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 Dossier ❘ CREVETTES

CREVETTES
Les cartes rebattues
Fortement mondialisé, le gigantesque marché de la crevette tropicale a été profondément perturbé
par la pandémie de coronavirus, tant au niveau de la production que de la consommation et des prix.
Le manque de visibilité lié à la crise sanitaire accentue le casse-tête pour les mois à venir.
En parallèle, les attentes des acheteurs en matière de certifications
et de méthodes responsables s’amplifient en France.

Enquête : Fanny ROUSSELIN-ROUSVOAL

Pandémie : un marché Bio, ASC… Engouement pour Des niches

sans queue ni tête la crevette bien élevée qui fonctionnent

A vec 20 milliards d’euros, la cre-

vette occupe la deuxième place
en valeur sur le marché mon-
dial des produits de la mer,
devant le thon, et juste après le saumon.
L’aquaculture – essentiellement en Asie
Très mondialisé, le marché de la crevette
tropicale a subi de plein fouet la crise du
Covid-19, tant au niveau de la demande
que la production. Des spécialistes évoquent
un impact pour l’année 2020 à - 600 000
tonnes pour le seul élevage. Les restau-
600
Le marché de
la crevette cuite
en France.
M€
Brun. Le Japon, qui aurait dû accueillir les
Jeux olympiques, s’est aussi retrouvé avec
des chambres froides pleines de crevettes.
Résultat : des effets importants sur les prix
du fait de la chute de la demande.
Sans oublier les problèmes logistiques  :

et en Amérique latine –, joue un rôle très
important, avec comme quatuor de tête
des pays producteurs, l’Inde, l’Équateur,
la Chine et le Vietnam. Parmi les espèces
élevées, la crevette Litopenaeus vannamei
est incontournable. En 2019, elle pesait
78 % des volumes de l’aquaculture (source
GOAL). Derrière, on retrouve la Penaeus
monodon (la gambas «  Black Tiger  »), la
Fenneropenaeus indicus (crevette blanche
des Indes), la Macrobrachium rosenbergii
(crevette géante d’eau douce), ou encore
la Litopenaeus stylirostris (crevette bleue).
rants ont fermé partout. Or, c’est un lieu
de consommation très important au niveau
mondial, même si la France fait exception.
Premiers touchés par la pandémie, «  les
Chinois ont cru que la crise serait courte
et certains ont spéculé en achetant massi-
vement alors que les prix baissaient. Ils se
sont retrouvés avec de très gros stocks sur
les bras, et on peut penser que le blocage de
l’entrée des crevettes équatoriennes de l’été
dernier pour des raisons sanitaires (conta-
mination par le Covid-19) était très  dis-
cutable  », relate l’expert Hervé Lucien-
3,6 
pendant le confinement, de nombreux
Mt containers se sont trouvés bloqués en Chine
faute de main d’œuvre pour les décharger,
Prises annuelles de
crevettes sauvages et de fait, il n’y en avait plus pour naviguer !
au niveau mondial, «  Les cours de la crevette avaient beau-
en 2017. coup baissé ces dernières décennies et la
Source : FAO
crise a aggravé la tendance. Le choc est sur-
tout économique », analyse le spécialiste.
«  La crise du Covid-19 a eu un impact
majeur dans le monde de la crevette  »,
confirme Cecilia Bongiorno, dirigeante
d’Eurotrade Fish, qui représente en France
deux des principaux opérateurs équato-

France : une consommation atypique

L a crevette cuite réfrigérée est une spécificité du

marché français. Les autres pays consomment plu-
tôt les crevettes crues, congelées ou vivantes », rappelle
Julie Nguyen, chargée du marketing et de la communi-
cation chez Crusta C. Autre particularité : « En France,
on mange davantage les crevettes à la maison, plutôt
qu’au restaurant », pointe Hervé Lucien-Brun. Les prin-
cipaux marchés sont donc logiquement les GMS (cre-
F.R.R.
vettes en vrac ou conditionnées), les poissonneries, les
marchés et les produits congelés. La saisonnalité est un
autre paramètre important. Les pics de consommation
sont observés pour les fêtes de fin d’année et l’été (sur-
tout août). « Durant la période de Noël, on vend deux
fois plus que d’habitude, avec davantage de sauvage et
de gros calibres : 20/30 à U10 », constate Julie Nguyen.
Sur l’année, la taille majoritaire reste le calibre 40/60.

PRODUITS DE LA MER N°204 DÉCEMBRE-JANVIER 2021 ❘  49 ❘


riens. Lorsque la crise a éclaté, l’Équateur
exportait 60 à 70 % de sa production vers la
Chine. Or, le pays le plus peuplé du monde
a été confiné plusieurs mois, avant que ce
soit simultanément le cas en Équateur et
en France. Résultat : une dégringolade des
prix. Dès le printemps, les éleveurs équato-
riens ont cessé de semer, engendrant une
baisse de la production notable cet été.
« Maintenir et honorer les contrats passés
avec les transformateurs français sur les pro-
duits les plus élaborés nécessitant beaucoup
de main d’œuvre   a représenté un travail
titanesque  », explique Cecilia Bongiorno.
Véritable épreuve pour l’Équateur, « la crise
a néanmoins été l’occasion d’une diversifi-
cation très intéressante. En août, l’Équateur
a exporté un tiers vers la Chine, un tiers vers
les États-Unis, et un tiers vers l’Europe  »,
constate la dirigeante. L’origine Équateur
bénéficie de garanties très recherchées par
les opérateurs français  : pas de système
intensif, respect de l’environnement, trans-
parence, traçabilité ou encore respect des
travailleurs.
Les importateurs ont dû faire des choix
stratégiques pendant le confinement.
Pas simple, sachant qu’il faut compter
jusqu’à six semaines avant l’arrivée des
containers.  «  Nous avons pris la décision
de continuer à acheter à l’origine, mal-
gré nos stocks existants, témoigne Marie-
❘  50 ❘ PRODUITS DE LA MER N°204 DÉCEMBRE-JANVIER 2021
Dossier ❘ CREVETTES
L’aquaculture de crevettes concerne essentiellement l’Asie et l’Amérique latine (ici, une ferme en Équateur).
Deux espèces représentent l’essentiel des volumes : L. vannamei et P. monodon (ici).
France Casaro, responsable commerciale
de Delimarine  (importateur et distributeur
de crevettes origines Asie et Afrique, basé
à Aix-en-Provence). Cette décision nous a
permis des opportunités d’achat à de meil-
leures conditions, le volume d’achat géné-
ral ayant fortement baissé. Malgré des sur-
coûts énormes de stockage, cette politique
s’est avérée payante lorsque le marché a
repris très fortement en juin. » Delimarine,
qui fêtera ses cinq ans en 2021, a pu éga-
ler voire augmenter son chiffre d’affaires
de 2019 pour la saison d’été, malgré l’arri-
vée du Covid-19. Les origines sont complé-
mentaires en termes de période de produc-
tion : de mai à janvier pour le Bangladesh,
de février à mai pour le Vietnam.
Le fait que les Français mangent surtout
les crevettes à domicile a limité la casse au
niveau consommation. « Les performances
ont été bonnes au rayon surgelés et en free-
zer center, mais pour la RHD – qui
représente un tiers du CA de
Gel-Pêche –, la situation a
été compliquée, et l’est tou-
jours  », constate Gaëtan
Mercier, directeur des
opérations de Gel-Pêche.
L’incertitude qui plane sur
les mesures sanitaires com-
plique les commandes. «  Les
enseignes tardent à se position-
DR
DR
5,3 Mt
ner sur les volumes de fin d’année, car elles
ignorent si les restaurants seront ouverts ou
Production mondiale de pas. Personne ne prend de risques et l’an-
crevettes d’aquaculture née est vraiment compliquée  », constate
en 2019. Gaëtan Mercier. Côté prix, les cours mon-
Source : GOAL diaux reviennent à leur niveau d’avant-
crise, car les Chinois se sont repositionnés à
l’achat en vue des fêtes du nouvel an.
Crusta C, leader français de la crevette
cuite réfrigérée (15  000 tonnes par an,
27  % de parts de marché), augmente la
voilure. «  17  000 tonnes sont prévues en
2021 avec l’ouverture du site d’Arras, opé-
rationnel depuis cet automne  », annonce
Julie Nguyen, chargée du marketing et de
la communication. Dédié à la cuisson des
crevettes libre-service (en particulier ASC),
il est entièrement robotisé. Crusta C dis-
pose de trois autres sites de production  :
L’Isle-Jourdain (siège et crevettes élabo-
rées marinées), Vitrolles (produits fragiles
type sauvage, chaîne de cuisson tradi-
tionnelle, à la main), et Boulogne-sur-Mer
(petits conditionnements à destination des
GMS et MDD, et bio). L’Amérique du Sud
fournit à l’entreprise 80 % de ses volumes
(Équateur, Vénézuela, Honduras, Guatemala,
Mexique). En monodon d’élevage, Crusta C
s’approvisionne en Malaisie. Enfin, la sau-
vage vient du Nigeria (monodon) et des
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 Dossier ❘ CREVETTES
« Aquaculture :
il y a des densités à ne pas dépasser »
DR
Charge ou PDM  : On reproche parfois à l’éle-
densité ? vage des crevettes son aspect intensif,
Un bassin versant en particulier dans les pays asiatiques…
ne supporte qu’une Hervé Lucien-Brun : Si les volailles ou les
certaine biomasse.
porcs sont élevés au-dessus de leurs excré-
Il ne faut donc pas
ments, il ne faut jamais oublier que les pois-
considérer seulement
la densité (intensive ou sons et les crevettes le sont… dedans ! Un
extensive), mais aussi bassin versant ne peut supporter qu’une
la charge totale. certaine biomasse. Il ne faut pas dépasser
cette charge. Les opérateurs l’ont appris
de manière empirique. En Asie, il y a ainsi
eu une véritable course en avant, avec des
abus, jusqu’à ce que ça casse. D’ailleurs,
La mangrove, un milieu complexe
“
L a mangrove est un milieu dynamique dans lequel les arbres ont mis
en place des systèmes biochimiques pour éliminer le sel de l’eau dont
ils ont besoin pour se développer, rappelle Hervé Lucien-Brun. Les bois et
racines mortes doivent être ôtés intégralement lors d’une campagne de
déforestation car ils acidifient les sols et les rendent impropres à l’aqua-
culture de crevettes. En Amérique latine, les fermes se sont généralement
installées sur des zones de tannes (en gris sur la photo), formées naturel-
lement par un phénomène de sédimentation. Les soucis de déforestation
concernent plutôt l’Asie et sont surtout à mettre sur le compte des villes
et du chauffage. Il faut noter que lorsque des fermes sont abandonnées,
la mangrove repousse en quelques années. »
Hervé Lucien-Brun, d’Aquaculture & Qualité,
est l’expert français de la crevette.
Avec lui, PDM fait le point sur les aspects
polémiques de l’aquaculture.
la plupart des maladies des crevettes sont
nées en Asie. La production de la Chine
a chuté, passant de plus d’un million de
tonnes à 400 000 tonnes. Lorsque les pro-
blèmes sanitaires sont là, il est très dur de
repartir ensuite. Mais agir sur les pratiques
peut s’avérer très efficace. Les éleveurs
équatoriens ont réussi à vaincre la mala-
die virale du white spot sans pharmacopée,
uniquement par une amélioration des pra-
tiques et la sélection génétique.
Un autre point sensible concerne
l’usage de métabisulfites. Est-il possible
de s’en passer ?
Les traitements au métabisulfite de sodium
ou d’autres formes de sulfites visent à évi-
ter la mélanose, un noircissement naturel
lié à une réaction enzymatique. Ce phé-
nomène n’altère pas du tout le goût, mais
seulement l’aspect, et il serait utile d’édu-
quer le consommateur. Le problème se
pose essentiellement pour les crevettes
cuites qui doivent tenir cinq jours en
rayon après cuisson. Concrètement, une
fois pêchées, les crevettes sont trempées
PRODUITS DE LA MER N°204 DÉCEMBRE-JANVIER 2021
dans de la glace additionnée de métabi-
sulfites. Parmi les solutions alternatives, le
4-hexylrésorcinol est soupçonné d’être un
perturbateur endocrinien. Et d’autres solu-
tions plus douces s’avèrent insuffisantes
pour le mode de commercialisation domi-
nant en France : la cuisson.
Qu’en est-il des antibiotiques ?
Jusqu’aux années 2010, on rencontrait sur-
tout des pathologies virales. Les patholo-
gies bactériennes sont plus récentes, et
plus difficiles à traiter. Outre leur aspect
controversé, les traitements antibiotiques
coûtent cher, car il y a beaucoup d’eau
dans un bassin et les crevettes sont lentes à
manger leur aliment. Aujourd’hui, on n’uti-
lise quasiment plus d’antibiotiques en éclo-
series. En grossissement, l’Amérique latine
n’a jamais été portée sur les « poudres de
perlimpinpin  ». En Asie, les antibiotiques
restent un peu utilisés, mais les gouverne-
ments leur font la chasse pour continuer
à exporter sans souci. Les probiotiques
constituent un bon moyen de gérer la qua-
lité de l’eau. n
DR
❘  53 ❘
 Dossier ❘ CREVETTES

L’ASC en passe de devenir

le nouveau standard ?
Rassurantes pour les cuiseurs,
les distributeurs et les
consommateurs, les certifications
ASC et bio gagnent du terrain.
En France, un groupe de travail
animé par la fondation
Earthworm s’intéresse
à la crevette d’Équateur.
chalut. Là aussi, la gestion de la ressource
est raisonnée : arrêt de la pêche pendant
six mois pour préserver les stocks, mailles
adaptées pour laisser passer les juvéniles,
trappes anti-tortues et poissons sur les
filets, etc.
Sur les crevettes d’aquaculture, les cri-
tiques habituelles sont de plusieurs ordres :
déforestation des mangroves, pollution de
l’environnement, répartition inégale de la
pas ce que c’est ! », affirme l’expert Hervé
Lucien-Brun. Et de rappeler que les critères
du cahier des charges ASC portent princi-
palement sur le respect de l’environnement
et le respect du droit du travail, et non sur
la qualité intrinsèque du produit.
Autre limite du standard ASC : « Il existe
des différences importantes entre produc-
teurs tous certifiés ASC. Il faudrait presque
un système de «  grades  », mais ce n’est

D
’ici deux ou trois ans, l’ASC
(Aquaculture Stewardship
Council) va devenir le nouveau
conventionnel  sur la crevette  »,
prédit Gaëtan Mercier, directeur des opé-
rations de Gel-Pêche. S’orienter au maxi-
mum vers les produits certifiés représente
d’ailleurs l’un des deux axes stratégiques
de l’entreprise, le second portant sur les
produits de niche, avec sa filière histo-
rique de pêche responsable à Madagascar.
La crevette sauvage y est congelée à bord
30  minutes maximum après la sortie du
valeur au détriment des producteurs (rap-
port Oxfam). Cuiseurs, distributeurs et
consommateurs recherchent alors logi-
quement des gages de réassurance. «  Le
consommateur français considère la cre-
vette comme un produit sain et est modé-
rément attaché aux origines. En revanche,
les certifications ASC ou bio le rassurent
et sont un vrai «  plus  »  », analyse Julie
Nguyen, chargée marketing et communi-
cation chez Crusta C.
Non sans paradoxe. «  Les acheteurs
européens veulent de l’ASC, mais ils
restent surtout sensibles au prix des cre-
vettes. Quant au consommateur, il ne sait
pas envisageable sous peine de perdre le
consommateur », regrette Gaëtan Mercier.
Hervé Lucien-Brun déplore « que les certi-
fications soient payées par le certifié, alors
qu’à mon sens le financement devrait être
neutre ».
L’écart de prix entre ASC et convention-
nel sur la vannamei se réduit. Avant de
l’ordre de 1 à 2 dollars d’écart par kilo, il est
tombé entre 0,30 à 1 dollar/kg sur les pro-
duits à gros volumes, pour la cuisson. Sur
le bio, le surcoût est supérieur : de l’ordre
de 1,5 dollar/kg sur la vannamei (et jusqu’à
7 à 8 dollars/kg d’écart sur la monodon bio,
produit de niche). n

Un groupe de travail sur la vannamei d’Équateur

A ccompagner le secteur privé vers

la responsabilisation de sa chaîne
d’approvisionnement  : c’est la
mission que s’est fixée la fondation
Earthworm, organisation internationale à
but non lucratif. Après avoir planché sur
le thon tropical dès 2018, la crevette d’éle-
vage – en particulier la vannamei d’Équa-
teur – fait l’objet d’un groupe de travail
en France depuis février 2020. «  Celui-ci
regroupe quatre cuiseurs, un trader
proche de la production (Eurotrade Fish)
et six distributeurs, car la grande distri-
bution est un acteur très fort en France,
contrairement aux autres pays », explique
Florie Hovine, chargée de partenariat et
animatrice du groupe de travail. L’idée
est de cartographier les chaînes de valeur
sorte de « grille de lecture » des pratiques
d’élevage. Quatre grands axes sont pas-
sés à la loupe  : l’élevage (densité, éven-
tuel usage d’antibiotiques, etc.), l’impact
écosystémique (déforestation des man-
groves, pollution génétique, chimique ou
organique…), les impacts sociaux (travail-
leurs, relations avec les communautés),
l’alimentation des crevettes. «  Plusieurs
ingrédients sont problématiques, comme
le soja et l’huile de palme, ou encore les
huiles et farines de poisson, pour les-
quelles des alternatives sont à l’étude »,
précise Florie Hovine. À partir de ce tra-
vail commun, chaque acteur reste libre
d’adapter sa stratégie et sa valorisa-
tion marketing, via par exemple une cer-
tification ASC ou un partenariat avec
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 Dossier ❘ CREVETTES

Crevettes grises :
une niche porteuse
Petit producteur de crevettes grises à côté
des Pays-Bas, la France joue la carte d’un produit local, 51 179  t
française coûte environ 2 ou 3  euros de
plus au kilo que sa cousine hollandaise.
Du côté de Noirmoutier, les petits chalu-
C’est la production
de petite pêche, non congelé et sans conservateurs. mondiale de crevettes tiers côtiers avaient du mal à écouler leur
Avec succès. grises en 2018. production l’hiver. D’où l’idée de s’organi-

C
omparé à la vannamei, la cre-
vette grise est vraiment un mar-
ché minuscule  », admet Gilles
Foucher, président de la SAS
Foucher-Maury. Situé sur l’estuaire de la
Loire, le mareyeur de Paimboeuf est l’un
des deux spécialistes français du petit crus-
tacé, avec Salicoque Marée, à Dieppe
(pêche de la baie de Somme à l’estuaire de
la Seine). « Les crevettes grises n’ont rien à
voir avec les crevettes roses, que ce soit en
DR
termes de volumes ou en termes de valo-
risation  !  », confirme Christian Cloutour,
directeur d’Oppan Marée, coopérative de
pêcheurs qui valorise la crevette grise à
Noirmoutier.
La crevette grise hexagonale représente
en fait une « niche dans la niche », sur un
marché dominé par les Pays-Bas. Parmi
les grands opérateurs hollandais, Roem
van Yerseke et Prins &  Dingemanse ont
annoncé leur fusion cet été. Aux Pays-
Bas, ce sont des bateaux de 25 mètres, qui
partent deux ou trois jours en mer du Nord.
«  En France, la crevette grise est pêchée
très près des côtes par des bateaux de
moins de 10 mètres équipés de viviers. Les
crevettes arrivent vivantes et sont cuites
immédiatement, ce qui permet de ne pas
utiliser de métabisulfites et donc d’amélio-
rer le goût  », explique Gilles Foucher. Il y
a quelques mois, Foucher-Maury a vendu
son activité cuisson à Miti, installée depuis
2019 dans une nouvelle usine à Rezé (Loire-
Atlantique). « Nous avons préféré vendre à
Les Pays-Bas
pèsent à eux seuls
27 385 tonnes, bien
loin devant la France
et ses 263 tonnes
(6e position mondiale).
85  %
La part de la production
mondiale consommée
décortiquée.
Les Pays-Bas
sous-traitent en
grande partie cette
tâche au Maroc, pour
des raisons de coûts
de main d’œuvre.
ser en coopérative de pêcheurs artisans. Sur
les 86 adhérents, une petite partie pêche la
crevette grise. En 2019, les premiers tests
sont effectués en frais vivant, « mais la tenue
du produit posait problème  », explique
Christian Cloutour. Oppan Marée monte
alors une unité de cuisson avec le soutien
de la région Pays de la Loire. D’une capa-
cité de 150 à 200 kg par jour, elle est mise
en service à l’automne 2019. Début 2020,
les études de conservation ont permis de
valider le produit, qui a aussi pour origina-
lité d’arborer un Nutri-Score A. « Cet hiver,
la production a été irrégulière du fait d’une
météo compliquée, et ensuite nous avons
dû faire face au confinement  », précise
Christian Cloutour. Mi-mai, les poisson-
neries ont repris les commandes alors que
la fin de saison approchait (l’été, les cre-
vettes deviennent trop petites). Les clients
sont de plusieurs types  : poissonneries,
GMS locales, restaurants – dont un étoilé
qui propose les crevettes grises sous forme
infusée –, mais aussi des mareyeurs gros-
sistes à Bordeaux et Paris. «  La demande
s’annonce très forte pour la période des

un gros cuiseur, équipé de machines plus fêtes de fin d’année  », se réjouit Nicolas
À Noirmoutier, Oppan Marée s’est récemment adéquates et plus performantes », souligne Levêque, commercial. Dix à 15 tonnes sont
doté d’une unité de cuisson. le mareyeur. En sortie usine, la crevette grise attendues en année 2. n

Quelles sont les crevettes bleu blanc rouge ?

L a crevette grise Crangon crangon est l’une des rares crevettes pêchée en France, avec le
bouquet (Palaemon serratus). Côté aquaculture, des crevettes impériales (Penaeus japonicus)
sont élevées dans les marais poitevins. Quant à la Nouvelle-Calédonie, elle est spécialisée dans
une crevette premium, la L.  stylirostris ou crevette bleue (photo). «  Il s’agit d’une crevette
à croissance lente, au goût très pur, particulièrement appréciée des chefs  », explique Dag
Naess, président de Prestige Seafood, en charge de la commercialisation des crevettes de la
Sopac pour l’Europe, le Moyen-Orient, Hong Kong et Singapour. Les restaurateurs n’hésitent
pas à débourser 30 euros/kg pour ce produit premium, soit deux fois plus que pour certains
"Black Tiger" . « La Sopac a vu sa production augmenter en 2020 grâce à l’alternance entre
DR

holothuries et crevettes », précise Dag Naess.

PRODUITS DE LA MER N°204 DÉCEMBRE-JANVIER 2021 ❘  57 ❘