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Année scolaire 2020/2021 Cours Monsieur Foyer

Le travail et la technique
1) Nécessité du travail
Hannah Arendt considère que le travail ne libère pas encore totalement l'homme de la
nature parce qu'en travaillant l'homme se contente d'assurer la reproduction de la vie, tout
comme le fait un animal. Si, au sens strict, un animal ne travaille pas, la fonction du travail
humain – permettre la reproduction de la vie – est semblable à celle de la chasse ou la
paissance par exemple pour certains animaux. De ce point de vue-là, le travail est nécessaire à
l'être humain.
Mais d'un autre point de vue, le travail distingue déjà l'être humain de l'animal. En
effet, l'animal ne transforme pas son milieu environnant. Au contraire, l'homme transforme le
monde par son travail. Pour le comprendre, on peut rapprocher cela d'un mythe que raconte
Protagoras, dans le dialogue de Platon du même nom.
Au moment de la création des êtres vivants, les dieux chargent deux frères, Épiméthée
et Prométhée, de distribuer des qualités à chaque espèce – vitesse, griffe, carapace, pelage,
etc. Mais Épiméthée (celui qui réfléchit après coup) oublie l'homme. L'homme est
naturellement l'être le plus faible de la nature. Du coup, Prométhée vole le feu aux dieux pour
le donner aux hommes. Grâce au feu, les hommes acquiert un savoir-faire technique. La
technique désigne l'ensemble des procédés mis en place pour atteindre un objectif
déterminé. La maîtrise technique permet donc aux hommes de travailler. Le travail désigne
l'ensemble des activités par lesquelles l'être humain transforme la réalité pour satisfaire
ses besoins.
L'homme en effet ne peut pas comme les animaux simplement chasser ou paître, parce
qu'il est le plus faible des animaux. Pour survivre, il doit transformer le monde (tondre un
mouton pour se faire une veste). Il doit donc nécessairement travailler. Et le travail n'est
possible que grâce au déploiement de certaines techniques, d'un certain savoir-faire (on ne
s'improvise pas cordonnier).
Le travail est donc ambivalent. Par un certain côté, il est ce qui rattache l'homme à la
nature, à la nécessité de travailler pour reproduire sa vie. On retrouve une idée déjà exposée
dans la Genèse : « A la sueur de ton front, tu mangeras du pain, jusqu'à ce que tu retournes à
la terre, puisque tu en es tiré, car poussière tu es et poussière tu retourneras ». L'homme
travaille la terre pour se nourrir et ce travail l'use au point qu'il retournera à la terre. Le travail
est nécessaire à la vie mais ne distingue pas encore l'homme de la nature. Mais, inversement,
le travail donne la possibilité de transformer la nature pour en faire un monde où l'être humain
puisse se reconnaître. Si l'on trouve un outil abandonné, on sait qu'un être humain est passé
ici. On se reconnaît dans ce travail.
Le travail est donc nécessaire à la survie mais il est aussi ce qui permet le passage à
une vie vraiment humaine, séparée de l'animalité. On peut donc dire que le travail opère la
médiation entre l'animalité et l'humanité.

2) Le travail comme source de libération de l'humanité


Si le travail est bien la médiation entre l'animalité et l'humanité, il faut donc se
demander plus exactement ce que le travail a de spécifiquement humain. Pour se faire, on peut
le distinguer des productions animales. On peut alors partir d'une citation de Marx : « ce qui
distingue dès l'abord le plus mauvais architecte de l'abeille la plus experte, c'est qu'il a
construit la cellule dans sa tête avant de la construire dans la ruche ». Les abeilles construisent
des ruches, mais le font par instinct, elles n'ont aucune originalité architecturale. L'homme,
dans le travail, utilise sa volonté et son imagination. Cela veut dire que, contrairement à
l'animal, l'homme exerce sa liberté dans le travail : il se reconnaît dans ce qu'il produit car il a
librement choisi de produire cela.
Pour le comprendre, on peut reprendre la dialectique du maître et de l'esclave étudiée
par Hegel. Lorsque l'une des deux consciences reconnaît la supériorité de l'autre, celle qui
cède le fait par peur de la mort : elle ne se libère pas de son attachement à sa nature
biologique. Par cet aspect, l'esclave ressemble encore à l'animal, il appartient encore à l'ordre
de la nature. Mais, la dialectique ne s'arrête pas là.
L'esclave renonçait à la lutte à mort parce qu'il reste soumis à la nature, ne s'élevant
pas jusqu'à la liberté. Mais, cette soumission implique que l'esclave se mette à travailler pour
le maître.
Or le travail permet à l'esclave de maîtriser la nature. En effet, le maître, ne travaillant
pas, ne change rien à la nature. Il se contente de désirer telle ou telle chose et de faire que
l'esclave le lui procure. Pour le maître, la nature est un donné. Au contraire, le travail
transforme la nature pour en faire autre chose (c'était un arbre, c'est devenu une chaise).
L'esclave maîtrise la nature, il en fait ce qu'il veut, alors que le maître ne la change pas.
Le rapport dès lors s'inverse : le maître devient un assisté, il devient l'esclave de
l'esclave parce qu'il dépend de lui pour obtenir tout ce dont il a besoin. On pourrait dire que le
maître, dans la lutte à mort, avait dominé en lui la nature (il a surmonté la peur de la mort),
mais il ne la transforme pas. Au contraire, l'esclave, en travaillant, transforme la nature. Cela
veut dire qu'il inscrit sa marque, sa liberté dans la nature. La domination reste extérieure à la
chose, parce qu'elle ne la change pas. Le maître ne change rien à ce qui existe. Au contraire, le
travail modifie, change la nature.
Cela veut dire que le travail est ce qui permet le passage à la culture. Le maître certes a
dominé en lui sa nature, mais il reste encore dans l'ordre de la nature parce qu'il ne crée pas un
monde humain. Plus même, comme il ne travaille pas, il ne sait pas mettre à distance ses
désirs. Il est comme le petit enfant qui ne sait que dire « je veux ». Le travail oblige au
contraire l'esclave à mettre à distance ses désirs, à être patient.
Pour conclure, le maître et l'esclave découvrent chacun deux aspects différents mais
complémentaires de la liberté humaine. Le maître découvre que la liberté implique d'abord la
capacité à dominer la nature en moi, notamment l'instinct biologique d'attachement à la vie.
Être libre, c'est d'abord être capable de prendre du recul par rapport à ses instincts animaux.
C'est surmonter en soi la naturalité. Mais cet aspect reste insuffisant, abstrait, car on ne voit
pas encore ce que fait cette liberté, ce qu'elle produit effectivement. Elle semble restée
enfermée dans l'intériorité.
L'esclave découvre un autre aspect de la liberté. La liberté consiste aussi à maîtriser la
nature hors de moi, la nature qui m'entoure, pour la transformer. C'est ce que fait le travail.
Par le travail, la liberté humaine s'inscrit dans les choses : la nature est transformée et devient
monde humain. La liberté consiste donc aussi à faire le monde à son image. Hegel dit que,
grâce au travail, l'homme se reconnaît dans les choses car les produits du travail portent la
marque du travail humain.
Le travail libère donc l'homme de la naturalité et le rend capable d'édifier un monde
humain, un monde à son image. C'est le passage de la nature à la culture.

3) L'aliénation du travail
L'image du travail que donne ce film est à l'opposé de la théorie hégélienne. Cela ne
signifie pas que Hegel se trompe sur la nature du travail, mais que son analyse doit être
complétée. Hegel en reste à une analyse conceptuelle et abstraite du travail. Il étudie le travail,
en général, comme moyen par lequel l'homme donne forme à son monde et donc exerce sa
liberté. Mais il faut compléter cette analyse par une étude de la manière concrète dont s'exerce
effectivement le travail. Or, de ce point de vue, le travail peut au contraire avoir un aspect
aliénant. C'est sur ce point qu'insiste Marx et que retrouve Fritz Lang dans le film Métropolis.
Deux points importants sont présentés au début du film. D'abord, les travailleurs sont
ici coupés du produit de leur travail. Ils font fonctionner une machine, mais ils ne voient pas
ce que produit cette machine. En fait, dans Métropolis, la machine sert à alimenter la ville
haute, qui est habitée par la classe bourgeoise, oisive, qui ne se mêle pas avec les ouvriers qui
habitent la ville basse. Le travailleur est donc séparé du produit de son travail. Or, dans
l'analyse hégélienne, l'aspect libérateur du travail reposait justement sur le constat que le
travail permet au travailleur de se reconnaître dans son œuvre. Mais l'analyse des conditions
de travail moderne, notamment du travail industriel, montre que, de plus en plus, le
travailleur, du fait de la séparation du travail, se trouve assurer une tâche partielle, coupée du
tout, et donc se trouve incapable de se reconnaître dans une œuvre qui serait la sienne. Son
travail lui échappe. Dans le film, cet « échappement » est poussé à l'extrême puisque le
travailleur ne voit absolument pas ce qu'il produit : ceux qui en profitent ne le croisent jamais,
l'ignore complètement, sont coupés de lui.
Marx analyse cela comme étant une conséquence nécessaire du capitalisme. Le
capitalisme est un système économique, politique et social qui repose sur la propriété
privée des moyens de production. Dans un système capitaliste, une classe possède les
moyens de production économique et une autre classe se voit donc obligée de vendre sa force
de travail pour survivre. Suivant l'analyse marxiste le capitalisme se perpétue grâce à
l’extorsion de la survaleur. Tout travail produit une certaine valeur, c'est-à-dire qu'une certaine
quantité de travail est incarnée dans l'objet produit. Mais le capitaliste paie moins que cette
valeur au travailleur, il lui paie tout juste de quoi reproduire sa force de travail. Ce faisant, il
conserve pour lui une partie de la valeur produite par le travailleur qui lui sert à augmenter
son capital, c'est-à-dire ses moyens de production.
Par-là, on voit que le travailleur se trouve doublement séparé de son œuvre. Du fait de
la division du travail, n'accomplissant qu'une parcelle de l’œuvre, il ne peut plus se
reconnaître en elle. Du fait du système capitaliste, il se trouve dépossédé d'une partie de la
valeur qu'il produit, exploité et dépendant du capitaliste. Il est donc aliéné dans le travail :
puisqu'il est dépossédé de soi, de son propre travail.
Le deuxième point que l'on peut tirer du début du film Métropolis, c'est que le
travailleur n'est pas seulement aliéné parce qu'il est séparé de son œuvre. Il l'est aussi parce
qu'il est soumis à la machine. Il y a quelque chose de tout à fait singulier au machinisme.
Marx, là encore, le souligne le premier. La machine pourrait apparaître comme un simple
progrès par rapport à l'outil. Mais sur un point la machine et l'outil s'opposent complètement.
L'outil est fait pour la main de l'homme, il est adapté à l'homme qui le manie. C'est en quelque
sorte le prolongement de la main de l'homme. Au contraire, dans la machine, c'est l'homme
qui doit s'adapter à la machine, à son rythme. Le machinisme déshumanise l'homme parce
qu'elle fait de l'homme le serviteur et non le maître de la machine. En quelque sorte on
pourrait dire que l'homme devient l'outil de la machine, un rouage supplémentaire.
C'est ce qui est représenté symboliquement avec la transformation de la machine en
grande bouche. Le film parle de Moloch : Moloch est un dieu antique célébré dans l'Israël
antique auquel on sacrifiait des enfants par le feu. Ici, on voit que les travailleurs qui ne
suivent pas le rythme de la machine sont avalés par elle, broyés. Les travailleurs sont sacrifiés
à l'autel de la production, pour assurer le confort des bourgeois de la ville haute. « Il faut
nourrir Moloch ».
Il faut donc compléter l'analyse hégélienne par une étude concrète des conditions de
travail pour voir qu'il y a là des rapports de force, de domination, et donc un enjeu de justice
sociale.
L’Art

1) De la technique à l'art
La plupart des objets produits par les hommes sont des objets techniques. Un objet
technique est un objet fabriqué par l'être humain qui répond à un ou plusieurs besoins.
Ces objets ont une fonction utilitaire. Une maison pour s'abriter, une arme pour chasser, etc.
Ces objets sont durables, ils relèvent de ce que Arendt nommait l’œuvre, mais ils ne sortent
pas encore de ce type de fonction utilitaire. Cela va en quelque sorte de soi : si l'homme
transforme son monde, ce n'est pas par pur plaisir. Il doit travailler pour transformer le monde
et le travail est fatiguant, lassant, usant. L'homme ne travaillerait donc pas pour rien. Il va
donc travailler afin de produire certains objets qui lui sont utiles. Est utile ce qui sert de
moyen pour parvenir à une certaine fin. La production de l'objet technique requiert donc un
certain savoir-faire qui s'apprend. On ne devient pas cordonnier ou ébéniste sans un long
apprentissage. Il y a donc deux éléments importants pour définir l'objet technique : 1) sa
production est rendue possible par la maîtrise d'un certain savoir-faire et 2) il est utilitaire.
Ce n'est que progressivement, à partir de la Renaissance, que l'on commence à
distinguer clairement art et technique. Dans l'antiquité, on ne fait pas de différence. Le mot «
art » en français, vient du mot latin « ars » qui signifie justement technique, savoir-faire. Mais
peu à peu, on va distinguer art et technique autour de ces deux critères qu'on a identifiés.
L'art, d'abord, n'est pas produit, mais créé. On peut opposer production et création. En
effet, un objet technique est produit en vue d'une certaine fin utile (le marteau pour clouer).
Cela veut dire que la production de cet objet obéit à certaines règles précises qui permettent
de répéter plus ou moins précisément les gestes. Par conséquent, un objet technique peut
exister en plusieurs exemplaires. Le forgeron peut produire un grand nombre de marteau dès
qu'il maîtrise le savoir-faire requis. La maîtrise d'un savoir-faire est une condition nécessaire
et suffisante pour produire un objet technique.
A est une condition nécessaire de B si B est impossible sans A. Qu'il y ait des
nuages est une condition nécessaire pour qu'il y ait de la pluie, car sans nuage pas de pluie.
Mais il peut y avoir des nuages et pas de pluie, donc les nuages sont une condition nécessaire
mais insuffisante pour qu'il y ait de la pluie. A est une condition suffisante de B si B est
vérifié chaque fois que A est vérifié. Pour avoir son bac il suffit d'avoir 10 de moyenne est
l'énoncé d'une condition suffisante : chaque fois que le candidat a 10 ou plus, il a son bac. La
maîtrise d'un savoir-faire est donc une condition nécessaire et suffisante à la production d'un
objet technique.
Au contraire, pour la création d'un objet d'art, c'est une condition souvent nécessaire
mais toujours insuffisante. En effet, un objet d'art n'est pas qu'un simple exemplaire répétable.
Il est original. C'est-à-dire que l'artiste crée quelque chose d'unique qui suppose un certain
don, un certain génie, qui dépasse la maîtrise du simple savoir-faire.
Deuxièmement, l'objet d'art n'est pas utilitaire. On peut dire que l'objet technique obéit
à une finalité externe. Cela signifie qu'il existe en vue d'une fin autre que lui-même. Il sert à
quelque chose. Le marteau sert à clouer. C'est pourquoi il est utile. Au contraire, l'objet d'art
obéit à une finalité interne. Cela signifie que l'objet d'art est à lui-même sa propre fin : il
n'existe pas en vue d'autre chose d'extérieure à lui, ce n'est pas un moyen en vue d'une fin.
Cela implique un rapport différent au temps : l'objet technique est durable mais pas
éternel (il faut parfois racheter un marteau). L'objet d'art, au contraire, en principe, dure
éternellement. Arendt le résume en disant que l'objet d'art, au sens strict, n'est pas fait pour les
hommes mais pour le monde. Cela veut dire que l'objet d'art n'est pas destiné à être consumé
ou utilisé mais à subsister et durer, s'inscrivant pour toujours dans le monde. L'art est notre
héritage du passé.

2) L’œuvre d'art
Pour comprendre la spécificité de l’objet d'art, que l'on appelle l’œuvre d'art, il peut
être utile de l'approcher à partir de l'artiste. On a dit que ce qui distingue l'objet d'art de l'objet
technique, c'est son caractère unique, non-répétable. Mais il faut se demander plus
précisément ce qui explique ce caractère unique. Comme Kant le souligne, c'est le génie
propre de l'artiste qui l'explique. Le génie est un don naturel par lequel l'artiste donne ses
règles à l'art. L'idée essentielle est que celui qui produit des objets techniques se contente de
suivre les règles, l'artiste lui les crée et les pose.
Kant relève trois caractéristiques du génie.
1. L'originalité. Cela signifie que l'artiste ne suit aucune règle donnée d'avance dans la
création. Il pose une nouvelle règle en créant. Par exemple, on se trouve encore à
l'heure actuelle incapable de restaurer le tableau du Radeau de la Méduse de Géricault
car le peintre a utilisé un mélange pour produire ses couleurs que l'on ne connaît pas et
qu'on n'arrive pas à reproduire exactement. Il n'a pas simplement suivi une règle.
2. L'exemplarité. Il ne suffit en effet pas d'être original parce que celui qui fait n'importe
quoi peut aussi bien être original. L’œuvre d'art doit en fait aussi pouvoir servir de
modèle, de référence. Par exemple, le tableau Olympia de Manet est exemplaire parce
que, en reprenant un thème commun, le nu, il le change complètement : au XIXe
siècle, le nu n'est admissible que s'il est représenté dans un cadre antique ou exotique.
Or, ce n'est pas le cas ici. D'autre part, le visage et le corps du modèle sont très
individualisés ce qui rompt avec l'habitude d'une représentation de la femme dans une
beauté idéale, peu individualisée. Ce tableau peut alors servir d'exemple et de modèle,
permettant une évolution du goût. Il fournit une nouvelle norme au goût.
3. L'inexplicabilité. Le génie est en quelque manière un don. On n'apprend pas à être un
génie. Le génie se travaille évidemment. Comme le dit Brassens : « le talent sans
travail n'est qu'une sale manie ». Mais le travail ne fait pas tout. Mozart par exemple a
été contraint par son père à jouer très tôt, mais ce n'est pas le seul. Il y a quelque
chose, dans la création géniale, qui échappe à l'explication. C'est la cause de la haine
que Salieri voue à Mozart dans Amadeus.
On pourra compléter cette analyse en se demandant si ces critères sont encore
pertinents aujourd'hui. Il n'est plus si évident aujourd'hui d'opposer brutalement l'art et la
technique. Comme le remarque Walter Benjamin (XXe) l’œuvre d'art est aujourd'hui
techniquement reproductible. La photographie et le cinéma sont des formes modernes d'art et
ce sont des formes parfaitement reproductibles. Il y a un grand nombre de bandes pour chaque
film. Et la numérisation accroît encore cette reproductibilité.
Il suffit de penser aux conditions de production des œuvres cinématographiques
aujourd'hui. C'est autant un produit technique qu'artistique. Ou plus ou moins suivant le film.
Ce n'est pourtant pas la fin de l'art, mais une évolution. Benjamin remarque que
l’œuvre d'art, aujourd'hui, perd en valeur cultuelle ce qu'elle gagne en valeur d'exposition.
Elle perd en valeur cultuelle car elle a de moins en moins une dimension sacrée.
Originellement, les œuvres d'art servaient à célébrer les dieux, elles servaient le culte. On les
voyait très peu, lors des cérémonies. Parfois pas du tout : certains détails architecturaux des
cathédrales gothiques sont invisibles pour le spectateur, seul Dieu peut les voir. Mais cette
valeur cultuelle disparaît presque complètement dès qu'on peut s'acheter un mug avec la
Joconde dessus. L’œuvre n'a plus rien de sacré. Mais elle gagne en valeur d'exposition. Elle
est de plus en plus vue, regardée, exposée, dans les musées par exemple. L’œuvre aujourd'hui
n'existe que pour être vue. C'est nouveau : elle demande à être contemplée.

3) Le jugement esthétique
L’œuvre d'art demande donc à être vue, écoutée, contemplée, etc., et cela de plus en
plus. Elle suppose donc de plus en plus la présence d'un spectateur. Il faut donc aussi, si l'on
veut comprendre l'art, s'interroger sur le rôle de ce spectateur.
Or il semble que l’œuvre d'art produit sur le spectateur une réaction tout à fait
singulière qui est celle du jugement esthétique ou jugement de goût. Un jugement esthétique
est un jugement relatif à l'effet que la chose produit sur moi et non à ce qu'est la chose
en tant que telle. Le jugement esthétique est donc subjectif et non objectif. Cela veut dire que
contempler une œuvre d'art nous fait quelque chose, nous procure un certain sentiment.
Lorsqu'on contemple une œuvre d'art, on la trouve belle.
Mais il semble il y avoir une difficulté. Si le jugement esthétique est subjectif, il
semble ne concerner que moi. Or, si c'était le cas, on serait incapable de s'accorder sur aucune
œuvre d'art. Ne dit-on pas « des goûts et des couleurs, on ne discute pas » ?
Pour comprendre cela, Kant distingue entre ce qui est beau et ce qui est simplement
agréable. Pour ce qui est simplement agréable, chacun est d'accord que ce jugement ne
concerne que lui, à savoir ses propres goûts. Quand je dis par exemple « les épinards ne sont
pas bons », je veux dire, plus exactement, « je n'aime pas les épinards ». Ce jugement ne
concerne que moi. En fait, je ne dis rien de ce que sont les épinards, mais simplement de ce
que sont mes goûts. On n'a donc aucun mal à accorder que le jugement relatif à ce qui est
agréable soit un jugement purement subjectif.
Mais il n'en va pas de même concernant le beau. Lorsque je dis d'une chose qu'elle est
belle, je ne conçois pas que d'autres ne soient pas d'accord avec moi. Il me semble que tout le
monde devrait être d'accord avec cela. Il me semble que la beauté appartient à la chose et que
donc tout le monde devrait s'accorder dessus. Pourtant, ce n'est pas le cas. La beauté n'est pas
une propriété de la chose. C'est un sentiment que produit en moi la chose quand je la perçois.
Mais la beauté n'est pas dans la chose. D'où la conclusion à laquelle arrive Kant : lorsque je
juge une chose belle, je parle comme si la beauté était une propriété de la chose. L'important
est le comme si : la beauté n'est pas une propriété de la chose. Il est impossible de proposer un
concept objectif de beauté qui permettrait de faire la part des choses belles et des choses qui
ne le sont pas. La beauté est un sentiment subjectif. Mais c'est un sentiment particulier que je
vis en considérant qu'en même temps, il vaut pour tous. D'où la phrase de Kant « le beau est
ce qui plaît universellement sans concept ».
La beauté crée un accord de tous qui n'est fondé sur aucun concept. C'est pourquoi
Kant encore dit : « Du beau, on discute mais on ne dispute pas ». Il y a toujours beaucoup de
chose à dire, mais la discussion ne peut jamais être tranchée par des arguments.
On pourra éventuellement nuancer cette affirmation en rappelant les analyses
produites par Bourdieu dans La distinction. Le jugement esthétique est le produit d'une
histoire. On apprend à remarquer et à apprécier certaines caractéristiques formelles des
œuvres plutôt que d'autres. Les goûts qui sont les nôtres sont le produit de notre position
sociale. Les goûts sont en fait le reflet de rapport de domination sociale. Aimer Mozart ou
PNL situe l'individu sur une échelle sociale. L'art n'est donc pas soustrait aux relations de
domination. Il est même un des champs où s'élabore le plus la domination symbolique
puisqu'il établit la distinction entre une haute culture et une culture basse, populaire, etc. «
Le goût classe, et classe celui qui classe ». Aimer une chose, une œuvre, c'est donc tout
autant ne pas en aimer d'autre. « Le goût, c'est le dégoût du goût des autres ». Il y a une
portée sociologique à l'art.

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