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Annuaire français de droit

international

Négociation ou dégagement en Algérie


M. le Professeur Maurice Flory

Citer ce document / Cite this document :

Flory Maurice. Négociation ou dégagement en Algérie. In: Annuaire français de droit international, volume 7, 1961. pp. 836-
855;

doi : https://doi.org/10.3406/afdi.1961.1125

https://www.persee.fr/doc/afdi_0066-3085_1961_num_7_1_1125

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QUESTIONS INTÉRESSANT LA FRANCE

NÉGOCIATION OU DÉGAGEMENT EN ALGÉRIE

Maurice FLORY

Le discours du Général de Gaulle du 16 septembre 1959 sur


l'autodétermination constitue une étape essentielle dans le déroulement du conflit
algérien. A partir de cette date, ou plutôt quelques jours plus tard, à partir
de l'acceptation de cette procédure par le G.P.R.A., on peut espérer
raisonnablement que les combats cesseront et que les négociations conduiront à la
paix. En 1960, l'échec de Melun vient montrer que les divergences restent
profondes. Le Gouvernement français s'efforce de combler le fossé qui sépare
les positions; cet effort reste unilatéral, le G.P.R.A. estimant que c'est au
colonisateur à réparer ses torts et que sa propre position est intangible.
L'année 1961 est celle des échecs d'Evian et de Lugrin; c'est celle où l'on
commence à douter des chances d'une paix négociée, puisque les
nationalistes algériens restent rigidement fidèles à une doctrine que pour des raisons
très fortes la France estime ne pouvoir accepter. Au cours de cette année
d'attente et faute d'avoir pu transformer l'affrontement en conversations
constructives, il n'y a pas de modifications substantielles sur les plans
diplomatique, militaire et politique (1) .
A l'Organisation des Nations Unies, en l'absence de la délégation
française, l'Assemblée générale, inspirée par les représentants du F.L.N. vote
sans difficulté une résolution. Sur le plan militaire, l'Armée française lutte
toujours contre la rébellion, tandis que l'Armée de Libération nationale conti-

(*) Maurice Flory, Professeur à la Faculté de droit et des sciences économiques


d'Aix-en-Provence, Le Statut international des Gouvernements réfugiés et le cas de la
France Libre, Paris, 1952; « Vers une nouvelle conception du prisonnier de guerre »,
R.G.D.I.P., 1954; « La notion de Protectorat et son évolution en Afrique du nord »,
R.J.P.U.F., 1954 et 1955; « Les bases militaires à l'étranger », A.F.D.I., 1955; « La notion
de territoire arabe et son application au Sahara », A.F.D.I., 1957.
(1) Cf. les précédents articles dont cette étude constitue la mise à jour, dans l'Annuaire
français de droit international, 1959, p. 817 et I960, p. 973.
OU DÉGAGEMENT EN ALGÉRIE 837

nue à mener une guerre internationale. Sur le plan de la politique


internationale, le G.P.R.A. gagne quelques reconnaissances supplémentaires sans
pour cela modifier l'attitude de la France et de ses alliés.
Mais la modération des débats à l'O.N.U., le ralentissement des
opérations militaires, la routine de reconnaissances sans surprises, montrent que
l'intérêt est désormais ailleurs. Il est du côté de ces négociations que l'on
préconise de part et d'autre. Trois échecs commencent cependant à faire
douter de la possibilité de cet accord. Faute de pouvoir amorcer un dialogue
constructif avec les combattants nationalistes algériens, faute aussi de
trouver un interlocuteur valable dans une troisième force qui ne se découvre
pas, le Gouvernement français annonce les prémisses d'une opération de
« dégagement » qu'il pourrait au besoin accomplir unilatéralement, laissant le
nouvel Etat algérien naître seul, sans le concours de la France.

I. — LA QUESTION ALGERIENNE DEVANT L'O.N.U.

Par une lettre en date du 11 août 1961, 31 pays afro-asiatiques demandent


l'inscription de la question algérienne à l'ordre du jour de la XVIe session de
l'Assemblée générale des Nations Unies. Le mémoire explicatif, joint à cette
demande indique que les négociations de Lugrin ont été interrompues le
28 juillet 1961 à la demande de la délégation algérienne, le Gouvernement
français refusant de reconnaître les principes fondamentaux de l'intégrité
territoriale de l'Algérie et de l'unité du peuple algérien; il rappelle en
conclusion que dans la résolution adoptée à la XVe session de l'Assemblée générale,
l'O.N.U. s'est reconnue la responsabilité de contribuer à ce que le droit de
libre détermination soit mis en œuvre avec succès et avec justice sur la base
de l'unité et de l'intégrité territoriale de l'Algérie.
Cette session plus encore que les précédentes est placée sous le signe de
la décolonisation. 51 pays afro-asiatiques hantés par ce problème font
triompher sans difficulté toute position se rattachant à ce thème. C'est ainsi
que, se référant à sa résolution 1514 (XV) du 14 décembre 1960 sur l'octroi
de l'indépendance aux peuples coloniaux (2) , l'Assemblée vote le 27 novembre
1961, sans opposition, par 97 voix et 4 abstentions (Afrique du Sud, Espagne,
Royaume-Uni, France) une nouvelle résolution destinée à accroître
l'efficacité de la résolution 1514 :
L'Assemblée générale,
Rappelant la déclaration sur l'octroi de l'indépendance aux pays et aux peuples
colonisés, contenue dans sa résolution 1514 (XV) du 14 décembre 1960,

(2) Lors de la XVe session, l'affaire algérienne a été discutée en commission avant
l'adoption de la déclaration sur l'octroi de l'indépendance, ce qui explique qu'il n'y soit pas
fait mention. A partir de la date de son adoption, cette déclaration va jouer le rôle de
référence de base dans tous les débats touchant aux problèmes coloniaux.
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Tenant compte des objectifs et des principes énoncés dans ladite déclaration,
Rappelant en particulier le § 5 de la déclaration, aux termes duquel « des mesures
immédiates seront prises, dans les territoires sous tutelle, les territoires non autonomes
et tous autres territoires qui n'ont pas encore accédé à l'indépendance pour transférer
tous pouvoirs aux peuples de ces territoires, sans aucune condition ni réserve,
conformément à leur volonté et à leurs vœux librement exprimés, sans aucune distinction
de race, de croyance ou de couleur, afin de leur permettre de jouir d'une indépendance
et d'une liberté complètes »,
Constatant avec regret qu'à quelques exceptions près il n'a pas été donné suite
aux dispositions contenues dans ledit paragraphe de la déclaration,
Prenant note du fait que, contrairement aux dispositions du § 4 de la déclaration,
des actions armées et des mesures de répression continuent à être employées dans
certaines régions d'une façon de plus en plus impitoyable, contre des populations
dépendantes, les privant de leurs prérogatives d'exercer pacifiquement et librement
leur droit à l'indépendance complète,
Constatant avec inquiétude que, contrairement aux dispositions du § 6 de la
déclaration, des actes visant à détruire partiellement ou totalement l'unité nationale
et l'intégrité territoriale sont encore perpétrés dans certains pays en voie de
décolonisation,
Convaincue que tout nouveau retard dans l'application de la déclaration est une
source continue de conflit et de discorde sur le plan international, entrave
sérieusement la coopération internationale et crée, dans de nombreuses régions du monde, une
situation de plus en plus dangereuse qui peut constituer une menace à la paix et à la
sécurité internationales,
1. Réitère et affirme solennellement les objectifs et principes énoncés par la
déclaration sur l'octroi de l'indépendance aux pays et aux peuples coloniaux, contenue
dans sa résolution 1514 (XV) ;
2. Demande aux Etats intéressés d'agir sans plus tarder afin d'assurer
scrupuleusement l'application et la mise en œuvre de la déclaration;
3. Décide de créer un Comité spécial de 17 membres qui seront désignés par le
Président de l'Assemblée générale au cours de la présente session;
4. Prie le Comité spécial d'étudier l'application de la déclaration, de formuler
des suggestions et des recommandations quant aux progrès réalisés et à la mesure
dans laquelle la déclaration est mise en œuvre, et de faire rapport à l'Assemblée
générale lors de sa XVH1" session;
5. Charge le Comité spécial d'accomplir sa tâche en se servant de tous les moyens
dont il disposera dans le cadre des procédures et des modalités qu'il adoptera pour
bien s'acquitter de ses fonctions;
G. Autorise le Comité spécial à se réunir en tout autre lieu que le siège de
l'O.N.U., lorsque cela pourra être nécessaire pour lui permettre de s'acquitter
efficacement de ses fonctions, en consultation avec les autorités compétentes;
7. Invite les autorités intéressées à assurer au Comité spécial leur coopération la
plus complète dans l'accomplissement de ses tâches;
8. Prie le Conseil de Tutelle, le Comité des renseignements relatifs aux territoires
non autonomes et les institutions spécialisées intéressées d'apporter leur aide au Comité
spécial pour ses travaux, dans leurs domaines d'activité respectifs;
9. Prie le Secrétaire général de fournir au Comité spécial tous les services et le
personnel qui lui seront nécessaires pour la mise en œuvre de la présente résolution.
Pendant que se débattait le problème général de la fin du colonialisme,
l'Assemblée n'hésite pas à s'interrompre pour se saisir d'un aspect particulier
du problème algérien, celui de la grève de la faim des détenus algériens
déclenchée par Ben Bella. A la demande du délégué du Pakistan, M. Zafrul-
lah Khan, l'Assemblée abandonne provisoirement le point 88 de son ordre du
jour qu'elle était en train d'examiner et se saisit d'urgence d'une résolution
présentée par 34 pays afro-asiatiques. Le représentant de la France fait
remarquer que la question ainsi soulevée est totalement étrangère au point
de l'ordre du jour en discussion et qu'une telle initiative n'est justifiée ni
par le règlement intérieur, ni par la pratique de l'Assemblée générale. Le
débat sur le statut des prisonniers algériens ne s'en poursuit pas moins
OU DÉGAGEMENT EN ALGÉRIE 839

pour aboutir très rapidement et sans opposition, par 62 voix (3) et 31


abstentions, au vote de la résolution suivante :
L'Assemblée générale,
Profondément préoccupée par les graves répercussions internationales de la grève
de la faim entreprise par des milliers d'Algériens prisonniers en France et par le
sérieux danger que cette grève représente pour les perspectives d'un règlement
pacifique et négocié de la question algérienne,
Rappelant sa résolution 1573 (XV) du 19 décembre 1960, par laquelle elle reconnaît
sa responsabilité de contribuer à une juste solution de la question algérienne,
Rappelant en outre sa résolution 1514 (XV) du 14 décembre 1960, où elle souligne
au paragraphe 4 :
« II sera mis fin à toute action armée et à toutes mesures de répression, de quelque
sorte qu'elles soient, dirigées contre les peuples dépendants, pour permettre à ces
peuples d'exercer pacifiquement et librement leur droit à l'indépendance complète... »,
Fait appel au Gouvernement français, conformément à la pratique internationale
en usage et aux principes humanitaires, pour qu'il fasse droit aux légitimes
revendications des prisonniers algériens en reconnaissant leur statut de prisonniers politiques,
afin de rendre possible, sans délai, l'arrêt de la grève de la faim.
Au moment où se débat l'affaire algérienne en première commission,
éclate l'affaire de Goa. Le veto soviétique permet le triomphe de la
décolonisation par tous les moyens y compris la force. Se saisissant alors de toutes
les occasions offertes par les derniers débats en commission ou en Assemblée
générale, un grand nombre de délégués afro-asiatiques n'hésitent pas à
féliciter publiquement l'Inde d'avoir porté un premier coup au colonialisme
portugais. Peu s'en faut que M. Krishna Menon, ministre de la Guerre qui avait
assumé personnellement la conduite des opérations militaires contre Goa et
qui avait jugé bon d'arriver à New -York aussitôt l'opération terminée,
ne vienne se faire acclamer à la tribune de l'Assemblée générale.
Dans une telle ambiance, on peut s'attendre à ce que la question
algérienne fasse l'objet en cette XVIe session de discours particulièrement
violents et donne lieu à une résolution comminatoire pour la France. Les débats
sont au contraire relativement modérés et donnent l'impression au bout de
7 ans d'en arriver à une sorte de routine. Il y a bien quelques orateurs
violents; ils sont connus d'avance et cette violence même est routine, qu'il
s'agisse de M. Zorine (U.R.S.S.) ou de M. Shukairy (Arabie séoudite);
chacun défend avec plus ou moins de conviction la thèse que l'on pouvait
attendre de lui. La France comme d'habitude, s'abstient de siéger. Les
délégués du F.L.N. présents au débat « sur un strapontin » se conduisent en
vieux habitués et en personnages quasi officiels, salués d'ailleurs en cours de
séance par plusieurs orateurs de la première commission qui déplorent qu'ils
n'aient pas encore un statut officiel au sein des Nations Unies (4). M. Chan-

(3) Votent pour : Yemen, Yougoslavie, Afghanistan, Albanie, Autriche, Bolivie, Bulgarie,
Birmanie, Biélorussie, Cambodge, Cameroun, Ceylan, Tchad, Congo (Brazza.), Congo (Leo.),
Cuba, Chypre, Tchécoslovaquie, Dahomey, Ethiopie, Malaisie, Finlande, Gabon, Ghana, Guinée,
Hongrie, Islande, Inde, Indonésie, Iran, Irak, Jordanie, Laos, Liban, Libéria, Libye, Madagascar,
Mali, Mongolie, Maroc, Nepal, Nigeria, Norvège, Pakistan, Philippines, Pologne, Roumanie,
Arabie Séoudite, Sénégal, Sierra Leone, Somalie, Soudan, Suède, Syrie, Thaïlande, Togo,
Tunisie, Turquie, Ukraine, U.R.S.S., R.A.U., Haute- Volta.
(4) Cf. notamment le discours de M. Shukairy le 15 déc. à la lre commission : « ... Tandis
que je parle ici, les ministres du Gouvernement algérien qui sont présents m'entendent. Nous
sommes heureux de leur présence bien qu'ils soient relégués aux derniers sièges de la salle... »
840 NÉGOCIATIONS

derli et ses collaborateurs ne paraissent pas souhaiter voir le débat se durcir.


Comment le pourraient-ils d'ailleurs, alors que la thèse adoptée par la
France, exprimée par le chef de l'Etat, et ratifiée par le peuple français est
pour l'essentiel celle que préconise l'Organisation des Nations Unies sous
l'influence du G.P.R.A. lui-même.
Le F.L.N. dans la situation actuelle paraît avoir obtenu de l'O.N.U. à
peu près tout ce qu'il pouvait en attendre. Il ne s'agit plus pour lui que de
maintenir l'opinion internationale en haleine et de consolider ses positions.
Le débat après avoir été ajourné à la demande de la Libye ne commence
que le 14 décembre, c'est-à-dire le plus tard possible dans la session, à un
moment où la lassitude commence à s'emparer des délégués qui se
préoccupent surtout de terminer l'ordre du jour avant les fêtes de Noël. Prévues
pour durer deux jours en première commission, les interventions finalement
assez nombreuses se prolongent jusqu'au 19 décembre et aboutissent, par
65 voix sans opposition et avec 34 abstentions, au vote d'un projet de
résolution présenté par 34 pays du groupe afro-asiatique. Le 20 décembre, le
projet est adopté en Assemblée générale sans opposition par 62 voix et 38
abstentions (5).
« L'Assemblée générale, ayant discuté la question algérienne, rappelant sa
résolution 1514 (XV) du 14 décembre 1960, dans laquelle elle a proclamé la nécessité de
mettre rapidement et inconditionnellement fin au colonialisme sous toutes ses formes
et dans toutes ses manifestations,
Rappelant en outre sa résolution 1573 (XV) du 19 décembre 1960, par laquelle
elle a reconnu le droit du peuple algérien à la libre détermination et à l'indépendance,
la nécessité impérieuse de garanties adéquates et efficaces pour assurer que le droit
de libre détermination sera mis en œuvre avec succès et avec justice dans le respect
de l'unité et de l'intégrité territoriale de l'Algérie, et le fait que l'O.N.U. a la
responsabilité de contribuer à ce que ce droit soit mis en œuvre avec succès et avec justice,
Profondément préoccupée par la continuation de la guerre en Algérie,
Prenant note de ce que les deux parties en cause se sont déclarées disposées à
rechercher une solution négociée et pacifique sur la base du droit du peuple algérien
à la libre détermination et à l'indépendance,
Regrettant la suspension des négociations entamées par le Gouvernement français
et le Gouvernement provisoire de la République algérienne,
Invite les deux parties à reprendre les négociations en vue de mettre en œuvre
les droits du peuple algérien à la libre détermination et à l'indépendance dans le
respect de l'unité et de l'intégrité territoriale de l'Algérie. »
A première vue cette résolution n'apporte rien de bien nouveau par
rapport à celle de l'année précédente. Le F.L.N. paraît avoir abandonné l'idée
exprimée dans le paragraphe 4, non adopté, du projet de résolution de 1960
qui cherchait à consacrer l'intervention des Nations Unies en préconisant
un référendum organisé et contrôlé par l'O.N.U. (6). Plus modestement la
résolution de 1961 se référant à la Déclaration sur l'octroi de l'indépendance

(5) Votent pour : Pologne, Roumanie, Arabie séoudite, Sénégal, Sierra Leone, Somalie,
Soudan, Suède, Syrie, Tanganyika, Thaïlande, Togo, Tunisie, Turquie Ukraine, U.R.S.S., R.A.U.,
Haute-Volta, Venezuela, Yemen, Yougoslavie, Afghanistan, Albanie, Autriche, Bolivie,
Bulgarie, Birmanie, Biélorussie, Cambodge, Ceylan, Congo (Leo.), Cuba, Chypre, Tchécoslovaquie,
Danemark, Ethiopie, Malaisie, Finlande, Ghana, Guinée, Hongrie, Islande, Inde, Indonésie,
Iran, Irak, Irlande, Japon, Jordanie, Laos, Liban, Libéria, Libye, Mali, Mauritanie, Mongolie,
Maroc, Népal, Niger, Nigeria, Norvège, Pakistan.
OU DÉGAGEMENT EN ALGERIE 841

aux pays et aux peuples coloniaux (1514, XV) et à la résolution du 19


décembre 1960, se contente de regretter la suspension des négociations et d'inviter
les deux parties à les reprendre.
Cependant grâce à ce texte anodin, un résultat non négligeable est atteint.
Le Gouvernement provisoire de la République algérienne se trouve
mentionné en toutes lettres au 4e paragraphe sur le même plan que le
Gouvernement de la République française; il acquiert ainsi de l'Organisation des
Nations Unies une sorte de reconnaissance officieuse qu'il cherchait à obtenir
depuis longtemps. Au surplus, si la résolution obtient une voix de moins
que celle de l'année précédente, aucun Etat ne vote contre elle.

La XVIe session de l'Assemblée générale s'est donc déroulée sans


surprise sur la question algérienne; pourtant cette session n'est pas semblable
aux autres. Pour le première fois le G.P.R.A. ne mène pas de combat
diplomatique pour obtenir le vote d'une résolution aux Nations Unies; sans doute
estime-t-il qu'au point où en sont arrivées les choses, l'Organisation ne peut
plus être d'un grand secours. Pour la première fois aucun Etat ne vote contre
une résolution touchant à un problème colonial; au cours de la XVIe session,
trois résolutions intéressent le problème algérien : sur chacune d'entre elles
des Etats s'abstiennent, aucun ne s'oppose. Pour la première fois la France ne
juge pas nécessaire de faire combattre par les Etats amis les positions
inspirées par le G.P.R.A.; jamais elle n'a été aussi absente de ces débats. Une
impression générale se dégage : par habitude et aussi par mesure
conservatoire de la part du F.L.N., le débat algérien a eu lieu comme chaque année;
mais personne ne s'y intéresse véritablement. La France a toujours pensé
que l'Organisation des Nations Unies est incompétente dans l'affaire
algérienne; elle estime en outre que son ingérence ne fait que compliquer et
retarder la solution du problème algérien. Après avoir fait progresser ses
thèses grâce à l'O.N.U., le G.P.R.A., dans le contexte actuel, semble douter
à son tour de l'opportunité et de l'efficacité d'une intervention de
l'Organisation internationale.

IL — LA GUERRE D'ALGERIE

Ce chapitre de la guerre en Algérie ne subit en apparence aucun


changement durant l'année 1961. Le F.L.N. prétend toujours que la guerre qu'il
fait est une guerre de libération qui présente un caractère international. Le
Gouvernement français officiellement continue à maintenir l'ordre dans les
départements algériens sur lesquels la République française exerce toujours
sa souveraineté.
(6) Cf. Annuaire français, 1960, p. 977.
842 NÉGOCIATIONS

L'antagonisme de ces deux positions crée le même malaise et les mêmes


difficultés juridiques que les précédentes années. Ainsi la marine française
a procédé à des arraisonnements de navires dans des conditions irrégulières
en temps de paix, ce qui a provoqué, chaque fois, la protestation de l'Etat
du pavillon. Les incidents de frontières avec le Maroc et la Tunisie ont été
nombreux et ont donné lieu le 28 novembre 1961 à une note tunisienne
attirant l'attention du Conseil de Sécurité « sur la gravité des attaques
auxquelles sont constamment soumis les postes-frontières tunisiens de la part
des forces françaises stationnées en Algérie ». Des prisonniers ont été faits
de part et d'autre, ce qui pose chaque fois le problème de leur statut. —
348 militaires français sont détenus par le F.L.N. (7) ; le Gouvernement
français ignore le sort exact qui leur a été réservé car la Croix-Rouge
internationale n'a jamais pu les visiter. Le problème du statut des combattants de
l'A.L.N. capturés par les autorités militaires françaises a été posé par la
Cour de Cassation qui, en cassant une condamnation d'un tribunal militaire,
pose la question de savoir si les combattants de l'A.L.N. sont couverts par la
convention de Genève du 12 août 1949 (8).
Aucun succès marquant n'intervient dans le domaine militaire. Sur le
plan opérationnel, l'avantage continue d'appartenir à l'armée française ;
l'A.L.N. semble de plus en plus loin de ce Dien Bien Phu annoncé deux ans
auparavant par M. Yazid; elle ne semble plus capable d'entreprendre la
moindre action militaire d'envergure; l'état des forces militaires F.L.N. dressé
par le commandement français en décembre 1961 paraît correspondre à cette
situation : « Depuis 3 ans, les rebelles ont perdu les 2/3 de l'armement qui
avait été introduit en Algérie. Des 120 Katibas qui existaient en 1958, il
n'en reste aujourd'hui qu'une dizaine avec sept à huit douzaines de petites
sections et une centaine de groupes. Quelque 4 000 hommes composent ces
bandes, auxquels on peut ajouter quelques milliers de supplétifs plus ou
moins armés. Aujourd'hui la rébellion dispose de moins de 6 000 armes de
guerre et d'autant de fusils de chasse ou de pistolets. 65 % de cet
armement se trouve dans le Constantinois, 25 % dans l'Algérois, 10 % dans l'Ora-
nie et ce potentiel ne cesse de diminuer... » (9).
Impuissance de l'A.L.N. devant l'armée française, mais impuissance de
l'armée française devant le terrorisme F.L.N. qui oblige la France à mainte-

(7) D'après une information donnée par Le Monde — 19-20/11/61.


(8) L'arrêt Abdellah Berbaïs, non rapporté dans le Bulletin des arrêts de la Cour de
Cassation, a été succinctement analysé dans Le Monde du 10/3/61. Le tribunal militaire de
l'Est-Constantinois ayant décidé que la Convention de Genève ne s'appliquait pas à l'accusé,
« citoyen français et se réclamant d'une autorité de fait non reconnue par le Gouvernement
français », la Cour de Cassation casse ce jugement en déclarant « que la réponse du tribunal
militaire aux conclusions (déposées par la défense) ne permet pas à la Cour de Cassation de
vérifier si ladite convention était étrangère aux faits de la cause ou s'il y avait lieu d'en
demander au Gouvernement l'interprétation officielle ».
(9) Le Monde — 15/12/61 — Opération « portes ouvertes » à l' état-major de la Reghaïa
où le commandement reçoit pour la première fois les journalistes. Bilan dressé par le
commandant Bocrgue, porte-parole du commandement interarmée.
OU DÉGAGEMENT EN ALGÉRIE 843

nir 500 000 hommes en Algérie. Après 7 années de lutte, on en arrive à cette
sorte d'équilibre sinistre qui semble avoir enlevé aux parties en présence
toute illusion sur le plan militaire. L'A.L.N. a renoncé à son Dien Bien Phu,
l'armée française ne croit plus au dernier quart d'heure.
L'A.L.N. paraît renoncer à se développer en Algérie; elle sait qu'elle
n'obtiendra rien de vastes opérations militaires d'ailleurs fort risquées. Même
son action de propagande dans ce domaine paraît se relâcher; il n'est plus
question d'une aviation F.L.N., ni du recrutement de volontaires étrangers
dans les pays frères. L'armée française de son côté cesse les opérations de
grande envergure, regroupe des forces en supprimant près d'un millier de
petits postes et annonce la diminution progressive de ses effectifs; 2 grandes
unités ont déjà regagné la Métropole, réduisant ainsi de 7,5 % l'armée
française d'Algérie. Pour que l'Algérie algérienne puisse se réaliser, le Général
de Gaulle se déclare décidé à organiser « dès à présent une force publique
purement algérienne dont disposera le pouvoir provisoire quand il assumer .
la responsabilité de conduire le pays à la décision » (10) .
S'il y a un incontestable ralentissement des activités militaires, en
revanche le terrorisme ne cesse pas. Le terrorisme F.L.N. a indiqué la marche
à suivre à une population européenne que personne n'a su appaiser. Au lieu
de s'internationaliser comme le souhaitait le F.L.N., la guerre d'Algérie
entre dans la plus sombre des clandestinités, celle de deux organisations
secrètes qui comptent les coups.

III. — LA RECONNAISSANCE DU G.P.R.A.

A la fin de 1961 nous avions pu dénombrer 18 reconnaissances non


ambiguës du G.P.R.A. qui sont dans l'ordre chronologique celles de l'Irak, du
Maroc, de la Tunisie, de la Lybie, de la Jordanie, de l'Arabie, de la R.A.U.,
du Yemen, du Soudan, de la Chine, de la Corée du Nord, du Nord Viet-Nam,
de l'Indonésie, de la Guinée, de la Mongolie extérieure, du Liban, du Ghana,
du Libéria. A cette liste on pouvait ajouter avec quelques réserves dues à
la forme de la reconnaissance la Yougoslavie et l'U.R.S.S. (11) . Nous arrivons
donc au chiffre de 20 reconnaissances. Le G.P.R.A. ayant reconnu le Togo
lors de son accession à l'indépendance a reçu en réponse le 17 juin 1960 un
message peu explicite de M. Sylvanus Olympio que le F.L.N. considère
comme une reconnaissance de jure (12) selon une procédure analogue à celle
de la Guinée (13).
Au cours de l'année 1961, le G.P.R.A. bénéficie de nombreuses nouvelles
reconnaissances, celle du Mali le 17 février 1961, du Congo (Léopoldville) le
19 février 1961, de Cuba le 28 juin 1961, du Pakistan le 3 août 1961. La

(10) Discours du Général de Gaulle du 2 octobre 1961.


(11) Cf. Annuaire français, 1959, p. 835 et s., 1960, p. 984 et s.
(12) Cf. Mohamed Bedjaoul, La révolution algérienne et le droit, Bruxelles, 1961, p. 123.
(13) Cf. Annuaire français, 1959, p. 840.

54
844 NÉGOCIATIONS

conférence de Belgrade à laquelle participe le G.P.R.A. sur un pied d'égalité


avec tous les gouvernements présents entraîne logiquement plusieurs
reconnaissances : celles de l'Afghanistan le 1er septembre, du Cambodge et de
Chypre le 4 septembre 1961. A ces 28 reconnaissances les juristes du G.P.R.A.
ajoutent celles de la Tchécoslovaquie et de la Bulgarie qui résulteraient de
traités bilatéraux signés entre le G.P.R.A. et la Tchécoslovaquie le 25 mars
1961 et entre le G.P.R.A. et la Bulgarie le 29 mars 1961 (14) . Enfin à l'occasion
de la conférence de Belgrade des informations de presse font état de
promesses de reconnaissance faites au G.P.R.A. par Ceylan et la Birmanie; il
ne semble pas que ces promesses se soient concrétisées formellement.
Le G.P.R.A. bénéficie donc actuellement d'une trentaine de
reconnaissances. Ce chiffre important lui a permis au moment de la conférence de
Belgrade d'introduire un nouveau passeport qui permet aux administrés du
F.L.N. de voyager dans une bonne partie du monde, limitée cependant à une
catégorie bien particulière d'Etats.
La totalité de ces Etats, en effet, à une exception près, appartiennent soit
au groupe afro-asiatique, soit au groupe communiste. Cuba constitue
d'ailleurs à peine une exception; en effet ce pays qui se prétend une démocratie
populaire est très proche du groupe communiste et siège régulièrement aux
réunions du groupe afro-asiatique de la quatrième commission à l'O.N.U.;
l'attitude de Cuba n'a donc rien de surprenant.
Si on retranche les 8 pays communistes, une vingtaine d'Etats
afro-asiatiques seulement sur plus de 50 qui siègent à l'O.N.U. ont reconnu le
G.P.R.A.; ces Etats appartiennent au groupe qui s'est constitué à l'occasion
des conférences de Casablanca et de Belgrade. Il est important de noter
qu'aucun Etat latino-américain (en dehors de Cuba), qu'aucun Etat
Européen non communiste, pas même les pays Scandinaves connus pour leur
« anticolonialisme », qu'aucun pays africain du groupe de l'Union Africaine
et Malgache, n'ont reconnu le G.P.R.A. Cette constatation amène à situer
d'une façon précise le F.L.N. sur la carte politique internationale et en
même temps à prendre conscience de la fragilité juridique de reconnaissances
aussi nettement orientées.

Le G.P.R.A. appartient à une tendance politique bien déterminée. Il


participe donc aux conférences internationales qui regroupent les Etats de
cette tendance. En janvier 1961, à la conférence de Casablanca, M. Ferhat
Abbas siège au sommet au milieu des leaders africains et asiatiques parmi
lesquels le Président Nasser, M. Sekou Touré et M. N'Krumah et il obtient le
vote d'une longue résolution sur l'Algérie (15).

(14) Mohamed Bedjaoul, op. cit., p. 185.


(15) Cf. Annuaire fr., 1960, p. 986-87.
OU DÉGAGEMENT EN ALGÉRIE 845

Le 14 février 1961 s'ouvre à Tunis la quatrième conférence non


gouvernementale de « lutte contre le colonialisme en Méditerranée et au Moyen-
Orient ». Le représentant des nationalistes algériens, M. Ben Yahia, l'un
des négociateurs de Melun, est élu président du comité permanent de la
conférence. Dans une résolution sur l'Algérie la conférence après avoir
« salué toutes les victimes de la répression coloniale » demande « la
libération des prisonniers et propose l'envoi d'avocats et de commissions de
juristes des pays membres de la conférence pour les défendre devant les
tribunaux militaires et les visiter dans les prisons et les camps en France et
en Algérie ». La conférence proteste d'autre part « contre toutes les sentences
de mort prononcées contre les Algériens en France et en Algérie » et envoie
un télégramme dans ce sens au Général de Gaulle.
Il a été question de l'Algérie à la conférence de Monrovia (mai 1961)
mais le G.P.R.A. n'y participe pas, car il n'appartient pas à ce groupe d'Etats
africains jugés insuffisamment « désengagés ». En revanche il participe au
Caire du 5 au 12 juin à la réunion préparatoire à la Conférence de
Belgrade (16). Egalement au Caire, il assiste du 28 au 30 août à la conférence
qui réunit les Etats membres du groupe de « l'Afrique révolutionnaire » plus
couramment désignés sous le nom de groupe de Casablanca.
Quelques jours plus tard s'ouvre la conférence des « Etats non
engagés » de Belgrade (17) où le G.P.R.A. siège au milieu de 23 gouvernements
représentant environ un milliard d'hommes; il obtient trois reconnaissances
supplémentaires ainsi que des promesses de plusieurs Etats; son
comportement y est observé avec une attention d'autant plus grande que son leader
vient de changer; M. Ben Khedda confirme solennellement l'adhésion de
l'Etat algérien au camp du neutralisme.

Dans un cercle d'Etats bien déterminé la position du G.P.R.A. progresse


régulièrement ainsi qu'en témoigne la part qu'il prend désormais à certaines
conférences afro-asiatiques et le nombre de reconnaissances dont il
bénéficie. Il est possible de prévoir encore une augmentation substantielle du
nombre des reconnaissances du côté des pays du groupe de Belgrade et
même plus généralement du groupe afro-asiatique. Certains pays expriment
d'ailleurs clairement que leur attitude à l'égard des nationalistes algériens
n'est nullement exclusive de leur sympathie à l'égard de la France. Le prince
Sihanouk a ainsi souhaité à Belgrade qu'à l'exemple du Cambodge « une

(16) 21 Etats sont représentés : Afghanistan, Algérie, Arabie Séoudite, Birmanie,


Cambodge, Ceylan, Cuba, Ethiopie, Ghana, Guinée, Inde, Indonésie, Irak, Mali, Maroc, Népal,
R.A.U., Somalie, Soudan, Yemen, Yougoslavie.
(17) 1-6 septembre. 24 Etats sont représentés : Afghanistan, Algérie, Arabie Séoudite,
Birmanie, Cambodge, Congo (Leo.). Chypre, Cuba, Ethiopie, Ghana, Guinée, Inde, Indonésie,
Irak, Liban, Mali, Maroc, Népal, R.A.U., Soudan, Somalie, Tunisie, Yemen, Yougoslavie.
Cf. notamment les art. de J. Lacoutuke dans le Monde dipl., sept, et oct. 1961.
846 NÉGOCIATIONS

Algérie pleinement indépendante entretienne bientôt les relations les plus


cordiales avec la France »; il a ajouté que la reconnaissance du G.P.R.A. « ne
saurait être considérée comme une condamnation de la France à laquelle nous
maintenons toute notre amitié ».
La France ne paraît plus s'inquiéter de ces reconnaissances. Au lieu
d'en « tirer les conséquences » c'est-à-dire de rompre les relations
diplomatiques, le Gouvernement français semble admettre que dans un contexte
afro-asiatique des Etats, même amis de la France, puissent être amenés à
reconnaître le G.P.R.A. Cette attitude comprehensive s'explique d'autant
mieux que le point de vue français sur ce qui n'était autrefois qu'une
rébellion s'est sensiblement transformé.

IV. — LES TENTATIVES DE NEGOCIATIONS

Le bilan de l'année 1961 se soldant par une nouvelle impasse des


négociations entreprises, on pourrait être tenté de penser que l'attitude de la
France à l'égard du G.P.R.A. ne s'est pas modifiée et qu'Evian-Lugrin n'est
que la répétition de Melun. Une étude plus attentive du comportement des
négociateurs français et des discours du Général de Gaulle montre au
contraire une nouvelle importante évolution avant, pendant et même encore
après les négociations.

A. — EVIAN ET LUGRIN.
Après les entretiens de Melun, une autre année s'écoule avant que ne
puissent être renoués les fils de la négociation. La chronologie de la reprise
du dialogue s'étale sur près de six mois. Le 16 janvier 1961, dans une
déclaration publiée à Tunis, le G.P.R.A. se déclare prêt à engager les négociations
sans condition préalable. Le 1er février, le Général de Gaulle adresse à
M. Bourguiba une invitation à se rendre en France. Quelques jours plus tard,
l'hebdomadaire tunisien Afrique -Action annonce que des contacts secrets
sont pris en Suisse entre MM. Pompidou et Bruno de Leusse d'une part et
MM. Boumendjel, Dalhab et Boulharouf de l'autre (19-22 février) . Le voyage
du Président Bourguiba en France et sa rencontre avec le Général de Gaulle
(27 février) est sans que le mot soit officiellement employé une mission de
bons offices; le chef de l'Etat tunisien en donne lui même la définition : « Elle
(la Tunisie) seule est en mesure de rapprocher les belligérants, de faire
comprendre les positions des uns et des autres » (18) . A l'issue des entretiens un
communiqué commun est publié : «... La question algérienne a été évoquée
largement à la lumière des récents développements et dans la perspective de
l'avenir de l'Afrique du Nord. Le Général de Gaulle et le Président Bour-

(18) Le Monde, 25/2/61.


OU DÉGAGEMENT EN ALGÉRIE 847

guiba ont été d'accord pour constater les possibilités et l'espoir qui existent
désormais d'une évolution positive et rapide... Le Général de Gaulle et le
Président Bourguiba ont constaté à quel point leurs conceptions étaient
proches ». Les 15 et 18 mars des communiqués du Gouvernement français et
du G.P.R.A. annoncent, chacun de leur côté, la confirmation officielle de
l'ouverture des négociations. La date du 7 avril est fixée.
De nombreux obstacles et incidents s'interposent encore : l'indisposition
du principal négociateur algérien, M. Belkacem Krim, l'assassinat du Maire
d'Evian par l'O.A.S. le 31 mars, la Conférence de presse de M. Joxe à Oran
qui provoque un brusque retrait du G.P.R.A., le putsch des Généraux à Alger
(22-26 avril). C'est finalement le 20 mai seulement que s'ouvre la conférence
d'Evian; elle est interrompue le 13 juin, reprend à Lugrin le 20 juillet jusqu'à
la suspension sine die intervenue le 28 juillet. En tout, une vingtaine de
séances de travail en deux mois pour aboutir, comme à Melun, à un échec.
A Melun, on pressentait déjà, à travers les conflits de préséance et de
procédure, l'incompatibilité des doctrines en présence. A Evian et à Lugrin, les
questions de forme ayant été préalablement résolues, le désaccord au fond est
apparu en pleine lumière.
Officiellement, le G.P.R.A. avait invoqué des raisons de procédure pour
justifier son départ de Melun. En réalité, derrière ces considérations de forme
se dissimulaient intactes les doctrines du Gouvernement français et du F.L.N.;
mais la procédure avait constitué un isolant suffisamment hermétique pour
que les thèses en présence n'aient pu s'affronter au fond. C'est précisément
ce que de part et d'autre on a cherché à éviter pour la seconde rencontre.
L'ambiance des débats apparaît d'emblée très différente.
Pour écarter dès l'origine toute susceptibilité, deux communiqués
similaires sont publiés simultanément à Paris et à Tunis le 30 mars 1961. Le
Gouvernement français d'un côté, le G.P.R.A. de l'autre, font savoir que « les
pourparlers relatifs aux conditions de l'autodétermination et aux problèmes
qui s'y rattachent s'ouvriront à Evian le 7 avril ». Une seule différence peut
être relevée dans la suite des deux communiqués : Les Algériens se désignent
comme Gouvernement provisoire de la République algérienne, tandis que la
France déclare que les pourparlers s'ouvriront avec « les représentants du
F.L.N. ». Cette nuance, plus importante qu'elle ne paraît, n'a pas été relevée.
Mais, dès le lendemain, le F.L.N. affirmait son caractère représentatif et sa
qualité de gouvernement provisoire en refusant la rencontre convenue tant
que le Gouvernement français ne renoncerait pas à entrer en rapport dans
les mêmes conditions avec le M.N.A. En effet, dans une conférence de presse,
tenue à Oran le 30 mars, M. Joxe, répondant à une question d'un journaliste,
avait déclaré : « Je rencontrerai le M.N.A. comme je rencontrerai le F.L.N. »,
ce qui a entraîné le lendemain cette réplique inattendue : « Après la
publication des deux communiqués officiels, la déclaration faite à Oran par le
Ministre d'Etat français, M. Louis Joxe, et concernant une négociation avec
848 NÉGOCIATIONS

des valets du colonialisme, remet en cause celle qui doit s'ouvrir le 7 avril à
Evian... ». Le G.P.R.A. accepte d'être appelé F.L.N. dans le communiqué
français, mais entend en fait être considéré comme le seul représentant du
peuple algérien. Passant sur un détail de forme, il se révèle d'emblée
intraitable sur le fond. Près de deux mois furent nécessaires pour rétablir la
situation. Le 20 mai, la première réunion se déroule enfin dans une ambiance
nouvelle.

Le Gouvernement français s'est ingénié, après l'expérience de Melun,


à trouver une formule qui lui permette, sans démentir son point de vue sur
le G.P.R.A., de traiter ses envoyés de telle sorte qu'ils ne puissent se plaindre
d'une inégalité quelconque. Il y est parvenu grâce à un choix judicieux du
lieu de rencontre, grâce aussi au ton des débats qu'a su définir, dès la
première rencontre, M. Joxe. Evian puis Lugrin ont été évidemment proposés puis
acceptés d'un commun accord à cause de la proximité de la frontière suisse.
Les délégués du G.P.R.A. reçoivent sur le sol français un accueil qui est
sensiblement le même que celui de la Préfecture de Melun : arrivée en
hélicoptère, absence de poignée de mains, pas de contacts avec la population
française ni avec les journalistes. Mais, aussi souvent qu'ils le désirent, ils
traversent la frontière; sur le sol suisse, ils retrouvent une pleine liberté
de manœuvre et peuvent donc rencontrer qui ils veulent et tenir des
conférences de presse. En cours de débats, le ton paraît avoir été celui d'une
correction froide et sèche, mais dénuée d'outrances et de violence. Les deux
chefs de délégations s'appellent Monsieur le Président et parlent de leurs
« collaborateurs » réciproques.
Le formalisme irritant de Melun a disparu, ou du moins est relégué au
second plan; sans faire de concession sur les principes, le Gouvernement
français y est parvenu par un remarquable effort de compréhension et aussi
d'imagination pour trouver chaque fois que nécessaire la solution qui permet
au G.P.R.A. de considérer qu'il est traité en gouvernement sans qu'à aucun
moment cette reconnaissance ne soit expressément formulée. Cette étonnante
acrobatie du protocole était possible avec l'accord tacite des deux délégations;
mais si cette partie de cache-cache a pu se jouer sur le plan de la procédure,
elle était impossible sur le fond du problème.

Les positions en présence sont en apparence très proches depuis


l'acceptation de part et d'autre de l'autodétermination et l'option du Gouvernement
français pour l'Algérie algérienne (19), En réalité, les entretiens de Melun
découvrent des divergences graves qui peuvent se résumer comme suit :
(19) C'est le 14 juin 1960, juste avant les entretiens de Melun que le Général de Gaulle
s'est prononcé en faveur de l'Algérie algérienne et c'est par son discours du 4 novembre qu'il
décide d'en entreprendre la réalisation.
OU DÉGAGEMENT EN ALGÉRIE 849

Alors que le G.P.R.A. se considère comme un gouvernement au sens


international du mot et estime devoir traiter à égalité avec le Gouvernement français,
ce dernier ne lui reconnaît que le caractère d'organisation extérieure de la
rébellion. Le G.P.R.A. estime donc avoir vocation pour régler l'ensemble du
problème algérien; au contraire, dans une première phase, le Gouvernement
français ne veut discuter avec lui que le problème du cessez-le-feu et
n'accepte de lui reconnaître une représentativité politique qu'en fonction des
résultats du referendum sur l'autodétermination. Pour qu'une nouvelle
rencontre ait quelque chance de réussir, il fallait évidemment que les positions
respectives se transforment de façon à ménager des points de contact.
Du côté français, les concessions ne sont pas négligeables. D'abord, le
Général de Gaulle précise la position française sur le sort futur de l'Algérie.
Sans doute, depuis la définition de l'Algérie algérienne, rien n'excluait plus
l'indépendance de l'Algérie; le mot cependant n'avait jamais été prononcé.
Il le sera au cours des pourparlers le 28 juin 1961 dans un discours prononcé
par le Chef de l'Etat à Verdun, puis le 12 juillet dans une allocution
radiodiffusée où il sera question d'« Etat entièrement indépendant». En second
lieu, le Gouvernement français ne limite plus la discussion au cessez-le-feu
et aux questions militaires; il accepte de traiter avec les émissaires du
G.P.R.A. des problèmes politiques; il consent à ce qu'aucun ordre du jour ne
soit fixé pour qu'aucune priorité ne soit donnée aux discussions sur le cessez-
le-feu; il accepte de causer sans que les couteaux aient été déposés au
vestiaire puisque c'est unilatéralement que la France décide la trêve,
espérant seulement que son exemple serait suivi. Dans une troisième concession,
à la suite de la violente réaction nationaliste du 31 mars, le Gouvernement
français admet de ne négocier qu'avec le seul G.P.R.A. Cédant une nouvelle
fois aux instances du F.L.N., le Général de Gaulle annonce dans sa
conférence de presse du 11 avril 1961 que dans le cas où les conférences
s'engageraient effectivement, Ben Bella et ses compagnons verraient modifier le
régime auquel ils sont actuellement soumis et auraient un régime
considérablement plus libéral; la promesse se réalise le jour de l'ouverture des
pourparlers par le transfert des prisonniers au château de Turquant où ils
peuvent recevoir des visites et communiquer avec l'extérieur par téléphone.
Concrétisant son désir de paix, le Gouvernement français prend enfin deux
mesures destinées à détendre l'atmosphère : la libération de 6 000 internés
et une trêve militaire d'un mois. Durant toute cette période, l'attitude du
Gouvernement français semble avoir été guidée par le souci de ne rien faire
qui puisse bloquer les négociations. Il s'est efforcé au contraire d'assouplir
ses positions par rapport à ce qu'elles paraissaient être précédemment.

Dans le même moment, le G.P.R.A. paraît avoir profité des dispositions


conciliantes de la France pour tenter de marquer des points en affirmant ses
850 NÉGOCIATIONS

positions chaque fois que la souplesse des négociateurs adverses lui en


donnait l'occasion. Profitant de son caractère collégial, il lui est facile de lancer
des ballons d'essai pour éprouver les lignes de résistance des positions
françaises. C'est ainsi que l'un des émissaires, M. Boumendjel, avant même
l'ouverture des pourparlers, déclare à un journal espagnol : « Si vous entendez
par négocier quelque chose comme transiger, vous êtes dans l'erreur. Nous
n'accepterons pas l'indépendance par étapes, ce que certains périodiques
appellent le « Bourguibisme ». L'indépendance est un objectif immédiat. La
formule par degré n'aboutit qu'à la dégradation de l'enthousiasme.
Indépendance progressive est synonyme d'indépendance incomplète. Nous ne
légitimerons rien, rien, rien de l'œuvre du colonialisme. La légalité raciste,
l'analphabétisme et la dégradation morale ne peuvent être compensés par
aucune réalisation spectaculaire... La collaboration avec la France, ce sera
toujours, ou du moins pendant longtemps, équivoque et dangereux... Je ne
vois pas de collaboration possible » (19 bis) .
Profitant de la première suspension des pourparlers, M. Ferhat Abbas
entreprend une tournée diplomatique au cours de laquelle il affirme
solennellement le caractère global et intangible des revendications formulées par
le G.P.R.A. Au cours d'un « meeting de solidarité avec le peuple algérien »
organisé à Casablanca, le Président du Gouvernement provisoire s'écrie :
« En ce jour historique, nous prenons à Casablanca la résolution que jamais
l'Algérie ne cédera sans la reconnaissance de son indépendance totale et de
son intégrité territoriale ».
Et pour qu'il n'y ait aucun doute sur la signification de ce programme,
le jurisconsulte du G.P.R.A., l'un des experts d'Evian, publie un ouvrage
intitulé « La révolution algérienne et le droit » (20) qui énonce avec toutes
les précisions souhaitables la construction juridique imaginée par le G.P.R.A.
Aucun document issu du nationalisme algérien ne donne davantage le
sentiment du dogmatisme. La construction est d'autant plus rigide qu'elle s'est
durcie dans la souffrance. La thèse monolithique n'est pas proposée, elle est
imposée; il n'est pas question que la France puisse en discuter une
proposition. Comme s'il voulait renforcer à coups d'arguments juridiques les
malheureuses déclarations de M. Boumendjel, l'auteur énumère avec une jubilation
cruelle « les savoureuses contradictions » de l'impérialisme colonialiste
français. Et pour que rien ne subsiste de la souillure, c'est en 1830 qu'il fait
remonter l'analyse (21) .
Cette tactique d'intransigeance a permis — on le sait — l'élimination de
contacts simultanés entre le Gouvernement français et le M.N.A. Encouragé
par ce succès, le G.P.R.A. a cru pouvoir persévérer dans cette attitude et
pas un instant n'a admis, même à titre provisoire, la concession qui devait

(19 bis) Cf. Le Monde, 20/5/1961.


(20) Mohamed Bedjaoui, La révolution algérienne et le droit. Bruxelles, 1961.
(21) Cf. le compte rendu de cet ouvrage dans cet Annuaire français, infra.
OU DÉGAGEMENT EN ALGÉRIE 851

permettre à la négociation de se nouer. C'est ainsi que ne voulant voir dans


la trêve unilatérale qu'une habileté calculée et refusant de considérer qu'il
pouvait s'agir aussi dans cette guerre de terrorisme d'un geste de courage et
de bonne volonté, le G.P.R.A. a tourné en dérision la décision de la France.
Il ne l'a peut-être pas fait de gaieté de cœur, mais il n'a pas hésité à sacrifier
des vies humaines pour affirmer qu'il ne saurait y avoir de cessez-le-feu
sans son accord. Avec le terrorisme, la démonstration était facile; elle a été
conduite avec succès; pour le premier mois de trêve, elle a coûté la vie à 304
personnes et a fait 531 blessés (22).

B. — Echec des pourparlers.

Ainsi peut s'expliquer la première suspension demandée par la France.


En effet, après 13 séances et 40 heures d'exposés qui constituent ce qu'on
appelle la phase exploratoire, les principaux points de friction sont mis en
lumière. Pour éviter que l'intransigeance du G.P.R.A. ne bloque
irrémédiablement les entretiens sur l'un des points litigieux, la délégation française décide
un délai de réflexion qui est aussitôt présenté comme une rupture unilatérale
par les délégués du F.L.N. (23).
A la reprise des pourparlers, M. Louis Joxe propose une nouvelle méthode
de travail dont le but est d'envisager simultanément tous les aspects des
problèmes en suspens pour que toutes les préoccupations de l'un puissent être
prises en considération par l'autre. Les séances plénières pourraient
s'accompagner de commissions mixtes spécialisées et de rencontres en tête à tête. De
son côté, le G.P.R.A. élabore un ordre du jour en 5 points présentés dans un
ordre numéroté : 1) les garanties de l'autodétermination et son champ
d'application, 2) la période transitoire, 3) les garanties à offrir aux Européens
d'Algérie, 4) les perspectives de coopération entre l'Algérie et la France,
5) les modalités techniques du cessez-le-feu. M. Louis Joxe tente alors de
rapprocher les deux méthodes proposées en suggérant de constituer cinq
commissions correspondant aux cinq points du projet d'ordre du jour et en
acceptant que l'on prévoie à la fois des séances plénières destinées à guider
les travaux des experts et des réunions de commissions.
Le 25 juillet au soir, un accord de principe paraît être réalisé sur les
méthodes de travail entre les deux délégations; on ne tarde pas à s'apercevoir
qu'il repose sur un malentendu. Le principe des commissions ayant été admis
par le F.L.N., les négociateurs français en ont conclu qu'il est d'accord sur
l'examen simultané des problèmes afin de faire avancer toutes les questions
à la fois, sans buter sur l'une d'entre elles. En réalité, le F.L.N. continue à
penser que les questions relevant d'une rubrique ne pourraient être confiées

(22) Déclaration de M. Jean Morin le 17 juin. Le Monde, 18-19/6/1961.


(23) Cf. l'exposé de M. Redha Malek à Genève le 13 juin. Le Monde, 15/6/1961.
852 NÉGOCIATIONS

à la commission que lorsque tous les points de cette rubrique auraient été
examinés en séance plénière et qu'un accord global serait intervenu. C'était
une fois de plus se refuser à toute concession. Partant sur ce malentendu,
M. Louis Joxe accepte qu'un débat préliminaire ait lieu sur le premier point
de l'ordre du jour avant que les commissaires puissent s'en saisir. La
discussion butte sur l'obstacle du Sahara, dès la première séance, le 27 juillet;
la délégation française exprime alors le vœu qu'on laisse provisoirement de
côté ce sujet et qu'on aborde les autres questions. Le F.L.N., comprenant
que la France se refuse dans l'état actuel des pourparlers à céder sur le
problème saharien, ne veut pas aborder un autre point et préfère rompre.
Malgré tous les efforts de la délégation française, le Sahara est ainsi
devenu un « Préalable impératif ■» qu'il n'a pas été possible de dépasser. M. Joxe a
résumé cette situation ainsi : « Sur tous ces sujets (ceux de l'ordre du jour
proposé) les représentants du F.L.N. s'étaient déclarés prêts à discuter, à
rechercher les formules d'entente, à essayer de réduire les difficultés. Or,
dès la première séance de travail, ils se sont arrêtés au mot « Sahara », ils
ont refusé d'aller plus loin avant que satisfaction leur soit donnée, c'est-à-dire
que leur soit reconnue immédiatement la souveraineté sur le Sahara » (24) .
Cette attitude est conforme à la rigidité que le G.P.R.A. manifeste depuis son
existence dans la défense de ses thèses. Elle est aussi conforme à la technique
du préalable qui jusqu'à présent lui a parfaitement réussi (25).

C. — Le dégagement.

Depuis le 28 juillet et malgré le remplacement de Monsieur Ferhat Abbas


par Monsieur Ben Khedda, le G.P.R.A. n'a en rien modifié ses positions et
s'est contenté de rejeter l'échec des pourparlers sur le Gouvernement
français. Si on laisse de côté le grave problème des minorités européennes qui n'a
jamais encore fait l'objet de véritables discussions, le désaccord paraît porter
essentiellement sur deux points. Le premier est le Sahara sur lequel le
G.P.R.A. estime qu'il ne peut y avoir négociation puisqu'il fait partie
intégrante de l'Algérie. Le second touche au statut du G.P.R.A. qui avant même
l'autodétermination voudrait voir le Gouvernement français reconnaître sa
représentativité.
Décidé à mettre un terme à la guerre d'Algérie, les derniers discours du
Général de Gaulle apportent certaines précisions qui indiquent la volonté de

(24) Allocution radiodiffusée du 1er août 1961.


(25) Les renseignements sur les entretiens d'Evian et Lugrin proviennent des
communiqués officiels des deux parties et de la presse. Signalons en outre une version, intéressante
parce qu'inspirée, de ces négociations donnée par M. Shukairy dans son discours du 15
décembre à la lre commission de l'Assemblée générale des Nations Unies : « Ce qui s'est
passé à la Conférence d'Evian n'a été connu de personne. Les Nations Unies n'ont nullement
été informées. Le représentant de la France ne se trouve pas ici et son pays n'a pas présenté
de rapport aux Nations Unies concernant les négociations que celles-ci avaient recommandées;
nous considérons donc qu'il est de notre devoir d'informer l'Organisation sur ce qui s'est
passé à la Conférence d'Evian... ».
OU DÉGAGEMENT EN ALGÉRIE 853

sortir de l'immobilisme. Parlant du Sahara dans sa conférence de presse du


5 septembre 1961, le Chef de l'Etat a déclaré : « Les réalités, c'est qu'il n'y a
pas un seul Algérien, je le sais, qui ne pense que le Sahara doive faire partie
de l'Algérie, et qu'il n'y aurait pas un seul gouvernement algérien quelle que
soit son orientation par rapport à la France qui ne doive revendiquer sans
relâche la souveraineté algérienne sur le Sahara... ». Cette reconnaissance du
caractère algérien du Sahara paraît lever le premier obstacle.
Le problème de la représentativité est certainement celui qui inquiète le
plus le G.P.R.A. Dans l'impossibilité pratique de faire la démonstration de
son caractère représentatif, le G.P.R.A., sous des affirmations et des certitudes,
cache mal l'inquiétude qu'il ressent à l'idée d'un affrontement avec le peuple
algérien. S'il sait comment réagiront certaines grandes agglomérations, il
ignore largement l'attitude des populations rurales à son égard (26) . Il cherche
donc à obtenir que le Gouvernement français lui cède l'appareil
politico-administratif et l'installe avec l'aide de la force publique française comme il l'a fait
dans tous les autres territoires précédemment « décolonisés ». Ainsi s'explique
la déclaration de Monsieur Ben Khedda du 24 octobre 1961 : « On peut
s'interroger si la procédure d'autodétermination n'est pas dépassée et s'il n'existe
pas un chemin nouveau, plus court et plus aisé pour parvenir à la cessation
des hostilités. Nous pensons, quant à nous, qu'il est possible aujourd'hui de
promouvoir une solution rapide du conflit et qu'il existe pour y parvenir une
méthode qui nous paraît aux uns et aux autres une économie de temps et de
sacrifice et permettrait d'instaurer immédiatement la paix. Cette méthode
consisterait à engager des négociations en vue de rechercher un accord sur
le principe, les modalités et la date de la proclamation de l'indépendance
ainsi que sur la conclusion d'un cessez-le-feu. Après quoi, de nouvelles
négociations pourraient s'ouvrir qui auraient pour objet la définition de nouveaux
rapports entre l'Algérie et la France et les garanties aux Français d'Algérie ».
Trois jours plus tard, Monsieur Louis Joxe répond à cette proposition en
confirmant la nécessité de la procédure d'autodétermination : « Ce principe
d'autodétermination est une application du principe de la liberté des peuples
à disposer d'eux-mêmes qui peut vous permettre de régler les problèmes que
nous avons devant nous y compris celui du Sahara... Ce principe est la seule
méthode qui permette d'asseoir les fondements d'un Etat démocratique en
permettant à tous de s'exprimer et en assurant un état de paix qui soit
reconnu par les uns et par les autres... Le caractère original du problème
algérien ne permet pas d'utiliser les méthodes qui ont servi pour les autres
pays d'Afrique... » (27) .
(26) Cf. Annuaire français, 1959, p. 837 et 1960, p. 989 et s.
(27) Dans sa conférence de presse du 5 septembre 1961, le Général de Gaulle avait répondu
par avance aux propositions de Monsieur Ben Khedda : « Un Etat algérien d'où peut-il sortir ?
Normalement, il ne peut sortir que de l'autodétermination, c'est-à-dire du suffrage des
habitants, parce qu'il n'existe pas de légitimité, de souveraineté algérienne, antérieure à la
conquête, à qui l'on puisse s'en remettre comme on l'a fait en Tunisie ou au Maroc. Cette
autodétermination veut dire un référendum qui instituera l'Etat algérien et ensuite des
élections d'où sortira le Gouvernement définitif... ».
854 NÉGOCIATIONS

Le Gouvernement français paraît donc maintenir sa position tant sur la


procédure de l'autodétermination que sur le statut qu'il reconnaît au G.P.R.A.
Sur ce dernier point, on peut par ailleurs relever l'expression employée par
Monsieur Joxe à la tribune de l'Assemblée Nationale, le 30 novembre 1961.
« Au surplus, je ne reconnais pas le G.P.R.A., si ce n'est comme combattant
important et ma tâche est de faire la paix — pas n'importe laquelle — avec
lui. Mais ma tâche est aussi de faire ensuite l'Algérie nouvelle, en consultant
non pas le seul G.P.R.A., mais toutes les populations algériennes en vue
d'une coopération franco -algérienne en pensant non seulement aux intérêts
de la France, mais aussi à ceux de l'Algérie de demain associée avec elle ».

Cette attitude parfaitement légitime du Gouvernement français semble


entraîner une sorte de crainte du G.P.R.A. qui l'incite à se dérober chaque
fois que la négociation est sur le point de s'engager. Le Gouvernement
français n'arrive donc pas à amorcer un dialogue sur les bases de
l'autodétermination que finalement le G.P.R.A. redoute et par conséquent cherche à
écarter — le discours de Monsieur Ben Khedda semble l'indiquer. Faute
d'arriver à négocier avec ce partenaire insaisissable, le Gouvernement
français a essayé à maintes reprises de constituer avec les élus un organisme
suffisamment représentatif pour être cet exécutif provisoire qui permettrait
la réalisation de l'autodétermination : « Seul un pouvoir provisoire algérien
peut mener le pays à l'autodétermination et aux élections; encore faut-il,
bien sûr, que ce pouvoir ait assez de consistance, assez d'audience, et aussi
qu'il se soit mis en accord avec nous sur les conditions de l'opération. On
avait pu imaginer — peut-être peut-on encore imaginer — que le F.L.N.,
pourvu que tous les combats et les attentats aient cessé, ferait partie d'un tel
organisme... Faute que cela puisse se faire, la seule source concevable d'où
puisse sortir un exécutif algérien, c'est l'ensemble des élus... » (28) . Les
tentatives du côté des élus actuels se révèlent plus décevantes encore sans
doute parce qu'ils sont eux-mêmes divisés, terrorisés et finalement peu
représentatifs. Alors, comme il faut tout de même en sortir, comme « ce dont il
s'agit c'est du dégagement » (29) , le Général de Gaulle tente une nouvelle
fois d'inciter le G.P.R.A. à prendre ses responsabilités. L'appréciation du
G.P.R.A., faite par le Général de Gaulle à Ajaccio, le 8 novembre 1961, est
en effet neuve : « Pour que cette autodétermination se produise, il est
nécessaire qu'un accord soit conclu d'avance entre le gouvernement et les
éléments politiques algériens et avant tout, bien sûr, avec les représentants de
la rébellion, qui ont avec eux la majorité des sentiments du peuple algérien ».
Que faut-il comprendre ? Sans doute que le Général de Gaulle admet que

(28) Conférence de presse du Général be Gaulle du 5 septembre 1961.


(29) Ibid.
OU DÉGAGEMENT EN ALGÉRIE 855

toute solution négociée avec les Algériens passe de toute façon par le G.P.
R.A. et que celui-ci porte dès lors une lourde responsabilité sur la façon de
mener cette ultime opération.

Faute d'avoir accepté de négocier à temps certains problèmes avec le


Gouvernement français, le G.P.R.A. risque de se retrouver prochainement en
face de ces problèmes seul, sans l'appui de la force publique française qui aura
« dégagé », et avec l'opposition de la minorité européenne qui ne se contente
pas de discours et de vagues promesses. Le terrorisme voulu et organisé par
le F.L.N. est un procédé contagieux; rien ne permet d'affirmer que le G.P.R.A.
saura lui-même arrêter son propre terrorisme le jour où il le voudra; tout
permet de penser que l'O.A.S. qui a retenu la leçon du F.L.N. ne désarmera
pas facilement. On en arrive à se demander dans ces conditions si une
négociation est encore possible. Un journaliste rappelait récemment le
communiqué britannique du 2 février 1947 : s Le Gouvernement de Sa Majesté n'est
pas disposé à continuer indéfiniment à gouverner la Palestine en raison du
fait que Juifs et Arabes ne peuvent s'entendre » (30) . C'est là aussi une
définition, et la pire, du « dégagement ».
10 janvier 1962.

LA FRANCE ET LE G.P.R.A.

Jean CHARPENTIER

L'évolution rapide de la situation en Algérie fait perdre rapidement de


leur actualité aux études qui lui sont consacrées; c'est pour mettre à jour
la note que nous avons publiée ici même il y a deux ans (1) et qui se trouve
aujourd'hui dépassée, que nous tentons de reprendre, dans son historique,
le problème de l'attitude de la France à l'égard du G.P.R.A. Nous laisserons
ainsi de côté l'analyse de la situation internationale du G.P.R.A., en dehors
de ses rapports avec le gouvernement français.
Cette situation, depuis deux ans, a pu se consolider, elle n'est pas fonda-

(30) Edouard Sablier — Quand la haine conduit au partage. Le Monde, 22/9/1961.


(1) J. Charpentier. La reconnaissance du G.P.R.A. A.F.D.I., 1959, p. 799.

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