »
(p.108), maladie affectant le nerf optique pouvant, dans certains cas,
aboutir à une cécité, et qui altère le champ visuel. C’est alors que l’opticien
tente, par un dessin, de lui expliquer l’angle à mesurer lors du prochain
examen, angle entre l’iris et la cornée, que la narratrice établit un lien direct
entre cet angle oculaire et cet autre angle, celui du chat écrasé sur la route :
« Cet angle, je le connaissais. C’était celui du chat sur la route, le chat de la
voisine. Un angle aigu, et son petit ventre blanc dans la lumière de
septembre. » (p.108) La nouvelle correction de ses lunettes la déstabilise,
puisque tout ce qui est vu est vu désormais différemment, même si –
supposément – en mieux :

Au début, tout me semblait trop contrasté, trop droit, les arbres, les maisons,
les zébrures de mon plâtre […].

67
Je voyais mieux, pourtant, il n’y avait pas de doute à ce sujet,
incomparablement mieux.
Oui, on pouvait dire ça, mieux, mais on pouvait aussi dire le contraire : je
voyais pire. Les visages se piquaient de points noirs, les dents jaunissaient, les cernes
se creusaient, les nez s’allongeaient ou se remplissaient de poils, les corps me
semblaient épais, moins fluides que d’habitude » (p.126)

Elle déplore ainsi « une vision hyperréaliste » (p. 126), une vision
accrue des détails. Se pose là aussi la problématique de la lisibilité / non-
lisibilité.
Voir donc « mieux » ou « pire » ? Ces nouvelles lunettes modifient
non seulement la vision qu’a la narratrice des êtres et des choses, mais aussi
la vision que les autres ont d’elle. En effet, c’est le visage entier qui se
trouve caché par les lunettes, relégué derrière : « moi, ça m’allait, de porter
des lunettes qui ne m’allaient pas, parce que justement quand je les mettais
on ne voyait plus mon visage, on ne voyait qu’elles – je devenais un
présentoir, en somme, c’était très reposant) » (p. 126). Ce qui est mis sur le
présentoir, ce qui est mis en avant, donc ce qui compte, ce sont ainsi les
lunettes, dans cette primauté du visuel au cœur de Photo-Photo.
Alors qu’elle est dans le train pour rencontrer Frederika, celle qui lui a
été décrite comme étant son « sosie », la narratrice écrit les paroles d’une
chanson : « Je vais rencontrer la fille en “a” / Aux Thermes de Caracalla
/ Enfin savoir à quoi je ressemble. “À quoi je ressemble” sera barré. À la
place, on pourra lire : Je vais enfin savoir comment les autres me voient. »
(p.138). On ne peut que penser à la philosophie sartrienne du regard, autour
de l’idée d’être vu et de voir autrui, être sujet et objet du regard. Ce
dédoublement du regard s’insère ainsi parfaitement avec les autres figures
de dédoublement à l’œuvre dans Photo-Photo.

Photographie et spectralité – Disparitions et évaporations textuelles


Il y a, selon Barthes, passage du statut de l’individu comme sujet de la
Photographie à celui d’objet sur le support photographique. Il explique en
effet que : « Imaginairement, la Photographie (celle dont j’ai l’intention)
représente ce moment très subtil où, à vrai dire, je ne suis ni un sujet ni un
objet, mais plutôt un sujet qui se sent devenir objet : je vis alors une micro-
expérience de la mort (de la parenthèse) : je deviens vraiment spectre »1.
Barthes appelle la photographie ainsi réalisée une Mort plate : « La Vie / la
1
Roland Barthes, La Chambre claire – Note sur la photographie, op.cit, p. 30.

68
Mort : le paradigme se réduit à un simple déclic, celui qui sépare la pose
initiale du papier final. Avec la Photographie, nous entrons dans la Mort
plate »1. Pas vraiment vivant, ni mort : on en revient au chat de Photo-
Photo, autre élément spectral fondamental.
C’est en attendant d’être photographiée pour la première fois par
Karl Lagerfeld que la narratrice revient sur ce chat fantomatique :

Sur le chemin de la gare, il s’était passé une chose étrange. J’avais vu le chat
blanc de la voisine allongé sur le bord de la route, un filet de sang s’échappant de
son ventre. Vu, ou cru voir, cru ou imaginé qu’il était blessé. Une voiture, sans
doute… Mon premier geste fut de chercher mon portable pour prévenir sa maîtresse,
me cassant au passage l’ongle du pouce en fouillant dans la doublure de mon sac.
Quand j’avais relevé les yeux, le chat avait disparu.
Je regardai sur le bas-côté, montai sur le talus, rien : il s’était volatilisé. (p. 33-34)

L’apparition / disparition, les couleurs, la remise en doute de ce qui est


vu, les figures de dédoublement (le chat, mais aussi cette doublure du sac)…
Une grande partie des problématiques de Photo-Photo sont réunies ici.
Dans son essai L’Inquiétante étrangeté (1919), Freud explique que «
Ce qui paraît au plus haut point étrangement inquiétant à beaucoup de
personnes est ce qui se rattache à la mort, aux cadavres et au retour des
morts, aux esprits et aux fantômes »2. Freud cite l’analyse de L’Homme au
sable d’Hoffmann par Ernst Jentsch3, et résume ainsi que

E. Jentsch a mis en avant, comme étant un cas d'inquiétante étrangeté par


excellence « celui où l'on doute qu'un être en apparence animé ne soit vivant, et,
inversement, qu'un objet sans vie ne soit en quelque sorte animé », et il en appelle à
l'impression que produisent les figures de cire, les poupées savantes et les automates.
(p. 14)

On voit aisément en quoi le chat de Photo-Photo, ce chat à l’origine


familier, relevant, par extension, du foyer – c’est le chat de la voisine – peut
être considéré comme une telle représentation d’inquiétante étrangeté,
dans un trouble des frontières entre vie et mort, entre le vivant et l’inanimé.
L’imaginaire du double (fantômes, clones, ou sosies) participe à cette
impression angoissante d’inquiétante étrangeté. À noter ici, cet écho, au
travers du double imaginé par la narratrice de Karl Lagerfeld, Otto – dont

1
Idem, pp.144-145.
2
Sigmund Freud, L’inquiétante étrangeté, dans L’inquiétante étrangeté et autres essais,
Paris, Éditions Gallimard, « Folio essais », 2008 [trad. par Bertrand Féron], p.246.
3
Ernst Jentsch, Zur Psychologie des Unheimlichen (1906).

69
l’idée du double est partie intégrante du prénom, avec ces deux lettres en
miroir – à Otto Rank, qui s’est particulièrement intéressé aux figures du
double, jumeaux et autres sosies.1 Il y a aussi ce rapport au secret, puisque
« Serait unheimlich tout ce qui devait rester un secret, dans l’ombre, et qui
en est sorti »2. C’est la photographie en elle-même qui pourrait être un cas
d’inquiétante étrangeté, dans ce brouillage des frontières entre la vie et la
mort, l’être et le non-être, soi et autre.
C’est toute une atmosphère spectrale qui infuse les pages de Photo-
Photo : le chat dans le caniveau, telle une apparition / disparition spectrale
d’un chat bien vivant celui-là ; ou encore les deux réceptionnistes de l’hôtel
d’Huguette Malo, qui « avaient le même âge, et le même air évaporé »
(p.72). Juste après le premier chapitre concernant la photo de la rentrée
littéraire, c’est tout un chapitre qui, sous le titre de « Missing », porte sur
les disparus, sur l’absence, la perte et les traces.
Marques, cicatrices, preuves… il est question de trouver, de révéler
les traces, face à une multitude de formes d’érosion des choses, mais aussi
des êtres ; ces « êtres disparus » – telles les personnes disparues dont les
photos sont affichées gare Saint-Lazare, ou tel Shiro, le maquilleur de la
session photo de Karl Lagerfeld, qui, à l’image du « chat
fantôme », disparu », « volatilisé », dont « même la trace de sang s’était
effacée » (pp.33-34), a lui aussi « disparu », s’est lui aussi « volatilisé »
(p.194), renvoyant aux évaporés du Japon, ces êtres disparaissant
soudainement, sans laisser de trace. Face à une multitude de formes
d’érosion des choses et des êtres, il faut ainsi chercher, révéler et conserver
toutes les traces, ces marques, cicatrices, preuves qui parsèment le texte de
Photo-Photo.

Traces corporelles, traces visuelles, et de l’écriture comme trace


S’effacer, gommer, disparaître… ces termes reviennent tel un
leitmotiv de l’absence / présence à l’œuvre dans tout le texte. C’est tout
d’abord les diverses marques sur la peau qui sont effacées par les retouches
sur la photo de la rentrée littéraire. On en revient à ce qui est du domaine
du lisible : les traces corporelles sont tout autant de traces visuelles,
marques d’une histoire personnelle, à même le corps de l’individu, pouvant
être données à voir, données à déchiffrer, données à lire. La narratrice, qui

1
Otto Rank, Der Doppelgänger (écrit en 1914, publié en 1925).
2
Sigmund Freud, L’inquiétante étrangeté, op.cit., p.222.

70
se questionne sur la structure de son livre, renvoie directement à ce
domaine du lisible et du caché en ces termes : « Ce qui était raconté, parfois,
se cachait derrière les phrases, et des scènes en apparence anodines se
révélaient finalement indispensables à la bonne marche du récit » (p.207).
Ainsi, ce qui est visible, lisible, ne l’est pas forcément au premier abord, au
premier regard.
La deuxième citation en exergue de Photo-Photo invite directement,
avant même de débuter le texte lui-même, à établir cette correspondance
entre traces et mémoire : « Rien ne distingue les souvenirs des autres
moments de la vie : ce n’est que bien plus tard qu’ils se font reconnaître, à
leur cicatrice. » Cette citation de Chris Marker agira en écho à cette autre
référence à son film La Jetée1 :

Je n’arrivais pas à détacher mon esprit de La Jetée. Le film était sous-titré


« Photo-roman », parce qu’il était composé de photographies, ou d’images fixes
peut-être, à l’exception d’un plan unique dans lequel le visage de l’actrice principale
s’animait. Elle battait des paupières tout en gardant le regard fixé droit devant elle,
comme les chats savent si bien le faire. Le mouvement était saisissant. (p. 185)

De la même manière que l’immobilité rend plus visible le mouvement,


l’absence de traces rend visible le manque de traces. Ce que Marie Nimier
a déploré dans cette photographie de Karl Lagerfeld pour la rentrée
littéraire est justement ce lissage absolument du visage, ne laissant plus
aucune trace, rendant même caduc le travail de maquillage qui précède la
prise de la photo : « C’est très amusant quand un maquilleur a passé une
heure à vous maquiller et qu’ensuite de toute façon tout est retouché au
photo [montage], la petite cicatrice tout ça on voit plus rien, une espèce de
chose parfaite »2. Elle a également ajouté que :

Je me trouve très moche sur cette photo. Je pense que pour montrer un écrivain,
rien de tel que de montrer ses rides, ses maladresses, ses expressions, ses tics… un
écrivain, c’est pas un modèle, ça a une histoire, ça travaille avec sa mémoire, ça
travaille avec le langage, donc évidemment toutes les marques du visage, qui sont

1
Un autre écho est fait, à des œuvres précédentes de Marie Nimier, à La Sirène (Paris,
Gallimard, 1985) et à La Reine du silence (Paris, Gallimard, 2004), dans cette remarque
de Frederika qui explique à la narratrice ne pas avoir vu La Jetée lors de sa diffusion à
la télévision : « j’ai pensé à une femme que l’on jette. Ou plutôt non, qui se jette. La
jetée, comme l’inconnue ou la perdue » (p.185).
2
Dominique Antoine, « “Un écrivain n’est pas un modèle” », op.cit.

71
sur le visage, sont intéressantes. On a pas envie de voir un écrivain « housse de
siège ».1

C’est ainsi que, dans Photo-Photo, la narratrice – et son double, Marie


Nimier – parvient, par le texte et par l’image dans le texte, à se montrer en
tant qu’écrivain, dans sa dimension corporelle, avec ses traces. Telle la vie,
l’écriture laisserait sa marque sur le corps.
L’image de « housse de siège » est utilisée par la narratrice de Photo-
Photo, afin de décrire cette surface tendue que devient la peau de chaque
écrivain de cette rentrée littéraire :

Il faut parfois du temps entre la découverte d’une photo et le moment où l’on


accepte l’image qu’elle donne de vous. À force de rester des heures devant du papier
blanc on se perd un peu de vue, on le sait, on se dit que ça viendra, qu’on s’habituera,
mais en l’occurrence, l’étincelle ne se produit pas. Au contraire, à mesure que les
jours passent, la sensation d’étrangeté s’accentue. Nous avons tous l’air trop lisses,
comme vidés de notre substance. Ce ne sont pas des corps qui sont donnés à voir, ce
sont des surfaces. Des peaux parfaites, sans éloquence, façon housse de siège
amovible. Nous sommes épinglés, sans que l’on puisse deviner la trace des épingles,
et c’est peut-être ça le plus irritant : l’absence de marques, l’effacement des coutures,
la dissimulation des trous. L’impossibilité de s’accrocher, de saisir, de s’attacher. Ce
n’est même pas un état des lieux, puisque ce moment n’a jamais eu lieu. (p. 48)

Non seulement les traces originelles ne sont plus présentes, mais les
traces de ces effacements sont également absentes. Au final, il ne reste
comme unité entre ces individus qu’une seule forme de trace, « présente »
sans l’être – l’écriture : « Voilà ce que la photo révèle, bien malgré elle :
nous avons tous écrit. Nous connaissons tous ce silence-là, cette façon
d’être, et de ne pas être à la fois. De déserter un corps pour habiter un texte,
comme si nous étions à notre tour portés disparus. » (p.49)
Être et ne pas être, être là et à la fois ne pas être là, être là mais sans
être soi : le parallèle est fait entre cette photographie relevant de la fiction
et le travail de l’écrivain. La narratrice exprime une absence à soi-même
dans l’écriture, une dépossession de soi ouvrant à une infinité de possibilité
d’être autrui :

Le malaise ressenti devant l’objectif pourrait aussi s’expliquer d’une autre


façon : si je suis bien l’auteur de ce texte, de ces phrases qui défilent sous vos yeux,
je ne tiens pas forcément à le savoir. Les mots parlent pour moi, certes, mais pour un
moi flottant, protéiforme, une espèce de monstre aux petites mains potelées capable

1
Ibid.

72
aussi bien des pensées les plus ignobles que des sentiments les plus raffinés. N’est-
ce pas cette invisibilité que je recherche, ou plutôt que cette invisibilité, cette façon
de me débarrasser des attributs de genre, de forme, de densité, pour endosser plus de
personnages qu’aucun comédien ne pourra jamais en interpréter au cours de sa
carrière ? (p. 49-50)

Dans un entretien, Marie Nimier est revenue sur cette impression de


dépossession ressentie lors de sa propre session photo, liant cet état à celui
de l’écriture :

c’était comme une dépossession […] c’était pas désagréable, tout le monde qui
s’occupe, comme ça, mais du coup l’esprit s’envole, l’esprit s’en va, et j’étais peut-
être assez proche de ce moment où on écrit et où on est dépossédé de son…, où on
sort de son corps, et là d’une certaine façon tous ces gens me créaient une
concentration ou quelque chose, qui était de ce même domaine, domaine du rêve
plus que de la réalité1.

On en revient à l’idée d’une absence à soi-même2 , d’une absence-


présence renvoyant au domaine de la spectralité, mais aussi à la
Photographie.

Le rouge et le noir… et le blanc (sans oublier les baskets vert tilleul)


Il y a tout un système de renvois au sujet des couleurs dans Photo-
Photo, en particulier autour du blanc, du noir et du rouge. Sans oublier bien
sûr ces fameuses baskets vert tilleul qui reviennent tel un leitmotiv, et qui
sont à la base de la relation entre la narratrice et Huguette Malo. Comme
les taches des vaches ou les rayures du zèbre qui fascinent un instant le
voisin de la narratrice, il y a une forte inscription dans Photo-Photo du noir
sur le blanc (le blanc et le noir sont également les couleurs de la tenue
‘traditionnelle’ de Karl Lagerfeld), dans la primauté du visuel, du rendu
graphique. Le noir et le blanc renvoient également bien sûr à l’écriture, le
noir de l’encre, le blanc de la page, mais aussi le blanc du papier

1
Ibid.
2
La narratrice décrit ainsi son ressenti, alors qu’elle attend que Karl Lagerfeld la prenne en
photo : « Je me sens à côté de moi-même. » (p.36) et « j’ai cette impression étrange
d’être transparente » (p.37). L’assistant de Karl Lagerfeld lui fait remarquer : « Vous
n’avez pas l’air d’être en forme » (p.36). L’absence de forme, avant la ‘remise en forme’
qu’effectuera Frederika au travers de sa séance de massage.

73
photographique, le blanc et le noir du papier photo pour Polaroïd, ou du
chat sur la route – le blanc aussi comme le vide, le manque.
Autour de tout ce blanc et ce noir se détache le rouge, le rouge du
vernis des ongles de la narratrice sur la photo de la rentrée littéraire, le sang
sur le blanc de la fourrure du chat, le rouge du canapé de l’opticien (p.98),
des portes de l’atelier de Frederika, mais aussi les larmes de sang du dessin
d’un enfant (p.188), le rouge d’une valise contenant les livres d’Édouard
Levé appartenant à Stephen (p.134), le rouge des yeux irrités de la
narratrice (p.107), ou encore le rouge de l’hôtel Carmen (p.71). Tout se
rejoint, tous ces blancs, noirs et rouges, tout autant de correspondances
autour de l’image, du texte, de l’écriture, sans oublier la spectralité, car le
blanc est aussi bien sûr ‘couleur’ de l’absence, des fantômes.

Fiction, sosie et doubles en tout genre


Aux spectres s’ajoutent les sosie et doubles en tout genre. Dans un
entretien, Marie Nimier a fait part de cette remarque que lui a faite Karl
Lagerfeld : « il m’a dit, entre autres, en me regardant fixement : “Mais vous
savez que vous avez un sosie ?” Ça c’est quand même une phrase de
démarrage de fiction formidable » 1 . Ainsi, dans Photo-Photo, Karl
Lagerfeld annonce de but en blanc à la narratrice : « – Vous savez que vous
avez un sosie ? me demande-t-il d’un air mystérieux. Une femme
extraordinaire, une amie. Elle s’appelle Frederika, c’est beau Frederika, ça
vous irait comme un gant. Elle travaille aux Thermes de Caracalla, à
Baden-Baden » (p. 36).
D’ores et déjà, le jeu des sonorités renvoie aux dédoublements. Karl
Lagerfeld avait appelé Frederika le jour même, disant qu’il avait rencontré
son sosie et qu’il allait lui envoyer la photo, mais « La photo n’était jamais
arrivée, pourtant dès que Frederika m’avait aperçue, allongée sur mon
transat, elle avait su qui j’étais » (p. 186). Car la narratrice décide de partir
à la rencontre de ce fameux sosie, ce qui engendre ces nouveaux tissages
de liens entre fiction, photographie et doubles. C’est ainsi qu’elle « trouv[e]
la trace d’une Frederika qui correspondait à la description du Kaiser »
(p. 151).
Ce n’est pas un hasard si Frederika travaille dans un « centre de remise
en forme » (p. 151). L’expérience du massage devient lui-même de l’ordre

1
Dominique Antoine, « “Un écrivain n’est pas un modèle” », op.cit.

74
du spectral, d’une inquiétante étrangeté qui est aussi celle d’une non-
étrangeté connue, dans ce rapport au double, au sosie :

J’ai fermé les yeux pour échapper à son image, échapper aux comparaisons.
J’ai fermé les yeux pour mieux sentir à travers le gant rugueux la force de ses
gestes.
Frederika gomme, mes jambes, mes épaules, mes bras, […]. Elle m’efface,
frotte encore, comme si elle voulait entrer en moi (p. 174)

Là encore, il est question d’une forme de disparition de soi, d’un état


second, d’un effacement des traces. Au final, c’est ce contact corporel
intense par son sosie – presque donc par elle-même – qui lui redonne forme,
afin de pouvoir réintégrer son corps.

Se reconnaître et être reconnue


Le roman se clôt sur une deuxième photographie, toujours prise par
Karl Lagerfeld, mais dans un tout autre contexte : « Il m’appelait pour me
proposer de faire une nouvelle photo, plus intime cette fois, sans tout le
tralala de la rentrée littéraire. Peut-être m’y reconnaîtrais-je un peu. Enfin,
il ne me promettait rien » (p. 227). Se pose frontalement la question de la
reconnaissance de soi. Et comme l’ajoute Karl Lagerfeld, « prendre une
photo, c’est toujours prendre un risque – le risque de décevoir. Et refuser
de se reconnaître, paradoxalement, accorder beaucoup d’importance à son
image » (p. 228).
La narratrice, jusqu’ici profondément troublée par ce chat qui serait
‘mi-mort mi-vivant’, repense à lui pendant la prise de cette deuxième
photographie, et décide de finalement ne pas chercher à comprendre, tout
en donnant en réalité une explication : « Il ne fallait pas chercher à
comprendre, me dis-je encore, donner son angle au chat, comme on donne
sa langue, et ce glissement me fit sourire. J’entendis le déclic de l’appareil,
puis le bruit singulier de la photo qui sortait de la fente » (p. 233). Donner
sa langue au chat, c’est-à-dire abandonner sa réflexion dans la quête d’une
réponse, le chat devenant le garant de l’organe de la parole, le gardien de
la voix, des secrets – et l’on sait l’importance de ces thèmes du silence et
des secrets dans les œuvres de Marie Nimier. Donner son angle à l’appareil
photo serait donc ce « glissement » de la parole à l’image, mais toujours
comme don de soi, d’une partie de soi. C’est sur cette pensée, sur cette
réalisation, qu’est prise cette deuxième photographie.

75
Au final, la photo demeure illisible pour la narratrice : « Sans mes
lunettes, je n’y voyais pas grand-chose. Avec mes lunettes, pas tellement
plus en vérité. Ma silhouette se dessinait à contre-jour devant la fenêtre,
une masse sombre devant un paysage de toits à perte de vue » (p. 234). Puis
sont mis côte à côte écriture et photographie : « Je regardai de nouveau la
photo. Même en s’appliquant, on ne pouvait rien deviner de mon visage.
Un noir opaque, impénétrable, avec ce drôle de grain de Polaroid. Je la
glissai entre deux pages du manuscrit que Lagerfeld m’avait rendu » (p.
234). La photographie ne permet pas la reconnaissance de soi. Celle-ci est
mise entre les pages du manuscrit, du livre en train d’être écrit – rangée,
éloignée, mise à l’écart ? En tant que lecteur de Photo-Photo, nous ne
voyons jamais ces photos : celles-ci ne sont pas reproduites et incluses dans
le livre. Ne reste que le texte. La narratrice questionne ce que peut et ne
peut dire la photographie, en opposition à l’écriture, et plus spécifiquement
l’écriture romanesque :

La photo sait-elle accomplir ce tour de passe-passe : dire, et ne pas dire à la


fois, dire plus tard, dire rétrospectivement ? Derrière ? En filigrane ? Ce masque
porté sous la peau qui se révèle à l’épreuve du temps, lorsque les yeux se creusent,
que les pommettes saillent, est-il le privilège du roman ? (p. 208)

Dans Le Réel et son double1, Clément Roussel analyse non pas la peur
de l’individu face à la mort mais celle de ne pas exister, l’angoisse que peut
éprouver le sujet face à sa non-réalité, la remise en question de sa propre
existence, de sa propre réalité. Se reconnaître serait donc un retour vers soi,
et donc une séparation d’avec le double. Alors que la narratrice remarquait
qu’aucun des enfants de l’atelier artistique de Frederika ne notait la
ressemblance physique entre Frederika et elle-même (pp.192-193), c’est
bien un enfant de cet atelier qui fait acte de reconnaissance, dans ces
dernières lignes du texte : « quand Fred lui avait montré le dessin de la
petite fille qui sautait à la corde, il avait tout de suite prononcé mon nom »
(p.235). Au final donc, l’enfant reconnaît l’enfant, devenu désormais adulte,
dans un dessin tracé à la main, aux contours flous, tracé de l’enfance, avant
que s’installe l’écriture de l’adulte. Sans texte ni image, c’est donc un
dessin – à mi-chemin entre l’image et l’écriture – qui signe la
reconnaissance de soi par l’autre, mais aussi de soi par soi, dans ce retour
à l’enfance et aux non-dits s’y exprimant en biais.

1
Clément Roussel, Le Réel et son double – Essai sur l’illusion, Paris, Éditions Gallimard,
1976.

76
Tout comme cette « autre photo » (p. 207), cette deuxième photo de la
narratrice prise par Karl Lagerfeld, « gliss[ée] entre deux pages du
manuscrit » (p.243), et à l’image de la référence faite à La Jetée de Chris
Marker, dont le sous-titre est « Photo-roman » (p. 184), Photo-Photo
pourrait donc également porter un tel sous-titre, puisque ce texte brouille
les frontières entre le roman et la photographie, le texte et l’image, l’image
du texte et le texte de l’image – alors même que le lecteur semble entraîné
dans l’écriture d’un roman en cours, celui-là même qu’il tient entre ses
mains (autre mise en scène).
Souffrant d’un glaucome, et d’un problème de « chambre étroite »
dans un œil, la narratrice se voit obligée de porter des lunettes ; mais pour
voir « mieux » ou « pire » (p. 126), questionne-t-elle ? Chambre étroite de
l’œil, mais aussi chambre noire qu’elle habiterait avec Édouard Levé dans
un rêve (p. 108-109), Photo-Photo pourrait également être une autre
chambre claire1, c’est-à-dire un autre essai sur la photographie et sur les
émotions qu’elle suscite.
Carine FREVILLE

ORIENTATIONS BIBLIOGRAPHIQUES
Ahl, Nils C., « “Photo-Photo” de Marie Nimier : dosages un peu trop
sages », Le Monde des Livres, 9 septembre 2010
Antoine, Dominique, « “Un écrivain n’est pas un modèle” », Entretien
avec Marie Nimier, émission Interlignes, 10 décembre 2010.
http://www.lefigaro.fr/livres [page consultée le 20-06-2016]
Barthes, Roland, La Chambre claire – Note sur la photographie, Paris,
Éditions de l’Étoile, Gallimard, Le Seuil, « Cahiers du Cinéma », 1980
Benjamin, Walter, L’Œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité
technique, Paris, Éditions Allia, 2013
Benjamin, Walter, Petite Histoire de la photographie, Paris, Éditions Allia,
2014
Cincinnati Romance Review, numéro spécial Marie Nimier, 25.2, 2006
http://www.cromrev.com/volumes/Nimier2006/Nimier2006.html
[page consultée le 20-06-2016]

1
Roland Barthes, La Chambre claire – Note sur la photographie, Paris, Seuil, 1980.

77
Freud, Sigmund, L’inquiétante étrangeté, dans L’inquiétante étrangeté et
autres essais, Paris, Éditions Gallimard, « Folio essais », 2008 [trad.
par Bertrand Féron]
Garcin, Jérôme, « Marie Nimier, roman-photo », Le Nouvel Observateur,
19 août 2010
Roussel, Clément, Le Réel et son double – Essai sur l’illusion, Paris,
Éditions Gallimard, 1976

78
*

III
Le mot et le geste

79
80
*

Les mots, le double sens et la double vue


chez Marie Nimier

Chaque objet à mes yeux, chaque acte, chaque individu entrait en résonance avec
son homologue imaginaire, créant dans mon corps un tohu-bohu permanent
d’associations troublantes. Par quel mot désigner cette infirmité ? (…) J’avais (…)
une double vie, un don de double vue (…)
Marie Nimier, L’Hypnotisme à la portée de tous

D ans une note publiée en 2008 au sujet de son roman Les Inséparables,
Marie Nimier nous donne un aperçu de sa méthode de travail : « J’ai
souvent construit mes livres sur le double sens d’un mot – la langue française
est riche de ces sons à double fond. La sirène, c’est aussi bien celle qui
charme les navigateurs, perchée sur son rocher (…) que celle du camion de
ces pompiers qui viennent sauver le personnage principal de la noyade »1.
En effet, Sirène, son tout premier roman, reste l’exemple sans doute le plus
explicite de cet art de construire un texte, un personnage principal et son
histoire intime, à partir d’un mot à double sens. Le sens double du titre
devient le foyer d’un rayonnement d’effets narratifs. Nimier met à profit la
scission sémantique du mot ‘sirène’ pour exposer la nature profondément
double de son personnage, résumée en ses deux noms, Marine, le nom choisi
par son père, et Céline, le nom préféré par sa mère, Marine la rêveuse et
Céline « sage et rangée, la terrestre »2 . Marine-Céline : selon la formule
agressive de son amant Bruno, une femme « qui vit dans la duplicité »3.
Les différentes fractures se superposent : entre les deux sens du titre,
entre les aspects conflictuels du personnage et entre les récits et les silences

1
Marie Nimier, « À propos des Inséparables », La Nouvelle Revue française, n°587 (octobre
2008), p.1-13 (p. 4).
2
Marie Nimier, Sirène, Paris, Gallimard, « Folio », 2000, p. 92.
3
Idem, p.106.

81
paternel et maternel, et ces dualités sont tissées pour composer un réseau
très riche d’oppositions verbales, affectives et thématiques qui sous-tend et
dynamise le texte. De ces différentes opérations d’ensemencement, on peut
retenir un principe de travail fondamental : au commencement est le mot
(pourtant déjà double, sous sa forme orale et écrite), le mot qui comme un
jeune soleil toujours en ébullition fait naître autour de lui une galaxie de
sens dérivés qui rayonnent et se conjuguent d’eux-mêmes de façon
imprévue. Selon Stephen, l’amant de la narratrice de Photo-Photo, « le
langage est de nature gazeuse, qu’aucun martinet ne pourra dresser »1, et
ailleurs, vers la fin des Inséparables, on lit : « Les mots s’insinuent, ils ont
leur existence propre qui se moque des impasses et des sens interdits, alors
un monde se constitue dont personne n’a toutes les clés »2 (saluons au
passage le délicieux double sens de ‘sens interdits’ – en effet, chez Nimier,
un mot une fois libéré, auquel on permet une existence propre, ne reconnaît
pas de ‘sens interdit’, et peut très bien vous mener allègrement vers le
subversif ou l’impudique). Mais c’est à partir des mots que Nimier
construit ses personnages – c’est elle-même qui, dans Photo-Photo,
persiste à nous en persuader : « Je dis encore, ce qui peut sembler
paradoxal, que je ne vois pas mes personnages, qu’ils ne sont que des
assemblages de mots. Que je vois les mots »3. Gilda, la chienne très avertie
de La Caresse, l’a très bien compris : « Je ne suis qu’un carlin. Une chose
de mots. Un geste d’encre » 4 . Et ce principe vaut également pour la
présence de l’auteur dans le texte : citons Gilda encore, au moment où elle
prend congé des lecteurs en un murmure éloquent et émouvant : « J’allais
disparaître, m’évanouir dans le blanc de la page. À quoi bon résister ?
L’auteur même baissait la voix. JE n’est qu’un lien, écrivait-elle, un
prétexte tendre. Un souffle apaisé par la caresse des mots »5 . Ces tous
derniers mots du roman nous ouvrent une nouvelle dimension de la

1
Marie Nimier, Photo-Photo, Paris, Gallimard, 2010, p.123. Cette observation est
développée par le narrateur du roman suivant : « À l’intérieur, c’est la langue qui
grouille, les mots et leurs tonalités, leurs teintes plus ou moins vives, plus ou moins
mélangées. Quand j’apprenais à lire à l’école, je me souviens d’une chose qui m’avait
frappe : comment, en changeant simplement un trait minuscule (du P au R, par
exemple), on passait d’une lettre à une autre, d’un sens à un autre, d’un son à un autre
son, comme dans tous les rêves, sans transition. » Marie Nimier, Je suis un homme,
Paris, Gallimard, 2012, p.215.
2
Marie Nimier, Les Inséparables, Paris, Gallimard, 2010, « Folio », p.267
3
Marie Nimier, Photo-Photo, p.189.
4
Marie Nimier, La Caresse, Paris, Gallimard, 2004, « Folio », p. 63.
5
Idem, p.147.

82
signification de son titre La Caresse. ‘Le langage gazeux’, c’est la formule
péremptoire et plutôt moqueuse de Stephen dans Photo-Photo : on peut lui
préférer cette image du moi narrateur comme un souffle que les mots
viennent caresser. La caresse est un geste qui confirme amoureusement la
primauté de la chair, et c’est aux mots que les personnages doivent toute
leur substance, toute leur illusion d’êtres charnels.

Le mot cassé
On constate donc des fractures entre les deux sens d’un mot, mais il
arrive aussi que le mot même soit fracturé, tel ‘sirène’. Les deux syllabes
‘si’ et ‘rène’ n’ont qu’à changer de place pour produire ‘la Reine du
silence’, et ces deux formules se trouvent juxtaposées dans les pages
mêmes de Sirène presque vingt ans avant que la Reine du silence devienne
à son tour un titre également riche en résonances.1 On trouve pourtant, dans
ces deux textes précisément, d’autres exemples de fractures verbales plus
brutales. Pour Marine, le fantôme du père absent prend corps dans le mot
‘décédé’ qu’elle a l’idée d’inscrire sur les fiches de renseignements
scolaires en face de la rubrique ‘profession du père’. Ce mot, elle l’examine
de plus près : « Décédé, trois consonnes, une voyelle trois fois répétée, un
mot étrange… » 2 . Ce ‘mot étrange’ devient l’enjeu d’une lutte féroce
qu’elle doit livrer contre le prestige du père disparu. « Le mot se
désintégrait, encore une fois, son père essayait de la posséder par un de ces
fameux tours de passe-passe dont il avait le secret. Alors elle le jeta sur le
papier, de toutes ses forces, elle l’enferma sous les verrous de sa plume,
d’une certaine façon elle se débarrassait de lui, de cette ombre menaçante
qui l’empêchait de vivre à part entière (…) »3 . Ainsi ce mot ‘décédé’
devient pour Marine un adversaire quasi-corporel qu’il faut jeter bas et
verrouiller, on dirait le zombie du père. À la fin de ce passage d’une rare
violence psychologique, Marine en sort victorieuse et signe sa victoire en
n’hésitant pas à mutiler le mot en question pour n’en retenir que les
consonnes : « En lettres majuscules, D.C.D., il s’étala parmi les graffiti
obscènes sur les murs des toilettes du lycée, et c‘est encore là que Marine
trouva le plus de plaisir à le retrouver »4. Le roman se termine par un autre

1
Marie Nimier, Sirène p.157, 166.
2
Idem, p.164.
3
Idem, p.165.
4
Ibid.

83
corps fracturé, celui de la sirène en terre cuite, et c’est de nouveau pour
Marine un moment de libération d’une figure emprisonnante résumée dans
le titre du roman. « “Cassé”, s’écrie-t-elle avec cette jouissance puérile de
la consonne martelée, “cas-sé” (…) »1 . Le tournant auquel Marine est
arrivée est brillamment matérialisé par la fracture du mot même ‘cassé’,
parfaite convergence du sens et de la forme.
On retrouve dans La Reine du silence encore deux exemples où
l’intégrité du mot est mise en question. La narratrice vient de lire Les
aventures de Pinocchio avec ses enfants : « Je repense au corps de
Pinocchio soutenant celui de son père pendant qu’ils traversent le ventre
du requin »2. Encore un personnage aux prises avec le corps pesant de son
père. Pinocchio s’écrie : « Mon petit papa, jamais plus je ne vous quitterai’,
et cette exclamation plonge Marie la narratrice dans une « peur terrible,
invalidante, qui me saisit chaque fois que l’on me parle de Roger Nimier
»3. Et pour se défendre, elle prend à partie le mot ‘papa’ : « C’est quoi ce
son, papa, ces deux négations collées (…) ?»4 Une fois fendu en deux, pas-
pas, le mot peut devenir inoffensif, presque inexistant, ensemble frêle de
deux néants. Décédé, cassé, papa, la lutte contre le poids de l’héritage est
menée aussi au niveau des phonèmes. Les tout derniers mots de Sirène
insistent sur la difficulté de « renoncer aux chimères de l’enfance »5. Ici
encore le double sens de ‘chimère’ – d’un côté monstre mythique, de
l’autre vaine imagination – vient souligner l’ambiguïté de l’émotion de
Marine. L’emploi ici du mot ‘chimère’ ne manque pas de nous rappeler la
vision baudelairienne du spectacle d’hommes qui marchent courbés, tous
opprimés et enveloppés sous le poids d’une lourde et monstrueuse bête
accrochée à leur dos, fardeau pénible que chacun d’eux semble néanmoins
considérer « comme faisant partie de lui-même »6 . Une chimère qui a
opprimé et enveloppé toute une enfance se résume donc très logiquement
dans le spectacle analogue de Pinocchio « portant son père sur son dos »7.

1
Idem, p.252. Dans « cases », on entend K.C. en lettres majuscules, comme pour D.C.D..
Faut-il comprendre « K(erbay) cases » ?
2
Marie Nimier, La Reine du silence, Paris, Gallimard, 2007, « Folio », p. 62.
3
Idem, p.64.
4
Ibid.
5
Marie Nimier, Sirène, p.252.
6
Baudelaire, ‘Chacun sa chimère’ (Le Spleen de Paris, VI) dans Oeuvres complètes,
Gallimard (Pléiade), 1961, 233-34.
7
Marie Nimier, La Reine du silence, p.61.

84
Comme preuve supplémentaire, voyons cet autre moment de La
Reine du silence où Marie s’interroge encore sur le papa et la négation : «
[…] à croire que je n’ai fait que ça dans ma vie : proprement, sans
esclandre, nier l’existence de mon père. Roger Nimier, ou comment s’en
débarrasser. Je n’emploie pas le verbe nier par hasard. Pendant toutes ces
années, je ne signai pas Nimier, mais Ni(mi)er. Je traçais à la place du m
une barre bien droite, et le i disparaissait lui aussi, emporté par le
mouvement de la main »1. Ainsi, en conséquence de la lutte contre le père,
le mot, ici le nom paternel, est fendu en deux pour révéler une négation, ni-
er. Ayant pris conscience de ce refus par signature, Marie s’applique
désormais à écrire son nom de famille en entier, mais avec difficulté : « Tu
imagines la panique, ne plus savoir comment tu t’épelles. J’ai mis
longtemps à retrouver une signature fluide »2. Pour Marie comme pour
Marine, il fallait cas-ser, ni-er, avant de pouvoir pleinement s’affirmer. La
mutilation des mots est à la fois une prise de conscience du pouvoir de
l’absent et une contre-attaque libératrice.

Le mot double et le dessin


Il existe une autre famille de mots qui invitent la scission, et c’est celle
des mots doubles, jumeaux, parfois autour d’un trait d’union. Dans Photo-
Photo, la narratrice, du nom de Marie Nimier, tout occupée à pondre un
texte de chanson, s’amuse à énumérer des exemples de ces termes doubles.
« Baden-Baden (…), ça sonnait bien, comme Sing Sing ou Bora Bora (…).
Puis je fis la liste des expressions de la même famille, frou-frou, dare-dare,
zinzin (…) »3. Même le titre du roman est conçu pour se rattacher à cette
même famille d’expressions. Ce titre Photo-Photo fournit à son tour des
éléments de jeux de nom, surtout quand la narratrice donne une interview
cocasse à une journaliste chargée de rédiger un article sur Karl Lagerfeld.
Elle se plaît à inventer des anecdotes farfelues au sujet du Roi de la Mode,
à partir de son nom :

– Karl a un deuxième prénom, vous le saviez? Otto, il s’appelle Karl Otto.


Comment on écrit Otto? Vous me demandez comment ça s’écrit ? Eh bien tout
simplement, j’imagine, O, 2T, O, comme Otto Preminger, Otto Rank… Otto, photo,

1
Idem, p.119-120.
2
Idem, p.121.
3
Marie Nimier, Photo-Photo, p.143.

85
c’est drôle, non? Regardez le dessin que ça fait sur le papier. Deux yeux, un nez,
comme Toto en somme. Zéro plus zéro égale?
– La tête à Toto!
– La tête à Toto, nous y sommes, Karl Toto, si vous préférez, vous n’avez qu’à
mettre Karl Toto.
– Toto, ou Otto? La journaliste était déroutée.1

Le jeu enfantin de ‘la tête à Toto’ consiste à écrire l’addition de zéro


plus zéro de manière à dessiner un visage: les deux premiers ‘0’ forment
les yeux, le signe + forme le nez et le signe = forme la bouche. Le ‘0’
résultat forme le contour extérieur du visage. Toto est selon la tradition un
très mauvais élève, alors la formule de la blague ‘Zéro plus zéro égale? –
La tête à Toto!’ indique une intelligence nulle. Dans le roman ce discours
espiègle, donc, fait que, par une redistribution de lettres, le Maître de la
Mode, Otto selon son deuxième prénom, passe du statut de personnage
hautement distingué comme le cinéaste Preminger ou le psychiatre Rank,
à celui du cancre blagueur, Toto.
Ce qu’il convient de noter dans notre perspective, pourtant, c’est
l’expression ‘zéro plus zéro’, où on retrouve un procédé verbal qu’on a déjà
relevé. Dans La Reine du silence le nom Nimier, privé de ses lettres centrales,
devenait ‘nier’, et ‘papa’, tranché, devenait ‘deux négations collées’ (pas
pas). De même ici, le nom central de Lagerfeld, lui aussi figure de prestige
patriarcal, devient par un acte de détournement impertinent ‘zéro plus zéro’
– de nouveau, deux négations collées, qui ne font qu’un grand zéro total. De
plus, ce petit intermezzo de persiflage et de verve verbale devient autrement
significatif du fait qu’il préfigure un schéma qui sera très sérieusement
développé vers la fin du livre. Dans la blague de Toto, le zéro final est
représenté par le grand cercle qui forme le contour du visage de Toto. Or,
nous savons que cent pages plus loin, dans les sections qui racontent la visite
rendue à Frederika en Allemagne, cette question du contour de visage surgira
encore deux fois à propos d’un certain dessin de petite fille. Ce dessin est une
relique de l’enfance de la narratrice, relique qu’elle a soigneusement
conservée et qu’elle emporte avec elle à Baden-Baden. Il est investi d’une
très grande signification personnelle, qui pourtant reste à déchiffrer. La clef
de ce portrait est apparemment à trouver dans le fait que, malgré la précision
des traits du visage, « le contour de la tête est absent. […] Plus que jamais,
j’ai l’impression qu’il porte un souvenir enfoui. Quelque chose comme : cette

1
Idem, p. 19.

86
fille sans trait, rien ne la protège »1. La narratrice se rappelle que cette image
a suscité un accueil humiliant chez les autres élèves puisqu’elle représentait
une fillette plutôt que le ‘bonhomme’ prescrit, au sens strict. Mais dans une
deuxième version modifiée que l’institutrice l’a invitée à faire, elle a
notamment « ajouté un trait. Autour du visage, si l’on veut, mais en laissant
de l’air. La ligne court entre les deux mains de la petite fille et s’élève en arc
de cercle au-dessus de sa tête : c’est une corde »2. En rapprochant cet épisode
de celui de la tête à Toto, on a l’impression d’apercevoir un sens profond,
enfoui. L’épisode Toto représentait à la fois une résistance symbolique au
prestige masculin et l’affirmation d’une liberté ludique de la parole
pleinement déployée ; de même, pour la petite fille du dessin, seule parmi
tous les bonhommes, et dont la tête sans contour n’a rien pour la protéger, il
lui faut, comme le dira Frederika, « garder l’entourage à distance, à bout de
bras, comme une corde à sauter »3. Ainsi entourée, la petite fille ne risque
plus de ‘basculer dans le vide’. Au contraire, elle « saute ou s’apprête à sauter
»4 ; l’ajout de l’arc de cercle de la corde sert à établir un espace ludique que
par son entêtement elle s’est ménagé et qu’elle possédera désormais. Cet acte
de s’approprier un espace ludique, espace d’expression personnelle et de
création, semble être fort révélateur d’un esprit qui parcourt les écrits de
Nimier, une force vitale qui le plus souvent pousse ses protagonistes à se
réaliser pleinement malgré tout ce qui, en elles ou autour d’elles, semble
interdire une telle plénitude. Se ménager un espace vital se présente comme
une démarche fondamentale chez Nimier, et cette démarche peut passer par
un dessin en deux versions, par deux photos, par les mots à double sens, et
surtout par le travail des mots qu’est l’écriture et ses rayonnements multiples.
Briser la linéarité et l’univocalité du discours, voire l’unité du mot même,
c’est se ménager un espace de jeu où peut s’épanouir un effort de création de
longue haleine.

Le personnage double
La description dans Photo-Photo de ce dessin d’enfant, avec la
signification intime et intense dont elle est chargée, présente un reflet, à
vingt-cinq ans de distance, d’un épisode de Sirène. Marine enfant, jusque-

1
Idem, p.129.
2
Idem, p.134.
3
Idem, p.183.
4
Idem, p.134.

87
là championne incontestable dans les concours de châteaux de sable,
choisit cette fois de « construire les vestiges d’une cité sous-marine, avec
ses terrasses aux murets effondrés par les vagues, son temple, ses routes
pavées, sa nécropole »1. Pourtant, le jury n’apprécie pas : par rapport aux
prestations des autres enfants, la sienne est jugée « inclassable, hors série,
hors sujet », tout comme le portrait ‘bonhomme’ de la petite Marie dans
Photo-Photo. La réaction de Marine devant cette disqualification dépasse
de loin la simple déception : « (…) on se moquait d’elle, de ce qu’elle avait
à donner de plus tendre, de plus vrai. C’était son cœur qu’elle avait couché
sur la grève, son corps nu et offert, son corps abandonné et personne ne
voulut le comprendre »2. Ce rejet est ressenti comme « une blessure qui
jamais ne pourrait se refermer » 3 . Comme Marie avec son dessin de
‘bonhomme’, elle est humiliée pour avoir, en toute inconscience,
outrepassé les limites conventionnelles implicites de l’exercice, pour s’être
singularisée. La violence de son désespoir fait partie de l’infernale antithèse
affective qui structure l’itinéraire de Marine et qui met en scène une
scission aiguë au niveau des pulsions profondes du personnage. La cité
sous-marine, paysage d’oubli et de mort où elle est allée jusqu’à fabriquer
des ossements en bois pour les enfouir au nécropole, représente
symboliquement la demeure de « [s]es soeurs les sirènes »4, chanteuses
d’oubli, qu’elle cherchera à rejoindre en plongeant dans la Seine. Le
personnage de sirène qu’elle s’est créé, associé à son premier prénom
Marine choisi par son père, est composé de tout en elle qui a été formé par
la trahison des hommes qui n’ont pas su l’aimer, qui ont rejeté « ce qu’elle
avait à donner de plus tendre, de plus vrai » (« Monsieur Kerbay disparaît,
François Launay quitte le lycée avant la fin des classes et maintenant Bruno
la laisse tomber »5). Ces rejets ont pour effet de susciter en elle une vocation
de silence, de sacrifice et de fatalisme mortel. À l’opposé de Marine-sirène,
l’autre personnage qui l’habite, résumé dans son deuxième prénom Céline
(ou Line tout court) conféré par sa mère, véhicule par contre une aspiration
vers un accommodement avec la vie, et se voudrait réaliste et résistant, à la
recherche de l’espoir. La coexistence de ces deux versions conflictuelles
du moi se résume dès le début dans la formule « Marine Céline, Marine-
c’est-Line », glissement homophone accompagné d’un commentaire

1
Marie Nimier, Sirène, p.162.
2
Idem, p.163.
3
Idem, p.164.
4
Idem, p.16.
5
Idem, p.169.

88
ironique : « Deux en une, femme et poisson. Responsable jusqu’au bout
des ongles et à cent pieds de la réalité »1.
Marine-c’est-Line se présente donc comme une autre forme de mot
double à signification condensée. Le sens du ‘c’est’ qui relie les deux noms
est hautement instable. D’abord, la formule témoigne d’une astuce de Mme
Kerbay pour dévaloriser tout ce qui a rapport à son mari : Marine a quinze
ans avant de s’en rendre compte, au cours de son seul entretien avec celui-ci
: « Marine-c’est-Line… Madame Kerbay avait trouvé le moyen de mettre
son prénom préféré en bonne place. Marine pour le père, c’est Line pour la
mère… (…) elle abritait en un corps deux personnes, derrière un nom deux
prénoms liés inextricablement »2. Le ‘c’est’ naît par homophonie d’un coup
fourré de sa mère : c’est l’empreinte d’une domination maternelle étouffante
dont Marine ne saisira toute la portée, et ne saura confronter, qu’à la dernière
page du roman, où la sirène en terre cuite, fétiche de Marine en femme-
poisson, est définitivement cassée. En tant que trait d’union entre les deux
personnes, le ‘c’est’ change de sens selon les drames du moment. Dans les
premiers temps, un équilibre apparent s’installe, à l’image exacte de son petit
appartement réparti sur deux étages : « Ainsi pendant vingt ans Marine et
Line avaient cohabité. (…) Elles avaient chacune leur territoire, relié par un
minuscule escalier en colimaçon réservé aux initiés »3. Par la suite : « Elle
avait cru, en rencontrant Bruno, échapper aux démons de l’enfance. La
douleur s’était endormie, un temps, Marine et Line s’étaient confondues en
une seule et même personne, l’amante, l’aimée »4 . Mais quand Bruno,
égoïste et jaloux, s’est refusé à s’intéresser à sa vie professionnelle d’actrice
(sa vie sirène où elle peut poursuivre ‘ses rêves adolescents’ ), « (…) Marine
et Céline avaient fait chambre à part, sans que ni l’une ni l’autre ne réalisât
l’absurdité - et le danger - de ce douloureux compromis »5 . Étant sortie
indemne de son plongeon dans la Seine (« Je vais me couler sirène, bronze
des eaux qui dorment »6, avait-elle écrit dans sa lettre d’adieu), elle conclut
que « Marine a fait faillite et Line, triomphante, relève le défi »7. Avec le
départ de Bruno qui s’ensuit, c’est en effet Mme Kerbay qui cherche à
rétablir son empire sur sa fille en l’infantilisant, mais la révélation de

1
Idem, p.22.
2
Idem, p.191.
3
Idem, p.23.
4
Idem, p.169.
5
Idem, p.116.
6
Idem, p.17.
7
Idem, p.45-6.

89
l’hypocrisie, des mensonges et du désordre secret de sa mère permet à
Marine une démystification du prestige maternel qui a nourri le côté Line de
ce mythe personnel dialectique: « Sirène, ou en un mot à double sens le
souvenir d’une femme toute-puissante, irrésistible et intouchable: sa mère »1.

Le trait d’union, le vide, le dénouement


Cette relation instable entre les deux identités alternées de Marine est
la charnière de toute l’histoire, et elle s’exprime graphiquement dans ce
trait d’union développé du ‘- c’est -’. Sa signification est confirmée aussi
du fait que le même glissement et la même forme développée s’attache au
père absent : « Décédé […] ce nouvel alphabet […] sa forme lui plaisait,
elle s’y reconnaissait. Dé-c’est-dé comme Marine-c’est-Line, le corps du
père ressemblait aux prénoms de la fille » 2 . On peut parler d’un trait
d’union dans le sens où ces deux ‘personnes’ coexistent dans un même
corps, une même vie, mais il est également vrai que souvent il s’agit plutôt
d’un trait de séparation, entre des ‘chambres à part’ où « le minuscule
escalier en colimaçon » ne sert plus. Gouffre plutôt que lien. « D’un côté
la vérité, de l’autre la réalité, une queue de poisson, un buste de femme et
entre les deux un vide impénétrable qui donne la nausée »3. Et ce vide
semble inextricablement lié au ‘corps du père’, au mâle absent.
« Il y avait entre lui et lui-même un espace vide que personne jamais
ne réussirait à combler »4 – c’est cette fois, dans Domino, l’état d’esprit de
Boris Melon en deuil du petit Tom. Tom est un enfant qui est
vraisemblablement issu d’une liaison incestueuse et dont Boris s’est
montré prêt à assumer la paternité, mais il arrive que le petit, objet de
scandale pour la famille en question, trouve la mort dans des circonstances
fort suspectes. Ce vide chez Boris, entre soi et soi-même, est, comme chez
Marine, le site impénétrable d’un silence que le protagoniste s’est imposé,
en dépit de sa connaissance d’actions honteuses soigneusement tues par les
membres de la famille, et il est de nouveau fondé sur une absence
intolérable, cette fois celle du petit Tom. Boris deviendra toxicomane et
mourra (sans doute assassiné), mais un manuscrit de Catherine, la mère de
Tom, révélera la vérité : « Des centaines, des milliers de lecteurs en posant

1
Idem, p.252.
2
Idem, p.164-5.
3
Idem, p.119.
4
Marie Nimier, Domino, Paris, Gallimard, 2001, « Folio », p.176.

90
leur regard sur les pages imprimées rendraient au petit Tom sa place dans
le monde. Un livre, disait ma tante, mieux qu’une tombe »1. Boris aurait sa
tombe en marbre, payée par la tante comme une dernière justice à lui
rendre, mais Tom, enfant condamné au silence et à l’inexistence sociale et
familiale, trouverait enfin une sorte de résurrection dans un texte : celui
dont le nom est ‘“mot” à l’envers »2 revivrait par le langage. Toutefois cette
manière de boucler l’histoire (le salut par la littérature ?) n’est pas exempte
de réticences : « l’histoire garderait sa part d’incertitude, ses pièces
sombres, retournées »3, et en effet, on peut déceler, dix ans après dans les
dernières pages des Inséparables, une variante sur ce genre de
dénouement. Léa, ayant lu le manuscrit qui raconte l’amitié des deux filles,
a une idée bien précise sur la fin qu’il faut donner au roman : « Tu n’as
qu’à me faire mourir. C’est la seule solution, sinon ça ne ressemblera à rien
ton truc. » La romancière, elle, ne veut pas en entendre parler : « La faire
mourir? Je repoussai l’idée en bloc, sans réfléchir, même si elle était bonne
– surtout si elle était bonne »4. « Léa haussait les épaules. Ma résistance à
raconter sa disparition, à immortaliser sa mort, comme elle disait, lui
paraissait le fruit de scrupules idiots »5. Pourtant le dénouement du type
‘mémorialiser par l’écriture’, si attrayant soit-il, est enfin écarté ici, du
moment où il s’agit d’une amie bien vivante plutôt que d’un enfant mort.
Marie propose d’abord une conclusion symbolique – le rêve d’un chiffre 8
qui bascule pour devenir le signe de l’infini, suivi d’« un blanc
assourdissant, un blanc qui gagne, comme s’il remontait du bas de la page
pour effacer la douleur » 6 . Pourtant, comme une façon de résoudre
l’angoisse d’être deux, avec tout ce que cela peut comporter de vide, de
séparation et de conflit, cette plongée dans l’infini, cette montée d’un néant
blanc qui effacera la douleur ressemble de trop près, pour nous les lecteurs,
au plongeon de Marine dans la Seine, et à l’eau qui monte pour anéantir sa
vie et sa peine. Finalement, cette fin de l’histoire des Inséparables n’est pas
retenue, et la romancière lui préfère la simple constatation de « deux filles
qui marchent d’un bon pas dans les rues de Paris. Toutes les deux, vivantes

1
Idem, p.
2
Idem, p.153.
3
Idem, p.199.
4
Marie Nimier, Les Inséparables, p.273.
5
Idem, p.274.
6
Idem, p.275. À rapprocher de la citation de La Caresse plus haut (n.9) : « disparaître,
m’évanouir dans le blanc de la page ».

91
»1. On est deux, pour le meilleur et le pire, et comme pour la fin de Sirène,
le choix tombe du côté de la vie plutôt que de celui de la mort, fût-elle
réaliste ou symbolique.2

Le trait d’union et le tête-à-queue


Le simple signe de ponctuation qu’est le ‘trait d’union’ (ou trait de
séparation) peut donc être considéré comme une articulation sémiotique
qui résume l’axe de nombreuses dualités dans l’univers imaginaire de
Nimier. Sa portée peut être appréciée à partir du titre de Photo-Photo.
L’auteur elle-même attire notre attention sur la présence du trait d’union,
et implicitement sur la richesse de ce genre d’articulation dans la langue
française : « Baden-Baden aussi, ça sonnait bien. (…) Puis je fis la liste des
expressions de la même famille, frou-frou, dare-dare, zinzin (et pourquoi
pas zin-zin?) mais aussi coude-à-coude, côte-à-côte, nez-à-nez (…) et en
les combinant de nouvelles séries se dessinaient, créant de curieuses
associations, tête-à-queue, à claques, pied-de-poule ou de grue, de-biche et
autres bouche-à-oreille (…) »3 . Dans la prolifération de cette réflexion
savamment improvisée sur la langue et ce qu’elle nous fait découvrir, on
peut remarquer que tout finit par découler de différentes parties du corps –
coude, côte, nez, tête, pied, bouche, oreille. En plus, cette suite de
juxtapositions corporelles, orientées apparemment par les aléas de sens
(poule-(oiseau)-grue) ou de son (biche-bouche), évoquent des contacts
physiques de plus en plus proches (coude-à-coude, côte-à-côte, nez-à-nez)
jusqu’à la première des ‘curieuses associations’, ‘tête-à-queue’. ‘Curieux’
peut être compris ici dans le sens de ‘curiosa’, euphémisme pour ‘erotica’,
car le ‘tête-à-queue’ rappelle tout de suite une plaisanterie grivoise que la
narratrice vient de nous débiter, la « blague tout à fait débile » en forme de
devinette que Stephen pose chaque année au moment de la bûche à Noël :
« Pourquoi les nains en plastique sur les bûches sourient-ils toujours ? (…)
Eh bien, eh bien, parce qu’on va les sucer »4. Ces jeux de mots autour de
la fellation font penser notamment à deux épisodes qu’on trouve dans des
1
Ibid.
2
Une conclusion d’Ana de Medeiros est bien pertinente: « The fatal two-in-one splitting of
Sirène (…) is replaced by the survival of one-in-two » in Les Inséparables. Ana de
Medeiros, « Puzzling out the Self: Identity and Intertextuality in Les Inséparables »,
dans Dalhousie French Studies, vol. 97, winter 2011, p.25-36 (p.34).
3
Marie Nimier, Photo-Photo, p.143.
4
Idem, p.141.

92
romans antérieurs. Dans La Nouvelle Pornographie, d’après une fiction
inventée par Marie et Aline en collaboration, elles invitent un pompier
appelé Tom à passer la soirée avec elles. Tom est homosexuel, et gagne de
l’argent en suçant les pénis de clients payants (il est donc, par un jeu de
mots impudique, deux fois pompier). Il est bien moins doué pour l’amour
hétérosexuel, ce que les deux femmes cherchent à compenser en lui
prodiguant une magistrale fellation à deux. Ailleurs, dans Anatomie d’un
chœur, le grand amour qui va réunir Nouche et Thomas Morhange trouvera
sa première expression physique dans un geste de fellation par lequel
Nouche accueille Thomas dans la pénombre de l’entrée du presbytère où
se tiennent les répétitions de la chorale.
On peut relever deux éléments contextuels communs à ces deux
épisodes. D’abord, pour Thomas et Nouche, qui n’ont pas cessé de se jeter
des regards amoureux pendant les répétitions, ce contact buccogénital
devient le trait d’union qui lancera l’aventure amoureuse qu’ils partageront
et qui orientera désormais leur histoire. De même, dans la scène (imaginée
ou vécue) entre Marie, Aline et le pompier, le pénis de Tom (« garçon franc
et honnête doté d’un engin hors du commun »1) sert de trait d’union entre
les deux amies se partageant la fellation, leur partenariat en écriture
pornographique se doublant d’une collaboration au niveau de la pratique,
ce qui renforce la notion d’une interaction entre l’écriture, plutôt le
domaine de Marie, et l’érotisme, où l’initiative revient le plus souvent à
Aline, qui voudrait que son amie soit plus audacieuse, qu’elle ‘se mouille’
davantage. Il s’agit aussi dans les deux cas de l’initiation sexuelle d’un
homme timide appelé Tom/Thomas, entreprise par une ou deux femmes,
ce qui renverse la formule la plus conventionnelle de la séduction. Pour le
deuxième lien entre ces deux épisodes, il est utile de reprendre l’expression
‘tête-à-queue’ dans son usage normal, signifiant un brusque changement
de direction. Pour Tom, c’est littéralement et comiquement vrai – le suceur
d’hommes se laisse sucer par des femmes. Dans le cas de Thomas
Morhange, directeur de chorale, c’est un événement autrement sérieux et
transformateur. Nouche n’est plus que la femme qui hante ses rêves, ni
même la figurante de la photo d’elle-même nue qu’elle lui a offerte – elle
est devenue le corps accessible, l’amour possible, à portée de main. Ce
moment de proximité intime et passionnée entre tête et queue est un
tournant non seulement dans la vie amoureuse de Thomas, mais aussi pour
le grand projet qu’il avait entrepris d’interpréter une œuvre de son ancêtre

1
Marie Nimier, La Nouvelle Pornographie, Paris, Gallimard, 2002, « Folio », p.82.

93
méconnu, le compositeur Alkan. Il était arrivé ce soir-là dans un état
d’esprit abattu par une suite de répétitions peu réussies et prêt à annoncer à
la chorale l’abandon du projet, en faveur d’une messe de Schumann.
Quand il fait part de cette décision à Nouche, pourtant, elle refuse
catégoriquement de l’accepter : « Vous n’avez pas le droit […] La Marche
funèbre, vous le savez aussi bien que moi, est une oeuvre exceptionnelle.
[…] J’aime cette musique, vous comprenez ? »1 Quand Thomas lui révèle
son secret coupable – que cette œuvre “reconstituée” est plutôt la création
de Thomas lui-même conçue dans l’esprit alkanien – Nouche n’y voit
aucune raison de changer d’avis. Son amour de cette musique ne fait que
confirmer son amour pour celui qui l’a créée. C’est un moment charnière
du roman, au niveau du couple et de la collectivité, une étape dans
l’anatomie du cœur aussi bien que celle du chœur.

Érotisme et création
Que ce moment charnière mette en scène une confluence entre le
niveau érotique et le niveau de la création artistique ne doit guère nous
surprendre chez Nimier. Tout se passe comme si l’acte de création devait
nécessairement « entrer en résonance avec son homologue imaginaire »
(pour emprunter des mots de notre citation en exergue) qui est ici l’amour
et le désir sexuel. Au niveau du chœur, la création de la Marche Funèbre
part d’un mensonge majeur (la présomption qu’il s’agit d’une oeuvre
authentique d’Alkan) et est soutenue par des mensonges moindres mais
indispensables proférés par Thomas au choeur, quand il les assure de sa
propre confiance en leurs capacités :

(I)l (Thomas) se devait de mentir, en toute conscience, pour le bien de la


communauté, et plus il mentait, plus il se sentait proche de la vérité – la vérité étant
en l’occurence un espace mythique, un territoire où (…) la musique s’élèverait,
expression naïve de l’émotion à l’état pur, quand la lumière d’un couloir s’éteint,
qu’une tête se pose sur la toile rêche, le visage de Nouche, Nouche enfin…2

Au niveau du cœur, la relation entre Thomas et Nouche part elle aussi


d’une infidélité, et se développe derrière un rideau de mensonges obligés
proliférants. Il semble que la vérité et la plénitude soient à ce prix. Dans les
deux cas, tout ce qui s’oppose à une issue heureuse se résume en la
1
Marie Nimier, Anatomie d’un chœur, Paris, Gallimard, 1997, « Folio », p.87-88.
2
Idem, p.99.

94
personne de Médard. Celui-ci, l’administrateur de l’association de la
chorale, s’est attribué une autorité indiscutable quant à la sélection et la
participation des membres et n’hésite pas à congédier ceux ou celles qui le
contrarient. Il constitue donc pour la chorale un contre-pouvoir à Thomas,
confiné quant à lui au domaine artistique ; Médard ne se prive pas non plus
de poursuivre une campagne antisémite contre la promotion du
compositeur juif Alkan. Médard joue un rôle tout à fait pareil au niveau
sexuel : ayant été un témoin inaperçu du geste buccogénital de Nouche, il
la fait chanter (en savourant lui-même ce double sens1) pour la soumettre
à ses propres exigences sexuelles au cours de rendez-vous clandestins.
Dans le couple conflictuel et pathétique qu’il forme avec Raton, sa
pitoyable collaboratrice qui se révèle être sa sœur, Médard constitue une
sorte d’homologue parodique au duo Thomas-Nouche, version noire,
diabolique, de la romance des âmes sœurs. L’histoire de Médard, qui finit
lui-même par diriger une chorale d’anciens dans une maison de repos, a
fonction d’enraciner l’idéalisme du rêve musical et sentimental dans un
réalisme brutal où il y a toujours un prix à payer. Par ailleurs, en nous
faisant découvrir la pullulation de fantasmes sexuels et de désirs inavoués
parmi les membres du choeur, Nimier, dirait-on, nous montre à quel point
ce ferment d’érotisme souterrain et chaotique est l’homologue dionysien
indispensable à tout projet apollinien de création artistique. Pour elle, c’est
dans l’espace intermédiaire, dans le glissement de l’un à l’autre, qu’un art
imprévu peut naître : comme le dira la narratrice de La Nouvelle
Pornographie, « ce dérapage d’un territoire à un autre territoire ne
constituait-il pas l’intérêt de toute tentative de creation ? »2 Ou encore : «
J’ai envie que les mots m’échappent, qu’ils ne se sentent pas contraints par
la marque de mon histoire personnelle, cette calligraphie de cours
préparatoire qui me rappelle à la bienséance. Je regrette les détours qui
m'ont conduite à ces mots, et pourtant je ne peux ni les relire ni les corriger.
Ils sont nécessaires, comme le chemin est nécessaire à la maison » 3.

1
Idem, p.129.
2
Marie Nimier, La Nouvelle Pornographie, p.102. La formule de Jeanne-Sarah de Larquier
me semble bien à propos quand elle parle d’une « écriture s’étirant entre les deux faces
des mots frôlant une trame tendre entre le dessus et le dessous des émergences »
(Jeanne-Sarah de Larquier, « Espace autobiographique et fiction dans les romans de
Marie Nimier de Sirène aux Inséparables », Dalhousie French Studies, vol. 97, winter
2011, pp.89-99, p.96).
3
Marie Nimier, La Nouvelle Pornographie, p.143.

95
L’épreuve de l’épreuve
Au cours du débat intérieur déclenché ici chez Thomas autour de
l’abandon (ou non) de son projet alkanien, il lui arrive de songer à
l’Odyssée et à la tentation de la perte de mémoire et d’initiative proposée
par les Lotophages, résumée dans son souvenir d’« une illustration naïve
représentant un guerrier ébahi flottant parmi les nymphéas » (il est permis
de lire plutôt ‘un directeur de chorale découragé enlisé auprès d’un
Nénuphar’). En rappelant cette épreuve imposée à Ulysse, Thomas se rend
compte du double sens du mot ‘épreuve’ : « le même terme désignait à la
fois le tirage photographique et l’expérience du danger, comme si l’un et
l’autre participaient du même rite d’initiation »1. En effet, à deux moments
de sa vie ces deux sens se sont unis : quand le petit garçon qu’il était est
allé chercher ses quatre premières photos d’identité dans le photomaton,
l’épreuve a été dure : « Le rideau bleu qu’il avait oublié de tirer, la
blancheur meurtrière des éclairs, cette impression d’être volé, quatre fois
de suite, violé en pleine rue et avec la complicité de ses parents, l’enfant
retenait ses larmes… »2 Cette expérience d’humiliation et de violation s’est
renouvelée quand il est allé chercher les épreuves sorties de la bobine que
lui a laissée Nouche, y compris l’image de Nouche nue, exposée aux yeux
des badauds curieux. Ces deux moments se rejoignent dans son esprit,
comme des expériences douloureuses de prise de conscience, de la relation
difficile entre l’intime et le public : d’une photo l’autre…
Photo-Photo, ou d’une photo l’autre – le trait d’union représente en
quelque sorte la trajectoire du roman tout entier, puisque celui-ci s’inscrit
entre deux photos de la narratrice prises par Karl Lagerfeld. Le contraste
entre les deux est saisissant. La première est une photo toute en couleurs
somptueuses réalisée pour Paris-Match, donc destinée au grand public et
soigneusement préparée par un personnel spécialisé dans les moindres
détails de maquillage, de coiffure, de réglage de lumière. La deuxième est
un cliché Polaroid d’ordre privé, à un seul exemplaire, exécuté hâtivement
dans une chambre d’hôtel exiguë, sans préparation ni indication cette fois
de la part de Lagerfeld sur la pose à adopter. Le sujet à capter est le même
: Marie, vêtue chaque fois du même manteau vert et des mêmes baskets
tilleul, mais on constate que les deux photos sont en quelque sorte
également irréelles. La première est destinée à être incorporée dans une
image collective de neuf écrivains de la rentrée littéraire, image fictive

1
Marie Nimier, Anatomie d’un chœur, p.86.
2
Idem, p.82

96
d’une réunion de personnes qui n’aura jamais eu lieu. Quant à la deuxième,
en la regardant Marie n’y voit pas grand-chose : « Ma silhouette se
dessinait à contre-jour devant la fenêtre, une masse sombre devant un
paysage de toits à perte de vue.’ Interrogé, Lagerfeld ‘désigna sa propre
tête. – Elle est là-dedans, la photo, on ne peut pas faire plus fidèle. Vous
avez souri à un moment, légèrement, très légèrement. C’est cette image
que je retiendrai de vous »1. Donc, dans les deux cas, il y a un au-delà
immatériel de la photo existante. La première, censée représenter Marie
Nimier en fonction de sa relation professionnelle au public, finira come
composante d’un produit factice de l’usine médiatique. La deuxième, où
son image physique se trouve réduite en une ‘masse sombre’ de silhouette,
ne trouve sa véritable existence, selon Lagerfeld, que dans sa tête à lui.
Entre les deux photos, c’est la question du moi qui se pose : non pas entre
Marine et Line cette fois, mais entre une image à diffusion marketing du
moi professionnel et celle, infiniment privée et inaccessible, qu’un ami
retient de vous. Le trait d’union entre les deux photos est la trajectoire d’une
recherche de plus en plus intime du moi en face du monde et des autres
(‘devant un paysage de toi(t)s’?). Ce n’est qu’en rencontrant Frederika que
Marie apprend que c’est le soir même de la photo Paris-Match que
Lagerfeld a téléphoné à son amie allemande pour annoncer qu’« il avait
rencontré son sosie »2 en la personne de Marie. C’est cette constatation
d’une ressemblance physique qu’interroge Marie et qui lui a travaillé
l’esprit au point de l’inciter à entreprendre ce voyage, mais (se dit-elle) : «
comment ressembler à quelqu’un qui vous ressemble quand on ne se
ressemble pas soi-même ? »3 L’expérience des photos pose d’emblée cette
question d’identité : « [P]rendre une photo, (dit Lagerfeld) c’est toujours
prendre un risque – le risque de décevoir. Et refuser de se reconnaître,
paradoxalement, accorder beaucoup d’importance à son image »4. Comme
pour Thomas, il est question de l’épreuve de l’épreuve, expérience du
danger, rite d’initiation. De nouveau, le dénouement penchera du côté de
l’espoir, comme pour les deux amies des Inséparables : l’intimité affective
et physique que Marie découvre chez Fred se trouve être une réponse du
moins provisoire au problème d’être soi-même deux, ou plusieurs, de ‘ne
pas se ressembler’.

1
Marie Nimier, Photo-Photo, p.211.
2
Idem, p.169.
3
Idem, p.170.
4
Idem, p.206.

97
Postlude
Le parcours de cette discussion peut nous aider à éclairer, d’un certain
côté, l’épisode énigmatique et fortement mis en valeur dans Photo-Photo
où la narratrice a cru voir le chat blanc de la voisine blessé et allongé au
bord de la route. Ce qu’elle retient de cette scène, c’est l’angle que le chat
formait avec la bande blanche, « un angle particulier’, dit-elle. « Cet angle,
je le connaissais intimement. Il indiquait une place originale dans le monde,
une place singulière (…) »1 . De ce passage aux résonances multiples,
retenons simplement qu’il s’agit ici du choc du rencontre entre l’imaginaire
(la vision du chat) et ce qu’il y a de plus banalement réel – la bande blanche
sur l’asphalte. Ce choc crée une ‘place singulière’, cadre d’une petite
épiphanie que la narratrice voudrait retenir et cultiver. Cet angle qui s’ouvre
entre le chat imaginé et la ligne droite de la réalité, c’est l’espace du roman :
« Une histoire inscrite entre deux angles, deux points de vue. Deux
photographies, en somme, l’une qui se voit, et l’autre, qui ne se voit pas »2.
« Ce qui m’intrigue dans cette figure [de l’angle], c’est le fait que ses côtés,
appelons-les des branches, peuvent se prolonger à l’infini, mesurer trois
centimètres ou plusieurs milliers de kilomètres, et l’angle restera
rigoureusement identique » 3 . Dans notre sens, cette affirmation vient
souligner ce que le lecteur découvre sans cesse dans l’écriture de Nimier,
que cette jonction entre deux plans divergents, entre le réel et l’imaginaire,
le référentiel et le figuratif, peut se trouver à n’importe quelle échelle, au
niveau soit du simple mot, soit de toute la construction narrative. Le vide
qui s’ouvre entre ces branches divergentes peut représenter pour ses
personnages une source d’angoisse, mais pour l’auteur il est l’espace
ludique indispensable à la création.
Notons pour finir que, dans cette épiphanie du chat et de la bande
blanche, un jeu de mots joue encore une fois son rôle d’ensemencement.
En voyant le corps du chat, nous dit la narratrice, « Mon premier geste fut
de chercher mon portable pour prévenir sa maîtresse, me cassant au
passage l’ongle du pouce en fouillant dans la doublure de mon sac »4. Ne
soyons pas dupes de ce détail apparemment secondaire. C’est l’alchimie
souterraine des mots qui fait que l’ongle cassé dans la doublure du sac
annoncera l’angle particulier, le fertile espace ludique qui s’ouvre entre

1
Idem, p.32.
2
Idem, p.32.
3
Idem, p.40
4
Idem, p.31.

98
l’imaginaire et le réel, et que cet angle, en un nouveau glissement qui arrive
tout naturellement, deviendra langue. Si par hasard on ne l’aura pas
remarqué, la narratrice, à la fin du roman, nous fait un petit clin d’œil : « Je
revoyais le chat fantôme sur l’asphalte rapiécé, et quelques heures plus tard
le même, passant tranquillement sa patte derrière son oreille […]. Il ne
fallait pas chercher à comprendre, me dis-je encore, donner son angle au
chat, comme on donne sa langue, et ce glissement me fit sourire »1. Ce
sourire provoqué par les glissements verbaux, l’auteur nous le fait partager
à maintes reprises, et ce n’est pas le moindre de nos plaisirs en lisant Marie
Nimier.
David GASCOIGNE

ORIENTATIONS BIBLIOGRAPHIQUES
BAUDELAIRE, Charles, ‘Chacun sa chimère’ (Le Spleen de Paris, VI) dans
Œuvres complètes, Gallimard, Pléiade, 1961, pp. 233-34.
DE LARQUIER, Jeanne-Sarah, « Espace autobiographique et fiction dans
les romans de Marie Nimier de Sirène aux Inséparables », Dalhousie
French Studies, vol. 97, winter 2011, pp. 89-99.
DE MEDEIROS, Ana, « Puzzling out the Self: Identity and Intertextuality in
Les Inséparables », dans Dalhousie French Studies, vol. 97, winter
2011, pp. 25-36.

1
Idem, p. 210.

99
100
*

Gestes perdus: « La langue derrière le timbre »


dans le théâtre de Marie Nimier

«T u me demandais ce que c’était qu’un geste perdu », explique


Sandra dans La Confusion (2011), une des premières pièces de
Marie Nimier, « eh bien ça, la langue derrière le timbre, typiquement le
geste en voie de perdition »1. En effet, selon le grand théoricien du théâtre,
Tadashi Suzuki, fondateur du mouvement « Suzuki, » le théâtre
contemporain devrait être fondé non nécéssairement sur la parole mais sur
« la grammaire des pieds » 2 afin de tenter une reconstitution de l’être
humain qui ressent une désintégration par rapport à la société moderne. Le
théâtre de Nimier recherche également, parmi « les espaces blancs » des
ses pièces, une résolution pour ses personnages à la quête de leur propre
intégralité. « Contrairement au roman, le théâtre doit symboliser la vie
puisque c’est l’art de l’instant, sans cesse dans l’échange, dangereux,

1
Marie Nimier, La Confusion, Arles, Actes Sud - Papiers, 2011, p. 38.
2
Tadashi Suzuki, The Way of Acting: The Theater Writings of Tadashi Suzuki. Trans,
Thomas Rimer, New York, Theater Communications Group, 1986, p.20 : «
Considering various types of body placement from another perspective, changes in
posture and movement often seem closely related to differences in the positions of the
feet. It is for this reason that this grammar, this way of using the feet, has been developed
around the differences in sensations felt in the body as it connects with the ground. The
goal is to ensure and enrich the histrionic unification of the whole bodily expression
along with the speech; both of these elements are constructed on the basis of the feet. »

101
stimulant » 1 , Nimier remarque. Si La Confusion est, selon Nimier, «
l’histoire d’une génération qui n’a pas compris ce qui lui arrivait, » et,
Adoptez un écrivain (2012), par exemple, est celle d’un groupe d’écrivains
qui cherchent désespérément à être adoptés afin d’être « à l’abri de l’oubli
[…], à l’abri des fantômes »2, Nimier creuse un nouveau langage théâtral
pour notre ère fondé non seulement sur le geste (l’absence du langage) mais
surtout sur ces divers absences à l’intérieur de ses personnages qui sont «
cicatrisés par le temps »3. Si George Bataille se demandait « comment voir
la nuit ? », Nimier, elle, se demande plutôt « comment voir le blanc »
derrière les creux de nos vies. Comme elle le constate vis-à-vis de La
Confusion, elle interroge « les deuils non-résolus, des questionnements
suspendus, comment respirer encore face à l’être aimé auquel il faut
renoncer »4.
De plus, les espaces théâtraux quotidiens voire insolites de Nimier
(machines à sécher, parkings, chambres d’hôtel, halles aux poissons),
tentent aussi d’exposer l’univers de son « langage de gestes » afin de tenter
la ré-intégration de ses personnages souvent démembrés par rapport à notre
présent ainsi qu’à leurs passés. Ce sont des personnages, en fait, que
Jeanne-Sarah de Larquier nomme « marginaux, en construction ou en
rupture avec eux-mêmes ainsi qu’avec le groupe dans lequel ils évoluent
»5. Pour de Larquier, en fait, l’univers de Nimier permet aux lecteurs (ou
pour le théâtre, les spectateurs) d’imaginer ses personnages plutôt de devoir
les avaler tout court : « Ainsi les personnages de Nimier sont rarement
décrits, ou de façon très tenue (par un detail, un geste, une démarche). Ils
se définissent par leur histoire personnelle et leur façon d’appréhender
l’autre et le monde qui les entoure »6. Encore, comme Nimier l’avoue en
ce qui concerne son propre attachement à la marginalité ou plutôt au

1
Pauline Vermeulen, « Le théâtre de la Confusion: Rencontre avec Marie Nimier »,
www.fragil.org, Magazine en ligne, 2 décembre, 2011.
2
Marie Nimier, Adoptez un écrivain, Actes Sud – Papiers, 2012, p.43.
3
Marie Nimier, Vous dansez ?, Paris, Gallimard, 2007, « Folio », pp.71-72. La citation
exacte est : « Le moment que je préfère, c’est quand ils se rhabille, et que je lui prepare
son café. Je garde sa tasse sans la laver d’une fois sur l’autre. J’essuie sur les bords, pour
qu’il ne se doute de rien. Ça fait une petite croute noire qui s’épaissit d’une fois sur
l’autre comme pour marquer le temps. Le cicatriser. »
4
Synopsis de La Confusion, site web du Théâtre du Rond-Point, www.theatredurondpoint.fr/
laconfusion, saison 2014-2015.
5
Jeanne-Sarah de Larquier, « Entretien avec Marie Nimier », dans The French Review,
Vol.78, No.2, Decembre 2004, p.341.
6
Ibid.

102
décentrement tout court : « Dans la marge, on respire. Il y a de la place. Et
de là, on a sans doute une perception plus aiguë du centre »1.

La « poésie des tiroirs »


« Qui suis-je ? » répond Orson à Peter au début d’Adoptez un écrivain
lorsque quatre écrivains adultes orphelins se présentent pour un concours
pour être adopter. « Vaste question. Je m’appelle Orson, si ça peut vous
apprendre quelque chose de moi. Mais j’en doute. Je suis là, comme vous
enfin, pas tout à fait comme vous… Disons : pour les mêmes raisons que
vous »2 . Les circonstances étranges qui réunissent ces quatre écrivains
(Orson, Peter, Lars et Michael) représentent en quelques sortes le contraire
des Six personnages en quête d’auteur de Luigi Pirandello dans le sens que
ce sont les auteurs eux-mêmes qui veulent être adoptés afin de lutter contre
l’oubli et, par conséquent, le néant. Or dans les deux pièces, l’art théâtral,
ou plutôt, la représentation de la vie en forme de pièce de théâtre, est
présenté comme une sorte de miroir face à la vie de tous les jours. Pour les
quatre écrivains orphelins de Nimier, cependant, l’adoption met en exergue
la solitude et la vulnérabilité de leur existence par rapport à leurs
personnages qui sont, eux, plus libres en quelques sortes (les personnages
des écrivains de Nimier, à l’inverse de ceux de Pirandello, sont invisibles,
mais dans l’extrême cas nous pouvons imaginer Icare, par exemple, dans
Le Vol d’Icare de Raymond Queneau lorsqu’un personnage d’un roman
sort du manuscript de son auteur et se perd dans Paris, ou le film de Woody
Allen, La Rose pourpre du Caire (1985), pendant lequel un héro de cinéma
surgit de l’écran et tombe amoureux d’une spéctatrice). Si, dans la société
contemporaine, la communication de tous les jours se réduit souvent à une
réduction maximum de mots en ce qui concerne les SMS par exemple, être
écrivain – une profession qui à priori, valorise l’expression verbale, risque
de devenir un métier quasi-obsolète, voire muséeifié.
Comme le dénonce le philosophe Paul Virilio, le monde contemporain
est tellement focalisé sur la vitesse (qu’il appel « picnoleptique ») que l’être
humain devient de plus en plus isolé et de moins en moins visible. Comme
il l’explique dans L’Inertie polaire, nous sommes en train de vivre une «
conception assistée de l’existence : plaisir d’un rendez-vous à distance,
d’une réunion sans réunion [...] perte d’intérêt pour notre prochain au profit

1
Idem, p.347.
2
Marie Nimier, Adoptez un écrivain, Actes Sud – Papiers, 2012, p.8.

103
d’êtres inconnus et lointains qui demeurent à l’écart, spectres sans
importance qui n’encombrent pas notre emploi du temps »1 . Ainsi, la
lecture et l’écriture peuvent êre vues comme un refuge pour les écrivains
de Nimier plutôt qu’un espace d’exhibition. Comme Peter remarque, le
monde de la fiction peut offrir une double vie qui protège et qui est
également à l’abri de la vie soit disante « vraie » ou parfois féroce : « Vous
connaissez l’histoire de cet enfant qui dormait dans une commode ? Tout
bien installé dans le dernier tiroir, » explique-t-il, « avec le petit oreiller et
le rabat au petit drap sur la petite couverture. Dans un conte de fées, un truc
archi-connu, même à l’orphelinat, ils l’avaient en double, ça vous dit rien ?
[…] J’adorais cette image. Cette idée qu’il suffisait d’ouvrir les pages d’un
livre pour trouver un coin. Un coin où se ranger »2.
Lars, en fait, confirme les propos de Peter en avouant : « Si les tiroirs
n’existaient pas, je crois que je n’aurais jamais le courage d’écrire » 3 ,
tandis que Michael, lui, admet son propre échec en ce qui concerne son
rêve jadis de vivre entièrement de sa plume. Il avait eu beaucoup de succès,
certes, mais pas nécéssairement de bonheur : « Les livres, je pensais que ça
suffirait. J’ai connu ma petite heure de gloire, je passais à la television, on
me demandait des autographes, et plus j’avais de succès, plus je me sentais
seul. Aujourd’hui, j’ai encore beaucoup à apprendre et beaucoup à donner »4.
Si le vieux poète des Cigales de la banlieue Parisienne évoqué par Queneau
dans Loin de Rueil proclame que « Ça se chante aussi la chaussette ! » quand
un admirateur lui dit « vous pouvez faire des poèmes sur tous les sujets.
Même sur les chaussettes »5, Lars explique que l’image du tiroir représente
pour lui non seulement le lieu safe d’où il peut composer ses poèmes mais
surtout le reposoir de ses créations les plus tendres et personnelles : « Les
premières chaleurs me plongent dans une tristesse incommensurable, » il
avoue, « j’accueille le retour du froid avec soulagement. J’écris la nuit,
mais le jour aussi je suis reveillé. Des poèmes, surtout des poèmes, des
choses pour les tiroirs »6.
Peter a beau critiquer « la poésie des tiroirs » , la pièce Adoptez un
écrivain est surtout un cri de guerre contre la solitude et la vie moderne qui
deviennent de plus en plus fragmentée. Les six personnages de Pirandello

1
Paul Virilio, Inertie polaire, Paris, Christian Bourgeois, 1994, « Choix-essais », p.48.
2
Marie Nimier, Adoptez un écrivain, Actes Sud – Papiers, 2012, p.9.
3
Ibid.
4
Idem, p.15.
5
Raymond Queneau, Loin de Rueil, Paris, Gallimard, [1946], 1996, « Folio », p.28.
6
Marie Nimier, Adoptez un écrivain, Actes Sud – Papiers, 2012, p.9.

104
cherchent à être adoptés par le metteur en scène qu’ils sélèctionnent afin
d’ouvrir le nombre infini de mondes que nous contenons tous en nous-
mêmes : « Eh oui, tout le Malheur est là ! » constate le père, un des six
personnages :

Dans les mots ! Nous avons tous, au fond de nous, un monde de choses ;
chacun son propre monde! Alors comment arriver à s’entendre, monsieur, si moi je
donne aux mots que je pronounce la valeur et le sens des choses telles que je les
ressens en moi, tandis que celui qui m’écoute les prend, forcément, dans le sens et
avec la valeur qu’ils ont pour lui : ceux du monde qu’il porte en lui ! On croit se
comprendre : on ne se comprend jamais !1

Nimier, tout comme Pirandello, souligne justement l’impossible


contemporain de s’exprimer à travers les mots qui sont insuffisants
aujourd’hui pour communiquer la vaste complexité d’émotions que les
mots peuvent souvent indiquer, où, inversement, que le silence peut
masquer comme l’image si évoquateur de Vercors de son titre Le Silence
de la mer par lequel l’on pouvait recouvrir tout un océan d’émotions
comme la mer cache tout un univers marin sous la surface des vagues. En
réponse à l’impératif de la Bande Passante qui aboie : « Racontez-nous
quelque chose d’intéréssant » à Lars, Lars, qui pourtant avait déjà eu un
certain succès en écrivant des livres, manque les mots pour s’exprimer «
sous commande » :

Je cherche… je cherche quoi dire… en priorité. Je ne sais pas s’il faut


commencer par… ou pas…. Souvent je suis chez moi, je cherche quelque chose
justement. Je cherche activement quelque chose, et là, soudain, je ne sais plus ce que
je cherche. Alors je cherche dans ma tête ce que je cherche. Et je ne trouve pas. Il se
pourrait que la chose que je cherche soit là, devant moi, comme je ne sais plus que
je l’ai perdue, je ne sais plus que je l’ai retrouvée.
Parfois ce sont des mots tout simples qui se débinent. Je rentre dans la
boulangerie et le mot « pain » a disparu.2

Face à l’insuffisance des mots, comment est-ce que les quatre écrivains
de Nimier pourront-ils trouver un sens à leurs paroles voire un sens à leur
vie ? Lars cherche ses mots, certes, mais il est également à la recherche de
lui-même et, par conséquent, à sa place dans la société. Pour les six
personnages de Pirandello, le sens de leur vie en tant que personnage
imaginaire, se trouve dans la multiplicité de voix et de personnes qui vivent

1
Luigi Pirandello, Six Personnages en quête d’auteur, p.55.
2
Marie Nimier, Adoptez un écrivain, Actes Sud – Papiers, 2012, p.15.

105
en eux. Ces six personnages n’existent que par rapport aux spectateurs qui
les conçoivent pendant chaque représentation sur scène. Comme dit le
Père :

Tout mon drame est là, monsieur: dans la conscience que j’ai que chacun de
nous, voyez-vous, s’imagine être « un seul, » alors que ce n’est pas vrai : il est «
plusieurs, » monsieur, autant qu’il y a en nous de possibilités d’être. « Un seul »
avec celui-ci, « un seul » avec un autre – mais tous différents ! et tout cela en
conservant l’illusion d’être toujours « un seul » pour tout le monde, cet « un seul »
que nous croyons être dans tous nos actes. Mais c’est faux! C’est faux !1

Tom Stoppard a beau écrire que « les acteurs sont les contraires
des personnes »2 dans Rosencrantz et Gildenstern sont morts, les acteurs
rayonnent de vie, tandis que les quatre écrivains de Nimier semblent être
épuisés, voire écrasés par la vie quotidienne. « Seulement à vous faire
comprendre », insiste le Père dans la pièce de Pirandello, en s’adressant au
metteur-en-scène qui vient juste de lui demander où il voulait en venir, «
Si nous autres (les six personnages) nous n’avons d’autre réalité que
l’illusion, vous feriez bien, vous aussi, de vous défier de votre réalité, celle
que vous respirez et que vous sentez en vous aujourd’hui, car elle est
destinée demain, tout comme celle d’hier, à se révéler une illusion »3. Les
écrivains de Nimier doivent chercher une autre identité à part celle dont ils
ont l’habitude de porter en eux, car ils veulent surtout plaire aux futurs «
parents » qui peuvent choisir de les adopter. Ce sont des spectateurs qui
peuvent déterminer le reste de leur vie. À un moment donné, quand Peter
lui demande pour quoi il parle aux autres souvent en anglais malgré le fait
qu’ils soient tous francophones, Michaël avoue : « Ça me donne un genre,
non ? Un genre à défaut d’une identité » 4 . Or, sa quête d’identité
personnelle est surtout poussé par une sorte de déception vis-à-vis des
illusions qu’il s’est donné quand il était jeune. Quand Peter explique qu’il
est complètement débrouillard et autochtone et déclare : « J’ai besoin
d’aide pour retourner mon matelas, mais sinon, je me débrouille très bien
tout seul, merci, je fais ma cuisine, je bricole, je vais au cinéma »5, Michaël

1
Luigi Pirandello, Six Personnages en quête d’auteur, Paris, Éditions Flammarion, 2004, «
Étonnants Classiques », p.65.
2
Tom Stoppard, Rosencrantz and Guildenstern are Dead, New York, Grove Press, 1967, «
Evergreen Black Cat Edition », p.63 : « We’re actors – we’re the opposite of people! »
3
Luigi Pirandello, Six Personnages en quête d’auteur, p.106.
4
Marie Nimier, Adoptez un écrivain, Actes Sud – Papiers, 2012, p.37.
5
Idem, p.15.

106
lui répond avec mélancolie : « C’est la phrase la plus triste que je connaisse :
Je me débrouille tout seul. Très bien tout seul. Moi aussi je me débrouille
tout seul. Mais pas très bien. Sinon je ne serais pas ici »1.
Tout comme les personnages ont besoin d’un auteur pour les imaginer
et pour les créer, et les acteurs ont besoin d’un public pour les voir et pour
les écouter, les écrivains, finalement, ont besoin non seulement de lecteurs
mais d’un public engagé pour ne pas sombrer dans l’abîme. Nimier met en
exergue surtout la grande vulnérabilité des auteurs qui, comme le constate
Lars, ont besoin d’être adoptés ou, à vrai dire, pris-en-charge, par des
parents qui en fait représentent le grand public. Émotionellement, ils
doivent être soutenus par un public qui agit in locus parentis sinon ils
craignent qu’ils disparaîtront par le biais de l’oubli. Ils redoutent
l’obsolescence : « Dans assistance public, il y a ‘assistance’ et il y a ‘public.’
Ça m’allait d’être de ça. Issu de ça. Dépendant de ça. De l’assistance et du
public. Alors évidemment … Et puis je me fais du souci pour vous, voilà.
Qu’est-ce que vous allez devenir ? »2 Lars demande aux autres écrivains.
À la fin d’Adoptez un écrivain, Lars en fait renonce à l’adoption et
choisit la solitude. L’idée de retourner à une vie liée à la notion de
dépendance le dégoûte tout d’un coup car le déroulement du concours
d’adoption le réveille soudainement de son déclin progressif: « Annuler
une angoisse par une autre angoisse, avec l’impossibilité de cacher les
moutons sous le tapis… », conclut-il. « […] Enfumé, à force de l’énoncer.
Trop dit, trop, plus de place pour les rêves […] en effet quelque chose à
changé en moi. Je crois que j’ai grandi »3. Le processus de séléctionnement
le pousse à se révolter contre son pessimisme et son manque de confiance
pour enfin déclarer qu’il ne veut plus aspirer à la dépendance en fin de
compte. Jouer le rôle de la mère pendant une des épreuves établis par le
concours l’a encouragé vers l’indépendance. En refusant ses parents
adoptifs possibles, il confirme :

J’étais autour de la table et je jouais le rôle de la mère, votre rôle, maman. C’est
à cet endroit précis que je me suis senti basculer. Je n’avais pas envie d’avoir ça. Une
mère, pas envie d’avoir…Une mère qui arrange tout. Et tout de suite après, comme
si c’était la suite logique, je me suis dit que je voulais écrire un texte….qui ne serait
pas pour les tiroirs. Un texte à… (il ouvre ses bras en V) partager.4

1
Ibid.
2
Idem, p.40.
3
Idem, pp.40-41.
4
Idem, p.41.

107
Quant à Orson, qui s’est demandé « Qui suis-je ? » au début de la pièce
mais, à la fin, aurait pu, comme André Breton au début de Nadja, préciser
plutôt « Qui je hante ? »1, il sera le seul à vouloir désespérément être choisi
par peur et par un désir d’être entretenu :

Je suis tenté d’abandonner à mon tour mais j’ai tellement besoin de vous.
Qu’est-ce que je serais sans vous ? Un pauvre type qui parle tout seul. Ça sonnerait
mieux pourtant dramatiquement parlant. […] Ils sont venus pour adopter un fils, ils
ont prepare sa chambre, avec une belle table de travail, ils sont tout prêts
à l’accueillir mais le fils change d’avis. Il ne veut plus être adopté. Le couple
se retrouve seul, sans personne à aimer.2

Comme cette fin prévue par Orson aurait été en effet trop « triste »3,
Orson s’évanouit pour ensuite se transformer en une sorte de composite
des quatre écrivains de la pièce. Si l’écrivain a besoin d’un public et le
public a besoin d’aimer des écrivains, le nouveau Orson – dont le nom fait
évidemment fait penser au collosse du cinéma et du théâtre Orson Welles
– se livre à cette dynamique de dépendance à rebours de l’ordre « naturel
» du cycle de vie où l’enfant est née pour que les parents s’occupent de lui
jusqu’à ce qu’il devienne adulte. Ici, l’adulte redevient à la fois enfant et
vieillard infirme nécessitant un secours continuel. Il fait écho en quelques
sortes à la nouvelle de F. Scott Fitzgerald, L’Étrange cas de Benjamin
Button, à propos d’un enfant qui est née vieux et qui va rajeunir au lieu de
vieillir. Or dans le cas des quatre écrivains de Nimier, il s’agit plutôt d’une
sorte de regression affective et un vieillissement physique. Dans son
monologue de clôture, Orson – en tant que composite des quatre autres
écrivains – explique : « La lumière va bientôt se rallumer et c’est en
tremblant que je vais découvrir vos visages. La première fois, se voir, nous
voir, pour la première fois… »4
Si, à la fin de Six personnages en quête d’auteur, le fils s’exclame : «
Nous autres, nous ne sommes pas en vous, et vos acteurs nous regardent
de l’extérieur. Croyez-vous qu’on puisse vivre devant un miroir qui, de
plus, non content de nous glacer par le reflet de notre propre expression,

1
André Breton, Nadja, Gallimard, [1928], 1997, « Folio », p. 9 : « Qui suis-je ? Si par
exception je m’en rapportais à un adage : en effet pourquoi tout ne reviendrait-il pas à
savoir qui je ‘hante’ ? »
2
Marie Nimier, Adoptez un écrivain, Actes Sud – Papiers, 2012, p. 42.
3
Ibid.
4
Idem, p. 43.

108
nous la renvoie comme une caricature méconnaissable de nous-mêmes ? »1
Orson s’engourdit d’une image qui est le contraire de ce à quoi l’on rêve
ordinairement :

Quand je serais très vieux, vous changerez mes couches. Vous me laverez dans
les pli. On vous paierez quelqu’un pour le faire. […] Vous serez mon rampart contre
la mort. Un rampart d’autant plus solide que la mort sera proche. Et quand la mort
viendra, vous prendrez totalement possession de moi.2

« Aboli bibelot d’inanité sonore »


Quoique Lars se dise avoir besoin de la solitude pour écrire, Orson voit
clairement en lui-même et dans les dangers d’être seul et âgé : « Vous me
porterez à l’abri de la solitude, et moi, qui ne dors jamais que d’un oeil, je
prendrais enfin du repos » 3 . Dans La Confusion, cependant, Sandra
commence la pièce aux antipodes du repos : dans la frénésie complète.
Tout est en désordre et la machine à sécher le linge domine la scène comme
un grand volcan. Sandra fait le ménage comme pour combler un vide ou
pour refouler une idée ou une mauvaise pensée. Elle cherche de l’ordre
dans la norme, et dans des listes, des répétitions de mouvements quotidiens
et banals. Comme si elle lisait un poème, elle annonce :

J’ex-agère. C’est ça, je cherchais le mot.


J’exagère.
Je vide les étagères.
Je sors tout des placards, tout des tiroirs.
Je défais mon lit en entier, je lave les housses, les sous-housses,
L’alaise et les édredons.4

Une routine menagère tente en vain de mettre de l’ordre dans son


désordre affectif et physique car Sandra cherche ce qui a été perdu, ce qui
est absent et surtout ce qui représente l’autre – l’autre partie d’elle-même
ou l’autre – l’âme soeur semblable à l’androgyne mythique de Platon qui
est condamné à chercher son autre moitier pour se ré-unifier. Pour Sandra,
comme pour les quatre écrivains, les mots ne suffisent pas pour se re-sentir

1
Luigi Pirandello, Six Personnages en quête d’auteur, p. 115.
2
Marie Nimier, Adoptez un écrivain, Actes Sud – Papiers, 2012, p. 43.
3
Ibid.
4
Marie Nimier, La Confusion, Actes Sud – Papiers, 2011, p.14.

109
« complétée. » En décrivant une pièce de théâtre qu’elle venait de voir,
Sandra raconte déséspéremment :

C’est douloureux, à la fin, tous ces mots prononcés et rien, rien, rien. Ils vivent
dans une grande maison, avec des pieces qui n’en finissent pas d’ouvrir sur d’autres
pièces, la terrasse, l’entrée, la cuisine, l’arrière cuisine, la buanderie, et encore la
réserve et la cave…Ils ont été élevés dans ça, tu comprends, dans ce luxe là,
sans argent, mais dans cette opulence de l’espace, cette générosité de l’espace, et peu
à peu leur territoire rétrécit, les murs se rapprochant, ne ressentent plus que les
phrases, et même les phrases deviennent impuissantes à créer la sensation de
l’espace.1

Nimier décrit une sensation de claustrophobie paradoxale d’intérieurs


et d’extérieurs, d’opulence et de retranchement, du materiel et du verbal,
de l’affectif et du cérébral qui tourmente Sandra d’une manière dialectique
et chiasmique. Comme Sandra tente d’expliquer : « Ils terminent dos à dos,
collés l’un contre l’autre. C’est ça qui me touche je crois : tout ce qu’on
nous prend, tout ce qu’il faut abandoner, ces choses qui étaient à nous, ces
choses qui nous échappent, qui nous emprisonnent par leur absence »2.
Contrairement aux quatre écrivains qui ont commencé leur pièce dans un
état de faiblesse et de doute, Sandra évoque plutôt une angoisse tourmentée
profonde qui jaillit de son inconscient et de son passé comme s’il s’agissait
d’une abréaction dans la théorie de Mélanie Klein.3 Elle cherche ce qui lui
manque, ce qui n’est pas encore développé en elle :

Il y avait quelqu’un qui me ressemblait et qui répondait quand on disait mon


nom. « Sandra, » on appelait. « Sandra! » et Sandra venait, mais ce n’était pas
encore moi. C’était une esquisse de moi. Un truc pas colorié.
Et là sous la table, avec la robe rouge et la nappe jaune et ton père articulait:
‘Et celle-là? Elle est pour qui? Tu as prononcé mon nom et j’ai compris qu’il
s’agissait de moi. Que ce son-là, San-Dra.4

Dans son nom, découpé, nous pouvons effectivement lire le mot sans,
S-A-N-S dans le sens « d’absence », et sang, S-A-N-G dans le sens de «
vie ». C’est un paradoxe qui construit son être. L’« ab-réaction » pour elle

1
Idem, p.18.
2
Idem, p.19.
3
« Abréaction » définit par Larousse en tant que : « Décharge émotionnel accompagnant
l’apparition dans le champ de la conscience d’un affect jusque-là refoulé en raison de
son caractère pénible » (www.larousse.com)
4
Marie Nimier, La Confusion, Actes Sud – Papiers, 2011, p.23

110
se décline en « ab-sence/ ab-sens » puis en « ab-surde » lorsqu’elle essaye
de trouver du sens dans le non-sens puis dans le geste, dans une sorte de
suite de mots incongrus : « L’impression de faire sécher du linge sur un fil
invisible, tendu entre mes mains » démontre-t-elle en continuant, presque
comme si elle récitait une incantation antique :

L’impression de parler trop près du micro.


L’impression d’être un chapeau chinois amoureux d’un rocher.
Une coccinelle sur un tourne sol.
Un nez de clown, amoureux du nez de clown.
A la surface, tout le temps, tout à la surface.
A fleur de peau.
Tu connais ma collection de sensations ?1

Sa chanson ressemble à celle chantée par les jeunes de la joyeuse pièce


de Nimier, La Course aux chansons, pendant laquelle deux jeunes
candidats s’affrontent en musique pour remporter le premier prix d’un jeu
télévisé. Dans cette pièce, les paroles de chansons remplacent la parole du
discours quotidien. Presque comme s’il s’agissait d’une operette ou du film
de Jacques Demy, Les Parapluies de Cherbourg (1964). Or, vers la fin de
cette pièce, les paroles deviennent « farcies » comme dans une farce du
Moyen-Age comme La Farce du Maître Pathelin. Dans Pathelin, Maître
Pathelin parle toutes les langues régionales à un moment donné pour
dérouter Guillaume, le drapier, qui réclame l’argent que Pathelin lui doit.
Pathelin devient vraiment polyglotte dans le sens qu’il mélange toutes
sortes de patois pour faire du non-sens pour les non-initiés :

Dont viens tu, caresme pregnant ?


Vuacarme, liefe gode man ;
etlbelic beq igluhe Golan ;
Henrien, Henrien, conselapen ;
grile, grile, scohehonden ;
zilop, zilop en mon que bouden ;2

« Comment peut-il parler autant et résister à un tel effort ? »


demande le drapier à la femme de Pathelin, Guillemette, « Ah! Il devient
fou ! »3 Or, comme les spectateurs le savaient bien à l’époque, Pathelin se

1
Idem, p.34
2
Anonyme, La Farce du Maître Pathelin, [1464-1479], Paris, Hatier, 2000, « Classiques
Hatier », p.45.
3
Idem, p.46.

111
sert de plusieurs patois pour masquer ses propres intentions. Quand il dit la
vérité, mais en latin, il emploie cette langue si docte pour se moquer de ses
appetits si « bas » , c’est-à-dire, son désir de trouver assez d’argent pour
manger de l’oie : « Quid petit ille mercator ?/ Dicat sibi quod trufator, /ille
qui in lecto jacet, /vult ei dare, si placet […] » (« Que demande ce
marchand ? Il nous dit que le fourbe, celui qui est couché dans son lit, veut
lui donner à manger de l’oie »1) Parallèlement, dans La Reine du silence,
Nimier aussi souligne la possibilité de parler sans rien dire ou « dire » sans
parler : « Comment, à la fois, parler et ne pas parler ?2 » se demande-t-elle,
avant de constater : « Se tuer pour se taire, tant les deux verbes conjugués
se ressemblent »3.
Les onomanopées, des sons et même des mots non « en-vers » mais à
l’envers envahissent les scènes de Nimier : « Ça n’a pas de sens » proteste
la jeune fille. « Pas de sens, tu en es sûr ? Retourne-le pour voir » (en
inversant le sense des lettres, la fille lit : « Tache, chat, en effet »4. De plus,
les jeunes de La Course aux chansons partiront dans une euphorie de mots
à l’envers qui donneront justement du sens au non-sens comme des
cryptogrammes musicaux car ils aboutissent à une sorte d’épiphanie
musicale si désirée par Mallarmé, par exemple, dans La Musique et les
lettres lorsqu’il declare : « Je réclame la restitution, au silence impartial,
pour que l’esprit essaie à se repatrier, de tout – chocs, glissements, les
trajectoires illimitées et sûres, tel état opulent aussitôt évasif, une inaptitude
délicieuse à finir, ce raccourci, ce trait – l’appareil; moins le tumulte des
sonorités, transfusibles encore, en songe »5. Dans La Course aux chansons,
les jeunes s’exalteront :

Vie, mort, tout rien


Pain, riz, sel… de mer (…)
(puis à l’envers) :
Erret ed… rev, neihc, tahc (terre, de… ver, chien, chat)
Rem ed… les, zir, niap (mer de… sel, riz, pain)

1
Idem, p.48.
2
Marie Nimier, La Reine du silence, Paris, Gallimard, 2004, p.145.
3
Idem, p.146.
4
Marie Nimier, La Course aux chansons, Arles, Actes Sud- Papiers, 2012, « Heyoka
Jeunesse », p.37.
5
Stéphane Mallarmé, « La musique et les lettres », Œuvres complètes, ed. Henri Mondor et
G. Jean-Aubry, Paris, Gallimard, 1945, « Bibliothèque de la Pléaide », p.649.

112
Neir, tuot, trom, eiv1 (rien, tout, mort, vie)

C’est une extase sonorifique qui fait écho au fameux « sonnet en X »


de Mallarmé qui énonce emblématiquement :

Sur les crédences, au salon vide : nul ptyx,


Aboli bibelot d’inanité sonore,
(Car le Maître est allé puiser des pleurs du Styx
Avec ce seul objet dont le Néant s’honore).2

De même, dans La Confusion, Sandra recherche des gestes pour


arriver à une vérité intérieure : « Un geste qui vient de l’intérieur du corps
» (38) constate-t-elle afin d’eventuellement creuser à l’intérieure des mots
eux-mêmes comme si elle creusait dans la pierre semblable au « VITRIOL
» le fameux acronyme alchimiste pour « Visite l'interieur de la terre et, en
rectifiant, tu trouveras la pierre occulte. » Elle peut inventer son propre
language proche de celui que Raymond Roussel évoquait lorsqu’il
expliquait comment il avait écrit Locus Solus et Impressions d’Afrique
dans son texte Comment j’ai écris certains de mes livres.3 Comme Sandra
le démontre : « Maman était si fière de l’épaisseur de mon vocabulaire,’
admet-elle (lisant les titres écrits sur la tranche) : « Liste des romans par
couleurs, des mots de treize lettres, des mots qui disent ce qu’ils disent, liste
des mots dans les mots :

Dans Marie, il y a aimer


Dans théière, il y a hier
Dans soliloque, il y a loque
Et dans Sandra, il y a Simon.4

Comme Simon c’est « l’autre » qu’elle recherche justement pour se


sentir complète, elle s’arrête là dans sa liste mais à la fin de la pièce, elle la
reprend dans un monologue délirant d’associations et d’images :

Liste des circonstances apaisantes.

1
Marie Nimier, La Course aux chansons, Arles, Actes Sud- Papiers, 2012, « Heyoka
Jeunesse », p.43.
2
Stéphane Mallarmé, « Poésies », Œuvres complètes, ed. Henri Mondor et G. Jean-Aubry,
Paris, Gallimard, 1945, « Bibliothèque de la Pléaide », p.68.
3
Raymond Roussel, Comment j’ai écrit certains de mes livres, Paris, Gallimard, 1997,
Imaginaire.
4
Marie Nimier, La Confusion, Actes Sud – Papiers, 2011, p.44.

113
Liste des petits sacrifices
Liste des peines perdues.
Liste des choses qui vont me manquer.
Compulsivement faire des listes comme on fait le ménage.
Des listes pour se protéger : de lui, de moi :
Se délivrer : de lui, de moi.1

Conclusion : Chansons de « gestes »


« Restez comme vous êtes, je vous en supplie, » commence le
journaliste dans Les Allongés, une courte pièce de Nimier dans une
anthologie de courtes pièces, L’État du lit, dans laquelle sept auteurs ont
chacun écrit une courte pièce « à lit, » « nous sommes là pour montrer des
choses qui n’existent pas »2. Nimier, avec son côté insolite réussit elle-même
à montrer certaines choses qui n’existent pas bien entendu, comme les quatre
auteurs qui voulaient être adoptés ou des mots qu’elle invente comme «
poisson-lune » dans La Course aux chansons3, l’univers théâtral de Nimier
s’exprime en une virtuose – parfois verbale, parfois strictement gestuelle, qui
ressemble à la danse qu’elle évoque si clairement dans Vous dansez ? en
termes de « gestes tout simples »4 insérés dans le quotidien le plus pur :

Le geste du silence, un doigt posé sur les lèvres.


Le geste « à très bientôt »
Le geste pour enlever les miettes autour du bol le matin, avec le plat de la main.
Le geste qui vous échappe.
Le geste qui gesticule et celui qui s’ébauche quand on doute de soi.
Et tout ça, c’est aussi de la danse.
Même l’immobilité c’est de la danse.
Même le baiser de Noël, c’était de la danse.5

Les gestes des danseuses de Nimier sont aussi rayonnants de sens et


de poésie que ceux notés par Mallarmé dans ses textes sur le ballet parmi

1
Idem, p. 47.
2
Marie Nimier, « Les allongés », dans Jean-Michel Ribes, L’État du lit - Sept pièces courtes
de Jalie Barcilon, Stéphane Guérin, Jean-Daniel Magnin, Marie Nimier, Nicole Sigal,
Christian Siméon, Carole Thibaut, L’avant-scène théâtre, 2012, « Collection des
quatre-vents », p. 75.
3
Marie Nimier, La Course aux chansons, Arles, Actes Sud- Papiers, 2012, « Heyoka
Jeunesse », p. 35.
4
Marie Nimier, Vous dansez?, Paris, Gallimard, 2007, « Folio », p. 46.
5
Ibid.

114
ses chroniques « Crayonné au théâtre. » Décrivant le mystère qu’il
appréciait dans la danse de Loïe Fuller, par exemple, il souligne
l’encyclopédie gestuelle inhérente dans ses mouvements : « Sa fusion aux
nuances véloces muant leur fantasmagorie oxyhydrique de crépuscule et
de grotte, telles rapidité de passions, délice, deuil, colère : Il faut pour les
mouvoir, prismatiques, avec violence ou diluées, le vertige d’une âme
comme mise à l’air par l’artifice »1. De même, lorsqu’il décrit la danseuse,
en général, il la décrit en termes strictement poétiques, en tant que texte –
en soi, semblable au « langage de gestes » communiqué par les danseuses
de Nimier. Comme Mallarmé affirme :

La danseuse n’est pas une femme qui danse, pour ces motifs juxtaposés
qu’elle n’est pas une femme, mais une métaphore résumant un des aspects
élémentaires de notre forme, glaive, coupe, fleur, etc., et qu’elle ne danse pas,
suggérant, par le prodige de raccourcis ou d’élans, avec une écriture corporelle ce
qu’il faudrait des paragraphes en prose dialoguée autant que descriptive, pour
exprimer, dans la redaction : poëme dégagé de tout appareil du scribe.2

Toujours est-il que, par le biais du geste ainsi que par le non geste, le
tout et le rien, Nimier n’a pas besoin de se demander, comme pour Beckett,
« Qui parle ? » car la réponse est claire. Certes, si de Larquier confirme
que « le monde de Nimier, fait de rêves, de phantasmes et de cauchemars,
est un monde flottant qui ne prétend pas être la réalité en soi, mais la réalité
d’un regard, d’une histoire, d’une passion »3, comment peut-on définir les
personnages du théâtre de Nimier ? Leur condition « humaine » n’est pas
si simple. Comme le constate Blanche Neige dans un parking dans Pour
en finir avec Blanche Neige : « Une et multiple, voila ma condition. Je suis
un personnage de fiction, c’est le secret de mon immortalité : condamnée
à vivre tant qu'on parlera de moi. C’est beau quand on y pense. Oui, du
dehors, c’est beau…. »4
Peter SCHULMAN

1
Stéphane Mallarmé, « Autre étude de danse: les fonds dans le ballet », Œuvres complètes,
ed. Henri Mondor et G. Jean-Aubry, Paris, Gallimard, 1945, « Bibliothèque de la
Pléaide », p. 307.
2
Idem, « Ballets », p. 304.
3
Jeanne-Sarah de Larquier, « Entretien avec Marie Nimier », The French Review, Vol.78,
No.2, December 2004, p. 341.
4
Marie Nimier, Pour en finir avec Blanche Neige, opus 2 : Princess Parking, performance
de Marie Nimier et Karelle Prugnaud, (La Grande Veillée/Evreux, 31 octobre, 2009)
Inédit.

115
ORIENTATIONS BIBLIOGRAPHIQUES
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Anonyme, La Farce de Maître Pathelin, [1464-1479], Paris, Hatier, 2000,
« Classiques Hatier »
Breton André, Nadja, Paris, Gallimard, [1928], 1997, « Folio »
Demy Jacques, Les Parapluies de Cherbourg, 1964, 20th-Century Fox
Films
Fitzgerald F. Scott, The Curious Case of Benjamin Button, New York,
Scribner, [1922], 2007
Larquier Jeanne-Sarah de, « Entretien avec Marie Nimier, » dans The
French Review, Vol.78, No 2, Décembre 2004
Mallarmé Stéphane, Œuvres complètes, ed. Henri Mondor et G. Jean-
Aubry, Paris, Gallimard, 1945, « Bibliothèque de la Pléaide »
Pirandello Luigi, Six Personnages en quête d’auteur, Paris, Éditions
Flammarion, [1921], 2004, « Étonnants Classiques »
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Gallimard, [1935], 1997, « Imaginaire ».
Stoppard, Tom, Rosencrantz and Gildenstern are Dead, New York, Grove
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Susuki, Tadashi, The Way of Acting: The Theater Writings of Tadashi
Suzuki, New York, Theater Communications Group, 1986.
Vercors, Le Silence de la mer, [1941], Paris, Le Livre de Poche, 1996.
Vermeulen Pauline « Le théâtre de la Confusion: Rencontre avec Marie
Nimier, » www.fragil.org, Magazine en ligne, 2 décembre, 2011.
Virilio Paul, Inertie polaire, Paris, Christian Bourgeois, 1994, « Choix-
essais ».

116
*

IV
Genre et sexualité

117
118
*

Se risquer à s’effacer : Je suis un homme

S elon Marie Nimier, adopter la première personne pour inventer est un


acte risqué : comme romancière, on peut alors se voir confondue avec
son personnage qui narre. Et cette assimilation de la narratrice et de la
personne peut être dure à vivre, comme Nimier elle-même le confirme :
« C’est un risque qui réside dans le rapport à la vérité, dans le rapport à la
réalité, au témoignage. Lorsque les critiques parlent de mes livres comme s’il
s’agissait de récits ou de témoignages, ça me blesse. Ce n’est pas juste »1.
Sans doute est-ce en partie pour conjurer ce risque qu’avec le projet qui
deviendra Je suis un homme, l’auteure a préféré changer de sujet d’écriture
en écrivant un roman à la première personne du masculin. Elle se serait
laissée conduire par l’envie de « [s]’effacer, disparaître, se désintégrer en tant
qu’auteur[e] » 2 , soit par celle de « raconter le destin de quelqu’un qui,
comme le Joseph de La Girafe [un jeune homme d’origine mauricienne,
gardien de zoo], ne [lui] ressemblait pas. Ne voyait pas comme [elle].
Entendait de façon très différente. Un personnage qui a priori ne [lui] disait
rien. Qui n’était pas… [s]on genre »3. Paradoxalement, ce projet ne serait
pas sans présenter certains risques. Telle est l’hypothèse qui guidera le

1
Karin Schwerdtner, « Marie Nimier : se risquer à raconter (des histoires) » (entretien), dans
French Forum, vol. 40, no 1, winter 2015, pp. 47-61.
2
Ibid..
3
Ibid.. C’est Marie Nimier qui souligne.

119
présent travail. Cet article s’intéressera à l’homme, auquel renvoie la
première personne dans Je suis un homme, dans la mesure où,
contrairement à Marie Nimier l’écrivain, il tend à préférer le statu quo
plutôt que d’engager des paris, à l’issue incertaine, pouvant mettre en
danger son image (son paraître). Pour lui, le changement, parce que
douloureux, représente un danger qu’il y a lieu de conjurer en s’efforçant
de tout contrôler, de tout maîtriser : « Je le disais, je le répétais : je
contrôlais »1 . En revanche, pour l’auteure de Je suis un homme, il ne
semble pas être question de renoncer aux possibilités, aussi inquiétantes
soient-elles, pouvant lui permettre « de se créer indéfiniment [elle]-
même »2 comme romancière. Car en écrivant Je suis un homme, et selon
ce que nous appelons une mise en danger de l’auteure par elle-même3,
Nimier relève le défi de ne pas rester « dans la veine des Inséparables et de
La Reine du silence, qui est une veine qui semble plaire beaucoup »4. Non
seulement se risque t-elle à inventer un personnage très loin d’elle – dont
le comportement peut gêner, comme nous le montrerons dans un deuxième
temps –, mais elle lui invente aussi, selon ce qui retiendra notre attention
en dernier lieu, des mots, des phrases, des propos – dangereusement –
grossiers.

Ne pas (se) risquer ?


Avec Je suis un homme, et notamment avec le narrateur Alexis Leriche,
Nimier réalise son désir d’inventer un personnage « très désagréable » 5 .
Voilà du moins ce que la romancière fait remarquer à Alain Veinstein lors
d’une émission sur France Culture de « Du jour au lendemain ». Ce
narrateur, Alexis, se présente effectivement comme un homme antipathique,

1
Marie Nimier, Je suis un homme, Paris, Gallimard, 2013, p. 167. Désormais, les références
à ce roman seront indiquées par le sigle J, suivi du folio, et placées entre parenthèses
dans le texte.
2
Henri Bergson, L’Évolution créatrice (Œuvres, Paris, Presses universitaires de France,
1991, p. 500).
3
C’est Philippe Artières qui, dans son texte d’introduction, pense « la mise en danger de
Foucault par lui-même » : « Faire l’expérience de la parole », dans Le beau danger.
Entretien avec Claude Bonnefoy, sous la direction de Philippe Artières, Paris, Éditions
de l’EHESS, « Audiographie », 2011, p. 22.
4
Karin Schwerdtner, « Marie Nimier : se risquer à raconter… », loc. cit..
5
Marie Nimier, échange avec Alain Veinstein pour « Du Jour au lendemain » sur France
Culture (le 5 mars 2013).

120
voire même nuisible, autant pour lui que pour ses proches. Replié sur lui-
même, soit sur son désir de contrôle, qui semble cacher une peur profonde
du « risque de l’émotion, de la blessure, [et] de la souffrance »1 liée, pour lui,
au changement, il est peu enclin à rechercher de nouvelles expériences,
potentiellement douloureuses, mais dont il pourrait sortir grandi et alors qui
pourraient être à la fois enrichissantes pour lui et importantes pour d’autres.
Après la mort de sa mère, il passe des semaines, voire des mois,
enfermé chez lui, ou plutôt chez sa mère, à répéter les mêmes gestes, à
manger les mêmes aliments. Dans l’enfance déjà, Alexis tente de se couper
du monde, de renoncer à l’aventure, et ce, en raison notamment d’une
pathologie, d’une sensibilité auditive, qui le rend très (trop) vulnérable aux
sons. Il met de la cire dans les oreilles, prend l’habitude de porter un casque
qui lui permet d’isoler et de contrôler les sons, et renonce à la sociabilité ou
à l’ambition sociale, à commencer peut-être par son attirance pour une fille.
Quand enfin, sur le conseil de son ami d’enfance (Antoine), et surtout par
nécessité (pour survivre), il quitte la maison pour rechercher un emploi, ce
n’est que pour trouver un travail qui lui permet de faire à peu près comme
chez lui, c’est-à-dire comme il a depuis quelque temps l’habitude de faire :
s’enfermer seul, dans un petit coin fermé, un casque d’écoute sur la tête.
Ainsi, grâce à ce nouveau travail, dans une agence de casting de voix,
Alexis évite de se mettre, comme le dirait Bourdieu, « en danger dans le
monde »2.
Selon cette même tendance qu’on pourrait qualifier de casanière ou
d’auto-protectrice, Alexis, « fragilisé par une hyperacousie, qui sera aussi
l’instrument de sa réussite sociale »3, s’entoure de gens à peu près stables
qui le rassurent, ou du moins qui ne mettent pas en danger sa façon d’être.
Ce sont des personnes qu’il perçoit, pour la plupart, comme délicates ou
fragiles ; auprès de qui il se sent donc en sécurité, non menacé. Se référant
à Zoé, par exemple, il lui arrive de raisonner ainsi : « Son manque
d’assurance me rassurait, elle me donnait confiance en elle, comme me
donnait confiance la timidité de Lucas [le stagiaire]. Je savais que Zoé
n’irait pas chercher […] [ailleurs] pour me rendre jaloux […], je savais
qu’elle n’avait pas une once de perversité en elle » (J 121). Loin de
représenter un danger pour lui, ces personnes possèdent au contraire des

1
Pierre Bourdieu, Méditations pascaliennes, Paris, Seuil, 1997, p. 168.
2
Ibid..
3
Jérôme Garcin, « Comment Marie Nimier a changé de sexe », Bibliobs, le 10 février 2013.
http://bibliobs.nouvelobs.com/la-sieste-crapuleuse-de-
bibliobs/20130204.OBS7668/comment-marie-nimier-a-change-de-sexe.html

121
talents et parfois des ressources financières qu’il se permet d’exploiter.
Sans elles, Alexis n’aurait sans doute jamais pensé à quitter l’agence de
casting pour mettre sur pied sa propre entreprise, selon ce qui pourrait
constituer une prise de risque financière, sauf que c’est surtout une amie,
Delphine, qui finance l’entreprise, et cela sans vraiment établir des
conditions de remboursement. En vérité, pour commencer du moins,
l’initiative vient moins de lui que de ses amis qui lui seront désormais
indispensables, à titre de créanciers, collègues et conseillers. Par exemple,
sa copine Zoé, qui deviendra son épouse, s’occupera de gérer les affaires,
ayant les capacités nécessaires pour le faire. Ainsi, à s’entourer de gens
capables, il ne se met pas exactement en danger.
À partir du moment où il prend en main la direction et qu’il place sa
« confian[ce] dans la solidité de l’entreprise » (J 166), il lui arrive, certes,
de prendre des décisions potentiellement dangereuses (comme, par
exemple, abandonner une branche d’activité, celle qui demande trop
d’investissement humain, ou encore, engager une somme importante pour
rénover le studio) et, avec ses collègues et amis, de « [s’]attaquer à des
opérations de grande envergure » (J 167) pour s’en vanter à son père, par
exemple. Pourtant, dans sa vie personnelle, depuis surtout qu’il est confiant
dans la loyauté de Zoé, il met le plus grand soin à s’imposer des contraintes,
à « imposer ses limites » :

Imposer mes limites à qui et pourquoi ? À moi-même, en premier lieu. Pour


définir une bonne fois pour toutes ce qui était moi et ce qui n’était pas moi. Pour ne
plus laisser s’échapper des pensées à voix haute. Pour suivre le chemin que je m’étais
tracé avec l’aide d’Antoine [son ami], cette idée de construire sa vie comme on
construit une maison. Une vie avec des murs, un toit, des fenêtres à double vitrage.
Tout ça bien dessiné. Très important, les plans. Les lignes. Les contours. L’isolation.
(J 83)

De crainte de paraître faible, nécessiteux, et pour se donner


« l’apparence d’une personne froide, distante, exigeante et dans la
maîtrise »1, il s’efforce donc de limiter le recours au fantasme (dont Breton
dirait qu’il est une force libérée du contrôle de la raison) et de renoncer à
tout éventuel besoin de tendresse (lequel serait, de son point de vue,
inapproprié chez lui) en faveur de la violence et de l’isolation (« vient
toujours le moment où, au lit, pour réveiller sa virilité, il glisse de la

1
« Une personne qui utilise inconsciemment l’isolation pour se défendre contre ses
obsessions offre souvent l’apparence d’une personne froide, distante, exigeante et dans
la maîtrise » (Alain Braconnier, Protéger son soi, Paris, Odile Jacob, 2010, p. 198.

122
tendresse à la violence »1 ). Ne pas rêver au sujet de Delphine. Ne pas
articuler à voix haute ses pensées. Se dominer. Mais aussi : ne pas avouer
ses faiblesses aux autres. Ne pas reconnaître et réparer ses torts. Ne pas
exister, ne pas prendre en charge son existence (si nous acceptons, avec
Henri Bergson, qu’« exister consiste à changer, changer à se mûrir, se
mûrir à se créer indéfiniment soi-même »2).
Alexis n’hésite pas à changer de look, de coiffure par exemple, pourvu
que cela contribue à renforcer son image d’homme puissant voire dur :

Delphine n’aimait pas ma nouvelle coiffure – si l’on pouvait parler de coiffure


à propos d’un crâne débarrassé de son fatras capillaire. J’avais l’air plus vieux, disait-
elle, plus austère. Presque inquiétant. Voilà que je lui faisais peur, pauvre chatoune !
Depuis le jour où j’avais précisé que je voulais être seul maître à bord, elle se tenait
à distance, et cette réaction ne m’étonna qu’à moitié. En vérité, elle m’arrangeait. Si
quelque chose se passer entre nous, ce serait plus tard, quand le Paradis des voix
serait sur les rails. (J 83)

Comme il l’explique dans ce dernier extrait, si son apparence changée


peut provoquer une réaction de crainte ou d’angoisse, cela l’arrange
parfaitement. Il n’est pourtant pas question de changer de comportement –
de renoncer, lui, à sa volonté impérieuse au profit des désirs de ses proches,
par exemple. Cela reviendrait à « se mûrir, se mûrir à se créer indéfiniment
soi-même »3, voire à « [g]randir [qui] est un acte douloureux » (J 153) :
« [B]aisser le front, courber l’échine, changer ? Je n’en voyais pas la
nécessité » (J 124). Ainsi, en découvrant, par exemple, le journal intime de
Zoé, qui lui renvoie l’image d’un « timide contrarié » 4 pourvu d’une
conscience exacerbée de sa force et de sa supériorité virile, Alexis se replie
davantage sur son désir de contrôle. Plutôt que d’admettre à ses collègues
sa vulnérabilité, auditive et affective ; plutôt que de reconnaître
publiquement ses difficultés ainsi que ses émotions et sentiments qui sont
pour lui des faiblesses, il inflige des souffrances à ses proches, et
notamment à Zoé qu’il agresse physiquement.
Rappelons l’épisode où Alexis voit Delphine accompagnée d’un
homme dont il est immédiatement jaloux et à qui, par conséquent, il est
tenté de dire « deux ou trois choses désagréables » (J 112). Tandis que,
devant le couple, il parvient à dominer sa rage, à ne pas se montrer jaloux

1
Jérôme Garcin, loc. cit..
2
Henri Bergson, op. cit., p. 500.
3
Henri Bergson, op. cit., p. 500.
4
Jérôme Garcin, loc. cit..

123
– cela ne cadrerait pas bien avec son image d’homme en contrôle –, il ne
retient pas sa colère, lorsqu’il est au lit avec son amie. Non seulement il se
frappe lui-même, quand il n’arrive pas à avoir une érection (« je regarde
mon sexe flapi et lui donne des baffes, oui, c’est tout ce qu’il mérite, ce
sexe mou, ce sexe flageolant que je gâche maintenant en le traitant de tous
les noms à son tour » (112)), mais aussi, il agresse Zoé : « Je traitais Zoé
de salope, je lui demandais de faire sa pute, fais ta pute, je répétais, ça sortait
de ma bouche comme un tic, une rengaine lointaine, et j’espérais qu’elle
n’allait pas le prendre mal » (J 112). De ce point de vue, il se comporte,
agit, « en termes de domination. Pas [seulement] de domination de l’autre,
attention : avant toute chose, il faut qu’il se domine lui-même » (J 48-49).
Il s’agit de faire violence aux autres, pour paraître puissant et fort, maître
de ses émotions ; pour imposer une vision de lui-même qui ne tient pas
debout, dans la mesure où, comme il finit par se l’admettre (J 122) – lui qui
a le fantasme d’être retourné comme un gant et qui se raconte des histoires
afin de tenir –, son corps grand et robuste s’avère peu adapté à son
caractère d’homme fragile.
Bourdieu le disait : « C’est parce que le corps est […] mis en jeu, en
danger dans le monde, affronté au risque de l’émotion […], de la
souffrance […], qu’il est en mesure d’acquérir des dispositions qui sont
elles-mêmes ouverture au monde » 1 . Les risques de l’émotion et de la
blessure sont dans ce cas des étapes à franchir : ils impliquent des actions
nécessaires pour se positionner dans la famille et dans la société, pour ne
plus « hésiter sur sa place »2 ou, comme le philosophe Robert Misrahi le
dirait, « pour compléter ses manques, […] pour accéder à la satisfaction »3.
Or depuis au moins la jeunesse, et face surtout aux jeunes femmes comme
sa camarade de classe Delphine dont il est « tomb[é] immédiatement
amoureux », il érige toujours et encore de « nouvelle[s] barricade[s] pour
se protéger » (J 59). Depuis lors, il tend à classer, en termes de leur
apparence et leurs habitudes, les femmes qu’il rencontre, afin de faire
l’inventaire de tout ce qui les séparent de lui.
Sans doute est-ce pour se protéger de ce même risque de la blessure,
que depuis surtout la mise sur pied de son entreprise, le « célibataire en [lui]

1
Pierre Bourdieu, op. cit., p. 168.
2
Voir la présentation de plusieurs livres dont Je suis un homme de Marie Nimier : Florent
Georgesco, « Maux d’amour du mâle moderne », Le Monde des livres, 4 janvier 2013.
3
Robert Misrahi, « Le libre désir », dans Marie de Solemne, Entre désir et renoncement.
Dialogues avec Julia Kristeva, Sylvie Germain, Robert Misrahi et Dagpo Rimpoché,
Paris, Albin Michel, 2005, p. 14.

124
invent[e] toutes sortes de prétextes » (J 55) pour maintenir le statu quo,
hésitant alors à partir en amoureux (ne serait-ce que le temps d’un
weekend), à se mettre en ménage avec une femme, à se marier, enfin, à
entreprendre tout projet pouvant l’amener à changer de perspective, de
routine ou d’habitudes. Il renonce aux aventures et aux initiatives non
seulement susceptibles d’entraîner pour lui de nouvelles obligations vis-à-
vis d’autrui (par exemple : il redoute d’avoir à créer une famille avec sa
compagne Zoé, avant d’apprendre qu’elle ne peut pas avoir d’enfants1),
mais aussi, dans le cas où il arrive à acquérir de nouvelles dispositions et à
aimer sans réticence, qui risquent de l’exposer au danger de la souffrance,
du chagrin d’amour. De ce point de vue, Alexis Leriche est moins un agent
responsable de son développement affectif et psychique qu’un patient,
victime de ses propres réticences, pour qui le seul remède à la peur et à
l’insatisfaction réside dans la colère et la violence, soit dans la tentative de
gommer (cacher) sa timidité.

Se risquer à changer
Nous l’avons vu, le changement est considéré par le personnage
d’Alexis comme une menace, voire comme un danger à conjurer – à moins
que ne cela ne serve absolument, de son point de vue, à renforcer son image
d’homme viril, de « seul maître à bord ». Pour Nimier, en tant qu’écrivain,
les défis à l’issue incertaine sont, en revanche, des mises à l’épreuve
bienvenues. A l’instar d’autres écrivains pour qui « l’écriture est […] un
travail à oser sur soi-même » 2 , l’auteure de Je suis un homme trouve
important voire nécessaire de changer sans cesse de voie en écrivant,
« d’être sur des territoires différents, des ambiances, des couleurs, des
professions, des focales différentes »3, afin de (se) surprendre. C’est ce que
Nimier explique elle-même : « [À] chaque fois, je veux écrire un roman
très différent du livre précédent, même si maintenant, je me rends compte
qu’on parle toujours un peu de la même chose… Mais j’ai toujours eu ce

1
« Elle avait un grand avantage: elle ne pouvait pas avoir d’enfants. Je n’avais pas à
surveiller sa prise de pilule, ni à essuyer de longues conversations autour de la maternité,
la paternité, la descendance et tout le tintouin. Affaire réglée. Toujours ça de pris » (J
108).
2
Karin Schwerdtner, « Chantal Chawaf : écrire à ses risques et périls (entretien) », Women
in French Studies, vol. 20, 2012, p. 98.
3
Karin Schwerdtner, « Marie Nimier : se risquer à raconter (des histoires) » (entretien), loc.
cit.

125
besoin de me surprendre et, par conséquent, de surprendre le lecteur »1.
Pour cela, il y a lieu d’éviter de rester dans du « même » – d’écrire chaque
fois un roman différent du livre précédent, comme Nimier prétend l’avoir
fait :

On n’a qu’à prendre le premier livre [Sirène], l’histoire d’une jeune fille qui me
ressemblait un peu. Pour le deuxième roman, La Girafe : tout de suite j’ai eu envie
de prendre le contre-pied, d’inventer un personnage très loin de moi (un jeune
homme d’origine mauricienne, gardien de zoo) et de parler de sa solitude, de ses
fantasmes et de sa vie sexuelle. C’est à ce moment-là, au moment de l’élaboration
de ce second roman, que je vais vraiment choisir, décider d’écrire pour de bon.
Ensuite, je me suis lancé un nouveau défi : parler d’un groupe, alors j’ai écrit mon
troisième roman, Anatomie d’un cœur, qui mettait en scène quatre-vingt chanteurs ;
c’était assez formel comme idée de départ, enfin pas formel, mais une décision. […]
Dans La Reine du silence, ainsi que dans Les Inséparables qui est arrivé après, j’étais
partie d’éléments très fortement autobiographiques.2

Malgré cette envie « de faire un pas de côté ou de prendre le contre-


pied ou d’aller ailleurs » en écrivant, elle conçoit être restée, après La Reine
du silence (Médicis 2004), « un peu dans la même veine
autobiographique » 3 . Même pour écrire Photo-Photo, l’auteure serait
partie, selon elle, « d’une scène qui a vraiment eu lieu – de propos que Karl
Lagerfeld [lui] a vraiment adressés lorsqu’il [l]’a photographiée » 4 . À
l’époque de La Reine du silence, son projet consistait à « continuer quelque
chose » : « je pensais qu’à la fin, il y aurait trois livres qui formeraient un
ensemble plus ou moins autobiographique, une trilogie comme on dit un
peu pompeusement, mais après le deuxième opus [Les Inséparables], je
n’ai plus eu envie de suivre cette ligne »5. Or, à sortir ainsi d’une veine
d’écriture qui semble plaire, pour « se pousser vers quelque chose qu’elle
ne connaît pas » 6 , elle se risque à créer ce qui peut non seulement
étonner mais aussi « décevoir »7. Le lecteur ayant lu La Reine du silence,
Les Inséparables et Photo-Photo, pourrait s’attendre à trouver dans Je suis
un homme un roman rédigé à partir d’éléments autobiographiques, et non

1
Ibid..
2
Ibid..
3
Karin Schwerdtner, « Marie Nimier : se risquer à raconter (des histoires) » (entretien), loc.
cit.
4
Ibid..
5
Ibid..
6
Ibid..
7
Ibid.. « Me pousser vers autre chose […], c’est prendre le risque de décevoir, disons. »

126
l’autoportrait d’Alexis. Se poserait alors pour Nimier le problème d’être en
rupture avec les attentes du lecteur.
Mais là n’est pas le seul risque. Entreprendre de décrire, raconter,
prendre pour objet, comme le dirait Foucault, « quelque chose qui est hors
de soi »1, chose vis-à-vis de laquelle on a de la distance, est a priori un risque.
On peut bien rater son coup, dans ce cas, comme le disait Foucault : « je
m’adresse bien toujours à quelque chose qui est hors de moi […]. Cela fait
qu’évidemment, pour moi, écrire est une activité très épuisante, très difficile,
très angoissante aussi. J’ai toujours peur de louper ; je loupe, je rate
indéfiniment, bien sûr »2 . Ce danger risque apparaît d’autant plus grand
lorsque l’auteure prend pour objet les pensées d’un personnage de fiction,
pensées qui lui sont donc non seulement étrangères (lointaines et différentes
des siennes), mais aussi qui risquent de la lasser, de l’aliéner en tant
qu’écrivain. Car la pensée d’un homme désireux de tout contrôler, pour
paraître puissant et viril, la concerne moins que le « quelque chose de
l’intime [qui est] pass[é] »3 dans ses romans d’inspiration autobiographique
et « qui concerne tout le monde (chacun a eu un père, une meilleure amie) »4.
Dans cette perspective, l’auteure de Je suis un homme se présente comme
étant, selon ce que nous avons pu montrer de l’épistolier en exil, « aux prises
avec une situation qu’[elle] ne contrôle pas »5, en l’occurrence, aux prises
avec un personnage-narrateur qui ne voit pas comme elle, dont les actions et
paroles risquent, « à la longue, [de] dégoûte[r] de la vie »6. Étant donné « la
distance qu’[elle a], que nous [les lecteurs] avons [aux] choses »7 décrites
dans Je suis un homme, Nimier prend le risque de « tomber à côté de la
plaque »8. Elle risque aussi de se lasser de son propre roman en l’écrivant ou,
dans le cas où elle arrive à le finir, à en dégoûter le lecteur.
Prenons à titre d’exemple les premières phrases de Je suis un homme :
« L’enfance n’existe pas. Elle n’est que coquille vide, pure invention de
l’esprit » (J 11). Ces phrases – parce qu’elles nient l’existence de l’enfance,

1
Michel Foucault, Le beau danger. Entretien avec Claude Bonnefoy, loc. cit., p. 66.
2
Ibid., p. 66-67.
3
Karin Schwerdtner, « Marie Nimier : se risquer à raconter (des histoires) » (entretien), loc.
cit.
4
Ibid..
5
Karin Schwerdtner, Margot Irvine et Geneviève de Viveiros, « Introduction », Risques et
regrets. Les dangers de l’écriture épistolaire, Montréal, Nota bene, 2015, p. 9.
6
Ce sont les mots de Marie Nimier cités par Jérôme Garcin, loc. cit..
7
Michel Foucault, Le beau danger. Entretien avec Claude Bonnefoy, loc. cit., p. 66.
8
Karin Schwerdtner, « Marie Nimier : se risquer à raconter (des histoires) » (entretien), loc.
cit.

127
une notion généralement admise, y compris par Nimier, auteure de
plusieurs textes pour la jeunesse et de romans mettant en scène des enfants
– servent à éloigner celui qui les énonce (Alexis) d’un personnage
autobiographique et de la personne de Nimier elle-même. Mais elles
servent également à choquer le lecteur et peut-être à l’aliéner, si nous
considérons qu’à partir de l’incipit, l’auteure explore le territoire des
observations contestataires voire aberrantes pour alors rendre difficile à
réaliser l’éventuel désir de « sentir les liens », pour ne pas dire de
« s’identifier au personnage et à son récit, à ses mots » :

Pour celui qui lit aussi bien que pour celui qui écrit, être dans un livre [suivre
un personnage et son récit], c’est un peu comme quand on est amoureux, non ?
Quand on est amoureux, on a l’impression de faire partie d’un monde. On a le plaisir
de sentir les liens, on trouve raison d’exister. Pour le roman, d’après mon expérience,
c’est la même chose, mais les liens ne se font pas vraiment au niveau des événements
racontés – plutôt par le vocabulaire, les phrases, les mots choisis.1

En revanche, selon la logique présentée dans ce passage, ne pas sentir


les liens serait, pour celui qui lit aussi bien que pour celui qui écrit, « un
peu comme quand » on n’aime pas. Cela reviendrait à ne pas avoir le
plaisir de faire partie d’un monde, à ne pas se réjouir à l’écriture ou à la
lecture.
Pour que le lecteur s’attache à un livre et, tout d’abord, pour que
l’écrivain ait envie de le terminer, le personnage central, s’il est singulier,
voire singulièrement désagréable, s’il est replié sur lui-même, soit sur son
désir de contrôle qui cache mal ses peurs, ne doit pas l’être trop. Par ailleurs,
son expression, sa façon de parler, ne doivent pas non plus être trop
aliénantes. C’est ce que confirme Nimier, qui craignait de se « ramasser »2
avec son personnage d’homme dont l’agression, ou plutôt dont l’envie de
paraître puissant, passe par les gestes et par les mots : « Il y avait là un défi :
comment donner envie au lecteur de le suivre (et à moi-même de
poursuivre le travail d’écriture), s’il était aussi imbuvable que je le
prétendais ? »3.
Nous ne souhaiterions pas suggérer qu’avec Alexis Leriche, Nimier
invente pour la première fois un personnage susceptible d’étonner voire de

1
Karin Schwerdtner, « Marie Nimier : se risquer à raconter (des histoires) » (entretien), loc.
cit..
2
Marie Nimier, échange avec Alain Veinstein pour « Du Jour au lendemain », loc. cit..
3
Nous soulignons. Karin Schwerdtner, « Marie Nimier : se risquer à raconter… », loc. cit..

128
« créer un certain malaise »1. Avec ses pièces de théâtre, en particulier avec
La Confusion (2011), mais aussi avec ses romans – pensons surtout à La
Girafe (1987) qui raconte les fantasmes et la vie sexuelle d’un gardien de
zoo –, la romancière prend (d’ailleurs consciemment) le risque d’imaginer
des scènes ou récits autour de personnages qui suivent généralement leurs
intuitions, sans nécessairement se préoccuper des règles de la bienséance.
Cela dit, dans Je suis un homme, le risque de gêner le lecteur apparaît
d’autant plus grand dans la mesure où Alexis « parl[e] de lui et du monde
qui l’entoure (et surtout des femmes qu’il rencontre) »2. Etant donné le
pouvoir tantôt aliénant, tantôt unificateur (générateur de liens) de la langue,
il n’y a peut-être pas d’acte plus risqué pour un écrivain que d’inventer un
personnage-narrateur dont la façon de s’exprimer peut être considérée,
comme nous le verrons maintenant, à la fois crue et (brutalement) sincère.

Se risquer à faire parler un homme


Se référant à son travail d’écriture de chansons, Nimier affirme :
« Quand j’écris des chansons, je les écris pour quelqu’un, sachant que ce
sont des mots qui passeront par son corps. Dans un sens, je m’efface »3. Si
nous admettons que Nimier a rédigé Je suis un homme comme elle aurait
écrit une chanson ou encore, selon ses propos, comme « aurai[t] écrit un
monologue théâtral »4, alors elle écrit pour son personnage, Alexis. Elle lui
invente des observations et des paroles, tout en se gardant de « se mettre
devant [l]es mots »5. C’est alors Alexis qui occupe toute sa place dans le
roman comme personnage qui « écrit » (J 49), qui élabore le « récit
rétrospectif en prose […] de sa propre existence »6 pour mettre l’accent sur
sa vie intime et, en particulier, sur l’histoire de sa personnalité, soit de son
désir de contrôle.
Devant ses camarades au moment de l’action, quand il laisse
s’échapper des réflexions à voix haute, Alexis « parle » d’après sa pensée,
ou plutôt d’après son instinct : il dit alors le monde qui l’entoure comme il
le voit, comme il le pense, c’est-à-dire « en termes de domination » (J 48).
1
Jeanne-Sarah De Larquier, « Entretien avec Marie Nimier », The French Review, 78. 2,
2004, p. 347.
2
Ibid..
3
Ibid..
4
Ibid..
5
Ibid..
6
Philippe Lejeune, Le Pacte autobiographique, Seuil, 1975, p. 14

129
L’article de Jérôme Garcin, dans Le Nouvel Observateur, fait bien
remarquer que, chez le personnage, désireux de dominer, dans Je suis un
homme, « [l]es filles qu’on épile lui donnent ‘la trique’, [qu’i]l lui faut les
‘bourrer’ par-devant et par-derrière, les traiter de ‘salopes’, enfoncer sa
‘queue dans leur décolleté’, au besoin les cogner »1. Il en va de même pour
Alexis le narrateur, au moment de son énonciation : il peint les choses
comme il les imagine (ou les imaginait). En même temps, il les classe et
les catégorise (« Le classement, il s’y connaît » (J 48)), sans se soucier du
risque de généraliser et, par extension, de scandaliser. Il lui arrive alors
souvent d’émettre des propos, par exemple sur les aptitudes naturelles des
femmes : « J’envie cette capacité qu’ont les femmes de jouir plusieurs fois
d’affilée » (J 153-154). Dans son portrait de la femme idéale, il reprend des
clichés sur la complaisance (la diligence) et la beauté féminines pouvant
déconcerter : « Il la veut : saine, gagnant sa vie, fiable, dévouée. De
préférence grande, sexy, avec une grosse poitrine » (J 48). Ce sont autant
d’opinions et de mots qui peuvent aliéner non seulement les lecteurs, mais
aussi l’auteure qui, en écrivant, se pose la question de savoir comment
tolérer son personnage.
Nous n’avons qu’à prendre en exemple l’un de ses fantasmes pour
nous convaincre de ce que, chez Alexis, les mots qu’il trouve pour peindre
les femmes (ici : Delphine) les réduisent à leur corps devenu, dans sa tête,
objet de son désir impérieux – et, en particulier, à leurs fonctions (bouffer,
avaler, mouiller, faire l’amour) et à leurs parties physionomiques (les
gencives, la langue, le palais, la bouche). Dans l’exemple du fantasme dont
il est question dans ce prochain extrait, Alexis souhaiterait que Delphine
soit capable d’abandonner son désir, son éventuelle idée d’avoir des
enfants, qu’elle soit prête à renoncer à sa volonté au profit de son désir à
lui :

Je me demandais si Delphine serait capable d’abandonner quelque chose pour


moi. Abandonner, par exemple, l’idée d’avoir des enfants. N’était-ce pas le cœur du
problème ? Il faudrait que je la surveille, je me connaissais. Je la soupçonnerais
d’oublier volontairement sa pilule, je lui dirais, tu la bouffes tous les soirs devant moi,
c’est compris, tous les soirs je te donnerais la becquée, voilà, tu l’avales, ouvre grand
que je vérifie ? Et je passerais mon index partout, contre les gencives, sous la langue,

1
Expressions soulignées dans le texte. Jérôme Garcin, « Comment Marie Nimier a changé
de sexe », Bibliobs, le 10 février 2013. http://bibliobs.nouvelobs.com/la-sieste-
crapuleuse-de-bibliobs/20130204.OBS7668/comment-marie-nimier-a-change-de-
sexe.html

130
sur le palais, ça la ferait mouiller, nous terminerions l’un sur l’autre, l’un dans l’autre,
ça deviendrait un jeu. Un soir pour me narguer, alors que j’aurais bien inspecté sa
bouche et que nous ferions l’amour, elle me tirerait la langue. La pilule se tiendrait
dessus, toute brillante, comme un minuscule piercing – l’effet serait radical, je
débanderais illico. (J 90-91)

Dans cet extrait, le lexique de la surveillance (soupçonner, donner la


becquée, surveiller, vérifier, inspecter) souligne combien Alexis a peur de
ce que, dans une perspective essentialisante, il semble considérer chez les
femmes comme leur désir « naturel » de se reproduire, de créer une famille.
Ce désir serait, selon lui, un vrai désavantage chez celles à qui il pourrait
vouloir « s’attacher » (J 48). Ce ne serait par ailleurs pas le seul défaut des
femmes, qui en général ne correspondent pas à son image de l’amie parfaite,
ni sur le plan physique, ni sur le plan moral (en termes de valeurs) ou
intellectuel. Si, en effet, il a mis « longtemps à considérer Zoé comme une
partenaire potentielle, c’est à cause de [son] foutu menton [fuyant] » (120).
Ainsi, si nous admettons, avec Nimier, que « les liens ne se font pas
vraiment au niveau des événements racontés – plutôt par le vocabulaire, les
phrases, les mots choisis »1, alors nous pouvons facilement imaginer que,
par le récit d’Alexis, les liens se fassent difficilement. Après tout, il ne se
lasse pas de juger les autres, et cela, dans un langage grossier. Or, dans son
récit, Alexis est tout aussi disposé à déclarer ses propres défauts, quoique
sans en assumer la responsabilité, dans le cas de ses comportements fautifs :
« Est-ce ma faute si je m’endors tout de suite après l’amour ? » (J 154) ;
« et si je bois trop ce n’est pas toujours ma faute » (J 154). Par écrit, il a en
effet tendance à porter sur lui-même (ici : sur son pénis) le même regard
critique qu’il porte sur autrui. Cette attitude passe par l’usage important de
mots d’insulte et de formules vulgaires : « je regarde mon sexe flapi […],
ce sexe flageolant que je gâche maintenant en le traitant de tous les noms »
(J 112).
Il est possible que ce soit cette prise de distance, ce regard critique qu’il
lui arrive de porter sur lui (« je me serais quitté »), par exemple dans
l’extrait que notre édition rapporte en quatrième de couverture, qui rend
supportable l’expression de sa pensée de « macho » ou de timide contrarié :

Je suis beau, tout le monde s’accorde à le dire, de cette beauté rugueuse que je
tiens de mon père. Zoé et Delphine prétendent que je suis un macho, dans le bon
sens du terme (sic), et les voilà qui dressent l’inventaire de mes petits défauts. Si elles

1
Karin Schwerdtner, « Marie Nimier : se risquer à raconter (des histoires) » (entretien), loc.
cit..

131
ont tant de choses à me reprocher, pourquoi parlent-elles de moi avec des étoiles
dans les yeux? À leur place, je me serais quitté depuis longtemps.

Peut-être est-ce plutôt, chez Alexis, « l’ineptie de sa démarche » (J 48)


qui permette de le suivre, celle consistant à faire croire à son illusion de
virilité au moyen de déclarations du genre « je suis beau » censées masquer
la gêne que certaines situations lui inspirent. Quoi qu’il en soit, à intégrer,
dans son récit, des conclusions peu flatteuses à son sujet, surtout celles qu’il
tire lui-même, mais parfois aussi celles émises par ses amies, le narrateur
parvient, selon Le Figaro magazine, à donner envie de le gifler et de le
« serrer dans nos bras une seconde après »1. De ce point de vue, Nimier a
gagné son pari.
Nous l’aurons compris : raconter l’histoire d’un personnage masculin
singulièrement désagréable est un acté risqué. Or, le risque apparaît
d’autant plus grand lorsque l’auteure, pensant avoir été un peu trop « dans
l’identification du personnage qui raconte » 2 , s’efforce d’inventer des
paroles et des pensées intimes pour ce personnage d’homme désagréable.
Or, comme Bergson le dirait peut-être, c’est parce que Nimier relève un
défi difficile avec Je suis un homme, pour alors accepter de changer à se
créer3, qu’elle existe, reste vivante en tant qu’écrivain. Du moins rend-t-
elle son livre vivant, selon son désir ultime : « Que ce soit réussi ou pas
réussi, je me dis que c’est vivant, et c’est ça qui compte. Etre vivant, pas
dans la redite »4.
Pour terminer, rappelons que, pour Nimier, « [s]on écriture, ce n’est
pas [elle], c’est quelque chose qui [la] traverse. La plume ou les doigts sur
le clavier, c’est comme le langage qu’on partage, mais qui n’est pas nous »5.
De ce point de vue, et si nous acceptons la définition de l’écriture proposée
par Foucault lors de son entretien avec Claude Bonnefoy, accepter d’être
traversé par « quelque chose qui est hors de soi », c’est se mettre en péril.
C’est aussi se faire un plaisir, celui de courir un beau danger6.
Karin SCHWERDTNER

1
Isabelle Courty in Le Figaro magazine, 2013. http://www.marienimier.com/combo.
php?id=138&type=roman
2
Karin Schwerdtner, « Marie Nimier : se risquer à raconter… », loc. cit..
3
Henri Bergson, op. cit., p. 500.
4
Karin Schwerdtner, « Marie Nimier : se risquer à raconter… », loc. cit..
5
Ibid..
6
Michel Foucault, Le beau danger. Entretien avec Claude Bonnefoy, loc. cit., p. 66.

132
ORIENTATIONS BIBLIOGRAPHIQUES
Artières Philippe, « Faire l’expérience de la parole », dans Le beau danger.
Entretien avec Claude Bonnefoy, sous la direction de Philippe Artières,
Paris, Éditions de l’EHESS, « Audiographie », 2011
Bergson Henri, L’Évolution créatrice, Œuvres, Paris, Presses
universitaires de France, 1991
Bourdieu Pierre, Méditations pascaliennes, Paris, Seuil, 1997
Braconnier Alain, Protéger son soi, Paris, Odile Jacob, 2010
Courty Isabelle in Le Figaro magazine, 2013. http://www.marienimier.
com/combo.php?id=138&type=roman
De Larquier Jeanne-Sarah, « Entretien avec Marie Nimier », The French
Review, 78. 2, 2004, pp.340-353
Garcin Jérôme, « Comment Marie Nimier a changé de sexe », Bibliobs, le
10 février 2013. http://bibliobs.nouvelobs.com/la-sieste-crapuleuse-
de-bibliobs/20130204.OBS7668/comment-marie-nimier-a-change-
de-sexe.html.
Georgesco Florent, « Maux d’amour du mâle moderne », Le Monde des
livres, 4 janvier 2013
Lejeune Philippe, Le Pacte autobiographique, Paris, Seuil, 1975
Misrahi Robert, « Le libre désir », dans Marie de Solemne, Entre désir et
renoncement. Dialogues avec Julia Kristeva, Sylvie Germain, Robert
Misrahi et Dagpo Rimpoché, Paris, Albin Michel, 2005
Schwerdtner Karin, « Chantal Chawaf : écrire à ses risques et périls
(entretien) », Women in French Studies, vol. 20, 2012, pp.90-103
Schwerdtner Karin, « Marie Nimier : se risquer à raconter (des histoires) »
(entretien), dans French Forum, vol. 40, no 1, winter 2015, pp. 47-61.
Schwerdtner Karin, Irvine Margot et de Viveiros Geneviève,
« Introduction », Risques et regrets. Les dangers de l’écriture
épistolaire, Montréal, Nota bene, 2015.

133
134
*

Polymorphous Perversity in Marie Nimier’s


La Girafe

W ith the publication of Je suis un homme in 2013, Marie Nimier sent


the male literary establishment into a turmoil. For how could she,
Nimier, first name Marie, publish a novel whose subject was not only male
but also a first person narrator? Blinded by their thinly-veiled disdain for
Nimier’s ventriloquist act, the critics failed to notice that this was however
not the author’s first foray into the male psyche. Published in 1987, La
Girafe has received relatively little critical and academic attention in
comparison to Sirène (1985), La Nouvelle Pornographie (2000) or La
Reine du Silence (2004), despite being not only a complex and
accomplished novel, but one that the author herself holds dear. The story
of Joseph, orphaned by his Mauritian mother and sent away to live on a
farm by his father and who, in his late adolescence takes up a job at the
Vincennes zoo as a carer for a giraffe named Hedwige is a first-person
narrative of paraphilias, love and murderous events. With this second novel,
Nimier places her writing firmly within the domain of the fictional and the
richness and originality of her thematic universe blossoms. Nonetheless, I
suggest that the spectre of the father explored in her first novel, Sirène,
haunts her work through the complex and ambiguous paternal figures. The
marked absence of the father impedes development, relegating the
characters to a continuing childhood and is thus instrumental to the
development of deviant features in Nimier’s characters. The author’s ludic
univers romanesque is populated by a vast array of emotionally stunted

135
characters with childlike behavioural features but who manifest
pronounced perverse tendencies.
Freud’s controversial idea that children are polymorphously perverse is
a concept which will allow the exploration of the richness of perverse
sexuality as transgression and as arrested development, operating with the
idea of perversion as an overstepping of the boundaries of the heterosexual
normative matrix and its reproductive aims. Whilst I understand that the
issue of perversion is ethically charged and its boundaries are ever-changing,
I will apply the concept as theorized by Julia Kristeva, following along
Freudian lines: “Perversion is […] a transgression of ‘barriers’, in other
words, of the prohibitions articulated by social law inasmuch as it is a law of
the father, of prohibitions that channel sexuality towards procreation. In
skirting these prohibitions or barriers, the pervert fixes on aims and object
characteristics of infantile sexuality” (2004: 157) [original emphasis]. The
kaleidoscopic nature of the transgressions present in Nimier’s work deserves
detailed attention, however, in the interest of brevity and of conciseness, La
Girafe will be the roman-phare and will undergo close scrutiny, allowing
me to draw certain parallels with the themes pervasive in her textual corpus.
Furthermore, as zoophilia is central to the narrative, I will attempt to expose
the ways in which the zoo setting becomes an expression of an infantile state
and a locus of perversions in order to show how a series of factors collide
and determine Joseph’s character.

Perversion in its Kaleidoscopic Forms


One might be tempted to view La Girafe as a catalogue of perversions
symptomatic of larger scale social issues. Carol Murphy remarks that “des
‘déviations’ de divers comportements sexuels comme marqueurs d’une
aliénation sociale proliférent” (2012: 564). However, I would argue that
whilst the novel makes a stab at the social canvas, it primarily focuses on
the microcosm of the familial realm. Family and its accompanying
deviations are poignantly captured in a passage from L’Hypnotisme à la
portée de tous (1992), in a scene where the manager of the sex line where
the main character Cora is employed explains its functioning: “Le client a
le choix entre sept familles: Exhibitionnisme, Voyeurisme, Inceste,
Sodomie, Sadomasochisme, Zoophilie et une rubrique Fourre-Tout qui
s'enrichit à mesure que les demandes nous parviennent” (p. 282). The
choice of ‘familles’ over the more usual ‘catégories’ is telling, revealing

136
the strong ties between deviant sexuality and the family sphere in Nimier’s
œuvre. As for La Girafe, the author’s professed intention was to reveal the
dysfunctionalities of foreign workers. As she comments, “écrire de
l’intérieur d’un homme, et de cet homme-là, si loin de moi en apparence,
était en effet de l’ordre du défi. Je voulais parler de la solitude des
travailleurs immigrés en France, de leurs corps mal aimés, et des multiples
déviations qui résultaient de cette solitude” (Larquier 2004: 346).
Nonetheless, the narrative shifts this affirmed centre of gravity and is
entangled with one of the central themes which haunts her work, family
and its dangerous potentialities in the form of a fascination with childhood
and its resulting perversions. The opening lines of La Girafe announce the
novel’s violent and tortuous central relationship. The pervading themes are
swiftly established: love, death and sadistic impulses, the animal reign and
childhood: “Je n’ai aimé qu’un seul être au monde, et je l’ai tué. Elle
s’appelait Hedwige. Son squelette est exposé au Muséum d’histoire
naturelle. Des milliers d’enfants passent devant lui chaque année” (p. 11).
A direct correlation between childhood and perversity is established,
announcing the infantilisation of the main character, Joseph, which is in
operation throughout La Girafe. The concept of children’s sexual disposition
was notably posited by Freud. With the publication of Three Essays on the
Theory of Sexuality (1905), the father of psychoanalysis created an uproar by
attributing a sexual nature to children and declaring them to have a
“polymorphously perverse disposition”. Kristeva notes that by declaring the
child’s propensity for perversion he took the guilt out of perversion: “we are
all perverse by virtue of our infantile past, and as a result, we remain
unconsciously so as adults” (2004: 154). Nonetheless, Nimier’s La Girafe,
whilst displaying such inclinations, resists strict and paradigmatic
psychoanalytical readings, exposing the unconscious polymorphous nature
and rendering it manifest. In a reversal of the perversity claim, Nimier
inventively infantilizes the adult in order to reveal its polymorphous nature.
The figure of the father and its jeu de présence/absence is highly influential
in the construction of an infantile disposition.

Notes on (père)version
The figure of the father in its many disguises has imposed itself as a
staple of Nimier’s universe and its hauntology can be traced back to her
first published work, Sirène, in the figure of the re-père. A metaphor is

137
established, the figure of the father as a point de re-père, graphically
marked with a hyphen to distinguish it from its French homonym. Despite
the meaning of repère in French, Nimier’s term is used to rather
disorienting effects, implying a retour, a circularity which seems inevitable
or perhaps inescapable. The concept has undoubtedly taken residence at
the centre of her work, exerting gravitational pull, whether the movements
of her writing are away or towards the father. The presence/absence aporia
is captured by Joëlle Papillon who notes, “pour aborder la figure paternelle,
la narratrice prend un chemin inusité: elle s’applique d’abord à montrer à
quel point elle ne peut rien dire de lui” (2012: 4). Facets of the parental
figure are entangled in an intricate web which weaves together a sense of
abandonment and an exploration of the relationship between silence and
writing. In La Girafe, Joseph is abandoned by his father who sends him
away to live on a farm with ‘surrogate’ parents, an environment which
triggers and nurtures a set of deviant characteristics in the boy’s behaviour.
His widowed father treats him as some kind of illness one pretends to
ignore, invoking the sphere of the pathological in relation to Joseph: “Il me
traitait comme une maladie que l’on feint d’ignorer, une de ces migraines
chroniques dont on n’ose même plus parler aux autres de peur de les
lasser”1 (p. 16).
He keeps in touch with his father through a constant string of letters,
an epistolary relationship rooted in mythomania, for the boy’s narratives
are manufactured and exaggeratedly so. The letters become the source of
betrayal, as what was thought to be a form of communication is revealed
to be a deceitful act beyond the stories the boy invents. When Joseph takes

1
The idea of the child as irksome uncannily echoes Roger Nimier’s feelings towards his
daughter. His reaction following her birth is documented in La Reine du silence, Marie
Nimier having stumbled upon the note he sent a friend announcing her arrival into the
world: ‘Au fait, Nadine a eu une fille hier. J'ai été immédiatement la noyer dans la Seine
pour ne plus en entendre parler. À bientôt, j'espère’ (143). The similarities between
Joseph’s father and the picture she paints of Roger Nimier in La Reine du silence further
converge in the description Joseph provides of his father as avid drinker and chain-
smoker. Smoking is depicted as a means of showing irritation and impatience with the
child: ‘Sa consommation de cigarettes avait doublé depuis que nous habitions ensemble’
(La Girafe, p.16). This detail is reminiscent of the strikingly poignant scene in La Reine
du silence where as a young child, Marie presented her father with a plastic egg and
later found it with a cigarette butt in it, which had melted the plastic in the middle (see
58-61). His refusal to give in to the ludic universe of his child is all the more wounding
and revealing of the unloving intentionality of the act when Marie discovers that,
according to his acquaintances, her father rarely smoked.

138
residence in his father’s home in Paris, he discovers that the parent did not
actually believe his lies, but was planning to use them to his benefit by
publishing them under his own name:

Je remarquai que les indications de temps et de lieux étaient gommées et les


noms propres remplacés par des consonnes suivies d’un point, comme pour couper
court à toute question de parenté. […] La vérité m’apparaissait dans toute sa cruauté:
mon père n’avais jamais cru un mot de ce que je lui racontais. Encore une fois, il
faisait semblant. (p. 26)

By framing the letters as fiction and placing himself as the creative


force behind them, the father silences the boy’s authorial voice. The lack
of a parental figure and the subsequent rejections he suffers condemns
Joseph to an emotionally stunted stage, for he is therefore infantilised. The
super-ego is underdeveloped in the father’s absence and Joseph’s moral
capacities are highly problematic as throughout the novel we observe him
displaying a lack of understanding of the motivations behind and the
consequences of his actions.
Nevertheless, a strictly linear psychoanalytical reading is discouraged
by the reversals which are in operation throughout the narrative. In
Freudian and Lacanian parlance, one accesses language by relinquishing
the mother and entering the phallic order governed by the Father. Joseph is
denied access by his Father who literally erases his name and at a symbolic
level, his existence. He thus inscribes his own by appropriating Joseph’s
letters. This act strengthens the association between writing and the name
of the Father permeating Nimier’s narrative. In La Reine du Silence, the
author notes the perceived impossibility of her creative abilities due to her
gender: “Nimier au féminin, c’est de l’inédit, jamais ils n’auraient imaginé
que ce fût possible” (p. 48).
The name of the Father is evaded early on in the novel, during Joseph’s
first meeting with the Noah-like zoo director: “Il me demande comment je
m’appelais. ‘Joseph’ répondis-je, et la sonnerie du téléphone m’empêcha
de lui donner mon nom de famille” (p. 12). His infantile and seemingly
orphaned status is underlined in another episode, when he is sent to
accompany the giraffe back to the zoo: “Quelqu’un la prit, je fus présenté
par mon prénom, Joseph, comme si à mon âge cela suffisait” (p. 31). As
remarked by Murphy, the lack of a nom de famille is a recurring pattern
within Nimier’s novels (2006: 252), which will manifest later in the novel
with the inscription of an initial replacing the surname for Colin B.
Joseph’s patronymical esquive follows a scene which is suggestive of a

139
withdrawal into a pre-oedipal-like stage, immersing himself into a new
world which is separated from the outside:

Comme un idiot je me plantai devant lui, les bras ballants, les yeux perdus dans
la contemplation d’un gros poisson rouge qui collait sa bouche molle contre les
parois de son aquarium. Je me laissai glisser sans résistance dans cet état
somnambulique, j’étais en terre inconnue, aussi loin des autres que de moi-même.
Des cris d’enfants me parvenaient, souvenirs fragiles du dehors. (p. 12)

Though a pre-oedipal stage invokes a primal symbiotic relation with


the mother, maternal figures are conspicuously flat and unidimensional in
Nimier’s universe which is otherwise populated by complex characters.
The mother occupies comparatively little space in an amalgam of male
characters and their multiple paternal potentialities. The connection is
sustained in La Girafe through a material object, a fil rouge in the form of
a red scarf reminiscent of an umbilical-cord: 1 “Ma mère s’appelait
Joséphine. Elle me légua malgré lui son prénom, sa peau mate, ses cheveux
noirs et la terreur des courants d’air. J’ai hérité également une écharpe de
laine rouge brique qu’elle s’était tricotée pendant sa grossesse. En toute
saison, je la porte enroulée autour de mon cou” (p. 17). The scarf’s
importance is reaffirmed as an emblematic object of the pre-symbolic stage,
devoid of language but where drives are unfettered. This maternal sartorial
link becomes instrumental in the murder of Colin B., the man who accosts
Joseph in the library whilst he researching the story of the first giraffe on
French soil. After Colin B. buys him dinner, Joseph takes him back to the
zoo, intent on playing a submissive role: “Moi qui toute ma vie avais gardé
et regardé, j’allais pour une fois m’offrir, me soumettre aux exigences
d’autrui, comme l’avait fait Hedwige jusqu’à sa mort” (p. 162). In a
deserted elevator, following a brief sexual encounter which is ultimately
violently rejected, Joseph strangles him with “le dernier vestige de l’empire
maternel” (p. 90). This scene is additionally marked by the absence of
language since at no point does Joseph engage in dialogue or request that
Colin B. stop. As Murphy emphasizes, “dans ce monde sans ‘nom du père’,
au sens lacanien du stade qui permet l’accession au langage chez l’enfant,
le protagoniste ne peut pas communiquer ou symboliser” (2012: 568).

1
By bestowing upon the child the masculine equivalent of her name, the mother ensures
onomastic continuity. These difficulties echo a similar naming conundrum in Sirène,
where the mother eschewed the father’s will by wittily inserting a jeu de mots which
allowed one to read Marine Céline as ‘Marine c’est Line’ (see Sirène, p. 93).

140
Joseph thus symbolically kills the perverted father figure or more precisely
kills the symbolic figure of the Father,1 considering real murder takes place
and we are not in the realm of the psychoanalytical entirely, but of the
tangible real: “J’étranglais Colin B., seul témoin de mes égarements.
C’était si simple de se débarrasser du passé. Un soubresaut, une chute, un
bruit flasque. Le silence de la nuit du parc aux agonies, Hedwige, Glibett,
et maintenant Colin B., la liste s’allongeait. J’éjaculai” (p. 170). The lack
of remorse displayed by the zookeeper is characteristic of infantile
behaviour in the face of cruelty. As Freud remarks:

The cruel component of the sexual instinct develops in childhood even more
independently of the remaining sexual activities that are attached to erotogenic zones.
Cruelty in general comes easily to the childish nature, since the obstacle that brings
the instinct for mastery to a halt at another person’s pain - namely a capacity for pity
- is developed relatively late. (2011: 70)

The murder scene is an outburst of extreme violence representing the


pinnacle of the protagonist’s deviant character. The murderous act is
determined by events from the past and thus his difficult childhood is
reaffirmed as a determining factor for his behaviour. The taste of blood
triggers a set of childhood memories, primarily a violent episode involving
a tonsillectomy which took place without his full understanding of or
agreement to the procedure conducted by his adoptive mother’s cousin
with whom she was, as is implied, having an affair. The surfacing feeling
of helplessness, coupled with the increasing loss of patience and
developing anger towards Colin B. result in his strangling.
Cruelty comes naturally to Joseph, for expulsed by his father to a farm
and subsequently raised within an animal microcosm, he develops sadistic
impulses. He tortures Malcolm, the family dog which provokes ambiguous
reactions, the staple of Joseph’s behaviour and interactions, both animal
and human. Joseph admits to the paradoxical nature of the feelings that
inhabit him:

Pourtant, aussi paradoxal que cela puisse paraître, je n’ai jamais aimé les bêtes
– et d’ailleurs, je ne les aime toujours pas. Il y a quelque chose dans leur façon de

1
Colin B.’s paternal echoes are remarked upon by Joseph: ‘L’homme devait avoir une
quarantaine d’années, son visage m’était familier, peut-être ressemblait-il vaguement à
mon père’ (p. 147).

141
nous ressembler que je ne supporte pas. […] Je prenais un malin plaisir à observer
les troubles que provoquaient en lui ces ordres contradictoires. (p. 18-19)

Later in the text, it becomes obvious that the ambiguity which


characterizes his relationship with animals also permeates his human
interactions. Although he does nurture a form of desire for Jeanne Blin, the
zoo cashier who is having a sexual relationship with the director, Joseph
admits to the scarcity of human presence within his sexual fantasies:

Il est rare que des êtres humains soient directement impliqués dans mes
rêveries. Ils ne sont utilisés que comme des objets, découpés, aveugles et
interchangeables. […] J’aime beaucoup des choses, quand j’y pense, et pourtant
l’idée d’avoir une femme allongée à mes côtés dans un lit ne m’attire pas plus
qu’autrefois. Je crois que la nudité m’ennuierait. (p. 136)

His relationship with Jeanne Blin is ultimately marked by a sadistic


turn of events for he insists on exposing to the world her relationship with
the zoo manager. The sadism manifested towards animals in his childhood
transfers to his human relationships as well, favoured by the spatial
continuity in his environment.

The Zoo as a Site of Perversion


The zoo can be read as a larger scale replica of his childhood farm,
encouraging a continued infantile state. As Murphy notes, “très tôt dans le
texte, donc, le territoire psychique du récit de Nimier dessine le zoo comme
site d’un retour à l’enfance pour le narrateur. […] Au niveau
psychanalytique du récit, le zoo figure comme site de régression à un stade
préœdipien, caractérisé par l’abjection, le pervers polymorphe et
l’incapacité de l’enfant, faute de langage, de signifier” (2012: 565). The
relationship between childhood and zoos is cemented by the status it
occupies within our cultural landscape. Zoos are regarded as being
particularly appropriate for young children, their status as a special outing
occupying a central role within the child’s imagination as well as reality.
Randy Malamud notes that cultural patterns and stereotypes collude to
enhance the zoo’s appeal (1998: 272). John Berger notes the pervasive
character of animals in the childhood imaginary: “Children in the
industrialized world are surrounded by animal imagery: toys, cartoons,
pictures, decorations of every sort. No other source of imagery can
compete with that of animals” (1992: 82). The zoo is multidimensional as

142
it traditionally targets visits by children, invites spectatorship and is, at its
roots, an expression of colonialism. Throughout La Girafe, the zoo is
reimagined as a dangerous space situated at the crossroads between these
three worlds that are subverted and one could argue, even pathologized.
Childhood becomes the repository of a vast array of perversions,
spectatorship is turned into exhibitionism and a deconstruction of the
triumphal discourse of colonialism by exposing the zoo as a “locus of pain”
(Malamud 1998: 179) and as source of deviations is in place.
The zoo becomes a site which favours and even encourages
transgressive behaviour. According to Malamud,

It is as if offending spectators perceive the zoo’s abrogations of social/natural


beneficence (its sadistic strain, hegemonic chauvinism, constraint) that make
transgressive behaviour seem less proscribed than in ordinary society. The zoo, in
such cases, fosters sociopathy, – or, at least, provides people with sociopathic
tendencies an amenable environment for their expressions. (1998: 228)

The duality which inhabits the zoo’s space, the sanitized outside
opposing the squalid and senseless solitude, is remarked upon by Joseph:

Dès les premiers jours, je fus frappé par cette évidence: le zoo est un de ces
domaines magiques qui ne se révèle qu’à force de patience et de discrétion. La
personne qui y pénètre en territoire conquis ne verra rien de plus que ce qu’on veut
bien lui montrer. Tout lui semblera quadrillé, efficace, logique, et, en un sens, elle
aura raison. Les animaux sont nourris, le public entre et sort à heures régulières, les
équipes se relaient pour effectuer les opérations nécessaires à la bonne marche de
l’entreprise. Et pourtant, derrière les barreaux s’invente un monde d’une poésie
barbare, ou chacun opère en solitaire, hommes et bêtes confondus, tous embarqués
sur cette arche à perpétuité, dans l’attente hypothétique du déluge. (p. 37)

Zoos are constructed around exhibitionism and spectatorship, thus


providing a gateway to voyeurism. The zoo becomes a site for scopophilic
pleasures, favoured by the form of socially accepted gazing which is at the
basis of the zoological visit. Nimier pushes the boundaries and crosses into
a sexual realm, revealing the voyeurism and exhibitionism which takes
place in this space.1 Visitors entering the gates of the zoo pass the threshold

1
Much has been said on the male gaze and no current discussion on feminism and sexual
desire seems indeed to dispense with it, an idea that has oversaturated such writing.
Nonetheless, Nimier takes an arguably overdiscussed trope and imbues it with
originality, not by reverting the gazes and installing a female gaze and turning the male
into an object of spectacle but by surpassing a human binary and approaching the

143
into a supposedly enchanted world and perform a benign form of
voyeurism, spectatorship. However, Joseph stays in the enclosed space and
is already past the boundary and explores the zoo’s malignant side. As
Malamud notices, “to a certain extent perverted echoes are to be found in
simple visits, for spectators’ opportunity to watch everything animals do
resembles on some level the power and pleasure that characterizes the
disorder of voyeurism” (1998: 229). The sexually deviant potential is
inscribed within the space from Joseph’s first visit. He is welcomed by a
variety of sexual situations (from the director’s office he can see the
elephants’ enclosure): “L’un d’eux nous observait depuis le début de
l’entretien en frottant sa croupe contre le grillage. […] Un deuxième
éléphant vint rejoindre le premier, ses défenses se croisaient devant sa
trompe, il bandait. La taille de son sexe était impressionnante” (p. 13).
Joseph is initiated into the voyeuristic and exhibitionistic potentialities
of the zoological space by one of the visitors, whom he surprises
masturbating in the open. Since “voyeurism and exhibitionism are closely
coupled together as the active forms of the same component instinct”
(Laplanche and Pontalis 1988: 295), the two strands become rapidly
entangled as Joseph engages in scopophilic sexual activity. Inspired by the
young man’s audacity, Joseph emulates him in order to become his “miroir
invisible” (p. 40). The zookeeper’s shameless behaviour strengthens the
association with a child-like sexual disposition since as Freud remarks:
“Small children are essentially without shame, and at some periods of their
earliest years show an unmistakable satisfaction in exposing their bodies,
with especial emphasis upon the sexual parts” (2011: 70). The two men’s
exhibitionist status is assured by the presence of a young girl, who is privy
to their activity from the very beginning, aggravating the perverse status
through an element of paedophilia: “Je ne cherchai plus à me cacher. La
fillette imitait par de curieuses grimaces les mimiques des singes. Me vit-
elle ? Je surpris son regard, oui, elle me regardait sans bouger maintenant,
en suçant son pouce” (p. 41). Later on in the novel, Joseph confesses to
being attracted to a tripartite scopophilic scheme: “J’aime l’idée d’être vu
par une tierce personne, d’être vu en train de voir” (p. 137).

animal, for the cherished object of desire of obsession while it might be female
approaches a new taboo, interspecies love.

144
Childhood and its Transgressions
The zoo therefore provides a site for transgression, for behind the
barriers Joseph finds himself in a world where drives can be given free
reign and where the layers of social convention are peeled away. Nimier
never judges her characters, and this is never more obvious than in La
Girafe. Murphy playfully remarks that: “Un quotidien autrement banal
pullule de meurtres, enlèvements, vols, cas d’inceste et autres déviances
sexuelles dans l’univers de Nimier où les voix narratives racontent
l’anormalité des choses sans broncher” (2006: 249). Even though in La
Girafe the narration is in the first person, the subjectivity of the character is
constituted and consolidated through other inventive ways. Joseph closes
himself off from the world and the events recounted are all strictly related
to the character which provides the reader with his complex inner world.
In the manner of a child, Joseph seems more preoccupied with his own
person and universe in a pre-linguistic manner. His problems with
language impede the development of interhuman sexual relationships:
“Que de nuits blanches à retourner nos corps dans ma tête, et nos mots, ces
mots qu’il fallait sûrement prononcer avant de s’enlacer et dont je ne
connaissais ni le sens, ni la forme. Voilà ce qui m’inquiétait le plus: il me
semblait que je manquais du vocabulaire” (p. 49). Due to his darker skin,
the other zoo employees attribute Joseph’s refusal to interact with them
verbally to a lack of linguistic knowledge: “Le personnel du parc m’adopta
sans vraiment me remarquer, j’étais pour eux un simple accessoire, le petit
homme à l’ombre de la grande Hedwige, certains crurent que je venais
d’Afrique du Sud et que je ne parlais pas le français – et je ne fis rien pour
les en dissuader” (p. 36). Joseph walls himself off through a shroud of
silence, much in the manner animals are separated from the world through
man-imposed barriers within the space of a zoo. He constructs himself as
a character who apparently lacks speech and social skills, enacting a return
to early infancy, the world of the infans – the one who does not speak. The
hermetic approach to his character construction – for the other characters
never take a stance nor comment upon any of the deviant characteristics –
allows for a self-enclosed and therefore immersive narrative. This is
spatially emphasized in the volume through a contrasting pattern. Joseph
displays a predilection for densely populated areas which underlines his
solitary inclinations. This device also provides an opportunity to explore
Joseph’s perverse predisposition, for deprived of the object of his affection,
Hedwige, his activities overstep the bounds of the zoo and try to shift his

145
attention towards human subjects. Joseph’s sexual explorations are firmly
rooted within the sphere of perversion, considering he never seeks to
engage in consensual genital sexual activity. Inspired by a volume he
comes across in the library, Joseph directs himself to crowded places, such
as the métro:

Il me semblait ainsi que j’allais accéder à un plaisir d’autant plus raffiné qu’il
serait provoqué par une cause indirecte. Je tremblais quand, pour la première fois, je
m’introduisis sous la jupe plissée d’une jeune femme qui me tournait le dos […] Au
bout de trois stations, elle change de position sous prétexte de laisser sortir quelqu’un.
J’étais tellement ému que ce simple déplacement me fit éjaculer. (p. 139)

He soon realises that his errances and sexual ‘adventures’ are merely
a method to escape the glaring truth, his love for Hedwige: “au diable les
quais de gare ou de métro, les queues, la bousculade, les mains gantées et
les autobus surchargés: j’aimais Hedwige. Et je l’aime, j’ose enfin l’aimer”
(p. 198).
For could it not be that this is where the real taboo lies for Joseph, who
had manifested ambiguous feelings from his childhood onwards? In La
Nouvelle Pornographie, the eponymous character Marie Nimier suggests
that love is the ultimate taboo subject. Love becomes the ancrage for the
most disturbing stories: “ll fallait que je m’invente une histoire d’amour.
Même dans les situations les plus scabreuses, je trouvais un alibi
romantique” (NV, p. 43). We could thus interpret Joseph’s relationship
with Hedwige as taboo not only because it is interspecies, but also because
it is a ‘love relationship’. I propose that even though there is a transgression
of the interspecies boundary we should think of Joseph in the primary
etymological sense of the word zoophile, a compound from the Greek
zoion and phil, a lover of animals, albeit an extreme one.
The relationship never actually crosses the interspecies barrier at a
physical level. Joseph’s sexuality is infantile and he does not aim to engage
in sexual acts resulting in sexual release. In relation to Malcolm and then
to Hedwige, he states:

Une fois, comme j’avais décidé de rester immobile plus longtemps que de
coutume, il s’étendit de tout son long sur mon corps. J’en éprouvai un plaisir qui me
mit hors de moi.

Je revois la lueur désespérée de ses yeux, et sous mes doigts la cicatrice de ses
crocs me procure encore aujourd’hui d’étranges sensations.
(p. 20)

146
Pourtant, lorsque je lui présentais mes doigts, elle les prenait avec délicatesse
au creux de sa langue et le réflexe de succion se déclenchait très naturellement. J’en
éprouvais un plaisir étrange. (p. 111)

Genital pleasure is mediated through imagery and release is achieved


through onanism. After Hedwige’s death he returns to the zoo where he
masturbates with territorial precision: “Je pénètre chaque jour dans les
greniers qui surplombent la cage aux singes. J’éjacule toujours au même
endroit, comme un chien marque son territoire” (p. 134).
Comparatively, in La Nouvelle Pornographie we encounter a
character who regularly performs masturbatory acts on his dog, playfully
named Marcelproust. The real barrier is transgressed through Joseph’s
repeatedly manifested sadism which blossoms into murderous acts.
Joseph’s expressions of bestiality are directed towards the eradication of
the animals and not to sexual abuse. Nevertheless, the act of killing and
love are intricately linked throughout the narrative in what one might
suggest is a consequential relationship. In Youssef’s story, we are told that:
“Tuer un animal était considéré comme un acte d’amour collectif, avec sa
cour et ses règles du jeu, une façon irréprochable de se mesurer entre
hommes” (p. 60). Hedwige’s demise takes place after she sexually interacts
with another giraffe, Beethoven, and is passively ‘deflowered’ by the
animal:

Alors, Beethoven revint à la charge, son pénis en crosse et se cabra. [...]


Hedwige continuait à se balancer, comme si tout cela ne la concernait pas. [...] Il la
pénétrait et elle me regardait fixement. Un regard détimbré, essentiel. Aucun signe
de douleur, ni de plaisir, ne troubla cette cruelle attention. J’étais en sueur, je
tremblais, impuissant. Ses cils de poupée tombèrent lourdement sur ses yeux lorsque
Beethoven se retira. (p. 121)

Joseph initially desperately masturbates in an effort to forget this


bestial coupling, enacting jouissance as forgetting, a symbolic petite mort
to erase the real mort: “Comme pour m’arracher de moi l’empreinte du
regard d’Hedwige, je me masturbai jusqu’à me perdre dans un brouillard
opaque” (p. 122). Nonetheless, when he goes to her enclosure for the
giraffe’s nightly feeding, he is struck by the realization of her animality, as
if seeing her for the first time:

Alors pour la première fois, je la vis telle que les autres la voyaient. [...]
Hedwige, mon Hedwige, n’existait plus. Ne restait d’elle qu’une masse gauche qui
essayait par tous les moyens de m’atteindre, une masse stupide que rien ne

147
distinguait désormais des autres girafes. Oui, Hedwige était une girafe. Cette pensée
me bouleversa. (p. 122)

Hedwige’s sexual encounter with Beethoven thus erases the humanity


and erotic potential Joseph had attributed to her. The event untangles the
complicated knots of the zookeeper’s attachment to Hedwige with whom
he entertained not only a transgressive sexual relation but also an
ambiguously maternal one. Joseph had formed an attachment verging on
the pathological which is obvious from their first encounter. Faced with the
abject nature of the giraffe’s smell, he is instantly transported back to his
childhood on the farm: “Une odeur de pourriture acide me sauta à la gorge.
En une fraction de seconde, j’eus l’impression de revivre l’essence même
de ce qu’avait été mon enfance à la ferme” (p. 32). His separation from
Hedwige requires the intervention of four customs officers to convince him
to come down from the ladder he was perched on, three meters away from
the floor, which permitted him unlimited access to the animal, situation
which echoes strong maternal bonds.
Thus, dispossessed of maternal care and paternal appreciation, Joseph
invests Hedwige with contradictory roles, transforming her into a “mère-
enfant” (Murphy 2012: 567) with whom he entertains an “idylle maternelle
et maternante” (2012: 567). The image of Hedwige physically mothering
and thus aligning herself with her species by providing reproductive
continuity is a trigger for violent behaviour, prompting Joseph to cast
himself as her saviour: “Je revoyais le sexe de Beethoven, ce sexe
monstrueux, […] j’imaginais le ventre d’Hedwige s’arrondir, c’était
insupportable, ses mamelles se gonfler de lait et je la laissais se débattre, la
mort seule pouvait encore la sauver, la sauver de l’emprise de Beethoven,
la délivrer d’elle-même” (p. 123). The pure animal she was under his care
is devalued and is consequently punished for the zookeeper’s perceived
failure to preserve her innocence. The murderous impulse overtakes him:
“mais une force qui me dépassait m’interdissait de le faire” (p. 123) and he
lets the giraffe asphyxiate when her head is caught and is unable to extract
herself from the feeding aperture. Even though Joseph does not kill
Hedwige voluntarily, he does so through inaction, letting the animal
encounter premature and accidental death.
His acts are consistent with other recorded cases of animal killing in
zoophilia which took place due to the occurring jealousy when the animals
engaged in sexual activity with another one of its species. Joseph is
horrified as he witnesses this event: “À ma grande stupéfaction, elle ne

148
bougea même pas lorsqu’il se frotta contre sa croupe. J’en eus le souffle
coupé. […] J’aurais aimé crier, son silence me laissa sans voix. J’étais en
sueur, je tremblais” (p. 121). Earlier in the novel, he similarly killed Glibett,
the ostrich who had competed for Hedwige’s attention. The murderous acts
are a result of the ambiguous feelings Joseph has towards animals
stemming from his childhood. He indirectly has Malcolm the dog killed by
confusing him with alternate proofs of love and hate and thus single-
handedly driving the animal crazy. The dog eventually bites Joseph and is
consequently declared a menace and put down. After his demise, Joseph
remarks:

J’aurais aimé le sauver, sincèrement, car j’avais compris que la mort ne me


débarrasserait pas de lui, ni surtout de ces réactions ambigües qu’éveillait en moi la
fréquentation quotidienne des animaux, sans distinction de forme ni de fonction, et
qui d’année en année devenaient plus difficiles à masquer. Cette aversion, je m’en
rendis compte par la suite, était trop ancrée pour qu’elle ne décidât pas de mon avenir.
(p. 20)

The farm and later the zoo are environments which favour the
development of inappropriate attachment to animals as there is a reported
high incidence of bestiality and zoophilia in farm boys. William Stekel’s
(1952) claim that sexual acts with animals are based on psychosexual
infantilism is consistent with Joseph’s behaviour and constant
infantilisation. Though Joseph directs his affection and obsession towards
an unusual animal – for giraffes are anything but common in a European
context –, the ties with his enfance and otherness are emphasized. Both his
African roots and his childhood spent on a farm converge within the exotic
figure of Hedwige, the giraffe. Her étrangeté is deeply embedded in a dual
sense, as both foreignness and strangeness. The story of Hedwige’s origins
marks her as a foreigner, an Other, signalling Joseph’s own ambivalent
status. Whilst the giraffe has been acclimatized in European zoos, as an
animal it is still distinctly Other. Hedwige thus becomes a symbol for the
difference which marks Joseph and his flou identitaire. Like Joseph, the
giraffe is foreign, Othered, assimilated in a separate space, the farm and the
zoo. In addition, Joseph is fascinated by her mutism, which cements her
infans status and is a clin d’œil to one of Nimier’s key themes, silence.

Car Hedwige était encore une enfant, malgré ses deux mètres quatre-vingts,
une enfance sage et perdue comme je l’étais moi-même à son âge. Nos existences
se déroulaient selon des lignes parallèles. Quoi que je fasse, je dépendais d’elle et
elle dépendait de moi, nous étions liés à vie. (p. 68)

149
Othered, but never judged, Joseph is perhaps the most complex of
Nimier’s enfants. His polymorphously perverse disposition allows the
author to explore in depth a vast array of sexual tropes and showcases her
authorial predilection for deviances, marginality and the animal thematic.
Her textual universe is at once a bestiary and a catalogue of perversions
strongly symbolized by the mermaid figure which inaugurated her writing
career, which incorporates an attachment both to the animal reign and a
fascination with boundaries and transgressions. In the aforementioned
2004 interview, the author herself confesses to a fascination with liminality
which is foundational to her own self: “Je suis née de cette marginalité,
c’est-à-dire que je ne me suis jamais sentie à l’aise au centre. […] Dans la
marge, on respire. II y a de la place. Et de là, on a sans doute une perception
plus aigüe du centre” (2004: 347). In the margins is where Nimier’s textual
children live. Orphaned, mistreated and deviant, they deserve further
academic attention.
Adina STROIA

Orientations bibliographiques
Berger, John, ‘Why look at animals?’ in About Looking, London, Vintage,
1992.
Freud, Sigmund, Three Essays on the Theory of Sexuality, Eastford,
Marino Fine Books, 2011.
Kristeva, Julia, Colette, New York, Columbia University Press, 2004
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London, Karnak Books, 1988
De Larquier, Jeanne-Sarah, ‘Entretien avec Marie Nimier’, The French
Review, Vol 78:2, 2004
Malamud, Randy, Reading Zoos: Representations of Animals and
Captivity, London, Palgrave Macmillan, 1998
Murphy, Carol J., ‘Marie Nimier au Zoo: Animalité Abjecte dans La
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2012
Papillon, Joëlle, ‘Marie Nimier, au cœur du silence’, Temps zéro, no 5,
2012
Stekel, William, Patterns of Psychosexual Infantilism, New York, W.W.
Norton, 1952.

150
*

V
Père et perte

151
152
*

De l’absence et de l’enfance autour de l’écriture


de La Reine du silence et Je suis un homme
de Marie Nimier

I l ne s’impose plus de présenter la diversité des œuvres de Marie Nimier


qui n’a cessé d’étendre le registre de ses productions littéraires pour les
mener au plus près de l’événement artistique en France et au-delà. Livres
pour enfants, paroles de chansons, nouvelles, monologues théâtraux,
lectures mises en scène l’accompagnent et l’inspirent pour l’écriture de ses
romans dont s’échappe la gravité du thème sans cesse renouvelé d’absence
de père dès l’enfance et la quête de reconnaissance des corps et imaginaires
qui s’y associe.
J’évoquerai que les huit premiers romans de Marie Nimier, de Sirène
paru en 1985 à La Nouvelle Pornographie paru en 2002, en m’appuyant
sur cette définition que nous propose Philippe Lejeune dans Le Pacte
autobiographique :

j’appellerai [roman autobiographique] tous les textes de fiction dans lesquels


le lecteur peut avoir des raisons de soupçonner, à partir des ressemblances qu’il croit
deviner, qu’il y a identité de l’auteur et du personnage, alors que l’auteur, lui, a choisi
de nier cette identité, ou du moins de ne pas l’affirmer. Ainsi défini, le roman
autobiographique englobe aussi bien des récits personnels (identité du narrateur et
du personnage) que des récits « impersonnels » (personnages désignés à la troisième
personne)… (25)

Pour comprendre qu’au delà de ces dix-sept années d’écriture à mots


couverts ce même thème de l’absence du père continue de dicter à l’auteure

153
ses stratégies d’écriture, je m’attacherai ici à ses neuvième et douzième
romans La Reine du silence et Je suis un homme pour rapprocher les
détours de leur écriture et aborder ce thème indéracinable. Pour
commencer, je détaillerai que La Reine du silence est un « roman
d’inspiration autobiographique», que Marie Nimier y authentifie ce thème
récursif comme le sien avec un « Je » multiplement dialoguant et
constaterai qu’elle y libère son espace et privé et d’auteure et enfin la
perspective d’un espace purement romanesque. Je considérerai que son
douzième roman Je suis un homme est le premier à s’y inscrire et que Marie
Nimier prête à son personnage fictif Alexis Leriche ce même thème et le
réactualise pour qu’il en fasse la narration de sa vie de macho et d’homme.
À dix ans d’intervalle, le prix Médicis 2004 puis celui des lecteurs du prix
Trovirilo 2014 ont salué le caractère unique de La Reine du silence et de Je
suis un homme et ainsi couronné le cheminement sémantique d’un « Je »
tantôt féminin, tantôt masculin. Je propose de montrer l’audace et l’habileté
de cette auteure qui, désormais, à livre ouvert, aura exposé l’histoire réelle
de sa vie autour de sa propre personne et ensuite raconté, toujours autour
de ce même thème original, une histoire fictive autour d’un personnage
fictif. Tandis que Marie Nimier, ce faisant, s’ouvre un espace de jouissance
d’écriture qu’elle partage avec Alexis Leriche son personnage en lui
donnant un « Je » locuteur et interlocuteur, celui-ci parle franc et sexe.
J’envisagerai qu’il écrit la version « Marie Nimier au masculin » de la
reconnaissance de soi-même et que Marie Nimier, touchant à l’ordre des
romans, s’approche et s’éloigne, confond les genres grammaticaux,
littéraires, les auteurs ou les personnages, les espaces, qu’elle repousse les
limites d’une écriture souveraine qui ralliant le pouvoir des mots trahit les
secrets d’un souffle théâtral.
En 2004, en publiant La Reine du silence Marie Nimier termine
d’écrire le chassé-croisé de surnoms Sirène/Reine du silence, Reine du
silence/Sirène et lève le doute sur leurs ressemblances et toutes leurs
similitudes avec les huit premiers romans en écrivant qu’elle est justement
cette Sirène : « sirène des pompiers » et « sirène » (Reine 145) mythique et
que son père absent et disparu l’avait surnommée Reine du silence en lui
posant, écrite sur une carte postée, la question piège qui allait la laisser sans
réponse dans une impasse et dans le vide dès l’âge de cinq ans : « Que dit
La Reine du silence ? » (144). Dans ce livre, elle échange l’espace
autobiographique de ces huit premiers romans, contre celui de sa personne
privée et publique et actualise son espace d’auteure. Dès le titre de ce
neuvième livre Marie Nimier annonce qu’elle écrit sa propre histoire dont

154
elle est le réel personnage, le sien, celui d’une fillette solitaire, aujourd’hui
grandie qui va enquêter dans un passé de plus de quarante ans qui
commence à l’âge de cinq ans pour trouver ses propres limites d’enfant et
d’auteure. Elle les cherche dans les traces que l’homme public Roger
Nimier n’a pu laisser pour être l’homme privé, ce papa absent, à l’origine
pourtant de son surnom et aussi du titre du roman ; son père trop tôt disparu,
dont le manque la laisse dans le vide. Mais s’agit-il d’un roman ? L’éditeur
Gallimard, en effet, au lieu et place du sous-titre, ne le mentionne pas sur
la couverture du livre. Ménageant l’effet de palimpsestes, les premières
pages du livre suggèrent aux lecteurs que l'auteure s’écarte délibérément
de ses atouts et de toute facilité de romancière : imagination, pouvoir de
séduction et les préparent à l'idée d’une virtuosité différente.
Marie Nimier a récemment exprimé sa prétention concernant le genre
de ce livre dans un entretien avec Karin Schwerdtner : « ce premier livre
d’inspiration autobiographique, mais qui est tout de même un roman et non
un récit » (2). Je reprends ici deux des idées exprimées : roman et inspiration
autobiographique et leur impact sur l’espace d’auteure de Marie Nimier et
son écriture. En 2008, dans Les Inséparables, elle conclue que le roman est
une forme qui convient à un auteur motivé « Tu vois c’est un roman... Est-
ce le personnage qui décide ou l’auteur ? J’étais de son avis : c’était à l’auteur
de décider » (263). Il n’est donc pas étonnant, qu’elle ait fait un choix
d’auteure et spécialement celui du roman pour raconter l’histoire de sa vie
entière préoccupée à se représenter et reconstruire l’image, pour elle fictive,
de son père fantôme (Reine 37/131) aux côtés duquel il lui est difficile de
trouver sa propre place réelle. Son enquête piétine : rares souvenirs déformés
par son regard de petite fille, attitude protectrice de sa mère, mots mal
compris « et il est parti … Je n’ai pas compris tout de suite pourquoi... : notre
père n’était-il pas déjà parti depuis longtemps ? » (31), témoignages de ses
frères confirmant sa transparence de trop petite dernière pour comprendre la
mort de son père. D’autres témoignages ne concernent que l’homme public :
phrases de circonstances, journaux à sensation, archives paternelles stériles.
Seuls les objets silencieux qui touchent à son père sont parlants : une seule
photo en couleur de Roger Nimier avec ses enfants, la plume de son stylo
« penchée à droite » (76), sa montre à gousset, sa bibliothèque, la collection
de ses livres et leurs titres, ses lettres et surtout celle écrite pour sa naissance
qui ne trahit aucun regard du père pour sa fille : « Au fait, Nadine a eu une
fille hier. J’ai été immédiatement la noyer dans la Seine pour ne plus en
entendre parler » (21). Ce réel défaut d’information, ce vide, est bouleversant
au point de devenir la substance de l’histoire et décide Marie Nimier à

155
actualiser le sujet du roman et à écrire sa quête de reconnaissance autour
d’une interprétation de ses ressentis et incertitudes du moment. Elle renonce
à relater des témoignages sous la forme du récit peu ou mal renseigné ou sous
la forme d’un conte pour adultes, hors de la réalité loin de toute juste
reconnaissance. Cette actualisation du sujet autour de la part de fiction que
comporte une juste interprétation, plutôt qu’autour du trop peu que l’on peut
vraiment savoir, justifie que ce livre soit tout de même un roman. Ce
revirement responsable touche autant l’auteure et la narratrice que le
personnage et motive sa dernière décision : écrire ce roman à la première
personne du singulier au féminin, un « Je » confondant les trois identités en
une qui se construit à partir de lui-même, dans le texte avec une écriture
essentielle pour l’auteure. La dénomination roman « d’inspiration
autobiographique » s’assortit d’une extension de l’espace autobiographique.
Celle-ci ouvre ce roman aux écarts de l’écriture qui se désolidarise du
concept strict du roman autobiographique où l’identité auteure, narrateur,
personnage est absolue et renvoie au « nom de l’auteure sur la couverture »
(Lejeune 26). Dans le cas de La Reine du silence, cette triple identité en une,
renvoie à plusieurs personnes : le référent peut être Marie Nimier l’auteure
qui signe en haut de la page de couverture, mais il peut être aussi La Reine
du silence, le surnom du personnage, qui renvoie à l’auteure Marie Nimier
mais aussi à son père l’auteur de ce surnom qui occupe la place du titre.
Valérie Dusaillant-Fernandes avait déjà soulevé le terme de « pluralité
référentielle » (209) qui traduit un autre écart par rapport à la définition de
Philippe Lejeune du roman autobiographique qui ne prévoit qu’un seul
référent, l’auteur. Elle remarquait judicieusement que le sujet
autobiographique de La Reine du silence n’est pas absolument univoque ce
qui détermine la stratégie d’écriture du roman qui associe « énonciation
hybride » et « discours métatextuel » (208). Elle évoque un « Je ... scindé »
en deux voix : celle du « Je narrant » subjectif, dialoguant avec celle de
l’instance alterdiégétique « tu » non subjective, un double qui accepte le
dialogue « je veux aider cette fois, tu comprends... Mon père... Je ne veux
plus savoir » (Reine 58), qui « contrôle, écoute et collabore » (Dusaillant-
Fernandes 210). Et qui, se livrant à un implacable corps à corps suggère,
ordonne, « Tu devrais dire… ton frère… ma mère… mon père » (Reine 56)
qui questionne « Alors quoi, tu veux raconter quoi ? » (58), « Qu’est-ce que
tu vois ? » (59), exige « Ici, tout de suite, sans attendre, parce que sinon tu ne
le feras jamais » (56), ne relâche pas sa pression « ça aussi, il faudra que tu
en parles » (64) surgit une dizaine de fois tout au long du livre sous forme de
« Tu imagines » (25/28/30/91/102), « Tu précises » (83), « Tu … connais,

156
toi, … ? Tu t’y intéresses … ? (153). L’écriture d’un « Je » en triple symbiose
trouve alors sa complémentarité dans un double de l’auteure écrivant, elle,
avec le « Je » de son imagination : une manière en se déplaçant d’un « Je » à
l’autre de permettre à la quête de reconnaissance de s’approcher de la
narratrice, la romancière et la personne privée ainsi que de leur référent
l’auteure Marie Nimier mais aussi l’autre référent Roger Nimier, lui aussi,
personne privée et écrivain, n’importe où, n’importe quand, par petites
touches, mais pour de vrai dans le réel ou au travers d’une vision comme
deux personnes privées qui se reconnaissent, fille et père, père et fille, de
solutionner le thème. L’écriture du livre retrace les déplacements de ce « Je »
et les projections d’un réfèrent à l’autre en une trentaine de petites histoires.
Chacune d’elles passe par une partie du corps de Marie Nimier qui, en même
temps qu’il attire son attention, déclenche le déclic de l’intégrer à quelque
chose ayant trait à son père : la sensation de son corps qui se dérobe, se
« recompose » (32) à l’annonce de la mort de son père, ses jambes malades
et les titres des livres de la bibliothèque de son père, sa cicatrice au pouce et
l'appréhension d’« une morsure », (97) de son père, son saignement de nez
et la vente du manuscrit des « Enfants tristes » … et encore son front, sa
stature, ses gestes de mains comme autant de ressemblances avec son père.
Elle a, ce faisant, l’intuition du comportement et du caractère redoutable et
attachant de son père, personne publique et privée. Elle s’en fait ainsi une
représentation concrète parce que, autant que le sien, le corps de son père lui
apparaît aussi simultanément et par évocations successives, jusqu’à exprimer
les similitudes des expressions corporelles de Marie Nimier et de Roger
Nimier son père, « Roger Nimier au féminin » (42). A la fin du livre, le corps
de La Reine du silence est réunifié, relié à celui de son père par un air de
famille, par le même nom Nimier : au point qu’elle se reconnaît elle même
personne publique et privée, reconnaît son père personne privée et rend réel
le phénomène de les faire apparaître tous deux ensemble, exister, et se
reconnaître mutuellement. L’organisation achronique et discontinue de
l’écriture retrace les sensations, intuitions, prétentions, présomptions, et
doutes qui surgissent, explique le désordre des scénettes qui dérange les
habitudes spatio-temporelles d’une histoire autobiographique. Elle
fragmente l’histoire de La Reine du silence et la vie de l’auteure en pièces de
puzzles qui permettent à Marie Nimier d’y retrouver, pour de vrai et dans une
vision, la pièce manquante : celle de son espace-père habité par « son père
qui marche…se retourne vers elle » (Reine 170) Marie Nimier trouve à
combler le vide de sa vie et apaise sa quête de reconnaissance.

157
Pour passer d’une histoire à l’autre, d’autres petites histoires de la vie
privée de Marie Nimier, au fil des mêmes mots qu’elles y recadrent et
authentifient, qui font leur chemin dans le réel, s’intercalent sans se départir
du thème: accidents de voiture évoqués, examens de permis de conduire et
moniteurs d’auto-école, défilé de chaussures de circonstance... Elles sont
le fil conducteur de cette quête de reconnaissance non systématique qui
s’actualise comme ça sous forme de phénomènes, qui n’ont aucune raison
de dire leur dernier mot. Marie Nimier qui ose cette écriture sans
concession se dégage de l’emprise de l’espace autobiographique et aborde
un domaine de créativité à partager avec le lecteur : un espace d’auteure
purement romanesque, où pourront prendre place des personnages fictifs
et des histoires fictives. En considérant l’ordre des romans et leur écriture
récursive et en se référant au neuvième roman La Reine du silence, il
devient possible de situer les domaines des livres écrits ou à venir, leurs
histoires, leurs personnages réels ou non, toute fictivité et d’y reconnaître
les traces ou la présence de l’auteure, personne privée ou publique, ainsi
que les pièces du puzzle de sa vie passée et présente. On pourra noter qu’en
2006, en publiant Les Inséparables, Marie Nimier trompe l’exclusivité de
son « Je » puis laisse se profiler en 2008 dans Photo-Photo le trait d’union
et la tentation d’une histoire fictive. On comprendra que ce n’est qu’en
2014 avec Je suis un homme que Marie Nimier s’engage pleinement dans
cet univers romanesque où personnage fictif et histoire fictive concrétisent
la conclusion ouverte de La Reine du silence et concomitamment
l’introduction de ce douzième roman affranchi des contingences du thème
de manque de père, de vide dès l’enfance.
En se souvenant que Marie Nimier a écrit que « le roman » est une
forme littéraire qui met l’auteur en situation de décider, il se justifie
pourtant d’envisager, dans ce nouvel espace vierge totalement fictif, sa
présence désormais reconnaissable et ses décisions dans son dernier roman
Je suis un homme, qui y occupe l’unique première place. Comme
conclusion des neuf premiers romans et de La Reine du silence la page de
couverture et le titre, rédigé sous forme d’une phrase dont le sujet est à la
première personne du singulier, mentionnent l’auteure et un personnage
imaginé autre, un homme, puisqu’il l’écrit avec un « Je » masculin. Son
histoire, fictive, comme l’atteste le sous titre « roman, » annonce une
narration autobiographique. La grammaticalité, sujet, verbe d’état, attribut
et la signification littérale de l’énoncé du livre ont la compétence de
présenter un personnage principal qui s’ancre seul dans la narration de sa
vie et n’existe que parce qu’il l’écrit avec son « Je » : rien d’autre que ce

158
qui se dit. La première phrase du narrateur et du livre: « L’enfance n’existe
pas, elle n’est que coquille vide » (Je suis 11), de par sa structure finie,
suggère la fin de la métaphore aquatique remontant à Sirène. Cette phrase
pourrait prendre place à la fin de La Reine du silence et rejoignant la
trentaine de scénettes qui s’y sont succédées au gré des résurgences des
mots et digressions de l’écriture, être la maxime apaisante, la solution à
toute impasse. Comme première ligne du douzième roman et en
introduction de Je suis un homme cette assertion qui renverse la situation
fait l’effet d’un coup de théâtre. Celui-ci permet à Marie Nimier d’aborder
une jouissance d’écriture en renouvelant sa confiance en une écriture
toujours risquée, qu’elle prête à un personnage masculin, narrateur qui
s’exprime comme en un aparté d’acteur. Son écriture, à l’inverse de celle
de Marie Nimier auteure, n’a rien à justifier par rapport à une production
antérieure, n’est pas soumise à l’obsession d’une question de son père la
condamnant au silence. De cette façon, dans Je suis un homme, l’histoire
et le personnage tous deux fictifs, sont libérés de la finalité du thème qui
vient d’affranchir du manque de père dès l’enfance l’histoire de l’auteure
et Marie Nimier personne publique et privée. Ce douzième roman, pour
autant, n’est pas libéré du thème lui-même, c’est à dire de la situation où
est le personnage de devoir sans cesse donner un sens à son histoire pour
exister. Aussi lui livre-t-elle ce thème d’absence de père et de quête de
reconnaissance pour qu’il en fasse « la version homme ».
À ce détour de son écriture Marie Nimier le met en scène et lui octroie
une écriture parlante dont il use pour se parler à lui-même. Alors qu’il
monologue Marie Nimier le laisse, « voler de ses propres ailes » (76),
comme le recommandait Marie à Aline pour leur personnage dans La
Nouvelle Pornographie. Ici, Marie Nimier le laisse monologuer et lui
accorde une liberté d’expression qui, selon Marina Yaguello, « projett[e]
une compétence abstraite dans les conditions concrète de l’acte de parole,
avec effet de retour toujours possible » (161) pour que se modifie l’effet
des sens produits. Sa connotation langagière et masculine, plutôt que de
répondre à l’attente de lecteurs déconcertés qui, à la lecture du titre, se
demandaient: un homme qui est qui ? Qui quoi ? Qui comment ? Seul ?
Macho ? Héros ? Et attendaient une proposition complétive ou quelque
adjectif, lui substitue une quête de reconnaissance du personnage par lui-
même, égocentrique et démonstrative, sans retenue, étayée, différente de
celle féminine par petites touches de La Reine du silence mais passant aussi
par le corps. Les métamorphoses de son sexe impétueux, « encombrant »,
« flapi », « inébranlable » le font individu jouisseur, hédoniste, violent,

159
souffrant. Ainsi dans ce roman, en même temps qu’il écrira, les mots, avec
leurs faces cachées, diront le reste et l’écriront individu, camperont un
personnage, une personne et un homme apaisé, capable de se reconnaître.
Marie Nimier en repoussant les limites du « Je » masculin, syntaxique,
centre ce « Je » sur le « non dit »: deux question-réponses présupposées
non pas des lecteurs mais du narrateur qui permettent d’identifier le « dit
par le dire », l’une « Est-ce que Je suis un homme ? » et sa réponse, un «
Je » sujet d’une proposition existentielle et l’autre « Qui est un homme ? »
et sa réponse, un « Je » objet qui est une information nouvelle. Les
homophonies et polysémies transforment ce « Je », à la fois sujet et objet
d’énonciation, en un « Je » intersubjectif du narrateur qui entretient un
mouvement de réciprocité par rapport à lui-même qui lui permettra de
s’informer lui-même. Différent de celui de La Reine du silence, il ne se
distancie pas, n’est pas manœuvrable. Dans l’assertion du titre, ce « Je »
locuteur et interlocuteur, suffisant, s’impose comme l’embrayeur de
discours, « la troisième main » (Anatomie 94) qui oblige le personnage à
continuer d’écrire, et, le dissuadant de tout palimpseste, lui permet de
donner son sens à l’histoire, pour comprendre lui-même comment, il a
maintenant et toujours la possibilité de dire « Je suis un homme »1.
À partir du titre, la seule référence possible devient celle de cet unique
personnage qui n’écrit que pour lui-même avec son « Je » suiréférentiel
mais la structure du roman laisse lire deux écritures qui coexistent dans le
roman. La première, celle des décisions de l’auteure, liée au « Je » objet,
passe inaperçue, se lit, au travers de la compétence d’une écriture
développée sous forme syntaxique, comme une narration qui utilise les
temps et modes grammaticaux habituels: présent, imparfait, passé
composé.... Elle raconte l’histoire fictive prévue par l’auteure pour son
personnage, ne dit que ce qui se dit : départ de son père et vide de sa

1
Marie Nimier dans son troisième roman Anatomie d’un chœur avait envisagé, au-delà des
rôles des mains droite et gauche des musiciens, l’idée de « troisième main » pour son
personnage chef d’orchestre Thomas Morhange et du même coup la présence
incontournable des corps, leurs permanences et leurs interférences : « Thomas
Morhange, avec une minutie de biographe, s’était appliqué à accomplir ce qu’Alkan
avait entrevu, cette idée de troisième main, comme si le compositeur n’avait pas eu
assez d’une vie, d’un corps pour compléter son œuvre. Il s’était laissé guider par le texte
et ces quelque notes abandonnées sur la première page d’un cahier vide » (Anatomie
94). Marie Nimier qui propose que son personnage Alexis écrive son « Je », l’articule
et le prononce, reprend cette idée que le texte du narrateur passe par son propre corps
mais aussi par celui de l’auteure qu’elle est elle-même dont il peut être une troisième
main aussi bien que celui de tout auteur n’importe quand.

160
présence rassurante, étouffante le laissant « transparent » (Je suis 19),
divorce des parents, départ de son frère différent, décès de sa mère malade,
scolarité abandonnée, environnement rejeté car trop bruyant. De l’enfance,
il ne reste qu’espace vidé, un nom détesté « Leriche, en un seul mot » (11),
qui contredit son cadre de vie modeste, un corps qui « perdit en substance
» (33), une hyperacousie qui le laisse seul loin des bruits du monde, la
beauté héritée de son père et le même langage que ses semblables : « J’étais
beau, tout le monde s’accordait à le dire, de cette beauté rugueuse que je
tiens de mon père » (11) et son « Je » masculin suiréférentiel. Pour survivre,
il a le goût des collections, des sons feutrés, de la lecture, la jeunesse et un
ami comme trait d’union avec le monde. Un accident de circulation se
profile qui le laisse en fauteuil roulant et impuissant, écrivant sa vie,
entouré des femmes de sa vie qui s’aiment. La plupart des pièces du puzzle
de cette vie et de celles racontées de la vie de La Reine du silence sont
manifestement interchangeables et surtout les pièces enfance, vide, départ
du père, « besoin insatiable de reconnaissance » (20). La seconde écriture,
celle du narrateur ne cesse de faire irruption. En suivant le glissement des
mots, elle retrace la communication qui s’établit entre son « Je » locuteur
et son « Je » interlocuteur jusqu’au moment où la communication se passe
de l’information et d’un jugement de vérité. Elle laisse alors entendre le
verbe être dans « Je suis un homme » comme un verbe performatif
susceptible de faire surgir l’homme de l’acte de la parole autant que de
l’acte d’écriture devenu langage humain. En découvrant le langage sous
une forme rhétorique Alexis Leriche s’ouvre un espace de jouissance
d’écriture ouvert à l’univers du sens et du son qui lui permet d’aller du «
dit vers le dire », d’exprimer, d’autant plus qu’il n’est plus encombré par
son sexe, intériorité et créativité, « de tirer les ficelles » (233), de tenir le
haut du pavé de la scène. Dès la première ligne de sa narration et en une
ligne, il expose alors, sous forme de sentence que « L’enfance n’existe
pas » (11) et laisse entendre des préoccupations d’ordre ontologique
sensibles à la notion d’enfance. Ainsi pour donner le sens de l’histoire,
combler l’ellipse, le flou entre le dit et le non dit, Marie Nimier confirme
son rejet des interprétations emboîtables à l’infini de lecteurs trop
nombreux. Elle préfère, ici, que ce soit dans l’acte d’écriture, dans et avec
les mots à dire à l’infini, que le personnage trouve la solution qui apaise
une quête de reconnaissance existentielle. « Leriche, en un seul mot » (11),
qui n’a gardé de son nom « nié » que l’adjectif ordinal « un », sait, lui, ce
qui lui est arrivé, « repart de zéro » (211), rattache un à un les faits et gestes
de sa vie à la prise de conscience et l’édification de son langage qu’il

161
s’attelle à retracer méthodiquement pour s’informer lui-même. Il se
remémore son espace patronymique vidé, retrouve l’individu singulier
qu’il était, énumérant avec les chiffres pour tout langage, s’informant et se
construisant des bases: son terrain autobiographique, un espace pseudo
autobiographique de narrateur. Il reprend les glissements grammaticaux
qui jalonnent les étapes de sa vie, dénonce les adjectifs cardinaux devenant
ordinaux et les superlatifs qui le montrent personnage macho, susceptible
de s’intérioriser : « c’était la première fois de ma vie que je ressentais…
émotion » (107). Il retrouve les néologismes se multipliant, « se mettre en
quatre » (94), « cinq... dont quatre… sur leur trente et un » (125) jusqu’au
« bon XVIIe arrondissement » (64/86/225) qu’il écrit, lui, différemment de
La Reine du silence en chiffres romains substituant la lettre numérale aux
chiffres arabes. Il se démontre ainsi qu’il a un langage parlé, articulé autour
des lettres et des mots, un espace d’homme contemporain. Ces deux
écritures, conjointement linéaires, suivent la chronologie de la vie du
personnage de ses quinze ans jusqu’à maintenant, après son accident,
quand il écrit: la première selon une « ligne tracée d’avance » (Anatomie
53), la seconde respectant, mot à mot, les rapports de contiguïté spatio-
temporels des événements de la vie du narrateur.1 La narration de Leriche
se déroule au rythme des embrayeurs de discours., adverbes de temps,
verbes incitatifs à l’infinitif, antéposés, à la forme pronominale,
interrogative…, le « donc » et son « Je » sujet et objet.
L’étape racontée de sa vie se situe dans un entre-temps qui est délimité
par « au début » (Je suis 11) et « aujourd’hui » (233). « Aujourd’hui », écrit
en dernière ligne du livre, indique au lecteur le sens récursif de
l’énonciation et l’oriente sur le sens et la signification du livre. Prenant
place à la première ligne de la narration rédigée sous forme de compte à
rebours, la « coquille vide », de par sa définition: « texte, projet, sans
contenu réel, destiné à faire illusion » (Larousse 301) pose l’énoncé de
l’énigme à résoudre. Pour les lecteurs avertis, le terme « projet » évoque «
nausée » un autre mot de Sartre. Comme premier mot du texte « L’enfance
» ouvre la compétence du mot au domaine de la performance, met en place
cette « règle de récursivité qui confère au langage sa créativité » (Yaguello

1
Marie Nimier reprend le schéma du personnage Thomas Morhange qui bien que maîtrisant
le langage musical « ne croyait pas à l’individu… préférait se persuader que chacun
agissait…selon une ligne tracée d’avance… Alors seulement, Thomas acceptait d’être
quelqu’un » (Anatomie 53). En faisant la genèse du langage écrit et parlé de son
personnage Leriche, Marie Nimier reconnaît ici que l’écriture et les mots font de lui non
pas un individu mais quelqu’un qui est précisément un homme.

162
132). Le mot « enfance » récurrent évoque immédiatement le thème «
d’absence de père et de quête de reconnaissance dès l’enfance » chez Marie
Nimier, rattache ce douzième roman à ses autres romans, établit un ordre
récursif des romans chez l’auteure. Alors que le thème remonte à l’espace
autobiographique de Marie Nimier développé dans les huit premiers
romans il s’explicite dans cette phrase du neuvième roman « la peur c’était
aussi la nausée » (Reine 133). Selon la règle de récursivité cette phrase
ramène à celle de l’héroïne Marine du premier roman de l’auteure « la
nausée c’était l’enfance » (Sirène 77) qui, elle, associe performativement
la peur et la nausée à l’enfance, celle de Marine à celle de La Reine du
silence authentifiée Marie Nimier. La compétence du mot « nausée »
renvoie à ce même mot « nausée » incontournable de Sartre, et de façon
performative à un autre mot du philosophe un « trou » dans l’être, un
espace néantisé, une liberté, car toujours à combler : un vide qui peut être
la source de toute histoire. La compétence du mot « trou », de façon
récursive, renvoie à la petite fille Marie pensant : « J’allais tomber dans un
trou sans fin, telle Alice dans le terrier du lapin » (Reine 32) et de façon
performative renvoie aussi à l’héroïne du conte qui réchappe de son terrier
et de la condamnation de la reine qu’elle y a rencontrée, uniquement grâce
à son langage et à l’idée de Lewis Carroll écrivant que seul un langage
ouvert passant par les métamorphoses du corps et par celles de l’imaginaire
permet de survivre et de vivre. Pour reprendre l'idée de Gérard Genette
dans Palimpsestes, la déclaration d’ordre général que fait Leriche en
incluant ce mot « coquille vide » associé à « enfance » met son « texte en
relation manifeste ou secrète avec d’autres textes » (77) et prouve qu’il
envisage que le constat qu’il vient de faire dans sa narration, celui d’exister
grâce au langage, aux mots, est la solution à l’énigme de la vie et de
l’humanité. Alexis qui prend la relève des personnages des romans
précédents de Marie Nimier illustre spontanément cette relation dans sa
narration. Celle-ci rejoint et prolonge le texte écrit par La Reine du silence
se démasquant dans son neuvième roman, écrivant comme se rapportant à
elle-même l’existence d’un espace vide laissé dans sa vie par l’absence de
père et racontant, jusqu’à l’apaisement que lui procure finalement la vision
de son père, l’obsédante quête de reconnaissance qui s’y associe.
Reprenant ce même thème omniprésent, solutionné et ainsi mis à nu
d’absence de père et d’enfance, Leriche se fait le porte-parole de la vie et
de l’écriture de l’auteure prenant leur sens, émergeant du désarroi et
capable de se réorienter. Ce douzième roman devient le fil conducteur de
toutes les performances : une histoire fictive contemporaine se substitue à

163
l’histoire mythique et à celle réelle de Marie Nimier. Alexis, encore, un
personnage de genre masculin, écrivant et décrivant lui-même les mots qui
le font performativement exister et qui lui permettent de communiquer en
langage humain se présente de façon théâtrale comme une réplique de
Marie Nimier, une doublure masculine conforme au « modèle Marie
Nimier ». Faisant suite au neuvième roman, ce douzième et récent roman,
confirme ainsi l’ordre récursif qui s’est institutionnalisé dans les romans de
Marie Nimier, remplace et explique les nombreuses et flagrantes
récurrences jusque là rencontrées concernant situations, personnages, mots
et noms propres, graphismes, sonorités et sens de simples lettres allant de
« P-R » (Reine 66) au « P au R …sans transition [autour d’un] trait
minuscule » (Je suis 215) et toutes subliminarités. Au-delà de la narration
du personnage Alexis Leriche, Marie Nimier s’accorde la jouissance d’une
expression théâtrale et réalise paradoxalement une mise en scène
performative de l’enfance qui élargit l’écriture de la récursivité au domaine
de la transtextualité. Enchaînant « tous à égalité » (Je suis 26) les livres et
les auteurs les uns aux autres, elle libère la créativité des mots qu’elle
émancipe et de l’écriture à l’infini, seule capable de combler l’espace vide,
le texte et la vie. Les mots alors, personnages de roman et de théâtre,
retrouvant leur innocence première, rejoignant ceux de La Reine du silence
et du neuvième roman pourront toujours « comme ça » se mettre en scène
et résoudre toute énigme. Aujourd’hui, après son accident, plus qu’au
genre masculin, il semble qu’Alexis décide de s’en remettre au terme
générique « homme » de jouer le rôle de l’homme type prêt à prendre et à
avoir sa place dans la Comédie humaine. Répondant à toute quête de
reconnaissance il réplique à l’apaisement par le constat, oppose un thème
existentiel de vide d’enfance à la mise à nu du thème d’absence de père et
d’enfance de La Reine du silence, restitue à « l’inspiration
autobiographique » de cette dernière le contexte autobiographique de
Marie Nimier indissociable d’une autobiographie globale se rapportant à
tous les auteurs confondus.
On pourrait envisager que les histoires de Marie Nimier sont
l’histoire du Verbe ou de la vie, celle de son écriture repoussant, sans y
toucher, les limites des genres syntaxiques féminin et masculin, des genres
littéraires, celles de la compétence et de la performance du langage, celle
de l’écriture se glissant dans les traces de ces espaces et repoussant celle de
la quête de reconnaissance de soi, sans cesse réécrite et à écrire, à celle de
la quête de reconnaissance de l’écriture gouvernant le monde, capable de
faire exister roi d’Ithaque, « Reine Du Silence » et « roi assis » (Je suis 233)

164
et toute vie dans le réel et l’imaginaire, n’importe quand, dans tous les livres
publiés, dans le roman ou au théâtre, un air de famille entre Roger, Olivier,
Alexis et Marie. Le personnage Olivier dans Les Enfants tristes de Roger
Nimier ne disait-il pas : « … réjouissez-vous: la littérature commence
seulement. Il suffira de continuer, de gagner les extrêmes, ... » (309-10) et,
entre autres que « les idées romanesques sont bonnes surtout au théâtre »
(337) ? Dans un nouveau détour récursif de son écriture, rejetant toute
« déviation » (Reine 147) Marie Nimier, poursuit son idée qu’« Un mot
[non seulement] en appelle un autre » (149) mais montre que les mots
peuvent apparaître sous des dehors et sens différents susceptibles de donner
leur sens à toute histoire et thème confondus d’auteur et pas à pas, dans la
vie, faire ainsi prendre à l’inspiration autobiographique le sens d’une
autobiographie. Les lecteurs, eux aussi alors, « aujourd’hui » (Je suis 233)
participant de cette récursivité, peuvent reconsidérer la page de couverture
du douzième et actuel dernier roman de Marie Nimier. Ils peuvent y voir
la signature de l’auteure : son prénom Marie suivi du nom Nimier si
longtemps écrit « Ni(mi)er » (Reine 101) qu’elle écrit, épelle et reconnaît
ici comme le sien. Mais, subjugués par le mécanisme enclenché des
transformations sémantiques, il peut leur sembler lire Marie Nimier se
reconnaître et endosser le « Je » du titre, dire « Je suis » et être un
« homme » générique, tout comme Alexis Leriche son personnage
narrateur qui aurait pu être une « gonzesse » (Je suis 29). Ils peuvent encore
lire dans le « suis » du titre le verbe suivre et la mise en scène de la quête
de reconnaissance de son père et d’elle-même, la continuité affinée de la
vision qu’elle en a. L’inspiration autobiographique se doublant
physiquement de l’expression théâtrale des mots orchestrée par « l’homme
à l’harmonica » (233), érigé souffleur des mots de l’auteure, laisse entendre
le sens d’une suite dans la vie de l’auteure romancière, musicienne et
femme de théâtre, et d’une autobiographie pour son écriture. Après avoir
écrit les « chaussures vernies » (Reine 90) et les « mules à pompons trop
grandes » (93) de La Reine du silence, une chaussette dans la « sandale
droite » de Roger Nimier et son « pied gauche … nu » (67), la « chaussure
orpheline » (68) retrouvée de son père, les « chaussures sur mesure » (Je
suis 101) puis ses chaussures, une à une, perdues laissant son « pied
droit … en chaussette » (228), ses pieds à « rechausser » (228), Marie
Nimier retrouve les « pieds nus […de ses] quinze ans » (Reine 18), ses ailes
et son travail d’ange au Palais des merveilles et « l’arrière du camion
pendant les tournées » (19). Pointure montante, unisexe de la littérature
actuelle, Marie Nimier écrit et lève le rideau sur l’intrigue de sa vie, se

165
laisse reconnaître comme femme et auteure très rares, comme le disent les
mots du Pacte Autobiographique de Philippe Lejeune que les lecteurs,
complices de la récursivité chez Marie Nimier, peuvent évoquer en boucle :
« Les très rares autobiographes qui ont réussi à inventer un nouvel ordre du
récit sont ceux qui ont abordé l’autobiographie après avoir passé une partie
de leur vie, et de leur travail d’écrivain, à des recherches ou des essais qui
leur avaient fait mettre en question tout ce qu’impliquent les procédés de la
biographie traditionnelle, et élaboré une nouvelle vision de l’homme et une
nouvelle pratique de l’écriture » (201).
Jeanne-Marie de LARQUIER

ORIENTATIONS BIBLIOGRAPHIQUES
Carroll Lewis, Alice’s Adventures in Wonderland, New York, MacMillan,
1865
Dusaillant-Fernandes Valérie, « Reconstruction de l’image du père:
stratégies textuelles dans La Reine du silence de Marie Nimier », dans
Les Relations familiales dans les littératures française et francophone
aux XXe et XXIe siècles. La figure du père, sous la direction de Murielle
Lucie Clément et Sabine van Wesemael, Paris, Harmattan, 2008,
pp.207-216
Genette Gérard, Palimpsestes : La littérature au second degré, Paris, Seuil,
1982
Lejeune Philippe, Le Pacte autobiographique, Paris, Édition du Seuil,
1975
Nimier Roger, Les Enfants tristes, Paris, Gallimard, 1951
Schwerdtner Karin, « Marie Nimier: se risquer à raconter (des histoires) »,
dans French Forum, vol. 40, no 1, winter 2015, pp. 47-61
Yaguello, Marina, Alice au pays du langage. Pour comprendre la
linguistique, Paris, Seuil, 1981.

166
*

La Reine du silence, tentative de restitution1

Le plein n’intéresse personne, c’est l’absence qui saute aux yeux.


Marie Nimier, La Caresse

L’ absence a pour corollaire la présence comme à la perte fait écho la


possession. Comment dire l’absence de ce qui jamais ne vous fut
proche, comment évoquer la perte de ce qui, toujours, a été déjà perdu ?
Car au commencement, il y a l’absence qui rime avec silence : l’absence
du père d’abord, de celui qui, rompant les amarres, s’élance vers des
ailleurs imaginaires et s’enclôt dans le silence de l’écriture avant de
disparaître, prématurément, dans un accident qu’escamote, sous des
euphémismes, la vigilance familiale. L’absence de l’enfant ensuite, effacée
par le père, barrée comme on barre rageusement un mot sur le papier. Mais
en même temps, ce père, parce qu’il est aussi un écrivain, ne peut jamais
vraiment rejoindre la cohorte des absents tant sa voix, quintessence de toute
sa personne, résonne encore dans ses livres, tant s’entassent autour de son
nom les témoignages, les études, les légendes mêmes, qui font échec à
l’oubli, à la disparition.
L’absence, celle des mots cette fois, s’inscrit néanmoins dès le titre de
ce « roman »2 de Marie Nimier pour mettre en évidence cet autre paradoxe
révélé par le père lorsqu’il demande malicieusement à sa fille : « Que dit la

1
Ce titre est la reprise du sous-titre que Claude Simon a donné à son roman : Le Vent (1957).
2
Dans les interviews qu’elle a données à propos de ce roman, Marie Nimier parle de
« fiction » et précise qu’elle n’a pas fait d’enquête. Comme dans bien des récits de
filiation, il semble que la fiction se mêle aux souvenirs et qu’il puisse y avoir du jeu
entre ce qui a eu lieu et le vécu du sujet, entre ce vécu et la manière de le mettre en mots.

167
reine du silence ? » Pour répondre à une telle question, il faut justement
renoncer au silence, de même que pour dire l’absence, il faut nécessairement
rechercher les traces fragiles de la présence. Le plein est nécessaire pour que
se creuse en son sein une lacune. Le projet, véritable gageure, est ainsi
travaillé par des forces opposées et s’assigne la mission insolite, non
seulement de dire en silence mais encore de dire le vide, le rien, le manque,
l’absence, à commencer par celle des souvenirs puisque le père disparaît
alors que l’enfant n’a que cinq ans. « Comment ça fait, d’avoir un papa? »1,
demande la narratrice sur le point de raconter l’expérience inverse. Comment
représenter l’absence ? Un trou ou une simple silhouette découpée dans une
feuille de papier, une ombre sur un mur, un visage flou ou peut-être masqué,
un chuchotement à peine audible, un vertige… que sais-je encore ? Il s’agira
de dire le père sans le rendre présent, de placer face à la pléthore des
informations concernant le Grand Ecrivain, l’évanescence d’une figure, le
trouble de la mémoire, le délitement de la frontière entre réel et imaginaire,
le tremblement du sens, et laisser s’ouvrir des failles entre ce qu’on raconte
à l’enfant et ce qui souterrainement la travaille. Il faudra laisser advenir une
autre mémoire, celle du corps et des gestes, donner l’initiative aux rêves et
aux mots peut-être. L’absence du père, à l’évidence, hante la narratrice au
point de devenir excès de présence qu’il faut bien un jour affronter afin de
l’apprivoiser, à moins qu’il ne s’agisse de s’en débarrasser.
La Reine du silence est l’aventure d’une quête dont l’objet se dérobe.
Alors qu’elle n’a plus de père et que ne subsiste presque aucun souvenir de
lui dans sa mémoire, il faut qu’advienne sur la blancheur de la page une
histoire, que l’absence se renverse en présence acceptable, que se
convertisse en mots ce silence qui a pesé sur son enfance. Féconde absence
qui appelle à la création ! L’entreprise consistera à chercher comme Isis les
fragments d’un corps, d’une vie, à collecter, à bricoler, à raconter ses
dérives, à se perdre parfois, à hésiter, tâtonner pour qu’advienne in fine
l’œuvre confondue avec le père.

Tout vs Rien
Au commencement, ai-je dit, il n’y a rien ou presque rien puisque le
père se tue dans un accident alors que la narratrice n’a que cinq ans.
Contrainte de puiser des souvenirs dans une mémoire apparemment vide,

1
La Reine du silence, Paris, Gallimard, « folio », 2004, p. 164.

168
elle se lance dans une entreprise nécessairement vouée à l’échec et qui n’est
pas sans rappeler celle de l’orphelin Georges Perec lorsqu’il avoue, à l’orée
de son autobiographie : « Je n’ai pas de souvenirs d’enfance»1. L’écriture
s’avère impossible à moins de se faire réécriture, écriture seconde qui se
nourrit aux biographies2 et aux témoignages de ceux qui ont gardé souvenir
du père, et ils sont nombreux. Enfant du silence, elle ne peut rien dire de
nouveau, elle ne peut que répéter, recopier ou encore ressasser : « Il n’y a
rien à raconter, n’est-ce pas »3. Rien, parce qu’à l’absence du père répond
encore celle de l’enfant, elle n’est pas dans la voiture le jour de l’accident,
elle n’est jamais sur les photos aux côtés de son père, son nom n’est pas
inscrit dans le testament de Roger Nimier, il ne reste rien de leur relation.
Il n’y a pas plus de traces d’elle-même sur les documents que dans la
mémoire des témoins de l’époque. Lorsqu’elle interroge son demi-frère sur
ce dont il se souvient quand après le drame il est arrivé chez eux, il évoque
les pleurnichements de Martin et la soupe au potiron mais ne peut rien dire
sur elle : « Je lui en voulus de ne pas avoir retenu la moindre chose me
concernant. J’aurais aimé qu’il me parle de la petite fille que j’étais. Mais
la petite fille était transparente »4.
L’incipit du récit se calque sur un article de presse, quant à la
présentation du père écrivain et de son œuvre, elle se démarque peu de
celle qui a été proposée par le livre de poche. Plus loin, l’interview d’un
proche du romancier insère dans le récit des informations relatives à ses
dernières heures : en somme tout est dit et le texte est menacé par le
montage citationnel à moins qu’il ne dérive vers autre chose : la romance
des enfants respectifs de Roger Nimier et de Sunsiaré de Larcône, la
passagère de l’Aston Martin, elle aussi tuée dans l’accident. L’entreprise
se caractérise d’abord négativement, s’affirme au préalable ce qu’elle n’est
pas, ni biographie, ni mémoires, ni autobiographie romancée, elle se dérobe
aux formes reconnues, aux genres répertoriés pour exhiber un texte en train
de se faire, de se chercher lui-même comme se cherche et se dérobe, loin
des textes déjà écrits, la figure paternelle. La narratrice s’aventure sur
d’autres terrains que ceux déjà arpentés par la critique. Quand un
journaliste l’interroge sur les souvenirs qu’elle a gardés de son père, elle
s’avoue incapable de répondre et finit par parler « de ces deux images qui

1
W ou le souvenir d’enfance, Paris, Gallimard, « L’Imaginaire », n° 293, 1993, p. 17.
2
Celle de Marc Dambre, par exemple : Roger Nimier, hussard du demi-siècle, Paris,
Flammarion, 1989.
3
La Reine du silence, op. cit., p. 9.
4
Idem, p. 34.

169
se superposent dans (s)a mémoire, comme une erreur d’impression qui
rendrait leur lecture impossible : d’un côté, la représentation publique de
l’homme de lettres, stigmatisée par sa disparition précoce, et de l’autre la
perception privée, celle de la petite fille qui ne comprend pas toujours ce
qui se passe autour d’elle »1. La perception privée sera celle qu’elle tentera
de retrouver. « Perception », le vocable importe car il s’inscrit dans le
champ lexical des sens et signifie la mise en relation du corps et du monde.
Néanmoins, la représentation publique ne disparaît pas. Marie peut en effet
se faire l’avocate de son père quand elle explique à sa mère, qui lui met
sous le nez un texte qu’il a écrit sur le mariage, qu’il convient de distinguer
l’écrivain de l’époux, l’homme de l’œuvre.
Il lui reviendra de faire résonner d’autres voix que celles qui se sont
déjà exprimées dans les biographies publiées et de chercher ce qu’elle n’a
pas encore, un ton, une forme aussi bien que ce qu’elle n’a jamais vraiment
eu : un père. La forme hésite, claudique d’abord avec ses essais, repentirs,
reprises et prétéritions, avec aussi ce que Dominique Viart a nommé une
« poétique de l’épanorthose »2. Le récit pourrait être sous-titré : portrait de
l’artiste en père de famille ; le père, cette figure absente des biographies
officielles.
Comment construire l’objet de la quête quand les défaillances de la
mémoire bloquent le récit et que la narratrice ne peut évoquer que des
anecdotes sans rapport apparent avec le père ou que redire à satiété : « j’ai
l’impression que je n’ai rien à raconter »3 ? L’histoire d’une absence est
d’abord absence d’une histoire.
Le père qu’elle n’a jamais vraiment eu, disais-je… voire… car un père
se dissimule derrière le silence des proches, ceux de la grand-mère par
exemple qui jamais n’a parlé de lui à l’enfant ou derrière les affabulations
de la mère ou encore les confidences de Hughes qui se souvient de
l’affection de Roger à son égard. Le père est avant tout une construction
verbale, une fiction, on ne l’expérimente que par la médiation des discours
des autres. En somme, il coïncide avec le verbe et n’existe que par le verbe.
Il est un signifiant derrière lequel foisonne une multitude d’autres
signifiants qui dérobent au regard l’objet désigné. À la légende maternelle
qui fait des enfants Nimier le fruit d’un grand amour, se superposent des

1
Idem, p. 87.
2
In R. Dion, F. Fortier, B. Havercroft et H. Lüsebrink, Vies en récit : formes littéraires et
médiatiques de la biographie et de l’autobiographie, Québec, Nota bene, « Conver-
gences », 2007, p. 132.
3
La Reine du silence op.cit., p. 2.

170
confidences plus tardives qui viennent invalider la version initiale, de sorte
que l’image paternelle se dédouble comme se dédoublait l’image de Roger
Nimier homme public et homme privé.
Le rien sur le père se renverse en trop sur l’écrivain, un trop-plein de
mots qui débordent et dérobent autant que le rien, des anecdotes à ne plus
savoir qu’en faire, des mots, toujours des mots : « On le décrit tour à tour
et parfois simultanément comme un être désinvolte, sérieux, menteur, loyal,
lent, rapide, travailleur, paresseux, cynique, patriote, cruel, tendre,
indifférent, passionné, grave , frivole, ponctuel, généreux et malhabile de
ses sentiments comme on est maladroit de ses mains »1. Cette énumération
d’adjectifs antithétiques, cette abondance de qualificatifs, loin de fixer
l’image du père, la fait vaciller. Quant aux anecdotes, elles aussi
foisonnantes, elles construisent une légende – du latin legenda – qui doit
être lue, une épopée2, soit une fiction ou une représentation de l’homme
Nimier, au sens théâtral du mot.
La narratrice part semble-t-il en quête d’un objet insaisissable : le père.
En tout cas n’en subsiste aucune trace : il n’y a pas de photos de Roger
Nimier avec ses enfants, pas d’archives familiales, pas de papa, mot qu’elle
déplie en « pas pas », pas de traces du père : « Je sens que je m’éloigne –
c’est ainsi dès que je suis confrontée aux archives paternelles. J’ai
l’impression que je n’ai rien à raconter. Que je ne sais rien. Que cette tentative
est vaine, que je ferais aussi bien d’abandonner. De retourner à mes
lectures »3. Paradoxalement, peu d’enfants ont autant d’informations sur leur
père, homme public, que Marie, fille d’un écrivain célèbre, mais peu
d’enfants sont aussi démunis qu’elle quand il s’agit de retrouver le père, celui
qui vous tient par la main ou vous serre dans ses bras. Le père est le maître
des mots : « Il a écrit grande nouille et gourdiflote, il a écrit faire la foirinette
et francisé les mots anglais pour mettre une touche de rose dans le gris
dominant »4, remarque la lectrice attentive des Enfants tristes, mais il est
aussi un personnage de mots et de papier et non un homme de chair et d’os.

Le non-père
Le père hante ce roman de la première à la dernière page, d’abord
parce qu’il est l’objet de la quête, ensuite parce que, tel un fantôme, il se

1
Idem, p.12.
2
Franck évoque un « épisode de l’épopée familiale », idem, p.199.
3
Idem, p.82.
4
Idem, p.150.

171
dérobe à la perception de l’observatrice et enfin parce qu’il suscite chez
elle de l’effroi, tant par ce peu de choses qu’elle a gardé en mémoire que
par les rêves où il apparaît. Dans tous les cas, il n’accepte pas plus d’être
compris que d’être aimé, il résiste et refuse d’assumer son rôle paternel.
Ce n’est pas auprès de ceux qui l’ont le plus connu que Marie va
enquêter, elle va au contraire faire appel à ceux qui vivaient loin de lui,
comme Hugues son demi-frère ou ces admiratrices qui dans leur
correspondance dressaient « un drôle de portrait du jeune homme qu’il
était »1 ; elle va écouter, observer les êtres qui l’entourent et qui n’ont même
pas rencontré son père, lire des biographies d’autres écrivains qui avaient une
fille. Elle collecte des informations, petit à petit, dans le désordre
chronologique de l’enquête, dans la remémoration anarchique de ses propres
souvenirs d’enfance et d’adolescence ou dans des conversations anodines.
Tout se passe, puisqu’il s’agit de déjouer le vide, comme si des riens se
substituaient au rien, comme si l’infime détail avait valeur d’indice et que le
mot le plus banal pouvait livrer un secret. Quand elle nous parle d’autre chose,
semble-t-il, c’est encore de lui qu’elle nous parle.
L’absence est d’abord trace et la trace du père est partout dans le récit,
dans les lectures faites aux enfants, qu’il s’agisse de Pinocchio ou des
Aventures de Nils Olgersson, romans où se tissent de vraies relations entre
l’enfant et son père. L’absence s’impose encore dans son sujet de
« mémoire », mot qu’elle préfère à thèse, sans doute parce que son travail
s’ancre dans la mémoire personnelle. En effet, elle a décidé d’étudier le
mythe de la sirène dont on sait bien ce qu’il doit à la parole et au silence.
La trace, l’indice, la synecdoque sont autant de moyens pour signifier
l’absence, comme en témoigne l’empreinte de la patte de chat sur la tombe,
tout ce qui reste d’une présence enfuie. Tout devient trace du souvenir
disparu et la trace est signe de l’absence, comme le fragment dit la perte de
la totalité. La plupart des chapitres de La Reine du silence intègrent en
anamorphose la figure paternelle si bien que sous le texte se lit un autre
texte et que la vie de Marie paraît placée sous l’emprise de ce père absent.
De surcroît, ce peu de choses que la narratrice parvient à recueillir à
propos de son père se range le plus souvent sous le signe de l’incomplétude
ou de l’incertitude. Il est tant de questions qui restent sans réponses : que
s’est-il passé dans la voiture fatale ? Quel est ce secret de tristesse qui habite
le père ? Pourquoi ce silence après la publication de huit romans ? Il reste
toujours une part d’inexplicable, les faits en eux-mêmes ne suffisent pas à

1
Idem, p. 59.

172
rendre compte d’un être. Les photos, telle celle de Salinger tenant sa petite
fille sur ses genoux, sont trompeuses, les biographies officielles sont
semées d’erreurs et tentées par la fiction, les articles de presse recherchent
le sensationnel et métamorphosent l’accident en belle histoire d’amour et
de mort. Des pièces, comme le rapport de police, manquent au dossier, les
témoignages sont suspects et la mémoire défaille. L’enquêtrice restera dans
la douleur de ne pas savoir vraiment. Le père continue à se dérober à son
attente.
Il est permis de rêver à la parfaite coïncidence du mot et de la chose et
de s’étonner quand elle se manifeste lorsqu’on fait le 36 99 pour entendre
l’horloge parlante, puisqu’une telle transparence reste exceptionnelle : « Je
me suis toujours sentie très proche de cet homme qui disait exactement ce
qu’il disait, et qui le disait tout haut. Pas question d’interprétation. Ni
mensonge ni atermoiement »1. On comprend alors cette attention que la
romancière accorde aux mots et le rêve de les voir dire exactement ce qu’ils
ont à dire. Car le plus souvent, les mots déroutent, occultent : ils mentent,
ils trompent ! Le langage fait obstacle à la rencontre de la fille et du père :
ne lui a-t-on pas fait croire qu’elle était le fruit d’un grand amour ? Mais
c’est bien plus encore le silence, la loi du silence qui se veut protecteur et
qui s’avère destructeur, qui efface le père de la vie de l’enfant. Jamais on
ne l’emmène au cimetière, jamais on ne lui parle de l’accident. Tout se
passe comme si ce dont on ne parlait pas n’existait pas. Le père se construit
en creux, dans la succession de phrases tantôt interrogatives, tantôt
négatives ou dans la prétérition qui évoque ce que ce récit ne sera pas, qui
propose et efface simultanément. Mais n’est-ce pas justement ce silence
qui rend ce père si lourdement présent ?
De fait, au cours de son enquête Marie découvre que Roger Nimier ne
fut rien moins qu’un père. Le plus souvent pour le désigner elle joint au
prénom le patronyme, elle use parfois du syntagme « mon père » mais
quand elle emploie le vocable enfantin « papa », celui-ci sonne mal et le
lecteur ne cesse d’y entendre la double négation. Papa ne désigne que
l’absent « papa est déjà parti ? », « papa est au bureau ? »2. Le père a nié

1
Idem, p.103. L’adéquation des mots aux choses qu’ils sont censés désigner est encore
évoquée dans Les Inséparables lorsque la narratrice découvre que les adultes appellent
rue ce qui est en réalité une impasse : « Cette histoire de rue et d’impasse occupa
longtemps mon esprit – l’idée que les mots ne recouvraient pas forcément les choses
qu’ils désignaient, même sous leur forme la plus stable (la forme écrite) et dans un
espace aussi policé que le quartier des Champs-Élysées », Paris, Gallimard, 2008, p. 25.
2
La Reine du silence, op.cit., p. 70.

173
l’enfant avant d’être par lui nié. Les mots mentent-ils quand elle découvre
que son père ne l’a pas couchée sur son testament, quand une lettre lui
apprend que sa naissance ne suscita que ce que d’aucuns appelleraient un
bon mot : « j’ai été immédiatement la noyer dans la Seine pour ne plus en
entendre parler »1 ? Roger Nimier ne fut pas un père car cette fonction ne
cadrait pas avec l’image qu’il voulait donner de lui. La petite fille s’imagine
alors qu’il n’est pas son père et se réfugie dans son roman familial en
devenant la fille d’un perchiste, comme si le mot ouvrant sur la syllabe /per/
coïncidait parfaitement à l’objet du désir et faisait du rôle paternel une
véritable profession.
Il n’y a donc pas de père puisque Roger Nimier, même s’il a donné à
l’enfant un corps à sa ressemblance et un nom, ne lui a pas donné
l’affection qu’elle était en droit de recevoir. En mourant prématurément, il
l’a également privée d’une relation dont pouvait bénéficier la construction
de sa personnalité. « Que serais-je devenue si mon père n’était pas mort
prématurément ? Aurais-je mon permis de conduire ? »2, se demande-t-
elle. À cette question nous pourrions ajouter la suivante : se serait-elle jetée
dans la Seine ? A Marie a manqué ce père, que d’autres, telle Simone de
Beauvoir, ont eu la chance de connaître. Un père qui s’intéresse à ses études,
qui l’initie à la poésie, qui l’emmène même au théâtre : « Mais cet après-
midi, ce qui me transporta, ce fut bien moins la représentation que mon
tête-à-tête avec mon père ; assister, seule avec lui, à un spectacle qu’il avait
choisi pour moi, cela créait entre nous une telle complicité que, pendant
quelques heures, j’eus l’impression grisante qu’il n’appartenait qu’à moi
»3, écrit Simone de Beauvoir. On comprend que Marie ait la nostalgie de
ce qui n’a pas été et ne cesse de s’interroger sur ce qui aurait pu être. Son
père, lui, a fait défection.
Pourtant, il fut présent dans sa petite enfance mais étrangement les
souvenirs manquent. Certes, les pères de cette génération sont peu soucieux
des tout petits dont les soins sont abandonnés à la mère, mais si une fois
encore on se reporte à l’autobiographie de Beauvoir, des souvenirs du père
concernant cette période existent et sont relatés. Marie, quant à elle, ne
rapporte avec précision qu’une scène, celle au cours de laquelle elle sert à
son père, qu’elle suppose affamé, un œuf au plat en plastique posé sur une
assiette de sa dînette. Mais le père écrit, il n’entre pas dans le jeu de l’enfant

1
Idem, p. 143.
2
Idem, p. 164.
3
Mémoires d’une jeune fille rangée, Paris, Gallimard, « Folio », 1958, p. 94.

174
et la fait sortir après avoir déposé un petit baiser sur sa main, petit baiser qui
la remplit de bonheur. Un beau souvenir, pourrait-on croire, si la narratrice
ne s’immisçait dans ce récit pour le commenter et souligner à quel point elle
fut pour son père une gêne, une présence indésirable. Car elle se souvient,
elle a gardé en mémoire des détails qui viennent contredire l’euphorie de la
rencontre. D’abord le mot « machin » en italiques dans le texte, employé par
le père pour désigner le petit repas, puis la découverte qu’elle fit
ultérieurement de l’œuf dans lequel il a planté un mégot. Les perceptions
visuelles et auditives sont engrangées dans la mémoire enfantine, la violence
du geste et du mot a été perçue par la fillette qui ne peut encore verbaliser
l’événement et encore moins en comprendre les ressorts. Des confidences de
ses proches, celles de sa mère surtout, viendront par la suite corroborer cette
vision d’un homme violent.
Le roman nous donne une représentation du père peu conforme à celle
que Freud nous a proposée dans son œuvre. L’enfant, contrairement à
Œdipe, ne veut pas tuer le père, c’est le père qui veut se débarrasser de
l’enfant car ce dernier risque de perturber son travail et de nuire à l’image
qu’il a et veut donner de lui-même. Le roman semble-t-il n’intègre que la
première partie du mythe puisque Laïos a d’abord livré son fils à la mort
en l’abandonnant sur le mont Cithéron, non sans lui avoir préalablement
percé les pieds. La dangerosité du père n’est-elle pas au demeurant lisible
dans le prénom « Roger », anagramme partielle du substantif « ogre » ? La
scène déjà évoquée du petit baiser sur la main de l’enfant peut s’associer à
un autre souvenir, celui d’une cicatrice laissée par la dent paternelle sur le
doigt de Marie, dent qui appelle à son tour chez la narratrice le souvenir
des dents de lait de son père rangées dans la commode de la grand-mère.
La lecture régressive projette sur une scène d’autres scènes ultérieures pour
mettre en évidence la menace que constitue le père sur le corps fragile de
l’enfant. Le père est un personnage de conte, un être maléfique géant, ogre,
ou monstre1, physiquement dangereux pour ses proches. Marie insère des
notes prises dans le train pour nous donner de Roger Nimier un portrait
qui conforte celui de sa perception enfantine et qui fait de lui un individu
hors normes : « Roger Nimier avait une culture monstrueuse, une capacité
de travail phénoménale, un appétit d’ogre et un cœur trop gros »2.

1
La narratrice emploie ce mot : « Je me demande si tous les pères à un moment ou à un autre
de l’histoire familiale, font figure de monstres. » Idem, p. 63.
2
Idem, p. 65.

175
Les récits de rêves montrent que le père continue à la hanter sous son
aspect le plus menaçant. La violence y fait effraction et suscite en elle l’idée
que la parole empêchée fait retour sous forme d’images, que s’exprime
d’une autre façon ce qui a été autrefois refoulé. Dans deux de ces rêves
s’impose la figure paternelle qui brise ses os comme du verre ou laisse
échapper une carafe de cristal qui se brise. Dans les deux cas, le père est
ensuite remplacé par un artiste, Gérard Depardieu ou Ivan Rebroff, comme
pour signifier que le personnage public efface l’homme privé. La narratrice,
en n’interprétant pas ses rêves, manifeste son pouvoir de dire tout en se
taisant et donne ainsi à lire plus que ce qu’elle n’écrit. En tout cas le père
apparaît comme celui qui étouffe la parole filiale : « J’articule des mots, je
force mes poumons, mais aucun son ne sort »1.

Le non du père
L’initiative est le plus souvent donnée aux mots de la tribu. Ainsi n’est-
il pas insignifiant que la narratrice donne à lire dans sa signature, grâce à
un beau lapsus calami, Nier plutôt que Nimier. Elle substitue à un
signifiant un autre signifiant inattendu qui produit ce que Lacan appelle un
effet de sens. Et si dans Nimier se lit aussi rien, pronom qui fait retour dans
« je n’ai rien à dire, rien à raconter », s’y lit encore grâce à un nouveau
lapsus commis cette fois à partir de « linier » origine de Nimier, le verbe
« lier ». On ajoutera enfin que le pseudonyme Pascale Martin que Marie a
autrefois adopté, évoque à la fois l’Aston Martin (qui a causé la mort du
père) et la résurrection du Christ. L’écriture permettrait-elle de passer de la
séparation à la réparation2 ou de la mort à la vie ? Celle du père ou celle
de sa fille ?
Dire l’absence du père, c’est inévitablement donner à lire en
palimpseste sa présence dans la vie de l’auteur sans jamais la désigner
explicitement. Tout l’art de Marie Nimier consiste à ne pas dire mais à
laisser entendre le non-dit comme s’entendait, dans le silence cotonneux
qui entourait les enfants, un secret familial. La composition fragmentée du
récit met en forme la traque d’un secret et oblige le lecteur à relier entre eux
des fragments épars. De fait tout se lie sans que jamais les liens soient

1
Idem, p. 77.
2
Dans La Caresse, s’affirme la fonction « liante » de l’écriture : « L’auteur, en écrivant mon
nom, n’avait d’autre prétention que de tisser des liens, et ainsi de rendre la vie
supportable », op. cit, p. 112.

176
explicités, tout relie l’enfant à son père pour faire de ce dernier un fantôme
qui la hante : le suicide de la jeune fille répète celui de l’écrivain et réalise
le projet énoncé lors de sa naissance, la noyer dans la Seine. Ce suicide,
d’abord sans raison, devient par la suite motivé par le désir de rejoindre le
père, lequel a également créé chez l’enfant la phobie des armes tranchantes
et l’a conduite à se protéger les poignets. Le lecteur ne reliera que plus tard
l’insupportable geste de la fleuriste préparant le bolduc, aux veines
tailladées de Roger Nimier. Sa mort accidentelle modifie la relation de la
jeune femme aux voitures et l’empêche d’obtenir le permis de conduire.
Enfin, s’il a publié son premier livre à l’âge de vingt-six ans, c’est au même
âge qu’elle-même commence à écrire. Tant de similitudes invitent à penser
que le père pèse sur toute sa vie, constatation que conforte la psycho-
généalogie selon laquelle notre présent serait troublé par le passé et surtout
par le silence dont il s’est couvert.1 Le père a donné sa loi sous forme d’un
double interdit : tu ne conduiras pas et tu ne parleras pas. La périphrase par
laquelle il la désigne, « la reine du silence », a une valeur performative,
quasi démiurgique.
Le retour obsédant des motifs, la reprise des mêmes mots mettent en
évidence le fait que la vie du descendant se trouve marquée à jamais par ce
qui arriva à l’ascendant. Tous les accidents, depuis celui du hamster jusqu’à
celui du gendarme, redisent celui qui ouvre le roman tandis qu’à « l’écart de
conduite » commis par le père (l’expression est à entendre dans son double
sens), répond le permis de conduire constamment refusé à la fille. Les
tentatives de suicide du père et de la fille font retour dans le titre d’un film de
Polanski, Le Couteau dans l’eau, qui s’impose « sans raison apparente » à la
vue d’une photographie. Les draps qui trempent dans la baignoire se
retrouvent en palimpseste sous la blouse d’écolière qui trempe dans l’eau
froide. Sous la femme blonde de la photo en couleurs n’y a-t-il pas la femme
en blanc qui tend un mouchoir à Marie ou encore Sunsiaré qui, elle aussi,
était vêtue de blanc ? Dans le dédale du labyrinthe un fil se déroule, un mot
se relie à un autre tandis que s’impose un dernier motif obsédant, celui de la
chaussure dont la signification ne sera révélée qu’à la fin du roman, lorsque
sera retrouvée, juste après l’accident, sur le bas-côté de la route, une
chaussure de Roger Nimier. Celle-ci justifie rétrospectivement le site créé
par Martin et dédié aux chaussures.2 Alors le lecteur comprend que le père,

1
Voir François Vigouroux, Le Secret de famille, Paris, Puf, « Perspectives critiques », 1993.
2
La chaussure symbole d’un vide qui demande à être comblé ? C’est ce que suggère cette
comparaison : « jour après jour je me battais pour combler le vide qu’elle avait laissé

177
bien qu’absent, envahit sous d’autres formes la vie de Marie, qu’il est celui
qui empêche, mot qui vient du bas latin impedicare, lui-même dérivé de pes,
pedis : pied1. Le lien au père est indéniable, indénouable.
Le conventionnel euphémisme « il est parti », qui se substitue à
l’indicible mot, laisse espérer un retour possible et favorise la transformation
du disparu en fantôme : « ni vraiment là quand il était présent, ni vraiment
absent quand il nous quitta »2. Un fantôme impalpable, sans corps et sans
visage, ayant sans doute perdu aussi bien son ombre que son reflet dans le
miroir, comme le veut la tradition. Son corps pétrifié comparé à celui des
gisants, est aussi un corps dérobé par la pierre de la tombe que recouvre le
blanc d’Espagne. Marie ne parvient pas à se représenter son père, l’image
reste floue : « Au dessus de son corps flottant n’apparaît qu’une vague idée
de visage […] Un visage que je sais, mais que je ne vois pas, que je n’arrive
pas à voir »3. À l’impossible portrait de l’artiste en père succède ainsi celui
du père en fantôme qui vient hanter les vivants. La psychanalyse a montré
que le fantôme est un héritage issu d’une dissimulation par les parents d’un
secret fondamental, il objective une lacune.4 La menace que constitue le père
est donc moins tributaire de son absence que du non-dit qui entourait sa
personne. S’en débarrasser reviendra à l’humaniser, à lui rendre un visage et
un corps. Mais comment lui rendre ce visage sans la médiation de l’écriture ?
La quête de la narratrice qui tente de recomposer le corps morcelé du
père, de placer dans la crypte de sa mémoire une image précise, répète ainsi
celle de Marine dans Sirène : « ce fantôme qui n’avait cessé de la poursuivre
trouvait enfin un corps, même si ce corps n’était qu’un mot »5. En mettant
des mots là où il n’y avait que silence, en racontant ce « ça »6 que la famille
avait laissé de côté, Marie permet au fantôme inquiétant de redevenir un
humain ordinaire qui repose en paix, il cesse de la hanter pour habiter le livre7

en moi, ramassant tout ce qui me tombait sous la main, souvenirs, hantises, obsessions,
comme on bourre de vieux journaux une chaussure mouillée pour l’empêcher de
s’avachir », La Girafe, Gallimard, 1987, p. 180.
1
La Reine du silence, op. cit., p. 105.
2
Idem, p. 43.
3
Idem, p. 54.
4
Voir Maria Torok et Nicolas Abraham L’Écorce et le noyau, Paris, Aubier-Montaigne,
1978.
5
Sirène, Paris, Gallimard, « folio », 1985, p. 164. Il s’agit en l’occurrence du mot « décédé ».
6
La Reine du silence, op. cit., p. 27.
7
Joëlle Papillon montre que le livre devient sépulture et empêche ainsi le fantôme de hanter
ses descendants. « Marie Nimier, au cœur du silence » in Temps zéro, n° 5, [en ligne].

178
et lui permet d’avoir elle-même la paix. C’est en tout cas ce que laisse
entendre le dénouement heureux du roman qui appelle ce commentaire de
Valérie Dusaillant-Fernandes : « La quiétude de ces dernières paroles
montre somme toute que Nimier semble avoir accepté la mort et l’absence
de son père par le biais de l’écriture »1. En tout cas, des énoncés métatextuels
disséminés dans le roman révèlent la fonction salvatrice des mots : « en
nommant on se débarrasse de l’aspect pesant du monde »2 ou encore « écrire
pour réveiller, écrire pour endormir, écrire les yeux fermés »3. L’écriture est
trace, en l’occurrence trace de ce qui n’a pas laissé de traces4, trace du silence,
du secret, de l’absence, trace de la lacune et du blanc. Sur la page se déposent
des signes qui disent sa blancheur et du même coup la nient. Et si « un
écrivain doit mourir et ressusciter »5, Marie sera celle qui rompt le silence du
père en se substituant à ce dernier, en le prenant pour objet de sa création.
Le roman apparaît dès lors comme le récit d’une vocation et d’une
naissance puisque l’héroïne passe d’une parole empêchée à l’écriture. Elle
contourne l’injonction paternelle qui, la nommant, l’avait réduite au
silence ; en résolvant l’énigme qu’il lui avait proposée « que dit la reine du
silence ? », en choisissant de dire en silence, c’est à dire d’écrire, elle se
sent accréditée par lui pour lui succéder. Marie pourra non seulement dire
le père mais encore in fine l’imaginer puisqu’elle choisit d’écrire une
fiction, c'est-à-dire de représenter non ce qui s’est passé mais ce qu’elle se
figure qu’il s’est passé, en fonction des éléments dont elle dispose.
Le titre du roman se révèle dans son feuilletage polysémique. Il est
d’abord ironique puisque la reine du silence rompt le silence pour divulguer
publiquement ce qui devait être tu, mais par ailleurs, il la consacre comme
experte du non-dit, de l’implicite et du sous-entendu, en mettant en
évidence cet art du silence qui se manifeste dans le texte par le refus des
commentaires et analyses. Le lecteur endosse, à ses risques et périls, le rôle

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2014]].
1
« Reconstruction de l’image du père : stratégies textuelles dans La Reine du silence de
Marie Nimier, in Relations familiales dans les littératures française et francophone des
XX e et XXIe siècles, sous la direction de Murielle Lucie Clément et Sabine van
Wesemael, Paris, L’Harmattan, 2008, p. 216.
2
La Reine du silence, op.cit., p. 155.
3
Idem, p. 43.
4
L’entreprise n’est pas sans rappeler celle de Patrick Modiano. Lui aussi présente dans ses
romans des parents insaisissables, inspirés de ses propres parents.
5
La Reine du silence, op.cit., p. 52.

179
d’herméneute. À l’ombre des mots bruissent souvent d’autres mots
informulés.
Le happy end s’impose d’abord puisque Marie retrouve le visage
perdu du père. Renversant le sens de la filiation, elle reconnaît « comme un
père reconnaît ses enfants »1 celui qu’elle avait nié après qu’il l’eût lui-
même niée. Ce dénouement heureux était au demeurant annoncé par le
dernier rêve relaté, au cours duquel elle sauvait avec l’aide de Mme
Gombrowicz un jeune enfant qui ressemblait à son père. Ainsi en véritable
épigone de Pinocchio, elle rend visage humain au père, et ce par la
médiation de l’écriture. Les pièces dispersées du puzzle se recomposent
autour de l’image paternelle retrouvée in extremis.
Néanmoins l’interprétation de ce dernier rêve demeure incertaine. La
narratrice identifie en effet cet enfant, non à son père, mais au fils de
Sunsiaré qu’elle projette de rencontrer. Le caractère euphorique du rêve est
immédiatement contredit dans la réalité par la révélation funèbre : le fils de
Sunsiaré est mort, laissant orphelins trois enfants et renforçant du coup
l’idée que les pères ne sont pas fiables. Un dernier souvenir, celui d’une
fracture de la jambe lorsqu’elle n’avait qu’un an, vient relancer la
thématique du secret : « cette fracture précoce m’est toujours apparue
comme le signe de quelque chose que j’ignorais, quelque chose qui n’avait
peut-être rien à voir avec une chute ou un escalier et que tout le monde
voulait oublier »2. À la confiance accordée aux pouvoirs de l’écriture se
mêle l’impossibilité de dire, « quelque chose » échappe et le silence frange
les mots. « Écrire. / Je ne peux pas. / Personne ne peut. / Il faut le dire : on
ne peut pas. / Et on écrit. / »3, constate Marguerite Duras. L’écriture de
Marie Nimier, me semble-t-il, circonscrit un silence bien plus qu’elle ne
comble une lacune.
Paradoxalement, retrouver le père impose un devoir d’oubli, un
renoncement à savoir, de sorte que le père retrouvé s’apparente plus à un
père fictif qu’au père réel. Le petit garçon que dans son rêve elle tire des
sables mouvants, symboles de la matrice4, devient sa création littéraire, le
travail de l’écrivain étant souvent comparé à un enfantement. Cet enfant
peut également être un avatar d’elle-même, de sa venue au monde de

1
Idem, p. 202.
2
Ibid. On rapprochera cette intuition de la narratrice des rêves d’os brisés et de carafe cassée
déjà évoqués.
3
Marguerite Duras, Écrire, Paris, Gallimard, 1993, « Folio », p. 52.
4
Jean Chevalier et Alain Gheerbrant, Paris, Robert Laffont / Jupiter, Dictionnaire des
symboles, « sable ».

180
l’écriture. C’est en tout cas grâce à l’imagination qu’elle voit enfin le visage
paternel : « Son front haut. Ses yeux verts. La courbe parfaite de ses
sourcils. Je pouvais les voir. Les imaginer »1.
Marie ne rejoint donc son père que par la médiation de l’écriture : la
naissance du père se confond avec celle du livre. Elle s’est libérée de la
tutelle écrasante du Commandeur et en résolvant l’énigme du comment
dire en silence, elle a obtenu son accréditation qui lui permet à son tour
d’écrire, de publier et de s’approprier le nom du père. L’écriture lui permet
d’opposer à l’absence son pouvoir de ressaisissement, de conjurer
l’effacement et la disparition et d’échapper aux pesanteurs de son passé.
Cette démarche rappelle celle de Georges Perec qui achevait Espèces
d’espaces sur ces mots : « Écrire : essayer méticuleusement de retenir
quelque chose, de faire survivre quelque chose : arracher quelques bribes
précises au vide qui se creuse, une trace, une marque ou quelques signes ».
Traces, bribes autrement dit présence toujours rongée d’absence…
Edith PERRY

ORIENTATIONS BIBLIOGRAPHIQUES
Chevalier Jean et Gheerbrant Alain, Dictionnaire des symboles, Paris,
Robert Laffont et Jupiter, 1982.
Clément M.L. et van Wesemael S., Relations familiales dans la littérature
française et francophone des XXe et XXesiècles, Paris, L’Harmattan,
2008.
De Beauvoir Simone, Mémoires d’une jeune fille rangée, Paris, Gallimard,
« Folio », 1958
Dion R., Fortier F., Havercroft B., et Lüsebrink H., Vies en récit : formes
littéraires et médiatiques de la biographie et de l’autobiographie,
Québec, Nota bene, « Convergences », 2007
Duras Marguerite, Écrire, Paris, Gallimard, « Folio », 1993
Perec, Georges, W ou le souvenir d’enfance, Paris, Gallimard,
« L’Imaginaire », 1993
Perec, Georges, Espèces d’espaces, Paris, Galilée, 1974 / 2000 (Nouvelle
édition revue et corrigée)
Torok Maria et Abraham Nicolas, L’Écorce et le noyau, Paris, Aubier-
Montaigne, 1978

1
C’est moi qui souligne. Idem, pp.202-203.

181
Vigouroux, François, Le Secret de famille, Paris, Puf, « Perspectives
critiques », 1993.

182
*

Surfaces et coquilles : un sentiment de perte ?

L’ écriture de Marie Nimier reconnaît à la spatialité le rôle de mise en


forme de la narration, tout en étant consciente de la perte de cette
coordonnée à cause et au nom du virtuel. L’effet liquide qui dérive de cette
disparition est dû aux mécanismes qui vivent entre désorganisation et quête
de sens, entre réel et fragilité d’approche du matériau de vie, comme l’a
reconnu Marie Thérèse Jacquet à propos de La Reine du silence.1 Cette
orientation investit aussi les géométries de la représentation qui parsèment
leurs outils de manière à ce qu’ils puissent solliciter des mises en relation
souples, jamais définitivement figées. C’est là que les angles, les cercles,
les cônes ou les rectangles présents dans cette écriture passent d’un état
solide à un état d’assouplissement qui en fait évaporer les contours. Dans
ce flottement où l’envers et l’endroit ne correspondent plus2, où le caractère
problématique de la profondeur cherche à se déplacer en surface, l’espace
change de peau et se met à l’épreuve d’une autre dimension: l’intuition de
sa perte et le questionnement autour de cette espèce de disparition. Dans ce

1
Cf. Marie Thérèse Jacquet, « Finir avant de commencer ? Pour une écriture liquide de Marie
Nimier à Patrick Deville », in Matteo Majorano (éd.), Tendance-présent, Bari, B.A.
Graphis, 2007, « Marges critiques/Margini critici », pp.5-26.
2
Marie Nimier, Photo-Photo, Paris, Gallimard, 2012, « Folio », pp.214-215 : « [L]’envers
inversé n’est pas l’endroit […] dans cet intervalle entre l’envers inversé et l’endroit, que
les enfants pourraient s’envoler ».

183
contexte, la perte explore la possibilité de se faire sentiment pour laisser
ouvertes les failles dans la gestion spatiale et tenter d’en sauvegarder la
trace, en s’appuyant, d’ailleurs, sur le fait que le sentiment travaille dans la
durée pour saisir l’intensité.1
Si la surface – page, peau, miroir, feuille – insiste sur le caractère
bidimensionnel de l’espace en rendant visibles ses contraintes et ses atouts,
la coquille fait émerger un système de trous qui matérialise le besoin de
manipuler les formes identitaires et situationnelles sans s’attarder sur les
liens et les raisons de causalité. Ces deux outils, « porteurs d’absence »,
finissent ainsi par faire face à un « sentiment de manque » fait de
désaxements et d’empreintes, capable de réorienter à tout instant le récit et
d’en mettre en valeur la fragilité.
Dans ce jeu de renversements, qui met l’espace à l’épreuve du
sentiment, cette étude vise à analyser les effets de ce creux et à interroger
leur impact littéraire. Comment la perte se transforme-t-elle en ressource
pour la matière romanesque ? Pourquoi les marques de fragilité et de
souplesse spatiales – comme, par exemple, les variations végétales – se
mettent-elles à l’abri du sentiment pour rattraper la profondeur perdue ?

Surfaces
« Toute surface est langage »2 est l’aphorisme sur lequel Marie Nimier
bâtit l’intrigue de Celui qui court derrière l’oiseau. Cette formule n’oriente
pas seulement la quête d’une femme mystérieuse mais sollicite la mise en
relation de milieux, de personnages et de situations différents à l’aide
d’outils propres à la spatialité. L’affaire du sel où Magdalena – l’un des
personnages principaux – se trouve mêlée ne cristallise pas l’action mais la
parsème de ses grains afin que l’intérêt résiste jusqu’à son évaporation
finale. C’est ainsi que le cycle implicite de cette ressource naturelle – entre
liquide et solide, aussi fluctuante et instable que le réel 3 – investit la
narration. En s’interrogeant sur le sens de cette phrase, le narrateur en fait
le refrain de l’énigme. Il l’identifie au Centre de Surface puisque c’est là
qu’il a sa clef mais il la place à côté d’autres phrases de la même origine

1
Cf. Matteo Majorano (éd.), Il ritorno dei sentimenti, Macerata, Quodlibet, 2014,
« Ultracontemporanea ».
2
Marie Nimier, Celui qui court derrière l’oiseau, Paris, Gallimard, 2000, « Folio », p.81.
3
Idem, p.24 : « Le réel est de nature fluctuante, commenta-t-il, l’illusion liquide nous trompe,
et le ciment pâteux de la matière ».

184
qui en soulignent l’audace. Associée au songe, page 292, là où elle est
inscrite sur le dos avec les cicatrices de Magdalena (« Toute surface est
langage, tout songe est ligament. »1), la phrase apparaît aussi en rêve avec
l’esprit liquide du glissement (« Nous portons en nous une foule d’idées
liquides… LE CIMENT PÂTEUX DE LA MATIÈRE, ces mots
ressemblaient aux phrases de mes rêves. Toute surface est langage. La
lippe des flamants roses »2) et du cristal de sel (« La semaine dernière, j’ai
acheté une pile de cahiers (drôle d’idée que celle du papier qui démange,
qu’il faut gratter). Peu à peu les notes se déposent comme des cristaux de
sel sur les tables des marais. Elles s’accrochent aux lignes. Bientôt, toute
l’eau se sera évaporée »3).
La notion de surface se lie alors à la notion de rêve dès que l’espace du
narrateur s’oriente vers la perspective de retrouver Magdalena. « Toute
surface est langage »4 apparaît sur une feuille, sur un écran qui s’aplatit
pour donner à la surface elle-même une épaisseur physique. Elle se fait
avec les mots :

Cette scène me rappela un rêve que j’avais fait juste avant de me réveiller. Un
petit garçon m’apportait une lettre. Sur une feuille pliée en quatre s’inscrivaient ces
mots :

TOUTE SURFACE EST LANGAGE


Le message n’était pas signé. Je voulus interroger l’enfant mais, lorsque je
levai les yeux, il avait disparu.5

Dans Photo-Photo, les angles – figure très présente avec ses nombreuses
variations – sollicitent la lecture des flocons de neige comme des particules
« étrangères nécessaires (non, pas nécessaires: indispensables) au passage
de l’état liquide à l’état solide »6. Malgré le renversement dans les relations
entre ces deux états de la matière, la notion de surface émerge également en
relation avec « l’impossibilité de s’accrocher, de saisir, de s’attacher »7 .
L’exemple des photos le confirme parce qu’elles gomment les corps en les

1
Idem, p.292.
2
Idem, p.185.
3
Idem, p.287.
4
Idem, p.81.
5
Ibid.
6
Marie Nimier, Photo-Photo, Paris, Gallimard, 2012, « Folio », p. 43.
7
Idem, p.48.

185
vidant de leur substance, ce qui rend lisse et, par conséquent, parfaite leur
peau.
Dans ces deux cas, la surface insiste sur le caractère bidimensionnel de
l’espace. La page, la peau, le miroir apparaissent lorsque la profondeur
n’existe plus.
Les soucis du nombre de lettres qui composent le titre du roman La
Nouvelle Pornographie ou des techniques d’avant-page pour bâtir La
Reine du silence confirment l’attention aux ressources de l’encre et à son
étalement dans l’acte d’écrire. La page en tant que surface est au cœur de
Celui qui court derrière l’oiseau et se fait laboratoire des formes de la
narration en puissance tant dans L’hypnotisme à la portée de tous que dans
La Caresse. Dans Sirène, l’auteur avait déjà exploré la surface des mots
afin de les mettre en action (« Elle s’imposa des règles d’écriture sévère –
ne pas faire de ratures, ne pas lever la plume, éviter les points de
suspension – espérant ainsi dépasser la méfiance que lui inspiraient les
mots »1).
Pour prendre ses distances avec la profondeur, Marie Nimier s’empare
des dessins de la ponctuation. C’est un élément visible des contraintes
spatiales de la page qui tend à s’identifier avec des objets pour donner
consistance à la surface. Celui qui court derrière l’oiseau s’ouvre par des
parenthèses. Contrairement aux tirets qui peuvent se présenter en solitaire,
où l’unité, elles jouissent d’un caractère parasitaire, clos. Leur
enfermement est comparable à l’avion, moyen de transport et premier lieu
du roman, espace suspendu et minuscule, jamais nommé directement sinon
à travers la présence des hôtesses et des stewards (« objet fermé, enfermé,
hermétiquement clos »2 ). L’avion, cause de claustrophobie comme les
parenthèses, est présenté en tant que « lieu trop chaud, trop petit, trop
suspendu »3. Le narrateur – « poète entre guillemets » – n’est pas à l’aise
face à ce signe qu’il déteste. La haine émerge aussi à travers la comparaison
avec les os de Caroline (« je déteste ces os saillants, pensai-je, ils
ressemblent à des parenthèses »4). À la fin du roman, l’état de suspension
dans lequel le narrateur se trouve passe d’un espace physique à un espace
scriptural où les parenthèses sont mises en valeur comme trace tangible du
fait de dire :

1
Marie Nimier, Sirène, Paris, Gallimard, 2000, « Folio », p.15.
2
Marie Nimier, Celui qui court derrière l’oiseau, Paris, Gallimard, 2000, « Folio », p.11.
3
Idem, p.15.
4
Idem, p.165.

186
Dans cet état de suspension, debout sur la terrasse de cette maison blanche
accrochée à flanc de colline, j’attends. Je devrais commencer à travailler, mais non:
il faut que je reste là, attentif au moindre bruit, troublé, impatient. Dois-je l’avouer ?
Je prends un certain plaisir à me mettre entre parenthèses. J’ai appris à aimer ces
signes qui protègent les pensées fragiles. Il paraît que j’ai changé.1

L’Hypnotisme à la portée de tous est aussi le titre d’un texte que le


narrateur découvre. En commentant les premières lignes, le cerveau
apparaît comme une éponge et les globes oculaires font des circonvolutions
capables d’assurer aux objets « d’étranges vocations »2. Ici la première
surface en question est la page de ce traité. Sa couverture présente entre
autres une figure géométrique comme la spirale qui voudrait élargir la
profondeur à travers le sens du tangible. Dès que les chiffres apparaissent,
le regard note et observe les lettres, puis fait défiler le texte. L’attention se
pose sur la ponctuation comme forme de la respiration :

À chaque expiration, les lettres se détachent, vous distinguez chaque consonne,


chaque voyelle, vous suivez chaque virgule jusqu’au dernier point, sans ciller,
jusqu’au point final. Vous sentez de légers picotements sur la rétine, quelque chose
comme des tiraillements, mais vous continuez à lire, en toute confiance, vous
avancez de plus en plus difficilement cependant car vous prenez conscience des
espaces irréguliers qui séparent les mots.3

La sensibilité à l’espace émerge de la distance des mots, des vides qui


mettent ensemble les lignes en termes de marges et d’irrégularités. Mais ce
n’est pas le narrateur qui fait ressortir les mots. La perception est renversée
puisque ce sont eux qui le regardent et qui le présentent (« Cette impression
d’être lue par les mots, de n’exister qu’à travers le regard du livre… »4).
La Caresse débute sur une phrase (« Je suis un chien »), une surface
qui se tient, qui flotte, qui s’épanouit en caressant les mots. Le chien –
défini selon des coordonnées spatiales telles que la fenêtre ou les signes de
ponctuation – se rapporte à la façon de parler et de penser des humains avec
la conscience de l’écart, fondement du jeu entre pleins et vides. Le sens du
manque permet d’introduire ici la notion d’empreinte. Les bruits, les
plaintes qui proviennent de la rue requièrent des mots pour les décrire en
tenant compte de leur source :

1
Idem, p. 295.
2
Marie Nimier, L’Hypnotisme à la portée de tous, Paris, Gallimard, 1994, « Folio », p. 11.
3
Idem, p. 13.
4
Idem, p. 15.

187
Chaque mot porte leur empreinte. La maison est un papillon, comment décrire
la situation de façon plus concrète, un pavillon, c’est-à-dire la partie visible d’une
oreille qui, plaquée contre la terre, répercute et amplifie les frémissements du
monde.1

Entretemps le chien est devenu une chienne qui – dépourvue de


pouvoir d’abstraction – finit par se déplier en surface à cause du bonheur
qu’elle ressent :

Soudain, un bonheur redoutable s’empara de mon être. Je me sentis disparaître,


comme par magie, m’effacer au profit de l’un, pour le plaisir de l’autre. Je n’existais
plus, je n’étais qu’entre deux. Une ligne, un trait d’union. Une palpitation.2

La perception d’être un personnage contribue à mettre en question les


mécanismes de création de la page-surface (« Je ne suis qu’un carlin. Une
chose de mots. Un geste d’encre »3), du blanc de la feuille aux lignes sans
ponctuation ni verbes conjugués :

Il aurait fallu inventer un temps, le plus-que-présent peut-être, ou alors renoncer


à conjuguer les verbes, les jeter, pêle-mêle, à l’infinitif, pour rester au plus près de
l’acte, ou encore multiplier les divisions, virgules, points-virgules et points de
suspension, ou supprimer ces signes parasites, au contraire, oublier les phrases, les
lignes, ne garder que la masse noire des mots et le blanc de la feuille, ce blanc
éblouissant… 4

Un autre type de surface sillonné par Marie Nimier est la peau en tant
qu’outil du contact. Dans Sirène, elle introduit de façon oblique la ville de
Paris grâce à la médiation de l’eau (« l’eau de Paris est si dure pour la
peau »5). Dans Domino, son apparition indique le déplacement des lieux,
mais, au-delà de cette fonction de panneau, l’identification avec l’image du
corps en gomme les traits à force de caresses (« Mon corps entier vibra au
contact de sa peau »6). La peau définit les personnages par les relations qui
s’établissent avec leurs corps, comme dans L’Hypnotisme à la portée de
tous (« Elle peignait maintenant l’intérieur de ses personnages, leur peau
n’étant qu’une pelure diaphane destinée à réussir des organes dispa-

1
Marie Nimier, La Caresse, Paris, Gallimard, 2004, « Folio », p. 26.
2
Idem, p. 44.
3
Idem, p. 63.
4
Idem, p. 84.
5
Marie Nimier, Sirène, Paris, Gallimard, 2000, « Folio », p. 13.
6
Marie Nimier, Domino, Paris, Gallimard, 2001, « Folio », p. 69.

188
rates»1). Pour mesurer la surface du corps humain, le narrateur pose son
attention sur les vêtements qui le mettent en forme alors que, dans La
Caresse, l’acte de toucher permet d’en apprécier les liens possibles avec
les mots à travers l’odorat :

Je sentis qu’il était temps de m’effacer […] Les deux mains se frôlèrent encore.
J’allais disparaître, m’évanouir dans le blanc de la page. À quoi bon résister ?
L’auteur même baissait la voix. Je n’est qu’un lien, écrivait-elle, un prétexte tendre.
Un souffle apaisé par la caresse des mots.2

Avec le miroir – surface réfléchissante – les personnages de Marie


Nimier dévoilent non seulement le besoin mais aussi le désir de se regarder.
En se rapportant à l’espace, ils révèlent une panoplie de situations où cette
image s’approprie l’identité pour la rendre flottante. Grace à cet outil, dans
Sirène, le corps de Marina se replie sur lui-même à la recherche d’une
nouvelle dimension, capable de détourner toutes sortes de fragilité : « Nos
artères sont les miroirs de notre conscience, poursuit-elle, miroir aux
multiples facettes, non seulement parce qu’elles véhiculent l’élixir de la vie,
mais aussi parce que leur fragilité les place en position de force »3. Dans
L’Hypnotisme à la portée de tous, le regard est tellement puissant qu’il fait
exploser un verre en le fixant : « Elle vivait ailleurs, dans un monde qui
ignorait les contradictions, un grand miroir flottant, fragile certes, mais
insubmersible » 4 . Dans La Caresse, le miroir qui réfléchit le corps de
l’animal est défini comme « un objet plat et rectangulaire »5, forme qu’il
gardera aussi dans le poste sanitaire de Celui qui court derrière l’oiseau. Le
carlin s’aperçoit comme un fantôme. Ce reflet s’approprie de l’odeur du
chien pour le rendre vrai et introduit l’ombre comme nuance du visuel en
équilibre sur les trous du réel. L’image est définie comme la révélation d’une
pensée non exprimable avec des mots. Dans Domino, le titre du roman de
Catherine Claire – L’Analogie du miroir – est énigmatique puisqu’il renvoie
à une surface comme le miroir. En parcourant le schéma de cette œuvre,
Domino – nom au double sens narratif – met en abîme la surface.
La mise à plat de l’espace crée ainsi un réseau d’évocations
fonctionnelles à l’intrigue qui exploitent les aspects incongrus et les revers

1
Marie Nimier, L’Hypnotisme à la portée de tous, Paris, Gallimard, 1994, « Folio », p.74.
2
Marie Nimier, La Caresse, Paris, Gallimard, 2004, « Folio », p.147.
3
Marie Nimier, Sirène, Paris, Gallimard, 2000, « Folio », p.249.
4
Marie Nimier, L’Hypnotisme à la portée de tous, Paris, Gallimard, 1994, « Folio », p.270.
5
Marie Nimier, La Caresse, Paris, Gallimard, 2004, « Folio », p.22.

189
fugitifs. Dans le cas de la maison de Magda dans Celui qui court derrière
l’oiseau – toute carrée et pensée à « angle droit »1 sans recoin et par
conséquent sans espaces cachés –, tout est visible mais tout peut devenir
obstacle. Aux prises avec un cauchemar, Magda se réveille « au moment
où elle allait s’écraser contre une maison blanche » 2 . Le verbe
“alimentaire” « éplucher » est attribué à l’espace de manière à ce qu’on
puisse le découvrir sans le toucher. Tout en anéantissant la distinction
dedans-dehors, le repli sur la surface permet à la narration de rendre
tangibles les éléments qui peuvent engendrer une dimension intérieure,
celle qui va au plus près du mot pour matérialiser et interpréter l’espace lui-
même sous forme de mouvement. Cette condition, propre à un univers en
expansion comme la musique, émerge également dans Anatomie d’un
chœur où l’agitation des choristes se transforme en groupe cohérent, de
même que l’évanouissement et la volatilisation des sons se perdent dans la
contemplation des murs à tel point que l’équilibre s’établit au-delà des
caractéristiques traditionnelles.
La surface est ainsi une boussole qui permet à l’auteur d’explorer les
limites de l’espace à l’aide du cadre artistique. Si la sculpture sollicite l’art
du toucher, la musique fait face à l’art des sons et à leur capacité de se
disposer sur une partition dépourvue de papier par l’art de l’invisible. Mais
ce jeu met en question la profondeur puisqu’elle n’est plus convoquée
comme partie essentielle pour entamer ce processus. La mise à plat en
réduit les dimensions et fait de la surface (page, peau ou miroir) l’écran
privilégié pour chercher d’autres issues scripturales. C’est ce que Celui qui
court derrière l’oiseau essaie de dévoiler avec son refrain.

Coquilles
Dès le premier roman, Sirène, la coquille se présente comme
métaphore de l’écriture de l’espace puisqu’elle abrite un texte qui joue sur
le double sens du mot « sirène » : figure mythique de l’ambiguïté, elle vit
entre terre et mer, dans l’alternance de la réalité et de l’imagination. Cette
orientation correspond aussi à la fonction des personnages. Marina est
comédienne, « interprète du désir des autres » 3 , alors que Bruno est
sculpteur, faiseur de formes :

1
Marie Nimier, Celui qui court derrière l’oiseau, Paris, Gallimard, 2000, « Folio », p. 51.
2
Idem, p. 55.
3
Marie Nimier, Sirène, Paris, Gallimard, 2000, « Folio », p. 15.

190
Lui était sculpteur, elle aimait qu’il la modelât de ses mains puissantes d’artisan,
elle l’aimait.1
Sculpteur, ça lui allait bien. Les pieds ancrés dans le sol et la tête dans les
nuages. Le contraire de la sirène, pensa-t-elle.2

La tension entre créateur et interprète gère aussi la présence des lieux


et justifie notamment la tentative de dessiner les détails particuliers de
l’atelier du sculpteur. Celui-ci matérialise le besoin de manipuler, moyen
pour définir et pour mesurer la consistance de l’espace lui-même mais aussi
pour le mettre en question. La sirène cristallise l’image du paradis perdu de
l’enfance. Marie Nimier continuera à comparer cet âge à une coquille dans
l’incipit de Je suis un homme3 où elle insiste sur la notion de vide comme
abstraction nécessaire pour chercher d’autres formes pour la vie scripturale.
Dans Sirène, c’est la présence artistique qui joue entre le plein et le vide de
la création à tel point que l’acte de toucher fait disparaître ce que l’on
imagine. La référence au château de sable contribue également à mettre en
évidence cet aspect, par recours à son opposé, la friabilité. L’instabilité
requiert des piliers pour ancrer l’action. À la maison – premier élément
exhibé – correspond la description tandis que, dans le cas suivant – Paris
–, c’est le mouvement qui s’impose. Quant à l’hôpital, où Marine se
retrouve après sa tentative de suicide, le discours permet de rendre l’action
à travers les réactions des autres. Ce n’est pourtant qu’au restaurant que le
dialogue se déploie. C’est encore une fois un espace conteneur qui garde
les restes de La Girafe4: le musée d’histoire naturelle en expose le squelette
dans un jeu qui creuse tout effort totalisant. Dans Anatomie d’un chœur,
l’imagination acoustique crée et organise la dimension spatiale. À la
description précise des lieux correspond la vibration ; celle-ci restitue les
trajectoires des sons qui accompagnent le déploiement des choristes. La
musique soutient l’agencement de l’espace qui raréfie sa solidité. La
fragilité lui impose des coordonnées élastiques.
Lieux sédentaires, les différents bâtiments présents dans l’œuvre de
Marie Nimier ont des formes compactes mais creuses, selon le modèle du
bateau d’Anatomie d’un chœur (« L’immeuble ressemblait à un bateau

1
Ibid.
2
Idem, p. 80.
3
Marie Nimier, Je suis un homme, Paris, Gallimard, 2014, « Folio », p. 11 : « L’enfance
n’existe pas. Elle n’est que coquille vide, pure invention de l’esprit, mais il faut bien
commencer quelque part, non ? Saisir le monde par un coin et tirer, tirer, jusqu’à le faire
passer tout entier dans l’anneau magique ».
4
Marie Nimier, La Girafe, Paris, Gallimard, 1987.

191
amarré à l’église, avec ses coursives qui sentaient la Javel et son escalier
en spirale »1). L’espace se réduit par l’étalement des contenus, surtout des
objets. Éléments d’inquiétudes, ils sont synonymes de spatialité (« Je
n’avais presque rien, un matelas, deux tabourets, une table pliante, de la
vaisselle et un miroir encadré que j’avais récupéré dans la rue »2) face à
la disparition du personnage principal. Ils résistent au malaise de
l’étroitesse en gardant leur aspect concret (« l’impression de vivre à
l’intérieur de sa bouche avec ces murs de papier mâché plantés comme de
mauvaises dents dans une moquette violette »3). L’écrivaine analyse de
près les variations possibles des habitations en tant que coquilles. Dans
L’Hypnotisme à la portée de tous, la maison de vacances est évoquée
comme trace du cadre narratif à composer pour suivre les personnages. Le
collège est présenté à travers la description d’une salle, prétexte
d’immobilité de la partie d’un tout que la précision des dimensions
géométriques met au point :

Dans cette salle aux fenêtres closes, penchés sur nos cahiers, nous attendions
le cours suivant en faisant semblant de travailler. Cette immobilité – cette
permanence justement – me paraissait favorable à la propagation de ces ondes que
chaque individu, à en croire le traité, possédait en puissance. Toute droite parmi ces
dos courbés, les mains posées à plat sur la table, je définissais mon objectif.4

Référence temporelle et spatiale, la coquille exprime la recherche


d’espaces, née de la perception du vide, et s’appuie aussi sur les ressources
de figures géométriques – comme la spirale5 – et d’empreintes, traces d’un
manque à double feu. C’est pour cela que les personnages de Sirène
essaient de conquérir leur appartenance au monde à travers deux fonctions
artistiques différentes. Dans Celui qui court derrière l’oiseau, la relation
spatiale entre les deux personnages principaux agit par imprégnation parce
qu’elle « prend forme peu à peu »6 et non par étapes successives. Elle suit
l’instabilité de l’empreinte à la manière des nuages auxquels l’auteur

1
Marie Nimier, Anatomie d’un chœur, Paris, Gallimard, 1997, « Folio », p. 28.
2
Idem, p. 37.
3
Idem, p. 29-30.
4
Marie Nimier, L’Hypnotisme à la portée de tous, Paris, Gallimard, 1994, « Folio », p. 23.
5
Idem, p. 216 : « Le monde se décomposait en équations vertigineuses, la spirale reprenait
ses droits ».
6
Marie Nimier, Celui qui court derrière l’oiseau, Paris, Gallimard, 2000, « Folio », p. 37.

192
renvoie pour insister sur la nécessité d’incarner l’espace dans la narration.1
Dans L’Hypnotisme à la portée de tous, la tendance à éclipser la
consistance spatiale est tellement évidente que même les personnages
deviennent diaphanes, fuyants : « Elle peignait toujours, mais son travail
avait beaucoup changé. Sa palette était devenue plus sobre. Ses
personnages s’étaient éclipsés. Restaient des formes fugitives, comme des
empreintes de corps »2. La tendance au virtuel n’affaiblit pas le rôle de
signalisation des marques spatiales mais accroît la mise en question des
outils traditionnels de l’encadrement narratif. Tout en étant incontournables
dans l’écriture de Marie Nimier, ces dernières sont épuisées par leur
élasticité qui va de l’emploi architectural au renversement de leur fonction.
Elles fixent les piliers en les mettant à l’affiche mais elles finissent par les
creuser.

Vers une végétalisation de l’espace


L’effort de la surface et de la coquille pour rendre tangible la
dimension spatiale au détriment de la profondeur requiert d’autres
matériaux capables d’assurer la médiation entre les reliefs géométriques et
les références dedans-dehors. C’est là que les végétaux apparaissent et
servent à identifier et à localiser les endroits concernés – clos ou ouverts.
Les plantes dans l’atelier de poterie de Domino, le persil et les tomates sous
les fenêtres de la concierge dans L’Hypnotisme à la portée de tous ou les
jacinthes parsemées dans l’œuvre de Marie Nimier fixent des points de
repères. Mais la végétation devient de plus en plus autonome quand elle se
charge de l’action par le regard dont elle s’approprie pour reconstruire un
espace. En enveloppant les personnages eux-mêmes, elle agit et réagit
activement :

Faisant écho à mes illuminations végétales, les queues vertes d’une botte de
gros poireaux qui jaillissent d’un de ses filets à provisions balayèrent la bibliothèque
du couloir. N’y tenant plus, une tomate comprimée s’abandonna sur la tranche d’un
livre.3

1
Ibid. : « Une belle empreinte en forme de nuage. Une belle empreinte indélébile, à l’image
de Magdalena ».
2
Marie Nimier, L’Hypnotisme à la portée de tous, Paris, Gallimard, 1994, « Folio », p. 161.
3
Idem, p. 89.

193
Le ficus de Vous dansez ? dépasse la comparaison avec le corps
humain et l’identification du personnage féminin en figuier pleureur
devient une métamorphose où le sujet prend conscience de sa condition
végétale en insistant sur des référents bidimensionnels, comme l’écorce, la
feuille, l’écran disposés en climax, de l’élément le plus extérieur à son
aplatissement dans la page avant d’en sauvegarder le pouvoir d’absorption
et de projection vers l’extérieur : « C’était mon écorce à moi, ma feuille,
l’écran sur lequel je projetais mes rêves »1.
Dans Les Inséparables, l’achat d’une encyclopédie botanique illustrée,
La Vie des arbres et des plantes, montre comment la référence végétale se
répand autant pour indiquer les personnages avec des noms de fleurs que
pour dessiner des endroits et apprendre à les regarder d’un œil différent.
Dans Photo-Photo, le végétal expérimente les comparaisons immédiates
avec l’humain – le « je » est une sorte de paysage2 alors que l’écrivain est
un homme-tronc 3 , la mère une « grande tige noueuse »4 – et avec le
minéral lorsque le tilleul se fait couleur pour définir des chaussures. Dans
Je suis un homme, les bouquets sont à l’honneur, mais le parfum
anachronique de trois lys épanouis5 et surtout la réflexion sur une plante en
pot maltraitée 6 soulignent une mise en question de la présence florale
passive. La plante peut enfin réagir et agir. Dans tous ces exemples, la
présence végétale vise à prouver une existence, à imprimer une forme, à
souligner un relief, à compresser les sentiments qui se nourrissent à feu
continu – de l’amitié à l’amour, de la haine à la colère.
En dépassant le cadre décoratif, le recours à la végétation témoigne
d’une autre solution scripturale de la spatialité qui exploite des
renversements fonctionnels, qui joue avec les incongruités dues aux
dérives des points de vue et des conventions et qui fait de la fragilité et de
la souplesse un point de repère paradoxal sur lequel bâtir la solidité de la
narration. Les plantes ne se chargent d’aucun pouvoir symbolique mais
désaxent l’action. Il s’ensuit la création d’un effet creux, porteur d’un
sentiment végétal, de l’essence consciente des trous engendrés par le
glissement des plans du récit. Sans fouiller ni sonder, cette lymphe de la
littérarité s’empare de près de la condition de précarité pour la protéger et

1
Marie Nimier, Vous dansez ?, Paris, Gallimard, 2007, « Folio », p. 43.
2
Marie Nimier, Photo-Photo, Paris, Gallimard, 2012, « Folio », p. 27.
3
Idem, p. 51.
4
Idem, p. 74.
5
Marie Nimier, Je suis un homme, Paris, Gallimard, 2014, « Folio », p. 13.
6
Idem, p. 174.

194
pour la mettre en valeur au fil des pages, à travers des résonances qu’elle
peut faire ressentir et qui permettent le décalage vers la profondeur
disparue.1

La défiguration des surfaces, la structure à coquilles qui fait semblant


d’organiser toutes les pièces rendent incontournable la notion de perte, en
tant que moteur créatif, dans les œuvres de Marie Nimier. L’enquête sur
les formes s’encadre dans leur mise en évidence à l’intérieur de la narration
comme facteurs de l’approche dimensionnelle qui se forment au fur et à
mesure que les besoins textuels se tissent autour de l’intrigue. La visibilité
est liée au toucher alors que l’impalpable s’appuie sur l’écoute pour saisir
le réel et surtout pour le produire. Malgré les différentes méthodes de
dissection artistique évoquées, ces choix composent une anatomie de
l’espace à preuve même de son manque en présence de ses excès, de sa
façon d’épuiser la matière par ses transformations et de la préfabrication
possible de cette dimension, propre à la sensibilité de l’écriture de
l’extrême contemporain. C’est là que l’intérêt pour la formation2, et non
pour la forme, anime un sentiment de la perte, capable, d’une part, de
solliciter et de rendre dynamique l’action et, de l’autre, de l’enraciner du
point de vue scriptural selon les modalités du végétal.
Marinella TERMITE

ORIENTATIONS BIBLIOGRAPHIQUES
Bachelard, Gaston, La Poétique de l’espace, Paris, PUF, 1957, 2007.
Jacquet, Marie-Thérèse, « Finir avant de commencer? Pour une écriture
liquide de Marie Nimier à Patrick Deville », in Matteo Majorano (éd.),
Tendance-présent, Bari, B.A. Graphis, 2007, « Marges critiques /
Margini critici », pp. 5-26.
Majorano, Matteo (éd.), Il ritorno dei sentimenti, Macerata, Quodlibet,
2014, « Ultracontemporanea ».

1
Marinella Termite, Le Sentiment végétal. Feuillages d’extrême contemporain, Préface de
Marie Thérèse Jacquet, Macerata, Quodlibet, 2014, « Ultracontemporanea ».
2
À propos de la coquille, Bachelard soutient que « c’est la formation et non pas la forme qui
reste mystérieuse » (Gaston Bachelard, La Poétique de l’espace, Paris, PUF, 2007, p.
106).

195
Termite, Marinella, Le Sentiment végétal. Feuillages d’extrême contem-
porain, Préface de Marie Thérèse Jacquet, Macerata, Quodlibet, 2014,
« Ultracontemporanea ».

196
*

ORIENTATIONS BIBLIOGRAPHIQUES

ŒUVRES DE MARIE NIMIER


Nimier Marie, La Reine du silence, Paris, Gallimard, 2004
---, Vous dansez?, Paris, Gallimard, 2007, « Folio »
---, Pour en finir avec Blanche Neige, opus 2: Princess Parking,
performance de Marie Nimier et Karelle Prugnaud, (La Grande
Veillée/Evreux, 31 octobre, 2009) Inédit
---, La Confusion, Arles, Actes Sud- Papiers, 2011
---, La Course aux chansons, Arles, Actes Sud- Papiers, 2012, «
Heyoka Jeunesse »
---, Adoptez un écrivain, Arles, Actes Sud- Papiers, 2012
---, « Les allongés, » dans Jean-Michel Ribes, L’État du lit - Sept
pièces courtes de Jalie Barcilon, Stéphane Guérin, Jean-Daniel Magnin,
Marie Nimier, Nicole Sigal, Christian Siméon, Carole Thibaut, L’avant-
scène théâtre, 2012, « Collection des quatre-vents »

ÉTUDES SUR L’ŒUVRE DE MARIE NIMIER

197
198
*

NOTICES BIO-BIBLIOGRAPHIQUES

WWW

199
200
*

TABLE DES MATIERES

Introduction

I - La voix ou la voie des écrivains :


Marie NIMIER - Entretien

Thierry ILLOUZ - “Piéger le réel”: une écriture du déplacement et


de la rupture, Les Inséparables

II - Texte et image :
Adrienne ANGELO - Blind Spots, Seeing Double: Writing and
Vision in Photo-Photo

Carine FRÉVILLE - “... et qui saura photographier le langage ?” –


Visualité, disparitions et dédoublements dans Photo-Photo de Marie
Nimier

III - Le mot et le geste :


David GASCOIGNE - Le mot mode d’emploi chez Marie Nimier»

Peter SCHULMAN - Gestes perdus : “La langue derrière le timbre”


dans le théâtre de Marie Nimier

IV - Genre et sexualité :

201
Karin SCHWERDTNER - Se risquer à faire parler un homme, ou
comment s’absenter en écrivant

Adina STROIA - Polymorphous Perversity in the Works of Marie


Nimier

V - Père et perte :
Jeanne-Sarah de LARQUIER - De l’absence et de l’enfance
autour de l’écriture de La Reine du silence et Je suis un homme de Marie
Nimier

Edith PERRY- La Reine du silence, tentative de restitution

Marinella TERMITE - Surfaces et coquilles : un sentiment de


perte ?


Index

202
203
Le suivi éditorial de ce volume a été assuré par Carine Fréville, Ana de
Medeiros, Mathilde Poizat-Amar, Dominique Lanni & Nicolas Pien.

Achevé d’imprimer par les éditions Passage(s), Les Jardins de Carel,


Bâtiment D, Apt. 96, 14 allée du père Jamet, 14000 Caen, sur les presses
de l’imprimerie Pulsio, 38 rue Durantin, 75018 Paris.

Dépôt légal : second semestre 2017.


Imprimé en France.

204

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