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UNE APPROCHE COGNITIVE DE LA RATIONALITÉ

Raymond Boudon

Réseau Canopé | « Idées économiques et sociales »

2011/3 N° 165 | pages 24 à 36


ISSN 2257-5111
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-idees-economiques-et-sociales-2011-3-page-24.htm
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DOSSIER I La rationalité

Une approche
cognitive
de la rationalité
Les sciences sociales ont pour objectif d’expliquer des phénomènes collectifs qui sont
l’effet de croyances et d’actions individuelles. Une question centrale pour ces disciplines
est par suite celle de l’explication desdites croyances et actions individuelles. La théorie
de la rationalité ordinaire lui apporte une réponse plus satisfaisante que les théories
courantes.

La théorie de la rationalité ordinaire Je me suis trouvé renforcé dans l’idée qu’il était
Raymond Boudon, Les sciences sociales modernes considèrent essentiel de réfléchir sur la théorie de la rationalité
professeur émérite
à l’université couramment comme allant de soi que la rationa- en constatant qu’un grand nombre de sociologues,
de Paris-Sorbonne, lité présente un caractère exclusivement instru- de philosophes politiques, voire d’économistes clas-
membre de l’Académie
des sciences morales mental. Bien des économistes, des politistes ou des siques et modernes avaient utilisé avec succès, mais le
et politiques. sociologues seraient d’accord avec la déclaration plus souvent implicitement, une théorie de la ratio-
d’Herbert A. Simon selon laquelle « la raison est nalité beaucoup plus ouverte que la théorie instru-
pleinement instrumentale. Elle ne peut nous dire où mentaliste dominante qualifiée de théorie du choix
1. « Reason is fully aller, mais seulement comment y aller1 » [1, p. 7-8]. rationnel (TCR).
instrumental. It cannot tell us
where to go; at best it can tell Cela entraîne la vue dualiste selon laquelle les indi- Supposons que X désigne un objectif, une préfé-
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us how to get there. » vidus choisissent rationnellement les moyens qu’ils rence, une opinion ou une croyance positive ou
Les chiffres entre crochets
renvoient à la bibliographie se donnent, mais ni leurs fins, ni leurs préférences, normative. Le postulat fondamental de ce que
en fin d’article.
ni les valeurs qui fondent ces préférences, ni leurs j’appelle la théorie de la rationalité ordinaire (TRO)
croyances diverses en matière de représentation est qu’un individu accepte X dès lors qu’il a plus ou
du monde ou de morale. Simon s’est rendu célèbre moins l’impression que X est la conséquence d’un
pour avoir ouvert et assoupli au maximum cette ensemble de raisons qui lui apparaissent compatibles
conception instrumentaliste de la rationalité par entre elles et acceptables et que, d’autre part, il a le
sa notion de rationalité limitée. Mais la rationalité sentiment qu’il n’existe pas à sa portée de système
limitée reste enfermée dans le cadre instrumenta- de raisons présentant les mêmes propriétés et qui le
liste et condamne le spécialiste de sciences sociales conduiraient plutôt à une conclusion différente de X :
à imputer les objectifs, les préférences, les croyances à un objectif, une opinion, une valeur, une préférence,
et les valeurs des individus à des forces irrationnelles, une croyance différente de X.
psychologiques, socioculturelles ou biologiques. Les convictions scientifiques représentent une
Bien que répandu, ce dualisme éveille un fort senti- illustration canonique de la rationalité cognitive telle
ment d’inconfort dans la mesure où il épouse une que je viens de la définir. Nous acceptons la théorie
représentation schizophrénique de l’esprit humain. pascalienne du baromètre parce que nous acceptons
L’idée que les objectifs, les préférences, les valeurs, que l’atmosphère ait un poids, que ce poids varie avec
les croyances des individus seraient explicables par l’altitude et que par suite le mercure doive monter
des effets plus ou moins mécaniques de leur socia- plus haut au pied d’une tour ou d’une montagne
lisation ou de leur environnement a été justement qu’au sommet. On connaissait cet effet bien avant
qualifiée par l’anthropologue Robin Horton [2] de Pascal et Torricelli. Les aristotéliciens expliquaient
sinister prejudice. la montée du mercure dans un tube où l’on a fait le

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La rationalité I DOSSIER

vide en évoquant l’horreur du vide qui animerait la faire X plutôt queY ou croire X plutôt que Y. Il y a dans
nature. On a là un cas trivial où l’une des explications la vie ordinaire comme dans la vie scientifique des cas
domine irrécusablement l’autre. La rationalité cogni- où l’on est sûr qu’il faut faire ou croire quelque chose,
tive commande de la préférer. C’est pour cela que il y a aussi des cas où l’on est dans l’hésitation, où X
la théorie de Torricelli-Pascal s’est irréversiblement semble seulement meilleur que Y, et des cas où l’on
imposée. ne sait vraiment pas s’il faut préférer X à Y.
Cet exemple suggère trois conclusions. D’abord Seconde remarque : le système de raisons fondant
que la conviction que la théorie de Torricelli-Pascal une décision ou une croyance dans l’esprit d’un indi-
est vraie est l’effet de raisons. En deuxième lieu, cet vidu peut être associé à des raisons plus ou moins
exemple illustre la thèse de Martin Hollis [3] selon valides et plus ou moins compatibles entre elles, mais
laquelle l’action rationnelle, ici l’adhésion à une perçues par l’individu comme formant un système
théorie, a le trait unique qu’elle est sa propre expli- de raisons acceptables. Vilfredo Pareto a insisté sur
cation ; effectivement, l’explication de la conviction ce type de situation lorsqu’il évoque par exemple les
est autosuffisante parce qu’elle est rationnelle. En raisons par lesquelles certains se sont convaincus dans
troisième lieu, la rationalité à laquelle on a affaire ici le passé que la propriété est une institution inaccep-
n’est pas la rationalité instrumentale, mais la rationa- table. Cette croyance se justifiait par un syllogisme
lité cognitive. impeccable dans la forme, mais spécieux dans le

La rationalité limitée reste enfermée



dans le cadre instrumentaliste

Le postulat fondamental de la TRO est que toute fond : est bon ce qui est naturel, la propriété n’est pas
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action sociale, qu’il s’agisse de la décision de faire naturelle, la propriété n’est pas bonne. Mais le mot
quelque chose, d’adhérer à une préférence, à une naturel n’a pas le même sens dans les deux prémisses.
opinion ou à une croyance positive ou normative, ou La majeure le prend au sens de : ce dont nous avons
à un objectif, obéit à une logique cognitive. Par action l’impression que nous nous y livrons, que nous
sociale, il faut entendre à l’instar de MaxWeber toute l’acceptons sans contrainte. La mineure le prend au
action placée sous le regard d’autrui. Étant exclusi- sens de : est naturel ce qui n’est pas création artificielle
vement concernées par les phénomènes collectifs, [4, § 1546].
les sciences sociales abandonnent à la psychologie les Le système de raisons mobilisé par un individu
actions inspirées par des motivations personnelles. peut encore être invalide d’une autre manière. Ainsi,
Il faut ajouter à ce point quelques remarques visant je puis accepter la proposition « X est vrai » sur la base
à éviter certains malentendus. d’un système de raisons, mais ignorer des raisons qui
conduiraient à une autre conclusion. Cette situation
Déviations à partir du cas idéal se rencontre dans la délibération ou dans la discussion
Le cas où un individu adhère à X parce que X scientifique aussi bien que dans la discussion et dans la
repose sur un système de raisons plus acceptable que délibération ordinaires.
tout autre système de raisons à sa portée est idéal. Il ne Les expériences de la psychologie cognitive
se rencontre à l’état pur que dans certains exemples montrent abondamment que les individus forgent
comme celui que je viens d’évoquer. Mais il ne faudrait leurs croyances sur des raisons qu’ils trouvent bonnes.
pas croire d’un autre côté qu’on ne rencontre ces cas Ainsi, dans l’une de ces expériences, on demande
purs que dans la vie scientifique. On rencontre aussi à un sujet de prédire le résultat d’une partie de pile
dans la vie ordinaire des cas où l’on n’a, par exemple, ou face utilisant une pièce biaisée où face a huit
pas la moindre hésitation sur le point de savoir s’il faut chances sur dix de tomber. Le sujet informé de ce

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DOSSIER I La rationalité

biais a tendance à prédire de façon aléatoire face huit d’être malade. Quant à la réponse correcte, elle est
fois et pile deux fois sur dix. Il est en fait préférable donnée par un peu moins d’un médecin sur cinq,
de prédire face à chaque coup. En effet, en imitant exactement par 18 %. La réponse correcte est : 2 %.
le comportement de la pièce, on a moins de sept En effet, sur mille personnes, il y a un malade et
chances sur dix de tomber juste, alors qu’on a huit cinquante faux positifs. La probabilité d’être malade
2. En effet, chances sur dix en prédisant face à tous les coups2. quand on est positif est donc de 1/(50+1), ce qui
(0,8 x 0,8) + (0,2 x 0,2)
= 0,68 La stratégie choisie donne un résultat qui n’est pas le donne une probabilité un peu inférieure à 0,02,
et meilleur, mais est-elle irrationnelle ? En fait, le sujet a soit à 2 %.
(1 x 0,8) + (0 x 0,2)
= 0,80. des raisons de croire que son choix est bon. Quatre médecins sur cinq sont donc passés à côté
Bien d’autres expériences ont montré que les de la bonne réponse. Mais ils avaient des raisons de
comportements retenus par les sujets s’éloignent de ne pas la voir : à savoir qu’un test qui a deux chances
la bonne solution. Ainsi, si l’on propose à des sujets sur cent de déceler une maladie ne mérite pas d’être
deux séquences représentant les résultats d’une partie qualifié de test.
de pile ou face telles que PPPPPPPFFFFFFF et PPFP- Au total, les expériences de la psychologie cogni-
PPPFFPPFFP, ils jugent en général la seconde plus tive donnent l’impression que l’intuition courante
probable, alors que les deux ont la même probabilité est défaillante. Mais c’est qu’elle place délibéré-
d’apparaître. La réponse est mauvaise, mais ici encore ment les répondants dans des situations de piège.
fondée sur des raisons compréhensibles : la notion de En fait, on constate dans ces trois exemples que les
hasard est normalement perçue comme contraire à la réponses fausses sont engendrées par des raisons
notion d’ordre. compréhensibles.

La TRO suggère qu’un acteur peut être



capable d’évaluer la force du système
de raisons fondant ses croyances
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ou ses décisions

Dans une célèbre expérience, John Tooby et Leda Il n’en demeure pas moins que, tout comme la
Cosmides (1992) ont posé à des médecins la question rationalité instrumentale peut être et doit être géné-
suivante : « Une maladie a un taux de prévalence de ralement perçue comme limitée, il en va de même de
1/1000. Il existe un test permettant de détecter sa la rationalité cognitive. Faute d’accès à l’information
présence. Ce test a un taux de faux positifs de 5 %. pertinente, faute de compétence cognitive et d’autres
Un individu est soumis au test. Le résultat est positif. facteurs.
Quelle est la probabilité pour que l’individu soit effec- Aussi, un individu peut croire que X est vrai ou
tivement atteint ? » que X est juste sans être sûr que sa croyance est
La question a suscité des réponses fausses dans vraiment fondée. Un individu quelconque croit
une proportion si forte que cette expérience a inté- plus facilement que 2 et 2 font 4 qu’à une croyance
ressé la presse généraliste. L’hebdomadaire The religieuse. La TRO suggère qu’un acteur peut être
Economist en a rendu compte, en adoptant malheu- capable d’évaluer de façon plus ou moins consciente
reusement l’interprétation de ses auteurs. Une la force du système de raisons fondant ses croyances
majorité de médecins croient en effet que, dans les ou ses décisions. Ainsi, il peut être conscient du
conditions décrites, le sujet positif au test a 95 % de fait que certaines des raisons sont faibles. La TRO
chances d’être réellement atteint par la maladie. Si ouvre un chemin pour donner une signification à la
l’on fait la moyenne des réponses des médecins, le notion floue mais indispensable de la force d’une
sujet positif au test se voit attribuer 56 % de chances conviction.

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La rationalité I DOSSIER

Éléments factuels et principes considèrent comme valides, mais qui ne le sont pas
Les propositions incluses dans un système de raisons pour des individus appartenant à d’autres contextes.
fondant dans l’esprit d’un individu un objectif, une Une croyance tend à s’imposer collectivement
valeur, une préférence, une opinion ou une croyance sur le long terme si elle se rapproche de la situation
appartiennent normalement à plusieurs catégories idéale de la TRO, qu’elle soit ou non dépendante du
distinctes. Certaines de ces propositions sont factuelles, contexte. Émile Durkheim [6] a exprimé cette idée
d’autres sont des principes. Les premières peuvent, au dans une formule frappée comme une médaille :
moins en théorie, être confrontées au monde réel, les « Le concept qui, primitivement, est tenu pour vrai
secondes ne le peuvent pas. Ce sont des propositions parce qu’il est collectif tend à ne devenir collectif qu’à
par essence conjecturales. La théorie du baromètre condition d’être tenu pour vrai : nous lui demandons
illustre ces catégories. Elle inclut le principe que les ses titres avant de lui accorder notre créance. »
propositions anthropomorphiques, plus précisément Cela signifie qu’une croyance collective s’impose
les causes finales, doivent être exclues de l’explication dans tous les cas sur la base d’un système d’arguments
des phénomènes naturels et de la proposition factuelle donné, dès lors que l’individu quelconque ne lui voit
selon laquelle l’air est pesant. pas de concurrent sérieux. Mais, selon les circons-
L’histoire des sciences donne donc une illustration tances et les sociétés, la discussion peut être ouverte,
parlante de ces distinctions. « Il n’y a pas de science comme dans les débats scientifiques des sociétés
sans présupposé3 », a écrit justementWeber [5, p. 41]. modernes, ou enfermée dans le cadre d’un contexte 3. « Keine Wissenschaft ist
voraussetzunglos. »
Cela pose la question de savoir si la préférence d’un social particulier.
principe contre un autre peut être considérée comme Ces distinctions permettent de définir quatre cas
rationnelle. La question concerne ici encore la pensée idéaux. Une croyance peut être fondée sur des raisons
ordinaire comme la pensée scientifique. fortes et indépendantes du contexte. L’objectif des
La rationalité de la préférence d’un principe contre sciences est de proposer des croyances de ce type.
un autre repose en fait sur le métaprincipe selon Une croyance peut aussi être fondée sur les raisons
lequel le premier est préférable s’il paraît conduire indépendantes du contexte, mais faibles. L’idée que
à des théories plus acceptables que son concurrent. la propriété n’est pas naturelle a été développée
Comme l’univers des théories inspirées par un prin- dans des contextes divers, mais elle est fondée sur
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cipe est ouvert, il n’est jamais possible de considérer des arguments douteux. Une croyance peut encore
qu’un principe est vraiment démontré. Mais il peut être assise sur des raisons perçues comme fortes,
être fondé sur des raisons fortes. mais dans certains contextes seulement. Ainsi, selon
Durkheim, les croyances en l’efficacité des rituels de
Convictions contextuelles pluie sont fondées dans l’esprit de ceux qui y adhè-
et non contextuelles rent sur des raisons dont on peut comprendre qu’ils
La rationalité cognitive peut être ou non dépen- les tiennent pour valides, mais on n’y croit que dans
dante du contexte dans lequel sont immergés des indi- certains contextes. Les croyances peuvent enfin être
vidus. Ainsi, les sociétés modernes sont imprégnées fondées sur des raisons faibles qui ne sont acceptées
de pensée scientifique. Ce n’est pas le cas des sociétés que dans certains contextes. Ainsi, selon Alexis de
traditionnelles. Une croyance est qualifiée de scien- Tocqueville, les fonctionnaires français ont tendance
tifique si elle est indépendante du contexte : si elle à penser que seul l’État est habilité à assumer certaines
a vocation à être considérée comme valide par tout fonctions car, selon eux, il serait désintéressé alors que
être humain. D’autres croyances ont pour causes des les entreprises privées ne rechercheraient que leur
raisons que les individus appartenant à un contexte profit propre.

Système de raisons Fort Faible

Le baromètre monte sous l’effet du poids


Non contextuel La propriété n’est pas naturelle.
de l’atmosphère.

Les danses de pluie facilitent la chute


Contextuel Seul l’État est désintéressé.
de la pluie.

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DOSSIER I La rationalité

La thèse principale de la théorie que les religions attribuent à leurs dieux ; évoquant
de la rationalité ordinaire l’épisode de la multiplication des pains, il déclare vers
Tenant compte de ces remarques, la thèse princi- la fin du iie siècle : « Ce sont là des tours d’adresse
pale de la TRO est de nouveau que les raisons dans qu’accomplissent les magiciens ambulants. » Mais
l’esprit d’un individu sont les causes de ses prises de c’est seulement à partir du moment où les sciences se
position, de ses décisions, de ses préférences, ainsi que sont imposées que la distinction entre phénomènes
de ses convictions normatives et positives. explicables dérivant de lois naturelles et phénomènes
Dans ce qui suit, j’essaierai de suggérer par une inexplicables s’est installée.
suite d’exemples empruntés à des chapitres divers des Pourquoi la notion de miracle n’est-elle pas malgré
sciences sociales que la TRO est le meilleur candidat tout complètement évacuée, peut-on se demander
pour devenir la colonne vertébrale des sciences en prolongeant Durkheim ? C’est que les sciences
sociales. Je considérerai successivement des exemples n’expliquent pas tout. L’on n’imagine même pas
où le X à expliquer consiste en des croyances repré- qu’elles puissent jamais tout expliquer. D’autre part,
sentationnelles, des croyances normatives, des phéno- la philosophie des sciences moderne a éliminé le
mènes de consensus, des tendances de moyen et de scientisme, à savoir la doctrine selon laquelle seule
long terme, des objectifs personnels et des solutions la connaissance scientifique serait fiable. Enfin, elle
pratiques à des dilemmes classiques de l’interaction préfère désormais la notion de mécanisme, les méca-
sociale comme le dilemme du prisonnier. J’essaierai nismes darwiniens par exemple, à celle de loi. Or les
de montrer que la TRO fournit un cadre théorique mécanismes responsables de bien des phénomènes
efficace à l’intérieur duquel des phénomènes variés complexes, comme l’apparition de l’œil, restent
relevant des sciences sociales peuvent être expliqués. largement inconnus. C’est pourquoi l’argument de

La TRO est le meilleur candidat pour devenir



la colonne vertébrale des sciences sociales

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Les représentations comme produits Jean-Jacques Rousseau selon lequel on ne saurait
de la rationalité ordinaire davantage expliquer l’apparition de la vie par le hasard
Je commencerai par des exemples où le X à expli- qu’on ne peut espérer récrire l’Iliade en combinant au
quer est une croyance pouvant être exprimée par une hasard les lettres de l’alphabet conserve une certaine
proposition de type « X est vrai ». Je ne reviens pas force de conviction. Bref, un ensemble de données
aux convictions scientifiques. Je considérerai deux expliquent que les Églises soient prudentes s’agis-
exemples ayant affaire à des convictions spontané- sant de la reconnaissance de miracles dans le monde
ment perçues comme irrationnelles. moderne, mais aussi qu’elles ne renoncent pas pour
autant à l’idée que des interventions divines puissent
Les croyances aux miracles interrompre le cours normal des choses, puisque cela
Pourquoi, se demande Durkheim [6], croit-on à reviendrait à sacrifier la notion de la toute-puissance
l’existence des miracles depuis les temps bibliques de Dieu.
jusqu’au xviiie siècle ? Sa réponse : tant que la notion
de loi de la nature ne s’était pas imposée, les phéno- Les paysans contre le monothéisme
mènes naturels étaient expliqués par l’action des Pourquoi, se demandeWeber [7], les officiers et les
esprits et des dieux ; il n’était donc pas envisageable fonctionnaires romains sont-ils attirés par les cultes
d’opposer phénomènes résultant de lois naturelles monothéistes importés du Moyen-Orient comme le
et phénomènes n’en résultant pas. Certes, les incré- culte de Mithra, alors que les paysans y sont dura-
dules sont de tout temps, comme le philosophe latin blement hostiles et restent fidèles à la religion poly-
Celse, qui ne voyait que supercheries dans les prodiges théiste traditionnelle ? L’hostilité de ces derniers au

28 idées économiques et sociales I n° 165 I septembre 2011


La rationalité I DOSSIER

christianisme était si profonde que le mot paganus Comme dans le cas des croyances représentation-
(« paysan ») a fini par désigner les adversaires du nelles : 1) cette situation est idéale ; 2) il est diffi-
christianisme, les païens. cile dans de nombreux cas de décider si un système
S’agissant des paysans, Weber explique que d’arguments est préférable à N et si N est préférable
l’imprévisibilité des phénomènes naturels, qui à N’ ; 3) un système de raisons peut être défectueux
domine leur activité, leur paraît incompatible avec et 4) être contextuel ou non.
l’idée que l’ordre des choses puisse être soumis à une On peut illustrer par un exemple tiré d’Adam
volonté unique obligatoirement dotée d’un minimum Smith [8, livre I, chap. x, p. 151-209]. Il se demande
de cohérence. Ils acceptèrent plus facilement le chris- pourquoi les Anglais de son temps considèrent comme
tianisme dès lors qu’une foule de saints lui redonna légitime que les mineurs soient confortablement payés
un caractère polythéiste davantage compatible avec et les soldats modestement rémunérés. Comment
leur expérience. expliquer ces croyances collectives ? Sa réponse : la
En un mot, les paysans romains fondent leurs plupart des Anglais n’étant ni mineurs ni soldats et
croyances sur un système de raisons qui leur paraissent n’étant par suite pas directement concernés par la
valides. Il en va de même des officiers et des fonction- question sont dans la position du spectateur impar-
naires : avec son côté hiérarchique et ses rites d’initia- tial. Leur sentiment est donc fondé sur un système de
tion impersonnels, le culte de Mithra leur paraissait raisons de bon sens qui tendent à être partagées.
refléter fidèlement l’organisation de l’Empire romain Ce système est le suivant : le salaire est la rémuné-
dans un registre symbolique. Cela devait par la suite ration d’un service rendu. À service équivalent, les
faciliter la diffusion du christianisme parmi eux. La salaires doivent être équivalents. Dans la valeur d’un
contextualité de ces croyances ordinaires n’implique service rentrent divers éléments, notamment la durée
pas qu’elles soient irrationnelles. d’apprentissage qu’il implique et les risques auxquels
il expose celui qui le rend. Dans le cas du mineur et du
La rationalité axiologique soldat, les durées d’apprentissage sont comparables
Une autre thèse essentielle de la TRO est que les et, dans les deux cas, l’individu risque sa vie. Mais
convictions normatives font également partie de son les activités en question se distinguent par d’autres
domaine d’application. traits. Le soldat garantit l’existence de la nation, tandis
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Formellement : soit un système d’arguments conte- que le mineur exerce une activité orientée vers la
nant au moins une proposition normative ou évaluative production de biens matériels moins fondamentaux
et concluant à la norme ou au jugement de valeur N, que l’indépendance nationale. En outre, la mort du
toutes les composantes du système étant acceptables mineur fait partie des risques du métier : elle est un
et compatibles. La rationalité axiologique veut qu’on accident. Le soldat, lui, s’expose à la mort pour le
accepte N si aucun système d’arguments condui- salut de la patrie : sa mort est un sacrifice, que son
sant à préférer N’ à N n’est disponible. À quoi il faut engagement soit volontaire ou non. Il est donc habi-
ajouter que, dans le cas de la rationalité axiologique lité à recevoir le respect, la gloire et les symboles de
comme dans celui de la rationalité cognitive, nous ne reconnaissance qui sont dus à celui qui met sa vie en
percevons des raisons comme telles que si nous avons jeu pour la collectivité.
l’impression qu’elles ont vocation à être partagées. Il résulte de ces arguments et du principe de
Cette définition de la rationalité axiologique est l’égalité entre contributions et rétributions que, ne
idéale. Comme les croyances représentationnelles, pouvant recevoir ces marques symboliques de recon-
les croyances axiologiques peuvent être indécidables : naissance et accomplissant un travail aussi pénible
lorsqu’il est pratiquement impossible de trancher et aussi risqué, le mineur doit recevoir en une autre
entre deux systèmes d’arguments. Les raisons fondant monnaie les récompenses qu’il ne peut recevoir en
une croyance peuvent aussi être biaisées sous l’action gloire. C’est pourquoi il doit être mieux payé que le
de divers mécanismes. Mais l’adhésion à une croyance soldat.
est toujours l’effet de raisons. Et, comme dans le cas Cette analyse montre que le consensus sur la
des croyances représentationnelles, la force de ses proposition que les mineurs doivent être davantage
croyances se mesure dans l’esprit de l’individu à leur payés que les soldats est la conséquence de données
écart par rapport à la situation idéale. de fait et de principes facilement acceptables. C’est

septembre 2011 I n° 165 I idées économiques et sociales 29


DOSSIER I La rationalité

aussi sous l’effet de raisons que l’exécuteur public, comme injustes par la raison qu’elles résultent de la
explique Smith, doit recevoir un bon salaire : sa quali- demande de leur public. En principe, il faut que, à
fication est minime, mais il exerce « le plus répugnant contribution identique, la rétribution soit identique.
de tous les métiers ». Mais on ne considère pas comme injuste que deux
Michael Walzer [9] s’interroge, lui aussi, sur des personnes exécutant les mêmes tâches soient rému-
sentiments moraux dont on peut présumer qu’ils sont nérées différemment selon qu’elles appartiennent à
partagés et en propose, lui aussi, une explication judi- une entreprise ou à une région florissante ou non.
catoire, pour employer le terme par lequel Montaigne On ne considère pas non plus comme injustes des
désignait les explications fondées sur des raisons ayant différences de rémunération concernant des activités
vocation à être partagées. incommensurables.Ainsi, il est difficile de déterminer
Pourquoi, se demandeWalzer, le public considère- si un climatologue doit être plus ou moins rémunéré
t-il la conscription comme acceptable s’agissant des que le gérant d’un supermarché. On ne considère pas
militaires, mais non des mineurs ? La réponse est, ici non plus comme injustes les inégalités dont on ignore
encore, que l’activité du soldat est plus centrale que l’origine et dont on ne peut par suite déterminer si
les activités de caractère économique. Si l’on appli- elles sont fonctionnelles ou non.
quait la conscription à telle activité économique parti- On considère en revanche comme injustes les
culière, on serait en droit de l’appliquer à toutes : cela inégalités perçues comme des privilèges. Ainsi, les
reviendrait à la limite à justifier le travail forcé. parachutes dorés que certains chefs d’entreprise
On explique aussi par des raisons fortes, se font octroyer par un conseil à la composition
ajouterai-je dans un exemple de mon cru, le fait qu’on duquel ils ne sont éventuellement pas étrangers sont
accepte facilement que les conscrits puissent être particulièrement mal perçus, surtout lorsque leurs
affectés à des tâches de police urbaine s’ils s’y portent contributions ne sont guère visibles.
candidats ou que l’armée soit chargée de ramasser les Le voile d’ignorance évoqué par John Rawls [10]
poubelles lorsqu’une grève des éboueurs se prolonge, dans sa théorie de la justice introduit une fiction
entraînant des risques pour la santé publique. Mais on analogue à celle du spectateur impartial de Smith.
n’admettrait pas que la police urbaine ou le ramassage Cette dernière a inspiré divers travaux qui permettent
des ordures soient des activités normalement assurées de préciser la notion de rationalité axiologique.
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par la conscription.
Ces évidences morales sont fondées sur des Le consensus :
raisons. Elles se présentent comme les corollaires de produit de la rationalité ordinaire
principes que le spectateur impartial peut facilement La TRO permet aussi de comprendre pourquoi
considérer comme acceptables. certaines institutions, certaines mesures et certains
états de choses donnent naissance à un consensus,
Égalité et équité souvent après de longues discussions, voire de longs
Selon diverses enquêtes, le public distingue claire- combats.
ment entre plusieurs sortes d’inégalités et n’assimile
inégalité et injustice que dans des cas bien déterminés. L’exemple de l’impôt sur le revenu
C’est qu’il y a derrière les sentiments de justice ou Les sociétés démocratiques ont longtemps débattu
d’injustice suscités par telle ou telle forme d’inégalité dans le passé de la pertinence de l’impôt sur le revenu.
des raisons ayant de bonnes chances d’être approuvées On en a contesté le principe. Lorsqu’on l’a accepté,
par le spectateur impartial. on l’a voulu d’abord proportionnel. Aujourd’hui, un
Ainsi, les inégalités fonctionnelles ne sont pas consensus général s’est établi sur l’idée que l’impôt
perçues comme injustes : le public admet que les sur le revenu est une bonne chose, et qu’il doit être
rémunérations soient indexées sur le mérite, les modérément progressif. Si un consensus a fini par
compétences ou l’importance des services rendus. s’établir sur ce point, c’est qu’on discerne au fonde-
Ne sont pas non plus perçues comme injustes les ment de cette conviction collective un système de
inégalités résultant du libre choix des individus. Les raisons qu’approuverait le spectateur impartial.
rémunérations des vedettes du sport ou du spectacle Les sociétés modernes sont grossièrement compo-
sont considérées comme extravagantes mais non sées, comme Tocqueville l’avait déjà relevé, de trois

30 idées économiques et sociales I n° 165 I septembre 2011


La rationalité I DOSSIER

classes sociales. Celles-ci entretiennent entre elles La rationalisation des idées morales,
des relations à la fois de coopération et de conflit. Il politiques et juridiques
s’agit : des riches, qui disposent d’un surplus signifi- La théorie de la rationalité ordinaire permet aussi
catif éventuellement convertible en pouvoir politique de comprendre les raisons d’être de certaines évolu-
ou social ; de la classe moyenne, qui ne dispose que tions à long et moyen termes des institutions et des
d’un surplus limité, insuffisant pour être converti en mœurs.
pouvoir ; des pauvres [11]. Car l’évolution morale, sociale, politique et juri-
La cohésion sociale et la paix sociale du côté des dique des sociétés ouvertes est pilotée par un méca-
effets attendus et le respect de la dignité de tous du nisme fondamental à deux temps : innovation, puis
côté des principes impliquent que les pauvres soient sélection rationnelle des idées ou des institutions
subventionnés. Par qui ? Au premier chef par la classe nouvelles sous le regard du spectateur impartial.
moyenne, en raison de son importance numérique. C’est le sens que l’on peut donner à la « rationalisa-
Mais la classe moyenne n’accepterait pas d’assumer tion diffuse » (Durchrationalisierung) qu’évoqueWeber.
sa part si les riches ne consentaient pas à participer de Il faut ajouter que l’évolution morale, sociale, poli-
leur côté à la solidarité à un niveau plus élevé. Il résulte tique et juridique des sociétés peut être plus ou moins
de ces raisons que l’impôt doit être progressif. D’un rapide et aussi être contrecarrée par des conjonctures
autre côté, il doit être modérément progressif. Sinon, défavorables.

La théorie de la rationalité ordinaire



permet aussi de comprendre les raisons d’être
de certaines évolutions à long et moyen termes
des institutions et des mœurs

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un autre principe fondamental, le principe d’effi- Pour illustrer ce processus de rationalisation
cacité, serait violé. La classe riche aurait en effet la diffuse, on peut évoquer un principe mobilisé dans
possibilité, au cas où l’impôt lui paraîtrait trop lourd, l’exemple tiré de Smith : celui de l’égalité entre rétri-
d’expatrier ses avoirs : un effet négatif du point de vue butions et contributions. Non seulement il est compa-
de la collectivité. tible avec la notion de la dignité de la personne, mais
Sans doute certains citoyens s’opposent-ils à ce il en est une traduction dans le registre particulier
consensus et certains économistes recommandent- des règles présidant aux échanges. Car, si la notion de
ils de revenir à un impôt proportionnel (flat tax), dignité traduit une demande constante et vague, son
d’autres, peu nombreux, proposant purement et contenu s’est précisé par la formulation progressive
simplement d’abolir l’impôt sur le revenu. Mais c’est de principes réglant la vie morale, sociale, politique
qu’ils s’en tiennent à des considérations de caractère et juridique.
instrumental et ignorent la dimension axiologique de Le principe de la séparation des pouvoirs est un
la question : ils s’attachent aux effets et méconnaissent autre exemple canonique d’un principe qui s’est
les principes. progressivement imposé dans les sites qui lui étaient
Cette analyse en termes de raisons explique propices parce qu’il renforce cet aspect de la dignité
d’autres données, par exemple que les différences de la personne qu’est son exigence de ne pas être
s’agissant du poids et de la progressivité de l’impôt sur asservie au pouvoir politique. Il s’est difficilement
le revenu entre les sociétés scandinaves et les sociétés imposé. L’histoire de sa mise en œuvre n’est pas
de l’Europe continentale tendent à se réduire sous achevée et ne le sera jamais, même dans les démo-
l’effet du principe d’efficacité. craties les mieux implantées. Mais, en dépit de ces

septembre 2011 I n° 165 I idées économiques et sociales 31


DOSSIER I La rationalité

hésitations, il est désormais aussi solidement installé condamne peut nuire à autrui, étant entendu qu’on ne
dans les esprits de la plupart des citoyens des démo- peut admettre que choquer autrui dans ses opinions
craties modernes que la théorie de la composition de revienne à lui nuire, puisque cela contredirait le prin-
l’air de Lavoisier. Il en va de même du parlementa- cipe de la liberté d’opinion, lui-même expression de
risme, du suffrage universel et de l’ensemble des insti- la notion de dignité de la personne.
tutions fondamentales de la démocratie. Elles ont été Le programme défini par la notion de la dignité de
sélectionnées parce qu’elles ont pour effet de cana- la personne est donc bien soumis, lorsque les circons-
liser et d’adoucir les conflits sociaux et politiques, de tances s’y prêtent, au processus de rationalisation
réduire la violence publique, de faciliter la production diffuse qu’évoque Weber. Il explique que certaines
des richesses et par là de satisfaire au principe de la idées s’installent de façon irréversible dans l’esprit
dignité de l’être humain. public.
L’effacement de la peine de mort est un autre
exemple de rationalisation. On l’a abolie dans un Les objectifs personnels :
nombre croissant de démocraties parce que son produits de la rationalité ordinaire
efficacité dissuasive est selon les enquêtes sujette LaTRO permet donc d’expliquer efficacement les
à caution. Et aussi parce qu’elle rend l’erreur judi- croyances représentationnelles, y compris lorsque
ciaire irréparable. Or, dès qu’on peut imaginer une celles-ci donnent le sentiment de l’irrationalité. Elle
peine réparatrice moins sévère et aussi efficace, cette peut aussi expliquer les objectifs poursuivis par un
dernière tend à être sélectionnée par le spectateur individu, là où les théories d’inspiration instrumen-
impartial : par la rationalité ordinaire. tale ne le peuvent pratiquement que dans le cas de
Certains justifient la peine de mort par des raisons l’addiction.
religieuses. Mais le principe de la liberté de pensée Je me permettrai d’évoquer à titre d’exemple l’hy-
implique qu’aucune sanction ne peut être considérée pothèse développée dans mon Inégalité des chances [12],
comme acceptable du seul fait qu’elle se fonde sur selon laquelle les adolescents tendent à fixer le niveau
des principes religieux. Car aucune religion n’étant social ou le type d’activité professionnelle qu’ils
démontrable, ses principes ne peuvent être imposés visent en prenant pour point de référence le type de
sans contrevenir au principe de la liberté de pensée, statut et d’identité sociale atteint par les personnes
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lui-même déclinaison du principe de la dignité avec lesquelles ils sont en relation. Ensuite, ils tentent
humaine. d’estimer la probabilité pour eux d’atteindre le niveau
Certes, des conjonctures défavorables peuvent d’instruction leur donnant de sérieuses chances
faire que l’opinion souhaite rétablir la peine de mort d’atteindre ou de dépasser ce type de statut.
lorsqu’elle a été ébranlée par un crime odieux. Mais Ce système de raisons permet de reproduire
on peut remarquer que les politiques européens se nombre de données statistiques. Il explique l’inégalité
sont toujours abstenus de la tentation de revenir sur des chances scolaires mieux que des facteurs couram-
l’abolition. Par conviction personnelle sans doute. ment évoqués, comme les acquis cognitifs transmis
Mais aussi parce qu’ils pressentaient qu’une fois l’émo- à l’enfant par la famille ou les valeurs caractérisant
tion collective apaisée, le spectateur impartial réappa- les différentes catégories sociales. Si l’on parvenait à
raîtrait sur la scène politique et les désavouerait. le neutraliser, on réduirait bien davantage l’inégalité
On le voit : les processus de formation et de sélec- des chances qu’en essayant de compenser les diffé-
tion des idées ne sont pas d’une nature foncièrement rences d’aptitude à l’école résultant de différences
différente dans le cas des idées scientifiques et dans dans les apprentissages cognitifs au sein de la famille.
celui des idées juridiques et politiques. Après d’autres,Volker Müller-Benedict [13] vient de
Il en va de même des idées morales : les enquêtes confirmer la validité de ce modèle.
montrent que l’on observe dans les démocraties une Il faut toutefois reconnaître que le détail des choix
rationalisation progressive de la vie morale au sens opérés par un individu en matière de valeurs échappe
où l’on tend vers une morale fondée sur le prin- pour une large part à l’analyse scientifique. Certains ont
cipe cardinal que tout ce qui ne nuit pas à autrui est le sentiment de se réaliser dans l’humanitaire, d’autres
permis. D’où le statut de tabou affecté à tout interdit dans l’aventure, d’autres dans le crime, d’autres dans
dont on ne voit pas en quoi le comportement qu’il le savoir. Mais ce « polythéisme des valeurs » (Weber)

32 idées économiques et sociales I n° 165 I septembre 2011


La rationalité I DOSSIER

caractérise les seuls processus individuels de valorisa- La TRO évacue également le postulat de la TCR
tion, non les processus collectifs : il existe certes des selon lequel l’égoïsme devrait être considéré comme
monomaniaques de la collection de timbres-poste, le trait dominant de l’être humain. Selon la TRO,
mais ils ne peuvent prétendre à la même reconnaissance l’action sociale de l’individu peut certes être motivée
sociale que le pianiste ou le chirurgien. par des objectifs égoïstes, mais aussi par des raisons
partagées.
Les mérites de la TRO Point n’est donc besoin pour échapper aux
La TCR peut être tenue comme un cas particulier faiblesses de la tradition utilitariste de supposer l’homo
de la TRO. Lorsqu’une décision ne comporte que des sociologicus habité par le souci du don ou par la sollici-
croyances triviales, laTCR suffit. Elle suffit à expliquer tude (care). Il est préférable de s’en tenir sur ce point à
qu’on regarde à droite et à gauche avant de traverser. l’hypothèse de la sympathie telle que définie par Smith
Ce comportement implique des croyances, mais elles ou par Rousseau. Le réalisme invite à conjuguer le
sont triviales. Dès qu’une décision comporte des rationnel et l’affectif. C’est le binarisme caractéris-
convictions ou des opinions qu’il faut expliquer, la tique de l’idéologie qui tend à les opposer. La réaction
TCR devient inopérante. De plus, la TRO comporte affective que provoque l’injustice est-elle dépourvue
des avantages décisifs par rapport à la TCR. de raisons ?

La TCR peut être tenue comme un cas



particulier de la TRO

Dissiper le solipsisme Éviter le psychologisme
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La TRO dissipe d’abord des contresens courants La TRO a aussi le mérite d’éviter l’objection du
sur l’individualisme méthodologique (IM). L’IM psychologisme. Elle reconnaît qu’une croyance
propose en fait d’appliquer aux sciences sociales un collective de type « X est vrai » ou « X est juste »
principe valable pour toute science. Le biologiste qui s’explique non par la mise en œuvre de ressorts
a observé une corrélation entre un régime alimen- psychologiques irrationnels, mais par des raisons :
taire et la survenue d’une maladie cherche à identi- celles par exemple qui portent à croire à l’existence
fier les causes responsables de la corrélation au niveau de l’âme ou à la désirabilité de la démocratie.
cellulaire. Durkheim explique de même les corréla-
tions qu’il relève dans Le Suicide par des mécanismes Éviter les théories procédurales
psychologiques se déployant au niveau individuel. Dans un autre registre, la TRO évite les faiblesses
Ainsi, le protestant est davantage que le catholique des théories procédurales, comme celle de Jürgen
exposé au doute, à l’angoisse et par suite au suicide Habermas. Ces théories postulent que certaines
parce qu’il doit interpréter la volonté de Dieu plutôt représentations et évaluations sont partagées si et
que se borner à la recevoir. seulement si elles peuvent être considérées comme
Dans la version TRO de l’IM, les individus échap- engendrées par des procédures faisant l’objet d’un
pent au solipsisme auquel les condamne la TCR. La consensus. En fait, il faut rayer le « seulement si » de la
TRO conçoit en effet leurs représentations et leurs phrase précédente. Les représentations scientifiques
évaluations comme se greffant sur des raisons qu’ils sont certes engendrées par des procédures faisant
appréhendent comme valides et par suite comme l’objet d’un consensus parmi les scientifiques. Mais,
ayant vocation à être partagées. La version TRO de comme Pareto l’a relevé, l’histoire des sciences est
l’IM discrédite les poncifs opposant l’individu et la un cimetière d’idées fausses. Une procédure valide
société ou l’individu et la personne. ne peut donc garantir la validité des conclusions

septembre 2011 I n° 165 I idées économiques et sociales 33


DOSSIER I La rationalité

auxquelles elle donne naissance. La boutade de Pareto de faire entre le faiseur de feu et le faiseur de pluie
s’applique évidemment aux croyances normatives la différence que l’homme moderne établit sponta-
et généralement axiologiques tout autant qu’aux nément. La cause des différences entre les croyances
croyances scientifiques. des uns et des autres réside dans une différence de
L’engouement actuel pour la rationalité procédu- disposition cognitive. Les uns et les autres sont en effet
rale et le dédain dont la rationalité substantielle est caractérisés par des cadres ou des schèmes cognitifs
l’objet sont surtout l’effet du relativisme ambiant. La différents. Mais ici ces cadres sont observables : il
rationalité de long terme est de caractère substantiel, n’y a aucun doute que l’homme moderne connaît et
la rationalité procédurale ne pouvant que faciliter que le primitif ignore les lois de la transformation de
l’accès au vrai. Car la vérité n’est pas le produit du l’énergie. C’est pourquoi le premier voit le faiseur
consensus, mais le consensus le produit de la vérité. de feu comme rationnel et le faiseur de pluie comme
irrationnel, alors que le second n’a aucune raison de
Éviter les variables dispositionnelles faire cette différence.
verbeuses Autre exemple  : les pharisiens croyaient à
Les théories qui, comme la TCR, adoptent une l’immortalité de l’âme, les sadducéens n’y croyaient
conception instrumentale de la rationalité doivent par guère. Cela résulte, explique Weber [7], de ce que les
la force des choses introduire des variables disposition- premiers étaient en majorité des commerçants, les
nelles (cadre, frame, habitus, etc.) pour rendre compte seconds constituant le vivier d’où étaient puisées les
des aspects du comportement qui ne relèvent pas de élites politiques. Les premiers rencontraient couram-
la rationalité instrumentale. Or ces variables se heur- ment dans leur activité professionnelle l’exigence
tent à des difficultés logiques et empiriques. Difficultés de l’équité des échanges. Ils étaient donc heureux
logiques : elles sont facilement ad hoc et tautologiques. d’apprendre que l’âme est immortelle, puisque cela
Difficultés empiriques : une expérience psychologique leur permettait d’espérer que les mérites et les démé-
quelconque peut provoquer plus tard de la part du rites qui n’avaient pas reçu leur juste sanction ici-bas
sujet une réaction donnée ou son contraire. L’enfant pourraient faire l’objet d’une révision dans l’au-delà.
qui a connu une enfance douloureuse peut manifester Les sadducéens n’avaient pas, eux, les mêmes raisons
à l’âge adulte une attitude de cruauté ou de générosité. d’y adhérer. Weber explique ici l’existence de rela-
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Celui qui a reçu une éducation autoritaire peut devenir tions causales entre contexte et croyances à partir des
un adulte autoritaire ou libéral, tout comme celui qui raisons plausibles qu’il impute aux deux catégories
a reçu une éducation libérale. Tout au plus peut-on sociales. Sa démarche n’a donc rien à voir avec celle
observer une corrélation faible et variable d’une étude qui consiste à forger de toutes pièces des variables
à l’autre entre ces couples de variables. On déduit de dispositionnelles (mentalité primitive, cadre mental,
ces observations familières que les variables disposi- frame, framework, habitus, schème, etc.) dont la crédi-
tionnelles ont facilement un caractère équivoque. Elles bilité repose de façon circulaire sur les phénomènes
sont le talon d’Achille des sciences sociales. qu’elles sont censées expliquer.
C’est parce qu’il en est conscient que Weber ne Karl Raimund Popper (1976) a dénoncé avec force
les mobilise jamais dans ses analyses. Son axiome les dégâts causés par ces variables occultes sur la soli-
selon lequel le sociologue doit traiter tout compor- dité et l’image des sciences sociales. Il retrouve sans le
tement comme en principe compréhensible revient savoir une complainte d’Auguste Comte qui conserve
à considérer tout comportement comme un effet toute son actualité : « Presque toutes les explications
de la rationalité ordinaire. Il recommande par suite habituelles relatives aux phénomènes sociaux […]
d’éviter d’imputer le comportement à des variables rappellent encore directement l’étrange manière de
dispositionnelles, notamment lorsqu’elles revêtent philosopher si plaisamment caractérisée par Molière
un caractère occulte. à l’occasion de la vertu dormitive de l’opium. »
Bien entendu, la TRO ne traite pas l’indi- (Discours sur l’esprit positif)
vidu comme une tabula rasa. Dans son analyse des
croyances magiques,Weber part du fait que les primi- Résoudre les impasses de la TCR
tifs ne connaissent pas les lois de la transformation Il résulte aussi de ce qui précède que l’un des avan-
de l’énergie. Il en déduit qu’ils n’ont pas de raison tages importants de la TRO est qu’elle permet de

34 idées économiques et sociales I n° 165 I septembre 2011


La rationalité I DOSSIER

résoudre bien des questions face auxquelles la TCR automobilistes de trancher entre les deux équilibres
est impuissante. de Nash engendrés par la structure. La solution consiste,
La théorie des jeux repose sur l’axiomatique de la ici encore, à introduire une innovation sous la forme
TCR. Or plusieurs situations d’interaction n’ont pas de l’imposition d’une règle de priorité.
de solution dans le cadre de la théorie des jeux au C’est encore une innovation, la menace de « guerre
sens où celle-ci est incapable de recommander aux des étoiles », qui avait mis fin à la course aux arme-
acteurs une stratégie déterminée. Il s’agit notam- ments qui s’était installée à l’issue de la seconde
ment des structures perverses classiques comme le guerre mondiale. Cette course aux armements était
dilemme du prisonnier ou le jeu de l’assurance. Ces elle-même une illustration canonique et bien réelle de
structures d’interaction ont inspiré une littérature dilemme du prisonnier.
surabondante. Or elles ne peuvent recevoir de solu- LaTRO permet aussi d’expliquer les variations des
tion aussi longtemps qu’on la recherche dans le cadre sentiments moraux qu’observent les recherches quasi
de la rationalité purement instrumentale postulée par expérimentales utilisant le jeu de l’ultimatum ou
la TCR. d’autres montages expérimentaux de même nature,

La TRO permet de résoudre bien



des questions face auxquelles la TCR
est impuissante

Les grands auteurs ont compris depuis longtemps comme le jeu du bien public. Dans ce dernier jeu,
que la solution de ces structures impose d’abandonner chacun choisit de s’attribuer une partie d’une somme
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l’axiomatique de la TCR. et verse le reste au pot commun, sachant qu’en fin de
Ainsi, Rousseau a bien vu que seule une innovation partie il recevra un certain pourcentage de la somme
permet de sortir de l’ambiguïté créée par la structure globale contenue dans le pot commun : dans tous
désignée après lui « jeu de l’assurance ». La solution les cas, des systèmes de raisons compréhensibles eu
qu’il propose consiste à introduire un tiers person- égard au contexte permettent de rendre compte des
nage ayant le pouvoir de punir les acteurs qui trahi- données observées.
raient leur promesse de coopération.
Mancur Olson [14] a bien vu qu’une action Last but not least
collective qui serait en principe utile à un groupe En proposant une grammaire commune à l’en-
d’intérêt non organisé a des chances de ne pas avoir semble des sciences sociales, la TRO promet
lieu, les acteurs étant alors pris au piège du dilemme d’abaisser les barrières qui font que sociologues,
du prisonnier. Il a montré que la solution de ce anthropologues, psychologues sociaux, politolo-
piège consiste, comme dans le cas des chasseurs de gues, économistes, criminologues et épistémologues
Rousseau, à imaginer des innovations permettant de paraissent vivre aujourd’hui dans des univers mentaux
détruire la structure perverse. différents : une situation qui ne favorise pas les appren-
Le problème du carrefour a fini par prendre le tissages du jeune citoyen en ces matières, qui aurait
statut d’un problème d’école dans la littérature inspirée déconcerté tous les grands noms des sciences sociales
par la TCR : dois-je en l’absence supposée de règles et qui est entretenue sous l’effet d’intérêts corpora-
laisser passer le véhicule se présentant en même temps tistes, idéologiques, voire métaphysiques.
que moi à un croisement sur l’autre voie ? Ce problème En fin de compte, l’objection la plus sérieuse
n’a pas, lui non plus, de solution dans le cadre de l’axio- que l’on peut opposer à la TRO est qu’elle céde-
matique de laTCR, puisque celle-ci ne permet pas aux rait à l’intellectualisme et ignorerait le rôle de la

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DOSSIER I La rationalité

passion, de l’affectif, de la violence et généralement les conflits avec soi-même, ne portent-ils pas en effet
de l’irrationnel dans les relations sociales. Or la souf- sur les valeurs et les idées ? « Ce sont les idées et non
4. « Interessen nicht: Ideen france produite par l’injustice n’est pas dépourvue de les intérêts qui sont la cause dominante immédiate de
beherrschen unmittelbar das
Handeln des Menschen. » raisons. Quant aux conflits les plus violents, y compris l’action humaine4. » [7, p. 252 sq.]

Bibliographie

[1] SIMON H.A., Reason in Human Affairs, Stanford, Stanford University Press, 1983.
[2] HORTON R., Patterns of Thought in Africa and the West, Cambridge, Cambridge University Press, 1993.
[3] HOLLIS M., Models of Man: Philosophical Thoughts on Social Action, Cambridge, Cambridge University Press, 1977.
[4] PARETO V., Traité de sociologie générale, Paris, Droz, 1968 (1916).
[5] WEBER M., Wissenschaft als Beruf, Stuttgart, Reklam, 1995 (1919).
[6] DURKHEIM É., Les Formes élémentaires de la vie religieuse, Paris, PUF, 1979 (1912).
[7] WEBER M., Gesammelte Aufsätze zur Religionssoziologie, Tübingen, Mohr, 1986 (1920).
[8] SMITH A., An Inquiry into the Nature and Causes of the Wealth of Nations, 7e éd., Londres, Strahan & Cadell, 1976 (1793).
[9] WALZER M., Sphères de justice, Paris, Seuil, 1997.
[10] RAWLS J., Théorie de la justice, Paris, Seuil, 1971.
[11] RINGEN S., The Liberal Vision, Oxford, The Bardwell Press, 2007.
[12] BOUDON R., L’Inégalité des chances, Paris, Hachette, 2006 (1973).
[13] MÜLLER-BENEDICT V., « Wodurch kann die Soziale Ungleichheit des Schulerfolgs am stärksten verringert werden », Kölner Zeitschrift für
Soziologie, vol. LIX, n° 4, 2007, p. 615-639.
[14] OLSON M., La Logique de l’action collective, Paris, PUF, 1978 (1965).

Bibliographie complémentaire
BOUDON R., Tocqueville aujourd’hui, Paris, Odile Jacob, 2005.
BOUDON R., Essais sur la théorie générale de la rationalité, Paris, PUF, 2007.
BOUDON R., La Rationalité, Paris, PUF, coll. « Que sais-je ? », 2009.
BOUDON R., La Sociologie comme science, Paris, La Découverte, coll. « Repères », 2010.
DURKHEIM É., De la division du travail social, Paris, PUF, 1960 (1893).
FORSÉ M. ET GALLAND O. (RÉÉD.), Les Français face aux inégalités et à la justice sociale, Paris, Armand Colin, 2011.
MANZO G., La Spirale des inégalités. Choix scolaires en France et en Italie au xxe siècle, Paris, Presses de l’université de Paris-Sorbonne,
2009.
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