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Ergothérapie en pédiatrie
Coordination A. Alexandre,
G. Lefévère, M. Palu & B. Vauvillé
Solal éditeur, Marseille - 2010 A. ALEXANDRE
G. LEFÉVÈRE
CHAPITRE 17
ANALYSE DE L’ACTIVITÉ
EN ERGOTHÉRAPIE
OU POURQUOI CRÉER
SES PROPRES JEUX ?
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ANALYSE DE L’ACTIVITÉ EN ERGOTHÉRAPIE
DÉFINITION DE L’ANALYSE D’ACTIVITÉ
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sibles qui diffèrent selon les auteurs et leur utilisation, mais qui s’accordent
toutes dans leur logique de classement des jeux et des activités selon les com-
pétences qu’ils développent.
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Chacun des 4 modules se décline en cascade et nous obtenons une qua-
rantaine de compétences. Une activité peut ainsi être décortiquée au moyen de
la trame des 4 modules et sous-modules.
Le modèle de N. Sève-Ferrieu
Cette ergothérapeute française a choisi de développer en 2005 un moyen
d’analyser les activités pour des patients hémiplégiques selon une modalité
cognitive. Il s’agit de définir 6 modules neuropsychologiques habituellement
lésés et de proposer ensuite des activités qui stimulent électivement le ou les
modules déficients. Elle développe ainsi la mémoire, l’attention, la somatogno-
sie, le langage et la programmation gestuelle. Chaque module comprend des
sous-items très détaillés. Ainsi, même si cette approche est destinée aux ergo-
thérapeutes exerçant auprès de patients adultes hémiplégiques, le principe
d’analyse de l’activité au moyen d’un tableau décomposant des modules cogni-
tifs est tout à fait transposable en pédiatrie.
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CONNAÎTRE?
ADAPTER?
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Pour un enfant déficient visuel, il est nécessaire de contraster les couleurs,
d’augmenter les informations prises par les autres sens (discrimination tactile
par des matières, les reliefs ou auditives par les sons$).
Enfin, pour un enfant myopathe, nous chercherons des plateaux de jeu de
faibles dimensions (jeux de voyage)$
Pour les ergothérapeutes, permettre à une personne en situation de han-
dicap de réaliser dans son environnement des activités qui sont importantes
pour elle peut être thérapeutique en soi. Cela permet d’améliorer son bien-être
et sa qualité de vie.
Pour l’enfant, jouer est important, c’est ainsi qu’il s’éveille, se valorise,
découvre, grandit. Alors, quand il est entravé dans son jeu par un handicap,
l’activité ludique peut être effectuée autrement, en utilisant des outils particu-
liers, des positions particulières ou en modifiant les règles ou les étapes afin
d’éviter échec et frustration. L’ergothérapeute a entre autres pour mission de
permettre à un enfant handicapé de vivre des situations de jeu, pour lui per-
mettre de développer chez lui les dimensions de plaisir, de sens social, de sym-
bolisme, d’éveil sensori-moteur$
L’utilisation de jeux et de matériels de jeux attirants est une des voies à rete-
nir pour accentuer leur désir d’explorer l’environnement et maîtriser les habile-
tés sociales. La plupart des enfants manifestent dans le jeu de la curiosité, de
la spontanéité, certaines initiatives et du plaisir, pas toujours manifestés dans
des activités analytiques. En faisant découvrir à l’enfant le plaisir de l’action, en
l’aidant à développer une attitude ludique (cf. aussi Chapitre 5), grâce aux
adaptations proposées, nous contribuons à lui assurer un quotidien plus satis-
faisant.
RÉÉDUQUER?
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Par ailleurs, l’analyse d’une grande variété de jeux permet de répertorier
ceux qui travaillent la même fonction. Prenons l’exemple d’un enfant dys-
praxique ayant compris la méthode de décomposition d’un dessin en unités
graphiques pour sa reproduction. Il faut maintenant qu’il automatise cet appren-
tissage en le mettant à profit dans diverses activités. Nous pouvons alors lui
proposer au fil des séances des reproductions sur quadrillages, des animaux à
dessiner grâce à la collection de livres “J’apprends à dessiner” de Ph.
Legendre, des cartes à recopier comme dans le “Dessinetto” ou “Mal mal”, un
jeu de société comme le “Listen Up” ou le “Pictionnary”$ Ainsi, nous ne pro-
posons jamais le même support d’exercices, mais l’objectif reste identique. Ni
l’enfant ni le thérapeute ne se lassent, et la compétence s’acquiert au fil des
séances et s’automatise.
Enfin, il peut être utile d’apprendre à l’enfant à analyser lui aussi une activité
afin de déterminer si elle requiert des compétences sur lesquelles il sait être en
difficulté. Par exemple, un enfant présentant des troubles visuo-spatiaux qui
sait reconnaître une dimension de repérage topologique dans des activités cou-
rantes comme se repérer sur un calendrier, se repérer dans les étagères de son
placard, sur un plan de quartier$ saura quelle stratégie mettre en place pour
contourner ses difficultés.
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soulever les véhicules du plateau. Si nous utilisons la grille d’analyse de jeu du
G.E.P.P.E., nous nous apercevons que ce jouet met en exergue beaucoup voire
trop de fonctions simultanément (selon la cotation : 0 = compétences peu ou
pas du tout sollicitées / 1 = compétences moyennement sollicitées / 2 = com-
pétences très sollicitées) : pour le jeu du Rush hour, nous mettonspour les fonc-
tions : sensori-motrices = 1 / visuo-spatiales = 2 / praxiques = 1 / exécutives = 2
/ langagières = 0 / logico-math. = 0 / sociales = 0 / narcissique = 1.
Avec ce jeu, nous pouvons donc travailler la motricité fine par le déplace-
ment des véhicules, le repérage spatial par le positionnement des véhicules sur
le plateau comme indiqué sur la carte, l’organisation spatiale par les déplace-
ments des véhicules dans l’espace, les fonctions de planification et d’inhibition
pour la programmation du scénario de déplacement et la confiance en soi par
la satisfaction de la réalisation de défis de difficulté croissante.
Toutefois, lorsque nous travaillons en rééducation, la “loi de l’effort unique”
guide nos pas et s’applique tant dans la gestion de la motricité que dans les
domaines cognitifs. Si nous voulons stimuler une des notions précitées, nous
devons impérativement réduire l’impact énergétique et attentionnel qu’engen-
drent les autres.
En rééducation, pour travailler exclusivement le versant repérage spatial,
nous pourrons utiliser ce support de jeu non pas pour faire sortir la voiture
rouge, mais uniquement pour placer correctement les véhicules sur le plateau.
Nous pourrons aussi faire fabriquer à l’enfant de nouvelles cartes de position-
nement des véhicules, nous lui ferons coder les positionnements comme à la
bataille navale (tableau à double entrée$).
Si nous souhaitons travailler électivement le versant planification spatiale,
nous changerons les règles du jeu : nous fabriquerons des cartes où seuls 3 ou
4 déplacements seront nécessaires pour faire sortir la voiture rouge, le théra-
peute placera les véhicules, les déplacera, mais ce sera l’enfant qui program-
mera les 4 déplacements en visualisant mentalement le résultat.
Nous voyons dans cet exemple qu’un jeu du commerce peut être utilisé
comme outil de rééducation, mais pour qu’il soit efficace, une analyse d’activité
est indispensable pour déterminer l’ensemble des compétences qu’il requiert,
afin de simplifier toutes celles qui ne constituent pas l’objectif de rééducation.
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handicapés. La notion de dépassement du handicap moteur apparaissait.
Effectivement, quand nous jetons un œil aux rayonnages de magasins de jeux,
nous nous rendons vite compte que tous ne sont pas accessibles aux enfants
handicapés (accès aux règles, mais aussi capacité de prendre les pions$).
Que ce soit des entraves motrices, visuelles ou perceptives, il est de notre
devoir de les surmonter ou même détourner$ ceci dans le but de permettre
aux enfants de jouer seuls ou avec leurs pairs. Nombreux sont les parents qui
questionnent les professionnels sur ce qu’ils peuvent proposer comme jeux :
une étude canadienne a montré que les parents tiennent compte des sugges-
tions de l’ergothérapeute en terme de choix de jeux mais aussi en terme d’ac-
cessibilité [Grondin et al., 2007] « L’ergothérapeute est un intervenant de choix
car il possède les connaissances sur le jeu, l’occupation et le développement
de l’enfant. »
En rééducation, nous nous retrouvons confrontés à une problématique un
peu similaire : les jeux du marché sont nombreux, variés, attractifs, colorés mais
sont faits pour des enfants valides, indemnes de toute déficience. Alors, ils sol-
licitent toutes les fonctions motrices et cognitives en même temps, sans
d’ailleurs que ces enfants s’en aperçoivent. Lorsque nous voulons les utiliser
comme support lors de nos séances, pour la rendre ludique, les difficultés
s’amoncèlent, le thérapeute s’empêtre dans des explications pour tenter de
faire accéder l’enfant au jeu dans son entier, l’enfant se sent perdu, le jeu n’a
plus ni valeur thérapeutique, ni valeur re-narcissique !
Même le commerce dit “spécialisé” vend des jeux qui sollicitent plusieurs
fonctions simultanément. C’est de toute façon inévitable : les fonctions céré-
brales fonctionnant en réseau, il est très difficile de solliciter une aire cérébrale
sans réveiller ses collègues ! Le jeu de dominos en est un exemple flagrant :
derrière une apparence de simplicité, il fait appel à de multiples compétences :
la recherche visuelle sur la table, la connaissance des constellations, la com-
préhension du symbolisme et la notion de nombre de 1 à 6, le respect d’une
consigne et d’une règle sociale (notion de chacun son tour).
L’ergothérapeute a donc tout le loisir de piocher dans les catalogues des hyper-
marchés ou des magasins spécialisés, tout en gardant à l’esprit que le jeu ne reste
qu’un support de rééducation, il doit bénéficier d’une réflexion, d’une analyse ciné-
siologique et neuropsychologique pour l’adapter aux besoins de l’enfant.
Nous l’avons vu, les jeux du commerce ont l’avantage d’être variés, colorés,
attrayants, aux normes$ mais ne sont pas adaptés aux enfants handicapés,
car souvent trop complexes dans leur manipulation ou le raisonnement qu’ils
requièrent.
Alors, l’ergothérapeute, souvent surnommé “Mac Giver” ou “Bricolo-
(wo)man”$ doit déployer des trésors d’imagination et de créativité pour créer
LE jeu qui conviendra à Fabien, L’activité qui fera progresser Xavier dans sa
rééducation.
L’imagination et la créativité sont deux qualités indispensables pour tout
ergothérapeute, d’autant plus en pédiatrie car l’enfant n’a pas encore
conscience qu’il doit travailler, faire des efforts pour être acteur de sa rééduca-
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tion, il ne se motive que par l’aspect attractif des supports d’exercice proposés.
Alors, pour répondre aux objectifs que nous fixons dans le plan de traitement,
nous détournons les règles d’un jeu, nous inventons des exercices, des activi-
tés, des jeux.
Ce travail ne se fait pas sans effort et sans temps$ Après avoir déterminé
la fonction à solliciter spécifiquement, un processus de créativité se met en
route : quel est l’un des centres d’intérêt de l’enfant pour qui je crée ce jeu ?
Comment utiliser ce centre d’intérêt pour l’amener à travailler la fonction en
question ? Quel support vais-je créer ? Quel contexte ? Quelles règles ? Quelle
évolutivité dans le temps ?...
Nous déterminons souvent des personnages, des couleurs, des décors$
qui seront le théâtre de notre séance. La phase de réflexion achevée, pas-
sons à la fabrication : ciseaux, colle, carton et crayons de couleur pour les
uns, images informatiques, imprimante et plastifieuse pour les autres !
Chacun sa méthode, pourvu que le résultat plaise à l’enfant et satisfasse
notre objectif !
Pour mener à bien cette démarche de réflexion et de conception, il faut du
temps$ car nous n’avons ni un seul enfant à suivre ni un seul objectif à atteindre
pour lui. Toutefois, plus nous devenons à l’aise avec la création d’activité, plus elle
va vite et s’avère efficace. De plus, une partie du matériel peut servir pour un
autre enfant, en changeant quelque peu le décor selon ses centres d’intérêt !
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Figure 2. Réalisation de Laëtitia.
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Figure 3. Exercice de prégraphisme pour Karl.
CONCLUSION
Il nous semble important d’insister sur l’importance pour l’ergothérapeute de
connaître le principe de l’analyse d’activité et de l’appliquer systématiquement.
Analyser la tâche permet d’adapter le plus précisément possible une activité,
un jeu, un exercice à un objectif précis du projet de soin de son patient.
Cette manière de concevoir la rééducation de l’enfant pourrait laisser pen-
ser que nous nous positionnons en marge du modèle ludique [Ferland, 2003].
Il n’en est rien$ Ce sont deux modalités rééducatives complémentaires que
nous adoptons et que nous adaptons selon l’âge de l’enfant suivi, la sévérité de
son handicap et l’objectif de notre plan de traitement.
Ecouter la demande des parents et prendre le temps de les conseiller avec
notre regard d’ergothérapeute permet aussi l’intégration de plus d’activités
ludiques dans le quotidien de l’enfant, d’ouvrir vers un répertoire d’activités et
de jeux plus grand et permet aux parents de reconnaître les compétences de
leur enfant, ses intérêts, le bien-être que l’activité ludique lui procure$
Alors, que ce soit pour aider un enfant à utiliser du matériel qui n’est pas
adapté à son handicap ou pour l’aider à acquérir une compétence sensori-
motrice ou cognitive complexe, l’ergothérapeute crée ses propres jeux, ses
propres activités et les adapte aux possibilités et aux centres d’intérêt de son
patient. Il doit se sentir en droit de prendre du temps pour créer ses propres
activités, jeux et exercices, c’est à ce prix que sa rééducation sera efficace et
sa valeur thérapeutique reconnue.
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