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Chapitre
5
Les
politiques
de
développement
Olivier
NAY
in
Borraz
(Olivier),
Guiraudon
(Virginie),
dir.,
Les
politiques
publiques
2
:
Changer
la
société,
Paris
:
Presses
de
Sciences
po,
2010,
p.
139-‐170.
Nul
ne
peut
aujourd’hui
contester
l’évidence
:
les
politiques
d’aide
au
développement
menées
depuis
plus
d’un
demi-‐siècle
n’ont
jamais
été
en
mesure
de
réduire
significativement
la
pauvreté
dans
les
pays
du
Sud.
Si
quelques
progrès
ont
été
enregistrés
ces
trente
dernières
années,
comme
l’atteste
la
baisse
tendancielle
des
taux
de
pauvreté
globale,
un
quart
de
la
population
mondiale
continue
de
vivre,
au
début
des
années
2010,
avec
moins
de
1,25
dollar
US
par
jour.
Les
écarts
de
richesse
entre
les
pays
à
économie
avancée
et
les
pays
à
faible
revenu
restent
particulièrement
forts.
Les
économies
en
développement
les
plus
fragiles
–
où
se
conjuguent
absence
de
développement
industriel,
maintien
de
«
trappes
à
pauvreté
»,
inégalités
sociales
et
discriminations,
et
généralement
problèmes
de
corruption
–
restent
particulièrement
vulnérables
à
l’égard
des
investissements
étrangers
et
des
fluctuations
des
prix
des
matières
premières.
Cette
permanence
des
problèmes
contraste
singulièrement
avec
la
rapidité
des
transformations
en
cours
dans
la
fabrique
des
politiques
de
développement.
L’environnement
dans
lequel
ces
politiques
sont
pensées
et
mises
en
œuvre
a
en
effet
considérablement
évolué
depuis
le
début
des
années
1990.
Premièrement,
les
fins
assignées
aux
politiques
de
développement
ont
été
sensiblement
élargies.
Les
stratégies
internationales
ne
sont
plus
simplement
adossées
à
des
objectifs
de
croissance
économique.
Elles
visent
désormais
un
large
éventail
d’objectifs
sociaux
et
environnementaux.
Leur
ambition
n’est
plus
d’assurer
principalement
le
décollage
économique
des
pays
du
Sud.
Elle
est
aussi
de
promouvoir
les
conditions
institutionnelles,
juridiques
et
sociales
favorables
à
la
qualité
de
la
vie
et
à
la
préservation
de
l’environnement
pour
les
générations
futures.
Deuxièmement,
les
politiques
de
développement
entendent
promouvoir
les
droits
de
la
personne
et
la
sécurité
des
individus,
tout
autant
que
réaliser
des
objectifs
macroéconomiques
ou
institutionnels.
L’être
humain
est
placé,
en
effet,
au
centre
des
stratégies
à
partir
desquels
sont
pensées
les
nouvelles
politiques
internationales.
L’élaboration
de
ces
stratégies
s’accompagne
notamment
d’une
réflexion
plus
intense
sur
le
bien-‐être
individuel
et
sur
l’implication
réelle
des
pauvres
1
dans
les
programmes
de
lutte
contre
la
pauvreté.
Troisièmement,
la
question
des
disparités
économiques
et
de
la
misère
sociale
apparaît
de
plus
en
plus
connectée,
dans
les
analyses
du
développement,
aux
enjeux
de
sécurité.
La
pauvreté
et
les
inégalités
mondiales
sont
en
effet
perçues
comme
un
terreau
sur
lequel
se
forment
de
«
nouvelles
menaces
»
–
notamment
la
montée
du
radicalisme
politique
ou
religieux,
le
terrorisme
global,
les
conflits
liés
à
la
maîtrise
de
l’eau
ou
à
la
captation
des
richesses
du
sol,
les
mouvements
migratoires
incontrôlés,
les
risques
épidémiques,
ou
encore
les
atteintes
à
l’équilibre
de
l’écosystème
–
qui
pèsent
à
la
fois
sur
les
relations
entre
le
Nord
et
le
Sud,
sur
l’équilibre
de
certaines
régions
et
sur
la
stabilité
des
États.
Quatrièmement,
les
deux
dernières
décennies
sont
marquées
par
la
transformation
très
rapide
des
systèmes
institutionnels
et
des
mécanismes
de
gouvernance
mondiale
dans
le
domaine
de
la
lutte
contre
la
pauvreté.
Une
multitude
de
nouveaux
acteurs
–
tous
les
acteurs
n’ayant
pas
de
mandat
conféré
par
un
gouvernement
ou
une
organisation
multilatérale
–
se
sont
imposés
comme
des
partenaires
des
institutions
internationales
et
des
bailleurs
de
fonds.
Ces
acteurs
sont
parfaitement
insérés
dans
les
réseaux
d’action
publique.
Non
seulement
ils
contribuent
à
la
définition
des
enjeux
du
développement
et
influencent
les
politiques
d’aide
engagées
par
les
institutions
publiques,
mais
ils
participent
activement
à
la
mise
en
œuvre
des
projets
sur
le
terrain.
Toutes
les
institutions
multilatérales
ou
bilatérales
travaillent
aujourd’hui
en
partenariat,
à
un
niveau
ou
à
un
autre,
avec
des
acteurs
non
étatiques
(ONG,
organisations
de
la
société
civile,
fondations
privées,
multinationales,
pouvoirs
locaux,
associations
militantes,
think
tanks
et
universités,
organisations
professionnelles
et
syndicats,
Églises
et
organisations
confessionnelles,
cabinets
de
consultants,
agences
de
régulation
ou
de
notation,
établissements
financiers,
groupes
de
média,
etc.).
Le
«
marché
»
du
développement
est
désormais
marqué
par
une
forte
professionnalisation
de
ses
acteurs
(financiers,
techniques,
opérationnels
ou
intellectuels),
un
brouillage
croissant
des
frontières
entre
sphère
publique
et
sphère
privée,
une
diversification
de
règles
et
de
normes
d’action
publique,
des
dynamiques
soutenues
de
circulation
des
idées
et
des
savoirs
sur
le
développement,
et
enfin
des
modes
de
financement
plus
complexes
et
souvent
opaques.
Ce
nouveau
paysage
international
impose
aujourd’hui
d’adapter
les
pratiques
de
travail
des
organisations
publiques
participant
à
l’effort
de
lutte
contre
la
pauvreté.
Toutefois,
la
multiplication
des
acteurs
du
développement
et
la
diversification
des
lieux
de
production
d’expertise
conduisent
à
la
confrontation
de
visions
très
différentes
du
développement
et
à
d’intenses
débats
dans
lesquels
il
n’est
pas
toujours
facile
de
distinguer
les
discours
normatifs
des
observations
scientifiques.
Les
façons
de
faire
et
de
penser
les
politiques
de
développement
évoluent
ainsi
rapidement
en
ce
début
de
troisième
millénaire.
Loin
d’une
recherche
exhaustive,
cet
article
tente
de
présenter
quelques
aspects
des
changements
en
cours.
Il
s’intéresse
précisément
à
l’évolution
des
instruments
d’intervention
et
des
savoirs
experts
auxquels
recourent
les
acteurs
du
développement.
Il
montrera
en
particulier
que
ces
acteurs
sont
confrontés,
aujourd’hui,
à
des
injonctions
contradictoires.
Tandis
qu’ils
doivent
en
permanence
lutter
contre
la
dispersion
des
dispositifs
d’intervention
et
rechercher
l’harmonisation
de
l’aide,
ils
doivent
apprendre
dans
le
même
temps
à
se
méfier
des
stratégies
globales
qui,
par
le
passé,
n’ont
jamais
permis
de
modifier
la
géographie
des
inégalités
mondiales.
On
abordera
les
réformes
récentes
des
2
instruments
et
mécanismes
de
l’aide,
destinées
à
améliorer
les
résultats
des
politiques
internationales,
avant
d’évoquer
les
luttes
intellectuelles
qui
animent
la
réflexion
sur
le
développement
au
tournant
des
années
2000-‐2010.
La
question
de
la
réforme
de
l’architecture
internationale
de
l’aide
au
développement
est
aussi
ancienne
que
les
politiques
du
même
nom.
Elle
est
posée
dès
les
années
1950-‐1960,
alors
que
de
houleux
débats
divisent
l’Assemblée
générale
des
Nations
unies
sur
le
financement
de
la
lutte
contre
le
sous-‐développement
(Sagasti
et
al.,
2005).
Durant
ces
années,
de
nombreux
représentants
du
Tiers
Monde
s’élèvent
contre
la
responsabilité
historique
des
puissances
occidentales
dans
le
creusement
des
inégalités
mondiales,
dénoncent
la
dépendance
des
économies
du
Sud
à
l’égard
des
marchés
du
Nord,
exigent
un
renforcement
de
l’aide
publique
internationale
et
mettent
déjà
en
question
la
capacité
des
organisations
multilatérales,
contrôlées
par
les
pays
riches,
à
répondre
aux
enjeux
de
la
pauvreté.
La
réforme
des
mécanismes
de
l’aide
passe
au
second
plan
dans
les
années
1980-‐1990,
au
moment
où
les
stratégies
d’intervention
des
institutions
internationales
font
valoir
les
vertus
du
marché
comme
moyen
de
sortir
de
la
pauvreté.
Elle
ne
redevient
un
élément
central
du
débat
international
qu’à
la
fin
des
années
1990.
Ces
années
sont
en
effet
marquées
par
un
renouvellement
important
de
la
réflexion
sur
les
politiques
du
développement,
pour
au
moins
trois
raisons.
Tout
d’abord,
le
nouveau
contexte
international
né
de
la
fin
de
la
guerre
froide
contribue
à
redonner
confiance
dans
le
système
multilatéral
comme
lieu
d’élaboration
des
politiques
d’aide
aux
pays
pauvres.
Les
confrontations
diplomatiques
qui
dominaient
le
fonctionnement
des
organisations
internationales
à
l’ère
du
monde
bipolaire
cèdent
peu
à
peu
la
place
à
des
jeux
d’alliances
privilégiant
les
échanges
entre
le
Nord
et
le
Sud.
Ensuite,
les
premières
crises
financières
touchant
les
pays
émergents
qui
ont
mis
en
œuvre
les
réformes
économiques
imposées
par
le
FMI
et
la
Banque
mondiale1
ouvrent
la
voix
à
des
critiques
de
plus
en
plus
virulentes
à
l’égard
des
stratégies
d’intervention
d’inspiration
néolibérale
menées
depuis
les
années
1980.
Elles
contribuent
au
développement
d’une
pensée
économique
critique,
initialement
portée
par
des
mouvements
issus
de
la
société
civile
et
développée
par
des
universitaires.
Enfin,
l’adoption
en
2000
d’objectifs
du
millénaire
particulièrement
ambitieux,
au
moment
où
les
organisations
onusiennes
sont
de
plus
en
plus
critiquées
pour
leur
inertie
et
leur
inefficacité,
s’accompagne
d’une
intervention
active
des
bailleurs
internationaux
pour
améliorer
l’efficacité
des
mécanismes
multilatéraux
et
imposer
de
nouvelles
règles
de
gestion.
Depuis
2000,
la
question
de
la
réforme
de
la
gouvernance
internationale
de
l’aide
s’impose
ainsi
comme
l’une
des
grandes
priorités
de
l’agenda
international.
Nous
évoquerons
ici
les
efforts
engagés
pour
améliorer
les
processus
de
programmation
et
de
mise
en
œuvre
des
3
politiques
d’aide,
en
revenant
à
la
fois
sur
les
efforts
d’intégration
des
mécanismes
de
l’aide
d’une
part,
le
renforcement
du
rôle
des
gouvernements
nationaux
et
des
populations
destinataires
d’autre
part.
années
1980,
il
s’appuyait
principalement
sur
des
indicateurs
macroéconomiques.
Depuis
vingt-‐cinq
ans,
les
conditions
associées
aux
prêts
sont
devenues
d’une
grande
complexité
et
font
l’objet
de
contrôles
ciblés
et
plus
systématiques.
4
leurs
programmes.
Elle
vise
une
intégration
horizontale
de
l’aide
internationale.
L’alignement
désigne
quant
à
lui
les
efforts
visant
à
aligner
systématiquement
les
programmes
internationaux
sur
les
objectifs,
cycles,
règles
et
mécanismes
nationaux
de
chaque
pays
bénéficiaire
(pour
la
planification,
la
mise
en
œuvre,
le
pilotage
et
l’évaluation).
Elle
vise
une
intégration
verticale
de
l’aide.
Ces
deux
principes
ont
été
solennellement
adoptés
en
2005
par
les
signataires
de
la
Déclaration
de
Paris
sur
l’efficacité
de
l’aide.
L’objectif
affiché
est
de
faire
évoluer
les
politiques
d’aide
de
la
logique
de
«
projet
»
(action
ciblée
sur
une
question
spécifique)
à
la
logique
de
«
programme
»
(stratégie
coordonnée,
pluriannuelle
et
intégrée
à
un
cadre
d’action
du
développement).
Les
appels
à
l’harmonisation
et
à
l’alignement
de
l’aide
ont
eu
des
effets
concrets.
Non
seulement
ils
ont
provoqué
un
afflux
de
financements
dédiés
à
l’amélioration
de
la
gouvernance
de
l’aide,
mais
ils
ont
conduit
à
l’expérimentation
de
nouveaux
mécanismes
au
niveau
des
pays.
L’approche
«
par
secteur
»
par
exemple,
entend
inciter
les
bailleurs
internationaux
à
abandonner
les
financements
de
projets
de
petite
taille
et
à
s’impliquer
dans
des
stratégies
de
réforme
de
secteurs
entiers,
associant
tous
les
acteurs
et
parties
prenantes
présents
dans
le
même
secteur
et,
autant
que
possible,
sous
l’autorité
du
gouvernement
du
pays
bénéficiaire.
L’enjeu
est
de
taille,
puisqu’il
s’agit
de
promouvoir,
au
niveau
de
chaque
secteur,
un
cadre
stratégique
unique,
un
système
de
financement
intégré
et
un
seul
mécanisme
de
pilotage
et
d’évaluation.
Ces
expériences,
initialement
impulsées
par
les
pays
d’Europe
du
Nord
(notamment
les
pays
scandinaves,
la
Grande-‐Bretagne
et
l’Allemagne)
ont
été
progressivement
soutenues
par
des
bailleurs
multilatéraux
(comme
la
Banque
mondiale
ou
l’Union
européenne).
Au
début
des
années
2010,
l’approche
par
secteur
est
en
passe
de
devenir
un
modèle
de
gouvernance
largement
répandu
en
Afrique
subsaharienne,
en
particulier
dans
le
domaine
de
la
santé.
Des
expériences
ont
été
conduites
en
Éthiopie,
au
Ghana,
en
Tanzanie,
au
Mozambique,
au
Mali,
en
Ouganda,
au
Burkina
Faso,
au
Sénégal,
au
Malawi
et
en
Zambie,
mais
aussi
au
Cambodge,
au
Bangladesh
et
en
Papouasie
Nouvelle-‐
Guinée.
L’approche
par
secteur
est
désormais
expérimentée
dans
les
domaines
de
l’éducation,
de
l’agriculture,
de
l’eau
ou
de
l’environnement.
Dans
ces
pays,
des
bailleurs
traditionnellement
enclins
à
privilégier
des
stratégies
d’aide
bilatérales
–
dont
la
France
et
les
États-‐Unis
–
sont
désormais
incités
à
participer
à
ces
nouveaux
mécanismes
multilatéraux.
Les
organisations
internationales
ont
dû
prendre
acte
des
principes
d’harmonisation
et
d’alignement.
Au
sein
du
système
des
Nations
unies,
par
exemple,
le
Groupe
de
développement
des
Nations
unies
s’est
vu
confier
la
responsabilité
de
proposer
des
solutions
susceptibles
d’améliorer
la
gouvernance
des
activités
opérationnelles
conduites
par
les
institutions
onusiennes.
Au
niveau
des
pays,
une
vaste
réforme
a
été
engagée
pour
renforcer
la
coordination
des
activités
de
programme
des
agences
spécialisées,
fonds
et
programmes
multilatéraux.
Ainsi,
dans
des
domaines
d’intervention
variés
(comme
la
lutte
contre
les
épidémies,
l’égalité
entre
hommes
et
femmes,
l’aide
aux
réfugiés,
l’environnement,
l’eau,
l’éducation
ou
la
santé),
les
Nations
unies
cherchent-‐elles
à
intégrer
leurs
stratégies
grâce
à
des
instruments
de
programmation
communs
(les
«
programmes-‐cadres
des
Nations
unies
pour
le
soutien
au
développement
»),
des
dispositifs
d’analyse
des
besoins
(les
«
bilans
communs
par
pays
»)
et
une
diversité
de
mécanismes
permettant
des
collaborations
5
techniques
entre
agences
(des
«
groupes
thématiques
»
et
des
«
équipes
communes
»)4.
Les
organisations
onusiennes
s’efforcent
également
de
faire
coïncider
leurs
programmes
avec
les
stratégies
nationales
définies
par
les
autorités
gouvernementales.
Les
résultats
de
l’harmonisation
sont
néanmoins
loin
d’être
satisfaisants
:
les
organisations
multilatérales
ont
des
programmes
qui
continuent
de
se
chevaucher
;
elles
restent
souvent
en
situation
de
concurrence
pour
attirer
des
fonds
;
leur
modèle
bureaucratique
et
hiérarchisé,
enfin,
rend
difficile
l’adoption
de
dispositifs
transversaux,
souples
et
inventifs,
qui
leur
permettraient
de
mieux
travailler
ensemble
sur
le
terrain.
4. Une expérience plus radicale a été engagé avec l’expérimentation, dans un nombre limité de pays, d’une
initiative
«
One
UN
»
dont
l’objectif
est
de
mettre
en
place,
à
terme,
un
seul
programme
des
Nations
unies,
un
plan
financier
commun,
un
représentant
unique
disposant
d’une
autorité
sur
tous
les
bureaux
des
agences
onusiennes
présents
dans
le
pays,
un
management
unifié
et,
enfin,
une
maison
des
Nations
unies
réunissant
toutes
les
organisations.
5.
Selon
les
théories
de
la
dépendance,
les
institutions
internationales
n’interviennent
pas
sur
les
causes
macroéconomiques
menant
à
la
dégradation
des
termes
de
l’échange
entre
le
Nord
et
le
Sud.
Elles
contribuent
à
la
reproduction
des
inégalités
structurelles
entre
pays
riches
et
pays
pauvres,
en
finançant
des
activités
de
développement
qui
assurent
des
débouchés
industriels
et
commerciaux
pour
les
marchés
du
Nord.
6
attendre
2005
et
la
déclaration
de
Paris
sur
l’efficacité
de
l’aide
pour
que
l’appropriation
(ownership)
soit
enfin
reconnue
comme
un
principe
directeur
de
l’aide
internationale6.
Organisations
et
bailleurs
internationaux
s’engagent
désormais
à
«
respecter
le
rôle
prédominant
des
pays
partenaires
et
les
aider
à
renforcer
leurs
capacités
à
exercer
ce
rôle
».
La
reconnaissance
de
la
légitimité
des
pays
à
contrôler
les
conditions
de
leur
développement
constitue
un
principe
de
justice.
Elle
permet
un
plus
grand
respect
de
la
souveraineté
des
pays
du
Sud
à
qui
est
reconnue
une
pleine
légitimité
pour
décider
des
priorités
qui
concernent
l’avenir
de
leurs
populations
et
de
leurs
institutions.
Mais
cette
reconnaissance
résulte
aussi
de
considérations
pragmatiques.
Les
années
1980-‐1990
ont
en
effet
largement
démontré
que
les
programmes
d’aide
ont
toutes
les
chances
d’échouer
s’ils
ne
tiennent
pas
compte
des
spécificités
des
systèmes
socio-‐économiques
des
pays
bénéficiaires,
s’ils
ne
s’inscrivent
pas
dans
les
cycles
de
programmation
des
politiques
gouvernementales,
s’ils
ne
sont
pas
portés
par
les
élites
politiques
nationales
et
s’ils
sont
mal
relayés
par
les
personnels
administratifs
dans
l’État,
voire
contestés
ou
mal
compris
par
les
populations
locales.
Aussi,
l’enjeu
de
l’appropriation
est
clairement
de
permettre
aux
gouvernements
de
sortir
de
leur
statut
de
simples
«
récipiendaires
»
de
l’aide
et
d’exercer
un
leadership
réel
dans
l’élaboration,
la
mise
en
œuvre
et
le
suivi
des
programmes
nationaux
de
développement.
Il
est
aussi
d’améliorer
l’efficacité
des
programmes
et
d’en
assurer
la
pérennité,
en
permettant
que
l’ensemble
des
parties
prenantes
nationales
(gouvernement,
administrations
centrales,
autorités
décentralisées,
organisations
non
étatiques,
populations
concernées)
contribuent
à
la
définition
des
priorités
et
participent
à
différentes
étapes
de
leur
mise
en
œuvre.
La
diffusion
de
cette
nouvelle
conception
plaidant
pour
le
renforcement
du
contrôle
des
acteurs
nationaux
a
justifié
la
mise
en
place
de
nombreux
programmes
de
«
développement
des
capacités
».
Toutes
les
agences
techniques,
bilatérales
et
multilatérales,
mais
aussi
des
ONG,
participent
aujourd’hui
à
ces
programmes.
Elles
tentent
ainsi
de
renforcer
les
autorités
nationales
et
locales
afin
que
ces
dernières
prennent
elles-‐mêmes
en
charge
les
stratégies
de
lutte
contre
la
pauvreté.
Concrètement,
elles
visent
à
la
fois
le
renforcement
des
compétences
et
des
savoirs
des
agents
nationaux
dans
les
domaines
d’expertise
essentiels
au
développement
(ce
qui
passe
le
plus
souvent
par
des
programmes
de
formation),
la
consolidation
des
institutions
clé
dans
le
fonctionnement
de
l’État
(ce
qui
suppose
des
réformes
organisationnelles,
la
diffusion
de
nouvelles
règles
de
management
et
le
renforcement
de
mécanismes
de
contrôle
juridique
ou
politique),
et
le
soutien
à
des
partenariats
larges
associant
tous
les
acteurs
publics
ou
privés
devant
être
impliqués
dans
la
définition
ou
la
mise
en
œuvre
des
stratégies
de
développement.
La
participation
de
la
société
civile
est
également
présentée
comme
une
évolution
nécessaire,
complémentaire
de
l’appropriation
par
les
autorités
politico-‐administratives.
Depuis
une
quinzaine
d’années,
les
approches
participatives
sont
en
effet
de
plus
en
plus
6. L’appropriation consiste à transférer aux autorités nationales la maîtrise et la responsabilité des stratégies
de
développement.
Elle
s’appuie
sur
l’idée
que
c’est
aux
pays
du
Sud
de
définir
leurs
propres
priorités.
L’appropriation
suppose
toutefois
que
les
pays
disposent
de
capacités
institutionnelles,
humaines
et
financières
suffisantes
pour
assumer
la
gestion
des
programmes
de
lutte
contre
la
pauvreté.
Elle
implique
également
que
les
gouvernements
nationaux
mettent
en
place
des
principes
de
gouvernance
capables
de
renforcer
la
transparence
des
pratiques
publiques
et
des
procédures
participatives
larges.
7
fréquemment
privilégiées
pour
la
programmation
des
stratégies
de
développement
au
niveau
des
pays.
Les
processus
d’adoption,
de
suivi
et
d’évaluation
des
documents
stratégiques
de
réduction
de
la
pauvreté
(DSRP)
prennent
appui
sur
des
consultations
élargies
aux
autorités
locales,
aux
organisations
de
la
société
civile
et
aux
communautés.
La
Banque
mondiale
a
parallèlement
fait
évoluer
ses
instruments
de
pilotage
et
d’évaluation,
de
façon
à
mieux
prendre
en
compte
le
point
de
vue
des
populations
pauvres
ou
discriminées.
Le
PNUD,
de
son
côté,
a
fait
du
renforcement
de
la
«
gouvernance
démocratique
»
sa
principale
activité
de
soutien
aux
pays
en
développement.
Cette
activité
tente
de
combiner
la
problématique
du
renforcement
de
l’État
de
droit7
avec
l’ambition
d’ouvrir
les
dispositifs
d’action
publique
aux
organisations
de
la
société
civile
et
à
toutes
les
populations
(en
particulier
les
pauvres,
les
femmes
et
les
minorités).
Les
objectifs
d’appropriation
et
de
participation
sont
bien
complémentaires8.
Toutefois,
la
réalité
des
pratiques
de
développement
reste
encore
souvent
éloignée
des
ambitions
affichées.
Premièrement,
dans
les
pays
à
faible
revenu9,
les
gouvernements,
les
autorités
décentralisées
ou
les
opérateurs
locaux
n’ont
pas
les
capacités
humaines,
institutionnelles
et
financières
suffisantes
pour
assumer
la
responsabilité
des
programmes
et
s’approprier
les
instruments
du
développement.
Pour
le
dire
autrement,
les
pays
qui
ont
le
plus
besoin
d’aide
au
développement
sont
aussi
ceux
qui
ont
le
moins
de
ressources
pour
prendre
en
charge
cette
aide.
Dans
ces
pays,
non
seulement
la
plupart
des
opérateurs
publics
et
privés
n’ont
pas
d’autres
moyens
que
de
recourir
à
l’expertise
des
organisations
internationales
pour
monter
des
dossiers
éligibles
aux
aides
internationales,
mais
leur
capacité
à
mettre
en
œuvre
ces
aides
reste
souvent
totalement
insuffisante.
Deuxièmement,
la
fragmentation
des
projets
de
développement,
les
phénomènes
de
concurrence
entre
pourvoyeurs
de
l’aide
et
l’absence
de
mécanismes
de
coordination
efficaces
constituent
également
des
freins
à
l’appropriation,
dans
la
mesure
où
les
ministères
passent
plus
de
temps
à
répondre
aux
multiples
sollicitations
des
bailleurs
et
des
agences
techniques
qu’à
contrôler
réellement
leurs
stratégies
nationales.
Troisièmement,
les
bailleurs
sont
loin
de
jouer
systématiquement
le
jeu
de
l’appropriation.
Certes,
la
plupart
des
institutions
multilatérales
(comme
l’Union
européenne,
le
PNUD
ou
la
Banque
mondiale)
militent
aujourd’hui
pour
que
les
gouvernements
renforcent
leurs
capacités
de
contrôle
sur
leurs
propres
programmes
de
développement.
Mais
de
nombreuses
agences
bilatérales
ne
changent
pas
fondamentalement
leurs
pratiques.
Elles
continuent
d’intervenir
selon
des
méthodes
qui
maintiennent
les
administrations
nationales
dans
une
situation
de
dépendance
technique10.
Quatrièmement,
on
ne
saurait
sous-‐estimer
les
résistances
locales
aux
politiques
conduites
7. Soutien aux processus électoraux, renforcement des fonctions des parlements, décentralisation, protection
des
droits
humains,
consolidation
de
systèmes
judiciaires,
soutien
aux
médias
indépendants.
8.
En
effet,
les
politiques
de
développement
n’ont
chance
d’être
efficaces
que
si
elles
sont
portées
à
la
fois
par
les
élites
politico-‐administratives,
par
tous
les
acteurs
intermédiaires
jouant
un
rôle
dans
la
transmission
des
idées
et,
sur
le
terrain,
par
les
populations
destinataires.
9.
Et
plus
encore
les
États
«
fragiles
»
(États
confrontés
à
des
faiblesses
chroniques
de
légitimité
et
de
capacité,
découlant
de
situations
de
crise
et/ou
de
la
très
grande
pauvreté).
10.
Par
exemple
en
conditionnant
leurs
aides,
en
plaçant
leurs
experts
à
des
postes
stratégiques
dans
les
ministères des pays bénéficiaires, en fléchant préalablement leurs financements, ou encore en ne participant pas
8
par
les
acteurs
internationaux.
Selon
les
pays
et
les
expériences
du
passé,
la
légitimité
des
organisations
internationales
–
en
particulier
les
institutions
financières
–
est
parfois
contestée
par
les
élites
nationales,
par
des
mouvements
sociaux
plus
ou
moins
organisés,
ou
encore
par
des
groupes
communautaires.
Les
résistances
peuvent
provenir
des
gouvernements
eux-‐mêmes.
Dans
les
systèmes
de
domination
autoritaire
–
qui
sont
souvent
ceux
où
le
niveau
de
la
corruption
est
élevé11
–
les
élites
à
la
tête
des
institutions
de
l’État
jouent
souvent
un
double
jeu
:
elles
revendiquent
leur
droit
à
exercer
un
contrôle
sur
les
programmes
de
développement
(ce
que
ne
souhaitent
pas
les
bailleurs),
mais
elles
ne
sont
absolument
pas
disposées
à
promouvoir
l’idée
d’une
participation
renforcée
de
la
société
civile
(ce
que
souhaitent
les
bailleurs),
tant
les
milieux
associatifs
et
syndicaux
sont
perçus
comme
des
foyers
potentiels
de
contestation
sociale.
De
surcroît,
certaines
conditionnalités
posées
par
les
bailleurs
(protection
des
droits
de
l’homme,
lutte
contre
la
corruption,
réformes
démocratiques)
sont
souvent
mal
reçues
et
dénoncées
comme
des
formes
d’ingérence
dans
les
affaires
politiques
internes
du
pays.
Il
arrive
même
que
certains
gouvernements
préfèrent
se
détourner
de
l’aide
publique
venant
des
pays
occidentaux
et
ouvrent
leur
économie
à
des
bailleurs
peu
exigeants
sur
les
efforts
d’ouverture
démocratique
et
de
protection
des
droits
de
l’homme.
La
formation
de
la
«
Chinafrique
»,
dans
les
années
2000,
a
largement
profité
des
relations
difficiles
entre
les
régimes
autoritaires
et
les
organisations
internationales
classiques
(par
exemple
en
Angola,
Soudan,
Zimbabwe
ou
République
démocratique
du
Congo).
D’une
manière
générale,
dans
les
pays
à
forte
corruption,
le
détournement
d’une
partie
des
ressources
internationales
est
un
obstacle
majeur
à
l’appropriation.
Dans
ces
pays,
les
bailleurs
ne
peuvent
en
effet
s’appuyer
sur
le
gouvernement
et
son
administration.
Ils
n’ont
d’autre
choix
que
de
travailler
avec
des
opérateurs
privés,
notamment
des
ONG
(locales
ou
internationales),
et
quand
ils
le
peuvent,
des
entreprises
et
des
organisations
de
la
société
civile.
Tout
espoir
d’impliquer
les
autorités
gouvernementales
est
pour
le
moment
proprement
impensable
dans
des
pays
comme
le
Tchad,
le
Zimbabwe,
la
Birmanie,
la
Somalie,
l’Ouzbékistan
ou
le
Cambodge.
Les
bailleurs
et
les
organisations
internationales
ne
le
souhaitent
d’ailleurs
pas.
Enfin,
les
difficultés
à
tirer
des
bénéfices
des
démarches
participatives
peuvent
résulter
de
résistances
des
populations
visées
par
l’aide,
ou
de
leur
désintérêt
évident.
En
Amérique
latine,
par
exemple,
où
des
programmes
d’ajustement
structurel
ont
été
appliqués
dans
les
années
1980-‐1990,
des
mouvements
sociaux
nationaux
ou
transnationaux
s’organisent
pour
résister
aux
stratégies
de
réforme
des
structures
économiques
et
sociales
engagées
avec
l’appui
des
institutions
de
Bretton
Woods.
Au-‐delà
de
leur
très
grande
variété,
ces
mouvements
se
caractérisent
par
leur
refus
des
réformes
d’inspiration
néolibérale
et
leur
soutien
à
des
projets
économiques
locaux
empruntant
à
des
modèles
alternatifs,
coopératifs
ou
mutuellistes.
De
même,
la
méconnaissance
des
modèles
sociaux
ou
culturels
locaux,
tout
comme
la
nécessité,
pour
les
acteurs
internationaux,
de
trouver
des
relais
sur
le
territoire,
donnent
une
grande
influence
à
toutes
les
autorités
locales
et
les
opérateurs
de
terrain
niveau de la corruption. Sur cette question, voir le numéro de la Revue internationale de politique comparée, 4 (2),
9
capables
de
se
poser
en
intermédiaires
entre
les
organisations
internationales
et
le
milieu
local.
Si
le
rôle
de
ces
«
courtiers
du
développement
»
est
souvent
décisif
pour
faire
le
lien
entre
acteurs
internationaux
et
les
communautés
locales,
entre
les
savoirs
techniques
des
organisations
et
les
savoirs
ordinaires
des
populations,
ils
peuvent
aussi
constituer
un
obstacle
à
l’appropriation,
par
la
société,
des
projets
de
développement.
Les
enjeux
de
l’appropriation
et
de
la
participation
sont
bien
évidemment
des
principes
importants
dans
la
mesure
où
ils
visent
à
sortir
des
écueils
sur
lesquels
ont
butés
les
politiques
de
lutte
contre
la
pauvreté
pendant
des
années.
Certains
pays,
en
particulier
les
pays
à
moyen
revenu,
ont
rapidement
adopté
ces
principes
et
parviennent
à
prendre
le
contrôle
des
mécanismes
de
gouvernance
de
l’aide
mis
en
œuvre
à
l’échelle
du
pays12.
Ces
principes
restent
cependant
inégalement
endossés
par
les
gouvernements
des
pays
du
sud.
Ils
peuvent
même
n’être
pas
du
tout
souhaitables
dans
certains
contextes
sociopolitiques,
par
exemple
dans
les
pays
aux
ressources
très
faibles,
les
pays
aux
institutions
défaillantes,
les
États
affaiblis
par
la
corruption
ou
encore
les
systèmes
politiques
autoritaires
(Meier
et
Raffinot,
2005).
De
même,
le
principe
de
la
participation
peut
être
discuté,
voire
contesté,
lorsqu’il
conduit
à
la
multiplication
des
organes
intermédiaires,
créant
des
risques
de
dilution
ou
d’éparpillement
de
l’aide,
ou
tout
simplement
d’allongement
des
délais
liés
à
la
mise
en
place
de
systèmes
de
consultation
lourds
et
peu
efficaces.
Ces
principes,
quelles
que
soient
leurs
bonnes
intentions,
ont
toutes
les
chances
de
s’imposer
finalement
comme
une
énième
recette
internationale
produisant
des
effets
très
différents
d’un
pays
à
l’autre.
Les
idées
et
les
connaissances
savantes
jouent
un
rôle
particulièrement
important
dans
la
fabrique
des
politiques
de
lutte
contre
la
pauvreté.
Dans
un
espace
international
où
les
instruments
juridiques
sont
dénués
de
portée
obligatoire,
les
programmes
de
développement
doivent
s’appuyer,
en
effet,
sur
de
vastes
accords
internationaux
qui
reflètent
une
convergence
de
vues
rassemblant
une
majorité
d’États,
les
bailleurs
de
fonds,
les
opérateurs
techniques
et
toutes
les
parties
prenantes
intervenant
du
haut
jusqu’au
bas
de
la
chaîne
d’acteurs
impliqués
dans
la
mise
en
œuvre
des
décisions
publiques.
Les
stratégies
internationales
réussissent
d’autant
mieux
que
peuvent
se
former
des
communautés
d’idées
(ou
communautés
épistémiques)
autour
d’enjeux
majeurs
du
développement.
Bien
évidemment,
si
des
accords
relativement
larges
peuvent
se
nouer
sur
des
objectifs
globaux,
les
affrontements
d’idées
sur
les
priorités
de
l’action
publique
et
sur
les
méthodes
d’intervention
ne
manquent
pas,
dans
un
contexte
marqué
par
la
forte
internationalisation
du
champ
de
la
recherche
sur
la
lutte
contre
la
pauvreté.
Le
domaine
du
développement
est
marqué
par
la
diversité
des
savoirs
et
traversé
par
des
débats
permanents,
souvent
vifs,
1997.
12.
C’est
le
cas,
par
exemple,
du
Vietnam
dont
le
gouvernement
a
clairement
décidé,
à
partir
de
2005,
d’exercer
un contrôle effectif sur les différents dispositifs nationaux de coordination et de financement de l’aide.
10
auxquels
participent
intellectuels,
chercheurs
et
experts
travaillant
pour
des
organisations
diverses
(institutions
internationales,
think
tanks,
sociétés
de
consultants,
agences
bilatérales,
administrations
d’État,
ONG,
organisations
de
la
société
civile,
multinationales,
etc.).
Dans
ce
contexte,
les
organisations
en
charge
du
développement
justifient
généralement
leurs
actions
en
recourant
à
différents
registres
de
légitimité
:
la
morale,
le
droit
et
la
science.
Les
arguments
moraux
s’appuient
sur
une
conception
humaniste
et
universaliste
de
la
vie
internationale.
Ils
privilégient
la
défense
de
causes
universelles
:
la
paix,
la
sécurité,
la
justice
sociale,
le
bien-‐être
économique
et
la
préservation
de
l’environnement.
Ils
sont
adossés
à
une
interprétation
des
relations
internationales
privilégiant
la
responsabilité
collective,
le
partage
des
richesses
et
la
préservation
des
ressources
communes.
L’action
publique
est
mise
au
service
de
biens
publics
mondiaux,
mais
aussi,
de
plus
en
plus,
de
l’individu
et
de
sa
liberté.
La
défense
de
ces
causes
repose
enfin
sur
l’ambition
de
dépasser
les
deux
dynamiques
qui
gouvernent
traditionnellement
les
échanges
internationaux
:
la
recherche
de
la
puissance
et
les
mécanismes
de
marché.
Le
droit,
quant
à
lui,
découle
des
résolutions
et
des
conventions
internationales
sur
le
développement.
Il
est
conçu
comme
le
principal
instrument
permettant
de
dépasser
le
réalisme
froid
des
échanges
stratégiques
–
qui
assure
la
domination
des
États
les
plus
puissants
–
et
les
effets
de
concentration
des
richesses
liés
au
capitalisme
globalisé
–
qui
creusent
les
inégalités
mondiales
et
profitent
principalement
à
l’actionnariat
des
pays
du
Nord.
Il
incarne
surtout
la
supériorité
des
normes
négociées
dans
les
arènes
internationales,
qui
sont
les
seules
à
pouvoir
être
mises
au
service
d’intérêts
collectifs.
Enfin,
le
registre
scientifique
s’appuie
sur
l’autorité
des
connaissances
savantes.
Il
recourt
à
des
arguments
tirés
de
recherches
et
d’analyses
utilisant
des
méthodes
d’investigation
rationnelles
et
éprouvées.
Il
puise
une
grande
partie
de
sa
légitimité
dans
les
sciences
économiques
qui
dominent
le
champ
des
policy
studies.
C’est
sur
la
circulation
des
idées
savantes
que
l’on
souhaite
revenir
dans
les
lignes
qui
suivent.
Les
organisations
multilatérales
menant
des
programmes
de
développement
sont
devenues,
ces
vingt
dernières
années,
d’importants
pourvoyeurs
de
connaissances
savantes.
Elles
coproduisent,
relayent
et
diffusent
une
grande
partie
des
savoirs
sur
la
pauvreté,
à
la
croisée
entre
connaissances
scientifiques
et
travail
d’expertise.
Une
grande
partie
de
leur
activité
consiste,
aujourd’hui,
à
collecter
des
données,
produire
des
analyses,
publier
des
rapports
et
diffuser
des
connaissances
actualisées
auprès
des
acteurs
du
développement.
C’est
bien
sûr
le
cas
des
organisations
qui,
par
leur
mandat,
ont
vocation
à
produire
des
normes
intellectuelles
ou
morales
(comme
l’Unesco),
des
instruments
juridiques
(comme
l’Organisation
internationale
du
travail
ou
l’Office
international
des
migrations)
ou
des
recommandations
techniques
(comme
l’Organisation
mondiale
de
la
santé).
Mais
c’est
aussi
le
cas
des
agences
qui
financent
des
programmes
(les
bailleurs
internationaux),
ont
une
mission
de
coordination
(comme
le
Programme
des
Nations
unies
pour
le
développement)
ou
conduisent
des
activités
opérationnelles
sur
le
terrain
(comme
l’Unicef
ou
le
Haut
Commissariat
aux
réfugiés).
La
Banque
mondiale,
par
exemple,
publie
quantité
de
rapports
et
d’analyses
dans
tous
les
domaines
du
développement.
Elle
est
largement
sortie
de
son
rôle
d’institution
bancaire
pour
développer
une
intense
activité
normative,
recourant
principalement
à
l’analyse
économique
et
aux
modélisations
statistiques
pour
justifier
le
bien-‐
fondé
de
ses
stratégies
de
financement
du
développement.
Le
rôle
croissant
des
organisations
11
internationales
dans
la
production
des
savoirs
sur
le
développement,
qu’accompagnent
l’internationalisation
des
réseaux
scientifiques
et
l’interpénétration
croissante
des
mondes
de
la
recherche,
de
l’expertise
et
de
la
décision,
présente
un
risque
réel
d’uniformisation
des
savoirs,
de
standardisation
des
façons
de
penser
les
questions
de
développement
(Géronimi
et
al.,
2008).
Les
ONG
militantes
et
les
organisations
de
la
société
civile
impliquées
dans
la
promotion
de
causes
morales
ont
bien
compris
l’intérêt
d’investir
le
champ
de
production
des
savoirs
sur
le
développement
pour
défendre
des
solutions
alternatives
ou
innovantes.
Elles
ont
pris
conscience
que
les
connaissances
tirées
de
l’expertise
savante,
dès
lors
qu’elles
sont
diffusées
dans
les
grands
forums
internationaux,
soutenues
par
des
communautés
épistémiques
associant
des
think
tanks
et
des
universitaires
reconnus,
peuvent
devenir
des
armes
tout
aussi
efficaces
que
les
répertoires
d’action
militants
pour
influer
sur
les
choix
des
organisations
multilatérales
et
des
bailleurs
de
fonds.
Une
grande
partie
de
leur
activité
consiste
désormais
à
produire
une
«
littérature
grise
»
armée
de
la
caution
scientifique,
dont
l’objectif
assumé
est
d’orienter
le
débat
public
et
de
peser
sur
les
choix
internationaux.
Cette
stratégie
s’avère
d’autant
plus
payante
que
les
acteurs
non
étatiques,
dans
les
nouveaux
partenariats
intellectuels,
sont
de
plus
en
plus
associés
au
travail
de
production
normative
réalisé
par
les
institutions
internationales.
Au
cours
des
années
2000,
d’âpres
controverses
intellectuelles
ont
ainsi
marqué
la
réflexion
sur
les
réponses
appropriées
aux
problèmes
de
la
pauvreté.
D’une
manière
générale,
ces
années
ont
été
caractérisées
par
la
diffusion
très
large
des
critiques
à
l’égard
des
solutions
globales
prônant
la
libéralisation
accélérée
des
économies
en
développement,
et
par
la
volonté
de
mieux
prendre
en
compte
la
très
grande
diversité
des
situations
de
pauvreté.
Ces
idées
pénètrent
aujourd’hui
lentement
les
institutions
internationales,
mais
de
façon
bien
trop
inégale
pour
provoquer
une
inflexion
rapide
des
stratégies
de
développement.
13.
L’expression,
forgée
en
1990
par
l’économiste
John
Williamson,
désigne
l’ensemble
des
mesures
de
réforme
économique
d’inspiration
néolibérale
(austérité
financière,
réduction
des
dépenses
publiques,
allégement
de
la
pression
fiscale,
dérégulation,
privatisations,
libéralisation
des
marchés
intérieurs)
imposées
dans
les
années
1980-‐1990
aux
pays
en
développement
par
le
FMI
et
la
Banque
mondiale,
avec
le
soutien
du
Département
du
Trésor
américain.
12
miracle
aux
principaux
maux
du
sous-‐développement,
ont
non
seulement
débouché
sur
des
croissances
fragiles
dans
un
certain
nombre
de
cas,
mais
ont
souvent
sensiblement
aggravé
la
vulnérabilité
des
économies
et
des
populations
dans
les
pays
où
demeurent
d’importantes
trappes
à
pauvreté
(Collier,
2007).
Malgré
des
critiques
précoces,
ces
stratégies
ont
été
adaptées
–
et
par
conséquent
maintenues
–
par
les
institutions
de
Bretton
Woods
à
la
fin
des
années
1990
(Cavanagh
et
Broad,
2008),
avec
la
promotion
de
stratégies
de
développement
privilégiant
des
politiques
définies
désormais
à
l’échelle
nationale,
assorties
de
nouvelles
priorités
censées
atténuer
les
défauts
des
stratégies
antérieures
(lutte
contre
la
corruption,
décentralisation,
développement
de
systèmes
de
protection
sociale
minimale,
investissement
dans
les
domaines
de
la
santé
et
de
l’éducation).
La
critique
de
ces
stratégies
de
développement
a
été
l’un
des
ressorts
essentiels
des
mobilisations
altermondialistes
au
tournant
des
années
1990-‐2000.
La
volonté
de
lutter
contre
les
effets
de
l’extension
de
la
logique
de
marché
à
l’ensemble
des
sphères
d’activités
dans
les
pays
du
Sud
a
réuni,
en
effet,
des
organisations
et
des
mouvements
militants
d’une
grande
diversité
lors
des
rassemblements
du
Forum
social
mondial
et
de
certaines
conférences
internationales
(environnement,
droits
des
femmes,
protection
de
l’enfance,
lutte
contre
le
sida,
etc.).
Les
discours
assez
radicaux
invitant
à
«
transformer
la
société
»
ont
eu
un
impact
médiatique
indéniable.
Ils
ont
contribué
à
l’évolution
des
idées,
notamment
à
la
diffusion
des
analyses
critiques
à
l’égard
des
stratégies
des
institutions
financières,
des
décisions
du
G8
et
des
négociations
commerciales
menées
dans
le
cadre
de
l’OMC.
Elles
ont
incité
ces
institutions,
sous
le
feu
des
critiques,
à
modifier
leurs
pratiques
de
travail
en
ouvrant
des
espaces
de
dialogue
avec
les
ONG.
Elles
ont
toutefois
pesé
assez
faiblement
sur
les
objectifs
de
ces
institutions
qui
se
sont
souvent
contentées
de
mâtiner
leurs
programmes
de
visées
éthiques
ou
sociales
sans
modifier
fondamentalement
leurs
stratégies.
C’est
à
partir
du
moment
où
la
critique
sociale
a
été
rejointe
par
la
critique
scientifique
d’économistes
évoluant
dans
les
cercles
de
réflexion
mis
en
place
par
les
organisations
internationales
que
l’on
a
pu
constater
une
évolution
des
prises
de
position
dans
les
grandes
arènes
de
négociation
(Assemblée
générale
et
agences
spécialisées
des
Nations
unies,
G8,
conventions
internationales,
etc.).
Deux
raisons
principales
peuvent
expliquer
l’influence
croissante
des
économistes
dans
les
débats
sur
le
développement.
En
premier
lieu,
la
science
économique
est
par
excellence
la
discipline
qui
domine
la
production
des
savoirs
sur
la
pauvreté,
en
particulier
à
l’OCDE
et
dans
les
institutions
financières
internationales.
Par
rapport
à
toutes
les
autres
sciences
sociales,
la
pensée
économique
a
l’avantage
de
recourir
au
langage
mathématique,
en
particulier
sous
la
forme
de
la
statistique14.
À
cet
égard,
le
FMI
et
la
14. Cette particularité lui assure un triple avantage. Tout d’abord, elle lui permet d’exister comme un langage
universel
sur
les
questions
de
développement
et,
par
conséquent,
de
produire
des
analyses
dont
les
hypothèses
et
les
méthodes
sont
aisément
transposables
sur
différentes
échelles
spatiotemporelles.
Ensuite,
le
langage
mathématique
revêt
une
«
force
magique
»,
non
seulement
parce
qu’il
permet
de
produire
des
modélisations
sophistiquées
dont
la
critique
est
d’autant
plus
malaisée
que
les
instruments
et
méthodes
utilisés
sont
particulièrement
complexes,
mais
aussi,
d’une
manière
générale,
parce
qu’il
rend
les
arguments
difficilement
contestables
par
tous
les
profanes
qui
ne
peuvent
s’ériger
en
experts
des
questions
économiques
(c’est-‐à-‐dire
le
plus
grand
nombre).
Enfin,
l’analyse
économique
se
décline
facilement
en
science
de
gouvernement.
En
effet,
en
permettant
la
réalisation
de
projections
statistiques,
elle
devient
un
instrument
de
mesure
et
de
prospective
13
Banque
mondiale
se
sont
largement
appuyés
sur
l’économie
comme
discipline
savante
pour
légitimer
leurs
politiques
de
réforme.
Le
Comité
d’aide
au
développement
de
l’OCDE,
quant
à
lui,
a
amplement
contribué
à
la
normalisation
de
la
domination
des
sciences
économiques
dans
la
réflexion
sur
la
pauvreté
et
les
moyens
d’y
répondre.
Cette
évolution
a
contribué,
dans
une
large
mesure,
au
déclassement
rapide
des
autres
formes
de
connaissance
sur
le
développement.
En
second
lieu,
des
raisons
sociologiques
peuvent
expliquer
l’influence
déterminante
des
économistes
dans
les
débats
sur
l’aide
internationale.
Des
universitaires,
spécialistes
reconnus
de
l’économie,
interviennent
en
effet
fréquemment
comme
consultants
internationaux
auprès
des
grandes
organisations
du
développement.
C’est
à
eux,
notamment,
que
les
institutions
financières
internationales
font
appel
pour
prendre
la
direction
des
départements
de
réflexion
et
d’analyse
chargés
de
faire
des
propositions
pour
fixer
des
stratégies
internationales.
Non
seulement
les
économistes
peuplent
ces
institutions,
mais
ils
y
exercent
une
influence
intellectuelle
importante
à
tous
les
niveaux
des
programmes.
Certains
d’entre
eux
–
notamment
les
plus
critiques
à
l’égard
des
institutions
financières
internationales
–
ont
acquis
aujourd’hui
une
réputation
planétaire15.
L’attribution
du
prix
Nobel
à
deux
économistes
du
développement,
Amartya
Sen
et
Joseph
Stiglitz,
a
certainement
contribué
au
renforcement
de
la
discipline
dans
les
études
sur
la
pauvreté.
De
façon
paradoxale,
les
thèses
avancées
par
les
nouveaux
économistes
du
développement
sont
celles
qui
critiquent
le
plus
les
solutions
purement
économiques.
En
attirant
l’attention
sur
les
dimensions
politiques,
institutionnelles,
sociales
et
culturelles
qui
conditionnent
les
pratiques
de
développement,
ces
universitaires
sont
les
relais
les
plus
efficaces
de
la
critique
sociale
–
alors
même
que
certains
d’entre
eux
sont
très
loin
d’être
hostiles
aux
mécanismes
de
marché.
Ils
sont
d’ailleurs
largement
repris
et
commentés
dans
les
travaux
qui
défendent
une
approche
multidimensionnelle
des
problèmes
de
pauvreté16.
Dans
la
nouvelle
constellation
des
travaux
sur
le
développement,
les
approches
critiques
ont
contribué
au
déclassement
des
idées
néolibérales
dans
la
réflexion
sur
le
développement,
à
la
critique
des
réponses
à
prétention
universelle
portées
par
les
organisations
bureaucratiques
et
à
la
meilleure
prise
en
compte
des
spécificités
des
populations
concernées
par
les
problèmes
de
pauvreté.
On
abordera
successivement
ces
trois
points.
Un
premier
ensemble
d’analyses
met
en
cause
les
préceptes
friedmaniens
préconisés
depuis
trente
ans
par
les
institutions
financières
internationales.
Condamnant
les
effets
dévastateurs
des
privatisations
et
de
la
déréglementation
des
marchés
sur
le
revenu
moyen
dans
les
pays
du
Sud,
ces
analyses
sont
favorables
au
rétablissement
de
mécanismes
de
régulation
économique.
Elles
militent
en
faveur
de
la
réhabilitation
des
interventions
de
l’État,
du
développement
de
services
sociaux
et
de
la
mise
en
place
d’institutions
adaptées
aux
structures
sociales
et
économiques
propres
à
chaque
pays.
Joseph
Stiglitz,
ancien
économiste
en
chef
de
la
Banque
mondiale,
fut
l’un
des
premiers
à
militer
en
faveur
du
rétablissement
de
Easterly.
16.
À
cet
égard,
la
création
de
nouveaux
indicateurs
de
développement
et
de
pauvreté
est
une
bonne
illustration
des
efforts
réalisés
par
les
économistes
pour
repenser
le
développement
selon
une
perspective
qui
tient
compte
du
bien-‐être
des
individus
(santé,
éducation,
droits
fondamentaux,
intégration
sociale,
etc.).
14
mesures
d’inspiration
néokeynésienne
dans
certains
secteurs
des
économies
en
développement
(Stiglitz,
2003).
Depuis
1999,
il
attribue
l’échec
des
politiques
néolibérales
à
la
défaillance
des
mécanismes
de
marché
et
au
développement
de
l’économie
financiarisée,
dont
le
seul
effet
est
d’entraîner
une
volatilité
des
capitaux
et
l’absence
d’investissements
à
long
terme
dans
les
pays
du
Sud.
De
nombreux
exemples
africains
montrent
en
effet
que
les
économies
les
plus
vulnérables
ne
disposent
pas
de
capacité
d’innovation
d’une
part,
et
sont
trop
dépendantes
des
marchés
financiers
et
des
fluctuations
de
prix
des
matières
premières
d’autre
part,
pour
supporter
l’ouverture
de
leur
marché
intérieur
aux
investissements
étrangers.
La
libéralisation
des
échanges
s’est
souvent
accompagnée,
de
surcroît,
d’une
réorganisation
de
l’économie
en
fonction
des
marchés
d’exportation,
au
détriment
de
l’économie
vivrière
(qui
est
une
économie
de
«
subsistance
»
pour
les
populations
pauvres).
À
l’inverse,
d’autres
pays
comme
la
Chine,
l’Inde,
la
Corée
du
Sud,
Taiwan
ou
le
Vietnam
ont
connu
une
forte
croissance,
alors
même
qu’ils
ont
largement
dérogé
aux
standards
internationaux
par
le
contrôle
des
capitaux,
l’adoption
de
législations
protégeant
les
marchés
intérieurs,
le
maintien
d’un
secteur
public
important,
le
développement
de
stratégies
industrielles
ambitieuses
et,
enfin,
un
soutien
au
secteur
agricole
par
des
subventions
et
des
incitations
fiscales.
Les
nouveaux
économistes
du
développement
–
y
compris
les
plus
critiques
à
l’égard
de
la
Banque
mondiale
et
du
FMI
–
ne
condamnent
généralement
pas
le
principe
de
l’économie
de
marché.
Comme
W.
Easterly,
la
plupart
sont
même
favorables
à
des
incitations
marchandes,
au
renforcement
du
droit
de
propriété,
à
la
stabilité
monétaire
et
à
la
solvabilité
budgétaire.
Mais
ils
insistent
tous,
désormais,
sur
la
nécessité
de
combiner
le
renforcement
des
marchés
avec
l’intervention
publique
lorsqu’elle
est
nécessaire,
notamment
dans
les
domaines
sociaux
(santé,
éducation,
protection
sociale)
et
dans
les
secteurs
économiques
fragiles
(notamment
l’agriculture
et
l’industrie).
Cette
perspective
s’inscrit
dans
une
vision
plus
large
visant
à
redonner
du
poids
aux
institutions
sociales
et
politiques
dans
l’élaboration
des
stratégies
nationales
de
développement
économique.
La
participation
politique,
une
justice
indépendante,
le
renforcement
des
droits
du
parlement,
des
administrations
transparentes
et
méritocratiques,
la
décentralisation,
ou
encore
le
renforcement
du
rôle
de
la
société
civile
sont
désormais
vus
comme
des
enjeux
essentiels
pour
la
sortie
de
la
pauvreté
(Sen,
2000a).
Un
second
ensemble
de
travaux
en
économie
du
développement
insistent
également
sur
la
nécessité
d’abandonner
les
«
grandes
doctrines
»
et
les
réponses
one-size-fits-all
qui,
au
cours
des
dernières
décennies,
ont
conduit
les
institutions
internationales
à
proposer
des
solutions
«
clé
en
main
»
aux
problèmes
de
la
pauvreté.
L’idée
que
des
réponses
adaptées
aux
enjeux
de
développement
doivent
s’appuyer
sur
une
bonne
compréhension
du
contexte
économique,
social,
religieux,
politique
et
environnemental
dans
lequel
vit
chaque
population,
est
désormais
largement
partagée
par
les
communautés
scientifiques
travaillant
sur
le
développement.
Amartya
Sen
est
l’un
des
premiers
économistes
à
avoir
considéré,
dans
ses
travaux
sur
la
justice
et
les
inégalités,
que
les
stratégies
de
l’aide
internationale
devaient
être
systématiquement
adossées
à
une
réflexion
systématique
sur
l’environnement
physique
et
socioculturel
de
chaque
pays
(Sen,
2000b).
Ses
travaux
n’ont
pas
été
immédiatement
entendus,
comme
en
atteste
l’adoption
des
objectifs
du
millénaire
pour
le
développement
(OMD)
en
2000.
Issus
d’un
groupe
de
travail
dirigé
par
Jeffrey
Sachs,
les
OMD
identifient
un
15
nombre
limité
de
buts
universels
censés
répondre
à
la
diversité
des
causes
du
sous-‐
développement.
Ils
ont
été
déclinés,
dans
les
années
2000,
en
vastes
«
plans
d’action
»
élaborés
par
les
experts
des
bureaucraties
multilatérales.
De
nombreux
économistes
prennent
aujourd’hui
le
contre-‐pied
de
cette
perspective,
arguant
la
nécessité
de
partir
de
la
société
locale
et
d’étudier
les
besoins
spécifiques
des
individus
et
des
communautés,
afin
de
mettre
en
place
des
réponses
appropriées
à
chaque
contexte
(Easterly,
2006
;
Rodrik,
2007).
Ils
renouent
avec
des
idées
et
des
arguments
avancés
depuis
des
années
par
l’anthropologie
du
développement
(Schuurman,
1993
;
Olivier
de
Sardan,
1995),
dont
les
travaux
sont
en
général
largement
ignorés
par
les
experts
internationaux.
Seule
une
connaissance
approfondie
des
savoirs
locaux,
des
normes
culturelles,
des
institutions
sociales
et
du
rapport
des
populations
à
la
technique
peut
contribuer
à
la
mise
en
place
de
programmes
efficaces
reposant
sur
l’adhésion
et
la
participation
sociale.
À
la
logique
des
«
planificateurs
»
intervenant
selon
une
logique
descendante,
souligne
Easterly,
il
convient
de
substituer
des
analyses
de
terrain
conduites
par
les
«
chercheurs
».
Ce
renversement
de
perspective
incite
de
plus
en
plus,
en
troisième
lieu,
à
revoir
en
profondeur
les
façons
de
penser
les
problèmes
de
développement
et
les
méthodes
pour
élaborer
des
stratégies
de
lutte
contre
la
pauvreté.
On
identifiera
ici
trois
ensembles
d’idées
qui
gagnent
du
terrain
dans
les
études
sur
le
développement.
La
première
invite
à
prendre
en
compte
le
point
de
vue
des
pauvres
dans
la
réflexion
sur
les
problèmes
de
pauvreté.
Cette
idée
puise
une
grande
part
de
son
inspiration
dans
les
travaux
d’Amartya
Sen
sur
les
«
capabilités
»
(c’est-‐à-‐dire
les
capacités
réelles
qu’ont
les
individus
de
réaliser
ce
qui
contribue
à
leur
bien-‐
être
et
à
leur
épanouissement).
La
réflexion
sur
le
«
développement
humain
»
forgée
par
le
PNUD
au
début
des
années
1990
en
fut
une
première
expression.
Tout
l’intérêt
des
nouvelles
analyses
est
de
considérer
le
développement
et
la
pauvreté
non
pas
simplement
comme
un
fait
objectif,
mesurable
et
quantifiable
–
souvent
réduite,
dans
la
pensée
utilitariste
moderne,
à
la
possession
de
biens
–
mais
aussi
comme
une
situation
subjective
dans
laquelle
les
sentiments
et
les
perceptions
individuelles
jouent
un
rôle
décisif.
Ensuite,
de
nombreux
travaux
critiques
invitent
à
se
détacher
de
la
conception
instrumentale
de
l’aide
qui
continue
d’inspirer
l’intervention
de
nombreux
bailleurs
internationaux.
Ces
derniers
considèrent
encore
trop
souvent
que
les
stratégies
d’assistance
internationale
peuvent
se
réduire
à
l’attribution
de
financements
et
à
l’apport
d’une
aide
matérielle
ou
intellectuelle,
en
contrepartie
des
efforts
réalisés
par
les
pays
en
développement
pour
réformer
leur
économie
et
leurs
institutions.
Elle
tend
à
dépolitiser
les
problèmes
de
développement
et
à
les
réduire
à
des
solutions
techniques.
Or
de
nombreux
observateurs
soulignent
que
ces
stratégies,
menées
depuis
plusieurs
décennies,
sont
très
loin
d’avoir
réduit
les
écarts
de
pauvreté.
Bien
au
contraire,
elles
sapent
l’épargne,
les
investissements
locaux
et
la
mise
en
place
de
systèmes
bancaires
autonomes
(Moyo,
2009).
Elles
contribuent
à
maintenir
les
économies
en
développement
dans
une
situation
de
dépendance
à
l’égard
de
l’aide
élaborée
par
des
institutions
internationales
en
grande
partie
contrôlées
par
les
pays
du
Nord.
Pour
le
dire
simplement,
l’aide
n’est
pas
la
solution
à
la
pauvreté
:
elle
est
le
problème.
Cette
critique
a
conduit
de
nombreux
spécialistes
à
défendre
une
approche
des
sociétés
du
Sud
qui
tiendrait
compte
de
leurs
spécificités
sociopolitiques
et
culturelles.
Elle
invite
à
sortir
de
la
vision
ethnocentrique
en
termes
de
«
pauvreté
»,
de
«
développement
»
et
de
«
progrès
»
16
–
une
vision
qui
justifie
l’interventionnisme
des
grandes
puissances
économiques
et
laisse
penser
qu’un
changement
social
planifié
est
possible.
Elle
encourage
à
mieux
prendre
en
compte
les
visions,
les
choix
et
les
pratiques
portées
par
les
acteurs
politiques,
sociaux,
professionnels
ou
communautaires
dans
les
pays
du
Sud.
La
critique
prend
une
forme
assez
radicale
dans
les
théories
dites
du
«
postdéveloppement17
».
Certes,
les
théories
les
plus
critiques
ne
pénètrent
pas
dans
les
institutions
internationales.
Mais
l’idée
selon
laquelle
les
stratégies
de
développement,
pour
réussir,
supposent
de
s’appuyer
sur
des
projets
pensés,
contrôlés
et
mis
en
œuvre
par
les
pays
du
Sud
se
généralise
désormais.
La
multiplication
des
approches
participatives
associant
les
organisations
de
la
société
civile
au
cours
des
années
1990,
puis
le
soutien
accordé
par
les
bailleurs
internationaux
à
l’objectif
de
l’appropriation
politique
dans
les
années
2000,
sont
des
exemples
assez
concrets
de
l’évolution
des
représentations
guidant
les
acteurs
du
développement.
Enfin,
depuis
quelques
années,
un
nombre
croissant
d’universitaires
en
appellent
à
des
stratégies
d’intervention
s’appuyant
sur
l’expérimentation
locale.
Ils
en
appellent
à
la
recherche
de
solutions
inventives
autour
de
projets
de
taille
modeste
(Cohen
and
Easterly,
2009).
Ils
condamnent
les
politiques
bureaucratiques,
élaborées
au
sommet
des
organisations.
Ils
prennent
le
contre-‐pied
des
arguments
avancés
par
un
grand
nombre
d’experts
internationaux
sur
le
nécessaire
passage
de
la
logique
du
projet
(expérience
locale)
à
celle
du
programme
(planification
nationale
pluriannuelle).
Le
débat
a
été
lancé
par
de
jeunes
économistes
(comme
A.
Banerjee,
M.
Kremer
ou
E.
Duflo)
proposant
des
méthodes
empiriques
permettant
de
tester
l’efficacité
concrète
de
l’aide
sur
le
terrain
(Banerjee,
2007).
La
démarche
suivie
par
ces
chercheurs
est
innovante
dans
la
mesure
où
elle
s’appuie
sur
des
tests
systématiques
à
l’échelon
local.
Elle
a
ainsi
le
mérite
d’inciter
les
acteurs
du
développement
à
mieux
analyser
les
besoins
concrets
des
populations.
Elle
fait
toutefois
l’objet
de
critiques,
car
son
coût
financier
d’une
part,
sa
difficulté
à
produire
des
connaissances
généralisables
et
transposables
d’autre
part,
rendent
son
usage
difficile
par
les
acteurs
du
développement.
17.
Celles-‐ci
dénoncent
l’aide
au
développement
comme
une
invention
des
gouvernements
du
Nord
pour
maintenir
les
pays
du
Sud
dans
une
relation
de
dépendance
postcoloniale
(Rist,
1996).
Elles
invitent
à
tenir
compte
des
revendications
portées
par
les
mouvements
sociaux
et
identitaires
pour
penser
les
réponses
aux
questions
de
la
pauvreté
et
des
inégalités
(Escobar,
1995).
17
qui
ont
suivi
une
pente
néolibérale
assumée
:
la
Banque
mondiale
et
le
FMI,
auxquels
s’ajoute
désormais
l’OMC.
Tout
d’abord,
ces
institutions
sont
largement
contrôlées
par
les
pays
les
plus
riches,
membres
de
l’OCDE,
alimentant
l’hypothèse
de
la
dépendance
des
pays
du
Sud
à
l’égard
des
intérêts
du
Nord.
Ensuite,
elles
ont
poursuivi
une
stratégie
mondiale
de
libéralisation
des
marchés
et
de
retrait
de
l’État
jusqu’au
milieu
des
années
2000,
en
restant
largement
sourdes
aux
critiques
sur
ses
effets
pervers
en
Afrique
et
en
Amérique
latine18.
Le
système
des
Nations
unies
fait
également
face
des
critiques
récurrentes,
tant
il
est
perçu
–
à
tort
ou
à
raison
–
comme
étant
peu
efficace,
par
son
organisation
et
ses
modes
opératoires,
pour
répondre
aux
défis
de
la
pauvreté.
Les
critiques
relatives
à
son
caractère
bureaucratique
n’ont
jamais
cessé
depuis
les
années
1960.
Le
système
onusien
constitue
en
effet
un
ensemble
vaste
et
relativement
opaque
d’institutions
dont
le
modèle
pyramidal
et
les
procédures
complexes
peuvent
constituer
des
freins
à
la
mise
en
œuvre
d’actions
de
développement
souples
et
inventives.
La
centralisation
des
agences
onusiennes,
leurs
méthodes
de
programmation
pluriannuelle,
l’importance
accordée
au
contrôle
hiérarchisé,
les
cloisonnements
entre
organisations
ou
encore
les
règles
de
gouvernance
interne
(qui
confèrent
le
pouvoir
de
décision
à
des
États),
réduisent
leur
capacité
à
s’adapter
aux
contours
souvent
changeants
de
la
pauvreté
et
de
ses
enjeux.
Surtout,
par
leur
mandat,
ces
agences
ont
vocation
à
promouvoir
des
principes
universels
qui,
s’ils
apparaissent
bien
nécessaires
du
point
de
vue
moral,
empêchent
souvent
de
forger
des
solutions
innovantes
sur
le
terrain.
La
diffusion
des
idées
critiques
sur
les
façons
d’envisager
les
stratégies
de
développement
a
poussé
la
plupart
des
organisations
internationales
à
faire
évoluer
leurs
pratiques.
Ces
évolutions
ne
sauraient
être
envisagées
comme
le
résultat
d’un
rapport
de
force
entre
des
communautés
d’idées
d’un
côté
et
des
organisations
multilatérales
de
l’autre.
Elles
résultent
d’échanges
continus
entre
les
experts
de
ces
organisations,
ceux
des
agences
de
l’aide
bilatérale
et
des
communautés
épistémiques
formées
d’universitaires,
de
consultants
internationaux,
de
think
tanks
influents,
d’ONG
et
d’organisations
de
la
société
civile.
Ces
évolutions
sont
également
largement
liées
aux
nouvelles
attentes
des
bailleurs
de
fonds
internationaux.
Une
analyse
approfondie
des
«
transferts
d’idées
»
supposerait
de
rendre
compte,
dans
chaque
domaine
du
développement,
des
jeux
d’interaction
complexes
associant
tous
ces
acteurs.
On
présentera
ici
non
pas
les
processus
de
circulation
des
savoirs
sur
le
développement,
mais
les
efforts
réalisés
par
les
organisations
multilatérales
pour
s’adapter
aux
nouvelles
idées.
Tout
d’abord,
comme
nous
l’avons
vu
plus
haut,
ces
organisations
se
sont
récemment
engagées
à
«
aligner
»
leurs
activités
sur
les
priorités
et
les
mécanismes
adoptés
au
niveau
de
chaque
pays,
dans
le
but
d’adapter
les
programmes
d’aide
aux
spécificités
socio-‐économiques
et
institutionnelles
des
pays
du
Sud.
Cette
évolution
suppose
que
les
gouvernements
18. Certes, la Banque mondiale a modifié sa stratégie à la fin des années 1990, complétant sa politique de
conditionnalité
par
de
nouvelles
préconisations
dans
le
domaine
social
et
en
insistant
sur
la
nécessité
de
concevoir
des
programmes
de
réforme
adaptés
à
chaque
pays
et
coordonnés
par
les
autorités
politiques
nationales.
Mais
elle
n’a
jamais
procédé
à
un
aggiornamento
de
sa
stratégie.
Les
économistes
les
plus
critiques
à
l’égard
de
ses
méthodes
ont
démissionné
(Stiglitz
en
1999)
ou
ont
été
renvoyés
(Easterly
en
2001).
La
Banque
n’a
commencé
à
infléchir
ses
positions
qu’à
partir
de
2005.
Dans
son
rapport
de
2007,
elle
reconnaissait,
pour
la
première
fois,
la
nécessité
de
protéger
les
capacités
institutionnelles
de
l’État
dans
le
secteur
de
l’agriculture.
18
nationaux
s’approprient
effectivement
les
stratégies
de
développement.
Il
implique
également
qu’une
part
importante
de
l’aide
technique
soit
consacrée
au
développement
des
capacités
des
institutions
nationales
et
locales.
Ensuite,
certains
mécanismes
d’intervention
multilatérale,
créés
récemment
en
dehors
du
système
des
Nations
unies,
tendent
à
délaisser
les
stratégies
globales
de
lutte
contre
la
pauvreté
pour
se
concentrer
sur
des
projets
présentés
par
les
acteurs
locaux
du
développement,
sélectionnés
au
cas
par
cas,
et
dont
l’efficacité
est
régulièrement
évaluée.
C’est
le
cas,
par
exemple,
des
nouveaux
fonds
multilatéraux
constitués
pour
financer
des
activités
de
développement19.
Ces
fonds
financent
uniquement
des
projets
élaborés
à
l’échelon
local
ou
national
pour
des
activités
ciblées.
Les
mécanismes
de
contrôle
et
d’évaluation
des
projets
sont
également
beaucoup
plus
stricts
que
pour
les
activités
soutenues
par
les
organisations
multilatérales
classiques,
puisque
les
techniques
de
décaissement
financier
prévoient
des
versements
de
fonds
par
«
tranches
»,
ce
qui
nécessite,
pour
les
bénéficiaires,
de
justifier,
à
chaque
étape
intermédiaire,
la
réalisation
des
objectifs
définis
dans
le
projet.
Enfin,
depuis
une
quinzaine
d’années,
les
organisations
internationales
ont
réalisé
des
efforts
pour
améliorer
leurs
outils
d’analyse,
de
programmation
et
de
pilotage
des
programmes,
afin
de
mieux
intégrer
les
dimensions
sociales
de
la
pauvreté.
Elles
ont
engagé
une
réflexion
sans
précédent
sur
les
indicateurs
de
mesure
de
la
pauvreté
(Gadrey
et
Jany-‐
Catrice,
2007).
Plusieurs
organisations
ont
ainsi
renouvelé
leur
stratégie
et
leurs
objectifs,
en
privilégiant
des
analyses
multidimensionnelles
qui
tiennent
compte
des
composantes
variées
et
interdépendantes
de
la
pauvreté
d’une
part20
(la
satisfaction
des
besoins
fondamentaux,
les
discriminations
et
l’exclusion
sociale,
les
inégalités
sexuelles,
le
niveau
de
participation
sociale,
la
détérioration
de
l’environnement),
et
des
spécificités
des
conditions
de
pauvreté
d’un
pays
à
l’autre
d’autre
part21.
Elles
financent
également
des
analyses
recourant
à
des
méthodes
d’enquête
qualitative
conduites
au
niveau
des
pays.
Elles
ont
de
surcroît
mis
en
place
des
procédures
de
travail
plus
ouvertes
et
plus
participatives.
Depuis
les
années
1990,
en
effet,
la
production
des
savoirs
sur
la
pauvreté
s’appuie
de
plus
en
plus
sur
des
partenariats
de
travail
associant
des
acteurs
non
étatiques.
Toutes
les
organisations
internationales
ont
mis
en
place
des
groupes
de
travail
associant
des
organisations
de
la
société
civile
et
des
ONG
–
y
compris
les
institutions
financières
et
des
organisations
qui,
par
leur
mandat,
sont
les
moins
disposées
à
coopérer
avec
les
acteurs
non
étatiques22.
On
voit
se
multiplier,
depuis
une
quinzaine
d’années,
des
instances
de
travail
dans
lesquelles
les
ONG
jouent
un
rôle
important,
prolongeant
ainsi
le
modèle
du
Comité
des
ONG
créé
en
1946
par
le
19. Ces fonds ont été développés dans trois domaines principaux (environnement, santé et réduction de la
pauvreté).
On
peut
citer,
parmi
les
plus
importants,
le
Fonds
pour
l’environnement
mondial,
le
Fonds
mondial
de
lutte
contre
le
sida,
la
tuberculose
et
le
paludisme,
ou
la
Facilité
de
financement
internationale.
20.
C’est
le
PNUD
qui
a
le
premier
lancé,
en
1990,
un
indicateur
de
développement
humain
(IDH)
croisant
trois
mesures
:
l’éducation,
la
santé
et
le
niveau
de
vie
(mesurés
par
le
niveau
d’instruction,
l’espérance
de
vie
à
la
naissance
et
le
PIB
par
habitant).
21.
Comme
l’indicateur
de
pauvreté
humaine
(IPH)
qui
recourt
à
des
critères
différents
selon
les
pays
étudiés,
19
Conseil
économique
et
social
des
Nations
unies23.
Les
organisations
de
la
société
civile
ont
bien
compris,
d’ailleurs,
l’intérêt
de
participer
au
travail
des
institutions
multilatérales.
Si
certaines
continuent
de
privilégier
des
répertoires
d’action
militants
et
des
modes
d’action
protestataires,
beaucoup
font
désormais
le
choix
de
recourir
aux
méthodes
du
lobbying
et
à
des
partenariats
techniques
pour
peser
sur
l’adoption
des
normes
internationales24.
Au
niveau
des
pays,
les
organisations
internationales
cherchent
de
plus
en
plus
à
associer
les
populations
destinataires
de
l’aide
à
la
définition
des
stratégies.
Dès
les
années
1990,
l’expérimentation
d’«
évaluations
rurales
participatives
»
permettait
d’introduire
des
éléments
d’innovation
dans
les
méthodologies
d’enquête
par
la
collecte
d’informations
provenant
des
populations
locales.
Elle
servit
de
base,
à
la
fin
des
années
1990,
à
la
diffusion
de
«
méthodes
d’analyse
contextuelle
»
et
au
recours
à
des
«
évaluations
participatives
de
la
pauvreté
»,
mises
en
œuvre
avec
le
soutien
d’ONG25.
Le
propre
de
ces
outils
est
non
seulement
d’associer
les
populations
à
la
procédure
d’évaluation
des
politiques
d’aide,
mais
de
les
impliquer
dans
l’élaboration
des
projets
locaux,
en
intégrant
des
dimensions
sociales
et
psychologiques
généralement
absentes
des
analyses
économiques
du
développement.
Au
niveau
national,
la
préparation
des
documents
stratégiques
de
réduction
de
la
pauvreté
repose
désormais
sur
des
méthodes
participatives,
puisqu’elles
associent
systématiquement
des
«
parties
prenantes
»
(c’est-‐à-‐dire
des
acteurs
de
la
société)
à
la
réflexion
sur
les
objectifs
et
les
stratégies
de
développement.
La
diffusion
de
ces
nouvelles
idées
dans
les
organisations
multilatérales
en
charge
de
l’aide
demeure
toutefois
lente,
inégale
et
incomplète.
Les
mécanismes
d’intervention
restent
loin
d’être
satisfaisants.
Les
efforts
pour
introduire
une
«
culture
de
la
participation
»
se
heurtent
en
effet
à
un
certain
nombre
d’obstacles.
Tout
d’abord,
les
changements
de
comportement
restent
limités,
tant
la
«
culture
de
l’assistance
»
reste
forte
du
côté
des
experts
internationaux
comme
du
côté
des
destinataires.
Ensuite,
les
expériences
participatives
restent
souvent
inabouties
dans
les
sociétés
locales
fortement
hiérarchisées
où
il
n’existe
pas
de
représentation
pluraliste
des
intérêts
sociaux.
Il
n’est
pas
rare,
en
effet,
que
les
élites
sociales
se
posent
en
intermédiaires
obligés
et
s’accaparent
les
positions
permettant
de
représenter
des
intérêts
locaux
auprès
des
organismes
internationaux.
En
développant
des
«
stratégies
d’extraversion
»
leur
permettant
de
capter
les
ressources
générées
par
la
relation
avec
les
acteurs
internationaux,
ces
élites
confirment
leur
position
sociale
dominante
et
empêchent
les
populations
locales
de
s’approprier
les
dispositifs
participatifs.
Enfin,
l’idée
de
la
le
terrorisme.
23.
Le
programme
Onusida
est
un
exemple
significatif
de
cette
évolution.
Il
est
la
première
entité
onusienne
dont
les
statuts
constitutifs
(1994)
prévoient
la
présence
d’organisations
de
la
société
civile
dans
son
conseil
exécutif.
24.
La
participation
des
représentants
des
peuples
autochtones
à
des
forums
de
discussion
multilatéraux,
depuis
1982,
est
particulièrement
révélatrice
du
double
processus
d’ouverture
des
institutions
onusiennes
aux
organisations
non
étatiques
(notamment
avec
la
création
en
2000
d’une
Instance
permanente
sur
les
questions
autochtones)
et
de
professionnalisation
croissante
des
représentants
de
la
société
civile
dans
les
arènes
multilatérales
(Bellier,
2007).
25.
Ces
évaluations
cherchent
à
tenir
compte
de
l’inscription
des
individus
dans
leur
environnement
social,
en
particulier
dans
le
contexte
familial
et/ou
communautaire.
Elles
font
de
l’exclusion
sociale
et
des
discriminations
des
éléments
particulièrement
importants
pour
l’analyse
de
la
pauvreté.
20
«
participation
»
est
déclinée
de
multiples
manières
par
les
organisations
internationales.
Elle
ne
débouche
pas
toujours
sur
des
dispositifs
ouverts
et
accessibles
aux
populations
destinataires.
Dans
le
domaine
du
montage
de
projets,
par
exemple,
les
procédures
imposées
par
les
bailleurs
de
fonds
internationaux
restent
souvent
très
complexes.
Les
acteurs
locaux
doivent
alors
faire
appel
à
des
experts
internationaux
pour
élaborer
des
projets
et,
ainsi,
espérer
obtenir
une
aide.
Ils
doivent
également
se
plier
à
des
contraintes
lourdes
en
termes
de
contrôle,
ce
qui
est
légitime
du
point
de
vue
du
bailleur,
mais
alourdit
considérablement
les
procédures
et
peut
décourager
les
demandes
locales.
Quant
à
l’expérimentation
de
l’efficacité
de
l’aide
au
niveau
local,
elle
suppose
la
possibilité
de
mettre
en
place
des
analyses
monographiques
et
longitudinales
qui
requièrent
un
temps
d’observation
relativement
long,
suivi
par
des
études
comparatives.
Or
ce
type
d’analyse
entre
difficilement
dans
les
cycles
de
travail
des
organisations
internationales.
Celles-‐ci
doivent
régulièrement
rendre
des
comptes
à
leurs
bailleurs
de
fonds,
en
leur
communiquant
des
résultats
chiffrés
relatifs
à
des
programmes
conduits
à
des
échelles
nationales
ou
internationales.
Elles
préfèrent,
pour
cela,
financer
des
évaluations
standardisées
dont
la
qualité
est
discutable,
plutôt
que
de
conduire
des
études
expérimentales
localisées.
L’évaluation,
telle
qu’elle
est
pratiquée
dans
les
organisations
internationales,
porte
ainsi
plus
sur
les
processus
d’action
publique
que
sur
les
résultats
effectifs
des
pratiques
de
développement.
Elle
s’intéresse
plus
à
l’«
efficience
»
des
organisations
(les
politiques
sont-‐
elles
mises
en
place
selon
des
procédures
standardisées
dont
le
coût
est
acceptable
pour
les
organisations
?)
qu’à
l’«
efficacité
»
des
projets
(les
politiques
permettent-‐elles
de
réduire
la
pauvreté
et
d’améliorer
le
bien-‐être
des
populations
?).
Quant
aux
travaux
de
recherche
financés
par
les
organisations
internationales,
ils
privilégient
le
plus
souvent
l’agrégation
des
données
à
l’échelle
nationale,
régionale
ou
globale,
faute
de
pouvoir
produire
des
chiffres
fiables
au
niveau
des
districts
et
des
villages.
Enfin,
les
organisations
continuent
encore,
au
début
des
années
2010,
à
diffuser
des
«
bonnes
pratiques
»
dont
tous
les
chercheurs
s’accordent
à
reconnaître
les
faiblesses,
tant
la
démarche
laisse
supposer
le
caractère
transposable
des
normes
d’action
publique
d’un
pays
à
l’autre,
et
permet
difficilement
d’expérimenter
les
solutions
innovantes
qui
peuvent
émerger
au
niveau
des
communautés,
à
l’initiative
des
acteurs
socioculturels
et
institutionnels
locaux.
Conclusion
Le
champ
du
développement
est
marqué
par
un
contraste
saisissant
entre
le
mouvement
incessant
des
idées
et
l’inertie
des
formes
d’intervention
publique.
D’un
côté,
les
controverses
intellectuelles
alimentent
la
réflexion
sur
les
pratiques
du
développement.
Les
échecs
des
politiques
d’aide
menées
depuis
un
demi-‐siècle
justifient
amplement
l’abandon
des
solutions
universelles
au
profit
de
méthodes
expérimentales
associant
les
populations
destinataires
à
l’identification
des
besoins
et
à
la
définition
des
actions.
De
l’autre,
les
institutions
internationales
et
les
bailleurs
de
fonds
traditionnels,
malgré
la
réforme
continue
des
mécanismes
de
l’aide,
ne
parviennent
pas
encore
à
forger
des
réponses
souples
et
innovantes
aux
problèmes
de
la
pauvreté.
Ils
sont
aujourd’hui
tenus
de
redéfinir
leurs
rôles,
de
revoir
21
leurs
stratégies
et
de
réformer
leurs
pratiques.
Leur
légitimité
dépend
désormais
de
leur
capacité
à
s’insérer
dans
un
système
international
de
l’aide
plus
ouvert
et
plus
complexe,
où
ils
ne
jouent
plus
forcément
un
rôle
d’aiguillon,
mais
où
ils
coproduisent
les
réponses
institutionnelles
en
partenariat
avec
l’ensemble
des
nouveaux
acteurs
de
l’aide
(pays
émergents,
ONG,
fondations,
associations
et
mouvements
de
la
société
civile,
entreprises,
groupes
d’experts,
bureaux
de
conseils,
think
tanks,
etc.),
présents
à
tous
les
niveaux
des
politiques
d’aide
(financement,
production/circulation
des
idées,
assistance
technique,
activités
opérationnelles).
Cette
exposition
plus
grande
à
un
marché
du
développement
caractérisé
par
la
diversification
des
acteurs
et
l’instabilité
des
règles
est
sans
doute
aujourd’hui
le
plus
puissant
moteur
de
la
réforme
des
pratiques
de
l’aide
internationale.
22
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Nord-Sud
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un
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Bord
de
l’eau.
24
Pour approfondir
Les
études
sur
le
développement
constituent
un
champ
de
recherche
en
sciences
humaines
et
sociales
particulièrement
bien
structuré
dans
les
pays
de
langue
anglaise,
en
particulier
en
Grande-‐Bretagne.
C’est
là
qu’y
sont
publiés
les
principaux
ouvrages
de
synthèse
sur
les
politiques
et
les
pratiques
du
développement,
comme
ceux
de
Haynes
(2008),
de
Potter
et
al.
(2008)
ou
de
Potter
et
Desai
(2008),
ainsi
que
les
livres
plus
critiques
de
Kothari
(2005)
et
de
McCann
et
McCloskey
(2009).
De
nombreuses
revues
scientifiques
pluridisciplinaires
sont
également
accessibles,
parmi
lesquelles
Journal
of
Development
Studies,
World
Development,
Journal
of
International
Development,
Development
and
Change,
Community
Development
Journal,
Studies
in
Comparative
International
Development
et
Journal
of
Human
Development
and
Capabilities.
En
français,
les
ouvrages
de
Vivien
(2005),
Zacharie
(2010)
et
Sévérino
et
Debras
(2010)
proposent
des
analyses
actualisées.
Assidon
(2002)
et
Brasseul
(2008)
offrent
un
panorama
des
travaux
publiés
en
économie
du
développement,
tandis
que
Mancébo
(2008)
et
Brunel
(2009)
sont
les
auteurs
d’essais
critiques
sur
le
développement
durable.
Sur
l’aide
publique
française,
on
pourra
consulter
l’ouvrage
de
Charnoz
et
Sévérino
(2007).
Sur
les
nouvelles
approches
économiques,
on
lira
avec
intérêt
Duflo
(2010).
Le
Groupement
d’étude
sur
la
mondialisation
et
le
développement
(Gemdev),
quant
à
lui,
a
publié
depuis
1984
un
large
éventail
d’articles
de
sciences
sociales
sur
le
développement.
Enfin,
quatre
revues
spécialisées
proposent
des
articles
en
français
:
Mondes
en
développement,
Revue
Tiers
Monde,
Revue
d’économie
du
développement
et
Revue
canadienne
d’études
du
développement
(bilingue).
25