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L'ÉLOQUENCE
B A R R E A U.
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D' E

L'ÉLOQUENCE
- • »u -

B A R R E A U.
NoUvELLE EDIT 1oN,
REvUE, coRRIGÉE ET AUGMENTÉE.

Par P. L. C. G I N, traducteur des harangues


de Démosthènes et d'Eschines,
ancien Magistrat, membre de plusieurs Sociétés
SaVaIlte3.

• •* • •Fungar vice cotis , acutum


• • •

Reddere quae ferrum valet , exsors ipsa secandi.


- H O R A T.

P A R E S.
· CHEZ É G R O N, IM PR IM E U R,
R UE DES N O Y E R S, Nº. 24.

M.DCCC.III.
º ºº
-
AVE RTI S S E M E NT
sUR CETTE NoUvELLE ÉDITIoN.

CE Livre parut pour la première fois


en 1767, à peu près à la même époque
que les Mémoires de Cochin , et les pre
miers volumes des (Euvres de l'immortel
d'Aguesseau.
J'exerçois alors depuis vingt ans, avec
quelque succès, la profession d'avocat au
parlement de Paris. -

Lié non-seulement d'aſfaires, mais de


la plus intime familiarité avec les ora
teurs et les jurisconsultes les plus célè
bres de mon temps (1), nourri dans

(1) MM. Gueau de Reverseaux, de la Monnoie,


d'Outremont, Sellier, Mallard-Doulcet, qui fut, ainsi
que je le reconnois à la fin de ma première partie ,
comme mon second père au barreau, Gerbier et tant
d'autres.Je ne parle que des morts ; car j'ai cette con
fiance que les vivans n'auront pas perdu le souvenir de
notre ancienne amitié , quelques événemens qui nous
aient séparés.
A
( 2 )
le goût de la saine littérature et de l'his
toire par des exemples domestiques (1),
propres à exciter mon émulation, je pen
sai que l'application des règles immua
bles de la nature et des modèles que
nous fournissent les orateurs et les poëtes
tant anciens que modernes, à nos mœurs,
à nos usages, au génie de l'éloquence de
notre barreau, qui avoit pris, sous le rè
gne de Louis XV, un essor, et s'étoit
élevée à un degré de perfection auquel
elle n'avoit pas atteint dans les siècles
antérieurs, pourroit être de quelque uti
lité pour fixer parmi nous cet amour du
beau que l'enthousiasme de nouveautés
dangereuses commençoit à altérer.
Mon travail^ fut accueilli ; tous les
l
(1) Le savant Jésuite Jacques Sirmond, confesseur de
Louis XIII, et l'éternellement célèbre Nicolas Boileau
Despréaux. C'est de mon aïeul maternel , M. Sirmond,
Greffier de la grand'chambre, dont il parle quand il se
dit dans son épitre à M. de Guilleragues :
« Fils, frère, oncle, cousin, beau-frère de greffier. »
Voyez les notes sur ce vers,
( 3 )
Journaux, notamment celui des Savans,
dans le premier volume du mois de Juin
1768, l'annoncèrent comme un livre qui
manquoit à notre littérature ; il en fut
fait, dans la même année une seconde
édition à Rouen , protégée par le gou
Vernennent, «

Froissé, depuis ce temps, dans tous


les heurts de mon siècle , pour me servir
de l'expression du respectable abbé de
Vauxcelles, dans le 41 ° n° du Mercure de
France de l'an X, il ne me fut pas pos
sible de suivre les progrès de mon Livre,
ni d'en calculer les effets.
Aujourd'hui qu'un nouveau barreau
s'élève sur les ruines de l'ancien, qu'un
gouvernement paternel s'occupe des
moyens de ranimer , par de sages ins
titutions, ce feu sacré de la saine litté
rature, que d'affreux orages avoient dis
persé et comme anéanti , j'ai cru
qu'il pourroit encore être utile , non
seulement pour le maintien de cette
*

• ( 4 )
éloquence de choses si nécessaire à l'ad
ministration de la justice ; mais, dans
plusieurs parties de l'instruction pu
blique.
C'est ce qui m'engage à l'offrir de
nouveau au public, tel qu'il parut en 1767,
avec les seules additions que les change
mens survenus dans notre législation , et
une étude plus approfondie des matières
qui y sont traitées, ont paru exiger ,
et qu'on a eu soin d'indiquer.
$: - = —-5

| A v A N T - PR o P o s
Contenant l'Histoire des progrès de
l'Eloquence du Barreau, les qualités
naturelles nécessaires à l'Avocat, et
- l'objet de cet Ouvrage.

LoRsQuE les Lettres, ensevelies pen


dant plusieurs siècles sous les ruines de
l'ancienne Rome, commencèrent à péné
trer parmi nous , on lut les Anciens
avec avidité; mais au lieu de les imiter,
de prendre leur ton, on ne se permit
de parler ni de penser que d'après eux.
Cette érudition semée dans une terre
mal préparée, ne parvint que lentement
à l'enrichir. -

: Ces débris d'une belle architecture


transportés horsde leur place, ne servi
rent qu'à rendre plus sensibles les dé
fauts des ouvrages auxquels ils étoient
appliqués.
( 6 )
Le respect excessif qu'on eut pour la
philosophie d'Aristote, et les disputes
théologiques, ne contribuèrent pas peu
à prolonger cette enfance de la litté
I'atLlre,

On se persuada que les réflexions de :


· ce philosophe et ses découvertes suffi
soient pour tous les siècles.
Le clergé et les moines, alors presque
les seuls qui fussent capablcs de profiter
des auteurs grecs et latins , apportèrent
dans la philosophie et dans les lettres
une sorte de tradition semblable à celle
qu'ils respectoient dans les matières théo
logiques ; et parce qu'il n'y a rien dé
vrai dans la religion que ce que Dieu a
, révélé, dont il a confié le dépôt à son
église, on ne connut de vrai ni de beau
en aucun genre, que ce que les anciens
avoient pensé et dit.
Les ouvrages de philosophie et de lit
térature ne furent donc que de froides
compilations ; travail recherché avec
( 7 )
d'autant plus d'ardeur , qu'en flattant
l'amour-propre par un étalage d'érudi
tion, il exigeoit moins d'efforts.
Descartes, le premier donnant l'essor
à son génie, se permit de penser d'après
lui-même. Il fit ce que les anciens avoient
fait ; , il apprit à secouer, dans les ma
tières qui sont du ressort de la raison, le
joug de toute autre autorité que celle des
premiers principes, et des conséquences
qui en résultent. - "

Cette lumière se répandit dans toute


la littérature; on étoit assez et peut-être
trop savant; on parvint à user de ses ri
chesses, à les dispenser avec goût , au
lieu de les prodiguer sans choix et sans
IllCSllI'C.

Le siècle de François I avoit vu naître


les arts; le siècle de Louis XIV les porta
à leur perfection.
Si Patru fut de la création de cette
Académie érigée par Colbert, pour don
ner à notre idiôme toute la perfection
( 8 )
dont iI est susceptible , s'il s'assit dans
cette illustre société de savans destinés à
guider l'opinion publique, près des Boi
leau, des Racine, des Corneille, des
Bossuet, des Fénelon, quelle différence
entre les plaidoyers de cet Avocat, et
les chefs-d'œuvres de ces poëtes et de ces
orateurs ! -

Il est remarquable que des deux gen


· res d'éloquence qui règnent principale
ment parmi nous, celle du barreau qui
avoit commencé la première à sortir
de la barbarie, est restée plus long
temps dans la médiocrité, tandis que
celle de la chaire, qui étoit au com
mencement du dix - septième siècle si
basse (suivant l'expression d'un auteur
de ce temps (1),) qu'on n'en pouvoit
rien dire, a été portée sous le règne de
Louis XV au plus haut degré auquel
elle puisse atteindre.
(1) Préface snr l'Eloquence françoise de M. du Vair,
dont je parlerai dans la suite.
( 9 )
La lenteur de ces progrès ne provient
pas, comme plusieurs le prétendent, de
la nature du gouvernement monarchi
que, qui ne présente à l'orateur ni des
objets aussi importans , ni les mêmes
récompenses que le gouvernement répu
blicain. | | --
" Il est vrai qu'il ne traite point aujour
d'hui les intérêts de la nation devant un
peuple roi; qu'il ne s'agit plus d'engager
les Athéniens à déclarer la guerre à Phi
lippe, de s'élever contre les débauches
tyranniques d'Antoine, ou contre les fu
reurs de Catilina. -

Mais la fortune, l'état, et quelquefois


la vie des citoyens les plus dis.ingués,
| sont un champ assez vaste pour l'élo
quence. - ·
· Les occasions en renaissent tous les
jours. - -

Les siècles passés en fournissent de


nombreux exemples, et les siècles à
A.
( 1o )
venir ont un trésor inépuisable dans les
passions des hommes."
Enfin si les grands sujets développent
les talens, s'ils perfectionnent et enno
blissent l'éloquence, elle n'est pas moins
admirable lorsqu'elle adoucit son ton
pour entrer dans les moindres détails,
que lorsqu'elle s'élève à la majesté du
sublime, ou qu'elle remue les ressorts
de notre ame par le pathétique ; sem
blable à la peinture, qui excite autant
notre admiration dans les sujets naïfs de
Tenniers et de Greuse, que dans les
magnifiques tableaux de le Brun et de
le Sueur. - -

Rome et Athènes élevoient leurs ora


teurs aux premières dignités de la répu
blique. -

· La France même les appeloit dans le


seizième siècle et dans les temps anté
rieurs, aux premières places de la ma
gistrature.
Louis XIV, le père du génie, avoit
( 11 )
donné à M. le Maître une place de con
seiller d'état. -

Cependant l'éloquence du barreau n'a


commencé à atteindre à la perfection,
que depuis qu'elle ne s'est soutenue que
par le seul desir de mériter la confiance
publique (1).
Cherchons donc d'autres causes de ce
retardement, que le défaut de sujets, ou
d'objets d'ambition. -

Une première se présente naturelle


ment. Il n'appartient qu'à des génies du
premier ordre de s'élever au-dessus des
préjugés , et devenir les législateurs du
bon goût.
| Le même siècle qui produit ces hom
mes rares dans un genre, en est quel
quefois avare dans un autre.
Le siècle de Louis XIV avoit vu naître
dans la chaire les Bossuet, les Fléchier,

(1) Tout ce morceau est relatif à l'époque de la


première édition de ce Livre. . A
º

( 12 ) -

les Bourdaloue , les Massillon ; il étoit


| réservé au 18e de produire leurs émules
dans l'éloquence du barreau.
Une seconde cause est l'asservissement
de la plupart des anciens jurisconsultes
à une sorte de tradition semblable à

celle qui étoit alors reçue dans la philo


sophie. -

Accoutumés à lire journellement les


commentateurs, dans un temps ou ceux
d'Aristote étoient presque oubliés, il
n'est pas surprenant que nous ayons con
servé plus long-temps le pédantisme de
leur érudition. A -

Enfin la sécheresse de nos coutumes


et de notre pratique judiciaire est peu
propre à l'éloquence, si l'orateur s'éle
vant jusqu'à l'origine de ces lois et à leur
objet, ne parvient à dépouiller la lettre
de son aridité naturelle, et à se frayer
dans ce chemin épineux une route qui
lui soit propre. -

Cependant lorsque toute la littérature


( 13 )
prenoit, en se dégageant des préjugés de
l'école, un nouvel être, il n'étoit pas
possible que l'éloquence du barreau ne
se ressentît de cette révolution.
Un mémoire célèbre en forme de ma
nifeste, qui parut en 1663 sur les droits
de la reine à la couronne d'Espagne ,
prouve qu'il y avoit alors dans le bar
reau des orateurs capables de traiter les
matières d'état avec la dignité conve
nable au sujet (1).
Depuis cette époque, l'éloquence s'est
perfectionnée de jour en jour dans le
barreau. '. - - -

On y conserve encore la mémoire


des Nivelle, des Dumont, et de plusieurs
alltreS. ·
Les plaidoyers de M. Erard, quoique
trop ornés, et plus corrects que vifs et
nerveux, prouvent les efforts que ce
- _ - - -
}
4.

(1) Traité des droits de la reine à la couronne d'Es


pagne, par M. de Fourcroy, avocat.
( 14 ) -

geure d'éloquence faisoit pour s'élever à


la perfection.
Nous pourrions dire qu'elle l'avoit
atteint ; à en juger par les plaidoyers de
M. d'Aguesseau, si le ministère que ce
magistrat remplissoit permettoit de le
compter au nombre des simples ora
teurS,

M. Cochin parut, et il mérita qu'on


recommandât aux jeunes avocats la lec
· ture de ses ouvrages, comme Quintilien
recommandoit celle de Démosthène et
de Cicéron.
Le 18e siècle lui est redevable de l'avoir
emporté en ce genre sur le siècle de
Louis XIV.
Il existe donc aujourd'hui des modè
les ; mais nous manquons encore de li $
vres qui contiennent, en notre langue ,
les règles du goût, et nous apprennent
ce qui forme le caractère propre de l'élo
quence du barreau.
Quintilien et Cicéron peuvent suppléer
( 15 )
en partie à ce défaut, quoique dans un
degré fort inégal.
Quintilien n'est qu'uu rhéteur , qui a
recueilli les réflexions de ceux qui l'a-
voient précédé, et y a ajouté les siennes,
souvent présentées avec profusion, quel
quefois obscurément, toujours accom
pagnées de cette sécheresse que les dé
tails de l'école portent avec eux.
Son style tient du siècle où il vivoit,
déjà éloigné de la perfection du siècle
d'Auguste.
Cicéron joint l'exemple au précepte ;
et quel exemple que celui d'un ora
1Ellr qui dispute à Démosthène le pre

mier rang !
Mais les règles de l'éloquence latine
ne suffisent pas pour former l'orateur
français. L'éloquence est l'art de per
suader les hommes; elle doit donc s'ac
commoder à leurs mœurs et à leurs usa
ges. La différence des langues produit
une différence sensible dans le choix
( 16 )
et dans l'observation des préceptes.
Parmi les auteurs français qui ont
traité de notre éloquence, le plus an
cien est Guillaume du Vair, évêque de
Lisieux, conseiller au Parlement, en
suite maître des requêtes, premier pré
sident au parlement de Provence, enfin
élevé par Louis XIII à la dignité de
garde des sceaux.
Cet auteur, qui avoit surmonté les
obstacles que la nature et la fortune
mettoient à son élévation, souffroit im
patiemment la lenteur des progrès de
l'éloquence parmi nous; ce fut ce qui le
détermina, comme il le dit dans sa Pré
face sur l'éloquence française, à donner
au public la traduction de plusieurs ha
rangues de Cicéron et de Démosthène,
pour former le goût par les meilleurs
modèles.
Il examine dans cette Préface les cau
ses de la distance immense qui se trou
voit entre les orateurs de son temps et
( 17 ) -

ceux de l'antiquité; il y insère un éloge


de l'éloquence trop long ; son style ,
quoique trop orné, surchargé d'érudi
tion ( défaut ordinaire des auteurs de ce
· temps) a une énergie que notre langue
a perdue en se polissant ; enfin cette
préface contient plusieurs règles impor
tantes ; mais la nature même de l'ou
· vrage ne lui permettoit pas de donner
à ces règles l'étendue dont elles sont
susceptibles.
M. Rollin, contemporain de messieurs
Cochin, le Normant, Aubry , a cru que
le genre de leur éloquence méritoit un
chapitre particulier, qu'il a inséré dans
le second volume de son Traité des
Etudes ; mais ce chapitre ne nous ap
partient que par le titre. L'illustre pro
fesseur y reconnoît que manquant des
ouvrages de nos orateurs, et plus fami
lier avec Démosthène, Cicéron et Quin
tilien, il est obligé de se décharger sur
ces anciens du soin de nous instruire.
( 18 )
L'auteur de la préface qui est à la tête
des Œuvres de M. Cochin a pouvé que
ce grand homme réunissoit toutes les
parties de l'orateur , il nous a donné un
abrégé des règles ; mais cet abrégé, con
çu en forme d'éloge, se borne à des idées
vagues.
M. Crevier, disciple de M. Rollin,
est tombé dans un défaut contraire dans
la Rhéthorique française qu'il a donnée
au public peu de temps avant sa mort.
Ce qu'il dit de l'éloquence du barreau,
qu'il paroît avoir eu particulièrement en
vue, se trouve confondu et comme noyé
dans les règles communes aux autres
genres. Cet ouvrage a un vice plus essen
tiel ; le détail minutieux des préceptes
des anciens rhéteurs, et la sécheresse de
la scholastique.
On peut demander si les préceptes
sont nécessaires pour former l'orateur ,
ou, ce qui revient au même, si l'éloquence
n'est pas un présent de la nature seule ?
. ( 19 )
Cette question me conduit à l'examen
des qualités naturelles nécessaires à l'ora
teur du barreau, annoncé comme de
vant former la deuxième partie de cette
introduction. -

Je n'ai pas besoin de dire que l'hon


nêteté des mœurs est la base du carac
tère qui lui est propre.
Vir bonus, discendi peritus, « Un
homme de bien, savant dans l'art de ma
nier la parole ; » car il ne s'agit point
de cette probité qu'on ne peut refuser
à personne sans lui faire injure, qui se
borne à ne pas commettre de çrimes,
l'exemption du blâme , plutôt que la
louange de la vertu ; mais de cette dé
licatesse de sentimens qui fait aux autres
tout le bien qui est en son pouvoir, qui
regarde la cause d'autrui comme la sienne
propre, qui oublie la gloire même de
l'orateur, lorsqu'elle s'oppose aux inté
rêts du client.

La réputation de cette probité exacte


( 2o )
est le premier attrait par lequel l'ora
teur doit amener les Juges à la per
suasion.
Si les hommes sont assez malheureux
pour se permettre de tromper, ils ne
veulent pas qu'on les trompe ; ils sont
en garde contre les talens mêmes de
celui dont ils suspectent l'exactitude.
Le zèle et les talens ne suffisent pas
à l'orateur, il faut , dit Quintilien, que
sa réputation soit telle qu'elle lui ac
quierre la confiance que mérite un té
moin irréprochable. - •

Aimez donc la vertu, nourissez-en votre âme.


En vain l'esprit est plein d'une noble vigueur :
Le vers se sent toujours des bassesses du cœur.
B O I L E A U.

Mais n'insistons pas davantage sur une


qualité qui est comme héréditaire dans
notre barreau. -

Je passe à l'examen de la question


proposee.
Cicéron exigeoit tant de qualités natu
( 21 )
relles dans l'orateur, qu'il paroîtroit être
être l'ouvrage de la nature seule.
Il faut, dit - il , que l'orateur ait la
sagacité et la force de raisonnement des
Philosophes, un enthousiasme appro
chant de celui des poëtes, la mémoire
des jurisconsultes, l'action et le geste
des meilleurs acteurs (1).
La réunion de tous ces talens est si
rare, que de tant d'orateurs que la Grèce
et Rome ont produits, les ouvrages de
Démosthène, d'Eschine son rival, d'Iso
crate, de Cicéron et de Pline le jeune,
sont les seuls qui aient échappé atlX 1'a-
vages des barbares, et aux temps d'igno
rance qui les ont suivis.
Ainsi loin d'admettre l'opinion de
ceux qui pensent que l'étude suffit à
l'orateur; nous dirons plutôt que l'étude
seule ne peut conduire à la perfectio
dans aucun art. - -

(1) CIc. de Oratore.


( 22 )
L'homme de génie , en quelque par
tie que ce soit, est donc l'homme de
la nature. C'est celui qu'elle a formé
pour le genre auquel elle le destine ;
qu'elle a pourvu de toutes les disposi
tions nécessaires pour y réussir.
Ne pensons pas cependant que l'étude
soit inutile à celui même qui a apporté
en naissant ces heureuses dispositions.
Toutes les productions de la nature
demandent d'être cultivées. C'est un or
pur qu'il faut tirer du sein de la terre,
et travailler. L'orateur formé par la na
ture seule aura des traits sublimes ; il
découvrira par la force du génie ce que
l'étude n'auroit pu lui apprendre ; c'est
sur son modèle que les règles ont été
faites ; mais ne profitant point des ré
flexions de ceux qui l'ont précédé, ses
défauts étoufferont ses talens , il sera
inégal, et le point où il atteindra la per
fection , touchera immédiatement au
foible et au ridicule.
( 23 )
L'art peut plus encore : il peut faire
d'un homme d'esprit un orateur mé
diocre ; égal , mais jamais élevé ; juste,
mais froid , distribuant avec exactitude,
mais aux dépens de l'intérêt ; ses rai
sonnemens seront justes , mais ils ap
procheront de la subtilité ; il aura ap
pris de l'art même à le cacher, mais on
apercevra le travail malgré lui ; en un
mot , il différera de l'orateur de la na
ture, comme la copie diffère de l'ori
ginal.
Qu'il ne se rebute pas néanmoins.
Le sentiment de nos besoins nous ap
prend, dans les arts nécessaires, à donner
des éloges à la médiocrité, que nous
rejettons avec mépris dans les arts de pur
agrément. , -

Enfin l'art peut vaincre quelques dif


ficultés naturelles, et Démosthène en est
un exemple bien sensible, lui dont le
peuple d'Athènes avoit siſflé et l'action
et la prononciation qu'Eschine son en
( 24 )
nemi reconnut par la suite être si par
faites, que le discours de Démosthène
pour Chtésiphon perdoit beaucoup en
passant par sa bouche (I).
Mais ces défauts que l'art peut sur
monter, ne sont pas de ceux qui tou
chent à la substance même de l'orateur ;
c'est le génie qui emploie le secours
de l'étude pour vaincre les difficultés
qu'il rencontre dans le corps qu'il
anime.
| Concluons de ces réflexions : 1°. qu'il
est impossible d'arriver à la perfection
sans le secours de la nature.
2°. Que celui qu'elle a rejeté doit
s'écarter du barreau.
3°. Que l'étude peut faire d'un homme
d'esprit un orateur médiocre.
4°. Que l'art est nécessaire à l'homme
de génie même, pour perfectionner les
dons qu'il a reçus. -

(1) CIC. de Oratore , lib. 3.


A - Les
( 25 )
, Les plus grands maîtres parmi les an
ciens se sont crus obligés de publier les
réflexions qu'ils avoient faites sur la
marche de la nature, et les moyens par
lesquels ils étoient parvenus à l'immor
talité. . " i - , . L • • -
--* -
- -

- Les poëtes mêmes n'ont pas dédaigné


de tracer les règles de leur art.
, Tous les hommes excellent dans cha
que genre » parcourent la même carrière ;
ceux qui ont passé les premiérs, en mar
quant le terme auquel ils sont parvenus,
et qu'ils ont applani, facilitent le che
min à ceux qui les suivent. . .. !
| - Les règles ont encore un autre avan
tage; c'est de fixer le bon goût dans la
nation, et d'arrêter cette pente naturelle
qui porte les hommes , à se jeter d'un
excès dans celui qui lui est opposé. ..
Si M. Cochin avoit tracé lui - même,
à l'exemple de Cicéron, les règles de
l'éloquence du barreau, combien un pa
· reil livre ne seroit-il pas utile pour
- B
( 26 )
empêcher la décadence du bon goût en
ce genre ! | d | | | | -- º - 2
Puisqu'aucun autre n'a entrepris cet
ouvrage avec l'étendue dont il est sus
ceptible, j'ose hasarder cet essai. -

Je prendrai M. Cochin pour guide.


« Ce qui est vraiment de son inven
tion (dit l'Auteur de la Préface de ses
CEuvres ) c'est de réduire quelque cause
que ce soit à un point unique de con
troverse. Le procès le plus chargé de
chefs de conclusions, le plus compliqué
d'événemens et de procédures , le plus
hérissé de difficultés ; il en a sondé la
source , redressé les circuits , tari les
superfluités, et réuni le surplus dans un
même courant, aboutissant à un seul et
unique terme. Nul autre ne s'étoit fait
cette loi avant lui. Fidèle observateur
de l'unité du sujet , tant recommandée
aux Poètes, et tant violée par le grand
nombre-; c'est toujours une proposi- .
tion unique qu'il soutient , et de - là
( 27 )
vient la clarté ravissante de ses dis
COUl1 S. >>

J'entreprends de prouver que cette


règle que l'auteur de la Préface an
nonce comme une invention de M. Co
chin, est la règle fondamentale de tout
discours qui a pour objet d'instruire les
hommes , à laquelle toutes les autres
règles de l'éloquence se rapportent et
sont subordonnées.
C'est d'après ce principe , que je
partage mes réflexions en quatre par
ties. ' - -

La première contiendra les règles gé


nérales dont celle que je viens de citer
est comme le résumé et la base fonda
mentale, les connoissances nécessaires à
l'orateur du barreau, et les divérs genres
du style. -
La seconde traitera des quatre parties
du discours, l'exorde, le fait, ou la nar
ration, la division et l'ordre des preuves,
la péroraison et les passions.
le
-- *
( 28 )
La troisième , de l'élocution et de
l'action, qui en font comme le vêtement
et la vie. • 1

La quatrième, des mémoires et con


sultations,

.
D E

L'ELOQUENCE
B A R R E A U.

PREMIÈ R E PA R T I E.
Les règles générales , les connoissances
nécessaires à l'Orateur du Barreau ,
les divers genres de style. -
-
·!

CHAP I T R E P R E M I E R. »

Idée générale d'un bon Plaidoyer.


UN bon plaidoyer est une dissertation
exacte, animée de tous les mouvemens
dont la matière est susceptible, qui con
duit à un but unique, exprimé par les
-
- ( 3o )
conclusions que l'avocat prend en com
mençant.
L'orateur a pour objet de persuader
les, juges de la justice de sa demande,
ou de l'injustice de celle qui est formée
contre lui. -*

Il est rare que les causes renferment


des chefs de demande absolument étran
gers les uns aux autres. -

Mais dans ce cas, ehaque chef de de


mande forme proprement une cause sépa
rée, à laquelle toutes les règles que nous
allons exposer doivent se rapporter.
· On peut donc considérer toutes les
causes comme ayant un objet unique.
Toutes les parties du discours de l'ora
teur doivent tendre à ce but.
C'est ce qui forme l'unité si recom
dée par Horace :
Sit quodvis simplex duntaxat et unum. HOR. Poët.
« Que le tout soit simple et un. »

Cette règle est fondée sur les bornes


de notre esprit, dont l'attention s'affoi
blit dès qu'elle se partage.
Malgré la variété infinie des ouvrages
de la nature, chacun d'eux a un ensemble
auquel toutes les parties se rapportent
comme à leur centre. -
( 31 )
L'art n'a de perfection qu'autant qu'il
approche de ce modèle.
C'est cette unité que nous admirons
dans un tableau bien ordonné , dont
toutes les parties se rapportent à l'objet
principal, dont toutes les couleurs for
ment un ensemble par leur dégradation
respective, cette unité exigée dans le
drame, non-seulement quant à l'action
qui en est la base, mais dans tous les
caractères qui doivent faire sortir le ca
ractère principal , dans toutes les scènes
qui doivent tendre au dénouement par .
le vraisemblable, sans laquelle il est im
possible de produire l'illusion. : · ·
Tout ce qui sort du sujet, quelque
parfait qu'il soit en lui-même, détourne
l'attention, est contraire à l'objet de l'ora
teur, fatigue et emnuie l'auditeur
· omne suptracaum pleno de pestore mºnt HoR.
· « Tout ce qui est superfiu s'écoule du cœur et de l'es•
» prit, comme I'onde d'un vase trop plein. »
: Non-seulement le plaidoyer doit ren
fermer une dissertation complète de la
proposition que l'orateur entreprend d'é-
tablir; mais les deux plaidoyers, s'ils ont
atteint l'un et l'autre la perfection dont
ils sont susceptibles, doivent se réunir,
( 32 )
et comme s'incorporer , pour fornier
la dissertation la plus complète sur la
matière qui y est traitée. · · ·
L'orateur qui plaidera le premier ,
exposera sa cause aux juges de la ma
nière la plus favorable à l'intérêt de sa
partie ; il choisira le principe fonda
mental , dont ses conclusions doivent
être la conséquence ; il le portera, s'il
est possible, à l'évidence, par toutes les
preuves que ses connoissances lui four
IlIl'Ont. - 2 . .. | | | | | | - ºf t
: Il en tirera des conséquences justes ,
| qui conduiront l'âuditeur, comme par
une suite de chaînons marqués et sen
sibles, jusqu'à ses conclusions.2 -

Il préviendra les objections , qu'ib


croira devoir naître d'elles-mêmes dans
l'esprit de ses juges : il attendra çelles
que le† peut prévoir, parce qu'elles
dépendent d'une connoissance plus par
faite de toutes les parties de la causé ;
mais il disposera sa réponse, et posera
les fondemens sur lesquels l'édifice de sa
réplique sera élevé. · · · · · · · ·
L'Orateur qui lui répondra, présentera
infailliblement la cause sous le point de
vue qui aura été prévu par le premier
plaidant. . | , · · · * : |
( 33 )
Je dis infailliblement , car toute autre
manière d'envisager la cause, donneroit
au premier plaidant les avantages d'une
mauvaise défense.
Il posera un principe contraire à celui
qui a été avancé , il le présentera avec
toutes les couleurs de la vérité ; il en
tirera des conséquences justes, répon
dra aux objections de son adversaire,
prévoira avec sagacité celles qu'on lui
prepare.
Le premier orateur reviendra sur la
scène : il donnera un nouveau jour à son
· principe fondamental, dissipera les nua
ges qu'on aura essayé de répandre ; et
profitant des avantages qu'il aura su se
préparer, il essaiera de montrer le vice
de la défense de son adversaire, l'atta
quera par le côté foible, et rappellera
la conviction dans l'esprit des magistrats.
Ainsi les deux plaidoyers et la répli
que se réuniront pour former cette dis
sertation complète, que nous avons dit
"-
être le caractère d'une bonne plaidoirie.
Cette idée convient à toutes les causes.
J'ai dit que cette dissertation devoit
être animée de tous les mouvemens dont
la matière est susceptible.
L'orateur, au lieu de º #, de
º
( 34 )
viendroit ridicule , si le sujet ne lui
fournissoit les sentimens qu'il prétendroit
CXCItGr,

A - t - il à défendre un accusé qu'on


essaie d'opprimer injustement; à récla
mer au nom d'une femme malheureuse,
une juste protection contre les fureurs
de son mari; à démasquer la trahison et
l'avidité d'un tuteur infidèle ; l'impos
ture d'un aventurier, qui veut s'intro
duire dans une famille illustre, ou l'in
justice d'hommes puissans , qui enlè
vent au légitime héritier son état et
ses biens ? en dévoilant tous les ressorts
de la calomnie ou de l'injustice , il sera
saisi d'une juste indignation contre l'op
· presseur, d'une compassion sincère pour
· l'opprimé : ces sentimens exprimés par
son discours et par son action, passeront
dans le cœur de ses auditeurs.
Son adversaire essaiera de les effacer
par des sentimens contraires.
Ainsi l'ame du juge combattue par des
raisons aussi †, par des mou
vemens aussi forts, se trouvera dans une
sorte d'équilibre, dont elle ne pourra
être tirée que par l'ascendant nécessaire
de la vérité. -

J'ai entendu dire à un juge aussi éclairé


( 35 ) .
qu'équitable , qu'il n'étoit jamais aussi
sûr de ses avis, que lorsque la cause
avoit été plaidée par les meilleurs ora
teurS. - . ' .

La raison s'en présente d'elle-même.


Le juge est certain que la cause lui
a été présentée dans son véritable point
de vue , et l'art combattant les ressources
de l'art, a développé toutes les parties
du sujet, et dégagé la vérité de tout ce
qui pouvoit la cacher.e

C H A P I T R E I I.

De lapréparation nécessaire à l'Orateur,


et du choix des causes.. -

LE degré de perfection dont nous


venons de tracer le modèle, ne peut
·résulter que de la connoissance parfaite
de toutes les parties de la cause, et des
principes qui doivent la décider.
Si l'orateur n'a vu qu'une portion de
son sujet , s'il n'a aperçu le tout que
superficiellement, il ne peut déterminer
son plan d'une manière sûre.
| | Une lueur favorable a percé, il imagine
( 36 )
que cette clarté se répand sur toute la
cause; ce n'est qu'un phosphore trom
peur qui l'éblouit au lieu de l'éclairer.
Ce défaut est d'autant plus dangereux,
qu'il est ordinairement sans remède.
· Un adversaire habile aperçoit le foible
de la défense ; c'est un édifice ruineux
qui écroule à la première attaque.
: Il est impossible d'en élever un autre ;
Porateur s'étant attaché à une idée qu'il
a regardée comme le point de décision,
peut difficilement en changer. -

· Le voulût-il, ce changement produi


roit une contradiction perpétuelle dans
sa défense. Le premier moyen détruit
auroit donné au juge une impression
défavorable, que la durée des audien
ces, dont une cause est susceptible, laisse
rarement la liberté d'effacer. Enfin plus
d'unité. -

Pour éviter ces inconvéniens, ce n'est


pas assez que l'orateur se soit instruit
avec la plus grande exactitude de tous
les faits de la cause , qu'il ait appro
fondi les questions de droit qu'elle pré
sente ; qu'il ait découvert les ressorts
par lesquels il parviendra à émouvoir
I'auditeur ; s'il ne s'est lui - même cons
titué le premier juge de son client ; s'il
- - ( 37 )
n'a étudié la cause contraire avec autant
de soin que la sienne propre ; s'il n'a
pénétré par la réflexion le plan de dé
fense qui doit lui être opposé, pesé les
moyens de son adversaire , déterminé
l'effet des passions qu'il pourra exciter ;
en un mot, s'il ne connoit toutes les
forces de la place qu'il doit attaquer,
s'il n'a sondé tout le terrein qui l'envi
l'OIll1e, - . r1

· La nécessité de cette préparation est


si évidente, qu'il sembleroit superflu d'en
faire un précepte. -

· C'est la réflexion de Cicéron. J'y join


drai sa réponse, où l'on trouvera des
portraits qui conviennent autant à notre
barreau qu'à celui de Rome, et l'exemple
de ce que cet orateur pratiquoit lui
Ill621113 • -

« Venons , dit-il, aux causes qui se


traitent dans l'ordre judiciaire. On trou
vera peut-être ridicule de me voir éta
blir pour première règle la nécessité de
· connoitre à fond son sujet ; comme si
cette obligation n'étoit pas évidente. C'est
ce motif qui a engage les rhéteurs à ne
point parler de cette règle, et elle est
en effet superflue dans les exercices de
l'école,.si simples qu'il suffit de la pre
( 38 )
mière vue pour saisir de pareilles cau
ses (1). Mais il n'en est pas de même
dans les causes qu'on traite au barreau,
surchargées de pièces, de dépositions de
témoins , de conventions , quelquefois
de généalogies, de lois et de décisions
de jurisconsultes que l'orateur doit avoir
approfondies (2). ! -

» Il est même souvent obligé de re


monter jusqu'aux mœurs et de s'instruire
de toute la vie de son client et de celle
de son adversaire. Le défaut de ces con
noissances a fait perdre les meilleures
causes, sur - tout celles qui ne roulent
que sur des intérêts particuliers, qui
sont souvent les plus obscurs. C'est la
faute dans laquelle tombent ceux qui
entreprenant toutes les causes, croient
donner une plus haute idée de leur mé
rite en paroissant surchargés. Vous les
voyez voler de tribunaux en tribunaux,
plaider des causes qu'ils ne savent
pas. ... Enfin il est impossible de bien
parler de ce qu'on ne connoit pas bien ;
ainsi ils sont contraires à eux - mêmes ;
r

(1) J'ai retranché ici l'exemple que Cicéron donne


des causes qui servoient d'exercice aux jeunes-gens dans
l'école. -

(2) CICER, de Oratore, lib. 2 , n. 24 et 25. . ---


( 39 )
et quels reproches ne méritent-ils pas !
Ils déshonorent leurs talens, en voulant
éviter le blâme de l'oisiveté. Quant à
moi, je veux que le client m'instruise
lui - même de sa cause , et je n'admets
aucun tiers à cette première entrevue,
afin de lui laisser toute liberté.Je prends
alors la cause contraire , pour le forcer
à plaider la sienne et se découvrir en
entier. Lui retiré, je joue trois rôles, le
mien, celui de mon adversaire, et celui
du juge ; je pèse tous les moyens avec
la plus grande impartialité : celui-ci me
procurera plus d'avantage qu'il ne peut
me nuire, je l'admets , cet autre auroit
plus d'inconvéniens que je n'en pourrois
tirer de profit, je le rejette , ainsi je ré
fléchis en un temps et je parle en un
autre, ce que la plupart veulent faire à
la fois, par une confiance téméraire dans
leur facilité. Je veux bien leur accorder
cette facilité dont ils ambitionnent la
réputation, mais ils diroient mieux s'ils se
donnoient la peine de penser avant de
parler. Lorsque j'ai ainsi préparé mes
moyens, je cherche quel est le point
de la difficulté. » (Cicéron parcourt ici
les difficultés qui peuvent se rencontrer
dans les causes. Je passe ce détail ,
( 4o )
comme inutile, d'autant qu'il convient
mieux au barreau romain qu'au nôtre ).
« C'est après cette préparation que je
dispose le plan de ma plaidoirie. Je par
cours tout mon terrein pour connoître
de quel côté je dois diriger le fort de
l'attaque, et quel est le point décisif de
la cause, je ne me borne pas même à
cette précaution, je cherche à connoître
le degré de faveur que mon client ou
son adversaire peuvent avoir , et les
moyens qui doivent faire plus d'impression
sur l'esprit et sur le cœur de mes juges. »
Nous n'avons pas de tact plus sûr que
celui qui résulte de cette préparation.
L'orateur est alors entièrement dégagé
de préjugés.
Non-seulement il n'a point de raison
de se cacher la vérité; mais si l'intérêt
de son client pouvoit diminuer dans son
esprit la force des moyens de son ad
versaire , l'intérêt essentiel qu'il a pour
la défense de sa cause de ne se point faire
illusion, suffiroit pour le tenir dans un
juste équilibre.
On peut décider par ces principes une
question intéressante pour l'honneur du
barreau : si un bon avocat a nécessaire
ment les qualités d'un bon juge.
- | ( 41 ) -

· Contester la proposition en elle-même,


ce seroit prétendre qu'un homme juste,
dont le jugement est droit, instruit à
fond des principes de la matière, ha
bitué non-seulement à juger sur les rai
sons qui lui sont présentées ; mais à dé
couvrir les raisons mêmes, qui connoît
toutes les ressources de l'art et qui les
emploie, n'est pas en état de juger aussi
sainement que d'autres hommes qui
n'ont ordinairement qu'une partie de ces
avantages. ., . .. : ,
º Mais après ce premier moment, lors
que l'orateur a dressé son plan ; à plus
§ raison , dans le cours de la plai
doirie, il doit se défier de son propre
jugement. º ° º - -

· Son attachement à la cause qu'il dé


fend n'ira pas sans doute jusqu'à l'aveu
gler ; mais la réponse se présente pres
qu'au même instant que l'objection, et
il est possible que la prévention lui fasse
donner à cette réponse un degré de force
qu'elle n'a pas. · · · . -

· Si l'orateur étoit choisi dans ce mo


ment pour arbitre, il seroit obligé de
suspendre son jugement, de laisser étein
dre le feu qui l'anime, de reprendre la
cause de nouveau , et sur-tout de se rap
( 42 )
peler le jugement qu'il auroit porté
dans le premier examen, qu'il rectifie
toit par le développement que la dis
cussion auroit produit. . ,

Telle est mon opinion sur la question


proposée. . : | » ! : r : 2

L'expérience que l'on allègue contre


les jugemens rendus par les avocats , en
supposant à ceux qui sont choisis, la jus
tesse d'esprit et les lumières que leur
état exige, ne peut donc provenir que
de deux causes : · · · ·
Ou de ce que l'arbitre n'auroit pas
employé à la préparation de sa cause le
soin nécessaire, ce qui seroit un défaut
de l'orateur même ; ou de ce qu'il au
roit jugé dans la chaleur de la discussion
judiciaire. . ,' , ,
Je conviens cependant que l'habitude
de soutenir indiſféremment le vrai et le
faux , sont capables d'altérer la trempe
des meilleurs esprits , et de leur faire
prendre pour le vrai, un sophisme re
vêtu de toutes les couleurs de la vérité ;
c'est l'inconvénient dans lequel tom
bent ceux qui se permettent de soutenir
indifféremment toutes les causes ; défaut
dont ils ne pourroient même se corriger
que, lorsque retirés de l'exercice du bar
( 43 )
reau , livrés entièrement à la eonsulta
tion, ils auroient perdu par une habitude
contrainte cetteflexibilitéfuneste que leur
jugement auroit contractée. . ,
Cette observation me conduit à parler
de l'attention que l'orateur doit avoir
dans le choix des causes. - -

: M. Rollin a traité cette matière (1) ;


mais il s'est borné à dire que la qualité
fondamentale de l'avocat étant la pro
bité, il ne doit pas soutenir des causes
injustes , et que s'il aperçoit dans le
cours de la discussion même, que la cause
, dont il s'est chargé , la croyant juste,
ne l'est pas, il doit en avertir son client ,
et abandonner sa défense, s'il persiste. .
« Si la partie se rend à ses avis, dit
il, il lui aura rendu un grand service;
si elle les méprise, dès-là elle est indi
gne que l'avocat emploie pour elle son
ministère. »
Ces deux règles exigent plus de détail.
, Il est sans doute contre la probité
d'essayer de faire triompher l'injustice,
même lorsque la rigueur du droit paroît
l'autoriser. - - ,

Qu'il y ait de pareilles causes, c'est


’ (1) Traité des Etudes, tome 2.
( 44 ) -

l'effet de l'imperfection de tous les éta


· blissemens humains ; mais il seroit à sou
haiter qu'elles ne trouvassent point de
défenseurs. -

Il n'en est pas de même des causes


qui dépendent d'un point de droit con
troversé.
· L'orateur doit alors avertir son client
du jugement qu'il a porté dans l'examen
de la cause; mais si le client persiste,
si les circonstances ne permettent pas un
arrangement désirable, il est comptable
au public de l'emploi de ses talens, et
quelle que soit la liberté de sa profes
sion , non - seulement il peut, mais il
doit faire usage de toutes les ressources
de son esprit pour répondre à la confiance
de sa partie. - · ·
-

- Que le client ne craigne pas même


que le jugement que l'orateur a porté
dans son cabinet nuise à sa défense ; ce
préjugé ne se dissipera que trop tôt ,
lorsque l'orateur aura formé un système.
L'amour-propre l'intéressera au succès
d'une entreprise qu'il regardera comme
difficile , et la connoissance du danger
l'éclairera sur la manière de l'éviter.
· Enfin l'habitude de juger avant de plai
der , lui procurera l'avantage très - réel
( 45 )
de fixer son jugement, et de le préserver
de cette flexibilité dont j'ai décrit les
suites funestes.
La seconde règle de M. Rollin est
certaine; mais la pratique en est pres
qu'impossible dans la plaidoirie, si l'évi
dence de l'injustice n'est portée à un tel
point, qu'elle suffise à la seule proposi
tion pour la justification de l'orateur.
Pour peu qu'il y ait de doute, il es
suieroit le juste reproche de s'être cons
titué le seul juge de la cause , et par un
trop grand attachement à son opinion,
d'avoir trahi les intérêts qui lui étoient
confiés.
L'avocat est plus libre dans les af
faires qui s'instruisent par écrit, parce
que la lenteur de l'instruction donne le
temps à la partie de choisir un autre
défenseur.
Add. Ceci est relatifà ces antiques abus,
réformés momentanément, sur l'avis des
magistrats les plus sages, par les ordon
nances de Louis XlV, non sans donner
naissance , dans le siècle suivant, à des
abus plus ruineux pour l'indigent op
primé par l'homme puissant. -

Tel est le sort de tous les établisse


mens humains,
- ·( 46 )
D'interminables plaidoiries leur ont été
substituées.
Le remède se présente de lui-même ;
de réserver l'éloquence du barreau, pour
les causes qui en sont susceptibles, d'ins
truire les causes sommaires par des mé
moires, remis avec les pièces entre les
mains d'un magistrat intègre chargé d'en
faire le rapport à ses collègues, sans frais,
sans embarras, en donnant aux parties et
à leurs défenseurs toute la latitude con
venable. L'utilité en fut confirmée par
l'expérience, en ces temps si calomniés !
Puisse le souvenir du chaos dans lequel
de prétendues réformes nous ont entraî
nées être effacé de la mémoire des
hommes ! - - -

- -
/
=

C H A P I T R E I I I.

De l'ordre, de la clarté et de la préci


sion, suites de cette préparation.
CE L U 1 qui s'est rendu maître de son
sujet ne manquera ni de facilité pour
s'exprimer, ni de l'ordre qui est le prin
cipe de la clarté. -
( 47 )
. . . . , . , . .. Cui lecta potenter erit res,
· Nec facundia deseret hunc , nec lucidus ordo. HoR. (1)
| | ll suffit de faire une légère attention
sur la nature et les progrès de nos con
noissances, pour se convaincre de la vé
rité de ce principe. -

, Soit qu'on prétende qu'il existe en


nous des idées imprimées par Dieu
même dans la formation de notre être ;
soit qu'adoptant le système des philo
sophes modernes, qui ont renouvelé un
sentiment admis par toute l'antiquité
avant Descartes , on n'admette d'autres
idées que celles que les objets ont tracé
en nous par l'organe des sens, la pre
mière perception est toujours vraie.
· Dans le système de Descartes, cette
perception est l'ouvrage de Dieu même,
elle ne peut donc pas être fausse.
• Dans le système contraire, nous ne
· tenons de Dieu que la faculté de conce
voir ; notre âme est une table rase, sur
laquelle les objets se peignent tels que
les sensations nous les ont présentés , et

(1) Le principe
traduction littéraleénoncé en
de ces vers tête de ce
d'Horace. chapitre 1
est la
• • A

2 -

Voyez celle de BoIEEAU, page 49, .' ,,


( 48 ) -

comme les premières sensations sont les


mêmes dans tous les hommes bien or
ganisés, il est impossible que l'image
qui en résulte ne soit la même dans tous,
· et par conséquent qu'ils ne s'accordent
sur les premières idées qu'elles ont im
primé dans leur esprit. C'est la preuve la
plus certaine que nous ayons de la vérité,
l'unique moyen que Dieu nous ait donné
pour la découvrir. | -- -

On reconnoit encore dans l'un et dans


l'autre système, que Phabitude d'ex
primer et de communiquer nos idées
par l'organe de la voix, les identifie tel
lement dans notre esprit avec ce signe
· extérieur, que l'idée ne s'offre jamais à
nous sans le signe qui la représente, et
que nous ne pouvons nous rappeler aucun
instant de notre vie dans lequel l'idée ait
été séparée du mot qui la désigne. -
: Ce mot , dans ceux qui savent leur
langue, est l'expression propré, puisque
c'est celui qui est devenu inséparable de
l'idée. . " . · · · - -

Verbaque praevisam rem non invita sequentur. HoR.


« Et les mots revêtiront, sans contrainte, le sujet long
» temps médité. » - • $

Toutes nos connoissances naissent de


CeS
- | ( 49 )
ces premières idées , ou des réflexions
que nous avons faites par l'usage de cette
faculté , également naturelle, de tirer
· d'un principe connu les conséquences qui
en résultent. - |
Les premières idées sont parfaitement
claires. Les premières conséquences sont
évidentes. La confusion et l'obscurité ne
proviennent donc que du défaut de jus
tesse dans le choix que nous faisons des
idées qui conduisent à notre objet,, ou
du défaut de tenue pour suivre le prin
cipe jusque dans ses conséquences les
plus éloignées. - - -

La connoissance parfaite du sujet re


médie à ces inconvéniens. Elle montre
à l'orateur le principe qui doit le con
duire à la décision ; elle lui montre la
chaîne qui lie ce principe avec ses con
clusions ; lui faisant mesurer l'étendue
de cette chaîne, elle lui apprend com
ment il doit ménager l'attention de l'au
diteur.
Tel est le développement du prin
cipe d'Horace, que Boileau a traduit par
· CCS VerS : - - -

- ' .

Ce que l'on conçoit bien s'énonce clairements.


Et les mots, pour le dire, arrivent aisément.
C
( 5o )
S'il m'étoit permis de juger entre ces
deux poëtes , je dirois qu'Horace a re
monté à la source de l'ordre et de la
clarté produite par la connoissance du
sujet, que Boileau n'en exprime que
l'effet.
Cet ordre qui répand la lumière sur
tout le discours, ne consiste pas dans la
seule distribution générale qu'on appelle
Division, dont nous traiterons dans la
seconde partie.Je parle d'un ordre plus
important, qu'on peut appeler l'ordre
intérieur du plaidoyer , qui s'étend sur
toutes les idées, sur toutes les phrases
dont le discours est composé , ensorte
qu'une seule idée détachée de sa place
naturelle, quelque vraie qu'elle soit ,
· cesse de produire son effet, et répand la
confusion.
C'est cet ordre dont la force et la
beauté consistent, suivant Horace, à dire
ce qu'il faut, dans le temps où il le faut ;
Ordinis haec virtus est et venus, aut ego fallor,
" Ut jam nunc dicat jam nunc debentia dici.
Pleraque diffetat, et præsens in tempus omittat.
« La force et la grace de l'ordre consiste, si je ne
» me trompe, à dire en ce moment ce qui doit être dit
» en ce moment, à écarter la foule des idées, et les ré
» server pour un autre temps, » -

• ",
( 5I )
Que ceux qui n'ont pas encore acquis
l'habitude d'écrire et de parler, ne crai
gnent pas que des réflexions nécessaires
leur échapent. -

Ce seroit un moindre mal que la con


fusion qui distrait l'auditeur, et empêche
| tout l'effet de l'éloquence.
Mais j'ose les assurer, avec tous ceux
qui ont quelque expérience, que loin
que cet assujétissement à la chaîne des
idées, leur en fasse perdre aucune, celles
qu'ils auront réservées se représenteront
comme d'elles - mêmes, avec toutes les
idées accessoires , au moment où elles se
ront amenées par celles dont elles sont
la conséquence.
Cette route est nécessairement la plus
courte, puisqu'elle mène au but en ligne
droite.
L'ordre et la clarté qui naissent de la
connoissance parfaite du sujet, produi
sent donc la précision. -

Cette règle semble admettre une ex


ception.
Quoique chaque cause ne renferme
qu'une seule proposition fondamentale,
les faits et les moyens présentent sou
vent différentes faces , qui, considérées
( 52 )
séparément, conduisent à l'établissement
de cette proposition.
L'orateur ne doit pas perdre cet avan
tage. Il est donc obligé de revenir de l'une
de ces faces du même objet à l'autre, en
rappelant le plan qu'il a tracé.
Loin que ces répétitions apparentes
nuisent à la précision, elles contribuent
à procurer à l'auditeur les repos néces
saires pour soulager son attention ; elles
sont d'autant plus courtes , que les idées
qui les exigent se trouvent placées plus
exactement dans la chaîne générale; enfin
il n'y a que le superflu qui ennuie.
Ce n'est pas un des moindres avantages
de cette disposition intérieure du dis
cours, de diminuer le travail des tran
sitions, qui ont été regardées comme une
des parties les plus difficiles de l'art.
« La liaison des preuves entre elles ,
dit M. Rollin, (1) n'est pas une chose in
différente; elle contribue beaucoup à la
clarté et à l'ornement du discours. Elle
dépend de la justesse et de la délicatesse
des transitions, qui sont comme un nœud
dont on se sert pour unir des parties et
des propositions qui souvent paroissent

(1) Traité des Etudes, tome 3 des Prevues,


( 53 ) - .

n'avoir aucun rapport ; qui Sont connnn6


indépendantes et comme étrangères à
l'égard les unes des autres, et qui, sans
ce lien commun , s'entre - heurteroient
mutuellement, et ne pourroient cadrer
ensemble. L'art de l'orateur consiste
donc alors à savoir, par de certains tours
et de certaines pensées ménagées adroi
tement , mettre entre ces différentes
preuves une union si naturelle , qu'elles
semblent faites les unes pour les autres,
et que toutes ensemble forment non des
nmembles et des morceaux détachés ,
mais un corps et un tout commun. »
Me permettra-t-on quelques réflexions
après un si habile maître ?
· Je ne conçois pas pourquoi M. Rollin
a borné cette règle à la seule disposition
des preuves. .
Ce n'étoit pas la pensée de Quintilien,
dont ce morceau est une traduction.
Il remonte au plan général que l'ora
teur a dû former dans la préparation de
sa cause : l'exorde, les faits , les moyens,
les pensées, les ornemens, les passions,
sont des parties du tout qui doivent
concourir au même but. -

« C'est alors , dit Quintilien , que


l'orateur choisira les idées qu'il doit
( 54 )
présenter les premières , comme étant
les plus propres à faire connoître son
sujet , et à rendre le juge favorable à
sa cause ; qu'il donnera à son fait la dis
position que la clarté et la vraisemblance
exigent , et préparera l'entrée à ses
moyens ; qu'il partagera sa cause pour
soulager l'attention de l'auditeur dans le
nombre de parties que la nature du sujet
lui fournira, qui tendront toutes à la
proposition qu'il veut établir; qu'il assi
gnera dans chaque partie la place aux
raisonnemens qui doivent § à la
preuve de cette proposition ; qu'il mar
quera l'usage des faits et des principes
qu'il aura posés ; qu'il distribuera les
mouvemens qui naissent du sujet , en -

sorte qu'ils animent son discours, et que


leur chaleur croisse jusqu'au moment où,
résumant tous ses moyens dans la péro
raison, il réunira ses forces pour achever -
la conviction (I). »
Celui qui aura établi cet ordre, ne
sera point embarrassé des transitions ;
elles naîtront du plan même; les idées
se lieront comme par une sorte d'attrait
naturel ; et tout l'art de l'orateur se bor

(1) Quintilien, liv. 7 , cap. 1.


( 55 )
nera à varier ses tours pour éviter une
uniformité fatiguante.
Add. C'est ce beau désordre, pour me
servir de l'expression de Boileau, qui
caractérise la poésie lyrique.
· Je dis désordre, parce que rien ne
semble lié par les mots, quoique tout
le soit du nœud le plus solide, comme
dans la nature entière. Aucun ciment ne
réunit les diverses parties de ce vaste édi
fice; elles se soutiennent par leur propre
poids, et s'arrangent par la justesse de la
coupe, suivant leurs pesanteurs respectives.
· Le prince des lyriques, comme le
nomme Cicéron , PIndare nous en four
nit de nombreux exemples ; je choisis
une Ode moins connue, parce qu'elle
n'avoit été jusqu'ici traduite en notre
lanque par personne (1). C'est la VIII°
des Isthmiques.
Le poëte entreprend de célébrer la
gloire que s'est acquise aux jeux isthmi
ques et néméens le jeune Cléandre, issu
de l'une des plus illustres familles de la
ville d'Egine.

(1) Odes de Pindare , unique traduction complette.


A Paris, chez Artus - Bertrand, quai des Augustins ,
n°. 35 , et Moutardier, même quai, n°. 28.
( 56 )
Il remonte aux ancêtres de cet athlète.
• Jeunes hommes, hâtez-vous de péné
trer dans le vestibule de la demeure de
Télésarque ; . | º ,
De vous acquitter par vos chants har
monIeux , , : , : - i1 * ,

« •
• • •

Par vos danses légères, , · · · · ·


Du tribut de reconnoissance .
Que vous devez aux travaux du jeune
Cléandre. » . -

Les amis que Pindare a perdus à la


récente bataille de Salamine contre les
Perses occupent sa pensée; mais la gloire,
le salut de la patrie l'emportent. -

« Le deuil doit être banni de nos


âmes ; - |

| Nos fronts ne doivent plus être dé


pouillés de ces brillantes couronnes,
U)ui en faisoient l'ornement ;
Il est doux de se reposer de ses fa
tigues, -

De jouir de la félicité publique,


Quand un Dieu a repoussé !
L'énorme rocher suspendu sur nos têtes,
Comme sur celle de Tantale. ».
| Ce qui amène, dans la stance suivante,
cette réflexion morale.
( 57 )
« Jouir de la félicité présente
Est le parti le plus sûr ;
La vie de l'homme est un sentier ra
boteux,
Difficile, plein d'écueils ;
La liberté ranime l'espérance ;
Elle est un baume salutaire,
Propre à guérir tous les maux. »
La Grèce délivrée de ses ennemis lui
rappelle la commune origine de Thèbes
et d'Egine, filles d'Asopus, selon la fa
ble. De - là la description des noces de
Thétis et de Pélée , dont Cléandre se
prétend issu, et la mention des victoires
de ce Nicoclès, -

« Qui ayant terrassé ,


Par la force de son bras,
Tous les lutteurs ,
Tous les athlètes
Qui osèrent se mesurer contre lui,
Obtint la couronne de persil que les
Doriens décernent au vainqueur. . -
»
4
-

Cléandre n'a pas dégénéré


De la vertu de son oncle paternel. » '
J'ai cru qu'il n'étoit pas hors de mon
sujet de montrer, par cet exemple, com
ment les idées les plus disparates en
( 58 )
· apparence, se lient, par la pensée, quand
'le poéte ou l'Orateur sont bien remplis
de leur sujet.
J'ajoute que si la disposition étoit
défectueuse, l'art ne pourroit couvrir ce
défaut.
L'auditeur admireroit peut-être l'ar
tifice des transitions ; mais plus le juge
seroit occupé de l'orateur, moins il don
neroit d'attention à la cause ; il saisiroit
d'autant moins cet ensemble de tout le
discours, par lequel seul l'orateur peut
parvenir à la conviction. -

Prenons un exemple de l'application


de ces règles, dans le sujet le plus vaste
qui ait été traité.
Le discours de M. Bossuet sur l'His
toire universelle, l'ouvrage le plus mé
thodique qui ait peut-être été composé,
ne renferme qu'une seule division ; des
époques qui sont comme le fait, desti
nées à fixer l'attention du lecteur sur les
principaux événemens qui servent de
base aux réflexions qui les suivent ; une
division générale en deux parties : la
suite de la religion, et les causes des révo
·lutions des empires. -

C'est de cette source que partent cette


multitude de réflexions qui forment en
( 59 )
faveur de la religion la démonstration
la plus complète, et qui remontant aux
causes de toutes les révolutions que les
empires ont éprouvées, présente un corps
entier de morale et de politique : tant
est grand la force de l'ordre intérieur,
tant est puissant l'enchaînement des idées
qui répand la lumière dans toutes les
parties de cet admirable ouvrage !
Je ne dois pas terminer ce chapitre,
sans parler des contrastes, qu'un auteur
moderne compare à une sorte d'enchan
tement magique.
Le contraste est la réunion de deux
objets qui se prêtent une force mutuelle
par leur opposition. -

Boileau veut-il exprimer l'excellence


d'un style châtié et exact sur une facilité
trompeuse, pleine de beautés et de dé
fauts, emploie une comparaison qui for
me contraste, et remplit son objet avec
plus de force que le raisonnement ne
pourroit le faire :
, J'aime mieux un ruisseau qui, sur la molle arène,
Dans un champ plein de fieurs, lentement se promène,
Qu'un torrent débordé qui, d'un cours orageux,
Roule plein de gravier sur un terrein fangeux.
, B O I L E A U.
Loin que le contraste soit une excep
•à
( 6o ) -

tion à la règle de l'ordre et de l'unité,


il n'a de force qu'autant qu'il est tiré du
sujet, et amené par la chaine des idées.
, Phèdre transportée de la fureur ja-.
louse qu'excite en elle la nouvelle de
l'amour d'Hyppolyte pour Aricie, de
mande à GEnone comment cet amour a
pu se former : -

. . . . Par quel charme ont-ils trompé mes yeux ?


Comment se sont-ils vus? depuis quand à dans quels4 lieux ?
,

et pénétrée ensuite des remords qui


l'agitent, elle oppose l'innocence de cet
amour à sa passion incestueuse , et à
l'horreur qu'elle en a conçue :
Hélas ! ils se voyoient avec pleine licence ;
Le ciel de leurs soupirs approuvoit l'innocence ;
Ils suivoient sans remords leur penchant amoureux ;
Tous les jours se levoient clairs et sereins pour eux :
Et moi, triste rebut de la nature entiére,
Je me cachois au jour , je fuyois la lumière :
La mort est le seul Dieu que j'osois implorer.
J'attendois le moment où j'allois expirer ; -

JMe nourrissant de fiel, de larmes abreuvée :


Encor dans mon malheur, de trop près observée,
Je n'osois dans mes pleurs me noyer à loisir,
Je goûtois en tremblant ce funeste plaisir :
Et sous un front serein, déguisant mes alarmes, '
Il falloit bien souvent me priver de mes larmes.

Quelquefois l'orateur, après avoir par


( 61 )
couru un grand nombre de faits, rap
proche les deux extrêmes, pour en faire
sentir l'opposition. -

C'est ainsi que M. Bossuet, après avoir


conduit la reine d'Angleterre jusqu'à sa
fuite précipitée de ce royaume, remonte
au premier voyage que la reine avoit fait
sur cette mer pour prendre possession de
Sa COllrOflI1C, - -

«Voyage bien différent de celui qu'elle


avoit fait sur la même mer, lorsque ve
nant prendre possession du sceptre de la
Grande-Bretagne, elle voyoit, pour ainsi
dire, les ondes se courber sous elle, et
soumettre toutes leurs vagues à la domi
natrice des mers !
| » Maintenant chassée, poursuivie par
des ennemis implacables, qui avoient eu
l'audace de lui faire son procès ; tantôt
sauvée, tantôt presque prise, changeant
de fortune à chaque quart-d'heure,n'ayant
pour elle que Dieu et son courage iné
·branlable, elle n'avoit ni assez de vents ,
ni assez de voiles pour favoriser sa fuite
précipitée. » -

Le contraste ne s'applique pas moins


aux raisonnemens qu'aux faits, et il a la
même force toutes les fois qu'il nait du
( 62 )
sujet, et qu'il se trouve dans l'ordre des
preuves.
M. Cochin a - t - il à s'élever contre
l'obsesssion d'un prêtre qui s'étant intro
duit auprès d'une fille riche sous le titre
de son directeur , occupé uniquement
des avantages qu'il vouloit se procurer,
avoit négligé les avertissemens réitérés
qui lui avoient été donnés, jusqu'à lais
ser mourir cette fille sans sacremens ,
s'arrête pour considérer ce qui seroit
arrivé, si au lieu d'avoir mis sa confiance
dans ce ministre infidèle, elle avoit été
livrée à ses domestiques et même à ses
ennemis. -

« La demoiselle de Cholloy (1) aban


donnée à de simples domestiques, n'au
roit pas éprouvé une pareille disgrâce.
Des ennemis déclarés, oubliant dans ce
triste moment leur propre ressentiment,
auroient volé à l'église pour implorer
les secours et la consolation de ses mi
nistres. Elle est entre les mains d'un
prêtre qui fait profession de lui être
uniquement attaché; tout le monde l'a-
vertit et le sollicite : il a l'irréligion,
( ) Mémoire pour madame de Mondion , dans les
GEuvres de M. Cochin, tome 5 , p.739. - -
- ( 63 )
pour ne pas dire l'inhumanité, de la
laisser périr sans lui procurer le moindre
secours. Si l'Eglise avoit lancé sur lui
tous ses foudres (1) , (s'il avoit été sur
le champ écrasé par les carreaux du ciel,
si la terre l'eût englouti tout vivant) au
roit-il été puni d'une manière propor
tionnée à son crime : Mais ce n'est point
à nous à le juger, ni à la justice tem
porelle à tirer une vengeance suffisante
d'un pareil attentat; elle n'a à prononcer
que sur le testament fabriqué dans ces
momens si scandaleux pour la religion. »
--

C H A P I T R E I V.

Des connoissances nécessaires


à l'Avocat. ,

INDÉPENDAMMENT du temps immence


· qu'exigeroit la préparation des causes, si
l'orateur étoit obligé d'étudier sur cha
cune les principes qui doivent conduire
à la décision, avant de former le plan

(1) Voyez mes réflexions sur ces deux phrases, chap. V,


des trois genres d'Eloquence.
( 64 ) -

de son discours, cette étude seroit tou


jours imparfaite et incertaine.
Toutes les parties de la jurisprudence
sont liées par un fil commun ; en vain
connoitroit-il une branche, s'il n'avoit
vu liaison du tout , s'il n'avoit prévu les
secours que son adversaire pourra tirer
de maximes répandues sur d'autres ma
tières qui paroissent au premier coup
d'œil étrangères à l'objet de la cause.
L'avocat ne sera donc bon orateur,
qu'autant qu'il sera excellent juriseen
sulte. - -

Commençons par envisager l'étendue


de ce labyrinthe.
Add.Toutes les parties de la législation
de nos pères , dont je vais essayer de
tracer le tableau, ont été bouleversées,
culbutées, réduites en poudre.
Sur leurs ruines se prépare un code
de lous uniforme , bienfait inestimable
rendu plus facile aujourd'hui par la
destruction des écueils contre lesquels
a échoué et la sagesse des magistrats les
plus célèbres, et le vœu de tant de te
nues d'états - généraux, et la puissance
même de Louis XIV. .
Et cependant je ne crois devoir rien
changerà cette esquisse par trois raisons :
- • ( 65 ) -

· I°. Qu'elle tient aux monumens de


notre Histoire.
- 2°. Que ces lois, même abolies, ne doi
vent pas moins servir de règle pour le
jugement des procès nés sous leur empire.
--3°. Que cette espèce de généalogie
qui , à partir de la loi divine, des lois
immuables de la nature , s'étend jus
qu'aux derniers rameaux de nos lois
positives , mettra le lecteur à portée de
juger de celles qui n'existent plus qu'en
décombres, de celles qu'il est instant de
relever, de celles qu'on peut abandon
| ner impunément aux vicissitudes insé
parables des choses humaines.
Une portion du royaume étoit régie
par cette compilation qu'on nomme le
droit
On écrit,
• .
ou lelesdroit
sait que romain.ne chan
Romains
· geoient ni les usages , ni les lois des
peuples vaincus , ce sont donc les lois
romaines qui ont fait par leur sagesse la
conquête du monde connu. .
Près de la moitié de la France avoit
conservé ces lois précieuses ; elles étoient
la règle de l'autre moitié dans les points
qui n'étoient pas décidés par des lois
particulières. , |
( 66 )
Mais combien de changemens ces lois
n'avoient-elles pas éprouvés par les usages
nationaux, dans les pays où elles conser
voient l'autorité législative ? …
Le reste de la France étoit gouverné
presque uniquement par ces usages, mé
lange bizarre de la législation romaine
avec celle des différens peuples qui ont
occupé ces provinces. -

La réduction de toutes ces lois à une


loi unique , commune à toute la na
tion, étoit depuis plusieurs siècles le vœu
général des peuples, l'objet du travail
des magistrats les plus éclairés ; travail
immense , qu'on croyoit impraticable
dans l'exécution, par l'attachement des
peuples à ces usages, par les traités, et la
durée des siècles qui les avoient conso
lidés : aussi les hommes sages bornoient
ils leurs efforts à boucher les brêches ,
rapprocher les parties incohérentes , et
rectifier pièce à pièce l'ordonnance de ce
vaste édifice.
· De ce travail même, et des révolutions
que notre gouvernement avoit dès lors
éprouvées, étoit sorti un troisième ordre
de lois, les ordonnances. -

Cette immensité ne suffisoit pas ; la


jurisprudence des cours souveraines les
( 67 )
interprétoit et modifioit. Il est même
des points de droit qui n'étoient encore
décidés que par des réglemens provi
SOI1'62S.

La seule matière de la perception des


revenus de l'état formoit un code très
étendu, d'autant plus difficile, que tout
y étoit positif, et qu'à force de tout pré
voir, on étoit parvenu à multiplier la
fraude qu'on vouloit prévenir.
Enfin il existe une autorité indépen
dante, à certains égards, de la jurisdic
tion temporelle , des ministres d'une
religion que Dieu a apportée sur la
terre , sujets du prince et ses pasteurs
· dans l'ordre spirituel ; des biens des
tinés à la majesté du culte et à l'entre
tien de ses ministres, des priviléges, ou
des prétentions provenues de l'igno
rance des siècles antérieurs et de ces
sources de tous les maux comme de
tous les biens, l'amour-propre et l'am
bition.
Combien de lois ecclésiastiques et
séculières ont été employées à arrêter
les entreprises d'une puissance habituée,
pendant plusieurs siècles , à diviniser
tout, pour se l'approprier. -

La vie humaine pourroit à peine suffire


( 68 )
pour connoître les dispositions positives
de toutes ces lois ; ainsi la préparation
ne laisseroit plus de temps pour en faire
usage. -

Ce n'est pas cette connoissance par


ticulière qu'on doit exiger de l'orateur ;
mais la connoissance du lien qui uiiit les
loix entr'elles, et des matières qui sont
d'un usage plus habituel. Je vais essayer
de tracer le plan de cette étude.
Ce lien commun est le droit naturel
qui se réduit chez toutes les nations à un
seul principe. -

Faites pour les autres ce que vous


voudriez qu'ils fissent pour vous.
De ce principe, comme d'nn point
central , l'orateur considérera le droit
général et particulier de toutes les na
tIOnS, - -

Si les hommes n'eussent pas été cor


rompus, cette règle gravée dans leur
cœur leur eût § ; il n'y eût point eu
d'oppresseur, et par conséquent point
d'opprimé. -

Mais les propriétés s'étant établies par


l'usurpation des forts, les foibles ont été
obligés de se réunir pour leur résister.
De là l'institution des gouvernemens,
et tout le droit public , dont l'orateur
( 69 )
ne doit pas ignorer les principes, tant
par la liaison essentielle qu'ils ont avec
le droit privé, qu'à cause des matières
relatives à ce droit qu'il est obligé de
traItef. -

La terre n'étant plus commune à tous,


les différens peuples ont été obligés de
se maintenir dans le terrein qu'ils occu
poient; et la possession constante est de
venue le premier comme le plus sacré
· de tous les titres.
Le terrein de chaque nation s'est di
visé entre les particuliers qui la com
posoient , quelquefois en vertu de la
puissance publique qui résidoit dans la
nation, ou dans le chef qu'elle s'étoit
choisi ; quelquefois par l'usurpation des
particuliers , source vicieuse en elle
même ; mais qu'il seroit dangereux d'at
taquer , lorsqu'une possession ancienne
l'affermit. -

Les besoins et les passions ont changé


cette première division des propriétés.
Les hommes ont voulu récompenser
ceux qui leur avoient fait du bien, pu
nir ceux qui leur avoient nui ; de là les
échanges, les donations et tous les con
trats dont l'argent n'est pas essentielle
ment la base,
/ ( 7o )
On a creusé la terre ; on en a tiré ces
métaux précieux qui sont devenus par
leur rareté le signe des valeurs.
Le contrat de vente et le prêt en ar
gent ont pris naissance , les valeurs de
convention ont été substituées aux valeurs
réelles. Des hommes avides ont abusé des
besoins des autres; il a fallu des lois pour
les réprimer. -

L'amour , ce lien commun de tous


les hommes, l'amour qui éprouve notre
cœur, dès que nous commençons à nous
connoitre, le plus précieux don de la
nature, lorsqu'il est renfermé dans les
· bornes qu'elle lui a prescrites , le tyran
le plus dangereux pour celui qui s'y aban
donne aveuglément , est devenu une
source de licence et de désordres. Il a
fallu maintenir par des lois la sainteté
des mariages, et assurer la distinction des
fanmilles.
La mort du possesseur eût fait rentrer
les propriétés particulières dans la com
munauté générale : nouvelle source d'u-
surpation, si on n'eût établi des lois pour
transmettre la propriété d'une génération
à une autre.
Les hommes ont voulu s'ériger en
législateurs , et se procurer une sorte
- ( 71 ) -
d'immortalité , en disposant de leurs
biens pour le temps où ils ne pourroient
plus les posséder; les lois ont compati .
à cette foiblesse ; les testamens ont pris
· naISSanCe. .
Mais toutes ces lois auroient été im
puissantes, s'il n'y eut eu dans le corps
de la nation ou dans le chef une autorité
' toujours subsistante. . -

| Il a été nécessaire d'établir des peines


pour réprimer les crimes, et des magis
trats, organes de la loi, pour la faire
· exécuter.
Le crime arrêté de toutes parts , a
fait des efforts pour se dégager de ses
·liens. |!

La fraude a été substituée à la force,


tous les faits sont devenus incertains.
On n'a pu prévenir ces abus, que par
l'établissement d'une forme légale pour
assurer la preuve des faits. - -

- L'innocence et la justice ont été quel


uefois victimes de la rigueur de cette
† inventée pour les protéger; c'est
l'effet de l'infirmité des hommes, qui ne
peuvent arrêter les progrès du mal que
par des voies sujettes elles-mêmes à des
InconvenIens. -

,
Telle est l'origine et la suite des
, -
-
( 72 )
lois, admises chez tous les peuples, di
versifiées par leurs besoins, par leurs usa
ges, par la situation des lieux , par la
nature du climat et de l'esprit national ,
enfin par le plus ou le moins de sagacité
et de sagesse dans les législateurs.
L'orateur pénétré de ces premières
| notions, les appliquera aux lois particu
lières de son pays. - * •

Il ne doit pas ignorer celles des lois


positives qui sont d'un usage plus fré
quent. - -

C'est dans l'étude des textes qu'il les


apprendra.
Ces textes sont la loi. En la médi
tant il en saisira l'esprit, il la placera
· dans la chaîne des principes généraux ;
il prévoira toutes celles qui en doivent .
être la conséquence ; et pénétrant dans
l'étude des lois, il aura souvent la satis
faction de voir qu'il s'étoit rencontré avec
· les législateurs, avant de connoître leurs
dispositions. - · · · -

Je dis en méditant les lois ; car on


oublie avec facilité ce qu'on a appris sans
travail. -

Les abrégés ont cet inconvénient, que


c'est une analyse qu'il faudroit retenir
toute entière. .
· Celui
(73 ) - -

Celui même qui auroit une mémoire .


assez exacte, pour y réussir, ne seroit pas
beaucoup avancé; ce ne seroit pour lui
qu'un pur mécanisme , º .
· Je dois ici parler de la mémoire que
Cicéron a regardée comme la qualité !
principale du jurisconsulte : Memoriam
jurisconsultorum. · · · · ·
| Elle est essentielle à l'orateur, puisque .
les lois sont si multipliées. Mais ce n'est :
pas cette mémoire de mots, sur laquellee
les objets s'impriment avec toute la vérité .
de l'original; mais qui perd avec la même ,
facilité qu'elle reçoit : semblable à une
cire molle dont les impressions se con
fondent, pour ne former qu'un assem
blage monstrueux , , , , , ,,
je parlé de cette mémoire qui est le t

fruit du jugement et de l'analyse ma


thématique , à laquelle les mots échap
pent, mais les choses se fixent par la
liaison qu'elles ont entr'elles ; qui ne
retient que parce qu'elle s'approprie les
matières auxquelles elle s'applique, ce
qui lui donne une solidité portée dans
quelques génies au point qu'ils n'oublient
jamais ce qu'ils ont appris (I). -

(i) vie de Pascal - - | | -- · - · • ·


( 74 )
Les abrégés sont utiles à ceux à qui
la nature a fait ce présent, pour saisir
l'ensemble d'une matière étendue.
Mais ils ne retiendront les détails ,
qu'autant que par une étude plus pro
fonde, ils les appliqueront dans le plan
général qu'ils auront tracé.
C'est l'effet que doivent produire les
excellens abrégés que nous avons en ju
risprudence, tels que les Instituts d'Argou,
seuls suffisans pour former le jurisconsulte
françois, s'il étoit possible, en s'y bornant,
de les savoir parfaitement.
Les préfaces de Domat sont plus uti
les encore, en ce † rappellent per
pétuellement les lois positives à leur
source , le principe unique de la loi
naturelle. - -

Ces abrégés serviront au jeune orateur .


pour former son plan d'études, et pour
ra sembler les connoissances qu'il aura
acquises par un travail plus étendu.
: J'ai presque exclu l'étude des an
ciens commentateurs. J'en ai dit la rai
son au commencement de cet ouvrage.
Trop attachés à l'espèce de tradition qui
régnoit alors dans toutes les sciences, se
copiant les uns les autres, ils ont plus
ſ .
- ( 75 )
perpétué les erreurs , qu'ils n'ont décou
vert la vérité. . ,
J'excepte cependant Dumoulin, d'Ar
gentré, Loyseau et Cujas. -

· Les deux premiers, dans un siècle


attaché à cette fausse érudition, ont porté
l'esprit philosophique dans la jurispru
dence. . | | | | -

Dumoulin estun guide sûr dans la matiè


re, réduite aujourd'hui en décombres, des
fiefs, science si nécessaire autrefois au ju
risconsulte françois, si étendue tant par la
multiplicité et la bizarrerie de ses règles,
que par les connoissances historiques
qu'elle exigeoit. . , : --
| Aucune portion de notre droit civil ,
n'a échappé à la sagacité de Dumoulin ;
il les a traitées toutes avec la même pro
fondeur. . ',

Le même génie se trouve dans d'Ar


gentré, son antagoniste, avec l'avantage !
que lui donne la pureté de son style ,
sa précision et la fertilité de son imagi- .
nation, par lesquels il peut servir de
modèle non-seulement au jurisconsulte : .
mais à l'orateur. Il eût été supérieur
Dumoulin, s'il n'eût sacrifié souvent la
bonne cause au désir de contredire son -
rival. , | uº - º - º- .. .. : , • ,!)
Loyseau s'est borné à des traités par
ticuliers , mais ces traités, par Ieur liai
son avec le tout, répandent une lu
mière universelle. C'est le Montaigne de
la jurisprudence, aussi naïf, aussi philo
sophe, aussi savant, plus exact, et moins
sceptIque. .
Cette loi, qui a fait l'admiration de ,
l'univers, si simple que les décemvirs
l'avoient rédigée sur douze tables d'ai
- rain , avoit eu besoin de tant de com
| mentaires, que le seul digeste, première
partie du corps de droit de Justinien,
est l'extrait de dix mille volumes. .
Cet extrait, quoique composé par les .
† · les plus célèbres, par l'or
dre et par les soins d'un empereur zélé
· pour sa perfection, seroit inintelligible
dans plusieurs parties, si Cujas n'avoit .
entrepris de percer le chaos immense que
les siècles d'ignorance avoient mis entre ,
lui et les rédacteurs du corps de droit,
pbur rendre ces lois aux textes originaux
dont elles avoient été tirées. .
| Qui croiroit que le caractère distinc
tif de l'auteur de tant de volumes est
son étonnante brièveté. C'est l'éioge
que lui donne Vinnius ( ) , qui lui sera d
| (i) Epître dédicatoite de ses notes sur les Institutes.la :
| ( 77 ) ".

| confirmé par tous ceux qui étudieront ses


' ouvrages. - -

J'ai parcouru la jurisprudence civile ,


· et n'ai point encore abordé le droit cano
| nique. . · · · · · · -

" Le dogme d'une religion révélée a été


· reçu par tous les peuples (1). - -

| : Il s'agissoit de distinguer cette religion,


de celles qui en usurpoient faussement le
11O1Il • -

, Cette lumière a paru dans le christia


nisme, et la conviction du monde en a
· été le fruit. " . -

: Puisque Dieu nous a donné la raison,


il nous permet d'examiner les preuves
de la révélation, à laquelle la raison nous
oblige de nous soumettre.
Penser autrement , : ce seroit con
- fondre l'autorité légitime de la véritable
religion, avec l'autorité tyrannique des
- alltreS. : ' - , «

(1) Voyez dans le Traité;de la Religion, par un homme


*du monde, qu'on réimprime en ce moment tous le titre de
sla Religion du vrai Philosophe, la preuve mathématique
que le dogme de la révélation divine concilie, mieux la
| toute - puissance, la justice, la bonté de l'Etre suprême,
: avec l'existence trop certaine du mal physique et surtout
du mal moral , le crimes des hommes , que tous les
· systèmes des philosophes et anciens et modernes.
· ( 78 )
Cette étude est plus particulièrement
le devoir du jurisconsulte, par l'influence
de la religion dans le gouvernement des
états. - - º,

Si des preuves de la religion on passe


aux lois qui constituent la discipline
ecclésiastique, et au droit canonique, un
principe unique , contenu dans l'évan
gile, détermine les limites de deux puis
sances toutes deux divines, et indépen
dantes l'une de l'autre.
| Mon royaume , dit Jesus-Christ, n'est
pas de ce monde. · ·
· La morale évangélique est le dévelop
pement de la loi naturelle, qui assujétit
par la promesse de récompenses spiri
tuelles et éternelles, et par la menace
de peines de même nature. -

Les ministres de l'église sont établis


, pour erseigier cette doctrine ; leur de
, voir est de concourir par la persuasion à
l'exécution des lois que le prince main
tient par la force. .
Mais quand on s'approche de ces li
mites posées par Dieu même, et qu'on
y joint les faits que l'histoire de l'église
nous a transmis, quels prétextes le mé
lange des actes extérieurs avec le culte
intérieur n'ont-ils pas fournis à l'ambition,
( 79 ) -

pour déshonorer la religion par une usur


pation mondaine !
Les honneurs accordés par des prin
ces religieux aux ministres de l'église, les
biens dont la piété des fidèles et celle
des souverains les ont comblés , ont été
autant d'occasions de confondre ce qu'ils
tenoient de la puissance temporelle avec
l'autorité spirituelle dont ils ne sont
comptables qu'à Dieu seul.
Les temps d'ignorance ont donné nais
SaI0C6 allX † décrétales et aux erreurs
qui en ont été la suite.
Nos rois ont gémi d'être obligés de
réprimer ces abus; les cours souveraines
les ont arrêtés ; les plus saints évêques
ont concouru à réduire l'autorité spiri
tuelle à ses bornes légitimes ; les ancien
nes règles de la discipline ecclésiastique
ont été conservées dans ce recueil , que
la cour de Rome a appelé improprement
nos libertés. -

Les décisions des conciles, les ordon


nances du royaume et les arrêts des cours
forment aujourd'hui un code particulier,
aussi étendu que celui des lois civiles ;
mais plus difficile, par les contradictions
que le combat perpétuel des deux puis
sances y a laissées.
( 8o )
Les biens donnés à l'église étoient de
venus une classe de possessions distinctes
de toutes les autres, qui avoit ses règles
· particulières ; simples, si on remonte à
l'origine de ces revenus assignés à la sub
sistance des ministres, à la décoration
: du culte, à la nourriture des pauvres ;
mais la plus embarrassée par l'avidité
· avec laquelle ils avoient été recherchés,
par les changemens que leur destination
· naturelle avoit essuyés (1), par les réfor
mes qui ont engendré de nouveaux
abus (2) , enfin par les tempéramens
qu'on avoit employés pour concilier les
· intérêts des sujets du gouvernement tem
porel, avec l'autorité usurpée par les sou
verains pontifes (3). .
(1) La distinction des bénéfiees-cures en séculiers et
réguliers n'avoit presque jamais d'autre source que l'u-
surpation que les moines avoient faite des fonctions
-pastorales. .. . - -

(2) Toutes les commendes étoient de ce genre. Les


biens des monastères se trouvant dégradés par la né
gligence des abbés et des prieurs réguliers , qui ne Pos
sédoient aucun bien pour répondre des réparations , on
fut obligé de les confier , par une sorte de batl à vie, à
des ecclésiastiques et même à des laïcs pour le rétablir.Cette
exception à la règle qui s'est perpétuée , avoit formé une
classe de bénéfices], dont les pourvus jouissoient des hon
neurs et des revenus, sans qu'il leur fut permis d'en
-remplir les fonctions.
(3) La conciliation du droit de prévention , prétendu
\,

- ( 81 )
: Telle est l'étendue de la science du
droit, qui fournit la matière aux exer
icices journaliers de l'orateur du barreau.
: Parcourons les connoissances accesoi
res dont il a besoin. -

- On vient de voir que l'histoire est la


base de notre droit canonique et cou
tumier. . | | | | |
, L'étude de l'histoire , et surtout de
la nôtre, peut seule fixer dans l'e prit du
jurisconsulte les véritables principes de
notre gouvernement , et lui apprendre
qu'elle est cette possession ancienne,
qu'on ne peut ébranler, sans altérer les
fondemens de la tranquillité publique,
sans menacer les états d'une ruine pro
chaine; l'expérience l'a prouvé. .
| Enfin l'histoire est une sorte de phi
losophie pratique , où l'orateur décou
vrira le bien et le mal que les passions
·ont produit dans le monde.
º) ) 2 2 2 - · · · ·, ·
| ---- —
par les papes sur les collateurs naturels , avec l'intérêt de
l'état , qui ne vouloit pas que les sujets du roi dépen
'dissent d'une puissande étrangère , avoit donné lieu à
cette maxime , que le , pape étoit obligé de con
férer les bénéfices à tout sujet du roi capable qui les
*demandoit; ensorte que le pape conféroit quelquefois
pendant plusieurs mois le même bénéſice à tous ceux qui
feſrequéroient : sorte de jeu, dans lequel le p'us hardi
ou le plus perséverant l'emportoir, ... • • >
D.
( 82 )
Je dirai dans un instant que cette
connoissance n'est pas suffisante, s'il n'y
joint le commerce du monde, leçon
vivante plus utile que celles qu'on peut
prendre dans les livres. Ces deux leçons
se prêtent un secours mutuel. Le com
merce du monde apprend une multitude
de détails que l'histoire n'a pu recueillir ;
il ôte à la science son aridité naturelle,
et l'histoire empêche que nous ne nous
arrêtions au masque que les hommes ne
prennent que trop souvent pour cacher
leurs vices. r "

J'ai prononcé le nom de philosophe,


et je sens combien il est difficile d'en
conseiller l'étude dans les livres des au
teurs de notre siècle, accusés , non sans
fondement, de n'avoir pas assez respecté
cette autorité devant laquelle toute la
raison humaine doit se confondre.
Cependant Cicéron assuroit qu'il avoit
trouvé plus de préceptes d'éloquence
dans les livres des philosophes que dans
ceux des rhéteurs (1). ! " .
Renverrons - nous l'orateur à l'étude
des anciens philosophes, qui plaçoient
la vertu dans une région inaccessible
. " : |, - - |• !
—--
(1) CIc. d oratore · . ,. : q ºn'q el to
( 83 ) .
à l'humanité, ou à celle des péripatéti
ciens modernes, ces vains déclamateurs
qui ont ajouté le pédantisme de l'école
à la subtilité des dialectitiens ? -

Montaigne est le premier parmi nous


qui ait affranchi l'homme de ces en
traves. Esprit né pour la liberté philo
sophique, ses écrits dans leur désordre
ont un caractère original, une énergie
de style inimitable. Il exprime tout ce
qu'il pense ; mais il pense juste et for
tement , et fait penser les autres de
même. C'est peut-être le seul homme
qui soit parvénu à ne point ennuyer en
parlant toujours de lui ; la raison en est
qu'avouant ses foiblesses comme ses ver
tus, le tableau qu'il fait de lui-même ,
est celui de l'humanité. Heureux si trop
enthousiaste de la vertu stoïque , on ne
le voyoit pas tomber dans les excès que
nous reprochons aux anciens, s'il n'eût
porté le scepticisme jusqu'à un doute
universel ! · · · -- : - : | •

Pourquoi l'orateur ne profiteroit - il


pas en lisant les histoires que M. de
Voltaire a écrites sur le meilleur plan qui
ait été tracé ? Pourquoi n'essayeroit - il
pas d'imiter cette néttêté de style qui
met les propositions les plus abstraites
( 84 ) -

à la portée de tout le monde , d'étendre


son imagination , et d'approcher de la
fertilité avec laquelle cet auteur présen
tant une même proposition sous toutes
les faces dont elle est susceptible, la rend
toujours neuve par la variété des tour
et de l'expression. Le mérite reconnu de
ses poésies impose silence à ses ennemis
· I1 lc111t>. : - - -

(Add.)Je displan d'histoire; car ce n'est


pas l'exactitude qu'il faut chercher dans
l'auteur de l'Essai sur les mœurs et l'esprit
des nations, ni dans ses nombreux coo
pérateurs au plan formé, vers le milieu
du siècle dernier, de nous conduire ,
comme par dégrés insensibles, à ce dé
lire universel qui a enfanté tant de
crim 2s. . , , .

J'ai développé dans mon Discours sur


l'Histoire universelle , tome 2 , septième
époque
ces (1), lainfernaux.
systèmes progression successive de | •

Ce n'est donc pas le fond des choses que


je loue dans la plupart de nos auteurs
modernes; mais le plan, la conduite ,

, ( ) Discours sur l'Histoire universelle , faisant suite à


celui de BossUTE.A Paris, chezArtus-Bertrand, libraire,
, quai des Augustins, n°. 35. • * • •
( 85 ) |
la magie du style, qu'on ne peut leur
refuser; hélas! trop efficace.) ·
La nature s'anime sous le † de
M. de Buffon. On ne peut refuser à son
système hypothétique de la création ,
d'être au moins la fiction la plus ingé
nieuse et laplus utile, pour découvrir les
différentes propriétés de la matière et
l'arrangement de toutes les parties de
l'univers. - - -

| Quelle étendue de lumières , quelle


justesse et quelle profondeur dans le
Traité de M. de Montesquieu des Cau
ses de la grandeur et de la décadence
des Romains ! - | .
· On peut dire de l'Esprit des lois,
pour le jurisconsulte, ce que Quintilien
disoit de la lecture de Cicéron pour
l'orateur ; c'est avoir profité que de se
plaire dans la lecture de cet ouvrage.
Une seule préface de M. d'Alembert
réunit la généalogie de toutes les con
noissances dont l'esprit de l'homme est
susceptible. C'est l'expression dont l'au
· teur s'est servi lui-même, qui n'est pas
exagérée.
- Celui que les deux puissances ont jus
tement condamné pour les excès aux
quels il s'est livré, et le pyrrhonisme que
( 86 )
ses ouvrages respirent, entraîné par un
enthousiasme dont il n'étoit pas maître ,
saisit successivement les deux proposi
tions contraires, et ne les abandonne que
lorsqu'il les a portées à leurs dernières
conséquences. Mais quelle force de pin
ceau ! quelle vérité de coloris ! quelle
expression de sentimens! quelle justesse
dans la liaison des principes vrais ou faux
qu'il adopte avec les conséquences qu'il
en tire ! de quelle utilité n'eût-il pas été
à la religion même, s'il se fut borné à
sa preuve de l'existence de Dieu et de
la spiritualité de l'ame, à sa peinture de
la vie de Jésus-Christ et de la morale
chrétienne, enfin à ses réflexions sur la
vérité des livres évangéliques ! C'est la
justice que les ministres de l'église lui
ont rendue eux-mêmes I).
Je suppose l'orateur pénétré de la vérité
de sa religion, je ne craindrai donc pas
de lui confier ces ouvrages. -

Nous devons au moins à leurs au


teurs d'avoir contribué à déraciner ce
zèle outré qui prenant les intérêts du
ciel au-delà de ce qu'il veut lui-même,

(i) Mandement de M. de Beaumont, Archevêque de


Paris , du 2o août 176 . [ - - • ?
( 87 ) '
prétendoit soutenir par la violence une
religion que Dieu a établie au milieu
des persécutions, par la seule force de la
parole. - - -

Enfin la jurisprudence est une philoso


phie morale d'autant plus parfaite, qu'on
y trouve l'application perpétuelle de la
théorie aux vices de l'humanité, et aux
maux qu'ils ont produits.. -

Ces lectures serviront , à fortifier le


· raisonnement du jeune orateur, à éten
dre ses vues , à donner du ressort à son
imagination; il se composera de tous ces
styles, un style mâle qui lui sera propre,
semblable à ces liqueurs précieuses qui se
forment du mélange de fruits excellens
dont elles prennent la substance, sans
qu'on puisse distinguer les principes dont
elles ont été extraites. -

Toutes les parties de la philosophie


concourent à former l'orateur. .
La logique lui montre l'enchaînement
des idées, et l'accoutume à la marche du
raisonnement. . - -

, Les mathématiqnes lui apprennent


à analyser les objets , à les considérer
sous un point de vue abstrait, et à leur
· rendre ensuite les parties qui en ont été
détachées. , j , , , - _ :: * : * # : . · r · ;
( 88 )
L'orateur n'a pas les qualités nécessaires
pour parvenir à la perfection de son art,
si la nature ne lui a donné l'esprit géo
métrique. Mais il doit cultiver ce pré
sent par l'étude. Celle des mathémati
ques l'habituera à tirer des conséquences
sûres de points donnés, ou de principes
établis, et à les porter jusqu'à la propo
sition qu'il doit démontrer. Les théo
rêmes seront pour lui comme des moules
sur lesquels tous ses raisonnemens seront
modelés, pour être revêtus du coloris
que l'éloquence lui fournira. La décou
verte des problêmes lui facilitera l'in
vention ; elle lui apprendra à choisir le
point de vue par lequel il doit parvenir -
à la persuasion ; elle lui applanira les
difficultés, et l'accoutumera à résoudre
des objections embarrassantes. . > | >
Je conseille à l'orateur de cultiver
cette partie de la philosophie, non de
, s'y livrer. .. | | | | pi e f ,
Indépendamment du temps que cette
étude, toujours attrayante par la vérité
palpable de ses propositions , exigeroit,
je craindrois qu'il ne contractât une sorte
de sécheresse qui donneroit à ses raison
nemens l'air de la subtilité, et nuiroit aux
ressorts que l'éloquence doit déployer. »
- - ( 89 ) . .
- - , .
• Il parviendra , par l'étude de la mé
taphysique, à généraliser et à élever ses
idées. Je parle de cette métaphysique
qui s'occupe à montrer aux hommes les
bornes de leurs connoissances , en les
conduisant jusqu'au bord du chaos qui
les environne, non de celle qui s'em
portant par un vol ambitieux au-delà de
la sphère des connoissances humaines ,
se précipite
l'erreur. : dans les ténèbres et dans •, !

· Telles sont les connoissances relatives


· au fond des choses; occupons-nous main
tenant de celles dont le style est particu
-lièrement l'objet.
L'orateur ne doit négligèr la lecture
ºni des poëtes, ni celle des orateurs qui
ſ'önt précédé. - -

C'est l'étude des premiers qui le for


· mera dans l'art de peindre, qui étendra
son imagination, qui élevera son style à
la majesté du sublime, et l'abaissera avec
noblesse aux objets les plus simples.
· (Add.)« Que dirai-je de ce poëte(1)le seul
peut-être de tous les mortels (pour me
servir de l'expression d'un savant cé
1 : .

(1) BROTIER , de l'académie des inscriptions et belles


lettres. Préface de Phédre. -
( 9o )
1èbre) à qui il ait été donné d'être seul,
sans ruisseaux qui l'ayent alimenté, une
source de génie. »
« Sa poésie, dit Cicéron (1), est un
vaste tableau. Quels pays, quelles côtes,
quel bourg de la Grèce, quels costumes,
quelles batailles , quels mouvemens ou
d'hommes, ou d'animaux ne nous a-t-il
pas représentés avec une telle vérité,
que celui qu'on dit n'avoir pas vu ces
choses, les a mis sous nos yeux. »
Aussi est-ce à cette source que l'ora
teur romain puisoit sans cesse ; les mor
ceaux des deux poèmes d'Homère qu'il
a traduits, pour sa propre instruction, sont
parvenus jusqu'à nous. •

Quelque étrangers que soient les sujets


traités par l'illustre évêque de Meaux à
laguerre de Troie et aux travaux d'Ulysse,
on raconte que M. Bossuet ne commen
çoit jamais ces oraisons funèbres qui pas
seront à la postérité la plus reculée, qu'il
n'eût comme aimanté son génie, par la
lecture de quelques morceaux tirés du
poete grec :
On diroit que pour plaire , instruit par la nature,
Homère eût à Vénus dérobé sa ceinture ;

(1)CIC. Tusc. Quest, lib. 5. n. 39.


( 91 )
Son livre est d'agrémens un fertile trésor ;
Tout ce qu'il a touché se convertit en or ;
| Tout reçoit, dans ses mains, une nouvelle grâce ,
Toujours il divertit, et jamais il ne lasse.
Une heureuse chaleur anime ses discours ;
Il ne s'égare point en de trop longs détours ;
Sans garder, dans ses vers, un ordre méthodique ,
Son sujet : de soi-même et s'arrange , et s'explique ;
, Tout, sans faire d'apprêts, s'y prépare aisement ;
Chaque vers, chaque mot court à l'événement.
Aimeg donc ses écrirs, mais d'un amour sincère : *

C'est avoir profité que de savoir s'y plaire.


B O I L E A U. }

Il apprendra de la Tragédie par quels


ressorts on peut remuer le spectateur jus
qu'à lui faire verser des larmes, et lui
inspirer de la terreur pour un objet qu'il
sait n'avoir aucune réalité.
La Comédie lui découvrira le cœur
humain, les vices et les ridicules de son
siècle : connoissance essentielle à celui
qui est obligé de traiter les intérêts des
hommes devant d'autres hommes.
Il trouvera dans les écrivains de
Rome et d'Athènes, et dans ceux que la
France a produits, les modèles qu'il doit
IIIlItCr", . -

Son génie , quelque fécond · qu'il


soit, seroit bientôt épuisé, s'il ne s'ai
doit des pensées d'autrui. Je dis s'aider,
( 92 )
à la façon de Montaigne, non par des
plagiats , ou des compilations froides ;
mais en digérant, par l'effet de la ré
flexion, les idées que la lecture lui aura
fournies. - - -

|.

Surtout qu'en vos écrits la langue révérée !


En vos plus grands excès vous soit toujours sacrée :
En vain vous m'étalez un son mélodieux, »
Si le terme est impropre, ou le tour vicieux :
Mon esprit n'admet pas un pompeux barbarisme,
s Ni d'un vers ampoulé l'orgueilleux solécisme ;
Sans la langue, en un mot , l'auteur le plus divin
Est toujours, quoiqu'il fasse, un méchant écrivain.
B o I L E A U.

Ne portons pas un jugement si ri


goureux. - •.

· Distinguons les fautes que l'effort du


énie, ou la précipitation d'un travail
† peuvent faire commettre aux plus
· grands hommes, (Bossuet même n'en
' est pas exempt) de la négligence de ces
orateurs qui péchent contre la langue
· presque à chaque phrase, parce qu'ils ne
: la connoissent que § de la
parler, qu'ils n'ont pas même contractée
dans le commerce de ceux qui parlent
bien. · ·, , , , º ,2 , ' ^

Ubi plura nitent in carmine , non ego paucis ' ' -


( 93 ) -
Offendar maculis, quas aut incuria fudit,
Aut humana parum cavit natura.... HoRAT.
« Quand un poëme est rempli de beautés, je ne m'of
» fenserai pas de quelques taches que la négligence ,
» ou la foiblesse, inséparable de l'humaine nature, y a
» laissées. »

* Notre langue est plus favorable à l'élo


quence du barreau que le latin. # #

· Moins riche à la vérité; mais sa pau


vreté vient de sa clarté, elle n'admet au- .
cun mot impropre : c'est ce qui la prive
des synonimes si fréquens, mais souvent
si imparfaits dans le latin, parce qu'ils
s'appliquent à plusieurs idées, pourvu
qu'elles aient quelque analogie : moins
nombreuse, parce qu'elle n'admet que ,
la seule construction que l'ordre des
idées présente à l'esprit, ce qui con-,
tribue à sa clarté ; semblable en cette
partie à la langue grecque, à l'excep
tion de l'harmonie, qui est produite par .
la douceur des mots grecs et par leur
Cette langue, la plus parfaite de tou |
tes, n'est plus abondante que la nôtre,
que par la liberté presque indéfinie de ses
composés, tous pris dans elle-même et ,
p# conséquent toujours clairs ·d ·
( 94 )
La gêne que nous éprouvons en cette
partie, est le seul défaut essentiel de notre
idiôme ; mais le génie des langues est un
point qu'il est souvent impossible, et
toujours dangereux d'altérer. -

Contentons - nous donc de nos avan


tages, sans envier des biens qui ne nous
conviennent pas ; assurés que la con
trainte que nous aurons éprouvée pour
la parler correctement, diminuera par
l'habitude.
Cette habitude n'est pas le seul eſfet
de la lecture et du travail : le commerce
de la bonne compagnie y contribue sur
tout. . ,
C'est dans ce commerce que l'ora
teur dépouillera cette rudesse que donne .
la retraite du cabinet ; qu'il s'instruira
d'une multitude d'usages qu'il ne lui est
pas permis de violer. Il doit plaire par
son ton, par son maintien , par l'hon
nêteté de ses mœurs ; c'est ce qui dis-,
sipe les préjugés, c'est ce qui lui donne
accès dans l'esprit de ses auditeurs. Le
commerce du monde peut seul lui pro- .
curer cet avantage. Enfin c'est par l'u-
sage du monde, qu'il perfectionnera ce
que l'histoire et le théâtre ne peuvent .
qu'ébaucher, la connaissance des hom-
( 95 )
mes. L'une lui avoit offert des faits,
souvent éloignés du commerce ordinaire
de la société , l'autre ne lui avoit pré
senté que des copies presque toujours
forcées, quelquefois imparfaites : il con
noîtra le vrai, en comparant ces copies à
leurs originaux. - -

J'ai fait voir comment toutes les scien


ces concourent à former l'orateur. .
| Mais ce champ que je lui ouvre n'est
il pas trop vaste ? ne suffiroit - il pas
qu'il puisât au besoin dans ces connois
sances, ce qui doit servir à la cause qu'il
défend ? , -

M. du Vair s'est fait à lui-même cette


objection, dans sa préface sur l'éloquence
françoise. - -

· Ce seroit affoiblir sa réponse que de


l'analyser. Elle fera connoître le style de
CCt autellf,

« Ceux qui veulent favoriser la pa


resse, disent qu'il suffit à l'orateur d'em
prunter , à mesure qu'il en a affaire, ce
que les autres arts ont de propre au sujet
qu'il veut traiter, sans consumer tant
de temps en autres sciences, dont l'u-
sage est rare à celui qui a à parler en
public; comme s'ils ignoroient quelle
différence il y a entre ce qui nous est
( 96 )
propre et ce que nous empruntons, et
comme nous usons diversement de l'un
et de l'autre , comme l'on reconnoît in
continent ce qui est à nous et ce que
l'on nous a prêté. Davantage, n'éprou
vons - nous pas tous les jours que nous
sommes si pressés ès actions dont nous
sommes chargés, qu'à peine nous avons
le loisir de nous recueillir et choisir les,
paroles convenables au sujet ? Que se
roit-ce donc s'il falloit aller lors au con::
seil des autres sciences, pour chercher,
quelques secours à ce que nous avons.
entrepris ? Ne vous souvenez - vous pas,
comme l'antiquité a loué le jugement
d'Alexandre, lequel cassa un de ses sol-,
dats qui racoustroit l'attache de son ja
velot , lorsqu'on rangeoit la bataille ,
pour † † préparoit les armes lors
qu'il en falloit user ? Qui est , je vous
prie, le bon ménager, lequel a jamais
entrepris d'élever un grand édifice, qui
auparavant que de commencer à bâtir,
n'ait fait provision de bois , de pierre,
de chaux et autres matières convena
bles ; de peur qu'ayant déjà fort avancé ,
son ouvrage, il ne fût contraint de tout
laisser là , si quelque chose nécessaire
lui venoit à manquer ?, Joint aussi qu#.,
f>
-
( 97 )
| le bois , la pierre, la chaux coupée ,
taillée et cuite en sa saison, profitent
bien davantage, et sont d'une bien plus
ferme consistance : au contraire, quand
ils sont trop fraîchement mis en œuvre,
ils se gersent, ils se démentent, ils s'é-
caillent.Vous apercevez ce défaut, quand
ceux qui parlent en public , vous ap
portent des études mal digérées , et des
InventIons quI ne sont pas recuItes en
une longue et profonde méditation ;
tout y entre - baille, et beaucoup de
choses y bouclent et se jettent hors de
leur vrai et droit alignement , ou au
contraire, l'ouvrage de ceux qui n'ap
portent rien que de leur crû, et qui
ont, par une soigneuse étude, tourné en
suc et en sang ce qu'ils ont appris ès
autres arts et sciences, ressemble à celui
de la nature , qui croissant uniment,
et se formant avec une belle proportion,
reluit tout d'une naïve beauté. Et pour
ce, celui qui voudra acquérir quelque
gloire en l'éloquence, fera comme les
bons et opulens ménagers, qui font pro
vision longuement devant que d'user,
non-seulement des choses nécessaires ;
mais aussi de celles qui ne servent que
pour le plaisir; et ce en telle # »
, ( 98 )
qu'ils en puissent plutôt prêter qu'être
contraints d'en emprunter. Il remplira
son esprit d'une grande variété de belles
choses , qu'il y mettra en réserve ; et
fera dans les jardins de la philosophie,
ce que faisoit ce gentil nourrisson d'Hyp
sipile (1), lequel
Alloit cueillant de main tendrette,
Mainte fleurette sur fleurette,
Ne pouvant son cœur enfantin
Rassasier d'un tel butin.
/

Car il est bien aisé, puis après, d'un


tel magasin de suaves et odorantes fleurs,
tirer un miel doux et savoureux. »
Je me suis occupé jusqu'ici de tout
ce qui concerne la préparation néces
saire à l'orateur. Passons à l'application
des règles, qui est le fruit de cette pré
paration.

(1) Fille de Thoas, roi de Lemnos. Son nourrisson


ut tué par un serpent , comme elle l'avoit posé sur le
gason, pour aller montrer aux Argiens la fontaine Lan
.sia, qui forme une rivière de son nom dans le Pélo
ponnese.
( 99 )

C H A P I T R E V.
Des trois genres d'éloquence.

Le sublime est l'expression si naturelle


d'une grande vérité, qu'elle produit
dans l'auditeur une sorte d'enthousiasme
qui emporte la pleine conviction.
Je dis que le sublime est l'expression
naturelle de la vérité; car l'art peut
nous éblouir , mais la vérité seule a le
droit de forcer notre consentement ;
elle pénètre, elle s'assujétit toutes les
facultés de notre âme.
Je comprends dans cette définition
l'expression du sentiment, qui renferme
la peinture vraie de l'émotion que l'ora
teur reSSent, - -

Longin définit le sublime par ses


effets. • A

| « (1) Il ne persuade pas proprement,


dit-il, il ravit, il transporte et produit
· en nous une certaine admiration mêlée
d'étonnement et de surprise , qui est

(1) Ceci est tiré de la Traduction de Boileau. .


( 1oo )
tout autre que de plaire seulement, ou
de persuader. Nous pouvons dire à l'é-
gard de la persuasion, que pour l'ordi
naire elle n'a sur nous qu'autant de puis
sance que vous voulons. Il n'en est pas
ainsi du sublime. Il donne au discours
une certaine vigueur noble, une force
invincible qui enlève l'ame de quicon
que -nous écoute. Il ne suffit pas d'un
endroit ou deux dans un ouvrage, pour
faire remarquer la finesse de l'invention,
là beauté de l'économie et de la dispo
sition ; c'est avec peine que cette jus- .
tesse se fait remarquer par toute la suite
du discours ; mais quand le sublime
vient à éclater où il faut, il renverse tout
comme un foudre, et présente d'abord
toutes les forces de l'orateur ramassées
ensemble. »
Ces effets du sublime conviennent à
1'idée que ce mot renferme dans notre
langue : l'admiration produite par le grand
et le vrai réunis.
Appliquer ce mot , comme Longin
le fait dans la suite de son traité , à
route perfection du discours , ce n'est
pas définir un genre particulier d'élo
quence, mais les comprendre tous dans
le sublime.
( 1o1 )
Je ne donnerai donc pas, comme le
fait cet auteur, pour exemple du subli
me, ces vers tendres de Sapho : -

Heureux qui près de toi, pour toi seule soupire, etc. (1)

(1) Ces vers sont si beaux et si naturels, que je n'ai pu


m'empêcher de les transcrire ici, tels qu'ils se trouvent
dans la traduction de Boileau.

Heureux qui, près de toi, pour toi seule soupire,


Qui jouit du plaisir de t'entendre parler ;
Qui te voit quelquefois doucement lui sourire :
Les Dieux dans son bonheur peuvent-ils l'égaler ?
Je sens, de veine en veine, une subtile flamme
Courir par tout mon corps, sitôt que je te vois ;
Et dans les doux transports où s'égare mon âme,
Je ne saurois trouver de langue, ni de voix :
Un nuage confus se répand sur ma vue,
Je n'entends plus : je tombe en de douces langueurs ;
Et pâle , sans haleine, interdite, éperdue,
Un fritson me saisit; je tremble, je me meurs.
Mais quand on n'a plus rien, il faut tout hasarder.

(Add.) Traduction littérale de la même Ode en prose poétique,


où l'on s'est efforcé de faire sentir, par la disposition même,
la coupe de la stance saphique.
« Celui-là me semble égal aux immortels,
» Qui prend place devant toi ;
» Que tu invites par de douces paroles à s'approcher ;
>> Qui t'obéit ,
» A qui tu souris agréablement.
» Mon cœur tressaille ;
| ( 1o2 )
, Quelque vraie que soit I'expression
du sentiment , ces vers n'ont pas le

» A ta vue, j'hésite, je bégaie,


» Je ne puis parler ;
» Ma langue demeure collée à mon palais ;
» Un feu léger s'insinue dans mes veines ;
» Je ne vois plus ; un murmure confus bourdonne
» A mes oreilles. -

» Une sueur froide découle de tous mes membres; je


» tremble ;
» Uue pâleur plus grande que celle de l'herbe que le soleil
» a désséchée ,
» S'étend sur mes joues ; je semble toucher aux portes
» De la mort; je demeure sans respiration ,
» Et sans vie. ... »

Je n'ai pas ajonté le dernier vers de l'ode traduite par


Boileau, parce que je ne l'ai pas trouvé dans le texte grec
que j'ai sous les yeux.
» Un friston me saisit. »

Le grec porte : idtd, Juxpès xés rai « Une sueur froide


découle »; ce qui a beaucoup plus de force.
Boileau supprime cette image, x2aporipn d rolat ºuui
« Je suis plus pâle que l'herbe. » Il la remplace par ce
VerS :

« Et pâle , sans haleine , interdite, éperdue, »


au féminin , qui ne s'accorde plus avec le uervoe au
masculin, qui se trouve dans la première stance ; à moins
que ces vers ne soient adressés par Sapho à Phaon son
amart ; non de Phaon à Sapho ; ce qui ne paroît pas,
et qu'on ne me pourroit reprocher d'avoir changé, s'il
en étoit ainsi, pour rendre cette pièce sublime plus con
forme à la bienséance.
Que conclure de tout cela ? Que les gênes de notre
( I o3 ) , *

caractère de grandeur qui caractérise le


sublime. -

Il résulte sans doute un sublime réel


de l'ensemble du discours, quand il s'ap
plique à un grand sujet traité avec la
dignité convenable. -

Ce sublime est le plus parfait. Ce


n'est pas une flamme vive qui s'éteint
presque en naissant; c'est un feu durable
qui se communique dans toutes les par
ties du discours, qui tient l'auditeur at
tentif par la force de la raison et du senti
ment, et ne lui permet l'admiration que
lorsque le discours a produit son effet.
Ge sublime est le but de toutes les
règles. J'en ai dû donner une idée dans
ce chapitre ; mais la manière d'y par
venir doit résulter de tout l'ouvrage.
Je ne parlerai pas même ici du su
blime qui naît de l'action des passions
nobles, telles que la pitié et l'indignation.
Ce sera le sujet d'un chapitre particulier
sur les passions.
Je me borne donc à ce genre de

versification ne nous permettent pas de rendre avec exac


titude la poésie grecque et latine , qui n'est elle-même -
qu'une prose poétique, cadencée et mesurée à la manièr,
de notre musique. C'est ce que je crois avoir démontré
depuis long-temps.
( I G4 )
sublime qui résulte d'une grande vérité
présentée avec la noblesse dont elle est
susceptible.
Le sublime doit naître du sujet; au
trement il dégénereroit en une enfhure
ridicule.

Telles sont ces pensées :


« Tout étoit Dieu, excepté Dieu , et
le monde que Dieu avoit fait pour ma
nifester sa puissance, sembloit être de
venu un temple d'idoles. » BossUET ,
Disc. sur l'Hist. Univ.

Seul contre trois, que vouliez-vous qu'il fît ?


Qu'il mourût.
Le vieil Horace dans P. Corneille.

Dans un si grand revers que vous reste-t-il ? —Moi.


Médée, du même.

Dans les deux derniers exemples, le


vrai qui constitue le sublime est moins
dans la pensée, que dans la peinture de
la fermeté romaine et de l'orgueil de
Médée.
Je donnerai dans un instant un autre
exemple du sublime produit par cette
vérité de pinceau. \
( 1o5 )
La nature seule peut produire le su
blime; c'est le pur effet du génie.
Je n'admets donc pas ce conseil de
Longin :
« Toutes les fois, dit-il, que nous
voulons travailler à un ouvrage qui de
mande du grand et du sublime, il est
bon de faire cette réflexion : Comment
est - ce qu'Homère auroit dit cela ?
Qu'auroient fait Platon, Démosthène et
Thucydide même, s'il est question d'his
toire, pourécrire ceci en style sublime ?»
Traité du Sublime , ch. XII.
Celui qui est capable de faire cette
réflexion , soit en parlant ou en écri
vant, sera peut - être un excellent co
piste; mais le sublime est essentiellement
original. -

Longin est tombé dans un autre dé


faut , que M. de Fénelon lui reproche
dans ses Dialogues sur l'éloquence de la
chaire, d'avoir donné trop de force à
l'arrangement des mots, des périodes ,
et des figures.
Cet arrangement contribue sans doute
à la noblesse du style ; mais s'il est tel
qu'on voie le travail, il devient un obs
tacle au sublime, dont l'essence est dans
la pensée et dans le sentiment.
( 1o6 )
La pensée sublime se revêtit comme
d'elle-même des mots et des figures qui
lui sont propres.
Ce n'est pas néanmoins que le choix
des mots soit absolument indifférent. Il
est telle expression qui, par une bizar
rerie de la langue, ou par une allusion
ridicule , peut enlever à un morceau
sublime son effet, qu'un mot synonyme
lui eût conservé. J'en vais donner un
exemple.
M. Bossuet peint la consternation qui
s'étoit répandue dans la ville et à la
Cour, à la nouvelle de la mort imprévue
de Madame.
« O nuit désastreuse, nuit effroyable,
où retentit tout-à-coup, comme un éclat
du tonnerre, cette étonnante nouvelle :
Madarne se meurt , Madame est morte !
Qui de nous ne se sentit frappé à ce
coup, comme si quelque tragique acci
dent avoit désolé sa famille ? Au pre
mier bruit d'un mal si étrange, on ac
court à Saint - Cloud de toutes parts :
on trouve tout consterné , excepté le
cœur de la princesse. Partout on entend
des cris, partout on voit la douleur ,
le désespoir et l'image de la mort. Le
roi, la reine, monsieur, toute la cour,
- ( 1o7 )
tout le peuple, tout est abattu, tout est
désespéré; et il semble que je voie l'ac
complissement de cette parole du pro
phète : Le roi pleurera, le prince sera
désolé, et les mains tomberont au peu
ple de douleur et d'étonnement.
Un orateur de nos jours, digne de la
réputation qu'ils s'est acquise, a imité ce
morceau dans l'oraison funèbre du roi de
Pologne, " .

Il fait retentir Lunéville de ces lugu


bres cris : Le roi est brûlé; le roi est
dangereusement malade.
Les deux événemens étoient sembla
bles.
Là une princesse chérie de la cour et
du peuple, meurt à la fleur de son âge
par un coup inopiné.
Ici un roi qui pendant le cours d'une
longue vie avoit éprouvé toutes les con
ditions de la vie humaine, qui avoit
montré dans toutes la même sagesse et
la même fermeté, adoré par un peuple
qu'il rendoit heureux, périt d'une mortni
moins imprévue, ni moins funeste, quoi
que son âge la fit craindre tous les
· jours. - -

Ces mots, le roi est brûlé, répondent


à ceux-ci, madame se meurt, madame
( 1o8 )
est morte. Cependant, par une bizar
rerie de notre langue, les expressions
de M. Bossuet produisent leur effet , et
celles de l'oraison funèbre du roi de
Pologne altèrent le sublime, quelque art
que l'orateur ait employé.
Pour en faire sentir la différence, et
rendre en même temps à cet orateur le
tribut de louanges qu'il mérite, je vais
rapporter le morceau en entier.
« Ainsi couloient sous l'empire de la
vertu, dans un repos sans indolence ,
dans des plaisirs sans mollesse, les jours
sereins d'une vie sanctifiée par la piété,
et consacrée au bonheur des hommes.
Falloit-il que le cours d'une vie si belle
fût interrompu par un accident terrible ?
O jour ! ô moment affreux ! où nous
«entendîmes retentir autour de nous de
longs sanglots interrompus de cette triste
parole : Le roi est brûlé, le roi est dan
gereusement malade. Au premier bruit
d'un mal si étrange, qui de nous ne se
sentit pas frappé, comme si la mort eût
menacé le plus tendre des pères ? Tout
étoit en alarmes ; on ne voyoit que
l'image de la douleur ; on couroit vers
le palais, pour s'informer de l'état du
prince, on recevoit avec avidité ces
( 1o9 ) -

premières nouvelles qui éloignoient l'i-


dée du danger. Déjà la confiance rani
moit tous les cœurs ; une minute de
· plus, disoit - on, et le roi étoit brûlé.
O Dieu qui l'avez arraché à une mort
si cruelle, achevez sa guérison et con
servez - le pour notre bonheur. Hélas !
ce bon roi cherchoit lui-même à trom
per notre douleur , il nous cachoit ses
maux pour adoucir nos inquiétudes ;
presque entre les bras de la mort, et
déjà glacé sous ses froides mains, il en
tretenoit sa cour attendrie avec la même
tranquillité qu'il rassuroit nos craintes.
C'étoient les mêmes charmes. On voyoit
encore le doux sourire sur ses lèvres ;
et la tendresse sembloit lui donner de
nouvelles forces lorsque ses amis ve
noient baiser ses mains défaillantes.
Triste consolation ! puisque la mort a
éteint ce courage paisible qui ne s'ai
grissoit pas contre elle, et que le sou
venir de tant de douceur , de tant de
vertus, ne sert qu'à augmenter la gran
deur de notre perte. Tout change en
effet après quelques jours d'espérance.
L'heure fatale sonne, l'on aperçoit la fin
prochaine du prince. Les alarmes aug
mentent à chaque instant. On n'entend
- ( 1 1o )
plus que les gémissemens du désespoir,
et les mains tombent au peuple de tris
tesse et d'abattement. Populi terrae con
turbabuntur. Chaque famille craint la
mort d'un père ; chaque citoyen se rap
pelle le trait qui lui paroit le plus tou
chant dans une vie si belle ; il le ra
conte avec attendrissement et s'inter
rompt par ses soupirs. A travers les san
glots et les larmes d'un peuple immense,
le courtisan se précipite vers le palais,
pour voir son cher maitre et lire sur son
# , non ce qu'il peut espérer pour
sa fortune, mais ce qu'il doit craindre
pour sa tendresse. Tout fond en larmes,
tout retentit de ce cri funeste : Nous
perdons notre bon roi. Bientôt la cons
ternation devient générale (1), la nou

(1) L'orateur a imité ici le portrait de la douleur de


la mère d'Euryale , à la nouvelle de la mort de son fils
Interea pavidam volitans pennata per urbem
· Nuptia Fama ruit, matrisque adlabitur aures
Euryali ; ac subito miserae calor ossa reliquit ;
Excussi manibus rudii, revolutâque pensâ ;
Evolat infelix. . . . . . . . AENEID.lib. 9.

« Cependant la renommée , messagère de l'affreuse


» nouvelle, s'envole vers la ville effrayée. L'affreuse nou
» velle parvient aux oreilles de la mère d'Euryale ; la cha°
( 11 1 )
velle se répand avec rapidité dans la
province ; toutes les villes sont émues ,
tous les travaux sont suspendus, rien ne
paroît intéressant dans un si grand dan
ger ; le magistrat descend du tribunal ;
le ciseau tombe des mains de l'artiste ;
† sont abandonnées dans les
campagnes ; la mère n'entend plus les
cris de son enfant, et l'arrache de ses
bras pour courir au pied des autels. On
ne sent plus que cette émotion de pitié,
qui dans les plus grands périls nous jette
dans le sein de la providence. Tous les
citoyens se regardent tristement, et mar
chent vers le temple pour implorer la
miséricorde ; le prêtre mêle ses pleurs
à celles du peuple ; ses sanglots inter
rompent ses prières ; et accablé lui
même du poids de sa douleur, il achève
avec peine le sacrifice qu'il offre au Dieu
de force et de consolation. »
Oserois - je faire une autre critique

» leur vitale abandonne ses os, les fuseaux tombent de


» ses mains; la navette est renversée ; infortunée , elle
» s'élance d'un vol rapide. »
Ce tableau est sûr de faire impression ſur le cœur des
François, à qui il rappelle ce qu'ils ont éprouvé , lors
que les jours de Louis XV furent menacés à Metz.
( 112 )
sur un morceau de M. Cochin, que j'ai
rpporté au chapitre III, en parlant des
Contrastes,
Ce morceau est beau sans doute , ce
pendant l'orateur y est tombé dans l'en
flure , et s'il eut retranché quelques
phrases, il eut été sublime.
Pour le faire sentir, je vais supprimer
ces phrases, qui me paroissent super
flues. .
« La demoiselle de Cholloy aban
donnée à de simples domestiques, n'au
roit pas éprouvé une pareille disgrâce.
Des ennemis déclarés, oubliant dans ce
triste moment leur propre ressentiment,
auroient volé à l'église pour implorer
les secours et la consolation de ses mi
nistres. Elle est entre les mains d'un
prêtre qui fait profession de lui être
uniquement attaché; tout le monde l'a-
vertit et le sollicite : il a l'irréligion ,
pour ne pas dire l'inhumanité, de la
laisser périr sans lui procurer le moindre
secours. Si l'Eglise avoit lancé sur lui
tous ses foudres. . . . . .. . . .. au
roit-il été puni d'une manière propor
tionnée à son crime ? Mais ce n'est point
à nous à le juger, ni à la justice tem
porelle à tirer une vengeance suffisante
( 113 ) -

d'un pareil attentat; elle n'a à prononcer


que sur le testament fabriqué dans ces
momens si scandaleux pour la religion. »
Cette phrase : Si l'Eglise avoit lancé
sur lui tous ses foudres , a d'autant
plus de force, que 'official qui avoit
jugé le sieur Sardou, en le déchargeant
de l'accusation de suggestion du testa
ment que l'arrêt a déclaré nul par ce
motif, s'étoit borné à des injonctions.
Ajoutez : S'il avoit été sur le champ
écrasé par les carreaux du ciel, si la
terre l'eût englouti tout vivant, au
lieu d'augmenter la force, vous la di
minuez. -

Le second genre d'éloquence est


l'orné.
Il a un défaut essentiel ; d'occuper le
juge de l'orateur. -

Le genre orné ne convient, suivant


M. de Fénelon (1), ni à l'éloquence de
la chaire, ni à celle du barreau.
I1 seroit ridicule dans les causes lé
gères ; il est contraire à son objet dans
les grandes.
Chargé de défendre l'état ou la for

(1) Dialogues sur l'éloquence de la chaire.


( I 14 )
tune d'un citoyen , l'orateur ne doit
voir que l'intérêt de son client ; le
temps qu'il emploie à arranger des mots,
à former des antithèses , à présenter des
pensées fines et neuves, à § des por
traits, ou des comparaisons non néces
saires, il le dérobe au véritable objet de
l'éloquence.
Je ne crains pas d'ajouter que ce
- genre devroit être plus rare dans les
discours académiques même, par deux
raIsons : -

'1°. Qu'aucun de ces discours ne peut


se soutenir sans un sujet sérieux qui en
soit la base, et que ce sujet n'admet pas
les ornemens superflus.
2°. Que ces ornemens trop multi
pliés fatiguent l'auditeur ; c'est la cor
rection de dessein , et la délicatesse de
Mignard, qui n'approchent ni du sublime,
ni du naïf.
La règle que j'établirois, je la crois
commune à tous les arts, que les orne
mens ne doivent être employés qu'à dé
lasser l'attention fatiguée par une trop
grande uniformité, ou à cacher les défauts
du sujet. -

C'est le goût qui apprend l'usage des


A ( 115 )

ernemens ; ce goût, présent de la na


ture, que l'art peut perfectionner par les
exemples ; mais qu'il ne donne jamais.
On peut le définir ; le tact qui dis
tingue le superflu du nécessaire et de .
l'agréable. -

Terminons cet article par un exemple


du genre orné.Je le tire d'un plaidoyer
de M. Errard, que j'ai dit avoir excellé
dans ce genre. - -

La demoiselle Vernat, attirée par


une vocation éprouvée pour le cloître,
imploroit le secours des magistrats con
tre l'opposition de ses père et mère,
à l'émission de ses vœux.
Je ne rapporterai que l'exorde de ce
plaidoyer.
, « S'il ne s'agissoit dans cette cause
que de quelque intérêt temporel ; si
celle pour qui je parle, n'avoit à se dé
· terminèr qu'entre son inclination et celle .
de ses parens, elle se soumettroit sans
peine à leurs volontés , et leur feroit
avec joie un sacrifice de tout ce qu'elle
pourroit avoir de plus cher. Mais il s'a-
git d'un intérêt beaucoup plus impor
tant; elle a à prendre parti entre le
ciel qui l'appelle, et ses parens qui la
( 116 )
retiennent. Elle ne peut avoir de com
plaisance pour ces derniers , sans se
rendre coupable envers ce Dieu jaloux,
qui ne pardonne presque jamais le mé-.
pris que l'on fait de ses grâces, et qui
se rend inexorable à ceux qui ont été
- sourds à sa voix. Il l'a fait entendre si
fortement et tant de fois à la demoi
selle Vernat , qu'elle n'auroit point eu
d'excuse , si elle avoit manqué de la
suivre; il ne lui en a même presque pas
laissé la liberté.
» Combien de combats la tendresse
qu'elle a pour son père et pour sa mère,
ne lui a-t-elle pas fait soutenir ? Quelle
peine n'a-t-elle pas eu à vraincre l'ha
bitude où elle étoit de leur obéir , et
l'inclination qu'elle avoit à demeurer at
tachée auprès de leurs personnes ?
» Depuis l'âge de quinze ans qu'elle
· a ressenti les premières impressions de
cette sainte vocation, jusqu'à vingt-deux
ans que son père lui a permis d'entrer
dans l'abbaye de saint Pierre de Lyon,
elle a vécu dans une agitation conti
nuelle : attirée d'un côté à la ſainteté
de la vie religieuse, par cette main
toute-puissante qui remue comme il lui
plaît les ressorts de nos cœurs, et retenue
( 117 )
de l'autre par tout ce qu'elle a de plus
cher au monde , divisée intérieurement
par les deux mouvemens qui excitent
avec plus de violence les passions hu
maines ; par les sentimens de la na
ture, et par ceux de la religion ; ba
lancée par deux poids et par deux incli
nations contraires, dont l'une l'élevoit
vers le ciel , l'autre l'abaissoit vers la
terre, et comme flottante et suspendue
entre l'un et l'autre.
» Enfin la nature a cédé, comme il
étoit juste , à son auteur ; la voix du
Maître a prévalu sur la sienne. La de
moiselle Vernat a appréhendé que sa
piété pour ses parens ne devînt impie :
elle a cru qu'après leur avoir marqué ,
par une suspension de dix années, son
respect et sa soumission, il étoit temps
qu'elle commençât d'obéir à celui dont
ils ne sont que les images.
» Elle ne doute pas, messieurs, que
, vous n'approuviez sa résolution, puisque
le même Esprit qui la lui a inspirée, est
celui qui préside à vos jugemens. »
Tout le plaidoyer est de ce style.
on y voit une grande facilité d'élocu
tion , une grande pureté , même des
idées sublimes ; mais l'excessiye correc
( 1 r8 )
- tion et les ornemens répandus comme
à pleines mains , lui ôtent ce caractère
mâle, et cette force qui constituent la
véritable éloquence.
Ce sont ces ornemens surabondans
qui avoient corrompu parmi nous l'élo
quence et la littérature ancienne. J'en
ai donné un exemple (1). Il est facile
de s'en convaincre par la lecture des
écrivains du XVIe et du commencement
du XVII° siècle, et des plaidoyers de le
Maître et de Patru. C'est le même dé
faut qu'on remarque dans le gothique en
architecture.
Ainsi dans tous les arts, le goût se
forme le dernier, parce qu'il est le résul
tat des règles et de l'expérience. L'amour
propre saisit avec avidité le difficile ; il
s'y attache long-temps, avant de parve
nir au simple et au beau. .
Le genre simple convient particulière
ment à l'éloquence du barreau.
Il demande une grande pureté, l'or
dre, la clarté, la force et la justesse.
C'est le seul qui doive être employé

(1) Voyez le morceau de M. du Vair, à la fin du qua


trieme Chap.
( 1 19 )
dans le plus grand nombre des causes.
Je dirois presque dans toutes ; car si
ce style n'est pas lui-même le sublime,
il en est la base.
C'est par ce style que M. Doulcet s'étoit
acquis une réputation si méritée.
Parfait dans son genre , s'il eut été
plus exact observateur des règles de la
langue. -

Sa modestie qui l'avoit livré à un trop


grand détail , en étoit la cause.
Ignorant lui seul son mérite, il s'étoit
borné aux provisions absolument néces
saires. En quelle abondance les avoit-il
faites !
Entraîné comme malgré lui à la place
que ses talens lui assignoient, il s'étoit
destiné le dernier ordre.
Mais cette modestie extrême lui avoit
fait un présent plus précieux ; cet art si
nécessaire, dans lequel personne ne l'a
égalé, de faire disparoître l'Orateur, pour
n'occuper le juge que de la cause.
C'est par cette qualité qu'il a forcé les
applaudissemens qu'il paroissoit fuir, et
qu'il emporte des regrets, dont l'expres
sion a éclaté plus vivement à sa mort,
· qu'à celle même de M. Cochin :
- - - ( 12o )
. . , . . . . . .. Manibus date lilia plenis,
Purpureos spargam flores, animamque PARENTIs
His saltem accumulem donis et fungar inani
Munere.
V I R G I L E.

« Emplissez mes mains de lys, que je verse sur sa


» tombe les fleurs les plus brillantes, que mes dons accu
» mulés portent la joie dans l'âme de celui qui me tient
» lieu de père; que je m'acquitte de ce triste et vain
» devoir. »

SECONDE
-

-
-
$

ſo : ' !
s E coN DE PAR T I E.
, , si , c r i :
- * ! : - - - - ' "Y.
- - • • •- 4 - ,i | -- .1-O - - - f.

| Des quatre Parties du Discoërs.


-

* - . - i . )
= ==

· c HAP1TR E P REMIE R.
· · · · · · · · · , cI
·- .! "
Réflexion préliminaire.
i - - _ -, - - ' . }

L'o R A T E U Ri est chargé de défendre


la vie, l'honneur , ou l'intérêt d'un
citoyen. · · •

- Les Juges devant lesquels il se pré


· sente, ou ignorent l'objet de la cause ,
ou sont prévenus par la plaidoirie de
| son adversaire.
lls peuvent l'être par des bruits pu
blics, par mille autres circonstances ;
mais je choisis ces deux positions comme
les plus ordinaires.
Il en résulte que l'orateur doit com
mencer par exposer l'objet de ses con
clusions de la manière la plus courte ,
F
»
:

| -- ( 122 ) -

la plus claire et la plus favorable à sa


cause. T . , . »
Il entrera ensuite dans le détail des
faits, ou les reprendra d'après son ad
versaire; il les arrangera d'une manière
convenable à son systême. S'il parle le
second, il rectifiera les erreurs dans les
quelles son adversaire sera tombé.
ll passera à l'établissement de la pro
position qu'il doit démontrer.
Enfin il rassemblera toutes ses for
ces , et lorsque la matière en sera sus
ceptible, il ne se bornera pas à éclairer
1'esprit, il ébranlera le cœur du juge
pour le déterminer en faveur de son
client. - -

- Ces quatre parties sont tellement pui


sées dans la nature, que l'homme de
- -
génie, sans aucune leçon, traceroit ainsi,
plus ou moins parfaitement, le plan de
-son discdurs. - : - -

- ': , ' , ' , ' ! .. ) . '


( 123 )

c H A P 1 T R E I I.
, eºi , , i i'i '. --
· · De l'Exorde.
L'ExoRDE a deux objets, d'instruire !
le juge, et de le disposer en faveur de
la cause. . ·· · · ,· . .

, , Tout ce que l'orateur diroit avant


d'avoir exposé son sujet, ne pourroit
faire impression. Ce seroit prétendre
élever un édifice sans en avoir posé les
fondemens. · · ·
, Les conclusions que l'avocat est obligé
de prendre parmi nous, avant de com
mencer sa plaidoirie , facilitent cette
exposItIon. - |
Elles doivent être rédigées avec clarté
et précision ; mais quelque soin que
l'avocat y apporte, le style de la pro
cédure dont elles sont hérissées , leur
donne une sécheresse qui rebute et dé
tourne l'attention de l'auditeur. .
Le texte a bien une autre énergie dans
l'éloquence de la chaire. .
C'est ordinairement un passage de
( 124 )
1'écriture, qui renferme la vérité que le
prédicateur se propose d'établir, avec la
sublimité propre à ce livre divin.,
M. Fléchier est redevable au choix
de son texte, du principal mérite de son
oraison funèbre de M. de Turenne.
Ce texte est un passage du premier
livre des Machabées, où l'écriture repré
sentant la consternation du peuple à la
mort de Judas le Machabée, enlevé par
un coup imprévu au sein de la vic
toire, semble peindre la mort de M. de
Turenne, et la consternation dont elle
fut suivie. - · · · · }
« Tout 1e peuple le pleura amère
ment ; et après l'avoir pleuré pendant
plusieurs jours, ils s'écrièrent : Comment
est mort cet homme puissant qui sauvoit
le peuple d'Isaëll (i) » ' | f | º
Il semble que M. Bossuet lise dans
les décrets de Dieu la destinée du prince
de Condé, lorsqu'il commence son orai
son funèbre par ces paroles de l'ange à
Gédéon : º º ººº , -- : $ º' - 1 ſº23
- Le Seigneur est°avee vous, 6 le plies
courageux de tous les hommes ? allex
- - . . " , eº " :
—-r
ſ(z) Machab. cap. 9 ..... , , je - )
( i25 ) -

avec ce couragé dont vous êtes rempli,


et.je serat avec vous. - -

L'orateur du barreau n'ayant pas cet


avantage, doit y sùppléer par la netteté
et la noblesse de son exposition.
La netteté dans les questions de droit,
dépend de la sagacité de 1'orateur , et
de la justesse avec laquelle il a saisi le
véritable point de vue de la cause qu'il
défend. ·· · ·

: L'exposition du sujet est plus difficile


dans les causes de fait, par les deux
écueils que l'orateur est obligé d'éviter :
une précision excessive qui ne rendroit
pas toutes les parties de la cause , et un
trop grand détail qui produiroit la con
fusion. -

- L'ordre de la plaidoirie met encore


des différences essentielles dans l'expo
sition du sujet.
Elle doit être complète de la part
de celui qui parle le premier ; car le
juge n'a alors aucune idée de la cause.
Celui qui parle le second , au con
traire , ne doit reprendre que les cir
constances nécessaires pour l'établisse
ment du système qu'il se propose de faire
adopter.
Enfin l'exposition doit être noble :
( 126 )
cette noblesse consiste dans l'exacte pro
portion de l'expression avec la nature du
sujet. - -

Il est un art d'exprimer noblement ſes


choses les plus simples : c'est le génie et
l'usage du monde qui l'apprennent. .
L'orateur doit donner, dès le com
mencement de sa plaidoirie, une grande
idée de la justice de sa cause ; mais s'il
s'élevoit à la hauteur du sublime, il se
roit difficile qu'il pût soutenir un tel vol ;
il seroit donc obligé de décheoir, ce qui
est le plus grand défaut.
Le sublime ainsi soutenu perdroit même
sa force par le défaut d'ombres ; et exi
geroit de l'auditeur une contention d'es
prit trop fatigante. .
A plus forte raison doit-il éviter l'en
flure toujours vicieuse.
Nec sic incipies ut scriptor cyclicus olim,
Fortunam Priami cantabo , et nobile bellum :
Quid dignum tanto feret hic promissor hiatu ?
« Tu ne commenceras pas, comme jadis ce poëte cy
clique : Je chanterai la fortune de Priam et cette noble
» guerre. - Que nous donnera ce prometteur digne d'une
» telle ouverture de bouche ? »

L'exorde ne comporte pas même le


pathétique.
( 127 )
· Je sais que l'Orateur pénétré de l'op
pression qu'on fait souffrir à son client,
doit faire paroitre cette émotion dans
tout son discours ; mais elle sera modé
rée dans l'exorde; il n'a droit d'exiger
la sensibilité du juge, qu'après avoir
prouvé la justice de sa cause. Il devien
droit suspect par un enthousiasme pré
maturé ; enfin ce pathétique perpétuel
dégénéreroit en une déclamation inca
† de convaincre , ni même d'é-
chauffer, - . -

Il résulte de ces principes, que l'exorde


est une courte analyse de toutes les par
ties du discours, qui renferme par anti
cipation l'abrégé : des faits , des moyens
que l'orateur doit employer, et des pa3
sions qui doivent l'animer, sans épuiser
aucune de ces parties. -

Je dis courte ; car l'exorde est une


partie surabondante, qui fatigueroit l'au
diteur et engageroit l'orateur en des
répétitions inévitables, s'il l'étendoit au
delà de la nécessité absolue.
Puisque l'exorde doit renfermer la
substance de tout le discours , l'orateur
, ne doit pas commencer qu'il n'ait au
moins disposé dans son esprit le plan
entier de sa cause.
-
' . \

| ( 128 ) .
L'observation de ces principes est le
moyen le plus efficace d'intéresser le
juge, et de le rendre favorable.
Le sujet même en fournira d'autres
sur lesquelles on ne peut donner des rè
gles; c'est le gémie qui conduira l'orateur
, dans le choix des circonstances qui lui
sont favorables, qui lui apprendra quel
quefois à profiter de celles même qui
paroissent lui être contraires. -

J'en vais donner quelques exemples.


M. Aubry étoit chargé en 1735 de
plaider aux requêtes du palais , pour
le fermier du domaine , contre M. le
| Pelletier, alors président à mortier.
Il s'agissoit de l'étendue du privilége
dont jouissoient MM. du parlement ,
d'exemption de droits seigneuriaux dans
le domaine du roi. . ,
M. Aubry parloit pour le fermier
du domaine , intéressé à restreindre ce
droit.
Cette circonstance fournit à l'orateur
le plan de son exorde :
« (1) Si j'avois à plaider cette cause
+

(1) J'ai cru qu'on me sauroit gre d'avoir conservé au


· public la substance de cet exorde , qui ne s'est transmis
jusqu'à nous, que par l'impression qu'il fit dans le bar
reau lorsqu'il fut prononcé; je le tiens de M. Doulcet.
( 129 )
dans tout autre tribunal, je craindrois
qu'en comparant vos priviléges avec les
services que vous rendez à l'état, on ne
· crût pas pouvoir les trop multiplier; mais
· c'est devant vous-mêmes, messieurs, que
je plaide contre l'étendue qu'on veut
donner à vos droits : ils ne peuvent avoir
- de juges plus sévères. » : º . -

• Démosthène ayant été chargé par la


T république de pourvoir au rétablisse
,ment des murs de la ville, s'étoit acquitté
- de cette commission avec tant d'exacti
;tude que, sur la proposition de Chtési
· phon, les Athéniens lui avoient décerné
une couronne d'or : , . - -

Tel étoit le sujet de l'accusation d'Es


· chine, dans laquelle il comprenoit Chté
: siphon, commé ayant contrevenu par
, cette proposition aux lois fondamentales
de la république, crime puni de mort,
, et Démosthene, non-seulement comme
: indigne de l'honneur, qui lui avoit été
fait; mais comme coupable de trahison,
: pour avoir engagé les Athéniens dans les
- guerres malheureu es qu'ils avoient sou
· tenues contre Philippe. |
, L'orateur ne pouvoit défendre Chté
siphon qu'en faisant valoir ses services
personnels ;. position toujours défavo
( 1 3o )
rable, plus encore devant les Athéniens,
peuple inconstant et jaloux à l'excès de
sa liberté, chez qui l'ambition étoit le
crime le moins pardonnable ; devant ce
· peuple qui avoit banni Aristide par le
seul motif de la supériorité que sa vertu
· lui donnoit sur ses concitoyens. -
Toutes ces difficultés se trouvent ap
planies par la première phrase de l'exorde
de Démosthène. ·

« Athéniens (1), je prie les Dieux et


les Déesses de vous inspirer en m'écou
tanr autant de bienveillance que j'ai
d'affection (2) pour cette ville et pour
chacun de vous en particulier (3). »
- - , ,t! ' --

(1) Je n'ai pas cru devoir subtituer, comme le fait


. de Tourreil , le mot de Messieurs, à l'expression
grecque à Avé et Ayôevxºoi, qui me paroît avoir plus de
force dans la bouche d'un républicain.
(2) Le grec se sert du mot de bienveillance, ºuvelay,
pour les deux parties de la phrase; mais notre langue ne
supporteroit pas qu'un orateur dît à ses juges, qu'il a de
· la bienveillance pour eux.. . .41 ſſ , 45 , .
· (3)
# (Add.) Voyez la traduction entière que j'ai faite de
CC † de Cicéron, le Chef d'œuvre de
l'éloquence de Démosthène, précédée de la harangue d'Es
chine, et de tout ce qu'on nomme les Harangues poli
tiques, de# accompagnées de notes et,d'éx
traits des comédies d'Aristophane , 2 vol.in-s°. A Paris,
chez VOEANT, libraire, quai dis Augustins. -
-

· · Un troisième volume renfermoit une note politique sur


ce même ººouº et que ques pièces fugitives , patmi
( 131 )
Le saint Esprit qui a permis aux Apo
tres de se servir des moyens humains que
leur génie leur fournissoit pour amener
les Gentils à la foi, nous a conservé le
modèle de l'exorde le plus parfait, dans
le discours de saint Paul , déféré à l'aréo
page comme auteur d'une religion nou
velle.
« Athéniens , j'ai observé que vous
étiez en toutes choses religieux à l'excès ;
jusque-là qu'en parcourant les statues de
vos Dieux, j'ai remarqué un autel dédié
· au Dieu inconnu. C'est ce Dieu, que
vous adorez sans le connoître, que je
VIens VOus annoncer. » ' •

· Enfin M. Cochin nous a laissé un mo


dèle de l'exorde du second plaidant,
| dans sa réplique pour la comtesse de
Baumont contre la demoiselle ***. Je le .
rapporterai dans le troisième chapitre,
-
à cause de sa liaison avec les faits. .
.'. •'
-

· lesquelles , se trouvoit une feuille dans laquelle j'avois


fait usage de cette première phrase de l'exorde de la
Harangue de Démosthène pour Cthésiphon , modifiée
e par celle du Discours de # Paul aux Athéniens. En
, quelles circonstances ! ... -- -

- - -- ---- -- • -- • • • • • - a- - • • • - - - -• - • - >
c H A P 1 T R E I I I.
Du Fait, ou de la Narration.

QUINTILLIEN exige que la narration


soit claire, courte, vraisemblable (I).
Je crois devoir commencer par ce
troisième caractère. -

Quel usage, me dira-t-on, I'orateur


du barreau peut-il faire de cette règle ?
La vraisemblance est exigée dans le
drame, dans le roman , parce que l'au
teur est maître de sa fiction ; il imite la
nature; il doit la rendre telle qu'elle se
présente journellement à nos yeux; c'est
le seul moyen de faire illusion. 6
Il n'en est pas ainsi de l'orateur.
Chargé d'éclairer le magistat, il ne
peut altérer la vérité ; c'est donc au sujet
qu'il faut s'en prendre, si le vrai n'est
pas toujours vraisemblable.
En convenant de cette distinction ,
je crois que le défaut de vraisemblance

(1) QUINTIL. de Narratione.


. ( 1 33 )
dans les plaidoyers est presque toujours
i la faute de l'orateur.
Pour se convaincre de cette proposi
tion, il suffit d'observer que la vraisem
blance résulte de la gradation des dispo
sitions intermédiaires, par lesquelles les
hommes passent d'un caractere à un au
tre qui lui est opposé : -/

Examinez ma vie , et songez qui je suis :


Quelques crimes toujours précèdent les grands crimes ;
Quiconque a pu franchir les bornes légitimes ,
Peut vio'er enfin les droits les plus sacrés :
Ainsi que la vertu, le crime a ses degrés ;
Et jamais l'on n'a vu la timide innocence
Passer subitement à l'extrême licence.
Un seul jour ne fait pas d'un mortel vertueux,
Un perfide assassin, un lâcne incestueux.
R A C I N E.

Si l'orateur n'a parlé que des deux


extrêmes, il a dit la vérité , mais il ne
· persuadera pas.
Ces faits intermédiaires dont l'ora
teur doit s'instruire , et qui montrent
la gradation des passions , sont quelque
· fois tres-légers, et indifférens par eux
mêmes , au jugement de la cause ; mais
ils deviennent de la plus grande impor
tance, s'ils rendent vraisemblable le fait
que l'orateur entreprend d'établir. .
/
( 134 ) -

Voyez avec quel art Cicéron profite


des moindres circonstances du départ
de Milon, et de celui de Clodius, pour
prouver que ce dernier est l'aggresseur,
et que Milon n'a employé contre lui
qu'une défense légitime.
(1) ll avoit peint les fureurs de Clo
dius; il avoit détaillé les crimes dont il
s'étoit rendu coupable ; ses projets pour
la préture qu'il alloit exercer; l'obstacle
qu'il craignoit de rencontrer dans la
fermeté de Milon, désigné consul ; ses
brigues lorsqu'il étoit tribun, pour em
pêcher Milon de parvenir au consulat,
devenues inutiles par le crédit que la
vertu de Milon lui avoit acquise , les
menaces de Clodius peu de jours avant
Sa ITlOrt . -

Milon est obligé d'entreprendre un


voyage indispensable pour une cérémo
nie publique dont il est chargé. Le jour
de son départ est connu (2). Clodius
sort de Rome dès la veille, lorsque sa
- présence y est nécessaire, pour soutenir
· une harangue séditieuse qu'un de ses
complices a prononcée ; il se rend dans
(i) C1c. Orat.pro Milone. · · • J'

(2) Idem. . -
( I 35 )
une de ses maisons, située sur la voie
Appienne , par laquelle Milon doit
passer.
(1) Milon , au contraire , assiste au
sénat, dont la séance fut très-longue; il
retourne chez lui; ne part de Rome qu'à
une heure à laquelle Clodius eût dû être
- de retour, s'il eut eu dessein de revenir
ce jour-là.
(2) Clodius se présente à cheval, ac
compagné d'une troupe de gens armés,
à Milon , enfermé dans son char , enve
loppé d'un manteau, avec son épouse,
et une suite nombreuse de femmes et
d'esclaves
taque. plus destinés au luxe
* • ° , ' '
,
qu'à l'at
-

La troupe de Clodius fond sur lui


d'un lieu élevé. Ils tuent le cocher. Mi
lon saute de la voiture pour se défendre.
« On le croit mort : Clodius accrédite ce
bruit. : , -

(3) Ici l'orateur n'ose pas même


prononcer le nom de meurtre, capable
· de révolter un peuple jaloux de sa li
· berté, que la mort de Clodius portoit .
:,, (1) CicaR. orat pro Milone.
| ( ) Idem., , , , , , , , ,
| (;) Idem. . 3 ) · - : 2 - . ! . - -
( 1 36 )
à la sédition. Il réunit dans une seule
phrase, et la mort de Clodius, et le plan
de toute sa défense.
« Ceux des esclaves de Milon que la
troupe de Clodius empêche de secourir
leur maitre, qui entendent Clodius lui
, même répandre le bruit de sa mort,
· firent sans ordre, sans que Milon en fût
témoin , sans qu'il en eût connoissance,
, ce que chacun voudroit que ses esclaves
· fissent en pareille occasion. .

Ainsi les plus légères circonstances ,


ménagées par l'orateur, tendent non
· seulement à rendre vraisemblable le fait
- que Clodius étoit l'aggresseur ; mais à en
persuader les Juges , avant même que
· Cicéron reprenne ces circonstances dans
- l'établi sement de ses preuves. : '
M. Cochin emploie le même art dans
son mémoire pour madame de Mondion,
dont j'ai eu occasion de parler. . ,
Le testament de la demoiselle Chau
loy, qui étoit attaqué conmme le fruit de
- la suggestion du sieur Sardou, ne fai
soit pas mention de cet ecclésiastique ;
une femme de chambre étoit nommée
exécutrice testamentaire, avec un legs
de deux mille livres de rente viagère
réversible à sa sœur. C'est cette disposi- S
| ( 137 ) . -

tion que l'orateur présente comme le


fruit des intrigues du sieur Sardou qui la
doit partager.
Pour établir ce fait, il falloit remonter
à l'origine de la liaison du sieur Sardou,
, et de ses deux filles. •
, Elle arrivent de Marseille en 1739 ,
louent un appartement au quatrième
étage, sur la paroisse de Saint-Roch,
dans la même maison que le sieur Sar
dou, prêtre habitué de cette paroisse ,
fils d'un procureur de Marseille.
: Ce loyer de cent quatre-vingts livres
leur est à charge, elles le partagent avec
une couturière. Mais bientôt après elles
donnent congé à leur compagne ; le
sieur Sardou, qui logeoit au second, vient
occuper cette chambre et tient ménage
avec Julie et Tonton : c'est ainsi que ces
filles se nomment. -

Cette intimité cause du scandale sur la


paroisse. ,-

Le sieur Sardou est obligé de déloger;


mais Julie et Tonton délogent avec lui ;
le scandale est transféré sur la paroisse
de Saint-Sauveur.
C'est dans ce temps que le sieur Sar
dou fait connoissance avec la demoiselle
( 138 )
Chauloy, fille riche, dont la facilité fa
vorise ses espérances.
A peine a-t-il entrée dans cette mai
son, qu'il s'empare de la confiance de la
demoiselle Chauloy, parvient à la faire
changer de confesseur , et à se faire
choisir.
Dès - lors tous les domestiques sont
renvoyés. Le nouveau directeur en pro
cure d'autres , au nombre desquels se
trouve Julie , qu'il annonce faussement
sous le titre honorable d'une fille de fa
mille indigente.
La demoiselle Chauloy la reçoit à .
sa table, et dans la plus intime confi
dence. -

L'abbé Sardou , pendant une année


entière, part tous les jours dans un car
rosse de place, payé par la demoiselle
Chauloy , de la rue du Petit-Lion ,
paroisse de Saint-Sauveur, pour se rendre
au couvent de l'Assomption ; il passe
la journée avec la demoiselle Chauloy et
avec Julie. Tous les matins, il envoye nn
billet à la demoiselle Chauloy , avec un
bouquet.
Il n'est pas aussi libre le dimanche ;
mais Tonton vient tenir sa place ; la
lettre et le bouquet ne sont point inter
( 139 ) - •

rompus. Le soir, la demoiselle Chauloy


ramène Tonton, et passe quelques heures
avec le sieur Sardou. - - -

Ils ont formé le projet d'une liaison


plus intime. - -

La demoiselle Chauloy a loué une pe


tite maison à la barrière de Sèves, qu'elle
doit occuper avec Julie , Tonton et
l'abbé Sardou. Les logemens de chacun
sont marqués ; déjà on a donné plu
sieurs repas et des concerts dans cette
1IlaISOſl« . - - -

La demoiselle Chauloy a dépensé dans


cette seule année près du double de son
1reVenU ,
Elle tombe malade. Le médecin an
nonce que sa vie est en danger; il aver
tit la malade de la nécessité de recevoir
les sacremens ; elle s'y soumet avec reli
gion ; mais l'abbé Sardou ne la quitte
, ni jour ni nuit, il écarte tout le monde.
Le vicaire de la paroisse n'a point ac
cès ; il presse le sieur Sardou de pour
voir à l'administration des sacremens ;
ce prêtre , ce confesseur de la malade,
néglige cet avertissement. La tante de
· la demoiselle Chauloy lui envoie une
garde le matin veille de sa mort ; le
sieur Sardou ne permet à cette garde
( r4o )
· d'approcher qu'à cinq heures dur soir.
C'est dans cet intervalle que le testament
est fabriqué. - : :

t De quelle importance ne sont pas


tous ces faits, pour démontrer J'obsession
du sieur Sardou. - · · ·
: Il n'est pas nommé dans le testament ;
mais peut-on douter qu'il ne partage le
fruit de dispositions qu'il a ainsi pré
arées ? -

: Cet extrait du mémoire de M. Co


chin nous fournit l'exemple des circons
tances dans lesquelles il est permis à
l'orateur de sortir de sa cause , pour
recueillir des faits qui paroissent étran
gers à l'objet principal. -

Je ne quitterai pas cette matière, sans


faire quelques réflexions sur cette mal
beureuse obligation où se trouve quel
quefois l'orateur, de prêter son ministère
à une diffamation que la cause nécessite.
- Combien seroit coupable celui que
le seul désir de se faire un nom , ou une
complaisance criminelle pour la passion
de son client, porteroit à s'écarter de
sa cause, je ne dis pas pour former un
roman injurieux, mais pour rapporter des
faits vrais qui ne seroient pas essentiels à
sa défense ! - -
' ( 141 ) -

: S'il recherche la réputation par cette


voie ; avec la haine et le mépris des
honnêtes gens, il n'acquerra qu'un bril
lant passager , que l'esprit satirique
peut donner, mais que la réflexion dis
sipe d'autant plus promptement , que
l'orateur nuit par ce zèle indi cret à
l'intérêt de sa cause. C'est ce qu'il faut
| prouver , comme le motif le plus
pressant pour arrêter les sollicitations
qui pourroient lui être faites sur ce
oInt. : if, : o . :: # -

j Il y eu a deux raisons qui me parois


sent sensibles. : Y - --

, La première est la prévention que cette


malignité élève dans l'esprit du juge
contre celui qui en fait usage. -

La seconde, que ces faits, lorsqu'ils


ne conduisent pas à la décision, sont au
tant d'obstacles au magistrat pour saisir
le véritable objet de la cause.
* . L'orateur ne peut éviter ces incon
yéniens, s'il n'a soin de prévenir le
juge de la nécessité de ces faits ; c'est
ce qu'on remarque encore dans le mé
moire de M. Cochin, dont je viens de
| parler. - -

" Enfin il donnera de la vraisemblance


aux faits qui paroissent les plus contra
( 142 )
dictoires, en remontant au principe qui
les a produits. L'amour et la haine, la
foiblesse et la cruauté, la bassesse et
l'insolence se succèdent dans le cœur
humain, parce que ces vices sont l'effet
d'une passion déréglée , qui s'irritant
des obstacles qu'elle rencontre, se jette
dans l'excès contraire. C'est l'intérêt
personnel qui se replie sur lui-même,
et prend mille formes pour parvenir à
ses fins. : .

M. Cochin a employé cet art dans la


cause pour la comtesse de Beaumont(1). ll
étoit obligé de concilier les preuves de
la passion criminelle de la demoiselle**,
avec des lettres qui paroissoient respirer
' le zèle le plus ardent pour le salut du
marquis de Béon. -

- Le principe commun de ces contra


dictions (ainsi que la grand'chambre l'a
jugé) est dans la demoiselle ***, la
crainte de se séparer du marquis, et de
la faire décheoir des espérances qu'elle a
conçues de ses dispositions testamen
· taIres. | || - , · · · -
« Tout est outré dans le caractère de

(1) (BEuvres de M. Cochin. tome 1 , p 4o2, et suiv.


Voyez la réplique dans laquelle-ii reprend les faits. '
| ( 143 ) . - -

la demoiselle ***, dit M. Cochin. Plus


elle a vécu dans le crime, et plus elle
triomphe de son innocence. Ce n'est
point l'amour qui l'a liée si étroitement
avec le marquis *** : c'est le zèle d'une
sainte qui ne respire que conversion et
que pénitence, qui sacrifie tout, et
même les bienséances, pour sauver une
âme qui lui est chère. Elevée au-dessus
des orages des sens, ses vues n'ont jamais
été que pour le ciel. -

» Plus ces idées sont sublimes , et


moins elles conviennent à la demoi
selle ***. Cette fille qui ne parle que le
la gºgº des âmes timides et religieuses,
qui s'offense des moindres soupçons, et
ui croit la religion même intéressée
ans sa cause ; cette fille qui fait sonner
si haut son austère vertu, est la même
qui a vécu dans une licence scandaleuse,
et qui par ses charmes séducteurs a en
trainé le marquis *** dans un abime de
désordres. - - •
* » Ce ne sont pas là des reproches
formés au hasard ; la demoiselle ***
· nous en a elle - même administré les
preuves , dans ces lettres fameuses où
elle a tracé si naturellement tous les ca
ractères de la passion dont elle étoit c^
--
( 144 )
éprise, et qu'elle avoit inspirée au mar
quis ***... Il n'y a pas un trait qui ne
développe le crime; partout on n'aper
çoit que trouble, qu'agitations, que trans
ports, et dans les expressions même §
paroissent le plus appartenir à la piété,
la passion éclate et conserve toute sa vio
lence. Il sied bien après cela à la de
moiselle ***, de mettre encore la reli
gion en jeu, et de taxer presque d'im
piété ceux qui osent rappeler le souvenir
de ses débauches. » · · · , · · ,
M. Cochin entre après cet exorde
dans le récit des faits , et dans les preu
ves du commerce criminel qui a sub
sisté pendant plusieurs années entre le
marquis de Béon et la demoiselle ***.
Arrive le moment de la prétendue conr
version. : , : · : · : · i2
« Cependant le marquis *** com
mença à s'apercevoir que sa santé s'af
foiblissoit. La vue d'une éternité qui
s'avançoit, commença à faire de vives
impressions sur son esprit. Il parut dans
le dessein de quitter ces routes de per
dition dans lesquelles il étoit engagé ,
pour se jeter dans la voie du salut.
» Le premier pas qu'il falloit faire
· étoit d'éteindre sa passion criminelle ,
Ct
( 145 )
, et de rompre avec celle qui en étoit
l'objet. La demoiselle *** qui pénétroit
sans peine dans tous les mouvemens du
marquis *** , connut bientôt tout le
danger auquel elle étoit exposée ; mais
trouva dans son esprit des ressources in
finies. Sa conduite est un chef-d'œuvre
d'imposture. Si elle avoit entrepris de
détourner ie marquis *** de ces pen
sées salutaires, elle n'étoit pas sûre de
l'emporter sur l'impression que peut
causer le spectacle d'une mort prochai
ne ; et sa résistance pouvoit changer tous
les sentimens passionnés du marquis***,
en des sentimens d'une juste indigna
tion. D'un autre côté, si elle consentoit
à s'en séparer, elle ne doutoit pas qu'elle
· ne fût bientôt oubliée, et qu'elle ne
perdit en peu de temps le fruit de tant
· de criminelles complaisances.
, » La cupidité est ingénieuse. Il n'y a
point de rôle qu'elle ne joue pour se sa
tisfaire. La demoiselle *** parut entrer
dans les vues du marquis *** , et dé
sirer elle-même qu'il se consacrât tout
entier à la religion. Bientôt les sentimens
de piété devinrent en elle aussi vifs que
l'avoient été ceux de l'amour; on auroit
# le rºi imºr •
. •

| ( 146 ) -

langage, et qu'elle brûloit des feux de


la charité la plus ardente.
, « Mais comme ce n'étoit qu'un nou
veau genre de séduction, qui avoit pour
objet d'entretenir la passion sous les de
hors de la vertu; ce nouvel apôtre per
suadoit en même temps à son prosélyte,
† la religion n'exigeoit pas des sacri
ces aussi cruels que l'auroit été celui de
leur séparation : elle lui faisoit entendre
qu'elle ne pourroit jamais survivre à une
rupture si éclatante, et que la dévotion
ne devoit pas être poussée jusqu'à l'in
humanité. . *

| » C'est ainsi que par un détour plein


d'artifice, elle se prêtoit en apparence
aux sentimens de piété qui commen
çoient à · t#
marquis jour dans le cœur du
s k , et du'en effet elle ne ser

voit que sa passion. Par-là se concilient


sans peine ces contradictions apparentes
qui éclatent # les lettres †de
moiselle *** écrivit alors. L'amour et
la charité, la vertu et le crime, s'y li
vrent une espèce de combat, dans le
quel ils remportent tour à tour la vic
toire : mais tout cela étoit nécessaire
pour conserver à la demoiselle *** cet
empire absolu que ses charmes , que
# -

-
( 147 ) -

la passion du marquis *** lui avoient


procuré. . - -

« Il n'étoit pas aussi facile d'en im-.


poser à un directeur sage, éclairé, ins
truit de ses devoirs, et qui ne pouvoit
s'accommoder de ce mélange mons
trueux de passion et de vertu.. On le
trompa par une fausse confidence, qui
même après la mort du marquis ***,
a subsisté long-temps dans quelques es
prits, mais qui s'est enfin tout- à - fait
dissipée. Par-là le directeur se rassuroit
contre les murmures qui venoient jus
qu'à lui , de l'assiduité d'une fille qui
ne quittoit presque jamais le marquis***,
Il plaignoit en secret ceux qui por
· toient de faux jugemens, pour n'être
pas instruits comme lui des secrets dont
il étoit le dépositaire. Ainsi la demoi
selle *** a joué tout-à-la-fois et les
hommes et Dieu même dans ses plus
fidèles ministres. »
J'ai insisté sur ce caractère de la dispc
sition du fait, non-seulement parce qu'il
tient à celle du plaidoyer en général,
mais parce que le défaut de vraisem
blance suffit quelquefois pour faire perdre
les meilleures causes.
( 148 )
· Ceci paroîtra sans doute un préjugé
Jnjuste.
Si le vrai n'est pas toujours vraisem
lblable, de quel droit le magistrat re
jetteroit - il par ce motif une vérité
prouvée ? Imposera - t - il des lois à la
nature qui produit des monstres, comme
elle forme des ouvrages dont la symé
trie et la régularité attirent notre admi
ration ? -

Non, suns doute.Aussi n'est - ce point


sur lesfaits prouvés que l'orateur peut
courIr ce rIsque.
Mais il est des causes dans lesquelles
la preuve des faits dépend de la déposi
tion des témoins. -

Nos lois ont sagement établi qu'on


ne pourroit être admis à faire cette
· preuve dangereuse par la facilité de la
séduction , sans avoir obtenu du juge
la permission de faire entendre les té
moins.
L'intérêt de la justice exige alors que
le magistrat tienne un juste milieu entre
· une sévérité excessive, qui réduiroit les
parties à l'impossible, et une facilité
extrême, qui l'exposeroit à des surprises
perpétuelles, -

Si les faits sont entièrement destitués


( 14) )
de vraisemblance, l'orateur doit pré
venir lui-même sur cette objection, qui
s'élèvera infailliblement dans l'esprit du
juge.
C'est du sein de sa cause qu'il tirer
les moyens qui doivent le faire sortir ds
la règle commune. -
Peignez un caractère tellement fé
roce que les plus grands excès se puis
sent présumer; appuyez ce portrait des
preuves que la cause vous fournit ; vous
parviendrez à rendre croyable les faits
dont vous demandez de faire preuve, si
vous démontrez que ceux qui en sont les
auteurs sont eux-mêmes hors des règles
COIllITlUlIlCS, -

J ai dit dans la première partie de


cet ouvrage, que la clarté et la préci
sion étoient une suite de l'ordre et de la
disposition.
La brièveté de la narration consiste
dans le retranchement de tout ce qui est
inutile (r).
C'est le goût de l'orateur, et la con
noissance du sujet, qui lui feront dis
tinguer les faits qu'il doit rejetter dans

(!) QUINT. de Narratione


( 15o )
les moyens, de ceux qu'il est obligé d'ex
poser en commençant. •e

Cette méthode de rejetter dans les


moyens une portion des faits, a l'avan
tage d'éviter les répétitions; mais elle
donne de la sécheresse à la narration ;
or la disposition du fait doit être telle
que le juge, après l'avoir entendu, ait
déjà une prévention favorable pour la
C2l]SC.

C'est pour parvenir à ce but, que le


second plaidant est souvent obligé de re
prendre des faits dont le juge est instruit
par la plaidoirie de son adversaire.
Il ne suffit pas, dit Quintilien, que
le juge sache le fait, il faut encore qu'il
le sache d'une manière utile (1).
L'orateur doit donc faire pressentir ses
moyens dans le récit de son fait.
Je dis les faire pressentir ; car s'il les
épuisoit , ses preuves ne seroient plus
qu'une répétition fatigante, et il empê
cheroit le juge de saisir la liaison que les
faits ont entre eux. .
La méthode de diviser les faits en
des époques annoncées au commence
ment de la narration, a le même incon

(1) QUINT. de Narrationa,


( 151 )
vénient, de donner de la sécheresse au
récit. . -

Ces divisions ne doivent être employées


que lor qu'elles se trouvent liées avec
la disposition générale. A

Elles soulagent alors la mémoire du


juge, et fixent son attention sur les points
principaux. , -

, J'en yais donner deux exemples.


· M. Cochin avoit annoncé dans l'exorde
de sa cause pour le prince de Mont
belliard, la légitimité et la publicité du
mariage du duc de Montbelliard avec
la comtesse de Sponek , les intrigues de
la baronne de l'Espérance pour placer
ses enfans sur le trône au préjudice de
l'héritier légitime ; les reconnoissances
postérieures du duc de Montbelliard ,
revenu de ses erreurs , et les faits qui
assuroient l'état de l'enfant du premier
lit. - -

L'orateur suit cette division dans le


· récit de son fait. Il en tire ces deux pro
positions : que George-Léopold est le fils
légitime du duc de Montbelliard, et que
les enfans de la baronne de l'Espérance
sont bâtards adultérins.
On apperçoit aisément que la division
du fait dans les trois époques annoncées,
· ( 152 )
contribue à l'établissement de ces propo
SItIOIlS, - -

La demoiselle Delorme ayant épousé


Ie sieur de Rapalli, trésorier de France,
avoit attaqné son mariage sous prétexte
de la contrainte exercée par son beau
père ; elle avoit prétendu avoit répondu
Non à l'interpellation du ministre de
l'église, quoiqu'elle eût signé l'acte de
célébration de mariage : elle avoit de
mandé d'être admise à la preuve de ce
fait, demande rejettée par l'official de
Paris, admise à Lyon par une sentence
qui avoit été déclarée abusive.
Depuis cet arrêt, la dame Rapalli
avoit repris son nom de fille, et aban
donné son mari , pour passer en pays
etranger. -

Revenue en apparence de ses égare


mens, elle s'étoit réconciliée avec le sieur
Rapalli, dans le dessein de donner lieu
à une demande en séparation, soutenue
des faits les plus graves, mais les plus
destitués de vraisemblance , dont elle
demandoit permission de faire preuve
par témoins.
Il étoit essentiel de fixer l'esprit des
juges sur ces époques.
« Dans le grand nombre de faits
- ( r5 3 )
dont on est obligé de rendre compte,
dit M. Cochin , il y a trois époques à
distinguer. -

» Un premier orage , dans lequel


·on a porté la témérité jusqu'à vouloir
briser les nœuds qui unissent les deux
époux. - -

» Un temps de calme qui sembloit


promettre un avenir plus doux et plus
heureux. -

» Enfin une dernière tempête, qui


agite actuellement les parties. » -

Hors ce cas, l'orateur fera plus d'inr


pression en conservant l'ensemble de sa
narration, qu'en la morcelant par des
divisions annoncées.
Ces divisions, si elles sont nécéssaires
pour soulager la mémoire du juge , doi
vent se trouver dans le plan de l'orateur,
qui les exécutera dans son récit, en ar
rêtant le juge, sans autre préparation, sur
les faits principaux.
Enfin le goût seul apprendra l'usage
des ornemens, pour soutenir l'attention
de l'auditeur.
, Il est juste que l'orateur paroisse af
fecté, si le sujet y donne lieu ; mais
l'émotion doit croître avec le discours.
| L'orateur doit donc ménager les passicns
( 154 )
dans le récit de ses faits, avec les mêmes
précautions que j'ai remarqué être néces
saires dans l'exorde.

===

c H A P I T R E I v.
De la Division et des Preuves.

LE s prédicateurs ont considéré la divi


sion comme une sorte de formule néces
saire dans tout discours oratoire.
, Bourdaloue a donné naissance à un
autre défaut, par la réduplication de ses
#visions, non-seulement inutile, mais
contraire à l'objet de la division, qui
est de soulager l'attention de l'auditeur.
J'en vais donner un exemple.
(1) « Quand saint Paul dit qu'il a plu
à Dieu de sauver les hommes par la folie
de la prédication : Placuit Deo perstul
titiam prœdicationis salvos facere cre
dentes , il ne faut pas se figurer que la
loi chrétienne ait pour cela rien de con

(1)Sermon de Bourdaloue sur la sagesse et la douceur


de la loi chrétienne.
( 155 )
traire à la véritable sagesse et à ſa raison;
car, selon la remarque de saint Jéro
me, le même apôtre, après avoir parlé
de la sorte, déclare néanmoins que son
ministère est de prêcher la sagesse aux
spirituels et aux parfaits : Sapientiant
loquimur inter perfectos. Puisque j'ai
aujourd'hui la même place que le doc
teur des nations, tout indigne que j'en
puisse être , et puisque je prêche la
même loi qu'il prêchoit aux Gentils,
-j'ai droit, chrétiens, de vous dire comme
· Iui, et je vous dis , dès l'entrée de ce
discours, que la loi évangélique dont
je viens vous parler, est de toutes les
lois la plus raisonnable et la plus sage :
c'est ma première proposition. Je ne
m'en tiens pas là ; mais pour vous y
· attacher encore plus fortement, j'ajoute
que cette loi si sage est en même temps
· de toutes les lois la plus aimable et la
: plus douce : c'est ma seconde proposi
- tion. : Deux rapports sous lesquels nous
devons considérer la loi de Jésus-Christ,
rapport à l'esprit, rapport au cœur. Par
rapport à l'esprit, elle n'a rien qui ne
soit digne de notre estime ; par rapport
, au cœur ; elle n'a rien qui ne soit digne
de notre amour. C'est ainsi que je pré
( 156 )
tends combattre deux faux principes
dont les ennemis de la religion chré
tienne se sont servis de tout temps, pour
nous la rendre également méprisable et
odieuse ; méprisable, en nous persua
dant qu'elle choque le bon sens, et les
règles de la vraie prudence; odieuse, en
nous la représentant comme une loi trop
dure, et sans onction. Or à ces deux
erreurs j'oppose deux caractères de la
loi évangélique : caractère de raison, et
caractère de douceur : loi souveraine
ment raisonnable , vous le verrez dans
le premier point : loi souverainement
aimable, je vous le montrerai dans le
second point : deux vérités importantes,
qui vont faire le sujet de votre atten
tIOIl. »
Si Bourdaloue eut terminé ainsi sa
réflexion préliminaire : ( « La loi évan
gélique dont je viens vous parler, est
de toutes les loix la plus raisonnable et
la plus sage : c'est ma premiere propo
sition. .. ... .. Certe loi si sage est en
même temps de toutes les loix la plus
aimable et la plus douce ; c'est ma se
: conde proposition ) » ; il eût rempli
l'objet de la division ; ce qu'il ajoute
n'est qu'une répétition de la même idée,
( 157 )
qui empêche l'auditeur de saisir son plan
avec facilité.
• Cependant les prédicateurs suivent
tous ce modèle ; c'est copier ce grand
· homme dans ce qu'il a de défectueux.
Les orateurs du barreau ne sont pas
· tombés dans ce défaut.
J'ai rapporté dans le second chapitre
la division de M. Cochin dans l'affaire du
· prince de Montbelliard. Voici un autre
exemple tiré du mêune orateur.
« Pour mettre la défense de la dame
marquise de Boudeville dans tout son
· jour, il est nécessaire de développer :
d'abord les principes qui doivent servir
de guides dans les questions d'état. On
s'égare souvent dans cette matière, pour
donner dans des excès également con
· traires aux véritables principes.
| » On établira ensuite dans une pre
mière proposition, que la dame de Buix
n'ayant ni titre, ni possession pour s'at
tribuer l'état auquel elle aspire, elle ne
peut être écoutée.
» On fera voir dans une seconde pro
position, que les titres et la possession se
réunissant pour donner à la dame de Buix
un état contraire , sa démarche est fe
· comble de l'égarement. »
( 158 )
Telles sont presque toutes nos divi
sions. Elles réunissent trois caractères :
: d'être simples , justes, et faciles à re
ten Ir. -

Si la cause renferme deux objets dis


tincts l'un de l'autre, la division est faite
par les seuls chefs de demande. Ce sont
proprement deux causes réunies dans une
même plaidoirie.
Si la cause est simple , qu'elle se ré
duise à un seul syllogisme, l'orateur man
queroit de justesse s'il divisoit ; il nui
·roit à l'ensemble. -

Enfin, si la proposition unique à la


quelle toute cause simple se rapporte,
' dont être envisagée sous différens points
de vue qui tendent à son établissement,
la division consiste dans l'éxposition de
chacune des faces sous lesquelles l'orateur
se propose de considérer son sujet.
Il ne doit faire usage des subdivi
sions que dans des causes extrêmement
étendues. '

J'ajoute que lors même que le sujet


s'y prête naturellement, il est souvent
plus utile de laisser la subdivision dans
le plan que l'orateur a formé lors de
la disposition de sa cause, pour la suivre
( 159 )
et en marquer les repos, que de l'an
11OI1C61F.

Les subdivisions coupent le discours


en trop petites parties, et surchargent la
mémoire de l'auditeur.
Il résulte de ces réflexions, que la jus
tesse de la division est l'effet de la con
noissance du sujet, et de la disposition
des preuves.
Sa place naturelle est donc avant les
moyens.
Cependant il n'est pas contre les rè
les de la comprendre dans l'exorde ;
elle facilite l'exposition du sujet, et la
rend plus nette , mais Porateur est alors
oblige de la reprendre, avant d'entrer
dans ses moyens, pour fixer l'attention
du juge sur son plan.
Quoique la disposition des preuves
soit la partie la plus importante du plai
doyer, c'est celle sur laquelle il est plus
difficile de donner des règles générales,
parce qu'elle dépend entièrement de la
nature des causes, et qu'elle varie avec
les sujets. - -

Il est peu de causes qui se réduisent


à la seule discussion d'un point de droit :
les circonstances du fait changent presque
toujours l'application des principes,
( 16o )
Il en est plusieurs au contraire dont
le point de droit est constant, et dans
lesquelles la décision dépend entiérement
du fait. -

La route la plus commune dans les


premières, est celle qui est tracée dans
la division de M. Cochin que j'ai rap
portée, l'établissement des principes, et
leur application aux faits de la cause.
Dans ces causes et dans celles qui
consistent uniquement dans un point
de droit , l'ordre exige que l'orateur
emploie le raisonnement, pour démon
trer par le seul texte de la loi , les
principes qui sont la base de sa défense,
avant de recourir au suffrage des juris
consultes qui ont soutenu son système,
ou d'employer l'autorité des arrêts qu'il
prétend avoir jugé la question. Ces au
torités n'étant pas des lois , n'ont de
droit sur l'esprit du juge que par la force
du préjugé ; l'orateur sera plus sûr du
succès, s'il parvient à convaincre par la
raison seule.
Cette règle n'est pas néanmoins sans
exception. Nous en avons un exemple
célèbre dans la cause de la substitution
du marquisat du Châtel. .
La nullité de cette substitution n'étoit
( 161 )
pas prononcée par un texte précis de la
coutume de Bretagne; mais elle résultoit
de la combinaison des dispositions de
Ctte COlltll Il}6.

M. de la Monnoye avoit suivi la route


ordinaire aux requêtes du palais, et le
préjugé des substitutions admises par le
droit romain, et dans presque toutes nos
coutumes, l'avoit emporté.
Il changea de méthode à la grand'-
chambre ; il substitua aux raisonnemens
l'autorité de tous les auteurs bretons ;
il n'entreprit de développer l'esprit de
la coutume , qu'après avoir, pour ainsi
dire, frayé le chemin à ses réflexions, et
écarté le préjugé du droit commun. -

Avec quelle adresse fit-il usage dans


une dernière réplique , des circonstan
ces dans lesquelles on se trouvoit alors,
pour donner plus de poids aux modi
fications que le parlement de Bretagne
avoit apposées à l'enregistrement de l'or
donnance des substitutions !
Ce plan eut le succès que l'orateur
s'étoit promis. -

J'ai été obligé d'entrer dans ces détails,


pour prouver que toutes les règles de la
disposition des moyens dépendent de la
connoissance du sujet,
( 162 )
· La discussion d'une cause est ordinai
rement composée de trois parties , la
plaidoirie du premier plaidant , la ré
ponse de son adversaire, et la réplique
de celui qui a parlé le premier.
Il résulte de cette marche, que le pre
mier plaidant doit établir le système
général de sa cause, prévenir les objec
tions qu'il prévoit devoir naître d'elles
mêmes dans l'esprit du juge, et disposer
sa réponse à celles que la connoissance du
sujet lui apprend que son adversaire lui
prépare•
S'il détruisoit ces objections avant le
temps, il se priveroit de l'avantage de
la réplique, et pourroit fournir des armes
à son adversaire.

Une première plaidoirie trop forte


ou trop foible, sont donc également vi
CI62LlSCS •

Trop forte : elle épuise l'orateur, et


ne laisse pas le jeu nécessaire à la répli
que ; trop foible, elle prévient le juge
contre la cause.
La première plaidoirie a atteint son
degré de perfection, si elle est telle que
le juge, après l'avoir entendue, ne soit
arrêté pour se décider en faveur de l'ora
( 163 )
teur, que par le devoir qui l'oblige
d'écouter les deux parties. " .

Ce n'est pas mon dessein de donner


des règles pour plaider de mauvaises
CallSCS. -

Cependant, puisqu'il est permis à l'o-


rateur de se charger de celles qui sont
problématiques , je dois observer que
l'art de les défendre consiste dans l'air
de vérité que l'orateur sait donner à son
principe ſondamental, pour en tirer des
conséquences justes qui conduisent à ses
conclusions. -

: ll ne doit pas espérer de faire illu


sion sur la liaison du principe avec les
conséquences; c'est le tact que la nature
nous a donné pour diriger notre †
ment : et si quelques esprits n'en OI1t
pas un usage assez sür, ce seroit une
maladresse de compter sur ce défaut de
rectitude, qui ne peut se trouver dans
une assemblée d'hommes éclairés, qui
rectifient réciproquement leurs erreurs.
Le sophisme , qui consiste dans le
défaut de justesse des conséquences, ne
peut donc presque jamais réussir, quel
qu'art que l'orateur emploie pour le
cacher.
La plaidoirie du second plaidant est
( 164 )
au contraire le moment décisif pour lui.
La raison en est que le Juge ayant en
tendu les deux parties, et accordé une
réplique au premier plaidant , pour ré
pondre aux objections qu'il est censé
n'avoir pas prévues, n'est plus obligé de
suspendre son jugement. -

Le second plaidant n'est pas en


droit d'exiger une réplique. Lui fût-elle
accordée, il n'en pourroit espérer de
fruit , qu'autant que le systèmre de la
cause auroit changé pendant le cours
des audiences. |

Telle est la marche prescrite par la


nature : mais la nécessité de l'expédi
tion oblige quelquefois d'ôter la réplique
au premier plaidant.
La disposition de sa cause exige alors
bien plus d'art. -

Une plaidoirie superficielle laisseroit


un champ libre à son adversaire ; l'en
nui résulreroit d'une discussion qui pré
tendroit tout prévoir.
C'est dans la connoissance du sujet
que l'orateur trouvera le remède à ces
inconveniens ; il s'attachera à démon
trer avec plus de force sa proposition
fondamentale; il dissipera les principales
objections , et il montrera la réponse à
( 165 )
toutes les autres dans l'établissement du
principe et de ses conséquences.
Quand je parle de répcndre aux ob
jections, je ne prétends pas que l'ora
teur doive les réfuter toutes, même dans
la réplique. . -

Il en est de si foibles qu'elles portent


avec elles leur réponse ; il en est, dans
les meilleures causes, d'une telle force,
que l'orateur ne peut pas espérer de
les dissiper entièrement. Il vaut mieux
les abandonner, que d'y faire une ré
ponse qui fixeroit l'attention du juge sur
la difficulté : *,

Et quæ desperat tractata nitescere posse relinquit.


- H O R A c E.

, c« Et la tache qu'il désespère de dissiper par le traite


» ment, il l'abandonne. »

· C'est dans la force du raisonnement


que l'orateur aura employé pour établir
son systême, que ces objections trouve
ront leur réponse ; suivant cette règle
de Descartes, qu'on ne doit pas nier
une vérité démontrée , quoiqu'il en
résulte des difficultés quelquefois inso
lubles. - -

Enfin, un ridicule jetté avec art suf


fit, lorsqu'il nait du sein de la cau.e,
( 166 ) .
pour énerver la plus forte objection,
et amortir l'effet des passions que l'Ad
versaire avoit excitées :

. . . . . . . . • . . - Ridiculum acri
Fortius et melius magnas plerumque secat res.
H O R A c E.

c« Presque toujours le ridicule a plus de force que l'ai


» greur pour trancher les difficultés , et amener à bien les
» grandes affaires. »

L'orateur ne peut se permettre la


plaisanterie que dans ce seul cas ; encore
doit-elle être telle, qu'elle ne blesse ni
la décence de son état , mi le respect
dû à la justice. En voici quelques exem
ples. -

« (1) La demoiselle de Kerbabu est


arrachée avec violence des bras de sa
mère éplorée, conduite à Neaufle au
milieu d'une troupe de satellites ; la
Providence vient à son secours, par une
foule de miracles opérés en un instant ;
mille périls affrontés sans qu'elle en ait
reçu le moindre mal ; le ciel, la terre,
les étres inanimés, tout s'intéresse pour
elle. 22

Telles sont les couleurs sous lesquelles


(1) GEuvtes de M. Cochin, tome 2, p. 444. t.
( 167 )
M. Aubry a dépeint le décret de prise
de corps décerné par le juge de Laval ,
l'inexécution de ce décret, et l'évasion de
la deinoiselle de Kerbabu. ;

« Il est triste (répond M. Cochin )


que ces prodiges éclatans se réduisent à
une petite négociation avec des archers ,
qui lui ont procuré une évasion commode,
et une retraite assurée. » »

M. de la Monnoye attaquoit un acte,


comme le fruit de la séduction d'un
homme qui avoit déjà mérité, dans
plusieurs occasions, l'animadversion de la
justice. -

, On lui opposoit des lettres d'abolition,


dans lesquelles le roi, suivant le style
ordinaire, imposoit silence à ses procu
eurs-généraux. - ,

^ C'en est plus qu'il ne faut, lui disoit


on, pour écarter ces faits anciens.
M. de la Monnoye répond : Que
son adversaire trouvoit du superflu, où
les autres trouveroient à peine le né
cessaire. . º ` ,

| Cette réplique qui dissipe une objec


tion au moment où elle est présentée,
ce tact sûr qui saisit le systême de l'ad
versaire, et dispose à l'instant la répon
se, plus- vive,
: º t - ºº
plus forte, plus naturelle
-
( 168 )
que la méditation ne pourroit la fournir,
sont des dons de la nature, qui doivent
cependant être soutenus par la prépara
tion dont j'ai parlé dans le second cha
pitre de la première partie. Celui qui a
médité dans l'examen de sa cause le sys
tême de son adversaire, autant que le
sien propre, et disposé sa réponse, prend
sa réplique sur ses propres fonds.
, Il me reste à parler de ce que les rhé
teurs appellent précautiors oratoires. ,
C'est l'art de dissiper l'impression
défavorable que des circonstances par
ticulières donnent quelquefois aux meil
leures causes, à la seule proposition.
: Cet art ne consiste pas à écarter la
difficulté ; l'auditeur la suppléeroit, et
l'adversaire tireroit de cet oubli volon
taire l'aveu que cette difficulté est inso
luble.
· L'orateur doit donc la prévoir ; mais
de maniere que la réponse se présente
en même temps, et avec plus de force.
J'en ai donné un exemple dans le récit
que Cicéron fait de la mort de Clodius.
| | Démosthène nous en offre un autre
dans la réponse au reproche qu'Eschine
lui faisoit, d'avoir déterminé les Athé
niens à donner la bataille de Chéronée.
- · « Athéniens,
( 169 ) A

« Athéniens, vous n'avez point failli,


j'en jure par les mânes de ces grands
hommes qui ont combattu pour la même
cause dans les plaines de Marathon , à
Salamine, et devant Platée. »
Ainsi l'orateur couvre la honte de la
défaite de Chéronée, par l'éclat de la
liberté que les Athéniens avoient défen
due, et la gloire des héros qui avoient
soutenu la même cause.
Ce morceau a été justement observé
par Longin, comme un modèle du su
blime.
MM. Bossuet et Fléchier éprouvoient
une difficulté semblable dans les orai
sons funèbres de M. le prince de Condé
et de M. de Turenne, - tous deux en
traînés pendant quelque temps dans la
révolte.
« (1) Après avoir fait sentir aux enne- .
mis durant tant d'années l'invincible
puissance du roi, s'il fallut agir au-de
dans pour la soutenir, je dirai tout en
un mot : il fit respecter la régence; et
puisqu'il faut une fois parler de ces cho
ses dont je voudrois pouvoir me taire

(1) Oraison funèbre de M. le prince de Condé.


H
( 17o )
éternellement ; jusquà cette fatale pri
son, il n'avoit pas seulement songé qu'on
pût rien attenter contre l'Etat ; et dans
son plus grand crédit, s'il souhaitoit
d'obtenir des grâces , il souhaitoit en
core plus de les mériter. C'est ce qui
lui faisoit dire : je puis bien répéter de
vant ces autels les paroles que j'ai recueil
lies de sa bouche, puisqu'elles marquent
si bien le fond de son cœur : il disoit
donc , en parlant de cette prison mal
heureuse, qu'il y étoit entré le plus in
nocent de tous les hommes, et qu'il en
étoit sorti le plus coupable. Hélas! pour
suivoit-il, je ne respirois que le service
du roi , et la grandeur de l'Etat ! On
ressentoit dans ces paroles un regret sin
cère d'avoir été poussé si loin par ses
malheurs. Mais sans vouloir excuser ce
qu'il a si hautement condamné lui
même, disons, pour n'en parler jamais,
que comme dans la gloire éternelle les
fautes des saints pénitens , couvertes de
ce qu'ils ont fait pour les réparer, et
de l'éclat infini de la divine miséri
corde, ne paroissent plus, ainsi dans des
fautes si sincèrement reconnues , et dans
la suite si glorieusement réparées par de
fideles services, il ne faut plus regarder
( 171 )
que l'humble reconnoissance du prince,
qui s'en repentit, et la clémence du grand
roi qui les oublia.»
: On remarque trois parties dans ce mor
ceau, les services du prince de Condé,
qui précèdent, et sur lesquels l'orateur
insiste, ses fautes, qui sont presque join
tes avec son repentir, auquel M. Bossuet
s'arrête uniquement.
La position de M. Fléchier étoit moins
difficile, parce que la révolte de M.
de Turenne avoit été plus courte , et
couverte par les victoires qu'il avoit
remportées sur M. le prince de Condé
1llClIlC. - -

s « (1) On eût dit qu'un heureux traité


alloit terminer toutes les guerres de l'Eu
| rope, lorsque Dieu, dont les jugemens,
selon le prophète, sont des abîmes, vou
lut affliger et punir la France par elle
même, en l'abandonnant à tous les dé
réglemens que causent dans un Etat les
dissensions civiles et domestiques. Sou
venez-vous, messieurs, de ces temps de
désordre et de trouble, où l'esprit téné
breux de discorde confondoit le droit

(1) Oraison
. Fléchier. funèbre de, M.
,- • • -
de Turenne ,• par M.
( 172 )
avec la passion, le devoir avec l'intérêt,
la bonne cause avec la mauvaise ; où les
astres les plus brillans souffrirent pres
que tous quelque éclipse , et les plus
fidèles sujets se virent entraînés malgré
eux par le torrent des partis : comme
ces pilotes qui se trouvant surpris de
l'orage en pleine mer, sont contraints
de quitter la route qu'ils veulent tenir,
et de s'abandonner pour un temps au
gré des vents et de la tempête. Telle
est la justice de Dieu , telle est l'infir
mité naturelle des hommes; mais le sage
revient aisément à soi ; et il y a dans la
politique comme dans la religion , une
espèce de pénitence plus glorieuse que
l'innocence même, qui répare avanta
geusement un peu de fragilité par des
vertus extraordinaires, et par une ferveur
continuelle, - • " -

« Mais où m'arrêtai - je , messieurs ?


Votre esprit vous représente déjà , sans
doute, monsieur de Turenne à la tête
des armées du roi. Vous le voyez com
combattre et dissiper la rébellion , ra
mener ceux que le mensonge avoit sé
duits, rassurer ceux que la crainte avoit
ébranlés, et crier comme un autre Moyse
à toutes les portes d'Israel : Que ceux
( 173 )
qui sont au Seigneur se joignent à moi.
Quelles furent alors sa fermeté et sa
sagesse ! »
L'orateur fait dans ces circonstances
un usage utile des ornemens, pour di
minuer l'impression que la difficulté
pourroit faire sur l'esprit de l'auditeur :
c'est ce qu'on remarque dans le mor
ceau de M. Fléchier, que je viens de
rapporter, et le second cas de l'appli
cation de la règle que j'ai établie.
· M. Cochin a employé le même art,
pour dissiper l'impression que les sen
timens de piété, répandus dans les let
tres de la demoiselle. .. .. pouvoient
faire. -

« Elle convient que le marquis....


étoit épris pour elle de la plus vive,
de la plus folle passion ; elle avoue en
core, qu'au lieu de fuir un homme qui
avoit sur elle des vues si contraires à la
vertu , elle a été liée étroitement avec
, lui , et qu'elle le voyoit très - souvent.
Sa confession va même plus loin : elle
convient qu'il y a eu de l'imprudence
et de la légèreté dans sa conduite; elle
a fait plaider, que la sagesse étoit le
fruit de la maturité de l'âge, et souvent
même des fautes de la jeunesse. Mais en
( 174 )
faut - il davantage pour la convaincre ,
et pour établir l'indignité qu'on lui op
pose ? N'est-ce pas là se reconnoître cou
pable , et demander grâce ?
» Car de prétendre que cette impru
| dence l'a conduite jusqu'au bord du pré
cipice, sans y avoir été entraînée; qu'elle
s'est exposée au milieu des flammes ,
mais qu'elles l'ont respectée ; qu'elle a
toujours été agitée § les tempêtes , et
· qu'elle n'a jamais fait naufrage; ce sont
de magnifiques idées, qui ne se conci
lient guère avec la nature. Il faudroit
que la demoiselle *** eût eu en par
tage une vertu supérieure aux forces de
l'humanité, et que pendant huit an
nées elle se fût soutenue par un mi
racle éclatant, contre un ennemi d'au
tant plus dangereux, qu'il lui étoit plus
cher.
» Mais pour en juger avec plus de
· certitude, il n'y a qu'à ouvrir les lettres
· que la demoiselle comtesse de. ... . a
heureusement recouvrées, et que la de
moiselle *** a été obligée de reconnoître
· pour son ouvrage. On verra si le crime
n'éclate pas à chaque trait, et si la vio
lence de la passion ne l'a pas fait passer
au-delà de toutes les bornes, »
· ( 17; )
| Je dois observer , en terminant ce
chapitre, que la plaidoirie ne permet
pas une aussi grande précision que les
mémoires. -

· L'otateur doit se proportionner à tous


les esprits.
Il en est qui saisissent avec facilité la
force d'une preuve, ou la justesse d'un
raisonnement , il en est qui ont besoin
, de plus de méditation. L'écriture satis
fait les uns et les autres , parce que le
lecteur peut s'arrêter où il lui plait ,
et revenir sur ses pas. La parole n'a pas
et avantage. C'est la différence qui se
rencontre entre un tableau qui a son
jour, son point de vue, sa distance,
et une miniature qu'on peut approcher
de ses yeux. Le génie seul apprendra le
juste milieu que l'orateur doit tenir entre
une répétition ennuyeuse, et une éten
due modérée, nécessaire pour donner
au raisonnement le temps de produire
son effet.
C'est encore le génie et l'habitude ,
qui feront pressentir à l'orateur, dans
le cours même de la plaidoirie, l'im
pression qu'il fait sur l'esprit de ses ju
ges, qui lui apprendront à se replier
sur lui-même pour éviter l'ennui, soit en
( 176 )
reproduisant sous une nouvelle forme un
moyen essentiel, soit en passant rapide
ment à un autre , s'il désespère de la
réussite de celui qu'il avoit proposé.
La réplique exige en ce point les
mêmes ménagemens que la plaidoirie,
avec cette différence, que sa base étant
connue, l'orateur doit passer rapidement
sur les moyens qu'il a présentés, pour
se fixer à la réponse aux objections de son
adversaire , et aux nouvelles réflexions
que sa cause lui fournit.

C H A P I T R E V.

· Des Passions et de la Péroraison.

C'EsT ici la partie caractéristique de


l'orateur , c'est ce qui lui donne la supé
riorité sur le philosophe. -

L'un se contente de démontrer , l'au


tre n'éclaire pas seulement l'esprit, il
obtient du cœur par l'insinuation ou
par la force, ce que la prévention ou
i'injustice eussent peut-être refusé à la
raison.
( 177 )
Sentir et juger sont les deux facultés
que Dieu a imprimées en nous dans la
formation de notre être.
Je mets le sentiment avant le juge
ment, parce que, dans l'opinion la plus
vraisemblable , il est la source de nos
idées et de nos jugemens.
J'entends par ce mot cette faculté
de l'âme qui reçoit les sensations , qui
en ressent du plaisir ou de la douleur,
suivant qu'elles sont utiles ou nuisibles .
à notre conservation. Ce sont les sensa
tions qui gravent en nous les premières
idées; c'est la réflexion qui les multi
plie, qui les compare et qui les juge :
de ces jugemens nait la raison, qui doit
prendre le dessus sur le sentiment, pour
en régler l'usage. .
| L'amour de nous-mêmes est la base de
toutes nos passions, la source de tous
nos biens et de tous nos maux.
Si j'avois à établir cette proposition par
l'autorité, j'implorerois celle de la reli
gion, qui ne nous oblige d'aimer notre
prochain que comme nous-mêmes.
L'amour de Dieu exige une place
plus distinguée dans notre cœur ; mais
cet amour ne se rapporte - t - il pas à
nous ?
H,
( 178 )
Aimer Dieu pour lui - même, c'est
1'aimer à cause de ses perfections ; or
toutes celles qui attirent notre amour
sont relatives à nous; c'est sa toute-puis
sance qui nous a créé, et qui nous con
serve , c'est son intelligence qui nous
éclaire; c'est sa bonté infinie qui pourvoit
à nos besoins. -

| Ma proposition est donc très - ortho


doxe , examinons-la maintenant en phi
| losophe. . -

Quel est ce sentiment qui excite mal


gré nous notre compassion pour celui
que nous voyons souffrir, sinon un re
- tour sur nous-même, qui nous met à la
place du patient, en nous présentant le
tableau des maux auxquels nous sommes
exposés ? -

Le preuve en est , que ce sentiment


s mousse par l'habitude et par la ré
- flexion. Celui ci devient dur, parce qu'il
-commence à se tirer du pair; celui-là est
·insensible aux maux qu'il voit souffrir ,
parce qu'il considère le bien réel qui en
résultera.
• La bonne fortune endurcit le cœur ,
parce qu'elte accoutume l'homme à se
placer au-dessus des événemens; le mal
• .
( 179 ) -

heureux est naturellement compatissant


- par la raison contraire :
Non ignara mali, miseris succurrere disco.
. · . - VIR G I L#
« N'ignorant pas le malheur, j'apprends à secourir les
» malheureux. »

L'indignation contre l'oppresseur est


le même sentiment envisagé sous un
autre point de vue, la conséquence né
, cessaire de la compassion pour les infor
tunés.
L'amour et l'amitié dérivent de la
même source. -

Je ne parle pas de cet amour, qui


n'est qu'une sensation qui se dissipe par
la jouissance : je parle de cette passion
du cœur , qui nous porte à sacrifier
notre bien apparent à l'objet aimé, qui
a sa source dans l'amitié, mais que la
vivacité du sentiment, l'idée d'un bon
heur que l'imagination embellit, rendent
maitre se de notre âme : qui peut mé
· connoitre son origine dans l'amour de
- nous-mêmes ? Les sacrifices que nous fai
sons à l'objet aimé, sont l'effet de la vio
lence de la passion, qui nous fait envi
sager un bonheur plus grand.
--

: Ces mêmes sacrifices éclatent dans


( 18o )
l'amitié, mais avec un fondement plus
solide , la satisfaction très - réelle de
mériter la reconnoissance de nos amis
par le bien que nous leur procurons ,
les avantages de la bienfaisance réci
proque.
Enfin la branche la plus précieuse de
l'amour de nous-même est l'amour de
la patrie , qui renferme l'amour pa
· ternel et l'amour filial , lien de la so
ciété, principe de toute subordination ,
source de l'ordre , et par conséquent
de la félicité. C'est cet amour qui nous
fait respecter dans le souverain le père
comInun de son peuple , dont l'auto
rité se subdivise dans les différens or
dres de l'Etat, et s'étend jusqu'aux fa
milles particulières ; ressort universel qui
tend toutes les parties de cette machine
immense, pour les faire concourir au bien
à

general.
| De quelle autre source partent la
sage économie et l'avarice, la libéralité
et la prodigalité , l'activité et l'ambi
tion, l'émulation et la jalousie, le cou
rage et la lâcheté, la prudence et la
témérité ? Ainsi l'amour de nous-même,
qui déréglé, est le principe de tous les
désordres de la société, en est le lien
-
( 18r )
lorsqu'il est conduit par la raison ; sem
blable à cette force qui attirant tous les
corps vers un centre commun, les tient
tous à la distance où ils doivent être les
uns des autres.
On peut décider par ces principes cette
question tant de fois agitée, si le danger
des passions doit nous déterminer à tra
vailler à les éteindre ?
Elle est la même que celle-ci, pro
posée en d'autres termes : L'homme doit
il s'anéantir, parce qu'il est exposé à faire
un mauvais usage de la vie ?
Quelques efforts que vous fassiez ,
vous ne parviendrez pas à détruire l'a-
mour de vous - même ; il tient à votre
existence ; concentrez cet amour, em
pêchez-le de s'attacher aux objets exté
rieurs, vous séparez les hommes, vous
anéantissez la société.
Je dis plus ; nous ne pratiquons la
vertu même, qu'autant qu'elle devient
en nous une passion ; c'est ce que je
viens de prouver en développant la na
| ture des sacrifices que l'amitié nous fait
faire,
L'orateur doit donc faire usage des
passions, comme du resscrt le plus puis
sant pour déterminer les hommes.
( 182 )
Mais par quels moyens parviendra-t-if
à rendre le juge sensible à des intérêts
qui lui sont étrangers ? — En exprimant
en lui-même une juste sensibilité.
Ut ridentibus arrident , ita flentibus adsunt
· Humani vultus ; si vis me fere, dolendum est
Piimùm ipsi tibi. H O R A c E.

« Comme les visages des hommes rient avec ceux qui


» rient , ils pleurent avec ceux qui pleurent ; si tu veux
» que je pleure, pleure toi-même. »

: Pour développer ce principe, il faut


remonter à sa source.
J'ai observé que la sensibilité que
· nous éprouvons pour les maux d'au
· trui, provient d'un retour que nous fai
sons sur nous, comme exposes aux memes
accideiis.

Homo sum , humani nihil à me alienum puto.


T E R E N c E.

« Je suis homme ; rien de ce qui intéresse l'humanité


» ne m'est étranger. »

C'est de ce principe que dérive cette


règle fondamentale de la loi naturelle,
si profondément gravée dans nos âmes :
· Ne fais point aux autres ce que tu ne
-veux pas qui te soit fait.
Ce retour sur nous-même est telle
( 183 ) -

ment naturel , qu'il est involontaire ,


agréable , ou pénible, suivant son dégré
de force. De là l'horreur que nous avons
du coupable, au récit d'une action tra
gique , et la comparaison tendre pour
· le malheureux. Ces sentimens nous plai
sent, parce qu'ils développent les res
sorts de notre âme. Augmentez l'effet,
mettez l'action même sous les yeux du
spectateur, ce qui lui faisoit verser de
douces larmes se change en une dou
leur réelle, par l'intérêt trop vif qu'il y
prend. C'est ce milieu qui sépare en toutes
'choses nos plaisirs de nos peines.
.. Segnius irritant animos demiss3 per aurem,
Quàm qu e sunt oculis subjecta fidelibus , et qu e
Ipse sibi tradit spectator. . . ... . . . . .
Nec coram populo pueros Medea trucidet. .
r H O R A c E. .

« Ce qui est transmis par l'oreille irrite plus fcible


» ment les esprits que ce qui est sous nos yeux , dont
ſ» le spectateur s'instruit par lui-même. .. .. Que Médée
» n'égorge pas ses emfans devant le peuple. »

" L'orateur ne court point ce risque,


·parce que tout est récit dans son dis
cours. ll suffit donc qu'il n'arrête pas
l'impression que le fait doit produire; ce
qui arriveroit, s'il· · n'en
lui-même. .
étoit pas touché
• . .. -- , , ,

*.
( 184 )
M. Rollin divise, à l'exemple des au
tres rhéteurs, les passions en deux clas
ses ; celles qu'ils appellent ethos, les
passions douces, qui tendent à inspirer
la modération, la patience, l'humanité,
le pardon des injures , la compassion
pour les malheureux, et le pathos, les
passions vives, la pitié et l'indignation.
Je réduis toutes les passions à cette
dernière classe; car les premières, ou sont
comprises dans celles-ci, ou sont moins
des passions, que le fruit des réflexions
morales de l'orateur
C'étoit la pensée des Grecs, comme
le prouve le nom même que les rhé
teurs donnent à cette première classe
ñôoç , mœurs.
Quand Cicéron, pour remercier César
du pardon qu'il a accordé à Marcellus,
compare la victoire que César a rem
portée sur lui-même à celles qu'il a tant
de fois remportées sur les ennemis de
l'Etat. :

« (1) Vous avez dompté des nations


barbares innombrables, dans des pays
éloignés, quelquefois inacce,sibles, abon
dantes en toutes espèces de munitions ;
(1) CIC. Orat. pro Marcello.
( 185 )
mais enfin vous avez surmonté des obs
tacles qui n'étoient pas invincibles ; car
il n'y a aucune puissance dont le fer ne
puisse triompher : mais se vaincre soi
, même, retenir son courroux, user mo
dérément de la victoire, relever un en
nemi puissant , redoutable, ajouter aux
· honneurs qu'il a reçus ; celui qui fait ces
choses, je ne le compare pas seulement
aux plus grands hommes, mais je l'égale
presque à la divinité. » , .
Ce morceau est admirable sans doute;
mais son mérite consiste plutôt dans la
justesse des pensées, et dans l'exactitude
de la morale et du raisonnement , que
dans l'émotion des passions.
Le discours de Flavien, évêque d'An
tioche, demandant grâce pour son peu
ple à Théodose, irrité de l'insulte faite
à ses statues et à celles de l'impératrice,
est un modèle de l'art d'attendrir l'au
diteur, jusqu'à lui faire verser des larmes.
J'ai peine à concevoir comment M. Rollin
a pu le ranger dans la classe des passions
douces.
Les passions n'ont que deux objets
dans l'éloquence , d'attendrir l'auditeur
en faveur de l'opprimé, de l'irriter con
tre l'oppresseur.
( 186 )
Ce sont ces deux passions, qui sont la
base de la Tragédie. Elles se réduisent
même proprement à une seule ; car le
même sentiment qui nous irrite contre
la violence, nous attendrit en faveur de
celui qui en est la victime. -
On peut juger par ces règles ; de la
nature du plaisir que nous éprouvons à
la représentation d'une bonne tragédie.
Boileau ( 1 ) et plusieurs auteurs de
#

(1) Il n'est point de serpent, ni de monstre odieux,


Qui par l'art imité ne puisse plaire aux yeux.
D' un pinceau délicat l'artifice agréable,
Du plus affreux objet, fait un objet aimable.
Ainsi pour nous charmer, la Tragédie en pleurs,
D'(BE dipe tout sanglant fit parler les douleurs ;
D'Oreste parricide exprima les alarmes,
Et pour nous divertir, nous arracha des larmes.
Ces vers ne me paroissent pas même avoir la justesse
d'expression qui est le caractère de Boileau.
L'imitation de la nature nous plaît dans un tableau ;
mais si la peînture est obligée d'exprimer un sujet terrible,
la délicatesse de pinceau seroit déplacée ; c'est la force
qui est nécessaire.
Cette imitation parfaite nous plaît , parce qu'elle nous
touche ; mais on ne peut pas dire, que du plus affreux°
objet elle fasse un objet aimable.
La Comédie nous divertit et nous instruit en même
temps par la peinture des ridicules ; mais je ne crois
pas qu'on puisse se servir du même mot pour exprimer
le plaisir que nous ressentons à la représentation d'une
, tragédie. - -
( 187 )
nos jours, prétendent que ce plaisir ré
sulte uniquement de l'imitatiôn de la
"flatllrC. -

, J'avouerai que je ne puis me rendre


à cette opinion. ' -

L'imitation de la nature nous plait


sans doute; mais elle excite plutôt notre
admiration , qu'elle ne nous émeut. Si
l'illusion de la tragédie permettoit au
spectateur de comparer au moment de
la représentation la copie avec l'ori
ginal , il cesseroit d'être touché, et le
Poëte n'auroit pas atteint le but qu'il se
propose. -

Le plaisir que nous éprouvons ré


sulte au contraire d'une illusion assez
forte, pour nons distraire de la fiction ,
- 6t nOllS persuader dans quelques mo

mens, que l'action représentée se passe


sous nos yeux.
C'est par cet artifice, que la tragé

Si je critique Boileau sur le fond même de sa pensée,


j'ai au moins l'avantage de me rencontrer avec : un
magistrat, dont Boileau a loué le goût exquis en litté
,rature ::

Sut plaire à d'Aguesseau; sut satisfaire Termes.


Voyez cette question traitée dans le premier volume
des Œuvres de d'Aguesseau.
( 188 ) ·
die nous attendrit sur les malheurs d'An
dromaque , qu'elle excite notre hor
reur et notre pitié pour la passion inces
tueuse, mais involontaire de Phèdre, ou
notre indignation contre Poliphonte.
Puisque ce sentiment est dans la na
ture, il faut que le sujet le fasse naître.
Le poëte est maître du choix de son
sujet et de sa fiction; il n'en est pas ainsi
de l'orateur. ll doit donc se borner au
raisonnement, si les faits ne lui fournis
sent pas des armes plus puissantes.
C'est l'expression du sentiment naturel
qui produit les figures.
Considérez un homme pénétré d'une
douleur vive.
Quelquefois un morne silence , ou
une exposition simple, peignent mieux
ce sentiment, que les mouvemens vio
lens : -

Et tragicus plerumque dolet sermone pedestri.


' • H O R A c E.

« Presque toujours le tragique dépouille le cothurne


» pour émouvoir le spectateur. »

Quelquefois la douleur se répand en


plaintes amères, elle invoque le ciel,
elle apostrophe , et prête du sentiment
même aux choses inanimées.
( 189 )
Ce sont ces nuances qu'on remarque
dans le discours de Flavien à Théodose.
Cet évêque garde le silence, comme
accablé du crime que les habitans d'An
tioche ont commis. -

Il l'interrompt pour essayer de toucher


l'empereur, par le tableau du repentir de
ces habitans , de l'état florissant de cette
ville, de la désolation à laquelle elle va
être réduite.
Enfin il parle au nom du souverain
Maître, qui commande le pardon des
injures, et il exhorte un empereur chré
- tien à faire respecter par son exemple la
morale évangélique. -

L'indignation poursuit le coupable ;


elle peint toute l'horreur de son crime ;
osant même quelquefois se livrer à l'exa
gération , pour obliger l'auditeur de se
réduire à la vérité.
J'appliquerai ici ce que j'ai dit du
sublime.
Celui qui est capable de s'occuper
de l'arrangement des figures, ne ressent
as la passion; il est donc incapable de
l'exciter. -

Ainsi l'art de l'orateur se borne à


développer les circonstances, qui doivent
( 19o )
émouvoir l'auditeur, avec les figures
que lui fournit le sentiment dont il est
pénétré. .
| Quelle autre cause que ce développe
ment produit le pathétique des repro
ches de Lusignan à sa fille, lorsqu'il
apprend que l'amour pour Orosmane l'a
emporté dans son cœur sur la religion de
ses pères ?
Que la foudre en éclats ne tombe que sur moi !
Ah! mon fils ! à ces mots j'eusse expiré sans toi.
Mon Dieu , j'ai combattu soixante ans pour ta gloire ;
J'ai vu tomber ton temple, et périr ta mémoire.
Dans un cachot affreux, abandonné vingt ans,
Mes larmes t'imploroient pour mes tristes enfans ;
Et lorsque ma famille est par toi réunie ,
Quand je trouve une fille , elle est ton ennemie !
Je suis bien malheureux..... c'est ton père , c'est moi,
C'est ma seule prison qui t'a ravi ta foi.
Ma fille, tendre objet de mes dernières peines,
Songe au moins , songe au sang qui coule dans tes veines ,
C'est le sang de vingt rois, tous chrétiens comme moi ;
C'est le sang des héros défenseurs de ma loi ;
C'est le sang des martyrs. ... ô fille encor trop chère, .
Connois-tu ton destin ; sais-tu quelle est ta mère ?
Sais-tu bien qu'à l'instant que son flanc mit au jour
Ce triste et dernier fruit d'un malheureux amour,
Je la vis massacrer par la main forcenée,
Par la main des brigands à qui tu t'es donnée ?
Tes frères, ces martyrs égorgés à nos yeux , .
T'cuvrent leurs bras sanglans tendus du haut des Cieux.
( I 91 )
Ton Dieu que tu trahis , ton Dieu que tu blasphêmes, .
Pour toi, pour l'univers, est mort en ces lieux mêmes.
En ces lieux, où mon bras le servit tant de fois,
En ces lieux, où son sang te parte par ma voix.
Vois ces murs, vois ce temple envahi par tes maîtres ;
Tout annonce le Dieu qu'ont vengé tes ancêtres.
Tourne les yeux ; sa tombe est près de ce palais ;
C'est ici la montagne où lavant nos forfaits ,
Il voulut expirer sous les coups de l'impie ; '
C'est là que de sa tombe il rappela sa vie.
Tu ne saurois marcher dans cet auguste lieu ,
Tu n'y peux faire un pas sans y trouver ton Dieu ;
Et tu n'y peux rester sans renier ton père ,
Ton honneur qui te parle ; et ton Dieu qui t'éclaire.
Je te vois dans mes bras, et pleurer, et frémir ;
Sur ton front pâlissant Dieu met le repentir :
Je vois la vérité dans ton cœur descendue ;
Je retrouve ma fille après 1'avoir perdue,
" Et je reprends ma gloire et ma félicité,
En dérobant mon sang à l'infidélité.

J'ai rapporté au chapitre VI de la


première partie un morceau encore plus
simple, ce sont ces vers de Sapho :
Heureux qui près de toi, pour toi seule soupire, etc.

Le poëte n'y emploie pas même les


figures pour exprimer la passion ; elle
résulte du seul exposé. \ -

· Je ne peux m'empêcher d'opposer à


cette noble simplicité qui faisoit le ca
ractère des anciens, comme elle est celui
de la nature, les pensées forcées, et la
( 192 )
ridicule affectation des derniers vers du
célebre monologue d'Amarillis, qui est
la quatrième scène du troisième acte du
Pastor fido.
Voici le langage que le poéte met
dans la bouche de cette fille, combattue
d'un côté par la passion la plus violente,
et de l'autre par la crainte de la perte de
l'honneur et de la vie.

Et tu Mirtillo, anima mia, perdona


A chi t'è cruda sol, dove pietosa
Esser non può : perdona à questa solo
Ne' detti, e nel sembiante
Rigida tua nemica ; ma nel core
Pietosissima amante.
E se pur hai desio di vendicarti,
Deh qual vendeti aver puoi tu maggiore
Del tuo proprio dolore;
Ce se tu sei l' cor mio
Come se pur malgrado
Del cielo e della terra,
Qualor piangi, e sospiri,
Qualle lagrime tue sono il mio sangue,
Quei sospiri il mio spirto 3 e quelle pene
E quel dolor che senti -

Sono miei, non tuoi tormenti.


« (1) Pardonne, mon cher Mirtile, à celle qui n'est

(1) M. l'abbé Regnier a senti ce défaut dans la traduc


tion en vers qu'il nous a donnée de ce monologue, et il
l'a adouci ; c'est ce qui m'a engagé à le rendre litterale
ment, pour prouver que le défaut est dans les pensées,
non dans la langue.
» cruelle
( 193 )

cruelle envers toi.que parce qu'elle ne peut, sans man
» quer à son devoir, paroîre sensible à tes peines. Par
» donne à celle qui paroît dans ses discours et dans son
» extérieur ta cruelle ennemie, lorsque son cœur t'est
» le plus attaché. Si tu désires te venger , quelle ven
» geance plus grande peux tu avoir que ta propre dou
| » leur à car si tu es ino-même, comme tu l'es en effet ,
» malgré le ciel et la terre ; quand tu pleures et que tu
» soupires, tes larmes sont mon sa g , tes soupirs sont
» mon âme ; tes peunes et ta douleur sont mon supplice
» et non le tien. » . - -

Les poëtes tragiques ont un avan


tage que l'orateur n'a pas , c'est le
combat des passions contraires. Racine a
excellé dans cette partie. J'en vais citer
un exemple tiré de Bérénice, pièce à qui
notre siècle commence à rendre la jus
tice que le siècle de Louis XIV lui avoit
refusée. - | -

· (Add. ) Qui le croiroit ? Ce fut le sort


de toutes les pièces du grand Racine ,
d'Atalie elle-même, d'être violemment
critiquées d'abord , quelquefois repous
sées , admirées ensuite, avec raison ,
comme des chefs-d'œuvres !) .
| Titus porte à cette reine malheureuse
l'ordre de son départ. Cette nouvelle
reçue de la bouche de son amant, excite
dans le cœur de la princesse la douleur .
et l'indignation.
I
( 194 )
Eh bien, régnez, cruel, contentez votre gloire.
Je ne dispute plus : j'attendois pour vous croire,
Que cette même bouche, après mille sermens
D'un amour qui devoit unir tous nos momens :
Cette bouche à mes yeux s'avouant infidelle,
M'ordonnât elle-même une absence éternelle.
Moi-même j'ai voulu vous entendre en ce lieu ;
Je n'écoute plus rien, et pour jamais adieu.
Poul jamais ! ah ! Seigneur, songez vous en vous-même
Combien ce mot cruel est affreux quand on aime ;
• Dans un mois, dans un an , comment souffrirons-nous,
Seigneur , que tant de mers me séparent de vous ? .
Que le jour recommence , et que le jour finisse,
Sans que jamais Titus puisse voir Bérénice :
Sans que de tout le jour je puisse voir Titus ?
Mais quelle est mon erreur, et que de soins perdus :
L'ingrat, de mon départ consolé par avance,
Daignera t-il compter les jours de mon absence ?
Ces jours si longs pour moi, lui sembleront trop courts.

L'orateur ne peut pas exprimer ce


combat , qui ne se trouve que dans
celui même qui est la victime de la pas
sion,
Mais ce morceau concourt à prouver
ma proposition, que le seul art que le
poëte ou l'orateur doivent employer ,
consiste dans l'exposition des circonstan
ces propres à émouvoir , que la nature
seule fait le reste.
Le cinquième discours de Cicéron
contre Verrès , présente un modèle
( 195 )
de l'indignation, et de la pitié réunies.
Il s'agit du supplice de Gavius, ci
toyen romain , que Verrès avoit fait
battre de verges et crucifier , sous une
fausse accusation de trahison ; supplice
ignominieux, auquel les citoyens romains
ne pouvoient être condamnés pour quel
que crime que ce fût.
« On fustigeoit dans la place de Mes
sine un citoyen romain , qui environné
des licteurs de Verrès, n'exprimoit ses
gémissemens, que par ces paroles répé
tées à chaque coup de verges : Je suis
citoyen romain. Il se flattoit qu'en re
clamant ce titre respectable, il appaise
roit la fureur de ses ennemis ; qu'il
obtiendroit au moins quelque adoucis
sement à la rigueur de son supplice.
Mais loin que ce titre ait arrêté l'inhu
manité du Préteur ; dans le temps que
cet infortuné citoyen , qui n'avoit pas
même l'idée d'un tel excès de tyrannie,
faisoit retentir la place d'un nom qu'il
regardoit comme sa sauve - garde, on
élevoit une croix , une croix pour son
supplice • • • • • • • • • • • • • • . . .
Liberté sainte, titre auguste des citoyens
romains, lois sacrées qui avez rendu au
peuple la puissance tribunicienne pour
( 196 ) ·
la conservation de ses droits , êtes-vous
oubliées à un tel point, qu'un citoyen
romain soit battu de verges dans une
province de la république romaine, chez
un peuple alli , par celui qui tient du
peuple romain la hache et les faisceaux
dont il abuse si indignement ! . . . . .
Tu as osé , Verrès, faire attacher à une
croix un homme, qui se disoit citoyen
IOIllalfl• • • • • • • • • • • • • • • • • •

Si tu étois toi-même trainé au supplice


dans la Perse, ou à l'extrémité de l'Inde,
chez les peuples les plus barbares , le
titre de citoyen romain y seroit res
pecté; il suffiroit pour te sauver la vie ;
et dans ton propre tribunal, cet homme
inconnu , dis-tu, mais qui se disoit ci
toyen romain, n'a pas même pu retarder
son supplice. »
La réflexion de Cicéron sur le lieu où
la croix de Gavius avoit été placée , à
l'extrémité du port de Messine, contre
l'usage, pourroit paroître puérile, si elle
n'amenoit cette pensée sublime.
| « Ce lieu avoit été choisi par un nou
vel excès de cruauté, afin que cet infor
tuné citoyen périssant par un supplice
infime à la vue de l'Italie, pût mesurer
le court espace qui séparoit le séjour de
- ( 197 ) -

la liberté de celui de la tyrannie et de


" l'esclavage. » - - -

| (1) Je ne juge pas aussi favorablement


que M. Rollin, des dernieres phrases de
ce morceau, auxquelles on peut reprocher
le vice de l'enflure.
« Si je portois ces plaintes, non à des
citoyens romains , non à nos amis et à
nos alliés , non à des peuples chez les
quels le nom du peuple romain eût pé
nétré, non enfin à des hommes , ni
même à des bêtes féroces , mais aux
pierres et aux rochers , elles suffiroient
pour animer ces êtres insensibles. Je parle
à des sénateurs du peuple romain , à des
juges quI connoissent et respectent nos
lois : ils ne considéreront pas cet exem
ple sans frémir sur les conséquences
qu'il peut avoir. Si un seul citoyen ro
main peut être jugé digne du supplice
de la croix, tous sont exposés au même
danger. »
Comme cette cruauté de Verrès pas
soit , les bornes de la vraisemblance ,
Cicéron a eu soin d'en prévenir avant
d'exposer le fait, et de faire précéder

- (1) Traite des Etudes , tome 2 , p. 3 1 6,


( 198 )
les preuves qui en établissoient la cer
titude.
(Add.) « Ce titre d'accusation esttel, dit
l'orateur,que quand il me fut déféré pour la -
première fois, je ne croyois pas devoir en
faire usage, bien que convaincu de sa
vérité : il me paroissoit tellement hors
de toute vraisemblance, que je désespé
rois pouvoir le faire croire. Forcé par les
larmes de tous les citoyens romains qui
commercent dans la Sicile, encouragé
par les témoignages des Valentiniens, gens
d'une probité reconnue, de tous les Rhé
giens, d'un grand nombre de chevaliers
romains qui se trouvoient alors, par ha
sard, à Messine, j'ai produit mes té
moins à la dernière audience , afin que
la chose ne pût être révoquée en doute
par personne. » (1)
Ce vice de l'enflure est le plus grand
de tous. L'orateur sort de la nature en
l'outrant , dès-lors il éteint la passion,
et devient ridicule. '
Notre goût est plus délicat sur ce point
que celui des romains. -

Nous exigeons dans la chaire et dans


le barreau une décence exacte.

(1) CICERO , in Verrem 5.


( 199 ) -

• Ainsi je ne pense pas qu'on permît


parmi nous à un orateur les mouve
mens dont Antoine l'ancien fit usage
dans la cause d'Aquilius, lorsqu'il ou
vrit la robe de son client, pour mon
trer les cicatrices des blessures honorables
qu'il avoit reçues. - -

Quoique ce morceau soit étranger à


nos mœurs, je crois devoir le transcrire
ici, par l'utilité des préceptes qu'il ren
ferme, en les réduisant aux bornes que
la décence exige.
(1) « Ne croyez pas, dit Antoine ,
que je jouasse un rôle de théâtre dans
cette vive péroraison ; j'exprimois natu
rellement la douleur dont j'étois péné
tré, en songeant à l'exil honteux dont
Aquilius étoit menacé. Je me rappel
lois les victoires qu'il avoit rempor
tées, et les honneurs qu'il avoit reçus.
Je l'avois vu consul, victorieux , mon
ter en triomphe au capitole : je le voyois
alors affoibli par l'âge et par la dou
leur, consterné à la vue du danger, et
je n'essayai d'exciter que les sentimens
dont j'étois moi-même pénétré. Je m'a-
perçus de l'impression que je fis sur les
s(1) CIcER. de Oratore, lib. 2,
( 2oo ) -

juges , lorsque j'obligeai ce vieillard à


se lever , que je déchirai sa tunique
pour montrer les cicatrices des blessures
qu'il avoit reçues. Ce mouvement-n'avoit
point été préparé 3 ce fut le sentiment
seul qui le produi-it. Je voyois au nom
bre des juges Marius qui mêloit ses
larmes aux miennes ; cette circons
ta ce me donna une nouvelle force ; je
l'appelai par son nom , je lui recom
mandai son collègue, et l'intérêt com
mun de tous ceux qui avoient servi la
république dans la guerre. Si je n'eusse
exprimé la douleur la plus vive , si je
n'etsse répandu des larmes, si je n'eusse
imploré le secours des Dieux et des
hommes , des citoyens et des alliés ,
non seulement mon discours n'eût touché
personne , mais ma déclamation eût été
ridicule. » , º. -
- Ces mouvemens sont forcés sans
doute; ils conviennent mieux à la dé
clamation théâtrale, qu'à l'éloquence du |.
barreau. . ) < ' | | - - , :
| Conclure de ce principe, comme le
fait M. Crevier (1), que l'expression des
passions est interdite parmi nous à l'ora
(I) Rhétorique française, p.224 et 225. . -
( 2o 1 )
teur du barreau, c'est contredire ce que
l'expérience nous apprend.
· Le mémoire de M. Cochin pour le
marquis d'Hautefort, dont M. Crevier
a tiré ce prétendu principe, ne feroit pas
loi, quelque respectable que soit l'auto
rité de cet orateur. | -

· Mais on voit dans ce mémoire Inême,


que M. Aubry, défenseur de la demoi
| selle de Kerbabu, avoit employé toute
la véhémence du discours pour exciter
l'indignation contre le décret lancé par
le juge de Laval, qu'il avoit fait des por
traits touchants de la captivité de la de
moiselle de Kerbabu, et des dangers
· qu'elle avoit courus pour sortir de prison.
| Ce sont ces mouvemens qui donnent
lieu à cette phrase de M. Cochin, citée
par M. Crevier : « Si des magistrats qui
n'ont que la vérité pour objet, et la loi
pour règle, pouvoient se laisser toucher
à des sentimens de compassion , le mar
".
quis d'Hautefort seroit bien plus en état
de se de
selle piocurer ce secours,
Kerbabu. ». que la demoi
• *.

L'objet de l'orateur étoit moins d'ex


citer la pitié , que de détruire celle que
la demoiselle de Kerbabu avoit excitée,
I.
( 2o2 )
et qui avoit produit la plus forte préven
tion en sa faveur.
J'ai prouvé dans le premier chapitre
de la première partie de cet ouvrage,
qu'il est une multitude de sujets , qui
prêtent autant parmi nous à la passion,
que ceux que les orateurs romains ont
traités.
Enfin, si les mémoires de M. Cochin
ne nous fournissent pas des modèles
aussi parfaits en cette partie, que les
discours des anciens , ceux qui ont en
tendu ses plaidoiries, et qui ont admiré
la force de son éloquence, sont en état
d'attester que personne n'a porté plus
loin l'art d'émouvoir.
J'ai choisi dans Cicéron le morceau
du supplice de Gavius, parce qu'il m'a
paru convenir particulièrement à notre
éloquence, et je ne craindrai pas de dire
qu'il pourroit servir de modèle à tout
orateur qui seroit obligé de s'élever
contre une semblable tyrannie.
C'est par une suite de la même erreur,
que M. Crevier (1) refuse à l'éloquence
de notre barreau , l'usage des grandes

(1) Tome 2, page 164,


( 2o3 )
figures,
sopopee.
telles que l'apostrophe et la pro
- •

Rien n'est plus commun que l'apos


trophe et l'interrogation ; rien ne donne
plus de naturel au discours, rien ne
rend plus sensibles les preuves de l'ora
tClll'. -

« Vous prétendez, dit Cicéron , que


Roscius a tué son père ; quel motif a pu
le porter à commettre ce crime ?
« Son père pensoit à le déshériter. Je
n'examine pas quant à présent, quel mo
tif le père avoit de se porter à cette ri
gueur; je demande comment vous êtes
instruit du fait , quoique je fusse en
droit d'exiger, que vous explicassiez les
mécontentemens assez graves que le père
avoit reçus de son fils, pour l'emporter
dans son cœur sur les sentimens de la
nature, pour surmonter la tendresse pa- .
ternelle , pour lui faire oublier qu'il
étoit père ; car on ne présumera pas
qu'un père se porte à cet excès de sévé
rité, si le fils n'a commis les fautes les
plus graves. Passons sur cette circons
tance. Le père vouloit déshériter son
fils! Pour quelle cause ? Je ne sais. L'a-
t-il fait ? Non. Qui l'en a empêché ? Il
y pensoit. A qui l'a-t-il dit ? A personne.
(/2o4 )
Accuser ainsi , non-seulement sans preu
ve pour soutenir ce qu'on avance, mais
sans essayer même de le rendre vrai
semblable, n'est-ce pas se jouer de la
majesté du tribuual, abuser de la per
mission accordée par la loi à tous les ci
toyens , pour satisfaire sa passion, ou un
sordide intérêt !» . : ' : , , •
1 Ici l'orateur apostrophe et interrogé
son adversaire qui est présent. .. º!
s Cette figure est trop ordinaire, pour
qu'il soit nécessaire de prouver qu'elle a
lieu parmi nous. . - - - - -

· Mais elle est plus hardie, lorsque l'ora


teur apostrophe un homme absent, quel
quefois même les êtres inanimés. .
| Cicéron se sert dans la Milonienne de
la circonstance du lieu où Clodius avoit
été tué, pour faire considérer sa mort
comme un effet de la providence des
Dieux protecteurs de l'empire romain ,
et une vengeance particulière des inipiétés
que Clgdius avoit commises. - t -
· « Ce n'est pas, dit-il, par aucun con
seil humain , ce n'est pas mêine par un
effet de la providence ordinaire des
Dieux, qui veillent sur cet empire, que
Clodius a péri. La religion a pris 'une
part directe à sa puiiition.iJe vous atteste,
| | ( 2o5 ) ·
sacrés tombeaux de la ville d'Aſbe ,
bois consacrés par la piété de nos pères,
autels des alliés du peuple romain, d'un
peuple dont nous tirons notre origine ,
que ce sacrilége avoit osé détruire, pour
construire sur vos débris les nionumens
de son luxe, vous lui avez fait éprouver
la puissance de cette divinité qu'il avoit
méprisée : et vous, Jupiter protecteur du
Latium , dont il avoit profané le bois
sacré, par tant de crimes et tant de
débauches, vous avez donc enfin ouvert
les yeux , pour faire subir à cet impie
une punition tardive, mais juste, de ses
abominarions ! » -

" 2. Enfin l'orateur porte la hardiesse jus


qu'à faire parler les êtres inanimés , et
les morts ; c'est ce qu'on appelle proso
popée, mise sous les yeux , c'est la si
gnification du mot grec.
- Nous en avons un exemple bien remar
quable dans le discours de Cicéron pour
Cœlitps,· 2: · · ·· · · · - , >

: Ce jeune romain étoit accusé par


Claudia , femme licencieuse , d'avoir
attenté à sa vie par le poison, pour se
dispenser de lui rendre l'argent qu'elle
lui âvoit prêté. . - ,

• L'orateur, après avoir prouvé l'inno


( 2o6 )
cence de Cœlius , veut dévoiler l'in
trigue qui avoit donné naissance à cette
aCCuSatIOIl,
« Si l'un de vos ancêtres , Claudia ,
paroissoit ici, et qu'il vint vous repro
cher votre conduite, qu'auriez-vous à lui
répondre ? -

» Faisons paroître Appius Caecus, ce


censeur respectable. Oserez - vous sou
tenir ses reproches ? . . . . . . . . . -
(Il y a ici dans le latin un jeu de mots
indigne de Cicéron, que j'ai supprimé
par cette raison : Appius étoit aveugle.
« Je choisis , dit Cicéron, ce censeur
parmi vos ancêtres, parce qu'il n'aura pas
la douleur de vous voir. »)
« Femme, qu'y a - t - il eu entre vous
et Cœlius, entre vous et ce jeune homme
incapable de se défendre contre vos arti
fices ? Par quel enchaînement vous êtes
vous trouvée dans une telle intimité
avec ce jeune homme, qui vous étoit étran
ger, que vous lui ayez prêté de l'argent ;
et par quel événement êtes-vous devenue
son ennemie jusqu'au point d'en crain
dre du poison ? Avez-vous oublié ce que
vous deviez à la mémoire de vos ancê
tres 2 Avez-vous oublié que vous étiez
- ( 2o7 )
la veuve de Métellus, ce sénateur res
pectable , si attaché à sa patrie, si supé
rieur à tous les autres, autant par sa vertu
que par sa dignité. » -

L'orateur parcourt ensuite toute la


· loire de la maison des Claudes , et des
ºmmes de cette maison qui s'étoient
distinguées par leurs vertus; et il rap
proche ce portrait de la vie licencieuse
de Claudia. . -

La passion admet rarement les ima


ges. Elles supposent dans l'orateur une
attention, qu'une émotion vive ne per
met pas. - -

C'est par cette raison, que la descrip


tion du monstre a été justement eriti
quée dans la Phèdre de Racine. -

Il en est cependant de si naturelles et


de si vives, qu'elles méritent une excep
tion, et qu'elles sont compatibles avec
une passion modérée. .
Telles sont les images répandues dans
ce discours de Jozabeth :

Hélas ! 1'état terrible où le Ciel me l'offrit,


Revient à tout moment t ffraycr mon esprit.
De princes égorgés la chambre étoit remplie,
Un poignard a la main » l'implacable Athalie »
( 2o8 )
Au carnage animoit ses barbares soldats,
Et poursuivoit le cours de ses assassinats.
Joas laissé pour mort, frappa soudain ma vue.
· Je me figure encor sa nourrice éperdue,
Qui devant les bourreaux s'étoit retée en vain ,
, Et foible, le tenoit renversé sur son sein.
| Je le pris tout sanglant, et baignant son visage,
' Mes pleurs du sentiment lui rendirent l'usage,
Et soit frayeur encor , ou pour me caresser,
lDe ses bras innocens je me sentis presser.

Opposons une image d'un autre genre ;.


c'est celle qui termine le discours de la
Molle se, dans le second chant du Lutrin
de Boileau : -

.. . . .. . . . . . .. La Mollesse oppressée ,
· Dans sa bouche à ces mots sent sa langue glacée,
- En lasse de parler , succombant sous l'effort,
Soupire, étend les bras, ferme l'œil, et s'endort.

Je ne crois pas qu'on puisse exclure


parmi nous de l'éloquence du barreau
aucune des figures qui expriment le plus
vivement la passion , mais elles exigent
trois conditions.
La première, qu'elles soient amenées
par le sujet.
La seconde, que ce ne soit que l'ex
pression naturelle du sentiment dont
l'orateur est pénétré.
( 2o9 ) -

- La troisième , que cette expression


soit la suite des preuves de l'orateur ,
et que l'âme du juge y ait été préparée
par la gradation des mouvemens, qui
auront animé.tout le discours. . - :
La péroraison est donc le siége des
passions. Elle est ordinairement com
posée de deux parties.
Une courte récapitulation des moyens
employés par l'orateur ; c'est le foyer du
verre lenticulaire, qui réunit les rayons
dispersés. ------
Le feu des passions en sortira lorsque
la matière en sera susceptible, pour dis
siper les nuages , qui pourroient rester
dans l'esprit du juge, et lui faire une
sorte de violence. -
Cette marche est bien clairement
marquée dans la courte analyse que .
Cicéron nous a donnée du discours de
Démosthène pour Ctésiphon.
(I) « Cet orateur, dit-il, sans com
paraison le premier de tous, dans ce
chef-d'œuvre de son art, s'insinue par
la modération dans l'esprit des juges ; 7

il discute ensuite les lois de sa patrie,

(1) Brutus, de claris oratoribus.


( 21o )
persuade par la force d'un raisonnement
vif et serré ; enfin, lorsque le feu qui
l'anime a passé jusqu'à ses juges, il dé
veloppe tous les ressorts de l'éloquence,
pour achever la conviction. »
#- - - -

T R O IS I È M E P A R T I E.
A

De l'Elocution et de l'Action. )

: -

cHAP I T R E P R E M I E R.
De l'Elocution.

Les rhéteurs ont dégradé l'éloquence


par la multitude des règles qu'ils ont
données. - -

Ils décomposent le discours comme


un ouvrage méchanique, et prétendent
en diriger toutes les phrases, et pour
ainsi dire tous les mots. -

De-là les différentes régles de l'élo


cution, et les classes de figures divisées
presque à l'infini. Rien n'est plus capable
de des écher l'esprit que ce détail mi
IltltICllX.

La première de toutes les règles ,


celle de l'unité, tient le moins de place
dans les livres.
( 212 ) :
J'entreprends de prouver qu'à l'ex
ception de la règle générale de la pu
reté du style, qui appartient à la con
noissance de la langue, dont j'ai parlé
dans le quatrième chapitre de la pre
mière partie, il n'est aucune des règles
de l'élocution qui ne dépende de la
connoissance du sujet, et du fond des
choses. -s -

Coinmençons par une de ces règles


que Pascal a mise au nombre de ses pen
SCCS.

(1) « Il y en a, dit-il, qui masquent


toute la nature. Il n'y a point de roi
parmi CuX , mais iln auguste 1non ar

que , point de Paris , mais une capi


tale du royaume. Il y a des endroits
où il faut appeler Paris, Paris, et d'au
tres où il faut l'appeler capitale du
royaume. » | -

Pascal n'a pas dit quelles circonstan


ces doivent déterminer l'orateur pour
l'une ou pour l'autre de ces expressions.
M. Crevier (2) essaie de le faire; et il se
borne à distinguer trois cas, dans lesquels
-

(1) Pensées diverses, 33 .


(2) Rhétorique française , tome 2 , p.41 et suiv,
• ( 2I 3 ) -

1'orateur doit se servir de la périprhase


au lieu du mot propre.
· Lorsque le mot propre est déshon
nête ; lorsqu'il est rebutant ; lorsqu'il
manque de noblesse par une bizarrerie
de la langue. -

| « Hors ces trois cas, dit-il , je crois


pouvoir établir pour maxime, que la
propriété des termes est de précepte
par l'avantage qu'elle a de servir à la
clarté. »
| Ajoutons une quatrième exception ;
pour éviter la répétition trop fréquente
du même mot. - -

Cette partie regarde uniquement le


style; mais l'usage le plus important de
la périphrase est de cacher sous une
idée accessoire l'idée principale, pour
abréger la preuve et augmenter la force,
ou pour diminuer l'impresion que l'idée
principale pourroit faire, si l'orateur se
servoit du mot propre.
Attachons-nous à l'exemple que nous
fournit M. Paſcal.
• S'il s'agit d'un fait éloigné dont la
nouvelle se soit répandue avec prompti
tude, je dirai qu'en peu de jours elle
est parvenue jusqu'à la capitale. Cette
expression aura plus de force que si je
( 214 )
nommois cette capitale, parce que l'idée
même de la nouvelle répandue dans la
capitale en prouve la publicité.
J'ai donné un exemple de la péri
phrase la plus ingénieuse qui ait peut
être été employée pour diminuer l'im
pression qu'un mot pouvoit faire : « Les
esclaves de Milon firent sans ordre de
leur maître, sans qu'il le vit, sans qu'il
le sût, ce que chacun voudroit que ses
esclaves fissent en pareille occasion. »
Itis, fils d'Egiste, meurtrier d'Aga
mennnon, est amoureux d'Electre, fille
d'Agamemnon. Egiste , pour s'assurer
le trône, veut la forcer à épouser son
fils. Le cœur d'Electre consent à cette
alliance , mais son devoir s'y oppose.
Ce seroit un crime d'avouer sa passion
au fils du meurtrier de son père. Ce
pendant elle ne peut résister à son amant
sans trahir les véritables sentimens de
son cœur ; un terme impropre employé
par le poëte au lieu du mot qu'Electre
ne doit pas prononcer, adoucit l'aveu ,
et concilie ces contrariétés.

Hélas ! qnand je pourrois , rebelle à mon devoir ,


Brûler un jour pour toi de feux illégitimes ,
Ma vertu m'en feroit bientôt les plus grands crimes,
( 21 5 ) ·
Je te ha'irai moins, fils d'un prince odieux.
Ne sois pas, s'il se peut, plus coupable à mes yeux. .
Ne me peins point l'ardeur dont ton âme est éprise. .
ſ2ue peux-tu souhaiter ? Itis, qu'il te suffise
- Qu'Electre toute entière à son inimitié,
· Ne fait point tes malheurs sans en avoir pitié.

Toutes les expressions de ce morceau


sont remarquables.
Electre exprime les sentimens qu'elle
éprouve dans le moment où elle parle ;
cependant elle n'ose les envisager que
comme un avenir possible ; et l'horreur
qu'elle en conçoit, est jointe à la sup
position de cette possibilité.
Se rapproche-t-elle du moment, ce
n'est plus de l'amour qu'elle sent, c'est
de la pitié pour la passion malheureuse
d'Itis. -

C'est ainsi que l'orateur et le poëte


savent employer utilement les termes
propres , ou ceux qui en approchent ,
suivant que le sujet l'exige ; semblables
aux peintres qui dégradent les couleurs
lorsque leur § nuiroit à l'ensemble
du tableau. -
· Cette réflexion s'applique plus parti
culièrement aux épithétes, dont M.
Crevier a fait une figure , quoiqu'elles
ne soient qu'une idée accessoire jointe
( 216 )
à l'idée principale , pour peindre une
qualité du sujet. |
Si les poëtes se permettent des épi
thètes qui n'ont d'autre objet que l'a-
grément, il n'en doit pas être ainsi de
l'orateur. J'en ai dit la raison; tout ce qu'il
doune à sa réputation, est enlevé à la
Cdt1SC. -

| Qu'il peigne donc, mais seulement


lorsque le portrait sera nécessaire pour
conduire le juge à la proposition qu'il
veut etablir. - - |

L'harmonie du discours, la longueur,


et la briéveté des phrases, dépendent des
mêmes principes. -

Toutes le langues ont des syllabes et


des lettres dissonantes , dont la multi
tiplicité rendroit le style barbare.
(Add.) Toutes les langues ont des
mots que rejette, comme trop bas, le style
élevé de l'éloquence et de la poésie , ce
qui provient de deux causes ou du son
même, ou de l'idée accessoire que l'ha- .
bitude ajoute au mot propre. " . }

Prenons quelques exemples. Pourquoi


dans notre langue le mot vache est il
regardé comme ignoble , tandis que ce
lui de génisse est plein de grâce ? Qn
- Il CIl
( 217 ) .
n'en peut assigner d'autre cause que l'u-
sage , aussi ce même usage : ' !
4Que a penès arbitrium est a jus et norma loquendi.
H O R A c E,

« Souverain arbitre et législateur de la parole. »

Permet - il au poëte et à l'orateur de


- substituer le mot de génisse à celui de
vache, quoique ces deux mots ne soient
pas entièrement synonimes.
Il n'eh est pas de même dans le second
cas, où le nom rappelle une idée acces
soire avilissante. -

· Tous les grammairiens établissent


comme une règle certaine, de substituer
une périphrase au nom propre. Mais que
faites-vous par votre circonlocution, que
-
· réveiller à la fois et l'idée de la chose,
et celle de l'ignominie qui y est jointe ?
Prenons quelques exemples.
Pindare, dans la dixième Pythique ,
strophe deuxième, antistrophe et épode,
pour relever le bonheur et la gloire de
son athlète, s'exprime ainsi :
' : « Que manque-t-il à la félicité d'un
tel homme ? . - - - -

Ce ciel d'airain n'est pas accessible


aux mortels. - -

JK
( 218 )
Comme il n'en est aucun qui, soit par
mer ou par terre, ait franchi ce péril
Jeux détroit qui conduit aux nations
hyperborées.
Hors toutefois ce Persée, qui pénétra
dans les demeures des Taigettes,
Assista à leurs festins sacrés,
A ces célèbres hécatombes d'ânes
immolés,
Auxquels Apollon applaudit. »
M. Chabanon traduit :

« Persée y pénétra. — Il vit les fêtes


ou l'animal stupide symbole de l'igno
rance , est offert en hécatombe au Dieu
des arts. »

Le sens est rendu par une périphrase


très-fine ; mais qui enlève au poëte grec
sa noble simplicité.
Passons à un autre exemple; cette su
blime comparaison dans laquelle Ho
mère peint Ajax reculant devant l'armée
des Troyens.
Aucun des traducteurs n'avoit jusqu'ici
osé employer le mot propre, pas même
l'anglais Pope , car le mot as a, dans sa
langue, le même défaut que le nom cor
respondant dans la nôtre :
- ( 2I9 ) #

As the slow beast with heavy strength indu'd


In some wide field by troop of boys pursu'd.
s ce Comme la lente bê,e introduite avec sa pesante force
» dans quelque champ non fermé, poursuivie par une
» troupe d'enfans. » »

Ne pourroit-on pas, en reportant la


comparaison à son véritable objet, la
lenteur de l'animal qui ne s'effraie pas
des coups qu'on lui porte, et environ
nant ce mot fatal de tous les accessoires
de la poésie d'Horace, faire disparoître
le ridicule qui semble y être attaché ;
ce qui auroit le double avantage de con
server au poëte grec toute sa simplicité,
et de répondre d'avance aux critiques ,
en fixant le vrai point de vue de la com
paraison ? C'est ce que j'ai essayé.
« Ainsi, malgré les bâtons qui tom
bent sur son corps, un âne recule devant
une troupe d'enfans qui le chassent d'un
champ couvert d'une abondante moisson
dont il tond les tendres épis. De jeunes
pâtres l'environnent, le frappent à coups
redoublés , mais leurs membres n'ont
point acquis la vigueur que l'âge seul
peut donner; ils ont peine à le mettre
en fuite qu'il ne se soit rassasié de l'a-
bondante pâture : tels les fiers Troyens
et leurs nombreux alliés, armés de longs
( 22o )
javelots, poursuivent le grand Ajax, fils
de Telamon. Une foule de traits frappe
son bouclier.. ... ».

Voyez ma Traduction des Œuvres


complettes d'Homère, Iliade , ch. XI ,
et mes notes sur la dixième Pythique
de Pindare. )
Ces règles sont certaines dans l'élo
quence comme dans la poésie ; elles ap
partiennent à la connoissance de la
langue.
Mais la nature du sujet, et l'objet de
l'orateur décident du genre de style qu'il
doit employer.
Les périodes longues et arrondies ,
quelques harmonieuses qu'elles soient,
conviennent rarement à celui qui veut
instruire et émouvoir. La longueur de
la phrase exige une contention d'esprit
qui dérobe une partie de l'attention
de l'auditeur, et la passion ne doit pas
laisser à l'orateur le temps d'arranger des
IllOtS.
Le style coupé est nécessairement
plus clair ; il convient donc mieux aux
plaidoyers ; pourvu que l'orateur tienne
dans ce style un juste milieu ; car s'il
étoit comme haché, il fatigueroit par
( 22 1 )
son uniformité , et par sa briéveté
même. -

C'est le sujet qui détermine l'appli


cation de cette règle. Il est des pensées
et des preuves qui réunies produisent
plus d'eſfet, d'autres qui veulent être
détachées : quelques - unes exigent plus
de précision, d'autres plus d'étendue et
de développement. -

L'arrangement des mots est si impor


tant, que la position d'un seul mot porte
souvent une lumière vive dans le dis
cours, ou produit le sentiinent. C'est
l'éloge que Boileau fait de Malherbe.
D'un mot mis en sa place enseigna le pouvoir.

L'exemple en sera plus sensible en le


prenant chez les poëtes.
Je choisis ces vers , dans lesquels
Phèdre incestueuse et homicide , ex
prime l'horreur qu'elle conçoit de son
CI I111C.

Misérable, et je vis, et je soutiens la vue


De ce sacré Soleil dont je suis descendue ?
J'ai pour aïeul le père et le maître des Dieux ;
Le ciel, tout l'univers est plein de mes aieux.
Où me cacher ? Fuyons dans la nuit infernale.
Mais que dis-je ? mon père y tient l'urne fatale,
Minos juge aux enfers tous les pâles humains.
| ( 222 )
Ah! combien frémira ton ombré épouvantée,
Quand tu verras ta fille à tes yeux présentée,
Contrainte d'avouer tant de forfaits divers ,
Et de crimes peut-être inconnus aux enfers :
Que diras-tu, mon père, d ce spectacle horrible ?
Je crois voir, de tes mains , tomber l'urne terrible.
Je crois te voir cherchant un supplice nouveau ,
Toi-même, de ta fille, devenir le bourreau.
Pardonne , un Dieu cruel a perdu ta famille ,
Reconnois sa vengeance aux fureurs de ta fille.
Hélas ! du erime affrºux dont la honte me suit ,
Jamais mon triste cœur n'a recueilli le fruit :
Jusqu'au dernier soupir, de malheurs poursuivie,
Je rends, dans les tourmens, une pénible vis.

J'ai marqué par des caractères diſfé


rens, les mots dont l'arrangement m'a
paru produire plus d'effet.
Pourquoi le produisent-ils ? C'est que
cet arrangement est dans la nature, que
c'est celui que toute personne agitée de
la même horreur dont Phèdre est péné
trée, donneroit à ses expressions.
Les rhéteurs ont distingué les figures
de pensées, de celles qu'ils nomment
figures de mots.
J'ai parlé en général des premières
dans le chapitre précédent, j'ai dit qu'elles
ne consistoient que dans l'expression na
turelle du sentiment.
J'ajoute qu'il n'y a aucune figure de
mots proprement dite, c'est-à-dire qu'il
- ( 223 ) -

· n'en est point dont la force et l'agré


ment ne doive résulter de la pensée
, exprimée de la manière la plus conve
nable au sujet.
|

Je choisis parmi les figures que les


rhéteurs mettent dans cette classe, celles
qui semblent emprunter plus particuliè
rement leur force de l'expression.
La métaphore est de ce genre. Elle
est si connue, qu'il seroit superflu de la
· définir. - -

| Sa force et son ornenient ne consis


tent pas, comme le prétendent quel
ques grammairiens, dans la hardiesse
de l'orateur , qui abandonne l'expres
sion naturelle, pour en choisir une plus
éloignée. Cette prétendue hardiesse ne
seroit qu'une recherche puérile d'une
expression impropre. -

: La métaphore est une comparaison


abrégée qui acquiert plus de force par
la suppression de ses membres.
Prenons pour exemple une des phrases
de la réplique de M. Cochin , dans la
cause du marquis de Béon, que j'ai déjà
citée : -

» Car de prétendre que l'imprudence


(de la demoiselle. ... ) l'a conduite sur
le bord du précipice, sans qu'elle y ait
4
( 224 )
été entraînée ; qu'elle s'est exposée au
milieu des flammes , et qu'elles l'ont
respectée ; qu'elle a toujours été agitée
par les tempêtes , et qu'elle n'a jamais
fait naufrage ; ce sont de magnifiques
idées, qui ne se concilient point avec la
mature. » -

Toutes ces expressions métaphoriques


renferment autant de comparaisons. ll
suffit, pour le prouver, de renverser la
phrase, en exprimant la conséquence ,
que la passion de la demoiselle.... pour
le marquis de Béon l'avoit entraînée
en des fautes graves. . n , »
· Les rhéteurs placent la comparaison
au nombre des figures de pensées : la
métaphore appartient donc à la même
classe. . - º

| Son objet est de rendre sensible la


pensée de l'orateur par les images sous
lesquelles il la présente; son utilité est
donc dans la pensée, non dans les mots.
D'autres figures expriment la viva
cité du sentiment, par la suppression
d'expressions que la nature fait suppri
mer elle-méme à celui qui est vivement
pénétré , par la répétition du mot qui
affecte celui qui parle , enfin par la
négligence et quelqueſois le désordre
| ( 225 )
du style, qui suppose un homme vive
ment affecté. C'est ce qu'on nomme
ellipse, répétition, et hyperbate ou trans
position. -

Mais Hector de ses cris remplissant le rivage ,


Commande à ses soldats de quitter le pillage,
De courir aux vaisseaux ; car j'atteste les Dieux .
Que quiconque osera s'écarter de mes yeux ,
Moi-même, dans son sang , j'irai laver sa honte.

Opposons un exemple de répétition


trop connu pour être transcrit ici.
Rome, l'unique objet de mon ressentiment,
Rome à qui vient ton bras d'immoler mon amant, etc.
Horace de P. CORNEILLE.

Homère peint la promptitude de l'or


dre donné par Hector, en passant sans
aucune liaison, du récit, à la menace.
La gloire de Rome qui a été la cause .
de la mort de Curiace , affecte tellement
| Camille, qu'elle ne peut la perdre de -
vue un seul instant , c'est ce qui produit
ces répétitions. - -

Les exemples d'hyperbate sont plus


rares, parce que cette figure ne doit
être employée que dans une émotion si
violente, qu'elle ne donne pas le temps à
l'orateur d'arranger ses idées.
K. ^
( 226 )
Nous en trouvons un exemple remar
quable dans Longin. C'est le discours
de Denis le Phocéen aux Ioniens , tiré
d'Hérodote.
« Vos affaires sont réduites à la der
nière extrémité. Il faut nécessairement
que nous soyions libres ou esclaves, et
esclaves misérables. Si donc vous vou
lez èviter les malheurs qui vous me
nacent, il faut sans différer embrasser
le travail et la fatigue , et acheter
votre liberté par la défaite de vos en
nemis. » -

L'antithèse consiste, suivant l'étymo


logie du mot, dans l'opposition de plu
sieurs idées contraires. Son mérite est
la netteté et la précision de l'expression ;
ce sont comme des divisions redoublées
dont on laisse faire le développement à
l'auditeur.
Si l'opposition n'étoit que dans les
mots, ce n'est pas assez de dire que l'an
tithèse perdroit sa force, elle seroit faus
se; car les mots n'étant destinés qu'à
exprimer la pensée, le tour d'antithèse
supposeroit une opposition dans les idées
qui n'existeroit pas.
Le contraste diffère de l'antithèse en
ce qu'il se montre principalement dans
- ( 227 ) "

la dégradation nuancée des images, sans


égard aux mots, au lieu que l'oppo
sition qui forme antithèse se trouve en
même temps, et dans la pensée, et dans
les mots.
C'est cette perfection d'expression qui
oblige l'orateur d'user sobrement de
cette figure trop recherchée , et inca
' pable par cette raison d'exprimer le sen
tIIllent , -

* M. Fléchier est tombé dans ce dé


faut. -

On trouve des antithèses, même dans


le morceau de la mort de M. de Tu
renne , à la vérité en moindre nombre
que dans les autres parties de son dis
cours ; cependant le style de ce morceau
trop compassé , trop chargé d'ornemens,
arrête l'impression du sentiment. .
« r 'attendez pas, messieurs, que j'ou
vre ici une scène tragique ; que je repré
sente ce grand homme étendu sur ses
propres trophées ; que je découvre ce
corps pâle et sanglant, auprès duquel
fume encore la foudre qui l'a frappé ;
que je fasse crier son sang comme celui
d'Abel, et que j'expose à vos yeux les
tristes images de la religion et de la
( 228 )
patrie éplorées. Dans les pertes médio- .
cres, on surprend ainsi la pitié des audi
teurs ; et par des mouvemens étudiés ,
on tire au moins de leurs yeux quel- .
ques larmes vaines et forcées. Mais on
décrit sans art , une mort qu'on pleure
sans feinte. Chacun trouve en soi la
source de sa douleur , et r'ouvre lui
même sa plaie; et le cœur pour étre
touché, n'a pas besoin que l'imagina
tion soit émue. . g,

« Peu s'en faut que je n'interrompe


ici mon discours. Je me trouble, mes
sieurs ! Turenne meurt; tout se confond,
la fortune chancelle, la victoire se lasse,
la paix s'éloigne, les bonnes intentions
des alliés se rallentissent, le courage des
zroupes est abattu par la douleur, et
ranimé par la vengeance , tout le
camp demeure immobile. Les blessés
pensent à la perte qu'ils ont faite, et
non pas aux blessures qu'ils ont re
çues , les pères mourans envoient leurs
·fils pleurer sur leur ! général | mort , !
l'armée en deuil est occupée à lui ren-.
dre les devoirs funèbres , et la renom
mée qui se plaît à répandre dans l'uni
vers les actions extraordinaires , va renn
plir toute l'Europe dit récit glorieux de
( 229 )
la vie de ce princè, et du triste regret
de sa mort.
« Que de soupirs alors, que de plain
tes ! que de louanges retentissent dans
les villes et dans la campagne ! L'un
voyant croître ses moissons , bénit la
mémoire de celui à qui il doit l'espé
rance de sa récolte , l'autre qui jouit
en repos de l'héritage qu'il a reçu de
ses pères , souhaite une éternelle paix
à celui qui l'a sauvé des-désordres et
des cruautés de la guerre.
· » Ici on offre le sacrifice adorable de
Jésus-Christ , pour l'âme de celui qui a
sacrifié sa vie et son sang pour le bien
public ; là on lui dresse une pompe fu
nèbre , où l'on s'attendoit de lui dres
ser un triomphe , chacun choisit l'en
droit qui lui paroît le plus éclatant d'une
si belle vie ; tous entreprennent son
éloge , et chacun s'interrompant lui
même par ses soupirs et par ses larmes,
admire le passé, regrette le présent ,
et craint pour l'avenir. Ainsi tout le
royaume pleure la mort de son défen
seur; et la perte d'un seul homme est
une calamité publique. » -

Pour sentir le défaut de ce morceau ,


quelque grandes qu'en soient les idées, il
#
( 2 3o )
suffit de le comparer à celui de M. Boſ
suet sur la mort du prince de Condé.
(Add.) « Venez, peuples, venez main
tenant ; mais venez plutôt, princes et
seigneurs, et vous qui jugez la terre, et
vous qui ouvrez aux hommes les portes
du ciel, et vous plus que tous les autres,
princes et princesses, nobles rejettons
de tant de rois , lumières de la France ;
mais aujourd'hui couvertes de votre dou
leur comme d'un nuage , venez voir le
peu qui nous reste d'une si haute nais
sance, de tant de grandeur, de tant de
gloire. .... Pour moi , s'il m'est per
mis , après tous les autres , de venir
rendre mes derniers devoirs à ce tom
beau, ô prince, le digne objet de nos
louanges et de nos regrets, vous vivrez
éternellement dans ma mémoire, votre
image y sera tracée.... Je vous y verrai
tel que vous étiez à ce dernier jour sous
la main de Dieu, lorsque sa gloire com
mença à vous apparoitre. .... Heureux
si averti par ces cheveux blancs du
compte que je dois rendre de mon ad
ministration, je réserve au troupeau que
je dois nourrir de la parole de vie, les
restes d'une voix qui tombe et d'une
ardeur qui s'éteint. » )
\
( 231 )
L'antithèse est d'un grand usage dans
les portraits : le sujet même la fournit à
l'orateur par les contrariétés du cœur
humain. Mais j'ai déjà dit que l'orateur
ne devoit faire des portraits qu'autant
qu'ils conduisoient à l'établissement de
sa proposition. -

Ajoutons qu'il est un art d'éviter


l'antithèse dans les portraits même, et
d'augmenter la force par la simplicité
de l'expression. C'est le mérite du con
traSte. - -

J'en vais donner un exemple tiré d'un


portrait de la Bruyère, que M. Crevier
a crItIque. -

(1) « N... ».. est moins affoibli par


l'âge que par la maladie ; car il ne passe
point soixante - huit ans ; mais il a la
goutte , et il est sujet à une colique
néphrétique : il a le visage décharné,
le teint verdâtre, et qui menace ruine.
Il fait marner sa terre , et il compte
que de quinze ans entiers il ne sera obligé
de la fumer , il plante un jeune bois,
et il espère qu'en moins de vingt an
nées il lui donnera un beau couvert ;

(1) Caractères , ch. premier.


- ( 232 )
Il fait bâtir dans la rue. .. .. ... une .
maison de pierres de taille raffermie
dans les encoignures par des mains de
fer, et dont il assure , en toussant , et
avec une voix fréle et débile , qu'on
ne verra jamais la fin ; il se promène
tous les jours dans ses atteliers sur le -
bras d'un valet qui le soulage ; il mon
tre à ses amis ce qu'il a fait, et il leur
dit ce qu'il a dessein de faire. Ce n'est
pas pour ses enfans qu'il bâtit , car il
n'en a point; ni pour ses héritiers, per
sonnes viles , et qui se sont brouillées
avec lui ; c'est pour lui seul, et il mourra
demain. »
Qu'on me permette une légère digres
sion sur la critique de M. Crevier.
« Tout cela est bien dit, bien peint,
dit M. Crevier; mais je crois que l'on
conviendra avec moi que la charge est
forte , et que quelque traits de moins
dégageroient le tableau. »
Si cette critique tomboit sur le por
· trait du distrait du même auteur , qui
se trouve dans le chapitre précédent ,
elle seroit fondée; aussi la Bruyere l'a-
t-il prévenue, en observant qu'il n'avoit
pas prétendu rendre le caractère d'un
seul homme, mais rassembler un grand
| ( 233 )
nombre de distractions propres à amuser
le lecteur. -

Quant au portrait qui vient d'être


rapporté, il faut peu connoître les hom
mes , pour ignorer jusqu'où ils portent
la folie des projets , même lorsqu'ils ne
peuvent plus se flatter d'en recueillir le
fruit.
La charge est - elle moins forte dans
Horace, lorsqu'il reproche à un vieil
lard sur le bord de sa fosse de bâtir un
palais, et de faire marché avec des ou -
vriers, pour tailler des marbres dans la
carrière : -

Tu secanda marmora
Locas sub ipsum funus, et sepulcri
Immemor struis domos.

« Sur le bord de ta tombe , tu fais marché pour tailler


» des marbres , oubliant le sépulcre qui t'attend , tu
» élèves des palais. » -

: -

L'auteur des Caractères ne pouvoit


· peindre plus fortement la folie de ces
projets qu'il ne le fait par ces mots : il
mourra demain. Je ne craindrai pas de
dire que cette chute est sublime; cepen
dant elle essuie la critique de M. Cre
vier, qui la qualifie de chute brusque et
précipitée.
( 234 )
Les portraits de la satire des fem
mes de Boileau , que ce rhéteur met
tous au-dessus de celui-ci , lui sont bien
inférieurs.
Le génie sait donc se passer de l'anti
thèse, même dans les portraits.
On n'en trouve que deux dans le
portrait de Cromwel , par M. Bossuet ,
quoique jamais sujet ne s'y prêtât da
vantage. .

(1) « Un homme s'est rencontré d'une


profondeur d'esprit incroyable , hypo
crite rafiné, autant qu'habile politique ;
capable de tout entreprendre et de tout
cacher ; également actif et infatigable
dans la paix et dans la guerre.; qui ne
laissoit rien à la fortune de ce qu'il
pouvoit lui ôter par le conseil et par
· la prévoyance , mais au reste si vigi
lant et si prêt à tout , qu'il n'a jamais
manqué les occasions qu'elle lui a pré
· sentées ; enfin un de ces esprits remuans
et audacieux qui semblent être nés pour
changer le monde. Que le sort de tels
esprits est hasardeux, et qu'il en paroît
dans l'histoire à qui leur audace a été
funeste ! mais aussi que ne font-ils pas
(1) Oraison funèbre de la reine d'Angleterre.
( 235 )
quand il plaît à Dieu de s'en servir ?
Il fut donné a celui - ci de tromper
les peuples, et de prévaloir contre les
fOIS• • • • • • • • • •

» Quand une fois on a trouvé le moyen


de prendre la multitude par l'appas de
la liberté, elle suit en aveugle , pourvu
qu'elle en entende seulement le nom.
Ceux-ci occupés du premier objet qui
les avoit transportés, alloient toujours ,
sans regarder qu'ils alloient à la servi
tude, et leur subtil conducteur qui en
combattant et dogmatisant , en mé
lant mille personnages divers, et fai
sant le docteur et le prophète , aussi
bien que le soldat et le capitaine vit
qu'il avoit tellement enchanté le mon
de, qu'il étoit regardé de toute l'armée !
comme un chef envoyé de Dieu pour la
protection de l'indépendance, commen
ça à s'apercevoir qu'il pouvoit encote les
pousser plus loin. »
L'opposition est nécessaire dans les
paralleles ; mais le génie préfère encore,
le contraste à l'antithèse, et s'il est forcé
de l'employer, il a soin de lui ôter par
la noblesse des pensées, et par la simpli
cité du tour, l'air de recherche qui est
le défaut de cette figure.
( 236 )
« Ça été dans notre siècle un grand
spectacle, de voir dans le même temps
et dans les mêmes campagnes ces deux
hommes que la voix commune de toute
l'Europe égaloit aux plus grands capi
taines des siècles passés, tantôt à la tête
de corps séparés , tantôt unis, plus par
le concours des mêmes pensées , que
par les ordres que l'inférieur recevoit
de l'autre , tantôt opposés front à front,
redoublant l'un dans l'autre l'activité et
la vigilance ; comme si Dieu, dont se
lon l'Ecriture, la sagesse se joue dans
l'Univers , eût voulu nous les montrer
dans toutes les formes , et nous mon
trer ensemble tout ce qu'il peut faire
des hommes. Que de campagnes , que
de belles marches, que de hardiesses,
que de précautions , que de périls, que
, de ressources ! Vit - on jamais en deux
hommes les mêmes vertus avec des ca
ractères si divers , pour ne pas dire si
contraires. L'un paroît agir par des ré
flexions profondes , et l'autre par de
soudaines illuminations , celui-ci par
conséquent plus vif , mais sans que
son fèu eitt rien de précipité; celui-là
d'un air plus froid , sans jamais avoir
rien de lent , plus hardi à faire qu'à
( 237 )
parler, résolu et déterminé au-dedans
lors méme qu'il paroissoit embarrassé
au-dehors. L'un dès qu'il parut dans les
armées , donne une haute idée de sa
valeur , et fait attendre quelque chose
- d'extraordinaire ; mais toutefois s'avance
par ordre, et vient comme par degrés
aux prodiges qui ont fini le cours de
sa vie ; l'autre, comme un homme ins
piré, dès sa première bataille, s'égale
auxj maîtres les plus consommés. L'un,
par de vifs et de continuels efforts ,
emporte l'admiration, et fait taire l'en
vie , l'autre jette d'abord une lumière
si vive , qu'elle n'osoit l'attaquer. L'un
enfin par la profondeur de son génie,
et les incroyables ressources de son cou
rage , s'élève au - dessus des plus grands
périls , et sait même profiter de toutes
les infidélités de la fortune , l'autre, et
par l'avantage d'une si haute naissance ,
et par ces grandes pensées que le ciel
envoie, et par une espèce d'instinct ad
mirable dont les hommes ne connois
sent point le secret, semble né pour
entraîner la fortune dans ses desseins ,
et forcer les destinées. Et afin que l'on
vît toujours dans ces deux hommes de
grands caractères , mais divers , l'un
( 238 ) A

emporté d'un coup soudain, meurt pour


son pays comme Judas le , Machabée ;
l'armée le pleure comme son père, et la
cour et tout le peuple gémit ; sa piété
est louée comme son courage, et sa mé
moire ne se flétrit point par le temps ;
l'autre élevé par les armes au comble
de la gloire comme un David , comme
lui meurt dans son lit, en publiant les
louanges de Dieu , et instruisant sa fa
mille; et laisse tous les cœurs remplis,
tant par l'éclat de sa vie, que par la
douceur de sa mort. Quel spectacle de
voir et d'étudier ces deux hommes , et
d'apprendre de chacun d'eux toute l'es
time que méritoit l'autre ! » -

Il suffit de conmparer ce morceau à


ceux que j'ai rapportés de M. Fléchier,
· pour apprécier les deux orateurs.
M. Crevier met au nombre des figu
res de mots, ce qu'il appelle Tour de
Paradoxe. C'est une manière hardie de
s'exprimer par laquelle l'orateur paroît
affirmer du même sujet des qualités
contraires qui contribuent à en relever
l'idée. -

Un exemple fera mieux sentir cette


figure que les définitions. -

Je choisis celui que M. Crevier nous


( 239 )
présente, l'éloge des avantages de l'ami
tié, dans le traité de Cicéron.
(1) « Entre les avantages de l'amitié,
j'estime particulièrement celui - ci , qui
forme comme son caractère , qu'elle
est notre soutien tant pour le moment
que pour toute la vie. Cette union
des cœurs est telle, qu'elle double nos
forces. Les amis sont comme deux por
traits du même homme, qui conservent
l'un et l'autre toute la vérité de l'ori
ginal. Absens ils sont présens , indi
gens ils sont dans l'abondance; infir
mes ils sont soulagés , enfin ils vivent
même après leur mort dans la mé
moite et dans le cœur de leurs amis ;
ainsi leur mort est heureuse , et leur vie
honorable. Otez du cœur de l'homme
l'amitié, vous détruirez la société , les
villes tomberont, les familles seront dis
· persées, et la terre même ne produira
plus de fruits. »
J'ai dit que le mérite de cette figure
consistoit dans la hardiesse du tour.
Mais l'orateur doit faire pressentir le
lien qui allie ces contradictions appa
rentes , autrement elle dégénéreroient
(1) C1c. De Amicitia.
( 24o )
en énigme ; c'est ce que Cicéron a
observé dans le morceau que je viens de
rapporter.
L'usage de cette figure doit être rare ,
comme de toutes les tournures hardies
et saillantes : mais je ne dirai pas avec
M. Crevier : « Qu'il y a une sorte de
fiction et d'illusion dans le fond de la
pensée qui plait, pourvu que l'on passe
rapidement ; mais si vous-insistez, si
vous l'enfoncez , le faux perce et étouffe
le plaisir ; il reste seul avec sa diffor
mité. »
Je pense au contraire que le tour du
· paradoxe seroit entièrement défectueux
si la pensée étoit fausse, qu'il ne plaît que
par sa précision et par l'expression forte
de la vérité. -
Si l'orateur a une preuve importante,
ou une idée grande à présenter, il la
rend plus frappante, en suspendant pen
dant quelques instans l'attention de l'au
diteur. - - · · · · .
« Et voyez, dit M. Bossuet (1), la
malheureuse destinée de ces hommes que
Dieu a choisis pour être les ornemens
de leur siècle. Qu'ont - ils voulu , ces
(1) Oraison funèbre de M. le prince de Condé.
hommes
V, ( 241 ) . -

hommes rares, sinon les louanges et la


gloire que les hommes donnent ? Peut
être que pour les confondre, Dieu re
fusera cette gloire à leurs vains désirs.
Non , il les confond mieux en la leur
donnant , et méme au - delà de leur
attente. .. . . . .. • • • . . . .. S'il a
fallu quelque récompense à ces grandes
actions des Romains, Dieu leur en a su
trouver une convenable à leurs mérites
comme à leurs désirs ; il leur donne,
pour récompense, l'empire du monde,
comme un présent de nul prix. O rois,
confondez - vous dans votre grandeur ;
conquérans, ne vantez plus vos victoi
res ; il leur donne, pour récompense, la
gloire des hommes : récompense qui ne
vient pas jusqu'à eiix , qui s'efforce de
s'attacher : quoi ! peut-être à leurs mé
dailles , à leurs statues déterrées, reste
des ans et des barbares , aux ruines de
leurs monumens et de leurs ouvrages ,
qui disputent avec le temps , ou platôt
à leur idée, à leur ombre, à ce qu'on ap
pelle leur nom. »
On aperçoit aisément l'effet des trois
suspensions qui se trouvent dans ce mor
CCall. - - -

L'orateur est-il obligé de rappeler en


- L
( 242 )
peu de mots : des circonstances ou des
moyens qu'il a déjà développés , ou
qui n'ont de force que par leur réunion ;
il paroit les passer sous silence , pour
s'arrêter à un point principal ; c'est ce
qu'on nomme Préterition. Les exem
ples en sont , trop. communs pour s'y
arreter. - - ! . - -

, Il accorde quelquefois des avantages


à son adversaire , pour montrer, par
cette facilité apparente, l'abondance de
ses moyens, C'est ce qu'on appelle Conz
cession, . - - · · ·
, Ces tournures sont plutôt des formes
de raisonnement que des figures. .
J'en dis autant de la Gradation.
| (1) « C'est un attentat d'enchainer un
citoyen romain ; c'est un crime de le
frapper; le condamner à mort est pres
que un parricide. Que dirai - je de le
mettre en croix ! La langue ne me four
nit pas de terme pour exprimer une ac
tion si horrible. Cependant Verrès ne
s'en est pas tenu à cette cruauté : Qu'il
voye sa patrie en expirant, dit il, qu'il
meure sous les yeux des lois et de la
- - 4
-- -

(i) Cic. in Verrera de sup. : . .. ,


- , ( 243 ) -

liberté. Ce n'est pas seulement Gavius


que tu as crucifié, Verrès, un citoyen
romain inconnu ; c'est la cause com
mune de la liberté et des droits des
citoyens que tu as trahie par ce supplice
infâme ». • .. * .

J'ai choisi ce morceau , parce qu'il


renferme l'exemple de la gradation, de
la prosopopée et de l'apostrophe.
il est impossible de donner des règle
de l'application de ces figures, c'est le
sujet, et la disposition générale du dis
cours qui les produit.
Je n'ai point parlé du jeu de mots,
ou de la pointe ; à peine me paroît
elle digne d'occuper une place dans un
Traité d'éloquence.
Cette figure excite l'attention de
l'auditeur, si le rapport des mots ex
prime la pensée avec plus de précision ;
mais son attente est trompée, s'il ne se
trouve dans la pensée aucun motif qui
ait déterminé la recherche puérile de
l'orateur ou du poëte. Le jeu de mots
devient alors ridicule. Cette règle s'ap
plique à l'épigramme même, quoique
le siége de la pointe :
La raison outragée enfin ouvrit les yeux,
La chassa pour jamais des disceurs sérieux,
( 244 )
Et dans tous les écrits la déclarant infâme,
Par grâce lui donna l'entrée en l'épigramme,
Pourvu que sa finesse éclatant d propos,
JRoule sur la pensée , et non pas sur les mots.
- B O I L E A U.

C'est donc le sujet qui doit diriger


l'élocution, La meilleure est celle qui
tend le plus naturellement à l'établisse
ment de la proposition.
Si je reconnoissois un sublime qui
pût consister dans les mots seuls, j'aurois
placé ici ce que j'ai dit des trois genres
d'éloquence ; mais ce sublime n'existe
pas. C'est par cette raison que j'ai consi
déré avec M. de Fénelon et M. Rollin,
le sublime, l'orné et le simple, comme
trois genres d'éloquence, non de style,
comme le fait M. Crevier.
Le même discours renferme quel
quefois ces trois genres, suivant que la
matière y est disposée.
Heureux qui dans ses vers sait d'une voix légère
Passer du grave au doux, du plaisant au sévère!
Scn livre aimé du ciel , et chéri des lecteurs,
Est souvent chez Barbin entouré d'acheteurs.
B o 1 L E A U.
M. du Vair a résumé en peu de paroles
tout ce que je viens de dire.
( 245 )
« Si l'éloquence consistoit seulement
en une clarté, pureté et dilucidité, et
qu'elle ne contint autre chose que ce
que Iséus et Lysias y ont recherché,
je le comparerois volontiers ( il parle
d'un avocat de son temps ) aux an
ciens , et pense qu'il feroit quasi aller
notre langue de pair avec la leur; mais
cette grande et divine éloquence à
laquelle est dû le premier lieu d'hon- .
neur , et qu'Eschine et Démosthène
entre les grecs, Cicéron et Hortensiits
entre les latins, ont trouvée, qui se for
me tel style qu'elle veut , et tel que le
sujet le requiert , qui est pleine d'or
nemens, pleine de mouvemens, qui ne
mène pas l'auditeur, mais l'entraîne ,
qui règne parmi les peuples, et s'éta
· blit un violent empire sur l'esprit des
hommes, est quelque chose de plus. »
Je voudrois que M. du Vair eût
moins prisé les ornemens, jusque dans
cette définition. -

Cicéron les a quelquefois prodigués : il


se le reproche comme un défaut que l'âge
et les leçons des grecs avoient corrigé.
(Add.) (1) « J'arrivai à Rhodes, et je
m'attachai à ce même Molon que j'avois
entendu à Rome ; doué du don de la
( 2 ;6 )
parole dans les exercices du barreau, et
écrivain distingué, critique sûr, excel
lent rhéteur; il travailla (si toutefois il
put y parvenir) à réprimer en moi cette
redondance de paroles, ce superflu, effet
de l'impunité et de la licence de la jeu
nesse ; à resserrer dans ses rives ce fleuve
débordé. Après avoir passé deux années
dans son école, j'en sortis non-seulement
plus exercé, mais presque changé. ») ·
Démosthène est bien plus sobre d'orne
mens ; et c'est ce qui lui donne la supé
riorité sur l'orateur romain, au jugement
de M. de Fénelon, à qui on ne repro
chera pas d'avoir manqué d'une imagi
nation brillante.
Quoique ce morceau soit très-connu,
et qu'il ait même été rapporté par
M. Rollin, il ne seroit pas permis de
l'omettre dans un Traité de l'éloquence
du barreau. , ,

« Je ne crains pas de dire que Dé


mosthène me paroit supérieur à Cicéron.
Je proteste que personne n'admire Ci
céron plus que je ne fais. Il embellit
tout ce qu'il touche. Il fait honneur à
la parole. Il fait des mots ce qu'un autre
(1) CIc. De Oratore.
( 247 )
n'en sauroit faire. ll a je ne sais coni
bien de sortes d'esprit ; il est même
court et véhément toutes. les fois qu'il
veut l'être, contre Catihina , contre Ver
rès, contre Antoine. Mais on remarque
quelque parure dans son discours. L'art
y est merveilleux ; mais on l'entrevoit.
L'orateur en pensant au salut de la ré
publique, ne s'oublie pas et ne se laisse
pas oublier. Démosthène paroît sortir
de soi , et ne voir que la patrie. Il ne
cherche point le beau, il le fait sans y
penser. Il est au-dessus de l'admiration.
Il se sert de la parole comme un hom
me modeste de son habit pour se cou
vrir. Il tonne, il foudroie; c'est un tor
rent qui entraîne tout ; on ne peut le
critiquer , parce qu'on est saisi : on pense
aux choses qu'il dit , et non à ses pa
roles ; on le perd de vue; on n'est oc
cupé que de Philippe qui envahit tout.
Je suis charmé de ces deux orateurs ;
mais j'avoue que je suis moins touché
de l'art infini et de la magnifique élo
quence de Cicéron, que de la rapide
simplicité de Démosthène. »
Je ne lis point ce parallele de M. de
Fénelon , sans voir dans le portrait de
l'éloquence de Démosthène, celle de
( 248 )
M. Bossuet, comparée à Fléchier, à Fé
nelon, aux | plus célèbres orateurs du
siècle dernier. . -

- Cette éloquence ferme et nerveuse


de Démosthène convient mieux à notre
barreau, que celle de Cicéron même.
-

: c H A P I T R E I I.
- t ! - . e * - -

•• . . : De , l'Action. :

I l me reste à parler de l'action, partie


si essentielle, que Démosthène plaçoit
dans l'action toute la force de l'élo
quence. ' . . .. - -

| | On sait avec quel soin il l'avoit cul


tivée, et jusqu'où il l'a portée.
| (Add.) (1) « L'action, dis je, domine
seule dans l'art oratoire ;, sans elle aucun
ne peut se flatter d'occuper une place
distinguée parmi les orateurs; par elle
l'homme médiocre l'emporte quelque
fois sur les premiers orateurs. . .. . . .
On dit que Démosthène, interrogé qu'elle

º (,) C1c. De Oratore. · · · · · · .


( 249 )
étoit la première qualité de l'orateur ?
lui assigna le premier, le second, le
troisième rang. »
C'est par l'action que la parole l'em
porte sur l'écriture.
Celui qui écrit n'exprime que ce
qu'il a tracé sur le papier ; celui qui
parle avec action, exprime non - seule
ment par ses paroles, mais par le ton
de sa voix, par ses yeux, par son geste,
par tout son extérieur; quelquefois même
il fait entendre ce qu'il eût été dange
reux de dire.
Qu'est-il besoin d'insister sur l'excel
lence d'une partie dont nous voyons au
théâtre des effets si prodigieux , que
telle pièce qui ne soutient pas la lec
ture, a le plus grand succès à la répré
sentation ? ·

Je définis l'action oratoire, l'expres


sion vraie et naturelle des pensées et des
sentimens de l'orateur.
La marche du discours doit donc ré
gler celle de l'action. .
Cette marche se trouve tracée en peu
de mots dans le portrait que Cicéron
nous a laissé du discours de Démosthène
pour Cthésiphon, que j'ai rapporté dans
un autre lieu.
L.
( 2 5o )
L'exposition du sujet doit avoir une
noble simplicité : submissius à primis.
Le but de l'orateur dans le fait et
dans les moyens est d'instruire le juge ;
l'action doit donc être simple et mo
deste. Trop de lenteur ennuieroit, trop
de rapidité empêcheroit le juge de
saisir l'ordre des faits , et la suite du
raisonnement. Cependant lorsqu'il a éta
bli ses principes , il devient plus serré
et plus vif dans les conséquences ; car
cet enchaînement est tellement naturel,
lorsque la disposition est exacte, que
l'esprit le saisit avec promptitnde et
facilité : L'bi de legibus disputat, pres
S : llS,

· Enfin si la matière est disposée à


1'émotion des passions , elles doivent
être répandues dans tout le discours, et
croître jusqu'à la péroraison qui en est
le siége principal. L'action de l'orateur
suivra cette progression : tandem judi
ces ut vidit ardentes, in reliquis exul
tavit audaciùs. -

C'et ici où l'orateur ne doit avoir d'au


tre guide que la nature. -

C'est elle qui rend notre âme suscep


tible de l'impression de tous les événe
mens attachés à la condition humaine,
( 25 I )
qui nous saisit d'indignation à l'aspect
du coupable, qui nous accable sous le
oids de la douleur, qui exprime par
f§ de la voix les sentimens que nous
éprouvons (I). : - : !
« Vous prétendez , disoit Cicéron à
Callidius, que Gallus a attenté à votre
vie parle poison; vous en avez la preuve,
dites-vous ; cependant vous parlez froi
dement de cet attentat. Où est ce trou
ble, cette agitation que la nature donne
aux enfans même pour exprimer leurs
plaintes ? Vous êtes donc un calomnia
teur (2). ; · · · · - -

| Toutes les règles se réduisent ici à un


seul principe : Sentez vivement, et vous
exprimerez de même. - - - -

· (1) Format enim natura prius nos intus ad omnem


- Fortunarum habitum. Juvat aut impellit ad iram,
e Aut ad humum mœrore gravi deducit et angit.
Post effert animi motus interprete linguâ.
- H O R A c E. ,
« Car la nature nous fornie en dedans à tous les per
» sonmages. Elle nous aide et nous porte à la colère ;
» dans l'excès de l'affliction, elle nous renverse jusqu'à
» terre ; la langue, sa fidele interprète, exprime enfin les
» mouvemens dont l'âme est agitée. »
(4) Brutus, seu de clar. Oratoribus.
( 252 )
L'art est inutile à celui qui est érnu ;
il est ridicule dans celui qui ne l'est pas.
C'est ce qu'on remarque dans ceux
qui ont voulu se faire, par habitude du
théâtre, une action artificielle , qu'ils
appliquent indifféremment à tous les
sujets. -

Ce n'est pas que je prétende que le


spectacle ne puisse contribuer à former
l'action oratoire. -

Démosthène et Cicéron en ont fait


usage (1).
L'âme s'habitue par cet exercice à
entrer dans la passion d'autrui; elle aug
mente sa sensibilité naturelle par la force
des passions tragiques. .
Mais la principale utilité que l'ora
teur doit retirer du théâtre, est de se
rendre maître de son action , pour en
modérer ou en augmenter la force, se
lon que le sujet le demande. Qu'il évite
sur-tout un écueil dangereux, cette dé
clamation arrondie, et presque chan
tante, qui est le défaut trop ordinaire
des acteurs. -

(1) Démosthène récitoit souvent des vets d#


et de sophoce. Le poëte Archias et le comédien Roſcius
avoient été les maîtres de Cicéron, -
( 253 ) -

Je dis que cette déclamation est un


défaut dans les acteurs même, et je
n'ai besoin pour le prouver, que d'ob
server que ce n'est pas le ton de la
nature. -

On objecte la dignité de la tragédie,


qui nous présente les actions des héros
et des monarques. -

C'est confondre une déclamation avec


la noblesse d'expression. Je répondrai en
un seul mot.
La dignité du spectacle tragique exige
cette déclamation , si les rois parlent
ainsi ; mais si le contraire est certain,
votre déclamation ne sert qu'à diminuer
l'illusion, qui est le but de l'action théa
· trale. - -

La Comédie donnera du naturel à


l'action de l'orateur ; j'entends cette
comédie noble du Tartuffe, du Misan
trope, et des pièces de ce genre , car
les Fourberies de Scapin et les farces ,
ne peuvent lui montrer qu'un défaut à
éviter. . , - i

| Il est un genre mitoyen qui a pris


naissance dans le 18° siècle. Il n'a pas lá
force du comique de Molière ; mais il
est plus dans la nature; if peint les évé
nemens de la vie privée, tels qu'ils se
|
( 254 )
passent sous nos yeux, avec les circons
tances touchantes ou ridicules qui les
accompagnent ; c'est le genre de Na
nine, de l'Enfant prodigue, du Philo
sophe marié, du Glorieux, de la Gou
VEI nante,

L'orateur y trouvera l'avantage d'ap


prendre à voir les hommes tels qu'ils
sont dans la société ; l'action des pièces
de ce genre lui sera d'autant plus utile ,
que les événemens de la vie privée sont
les sujets ordinaires des causes qu'il est
obligé de traiter.
Je n'ai rien dit du geste, parce que je
ne connois qu'une règle sur ce point ; de
s'abandonner entièrement à la nature Le
geste sera toujours juste, s'il suit naturelle
ment les paroles, faux, s'il est préparé.
Mais je ne dois pas terminer ce cha
pitre sans parler de l'usage de lire les
plaidoyers. . - · :

Il est inutile de prouver que cet


usage prive l'action de l'orateur du na
turel ; la proposition est évidente par
elle-même. · · ·
, Il a encore l'inconvénient d'asservir
l'orateur à ce qu'il a écrit, et de lui
ôter la présence d'esprit et la force néces
| ( 255
, saires pour se proportionner à l'impres
sion qu'il aperçoit dans l'e,prit des Juges,
répliquer sur-le-champ, ou répondre aux
interruptions qu'il peut éprouver de son
adversaire. N.

Je sens qu'on me demandera ce que


doit faire celui qui n'est pas assez ferme
dans l'exercice du barreau, pour parler
sur de simples notes. . A

Apprendra-t-il de mémoire tout son


plaidoyer, suivant la méthode des pré
dicateurs ? - -

Je n'ai garde de donner ce conseil au


jeune orateur. i -

Indépendamment de ce qu'il est im


praticable dans le barreau, où les plai
doyers varient autant que les causes ,
cet asservissement ne feroit qu'augmenter
la timidité des commençans, et leur ôter
le ressort que la plaidoirie exige. .
, Je sais encore qu'il est nécessaire que
le jeune orateur compose son plaidoyer
· en entier pendant long-temps ; c'est le
seul moyen de fixer ses idées , d'éviter
la prolixité, et d'acquérir une élocution
CXaCte. - *

| Mais il est un milieu entre ces deux


partis. , |".

Je voudrois donc qu'après avoir pré


( 256 )
paré sa cause avec le soin qne j'ai exigé
dans le troisième chapitre de la pre
mière partie, qui est de précepte dans
tous les temps, le jeune avocat compo
sât son plaidoyer en entier; qu'il le mé
ditat pour en saisir le plan; qu'il s'exer
çât ensuite à plusieurs reprises dans son
cabinet, non à répéter fidèlement ce
qu'il auroit écrit, mais à plaider comme
s'il étoit au barreau, ne s'attachant qu'à
conserver son plan er son ordre , sans
s'inquiéter des changemens qu'il feroit
dans les expressions , pourvu qu'elles
présentassent ses idées avec justesse et
clarté.
Quand cette méthode ne serviroit qu'à
fixer dans son esprit le plan de son dis
cours, l'enchaînement des faits, des prin
cipes et des conséquences, et à former
cette mémoire de choses qui est la seule
à laquelle il doive s'attacher, ces avan
tages seroient assez considérables.
Mais en lui fournissant une provision
de mots surnuméraires pour revêtir ses
idées, elle diminuera sa timidité, elle
facilitera la réplique et la réponse aux
interruptions de son adversaire ; enfin
elle le mettra à pcrtée d'exercer ses
forces sur le champ de bataille , et
( 257 )
d'éprouver cette sorte d'inspiration que
la présence du juge, l'attention du pu
blic et la nécessité produisent infailli
blement dans celui qui est plein de son
sujet : espèce d'enthousiasme qui donne
plus de force au discours que la prépa
ration du cabinet. Le jeune orateur ainsi
disposé, apercevra au retour du barreau
les changemens qu'il aura faits à son plan;
il reconnoîtra avec satirfaction les ex
pressions et les idées que le moment lui
aura fournies ; enfin il dépouillera sa ti
midité naturelle, et s'habituera à plaider
sur de simples notes, qui est le but au
quel il doit tendre. -
QU A T R I È M E P A R T I E.

cHAP 1T R E UN I Q U E.
Des Ecritures , des Mémoires et des
Consultations.

Les écritures ne sont qu'une plaidoirie


CCI'ItC.

Elles sont donc susceptibles de toutes


les règles que nous avons établies. .
Le mérite essentiel des mémoires est
la précision.
Lorsque le mémoire doit être distri
bué pendant le cours de la plaidoirie ,
le juge est déjà instruit de la cause. Le
mémoire a pour objet de la graver plus
profcn lément dans son esprit. Il seroit
donc à désirer que ces mémoires pussent
se réduire à un simple extrait de ce que
le juge a entendu.
Mais l'objet du mémoire ne se borne
pas toujours à instruire le juge. .
La partie veut que le public connoisse
sa cause , que ceux qui approchent des
( 259 )
magistrats leur en parlent, et s'y inté
reSSent,

La justice ne devroit pas avoir besoin


de ces secours étrangers ; mais puisque
les hommes sont sujets à se laisser pré
venir, que l'injustice emploie souvent
ces moyens pour triompher de la bonne
cause, l'orateur ne doit pas les négliger,
pour contrebalancer les avantages de son
adversaire. . - - -

Il est un genre de causes dans les


quelles le public a un tribunal séparé
de celui des Juges, parce qu'elles in
téressent la réputation des citoyens.
L'intérêt pécuniaire n'est rien en compa
raison de cet objet. L'orateur doit alors
donner à son mémoire assez d'étendue
pour instruire ceux qui n'ont pas assisté
aux plaidoiries.
Ces mémoires sont du même genre
que ceux qui se font dans les procès par
écrit, sur les délibérés, ou dans les causes
dans lesquelles le ministère public porte
seul la parole, (ce qui n'existe plus au
jourd'hui. )
Lorsque la cause doit être plaidée,
l'analyse du mémoire ne sera sûre qu'au
tant que l'instruction se trouvera ache
vée, lorsqu'il le commencera.
( 2éo )
Il ne doit donc pas se prêter à l'impa
tience ordinaire à des parties sur ce point,
contraire à leurs intérêts.
Je ne connois qu'un seul cas dans le
quel il puisse être nécessaire de prévenir
par un mémoire l'instructiou même.
C'est dans ces causes d'éclat dont le
public est instruit , et qu'il a presque
toujours jugées avant les magistrats.
Si l'orateur est obligé de détruire
par un mémoire un préjugé capable de
faire impression sur les juges , le mé
moire doit être tel qu'en renfermant les
faits et le systême de la cause , ce ne
soit néanmoins que comme un exorde
plus étendu, qui prépare l'auditeur à la
discussion judiciaire.
Celui qui passeroit ces bornes cour
roit risque de n'être plus écouté.
Il est une forme de mémoires qui leur
donne plus de vie. L'orateur y fait parler
la partie elle-même. -

Ce genre ne convient qu'aux causes


de fait : car l'impartialité du défenseur,
et sa réputation procurent dans les ques
tions de droit une autorité utile.
Le naturel est le mérite principal de
ces mémoires. A

L'orateur doit donc y conserver le


( 261 )
costume du personnage qu'il introduit.
Mais les causes de fait renferment pres
que toujours quelque mélange de droit.
L'art de l'orateur consiste à rendre
sa discussion si simple, qu'elle s'éta
blisse par la raison seule qui est du
ressort de tout le monde, et renvoyer
les autorités à une addition ou à des
notes. On sent le ridicule qu'il y auroit
de faire citer des lois par un militaire,
ou par une femme, |

Les mémoires dont je parle doivent


s'adresser directement aux juges ; c'est
la partie qui paroît se défendre elle
nneIme.
L'usage de les dresser par forme de
mémoire à consulter n'est pas aussi bon.
Cette méthode renferme un double
emploi, les jurisconsultes étant souvent
obligés de répéter dans la consultation,
au moins une partie, des faits déjà ex
posés dans le mémoire à consulter.
| Elle a moins de naturel, parce que
le mémoire destiné à instruire les juges
ne leur paroît pas adressé. -

Enfin les mémoires à consulter ne


doivent contenir que l'exposé de la ques
tion , et les faits qui conduisent à la
décision ; leur donner plus d'étendue
*-
( 262 )
pour y ajouter des moyens et des mou
vemens, c'est mettre le titre en contra
diction avec l'ouvrage. -

Je suppose dans l'orateur assez de


force pour résister à sa partie, si elle
exigeoit de lui (sur-tout dans ces mé
moires qui en sont plus susceptibles que
les autres ) qu'il répandit les traits enve
nimés de la passion, ou qu'il se livrât
à des épisodes étrangers à la cause. Cette
satire pourroit amuser ; mais l'orateur
déshonoreroit son ministère en s'y prê
failf. -

Le caractère de modération qu'i


donnera à son client, que ce genre
, de mémoires représentera avec plus de
vérité, est le premier attrait qui pré
viendra les juges et le public en faveur
de sa cause. -

| Les consultations sont un jugement


que la confiance des parties donne le
droit au jurisconsulte de prononcer.
Elles ont deux objets ; d'éclairer le
client sur la justice ou l'injustice de ses
prétentions; et si la consultation est favo
rable, de lui tracer le plan de sa défense.
Il est inutile d'observer que la con
sultation doit être impartiale , penser au
· trement, ce seroit se permettre d'abuser
( 263 )
de la confiance du client, ou se prêter
à sa passion pour prévenir les juges par
l'autorité des jurisconsultes dont la con
sultation seroit signée. -

Cette autorité ils ne la tiennent que


de la confiance des parties , et de la
solidité de leur jugement. Toute con
sultation doit donc renfermer les motifs
de sa décision. -

· La rédaction des consultations n'admet


pas l'émotion des passions. J'excepte
pourtant la chaleur que l'injustice évi
dente excite dans le cœur de tout hon
nête homme. -

· Enfin la consultation doit renfermer


tout le plan de la défense de la cause ;
ses qualités sont l'ordre, la justesse, et
la précision.
c o N c L U s 1 o N.
Je crois avoir réuni les principales
règles dont l'éloquence du barreau est
susceptible. . " -

La seule loi de l'ensemble et de l'unité


n'admet aucune exception , c'est ce qui
m'a engagé à y rapporter les principes
que j'ai expliqués dans les chapitres par
ticuliers.
( 264 )
Le génie seul fera connoître les excep
tions de toutes les autres.

C'est lui qui vous dira par quel transport heureux ,


Quelquefois dans sa course un esprit vigoureux ,
Trop resserré par l'art, sort des règles prescrites,
Et de l'art même apprend à franchir ses limites.
B O I L E A U.

Je finis comme j'ai commencé , en


avertissant que ce n'est point une rhéto
rique que j'ai entreprise. Je suis parvenu
à mon but, si j'ai fait connoître la nature
de l'éloquence du barreau , et si j'ai
donné une idée de sa perfection.
· (Add.) Je me croirois le plus heureux
des hommes, si les principes que j'ai éta
blis , puisés dans la nature, communs à
toutes les parties de l'instruction publique,
contribuoient à combler cet abîme que le
vandalisme de ces derniers temps, et
l'enthousiasme des nouveautés dangereu
ses a creusé, qui a fait déchoir la France
de cette gloire, dans toutes les parties de
· la littérature, que le grand siècle de
· Louis XIV et les premières années du
règne de Louis XV lui avoient acquise.
F I N,

NOTES
".

- ( 265 )

NOTES
Renfermant les textes latins cités dans cet
ouvrage, et non rapportés dans le corps
du livre. " , -

PAGE 14. M. Cochin parut , etc. -

Legendum imprimis Ciceronem et Demosthenem, et


- qnicumque Ciceroni et Demostheni sit simillimus. Quin
rilien. -

Pag« 1o. Que sa réputation, etc.


Plurimum ad omnia momenti est in hoc positum , sit
vir bonus et credatur. Hoc enim continget, ut non stu
dium advocati solum videatur afferre sed penè testis fi
den. Quintilien.
Page 22. Il faut , dit Cicéron, etc. . - ,

In oratore acumen Dialecticorum,Sententix Philosopho


rum, verba pene Poëtarum, memoria Jurisconsultorum ,
vox Traga dorum, gestus penè summorum Actorum re
quirendus est.Cic. de Oratore.
Page 2.3. L'art peut vaincre , etc. | -

Rogatus (AEschines ) à Rodiis, legisse fertur orationem


illam egregiam quam in Chtesiphontem contra Demos
thenein dixerat : quâ praelecta petitum est ab eo postridie
, - ut legeret illam etiam qua erat à Demesthene pro Chtesi
· phx nte edita : quam cum suavissimâ et maximâ voce le
M
gisset , admirantibus omnibus : Quanto inquit , magis
admiraremini, si audissetis ipsum ? Cic. de Oratore. lib. 3.
Page 37. Venons aux causea, etc. -

Verùm ut aliquando ad causas deducamus illum quem


constituimus , et eas quidem , in quibus plusculùm negotii
est judiciorum atque litium ( riserit aliquis fortasse hoc
preceptum : est enim non tam acutum , quam necessa
rium , magisque monitoris non fatui quam eruditi Magis
tii (hoc ei primum præcipiemus, quascumque causas erit
acturus, ut eas diligenter , penitùsque cognoscat. Hoc in
ludo non præcipitur. Faciles enim causæ ad pueros defe
runtur. Lex peregrinum vetat in murum ascendere : ascen
dit, hosteis repudit : accusatur. Nihil est negotii hujusmodi
, causam cognoscere. Recte igitur nihil de causâ discenda
precipiunt. Haec est enim in ludo causarum fere formula.
At vero in foro tabuloe , testimoria, pacta conventa , sti
pulationes , cognationes , affihitates, decreta, responsa
vita deniqüe eorum, qui in causa versantur, tota cognos
cenda e. t. Quarum rerum negligentiâ plerasque causas et
maximè privatas (sunt enim multo saepe obscuriores) vi
demus amitti, Ita nonnulli dum operam suam maltam
existimari volunt, ut `toto foro vclitare , et à causâ ad

causam ire videantur, causas dicunt incognitas. In quo


est illa quidam magna offensio, vel negligentiæ susceptis
* rebus, vel perfidiae, receptis, sed etiam illam major opi
nione , quod nemo pote- t de ea re , qnam non novit, non
turpissimè dicere : ita dum fnertiæ vituperationem quæ
-major est contemnunt, assequuntur etiam illam quam ma.
gis ipsi fugiunt, tarditatis, Equidem soleo dare operam ut
de suâ quisque te me ipse doceat et ut nequis alias adsit,
-: quo liberius loquatur et agere adversarii causam: ut ille
agat suam 5 et quidquid de suâ re cogitarit in medium
( 267 )
prcferat.Ita cum ille discessit, tres personas unus sustine*,
sumihä animi aequitate, meam, adversarii, ju dicis. Qui
{ocus est tafis; ut plus habeat adjumenti, quàm incom
modi, hünc judico esse dicendum ; ubi plus mali , quam
toni reperiò, id totum abjudico atque rejicio ; ita asse
quor ut alio tempore cogiten quid dicam et alio dicam,
quæ duo pleiique ingenio freti simul faciunt, sed certè
iidem , illi meliùs aliquanto dicerent, si aliud sumenduma
sibi tempus ad cogitandum, aliud ad dicendum putarent
Cum tem penitùs, causamque cognovi , statim occurrit
animo quae sit causa ambigui. . . . . . . .
cum igitur'accepto causae genere et cognito rem tractare
cæpi, nihil prius constituo quàm qüid sit illud, quo mihi
reterenda sit omnis illa oratio, quoe sit propria quæstionis
et judicii : deinde illa duo diligentissimè considero, quo
rum afterùm commendationem habet nostrnm , aut eo
rum quos deféndimus : alterum est accommodatum ad
eorüm animos apüd quos dicimus, ad id quod volumus
commovendos. cic. de Oratore, lib. z. n. 14 et 27. '*
Page 53. C'est alors , dit quintilien, etc. ' .
Illa enim potentissima est, quæque verè dicitur aecono
mica totius causae dispositio , quæ constitui nisi velut in re
presenti non-potest : ubi assumendum proæmium, ubi
omitendum *} ubi utendtim expositione continuâ .'ub
Iartita ; ubi ab initiis incipiendum ,'ubi more Homerico à
mediis , vel ultimis : ubi omnino non expouendum :
«quando à nostris, quando ab adversariorum propositioni
bus incipiamus : quando à firmissimis probationibus -

<juando à levioribus : quando in causae proponendae procc


niiis quæstiones , quâ praeparatione præmuniendæ : quid
judicis animus accipere possit statim dictüm, quo paulatim
dedacei;dus: singulis, an univcrsis opponenda refutatio :
( 268 )
reseryandi perorationi , an per totam orationem'diffun
dendi affectus : dejure priùs, an de aequitate dicendum ;
an ante acta crimina, an de quibus judicium est, priùs
objicere vel diluere conveniat : si multiplices caus* erunt,
quis ordo faciendus, quæ testimonia, tabulave cujusque
generis in actione recitandae , quae reservandæ. Hoc est
velut imperatoria virtus copias suas partientis ad casus prae*
liorum, retinentis partes propter castella tuenda, custo
diendasve urbes, petendos commeatus, obsidenda itinera ;
mari denique ac terra dividentis.. .. • • • . · · · *

Et in his ipsis primus aliquis sensus, et secundus, et


tertius : qui non modo ut sint ordine collocati, elaboran
dum est ; ac inter se juncti , atque ità cohærentes, ne
commissura perluceat ; corpus sit, non membra. Quod
ità continget , si et quod iu quoque conveniat viderimus ,
et verba verbis applicemus , ngn pugnantia, sed qu# se in
vicem complectantur. Ita res diversæ ex locis, quasi invi
cem ignotæ non collidentur, sed aliqua societate cum
prioribus ac sequentibus se copula quaeque tencbgnt : ac
videbitur non solùm composita oratio, sed etiam conti
1avia. Quintilien , liv. 7 chap. 1 . - -

Page 8*. Cependant Ciceron assuroit , etc.


Ego fateor me oratorem, si modo sim, aut etiam qui
cunque sim, non ex Rhetorum officinis, sed ex Acade
mtae spatiis extitisse, Ciccron, de Oratore.
Aage 89. Que diraije de ce poäte, etc.
Uni fortè mortalium Homero datum est ut natura sua
£ecundus, sine externis quibus aleretur rivulis foret in
geniorum fons. Brotier, préface de Phèdre.
Page 9o Sa poésie , dit Ciceron, etc.
T * * *a* est Homerum caesuu fuissc 5 at ejuspictura*
( 269 )
non possim videmus. Quae regio, quæ ora , qtii locw*
Greciae , quæ species formæ , quæ'pugna, quæ acies ,*
quod remigium , qui motus hominum, qui ferarum , non
ita expressit, ut quæ ipse non viderat, nos ur videremus
effecerit. Cic. tuscul. Quest, L. V. n. 39.
?age s •4. Tou le peuple le pleura , etc. - -

„ Fleyerunt eum omnis Populus Israel planeto magno, et


1agebant dies multos. Dixerunt : Quomodo cecidit vir po
tens qui salvum faciebat Populum Israel. Machab, cap. 9.
Page 1 -5. le Seigneur «ss avec vous . ete.
Dominus tecum, virorum fortissime : vzde in fortudine
tua et ego ero tecum, - -

. Page ›› i. guintilien esise que » ete.


- Eam plerique scriptores, maximè qui sunt ab Isoerate,
volünt esse lucidam, brevem et veri similem. Quintilien de
Narratione.

' Ibid. Miton est obliga d'entreprendre un voyage, etc.


interim cùm sciret Clodius (neque enim erat difficile
scire) iter solemne, legitimum , necessarium ante diem
XIII Kalendas Februarii, Miloni esse Lanuvium ad Fla
minem prodendum, quod erat Dictator Lanuvii Milo ;
Româ subito ipse profectus pridic est ut ante suum fun
dum, quod re intellcctum est, Miloni infidias collocaret,
atque ita profectus est, ut concionem turbuleniam, in
quâ ejus furor desideratus est, quæ illo ipso die habita
est relinqueret : quam nisi obire facinoris locum tempus
qne voluisset , numquam reliquisset. ' . ' . ' '
Page 134. ll avoit peint les fureurs de Clodius, te. , •

P. Clodius cum statuisset omniscelcre in Prætura vexare


( 27o )
Rempublicam , videretque ita tracta esse commitia anno
superiore,ut non multos menses Præturam gerere posset ,
qui non honoris gradum spectaret, ut caeteri, sed et L. Pau
lum collegam effugerevellet,singulari virtute cive, met an
num integrum ad dilacerandam Rempublicam, quæreret ;
subito reliquit annum sum, seque in annum proxumum.
transtulit, non religione àliquâ, sed ut haberet, qüod ipse
dicebat, ad Præturam gerendam, hoc est, ad evertendam
Rempublicam, plenum annum atque integrum. *
Occurebat mancam ac debilem Præturam suam futuram
Consule Milone : eum porro summo consensu populi
Romani Consulem fieri videbat. Contulit se ad ejus com
petitores , sed ita , totam ut petitionem ipse solus , etiam
invitis illis, gubernaret : tota ut concilia suis, ut dictabat ,
humeris sustineret; convocabat tribus, se interponebat ,
coloniam novam , delectum perditissimorum scribebat ci
vium, Quanto ille plura iniscebat, tanto hic magis in dies
convalcscebat.
Ubi vidit homo ad omne facinus paratissimus, fortissi
mum virum inimicissimum suum , certissimum Consu

Jem', idejue intellexit non solùm sermonibus, sed etiam


suffragiis Populi R. saepè esse declara:um , palàm agere
cæpit , et aperiè dicere, occidendum Milonem. Servos
agrestes et barbarc§, quibus silvas publicas depopulatus
erat, Etruriamque vexârat , ex Appennino deduxerat ,
quos videbatis. Res erat minimè obscura ; et enim palàm
dictitabat , Consulatum Miloni eripi non posse : signifi
cavit hoc sæpè in senatu : dixit in concione. Quin etiam
Favonio, fortissimo viro, quærenti ex eo, qua spe fu
reret Milone vivo ; respondit triduo ilfum , ad summum
quatriduo perirurum ; quam vocem ejus ad hunc M. Ca.
tonem statim Favonius detulit, ,. . . ; ;; :,
( 27 1 )
fage t 3;. Milon aa contraire assiste au Sénat , etc.
Mi!o autem cùm in Senatu fuisset eo die quoad Senatus *
dimtssus est , domum venit, calceps et vestimenta muta
vit , paulisper, dum se uxor ( ut fit ) comparat, commo
ratus est : deinde profectus est id temporis , cùm jam ,
-
Clodius , si quidem eo die Romam venturus erat, redite.
potuisset. *
,-.
Ibid. Clodius se présente d cheval, etc.
Obviàm fit ei Clodius, expeditus, in equo, rulla rheda
nullis impedirnentis , nullis Græcis comitibus , ut solebat,
sine uxore , quod numquam ferè ; cum hic insidiator qui
iter illud ad caedem faciendam apparasset , cum uxore ve
heretur in rbeda pænulatus, vulgi magno impedimento ,
ac muliebri et delicato ancillarum puerorumque comitatu.
Fit obyiam Clodio ante fundum ejus , horâ fere undecimâ
aut non multo secus, Statim complures cum talis in hunc
faciunt de loco superiore impetum. Adversi rhedarium
occidunt. Cùm autem hic de rheda , rejectâ paenulâ, de
siluisset , seque acri animo defenderet ; illi qui erant cum
Clodio gladiis eductis , partim recurrere ad rhedam , ut à
tergo Milonem adorirentur : partim , quod hunc jam in
terfectum putarent, cædere incipiunt ejus servos, qui Post
erant. - - … * * .

. fage 136. Ceux des esclaves de Milon , etc. • '


Ex quibus qui animo fideli in dominum erant et prae
sentes fuerunt , partim occisi sunt , partim cùm ad rhedam
pugnari viderent et Domino succurrere prohiberentur ,
Melonemque occisum etiam ex ipso Clodio audirent et ita
esse putarent : FEceRUNT ID sERvr Milonis( DicAM
ENIM NON DERivANDI *cRIMINIs. cAUs A , sED UT
fAcTUM EsT,) NEQUE IMPERANTr, NEQUe'sciENTE,
( z72 )
NEQUE PRaesenre.Domtrno, quor» suos quisQUs
SERVOS IN TAL1 RE FacErce volutsset.

*age t49. Labrié»et44* la narration , etc.


Brevis erit narratio ante omnia, si inde cæperimus rem
exponere ; unde ad judicem pertinet deinde si nihil extra
causam dixerimus. Quint. de- narratione.
Page 1 5o. ft ne suffi pas , etc.
Nec hoc quidem simpliciter accipiendum, quod est à
ne positum, supervacuam esse narrationem rei quam Ju
dex noverit. Quod sic intelligi volo, si non modo factum ..
quid sit, sciet : sed ita factum etiam, ut nobis expedit ,
opinabitnr. Neque enim narratio in hoc reperta est , ut
tantùm cognoscat judex, scd aliquanto magis ut consen
tiat. Quint. de Narratione.
Page 1 63. Le *ophisme qui consiste, etc.
Ea est natura cavillationis ( quam. Graeci ospitw id est
acervalem , syllogismum appellant, ut ab'evidenter veris
yer brevissimas mutationes disputatio ad ea quæ evidenter
falsa sunt perducatur. L. V. Dig de Regulis juvis.
Page 184. }'ous avey dompté des nations, ect. .
Domuisti Gentes immanitate Barbaras, multitudine in
numerabiles, locis infinitas, omni copiarum getere abun
dantes : sed tamen ea vicisti quæ et naturam, ct condi
tionem, ut vinci possent,habebant. Nulla est enim tanta
vis, tanta copia, quæ non ferre ac viribus debilitari fran
gique possit ; verùm animum vincere , iracundiam cohi
bere, victoriam femperare, adversarium nobilitare ». in
genio , virtutc præstantem, non modo extollere jacentem ,
sed etiam amplificare ejus pristinam dignitatcm 5 hæc qni
( 273 )
£aciat , non ego eun-sutnmis viris camparo , sed simil
limum Deo judico. Cic. pro, Marcello. v.

: Page 195. On fustigeoit dans la place de Messine , etc.


cædebatur virgis in medio foro Messanae civis Roma
nus , judices , cùm interea nullus gemitus, nulla vox aliâ
miseri inter dolores crepitumque plagarum audiebatur nisi
haec, crvis RomaNus sU M. Hac se commemoratione
civitatis: omnia verbera depulsurum cruciatumque à cor
pore. dejecturum arbitrabatur. Is non, modo hoc non per
fecit , ut virgarum vim deprecaretus, sed cùm imploraret
-sæpiùs usurparetque nomen civitatis ,: crux, crux , in
: quam, infelici, et ærumnoso , qui nunquam istam potes
statem viderat, eomparabatur.
T Ibid. Liberta sainte, etc.
r ^^ * * . . . *** . - * •"* . -.: .. *: o: ,
.: O nomen dulce libertatis , éjus.eximium nostræ civi
tatis ! ô lex Porcia legesque Semproniæ ! ô graviter desi
derata, et aliquando reddita plebi Romanae Tribunitia
potestas : Huccine tandem omnia reciderünt , ut civis
Romanus in provinciâ populi Romani, in oppido fede
rarorum, ab eo qui beneficio populi Romani fasces et se
'cures haberet, deligatüs in foro virgis cæderetür; *. . .
Si tu apud Persas, aüt in extremiâ Indiâ deprehen$us;
veires, ad supplicium ducereri*: quid aliud clamitares nisi
te civem esse Romanum, et si tibi ignoto apud ignotos,
[apud barbaros, apüd homines in extremis atque ultimis
gentibüs positos , nobile et illustre apud omnes nomcn
tuæ civitatis profuisset : ille quisquis erat, quem tu in cru
cem rapiebas , qui tibi esset ignetus, cum civem se Ro
£manum esse diceret, apud te Prætorem, si non effugium
nemoram quidem,mortis mentione atque usurpatione, ci
M.
( 274 )
vitatis,' assequi potuit. . . -. . · · · · · ·· ·· · ·
Page 196. ce liea avoit £ti choiri par, etc. «*- *•
Italiæ conspectus ad eam rem ab isto delectus est , ut ilfe
in dolore cruciatuque moriens, perangusto freto divisa
diu servitutis ac libertatis jura cognosceret. . . . . . .
Page 197. Si je portois ces plaintes , etc.
: Si hæc non ad cives Romanos , non ad a!iquos amicos
nostræ civitatis, non ad eos qui populi Romania nomen
audissent ; denique, si non ad homines verum ad bestias.
aut etiana ut fongius progrediar , si in aliquâ desertissimâ
solitudine ad saxa, et scopulos hæc conqueri , et deplo
rare vellem : tamen omnia muta atque inanima , tanta et
tam indigna rerum atrocitate commoverentur. Nunc vero
cùm loquar apud Senatores Populi Romani, legum judi
ciorumque et juris auctores, timere non debeo , ne non
unus iste civis Romänus iilà cruce dignus, ceteri omnes
simili periculo indignissimi judicentur. -

£.'page 198. cetiire d'accusation est tel » etc.


Quod crimen ejusmodi est, ut cùm primùm ad me de
latum est, usurum me illo non putarem ; tametsi enim
verissimum esse intelligebam , tamen credibile fore non
arbitábar. Coactus lacrymis omnium civium Romanorum
qui in Sicilia negotiantur adductus Valentinorum
• homi
num honestissimorum, omniumque Rheginorum , mul
torum equitüm Romanorum , qui casu tum Messanæ
fuerunt , testimoniis, dedi tantum priore actione testinio
nium, res ut nemini dubia esse posset, cicero in Verrem. s.
IPage 199. Ne croyeypas , dis-fntoine, arc.es … , ****»» .

Quare nolite existimáre me 'ipsum', quę nön heroura


veteres casus, fictosque luctus vellem:imitatiätque adcn- .
* - -.
N .
| ( 275 )
brare dicendo , neque actor essem alienae personæ , sed
auctor me e, cum mihi M. Aquilius in civitate retinendus
esset, quae in illâ causâ perronda fecerim sine magro
dolore fecisse. Quem enfm ego Consulem fuisse, Impe
ratorem ornatum à Senatu, ovantem in Capitolium as
cendisse meminissem , eum afflictum, debilitatum, mœ
rentem ; in summum discrimen adductum viderern »
non priùs sum conatus misericordiam aliis commo
vere quàm misericordiâ sim ipse captus. Sensi quidem
tum magnoperè moveri judices, cùm excitavi maestum
ac sordidum senem, et cùm ista feei que tu, Crasse, lau
das , non arte de quâ quid loquar nescio, sed motu ma7
gno animi ac dolore ut discenderem tunicam , cicatrices
ostenderem : cùm M. Marius mœrorem orationis meae
præsens ac sedens multum lacrymis suis adjuvaret : cum
que Aquilium crebro appellans collegam ei suum com
mendarem, adque ipsum advocatum ad communem Im
peratorum fortunam defendendam invocarem ; non fuit
haec sine meis lacrymis, sine dolore magno miseratio ,
omnium que deorum et hominum, et civium , et sociorum
imploratione : quibus omnibus verbis, quae à me tum sunt
habita , si dolor abfuisset meüs , non modo non misera
bilis, sed etiam irridenda fuiset oratio mea, Cic. de Ora
tore, lib.2.
, Page 2o3. Vous prérendeg, dit Ciceron, etc.
e Exheredare pater filium cogitabat. Mitto querere quâ
de causâ ? quaero qui scias ? tametsi te dicere atque enume
rare causas omnes oportebat , et id erat certi accusatoris
officium qui tanti sceleris argueret, explicare omnia vitia
atque peccata filii, quibus incensus parens potuerit ani
mum inducere ut naturam ipsam vinceret : ut amorem.
( 28o )
itium penitus insitum rcjiceret ex animo, ut denique par
trem se esse oblivisceretur ; quae sine magnis peccatis
accidere posse noa arbitror. Verum concedo tibi ut ea
Prºtereas que cùm taces, nnlla esse concedis : illum qui
dem voluisse exheredare certe tu planum facere debes.
Quid ergo affers, quare id factum putemus ? vere nihil.
Potes Finge aliquid saltem, ut ne planè videaris facere,
quod apertè facis, hujus miseri fortunis, et horum vi
rorum talium dignitati illudere. Exhaeredare filium voluit ?
Quam ob causam 2 Nescio, Exheredavitne ? Non. Quis
prohibuit. Cogitabat. Cogitabat ! cui dixit ? Nemini.
Quid est aliud , judicio et legatus, ac majestate vestrâ,
abuti ad quaestum atque ad libidinem, nisi hoc modo ac
cusare, atque id objicere, qaod planum facere non modo
non Possis verum ne coneris quidem ?:
Page 2o4- Ce n'est pas par aucun conseil, etc.
Non est humano consilio, nec mediocri quidem , ju
dices, Deorum immortalium curâ res illa perfecta. Reli
giones, me Hercule ipsae, araeque, cum illam belluam
cadere viderunt commovisse se videntur et jus suum re
tinuisse. Vos enim Albani tumuli atque luci, vos inquam
implore atque obtestor, vos Albanorum obrutae arae, sa--
crorum Populi Romani sociae et aequales, quas ille prae
ceps amentiâ, czsis prostratisque sacratissimis lucis sub
structionum insanis molibus oppresserat, vestrae tum arae,
vestrae religiones viguerunt, vestra vis valuit, quam ille
emniscclere polluerat. Tuque ex tuo edito Monte Latialis
sancte Jupiter, cujus ille lucus, nemora fines, saepe ne
fario stupro et scelere macularat, aliquando ad eum pu
nicudum oculos aperuisti ? Vobis illae, vobis vestro in
conspectu sexæ,scd justæ tamenacdebitae panasolutaesunt.
» ( 277 )
Page xo6. Si l'an de vos ancgtres, Claudia , paroissoi*
ici, qu'il vint , etc. , -

Si illo austero more ac modo aliquis mihi ab inferis


excitandus esset. . . . . . . . qui objurget mulierem
et pro me loquatur, næ ista mihi forte succenseat! Existat
igitur ex ista familiâ aliquis , ac potissimum Coecus ille »
( minimum enim dolorem capiet qui istam non videbit ).
qui profecto si extiterit, sic aget et sic loquetur. Mulier
quid tibi cum Coelio ? Quid cum homine adolescentulo ?
Quid cum alieno ? cur autem familiaris huic fuisti , ut
aurum commodares : aut tam inimica ut venenum timeres?
Non patrem tuum videtas, non patrum, non avum , non
proavum , atavum, audieras Consules fùisse ? Non deni*
que, modo te Q. Metelli matrimonium tenuisse sciebas,
clarissimi et fortissimi viri patriæque amantissimi, qui si
mul ac pedem limine extulerat, omnes prope cives vittute ,
gloriâ, et dignitate superabat. -

Page zoo. Cet Orateur, dit-it, sans comparaison , etc.


Itaque hic quem praestitisse diximus cæteris, in illa prò
Ctesiphonte oratione longe optima', submissus à primis*,
deinde dum de legibus disputat pressius ; post sensim in•
cedens , judices ut vidit ardentes in reliquis exultavit au
daciùs. Brutus seu de claris orateribus.

2age 139. Entre les avantages de l'amitié, etc.


Cùm plurimas et maximas commoditates amicitia con
tineat, tùm illa nimirum præstat omnibus, quod bonâ
spe prælucerin posterum , nec debilitari animos , aut ca
dere patitur. Verum etiam amicum qui intuetur, tamquam
exemplar aliquod intuetur sui. Quocircà et absentes ad
sunt , et egentes abundant, et imbecilles valent, et, quod;
difficilius dictu est, mortui vivunt : tantus eos honos ,
( 278 )
memoria , desiderium prosequitur amicorum. Ex quo
illorum beata mors videtur , horum vita laudabilis.
Quod si exemeris ex natura rerum benevolentiæ conjunc
tionem # nec domus ulla , nec urbs, stare poterit , ne agri
quidem cultus permanebit. Cicero de Amicitia.
Page 142. C'est un attentat, erc.
Racinus est vinciri civem Romanum : scelus, verberari :
propè parricidium, necari. Quid dicam in crucem tollere ?
Verbo satis digno tam nefaria res , appellari nullo modo
potest. Non fuit his omnibus iste contentus. Spectet, in- .
quit , patriam , in couspectu legum , libertatisque mo
riatur. Non tu hoc loco Gavium , non unum hominem
nescio quem , civem Romanum, sed communem liber
tatis et civitatis causam in illum cruciatum et crucem
egisti. Cic. in Verrem 5.
Page 246. J*arrivai à Rhodes, etc. • - .

Rhodum veni , meque ad eumdem, quem Romæ au


dieram, Molonem applicavi, eum actorem in veris causis,
scriptoremque præstantem ; tum in notandis animadver
tendisque vitiis, et instituendo docendoque prudentissi
mum. Is dedit operam (si modo id consequi potuit ) ut
minis redundantes nos et superfluentes juvenili quâdam
dicendi impunitate et licentiâ, reprimeret, et quasi extra
ripas diffluentes coerceret. Ita recepi me bienno post ,
non modo exercitatior, sed propè mutatus. Cic. de Orat.
Page 248. L'action , dis-je, domine sur le, etc.
Actio , inquam, in dicendo una dominatur, sine qua
summus orator esse in numero: nullo potest ; mediocris
βάc instructus summos sæpè superare. . . . . . . . . .
Huic primas dedisse Deinosthenes dicitur, cum roga
( 279 )
retur, quid in dicendo esset primum : huic secundas : huic
tertias. Cic. de Oratore.

Page 15 1. Kous prétendex, divoit Cicéron d , etc.


Tu istud , M. Calidi , nisi fingeres , sic ageres ? Prae
sertim cùm istâ eloquentiâ, alienorum hominum pericula
defendere acerimè soleas, tuum negligeres ? ubi dolor ,
7 ubi ardor animi qui etiam ex infantium ingeniis elcere
s -yoces et querelas solet ? Nulla perturbatio animi, nulla.
corporis. Brutus seu de clar. Orato/ius. ,
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-
• -
... i


-
( 28e )

| N OTIC E :
· DEs oUvRAGES DE L'AUTEUR,
Suivie de deux lettres , l'une relative à la tra
duction, seule complète, des Odes de Pindare ,
l'autre au Discours sur l'Histoire universel'e
faisant suite à celui de Bossuet.

(1) D E la religion du vrai philosophe, ou Observateur


impartial de la nature ; contenant l'examen des systèmes des
prétendus sages du dix huitième siècle, et la preuve de la liaison
des principes du christianisme, avec les maximes fondamentales
de la tranquilité des Etats.
« Nouvelle édition du traité de la religion , par ua
» homme du monde, prête à être mise sous presse. »
(2) Deux discours , l'un éloge du feu dauphin , père
de Louis XVI , l'autre : Des effets de l'amour du bien pn
blic dans l'homme d'état , considérés dans la vie de Suger ;
et une Ode sur laservitude abolie dans le domaine du roi
(3) Analyse des connaissances les plus utiles à l'homme
et au citoyen.

(4) Les vrais principes du gouvernement, ou Analyse


des bases fondamentales de la vraie ltberté ; suivie du
tableau des principaux monumcns politiques de notre his
ſ( 281 )
toire , et de notes relatives aux événemens postérieurs à
1y87 ;
a vol. petit in-12, actuellement en vente chez Arthus-Ber
trand, libraire, quai des Augustins, n°. 35 , et Royez ,
rue de Thionville, ( ci-devant Dauphine ) n°. 2o. -

(5) De l'éloquenee du barreau, avec des additions im


portantes relatives à toutes les parties de la littérature ,
1 vol. in-12. 3oo p. nouvelle édit.
(é) Analyse raisonnée du Droit français, par la compa
raison des dispositions des lois romaines, et de celles de la
coutume de Paris, suivant l'ordre des lois civiles de Domat ;
1 vol. in.4°. qui peut être facilement réduit en 2 vol.
in-89. -

(7) Discours sur l'histoire universelle, depuis Charle-:


magne jusqu'à nos jours, ſaisant suite à celui de Bossuet ;-
2 vol. in-12 , actuellement en vente, chez Arthus-Ber
trand, libraite , à l'adresse ci-dessus ; Fusch , libraire,
rue des Mathurins - Saint - Jaques , maison Cluni ; Ch.-
Pougens, imprimeur-libraire, quai Voltaire, n°. 1 o ; et
Bertrand - Pottier , imprimeur , rue Saint - Germain
FAuxerrois, n°. 53, -

Traductions en prose poétique et oratoire.


P o È r E s.
(8) GEuvres complètes d'Homère, contenant l'Iliade,.
l'Odyssée , la Batrachomymachie , ou combat des Gre
nouilles et des Rats , et les hymnes et autres pièces fugi
tives attribuées à Homère ; suivies des notes littérales ,.
historiques , géographiques du citoyen Mentelle , de
l'Institut national; et des imitations des principaux poëtes
latins, italiens , anglais et fiançais, avec leurs traduetions ;
-
*
( 282 )
| 8 vol. in-8°., édition de Didot l'aîné , entièrement
épuisée.

N. B. « L'édition grand in-4°., papier superfin d'An--


goulême , qui devoit être ornée de 5 e estampes en taille
douce et de deux cartes géographiques , à laquelle

: Louis XVI avoit souscrit pour 1o5 exemplaires , a été


» suspendue par la révolution, après les quatre premiers
» volumes , contenant l'Illiade entière -

» Il reste chez Arthus-Bertrand, à l'adresse ci-dessus ,


une soixantaine de volumes des tomes 2 , 3 et 4 , que
: 1'auteur offre de céder ou échanger avec ceux qui sont
possesseurs du tome premier.
» L'aureur se propose d'en donner incessamment une
53
nouvelle édition , à laquelle il joindra, au moins dans
» une partie des exemplaires , le texte grec.La carte géo
graphique de l'Odyssée, qui manque aux éditions pré -
>>
cédentes, se trouve chez le citoyen Ponce, graveur,
» membre de plusieurs sociétés savantes de Paris, rue
» Saint-Jacques, maison des ci devant Feuillantines. »
(9) (HEuvres d'Hésiode , avec le combat d'Homère et
d'Hesiode ; • : •

1 vol. petit in-8°. , papier couronne, édition de Pierres.


(1o) Idylles de Théocrite , et Eglogues de Virgi'e ,
avec le texte latin, édition de 1787 , suspendue , ainsi
que celle des Vrais principes du gouvernement, pendant le
temps du vandalisme ; : -

2 vol. petit in-12, actuellement en vente chez Arthus


Bertrand et Royez , libraires, aux adresses ci dessus.
« Les Géorgiques et l'Énéïde, entièrement achevés ,
» sont encore en manuscrit. » " - -
( 283 )
(1 ) Odes de Pindare , unique traduction compléte en
notre langue , avec des notes intéressantes ; -

· 2 vol. in-8°. , actuellement en vente , chez Arthus


Bertrand, à l'adresse ci-dessus ; Moutardier, même quai ,
n°. 28 ; et Ch. Pougens, quai Voltaire.
" # ! -

| -- , - #.

- (12)- Les Odes d'Anacréon , Bion, Moschus , Sapho »


Callimaque, formant, avec les Odes de Pindare et les
Idylgsde Théocrite, la collection entière de ce qui nous
reste des lyriques grecs. Manascrir . ' . .
-

(13) Le Paradis perdu de Milton, le Paradis regagné,


et autres pièces fugitives, avec des notes explicatives de
tout ce que le paradis perdu renferme de scientifique ; ce
qui manque dans toutes les autres traductions. Manuscrit.
-
- R o M AN s ET O R A r E U R. s.

" (1 5) Le Vicaire de Wakefield, roman anglais, avec


des notes intéressantes, et le texte anglais ; 2 vol. in-8°,
édition épuisée -

# (1 6) Harangues politiques de Démosthène , et les


deux harangues d'Eschine et de Démosthène, contre et
pour Ctésiphon, dites pro corronâ ; suivies d'extraits d'A-
risophane , et des notes et autres ouvrages relaliſs aux
différentes époques de notre révolution ; .
3 vol. grand in-8°., édition de Didot l'aîné , entière
ment épuisée.
- • > • . - º !

N. B. On a refusé d'insérer, dans le journal des débats,


les deux lettres ci jointes. " , , ^ -
Quelles sont les raisons de ce refus ? Je l'ignore ; mais je
dois mettre le lecteur à portée d'en connottre la justice. .
| ( 284 )
v N A M 1 D E L A E E L L E A N r 1qU 1T É,
(. - L' ^ • ^ . ° . .. · s

Au Rédacteur dujournal des débats, du 2 Bramaire an 1e.


P E R M E T T E z, Citoyen, qu'en qualité d'admira
teur de la belle antiquité, je vous témoigne la satisfaction
que j'ai ressentie, à la lecture de votre feuille du l2 Bru
*
maire de cetre année, qui contient l'extrait de la nou
velle traduction des Odes de Pindare, par P. L. †»
2 vol. in 8°., à Paris, chez Arthus-Bertrand , libraire ,
quai des Augustins, n°. 3 6, et Moutardier, mème quai ,
n°. 28, la seule complète qui existe en notre langue, et
tout à la fois ma surprise du reproche que vous faites à
notre idiôtue d'une froideur, ( c'est votre expression) in
compatible avec un poëte dont le nom seulpient l'entpusiasme
et l'inspire ; et cependant vous reconnoissez qu'on retrouve
Pindare dans les cantiques sacrés de notre Rousseau (J. B.);
j'ajouterai dans POde sur la naissanee du duc de Bre
tagne , où le nouveau traducteur a pris son épigraphe , et
dans beaucoup d'autres.
Quoi donc, J. B. Rousseau n'écrivoit il pas en français ?
Tel est l'effet de notre langue, dites-vous ; elle éteint ce
4ue le poëte met en feu; le français se traine quandle grec vole ;
cela s'appelle , si vous voulez , marcher sur les traces de Pin
d2re , mais avec des béquilles. -

S'il en étoit ainsi ; ce seroit la faute du traducteur ; non


de l'idiôme ; d'apres l'exemple même que vous citez.
Voyons au surplus sur quoi portent l'objet de vos cfi
tiques. - - · e · · · ·
Vous choisisez la première Olympique. * '
« O! Pindare, ( dit le poëte ; car vous convenez que
» tous les mots du texte soat fidèlement rendus ) détache ta
& $
( 285 )
» cithare de la cheville qui la soutient, » phrase à laquelle
vous voudriez substituer celle ci : « O Pindare : détache
» cette Lyresuspendue » le sens est le même , sans doute ;
mais l'une est pittoresque : l'autre ne l'est pas. .
| Le mot cithare vous déplait, celui de Lyre vous agrée
davantage ; mais les Grecs avoient jusqu'à trois mots
pour exprimer le même instrument,2(uxvç, xûp«, eitant 5
· pourquoi le nouveau traducteur, dans une langue si sté
rile, selon vous, auroit il négligé de se servir de deux ex
pressions, dont l'une est plus flutée; j'en conviens ; 1'autre
plus antique, d'une harmonie plus pleine. Si vous eussiez
pris la peine de jeter les yeux sur les notes qu'il a jointes
au texte, vous vous seriez convaincu qu'il a prévenu votre
objection et l'a refutée d'avance. - ,

• J'oublie des querelles minutieuses ; comme la chaudière


de Cloto, expression nécessaire dans le récit de ce que la
fable raconte du festin de Tantale , et ce mot Lagettes,
que le traducteur n'emploie pas sans l'avoir expliqué ;
non seulement dans les notes; mais dans le texte même,
conducteurs des peuples, Ode première, strophe quatrième ;
et les martiaux enfans d'Œdipe, épithète à laquelle vous
préféreriez le mot belliqueux , qui n'est ni si harmonieux ,
ni si littéral ; car le grec porte, yévcs Afnoy, race de Mars,
- Passons à une critique plus amère. .
N'avez vous jamais observé un coursier en liberé ? Il ne
piaffe pas, il ne caracole pas ; il vole avec grâce et rapidité.
-
Voila ce qu'il me semble ce que le traducteur a parfaite
ment rendu :
· « Que les cordes de ta Lyre , montée sur le mode do
» rique, retentissent de la victoire remportée par ce Phe
» renice , qui sans être excité par l'aiguillon,
*. "
développa
-

( 286 )
» avec grâce, sur les rives de l'Alphée, ses jarets nerveux3s
Que seroit-ce, si ces deux mots avec grâce, qui changent,
dites-vous toute la peinture, qui forment un contre sens , se
trouvoient littéralement dans le grec ? «à cepivixºu xatº ,
et la grâce de Pherenice. " " . -

Pourquoi donc désespérer ceux qui n'ont pas une con


moissance aussi parfaite que vous , de cette belle langue ,
de parvenir à une estime sentie du plus sublime des pcëtes
1yriques ? · · · · ·· · · · ·
J'espère que vous pardonnerez ces réfiexions , à un ad
mirateur , air si que vous de la belle antiquité, et que
vous voudrez bien les insérer, le plutôt possible, dans
votre excellent journal. ,
Salut et véritable estime. X.
Paris, ce quatrième jour complémentaire an 1c. , , ,
, " !

R E c E v E z , Monsieur, mes remercîmens d'avoir


bien voulu vous occuper de mon discours sur l'histoire uni
verselle, depuis Charlemagne , jusqu'à nos jours, faisant
suite à celui de Bossuet. ".

Je copie le titre en entier, sans en retrancher ce qui


semble particulièrement l' bjet de votre ciitique. ..
Pourquoi en effet supprimerois-je ce qui caractérise le
plan que je me suis proposé ; que j'ai exposé avec candeur,
d'après vous même. · · · " .

A dieu ne plaise que j'imite ce statuaire orgueilleux qui


osoit porter une main profane sur une statue que Phidias
avoit laissée imparfaite. - :

Le grand Bossuet, le précepteur du Dauphin fi's de


Louis XIV , avoit projeté de réunir dans une vaste galerie
de tableaux ce que l'histoire ancienne et moderne nous
( 287 )
offre de plus admirable, dans les conseils de cette prpvi
dence qui veille sans cesse au maintien de la religion
sainte qu'elle a fondée , et de remonter aux causes de
toutes les révolutions des empires,
- La partie de ce grand ouvrage, plus sublime que les
tableaux de tous les peintres, de tous les poëtes, de tous
les orateurs de l'antiquité , digne de l'esprit divin qui
l'embrasoit, renfermant nne durée de 48oo ars, enve
-loppée, si vous exceptez les faits contenus dans nos livres
.saints, de toutes les ténèbres des temps héroïques et fa
buleux, l'histoire ancienne est entièrement achevée. ,
* Pourquoi l'humble disciple et l'admirateur de Bossuet,
pénétré d'un profond respect pour son génie, ne tenteroit
il pas d'esquisser ce que la mort ne lui permit pas d'é-
tendre jusqu'à nos jours ; surtout quand cette portion de
l'histoire universelle , la plus chargée de faits , parce
qu'elle est la plus voisine de nous, se trouve terminée ,
comme le dit l'auteur dans son exorde, « par des événe
» mens si terribles, par des coups de la providence si mar
» qués, que Bossuet lui même , n'ayant fait qu'entrevoir
» les progrès de cette fausse philosophie qui a enfanté tant
» de crimes, n'eût pu tracer qu'une esquisse imparfaite
» du délire de l'esprit humain. » |.

Plusieurs cnt tenté cette grande entreprise : Vous en


· comptez , Monsieur, jusqu'à cinq , réveillant de leur
tombeau ceux mêmes qui sembloient destinés à un éternel
oubli, y comprennant même M. de Voltaire, quoiqu'il
ait écrit dans des vues bien différentestcomme il est prouvé
· par l'avant propos qui est à la tête de son essai sur les mœurs
et l'esprit des Nations , et par les portraits des hommes cé
lèbres qu'il a placés à la tête de son histoire du siècle de
Louis Xl V. • * ! •º
( 288 )
* Je ne craindrai pas de le dire, aucun ne s'est trouvé ca
des circonstances telles que celles que nous offre la fin du
dix-huitième siècle ; aucun ne s'est attaché à suivre le plan
tracé par le célèbre évêque de Meaux, comme 1'auteur du
nouveau discours sur 1'histoire universelle, des époques qui
sont, suivant l'expression de Bossuet, comme des promon
toires où le lecteur s'arrête, pour considérer tout ce qui arrive
devant et après, ( que l'auteur a divisées par des titres ,
aulieu des additions marginales du premier diseours, ar
rangement typographique qui ne méritoit pas, ce semble,
d'être relevé ) la suite de la religion ; la suite des empires.
L'auteur ne s'est pas efforcé de jouter contre Bossuet.—
· Ce seroit alors qu'il eût été justement taxé d'orgueil et de
tén.érité.
Il ne le pouvoit, ni ne le devoit. 1°.Tarce que tout con
· tinuateur qui calque son style sur celui d'autrui , est né
cessairement froid et ennuyeux. 2°. Parce que autre doit
· être le ton d'un docteur de l'église, du précepteur du
· dauphim de France, adressant la parole à son auguste élève,
| a itre celui d'un hommedu monde à ses concitoyens ; ce
qui a engagé l'auteur à prendre un ton mitoven , entre
· l'entousiasme , comme prophétique , de Bossuet, et
le style ordinaire de l'histoire, et introduit dans le nouveau
' discours, une variété qui n'est pas sans intérêt.
J'espère , Monsieur , que vous ne me refuserez pas
d'insérer cette lettre dans l'excellent journal auquel vous
coopérez. C'est 1'expression de mes vrais seutimens.
Je ne suis pas moins reconnoissant des avertissemens
que vous voulez bien me donner. - -

Salut et véritable considération. . G I N.


F 1 N. - - -

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Bossutt.-

igueilet à A v E R T I s s E M E N T. sur cette nouvelle


édition. . ' · · · - Page r.
ue tout c0*
. ? A v AN T P R o P os . .
li, est nº
autre dºit Contenant l'histoire des progrès de l'élo
cepteur i quence du Barreau, les qualités nécessaires
ſiste éſèrt,
à l'avocat et l'objet de cet ouvrage. 8.
yens ; t ' P R E M 1 È R E PAR T 1 E.
en, entrt
suet, ti Les règles générales, les connoissances néces
c nouveau · saires à l'orateur du Barreau , les divers
genres de style. · · 29.
userez piº
cH A r 1 T R E P R E M I E R.
qutl voº
1:nº, Idée générale d'un bon plaidoyer. Ibid.
tissemtſº | c H A P 1 T R E II.

( IN.
De la préparation nécessaire à l'orateur, et
du choix des causes. · · ·• 3j •

' !LE · Addition. - · *.


N
· ( 294 )
- . : c HA P I T R E III. - . .
De l'ordre, de la clarté, de la précision ,
suites de cette préparation. · Page 46.
«- Addition. . -- · · · :: 55
- c HAP IT R E IV.
-

Des connoissances nécessaires à l'avocat. 63.


Première addition. ' : i : - 15 · 64
Deuxième addition. 8o.

Troisième addition, :: - - 8).


c H A P 1 T R E V. | |
| Des trois genres d'éloquence. - 99.
Addition. · · · · · · · 1or.
S E C O N D E P A R T I E,
c H A P 1 T R E P k E M 1 E R.
Réflexionpréliminaire - I 2 Ie

, , c H A P 1 T R E II. -
De l'exorde. · · · · · 123.
. a c H A P 1 T R E III. ,
Dufait, ou de la narration. 13t »
c H A P I T R E , IV.
De la division et des preuves I 54
c H A P 1 T R E V. .. »
· Des passions et de la péroraison. .. , 176.
A
( 295 )
Première addition. · Page 193 .
Deuxième addition. ſ, # , ! 198
T R o I s I È M E P A R T 1 E.
De l'élocution et de l'action : 21o.
c H Ar 1 T R E P R E M I E R.
De l'élocution. Ibid.
Première addition · P ·· · · 216.
Deuxième addition. .. , , | | 23o.
Troisième addition. .. , 246,
cH A P IT R E II.
De l'action. . • 248.
Addition - . - , , , , , , Ibid.
Q U A T R I È M E P A R T 1 E. -

* : c HA p IT R e UN1QU E. - ,
Des écritures, des mémoires et des consul
tations. 258.

Conclusions 267.
Addition. | 268.

FIN D E L A T A BL E.
( 296 )
C .. ! .

E R R A T A.
• i ' l - i - i ' ſ I • • •• " '

Page 1», ligne 9, vir bonus, discendi peritus, litet


dicendi.
Page 25 , ligne 9, Tous les hommes excellent, lisez
excellens. , • -

Page 38, ligne 16, qui sont souvent les plus obscurs,
liset obscures- · · ·· · -

Page 59, ligne 6, tant est grand la force liset grande.


Page 11o, dans la note ( add. ) troisième vers. Ac su
bito misere , lisez miserae. - -- 2

Page 137, ligne 6, du sieur Pardou et de ses deux filles,


lisez ces,
Page 2o7, dans les vers de Racine : Hélas! l'état ter
rible , lisez horrible. - T - : -
- Page 2 19 , ligne 1 1 , de tous les accessoires de la poésie
d'Horace, lisez d'Homere.

, ^
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