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LE CANNABIS, LES ADOLESCENTS ET LEUR FAMILLE.

Un instrument de la « politique d'aménagement des territoires »


Rodolphe Soulignac et al.

ERES | Dialogue

2007/1 - n° 175
pages 105 à 114

ISSN 0242-8962

Article disponible en ligne à l'adresse:


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Pour citer cet article :


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Soulignac Rodolphe et al., « Le cannabis, les adolescents et leur famille. » Un instrument de la « politique
d'aménagement des territoires »,
Dialogue, 2007/1 n° 175, p. 105-114. DOI : 10.3917/dia.175.0105
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Recherches et pratiques

Le cannabis, les adolescents


et leur famille.
Un instrument de la « politique
d’aménagement des territoires »

R. SOULIGNAC, D. BENGUETTAT, J-F. BRIEFER,


L. CONGIU-MERTEl, L. CORREA, B. REVERDIN,
R. KHAN, D. ZULLINO
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L’adolescence est une étape sen- et conflictualisent les relations, en
sible du cycle de vie. Entre l’enfance particulier dans la famille.
et le « leaving home », elle est défi- Les opportunités face aux mul-
nie souvent comme une crise, mot tiples choix et à l’affirmation de son
dont la double étymologie signifie à autonomie amènent le jeune à vivre
la fois changement et opportunité. ses conquêtes dans un climat de
L’adolescence devient alors une grande jubilation, avec une intensité
période de chances et de bouleverse- émotionnelle qui suscitera bien des
ments. nostalgies quelques années plus tard,
L’adolescence comme phase mais pourra aussi conduire ce jeune à
développementale est aussi souvent douter de lui, à s’interroger sur sa
décrite comme un processus : un pro- propre valeur.
cessus de subjectivation pour les Se retourner alors vers les adultes
psychanalystes, un processus d’auto- et vers la famille dont on essaye de se
nomisation pour les éducateurs, un séparer pour leur demander la sécu-
processus d’individualisation la plu- rité qui manque fait parfois appa-
part du temps, comme reflet de raître un paradoxe.
l’idéal individualiste que porte notre L’adolescence est généralement
société contemporaine. considérée comme une étape essen-
Nous envisagerons ici l’adoles- tielle à la construction d’une identité
cence un peu moins sous l’angle de propre que R. Neuburger (2000)
l’individu et un peu plus sous l’angle appelle un « moi propriétaire » d’es-
d’un processus de mise en relation à paces personnels. La métaphore ainsi
travers la métaphore des territoires. proposée n’est bien sûr pas une
Les changements physiques et vérité ontologique, et n’est le reflet
psychiques de la puberté sexualisent d’aucune réalité, elle constitue néan-

DIALOGUE - Recherches cliniques et sociologiques sur le couple et la famille - 2007, 1er trimestre
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moins une sorte de ressource qui d’appartenances et la constitution


permet d’alimenter la réflexion et d’espaces personnels se renforcent
rend possible certaines ouvertures mutuellement.
pour penser la clinique. Dans les cas inverses, le risque
Ces espaces personnels, R. Neu- est grand d’une radicalisation du
burger en définit trois : choix d’appartenance. En cas d’ad-
– un espace physique qui ne com- hésion totale à la famille, le risque
prend pas que le corps, mais aussi ses est l’émergence de toute une gamme
accessoires et prolongements depuis de pathologies psychiatriques du
le vêtement jusqu’à la chambre ; versant psychotique et dans l’adhé-
– un espace psychique, de croyances, sion à la « bande », le risque est de
de pensées, de sentiments ; voir se développer plutôt des
– un domaine de compétences, de conduites délinquantes et antiso-
savoir-faire, qui permet à l’adoles- ciales.
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cent d’une part de mieux maîtriser C’est dans ce contexte de crise

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son environnement, et d’autre part familiale et d’identité que peut appa-
de développer des expertises quasi raître la question du cannabis. Une
identifiantes de sa classe d’âge : qui étude de l’unité de recherche du ser-
mieux qu’un adolescent sait régler le vice universitaire de psychiatrie de
lecteur DVD, le MP3 ou utiliser toutes l’enfant et de l’adolescent (SUPEA) à
les options d’un téléphone portable ? Lausanne, parue en janvier 2004,
Ces territoires propres, constitu- met en évidence que sur 102 adoles-
tifs de l’identité, sont des annexions cents âgés de 14 à 19 ans, consom-
sur le territoire familial mais aussi mateurs de substances psycho-
sur le reste du monde. L’idée d’être actives, 92 % d’entre eux consom-
un individu serait ainsi le résultat ment du cannabis, dont 68 % tous
d’un processus de délimitation de les jours.
territoires. « Le Moi n’est personne En 2000, l’Institut suisse de pré-
sans les autres », nous dit J.- vention de l’alcoolisme et autres
C. Kauffman. Ces espaces sont des toxicomanies (ISPA) révèle que
conquêtes, c’est-à-dire des appro- depuis 1986, la consommation de
priations d’un certain nombre de cannabis a quadruplé en Suisse chez
valeurs, d’idéaux qui proviendront les jeunes de 15 ans, que 45 % des
des différentes sphères culturelles et jeunes de 15 à 19 ans ont consommé
notamment de la famille et du au moins une fois du cannabis et que
groupe de pairs. Une suffisante adé- 24 % sont actuellement consomma-
quation est donc utile entre les teurs alors que seulement 4 % des
valeurs familiales et celles du groupe 45-49 ans sont consommateurs de
de pairs. Néanmoins, la constitution cannabis. Le cannabis semble, au vu
d’espaces personnels donne à l’indi- du succès qu’il rencontre chez les
vidu de meilleures capacités à tolérer jeunes, jouer pour cette tranche
les conflits de loyauté entre les diffé- d’âge un rôle particulièrement utile.
rents groupes d’appartenances. Nous Le cannabis semble impliqué dans le
avons donc affaire à un mouvement processus de maturation qu’est
de balancier où le développement l’adolescence.
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Le cannabis, les adolescents et leur famille 107

Notre pratique clinique avec des qu’il peut faire partie d’un processus
familles avec adolescents fumeurs de maturation tout à fait banal.
de cannabis nous a permis d’identi- La substance peut remplir plu-
fier plusieurs types de fonctions que sieurs fonctions à la fois et ceci
peut remplir le cannabis (voir explique peut-être la popularité
schéma en annexe). qu’elle rencontre dans les groupes
Le cannabis semble s’inscrire de jeunes aujourd’hui. C’est un outil
dans trois canaux sémantiques, cha- relationnel polyvalent. Le cannabis
cun étant défini par un certain peut d’une part servir la conquête de
registre lexical : le premier canal l’intimité individuelle dans la sphère
évoque la mise à distance, la sépara- de la famille sur le mode de la trans-
tion, la différenciation ; le deuxième gression et de l’opposition ou plus
canal évoque la négociation, la mise simplement sur le mode du secret.
en tension, l’érotisation, la conflic- Et il servira tout autant à se confor-
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tualisation ; le troisième canal quant mer au groupe sur le mode de l’in-

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à lui est celui de l’imitation, du rap- différenciation et de l’imitation.
prochement, de l’indifférenciation. Du côté des espaces de l’identité
Les narrations et les mises en de compétence, le cannabis peut
relation que permettent ces trois permettre le développement de
canaux sémantiques contribuent à nombreuses connaissances sur la
construire pour l’adolescent et sa
manière de se procurer le produit,
famille des significations propices à
sur la nature des effets et la qualité
la croissance car proposant d’autres
des substances du marché. Ces com-
voies que « cannabis problème » ou
pétences sont généralement très
« cannabis solution ».
Ce qui nous a ensuite interpellés, valorisées dans les groupes de
c’est que certaines de ces fonctions- jeunes : celui qui sait où et comment
narrations vont dans le sens du pro- se procurer du produit jouit d’un sta-
cessus banal d’individuation de tut enviable.
l’adolescent : mettre un peu à dis- D’un autre côté, le cannabis peut
tance les parents, faciliter l’accès au être la manifestation d’un sentiment
groupe de pairs, favoriser le rappro- de perte de compétences suscitant
chement avec l’autre sexe et la dif- l’inquiétude des parents et les
férenciation avec les idéaux conduisant souvent à augmenter les
parentaux. contrôles, à s’immiscer dans la
Par ailleurs, d’autres fonctions- sphère personnelle de l’adolescent,
narrations consistaient en la mani- et à augmenter ainsi son sentiment
festation d’une difficulté dans le de perte de compétences.
processus : inquiéter, recentrer les Rapprochement, éloignement,
parents sur l’adolescent, retrait sco- différenciation, imitation, voilà
laire, social, désinvestissement rela- quelques-unes des fonctions que le
tionnel. cannabis peut remplir pour un ado-
Le cannabis peut représenter un lescent et justement ces fonctions
moyen d’exprimer un malaise, une sont directement impliquées dans le
souffrance, de la même manière processus d’adolescence.
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Vignette clinique 1 un adolescent dans sa famille et avec


La situation de la famille de Paul ses pairs.
L’usage de cette grille dans le
est à cet égard très illustrative.
cadre d’entretiens de famille créé un
Les parents de Paul sont venus
processus d’auto-organisation au
s’adresser à la consultation car leur
sens où Henri Atlan (2000) le
fils les inquiète au plus haut point.
décrit : une augmentation d’infor-
Ils racontent que Paul, âgé de 16 ans
mation (qui explique une complexi-
et demi, était jusque-là bon élève à
fication) en l’absence d’action
l’école et « le chouchou » de sa programmatrice de l’extérieur,
maman. Il est devenu brusquement c’est-à-dire à partir de caractéris-
très querelleur avec sa mère et ses tiques propres au système en cause.
résultats scolaires ont chuté. Les Dans une perspective postmo-
parents pensent que tout cela est en derne constructioniste, Mickael
lien avec le fait qu’il fume du can-
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White soutient que les vies

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nabis ; sa mère en a trouvé dans sa humaines sont modelées par les
chambre. De plus, Paul fréquente de significations que les hommes attri-
nouveaux copains qui ne plaisent buent à leur vécu. Les significations
pas du tout aux parents. Il a cepen- sont obtenues à partir des récits qui
dant été d’accord de venir à la donnent du sens aux expériences,
consultation car il a lu un article sur ces récits sont construits dans les
Internet à propos du cannabis et il institutions et les structures sociales,
pense pouvoir compter sur notre c’est-à-dire à partir des usages lan-
soutien pour expliquer aux parents gagiers et culturels. Les récits façon-
que le cannabis est une substance nent la vie. On comprendra dès lors
sans danger et que tous les jeunes en qu’il y a une récursivité continue
fument. Paul préfère en tout cas entre les effets vécus et les récits sur
« fumer un petit joint » que de ces effets, rendant les récits toujours
« boire du vin comme ses parents » inachevés, et le sens « définitif »
L’exploration de la situation sera toujours à venir. Cette réflexivité
alors réalisée avec le jeune et ses généralisée des relations humaines
parents, notre grille de lecture des se déclineraient pour Cronen, John-
fonctions du cannabis n’ayant son et Lannamann avec l’activation
comme objectifs que de constituer de boucles réflexives de deux caté-
des métaphores propices à la mise gories : les boucles étranges et les
en œuvre d’une relation dialogique. boucles charmées.
Watzlavich explique que pour le Une boucle étrange dénote un
psychothérapeute postmoderne, la processus réflexif ou le renverse-
guérison intervient durant le proces- ment de niveaux aboutit à un chan-
sus de recherche de sens, elle ne gement majeur de sens. Une boucle
réside pas dans la réponse. La grille charmée décrit un processus réflexif
ne constitue qu’un schéma d’inter- qui aboutit à un maintien des sens,
prétations qui est de nature à créer une généralisation.
de nombreuses significations pos- Les questions en elles-mêmes ne
sibles de l’usage du cannabis chez sont que des sondes, des stimuli, des
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inputs conversationnels. Elles ne conditions d’un dialogue dans la


suscitent une activité réflexive famille, de favoriser un processus de
qu’en connexion avec des sens compilation d’idées, de promouvoir
appartenant déjà au système de réfé- l’émergence d’histoires nouvelles
rence de la famille elle-même. moins saturées par le problème.
Les effets spécifiques des ques- Les inputs des thérapeutes, s’ils
tions sont déterminés par le client, ne sont pas neutres, doivent servir
pas par le thérapeute. de catalyseurs pour rétablir le dia-
À partir de cette vision des pro- logue dans la famille. Ils ne sont pas
cessus thérapeutiques on peut consi- des problèmes à résoudre. Un total
dérer que le mécanisme de base du de 5 séances sur 6 mois aura été suf-
changement n’est pas dans l’insight, fisant à cette famille pour mobiliser
mais dans la réflexivité, c’est-à-dire ses ressources et se réaménager pour
dans la relation. Il faudrait encore cette nouvelle étape de vie. Le tra-
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ajouter pour être plus complet dans vail des séances aura consisté à évo-

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la description d’un processus quer avec les parents en présence du
réflexif que les effets des réponses fils, qui s’est montré très intéressé,
des clients vont à leur tour détermi- comment ils s’y étaient pris pour
ner le thérapeute à poser telles ou s’autonomiser de leurs propres
telles questions. Les narrations de parents. Dans un second temps, un
chacun exerçant une influence sur travail sur les espaces communs et
celles des autres. Un processus de personnels à l’intérieur de la maison
co-construction est alors enclenché. familiale a été engagé.
Les inputs des thérapeutes dans Les parents ont rencontré les
le système pourront alors prendre la « affreux » copains du fils qui ont
forme des questions suivantes : donné un coup de main au père pour
– Monsieur, voyez si votre femme a débarrasser un garage et se sont
observé que votre fils devient plus montrés plutôt sympathiques. La
solitaire, s’enferme dans sa famille a dissout ses problèmes dans
chambre, a abandonné ses activités de nouvelles narrations.
scolaires ou quelques autres signes
qui montreraient un retrait social de
Vignette clinique 2
sa part.
– Jeune homme : qui est le plus Emma est une fille unique de
inquiet à propos du cannabis ? Est- 17 ans, en pleine révolte adoles-
ce que vous pensez que c’est parce cente. Elle et ses parents nous sont
qu’il a peur que vous vous éloignez adressés par le Service de protection
de lui ? de la jeunesse, en raison d’un délit
– Comment vous y êtes-vous prise, commis deux mois auparavant.
Madame, pour mettre un peu vos Emma avait alors entrepris un com-
propres parents à distance quand merce de drogues afin de partir au
vous étiez adolescente et que vous Brésil avec une copine.
vouliez garder des secrets ? Sous pression du juge elle
Comme le propose H. Goolis- consulte quelques fois, mais ne voit
shian, l’intention est de créer les pas le sens d’un travail psycholo-
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gique sur elle-même. Elle refuse qu’elle revendique haut et fort ? Ce


également de venir avec ses parents paradoxe n’est sans doute pas étran-
puisqu’elle cherche à tout prix à s’en ger à la façon non moins paradoxale
distancer, tout en revendiquant à de répondre qu’adoptent les parents.
corps et à cris leur soutien financier. Afin de garder un minimum de
L’essentiel du travail sera donc contrôle sur le vécu et le comporte-
réalisé avec le couple parental, sur ment de leur fille, les parents don-
deux axes : un axe transgénération- nent l’argent qu’ils savent être
nel d’une part et un axe interaction- utilisé pour l’approvisionnement en
nel actuel d’autre part. drogues et iront également jusqu’à
Les parents nous décrivent une acheter eux-mêmes le produit pour
fille n’ayant posé aucun problème lui éviter les dangers de la fréquen-
durant l’enfance. Ce calme a fait tation de ce milieu. Madame envoie
place, il y a deux ans, à des consom- son mari « espionner » sa fille pour
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mations de cannabis dans un savoir ce qui se passe.

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contexte de désinvestissement sco- Les parents constatent que leurs
laire. exigences rendent leur fille agres-
Les parents sont désemparés. sive. Ils les revoient donc à la baisse
Désemparés face à une fille qui avait et renoncent à « la voir vivre le
« tout pour réussir » et dont ils ne jour » comme eux. Nous soulignons
comprennent pas les difficultés. l’importance de maintenir le lien
Désemparés aussi face au conflit avec elle et recadrons le comporte-
majeur qui les déstabilise dans leur ment d’Emma comme une tentative
rôle parental. Ils doivent en effet de maintenir le lien et en même
gérer un enjeu de territoire de taille temps une lutte contre la dépen-
qui les place dans un dilemme. Les dance. Le père peut dès lors changer
consommations ont pris de l’am- le regard qu’il porte sur sa fille.
pleur et s’étendent à d’autres L’axe transgénérationnel a
drogues que le cannabis : ecstasy, ensuite été travaillé. Avant la nais-
cocaïne. La désinsertion sociale sance d’Emma, Madame a vécu de
gagne du terrain, les petits boulots nombreuses pertes dans sa famille,
sont lâchés les uns après les autres. la laissant quasiment seule : morts
Les parents la sentent partir vers un successives de ses parents, puis de
monde parallèle : vie nocturne, sa sœur. Emma est devenue l’être de
prises de toxiques et fréquentations tous les espoirs ; elle lui a permis de
inquiétantes. Les interactions avec traverser les deuils successifs. La
les parents oscillent entre les souffrance de Madame est d’autant
extrêmes de l’évitement et de la plus grande qu’avec les difficultés
confrontation rageuse quand Emma d’Emma, ce sont toutes les souf-
se heurte au mécontentement paren- frances liées aux pertes antérieures
tal induisant des retenues d’argent qu’elle revit actuellement, l’évoca-
de poche… tion de son histoire, le récit que
Comment ces parents vont-ils Madame en fait avec nous lui per-
pouvoir aider leur fille dans ses dif- met d’y entendre sa propre crainte
ficultés puisque c’est la liberté du sentiment d’abandon et de les
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Le cannabis, les adolescents et leur famille 111

mettre en lien avec celle de sa fille : Si le mythe dit quelque chose,


mère et fille deviennent ainsi plus c’est de façon masquée. Pour
proches l’une de l’autre. R. Barthes, le mythe est une parole,
Dans cette situation, l’enjeu est mais répétitive, non pas libératrice
bien la construction d’une identité mais fermée. Le mythe agit alors
personnelle à travers l’appropriation comme une répression.
d’espaces psychiques, physiques et Le travail thérapeutique dans
de compétences. Pour la jeune cette situation aura consisté en un
Emma, le cannabis y joue une fonc- travail de déconstruction/recons-
tion de mise à distance des parents, truction des anciens mythes fami-
tout autant que d’appel, de conflic- liaux. R. Neuburger quant à lui,
tualisation tout autant que de facili- parle de greffe mythique, pour évo-
tateur relationnel et d’identification quer le procédé narratif qui consiste
aux pairs. Nous sommes en face à rendre plus fonctionnel un énoncé
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d’une situation complexe qui utilise mythique qui s’est rigidifié.

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tous les canaux sémantiques à la fois
et dans toutes les directions fonc-
Conclusion
tionnelles, ce qui favorise le senti-
ment de confusion et d’impuissance. À travers ces deux situations cli-
Les tentatives de co-construction niques, nous pouvons voir quelques
de solutions vont nécessiter une pre- usages possibles des métaphores des
mière série d’énoncés qui vont fonctions du cannabis dans le travail
revectoriser les forces en jeu dans de « relance épistémique » de la
les inter-relations dans le sens du construction identitaire de l’adoles-
développement, voire dans le sens cent. J. Guillaumin (1979) : « la
d’un mouvement normatif de crise est toujours épistémique : rai-
construction identitaire. Au fond, la son en crise qui ne trouve plus ses
jeune Emma essaie, malhabilement, raisons et déçue perd le contact avec
de grandir. Ce qui pouvait passer les lois cachées des phénomènes. »
précédemment pour du terrorisme Dans ces deux situations, les
ne serait que l’expression de sa fra- métaphores permettent d’identifier
gilité. ce qu’il y a de règles cachées et ce
La deuxième série d’énoncés sur que ces règles contiennent de com-
l’axe trans-générationnel, permet, pétences et ainsi permettre un travail
sans trop culpabiliser, de donner de thérapeutique centré sur la mobilisa-
la responsabilité aux parents. En tion des forces de développement au
l’occurrence à la mère, ce qui lui sein de la famille.
redonne ainsi un certain pouvoir sur Aujourd’hui, l’adolescence est
la situation. En effet, elle peut déci- de moins en moins considérée
der de solder l’endettement de sa comme un passage et de plus en plus
fille en terme d’attente identitaire et comme un état d’être. On ne fait
lui rendre ainsi le travail plus aisé, la plus son adolescence, on est adoles-
fille n’étant plus assignée à consoler cent. Il est vrai que la population des
sa mère, elle pourra redevenir une 11-20 ans constitue un marché éco-
fille aimante. nomique considérable.
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112 Dialogue 175

C’est peut-être grâce à un Consultation Rue Verte


manque de rituels sociaux d’apparte- Rue Verte 2
nance disponibles que la grande dis- 1205 Genève
tribution a su proposer l’acquisition rodolphe.soulignac@hcuge.ch
de tel ou tel objet de consommation D. Benguettat,
comme un insigne d’appartenance à médecin psychiatre, chef de cli-
la catégorie « jeune ». nique, service d’abus de substances,
En effet, quel jeune ne souhaite département de psychiatrie,
hôpitaux universitaires de Genève.
pas porter vêtements et chaussures
de marques ? J.-F. Briefer
psychologue
Le problème est que de plus en service d’abus de substance
plus de parents veulent porter les département de psychiatrie
mêmes vêtements pour « faire hôpitaux universitaires de Genève
jeune », privant ainsi leurs enfants L. Congiu-Mertel
infirmière
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d’espaces où ils ne sont pas.

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Si 45 % des 15-19 ans ont service d’abus de substances,
consommé au moins une fois du département de psychiatrie
hôpitaux universitaires de Genève.
cannabis, seul 4 % des 45-49 ans en
L. Correa
consomment ; au vu de ces chiffres, médecin psychiatre
le cannabis semble être encore une chef de clinique
affaire de jeunes, mais jusqu’à Service d’abus de substances
quand ? Certains parents initient département de psychiatrie
eux-mêmes leurs enfants au canna- hôpitaux universitaires de Genève.
bis par peur de perdre le contrôle sur B. Reverdin
le jeune. psychologue
service d’abus de substances
Les tatouages et autres piercings département de psychiatrie
qui semblaient gagner du terrain hôpitaux universitaires de Genève.
dans la jeunesse ont été aussitôt R. Khan
récupérés par les adultes pour faire psychiatre
« branché ». L’intrusion parentale médecin adjoint
est de plus en plus massive sur les service d’abus de substances,
territoires des adolescents qui, pour département de psychiatrie
Hôpitaux universitaires de Genève.
un grand nombre, ne revendiquent
rien d’autre qu’une suffisante préoc- D. Zullino
psychiatre
cupation parentale à leur égard et médecin chef de service
une suffisante insouciance, créant service d’abus de substances
ainsi des territoires de sécurité avec département de psychiatrie
les parents et des territoires de hôpitaux universitaires de Genève.
découverte et d’aventure sans eux.
BIBLIOGRAPHIE
Rodolphe Soulignac BOLOGNINI, M. ; PLANCHEREL, B. ; CHINET,
psychologue L. ; DANIELE, G. ; BERNARD, M. ; CHE-
NEVARD, K. ; STEPHEN, P. ; LAGET, J. ;
service d’abus de substances HALFON, O. 2004. La consommation de
département de psychiatrie substances à l’adolescence. SUPEA.
hôpitaux universitaires de Genève Recherche OFSP n° 01.001.504.
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Le cannabis, les adolescents et leur famille 113

CABIÉ, M.-C. ; ISEBAERT, L. 1997. Pour une WHITE, M. ; EPSTON, D. 2003. Les moyens
thérapie brève, Toulouse, érès. narratifs au service de la thérapie,
CHINET, L. ; BERNARD, M. ; PLANCHEREL, Bruxelles, Satos.
B. ; STEPHEN, P. ; LAGET, J. ; HALFON,
O. 2003. « L’adolescent consommateur
de substances face au réseau de RÉSUMÉ
soins », Revue médicale de la Suisse
Romande, 123, p. 591-593. Le cannabis est envisagé ici comme un ins-
trument de la politique d’aménagement des
GERGEN, K.G. 2001. Le constructionisme territoires, au sens où R. Neuburger évoque
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Dialogue XP 175 10/04/07 10:29 Page 114

KEY WORDS
Cannabis, teenager, intimate territories, identity construction.
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