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ALEXANDRE FARNRSE
PRINCE DE PARME
GOn'ER~ElliR GÉNÉRAL DES PAYS-BAS
(1545-1578)
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Il a été tiré de cet ouvrage :


20 exemplaires de luxe
sur papier d'Arches à la cuve,
numérotés de 1à 20.
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LEON VAN DER ESSEN


PR.OFESSEUR. A L'UNIVER.SITÉ DE LOUVAIN

MEMBRE DE LA COMMISSION ROYA[,E D'HISTOIRE

~iLEXANDRE FARNÈSE
PRINOE DE PARME
GOUVERNEUR GÉNÉRAL DES PAYS-BAS
(1545-1592)

AVEC UNE PRÉFACE' PAR

HENRI PIRENNE

TO)IE PRE)IIER

BRCXELLES
LIBRAIRIE ~ATIüSALE D'ART ET D'HISTOIRE
1933
A ma chère femme.
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INTRODUOTION

Alexandre F'arnese, prince de Parme, est une des grandes figures


dans I'histoire du XVle siecle (1). Tant par son genie militaire que
par son habilete diplomatique, il depasse de loin Ia plnpart de ses
contemporains.
Dans 1'histoire des Pays-Bas, il fut, sans conteste, Ie gouverneur
general Ie meilleur et le plus sympathique que Philippe II envoya
en ces provinces. C'est a Iui que la Belgique doit d'etre restee
catholique, car ilsema habilement la zizanie dans les rangs des parti-
sans du prince d''Orange et reeonquit victorieusement la partie des
Pays-Bas meridionaux qui refusa de se soumettre. Par la, il erigea
une barriere entre Ie Sud catholique, ou redevenu tel, et le Nord
calviniste et couronna l'amvre inauguree par la reconciliation des
provinces wallonnes. n fut Ie plus redoutable adversaire de Guillaume
le Taciturne, qu'il negalait pas au point de vue de la finesse politiquo
ou de l'astuce, mais qu'il surpassait de loin dans le domaine militaire.
Une telle figure merite, certes, une etude specials et appro-
fondie.
Or, il faut le constater, aucun historien d'expression franeaise
ou d'expression neerlandaise n'a tente cette entreprise. Les his to-
(1) En apprenant sa mort, le pape Clement VIII s'exprima ainsi: « mala nuova
habbiamo, havendo perduto un grand'huomo, di sangue romano, splendor' d'Italia et un
ottimo et religioso nostro capitano generals », at Henri de Navarre fit la reflexion que
voicl : « dicendo oh'era morto un grand'huorno di guerra, dal quale egli haveva imparato
assai, ma che la morte dl questa avversario inveneibile saria eagionedi farei havere la
f{)J;tuna pili prospera ... » Liber relatlonum eorum quae gesta tuere in Belgio et alibi per
serenissimum D. Ducem Ateaxmdrum. Farnesium (Bibllotheque royale de Bruxelles, ms. II.
1155, fOS 255vo'-256'O).

XIII
>.
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-

riens belges et les historiens hollandais ont, sans doute, parlé de la


personne et de l 'œuvre du prince de Parme dans les travaux qui
traitent de l 'histoire de la révolution des Pays-Bas entre 1579 et
1592, mais ils ne l'ont fait que superficiellement ou à l'occasion dtune
étude d'ensemble: ils n'ont jamais consacré une étude bien docu-
mentée et approfondie à Alexandre Farnèse et au rôle qu'il
joua (I).
Un publiciste d'autrefois a tenté de raire revivre la grande
figure du prince de Parme: c'est Bruslé de Montplcinchamp, qui
écrivit et publia l'Histoire d'Alexandre Farneze, duc de Panne et de
Plaisance, go'uverneur de la Belgique (2). Ge rr'est qu'une compila-
tion de ce que ~e P. Famien Strada {3), Galluzzi (4) et Davila (5)
ont écrit au sujet du gouvernement de Farnèse; elle est faite sans
critique, rédigée dans un style boursouflé et prétentieux, et sans origi-
nalité aucune.
Il a fallu attendre le XIXe siècle pour voir un historien italien
consacrer au grand Italien que fut Alexandre Farnèse une' œuvre
quelque peu étendue, basée sur une documentation sérieuse et traitée
avec l'esprit critiqi écessaire. En 1883, M. Pietro Fea publia à
Rome son Alessandro rnese, qui mérite que nous en disions ici
quelques mots.
L 'œuvre de Fea prése tait le grand avantage d'être basée sur
les Archives farnésiennes de Naples, dont l'illustre Gachard avait
montré toute l'importance en allant les dêcouvrir dans les greniers du
palais royal de cette ville. M. Fea avaitconsciencieusement dépouillé
soixante-sept des liasses contenant les papiers des Farnèse et établi
ainsi, le premier, Ie point de départ pour une étude sérieuse de son
grand sujet. Il avait consulté aussi la plus grande partie des sources
imprimées et en ce moment-là accessibles.

(1) Les meilleures pages qui aient été consacrées à Alexandre Farnèse et qui donnent
un aperçu exact de son caractère et de son rôle sont celles écrites par H. PIRENNE dans
son Histoire de Belgique, t. IV, 3" éd., pp. 178-179. Bruxelles, 1927.
(2) Amsterdam, chez Antoine MichHs, 1692. In-12, 323' pages.
(3) De Belilo Belg.ico, 2 vol. Rome, 1648.
(4) A. GALLUCIUS. De Bello Belgico (1573-1609). Rome, 1671.
(5) ENRICO DAVILA. Storia aeüe guerre civile di Fr'œnciaJ. [Nous n'avons pu voir que
l'édition de Milan, 1807, 6 vol.]

XIV
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.• __ .11I.

Son œuvre se présentait cependant comme trop limitée dans sa


conception et sa réalisation. Ainsi, M. Fea passait assez rapidement
sur la partie de la vie d'Alexandre Farnèse qui précèdeL'arrrvée de
celui-ci aux Pays-Bas comme gouverneur général, et si, à partir de
la fin de l'année 1577, son récit devient beaucoup plus détaillé et son
œuvre plus approfondie, il s'occupe cependant avant tout de l'histoire
militaire de son héros. L'histoire politique, qui est loin d'être négligée,
ne sert, 'en effet, que de tableau de fond sur lequel doivent se
détacher les hauts faits d'armes de Farnèse. D'ailleurs, en traitant
cette histoire politique, qui est celle des Pays-Bas avant tout, et dans
une moindre mesure celle de France, eèlle d'Angleterre et celle
d'Espagne, M. Fea, malgré ses efforts méritoires, ne se montrait
pas trop familiarisé avec celle-ci. Ce qu'il en dit est exact, mais il
rie dit que des choses fort générales et assez superficielles.
Il n'en reste pas moins vrai qu'à l'époque où il parut, l'Alessan-
dro Farnese méritait les éloges qui lui furent alors décernés et que
nous nous faisons un devoir de répéter ici aujourd 'hui.
Depuis la publication du travail de M. Fea, la documentation sur
le XVI" siècle, déjà si considérable en 1883, a été fortementaugmentée
par la continuation ou l'apparition des grandes collections diploma-
tiques, qui sont indispensables pour la compréhension de l'époque
où Farnèse a vécu. Nous voulons parler de publications comme celles
des Docurne~tos itiéditos para la Historia de Espa~a; de Weiss,
Papiers d'État du Cardinal de Granvelle; de Poullet et Piot, Corres-
pondance du Cardinal de Granvelle; dei 'I'heissen, Correspondance
française de Marguerite d'Autriche; de Groen van Prinsterer,
Archives ou correspondance inédite de la Maison d'Orange-Nassau; ,
de Muller et Diegerick, Documents concernant les relations entre le :
j
duc d'Anjou et les Pays-Bas (1576-1584); de Kervyn de Lettenhove,
Relations politiques des Pays-Bas et de l'Angleterre; des Calendars 1
1
of State Papers; de Brom, Archivalia in Italië; de Brom et Hensen,
Bomèinsche bronnen uoor den ke1'kelijk-staatk'ltndigen toestand 1
der N ederlanden in de 16" eeuno; de J apikse, Resolutiën der Staien- 1
Generaal.
-'! Get ensemble magnifique de documents officiels et de dépêches

xv
l
1
1

1
zcq

diplomatiques permettait déjà de renouv-eler l 'histoire d 'Alexandre


Farnèse en la mettant mieux en rapport avec les événements poli-
tiques de l'époque.
Mais il y avait surtout à examiner de plus près les Archives
farnésiennes d-e N apl-es, les Archives famésiennes de Parme, que-
M. Fea n'avait pas utilisées, les Archiv-es du Vatican et Ies maté-
riaux dispersés dans plusieurs bibliothèques de Rome, comme la
Biblioteca Vittorio Emmanuele, la Biblioteca Casanatense, la Biblio-
thèqu-e de l'Institut historique prussi-en, ainsi que la Bibliothèque
Nationale de Paris. Ce qu'il importe surtout de noter: M. Fea n'a
pu prendre connaissance de la correspondance de Philippe II conser-
vée à Simancas, ni des innombrables documents des Archives générales
du Royaume- à Bruxelles.
L'histoire d'Alexandre Farnèse était donc à refaire avec
une documentation beaucoup plus étendue et d'après un plan plus
large.
C'est ce que nous avons tenté de réaliser dans l'œuvre dont
paraît aujourd 'hui le premier volume.
Le travail que nous publions aujourd'hui est le résultat de près
de vingt années de recherches et d'études. Il se base surtout, on le
comprendra, sur les papiers de la famille Farnèse conservés à Naples
et à Parme, dont l'importance exceptionnelle et pour ainsi dire unique
a été suffisamment mise en lumière pour que nous puissions nous
dispenser d 'y insister (1). Nous avons travaillé pendant trois années
consécutives aux Archives farnésiennes conservées à Naples et à
Parme, copiant et résumant un nombre très considérable de docu-
ments. ,0 'est cette très riche moisson qui constitue le fonds principal
de notre documentation.
Durant sa vi-e entière, et principalement pendant son gouverne-

(1) Voir A. CAUCHIE et L. VAN DER ESSEN, lnvimtatre des Archives farnésiennes de
Naples au point de vue de !'htstoi.re des Pays-Bas catho~iques (Commission royale
d'Histoire, ln-Sv). Bruxelles, 1911; L. VAN DER ESSEN, Les Archives famé siennes de Parme
au point de vue de ~'htstoire des anciens Pays-Bas catholiques. (Commission royale d'His-
toire, In-8°). Bruxelles, 1913; G. DMI, GU Archivi fœrnesiani. Loro [ormazume e vicende.
Parme, 1930. Cfr P. FEA, Una pubblicazione belga sugli Archivi famesÛlni d'i Parma et
LE MtME, Il Duca A~esstJndraPomese e le carte. deUlArchivio napoletano, dans l'ATOhtvto
storico per le provincte parmensi, nouv. sér., t, XIV, 19'14, pp. 1-26 et t. XV, 1915, pp. 1-8.

XVI
ment en Flandre, Alexandre Farnèse, à côté de sa correspondance
officielle avec le Roi d'Espagne et ses ministres, a entretenu un
commerce épistolaire des plus suivis avec sa mère Marguerite de
Parme, avec son père Ottavio, avec s'es enfants et avec son oncle, le
cardinal Alexandre Farnèse.
De toutes ces lettres, celles que le prince adressa à sa mère sont
les plus importantes, parce que les plus intimes et les plus secrètes.
A partir de son séjour aux Pays-Bas aux côtés de Don Juan (décem-
bre 1577), elles sont souvent chiffrées ou elles contiennent presque
toujours un passage rédigé en chiffres. C'est ce qui en fait des docu-
ments historiques de premier ordre.
Pour notre sujet, elles présentent ce grand avantage : elles entre-
tiennent la femme intelligente qu'était la mère d'Alexandre. de tous
les problèmes de la politique et des subtilités de l'art militaire et elles
nous éclairent sur la pensée la plus intime du prince.
Les lettres qu'Alexandre adressait à son père Ottavio sont moins
importantes; elles traitent surtout d'affaires de famille et l'on y
perçoit souv-ent la différence de caractère, de goûts, de conceptions,
qui, maintes fois, mettait aux prises Alexandre et le duc.
Au cardinal Farnèse, le prince de Parme confiait beaucoup de
choses: ce prélat lettré, ami des arts, politique subtil, s'intéressait
de près à son neveu et lui prodiguait des conseils de valeur. M-ais
au gré du prince de Parme, il était trop loquace et c'est pour-
quoi ce dernier lui confiait moins de secrets qu'à Marguerite de
Parme,
On peut affirmer que. cette correspondance, à elle seule, suffirait
pour écrire de façon complète et sérieuse l'histoire d 'Alexandre Far-
nèse. A côté d'elle, la correspondance officielle (française) et secrète
(espagnole) que le prince entretenait avec le Roi d'Espagne perd de
son importance. C'est surtout dans les lettres adressées par Alexandre
à sa mère que l'on trouve les derniers secrets des événements.
Il va sans dire que nous ne nous sommes cependant pas contenté
dçs précieux renseignements que nous avons recueillis dans les Archi-
ves farnésiennes de Naples et de Parme. Nous nous sommes fait un

XVII
-

devoir de compléter ces données et de rechercher encore ailleurs des


fragments de la correspondance d 'Alexandre.
C'est ainsi que nous avons examiné à la Bibliothèque Nationale
de Paris une partie importante des lettres du grand capitaine. Celles-
ci se trouvent dans le manuscrit espagnol n° 182, qui contient aus-si
le Libro de las casas que succeâieron en Elandee, dont Il!OUS dirons
tout l'intérêt dans un instant. Les lettres d'Alexandre Farnèse y
sont conservées aux folios 288-442.
Nous n'avons presque pas besoin de faire connaître que nous
avons examiné de très près, aux Archives Générales du Royaume à
Bruxelle-s, les célèbres copies que Gaehard fit faire à Simancas, et qui
contiennent la correspondance de Philippe II avec le prince de Parme,
rédigée en langue espagnole et très souventenchiffres (1). La Biblio-
thèque Royale de Bruxelles nous a fourni aussi plusieurs fragments
de la correspondance de Farnèse, qui s 'y trouvent cachés et comme
perdus dans des recueils de varia (2).
La correspondance française échangée entre le Roi et Farnèse,
et qui court parallèlement à la correspondance espagnole, n'a pas
été négligée non plus: nous avons soigneusement pa!couru les
registres de la section Papiers d'État et d'Audience, où elle est
conservée (3).
Enfin, les archives du Vatican et la Bibliothèque vaticane con-
tiennent nombre de missives importantes concernant le prince de
Parme, que nous nous sommes fait un devoir d'examiner une à une et
d'utiliser (4).
Nous croyons avoir recueilli un nombre suffisant de pièces
d'archives inédites ou imprimées pour qu'on ne puisse pas nous faire
le reproche d'avoir oublié des éléments réellement importants.

(1) Elles sont conservées dans la section: Cartulaires et manuscrits, 187B et com-
prennent les tomes X-XXXI.
(2) Ces manuscrits sont cités en leur place respective dans les notes appuyant notre
exposé.
(3) Archives générales du Royaume à Bruxelles, Papiers d'État et d'Audience, registres
n° 176 et suiv. Nous avons dépouillé aussi, dans la même section, le registre 1222: Com-
missions et instructions des gouverneurs généraux des Pays-Bas, vot Il, 1577-1595,ainsi
que le registre 1223.
(4) Nous les citons dans les notes de notre exposé.

XVIII
-.---------- -------------------------------------------------------------------.-~--------~--~,

Dans la catégorie des sources littéraires, nous avons été parti-


culièrement attirés par certains documents qui nous paraissent de
tout premier ordre pour le sujet. Nous avons d'abord utilisé réguliè-
rement le célèbre De Bello belqico du P. Famien Strada (1). Nous
n'ignorons pas que cet écrivain fait, à tout propos, le panégy-
1 rique dé la famille F'arnêse. M'ais nous avons pu constater d'autre
part, par la connaissance approfondie que nous avons des Archives
farnésiennes de Naples et de Parme, que l'aut-eur a u:tilisé dans une
large mesure ces précieux papiers, que son récit s'appuie continuelle-
ment sur eux et que son histoire des troubles des Pays-Bas au
XVI" siècle ya gagné 'Une valeur qu'on ne peut lui dénier (2).
Nous avons fait aussi beaucoup de cas du livre Della querra di
Fiandra de Cesare Campana (3). Ce gentilhomme d' Aquila, ville où
Marguerite de Parme passa les dernières années de sa vie, fut en
l'apport avec le fidèle secrétaire d'Alexandre Farnèse, Cosimo Masi,
qui le documenta sur lee faits 'et gestes de son maître (4). Aussi
trouve-t-on chez Campana des détails que l'on chercherait en vain
chez d'autres historiens, et qui proviennent directement de témoins
oculaires.
Les mémoires d'Alonso Vasques, officier espagnol qui connut le
prince de Parme et qui servit en Flandre, publiés sous le titre Los

(1) Pour la facilité de notre travail, nous avons employé la traduction française de
Strada, qui fut faite par P. Du RYEa et publiée en 4 volumes, à Bruxelles, chez Simon
't Serstevens, en 1727. Cette traduction est très bien faite, Elle porte comme titre Histoire
de la guerre des Pais-Bas du R. P. Farmien; Btraâa, Romain, de la Compagnie de Jésus,
traduite par P. Du Ryer. Nouvelle édition revue et corrigée selon l'original latin imprimé
à Borne,
(2) C'est ce qu'avait
déjà remarqué l'abbé Pagi, qui écrit dans la préface de son
Histoire des RévoW.tilJns (Paris, 1730) : « Strada avoit en main les archives
des Pays-Bas
de la maison Farneze, où il trouvoit les lettres originales de Philippe II et de ses
ministres, celles de la Duchesse de Parme, du Prince Alexandre son fils, du cardinal de
Granvelle, et enfin, de tous ceux qui avaient eu part aux affaires de Flandre durant le
Gouvernement des Farnèzes. C'est pourquoi, dans l'histoire de la Gouvernante comme dans
celle du Prince de Parme, on voit distinctement la correspondance de la Cour de Bruxelles
avec la Cour d'Espagne. » (Préface du dit ouvrage, non paginée.)
(3) Vicence, 1602.
(4) FEA, Alessandro Farnese, p. 497.
--.~
XIX
sucesos de Flandes y Francia en tiempo de Alejandro F arnesio (1),
ne sont pas à dédaigner non plus. On s'en est souvent servi, et avec
raison. Mais l'expérience nous a appris qu'il faut cependant utiliser
le récit de Vasquez avec une certaine circonspection. En le comparant
avec la correspondance d'Alexandre Farnèse, on s'aperçoit 'que
l'auteur introduit quelquefois de la fantaisie ou n'a pas critiqué les
.récits qui lui ont été faits.
A ces sources littéraires connues et publiées, nous avons pu en
ajouter deux qui sont inédites et que nous considérons de toute pre-
mière importance pour le sujet que nous traitons.
La première, c'est le Libro de las cosas que succedieron en
Fiandes déjà mentionné plus haut (2). Gachardl'a découvert à la
Bibliothèque Nationale de Paris et en a caractérisé très nettement
la valeur. 'Écrit par un officier quia pris part aux guerres de Flandre
et qui semble être un certain Jacomo Ferrrandez, ce Libro présente
le très grand intérêt d'avoir utilisé la correspondance originale
d'Alexandre Farnèse lui-même. Comme le dit Gachard : « l'auteur,
quel qu'il soit, a dû écrire d'après les pièces officielles conservées
dans la chancellerie de Philippe II, et c'est ce qui donne un grand
intérêt à son récit. Ça et là sont intercalées des pièces qu'on cher-
cherait vainement aujourd'hui dans les archives même d'Espagne ...
Toutes ces lettres, toutes ces relations, n'ont pu être copiées que
dans la chancellerie de Philippe II, ou dans celle du prince de Parme ...
n y en a plus d'une, dans le nombre, que je n'ai pas trouvée aux
archives de Simancas. » (3)
Depuis 1875, année où Gaehard en fit connaître l'existence,
personne ne s'était occupé de cette source de premier ordre. Nous
l'avons étudiée feuillet par feuillet et nous l'avons utilisée souvent
dans notre travail.
Enfin, nous avons examiné à la Bibliothèque Royale de Bruxelles

(1) Publiés dans la coueccum. de documentes inéditos para~a Histoma de Espa'i!l1j,


Madrid, t. LXXII-LXXIII.
(2) Bibliothèque nationale de Paris, manuscrit espagnol n> 182, fO. 152-274 (pour la
partie qui concerne Alexandre Farnèse).
(3) GACHARD, La Bibliothèque Nationale à Paris, t. l, pp. 123, 135-136.

xx

L
un document qui se rapproche singulièrement du. Libro de las cosas
que euccedieron. en Elomdes. Le manuscrit n" II, 1155 de cette Biblio-
thèque contient une œuvre volumineuse, dont le titre, imprimé sur le
dos, porte: Liber relaiionwm. qestorum. Ducis A. Farnesii. L'excel-
lent connaisseur du XVI" siècle que fut Ernest Gossart a vu ce
récit, mais ne l ':a guère utilisé que pour une note dans son travail
La Révolution des Pays-Bas au XVI" siècle dans l'ancien théâtre
espagnol (1). Il déclare que ce récit anonyme « a été écrit par un
personnage témoin des événements qu'il rapporte, sans doute un
officier italien attaché à la personne du prince. » C'est exact. Mais
Gossart ne s'est pas rendu compte de l'extraordinaire importance de
cette œuvre qui compte 259 feuillets in-folio couverts des deux côtés
d'une écriture serrée. L'auteur, d'après l'examen minutieux auquel
nous nous sommes livré, n'est autre que Paolo Rinaldi, gentilhomme
de la maison du prince de Parme, qui connut celui-ci depuis sa prime
jeunesse et le- suivit partout jusqu'à sa mort. Le récit, rédigé en
italien, - contrairement à ce que semblerait indiquer le titre factice
et ajouté postérieurement, -nous permet de connaître en détail la
vie de Farnèse avant son arrivée aux Pays-Bas et est, à ce point d'3
vue, de toute première utilité. De plus, l'auteur a consacré une
grande partie de .son œuvre à analyser le caractère d' Alexandre
Farnèse, à décrire sa vie intime, à nous faire connaître ses habitudes,
à nous révéler ses idées sur toutes choses. Nous avons ici un docu-
ment unique, qui ne le cède pas en importance aux pièces des Archives
farnésiennes de Naples et de Parme.
Aussi Pavons-nous abondamment exploité et nous lui avons
donné la préférence pour établir notre récit : son autorité dépasse
cene de Vasquezet du Libro de las cosas que succedieron en Flandes.
Rinaldi, son auteur, a suivi Farnèse pas à pas au cours de sa longue
carrière et il est rare de rencontrer des témoignages aussi autorisés
et aussi détaillés que ceux qu'il nous offre dans son œuvre volumi-
neuse. Le manuscrit constitue, sans nul doute possible, la minute.
(i) Page 86, note 1.

XXI

d
m"" •••

de l'auteur, car il est souvent surchargé de corrections et pourvu


d 'ajoutes.
La comparaison de Strada, de Vasquez, de Campana, de J acomo
Fernandez et de Paolo Rinaldi nous a offert - on en conviendra __
s-,
une base solide pour la trame de notre récit, tandis que les lettres
mêmes de Farnèse nous fournissaient un contrôle d'une valeur
indiscutable et rarement atteinte dans la préparation d'une œuvre
historique.
Nous avons fait usage aussi d'une source littéraire, dont le titre
ne laisse deviner en rien qu '811e contient des renseignements pour
l'histoire d'Alexandre Farnèse et qui n'a d'ailleurs jamais été
exploitée à cet effet. II s'agit de l'Histoire des choses les plu« mémo-
rab les advenues en l' Europe depuis l'an onze cens XXX jusques
à notre siècle de Pierre Colins (1).
Pierre Colins, - ou de Colins, comme l'appelle la Biographie
nationale (2'), - seigneur de 'I'er-Meeren et d 'Heetvelde, après avoir
'.
fait des études R Louvain et ~l Bourges, où il fut élève de Cujas.
embrassa la carrière des armes et servit sous Alexandre Farnèse : il
participa notamment aux campagnes de 1581-1583 en Flandre et assista
au siège d'Anvers en 1585. II devint par la suite bailli d'Enghien,
possession d'Henri de Béarn. Homme de cabinet dans la seconde
moitié de sa vie. vivant dans l'intimité du duc d' Aerschot, lorsque
celui-ci, après 1606, devint seigneur d'Enghien, Pierre Colins connut
de près les personnages les plus en vue de son temps. Il apprit ainsi
beaucoup de choses, ·qu'il raconte dans l'Histoire citée. Pour le gou-
vernement du prince de Parme aux Pays-Bas, l'œuvre de Pierre
Colins est des plus utiles, car elle contient nombre de renseignements
pittoresques qu'on ne trouve nulle part ailleurs et qui proviennent de
témoignages de première main. T.Jecaractère modéré de Pierre Colins.
qui parle des événements avec infiniment de philosophie et sans

(i) Nous employons l'édition revue et corrigée qui parut à Tournai en i643. Une
première édition vit le jour à Mons, en i634.
(2) Tome IV, p. 285 et sulv.

XXII

le
_k5jOi1ltSlO~a,4(S:ik~,,~ ~-..:' 2 .. "",-,
_...(QI t. ,ex a,le: cc EC.C:CEiS'"'EELlEi.,L,f K!2:x:JEJLJN!<!JEL)!: iL __ 2.· 4C
passion, rend encore plus precieuse la possibilité d'utiliser son
œuvre pour l'histoire d'Alexandre Farnèse (1).
Enfin, nous avons largement utilisé les grandes collections de
lettres du XVI' siècle et les travaux modernes qui présentaient quelque
importance pour notre sujet. On trouvera la liste de ceux que nous
avons exploités dans la préparation du premier volume à la fin de
cette introduction. Les autres seront signalés dans l'introduction des
volumes II et III de la présente œuvre.
Nous avons, en effet, l'intention de consacrer trois volumes à
cette histoire d'Alexandre Farnèse. Le premier s'arrête au moment
où, par suite du décès de Don Juan d'Autriche (L" octobre 1578), le
prince de Parme devient lui-même gouverneur général des Pays-
Bas. Le tome II conduira cette histoire du prince de Parme
jusqu'au siège d'Anvers (1585). Le tome III retracera la der-
nière partie de la vie de Farnèse jusqu'à sa mort, survenue le
2 décembre 1592.
Il importe, pour finir, d'attirer l'attention du lecteur sur un point
important de notre entreprise. J usqu 'ici, on a toujours considéré
Alexandre Farnèse du point de vue restreint de notre histoire natio-
nale. Pour tous les historiens belges ou néerlandais qui ont eu à
s'occuper de lui au cours de leurs travaux sur le XVIe siècle, Farnèse
est avant tout - et uniquement - le gouverneur général des Pays-
Bas au nom de Philippe He.Mais on oublie qu'Alexandre était aussi
prince italien; qu'il appartenait à cette dynastie remuante et ambi-
tieuse des Farnèse, qui ont joué un rôle important dans l'histoire
générale du xvre siècle. L'on ne semble pas s'être rendu compte -
il faut, cependant, faire exception pour Félix Rachfahl, l'historien
allemand - de ce que les intérêts, les ambitions, les manœuvres de la
maison Farnèse n'ont pas été 'sans influencer l'histoire des Pays-Bas.
Le gouvernement et l'attitude de Marguerite de Parme en Flandre
ne se comprennent que si l'on tient compte de ce point de vue et
le livre de Rachfahl, Margaretha von Parma, Statthalterin der Nie-
derlâmde, ainsi que plusieurs passages de son Wilhelm von Oranien

"! (f) La partie qui concerne le gouvernement de Farnèse se trouve aux pages 585-669.

XXIII
ont mis en relief cette vérité. Faute de tenir compte de l 'histoire de
la famille Farnèse et de sa politique italienne, on se condamne à
représenter dans une fausse perspective plusieurs événements de
notre histoire de Belgique et de l'histoire des Pays-Bas en général.
Aussi s 'apereevra-t-on que dans ce tome F", nous nous sommes pr~>
Occupé de ce point de vue, et il en sera ainsi dans les deux autres
volumes qui suivront.

On comprendra aisément que, dans la préparation et l'élabo-


ration de cette œuvre considérable et de longue haleine, nous avons
dû souvent faire appel à la serviabilité, à la science et à la compé-
tence de bien des personnes. Ce nous est un devoir de nous souvenir
ici de leur aide et de dresser le bilan de toute cette générosité, avec
la gratitude qui s'impose.
N otre reconnaissance va en premier lieu à nos amis d'Italie, sans
lesquels nos recherches dans iles archives n'auraient pas eu le
résultat espéré, et en particulier aux gardiens du trésor que con-
stituent les Archives farnésiennes. Nous devons beaucoup à l'inépui-
sable obligeance de M. Nicola Barone, chef de section aux archives
farnésiennes de Naples (Archivio di Stato J. Pendant les trois
années que .nous avons travaillé dans ce dépôt, il a suivi nos
recherches avec un intérêt qui nous fut très profitable. Nous n'oublie-
rons point l'amabilité avec laquelle nous guida le Dr Adriano Oappelli,
directeur de l'Archivio di Stato de Parme au moment où nous avons
examiné dans ce dépôt le riche Carteggio fm"nesiano : son exquise
urbanité nous a laissé un souvenir ineffaçable. Le directeur actuel
ou reggente de ce même dépôt, le Dr Giovanni Drei, nous a rendu
d'inappréciables services en nous faisant parvenir des copies ou des
photographies de documents indispensables, que nous n'avions pu
copier lors de notre séjour à Parme. Il mérite surtout notre gratitude
pour nous avoir procuré, avec promptitude et au prix de recherches

XXIV

c;;sa: !?A_ *'


personnelles, des publications italiennes devenues rares et qu'il n'y
avait guère moyen de se procurer en Belgique.
Au cours de notre séjour à la Bibliothèque médicéo-laurentienne
de Florence, nous n'avons eu qu'à nous louer de la serviabilité du
préfet de ce dépôt, M. Guido Biagi. A la Bibliothèque Ambrosienne
de Milan, nouseûmes l'avantage de profiter de la science du préfet
adjoint, l'abbé Achille Ratti, aujourd 'hui Sa Sainteté le pape Pie XI,
le pontife-historien.
A Naples, Madame la duchesse de Guardialombarda nous a libé-
ralement ouvert les riches archives de sa famille, où se trouvaient
plusieurs lettres originales d'Alexandre Farnèse (1). A Naples
encore, un fin lettré, M. Gino Doria, a fait pour nous des
recherches bibliographiques avec autant de désintéressement que de
zèle.
Dans les archives romaines,enfin, Mgr Vaes, le savant recteur de
Saint-Julien des Belges,et Mgr Pelzer, scritiore à la Bibliothèque
Vaticane, ont été pour nous des guides et des aides aussi expéri-
mentés que dévoués.
Nous devons une gratitude spéciale au baron de Borchgrave,
ambassadeur de Belgique à Madrid et lui-même fils d 'historien, qui
a obtenu pour nous la photographie de pièces nécessaires à notre
travail que contenait la bibliothèque privée du Roi Alphonse XIII.
A Vienne, le distingué archiviste général, M. Ludwig Bittner, a fait
faire par ses services des recherches dont nous avons pu apprécier
la perfection et nous a procuré des renseignements, des copies et
des photographies de documents du Haus- Ho]- und Staatsarchiv
dont il a la garde.
En Belgique, nous avons rencon~ré un ensemble d'amitiés pré-
cieuses et de dévouements remarquables. Mentionnons d'abord notre ~
collègue de la Commission Royale d'Histoire, M. l'archiviste général
Joseph Cuvelier, qui nous a fait bénéficier de faveurs toutes spéciales
pour faciliter notre travail et auquel nous gardons une infinie grati-
tude; notre ami Hubert Nelis, l'érudit chef de section aux mêmes

(i) Archives des Guardialombarda à Naples, vol. CCXLV, nO 578, avec l'annotation
dorsale: Raccolta di tettere di Ji''' ••••rmte della Marra 578.
--"-~ .

xxv

t
Archives, auquel nous ne nous sommes jamais adressé en vain
pour nous aider dans nos recherches; MM. les archivistes Joseph
Lefèvre et Félix. Rousseau, du même dépôt, qui, par leurs attentions,
leurs renseignements précis, leurs connaissances archivistiques, onto---
rendu la tâche plus facile.
Parmi nos collègues de l'Université de Louvain, nous devons
beaucoup de reconnaissance à M. Jean Gessler et à M. le chanoine
E. Van Cauwenbergh. Le premier, grâce à l'érudition très étendue
qui le caractérise, et avec un soin que nous n'avons jamais trouvé
en défaut, nous a fourni des renseignements bibliographiques et
iconographiques de première valeur. M. le profes-seur Van Cauwen-
bergh, en sa qualité de bibliothécaire de l'Université de Louvain,
nous a assisté avec une largeur de vues, une générosité et une atten-
tion toujours en éveil à laquelle il est de notre devoir de rendre un
spécial hommage. Nous tenons aussi à remercier M. Léopold Demia
et M. Armand Moris, chefs de section à la Bibliothèque de l'Uni-
versité de Louvain, dont les services nous ont été extrêmement utiles.
Enfin, comment oublier nos deux collègues et amis, MM. les profes-
seurs Alphonse Bayot et le vicomte Charles TerlinéLen, qui nous ont
signalé des publications, des documents et des matériaux iconogra-
phiques que nous ne connaissions point.
Nous réservons un paragraphe spécial de cette nomenclature il
notre collègue et ami Henri Pirenne. A un moment où les charges de
notre enseignement universitaire et de multiples devoirs profession-
nels nous avaient fait presque renoncer à utiliser les matériaux:
recueillis et à écrire cette histoire d'Alexandre Farnèse, il nous a,
par d'énergiques et amicaux reproches, rendu le courage nécessaire
pour nous atteler à la besogne. Si notre Alexandre Farnèse voit le
jour, c'est en partie à lui que nous le devons: il n'a cessê de s'y
intéresser, de nous encourager et il a donné la preuve de I'êtendue
de cet intérêt en acceptant d'écrire la préface de ce premier volume.
Que celui qu'on nomme avec raison l' « historien national » de la
Belgique veuille bien accepter ici l'expression de notre affectueuse
reconnaissance.
L'exécution de notre projet aurait été absolument impossible si

XXVI
le Fonds National de la Recherche Scientifique n'était généreusement
intervenu pour nous permettre de compléter notre documentation
dans certains dépôts d'archives de l'étranger. A Mes-sieurs les Prési-
dent et membres du Conseil d'administration de cet organisme, qui
est véritablement venu sauver la science en Belgique, va l'expression
de nos remerciements les plus vifs et les plus chaleureux.
LÉON VAN DER ESSEN.

Louvain, le 29 septembre 1932.

ffiGLESEMPLOY~SDANSLESNOTES

A. G. R. - Archives Générales du Royaume à Bruxelles.


A. F. N. - Archives de l'~tat à Naples, section Carte [arnesùme.
A. F. P. - Archives de l'~tat à Parme, section Carfeggio farnesiano.
Liber relationuffl. - Lib'!Jr 1'§lationtifi! e.orum quae; gesta [uere in Belgio
et alibi per serenissimum D. Ducem Alexandrum
Farnesium; (Ms. II, H55 de la Bibliothèque Royale
de Bruxelles).
Libro de las cosas. -- Libro de las cosas que suoceâieron. en Plandes (Ms.
espagnol n° i82 de la Bibliothèque Nationale de
Paris).

,,1
XXVII

'zd

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matie. 2· gedeelte, l' ~'1.;:i".. l·~~·;oct'.
lS~,8.

XXXIX
--- ------- .. ------

CHAPITRE PREMIER

LES ANCÊTRES ET LA FA1VIILLE 1


Dans son beau livre sur Rome, le palais Farnèse et les Farnèse,
M. de Navenne a écrit: « Dans l'arbre généalogique [des Farnèse],
Alexandre occupe la place d'honneur, sans conteste, comme l'expres-
sion la plus pure et la plus élevée de la race. Chez lui, ainsi que chez
son bisaïeul Paul III, les facultés de l'intelligence se maintiennent
en parfaite harmonie: il l'emporte par le caractère. Bien que veuf
de bonne heure et libre de tous liens, il ne laissa derrière lui aucun
enfant naturel. Le sang flamand qui coulait dans ses veines lui avait
communiqué une volonté forte ou plutôt irréductible, si j'ose dire. De
ses ancêtres paternels, il tient la beauté physique, une constitution
vigoureuse, l'amour de la guerre. Il est bien l'héritier des condot-
tières d'Orvieto, de Ranuccio l'Ancien, de Pier Luigi, d 'Ottavio,
IDS;" un héritier qui concentre en lui seul les talents dispersés chez

5t-5 pères. Enfin, c'est sans doute Charles-Quint qui lui a légué les
~1?S Étendues, le coup d 'œil assuré, et la sagesse politique (1). »
Cette dissection peut être exacte ou non; elle a, cependant, le
grand avantage de faire comprendre que les brillantes qualités
dAlexandre Farnèse, comme aussi ses défauts, ne peuvent s'expliquer
que si l'on se souvient de la personnalité et du caractère de ses
ancêtres, que si l'on tient compte des traditions de sa race.
C'est pour ce motif que dans ce chapitre liminaire, nous coma-
crous quelques pages à l 'histoire des ancêtres et de la famille
Farnèse.
(i) Op. cit., p. 588.

i
, -

Au XVl"sièc1eet dans le milieu des familiers des F'arnêse on


disait que ceux-ci étaient une famille originaire d'Allemagne (1).
Aucune preuve n'a été donnée nulle part de l'exactitude de cette tra-
dition. Il semble plus conforme à la réalité de voir dans la famine
Farnèse une de ces « parentés» chassées de Lombardie par la con-
quête franque et qui vinrent s'établir dans l'É'trurie romaine. En
tous cas, les Farnèse émergent de l'obscurité au XIre siècle : le
nom patronymique qu'ils portent alors, Earnese, semble avoir étJ
emprunté à un de leurs domaines primitifs (2). A cette époque, les
Farnèse nous apparaissent comme des féodaux italiens, dont les
terres sont situées dans une région à l'aspect âpre et sauvage, entre
le lac de Bolsena et la M'er Tyrrhénienne. Cette nature dépourvue
de tout agrément semble leur avoir façonné une âme guerrière. Ce
sont des types accomplis de batailleurs et de conducteurs d'hommes,
et le qualificatif de condottieri leur convient parfaitement. Il
s'applique fort bien à ce Pietro Farnèse, qui fut consul d'Orvieto en
1100 environ et général de la cavalerie des États pontificaux; à
Ranuccio Farnèse (1256), à Pietro Fa·rnèse (1354). Comme hommes
de guerre, ces Farnèse prirent part à la plupart des luttes qui déso-
lèrent l'Italie au XIII" et au XIVe siècle : si, à cette époque, ils nous
apparaissent de plus en plus comme des « capitaines d'aventures »
et comme chefs de bande, nous les trouvons cependant toujours du
côté guelfeet fidèles à la cause des pontifes romains (3). Ils en ont
largement profité pour obtenir des papes et des chefs du parti guelfe
des avantages territoriaux et pécuniaires; ils gagnent en puissance
à chaque nouvelle génération. Plusieurs eurent. des rapports suivis
avec Florence. En 1003, Pietro Farnèse remporte, à la tête des t.roupes
de cette ville, une remarquable victoire sur les Pisans et jouit des
honneurs du triomphe. Plus tard, Ranuccio Farnèse est général des
forces de l'Église et mérite, par sa valeur militaire, d'être quelque-
fois comparé, non sans exagération, à Sforza ou à Gattamelata (4).
M. de Navenne considère ce Ranuccio Farnèse, dit l 'Ancien,
comme le véritable ancêtre de la race. Capitaine général de la rêpu-

(i) « E discesa d'Alamagna da persone nobile e di gran legnagio. » Liber l'elationum,


to 48vo• La même tradItion est enregistrée par DE MONTPLEINCHAMP, L'Histoire dl Alexandre
Famêze, p, 7.
(2) P. FEA, Alessandro Farnese, p. L; DE NAVENNE, O. c., p. 45. MONTPLEINCHAl\lP, o. C.,
p. 7, encore une fois, enregistre cette opinion: « il est plus probable qu'elle [l'origine}
vient de Farneto, chateau prez d'Orviete en la Toscane. »
(3) P. FEA, o. C., p. 2; DE NAVENNE, o. C., p. 45 svv,
(4) P. FEA, O. c., p. 2.

2

blique de Sienne en 1416, au service de Florence en 1424, il assiste


le pape- Eugène IV dans sa lutte contre les Colonna. Ge fut, pour la
famille, une source d'avantages considérables. On a fait remarquer,
avec raison (1), que, poussés par une sorte d'obscur instinct ou parce
que, réellement, ils étaient perspicaces à ce point, les Farnèse n'ont
pas imité l'erreur de ceux qui, fascinés par la pompe extérieure,
cherchaient à obtenir les dignités de la cour romaine. D'autre part,
tout condottieri qu'ils étaient, ils ne négligeaient point les avantages
matériels que procure la possession des terres et le prestig-e que con-
fère la qualité de grand propriétaire foncier. Unis par un rare
sentiment familial, ils comprennent l'utilité de l'association. Solide-
ment ancrés à Orvieto, à Sienne, à Rome même, ils se rendent parfai-
tement compte que la puissance foncière est une des conditions de
succès, que la politique de consolidation territoriale est la meilleure
garantie contre les attaques de familles ennemies ou des puissants du
jour. Maniant habilement les traités, les droits de succession etaussi
les Tapines, ils sont devenus une des premières familles de l'Italie
centrale (2).
Sous Paul II (1464), on le,s·voit à la tête d'une véritable petite
principauté dans la Tuscie : dans cette région de Bolsena qui fut le
berceau de leur fortune foncière et politique, ils exercent une sorte
de haut patronage qui s 'étend au midi et à l'est de leurs valleux
ancestraux. Au milieu de l'État ecclésiastique encore inorganisé en
ce moment, ils ont réussi à constituer quelque chose de très solide et
de très cohérent. Farnèse, Ischia, Canino, La Badia del Ponte,
'I'essennano, Pianzano, Latera, Gradoli, Valentane, M'aria, Capodi-
monte, vinages, châteaux ou forteresses, ils y exercent les préroga-
tives de propriétaire foncier ou de vicaire temporel du Saint-
Siège (3).
Ayant solidement établi l'assise territoriale de leur puissance, ils
pratiquent avec intelligence la politique de mariage, qui crée des
appuis et un cercle dalliês fidèles. Un fils de Ranuccio l'Ancien
épouse une jeune héritière séduisante, Isabella Or-sini; l'autre, Pier
Luigi, s'unit à Giovanella Caetani. C'est à Rome même, dans le
milieu des vieille-s familles de l'Urbs, que les descendants des con-
dottieri d'Orvieto implantent solidement leur influence et qu'ils
étendent la sphère de leurs intérêts.
(i) DE NAVENNE, O. C., p. 61.
.~.~ (2) P. FEA, o. c., p. 3; DE NAVENNE, O. c., pp, 6i-62.
(3) DE NAVENNE', Q. C., p. 64.

t
.c'-est de Giovanella - Caetani que naquit l'homme qui, au
XVI" siècle, allait être le créateur de la véritable puissanca politique
et du lustre de sa maison. Né le 28 février 1468, Alexandre Farnèse,
- le premier de ce nom, -allait rapidement monter les degrés de.la
hiérarchie romaine pour finir par occuper le trône de Saint Pierre,
Beau et bien constitué, ce descendant de condottieri et de patri-
ciens romains, se distingue par une intelligence vive, une .souplesse
d'esprit peu commune, un caractère énergique, un discernement très
affiné: il eut comme éducateur le célèbre Pomponio Leti, à qui sa
mère l'avait confié. On conçoit que sa conception de la morale dut
quelque peu en souffrir!
Les relations coupables que le pape Alexandre VI avait entre-
tenues avec Giulia Farnèse - la bella, comme on disait à Rome -,
la sœur düsjeune Alexandre Farnèse, ouvrirent à ce dernier l'accès
facile et rapide au cardinalat: le 20 septembre 1493, il avait été créé
cardinal-diacre, à 25 ans. Aussitôt, fidèles à la tradition ancestrale,
les parents et les alliés d'Alexandre se groupèrent autour de lui, à
Rome même, 'et le porporato put s'imaginer être devenu d'un coup
chef de la famille (1).
Antonio Suriano, ambassadeur vénitien à Rome, ne disait-il pas
dans sa relation au doge de Venise, en parlant plus tard d'Alexandre
Farnèse devenu pape sous le nom de Paul III : « Ce pape est romain
de naissance, d'un esprit des plus .osés ; il se promet beaucoup, pèse
et considère les injures qui lui sont faites, et a l'ardent désir de faire
grands tous ses neveux ... » (2).
Cet amour de sa famille, le jeune cardinal Farnèse le montra
déjà avant datteindre le pontificat suprême et il ne l'oublia jamais
au milieu de ses études, du maniement de ses affaires et de ses
plaisirs. De ses plaisirs, en effet : vers 1502, il eut une intrigue
amoureuse avec une femme restée inconnue, mais dont on sait qu 'elle
était de noble origine (3). De cette liaison naquirent deux fils 'et une
fille: Pier: Luigi, Paolo et Costanza, qui furent légitimés par une
bulle du pape Jules II, datée du 8 juillet 1505 (4).

(1) DE NAVENNE, O. c., pp. 96-99.


(2) BASCHET, La diplomatie vénitienne. Les princes de l'Europe au XVI" siècle, p. 185.
.Sur le népotisme de Paul III, voir L. VON PASTOR,Geschichte der Pilpste, t. V, 5"-7" éd,
FI'ibourg--en-Brisgau, 1923, p. 214 svv.
(3) Cette intrigue se place à un moment où le cardinal n'était pas encore prêtre. (DE
NAYENNE, O. C., p. 133.)
(4) DE NAVENNE, O. c., p. 128 svv.
1
~

PL. III

JULIA FAH:"IÈSE
sous l'aspect cIe la :-'fac!onc
(fresque clu Plnl uriccluo aux appartements Borgia, Palais du Vutican)
• ._~ -""J!I"'" '. -------. - --.-.~,._-~------ ••• ,..•• , •••••• ' •••• _•••• ,- •••• _ ••••••• -•••• l.,~~-~ •••••--_

C'est de Pier Luigi qu'est issue la branche des Farnèse de


Parme, à laquelle appartient le prince que nous étudions' dans ce
livre.

* * .•

Pier Luigi, dont on connaît la mort tragique (1), fut gratifié, en


1:»5, par son père, des territoires de Parme et de Plaisance, que
le pontifie érigea en un duché rele-vant directement du -Saint-,siège
apostolique. Cette création fut faite au profit de Pier Luigi, de son
fils Ottavio ou Octaveetffe leurs descendants mâles et légitimes par
ordre de primogéniture (2). Avec Ottavio Farnèse, nous atteignons
le père d'Alexandre Farnèse et c'est ici la place pour consacrer
quelques mots à l'aventure conjugale qui l'unit à Marguerite de
Parme, la fille de Charles-Quint.
Né le 9 octobre 1524, Ottavio (3), le petit-fils du pape Farnèse,
était doté d'un joli visage, il avait une tournure élégante et un air
décidé. Peu à peu, son caractère prit tout son relief : il révéla, sa
vie durant, une forte tenacité dans l'astuce et se montra souvent
d'une avarice sordide. Ce fut un type du quémandeur, alliant une
singulièreéner.gie à un manque absolu de scrupule (4). A l'âge de
14 ans, il épousa Marguenite d'Autriche, la fille de Charles-Quint.
'Celle-ci résidait en Italie depuis 1533, au palais du Pizzofalcone
à Naples, et elle y avait épousé, le 29 février 1536, en présence de son
père Charles-Quint, qui était revenu de son expédition contre Tunis,
le jeune duc Alexandre de Médicis (5). Un an après, eUe devint
veuve. Cosme de Médicis aurait beaucoup désiré la prendre pour
femme (6), mais Charles-Quint ftrtdavis que les Médicis lui devaient

(1) err. LI'ITA, Fam~gZie celebre italiane, tavola XI. Milan, 1868.
(2) DE NAVENNE, O. c., p. 278.
(3) Voir LI'ITA, o. c., tavola XIV.
(4) DE NAVENNE, O. e., p. 243; L. ROMIER,Les origines politiques des guerres de religion.
1. Henri Il et l'Italie (1547-1555), pp. 212-214\.
(5) Le chroniqueur contemporain anonyme du Sumario de algunos sucesos del reuuuio
ae Carlos V, note, à l'année 1536 : « El dia de Carnaval, se despos6 Alejandro de Médicis
con la hija bastarda deI Emperador, Madama Margarita, en presencia de Su Majestad. l>
(Documentas inéditos, t, IX, p. 563); GACHARD,Correspondance de Marguerite d'Autriche,
t. III, pp. II-IV; F. RACHFAHL,Margaretha von Parttuu, p. 8.
(6) Le 15 février 1537, Granvelle écrit à Marie de Hongrie: « Celuy qui a esté es-
leu chef du gouvernement de Florence desireroit l'avoir à mariage: mais Sa Majesté a
en chargé à sesdicts ministres de par tous moyens l'en desmêler et ne le goutte pour
plusieurs considérations. »(GACHARD, Correspondance de Marguerite d'Autriche, t. III,
p. X.)

5
déjà assez de reconnaissance (1) et il chercha ailleurs. Il lui parut
nécessaire d'attirer dans l'orbite de la politique impériale lamaison
Farnèse, dont les traditions guelfes lui inspiraient une grande
méfiance, et dont, d'autre part, la puissance toujours grandissante,
surtout depuis que Paul III gouvernait à Rome, lui paraissait devoir
être captée en sa faveur.
Ottavio Farnèse était en ce moment préfet de la Ville Éternelle.
Oharles-Quint jeta les yeux sur lui au moment précis où, de son côté,
le pape, se rendant au Congrès de Nice pour y présider à la pacifica-
tion entre l'Empereur et François I", pensait à J'établissement de
son petit-fils (2).
Une 'entrevue eut lieu, au retour du congrès, entre le Pape et
l'Empereur ,en juin 1538 : on y décida le mariage d 'Ottavio avec
Marguerite d'Autriche (S). Le contrat de mariage fut passé il. Rome,
le 12 octobre 1538, au nom de Marguerite, par Juan Fernandez
Manrique, marquis d'Aguilar, ambassadeur de l'Empereur, avec
Pier Luigi F'arnêse, duc de Castro, et son fils Ottavio. Le mariage
eut lieu le 4 novembre suivant (4).
Au moment de son mariage, Ottavio venait à peine d'accomplir
sa quatorzième année; Marguerite en avait seize; elle était déjà
femme. On peut être certain que la fille de Charles-Quint n'était
point satisfaite de l'union qu'elle venait de contracter. Elle affirma
plus tard qu'au moment de l'échange des anneaux nuptiaux, elle
ne proféra point le oui sacramentel. Strada raconte à ce propos
qu'elle « dédaignait un mari qui n'était pas encore en âge » et
qu' « elle disait agréablement que c'était le destin de Marguerite
de n'avoir point de rapports avec ses maris, comme ayant épousé,
petite fille de douze ans, un homme de vingt-sept ans, et en un âge
où eUe était déjà femme, un jeune enfant de treize ». En attendant
que 'son époux atteignit l'âge de la puberté, Marguerite résida à
Rome, sous lesyeux du pape. Farnèse, ayant 'atteint sa seizième année,

(i) « Ma Cesare, che si era posto in pensiero di fare qualche altro aoquisto con le
nozze di sua figliuola, avendosi già abastanza obligati i Fiorentini, anzl i Medlsl, col prin-
cipato della patrla in dotto nella 101'0famiglia, e legato con nuovo beneflzio I'istesse Cosimo
pel' averli confermato la Signoria ... » Chi fosse Madarna Margarita d'Austria, Bibliothèque
Casanatense à Rome, ms. 2356, fo 274.
(2) STRADA,Histoire de la guerre des Palis-Bas, t. I, p. 64; F. RACHFALL,O. C., pp. iO-H.
(3) « [Cesare] desse il genero in casa Farnese, allora dominante, marltando la figliuola
al mpote di Paolo terzo, Ottavic, ratte appunto ln quet giorni prefetto di Roma in ve 'dei
duca d'Urbino morte. » (Bnoxr, sretuooua ..., t, III, p. 49); GACHARD,o. c., p. VII; RACHFAHL,
o. c., p. 11.
(/1) GACIIARD,Les Bib~iothèq1ies de Madrid et de ['Es c'U1'i al, p. 52.
-

PL. IV

PAUL III, L1E 'X \NDRE, F r\RNÈSEJ ET OT'J'AVIO FARNÈSE


CARDINAL ALI~L/ În au centre)
(Pau
(OEllue clu T'lien.
l , xrusco BOl
-bontco de :\Taples)
- lU . t

voulut user de ses droits de mari: il rencontra une résistance invin- _


cible (1). Sans vouloir insister sur ces secrets d'alcôve, on peut cepen-
dant se demander si la répugnance de Marguerite était uniquement
due ,à la jeunesse de son nouvel époux. S'il est vrai quOttavio avait
hérité du débauché qu'était son père Pier Luigi le fameux morinss
gallicus (2)-, cette circonstance peut avoir ne pas été sans quelque
influence sur l'étrange conduite de la fille de Charles-Quint.
L'aventure défraya bientôt la chronique. diplomatique de l'époque
et lecardinal de Lenoncourt écrivit auconnétable de Montmorency
que « c'était un piteux mariage » que celui d 'Ottavio et de
Marguerite et que le ménage « s'entendait comme chien et chat» (3).
Au mois de mars 1540, l'Empereur signifia à 'sa fille qu'elle avait à
se soumettre à la volonté de son mari, mais Marguerite continua à
refuser de remplir son devoir conjugal, disant quelle n'était pas
valablement unie à Ottavio et que dailleurs le mariage n'avait pas
été consommé. Le scandale était grand et le mari s'en plaignait
amèrement auprès de Paul III. Finalement, devant les insistances
de plus en plus impérieuses de son père, Marguerite céda au moment
où, en décembre 1540, l'Empereur commençait à ne plus voir d'autre
sortie possible qu'un procès (4).
Ces premiers dissentiments laissèrent cependant dans l'esprit
de Marguerite une impression profonde (5) et influèrent sur sa
conduite ultérieure vis-à-vis de son mari. Comme on le sait - et
nous aurons l'occasion de le constater au 'cours de ces pages - til
n'y eut jamais de véritable intimité entre les époux (6).
:5:
* '*'

(1) GACHARD,Correspondance de Marguerite d'Autriche, t. III, p. VII; DE NAVENNE,


o. c., p. 243. Voir dans GACHARD,La BibUlothèque natianale à Paris, t. I, pp. 496-500, la
correspondance du cardinal Nicastro, envoyé par Paul III à Charles-Quint, qui donne sur
l'aventure des détails précieux. Volci ce que dit le cardinal dans une lettre datée de
La Haye, 18 août 1540: « Quando ultimamente dormirono insieme, non volse [Marglhe-
rital oonsentire a congiuntione, dicendo che nè sua Mtà [l'Empereur] l'haveva rlcerca,
në lei haveva promesse questo, ma solo che simplicemente dormissino insieme. » (Archives
du Vatican, fonds Borghèse, sér, l, 36, fo 119vo).
(2) L. PASTOR, Geschichte de?' Pëpste, t. V, éd. cit., p. 229.
(3) GACHARD,Correspondance de Marguerite à'Autriche, t. III, p. VIII.
(4) GACHARD,o. c., t. II, p. VII-IX; RACHFAHL,o. c., p. 14-15; L. PASTOR, o. c., pp. 229-
W; A. REUMONT,}'fargherita d'Austria, âuctiessa di Parme, dans l'Archivio storico italiano,
•• sér., t. IV, 1880, pp. 24-27.
(5) Strada lui-même nous l'affirme (o. c., t. I, p. 66) : « M. conservait trop vivement
la mémoire des dissensions qui s'élevaient quelquefois entre eux. »
(6) RACHFAHL,o. C., p. 15.
-.-.

7
En novembre 15'40,au moment où Marguerite était près de céder
aux instances de .son père, Paul III donna tà Ottavio le duché
de Camerino comme fief du Saint~Siège et le créa seigneur de
Nepi.
En 15'41,comme Charles-Quint se préparait partir de Lucques
.à 1._.

pour entreprendre l'expédition contre Alger, Paul III Vint l'y trouver.
en compagnie d 'Ottavio et de Marguerite. Il fut alors convenu que:
le jeune F'arnèse vaceompagnerait l'Empereur en Afrique, comme
chef de l'avant-garde espagnole. On peut croire que cette décision
avait pour but de gagner la bienveillance de Charles-Quint pour 19
nouveau duc de Camerino et, comme l'insinue Stœada, « de faire
naître tout ensemble dans I'esprit de Marguerite quelque désir de
son mari par le moyen de son 'absence. » (1) Il est d'ailleurs probable
que le ,sang de condottiere qui coulait dans les veines d 'Ottavio avait
poussé celui-ci à participer à l'expédition.
Marguerite resta seule à Rome, y occupant l'ancien palais des
Médicis - résidence de Léon X lorsqu'il était encore cardinal ~.
qui avait passé aux Farnèse sous le pontificat de Paul .III. Du
nom que les Italiens donnaient là la fille de Charles-Quint, Madama
(Madame'), ce palais garda l'appellation de Palazzo Madama (2).
C'est là que la jeune duchesse apprit bientôt que des rumeurs
sinistres s'étaient répandues au sujet de l'expédition d'Alger. Le
bruit de la défaite de l'Empereur courait; on disait même qu'il avait
péri dans la tempête qui avait détruit une partie de sa flotte. Bien
plus, des gens assurèrent qu'on avait vu couler la galère qui portait
Ottavio Farnèse et on n'avait, de fait, aucune nouvelle de ce der-
nier {3). Au port de Livourne, des blessés et des moribonds, échappés
de l'aventure, continuaient à arriver, sans qu'il fût possible de S'avoir
quel était le sort d 'Ottavio. On comprend que Marguerite fut forte-
ment impressionnée à la pensée que dans ce désastre elle avait peut-
être perdu en même temps son père et son mari (4).
Il n'est pas interdit de croire avec Strada « qu'elle en conçut
une douleur excessive et la pitié qu'elle en eut (dOttavio) lui en
fit avoir de l'amour. » (5) Marguerite finit par apprendre que son
mari était- gravement malade et qu'il était soigné dans l'entourage

(1) O. c., t. I, p. 65. Gfr L. ROMIER, o. C., p. 214.


(2) L. PASTOR, O. c., t. VI, éd. clt., pp. 293-294.
(3) STRADA, o. c., pp. 65-66.
(4) A. REUMONT, O. c., loc. cit., pp. 28-29.
(5) O. c., t. I, p. 66.

8
----_.----~------------------------

de l'Empereur. Elle ne revit cependant pas Ottavio de si tôt (1).


Le jeune duc accompagna Charlea-Quint ien Allemagne pendant la
lutte contre les princes protestants. Pendant cette guerre contre la
ligue de Schmalkalde, Ottavio amena à l'Empereur un contingent
de troupes pontificales, dont Paul III lui avait confié Le commande-
ment et c'est pendant cette campagne, le 11 août 1546, que le mari
de Marguerite fit à Landshut la connaissance de Maximilien de
Habsbourg, qui devait devenir empereur sous le nom de Maximi-
lien II (2). Ces rapports persistèrentet ne furent point sans impor-
tance plus tard, comme nous le verrons, au moment où Marguerite
et Ottavio songèrent à marier leur fils Alexandre.
Lorsque Ottavio revint d'Alger, son épouse le reçut bien (3).
Peu de temps après ces premieres vraies manifestations d'amour
ou de tendresse, Marguerite mit au monde - après sept ans de
mariage - des jumeaux, dont un seul survécut, Alexandre, celui qui
fait l'objet de cette étude (4).

(1) STRADA, O. e., t. t, p. 66, dit que Marguerite revit Octave deux ans après, c'est-à-dire
en 1543. Elle l'aurait donc revu après l'expédition d'Alger et avant la guerre de la Ligue
de Schmalkalde,
(2) R. HOIJrZMANN, Ka'iser Ma;cimllian II. bis zu seiner Thronbesteigung (15)27-15IU),
p. 52. Berlin, 1903.
__. (3) STRADA, o. c., t. l, p. 66.
. (4) STRADA, o. c., t. I, p. 66; A. REUMONT, O. C., loc. cit., p. 29.

9
-

CHAPITRE II

NAISSANCE l~T PREMIÈRES ANNÉES


D"ALEXANDRE FARNÈSE
(1545-1556)

C'est le 27 août 1545 (1) que Marguerite mit au monde deux fils,
qui furent appelés respectivement Carlo - en honneur de Charles-
Quint - et Alexandre, en honneur de Paul III (2).
Ces enfants naquirent au Palazzo Madama et leur naissance
provoqua une grande allégresse. Le P.ape, toujours préoccupé de
I'avenir de sa famille et transporté de joie, combla sa belle-fille de
cadeaux et lui 'envoya, pour la distraire pendant ses couches, quatre
musiciens. Il fit remettre à la sage-femme une somme de deux cents
écus. Ottavio se rendit à l'église de Saint-Marcel, où l'on vénérait un
crucifix miraculeux, pour rendre grâce à Dieu de ce qu'TI lui 'avait
donné des- héritiers, et la noblesse romaine organisa des fêtes pen-
dant plusieurs jours. Le 30 novembre suivant, les jumeaux furent
baptisés dans Péglise de Saint-Eustache, en présence de dix-neuf
cardinaux. Charles-Quint comme parrain, et la dauphine de France,
comme marraine, se firent représenter à la cérémonie par des 'envoyés
spéciaux (3).

(1) Aucun doute ne peut exister au sujet do cette date, qui est clairement indiquée
dans l'inscription placée sous le portique antérieur dans l'église de Saint-Eustaeâie à
Rome pour rappeler le baptême des jumeaux. Le Liber rewtionum dit d'ailleurs, fo 49ro :
« Naque Alessandro suo fl'gliolo in Roma l'anno 1545 a 27 d'Agosto sotto la costelatlone
di []. »; FEA, O. c., p. 4, n. 1. CfI" aussi LlTI'A, o. c., tavela XV[; A. REuMONT, O. C., loc. ctt.,
p. 29; T. BAZZIet U. BENASSI, stona di Parma, p. 187; DE NAVENNE,O. C., p. 280.
(2) « E egli ebbe nome pel' Paolo III Alessandro, ... e l'altro per I'imperatore Carlo
!(,r avolo materna hebbe nome. » Liber 7'elationum, fo 49ro.
(3) FEA, o. C., p. 5; DE NAVENNE,O. C., p. 280.
- -~

Au bout de quelques mois, le petit Carlo mourut et il ne resta


qu'Alexandre, enfant unique sur lequel Ottavio et Marguerite allaient
reporter tous leurs espoirs et leurs ambitions communes. Le fait
qu'Alexandre était né l'année même où Paul III convoqua le Concile
réformateur ne pouvait-il être considéré comme un présage de tous les
services qu'un jour Ie fils de Marguerite rendrait à l'Espagne et à
l'Église dans la défense de l'orthodoxie'
Au moment où Alexandre était né, la situation politique d'Ottavio
avait subi un changement notable (1). En effet, le 12 août, une quin-
zaine de jours donc avant la naissance des fils d.'Ottavio, Paul III
avait mis Pier Luigi Farnèse en possession des duchés de Parme et
de Plaisance, avec la stipulation que ces territoires devaient passer
à Ottavio et aux descendants de celui-ci par privilège de primogéni-
ture. Le mari de Marguerite pouvait donc compter sur un héritage
considérable.
Comme cette question de Parme' et de Plaisance a rempli du bruit
de la lutte qu "elle engendra les premières années du jeune Alexandre
Farnèse, il est nécessaire de l'exposer brièvement (2).

* *'

Paul III, après avoir nommé son fils Pier Luigi duc de Came-
rino et gonf-alonier de l'Église, trouva que ce n'était pas suffisant.
Il voulut étendre la puissance de sa maison et profiter, en 1543, de
la reprise de la guerre entre les. Habsbourgs et les Valois. Il offrit à
Oharles-Quint I'alliance du Saint-Siège au prix de l'abandon du
duché de Milan aux Farnèse. L'Empereur refusa.
Le Pape n'hésita dès lors pas à agrandir sa maison aux dépens
du patri1nonùf1n S. Petri, en lui cédant les duchés de Parme et de
Plaisance. Ces territoires, qui avaient appartenu autrefois aux
Sforza, furent confisqués en 1512 par le pape Jules II sous prétexta
qu'ils avaient fait partie de l'ancien exarchat de Ravenne. ils restè-
rent à l'Église, malgré l'opposition de l'Empereur. En 1535, lorsque
les Sforza s'éteignirent, Charles-Quint les réclama. Après le mariage
dOttavio avec Marguerite d'Autriche, Paul III avait essayé en vain

(1) « Mais comme, par un bonheur assez rare, elle accoucha peu de temps après de
deux fils jumeaux et que, pour ainsi dire, elle vit en un même jour ses biens augmentés de
la principauté de Parme et de Plaisance ... » STRADA, O. c., t. I, p. 66.
(2) Voir à ce sujet A. REUMONT, Q. 0'., 100. clt., pp. 30-33; RACHFAHL, o. c, pp. 18-24,
. et surtout DE NAVENNE, O. C., pp. 289·{i36 et L. ROi\1JER, Les origines politiques des guerres
"de 1"eligion, t. I, pp. 181-313 et t. II, pp. 75-89.

11
d'amener l'Empereur à abandonner ses prétentions. Le Pape, chan-
geant-de tactique,déclara 'alors aux cardinaux que les duchés de Parme'
et Plaisanceçsitués aux confins du Milanais, étaient trop difficiles à

g-arder par le ;Saint-Siège n reprendrait donc le duché de Camerino,


qu'il avait donné aux Farnèse, et qu'il estimait plus facile à con-"-
server, et céderait à sa famille Parme et Plaisance à titre de fief
héréditaire du ,Siège apostolique. Malgré les protestations de plu-
sieurs cardinaux et aussi de l'Empereur, que les circonstances
politiques empêchèrent d'agir en ce .moment, Paul III inféoda les
deux territoires à Pier Luigi et à ses descendants .
. Pier Luigi, qui s'était comporté vis-à-vis de son peuple en
prince juste et paternel, avait cependant jeté les nobles dans le
désespoir (1). Un complot fut ourdi contre lui avec l'appui du gou-:
verneur impérial du Milanais, F-errante Gonzaga, et Pier Luigi fut
barbarement assassiné le 10 septembre 1547. Aussitôt,Gonzàga fit
occuper par des troupes espagnoles la citadelle de Plaisance, ainsi
que la ville et le duché de ce nom. Parme ferma ses portes et se
déclara pour Ottavio, le fils de Pier Luigi.
Le pape Paul III accusa ouvertement Gonzaga d'avoir tramé
cette conspiration et essaya, par des menaces, de forcer Charles-
Quint à rendre Plaisance. Ce fut en vain. Le pontife, par une diplo-
matie que l'on a qualifiée de « trop fine» (2), mais qui montre en
tout cas quels tours il avait dans son sac, révoqua l'inféodation de
Parme et de Plaisance aux Farnès·e, restitua les territoires à l'Église.
et donna en échange au jeune Ottavio le duché de Castro et à Horace
Farnèse, le plus jeune de ses petits-fils, fiancé à Diane de France,
le duché de Oamerino {3). En exécution de cette décision, le Pape
rappela Ottavio à Rome et envoya Camillo Orsini prendre possession
de Parme au nom de l'Églis·e.
Ottavio, furieux, essaya de rendre cette décision inopérante et
accourut pour reprendre Parme : il échoua. De 'I'orrechiara, où il
8 'était retiré, il TI 'hésita pas à nouer des relations avec celui qui était
responsable de l'assassinat de son père, le farouche ennemi des
Farnèse, Ferrante Gonzaga, Outré au-delà de toute expression,
Paul III somma son petit-fils de rentrer immédiatement à Rome.
Ottavio, décidé à résister pour rentrer en possession de son duché,

(i) Pource point, voir DE NAVENNE, O. C., p. 289 sv.


(2) O. c., loc. olt.
RACHFAHL,
(3) Sur cet épisode et les comphcations des JJivalilés française et impériale en ce
moment, il faut lire L. ROMIER, O. c. t. I, p. 214, ainsi que DE NAVENNE, O. C., pp. 489-500.

i2
PL. V

.:
/

PIER LUIGI F_\HNÈSE


(Portratt par un inconnu nu Palais Ducal de Parme)
fit savoir au' pontife, par l'intermédiaire de son frère, le cardinal-
neveu Alexand-re Farnèsé,'que, dépouillé par son grand-père, il
saurait bien rentrer à Parme avec le secours de- Gonzaga et des
Espagnols. Lorsque le Pape lut la lettr-e de son petit-fils, il en fut
très bouleversé et eut à ce sujet une conversation avec ~e cardinal
Farnèse, dont l'ambassadeur vénitien Dandolo nous a laissé une
description très vivante: « LE:} Saint-Père ... dans les plus mauvaises
dispositions, s'en alla àsa villa de Monte-Cavallo pour y chercher
un peu de distraction. Là, à propos des chas-esde Parme, Sa Sainteté
se prit d'une telle colère contre le révérendissime Farnèse, qu'il lui
arracha des mains son bonnet de cardinal et le foula aux pieds. On
estime généralement que si Sa Sainteté eût survécu, Elle eût privé
le cardinal de toute sa bonne grâce et de toutes ses faveurs. Mais un
si grand outrage de la part des siens, joint à sa grande vieillesse, fut
un dernier coup pour le pontife, qui tomba atterré ... » (1)
La dispute avec le cardinal Farnèse se termina par un coup
d'apoplexie qui terrassa le vieux Paul ID (novembre 1549).

* .
* ""
On conçoit qu'au milieu de ces péripéties, Ottavio et Marguerite
.se sont trouvés dans une situation quasi inextricable, coincés quils
étaient entre Charles-Quint et le Pape.
La situation de Marguerite vis-à-vis de l'Empereur son père était
douloureuse. Mais elle était peut-être encore plus 'angoissante vis-
à-vis de Paul III ..
Marguerite :fit tout pour réconcilier son mari avec le Pape. Le
dimanche .précédant le 2 novembre 1549, elle s'était rendue chez le
pontife pour demander pardon au nom dOttavio : elle retourna-le
lendemain, accompagnée du cardinal Farnèse, pour insister encore
et essaya d'obtenir du vieillard courroucé l'autorisation pour son
époux de rentrer à Parme. Cette entrevue dura trois heures et on
vit que la duchesse pleurait en sortant de là. Elle n'avait rien obtenu,
Paul III exigeant qu'Ottavio vînt se jeter à ses pieds (2).
Survint alors l'attaque d'apoplexie qui frappa le pontife, le
3 novembre suivant. Paul III, revenu à lui, eut encore la force de
(1) BASCHET, La diplomatie vénitienne"., p. 186. afr la lettre du cardinal Farnèse à
Camillo Orsini,29 octobre 1549, publiée par A. BOSELLI, Il carteggio del cardo Alessandro
Farnese conseroato neüa. « Palatma » di Pœrtna, dans l'Archivio storieo per le pr01JÏrlcie
.1?,armensi, nouv. sér., t. XXI, 1921, pp. 147-148.
.. (2) A. REUMONT, O. C., loc. clt., p. 30.

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convoquer les cardinaux autour de son lit. Marguerite de Parme
sollicita la faveur de s'approcher du moribond, auquel on se prépa.
rait à administrer l'extrême-onction. Elle fut admise et se présents
avec le jeune Alexandre, alors âgé de quatre ans. Le vieux pape .fut
heureux de contempler l 'enfant et le bénit à plusieurs reprises. Ce"
fut comme une diversion pour le malade qui se sentit mieux, au point
qu'il prit deux œufs frais et but un demi verre de vin (1). On crut
qu'il allait échapper à la mort, mais le dimanche 10 novembre, ses
forces le trahirent, sa langue s'embanassa et bientôt il expira,
prononçant des paroles inintelligibles, parmi lesquelles on comprit
le mot Parma (2).
Le jeune Alexandre Farnèse venait d'a'ssister à la mort du der-
nier des papes de la Renaissance.

On apprit bientôt que, in extremis, Paul III avait fait établir un


bref ordonnant à son lieutenant Orsini dêvacuer Parme et de la res-
tituer à Ottavio: personne ne douta que cet acte. n'eût été extorqué
au moribond par le cardinal Alexandre Farnèse. Cependant, au
conclave qui s'ouvrit bientôt, IBs papabili prirent l'engagement de
maintenir Ottavio en possession de Parme. Ce fut le vote des cardi-
naux français qui fit monter sur le trôn-e pontifical le cardinal del
Monte, qui prit le nom de Jules III. On vit cependant celui-ci se
rapprocher bientôt des cardinaux de la faction impériale: c'est qu'il
avait 'besoin de Charles-Quint pour la réussite du concile général qui
devait réformer l'Églis'e (3).
Toutefois, Jules III, fidèle aux engagements qu'il avait pris,
exécuta le·bref de Paul III concernant la restitution de Parme (4).
Le 29 février 1550, la ville et le duché furent remis à Ottavio
Farnêse.
Alors Charles-Quint, toujours en possession de Plaisance,
donna à Mendoza, son ambassadeur à Rome, l'ordre d'obtenir du
(1) L'ambassadeur Dandolo à la seigneurie de Venise, Rome, 10 novembre 1549, dans
Venetia.n Calenâar 1534-1554, p. 273.
(2) DE NAVENNE, O. c., p. 500.
(3) L. RO~UER, O. c., t. 1, pp. 224-228.
(4) Instruttume per monsignor Ardimghello aeetmaio aW Imperoiore per iL progresso
del conclave et creatume di papa et consiJgnatione di Parma al duca OttœV'iio(GACHARD, La
B!blioth~que 'Mtionale à Paris, t. l, p. 492). Cette instruction émane probablement du car-
dinal Alexandre Farnèse; Dandolo à la seigneurie de Venise, Rome, 8 février 1550. dans
Venetian Calendar 1584-1554, p. 309.
versatile pontife la cession de Parme et de Plaisance à l'Empire,
moyennant des compensations que l'on discuterait. Jules III se
laissa convaincre et conclut un accord remettant les deux villes à la
maison d'Autriche, qui les tiendrait en fief du Saint-Siège (1).
Aussitôt Ottavio Farnèse se jeta dans les bras du roi de
France, Henri II, qui avait été favorablement disposé par le cardi-
nal Alexandre Farnèse, Celui-ci, d'accord avec les Guise, avait
essayé depuis quelque temps déjà d'entraîner le monarque français
dans l'aventure italienne. Confiant dans l'appui d 'Henri II, Ottavio
rejeta les derniers avertissements du Pape et garda Parme. Le
27 mai 1551, Henri II signa avec lui un traité d'alliance, par lequel
il se déclarait protecteur de la maison Farnèse et s'engageait à
fournir des troupes pour la défense de Parme et un subside annuel
de 12.000écus d'or (2).
Pendant que MS nouvelles complications s'étaient développées,
le cardinal Farnèse et Marguerite de Parme avaient travaillé de
concert pour opérer une pression sur Ottavio, le premier voulant
éviter un conflit avec le Saint-Siège (3), la seconde désirant ne pas
pousser à bout l'Empereur son père.
A la nouvelle de la trahis'Ûn dOttavio, Charles-Quint avait tout
de suite ordonné, en 1551,le séquestre des revenus qu'il avait assignés
à Marguerite dans le royaume de Naples. La duchesse s'en plaignit,
mais l'Empereur n'eut pas de peine à lui faire comprendre que
cette mesure avait pour but d'empêcher Ottavio de se servir de
ces sommes; il ajouta que, si elle voulait sortir de Parme et se
retirer dans quelqu'un de ses Étlats ou en tel autre lieu qu "elle
préférait, il ferait non seulement lever le séquestre, mais la traite-
rait comme sa fille bien-aimée (4).
Marguerite refusa de se séparer de son mari, non pas par
amour d'Ottavio - il n'en fut pas question - mais par amour
pour le fils unique qui lui restait, le petit Alexandre. Puisque
Charles-Quint semblait réellement disputer Parme à Ottavio, il était

(1) L. ROMIER, O. C., t. I, pp. 229-230; DE NAVENNE, O. C., pp. 505-515.


(2) L. ROMIER, O. c., t. I, PlY. 241-242.
(3) Lettre du cardinal Farnèse au cardinal Santa Croce, Florence, 21 décembre 1551,
dans BOSELLI, Il carteg(}'io del cardo Alessandro Fa'l'nese..., loc. cit., pp. 151-153 : « Che
si habbia a ruinare il mondo e la Sede apostolica per una nostra passione prlvata, pee
giusta che sia, conosco che non è il dovere ... 10 riputo per tutti Ii rispetti che il Duca debbia
uscir,e di Parma. 10 da molti mesi in quà ci ho fatto di molti offitii... »,
(4) GACHARD, Correspondance de .~la1·guerite di'Autriche, t, II, p. X.

15
de l'intérêt de la duchesse de ne point écouter les suggestions de
son père :en abandonnant Parme, elle aurait diminué l'héritage de
son enfant (1).
Elle se trouvait ainsi tiraillée entre son amour maternel et sa
piété filiale. Octave ne l'intéressait pas beaucoup : au début de la i

dispute pour Parme et Plaisance, elle avait refusé de prêter ses


bons offices auprès de l'Empereur; elle avait même déclaré qu'elle
préférait couper la tête de son fils, plutôt que de demander à son
père quelque chose qui pouvait lui déplaire (2). Ce n'était là qu'expri-
mer énergiquement son indifférence pour Ottavio : en réalité, elle
avait déjà reporté toute 'sa tendresse et toute sa sollicitude sur le
petit Alexandre (3).
La situation de Marguerite n'en était pas moins cruelle: il
semble bien que, pendant toute la période où Ottavio demeura dans
le parti de Henri II, les rapports de la duchesse avec son père
restèrent interrompus. Nous n'avons, en effet, plus de lettres de
Charles-Quint à sa fille jusqu'au moment où il allait s'embarquer
pour se retirer dans le monastère de Yuste (4). Aussi, dans la crainte
de voir Marguerite finir par abandonner son mari, le cardinal
Alexandre Farnèse s 'empreseait d'entourer sa belle-sœur des plus
grandes prévenances (5).
Lorsque le pape Jules III apprit quOttavio avait partie liée avec
Henri II, il le proclama rebelle, déchu de ses titres et de son duché, et
lui déclara la guerre. Ferrante Gonzaga envahit le Parmesan. Mais
les hostilités ne durèrent pas longtemps (6). La paix se fit au bénéfice
de Henri II et des Farnèse. Le 27 février 1552, Charles-Quint avait
fait savoir à s'On ambassadeur à Rome qu'il était enclin à faire la
paix, parce que ses finances avaient été tellement réduites par cette
affaire de Parme qu'il serait fort embarrassé si la guerre devait se
prolonger. L'ambassadeur était chargé d'obtenir un « 'accord rai-

(1) RACHFAHL,O. c., pp. 20-24; Compte rendu d'une audience donnée par Charles-
Quint à l'évêque de Fano: «His Majesty [Charles-Quint]. had sent a message to Ottavio
at the very beginning of the war ... in whioh he stated clearly that if he followed his own
evil counsel and neglected his duty, His lIfajesty would have no consideration for his
own daughter or his grands on ... », dans Spanish Calendar, 1550-1552, p. 585.
(2) RANKE, Geschichte der romischen Pâpete, p. 171.
(3) RAcHFAHL,o. c., pp. 15-16.
(4) Lettre datée de Gand, 28 aoüt 1556. Cfr GACHARD,o. c., t. II, p. XII.
(5) L. ROMIER, O. C., t. I, p. 240.
(6) Cfr L. PASTOR, O. C., 1. VI, pp. 98 svv.; Spanish Caletuùir 1550-1552, p. XXXIV-XXXV;
DE NAVENNE,(J. C., p. 505-515; Nuntiaturberichie aus Deutschland, t. XII, éd. KUPKE, intro-
duction, pp. LXI et svv.

16
sonnable » (1). Le 29 avril suivant, Jules III et le cardinal de
Tournon signèrent un armistice pour deux ans entre la France et le
Saint .•Siège, sous réserve de la ratification de l'Empereur: Ottavio
gardait Parme et Horace Farnèse recouvrait Castro. L'aide
d 'Henri II leur avait donc permis de braver à la fois le Pape et
l'Empereur (2).
'*' *
. Pendant ces deux années 1551-1552,le jeune Alexandre Farnèse,
déjà en âge de comprendre ce qui se passait autour de lui, vécut aux
côtés de son père Ottavio les angoisses d'un siège. C'est d'alors que
datent ses premiers souvenirs de l 'homme ingénieux qui devait
plus tard assister à ses noces à Bruxelles et qui, pendant cette lutte,
aidait Ottavio en qualité de commissaire de guerre et d'artillerie:
le capitaine F'ranceseo di Marehi (3). Grâce à ce dernier, les œuvres
de défense de la ville furent mises en bon état et purent délier les
soldats de Gonzaga. Un moment, on dut échanger devant le jeune
Alexandre des propos anxieux: c'est lorsque, la disette menaçant,
le duc se vit obligé de faire sortir de la ville plusieurs milliers
d'habitants pauvres, réduisant ainsi les bouches à nourrir au nombre
de 17.000 (4). Un autre moment, Alexandre assista à la rentrée
triomphale de son père, qui venait de disperser les soldats d'un
capitaine au service des Impériaux, Ascanio Comnène, prince de
Macédoine, qui s'était retranché sur les bords de la rivière Parma
près de 'I'orrechiara, Cette victoire contribua__à rendr-e aux Parme-
sans un courage qui avait commencé à faiblir (5).
Une fois l'armistice conclu, les Farnèse essayèrent de profiter
de la libéralité de leur « protecteur », Henri II, et y mirent la ténacité
et l'ardente convoitise quiétaient, chez eux, une caractéristique de la
race. Comme Charles-Quint maintenait le séquestre sur les biens de
Marguerite en Toscane et à Naples, elle et son mari réclamèrent du
roi de France une compensation. Par le puissant intermédiaire
dHorace Farnèse, le fiancé de Diane de F'ranee, ils obtinrent le
domaine dont Henri II dépouilla sa belle-mère Éléonore d'Autriche,
sœur de Charles-Quint. Marguerite de Parme y gagna un revenu
annuel de 10.000 à 15.000 écus. Mais cette largesse ne calma point la
(i) Spanish Calendar 1550-1551, p. 459 sv.
(2) L. ROMIER, O. C., t. I, p. 290.
(3) RONCHINI, Cento tettere del capitœno Francesco di lIfarcht, p. VII.
(4) T. BAZZI et U. BENASBI, Storia di Parma, p.
i82.
(5) Ibidem.

i7
convoitise des F'arnèse, qui ne cessèrent de quémander secours et
subsides et donnèrent ;à la cour de France l'impression d'une véri-
table mendicité (1).
Horace Farnèse étant mort des blessures reçues le 18 juil-
let 15'5·3à l 'assaut d'Hesdin par les Impériaux, Henri II fit savoir k
Ottavio Farnèse qu'il voulait reporter toute l'affection qu'il avait
montrée au défunt sur la personne du fils d 'Ottavio, le jeune
Alexandre. Mais le duc de Parme cherchait .plus que des manifesta-
tions de sympathie et des promesses. En décembre 1553, il partit en
secret pour la France, sans compagnie aucune: seuls son épouse
Marguerite, son fidèle lieutenant de Parme, Paolo Vitelli, et M. de
Fourquevaux, trésorier du roi Henri II à La Mirandole, qui paya
le voyage d 'Ottavio, étaient au courant.
Toutefois, le 28 décembre, Gonzaga écrivit de Milan à Charles-
Quint pour l'avertir que le duc de Parme était parti pour la France
par la route des Grisons et de la Suisse : Gonzaga estimait qu'on
ne pouvait attendre que des surprises désagréables (2). Arrivé à
Lyon le 29 décembre, Ottavio Farnèses 'y enferma dans sa chambre
jusqu'à l'arrivée de douze gentilshommes parmesans qui devaient
le rejoindre. Puis il se rendit à la cour pour y renforcer s·es posi-
tions en prouvant à Henri II les avantages qu'il y avait à aider
Parme en hommes et en argent. Un deuxième but de son voyage
était d'obtenir en monnaie sonnante, pour son fils le jeune Alexandre,
la pension que le Roi avait payée à Horace Farnèse défunt (3).
Il resta à la cour jusqu'en février 155'4: mais on le leurra de
promesses. Henri II était sur le point des 'engager dans l'affaire de
Sienne. Cette grande aventure de la guerre de Sienne, qui ne se fit
pas au profit des Farnèse, poussa ceux-ci à s'orienter prudemment
vers l'autre camp (4). Le 5 février 1555 se conclut la 'I'rève de Vau-
celles entre la France et l'Espagne.

C'est à cette heure psychologique que la diplomatie espagnole


crut devoir intervenir dans les affaires de la maison de Parme (5). A
(1) L. ROMIER, O. c., t. I, pp. 299-300.
(2) SpanishCalendar 1558, pp. 461-462. Voir la note de l'éditeur, RoyllTyler, à la
page 461.
(3) Spanish Calendar 1553, p. 461, note; L. ROMIER, O. c., t. I, p. 309.
(4) L. ROMIER,O. c., t. II, p. 76, montre le rôle du cardinal Farnèse dans cette volte-face.
(5) afr. DE NAVENNE, O. C., pp. 533-534; G. GOGGIOLA, 1 Farnesi e ü Ducato di parma
e Piacenza durante il pontificat!) d~ Paolo IV, dans l'Ac1iivio storico per le provt.ncte,
parmensi, nouv. série, t. III, 1905, pp. 1-278.

18
PL. VI

CH-\RLES-QlJli\T
(Portrait par le Titien)
Charles-Quint avait succédé Philippe II. Étant donné la politique
antiespagnole de Paul IV, le pape Caraff.a, et les intrigues du cardi-
nal Caraffa .pour amener le roi de France à rompre la Trève de
Vaucelles, on pouvait s'attendre à une reprise des hostilités. TI était
naturel que Philippe II se préoccupât d'isoler le pontife anti-
espagnol et de ranger à ses côtés les princes italiens. A Milan, le
duc d'Albe avait remplacé comme gouverneur Ferrante Gonzaga,
et appelait l'attention sur la nécessité de garder solidement le Mila-
nais contre les entrepnises du duc de Ferrare, dont on soupçonnait
qu'il tiendrait pour le Pape et entrerait dans la ligue contre le Roi
catholique (1).
Le vieux Charles-Quint avait d'ailleurs chaudement recommandé
Marguerite de Parme à Philippe II : il se croyait tenu en conscience
de restituer Plaisance aux Farnèse et la tragédie de la mort de Pier
Luigi, à laquelle il n'avait pas été étranger, hantait ses derniers
jours (2).
La conclusion de l'accord entre Philippe II et les Farnèse fut
facilitée par l'intermédiaire du duc de Florence. Cosme.de Médicis
en avait pris l'initiative et les tractations secrètes se firent par le
canal de Geronimo da Correggio, un familier des Farnèse et feuda-
taire de l'Empire, qui se fit le porte-parole dOttavio (3). Déjà, le
25 juillet 1556, les banquiers de Rome publiaient le texte même ;de
l'accord qui aurait été conclu entre Ottavio Farnèse et Philippe II.
La nouvelle était prématurée, mais les Français n'en furent pas moins
atterrés (4). Bientôt on fut fixé. Le 15 septembre 15'56,fut signé à
Gand l'accord général entre le roi d'Espagne ,et les Farnèse. Phi-
lippe II restituait à Ottavio la ville et le duché de Plaisance, sauf la
forteresse - que le souverain conserverait aussi longtemps qu'il
le jugerait convenable -; il en serait de même de la citadelle de
Novare. Le Roi rendrait aussi à Marguerite de Parme la dot qui
avait été séquestrée, et le cardinal Alexandre Farnèse recevrait la
riche abbaye de Monreale en Sicile. Quant au fils d 'Ottavio, le jeune

(1) G. ADRIAN!, Istoria de' suoi tempi, fo 553B: « Questa giunta alla potenza del Re
catoUico ln ltalia e spezialmente allo stato di Milano in questo tempo si sttmava a grau
sicurezza e opportuna a tenere a freno il Duca di Ferrara, il qual si teneva pel' certo che
rosse entrato nella lega Inlmica. » La même chose est affirmée par l'auteur bien informé
des Constdérations sur le gouvernement des PfLys-Bœs, t. II p. 183 : « pour l'intérest qu'il
[Philippe II] avait de l'avoir {l'OUI' am}", de là les monts, pour contrepeser le ducq de
Ferrare, qui tenoit le costé de France. »
(2) DE NAVENNE, O. C., p. 535.
(3) G. ADRIAN!, O. c., fO 553B.
..",.~. (4) L. ROltfiER, o. c., t. II, p. 84.

19
Alexandre, qui avait en ce moment dix ans, il devait aller rêsiderà
la cour d'Espagne, « au service du sérénissime Oarlos, prince des
Espagnes, fils de Sa Majesté », en attendant qu'il épousât la fille
de Cosme de Médicis (1).
La réponse d 'Henri II ne se fit pas attendre. Voulant frap~èr
surto~t celui qui l'avait entraîné dans I'aventure italienne et auquel
il imputait la trahison des Farnèse, il publia, le 23 octobre 1557, un
édit déclarant confisqués tous les bénéfices que le cardinal Farnèse
possédait en France. et où il parlait des « iniques portements » des
Farnèse « qui doivent estre tenuz, estimés et repputés envers Dieu
et le monde les plus ingratz qui soient entre les vivans» (2).
Désormais, les Farnèse étaient solidement et définitivement liés
à l'Espagne. Philippe II les tenait à sa dévotion par deux conditions,
qui vont jouer désormais dans la politique familiale de cette maison
un rôle de première importance : il prenait comme gage de la fidélité
de la famille laèitadelle de Plaisance, où résidait une garnison
espagnole, et il exigeait qu'on lui remît entre les mains le jeune
Alexandre, auquel il ferait donner à la cour d'Espagne une éduca-
tion espagnole.
En somme, Alexandre servait d'otage pour la fidélité des
Farnèse à l'Espagne. Le mot n'est pas trop fort et il fut employé
par J 'ambaseadeur vénitien Navagero qui, informant le doge de
l'accord conclu entre le roi d'Espagne et les Farnèse, écrit : « [Le
Roi] garde le fils du duc comme otage. » (3)
C''cst ainsi que l'ont compris aussi les historiens qui ont écrit
peu de temps après les événements ou au cours des années suivant la
mort de Philippe II. Strada dit que le roi « garda Alexandre auprès
de lui comme un gage de l'aff.ection (loyalisme) de sa mère, Margue-
rite de Parme » et, en un autre passage, que « Philippe II était bien
aise... d'avoir Alexandre pour otage de l'affection des Farnèse ». (4)
Nicolas Burgundius, dans son Historia belgica, emploie aussi
l'expression otage pour caractériser la situation du fils d'Ottavio (5).
(1) Archives du Vatican, Lettere di P1incipi, t. III, fo 174. Cfr L. AMBIVERI,La cessione
dl. Piacenza tatta ad Ottavio Farnese da Filippo II, Te di Spagna, dans Strenna piacentina,
t. IX, 1883, pp. 132-150; L. ROMIER,O. c., t. II, p. 86.
(2) L. ROMlER.,O. C., t. II, p. 90. Sur le rôle du cardinal Farnèse, voir GOGGIOLA,1
Farnesi ed l.l aucato di parma e pracenza ..., loc. elt., pp. 237-240.
(3) Venetian Ca~endar 1555-1556, n? 589.
(4) O. C., t. 1. p.70; t. II, p. 326.
(5) « Cuius [Margaritael fllium veluti obsidem, maritum teneret in Italia clausum
et alioquln destitutum potentia ad occupandum racinus. » (Historia belgica al> anno
MDLVllI, p. 24).

20
Si la dure nécessité imposait ainsi aux Farnèse de se séparer du
fils qu'ils adoraient, ce dernier, en tous cas, n'aurait pas pu leur
reprocher de ne pas avoir défendu avec ténacité tout l'héritage
de famille qui devait lui revenir un jour. Toutes les péripéties de la
question de Parme et de Plaisance sont là pour montrer quOttavio
- assisté par Marguerite dans la mesure où celle-ci le pouvait sans
trop offenser l'Empereur son père - avait bataillé avec la même
ardeur, le même courage, la même astuce, le même manque de scru-
pule qui avaient animé les fiers condottieri, ses ancêtres, au temps
où ils élargissaient sans cesse leurs possessions de la région du lac
de Bolsena.
;;

* *
Le récit de cette lutte ne nous a pas permis de faire connaître
jusqu'ici ce que nous savons de la première éducation du jeune
Alexandre Farnèse, au palais ducal de Parme. Au milieu des bruits
de guerre, quelques échos nous sont parvenus de sa jeunesse studieuse
et des occupations de sa première enfance.
Le jeune Alexandre Farnèse passa ses premières années dans
l'ancien palais épiscopal de Parme, que son père et sa mère occu-
pèrent pendant quelque temps avant d'aller habiter le nouvel édifice
qu 'Ottavio fit construire (1). Comme plusieurs de sa race, il fut un
enfant précoce, d'esprit ingénieux et d'une intelligence très vive.
Ottavio et Marguerite lui donnèrent des maîtres excellents de grec,
de latin et d'autres langues (2), probablement de français et d'alle-
mand. Parmi eux se trouvait, revêtu de la dignité de gouverneur
du jeune prince, le florentin Giulano Ardinghelli, ,oommandeur de
Matte, qui était dévoué corps et âme aux Farnèse et qui avait plus
d'une fois été chargé de la défense de leurs intérêts. En cette même
qualité l'assistait le noble bolonais Giovanni Aldrovandi, qui plus
tard devait accompagner le jeune prince à la cour d'Espagne.
L'enseignement des lettres était confié depuis 1554 à l'humaniste
udinois Francesco Luisini, qui avait eu du succès comme professeur
privé chez les Cornari à Venise, et à Reggio d'Emilia, et qui était un
protégé du cardinal Farnèse (3).
(i) DE NAVENNE, O. c., p. 578.
(2) Liber relationum, r- 49.
(3) FEA, o. cc., p. 6; DE NAVENNE, (J. C., p. 568. Sur la figure captivante de Luisini, cfr
A. RONCHIN!, Francesco Luisini da Udine, dans les Atti e Memorie delle RR. Deputaz:!oni
di stona patrie;, per le provincie modenesi e parmensi, t. V. 1870, pp. 209 svv.

21

~_._._-
Alexandre avait une bonne mémoire (1), une .grande vivacité
d'esprit, et possédait toutes les qualités pour faire avec fruit des
études littéraires. Mais sa nature même ne le portait point à goûter
cette partie de l'éducation qu'on lui donnait: l'occupation huma-
niste ne lui disait rien (2). TI fit cependant des 'efforts pour con-
tenter sur ce point Luisini, car en 15055, lorsqu'il était à peine âgé
de dix ans, le cardinal F'arnêse, qui suivait de près les études de son
neveu, eut l 'occasion de le féliciter pour une élégante lettre latine (3).
Le cardinal et le prince échangeaient, en effet, une correspondance
en latin -et en langue vulgaire.
Il n'en est pas moins certain que les maîtres préférés d'Alexandre
étaient ceux qui lui enseignaient les mathématiques et la science mili-
taire : le sicilien Francesco Salomone et le célèbre ingénieur militaire
Francesco Paciotto, originaire d'Urbino (4). L'auteur du Liber reio-
tionum, qui connut Alexandre Farnèse dès sa prime jeunesse, insiste
en effet avec complaisance sur le fait que, encore enfant, le jeune
prince montra une grande prédilection pour les exercices militaires
et les sports qui engendrent une bienfaisante fatigue corporelle (5).
De son côté, Strada, qui est bien au courant de 1'histoire familiale
des Farnèse, ne laisse pas de noter,avec sa prudence coutumière,
que Ie jeune Farnèse « passa son enfance sous la conduite des
plus excellents précepteurs de son siècle, mais ce fut avec peu de
fruit, ou du moins avec un succès qui ne répondait pas à la capacite
de ses maîtres ni à l'intelligence de L'élève ». Celui-ci, actif et ardent
par nature, av-ait en haine la contrainte et « la chaîne des études »
et prenait bien plus de plaisir aux 'exercices corporels (6).
Aussi, un témoin de sa jeunesse ne cache point qu'Alexandre
fit peu de progrès dans la grammaire, préférant les sports, comme le
saut, la course, le jeu de balle, la danse, la course à l'anneau, l'équi-
tation, la chasse, à courre et à pied, la natation (7). Ce qui le tentait
surtout et ce à quoi il s'adonnait avec une prédilection marquée,
c'était de rompre la lance et de s'exercer à toutes les formes du
métier des armes.

(1) Liber retauonum, r- 49.


(2) « Non hebbe mai penslero aile lettere. » Liber relationum, fo 49.
(3) LI'ITA, o. c., tavola XVI; DE NAVENNE, O. c., p. 568.
(4) FEA, o. c., p. 6.
(5) Liber relationum, r- 49.
(6) STRADA, o. e., t. Il, p. 324.
(7) Liber relationum, fO 49.

22
PL. VII

'1 D-

;-IARGCERITE DE P.·\R;-!E
(Portrait il l'huile par un inconnu, aux « Lff izi dell' ordme Costantiniano », Parme)
Cette 'Ûccupation-l'àseule L'enthouaiasmait et le laissait pleine-
ment satisfait de lui-même (1). On peut dire que le sang des con-
dottieri, ses ancêtres, coulait dans ses veines et c'est d'eux proba-
blement qu'i,l avait hérité ce goût précoce des chases de la guerre (2)
Son père Ottavio était d'ailleurs là pour lui en donner l'exemple, du
moins à cette époque de sa vie, et l'on peut croire qu'il y était
encouragé aussi par le capitaine Francesco di Marehi, ce serviteur
dévoué des parents du jeune prince. Di Marchi était au service
d'Alexandre de Médicis depuis 1531, lorsque Marguerite d'Autriche
avait épousé celui-ci. Après l'assassinat de son maître, l'ingénieur
militaire avait passé au service de la veuve et, après le mariage de
Marguerite avec Ottavio, était allé s'établir auprès d'elle à Rome.
Nous l'avons vu assister le duc de Parme en 1551 dans sa lutte contre
Jules III et les Impériaux et organiser la défense de la ville assiégée
en 1552. 0 'est à cette époque que di Marchi commença la rédaction
de son traité d'architecture civile et militaire, dont on connaît tout
l'intérêt (3).
Alexandre et lui durent s'aimer, inspirés qu'ils étaient par les
mêmes goûts, et pour qui connaît la précocité d'esprit des enfants
italiens et leur rapide développement, il n'est guère surprenant de
voir affirmer à propos du jeune Farnèse qu'il recherchait la com-
pagnie des officiers et des militaires qui passaient par Parme ou qui
y résidaient, pour apprendre d'eux à mieux cultiver ses exercices
favoris. Si di Marehi ne fut pas le maître d'armes d'Alexandre
Farnèse, celui-ci ne cessait d'interroger des personnages aussi
connus et célèbres que Sforza Pallavicini, les frères Mario et Paolo
di Hanta Fiore, le marquis de Pescara, Don ,sancho de Leva,
dautres encore (4).
C'est cet amour précoce de Part militaire et de la carrière des
armes que Strada met en relief dans le style hyperbolique auquel
il se complait ·en exaltant S'es personnages, disant que Ie jeune
Farnèse « entendit le son des trompettes plutôt que les chansons de
ses nourrices », qu'il « n'eut pour ses ·amusements d'enfant que le

(1) « Di queste attioni plù che d'altro se ne mostrava sempre ingordissimo et non
mai satio ... nè per alcuno altro placers 0 negotio non si poteva stor di questo ... » (Ltber
reLationum, loc. cit.).
(2) « Insoma tutte quelle cose che si potevano desiderare in uno che avesse a essere
gran capitano de guerra. » (Ibidem).
(3) A. RONCHIN!,Cento tettere del capitano Francesco di Marchi, p. VI-VIII.
(4) Lettre de Paolo Rinaldi à Ranuccio Farnèse, 8 mai 1601, citée par RONCHINI,
"',.
o. c., p. XXXIX, note 42.

23
.-..--.- -

bruit des tambours » et que « la première clarté qui frappa ses


yeux, fut l'éclat et la splendeur qui sortent des armes » (1).
A la suite de la convention conclue à Gand avec le roi d'Espagne,
le jeune Alexandre allait quitter Parme et le palais où il avait passé
l'-_.
son enfance, pour résider à la cour et continuer son éducation sous
le contrôle de s'Ononcle.

(1) o. C., t. II, p. 325.

24
· allL;zr l:IiIIIIIit 0-$

CHAPITRE III

ALEXANDRE FARNÈSE A LA COUR DE BRUXELLES


ET EN ANGLETERRE
(1556-1559)

On peut croire que lorsque le moment fut venu de se séparer


de son fils unique, Marguerite de Parme éprouva un serrement de
cœur. Comment Philippe II recevrait-il le jeune prince? Quelle serait
la vie de celui-ci à Ia cour?
Toutefois, cette anxiété fut quelque peu tempérée par un autre
sentiment qui s'empara de Marguerite au moment où elle quitta
Parme pour conduire Alexandre auprès du Roi. Elle était heureuse
de revoir la Fiandra, le pays où elle était née et où elle avait passé
ses premières années d'enfance. Elle quitta Parme au début de
novembre avec son fils et une suite nombreuse. Arrivée à Milan, le
5 du mois, elle s'empressa d'écrire à son père Charles-Quint, qui
résidait alors au monastère de Yuste, que le Roi l'avait autorisée à
venir le voir aux Pays-Bas pour lui présenter le jeune Alexandre et
qu'elle se faisait une joie de partir pour la Fiandra (1). Giovanni
Aldovrandi, dont nous avons déjà parlé, accompagnait le jeune
prince en qualité de gouverneur . Les voyageurs mirent deux mois
à peu près pour faire la route de Lombardie à Bruxelles - c'était
l'hiver - où ils arrivèrent aux derniers jours de l'année 1556 (2).
Dans ce voyage, le jeune prince de Parme était aussi aecom-
pagnéde Francesco Luisini, qui .avait été son précepteur depuis
deux ans et qui allait continuer à s 'occuper de son éducation littéraire.
(i) Lettre citée par A. REUMONT, O. C., p. 33; err aussi GACHARD, Retraite et mort
de CharDes-Quint au monastère de Yuste, t. II, p. i06; LE lI!tME, Correspondance de
Marguerite d'Autriche, t. Il, p. XIII.
}2) FEA, O. c., p. 8; DE NAVENNE, O. C., p. 568.
-c ,

25

l,

l
A son départ de Parme, l'humaniste avait reçu dOttavio et
aussi du cardinal Farnèse de pressantes recommandations afin qu'il
donnât le plus possible des nouvelles de son jeune élève. Aussi, à
peine 'arrivé à Bruxelles, Luisini envoya au cardinal Farnèse ces
élégants vers latins, que nous nous faisons un plaisir de reproduire';"

lam Germania quos habet nivales


Saltus, quee iuga montium rigentum,
Et planis posita oppida alta campis,
Rheni ac Danubii et fluenta Mosae
Prreterivimus; ac petita leetos
Tandem Belgica mitiore cœlo
Excepit. Valet Austria (i) inclyta, et eum
Hac Farnesius optimus, sub œvo
Qui primo puer ausus est sonantis
Rheni frigore temnere atque fluctus.
Secura licet usque mente vivas,
Farnesi 0 columen decusque nostrum :
Hic tota incolumis COhOTSquiescit.
Nos te, maxime, Belgicas per urbes,
Ante ut fecimus Italas per urbes.
Patrone, hic memores tui cole mus ;
Et colemus amabimusque semper,
Dulcis dum mihi spiritus manebit. (2)

Cette pièce donne une idée du talent du maîtr-e, qui termina; le


poème biblique Giueeppe, commencé par le célèbre Girolamo Fracas-
taro, et qui paraphrasa en vers les psaumes de David (3).

* *
Philippe II résidait en ce moment à Bruxelles avec sa cour. TI
attendait S'a sœur depuis le mois doctobre (4) et il fut très heureux
de la voir (5). Marguerite et son fils avaient été précédés par le fidèle
(1) Marguerite d'Autriche.
(2) A. RONCHINI, Francesco Luisini da Udine, 10c. clt., pp. 210-211.
(3) A. RONCHIN!, o. c., lac. eit., pp. 210-211.
(4) Lettre de ~'ambassadeur vénUien au doge et au Sénat, Gand, 24 octo-
Badoaro
bre 1556: « La duchesse de Parme est attendue ici dans peu de jours avec son fils:
en lieu et place de son époux, qui reste en Italie à cause des événements, à la fois pour
tenir en respect le duc de Ferrare et pour ne pas offrir au pape de nouvelles raisons de
SE' comporter envers lui de dommageable façon. » (Venetian Catetuuir, 1556-1557, p. 747.)'
(5) Lettre d'ArdingheUi à Ottamo Farnèse, Bruxelles, 20 décembre 1556 (A. F. P.,
Paesi Basst, cartegglo 1531-1556).

26
- ----- -~ --- -------.- -.--~

PL. VIn

PHILIPPE II
(Portrait pal' le Titien)
Giuliano Ardinghelli, que le duc de Parme avait chargé de négocier
avec les marchands d'Anvers la remise de la quantité d'argent dont
Alexandre aurait besoin pendant son séjour à Bruxelles. Étant donné
que l'on était à la v-eilled'une guerre avec la France, on avait interdit
sur la place d'Anvers de pratiquer le change par la ville de Lyon et
il n'était pas facile de se procurer Ies SOInm8'S nécessaires. Grâce aux
bons offices des banquiers Giacomini et Gondi, L'agent dOttavio
parvint à se faire verser une partie de la provision désirée.
C'est la première fois que le j'mmeAlexandre Farnèse se trouvait
en présence du Roi d'Espagne. TI vit devant lui un homme de petite
taille, mais bien proportionné et robuste, à la peau blanche et de
constitution saine : ce qui dut le frapper surtout, c'étaient les cheveux
et la barbe blonds, qui faisaient de prime abord ressembler Philippe
à un Flamand.
Le jeune Alexandre Farnèse navait jamais vu 'son grand-père
Charles-Quint, sinon il aurait été frappé de ce que le Roi montrait
l'image vivants et le vrai portrait de L'Empereur. TI avait comme lui
le front large, l 'œil bleuet le nez aquilin, les sourcils épais : il avait
la même carnation, la même physionomie, les mêmes traits, avec cette
bouche et ces lèvres pendantes dont l'une, beaucoup plus forte que
l'autre, est restée la caractéristique des Habsbourgs. Philippe était
un peu plus petit de taille que Chairles-Quint, mais bien fiait de sa
personne (1).
Les maux dentrailles ,et d'estomac dont il souffrait lui donnaient
en général une complexion flegmatique et mélancolique, mais il savait
cependant être joyeux à ses heures; il aimait à sortir masqué la nuit
et il s'amusait à toutes sortes de jeux (2). Depuis que, en 1548,il avait
pour la première fois visité les Pays-Bas 'et qu'il y avait laissé
I'impression d'être trop hautain, sur ,l'esconseils de Charles-Quint et
de Marie de Hongrie il avait abandonné cette morgue. Si les manières
espagnoles qu'il affectait 'le faisaient paraître altier, il déployait
maintenant tous ses efforts pour être de grande politesse et de vraie

(i) Description du roi en i559 par Marcantonio da Mula, dans GACHARD,Relations


des ambassadeurs vénitiens sur Charles-Ouiïü et Philippe pp. 303-305; Description
II,
du roi en i557 par l'ambassadeur vénitien Micheli, dans BASCHET,La dipLomatie vén~-
tienne ..., pp. 129-130.
(2) Description du roi en i557 par Federico Badoaro, dans GACHARD,Retations.:
!l'p. 36 svv.

27
courtoisie. Au moment opportun, il disait quelquefois de bons mots et
il entendait volontiers les facéties, sans cependant se départir en
public d'une certaine réserve dans la gaîté (1).
L'impression que fit sur le Roi la spontanéité et la vivacité
dAlexandre Farnèse fut excellente. Il reçut très bien le jeune
prince (2) 'et le prit aussitôt sous sa protection. Un des gentilshommes
qui avaient accompagné Marguerite et son fils s'empressa d'en
avertir un de ses amis à la COUT de Parme, insistant sur l'aimable
réception que Philippe II avait faite au jeune homme. Ce n'étaient,
dès le début, que dîners, fêtes et tournois. La duchesse de Parme
avait offert un banquet à la princes-se d'Orange et à Madame de
Lalaing « deux grandes dames, écrit l'Italien, qui sont fort bien
vues du Roi (3) ». De son côté, Luisini se félicitait dans ses lettres
de ce que son élève était entouré par les grands personnages de la
cour et qu'il était adulé par la fleur de la noblesse italienne,espa-
gnole et flamande qui demeurait avec le souverain (4).
La cour de Philippe II à Bruxelles en 1557 ;B'Stun milieu bien
intéressant à étudier. Elle continuait à être ordonnée, pour le faste et
l'étiquette, selon l'usage de liamaison de Bourgogne. Elle ne comptait
pas moins de 1.500 pers onnes, dont les neuf dixièmes étaient de-s
Espagnols : le reste était composé de Flamands, de Bourguignons,
d'Italiens et d' AHemands. Cette prédilection du Roi pour les Espa-
gnols ,et cette prépondérance de l'élément castillan dans sonentou-
rage avait .de suite frappé, comme un présage de mauvaise augure,
les habitants de-s Pays-Bas, habitués, sous Charles-Quint, à voir
l'élément national traité avec une prédilection marquée (5).
Comme le Temarque en 1559 Pambassadeur vénitien Suriano,
pour Philippe II, nulle nation n'égalait les Espagnols: e.'est au milieu
d'eux qu'il vivait, c'est par eux qu'il se dirigeait. Le jeune monarque
faisait peu de cas des Italiens et des .Flamands ; quant aux Alle-
mands, ils se trouvaient le plus bas dans l'échelle de ses sympathies.
S'i.'l employait les principales personnalités des pays sur lesquels il
(1) Rapport de Badoaro, cité.
(2) Dans une lettre du 29 décembre 1556, Giovanni Aldrovandi écrit de Bruxelles
à Ottavio Farnèse au sujet de la visite chez le Roi et parle des « dimostrazioni amore-
voltsstme di S. M'à» (A. RONCHIN!,Francesco LUisint ..., 100. clt., p. 211, note 1). Cfr STRADA,
o. C., t. II, p. 326.
(3) Lettre de Pietro Lippi à G. D. dell'Ors·a, Bruxelles, 4 janvier 1557 (A. F. P.,
Carteggio [arnesumo, Paesi Bas si, 1557-1562).
(4) A. RONCHIN!,Francesco Luisini..., 100. clt., p. Zif.
(5) Relation de Frederioo Badoaro en 1557, dans GACHARD,Relations des ambassadeurs
t:énitiens, p. 42 sv.

28
régnait, Philippe n'en admettait cependant aucune dans ses conseils
secrets : il se contentait de les employer surtout pour faire la guerre,
et cela, moins par estime de leurs talents que pour ôter à ses ennemis
le' moyen de s'en servir contre lui.
Cette diminutio capitis irrita très' fort Ottavio Farnèse 10reque,
en 1559,il vint rejoindre le Roi aux Pays-Bas, : du f.ait que les non-
Espagnols n'avaient pas entrée au Conseil d'État du monarque et
n'étaient admis qu'au Conseil de guerre, le duc de Parme appelait
'ce dernier, avec une ironie amère, le « conseil de la plèbe» (1).
Les grands seigneurs espagnols qui faisaient partie de la cour
de Bruxelles en 1557 n'avaient pas bonne réputation dans le milieu
des ambassadeuraétrangers. Ils affectaient une religiosité extrême,
se disputant l'honneur de servir la messe dans la chapelle du palais,
mais ils se faisaient mépriser des autres par leurs excès de table, leur
galanterie' exagérée vis-à-vis des femmes, leur goût étrange pour les
bouffons. Le temps qu'ils ne passaient pas au palais, ils le consa-
craient aux aventures d'amour.
Un personnage important de ,p,entourage royal que le jeune
Farnèse ne rencontra pas à son-aœrivée à Bruxelles - parce qu'il
avait été envoyé en ce moment-là en mission en Espagne -, mais
qu'il apprit à bien connaître plus tard, c'était le sommelier de' corps
de Philippe II, le portugais Ruy Gomez de Silva. Ce type de juifl,
avec des yeux de feu dans sa face basanée, ses cheveux et sa barbe
d'un noir d'ébène et boudés, avec son 'corps à la charpente délicate et
fine, était animé d'une volonté de fier et possédait une rare aptitude
d'esprit, qui suppléait au manque dinstruetion et de connaissances
qui le caractérisait. Ruy Gomez ne parlait que J'espagnol, mais il
comprenait très bien l'italien. C'était un travailleur acharné et cette
qualité devait plaire au monarque, qui était lui-même un grand labo-
rieux. Ce courtisan exerçait une influence profonde sur son maître
et les deux hommes étaient liés d'une véritable amitié. Pour plaire à
Philippe II, Ruy Gomez, qui avait 39 ans en 1557 et qui avait été
page de Charles-Quint, consacrait beaucoup de temps au jeu, aux
mascarades, aux joutes, aux tournois et aux banquets, où on se
faisait une joie de l'inviter (2). -
Le jeune prince de Parme conquit de suite la sympathie d'un autre
membre influent de la cour, le comte de Feria, grand d'Espagne,
capitaine de la garde espagnole du Roi.
--~ (1) Relation de Suriano en 1559, dans GACHARD, 0, C" pp. 126-127.
(2) Relation de Badoaro, dans GACHARD, o. c., pp. 46-48,

29
Le Roi d'Espagne, on le sait, avait à sa cour trois compagnies
de 'gardes ,S011:8- le commandement d'un capitaine et fortes chacune
de cent hommes : la garde des hallebardiers allemands, la garde des
archers flamands ou « bourguignons », la garde des hallebardiers
espagnols, C'est à la tête de cette dernière que se trouvait Feria.
Celui-ci, qui comptait à peu près le même âge que Ruy Gomez, avait
une haute conception de l'honneur, qui était le but de toutes les
actions de 'sa vie, Il était de caractère doux et paisible, mais ne
possédait qu'une intelligence médiocre et se montrait peu expéri-
menté dans les affaires de l'État. Est-ce sa qualité de militaire qui
attis-a à lui le jeune Alexandre Farnèse? Toujours est-il qu'entre
Feria et Alexandre se nouèrent des liens de franche et sincère amitié,
dont les archives de la famille Farnèse ont gardé de très multiples
traces.
Étant donné l 'habitude que le jeune Alexandre avait déjà con-
tractée à Parme et qui le poussait à rechercher la société et la conver-
sation des hommes de guerre, il n'aura pas attendu longtemps pour
approcher deux autres personnages en vue de la cour, Don Bernar-
dino de Mendoza et Don Juan Manrique (1).
Le premier était un vrai type de militaire. D'un naturel méchant,
il se gardait des excès de table et damour, affichait une avarice
sordide, et ne cachait pas une ambition effirénée. TI était fort expert
dans les questions navales et avait une connaissance solide des
matières financières. Redouté pour son caractère, il était cependant
aimé de ses serviteurs, quoiqu'il les châtiât durement s'ils étaient
en défaut.
Don Juan Manriqueétait majordome du Roi et capitaine général
de l'artillerie en Espagne. Agé de, 46 ans, il était en beaucoup de
points pareil à Mendoza: il était, comme lui, sujet à la colère, fier
et sobre. Mais le défaut d'avarice ne l'entachait pas; il se distinguait
au contraire par la libéralité. Aimant à parler franc, ne cachant point
ses opinions, Manrique était capable de grandes choses. Il était
instruit, avait étudié l'histoire et raisonnait bien des affaires de son
métier d'artilleur. Ce qui, dut faciliter le premier contact entre lui
et le jeune prince de Parme et pousser ce dernier à le cultiver, c'est
que Manrique parlait l'italien et qu'il se piquait de bien connaître
tout ce qui concernait les questions d'Italie (2).

(1) Portrait dans la relation de Badoaro, dans GACHARD, o. c., loc. oit.
(2) Relation de Badoaro, lac. cit,

30
-- _ .... - - ..• --- ~" --_.- ..._-- •... _-- ---,~_ ..•.. .,.,.. '-'...,..~..,-.--.,....--'~~ ---._~~-

Alexandre Farnèse ne devait pas sentir beaucoup d'attrait pour


les secrétaires du Roi, l'intempérant, hautain et emporté Antonio
Perez, et le vaniteux et impoli Erasso. Mais l'aimable et peu intelli-
gent abbé Saganta devait lui paraître intéressant, parce quii s 'oceu-
pait des affaires de grâce royale dans le royaume de Naples, où
Marguerite de Parme et sa famille avaient des intérêts et touchaient
des revenus.
Quelles furent ses relations avec le duc d'Albe, qui occupait en ce
moment les fonctions de grand maître d 'hôtel 1 Il est bien difficile de
le savoir : entre Albe et Farnèse, la sympathie ne fut jamais grande,
comme nous aurons l'occasion de le constater plus loin.
D'autres personnagesencore durent attirer la curiosité du jeune
F-arnèse et provoquer chez lui, par leur aspect ou par leur caractère,
les réactions les plus diverses : le marquis de Berghes, qui faisait
partie du groupe des gentilshommes de chambre; André Vésale, le
gr-and anatomiste, médecin du Roi; le comte de Hornes, capitaine des
archers de corps de Philippe II, et puis tous les grands seigneurs des
Pays-Bas, qui devaient se sentir blessés dans ce milieu où les
Espagnols accaparaient toute L'estime et les faveurs du maître : le
comte d'Egmont, le comte de Lalaing, le comte d'Aremberg, le duc
d 'Aerschot, Mansfelt, le baron de Berlaymont (1). Lamoral d'Egmont
vit sans doute Alexandre avec plaisir: il entretenait d'excellents
rapports avec Ottavio Farnèse et l'avait félicité cordialement après
la récupération de Parme et de Plaisance en 1';156 1(2)'_
Userait intéressant de savoir quelle impression le jeune prince
produisit sur trois personnages qui faisaient en ce moment-là partie
de la cour, et qui le retrouvèrent plus tard aux Pa-ys-Bas dans des
situations bien difïérentes: Guillaume le Taciturne, son génial adver-
saire des années 1579-1584; le sire de Champagney, frère de Gran-
velle, qui devait pOUT suivre Farnèse d'une haine si tenace; le con-
seiller dAssonville, qui vivra plus tard à ses côtés et exercera. sur son
esprit une influence assez considérable, le guidant dans s'a politique
de mansuétude et de pacification. Mais les sources sont muettes sur
les premiers contacts de Farnèse avec ces acteurs du drame futur.
Dansee milieu frivole et brillant, lee ambassadeurs vénitiens
ont remarqué une figure qui dominait les autres : Granvelle. Il valait

(1) Nous renvoyons à Bstat du Roy despaigne lorsque Sa M residoü pardeça, en l'an
1MB (A. a. R., Papiers d'État et d'Audience, n- 32, r- 37 ).
. (2) Lettre datée de Bruxelles, 31 octobre 1556 (A. F. P., Carteggio [arneeiano, Paesi
jJassi, carteggio 1531-1556).

31
tous les autres ensembl-e,dit Suriano, par son jugement exceptionnel,
'sa longue pratique des affaires, sa conception hardie et habile, son
exécution adroits et sûre.sa fermeté à mener toute entreprise à sa
fin (1). Cependant, en 1557, pas plus que les autres non-Espagnols,
Granvelle n'entrait au Conseil d'État que lorsqu'il y était appelé et
Philippe II ne l 'y appelait que pour traiter les affaires difficiles ou
celles qu'on ne pouvait soustraire à sa connaissance (2).
Qu'étaient cependant auprès de lui le marquis de Pescara, le
marquis de Sarria, le prince de Sulmona, le marquis de Cerealvo, lE'
comte de Fuensalida, même les trois Gonzaga, César, Vespasiano et
Hercule,et tant d'autr-es qui remplissaient de leur faste ou de leur
inutilité la cour du jeune Roi?
AJ,exandre Farnèse apprit à connaître aussi en ce milieu celui
que Mottley appelle « le neveu indigent du puissant Empereur
(Charles-Quint), le cousin errant et aventureux du superbe Philippe »,
Emmanuel-Philibert de Savoie, qui avait succédé comme gouverneur
général des Pays-Bas à Marie de Hongrie. P-etit mais viril, d'un main-
tien martial, portant s'on épée sous le bras comme un caporal, à cause
d'un-e maladie qui ne lui permettait pas de supporter autour des
reins le ceinturon, Emmanuel-Philibert donnait l'impression d'un
soldat courageux (3). Par là, il attira sans nul doute le jeune
prince de Parme. Mais des affinités morales et des similitudes
de caractère devaient rapprocher les deux personnages. Comme
Alexandre Farnèse, Emmanuel-Philibert aimait les exercices du
corps et B 'y montrait presque infatigable : il jouait à la paume et au
mail pendant quatre et six heures, en plein soleil, sans qu'on le vît
en sueur, et il était excellent nageur, Il était sincèr-ement religieux et
même dévot. Il aimait à dépenser, comme Alexandre Farnèse qui, à
ce point de vue, pouvait 'lui tendre la main. S'il était hautain et fier,
il savait aussi se montrer aimable et charmant. Il prenait plaisir à
étudier les sciences et adorait les mathématiques (4). Aurait-on pu
trouver, à la cour du Roi, d-euxhommes qui étaient mieux faits pour
se comprendre que le jeune prince de Parme et Emmanuel-Philibert'
Seule la jalousie, qui dr-essait si souvent l'un contre l'autre les
princes d'Italie, aurait pu interrompre le courant de sympathie qui
devait nécessairement les rapprocher.

* ""
(1) GACHARD, Rel-ations des ambassadeurs vénitiens ..., pp. 126-127.
(2) Relation de Suriano, dans GACHARD, o. c., p. 127.
(3) MOTTLEY, La révolution des Pays-Bas au XVI" siècle, t. l, pp. 209-210.
(4) Relation de l'ambassadeur vénitien Boldù, de 1561, dans GACHARD, o. c., pp. 282 svv.

32
PL. ]X

K\L\IANUEI .r- P HILIBER'!' DE


(Es lampe cont
ontemporamc) SAYOIE
Mais n'oublions pas ceci : le jeune Parnèse, en 1557, n'avait
que onze ans depuis le mois d'août précédent et il ne pouvait pas
souvent être question d'entretiens politiques ou de conversations trop
sérieuses. C'est la spontanéité de sa jeunesse aussi bien que la vivacité
de son esprit qui lui attiraient la sympathie du Roi et de ses courti-
sans (L), et c.'est dans des fêtes, des amusements, des réceptions de
toutes sortes qu'il se sentit immédiatement entraîné. Ainsi, un soir de
février 1557, Marguerite, de Parme avait invité la duchesse Christine
de Lorraine à sa table. Philippe II s 'y présenta masqué. Prenant le
jeune Alexandre avec lui, il le fit monter dans les appartements
royaux et lui fit mettre un déguisement. Puis il descendit à la salle
du festin avec le prince et dix autres grands personnages de la cour,
Emmanuel-Philibert de Savoie, le duc de Medina Celi, le comte de
Feria, les princes d'Ascoli et de Sulmona, le marquis d'Aghillara,
Don Antonio de Tolède, Don Diego de Cordova, Don Luis dAro, et
l'adjudant de chambre favori de Sa Majesté, Santoia, à qui l'on avait
passé un costume du Roi. Toute cette joyeuse compagnie fit iœrup-
tion dans la salle, portant des habits turcs de velours et brocart
cramoisi, et des turbans empanachés sur la tête.
Au cours de la fête, Philippe II, à plusieurs reprises, entoura de
son bras le cou du prince, lui montrant beaucoup d'affection; il finit
par l'entraîner dehors avec lui pour courir à d'autres rêjouissanoes.
Là, Alexandre esquissa avec tant de grâce une danse flamande, que
le lendemain encore le prince d'Ascoli ne cessait d'en féliciter
Marguerite de Parme (2).
Ces fêtes et ces réjouissances ne laissaient pas toujours la
duchesse sans souci: elles 'inquiétait des frais énormes qu'elles
entraînaient et elle songea bientôt à écourter pour ce motif son séjour
aux Pays-Bas 'et à retourner en Italie, laissant son fils auprès de
Philippe II (3).

(1) S. Ecc,a [Marguerite] e il Sor Principe stanno benissime et contentissimi per IL


moUi favori che del continue fa 101'0 S. ~pa Il Sor Principe è accarezzato, amato et
intertenuto da tutta questa corte. » Lettre de Pietro Lippi à G..-D. tielt' Orsa, Bruxelles,
12 février 1557 (A. F. P. Cal'teggio famesumo, Paesi Bassi, carteggio 1557-1562). - « Sua
.\18PStà gli fa ognt giormo rnaggiori et novt Iuvorr. » Lettre de Luismi, 13 février 1557
(:\. ROXCIlIX!, o. c., toc. cil., p. 211).

(2) Lettre de Luisini à Ottavio Farnèse, Bruxelles, 13 février 1557 (A. RONCHINl, o. e.,
pp. 211-212).

(3) « S. Ecca [Marguerite] commincia a ragionare della partita pel' mezzo il mese
che vielle, et credo elie se non sara al mezzo, sara verso la fine, pel' le gran spese che ci
.$,010. » Lettre de Pietro Lippi à G..-D. deU' orso, Bruxelles, 12 février 1557 (loc. cit.).

33
Bientôt cependant l'horizon s'assombrit. Au milieu de ses
mascarades, Philippe II sentait que la guerre avec la France allait
se rallumer et, lorsque nul doute au sujet de l'explosion très proche
du conflit ne fut plus permis, il décida de se rendre en Angleterre
pour entraînerson épouse, Marie Tudor, dans la lutte contre Henri II.\<-

~
* *

Marguerite de Parme et Alexandre Farnèse l'accompagnèrent (1).


Le firent-ils parce que le Roi les y avait obligés ou Marguerite vou-
lait-elle suivre son frère pour continuer et mener à bonne fin les
efforts qu'elle avait mis en œuvre pour récupérer la citadelle de
Plaisance 1 Ce point si important de la politique farnésienne fut
touché, nous le verrons, dans les entretiens qu'elle eut avec Philippe
pendant le séjour en Angleterre.
Le Roi arriva le 16 mars à Gravelines et s'embarqua à Calais
le 18. Le soir même, il descendit sur le '801 anglais à Douvres (2).
Marguerite et son fils, en compagnie de la duchesse de Lorraine, le
rejoignirent quelques jours après. Philippe II envoya à leur rencontre
à Douvres don Alonso dAgnilar, qui fut chargé de les mener jusqu'à
Londres (3).- De son côté, Marie Tudor leur avait dépêché au port de
débarquement des haquenées et une litière,alinsi que des chariots pour
les dames de la suite. A Gravesend, vinrent à leur rencontre la com-
tesse de Kildare, l'amiral de Grande-Bretagne, des seigneurs et des:
dames de la cour (4).
Arrivés vers da fin de mars (5), Marguerite de Parme et son fils
et la duchesse de Lorraine furent logésau palais. Le jeune Alexandre
Farnèse pouvait enregistrer ici de nouvelles expériences et comparer
la cour anglaise à celle qu'il venait de quitter à Bruxelles.
Ge qui dut surtout l'intéresser et piquer sa curiosité toujours eu
éveil, c'est l'épouse de son oncle, la reine Marie Tudor.

(1) P. FEA, O. c., p. 8; RACHFAHL,Margaretha von rarma, p. 24; DE NAVE;\lŒ, O. C.,


p. 569.
(2) Lettre de Josse de Courteville à Viglius, Londres, 25 mars 1557, dans KERVYN
DE LETTENHOVE,ReÙltions po·~itiques ..., t. I, p. 61.
(3) GACIIARD,Correspondance de Marguerite à'Autriche, t. II, p. XIV.
(4) VANDENESSE,iournca des voyages de Philippe II, p. 25 (GACHARDet PlOT, Voyages'
des souvp.l'ams des Pays-Bas, t. IV).
(5) « Le 24" .... peu de jours après arrivarent audit Londres les duchesses de
Lorrayne et de Palme [Parme] ... » VANDENESSE,rourtuü cité, 100. cit.,; « Les duchesses-
de Lorrayne et de Parme sont arrivées à IV lieues près d'lei et les attend-on en ceste
court de jour à aultre. » Cou1'teville à Vig~ius, le 25 mars 1557, 100. oit.

----------------~-_._.~.
Au moment où Alexandre Farnèse la vit pour la première fois,
la reine d'Angleterre avait 41 ans. De petite taille, mais bien propor-
tionnée, elle n'avait rien de son père, le grand et gros Henri VIII.
Maigre et délicate, Marie montrait cette carnation rouge, qui est la
caractéristique des Anglais et qui a frappé tous les ambassadeurs
vénitiens qui résidèrent dans ce pays. Ellen 'était pas belle. Dans sa
figure ronde s'ouvraient des yeux gros et gris, des yeux de myope,
mais qui avaient cependant un regard quelquefois si vif qu'ils inspi-
raient le respect et même la crainte. Sa figure' était encadrée de
cheveux roux, son nez était assez long et large.« Si, par suite de son
âge, dit finement l'ambassadeur Soranzo,elle ne commençait un peu
à marcher vers son déclin, on pourrait plutôt la dire belle que laide. »
Très intelligente et bien instruite, Marie Tudor parlait l'anglais, le
français et Pespagnol relle comprenait l'italien, mais ne le parlait
pas. En latin, elle .s'exprimait de manière à remplir tout le monde
d'étonnement. Très habile aux ouvrages de broderie et de l'aiguille,
jouant avec dextérité et élégance du luth -et du clavecin, ainsi que:
de I'êpinette, l'épouse du roi Philippe n'était pas dépourvue d'attrait.
Mais dèsqu 'elle parlait, sa voix forte et en hauteur comme une voix
masculine, qui ;}',anllonçaitde loin, brisait l'illusion et impressionnait
désagréablement l'interlocuteur (1).
Al~xandre Farnèse vit sans doute la reine dans l'habillement
qu'elle affectait de porter dans les grandes solennités, Phahillement
à la mode française, robe à taille et à manches larges, couverte de
broderies d'or 'et d'argent de grande valeur, le chaperon constellé de
bijoux et des bijoux entourant le cou et retombant de là en façon de
garniture sur ses vêtements (2).
Marie Tudor souffrait en ce moment de son retour d'âge, dont les
troubles l'obligeaient à de fréquentes saignées, tantôt à un pied, tantôt
à un autre. Cette cure lui avait donné de la pâleur et causé de l'épui-
sement et avait augmenté la mélancolie où la plongeait la stérilité de
son mariage et l~ regret du péril où, faute d "héritier, se trouverait en
Angleterre la religion catholique, qu'elle avait restaurée avec tant de
zèle et d'ardeur.
Mais pendant le séjour de Farnèse à la cour, la reine Marie dut
avoir l 'air rajeuni, car son époux, qu'elle aimait avec la passion de
(1) Relations des ambassadeurs vénitiens Soranzo et Micheli, dans BASCHET, La ditplo-
matte vénitienne ..., pp. 121-123, 125-126. Crr aussi GURNEY SALTER, 'I'udor England, tnrouqn:
Venetian eues. Londres, 1930.
'., (2) Relation de Soranzo, dans BASCHE"T, o. C., pp. 122-123.

35
la vieille fille mariée sur le tard, était là. Aussi, avant de faire leur
entrée à Londres, Philippe n'et Marie avaient-ils passé d'abord
quelques heures d'intimité à Greenwich (1).
Marie Tudor donna au jeune Farnèse des signes nombreux de
son affection (2) : Il'ejeune garçon vif et spontané devait lui plairè
comme il avait plu à Philippe n.
Le 11 avril, Alexandre se trouvait dans les jardins du palais
royal, lorsque la reine vint à passer en compagnie de Marguerite de
Parme et de Christine de Lorraine. Marie Tudor s'arrêta devant
le jeune prince ,et lui demanda son âge. Frappée par sa mine éveillée,
elle engagea avec lui une conversation en latin,au sujet de ses
études, s'émerveilla et exhorta la duchesse de Parme à soigner
l'éducation littéraire de son fils.
Le bon Francesco Luisini, qui avait suivi son élève en Angleterre,
fut extrêmement flatté, comme on le conçoit, de cette attention de la
reine Marie 'et a'empressa de le faire savoir à Parme au duc Octave,
et aussi au cardinal F-arnèse (3).
Avec les dames de la cour, Alexandre s'entretenait fréquemment.
Comme elles connaissaient - en tout cas beaucoup d'entre elles - le
latin et même le grec, le jeune Farnèse pouvait converser dans la
première de ces langues. Comme on parlait couramment français à
la cour d'Angleterre, il employait quelquefois aussi cet idiome, qu'il
connais-sait cependant moins bien (4). La connaissance du latin que
montrait Farnèse dut plaire aussi au docte cardinal Pole, qui résidait
alcrs ien Angleterre en qualité de légat du Saint..,Siège. Reginald
Pole se fit présenter par Lusini le jeune Alexandre et, au 'COUTS de
sa conversation avec le précepteur, il fit remarquer à ce dernier que,
dans les circonstances où se trouvait la chrétienté, il importait que
Lusini n'inculquât pas seulement à son élève des connaissances
humanistes, mais se préoccupât aussi de sa formation religieuse et
morale.
Était--ce un reproche et le cardinal avait-il découvert quelque
lacune de ce côté' Nous ne le savons, N'oublions cependant pas que
Marguerite de Parme était très pieuse et que, à Rome, son directeur
de conscience avait été Ignace de Loyala (5)_ il 'est à peine croyable

(1) Lettre de Lulsini, Londres, 30 mars 1557 (A. RONCHINI, o. C., loc. cit., p. 212).
(2) A. RONCHINI, Francesco Luisint, 100. cit., p. 212.
(3) Lettre du 11 avril 1557, dans A.. RONCHINI, O. c., 100. olt., p. 212.
(4) Même lettre.
(5) STRADA, (J. e., t. l, pp. 67-68.

36
PL. X
qu'elle n'eût pas accordé suffisamment d'attention à la formation
religieuse et morale de son fils. Luisini s'empressa d'ailleurs de
répondre à Pole que le duc Ottavio l'avait souvent entretenu de ce
problème et qu'il tenait compte avant tout de ses instructions (1). Une
autre fois, le cardinal engagea Alexandre à s'adonner de tout cœur
aux études, mais il avait ajouté qu'au lieu de prendre comme livre de
chevet les C01n1nentail"eSde Jules César et autres ouvrages du même
genre, il devrait s'appliquer plus à la lecture de Iivres de morale et
de. la Sainte Écriture. Cette fois, Luisini ne fut pas content : il lui
semblait que le moment de semblables études n'était pas encore
venu (2).
Quelques jours après la rencontre de Marie Tudor et du jeune
Farnèse, le Roi, la Reine et Marguerite de Parme s'en allèrent tenir
leurs Pâques à Greenwich. C'était le 13 avril: le 22, ils retournèrent à
Londres,où Marie Tudor offrit un banquet, en présence de Philippe II.
La duchesse de Lorraine, Marguerite de Parme et son fils furent
parmi les invités. Marie Tudor y parut, vêtue de drap d'or. Elle
s'assit avec le Roi au centre de la table, sous le dosseret, ayant à sa
droite Christine de Lorraine; à gauche du Roi se trouvait Marguerite
de Parme. Alexandre Farnèse était assis auprès d'elle, au « bas
bout» de la table, mais gardant son bonnet sur la tête, faveur qu'on
lui accordait après une discussion sur le protocole, dont Coudeville se
fait l'écho en écrivant de Londres à Viglius: « Tacita decisio coniro-
versiœ quam. prœcedendi desideriU11t pepererat in adoentu, »
Plus tard, comme nous le verrons, à la cour d'Espagne, Alexandre
Farnèse ne reculera point devant les incidents pour faire observer en
sa faveur le protocole (3).
Le séjour de Marguerite. de Parme en Angleterre allait toucher
à sa fin. Le 24 avril, le cardinal Pole annonçait au cardinal Farnèse
le prochain départ (4) et profitait de l'occasion pour lui dire
qu'Alexandre montrait des dispositions telles qu'on pouvait fonder
sur lui les meilleurs espoirs (5).
A peu près au même moment, l'ambassadeur Michel Suriano
faisait savoir à Venise que la duchesse de Parme était à la veille de
(1) Lettre dl] Luisini citée, loc. cit., p. 213.
(2) Lettre de Luisini, Calais, 5 mars 1557, dans A. RONClIIl\I, o. c., p. 213.
(3) Vandenesse, dans son tournai des voyages de Philippe Il, p. 25 et Courtcville,
dans sa missive à Viglius (KERVYN DE LETTEl\HOVE, Relations potiiïque« ..., t. I, p. 67)
racontent la scène de la même façon.
(~) Venuian Catenâar 1551i-1;J57, n° I025, lettre datée de Can lcrhu r y.
(5) Lettre du même jour, au duc de Parme Ottavio (Venetfan Ca.lendar 1556-1557,
"loc. cit.).
37
regagner le continent (L). Il avait pu l'approcher et entendre d'elle
que SDn fils devrait rester à Bruxelles, à la cour. Marguerite s'eu
montrait désappointée. Avait-elle espéré pouvoir l'emmener avec
elle en Italie i Ilsemble que non cependant, puisque, dans sa dépêche,
l'ambassadeur vénitien continue: « J nsqu 'ici le Roi ne semble pas"
avoir modifié en aucune façon l'accord conclu avec les Farnèse,
encore que l'on croyait qu'il donnerait quelque faveur à sa sœur,
signom motio prudente e piena di spirito (femme d 'entendement et
d'esprit). Aussi ne croit-on pas qu'elle s'en ira avant d'avoir amélioré
quelque peu l'état des .affaires du duc Octave et des siennes propres. »
On sait quelles étaient ces affaires : la restitution de la citadelle de
Plaisance et de celle de Novare que le Roi tenait comme gages. Son-
geait-elle aussi à reprendre Alexandre au Roi ~
Il fut en tous les cas question de lui dans un dernier entretien.
La duchesse demanda au Roi deux grâces : la première, que les États
du duc Ottavio fussent restaurés dans leur entièreté, sans qu'il fût
question de compensation,et ·que la citadelle de Plaisance fût rendue
aux Farnèse, La seconde faveur demandée, c'était que son fils, qui
devait aller résider en Espagne avec Don Carlos, le fils du Roi, fût
autorisé à rester avec Philippe II ·à Bruxelles, où il pourrait assister
aux affaires et voir la guerre 'avec la France, alors qu'en Espagne il
était menacé de couler ses jours dans l'oisiveté. Sur ee dernier point,
le Roi consentit, et même il autorisa Marguerite à emmener son fils
avec elle en Italie; mais ceci, Ia. duchesse préféra ne point le faire.
Pour ce qui regardait la citadelle de Plaisance et les affaires
d'Ottavio, Philippe II abreuva sa sœur de bonnes intentions et de
promesses, qui seraient exécutées en temps opportun. Là-dessus
Marguerite quitta le Roi et partit d'Angleterre, fort contente.
Voilà ce que L'ambasaadeur vénitien avait pu apprendre d'un des
membres de la maison de Marguerite de Parme. Ce courtisan était-il
réellement 'au courant de ce qui s'était dit entre le Roi et sa sœur?
L'ambassadeur Michel Suriano n'en est pas très convaincu, car il finit
sa dépêche en disant : « J·e n'ai rien pu savoir de plus, les affaires
s'étant traitées entre le Roi et la duchesse,' seuls et face à face, de
sorte que je ne puis rien affirmer de positif. En somme, je crois que
personne d'autre qu 'eux-mêmes ne peut savoir ce qu'ils négo-
eièrent. » (2)
(1) Londres, 26 avril 1557, dans Venitian Calenlùu' 1556-1557,n' 1024.
(2) Suriano à la seigneurie de Venise, Londres, 17 mai 1557, dans Venetian Caienüar
1556-1557,n° 1095.

38
C'est évident. Voilà pourquoi nous' n.'attachons pas trop d'im-
portance à ce que le courtisan rapporte au sujet de la discussion
concernant la personne du jeune Alexandre. Puisque, par le traité
de Gand de 1556, le Roi voulait garder le prince ave-c lui comme
otage pour la fidélité de ses parents à l'Espagne,aurait-il proposé
à la mère de ramener son fils avec elle en Italie~ C'est invraisem-
blable, à moins que Philippe II, en faisant cette proposition, n'ait
voulu tâter la sincérité de la soumission de Marguerite de Parme.
Celle-ci partit de Londres au début de mai, regagnant les Pays-
Bas par Anvers (1). Alexandre était avec elle et tous deux arrivèrent
à Bruxelles le 13 du mois, reçus par le duc de Savoie et par toute la.
cour avec des démonstrations de respect. Ils furent logés dans leurs
appartements ordinaires au palaisdeCoudenberg (2-). Marguerite
prépara aussitôt son départ pour l'Italie, qui devait se faire le 20 mai.
« Lé gouvernement du prince, écrivit en ce moment Ardinghelli
au duc Ottavio, me restera donc SUT les épaules, et Votre Excellence
sait combien elles sont peu aptes à porter ce fardeau. » Cependant,
le gouverneur d 'Alexandre songea à se faire payer les arriérés de son
traitement, qui était de 50 écus d'or par mois, ,et pria le duc de les
lui 'faire tenir aux Pays-Bas par les soins du banquier Ascanio
CaffareHi, établi à Anvers: une somme de 400 écus d'or fournie
immédiatement payerait les émoluments dArdinghelli jusque fin juin
et fournirait l'acompte nécessaire pour l'entretien du prince (3).
Pendant ,ce temps, Philippe II séjournait encore en Angleterre,
près de Marie, Tudor, jusqu'au début du mois de juillet. Après son
départ, comme Iorsquil la quitta la première fois en 1554, après son
mariage, la pauvre reine allait rester inconsolable, avec « les sou-
lèvements, les conjurations et les embûches que chaque jour eHe
voyait se former et se tendre contre elle, au dedans et au dehors du
royaume. » (4)

Avant de quitter l'Angleterre, qu'il ne devait. plus revoir,


Alexandre Farnèse eut-il l'occasion de rencontrer la princesse Éli-
sabeth, la fille d'Henri VIII et d'Anne Boleyn î

(1) Scrissl a V. Ecc« brevementc I'arrivo di Madama Illustrissima in Anversa ... »


{<

,11'{[inghelli à OtlcW'Îo Parnèse, Bruxelles, 18 mai 1551 (A. F. P., Carteggio farnesiano,
Paesi Bassi, earteggio 1557-1562).
(2) Même lettre, loc. cil.
(3) Lettre d'Ardinghelli, citée, loc. olt.
"'(4) Helation de l'ambassadeur Michell, dans BASCHET, o. G., p. 127.

39
Marie Tudor, on le sait, la faisait étroitement surveiller, mais
l'·arrivée de Philippe II en Angleterre avait Bté un événement
heureux pour Élisabeth. Le Roi fut bon pour la princesse et la sauva
de la haine de Marie Tudor. Cette sympathie lui était dictée pal' Ia,
politique. L'existence d'Élisabeth était le seul obstacle à ce que Marie
Stuart fût un jour trois fois reine : reine de France, reine d'Éicosse
et reine d 'Angleterre. Dans l'échiquier politique du roi el'Espagne, la
fille d'Anne Boleyn constituait une pièce importante qu'il ne fallait
pas négliger. Aussi, grâce à Philippe, Élisabeth fut débarassée des
grossiers soudards que Marie Tudor avait placés auprès d'elle
presque comme des geôliers et elle put s'établir au manoir d'Hatfielc1,
parmi les belles végétations du comté d 'Herford, en 15'55. Elle y
vécut sous la surveillance de sir Thomas Pope, un homme tolérant,
savant et aimable. Celui-ci travailla habilement à la réconciliation
de la princesse avec Marie Tudor. La reine invita plusieurs fois
sa sœur à la cour et 'lui rendit ses visites au printemps de 1557.
L'Bté de la même année, Elisabeth fut même invitée à une grande
collation que la reine donna au parc de Richmond (1).
Alexandre Farnèse, qui vécut en Angleterre pendant les mois
d 'avril et de mai, a donc pu voir Élisabeth. Les lettres de Luisini,
son précepteur, n'en parlent cependant pas. Si le jeune prince de
Parme rencontra la princesse, elle dut lui apparaître comme une
gracieuse jeune fille, grande et bien faite, de bene carnation rose,
avec de beaux yeux et surtout, elle s'en vantait, 'avec des mains par-
faites, des mains qui auraient inspiré le peintre Antoine van Dyck.
Créature très intelligente, connaissant le grec, Élisabeth parlait
facilement la langue italienne, et mettait son amour-propre à n'en
pas vouloir parler dautre avec les Italiens qu'eHe rencontrait (2).
Farnèse et elle se seraient tout de suite compris. Mais comme
Luisini, qui ne manque jamais de signaler le.s personnages impor-
tantsavec lesquels Bon jeune élève a conversé, nesigna.1e pas nom-
mément Élisabeth, un doute subsiste au sujet de la réalité de la ren-
contre. A moins que l 'humaniste italien, peu au courant, sans doute,

(1) J.-M. DARGAUD, Ilistoire d'Élisabeth d'Angletel're, pp. 15-3G; l~. SPE.'\CElt BEESLY,
Queen Elisabeth, pp. 3-5; M. PHILIPPSON, westeuropa lm zeuaue- von Philipp Il, Elisa-
beth und Heinrich IV., pp. 182-183:
. (2) Relation de Mlcheli, dans BASCHET, o. C., pp. 128-129. L'ambassadeur prête à Éli-
sabeth « un teint olivâtre ». Tous les portraits d'Élisabeth lui donnent cependant une
carnation blanche et rose. C'est dans des moments de colère, de soupçon ou d'ennui que
le teint ordinaire d'Élisabeth, s'éclipsant par l'émotion, se nuançait de sombre et même
de vert. Crr J.-H. DARGAUD, llistoire d'Élisabeth lt'Ang7etc1'1'e, pp. 18-J9.

40
PL. XI

ÉLIS_\BETH D"_-\:\fGLETERRE DA:\'S S_\ JEUNESSE


(Ecole cie Holbein" Tableau cie la galerie rovalc (lu chateau cie Windsor)
des drames de la maison d 'Angleterre, n'ait pas distingué particuliè-
rement parmi les dames de la cour la fille d'Anne Boleyn et qu'on ne
puisse l'identifier avec une de ces ladies anglaises dont Luisini met
en relief la connaissance de la langue grecque.
En cette période de sa vie, Élisabeth simulait d'ailleurs le catho-
licisme, entendait la messe, se confessait et communiait (1). S'il la
rencontra, Alexandre Farnèse n'a certainement pu deviner en elle
la grande Élisabeth de plus tard, la redoutable conspiratrice contre
la puissance espagnole et Ia monarchie de Philippe II.

'~. !.

(1) J.-H. D!>RGAt:D, o. C., p. 35.


CHAPITRE IV

NOUVEAU SÉJOUR D'ALEXANDRE FARNÈSJ~


A LA COUR Dl] BRUXELLES
(1557-1559)

Marguerite de Parme avait quitté les Pays-Bas, sans que son


fils connût le moment exact de son départ (1). Elle aura voulu éviter
les moments pénibles des adieux et 'eJ:1epossédait suffisamment de
courage et de contrôle sur ses sentiments pour faire taire son amour
maternel lorsque les circonstances l'exigeaient. Le duc de Savoie lui
remit, au départ, comme cadeau de Philippe II, un collier d'une valeur
de plus de 300 écus; le Roi avait ajouté aussi des présents pour les
dames de la suite: des bagues, des colliers, de petites croix en
diamant (2).
En attendant le retour du Roi, Alexandre continuait à mener au
palais de Bruxelles une existence partagée entre les réceptions, les
promenades, les sports et l'étude. « J'étudie toujours », écrit-il à sa
mère le 5 juin (3). Pendant la journée, il s'entretenait avec les princi-
paux seigneurs de la cour, le prince d'Ascoli, le comte de Chinchon, le
prince de Sulmona, le comte de Feria (4). Le 12 juin,ayant rencontré
le prince d'As.coli au parc du palais, il l'invita à chasser le daim à
l'arbalète. Il abattit un de ces animaux et fut très fier des félicitations
d'Emmanuel-Philibert de Savoie (5). Dans le vaste parc, planté

(I) Lettre d'Ardingl1elli, Bruxelles, mai 1557 (A. F. P., Carteggio tarnesumo, Puesi
Bassi, cartcgg!o 1557-15G2).
(2) Même lettre.
(3) A. F. N'., Carte tamesuuie, fascio IG24.
(4) Farnèse à sa mère, 13 juin 1557 (A. F. K, Carte tornesume, fascio 1624); autre
lettre du 26 juillet (ibidem).
(5) Farnèse à sa mère, 13 juin 1557 (A. F. N., Carte tœmesume, fascio 1624).

42
PL. XII

.\LEXAl\DRE FARNÈSE D.-\:\S SA JECNESSE


(Tableau du Xluseo Borbonico de Naples)
d'arbres épais, qui entoui~j;le palais des ducs de Brabant, Alexandre
passait souvent son temps à tirer à l'arbalète et à jouer au mail. L~
duc de Savoie venait 1'y retrouver avec plaisir et l'invitait à assister
à ses chasses et.à ses exercices sportifs (1). Avec lui, le jeune Farnèse
devait. s'entraîner ,à l'endurance, car on sait qu'Emmanuel-Philibert
était un chasseur infatigable, qui laissait souvent épuisés derrière
lui la plupart des seigneurs qui L'accompagnaient. Ne resta-t-il pas
un jour, à Bourg-en-Bresse, neuf heures consécutives à cheval et ne
fit-il pas 150 milles sans s'arrêter dans la poursuite d'un cern (2)
Le 6 juillet, Philippe II quitta l'Angleterre. Après avoir fait ses
adieux à Marie Tudor à Douvres, il débarqua à Calais et.,par Bergues-
Saint-Winnoc, Ypres et Audenarde (3), il regagna Bruxelles où il
arriva à l'improviste (4). Alexandre Farnèse devait cependant avoir
été averti,car il alla attendre le souverain à trois ou quatre lieues de
la ville (5). Le roi s'enquit aussitôt du bon retour de. Marguerite de
Parme en Italie et parla avec le prince de Parme de sa vie au palais
et de ses études (6). TI dut en être satisfait, car quelques jours 'après
il fit savoir à Marguerite qu' « ii avait beaucoup de satisfaction
d 'Alexandre et qu'il était tel 'qu'il ne pourrait être autrement. » (7)

En ce moment, le duc de Savoie préparait aux frontières de


Picardie les hostilités contre la France; Ruy Gomez était attendu à
chaque instant d'Espagne avec de l'argent et des troupes et la cour
devait vivre d'une vie enfiévrée. Le 28 juillet, le Roi allait partir pour
rejoindre l'armée. Le 26, Alexandre informa sa mère de la nouvelle
de la prochaine campagne : il brûlait du désir d 'y prendre part, mais
il est probable que Marguerite nenvisageait point ces projets avec
plaisir. Le 19 juillet, en effet, son fils la remerciait des mesures qu'elle
avait prises pour qu'il restât loger au palais de Bruxelles avec tout
le confort désirable et il lui promett.ait de « bienee comporter, de

(1) Farnèse à sa mère, 23 juin 1557 (A. F. N., Carte [ornesume, fascio 1624·); Lettre
al: Luisini, Bruxelles, 24 juin 1557 dans A. RONClIlNI, O. c., loc. clt., p. 213.
(2) GACHARD, Re~ations des ambassadeurs vénitiie'1ls, p. 295.
(3) Journal des voyages de PhîliP1Je II, p. 25.
(4)·Lettre d'Alexandre à sa mère, Bruxelles, 11 juillet 1557 (A. F·. K, Carte tornenane,
fascio 1624).
(5) Lettre d'Ardinghelli à üttavio Farnèse, Bruxelles, 12 juillet 1557 (A. F. P., Car-
[(,ggio [arnesum», Paest Bassi; oarteggio 1557-1562).
(6) Alexandre à sa. mère, Bruxelles, 16 juillet 1557 (Loc. cit.).
(7) GACHARD, Correspotuumce de ftfargue-rite d'Autriche, t. II, p. XV.

43
façon qu'elle fût 'contente de lui» (L), La duchesse avait probable-
ment craint quelque coup de tête et supplié Alexandre de ne pas
indisposer le Roi.
Toujours est-il que la question se posa : Alexandre resterait-il
au palais de Bruxelles ou accompagnait-il le Roi à l'armée? Le
26 juillet, le jeune prince n'avait pas encore perdu tout 'espoir.
Annonçant à sa mère le prochain départ de Philippe II, il ajoute :
« Je I'accompagnerai jusque là où Sa Majesté me ,le concédera; s'il
ne tenait qu'à moi, je suivrais l'armée et je servirais le Roi en offrant
ma vie même. Quelle graudc faveur, si le Roi me l'avait com-
mandé! » (2)
Le même jour cependant, la duchesse de Parme était avertie de
Bruxelles par le comte de Feria que Philippe II avait fait examiner
la question de savoir où le prince devait rester pendant la guerre qui
allait s 'ouvrir et qu'il avait chargé Feria d'en parler avec Ardinghelli,
le gouverneur d'Alexandre. Ce dernier fut d'avis que le jeune homme
n'avait pas encore atteint l'âge de s'exposer aux fatigues d'une cam-
pagne, et l'on avait décidé qu 'Alexandre devait résider à Bruxelles,
à Anvers ou en quelque autre endroit des Pays-Bas pendant la
guerre contre Henri II (3).
Le jeune Farnèse ne verrait donc pas son rêve se réaliser. Le
28 juillet, à 7 heures, Philippe II partit de Bruxelles pour se rendre
à Cambrai par Enghien, Ath et Valenciennes. Alexandre reçut l'auto-
risation de I'aecompagner jusqu'à un mille italien de Bruxelles, « car,
écrit le prince non sans dépit, il ne voulait pas que je m'éloignasse
plus. n me souhaita bonne santé, après m'avoir donné sa bénédiction
au palais. » (4)
Alexandre resta donc à Bruxelles. Il faut, par conséquent, consi-
dérer comme légendaire le récit de Strada dans son De bello belçico :
le jeune Farnèse aurait accompagné le Roi en campagne; au moment
de l'attaque de la ville de Saint-Quntin, le 26 août 1557, il aurait
instamment prié le Roi de le laisser monter à l'assaut; le souverain
le lui ayant refusé, Alexandre aurait eu de la peine à demeurer dans
(1) A. P. N., Carle [arnesuuie, fascio 1624.
(2) Ibidem.
(3) « A S.U Mg le parescio de 'dalle a eseoger adonde queria quedar el tiempo que
durase 10 guerra y me mando que le comuntease con Ardingl1ello 'Y asi 10 l1ize. .'\ el
le parescio de quedar aqui por que no es justo que comience los trabajos de la guerra tan
ayna, de manera que el estare aqui el tiempo que holguare, 0 en Enveres 0 en otro
lu gar ». (A. F. N., Carte tamesume, fascia 1627).
(4) Farnèse à sa mère, Bruxelles, 28 juillet 1557 (A. F, N., Carle tcrnesian», Iascio
1624).

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le camp et aurait montré son dépit en pleurant abondamment (1).
Les documents des archives farnésiennes dont nous venons de
donner Ia quintessenc-e montrent, sans que nul doute soit possible,
que le jeune Farnèse n'accompagna pas Philippe II durant la guerre
de France. Le récit de Strada ou de ceux qui l'ont documenté doit
donc être relégué dans le domaine des légendes (2).

*::
* *
Pendant la prés-ence du Roi aux armées, Farnèse continua à
résider au palais de Coudenberg,en compagnie de son gouverneur et
de son maître Lui.sini. Ce dernier fut, sans doute, plus d'une fois
témoin du chagrin que devait éprouver ;le jeune homme de ne pas
avoir pusuivre ses amis Egmont, F-eria et tant d'autres seigneurs
aux endroits où l'on faisait la guerre. Alexandre n'en avait pas moins
acquis l'air « très gentilhomme », faisant des progrès en tout, et Feria,
au moment de rejoindre l'armée, disait : « Il m'a l'air de devoir
devenir un grand homme. » (3)
Le 12 octobre, Philippe II quitta ses troupes; il l'entra ,le 17 à
Bruxelles, pour y demeurer le reste de l'année.
Il retrouva Alexandre, qui avait profité de s'es loisirs forcés pour
visiter attentivement les villes de Malines, d'Anvers et de Gand, où
son gouverneur Ardinghelli lui avait servi de guide (4). Il Y avait
déjà passé antérieurement avec sa mère, lors de leur voyage en Angle-
terre, mais n'avait pu s 'y arrêter assez longtemps. Le Roi, rentré
au palais, se faisait un plaisir de voir le prince de Parme tous les
matins (5). Il le faisait venir dans sa chambre et l'emmenait avec
lui à la messe. Au déjeûner royal, Alexandre avait ,leprivilège d'offrir
au Roi la serviette. En la présence du souverain, il pouvait garde-t'
son couvre-chef,ce que tous les courtisans regardaient comme une
(1) STRADA, O. c., t. II, p. 326.
(2) Une preuve péremptoire de la présence de Farnèse il Bruxelles pendant la bataille
de Saint-Quentin et les événements qui la suivent, c'est que nous possédons nombre de
qutttances de fournisseurs bruxellois qui, pendant ces motsd'aoùt et de septembre 1557,
livrèrent à Farnèse, au palais de Bruxelles, toutes sortes de marchandises. Voir A. F. P.,
Flli correnii, Spese in Eiaïuira, farde 1557-1558.
(3) Feria à Marguerite de Parme, 26 juillet 1557 (A. F. N., Carte [arnesume, rasclo
1627) .
(4) Farnèse il son père, Bruxelles, Ii octobre 1557 CA. F. P., Carteggio tarnestano,
oarteggio Alessandro Farnese Ductu .
(5) Le 20 juillet 1557, le Roi avait écrit lui-même à Marguerite: « Lc prince votre
tlls va très bien. Il me donne beaucoup de satisfaction et est tel qu'il doit être. » (A. REU~
MONT, lIfarghe,'ila d'At/stria, loc. cit., p. 36).
faveur insigne. Après le déjeuner, Philippe II congédiait le jeune
prince. Celui-ci, par mauvais temps, l'estait au palais, s'occupant de
jeux divers entre le dîner et la soirée. Lorsqu'il faisait beau, il entre-
prenait des promenades à pied ou à cheval, car il était déjà très bon
cavalier. Le soir, il s'enfermait avec son précepteur Luisini, pour
s'adonner à ses études. Il semble bien qu'à Bruxelles, pas plus qu'à
Parme, le jeune Alexandre ne s'y livrait pas avec toute] 'application
voulue. Sinon, pourquoi Luisini devait-il écrire au duc Ottavio :
« le prince s'y met avec autant de joie qu'il est possible : ceci, Votre
Excellence peut le croire entièrement, parce que il n'en ést pas
autrement. » (1) On sent ici, sous la plume de l 'humaniste, la crainte
de voir le duc de ne pas trop prendre au sérieux les éloges que le
maître voulait décerner à son élève.
Luisini signalait aussi au duc de Parme que son fils faisait de
grands progrès dans son éducation de cour: il nouait des relations
de plus en plus fréquentes et ébroites avec les principaux seigneurs
qui résidaient au palais, au point que fort rares étaient ceux dont il
ne savait pas dire les noms. Aussi recevait-il de très nombreuses
visites et s'adonnait-il à des conversations de plus en plus éducatives.
Cependant quelques personnages lui faisaient grise mine et
« pareils à des statues, ne parlaient jamais. » (2) Qui étaient ces
taciturnes ~ Serait-il téméraire d'y compter Champagney, qui .résidait
en ce moment à la COUll', et qui n'aimait pas les étrangers, et peut-être
aussi le duc dAerschot, dont L'orgueil un peu sot devait tant de fois
1"entraîner dans des équipées ou des situations ridicules ou dange-
reuses 1 Il ne faut, en tout cas, pas compter parmi eux le prince
d'Orange, qui, à cette époque, se montra toujours très aimable vis-
à-vis d'Alexandre Farnèse, et dont la situation en vue pouvait facile-
ment s 'accommoder de la présence du jeune neveu du Roi.
Alexandre était de nature dépensière: nombreuses sont les
quittances, provenant de marchands bruxellois, qu'on retrouve dans
les filiasses de la comptabilité farnésienne aux Archives de l'État à
Parme (3). Le jeune prince avait parmi ses fournisseurs des gens
aux noms aussi authentiquement flamands que ceux-ci: Pierre de
Hooge-nberghe, Willem Jacobs, Alla:rd Canin, le charpentier Gillis,

(1) Lettre de Luisini il. Ottavio Farnèse, Bruxelles, 17 décembre 1557, dans A. RON-
CHIN!, O. C., lac. oit., p. 214.
(2) « Eccclto con alcunl, che come statue non parlano mai. » Lettre de Luisait, citée
dans la note précédente.
(3) A. F. P., FHi c01'1'enti, Spese in Fiandra 1538-1562, fardes 1557 et 1558.

46
Jérôme van Benthem, Antoine Van der Beken, Jacques de Buekeleer.
C'est le trésorier du prince, don Pietro Sylvio, qui était chargé de
payer les fournisseurs, ainsi que les pages et les autres membres de
sa maison. Celle-cicomptait à la fois des Italiens et des Flamands (1).
A Anvers, les principaux banquiers qui traitaient av-ec le prince ou
avec son gouverneur, Ardinghelli, étaient les Giacominiet Gondi.
En s-eptembre 1557, s'était terminée la guerre que Philippe II
menait en Italie contre le pape Paul IV et les Caraffa. Toutes les
villes prises dans les États pontificaux furent rendues, à l'exception
de Paliano, pour laquelle on promit une indemnité aux Caraffa. C'est
pour régler cette question d'indemnité que le cardinal Caraffa vint à
Bruxelles, en décembre de cette même année (2). Il fut bien accuei1li
par le Roi; celui-ci le fit loger dans l 'hôtel des comtes de Hoogstraeten,
qui se trouvait à côté du palais. Philippe II donna même l'ordre de
construire une galerie de communication reliant l'hôtel à sa résidence,
pour que le cardinal ne fût pas obligé de passer pan la rue. Le cardinal
Oaraffa était un prélat aux goûts mondains, qui se plaisait aux tour-
nois, aux dans-es, aux mascarades et qui ne dédaignait pas la com-
pagnie des dames (3). Le Roi lui offrit un grand banquet, où il convia
aussi le cardinal de Trente, Madruzzi, qui était venu à la cour pour
des affaires particulières. Alexandre Farnèse y fut invité {4).
Sa présence semble se justifier par des projets matrimoniaux
que caressait alors le duc Ottavio Farnèse, son père. L'ambassadeur
vénitien Suriano, rendant compte au doge de la visite du cardinal
Caraffa à la cour de Bruxelles, signale en effet avoir appris « d'une
personne de grande autorité », qu'il était question de faire épouser
une nièce du cardinal Caraffa, la fille du duc de Paliano, Donna
Antonia Caraffa, par le jeune prince Alexandre Farnèse (5). Quoique
le cardinal Alexandre Farnèse se fut montré opposé à ce projet
d'union (6), un secrétaire dOttavio avait déjà été envoyé à Bruxelles
(1) P. ex. quittances du 2 juillet 1558 de Joseph, de Carlo et de Tartoia, italiens, et
de. Philippe, Antoine, Lambert et Simon, serviteurs flamands (A. F. P., Fm correnu, Bpese
in Fia:ndra, farde 1557 et 1558).
(2) TH. JUSTE, Les pays-Bas sous PhiUppe Il, t. l, PP·. 72-73'; M. PHILIPPSON, West-
curopa im zeuauer von Philipp u., Elisabeth und Heinrich IV., pp. 'i3-'i6.
(3) JUSTE, o. C., t. I, p. 73.
(4) Journal des voyages de PhUlppe II, pp. 28-29.
(5) Venetian Coietulor 1557-1558, n° 1148, note à une lettre de l'ambasadeur Navagero.
(6) Lettre du cardinal à Marguerite de Parme, 15 mai 1558, citée par LI'ITA, Famiglie
celebre itallane, Eamese, tavela XVI. Voir COGGTOLA, Paolo, IV e la capüotazume segre ta
di Cavi, !l'P. 57 svv. Pistoie, 1900. Il Y avait déjâ'<en une tentative de faire épouser par
Alexandre Farnèse une fille d'un Caraffa, duc de Montorio, en 1555. Cfr. COGGIOLA,1
rornes; e n ducato di Parma e Puicenza ..., loc. cit., pp. 131-137.

47
pour obtenir le consentement du Roi à ce ma:riage. Philippe II hésitait
et différait la réponse, parce que, selon Suriano, il croyait voir dans
ce projet matrimonial un plan du duc Ottavio pour faire partir son
fils de la cour de Bruxelles (1).
Ce n'était pas la première fois qu'il était question de marier le
jeune Farnèse. On se aappellera que, Iors de la réconciliation de
Philippe II avec les Farnèse en 1556, on avait parlé de l'union du
jeune prince avec une fille du duc de Florence. Il ne fut pas plus
question du maciage 'avec Donna Caraffa que du projet d'union
florentine.
Le Roi entendait sans doute ne pas se dessaisir de l'otage qu'était
pour la fidélité des Farnèse le jeune Alexandre. Il fut probablement
aussi inspiré dans son opposition ou son silence désapprobateur par
sa politique générale vis-à-vis des princes italiens.
Cette politique a été admirablement résumée par l'ambas-
sadeur vénitien Contarini, en 1593 : « A l'offensive des princes
italiens, écrit celui-ci, Sa Majesté, ne trouvant de remêde meilleur
et plus opportun que leur faiblesse et la mauvaise entente entre eux,
fait tout ce qu'il peut pour les maintenir désunis, obligeant d'ailleurs
une partie d'entre eux, la moins importante, avec des pensions consi-
dérables et des postes honorifiques. Pour exciter la division, il ne
laisse point el'empêcher les mariaçes entre eHX et de troubler les
alliances entre ces princes ... Il sait que dans la séparation des princes
italiens les uns des autres réside la sécurité de ses États et, par cet
artifice, il maintient l'Italie faible et désunie. » (2)
Cependant, à la cour, Alexandre Farnèse continuait à jouir de
la. sympathie du Roi et des seigneurs qui l'entouraient (3). Dans
l'intimité, il ne devait cependant pas être toujours également aimable,
car nous avons des échos de ses disputes avec son gouverneur
Ardinghelli, disputes dont la raison nous échappe, mais dont la vio-
lenceest dénoncée par des lettres d' Ardinghelli à Marguerite de
Parme. Le gouverneur se plaint qu'un jour Alexandre, transporté
de fureur, l'a mis à la porte de sa chambre, le menaçant de le trans-
percer de son épée (4).
(i) Venetùni Ca/.endm' 1557-1558, n° 1397. (Lettre de Suriano, datée de Bruxelles,
17 décembre 1557.)
(2) Relation de Tommaso Conlarini au Sénat de Venise, en 159:1, lia mi ALBERI, tieia-
zioni degli amoascuüor» »eneti at Senato, 1. XIII, pp. !dO-Hi.
(3) Lettre du cardinal Pole à Marguerite cie Parme, Greenwich, 12 mars. 1558, qui
parle de la. buona riuscita du prince à la cour (l'enetian Calelldar 1557-1558, n° 1192).
(4) Lettre d'Ardinghclli à Marguerite de Parme, Bruxelles, 6 juin 1559 (A. F. N.,
Carte tornesianc, fascia 75).

4R
Au mois de juillet 1558, AlexandrèFarnèseaccomp-agna Phi-
lippe II à Mons, où le Roi fut inauguré comme comte de Hainaut.
Philippe arriva dans cette ville le 17 juillet, entre 6 et 7 heures du
soir. Il fut reçu par les États provinciaux le 21, au Grand Marché de
la ville, et avait avec lui un grand nombre de seigneurs, parmi lesquels
le duc d'Albe· et Ottavio Farnèse, père d'Alexandre (1).
Ottavio avait été invité, après la fin de la guerre en Italie, à
prendre part, dans les rangs de l'armée espagnole, à la campagne
contre le roi de France (2). Celle-ci venait de se terminer victorieuse-
ment par Ia bataille qu'Egmont avait livrée, le 12 juillet, à Grave-
lines, et qui fut un désastre pour les Français. La campagne étant
virtuellement terminée par là, Ottavio avait 'sans doute rejoint le Roi
et se trouva donc avec lui à Mons quelques jours après.
Alexandre Farnèse assista, avec son père, à la cérémonie de
l'inauguration. Sur une estrade dressée au Grand Marché, on avait
'apporté les reliquaires contenant le chef et le corps de sainte Waudre.
Autour de cette estrade, on avait aménagé un parc où se trouvaient
assis les chanoinesses de Sainte-Waudru, le clergé de la collégiale
Saint-Germain et les ecclésiastiques, séculiers et réguliers, de la ville,
ainsi que les abbés de Crespin, de Saint-Denis) de Cambron,de Bonne-
Espér·ance, de Saint-Feuillien et d'autres personnages en vue. S'y
trouvaient .aussi le comte IOh. de Lalaing, lieutenant-gouverneur et
capitaine général du Hainaut, le comte d'Egmont, le comte de Hornes,
le Conseil souverain du Hainaut et les magistrats des villes. Le jeune
prince de Parme y vit le Roi prêter serment aux États et à la ville de
Mons comme « abbé et grandavouré de Sainte-Waudru » (3).

~ *. *
Au mois d'août se réunirent à Arras les États-Généraux, en
présence de Philippe II en personne (4). Nous savons qu'Alexandra
Farnèse y suivit le souverain, car les quittances et les comptes de S'a
maison sont datées de la ville d 'Arras à partir de cette date, jusqu'au
mois de janvier 1559. Elles nous fournissent un excellent moyen pour

(1) A. LOIN. Relation de l'inauguration de Phütppe Il comme comte de Hainaut, Il


Mons, en 1558, dans les BuLletins de ta Commission "oya/,e dlHisto'tre, 2 sérIe, t. IV, p. 353.
8

(2) DE NAVENNE, O. c., p. 570.


(3) LOIN, Relation citée, loc. eit,
(4) GACHARD, Lettre à MM, les questeurs de la Chambre des représentants sur le
projet d'une col/,ection de documents concernant les anciennes assemuëes nationales de
la Belgique, p, 103 SV, ; ...•:.

49
dresser l'itinéraire d'Alexandre Farnèse pendant cette période (1).
L'une 'ou l'autre de ces quittances est datée de Béthune et de Lille,
montrant que le prince avait suivi le Roi en ces endroits DU qu'il 'Y
fit lui-même des visites pour' son instruction personnelle.
Pendant cette session laborieuse des États-Généraux de 1558,
le jeune Alexandre a pu probablement remarquer sur Ia figure de
Philippe II le reflet des soucis que lui causait 1'esprit frondeur de
ces assemblées et la difficulté qu'elles firent à concéder l'aide nouen-
nole (2). On sait que le souverain n'oublia jamais l'espèce de violence
qu'il s 'était vu forcé de subir et le dommage que son autorité en avait
ressenti.
Pendant ces négociations pénibles avec ses sujets, Philippe II
apprit la mort de son père Charles-Quint, décédé le 21 septembre
1558. Le 29 décembre, il fit célébrer à Bruxelles, dans la collégiale de
Sainte-Gudule, un service funèbre solennel pour 1erepos de l'âme de
l'Empereur. Alexandre Farnèse y assista (3), le Roi étant revenu
d~Arras pour être présent aux cérémonies.
Le jeune homme de seize ans dut être fortement impressionné
par la pompe de ces funérailles, qui mettaient en relief la puissance
de son grand-père défunt (4). Le 29 décembre, une grande procession
se déroula à travers les rues de Bruxelles, où
la foule remarqua sur-
tout un navire qui semblait flotter sur les vagues et qu'une bande de
tritons faisait avancer. Mâts, voiles, agrès' étaient noirs, et ornés
d'écussons, de bannières et d'emblèmes rappelant les guerres et les
expéditions de I'Empereur défunt. Les drapeaux pris aux Turcs et
aux Mores pendaient aux flancs de la nef, renversés, comme s'ils
prenaient part au deuil. L'équipage était formé de trois personnages
allégoriques, l'Espérance, vêtue de brun, assise à la proue; la Foi,
vêtue de blanc, sur un trône au pied du mât de misaine; la Charité,
vêtue de l'ouge, se tenait à la poupe pour diriger le navire.
Le lendemain, Farnèse accompagna le Roi qui, vêtu de deuil,

(1) A. F. P., FiLi cm"renti, Spese in Fiandrœ, fardes 1557-1558 et 1559.


(2) GACHARD, Le duc Emmanuel-Philibel't de savoie, dans Relations des ambassadew's
1iénitiens, pp. 279-280; RACHFAHL, Wilhelm van Omnien und der niederUindische Auf-
stand, t. I, pp. 552 svv.; rrH~JUSTE, Histoirfe des États Oénerau» des Pays-Bas (11165-1790),
L I, pp. 95-96.
(3) Journal des voyages de PhiUppe lI, pp. 35 svv. Il n'est pas désigné nommément"
mais il fut certainement présent comme un des « gentilshommes de la maison du Roi »
(p. 39) ou un « des grands seigneurs ».
(4) Description minutieuse des cérémonies dans le rourno: des voyages de Philippe Il,
pp, 35 svv.
se rendit à Sainte-Gudule. Là,à la fin du service funèbre, le jeune
prince de Parme assista à une scène impressionnante. Le prince
d'Orange s "avança vers le catafalque dressé dans l'église et, frappant
SUl' le couvercle du cercueil, s 'éeria : « Il est mort! » Au bout de

quelques instants..Io prince reprit, en frappant de nouveau la bière :


« Il resterarnort l » Puis, après une nouvelle pause : « Il est mort,
et un autre s'est levé à sa place, plus grand qu'il ne fut jamais lui-
même! ». (1)
C'est Richardet qui prononça l'éloge funèbre durant la eérêmo-
nie (2) : ainsi Farnèsaapprit à connaître celui qui, à l'époque où le
prince sera gouverneur général des Pays-Bas, allait être un de ses
collaborateurs les plus intelligents et les plus dévoués.
Lit victoire de Gravelines avait été suivie à bref délai de négocia-
tions de paix entre les rois de France et d'Espagne, qui S 'ouvœirent
à l'Abbaye de Cercamps, près de Cambrai. Suspendues ml instant
par la mort de Marie Tudor, survenue le 17 novembre 1558, les
tractations reprirent en février 1559, à Cateau-Cambrésis. Enfin, le
3 avril, se fit la conclusion du traité de paix (3).
Le 10 mai suivant, arrivèrent à la cour de Bruxelles lesplénipo-
tentiaires de Henri II, le cardinal de Lorraine, l'évêque d 'Orléans,
et le maréchal de Saint-André, nantis des pouvoirs nécessaires pour
ratifier la paix. Philippe alla les recevoir dans la « salette» qui précé-
dait sa chambre au palais de Bruxelles, accompagné, entre autres, du
duc d'Albe et dOttavio Farnèse. Après la cérémonie de la ratifica-
tion, le Roi offrit un dîner dans la galerie haute du palais : Alexandre
Farnèse yfut invité et se trouva placé à la gauche de Philippe II,
entre la duchesse dAerschot et Marie de Lorraine, sœur du duc de
Guise (4). Oe n'était point là un honneur occasionnel: on parlait en
ce moment à la cour du mariage du prince de Parme avec la princesse
Marie. Mais pas plus que les projets précédents, celui-ci ne se réali-
sera jamais. Le cardinal F'arnèse le désapprouvait (5).

:$ *
C'est àce moment que se posa une question importante, qui
(i) Letlre de Sir Bichard Clough à Gresham, citée pal' MOTTLE\', La rëvotuium. des
PayS-Bas au XVI" siècle, L l, p. -277, note 1.
(2) Journal des '1Joyages de PhiUppe' Il, p. 65.
, (3) MOTTLEY, o. C., t. I, pp. 271-272.
(4) Journal des voyages fie Philippe n, pp. 66-67.
(5) RACHFAlIL lVilhelm von oramen, 1. II, p_ 291.
devait affecter tout spécialement les intérêts des Farnèse. Le duc de
Savoie Emmanuel-Philibért, remis en possession de son duché par le
traité de Cateau-Cambrésis, n'avait plus le loisir d'exercer .la régence
des Pays-Bas : Philippe II devait songer à le remplacer (1).
Certains affirmaient que le Roi porterait son choix sur la
duchesse Christine de Lorraine. Dtautres parlaient de la caadidature
d'Ottavio Farnèse. Celui-ci, nous le savons, résidait en ce moment à
la cour de Bruxelles et il avait commencé à déployer tous ses efforts
pour obtenir la restitution de la citadelle de Plaisance (2). Le Roi
l'avait comblé de belles promesses et le duc était certain de toucher
au but tant désiré. Ilavait même l'appui du duc d'Albe (3), et sa suite
prétendait que la citadelle sierait rendue avant le départ d 'Ottavio
pour l'Italie. Ottavio lui-même déclara à l'ambassadeur de Venise
qu'il devait encore entreprendre d'abord un court voyage dans ses
États, pour y faire régner I'ordre . ensuite, il se mettrait à la disposi-
tion du Roi pour lui être utile dans le gouvernement des Pays-
Bas (4).
Au début de mai 1559, on apprit avec 'surprise que le choix du
souverain ne s'était -pas arrêté sur le duc de Parme, mais sur son
épouse, la duchesse Marguerite. Il fut dit que, dans cette nomination,
Granvelle et le comte de Feria avaient eu une grande influence (5).
En réalité, le "choix de Marguerite était dicté par la politique du
Roi vis-à-vis de la maison Farnèse et Strada en a fort bien détaillé
les raisons. « 'Ce prince (Ottavio), dit-il (6), étant près de retourner
en Italie, pria instamment le roi Philippe, à qui il avait donné son fils,
de lui rendre la citadelle de Plaisance, qui était occupée par une
garnison espagnole. Mais pa1rceque le Roi ne voulait -pas encore
remettre entre ses mains une place si importante et qu'il craignait

(1) La question avait déjà surgi eu 1558, parce que les rapports entre le Roi et le
duc de Savoie n'étalent pas des meilleurs. Voir RACIIFAHL,.WUhe~m von. Orante n, t, II,
p. 33. Cfr aussi GACHARD,Le duc Emamnuet-PhiUbert de Savoie, loc, cit., pp, 274-280.
(2) STRADA,Q. c., t. I, p. 69; RACHFALL,!1'o..rgarethlJJ von parma, p. 61.
(3) Lettres de Giuliano Ardinghelli à Marguerite de Parme, Bruxelles 1558 (A. F, P.;
Cal'tegglQ fa,<nesiano, Paesi Bassi, carteggio 1557-1562, fascioule 1),
(4) R>\CHFAHL,Wilhelm von OrlJfJtien..., t. II, p. 34.
(5) RACHFAHL,o. c., loc. oit. Le fait est affirmé. en ce qui concerne Granvelle, par-
l'auteur de l'Histoire de ta Répub~ique des Promnces-Unfes, t. I, p. 148. Granvelle aurait
fait comprendre à Philippe II « que le Duc de Parme qui demeuroit dans une ville, dont
la citadelle étoit entre les mains des Espagnols. qui y avoient garnlson, serolt un otage
de la fidélité avec laquelle Marguerite se gouverne t'oit dans sa commission. »
(6) O. C., t. I, pp. 69-70.
de mécontenter Ottavio, qui dans la guerre d'Italie s'était montré si
fidèle au parti d'Espagne ..., et d'ailleurs estimant qu'il importait
à la Couronne dEspagne de maintenir la Lombardie à sa dévotion, il
donna à Marguerite I'administeation des Pays-Bas, comme en faveur
d'Ottavio son mari à qui il en avait auparavantoommuniqué; il
croyait que s'il laissait aux Farnèse le gouvernement d'un pays qui
lui était cher par dessus tous les 'autres, ce témoignage de confiance et
d'amitié les empêcherait de remuer pour quelque temps. » (1)
Ce n'est pas pour des raisons de politique nationale- c'est-à-dire
inhérente aux Pays-Bas - mais pour des motifs de politique générale
que le Roi choisissaitMarguerite de Parme. C'est d'ailleurs pour des
raisons d'ordre analogue - la crainte de voir l'Empire prendre trop
d'influence aux Pays-Bas - Qu'il avait refusé de s'arrêter à la candi-
dature de Christine de Lorraine, apparentée à la famille impériale (2).

.•.* *
Marguerite fut invitée à se mettre immédiatement en route vers
les Pays-Bas, pendant qu 'Ottavio, de son côté, se préparait àquitter
la cour et à regagner l'Italie. En attendant l'arrivée de sa sœur, le
Roi alla résider à Gand, où il était plus près du port d'où il s'embar-
querait pour l'Espagne. TI y fit assembler les États Généraux en sa
présence, pour faire ses adieux aux députés de toutes les provinces
et pour leur présenter la nouvelle gouvernante (3).
C 'est le 28 juillet que Marguerite de Parme, attendue par le Roi
avec impatience (4), arriva à Gand. A un quart de mille de la ville,
elle fut reçuesolennellement par Philippe II, accompagné dOttavio
et d'A'lexandre Farnèse, des ambassadeurs étrangers et des députés à
l'assemblée des États Généraux.
(1) Il est intéressant de comparer ce que dit à ce sujet l'auteur bien informé des
Considerations sur le gouve-memC'Ju des Pays-Bas (t. II, p. 183) : « Mais la+plua-forte
raison qui meut le TOy fut l'envie qu'il eut d'obliger le ducq de Parme, son mary, à
s'engager estroittement à son parti, lequel ayant suivy ses armées du Pays-Bas, comme
volontaire, il l'avoit prié de lui remettre le chasteau de Plaisance .. ce que ne voulant
accorder, pour l'heure, et ne désirant aussy le renvoyer mal satisfaict, pour l'intérest
qu'il avoit de l'avoir pour amy de là les monts, pour contrepeser le ducq de Ferrare,
qui tenoit le cos té de la France, luy proposa le gouvernement si honorable pour sa
femme, de quoy le ducq fut fort content et conceut un grand espoir que le bienfait ser-
Virolt de marchepied à celuy de la ditte restitution ... ».. - Cfr RACHFAHL, Wilhelm. von
Qranien, t. II, pp. 290-291.
(2) RACHFAHL, ,Wilhûm von OraniC'JL .., 1. II, p. 36.
(3) RACH FAH I., Wilhelm von Oranien..., t. II, p. 37.
(4) Lettres d'Alexandre à sa mère, Bruxelles, 9 juin et 23 juin 1559 (A.. F. N., Carte
farnesiane, Paesi Bassi, fascio 1624).
· Le 29 ~uillet,le Roi tint une réunion du. chapitre de la 'I'oison
d'Or, où se manifesta pour la première fois,et non sans violence,
l'antipathie des seigneurs pour la politique royale. A l'assemblée des
États Généraux, ce fut .pire.et Philippe II put à peine cacher une
profonde colère. On sait qu'il .rendit les seigneurs responsables de
l'attitude frondeuse et irrespectueuse des États à son égard (1).
Alexandre Farnès-e assista-t-il à ces scènes pénibles? Il avait,
cela est certain (2), accompagné sa mère à Gand, et il semble bien que
la colère du Roi et les appréhensions de la gouvernante n'ont pu
lui échapper. Ce qui se jouait là, non loin de lui, c'était le prologue
du drame,dont un jour il sera un des protagonistes.
Le départ du .Roi approchait, car il avait hâte de regagner
l'Espagne : il avait appris l'existence de communautés protestantes
.à Valladolidet il voulait au plus tôt éteindre ce foyer d~hérésie.
Le 10 août 1559, il partit ;pour le Sas de Gand ets 'y embarqua
pour rejoindre, en Zélande, les navires qui devaient le transporter
en Espagne (3). Il arriva àF'lessingue, où l'attendait la flotte, forte
de 20 navires espagnols et biseayens, de 30 hulques et de 40 autres
bâtiments (4). Mais la mer était si mauvaise que l'embarquement ne
put se faire. Le Roi passa le temps à visiter la Zélande. C'est ici q\le
vint le rejoindre, le 16 août, Alexandre Farnèse, arrivé à Middelbourg
en barque, avec le comte d'Egmont et le comte de Schwarzenberg.
Alexandre s 'empressa de faire connaître il. s'a mère, avec quelque fierté,
qu'il ne s'était presque pas ressenti du mal de mer, qu'rI venait de
voir le navire royal qui devait le conduire enEspagne et que ce navire
était magnifique 1(5). Préoccupations. d 'enfant au milieu d 'un drame
politique 1 En effet, pendant ce temps, Marguerite de Parme discutait
avec les États Généraux réunis à Gand pour l'obtention des aides
nécessaires à son gouvernement et y rencontrait peu de condescen-
dance de la part du Brabant, de la Flandre, de la Hollande et de la
Zélande (6).
(1) Sur ces événements, voir HACHFAHL, Wilhelm von 01'anien, t. Il. pp, 38 svv,
(2) En effet, les quittances de ses gens de maison pour le paiement de leur traite-
ment sont datées de Gand pendant le mois d'aout, A. F. P., FUi c01"rentf, Spese in Fiandra,
farde. de 1559. Cfr VANDEll.,V1NCj{T, Histoire des troubles des pays-Bas sous Philippe II,
t. II. p. 2L
(3) TH. JUSTE, Histoi'l'e des États Génàaux ...• t. I, p. 10L
(4) VAN METEREN, Histoire aer Netlerlandscher ende naeraer na-buren oorloaen ...,
[0 27,
(5) Lettre écrite de Middelbourg, le 16 août 1559 CA. F. N., Carte farnesiane, Fta:ndr(J~
rasclo 1624),
(6) HACHFAHL, o. c. t. II, p. 57.
Le 24 août, le temps s'était amélioré et Philippe revint de son
voyage en Zélande. Par Soburg, il gagna Flessingue. Au matin du
25, il prit congé des grands seigneurs des Pays-Bas et à midi, il fit
ses adieux à Marguerite de Parme (1).
Pendant 1e dernier entretien que la duchesse eut avec le Roi
dans la galère royale, J'ambassadeur de l'Empereur, qui se trouvait
là ,lui confia que S011 maître voulait marier une de ses filles- à
Alexandre Farnèse. La duchesse dut en être très flattée; mais elle
se contenta de répondre que «son fils était au pouvoir diu Roi ,e,'1;
que tout ce que celui-ci ferait, serait bien fait. » (2) . .
Là-dessus, l'ambassadeur impérial en parla à Philippe II, dans
le navire, au moment du départ : il refusa de confier à Marguerite
la réponse que le souverain y avait donnée... (3).
Ceci était-ilde bonne ou de mauvaise augure? La duchesse n'eut
pas le temps d'y réfléchir beaucoup. Le moment du départ était
arrivé. Sous la poussée d'un doux vent Est-Sud-Est (4), la flotte
royale s'ébranla et lentement se dirigea vers le Iarge (5).
Alexandre Farnèse allait au-devant d'une nouvelle. expérience,
sur le sol de l'Espagne, toujours « otage » pour la fidélité de son
père Ottavio à la politique du Roi et pour la bonne administration
de sa mère aux « pays' c1'embas ».

(1) [oumat des voyages de Philip-pe Il, pp. 72-73 : « Et environ le midy arriva la
duchesse de Parme, accompaignée du prince son filz ... ».
(2) Lettre de Marguerite à Ottavio Farnèse, Bruxelles, 4 septembre 1559 CA, F. N.,
Carte [omesiane, Puuuira, rascto 1622).
(3) Même lettre.
(4) RACHF-AHL, o. c., 1. II, p. 60.
(5) L'ordre de paiement de Farnèse pour ses gens de maison qui porte, dans sa
comptabilité, le n° 906, est daté: ln nave, net mare, am 80 d'Agosto 1559 CA. F. P., Fut
correnu, Spese i-n Fla11dra, farde de 1559).

55
CHAPITRE V

ALEXANDRE FARNÈSE À LA COUR D'ESPAGNE


(1559-1565)

La flotte qui menait Philippe II et Alexandre Farnèse en


Espagne fut assaillie en route par la tempête. Le Roi débarqua cepen-
dant sans encombre à Colindres (1) et le 11 septembre gagna par la
poste la ville de Valladolid. Il y fit son entrée le 14, au milieu des
démonstrations exubérantes de l'allégresse publique. Il trouva son fils
Don Carlos atteint de Ia fièvre quarte et fut obligé d'attendre quelques
jours avant de le revêtir des insignes de la Toison d'Or, qui avaient
été conférés à l'infant dans un chapitre de l'Ordre tenu à Anvers en.
janvier 1556 (2).
Alexandre Faœnêse arriva à son tour à Valladolid le 27 septembre
et son majordome Piozasco fit aussitôt savoir à Armenteros, secré-
taire de Marguerite de Parme, que Ie jeune prince allait assister à
des fêtes à grand spectacle (3). Faut-il entendre par ces fêtes la séance
solennelle où le Roi convoqua toute la cour, le 2 octobre suivant, pour
procéder à la reconnaissance officielleet la présentation comme fils de
l'Empereur du jeune J eromin, auquel on donna le nom de Don Juan
d'Autriche' (4)
Farnèse fut sans doute présent à cette touchante cérémonie, qui
fit sortir de l'obscurité où il avait vécu jusque-là le fils de Barbe
Blomberg et Iui eeoorda le rang qui convenait au fils de Charles-
Quint.

(1) Journal des voyages de PhUippe ll, p'. 78.


(2) GACHARD, Don Carlos et PhUi'ppe ll, t. I, pp. 52-53.
(3) A. F. N., Carte (arnesÙ1!fle,Fiamà1'a, tascto 75.
(4) HUYBERS, Don Juan von Oostenrijk, t. I, p. 44.


Les « fêtes » auxquelles taisait allusion Piozasoo ne pouvaient
cependant pas être le spectacle terrible de l'auto da lé qui allait se
tenir le 8 octobre et qui fit accourir à Valladolid une foule énorme.
Le 21 mai précédent, uneexécution d'hérétiques avait déjà eu lieu
dans cette ville, mais tous les protestants arrêtés n'avaient pas été
mis à mort. Les inquisiteurs en avaient gardé un certain nombre
P,DUT fournir à Philippe II, à son retour en Espagne, la preuve qu'ils
exécutaient leur mission avec tout le zèle requis.
L'auto da té du 8 octobre était le premier auquel le Roi assista.
On avait construit, sur la grand 'place de VaUadoiid, un échafaud
asses haut pour que la foule pût voir Ires condamnés de toutes les
rues avoisinantes. Pour le peuple de Castille, dont le fanatisme reli-
gieux avait été forgé par des siècles de lutte contre les Mores et les
Juifs, c'était un spectacle de choix.
Le Roi se rendit à l'exécution des hérétiques, accompagné de sa
sœur, la princesse Doiia .Iuana, qui avait exercé la régence pendant
que Philippe séjournait aux Pays-Bas, de son fils Don Carlos et d'une
suite nombreuse, où se trouvaient l'ambassadeur de France, le conné-
table et l'amiral de Oastille, les ducs de Najéra et d'Arcos, des
évêques, des grands d'Espagne.
Alexandre Farnèse y suivit le Roi. Le spectacle était nouveau
pour Iui : il était dans sa quatorzième année, il était observateur et
aucun détail ne put lui échapper.
Il entendit Juan Manuel, l'évêque de Zamora, prêcher d'abord le
sermon de circonstance; il écouta la lecture de la sentence des COll-
damnés. Il vit le cafdiilâf:de' Séville, Fernando d-eValdès, inquisiteur
général, se tourner v.é.r~ le Roi e;i Pinviteripar la formule latine:
Domine, adjuva nos tà'jurerl 'ollseI'vation des c~n.gtitutiôIl,saposto-
liquespour la d-éfense de [i: foi contre les hérétiques. Après avoir tiré
son épée, Philippe rêpPidit: « Je le jur.e! » (1). Puis s'amena le
cortège des condamrr~""diX-huit en tout.pàrmi lesquels on l~'é#il\rqu.a
Don Carlos de Sess,ii,':Oona Isabella de Castille, sa îemme, et Dona
Catalina, sa nièce, fray Domingo de Rojas, religieux dominicain, et
huit religieuses cisterciennes du couvent de Belen. Tous n'étaient pas
désignés pour la mort : seuls de Sessa, Rojas et un serviteur du curé
de Pedrosa peraistèrent à confesser le Iuthéranisme et furent brûlés
vifs. Au moment où Carlos de Sessa passa devant le Roi, il
l'apostropha: « Comment vous, un si grand gentilhomme, pouvez-vous
(1) G.-\CHARD, Don Carlos et Ph1J;ippeIl, t. I, pp. 53-55.
permettre qu'on me livre aux flammes! » Si Alexandre Farnèse était
assis assez près de Philippe II pour l'entendre, il perçut la réponse du
Roi, fwoide let terrible: « Si mon fils était aussi mauvais que vous,
j'apporterais moi-même le bois pour le brûler.l » (1)
Nous ne doutons pas un seul instant que cette exécution d 'héré-
tiques ne bouleversât l'âme du jeune Alexandre: ni en Italie, ni aux
Pays-Bas, il n'avait jamais vu de spectacles de ce genre et il n'avait
pas l'âme assez 'espagnole pour y prendre goût. Il aura pensé comme
le flamand Vandenesse, qui fut présent, et qui nota dans son Journal
des voyages de Philippe II cette réflexion: « C 'estoit grande pitié
à veoir »(2).

'. .Alexandre Farnèse .continua à résider pendant quelque temps à


Valladolid : il devait se plaire dans sa nouvelle résidence, car on fit
savoir à cette époque, à Bruxelles (3), qu'il allait bienetqu 'on ne
l'avait jamais vu se porter mieux. En janvier 1560, les nouvelles que
recevait sa mère des gens de sa. maison n'étaient plus aussi bonnes:
Alexandre avait été atteint de la petite vérole. La maladie suivit, son
cours et, Vers la fin du mois, le, jeune homme était sur pied (4), juste
à 'temps pour assister à la joyeuse entrée de Ia vnouvelle reine
d'Espagne à Tolède.
C'est en cette ville, en effet, que Farnèse avait rejoint le Roi, qui
y avait convoqué IeaCortès pour le 9 décembre 1559. Le trésor royal
était épuisé et Philippe II avait besoin el'argent, Il voulait. aussi
profiter de cette réunion pour faire reconnaître Don Carlos, prince
des Asturies, qui allait entrer dans sa quinzième année, comme 'SOIl
futur héritier. Cette reconnaissance ne put cependant se faire, car
la fièvre avait repris le fils du ,:Roi et la cérémonie du serment était
longue et fatigante' : elle fût reportée au 22 février 1560 {5).

(i) Sur l'authenticité de 6esparOles,;~;oirGACIIARD, Don Caries et Philippe II, t. I,


ç. 36, note 2.
(2) O. C., p. c,
(3) Piozasco à Arrnenteros, Valladolid, 16 octobre i559 (A. F. N., Carte farnesiane,
Pian dm, rascto 75).
(4) Piozasco à A1'menteJ'os,Tolède, le 16 janvier 1560 (A. F. N., Carte fa1'1Lesiane,
Euuuirœ, rasclo 75). ~ « Avemo avvisl di Spagna come il nostro Principe- sta benisslmo ... ,
dove gli son fatte di moite caresse, Mande lalettera del S·r Piosasoo a V. S... a tale che
sappiete elle I'è favorito da tutta Spagna, comeera in Piandra. » Francesco dl Marcl1'i
à Picco, Bruxelles, le 20 janvier 1560 (A. RONCHINI,Cento tettere ..., pp. 6-7),
(5) GACHARD,Don Carios et Philippe Il, t.. r, pp. 57-58.

58
Cependant, avant cette date, se fit la joyeuse entrée de la nouvelle
Reine d'Espagne. Par la paix de Cateau-Cambrésis, il 'avait été con-
venu que Philippe II, veuf de Marie Tudor, épouserait Élisabeth de
Valois, fille de Henri II et de Catherine de Médicis. Reçue ,le 4 janvier
à' Roncevaux,à l 'entrée de sa nouvelle patrie, par le cardinal arche-
vêque de Burgos et par le duc de l 'Inf'antado, Élisabeth était arrivée
1e.28 janvier à Guadalajara. Le 30, Philippe II s'était rendu secrète-
ment au palais du duc de l'Infantado où sa future épouse était
hébergée. Le 31 janvier, le cardinal de Burgos avait procédé au
mariage (1).
C'est le 13 février que devait avoir Iieu l'entrée solennelle. de la
Reine à Tolède (2). Philippe II y avait déjà fait antérieurement la
. sienne, -en novembre 1559. Il était venu d'Aranjuez, suivi de Don Juan
d'Autriche ,et du prince de Parme, du duc de Brunswick, d71marquis
{lePescara, de nombreuxgrands d'Espagne et deseigneurs étrangers.
La municipalité de Tolède avait déjà fait de magnifiques prépa-
ratifapour recevoir Élisabeth de Valois. Un arc triomphal, couvert
de scènes historiées, d.inscriptions et des écussons de France' et
d'Espagne, avait été érigé en dehors de la porte de Visagra. C'est à
cet arc que Philippe II s 'arrêta avant dentrer en ville: il y prêta le
serment de joyeuse entrée sur une croix d'or et sur le missel.
A peine cette cérémonie était-elle terminée qu'Alexandre Farnèse
vit s'avancer à la rencontre du Roi un cortège pittoresque, En tête
marchaient les métiers de Tolède. Puis venait la Sainte Hermandad,
vêtue de vert 'etpû.l'tantarcs 'et carquois. Lui succédèrent ensuite
le Saint-Office, les monnayeurs, l 'Université, recteur et massiers en
tête, les écrivains publics portant au cou une chaîne d'or, le chapitre
de la chapelle royale de 'Tolède, les autorités de la ville.
Philippe II prit place dans ce cortège, derrière le magistrat, dont
les deux clercs principaux portaient la croix et le missel qui avaient
servi au serment de joyeuse entrée. Le Roi montait un cheval blanc
et était vêtu de ce costume de velours noir qu'il affectionnait spécia-
lement. L'entrée se fit ainsi,à travers les vieilles rues tortueuses de
Tolède, où des deux côtés les maisons avaient arboré de splendides

(1) GACHARD, O. c., t. I, pp'. 58-59.


(2) Pour ces événements,nous suivons la Reiaçioti de la entraaa en esta cibdad de
Toledo aei Rey y 'l'eina nuestros senores Don Felipe y uono. teaueio y deI j'ecebtmiento y
neeto« y otras casas ana de 1561 [sic], publiée dans les Relaciones nutonea« de los
sig~Os XVI y XVI! public ados par la sociedad de Bibliofilos espaüoles, pp, 65 svv.
Madrid, 1896.

59
- -- -..-. - ----- - -------~-

tapisseries qui pendaient des balcons et des fenêtres. En s'avançant


à la :suite du Roi à travers la ville médiévale, Farnèse- ne se
rappela-t-il pas Orvieto, la ville-forteresse de ses ancêtres!
Fin janvier, après de belles fêtes qui eurent lieu à A'h~ala et à
Madrid, Élisabeth de Valois était en route pour Tolède. EUe y fit
son entrée, le mardi 13 février, assise sur une haquenée blanche, sous
un dais de brocard orné d ',écussons portant Ies initiales F et. I (Felipe,
Isabel) (1).
Les documents qui décrivent la cérémonie signalent expressé-
ment la présence d'Alexandre Farnèse (2); celui-ci avait accompagné
le Roi; il était là avec Don Juan d'Autriche.
La jeune reine d'Espagne dut lui apparaître, comme Ia décrivent
alors les ambassadeurs vénitiens, femme du plus grand charme. Sans
être belle) Élisabeth de Valois était de proportions fort harmonieuses.
et il se dégageait de sa personne une grâce infinie. Elle possédait
un esprit très élevé, était d'une douceur extrême et avait appris de
Catherine de Médicis, sa mère, à supporter patiemment tout sans que
jamais il lui échappât une parole de ressentiment (3).
C'est au palais de Tolède que la jeune Reine fut reçue par Don
Carlos, Don Juan d'Autriche et Alexandre Farnèse. En voyant le
fils du Roi littéralement exténué par la fièvre, Élisabeth ne put
s'empêcher de montrer délicatement la pitié que lui inspirait ce
pauvre anormal. L'infant fut tellement frappé du regard apitoyé de
la Reine que, dès ce moment, il conçut pour elle des sentiments de
respect et d'affection très vifs, que d'aucuns ont voulu, à tort, reprê-
senter comme une passion malsaine (4).

* "

A la date fixée, le 22 iévrier 1560, eut lieu la ceremonie de la


prestation de serment à Don Carlos comme héritier présomptif du
trône. Alexandre Farnèse y fut présent.
La cérémonie eut lieu à 'I'olède, dans la cathédrale de Saint-
Pierre. La messe y fut dite par don Francisco de Mendoza, arche-

(i) L. COLO;\IA, Jeromin. Estudi<JS hist61'icos sobre et siglo XVI, p. 13&.


(2) Cfr. GACHARD, lion Carlos et PhUippe Il, t. I, p. 59.
(3) Détails donnés par les ambassadeurs vénitiens Soranzo et 'I'iepolo (BASCHET, La
diplomatie vénitientt"e. Les p-J"'mcesde l'Europe au XVIe sfèel-e, -pp. 24.4-246).
(4) GACHARD, Don Carlos et Phüippe 11, t. I, p. 59.

60
PL. XIII

ÉLIS:\BETH DE Y.\LOIS
3" épouse de Philippe II
(Portrait par Coello)
Kunsl hisl orischcs ~Iuseul1l. Vlrnne.
vêque de Burgos. Don OaTiloslut reçu à l'autel majeur par les M'che-
vêques de Séville et de Grenade et les évêques d'A vila et de
Pampelune, en habits pontificaux (1). Don Carlos montait, pour se
rendre à l'église, un cheval blanc : à sa gauche chevauchait son oncle,
Don Juan d'Autriche, vêtu de velours cramoisi, et dont la mine floris-
sante contrastait avec le visage bouffi et blême du prince héritier.
Derrière celui-ci venait Dona Juana, sœur de Philippe II, vêtue de
noir,avec des ornements de fourrure à ses habits, des perles à son
chaperon et les mains pour ainsi dire couvertes de pierres précieuses.
On la portait en litière.
Don Carlos était précédé d'un cortège de comtes, de ducs et de
grands d'Espagne, où l'on remarquait en tête l'amirante de Castille
et Alexandre Farnèse (2).
A la cérémonie de prestation de serment, c'est entre les mains
de Don Juan d'Autriche que Ie prince héritier jura de garder les
[ueros et les lois des royaumes de Castille et de Léon, de maintenir
ces royaumes en paix et justice, de défendre la foi catholique par sa
personne et pal' tous ses moyens (3).
Cette prestation de serment fut l'occasion de réjouissances mul-
tiples dans la ville de Tolède. Le dimanche 10 mars, il y eut un
tournoi à cheval sur la Place du Maréchal, où l'on vit savancer
l'un contre l'autre deux groupes de combattants, l'un vêtu de velours
jaune et qui comprenait quatre-vingts personnes, l'autre vêtu de
velours bleu. Alexandre Farnèse se trouvait dans le premier groupe,
avec le Roi et Don Juan d'Autriche (4).
La relation historique contemporaine de ce tournoi se contente
de, signaler la présence d'Alexandre Farnè.se, sans lalsser-supposer
qu'ils 'y soit distingué en quelque façon. Mais nous savons, par
contre, qu'au tournoi qui eut lieu le 8 'septembre suivant, dans le
patio du palais de Tolède, le prince de Parme eut l'occasion de
mo-ntrer - pour la première fois, semble-t-il - ses qualités guer-
rières et sa dextérité à manier les armes,
La Reine Élisabeth, la princesse Dona J uana et leur suite y assis-
tèrent, du haut d'une estrade toute garnie de brocard, Quatre-vingts
caballeros, en livrée de soie multicolore, devaient se combattre en
(1) PORRENO,Historica del serenisslmo senor D. Juan de Austria ..., pp. 22-23.
(2) PORRENO,o. C., p. 23.
(3) Description de la cérémonie dans VA~DE;o;ESSE, Iourtuü des voyages lie Philippe 1I,
pp. 79 svv.
(4) Relacianes hist6rtcas de los sig/os XVI y XVIl, pp. 05 sv.

61
champ clos. Une fois de plus, Farnèse faisait partie de l'esèadrilla où
se trouvaient le Roi et Don Juan d'Autriche. Les chevaliers rivali-
sèrent dardeur et d'adresse dans ce simulacre de combat, mais tous
les yeux étaient fixés 'SUT le jeune Alexandre Farnèse, dont l'habileté
et la fougue étaient remarquables: aux trois coups qu'il porta, bien
calé en sene, il rompit avec fracas successivement ses trois lances.
Il fut le vainqueur de la joute et eut le bonheur de se voir attribuer
le joyau constituant le prix du tournoi (1).
Farnèse était devenu un personnage à la cour de Philippe II. Au
mois d'août, le jour annivereaire de sa naissance, il avait offert un
grand banquet (2) au comte et à la comtesse de Feria, ses, amis et
protecteurs, au comte de Hornes, que Marguerite de Parme avait
envoyé en Espagne pour traiter des affaires des Pays-Bas et des
intérêts des Farnèse, et aux principaux seigneurs' flamands et hour-
guignons présents à Tolède.

La cour de Philippe lIen Espagne ne ressemblait pas à la cour


de Bruxelles qu'Alexandre avait connue jusque-là, Comme nous
l'avons vu, à son retour des Pays-Bas, le Roi s'était de préférence
fixé à Tolède, où l'Empereur Charles-Quint et les rois 'catholiques
avaient souvent eu leur résidence. Au mois de juin 1561, Philippe II
s'établit à Madrid, où il se fit suivre de toute sa cour (3). Le souverain
aimait de se trouver 'à Madrid, parce qu'il possédait tout près de là,
au milieu des bois, deux maisons de campagne, le Pardo et Aranjuez,
où il se rendait souvent dès que la chaleur devenait accablante.
Lorsque l 'Escuriai fut construit, ce lieu de retraite s'ajouta aux deux
autres. Dansees maisons de campagne, Philippe II aimait à jouir de
la fraîcheur et du calme,en compagnie de la Reine et de ses enfants,
au milieu d'une cour très peu nombreuse, ne, prenant avec lui .que
les ministres dont la présence était absolument nécessaire. Dans ces
lieux de repos, le Roi ne désirait pas entendre parler de politique
ou d 'affaires,et voulait jouir complètement du dolce farniente qu'il
affectionnait en ces moments (4).

(1) «y el principe (le Parma, slendo tan ntüo, quebré de los tres golpes todas sus tres
lanzas, ~. fuI' cosa de ver, y aSÎ Ilevo la joya, » Relaciones l!ist6rÎcas ..., cité, pp. 65 sv.
(2) Piozasco à Marguerite de Parme, 'l'olède, 31 aoüt 1560 (A. F. N., Capte farneslane,
Fiandra, fascio 75).
(3) GACHARD, Relations des omboseadeurs vénitiens, p. 16'!, note 1.
(4) Relation anonyme de 1577 dans GACHARD, Relations ..., p. 182; Relation de l'ambas-
sadeur Soranzo, üans ALBERI, o. C., t. XIII, p. H4.

62
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LEi PALAIS HOYAL A MADHJD
(Dessin liré clu ms. clu Passe-temps cie Jehan Lhermlte, archer belge au service des rois cI'Espagne)
<
,".-;

Pendant son sejour à Madrid, i1aimait à se renfermer dans la


solitude. Il mangeait d'ordinaire seul,n'admeUant qu'exceptionnel-
lement à sa table la Reine, Don Carlos et la princesse Dona J ua.na,
mais .il se passait souvent plusieurs mois avant qu'il ne consentit à
appeler sa famille à partager ses repas (1).
Son plaisir consistait àentretenir des conversations particulières
avecses intimes, il, observer ses bouffons; la chasse le tentait assez
régulièrement (2). Trois ou quatre fois par semaine, il se rendait en
caresse à la campagne pour y abattre à l'arbalète le .cerf ou le
lapin (3). Le jeu de canne et les tournois l'attiraient aussi, de temps
en temps. Ce qui faisait .avant tout ses délices, c'était la compagnie
des femmes, avec lesquelles il s'amusait beaucoup et qu'il allait plus
d'une fois rechercher en secret (4).
Amateur de quiétude et de repos, on le voyait souvent partir à
l'improviste avant le jour, avec cinq ou six amis, et s'en aller dans
une de ses maisons de campagne, où il s linstaUait, bien décidé à ne
rien faire et à ne s'occuper de rien (5).
Dans un milieu pareil, le jeune et vif Alexandre Farnèse était
exposé à s'ennuyer. Heureusement, il jouissait 'd'ass·ez de latitude
pour chercher des plaisirs plus appropriés à son âge et à son tempé-
rament.
Il avait d "ailleurs trouvé, dès le premier moment de son arrivée
en Espagne, des compagnons et des amis en Don Carlos et en Don
Juan d'Autdche (6).
::::
* .*

A l'époque où il venait de dépasser sa quatorzième année (1560),


le prince de Parme se présentait comme un jeune homme beau
et sympathique. Plutôt petit que grand, duneeonstitütion de fer, ir
avait les cheveux bruns, une mine quelque peu hautaine, un VIsage

(1) Relation de l'ambassadeur Soranzo, dans ALBERI, o. C., t. XIII, p. 1:l2.


(2) Relation de Tiepolo, dans ALBERI, o. G., t, XIII, pp. 63-4.
(3) Relation anonyme de 1577, dans GACHARD, Rell1fimls.;., 1>:183.
(4)« Gli Intertenlmentl suoi sono ... piùrli tutti le donne, dellc quale mirabilmcnte si
diletta, e con toro di nascoslo ben spesso si ritrova. » Relation cie Tiepolo, loc. clt., pp. 63-64.
(5) Ibidem.
(6) « Dove qulvt dal Re sua, dal Principe D. Carlo etdal D. Giovanni et clai tutti i
principali signorl del regne sifece conoscere cosi glovane pel' ispirlto elevato di gran
valere et da tarsl amarcet honorare da tut\.i. » LiIJej' j'elaliolium, r" ·\9.

63
animé par des yeux vifs d 'une pénétration .singulière. Dans son corps
aux proportions harmonieuses, habitait une âme virile qui se mani-
festait en toutes circonstances (1).
Combien misérable devait paraître auprès de lui le pauvre Don
Carlos, cet enfant de vilaine et ingrate apparence, petit de taille', à
la tête disproportionnée, plantée de cheveux noirs, à face éteinte,
faible et maladif, toujours sujet à la fièvre, au parler difficile, lent et
saccadé (2), sur l'infortune duquel s'était penchée et apitoyée Élisa-
beth de Valois.
D'autant plus que le troisième du groupe, Don Juan d'Autriche,
accusait encore plus le contraste parsa beauté physique et son air
altier. De taille médiocre, comme Farnèse, mais bien proportionné,
le fils de Barbe Blomberg avait un très bel aspect et une grâce
admirable. On devait surtout, à la cour d'Espagne, remarquer sa
bellechevelure, blonde et bouclée (3).
Farnèse et Don Carlos, au premier abord, ne pouvaient pas se
sentir beaucoup attirés :}'un vers l "autre. Cependant, le prince de
Parme, généreux de nature, éprouvait sans doute pour l'infortuné fils
du Roi un sentiment de commisération et de pitié affectueuse. Dans
les lettres qu'il envoie à sa mère, Marguerite de Parme.. il en parle
toujours av-ec respect, l'appelant « le prince mon seigneur » et, au
moins une fois, il affirme qu'il cherche toutes les occasions pour
l'accompagner et le servir (4). Ge qui devait cependant :rapprocher
le prince de Parme et le fils de Philippe II, c 'est que tous deux avaient
la même passion: la littérature militaire et les choses qui se rappor-
tent à la guerre. L'ambassadeur Federico Badoaro ne signalait-il pas
cette particularité au doge ne Ve~üse en 1557~ «Son précepteur,
écrit-il, e'attache uniquement à lui expliquer les Offices de Cicéron"
afin de modérer l'impétuosité de ses désirs; mais Don Carlos est
toujours porté à parler des choses de la guerre et à faire des lectures

(1, DE NAVE."iNE, o. C"., p. 574. - « Eglî fu un beüsslmo giovane cosl d'aspetto come
rnrissimo di tattone, ln tutte le sue rnernbra proportiona:tissimo, essendo dl maniera dolce
et grato con carla piaeevolc maestà ... dlmostrando sernpre una virilità d'animo grande et
1 cale tncomparablle.» L'iber relationum, f·· 49. -« Le prince devient un beau gentilhomme
et est très bien vu de Sa Majesté, ~ écrit. le comte de Feria à Marguerite de Parme, de Tolède,
te 20 août :1560 (A. F. N., Carte fal'nesiane, Fianara. rasclo 1627). Voir aussi W. STIRLING
M..••
:nVELL, Don Joh:n of Âttst1'ia, t. l, p. 42.
(2) Relations de Tiepolo et de Soranzo, dans BASCHET, o. c., pp, 249-250; Relation de
Ba doa 1'0, dans GACHARD, o. C" p. 65. Cfl' F. RAcHFAHLL, Don Carlos, Kntische Uniersuchunqen.
(3) Relation de l'ambassadeur Lippomano, dans GACH.\RD, o. c., p. 195,
(4.1 l\'EA, o. c., p. 13.
PI.. XV

DO:\" C.\RLOS
à l'âge (le 12 ans (Koniglicl1es :'IIünz-Cabine-l, Berlin.)
y relatives (1). Deux ans plus tard, Michel Suriano écrit à son tour
que le prince héritier est « très grand ami des soldats » (2).
Le prince de Parme et le fils du Roi avaient donc trouvé un
excellent terrain d'entente et, de fait, nous s'avons qu'Alexandre
communiquait à Don Carlos les ouvrages d'ordre militaire qu'il
possédait ou qu'il lisait lui-même. En janvier 1560, le capitaine
Francesco di Marehi, résidant à Bruxelles à l'a cour de Marguerite de
Parme, se réjouit dans une de ses lettres de savoir que son Traité
d'architecture civile et militaire ou un autre livre de ce genre sera
envoyé à Alexandre, « car le prince d'Espagne, dit-il, se délecte aux
choses qui traitent de la guerre» (3). C'était supposer que le prince
de Parmeaurait fourni à Don Carlos le plaisir de lire l'ouvrage en
question.
Quant à Don Juan d'Autriche il fut, pour Alexandre Farnèse,
dès le début, une véritable « àmesœur » (4). Comment ne se
ser aient-ils pas compris et aimés! Tous deux issus de Charles-Quint,
ils 'en avaient hérité l'ambition, l'énergie, le désir d'activité, la
recherche des grandes actions et la soif de la gloire militaire. Certes,
Alexandre Farnèse l'emportait sur Don Juan par la pondération,
l'esprit politique, lecontrôl'e de lui-même. Mais à l'époque où les
deux jeunes gens se connurent à la cour, ces qualités foncières de
Farnèse ne pouvaient encore se manifester: en 1560, il avait quatorze
ans révolus, Don Juan en avait treize à peine.
Leur jeunesse aussi devait les rapprocher et ne laisser éclater
que ce qui était spontané, primesautier et exubérant. GOlIIlIDe
Farnèse,
Don Juan était aimé de tout le monde à la couret jouissait d'une
considération très grande. Comme le prince de Parme, il était fort
libéral et aimait à dépenser sans compter. TI ne rêvait que d'expédi-
tions et de victoires et avait en lui-même une confiance exagérée (5).
Tout vraiment devait le rapprocher d'Alexandre, et la seule diffé-
rence qui pouvait quelque peu trancher lorsqu'on comparaît les deux
jeunes gens, c'est que Don Juan, à en croire le témoignage de Juan
Cabrera de Cordoba, vieux 'serviteur de la maison royale, avait une

(i) GACHARD, Relations ..., p. 65.


(2) GACHARD, o. G., p. 133.
(3) RONCHINI, Cento tettere dei capitano Francesco di Marc hi, p. 5.
(4) L. COLOMA, Jeromin, p. i36.
(5) Relation de Tiepolo, dans GACHARD, Relations ..., p. 151; Relation de Llppomano
ibidem, pp. 198-199; HUYBERS, Don Juan von Oostenrijk, t, I, p. 50.

65
grande habileté et promptitudeen matière de poésie (1). Aussi peut-on
croire Luisini, le précepteur dAlexandrc, lorsqu'il écrit au cardinal
Farnèse que Don Juan portait au prince de Parme « une affection
infinie et qu'il vivait plus volontiers en sa compagnie que dans celle
d'aucun autre homme au monde. » (1) Et plus tard, au moment du
mariage d'Alexandre, Don Juan lui-même avouera à Marguerite de
Parme: « I.• e seigneur prince, mon neveu, est un charmant gentil-
homme, plein de valeur et doué de qualités héritées de sa mère.
Gomme il est votre fils, et à cause des liens du sang, et par suite des
rapports d'amitié qui se sont créés entre nous) son départ me causera
une très grande peine. » (3)
Don Carlos, Farnèse et Don Juan, qui 'avaient jusque-là séjourné
ensemble dans l'entourage du Roi, à Valladolid, à Tolède et à Madrid,
partirent bientôt pour une nouvelle destination.
En effet, la santé du prince héritier ne faisait qu'empirer de jour
en jour, en même temps que son caractère devenait de plus en plus
extravagant -et acariâtre. Après avoir consulté ses médecins, qui
jugèrent un changement d "air absolument indispensable, Philippe II
décida d'envoyer son fils à Alcala de Hénarès,en le faisant accom-
pagner d'Alexandre Farnèse et de Don Juan d'Autriche {4).
* *. *
ISituée à une distance de six à sept lieues de Madrid, Alcala se
trouvait dans une 'Plaine agréable et riante, où les rives du Narès
présentaient partout des jardins fleuris et des promenades ombragées
par de grands peupliers. Un ciel presque toujours serein, un 'air pur
et une température modérée en faisaient un séjour idéal pour l'infant
malade. Dans la ville se dressait un magnifique palais, destiné à servir
de demeure aux archevêques de Tolède : dans son enfance, Don
Oarlos y avait habité avec ses tantes, Dona Maria et Dona Juana.
De plus, Alcala possédait une université très renommée et le-s
trois princes pourraient donc facilement y continuer Ieurs études (5).
Oette université devait son origine au célèbre cardinal Ximenès de
(1) JEHAN LHERMITE, Le passetemps, t. I, p. 247.
(2) FEA, o. c., p. 13, note 2.
(3) Lettre citée par A. REUMONT, Mar{jherita d'Austria, lac. oit., p. 52.
(4) GACHARD, Don Cartes ..., t. I, pp. 67-69; STIRLING MAXWELL, Don John of Austria,
t. I, p. 39; L. COLOMA, Jeromin, p. 149. .
(5) « Para que los tres aprendtesen latinidad y 10 que debian saber de gracias -y gen-
tilezas, por tener aquesta villa buen asiento para ejercicios de cahalleria, a..legre~ rib:ras y
gran palacio arzobispal, bien acomodado para habitar en el. » PORREl'\O, Historia del
ser'ln seîio» D. Juan de Austria ..., p. 23.
Q

66
Cisneros qui, élevé à Alcala, y était revenu, un jour de disgrâce, et y
avait fondé un centre d'études. Celui-ci comptait dix-neuf collèges et
onze mi~lleécoliers, si l'on peut se fier aux statistiques du XVIe siècle,
toujours sujettes à caution. Bibliothèques et œuvres d'art faisaient
d'Alcala un beau foyer intellectuel. On y 'avait imprimé,en latin, en
hébreu,en grec et 'en chaldéen, la célèbre bible polyglotte: les
imprimeurs Brozas et Angulo y publièrent les ouvrages d'érudits et
de lettrés comme Gomez de Castro, Villapando et Segura (1).
Dans cette petite ville d'Allcala était né, la même année que Don
Juan d'Autriche, un homme que les trois princes y rencontrèrent
peut-être plus d'une fois, sans le connaître, lui l'étudiant pauvre; un
homme qui fut présent à la bataille de Lépante, soldat obscur ,là où
Don Juan et Alexandre Farnèse combattaient en pleine gloire; un
homme qui s'appelait Miguel Cervantès Saavedra, l'immortel auteur
du Don Quichotte (2).
Don Carlos partit pour Alcala le 31 octobre 1561; Farnèse et
Don Juan d'Autriche l'y rejoignirent trois jours 'après (3). L.es trois
princes n'étaient pas traités sur le même pied. Don Carlos et Don
Juan furent logés dans le somptueux palais archiépiscopal: Alexandre
Farnèse occupa des quartiers en ville. Don Juan s 'instaâla avec une
suite nombreuse, qui représentait pour le Roi une dépense de 20.000
ducats l'an (,4)et qui comprenait entre autres Don Claudio Manrique,
majordome, Don Hernando de Acuna, camérier, Don Juan de Guz-
man. Le majordome en chef en était le fidèle Luis Quixada, auquel
Charles-Quint avait confié l'éducation du fils de Barbe Blomberg
lorsqu'il ne s'appelait encore que Jéromin (5).
Alexandre Farnèse n'avait avec lui que son gouverneur Ardin-
ghelli, son précepteur Luisini, un professeur d'allemand, qui était en
ce moment François de Ha1ewijn, seigneur de Sweveghem (6), Don

(1) STIRLINGMAXWELL,O. C., t. I, p. 39; H. LYONNET,Cervantès, p. 9.


(2) J. FITZMAURICB KELLY, Migue~ de Cervantes Saavedra. Reseîia documentada de su
vi.da, pp. 30 sv. Oxford, 1917; H. LYONNET,Cervantès, p. S.
(3) GACHARD,Don Cartos ..., t. I, p. 69; COLOMA,i eromm, p. 149.
(4) C'est ce que nous apprend la Relation d'Espagne de l'ambassadeur vénitien Tiepolo,
dans ALBERI, o. c., t. XIII, p. 38.
1(5) Bibliothèque Victor-Emmanuel à Rome, Fonâo Sessoriano, ms. 451, fo 225 : Prin-
cipio de ta vida de Don Juan de Austrui hijo del empertuior Carios YO: « y mando [el Rey]
que se le seüalassen veynte mil ducados de entretenimiento para en cadaunano, para el
gasto de su persona y casa, y que le pusiessen criados en ello ai uso de Borqoîia, como la
tubo el emperador su padre y la tenia el mismo rey don Felipe su herrnano ... ».
(6) Lettre de Marguerite de Parme à ottavio Farnèse, Bruxelles, 1er juin 1561
(A. F. N., Carte tamesume, Fiandra, fascia 1630).

67
Pietro Sylvie, son trésorier et les sept ou huit serviteurs flamands
et italiens qui constituaient sa maison à la cour de Bruxelles (1).
Les trois princes reçurent, en privé, les leçons des plus illustres
docteurs de l'université d'A'lcala, parmi lesquels brillait surtout celui
qui fut le directeur principal de Ieurs études, Honorato Juan, précep-
teur particulier de Don Carlos.
Cet homme savant avait été, à l Tlniversitê de Louvain, le disciple
de son compatriote Vivès. Il fut ensuite soldat et avait suivi en 1541
l'empereur Charles-Quint à la conquête d'Alger. Il connaissait donc
le père de Farnèse, Ottavio, dont nous savons qu'il prit aussi part à
l'expédition.
Honorato Juan avait, par la suite, accompagné Philippe, encore
prince héritier, à travers les Pays-Bas et J'Allemagne. Ji! passait
pour un des hommes les plus instruits de l'Espagne. D'après son
contemporain Alvaro Nuüez, « sa science dans toutes les branches des
belles-lettres était si grande et si rare qu'elle avait émerveillé tous
ceux de eon temps ..., qui tous rendaient témoignage de son génie
extraordinaire, ainsi que de la variété et de l'étendue de ses connais-
sances dans les littératures grecque et latine, dans la philosophie
naturelle et morale, et dans les mathématiques. » (2)
Sous la direction de <.lemaître, on copia à Alcala, pour l'instruc-
tion des trois princes, le célèbre manuscrit contenant les œuvres
scientifiques d'Alphonse le Sage: Honorato Juan tint à dessiner de
sa propre main les figures astronomiques qui illustraient le codex (3).
Philippe II avait lui-même écrit Ile programme des études des trois
jeunes gens et leur ordre du jour. Don Carlos, Don Juan et Farnèse
se levaient, en été, à six heures du matin et, en hiver, à sept heures.
Après le bain et la toilette, ils récitaient leurs prières en présence du
premier majordome et des gentilshommes de chambre et, dans ces
prières, ils devaient spécialement appeler la bénédiction de Dieu sur
les rois de la terre et implorer sa miséricorde pour les âmes des
défunts. Ils déjeunaient ensuite ensemble, puis assistaient à la messe,
qui se célébrait dans la chapelle privée de Don Carlos.

(1) On s'en rend compte par la comptabilité de sa maison en 1560-1561 (A. F. P., Fili
correnu, Spese in Fiandra, farde 1560-1561, quittances nos 927 à 799 [sic]). Cfr L. COLOMA,
Jeromin, p. 149.
(2) GACHARD, Don Carlos, t. l, pp. 11-12; STIRLING MAXWELL, O. c., t. I, pp. 39-41. Cfr

aussi ANTONIO JUAN, Elogios del iUustrissimo Honorato Juan, gentilhombre del sor Emperador
Carlos VO, maestro dei sor
Don Carlos. Valencia, 1649.
(3) L. COLOMA, Jeromin, p. 149.

68
On se mettait ensuite à l'étude, pendant deux heures, sous la
direction d'Honorato Juan. A onze heures, les princes quittaient
~'étude pour aller dîner en public j de midi à une heure, ils avaient
leur leçon de chant et de musique. De une à quatre heures, l'étude
recommençait, cependant encore coupée de,leçons d'escrime et d'équi-
tation.
De quatre à, cinq, les princes allaient se récréer avec les gentils-
hommes de chambre et les nobles auxquels Don Carlos pouvait
donner accès à ses appartements, après approbation de son major-
dome Don Garcia de Tolède.
A six heures, on soupait. Le souper était suivi d'une nouvelle
période de récréation, remplie de jeux, d'exercices, de conversations.
A neuf heures, les trois princes récitaient ensemble le rosaire, puis
chacun d'entre eux se retirait dans ses appartements privés.
Les dimanches et jours de fête, les heures d'étude étaient rem-
placées par des exercices de piété, des jeux et des exercices sportifs (1).
On retrouve dans ce programme méticuleusement dressé l'esprit
d'ordre et de méthode de Philippe II. Nous doutons qu'il ait fait la
joie d'AleXiandre Farnèse, dont le tempérament s 'accomcdait mal de
réglementation étriquée, surtout lorsqu'il s'agissait d'études. Mais
le Roi l'ayant ordonné ainsi, le prince de Parme ne pouvait que s'y
soumettre avec la plus entière bonne volonté 'extérieure.
Nous savons que Farnèse avait près de lui en Espagne ses
maîtres particuliers, Luisini, pour les études de latin et de grec,
François de Halewijn (2), pour l'enseignement de la langue allemande.
Il est probable que cet enseignement particulier ee donnait le soir,
dans les appartements que le prince occupait en ville, et qu'il ne
s'intercalait pas dans le programme d'études que Philippe II avait
imposé aux trois jeunes gens pour tout le cours de la journée.
Luisini, dans les lettres envoyées pendant cette période au car-
dinal Farnèse, ne nous permet pas de juger si son élève appréciait
mieux en Espagne qu'en Italie ou aux Pays-Bas ses efforts pour lui
inculquer le goût des belles-lettres. Mais nous supposons que le zèle
du prince de Parme ne fut pas des plus exemplaires, lorsque nous
voyons ce qui se passait pour l'étude de la langue allemande.

(1) L. COLOMA, Jeromsn, pp. 149-150.


(2) C'est à tort que Fea nomme comme professeur d'allemand Melchior Schnek (o. c.,
p. 14-i5). Celui-ci avaët été remplacé en 1561 par }t'Jrançois de Halewijn, seigneur de Swe-
veghem, comme nous l'apprend une lettre de Marguerite de Parme du 1er juin de cette
année (A. F. N., Carte tarnestane, Fiandra, rascto 1630).

69
Alexandre tranquilliaait ea mère en lui écrivant: « En ce qui
concerne la langue allemande, que Votre Altesse soit convaincue que
je ne suis pas près de l'abandonner, car elle me paraît une langue
utile et honorée et je l'étudierai avec beaucoup de diligence. » (1)
Mais Marguerite de Parme en savait plus long par François de
Halewijn, qui se plaignait de son élève : « Quant à ce qu'on Vous a
dit, écrivait-il dAlcala, que Ie prince veut bien appprendre la langue
allemande et qu'il fait des progrès, c'est exagéré. La vérité est que,
malgré tous mes efforts, il se montre peu disposé à l'étudier, et je
me vois forcé de Vous en avertir. » (2)
Quelle créance attribuer dès lors à Luisino lorsqu'il signale au
cardinal Farnèse que chaque jour le prince « s'applique à l'étude
des Iangucs, des choses morales, à l'histoire et à des problèmes de
mathématiques »? (3)
Nous sommes disposés à croire que pour l 'histoire et les mathé-
matiques, le prince de Parme montrait plus de zèle et plus de goût
que pour l'étude de la langue allemande.
Luisini para~t cependant sincère lorsqu 'ile:x:prime sa joie et
son « infinie consolation » de voir Alexandre étudier chaque jour
le De Amicitia de Cicéron et la Morale d'Aristote (4).

Comment se portait entretemps, à Alcala, le 'Pauvre Don Carlos?


Il profitait incontestablement de son séjour dans cette région salubre
et n'avait plus d'accès de fièvre que par intermittence : Philippe II
se félicitait de la décision qu'il avait prise de l'éloigner de Madrid (5).
Mais voilà que Farnèse allait assister à un événement grave, qui mit
en péril les jours de l'infant.
Celui-ci, poussé, semble-t-il, par un membre de son entourage,
qui se disait que l'amour éveillerait et stimulerait l'esprit du prince
'et lui inspirerait de l'énergie physique,avait noué une intrigue avec
la fille du concierge du palais d'Alcala, Mariana de Gardeta (6).
('1) FEA, O. C., p. Hi.
(2) Lettre du 28 février 1562 (A.F. N" Carte tornestane, Fiandra, fascio 1627). A la suite
de ces plaintes, Alexandre semble y avoir mis plus de zèle, car le 6 avril suivant, Marguerite
de Parme écrit à François de Halewijn qu'elle est heureuse des progrès que son fUs fait
en allemand (A. F. N, Carte farïiesiane, Piasuira, rasclo 1626).
(3) FEA, o. c., p. 15, note 2.
(4:) A. RONCHIN!, Prœncesco Luisini..., loc. cit., p. 215,
(5) GACHARD, Don Cartos, t. I, p. 70-71.
(6) Sur cet épisode, voir GACHARD, O. c., t. I, pp. 72 Pt suiv.: L. COLOMA Jeromin,
pp, 154 et suiv.

70
Pour aller. voir son amie, le prince descendait 'au jardin par un
escalier dérobé, obscur et fort raide. Don Garcia de Tolède, major-
dome de Don Carlos, s'étant aperçu de ce manège, fit fermer la porte
par Iaquelle l'escalier communiquait 'avec le jardin. Plein de fureur,
l'infant avait :déjà essayé de rouvrir le passage avec l'aide d'un de
ses gentilshommes. Le dimanche 19 'avril 1562, après avoir donné
rendez-vous à Mariana, il réussit à échapper à la surveillance de son
entourage et se précipita dans Pesealier à la rencontre de la jeune
fille. Il trébucha et vint s 'abattre sur les dalles, la tête en avant. TI
se fit une grave blessure qui mit ses jours en danger. L'intervention
du célèbre André Vésale, mandé expressément par Philippe II, et
d'un guérisseur more n'eurent aucun résultai.
Pendant la maladie du prince, Don Juan et Alexandre Farnèse ne
le quittèrent pour ainsi dire pas un instant (1) ; Alexandre mit sa mère
au courant de l'accident dans une lettre qu'il lui écrivit le 15 mars
et où il montra une sincère commisération pour le fils dlu Roi (2).
Farnèse devait d'ailleurs être ému devoir l'a douleur de Phi-
lippe II et le dévouement d'Honorato Juan, qui, relevant lui-même
de grave maladie, ne manqua pas d'assister 'au pansement de son
royal élève et aux 'consultations des médecins.
Finalement, au moment où les médecins avaient abandonné tout
espoir de sauver Don Carlos et où le Roi, ne voulant assister à la
mort de son fils unique,s 'en était allé, brisé de douleur, par une
nuit noire et une tempête 'affreuse, le malade se remit le 9 mai. On
avait processionnellement introduit dans sa chambre et fait toucher
par Don Carlos la dépouille mortelle du franciscain fray Diego, qui
était mort à Alcala, un siècle auparavant, en odeur de sainteté. Le
docteur Olivarès estima à ce sujet « qu'il n'y avait de miracle, dans
l'acception propre du mot, car le prince fut guéri par les remèdes
naturels et ordinaires dont on use pour toutes personnes atteintes
de la même maladie, même en des cas plus 'graves. » (3)
(1) « En esta enfermedad 'Y convalescensta han venido tantos grandes, duques, condes,
marqueses 'Y otros seüores illustres 'Y caballeros, perlados 'Y embajadores que seria proll-
jidad nombrarlos; basta que no ha habido hombre de cuenta (que no estuviese legitimamente
~ :mpedldO) que no viniese a vlsltar à S. A. » Reiacum. verdaâero de Dionisio Daza Ohacon,
~édecin de Philippe II, dans Documentos inéditos para la historia de Espana, t. XVIII,
p>Q61.
'(2) A. F. N., Carte tœmesuuie, Fiandra, fascio 1624.
(3) Voir GACHARD, Don Carlos, t. ï, p. 85, note 3, et la relation du Docteur Olivarès,
dans les Documentas inéditos para w historia de Espana, t. XV, pp. 552 svv. A comparer
avec la Relaçion. uerdaaera de Dlcnislo Daza Chaoon, médecin de Philippe II, dans les
mêmes Documentes, t. XVIII, pp. 537 svv.

71
La cérémonie de la translation du corps de fray Diego jusque
dans la chambre du malade avait été impressionnante. En tête venait
une foule nombreuse, priant à haute voix et demandant à Dieu misé-
ricorde : des centaines de pénitents, en capuchon, les suivaient,
flagellant jusqu'au sang leurs épaules dénudées. Derrière eux
s 'avançaient quatre Franciscains, portant le corps de fray Diego,
enveloppé dans un suaire, mais la figure découverte. A droite ~
gauche de la relique) marchaient deux pénitents en capuchons de bure
qui leur couvraient la tête et habillés d'une tunique d'étoffe grossière,
les pieds nus et ensanglantés par les pierres du chemin. Ces deux
pénitents étaient Don Juan dAutriehe et Alexandre Farnèse (1).
Derrière eux s'avançait le duc d'Albe, tête découverte, et 'Puis
une foule mélangée, où se 'Coudoyaient les membres de l'Université,
des étudiants, des nobles, des prêtres, une foule angoissée et aux
yeux remplis de larmes.
Don Carlos fut donc sauvé de la mort, malgré la condamnation
des quatorze médecins qui s '·étaient affairés autour de son lit. Il quitta
Alcala le 17 juillet pour terminer s'a convalescence à Madrid (2). Il
y rentra en octobre 1563 (3).

:::-
'*' *
On affirme généralement que Don Juan et Alexandre Farnèse
restèrent à Alcala jusqu'à la fin de 1564 (4). Ce fut le cae de Don
Juan, mais, en ce qui concerne Farnèse, il faut s'entendre sur la
signification exacte de ce « séjour ». Il est incontestable, à la suite
de l'examen de la comptabilité d'Alexandre Farnèse et de l'endroit
d'où ses lettres sont datées d8J1662 à 1564, que, depuis le départ de
Don Carlos après l'accident mentionné plus haut, Farnèse ne résida
plus à Alcala de façon continue (5). Il y fit plutôt des apparitions
intermittentes. Ainsi, le 10 mai 1564, Luisini faisait connaître au
cardinal Farnèse <la joie et le contentement qu'éprouvèrent Don

(1) L. COLOM ..>\., Ieromin, p. 159.


(2) GACHARD, Don Carlos, t. I, p. 91; L. COLOMA,
Jeromin p. 161.
(3) GACHARD, Don Carlos, t. I, p. 124, note 1.
(4) STIRLING MAXWELL, Don John of Austl'la, t. I, pp. 40-45; L. COLOMA, o. c., p. 161.
(5) Cela ressort de sa comptabilité à A. F. P., Pili correnti, Spese 1n Fiandr'ill (sie),
fardes 1562, 1563 et 1564, dont les pièces sont datées de Madrid, Alcala, Madrid, Barce-
lone, Alcala, Monzon, Madrid. Les lettres écrites par Farnèse à sa mère montrent la même
diversité dans le séjour (A. F. N., Carte tornesiome, Fiandra, rascto 1624).

72
Carlos et Don Juan lorsque Farnèse vint les visiter (1) : quelques
jours après, Alexandre s'arrachait à l'affection de ses amis et suivait
le Roi dans son voyage vers la Castille.
C'est, en effet, en compagnie de Philippe II que nous le trouvons
le plus souvent, à partir du juillet 1562 : avec le souverain, nous le
voyons voyager à travers l'Espagne et visiter Burgos, Valladolid,
Segovie, Monzon, Valencia, d'autres lieux encore (2). O'est bien plus
une vie de cour qu'il menait qu'une vie d'études et c'est à cette
vie que fait allusion Strada lorsqu'il écrit : « Oe qui est rare dans
la cour, cette faveur du Roi ne lui attira jamais des envieux, la
noblesse lui cédait volontiers comme au petit-fils de Charles-Quint:
et quant à lui, il s'efforçait de gagner l'amitié de la noblesse par sa
douceur et par s'a modération, par ses bons offices et par ses libéra-
lités, qui allaient jusqu ~à un tel excès que sa maison en recevait
même de l'incommodité. » (3)
On peut prendre à la lettre ces affirmations du panégyriste
qu'est Strada : l'incident que voici en est la preuve certaine (4). En
septembre 1562, le fils du grand-duc de Florence, F'rançois, avait
été envoyé à la cour de Philippe II pour complimenter le Roi.
Aussitôt,se posa la question de protocole: à la cour, qui aurait la
préséance, le prince de Florence ou le prince de Parme Des avvisi ï

envoyés de Milan en Angleterre le 2 septembre prétendirent qu'il


avait été décidé que c'était Farnèse qui aurait la préséance (5).
Le 26 septembre, la reine d'E,spagne, qui était allée avec le Roi
au Bois chasser le cerf à l'arbalète, rentra à Ségovie, en compagnie
de Don Carlos, de Don Juan d'Autriche, du prince de Florence et du
prince de Parme: le 27, un combat de taureaux et un jeu de cannes
furent organisés en faveur des illustres visiteurs (6). Pendant ces
fêtes, Farnèse céda toujours spontanément le pas au prince de Flo-

{1) Lettre d'Alcala, 10 mai 1564, dans A. ROl'(CHlNJ, Francesco Luisini, loc. cit., p. 215,
note 1.
(2) FEA, o. c., p. 14.
(3) Guerre des P(J/!js-Bas, t. II, pp. 326-327.
(4) Cesare Campana, qui connut Marguerite de Parme à Aquila, dans les Abruzzes,
dit a . ans son Della guerra di Fiandra, p. 9 : « il quai [Alessandro 1 rnoltl anni era
vi to con gr~ssimo splendore alla corte di S. M. e da lei come proprio ûgho amato. »
(5) Foreign Colenâar, 1562, p. 581.
(6) Dépêche du baron de Saint-Sulpice, ambassadeur français en Espagne, à la Cour
d Paris, 8 octobre 1562, dans GACHARD, La Bibliothèque nationale à Paris, t. II, p. 146.
La présence de Fa.rnèse à ces fêtes est mentionnée par G.-B. ADRIAXI, Istoria de' suoi
tempi, fo 692, G-H.

73
rence (1) et aucun incident n'éclata. Mais à la cour de Madrid, il n'en
fut plus de même. S'il faut en croire l 'historien florentin Adriani,
contemporain et bien informé, le changement d'attitude de Farnèse
était dû aux lettres de Marguerite de Parme et aux instigations de
Giulano Ardinghelli, le gouverneur d'Alexandre (2).
En tous cas, à la cour d'Espagne passaient pour « grands
d'Espagne» uniquement ceux qui, à la suite d'un usage immémorial,
ou par une grâce particulière que leur fa~oi,avaient le droit
de se couvrir en présence du souverain (3). Or, ce privilège, Alexandre
Farnèse le possédait, comme nous l'avons vu plus haut : il en avait
usé à la cour dAngleterre et à la cour de Bruxelles. Un autre privi-
lège de ces « grands dEspagne » était aussi, lorsqu'ils accompag-
naient le Roi à la messe dans la chapelle du palais, de s 'y agenouiller
sur un banc qui était installé à leur intention, et de s 'y mettre dans
l'ordre et à la place qu'ils voulaient (4).
Or, le 11 novembre (5), Farnèse, s'étant rendu à la messe royale,
se plaça à la tête du banc des « grands»; le prince de Flo:rence était
un peu en retard et arriva lorsque le service 'avait déjà commencé.
Après avoir dit une prière devant l'autel et fait sa révérence au Roi,
François de Médicis se rendit au banc réservé et y t'Touva B'arnêse
installé. Il pria 'courtoisement le prince de Parme de lui céder sa
place, Alexandre lui fit signe de la main qu'H n 'avait qu'à se placer
à un autre endroit. Le prince de Florence, s'animant, répéta sa
demande. Farnèse s'approcha, et désira savoir qui avait réservé cette
place à François de Médicis et pourquoi il la réclamait. Le Médicis
répliqua : « Je la tiens de Dieu et de mon devoir! » Alexandre refusa
de bouger. Alors, le prince de Florence, par l'intermédiaire du duc
d'Albe, fit demander à Philippe II de bien vouloir être arbitre du

(1) « Trovandosi nel medesimo tempo il Prlnolpe di Parma, il quale molto domesti-
camente ln Segovia haveva trattato con quel di Firenze, cedendogli sempre... » ADRIANI,
o. c., loc. cit. « Hebbe anime di tentare di avanzare in dignità il Principe di Firenze, contro
a quello che altre volte haveva fatto quando si erano ritrovati insieme. » (Ibuiem}
(2) O. c., loc. olt.
(3) Relation de l'ambassadeur Soranzo en 1563, dans ALBERI, o. C., t. XIII, p. 81.
(4) Relation de Soranzo, lac. cit., pp. 81-82.
(5) L'incident est raconté en détail par G. B. ADRIANI,Istorta ... fO 692-693, dont on
ne peut oublier qu'il est florentin; par l'ambassadeur vénitien Soranzo (ALBERI, o. c.,
t. XIII, p. 82) et par une lettre de Thomas Challoner à Cecil, datée de Madrid, 12 novem-
bre 1562 (Foreign Calendar, 1562, n- 1097). Les trois récits concordent pour le fond et
les détails principaux de l'incident. On voit que Adriani est sympathique au prince de
Florence, tandis que l'ambassadeur vénitien Soranzo approuve visiblement. et expressé-
ment Farnèse.

74
différend. Le Roi s'en abstint et ordonna aux deux adversaires de
quitter la chapelle et de s 'en retourner chez eux.
Il n 'y a point de doute qu 'Alexandre F'arnèseeult pour lui le
Roi et les nobles espagnols: l'ambassadeur anglais Challoner constate
que plus de cent gentilshommes de la cour prirent le parti du
prince de Parme, alors que celui de Florence ne fut soutenu que par
ceux de sa propre maison. Et Adriani, qui, comme florentin, prend
fait et cause pour François de Médicis, est obligé de constater que
le Roi ne voulut point donner une sentence arbitrale pour ne pas
faire de la peine à son neveu (1).
H est donc certain que le jeune Alexandre était très bien vu à
la cour; il faisait d'ailleurs sur tous ceux qui l'approchaient une
impression excellente. En 1563, l'ambassadeur vénitien Tiepolo en
fit à la Seigneurie de Venise un portrait flatteur : « Ce prince ...,
élevé avec d'excellentes manières, orné de grandes qualités, parmi
lesquelles le fait de parler diverses langues, possédant une tendance
innée au bien, réussissant 'admirablement non seulement dans le
maniement des armes, mais dans tout ce qu'il entreprend, donne de
soi-même de très grandes espérances. » (2)
Alexandre n'était d'ailleurs pas égoïste et mettait volontiers à
la disposition de ceux qui la réclamaient ou qui pouvaient en béné-
ficier l'influence dont il disposait aux deux cours de Madrid et de
Bruxelles. Continuellement, il y 'a, entre lui et sa mère, un échange
de lettres pour intervenir en faveur de serviteurs, d'amis, ou simple-
ment de ceux qui se réclament de lui. Tantôt, ce sont des réfugiés
anglais, comme Thomas Harvey, dont le prince s'occupe chaleureu-
sement; tantôt, des marchands, comme de Haros ou Rodriguez de
Almada; tantôt, de vieux serviteurs de Charles-Quint, comme Bal-
thasar Weber ou Marc Antonio de Nogarolo; tantôt, des amis ou
même des inconnus, qu'on a recommandés (3).

***
(1) « It is olear that the king he courtiers are on Parma's slde, for he was accom-
panied by above 100 gentlemen of this co rt and Florenoe nad only his own train. » Chal-
loner à Cecil, loc. cii.; - « Et il Re, per n dispiaoer al nipote, non voile mai darne sen-
tenza. » ADRIAN!, O. c., lac. cit.; - « Fu moltè biasimato il prlnlcipe di Fiorenza ... » Relation
de Soranzo, loc. cu.
(2) ALBERI, o. c., t. X III , p. 59. ,
(3) Toutes ces lettres de recommandation se trouvent, entre autres, à A.. F. N., Carte
tamesiane, Fiandra, fascio 1624, et à fi:"F. P., Carteggio tomesumo, Paesi Bassi, cartegglo
1557-1562 et 1563-1565. - « Quelli che da lui volevano cos a alcuna si dimostrava a loro
prontissimo di compiaoerli... » Liber j·elati.onum, fo 49.

75

-'-,.... -.-_
,.
.. ... -
Bien vu de tous, Alexandre Farnèse s 'adonnait avec joie aux
plaisirs que pouvait lui offrir la cour, tournois, exercices sportifs,
chasses (L). Dans tous ces amusements et ces occupations, il s'inspi-
rait sans doute de principes analogues à ceux que dicta, plus tard, le
comte de Portalegre à son fils (2), au moment où celui-ci devait se
rendre à la cour de Philippe II. Quatre exercices corporels étaient
jugés particulièrement nécessaires pour faire un bon « cavalier » ou
« gentilhomme » : monter à cheval ar'mé à la légère ou de la genette
(lance courte), savoir manier lesarmes ~at, tirer à l'arquebuse
et à l'arbalète, danser avec grâce. Ces exercices n'étaient pas consi-
dérés comme un empêchement pour les études. En allant à cheval, il
fallait rechercher avec soin la bonne posiura ou attitude et Pair
naturel que le cavalier devait avoir. Il fanait éviter surtout de Be
composer un visage, ou d'affecter des attitudes du corps et des
positions du bras : le naturel était l'idéal à atteindre. La bride devait
se prendre en main sans pose ni raideur aucune : on devait se tenir
à cheval comme si on était à pied, avec les pieds pointés en avant et
droits, et s'ans imprimer à son corps des attitudes, dédaigneuses.
L'escrime aussi était recommandée: elle devait se faire brillamment,
avec audace et rapidité.
« Quand il s'agissait
de manier les armes, affirme Strada (3), et
de montrer son adresse dans les joutes et dans les tournois, dont le
prince Charles et Don Juan d'Autriche donnaient souvent le diver-
tissement, Alexandre y paraissait avec tant de grâceet de majesté et
y courait quelquefois désarmé et méprisant le danger avec une si
noble constance que, s'il attirait de tous côtés des applaudissements ...,
il donnait tout ensemble aux spectateurs du plaisir 'et de la crainte. »
Un jour qu'il chassait avec le Roi près de Monzon, Alexandre
fut en grand danger. Poursuivant le gibier, il arriva seul à un
endroit difficile du fleuve Cinga. Il sauta de cheval pour passer plus
facilement et, ayant l'intention de pousser d'abord son coursier dans
l'eau pour la traversée à la nage, il recula en arrière sans s'aperce-
voir qu'il y avait aussi de l'eau derrière lui. Il tomba dans une gorge
profonde, remplie de tourbillons. Il parvint cependant à se maintenir

(i) STRADA, O. C., t. II, p. 327.


(2) Bibliothèque royale de Bruxelles, ms. 20918, fO' 1G et svv.: Instrùcion que JUŒn de
Vega dio a su hijo pœra governat'se en ta corte, con anotaçiones dû conde de Po1'lalegre
para et mismo yntellto ana 1591.
(3l Guerre des Pays-Ba,ç, t. II, p. 327.

7G
jusqu'à ce que ses appels au secours eussent amené des gens de [a
cour, qui le retirèrent de sa situation critique.
Le Roi, très ému par l'accident, lui fit pratiquer une saignée, et
le prince ne souffrit guère de l'aventure (1).
Comme bien on pense, lorsqu'elle apprit le danger qu'avait couru
son fils, Marguerite de Parme s'alarma et réprimanda les gens de la
maison d'Alexandre, Ardinghelli et Piozasco. Elle chargea son secré-
taire, Armenteros, qui était alors en Espagne, de représenter au
prince qu' « il convenait peu à s'a réputation et à ses affaires de
risquer ainsi sa vie à la chasse et aussi au jeu de la pelotte » et
elle frémissait à la pensée du désastre que l'imprudence de son fils
avait failli provoquer (2).
Si l'on peut croire le récit de Strada en ce qui concerne les
prouesses sportives du prince de Parme, il est un autre point où les
documents des Archives farnésiennes confirment entièrement ses
informations : celui de la prodigalité dont Alexandre faisait montre
à la cour.
Ce défaut-là était un héritage de son père Ottavio, dont Gran-
velle disait qu' « il était de sa nature dépensier » (3); c'était aussi
un héritage de sa mère, qui aimait à puiser royalement dans ce
qu "elle avait à sa disposition.
En 1563, Marguerite, qui affirmait qu'elle ne pouvait se suffire
avec le traitement que lui allouait Philippe II et avec ses revenus
ordinaires, avait été gratifiée par le Roi d'une rente viagère de
8.000 écus, assignée sur la trésorerie du royaume de Naples (4). Par
la même occasion, le souverain avait accordé à Alexandre Farnèse
une rente viagère de 4.000 écus, assignée de la même manière (5).
En comparaison des 20.000 ducats que coûtait annuellement au

(1) FEA, o. c., p. 14, note 6.


(2) Lettres d'Armenteros à Marguerite de Parme, Monzon, 23 novembre et 5 décem-
bre 1563; Lettre de Marguerite à Armenteros, Bruxelles, 6 janvier 1564, dans A. F. N.,
Carte fœmesiane, Fiandra, rasoto 1625. Voir aussi les lettres d'Ardinghelli, de 1563, à A. F. N.,
Carte tarnesume, Fiandra, rasoio 1723.
(3) Granvelle au Roi, 29 mai 1560, dans ·WEISS, Papiers d'ÉÜlt du cardinal cie Grœn-
velle, t. VI, pp. 98-100.
(4) Lettres de Marguerite au vice-roi de Naples et à l'agent farnésien Coppola, datées
de Bruxelles, 20 juin 1563, .. N., Carte tamesiame, Fiandra, fascio 1622.
(5) Cédule originale du Roi, d 17 juillet 1562: « afin que, se trouvant près de moil
le prince Alexandre puisse mieux sbvenir aux besoins de sa maison », et exécutoire de
la cédule par le duc d'Alcala, vice-roI de Naples, à A. F. N., Diplomi [arïieeuuü, nOS149 et
153 (originaux).

77
Roi l'entretien de la personne et de la maison de Don Juan
d'Autriche, J.e revenu du prince de Parme était modeste. Aussi,
Alexandre, qui, peu avant la faveur royale, se lamentait de ce qu'il
avait si peu d'argent pour 'Payer ses serviteurs et de ce que son père
se montrait chiche (1), faisait des dettes sans beaucoup de scrupules.
C'est pourquoi, malgré son indulgence, M rguerite de, Parme dut
finir par en écrire à Ottavio Farnèse pour lm' r que le prince
faisait des dépenses extraordinaires et que ses dettes croissaient de
plus en plus, sans qu'ii voulût s'en corriger (2).
A quoi Alexandre dépensait-il ces sommes considérables? La vie
de cour qu'il était obligé de mener, les fêtes auxquelles i'l assistait,
les voyages auxquels le Roi l'obligeait, engloutissaient sans doute
dans une large mesure J'argent qu'il avait à sa disposition (3).
Mais nous nous demandons, surtout en ce 'qui regarde cette
année 1564 où Marguerite de Parme elle-même finit par s'inquiéter,
si des aventures amoureuses ne poussaient pas le beau cavalier
qu'était Farnèse à offrir des cadeaux, toujours chers, aux dames qui
avaient réussi à conquérir son cœur ou qu'il recherchait lui-même (4).
Car Alexandre Farnèse avait des aventures de ce genre.
De celles-ci, Strada ne souffle mot! Un jour - en octobre 15,65 -
le bon capitaine Francesco di Marchi écrivit à G.-B. Pico à Parme
une lettre, où nous lisons cette phrase : « Je puis vous dire, et Votre
Seigneurie le sait, combien le prince est astucieux dans les manèges
pour pratiquer l'amour. » (5)
Est-ce étonnant chez un descendant de Paul III, chez le neveu
du cardinal Farnèse et chez le ûls dOttavio Car ce dernier prenait
ï

aussi dans ce domaine des libertés dont les échos nous sont par-
venus (6).
(1) Alexandre à Marguerite de Parme, Alcala, 28 janvier 1562, à A. F. N., Carte tome-
siane, Fiandra, rascïo 1624,
(2) Lettres de 1564 à A. F. N., Carte farnesiame, Fiand'l'~, fasclo 1714.
(3) L'ambassadeur Soranzo dit, à propos de la vie des grands seigneurs à la Cour de
Madrid: « Hanno molto delle loro entrate impegnate per causa delle grandissime spese
che fanno, massims quando sono in corte, e generalmente parlan do, quando più sono
comodi ed onorati, tanto più dispensano il tempo e le racolta malamente, giocando molto
alle carte e ai dad!i... MeUono anco gran cura quet signori in vestir onoratamente, in
cortcgglar e servir dame, ln comparlr sopra belllsslmt cavalli, in tener moltl servitori e
vestirll di livree. » (ALBERI, o. C., t. XIII, pp. 81-82.)
(4) L'auteur du Liber retauonum, témoin de la jeunesse d'Alexandre Farnèse, n'écrit-il
pas: « Com' era tanto di natura amabile, s'appasionava aleuna volta negl' amori fuor' di
modo e spendeva in questo con ogni larghezzaet con i mezani di questi amori nell' usar
lor don! et favori era larghissimo premuüore »? (Ms. cit., fo 249-25Oro).
(5) RONCHINI, Cento tettere ..., p. 40.
(6) DE NAVENNE, O. C., p. 577.

78
Le jeune prince de Parme, beau de sa personne, courtois de
manières,chéri du Roi, était, parmi les caballeros de la cour, le pré-
féré des dames, qui ne cachaient pas qu 'elles aimaient bien ses
galanteries (1).
Le 10 mai 1564, Luisini fit savoir au cardinal Fïaœnèse que
« depuis quelque huit mois, le prince a commencé ,à jouir de ces
dames qui lui ont plu. » (2) 0 'était cependant déjà en février 1563
qu'Alexandre avait jeté les yeux sur une jeune fille appelée Madda-
lena Giron, fille de la comtesse dUragna. De l'avis du précepteur
indulgent, elle était « parfaitement digne de l'amour du prince. »(3)
A la fin de L'année, « le jeu de balle de Monzon avait remplacé les
jeux d'amour de Madrid. » (4) Mais ce ne fut pas pour longtemps.
Un jour de printemps, en 1564, à Valencia, où Alexandre avait
accompagné le Roi, le prince dînait seul, comme il avait l 'habitude de
le faire, lorsque deux gentilshommes de la cour, G.-B. Doria et Don
Luis Henriques, lui amenèrent une demoiselle. Aussitôt, le prince de
Parme l'introduisit dans ses appartements et ferma la porte à clef,
L'entretien finit par se prolonger si longtemps que l'indulgent gou-
verneur d'Alexandre, le commandeur Ardinghelli, eut des angoisses
et se présenta à la porte de la chambre. TI « donna l'alarme» pour
avertir le 'Prince et voulut à tout prix pénétrer dans les 'apparte-
ments. Pour éviter le scandale, le jeune Farnèse congédia la
visiteuse, mais il conserva un terrible ressentiment contre son gou-
verneur (5).
En racontant cette histoire dans une de ses lettres au cardinal
Farnèse, l'aimable Luisini ajoutait : « que Votre Seigneurie Illus-
trissime ne s'imagine pas que je lui en écris pOUl'en extraire de Vous
un blâme, mais comme un diligent informateur des choses qui me
paraissent dignes de mention. » (6).
Il est cependant probable que le cardinal Farnèse ne prit pas
si à la légère la dangereuse aventure dont Luisini l'avait informé.
Le duc Ottavio fut mis au courant de ce qui se pas s'ait et fit proba-
blement tancer son fils d'importance, car il est resté de celui-ci une

(1) E.1\1. COSTA, Le nozze aei âuca ALessandr~arnese, p. 9.


(2) A. RONCHIN!, Francesco Luisini, p. 215, n~e 2.
(3) FEA, o. c., p. 15, note 4. \
(4) Ibidem. \
(5) Lettre de Luisind au cardinal Farnèse, Alcj'Ia, 10 mai 1564, dans A. RONCHINI,
o. c., p. 215, note 2. /
(6) Ibidem._~

79
lettre extraordinairement intéressante, qui jette sur le caractère
d'AleX'andre F'arnèse une lumière si vive que nous ne pouvons
résister au plaisir de la reproduire ici intégralement (1).
Voici ce qu'écrivit Alexandre à son père : «Gian Domenico
[un agent dOttavio Farnèse] m'a présenté ces jours passés la lettre
de Votre Excellence du 22 août, qui m'a donné 1e déplaisir qui con-
venait à la vue de la peine qu'avait Votre Excellence au sujet de
ma manière de vivre. Quoique cette lettre m'ait montré l'amour qui
vous guide et que j 'aie accepté cet avertissement comme un fils très
obéissant, toutefois je me repens surtout de l'occasion qui a été ainsi
donnée à Votre Excellence de se mettré en colère, plus que de toute
autre chose.
« Je ne nie point que j'ai vécu depuis quelque temps déjà avec
une certaine licence ,et que j'ai commis des péchés de jeunesse. Mais
j'as,sure Votre Excellence que) dans ce qui touche à l 'honneur et à la
profession que j'ai toujours faite, il n'est rien 'arrivé qu'on puisse
me reprocher. Ceux qui ont donné à Votre Excellence des informa-
tions d'un autre genre, ont dit ce qu'ils ne connaissaient pas et
affirmé pour vérité le produit de leur propre imagination, et même,
s'ils ont vu quelquefois des écarts de jeunesse, ils auraient pu se
passer d'en importuner Votre Excellence.
« En tous cas, je Vous supplie de me pardonner pour le passé;
je vous promets de vous donner désormais le contentement que Vous
dites avoir attendu de ma part.
« Je constate que peut-être les 'rapports qui Vous ont été faits
me concernant ont provoqué l'ordre de licencier quelques-uns des
serviteurs de ma maison, et je crois que Votre Excellence y a été
poussée par la conviction que ces serviteurs ont été les instruments
ou les auteurs des choses que l'on m'a imputées. Il me pèserait sur la
conseience que ces gens pâtissent sans avoir commis de faute, car
ce serait mal payer leurs longs services.
« Aussi, je me suis permis de surseoir en partie à Pexécution
des ordres donnés par Votre-Excellence, non pas parce que j'aurais
l'intention de ne pas obéir promptement à vos commandements, mais
afin que je puisse d'abord Vous informer de la vérité. Gevara et
Prospero Baldini m'ont toujours servi comme de bons et dévoués
serviteurs, sans qu'on puisse leur imputer en aucune façon ma
conduite. S'ils m'ont quelquefois accompagné la nuit, ce fut sur

(i) Elle est publiée par EM. COSTA,Le nozze del auca Alessandro Farnese, pp. iO-i2.

80
mon ordre et contre leur volonté, de sorte que tout ce qu'ils souf-
friront pour ceci, sera absolument contre toute raison. Au contraire,
j'assure Votre Excellence que je ne conserve d'eux que des souvenirs
pleins d'affection 'et qu'ils m'ont prêté des offices de bons serviteurs.
« Si la raison de ce licenciement était aussi la réduction de mes
dépenses de maison, je ne puis que m'en remettre à la volonté de
Votre Excellence: mais' je vous supplie que, dans ce cas, il me soit
permis de garder Gevara et Baldini à mon service jusqu'à mon départ
pour les Pays-Bas, puisque Je temps qui reste est si court et que, si
je licencie un seul Espagnol de ma maison, cela pourrait me faire
encourir du blâme en cette cour de Madrid. En outre, avant mon
départ, je mefforcerai de procurer à Gevara quelque mercède ou
position dans la maison du Roi, afin qu'il en résulte l 'effet que
Votre Excellence désire et avec la dignité qui convient.
« Torrès a été renvoyé de suite parce que son cas ne méritait
pas tant de considération. Si Votre Excellence persiste cependant
dans ses intentions au sujet des autres, elle sera obéie. Mais j'en
serai fort peiné, étant donné l'innocence de ces serviteurs, Puisque
de tout ceci le commandeur Ardinghelli vous écrira peut-être plus
longuement, je m'en remets pour le reste à sa missive. Mais je vous
supplie de nouveau de me pardonner le passé : attendez de moi cette
soumission et ces motifs de contentement qui conviennent de la part
d'un fils très obéissant. Je vous baise humblement les mains et je
prie Dieu qu'il vous accorde la plus grande félicité.

Madrid, le 28 novembre 1564.

De Votre Excellence le fils et serviteur,

Alexandre Farnèse. »

Ottavio Farnèse fut content de cette lettre: il I'expédia plus


tard à Marguerite de Parme comme fournissant « la preuve dune
très bonne nature et d'une prudence supérieure à l'âge » (1).
Certes, nous savons par le témoignage de quelqu'un qui connut
de très près le prince de Parme, que celui-ci « avait la prudence de
tenir toujours ses amours très secrets et de ne pas mettre en péril

(1) EM. COSTA, O. C., p. 10.

81
1'honneur des demoiselles qu'il distinguait » (1), mais Ottavio et
Marguerite comprirent qu'à l'âge où le prince était arrivé - en
1564, il avait 18 ans accomplis - et après les aventuresqu 'on avait
portées à leur connaissance, il fallait insister vigoureusement auprès
du Roi pour que se rêaiisât sans plus tarder le projet de mariage qui
avait été conçu (2).

(1) « Tenendo segretissimo e suoi amori et lmparttculare il far sal var l'honore alle
gentil' donne. » Liber retatumum, fo 250'".
(2) A. RONCHINI, Francesco Luisini, loc. cit., p. 216.

82
CHAPITRE IV

LES DIVERS PROJETS DE MARIAGE


CONCERNANT ALEXANDRE FARNÈSE
ET LA POLITIQUE FARNÉSIENNE

La situation des Farnèse vis-a-vis du Roi fut indiquée d'une


façon perspicace en 1563 par l'ambassadeur vénitien Paolo Tie.polo
dans sa relation au Sénat de Venise. L'envoyé de la République écrit:
« Vis-à-vis du duc de Parme et de Plaisance, le Roi montre avoir
oublié le passé et .reconnaît le duc comme un bon parent, favorisant
sa cause par tous les moyens. Il a démontré combien il aime et estime
sa sœur, épouse d'Ottavio, qui est vraiment une femme très coura-
geuse, puisque, au-dessus de toute autre, il l'a choisie pour le très
important gouvernement du pays de Flandre. Mais tout cela
n'empêche cependant pas le Roi de tenir en son pouvoir deux gages
certains de la fidélité du duc de Parme, l'un le château de Plaisance,
l'autre le fils unique du duc, lequel, ne quittant jamais la cour, se
trouve toujours près du souverain comme otage et qui doit, jusque
dans le choix de sa future épouse, dépendre de la volonté du Roi. » (1)
Toute la question du mariage d'Alexandre se trouve en effet
conditionnée par les intentions de Philippe II, et elle n'est pas sans
lien étroit avec le problème de la restitution de la citadelle de
Plaisance.
* *
Nous avons déjà parlé des projets d'union avec une fille de Cosme
de Médicis en 1556 et avec un membre de la famille Caraffa en 1557 :
ces deux propositions n 'eurent aucune suite.
(1) ALBERI, Relazioni.., t. XIII, p. 58.

83
On se rappellera aussi que, an moment où Marguerite de Parme
prit congé de Philippe II en 1559, à Flessingue, il fut question du
projet de marier le jeune Farn~se à une fine de l'Elrnpereur, mais
que la gouvernante ignora la répçnse donnée par le Roi aux o.uver-
tures faites, au moment du départ~l'ambassadeur impérial.
Marguerite ne laissa cependant pas échapper la première occa-
sion qui s'offrit pour revenir sur la question. Lorsque, après le départ
de Philippe II, le comte de Feria quitta à son tour les Pays-Bas pour
se rendre à la cour d'Espagne, la gouvernante profita des liens
d'amitié sincère qui la liaient à ce seigneur espagnol pour lui remettre
un mémoire de ses principaux désirs (1). Après avoir exposé dans ce
document son espoir de voir Philippe II lui payer les 13.000 écus qui
restaient à valoir sur sa dot, concédée par Charles-Quint, Marguerite
prie instamment Feria de rappeler au souverain la question du
mariage d 'Alexandre.
Elle s'en ouvrit aussi à Granvelle, qu'elle considérait, ave-craison,
comme un ami dévoué de la famille Farnèse. Aux sollicitations que le
ministre adressa aussitôt à Philippe II, celui-ci répondit, en mars
1560, qu'il avait parlé à Madrid avec l'ambassadeur impérial Pol-
weiler du projet de marier Alexandre Farnèse avec une fille de
l'Empereur, que -ce projet lui paraissait bon et qu'il lui plaisait.
Granvelle fut autorisé à en parler ave-cMarguerite de Parme (2).
Quelque temps après, au mois d'août, le duc Ottavio Farnèse
arriva soudainement à la cour de Bruxelles. En signalant son
arrivée au Roi, Granvelle faisait connaître que cette visite inattendue
d'Ottavio avait scandalisé étrangement les gens des Pays-Bas, qui
soupçonnaient qu'il venait se mettre à la tête des troupes de renfort
demandées par les Français. Heureusement, son arrivée coïncida avec
la conclusion de la paix avec l'Angleterre et le duc lui-même annonça
que sa présence ne durerait pas longtemps, Ce qui fit se dissiper
promptement les bruits malveillants {3).
Granvelle croyait qu'Ottavio venait conférer avec Marguerite de
leurs affaires de famille : « Ce qui les occupe le plus en ce moment,
écrit-il à Philippe II, c'est le mariage de leur fils, sur lequel ils font
reposer tout l'espoir de leur 'succession. » Mais le cardinal ne pouvait

(1) Copia d'un memoriale che S. A. dette al conte cli Feria quunâo ptirt: cie Br usselles
per la corte di S. u«. (A. F. N., corte tornesïame, Fiandm, Iasclo 1627.)
(2) Le Roi à Granvelle, Tolède, 7 mars 1560, dans WEISS, papiiers d'État ..., t. VI,
p. 12; Granvelle au Roi, 5 avril 1560, ibidem, p. 37.
(3) Granvelle au Roi, Bruxelles, 9 août 1560, dans WEISS, o. c., t. VI, pp. 105-106.

84
PL. XVI

ANTOINE PERRENOT
_ , C ARDINAL DE GRA)lYELLE
(Estampe contemporaine)
,
pas bien se rendre compte quel dessein particulier Ottavio se pro-
posait à ce sujet. Il supposait que, dans cette question, les deux
époux s'en remettraient entièrement au bon vouloir du Roi (1).
Bientôt Granvelle vit plus clair dans la situation. Le duc de
Parme venait consulter son épouse au sujet d'un nouveau projet de
mariage pour Alexandre, qui avait surgi brusquement.
La situation des Farnèse était très difficile en Italie, en ce
moment. Menacé à l'intérieur de son duché par les assassins de son
père, qui vivaient encore, et auxquels, par l'accord de Gand de 1556,
Ottavio avait dû promettre une amnistie; en rupture ouverte avec
les Gonzaga de Mantoue à cause du rôle joué par Ferrante Gonzaga
dans l'assassinat de Pier Luigi Farnèse, et iparsuite de l'inimitié
qui dressait, au sein du Sacré Collège, le cardinal Alexandre Farnèse
contre le cardinal Hippolyte d'Este, de la maison de Mantoue; mal
vu du duc de Ferrare parue qu'il avait dû le combattre, par ordre de
Philippe II, en 1557 et 1558; odieux au duc de Florenee parce que,
pendant cette même guerre, il avait dénoncé la politique tortueuse du
Médicis; en froid avec le Pape, qui voulait se faire l'instrument de
la vengeance de la maison de Mantoue, le duc de Parme avait des
raisons de craindre. L'inimitié avec Ferrare le préoccupait surtout,
parce que, à cause de la proximité de ce duché, un ennemi qui aurait
voulu tuer Ottavio pouvait se réfugier sur ce territoire en deux ou
trois heures après l'attentat (2). Le cardinal Farnèse s'en était rendu
compte et avait suggéré à Ottavio de se réconcilier avec les d'Este.
Les négociations entamées avec la cour de Ferrare avaient pro-
duit un résultat inattendu. Le cardinal Hippolyte d'Este avait fait
proposer au duc de Parme le mariage du jeune Alexandre Farnèse
avec la sœur du duc de Ferrare. C'est de ce projet qu'Ottavio était
venu conférer à Bruxelles avec son épouse: c'était le motif principal
de sa visite (3).
Si le Roi refusait son consentement à ce mariage, Ottavio comp-
tait habilement lier à la question celle de la restitution de la citadelle

(1) Ibidem.
(2) Granvelle au Roi, Bruxelles, 24 août 1560, dans WEISS, o. C., t. VI, p. 122 sv.
Cfr P. FEA, La vertenza per la restituzi01le del castello di Piacenza al âuca Ottavio
ramese specialmente nel cœrteçqio del cardinale Gromoela, dans l'Archivio storico per
le promncte parmensi, nouv. sér., t. XXII, pp. 119-120.
(3) Marguerite de Parme au cardinal Farnèse, Bruxelles, 26 juillet 1560 (A. F. N.,
Carte farnesiane, rumara, fascio 1630); Marguerite à Paolo Vitelli, Bruxelles, 19 sep-
tembre 1560 (A. F. N., Carte farnesiane, Fiandra, rasoto 1622); Granvelle au Roi,
14 août 1560, toc. cit.,; FEA, La »ertenza ..., loc. c~., pp. 120-121.

) 85

._~
de Plaisance. L'alliance ave-c Ferrare ne se faisant pas, il devrait,
pour mieux tenir tête à ses ennemis, rentrer en possession de cette
forteresse {l).
Ottavio et Marguerite discutèrent donc ensemble le projet du
mariage de Ferrare, et y trouvèrent des difficultés. D'abord, il existait
déjà le projet d'obtenir pour Alexandre la main d'une fille de
l'Empereur. Marguerite préférait ce parti à tout autre, à cause de
l 'honneur que ferait rejaillir sur les Farnèse une telle alliance, mais
elle considérait, d'autre part, que la vie de son époux et la sûreté de
son État devaient l'emporter dans la décision. Une deuxième objec-
Hon, c'était la disproportion d'âge entre Alexandre Farnèse et la
princesse de Ferrare: Lucrèce d'Este avait déjà atteint sa vingt-
sixième cannée. Une troisième difficulté était d'ordre religieux. La
mère de Lucrèce, Renée de France, avait toujours favorisé les ten-
dances des novateurs calvinistes : toutefois, la princesse, élevée dans
un monastère, passait pour très catholique.
Le cardinal de Granvelle souleva lui-même devant le duc une
quatrième difficulté : le cardinal de Ferrare n'avait certainement pas
pour but unique l'avantage de sa nièce, mais il voulait, selon toute
vraisemblance, tirer parti de camariage pour se hausser jusqu'à la
tiare, situation où il serait dangereux pour le Roi d'Espagne. Octave
répondit au cardinal qu'il ne se laisserait jamais entraîner hors des
voies du devoir.
En faisant connaître tous ces détails au Roi (2), Granvelle
révélait que les deux époux avaient aussi parlé de la citadelle de Plai-
sance: le duc, pour faciliter à Philippe II la restitution de la forte-
resse, admettait qu'elle fût gouvernée par un Espagnol et occupée
par une garnison espagnole, pourvu que ce gouverneur ne fût pas
« un homme impossible » et qu'il jurât de garder la citadelle pour le
duc et son fils et, à leur défaut, de la remettre à la personne que le
Roi désignerait. « Je vois, ajoutait Granvelle, que dans toute cette
affaire, le soin de leur propre considération les préoccupe autant que
leurs nécessités actuelles. » Octave et Marguerite se sentaient humi-
liés, aux yeux de leurs sujets et des autres princes d'Italie, d'obtenir
si peu de faveurs de Philippe II, alors que celui-ci semblait accorder
sa confiance à l "astucieux Médicis.
Le cardinal Farnèse faisait tous ses efforts pour faire aboutir le
(i) P. FEA, La vertenza ..., lac. cit., p. 121.
(2) Lettre du 24 aoüt 1560, loc. cit.

86
projet de mariage avec la princesse de Ferrare {1}. Somme toute,
Marguerite de Parme paraissait se résigner, dans l'intérêt de la
sécurité de l'État farnésien, à la proposition faite par le cardinal
Hippolyte d'Este. Mais, soudainement, le duc de Parme fit ses
préparatifs pour retourner rapidement en Italie. Le bruit s'était
répandu que le Pape allait se rendre à Bologne et pousserait même
jusque Parme, dans l'espoir que sa présence y déterminerait un sou-
lèvement populaire, destiné à permettre la restitution de Parme et de
Plaisance à l'Église (2). Philippe II, par une déclaration nette,
écarta ce danger,en prenant les Farnèse sous sa protection non
dissimulée (3).
Entrotemps, comme le Roi gardait, selon son habitude, un silence
obstiné, Granvelle insista. Le 7 septembre 1560,le Roi consentit à lui
répondre au sujet du projet de mariage de Ferrare. Il lui semblait
que cette proposition était, en réalité, un piège tendu aux Farnèse
par le duc de Florence; il n'y donnait pas son approbation (4). TI y
avait encore une autre raison, plus déterminante celle-là et que iIlOUS
pouvions supposer: la politique italienne du Roi qui tendait à
empêcher les mariages entre les maisons princières italiennes, afin de
tenir ces dynasties désunies et faibles. « Quant à ce mariage, écrit
Granvelle au Roi, le 4 décembre, Votre Majesté s'appuie d'une consi-
dération très judicieuse en s'opposant à une alliance si étroite entre
les princes d'Italie, » (5)
Il est d'autant plus intéressant de voir comment le Roi notifia à
Marguerite de Parme son refus de consentir 'au mariage d'Alexandre
avec Lucrèce d'Este. Strada nous a donné ce document en entier (6)
et nous le reproduisons comme un exemple typique de la politique
cauteleuse du Roi.

(1) C'est ce qu'affirme l'ambassadeur Tiepolo dans sa relation au Sénat de Venise.


Cfr. ALBERl, o. c., t. XIII, p. 56.
(2) Granvelle au Roi, 12 septembre 1560, dans :WEISS, o. c., t. VI, p. 170; Guildo Gia-
netti à Élisabeth d'Angleterre, Venise, aaont 1560, dans Foreign caienaar, 1560-1561, n- 386;
Le même à Elisabeth, 7 septembre 1560, ibidem, n- 494; l'abbé de San Salute à Élisabeth,
Bruxelles, 8 septembre 1560, ibidem, n° 507; Trockmorton à Élisabeth, Poissy, 17 sep-
tembre 1560, ibidem, n- 534.
(3) Trockmorton à Élisabeth, lettre citée.
(4) WEISS, o. C., t, VI, p, 155.
(5) WEISS, o. C., t. VI, p. 216. En 1565, dans sa relation au Sénat de Venise, l'ambas-
sadeur Soranzo attribuait le refus de Philippe II à la défiance qu'il ressentait à l'endroit
du duc de Ferrare (ALBERI, o. c., t. XIII, pp. 105-106). - Cfr. P. FEA, La uertenza ..., 10c.
. oit., pp. 122-123.
(6) Guerre des Pays-Bas, t. l, pp. 244-245.

87
•,. ~:. -"",-r·.)o,.,~' ;' ..... ~. ..... ,~ ..

« Il ya déjà longtemps, écrivait Philippe à la gouvernante, que


j'ai commencé à parler de marier notre Alexandre, que je considère
comme mon fils, avec la fille de l'empereur Ferdinand, notre oncle,.
m'imaginant, ma chère sœur, que ce mariage ne déplaira pas au duc
Ottavio, votre mari. Je n'ai point changé de résolution en voyant vos
lettres ni en entendant parler Ardinghelli touchant le mariage' avec
la princesse de Ferrare. Celle sur qui j'ai jeté les yeux est de notre
sang, c'est la fille de l'Empereur; et après tout, la sœur du duc de
Ferrare et le prince Alexandre sont d'un âge si différent qu'ils ne
pourraient ~s'accorder ensemble. Je loue véritablement le' duc Ottavio
de chercher l'amitié des princes, ses voisins, par des alliances sem-
blables; mais il doit aussi considérer que tant qu'il m'aura pour
frère et pour protecteur, personne n'aura la hardiesse de l'attaquer
ou de lui susciter aucun trouble. TIl'a pu remarquer ces jours passés
dans ce changement d'affaires où le pape Pie interrompit ce qu'il
avait commencé; car, après avoir fait savoir à Sa Sainteté le des-
sein et l'obligation que j'ai et que j'aurai de défendre et de protéger
le duc de Parme, il me répondit que non seulement il ne lui ferait
jamais aucun déplaisir, mais qu'il embrasserait même la défense de
sa maison avec autant de passion que je pourrais le faire moi-même.
« Bien que j'aie ordonné à Ardinghelli de dire au duc toutes ces
choses, j'ai toutefois voulu en communiquer en frère avec vous, pour
satisfaire à notre amitié et vous prier tout ensemble de faire con-
naître mes sentiments à votre mari et de me mander tous deux au
plus tôt quelle résolution vous aurez prise. »
La résolution que les Farnèse prendraient, on pouvait la pré-
voir. Le 10 janvier 1561, Marguerite informait son mari qu'elle
faisait connaître à Madrid la renonciation au projet de mariage avec
Lucrèce d'E'steet qu'elle acceptait l'idée du Roi de marier Alexandre
avec une fille de l'Emper,e.ur (1). Fait à signaler: quelques jours
avant de communiquer cette décision à son époux, elle l'avait averti
que le cardinal de Granvelle n'approuvait pas ce dernier projet, mais
elle suppliait Ottavio de n'en rien laisser transpirer à la cour de
Madrid, afin que le cardinal ne souffrît de sa franchise et de, son
dévouement aux Farnèse (2). A la cour, cependant, l'intention du Roi
n'était plus un mystère et la nouvelle en était connue à Venise,
Il} P. FEA, La vertenza ..., loc. cit., p. 125. Voir aussi les lettres au comte de Feria dans
A F. P.,Oarteggio famesiano·, Paesi Bassi, carteggio 1557-1562, fascicule 5.
(2) Lettre datée de Bruxelles, 22 décembre 1660, dans A. F. N., Carte [arnesuine,
Fî(!ndra. rasclo 16.30.

88
puisque de cette ville on en avertit Cecil, ministre d'Élisabeth
d'Angleterre, à la date du 4 janvier déjà (1).

>8'ils 'se soumettaient au Roi, les Farnèse étaient loin d'être


contents. Ottavio se plaignait de ce que, malgré le pouvoir absolu
qu'il abandonnait au Roi sur sa personne, sur celle de son fils, ainsi
que sur sa fortune entière, Philippe II n'agissait pas à son égard
avec toute la franchise nécessaire. Pour le mariage de Ferrare, on
semblait le lui dissuader dans son propre intérêt, alors qu'il jugeait,
lui, que son intérêt commandait précisément cette solution. Pourquoi
tous ces détours ~ Il 'aurait suffi au Roi de dire purement et simple-
ment qu 'ainsi l'exigeait son service (2).
Quant à Marguerite de Parme, elle reprenait de nouveau la ques-
tion dans les mêmes termes : la sécurité de son marielt de l'État
farnésien exigeait, ou bien le mariage et la réconciliation avec
Ferrare, ou bien la restitution de la citadelle de Plaisance. Puisque le
premier projet était abandonné, le Roi devait résoudre immédiate-
ment la question de la forteresse (3).
A en croire Granvelle, que le zèle pour les intérêts des Farnèse
peut avoir induit à exagérer, le retard que mettait le Roi à donner
une 'solution au problème de Plaisance nuisait à la santé de la gou-
vernante plus qu'il ne convenait à l'intérêt des affaires publiques aux
Pays-Bas. Marguerite avait été assaillie de palpitations de cœur, qui
« l'ont réduite presque à l'extrémité» (4).
Philippe II, sans se laisser impressionner par ce tableau dont
il suspectait peut-être la vérité, trouva bon de garder le silence au
sujet de la citadelle de Plaisance : il fit, pour le reste, savoir qu'il
navait pas encore eu le temps de s'occuper du mariage d'Alexandre (5),
c'est-à-dire de l'ouverture des négociations avec l'Empereur.
Il ne peut exister de doute, cependant, que Marguerite de Parme
ne fût réellement exaspérée de la lenteur et du silence flegmatique
du Roi. En septembre 1561,e11e apprit que le Pape aurait accordé à
Philippe II la dispense nécessaire pour marier Don Carlos avec la
princesse de Portugal, sa parente. Elle en conclut immédiatement que
l'infant et sa future épouse viendraient aux Pays-Bas en qualité de
(1) Foreign Coleïuiar, 1560-1561, n° 86/1.
(2) Granvelle au Roi, 25 janvier 1561, dans WEISS, o. c., t. VI, p. 251.
!3) Même lettre.
(-1) Même lettre .
. (5) ·WEISS. o. C., t. VI. p. 270.

89
gouverneurs généraux. « Moi et Alexandre,écrivit-elle à Ottavio, nous
serons peut-être partis plus vite que nous ne le pensons. Je ne sais si,
dès lors, je ne ferai pas bien de demander mon congé au Roi ». (1)
Ottavio s 'empressa de lui répondre que, aussi longtemps que
leurs affaires n'étaient pas arrangées par le souverain, il lui sem-
blait qu'elle devait continuer à remplir sa charge (2).
Entretemps, les Farnèse avaient eu en Espagne un nouvau
défenseur de leur cause, le comte de Hornes, que la gouvernante avait
envoyé à Madrid pour exposer au Roi la situation des Pays-Bas, qui
commençait à devenir inquiétante. Le comte fut retenu à la cour
pendant plus d'un an. En octobre 1561, le comte de Feria exprimait
l'espoir que Hornes retournerait à Bruxelles avec une bonne réponse
sur toutes les questions qu 'il avait eu à traiter, et il ajoutait :
« J'espère qu'il sera content de son séjour et qu'il racontera de
l 'histoire et non une satyre, car l'Espagne est telle que personne ne
peut la quitter satisfait, » (3) En novembre 1561, le comte de Hornes
fut de retour à Bruxelles : il n'apportait à la duchesse de Parme
aucune réponse conforme à ses désirs (4). Elle en conçut une pro-
fonde aigreur {5), elle fut vraiment désespérée de ce que le Roi n'avait
encore pris 'aucune résolution concernant l"affaire de Plaisance ou le
mariage d'Alexandre (6). Comme le silence du souverain se prolon-
geait, la duchesse se prit à parler à Granvelle de la possibilité de son
départ des Pays-Bas : elle ne l'avait accepté, en 1559, que pour une
durée de 18 mois, et elle croyait pouvoir maintenant demander son
congé pour assister le duc Ottavio, à Parme même, contre les dangers
qui ne cessaient de le menacer (7).
C'est la première fois - en mars 1562 - que Marguerite se
hasarde à faire aiiusion à son départ des Pays-Bas. Nous croyons,
avec M. Rachfahl (8), que ces menaces de démission n'étaient qu'une
(1) Lettre de Marguerite au Duc, Bruxelles, 21 septembre 1561, chiffrée, dans A. F. N.,
Carte [arnestame, Ftandra, rascto 1630. A remarquer ici comment la duchesse lie son
séjour aux Pays-Bas comme gouvernante au séjour du jeune Farnèse à la cour de Madrid.
(2) Lettre sans date, chiffrée, dans A. F. N., Carte îarneetame, Ptasuirœ, fascio 1630.
(3) Feria à Marguerite de Parme, Madrid, 13 octobre 1561, dans A. F. N., Carte
[amesume, Fiandr'a, fascio 1627.
(4) P. FEA, La »ertenza .... loc. cit., p. 128.
(5) « Madama espera buena resoluclon en sus particulares y del duque su marido
con la venida de M. de Hornes » écrivait Granvelle au Roi le 18 octobre (WEISS, o. c.,
t. VI. p. 396),
(6) Granvelle à Pérez, 10 décembre 1<561 (GACHARD,Correspondance de PhiEippe II,
t. l, p. 198); Granvelle au Roi, 15 décembre 1561 (WEISS, o. c., t. VI, p. 456).
(7) Granvelle au Roi. 12 mars 1562, dans WEISS, o. c., t. VI, p. 528.
(8) Wilhelm von Oranien, t. II, 1re partie, p. 292.

90
feinte : les Farnèse devaient se rendre compte que, s'ils mettaient
la résolution annoncée à exécution, plus jamais ils n'obtiendraient la
ci'tadelle de Plaisance.
Marguerite, du moins, devait le comprendre : ee qui lé prouve,
c'est l'incident qui éclata un mois après.
Au mois de mai apparut inopinément à Bruxelles le lieutenant du
duc de Parme, le condottiere Paolo Vitelli, chargé de communiquer
à la duchesse des déclarations fort peu agréables. Ottavio lui faisait
connaître son extrême ressentiment: d'après lui, c'était la faute de
Marguerite si l'affaire de Plaisance et du mariage dAlexandre n'était
pas encore terminée favorablement. Ottavio était convaincu que
c'était son épouse elle-même qui provoquait la lenteur ou le silence
du Roi, par l'absence de chaleur et d'énergie dans les revendications
qu'elle faisait entendre. Paolo Vitelli était chargé de dire que puis-
qu'il en était ainsi, Marguerite était priée par son époux de solliciter
de Philippe II son congé et de revenir à Parme (1).
Marguerite, on le conçoit, pleura beaucoup et se mit en grande
colère: elle répondit à l'envoyé dOttavio que, puisque c'était son
époux qui l'avait obligée d'accepter là mission de gouverner les
Pays-Bas, c'était à lui à provoquer sa démission et à obtenir son
congé. EUe finit par prendre la décision de ne quitter les Pays-Bas
« pour rien au monde » en ce moment.
Paolo Vitelli fut chargé de communiquer au duc de Parme qu'elle
nabandonnerait point la Flandre sans Pautorisation du Roi; que
son honneur et sa réputation ne lui permettaient pas de quitter ces
provinces dans l'état où elles se trouvaient, et que la gouvernante
préférerait perdre plutôt le duché de Parme (2).
Cet incident était-il vraiment le résultat dune eubite exaspéra-
tion d 'Ottavio ou bien était-ce 'Unecomédie préparée par les Farnèse
pour impressionner Granvelle, dont on savait qu'il ne manquerait pas
de le signaler au Roi ~
Granvelle a cru à la sincérité d 'Ottavio et de Marguerite. Il
informa de suite Philippe II de la situation et y ajouta une chaude
recommandation en leur faveur (3). Le Roi aussi fut impressionné,
au point de sortir de son long silence. Le 17 juillet, il adressa à

(1) Granvelle au Roi, 13 mai 1562, dans WEISS, o. C., t. VI, p. 545.
(2) Granvelle au Roi, 6 juillet 1562, dans GACHARD, Correspondance de PhiLippe II,
t. I. p. 206.
(3) Voir P. FEA, La »ertensa ..., loc cit., pp. 133-134.

91
· - -_.- .. _-- .. -.~ ... __ ~--_~_
--~-'-"------'_~

Granvelle une missive importante: il lui communiquait qu'il ne


pourrait encore accéder aux vœux de sa sœur concernant la citadelle
de Plaisance : s'il différait la solution, c'était dans l'intérêt même
des Farnèse qrr'il Ie faisait. Quant au mariage d'Alexandre Farnèse,
il estimait que le projet d'union avec une fille de l'Empereur devait
se réaliser. Dans ce but, il envoyait à Ferdinand une lettre de créance
pour le cardinal de Granvelle, afin que celui-ci pût entamer les
négociations à ce sujet (1).
En effet, le Roi adressa il. l 'Em.pereur, le même jour, une lettre
pour lui annoncer que le cardinal de Granvelle était autorisé à traiter
du mariage d'une des filles de Ferdinand avec le prince de Parme,
celle dont l'âge s 'accorderait le mieux avec celui d 'Alexandre (2).

Marguerite de Parme fut 'extrêmement vexée du refus du Roi au


sujet de la restitution de la citadelle de Plaisance. Elle pleura amère-
ment et tous les efforts faits par le cardinal de Granvelle pour la
consoler furent vains. Elle ne cessait d'affirmer qu'elle n'avait plus
de courage pour s'occuper des affaires de son gouvernement des
Pays-Bas (3). Son humeur se manifesta d'ailleurs dans la lettre
qu 'elle adressa, le5 septembre, au duc Ottavio, pour lui annoncer que
la réponse du Roi concernant Plaisance était absolument négative,
Elle annonçait à son mari que Philippe II reprenait la proposition de
marier Alexandre avec une fille de l'Empereur et elle ajoutait:
« Une fois ce mariage conclu, notre fils pourra quitter l'Espagne, où
on le tient pour ainsi dire 'en otage. On présente ce mariage comme
si c'était une condition pour la restitution de la citadelle de Plaisance.
Je ne voudrais pourtant pas voir mon fils en perpétuelle captivité,
sans espoir, pour lui, de postérité, » (4)

(1) WEISS, O. C., t. VI, pp. 582 svv. : « -y vos hareis con el emperador el oficio que
sera menester para la buena direction del negocto, que -y.o recibiré dello mu-y parttoular
contentamiento... ». Le Pape offrit aussi à l'Empereur de servir d'intermédiaire. Cfr
HOLZMANN, Kaiser Jl{aximil~am II., p. 443, note 4. Berlin, 1903.
(2) « Que seria bien dar una de ellas ... al Principe de Parma, mi sobrino, a quien
-yo quiero mucho, -y él 10 meresce par su persona ... -y que sea en la mas conforme a la
cdad dei Principe, camo la razon la quiere. » (Philippe Il à t'Empereur, Madrid, 17 juil-
let 1562, dans Documentes inéditos ..., t. 98, pp. 346-347).
A noter que trois jours après, le Roi demandait à l'Empereur une autre de ses filles
pour le prince de Florence (Ibidem, pp. 347-348).
(3) Granvelle au Roi, 6 octobre 1562, dans GACHARD~Correspondance de Phibippe Il,
t. I, p. 221; Granvelle à Perez, 12 octobre 1562, ibiJdem, p. 223.
(4) A. F. N., Carte fornestame, Fiandra, rascto 1622.

92
Après y avoir réfléchi, non sans grande amertume, Ottavio.: qui
tenait encore toujours au fond de son cœur pour le projet de mariage
avec la princesse de Ferrare, se crut obligé de donner enfin officielle-
ment son consentement au projet d'union avec la fille de l'Empereur.
Il écrivit dans ce sens à son épouse (1) et au cardinal de Granvelle (2).
Celui-ci, dès qu'il fut en possession de l'accord du duc de Parme,
s'empressa de se mettre en rapport avec l'Empereur pour lui
demander officiellement, au nom du Roi, la main d'une de ses filles
pour Alexandre Farnèse. Ferdinand fit au cardinal une réponse
dilatoire, puis finit par en parler à cœur ouvert dans une lettre du
19 novembre, adressée au Roi en personne (3).
L'Empereur,après avoir remercié Philippe II du grand intérêt
qu'il montrait pour l'établissement de ses filles,entame directement
la question du mariage du prince de Parme. Il rappelle à Philippe II
qu'avant le départ de celui-ci de la Flandre, il fut fait mention de
quelques projets de mariage pour plusieurs de ses filles, mais que,
dans la suite, à part l'union d'une des archiduchesses avec le prince
de Mantoue, on ne parla plus jamais de ces propositions. « DepUIS
lors, continue Ferdinand, l'une ou l'autre de mes filles, notamment
Madeleine, Anne et Marguerite, ont manifesté le désir de ne pas se
marier. » Puisqu'elles sont assez âgées pour savoir ce qu'elles font,
l'Empereur ne croit pas devoir les contraindre. Quant à l'archi-
duchesse Hélène, ,elle est trop peu belle, trop petite et trop faible pour
se marier. Il ne reste que Barbe et Jeanne, pour lesquelles des offres
ont été faites respectivement par le Roi de Danemark et le Roi de
Suède. L'Empereur 'a refusé ces propositions, pour des motifs d'ordre
religieux. llest cependant prêt :à accorder la main d'une des archi-
duchesses au prince de Ferrare, personnage de qualité, qu'on
pourrait, de la sorte, détacher du parti de la France en Italie.
En <.lequi concerne le prince de Parme, Ferdinand, après en
avoir parlé avec ses filles et avec des personnages importants de
l'Empir,e, est d'avis que. ce mariage ne serait point de nature à
rehausser l'autorité et la réputation de la famille impériale. Motif:

(1) Le duc à Marguerite, 7 octobre 1562 (A. F. N., Carte [arnesume, Fiandra, fascio
1624, chiffré).
(2) Granvelle au Roi, 19 novembre 1562, dans GACHARD,Correepoïuianec de Philippe II,
t. l, pp. 226-227.
(3) Cet important document fut publié par DÔLLINGER, Dokumenie ZU1' Gesclüchie
sort» V., Philipp's Il. und ihrer Zeit, aus Spanischen Archive n, pp. 459-461. Ratisbonne,
1862. Il a été publié aussi dans les Documentos inédf.tos ..., t. 98, pp. 376-378.

93
le père du prince est fils de bâtard et sa mère est une bâtarde. En
Allemagne, ce genre de personnes est abhorré et peu estimé, « même
s'il s 'agit de fils ou de filles d'Empereur ». Le mariage d'une des
filles de Ferdinand avec le jeune prince de Parme produirait dans
toute l'étendue de l'Empire un véritable scandale. L'Empereur ne
pouvait donc que refuser de considérer cette proposition d'union.

On peut s'imaginer quelle dut être l'impression produite sur


Philippe II par cette lettre extraordinaire {1). Nous n'en avons trouvé
aucun écho dans les documents mis à notre disposition, mais on peut
se représenter le ressentiment que dut éprouver le Roi devant le
langage catégorique et offensant de:Ferdinand.
TIest il peine besoin de dire que Granvelle ne fut jamais informé
des motifs de la décision impériale (2) et il est encore plus évident que,
s'il les avait connus, il lui aurait été en tous cas impossible de les
communiquer à Marguerite de Parme. Ce silence, imposé au cardinal
par les circonstances, allait avoir pour lui des conséquences sur
lesquelles f.eu F. Rachfahl a été le seul à appeler l'attention des
historiens.
D'après lui, le silence du cardinal au sujet de la réponse de
l'Empereur Ferdinand et le refus de ce dernier, qu'on dut finir
naturellement par communiquer aux Farnèse, provoquèrent la dis-
grâce de Granvelle. La gouvernante se serait imaginée que, derrière
la décision de l 'Empereur, se cachait une intrigue du cardinal. Elle
aurait attribué, dans l 'ordre privé, des méfaits à son corufident
habituel, tout comme, dans l 'ordre public, les seigneurs des Pays-Bas
rejetaient sur Granvelle tout l'odieux des mesures impopulaires et
de la politique du Roi. De la sorte, s'inspirant d'une même haine,
mais une haine née de motifs différents, Marguerite et l'opposition
se seraient rapprochés et auraient travaillé de concert à l'éloignement
du ministre (3).
(1) Sur l'opinion que l'on a des bâtards en Espagne, voir P. HERRE, Barbara Blom-
berg, pp. 12-13 et 131-132.
(2) « Y esto yo no le he querido comunicar ni al cardenal de Arras ni a nadie sïno
a V. A. ~ écrit l'Empereur à Philippe II, dans la lettre citée. Il autorisait toutefois le
Roi à user de sa réponse au mieux des convenances. Le 12 décembre 1562, le Cardinal
écrit à Philippe II que l'Empereur lui a donné une réponse dilatoire. (GACHARD, Corres-
pondance de Phüippe Il, t, l, p. 231.)
(3) RACHFAHL, Marçaretha von Parma ..., pp. 116-122; LE-~II1:ME, Wühelm von Oromien,
t. II, 1re partie, pp. 293-297.

94
Que faut-il penser de cette théorie ~ Les documents que nous
possédons nous permettent de la considérer comme exacte et de la
renforcer. Ce n'est, en effet, que le 1'5juin 1563 (1), presque sept mois
après avoir été informé du refus de l'Empereur, que le Roi mit au
courant de ce fait le cardinal de Granvelle et le chargea de faire
connaître aux Farnèse l'échec de la négociation. Il est évident que le
silence que le cardinal avait dû observer pendant tout ce temps devait
paraître étrange. à Marguerite de Parme et à son mari : Granvelle
était l'intermédiaire entre eux et I'Emperour et l'absence de ren-
seignements sur ce qui se passait à la cour impériale au sujet du
projet de mariage d'Alexandre devait finir par exciter leurs
soupçons. Granvelle ressentit bientôt les effets de cette méfiance (2).
Le 10 mars 1563, il écrit, en effet,à Philippe II en ces termes :
«Ds (les Farnèse) soupçonnent en effet que le retard que
Votre Majesté met à résoudre l'affaire du mariage de leur fils et
à faire connaître la réponse (négative) de S. M. Impériale, soit un
artifice qui cache quelque dessein secretet ils croient même, d'après
ce que je vois, que je joue ma partie dans I'affaire pour les tenir en
haleine. C'est la raison pour laquelle il me semble que j'ai déjà perdu
beaucoup de lIlloncréditauprès deux, comme si je n'étais pas
l'instrument adéquat pour obtenir la satisfaction à laquelle ils
aspirent. Et je vois que ce que j'ai fait dans une bonne intention et
pour faire mon devoir, finira au contraire par me mettre en mau-
vaise posture. auprès d'eux. » (3)
Le 23 mai, le cardinal revient sur la question : il affirme encore
une fois que Marguerite de Parme se montre 'très soupçonneuse
vis-à-vis de lui et il ajoute : « Aussi, à propos du mariage, Votre,
Majesté ne m'a rien écrit, et ceci accroît encore leur soupçon quil
existe un jeu combinéentre l 'Empereur et Votre Majesté, et que moi
je participe à ce jeu à leurs dépens. » (4)
Nous croyons que la méfiance dont le cardinal se plaignait avait
été suscitée dans l'esprit de Marguerite de Parme par le duc Ottavio,
qui se trouvait de nouveau à Bruxelles, Exaspéré par le silence du
Roi et de L'Empereur, il était arrivé aux Pays-Bas le 13 février pour

(1) Lettre du Roi à Granvelle, dans \VEISS, o. C., t. VII, pp. 9'1-95.
(2) WEISS, o. C., t. VII, P'P. 55-59.
(3) Déjà le 12 décembre 1562, il signale à Philippe II que Marguerite, à la suite de
Ii' réponse dilatoire de l'Empereur, soupçonne le cardinal de l'avoir desservie en cette
affaire. (GACHARD,Correspotuiance de Phi.lippe Il, t. 1, p. 231.)
(4) WEISS, o. c., t. VII, pp. 78-79.

95
concerter avec son épouse une ·action énergique auprès de Philippe II.
Les notes-tracées de sa main, les projets rapidement esquissés que con-
servent les Archives farnésiennes de Naples, montrent assez qu'il ne
resta pas inactif :(1). Il fut résolu entre Ottavio et Marguerite que
l'on enverrait le secrétaire Armenteros en Espagne et le duc rédigea
un projet d'instruction spéciale pour l'émissaire, concernant la
question de Plaisance et le mariage d'Alexandre (2).
Lorsque le duc partit de Bruxelles, le 23 août, retournant en
Italie, il passa par la cour de l'Empereur (3), pour y découvrir à qui
'incombait en réalité la responsabilité du refus de marier Alexandre
avec une princesse de Habsbourg. Nous savons par une lettre de
Marguerite qu'il s 'y rendit compt-e « que les difficultés à propos de
ce mariage étaient vraiment venues de la part de Ferdinand, mails
qu'il avait vu aussi qu'il n'avait pas- manqué de faiblesse de la part
du Roi. » (4)
Ce texte-ci nous paraît fournir la preuve que le duc avait, un
instant, rendu Granvelle responsable de l'échec des négociations avec
l'Empereur ou qu'il lui avait attribué un rôle dans la comédie qu'il
soupçonnait de la part de Philippe II.
Certes Ottavio, après cette visite à l'Empereur, devait recon-
naître son erreur. Mais, en ce moment, Armenteros était déjà en Toute
pour l'Espagne, porteur d'instructions qui lui prescrivaient de
demander le rappel du cardinal de Granvelle! Il était trop tard pour
revenir en arrière. Marguerite avait partie liée avec les seigneurs.
Quel rapport peut-on maintenant établir entre les soupçons conçus
à I'égard deGranvelle et le changement d'attitude de Marguerite
dans ce qu'eUe écrivait au Roi au sujet du cardinal Il s'agit ici, î

avant tout, d'une question de dates, comme M. Rachfahl Pa fait


remarquer avec raison (5). En mars 1563, malgré la présence de son
époux et les soupçons que celui-ci fit naître à l'endroit du cardinal,
la gouvernante accuse encore les 'seigneurs et pr-end le parti du
ministre détesté. Le 3 mai, une lettre plus confidentielle, rédigée en

(1) A. F. N., fascio 277. Cfr A. CAUCHIE et L. VAN DER ESSEN, lnventail'c des Archives
farnésiennes de Nœples,
nOS 175 à 179.
(2) A. F. N., f'asclo 277.
(3) Voir à ce sujet HOLZMANN, Kaisel' Maximilian II., p. 1173, note 1, et l'Al'chiv für
œsterreictiische Geschichte, t. XXXII, p. 336.
(4) Marguerite à Armenteros, 3 novembre 1563 (A. F. N., Carte far'T'esiane, Fiandra,
fascio 1625).
(5) RACHFAHL, Margaretha von Par-rna, pp. H6 et 122.

96
italien, est déjà plus modérée de ton au sujet des menées du prin-ce
d'Orange et de ,ses amis. Huit semaines après, la gouvernante déclare
froidement au Roi que la chute de Granvelle. est inévitable (1).
Que s'est-il donc passé pour expliquer cette rapide évolution de
la duchesse de Parme?
Le 15 juin, Philippe II, énervé par les récriminations passionnées
des Farnèse et par la menace réitérée de démission ou de départ de
la part de la gouvernante, répond de bonne encre {2).
Pour l'affaire de Plaisance, le Roi savait mieux que les Farnèse
ce qu'il convenait de faire: il y avait pour eux plus de sécurité que
la citadelle restât entre ses mains. Le souverain ne pouvait
croire, pour le reste, que la duchesse de Parme l'aimait si peu qu'elle
laisserait, en ce moment dangereux, de s'occuper dûment desaffaires
de son gouvernement des Pays-Bas,
Quant au mariage p.'Alexandre, le Roi faisait connaître que les
négociations avec la cour impériale n'avaient pas réussi. Mais, vou-
lant que le prince eût une épouse de son sang et de isa maison, il avait
pensé ouvrir des négociations avec la cour de Portugal, pour obtenir
pour le prin-ce Alexandre la main de la princesse Marie, fille de
l'infant Édouard. Granvelle donnerait au Roi son avis à ce sujet et
indiquerait le moyen le meilleur pour faire accepter par Marguerite
de Parme ce nouveau projet.
Cette réponse de Philippe II indisposa beaucoup Ottavio et
Marguerite. Elle dut les persuader que Granvelle n'lavait pas fait son
devoir et qu 'il les avait peut-être desservis. Ce que n 'a pas remarqué
Rachfahl et ce qui renforce singulièrement sa thèse, c'est que les
Farnèse savaient que le cardinal était opposé au projet de marier
Alexandre avec une fille de l'Empereur. Nous l'avons dit plus haut.
Dès lors, qui, autre que Granvelle, peut être visé par les expressions
que l'on trouve dans les instructicnsremises au secrétaire Armenteros:
« les méchants qui... non seulement empêchent que Sa Majesté montre
.aux Farnèse la bienveillance et la libéralité qu'il a montrées vis-à-vis
d'autres, moins dignes de bonne volonté de la part du Roi» ? (3) Dans
une instruction vpersonnelle pour son secrétaire, Marguerite disait
« trouver fOrlt étrange ce moyen de procéder du Roi, d'autant plus

(1) RACHFAHL, O. c., pp. 116-118.


(2) WEISS, o. C., t. VII, pp. 94-95. La lettre se termine comme suit: « Y se puede
Iratar sin perder mas ttempo, pues dessean tanto casarlo, y con mucha razon, pot- no
.Iener mas de a él ni esperança de otro sucessor. »
(3) P. FEA, La uertenea... 100. olt., p. 145.

97
qu'il avait cru devoir les mettre au courant par la main d'autrui. »(1)
Cette réflexion amère ne vise-t-elle pas le fait que le Roi n'avait pas
écrit directement aux Farnèse au sujet de Plaisance et du mariage
d'Alexandre, mais qu'il avait chargé Granvelle de leur communiquer
la désagréable nouvelle 1
Le cardinal n'est-il pas visé encore lorsque, dans la même instruc-
tion pout Armenteros, la duchesse affirme qu'elle préfére-rait plutôt
vivre chez elle, en Italie, où elle serait toujours une fidèle servante du
Roi, mais que « rester en un endroit (les Pays-Bas) où elle est
méprisée par l 'œuvre de ses ennemis, elle ne veut ,le faire. » (2)
Il ne peut y avoir de doute, en ce qui nous concerne (3), que la
lettre de Philippe II du 15 juin, annonçant à la fois le refus du sou-
verain de restituer Plaisance et celui de l 'Empereur de donner sa fille
à Alexandre, n'ait décidé les époux Farnèse à lâcher complètement le
cardinal de Granvelle et à demander son départ. N'oublions pas ceci:
d'un autre point de vue, il semblait que ce départ pouvait mettre,
seul, fin à l'agitation entretenue par le prince d'Orange et les anti-
cardinalistes,

* *
'I'outefois, une légère consolation avait été donnée aux Farnèse:
le Roi s'occupait maintenant directement du mariage d'Alexandre et
proposait l'union avec la princesse Marie de Portugal. Mais ils
étaient loin d'être enthousiastes. Qui était la fille de Don Duarte de
Portugal! Ils ne le savaient. Mais, ayant compris que, cette fois, le
Roi en faisait eon affaire propre, ils donnèrent à Armenteros, qui
allait partir pour Madrid, ample faculté de faire sur ce point ce que
le souverain trouverait bon. Ils se résignaient, mais demandaient que,
si ce mariage devait se faire, il se fît vite, pour que leur fils pût
avoir au plus tôt un descendant. Ils ne doutaient d'ailleurs pas que,
proposée par Philippe II lui-même, cette union ne dût être avanta-
geuse (4). Ce qui est intéressant, c'est que les époux F'arnèse mon-
(1) Ibidem, p. 146.
(2) P. La oertenza ..., loc. clt., p. 146.
FEA.
(3) E. MARX ayant contesté, dans ses Studien ZUT Geschichte des ntederUlndischen
Austtonaes (Leipzig, 19(2) la thèse de Rachfahl, celui-ci lui a répondu par l'article ZUT"
Vorgeschichte des n-iederUindischen Aufstasuies, .dans le weetaeutscne Zeitschrift, 1902,
pp. 69 sv. Mais Rachfahl n'a pas vu toutes les pièces du dossier, sinon il aurait 'encore
renforcé sa. thèse.
(4) Granvelle au Roi, 6 aoüt 1563, dans WEISS, O. c., t. VII,pp. 175-176.

9.8
trèrent ne pas avoir abandonné complètement le projet de mariage
avec la princesse de Ferrare (1). C'est le duc Ottavio qui avait pif0-
bablement influencé dans ce sens Marguerite de Parme.
En Espagne, Armenteros essaya d'obtenir satisfaction le plus
rapidement possible. Les premières nouvelles furent favor ables : le
17 novembre 1563, il écrivait de Monzon que les négociations au sujet
du mariage « êtaient venues sur le tapis» et que tout allait bien (2).
Mais bientôt Marguerite s'inquiéta: à confronter les lettres du com-
mandeur Ardinghelli et du secrétaire Armenteros, elle avait l'impres-
sion que le premier, gouverneur d'Alexandre, naimait pas de voir
mettre fin à « sa papauté » et faisait, dans ce but, traîner l'affaire
en longueur (3). Et quoique les nouvelles de Madrid fussent meilleures
quelques temps après, Marguerite continuait à insister pour qu'on fît
vite : elle tardait à voir « des héritiers naître dans sa maison ». La
gouvernante 'passa ainsi, comme toujours, par des alternatives
d'espoir et d'abattement, car l'affaire du mariage ne semblait pas
faire un pas. Lorsque, au bout de six longs mois, Armenteros revint
d'Espagne, rien n'était décidé sur ce point (4).
Pendant cette attente, Marguerite fut sans doute péniblement
impressionnée par la nouvelle que lui fit parvenir le Roi, le 29 jan-
vier 1564, qu'il faisait ses efforts pour obtenir le-mariage du prince
de Ferrare avec l'archiduchesse Barbe, la fille de l'Empereur (5).
Elle pouvait, non sans raison, se dire que Philippe' II se montrait
bien généreux vis-à-vis d'une famille dont les sympathies françaises
étaient connues et réfléchir à l'ironie du sort qui avait fait échouer
l'union de-son fils avec une des archiduchesses. Et elle ignorait peut-
être toute la sollicitude que montrait le Roi en ce même moment pour
obtenir la main d'une autre fille de l'Empereur pour le prince de
Florence (6), rejeton d'une maison dont Ottavio avait dénoncé
naguère la politique dangereuse pour l'Espagne.

(1) « Quant au mariage de son fils, soit avec une princesse de Ferrure, soit avec la
fllle de Don Duarte de Portugal, Marguerite s'en remet entièrement à Votre Majesté, »
Granvelle au Roi, 14 juillet 1563, dans WEISS, o. c., t. VII, p. 146.
(2) A. F'. N., Carte [arnesiane, Fiand,1"(J;,f'asoio 1625.
(3) Marguerite à Ottavio, 5 décembre 1563 (A. F. N., Carte tarnesiane, Fiaindra,
rasclo 1630).
(4) Marguerite à Armenteros, 11 décembre 1563 (A. F. N., Carte tamesume, Flandra,
fascio 1625). Sur la mission d'Armenteros, ses vicissitudes et ses résultats, voir A. GAUCHIE et
L. VAN DER ESSEN, Inventaire des Archives farnésr.ennes de Naptes, introduction, pp. CXVI-
CXXXIV (récit fait d'après la correspondance conservée à Naples).
(5) Documentas inéditos , t. CI, pp. 65-66.
(6) Documentas inéditos , t. CI, pp. 66 et 69.

99
Cependant, Philippe II avait fait savoir en ce moment que,
puisque les époux Farnèse acceptaient le projet de mariage avec
Marie de Portugal, il avait chargé Ruy Gomez d'ouvrir les négocia-
tions avec la cour de Lisbonne et il donna à sa sœur l'assurance qu'il
allait s'occuper de cette affaire comme s'il s'agissait de son propre
fils (1). L'année se passa cependant sans que la question fût résolue.
Marguerite, de plus en plus énervée, apprit en septembre que son fils
était travaillé par la fièvre et en conçut une violente inquiétude (2).
Pair des lettres de ton affectueux, le souverain s 'empressa de
tranquilliser sa sœur {3), en lui disant qu 'iln 'y avait raison de crainte
et que, par le rapport journalier des médecins, on pouvait constater
une amélioration croissante qui laissait espérer à bref délai la. con-
valescence.
Cette maladie était d'autant plus malencontreuse que Marguerite
de Parme savait que, en ce moment, la négociation pour le mariage
était presque terminée et que le roi de Portugal et l'Infante, mère de
Marie, avaient remis l'affaire entre les mains de Philippe II lui-
même (4).
A la fin de l'année, en décembre, le Roi fit savoir que bientôt le
mariage pourrait se conclure (5).

La nouvelle de la conclusion prochaine de cette union fut bientôt


connue un peu partout. Granvelle, informé par M. de Chantenay,
son frère, revenu de Madrid,écrivait de Baudoncourt au début
doetobre qu'on « tenait le mariage avec Marie de Portugal pour
fait ». De son côté, le secrétaire Bave en informait Granvelle, de

(1) Le Roi à Marguerite, Monzon, 22 janvier 1564, dans GACHARD, Correepotuiance


de Marguerite d'Autriche, t. II. p. XXIV.
(2) Le Roi à Marguerite, Madrid, 27 septembre 1564, dans GACHARD, o. c., t. III,
p. 415 - « Le prince de Parme a une double tierce bien dangereuse, de sorte que l'on
craignait pour sa vie, mais il va déjà mieux. » Granvelle au baron de Bolwiler, Baudon-
court, 21 octobre 1564 (WEISS, if. C., t. VIII, p. 453).
(3) « Eli mal de vuestro hijo, mi sobrlno, es como aqui se dlce, y ba cada dia mejo-
rando, de manera que yo espero os podré avlsar de su entera salud, y salir yü de la
pena y euydado que me da su mal, por pequeüo que sea, » Post-scriptum autog'l'aphe
du Roi à une lettre du 27 septembre, dans GACHARD, o. c., t. III, p. 415; autre lettre du
7 octobre 1564. ibidlJm. p. 422.
(4) Marguerite au Roi, 30 septembre 1564, dans GACHARD, Correspondance de Phi-
lippe Il, t. I, p. 316.
(5) Correspondance de Philippe II (copies de Simancas), aux A. G. R., Cartulaires et
,lfanuscrits, n- 187, t. l, in fine (non folioté).

100
Bruxelles: il ajoutait même que Ies noces se célébreraient en cette
ville et qu 'au palais du Coudenberg on commençait déjà à préparer
les quartiers nécessaires (1). . .
Au début de 1565, on ne discutait plus que des questions de .dot
et sur ce point Ottavio se montrait fort difficile. Il se lamentait, dans
une lettre écrite à son épouse : les parents de Marie de Portugal
ne voulaient pas se contenter d'une somme de 8,000 écus ; on espérait
que Ruy Gomez leur ferait entendre raison. « J'ai écrit là-bas, dit
Ottavio, que je suis pauvre et que mes affaires sont en désordre, mais
que je ferai tout pour les contenter. » Le duc avait eu aussi de
grosses difficultés pour recueillir l'argent qu'il désirait remettre à
Alexandre, et ses frères ne lui avaient pas été de beaucoup d'aide en
ces circonstances (2).
A ces doléances de son époux, Marguerite de Parme avait
répondu, moqueuse, qu'il ne fanait pas s'étonner des subtilités de
ces « seigneurs portugais » : l 'Infante n'avait-elle pas le droit, quand
sa fille s'engageait pour 'toute l'a vie, de lui obtenir les conditions les
plus avantageuses (3)~
Il faut cependant constater que les prétentions des parents de la
princesse Marie étaient excessives. L'oncle maternel de la fiancée,
Don Teutonio, aurait voulu qu'Ottavio cédât à Alexandre tous ses
biens présents et futurs, aussi bien allodiaux que féodaux. En exi-
geant ce dépouillement total, le l'usé Portugais voulait empêcher le
duc de Parme de favoriser plus tard les enfants illégitimes dont
certains bavards lui avaient appris à connaître l'existence (4).
Ottavio Farnèse se débattit autant qu'il put et l'on en arriva
enfin à un accord raisonnable. Le duc de Parme promettait à son
fils le duché de Parme, qui lui reviendrait après sa mort, et lui cédait
présentement le marquisat de Novare. Le contrat de mariage fut
signé à Madrid, dans l'intimité, le 25 mars 1565. Il ne serait rendu
public qu'au mois de juin (5).

(1) WEISS, o. C., t. VIII, pp. 394, 445, 453. - Le 7 octobre 1564, l'ambassadeur tran-
çais, M. de Saint-Sulpioe, écrivait à la Cour de France : « On a traité, ces Jours passés,
le mariage du prince de Parme avec la sœur de Don Duarte ... La chose a été poussée si
avant que le prince a envoyé son principal gouverneur en PortugaL. » (GACHAR,D, La.
Bibliothèque nationale à Paris, t. II, p. i 77.)
(2) Lettre publiée par E~1. COSTA, Le nozze deI (iuea Alessandro Farnese, pp. 13-14.
La lettre est du 5 janvier 1565.
(3) EM. COSTA, O. C., p. H.
(4) Ibidem.
(5) EM. COSTA, O. C" p. 15.

101
Ainsi se terminèrent les péripéties multiples par lesquels
passèrent les divers projets qui avaient eu pour but de marier
Alexandre Farnèse et d'assurer la continuité de la dynastie farné-
SIenne.
Le rôle d'otage que le traité de Gand avait imposé au jeune
prince venait de prendre fin et, sur ce point de leurs revendications,
Marguerite et Ottavio obtenaient finalement satisfaction.

'1.02
CHAPITRE VII

LES NOOES
, D'ALEXANDRE }'ARNÈSE
A BRUXELLES (1565)

Le 16 mars 1565, le gouverneur du prince, ArdingheHi, qui


semblait craindre qu'Alexandre ne se mariât le plus. tôt possible
parce qu'il perdrait ainsi sa place honorifique et lucrative, signalait
encore à Ottavio Farnèse que la négociation pour le mariage proeê-
dait avec la lenteur particulière à la cour d'Espagne. Et il ajoutait :
« Le prince peut difficilement rester ici plus longtemps : suivre Sa
Majesté coûterait beaucoup d'argent. Il faudrait donc le fair-e revenir
chez vous à Parme, si l'on veut éviter des inconvénients considérables
et multiples. Précisément, Monsieur d'Egmont a présenté d'emmener
Alexandre, car le comte pense qu'il aura fini sa mission avant le
départ du Roi. Xous en traiterons avec Ruy Gomez. ~ (1)
Cette lettre nous rappelle que, en 1565, Marguerite de Parme
avait envoyé à la cour de Philippe II le vainqueur de Saint-Quentin
et de Gravelines pour obtenir du Roi une réponse favorable aux
demandes des seigneurs des Pays-Bas (2). Arrivé à Ia cour de Madrid
le 20 février au matin, Lamoral d'Egmont y fut reçu avec joie par
Alexandre Farnèse, qui le fit loger chez lui et le traita comme 'un
frère (3). Les deux hommes se rencontrèrent probablement plus d'une
(1) Ardinghelli au duc Ottavio, Madrid, 16 mars 1565 (A. F. N., corte fa?"Msiane,
Fiandra. fascio 1622).
(2) Sur cette mission, que nous n'avons pas à étudier ici, voir A. CA.UCHlE et L. VAN:
DER ESSEN. Inventaire des Archives fatnésiennes de Na'P~es, introduction, p. CXXXV-
CXXXVII. Voir aussi RACHFAHL, WiLhe~m von Oranten ..., t. II, 1re partie, pp. 482 svv.:
J.-S. THEISSEN, Fruin over Egmonf/s zending nallff' Spanje, dans le Vel'slag van de IÜge-
meeneverçoaeruu; der leden van net Historisch Genootschap gehouœen: te Utrecht op
29 lIfei 1917, pp. 48-89. Utrecht, 1917.
(3) C'est ce que Egmont signale lui-même à Marguerite de Parme dès la première

103
fois pendant la durée de Ia mission du comte et ce dernier mit sans
doute le 'prince de Parme au courant de la situation troublée des
Pays-Bas et des angoisses que ressentait Marguerite de Parme.
D'après la lettre d'Ardinghelli, il semblait bien qu'en ce moment,
le Roi aurait été prêt à laisser Farnèse quitter la cour et rentrer à
Parme auprès de son père. Était-ce parce que, par la possession de
la citadelle de Plaisance, Philippe II sentait qu'il tenait suffisamment
les Farnèse en son pouvoir Ceci nous paraît plus probable: comme
î

en ce moment le bruit courait que le Roi se rendrait lui-même en


Flandre pour y rétablir la situation (1), il apparaissait à tous que,
si le mariage de Portugal ine se réalisait pas, le jeune Alexandre
n'avait qu'une chose à faire: rentrer à Parme/auprès du duc Ottavio.
Mais Pheureuse conclusion des tractations vint résoudre rapi-
dement la question du séjour du prince Alexandre: le mariage avec
Marie de Portugal aurait lieu à Bruxelles.
C'est Philippe 'II ûui-même, semble-t-il, qui l'avait voulu ainsi.
Strada nous l'affirine en termes exprès {2) ,et une lettre du cardinal
de Granvelle écrite au baron de Bolwiler nous paraît confirmer ce
renseignement (3). Il fut alors décidé qu'Alexandre Farnèse ferait le
voyage vers les Pays-Basen compagnie du comte d'Egmont, aussitôt
que celui-ci aurait terminé sa négociation à Madrid (4).
Le prochain départ du prince de Parme affiigea tout particu-
lièrement son ami Don Juan d'Autriche. Profitant d'une mission
qu'elle avait confiée à François de Bernimicourt, sire de la Thieuloye,
Marguerite de Parme avait chargé ce seigneur de rendre visite à
Don Juan, qu'elle ne connaissait pas encore (5), et de lui remettre
une lettre. Don Ju,an y répondit de la façon la plus affectueuse,
exprimant sa joie du mariage du prince de Parme, mais insistant sur
le fait que son départ le laisserait dans un grand isolement (6).

des lettres qu'il envoie à Bruxelles, le 24 février 1565 (A. F. N., Carte tamesume, Fialldl'a,
rasoto 75, rascioolo 9).
(1) Sur cette question très débattue de la réalité du projet du Roi, il faut ltre l'intro-
duction au tome II de l'ouvrage de L. SERRANO, Corresponâencia diplomatica. entre Es pttîu:
y la Santa. Sede âuranie el pontificado de S. Pia V. Madrid, 1914. L'auteur ne se prononce
pas, mais donne tous les textes qui permettent de juger des intentions réelles de Phi-
lippe II.
(2) Guerre des Pays-Bas, t. II, p. 327.
(3) Besançon, 22 avril 1565 (WEISS, O. C., t. IX, p, 149).
(4l.· FEA, Alessandro Parnese, pp. 17-18.
(5) GACHARD, Don Juan dlAutriche, loc. clt., p. 58; A. REUMONT, Margherita d'.~tls-
tria, loc. olt.. p. 52.
(6)GACHARD, o. C., loc. clt., p. 58; A. REUMONT, o. C., loc. cit., p, 52.

104
PL. XVII
Le prochain départ d'Alexandre lavait jeté aussi de Pémoi dans
l'âme du commandeur. Ardinghelli, d'Ont les rapports avec le prince
de Parme n'avaient pas toujours été des plus cordiaux (1). Le duc
Ottavio lui ayant proposé de rester à Madrid pour y continuer les
négociations au sujet des affaires particulières des Farnèse, le gou-
verneur sinquiéta et supplia de le laisser accompagner Alexandre en
Flandre. Il voulait. aller rendre compte de sa conduite à Marguerite
de Parme ou du moins, si on lui refusait cette grâce, il priait le duc
de le laisser venir jusqu'en Lombardie « pour expliquer oralement
beaucoup de choses » (2). Luisini, le précepteur, était désigné pour
accompagner Alexandre; celui-ci avait maintenant atteint l'âge de
vingt ans et n'avait plus besoin de leçons d 'humanisme, mais il
s'attacha ce fidèle serviteur comme secrétaire de sa maison (3).

*:: *:' -..:.::

Comment les Farnèse et, en particulier, Alexandre, avaient-ils


accueilli la nouvelle du consentement des parents de Marie de Por-
tugal 'au mariage de leur fille?
Le parti était, certes, honorable. La princesse Marie, fille du
prince Édouard 'et d'Isabelle de Bragance, était la petite-fille du roi
Emmanuel. Or, une autrepetite-fille du même Emmanuel et qui elle
aussi s'appelait Marie, avait été la première épouse de Philippe II (4).
Ce rapprochement devait paraître flatteur aux Farnèse.
L'ambassadeur vénitien Soranzo, qui séjournait en ce moment à
la cour de Madrid, affirme dans son rapport à la Seigneurie de Venise
que le prince de Parme n'était pas satisfait du mariage et qu'il
tenait ce renseignement des familiers mêmes d'Alexandre (5).
Née à Lisbonne le 8 décembre 1538, lia princesse Maire avait donc
presque sept ans de plus que le jeune prince de Parme (6). Cette
circonstance ne devait pas être de nature à plaire au fiancé et. elle
inspira peut-être des inquiétudes à Marguerite de Parme. Cette diff'é-

(1) FEA. Aiessœiuiro Parnese, p. 15.


(2) A. F. N., Carte [arnesume, Fiandl'a, fascio 1622.
(3) ,iONCHINI, Francesco LuisinÎ, loc. cit., p. 216.
(4) STRADA, o. C., t. I, pp. 245-246; GACHARD, Don Carlos, t. I, p. 2.
(5) ALBERJ, o. C., t. XIII, p. 108 : « se bene questo matrimonio è con poca satisfazione
di. detto princïpe, pel' quelle che mi dicevano i propri suoi. » Cïr DE NAVE.1\NE, O. G.,
p. 573; J. MASSARETI'E et. PRINCE J. DE GOLLOREDO-MANNSFELD, La vie martiale et fa-stueuse
de Pierre-Ernest de Mannsfeld, t. I. p. HO.
(6) LITTA, FamigUe celebre italiane, rornese, tavela XVI.

105
rence d'âge ne lui rappelait-elle pas l 'histoire de son 'propre mariage 1
On sait que, lorsqu'il fut question de l'union d'Alexandre avec une
fille de l'Empereur, Philippe ,II insista pour qu'on choisît celle des
archiduchesses dont l'âge convenait le mieux au jeune Farnèse.
Déjà handicapée de ce, côté, la princesse Marie pouvait-elle
espérer conquérir L'amour de son fiancé par sa beauté physique?
Son portrait peint par Pourbus, que conserve la pinacothèque de
Parme (1), ne permet certes pas d'affirmer que Marie de Portugal
était Jolie, mais on exagérerait en la taxant de laide. La princesse
était incontestablement avenante: dans son visage très régulier et
oval étaient plantés des yeux grands et beaux: le nez était droit et
de forme _parfaite; la bouch-e était fine et aristocratique, [e front
haut et surmonté d'une chevelure noire assez abondante.
Marie de Portugal avait une ressemblance, qui nous paraît
frappante, avec l'infante Isabelle, fille de Philippe II, souveraine des
Pays-Bas en 1598 : J'ambassadeur espagnol à Londres, Guzman de
Silva, trouvait que la princesse rappelaitbeau(loup Élisabeth
el'Angleterre (3).
Mais ce qui rendait surtout la princesse Marie remarquable,
c'était sa beauté morale. Elle avait un esprit très cultivé, connaissait
parfaitement le latin et le grec, n'ignorait pas la philosophie et était
très versée dans les mathématiques. C'était aussi une princesse très
pieuse et de vie irréprochable. Ayant eu comme confeseur S. Ignace
de Loyola, elle aimait à s'adonner à la contemplation et à la médita-
tion. Elle avait toujours prête quelque sentence tirée de l'Écriture
Sainte, qu'elle connaissait à fond et elle s'en servait pour élever son
esprit vers Dieu au milieu de ses occupations journalières. Elle
affirmait que Ia plus belle parure de la femme, c'était la chasteté.
Aussi, à la cour de Portugal, elle avait toujours fui, pour autant que

(1) Ce portrait est reproduit dans l'article de A. DEL PRATO, Il testamento di, .Mafia
di POl'togallo, mogUe di Atessasuiro Farnese, dans l'Archivio storico pel' le pl'ovincie
parmelisi, nouv. sér., t. VIII, 1908, pp. 146 svv.
(2) Pierre Bor-dey, cousin germain de Granvelle, communiqua à celui-ci l'impres-
sion que fltsur lui Marie de Portugal: « Elle n'est ny belle ny laide : néantmoins elle
est fort petite. Mais ce que deffault à la beaulté, si le Prince en désiroit davantaige,
comme certes je pense bien qu'il talet, sa bonne grâce, sa grande humanité, vertu, pru-
dence et doctrine certainement récompense entièrement ce deffault; car mleulx nourrie
ny plus sage princesse l'on nesauroit désirer, et pour telle Be fa1ct congnoistre et pour
tplle l'a-t-on en estime. » (A. CASTAN, Les noces d'Alexandre Farnèse et de Marie de
POl'tugal dans les Mémoires in-8' (le l'Académie royale de Belgique, Classe des Lettres,
t. XLI, 1888, pp. 61-62.)
(3) Spanish çaienaar, 1568-1579, p. 25.

106
PL. XVIII

:\IARTE DE PORTCG.\L
(Portrait par Pourbus) Plnacof hèquc de Parme

faire se pouvait, les spectacles et les réjouiesances. Elle ne lisait


jamais les poètes, pour ne pas être surprise par des passages où il
était question d'amour défendu. Ayant un jour ouvert Pétrarque,
elle le ferma précipitamment aprèsquelques lignes de lecture. Par
esprit de chasteté, elle évitait aussi dee 'a:ppuyer sur le bras des
seigneurs de sa suite, comme toutes les femmes de condition avaient
coutume de le faire (1).
Marie de Portugal était une sainte et rien n'est plus démonstratif
de cette sainteté réelle que l'émouvant document que constitue son
testament, qui est rempli de 'l'esprit chrétien le plus pur et le moins
ostentatoire et qui témoigne d'une exquise délicatesse de senti-
ments (2).
Il n'en reste pas moins vrai que pour le jeune homme vif, galant,
amateur de sport et de réjouissances qu'était le prince de Parme, la
perspective d 'êpouser une jeune fille relativement plus âgée que lui
et qui ne trouvait de .plaisir que dans la vie intérieure, ne devait pas
être des plus agréables. Nous "errons el 'ailleurs qu'au moment où
l'on attendait à Bruxelles la venue de la fiancée, le prince de Parme
se permit d'en parler en des termes qui ne le montrent point sous
un jour avantageux.
*::
* *
C'est le 6 avril 1565 que le prince de Parme et Lamoral d'Egmont
partirent de Madrid, en route pour la Flandre. Ils visitèrent ensemble
I'Escurial et le parc de Ségovie avant de quitter l'Espagne, qu'ils ne
devaient plus revoir (3).
Alexandre Farnèse emmenait avec lui les gens de sa maison, qui
l'avaient servi à la cour, et parmi lesquels se trouvaient Don Pietro
Sylvio, trésorier, Francesco Luisini, le précepteur, le chevalier Man-
tovano, Pietro Baldini, Giacomo de Piozasco, Don Pietro Massa,
Francesco Maddalena,écuyer, Giovanni Corso, palefrenier, Gerardo,
bouteiller, NicolasCostric, maître d 'hôtel et Nicola del Campo, servi-
(L) STRADA,O. C" l. I, pp. 246-248. Le jésuite Sébastien Morues, confesseur de la
princesse à Parme, nous a laissé une Lettera ... uüorno aua vita e morte della Principessa
lIlœria, publiée à Bologne en 1578 et RANUCCIOPICO lui consacra Pr'incipessa Sonia, publié
à Venise en 1625. Cfr aussi NASALLI-RocCA, Maria dt Portoqallo, moglie d'i Alessand'l'O
Farnese, dans Strenna Piacentauu, année 1891.
(2) Le testament est publié en entier par A. DEL PRATO, O. c., lac. cit., pp. 175-199.
(3) RACHFAHL,Wilhelm 'Von Oranien, t. II, 1'" partie, p. 489. Le 4 avril, le comte de
Feria profite du départ prochain de Farnèse pour lui confier une lettre amicale pour
Marguerite de Parme (A. F. N., Corte fa1'nesi(Ffle, Fiandra, fascio 1627).

107

teur des pages (1). Au moment du départ, tous ces personnages


devaient encore toucher leurs émoluments, qui leur étaient habituelle-
ment payés tous les sept mois. Le Prince de Parme leur devait, à son
départ, la somme totale de 10.859 réaux d'Espagne cet 20 maravédis.
Ils furent payés à leur arrivée à Bruxelles, en argent des Pays-Bas,
ce qui leur fit perdre, au change, 26 maravédis par écu (2).
Pendant que Farnèse et Lamoral d'Egmont s'acheminaient vers
la .Flandre, on se préparait à la cour de Bruxelles à fêter dignement
les noces du prince de Parme. Tout le monde ne pensait qu'à « faire
des châteaux 'en l'air » pour assister à ces fêtes (3). Le capitaine
Francesco di Marchi, qui avait suivi Marguerite de Parme aux Pays-
Bas, mettait en œuvre toute sa science dingénieur pour fahriquer un
char d 'honneur pour les réjouissances, et se voyait assailli de
.demandes par tous ceux qui voulaient représenter Mars, Saturne,
Jupiter ou quelque personnage mythologique dans le cortège que l'on
préparait (4).
Un tournoi ou une joute devait avoir lieu pendant les noces et
fut solennellement annoncé dès le 4 février aux seigneurs de la cour
et au peuple de Bruxelles. Le comte Pierre-Ernest de Mansfelt, qui
était le « mainteneur » du tournoi, sous le nom de « chevalier. de
l'Aigle», porta le fait à la connaissance de tous selon les règles les
plus strictes. Le 4 février donc, il y avait une réception au palais de
Bruxelles et l'on dansait dans la grande salle, où se trouvaient
Marguerite de Parme, le prince d'Orange, le comte de Hornes, le
comte de Meghem et le' comte de Hoogstraeten, ainsi que plusieurs
autres seigneurs. Six trompettes apparurent soudain et, par une
sonnerie, firent comprendre aux assistants qu'un héraut avait une
nouvelle à communiquer. Celui-ci vint et remit ses messages en mains
du prince d'Orange, qui sollicita de Marguerite de Parme l'autorisa-
tion de présenter les lettres aux dames présentes et d'afficher le
manifeste du « chevalier de l'Aigle ». Marguerite y ayant consenti,
Guillaume de Nassau remit les invitations pour le tournoi à Eléonore
Pallavicini, gouvernante des dames d'honneur, qui en lut le texte à

(1 ) Lisle dressée après une étude attentive des documents contenus dans A. F. N.,
Füi eorrenti, Spese 1n Fimldra, 1565-1566 et notamment de l'ordre de paiement adressé
à Don Pietro Sylvto, et daté de Madrid, dernier avril 1565. Puisque Farnèse partit le 6,
cet ordre fut donc postdaté.
(2) D'après le mëmeensemble de documents.
(3) Le capitaine F. di Marchi à Picco, Bruxelles, 27 février 1565 (A. HONCHlXI, Cento
tettere ..., pp, 18-19.
(4) Même lettre.

:W8
PL. XIX

L_-\MOHAL, COM'l'E D'EG:\IO~T


(Estampe contemporaine)
haute voix et demanda à Marguerite de Parme la permission pour
ces dames d'accepter l'invitation. Après que les trompettes et des
violons se fussent fait entendre, le héraut.portant la cotte d'armes
à l'écu de Castille et de Léon, remit les messages anx darnes de la
cour.
Ceci fait, les trompettes et le héraut se rendirent à la porte du
palais et firent la proclamation du tournoi au peuple assemblé : ils
finirent par afficher le manifeste du comte de Mansfelt à l'entrée des
bâtiments. Bientôt se présenta le magistrat de Bruxelles, qui vint
solliciter de la gouvernante le privilège de pouvoir organiser le
tournoi sur la Grand 'Place de la ville et qui promit, pour la circon-
stance, banquets, feux daœtifiee et représentations de comédies (1).
Le palais de Bruxelles ne désemplissait pas entretemps d'arti-
sans, qui étaient occupés à dorer et à orner tous les objets qui
devaient servir pour les fêtes, et dont le char du Soleil serait le
clou (2).
* *
Le 30 avril, Alexandre Farnèse et le comte d'Egmont arrivèrent
à Bruxelles. Ils avaient fait le voyage d'Espagne en Flandre en
vingt-deux jours; en passant par la France. A Bordeaux, ils avaient
salué le Roi et la Reine-mère, qui les reçurent fort bien. A Paris, les
deux voyageurs avaient logé chez le connétable de Montmorency, qui
les avait comblés de prévenances (3).
Marguerite de Parme fut avertie de l'arrivée imminente de son
fils le 30 avril même, à deux heures de Paprès-midi, par un courrier
que le comte d'Egmont avait envoyé à son arrivée à Valenciennes.
Ce courrier devait demander de préparer des chevaux frais au relais
de Tubize, où les voyageurs espéraient arriver vers quatre heures.
Egmont et Farnèse n'atteignirent Tubize qu'à sept heures du soir.
Tous les gentilshommes de la cour accompagnèrent Jean de
Glymes, marquis de Berghes, et le seigneur de Bernimicourt, maître
d'hôtel de la gouvernante, pour aller recevoir Egmont et le prince de
Parme, qu'ils attendirent au vinage de Buysbroeck, à 6 kilomètres
de Bruxelles.
Après une attente de deux heures, on vit apparaître les deux
(1) Le capitaine F. di Marchi à Picco, Bruxelles, le 18 mars 1565, (RONCHINI,o. C.,
pp. 19-20.1
(2) Même lettre.
(3) Lettre de Francesco Luislni au duc Ottavlo Farnèse, Bruxelles, le 13 mai 1565
(A. F. N., corte (amesfLme, Fiandra, fascia 1628).
voyageurs sur la route: Egmont chevauchait le premier) suivi de
près par Alexandre.
A la porte de Hal, à l'entrée de Bruxelles, le groupe trouva le
marquis de Havré et le comte de Berlaymont avec ses fils, qui atten-
daient près de la maison du maître des postes pour voir Egmont et
Farnèse, et apprendre des nouvelles d'Espagne et de la situation
politique telle qu'on la comprenait à Madrid (1).
On peut s'imaginer la joie qu'éprouva Marguerite de Parme en
retrouvant son fils adoré. Elle avait souffert de la fièvre, brûlée-
d'inquiétude de savoir quelle réponse rapporterait le comte d'Egmont.
La vue d'Alexandre la remit sur pied. Elle le trouva « déjà homme »,
fort bien élevé et instruit et très affectionné au service du Roi. Le
secrétaire Armenteros écrivit à Perez que ce qui frappait surtout
la gouvernante c'était de voir son fils « si espagnol en tout et pour
tout ». On aurait dit qu'il était né en Espagne, tant il parlait bien la
langue de ce pays et tant il en avait adopté les manières et les
habitudes (2).
Les six années que le prince de Parme avait passées à la cour, en
compagnie de Don Juan et de Don Carlos, et pour ainsi dire sous le
contrôle du Roi, n'étaient évidemment pas sans avoir laissé de traces.
Aussi, il semble bien qu 'il ne fit point bonne impression sur les
seigneurs du pays. L'écuyer Bordey écrivit, déjà le 4 mai, à son oncle
Granvelle: « Oe prince tient de la nourriture d'Espagne » et il
estimait qu'il ne ressemblerait pas au due Ottavio, qui était courtois
et bienveillant (3).
Ce témoignage n'est pas isolé: un peu plus tard, l'ambassadeur
Chantenay, répétant les échos qui lui étaient parvenus de Bruxelles,
signalait à Granvelle que le prince se plaignait de ce qu'on faisait si
peu pour lui, alors que, à la cour impériale, on s'étonnait au contraire
qu'on faisait tout pour l'honorer. L'ambassadeur, résumant son
impression, disait : « Jusque maintenant, nihil est in homme. Je ne
sais ce que sera avec le temps. » (4)

(1) Bordey à Granvelle, Bruxelles, Ii mai 1565, (A. CASTAN, Les noces dl Alexandre
Farnèse ..., loc. cit., pp. 34-35).
(2) Marguerite au Roi, 15 mai 1565 (GACHARD,Correspoïuiance de PMlippe Il, t. l,
p. 353); Thomas Armenteros à Perez, Bruxelles, 16 mai 1565 (ibidem, l, p. 354).
(3) WEISS; o. c., t. IX, p. 174, note 3. M. P. de Gayangos écrit dans: son introduction
à l'édition du Viage de Felipe II de Mufioz : « Creiase el Espaûol de aquel sigle inflnita-
mente superior al resto de los mortales y no consenti a ni toleraba humillacion de ningun
género. » (p. XVIII) (Madrid, 1877.)
(4) WEISS, o. c., tl' IX, pp. 435-436. Lettre datée du 28 juillet 1565.

110
Ce qui semblait surtout offusquer les seigneurs des Pays-Bas,
c'étaient les manières hautaines de Farnèse, qui désirait être traité
en tout à l'égal de la gouvernante elle-même. Nous retrouvons ici le
jeune homme qui, à la cour de Madrid, tint tête au prince de Florence
pour une question de préséance et qui, pal!' cette attitude arrogante,
recueillit les suffrages de tous les grands d'Espagne.
L'écuyer Bordey revint une seconde fois sur sa première impres-
sion : « Je ne puis aultre chose juger de luy sinon qu'il a rappourté
une nourriture d'Espagnol par trop » (1) et il craignait qu'à la
longue les seigneurs flamands ne se fâchassent « de si grande arro-
gance ».
En quoi cette « arrogance » consistait-elle donc Le jeune Far- î

nèse, fidèle à une coutume qu'il pratiquait déjà en Espagne, nous


le savons, mangeait seul, retiré en sa chambre.et sa mère le faisait
servir par son propre maître d 'hôtel et par les gentilshommes de sa
maison,de la même manière .qu'on la servait elle-même. Les gentils-
hommes remarquèrent avec indignation que l'on n'avait jamais fait
un tel honneur au duc Ottavio, lorsqu 'il venait à Bruxelles.
Un jour aussi, Alexandre s'était fait servir le dîner dans la
grande salle du palais: il se mit à table à la place occupée d'ordinaire
par sa mère la gouvernante, et fit asseoir l'8Scomtes d 'Hoogstraeten
et de Lalaing, ses commensaux, au bas bout de la table, sur des
escabeaux et non sur des chaises. Il parla à grand'peine à ces deux
seigneurs. Ohez le comte d'Egmont, avec lequel il avait fait le voyage
d'Espagne à Bruxelles, il ne s'était rendu qu'une seule fois, et après
cette visite, on ne l'avait plus revu (2).
Bref, on « parlait fo.rt mal » du prince. La gouvernante, loin de
s'en apercevoir, aveuglée par sa fierté maternelle, semblait plutôt
encourager l'attitude de son fils : son entourage estimait que c'était
bien dommage (3). Les Italiens de la maison de Farnèse ou de celle
de Marguerite ne semblaient <pasremarquer l 'hostilité des seigneurs
flamands. Ils s'émerveillaient des préparatifs somptueux que l'on
faisait en vue des noces et dénombraient avec une joie naïve les fêtes
que l'on organisait.
(1) VVEISS, O. C" t. IX, p. 223. - Voici comment l'ambassadeur vénitien Soranzo
àécrit le caractère espagnol dans ce qu'il avait de plus antipathique : « Nel nego-
ziare e conversare poi son tali, che alcun forestiero non puô continuar con loro: per-
ciocchè si come nel principio si dimostrano umani e cortesi, cost in un [l'alto si scuo-
prono di modo insolenli. » {ALBERI, RelazionL., t. XIII, p. 82).
(2) Border à Granvelle, 25 mai 1565 (WEISS, o. c., t. IX, pp. 223-224).
(3) Ibuiem.

tH
Il y eut, notamment, une belle réception à l'hôtel de ville de
Bruxelles, à laquelle le prince de Parme assista. Le magistrat avait
offert un somptueux banquet et fait dresser dans une salle spéciale
un buffet, où l'on admirait toutes sortes d'objets en sucre, des con-
fiseries, des douceurs d'Espagne, de Portugal; de Naples et de Gênes.
Il y eut des chants et de la musique et dans les salles de l 'hôtel de
ville, on vit circuler une société brillante: le prince d'Orange, Egmont,
le duc d' Aersehot, le comte de Hornes, le baron de Montigny, les
comtes de Meghem et dHoogstraeten, ainsi que les épouses et les
filles de ces seigneurs. Toute cette compagnie entourait la gouver-
nante et son fils. L'élément féminin était nombreux et bien représenté:
le capitaine Francesco di Marehi, dans une lettre écrite à Parme,
décrivait avec enthousiasme les « très belles dames » qui avaient
constitué l'ornement d'une table où les toilettes l'avaient ébloui par
leur luxe et leur belle ordonnance (1).
Le capitaine italien, qui n'avait d 'yeux que pour la splendeur
mondaine de cette fête, ne semble pas avoir remarqué les conversa-
tions que les seigneurs flamands eurent entre eux pendant cette
soirée. Egmont d-evait déjà les avoir mis au courant des 'réponses que
Philippe II lui avait faites à Madrid au sujet des revendications de
l'opposition nationale, et le prince d'Orange ne peut avoir manqué
de demander des précisions sur la politique que le Roi comptait
suivre désormais. Les fêtes qui allaient se succéder fournirent aux
seigneurs des Pays-Bas des occasions excellentes pour échanger leurs
vues au ·sujet de la situation dangereuse où se trouvait le pays et bien
des projets durent naître,avant-cour.eurs d'événements tragiques,
pendant que cavaliers et dames dansaient et que cette société joyeuse
s'amusait sans arrière-pensée d'aucune sorte.
Bientôt, l'on remarqua que la gouvernante avait un air sou-
cieux: il arriva même qu'elle ne. se montra pas pendant huit à dix
jours. On disait qu 'elle était fort préoccupée du mariage de s'Onfils
et particulièrement des frais énormes - on parlait de 60.000 à
70.000 florins - qu'allait entraîner pour elle l'envoi d'une flotte au
Portugal pour y chercher la fiancée d'Alexandre Farnèse (2). Il
semblait que Marguerite de Parme n'avait d'abord pas pensé devoir
faire ces grandes dépenses: c'est du moins ce que des gentilshommes
de son entourage écrivaient à des parents et des amis (3). D'autres
(1) F. di Marcht à Pico, fi. d. (A. RONCHIN!, Cento tettere ..., p 21).
(2) Morillon à Granvelle, 21 et 25 mai 1565, (WEISS, o. c., t. IX, p. 218).
(3) Borde)' à Granvelle, 25 mai 1565 (WEISS, o. C., t. IX, p. 223).

H2
lettres laissaient croire que Marguerite était surtout préoccupée parce
que Marie de Portugal n'arriverait pas de si tôt en Flandre et
donnaient àce délai une signification peu favorable (1). D'autres
attribuaient la nervosité de la gouvernante aux événements poli-
tiques (2). Les commentaires, en tous cas, allaient leur train et les
noces de Farnèse étaient pour tous l'occasion de critiques, de soup-
çons, de médisances ou de plaisanteries. L'atmosphère étaât trouble
et ne semblait présager rien de bon.

***
Marguerite de Parme avait, entretemps, écrit à la famille royale
de Portugal et aux parents de la fiancée de son fils pour leur exprimer
sa joie du mariage qui venait de se conclure. et pour annoncer l'envoi
d'une flotte, sous les ordres du comte Pierre-Ernest de Mansfelt,
qui irait chercher à Lisbonne la princesse Marie (3). La gouver-
nante avait l'intention de bien faire les choses et de ne rien négliger
pour donner là-bas une excellente impression. « Je ferai appeler
Monsieur de Wacken, vice-amiral de la mer, avait-elle écrit à Ottavio
Farnèse, et je lui donnerai l'ordre de préparer quatre navires pour
envoyer chercher à Lisbonne donna Maria: je ferai en sorte que
ces navires soient accompagnés du plus grand nombre possible
d'autres vaisseaux, afin que, à leur arrivée, ils offrent là-bas le plus
bel aspect imaginable. » (4)
Comme elle venait d'apprendre que la fiancée n'emmènerait avec
elle de Lisbonne que quatre ou cinq darnes de cour portugaises,
Marguerite avait prié Ottavio d'en trouver encore d'autres en Italie;
il fallait deux dames denviron 40 ans et cinq plus jeunes (5).
Au début, Je duc de Parme avait obéi sans rechigner aux sugges-
tions de son épouse, mais lorsqu'il se mit à faire le compte des

(i) « Par où je vois que le mariage ne se fera pas de si tost que l'on pensait, dont
il me desplaict pour la peine que je sçaye Iadlcte dame recepvra de cette dHation. »
Granvelle à Bolwlller, Baudoncourt, 8 juin i565 (WEISS, O. C., t. IX, p. 258).
(2) « Ces nopces sont fort en teste à Madame de Parme, que ne se veoit plus et
mange retirée. Je tiens, quelque mine qu'elle tient, qu'elle est mal à son aise, véant le
chemin que ces seigneurs prendent pour la mectre hors du gouvernement, » Morillon
à Granvelle, Bruxelles, 22 juin 1565 (WEIs's, o. c., t. IX, pp. 339-340).
(3) Marguerite au Roi de Portugal, 6 juillet 1565; au cardinal infant, même date;
à la reine-mère, même date, à l'infante Dona Isabelle, même date (A. F., N., Carte torne-
siane, Ftandra, fascio 1622).
(4) Lettre publiée par EM. COSTA,Le nozze ..., pp. 15-16.
(5) Lettres des 6 et 24 mai (EM. COSTA, o. C., p. 16).

113
sommes qu'il faudrait débourser pour l'envoi de la flotte en Portugal,
il fut épouvanté. Quarante mille écus lui semblaient beaucoup trop et
il proposa de réduire Ies dépenses au tiers de cette somme (1).
Piquée au vif, Marguerite, qui entendait donner aux noces de
son cher Alexandre une splendeur inaccoutumée, reprocha à son
mari son incompréhensible avarice. Les frais sont nécessaires,
arguait-elle (2), pour éviter « toute indignité et bassesse », et il n'est
pas possible de faire moins pour une circonstance qui ne se présente
qu'une seule fois dans la vie. Le duc de Parme n'avait qu'à s'en prendre
à lui-même : nétait-ce pas lui qui avait ordonné que le voyage de la
princesse Marie devrait se faire avec toute la pompe nécessaire et
qui navait pas songé à demander que la famille de la fiancée payât
elle-même les frais de ce voyage? {3). Tout a été décidé par le duc,
auquel son épouse s'en est toujours remise pour tous les arrange-
ments à prendre.
Comment le duc pouvait-il s'étonner des frais qu'entraînerait
l'équipement et l'envoi d'une flotte au Portugal? N'avait-il donc pas
été à la guerre, ne savait-il pas ce que coûtait une flotte S'il trouvait
î

que ces dépenses mettaient en désordre leurs affaires particulières et


pouvaient exercer une influence néfaste sur la solidité de l'État farné-
sien, il devait savoir que, si les 50.000écus qu 'il avait dépensés, lui, en
des choses qui ne donnaient aucun relief et en fêtes vaines, n'avaient
pas produit un tel désastre, les dépenses pour la flotte le causeraient
encore moins. Ces dépenses, absolument nécessaires, étaient au con-
traire de nature à affermir l'État et à relever le. prestige de Son
Excellence.
Pour le moment, Ottavio Farnèse se le tint pour dit et n'insista
pas .
. La gouvernante poussa donc activement les préparatifs pour la
flotte qui devait aller au Portugal. Le bruit se répandit bientôt que
quinze gentiâshommes de la maison de Marguerite, chacun avec deux
serviteurs, feraient partie de l'expédition, sous la conduite du maître
d'hôtel François de la Thieuloye; quinze dames de la cour y pren-
draient part aussi. La noblesse, les officiers et leur suite .feraient un
groupe de cent-cinquante ,personnes; la flotte, qui serait sous les

(1) E~1. COSTA, O. c., p. 16.


(2) 'Lettre du 26 juillet 1565, publiée par El\L COSTA, O. C., pro 16-18.
(3) Bordey faisait connaître à Granvelle, le 24 juin, que la famille de la princesse
Marie était décidée, au sujet de son voyage en Flandre, « de [ne] despcndre ung sol. »
lA. CASTAN,Les noces d'Alexandre Farnèse, lac. ctt., p. H)

114
ordres d'Adolphe de Bourgogne, seigneur de Wacken, vice-amiral de
la mer, comprendrait, en y comptant les matelots, six cents têtes.
Les geI:'s de la cour auraient comme chef un chevalier de Perdre de
la Toison d'Or (1). On avait d'abord songé au comte de Hoogstraeten,
mais une indisposition de sa femme - vraie ou feinte - obligea
celui-ci à refuser. Le comte de Hornes se chargea alors d'offrir le
commandement des gens de la cour à Pierre-Erneat de Mansfelt :
celui-ci accepta, et y mit la condition que la comtesse sa femme}
Marie de Montmorency, sœur dn comtec1e Hornes, Pacoompagne-
rait (2).
La gouvernante se réjouit de cette acceptation : elle eut toujours
pour Mansfelt une sympathie particulière à cause de son loyalisme
et de sa fidélité, un peu rude, mais profonde. Mais ce qui l'enthou-
siasma moins, ce furent les prétentions des Mansfelt : Pierre-Ernest
entendait se faire accompagner dans ce voyage d'une de ses filles et
de son fils et la comtesse emmenait avec elle une fille de son premiêr
mari, Charles de Lalaing (3). De plus, alors qu'il avait été décidé
qu'elle se ferait suivre de 'Cinq dames d'honneur, elle augmenta ce
nombre jusqu'à douze. Stimulée par cet exemple, la femme du vice-
amiral se fit aussi accompagner de cinq ou de six dames. Le per-
sonnel de la flotte grossissait ainsi peu à peu et les frais croissaient
en proportion. Marguerite de Parme en fut « fort fâchée », mais
elle dut y consentir. Le comte de Mansfelt, de son côté, crut bon
d'augmenter aussi sa suite: elle finit par compter quatre-vingts
personnes pour lui seul.
Le chiffre élevé des dames qui se présentaient pour aller au
Portugal inquiétait Marguerite, parce qu'elle se demandait comment
on pourrait loger la princesse Marie et sa, .suite dans le seul navire
qui était réservé pour la par'tie féminine de la compagnie et où toutes
les femmes devaient se trouver ensemble (4).
La gouvernante se vit bientôt acculée à des dépenses considê-
l'ables: on parlait de plus de cent mille florins (5), somme égale à
la dot qu'apportait la fiancée du prince de Parme. Le duc Ottavio

(1) Bordey à Granvelle, 26 mai 1565 (A. CASTAN, 0, e., loc. elt., pp. 36-37).
(2) Bordey à Granvelle, lor juin et 24 juin (A. CASTAN, o. e., loc, clt., pp. 40-42).
(Jfl' J. MASSARETTE et PIIINCE DE COLLOREDO-MANNSFELD, La vie Inm'tiale et fastueuse
de Pierre-Ernest de Mannsfeld, t. l, pp. 110 svv.
(3) F. di Marehi à Picco, Bruxelles, 17 juin 1565 (A. RONCHINr, Cento lettere ..., p. 22).
(4) Bordey à Granvelle, 25 juin 1565 (A. CASTAN, o. c., loc. clt., pp. 41-43).
(5) Même lettre ; Bave à Granvelle, 25 mai 1565 ('VEISS, o. c., t. IX, p. 224, note il.

115
s 'efîorçait {le trouver de l'argent auprès des hombres de negoçios
dAnvers et Marguerite allait jusqu'à exiger du Conseil des Finances
le paiement de toutes les vieilles dettes qu'on lui devait (1).
Aussi laprêsident Vigâius écnivit-il à Granvelle pour lui com-
muniquer son sentiment à ce sujet: il trouvait que Marie de Portugal
serait « une épouse chère» et Granvelle exprimait l'espoir que la
duchesse de Parme n'expérimentât le dicton: Extrema gaudii, etc. (2).

En attendant le départ de la flotte, dont les préparatifs se fai-


saient en Zélande, festivités, banquets, réceptions se succédaient à
Bruxelles. Le 4 juillet, la gouvernante, avant le départ de I'am-
bassade destinée à alîer en Portugal, offrit un banquet au comte et à
la comtesse de Mansfelt, dans la galerie basse du palais du Couden-
berg, où elle invita les comtesses de Hornes et de Hoogstraeten, la
fille de cette dernière, Marguerite de Lalaing, comtesse de Ligne,
et deux de ses sœurs non mariées, le prince d'Orange, les comtes
d'Egmont, de Mansfelt, de Hoogstraeten, et Jean de Ligne, comte
d'Arenberg. Alexandre Farnèse y assista (3). Ce fut un dîner
d'adieu, car le surlendemain, 6 juillet, tout le personnel de l'am-
bassade et les gens de cour devaient partir pour Flessingue, en pas-
sant par Termonde et Gand, et y rejoindre la flotte (4).
Entretemps, on travaillait avec hâte en Zélande pour apprêter
celle-ci (5), sous la direction générale du vice-amiral de Wacken. Les
quatre navires que Marguerite de Parme avait fait préparer étaient
très beaux: ils avaient leur coque peinte en rouge, parce que cette
couleur faisait beaucoup d'effet sur mer. On s'était inspiré ici des
gal-ères du prince Doria, de Gênes, qui possédait des navires peints
ainsi. De nombreux maîtres-ouvriers, au nombre d'une quarantaine,

(1) Morillon à Granvelle, 9 juillet 1565 (WEISS, o. C., t. IX, p. 386) ; Bordey à Granvelle,
lettre citée.
(2) Viglius à Granvelle, 14 juin 1565 (WEISS, o. c., t. IX, p. 279); Granvelle à Viglius,
"l8 mai 1565 (Ibidem, p. 232).
(3) Bordey à Granvelle, 6 juillet 156fi (A. CASTAN, o. c., loc. cit., p. 47).
(4) Même lettre.
(5) Les préparatifs nous sont connus en détail par la correspondance des fonction-
naires de la maison de Marguerite de Parme qui étaient sur place et qui surveillaient
les travaux. Leurs lettres se trouvent à A. F. N., Carte [arnesume, Fiandra, rasolo 1630 et
fascio 1638 . C'est d'après ce dossier que nous faisons ici le récit des préparatlrs. Il con-
tient les lettres de Fabio Lembo, Paolo Bava et Miguel de Jaca,' respectivement maître
d'hôtel, trésorier, et contrôleur de la maison de la gouvernante.
travaillèrentà « ponter » les vaisseaux et à y construire, en bois, les
appartements de la princesse Marie de Portugal, des nobles et des;
gens de cour. La chambre de la princesse fut tapissée de rouge: le
lit lui destiné présentait un ciel azur, étoilé d'or, avec les armes du
Portugal et des Farnèse. Les appartements des seigneurs de la suite
furent tapissés en jaune, avec des banquettes de velours vert pour
les dames. On fit fabriquer à Anvers, en toile damasquinée, les éten-
dards qui devaient flotter sur les vaisseaux. On eharpenta aussi une
chaloupe d'embarquement et de débarquement, avec baldaquin.
Il fallut songer ensuite aux provisions à emporter pour. le
voyage : de la viande salée, qu'on alla chercher à Amsterdam, du
saumon et de la morue, des paons, des faisans, des poulets d'Inde,
des biscottes, du vin du Rhin et de la bière de Leipzig. Les munitions
pour l'artillerie furent amenées de l'arsenal de Malines. On embarqua
aussi 2.500 livres de toile 'Pour les voiles des navires. On fit préparer
à Anvers la livrée en drap de couleur grenat des mariniers, et on
acheta dans la même ville les tapisseries destinées à orner les appar-
tements. Tambours, trompettes et fifres furent ornés de voiles rouges.
Fin juin, tout était prêt et il ne restait plus qu'à décider le
bourgmestre d'Enikhuizen, navigateur expert, qui avait piloté Charles-
Quint et Philippe II, à accompagner la flotte.
::;:

* *
Pendant que l'on préparait ainsi tout pour le prochain départ,
Mansifelt et ceux qui devaient l'accompagner étaient partis de
Bruxelles pour Termonde, le 6 juillet, suivis du prince de Parme et
d'une troupe de seigneurs jusqu'à une demie lieue de la ville. Le 8,
l'ambassade pour le Portugal atteignit Gand et y séjourna pendant
trois jours : le magistrat en profita pour offrir un dîner de plus de
cent quatre-vingts couverts (1).
Mansfelt et sa suite s'embarquèrent au Sas de Gand et arrivèrent
à Middelbourg le même jour. Là, ils trouvèrent les navires apprêtés:
le navire amiral ou capitane, où devaient s'embarquer Mansfelt et
sa famille, les dames, l'amiral, le seigneur de la Thieuloye et quelques
gentilshommes; le navire vice-amiral, destiné aux membres de la
maison de la gouvernante; le troisième navire, qui emmenait le fils
de Mansfelt et tous les autres gentilshommes. Le quatrième vaisseau
(1) Bordel' à Granvelle, Middelbourg, 15 juillet 1565 (A. CASTAN, o. C.. loc. cit.,
pp. 48-49).

U7
emportait les vivres et une partie des bagages. Ces quatre bâtiments
seraient accompagnés de toute une flotte, plusieurs marchands
désirant profiter de la présence de ces navires armés pour faire avec
eux le voyage jusqu'en Portugal (1).
Le 23 juillet, le navire amiral et le navire vice-amiral, manœu-
vrant en vue du prochain départ, faillirent périr faute de pilote: le
bourgmestre dElnkhuizen ne s'était pas encore décidé à accepter de
guider les bâtiments. Tous les jours on s'attendait à pouvoir lever
l'ancre, mais le mauvais temps retenait la flotte au port. Finalement
on put gagner Flessingue et c'est là que, le 12 août, se fit l'embar-
quement de tout le monde: ambassade, gentilshommes, soldats, mari-
niers. Les quatre gros navires étaient accompagnés de trois e yaques »,
armées de pius de soixante pièces d'artillerie et toute la flotte com-
prenait bien un millier de personnes.
Elle prit le large le même jour, accompagnée d'une trentaine
d'autres navires. Au début, en passant près des côtes de l'Angle-
terre, il y eut une aJlerte : on vit apparaître douze gros vaisseaux qui
paraissaient être des navires de guerre anglais et qui semblèrent,
un instant, menaçants. Mais il ne se passa rien et la flotte put tran-
quillement continuer sa route vers Lisbonne. Le 30 août, on aperçut,
à l'embouchure du Tage, la forteresse de Cascaes et la ville de ce
nom, situées à six ou sept lieues de Lisbonne. Lorsqu'on passa devant
la forteresse de Belem, dans le Tage, celle-ci salua la flotte d'une
salve d'artillerie à laqueile les navires flamands répondirent. Puis,
ceux-ci jetèrent l'ancre en cet endroit (2).
Aussitôt, Mansfelt envoya le commissaire général Fabio Lembo
et Francesco Verdugo - le même qui plus tard fut un des meilleurs
collaborateurs de Farnèse comme gouverneur de la Frise - à Lis-
bonne pour avertir le roi Sébastien et le régent, le cardinal Henri de
Portugal, de l'arrivée de L'ambassade, Le souverain portugais répon-
dit par 1'envoi d'un groupe de,parents et de seigneurs qui abordèrent
le navire amiral et y firent les visites de courtoisie d'usage.
Le régent fit alors un appel aux plus riches marchands de Lis-
bonne pour qu'ils acceptassent de loger les membres de l'ambassade
flamande et publia un édit interdisant, sous peine de mort, de

(1) Lettre de Bor-dey, cité" ci-dessus.


(2) Discours du voyaige de la pI"ÎfTu:essede Portugal et de ceuiœ qui l'allèrent querre,
f565 par PIERRE BORDEY (A. CASTAN, o. c., loc. cit., pp. 52-56}.

118
molester les soldats accompagnant la flotte aussitôt qu'ils seraient
descendus à terre.
Le dimanche 2 septembre, l'ambassadeur du roi Sébastien, les
frères de ce dernier, Don Constantin et Don Fulgence, le duc de
Bragance, plusieu.rs gentilshommes portugais et le frère de la
fiancée, Don Duarte, étant montés à bord du navire amiral, celui-ci
leva l'ancre et toute la flotte se dirigea vers Lisbonne, au milieu des
salves d'arti'llerie tirées pal' les navires portugais et par d'autres,
ancrés dans le Tage. La flotte s'arrêta en vue du palais royal.
Des barques garnies de tapisseries et de draps de soie de
diverses couleurs tranportèrent rapidement à terre les Portugais et
l'ambassade flamande. Les gentilshommes envoyés par Marguerite de
Parme étaient tous habillés en marins, les uns en soie, les autres en
drap écarlate; les dames avaient revêtu les magnifiques toilettes qui
avaient déjà été employées en 1562 aux fêtes de Francfort, lorsqu'elles
assistèrent au couronnement de Maximilien comme roi des Romains.
Les seigneurs et les darnes de l 'arnbassade furent reçus en
audience au palais royal, un édifice assez mal bâti et indigne du site
magnifique où il se trouvait, et c'est là que l'on put apercevoir pour
la première fois la fiancée du prince de Parme, qui était accompagnée
de sa mère, l'infante Isabelle de Bragance.
Pendant son séjour à Lisbonne, l'ambassade assista à quatre
réceptions, organisées en son honneur en dehors du palais par Don
Duarte, frère de la fiancée, par Don Constantin, oncle maternel de la
princesse Marie, par l'ambassadeur du roi Sébastien et par Damien
de Goès, le même qui fut étudiant à Louvain et y fu.t mêlé aux évé-
nements qui accompagnèrent le siège de la ville par le condottiere
.Martin van Rossum.
Mansfelteut une surprise désagréable lorsqu'il connut le nombre
.de personnes et Ia quantité de bagages que la princesse Marie enten-
dait emmener avec elle : ce nombre dépassait de deux tiers celui que
Marguerite de Parme s '€tait imaginé. Il y avait plus de cent trente
personnes, qu'il fut très difficile de placer convenablement dans les
navires: l'ordonnance prévue dut en être complètement changée.
L'écuyer Bordey,cousin de Granvelle, qui accompagnait la flotte,
estima que, à part une douzaine de gentilshommes et trente-trois
dames, « toute la reste est canaiille » (1). Il signalait comme per-

(1) Discours du voyaige ... cité, lac. eit., p. 61.

119
sonnes vraiment dignes d'estime Don Manuel d'Almade, évêque
dAngra, Diego de Mendoza, premier majordome, et sa famille.
1il n'y eut ni joutes ni tournois pendant le séjour de l'ambassade
flamande à Lisbonne; par contre, comme l'affirme de façon amu--
sante Œ 'écuyer Bordey, il y eut « des tournois des mains crochues » :
plusieurs dames et seigneurs flamands furent victimes de vol; une
dame de la cour de Marguerite de Parme se vit enlever une bague
d'une valeur de 400 à 500 écus; l'écuyer Bordey fut délesté de
300 livres; un seigneur s'appelant Van der Ee perdit 130 écus,
En attendant que le vent fût propice, toute la compagnie s'em-
barqua dans les navires, qui bientôt quittèrent Lisbonne et allèrent
de nouveau jeter Pancre devant Belem. Là, la princesse Marie voulut
descendre à terre pour s'approcher de la Sainte Table et pour jeter
un dernier coup d 'œil sur le monument funéraire de son père, dans
le monastère hiéronymite qui gardait les tombeaux des rois et des
princes du Portugal. Ce furent des adieux pénibles, qui émurent tous
les assistants.
Pendant que la flotte était encore à l'ancre devant Belem, il se
passa un incident extraordinaire. Comme les vaisseaux envoyés par
Marguerite de Parme contenaient, en or, argent, pierres précieuses
et joyaux, pour une valeur de trois cent mille ducats, le Régent car-
dinal Henri fit observer à Mansfelt que ces richesses avaient été
embarquées sans licence et étaient, de ce fait, passibles de confisca-
tion. Il exigea que l'on pratiquât la visite des coffres, pour que le
roi de Portugal ne fût pas frustré de ses droits.
Après en avoir tenu conseil avec l'amiral, Mansfelt fit entendre que
si confiscation devait être faite, elle devrait se faire au profit de
Marguerite de Parme, puisque les statuts de la flotte, publiés à son
de trompe tant à Lisbonne, à l'arrivée, qu'à Middelbourg au départ,
avaient attribué à la duchesse les mêmes droits de visite que ceux
auxquels le roi Sébastien prétendait. Les Portugais n'insistèrent
point.
Le vent favorable tardait à venir et la flotte était menacée d'être
immobilisée pour quelque temps dans ces parages. Ne désirant nulle-
ment entretenir plus longtemps à leurs frais l'ambassade flamande,
les Portugais amenèrent quatre galères à Belem et, y attachant les
vaisseaux de Marguerite de Parme, les remorquèrent jusqu'au port
de Cascaes. Pendant la manœuvre, le navire vice-amiral, heurtant un.
autre vaisseau flamand, la Béguine, faillit couler ce dernier.

120
Mais au pott de Cascaes, point de vent non plus! De plus en
plus énervés, les Portugais firent monter à bord de la flotte leurs
pilotes de haute mer, qui réussirent à persuader les pilotes flamands
que, une fois arrivé à trente ou quarante lieues du rivage, on trou-
verait le vent favorable. Devant cette insistance, Mansfelt et le vice-
amiral de Wacken décidèrent de risquer le départ. On partit donc le
lundi 24 septembre au matin, en compagnie de huit navires mar-
ch~nds portugais et de trois vénitiens, qui se rendaient en Angleterre
et qui désiraient profiter de la protection de la flotte flamande pourvue
d'artillerie.
Un instant, des vents contraires faillirent pousser les navires
vers les côtes barbaresques, mais, après une navigation incertaine,
on finit par aborder au cap Saint-Vincent (1).

~
*" :~

Que se passait-il entretemps à Bruxelles ~


Alexandre Farnèse ne semblait pas trop se préoccuper des pré-
paratifs de ses noces. -S'il f.aut en croire Morillon et d'autres, il
affichait à ce sujet une singulière indifférence et même, au su de la gou-
vernante, il aurait exprimé l'espoir que la flotte et « tout ce qu'elle
contenait » coulât, au retour, au fond de la mer. Le propos est
cynique, mais il nous est confirmé de plusieurs côtés (2). Il ne peut,
toutefois) s'agir ici que d'une boutade.
Le prince de Parme s'amusait surtout aux jeux et aux exercices
de corps,son occupation préférée. Ayant retrouvé à Bruxelles le
capitaine Francesco di Marchi, Farnèse eut plaisir à reprendre avec
lui ses conversations au sujet des choses d'art militaire, à examiner
des dessins et des projets de fortifications, à s'instruire dans l'art de
l'artillerie. Il avait supplié l'ingénieur de lui donner un exemplaire
de son Traité d'Architecture civile et fYl!ilitaire, auquel di Marchi tra-
vaillait depuis longtemps (3).

(1) Nous avons suivi jusqu'ici le récit de Bordey, Discours du voyaige ..., cité. On peut
comparer, pour connaître comment se faisait un voyage maritime à cette époque, l'intéres-
sant document intitulé Vïaies de galeras para Flandes publié dans les Documentas inéditos ...,
t. LXXV, pp. 35 svv,
(2) « Le jeune homme, scienie matre, dict qu'il vouldroit que toul ce vad et reviendru
demeurast au fond de la mer », Morillon à Granvelle, 9 juillet 1565 (\VEISS, o. C., t. IX,
p. 386). Le même propos est rapporté à Granvelle par le secrétaire d'État Bave. (WEISS,
O. C., t. IX, p. 386, note 2).
(3) F. di Marchi à Pico, 17 juin 1565 (RONCH!:"!, o. C., pp. 22 sv.).

121
Si, au premier abord, le prince de Parme n'avait pas gagné la
sympathie des seigneurs flamands à cause de son aÎT hautain, la glace
fut vite brisée, semble-t-il. Nous constatons, en effet, que Farnèse
rencontrait féquemment la grande noblesse dans les fêtes qui se don-
naient à son intention. Ainsi, le 14 juin, il y avait eu une grande
chasse au cerf, où plus de trois cents cavaliers étaient présents.
Parmi eux se trouvaient Egmont, le prince d'Orange, le comte de
Hornes, le marquis de Berghes, Louis de Nassau, le comte de Boussu,
le duc dAerschot. On y remarqua surtout la comtesse d'Egmont, qui
n'était pas habituée à prendre part à ces excursions (1). Après avoir
couru le cerf pendant quatre heures, toute la compagnie s'en vint
dîner au palais de Bruxelles. Après le repas, des amusements s'orga-
nisèrent : sauts, courses à pied, où le prince de Parme étonna tout le
monde par sa force et son agilité. Il y avait notamment un obstacle
haut comme un cheval, que Farnèse sauta avec la plus grande
facilité (2).
Le prince était aussi fort expert au jeu de balle: tant à la
raquette qu'à la .balle au ven t,et il y battait facilement les seigneurs
qui voulaient se mesurer avec lui (3).
Le 25 juillet, malgré une température comme 011 n'en avait plus
constaté depuis cinquante ans, Marguerite de Parme voulut assister
à la sortie de la procession du ;Saint Sacrement de Miracle : elle y
parut avec le comte de Berlaymont et Alexandre l'accompagna. Il y
gagna en popularité auprès de la foule qui se pressait dans les rues
de. la ville, et qui admirait Ia vaillance des personnages princiers,
que la chaleur Itorrirde'n 'effrayait pas (4).
Marguerite de Parme ne négligeait rien pour donner aux fêtes
du mariage de son fils un caractère de magnificence maccoutumée.
Malgré les difficultés d'argent où elle se débattait,elle résolut
d'augmenter son personnel de cour. ,Elle avait pris deux nouveaux
majordomes, parmi lesquels le sire d'Aymeries, fils d'un chevalier
de la Toison d'Or, et le 26 juillet l'on vit venir, pour être dame
d'honneur, une charmante fillette de douze ans, qui n'était autre

(1) « Venne ancora la signora contcssa d''Agamonte : cosa straorclinaria. » F. di Marcti: à


Picco. lettre citée.
(2) F. di Marchi à Picco, lettre citée.
(3) F. di Marchi à Picco, 25 juin 1565 (RONCHIN!,O. C., p. 27).
(4) Armenteros à Gonzalo Perez, Bruxelles, 25 juillet 1565 (GAcHAnD, C01'res1Jondance
de Phitippe Il, t. r, p,366).

122
que la fille du 'prince d'Orange. EUe eut l'insigne honneur de pou- "
voir manger à la table de la gouvernante, ce qui n'avait jamais été
accordé à aucune dame de la cour (1).
Oet accroissement du personnel aulique provoqua des commen-
taires passionnés dans l'entourage de Marguerite de Parme. Le
secrétaire Bave s'empress.a de le signaler à Granvelle, en ajoutant
cette remarque aigre-douce : « Ce sera une chière dame, de nopces (2)
avant qu'eUe n'arrive à Bruxelles ». Il ne parvenait pas à s'expli-
quer pourquoiyau bout de six ans de gouvernement, Marguerite de
Parme augmentait son train de maison, il. moins qu'elle n'eût l'inten-
tion ,de rester à Bruxelles pendant plusieurs annéesencore (3).
Entretemps, .on n'avait guère de nouvelles précises de la flotte
envoyée au Portugal et l'on se perdait en conjectures sur la date
probable de l'arrivée de la fiancée (4).
Cependant, banquets et réceptions continuèrent. Vers la fin du
mois d'août, L'ambassadeur impérial en Angleterre, revenant de
ce pays, passa par Bruxelles et y resta deux jours. En son honneur,
Marguerite de Parme offrit un banquet où furent présents le prince
d'Orange, le comte dEgmont et le comte de Hornes. Farnèse y
assista et mit une coquetterie particulière à ne parler à l'ambassa-
deur qu'en espagnol, bien que le diplomate connût l'italien. Et à ce
propos, le capitaine Francesco di Marchi, qui observait le prince à
tout propos, constatait que Farnèse lui semblait « Espagnol pour la
vie », puisqu'il employait presque toujours la langue espagnole, au
détriment de l'italien (5). L'impression qu'avait eue l'écuyer Bordey
était donc exacte : le séjour de Madrid avait laissé chez le prince de
Parme de fortes traces. ,
Ce qui n'avait guère diminué aussi, c'était le goût du prince pour
les exercices corporels, les joutes, la chasse. Le capitaine di Marchi
avertissait les gens de l'entourage du duc Ottavio que, lorque Farnèse
serait retourné à Parme, après .son mariage, il faudrait lui organiser
spécialement les plaisirs que voici : le jeu de toutes sortes d'armes;
un endroit pour dresser des chevaux et pour faire des tournois; un

(1) F. di Marchi à Picco, Bruxelles, 26 juillet Hi65 (RONCHINI,O. c., p. 28); GACHARD,
Correspondance de lJfarguerite d'Autriche, t. I, pp. X-XL
(2) Marie de Portugal.
(3) WEISS~ o. c., t. IX, p. 460.
(4) Bave à Granvelle, 7 octobre 1565 (WEISS, o. c., t. IX, p. 579).
(5) F. di Marchi à Picco, 25 aout 1565 (RONCHIN!,O. c., p. 32); Francesco Luisini au
Cardinal Farnèse, même date (A. F. N., Carte tarnesiane, Fia.ndra, rascto 1629).

12.3
jeu de cannes et de balle; la chasse aux lévriers à la campagne (1).
Ce qui enthousiasma surtout le bon militaire, ce fut une passe
d'armes que le prince eut avec un maître d'escrime de Mantoue,
Giovanni Pietro, considéré comme un champion en cet art. Le jeu
de Farnèse était à la fois si impétueux, si habile, et si parfait du
point de vue de la technique, que le maître dut s'avouer vaincu et
félicita chaudement son adversaire (2). En vue de mieux s'entraîner
au jeu de ,balle à la raquette, Alexandre s'était attaché un jeune
Parisien de quatorze ans, très élancé et d'une agilité qui faisait
penser à celle du singe: avec ce partenaire de choix, il s'amusait
quotidiennement au jeu favori (3).

Au début du mois d'octobre, on apprit la prochaine arrivée


d'Ottavio Farnèse, qui avait quitté l'Italie pour venir assister aux
noces de son fils (4). En même temps, Marguerite de Parme fut
informée par le Roi qu'il avait-décidé de se faire représenter au
mariage par Don Guzman de Silva, ambassadeur d'Espagne en
Angleterre (5). Alexandre Farnèse, dès qu'il fut mis au courant de
l'approche de son père, se ,rendit à Louvain pour l 'y rencontrer et
pour dîner en sa compagnie (6). Le 8 octobre, le duc était ,à Bruxelles.
Dans les circonstanc-es joyeuses des noces de leur fils, les deux époux
se revirent avec plaisir et tendresse. Ottavio faisait à sa femme des
démonstrations daffeetion inaccoutumées, qui donnaient l'occasion à
quelques-uns de plaisanter sympathiquement (7). Le duc de Parme
avait emmené avec lui un groupe de seigneurs italiens, qui s'enten-
dirent de suite à mervei1leavec ceux des Pays-Bas. On s'amusait bien,
et le duc de Parme plaisait beaucoup au prince d'Orange et à ses
amis, parce qu'il était gai compagnon et bon joueur (8). Egmont et
lui se rencontraient souvent.

(1) Lettre à Picco, 14 septembre 1565 (RONCHIN!,o. c., p. 34).


(2) Lettre à Picco, 9 septembre 1565 (RONCHIl\'J,o. c., pp. 33-34).
(3) « Pare una sclmmia ; di Parigi: fa case grandi. » F. di Marchi à Picco, lettre du
è

14 septembre, citée:
(4) Avvisi d'Anvers, 7 octobre 1565 (KERVYNDE LETl'ENHOVE,Relations politiques des
Pays-Bas avec l'Angleterre ..., t. II, pp. 249, 254) ; Bave à Granvelle, 7 octobre 1565 ("WEISS,
o. C., t. IX, p. 579).
(5) GACHARD,Correspondance de 1Ilargue1'Ue d'Autriche, t, II, p. XXVII; LE MÊME, Cor-
respondance de Philippe II, t. I, p. 369.
(6) F. di Marchi à Picco, 7 octobre 1565 (RONCHIN!,o. C., p. 39).
(7) F. di Marcl1i à Picco, 29 octobre 1565 (RONCHIN!,o. c., pp. 42-43).
(8) Ibidem.

124.
Les Italiens, venus pour festoyer, étaient de bonne humeur' et
optimistes et cet émerveillement presque naïf à propos des prépa-
ratifs des noces nous est fort bien rendu dans les lettres que le
capitaine di Marchi ne cessait d'envoyer à ses amis à Parme.
Les Flamands ne voyaient pas la situation du même œil. Les infor-
mateurs ordinaires de Granvelle à Bruxelles, le prévôt Morillon et le
secrétaire Bave, tout en ne négligeant pas de détailler les projets de
fête, observaient la gouvernante et essayaient de lire dans son âme.
Par le Seigneur de Sweveghem, qui les renseignait sur ce qui se
passait au palais] ils apprirent vers la mi-octobre, quelque huit jours
après l'arrivée du duc Ottavio, que Marguerite de Parme pleurait
des heures entières. Pourquoi ces larmes? On supposait que le Roi
devait lui avoir écrit des lettres ou des nouvelles désagréables, ou bien
que le duc avait manifesté son mécontentement au sujet de « la folle
et outrageuse dépense » qu'elle faisait pour les noces d 'Alexandre .
Ces dépenses étaient un objet de plaisanterie pour les seigneurs
et pOUT1e peuple de Bruxelles (1). Était-ce peut-être une nouvelle
discussion entre les époux Farnèse à propos de la citadelle de Plai-
sance, qui avait provoqué cette tristesse de Marguerite ?
Elbertus Leoninus, l'influent professeur de Louvain, ami des
seigneurs, n'avait-il pas affirmé que « le prince d'Orange et Egmont
n'estimaient la gouvernante un fêtu, disant qu 'elle ne se souciait de
rien, même si tout le pays se perdait, pourvu qu'elle pût récupérer
Plaisance et faire ses besognes »? (2)
C'était peut-être tout ,à la fois: l'angoisse provoquée par la
situation du pays et le silence peu encourageant du Roi, la perspee-
tive des dépenses énormes occasionnées par le mariage d'Alexandre,
des discussions à ce sujet avec Ottavio, dont nous savons qu'il en
avait été effrayé.
En tous cas, la situation politique à elle seule aurait suffi pour
inquiéter la gouvernante et expliquer ses pleurs (3). Dès l'été de
1565, une grande disette de blé s'était produite aux Pays-Bas: le
froment valait trente gros le hotteau et les autres grains à l'avenant.
Cette cherté causa une grande misère pour les classes laborieuses.
Les magistrats, par crainte de famine, faisaient acheter toutes les
provisions de blé qu 'on pouvait trouver à Amsterdam, à Anvers et

(1) Morillon à Granvelle, 15 octobre 1565 (WEISS, o. c., t. IX, p. 601).


(2) ûorresponâaace de Granvelle, t. II, pp. 18-19.
(3) CAMPANA, Della çuerra ai Ftandra, fo 9 .

1'15
· -----------

dans d'autres villes, et aussi à l'étranger, jusqu'en Prusse et en


Suède.
Ce -qu'on redoutait surtout, c'était une révolte populaire, si le
pain venait à manquer (1).
De plus, à côté de ce malaise d'ordre économique avec ses graves
menaces, il y avait encore ceci: l'opinion publique était dans
l'attente au sujet des questions primordiales qui, pendant toute
l'année, avaient été débattues entre Bruxelles et Madrid. Philippe II
n'avait encore fait connaître sa décision ni sur la question religieuse,
ni SUT le remplacement de Viglius au Conseil, ni sur l'augmentation
des membres du Conseil d'État, ni sur la surbordination espérée des
autres Conseils collatéraux à ce Conseil (2).
Il Y avait encore, semble-t-il, d'autres soucis pour Marguerite
de Parme. Depuis quelque temps déjà, Oll répandait le bruit que la
duchesse serait bientôt remplacée dans le gouvernement des
Pays-Bas par Alexandre Farnèse ou par Marie de Portugal, ou par
les deux à la fois. M. de Chantenay, frère de Granvelle, n'y croyait
guère, et faisait observer que, si le Roi ne nommait pas à ce poste
son propre fils, Don Carlos, on prendrait plutôt Don Juan
d'Autriche (3). Le prince d'Orange, de son côté, prétendait avoir
des nouvelles annonçant la venue prochaine du Roi en personne (4).
Philippe II serait venu par l'Italie, en compagnie de son fils Don
Carlos. En route, ce dernier aurait quitté son père pour aller épouser
la fille aînée de l'Empereur. Philippe aurait poursuivi son voyage par
les Grisons et la Savoie 'et serait venu à Bruxelles, pour y redresser
la situation et installer Marie de Portugal comme gouvernante.
Pour nous, il ne fait point de doute que ces rumeurs étaient sans
consistance. Aucun document ne permet de croire que tel fut l'espoir
de Marguerite de Parme. Au contraire, en décembre, après le mariage
de Farnèse, Morillon signalait à Granvelle que la gouvernante et
son secrétaire Armenteros 'avaient été « fort fâchez » de ces bruits,

(1) Morillon à Granvelle, 21 et 25 mai 1565: « S'il y a faulte de bled, nous aurons
certainement une révolte ... » (vVEISS, O. e., t. IX, p. 218) - « Daer nefîens l1eeft in de somer
en win ter 65 noch mede gemengt die over grote dierte van koren aile het Nederland door,
daar over niet alleon grote benautheit, gebrek en armoede on der den gemenen man gevoIgt
is, maer ook hun sinnen en Immeuren meer dan te voren gequelt zijn, daer door meer ont-
stelt en verhert. » BOR, O. c., t. I, fo 30; Mémoires de pasquier de la Barre, t. I, p. 3.
(2) Correspondance âe Granvelle, t. I, p. LXXIV.
(3) GROENVAN PRINSTERER, Archives, t. l, p. 433, note à UD€ lettre du prince d'Orange
du 2 novembre 1565; Correspondance de Granve~~e, t. l, pp. 63 et 602.
(4) Ibidem.

126
qui étaient de nature à diminuer les libéralités que l'on attendait du
pays (1). Une réponse péremptoire à ces on-dit, c'est que la gou-
vernante était bien décidée à ne pas abandonner le pays, aussi long-
tempsqu 'elle n'avait obtenu la restitution de Plaisance et que,
dautre part, le Roi se servait précisément de Marguerite de Parme
pour tenir les Farnèse en suspens au sujet de cette restitution. Le
remplacement de sa sœur par Marie de Portugal ne lui aurait pas
permis de contituer ce jeu.
Mais voilà assez de préoccupations, en tous cas, pour expliquer
la crise de larmes dont Morillon signalait la véhémence à Granvelle.
Toutefois, la gouvernante avait à s 'occuper de la réception de
sa future belle-fille. On préparait la livrée des gentilshommes, qui
iraient à la rencontre de la princesse dès qu'elle serait arrivée sur le
territoire des Pays-Bas: ces gentilshommes seraient tous vêtus de
drap et de velours noir. On s'apprêtait aussi à aménager lesappar-
tements et les salles de réception au palais de Bruxelles, et notam-
ment la grande salle destinée à la joute et au 'banquet nuptial. Ou
imaginait les costumes ,et l 'ordonnance générale du tournoi qui avait
été annoncé, on répétait les évolutions envisagées. On se préparait à
lancer les invitations aux chevaliers de la Toison d'Or, à l'évêque de
Cambrai, aux principaux seigneurs et à leurs femmes (2).
Dans l'ignorance où la gouvernante se trouvait de la route que
suivrait la flotte venant du Portugal, elle avait établi des postes
el'attente un peu partout où la princesse Marie aurait pu éventuelle-
ment aborder : en Angleterre, à Calais, le long de la côte de Flandre;
en Zélande, elle avait envoyé deux éclaireurs qui, aussitôt les navires
signalés, viendraient rapidement en avertir la cour (3).
Nous avons conservé la lettre d'un de ces agents, qui fut envoyé
à Dunkerque et à Nieuport. Il signale qu'après avoir visité Dun-
kerque, il lui a paru que cet endroit ne convenait pas pour y loger
Marie de Portugal et les dames de la flotte, parce que la ville était
en partie détruite par le feu des Français dans la dernière guerre.
La princesse, en cas de besoin, pourrait s'installer chez le bailli,
avec une partie de sa suite. Si le prince de Parme avait L'intenfiou
de se rendre à Dunkerque, il pourrait être hébergé à La Clef, au
marché. Au cas où le prince d'Orange, Egmont et d'autres seigneurs
{il Lettre du 9 décembre i565 (Corresponâance de Granveïte, t. I, p. Hl.
(2) F. di Marchi à Picco, ';' octobre 1565 (RO;';CHl;';I, o. c., pp. !,O-H); Bave à Gran-
velle, même date (WEISS, o.. C, t. IX, p. 579).
(3) Lettre citée elp F. di Marclli.
se rendraient en la même ville, il trouveraient difficilement un gîte.
n y avait peu d'hôtelleries et tout espace disponible était loué
pour y sécher le hareng, car c'était la saison de la pêche (octobre).
L'envoyé avertit Marguerite de Parme que le bruit avait couru à
Dunkerque que la flotte amenant la princesse Marie avait passé en
vue de l'Angleterre et qu'elle se dirigait vers la Zélande. Pour con-
trôler ce bruit, l'envoyé et son compagnon, le secrétaire Vander Aa,
s'étaient rendus à Nieuport et à Ostende, et là ils avaient appris que
les navires que l'on croyait être ceux venus de Portugal étaient en
réalité des navires marchands, chargés de vin. De Douvres, on avait
cependant fait savoir que la flotte pouvait y arriver à tout moment (1).

Qu'étaient devenus, de fait, les navires du vice-amiral de


Waeken depuis qu'ils avaient abordé au Cap Saint-Vincent?
Le 7 octobre (2), un bon vent s'étant levé, la flotte leva l'ancre
et reprit son voyage. Le mercredi 17, il se déchaîna une effroyable
tempête, qui obligea le vice-amiral à caler toutes les voiles et à
s'abandonner « à la miséricorde de Dieu et des vagues » (3). Le
navire vice-amiral, qui depuis deux jours déjà faisait eau, faillit
sombrer : les pompes fonctionnèrent jour et nuit, mais l'on ne parvint
qu'à extraire une faible quantité d'eau de la cale. Les énormes
vagues assaillant la coque y provoquèrent encore de nouveaux
dommages. Si la tempête se fût encore continuée pendant un jour, le
vaisseau aurait coulé. Par un coup de canon, il signala sa détresse
et fut secouru. Des trois « yaques » qui accompagnaient la flotte,
une fut fracassée et rompue contre les flancs du navire amiral.
Aux cris que poussaient les malheureux qui occupaient l'épave,
la princesse Marie de Portugal sortit de ses appartements et pria
Mansfelt et le vice-amiral de sauver les naufragés, qui étaient sur le
point de 'périr sous leurs yeux. Mansfelt et les pilotes s 'y opposèrent,
sous prétexte qu'en essayant de prendre ces hommes à bord, on risquait
de perdre le vaisseau 'amiral lui-même. Marie de Portugal leur dit
alors : « Voyez ce que mon esprit me présage. Si nous nous efforçons

(1) A F. N., Carte tœmesiane, Fi:andra, fascio 1630.


(2) Nous suivons le récit de Bor dey, Dtscoursdu voyaige ..., cité plus haut.
(3) Averti de la tempête, Philippe II avait envoyé des équipes de secours en Galice
Pt en Andalousie pour le cas où un naufrage aurait repoussé les vaisseaux sur la côte
espagnole. (THEISSEN, Correspondance fra:nçaise de Marguerite d'Autriche, t. I, p. 105.)

128
de sauver ces malheureux, j'espère que cette action sera si agréable
à Dieu qu'elle obligera sa bonté rà nous accorder le salut de toute la
flotte. » Le vice-amiral de Waeken n'osa pas résister à cette prière et
manœuvra de façon à recueillir les naufragés, au moment où la
« yaque » s'abîmait dans les flots : deux seulement de ses occupants
furent noyés (1).
La tempête s ';paisa bientôt et les vaisseaux dispersés purent se
regrouper, pour naviguer dans la direction de l'Angleterre. Le
24 octobre, ils entrèrent dans la Manche et le 26 ils jetèrent l'ancre
à Tor-Bay, au sud des Iles britanniques. Il était temps, car le vais-
seau amiral avait besoin de ravitaillement. Le 28, on reprit la mer,
pour aborder le même jour à Douvres. On y apprit que Don Diego de
Guzman, ambassadeur d'Espagne à Londres, venait de partir pour
Bruxelles, pour y représenter le Roi aux noces du prince de Parme.
On séjourna à Douvres le jour de la Toussaint. Le comte de
Mansfelt fit comprendre à Marie de Portugal qu'elle devait
profiter de l'occasion pour envoyer un gentilhomme présenter ses
hommages à la reine Élisabeth, puisqu'on séjournait dans ses États.
La princesse ne voulut pas se rendre à ce conseil. Elle répondit à
Mansfelt qu'elle ne voulait avoir aucun rapport avec les ennemis de
l'Église. On essaya alors de persuader à Marie qu'en pareille
occasion, on pouvait faire ces civilités et rendre ces devoirs, tout
extérieurs, sans offenser la conscience. Mais la princesse répliqua que
sa décision lui ·parais·sait plus sûre pour elle-même et plus exem-
plaire pour les autres: r(2).
Exemple typique de la foi ardente et agissante, qui caractérise
la fiancée de Farnèse. Il y a plus. Un incendie ·se déclara {3), au port
de Douvres, sur le vaisseau amiral, non loin de la poupe, où se trou-
vaient les appartements de Marie de Portugal. L.a princesse sortit
de sa chambre pour échapper au feu lorsque, s'arrêtant tout court,

(i) Bordey, .dans son Discours du voyaige ..., ne fait aucune allusion à cet incident,
qui nous est raconté par Cesare Oampana (Della querra cli Fiandra, fo 9 ) et par Strada
(Guerre des Pays-Bas, 1. ï, pp. 248-249). Campana ayant connu Marguerite de Parme à
Aquila, et Strada étant bien informé de l'histoire de famille des Farnèse, nous ne voyons
aucune raison pour conclure du silence de Bordey que l'incident n'eut pas lieu. Au milieu
de la tempête, Bordey pouvait ignorer ce qui se passait sur le navire amiral.
(2) STRADA, o. 1:., t. r, p. 250.
(3) Cet incident est raconté aussi par Strada (o. c., t. I, p. 251) et par Cesare Cam-
pana (o. C., 1. l, fo 9'0-9vo). Bordey parle d'un incendie, vite étouffé, qui se produisit
lors du séjour au Cap Saint-Vincent. Mais il ne peut y avoir confusion ici avec l'incendie
lIe Douvres, car, à Saint-Vincent, le f.eu ne se déclara point sur le navire amiral, mais
.sur le navire où se trouvait Bordey,

129
elle se rappela un precieux reliquaire auquel elle tenait beaucoup.
Sans se soucier du danger,elle retourna d'où elle était venue pour
chercher cet objet pieux. Elle retira la relique de sa cassette à bijoux
et abandonna aux flammes les nombreux joyaux de prix qui s 'y trou-
vaient. Au moment où elle revint, un gentilhomme se précipita pour
l'engager à fuir pendant qu'il était temps encore. Comme il prit
respectueusement le bras de la princesse, celle-ci lui lança un regard
foudroyant: « Je vous prie, dit-elle, de retirer votre main », comme
si elle eût redouté cet attouchement plus que le feu lui-même.
A l'approche de la nuit, après avoir embarqué des pilotes pour
éviter les bancs de sable, on mit à la voile et le soir du 2 novembre
la flotte arriva au port dArmuyden, près de Midde1bourg.
La princesse Marie de Portugal débarqua de suite et arriva,
passé dix heures du soir, à Middelbourg. Elle y resta jusqu'au
8 novembre. Ce jour se présenta, 'pour la saluer, le comte de San
Secondo, gentilhomme italien de la suite du duc Ottavio Farnèse.
Puis apparurent le baron de Montigny et le comte de Hornes (1).
Le jeudi 8, de bon matin, tous s'embarquèrent pour le Sas de Gand,
où l'on arriva à 11 heures. Là attendaient, sur les berges du canal,
le comte d'Egmont (2), et plusieurs seigneurs, dont Philippe de Saint-
Aldegonde, sire de Noircarmes, Maximilien de Melun, vicomte de
Gand, et Louis de la Trouillère, gentilhomme de bouche du Roi
d'Espagne.
Un peu plus loin, à l'écart, se trouvait un autre groupe de trois
seigneurs, tous trois richement habillés de même, en habits incarnat,
blanc et gris. C'étaient Alexandre Farnèse, le prince d'Orange et le
marquis de Berghes.
Le prince de Parme et ses deux compagnons se cachèrent derrière
le groupe nombreux de gentilshommes qui les avaient suivis, pour ne
pas être vus : le fiancé désirait voir débarquer la princesse, sans
qu'on pût l'apercevoir lui-même. Il fut frustré dans son espoir, car,
à cause de la marée haute, le vaisseau amenant Marie de Portugal
dut attendre encore une heure avant de pouvoir aborder.
Alexandre Farnèse se posta alors derrière les fenêtres d'une
maison proche et de là il vit passer celle à laquelle il allait s'unir
pour toujours. Il Ia vit descendre du navire, richement habillée d'une'
robe à l'espagnole, toute de drap d'or incarnat.

(1) Le comte de Hornes y alla en sa qualité d'amiral de la mer.


(2) Egmont présidait la réception en sa qualité de gouverneur de Flandt'e.

130
Marie de Portugal s'étant rendue dans une maison destinée à
la recevoir, avec toute sa suite, Farnèse y entra bientôt à son tour
avec tous Tes gentilshommes qui l 'avaient accompagné. Il pénétra
dans la chambre le dernier.
Marie de Portugal, debout près du coin de la cheminée, aussitôt
qu'elle aperçut le prince, avança de quelques pas dans sa direction
et lui fit une révérence. Alexandre se hâta à sa rencontre, tachant
de lui baiser les mains. Puis, il lui souhaita brièvement la bienvenue.
Pendant qu'il parlait, la princesse le fixait du regard, avec beaucoup
el'assurance et de naturel (1).
Que se passa-t-il dans l'âme d'Alexandre lorsqu'il vit pour la
première fois Marie de Portugal'
Nous n'avons à ce sujet aucun témoignage direct. Mais il semble
bien que IB capitaine Francesco di Marchi fut l'écho des impressions
du prince lui-même, lorsqu'il écrivit, quelques jours après, à ses
amis de Parme: « EUe est beaucoup mieux que nous n'avions
espéré,en fait de beauté et d'apparence dâge. Elle est belle,
elle montre un bon aspect; on lui donnerait vingt-trois ans, pas
plus. » {2)
Cette lettre prouve que dans l'entourage du prince de Parme,
on n'avait pas attendu avec enthousiasme l'arrivée de la princesse:
on redoutait de voir apparaître une femme peu agréable de figure et
dont l'âge supérieur à celui de Farnèse aurait été trop marqué. On
fut soulagé et heureux de constater que cette crainte ne se réalisait
pas (3).
Après avoir reçu les hommages des dames et des Portugais,
Alexandre Farnèse parla une seconde fois à la princesse, puis il prit
congé d'elle pour aller dîner dans une autre maison avec tous les
seigneurs.
Il partit ensuite pour Bruxelles, laissant au comte d'Egmont le
soin de conduire Marie de Portugal à Gand (4). Sur les bâteaux
richement tapissés qu'avait envoyés au Sas le magistrat gantois, la
princesse et sa suite 8'embarquèrent et arrivèrent bientôt ià la grande
cité flamande. Poursuivant le lendemain 80n voyage par 'I'errnonde,

(il Nous avons suivi jusqu'ici 110' récit de Borde)', dans son Discours du 'Voyœ!.ge.,.,
loc. cit.
(2) Lettre du fi novembre i565 (RONCHlNI, o. c., pp. 45-46).
(:J) Cfr FEA, o. c., p. 17, note 1.
(4) Baye à Granvelle, 4 décembre 1565 (CO'f1'esponda.llce de Gron oelie, t, I, pp. 32-33).

131
où elle s'arrêta, la fiancée du prince de Parme et toute sa suite par-
vinrent à Bruxelles dans la soirée du 11 novembre (1).

* *
La réception de la princesse se fit à une demie lieue de la ville (2),
à la maison de l'amman, hors la porte de Flandre. Le duc de Parme
et les principaux seigneurs, membres de la Toison d'Or, se rendirent
en cet endroit, où l'on avait envoyé un riche carosse,entièrement
doré, couvert au dehors de toile d'or et à l'intérieur de toile d'argent,
trainé par quatre juments richement caparaçonnés. Ce caresse était
accompagné d'autres, - destinés à la suite de Marie de Portugal et
aux dames de la cour, - ornés de velours noir -etor, de cramoisi et or,
et garnis de plumes d'une valeur de cent écus. Le caresse destiné à
la princesse était estimé à trois mille écus au moins. La fiancée, qui
était arrivée de Termonde en litière, descendit de celle-ci à la maison
de l'amman -et monta dans le caresse qui l'attendait. Puis le cortège
se.mit en marche, précédé de douze trompettes et de douze timbaliers,
de fifres et d'autres musiciens encore.
Aux portes de la ville, l'amman de Bruxelles, Jean de Locken-
ghien, sire de Koekelberg, et le magistrat reçurent Marie de Por-
tugal avec les salutations d'usage. Il était alors vers sept heures du
soir. Partout, sur le parcours, se tenaient des bourgeois, portant des
torches allumées, ,et la Grand 'Place était illuminée par toutes sortes
de feux et des tonnelets de poix enflammée. Une foule considérable
s'écrasait sur tout le parcours. Heureuse et souriante, la princesse
passa. On fut frappé de sa vivacité et de la mobilité extraordinaire
de son regard. Elle fit bonne impression.
Arrivée au palais, la fiancée fut conduite dans la grande salle,
où s'avancèrent à sa rencontre Marguerite de Parme, Alexandre
Farnèse et une compagnie brillante de seigneurs et de dames. La
princesse s'inclina devant la gouvernante, qui l'embrassa, puis elle fit
la grande révérence à Alexandre Farnèse. S'approchèrent alors la

(1) BORDEY,Discours du voyœl(Je..., loc. cit., p. 74; Lettre de Marguerite de Parme


au Roi, 27 novembre 1565 (Correspondance de Phmppe II, t. I, p. 384).
(2) Pour le récit des cérémonies nous suivons, en les comparant et les combinant,
celui de Bave iCorreeponaance du carŒina~ de GranveUe, t. I, pp. 32-34); celui du
capitaine Francesco di Marchl (RONCHINI, o. c., pp, 44-46), et celui de l'écuyer Bordey
(Discours sur te voyaige ..., loc. cit., p. 74 sv.); celui de l'ambassadeur Don Guzman de
Silva (Documentos inéditos, t. LXXXIX, p. 236) et les Mémoires âe Pasquier de la Barre,
t. II, pp. 16-18. Nous n'avons pu nous procurer la Narrosume parfiieo/JaT'e del. capitan
Promcesco de' March~ da Bototma delle (Jran 'este e trionfi ,atti in Partogallo e in Fiandra
neuo sposalizia deU' Il~mo et Ecemo sigr/Ore il sig. Alessandro Pornese. Bologne, 1566.

132
princesse d'Orange -la luthérienne Anne de Saxe - et la comtesse
d'Egmont avec ses deux fllles,qui à leur tour embrassèrent la fiancée.
Le cortège se rendit ensuite à la chapelle du palais, où attendait;
revêtu de ses ornements pontificaux, Maximilien de Berghes, arche-
vêque de Cambrai. Celui-ci procéda incontinent à l'union des deux
:fiancés, qui s'épousèrent en présence d 'Ottavio Farnèse et de Mar-
guerite de Parme.
Aussitôt la cérémonie du mariage terminée, tout le monde se
rendit au banquet, préparé dans la grande galerie du palais.
Vingt-huit personnes y prirent place à table (1). A la tête, sous
un baldaquin, la princesse Marie, entourée du prince Alexandre et
de la princesse d'Orange ;en face d'elle, également sous un baldaquin,
Marguerite de Parme, ayant ses côtés Don Guzman de Silva,
à

ambassadeur d'Espagne à Londres, et la comtesse d'Egmont.


L'ambassadeur de Silva représentait le Roi aux cérémonies.
Après avoir quitté Londres le 27 octobre, il avait passé par Anvers,
où, par ordre de Philippe II, il avait acheté un joyau qu'il devait
remettre à la fianeé« au nom du souverain (2).
Autour de la table s'étaient groupés la comtesse c1eMansfelt, le
duc de Parme, l'archevêque de Cambrai, le prince d'Oran~e, le comte
d'Egmont, le comte de Meghem, le comte de Hoogstraeten, le marquis
de Berghes, le sire de Havré, la comtesse de, San ,Secondo, deux sœurs
du prince d'Orange} trois :filles du comte d'Egmont, la :filledu comte
de Mansfelt et la:fille du prince d'Orange (3).
'La présence de l'archevêque de Cambrai àce banquet ne pouvait
manquer de rappeler à quelques-uns des seigneurs présents,et notam-
ment à Egmont et au comte de Hoogstraeten, un autre banquet où ce
prélat se trouva, fin janvier de la même année, à Cambrai.
Les seigneurs y avaient fait leurs adieux à Egmont, qui partait
pour l'Espagne, et s 'étaient engagés, sur leur foi de gentilshommes,
que si quelque malheur arrivait à leur ami, ils en tireraient vengeance
contre le cardinal de Granvelle et ses partisans. L'archevêque de
Cambrai s'étant permis à ce sujet une remarque déplaisante,
Brederode, qui était ivre, avait violemment interpellé le prélat et avait
fini par le menacer. Hoogstraeten avait saisi le bassin doré où les

(i) Dëciaratum des personnes qui ont menqë avee Son Alieze depuis le Xl/H' de
septembre 1564, fo 4") (A. F. N., C(J;1'tefa1'nesia,ne, Fiandra, rascïo 1706)1
(2) Guzman de Silva au Roi, Anvers, 5 novembre 1565 (Documents inéditos, t. LXXXIX,
p. 228).
(3) Déclaration des personnes qui ont mengé ..., loc. clt,

133
couviveas 'étaient lavé les mains avant le repas et l'avait lancé àIa
tête de l'archevêque. La bagarre s'était terminée par le départ du
prélat, auquel le lendemain Hoo.gstraeten, le comte de Culembourg et
Brederode étaient allés présenter leurs excuses (1).
Cette fois, pas n'est besoin de le dire, tout se passa avec décence.
Le banquet dura trois heures et l'on y servit des victuailles en
quantité si considérable que le sobre Italien qu'était le capitaine
Francesco di Marehi estimait qu' « elle aurait pu suffire pour nourrir
une armée. » (2)
Tout le monde n'avait d'yeux que pour la fiancée, qui était vêtue
de satin blanc brodé d'or, la taille serrée dans une ceinture d'or large
de quatre doigts et rehaussée d'un bijou resplendissant.
Après le dîner, ou discuta un instant la question de savoir si
l'on danserait. On venait d'apprendre en effet le décès du cardinal
Sant'Anglo, frère du duc de Parme. Mais Ottavio Farnèse décida
qu'il fallait passer outre et l'on dansa, le prince de Parme avec son
épouse, le comte d'Egmont avec la princesse d'Orange, le prince
d'Orange avec la comtesse d'Egmont. Puis chacun se retira dans
ses appartements. Ce soir-là, Alexandre Farnèse ne consomma point
le mariage. Marie de Portugal refusa de partager sa chambre
nuptiale, disant ne pouvoir le faire qu'après avoir entendu messe.
Ce qu'elle fit le lendemain matin. Le 12 novembre,après le dîner,
au moment où les invités dansaient, on trouva moyen de joindre
les époux en une chambre du palais, où ils restèrent trois heures et
où Alexandre usa de ses prérogatives de mari (3).
Toute cette semaine, l'on continua à « tenir salle », c'est-à-dire
à recevoir, réceptions qui se faisaient dans les appartements du
prince. Le dimanche 18 novembre, se fit le festin nuptial en la grande
salle du palais de Bruxelles, que l'on avait fait remettre à neuf pour
la circonstance. Cette salle magnifique, de 180 pieds de long et de
60 de large, était garnie de la riche tapisserie qui servait d'ordinaire
à la célébration du chapitre général de la Toison d'Or et qui repré-
(1) Marguerite de Parme au Roi, 29 février 1564. (THEIS'SEN, Correspondance française
cie Jlarguer~te d'Autrtctu; t. I, pp. 2-3.) Voir aussi MOTI'LEY, La réootution des Pays-Bas
au XVI" siècle, t. II, pp. 158--162-; RACHFA.HL,Wilhelm von Oranien, t. II pp. 480-481.
(2) Lettre du 11 novembre 1565 (RONCHINI,o. C., p. 45). La Déclaration des personnes
qui ont mengé avec son Alteze (loc. cit., fo 5'0) nous apprend que, en pareilles occasions,
on servait 40 plats 11 chaque service et 50 au dessert. Il est 11 peine besoin de dire que,
entre ces nombreux plats, les convives faisaient un choix.
(3) « Et n'atendit le Prince le soir, la faisant de fille femme l'après diner ». Border
dans Discours du voyatge ..., p. 75; Bave à Granvelle (Con'espondance du Ca:rlPinœl de
Granvelle, t. l, p. 33) .

.134
sentait J'histoire de Gédéon (1). La table des princes et des princi-
paux seigneurs groupait cinquante-cinq convives; Marguerite dê
Parme, A'lexandre et son épouse et l'ambassadeur du Roi d'Espagne
la présidaient. Une seconde table réunissait plus de cent trente per-
sonnes; à une troisième, se trouvaient assises nonante-quatre dames
et demoiselles. Trois somptueux buffets étaient dressés dans la salle:
chaque mets était cherché, selon la coutume de la cour bourguignonne,
et convoyé par trois maîtres d 'hôtel, accompagnés de six trompettes,
hahillés de satin cramoisi, et d'un héraut en dalmatique armoriée.
Après le dîner, le bal commença, cependant que les principaux
seigneurs allèrent s 'habiller pour le tournoi qui devait avoir lieu
dans la même salle, aussitôt qu'on l'aurait débarrassée des tables du
banquet.
L'on vit bientôt entrer deux groupes masqués et travestis. L'un,
guidé par le prince d'Orange, et dont Alexandre Farnèse faisait
partie, représentait un escadron de seize amazones; l'autre, guidé
par le comte d'Egmont, formait un groupe de seize sauvages; tous
étaient armés et les deux groupes se livrèrent à un simulacre de
combat . .suivit alors une scène de personnages masqués, mimée par
la femme du conseiller dAssonville, la sœur de celle-ci et la fille de
l'avocat fiscal Gillis, qui semble ne pas avoir plu à tout le monde,
car l'informateur ordinaire du cardinal de Granvelle remarqua à
ce propos : « Dieu sait comme on en a parlé! » (2)
Marguerite de Parme conduisit ensuite ses invités dans la galerie
haute du palais, où se trouvait dressé « le banquet de sucre » dont
la villff-d'Anvers avait fait présent et dont la valeur était estimée à
plus de 3.000 florins.
Ces tableaux en sucre représentaient toute la suite des fêtes
nuptiales: on y voyait une ville qui représentait Lisbonne, l'adieu
de la princesse à son pays, l'embarquement, la flotte, l'arrivée à
Middelbourg, l'accueil fait au Sas de Gand, la réception offerte par
les Gantois, le départ en litière, l'entrée du cortège à Bruxelles, le
palais et la cérémonie des épousailles.
Les invités s'extasièrent devant ce chef-d 'œuvre de confiserie.
Une note mélancolique fut jetée en ce moment par le comte
d'Egmont, qui affirma que, dans le tournoi qui venait de se terminer,
il avait fait ses dernières armes et, pour la dernière fois, « porté

(1) Mémoires de Pasquier de la Barre, lac. cit.


(2) Correspondance de Granvelle, t. I, p. 34.

135
dorures »; désormais, il allait vivre « comme un homme qui prend
de l'âge et qui est père d'une famille nombreuse. » (1)
Le4 décembre eut lieu la joute publique sur laGrand-Place de
Bruxelles. Le magistrat de la ville aurait bien voulu pouvoir remettre
cette fête, par peur du peuple que la cherté de la vie, provoquée pal'
la disette de blé, faisait murmurer (2). Le tournoi mettait en ligne
trente-deux chevaliers et le « mainteneur » en fut, encore une fois,
Pierre-Ernest. de Mansf'elt, aidé de son fils Charles et de Louis de
Nassau. On assista de nouveau à un déploiement de faste et l'on vit
s'entremêler des costumes couverts d'or et d'argent (3). Les juges
du tournoi, Ottavio Farnèse, Egmont et le duc d'Aerschot, estimèrent
que celui qui avait le mieux couru et rompu la lance était le seigneur
de Boussu: Alexandre Farnèse devait rencontrer ce seigneur
quelques années plus tard comme adversaire, au combat de
Rijmenam ...
Charles de Mansfelt remporta le prix des dames, le sire de
Beaumont et le marquis Lampugnano firent la plus belle entrée et
Louis de Nassau eut l'honneur « comme ayant le mieux fait à la
foule ». Un banquet fut ensuite servi à l 'Hôtel de ville], pendant
lequel on distribua les prix aux vainqueurs du tournoi (4).
Pendant ces fêtes, les observateurs accoutumés du cardinal de
Granvelle, Morillon et le secrétaire Bave, se préparaient à distiller
leur fiel ordinaire. Morillon remarqua que, à propos de ces festivités,
il y avait de la jalousie entre Egmont et le prince d 'Orange. Mar-
guerite de Parme appelait toujours la comtesse d'Egmont en premier
lieu, la faisait asseoir avant les autres et buvait à elle la première
aux banquets, alors qu'eHe laissait la princesse el'Orange longtemps
debout et sans chaise.
Morillon rapportait aussi que l'archevêque de 'Cambrai n'avait
d'abord pas été invité au banquet nuptial et qu'il en fut fort irrité,
Mais, avant qu'il ne sortît de la chapelle où il venait de bénir le
mariage d 'Alexandre Farnèse, on lui fit dire qu'il était prié de rester
au festin. Le prélats 'en allait raconter partout qu'il avait eu l'invi-
tation très tard, alors qu'il était venu de si loin et par si mauvais
temps (5).
(i) Bave à Granvelle. 4 décembre 1565 (C(.)rrespondance de Grantelle, t. I, p. M).
(2) Même lettre.
(3) F. di Marchi à Picco, le 9 décembre 1565 (RONCHIN!, o. C., p. 46).
{11) Même lettre die di Marchi ; Mémoires de Pasquier de III itorre, t. Il, PIJ. 1j - Hl;
Pordey, Discours du 'Voyaige ...• lac. cit .• pp. 85-87.
(5) Correspondance âe Granvelle, t. I, pp. 43-44.
136
Le même informateur avait remarqué l'attention particulière que
l'ambassadeur Guzmande Silva prêtait à l'attitude et aux paroles
des seigneurs flamands et il en concluait que le Roi devait l'avoir
chargé d'une mission d'information et de surveillance (1). En effet,
Philippe II lui avait recommandé de recueillir des renseignements
précis sur la situation aux Pays-Bas.
Le jour même du tournoi, le 4 décembre, le duc Ottavio quitta
Bruxelles pour regagner l 'Italie. Il avait appris la mort du Pape et
il voulait être de retour dans ses États pour parer à toutes les éven-
tualités {2). Il avait offert comme souvenir art comte Pierre-Ernest
de Mansfelt.ven reconnaissance de ce qu'il avait été chercher Marié
de Portugal et l'avait conduite aux Pays-Bas, un buffet d'une valeur
de 4.000 ducats.
Avant de partir, le duc avait encore eu avec Marguerite de
Parme une discussion au sujet de leurs affaires particulières. Ottavio
aurait voulu que, si Alexandre n'avait pas d'enfants de son mariage
avec la princesse Marie, Marguerite laissât à la maison Farnèse
ses biens patrimoniaux et ses bijoux, mais la gouvernante s'y était
refusée (3). Alexandre Farnèse avait accompagné son père jusque
Namur, où il lui fit ses adieux (4).

* ij.:

Ce fut là la fin des cérémonies nuptiales. Viglius écrivit à Gran-


velle, le lendemain, qu'il croyait que Marguerite de Parme en avait
maintenant « son saoûl » et qu'elle aurait bien voulu être quitte des
dépenses que continuait à lui infliger « la multitude des porte-
galons» (5).
Il est certain que tout le déploiement de luxe et les dépenses
folles qu 'avaitentrainées le mariage d 'Alexandre Farnèse avaient
indisposé la masse du peuple, qui se trouvait en ce moment menacé de
famine (6). On craignait fort, dans les milieux du gouvernement,
de ne pouvoir que difficilement le maintenir en paix. Déjà des signes
ayant-coureurs de révolte se manifestaient: à Malines notamment, on

':i) Ibidem, p. 45.


(2) Avvisi d'Anvers, 22 décembre 1565 (KEIWYN DE LETTENIIOVE, Relations politiques ...,
t. Il. p. 262).
(3) Guzman de Silva à Philippe II, Bruxelles, 7 janvier 1566 (GACHARD, Correspon-
dance de Philippe II, t. I, p. 385).
(IIi RONCHlNI, o. c., p. 47.
(5\ Viglius à Granvelle, 5 décembre 1565 tCorrespondance de Granvelle, t. I, p. 38).
(6) Bave à Granvelle, 4 décembre 1565 (Co1"i'espond.ance de Gl'anvelle, t. l, p. 27).

137
avait, pendant la nuit, marqué de sang la maison des marchands de
blé et de ceux qui passaient pour accapareurs (1).
Aussi, la situation de la gouvernante était-elle loin d'être
enviable. Après le départ du duc Ottavio, elle pleura et ne se montra
plus pendant deux jours (2). Elle pleura sans doute de se retrouver
seule, en face de responsabilités terribles et de dettes élevées. Ce
qu'elle avait héroïquement tenu secret pendant toute la durée des
fêtes nuptiales, c'est le fait qu'elle avait reçu des lettres du Roi,
depuis le 5 novembre (3), et que ces lettres étaient de nature à pro-
voquer une émotion très grave. Il s'agit, en effet, des fameuses
dépêches datées du Bois de Ségovie, par lesquelles Philippe II
refusait de faire droit aux revendications des seigneurs et contre-
disait les nouvelles qu 'Egmont avait rapportées d'Espagne.
Cependant les ordres du Roi ne souffraient pas de délai et, pour
leur donner plus de force encore, le souverain avait ajouté une lettre
particulière destinée à la gouvernante. Il priait celle-ci, aussi
instamment qu'il le pouvait, d'employer dans les points qui regar-
daient la religion toute sa sollicitude :ce serait le délivrer du plus
grand souci qu'il eût dans cette vie (4).
L'ambassadeur Guzman de Silva, qui savait que la réponse du
Roi était arrivée, s'abstint pour ce motif de se rendre au palais de
Bruxelles, pour ne pas donner de soupçons aux seigneurs flamands :
il passa son temps à faire des visites, en attendant que Marguerite
eût eu l'occasion et le courage de communiquer la réponse du Roi
au Conseil el'État (5).
Si l'émotion de la duchesse de Parme, en lisant les missives
royales, avait été grande, plus grande encore fut celle des seigneurs,
lorsqu'ils en prirent connaissance le 14 novembre, date à laquelle
Marguerite se résolut à ne pas garder plus longtemps le secret (6).

(i) Bave à Granvelle, loc. cit, à la note précédente. - « ... En l'yver 1565 la très
grande chierté et disgette des grains et bledz par tous les Païs-Bas en général, dont s'est
tellement en suivie grande perplexité, misère, pauvreté et famine entre le commun peuple,
mais les sens et humeurs d'iceux, auparavant que trop engarhoullez, se sont tant plus
rouroourrtez et enraigez. » ftfémOil'es de Jacques de Wesembeke, p. 123.
(2) F. di Marchi à Picco, fin décembre 1565 (RONCHINI, Q. c., p. 47).
(3, TH. JUSTE, Les Pays-Bas sous Philippe Il, t. Il, p. 9.
(!;) TH. JUSTE, O. c., loc. clt,
(5) Guzman de Silva à Philippe II, Bruxelles, 24 novembre 1565 (Documentas iné-
auos, t, LXXXIX, p, 236),
(6) TH. JUSTE, a. c., pp. 12-13; Lettre citée de Guzman de Silva; FRUIN, Het vaOl'-
spe; 'l:an den tachtigja/'igen oortoa (Historische opstellen), pp. 130 sv.

138
Bientôt la nouvelle fut connue dans le public et provoqua une agita-
tionconsidérable. C'est alors que des personnages appartenant à la
petite noblesse, et parmi lesquels se trouvaient, comme instigateurs,
Jean de Marnix, sire de Toulouse, Nicolas de Hames, héraut d'armes .
de la Toison d'Or, et le tournaisien Gilles le Clereq, conçurent l'idée
du « Compromis des nobles ».
Les fêtes du mariage d 'Alexandre Farnèse, qui avaient rassemblé
à Bruxelles toute la noblesse, avaient fourni facilement l'occasion
de discuter tous ces projets (1). C'est pendant une des soirées de
novembre, peut-être bien le dimanche 18, que se réunirent une ving-
taine de nobles dans l'hôtel de Culembourg, en présence du prédicant
calviniste François du J on, et prirent les premières décisions au
sujet de la réalisation de ce « Compromis » (2).
Les noces d'Alexandre Farnèse furent ainsi l'occasion propice
pour préparer les commencements de cette « belle tragédie » dont
parla le prince d'Orange. En sortant, le 30 novembre, du Conseil
d'État où l'on venait de décider que les ordres du Roi, étant pêremp-
toires, devaient être exécutés, Guillaume de Nassau dit à l'oreille
d'un de ses familiers: « Nous verrons bientôt le commencement
d'une belle tragédie! » (3).
.Étranges coïncidences des choses de ce monde! Celui dont les
noces avaient été l'occasion pour les conspirateurs de se voir et de
se concerter, allait plus tard, comme gouverneur général des Pays-
Bas, jouer le dernier acte dans cette même tragédie et la terminer
par la soumission des Pays-Bas méridionaux à Pobédience de
Philippe II.
(1) P.-J. BLOK, Lodewijk van Nassau, pp. 29-30.
(2) Sur la date de cette réunion à l'hôtel de Culembourg, pendant les noces d'Alexandre
Farnèse, voir: Mémoires de Jacques de Wesembeke, p. 153; Mémoilres de VigUus,
pp. 178-179; VANMETEREN, o. c., fo 40; RENONDE FRANCE,HIstoire des causes de ta dés -;
union, ch. VIII, 3, éd. citée, t. I, pp. 67-68. Tous ces textes placent la réunion pendant
les noces d'Alexandre Farnèse. Le jour a été indiqué de façons différentes dans les sou-
venirs du pasteur François du Jon et ce texte a été l'objet de discussions par CH. RAHLEN-
BECK, dans son édition des Mémoires de H'esembeke, p. 153, note; J. VAN VLOTEN,
Nederlands opstanâ tegen Spanje (1564-1567), t. I, pp. 12-14; FaulN, Het voorspel van
lien tachtigjarige1', oortoç, p. 142, note 2; RACHFAHL,Wilhelm van Oranieu, t. II, 1, p~ 49'
et notes. Le souvenir- le plus exact du prédicant du Jon semble être celui qui place la
réunion le soir même des noces du prince de Parme. Ce serait le 11 novembre. Mais la
réunion à l'hôtel de Culembourg ne put avoir lieu qu'après le 14, jour où la gouvernante
fit connaître le contenu de la réponse royale. Le 18 novembre eut lieu le bcmquet -nuptial.
Du Jou a pu confondre dans ses souvenirs le jour de la bénédiction nuptiale et le jour
du banquet de noces.C'est pourquoi nous inclinons à croire que la réunion eut lieu le
1~ novembre. Cependant P.-J. Blok (Willem de Eersie pi'ins van Oran je, t. I, p. 127).
suivant en ceci Rachfahl, place la réunion au 1er ou au 2 décembre.
(3) TH. JUSTE, 0, c., p. 15; P.-J. BLOK, Willem de Eerste, prins 'Van Oran je, t. I, p. 120.

139
De tous ces plans et de toute cette agitation, Alexandre Farnèse
ne semble pointavoireuconnaissan~e. Comment les seigneurs s'en
seraient-ils ouvert au :filsde la gouvernante, à celui qu'ils considé-
raient comme trop espagnol et trop imbu des idées et des conceptions
de Madrid t
Et cependant, il existe un passage mystérieux dans un rapport
que le eontador Alonso del Canto adressa à Philippe lIen avril 1566.
Signalant le prochain départ du marquis de Berghes et du baron
de Montigny pour l'Espagne, l 'agent secret écrit : « Plût à Dieu
qu'ils fussent partis plus tôt, car ils ont été les instigateurs de tout
ce qui est arrivé. Quelque jour, le Roi saura ce que M on,tigny conseilla
ml! prince de Parme, en faisant mille plaintes contre Sa lJ!Iajestél. » (1)

En supposant que l'espion dise vrai, quelle était cette suggestion


que Montigny fit au prince de Parme Aurait-il conseillé à Alexandre
ï

de se soustraire à la tutelle de Philippe II, de comploter peut-être


quelque ligue antiespagnole entre les divers princes d'Italie, dès
qu'il serait retourné à Parme ~ Il est impossible de le savoir, et il
nous paraît extraordinaire que l'un des seigneurs flamands se serait
risqué à confier au jeune Alexandre Farnèse des secrets d'ordre
politique, hostiles à la personne 'ou à la volonté du Roi.
Il reste ici un mystère qui ne sera probablement jamais éclairci.

(1) Correspondance de PhUippe Il, t. I, p. HL

HO
CHAPITRE VIII

ALEXANDRE FARNÈSE DEPUIS SON :l\fARIAGE


JUSQU'A LA BATAILLE DE LÉPANTE
(1566-1571)

Vers le milieu de janvier 1566, le duc Ottavio Farnèse était de


retour à Parme (1). Il Y reçut une lettre de son épouse, qui l'infor-
mait de la réception d'une obligation souscrite par les marchands
de Lisbonne et représentant le reste de la dot de Marie de Portugal,
s'Oit 50.000 ducats (2). Cet argent arrivait au bon moment, car, les
fêtes nuptiales terminées, les fournisseurs avaient envoyé leur note
et il fallait, d'autre part, prendre les dispositions nécessaires pour
le départ d'Alexandre Farnèse et de S'afemme,
On s'occupait déjà d'emballer tous les présents qui étaient
arrivés avec laflotte de Portugal, et les objets qui allaient constituer
l'ameublement du jeune ménage à Parme. On faisait 18 compte des
bêtes de somme, des chevaux et des chariots qui seraient nécessaires
pour le transport (3).
Ces préparatifs n'empêchaient pas le prince de continuer à
mener à Bruxelles agréable vie, à y organiser des tournois et des
mascarades, Il y eut encore un grand tournoi à la cour le
24 février (4), où les blessés furent relativement nombreux, à ce que
nous apprend le compte du chirurgien qui leur donna ses soins (5).

(1) F. di Marchi à Picco, 20 janvier 1566 (RONCH!N!,o. C., p, 50).


(2) Marguerite au duc, 27 janvier 1566; Hostilio Valenti à Picco, Bruxelles, 28 jan-
vier 1566 (A. F. N., Carte [arnesiame, Fiand'MJ, fascio 1630 et fascia 1629).
(3) Lettres de Don Pietro Sylvio, trésorier du prince de Parme, janvier et février 1566
(A. F. P., Carteggio farnesiana, Paesi Bassi, carteggio 1566-1577).
(4) A. F. N., Carte tamestœne, Fiandra, tasolo 1633 : Comptes de Zambonl, Gaspar
Zonnemans, Roelant Louschaut, Jan de Gruyter, Guillaume Jacquet, -Nicolas van Ghaete,
Gabriel Beemel, Jan de Laban, Adrien Rosseau, Nicolas de Montmorency, Josse Martin,
fournisseurs bruxellois.
(5) A. F. N., Carte farnesiçme, Fiandra, fascia 1633, compte du chirurgien Adrien
van den Spleghel,

141
Le même mois, Farnèse et sa mère organisèrent une mascarade,
où le prince de Parme et le prince d'Orange parurent costumés en
dames allemandes (1).
Ces représentations et ces fêtes coûtaient cher et Marguerite de
Parme tenait à presser le plus possible le départ de son fils. Le duc
Ottavio s'indignait à Parme de ce qu 'ileonsidérait comme des folies,
et ne manquait pas de faire connaître SQnsentiment à ce sujet (2).
Les commissaires de la flotte envoyée au Portugal venaient aussi de
remettre leurs comptes, qui s'élevaient à 38.380 écus, et à Bruxelles
on attendait avec anxiété l'arrivée du familier dOttavio, Paolo
Vitelli, porteur d'argent et de subsides (3). La princesse Marie
réclamait à son beau-père le quart de sa provision, afin de se mettre
en ordre pour le voyage et de pouvoir payer les Portugais qui
l'avaient suivie à Bruxelles et qui s'en retournaient chez eux (4).
Pour les préparatifs de départ du prince de Parme lui-même, il
fallait dépenser beaucoup. A Diest, on avaitacheté des chevaux bra-
bançons; à Bruxelles, des coffres bardés de fer « à la flamande »,
des sacs de toile et de cuir, des couvertures de voyage, des outils,
des ustensiles de cuisine, des meubles, des literies, des effets d'habil-
lement; à Anvers, on avait cherché des objets qu'il était difficile de
se procurer ailleurs (5).
Giraldo Giraldi, florentin, familier et commensal de Marguerite
de Parme à Bruxelles, s'occupait de la mise en ordre de la maison
de la pzincesse Marie de Portugal. La comtesse de San Seconde et
plusieurs dames italiennes, attachées jusque-là à la cour de la gou-
vernante, étaient désignées pour accompagner la jeune épouse en
Italie (6). De son côté, Alexandre s'appliquait à remanier quelque
peu sa maison princière. Celle-ci fut composée. comme suit : Pietro
Sylvie, trésorier; Bartolomeo Zamboni, préposé à la garde-robe;
Francesco Madalena, chef d'écurie; Gherardo, bouteiller; Nicolo
Costric, maître d'hôtel; Giovanni de Strada, camérier; Giovanni
Corso, palefrenier ; Benedetto Giandemaria, computiste; Stefano
(1) A. F. N., Carte [œrnesume, Fiandra, fascio 1633: Comptes de Baptiste Vare, de
Pierre Meulepas, d'Hubert de Munter, de Jan de Roover, fournisseurs bruxellois.
(2) Lettre de Don Pietro Sylvio, 24 mars 1566 (A. F. P., Carteggio [arnesiano, Paesi
Bassi, carteggio 1566-1577).
(3) Nuccio Sirigatti, contrôleurcle la maison de Marguerite cle Parme, au clue Ottavio,
1"1 mars 1566 (A. F. N., Carte [arnesume, Fiandra, rasclo 1629).
(4) Giraldo Giralcli au clue Ottavio, Bruxelles, 24 mars 1566 (A. F. N., Carte [arnesiane,
Fiandra, fasclo 1628).
(5) A. F. N., Carte [amesiane, Fiœndra, fascia 1633 : Conti di Fiandra.
(6) F. di Marchl à Picco, Bruxelles, H mars 1566 (RONCHIN!,o. c., p. 53).

142
Boccardo, pourvoyeur; Geronimo Calvo, préposé aux dépenses. ,
Alexandre amenait aussi avec lui Francesco Luisini, devenu son
secrétaire, Giacomo de Piozaseo, son ancien gouverneur, le chevalier
Montovano, Pietro Baldini et le flamand Pierre de Vos, son tail-
leur (1). S'ajoutait à 'Celaune domesticité. assez nombreuse. L'entre-
tien de tout ce personnel revenait en moyenne à 900 florins par
mois (2).
Marguerite de Parme, au fur et à mesure qu'approchait la date
du départ de son fils, se sentait le cœur serré (3), mais les affaires
politiques absorbaient tout son temps et elle trouvait à peine l'occa-
sion de' prendre ses repas. Le bouleversement qu'avait produit la
réponse du Roi aux seigneurs nécessitait la tenue do nombreux
conseils et la retenait jusque tard dans la nuit (4).
Le 27 mars, la princesse Marie sortit pour la première fois du
palais de Bruxelles et se rendit à la collégiale de Sainte-Gudule, en
caresse. Elle était accompagnée d'une nombreuse suite et fit chanter
à l'église une messe en musique, à laquelle elle assista dévotement.
Pendant que son épouse s'adonnait ainsi à ses sentiments de
piété, .le prince Alexandre continuait à se livrer à ses exercices
favoris, au jeu de paume, aux sports de toutes sortes, à des séances
d'escrime et de gymnastique (5).
Nes 'intéressait-il donc point aux graves problèmes qui se
posaient en ce moment en Flandre? Quelle impression avait fait sur
lui la présentation à sa mère du « Compromis des nobles »? Quelles
réflexions s'étaient 'échangées à ce propos entre lui et la gouver-
nante 1 Il nous est, malheureusement, impossible de le savoir.
.Sur les Italiens venus de Parme, ces événements ne faisaient pas
une impression bien profonde. Paolo Vitelli, le lieutenant du duc
Ottavio, qui était arrivé à la cour porteur des instructions du maître
au sujet des mesures à prendre pour le départ de Farnèse et de son
épouse, signale en passant, dans les lett.res qu'il envoie en Italie, les
événements politiques. Mais c'est pour en parler en ces termes :
« Cette nuit un scélérat a répandu des pasquinades rédigées en

(1) Liste dressée d'après la comptabilité de Farnèse dans A. F. N., Corte [arnesume,
Pianâra, fascia 1633 : Conti di Fumâra.
(2) Ibidem.
(3) « Già si comincia a vedere certi guardi che S. Altezza fa verso il figliuolo, come
a dire: « Presto andrà dove non la potrô godere con la vista, nè a parole. » F. di Marchl
à Picco, 25 mars 1566 (RONCHINI, o. c., p. 54).
(4) F. di Marchi à Picco, 1er avril 1566 (RONCHll\I, o. c., p. 50)).
(5) F. di Marchi à Picco, lettre du.1 or av l'il , citée.'
H3
---- .. _-_._~. --.~~~~-------

flamand pour soulever le peuple. Mais il en sera pour sa peine et


toute chose restera tranquille jusqu'à la réponse, que doit envoyer le
Roi. D'ailleurs, qu'ils se soulèvent autant qu'ils veulent; je ne m'en
inquiète guère. » (1)
Et dans une autre lettre, le condottiere italien écrit : « Je me
porte bien; les banquets 'ne me manquent point. Demain, le prince
d'Orange m'en offrira un : le soir, c'est le duc dAerschot qui me
régalera, et après-demain un autre encore. » (2)
;;,
'" *'

Au début du mois de mai, le départ de Marie de Portugal deve-


nait imminent. Elle était enceinte (3) et désirait voir Parme au plus
tôt. Alexandre Farnèse partirait une douzaine de jours après son
épouse. Pour la gouvernante, oe fut une rude épreuve : elle ne
fais-ait que soupirer à l'idée de voir s'en aller « son très doux eit
cher fils » (4).
Le 10 mai, la princesse se mit en route avec sa suite, convoyée
.par Paol-o Vitelli et les seigneurs italiens qui étaient venus avec lui
de Parme pour servir d'escorte (5). Le 31 mai, elle passa par
Augsbourg, où elle fut reçue par l'Empereur Maximilien II (6).
Enfin, Alexandre Farnèse quitta à son tour Bruxelles. Par
Thionville, Saint-Dié, Bâle, Zurich, le lac de Côme, Milan, Lodi,
Plaisance, Borgo San Donnino, il atteignit Parme le 13 juin (7). Il Y
arriva avant son épouse, qui, à cause de son état de santé, avait voyagé
avec des précautions multiples. Il put donc prendre sa place dans le
somptueux cortège, qui se rendit au-devant de Marie de Portugal
lorsque, le 24 juin, elle approcha de la ville ducale. Une troupe de
cavaliers richement vêtus, à la tête desquels chevauchait Alexandre,
et une compagnie de dames, transportées en carosses, et conduite par
(1) Lettre du 28 avril 1566 (A. F. P., Carteçqto [arnesumo, Paesi Bassi, carteggio
1566-1577) .
(2) Lettre du 5 mai 1566 (ibidem).
(3) F. di Marchl à Picco, 7 mai 1566 (RONCHINI, o. c., pp. 61-62).
(4) Même lettre.
(5) Lettre d'Alexandre Farnèse à Philippe II, le 16 mai 1566 (Cor1'espondance de
Philippe Il, t. r, p. 416).
(6) L'empereur Maximilien II à Albert V de Bavière, Augsbourg, 20 mai 1566 (V.
BIBL, me Korrespondens Maximilians JI., t. I, p. 566).
(7) Nous donnons cet itinéraire parce que c'est celui des serviteurs du prince, qui
partirent peu de jours après lui. (A. F. N., Carte [œmesume, Pumârœ, fascio 1633 : List(Jj
della spesa che io B. Zamboni ho tatto da Brusseües a Parma).
(8) RONCHINI, Cento tettere ..., p. 6&, note 1.

144
Vittoria Farnèse, duchesse d'Urbino, tante d'Alexandre, firent à la
princesse une réception triomphale (1), tandis qu'un poète, qui
s'appelait Petrus Bruxellanus, lui adressait les souhaits de toute la
population dans une pièce de circonstance:
Coniugium ... faustum ... precamur,
Atque sacer semper vos comitatur amor,
Vos comitetur am or, nam sic post tempera vitae
Scand etis rutili culmina clara poli (2).
Hélas! l'amour profond que lui souhaitait le poète, la pauvre
Marie de Portugal ne devait point le connaître dans sa nouvelle
patrie.
'"' *
Les époux s 'établirent 'au palais épiscopal de Parme et c'est là
que la princesse passa, dans une sorte de retraite monacale, s'occu-
pant d 'œuvres de piété et de bienfaisance, les onze années que Dieu
lui accorda encore sur cette terre.
Elle aimait Alexandre de tout son cœur, d'une affection profonde
et ardente, mais son mari ne répondait point à cet amour comma.
elle l'aurait désiré (3). Certes, Alexandre Farnèse se montrait bon
époux et il ne peut y avoir de doute que son attitude vis-à-vis de
Marie ne fût empreinte de la correction et de la déférence les plus
parfaites. Mais les signes extérieurs d'une grande affection semblent
avoir fait défaut. Alors que ses familiers disaient de lui, quand il
était encore jeune -homme, qu'il savait bien s 'y prendre ({pour faire
l'amour », une fois marié avec la princesse de Portugal, Farnèse
semble avoir gardé ses 'tendres s'es particulières pour des personnes
de son entourage ou des cercles de la cour farnêsienne. Réservé
vis-à-vis de sa femme, il se montrait galant cavalier à l'endroit des
dames de la société de Parme ou de Plaisance qui avaient attiré, son
regard connaisseur.
Marie de Portugal, sans s'en plaindre, souffrait de cette conduite
et sentait, malgré elle, la jalousie lui tenailler le cœur. Tout audébut
de son séjour à Parme, elle avait témoigné, au point que sou entou-
rage pouvait bien le remarquer, du mécontentement à propos des

(1) STRADA, O. c., t. l, pp. 253-254; A. DEL PRATO, Il testamento di Mm-w, di PO'I'togaUo,
loc. oit., PP. 166-167.
(2) Epithalamiwn ütustris«. dom. Alexandri Farnesii et iUustrissimae Domtnaellfal''Ïae
a Portuçallis (Bibliothèque Palatine de Parme, codex 313, HH, VIII, 20).
(3) Cft' Cr.. NASALI-RocCA, Nar'ÏCl (Ii Portoçaïlo, moçue di. Alessandro Earnese, dans
ln Strenn« pïacentma, 1891.

145
-----,- --"--,-------'~- --.,.--

absences nocturnes de son époux, lorsqu'il se rendait à quelque fête


avec le duc, son père. Elle connaissait Ottavio comme un galant qui,
vivant loin de son épouse, prenait des libertés qui ne restaient point
platoniques. Fine. et intelligente, Marie de Portugal évitait de laisser
trop paraître ses inquiétudes, mais elle ne pouvait s'empêcher quel-
quefois, dans un accès de jalousie, de passer la main dans la coiffure
magnifique des belles dames et demoiselles de Parme, qui lui dispu-
taient trop le cœur de son mari, pour y découvrir et faire remarquer
les cheveux postiches et faire rougir ses rivales en public.
D'autres fois, pour gagner Alexandre, elle lui demandait des
grâces et des faveurs en faisant allusion à l'enfant qu'elle portait
dans son sein et qui était le gage de leur union et l'espoir de la
maison des Farnèse (1). Eu agissant ainsi, elle faisait un sacrifiee à
sa pudeur pour gagner la tendresse de son époux, car elle défendait
à ses familiers de faire allusion à son état et se montra fort
scandalisée un jour que le cardinal de Gambara, dans une lettre,
avait demandé des nouvelles de « sa grossesse », au point qu'elle
ordonna au secrétaire Luisini de ne point répondre à ce passage (2).
D'autres fois encore, sortant de ses appartements particuliers,
elle. allait épier son époux qui donnait, le matin, audience dans la
grande salle du palais : si Pamoureuse qu'elle était trouvait plaisir
à couver des yeux son cher Alexandre, il est probable qu'elle voulait
voir aussi si les personnes de sexe féminin que le prince recevait ne
conversaient point avec lui d'une façon trop familière (3).
Il ne faudrait point conclure de ces faits que les époux étaient
désunis. Alexandre aimait sa femme,et lui montrait de l'affection,
mais le cœur de Marie de Portugal brûlait pour lui d'une flamme à
laquelle il ne savait pas correspondre. La différence d'âge, les senti-
ments de pudeur de Marie poussés très loin, l'esprit volage
d'Alexandre, hérité de son père et un peu aussi de ses ancêtres, nous
semblent suffisamment expliquer, mais non excuser, l'attitude du
prince de Parme.
Trois enfants vinrent d'ailleurs bénir l'union d'Alexandre et de
Marie: Marguerite, née le 7 novembre 1567; Ranuooio, né le
28 mars 1569, et Odoardo, qui vint au monde le 7 décembre 1573 (4).

(1) Lettre de Luisini au cardinal Farnèse, Parme, 9 juillet 1566 (RONCHINI, Francesco
Luisini, loc. cit., p. 216).
(2) Luisini au cardinal Farnèse, 23 juillet 1566 (RONCHINI, o. c., 10c. clt., pp. 216-217).
(3)' Luisini au cardinal Farnèse, 20 aoüt i566 (RONCHINl, o. c., loc. clt., p. 217).
(4) LI'ITA, Fami.glfe celebre italiane : Farnese, tavela XVI, Maria di Portoqoüo,

146
A propos de la naissance d 'Odoardo, Strada nous raconte une
anecdote que nous croyons parfaitement authentique, parce qù 'elle
cadre fort bien avec tout ce que nous savons de Marie de Portugal.
Après la naissance de Ranuccio, la princesse avait résolu de
demander à Dieu un autre fils « afin d'avoir plusieurs appuis pour
l'établissement de sa maison ». Elle alla donc faire ses prières dans
l'église de Notre-Dame della Scala. Pendant qu'elle priait, survint
Alexandre. Se tournant vers lui, Marie lui dit: « Mon seigneur
prince, je vous prie que nous demandions à Dieu ensemble que, par
l'amour qu'il porte àSa Mère, il daigne encore nous donner un fils. :.
Alexandre 'sieprêta à ce désir et joignit ses prières à celles de son
épouse (1).
***
Au palais de Parme, Marie était entourée de quelques dames
portugaises, qui l'avaient suivie lors de son départ de Lisbonne et
qui lui offraient la consolation de pouvoir parler de sa patrie et de
ses parents restés là-bas. Elles étaient une quinzaine, et parmi elles
la comtesse Cecilia de Castro, première demoiselle de compagnie,
Beatrice de Castello Branco et Maœia de 8alazar, toutes trois fort
aimées de la princesse, et deux esclaves, Isabella et Beatricina, aux-
quelles, en mourant, Marie de Portugal rendit la liberté (2). La
princesse avait amené aussi de Lisbonne son confesseur, le jésuite
Sebastiano Moraes, qui prit à Parme la direction du collège que les
Jésuites y possédaient, et qui laissa une brève description de la vie
de sa pénitente (3).
Comme nous l'avons vu, la maison de Marie de Portugal comptait
aussi un certain nombre de dames italiennes, à la tête desquelles se
trouvait la comtesse de San Secondo (4).
Toute adonnée à la piété, la princesse entra dans la « Compagnie
des Cinq Plaies », qui pratiquait la prière des quarante heures ci
la distribution d'aumônes aux pauvres. Elle collectionnait aussi les
reliques, qu'elle mettait au-dessus de ses joyaux les plus précieux,
(1) STRADA,O. C.• 1. I, p. 254.
(2) On peut se rendre compte de la composition de la maison de Marie de Portugal
par son testament, qui cite nommément tous les personnages (A. DEL PRATO, Il testamenio ...,
loc. cit., pp. 174 svv.). Sur la persistance' de l'esclavage en Italie, cfr E. RODOCANACHI,
Les esclaves en Italie du XIII' au XVI' siècle, dans la Reoue des questions his toriqu es,
t. CLVIII, 1906.
(3) Après la mort de Marie de Portugal, il retourna en son pays, où il fut consacré
évêque du Japon. Il mourut de la peste à Mozambique en août 1588.
(4) A. DEL PRATO, Il testamento ..., loc. cit., pp. 181, 185.

147
EUe fit aussi partie de la Confrérie des Saints Côme et Damien, qui
vénérait particulièrement une épine de la couronne du Sauveur.
Transportée de zèle apostolique, Marie se préoccupait de faire
baptiser des enfants non catholiques; elle s'intéressait surtout aux
juifs portugais. Elle fit, ainsi, un jour, administrer le baptême à
quatre enfants de cette race, le duc Ottavio et Alexandre Farnèse et
Camilla Gonzaga, comtesse de San Secondo, et elle-même, étant res-
pectivement parrains et marraines (1).
Mais la grande œuvre de sa vie, ce fut l 'érection, à Parme, de la
« Maison des jeunes filles préservées », à. laquelle, en mourant,elle
]~issa une généreuse dotation (2).

Comment, d'autre part, Alexandre Farnèse passait-il ses jours


à Parme?
Il avait L'habitude de se livrer le matin à. son exercice favori
el'équitation. Sa randonnée terminée, il 'l'entrait chez lui pour changer
de vêtements. Il se rendait ensuite à la messe. Après la messe, lorsque
Je ;duc, son père, était absent, il accordait des audiences publiques
'dans la .grande salle du palais. Mais le plus souvent Ottavio était là,
et alors le princ.e pouvait incontinents 'adonner à. ces exercices dont
il avait eu, depuis son enfance,un si impérieux besoin: le jeu de
halle, le jeu il, la corde, et, s'il restait du temps, l"escrime.
Il rentraiténsuite pour souhaiter le bonjour au duc Ottavio et
apprendre de lui quand il désirait déjeûner. Aprèa vavo ir présenté
à son père la serviette pour se laver les mains, il se retirait et s'en
allait rejoindre son épouse. Il s'entretenait avec elle quelque temps
après le repas, puis disparaissait de nouveau pour courir à d'autres
exercices : l'escrime, la raquette et la pelote, jusqu'à l 'heure de la
promenade à cheval en apparat et de la promenade à pied. Il rentrait
ensuite peur dili-el' d'assez bonne heure. Après le dîner, il se pro-
menait quelque temps en compagnie de la prineesse Marie, puis se
retirait dans ses appartements (3).
Qu'il fût à Parme ou qu'il fût à Plaisance, c'était là son ordre
du jour jusqu'à minuit. Mais de minuit à trois heures du matin, il
conversait avec des seigneurs et des cavalieri de tout genre (4).
(1) A.. DEL PRATO. O. C., loc. clt., pp. 168-169.
(2) LE M~ME,O. c., loc. oit., p. 197.
(3) Ce tableau détaillé de la journée de Farnèse nous est fourni par l'auteur du
Liber retatumum, fo 246vo-247ro.
(4) Ibidem.

148
C'était le moment où il aimait à parler et à discuter des choses de
guerre et .d'art militaire, auxquelles iJ s'intéressait de plus en plus
passionément. Farnèse était véritablement à l'affût desmilitaires et
des hommes de guerre qui passaient par Parme ou Plaisance, allait
les trouver, inventait mille façons de captiver leur attention et de les
obliger, afin de les retenir dans son palais et les faire parler de Jeur
métier ou raconter leurs aventures.
Aussi, chaque fois que Sforza Pallavicino, proveditor général des
Vénitiens, passait par les États du duc Ottavio, Alexandre l'acca-
parait et ne le lâchait qu'au bout de deux ou trois heures de con-
versation ininterrompue. Il agissait de même vis-là-vis du comte de
Santa Fiore et de ses frère-s, de, Vincenzo Vitelli, de Don Alvaro de
Sande, du marquis Ascanio della Cornia, et de tous autres condottieri
fameux ou capitaines réputés de ce temps. Pour les entendre, il aurait
omis de manger, de dormir et de penser à n'importe quel confort
de la vie (1).
Ces discussions lui fournirent une somme de l'enseignements et
une mesure d'expérience auxquels il dut plus tard la supériorité de
sa tactique et l'ingéniosité de ses plans comme capitaine général aux
Pays-Bas.
Alexandre avait aussi la passion des chevaux. Deux ou trois fois
par jour, il visitait ses écuries et se montrait d'une grande libéralité
envers les palefreniers, afin qu'ils soignassent bien ses bêtes, qu'il
aimait à voir propres et fringantes. Il se délectait à monter ses cour-
siers et il dressait seul, sans l'aide de quiconque, n'importe quel
cheval de guerre, aussi sauvage ou dangereux qu'il pût être.
Il avait aussi une passion Spéciale pour les chiens, mais surtout
pour les lévriers, qu'il comblait de caresses et auxquels' il îaisaât
donner un 'excellent pain, dont il avait trouvé lui-même la recette.
C'est qu'il était chasseur-né. Souvent, il partait ainsi fort loin dans
la campagne, à pied, avec ses lévriers, et il avait un plaisir particulier
à voir que ses gentilshommes et ses pages aimaient, comme lui, à
poursuivre le gibier. A ses pages, il faisait faire la route à pied, pour
s 'endurcir et se fortifier. Pour lui et pour la princesse Marie, il en
entretenait une vingtaine, auxquels il donnait des. professeurs de
mathématiques, de musique, d'armes, de saut, de lutte, de natation,
d'équitation, voulant en faire, à son image, des gentilshommes
parfaits.

(1) Dibe'J' relationum, fO 248ro.

H9
Les jeux où l'on devait s'asseoir, comme le jeu de cartes et le
jeu de dés, lui répugnaient. Il les considérait comme « jeux pour
fainéants », parce qu'ils n'engendraient aucune fatigue corporelle (1).
Alexandre Farnèse menait ainsi une vie à la fois très remplie
et très oisive, oisive en ce sens qu'il ne trouvait à s'occuper en aucune
entreprise politique ou militaire de quelque importance.
Le séjour tranquille de Parme ou de Plaisance devait lui faire
regretter la cour somptueuse de Madrid où la vie exubérante de la
cour de Bruxelles. Le Roi ne lui avait encore offert aucune charge
on mission et semblait l'oublier. En Italie, après les guerres de la
première moitié du siècle, la paix régnait, troublée à peine par les
discordes entre Corses et Génois. Le duc Ottavio se trouvait encore
dans la force de l'âge et ne songeait guère à déposer le pouvoir :
d'ailleurs, l'administration des États farnésiens n'exigeait point un
personnel considérable et le père d'Alexandre estimait qu'il suffisait
lui seul à tout (2). Lorsque le jeune prince était rentré à Parme après
son mariage, son père avait bien réuni tous ses fonctionnaires en une
assemblée solennelle et leur avait ordonné d'obéir désormais à son
fils comme à lui-même, mais Alexandre s'était bien rendu compte que
ce n'était là que vaine parade. « Très belles paroles, avait-il écrit à
sa mère, quant aux faits, je ne sais comment ils seront 1 » (3)

Il Y eut, sans doute, des périodes où le bouillant Alexandre devait


se sentir, dans le vieux palais épiscopal, ou dans les murs des petites
villes de Parme et de Plaisance, comme un lion enfermé en cage et
qu'il devait être pris d'un sauvage désir de s'en aller, quelque part,
très loin. C'est sans doute pendant ces périodes qu'il se livrait à cette
passion des escapades nocturnes, qui inquiétait si fort Marie de
Portugal. Mais ce n'était point pour aller courtiser quelque belle,
mais pour parcourir les rues, seul ou avec un compagnon mis dans
le secret et provoqueren combat singulier tous les gens e.rmés qu'il
rencontrait en chemin.
Du moins Strada nous l'affirme et, tout panégyriste qu'il est,

(1) Liber relatianum, C· 247'·.


(2) FEA. o. c.. p. 23.
(3) Lettre de Parme, 9 juillet 1566 (A. F. N., Carte tarnesiane, Fiand:ra, fascio i624).

150
Strada est très bien au courant de l 'histoire anecdotique et familiale
des Farnèse. De plus, le bon jésuite ne raconte pas l'épisode à la
gloire de son héros, puisqu'il estime que ces divertissements étaient
« des choses qui êtaient plus dignes d'un gladiateur que d'un
prince. » (1) Une nuit, Alexandre Farnèse, dans une de ces prome-
nades, rencontra le comte Adriano Torelli, connu comme brave et
intrépide. Il l'attaqua aussitôt et les deux adversaires croisaient le
fer depuis quelque temps déjà lorsque quelqu'un passa, porteur d'un
flambeau. Le comte, ayant reconnu son adversaire à la lueur de cette
lumière, jeta son épée par terre et demanda pardon d'avoir ainsi
risqué de blesser ou de tuer son seigneur, encore qu'il l'eût fait pour
se défendre (2).
Quelque romantique qu'elle soit, cette anecdote ne nous paraît
pas devoir être qualifiée de légendaire. L'auteur du Libe1' relatiorvum,
qui connut fort bien le prince de Parme dans sa jeunesse et qui fut
attaché à sa personne, nous dit à ce propos : « Il eut toujours une
âme sûre d'elle-même et sans aucune crainte, aussi bien lorsqu'il
était jeune que plus tard, se promenant dans Parme et Plaisance,
ses villes, depuis son enfance, de jour et de nuit, accompagné d'une
seule personne et souvent seul, sans penser au péril où il pouvait se
trouver du fait des spadassins et des coupe-cous qui pullulaient dans
les rues de ces deux cités. » (3)
Certes, il n'est pas dit dans ce passage que Farnèse provoquait
les passants, mais l'ensemble cadre assez bien avec le tableau que
nous peint -Btrada. Et puis, P. Fea a fait remarquer, non sans rai-
son, qu'il existe une lettre d 'Alexandre à sa mère, où le prince
répond à des reproches qui lui ont été faits à propos de sa façon
de se comporter à Parme. Sans doute, les reproches pouvaient porter
sur sa galanterie à propos des femmes et la peine qu'en ressentait
Marie de Portugal. Mais nous croyons qu'il devait plutôt être ques-
tion des escapades nocturnes, étant donné les termes dans lesquels
la réponse du prince est rédigée (4).
Ces divertissements de spadassin ne pouvaient être pour
Alexandre que des manifestations extrêmes d'un désir de gloire et
(1) STRADA, 0, C" t. II, p. 328,
(2) Ibidem, p. 329 ..
(3) Ms. cité. r- 249 ro.
(4) Voici le passage - la lettre d'Alexandre est du 2 août 1566 : « Cosi la certiüco
cne io non mancaro mai di haver Dio innanzl agli occhi in ogni mia attione et governarmt
in mono che ntssuuo COll giusta causa si possa lamentar di me 0 biasimare il mio vivere. »
{A., F, N" Carte tamesiane, Fiandra, fascio 1624), FEA, 0, C., l'a reproduit p. 24, note 2.

151
d'activité militaire. Ses VIsees allaient plus haut et plus loin: il
avait soif de pouvoir se rendre utile et ambitionnait quelque charge
de la part du Roi d'Espagne, où il aurait pu faire briller ses talents
et donner toute sa mesure.
Et dès le début de son séjour à Parme se manifeste l'impatience
de sa jeunesse.
* *
Déjà avant son départ de Bruxelles, le 16 mai, il avait écrit à
Philippe II pour lui offrir ses services et se mettre à sa disposi-
tion (1). Puis) une fois installé dans les États farnésiens, il songea à
aller de nouveau rejoindre sa mère pour l'aider à dompter la rébel-
lion qui venait d'éclater après les troubles iconoclastes de 1566. II
supplia Marguerite de I'autoriser à venir l'assister (2).
Mais voilà que Philippe II fit répandre le bruit qu'il allait
partir lui-même en Flandre, précédé d'une armée, pour y restaurer
l'ordre. L'on discute encore la question de savoir si le Roi eut.
vraiment L'intention de se rendre en ce moment aux Pays-Bas (3).
Nous croyons que l'annonce de ce voyage ne fut qu'une feinte pour
cacher le plus longtemps possible les motifs de l'envoi du duc
d'Albe (4) et il nous semble que l'ambassadeur français à Madrid,
le sr de Fourquevaux, vit juste en disant, à propos des bruits qui
circulaient au sujet de ce départ du Roi « qu'il estoit d'opinion que'
les grands princes qui dient ouvertement qu'ils fairont quelque-
chose concernant leur service, que c'est en intention 'de ne le faire-
point. » (5)
Le 26 juin 1567, Don Carlos, les archiducs Rodolphe et Ernest,
qui séjournaient en ce moment à Madrid, et aussi Don Juan
d'Autriche reçurent la notification formelle qu'ils avaient à accom-
pagner le Roi aux Pays-Bas (6). Il est impossible qu'Alexandre-
Farnèse n'en fût pas tenu au courant et il a dû souffrir de constater
que son oncle ne songeait pas à lui.
(I) Correspondance de Philippe 11, t. I, p. 416 .
. (2) Farnèse à sa mère, Parme, 2B aoüt 1566 (A. F. N., Carte [ornesian«, Fiand'ra y

fascia 1624).
(3) Voirà ce sujet L. SERRANO, Correspondencia dJplomati.ca entre Espana y la Santa'
Seae duranie el pontific(J)do de S. Pio V, t. II, introduotion. L'auteur analyse longuement
les avis des contemporains et les opinions des historiens modernes, sans toutefois se'
prononcer lui-même.
(4) 'CAMPANA, DelUL guerra di Fiandra, fO 22v"-23, et STRADA, o. C., t. II, p. 5i svv .•.
exposent fort bien les raisons qui devaient empêcher le Roi de se rendre aux Pays-Bas.
(5)-GACHARD. Don Carlos. t. 1. p. 264.
~6) STIRLING MAXWELL, Don John of Austria, t. I, p. 52.

152
Déjà auparavant, le bruit s'était répandu, en septembre 1566, que
les terçios d'infanterie espagnole de Naples et de Sicile étaient en
marche vers la Lombardie {1). Alexandre Farnèse en avait immédia-
tement été averti et s'était empressé déerire à sa mère que, puisqu'il
semblait que le Roi allait se rendre en Flandre, il désirait beaucoup
pouvoir se mettre à son service. Il avait prié Marguerite de l'avertir
dès que l 'opportunité de faire cette offre se présenterait {2). Au
fur et à mesure que le bruit du départ de Philippe II se précisait et
se confirmait, Alexandre augmentait son insistance auprès de la
gouvernante (3).
Bientôt l'on sut que c'était le duc d'Albe qui avait été désigné
pour conduire aux Pays-Bas l'armée considérable que Philippe II
avait fait rassembler. Il n'était pas question de remplacer Marguerite
de Parme. Le Roi nommait le duc d'Albe capitaine général des
troupes qui devaient rétablir l'ordre aux Pays-Bas, cependant que
Marguerite continuerait à soccuper des affaires politiques (4).
Dès que la gouvernante eut appris la venue du duc d'Albe, elle
s'en offusqua beaucoup. Déjà le 11 avril 1567, elle adressa au Roi
une lettre pour lui faire connaître qu'elle avait pris la résolution de
se retirer, pour mener une vie plus tranquille en Italie (5). D'autre
part, Ottavio et Alexandre Farnèse considéraient la nomination du
duc d'Albe, avec de si amples pouvoirs, comme le plus grand outrage
qui pût avoir été fait à la famille Farnèse et en conçurent une haine
contre lui qu'ils ne cherchèrent pas à dissimuler (6). Les Farnèse
semblent avoir cru un instant que Philippe II choisirait le duc Ottavio
pour commander l'armée qui se rendait aux Pays-Bas (7) : ce bruit
s'était en tout cas répandu de divers côtés, et lorsque la désignation
du duc d 'Albe fut connue, mais que celui-ci fut pris d'un accès de

(1) Mendibi! à Armenteros, Ségovie, 25 septembre 1566 (A.. F. N., Carte farnesiane,
Fü;mdra. rascio 1706).
(2) Farnèse à sa mère, Parme, 17 octobre 1566 (A. F, N., Carte [arnesiane, Fianllra
fascio 1624).
(3) Lettre du 8 novembre 1566 (ibidem).
(4) RACHFAHL, I1Iargaretha. von. rarma, pp. 243-247.
(5) Correspondanoe de Philippe Il, t. l, p. 532.
(6) Dépêche de M. de Fourquevaux, ambassadeur français à Madrid, à Charles IX,
Madrid, 23 septembre 1567 (DOUAIS, Dépëcties de Ill. de Fourquevaux, t. l, p. 267).
(7) L'auteur inconnu de l'Histoire des troubles des Pays-Bas, 1566-1581, affirme que
Marguerite était dans « l"attente que Sa Majesté, en respect des bons debvoirs et offices
qu'elle avoit faict a ce, commectrolt son mari le duc de Parme. » «A. G. R., CartuZatres et
manusorits, n- 808', fO 26).

153
goutte, on continuait à affirmer que c'était le duc de Parme qui le
remplacerait (1).
S'il en était ainsi, Alexandre Farnèse dut ronger son frein et
en vouloir secrètement à son père : sur le point de leurs ambitions,
les deux hommes n'avaient guère l'habitude de s'entendre.
Au mois de septembre, le duc Ottavio s'était rendu pour quelques
jours dans les domaines qu'il possédait dans les États de l'Eglise.
Il avait êté à Rome présenter ,ses hommages à Don Luis de Requesens,
ambassadeur espagnol à la Curie, et avait annoncé que son épouse,
offensée de ce que le Roi ne restituait pas encore le château de Plai-
sance, retournerait bientôt en Italie (2).
De fait, le 8 septembre 1567, Marguerite de Parme, dans une
lettre remplie de plaintes violentes, sollicita son congé de Phi-
lippe II (3). Cette décision ne fut prise qu'après un échange de
correspondances entre elle, le cardinal Farnèse, le duc Ottavio et
Alexandre {4). Le duc de Parme et son fils ne purent qu'approuver le
départ de la gouvernante; ils estimèrent qu'il y allait de son honneur
et de celui de la famille Farnèse (5).
Aussitôt la décision de sa mère connue, Alexandre offrit d'aller
la chercher aux Pays-Bas (6), mais son pêre lui fit comprendre qu'il
se réservait de le faire lui-même: « Je veux aller en Flandre,
écrivit-dl à son fils, avec une compagnie pour la chercher; il faut
qu'un de nous deux reste ici. Laissez-moi aller, car {le soin me con-
vient plus qu'à vous. Préparez l'argent et cherchez des hommes pour
former la compagnie d'honneur; cela peut coûter de 8.000 à 10.000
écus. » (7)
Marguerite remercia son fils de l'offre qu'il lui avait faite et
supplia d'autre part le duc Ottavio de ne pas exécuter son projet. Il
lui suffisait qu'on vînt à sa rencontre aux frontières d'Italie (8).

(1) Morillon à Granvelle, Bruxelles, 17 novembre 1566 (Correspondance de Granvelle,


t. I~, p. 108); Responce au memoire qu'il a pleu au Roy envoyer '/lU S' de Fourquevaul.rc
(DOUAIS. O. c., 1. l, p. 139).
(2) Requesens au Roi, 13 septembre 1567 (SERRANO, o. c., t. II, p. 193).
(3) ICorrespondance de Philippe II, t. l, pp. 570-571.
(4) FEA, o. C., p. XXXI.
(5) Le duc de Parme à Alexandre Farnèse, Valentano, 2 septembre 1567 (A. F. N.,
Carte [œmesume, Euuuirœ, tasclo 1624,); Alexandre à sa mère, Parme, 13 septembre 1567
(ibidem).
(6) M. de Fourquevaux à Charles IX, Madrid, 23 septembre 1567 (DOUAIS, loc. eit.).
(7) Lettre du duc. Valentano, 2 septembre 1567, citée.
(8) Marguerite à son fils, Bruxelles, 23 septembre 1567 (A. F, N., Carte f<trnesiane,
Fiandra, fascio 1630),

15~
Au début d'octobre, Philippe II consentit à laisser la gouvernante
quitter les Pays-Bas (1). En remerciant le souverain de cette déci-
sion, la duchesse lui écrivit qu'elle se flattait de l'espoir que,
retournée chez elle,elle obtiendrait sans plus de retard la restitution
de la citadelle de Plaisance , sinon, le monde ne croirait jamais que
le Roi était réellement satisfait de ses services (2).
Cet espoir fut vain. Il se passerait de longues années encore
avant que le Roi ne cédât sur ce point (3).

Marguerite de Parme quitta Bruxelles le 30 décembre 1567.


Pierre-Ernest de Mansfelt l 'escortait à la tête de cinq cents cavaliers.
Après avoir été retenue une semaine à Luxembourg, la duchesse logea
à Saverne, traversa ensuite la Suisse et gagna le Milanais. Dans les
derniers jours de février 1568, elle arriva à Parme (4).
En ce moment où ils se trouvaient réunis après tant d'années de
séparation, le duc Ottavio et sa femme durent se répandre en récri-
minations amères en voyant que lesaorifice consenti par l'acceptation
de la mission de Marguerite aux Pays-Bas n'avait pas eu le résultat
espéré. Le point principal des revendications farnésiennes, la resti-
tution de la citadelle de Plaisance, n'était pas résolu et Philippe II
continuait par là à les tenir en son pouvoir. Mais pour Alexandre
Farnèse, la désillusion devait être plus grande encore. Le départ de
sa mère des Pays-Bas lui enlevait tout espoir de pourvoir offrir de
ce côté ses services pour quelque entreprise militaiœe et la présence
du duc d'Albe lui interdisait d'y songer un seul instant (5).
Ces sentiments de rancœur et d'impuissance, joints à l'ennui QU3
devait engendrer la constatation de sa oisiveté forcée, furent-ils
peut-être pour quelque chose dans la grave maladie qui terrassa le

(1) Lettre de Ruy Gomez de Silva à Marguerite, Madrid, 6 octobre 1567 (Correspon-
dance de PhilVppe Il, t. I, p. 505).
(2) Correspondance de Philippe Il, t. r,
p. 600.
(3) RACHFAHL, Margaretha von. Parma, pp. 266-267. Le 12 octobre, Morillon éorivait
à Granvelle: « Et ayt Madame aussi bien servi comme elle veult, si creys-je qu'elle est
loin de recouvrer arcem Placentinam, ce que ne serait seur. » (Correspondance de Gran-
velle, t. III, p. 48).
(4) MASSARE'ITE et PRINCE DE COLLOREDO MANNSFELD, La vie martiale et fastueuse
de Pierre-Ernest de Mannsfeld, t. I, pp. 180-181.
(5) « Quant à m'envoyer le duc d'Albe comme aide, on aurait bien pu choisir un
autre que lui, étant donné les différends qu'il a eus avec mon mari et mon fils. )}
Mémoire de Marguerite au comte de Feria, 12 juillet i567 (A. F. N., Carte tornesiane,
Fiandra, rascio i630).

155
prince de Parme dans les derniers mois de l'année 15687 Toujours
est-il qu 'Alexandre fut alité pendant de longues semaines et que sa
mère vint s'installer à Parme à son <chevet,pour le soigner et être
près de lui (1).
Depuis son départ des Pays-Bas, Marguerite de Parme, souffrant
de la goutte - un héritage de son père Charles-Quint - et épuisée
par les efforts qu'elle avait déployés en Flandre pour y restaurer
l'ordre, avait dû partir pour les Abruzzes sur les conseils de ses
médecins et s'était installée à Aquila, dont; le Roi lui avait confié le
gouvernement (2). EUe arriva en cette ville en novembre 1568 : elle
était à peine installée, que la maladie de son fils la rappela à Parme.
Dès qu'Alexandre fut guéri, il se remit à chercher anxieu-
sernent les occasions pour s'employer dans quelque entreprise mili-
taire. En 1570, il crut en avoir trouvé une lorsqu'éclata la révolte des
Mores en Espagne. Sans doute, il estimait celle-ci une aventure peu
digne de lui et la traitait de « guerre pour rire », mais il y serait allé
si la malchance n'avait voulu qu'elle cessa au moment où il se pré-
parait à partir (3).

* *
Une autre occasion allait s'offrir bientôt. On pouvait prévoir
une guenre entre les Turcs, et les Chrétiens dans les régions de la
Méditerranée, Les Ottomans, en juillet 1570, venaient de mettre le
siège devant Chypre et il était évident que la république de Venise
allait mobiliser toutes ses forces pour parer au danger,
Déjà avant que Piali Pasha avec sa flotte de plus de 300 navires
ne fût arrivé en vue de Chypre, Alexandre Farnèse avait annoncé à
sa mère son intention de prendre part à la guerre contre les Turcs.
En mai 1570; il lui avait fait connaître que de toutes parts il voyait
se fermer la voie pour employer sa personne au service du Roi
d'Espagne; que, la guerre de Grenade étant terminée et tout étant
tranquille dans les autres parties de la monarchie, il ne pouvait, sans
forfaire à son honneur, ne pas profiter de l'occasion qui s'offrait de

(i) Granvelle à Marguerite de Parme, 2 décembre 1568 (Correspondance de Granvelle,


t. III, p. 423); Granvelle à Michel Mariage, Rome, 18 décembre 1568 (Widem) .
. (2) REuMONT, Margherita d'Austria, loc. clt., pp. 47-48; G. SETTI, U soggiorno di
Marghertta d'Austria, âucliessa di earmo, ill, A qui la, dans les Atti e memorie della R.
Deputazume di storia patria per le provincie modenest e parmens'D, 3" sér., t. I, pp. 47 svv.
(3) Alexandre à sa mère, Parme, 19 mai: 1570 (A.F, N., Carte farnesmne, Fiandn'a,
fascio 1626). Sur la guerre contre les Mores révoltés en Espagne, voir STIRLINGMAXWELL,
Don John of Austri~ t, r, pp, 113-287.

156
PL, XX

DON JLX''i D'AU,rRICHE


(Ambraser' Portrülsammluug) Vicnn«
paa-ticiper à la guerre contre les Ottomans. Il annonçait son intention,
si Philippe II y était entraîné, de se mettre à son service sans en
solliciter aucune autorisation, mais il ajoutait que, si le Roi d'Espagne
ne participait pas au conflit, il était décidé à y aller lui-même en tout
cas. « Il me semble étrange, poursuivait-il, de me trouver à 1~âge
de 25 ans sans avoir encore rien vu. Or, ce m-étier des armes exige
qu'on commence au moins une fois par gagner de l'expérience, pour
mettre alors celle-ci au service de Sa Majesté, lorsqu'elle me com-
mandera quelque entreprise. » Profitant de l'envoi d'un courrier
qu'Ottavio expédiait à la cour de Madrid, il avait sollicité du Roi
Pautorisaticn de participer à la guerre qui allait s'ouvrir dans la
Méditerranée (1).
Au reçu de ces nouvelles, Marguerite de Parme s'inquiéta,
craignant que l'attitude désinvolte de son fils ne déplût au Roi.
Pourquoi n'avait-il pas d'abord consulté sa mère, comme il avait
eu l 'habitude de le faire?
La duchesse ne se trompait pas entièrement sur les intentions
du Roi; celui-ci, informé des démarches qu'Alexandre avait déjà
faites pour s'embarquer sur les galères de Venise, s'en montra
mécontent et refusa son consentement (2). Mais il u'enleva pas à
Alexandre tout espoir. S'il ne lui permettait pas de se.rvir sous une
bannière autre que celle du Roi d'Espagne et dans un grade qui
aurait -été inférieur à sa dignité, il lui laissait entendre qu'il exami-
nait la possibilité de prendre part lui-même à la guerre 'contre les
Turcs et, dans ce cas, il se souviendrait de son offre daserviee (3).
En effet, peu de temps après, sous l'impulsion ardente du pape
Pie V, une ligue secol1clut entre le Saint-Siège, les Vénitiens et
Philippe II (4).
Les commissaires du Roi, qui négociaient à Rome la modalité
dexécution de 1'accord, étaient unanimes à mettre en avant la pere
sonne de Don Juan d'Autriche pour commander la flotte des puis-
sances alliées. Pour le commandement des forces de terre ou de
débarquement en territoire ennemi, ils suggéraient de choisir entre

(1) FEA, O. C., p. 25.


(2) « Facendo preparamenti d'havere appresso capitani e cavalieri... e fece far pro-
vislone .d'armi e d'ogni sorte monitione di guerra et da vivere per portar seco in su l'armata
nele galere di Venitiani, che il Re catolico suo zlo non gli volse dar licentia, tanto che
questa spesa fu preparata indarno. » Liber relationum, t» 4gvo,
(3) Ibidem.
(4) Cfr. P. HERRE, Der [(ampf um die. Herreschatt im !t!ittelmeer, pp, 85-9'2.

157
le duc d'Urbino, le marquis de Pescara et le duc Ottavio Farnèse (1).
Cette circonstance dut être pour Alexandre Farnèse un aiguillon
puissant pour reprendre ses démarches. Quel plaisir ne serait-ce pas
pour lui de se .retrouver en compagnie de Don Juan dAutriche.!
D'autre part, la participation éventuelle de son père à l'entreprise
devait engager le prince de Parme 'à. exiger aussi sa participation
à lui.
S'il faut en croire ·Strada, Ottavio Farnèse n'était pas opposé
aux projets de son fils « espérant que son naturel impétueux se
modérerait parmi les dangers de la guerre. » (2) Il ne devait en tous
cas pas ignorer que déjà. en juin 1570, Alexandre songeait à réunir
la troupe de gentilshommes d'élite qu'il comptait emmener avec
lui (3). Sa condescendance devint encore plus grande lorsqu'il apprit,
par ses agents à Rome, qu'il était question de lui confier la direction
d'une part importante de l'entreprise (4).
Le prince de Parme fit, en septembre, une visite au pape Pie V à
Borne (5) et nous ne doutons pas un seul instant que cette démarche
auprès de l'inspirateur de la ligue contre les 'I'urcs n'ait été en
rapport avec ses projets de prendre part à la guerre qui commençait.
En octobre, et jusqu'en décembre 1570, il était encore toujours
question du duc Ottavio, comme commandant des forces de terre
de la Ligue (6).
Finalement, le Pape, auquel avait été laissée la décision quant au
choix du général en chef des armées de mer et de terre, désigna pour
la double mission Don Juan d'Autriche. Ottavio Farnèse fut donc
évincé et plus rien, semblait-il, ne s'opposait <à ce qu 'Alexandre prît
part à l'expédition. Cependant Philippe II, comme toujours, tempo-
risait. Aux demandes instantes de Marguerite de Parme qui, pour

(1) Les commissaires espagnols au Roi, Rome, 14 juil)et 1570 (SERRAKO, o. C., t. lU,
p. 454); 1\'1. de Fourquevaux à Charles IX, Madrid, 16 juin 1570 (DOUAIS, Dépêches die
J1I. de Pourqueuauuc ...• t. II. pp, 229-30).
(2) STI\.ADA. o. C •• t, II. p. 329.
(3) A. CAPPELLI, A~essand?'o Earnese eâ i piJ,1'migiani ana battaglia di Leptuüo, darrs
Atl1'ea Parma, t. II, 1913, p. 10.
(4) Ibidem, p. H.
(5) Marguerite de Parme au pape Pic V, Oivitaduoale, 27 septembre et 10 octobre :1.570
(Archives du Vatican, Leitere di P?"Ïrlc1p'i" XXX, fO' 258-260).
(6) « La conclusion de la ligue est arrestée el envoyée; mais on ne sçait encore si le
duc d'Urhin sera général pour la descente sur terre ou bien si ce sera le duc de Parme;
toutesfois CI' doibt cstreentre l'ung des deux. » Fourquevaux à Charles IX, ~iadrid,
11 octobre 1570 (DOUAIS, o. C., t. II, p. 280) ; Le même au même, 18 octobre, 1570 (ibidem,
p. 290); Granvelle à Chantonay, Rome, n décembre 1570 (Corres-pondance de Granvelle,
t. IV, p. 51); A. CAPPELLI, O. c., loc. cit., p. :1.1.

158
éviter le mécontentement du souverain, avait insisté pour connaître
son avis, il répondit le 21 février 1571 par une lettre, où il disait
qu'il lui semblait à propos de différer le départ d'Alexandre (1).
Celui-ci ne se donna pas pour battu. Il avait en Don Juan, devenu
chef de l'entreprise, un allié sympathique et puissant; il ne cessa
de presser de demandes et sa mère et le Roi (2). Finalement, Phi-
lippe II donna son consentement (3). Alexandre Farnèse pouvait
aller rejoindre son compagnon denfance et s'engager dans une
aventure pleine de périls et prometteuse de gloire : le rêve de sa
jeunesse était enfin réalisé! (4)

(1) STRADA,O. c., t. II, p. 329.


(2) « Si concluse poi quella uniane della Santa Lega contra al Turco, che Alessandro
non perse tempo, raccomandandost al padre, alla madre e al zio, perche 10 soccoressero
tutti di danari, comme fecero grossamento et egli ando a servire nella squadra dei Re ...»
Liber relooonum, fo 49 '0 •
(3) STRADA, o. c., t. II, p. 330; FEA, o. c., p. 26; A. CAPPEL LI, O. c., lac. clt., p. 11.
(4) Le \lrince ex-prime à sa mère toute la 30ie qu'il ressent, dans deux lettres écrites le
5 et le 26 juin 1571 et datées de Parme (A. F. N., Carte tamesume, Fiandl'a, rascto 1624).

159
_-
.. _ .. _-.--_ .. --~~~-~

CHAPITRE IX

ALEXANDRE FARNÈSE A LA BATAILLE DE LÉPANTE


ET DANS LA GUERRE CONTRE LES rrUROS
(1571-1574)

Dès qu'il eut obtenu l'autorisation de rejoindre Don Juan,


Alexandre Farnèse poussa avec une activité fiévreuse les préparatifs
pour prendre part à l'expédition. Il parvint à grouper autour de lui
un nombre assez considérable de gentilshommes italiens, qui furent
heureux d'aller se battre à ses côtés. Parmi eux se trouvèrent Paolo
Vitelli, le comte Giulio Rangon, le marquis Camillo Malaspina,
Camillo Capizucchi, le comte Nicole Cesis, Horazio Scotto, Biagio
Capizucchi, Paolo Rinaldi, CenzioCapizucchi, qui tous, plus tard,
servirent sous les ordres du prince de Parme aux Pays-Bas (1).
En y comprenant les gens de la maison de Farnèse et sa domesticité,
on peut compter un total de 177 personnes. Strada affirme qu'au groupe
des gentilshommes qui suivirent le prince de Parme, celui-ci ajouta,
comme garde personnelle, environ 300 soldats d'élite, dont Paolo
Vitelli avait fait le choix (2). Les documents des Archives farnésiennes
ne font aucune allusion à cette garde. TI faut, au contraire, identifier
ces combattants dont Strada a parlé, avec les soldats que, arrivé à
Naples, Farnèse put choisir, par permission expresse de Don Juan,
parmi les forces militaires 'embarquées sur la flotte de la Ligue (3).
Le 25 juillet 1571, le prince de Parme, qui se trouvait alors à

(1) Dans son article cité, A. Cappelli a publié la liste officielle des compagnons
d'Alexandre Farnèse à la bataille de Lépante (o. c., loc. oit., pp. 4-9).
(2) O. G •• t. II, p. 330.
(3) « Menando seco moltr capitani, soldati honorati et gentilhuomini con gli officiali
Gt altre genti al numero di più 300, oltra 400 soldati bravi da combattere, che Ieee levare
ài tutti i regimenti doppo fatte tutte le mostre de' soldatl deI RB a Napoli con licentia et
buona volontà del 'Sor Don Giovanni... dando lor buon soldo a clascuno, secondo. il merito, e
da mangiare ogni cosa a sue spese ... » Liber retationurn, fO 49vo•

160
PL. XXI

STATUE DE DO:\" JL-\:\" _-\ ~IESSI:\"E


Commémorant la vlctoire de Lépante.
Plaisance, avertit son père Ottavio que Don Juan d'Autriche, pal'ti du
port de Barcelone, était en route pour Gênes et que le moment de le
rejoindre était donc arrivé: Farnèse partirait le lendemain matin (L).
Don Juan, en effet, était arrivé le 16 juin au port de Barcelone,
où l'attendait Don Alvaro de Bazan, marquis de Santa Cruz,avec les
galères de Naples et Gil d'Andrade 'avec les autres navires, ayant
à bord les deux terçios espagnols de Miguel Moncada et de Lopez
de Figueroa. Le 11 juillet, l'avant-garde de cette flotte, onze galères
sous les ordres de Don Sanche de Leyva, sortait du port; le 20, Don
Juan, sur le naviraamiral, quittait à son tour, suivi des 37 galères
restantes (2).
Le 26, il arriva à Gênes. A son débarquement, un honneur
extraordinaire lui fut fait : le doge en personne, suivi de tous les
membres de la Seigneurie, vint à sa rencontre et les ducs de Savoie,
de Parme, de Florence, de Ferrare, de Mantoue et toutes les villes
de Lombardie avaient envoyé des représentants pour fêter l'amiral.
Giovanni Andrea Doria hospitalisa Don Juan dans son magnifique
palais el; y donna le soir, en son honneur, un bal masqué, pendant
lequel le jeune prince émerveilla les invités par la grâce avec laquelle
il dansa (3).
Le 27 juillet, Alexandre F'aœnèse rejoignit Don Juan à Gênes:
en même temps que lui arriva le jeune prince d'Urbino,François de
la Rovère, âgé de 20 ans. Don Juan reçut son neveu avec une joie
sincère, heureux de le revoir après quelques années de séparation et
de l'avoir à côté de lui dans cette grande entreprise (4). Muzio Mattei,
envoyé spécial du cardinal Farnèse à Gênes, signala à son maître que
« Don Juan montrait tant d'affection au prince de Parme qu'il est
impossible de l'exprimer et que la parole la moins affectueuse qu'il
lui adressa fut d'exprimer sa volonté qu'Alexandre fût maître de
toute la flotte et de tout ce qu'il y avait. » (5) Il l'admit tout de suite
Jparmi les membres de son conseil de guerre (6).
>1« *
(i) A. CAPPELLI, O. C., p. U.
(2) G. ARENAPRIMO, La Sicilia neua bœttagUa di Lepanto, p. 32.
(3) ARENAPRIMO, o. C., p. 32; L. COLOMA, Jeromm, p. 330.
(4) G. ARENAPRlMO, O. C., loc. cit., L. COLOMA, O. e., loc. cit.; STIRLlNG MAXWELL, O. C.,
i.I, p. 357.
(5) 1... ,CAPPELLI, O. C., loc. cit., pp. ii-i2.
(6) FRA, o. c., p. 27; FERNANDO DE HERRERA., dans sa Reiacum de la guerra: citée,ditll.
ce propos: « Mas Alejandro Farnesio, prinicipe de Parma, rué el favorecido y,estimado en
.ella ... » (Documentas ineditos, t. XXI, p. 309).

161
Le ln août, le départ se fit. Don Juan avait donné à Alexandre
Farnèse la garde des trois galères de la République de Gênes qui,
.sous le commandement 'd 'Ettore Spinola, se joignirent à la flotte
chrétienne (1). Alexandre Farnèse, avec la plupart des gentilshommes
qui l'avaient suivi, s'embarqua sur le navire amiral de Gênes ; ses
autres compagnons furent rêpartiasur les deux autres galères de la
République (2).
Le même jour, Don Juan et toute la flotte firent voile pour
Naples, où l'on arriva le 9 août (3). Dans cette ville avait débarqué, le
22 avril, pour y succéder en qualité de vice-roi au duc dAlcala qui
venait de mourir, le cardinal de Granvelle (4). Ce fut donc ce dernier
qui reçut au débarcadère Don Juan d 'Autriche et ses illustres com-
pagnons, sur un pont en bois richement décoré d'étoffe damasquinée.
Toute la noblesse napolitaine était là. En entrant au port, où se
trouvaient réunies quelque soixante-dix galères, Don Juan dit à
Alexandre Farnèse et au prince d'Urbino, qui l'entouraient: « Pour
pouvoir me débarrasser de la flotte ottomane, je n'aurais pas peur de
recevoir un coup d'arquebuse. Aucun gentilhomme ne mourrait, en
ce cas, plus content que moi. » (5) Dans le cortège qui, du débarca-
dère, conduisit le généralissime au palais du vice-roi, le prince de
Parme était parmi ceux qui précédaient Don Juan.
Le soir du 10 août arriva à Naples l'étendard de la flotte
offert par Pie V (6), ainsi que le bâton de commandement que le
Pape avait bénit lui-même et envoyé par l'intermédiaire du comte
Gentil de Saxatelo. La remise de l'étendard et de l'insigne de com-
mandement se fit en grande pompe le 14 août, dans l'église francis-
caine de Santa Chiara. Le cardinal de Granvelle alla recevoir
lui-même Don Juan et sa suite somptueuse au portique de l'église.
Le généralissime parut dans une armure légère de Milan, en acier
travaillé d'or, le collier de la Toison d'Or au cou, le casque empa-
naché de plumes aux couleurs de la Ligue. Don Juan s'avança jusque
devant les marches du maître-autel, avec Alexandre Farnèse et le
(1) A, CAPPELLI, O. c., loc, cit., p. 12, note 2.
(2) C.-O. TOSI, Alessandro Farnese Il Lepanto e a Navartno, dans Al'te e stor!a, 1910,
p. 195.
(3) G. ARENAPRIMO, O. c., p. 33.
(II) N. NICCOLINI, La cit/à di Napoli neu: anno della ba/aglia di Lepanio (liai dispacci
ael residente veneto), dans l'Archivio storico per le provincie napoletane, nouv. sér., t. XIV,
'1928, p. 394; uoro âotuie se traia de los vtreyes lugartenielltes aet Reino de Napoles, dans-
les Documentas méditos, t. XXIII, p. 288.
(5) N. NICCOLINI, O. c., 100 clt., p. 407.
(6) N. NICCOLINI, O. c., loo, olt., p. 408.

1G2
prince d'Urbino. On vit alors dressé, du côté de l'Évangile, l'éten-
dard envoyé par le Pape. Il était de brocard azur et portait au
centre un grand Christ en croix, entouré d'arabesques en or.El1
dessous du Crucifié s'étalaient les armes du Pape, entourées, à droite,
de celles du Roi d'Esprugne et, à gauche, de celles de la Seigneurie
de Venise. Plus bas se trouvaient celles de Don Juan d'Autriche et
les quatre blasons étaient reliés par des chaînes d'or, comme pour
signifier l'union des trois puissances dressées contre les 'I'ures,
Après la messe pontificale célébrée par l'évêque de Calvi, Don
Juan s'approcha de l'autel et reçut des mains du vice-Toi le bâton
de commandement et ensuite L'étendard, que Granvelle lui remit, en
lui disant par trois fois, respectivement en latin, en espagnol et en
italien : « Prends, heureux prince, l'insigne du vrai Verbe qui s'est
fait homme; prends le 'signal vivant de la Sainte Foi dont, en cette
entreprise, tu seras le défenseur. Qu'il te donne la victoire glorieuse
sur l'ennemi impie et que par ta main son orgueil soit abattu! »
Et toute l'église de Santa Chiara résonna du bruit de centaines
de voix qui criaient: « Amen! » (1).
Un brillant cortège militaire s'avança alors de l'église par les
rues de Naples jusqu'au port, où l'étendard de la Ligue fut hissé sur
le navire amiral, au milieu de décharges de mousquets, d'arquebuses
et d'artillerie ((2).
Trouvant que Don Juan s'attardait trop à Naples, le Pape, plein
d'impatience, lui envoya Paolo Odescalehi avec une lettre autographe,
où ill 'exhortait à partir le plus tôt possible, Dans la nuit du 22 août,
le généralissime donna l 'ordre de mettre le cap sur Messine, où il
avait donné rendez-vous à la flotte vénitienne et aux ~alères ponti-
ficales (3).

* *
Comme on peut bien se l'imaginer, le cardinal de Granvelle, qui
avait revu avec plaisir Alexandre Farnèse, s 'empressa de donner à
Marguerite de Parme des nouvelles du passage du prince à Naples.
« Ce m'a été fort grand contentement, écrivit-il, de voir ici monsieur
le prince, fils de Votre Altesse, lequel va toujours croissant en vertu

(i) B. PORRENO, Historia, del serentssimo seno« D. Juan de Aust1'ia, pp. 96-97; L.
GOLOMA, ieromm, pp. 33i-332; ARENAPR.lMO, o. C., p. 33; STIRLING MAXWELL, o.. C., t. l,
pp. 359 sv.
(2) G. ARENAPR.lMO, O. C., loc. clt., p. 409.
(3) N. NICCOLINI, O. C., loc. clt., p. 409.

ies
et donne journellement meilleure opinion de soi. Il a montré le bon
cœur qu'il a de vouloir se trouver en cette entreprise. Avec raison,
vous lui avez permis de s 'y rendre cette année plutôt que l'année
passée. » (1) Et, parlant de la flotte sur laquelle Farnèse s'était
embarqué, il disait: « Et à la vérité, c'est la plus belle qui, je pense,
se soit vue dans la chrétienté. » (2)
D'autre part, un des gentilshommes italiens qui avaient accom-
pagné le prince Alexandre, informait Marguerite de Parme de la
manière dont ce dernier passait son temps à Naples en attendant
le départ de la flotte. il insistait sur le fait que Farnèse, pour ne pas
donner l'impression qu'il séjournait dans cette ville pour se livrer
aux plaisirs, avait pris la décision de rester à bord de sa igalère :
« Il est tant entouré et aimé ici, écrivait-il, qu'il ne serait possible
de désirer plus. » (3)
C'est dans la nuit du 22 août (4) que Don Juan partit de Naples
avec ses navires pour se rendre à Messine, où, depuis un mois,
l'attendaient avec anxiété Marcantonio Colonna, commandant de la
flotte pontificale, et Sebastian Veniero, amiral des navires vénitiens.
Le jeudi 23 août, tous les navires de la flotte chrétienne se trouvèrent
réunis dans la rade de Messine.
On y remarquait la superbe galère de Don Juan, la Reale, vais-
seau amiral, à soixante rameurs, riche en dorures, sculptures et
marquetterie, œuvre de G.-B. Vasquez, artiste de Séville. La fière
bannière de Saint Marc flottait sur les 6 énormes galéasses, les
48 galères et les 2 frégates de la République de Venise ('5). On se
montrait aussi les trois galères envoyées par le duc Emmanuel-
Philibert de Savoie, la Capitana ff,i Savoia, la Margherita di Savoia
et la Piemontese, ainsi que le vaisseau amiral des chevaliers de Malte,
commandé par Fra Pietro Giustiniani (6). Vers le milieu de sep-
tembre, les navires qui devaient encore venir de Chypre, d'Espagne,
de Gênes et de Venise avaient à leur tour rejoint la flotte (7).
Les soldats qui se trouvaient répartis entre les différents navires
étaient au nombre de près de 20.000,soit 8.160 Espagnols, 5.208 Ita-

(1) Correspondance de ûranoeue, .t, IV, p. 71.


(2) Correspotuùmce de Grœnoeüe, t. IV. p. 72.
(3) Lettre du marquis Giulio Rangon à Marguerite de Parme, Naples, 19 août 1571
(Pibliothèque royale de Bruxelles, ms. 5154, fo 5ro).
(4) N. NICCOLINI, O. c., loc. clt., p. 409.
(5) G. ARENAPRIMO, O. C., pp. 41, 43-44.
(6) ARENAPRIMO, o. c., pp. 44-45.
(7) A. CAPPELLI, O. c., loe. clt., p. 13.

164
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LE NAVIRE AMIRAL DE DON JUAN A LA BA'l'AILLE DE Ll~PAN'rE ~
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(Petit cadre ex vota à l'église de S. Pietro a Malella à Naples)
liens, 4.987 Allemands. Un millier de soldats allemands étaient
malades et restèrent dans l'hôpital de Messine (1). Parmi les équi-
pages se trouvaient assez bien des gens des Pays-Bas, qui avaient
fui devant le duc d'Albe et qui, ne sachant où"aller ni comment vivre,
avaient offert leurs services à Don Juan (2).
Alexandre Farnèse avait réparti, entre la capitane de Gêne·s,
où il s'était embarqué lui-même, et un autre des navires de cette
République, 12 seigneurs titrés et 22 gentilshommes, ainsi que
152 soldats italiens qu'il avait pris à son service, bien armés et gens
expérimentés (3).
Avant que la flotte ne partît de Messine, le prince de Parme,
malgré sa jeunesse, eut l'occasion de rendre un service signalé aux
alliés chrétiens, en mettant rapidement fin à une dispute qui mena-
çait de désunir gravement les chefs. Don Juan avait observé, en
arrivant à Messine, que les navires vénitiens, - s'ils' l'emportaient
par le nombre, ne contenaient pas assez de soldats et de marins
pour pouvoir avec succès aller à l'abordage des vaisseaux ennemis.
TI jugea nécessaire d'y remédier en y plaçant des renforts de soldats
espagnols. L'amiral vénitien Veniero, homme de tempérament colé-
rique, n'y consentit qu'en rechignant. Toutefois, soldats vénitiens et
soldats espagnols, ne s'aimant guère, en vinrent bientôt aux mains
sur l'un des navires où flottait le pavillon de Saint Marc. Veniero
ordonna d'arrêter les mutins. Un capitaine italien au service de
l'Espagne résista à main armée à cet ordre; l'amiral vénitien le
fit pendre séance tenante à l'un des mâts du navire. Don Juan,
se sentant offensé en sa qualité de capitaine général de la Ligue,
entra dans une violente colère. Excité par son entourage, il parlait
déjà d'attaquer la flotte vénitienne, lorsque le jeune prince de
Parme s'interposa. Celui-ci séjournait presque en permanence sur
le navire de Don Juan (4) et put intervenir ainsi au moment critique.
Il calma la colère de son oncle et donna à Marcantonio Colonna, com-
mandant des navires pontificaux et à Agostin Barbarigo, lieutenant

(1) Relaçio-n del numero de toaa la gente que va eneste armada de S. M. y de La


manera que se ha tiectio su embarcacion y repartimiento, rapport officiel envoyé à Phi-
lippe II le 16 septembre 1571 (Documentos méditaS', t, III, pp. 203 svv.).
(2) « ln quibus et multi Belgae profugi erant, qui vitata Albani tyrannide, se in nava-
lem istam militiam procul patria simul intulissent. » HENRICUS PAULlI'iUS, Historia belgica,
p. 425.
(3) Documentos inéditos, 1. III, p. 2<11; t. XXI, p. 317.
(4) Lettre d'Alexandre à sa mère, Naples, 15 aoüt 1571 (A. F. N., Corte farnesiane,
ruuutra, rasoio 1624).

165
général de la flotte vénitienne, le temps de monter il, bord de la Reale
et d'amener Don Juan à renoncer à son projet inconcevable (1).
Alexandre Farnèse assista aussi au conseil de guerre que Don
Juan réunit à Messine et où l'on examina la conduite à tenir (2).
Au cours de cette séance, les Vénitiens furent très surpris de
constater que le généralissime était pleinement déterminé il, prendre
l'offensive contre la flotte turque et ne songea pas un instant à
débarquer sur la côte d'Afrique,comme on supposait que c'était le
dessein des Espagnols (3). Le prince de Parme, au cours des discus-
sions du conseil, insista pour l'offensive immédiate.
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:Ji: *

La. flotte chrétienne quitta le port de Messine dans la nuit du


16 septembre 1571 (4). Dans sa formation de combat,' elle suivit le
plan l'emis à Don Juan par Don Garcia de Tolède, ancien vice-roi
de S1cile et général de la marine espagnole en Italie. Dès son départ
du port de Messine, elle se plaça en ordre de bataille comme si
elle était en vue de l'ennemi et elle conserva cette disposition sans
changement substantiel jusqu'au moment où la lutte commença (5).
Cette ordonnance comprenait trois groupes de vaisseaux, c'est-
à-dire un centre et deux ailes, précédés d'une avant-garde et suivis
d 'une arrière-garde ou réserve. Il y avait là au total 208 galères,
transports légers destinés à embarquer les soldats qui attaqueraient
l'ennemi avec piques, arquebuses et arcs, 6 galéasses vénitiennes,
gros navires de guerre, armés chacun de 44 pièces d'artillerie,
57 navires légers, brigantines ou frégates, chargés du service des
communications et du service auxiliaire, 25 navires remplis de
victuailles, de munitions et de troupes de réserve (6).

(1) FEA. O. c.,pp. 27-28. - L. SERRANO, La Liga de Lepanio ...• t. l, pp. 120-122. place
l'incident à Corfou, et parle seulement de la médiation de Colonna.
(2) B. POR.R.ElNO,RistOl'ia del se1'enissimo seïior D. Juan de Aust-ria, p. 102; FERXANDO
DE HERRERA, Relacion de la guerra ..., loc. cit., p. 310.
(3) L. SERRANO,La Liga de Lepanto ..., t. I, p. H9.
(4) Don Juan d'Autriohe à Don Garcia de Tolède, Fosa de S. Juan, 16 septembre 1571
iDoeumentos inéditos, t. III, p. 27).
(5) Cf FERNANDODE HERRERA,R.elaçion de la aueïra de Cipre 11 suceso Ile la bataïta
naval de Lepanto, dans Documentes inéditos, t.. XXI, p. 322.
(6) L. SERRANO,O. e., t. I, p. H9. Don Juan écrit lui-même à Don Garcia de Tolède,
en quittant Messine: « Llevo doscientas y echo galeras, veinte y seis mil infantes, seis
galeazas y veinte )' cuatro naves. » (Documentos inéditos, t. III, p. 27). Un chiffre sensl-
blement égal est fourni par la Relaçion déjà citée de Ibarra, qui note 208 galères,
fi galéasses et 22 navires (Documentas inéditos, t. III, p. 211).

lGG
Arrivée à Corfou, la flotte y resta: plusieurs jours, cherchant
des renseignements sur la position exacte de Pennemi : une escadre
de galères .légères fut envoyée dans ce but vers le Levant. Elle revint 1
signalant que les Turcs se trouvaient -dans les eaux de Lépante.
Après un conseil de guerre, Don .Iuan décida de se ~diriger de ce
côté dans la nuit du 6 octobre, dessayer d'occuper l'entrée du golfe
de Lépante avant l'aube et de chercher ensuite la flotte turque pour
la forcer au combat.
Le 7 octobre, une heure après le lever du soleil, les adversaires
se rencontrèrent dans la bouche extérieure du golfe, près des îles
appelées Curzolares ou Équinades (1).
La flotte turque, sous le commandement d 'Ali Pacha, se trouvait
disposée, lorsqu'on la découvrit, en demie lune, conformément à
1'habitude musulmane. Mais, voyant la flotte chrétienne ordonnée en
un centre flanqué de deux ailes qui pouvaient manœuvrer indépen-
damment, et fermé par une arrière-garde, l'amiral turc adopta la
même formation de combat.
La flotte ottomane était sans nul doute supérieure à celle des
chrétiens par le nombre des galères, dont il faut placer le chiffre à
230 au moins. Le nombre de soldats, de marins et d'esclaves rameurs
devait atteindre, semble-t-il, 130.000.
Mais, si la flotte turque présentait un ensemble plus homogène
que celle de Don Juan, les soldats qui montaient les navires étaient
moins bien armés et moins disciplinés que les équipages des vais-
seaux espagnols, vénitiens et pontificaux.
C'est au centre gauche de la ligne de bataille chrétienne que
se trouvait disposée la eapitane de Gênes, sous Ettore Spinola,
montée par Alexandre Farnèse. Elle n'était séparée du navire amiral
de Don Juan que par la capitane de Venise, montée par Sébastian
Veniero, et par la Padrone Reale (2). Lorsque les deux centres, le
centre turc et le centre chrétien, se lancèrent l'un contre l'autre, le
prince de Parme vint se poster à la proue de sa galère, comme un
simple soldat, pour pouvoir férir des coups. Il laissa le soin de diriger
ses hommes à Paolo Vitelli, en qui il pouvait avoir confiance. Dans la
mêlée, son vaisseau se trouva dans une situation critique: il fut

(1) Les meilleurs récits de la bataille de Lépante sont ceux de STIRLING MAXWELL, o. C.,
t. I, pp. 384 et sv. et de L. SERRANO, La Liga cie Lepanto ...., t. I, pp. 127 svv. Maxwell suit
de préférence les sources italiennes.
(2) D'après le plan de bataille contemporain, publié par G. ARENAPRIMO, o. C., p. 143.

167
attaqué de trois côtés par des navires turcs.: Après avoir vaillam-
ment combattu, tout en rr'oubliant pas son' office de capitaine et en
surveillant ce qui se passait, il remarqua particulièrement une galère
ennemie, où se trouvait Mustafà Esdey, trésorier de la flotte turque.
Cette galère, qui contenait le trésor d'Ali Pacha, était défendue par
plus de 300 janissaires. Aussi, lorsquil voulut passer à l'abordage du
vaisseau ennemi, le prince de Parme le trouva mieux garni de troupes
qu'il ne pensait et se vit repousser. Alors, avec le courage à la fois
tranquille et irrésistible qui le caractérisait; ce jeune homme de
25 ans saisit une lourde épée, dont il savait, bien se servir, et sauta
dans la galère ennemie, suivi d'un valeureux soldat espagnol, nommé
d 'Avalos (1).
'Maniant son arme des deux mains, ils 'ouvrit un passage au,
milieu des Janissaires, passage par lequel ses soldats se précipitèrent
à sasuite.excités à la fois par l'exemple que leur donnait et par le
danger que courait leur chef. L'équipage de la galère turque était Sui'
le point de se rendre, lorsque Scander Pachaarriva au' secours avec
un autre navire.
" Cependant, comme une des deux galères génoises de Farnèse lui
faisait continuellement parvenir de nouveaux renforts, les Turcs ne
purent soutenir longtemps le combat. Mustafà fut d'ailleurs tué et
Scander Pacha lui-même blessé et' fait, prisonnier. Le prince de
Parme finit ainsi par se rendre maître non seulement du vaisseau
qui portait le trésor, mais aussi de la galère qui était venue à son
aide.
Ce fait d'armes, ainsi que le courage avec lequel Alexandre se
distingua au cours de la bataille, est signalé par la plupart des histo-
riens ou des témoins des événements (2).

(i) Fernando de Herrera, dans son récit de la bataille' : « La capitana de Génova


oombatlô con tres galeras y el Principe de Parma con Abalos, valiente soldado espaüol,
salto en una y peleo con grande valor. » (Document os inéditos, t. XXI, p. 372)
(2) «Presero due galere nemiehe delle principale, sol con la capltana galera di
Genova, dove lul era, e in partioolare quella dove era un bagli, condottiere di valore et
tesoriere generale pel' il gran 'Purco di quella guerra, et dove stavano tutti Ii danari
pel' pagare tutti i soldati, marinarl et genti di guerra di quella amata turcha.» Liber rela-
ttanum, f 50; Lettre de Cosimo Masi, secrétaire
O
de Farnèse, à G. B. Pico, publiée par
A. CAPPELLI, O. c., 10c. cit., pp. i4-15; Lettre de Camillo Oapizucchl à Ottavio Farnèse,
publiée par A. CAPPELLl, O. C., loc. oit., pp. 15-16; Relaçion de la batalla de Lepanto
octubre 1571 (Documentas inédttos, t. III, p. 218); ADRIANI, Storia de' suai tempi, fo 885A
et fO 886; FERNANDODE HERREIIA.Relaçion de la guerra de Cipre ..., loc. cit., pp. 309 svv.;
STRADA,O. C., t. II, pp. 331-332; B. PORRENO, Historia d~l serenlssimo senor D. Juan ...:
p. 114. Cfr P. FEA, O. C., pp. 29-30.

168
PL. XXIII

B,\T.\ILLE DE LÉP.-\l\TE
Fresque d'Er-cole Pio et .\nlonio Paganini (15ï5)
(Bibliothèque clu monastère St-Jean l'Évangéhste, Parme)
S'il faut en croire Strada, Don Juan, qui avait appris les
proues-ses de Farnèse pendant le combat, l'embrassa,tout en lui
reprochant d'avoir exposé sa vie avec tant de témérité. Alexandre lui
répondit en disant que cette témérité devait être attribuée.à sa femme,
Marie de Portugal, dont les prières, affirmait-il, lui servaient de
rempart (1).
Après un combat de plus de trois heures, la flotte turque était
vaincue: seul le vice-roi d'Alger, le rénégat Aluch Ali, avait réussi
à s'enfuir vers Santa Maura avec 30 galères plus légères et plus
rapides que les autres. Des 300 unités ennemies, 117 restaient aux
mains des chrétiens, avec environ 450 pièces d'artillerie et plus de
3.000 esclaves. Les vainqueurs délivrèrent plus de 15.000 captifs. Plus
de 30.000 Turcs étaient hors de combat (2).
Aussi, le magnifique poète Fernando de Herrera pouvait-il
entonner son chant de triomphe:

Cantemos el Seüor, que en la llanura


Vinciô deI mar al enemigo fiero
Til, Dios de las batall as, til eres diestra,
Salud, y gloria nuestra! (3)

il semble bien que c'est la supériorité des soldats composant les


terçios espagnols qui garnissaient les navires, qui fut une des prin-
cipales causes de la victoire chrétienne : le Turc ne prit pied sur
aucun des vaisseaux de Don Juan (4).

* *
Le 10 octobre, ce dernier envoya son premier rapport au roi
d'Espagne sur la victoire de Lépante. Il y disait, entre autres : « Il
y a ici les deux princes (Parme et Urbino), dont celui de Parme fut
parmi les premiers qui abordèrent et prirent la galère avec laquelle
la sienne propre était engagée dans le combat. Si cela plaît à Votre
Majesté, il serait bien de lui faire écrire une lettre de remercie-
ments. » (5)

(1)STRADA, O. C., t. II, pp. 332-333.


(2) L. SERRANO, La Liga de Lepœnio ..., t. I. p. 137.
(3) Clasicos casteuanos. FERNANDO DE HERRERA, Poesias, p. 25. Madrid, s. d.; A.
MOREL-FATIo, Fernando de Herrera. L'hymne sur Lépante, p. 27. Paris, 1893.
(If) L. SERRANO, O. c., t. ï, p. 138.
(5) MARIe!, Documentes rez,o,tivos a la tatoua de Lepanto, pp. 26-27. Madrid, 1847.
Voir HUYBERS, Don Juan van Oostenrijk, t. I, p. 71.

169
A Corfou; le 24 octobre, les commissaires de la flotte firent à
Don .Juan des propositions au sujet de la répartition de l'énorme
butin qui avait été pris. Ils suggêrèrent de donner aux princes de
Parme et d'Urbino 25 esclaves respectivement, « à moins, ajou-
taient-ils, qu'il ne paraisse bon à Votre Altesse d'établir une diffé-
rence en faveur du prince de Parme. » Don Juan fut de cet avis:
il ordonna de remettre à Alexandre Farnèse 30 esclaves- au lieu
de 25 (1).
Fin novembre, Philippe II, donnant suite aux suggestions du
général en chef, écrivit à Ascanio della Cornia, au marquis de Santa
Cruz, à Juan Andrea Doria, à Paolo Jordan Ursino, au comte de
Santa Fiore, au prince d'Urbino et à Alexandre Farnèse pour les
féliciter tous de Ieurattitude à la bataille de Lépante (&).
On peut s'imaginer avec quelle anxiété Marguerite de Parme,
le duc Ottavio et Marie de Portugal avaient attendu des nouvelles du
prince Alexandre. Celui-ci, fidèle à sa coutume d'informer sa mère la
première dans toutes les grandes circonstances de sa vie, lui
écrivit déjà le 9 octobre, exultant de joie, pour la rassurer et lui
envoyait un courrier pour lui donner un compte rendu de ce qui
s'était passé (3). Bien plus, loin d'accompagner Don Juan et les
autres chefs dans leur rentrée triomphale à Messine, le prince de
Parme se fit conduire, avec <celui d'Urbino, sur les galères de la
République de Gênes jusque Otrante, où il débarqua, pour de là se
rendre tout de suite aux Abruzzes dans le dessein el 'y visiter sa
mère {4).
La bataille de Lépante mit fin à la campagne de 1571 : le ravi-
taillement était insuffisant et il n 'y avait pas assez de forces nouvelles
pour entreprendre quelque chose d'important. Après avoir occupé, le
19 octobre, sans aucune utilité, l'île de Santa Maura, les forces alliées

(1) Documentas inéditos, t. III, p. 232.


(2) L. SERRANO,Correspotuiencia dip~omatica ..., t. IV, p. 583, note 1; A. F. N., Carte
ral'nesiane, Fuuuiï-a, fascio 1624 (lettre du 21 novembre).
(3) Lettre datée du golfe de Santa Maura, 5 octobre 1571 (A. F. N., Carte rame-
slane. Piosuira, rasclo 1624).
(4) Rapport du résident de Venise à Naples, te, novembre : « Poco fa è giunto
un corrlere dell' armata partüo da Corfù il 26 ottobre su Ile tre galere di Genova che
hanno conclotti ad Otrante il principe di Parma (il quale va in Abruzzo a vedere sua
madre ...) » N. NrccoLINI, o. c., loc. olt., p. 415. Il faut dès lors considérer comme inexacts
les renseignements des chroniqueurs siciliens qui affirment que les princes de Parme
et d'Urbino se firent conduire sur une galère sicilienne à Messine (G. ARENAPRlMO,o. C.,
p. 166). Cfr aussi STIRLINGMAXWELL, O. C., t. r, p. 439.

170
se séparèrent avec là promesse de se retrouver, l'année suivante, en
avril, à Corfou (1).

Au début de 1572, après bien des discussions entre Venise, le


Pape et Philippe II, on s'était mis d'accord pour organiser une
nouvelle expédition. La flotte chrétienne compterait 250 galères,
9 galéasses, 24 navires de transport espagnols et 16 vénitiens. La
campagne se ferait dans le Lev.ant. A Otrante, on préparait un corps
expéditionnaire de 11.000 fantassins, destiné à occuper certaines
places fortes de la Morée ou en Négrepont pour aider les peuples
balkaniques à se soulever contre les Turcs (2).
Cependant, Don Juan d'Autriche s'était décidé à faire une
attaque du côté de la Berbérie, contre Alger ou Tunis, projet
qu'avaient toujours redouté les Vénitiens. Ceux-ci, on le conçoit,
avaient tout intérêt à entraîner leurs alliés à détruire la flotte turque
dans la Méditerranée orientale (3).
Don Juan avait promis à Alexandre Farnèse de l'avertir dès
qu'une nouvelle expédition se préparait. Aussi, le 10 février 1572,
Requesens, ambassadeur espagnol ,à Rome, transmit cet appel au
prince de Parme, au nom de Don Juan: il le faisait à son corps
défendant, car il estimait que d'autres étaient plus nécessaires pour
accompagner l'expédition que le prince de Parme et le prince
d 'Urbino, auxquels le généralissime de la Ligue adressait des lettres
autographes (4).
A cet appel de son oncle, Farnèse répondit avec empressement.
Il quitta Parme dès le 27 février, emmenant avec lui un certain
nombre de gentilshommes, qui Pavaient suivi l'année précédente à
Lépante (5). Comme à Lépante, le prince de Parme fut admis à faire
partie du conseil de guerre de Don Juan (6).
Cependant, celui-ci resta oisif dans la rade de Messine et
Alexandre Farnèse finit par retourner à Parme. Au mois de mars,
Don Juan profita de l'inactivité où l'on se trouvait alors pour aller
visiter Marguerite de Parme à Aquila.

(1) L. SERRANO, La LifJa de Lepœüo, t. ï, p. 142, A. CAPPELLI. O. C., loe. clt.. p. 17.
(2) L. SERRANO, La Liga de Lepanto ...• pp. 145-154.
(3) FEA, o. c., p. 32.
(4) L. SERRANO, Correspondencia pp. 663-664.
([gplomatica ..., 1.. IV,
(5) A. CAPPELLI, O. c., loc, cit., p. 17. - « Non laseio el sor Principe di tornarei di
nuovo a sue spese con i medestmt dei anno inanzi. » Liber retationum, fO 50.
(6) L. SERRANO, La Liga de Lepanio, t. l, p. 155, note 1.

171
La duchesse et le héros de Lépante ne s'étaient pas encore vus
auparavant, tout en entretenant une correspondance suivie. La ren-
contre fut 'émouvante et Alexandre y assista. Marguerite organisa en
l 'honneur de son illustre visiteur des bals, des tournois, des festivités
de tout genre. Au début d'avril, Don Juan retourna à Messine (1).
Au: mois de mai,' Alexandre se remit en route pour rejoindre
son poste de combat : le 4 mai, il était à Rome; le 16, à Castellamare,
prêt à s'embarquer pour la Sicile. Enfin en juin, il se trouva de nou-
veau à Messine (3). Comme, toutefois, la flotte n'appareillait toujours
pas et que l'inactivité de son oncle finit par l'énerver, le prince de
Parme avertit sa mère que, si Don Juan ne changeait pas de méthode,
il allait retourner chez lui une fois de plus (3).
Alexandre devait avoir averti son oncle de ses intentions, car
celui-ci lui remit, le 4 juillet, une lettre adressée à Marguerite de
Panne et que le prince devait présenter lui-même à sa mère. « Le
seigneur prince pourra assurer Votre Excellence, disait Don Juan,
du zèle qu'il a trouvé en moi pour le servir et lui donner toute satis-
faction. Je crois que celle qu'il a de moi n'est pas 'au-dessous de celle
que j'ai de lui; elle est, réciproquement, telle que notre amitié, notre
parenté et nos relations nous y obligent. » (4)
TI semble que, cette fois, Farnèse soit resté à Messine, car fin
juillet, Ottavio Farnèse le rappela à Parme. Le prince, dans une
lettre chiffrée, s'excusa de ne pouvoir retourner, les préparatifs de
départ de la flotte étant sérieux et Don Juan s'apprêtant à partir
pour les mers du Levant (5)"

Le 2 août, en effet, Don Juan appareilla de Messine pour aller


.rallier les vaisseaux de la Ligue qui se trouvaient à Céphalonie (6).
Le 4 août, les forces chrétiennes étaient à.l 'île Cerigo, où l'on apprit
l'approche de la flotte turque, commandée par Aluch Ali, et forte

(1) STIRLINGMAXWELL, O. C., t. ï, pp. 473-474; L. COLOMA,Ieromm, pp. 404-408.


(2) FEA, o. c., p. 32, note 2.
(3) Messine, 5 juillet i572 (A. F. N., Carte farnesiane, Flandm, rascio i624).
(4) GACHARD, Don Juan d'Autriche. Études historiques, loc. cit., p. 64; REUMOl'iT,
.Yargherita d'Austrla, loc. cit., pp. 52-53.
(5) A. CAPPELLI, O. c., loc. cit., p. i8. Dans une lettre écrite de Civitaducale, le
i2 juin i572, au cardinal Farnèse, Marguerite de Parme disait: « Quant à mon fils,
comme mère je le vois aller peu volontiers à cette guerre. » (A. F. N" carte fa1'lÜJslane,
Ffandra. rascïo i626),
(6) GACHARD, Don Juan d'Autriche ..., loc. oit., p. 64.

172
de 200 navires. Don Juan crut pouvoir livrer immédiatementbataille,
mais cette fois, les Turcs, quoique supérieurs en nombre aux chré-
tiens, manœuvrèrent habilement pour éviter tout combat (1).
En courant ainsi de tous côtés à la recherche de la flotte otto-
mane, qui se dérobait continuellement, les navires de la Ligue
devaient régulièrement envoyer des hommes à terre pour faire la
provision d'eau potable. C'est à l'occasion d'un de ces débarquements
que, le 18 septembre, Alexandre Farnèse trouva l'occasion de se
distinguer.
Un certain nombre de volontaires étaient descendus en corvée sur
le promontoire de Coron. Le prince de Parme avait obtenu l'autori-
s~tton de les accompagner. Au moment où la petite troupe était
occupée à sa mission, elle fut attaquée à l'improviste par les Turcs.
Les cavaliers dAluch Ali s'étant précipités il l'assaut, Farnèse se
porta en avant avec des fantassins et s'exposa comme un simple
soldat. TI y courut un si grand danger que Don Juan crut nécessaire
de le lui reprocher violemment, lorsqu'il regagna les navires de la
flotte chrétienne (2).

Le L" octobre, Don Juan se résolut à assiéger Navarin. S'il finit


par autoriser cette entreprise, ce fut principalement pour donner
satisfaction à Alexandre Farnèse, qui mourait d'envie de se lancer
dans quelque entreprise ,glorieuse {3).
Don Juan ne voulut Iaisser descendre à terre que des soldats
espagnols et des volontaires, à en croire le rapport de Giacomo
Foscarini, capitaine général de la flotte vénitienne (4). Il est cepen-
dant certain que des soldats italiens se joignirent à l'expédition.
Farnèse débarqua avec une force de 8.000 hommes, dont 5.000 Espa-
gnols,et 12 pièces d'artillerie.

(i) Lettre de Pompeo Colonna, 8 aoüt i572, publiée par A. CAPPELLI, O. c., loc. cit.,
pp. i8-i9.
(2) CARACCIOLO, 1 commentari deLla guerra (atta coi Turchi da D. Giovœnni d'Austria,
nn. II, p. 89. Florence, 1581. Cfr STIRLINGMAXWELL, O. C., t. r, p. 490; FEA, o. e., p. 32.
(3) « Nondimeno risolverono, per soiustore al Prmcipe di Parma principalmente, di
tentare Navarino ... » ADRIANI,lstoria dé suoi tempi ..., fo 923B. Cfr L, SERRANO,O. C" t. II,
p. H9.
(4) « Dum Giovanni non voise che se metessi in terra altra gente che gli Spagnuoli
et venturieri, acclochè tutto l'honore et tutto il guadagno fosse suo, » Rapport de
Foscartni, publié par STIRLINGMAXWELL, O. C., t. II, p. 426,

i73
Navarin n'était alors qu'un misérable villaga.plaeè au sommet
dnne montagne rocailleuse; au pied de celle-ci, vers l'intérieur, se
trouvait une grande lagune on un grand marais qui ne laissait à
celui qui venait du côté de la terre ou du continent d'autre moyen
d'atteindre la place qIU'en marchant sur deux langues de terrain,
1'une enfermée entre la mer et le marais, l'autre resserréaeutre lé
marais et le port de Navarin (1).
. . Les troupes du prince de Panne devaient débarquer non loin de
hi place, en pleine nuit, afin d'approcher sans que les habitants du
village ne s'en aperçussent ou que la garnison turque ne pût l'empê-
cher. La flotte de la Ligue se disposerait à l'entrée du golfe de
Navarin pour rendre impossible à Aluch Ali, qui se tenait non loin
de là dans le port de Modon, d'arriver avec ses navires au secours
dês assiégés.
Là nuit du 2 octobre, :la mer étant moins démontée que les jours
pl'écédents, le débarquement s'opéra sans incident. Il fallait, avant
tout, planter l'artillerie assez près de la place pour pouvoir bombar-
der celle-ci et empêcher les secours d'Aluch Ali de se porter en avant.
On occuperait ensuite par des arquebusiers et quelques pièces
d'artillerie légère l'unique chemin praticable, que l'on disait exister
entre les deux places de Navarin et de Modon et qui bordait le rivage
de la mer.
Au matin, lorsque la clarté se fit, les gens de Navarin s'aperçu-
rent de la présence de l'ennemi : l'infanterie et la cavalerie turques
qui en formaient la garnison sortirent des fortifications pour empêcher
la mise en place des batteries de Farnèse.
Le terrain, fort pierreux et dépourvu d'arbres était, pour le
surplus, mal connu des chrétiens. Les 'I'ures purent, un moment,
arrêter la marche des assaillants vers le village, Mais Farnèse poussa
rapidement en avant les arquebusiers espagnols et les fit suivre de
quelques piquiers de la même nation, qui attaquèrent avec fougue. Les
Turcs ee repliant, l'avance vers Navarin put continuer. Lorsqu'on
fut arrivé à l'endroit qui parut le meilleur pour y installer les
batteries de gros calibre, le feu de Ia forteresse, opérant en tir
plongeant, infligea aux soldats de Farnèse des pertes sérieuses.
A cause du caractère rocailleux du ferrain, il n 'y avait guère
moyen de flanquer les pièces de redoutes, ni de couvrir les munitions.

(1) FEA. Q. c., p, 33.

174
.__ .- ---- -- .... _ ... __ . --- -_ _- _.
.. --------------------

Les sapeurs -rencontrèrent des difficultés considérables lorsqu'ils


essayèrent d'ouvrir les tranchées d'usage.
Deux batteries mises en place après des heures de pénibles efforts
se montrèrent inopérantes, par suite du calcul erroné des artilleurs.
La nuit vint. Une tempête s'était levée, mettant dans une situa-
tion critique les soldats chrétiens, qui ne disposaient de tentes, ni de
.couvertures, la précipitation du débarquement les ayant faitouhlier
dans les navires.
Préoccupé du salut de ses hommes, le prince de Parme décida
d'élever de grands parapets de pierre entre lesquels les soldats pour-
raient se réfugier contre les effets de la bourrasque. Mais cefnt
peine inutilevcar une pluie torrentielle inonda la plaine et l'eau,
non absorbée par la terre très dure, formait des canaux bouillonnants
entre les rangées de pierres amoncelées. Pendant ce temps, les
défenseurs de Navarin ne cessaient de canonner les positions chré-
tiennes.
Les soldats, qui avaient résisté stoïquement dans l'espoir que le
matin apporterait du changement, durent constater avec désespoir
que les munitions et les victuailles attendues ne vinrent point. La
tempête ne cessait de faire rage et Don Juan fut dans l'impossibilité
de les débarquer.
Pendant la nuit, un transfuge chrétien venu de Modon avait
averti le gênéralisaime que le vice-roi turc de Grèce expédiait
quelque 20.000 cavaliers ottomans au secours de Navarin. Defait, le
4 octobre, à midi, apparurent les premiers contingents de la cavalerie
ennemie.
Au matin du même jour, Don J uanétait lui-même descendu à
terre pour examiner la situation. Avant d'arriver au camp de
Farnèse, il put voir de longues files de chameaux et de mules, chargés
de munitions et de victuailles, qui entraient dans Navarin, escortés de
cavalerie. C'est que le soir précédent, au milieu de la tempête, l'unique
chemin, qui donnait accès à la ville le long de la: mer, avait été OCCUpB
par les assiégés. Ne songeant qu'à attendre de pied ferme l'attaque
ennemie annoncée, les chrétiens n'avaient pas aperçu l'existence du
passage caché entre les collines, par lequel des munitions et de
l'infanterie entraient maintenant dans la place.
Aussi, Don J uan voulut-il s'emparer de cette voie de communi-
cation, mais une nouvelle bourrasque d'octobre rendit impossible
tout mouvement de troupes.
175
Presque aussitôt apparurent dans la plaine, devant le village, de
nombreuses tentes de campagne, suffisantes, à en juger, pour héberger
les 20.000 hommes de secours annoncés par le transfuge. En réalité,
ce n'était qu'un stratagème de la part des Turcs, car on sut plus
tard que la majorité de ces tentes restèrent vides d'occupants.
Don Juan comprit alors que les éclaireurs, qu'il avait envoyésà
terre avant de commencer le siège, avaient examiné la position de
façon trop superficielle et que Navarin était plus fort qu'on ne se
l'était imaginé. Aussi décida-t-il de lever le siège, estimant que le
misérable village ne valait point les pertes considérables qu'il aurait
fallu subir pour s 'en emparer.
La nuit du 4, on procéda au réembarquement de l'artillerie.
Pendant cette opération, des groupes de plus en plus nombreux de
cavaliers et de janissaires arrivaient au secours de la place. La cava-
lerie ennemie s'approcha même du camp de Farnèse et il fallut un
tir nourri des arquebusiers pour la tenir à distance. Il était évident
que la retraite des troupes allait se faire dans des conditions fort
dangereuses.
Comme l'artillerie procédait à son réembarquement, la flotte
chrétienne, stationnée dans le port, dut faire usage de ses canons pour
tenir les Turcs en respect. Il restait maintenant à protéger les esclaves
qui devaient, avant le départ, faire provision d'eau douce dans les
petites rivières qui coulaient à travers la plaine.
L'ennemi ne tarda en effet pas à s'avancer, dans l'intention de se
jeter sur eux. En ce moment, le prince de Parme donna de, nouveau la
mesure de son sang-f'roid et de son courage. Il se mit à la tête de ses
soldats et se porta à la rencontre des Ottomans, les piques tendues
en avant, à pas lents, animant ses hommes à combattre pour l'honneur
et pour la gloire de Dieu. Une escarmouche sérieuse suivit, où les Turcs
eurent le dessous, les mousquetaires et les arquebusiers tirant sur
l'ennemi sous la protection des piquiers (L). Finalement, les assail-
lants se retirèrent.
Pour éviter le feu de la forteresse, dont le tir plongeant causait
beaucoup de dommage, la retraite fut entreprise dans la nuit du
5 octobre. Le prince de Parme réussit à ramener ses hommes en
sûreté à bord des navires de Don Juan.

(1) Liber rel,ationum, r- 50.

176
Cependant, plus de 700 tués jonchaient la plaine devant Navarin,
sans qu'aucun avantage eût été obtenu (1).

* *
L'entreprise, faite pour permettre-à Farnèse de se lancer dans
quelque tentative audacieuse et aussi pour contenter les Vénitiens,
qui se plaignaient de l'inactivité de Don Juan, fut tout autre que
bonne. L'insuccès doit-il être mis sur le compte du prince de Parme?
Le capitaine général des Vénitiens, F'oscarini, qui n'avait aucune
raison d'épargner Don Juan et son neveu, dans le rapport qu'il
envoya à Venise ne charge point Alexandre Farnèse. Il était cepen-
dant convaincu que Don Juan, en prenant Navarin, avait l'inten-
tion d'y lais-ser une garnison espagnole et d'empêcher les Vénitiens-
de tirer gloire de l'entreprise. Il insinue que le généralissime donna
le commandement de l'expédition à Farnèse, parce que celui-ci était
son neveu. Malgré ses préjugés, F'osearini ne rend point le prince
de Parme responsable de l'échec (2). Il est certain que la précipita-
tion avec laquelle le siège fut entrepris, y fut pour beaucoup. Quant à
l'imprévoyance qui consistait à ne pas s'être rendu maître des
passages étroits par où la place pouvait être secourue du côté du
continent, elle semble devoir être imputée au colonel espagnol Padilla.
Celui-ci, avec l'avant-garde, avait eu pour mission d'occuper les
deux petits isthmes qui reliaient Navarin à la terre ferme, et s'était
contenté de n'en occuper qu'un seul.
Les Vénitiens conçurent un violent dépit de l'insuccès de la cam-
pagne de 1572, et ils essayèrent de prouver au Pape que ces, échecs
étaient dûs aux Espagnols. Revenant par Rome après la campagne,
Alexandre Farnèse 'contrecarra cette entreprise calomnieuse; il prit
parti pour Don Juan et les Espagnols, dont il mit en relief les mobiles
et dont il expliqua l'attitude (3).
En tous cas, la Ligue fut dissoute et le prince de Parme rentra
chez lui. Le 8 novembre, il fit son entrée à Plaisance, où il trouva sa
famille en bonne santé et ses enfants devenus si grands, qu'il put à
peine les reconnaître au premier abord (4),
(i) Le meilleur récit du siège de Navarin, que nous avons suivi ici, est celui de
SERR.;'NO, La Liga de Lepanto, t. II, pp. 119-133. afr aussi STIRLING MAXWELL, O. C., t. II,
pp. 490-494; A. CAPPELLI, Alessandro rorneee au: impresa di Naoarino, dans Aurea Parma,
t. I, fasc. 1-2; o.-O. 'I'osr, Alessandro Earnese a Lepanto e a Navartno, dans Arte e Staria,
1910, fasc. 7.
(2) Voir son rapport dans STIRLING MAXWELL, O. C., t. I, loc. cit.
(3) L. SERRANO, La Liga de Lepamto ..., t. Il. p. 175.
(4) Alexandre à sa mère, 25 novembre 1572 (A. F. K, Carte torneeuuie, Piandro,
fascio 1624).
177
Entretemps, des Abruzzes où elle résidait toujours] Marguerite
de Parme avait envoyé à Don. .Iuun, qui était rentré à Naples, son
familier Pietro Aldobrandini pour recommander tout spécialement les
intérêts de son fils. EUe reçut une lettre où le héros de Lépante lui
affirmait une fois de plus son dévouement à Alexandre «parce qu'il
est vraiment le digne fils de sa mère et qu'il ne sera pas moins soldat,
ni moins vaillant que son père» (1).
Peu de jours après, Don Juan lui faisait savoir qu'il avait averti
Alexandre qu'il continuait à résider en Italie et que, des galères
retournant en Espagne, le prince en profiterait peut-être pour se
rendre à la cour. « J'aimerais mieux l'accompagner, continuait Don
Juan, et le servir pour que je puisse en personne rendre compte à
Sa Majesté de la valeur, de la diligence et des autres qualités avec
lesquelles il l'a servie. » (2)
Dans les premiers jours de février, le vainqueur de Lépante
parut de nouveau à Aquila, où il s'entretint sans doute avec Margue-
rite de Parme de l'avenir d 'Alexandre et des entreprises où on
pourrait l'employer. Après un court séjour dans les Abruzzes, il
regagna Naples, promettant de venir encore visiter la duchesse de
Parme avant son départ définitif pour l'Espagne (3). Au début d'avril,
Don Juan apprit à Naples que les Vénitiens avaient conclu la paix
avec les Turcs : il dut en être profondément affecté.
Mais, si la Ligue était désormais morte et enterrée, il restait
toujours ce projet de la prise d 'Alger ou de. Tunis, dont les chefs de
la Ligue avaient un instant parlé au cours de la campagne de 1572.
Comme, à la cour d'Espagne, on estimait que l'attaque d'Alger
était un projet irréalisable, Don Juan décida d'aller s 'installer à
Messine pour examiner si l'on ne pourrait rien tenter contre Tunis.
« Il est certain, écrivit-il à ce sujet à Marguerite de Parme, que dans
la pensée que nous aurions été à Alger, j'écrivis avec de, grandes
instances à Sa Majesté, lui l'appelant les mérites du seigneur prince
et son désir d'être employé dans cette expédition où, si elle s'était
réalisée, j'aurais voulu le voir. » (4)

(1) Lettre du 5 décembre 1572, chez GACHARD,Don Juan d'Autriche, loc. cit., p. 65.
(2) Lettre de Naples, 9 janvier 1573, chez GACHARD, 0'. c., loc. olt., p. 66. '
(3) GACHARD, o. c., loc. cit., p. 67.
(4) Naples, 26 juin 1573, chez GACIIARD, o. c., loc. eu., pp. 72-73.

178
Alexandre Farnèse ne semble pas avoir été averti du projet de
Don .T uan de surprendre Tunis, ou, s 'il le fut, il le fut trop tard. En
effet, Don Juan,ah'ivé à Messine le 8 octobre, prit rapidement ses
dispositions d'attaque et, déjà le 11, il entra à Tunis sans coup férir:
C'est le 7 octobre que le prince de Parme arriva en toute hâte à
Naples, pour y apprendre que son oncle était parti. Le cardinal
de Granvelle annonça cette arrivée à Don Juan de Zufiiga, ambassa-
deur espagnol à Rome : « I.Je seigneur prince de Parme arriva ici
hier, écrit-il le 8, il compte s'embarquer demain dans les galères de
Sa Sainteté et de Savoie ... Nous attendons impatiemment Giovanni
Andrea Doria avec les soldats allemands et les galères d'Espagne
qu'amène Don Alonso de Leyva. » (1)
Ces navires arrivèrent, mais furent retenus par le mauvais temps
dans le port jusqu'au 26 octobre. On peut s'imaginer l'impatience qui
tenaillait Alexandre Farnèse, qui voulait rejoindre au plus tôt Don
Juan, Il ne perdit pas son temps en vaines récriminations : il sauta
dans une barque et essaya de gagner le large, mais la mer démontée
le repoussa à chaque tentative. Pendant qu'il luttait ainsi contre la
tempête, arriva la nouvelle que Don .Juan s'était déjà rendu maître de
Tunis (2).
Le prince de Parme en ressentit une profonde douleur (3) :
depuis Lépante et Navarin, que d'espoirs et de déceptions! Il accepta
de loger chez le cardinal de Granvelle avant de retourner à Parme, en
compagnie de César Gonzaga. Granvelle le consola. de sa malchance,
en faisant valoir que Gonzaga et Giovanni Andrea Doria n'avaient
pas non plus pu se rendre à Tunis et qu'en somme, tous avaient part
au bon succès de Don Juan (4).
Le 20 novembre, Farnèse fut de retour à Parme (5) et s'empressa
d'aller à Aquila rendre compte à sa mère des événements des derniers
mois (6). Dans ces conversationsentre la mère et le fils, il fut ques-
tion du voyage qu'Alexandre comptait entreprendre en Espagne en
compagnie de Don Juan, pour y voir le Roi et obtenir de lui une
(1l Lettre ele Naples, 8 octobre 1573, dans Documeutos tnéditos, 1. CIl, p. 309.
(2) FEA, o. c., p'. 36.
(3) Ibidem.
(4) Granvelle à Marguerite de Parme, Naples, (j novembre i5i3 (Col'l'esponclance de
Granvl?lll?, 1. IV, pp. 584-585).
(5) Alexandre à sa mère, Parme, 30 novembre 1573 (1\. F. N., Catie [ornesume,
rsanara, tascio f(}2,4).
(6) Granvelle à Marguertte de Parme, Naples, 2 décembre 1573 (A. F. 'N., Carte
tomeeume, Pumâra, fascio 1624).

09
charge digne de ses services passés etconforme à son rang (1)~Mais
ce projet aussis 'en alla en fumée, Philippe ayant encore immobilisé
le vainqueur de Lépante pendant de longs mois à Naples, sans lui
donner des ordres (2).

Ce séjour d 'indolenceerd 'oisiveté forcées fut plein de dangers


pour Don J uan, Ce dernier se plaisait beaucoup à Naples, qui était
le rendez-vous de l'aristocratie de tout le royaume, et où séjournaient
quantité de princes, de ducs, de marquis, de comtes, possédant gros
revenus et palais splendides. Les multiples gentilshommes qui vivaient
dans le sillage de cette société brillante passaient leur temps à faire
de l'équitation et s'adonnaient à l'exercice des armes. La colonie
espagnole de Naples était nombreuse; elle comptait dans son sein des
chefs de l'armée de terre et de mer, des gouverneurs de forteresses,
des ministres, et tout ce monde gravitait autour du vice-roi, le cardi-
nal de Granvelle.
On ne songeait qu'à se divertir et, sur ce point, Don J uan
donnait L'exemple. Il jouait souvent à la paume sur la voie publique,
organisait des mascarades en temps de carnaval, présidait des
tournois, des jeux de cannes, des courses de taureaux. Il avait un
plaisir particulier à créer, pour les dames espagnoles et napoli-
taines, des divertissements en mer ou sur la plage de Pouzzoles et il
n'avait aucun scrupule à mobiliser pour ces fêtes les navires de la
flotte de Sa Majesté catholique. Aussi, le peuple de Naples portait-il
le galant prince jusqu'aux nues (3).
C'est dans ce milieu frivole et au cours de cette vie oisive que Don
Juan noua des relations amoureuses avec la belle Diana F'alangola,
fille du gentilhomme sorrentin Antonio Falangola. De ce commerce
naquit une fille, le 11 septembre 1573, qui fut appelée Donna Gio-
vanna d'Austria. La naissance de cet enfant n'éveilla guère dans le
cœur de Don Juan des sentiments paternels. Pour lui, cette aventure
navait pas grande importance, mais il était plutôt ennuyé des consé-
quences qu'elle avait engendrées. « Si Dieu voulait appeler cette
enfant à lui, écrivit-il à Marguerite de Parme le 28 novembre, je pense

(1) FEA, O. C" p. 36.


(2) GACHARD, Don Juan li/Autriche, toc. clt., p. 77.
(3) GACHARD, Don Juan d'Autriche, IDe. clt., pp. 151-153.

180
qu'il nous ferait grâce à tous, et particulièrement à moi, car des
enfants ne conviennent pas à un homme tel que je suis, » (1)
Après bien des mois d'attente, PhÙippe II envoya Pargent
nécessaire pour licencier les forces de terre et de mer qu'en 1571 on
avait mobilisées pour la Ligue contre les Turcs, et Don Juan put
faire ses préparatifs de départ.
Il partit de Naples le 15 avril 1574. En route, il apprit que le
Roi l'avait nommé, pour une année seulement, son lieutenant général
en Italie : « tenir en respect les voisins, faire passer des secours aux
Pays-Bas et s'occuper d'autres affaires de même nature », telle était
sa mission {2).

* *
En sa nouvelle qualité, Don Juan s 'établit à Vigevano. Il se
déclara charmé de demeurer en ce quartier, dans une lettre envoyée
à la duchesse de Parme: « c 'est que j 'y jouirai du voisinage et de la
compagnie du seigneur prince (Alexandre Farnèse) » écrivit-il (3),
Et de fait, à peine Alexandre eut-il appris que Don Juan se trouvait
à Vigevano qu'il alla lui rendre visite: il le revit une seconde fois,
à Milan {4).
Pendant ce séjour de Farnèse à Milan, un certain Cesare Negri,
qui avait donné des leçons de danse à Don Juan, imagina de repré-
senter à ses propres frais une scène masquée de son invention. La
représentation eut lieu au corso de la Porta Romana; Don Juan
et Alexandre Farnèse y assistèrent en spectateurs du haut du 'balcon
du palais Vicino, Conduit par le dieu Pan, le cortège, sous forme de
procession musicale, se termina par un char où trônait Vénus. Quatre
rois, quatre reines, quatre nains et quatre sauvages exécutèrent sous
les fenêtres où se tenaient les deux princes une danse fantastique et
endiablée .(5),
Le mois suivant, Don Juan, qui continuait à résider à Milan,
décida de visiter la cour de Parme et d 'y présenter ses hommages à
Marie de Portugal.

(i) GACHARD. O. c., IDe. olt., p. i62.


(2) Don Juan à Marguerite de Parme, Gênes, 6 mai 1574 (GACHARD, o. C., loc, cit.,
p. 79).
(3) GACHARD, o. c., IDe. (lit.
(4) FEA, o. c., p. 36.
(5) CESARE NEGRI, Le grazie aromore, pp. 8-9, 11. Milan, 1602.

181
Le duc Ottavio se Tendit à la rencontre du héros de Lépante et
l'accueillit d"abord à Plaisance. Un tournoi r fnt organisé en'l'ho~leur
de l'illustre visiteur. Ce fut le comte Alberto Scobti qui fut « main-
teneur» de ce tournoi, auquel on convia quantité de nobles et de princes
italiens « pour recevoir le premier chevalier de la chrétienté ». C'est
ainsi que s'exprimait l'annonce publique du tournoi, publiée à Plai-
sance le 24 juillet.
Le 27 juillet, Don Juan quitta Milan, avec une compagnie de
24 gentilshommes, et s'arrêta en chemin à Lodi, où il fut l 'hôte du
comte Claudio Landi. C'est à Mirandola que le reçut Alexandre
Farnèse, qui l'y attendait avec une 'suite, de 20 gentilshommes à
cheval. Les deux princes passèrent ensuite de l'autre côté du PÔ, où
Ottavio Farnèse se tenait prêt à les recevoir. Tout le cortège se mit
ensuite en route pour Plaisance, où l'évêque de 'cette ville et la prin-
cesse Marie de Portugal accueillirent Don Juan. Un banquet somp-
tueux et un bal terminèrent cette première journée.
Le 2,9 juillet, le tournoi eut lieu sur la Piaeea Magg'io1'e. Don
J uanet la princesse Marie occupaient la loge princière. Ils virent
défiler devant eux un cortège, où figurait un char sous forme de
galère. Une Victoire se trouvait assise à la poupe; derrière
le char marchaient quatre Turcs enchaînés, allusion claire à la
victoire de Lépante. Le prince de Parme parut aussi dans ce cortège,
en armure dorée, le casque porté devant lui par un page, comme cela
se pratiquait toujours dans les tournois vespagnols, Le cimier du
casque était très élevé et formé de plumes disposées de manière à
représenter la lanterne d'un vaisseau 'amiral. Sur le bouclier azur et
argent du prince était représentée une cigogne détruisant des ser-
pents,et inscrite la devise : Publicae saluti.
Lorsque le tournoi battit son plein, Don J uansentit le besoin de
quitter la tribune d'honneur et de prendre part aux évolutions des
combattants, Il y remporta le prix attribué à celui qui avait fait le
plus beau 'coup de lance.
Après le tournoi, Marie de Portugal conduisit son visiteur à la
citadelle de Plaisance, où une réception brillante avait été organisée.
Le lendemain matin, le duc Ottavio et Alexandre firent visiter en
détail à Don Juan toutes les parties de la forteresse, où la garnison
espagnole rendit les honneurs en faisant retentir des décharges
d'arquebuse et d'artillerie. Le duc Ottavio et son fils ne manquèrent
sans doute pas cette occasion pour entretenir leur hôte de la restitution
182
tant désirée de la citadelle et sollicitèrent probablement son interven-
tion auprès du Roi (1).
Le 31 juillet, de grand matin, accompagné par Alexandre Far-
nèse, Don Juan quitta Plaisance 'et gagna rapidement Gênes. Là, les
deux amis se séparèrent. Don Juan s'embarqua pour Naples, dans le
but d 'y réunir rapidement la flotte nécessaire pour secourir La
Goulette. On venait d'apprendre, en effet, que les Turcs assiégeaient
cette piace où Gabrio de Serhelloni résistait courageusement à toutes
les attaques, en attendant des renforts (2).

Don Juan, décidé de secourir La Goulette, invita le prince de


Parme à le suivre dans cette expédition. Alexandre ne se fit point
prier (3). Après avoir été rapidement saluer à Oolorno, domaine
farnésien, Henri III de Valois qui, de roi de Pologne devenu roi
de France, se trouvait alors de passage en Italie, il partit pour
Naples, où il arriva le 14 août. Le 31, il avait rejoint Don Juan à
Palerme (4).
Les préparatifs de l'expédition de secours n'avancèrent pas avec
la rapidité qui s'imposait dans ces circonstances. Lorsque, tout au
début d'octobre, la flotte espagnole était enfin prête à faire voile pour
la côte d'Af,rique, on apprit que La Goulette avait été obligée de se
rendre aux Ottomans (5).
De Trapani, où se trouvait alors la flotte, Don Juan fit com-
prendre à Marguerite de Parme que tout espoir d'organiser encore
des entreprises importantes était désormais fini. « Je crois bien,
écrivait-il, que pour cette année, il ne nous reste plus rien à espérer
ni à craindre ... Moi, certainement, sans plus différer, je passerai en
Espagne ... Assurément, l'une des choses pour lesquelles j'ai regretté
que quelque occasion de combattre ne se soit pas offerte, est de
n'avoir pu faire avec lui (Alexandre Farnèse) ce que je projetais. Je
m'en rapporte là-dessus au témoignage de monsieur le prince .... » (6)

(1) ANTONIO BEXDINELLI, Il nobiUssimo e richissimo torneo tœua ne~ÙI; magnifioa città
.ài Piacenza neUa venuta del sei'enissimo Don Giovanni d'Austria. Plaisance, Fr. Conti, 1574.
(2) FEA, O. c., p. 36.
(3) Alexandre à sa mère, Parme, 7 août 1574 (A. F. N., Carte fal'nesiane, Fiwncll'a,
.rascto 16241.
(4) FEA, o. c., p. 36.
(5) FEA. o. C., p. 37.
(6) GACIIARD, Don Juan d'Autl'lche, loc. cit., p. 82.

183
Defait, Alexandre s'était vite rendu compte que tous les prépa-
ratifs que Don Juan avait faits ne conduiraient à aucun résultat
appréciable : les semaines s'étaient passées après les semaines dans
une inactivité des plus énervantes. En arrivant à Trapani, Alexandre
avertit sa mère que l'on ne devait s'attendre à aucune entreprise de
quelque importance, que la flotte serait bientôt dispersée et que Don
Juan ne tarderait pas à partir pour l'Espagne (1).
C'est, en effet, ce qui arriva. Mais Alexandre, de retour à Naples
dans les premiers jour.s de novembre, n'attendit même pas la liquida-
tion de l'entreprise : il alla visiter sa mère dans les Abruzzes et revint
à Parme, le 3 décembre 1574 (2).
Les hostilités entre Turcs et Espagnols étaient pratiquement
terminées après l'échec de La Goulette: Philippe II n'aimait guère
les aventures 'africaines et, dans la Méditerranée orientale, la paix
conclue par les Vénitiens avec Constantinople y excluait toute possi-
bilité d 'hostilité ou de conflit armé. Une nouvelle période d'inactivité
allait s'ouvrir pour le prince de Parme, encore plus pénible sans
doute que celle de 1566 à 1570, car Alexandre avait maintenant goûté
les aventures et recueilli de la gloire et pourrait difficilement s'en
passer.

(1) FEA, O. c., p. 37.


(2) Alexandre à sa mère, Parme, le 3 décembre 1574 (A. F. N., Carte larnesiane,.
Fiandra, fasclo 1624).

184
CHAPITRE X

DANS L'ATTENTE D'UNE NOUVELLE


OCOASION DE PÉRILS ET DE GLOIRE
(1575-1577)
\

De retour à Parme, Alexandre Farnèse dut s 'y sentir de nou-


veau prisonnier. Plus d'une fois, dans la solitude du vieux palais
ducal, il devait entendre dans un rêve l'écho des clameurs de la
bataille de Lépante ou revivre en souvenir les angoisses du siège
manqué de Navarin. Quelle différence avec cette période dactivité
fébrile par où il avait passé en 1571 et en 1572! Que pouvait-il faire
pour occuper son temps dans les loisirs de la paix! Entreprendre
quelque voyage, se rendre de temps en temps dans les Abruzzes pour
voir sa mère et parler avec elle de ses projets et de ses espoirs. Il
devait, surtout, se plaindre de l'ironie du sort lorsque les eircon-
stances l'obligeaient de présider des solennités aussi peu intéressantes
pour lui que la pose de la première pierre des murs de Borgo San
Donnino (1) ou d'autres cérémonies publiques de même genre.
,C'est le sentiment de son impuissance qui le poussait sans doute
à se quereller avec le duc Ottavio, son père, à propos des intérêts de
la famille.
Alexandre, qui prenait de plus en plus conscience de sa valeur
personnelle et qui avait été grisé par les succès obtenus pendant la
guerre contre les Turcs, n'hésitait pas à critiquer la méthode poli-
tique usée par son père pour obtenir la restitution de la citadelle de
Plaisance. Le duc, de son côté, 'reprochait à son fils d'avoir accepté,
par impatience d'arriver vite à une situation en vue, des postes qu'il
jugeait inférieurs à la dignité dont devaient faire montre les Far-
nèse. Les deux hommes se disputaient aussi au sujet de l'éducation
(1) FEA, O. C., pp. 37-38.

i85
des enfants issus du mariage d 'Alexandre avec Marie de Portugal, et
Ottavio s'entendait traiter davare parce qu'il trouvait exagérées les
dépenses faites par son fils pour participer à la guerre contre les
Turcs. Les dettes que le prince de Parme s'était vu obligé de faire,
représentaient une somme de 65.000 écus (1).
Ces querelles, jointes au sentiment de l'oisiveté forcée, étaient
pour le prince de Parme une source d'exaspération : il cherchait
anxieusement le moyen de s'évader du milieu où il s'étiolait et où
l'amour désintéressé et profond de Marie de Portugal n'était pas
suffisant pour le retenir.
Il regardait toujours du côté de Don Juan d'Autriche, qui lui
avait offert cette magnifique équipée de Lépante, et il avait comme
le pressentiment que c'est de là encore que devait lui venir un jour
une autre occasion de périls et de gloire (2). Il espérait que peut-être
les circonstances l'amèneraient à servir le Roi aux Pays-Bas où, nous
l'avons vu, il avait désiré se rendre en 156'Ï.

Requesens y était en ce moment gouverneur et s 'y débattait


dans des difficultés considérables (3). Il avait averti le Roi de ces
difficultés et en avaient courageusement indiqué l'origine, ainsi
que le remède qu'il faudrait employer pour les faire disparaître.
Il avait osé écrire, fin 1574, à Philippe II en personne: « A la vérité,
quoique ceux de ce pays soient les premiers auteurs de tout le mal
qu'ils endurent, ils ont éprouvé et ils éprouvent tant de dommage,
par le fait des gens de guerre et par l'interruption du commerce,
qu'il faut plutôt s'étonner de leur patience: et je ne crois pas
qu'aucune des provinces les plus paisibles et les plus fidèles du monde,
qui eût souffert tout ce que celle-ci souffre depuis huit ans, eût été
aussi patiente. » (4) /'
On se préoccupait à Madrid de donner un successeur à ce servi-
teur clairvoyant et honnête, qui, simple gentilhomme de cape et
d'épée, avait signalé lui-même que les États du pays désiraient avoir
un gouverneur de sang royal. Au conseil qui s'était tenu en Espagne,
(1) FEA, O. C.• up, 38-39.
(2) Ibidem.
(3) Cfr E. GOSSART, La domination espagnole clans les Pays-Bas à ta fin du règne
de Philippe Il, pp. 19-27.
(4) Requesens au Roi, Bruxelles, 11 décembre 1574 (CIJ1Tesponc/.ance cie PhlUppe Il,
t. III, p. 212).

186
Hopperus, le garde des sceaux des Pays-Bas à Madrid, avait exposé
la question comme suit. Le choix d'un des fils ou' d 'un frère de
l'Empereur satisferait les gens du pays, mais à son avis, aucun d 'eux
ne pouvait convenir. Le nom de Granvelle pouvait aussi être mis en
avant, ainsi que celui de Marguerite de Parme, mais le candidat. le
plus apte lui semblait Don Juan d'Autriche (1). Requesens, dès qu'il
sut que le nom de ce dernier avait étéprononcé, se rallia à cette idée
et le fit savoir incontinent à Madrid (2). D'ailleurs, dès le mois de
juin déjà, le bruit avait. couru aux Pays-Bas que Don Juan viendrait
avec une grande armée en Flandre (3).
Ces bruits devaient être connus d'Alexandre Farnèse, qui était
continuellement. à l'affût. de semblables rumeurs. Aussi, déjà en avril
de la même année, Alexandre avait signalé à sa mère qu'il était
presque certain que Don Juan irait. en Flandre. Il avait. immédiate-
ment fait revenir toute sa maison à Parme, dans l'intention de
rejoindre le frère du Roi à Milan avant son départ supposé pour les
Pays-Bas. Il avait l'intention de prétexter une visite de politesse
à Don Juan, dans le secret espoir que ce dernier l'emmènerait avec
lui (4).
Mais, comme, nous l'avons vu au chapitre précédent, il ne s'agis-
sait pas encore de départ pour la Flandre, Don Juan devant être en
ce moment le lieutenant général du Roi en Italie.
L'année 1575 se passa dans une attente anxieuse. Le bruit de la
nomination de Don Juan comme successeur de Requesens continua à
courir aux Pays-Bas (5). En réalité, en Espagne, les conseillers du
Roi estimaient que, si le vainqueur de Lépante pouvait très bien
convenir comme gouverneur de Flandre, sa présence sur les côtes
d'Italie restait nécessaire, parce qu'on s'attendait à de nouvelles
attaques de la part des Turcs (6). Au mois d'octobre, Philippe II,

(i) Lo que se p~atico con Hopperus y con el âuque d'Alva, en lIladrid, a 30 de d:iziem-
bre 1574 (Correspondance ae PhUtppe U, t. III, p. 223).
(2) Requesens à Çayas, Bruxelles, 9 janvier Hi75 (Corresptnuuuice de Philippe Il,
t.. III, p. 245).
(3) Morillon il. Granvelle, Bruxelles, 1er juin 1574 (Corresponaance de üranveue,
t. v. p. 102).
(4) Lettre de Farnèse, Parme, 27 avril 1574 (A. F. i\".. Carte tarnesiane, Fiandra;
rascio 16241.
(5) Morillon à Granvelle, fi juillet 1575 (Corresponclance ae Granueüe, t. V, p. 338);
Le même au même, 18 juilIet 1575 (Ibidem, p. 340).
(6) Las casas que parescia aevna concede?' Su Mdà los Xl' Estadosno rebetaaos de
los Pais es Bajos, 22 juIn 1575 (Correspondance de PlJ,i~ippe Il, t, III, pp. 323-324).

187
embarrassé et hésitant comme toujours, n'avait. pas encore pu fixèr
son choix, tout en pensant continuellement à cette grave question (L),
Mais voici que, en février 1576, Requesens était mourant (2).
Avant de mourir, il eut l'occasion de tracer pour le Roi un portrait
des diverses sortes de gens qu'on trouvait aux Pays-Bas, portrait
exact et dont Philippe II pouvait faire son profit pour se laisser
guider dans le choix du nouveau gouverneur. « Il y a aux Pays-Bas,
écrivait Requesens, quatre sortes de gens. La première, qui forme
la minorité, e'st composée de ceux qui, animés d'un très bon zèle,
désirent voir s'arranger de la manière qui convient les choses de la
religion et du service de Votre Majesté. Dans la deuxième, je range
ceux qui sont si gâtés en ce qui touche à la religion, qu'ils voudraient
voir confondre la vraie et catholique et prévaloir celle des rebelles.
La troisième se compose de ceux qui, quoique catholiques et réputés
bons vassaux de V. M., gagnent par la guerre, au moyen des charges
qu'ils occupent, et désireraient qu'elle durât pour leur ambition et
leur grandissement, n'ayant pas,eux, la peine de chercher les moyens
de la soutenir. La quatrième, enfin, comprend la grande majorité et
les principaux du pays, et même les ministres de V. M. Ils désirent
que toutes ces choses s'arrangent pour le bien du pays, mais par un
accord, afin qu'ils demeurent avec beaucoup de liberté, craignant
d'en être privés si elles se terminaient pal' la force. » (3)

* *
Au moment où Requesens mourait, un conseil se tint à Madrid
pour examiner qui devrait être nommé gouverneur général des Pays-
Bas (4). La plupart des conseillers se prononcèrent pour Don Juan
d'Autriche. Il n'y eut que le prieur Don Antonio de Tolède pour
s'exprimer de manière défavorable au sujet de cette candidature; le
duc d'Albe avait estimé que le héros de Lépante était nécessaire en
Italie et avait proposé le duc de Savoie ou l'archiduc Ernest.
Le garde des sceaux Hopperus fut consulté aussi. Don Juan
eut ses préférences, mais Hopperus avait ajouté que, quel que fût le
gouverneur choisi, il faudrait qu'il traitât les affaires en se servant

(i) Apostille à une relation du Conseil d'État (Correspondance de Philippe II, t. III,
p.393).
(2) Nous ne pouvons nous déclarer d'accord avec le portrait que trace de Requesens
E. Gossart dans son ouvrage cité, p. 23 sv. C'est plutôt une caricature qu'un portrait ..
(3) Correspotuumce de Philippe II, t. III, p. 439.
(4) La que se traté en consejo de Estado a 20 y 22 de hebrero 1576 sobre la persona
para Flandes (Correspondance de Philippe II, t. III, pp. 429 svv.).

i88
des naturels des Pays-Bas, qu'il ne fût. pas accompagné de gens de
guerre et qu'il eût dans sa maison le moins possible d'étrangers (1).
C'est à cet avis que le Roi se rangea. Hopperus lui avait écritle
I" avril: le 8 avril, Philippe II adressa une lettre autographe à.Don
Juan pour lui signifier sa nomination comme gouverneur général des
Pays-Bas. Et voici les directives qu'il lui remit, directives directe-
ment inspirées du conseil donné par le garde des sceaux : « Rendez-
vous là-bas sans gens de guerre. Emmenez très peu de personnes
pour votre service, parce qu'il conviendra beaucoup que vous
employiez des gens du pays. Je sais certainement que, s'ils vous
voient venir seul, sans 'armes, sans troupes, sans conseillers et même
sans domestiques,et qu'avec toute confiance et assuranec vous vous
mettez et livrez en leu~ pouvoir, cette confiance excitera en eux infini-
ment d 'amour et de satisfaction. Vous les gagnerez ainsi et vous
conquerrez plus de cœurs et d'esprits qu'on ne l'a fait avec toutes
les forces passées, au moyen desquelles on a gagné si peu. » (2)
Aussitôt qu 'Alexandre Farnèse eut appris la nomination de Don
Juan au poste de gouverneur général des Pays-Bas, son impatience
éclata. Il entretint sans cesse sa mère de tous les déplacements de
son oncle, épiant anxieusement le moment opportun pour lui offrir
ses services ou pour l'amener à le prendre avec lui. C'est ainsi qu'il
l'accompagna jusque Milan (3), où déjà des troupes se concentraient
pour le cas où il 'en serait besoin en Flandre. TI resta en correspon-
dance suivie avec le nouveau gouverneur (4), espérant toujours
trouver une occasion de quitter l'Italie et son père Ottavio, avec
lequel il ne s'entendait plus, pour se couvrir de gloire aux côtés de
son ami d'enfance.
Le 12 février 1577, Don Juan, après bien des discussions avec les
États, avait fini par signer Pacte d'accord qui porte le nom d'Édit
perpétuel (5). Pour des négociations de ce genre, le nouveau gouver-
neur ne eonvenait pas. Granvelle avait d'ailleurs prévenu le Roi et
prophétisé les difficultés qui ne tarderaient pas à surgir (6). Alors

(1) Correspondance de PhiUppe II, t. IV, p. 25.


(2) Correspondance de PhiUppe II, t. IV, p. 38 sv. A comparer avec la lettre de
Morillon à Granvelle, 21 mai 1576 (Correspondance de Grœnueüe, t. VI, p. 80).
(3) Alexandre à sa mère, 29 juin et 23 août 1576 (A. F. N., Carte [arnesume, Fiandl'Œ,
fascio 1624).
(4) Lettres du 23 juin, 3 août, 12 octobre, décembre 1576 (A. F. N., Carte [arnesume,
Fuuuira, fascio 1624).
(5) E. GOSSART. O. C., pp, 48-52.
(6) Granvelle au Roi, 23 mars 1576 (Correspondance de Philippe II, t. IV, pp. 2-3).

189
qu'il aurait fallu un esprit modéré, conciliant, d'un caractère paci-
fique, Don Juan était bouillant et emporté et ne rêvait que batailles et
victoires.
Au cours des négociations avec les États, il avait déjà écrit au
Roi pour envisager la rupture des tractations et prévoir la guerre,
et il avait demandé à Philippe II que, en ce cas, on lui donnât, pour
le seconder, son compagnon de Lépante, Mareantonio Colonna, ou, à
son défaut, le prince de Parme (1).
Aussi,peu de temps après la signature de l'Édit de Marche,
Alexandre Farnèse reçut de son oncle, une lettre qui était de nature
à raviver toutes ses espérances. Don Juan y exprimait l'espoir que
la paix pourrait se conserver avec les États, mais il ajoutait aussi
que lui-même n'était pas l'homme pour user de moyens pacifiques. TI
détestait les Flamands et les regardait « comme des gens parmi les-
quels il ne voudrait passer son existence, à aucune condition. » Il
annonçait à Farnèse qu'il avait demandé son congé au Roi. Comme
l 'Édit de Marche avait concédé aux États le départ des troupes
étrangères qui se trouvaient aux Pays-Bas, Don Juan espérait qu'on
le laisserait partir en même temps qu'elles. Il avait toutefois ajouté
que, si son départ devaitentraîner quelque nouvelle calamité, il con-
sentait à prendre patience jusqu'à la fin de septembre.
A ces considérations, Don Juan ajoutait qu'il avait toujours
regardé la guerre comme inévitable et il continuait comme suit :
« Ainsi s'accomplirait ici ce que Votre Excellence et moi nous dési-
rons également tous deux ... Votre Excellence pourrait être à la tête
de l'infanterie. A votre arrivée ici, nous ferions bonne compagnie à
nous deux, au grand contentement de tous! »
Passant ensuite brusquement à un autre ordre d'idées, Don
Juan suggérait à Farnèse qu'il pourrait peut-être prendre le com-
mandement des troupes espagnoles qui allaient quitter les Pays-Bas
en vertu de l'Édit de Marche et que le Roi de France engagerait
probablement pour combattre les huguenots dans son royaume. Le
prince de Parme se ferait ainsi un nom « à peu de frais ». Aussi,
Don Juan avait déjà écrit au Roi que, dans le cas où ces troupes
seraient envoyées en France, on ne trouverait pas de meilleur chef
qu'Alexandre Farnèse (2).

(i) Don Juan au Roi, Marche, 8 janvier 1577 (Cor1'espondance de Philippe JI, t. V. p, 139).
(2) Don Juan à Alexandre Farnèse, Marche, 29 février 1577 (A, F, N., Carte fQtne-
.siane, Pimldra, fascio 1624),

l!)O
En recevant cette lettre, le prince de Parme s'éprit avec enthou-
siasme de l'idée conçue par son oncle. Comme d'habitude,il consulta
sa mère. Le 20 mars, celle-ci lui répondit par des considérations
destinées à le refroidir beaucoup (1). Elle mit d'abord en avant que
la mission de conduire en France les Espagnols qui devaient quitter
les Pays-Bas ne serait pas digne de la 'situation d 'Alexandre.
N'avait-on pas vu naguère des gens de moindre qualité, comme le
comte d'Arenberg et le comte de Mansfelt, amener au Roi très chrétien
du secours composé d'un nombre beaucoup plus grand de cavaliers
et de fantassins que le prince de Parme ne pourrait en commander en
cette occasion 1 D'autre part, comment concilier le fait de prendre
service sous Je roi de France - même si c'était par ordre de Phi-
lippe II - avec la politique des Farnèse dans le passé 7
Le 26 mars, la duchesse écrivit de nouveau pour répéter ces
mêmes considérations (2).
Oesconseils n'influencèrent pas beaucoup Alexandre F'aruèsc.
'I'out en remerciant sa mère de la manière dont elle continuait à
plaider auprès de Don Juan en faveur de ses intérêts, le prince lui fit
observer que, s'il était vrai que les comtes d'Arenberg et de Mansfelt
étaient allés en France avec des troupes plus nombreuses que lui-
même ne pourrait en conduire, on ne devait pas oublier que les
soldats commandés par eux 11 'étaient pas de l'infanterie espagnole,
composée de vieux soldats, qui valaient le double de ceux des autres
nations (3). Don Juan n'insistait-il d'ailleurs pas lui-même pour qu'on
laissât Farnèse partir Le prince de Parme avouait que, sans doute, sa
î

satisfaction serait plus grande, s'il s'agissait d'un service commandé


directement par le Roi. Il aurait fallu que celui-ci donnât au prince le
commandement de 5.000 fantassins au moins, que la mission fût
confiée par le souverain en personne et qu'il spécifiât la solde et
le titre de général.
Alexandre Farnèse ajoutait qu'à ces conditions, il serait très
content, car il voulait quitter Parme par tous les moyens, Il finit par
supplier sa mère de régler l'affaire de cette mauière avec Don Juan
et, si possible, avec le consentement du duc Ottavio, son père.
Le désir du prince ne devait pourtant pas se réaliser. Le 30 avril,
sa mère lui fit connaître que la proposition de Don Juan n'avait pas

(1) Marguerite cie Parme à son 1119, 20 mars 1577 (A. F. x., Carte rarnestone, FÎ(mtlr(l,
fascio 162.2).
(2) A. F. N., Carte tamessane, Funuira, tascto 162'2.
(3) Lettre clu 28 mars 1577 (A. F. N., Calte tornesione, Fian(/i'a, rascto 1624).

191
été acceptée par le Roi. Elle lui annonçait en même temps qu'elle
restait en correspondance avec le gouverneur et qu'elle profiterait de
la première occasion pour obtenir une charge honorable pour sou
fils (1). Cette réponse ne fit qu'aiguillonner davantage l'impatience
d'Alexandre, qui, dans les lettres qu'il écrit à Marguerite pendant le
mois de mai, ne fait que lui répéter qu'il attend avec un désir fiévreux
des nouvelles de son oncle {2).
Au milieu de cette attente, la cour de Lisbonne fit au prince de
Parme la proposition de se joindre à l'expédition que le roi Sébastien
préparait en ce moment contre les Mores d'Afrique. Quoiqu'une telle
entreprise l'eût entraîné momentanément loin de Flandre et de Don
Juan, Alexandre fut prêt à accepter la proposition : il confessa
à sa mère qu'il ne lui était plus possible de rester chez lui et que, à
tout prix, il lui fallait de l'activité (3).
Mais au même moment, de bonnes nouvelles arrivèrent de
Flandre: elles étaient bonnes en ce sens qu'elles offraient cette fois
à Alexandre l'occasion de rejoindre son oncle.

=*
'*' *
Voici ce qui s'était passé. Nous avons vu plus haut qu'après
l'Édit de Marche, Don Juan avait demandé son congé au Roi. Une
lettre de son secrétaire, Escovedo, à Philippe II, nous fait com-
prendre comment il pouvait concilier l'idée de son départ comme gou-
verneur général avec le projet qu'il avait de faire la guerre aux
États des Pays-Bas et de faire venir Alexandre Farnèse pour
l'assister. « Le seigneur Don Juan, écrivait Escovedo, a de la dou-
ceur et de la patience, mais jusqu'à uni certain point, et il y a des
choses que sa nature ne lui permet pas de supporter. S'il convient au
cas où l'on fera la guerre, il est peu propre au gouvernement du pays.
Une femme vaudrait mieux pour gouverner, surtout l'Impératrice, et,
à s'Ondéfaut, Madame de Parme ou Madame de Lorraine. » (4)
Philippe II refusa d'accorder le congé que le gouverneur solli-
citait,en lui disant que « sa personne était plus nécessaire pour ce
qu'il y avait encore à faire qu'elle ne l'avait été pour ce qui s'était
(1) A. F. N., Carte tœmesume, Fuuuira, fascio 1622.
(2) Parme, 14 et 21 mai 1577 (A. F. N., Carte farnestane, Fiandra, rascio 1624).
(3) Alexandre à sa mère, 9 et l1aoo.t 1577 (A. F, N., Carte farnesiane, Euuuirt»
Iasclo 1624).
(4) Escovedo à Philippe II, Marche, 9 février 1577 (Correspondance de PhiUppe II,
t. V. pp. 190-191).

192
déjà fait » et que Don Juan avait toutes les qualités requises pour
terminer le désaccord existant entre le souverain et ses sujets (1).
Don Juan essaya alors, de bonne foi, d'obtenir un accord avec, le
prince d'Orange, mais ce fut un échec complet. Le gouverneur en fut
exaspéré: « Ou bien, écrivit-il à Philippe II, Votre Majesté doit céder
sur le point de la religion, ce que je ne lui. cons·eillerai pas, dût-elle
consumer tous ses trésors et mettre sa vie en péril, ou',bien il faut
qu'elle brûle le pays. Ce dernier parti est le meilleur! » (2) Le gou-
verneur fut confirmé dans ces dispositions belliqueuses par la réponse
catégorique que Guillaume de Nassau avait faite aux ouvertures de
paix communiquées par le duc d'Aerschot.Le Taciturne avait donné
à ce dernier le conseil de ne pas se fier au Roi, lui disant qu'il expo-
serait sa tête. Il avait ajouté que, quant à lui, il n'aurait jamais cette
confiance, parce -que le Roi l'avait souvent trompé; que d'ailleurs
Philippe II avait pour maxime que la foi donn-ée aux hérétiques ne
devait pas être gardée; enfin, qu'il était chauve déjà, et calviniste,
et qu'il voulait mourir ainsi (3).
Cette attitude fut une des causes qui poussèrent Don Juan à
prendre un parti désespéré. Il décida de se rendre maître de la cita-
delle de Namur: il en avertit le Roi le 13 juillet: « J'ai résolu de
partir demain pour Namur, sous prétexte de rencontrer la reine de
Navarre. La nécessité de partir d'ici est devenue si extrême qu'il
me faut tout risquer. » (4) Cette occupation de la citadelle de Namur
consomma la rupture du gouverneur avec les États : enfin Don Juan
était en sûreté! Il s'était assez humilié, assezcontenu : que le Roi lui
renvoie ses troupes et il pourra parler en maître, agir en soldat, venger
son honneur et « se baigner dans le sang des traîtres. » (5)
Au mois d'août, devant le triomphe du prince d'Orange, qui avait
été reçu à Bruxelles comme le, libérateur de la patrie,et devant les
préparatifs militaires de ses adversaires, Don Juan 'songea à se retirer
à Luxembourg. Avant de partir, il adressa une lettre ardente à «ses
magnifiques et chers amis, les capitaines et soldats de L'infanterie
espagnole. partie des États de Flandre » pour les appeler à son

(i) Philippe II à Don Juan; San Lorenzo, 6 avril 1577 (CorresplYTldance de Philippe Il,
t. V, pp. 286-287).
(2) Don Juan au Roi, 23 mai 1577 (Correspondance de PhiLippe Il. t. V, pp. 353-354).
(3) GACHARD. Correspondance de Guillaume le Tacüurne, t. III, pp. LIII-LXIII.
(4) Correspondance de Philippe Il, t. V, p. 456.
(5) H. PIRENNE, Histl>ire de Belgique, t. IV, p. 95.

193
seccurs f l.): et pria le marquis d' Ayamonte, vice-roi de Milan, de lUÎ
renvoyer léstroupes espagnoles sorties à la suite de l'Édit de Marche .
. ',C',est en cemoment que Don Juan exécuta le projet qu'il avait
caressédès son arrivée en. Flandre et auquel les' prières de Margue-
rite' de Parme rr'étaient pas étrangères. Puisqu'on allait avoir la
guerre, le gouverneur avait demandé au Roi de lui' envoyer comme
aide Alexandre Farnèse.

* *
. A cette nouvelle, le prince ne se contint plus de joie. Il écrivit
àsa mère qu'il était fort content de la charge honorable que lui
proposait Don Juan: « car je suis ainsi, disait-il, sous sa protection
et son autorité, ce qui me fait estimer plus l'entreprise que \Si je me
trouvais loin de sa personne. » A la satisfaction de Farnèse s'ajoutait
encore un autre motif de contentement : le duc Ottavio fut, cette fois,
entièrement d 'accord pour que son fils acceptât la charge proposée (2).
Ottavio voulut immédiatement exploiter les circonstances dans
l'intérêt de la politique farnésienne. Puisque l'on semblait avoir besoin
à Madrid des services du prince Alexandre, il jugea qu'il devait agir.
comme il avait agi lorsque le Roi avait nommé Marguerite de Parme
gouvernante dès Pays-Bas. Il imagina de négocier immédiatement
avec Philippe II la restitution de la citadelle de Plaisance, en lui
offrant une somme de 200.000 écus, que le souverain pourrait employer
pour dompter la révolte aux Pays-Bas. Et il poussait son fils à accepter
la proposition de Don Juan, puisque cette mission confiée à Alexandre
lui permettrait d'essayer un véritable chantage auprès du Roi (3).
De son côté, le prince pressait sa mère d'insister fortement à
Madrid pour que Philippe II consentît à le laisser partir (4). Margue-
rite ne manqua point de s'employer dans ce sens avec toute l'énergie
possible (5).
Par une coïncidence vraiment extraordinaire, Alexandre Farnèse
vit se rompre en ce moment un lien,aussi faible qu'il fût pour lui, qui

(1) Le texte de cette lettre se trouve dans ALONSO VASQUE'Z, Los sucesos ..., loc. cit.,
pp. 64-65.
(2) Alexandre à sa mère, Parme, 11 août 1577 (A. F. N., Carte tamesum», Fiandl'a,
fascio 1624).
(3) _\lexandre .à sa mère, 29 août 1577 (A. F. N., Carte [arncsume, Fuuulra, rasclo
1fi24).
(4) FEA, a. c., p. 41-
(5)Marguerite à Alexandre, 3 et 10 septembre i577 (A. F. N., Carte tarnesume, Fiand/a,.
fascio i622).

19l
~llr~it,.]mle taire regretter.de quitter l'Italie. 'Sa·GQmpagne,Marie de
Portugal,
. "
mourut le 8juillet à Parme, et fut ensevelie dans
" ., '. un. modeste
'

tombeau, conformément à son désir, dans l'église des Clarisses (1).


Un document nous .permet de savoir comment Alexandre Farnèse, au
moment où il n'avait qu'une idée : rejoindre Don Juan, sentit la dis-
parition de l'épouse dévouée, qui semble avoir occupé si peu de place
dans sa vie. Le 9 juillet, le prince annonça le décès de sa femme I8.U
cardinal Santa Croce, en disant que, après six mois de maladie, la
princesse Marie était morte, « me laissant dans une solitude pleine de
cette affliction qui convient à' Iaperte .d'mi être aussi chëiet aussi
almé;èomme une partie de moi-même. »(2) Ce 'disant; il fut sans doute
sincère. On peut supposer qu'il ne lut point sans émotion le testament
laissé par la défunte, où celle-cirépétait,' avec une insistance touchante,
ces mots: il Principe, mio eiqnore (le Prince, mon seigneur),' avec
lesquels elleavait eu L'habitude de le saluer: pendant sa vie (B).
C 'est au moment de la mort de Marie de Portugal que se place
l'événement raconté par Alonso Vasques (4): Guzman de Silva, qui
avait autrefois, en 1566, assisté au mariage de Farnèse en sa' qualité
d'ambassadeur d'Espagne à Londres, et qui était; en 1577, ambas-
sadeur à Venise, s'enfuit de cette ville parce que une maladie pesti-
lentielle la ravageait. Malade et déjà vieux, il alla se fixer à Plaisance.
Lorsque Alexandre Farnèse apprit à Parme que de Silva ne séjour-
nait pas loin de chez lui, il lui dépêcha son familier, le capitaine
espagnol Pedro de Castro, pour le soigner. L'ambassadeur .
faillit .

mourir de sa maladie: lorsqu'il fut remis, les médecins lui conseillè-


rent de changer d'air: il pourrait aller remercier le prince de Parme
et terminer chez lui sa convalescence. En route, Gùzman de Silva
s'arrêta à San Donnino pour y saluer Donna Maria de Portugal, mais
il apprit qu'elle était morte. Il continua alors son voyage jusque
Parme, où il fut bien reçu par le duc Ottavio et soli fils. Chaque fois
que l "ambassadeur écrivait au Roi son maître, il lui faisait l'éloge
el'Alexandre et communiquait l'expression de son désir de servir le
souverain. Obéissant aux suggestions de Pedro de Castro, de. Silva

(i) A. DEL PRATO, Il testamento di Ma1'/a di Portoqaüo, loc. clt., pp. 171-173.
(i) BROM, Archivalia in ttauë, t. Ill, p. 246; n° 237.
(3) « Sta innamorata forte del sor Principe e m' ha imposto che nelle lettere italiane,
ch' ro sorivo in suo nome, io non dica mai Il Sor Principe, ma il Principe, mto signore,
ogni volta elle occorre ; il che ella dtce sem pre a bocca. » Luislnl au cardinal Farnèse,
Parme, 23 juillet 1566 (RONCHIN!, Prancesco Luisini, loc. cit., p. 216).
(4) Los sucesos de Flandes y Francia âe; tfempo de Alejandro Fm"ll.esio' (DocumentOfJ
if/éditos, t. LXXII, pp. 62-63).

195
proposait à Philippe II d'employer le prince à la guerre. Le Roi
répondit que, dans peu de temps, il comptait faire appel aux services
de son neveu.
Ainsi, de toutes parts, une pression s'exerçait pour obtenir que
le prince pût rejoindre Don Juan.

La situation de celui-ci empirait de jour en jour. Le 25 octobre,


il fit retentir un véritable cri d'alarme dans la lettre qu'il expédia à
Alexandre Farnèse : « En envoyant ce courrier à Milan pour obtenir
de l'argent, disait-il, je vous écris ces lignes, Ma situation est terrible;
ma maladie d'estomac a empiré et je suis accablé de malheurs. »
Il suppliait le prince de venir au plus vite aux Pays-Bas: « Venez
vite, car je désire que vous ayez, dès le commencement, part au
succès qu'avec l'aide de Dieu, j'espère que nous allons avoir ». Il priait
Alexandre de presserson père et sa mère de le laisser partir et de
l'avertir, aussitôt qu'il pourrait s'en aller; Don Juan escomptait alors
une prompte décision du Roi. Pour faire comprendre à Farnèse la
situation critique où il se trouvait, le gouverneur signalait la reddi-
tion de Brédaaux États, la condition précaire de Ruremonde, où le
baron de Polweiler s·etrouvait assiégé, l'étrange équipée de l'archiduc
Mathias, dont la brusque apparition aux Pays-Bas venait singulière-
ment compliquer la situation (1).
En même temps qu'il écrivait ainsi au prince Alexandre, Don
Juan envoyait une lettre de la même teneur au duc Ottavio. Il espérait
connaître au plus tôt la résolution du duc au sujet du départ de son
fils. La présence de celui-ci était nécessaire, tant parce que Don Juan
était malade que pour toutes les raisons déjà antérieurement déve-
loppées. Si Alexandre n'était pas encore parti, il devait le faire au
plus vite. Le gouv-erneur désirait l 'associer dès le début au succès
qu'il escomptait et n'entreprendrait rien d'important avant l'arrivée
du prince (2).
Entretemps, Philippe II, qui avait d'abord refusé de laisser ren-
trer aux Pays-Bas les troupes espagnoles, avait fini par y consentir,
par mesure de précaution. Il était cependant encore décidé à éviter la
(1) Lettre datée de Luxembourg, 25 octobre 1577 (A. F. N., Carte tarnesume, Fumâra,
rascto 1624).
(2) A. F. P., Cm'teggio [urnesumo, Puesi. Bassi, carteggio 1566-1577.

196
guerre, car il avait proposé secrètement à Marguerite de Parme de la
substituer à Don Juan. La duchesse, après bien des hésitations, avait
accepté, mais l'arrivée de l'archiduc Mathias et les complications qui
s'ensuivirent' forcèrent le Roi à abandonner ce projet (1). Obligé
el'accepter l'idée d'une reprise de la guerre contre les États,
Philippe II avait cependant supplié Don .Iuan de ne s'y résoudre qu'à
la dernière extrémité.
Une fois l'envoi de ces troupes aux Pays-Bas décidé, le souve-
rain fit appel aux services du prince de Parme. Il avertit sa. sœur
qu 'Alexandre devait s 'apprêter à prendre le commandement des
forces concentrées déjà en Lombardie et qn 'il trouverait une dépêche
en mains du marquis de Ayamonte, gouverneur du Milanais (2).
Au reçu de cette lettre, Marguerite de Parme, après avoir hésité
un instant, écrivit à son fils de venir la rejoindre à Aquila, où elle
se trouvait en ce moment avec le cardinal Farnèse et le cardinal de
Granvelle. Ce dernier y avait été envoyé pour exposer à la duchesse
les intentions du Roi. Alexandre Farnèse se rendit à Aquila en com-
pagnie de quatre ou cinq gentilshommes de sa chambre et y trouva
sa mère en conseil avec les deux cardinaux, On décida d'envoyer à
Milan lie familier du prince, le capitaine Pedro de Oastro, pour
chercher la dépêche royale.
Alexandre, en possession de cette missive, y apprit que le Roi
l'envoyait en Flandre « pour assister Don Juan dans le manège des
armes. » (4)
Le prince de Parme répondit immédiatement au Roi pour le
remercier chaleureusement et lui dire qu'il agirait aussi vite et aussi
bien que possible (5). A sa mère, il-écrivit : « Maintenant je m'en vais

(1) Sur cette question du retour cie Marguerite de Parme, il faut consulter REUl\IO:\T,
Marghm"i,ul d'Aust?"M, loc, oit., pp, 58-60; GACH.~RD, DonJuan d'Aut?'iche, loc. clt., pp. 110-
112, et surtout l'exposé très complet de GACHARD en tête cie la Correspoïuiance de Pht~
lippe tt, 1. II, pp. LX svv, Voir aussi L. VAN DER ESSEN" L'inte?"lJentiolt de Marguerite dèo
Parme d-ans le moucement de réconcüuüion (/es provinces waUonnes (1579), dans les
Bulletins de la Commission ?'oya~e (t'Histoire, L LXXXVIII, 1924, pp. 1-12,
(2) ALONSO VASQUEZ, Los sucesos.; loc, cit., p, 62,

(3) ALONSO VASQUEZ, 0, c. lac, ctt., pp, GG-G7,


(4) Lettres du marquis d'Ayamonte à Farnèse, 9 et 11 novembre 1577; Lettres de
Farnèse à sa mère, 7, 12, 15 et. 19 novembre 1577; Lettre cie Fnruèse au marquis d'Aya-
monte, 17 novembre 1577 (A. F. N" Carte [arnesiane, Puinâra, rasclo 1G24), Cfl' STRADA.
O. c., t. II, pp. 335-337,

(5) Farnèse au Roi, 17 novembre J577 (A,F, :>J" Capte fClmesiane, Fiantll'a, fascia 1624),

197
servir conformément 'à -mon inclination et je vous supplie d'avertir
Sa }IajestB de la promptitude que j'y mettrai. » (1)
Cependant, le duc Ottavio ne vit pas de trop bon œil ce départ (2) :
il était embarrassé de devoir fournir la somme d'argent que le prince
lui réclamait pour ses préparatifs de voyage. Les choses traînant
en longueur et le prince s 'apercevant que, pour organiser sa maison
en vue de S'a nouvelle mission, il lui faudrait encore-assez bien de
tempe.ae décida à ne plus attendre età partir de suite avec un petit
nombre de ses gens (3).
il quitta Parme le 5 décembre, à 3 heures de la nuit, ne prenant
avec lui que le capitaine Pedro de Castro, son barbier Pietro
Todeschino et le maître des postes de Plaisance. Le comte Bernardino
Mandello, Léon Lazare Haller, serviteur allemand, le comte Nicolo
Cesis et Orazio Fuslan, aide de chambre, devaient le suivre le leude-
mam.
Pour ne pas être reconnu en route, il se fit passer pour l'écuyer
de Pedro de Castro. Rapidement, il voyagea par le Piémont et la
SavoiaA Alessandria, où étaient campés les Espagnols prêts à partir
pour la Flandre, le déguisement qu'il avait adopté lui fit courir un
grand danger, car on le prit pour un espion. Arrivé à Turin, il <y
écouta les conseils que pouvait lui donner le duc Emmanuel-Philibert
de Savoie. Il passa ensuite les Alpes, par très mauvais temps, à
travers la neigeet par des sentiers défoncés, mais la hâte qu'il avait
de rejoindre Don Juan (4) lui fit mépriser tous les obstaeles.i.Le
17 décembre, de grand matin, il était à Luxembourg (5). Les deux
compagnons de Lépante s'étaient retrouvés.
(1) Parme, 19 novembre 1577 (A. F. N., Carte tamesume, Fiitnctl'a, ïasolo 1624),
(2) Le 23 septembre 1578, Ottavio écrit à son fils, en ohiffres, qu'il ne veut pas lui
donner de conseils concernant la question d'entrer au service de Philippe II parce que
Alexandre, comme en d'autres occasions, n'a pas suivi son avis (A. F. N., Carte farnesfilrne,
Ffandra, fascio 1714). Cfr OAMPANA, Della çuerra di Piandra, fo 193'0, "
(3) ALONSO VASQUEZ, O. c., lac. cit., p. 68; Lettre d'Alexandre à sa mère, Parme,
"22 novembre 1577 (A. F. N., Carte farnesianè, Fiandra, rascto 1624).
(4) « Questa presoia che si è data a partire è stata per ventre sollecitato gagliarda-
'mente dal Sor Don Giovanni. » Ottavio Farnèse au cardinal Farnèse, 10 décembre 1577
(A. F. N., Carte tarnesiane, Fiitndl'a., fascio 1714).
(5) Sur le voyage d'Alexandre err ALONSOVASQUEZ,Los sucesos ..., lac. cit., p'p. 68-70.
« Fra tanto che la gente ohlamata da D. Giovanni oomparlva a poco a poco, venne Ales-
sandro Farnese, prinoipe di Parma e di Piacenza ... a lutta sua spese, accompagnato da gran
cometiva di cavalieri et gentilhuomlni, come haveva promesso a S. M. et a S, A. con
consente dei padre et della madre e del cardinale Famese, suo zia, havendone per lettere
S. M. pregati tutti tre che per sua servizio la Iasciassero andare in Fiandra, come havevo
fatto a bocca col padre et alla madre Don Giovanni con grande instantta da parte del
fratello et sua, havendolo molto egli pregato et desiderato più che ogni altra cosa,
amandosi l'un l'altro come fratelli. » Libel' relatumum ..., f035.

198
CHAPITRE XI

ALEXANDRE FARNÈSE LIEUTENANT DE DON JUAN


AUX PAYS-BAS
(1577-1578)

LA BATAILLE DE GE}fBLO"(-:S:

C'est le 17 décembre 1577. ~ !~ :::'el.lrëS d::. mariz, '=1:': '.--Lo::-x..s..::..i:-:


Farnèse arriva à Luxembourg IIi, où Don Juan s'était retiré p.:.,,:-
attendre des renforts qui devaient venir d'Italie et qui suivaient
de près le prince de Parme. Lorsque celui-ci se présenta au quartier
général de Don Juan, le gouverneur était encore couché. On le prévint
de l'arrivée de son neveu: il sauta en bas du lit et sans se donner
la peine de s'habiller, se précipita au devant d'Alexandre. La ren-
contre fut émouvante: Don Juan montra au prince la plus TITe
affection et la plus grande joie (2).
En effet, déjà au mois d'octobre 1577, en suppliant le Roi de lui
donner Alexandre Farnèse comme collaborateur, le gouverneur avait
fait valoir qu'il était fort nécessaire d'avoir près de lui quelqu'un
qui, en cas d'absence ou de mort, pourrait le remplacer (3). Quelles
difficultés n'étaient pas nées, du fait de ne pas 'avoir pris de telles
précautions, lorsque mourut Requesens! Personne, disait Don Juan,
n'était mieux indiqué pour venir l'as-sister qu'Alexandre Farnèse. Une
fois introduit par le gouverneur dans la pratique des affaires, le prince
de Parme les conduirait avec la valeur et le savoir-faire qui le carac-
térisaient. Dans une autre lettre, où Don Juan insistait encore sur la
(i) Alexandre à sa mère, Luxembourg, 21 décembre 1577 (A. F., N., Carte tarnesiILne.
E'iandra, fascia 1624.) ; Farnèse au Roi, Luxembourg, 31 décembre Hi78. (B. PORRENO. O. c.•
p. 500).
(2) Même lettre; A. VASQUEZ. Los sucesos ...• loc. cit., p. 70.
(3) Lettre de Don Juan au Roi, Marclle,4 octobre 15'77 (B. PORR&'i.o. 0: c., p. 497).:'

199
nécessité de la venue de Farnèse, ildêveloppa encore d 'autres raisons:
sa santé allait de mal en pis; les douleurs qui le tenaillaient jusque-
là de temps en temps, ne le quittaient plus; il avait eu beau pratiquer
des saignées et des purges, il était de plus en plus malade (1).
Aussi, malgré la joie qu'éprouva le prince de Parme d'avoir
rejoint son compagnon de Madrid et de Lépante, il fut frappé par
le changement qui s 'était opéré dans l'aspect de Don Juan. Ce
n'était plus le fier et brillant guerrier d'autrefois qu'il avait devant
lui, mais un homme amaigrt par les soucis et la maladie, et dorit
la majesté altière de visage et d'attitude avait fait place à I'abat-
tement (2).
Les souffrances morales surtout avaient exercé leurs ravages.
Don Juan se sentait comme abandonné par Philippe II et savait qu'à
Madrid on doutait de ses capacités. Aussi, une des premières questions
qu'il posa à Alexandre Farnèse se rapportait à la prochaine venue
de Marguerite de Parme. Le prince, qui se doutait bien que la mission
donnée à sa mère par le Roi ne devait pas être agréable à Don
Juan, essaya dé faire comprendre à son oncle que Marguerite n'avait
pas pu refuser ce service. Il ajouta, avec beaucoup de finesse, que
la duchesse se rendait bien compte que cette mission ne porterait
aucun fruit, puisque les efforts prudents et diligents de Don Juan
n'avaient eu que peu de résultats. Puis, brusquement, le gouverneur
demanda au prince si Granvelle revenait aussi aux Pays-Bas, et
sans laisser à son interlocuteur le temps de répondre,ajouta que
le cardinal n'était pas l'homme qu'il fallait envoyer, à cause de
la haine que tous lui portaient. Don Juan ISemontra surtout affecté
de ce que ni le Roi ni aucun ministre espagnol ne lui avaient écrit
au sujet de la venue de la duchesse de Parme aux Pays-Bas et qu'il
avait dû l'apprendre par une lettre de Marguerite elle-même (3).

(1) Lettres du 4 et du 31 octobre 1577, dans GACHARD,CorrespondJlnce a'Alexandre


Parnèse..., dans les BuUetins de la Commiss'f<J1tRoyOile d'Histoire, 2" sér., t, IV, p. 365,
notes 1. et 3.
(2) STRADA,o. c., t. II, p. 337.
(3) Lettre de Farnèse' à sa mère, Luxembourg, 21 décembre 1577 (loc. cit.). Marguerite
s'étonne du secret gardé par le Roi à ce sujet: « Et mi maraviglto che d'una risolutione
tale non Ii habbino dato parte. Et vot vi dovete ricordare elle fra le prime cose cJle
io dissi allo tmbasclatore, fu che se Ii facesse sapere subito, et io 10 scnsst a Sua Maestà.
Et si poi eon tutte le mie gfie l'ho replicato, parendorm che ... dovessi sapere Sua Altewa
nudamente il ratte. » Marguerite à Alexandre, Aquila, 16 janvier 1578 (A. F. N., Carte
(arnesfane, fascio 553).

200
PL. XXIV

ALK\X'\DRE F.\R::\ÈSE
(Gravure cie Crispin cie Passe)
Don Juan se plaignit ensuite de Mansfelt, dont il avait remarqué
ta grande désobéissance à ses ordres. A ce propos, le jeune prince
de. Parme crut bon de mettre encore du baume sur le cœur ulcéré
de son oncle, en lui faisant comprendre qu'il valait mieux pardonner
au vieux comte eine pas le châtier. Finalement, Don Juan s'apaisa (1).
On parla ensuite affaires. Il semble bien que le Roi, en mettant
Alexandre à la disposition de Don Juan, ne lui avait donné aucun
titre spécial : il devait simplement assister son oncle en toutes choses,
principalement dans les questions de la guerre (2). Il va sans dire
que cette dernière mission fut surtout du goût du prince: ils 'en
réjouit beaucoup et le signala avec joie à sa mère (3).
Le Roi avait cependant ordonné à Don Juan d'offrir au prince
de Parme Iacharge de général de la cavalerie: Mais Alexandre refusa :
il savait que ce poste était ambitionné par Ottavio Gonzagaet il
l'obtint pour ce dernier (4).Exemple typique de la prudence et de
l'habileté d 'Alexandre.rqui sut ainsi, dès le début, s'attacher ce
personnage ombrageux et ondoyant, d'autant plus dangereux qu'il
entretenait .., des rapports épistolaires suivis avec le puissant secré-
taire d'État Antonio Peréz.
Lie prince de Parme hésita longtemps à accepter la gratification
de 1.000 ducats par mois, traitement d'un gouverneur de province,
que Don .Iuan lui offrit par ordre du Roi. Il se demandait si un
personnage de sa qualité pouvait se bisser offrir un traitement: il
finit par refuser cet avantage (5).
Il aurait cependant pu bien utiliser cet argent. En effet, il serait
rejoint dans peu de jours par la troupe de soldats et de capitaines
quil avait engagés comme une espèce de corps de volontaires - usage
courant chez les condottieri de l'époque - et qu'il payait de ses

(1) A. VASQUEZ, Los sucesos ..., loc. clt., p. 71.


(2) « Sin qui è che non veggo che ci sta alcuna particular deliberatione in elle Sua
Maestà impieghi la persona mia, se bene il signol' Don Giovanni mi ha parlato tante
amorcvolmcnte, volendo che Io hahhia cariee et sopra di me tutte le cose della guerr«,
lassando .tutto questo peso sopra cli me. » Alexandre à sa mère, Luxernhourg, 21 décem-
bre 1577 (loc. clt.).
(3) « Danclomi parle et faccndomi vedere tutto I'lutrinseco delle cose sue et cle' n.egotii,
,~he tutto rnolillgn pif! di quelle che per avanti me Ji sentivo obblignto. se pure è possibile
accrescer dal canto mio J'obbligo che le tengo. » Alexandre à sa mère, Marche, 25 jan-
vier 1578 (A. F. N., Carte tamesume, Pianâra; fascio 1(24),
(4) Liber reuüïonum, r- :15"°-35·,
(5) Alexandre à sa mère, Marche, 25 janvier 1578 (A. F, N" Carte [arnesiane, Fiandra,
rascto 1(24), Cfr aussi STRADA, 0, C" t. II, p, 337; FEA, 0, C" p. ',7,

201
deniers, à grands fraisrces gens de guerre. étaient au nombre de
deux cents (1).

Alexa-ndre, tout heureux de pouvoir ainsi donner sa mesure aux


côtés de Don Juan, adressa à sa mère une lettre enthousiaste, où il
fit montre de son entière bonne volonté et de ses excellentes disposi-
tions: « Je ne manquerai pas, écrit-il, de donner à Don Juan toutes
les satisfactions qu'il me sera possible de donner, et de prendre sur
moi toute la charge et tout le poids des affaires, avec la plus grande
diligence, pour alléger les tracas de Son Altesse. » (2)
Don Juan s'empressa de mettre lui-même, et de faire mettre par
ses ministres, Farnèse au courant de la situation où l'on se trouvait
en ce moment (3). Elle étaii loin d'être encourageante, L'armée des
États se trouvait campée autour de Namur: dans l'entourage de
Don Juan on estimait ces troupes à 15.000 hommes, mais le prince
de Parme les jugeait fortes de 20.000 (4).
Il semble bien qu'elles atteignaient ce chiffre. A la fin de
novembre, l'anglais John Dale, qui avait passé par le camp des
États, croyait qu'il s 'y trouvait 500 cavaliers et 7.000 fantassins (5) :
11npeu plus tard, William Davison faisait savoir à Lord Burleigh
que, outre les 3.000 Écossais récemment arrivés, on estimait les forces
d'infanterie à 80 enseignes et la cavalerie à 13 ou 14.000 chevaux, et
on ne pouvait oublier les compagnies que les chefs de 1'armée des
États rappelaient en ce moment des environs de Ruremonde (6).

(1) « Di li a pochi giornt comparse la sua gente di oapitani et soldati veccht c11' erano
tutti al numero (Ii 200 a sue pl'ovtsione et spese con g7'an costo suo. » Liber relaHonUln ...,
t: 35ro.
(2) Lettre du 21 décembre 1577 (loc. oit.).
(3) Ibidem.
(4) Ibidem.
(5) Avvtsi des Pays-Bas, 16 novembre 1577 (KERVIJ~ DE LETTENHOVE, Rew.tions poli.-
tiques: .., 1. X, p. 93.).
(6) KERVIJN DE LÉTTENHOYE, netauons politiques ..., t, X, p. 117. Les Mémoires du
comte de Lalaing, qui fut mis à la tête de l'armée des États, nous en donnent la compo-
sition exacte : « Le conte de Lalaing fut envolé vers Namur ... faisant l'assemblée de
son camp en un villaige appelé Templou, une lieue de Namur, avec les forces qui s'en-
suivent, sçavolr : quattre compagnies d'hommes d'armes, aultant d'harquebousiers à
cheval, de cent chevaulx chascune,une cornette de reytres, dix enseignes du conte
d'Egmont, aultant du sieur de Lumé, sept du sieur de Hèze, aultant du baron de Mon-
tigny et du sieur de Champagney huict compaigrries vielles soubs le conte de Boussu.
avec six de Bas-Allemans, dix-sept escossotses et trois rrançotses. ». (.GAGHARD, La BibHIj-
thèque nattonate el Part«, t. I, pp. 179-180).

202
Lès hostilités entre les soldats de Don Juan et les États, ,th'ès
"de Namur; se bornaient en ce moment à quelques esoarmouchesr les
,États attendaient des renforts levés en Allemagne, que devait amener
le 'Comte de Schwarzemberg, €t négociaient l'envoi dautres troupes
de France et d'Angleterre.
Devant. cette .situation, Alexandre Farnèse estimait que tout
.accord était désormais devenu impossible. A Bruxelles, leprinc'e
d'Orange dominait la politique des États (1) et ne sinquiétait guère
de la présence .de l'archiduc Mathias, dont l'influence était nulle,
Certes, .ilexistait des .tiraillemcnts dans le camp des ennemis de
Don Juan, mais sur le point de la guerre à lui faire, tous étaient
d'accord (2).
Ils avaient cependant manqué d'énergie et d'esprit d'entreprise:
.au lieu de pousser vigoureusement dans la direction de Namur; l'armée
des États se tenait dans une espèce d'expectative à Temploux. Elle
avait ainsi fourni à Don Juan l'occasion de concentrer ses forces
et de préparer peu à peu une armée importante, avec l'appui des
troupes qui arrivaient continuellement d'Italie (3).
Lorsque Don J nanavait écrit la lettre dont nous avons parlé plus
haut, adressée à « ses chers et magnifiques amis, les soldats de l'infan-
terie 'espagnole sortis des États de Flandre », ceux-ci, qui rétaient
déjà arrivés dans le Milanais, se disposèrent à revenir sur leurs pas,
sans même réclamer l'arriéré de solde qui leur était dû. Certains
officiers partirent de suite par la poste. D'autres suivirent, Unterçio
d'infanterie espagnole -6.000 hommes - se mit en marche pour
quitter Alessandria, sous les ordres du maître de camp Julian
Romero, lorsque celui-ci fut subitement frappé d 'apoplexie et mourut.
Le sergent major Francesco Aguilar Alvarado prit alors le comman-
dement de ces forces pour les conduire aux Pays-Bas (4). L'avant-
garde, forte de 3.000 fantassins et de 15 cornettes de cavalerie,
arriva à Luxembourg au début de décembre (5). D'autre part,:'o.e,s
Espagnols et des Italiens s'infiltraient par petits groupes aux Pays"
Bas, venant d 'Italie, sans armes et sous un déguisement, ou bien

(2) Renon de France. dans son Histoire des troubles des Pays-Bas (t. II, pp. 95-96),
'analyse finement l'influence du Taciturne en ce moment.
(2) Farnèse à sa mère, Luxembourg, 21 décembre 1577 (lac. ctt.).
(3) Même lettre.
(4) ANT. CARNERO, Historia de las gue1'I"ascivUes..., pp. 132-135: B. PORRENO, O.C., p. 229.
(5) Mémoires anonymes sur les troutûes des Pays-Bas, t. II, p.121.

203
a la filado, comme on disait, «à. la défilade s, pal' groupes de deux
compagnies (1). 1.200 Bourguignons étaient venus s 'y joindre, ainsi
que 1.400 à 1.500 Français, provenant des compagnies licenciées en
France par l.e duc de Guise (2).
Au moment où Alexandre Farnèse avait rejoint Don Juan, les
troupes concentrées pal' ce dernier dans la région de Marche venaient
encore d'être renforcées par 4.000 à 5.000 Français qu'avait emmenés
de France Charles de Mansfelt.
En faisant le compte des forces espagnoles, italiennes, françaises,
allemandes, wallonnes et bourguignonnes campées près de Marche et
dans la région de Namur, Farnèse l 'estimait, fin décembre 1577, à
18.000 fantassins (3) et supérieure déjà, pour le chiffre total, aux
forces de l'adversaire. Une liste détaillée transmise en janvier 1578,
de Bruxelles, par Leighton à. Lord Burleigh conclut au même total
de 20.000 hommes (4).
,~
,;.;,: ::f-

L'arrivée d'Alexandre Farnèse au camp de Don Juan ne resta


pas inaperçue de ses adversaires. Aussitôt qu'il ] 'eut apprise, le
prin-ce d'Orange. pour qui, nous le savons, le prince de Parme n'était
pas un inconnu, sen inquiéta et prophétisa un changement probable
dans Ies affaires (5). De leur côté, les agents anglais aux Pays-Bas
s'empressèrent de signaler l'arrivée d '....
<\lexandre, eu le qualifiant de
« soldat très valeureux» (6). Don Juan lui-même s'en promettait
beaucoup; il écrivit à Don Rodrigo de Mendoza: «J'ai ici avec moi le
prince de Parme, dont je suis extrêmement content, cal' il vaut beau-
coup et donnera ce qu 'ilpromet. » (7)
La situation, malgré l'appui moral de la présence de Farnèse
et le nombre croissant des effectifs, n'était cependant guère de nature

(:1.) Davison à Walsingham, Bruxelles, i7 octobre et iO novembre 1577 (KERVIJN DE


LETTENHOVE. Relations polttiques...• t. X. pp. 21 et 82).
(2) Davison à Walsingham. Bruxelles, iO novembre i577 (loc. cU.).
(3) Farnèse à sa mère, Luxembourg. 21 décembre 1577 (loc. cit.). Le chiffre de 10.000
donné par l'II. ANGEL SALCEDO RUIZ, dans son excellent livre El cOI'onel Cj'ist6ba~ de MoIn-
d1'(/g6n, p. 140, est notablement inférieur à la réalité.
(4) Copy of aauertisement to the Prince of Oranqe of the numoer or Spaniaj'ds come
to Don Juan, dans Domestic Caletular, Elisabeth, 1577-1578, n- -586; BOR, Historie dei'
Neâerlatuischer oorioqhen, 1. I, fO 930. estime le total à 22.300 hommes.
(5) GROEN VAN PRINSTERER, Archives, t.• VI, p. 455.
(6) Leighton à Burleigü, Bruxelles, 10 janvier 1578 (lac. cU.).
(7) A. 1.1ol\EI.-FA'rlo. L'Espagne -au XVIe et au XVII' siècle, p. 1'18.

204
à permettre de grands espoirs. Deux provinces seulement obéissaient
encore au gouverneur : Namur et Luxembourg. Les places fortes qui
restaient encore çà et là entre les mains des partisans du Roi se
rendaient l'une après l'autre aux États. Amsterdam hésitait; Berg-
op-Zoom, trahie par les soldats allemands du colonel Fugger, avait
capitulé. Breda, assiégée par le comte Philippe de Hohenlohe, avait
été prise, à la suite de trahison, 'au moment où du secours envoyé par
Don Juan n'était plus très loin de la place (1).
Un conseil de guerre fut tenu par Don Juan, auquel Farnèse
assista avec Pierre-Ernest de Mansfelt, Ottavio Gonzaga, Gaspar de
Robles, .T.-B. de 'I'assiset le maître de camp Gabriel Nino ('2). On
décida de secourir d'urgence le baron de Polweiler qui se trouvait
assiégé, avec ses soldats allemands, dans la ville de Ruremonde, pour
éviter que cette place ne suivît les autres dans la défection (3).
Le sire de Hierges, Gilles de Berlaimont, y fut dépêché, avec
4.000 fantassins (4). Si cette entreprise réussissait, Don Juan grou-
perait le reste de son armée pour passer la Meuse et s 'avancer à la
rencontre de l'ennemi campé au nord de Namur.
TI n'était, en effet, pas possible de séjourner plus longtemps
dans le Luxembourg qui, par suite de la présence des troupes royales,
avait été complètement vidé et où le ravitaillement n'était plus suffi-
sant. C'était la seule solution que commandaient à la fois l 'honneur et
la prudence (5).
On apprit bientôt que le sire de Hierges avait réussi à fair a
lever le siège de Ruremonde et que les troupes de Hohenlohe, après
avoir subi une défaite,avaient fini par rejoindre le camp des États à
Temploux (6). Mais, d'autre part, l'ennemi avait noué des intelli-
gences avec la garnison wallonne de Bouvignes et s'était emp-aré de
cette place. L'occupation de Bouvignes mettait en danger la sécurité
de Namur et empêchait la ville 'et la citadelle d'être ravitaillées (7).
Cette menace prononcée contre Namurengagea Don Juan à exa-
miner la situation au cours d'un nouveau conseil de guerre. Alexandre

(1) STRADA, O. c., t. II, pp. 338-339.


(2) A. VASQUEZ, O. c., loc. cit., p. 'i" cite ces personnages comme assistant au Conseil
de guerre.
(3) Farnèse à sa mère, Luxembourg. 21 décembre 15,'i (loe. cil.).
(4) STRADA, o. o. t. II, pp. 339-340.
(5) Farnèse à sa mère, Luxembourg, 21 décembre 1577 (loe. cit.). - LUiTO de las cosas
que succedieron. en F~andes (Bibliothèque Nationale de Paris, ms. espagnol 182, r- 156 \'0).
(6) Farnèse à sa mère. Marche, 25 janvier 1578 (toc. cit.).
(7) Liber reWti.onum. r- 35'°.

205
FIlTnès~ fut chargé de la première mission gui luifut.confié« depuis
SOl~ arrivêe aux Pays-Bas; Il se rendrait' rapidement à Marche;
yconçentrerait les troupes qui étaient campées dans cette région et
prendraitensuite, sous ses .responsabilitês et avec la plus libre initia-
tive, toutes les mesures que les circonstances exigeraient. A'rrivé à
Marche le 17 janvier, il apprit que l'ennemi se retirait des environs
de Namur.
Farnèse soupçonna que les troupes des États pourraient bien
avoir l'intention de se diriger vers Maestricht, qui tenait pour le
pnineedOrange, et d'y passer le pont sur la Meuse pour aller.attaquer
les trol1pe's du sire de Hierges qui revenaient de Ruremonde. Il décida
alors de laisser l'infanterieespagllole dans ses quartiers, près de
Luxembourg, afin qu'elle pût éventuellement se tenir en contact avec
les troupes françaises de Charles de Mansfelt, qui se trouvaient
dans ces environs. Il fit aussi avertir le sire de Hierges du danger
qui semblait le menacer et, après en avoir discuté avec des chefs
expérimentés,comme le baron de Billy et d'autres qu'il avait près de
lui, il prit la décision de se porter éventuellement au secours de ces
troupes avec la cavalerie légère, campée près de Marche, et avec
l'infanterie espagnole qui se trouvait à trois lieues de là. Il importait
trop, en effet, de ne pas laisser surprendre et anéantir les régiments
de 11. de Hierges, qui comptaient 4:.000fantassins et une assez nom-
breuse cavalerie (1).
Au moment où Farnèse se trouvait entre Marche et Namur, avec
l'intention de se porter au devant de ces forces, il apprit qu'elles
avaient déjà réussi à gagner Namur sans être inquiétées. Aussitôt le
prince de Parme retourna à Marche et avertit par courrier Don Juan,
qui résidait encore à Luxembourg. Celui-ci partit de suite avec le
reste de l'armée et rejoignit Alexandre à Marche (2). Un conseil de
guerre fut tenu. Considérant que le Luxembourg était complètement
ravagé par les soldats, dont les débordements n'avaient pu être punis,
puisque ces hommes n'avaient depuis longtemps plus touché de solde,
il semblait nécessaire de quitter cette région.

Deux solutions s'offraient : licencier l'armée et se retirer en


Bourgogne, ou bien marcher de l'avant et attaquer l'ennemi.
(1) Alexandre à sa mère, Marche, 25 janvier 1578 (loc. cit.).
(2) A. VASQUEZ, Los sucesos ..., loc. cit., p. 80.

206
· C~est à la seconde proposition que Don Juans 'arrêta :ilàvait
depuis longtemps désiré la guerre, il la ferait. 'On allait donc se diriger
sur' 'Namur et de là,plùs loin, si la chance favorisait les armes' espa-
gnoles (1). .
Une autre raison qui poussait Don Juan à une rapide offensive,
c'était le fait que les États levaient de nombreuses troupesen Alle-
magne et qu'avec ces renforts, il leur serait peut-être possible d'em-
pêcher le gouverneur de passer-Ta Meuseà Namur pour gagner le
centre du pay,s(2}.
Or, en ce moment, les forces de Don Juan semblaient manifeste-
ment supérieures à celles de sesndversaires. On disait, dans l'armée
espagnole, que l'on disposait de 4.000 Espagnols, 4.000 Bourgui-
gnons, 4.000 Français, 4.000 Allemands et· de 2.000 chevau-légers
espagnols et italiens, tous soldats expérimentés et rompus à la fatigue
des campagnes. Le prince de Parme, qui s'était soigneusement mis au
courant du chiffre des effectif-s, s'était rendu compte que celui qui
avait été donné était inférieur à la réalité et que les forces de Don
Juan comptaient effectivement 18.000 fantassins et environ 2.000
cavaliers {3}.
Tant par le nombre que par la valeur, les troupes de Don Juan
J'emportaient donc sur l'adversaire (4). De plus, la discorde régnait.
en ce moment. dans le camp des États, où certains chefs étaient. d'avis
d'attendre l'armée de Don Juan et de la combattre, alors que d'aut.res
voulaient se retirer avec vivres et munitions dans les places fortes,
Le prince de Parme ne perdait pas de vue l'importance de cet.
élément de désunion chez l'ennemi et poussait de toutes ses forces à
l'offensive, faisant valoir qu'il fallait en profiter et essayer de péné-
trer jusqu'en Brabant.
Ilétait nécessaire d'agir vite, C3Jron savait que l'ennemi attendait
de la Reine Élisabeth d'Angleterre l'envoi d'un secours de 4.000 fan-

(1) Alexandre à sa mère. Marche. 25 janvier 1578 (loc. cU.); VASQUEZ, Los sucesos ...•
lac. cît., pp. 82-83.
(2) Ltbro de tas casas ..., loc. cit .• fo 156<°.
(3) Alexandre à sa mère. lettre citée. Dans le camp des Êtats. on -estimait le nombre
des forces royales à 22.300 hommes. se décomposant comme suit: 1r,000 fantassins et
2.000 cavaliers espagnols; 4.000 fantassins et 500 cavaliers français; 800 wallons. 2.000 Bour-
guignons. 2.000 Lorrains. 2.000 Luxembourgeois. 5.000 Allemands. plus 2.000 hommes non
spécifiés. (Avvisi des Pays-Bas. 2i janvier 1578. dans KERVYl\ DE LETTEl\HovE. Relations
politiques ..., t.. X. p. 254). C'est ce chiffre qui a passé dans J'œuvre des historiens partisans
des États. Nous avons déjà. vu qu'il se trouve dans BOR.
(4) Contrairement à ce que dit Strada (o. o. t. II, p. 3H), qui a. manifestement. mal lu
lni les lettres de Farnèse qu'il a utilisées.

207
tassins et de 800 cavaliers; que le comte palatin Casimir et le comte de
Schwarzemberg devaient amener des renforts d'Allemagne et qu'il
n'était point improbable que le duc d'Anjou envoyât aussi de France
quelques régiments (1). Le bruit s'était répandu, en outre, que le prince
d'Orange avait fait lever6 compagnies d'infanterie et 300 cavaliers
pour renforcer l'armée des États et que, pour subvenir aux besoins de
la guerre, il avait confisqué les biens des églises et des monastères du
Brabant, dont les revenus serviraient à payer ses soldats (2).
Enfin, quoique, le 3 janvier 1578, un traité secret d'alliance eût
été conclu entre Élisabeth d'Angleterre et les États Généraux des
Pays-Bas (3), un émissaire de la reine s'était rendu auprès de Don
Juan pour faire un dernier effort en vue de la paix enbre lui et ses
adversaires. Élisabeth était obsédée par l'idée que, en cas de guerre,
le duc d'Anjou entraînerait l'intervention de la France dans le
conflit (4). L'émissaire d'Élisabeth demanda une suspension d'armes,
en attendant la conclusion d'un accord général. Don Juan se contenta
d'envoyer à Madrid les propositions de .paix, mais refusa catégori-
quement l'armistice (5). Le négociateur anglais étant parti le 25 jan-
vier, sans avoir obtenu un résultat, toutes les dispositions furent
prises pour commencer l'offensive contre les États (6).

(1) Alexandre il. sa mère. Marche, 25 janvier 1~77 (loc. cU.). Le 12 janvier, en f.:ffl:) t,
un courrier de Vargas Mexia, ambassadeur d'Espagne à Paris, avait annoncé qu'un accord
venait d'être conclu entre le duc d'Alençon et les' États, en vue d'envoyer des secours
importants aux Pays-Bas et que déjà. 2.000 Huguenots s'embarquaient il. la Rochelle.
KERVYNDE LETTENHOVE,Les Huquenots et les Gueux, t, IV, p, 56'1.
(2) Libr() âe las cosas ..., fo 156'°.

(3) Voir le texte dans KERVYNDE LE'ITENHOVE,Re/,a,tÙJns po,lHiques ..., t. X, p. 219.


(4) Sur la politique de Philippe II vis-à-vis d'Élisabeth, l'ambassadeur vénitien Lorenzo
Priuli écrivit. en 1576 la très remarquable appréciation que voici: « Con la Regina d''Inghil-
terra ha. grande cause il Re cattoltco di tener Inlmlclzla, per esser stata principale fautrice
dei ribelli di Fiandra, e pel' esserlo tuttavia in segreto. Niente di man CO,pel' la inclinazione
che ha S. M. alla pace, dissimula le offese, ed ha faUo con lei alcuni accordl pel" conte dei
traffico, ed ha ammesso gli ultimi mesi ln Spagna un suo ambasclatore, et procura di!
tenerla arnica, 0 manco inimica elle pua, per servizio de' suot stati di Fiandra. Ma pua
esser certa la Serenltà vostra: che delle offesè ne terril. il Re lunga memoria, e se in alcun
tempo verrà occaslone, non mancherà Qi vendicarsi. » (ALBERI, Relaziont. degli amtmscuüort
1;eneÙ, t. XIII, p. 262). Ofr G. W. VREEDE, lnlelding tot eene geschiedenis der Nederlanâsclie
diplomatie, 2" gedeelte, 1· stuk, pp. 100-109, et les considérations sur la politique d'Élisabeth
que développe FRUIN, Neaeruuui in 157-1, loc. clt., pp. 76-77, et LE MÈl\Œ, Motleu's cesctüe-
denis der Vel'eenigde Neaerumüen, loc. oit., pp. 126-128.
(5) KERYY" DE LETTElŒOVE,Les Huguenots et les Gueux, t. IV, p, 5M.
(6) Alexandre il. sa mère, Marche, 25 janvier 1577 (loc. cît.).
Pendant cette période entre le L" et le 25 janvier 1578,le prince de
Parme avait été fort occupé 'par les affaires militaires etIes conseils
qui se tinrent et avait .dû interrompre un Instant la correspondance
suivie et abondante qu'il entretenait .avec sa mère. Lorsqu'il reprit ce
commerce épistolaire, au moment où les troupes de Don Juan s'apprê-
taient à se diriger sur Namur, il revint encore sur la question de la
venue de Marguerite de Parme aux Pays-Bas. Il avait pu observer son
oncle de plus près et notait que, derrière le contentement extérieur de
Don Juan au sujet de l'arrivée prochaine de la duchesse, se cachait un
réel dépit. Ce dépit était d'ailleurs partagé par tout l'entourage du
gouverneur, et particulièrement par Ottavio Gonzaga et par ceux que
le prince de Parme appelait « les partisans de la guerre ». Ceux-ci
considéraient l'arrivée de la duchesse de Parme comme L'annonce
d'une politique de conciliation qu'ils jugeaient malheureuse (1).
Toutefois, ce qu'Alexandre Farnèse tenait soigneusement caché à
sa mère, c'est que lui-même avait déjà écrit à Philippe II au sujet de
cette question, le 30 décembre 1577, quelques jours à peine après son
arrivée à Luxembourg (2). TI signalait au Roi qu'il se voyait obligé
en conscience de lui dire ceci : étant donné la tournure que prenaient
les événements aux Pays-Bas, la venue de la duchesse semblait ne pas
devoir porter les fruits que le souverain voulait en attendre. Les cir-
constances étaient telles qu'il ne restait qu'une chose à faire:
avec le plus de rapidité possible et avec des forces considérables
détruire ceux qui étaient rebelles envers Dieu et envers le Roi.
Farnèse se montrait donc ici partisan décidé de la manière forte
et s'accordait sur ce point avec Don Juan: on nes 'en étonnera point.
Il était venu aux Pays-Bas pour se battre et pour se couvrir de gloire
et il devait être nécessairement un partisan de l'offensive. Cette cir-
constance fut heureuse pour l'unité d'action au sein de l'armée royale
et si les sentiments de Farnèse ne concordaient pas avec le désir réel
de Philippe II en ce moment, ils étaient de nature à empêcher la
discorde de s'établir dans l'armée au sujet de la politique à suivre
en Flandre.

(1) Même lettre.


(2) Lettre publiée par RODRlGlJEZ VILLA, Correspotutençia de Alejandro Farnesio, lac.
cit., p. 132.

209
En partant de Marche, Don Juan et Alexandre Farnèse avaient
l'intention de se rendre d'abord maîtres de Bouvignes, tombée pBU
auparavant - nous l'avons dit - aux mains de l'ennemi, pour attirer
ce dernier de ce côté, lui infliger quelque dommage, et pour rendre
de nouveau possible le ravitaillement de Namur par la Meuse. Ils
avaient aussi le projet de gagner peu à peu du terrain et de se rendre
maîtres de J'Entre-Sambre et Meuse (1).
'Les circonstances changèrent ces plans. Les deux princes arri-
vèrent à Namur le 29 janvier, Le lendemain matin, de très bonne
heure, Don Juan sortit pour reconnaître les positions ennemies (2).
L'armée des États, campée à Temploux, était sous les ordres du comte
Philippe de Lalaing; elle avait comme maréchal de camp Antoine de
Gougnies, pour général de la cavalerie Robert de Melun, vicomte de
Gand. L'artillerie était commandée par Valentin de Pardieu, seigneur
de La Motte (3).
En se décidant à attaquer l'armée des États, Don Juan aurait
suivi les indications de deux seigneurs du camp ennemi, traîtres à
leur cause. C'est ce que prétend Pierre de Colins dans son Histoire
des choses les plus mémorables advenues en Europe. D'uprès ce
contemporain, informé de bien des secrets (4), le gouverneur général
n 'aurait pas osé attaquer ses adversaires si, le soir ayant la bataille
de Gembloux, deux seigneurs du camp des États, Valentin de Pardieu
et le vicomte de Gand, Robert de Melun, nétaient venus le trouver en
secret pour l'avertir que le lendemain l'ennemi se retirerait sur
Gembloux (5).
Nous avons dit dans l'introduction l'intérêt que présentent les
renseignements de Pierre de Colins et la valeur qu'ils ont la plupart du
temps. Mais en ce qui concerne celui-ci, nous devons récuser son témoi-
gnage. Nous croyons pouvoir y retrouver l'écho des bruits calomnieux
qui se firent jour le lendemain de la défaite et par lesquels on accusa
de trahison la plupart des chefs de l'armée dBSÉtats. Il y a d'ailleurs
une raison bien simple pour laquelle nous ne pouvons ajouter foi aux
renseignements de Pierre 'de Colins: c'est que ces deux seigneurs ne

(1) Alexandre à sa mère, Argenton, 4 février 1578 (A. F. N., Carte farnesiane, Fiandm,
rasoto 1624).
(2) IlMem.
(3) Voir une lettre sur la situation dans le camp des États à la date du 15 janvier, dans
JAPIKSE, o. C., t. 11, pp. 143-144.
(4) Voir notre Introduction
(5) O. C., pp. 582-583.

210
pouvaient se rendre chez Don Juan à Namur la veille de la bataille
de Gembloux. Ils étaient à Bruxelles pour assister à des fêtes et s'y
trouvaient encore le jour du combat. Sur ce point, les témoignages des
contemporains sont formels (1).
Au moment où Don Juan songeait à l'attaquer, l'armée ennemie
était, e-neffet, privée de la plupart de ses chefs. Philippe de Lalaing,
le vicomte de Gand, le sire de La Motte, d'autres encore étaient à
Bruxelles pour assister aux noces de M. de Berseele avec Mademoi-
selle de Berghes et passaient leur temps en fêtes et banquets (2). Ils
ne se doutaient point que Don Juan avait avec lui des forces si consi-
dérables et qu'il était sur le point de les assaillir. Les soldais des
:États étaient commandés en ce moment par le vieux Antoine de Gou-
gnies, qui avait fait son apprentissage sous Charles-Quint et qui avait
été présent à la bataille de Saint-Quentin (3). Il avait d'abord eu
l'intention d'attendre de pied ferme les forces de Don Juan, mais il
apprit bientôt que le 2.9 étaient arrivés près de Namur un nombre
considérable de chevau-légers, les arquebusiers du commissaire géné-
ral Antonio Davalos, la garde personnelle de Don Juan, les compagnies
de Bourguignons de M' de Mussy, 1.000 arquebusiers et 1.200 piquiers
espagnols (4).
Les « Orangistes » changèrent dès lors leurs plans et décidèrent
de se retirer à Gembloux, où ils pourraient plus sûrement délibérer sur
ce qu'il y avait à faire (5). Peut-être aussi Pabsenee des principaux
chefs leur inspira-t-elle cette mesure. Dans la nuit du 30 au 31 janvier,
l'armée logea près du village de Saint-Martin. On envoya en avant
six canons à Gembloux et on prépara la retraite, qui devait se faire
avec ordre et sans précipitation. Le 31 janvier, au point du jour,
(1) Voir la note suivante. Voici le témoignage de Del Rio: « Aberant tunc forte temporis
ab exercitu Motta, Lallalnlus, vicecomes Gandensis ... » (Mémotres sut' les troubles des Pays-
Bas, t. III, p. 78).
(2) « Estant Ieurdict chief general d'armée audiet Bruxelles avecq aultres prlncipsux
d'icelle tryumphant chà et là en grandissimesbancquets, et aultrement à leurs plaisirs ... l>
(Jl!émoires anonymes sut' les troubles des Pays-Bas, t. II, p. 167). Voir aussi HAllAEUS,
Tumuüuum belglcoru.m Annales, 2,- réd. dans le ms. 9402 de la Bibliothèque royale de
Bruxelles, fo 282- ; VAN METEREN, O. c., fo :144- ; DEL RIO, Mémoi1'es S'U1' les troubles des
Pays-Bas ..., t. III, p. 79.
(3) STRADA, o. e., t. II, p. 342.
(4) ANT. CARNERO, Htstorba de las guetTaS civil.es, p. 136.
(5) « Ceulx dudit camp qui estoit logé à Emyne volant l'incomoc!ité du lieu par estre
en une plaine et que n'avlont guerre plus de 500 cnevaulx ou au contraire don Juan en
avoit jusques a 3.000, entendans que son camp ayant ravitaillé Ruremonde et ravagé le
pais de Lymbourg (sic), retournait vers Namur, deliberarent se retirer à Giblou et s'y
fort.iffler. » Archives du Dépat"tement du No-rd à Lille, B. 19280, pièce n- 47/.33, r- 15'°,

211
le' feu fut mis aux bacaquementeet on roula les tentes:' Le gros' de
l'armée El 'était déjà-mis en marche vers Gembloux, en ordre de bataille.
En tête, l'avant-garde composée des régiments d'infanterie de Mon-
tig-ny et de Hèze, couverts en flanc par des mousquetaires àcheval.
Le comte de Boussu et Champagney conduisaient le corps de bataille,
comprenant l'infanterie wallonne, allemande, française, . écossaise.
L'arrière-garde, où était massée la. cavalerie, était sous les ordres de
Philippe d'Eg-mont et du sire de Lumey {1).

Le 30 janvier, de g-rand matin, Don Juan - nous l'avons dit ,---


avait envoyé une reconnaissance pourex:aminer les positions ennemies,
Le terrain se prêtait à des embuscades. Entre I'armêe de Don Juan
et celle des États s'étendaient des plaines coupées de collines etpar-
semées de petits bois, où les surprises auraient été faciles (2). Don
Juan ordonna au capitaine Saneho Beltran, un de ses eniretenulos on
pensionnaires, d'aller avec dix lanciers aux nouvelles. Sept heures
après, la reconnaissance revint avec un paysan} qui déclara. que
l'ennemi était logé entre Namur et Gembloux, vers la droite, à deux
lieues et demie de distance. Aussitôt on tint conseil:· Alexandre
Farnèse fut d 'avis qu'il fallait attaquer. Il parut cependant néces-
saire de mieux se renseigner. Le capitaine espagnol Hernando de
Acosta fut envoyé en avant avec dix lanciers. S'étant déguisé en
reître, Acosta parvint à s'approcher très près des tranchées enne-
'mies, établies à Saint-Martin, et à enlever par surprise un jeune
pionnier de 14 à 15 ans. Ille prit en croupa.revint vers ses hommes
et tous, filant à fond de train, rejoignirent Don Juan. . L'interroga- : '.

toire du prisonnier révéla que l'ennemi faisait ses préparatifs pour


battre en retraite (3).
Aussitôt le prince de Parme et OttavioGonz·aga, général de la
cavalerie, insistèrent pour qu'on attaquât sans plus 'attendre (4). Don
Juan résolut de le faire le lendemain.
Alexandre Farnèse fut enchanté de trouver l'occasion de se battre.
À l'insu de Don Juan, il envoya de nouveau le capitaine Beltranen
(1) « Pour ce faire, parce qu'ils avoient grandisime raulte de ohariotz, furent constrains
par plusieurs jours fil à fll envoyer tant leurs malades que. munitions audit Giblou avecq
le peu de chariotz qu'Hz avïont, allans et venans .. » Arèhives du. Département dU. Nord
à Lille, pièce citée, fo 15ro; STR.ADA, 0, c., t. II, pp. 343-344. . '
(2) Mémoi1'es de Martin Antonio del Rio, éd. A. DELVÙ:;NE, 1.. III, p. 67 ; Libr:o de las
cosas de Ptanaes, lac. cit., fo 156"°. .
(3) A. VASQUEZ, Los suces.os...s lac. cit., p. 85, .
(4) Libro de las cosas de Flandes, lac. elt., fo i56~157.

212
reeonnaissance : avant la nuit, celui-ci revint avec la nouvelle que
les troupes des États étaient occupées à décamper (1).
Le matin du 31 janvier, comme il avait été décidé, Don Juan
résolut de sé porter en ayant avec 2500 fantassins pris parmi les
Espagnols, les Bourguignons et les Wallons, et les fit précéder de
1000 cavaliers, dans l'intention de surprendre l'ennemi dans sa
retraite et de le bousculer en pleine marche vers Gembloux (2).
Etant donné les dangers que récélait le terrain à parcourie, Don
Juan ne procéda qu'avec grande prudence (3). Il ordonna à une partie
de l'infanterie bourguignonne de s'établir dans les petits bois qui se
trouvaient disséminés sur le terrain, de façon à éviter les embuscades
et à mieux pouvoir soutenir la cavalerie. Au fur et à mesure que
les cavaliers s'avançaient, DonJ uan poussait son infanterie, qu'il
commandait en personne. En ce moment, on apprit que l'avant-
garde ennemie s'était déjà mise en route vers Gembloux, que le
corps de bataille suivait, mais que la cavalerie restait en arrière-
garde pour protéger la retraite.
Aussitôt Don Juan envoya en avant trois ou quatre compagnies
de cavalerie, gardant auprès de lui le reste de cette arme, pour
porter secours dès que l'on en aurait besoin.
Ces cavaliers progressèrent si vite,de position en position, à
travers les collines et la plaine, que plus d'une fois Don Juan leur
fit donner des conseils de prudence, ne voulant point qu'ils s'enga-
geassent trop avant et n'attirassent sur eux tout le poids d'une
attaque ennemie. Cependant l'avance de ces cavaliers fut si rapide,
sous la conduite de Muzio Pagano (4), qu'ils ne purent bientôt plus
se retirer sans grave danger. Ils se trouvèrent subitement en face de
l'ennemi, devant un chemin fangeux et fort étroit, au-delà duquel
montait un escarpement, que l'ennemi avait garni de mousquetaires.
Les cavaliers espagnols furent un instant fort déconcertés, en
voyant l'étroitesse du passage (5).

* *
(i) A. VASQUEZ, Los sucesos ..., loc. clt., pp. 86-87.
(2) Nous suivrons ici le récit qu'Alexandre Farnèse envoie à sa mère par la lettre datée
d'Argenton, 4 février 1578 (Wc. cU.).
(3) .<,( Si governo sempre dal prlncipio al fine con la sua solita prudenza et valore,
dan do ordlnitali et oost buont et a proposito, che non si poteva desiderar da vantaggio. »
Farnèse à sa mère, lettre citée.
(4)' Ltbe'l' relationum, fO 36ro•
(5) « Non o'era se non un' stradon' tondo in mezzo con una slepe molto rara, dove
havevono guarnlto di moschettleri, e pel' essere il passo molto strette, s'erano assai scon-
certati. .. ». Lettre de Farnèse à sa mère, citée.

213
C'est à ce moment décisif qu'intervint le prinee de Parme. Dès
qu'il eut 'remarqué qu'un peu partout des groupes en étaient venus
aux mains et que des escarmouches s'engageaient entre les partis
avancés espagnols et l'arrière-garde des États, il 'avait supplié à plu-
sieurs reprises Don Juan de le laisser prendre part au combat et de
« donner un coup de lance ». Le général en ohef le lui avait impi-
toyablement refusé et même, pour le tenir mieux en mains, il lui avait
ordonné de se porter de temps en temps en avant, pour rêamoreer
les escarmouches là où elles faibliasaâent, tout en l'obligeant de
venir tout de suite 'après se ranger il. ses côtés, sous prétexte qu'il
avait besoin de sa présence. Don Juan, qui savait combien Farnèse
était audacieux et imprudent et combien il aimait à s'exposer, avait
pris toutes s'es précautions : il avait défendu à ses pages ou écuyers
de donner à son neveu un cheval de guerre ou des armes sans qu'il
en fût averti, Le prince de Parme s'en trouva extrêmement marri (1).
Lorsque, au coucs d'une de ses randonnées le long du front de
combat, il s'était aperçu de la situation critique où Ottavio Gonzaga
et le colonel Mondragon avaient engagé leurs soldats, et que près du
chemin marécageux les cavaliers étaient accrochés sans espoir de
pouvoir se dégager, voyant aussi l'ennemi irrésolu et hésitant, il n'y
tint plus et décida de désobéir à 80n oncle. S'apercevant que Don Juan
était très occupé et ne le surveillait plus, il 8'éloigna de lui sans être
vu, appela les pages qui 's'occupaient de L'armement et leur ordonna
de le suivre. il se retira à l'écart dans un endroit où il ne pouvait être
vu et revêtit Parmure de combat, le morion en tête. Ne pouvant dis-
poser d'un cheval de guerre sans l'autorisation de Don Juan et con-
statant avec rage que s'es propres chevaux ne l'avaient pas encore
rejoint de Luxembourg, il en demanda un à Camillo del Monte, com-
mandant de la cavalerie. Aussitôt ce coursier enfourché, il se préci-
pita en avant :(2), récitant l'Ave Maria et poussant le cri de guerre
des Espagnols: Santiago!{Saint Jacques !){3).Les capitaines de cava-
lerie Muzio Pagano et Aurelio Palerme ainsi que le baron de Billy
se lancèrent à sa suite, entraînant les escadrons qui se trouvaient à

(f) Ltber relatwnum, f' 36 ""-37ro.


(2) Liber relatianum, f' 37.0.
(3) « Bezando la orasion acostumbrada del Ave-Maria y appellldando al glorioso
Santiago. » A. VASQUEZ, Los sucesos ..., loc. olt., p. 94.

214
PL. XXV

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leur droite et à leur gauche. Traversant le ravin marécageux, ils tom-
bèrent comme un ouragan sur le flanc de la cavalerie ennemie d'ar-
rière-garde, qui, surprise, re,fluaen désordre (1). Les cavaliers des
États passèrent dans leur fuite à travers les rangs de leur infanterie
en marche et y provoquèrent la panique, au moment où tout le reste
de la cavalerie espagnole arrivait au grand galop. Ce fut une déban-
dade, les soldats de Gougnies SB mettant à fuir de tous les côtés. Les
Bas-Allemands du gros corps de bataille lâchèrent pied, entraînant
les Wallons de l "avant-garde. Les compagnies écossaises essayèrent
en vain de résister (2).
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* "-'
La victoire de Don Juan était complète et presque incompréhen-
sible, tant elle coûta peu. C'est l'inspiration soudaine et l'audace
d'Alexandre Farnèse qui l'avaient gagnée (3). L'écrivain militaire
Angel Saleedo Ruiz parle àce propos de « clairvoyance et de
génie» (4) et Motley, avant lui, avait exprimé le même jugement en
écrivant: « C'est au coup d'œil d'Alexandre de Parme-que revenait
tout le mérite de cette victoire saisissante et complète, improvisée
pour ainsi dire à la faveur d'une circonstance toute fortuite; c'est lui
qui avait remarqué la faiblesse momentanée de l'ennemi et l'avait
mise à profit avec la soudaineté terrible qui n'appartient qu'au génie.
L'anéantissement d'une armée en était résulté. » (5)

(1) Farnèse à sa mère. lettre citéo.


(2) Farnèse à sa mère, lettre citée, Libro
de las cosas de Plasuies, fo 158 vo; A. S'AL-
CEDO RUIZ, El coronet Cristotxü p. 142. Un récit contemporain explique très
de Moïuiraçon,
bien ce qui s'est passé, dans les termes que voici: « Comme se vint à passer ung canatn,
que l'on ne laisat que les enffans perdus de l'arrièregarde que men oit le sieur Fournye,
fort vaillant gentilhomme, aveoques quelques mousquetiers de renfort pour les soutenir,
comme le vint à descendre, l'Espagnol print sy bien son occasion qu'il donnat la charge,
quoy voyant la cavallerie des Estatz, estimant estre abandonnée de l'infanterie, qu'elle
ne povoit veoir pour estre au canaln, prit la fuite, de sorte que estant roidement pour-
suivy des Espagnolz, rompit une partie de son Inranterle., » Archives du Département
du Nord à VUe, pièce citée, fo 16'".
(3) « No me alargo mas de que se entiende que algunos autores que 10 han escrito,
como Rolando Natln Mirlteo y otros, dejaron oscureolda la gloria y valor del Principe
de Parma, que tan aventajadamente, y mas que muchos, se seüalo y peleo de tal suerte
que, con justa causa, sin hacer agravio al Sr. Don Juan, su tio, se puede atribuir a él la
victoria deste dia. » A. VASQUEZ, Los sucesos ..., loc. clt., p. 97.
(4) El coronet C1'istobal de Mondragon, loc. oit,
(5) La Révolution des Pays-Bas au XVIe siècle, t. V, pp. 203-204.

215
Il ne faut cependant point exagérer les mérites d'Alexandre.
Plusieurs historiens en ont parlé comme d'un chef qui, parcourant
du regard un grand champ de bataille, découvre d'un coup une
faute de Padversaire àexploiter, ou imagine un mouvement tactique
qui doit lui donner la victoire.
Pour le prince de Parme, il s'était agi avant tout de pouvoir
participer, n'importe comment, à l'action. Et il ressort très claire-
ment de sa correspondance qu'en se précipitant sur l'ennemi au
chemin creux transformé en bourbier, il n'àvait nullement l'intention
de provoquer la déroute des adversaires, mais tout simplement de
dégager les cavaliers de Pagani de la situation critique où ils se
trouvaient en ce moment (1).
Certes, Alexandr-e Farnèse accomplit là un exploit où il fallait du
courage. et de l'audace. Il s'en rendit compte lui-même, car il écrivit
à sa mère « qu'il ne fit attention à aucun danger, pour le service de
la religion et de Sa Majesté et pour la -rêputation de Son Altesse
(Don Juan). » (2) Il ne crut cependant point nécessaire de s'en
vanter : dans sa correspondanceaveo sa mère, il en reporte toute la
gloire à « la Divine. Majesté », sans se mettre lui-même un seul
instant en avant. Dans la lettre qu'il écrivit am Roi le 7 février, il
affirma simplement qu'il était heureux de l'occasion qui s'était
offerte de s'employer au service de Sa Majestê ; qu'il s'était porté
à l'endroit précis où il escomptait et savait pouvoir rendre le service
le plus grand, et que la volonté qu'il mit à servir le Roi ne' pouvait
être surpassée par aucun autre (3). Et dans une autre missive au
Roi, le prince attribuait tout le mérite de la victoire à la grande
valeur, la prudence et la conduite intelligente du général en chef (4).
Don Juan, de son côté, ne ménagea pas ses éloges: il fit savoir
à Philippe II qu' Alexandre s'était exposé au danger comme un simple

(1) « 10 essendoml splccato dal sor Don Giovanni con intentione di rlconoscere et
vedere corne passavano le cose, trovai che '1 signor Otlavio Gonzaga e' l' colonelle Mon-
dragone, che d'ordine di Sua Altezza l'havevono condette, s'erano impegniati di maniera
che non. si potevano ritirare senza manifesto peIicolo. Onde constderato questo, et I'lnri-
soiuuone de nemici, feel risolutlone di dar' dentro, come feei... » Alexandre à sa mère,
Argenton, 7 février 1577 (lac. cit.).
(2) Lettre citée.
(3) RODRIGUEZ VILLA, Correspondancia de Alejandro FUI'nesia, loc. cit., p. 133. Cfl~
aussi STRADA, a. c., t. II, p. 35i.
(4) GACHARD, Correspoïiâance d'Alexandre Farnèse ..., loc, cit., p. 367.

216
soldat et qu 'il fut un des premiers à provoquer la déroute de
l'ennemi (1).
Cependant lorsque, après le combat, Alexandre Farnèse se pré-
senta devant son oncle, celui-ci, avec beaucoup de brusquerie, lui fit
observer que, de tout temps, selon les lois militaires, le soldat qui
combat sans l'autorisation de son chef, mérite, même s'il est vain-
queur, d'être châtié. On ne devait pas se battre contrairement aux
ordres reçus. Le prince de Parme donna raison à Don Juan, mais lui
fit cependant remarquer qu'il aurait été digne de grand blâme s'il
n'avait pas pris part à l'action. N'était-il pas venu à laguerre pour
se battre 7 Il s'était cru obligé d'agir ainsi par souci de son honneur
et de sa réputation, qui lui interdisaient de rester inactif. Don Juan,
qui n'avait pris cette mine sévère et n'avait parlé ainsi que pour
sauvegarder son autorité et les intérêts de la discipline dans l'armée,
fut incapable de dissimuler plus longtemps : il changea de visage et
finit par embrasser le prince, en lui prodiguant les louanges qu'il
méritait (2).

* *
La bataille de Gembloux fut un désastre pour les États (3). Si la
cavalerie parvint à se sauver tout entière par la vitesse de ses
chevaux, elle perdit plusieurs de ses étendards. Trente bannières
furent prises. M. de Gougnies tomba aux mains des Espagnols. La
poursuite continua jusqu'à la nuit et même jusqu'au lendemain, car
il s'agissait de nettoyer les petits bois qui se trouvaient dans la
plaine et qui avaient offert asile aux nombreux fuyards.
L'infanterie ennemie, au nombre de 7.000 hommes, était presque
anéantie (4). Don Juan estima. qu'elle avait perdu de 6.000 à
6.500 hommes, en y comptant les prisonniers (5). Les agents anglais

(i) Don Juan au Roi, 6 février 1578 (GACHARD,Correspondance d'Alexandre Farnèse ...,
100. cit., p. i67, note 1).
(2) Liber rel.attonum, to 37'°. Sur la bataille de Gembloux et le rôle de Farnèse, voir
E. GUIU y MARTI, El oiio militar espai!ol, t. I, pp. 334-335.
(3) « Alsoo den Almoghenden Heere heeftghelief ghehadt onsen leghere zulcke
!ortuyn te gheven, dat hij gans verschuert ende verwoest is, daer doer wij zidn in
imminente peryckele. » Lettre des députés des t'l'ois membres de Bruxelles à ceuœ de
Gand, 31 janvier i578, dans DE SCHREVEL,o. c., t. I, pp. 214-215.
(4) Farnèse à sa mère, lettre citée.
(5) Don Juan à Don Rodrigo de Mendoza, Argenton, 7 février 1578 (MOREL-FATIO,
L'Espagne au XVI' et au XVII' siècle, p. 130).

217
aux Pays-Bas -fixaient à moins de 2.000 le nombre de tués (1).
TOUjouTSest-il que du côté espagnol les pertes furent étonnamment
minimes, de 10 à 15 hommes (2). Oela s'explique parfaitement par les
circonstances de la bataille: l'armée des États fut surprise en pleine
retraite, sans qu 'elle eût le temps de combattre (3).
Aussitôt après la déroute de ses adversaires, Don Juan alla se
loger à l'abbaye. d'Argenton et ordonna à l'infanterie et aux troupes
qui étaient restées à Namur de se diriger vers Gembloux, pour
Pocenper sans tarder. Cette ville, était bien pourvue d'artillerie et de
munitions - les États en avaient fait leur place d'armes - et il s'y
trouvait quelque 1.000 fantassins qui avaient échappé au désastre et
s 'y étaient retranchés, bien décidés à se défendre, Don Juan fit mettre
en batterie quatre pièces d'artillerie. A la vue de ces pr-éparatifs, les
assiégés offrirent de se rendre sous certaines conditions. Mais Don
Juan ne voulut point en entendre parler: ils devaient se rendre à
merci. Il s'avança alors en personne jusque sons les murs de la
place, pour pr-éparer les gabionset les tranchées destinées à y établir
les batteries d'attaque, et se logea tout près dans une maison sise
dans la campagne. A la vue de ces mesures, qui présageaient un
assaut 'en règle, les soldats de Gembloux décidèrent de se rendre sans
conditions.
Don Juan se montra clément: il les laissa sortir librement de la
ville en imposant aux soldate natifs des Pays-Bas le serment de ne
plus porter les armes contre le Roi, et aux soldats étrangers l'obli-
gation de ne plus prendre service dans l'armée des États pendant la
dnrée d'un an. Comme otages pour l'observation de cette promesse,
on prit douze prisonniers, parmi lesquels deux Artésiens, M. de
Bailleul et M. de Herri : on les dirigea sur Namur. Les soldats
étrangers purent s'en aller sans entraves; ils furent convoyés dans
la direction de la principauté de Liége ; les soldats wallons furent
accompagnés jusqu'aux frontières du Hainaut,où on les obligea de

(1) Davison à Walsingham et Wilson, Anvers, 3 février 1578 (KERVIJN DE LETTENHOVE,


Relations poWiques"" t. X, p, 269).
(3) Don Juan à Mendoza, lettre citée; Farnèse- à sa mère, lettre citée. Cfr. BOR, 0, C.•
t, I. p. 934.
(4) Un contemporain remarque fort judicieusement: « La racnon de cestre route
fut fort sarnblable a celle que- receurent les Francllois a Si, Quentin, l'an 1557, ce que
souvent est advenu quant l'on se rettire sans faire sarnblant de combattre, » Aj'chives
du Département du Nord à Lille, pièce citée. fO 16ro•

218
retourner. Mais plusieurs d"entre eux manifestèrent l'intention de
prendre service dans l'armée royale, ce qui leur fut concédé (1).
L'absence de rigueur vis-à-vis des soldats pris à Gembloux
s'explique par la préoccupation qu'avait le gouverneur général
d'inciter les autres villes à se rendre sans combattre et à rentrer sous
I'obéissance du Roi. Don Juan était d'ailleurs de caractère ohevale-
resque et restait fidèle à Pusage espagnol de ne jamais se venger de
sang-froid des soldats qui se rendent en combattant courageuse-
ment ('2).
Quoi qu'il en soit, Alexandre Farnèse eut I'oecasion de faire
connaître son avis au sujet de cette politique. Dans une lettreadressée
à Philippe II - cette circonstance ajoute plus d'intérêt à l'opinion
émise - et écrite de I'abbayc d'Argenton, il exprima sa grende
satisfaction de ce que son oncle eût usé de la méthode de clémence,
parce que l'on pouvait ainsi faire comprendre à tous les habitants
des Pays-Bas que ceux qui voulaient être de bons catholiques et des
vassaux fidèles de Sa Majesté, seraient assurés de recevoir toutes
faveurs et de jouir d'un bon traitement (3).
Cet avis fait prévoir la politique que le prince de Parme suivrait
plus tard, lorsqu'il serait devenu lui-même gouverneur général du
pays.
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:;:. *

En annonçant à sa mère la victoire de Gembloux, Alexandre


Farnèse avait exprimé l'espoir qu'on tirerait de ce fait d'armes le
plus d'avantages possible (4). Le désastre de Gembloux avait encore
accentué les dissensions qui s'étaient fait jour dans le parti des États,
En face de ce malheur, le peuple chercha des responsables et parla
de trahison; on ana même jusqu'à accuser le prince d 'Orange (5).

(1) Lettre de Farnèse à sa mère, Argenton, 7 février 1578 (loc. cU.); Libro de las
cosas de Flandes, loc. cit., fD 159; DEL RIO, Mémoi1'es sur les troubles des Pays-Bas,
t. III, p. 8i.
(2) « Y si les dio libertad à estos prisioneros, fué por ser cosa muy usada en la
guerra, pues jamas Il sangre fria se torna vengenza de los enemigos, particularmente
la naçion espaiiola que pelea valorosamente con los que se les resisten.. y con los rendidos
son muy mtsertcordlosos. » A. VASQUEZ, Los sucesos ..., p. 95. Voir aussi DEL RIO, o. C.,
t. III, p. 83.
(3) RODRIGUEZ VILLA, CtYrrespondencia de Alejandro Parnesio, loc. cït., p. 133.
{4.) Lettre datée d'Argenton, 7 février 1578 (loc. cif.).
(5) DEL Rio. Mémwes sur les troubtes des Pays-Bas, t. III, p. 79.

219

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D'autre part, la nouvelle de la défaite remplit Bruxelles d'épouvante:
le 14 février, l'archiduc Mathias et le Taciturne quittèrent la ville et
allèrent se fixer à Anvers avec leurs Conseils (1). Chacun ne songea
plus qu'à sa propre défense : le sentiment des intérêts de la « généra-
lité » fit place au désarroi et à un égoïsme féroce. La Hollande et la
Zélande, en dehors du conflit, se gardèrent bien d'envoyer au secours
les troupes dont elles disposaient : elles se contentèrent d'en masser
une partie autour d'Anvers, décidées à les rappeler au premier
danger (2).
Don Juan semblait devoir exploiter incontinent cette situa-
tion. Il assembla sen conseil de guerre : à cette réunion, Mexandre
Farnèse fut d'avis qu'il fallait immédiatement marcher sur Bruxelles
et S''6n emparer. Les autres membres du conseil, plus âgés et plus
expérimentés que lui, furent d'un avis opposé (3). On peut se
demander si Farnèse n'avait pas raison de proposer l'exploitation
rapide du succès obtenu, lorsqu'on voit les agents anglais aux Pays-
Bas, et en particulier Davison, écrire à W'alsingham que si Don
Juan avait marché sans hésitation sur Bruxelles et avait occupé avec
sa cavalerie tous les abords de la ville, il aurait provoqué une situa-
tion extrêmement critique; mais que, en n'allant pas plus loin que
Gembloux, il avait laissé à ses adversaires le temps de se remettre (4).
Cependant, la raison pour laquelle le gouverneur général ne se
risqua pas dans une entreprise contre Bruxelles est bien claire. TI
manquait d'argent pour payer ses soldats et, comme de coutume,
Philippe II ne lui en envoyait qu'avec parcimonie 'et grand retard,
Cette situation avait même sa répercussion sur le prince de Parme,
qui suppliait sa mère de lui envoyer de l'aide, faute de quoi il
pourrait difficilement faire face à ses dépenses.
A côté du manque d'argent, l'armée royale souffrait de pénurie
d'artillerie, de munitions et de pionniers, sans lesquels Pentreprise
d'un siège était évidemment impossible. On estimait aussi, dans les
(1) Déolaration des Etats Généraux aux Dix-huit de Bruxelles, 3 février 1578, dans
JAPlKSE, Resotuüën de?' Buüen-Genertuu, t. II, pp. 8-H (Ils essaient d'expliquer pourquoi
le Prince d'Orange et les États doivent abandonner la ville); STRADA, o. c., t. II, p. 352,;
J. C. H. DE PATER, De Raad van state nevens ltfathias (1578-1581), pp. 5l>-56.
(2) H. PIRENNE, Histoire de Belgique, t. IV, p. U6. Sur les mesures prises par le
prince d'Orange 'pour rallier les foroes dispersées de l'armée des État.s, voir les réso-
lutions des États-Généraux dans JAPIKSE, a. C., t. II, pp. 24-26.
(3) A. VASQUEZ. Los sucesos ..., loc. cit., p. 97.
(4) Davison à Walsingham, Anvers, 3 février 1578 (KERVYNDE LETI'ENHOVE, Relations
poWiques, t. X, p. 271).

220
milieux de Don Juan, que les effectifs de l'armée n'étaient pas assez
considérables polir entreprendre quelque chose de fort important (1).
Don Juan lui-même est d'ailleurs formel au sujet de l'impossi-
bilité dexploiter le succès 'obtenu à Gembloux. Le 23 février, il
écrivit à Don Rodrigo de Mendoza : « Dieu sait combien j'ai souffert
de n'avoir pu profiter de ma victoire, car si le Roi m'avait pourvu
des moyens nécessaires, j'aurais pu replacer sous son autorité
Bruxelles et la plus grande partie des Pays-Bas. » (2)
Ces plaintes n'étaient pas dépourvues de fondement. Le Roi ne
s'était décidé à laisser faire la guerre qu'à son corps défendant : il
désirait la conclusion d'une paix acceptable et c'était l'action poli-
tique et diplomatique, non les 'Opérations militaires, qui retenait en
{Jemoment toute son attention.
Le conseil de guerre fut donc d'avis de ne se lancer dans aucune
entreprise d'envergure, mais de tâcher d'élargir l'occupation du
pays, en s'emparant de places peu fortes et de moindre importance,
tant pour inquiéter l'ennemi et le tenir en haleine que pour donner
à l'armée le moyen de se fournir abondamment en vivres dans des
régions jusque-là occupées par l'adversaire (3).
Pour ne pas laisser derrière lui de forces ennemies et rendre de
nouveau possible le ravitaillement de Namur par la Meuse, Don
Juan avait envoyé M. de Hierges avec environ 7.000 fantassins
assiéger Bouvignes: la garnison des États qui l'occupait se rendit

(i) « Mi par di vedere che Sua Maestà habbia poca voglia di mandarne [c'est-à-dire
danari] perche vengano tanto tardi et eosi poco quantità che è una vergogna. » Ale-
xandre à sa mère, Argenton, 7 février 1578 (loc. cit.). - « Pel' il pocho apparecchio che
navemo d"artiglieria, munltlonl et guastatori. » Alexandre à sa mère, Jodogne, 5 mars 1578
(A. F. N., Carte farnesiœne, Fiœndra, rascio 1624). - « Cierto puede creer V. Md que la
Ialta que ha tenido el seüor Don Juan de jente, dineros; artilleria ... [e han estorbado el
no proseguir adelante la victoria y gozar della, » Farnèse au Roi, Louvain, 19 février 1578
(RODRIGUEZVILLA, Correspondencta de Alejandro Pœmesio, loc. clt., p. 134).
Robles de Billy fut en ce moment envoyé en Espagne par Don Juan pour exposer la
situation au Roi et lui démontrer l'urgence des secours (Farnèse à sa mère, Jodogne,
5 mars i578, lac. cU.).
(2) KERVYN DE LETTENHOVE, Les Huguenots et les Gueux, t, IV, p. 571.
(3) « Risolse, col parer di tutti quelli che siamo seoo, che non si potendo ·far cos a
di gran momento sino che Sua Maestà proveda di suIDciente numero dl gente et dell'
aitre oose necessarie pel' proseguir la guerra, non si dovesse tentar cosa che non dovesse
riuscire, ma s'attendesse fra tanto ad allargarsi di paese da vantaggio, 'S1 per inquietar
l'inimico, come pel' assicurarsl d'haver da vlvere abbondantamente pel' l'esercito. » Farnèse
à sa mère, Jodoigne, 5 mars 1578 (lac. cit.). - « Si S. M. jusge sel' su servitlo et prosegulr
la via de las armas, podra yr linpiando y ganando algunas villas que queden a los lados,
procurando ganar bastimentos y enquietallos, que es 10 que mas oportunamente en el
estado presente se pueda hazer. » Farnèse au Roi, Louvain, 19 février 1578 (loc. cit.).

221
après vquelques heures de bombardement (1). Entretemps, Ottavio
Gonzaga était parti, avec la plus grande partie de la cavalerie, dans
la direction de Louvain pour occuper cette ville. En route, il s'empara
de Jodoigne. Lorsque les Louvanistes eurent appris la capitulation
de Gembloux et la prise de Jodoigne, ils chassèrent les deux corn-
pagnies écossaises que le prince d'Orange les avait obligés d'accepter
comme garnisonvet ouvrirent les portes à Gonzaga (2).
On manqua l'occasion de se rendre maître sans coup férir de
Malines. Louis del Rio, qui avait accompagné la cavalerie de Gonzaga
à Louvain, avait proposé de surprendre la cité épiscopale. Il eomp-
tait sur l'influence qu'il y possédait, ayant rendu aux habitants de
grands services. Mais on hésita et les États eurent le temps d 'y jeter
rapidement une garnison (3).
Après la prise de Louvain, Don Juan et Farnèse, qui avaient
attendu à l'abbaye, d 'Argenton le résultat du siège de Bouvignes, se
rendirent au château d 'Héverlê, près de Louvain, que le duc
dAerschot, rallié -au parti des États, avait abandonné, Laissant
Gonzaga pareourdr le pays avec sa cavalerie,dans la direction de
Tirlemont, Aerschot, Diest, ils résidèrent à Héverlé jusque vers la
mi-février, à cause de l'inclémence d'un hiver particulièrement âpre
et rigoureux (4).
Don Juan avait d'abord songé à entreprendre le siège de Vil-
vorde, qui était occupée par une forte garnison, mais, considérant
les faibles moyens dont il disposait (5), il abandonna ce projet et
décida d'envoyer Alexandre Farnèse vers Diest et Sichem (6).
Après Gembloux, ce fut une autre partie de la campagne de
1578 où le prince de Parme se distingua, et le récit en mérite un
chapitre spécial.

(1) Farnèse à sa mère, Louvain, 13 février 1578 (A. F. N" Corte [amesume, Fiandl'a,
rasoto 1624); use« j'elationum, r- 37.
(2) A. VASQUEZ, Los sucesos ..., loc. clt., p. 97; LibJ'o de las cos as de Plane/es, loc. cit.,
fO 159; Liber relationum, fo 37-38. Pour la prise de Louvain, le récit circonstancié de
DEr. RIO, o. c., t. III, pp. 83-87.
(3) DEL RIO, O. c., t. III, pp. 87-88.
(4) Lioro de las cosas de FLmules, lac. cit., fo 159-161; Libe1' 1'elatiov,um, fo 38; A.
VASQUEZ, Los sucesos ..., loc. oit., p. 98; DEL RiO, O. c., t.III, pp. 89-91.
(5) Alexandre à sa mère, Jodogne, 5 mars 1578 (loc ctt.); DEL RIO, O. c., t. III, p. 9i,
prétend que Don Juan aurait pu s'emparer de Vilvorde par surprise, le fossé étant guéable,
comme le démontra l'évasion de son parent Jérôme deI Rio, prisonnier dans cette "ille,
(6) Cfr A. SAIJCEDO RUIZ, El coronei crutouai de Mondrag6n, pp. 142 sv.

222

..
OHAPITRE XII

ALEXANDRE ]'ARNÈSE ET LE SAO DE SIOHEM


(i578)

Après l'abandon du projet de prendre Vilvorde, Don Juan


envoya Alexandre Farnèse, avec la plus grande partie de l'armée et
avec J'artillerie dont on disposait en ce moment, vers Diest. Le but
de ces opérations était de « donner de l'air », délargir le rayon
d'action de Don Juan, et de tenir l'ennemi le plus loin possible de
Namur et de Louvain, les deux pivots dont le gouverneur général
disposait en ce moment. Un autre but, c'était d'occuper des régions
où les troupes pouvaient trouver de quoi facilement se ravitailler (1).
Le 20 février, le prince de Parme partit de Louvain avec ses
troupes. Don Juan devait le suivre le lendemain avec le reste de
l'armée et se diriger vers Tirlemont, pour appuyer l'action de
Farnèse. Arr-ivé à Rillaer, où il s'arrêta, le prince Alexandre apprit
que la petite ville de Sichem, située non loin de là, avait refusé de
se rendre au comte de Meghem, qui y avait été envoyé avec son
régiment d'Allemands et d'autres forces encore.
La garnison de Sichem ne s'était pas laissée intimider par la
mise en batterie des pièces de siège, et avait rejeté avec mépris les
propositions qui lui avaient été portées par des parlementaires.
Le prince de Parme jugea que l'entreprise projetée contre Diest
n'était pas possible aussi longtemps que Sichem 11 'était pas aux
mains des troupes royales (2).
Sichem était bien fortifié par ceux qui l'occupaient: ils en avaient

(1) « Ma s'attende t'l'a tanto ad allargursi di paese da vantaggio, si pel' mqulelar I'Ini-
mica, come pel' assicurarsi d'haver da vrverc abbondantamente pel' l'eserclto. » Farnèse à
sa mère, Jodoigne, 5 mars 1578 (loc. cU.). - « Par allargar campagna et far discostar da
.~amuro et da Lovagna i nimici il più che poteva. » Liber 'l'eLatiollum, fo 38'".
(2) Farnèse à sa mère, lettre citée.

223
eu le temps. Un château fort augmentait la force de résistance de la
place, et la garnison qui s 'y était enfermée semblait avoir une raison
spéciale pour bien tenir: la petite ville appartenait au prince
d'Orange (1).
Farnèse demanda à Don Juan de pouvoir entreprendre le siège
de la place, Il partit le matin du 21 février. Arrivé devant Sichem,
il envoya un trompette au gouverneur de l'endroit pour l'engager à
se rendre, et lui faire connaître que, dans ce cas, on « lui ferait bonne
guerre », c'est-à-dire qu'on ne se livrerait point à des mesures de
représailles. Si, au contraire, les occupants attendaient pour obéir à
cette sommation que le premier coup de canon fût tiré, le prince de
Parme donnait sa parole qu'il ne. resterait personne vivant (2).
On lui répondit de façon insolente. Le prince de Parme ordonna
à l'infanterie espagnole d'ouvrir la tranchée. Puis le bombardement
commença, avec les huit pièces dont Pasaaillant disposait : il dura
jusqu'àprès midi. Après en avoir vérifié les effets, Alexandre estima
que l'on pouvait ipasser à Passant de la place. Avant de lancer ses
soldats contre les positions de l'adversaire, Farnèse envoya au gou-
verneur un nouveau parlementaire : si on attendait l 'assaut, personne
ne serait épargné.
Le commandant de Sichem, qui appartenait an lignage anversois
des van Lier e (3), refusa encore de se rendre: « Nous avons ce
qu'il faut pour résister, dit-il, et nous ne voulons nous incliner que
devant la force des armes. » (4). La petite ville était, en effet,
fournie de solides palissades, d'un large rempart et d'un fossé
profond et disposait d' «arbres roulants », c'est-à-dire des troncs
d'arbre que Fon roulait sur les assiégeants (5).
Le prince de Parme fit alors disposer ses troupes en vue d,e
l'assaut. Devant la porte qui s'ouvrait sur la route vers Louvain, il
groupa, au milieu, les Allemands; à droite, les Espagnols; à gauche,
les Lorrains de M. de Samblemont. Quant à l'infanterie wallonne,
Farnèse la dirigea de l 'autre côté de la ville, et lui confia les échelles
d'assaut, afin que la vue de ces engins d'attaque fît croire aux

(i) « Puesta junto al rio Demere, patrimonial del principe de Orange. » Libl'O de las
casas de Flandes, fo 16iv ....
(2) A, VASQUEZ, Los sucesas ..., p. 98.
(3) E. YAN METEREN, O. c., r- 144"'.
(4) A. VASQUEZ, Los sucesos, loc. cit.,p. 99.
(5) DEL RIO, Mémoires sur les troubles des Pays-Bas, t. III, p. 93.

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occupants de Sichem que l'effort principal de l'ennemi allait se portel'
de ce côté (1).
A trois heures de l'après-midi, les soldats de Farnèse se précipi-
tèrent, mais rencontrèrent de la part de la garnison une résistance
acharnée. Bientôt morts et mourants s'amoncelaient devant les murs
que l'on voulait escalader ou devant les brêches pratiquées par le
bombardement. Plusieurs officiers tombèrent, iparmi lesquels les
capitaines Pedro Henriquezet Diego de Barajas (2). Rendus furieux
par cette résistance, qu'ils n'avaient pas attendue aussi opiniâtre,
les assaillants finirent par entrer dans la place : parmi les premiers
à y ,pénétrer furent deux gen:tilshommes de la maison du prince de
Parme, Mercantonio Simouetta et Carlo Benzo. Farnèse avait, en
effet, fait participer ses entretenidoset quelques-uns de ses gentils-
hommes italiens à l'entreprise.
La majeure partie de la garnison fut massacrée. Le prince de
Parme se hâta de pénétrer dans la ville pour empêcher qu'on ne
tuât les femmes et les enfants, car les soldats étaient décidés à
n'épargner personne (3). Il fut [bien obligé de laisser tout mettre à
sac, .et d'autoriser le pillage (4) ; il parvint à faire respecter le cou-
vent des chanoinesses de Saint-Augustin ou, du moins, l 'honneur des
religieuses (5). Quelque 200 soldats de la garnison parvinrent à
échapper au massacre et se réfugièrent avec le gouverneur dans le
château fort. Un autre groupe de 150 d'entre eux, qui avaient tra-
versé le Dêmer et essayaient de fuir, fut taillé en pièces par la
cavalerie que le prince de Parme avait postée près de la rivière pour
couper la retraite aux fuyards.
Cependant, ceux qui avaient pu s'enfermer au château de Sichem,
faisaient mine de vouloir se défendre jusqu'à la mort. Le soir était
entretemps tombé. Pendant toute la nuit, le prince de Parme fit
préparer l'assaut du château. Il fallut d'abord démolir en ville un
terre-plein que les assiégés avaient élevé pour leur défense et qui
(1) Alexandre à sa mère, lettre citée.
(2) « Con perdita d'alcuni de' nostri, e particolarmente d'alounl capltani et offitiali
spagnoli et d'aItre nationi. » Farnèse à sa mère, lettre citée. - STRADA, O. C., t. II, p. 355;
DEL RIO, O. c., t. III, p. 93.
(3) A. VASQUEZ, Los sucesos, loc. clt., p. 100.
(4) « La terra andô a sacco. » Farnèse à sa mère, loc. cit.
(5) « 10 medesimo hebbi cura particolare d'un monasterio di monache che c'era et
rlmase intatto. » Farnèse à sa mère, loc. olt, - STRADA, O. C., t. II, p. 356. - « Los soldados,
.ooléricos de haber perdido il sus amigos, y deseosos de la venganza y provecho dei saco, no
tienen consideracion ni respeto algunos dellos, partlcularmente los de las naclones, il tem-
plos ni il cosas sagrados, sino à su provecho. » A. VASQUEZ, Los sucesos, loc. ctt., p. 100.

225
empêchait dintroduire dans Sichem l'artillerie espagnole; il fallut
ouvrir des tranchées et préparer la mise en batterie des pièces. Pour
activer les opérations, Alexandre Farnêsese tenait constamment sur
place: il mit lui-même la main à l'ouvrage, aidé par certains des
gentilshommes qui L'avaient accompagné (L). Lorsque l'aube parut,
les canonsétaient en position, et tout était 'prêt pour l'attaque.
Les assiégés,se rendant compte que toute résistance serait désor-
mais vaine, demandèrent à parlementer. On leur répondit qu'ils
devaient se rendre à la merci des soldats. Le gouverneur fit savoir que
lui et ses gens voulaient bien se rendre à la merci de Son Altesse,
mais non à celle des soldats, Alexandre Farnèse refusa et envoya au
château le maître de camp Gabriel Nino, pour faire comprendre à
J'adversaire que la détermination du prince de,Parme était inflexible:
il fallait se rendre sans conditions (2).
Le gouverneur et ses hommes, comprenant qu'il n'y avait plus
rien à espérer, capitulèrent.

Alors, la vengeance du vainqueur commença. Le prince de Parme


fit pendre le gouverneur et les principaux chefs. Quant aux soldats,
on les mit à mort pendant la nuit. Les sources dont nous disposons
ne 'sont pas d'accord pour ce qui concerne le genre de leur supplice.
L'officier espagnol qui écrivit le Libro de las cosas de Elamdes dit que
plusieurs d "entre eux furent pendus par les pieds aux fenêtres du
château et les autres .aux arbres qui entouraient l'édifice (3). Alonso
Vasquez, dans ses Sucesos de Flandes, affirme que le prince de Parme
fit entrer les prisonniers dans une salle, en file, et les fit abattre à
coup de massue sur les tempes (4).
Dans la lettre à sa mère 'où Farnèse raconte ces événements, il
se contente de dire qu'il fit mettre les soldats à mort pendant la nuit,
sans spécifier la façon dont cette exécution fut faite. Il semble que
l'on employa en tous cas un système expéditif, car le prince ajoute

(i) « Con la mia presentia et assistentia et anoo con aiutarli io medesimo con alcunk
cavallierl prmctpalü, il lavoro fu flnito Il. tempo. » Farnèse à sa mère, lettre citée.
(2) A. VAS'QUEZ, Los sueesos, loc. clt., p. 100. '
(3) Loc. clt., r- 161 VO.
(4) Loc. cit., p. 100.

226
ce commentaire dans <salettre: « TI parut qu'il était mieux de leur
donner ce châtiment plutôt que de les faire pendre tous ou de leur
faire couper le nez et 1e:soreilles. ~ (1)
Nous croyons que le récit de Cesare Campana} dans son Dena
g'uerra di Fiandra fournit la clef de l 'énigme. L'autorité de Campana
pour tout ce qui touche à l 'histoire de Farnèse est considérable, cal'
il fut documenté à Aquila par Oosimo Masi, le fidèle secrétaire du
prince de Parme. Celui-ci assista - à distance respectueuse! - à
l'affaire de Sichem (2) et savait donc ee qui s'y était passé. Or Cam-
pana, en parlant du supplice infligé aux soldats de' Sichem, dit
qu'après avoir été assommés pail' des coups portés à la tête, ils furent
jetés dans le Dénier et noyés (3). Oette noyade est aussi signalée
par un autre auteur, d'ordinaire bien informé, F. Van der Haer, qui
emploie l'expression latine: trucidOint et submergunt (4). Enfin, le
même détail se trouve dans les Mémoires de del Rio, qui faisait
partie de l'armée de Farnèse et qui affirme: militun» plerosque vn
foumen Demerani compulerunt (5).
On le voit, tous ces témoignages se confirment et il est possible
de les concilier avec le récit de Vasquez, qui ne signale que la pre-
mière partie de l'exécution: la tuerie à coups de massue, négligeant
le détail que les corps furent précipités dans le Dêmer.
,Si, vis-à-vis de la garnison de Sichem, le prince de Parme fut
impitoyable, il sauva par contre la vie des bourgeois, hommes et
femmes (6). Et ce faisant, il ne dut pas avoir une tâche facile, dans
une ville livrée à la fureur de ses soldats et dont on leur avait promis
le sac, si elle ne se rendait pas tout de suite (7).
Oette attitude miséricordieuse à l'endroit des habitants atténue
quelque peu l'impression pénible que fait sur nous la froide cruauté
vis-à-vis de la garnison et de ses chefs.
Cette cruauté éclata surtout dans les détails du supplice infligé
au valeureux gouverneur de la petite ville. On le mena en haut de la
(i) « Parendo che tosse manco male darli questo gastigo, che farli applcar tutti, ne
tagliar naso ne orecehle a nessuno. l> (Loc. elt.)
(2) L. VAN DER ESSEN, Les archives (améstennes de Parme, n° 174.
(3) O. c., r- 202 ".
(4) Tumulturum be~gicorum annales, 2" réd. dans le ms. de Bruxelles nO 9402, fO 284-285.
(5) O. C., t. III, p. 92.
(6) « I terrazzani, si homini come donne, salvai tutti. trattandoli amorevolmente. »
Farnèse à sa mère, loo, oit.
(7) Cette opération de sauvetage prouve en tous cas l'autorité que le prince exerçait
sur ses soldats. STRADA(o. c., t. II, p. 356) l'a remarqué et le signale avec raison.

227
.~ .. ----~

tour du château pour l'y pendre. L'officier demanda à Farnèse que,


en sa qualité de gentilhomme, on lui épargnât une mort si dégradante
et qu'on lui tranchât la tête. Alexandre refusa (1). Désespéré, le
prisonnier, profitant d'un moment d'inattention, se précipita du haut
de la tour dans le fossé. Mais comme celui-ci était rempli d'eau
jusqu'au bord, le malheureux ne se tua pas. On le repêcha et, tout
ruisselant d'eau, il fut ramené en haut de la tour. Au moment où on
lui passa la corde au cou, Farnèse lui fit dire que, s'il dêsirait un
confesseur, on lui en procurerait un. Le prisonnier répliqua qu'il n'en
avait pas besoin, qu'il gardait sur son cœur l'image de quelqu'un
qui pouvait le consoler au moment où il s'en irait dans l'éternité. Ce
disant, il retira de dessous ses vêtements le portrait de sa femme,
le regarda tendrement, le baisa plusieurs fois, puis, subitement, le
précipita dans le fossé. Se tournant alors vers le bourreau, il lui
dit: « Faites votre devoir. » (2)
Ainsi mourut, le 21 février 1578, le commandant de Sichem.

Le sac de Sichem et les exécutions qui suivirent ont incontesta-


blement terni la gloire du prince de Parme. Dans sa carrière mili-
taire Isi remplie, ce fut cependant le seul exemple de cruauté qu'il
donna. De plus, nous savons par sa correspondance intime qu'il tenait
beaucoup à sa réputation et qu'il évitait soigneusement tous les faits
et gestes qui auraient pu la compromettre. On doit se demander, dès
lors, pourquoi il ,se montra si cruel lors de la prise de Sichem.
Des témoins contemporains, officiers de s'Onarmée, nous en ont
laissé une explication. Jacomo Fernandez, l'auteur du Libro de las
cosas de Flandes, écrit: « Ce fut un châtiment mérité, à cause de
la témérité que montrèrent Ies défenseurs de Sichem, qui ne tinrent
aucun compte du fait qu'il était impossible d'échapper au châtiment,
s'ils ne se prêtaient à un accord dès le début de l'action. » (3) L' expli-
cation que donne Alonso Vasquez dans Los sucesos de Flandes se
rapproche de cene de Fernandes, mais elle porte plus encore la
marque de la psychologie de l'Espagnol du XVIe siècle : « S'il paraît
(i) « En mémoire des soldats que l'on avait tués et parce qu'on lui avait manqué de
respect » dit Vasquez (100. clt., p. 100).
(2) A. VASQUEZ, Los sucesos, 100. cit., pp. 101-102.
(3) FO i61vo,

228
inhumain et rigoureux de massacrer de cette façon des soldats qui se
sont rendus, écrit Vasques, ce ne fut cependant point sans stricte
justice que le prince le fit faire, pour donner un exemple aux autres,
et afin que les rebelles et les ennemis de l'Église sachent quelle véné-
ration on doit montrer vis-là-vis des généraux de cette Églis'9 et aux
armées catholiques, qui ne représentent pas moins que l'autorité de
Sa Majesté d'Espagne. » (L)
Pour ces deux auteurs, le sac de Sichem devait donc servir
d'exemple, inculquer aux adversaires le respect des armes espagnoles.
Mais nous savons aussi quelle fut la raison du massacre par le
prince de Parme lui-même: il s'en explique au long dans une lettre
écrite à sa mère (2). Alexandre dit qu'il fut forcé de châtier la gar-
nison de Sichem et de lui infliger la peine qu'elle méritait, parce que
ces soldats avaient été les premiers, depuis qu'il était en campagne,
à attendre J'assaut et à ne pas se rendre à la première sommation.
« Ils navaient pas seulement attendu pour se rendre la mise en
batterie de l "artillerie, mais l'assaut. Pour terroriser les autres,
continue Farnèse, on ordonna que les chefs fussent pendus et quant
aux soldats, qui étaient de ceux qui, après la 'bataille de Gembloux,
s'étaient rendus et qui avaient prêté serment de ne plus servir contre
Sa Majesté catholique, on les fit monrir pendant la nuit. »
D'après le prince de Parme, il y avait donc deux raisons pour
châtier les soldats de .sichem. Une raison générale: inspirer la
terreur à ceux qui, à l'exemple de Sichem, tenteraient encore de
résister jusqu'au bout et ne se rendraient pas dès que l'artillerie
serait prête pour le bombardement.
Le massacre avait donc une raison de politique militaire. Pour
éviter de devoir prendre d'assaut, au prix de pertes considérables et
de dépenses exagérées de munitions, une à une toutes les villes à con-
quérir sur les États et pour terminer rapidement la campagne, un
exemple terrible avait été fait. De fait, nous constatons - dans ses
lettres subséquentes, le prince de Parme le fait remarquer lui-même-
que le système fut efficace: Diest, Léau, d'autres villes encore, pour
ne pas subir le sort de Sichem, se rendirent aussitôt que l'artillerie
eût été mise en batterie devant leurs remparts (3).
Du côté des adversaires, on comprit d'ailleurs de cette façon le
(1) Loc. cit., p. 101.
(2) Lettre de Jodoigne, 5 mars 1578 (lac. !lit.).
(3) Nous renvoyons pour la preuve au récit de ces événements militaires, qu'on
trouvera dans le chapitre suivant.

229
massacre de Sichem. Pierre Bor, dans son Oorsprongk, beghin ende
ueruolçh. der Nederlasuische Oorloçhen, dont la rédaction fut pour
ainsi dire contrôlée par les États, affirme que le sac de Sichem eut
lieu « pour établir un exemple avertissant que des petites villes de
ce genre n'avaient pae à offrir de la résistance. » (1)
Mais il y avait, d'après Farnèse, une deuxième raison, qui semble
affecter uniquement les soldats de la garnison, à l'exclusion des chefs.
Les soldats de Sichem auraient été des parjures : prisonniers à
Gembloux, ils avaient promis de ne plus combattre le Roi d'Espagne.
On peut se demander si cette raison complémentaire est vraie. Il
est certain que, parmi les soldats des États qui avaient prêté ce
'serment à Gembloux, il y en eut qui ne l 'observèrent point et qui
reprirent du service chez les adversaires de Don Juan (2).
Mais se trouvèrent-ils à Sichem' Nous en doutons. En effet, les
soldats faits prisonniers à Gembloux qui prêtèrent le serment en
question étaient, les uns des étrangers, surtout des Écossais; les
autres, des Wallons. Don Juan, après les avoir remis en liberté, fit
conduire les étrangers, sous escorte, vers la principauté de Liége;
les Wallons furent conduits en Hainaut (3). Est-il concevable que,
une quinzaine de jours après, ces soldats se soient trouvés à
Sichem? (4).
Nous croyons que le prince de Parme, pour pallier quelque pen
l'impression d 'horreur que devait faire naître le massacre, a ajouté
cette deuxième raison pour se disculper. A l'appui de notre scepti-
cisme, nous raisons .remarquer que dans ses Mémoires, Del Rio,
qui était juriste, auditeur militaire général dans l'armée espagnole,
et qui aurait été particulièrement touché par l'excuse du parjure de
la garnison de Sichem, n'en souffle mot et donne au sac de la ville la
signification d'un exemple, simplement destiné à terroriser (5).
TI y .a plus. Don Juan lui-même s'est expliqué au sujet de l'évé-
nement. Et son explication est d'autant plus intéressante qu'elle est
'donnée dans une lettre intime et personnelle, où le gouverneur général

(1) BOR, o. C., t. l, p. 935.


(2) DEL Rro, o. C., t. III, p. 80, l'a!llrme, avec l'autorité qui s'attache à la parole d'un
contemporain, témoin direct des événements.
(3) DEL Rro, o. C., t. III, p. 80.
(4.) Les agents anglais aux Pays-Bas, qui signalent toujours la participation des
Écossais aux événements, ne souffient mot de ceux-ci dans leur rapport sur l'affaire de
Sichem (Foreign Ctüendar, Elisabeth, 1517-1578, pp. 657 sv.).
(5) <!: EJa fuit causa (le massacre) our eo citius Diestenses, Levaot, Hannuytenses et
Landenses dedttionem tecermt, » (O. C., t. III, p. 92.)

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. ~...,.. ''':-''-'' ~.;

parle à cœur ouvert. Le surlendemain du massacre de Sichem,Don


Juan, de l'abbaye d'Oplinter où il se tenait en ce moment, écrit à
Namur à Charles de Berlaymont qu'on avait châtié ces gens qui
s'étaient obstinés, dans une petite ville si faible, à attendre le canon;
qu 'il était bien marri de ce qu'ils avaient été si mal avisés de ne pas
se rendre au moment où ils y avaient été invités. Aussi, « contre son
naturel », il avait dû les faiire maltraiter, « pour servir d'exemple à
d 'autres qui pourraient sobstiner aussi, s'ils avaient vu qu'à ceux de
Sichem on eût pardonné une si grande outrecuidance. » (1) .
Ce passage est clair et clôt le débat. Mais il se pose alors la
question: Alexandre Farnèse pratiqua-t-ilce système de terrorisation
de sa propre volonté, ou le fit-il sur l'ordre de Don Juan ~
La lettre que nous venons de citer montre que c'est bien Don
Juan qui en donna l 'ordre à son lieutenant, et qu 'il le fit à titre excep-
tionnel, « contre son naturel ». En effet, il avait agi tout autrement
à Gembloux, comme nous Pavons fait remarquer: c'est que là, la
garnison s'était immédiatement rendue dès qu'elle avait vu planter
les canons devant les murailles.
Alexandre Farnèse est d'ailleurs explicite sur le point des
instructions données par Don Juan. Dans la lettre déjà citée qu'il
adresse à Marguerite de Parme, il écrit : « D'où moi, pa.r l'ordre que
j'avai·s reçu de ,son Altesse (et que je joins à cette lettre), je fus forcé
de leur donner le châtiment qu'ils méritaient. » (2) Le prince de
Parme devait donc avoir reçu un ordre écrit de son chef : quoique
annoncée comme accompagnant la lettre, cette pièce ne se trouve plus
'aux Archives farnésiennes de Naples. Ce n'est pas une raison pour
douter de son existence : la missive de Don Juan citée plus haut nous
en est une garantie certaine (3).
Les motifs qui inspirèrent Don J uan sont suffisamment clairs
par tout ce qui vient dêtro dit. Et cependant, il-nous faut appro-
fondir encore plus le problème. En effet, la lettre que le prince de
Parme écrivit de Jodoigne, le 5 mars, à sa mère, pour lui raconter

(i) Archives Générales du Royaume, Papiers d'État et d'Audience, .Iiasse i74 : Lettre
du 23 février 1578.
(2) « Ond' 10 per I'ordlne, che havevo da Sua Altezza (che sara con questa), fu
forzato a dar loro il gastigo che meritavano. » Parnèse à sa mère, Jodoigne, 5 mars 1578
(lac. cit.).
(3) « Et qu'ilz aient voulu donner occasion que, contre mon naturel, je les ay raict
mal traicter pour servir d'exemple à aultres ... » . .

231
l'affaire de Sichem, fut SUlVIed'une autre missive, qui est rédigée
entièrement en chiffres (1), et qui présente donc un caractère très
confidentiel. Voici ce que nous y apprenons.
Sortant de la réserve qu'il s'était imposée jusque-là à Pendroit
de la personne de son oncle, Farnèse signale à sa mère qu'après
avoir observé pendant quelque temps la psychologie de Don Juan et
les dispositions des gens des Pays-Bas, il constate que le gouverneur
général est tellement partisan de la guerre et tellement passionné
dans sa conduite vis-à-vis de la population du pays que lui, Farnèse,
pense qu'il Isefait des illusions et qu'il se trompe. Au fond, Don Juan
n'aime pas que quelqu'un vienne aux Pays-Bas qui puisse rester
pour le remplacer. P.our cette raison, le prince de Parme croit que
le gouverneur l'a choisi pour être l'exécuteur du châtiment de Sichem,
dans l'intention de lui faire perdre la sympathie qu'il avait su gagner
déjà auprès des habitants du pays, et aussi pour faire disparaître la
grande affection et le souvenir que ceux-ci gardaient à Marguerite
de Parme. « Don Juan s'imagine peut-être, continue Famèse, que
de cette façon, nous serons tous deux, vous et moi, empêchés de
rendre service à Sa Majesté. »
Après cette explication pour le moins étrange et inattendue, de
la part de quelqu'un qui avait toujours été protégé et favorisé par
Don Juan, et qui lui devait de pouvoir recueillir aux Pays-Bas la
gloire militaire qu'il ambitionnait, le prince de Parme revient encore
sur le rôle qu'on lui a fait jouer à Sichem.
Certes, il n'a pu laisser de faire son devoir de soldat discipliné et
d'obéir à Don Juan, mais il ne l'a fait que partiellement, car là où
il a pu, il a modifié les instructions reçues et les a appliquées avec
modération. D'aiUeurs la prise de Diest et de Léau - la lettre fut
écrite, en ·effet, après ces événements - lui a donné l'occasion de se
montrer miséricordieux ·et clément, daceorder tout ce que les habi-
tants de ces villes lui ont demandé, et même de leur concéder plus
qu'il n'était obligé de faire.
Oette lettre est le fait d'un homme poursuivi par le remords :
c'est une excuse pour la conduite qu'il a tenue et qu'il juge devoir
justifier. Elle ne nous paraît pas sincère, en ce qui concerne les motifs
quelle veut découvrir chez Don Juan. Nous savons que Farnèse avait
écrit au Roi pour lui demander de ne pas envoyer Marguerite de

(i) Deciferato âel. 8"r PI'incipe con teuere de 5 marzo 1578, 4 pages in-4° en chifîres,
avec déchiffré (A. F. N., Ca'i'te tomesione, Fianœra, fascio 1624).

232
Parme aux Pays-Bas : si le prince feint ici de s 'intéresser tant à cette
venue, il ne dit point la vérité.
Nous considérons cette lettre comme un document psychologique
des plus importants. Le prince veut, vis-à-vis de sa mère, se libérer 19.
conscience: pour ee disculper du massacre qui continue à exciter chez
lui le regret, sinon une certaine honte, il n 'hésite pas à prêter à celui
auquel il doit sa situation des intentions dont la vérité n'est nulle-
ment prouvée.
Alexandre Farnèse montre ici une véritable faiblesse : le côté
chevaleresque de son caractère est diminué par le souci qu'il a de
maintenir sans tache sa rêputation. Le sac de Sichem, les circon-
stances qui l'entourent, les efforts qu'il .a faits pour s'en expliquer
dans une certaine mesure, constituent sans aucun doute un épisode
qui n'est pas à sa gloire.

233
CHAPITRE XIII

ALEXANDRE FARNÈSE ET LES DERNIERS


ÉVÉNEMENTS POLITIQUES ET MILITAIRES AVANT
LA MORT DE DON JUAN
-:l
(1578)

La résistance de Sichem et les 'efforts qu'il avait dû faire pour


s 'emparer de cette ville si peu importante avaient donné à réfléchir
au prince de Parme (1). On dirait quaprès l'impétuosité montrée à
Gembloux, après l'optimisme qui le poussa à attaquer Sichem avec
des moyens qui parurent à peine suffisants, il s'assagit et fait un
retour sur lui-même. La réfiection remplace la spontanéité naturelle
de son caractère et il se souvient des leçons qu'il a reçues de l'ingé-
nieur Francesco di Marehi et des fameux capitaines qu'il a pu
connaître et interroger au cours des années antérieures. Les opéra-
tions militaires qu'il entreprend après Sichem seront conduites avec
beaucoup plus de prudence, de préparation et de savoir-faire.
Après avoir laissé dans Sichem deux compagnies de Wallons
comme garnison (2), Alexandre Farnèse se prépara à attaquer Diest.
Mais cette fois, il prit toutes ses précautions. TI avait été frappé de
constater le peu d'effet que faisaient les demis canons (3), les seules
pièces dont il disposait en ce moment. TI s'était rendu compte aussi
qu'il n'avait plus de munitions que pour 800 coups. De plus, il avait
(i) « Vedendo le diffloultà ch' havevo havuto in Sichem, il poco effetto che fanno
i mezzi cannon!... » Farnèse à sa mère, Jodoigne, 5 mars 1578 (lOG. GU.).
(2) A. VASQUEZ, Los sucesos, loc. clt., p. 102.
(3) On distinguaIt au XVIe siècle, dans l'artillerie employée aux Pays-Bas, le canon,
de 40 livres et d'une longueur de 12 pieds, et le demi-ca-non, de 20 livres, et d'une longueur
de 11 % pieds. La différence principale entre ces deux sortes de pièces conslstalt dans
le calibre ou longueur d'âme de l'arme. Voir au tome II le chapitre sur L'l)rganisatiûn
de l'armée espagnole au XVIe siècle.

234
été reconnaître en personne la place de Diest, qui lui avait semblé
forte et difficile à surprendre:' ce fut aussi l'avis des vieux soldats
et des ingénieurs militaires qu'il consulta (1).
Diest était, en effet, une baronnie appartenant au prince
d 'Orange et celui-ci y avait placé une garnison nombreuse et bien
choisie et avait promis de la secourir en temps opportun (2)~
Alexandre Farnès-e craignit que, vu le manque de munitions,
l'infériorité de son artillerie et la déficience de pionniers, il serait
téméraire de tenter l'entreprise, sans améliorer les conditions de son
armée. Il écrivit à Don Juan pour lui signaler qu'il faudrait deux
groupes d'armée, dont l'un serait posté au delà du Démer, pour
empêcher le secours que le prince d'Orange s'empresserait sans
doute d'envoyer. Malines, Lierre, Anvers, où les É'tatsavaient de
fortes garnisons, pourraient facilement détacher des troupes pour
aider Diest, et de Bruxelles pouy-ait arriver à tout instant la cava-
lerie qui y était cantonnée. Oomme Farnèse devait, d'autre part,
garder une parti-e de l'armée pour assiéger la ville, les forces dont il
disposait n'étaient point suffisantes. En conséquence, le prince pria
Don Juan de se transfér-er en personne à Sichem, av-ecles soldats
qui lui restaient, afin de pouvoir éventuellement épauler ses troupes.
Don Juan se déclara d'accord et donna l'ordre dattaquer Diest sans
hésiter.
Il fit, toutefois, v-enir de Namur quelques pièces d'artillerie et
une bonne quantité de munitions, de façon à augmenter les moyens
d'action de Farnès-e. Oe dernier commença par loger dans une église,
qui se trouvait au-delà du Démer, assez près de- Diest, 100 arque-
busiers espagnols, qui s'y fortifièr-ent solidement. Dans la même
région, il plaça la plus grande partie de la cavalerie, dont les hommes
devai-entse tenir à cheval, prêts à intervenir. Le reste de.la cavaleri-e
reçut l'ordre de battre l'estrade du côté des villes ennemies, d'où
quelque secours auraitpu venir. Le prince fit ensuite jeter deux ponts
sur le. Dêmer, près de Sichem, et deux autres à la distance d'un tir
d'arquebuse de Diest, afin que les deux parties de l'armée pussent
facilement s'entr'aider des deux côtés du cours d'eau (3).
Le 25 février, le prince se dirigea ensuite, avec les troupes qu'il
avait gardées avec lui, sur Diest. On se mit aussitôt à creuser des
(i) Farnèse à sa mère, Jodoigne, 5 mars 15'78 (loc. cit.).
(2) C. CAMPANA, O. c., fo 202"".
(3) Farnèse à sa mère. lettre citée.

235
tranchées. Dans ce travail, le prince de Parme rencontra de sérieuses
difficultés. C'était la besogne ordinaire des pionniers, mais' il n'yen
avait pas. On dut s'adresse.r aux soldats, auxquels cette tâche .répug-
nait. Déjà à Sichem, où le prince les avait engagés à se charger de
ce travail, les soldats de toutes les nations avaient unanimement
protesté (1). Cependant, grâce à l'ascendant qu'il exerçait sur eux et
à l'affection que l'armée lui portait depuis Gembloux, le prince, en
usant de persuasion et en les animant de sa présence, en avait obtenu
ce qu'il voulait (2). Cette fois encore, F'arnèse réussit par le même
moyen à faire travailler ses hommes au creusement des tranchées.
Une autre, difficulté tourmentait le prince: l'artillerie de Namur
n'était pas encore arrivée. En l'attendant, il se contenta de faire
mettre en position les pièces qu'il avait, tout en cachant soigneuse-
ment à l'adversaire leur petit nombre et leur calibre insuffisant.
Il ordonna le tir es-pacé, à peu de coups, pour ne pas gaspiller
ses munitions.
En arrivant devant la ville, Farnèse avait répété le geste fait
auparavant, en envoyant un trompette dire au gouverneur qu'on lui
ferait « bonne guerre » s'il consentait àse 'rendre tout de suite, mais
que s'il attendait l'assaut, ses hommes subiraient le sort de ceux de
Sichem (3).
Cette menace fit impression. A peine l 'artillerie eut-elle tiré
quelques coups, que les soldats de Diest firent savoir qu'ils étaient
prêts, à se rendre, 'si on les laissait sortir avec armes et bagages,
mêches allumées et balles de mousquet en bouche, avec bannières
déployées ·et flottant (4).
Farnèse ne transigea pas sur le point des bannières, mais céda
SUl' le reste. La garnison se rendit alors, Le prince de Parme la traita

(1) On comprend d'autant mieux la répugnance des soldats que, pour l'accoler des
pionniers, on avait l'habitude de s'adresser aux vagabonds et aux chemtneaux, qu'on
enrôlait de force pour ce service. Voir, à titre d'exemple, en ce qui concerne l'armée des
Etats, la lettre des députés d'Ypres à Bruges, écrite le 18 mars 1578. « .., aengaende
't lichten van pioniers... in conformiteyte vande zelve rencharge alle debvoiren doen
tot recouvreren van alle vaghebonden en andere die men ordinairelick daertoe pleecht
le verkiesen. » (DE SCHREVEL, O. G. t. I, p. 284.)
(2) « Havevono protestate tutte le nation! unïtamente in Sichem di non voler farlo,
ma conoscendomelt assai amorevoli et sapendo quello che con la mia presentia et per-
suasione havevono fatto ... » Lettre citée.
(3) 'L'original de la communication du parlementaire est conservé à A. F. N., carte
tomestane, FiIlndra, rasclo 1638. Il est daté de Sichem, 23 février 1578, et porte la signature
autographe de Farnèse.
(4) A. VASQUEZ,Los sucesos, loc. cit., p. 103.

236
avec grande humanité et bienveillance, heureux sans doute de n'avoir
pas -étéobligé de sévir comme à Sichem (1).
Oomme il était trop tard dans la soirée pour laisser sortir, con-
formément 'aux conditions, les trois compagnies de la garnison ~
e 'étaient des Wallons (2) - le prince les autorisa à rester dans
la ville, mais il fit garder l'une des portes par deux compagnies
d'Allemands du comte de Meghem, tant pour protéger les bourgeois
que pour éviter des désordres (3).
En ce moment, Don Juan arriva, venant de Sichem. A cette nou-
velle, qui ,se répandit 'en ville, des membres du magistrat sortirent
pour mettre au point les clauses de l'accord. Le prince de Parme
ordonna alors au comte de Meghem de recevoir des soldats de Diest
le serment de ne plus combattre le Roi,et les autorisa à se rendre en
pleine liberté là où ils le désiraient, avec leurs armes et bagages.
Remarquant l'aspect martial des vaincus, il leur fit déclarer que, s'ils
voulaient, il les prendrait à son service. Ils acceptèrent: on leur
rendit leurs bannières et on les versa dans le régiment wallon de
l'armée royale (4). Don Juan fit alors placer à Diest, comme garni-
son, les compagnies espagnoles d' Aguilar et de Tordesilla:s et deux
compagnies wallonnes (5).
La générosité et la clémence montrée par le prince de Parme
vis-à-vis de la garnison de Diest, qui contrastait si fort avec le
mass-acre de Sichem, n'eut pas l'heur de plaire à tous les officiers de
l'armée. C'était un système qui parut à plusieurs absurde et dange-
reux. Alonso Vasquez s'est fait leur porte-parole: « En Flandre,
écrit-il, les guerres n'auraient pas duré si longtemps, et elles
n 'auraient pas été si difficiles ni si sanglantes, si les gouverneurs de
ces États n'avaient pas été si miséricordieux (si l'on peut dire ainsi)
à l'endroit d'une engeance ennemie de Dieu et de son prince. Dans
l'espoir de la voir s'amender qu'on a eu tant de fois, on a perdu tant
de bonnes occasions en d'autres régions que le Roi, notre Sire, n'a
pas pu étendre beaucoup les domaines de sa couronne. » (6)
(1) « Quella medesima sera s'arresero, e da me furno accettati amorevolisslmamente,
et trattati in fatti et in parole con ognt possible humanltà. » Farnèse à sa mère, lettre
citée, Cfr 'aussi A. VASQUEZ,o. c., 100. cit.; C. CAMPANA,O. c., fO 202 "0.
(2) STRADA, o. c., t. II, p. 358.
(3) Farnèse à sa mère, lettre citée.
(4) Ibidem.
(5) A. VASQUEZ,Los sucesos. 100. clt., p. 104. La pièce originale de la capitulation de
Diest est à A. F. N., Carte farnestane, Fiandra, rascto 1638.
(6) Los sucesos, loc. oit., p. 104.

237
Le prince de Parme allait cependant rigoureusement poursuivre
cette politique de clémence, chaque fois que la possibilité lui en serait
donnée. Ce faisant, il restait d'ailleurs strictement dans le cadre
des instructions de Don Juan, qui ne prescrivait le système de terre-
risation que pour ceux qui attendaient} 'assaut avant de se rendre (1).
Don Juan ordonna alors à Farnèse de poursuivre méthodique-
ment la campagne en allant attaquer Léau, de façon à se rendre
maître de toute cette région du Brabant oriental (2). Le prince ne
dev-ait prendre avec lui que les troupes dont il avait disposé à Sichem
et Diest. La reddition rapide de cette dernière ville semblait rendre
inutile l'emploi des forces auxquelles Don Juan continuait à com-
mander en personne et qu'il avait avec lui entre Sichem et Tirlemont.
Le soir du 26 février, Alexandre envoya en avant le colonel de
Mondragon avec une partie de ses troupes pour mettre le siège devant
Léau. Lui-même alla se loger avec le reste de l'armée et avec son
artillerie dans les villages d(31Senvirons. Le 27, de grand matin, le
prince de Parme alla lui-même reconnaître la ville et choisir l'empla-
cement le meilleur pour les canons. Au moment où il faisait prendre
à ses soldats leurs dispositions pour bloquer Léau, il apprit que
les tractations pour la capitulation v-enaient déjà de s'engager.
L'exemple de Sichem était décidément très efficace (3).
Les négociations pour la capitulation furent conduites rondement
et bientôt Léau se rendit aux mêmes conditions que Diest. Les bour-
geois ne furent pas inquiétés et la garnison put sortir, après avoir
prêté serment de ne plus servir contre le Roi d'Espagne et laissé
les bannières entre les mains du vainqueur. Une des deux compagnies
de la garnison partit, sous escorte, dans la direction qu'elle préférait;
l'autre accepta de s'enrôler dans l'armée de Farnèse (4).

(i) Dans un rapport dressé par Don Juan sur les opérations militaires de cette
période, on lit, à propos de Sichem, cette phrase caractéristique: « Y assl los mando
ahorcar todos pm' no causar, en perâotumos, anima a que otros tales plaças se pensas en
âetetuier, » (KERVIJN DE LE'ITENHOVE, Relations politiques, t.. X, pp. 327 sv.).
(2) « Fu ordinato che con quella parte dell' essercito et artiglieria, che haveva mece ...
andasse a Leau ... per finir d'esser padroni della Campigna (sic) et di tutto '1 paese con-
vicmo, » Farnèse à sa mère, lettre citée.
(3) « Trovai olle oommmctavano a trattar d'accordarsl per il timor ch' essi havevono
con l'esemplo di Sichon. » Farnèse à sa mère, lettre citée. - Liber retatumum; fo 38'°.
(4) Farnèse à sa mère, lettre citée.

238
Ainsi,en sept jours, le prince de Parme s'était rendu maître de
trois places, importantes non pas par leur étendue ou leur force de
résistance, mais par leur situation géographique. Ce qui avait surtout
engagé Farnèse à accepter la mission de s'en emparer, c'est le fait
que <lette région, de Sichem à Léau, était une partie très fertile du
Brabant, où l'armée pouvait facilement trouver de quoi se ravitailler,
offrant abondance de grain et bon fourrage pour la cavalerie.
Alexandre, avec les moyens insuffisants dont il disposait, ne s'était
pas caché les difficultés de l'entreprise; il avait eu foi en la Provi-
dence, qui l'assisterait (1).
Cependant, quant au résultat d'ensemble de ces opérations et
leur portée pour mettre fin à la rébellion des États, Alexandre ne se
faisait aucune illusion (2). Il avait remarqué depuis quelque temps
déjà que Don Juan était très démoralisé. Le gouverneur général se
rendait compte que le Roi ne lui montrait aucune confiance, le laissait
ignorer ses desseins et ses manœuvres politiques, et il devait bien se
rendre à l'évidence: Philippe II l'abandonnait sans argent et sans
appareil de guerre suffisant. D'autre part, le prince de Parme avait
assez de finesse et de sens des réalités pour comprendre que les
résultats des opérations militaires faites jusque-là étaient maigres.
Venu aux Pays-Bas 'Pour recueillir de la gloire militaire et désireux
de se battre, il avouait à sa mère qu'il n'était cependant pas possible
de. conseiller au Roi de continuer à pratiquer la voie des armes. Oe
que l'on avait obtenu jusque-là n'était rien : vouloir encore se rendre
maître, successivement, de toutes les places fortes aux mains des
États était une entreprise chimérique, qui durerait un temps infini et
qui entraînerait pour l'armée des pertes très graves. Même si l'on
parvenait à occuper tous ces endroits, la situation des rebelles n'en
serait pas désespé-rée : ne tenaient-ils pas solidement Mons, Anvers,
Lierre, et puis toute la Hollande et la Zélande' Avec les forces que
l'on avait, un essai pour s'emparer de toutes ces positions n'était
même pas à tenter. Le manque de victuailles forcerait d'ailleurs tou-
jours les chefs de l'armée royale à licencier celle-ci, si la guerre
durait, alors que l'ennemi ne pourrait être jamais affamé.
Aussi, le prince de Parme était d'avis que si le Roi ne rêussissait

(1) « Oonfidato più nel!' aluto del Signor Iddio et nelJa diligentia che bisognava usare,
che negli appareccht che aO navevo et in vero pel' gratia di Sua Divina Maestà ho superato
con essa molte cose. » Lettre citée.
(2) ,CeIa ressort de la lettre entièrement chiffrée que Farnèse adressa à sa mère le
5 mars 1578 (A. F. N., Carte tarnesfœne, Fiandra, fasoio i624).

239
pas à conclure le plus vite possible un accord avec ses sujets, il y
perdrait ea souveraineté. TIlui semblait que, dans ce but, Philippe II,
pour pouvoir négocier avec le prestige et l'autorité qui étaient néces-
saires, devait paraître personnellement en Italie à la tête de forces
imposantes et donner au baron de Selles l'ordre de conclure l'accord
qu'on pourrait trouver, le maintien de la religion catholique restant
sauf. Ce point acquis, il ne resterait plus qu'à rappeler Don Juan
des Pays-Bas : en effet, les Flamands ne voulaient en aucune façon
entendre prononcer son nom ou encore moins traiter avec lui (1).
Ces considérations intéressantes du prince de Parme nous
rappellent que, précisément en ce. moment, se place la mission du
baron de Selles aux Pays-Bas.

***
Jean de Noirearmes, baron de Selles, lieutenant des archers du
Roi, avait été chargé par Philippe II, dès le mois de janvier 1578, de
travailler à la réconciliation des Pays-Bas et avait été envoyé dans ce
but vers les États. Don Juan était averti en même temps des véri-
tables intentions du Roi : celui-ci désirait en revenir au rétablisse-
ment de la situation « telle qu'eUe existait au temps de son père
Charles-Quint s , C'était évidemment une illusion de la part de
Philippe II. Depuis la Pacification de Gand, il ne pouvait plus être
question de rétablir l'autorité du Roi sans conditions {:2). Aussi,
plusieues membres des États et les agents anglais aux Pays-Bas
étaient-ils convaincus que la mission de Jean de Noircarmes tendait
uniquement à ébranler le crédit du prince d'Orange et à le brouiller
avec ses amis au sujet de la question religieuse (3).
.s'apercevant que les États ne prêtaient guère l'oreille à ses
suggestions, le baron de Selles leur écrivit une lettre, le 18 février,
pour leur exposer s'Onavis au sujet de la procédure qu'on pourrait
suivre. D'après lui, tout pouvait se résumer en trois points: l'obser-
vation de la Pacification de Gand, le départ des troupes étrangères,
la confirmation de l'archiduc Mathias comme gouverneur 'Oule choix
(i) Lettre chiffrée citée.
(2) « Ick bedachte datde antwoorde upde Majesteits brieven zeer maghere wesen sai,
ende sonder vrucnten, overmtts het verzouck geheel ex tliametro contrarierende es de:'
Paclûcatie van Gend. » Lettre d'Enguerran de Cherf, échevin d'Ypres, député d'Anvers,
24 avril i578, dans DE SCHREVEL,O. C., t. ï, p. 342; GOSSART, La. domma.tion espagnole
dans les Pays-Bas à ba fin du règne de PhUippe Il, pp. 77-79.
(3) Davison aux secrétaires d'État d'Élisabeth, Anvers, 2, mars 1578 (Foreign Calendar,
Elisabeth, 1577-1.'>78, na 644).

240
d'une autre personnalité pour le remplacer. Pour faciliter ces négo-
oiations, l'envoyé de Philippe proposait qu' Alexandra Farnèse se mît
entre les mains des États Généraux, pour examiner avec eux s'il
était possible de rétablir la situation comme au temps de l'Empe-
reur (1). Pour garantir la sécurité de la personne de Farnèse, le prince
d'Orange, de son côté, se mettrait, comme otage, entre les mains de
Don Juan (2). A cette proposition, les États répondirent sarcastique-
ment qu'ils ne devaient certes pas espérer une disposition pacifique
ou le désir du bien commun chez celui qui était venu d'Italie en
Flandre pour se battre et qui se trouvait encore, les armes à la main,
dressé contre le pays qu'il pouvait, en un certain sens, considérer
comme sa patrie (3).
Il semble bien que, sans doute avec l'approbation du Roi, de
Selles était allé plus loin encore et qu'il avait fait savoir que
Philippe II, si on voulait accepter d'en revenir à la situation de
l'époque de Charles-Quint, aurait consenti à retirer Don Juan des
Pays-Bas et à établir en sa place Alexandre Farnèse. L'envoyé de
Philippe II découvrit même au prince de Parme le dessein de son
maître et le pria d'user de son influence auprès de son oncle, afin
que celui-ci secondât les intentions pacifiques du souverain.
Oes renseignements, donnés par Strada (4), doivent être exacts,
car nous possédons une lettre adressée par Alexandre à son père
Ottavio (5), où il dit qu'il n'accepterait pas volontiers le gouverne-
ment des Pays-Bas, dans les conditions où on l'offrirait en ce
moment : « Ce serait me mettre en la puissance et comme dans les
liens d'autrui; ce serait me prescrire une vie de dépendance et sand
gloire et tout à fait contraire à mon humeur, car je me sens porté par
la force de mon génie à créer l'immortalité de mon nom par la voie
des armes et j'espère, avec l'aide de Dieu, aller plus loin que les
autres dans un si glorieuxexercice, Je le dis d'autant plus libre-
ment, que j'estime qu'il est de l'intérêt du Roi de donner à ses servi-
teurs des emplois qui conviennent à leur humeur et à leur inclination ».
(1) Philippe II avait, en effet, autorisé le baron de Selles, si les États refusaient, par
défiance, de traiter avec lui, d'employer l'intermédiaire du prince de Parme. GOSSAR'l',
o. C., p. 77, note 2.
(2) Ces détaüs sont fournis par C. CAMPANA,O. C., fo 203 m.
(3) Libro de las cosas de Flandes, fe 162vo; C. CAMPANA, O. G., loc. cit.: E. VANMETEREN,
O. G., fe 142; Davison aux secrétaires d'État ct:Élisabeth, Anvers, 2 mars 1578, loc. dt.;
STRADA,o. G., t. II, p. 378.
(4) O. c., t. II, p. 378.
(5) Le texte en est communiqué par STRADA,o. c., loc. clt, Voir, sur la mission de Selles
et ses résultats, J. C. H. DE PATER, De Raad van State nevens Mathias (1578-1581), pp. 80-82.

241
Cette lettre est du 25 mars 1578. Sa teneur et son ton, où
l'absence de modestie s'explique paree que le prince écrivait à son
père d'une façon différente de celle qu'il employait pour se confier
à sa mère, contrastent avec le scepticisme et les dispositions paci-
fiques de la lettre chiffrée envoyée à Marguerite de Parme vingt
jours auparavant.
,C'est que, entretemps, la mission du baron de Selles avait
échoué (1.), et que seule la voie des armes s'offrait pour sortir de la
situation. De plus, Don Juan He montrait obstinément partisan de la
guerre et nentendait prêter l'oreille à aucune suggestion de trève ou
d'armistice (2).
Il y a encore une explication psychologique que nous croyons
devoir ajouter. Dans ses lettres à sa mère, le prince de Parme aimait
àflaHer eelle-ei et, cornrno il ,savait qu'~n~ ~stimait que la guerre était
en ce moment de mauvaise politique, il lui signalait régulièrement
toutes les perspectives d'accord qui semblaient s'offrir. En écrivant
à son père, avec lequel il n'était pas en termes les meilleurs depuis
son départ de Parme, il parlait plus franchement de son désir de se
couvrir de gloire en combattant, sacJhant que cet aspect des choses
était mieux compris par le duc.
En tous cas, la mission du baron de Selles était terminée et une
intervention subséquente de l'Empereur n'eut pa" plus de succès (3).

>;:
',," *

Les opérations militaires continuèrent. La mission de, Selles ne


les avait d'ailleurs pas interrompues. Après l'échec des tentatives
de celui-ci, le prince d'Orange avait demandé aux États Généraux
qu'on fît résolument la guerre à Don Juan. Il proposa aux provinces
de contribuer par mois pour une somme de 400.000 florins, qui servi-

(1) Le Roi au baron de Selles, Madrid, 15 mars 1578 (Foreign Calendar, Elisabeth,
1577-1578, n° 697). « Sed quia Rex in eo persistebat ut Ordines eam sibi obedientiam exhi-
herent, quam Garolo V. Imp. patri suo praestiterant;et ut, praeter cathollcam Romanam,
alla nulla in Belgio religio coleretur ; Ordines vero oum neutrum reipsa eïücerent, nihil
eülcl potuit, atque totus ille laber frustra a Sellio susceptus fuit. » DEL RIO, O. C., t. III,
pp. 97-98. Sur l'ensemble de la mission de Selles, voir JAPIKSE, o. c., t. II, pp. 39-43.
(2) « Don Giovanni vorrla la guerra e perô cieroa disturbar la pace et a traversarJa
più ohe puo. » Farnès!e à sa mère, Binche, 24 mars 1578 (A. F. N., Carte Farnesume,
Ftandra, fascio 1624.)
(3) DEL RIO, O. c., t. III, p. 100; STRADA, O. c., t. II, p. 380; C. CAMPANA, O. c.,
fOI 204ro et 204vo•

242
raient à. payer 3.400 reîtres, 300 lanciers .et 500 arquebusiers à
cheval. L'armée des États atteindrait ainsi le chiffre de 25.400
hommes, auxquels s'ajouteraient les secours promis par la reine
d 'Angleterre à la suite de la mission du marquis de Havré à Londres.
Estimant que ces forces n'étaient pas encore suffisantes, on avait
chargé l 'Électeur palatin Casimir d'enrôler 3.000 reîtres et 3.000 fan-
tassins en Allemagne. Toutefois, la reine Élisabeth n'expédia pas le
contingent promis : elle crut plus prudent de borner son appui à
l'envoi de sommee d'argent et à l'ouverture d'un crédit {1). Le prince
d'Orange fit alors compléter les levées par le recrutement de
2.000 reîtres et de 3.000 fantassins suisses (2).
Après les opérations de Farnèse dans la région du Brabant
oriental, Don Juan quitta Jodoigne et se dirigea sur Nivelles,en
passant par Walhain (3). Alexandre l'accompagna.
Charles de Mansfelt avait levé en France 4.000 soldats pour ren-
forcer l'armée catholique et était arrivé avec ces nouvelles troupes
aux confins de la Picardie. Don Juan et le prince de Parme, à cette
nouvelle, s 'étaient rendus à Binche, où ils attendirent l'arrivée des
renforts français. Lorsque ceux-ci eurent atteint Maubeuge, Charles
de Mansfelt pria Don Juan de les employer au plus vite: c'étaient des
gens qu'on ne pouvait laisser inactifs, sinon ils se mettraient à piller
et à commettre toutes sortes d'excès (4). C'est alors que Don Juan
décida d'entreprendre le siège de Nivelles. Celui-ci commença le
8 mars et faillit mal se terminer par suite de l'outrecuidance, du
manque de discipline et de la légèreté des soldats amenés par Mans-
feIt. Mais des renforts d'artillerie venus de Namur et une meilleure
préparation de Passaut forcèrent les assiégeants à capituler, à de
bonnes conditions (5). Le fait que la ville ne fut pas livrée au soldat
et ne fut pas punie d'un sac et de pillage, indisposa fortement les
soldats français de MansfeIt, qui demandèrent et obtinrent d'être
licenciés et de pouvoir s 'en retourner chez eux. De même, une partie

(1) Walsingham explique cette attitude à Davison dans une lettre datée de Londres,
fi mai 1578, où il dit: « YI Hel' Majestie had sent one man to them, the French KIng ln
ail likelyhood would have sent tenne against them, whlch would have been teir [c'est-
à-dire des États) utter ruyne. l> (KERVIJNDE LETI'ENIIOVE,Relati.ons politiques, ~. X. p. 449.)
(2) BOR. o. C•• t. I. ro. 94S-949.
(3) DEL RIo, O. c., t. III, p. H2.
(4) VASQUEZ,Los sucesos, 10e. clt., pp. 104-106.
(5) Farnèse à sa mère, Binche, 16 mars 1578 (A. F. N., Carte tamesiane, Fuuutra,
tlUlcioi624); A. VASQUEZ, Los suces os, loc. clt., pp. i06-i8., Voir l'intéressant rapport
sur le siège fait par le S, de Viii ers aux État.s Généraux, dans JAPIKSE, Q. c., t. II, pp.29-30.

243
des Allemands du régiment du colonel Fugger, qui n'avaient plus
touché de solde depuis quelques jours, prétendirent qu'on aurait dû
leur permettre le sac de Nivelles, pour se dédommager, et se révol-
tèrent. Don Juan prit tout de suite des mesures énergiques : il les fit
encercler par d'autres troupes, notamment le régiment allemand du
comte de Meghem, obligea les mutins à 'se rendre et fit pendre immé-
diatement un dès chefs de la révolte. L'ordre fut ainsi promptement
rétabli (1).
Le 14 mars, Don Juan et Farnèse, retournèrent à Binche. En ce
moment, un secours appréciable arriva à l'armée royale et permit
d'entreprendre avec plus de vigueur quelques opérations dans le
Hainaut. Par la Bourgogne et la Lorraine venaient de passer, se
dirigeant sur les Pays-Bas, 22 enseignes d'infanterie espagnole,
400 « aventuriers » ou volontaires de qualitiê - 5.000 fantassins au
total - et 1.400 cavaliers, sous les ordres de Don Martines de Leyva,
qui les avait levés à ses frais dans le royaume de Naples. Ils mar-
chaient derrière un étendard tout noir, où figurait en rouge la croix
de Bourgogne, le Christ crucifié et la Vierge Marie. Au cours de
leur passage en Bourgogne, ils avaient consommé 10.000 livres de
pain, :2 milliers de carpes, 4 à 5 tonnes de harengs, 3.000 livres de
beurre et de fromage, des centaines d'œufs (2). Bien nounries et bien
en forme, ces troupes furent reçues avec joie et on décida de les
employer de suite: il y avait parmi elles de fameux capitaines, comme
Don Pedro de Tolède, duc de Fernandina, Don Diego Hurtado de
Mendoza, Don Sanche de Leyva et d'autres encore (3).
Beaumont, Le Rœulx, Soignies, Braine-le-Comte, Maubeuge et le
château de Havré furent assiégés, et en partie pris d'assaut, en
partie rendus à merci par les habitants (4).
En ce moment - milieu de mars - il s'était mis à pleuvoir et
à neiger au point qu'il était difficile de conduire les trains de bagages
et d'établir des campements. Tous les membres du conseil de guerre
furent d'opinion qu'il fallait en profiter pour accorder quelque repos
à l'armée, tout en tenant 'sous bonne garde les conquêtes que l'on
avait faites jusque-là. Cet intermède pouvait aussi fournir l'occasion
(1) Farnèse à sa mère, lettre citée; STRADA, o. C., t. II, pp. 359-360.
(2) L. FEBVRE,. Philippe II et la Prtmetie Comté. pp. 748-749.
(3) A. VASQUEZ, Los suces os, loc. cit., p. 108; A. CARNERO, Historia de las gue1"I'oS
mmles, p. 139; STRADA, o. c. t. II, p. 380.
(4) Farnèse à sa mère, lettre chiffrée du 25 mars 1578 (A. F. N., carte fœrnes'Iane,
Fwndra, rasclo 1624); LilYro de las cosas de Plasuies, r- 163' °-164; Liber rela,tWrium,
to 39'°; DEL RIO, O. C., t. III, p. 122; VASQUEZ, Los sucesos, loc. cit., pp. 108~i09.

244
de pourvoir l'armée de beaucoup de choses nécessaires, dont elle était
totalement dépourvue en ce moment (1).
Les troupes, qui comptaient d'ailleurs beaucoup de malades,
furent cantonnées autour de Binche (2).

Le prince de Parme profita de ce répit pour donner à sa mère,


par communication rédigée en chiffres, quelques-unes de ces nou-
velles politiques qu'il avait l'habitude de lui expédier régulièrement
tous les quinze jours. Et voici ce que nous y apprenons.
De toutes les nouvelles qui venaient d'Espagne et que confir-
maient quelques-uns des condottieri récemment arrivés à l'armée,
comme par exemple Don Pedro de Tolède, on pouvait comprendre que
Philippe II n'avait pas changé d 'intention en ce qui concernait la
mise sur pied d'un accord avec les États Généraux des Pays-Bas. Des
tractations semblaient devoir continuer par l'intermédiaire de l'évêque
de Liége, du due de Clèves, de délégués impériaux. En outre, le
baron de Selles, malgré son premier échec, continuait à maintenir le
contact avec les partisans du prince d'Orange. D'autre part, il fallait
bien constater que, malgré toutes les avances faites en général ou
en particulier aux gens du pays et particulièrement à la noblesse,
personne n'y donnait réponse. Autour de Don Juan ne se trouvaient
toujours que les mêmes personnages, le baron de Hierges et ses frères
de la famille de Berlaymont, M. de Rossignol et M. de Gomicourt ,
on n'était d'ailleurs pas sûr de leur loyalisme absolu et la plupart
des affaires se traitaient au conseil par .Iean-Baptiste de 'I'assis,
Escovedo Bt Ottavio Gonzaga.
Le vieux Mansfelt ne faisait que se plaindre et avait avec Don
Juan de fréquentes querelles, que le prince de Parmes 'efforçait en
vain d'apaiser: l'irascible comte s'offusquait de ce qUBDon Juan ne
lui communiquait pas les affaires secrètes et s'en estimait diminué et
offensé. Hierges, plus flegmatique, faisait mine de ne pas trop s'en
préoccuper, mais on devait supposer que lui aussi n'était guère
satisfait.
Dans le camp de Don Juan, on était mal renseigné sur ce qui se
passait du côté des États et, si l'on se rendait bien compte que le Roi
continuait à préférer la voie de la conciliation à celle des armes, on ne
(1) Farnèse à sa mère, Binche, 16 mars 1578 (loc. cil.).
(2) Lettre Chiffrée jointe à la lettre de Farnèse du 16 mars (loc. cit.).

2-1:5
savait point 'quelles étaient les péripéties des tractations entamées en
ce moment par ceux que le souverain en avait chargés (1). De son
côté, Don Juan se montrait rebelle à toute négociation de paix et
donnait des réponses sèches et évasives à ceux qui voulaient en
discuter avec lui. Alexandre Farnèse, qui craignait que cette attitude
ne fût dénoncée au Roi, ne cessait, avec la réserve et la prudence qui
simposaâent, de démontrer à son oncle qu'il devait avant tout
exécuter la volonté de Philippe II. Mais, désireux de ne pas se com-
promettre lui-même, Farnèse ne procédait en cette matière qu'avec de
grandes précautions (2).
En ce moment d'ailleurs, Don Juan avait renouvelé sa tentative
de faire accepter par le prince de Parme le traitement de 1.000 écus
par mois, plus un supplément pour l'entretien des volontaires
qu' Alexandre avait emmenés avec lui d'Italie et qui restaient auprès
de sa personne. Ne voulant pas avoir l'air de mépriser l'offre que
le Roi lui faisait faire pour la deuxième fois, Farnèse finit par
l'agréer (3). Philippe II lui avait d'ailleurs adressé deux lettres,
où il lui exprimait son contentement ,et sa reconnaissance pour les
bons services qu'il rendait à Don Juan et pour la vigilance et la
diligence qu'il avait montrées en toutes circonstances (4).

On était en ce moment le 15 avril. La reine Élisabeth d'Angle-


terre, qui craignait toujours que, si la guerre continuait, les Français
ne finissent par s 'en mêler et par s'implanter aux Pays-Bas (5),avait
résolu d'essayer une nouvelle fois de faire conclure une trève entre
les belligérants. Elle envoya son agent, Wilkes, saluer l'archiduc
Mathias, -et lui confia aussi la mission d'aller trouver Don Juan et
d'obtenir de lui la conclusion d'un armistice de quelques mois (6).
(1) Lettre chiffrée du prince de 'parme à sa mère, Binche, 24 mars 1578 (A. F. N"
Carte tomesume, Fiandra, fascia 1624).
(2) Lettre chiffrée du prince à sa mère, 29 mars 1578 (A. F, N., Carte tamesume,
Fiandra, fascia 1624): autre lettre du même, chiffrée. Beaumont, 10 avril 1578 (Ibidem).
(3) Farnèse à sa mère, Beaumont, 10 avril 1578 (A, F. N., Carte tœmesume, Fiandra,
fascia 16241.
(4) Phlllppe II à Farnèse, Madrid, 12 et 28 avril 1578 (A. F. N., Carte (arnesiane,
Fiandra. fascia i(124) .. _ .
(5) J. ICRETZSCHMAR, Die lnvasionprojekte der Kathoiisctien: Maohte gegen En(!lanCt
ZUT ZeU susooetns; pp. 46-47.
(6) Lettre du marquis de Havré, envoyé des États auprès d'Élisabelh, 3 avril 1578,
dans GACHARD, Actes des États ûénërau», t. I, p. 350, n° 1068. Cfr DEL RIO, O. e., t. III,
p, 128.
Elle savait par une lettre que Philippe II lui avait écrite que les
intentions du roi d'Espagne étaient concrétées dans les proposi-
tions que devait Taire le [baron de Selles, et, d'autre part, Don
Bernardino de Mendoza, ambassadeur espagnol à Londres, avait
assuré la Reine que le Roi d'Espagne avait donné à Don Juan auto-
rité absolue pour mettre fin aux troubles par la voie des négoeiations
ou par la voie des armes (1).
Wilkes pouvait donc nourrir un certain espoir de réussir dans
sa mission. TIse présenta au camp de Beaumont le 18 avril et entre-
prit immédiatement Don Juan. L'agent anglais fut très favorable-
ment impressionné par ce qu'il apprit et communiqua à Londres, sur
la politique suivie par le gouverneur général, un jugement digne
d'être reproduit ici. Les procédés de Don Juan vis-à-vis de la popu-
lation des Pays-Bas semblent, d'après Wilkes, devoir porter beaucoup
de fruit. Lorsque le gouverneur général prend l'une ou l'autre petite
ville par assaut ou à la suite d'un bombardement, il se garde bien de
terrifier la population; il enrôle la garnison vaincue à la solde du Roi,
si elle le désire; sinon, il l'autorise à quitter, en gardant ses armes.
S'il s'agit d'une ville importante, il laisse la liberté au gouverneur
qui s'est rendu, en l'obligeant à une reconnaissance légère de sa faute
ou, même, il lui donne quelquefois une chaîne ou un autre présent.
TI n'autorise pas ses soldats à piller ou à prendre les biens des
habitants, sous peine de mort. Lorsqu'il punit, il n'épargne personne.
En quittant l'une ou l'autre grande ville, il ne laisse aucune garnison
derrière lui; les gens qui résident dans les environs de son camp
jouissent d'une sécurité comme ils en ont rarement connue.
On peut, dès lors, s'imaginer quel résultat découlera de cette
politique: le peuple des Pays-Bas, pusillanime de caractère et las
de toutes ces guerres, exercera son influence sur le gouvernement des
États dans le sens de la pacification (2).
Voilà comment l'envoyé d'Élisabeth jugeait la politique de Don
Juan. Par ce que nous en avons exposé dans les pages qui précèdent,
on peut se rendre compte que le tableau donné par l'agent anglais
correspond, dans ses grandes lignes, à la réalité.
(1) Lettre du marquis de Havré, Londres, 5 avril 1578, dans GACHARD, o. e., LI,
p. 351, n- 1072..Sur la politique de Philippe II vis-à-vis d'Élisabeth, un excellent chapitre
uans J. H. POLLEN, The English Catholics in the reign of queen Elisabeth, pp. 84-94.
(2) Foreign Caietuiar, Elisabeth, 15.77-1578,n° 830: Rapport de Wilkes sur ses
.négociations avec Don Juan, 30 (?) avril 1578.

Z47
Le 26 avril, Don Juan eut une seconde entrevue avec vVilkes. Il
lui confia en toute liberté qu'il ne tenait pas à rester gouverneur,
et qu 'il ne désirait rien tant que de partir, si cela plaisait au Roi. Le
caractère des Flamands les pousse à n'admettre. aucun gouverneur
parmi eux : ils supporteraient bien la présence d'une femme, ou
d'un enfant, comme l'est Parohiduc Mathias . .si la guerre se termi-
nait, Don Juan, pour rien 'au monde, ne voudrait rester parmi eux,
même si Philippe II Iui donnait la possession du pays tout rentier.
Pour le reste, Don Juan déclara à Wilkes qu'il ne pouvait
accorder l'armistice que la Reine d'Angleterre demandait; il n'e.n
avait pas le pouvoir. Cependant, si les États Généraux désiraâent
réellement la paix et, si alors la Reine voulait offrir sa médiation, il
en serait fort heureux et favoriserait la négociation de toutes ses
forces. « Cependant, ajouta-t-il immédiatement, entretemps, pendant
qu'on traiterait de la paix, nous nous romprions la tête, car je ne
vois pas de possibilité d'accord aussi longtemps que le prince
d'Orange dirige les affaires et aussi longtemps qu'il ne se retire, en
harmonie avec la proposition faite par le prince de Parme. » (1)
Cette proposition du prince de Parme à laquelle il est fait allu-
sion ici, c'était la suggestion faite par le baron de Selles dont nous
avons parlé plus haut, et d'après laquelle, pour rendre possible les
négociations, Farnèse se mettrait au pouvoir des États et le Taciturne
entre les mains de Don Juan.
La réponse donnée par Don Juan était bonne. Il était parfaite-
ment vrai que, aussi longtemps que le prince d'Orange dirigeait la
politique des États, tout accord sur les bases offertes par Philippe II
était impossible. Aussi, la mission de Wilkes se termina par un
échec (2).
Mais elle permit à Ia Reine d'Angleterre -et par conséquent
aux États, qu'elle soutenait - de re-cueillir quelques renseignements
précis sur la situation exacte, au point de vue militaire, Don J uan
était en ce moment en possession de Namur, Gembloux, Tirlemon.t,
Bouvignes, Sichem, Aerschot, Diest, Léau, Nivelles, Binche, Beau-
mont, Soignies, Louvain, Mariembourg, Clermont. L 'armée royale
comptait 18.000 combattants, y compris 3.000 cavaliers. On devait
tenir compte de 6.000 vétérans espagnols, dont la valeur était 'bien
supérieure au reste des troupes, composées celles-ci de toutes nations
(i) Foreign Caienaar, Elisabeth, 1577-1578, 10e. cit.
(2) DEL RIO, O. c., t. III, p. 128.

248
et comptant des mercenaires de courage et de valeur douteux. Cette
armée n'était pas établie en un eeul endroit. Elle était éparpillée
en bonne partie dans les villes conquises, pour y tenir garnison, de
sorte que l'armée de campagne avec laquelle Don Juan pouvait
manœuvrer était trop petite pour lui permettre d'entreprendre
quelque chose d'important. Ce qui lui manquait d'ailleurs, c'était
de l'artillerie, des pièces de campagne surtout, et des munitions. Il
était en pourparlers avec le duc Eric de Brunswick pour la levée
de 4.000 reîtres et de 3.000 lansquenets allemands. Dès que ceux-ci
seraient arrivés, il avait l'intention de prendre l'offensive, après
avoir rappelé à l'armée de manœuvre les compagnies qui en ce
moment gardaient les villes.
C'est ainsi que les agents anglais aux Pays-Bas voyaient la
situation (L). Ils ne se trompaient pas de beau-coup; la situation allait
légèrement s'améliorer pour l'armée royale.

En ce moment arriva d'Espagne une somme de 200.000 ducats -


conséquence tangible de la mission du baron de Billy à Madrid -
qui permit à Don Juan de donner deux paies à ses soldats et de leur
demander en conséquence un nouvel effort (2). On décida d'attaquer
le château de Chimay, qui appartenait au duc d' Aerschot, en ce
moment dans les rangs des États.
Alexandre Farnèseaœompagna Don J nan devant cette forte-
resse. La tranchée fut ouverte et l'on se mit en devoir d'installer
1'artillerie, qui était sous le commandement de nI' de Hierges. Farnèse
se tenait auprès de ce dernier, surveillant les préparatifs du siège.
Il s'approcha des gabions et supplia Hierges de hâter le bombarde-
ment, afin de pouvoir au plus tôt s 'emparer d'une pique et se lancer
avec leseoldats à l'assaut, à L'insu de son oncle. Aussitôt qu'une
brêehe eût été pratiquée dans la muraille, le prince de Parme appela
un soldat qu'il connaissait comme courageux et lui ordonna d'aller
reconnaître la situation pour voir si l'attaque serait facile. Le soldat,
s'étant introduit dans l'ouverture, remarqua avec surprise que les

(1)1 Observations. touching Don John, the state of his camp aout his proceeding in
thls wœl', 29 avril 15781, dans Foreign caienaar, Elisabeth, 1577-1578, n° 827.
(2) A. VASQUEZ, Los sucesos, 100. oit., p. 109.

249
défenseurs n'étaient pas là. Alors, brandissaatson épée, le prince de
Parme se tourna vers les tranchées et cria: « CierraEspana! (1)
Santiago! il n'y a personne à la défense, » Aussitôt J'infanterie espa-
gnole s'élança en avant et pénétra en ville. A L'entrée des prinei-
pales rues, elle se vit cependant arrêtée par des retranchements. et
des groupes de défenseurs. Ces obstacles furent emportés par une
attaque bien menée et tout ce qui put échapper reflua vers la citadelle,
où se tenait le gouverneur, M. d'Ennetières.
Les soldats, enfermés dans le château, malgré la décision qu'avait
prise le gouverneur de se défendre, demandèrent à capituler.
Don Juan le leur accorda et les fit conduire, sous l'escorte de. la
cavalerie de Don Pedro de 'I'assis, à I'endroit qu'ils choisirent. Une
compagnie de vétérans désira prendre service dans l'armée de Don
Juan et fut acceptée par celui-ci.
On peut se demander pourquoi Chimay ne fut point punie comme
Sichem, puisqu'elle avait attendu l'assaut. Peut-être doit-on l'expli-
quer par le souei de Don Juan de ne pas indisposer le duc d'Aerschot,
propriétaire de Chimay. En effet, le gouverneur d'Ennetières fut
renvoyé à son maître, pourvu d'une bonne somme d'argent, pour le
dédommager de ce que les soldats de son escorte espagnole l'avaient
traîtreusement dépouillé. TI fut invité à dire au duc d'Aerschot que
rien ne serait plus agréable à Don Juan que de le voir rentrer dans
le devoir et qu'on était prêt à le recevoir, lui et son fils, avec amitié
et affection (2).

En ce moment, on apprit l'arrivée de Don Lope de Figueroa, qui


était venu d'Espagne avec unsecoursespagnol de 4.000 hommes (3).
Don Juan et Alexandre Farnèse allèrent attendre les soldats de
Don Lope de Figueroa dans la région entre Louvain et Tirlemont,
où le ravitaillement de ces nouvelles troupes pouvait se faire avec
plus de facilité: ils se logèrent à l'abbaye d'Oplinter. Aussitôt que
les renforts espagnols furent arrivés, Don Juan réunit son conseil
de guerre; il fut décidé d'aller attaquer Philippeville (4). Le gou-
verneur général avait déjà essayé à plusieurs reprises d'entrer en

(1) Ancien cri de guerre de l'armée espagnole, qui signifie: Serrez les rasiçs, ES'{XL(Jne!
(2) A. VASQUEZ, Los sucesos, lac. ctt., pp. 109-112; DEL RIO, O. c., t. III, pp. 122-124.
(3) B. PORRENO. o. c.. p. 253.
(4) A. VASQUEZ, Los sucesos, lac. eit., p. 113.

250
pourparlers avec la garnison, mais sans succès. Il résolut dès lors de
s'en rendre maître par la force, ne voulant pas laisser sur ses
derrières une place si bien fortifiée, dont la garnison, par de fré-
quentes sorties, causait beaucoup de dommage aux régions voisines
et inquiétait les navires descendant la Meuse (1).
Le 7 mai, Don Juan partit de Namur, où il était allé soigner sa
santé compromise, et arriva le Sau matin devant Philippeville.
Entretemps, Alexandre Farnèse était allé reconnaître les endroits
où on devait loger les troupes. Il trouva un soldat de la garnison de
Philippeville, qui s'était enfui de la place et qui s'était rendu au
camp espagnol. Ce transfuge fit connaître que les munitions man-
quaient, que la discorde divisait les bourgeois et la garnison et que
cette dernière avait emprisonné le gouverneur, M. de Florennes,
parce qu'on le soupçonnait de vouloir rendre la ville. La place était
aussi mal pourvue de provisions de bouche (2). Ces renseignements
étaient encourageants.
Mais Don Juan avait avec lui si peu d'infanterie que l'investis-
sement complet de La 'ville était impossible et qu'on n'aurait pu
empêcher l'entrée de troupes d_esecours (3).
Ceci était d'autant plus inquiétant que des troupes françaises,
se portant au secours des États, étaient entrées aux Pays-Bas et ne
se trouvaient pas loin de Philippeville. Près de Binche et près
d'Avesnes, les Espagnols étaient déjà tombés dans des embuscades
et avaient enregistré des pertes (4). Aussi, Don Juan envoya Ottavio
Gonzaga, chef de la cavalerie, avec 1.000 cavaliers espagnols, vers
Maubeuge, lui fit retirer encore 2.000 fantassins des garnisons voi-
sines, et lui donna l'ordre de s'opposer à la marche des Français. A
Berlaymont, un engagement eut lieu et le village fut entièrement
brûlé, à la grande peine des membres de la famille de Berlaymont
quise trouvaient dans l'armée (5).
Entretemps, déjà le 9 mai au soir, Don Juan avait fait envoyer
un trompette au gouverneur de Philippeville pour le sommer de se

(1) DEL RIO, O. c., t. III, po. 126.


(2) Libro de las cosas de Flandes, fD 169,
(3) Farnèse à sa mère, Châtelet, 23 mai 1578 (A, F, N., Carte [œmeeume, Fha;ndrai,
fascio 1624).
(4) DEL RIO, O. c., t. III, pp. 126-128.
(5) Farnèse à sa mère, Châtelet, 23 mai 1578 (loc. cU.).

251
rendre et l'avertir que, si on devait employer l'artillerie, les consé-
quences pour la ville en serai-ent terribles (1).
On savait que M. de Florennes n'avait pas montré de mauvaises
dispositions au cours des tractations secrètes qui avaient eu lieu, et
on attendait une réponse favorable. M'ais le commandant de la ville
répondit qu'il était là pour la déf-endre pour Dieu et pour le Roi et
qu'il y avait tant de gouverneurs en Flandre - Don Juan, Mathias,
Orange - qu'on ne savait auquel on devait obéir. Les assiégés
demandèrent de pouvoir réfléchir (2).
Fort irrité par cette réponse, Don Juan fit immédiatement plan-
ter l'artillerie et ouvrir la tranchée. Le travail Ise fit avec une hâte
fébrile et, comme il n'avançait pas assez vite, le gouverneur général
et le prince de Parme participèrent eux-mêmes à la manœuvre (2).
Les soldats, entraînés par cet exemple, se mirent résolument à la
besogne et bientôt on approcha assez près des murs de la place, Les
opérations furent Dependant troublées par le feu assez nourri des
assiégeants et les soldats de Farnèse durent 'se couvrir avec précau-
tion dans la tranchée. Le 16 mai au matin, une sortie des assiégeants
vint les y surprendre et leur infligea quelques pertes. Finalement,
l'artillerie put être mise en batterie pendant la nuit. Ce fut une tâche
difficile, car l'assiégeant manquait de chevaux de trait, et il fallut
rouler les canons à la main. Le prince de Parme nhésita pas à
prendre sa part de ce travail fatigant et à aider les soldats à pousser
les pièces. Le 17, le bombardement commença, Hans grand effet: Don
Juan ne disposait que de 4 canons. Le 18, on continua le travail de
sape, fréquemment interrompu par le feu de la garnison et par une
nouvelle sortie : les assiégés réussirent même à mettre le feu aux
fascines qui protégeaient la tranchée. Bientôt, cependant, les Espa-
gnols arrivèrent tout près des murailles.
La garnison, voyant que l'assaut était proche et que la poudre
et les vivres étaient presque épuisées, s'apprêta à capituler. Un
capitaine espagnol, qui parlait de loin en badinant avec une senti-
nelle de la ville postée sur la muraille, comme cela se pratiquait plus
(1) uu» de las casas de Flandes. fo 169; A. VASQUEZ, Los sucesos, loc. clt., p. H6.
(2) Libra de las casas de Eumâes, fo 169-170.
(3) « Per far animo a' soldati che traviagliassero, se ben n' havevono pooa In mano,
il che feci an ch' io... » Lettre citée de Farnèse. Une lettre du comte Bernardino Mandello
à Marguerite de Parme, de Châtelet, 23 mai 1578, fait connaître que le prince se porte
bien, malgré les fatigues qu'il a subies et les veilles qu'il a rattes dans les tranchées devant
Philippeville; l'attitude d'Alexandre a étonné et réjoui toute l'armée (A. F. N., Carte
farnesiane, Ftand1'a, fascio 1629).

252
· _-------_ .._----------_ , -. -._,_ .. '-- ---_._-_._-'--- .----_._----

d'uue fois, en vint à parler de reddition. Don Juan, immédiatement


averti de cette conversation, voulut qu'on en profitât : M. de Gatte
fut envoyé comme parlementaire à la porte de la ville, fut admis à y
pénétrer, cependant qu'un officier de la garnison vint se mettre
comme otage entre les mains des assiégeants.
On finit par pouvoir atteindre le gouverneur de Philippeville,
que quelques instants auparavant ses soldats venaient de laisser
sortir de prison. On tomba vite d'accord sur les clauses de la capitu-
lation. La garnison pouvait sortir en toute liberté, avec enseignes,
armes, chevaux et bagages et on la conduirait en lieu sûr sous bonne
escorte. Les soldats qui voudraient prendre du service dans l'armée
royale y seraient autorisés. Ainsi, le 19 mai, sortirent de Philippeville
4 enseignes d'infanterie wallonne et le peu de cavalerie qui s 'y trou-
vait, et Don Juan les fit conduire à l'endroit choisi par eux-mêmes
sous escorte de la cavalerie de Gonzaga. Quatre autres compagnies
s 'enrolèrent dans l'armée de Don Juan.
Le gouverneur de Philippeville, qui s'était montré de bonne
volonté, fut maintenu dans sa charge, mais pour plus de sécurité,
Don Juan plaça en ville, comme garnison, 4 compagnies d'Espagnols,
auxquelles on adjoignit la compagnie wallonne du gouverneur lui-
même.
Le 22 mai, Don Juan et Farnèse s'établirent à Châtelet, où il
y avait plus de commodité pour loger l'armée (1).

Pendant le siege de Philippeville, il se passa un incident qui


jette sur le caractère du prince de Parme une lumière spéciale et qui
nous fait comprendre l"affection que les soldats de Parmée espagnole
lui portaient déjà en ce temps-là. Il témoigne aussi de la spontanéité
et de la générosité d 'Alexandre.
Une prise d'armes avait été ordonnée dans le quartier occupé
par les soldats sspagnols et ceux-ci, alertés, étaient venus se placer
en rang. Du tercio de Don Lope de Figueroasortit un soldat, connu
pour son courage, mais aussi pour son audace et son effronterie : il
avait quelque réclamation à faire valoir. Le capitaine Sancho de
Villalba le retint et lui intima l'ordre de rentrer dans les rangs. Le

(I) Ce récit est extrait de la lettre écrite par Farnèse à sa mère, Châtelet, 23 mai 1578
(IDe. eit.). Comparez avec le récit de VAN METEREN, O. C., fD H5, et avec celui de C. CAMPANA,
O. r... fO 205.

253
capitaine, tirant son épée, le frappa, L'homme y répondit par deux
coups qui faillirent tuer son chef. Ce dernier s'en ana sur le champ
trouver Don Juan d'Autriche et le pria de châtier le soldat, pour
maintenir son prestige dans sa compagnie.
Don Juan ordonna au prévôt général de l'armée de s'emparer
de la personne de l'insoumis, de le laisser se confesser, puis de le
décapiter, sans souffrir au préalable la moindre demande d'explica-
tion.
Aussitôt que le prince de, Parme fut informé de cette décision,
il ordonna à Don Ambrosio Landriano de sauter à cheval et de
courir bride abattue jusque chez le prévôt général pour faire surseoir
à l'exécution. Alexandre Farnèse, de son côté, alla se jeter aux pieds
de son oncle et le supplia de lui accorder la vie du soldat. Don Juan,
étant donné la gravité de l'insubordination, refusa. Comme le prince
de Parme ne cessait d'insister, Don Juan, hors de lui, lui répliqua:
« Faites ce qui vous plaît, mais je vous préviens que, si mon ordre
n'est pas exécuté, il arrivera un jour où l'on tirera l'épée contre moi
et contre vous-même! »
Sans répondre, Alexandre Farnèse sortit. Il appela un soldat
à cheval et l'envoya dire 'au prévôt de ne pas procéder à l'exécution.
L'émissaire arriva encore à temps: l,ebourreau tenait dBjà son glaive
levé et le soldat avait déjà le bonnet rabattu sur les yeux, prêt à
recevoir le coup fatal. Il fut mis en liberté. Cette intervention
d'Alexandre Farnèse fit sur l'armée une impression énorme, mais
Don Juan fut très peiné de ce qu'on n'eûï pas exécuté ses ordres:
il parvint cependant à cacher sa colère (1).

Après la prise de Philippeville (2), Don Juan, qui se sentait


malade par suite des fatigues de la campagne - il ressemblait, en
effet, plus à un chef de bande qu'à un gouverneur général - se
retira 'avec sa cour à Namur, sous la protection de deux compagnies
espagnoles.

(1) Cet épisode nous est raconté par Alonso Vasquez (Los suces os, loc. ctt., pp. 117-118),
témoin oculaire des faits.
(2) Ce fait d'armes p·roduisit une grande impression dans les provinces wallonnes:
« La reddition de la dernière ville adonné grand estonnement et au peuple un dégous-
tement de ceulx qui commandent. » Jean Sarrazin a·u Secrétaire Le Vassew',. [Arras],
30 mai 1578 (CH. HIRSCHAUER, Correspondance secrète de Jean Sarrazin, grand-prieur
de Saint-Vaast, avec la Cour dp. Namur, p. 66).

254
Ses rapports .avec le prince de Parme n'avaient pas diminué
daffectionni de sincérité,car il ne se retint point de montrer en ce
moment son neveu des lettres que venait de lui adresser Philippe II.
à

Il exprima
-
aussi le désir qu'Alexandre s'occupât des négociations de
.

paix désirées par le Roi, affirmant que lui-même n'était pas l'homme
pour ie .faire, à cause de la méfiance que les États lui montraient en
toute occasion.
Alexandre Farnèse, confiant à sa mère le secret de cet incident(l),
lui fit connaître qu'il avait répondu à Don Juan qu'il ne se jugeait
pas non plus l 'homme indiqué, pour les mêmes motifs. Il ajouta qu'il
avait agi ainsi vis-à-vis de Don Juan, d'abord pour ne pas lui déplaire
et ensuite parce que le Roi ne s'en était pas ouvert directement il lui,
Farnèse. Marguerite de Parme, qui connaissait l'opinion de son fils
au sujet de la voie qui semblait préférable, avait engagé celui-ci à
faire connaître ouvertement son avis au Roi. Pourquoi ne pas lui
écrire que la guerre n'était pas le moyen de sortir de la situation,
pOUTdes causes multiples et justifiées ~
Le prince lui répondit que le seul motif qui le retenait d'écrire
dans ce sens était le respect de Don Juan : il ne pouvait, pas donner
au Roi un avis contraire à celui que son oncle devait avoir commu-
niquéau souverain, d'autant plus que Philippe II ne demandait
jamais l'avis d'Alexandre au sujet des affaires des Pays-Bas, « Si
le Roi me demandait cet avis, ajoutait le prince, alors je le donnerais
librement, Hans égard pour pers.onne. » Toutefois, si Marguerite de
Parme trouvait le moyen de faire connaître prudemment l'opinion
personnelle de son fils, sans nuire à Don Juan, peut-être pour mettre
un terme aux médisances de ceux qui prétendaient que le prince pré-
férait suivre les caprices de son oncle plutôt que le désir du Roi,
Alexandre lui en serait fort reconnaissant (2).
Pour le reste, il ne eaehait pas à sa mère qu'il gardait l'opinion
que la guerre n'apporterait point la fin des difficultés. Celles-ci crois-
saient de jour en jour. Les effectifs de l'armée n'étaient pas suffisants
et l'argent manquait, avec le danger de mutinerie de la part des
soldats. D'autre part, le Palatin Casimir et Sehwarzemberg conti-
nuaient en Allemagne les levées pour le compte des États. On avait
découvert aussi que l'infanterie et la cavalerie qui se recrutait en
France l'était pour le compte du duc d'Anjou; que celui-ci se pré-

(L) Passage chiffré de la lettre datée de Châtelet, 23 mai 1578 (loe. cU.).
(2) Passage chiffré cité.

255
parait à assaillir la Bourgogne, pendant que l~ prince de Condé
essaierait de pénétrer en Flandre par la Picardie. On craignait aussi
que le comte de Lalaing et le vicomte de Gand, dont on disait qu'ils
traitaient avec les Français, ne finissent par introduire ceux-ci à.
Cambrai et dans les places-frontières. Au milieu de tous ces dangers,
Don Juan, sans effectifs suffisants, sans artillerie et munitions en
quantité normale, sans argent, ne pouvait guère entreprendre
quelque chose d'important (1).

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Un conseil de guerre s'était tenu en ce moment - fin mai 1578 -


où l'on avait examiné ce que l'on pourrait faire après la prise de
Philippeville. Alexandre Farnèse fut d'avis (2) que deux entreprises
8 'imposaient, à cause de leur importance, tout en ajoutant que la
possibilité de les exécuter semblait très douteuse. La première
solution suggérée, c'était de pénétrer au cœur du comté de Flandre,
pays riche et fertile, où l'armée trouverait de quoi facilement se
ravitailler et se remettre de la disette dont elle avait longtemps
souffert. En occupant cette région, on appauvrirait en même temps
l'ennemi, lui enlevant les subsides et les contributions qu'il y perce-
vait et qu'il retirait des villes et des villages. Toutefois, pour réaliser
ce plan, il fallait une armée considérable et beaucoup d'argent, de
grandes quantités de vivres et une artillerie bien pourvue et nom-
breuse. Étant donné la faiblesse des forces royales en ce moment et
le manque de numéraire, le danger d 'une expédition de si grande
envergure était patent.
L 'autre suggestion, c'était de 'se rendre maître de Maëstricht,
où Don Juan avait déjà essayé à deux reprises, mais sans succès,
de nouer des intelligences en vue de la reddition de la place. Cette
entreprise serait moins difficile à exécuter et ne 'serait pas de moindre
importance. Maestrioht commandait la Meuse, livrait passage vers
l'Allemagne et donnait une porte ouverte sur la Frise, la Gueldre,
l'Overijssel et même sur la Hollande.
Le seul danger sérieux à considérer, c'était le fait que le Palatin
Casimir et le comte de Schwarzemberg levaient en ce moment en

(1) Passage chiffré cité.


(2) Il l'expose à sa mère dans un passage chiffré de' la lettre datée de Châtelet,
23 mai 1578 (loc. clt.).

256
PL. XXVII

LE COMTE PALATIN JEAN CASIMIR


(Portrait par Tobias Stimmer)
Allemagne une armée de 11.000 à 12.000 fantassins, qui pourraient
venir ee jeter sur les Espagnols, au moment où ils assiégeraient la
ville.
Il y avait encore une troisième solution: unrrau plus vite toutes
Les troupes dont on disposait et aller à la recherche de l'ennemi,
l'attaquant là où on le trouverait. Le prince de Parme estimait que
les forces espagnoles, au point de vue numérique et au point de vue
de sa valeur, L'emportaient sur celles des Etats. Cette offensive ne
pourrait faire que du bien, en donnant du courage à l'armée royale
et en restaurant quelque peu son prestige.
Sinon, que pouvait-on faire ~ Se mettre entre Sambre et Meuse
dans une situation inexpugnable, et garder ainsi les villes que l'on
avait conquises jusqu'ici. Mais, pour ne pas gaspiller les troupes,
il faudrait démenteler les places qui n'étaient pas assez fortes pour
pouvoir être défendues sérieusement.
En effet, on ne pouvait avoir pleine confiance que dans les soldats
espagnols : les Wallons et les Allemands ne pouvaient offrir aucune
garantie. Ils n'étaient pas bons pour tenir des villes et ils étaient
toujours prêts à se mutiner, si leur solde n'était pas payée à temps.
La grande mainte du prince de Parme, ·c'ét'aÎ'tde voir Don Juan
s'embarquer dans une entreprise trop hasardeuse: ce dernier, par
tempérament, visait toujours très haut et se fiait trop facilement à
sa bonne fortune. Cependant, une fois qu'il aurait décidé quelque
chose, Alexandre, par nécessité et par discipline, serait le premier à
s'offrir pour l'exécuter. Ce qu'il voulait à tout prix éviter, c'est qu'on
lui reprochât de manquer de courage (L).

Le 25 mai, pendant que Don Juan se trouvait encore à Châtelet,


en compagnie de Farnèse, le baron de Billy arriva, revenant
d'Espagne. On se rappelle que le gouverneur général l'avait envoyé
à Madrid pour exposer au Roi l'état lamentable où se trouvait
l'armée, dépourvue du nécessaire pour faire la guerre.
Billy revint 'avec des lettres du Roi, pour Don Juan et Alexandre
Farnèse. Il communiqua la promesse faite par Philippe II de pourvoir

(i) « Non vaglio in modo alouno ohe se mi attribuisohe propongo io le dlftcultà per
mancamento d'anima. » Châtelet, 23 mai 1578, passage chiffré (loc. cit.).

257
Don Juan d'une somme de 200.000 écus par mois, afin de lui permettre
de continuer les opérations militaires et d'entretenir une armée de
30.000 fantassins et de 6.000 cavaliers, avec la quantité de munitions
et le nombre de pièces d'artillerie nécessaires. Le souverain faisait
connaître qu'il pourrait maintenir cet effort financier pendant long-
temps, mais qu'il devait être entendu qu'il ne pouvait en aucune
façon l'augmenter.
Le prince de Parme,en entendant cette dernière restriction, en
conclut que le Roi désirait plutôt la paix que la guerre et qu'il
espérait qu'on profiterait de toute occasion possible pour essayer
de l'établir, sur la base du maintien de la religion catholique et de
l'obédience qui lui était due (1).
Billy avait aussi communiqué à Farnèse le désir qu'avait le Roi
de voir Marguerite de Parme se rendre aux Pays-Bas. Visiblement,
cette nouvelle devait contrarier le prince, car il en saisit immédiate-
ment sa mère, pour exprimer 'Son opinion à ce sujet (2).
Il lui disait qu'il ne croyait pas à cette nouvelle, parce qu'elle
ne lui semblait pas concorder avec la promesse du Roi de faire un
effort financier en vue de la continuation des opérations militaires.
Il est vrai que, d'après Billy, Marguerite de Parme aurait dû
s 'occuper uniquement de la politique, du gonvernement et de l'admi-
nistration, pour lesquels, à ::-Iadrid, on Estimait que Don Juan ne
convenait en aucune manière. De la sorte, la politique et la guerre
auraient été confiées respectivement à des mains différentes.
Alexandre 'estimait cependant que la venue de sa mère ne porterait
pas les fruits qu'on en avait attendus au premier moment où ce
projet fut conçu, car les événements avaient pris, depuis lors, une
tournure moins favorable.
D'autre part, le prince de Parme hésitait à prendre très au
sérieux la promesse du Roi de financer la guerre, car le souverain
n'ordonnait pas les provisions de vivres ni la levée de soldats en
Allemagne, précautions indispensables avant d'entreprendre quelque
chose d'important (3).
Le baron de Billy avait aussi apporté de la part du Roi la con-
firmation dOttavio Gonzaga dans la charge de gouverneur de la

(1) Passage chiffré d'une lettre de Farnèse à Ra mère, Namur, 2 juin 1578 CA. F. N.,.-
Carte farnesiane, Fiandra, fascia i624).
(3) Ibidem.
(2) Ibidem.

258
cavalerie, avec un traitement de 500 écus par mois, ainsi que quelques
mercèdes données aux principaux collaborateurs. de Don Juan:
Pierre-Ernest de Mansfelt, Mondragon, Verdugo, Olivera, ce dernier
commissaire général de la cavalerie légère.

Don Juan, qui se reposait en ce moment à Namur et qui ne se


sentait pas en mesure de diriger en personne les opérations militaires
qu'il avait en vue, divisa son armée en deux tronçons. L'un, qu'il
confia à Ottavio Gonzaga,et qui comprenait la plus grande partie de
la cavalerie, devait se rendre du côté de Nivelles pour intercepter les
communications entre les villes rebelles et pour s 'opposer éventuelle-
ment aux entreprises du duc d'Anjou du côté d'Artois. L'autre, qui
fut confié à Alexandre Farnèse, devait agir dans le duché de Lim-
bourg, afin de protéger le pays de Luxembourg (1).
On comprend ainsi que l'entreprise du Limbourg avait d'abord
été confiée à Pierre-Ernest de Mansf'elt, gouverneur du Luxembourg,
mais celui-ci, prétextant une indisposition, s'en était fait décharger.
Don Juan avait alors confié cette mission à Alexandre Farnèse.
Le prince de Parme se sentit humilié de ce fait: pourquoi le
chargeait-on de l'exécution d'un ordre que d'autres avaient refusée
et qui ne lui paraissait pas assez reluisante pour sa dignité! {2) Il
ne puts'empooher de faire observer à Don Juan le peu de raisons
qu 'il avait de lui imposer des missions de ce genre et de le prier de
tenir à l'avenir un peu plus compte de son honneur. Il prétendit que
si le Roi dEspagne, son maître, avait agi ainsi, il n'aurait pas obéi:
s'il ne se rebiffait pas maintenant, c'était par amitié pour Don Juan.
Le prince espérait dailleurs aussi que, en acceptant l'expédition
militaire en Limbourg, il pourrait trouver sur son chemin les troupes
que le Palatin Casimir amenait dAllsmagne au secours des États
et peut-être se couvrir de gloire dans une bataille importante (3).
Don Juan lui donna, pour exécuter ses ordres, 20 enseignes
d'infanterie espagnole, le régiment de Bourguignons du baron de
Chevraux, le régiment allemand du baron de F'ronsberg, des Wallons,
(1) C'est l'objectif tel que le révèle STRADA, o. C., t. II, p. 366. Cfr aussi C. CA~IPANA.
o. c., r-206ro; DEL RIO, O. c., t. Ill, p. 152.
(2) Farnèse à sa mère, Namur. 2 juin 1578 (loc. elt.).
(3) Passage chiffré de la lettre 'du prince à sa mère, Namur, 2 juin 1578 (loc. cit.).

259
6 compagnies de cavalerie et 2.500 à 3.000 reîtres. Il Ie pourvut aussi
de 10 pièces d'artillerie de siège et lui promit d'en envoyer plus, si
le besoin s'en faisait sentir. Gilles de Berlaymont, <sired'Hierges, le
colonel de Mondragon et M. d'Andelot accompagnaient Alexandre
Farnèse.
Le 5 juin, Alexandre Farnèse se mit en route vers le Limbourg. Il
fit prendre Ies devants au maître de camp Gabriel Niüo avec 7 com-
pagnies de mousquetaires et ordonna à Camillo del Monte de suivre
avec la cavalerie pour le soutenir, lorsqu'il attaquerait les faubourgs
de 111 place. A minuit, le prince de Parme partit avec l'infanterie
espagnole et wallonne, laissant le régiment allemand de Fronsberg
pour accompagner les 10 pièces d'artillerie, qui ne pouvaient suivre
que lentement (1). En route, on rencontra le château de Herve, tout
entouré d'eau et facile à défendre. Il s 'y trouvait une petite garnison
des États et deux chefs: l'un de ceux-ci, catholique du pays de Liége,
réussit, grâce à un stratagème, à éloigner une partie de ses hommes
et se rendit avec le reste des soldats au prince de Parme (2).
En arrivant devant Limbourg, Farnèse constata que les troupes
qn 'il avait envoyées en avant avaient fait du bon travail: elles
avaient occupé les faubourgs sis aux alentours de la forteresse et fait
déjà nombre de prisonniers. Le prince de Parme a1la reconnaître la
place avec Alonso de Leyva et Gabriel Xifio et se rendit immédiate-
ment compte que Pentreprise serait des plus difficiles. Limbourg se
trouve sur une colline, composée en grande partie de roc, qui
s'élève très haut du côté dAix-la-Chapelle pour descendre ensuite à
pic dans une vallée, Sur le sommet de cet éperon, le château de
Limbourg, bien visible, était défendu par la présence de vallons
profonds, de bois, et par le cours de la Vesdre, qui serpente à travers
la ville. '
En prévision d'un siège prolongé, le prince de Parme prit ses
précautions. Il alla se Ioger avec sa cour dans une maison de fau-
bourg du côté de Verviers, et organisa avec soin le service de ravitail-
lement de l 'armée. Comme on n'était pas loin des régions de Liège et
de Clèves, il fit assurer la libre circulation des routes qui y condui-
saient, afin qu'on pût en faire venir des vivres en abondance. Il attira
les ruraux et les vivandiers par sa bienveillance, au point que le
camp regorgea ,bientôt de gens qui désiraient y vendre leurs mar-

(1) STRADA, O. c., t. II, p. 367.


(2) Libro de las cosas de Fla.ndes, r- i 72ro; C. CAMPANA, O. C., r- 206 =.

260
ehandises et qui pourvoyaient les soldats de ce dont ils avaient
besoin (1).
Au début, le prince de Parme dut faire face à de grandes diffi-
cultés : les munitions d'artillerie et les sapeurs, qui devaient venir
le rejoindre du Luxembourg, se firent attendre. Les provisions de
poudre et de balles qu'il attendait de Namur n'étaient pas encore
arrivées; elles ne parurent qu'au bout de cinq jours d'anxieuse
attente. Le prince y remédia par son esprit ingénieux et anima les
soldats parsa présence et par son intervention de tous les instants.
Lorsque les pionniers et les munitions complémentaires arrivèrent
enfin, tout était prêt pour la mise en batterie des canons (2).
Sur une colline, qui n'était séparée de la ville que par un vallon,
il fit hisser seize pièces de plein et de demi calibre et les installa
en deux endroits, les unes face à la porte vers Aix-la-Chapelle, les
autres de flanc, un peu plus à gauche. Il ne pouvait être question
de creuser des tranchées,car partout la pelle et le pic rencontrèrent
le roc vif. Il fut nécessaire de défendre les pionniers contre le feu
des assiégés, en construisant des remparts avec des fascines et des
branches d'arbres (3). Au bout de trois jours, on avait conduit le
travail d'approche par la mine jusqu'au bord du fossé de la ville,
très profond et escarpé (4). Le dimanche 14 juin au matin, l'artillerie
entra en action. Après qu'on eût tiré 18 charges de canon, la muraille
s'effondra sur une longueur de trente bras dans le fossé (5). D'autre
part, grâce à l 'habileté de l'ingénieur Nicola Cesis, qui avait été avec
Farnèse à Lépante, une tranchée fut faite à la mine dans la descente
de la colline rocailleuse, par où les soldats pourraient monter à cou-
vert à l'assaut de la porte de la place (6).
Les assiégés, qui avaient refusé de se rendre au parlementaire
que le prince de Parme leur avait envoyé au début des opérations,
troublés à la vue de la brêche pratiquée par le bombardement et de
la tranchée d'approche conduisant aux portes, bien qu'ils fussent
en nombre de plus de 1.500, firent signe qu'ils désiraient engager des
pourparlers. Le prince de Parme fit aussitôt arrêter le tir des
canons et le feu des arquebusiers; on vit alors subitement apparaître
(1) Liber relationum, r- 3S'o.
(2) Farnèse à sa mère, Limbourg, 22 juin 1578 (A. F. N., Carte îurnesuine, Fuuutru.,
fascio 1624).
(3) Ibidem; STRADA, o. c., t. II, pp. 367-368.
(4) VASQUEZ, Los sucesos, loc. clt., p. 121.
(5) Liber relationum, r- 40.
(6) STRADA s o. c., t. II, p. 369.

261
à l'ouverture de la brêehe une foule de bourgeois, hommes et femmes,
qui serraient leurs enfants dans les bras, ou qui, mains jointes,
imploraient le pardon (1).
Alexandre Farnèse, s 'étant mis en communication avec eux, leur
accorda de bonnes conditions de reddition: ils eurent la vie sauve et
furent exemptés de sac et de pillage, Les soldats qui désirèrent entrer
au service du roi d'Espagne furent immédiatement acceptés dans les
rangs des troupes de Farnèse (2). Parmi ceux qui se rendirent, se
trouvait un très bon ingénieur, nommé Hanse, qui servit ensuite le
prince de Parme pe-ndant 15.ans (3).
Une compagnie d'infanterie entra dans la vine et se rendit au
château, où le gouverneur et sa femme, ainsi que 40 soldats, s'étaient
enfermés. Alexandre envoya Hanse pour les engager à capituler. Se
rappelant 1'histoin'e de 'Sichem, les asaiègês se rendirent à merci : ils
eurent la vie sauve. Farnèse les laissa s'en aller: ils s'empressèrent
d'aller rejoindre les rebelles à Maastricht (4).
C'est ainsi que, le 15 juin 1578, Limbourg fut occupé par
Alexandre Farnèse (5). Lorsque celui-ci fut entré dans la ville; qu'il
y eut vu les défenses, les retraites, les cavaliers qu'on y avait
construits et toutes les devises imaginées par l'ingénieur Hanse;
qu'il Y' trouva 15 pièces de canon de grand calibre et quantité de
petits, ainsi qu'une abondance de vivres, il se rendit compte de
l'importance de sa victoire (6).
Il en exprima sa joie dans une lettre à Marguerite de Parme :
avec une dépense de 1.000 écus ,écrivait-il, on pouvait rendre la ville
de Limbourg inexpugnable. Sa situation était telle 'que, de- là, on
menaçait Maestricht et qu'on fermait la porte aux secours que les
États pouvaient recevoir d'Allemagne. D'ailleurs, une fois les autres
places du duché de Limbourg en possession des Espagnols, la sécurité
du Luxembourg en serait Iargement accrue (7).
C'est d 'ailleurs le jour même de la prise de Limbourg que le
prince de Parme envoya plusieurs capitaines se rendre maître des

(1) Liber relatumum, r- 40.


(2) Farnèse à sa mère, lettre citée; Liber relatumum, fo 40.
(3) A. VASQUEZ, Los sucesos, lac. oit., p. 122.
(4) Libro de las cosas de Fla'fl,des, fo 172~0.- STRADA, O. c., loc. cit., dit qu'ils furent
conduits à Aix-la-Chapelle sous l'escorte d'une compagnie d'Espagnols. Mals ils peuvent
avoir rejoint Maestricht par après.
(5) Gfr E. Gum y MARTI, El Mio militaI' espanol, t. II, p. 365.
(6) STRADA. o. C •• t. II! p. 370.
(7) Farnèse à sa mère, -Limbourg, 22 juin 1578 (loc. cit.).

2G2
autres localités de la région, qui toutes se rendirent immédiatement,
à l'exception de Dalhem.
Alexandre Farnèse y envoya le colonel Cristobal de Mondragon
avec une partie considérable de l'armée et trois canons de siège, et
lui donna l'ordre d'emporter la place par un coup de main. Si cet
essai de surprise ne se faisait pas en trois ou quatre jours, le colonel
devait rejoindre Farnèse, pour ne pas être attaqué en route par les
reîtres et les fantassins du Palatin Casimir, dont l'arrivée à Carpon
avait été signalée par les espions.
Dalhem refusa de se rendre. Mondragon ouvrit la tranchée et
commença le bombardement. Celui-ci n'eut aucun effet, les boulets
faisant ricochet sur la forte muraille de la place, sans l'entamer. Un
incident imprévu vint aider J'assiég.eant. Comme dans le camp des
fantassins espagnols, une dispute avait éclaté, qui se transforma en
échauffourée, les assiégés, s'imaginant que ce bruit présageait une
attaque, se massèrent tous de ce côté de la muraille. Le baron de
Chevraux, qui se trouvait de l'autre côté de la place avec ses Bour-
guignons, en profita pour f.aire dresser les échelles d'assaut et péné-
tra facilement dans la ville. Ce fut une tuerie effroyable: hommes,
femmes, enfants furent passés au fil de l'épée (1).
Mondragon, qui se distingua toujours par S'onhumanité, fut pro-
fondément peiné de ce que la prise de la place eût coûté tant de sang
innocent: il lui avait .été impossible de prévenir le massacre (2).
Le 22 juin, Farnèse alla s'installer à Dalhem conquise. Là, il se
mit en devoir de préparer l'assaut d'Argenteau, château bien fortifié,
situé sur la Meuse entre Liège et Maëstricht.
Le prince de Parme tenait beaucoup à l'occupation de cette place,
dont la possession 'Couvrirait mieux Limbourg et lui permettrait,
d'autre part, d'inquiéter Maëstricht. L'idée du siège de cette dernière
ville ne le quittait pas un instant.
Mais le commandant du château d'Argenteau vint spontanément
trouver Farnèse ,à Dalhem, pour déclarer qu'il avait toujours été
vassal fidèle du Roi, qu'il était prêt à rendre la place et à se
soumettre immédiatement. Le prince s'informa de la sincérité de ces
sentiments et apprit que le gouverneur ne s'était,en effet, jamais
(1) « Le 20 du mesme mois fut prinse par force la ville de Dolhein et y furent tuéz
hommes, femmes et rnesmement les petits enffans par les Espagnols, et après mirent le
feu dedens. » Chronique du règne de Gémrd de ûroesbeeck, dans S. BALAU et E. FAIRON,
Chl'oniques liégeoises. t. II, p. 587.
(2) A. SALCEDO RUIZ, Et coronet Crtstobal de lIfondragon, p. 147.

263
compromis avec les États. Dès lors, il l'accueillit avec la plus grande
bienveillance, heureux de ne pas devoir gaspiller [es dernières muni-
tions qui lui restaient, et estimant qu'en ce moment il était de bonne
politique de bien traiter la noblesse du pays (1).
Après s 'être assuré que Don Juan approuverait sa manière
,.
d'agir, Alexandre pria le gouverneur de garder le commandement du
château, mais lui envoya une garnison pour la sécurité de la place et
y fit introduire de la poudre et lesautres approvisionnements néces-
saires (2).

***
Après la conquête du duché de Limbourg, le prince de Parme
songeait toujours au plan d'action qu'il avait développé au conseil
de guerre de Don Juan: attaquer Maestrieht pendant qu'il en était
temps encore et que l'ennemi n'avait pu grouper toutes ses forces, ou
bien rechercher I'adversaire et disperser ses troupes avant qu'elles
n'aient eu le temps de se joindre (3).
Commeil semblait bien que le moment n'était plus favorable pour
l'entreprise de Maestricht - on s'attendait à chaque moment à voir
l'armée du Palatin Casimir apparaître - Alexandre Farnèse cher-
cha l'occasion de réaliser le second plan: attaquer l'ennemi là où il
campait en force et anéantir ses régiments (4).
Or, il apprit par une lettre de Gianbattista del Monte, qui se
trouvait à Diest avec ses cavaliers, que, à une distance de huit à dix
lieues de cette ville, s'étaient logés dans les villages quelque 500 cava-
liers ennemis, du genre que les Italiens appelaient ferraioli et les
Espagnols herreruelos (noirs harnais); que del Monte avait été à leur
rencontre avec sept compagnies de cavalerie, pensant les surprendre;
mais qu'il se trouva subitement devant une force d'environ 3.000
adversaires, qui faillirent l'encercler et l'anéantir. Le prince de
Parme y vit une occasion de porter un coup redoutable à l'ennemi et

(1) Farnèse à sa mère, abbaye d'Oplinter, 16 juillet 1578 (A. F. N., Carte (a17lesiane,
Eunuira, raselo 1624).
(2) Ibidem.
(3) Farnèse à sa mère, lettre citée.
(4) Les succès militaires d'Alexandre Farnèse avaient fait grande impression dans
les provinces wallonnes: « Les affaires ont fort changié par la venue du nouveau prlnche
et s'acomply le proverbe par lequel il est dict que tous adore le soleil levant; l'on se
promect de grandes choses ... » Jean SaT'l'azin [au seigneur de Valhuon]?, l.o\nas],
20 juillet 1578 (CH. HIRSCHAUER, O. C., p. 78).

254
s'informa de l'endroit exact où ce rassemblement de reîtres avait
été signalé. Il partit de Dalhem avec 2.000 [erraioli, toute la cavalerie
légère, 1.000 Espagnols, 1.000 Bourguignons et 400 piquiers alle-
mands, tous équipés à la légère pour la facilité des mouvements. Le
reste de ses troupes fut laissé en arrière dans une position suffisam-
ment forte pour n'avoir rien à craindre.
Mais en route, Farnèse reçut avis de divers côtés que l'adver-
saire qu'il cherchait s'était retiré à Langstraet, entre Grave et Bois-
le-Due, dans une région bien défendue, 'Où se trouvaient au moins
40 enseignes d'infanterie protégées par des maisons fortifiées et des
défenses. De plus, Don Juan fit avertir, de Namur, le prince de
Parme qu'il devait arrêter sa marche, car il désirait le rejoindre.
Farnèse en conçut un grand chagrin: il voyait fi 'échapper une
occasion unique de frapper un grand coup, sans ,beaucoup de risques
pour lui-même (1).
Apprenant que le Palatin Casimir venait cle passer avec une
troupe nombreuse d'infanterie et de cavalerie clans la direction de
Nimègue et qu'une .grande concentration des forces ennemies était sur
le point de se faire (2), Alexandre supplia de nouveau Don Juan
d'unir toutes les troupes dont il pouvait disposer et d'attaquer avant
que le prince d'Orange n'ait eu le temps de mener toute son armée en
campagne. Faute de cette tactique, le prince de Parme estimait que le
gouverneur général, en présence d'un ennemi devenu si nombreux,
n'aurait plus qu'à rester ignominieusement sur la défensive (3).
En attendant la décision de Don Juan, Farnèse prit les dernières
mesures pour assurer la sécurité du duché de Limbourg. Pour ne pas
laisser au-delà de la Meuse tant de soldats espagnols et bourguignons
de valeur - que l'on préférait aux autres pour le service de garnison
- dont onaurait besoin pour l'armée de campagne, il décida d'instal-
ler dans les places du Limbourg des soldats d'autres nations, au
risque de voir ces villes se perdre. D'accord avec Don Juan, il
démantela Dalhem et rasa les fortifications de Wattin et de Fan-
quemont.

(:1) Farnèse à sa mère, lettre citée .- « il che me ha levato una bellissima occasione,
dove ne consigutva il maggior servltio elle si potesse fare à S. Maestà in questi tempi et
la fatt.ione era sicurissima et senza arrtstcar mente. »
(2) DEL RIO, o. c., t, III, p. 244.
(3) Alexandre à sa mère, iettre citée.

2G5
De la sorte, la place de Limbourg commandait seule toute la
région et pouvait s'appuyer sur Argenteau, qui dominait la Meuse
vers Maestricht.
* ;;.
Le 7 juillet, sur l'ordre de Don Juan, le prince, venant de
Dalhem avec toute son armée, traversa la Meuse - passage qu'il
réussit à faire en moins de cinq heures -; la cavalerie, les chariots
du train, l'artillerie et les munitions passèrent aux gués du fleuve,
l'infanterie et les bagages sur des barques. Après une halte à
Haccourt, on se remit en marche le matin du 8 juillet, en ordre de
bataille, à {lause de Ia menace que constituait la proximité de Maes-
tricht et la présence de partis ennemis dans la région. A Waremme,
le prince de Parme devait se rencontrer avec Don Juan, qui venait de
Namur. Arrivé le 10 près de cette localité, Alexandre y apprit que
son onde l'attendait à J'abbaye d'Oplinter, près de Tirlemont. Le
11 juillet, vers 3 heures de l'après-midi, Don Juan, qui s'était mis
au bord de la route pour attendre Farnèse et ses hommes, les vit
apparaître : il donna toute son attention aux reîtres enrôlés par le
prince et qu'il n'avait pas encore vus (1).
Aussitôt que les deux chefs eurent échangé les premiers saluts
et après que Don Juan eut félicité Alexandre des succès rapides qu'il
avait obtenus dans le Limbourg (2), un conseil de guerre fut réuni.
On constata d'abord que l'on n'avait pu empêcher la jonction des
forces du prince d'Orange, qui campaient maintenant entre Malines et
Lierre, et que l'on estimait à 20.000 fantassins et '7.000 cavaliers (3).
Ces troupes s 'y trouvaient dans une situation excellente, défendue
par d'es redoutes et des retranchements. De plus, le secours amené
par le Palatin Casimir s 'augmentait continuellement : on savait que
de fo-rts contingents se dirigeaient vers Nimègue, où se rassemblait
cette nouvelle armée. Enfin,J ean Casimir, frère de l'Électeur pala-
tin, amenait d'autres troupes par la Gueldre vers le même endroit (4).
(1) Farnèse à sa mère, Oplinter, 16 juillet 1578 (lac. cU.).
(2) Liber relationum, r- 39oo_41'ro•
(3) Farnèse à sa mère, lettre citée, passage ohiffré. Des ~vvisi envoyés des Pays-Bas
en Angleterre en juin 1578 estimaient les troupes des Etats à 14.600 cavaliers et
30.000 fantassins. Cette estlmaüon comprenait sans doute les troupes amenées pal'
Casimir (KERVYN DE LETl'ENHOVE, Relations poUtiques, t, X, p. 505). D'autre part, une
lettre de Davison à Burgleigh affirme, le 20 .juillet, que l'armée des États campée entre
12s deux Nèthes compte 10.000 fantassins' et 8.000 cavaliers (KERVYN DE LETrENHOYE,
o. C., t. X. p. 621).
(4) STRADA, O. C., t. II, p. 376.

2(i(i
Don Juan estimait lui-même son armée, en ce moment, à 11.000 ou
12.000 fantassins et 5.000 cavaliers (L). Les discussions des conseillers
militaires aboutirent à la conclusion que la seule entreprise à faire,
c'était de se retirer avec toute l'armée jusque près de Namur, à
Bouges, position forte où autrefois Charles-Quint s'était établi
lorsque Henri II, roi de France, vint l'assaillir avec des forces supé-
rieures. Il restait cependant bien entendu que cette solution ne serait
adoptée qu'à la dernièreextrémit.é, s'il apparaissait qu'il n'y avait
pas autre chose à tenter. Avant de s'y résoudre, on avait. l'intention
de « courir la campagne» et de la tenir aussi longtemps qu'on pour-
rait (2). On fournirait de soldats et de munitions les places que Don
Juan déciderait de tenir. Le gouverneur général comptait parmi ces
places Louvain et Léau, malgré l'avis de Farnèse. qui estimait que
le périmètre très étendu de la première de ces villes ne lui permet-
trait pas de résister à des forces nombreuses. Toutes les autres
places réputées fortes, comme Philippeville et Mariembourg, seraient
solidement tenues. Pour exécuter ce plan, l'accumulation de vivres
était nécessaire.
Malheureusement, le Roi n'avait pas encore exécuté la promesse,
rapportée par [e baron de Billy, denvoyer 200.000 écus par mois;
il avait même défendu à Don Juan de se prévaloir des revenus du
domaine ou de conclure des emprunts avec les marchands. Aussi, la
situation du gouverneur était-elle loin d'être rassurante (3).
Cette disette financière avait aussi sa répercussion chez le prince
de Parme, qui souffrait continuellement du manque el'argent. Un de
ses parents qui l 'avait rejoint en Flandre, Fabio Farnès-e, faisait
connaître à cette époque au duc Ottavioà Parme les besoins dont
s-ouffrait son fils. Le duc, Marguerite de Parme et le cardinal Farnèse,
écrivait ce ,gentilhomme, de Namur, fin mai 1578, devraient essayer
d'envoyer mensuellement à Alexandre quelque 400 écus. Le prince
n'entretenait cependant auprès de sa personne que 4 à 6 gentils-
hommes, en dehors de ceux de sa maison, et à table, on ne servait que
trois plats. Malgré la sobriété dont on faisait preuve, on consommait
'de grandes sommes à acheter du vin, qui coûtait très cher et dont le

(1) Lettre à Don Rodrigo de Mendoza, Tirlemont, 20 juillet 1578, dans A. MORE:L"
FATIO, L'Espagne au XVI' et au XVII' siècie, p. 135. Davison l'estimait à 5.000 cavaliers
et 25.000 fantassins, «si on compte les compagnies complètes, ce qui n'est pas le CDS. »
(Lettre à Hatton, 22 juillet 1578, dans KERVYN DE LETTENHOVE, O. C., t. X, p. 625).
(2) Lettre de Farnèse à sa mère, citée, passage chiffré.
(2) Ibidem.

267
prix se payait selon la fantaisie des vendeurs, Un petit pain s 'ache-
tait 6 sons de Parme et un palefrenier ne parvenait pas à se procurer
sa quantité de bière quotidienne avec 5 écus par mois. La disette de
foin faisait monter le prix d'entretien d'un cheval à 8 écus par
mois (1).
Aussi, Alexandre avait-il envoyé son camérier Haller au duc
Ottavio pour lui réclamer de l'aide. Peu de temps après, le duc, tout
en déclarant - ~omme toujours - qu'il se trouvait lui-même dans
le besoin, annonça l'envoi de quelque somme d'argent (2).
De fait, Ottavio ne devait pas être si dépourvu de moyens en
ce moment : voulant tirer avantage des services que son fils rendait
en Flandre et dont les échos lui parvenaient régulièrement, il avait,
une fois de plus, envoyé:un de ses familiers à Madrid pour insister
auprès du Roi afin qu'on lui rendit la citadelle de Plaisance. Pour
cette restitution, il s'était déclaré prêt à verser une somme consi-
dérable (3).

Cependant, depuis février, des négociations étaient en cours entre


le duc d'Anjou et les États de Hainaut (4). Le prince français avait
offert son appui aux rebelles des Pays-Bas et cette proposition avait
.labord eu quelque suc-cès.::\Iais Élisabeth, par l'intermédiaire de ses
agents en Flandre, avait réussi à effrayer les États Généraux, qui
finirent par abandonner le duc d 'Anjou par crainte de l 'Angleterre.
Cependant les États de Hainaut persistèrent à maintenir les rapports
avec Alençon. Ils n'avaient, eux, rien à attendre d'Élisabeth: toutes
leurs relations étaient avec la France (5). Le comte de Lalaing, qui
les dirigeait, était depuis longtemps hostile au prince d'Orange, en
partie par jalousie de l'ascendant qu'il exerçait eur « la généralité »,
en partie par dégoût de la politique démagogique que le Taciturne se
voyait contraint d'adopter. Les États de Hainaut, comme catholiques,
(i) A. F. P., Carteggio tarnesumo, Paesi Bassi, carteggio 1578-1580.
(2) Ottavio Farnèse à Marguerite de Parme, Parme, 2 aoüt 1578 (A. F. N.. Carte
tarnesiane, Pumdra, fascio 1626).
(3) ottavio à Marguerite de Parme, 11 juin 1578 (A. F. N., Carte [arnesiane, Fiandj"(l,
fascio 1624).
(4) Voir à ce sujet KERVYNDE LETTEi\'HOVE,Les Huguenots et les Gueux, t. V, pp. 40 SVV.
(5) « Wij ghevoelen oock dat die van Henegauwen meer gheneghen zijn totte Fran-
ohoisen dan de Ingelsche. » Lettre de Josse de Laempsaem, échevin d'Ypres, et de
-Burchard de Sohlldere, députés à Bruxelles, au magistrat d'Ypres, 16 janvier 1578, dans
DE SCHREVEL,Recueü de documents reLatifs aux troubles reltgieux en FLandre, 1577-158~,
t. L p. 195.

268
détestaient, d'autre 'par t, le Palatin Casimir, qu'on voulait imposer
comme allié et dont les troupes, nous l'avons vu,entraient en ce
moment aux Pays-Bas.
Le comte de Lalaing et ses amis avaient décidé de reconnaître le
duc d'Anjou comme protecteur et d'accepter les troupes qu'il offrait,
dans l'espoir que les autres provinces suivraient cet exemple (1). Oet
acte préparait de loin la scission d'avec les États Généraux et la
future réconciliation des provinces wallonnes.
Aussitôt, ':Élisabeth d'Angleterre avait envoyé Lord Stafford
auprès du duc d'Anjou pour le dissuader de se rendre en Flandre :
cette mission, qui se place en juin 1578,n'eut aucun succès (2).
Le duc d'Anjou arriva quelque temps après à Mons, vers la mi-
juillet (3). Mondoucet, son agent, qui avait conduit les négociations
avec les États de Hainaut, donna à s'on maître le conseil de se créer
de la réputation par quelque exploit, ne fût-ce que la conquête de
Maubeuge «ou d'une autre bicoque» {4).
A l'annonce de la présence de ce nouvel ennemi et de ses
troupes, Don Juan avait envoyé vers les frontières du Hainaut le
comte de Berlaymont, pour « f'aire une pointe » aux Français qui
s'avançaient de ce côté. Comme, en ce moment, le gouverneur général
avait appris l'approche de renforts qui lui venaient d'Italie, notam-
ment du terçio de Sicile avec Gabrio de Serbelloni, qui s'était couvert
de gloire à la Goulette ·en 1573-1574, d'une partie de l'infanterie
espagnole du Milanais et de la cavalerie légère (5), il leur ordonna de
poursuivre leur route jusque Bouvignes, pour y recevoir les instruc-
tions que Berlaymont leur réservait (6).
Le chef français Bussy, à la tête de 2.000 hommes de l'armée
d'Anjou, avait commencé le siège de Maubeuge (7). Le comte de Ber-
laymont y envoya immédiatement le commissaire général Olivera avec
Lûûûcavaliers, dont l'approche suffit pour faire déguerpir les assié-

(1) KERVYNDE LETTENHOVE,O. C., t. V, p. 80.


(2) Ibidem, p. 96.
(3) CH. MERlU, La reine Margot et la fin des ValOis, pp. 200-202.
(4) KERVYNDE LETTENHOVE,O. C., t. V, p. 153.
(5) L. FEBVRE, Philippe 11 et la Promene Comté, p. 749. Concernant ces renforts, Del
Rio écrit dans ses Mémoires (t. III, p. 248): « Quatorze enseignes d'infanterie espagnole
et six cornettes de cavalerie italienne marchaient en toute hâte à travers la Bourgogne ...
Polweller amenait 'trois mille fantassins allemands et mille reîtres; François, duc de
Saxe, quinze cents hommes de cavalerie; 'les barons de Vils et de Billy chacun six cents. »
(6) Farnèse à sa mère, Tirlemont, 7 aoüt 1578 CA. F. N., Carte tamesume, Fiandra,
fascia 1624).
(7) KERVYNDE LETTENHOVE,O. Co, t.. V, p. iM.

269
geants. Cependant le comte de Rœulx, constatant que Maubeuge était
mal fortifiée et pouvait difficilement tenir, la fit évacuer et donna
l'ordre à la garnison de se retirer à Binche.
Les Français attaquèrent aussi le château d 'Havrê, où il y avait
une petite garnison de 25 soldats espagnols. Ceux-ci se rendirent et
sortirent avec les honneurs de la guerre. Olivera manqua là une
belle occasion d'infliger aux Français une 'bonne leçon : mais il atten-
dait avec sa cavalerie, à Binche, l'apparition des renforts d'Italie
qui devaient venir par la route de Bouvignes (1). Entretemps, le
comte de Rochepot s'était présent<éen vain devant Cambrai, dont les
portes restèrent obstinément fermées.
L'intervention d' A1ençon ne fut donc guère menaçante: « la furie
française, écrivait le comte de Rœulx, n'est que pour une pointe. » (2)

L'ennemi à redouter, c'étaient toujours les troupes que les États


avaient logées entre Malines et Lierre. On en eut bientôt la preuve.
Alexandre Farnèse s'était imaginé, avec l'optimisme de la jeunesse,
que ces forces n'auraient pas le courage de sortir de leurs retranche-
ments (3).
Il fut vite désillusionné. rn parti de troupes des États attaqua
à l 'improviste Aerschot, où il dressa les échelles d'assaut, mais il fut
repoussé. Le même jour, environ 5.000 cavaliers vinrent reconnaître
Louvain. Ici, le baron de Chevraux fit sortir la garnison: après une
escarmouche, l'assaillant se retira. Don Juan fit aussitôt fournir la.
ville des munitions nécessaires 'et fortifier solidement Léau, pour les
rendre capables de résister à une nouvelle attaque (4).
En ce moment, les avis venaient de partout pour signaler les ren-
forts qui se concentraient ou qui se préparaient à affluer à l'armée des
États. D'autre part, Don Juan se trouvait dans un état d'âme par-
ticulier.qui se manifeste très bien dans une lettre qu'il envoya à son
ami Rodrigue de Mendoza: « Le Roi, écrit-il, me garde plus de
rigueur qu'au plus pauvre chrétien, qu'au plus mauvais des hommes
qu'on voie aujourd'hui. J'aurai à rendre compte de mes actions, et ce
compte, comment pourrai-je le rendre, pauvre misérable abandonné
(1) Lettre de Farnèse à sa mère, citée.
(2) KERVYN DE LETTENHOVE, o. c., t. V, p. 155.
(3) « Credo che tutto rluscirà bene, perche i nemici son tan la viii che forse non
haveranno ardire di accometter questa [Louvain) nè nessuna altra piazza che si tenga dall'
altro lato. » Farnèse à sa mère, Oplinter, 16 juillet 1578 (loc. cit.).
(4) Farnèse à sa mère, Tirlemont, 7 août 1578 (loc. cü.),

270
de tous 1 Je ne sais ce que je puis faire. Que sera-ce, sinon me jeter
au-devant de l'épée des ennemis et mourir avec honneur 1 » (1).

C'est dans cette crise de désespoir qu'il convoqua de nouveau


son conseil de guerre: l'ardeur belliqueuse allait l'emporter. Don
Juan exposa son plan: il voulait attaquer avec toutes ses forces
les ennemis, parce qu'il était d'avis que sa propre réputation et celle
de l'armée l'exigaient et qu'il était opportun de le faire avant que les
Etats n'eussent fini de grouper toutes leurs forces. Il offrirait donc
la bataille et, si l'adversaire la refusait, il irait l'assaillir jusque dans
ses tranchées mêmes.
La majorité des conseillers, dont Pierre-Ernest de Mansf'elt et
Ottavio Gonzaga, approuvèrent la proposition (2). Mais le prince de
Parme la jugea mauvaise. Il exposa ses motifs : il estimait que ce
n'était pas le moment de risquer l'existence de l'armée, qui consti-
tuait la seule force du Roi, non seulement pour les Pays-Bas, mais
aussi pour ses États d'Italie. En supposant d'ailleurs que l'on rem-
portât la victoire, quel fruit en retirerait-on 1 L'ennemi conserv-erait
toujours assez de fa-l'ces pour-atteindre le but final qu'il s'était pro-
posé, alors que les troupes espagnoles s'affaibliraient progressive-
ment au point qu'elles devraient battre en retraite, dans des circon-
stances beaucoup plus difficiles qu'en ce moment. Si l'ennemi, qui
était bien retranché dans de fortes positions et avait placé son artil-
lerie dans des endroits avantageux, sortait pour livrer spontanément
bataille, c'est qu'il se sentait suffisamment fort et supérieur pour le
risquer. Même en cas d'un succès espagnol, il tomberait tant de soldats
que l'armée de Don Juan en retirerait plus de dommage que de profit.
D'autre part, à quoi servirait-il d'offrir la bataille et de la voir
refuser 1 Dans ce cas, on devrait se replier et fournir à l'ennemi
l'occasion de se tailler du succès en troublant cette retraite par des
attaques contre l'arrière-garde, occasion où celui qui se retire, même
dans le meilleur ordre, subit toujours un sérieux dommage (3).
(1) Lettre reproduite par KEaVYNDE LE'I'rENHOVE,Les Huguenots et les Gueux, t. V, p. 155.
(2) STRADA. o. C •• t. II. p. 386.
(3) C'est J'avis tel que Farnèse l'exprime, et affirme l'avoir dit, dans la lettre à sa
mère écrite de Tirlemont, le 7 août 1578 (loc. cit.). Strada attribue à Alexandre le même
raisonnement, d'après une lettre que le prince envoya en Espagne à Juan de Samaniego
(o. c., t. II, pp. 383-385). Mais Strada en a composé, conformément à son habitude, un discours
qu'il met dans la bouche du prince, selon l'exemple des historiens classiques. Le récit
d'A. VASQUEZ (o. C., loc. cit., p. 133-134) sur ce point est fantaisiste. Cfr aussi le Liber
retauonum, foS 41-42.
271
Cet avis du prince de Parme provoqua sans doute de l'étonne-
ment. Il ne concordait certes pas avec ce que Farnèse lui-même avait
antérieurement conseillé, ni avec son tempérament audacieux et sa
soif de gloire militaire. Mais il ne faut pas oublier que le prince avait
insisté pour l'attaque au moment où la jonction des troupes enne-
mies ne s'était pas encore faite, et précisément pour empêcher qu'elle
ne se fît. Maintenant, il était trop tard : le rassemblement des forces
des Etats était un fait accompli et les renforts étrangers dont on
avait voulu empêcher l'arrivée étaient en marche et sur le point de
rejoindre les soldats du prince d'Orange.
Il n'y eut que Gabrio de Serbelloni qui soutint l'avis du prince
de Parme; mais tous les autres conseillers, capitaines expérimentés,
préférèrent l'avis de Don Juan (1). Ce sont ceux-là que le conseiller
Christophe dAssonville, dans sa correspondance avec Marguerite de
Parme, avait l 'habitude de qualifier de « boutefeux de guerre ».
L'opinion de Don Juan l'emporta donc (2) : il fut décidé qu'on
attaquerait. Le prince de Parme fit observer qu'avant d'aborder les
défenses ennemies, il serait bon de se rendre compte de la position
exacte et de la force de L'adversaire, par quelque bon espion ou tout
autre moyen, et qu'il fallait s'assurer aussi si les troupes de Casimir
et les Français dAlençon ne pourraient venir renforcer les États.
Don Juan envoya en reconnaissance )Iutio Pagani, Amador
dell.' Abadia et Rengiffo, capitaines de cavalerie, pour examiner la
position ennemie.
L'armée des 'États était campée non loin de Malines, autour du
village de Rijmenam. Les éclaireurs revinrent en disant que l'adver-
saire avait à dos le village même; que de chaque côté de son front
de bataille s'étendaient des bois et devant lui un large retranche-
ment; que devant ce retranchement, il y avait une campagne étendue
où l'on pourrait attirer l'ennemi au combat. Pour le reste, il semblait
impossible d'atteindre Rijmenam autrement que par un chemin étroit,
à la gauche du bois, où six ou sept hommes tout au plus pourraient
passer de front (3), Ces renseignements assez superficiels ne pou-
vaient laisser deviner de quelle excellente façon se trouvaient
retranchées les troupes des Etats (4).
(1) Farnèse à sa mère, Tirlemont. 7 août 1578 (lac. cit.).
(2) « Secl tandem his negtectis praevaluit altera oplnic, vicitque nimium aliquantutum
Prtnolpis adolescentis vlsendi hostis deslderium. » J. B. DE TAS;~IS, Commenta1'iol'u1Jl de
iumuüis belgicis ...• Ion. cit., pp. 318-319.
(3) STRADA. o. C .• t. II. p. 387.
(4) Farnèse à sa mère, lettre cüëe.

272
Celles-ci étaient commandées par le chef expérimenté et sage
qu'était Maximilien de Hennin, comte de Boussu, qui avait passé dans
les rangs des partisans du prince d'Orange. Dans l'armée espagnole,
on n'avait qu'une estimation approximative de la force de l'adversaire.
Les uns parlaient de 12.000 fantassins, 4.000 reîtres et 4.000 Anglais
et Écossais (1); d'autres donnaient le chiffre de 20.000 fantassins et
5.000 cavaliers (2).
A en croire les agents anglais aux Pays-Bas, Don Juan pouvait
y opposer de 10 à 12.000 fantassins et 2.000 cavaliers (3) : ses forces
étaient, en tous cas, inférieures à celles du comte de Boussu (4), mais
mieux disciplinées 'et entraînées.
Le 31 mai 1578, au matin, Don Juan commanda au baron de
Chevraux de quitter Louvain avec les 5.000 fantassins qui s'y trou-
vaient en garnison, et à Gianbattista del Monte d'amener de Léau
ses 2.000 cavaliers et de gagner Aerschot, pour y passer le pont sur
le Démer. Le prince de Parme, estimant que c'était le moment de se
distinguer, demanda comme une grâce à Don Juan de pouvoir se
mettre à la tête de la première compagnie d'infanterie espagnole,
dont il savait qu'elle serait la première à faire l'attaque. Cela lui fut
concédé (5). Le prince décida de rester à cheval auprès de la personne
de Don Juan jusqu'au moment de l'assaut : il comptait mettre alors
pied à terre pour conduire lui-même ses soldats et les entraîner.

QUÎ'ttant l'abbaye d'Oplinter, Don Juan se mit en route avec


toute son armée, laissant derrière lui à Tirlemont les bagages et les
« personnes inutiles » : au pont dAerschot il trouva les gens du
baron de Chevraux et de Gianbattista deI Monte, occupés à traverser
le Démer. Le passage du cours d'eau prit beaucoup de temps: ce
n'est qu'à deux heures de la nuit, L" août, que toutes les forces
espagnoles se trouvèrent sur l'autre rive. Elles se disposèrent aussitôt
en ordre de bataille et s'avancèrent dans la direction de Rijmenam.
Par des prisonniers que l'on fit, on sut que le comte de Boussu
n'avait toujours pas quitté ses retranchements.
(1) Libro de las cosas de Ptasuies, fO 173.
(2) Libe1' relationum, r- 41 TO.
(3) Lord Cobham à Burgleigh, Anvers, 2 août 1578, et Davison à Leicester, même
date, dans KEaVYN DE LETI'ENHOVE,Relations politiques, t. X, pp, 684 et 686. VAN METEREN,
o. c., fo 153, estime les forces espagnoles à 12.000 fantassins et 5.000 cavaliers.
(4) A. VASQUEZ,Los sucesos. loc. clt., p. 135.
(5) Lettre de Farnèse à sa mère, citée.

273
Lorsque Don Juan fut arrivé dans la plaine large et étendue que
lui avaient signalée les éclaireurs, il aperçut de loin les fortes posi-
tions de l'adversaire. Comme celles-ci n'avaient pu être examinées de
près par les capitaines de cavalerie qui avaient été envoyés en recon-
naissance, Don Juan ordonna à Alonso de Leyva, commandant des
arquebusiers de l'escadron volant, de s'avancer jusque près des bois
d'une part et des retranchements du village de Rijmenam de l'autre.
Gianbattista del Monte.vcommandant l'avant-garde de la cavalerie,
devait J'appuyer avec une compgnie d'arquebusiers à cheval et deux
compagnies de lanciers.
Dès que les Espagnols s'approchèrent du passage qui séparait
le bois du retranchement de Rijmenam, des soldats anglais, iSOUS le
commandement de J ohn N orris, s'avancèrent pour les repousser: une
première escarmouche s'engagea (I). De la part des soldats du comte
de Boussu, ce n'était qu'une feinte,comme le prince de Parme devait
bientôt le constater.
Philippe d'Egmont se porta au secours des Anglais avec quelques
compagnies de cavalerie :à cette vue,le maître de camp Don Fer~
nando de Tolède se précipita avec J'escadron volant. Les Anglais et
les cavaliers d'Egmont, tout en se battant, se replièrent bientôt, en
bon ordre, et abandonnèrent les tranchées devant Rijmenam et le
village lui-même. Au cours de ce mouvement de repli, ils mirent le feu
aux maisons qu'ils évacuaient.
Dans l'armée de Don Juan, beaucoup, - et parmi eux des soldats
expérimentés, dont on avait l'habitude d'écouter l'opinion - s'ima-
ginèrent que Rijmenam était la vraie position ennemie et que Boussu
l'abandonnait: on affirmait même que ses soldats passaient déjà la
Dyle, qui coulait toute prochevet qu'ils s'enfuyaient vers Malines.
On en concluait qu'il fallait pousser vigoureusement en avant. Fer-
nando de Tolède et Gianbattista del Monte, avec leurs cavaliers,
reçurent l'ordre d'avancer. L'infanterie, que Don Juan avait laissée
dans la plaine en face de Rijmenam, s'apprêta il, suivre : le prince de
Parme mit pied à terre pour se mettre à la tête de la première com-
pagnie, comme il avait été décidé.
TI lui vint cependant un doute concernant la retraite de l'ennemi :
le village de Rijmenam que les soldats de Boussu évacuaient si
rapidement n'était probablement pas la vraie position et, derrière,

(i) Farnèse à sa mère, Lettre citée; STRADA, o. c., t. II, pp. 388-389.

271
en un endroit non connu, devait se trouver le véritable centre de la
défense- de J'adversaire, avec de puissants retranchements. Aussi
conseilla-t-il à Don Juan de ne pas laisser son infanterie se mettre
en marche, avant qu'une reconnaissance sérieuse n'eût été faite. Il
offrit d'aller y voir lui-même (1).
Don Juan comprit toute l'importance de cette remarque et ne
céda pas pour le moment aux sollicitations pressantes de Don Fer-
nando de Tolède et de del Monte, qui, voyant l'ennemi se retirer,
demandaient du renfort et l'assuraient de la victoire.
Ils s 'illuslonnaient dangereusement. En effet, les arquebusiers
pénétrèrent rapidement à travers le boisqui s'étendait à gauche entre
la Dyle et le chemin menant vers le village, tandis que la cavalerie
légère ou ginétaires poussait vigoureusement le long de ce chemin :
subitement, ils se trouvèrent en face d'une très puissante organisa-
tion de tranchées, qui constituait la seconde ligne du comte de Boussu,
et qui était bien pourvue de canons de bronze. Ce camp était placé SUl'
une éminence entre la rivière et le bois, derrière Rijmenam, et était
entouré de défenses bien construites et nombreuses.
Les Espagnols se trouvèrent pris au piège : derrière eux s'éten-
daient les bois qu'ils venaient de traverser, le village et le seul
chemin qui conduisait entre les groupes d'arbres et l'agglomération:
une retraite par ce chemin allait devenir une très périlleuse entre-
prise. L'artillerie ennemie les cribla bientôt de coups, et dn camp
retranché de Boussu, de l'infanterie et de la cavalerie sortirent pour
les attaquer, Si l'ennemi était décidé à pousser son attaque à fond,
les Espagnols étaient perdus (2).
Ils soutinrent le poids du combat, tout en faisant demander du
secours à Don Juan.
Aussitôt le prince de Parme s'en alla reconnaître la situation:
il découvrit que, par des jardins plantés darbres et par des haies,
on pouvait essayer de dégager les troupes qui s'étaient si imprudem-
ment engagées. Il imagina de garnir ces haies et ces jardins de mous-

(1) « Nè lassai di rloordare à S. A. che faces si star fermi gli squadroni nè gli movessl
più, sin che fusse ben nconoscïuto come stavano i nemioi. Il qual oflleio m'otïeret di far
io, perchè credevo che quello che havevono abbandonato non fusse il vero alloggiamento,
et che fussero tuttavia nelle 101'0 trinchere ». Farnèse à sa mère, lettre citée.
(2) « [1] nostri ch' erano andato cosi sotto le trincere et entrati in quella campagniola,
di dove havevono cosl stretta la ritn-ata, che mal agevolmente la potevono fare allo lmpro-
viso, et soi potevono tener pel' persi se i nemici fossero slati homini resoluli... » Farnèse
à sa mère, lettre citée r

2.5
quetaires qu'on aurait fait pénétrer jusque-là, et qui côtoyeraient le
terrain DÙ se livrait le combat en pleine campagne devant le camp
de Boussu.
Au moment où les Ecossais de Stuart et les Anglais du colonel
Norris chargeaient les Espagnols, les mousquetaires embusqués dans
les arbres leur tirèrent une pleine décharge et arrêtèrent leur élan.
Les fantassins espagnols, au nombre de '5.000, en profitêrent pour se
retirer par l'étroit chemin entre les bois et le village afin de regagner
la grande plaine. Cette retraite fut protégée par la cavalerie, environ
600 hommes, Italiens, Espagnols et Flamands, armés d 'arquebuses,
de pistolets et de lances (1). Les deux frères del Monte, Camillo et
Gianbattista, cavaliers expérimentés, y firent des prodiges: ils sou-
tinrent avec leurs hommes les charges des troupes que Boussu lançait
à leur poursuite hors de son grand camp retranché et permirent ainsi
à l'infanterie déchapper.
Comme le prince de Parme avait fait rapidement élargir le
chemin de retraite par les troupes qui le tenaient, la cavalerie put, à
son tour, se retirer par là sans trop grande difficulté (2).
Gianbattista del Monte fit observer à Farnèse que, si on avait fait
appuyer tout de suite les troupes qui s'étaient engagées par L'étroit
chemin jusque devant le camp retranché des ennemis, on aurait pu
facilement se rendre maître de celui-ci. Le prince de Parme estima au
contraire que les troupes quon aurait envoyées comme appui dans
cette espèce de trappe ou de piège, y auraient péri avec les autres.
Boussu, en effet, avait magnifiquement choisi et organisé ses
positions. La colline qui en formait le centre était pourvue de
tranchées bien conditionnées et de défenses de flanc : à la droite, elle
s'appuyait à la Dyle; à la gauche, vers Malines, elle était couverte par
des Ibois épais et faciles à défendre. Au centre de la tranchée de
front, il avait planté son artil1erie, qui balayait de son feu tout le
'terrain qui s'étendait jusqu'au village de Rijmenam. Une autre place
d'armes, garnie de tranchées et de fossés, se trouvait derrière cette
position centrale. Enfin, il y avait là quelque 12.000 fantassins et
7.000 cavaliers, dont les escadrons s'échelonnaient jusqu'à Malines.
Il était clair que la bataille était perdue pour les E,spagnols. Le
gros de l'infanterie, qui était restée dans la plaine devant Rijmenam,
ne put entrer en action et Don Juan la fit avertir de ne point bouger

(1) STRADA, O. c, t. II, p. 391.


(2) Famèse à sa. mère, lac. cit.

276
PL. XXVIII

MAXIMILIEN DE HENNIN, COM'l'E DE BOUSSU


Le vainqueur de Rijmenam (Estampe contemporaine)
lorsqu'elle verrait déboucher de l'étroit chemin entre le village et les
bois, devant elle, les fantassins et les cavaliers en retraite (1). Les
Espagnols évitèrent ainsi la' faute qui avait causé pour les Etats le
désastre de Gembloux: une cavalerie en repli, poursuivie par l'ennemi,
se jetant en désordre dans les rangs de l 'infanterie en entraînant
celle-ci dans la débandade.
Alexandre Farnèse avait été infatigable au cours de cette
journée: il y usa huit des meilleurs chevaux qu'il possédait (2).
L'engagement avait duré de 7 heures du matin il. Ü heures du soir,
moment où Don Juan fit donner le signal de la retraite (3).

:,"':;
!~~
::.~

Pour l'armée des États, c'était la revanche de Gembloux. Mais,


si le comte de Boussu avait montré un grand talent dans l'ordonnance
de ce combat, il ne profita pas plus de la victoire que Don Juan
.n'avait naguère profité de la sienne. Les troupes des 'États ne pour-
suivirent pas l'ennemi en retraite: elles redoutèrent une embus-
cade (4) et se contentèrent de la gloire d'avoir repoussé une armée
qui avait comme chefs le vainqueur de Lépante et Alexandre
Farnèse (5).
'L'honneur de la journée 'revenait surtout aux Anglais et aux
Écossais de l'armée des Etats (6), et parmi eux, le colonel Norris
. s'était particulièrement bien distingué. S'il faut en croire les agents
anglais aux Pays-Bas, Don Juan perdit à Rijmenam entre 600 et
700 hommes (7). Lorsqu'on annonça à Élisabeth d 'Angleterre que le
régiment de Norris avait obligé la retraite les vieilles bandes
à

(i) STRADA,0, C., t. II, p. 394.


(2) « Atessandro stracco quel di otto de meglto oavalli che havesse lui. >, Liber reia-
tionum, r- 43.
(3) Voir le rapport du comte de Boussu, dans GACHARD,Correspoïuiance de Guïuaume
le Taciturne, t. rv, p. '56"
(4) STRADA,o. C" t. II, p. 396.
(4) Voir la Relaçum, deI progreso que Su Aüeza hizo con el eœercao descie uUima (M
Julia hasta los :1 de Agosto 1578 que Farnèse envoya à sa mère (A. F. N" Carte tomesume,
Pi(J1ld1'OJ, fascio i 720).
(6) « Pugnavere eo die ex rebellibus, vix ulli praeter Anglos et Schotos. » DEL RIO,
O. c., t. III, p. 254. « Our nation amd the Scots did greatly show their « wallew » and
so valiantly maintened the action tnat the enemy was repulsed and followed about a
mile. » Cobham à Burghley, Anvers, 2 août i578, dans Foreign Calendar, Elisabeth,
1578-1579, n° i39,
(7) Davison à Leicester (1), Anvers, 8 aoüt i578, dans KERVIJN DE LETTENHOVE,Reia-
Hons politiques, t. X, .p 705.

271
espagnoles, son orgueil s'exalta. Elle envoya en toute hâte un courrier
à Walsingham pour lui faire annoncer aux 'États qu'elle leur prê-
terait 100.000 livres et qu'elle leur enverrait 12.000 hommes sous les
ordres de Leicester (1).
TI est incontestable que, ici comme à Gembloux, Alexandre Far-
nèse avait sauvé la situation grâce à la rapidité de son coup d 'œil, à
sa prudence et à son savoir-faire. Il avait évité le désastre que l'obsti-
nation et la politique de désespoir de Don Juan avait failli provoquer.
Aussi, à cette occasion, il se départit de sa réserve habituelle et,
dans une lettre à sa mère, se glorifia sans fausse modestie de ce qu'il
avait fait.
« Je ne veux point laisser de dire à Votre A!ltesse, écrivait-il,
qu'on a couru un terrible risque de commettre une grande erreur, à
cause du peu d'ordre qu'on a tenu. Les plus vieux soldats avaient
perdu la tête, au point qu'ils ne savaient plus quel parti prendre.
Vous pourrez apprendre par d'autres mieux que par moi-même
comment je, me suis 'comporté en cette affaire: comment j'ai parlé et
dit en toute liberté ce que je pensais de la décision prise; puis, au
cours des événements mêmes, la résolution que j'ai prise et le
service que je crois avoir rendu à Sa Majesté et à Don Juan. Encore
ceci: lorsquil s'agissait de retirer les. soldats. de leur dangereuse
siruarion. il r:.': eut persouue q~l:'\'Ol:;'U: se charger de le faire. Don
J nan était si hébété par le danger où il se trouvait et le manque de
remède qu'il y voyait,que je crois qu'il ne trouva ni assistance ni
résolution sur ce point en dehors de moi, car je fus obligé de lui
dicter tout ce qui me parut devoir être exécuté. J'allai aussi retirer
les nôtres de la situation où ils se trouvaient, pour ainsi dire incrustés
dans les tranchées mêmes de l'ennemi, et je remportai le succès de
les sauver tous. » (2)

Après avoir rappelé ses troupes, Don Juan, sans être beaucoup
inquiété par l'ennemi, les logea dans les villages situés à une demie
lieue de Rijmenam et le lendemain matin, il donna l'ordre de s'ache-
miner vers Aerschot, pour y traverser le Démer. Les fe'rraioli par-
(1) KERVYN DE LE'ITENHOVE, Les Huquenois et les Gueux, t. V, p. 156. Gomme beau-
coup d'autres, cette promesse ne fut pas tenue.
(2) Alexandre à sa mère, lettre du 7 août 1578 (2" lettre de' cette date) (A. F. N.,
Carte fa,7nesiane, Fiandm, faséio 1624). Sur le combat de Rijmenam et le Tôle de Farnèse,
voir E. Guru y MARTIN, El aTto miliJ;ar eS]Janol, t. Il, pp. 602-603.

273
tirent d'abord, en avant-garde; le reste de l'armée suivit, par
échelons; la cavalerie légère servit d'arrière-garde. On redoutait
quelque peu de voir les soldats de Boussu se lancer à la poursuite et
venir troubler la retraite au moment du passage du pont dAerechot,
qui était peu praticable, et où les troupes ne pouvaient que traverser
lentement le cours d'eau. Le baron deChevraux ramena ses hommes
à Louvain et Gianbattista del Monte s'en retourna avec ses cavaliers
à Léau.
Le soir du 2 août, toute l'armée campa dans les villages à une
lieue au-delà d'Aerschot et au matin du 3, elle s'arrêta à Tirlemont,
où Don Juan établit de nouveau son quartier général (L).
A peine les soldats espagnols eurent-ils quitté Aersehot, qu'un
parti ennemi vint surprendre cette ville: la compagnie d'arquebusiers
à cheval qui s 'y trouvait, ainsi que la compagnie d'infanterie alle-
mande, parvinrent à se retirer sans encombre (2). Aussitôt maîtres de
la place, les soldats des 'États profanèrent l'église et dévastèrent le
béguinage, dont les occupantes ne furent pas respectées. Ils pillèrent
ensuite la ville et rentrèrent à Rijmenam chargés de butin (3).
Les Espagnols reprirent peu après Aersehot, pour l'abandonner
de nouveau, comme trop exposée aux entreprises de l'adversaire (4).
Cependant, à croire les rapports des agents anglais aux Pays-
Bas, la situation réelle de l'armée des 'États n'était pas aussi
brillante qu'on aurait pu se l'imaginer. Ainsi, Thomas Digges signa-
lait à Lord Burleigh que les Ecossais ne savaient attaquer l'ennemi
parce qu'ils manquaient de piques; que les Anglais, dont on disait
qu'ils étaient plus de 3.400, ne dépassaient guère le nombre de 1.500;
que les lansquenets enrôlés par Casimir n'étaient que 2.000 au lieu
de 3.000. Le camp des États, resserré entre deux bras de la Dyle, sur
un terrain entrecoupé de bosquets, de haies, de terres marécageuses,
n'offrait aucune possibilité de manœuvre aux 14.000 cavaliers qui s'y
entassaient. Les reîtres ne faisaient que piller le pays et jusqu'à
une lieue d'Anvers, les habitants avaient évacué les villages. Les
Anglais et les Écossais, dont la solde n'était pas payée, se livraient
à toutes sortes dexcès : des maladies pestilentielles en avaient fait

(1) Farnèse à sa mère, Camp de Tirlemont, 7 août 1578 (loc. cit.).


(2) Le capitaine Mutio Pagano, qui s'était distingué à Gembloux et à Rijmenam, y
trouva la mort.
(3) DEL RIO, O. c., t. III, pp. 265-266.
(4) Farnèse à sa mère, Camp de Tirlemont, 7 août (loc. cit.).

279
périr un certain nombre; d'autres avaient succombé dans les dis-
putes qui suivaient ordinairement les parties de pillage. (1)

En ce moment - début du mois d'août 1578 - le camp de Doil


Juan à Tirlemont allait être, sans que le gouverneur général l'eût
désiré, le centre de tentatives de pacification dont l'écheveau est, à
première vue, assez difficile à débrouiller.
L'équipée du duc d'Anjou, son arrivée à Mons, ses tractations
avec les 'États Généraux, avaient violemment ému Élisabeth d'Angle-
terre (2). Elle avait envoyé aux Pays-Bas deux agents, Walsingham
et Cobham, qui avaient pour mission d'empêcher l'union entre Anjou
et les Etats Généraux de se conclure et d'essayer de faire accepter
par Don Juan un armistice, afin d'amorcer des négociations pour une
paix générale, (3).
Dtautre part, l'Empereur Rodolphe II s'était déclaré prêt à agir
en pacificateur et avait désigné comme agents Preyner et le comte de-
Schwarzemberg : on pouvait, d'après lui, s'entendre sur le point de:
la conservation de la religion catholique et celui de l'obédience due-
au Roi; quant au maintien de l'archiduc Mathias comme gouverneur,
c'était une question à résoudre par le Roi d'Espagne (4). D'autre
part, l'Empereur avait insisté auprès de Philippe II pour le rappel
de Don Juan et de ses soldats étrangers (5).
Une troisième tentative d'intervention se produisit du côté du
roi de France. Henri III avait fini par craindre que l'aventure du duc'
d'Anjou ne lui coûtât la rupture à la fois avec Philippe II et avec
'Élisabeth d'Angleterre. Il résolut d'envoyer aux Pays-Bas un de ses,
conseillers les plus habiles, Bellièvre, qui devait proposer aux États-
Généraux la médiation du monarque français pour arriver à une
bonne paix. Fin juillet 1578, Bellièvre arriva à Anvers et se mit en
rapport avec les États. Il leur annonça que le Roi de France, se-
basant sur « la communauté de mœurs et de religion» qui existait,

(i) KERVYN DE LETTENHOVE, netœuons pomiques, t. x, p'. 795.


(2) Sur la politique d'Élisabeth, pendant cette période, vis-à-vis de Philippe II et
des Etats Généraux des Pays-Bas, voir l'excellent exposé de E. SPENCER BEESLEY, Queew
tiueauet»; pp. Hl-117.
(3) 'KEIWYN DE LE'ITENHOVE. Les Huguenots et les Gueux, t. V, pp. 119-142: C. H. TH.
BUSSEMAKER, De afscneiding der lVaalsc/!e gewesten van de. Generale Unie, t. I, pp. 34:6 svv.
(4) C. H. TH. BUSSEMAKER, O. C., t. I, pp. 348-349.
(5) Sur les rapports des l<Statsavec l'Empereur et les offres de médiation de celui-ci,
cft' JAPIKSE, o. c., t. II, pp. 110-123.

280
---- - ----..,.

disait-il, entre la France et les Pays-Bas, désirait se poser en média-


teur vis-à-vis du Roi d'Espàgne.
Cette intervention de Bellièvre poussa la majorité des États
Généraux à envisager des négociations avec Don Juan, malgré le
prince d'Orange et ses amis, qui ne voulaient pas en entendre
parler (1).
Comme en ce moment, le danger d'un accord du duc d'Anjou avec
les États Généraux semblait de plus en plus devoir se réaliser, le
négociateur impérial Schwarzemberg, d'une part, les agents anglais
Cobham et Walsingham, d'autre part, se sentirent remplis d'inquié-
tude. Les Anglais poussèrent 'Sohwarzemberg à tenter d'amener Don
Juan à un accord. L'agent de l'Empereur se laissaC'OnvaincTe et,
après avoir mis les Êtats au courant de sa décision, se mit en route
le 2 août pour le camp espagnol (2).
De la sorte, une triple action : celle des Êtats Généraux, celle de
l'Empereur, celle des agents d"Élisabeth, allait se concentrer là dans
le but d'arriver à une entente acceptable pour les partis.

Ce chassé-croisé d'ambassades et de négociations fut observé de


très près par Alexandre Farnèse, qui en informa minutieusement sa
mère et fit connaître l'impression que lui laissaient ces èvénements.
Le 5 août, Schwarzemberg s'était présenté chez Don Juan pour
lui demander si l'on était prêt à accorder un armistice et si le gou-
verneur admettrait l'intervention de l'Empereur eu vue de la con-
clusionde la paix (3). Le prince de Parme était d'avis qu'en ce
moment, rien ne pouvait être plus favorable qu'une suspension
d'armes. Pendant ce temps, les provisions de l'armée ne s'épuise-
raient pas et l'on aurait le temps d'attendre les soldats qu'on levait
en hâte en Allemagne. Avant l'arrivée du négociateur impérial,
Farnèse avait exposé à Don Juan que c'était par la voie des négocia-
tions qu'il y avait moyen de faire partir le duc d'Anjou des Pays-
Bas : l'Empereur était tout particulièrement désigné pour obtenir sur
ce point des résultats (4).
(1) KERVYN DE LETTENHOVE, Les Huguenots et les Gueux, t. V, pp. 159-164; TH. JUSTE,
Histoire des États Généraux des Pays-Ba,s, t. I, pp. 187-188.
(2) O. H. TH. BUSSEMAKER, o. c., t. r. pp. 352-353.
(3) Ofr J. C. H. DE PATER., De Raad van state nevens Mathias (1578-1581), pp. 82-83.
Voyez la proposition de Sohwarzemberg dans les résolutdons des États Généraux, chez
JAPIKSE, o. e., t. II, p. 46, n° H3a.
(4) Farnèse à sa mère, Oamp de Tirlemont, 7 août 1578 (toc. cU.).

281
Le 18 août, Schwarzemberg se rendit de nouveau chez Don Juan
et eut avec lui un long entretien. Il fit d'abord connaître que les États
ne voulaient pas entendre parler darmistiee - ce qui se comprend,
après l'affaire de Rijmenam -; ils voulaient traiter de la paix dans
son ensemble. L'envoyé impérial communiqua les conditions auxquelles
les Etats se déclaraient prêts à négocier. L'archiduc Mathias devrait
rester gouverneur des Pays-Bas et on devrait comprendre dans la
conclusion de la paix le palatin Casimir et le duc d'Anjou. Don Juan
aurait à restituer toutes les places fortes dont il s'était emparé des
deux côtés de la Meuse. A ces conditions, les États consentiraient à
rester sous l'obédience du Roi d'Espagne et à maintenir la religion
catholique. Cependant, le gouverneur général ne pouvait introduire
aucun changement dans la situation existante sans l'assentiment des
État,s Généraux. Schwarzemberg avait .ajouté qu'à Malines se trou-
vaient des députés des 'États, munis de pleins pouvoirs, et exprima
le désir que Don Juan les reçût pour traiter avec eux (1).
Don Juan se montra disposé à entendre ces délégués. Ceux-ci
avaient été choisis le 14 août, et étaient le seigneur d'Ognies, le
professeur de Louvain Elbertus Leoninus et Adolphe, de Meetkerke.
Don Juan était, en réalité, fort peu disposé à conclure un accord,
mais il :::eprêtait aux négociations parce que - ainsi le dit Alexandre
Farnèse - « il se trouvait dans l'eau jusqu 'au con, » (2) Don Juan
s'en était d'ailleurs ouvert au prince de Parme et lui avait demandé
son avis : Alexandre, avec infiniment de prudence, lui avait répondu
que, avant tout, il fallait connaître la pensée réelle du Roi en cette
matière, et qu'il lui semblait que le souverain tendait en ce moment
vers la pacification et l'accord avec ses sujets. D'ailleurs, le prince
estimait que la situation était tragique, surtout depuis qu'il était
question d'un accord entre le duc d'Anjou et les 'États Généraux. Le
Roi de France n'allait-il pas enlever le masque et aider lui aussi les
ennemis du Roi, qui étaient d'ailleurs prêts, semblait-il, à se jeter
c1ansses bras ~ (3).

(1) Farnèse à sa mère, Tirlemont, 19 août 1578, lettre chiffrée (A. F. N., Carte (arne-
si.ane, Funuira; fascio 1624). Voir les décisions des États Généraux à ce sujet dans JAPIKSE,
o. c., t. II, pp. 46-47, surtout Ie n° 118 et ;P. 122, les nOS 354 et 355 ..
(2) « Se pur hora ci da oreochla è per trovarsi neüa; necessita che si ritrova e con
l'acqua flno allo gola. » Lettre citée. « Lettres dudict conte [Schwarzemberg] du XVIIIe
avertissant que don Joan est tant Incliné à la patx .., et que à icelle fin il a accordé pasport
a noz députéz ... » (J'APIKSE,o. C., t. II, p. 47, n° 119).
(3) Farnèse à sa mère, lettre citée,

282
Farnèse estimait aussi qu'en ce moment, il n'était plus possible
d'en revenir à la situation telle qu'elle existait à l 'époque de Charles-
Quint: ce serait déjà bien travaillé, si on pouvait maintenir, en
grande partie, l'obédience due au Roi et la religion catholique. C'est
pour ce motif que le prince avait conseillé à son oncle de recevoir les
délégués des Etats et d'essayer de leur faire admettre ces points :
on ne pouvait rien y perdre, mais y gagner beaucoup. En agissant
ainsi, même si J'accord n'a:boutissait pas, Don Juan aurait du moins
réduit au silence ceux qui l'accusaient de ne songer qu'à la guerre
et d'être trop passionné.
Le prince de Parme avait, en outre, appelé l'attention de son
oncle sur la nécessité de se mettre en sûreté pendant ces tractations,
puisqu'on apprenait que l'armée de Casimir et celle des 'États avaient
fait leur jonction. A Bouges, près de Namur, on trouverait cette
sécurité, Ce départ à Bougess 'imposait de suite, opinait Farnèse, si
on ne voulait être forcé de l'entreprendre plus tard dans des con-
ditions beaucoup plus difficiles et plus périlleuses (1).
Don Juan avait frémi de colère en apprenant quelles étaient les
propositions des Etats Généraux. Combien ne regrettait-il pas,
disait-il dans une de ses lettres, le temps où il chassait les bêtes
fauves dans les forêts de Saint-Sébastien et de Santander! (2)
Il suivit toutefois le conseil que lui avait donné le prince de
Parme lorsque Bellièvre, l'envoyé de Henri III, demanda à être
reçu par lui. Il envoya au devant de l'agent français une escorte de
500 chevaux et, trois jours après, lui accorda une audience à l'abbaye
d'Oplinter, près de Tirlemont. Bellièvre était accompagné du sieur
de la Fontaine-Dubois, et Don Juan n'avait avec lui que le prince de
Parme.
Aux protestations « de naturelle amitié et de bonne intelligence»
de la part de Henri III, Don Juan répondit avec véhémence, en met-
tant eu doute la sincérité du Roi de France. Comme Bellièvre affirmait
que son maître avait un réel désir de voir la paix rétablie, Don Juan
lui répliqua qu'il savait quelles étaient les conditions que les Etats y
mettaient. « Il ne sera point dit,s 'écria-t-il, que de telles gens me
donnent la loi! S'ils veulent une bonne, et raisonnable paix, je suis
prêt à la leur accorder. » Pour le reste, si la religion catholique était
intégralement maintenue et si l'obéissance due au Roi restait sauve,

(i) Farnèse à "a mère. lettre citée,


(2) KERVYN DE LE'ITENHOVE, Les Huguenots et les Guet/x, t. V, p. 167.

283
il était prêt à abandonner les Pays-Bas et à accorder aux États des
conditions acceptables.
Bellièvre comprit que sa mission avait échoué (1).
Après lui, ce fut le tour de Cobham et de Walsingham pour pré-
senter la médiation de la reine 'Élisabeth. Eux aussi furent bien reçus:
Schwarzemberg avait d'ailleurs insisté pour qu'il en fût ainsi;
L'entrevue eut lieu sous un grand chêne, à une lieue du camp espagnol.
Don Juan, s'inspirant des conseils d 'Alexandre Farnèse, prit ses pré-
cautions: il arriva avec une escorte de 2.000 chevaux. Cobham et
Walsingham ne réussirent pas mieux que Bellièvre : comment le
gouverneur aurait-il accepté les dures conditions des États 7 Walsin-
gham fut très impressionné par la figure 'Chevaleresque de Don Juan
et ne put s'empêcher de le noter dans sa correspondance. « Je pus
facilement découvrir en lui, écrit-il, un grand conflit intérieur entre
l 'honneur et la nécessité. Jamais je n'ai rencontré un gentilhomme
qui, par sa dignité, son langage, sa courtoisie, puisse lui être com-
paré. » (2)
Entretemps, des pourparlers directs avaient lieu à Louvain entre
les délégués des Etais Généraux et les représentants de Don Juan.
Ces derniers étaient Jean-Baptiste de Tassis et le conseiller Fonck,
auxquels se joignirent par après ~. de Vaux et le baron de Selles.
Ceux des États étaient les mêmes que ceux nommés plus haut, plus
l'abbé de Maroilles (3).
Le prince de Parme croyait que, si les États voulaient sincère-
ment la paix, on retirerait des négociations un avantage immense
pour le Roi. « Je ne puis que répéter, écrivait-il à sa mère, que si
l'on n'en vient pas là, je tiens ces pays pour perdus et, avec eux, la
religion. » (4) Il voyait en ce moment la situation d'une façon très
pessimiste. A l'époque de Charles-Quint, ce prince si puissant, les
Français avaient été, à eux seuls, assez puissants pour lui faire la
guerre en même temps aux Pays-Bas et en Italie. Aujourd'hui, aux
Français s'ajoutaient l'armée des États et celle du palatin Casimir.
Les Espagnols se trouvaient coupés de tout : les Français pouvaient

(1) KERVYNDE LETTENHOVE.Les Huguenots et tes Gueux, t. V. pp. 167-169.


(2) Walsingham à Leicester, Louvain, 28 août 1578 (KERVYNDE LETTENHOVE,Relations
poUtiques. t. X. p. 765).
(3) Farnèse à sa mère, le 22 août 1578 (A. F. N., Carte farnesiane, Fiandra, fascia 1624).
(4) Farnèse à sa mère, Camp près de Graesen, 4 septembre 1578, lettre chiffrée
(A. F. N., Carte tamestane, Fiandra, fascia 1624). Cette lettre est écrite d'un endroit que
Farnèse appelle Grasse, ce qui doit être Graesen, au nord-est de Léau.

2·84
intercepter l'envoi de vivres et d'argent, en coupant les communica-
tions ordinaires par la Bourgogne ou en se contentant de tenir de
bonnes garnisons à Metz, Verdun et Mézières. Puis, l'ennemi ferait
venir le Turc pour attaquer les États de Naples et de Sicile. La
prudence ne consistait-elle pas, dès lors, à savoir trouver des accom-
modements? (1)
Après avoir écouté Bellièvre et les agents' d "Élisabeth d' Angle-
terre, Don Juan avait réuni son conseil (2) : Alexandre Farnèse y
parla s-ans nul doute dans le sens de la modération. Le gouverneur
général,en effet, sans se prononcer au sujet des conditions insolentes
proposées par les États Généraux, se remit en communication avec
ceux-ci par l'intermédiaire de Schwarzemberg. Après bien des
demandes et des réponses, on en était arrivé à tempérer quelque peu
la rigueur des conditions posées par les adversaires de Don Juan,
sans que pour cela celui-ci pût les juger acceptables (3).

Tous ces efforts furent subitement arrêtés à la suite d'une


dépêche adressée par le Roi à son frère et l'inf.ormant qu'il avait
choisi l'Empereur <lomme arbitre et qu 'il envoyait dans ce but,
comme ambassadeur auprès de la cour impériale, le duc de Terra-
nova {4).
Que s'était-il donc passé Devant l'échec de la politique de Don
î

Juan, le Roi avait compris que celui-ci n'était plus à maintenir aux
Pays-Bas, si on voulait sortir de l'impasse où l'on était engagé.
Abandonnant l'idée de faire retourner Marguerite de Parme aux
Pays-Bas, il avait fait solliciter l'archiduc Ferdinand d'Autriche, en
lui proposant le poste de gouverneur général. Mais la réponse fut
peu encourageante.
Il fallait cependant continuer à négocier avec les États, si l'on
voulait aboutir. Dès le mois de juin, on avait examiné à Madrid, au
cours de conseils multiples, s'il ne serait pas opportun d'accepter
l'offre de médiation impériale. Rodolphe II avait fortement conseillé

(I) Farnèse à sa mère, lettre citée.


(2) Ibidem.
(3) Voir les résolutions des États Généraux au sujet du cours de ces négociations,
dans JAPIKSE, o. c., t. II, pp. 48-49. A signaler surtout. la pièce 121a, du 30 août, montrant
que, ce jour-là, les négociations étaient encore en plein cours.
(4) Farnèse à sa mère, lettre citée.

285
au Roi de faire la paix, en appelant son attention sur le danger que
présentait l'intervention du duc d 'Anjou.
Petit à petit, la conviction s 'était faite au Conseil d'État espagnol
que les dépenses qu'entraînerait la continuation de la guerre étaient
trop élevées pour pouvoir la soutenir et que, dès lors, il ne restait plus
qu'à accepter la tentative médiatrice de l'Empereur. Finalement, le
Roi se rangea à cet avis, mais à condition que deux électeurs ecclé-
siastiques de l'Empire fussent délégués comme médiateurs, que l'on
ne cédât rien sur la question de la religion et de l'obédience; en
aucun cas, Mathias nepouvait être confirmé dans sa charge (1).
On a dit que la nouvelle que Philippe II avait confié les tracta-
tions de paix à' l'Empereur vint mettre un terme aux hésitations de
Don Juan et que, dès le L" septembre, il mit fin aux pourparlers de
Louvain (2).
Cette façon de représenter les choses n'est pas exacte : la réalité
est beaucoup plus complexe, et il importe de le montrer ici en détail.
Alexandre Farnèse fut mis au courant des intentions du Roi par
son oncle, qui lui montra toute la correspondance échangée à ce
sujet (2). Il apprit ainsi que l'Empereur désirait envoyer aux Pays-
Bas I 'Impératrice, l'archiduc Ferdinand ou deux électeurs ecclésias-
tiques de l'Empire IEI'1l' traiter en 5(011 nom et que, de 50n côté,
Philippe II proposait à lEmpereur de s 'en tenir à trois articles :
:JIathias ne pouvait pas demeurer gouverneur , le maintien de la
religion catholique et de l'obédience due au Roi devait rester sauf,
et les six clauses de la Pacification de Gand ne pourraient être invo-
quées pour escamoter 'ce point. Pour le reste, le Roi consentait à faire
partir les Espagnols, à restituer les villes conquises et à nommer
un nouveau gouverneur, de sang royal.
Le prince de Parme, avec la finesse d'observation qui le caracté-
risait, confiait à sa mère qu'il était convaincu qu'en secret, l'Empe-
renravait le pouvoir de laisser tempérer ces conditions ·et de les
changer quelque peu si le besoin s'en faisait sentir, ou que du moins
le duc de Terranova porterait avec lui cette autorisation. Il Bn avait

(1) Au mois d'aout, le nonce Frangipani, accrédité à la cour de Paris, s'était rendu
à Mons pour essayer d'empêcher le duc d'Anjou de se lancer dans l'aventure de Flandre,
mais il n'avait obtenu aucun succès. Rapport de Frangipani à lIlgr. Sega, nonce en Espagne,
25 août 1578, dans G. BROM 'et A. H. L. HENSEN, Romeinsche bronnen voor aen Kerketïik-
Staatkund~gen toestosut der Neâertasuiet; tn de XVIe eeuw, pp. 548-550, n- 670.
(2) C. H. TH. HUSSEMAKER, a. c., t. l, pp. 374-376.
(3) « Et pel' quanto io ho visto pel' copie d,i lettere scrittedal Irnperalore ;)) R·' ,ji
Spagna et pel' le risposte ... » Farnèse à sa mère, lettre citée.

286
-- --------------- -------

été ainsi lors deènêgociatious du baron de Selles, dont les instruc-


tions écrites étaient plus strictes et plus sévères que l'instruètion
orale qui lui futclonnée (1).
Quoique Pafîairs était maintenant remise entre les mains de
l'Empereur, Don Juan estima que, pour ce motif, il ne devait pas
laisser de s'en occuper lui-même. Farnèse fut du même avis et la
raison de cette attitude mérite d'être signalée ici. Don Juan ne fut-il
'donc pas heureux de pouvoir rompre ces négociations de paix, lui qui
n'aimait que la guerre (2). î

Il semblait à Don Juan et à Farnèse qu'il y avait intérêt à


négocier encore, pour gagner du temps et éviter aussi longtemps que
possible la misé en vigueur du traité que les États Généraux avaient
conclu avecIe duc d'Anjou. Tout en concluant ce traité, les États
avaient, en effet, exigé de pouvoir continuer à négocier directement
avec Don Juan pour une paix générale, jusqu'à la fin du mois
d'août (3).
Farnèse estimait que si l'on pouvait faire durer ces négociations
au-delà de ce terme, on empêcherait par le fait l'alliance définitive
avec le duc d 'Anjou d'entrer aussitôt en action, et l'on donnait il
l'Empereur' le temps d'exercer plus facilement sa mission.
D'ailleurs, J.-B. de Tassis, le délégué de Don Juan, avait commu-
niqué à Schwarzemberg que son maître voulait abandonner la mission
qu'il avait reçue, puisque l'Empereur allait intervenir: mais
Schwarzembergprétendit ne rien savoir à ce dernier sujet. On s'ima-
gina dans le camp espagnol que le délégué impérial préférait voir
continuer la négociation par Don Juan lui-même, parce que les États
espéraient de celui-ci de meilleures conditions que de la part de
l'Empereur,et que Mathias pourrait ainsi plus facilement rester aux
Pays-Bas. _Schwarzemberg, dans l'intérêt de Mathias, pour lequel il
avait beaucoup d 'affection,en avait même écrit à Philippe II, allant

(i) Farnèse à sa mère, lettre citée.


(2) Bellièvre avait faU à ce sujet une remarque très juste: « Aussi longtemps que
la guerre dure, avait-il dit, Don Juan est un grand prince, qui commande à une armée de
20.000 hornmes ; le jour où elle se termine, il n'a pas un pouce de terre pour reposer 'Sa
tête ». (KERVYN DE LETTENHOVE, netauone politiques, t. X, p. 787).
(3) BUSSEMAKER, o. c., t. I, p. 368. Voici le texte d'une annotation à une résolution des
]<~tats Généraux en date du 16 août: « et déclarant [les Étatsl ne tr-ouver bon d'encores
faire la publication requise [de raccord avec Anjou], veu que Son Altèze n'al. encores
approuvé et signé ledict traicté et que l'on est en train de paix avec don Jehan suyvaut
la réserve, faicte par Iedict accord, de pouvoyr traicter à ceste fin par tout ce moys
d'aoüst., » (JAPIKSE, O. C., t. II, p. 71, nO 205 et note 2.)

287
jusqu'à prétendre que les États éprouvaient du plaisir et du conten-
tement à traiter avec Don Juan (1).
On avait donc continué à négocier et Don Juan avait préparé le
texte des nouveaux articles que l'on voulait proposer aux États,
lorsqu'un courrier de l'Empereur apporta la nouvelle que celui-ci
avait choisi pour le représenter les archevêques de Cologne, de
Mayence et de Trèves.
A cette nouvelle, Don Juan résolut de ne pas transgresser les
ordres du Roi et de ne pas envoyer les articles qu'il avait préparés.
Tout son conseil, y compris le prince de Parme, fut d'un autre avis:
on lui suggérait de continuer, malgré le Roi, parce qu'en agissant
ainsi on gagnait du temps, soit pour retarder la mise à exécution
du traité conclu avec le duc d'Anjou, soit pour permettre aux soldats
levés en Allemagne de venir renforcer l'armée royale. Don Juan
refusa de transgresser les ordres de Philippe II, mais ne rompit
cependant pas entièremet les rapports avec les délégués des États.
Il se. contenta de faire connaître à ceux-ci que, si de la part de
l'Empereur on lui signalait un acte opportun pour favoriser les
négociations, il ne laisserait point de le poser et que, au moment
voulu, il était prêt à faire partir des Pays-Bas les Espagnols et à
remettre les places fortes dont il s'était emparé (2).
Cette fois, on était en pleine 'équivoque. Le 2 septembre au soir,
J.-B. de Tassiset M. de Vaux allèrent porter cette communication
à Louvain (3). Le 4 septembre, on finit cependant par se séparer, pour
attendre la médiation de l'Emper,eur : les délégués des États et
Schwarzemberg retournèrent à Anvers,après avoir déclaré qu'ils
conservaient un bon souvenir de la condescendance de Don Juan! (4)
* '.,
ij,:

A peu près au même moment, ce dernier reçut d'Espagne des


propositions significatives, faites par lettres de Don Alonso de
Sotomayor. Celuici s'offrait à agir auprès du secrétaire d'État
Antonio Pérez afin d'obtenir, par cet intermédiaire, que Philippe II
rappelât Don Juan à Madrid.
Alexandre Farnèse comprit immédiatement que Sotomayor fai-
sait cette proposition parce que le Roi lui-même la lui avait inspirée
(1) Farnèse à sa mère, Camp près de Graesen, 4 septembre 1578 (loc. cilt.).
(2) Farnèse à sa mère, teure citée.
(3) Ibidem; J. RÜBSAM, Johann Baptista von Taxis, p. 4,5.
(4) Ibidem.

288
-~--- --~--------------------

et que tout ce manège mystérieux et compliqué n'était qu'une affaire


concertée (1). Don Juan,en confiant au prince de Parme les proposi-
tions de Sotomayor, eut avec lui un long entretien. Dexprima la
conviction que la paix allait bientôt se faire et affirma que d'un jour
à l'autre, il s'attendait à être rappelé en Espagne, comme c'était
d'ailleurs son ardent désir.
Puis, s'attendrissant et prononçant des « paroles douces et ensor-
celeuses comme il savait si bien le faire» (2), il déclara à Alexandre
Farnèse que celui-ci devait s'occuper de deux choses importantes. La
première,c'était de prendre en mains les intérêts de son fils Ranuccio
et de faire soutenir les justes prétentions de ce jeune homme à la
couronne de Portugal (3). La seconds concernait l'affermissement de
la maison Farnèse par l'acquisition du château de Prato, affaire où
Don Juan promettait son plus ardent soutien. Passant ensuite au
caractère de Philippe II dont il fit l'analyse, le gouverneur général
conseilla à son neveu d'obéir toujours à ses ordres et de suivre tou-
jours l'inclination du Roi. Puis, Don Juan fit entrevoir au prince que
sur lui tomberait le poids de devoir s'occuper de l'armée espagnole
des Pays-Bas et qu'il la conduirait sans doute en Italie le jour où la
paix se ferait.
Alexandre fut très impressionné par cette conversation, au point
que, réellement indécis, il demanda à sa mère comment il devait se
conduire dans cette question de la succession de Portugal et qu'il
sollicita aussi l'avis de son père.
A sa mère, Alexandre fit connaître qu'il ne voulait en aucune
manière être condamné à conduire l'armée espagnole vers l'Italie, et
encore moins à rester avec elle aux Pays-Bas, dans le cas où Don
Juan retournerait en Espagne. Ce serait, estimait-il, une charge

(1) Farnèse à sa mère, Camp près de Graesen, 5 septembre 1578 (A. F. N., Carte far,
nesiane, Fiandm;, rasclo 1624).
(2) Farnèse, dans la lettre citée.
(3) Le 4 août 1578, don Sébastien, roi de Portugal, était mort glorieusement au Maroc,
en combattant contre les Mores à la bataille d'Alkassar-Kebir. Gomme il n'avait pas
d'enfant, lui succéda son grand oncle, le cardinal Henri. La succession de Portugal était
donc virtuellement ouverte. Comme prétendants se présentèrent le prieur de Grato, don
Antonio, petit-fils bâtard de Manoël le.; Philippe II, roi d'Espagne, petit-fil SI légitime
du même Manoël; le duc Emmanuel-Philibert de Savofe; Catherine, duchesse de Bra-
gance, et Banuoeio Farnèse, qui, par sa mère Marie-ede Portugal, était neveu du défunt
roi. FEA, o. C., pp. 501-502; M. PHILIPPSON, Ein lIfinisterium unter Ph~lipp Il. xar-
dind Granvella am Spanischen Rote (1579-1586), pp. 85-87. La correspondance des Far-
nèse au sujet de leurs prétentions à la couronne de Portugal se trouve à A. F. N., Cartel
farnesiane, Portogallo, fascio 175 et 177.

289
désagréable et une ID1SSlOll dangereuse. Il s'imaginait déjà toutes
les insolences que les soldats commettraient au cours de leur passage
à travers le pays : il ne pourrait les mettre à la raison, car en ce
moment déjà la discipline laissait beaucoup à désirer.
Alexandre était bien décidé à échapper à cette corvée, si le Roi
ne lui en donnait pas l'ordre exprès. il avait même songé un instant
à se rendre à Madrid, sous prétexte d'y défendre les droits de son
fils Ranuccio, et à s'en aller de ce milieu plein de désagréments (1).

>Ii< *' ""

La situation de Don Juan et de son armée était, en effet, en ce


moment loin d'être enviable. Don Juan, qui était déjà malade d'esprit
et de corps lors de l'affaire de Rijmenam (2), avait appris que le
Palatin Casimir avait opéré sa jonction avec l-es troupes des États,
que le duc d'Anjou avait conclu avec le prince d'Orange un traité en
due forme par lequel il s'engageait à assister les « rebelles », et
d'autre part, il se sentait comme abandonné par Philippe II. Il écrivit
à Madrid qu'à la cour on encourageait l'audace des révoltés; qu'on
différait de jour en jour de lui envoyer le secours que Sa Majesté
avait promis; que quand il demandait de l'argent, on lui envoyait des
promesses, « qui ne suffisent pas pour faire la guerre. » (3)
Découragé et souffrant, le gouverneur général avait, après le
combat de Rijmenam, ramené son armée de Tirlemont à Jauche, où il
s'arrêta quelque temps pour passer ses troupes en revue. Comme il
parut difficile de s 'approvisionner en eau potable, il décida de se
replier sur Bouges, l'endroit qui avait été choisi antérieurement par
le conseil de guerre pour s 'y retrancher dans la dernière extrémité (4).
En prévision de cette retraite, Don Juan avait envoyé à Bouges
l'ingénieur major de l'armée, le vieux Gabrio de Ser:belloni, avec mis-
sion d'y construire les retranchements et les fortifications nécessaires.
Serbelloni s'était mis à l 'œuvre avec l'assistance de l'ingénieur
Scipion Campi, de Pesaro, dont le père, ingénieur militaire renommé,
avait été tué jadis au siège de Haerlem (5). Un camp fixe fut établi
(1) Farnèse à sa mère', Oamp de Graesen, 5 septembre 1578 (lac. cit.).
(~) « Mal dispasta del anima e del corpe, » Liber retatumum, fo 43. Cfr P. O. DE Tünxa;
Don Juan d'Autriche et les projets de conquete de l'Angleterre, t. II, pp. 206-207.
(3) o. c., t. II, p, 400.
STRADA,
(4) DEL RIO, o. c., t, III, p. 282.
(5) STRADA, o. C., t. II, pp. 400-401; N. VASQUEZ, Los sucesos, lac. cit., p. 139; B. POR-
RERo, O. C., p. 270.

290
en un endroit où l'eau ne manquait pas, et où la proximité de la
Meuse offrait toutes sortes de facilités. Ce camp fut terrassé à
l'instar d'une forteresse et muni largement de toutes les choses
nécessaires (1).
Après de pénibles hésitations, Don Juan avait donné l'ordre
d'évacuer Tirlemont, que les soldats des États vinrent aussitôt
saccager et piller (2). Les troupes du comte de Boussu se mirent en
marche pour Wavre, après s'être arrêtées quelque temps entre
Hoeylaert et Isque ', Dans une escarmouche livrée le soir, elles per-
dirent assez bien de fantassins écossais et de reîtres allemands.
Furieuses, elles s'étaient ensuite jetées sur Florival, où elles dévas-
tèrent l'abbaye cistercienne qui y existait. Les autels furent renversés,
le Saint Sacrement profané,et les bâtiments claustraux livrés aux
flammes.
De là, les soldats des États marchèrent sur Nivelles, qu'ils atta-
quèrent: ils furent repoussés (3). Don Juan avait d'abord eu l'inten-
tion de se porter an secours de la ville, mais il y renonça bientôt, ne
voulant pas exposer son armée pour une place si faiblement fortifiée.
Il donna aux assiégés l'ordre de se rendre.
Entretemps, les troupes du duc d 'Alençon s'étaient, de leur côté,
avancés sur Binche. Au moment où le siège de cette ville commença,
une maladie contagieuse se déclara dans le camp des ennemis de Don
Juan, qui fut atteint par la dysenterie. Mais, en même temps, à
Bouges, un autre fléau fit son apparition: la fièvre typhoïde (4).
Déjà vers la mi-août, Gabrio de Serbelloni avait averti le prince
de Parme que la peste - c'est ainsi qu'on appelait la maladie qui
allait ravager le camp - avait éclaté, mais qu'il n'y avait pas beau-
coup de décès (5). Quelques jours après, les nouvelles étaient déjà
plus alarmantes et Serbellonisignalait que la contagion allait en
empirant. Elle avait atteint Namur: hors de la porte de Bouges, on
avait déjà dû construire 40 huttes en bois pour y loger et isoler les
malades. On prenait des mesures pour empêcher les chiens de rôder
dans les rues et on se proposait de munir les patients d'une baguette

(i) DEL RIO. O. e., t. III, p. 282.


(2) DEL RIO, O. c., t. III, pp. 284-286.
(3) DEL RIO, O. C., t, III, p. 294; Liber relationum, fo 44.
(4) DEL RIO. O. C•• t. III, p. 296.
(5) Lettre de Namur, 15 août i578 (A. F. N., Carte tarnesiane, Fiandra, fascio 75).

291
blanche, pour signaler leur approche, Les médecins et les barbiers
faisaient défaut, et on devait sie contenter d'expulser du camp les
hommes malades pour empêcher le fléau de se répandre trop vite (1).
Au début de septembre, Cosimo Masi, le secrétaire du prince de
Parme, signalait que le mal avait fait son apparition à Namur et dans
tous les villages des environs et que la mère et la fille du comte de
Rœulx, ainsi que la comtesse de Fauquemberg en étaient victimes. Des
personnages italiens de qualité avaient payé aussi leur tribut: le
capitaine Alessandro Ceretoli, le sieur Pirro Corto et le marquis
Giannetino Malaspina (2).
La maladie attaqua aussi Don Juan: on sait qu'il en mourut au
début d'octobre 1578.

(1) Serbelloni à Farnèse, Namur, 24 aout 1578 (A. F. N., Carte tarnesfane, Fiandra,
fascio 75).
(2) Masi à Nuocio Sirigatti, Camp près de Graesen, 4 septembre 1578 (A. F. P., Car-
teggio farneslxIno, Paesi Bassi, carteggio 1578-1580); Benedetto Glandemarla à Spilimberg,
Namur, 14 septembre 1578 (Ibidem).

292
CHAPITRE XIV

LA FIN D'UNE LONGUE ET GRANDE AMITIÉ.


ALEXANDRE FARNÈSE ET LA MORT DE DON JUAN
(OCTOBRE 1578)

C'est le 16 septembre que Don Juan fut pris de fièvre (1). C'est
probablement en visitant les soldats malades de la fièvre typhoïde
que le gouverneur général avait contracté le mal. Dans le village de
Bouges, il n'y avait, lorsque l'armée s'installa aux alentours, que
neuf maisons de paysans, occupées par des gens en majorité déjà
atteints par le fléau. Les soldats espagnols en furent immédiatement
infectés. Certains jours, on compta plus de 300 décès (2).
Don Juan s'était toujours beaucoup occupé des soldats de son
armée qui étaient victimes de maladie; il les visitait dans leurs
baraquements, il accompagnait le Saint Sacrement quand on le leur
portait; il leur faisait l'aumône de sa main; il allait jusqu'à chercher
lui-même les chariots nécessaires à leur transport à l'infirmerie. Ayant
fait construire à Bouges un hôpital à part pour les victimes les plus
atteintes, il s'y était rendu lui-même à plus d'une reprise (3).
Il n'est pas étonnant qu'il fut infecté à son tour. Sa constitution
était minée par la vie extrêmement fatigante qu'il avait menée depuis
son arrivée aux Pays-Bas et peut-être plus encore par les souffrances
morales qu'il eut à endurer. Il était assoiffé de gloire militaire et le
Roi l'avait forcé à discuter politique avec des gens qu'il haïssait
profondément; il avait dû faire la guerre avec des moyens insuffi-
(1) Le 24 septembre, Alexandre Farnèse écrit à sa mère, du fort de Bouges, que Don
Juan est malade depuis huit jours (A. F. N., Carte [œmesuuie, Fianâro, rascïo 1624). Vasquez
donne la date du 15 septembre. <~ A los 15 de Setiembre, permiti6 Dios dar el sr Don Juan
unas calenturas pestilentiaIes. » (Los sucesos, IDe. ott., p. 140).
(2) VASQUEZ, Los sucesos, loc clt., p. 140.
(3) Lettre du P. Dorante, confesseur de Don Juan, à Philippe II, Namur, 30 octobre
1578. dans GACHARD, Les Biblio,thèques de Madrid et de l'Escuri<Ù, pp. 449 svv.

293
sants; il avait réclamé en vain l'argent nécessaire pour la maintenir
et la continuer. TI avait fini par sentir, devant le silence obstiné que
Philippe II opposait à ses appels au secours, qu'il avait perdu la
confiance et l'estime de son frère et qu'à Madrid, des ennemis le
calomniaient et entravaient son action. Le coup le plus sensible avait
été l'assassinat commis en Espagne sur la personne de son fidèle
secrétaire Escovedo, crime dans lequel il soupçonnait de Roi d'avoir
trempé (L), Ses dernières lettres à son frère sont de véritables cris
de désespoir : « Je puis assurer Votre Majesté, écrivait-il, que la
besogne qui m'accable ici suffit pour miner n'importe quelle constitu-
tion, n'importe quelle vie », et, dans une autre lettre: « Je reste
perplexe et embarrassé, souhaitant plus que la vie une décision quel-
conque que j'ai implorée à tant de reprises différentes de Votre
Majesté. » (2)
A son ami Giovanni Andrea Doria, à Gênes, il confiait ses
angoisses et ses souffrances dans les termes suivants: « J'ai supplié
Sa Majesté, sans cesse et sans cesse, de m'envoyer ses ordres; s'ils
arrivent, ils seront exécutés, à moins qu'ils n'arrivent trop tard. On
nous a 'coupé les bras et, maintenant, il ne nous reste plus qu'à courber
la tête sous la hache. Je regrette de vous importuner de mes lamen-
tations, mais j'ai confiance dans votre sympathie, comme homme et
comme ami. J'espère que vous vous souviendrez de moi dans vos
prières. » (3)

Le mal contagieux put facilement attaquer et vaincre un homme


dont tout le ressort moral était brisé. C'est vers huit heures du soir
que Don Juan se sentit pris d'un accès de fièvre. Comme les nuits
devenaient froides et que le séjour sous la tente était dangereux pour
le malade, on le transporta sur les hauteurs de Bouges dans une ferme
en ruines, où un vaste colombier à deux étages était resté debout. On
remplaça l'échelle par un escalier; on ferma les ouvertures par des
rideaux; on couvrit les murailles de tapisseries. C'est dans ce misé-
rable logis que quelques soldats transportèrent le vainqueur de
Lépante : c'est là qu'il allait agoniser et mourir (4).
(1) GOSSART, La domination espagnole dans les Pays-Bas à la fin du règne de PhUippe 1I,
pp. 82-89.
(2) MOTTLEY, o. c., t. V, pp. 244-248.
(3) MOTTLEY, o. c., t. V, p. 245,
(4) « Morse sebene in mezo al suo eserclto, in una casetta mtseramente e come
assedtato da suoi nimtcï... » Liber relatumum, fo 46. - KERVYN DE LETTENHOVE, Les Hugue-
nots et les Gueux, t. V. pp. 255-256.

29",
C'est là aussi que le Père Dorante, son confesseur, allait cueillir
de ses lèvres cette plainte émouvante: « Pendant toute ma vie, je
n'ai pas eu un pouce de terre à moi! »et entendre le moribond répéter
ce verset du livre de Job: Nudus egressus sum de uiero matris meae
et nudu« reuertar illuc (1).
Après trois jours, le malade était extrêmement faible: il n'y eut
plus moyen de l'alimenter, plus rien ne passait par la gorge. Le Père
Dorantset Alexandre Farnèse se tenaient près du patient, essayant
de lui faire prendre de la nourriture. Ce fut en vain. Le médecin de
Don Juan, le docteur Ramirez, se déclara désespéré (2). On fit alors
appel au médecin du prince de Parme, le docteur Pennone. Celui-ci
avait soupçonné dès le début la gravité du cas de Don Juan. Comme
Gabrio de SerbeUoni avait vaussi été atteint par le mal, Pennone,
contrairement à l'avis des autres médecins présents, avait anoncé que,
malgré son âge - il avait 74 ans -, le vieux capitaine serait sauvé,
étant donné sa robuste ccnsitution, mais avait laissé entendre que
Don Juan succomberait (3).
Lorsque cette éventualité ne fit plus de doute pour personne, le
docteur Ramirez fit venir le prince de Parme et l'avertit qu'il était
temps, pour le malade, de se confesser. Profondément ému, Alexandre
Farnèse entra dans la chambre de son oncle, où se trouvaient les
membres du Conseil de guerre; il leur communiqua l'avertissement du
médecin et les pria de faire comprendre à Don Juan la gravité de son
état pour qu'il pût, en connaissance de cause, désigner la personne
qui lui succéderait dans le gouvernement au cas où Dieu l'appellerait
à Lui (4).
C'est Ottavio Gonzaga qui se chargea de cette triste mission.
Don Juan, mis au courant de ce qu'on n'avait aucun espoir de le
sauver, fit appeler son confesseur. Après avoir congédié le Père
Dorante, il retint auprès de lui ses conseillers et leur déclara, en
son nom et en celui du Roi, qu'on devait, à partir de ce moment,
obéir au prince de Parme, comme son successeur dans le gouverne-
ment des Pays-Bas et dans le commandement suprême de l'armée,
jusqu'à ce que Philippe II aurait fait connaître sa décision en la

(1) Lettre du P. Dorante, loc. cit., p. 452.


(2) A. VASQUEZ. Los SUCR80S. loc. oit., p. 140.
(3) Liber retasonum, fO 45; STRADA, o. c., t. II, pp. 401-402.
(4) VASQUEZ, Los sucesos, loc. clt., p. 141.

295
matière. Le lendemain, il fit aeter cette résolution par le secrétaire
Le Vasseur (1).
Ayant ainsi pris ses dernières dispositions, Don Juan renvoya
tout le monde et ne garda auprès de lui qu'Alexandre Farnèse (2).

Que se passa-t-il au cours de cette suprême eutrevue I Il est impos-


sible de le savoir (3).
Le malade, répéta sans doute à son neveu ce qu'il avait confié à
son confesseur (4). Il voulait être enterré près de son père Charles-
Quint. Ll désirait qu'on s'occupât de sa mère, Barbara Blomberg, qui
terminait en ce moment sa vie, qui avait été si mouvementée et rem-
plie d'esclandres, dans un couvent en Espagne (5), ainsi que de son
demi-frère, Conrad Piramus. Il suppliait le Roi de lui pardonner
qu'il laissait de si fortes dettes, 50,000 écus qu'il avait pris sur les
besoins de l'armée (6). Dépensier comme il était, les 150,000 écus qUB
lui avait alloués Philippe II comme traitement annuel ne lui avaient
jamais suffi pour l 'espace de trois mois. Il avait d'ailleurs emprunté
de l'argent à Farnèse: celui-ci lui avait avancé 3.000 écus d'or (7).
Dans ce dernier entretien, Don Juan parla probablement aussi de
sa fille naturelle, Dona Juana d 'Austria, de la naissance de laquelle
Farnèse avait été mis au courant (8). Le 29 novembre 15'74, avant de
partir pour l'Espagne après la fin de la guerre contre les Turcs, Don
Juan avait écrit à Marguerite de Parme cette lettre qui montre que
Farnèse s'intéressait ,à l'enfant: « Monsieur le prince m'a amené à
être si bon père que j'en suis venu jusqu'à me réjouir des nouvelles
que Votre, Altesse et lui m'envoient de cette petite, chose qai pbU\r
moi n'est pas peu, vu ma nature. Monsieur le prince m'écrit de très
bonnes choses sur l'opinion qu'il a d'elle et sur mes torts de ne pas
(1) VASQUEZ,O. C., lac. clt., pp. 142-143; DEL RIO, O. C., t, III, p. 304. Gachard a publié,
dans ses Atuüectes belgtques (3e cahier, pp. 440-442) l'acte de Don Juan commettant le prince
de Parme pour signer les dépêches durant son indisposition, pièce datée de Bouges, le
215 septembre 1578, ainsi que l'acte de Don Juan commettant le prince de Parme pour le
remplacer, en cas de décès, dans le gouvernement général des Pays-Bas. Cette pièce est
datée de Bouges, le 29 septembre 1578.
(2) VASQUEZ,o. c., lac. clt., p. 143.
(3) VASQUEZ,o. C., loc. clt., p. 143: « al cual hablo un gran rato en secrete, sin que se
pudiese s'aber ni entender 10 que fuese. »
(4) Lettre du P. Dorante, loe. cit.
(ô) P. HERRE, Barbara Blomberq, p. 74-75.
(6) Liber relatumum, f
08
45-46.
(7) Liber relationum, fo 46.
(8) GACHARD,Don Juan d'Autj'iche, lac. oit, pp. 163-16-i.

296
l'aimer tendrement comme ma fille : j-e lui répondrai en garçon. » (1)
Au milieu des misères qu'il endurait aux Pays-Bas, Don Juan avait
fini par s'intéresser à Dona Juana: le 19 juin 1577, il avait écrit à la
duchesse de Parme : « Les peines que j'endure font naître en moi
l'amour paternel! » {2)
il dut être question de la jeune fille dans le dernier entretien
du père moribond.

A peine Don Juan eut-il terminé ses recommandations au prince


de Parme, qu'il fut pris de délire. Il ne comprenait plus ce qu'on lui
disait et ne répondait rien de précis, sinon lorsqu'on lui parlait de
Dieu. Pour le reste, il ne prononçait plus que les mots « munitions »,
« tranchées », « mouvements de cavalerie », il jetait des ordres et
appelait ses capitaines pour leur promettre de nouvelles victoires (3).
Lorsque le jour se leva le L" octobre, on était à la veille de
l'anniversaire de la bataille de Lépante. Don Juan ne devait plus le
célébrer. Dans la nuit, il avait reçu l'Extrême-Onction. Vers 2 heures
de l'après-midi, il expira, murmurant dans ses derniers instants, qui
furent lucides, les noms de Jésus et de Marie (4).
Ainsi disparut de la scène du monde, pauvre et brisé par la lutte
et les combats, à l'âge de trente-trois ans (5), celui qu'on a appelé,
non sans raison, le dernier des Croisés.
Les bruits les plus fantastiques coururent à propos de sa mort :
on parla d'empoisonnement et il y en eut qui soupçonnèrent Phi-
lippe II de n'y avoir pas été étranger. Il ne peut cependant exister
de doute au sujet de la maladie qui emporta Don Juan : nous possé-
dons le rapport détaillé que le docteur Ramirez envoya à la cour de
Madrid et la description qu'en donne cet homme de science corres-
pond entièrement à tous les symptômes età toutes les caractéristiques
de la fièvre typhoïde (6).
(1) GACHARD,O. c., loc. oit, p. 164.
(2) GACHARJ),a. c., loc. clt., p. 172.
(3) « Paso 'el lunes y el martes con grandes trabajos y martirios, no respondlendo cosa
à propostto, sino todo su hablar era en proveer trincheas y en embiar cavalleria y muni-
clonee, diciendo que assl conventa al servicio del Rey. » Lettre du P. Dorante, lac. cit.,
p. 452. Voir aussi DEL RIO, O. c., t. III, p. 306.
(4) Lettre du P. Dorante, loc. cu., p. 453.
(5) « En treynta ytres anos que vivio » dit le P. Dorante dans sa lettre à Philippe II;
loc. cit., p. 453.
(6) C'est ce qu'avait déjà vu KERVYNDE LE'M"ENHOVE, a. c., t. V, p. 257. Le rapport de
Ramirez est publié d'ans B. PORRENO, a. C., 'pp. 304 et sulv,

297
La mort de Don Juan fut pour le prince de Parme une cruelle
épreuve. Le 3 octobre, il l'annonça au cardinal Farnèse dans des
termes qu'il convient de reproduire ici: « Maintenant, à mon infini
déplaisir, il m'appartient de faire savoir à Votre Seigneurie illus-
trissime qu'avant-hier, sur les deux heures de l'après-midi, il plut à
Notre Seigneur de mettre fin aux jours de Don Juan, l'appelant à Lui
et nous laissant tous ici, et moi en particulier,aussi affligés et remplis
de douleur que le malheur le demande et que cette grande perte
l'exige. De fait, cette perte n'est pas seulement grande pour nous,
mais pour toute la chrétienté: nous sommes privés d'un prince pru-
dent, valeureux et grand chrétien. Et pour ces motifs, et puis à cause
du service particulier du Roi, qui y fait une perte très sensible et
pour ce qu'y perd aussi notre maison et moi en particulier, qui
l'aimais et qui désirais le servir -les faits sont là pour le prouver -,
pour tous ces motifs apparaîtra clairement ,à Votre Seigneurie
Illustrissime Paffliction où m'a plongé cet accident. Je ne m'arrêterai
donc pas à Vous la détailler. Je me contenterai de pleurer avec Votre
Seigneurie Illustrissime, du plus profond du cœur, la perte de ce
bon et sincère ami, comme Son Altesse l'était vraiment et comme, à
l'occasion, Elle en aurait donné les preuves, Sa maladie a consisté en
fièvre a.iguë et maligne et sa fin fut celle du prince chrétien et valeu-
reux qu'il était. Il a fait sa fin, en effet, non seulement avec tons les
usages de l'Église, mais encore si dévotement qu'on peut être assuré
qn'il jouit en ce moment de la gloire du Paradis. » (1)
Le 2 octobre, le prince avait annoncé le décès de Don Juan, à peu
près dans les mêmes termes, au pape Grégoire XIII (2). Et encore à
la fin du mois d'octobre, Alexandre Farnèse répétait à sa mère
l'expression de son chagrin : « Que Votre Altesse sache qu'après la
perte du très glorieux seigneur Don Juan - Dieu l'ait dans sa
gloire -, je suis resté sous une impression telle que jamais je ne
pourrais vous en donner une idée. Je ne puis oublier ni chasser de
devant mes yeux l'image de cette âme bénie, de sorte que je vis avec

(1) A. F. N., Carte tarnesiane, Funuira, f'ascio 1624.


(2) « Lassando tutti noi quà, et me particolarmente, come il plu obli:gato et che le
portavo più affetione d'ogn' altro, ripieni di quel! afflitione et amaritudine che') casa e la
perdita universale della christianità, quella di Sua Mtà et la propria mia ricerca. » Lettre
du cams: de Bouges, 2 octobre 1578 (Archives du Vatican, Lettre di Pl'incipi, t. 42, fo 103
(uouvel:e cote: n- 140).

298
un acèroissement de douleur que Votre Altesse peut bien s'ima-
giner. » (L)
Une grande amitié, un compagnonnage illustre venait de se briser
pour toujours et le prince de Parme aurait pu s'écrier avec le grand
poète Fernando de Herrera:

Pongan en tu sepulcro, 0 flot de Espaûa,


La virtud militar i la victoria,
Grandes ciudades presas en memoria
I todo el noble mar qu'à Grecia baûa (2).

***
Le 4 octobre, Alexandre Farnèse donna l'ordre de procéder aux
funérailles solennelles de son oncle. A 5 heures de l'après-midi, le
corps fut descendu de la chambre mortuaire jusqu'à la porte de la
ferme où Don Juan était mort. Il y fut reçu par les capitaines
« réformés et entretenus » (3), en deuil, qui le portèrent, sur leurs
épaules, jusqu'au quartier de l'infanterie espagnole. Là, les maîtres
de camp et les capitaines des compagnies prirent le corps et le por-
tèrent de la même manière sur tout le parcours où se trouvaient
alignés les soldats de leur nation. Arrivés au quartier de la cavalerie,
ils le délivrèrent au général et aux capitaines de celle-ci qui, à
leur tour, le portèrent jusqu'au quartier des Allemands, où vinrent le
recevoir les colonels decette nation. Ceux-ci le remirent aux ferraioli
ou noirs harnais, dont les ritmeisiers le portèrent jusqu'aux confins
de Namur (4). Ici attendait le Conseil privé, dont les membres con-
duisirent le corps à la cathédrale de Saint-Aubain, accompagnés du
clergé, de plusieurs abbés et des évêques de Namur, de Middelbourg,
de Bois-le-Duc et d'Arras. Devant les prêtres marchaient cinq com-
pagnies d'infanterie espagnole. Les fifres et les tambours étaient
désaccordés; les piques traînaient les bannières noires et tendues vers
la terre en signe de deuil. Au milieu de pages vêtus de noir en mar-

(1) Farnèse à sa mère, Bouges, le 31 octobre 1578 (A. F. N., corte [arnesume, Fiandra,
rascto 1624).
(2) Clâsicos casteuanos, Fernando de Herrera, p. 206 (sonnet LXIX). Madrid, s. d.
(3) Nous verrons ce qu'il faut entendre par là dans le chapitre décrivant l'organisa-
tion de l'armée espagnole.
(4) Lettres de Gonzalo Vallejo à Antonio Perez, Namur, 7 octobre 1578, et de Jean-
Baptiste de Tassis au Roi, Bouges, 13 'octobre 1578 (B. PORRENO, 0, c., pp, 523 et 527).

299
chait un qui portait l'étendard de Don Juan, de damas cramoisi, sur
lequel était peint, d'un côté, un crucifix, et de l'autre, l'image de la
Vierge Marie, avec cette inscription : ln hoc signo vici Turcos ; ini
hoc signo vincam hereticos.
Puis s'avançaient Alexandre Farnèse, faisant des efforts pour ne
pas laisser éclater sa douleur; le comte Pierre-Ernest de Mansfelt,
maître de camp général; Ottavio Gonzaga, général de la cavalerie;
Pedro de Tolède, premier capitaine des troupes espagnoles ; Jean de
Croy, comte du Rœulx, premier capitaine des troupes wallonnes, tous
vêtus de deuil (1).
Le service funèbre achevé, le corps de Don Juan fut provisoi-
rement inhumé devant le maître-autel de la cathédrale, en attendant
les ordres que Philippe II enverrait pour son transfert.
En témoignage de sa grande affection, Alexandre Farnèse fit
placer sur le maître-autel de la cathédrale l'épitaphe dont voici le
texte:

D. O. :M. S.

SERENISS. PRINCIPI JOANNI ALiSTRIACO

D. CAROLI IMP. FILIO

POST MAUROS lN BETICA REBELLANT ES SUBJUGATOS,

TURCARUM MAXIMAM CLASSEM

APUD PATRAS EO DUCE FUNDITUS FUGATAM, DELETA.."\fQUE,

CUM lN BELGIO PRO REGE AGEHET,

IN CASTHIS BOUGHANIS

CONTINUA FEBRE lN IPSO JUVENTUTIS FLORE SUBLATO :

AVUNCULO AMATISSIMO ALEXANDER FARNESIUS

PAHMAE PLACENTIAEQUE PRINCEPS,

HUIC lN IMPERIO SUCCESSOR,

EX MANDATO D. PHILIPPI HISPANIARUM ET INDIARUM

REGIS POTENTISS.

HANC ALTARIS TABULAM COENOTAPHII LOCO P. C.

M. D. LXXVIII (2)

(1) Nous suivons Ici le réclt de J'auteur du Libro de las casas de Flandes, dans la
passage que Gachard a publié et traduit dans La Bibliothèque Natumale à Paris, pp. 131-132.
(2) Cfr les Annales de la Société archéologique âe Namur, t. XI, p. 330.
300
Le prince de Parme était seul désormais aux Pays-Bas, maître
de sa destinée. Gouverneur général au nom du Roi d'Espagne, il allait
donner toute la mesure de son courage, de son intelligence, de sa
valeur militaire et de ses talents politiques.

aOi
ADDITIONS ET CORRECTIONS

p.age 6, note 2 : Rachfohl. au lieu de Rachfall.


Page 7, note 2: (
Page 7, note 4 :
'von Pastor au lieu de Pasior.
Page 8, note 2 :
Page 16, note 6 :
Page 11, note 2: . ajoutez: W. FRIEDENSBURG, Kaiser Karl V. und Papst
PaulIIl. (1534-1549).(Schriften des Vereins für Refor-
rnationsgeschichte, t. 50, fasc. 1). Leipzig, 11132.
Page 25, titre du
chapitre 1556-1557au lieu de 1556-1.559.
Page 28, note 5 : Federico Badoaro au lieu de Freâerico Badoaro,
Page 31, note 1 : Sa Maté au lieu de Sa M.
Page 36, ligne 26 : Luisini au lieu de Lusini.
Page 36, ligne 29 : Luisin; au lieu de Lusini.
Page 37, note 4 :
Page 38, note 1 :
lVenetian au lieu de Venitien;
Page 44, ligne 5 : accompaqnerait au lieu de accompagnait.
Page 44, note 3 : la gue1'1'aau lieu de lo guerra.
Page 53, note 4 : Fiaaulra au lieu de Paesi Bassi.
Page 64, note 2 : ajoutez: V. BIBL, Maximilian 11. Der râtselhafte Kaiser.
Ein Zeitbild. Hellerau, [1929]. Aux pages 257-263,l'au-
teur examine la psychologie de Don Carlos et combat
, les idées de Rachfahl dans ses Kritische Uniersu-
chungen.
Page 72, ligne 4: suivaient au lieu de les suivaient.
Page 84, note 1: al conte au lieu de al conte.
Page 90, ligne 15 : satire au lieu de salyre.
Page 94, note 3: Le même au lieu de le-même.
Page 132, ligne 8 : caparaçonnées au lieu de caparaçonnes.
Page 136, ligne 3 : Grand'Placeau lieu de Grand-Place.
Page 157, note 4: Herrschaft au lieu de Herreschaft.
Page 168, note 2: Armata au lieu de Amata.
Page 216, note 3: correspondencia au lieu de corresporulomcia.
Page 279, ligne 9: leur valeur au lieu de sa valeur.
Page 279, ligne 14: démarüeler es: lieu de démenteler.

303
TABLE DES PLANCHES

Pages
I. - Statue équestre d'Alexandre Farnèse sur la Piazza dei
Cavalli à Plaisance Frontispice
II. -.. Les armes de la famille Farnèse 2
A gauche, les armes primitives, à droite, les armes telles qu'elles
se présentent à la mort d'Alexandre. Farnèse.
III. Julia Farnèse sous l'aspect de la Madone.................. 4
(Fresque du Pinturdochlo aux appartements Borgia, Palais du Vatican)

IV. Paul III, le cardinal Alexandre Farnèse et Ottavio Farnèse 6


(Paul III au centre.) (OEuvre du Titien, Musee Borbonico de Naples)

V. -. Pier Luigi Farnèse 12


(Portrait par un inconnu au Palais Ducal de Parme)

VI. - Charles-Quint 18
(Por~rait par le Titien.)

VII. - Marguerite de Parme 22


(Portrait à l'huile par un inconnu, aux « Uftlzi dell' ordine Costan-
tiniano », Parrne.)

VIII. Philippe II 26
(Portrait par le Titien.)

IX. Emmanuel-Philibert de Savoie 32


(Estampe contemporaine.)

X.- Médaille représentant Alexandre Farnèse âgé de i3 ans. 36


(Musée de Parme).
XI. - Élisabeth d'Angleterre dans sa jeunesse 40
(École de Holbein. TabLeau de la galerie royale du château de Windsor.)
XII. - Alexandre Farnèse dans sa jeunesse ?... 42
(Tableau du Museo Borbonico de Naples.)
XIII. - Élisabeth de Valois, 3· épouse de Philippe II (Portrait
par Coello) . . . . .. . . . . . .. . .. . . . .. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. . . . . .. . . 60
(Kunsthistorisches Museum, Vienne.)
XIV. - Le Palais Royal à Madrid 62
(Dessin tiré du ms, du Passe-temps de ;[,ehan Lhermrte, archer belge
au service des rois d'Espagne.)

305
Pages

XV. -- Don Carlos à l'âge de 12 ans................................. 64


(Kônigliches Müns-Cabinet, Berlin.)

XVI. - Antoine Perrenot, cardinal de Granvelle 84


(Estampe contemporaine.)

XVII. - Alexandre Farnèse et Marie de Portugal à l'époque de


leur mariage 104
(Médaille du Musée de Parme.)

XVIII. - Marie do Portugal. 106


(Portrait par Pourbus.) Pinacothèque de Parme.

XIX. - Lamoral, comte d'Egmont 108


(Estampe contemporaine.)

XX. - Don Juan d'Autriche 156


(Ambraser Pcrtrâtsammlung, Vienne.)

XXI. -' Statue de Don Juan à Messine 160


Commémorant la victoire de Lépante.

XXII. - Le navire amiral de Don Juan à la bataille de Lépante 164


(Petit cadre ex »oto à l'église de S. Pietro a Maiella à Naples.)

X:XUI. - Bataille de Lépante ; 168


Fresque d'Ercole Pio et Antonio Paganini (1575). (Bibliothèque du"
monastère St-J'ean l'Évangéliste, Parme.) ,

XXIV. Alexandre Farnèse -200


(Gravure de Crispln de Passe.)

XXV. Bataille de Gembloux.......................................... 214


(D'après une gravure de l'époque.)

XXVI. Les soldats espagnols et les paysans 224


(David Vinckenboons.)

• XXVII. - Le comte Palatin Jean Casimir 256


(Portrait par Tobias Btlmmer.)

XXVIII. - Maximilien de Hennin, comte de Boussu 276


Le vainqueur de Rijmenam (Estampe contemporaine.)

306

----'------------------- --- - ---


TABLE ANALYTIQUE DES MATIÈRES (1)

Préface .. VII

INTRODUCTION

Importance historique d'Alexandre Farnèse, XIII. - Manque d'un travail appro-


fondi sur If) sujet, XIV. - Publications de Montpleinchamp et de Pietro Fca, XIV. -
Raisons pour reprendre le sujet, XV. - Sources à consulter, XV. - Les Archives
farnésiennes de Naples et de Parme, XVI. - Intérêt de ces archlves, XVI. - Biblio-
thèque Nationale de Paris, XVIII. - Archives Générales du Hoyaume à Bruxelles, XVIII.
- Archives romaines, XVIII. - Sources littéraires, XIX. - Strada, XIX. - Cam-
pana, XIX. - Alonzo Vasquez, XX. - Ltbro de las cosas de Flandes,XX. - Liber reia-
tionum de Paolo Rinaldi, XXI. - Pierre Colins, XXII. - Grandes collections sur le
XVIe siècle, XXIII. - Plan du travail, XXIIII. - Point de vue spécial, XXIII. -
Remerciements à ceux qui nous ont aidé, XXIV
Liste des principaux ouvrages et artioles consultés pour le tome l"r XXIX

CHAPITRE 1er

LES ANCmTRES ET LA FAMILLE


M. de Navenne sur Alexandre Farnèse, 1. - Nécessité de ce chapitre, 1. - Origine
des Farnèse, 2. - Centre de leurs possessions, 2. - Les Farnèse coruiottieri italiens, 2.
- L'ancêtre: Ranuccio l'Ancien, 3. - L'Etat farnésien sous Paul II, 3. - Le cardinal
Alexandre Farnèse, devenu le pape Paul III, 4. - Ses descendants, 4. - Ottavio
Farnèse, 5. - Son mariage avec Marguerite d'Autriche, 6. - Difficultés à propos de
ce mariage, 6. - Participation d'Ottavio à l'expédition de Tunis, 8. - Ottavio dans
la guerre contre les protestants allemands, 9. - Réconciliation entre Ottavio et
Marguerite, 9. -

CHAPITRE II

NAISSANCE ET PREMIÈRES ANNÉES D'ALEXANDRE FARNÈSE


(1545-1556)
Naissance d'Alexandre Farnèse, 10. - La question de Parme et de Plaisance, 11. -
Origines de la question de Parme et de Plaisance, 11. - Assassinat de Pier Luigi
Farnèse et occupation de Plaisance par les Impériaux, 12. - Manœuvres diplomatiques
de Paul III, 12. - Attitude d'Ottavio Farnèse, 12. - Fureur du Pape, 13. - Intervention
de Marguerite de Parme, ,13. - Mort de Paul III, 14. - Res·titution de Parme à
Ottavio, 14. - Manoeuvres de Charles-Quint, 14. - Les Farnèse et Henri, II de
France, 15. - Représailles de Charles-Duint, 15. - Situation angoissante de Margue-
l'He, 16. - Victoire des Farnèse, 16. - Le jeune Farnèse pendant le siège de Parme, 17.
- Réclamations des Farnèse auprès de Henri II, 17. - Visite d'Ottavio il la Cour de
France, 18. - La politique française et la guerre de Sienne, 18. - Intervention de
la diplomatie espagnole, 18. - Accord entre Philippe II e-t les Farnèse, 19. - Vengeance

(1) Une table générale des noms de personnes et de lieux sera ajoutée au tome III de cette publication.

307
de Henri II, 20. - Obligations des Farnèse vis-à-vis de l'Espagne, 20. - Alexandre,
otage pour la fidélité de sa famille à la politique espagnole, 20. - Premières années
d'Alexandre Farnèse, 21. - Son éducation à Parme, 21. - Ses maîtres, 21. - Ses pré-
férences, 22. - Son amour des sports et de l'art mllitaire, 22. - Le capitaine Francesco
di Marchi, 23. - Départ d'Alexandre pour la Cour de Philippe II, 24.

CHAPITRE III

ALEXANDRE FARNÊSE A LA COUR DE BRUXELLES


ET EN ANGLETERRE
(i556-i557)
Marguerite conduit son fils à la Cour de Bruxelles, 25. - Le voyage vers la
Flandre, 25. - Nouvelles données par l'humaniste Luisini, 26. - Mesures pour le
séjour d'Alexandre à la Cour, 27. - Portrait de Philippe II, 27. - Comment le Roi
reçoit Alexandre, 28. - La Cour de Phili'ppe II à Bruxelles, 28. - Les grands seigneurs
espagnols, 29. - Ruy Gomez, 29. - Le comte de Feria, 30. - Don Bernardino de
Mendoza, 30. - Don Juan Manrique, 30. - Les secrétaires du Roi, 31. - Le duc
d'Albe, 3i. - Les seigneurs belges, 31. - Granv,elle, 31. - Emmanuel-Philibert de
Savoie, 32. - Fêtes et réceptions, 33. - Le Roi et le prince Alexandre, 33. - Départ
de Philippe II pour l'Angleterre, 34. - Alexandre et sa mère le sulvcnt, 34. - Arrivée
en Angleterre, 34. - Marie Tudor, 35. - Marie Tudor et Farnèse, 36. - Alexandre à
la Cour d'Angleterre, 36. - Farnèse et le cardinale Pole, 36. - L'éducation religieuse
de Farnèse, 36. - Festivités, 37. - Départ de Farnèse e·t de sa mèr.e, 37. - Entrevue
de Marguerite de Parme et de Phllippe II, 3'7. - La questron de Plaisance et le
séjour d'Alexandre à la cour, 38. - Retour de Marguerite et de son fils à Bruxelles, 39.
- Alexandre vit-il la princesse Elisabeth? 39.

.CHAPITRE IV

NOUVEAU SÉJOUR D'ALEXANDRE FARNÊSE


A LA COUR DE BRUXELLES
(i557-i559)
Départ de Marguerite de Parme pour l'Italie, 42. - Occupations d'Alexandre à la
Cour de Bruxelles, 42. - Retour de Philippe II, 43. - Ses sentiments pour Alexandre, 43.
- Préparatifs de guerre contre la France, 43. - Désir d'Alexandre d'accompagner le
Roi, 44. - Il est obligé de rester à Bruxelles, 44. - Légende de sa présence à la
bataille de Saint-Quentin, 44. - Chagrin d'Alexandre, 45. - Retour du Roi, 45. -
Alexandre au service du Roi, 45. - Son éducation de cour, /16. - Ses rapports avec
les seigneurs, 46. - Son caractère dépensier, 47. - Visite du cardinal Caraffa, 47. -
Projet de marier Farnèse avec Donna Antonia Caraffa, 47. - Échec de ce projet, 48. -
La politique de Phfûipp.c II envers les princes italiens, 48. - Rapports entre Alexandre
et son gouverneur Ardinghelli, 48. - Alexandre à Mons, à l'inauguration de Philippe II
comme comte de Hainaut, 49. - Alexandre à Arras, 49. - Incidents à la réunion des
États Généraux, 50. - Mort de Charles-Quint, 50. - Son service funèbre à Bruxelles, 50.
- Paix de Càteau-Camhrés!s, 51. - Héception à Bruxelles des plénipotentiaires
français, 51. - Projet de marier Alexandre avec Marie de Lorraine, 51. - Départ
d'Emmanuel-Philfbert de Savoie, 52. - Qui lui succédera comme gouverneur des
Pays-Bas? 52. - Les espoirs d'Ottavio Farnèse, 52. - Nomination de Margueri·te de
Parme, 52. - Raisons qui déterminent ce choix, 52. - Alexandre Farnèse à Gand, 53.
- Arrivée de Marguerite de Parme, 53. - Le Roi et les seigneurs, 54. - Préparatifs
du départ de Philippe n,54. - Projet de mariage de Farnèse avec une fille de
l'Empereur, 55. - D'épart d'Alexandre pour l'Espagne, 55.

CHAPITRE V

ALEXANDRE FARNÊSE A LA COUR D'ESPAGNE


(i559-i565)
Débarquement en Espagne, 56. - Le Roi et Farnèse à Valladolid, 56. - Recon-
naissance officielle de Don Juan d'Autriche, 56. - L'Aut'o da te de Valladolid, 57. -
Alexandre à Tolède, 58. - Joyeuse Entrée du Roi à Tolède, 59. - Arrivée d'Elisabeth

308
de Valois, 60. - Elisabeth et Don Carlos, 60. - Prestation du serment à Don Carlos, 60.
- Participation de Farnèse aux tournois de Tolède, 61. - Ses succès, 62. - Son
influence à la cour, 61. - La cour de Philippe II en Espagne, 62. - Portrait d'Alexandre
en 1560, 63. - Don Carlos, 64. - Don Juan d'Autriche, 64. - Farnèse et Don Carlos, 64.
- Farnèse et Don Juan, 65. - Maladie de D'on Carlos, 66. - Séjour des trois princes
à Alcala, 66. - Alcala, centre d'études et patrie de Cervantès, 67. - Installation des
trois princes à Alcala, 67. - La maison de Farnèse, 68. - Honorato Juan et les études
des trois princes, 68. - Philippe II leur trace leur ordre du jour, 68. - Les études
d'Alexandre, 69. - Plaintes de ses professeurs, 70. - L'aventure de Don Carlos à
Alcala, 70. - Il est en danger de mort, 71. - Sa guérison, 71. - Départ de Farnèse
d'Alcala, 72. - Il suit Philippe Il dans ses voyages, 73. - Incident avec François
de Médicis au sujet de la préséance, 73. - Sympathies dont Alexandre jouit à la.
Cour, 75. - Sa générosité, 75. - E'ducation sportlve du prince, 76. - Danger qu'il
court à la, chasse, 76. - Prodigalité d'Alexandre, 77. - Ses aventures amoureuses, 78.
- Intervention d'Ottavio Farnèse, 79. - Lettre d'Alexandre à son père au sujet cie
sa conduite, 80. - Nécessité de marier au plus tôt Alexandre, 82.

CHAPITRE VI

LES DIVERS PROJETS DE MARIAGE CONCERNANT


ALEXANDRE FARNÈSE ET LA POLITIQUE FARNÉSIENJ:\E
Situa-tion des Farnèse vis-à-vis cie Philippe II, 83. - Ge qu'en dit Paolo Tiepolo, 83.
- Le mariage du prince dépend de la volonté du Hoi, 83. - Le projet de mariage avec
une fllLe de l'Empereur, 84. - Nouveau projet dOttavio Farnèse: mariage avec une
princesse de Ferrar-e, 85. - Origine de ce projet, 85. - DifficuHés à le réaliser, 86. -
Le sentiment de Granvelle, 86. - Refus cie Philippe Il, 8'i. - Lettre du Roi à ce
sujet, 88. - Il propose le mariage avec une fille de l'Empereur, 88. - Granv.elle
n'approuve pas ce projet, 88. - Les Farnèse acceptent le projet du Roi, 89. - Essai d'y
lier la restitut.ion de la citadelle cie Plaisance, 89. - Exaspération cie Marguerite de
Parme à cause clu silence du Roï, 89. - Le comte cie Hornes ne rapporte aucune décision
d'Espagne, 90. - Marguerite parle cie solliciter son congé, 90. - Incident entre Ottavio
et Marguerite, 91. - Le Roi charge Granvelle de négocier le mariage avec une fille
de l'Empereur, 92. - Discussion à ce sujet entre Marguerite et son époux, 93. -
Hef us de l'Empereur cie donner une de ses fllles au prince de Parme, 93. - Pourquoi? 93.
- Le silence imposé à Granvelle est l'occasion cie la! disgrâce du cardinal, 94. - La
thèse de Rachfahl, 94. - Examen de cette thèse, 95. - Les documents en prouvent
la vérité, 95. - L Roi propose le mariage cie Earnè se avec Marie de Portugal, 97. -
Résignation des Farnèse, 98. - Négociations à Madrid à ce sujet, 99. - Négociations
à Lisbonne, 100. - Le mariage est décidé, 100. - Différencl entre Ottavio et son épouse
au sujet cles dépenses à faire, 101. - Le contrat de mariage est signé, 101.

CHAPITRE VII

LES NOCES D'ALEXANDRE FARriÈSE


(1565) .
Une lettre d'Ardinghelli, 103. - Egmont à Madrid, 103. - Egmont e-t Farnèse, 103
- Le mariage doit se faire à Bruxelles, 104. - Regrets cie Don Juan cie voir partir
Alexandre, 104. - Sort d'Ardinghelli e-t cie Lulsinl , 105. - Le prince d-e Parme n'est
pas satisfait du mariage, 105. - Marie de Portugal: son portrait, 106. - Ses qualités
morales, 106. - Départ d'Alexandre ei d'Egmont, 107. - Composition de sa maison, 107.
- Préparatifs pour les fêtes au palais de Bruxelles, 108. - Arrivée d'Alexandre à
Bruxelles, 109. - Joie de Marguecite de Parme, 110. - Impression que produit le
prince sur les seigneurs flamands, 110. - On le trouve trop « espagnol », 111. -
Réception à l'hôtel de ville de Bruxelles, 112. - Soucis de Marguerite de Parme, 112.
- Critiques et commentaires, 113. - La .gouvernante décicle cI'envoyer une flotte
au Portugal, 113. - Discussion avec Ottavio au sujet des dépenses à faire, 114. -
On prépare la flotte en Zélande, 114. - Le personnel de la flotte, 115. - Sentiment
de Granvelle et de Viglius, 116. - Dîner d'adieu au palais de Bruxelles, 116. - Travaux
fai·ts en Zélande pour la flotte, 116. - Départ de I'ambassade pour le Portugal, 117. -
Voyage de la flotte, 118. - Réception à Lisbonne, HS. - Incidents divers, 119.
Avarice des Portugais, 120. - Départ de Ia flotte, 121. - Boutade d'Alexandre au
sujet de sa fiancée, 121. - Distractions et occupations du prince à Bruxelles, 121.
La procession du S. Sacrement de Miracle, 122. - Augmentation du personnel d-e

309
cour, 122. - Vie d'Alexandre à la cour, 123. - Arrivée du duc Ottavio à Bruxelles, 124.
- Embarras de Marguerite de Parme, 125. - Incertitude de la situation politique, 125.
- Rumeurs et légendes, 126. - Prépara1ifs pour recevoir la flotte revenant du Por-
tugal, 127 - La flotte assaillie par la tempête, 128. - Attiiude de Marie de Portugal
pendant ce voyage, 128. - Arrivée à Middelbourg, 130 - Au Sas de Gand, 130. -
Première rencontre d'Alexandre et de Marie de Portugal, 131. - Impression produite
par la princesse, 131. - Réception de la princesse ~1 Bruxelles, 132. - Le mariage
se fait au palais du Coudennerg, 133. - Le banquet, 133. - L'archevêque de Cambrai
et les seigneurs, 133. - Réjouissances, 134. - Le festin nuptial, 134. - Bal et
tournoi, 135. - Le cadeau d'Anvers, 135. - Joute sur la Grand'Plâce de Bruxelles, 136.
- Médlsanoes, 136. - Départ du duc Ottavio, 137. - Fin des festivités, 137. -
Pleurs de la, gouvernante, 138. - Les dépêches du Bois de Ségovie, 138. - Émotion
produite par ces dépêches, 138. - Le projet du « Compromis des Nobles », 139.
Farnèse e·t les conjurés, 140. - Un l'apport mystérieux d'Alonso del Canto, 140.

CHAPITRE VIII

ALEXANDRE FARNÈSE DEPUIS SON MARIAGE


JUSQU'A LA BATAILLE DE LÉPANTE
(1566-1571 )
Préparatifs de départ d'Alexandre et cie son épouse, 141, - Le règlement des
comptes, 142. - La maison d'Alexandre, 142. - Douleur de Marguerite de Parme, 143·.
- Les seigneurs italiens et la situation politique des Pays-Bas, 143. - D'épart de.
Marie de Portugal, 144. - Réception de la princesse à Parme, 144. - Déception de
Marie de Portugal, 145. - Alexandre provoque sa jalousie, 146. - Enfants issus du
mariage, 146. - La maison et les occupatlons de la princesse à Parme, 147. - Comment
Alexandre passe ses journées, 148. - Son amour pour l'art militaire, 149. - Passion
pour les chevaux et les chiens, 149. - Il s'ennuie à Parme, 150. - Ses expéditions
et ses aventures nocturnes, 150. - Leur vraie signification, 151. - Alexandre essaie
d'obtenir une sHuationaux Pays-Bas, 152. - Les projets de voyage cie Philippe II
en Flandre, 152. - Envoi du duc d'Albe, 153. - Mécontentement des Farnèse, 153.
- Marguerite de Parme demande son congé, 154. - La question du château de Plai-
sance, 155. - Désillusions, 155. - Maladie de Farnèse, 156. - Son projet d'aller à
la guerre contre les Mores révoltés en Espagne, 156. - Guerre entre Venise et les
Turcs, 156. - Alexandre veut y prendre part, 157. - La Ligue de Lépante, 157. -
Don Juan d'Autriche chef de I'expédition contre les Turcs, 158. - Alexandre obtient
du Roi I'autorlsatlon de prendre part à la guerre, 159.

CHAPI'fHE LX

ALEXANDRE FARNÈSE A LA BATAILLE DE LÉPAN'l'E


ET DANS LA GUERRE CONTRE LES TURCS
(1571-1574)
Préparatifs de Farnèse, 160. - Ses compagnons de Lépante, 160. - Il rejoint Don
Juan, 161. - Don Juan à Gênes, 161. - Farnèse bien reçu pal' Don Juan, 161. -
Alexandre s'embarque sur le navire amiral de Gênes, 162. - Départ pour Naples, 162.
- Réception à Naples, 162. - La cérémonie à Santa Chiara, 162. - L'étendard de la
Ligue, 163". - Départ pour Messine, 163. - La flotte ohrétienno à Messine, 164. -
Farnèse et son escorte, 165. - Farnèse aplanit un incident surgi entre Don Juan et
les Vénitiens, 165. - Conseil de guerre, 166. - Formation de combat de la. flotte, 166.
- A la recherche des Turcs, 167. - On découvre ceux-ci à Lépante, 167. - Dispo-
sition et force des flottes en présence, 167. - La place qu'occupe Alexandre
Farnèse, 167. - Sa vaillance dans la bataille, 168. - Il s'empare de deux navires
ennemis, 168. - Défaite des Turcs, 169. - L'hymne sur Lépante de F. de Herrera, 169.
- Éloges de Don Juan, 169. - Farnèse s'empresse de rejoindre sa mère aux
Abruzzes, 170. - Fin de la campagne de 1571. - La campagne de 1572 et ses prépa-
ra-tifs, 171. - Projets de Don Juan, 171. - Alexandre Farnèse le rejoint, 171. -
Inactivité des chrétiens, 171. - Don Juan à Aquila, 172. - Nouveaux délais, 172. -
Départ de la flotte chrétienne, 173. - Alexandre Farnèse se distingue à Coron, 173.
- Don Jm)~ décide d'assiéger Navarin, 173.. - Il confie l'entreprise à Farnèse, 174.
- Siège de l"1avarin par Farnèse, 174. - Echec et retraite, 176. - Les responsa-

310
bilités, 177. - Dissolution de la Ligue, 178. - Don Juan veut prendre Tunis, 178. -
Farnèse arrive trop tard, 179. - Inaction de Don Juan à Naples, 180. - La société
napolitaine, 180. - Naissance de Dona Juana d'Austria, 180. - Don Juan nommé
lieu·tenant général de Philippe II en Italie, 181. - Farnèse va le rejoindre, 181. - Don
'Juan vlsite Plaisance, 182. - Festivités en son honneur, 182. - Don Juan veut
secourir La Goulette, assiégée par les 'Pures, 183. - Il doit y renoncer, 183. - Retour
d'Alexandre Farnèse à Parme, 184.

CHAPITRE X

DANS L'ATTENTE D'UNE NOUVELLE OCCASi(""N


DE PÉRILS ET DE GLOIRE
(1575-1577)
Inaction d'Alexandre à Parme, 185. - Disputes avec son père, 185. - Espoir de
pouvoir servir en Flandre, 186. - Requesens sur la situation en Flandre, 186. - La
question du successeur à donner à Requesens, 187. - Attente anxieuse de Farnèse, 187.
- Requesens mourant; son avis sur la situation, 188. - Conseil à Madrid pour nommer
un successeur, 188. - Nomination de Don Juan, 189. - Alexandre espère l'accom-
pagner, 189. - La politique de Don Juan, 189. - Il écrit à Farnèse, l'invi·tant à venir
le rejoindre, 190. ~ Proposition de conduire en France les troupes espagnoles des
Pays-Bas, 190. - Marguerite de Parme opposée à ce projet, 191. - Alexandre désire
accepter la proposition, 191. - Refus de Philippe II, 192. - Offre faite à Alexandre
par le roi de Portugal, 192. - Nouvelles de Don Juan, 192. - Celui-ci s'empare de
la citadelle de Namur et rappelle les troupes espagnoles, 193. - Il demande au Roi
de lui adjoindre Farnèse, 194. - Joie d'Alexandre, 195. - Ottavio Farnèse en profite
pour poser la question de la restitution du château de Plaisance, 194. - Mort de
Marie de Portugal, 194. - L'ambassadeur Guzman de Silva vient se fixer à Panne et
prie le Roi de laisser partir Farnèse, 195. - Situation critique de Don Juan, 196. -
Il réclame la présence d'Alexandre, 196. - Le Roi y consent, 197. - Joie du prince, 197.
- Il quitte Parme et se rend aux Pays-Bas, 198. - Son arrivée à Luxembourg, 198.

f:HAPITRE XI

ALEXANDRE FARNÈSE LIEUTENANT DE DON JUAN


AUX PAYS-BAS
(1577-1578)
LA BATAILLE DE GEMBLOUX
Réception chaleureuse gue fait Don Juan à Alexandre, 199. - Pourquoi il désirait
sa collaboration, 200. - Susceptibilité de Don Juan, 200. - La situation d'Alexandre
en Flandre, 201. - Sa prudence, 201. - Il refuse le trai·tement offert par le Roi, 201.
- Il écrit à sa mère, 202. - Situation de l'armée de Don Juan, 202. - L'armée des
États, 202. - Retour des soldats espagnols, 203. - Force de l'armée de D'on
Juan, 204. - Impression produite sur les adversaires par l'arrivée d'Alexandre, 204
- Situa·tion critique de Don Juan, 205. - Conseil de guerre, 205. - Le sire de Hierges
au secours de Ruremonde, 205. - Menace des .ennemis contre Namur, 206. - Première
mission de Farnè_se, 206. - On décide d'attaquer l'ennemi, 207. - Forces espagnoles
et forces des États, 207. - Effort d'ÉHsabeth d'Angleterre en faveur de la paix, 208.
- Échec de cet effort, 208. - Correspondance d'Alexandr.e avec sa mère, 209. -
Plans de Don Juan, 210. - L'armée des États. décide la retraite, 210. - Examen d'un
passage de l'Histoire de Pierre Colins, 210. - L'armée des États privée de ses
chefs, 211. - Retraite des ennemis sur Gembloux, 211. - Conseil de guerre tenu
par Don Juan, 212. - Il fait reconnaître le camp des États, 212. - Dispositions pour
l'attaque, 213. - Situation critique des Espagnols, 213. - Farnèse décide d'intervenir
à l'insu de Don Juan, 214. - Il attaque la cavalerie des États, 215. - Victoire de
Farnèse, 215 - Comment juger le rôle d'Alexandre, 215. - Attitude de Don Juan, 216.
- Conséquences du désastre de Gembloux, 217. - Clémence de D'on Juan, 218. -
Farnèse l'approuve, 219. - Raisons pour lesquelles Don Juan n'exploite pas le succès
ob·tenu, 219. - Conseil de .guerre, 221. - Prise de Bouvignes, Jodoigne, Louvain, 221.
- L'armée se dirige sur Diest et Sichem, 222.

:311
CHAPITRE XII

ALEXANDRE FARNÈSE ET LE SAC DE SICHEM


(1578 )
But des opérations de Don Juan, 223. - Farnèse décide d'assiéger Sichem, 223. -
Force de la place, 223. - Sichem refuse de se rendre, 224. - Dispositions pour
l'attaque, 224. - Prise de Sichem et massacre de la garnison, 225. - Le château
continue à résister, 225 - Il finit par se r.endre, 226. - Exécutions ordonnées par
Alexandre, 226. - Examen des différents récits, 227. - Supplice infligé au gouverneur
de Sichem, 227. - L'explication des atrocités de Sichem, 228. - Elles furent ordonnées
par Don Juan, 230. - Il s'agissait de terroriser l'ennemI, 231. - Examen critique des
explications données par Farnèse à sa mère, 232. - L'épisode de Sichem n'est pas à
la gloire du prince de Parme, 233.

CHAPITRE XIII

ALEXANDRE FARNÈSE ET LES DERNIERS ÉVÉNEMENTS


POLITIQUES ET MILITAIRES AVANT LA MORT DE DON JUAN
(1578)
Changement dans la conduite militaire de Faenèse, 234. - Il décide d'attaquer
Diest, 234. - Force de cette place, 235. - Mesures prises pour l'attaque, 235. -
Manque de pionniers, 236. - Comment Farnèse -y remédie, 236. - Attaque et reddition
de la place, 236. - Efficaciié de l' « exemple » de Sichem, 236. - Clémenc.e
d'Alexandre, 236. - Elle n'est pas approuvée par les officiers espagnols, 237. - Attaque
et prise de Léau, 238. - Conditions favorables faites aux vaincus, 238. - Importance
de la campagne de Farnèse, 239. - Il ne se fait cependant pas illusion sur la difficulté
de la tâche, 239. - Il estime que le Roi doit négocier avec les rebelles, 239. - Mission
du baron de Selles aux Pays-Bas, 240. - Rôle que Farnèse doit J' jouer, 241. -
Opinion d'Alexandre, 242. - Échec de la mission de Selles et reprise des hostilités, 242.
- Plans du prince d'Orange, 242. - Don Juan et Farnèse assiègent Nivelles, 243. -
Arrivée de troupes de secours espagnoles, 244. - Nouvelles conquêtes, 244. - Conseil
de guerre, 244. - L'armée cantonnée à Binche, 245. - Nouvelles politiques données
par Alexandre à sa mère, 245. - Contentement du Roi pour la conduite d'Alexandre 246.
- Interven·tion diplomatique d'Elisabeth d'Angleterre, 246. - La mission de Wilkes
près de Don Juan, 246 - Échec de la mission, 248. - Situation politique et mili-
taire, 248. - Envoi d'argent par le Roi, 249. - Attaque de Chimay, 249. - Rôle de
Farnèse, 249. - Les motifs de la clémence montrée aux vaincus,250. - Arrivée
d'un nouveau secours espagnol, 250. - Conseil de guerre, 250. - Siège de Philippe-
ville, 251. - Rôle du prince de Parme, 252. - Clémence de Don Juan, 253. - Le
prince de Parme et les soldats de l'armée de Flandre, 253. - Don Juan va se fixer
à Namur, 254. - Opinion de Farnèse au sujet de la situation, 255. - Il n'est pas
d'accord avec Don Juan, 225. - Nouveau conseil de guerre, 256. - Plans suggérés
par Farnèse, 256. - Retour du baron de Billy, 257. - Ge qu'il rapporte de Madrid, 257.
- Opinion d'Alexandre sur les inteniions du Roi, 258. - Don Juan divise son armée
en deux parties, 259. - Farnèse est chargé de conquérir le duché de Limbourg, 259.
- Il n'accepte cette mission que contre son gré, 259. - Pourquoi?, 259. - Forces
dont dispose Alexandre, 2(}0. - Prise de Herve, 260. - Disposition pour l'a-ttaque de
la place de Limbourg, 260. - Prise de Limbourg, 262. - Importance de cette vic-
toire, 262. - Prise de Dalhem et massacre des habitants, 263. - Les responsabilités
du massacre, 263. - Reddition du château d'Argenteau, 263. - Plan d'Alexandre, 264.
- Il veut surprendre l'ennemi, 264. - Echec de cette tentative, 265. - Mesures
prises pour assurer la sécurité du Limbourg, 265. - Retour d'Alexandre auprès de
Don Juan, 266. - Conseil de guerre, 266. - Devant la force de l'ennemi, on décide
de se retirer sur Namur, 267. - Difficultés financières du prince de Parme, 267. -
Origine de l'intervention du duc d'Anjou, 268. - Don Juan veut s'opposer à l'invasion
des Frarqais, 269. - Échec de l'effort de duc d'Anjou, 270. - L'armée des États, 270.
Don Juaa veut l'attaquer, 271. - Alexandre Farnèse le déconseille, 271. - Son avis
n'est pas suivi, 272. - Don Juan marche sur Rijmenam, 272. - Il envoie reconnaître
la position de l'adversaire, 272. - Forces du comte de Boussu, 273. - Passage du
Démer par les Espagnols, 273. - Attaque du Rijmenam par Don Juan, 273. - Prudence
de Farnèse, 275. - Situation critique des Espagnols, 275. - Farnèse les sauve du
désastre, 275. - Victoire du comte de Boussu, 277. - Lettre d'Alexandre à sa mère, 278.

312
- Retraite de Don Juan, 278. - Prise d'Aerschot par les troupes de Boussu, 279. -
Situation de l'armée des États, 279. - Négociations pour un armistice, 280. - Inter-
vention d'Élisabeth, de l'Empereur, du Roi de France, 280. - Farnèse engage Don
Juan à se prêter à ces négociations, 281. - Entr,evue de Don Juan avec Schwarzem-
berg, 281. - Avec les délégués des États, 283. - Avec Bellièvre, 283. - Avec Cobham
et Walsingham, 284. - Opinion de Farnèse, 284. - Le Roi remet les négociations de
paix à l'Empereur, 285. - Les raisons de cette décision, 285. - Opinion du prince
de Parme, 286. - Fin des négociations, 288. - Don Juan s'attend à être rappelé, 288.
- Entretien avec Farnèse à ce sujet, 289. - Retraite de Don Juan sur Bouges, 290.
- Fortifications de Bouges, 290. - Prise de Tirlemont et de Florival pal' les États, 291.
- Anjou commence le siège de Binche, 291. - La fièvre typhoïde fait son apparition
au camp de Bouges, 291. - Ses ravages, 292.

CHAPITRE XIV

LA FIN D'UNE LONGUE ET GRANDE AMITIÉ


ALEXANDRE FARNÈSE ET LA MORT DE DON JUAN
(1578)

Don Juan atteint de la fièvre typhoïde, 293. - Ses souffrances morales, 293. -
Il est transporté sur les hauteurs de Bouges, 294. - Les médecins prévoient son
décès, 295. - Dernier conseil de guerre, 295. - D'on Juan prend ses dernières dispo-
sitions, 295. - Il désigne Farnèse comme son successeur, 295. - Dernière entrevue
de Don Juan et du prince de Parme, 296. - Agonie et mort de Don Juan, 297. -
Douleur d'Alexandre Farnèse, 298. - Sa lettre au cardinal Farnèse, 298.- A sa mère, 298.
- Funérailles solennelles de Don Juan, 299. - Épitaphe que Farnèse lui consacre à
Namur, 300. - Farnèse, gouverneur général des Pays-Bas, 301.

Additions et correcttons 303

Table des planches 305

313
..

Achevé d'imprimer
le quinze juin rrvilnettf cent trente-trois
par l' 1mprimet"ie Veuve M onnom
à Bruxelles
pour la Librairie Nationale d'A1"t et d'Histoire
à Bruxelles et Paris.

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