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RECETTES ET HISTOIRES DES TRADITIONS PERDUES

DU GRAS, DU SUCRE ET DE L’AMOUR


« Sé nou sabés t’ aoun bas, r’appèlot d’oun béngués. »

VÉRONIQUE CHAPACOU
À mes grands-parents Rosa et Alfred,
à mes parents Annie et Joseph, à mon fils Nicolas. « Si tu ne sais pas où tu vas, rappelle-toi d’où tu viens. »

© LES ÉDITIONS DE L'ÉPURE, PARIS 2018

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J’ai grandi dans la ferme de mes grands-parents paternels,
en Haute-Bigorre, élevée à la charcuterie, aux viandes confites,
cuites lentement sur le coin du fourneau, aux fromages au lait
cru, aux fruits et légumes du jardin. La cuisine bigourdane est
une cuisine paysanne, simple, qui tient au corps. Les plats tradi-
tionnels sont roboratifs et les menus de fête, longs, très longs.
Ici, pas de nouvelle cuisine, pas d’allégé, pas de “sans graisse”
ou de “sans sucre”. Quand on se retrouve autour de la table,
en famille ou avec les amis, inutile de compter les calories,
le chiffre s’approcherait de la dette publique du pays.
Le lait cru, entier et bien gras de mon chocolat chaud du matin
sortait du pis des vaches de mon grand-oncle Gabriel et la con-
fiture de ma mère contenait tant pour tant de fruits du verger
et de sucre. Mon 4 heures était souvent composé d’une tranche
de pain (au levain) frottée d’une gousse d’ail et arrosée d’huile
d’olive ou tartinée d’un morceau de pâté. Pas de snacks indus-
triels sucrés, pas de sodas dans les buffets. J’avais 12 ans
lorsque j’ai goûté le célèbre soda marron pour la première
fois et 25 ans lorsque j’ai poussé la porte du mac’machin de
Lourdes en compagnie de mon amie Fabienne. Rien de miracu-
leux dans l’expérience et pas l’envie d’y retourner de sitôt !
La base de notre alimentation était le cochon sous toutes ses
formes, la volaille qui courait dans la cour, le gibier que mon
père rapportait de la chasse. Nous consommions les légumes
en suivant les saisons et surtout en fonction de ce qui avait
poussé dans les champs de mes grands-parents. Un peu de
tout, mais Sud-Ouest oblige, avec une prédilection pour les
pommes de terre et les haricots tarbais qui grimpaient le long
des pieds de maïs. Les fruits étaient ceux que l’on cueillait
dans le verger et les œufs étaient ramassés chaque jour dans
le poulailler. Les aliments posés sur la table familiale étaient
le fruit du travail des champs et de l’élevage en plein air
des animaux. Nous étions sans le savoir encore locavores
et presque autosuffisants puisque nous n’allions qu’une

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fois par mois au supermarché, à une vingtaine de kilomètres de Michel Guérard a succédé à la traditionnelle et gourmande
de mon petit village natal. Le marché local du samedi matin cuisine de Fernand Point (“du beurre, encore du beurre, tou-
réunissait uniquement des petits producteurs du coin qui jours du beurre” disait-il) ou d’Eugénie Brazier. Au début
proposaient des tommes d’estives ou des petits chèvres frais, des années 1990, Hervé This nous a initié à la gastronomie
du miel, des légumes, des volailles et des œufs, quelques spé- moléculaire, à la cuisine déstructurée, puis nous sommes
cialités sucrées. Ici, pas de vitrines réfrigérées. Dans le meil- entrés dans les années “sans”. Les régimes alimentaires
leur des cas, des glacières de camping, sinon deux cageots jusque-là réservés à des personnes malades ou allergiques
retournés et recouverts de torchons tenaient lieu d’étal. sont malheureusement devenus des tendances, des “modes
Les produits du jardin, de la basse-cour ou de la porcherie alimentaires” à suivre. Sans gluten, sans sucre, sans graisse,
étaient transformés par nos soins pour les conserver au mieux sans lactose, sans féculents, sans protéines animales… Et à
et nous permettre de les consommer jusqu’à la prochaine venir sans saveur, sans odeur, sans texture !
pleine saison. Des savoir-faire et des recettes traditionnelles L’arrivée en France des plats cuisinés surgelés, au milieu
transmises de génération en génération : de la façon de faire des années 1960 et le grand boum de la restauration rapide
sécher les oignons de Trébons à l’assaisonnement du boudin et de la vente à emporter a certes facilité notre quotidien mais
noir en passant par la réalisation des confitures et autres ce qui pouvait être considéré comme un progrès a rapidement
conserves de légumes. Pour cela, quel que soit leur âge, petits dérivé. Face à ce marché en pleine expansion, les agro-indus-
et grands participaient aux activités qui rythmaient l’année : triels ont margé de plus en plus au détriment de la qualité du
semer le maïs, cueillir les fraises, écosser les petits pois, contenu, à grand renfort d’huile de palme, de teneur élevée
plumer les volailles, hacher la viande pour préparer les pâtés. en sodium, d’utilisation de minerai de viande (et de viande
Ces propos semblent dater d’un autre siècle, pourtant, ils séparée mécaniquement) ou de filets de poissons gonflés
racontent simplement un quotidien dans les années 1970 artificiellement avec de l’eau salée gélifiée. Au travers des
et début 1980. Mais à bien y regarder, finalement c’était effec- médias, après avoir vanté le gain de temps et la qualité de vie
tivement au siècle dernier ! obtenue grâce à leurs préparations minute, ils nous ont promis
La cuisine a pour elle d’être liée au terroir, d’exploiter les pro- la santé et la minceur grâce à leurs nouveaux produits. Quel
duits des régions et des saisons, en étroit accord avec la na- être humain un tant soit peu sensé aurait imaginé qu’un jour,
ture, de reposer sur un savoir-faire ancestral, transmis par les “chocolat” et “régime” puissent être associés ou que “allé-
voies inconscientes de l’imitation et de l’habitude, d’appliquer gée” soit le qualificatif de charcuterie, écrit en toutes lettres
des procédés de cuisson patiemment mis à l’épreuve et asso- sur les emballages de rillettes industrielles ?
ciés à certains instruments et récipients de cuisine bien fixés Les “chocolats de régime” contiennent moins de sucre (rem-
par la tradition. Jean-François REVEL placé par des édulcorants non dépourvus d’effets secondaires)
mais plus de matière grasse, avec au final autant de calories
Les goûts et habitudes alimentaires ainsi que les modes qu’un chocolat classique. La “charcuterie allégée” affiche
de consommation ont beaucoup changé au cours des cin- moins de matières grasses mais en moyenne quatre fois plus
quante dernières années. En 1975, la cuisine minceur de glucides que dans la version classique ! C’est fou d’imaginer

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du sucre dans le pâté, non ? Mes ancêtres se retournent adorent ou ces petits biscuits qui accompagnent si bien votre
dans leurs tombes pendant que j’écris ça. Et je ne parle même café. Vous prendrez le temps de lire la composition de cette
pas de toutes ces “poudres magiques” qui colorent, texturent, soupe de légumes que vous aimez tant et découvrirez que
aromatisent ou prolongent la durée de vie de ces aliments… la liste au dos du bocal est réduite à sa plus simple expression.
ni des quantités que nous ingurgitons chaque jour, sans le Vous réapprendrez la saisonnalité des aliments et accepte-
savoir, en consommant tous ces produits industriels. rez qu’il n’y ait pas de tomates en février, de raisins en juin
Tout est poison, rien n’est poison. Ce qui fait le poison c’est et qu’il faille vous priver quelque temps de cet excellent fro-
la dose. PARACELSE mage de chèvre qui reviendra certainement au mois de mai.
Vous mangerez moins de fraises mais découvrirez le goût
Les matières grasses et les sucres sont des carburants utiles incomparable de celles qui ont poussé en plein champs au
à la machine humaine. Naturellement présents dans de nom- mois de juin, à quelques dizaines de kilomètres de chez vous.
breux aliments, ils ne doivent pas être négligés. Exhausteurs Vous paierez votre poulet du dimanche peut-être un peu plus
de goûts, vecteurs de saveurs, ils apportent aussi un moel- cher qu’au supermarché mais celui qui se retrouvera dans votre
leux incomparable aux préparations. Bref, ils sont, à mon sens, cocotte ne réduira pas de moitié, gardera sa chair bien accro-
indispensables à toute cuisine gourmande. Mais dans les chée à ses os et les euros échangés iront entièrement dans
préparations industrielles, ils sont majoritairement de mau- la caisse de l’éleveur. Vous aiderez ainsi l’économie locale ou
vaise qualité, ajoutés en grande quantité et sans aucun intérêt régionale, permettrez le développement de l’emploi dans
nutritif. Sucre blanc, sirop de glucose-fructose, édulcorants de les territoires ruraux et par la même occasion, une meilleure
synthèse, matières grasses saturées, huiles végétales de piètre et juste rémunération des producteurs. Il ne faut pas oublier
qualité. Faut-il pour autant arrêter de consommer des produits l’impact environnemental, alors si en plus d’être locaux et de
transformés ? Non, il faut juste faire les bons choix, faire preuve saison, ces produits sont bios, c’est carton plein !
de bon sens et d’un peu d’organisation. Avec ces beaux produits, vous retrouverez certainement
Éloignez-vous des grandes surfaces et favorisez les circuits l’envie et prendrez le temps de retourner dans votre cuisine.
courts : amap (associations pour le maintien d’une agricul- Pas besoin de passer des heures derrière les fourneaux quand
ture paysanne), Jardins de Cocagne, Ruche qui dit oui, maga- les produits se suffisent à eux-mêmes. Des recettes simples
sins et marchés de producteurs locaux, vente à la ferme, etc. qui deviendront celles que l’on se transmet dans votre fa-
Vous découvrirez les artisans et producteurs du coin et de- mille : le flan aux berlingots de papa ou le poulet aux oignons
viendrez peut-être plus attentifs à l’origine géographique et à de mamie. Je vous raconte ici le quotidien et les traditions
la composition des aliments. Vous pourrez échanger avec eux de mon enfance qui ont pour une grande partie disparues,
et recréer ce lien qui fait tellement défaut. Ils vous raconteront et les recettes héritées de mes parents et de mes grands-
leur quotidien, vous parleront de leurs passions mais aussi parents (qui leur ont été transmises par leurs parents).
de leurs difficultés. Comment ils composent avec la nature et Du gras, du sucre et de l’amour : trois sources d’endorphines
le rythme des saisons, quels modes de culture ou d’élevage ils mais aussi les ingrédients indispensables à toute bonne
pratiquent, comment est fabriqué ce fromage que vos enfants recette de cuisine !

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LES LÉGUMES
La nature, les saisons et la météo rythmaient une grande partie
de notre vie, de la préparation de la terre, au bon moment pour
semer ou récolter. Planter les pommes de terre ou le maïs,
cueillir les haricots verts ou les prunes puis les conditionner
en vue d’une prochaine production ou les transformer pour
notre consommation, telles étaient les nombreuses tâches
auxquelles nous participions mon frère Bruno et moi, le soir
après l’école, le samedi après-midi ou durant les vacances
scolaires – et cela tout au long de l’année.
Les réjouissances débutaient en mars. Les premières pommes
de terre étaient semées à la saint Joseph, la tradition familiale
voulait que l’on mange cette première récolte pour la fête des
mères. Le plus gros du semis se déroulait début mai. Toute
la famille était mise à contribution et avec les jours qui rallon-
geaient, l’opération avait lieu le soir après l’école et le travail.
“On part aux champs.” L’annonce ne nous réjouissait pas mais
avec un peu de chance nous retrouverions dans les champs
voisins, les copains et copines d’école qui avaient droit à
la même “punition”. Après cette corvée, nous pourrions nous
retrouver tous ensemble pour nous amuser un moment, c’était
une façon de se motiver comme une autre.
Les oignons de Trébons étaient repiqués en mars. Cette va-
riété locale d’oignons doux, sucrés et très parfumés entre dans
la composition de nombreuses recettes locales et familiales.
Cru dans les salades de tomates ou de betteraves, cuit dans
les recettes de poulet ou lapin aux oignons et dans les diverses
charcuteries. Pâtés et boudins familiaux en regorgent.
Cet oignon a la particularité de pouvoir être consommé
presque tout au long de l’année car il est récolté à divers
stades de maturité. Une première récolte a lieu en mai / juin
et une seconde en août. On oublie quelques oignons en terre,
les fanes se sèchent et en septembre, on replante ces oignons

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secs pour obtenir les cébars qui seront récoltés tout au long La récolte commençait au mois de juin. Nous profitions plei-
de l’hiver. Mon père laissait monter en graine quelques pieds nement de ce légume frais car chez nous, il n’était pas mis
de cébars pour récolter la semence d’oignons de Trébons en conserve et il n’y avait pas d’autres moyens à cette époque
qui serait utilisée l’année d’après. Une autre tradition fami- de le conserver.
liale veut que l’omelette de Pâques, mangée le lundi soir, soit Cultiver un potager ce n’est pas seulement produire ses lé-
une omelette aux cébars. Cette tradition se perpétue toujours gumes, c’est apprendre à s’émerveiller du mystère de la vie.
et si vous venez dîner à la maison le lundi de Pâques, vous Pierre RABHI

mangerez de l’omelette aux cébars !


Lorsque les plants de pommes de terre sortaient de terre, Les citrouilles étaient semées à l’abri du froid au mois de
mon père se chargeait de les butter. Nous ne serions à nou- mars. Les potimarrons, butternut et autres pâtissons étaient
veau sollicités qu’en octobre pour la récolte, lorsque les inconnus dans ma contrée, du moins ils n’avaient pas leur
feuilles des plants seraient entièrement sèches. Mon père place dans les cultures traditionnelles. Lorsque les plants
passerait alors dans les rangs avec sa fourche pour déterrer étaient sortis de terre et s’ornaient d’au moins quatre feuilles,
les pieds et découvrir la récolte. Les patates seraient laissées ils étaient repiqués en plein champs, généralement au mois
quelques heures à l’air libre pour sécher un peu puis nous les de mai. Les premières fleurs jaune orangé apparaissaient fin
ramasserions. La récolte serait ensuite mise en tas sur un lit juillet. Lorsque les fruits étaient formés et qu’ils atteignaient
de paille, dans le chai. Une année de pommes de terre pour une vingtaine de centimètres, nous déposions une pierre plate
notre consommation et celle des cochons ! Ils avaient droit à dessous pour les isoler de l’humidité de la terre et éviter qu’ils
une tambouille appétissante, préparée par ma grand-mère. ne pourrissent avant même d’être arrivés à maturité. La ré-
Elle faisait cuire les plus petites, les ratatinées, les amochées colte commençait en septembre, lorsque les feuilles se dessé-
dans une lessiveuse et y ajoutait un peu de graisse rance. Mon chaient. Les citrouilles étaient stockées sur un lit de paille dans
grand plaisir d’enfant était d’écraser à pleine main ces patates le chai et étroitement surveillées car le pourrissement pouvait
encore chaudes, avant de partir à l’école le matin. arriver de façon brusque. Une petite tâche presque anodine
Les haricots verts et les petits pois étaient semés fin avril pour et quelques jours plus tard, la citrouille était pratiquement
que les graines passent les saints de glace, enfouies, proté- décomposée !
gées sous la terre. Pas de variété montante pour les haricots Le semis de carottes était fait en pleine terre au mois de mai.
verts, plus d’exercice physique pour la récolte ! L’équeutage Cette culture demandait un travail important de la terre en
des kilos de haricots verts semblait bien reposant suite amont car il fallait qu’elle soit bien aérée, fine et surtout sans
à la cueillette, venaient ensuite la mise en bocaux et la sté- cailloux pour obtenir de belles carottes bien droites. Il fallait
rilisation. Tuteurées sur un grillage installé par mon père, ensuite éclaircir les plants au fur et à mesure de leur pousse.
les pousses de petits pois étaient maintenues par de la corde Cela nécessitait plusieurs passages et c’est ma mère qui était
fine, au fur et à mesure de leur montée. Pas trop d’arrosage en charge de cette opération délicate. Les carottes restaient
au début, de façon à favoriser l’apparition des fleurs et donc en terre, la récolte se faisait petit à petit, en fonction de nos
plus tard, des petits pois. besoins, à partir de septembre. Les semis de tomates étaient

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effectués fin janvier dans des jardinières qui restaient à l’abri Même chose pour les poireaux qui étaient semés à l’abri
du froid. Lorsque les plants étaient assez grands et vigoureux, comme les tomates, fin janvier. Ils étaient repiqués en pleine
ils étaient plantés en terre. Cette opération avait lieu après terre lorsqu’ils atteignaient une quinzaine de centimètres de
les fameux saints de glace, mi-mai. hauteur. Les poireaux étaient arrosés avec un purin de feuilles
Les tuteurs des futurs pieds de tomates étaient installés avant de rhubarbe qui permettait d’éviter l’apparition de la teigne
le repiquage, cela évitait de blesser les racines des plants. du poireau. Tout comme les carottes, ils restaient en terre
La terre avait été soigneusement travaillée par mon père qui et étaient récoltés en fonction des besoins, du début de l’au-
avait disposé une couche de fumier, un peu de terre par-dessus, tomne jusqu’aux premières gelées.
une couche de plume de volaille puis une couche de terre. Le maïs (milloc) était semé au mois de mai. La production était
Cela permettait de fertiliser le champ et d’éviter certaines destinée au bétail, vaches, cochons, volailles diverses. Mon père
maladies. Des œillets d’Inde étaient également plantés en avait préparé la terre le soir en rentrant du travail, les rangées
alternance avec les pieds de tomates. Leur présence était dou- étaient tracées. Nous étions alignés, courbés, chacun sur une
blement bénéfique, sous terre et en surface. rangée avec sa boîte remplie de maïs. Ma grand-mère repliait
L’œillet d’Inde est un véritable répulsif pour les pucerons et son tablier et le coinçait dans la ceinture pour créer une poche
ses racines sécrètent une substance qui fait fuir certains vers. dans laquelle elle mettait les grains. C’était parfois la course
La récolte se faisait de juillet jusqu’aux premières gelées. entre mon frère et moi pour savoir qui arriverait le premier au
Les plus belles tomates de chaque variété étaient mises de bout de sa rangée… mais c’était toujours lui qui gagnait.
côté. Ma mère les coupait en deux, récupérait les graines Un mois après, il fallait recommencer pour les haricots tarbais.
dans une passoire, les lavait pour éliminer le mucilage puis les Au pied de chaque plant de maïs sorti de terre, il fallait déposer
déposait sur un torchon à température ambiante mais à l’abri un ou deux haricots. La veille, ils avaient été mis à tremper dans
du soleil, pour les faire sécher. Quelques jours plus tard, un seau d’eau pour faciliter leur germination, une fois plantés.
une fois sèches, les graines étaient mises en bocaux fermés, L’opération était plus difficile car il fallait, en plus de la position
étiquetés et conservés dans le chai. Une partie de la récolte pénible, éviter de piétiner les jeunes pieds de maïs. Les tarbais
des tomates était transformée en purée puis stérilisée. Ces allaient pousser à l’ombre du maïs et la nature étant bien faite,
conserves de tomates serviraient de bases pour préparer ils s’accrocheraient tout naturellement à ces tuteurs vivants.
le tourin ou seraient ajoutées aux haricots tarbais, en hiver. Mes parents surveillaient la croissance et suivaient les conseils
Le rouge de la tomate a la flamboyance assassine des couchers de mes grands-parents quant aux soins à prodiguer. Nombre
de soleil d’Istanbul. Je chante ici l’émouvance absolue du sa- d’opérations potagères avaient lieu en fonction du cycle lunaire
tin lumineux de sa peau transparente, impeccablement tendue et des saints du calendrier : Mamert, Pancrasse, Servais, Jean,
sur les rondeurs de sa chair dense et tiède comme les joues Catherine…
des enfants, ferme et dure comme les fesses encore épargnées Fèves et haricots font plus de pets que de rots. Anonyme
des lycéennes de 1 re B de l’Institut catholique de Paris de la rue
d’Assas, dans le vıe, en dessous de la Fnac Montparnasse, juste Dans la fournaise du mois d’août, il fallait retourner dans les
en face du marchand d’imperméables. Pierre DESPROGES champs de maïs non pour les castrer mais pour les écimer.

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Cette partie encore tendre était enlevée pour permettre aux frais étaient vendus par ma grand-mère à l’épicerie du village.
épis d’avoir plus de vigueur, elle faisait le régal des vaches. Le reste de la récolte se faisait plus tard, en octobre. Les tar-
J’étais dispensée de cette corvée, trop petite de taille pour faire bais avaient séché sur pied, c’était le but recherché.
du bon travail. Mon frère Bruno, plus âgé, n’y coupait pas. Après cette dernière récolte, les haricots encore dans leurs
Dans le jardin familial, un petit carré était réservé aux cor- cosses étaient étalés sur une grande pièce de tissus, au soleil.
nichons. Tous les ans, en été, cette récolte nous semblait Nous mélangions et retournions tout cela régulièrement
des plus injustifiée. Courbés sous le soleil matinal, il fal- et lorsque le moment était venu (c’était ma grand-mère qui dé-
lait chercher ces mini concombres en tenue de camouflage, cidait du bon moment) elle frappait dans le tas avec un bâton.
perdus au milieu des feuillages de la même couleur. Si nous Cela permettait de séparer les grains des cosses.
pouvions croquer les fruits rouges et les tomates pour nous Les grains étaient triés puis versés dans un grand sac en toile
donner un peu de courage lors des cueillettes, il n’en allait de jute qui partait au frais et à l’abri de la lumière dans le chai.
pas de même avec ces choses vertes, duveteuses et sans Il fallait surveiller la présence du charançon (bruche du haricot)
goût ! Mais ma mère ne dérogeait pas à la règle, pas question et éviter qu’il ne sorte. En mettant les tarbais au frais et dans
d’acheter des cornichons à l’épicerie du village alors qu’ils le noir, cela empêchait le développement des larves.
poussaient dans le jardin. Dans les heures qui suivaient la ré- Aujourd’hui, un petit séjour dans le congélateur règle définiti-
colte, les futurs cornichons étaient lavés puis mis au gros sel vement le problème.
durant 12 heures. En novembre, dernier tour dans les champs de maïs. La récolte
Ils étaient ensuite essuyés et frottés avec un torchon pour manuelle avec l’aide des voisins était clôturée par un casse-
enlever le duvet et aplanir les picots qui les recouvraient. Bien croûte, assis par terre au bord des champs. La charcuterie
serrés dans les grands bocaux en verre avec quelques grains maison, le fromage et les grosses miches de pain étaient de
de poivre, un brin de livèche, deux feuilles de laurier, ils étaient sortie. Vin rouge pour les adultes, eau ou limonade pour les
recouverts de vinaigre blanc. Les pots étaient rangés dans enfants. Plus tard, mon père faucherait les pieds secs qui se-
le chai. Ils y restaient au moins un mois avant de revenir vers la raient ensuite broyés et serviraient de litière pour les vaches
cuisine. Quelques rangées de salades (laitues, frisées, scarole et les cochons. Les retrouvailles entre voisins pour l’effeuillage
cornet d’Anjou) et de choux venaient compléter la liste des lé- du maïs (la déspélouquèro) étaient encore une occasion de se
gumes cultivés. Des choux verts cabus pour préparer la gar- réunir et de travailler dans la bonne humeur. La récompense
bure en hiver et des choux fourragers pour les animaux. finale se composait de châtaignes grillées ou bouillies dans
Mes parents ont d’ailleurs été très surpris puis amusés de l’eau légèrement salée parfumée au laurier… le tout arrosé de
découvrir que ce chou qu’ils cultivaient autrefois pour nour- bourrét (un vin blanc trouble et légèrement pétillant, en début
rir les animaux, était aujourd’hui appelé “kale”, vendu près de fermentation) ou de jus de pommes, pressé par mon père
de 10 euros le kilo et surtout destiné à la consommation et mon oncle Jeannot. Les châtaignes grillées fournissaient
humaine ! aussi l’occasion de batailles rangées entre les enfants, c’était
En septembre, il y avait une première récolte de haricots tar- à celui qui finirait avec le visage le plus noirci par la peau brulée
bais. Seule une petite quantité était prélevée. Ces haricots des châtaignes.

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Petits et grands s’asseyaient en cercle autour du tas d’épis, anciennes, non répertoriées dans le catalogue, si l’on veut
les plus âgés sur des chaises ou des tabourets de traite, découvrir d’autres variétés de légumes qui ne présenteront
les plus jeunes par terre. Le travail d’effeuillage était allégé pas forcément un haut potentiel de rendement mais qui ravi-
par les histoires racontées et les chansons entonnées en ront certainement nos papilles. Bonne nouvelle : après 37 ans
patois. Les plus beaux épis de maïs étaient réservés sans être d’absence, les semences paysannes devraient être de nou-
effeuillés, pour la mise en corde. Les autres, jetés dans les veau autorisées. À compter de janvier 2021, les agriculteurs bio
tichtails (paniers en lattes de noisetier), puis transvasés dans pourront vendre leurs propres semences, prélevées dans leurs
des grands sacs en toile de jute, étaient montés dans le gre- récoltes sans qu’elles soient inscrites au catalogue officiel.
nier par les hommes. Les épis étalés sur de grandes bâches
continueraient de sécher, les cordes seraient exposées, ac-
crochées à la galerie, en façade. Une façon de montrer à tous L’HISTOIRE
que la récolte avait été bonne. Les feuilles et les barbes étaient Comment dater l’apparition des premières cultures ? Peut-être
récupérées pour servir de litière aux animaux. Les épis de avec la sédentarisation des Homo Sapiens ? Difficile à affirmer,
maïs égrenés (cabelh) servaient de combustible dans la che- nombre de chercheurs et scientifiques s’interrogent. Ce qui
minée ou la cuisinière à bois. Évidemment, quelques jours est à peu près certain, c’est que les premières cultures de
plus tard, ce travail collectif avait lieu chez un autre voisin céréales et de légumineuses seraient apparues entre 8 000
ou ami. Mes grands-parents et mes parents n’achetaient pas et 6 000 ans avant J.-C. Le Croissant Fertile considéré comme
de semences. Elles étaient issues des récoltes précédentes le berceau de la civilisation est aussi le berceau de l’agricul-
et sélectionnées par leurs soins. Des échanges de plants et de ture. C’est de Mésopotamie que sont partis grand nombre
graines avaient lieu entre voisins et amis. de fruits et légumes qui se sont ensuite répandus à travers
Aujourd’hui, ce sont des multinationales qui ont le monopole le monde. Cette migration à travers les continents a permis, au
des semences, devenues produits industriels brevetés, hybri- fil des siècles, aux diverses variétés de s’acclimater. La nature
dés à outrance, stériles… Pour avoir le droit “d’exister”, et sous ou parfois la main de l’homme ont procédé aux premières sé-
couvert de “préservation de la sécurité du consommateur”, lections variétales.
les semences doivent être normalisées et inscrites au cata- Une fois de plus, les peintures murales des tombeaux égyp-
logue officiel français des espèces et variétés de plantes culti- tiens ont fait office d’encyclopédie. Les céréales (orge, blé,
vées. Près de 80 % de ces semences autorisées sont détenues épeautre…) constituaient la base de l’alimentation des
par une poignée de multinationales dont certaines, tristement Égyptiens qui cultivaient également les légumineuses : fèves,
célèbres. Les agrosemenciers favorisent les profits au détri- pois chiche, lentilles, haricots doliques… mais aussi le poireau,
ment de la biodiversité. Il ne faut donc pas s’étonner que 75 % l’ail, l’oignon, le céleri, les navets, les choux, les concombres,
des variétés aient disparu en un siècle. Il reste heureusement les pastèques et de nombreuses herbes aromatiques :
quelques associations et réseaux (le Jardin Extraordinaire, coriandre, menthe, marjolaine, laurier, aneth, etc. Cette agri-
Kokopelli, Biau Germe, la ferme de Sainte Marthe…) auprès culture s’est développée tout au long des rives fertiles du Nil,
desquels nous pouvons encore nous fournir en semences riches en alluvions.

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Nous savons de façon plus certaine que les fruits et les légumes marais sont asséchés pour gagner en surface de terres culti-
occupaient une place importante dans l’alimentation des vables. Dans le même temps, de nombreux monastères
Grecs. On trouvait dans les jardins familiaux des plantations se développent un peu partout dans le pays et jouent un
de légumes, légumineuses, herbes aromatiques, vignes, rôle essentiel dans le développement des jardins potagers.
oliviers et arbres fruitiers. L’intérêt des Grecs pour les végé- Les moines possédaient de nombreuses connaissances en
taux était tel que c’est le philosophe Théophraste qui est à matière de botanique et expérimentaient des techniques
l’origine du premier traité de botanique. Les légumes étaient nouvelles dans les jardins monastiques. Ils les organisèrent
consommés crus assaisonnés de vinaigre ou transformés en plusieurs espaces bien définis pour chaque culture. Dans
en soupes et purées agrémentées de nombreuses herbes aro- l’herbularius (jardin des simples) : les plantes aromatiques
matiques et médicinales. Les légumineuses, plus particuliè- et médicinales telles que l’anis, la menthe, la sauge ou encore
rement les fèves, les pois chiches et les lentilles occupaient le pavot. L’hortus (potager) abrite les poireaux, radis, panais,
une place prépondérante dans la nourriture des Grecs. choux, oignons, fèves, bettes, courges, etc. Et le viridarium
L’alimentation dans la Rome antique est assez semblable (verger) renferme les divers arbres fruitiers : pommiers,
à celle des Grecs, du moins dans les classes sociales les moins poiriers, noyers, figuiers, pruniers… mais aussi des vignes.
riches. Céréales et légumineuses constituent la nourriture Ces cultures permettaient aux moines de se nourrir mais
de base, les nombreuses variétés de choux sont très prisées. aussi d’approvisionner les populations alentour lors des nom-
Les plats de légumes crus sont relevés d’ail, d’herbes aroma- breuses périodes de disette.
tiques et agrémentés de vinaigrette au miel ou d’un mélange Le célèbre capitulaire De Villis a vu le jour à la demande de
d’huile d’olive et de garum (condiment à base de saumure Charlemagne qui entendait par ces décrets, réformer l’agricul-
de poisson, proche du nuoc mam). Les légumes sont consom- ture et l’administration de ses nombreux et vastes domaines.
més frais en saison mais aussi conservés dans une saumure Le roi (et empereur) liste un certain nombre d’ordres et de re-
allongée de vinaigre pour l’hiver. Le plus célèbre des cuisi- commandations allant des rendements des sols aux plantes
niers romains, Apicius, livre de nombreuses recettes à base de à cultiver en passant par la diversification des cultures selon
légumes : cardons agrémentés de rue (une plante à utili- les saisons ou encore le matériel à utiliser. Le capitulaire
ser avec beaucoup de précaution), de menthe, de coriandre, dénombre une centaine de variétés de plantes à cultiver :
de fenouil, de poivre, de miel, de garum et d’huile. Fèves cardons, choux, laitues, mauve, poireaux, ail, échalote, fèves,
et poireaux cuits avec de la mauve, assaisonnés de poivre, pois gris, arroche, fenugrec, cumin, livèche, fenouil, sabine…
de livèche, d’origan et de graine de fenouil, arrosé de garum, Dans la France médiévale, les aliments n’ont pas tous la même
de carenum (un vin doux) et d’huile d’olive. L’agronome valeur. On les classe selon une échelle hiérarchique qui mène
Columelle explique comment aménager les jardins potagers de la terre au ciel, de l’enfer au paradis. La viande est consi-
en les divisant en carrés réguliers séparés par des allées. dérée supérieure aux fruits et légumes ; les fruits supérieurs
De nombreux traités d’agronomie voient le jour à cette époque. aux légumes qui poussent en surface de la terre… eux-mêmes
Durant le Haut Moyen Âge, les seigneurs contraignent les pay- supérieurs aux légumes racines qui poussent sous terre.
sans à défricher les terres incultes et les forêts, de nombreux Ce qui sort de la terre, et pire encore qui pousse sous terre,

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est proche du diable et de l’enfer… alors que ce qui pousse haricots, maïs, piments, potirons, poivrons et pommes
dans les arbres ou vole dans le ciel (oiseaux et gibiers à de terre ! Ces tubercules auront du mal à conquérir le cœur
plume) est proche du paradis ! Les seigneurs se nourrissent de et le palais des français de l’époque. Les pommes de terre
viandes et de fruits, les paysans de légumes feuilles et racines. ont mauvaise réputation, passent pour être toxiques et pour-
Il faut attendre la Renaissance pour voir se développer raient même transmettre la lèpre ! Elles seront donc long-
en France le goût pour les légumes. Le cuisinier La Varenne temps exclusivement réservées à l’alimentation des animaux
recommande “mille sortes de légumes qui se trouvent à et petit à petit à celle des paysans. “Cette racine, de quelque
foison dans la campagne”. Les légumineuses disparaissent manière qu’on l’apprête, est fade et farineuse. Elle ne sauroit
petit à petit des assiettes pour faire place aux asperges, car- être comptée parmi les alimens agréables ; mais elle fournit
dons, artichauts, salades (laitue, pourpier, cresson, chicorée, un aliment abondant et assez salutaire aux hommes qui ne
endives) épinards, pois et autres champignons (mousserons, demandent qu’à se sustenter. On reproche avec raison à la
morilles et truffes). Le cuisinier Pierre de Lune propose des pomme de terre d’être venteuse ; mais qu’est-ce que des vents
“artichaux à la sauce blanche”, des “petits pois verts au lard”, pour les organes vigoureux des paysans et des manœuvres ?”
des “morilles en ragoust” ou encore des “concombres frits en Gabriel-François Venel (1765). De nombreuses initiatives
pasté”. Les épices s’effacent au profit des herbes aromatiques seront tentées un peu partout en France pour implanter
fraîches. Olivier de Serres jouera un rôle important dans l’évo- ce tubercule mais sans succès. Quelques provinces telles
lution de l’agriculture. L’auteur du célèbre Théâtre d’agricul- que l’Alsace, la Lorraine ou le Dauphiné l’adopteront mais
ture et mesnage des champs, prodigue de nombreux conseils il faudra attendre les grandes famines du xvıııe siècle pour que
sur la manière de choisir et d’acheter des terres, de créer un l’ingénieux Antoine-Auguste Parmentier persuade les fran-
jardin à la fois potager, médicinal et fruitier ou encore d’éle- çais de façon habile, des qualités nutritives et gustatives des
ver le “bétail à quatre pieds”. Le charentais Jean-Baptiste de la pommes de terre. Il invite les grands de l’époque à sa table et
Quintinie, jardinier en chef de Louis xıv et créateur du potager leur fait déguster les pommes de terre préparées de diverses
du roi inventera la “production à contre saison” pour répondre façons : cuites sous la cendre, bouillies, frites, en salade,
aux désirs du monarque de manger des légumes frais toute en hachis, en tourte sans oublier le pain de pommes de terre !
l’année. Il rivalisera d’ingéniosité et parviendra à faire pous- En 1795, paraît le premier livre de cuisine proposant trente-
ser des asperges (péché mignon du roi) et des laitues en dé- deux recettes à base du fameux tubercule : La Cuisinière
cembre ou encore des petits pois et des concombres en avril, républicaine. Mais ce n’est qu’à partir des années 1830 que la
en employant du fumier frais et en utilisant des cloches et des pomme de terre se retrouvera sur toutes les tables françaises,
châssis de verre. Un recueil Instruction pour les jardins frui- des plus grandes aux plus modestes.
tiers et potagers sera publié à titre posthume en 1690, par son Les légumes seront encore longtemps considérés comme
fils. Ce recueil de notes sera pour beaucoup dans le dévelop- aliments secondaires, accompagnements, décorations, garni-
pement de l’agriculture des siècles suivants. tures de viandes ou de poissons. Pour Grimaud de la Reynière,
Les voyages vers les Amériques permettent la découverte “l’homme véritablement digne du titre de gourmand, ne re-
et l’importation de nouvelles variétés de légumes : tomates, garde guère les légumes et les fruits que comme des moyens

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de se récurer les dents et de se rafraîchir la bouche, et non de saisonnalité et le terroir est devenu mondial. Pas étonnant
comme des productions capables d’alimenter un strident lorsque les grandes surfaces proposent tout au long de l’an-
appétit”. Les légumes ont pourtant été avec le pain, durant née, les mêmes fruits et légumes. En hiver : haricots verts en
des siècles, la principale nourriture des populations pauvres. provenance du Kenya ou cerises d’Amérique du Sud, arrivés de
Les topinambours et le rutabaga c’est pour les cochons. l’autre bout du monde en containers réfrigérés. En été : cerises
Le maïs c’est pour les poules ! Joseph DEGEILH et haricots verts français (espagnol ou d’Afrique du Nord).
Quand on pense qu’il suffirait que les gens arrêtent d’acheter
Certains légumes très en vogue au xvıııe et au xıxe siècle seront pour que ça ne se vende plus. COLUCHE
jetés aux oubliettes mais reviendront sur le devant de la scène
au début des années 2000. Les fameux légumes oubliés : Qui s’étonne en voyant au journal télévisé, les premières
topinambours, rutabaga, scorsonères, crosnes et autres fraises françaises récoltées sous serre en mars ? Tous ces
panais. Les modes et les goûts alimentaires sont un éternel beaux fraisiers (ou plants de tomates) croulant sous les fruits,
recommencement ! qui ont poussé hors-sol sur de la fibre de coco, perfusés
Les potagers de nos ancêtres renfermaient une très grande de produits nutritifs, sous des serres peut-être chauffées
variété de légumes ou plantes comestibles. Si actuellement, et éclairées. Quel est l’intérêt gustatif (et nutritif) de ces fruits
les français ne consomment couramment qu’une soixantaine et légumes qui n’ont jamais été au contact de la terre et n’ont
de variétés de légumes, c’est en raison de la montée en puis- probablement jamais été touchés par les rayons du soleil ? Cela
sance, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, d’une ne semble pas poser de problèmes et encore moins d’inter-
agriculture industrielle privilégiant les hauts rendements. rogations. Mais comment se préoccuper des modes de pro-
Il fallait nourrir l’Europe ravagée au sortir de la guerre. ductions lorsque l’on ne sait pas comment pousse un pied de
Le plan Marshall a apporté à la France rurale, les machines pommes de terre ? Pourquoi s’interroger sur la saisonnalité
agricoles motorisées, les plants sélectionnés et les semences quand on peut manger des tomates tout au long de l’année ?
américaines avec au final, une nouvelle façon de produire. Ne soyons pas “hors-sol”, déconnectés de la nature, nourris
La concentration industrielle, les effets de mode et la sélec- aux aliments ultra-transformés, vivants hors saison comme
tion commerciale ont éliminé de nos assiettes de nombreuses ces fruits et légumes. Retrouvons ce contact avec la terre, avec
variétés de légumes anciens. Les régions se sont spéciali- les femmes et les hommes qui la cultivent en la respectant, ré-
sées dans la monoculture intensive et petit à petit, les petits apprenons les saisons… sinon nous finirons comme ces fruits
producteurs ont été dévorés par les grandes entreprises et ces légumes, sans texture et sans goût.
agricoles. Ce modèle aurait dû être abandonné depuis long-
temps mais productivité et rentabilité sont restées les maîtres
mots de notre société de consommation au détriment de CONSEILS ET RECETTES
diversité et qualité. Quel que soit le type de conservation adopté, il faudra tou-
Mais les producteurs ne sont pas les seuls responsables, les jours choisir des légumes de saison, non tachés, non abîmés,
consommateurs ont aussi leur part. Ils ont perdu les repères mûrs mais fermes. Préférez autant que possible les légumes

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produits localement. Plus ils seront sains et de bonne qualité En dehors des classiques cornichons, câpres et petits oi-
et moins ils auront fait de kilomètres, mieux ils se conserve- gnons, vous pouvez mettre au vinaigre de nombreux fruits
ront. N’attendez pas pour les transformer, les légumes perdent et légumes : pointes d’asperges, mini pâtissons, haricots
rapidement leurs qualités nutritives et gustatives. Évitez de verts, pois gourmands, chou-fleur, poivrons, cerises, poires,
les faire attendre dans le réfrigérateur, stockez-les le minimum mangues, prunes, etc. Quelques boutons de fleurs se prêtent
de temps dans des clayettes, dans un endroit frais à l’abri de aussi à l’exercice : boutons de pâquerettes, de marguerites,
la lumière. de capucines, d’ail des ours, de pissenlits. Vous prendrez soin
de récolter ces boutons de fleurs loin de champs où des pes-
Types de conservation pour les légumes ticides auront été épandus, loin des bords de route et vous
La mise au vinaigre, le traitement thermique, la conserva- les laverez soigneusement dans un mélange d’eau et de vi-
tion dans l’huile, la déshydratation, la congélation, la lacto- naigre blanc avant toute utilisation. Le chou-fleur et le brocoli
fermentation, etc. Seuls seront abordés plus en détail la mise au seront divisés en bouquets, les choux coupés en lanières,
vinaigre, la déshydratation et le traitement thermique. de même que les poivrons. Les tomates cerise seront laissées
Le vinaigre est une des premières techniques de conservation entières, tout comme les piments, les cerises ou les prunes.
connue, puisqu’Apicius conseillait déjà de conserver les choux Les carottes seront coupées en tronçons, les mangues et les
dans un mélange de vinaigre, de garum et de livèche, dans poires en morceaux. Les haricots verts et les pois gourmands
des jarres laissées en cave. Olivier de Serres avouait sa pré- seront simplement effilés. Il faudra faire dégorger les légumes
férence pour les câpres au vinaigre dans son célèbre ouvrage dans du gros sel de préférence gris et naturel (sans additifs)
Théâtre d’agriculture et mesnage des champs. Et La Varenne pour enlever une partie de l’eau de végétation. Après les avoir
d’ajouter dans le Cuisinier françois : “Des confitures au sel et rincés et essuyés, vous les disposerez dans des pots en verre
au vinaigre très excellentes pour manger en salade au temps et ajouterez herbes aromatiques et épices au choix : estragon,
d’hyver et en tout autre.” Autant dire que la conservation dans laurier, thym, livèche, poivre en grain, clou de girofle, bâton
le vinaigre ne date pas d’hier ! de cannelle, coriandre, gingembre, graines de moutarde. Vous
Il existe de nombreux vinaigres, des plus simples aux plus so- recouvrirez ensuite avec le vinaigre de votre choix, à chaud
phistiqués, issus de vins, de cidres, d’alcools ou de céréales, ou à froid si vous voulez conserver le croquant des légumes.
parfumés au miel, à la pulpe de fruits, aux herbes aromatiques, Même chose pour les fruits, seul le dégorgement au sel n’est
aux fleurs ou aux épices. Orléans est longtemps restée la réfé- pas nécessaire. Vous rangerez vos pots dans un endroit frais
rence en matière de production vinaigrière, talonnée par Reims. et sec et laisserez reposer vos préparations au minimum un
Aujourd’hui, on trouve d’excellents vinaigres venant des quatre mois avant de les déguster. Lorsque vous aurez terminé un pot
coins du pays où des artisans vinaigriers font un travail extra- de fruits ou de légumes au vinaigre, filtrez et conservez ce vi-
ordinaire. Choisissez un vinaigre de qualité, titrant au moins naigre parfumé, vous l’utiliserez pour aromatiser vos salades
6 °C et plutôt clair si vous souhaitez préserver la couleur des et diverses préparations.
légumes et des fruits. Pour info, les degrés indiqués sur les bou- On n’attrape pas les mouches avec le vinaigre. Par contre,
teilles de vinaigre sont des degrés acétiques et non alcooliques. on peut attraper des aigreurs d’estomac. Philippe GELUCK

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