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DES ORIGINES ET DES FONDEMENTS DE L'ESTHÉTIQUE DE HEGEL

Author(s): Victor Basch


Source: Revue de Métaphysique et de Morale, T. 38, No. 3 (Juillet-Septembre 1931), pp. 341-366
Published by: Presses Universitaires de France
Stable URL: http://www.jstor.org/stable/40897596 .
Accessed: 10/01/2015 18:18

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ET DESFONDEMENTS
DESORIGINES
DE HEGEL
DE L'ESTHÉTIQUE

Dansl'œuvresi extraordinairement richeettouffue de Hegel,les


Leçons sur V Esthétiquecomptent parmi qu'il produità la fois
ce a
de plusprofond, de plusaccessibleetde plusdurable.Si, en effet,
VEsthétiqueest solidement imbriquéedans l'architecture du sys-
tèmeet ne constitue qu'une aile de la maison de l'Être,prévueet
rigoureusement prédéterminée par le plan de l'ensemble,elle
vaut,détachéede ce plan et étudiéeindépendamment de lui, en
elle-même etpar elle-même. Dans aucunepeut-être des partiesde
sa philosophie, le géniespéculatif du grandmétaphysicien ne s'est
mariéplusheureusement à sa prodigieusefacultéd'emmagasine-
mentde faits.Et les faitsdansYEsthétique, bienque soumisà la
triplemeulede la dialectique,en sortentmoinsmutiléset moins
torturésque ceux que recueillela philosophiede la natureet
mêmela philosophiereligieuse.C'est que, dans le domainede
l'esthétique - réduit,commeon sait,parHegel, au seul domaine
-
de l'art les faits: les œuvresd'art,les chefs-d'œuvre de l'art,se
prêtentsi bien au rôle qui leur est dévolu dans le système,
accueillent si naturellement les liens par quoiils sontrattachésà
la métaphysique de l'Esprit,qu'on est tentéde se demandersi,
toutcommechez son précurseur et maîtreSchelling,cetteméta-
physique,en dépitdes lourdsmatériauxlogiquesdontelle est
construite, n'estpas, en réalité,de natureesthétique.En d'autres
termes, toute Idée,dansl'acceptionque donneHegel à ce maître-
rouage de sa doctrine, n'est-ellepas, en dernière analyse,uneIdée
La
esthétique? Raison,créatricede ces Idées qui, dans leur
marche,se cristallisent à la foisdansla sphèrede la penséepure
et dans celle de la réalité,ne participe-t-elle pas de l'essence
Rev. Méta. - T. XXXVIII (n» 3, 1931). 33

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342 HEVUE DE MÉTAPHYSIQUEET DE MORALE.

mêmedu génieartistique ? Et toutela philosophie hégéliennene


serait-ellepas, non seulementdans la Phénoménologie, dontle
caractère est
esthétique patent, mais dans toutesses parties,même
les plus abstraiteset les plus rébarbatives, un poèmed'idées :
Tépopéede l'Espritse posantdans la sphèrelogique,supposant
à lui-mêmedans la natureet revenantà lui-même,en prenant
pleinement conscience de soi et en se réalisantpleinement, sous
les espècesde l'Espritabsolu,dans l'art,la religionet philoso- la
phie?
C'estlà l'undes problèmes que soulèvel'étude,pousséeen pro-
fondeur, l'esthétique Hegel. 11en est un grand nombre
de de
d'autres,toutaussiimportants. On peutse demandertoutd'abord
d'où sa conception esthétique a jailli et quels rapportselle entre-
tientavec celles de ses prédécesseurs.Puis on peut analyser
l'Idée du Beau artistique en elle-même.On peutensuitesuivrela
prolifération l'Idée, cristallisation
de sa dans l'artet la segmenta-
tionde celui-cidansles troisformes fondamentales de l'artsymbo-
lique, de l'art classique et de l'art On
romantique. peut,aussi,
reconstituer, et il vaut la de
peine reconstituer, la conception
du
hégélienne symbolisme sous ses deux de
espèces symbolisme
inconscient et de symbolisme conscient.On peut,enfin,étudier
les différents arts,telsque les a conçusHegel,incarnant chacun,
de façonpregnante, l'une des troiscatégories- symbolisme,
classicismeet romantisme - auxquellesils obéissent,et consti-
tuantunsystème cohérent allantde l'architecture, parla sculpture,
aux artsromantiques : peinture, musique,poésie.
Une étudecomplètede l'esthétiquehégéliennedevraitexami-
nertousces problèmesdansl'ordremêmeoù je les ai énumérés
d'aprèsles Leçons.La place qui m'estdévolueici ne me permet
naturellement pas d'entreprendre ce grandtravail.Je me conten-
terai,dansles pages qui vontsuivre,d'essayerde montrer quels
sontles origineset les fondements de l'esthétique de Hegel, ce
quil'apparenteaux doctrines de ses prédécesseurs et ce qui Ten
distingue,en quoi réside l'originalité du centrede perspective
auquelil s'estplacépourdominer les faitsressortissant à la sphère
de l'art,en tantqu'incarnation de la Beauté.

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V. BASCH. - ORIGINES ET FONDEMENTS DE L'ESTHÉTIQUE. 343

I
L'Introduction des Leçonssur VEsthétiquele dit en termes
exprès: Hegelestpartide Kant,commede KantsontpartisPichte
et Schelling,et danssa philosophie générale,et dans sa philoso-
et
phie esthétique, singulièrement, de la Critiquedu Jugement
qui luia la
paru plus solide des trois Critiques^parceque recelant
les germesde sa propremétaphysique.
La philosophie kantienne est fondéesur une doubledistinction
ou plutôtsur une doubleopposition: l'oppositionentre,d'une
part,la sensbiilitéet l'entendement, et, d'autrepart,entrele
mondede la penséeet le monde des objets,ou, pourparleravec
Hegel,l'Espritet la Nature.A y regarderd'assezprès,l'ons'aper-
çoitcependantque, dès la Critiquede la Raisonpure,l'uneet
l'autrede ces deux oppositions sontsingulièrement atténuées.
c'est
Pourla première, l'imagination qui, déjà sous sa forme sen-
sible,maissurtoutdans sa fonction « productive », constitueun
intermédiaire entrenotrenaturesensibleet notrenatureintellec-
tuelle: l'imagination qui - qu'onne l'oubliepas - est la faculté
propre l'artiste,est, en dépitde son originesensible,si peu
de
l'antagoniste de l'entendement, qu'elle est,au contraire, le pion-
nier et le guide de l'entendement empiriqueet l'interprète de
l'entendement pur. En réalité,comme j'ai essayé de le démontrer
dansune étudeparuedans cetteRevuemême,l'imagination n'est
que le double,le ménechme de l'entendement «
: la spontanéité
synthétique du Moi, quand elle est inconsciente, voilà l'imagina-
tion; quand elle est consciente, voilà l'entendement ». Et pourla
secondeopposition aussi, c'est dans la même Critiquede la Rai-
sonpure que noustrouvons un essai de résolution.En effet, dans
YAppendice à la Dialectiquetranscendantale, Kantpose,à côtédu
principe de causalité, le principe de finalité, non pas, à la vérité,
commeun principeconstitutif de la Raison,maiscommeun prin-
cipe euristiqueet régulateur, dirigeantl'entendement vers « ce
foyerimaginaired'où les conceptsne partentpas réellement...,
mais qui sert à leur donnerla plus grandeunitéavec la plus
grandeextension», principequi est une Idée de la Raison*nous
permettant de nousretrouver au milieudes innombrables séries
de phénomènes qui constituent la Nature et d'envisager l'univers
commeprédéterminé parl'Intelligence suprêmepournotreintel-

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344 REVUE DE MÉTAPHYSIQUE ET DE MORALE.

licence.Il fautse rappelerenfinque, dans l'articlesurYEmploi


des Principestéléologiques dans la Philosophie , parula même
année que la Critiquede la Raison pure, Kant montreque la
causalitéest impuissanteà expliquerles organismes,ceux-ci
n'étantpossiblesque par le rapportde toutce qui est contenu
commefinet moyenréciproques.
La Critiquedu Jugement reprendet développelargement cette
conceptionqui réconciliele monde de l'Espritet celui de la
Nature,en substituant à la Raison, en tant que la faclutéh
laquelle la finalitésert de principe, la facultéde juger,Urtheils-
kraft i. Mais il y ajoute à ce qu'il emprunte à ses versionsanté-
rieuresdes élémentsnouveauxet extrêmement importants. Il dis-
tingue,à côtédu Jugement réfléchissant théorique,dontle prin-
cipe est la finalité,tellequ'elle se révèle dans la Nature, le Juge-
mentréfléchissant esthétique, dont le motifdéterminant est le
sentiment, ne pouvantjamais devenir un élément de connaissance
{Erkenntnisstück) et dontle principedemeurela finalité,mais
une finalité plus radicalement subjectiveque la finalité rendant
possiblel'application de la logique à la nature,une finalitépréten-
dumentsans fin.Prétendument, parce que, en réalité,les objets
à proposdesquelsse manifeste cettefinalité nouvelleontune fin:
celle de fairejouer de concertl'imagination et l'entendement.
C'estlà si bienunefinque Kant,aprèsavoirditet répétéavecla
dernièreénergieque le domainedu Beau est irréductiblement
subjectif, qu'il n'est dû qu'à une applicationparticulière de la
facultéde juger,finitpar reconnaître, en distinguantle Beau du
Sublime,que l'existencedu Beau dans la natureest,toutcomme
celle de l'ordrerégnantdans l'univers,« une faveur» faitepar la
natureà l'homme,à la foiscommeêtresentantet êtrepensant,
vu que cettenatureseraitparfaitement concevablesans tracede
beauté2.Voilà donc établisdes liens entrela Natureet l'Esprit

1. Kantoubliequ'il avait dit dans la Critiquede la Raisonpure que la fina-


une Idée de la Raison « des finsayanttoujoursun
lité est essentiellement
rapportà une Raison,que ce soitla nôtreou une Raisonétrangère».
2. Cf. ce textecapital : « Parmiles diversesproductions de la nature,en
peut admettreaussi la possibilitéde certainesproductionsqui aient cette
formespécifiquepourcaractère,c'est-à-dire qui, commesi elles étaientfaites
toutexprèspournotrefacultéde juger,servent,par leur variétéet par leur
unité,commeà fortifier et à entretenir les forcesde l'esprit(qui sonten jeu
dans l'exercicede cettefaculté),ce qui leura valu le nomde bellesformes.»
{Kritikder Urtheilskraft. Hartenstein,1867,t. V, p. 371.)

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V. BASCH. - ORIGINES ET FONDEMENTS DE L'ESTHÉTIQUE. 345

qui ne sontplus uniquementsubjectifs, qui ne sontplus dus à


une formeparticulière de réflexion, maisqui ontleurracinedans
le cœurprofondde la Nature,nonplus rétiveà l'Esprit,con-
traireà l'Esprit,mais accueillanteà l'Esprit,analogueà l'Esprit.
De plus,en définissant le génie « la qualitéinnée de Pespritpar
laquellela naturedonnela règle à l'art », Kant concèdeque la
Nature,le macrocosme, la Chose en soi, pénètredans l'esprit
de l'artistegénial,s'y identifie, avec ses lois,à son Moi, et que
l'essencedu mondeextérieura été appropriée, s'est appropriée
nonseulementaux exigencesde l'humaineraison,mais encore
de la sensibilité affective de l'homme,de son aptitudeà la con-
templation libre et désintéressée.
La Critiquedu Jugement faitdoncdu domaineesthétique, -
Hegelditdu Beau artistique seulement, restriction que Kantn'ad-
mettrait pas, sa recherchetablant,avanttout,sur le Beau de la
Nature- « l'unedes sphèresintermédiaires - einederMitten -
qui résolvent et réduisent h l'unité l'opposition et la contradiction
entrel'Espritreposantabstraitement en lui-mêmeet la Nature,
et nonseulement de la Natureextérieure, maisde la Natureinté-
rieure, du sentiment subjectif et de l'âme (Gemuta)ì ».
Mais Hegel reprocheà Kantde n'avoirfaitde cetteréconcilia-
tionde l'Espritet de la Naturequ'une Idée de la liaison, c'est-
à-direseulementune formesubjectivede l'Idée à laquelleon ne
sauraitdemanderqu'ilcorresponde une réalité; unpostulat,qui
peut être déduit de la Raison pratique,mais dontl'essencen'est
pas accessibleà la pensée; un devoir,ein Sollen, dontla réalisa-
tion est ajournée à l'infini ; un impératif logiqueà fondement
moral2.En concevantun entendement intuitif,une intuition
intellectuelle il
(dont a, d'ailleurs, contrairement à ce que paraît
croireHegel,contesté possibilité), a sembléréaliserl'unitédu
la il
sujetet de l'objet.Mais il s'estarrêtéà mi-chemin. Il n'a pas su
franchir définitivement les frontières de la subjectivité. Il a bien
admisla résolution abstraitede l'opposition entrele conceptetla
réalité,le généralet le particulier, l'entendement et la sensibilité,
il
mais n'a pas su faire de cette réconciliation une chosevraieet
réelle3.
1. Hegel, Vorlesungenüber die Aesthetik.« Œuvres », Berlin,1842,t. I,
p. 72 et 73.
2. Ibid., p. 73.
à. Jöia., p. 74.

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346 REVUE DE MÉTAPHYSIQUEET DE MORALE.

Concluonsqu'auxyeuxde Hegel,l'esthétique kantienne « a eu le


méritede fairedu Beau le foyeroù, ce qui partoutailleursest
séparé,est uni». Le généralet le particulier, la finet le moyen,
le conceptet l'objets'y amalgamentcomplètement. Le particu-
lier,commetel,esttoutd'abordcontingent pourlui-même etpour
le général,et c'estprécisément ce contingent - sens,sentiment,
âme (Gemüth),penchant- qui, dans le Beau de l'art,estnon
seulementsubsume1sous les catégoriesgénéralesde l'entende-
ment et dominépar le conceptde libertédans sa généralité
abstraite,mais lié au généralde façonà se révéleradéquat à
celui-ciintérieurement,et en soi et poursoi2.

Il

Voilàla porteentr'ouverte à l'Idéeobjectivée dans


et concrétisée
laquelleHegel ferase fondre,s'unirindissolublement et harmo-
nieusement le sensibleet l'intellectuel, la Natureet l'Esprit.
C'estSchillerqui imprimera à la cloisonkantienne une nouvelle
secousse. C'est lui qui, d'après Hegel,a briséla subjectivité et
l'abstraction kantiennes «
de la pensée,et a tenté de saisirpar la
pensée,et de réaliserartistiquement l'unitéet la réconciliation
commeVérité3 ». Hegelne pouvaitconnaître l'admirable esquisse
(Jui,sous le nom de Kallias, se trouve dans la Correspondance de
Schilleravec Körneret qui contientl'esthétique du
définitive
grandpoète-philosophe. Il ne tire son exposéque de quelques
poésies, du traité sur la Grâce etl'a Dignitéet surtout des Lettres
sur VÉducation esthétique.Bien qu'inférieures en richesseet
rigueursépculativesau Katlias,ces dernièresdonnaient à Hegel
ce qu'il cherchait : la conception de la Beautécommeréconcilia-
tionde la sphèredu sensibleet de cellede l'intellectuel. En effet,
en statuant qu'il est en nous deux grands instincts antagonistes:
l'instinctsensible et l'instinctformel,et en montrant que ces
deux instincts se réconcilient dans l'instinct du jeu, créateurde
l'art,Schillera réalisél'unification et l'identification- Ineinsbil-

1. Les italiques,dans ce passage et dans tous ceux où j'en emploierai,sont


dus aux auteursque je cite.
2. Loc. cit.,p, 74.
3. Ibid., p. 78.

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V. BASCH. - ORIGINES ET FONDEMENTSDE L'ESTHÉTIQUE. 347

dung,ditHegel,- des deuxmanifestations essentiellesde notre


Moi et proclaméque « c'est cetteunitéqui constitue
la réalité
l
vraie ».

III

Mais c'est Schellingqui donneà la portele coup de grâce,


Schellingqui,selonHegel,« a conçuMunite du généralet du par-
ticulier, de la liberté
et de la nécessité,de ce qui est Espritet de
ce qui est Nature,...commeprincipe, en tantqu'Idée,de la con-
naissanceet de la réalité,et reconnucetteIdée commela seule
véritéet la seule réalité2». C'est dans cetteseule phrase,à la
véritésingulièrement pleine,que Hegela résumél'esthétiquede
sonmaître.Elle méritait une étudeplus détailléeque nousallons
tenter.
C'estdansle Systèmede VIdéalismetranscendantal (1800)que
Schellinga prisconsciencede sa véritablepensée,en se libérant
en partie,sans s'en douter,par l'esthétique,de l'impérieuse
emprisede la métaphysique de Fichte,qui avaitfaitdu Moi la
substanceuniquedontla Naturen'étaitqu'unemanifestation des-
tinéeà rendrepossiblel'accomplissement du Devoir,l'avènement
du Moi moral.Sans s'en douter,puisqu'ila assignécommebutà
sonouvragede déduirela Naturedu Moi,d'affirmer le primatde
celui-cietde fairede la philosophie de la Natureun « organe» de
la philosophie transcendantale, à côté de la philosophiede This-
toireet de la philosophie de l'art.
Et il part,en effet,du Moi et montre - commele feraHegel-
quece qui, dansl'activité inconsciente et théorique de ce Moi,est,
vu du dedans,l'histoire de la conscience, devient,vu du dehors,
époque de révolution de la Nature. C'est ainsiqu'enpassantpar
le stade de la sensationet de la représentation et le stade de la
réflexion, le Moicréela matièreet les organismes. Maisvoicique
le Moi,dansle développement delui-même, en arriveà l'actelibre
où disparaît l'inconscience et surgitun mondenouveau: le monde
moral.Les rapportsentrece nouveaumondeet le mondeancien
sontle nœudmêmede la philosophie. Tous deuxétantidentiques
1. Loc. cit., p. 80.
2. Ibid. ymême page.

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348 REVUE DE MÉTAPHYSIQUEET DE MORALE.

de parleurcause génératrice - le Moi - il fautque, en dépitde


leur apparentedisparité,il y ait entreeux une harmonie fonda-
mentaleet supérieureà leursdivergences : l'harmonieentrela
naturesensibleet la natureintellectuelle, entrela nécessitéet la
liberté,entrela Natureetl'Esprit.
C'esttoutd'aborddansl'histoire que s'opèrele rapprochement,
l'histoireétantla manifestation successivede l'Absoluau coursde
laquellese réconcilient notrenaturesensibleet notrenatureintel-
lectuelle,la nécessitéde la Natureet la libertéde TEsprit.Fichte,
que Schelling,jusqu'ici,suitfidèlement, projette cetteréconcilia-
tiondansun éterneldevenir,et,partant, l'ajourneindéfiniment.
C'est ici que s'insèrela nouvelleconception de Schelling.N'y
a-t-ilpas,se demande-t-il, un pointoù la réconciliation ne soitpas
undevenir,une attente, unespoir,maisuneréalité? Et sa réponse
estaffirmative : complétant la Doctrinede la Sciencepar la Cri-
tiquedu Jugement, il découvredeuxpointsde rencontre entreles
deuxéléments antagonistes. D'unepart,le mondedes organismes
où la Nature« est finalesans avoir été produitepar la finalité
{zweckmässigohne zweckmässighervorgebracht zu werden)».
D'autrepart,l'intuition de l'artiste. Il ne suffit pas, en effet,que
la Naturenoussuggèrel'identité originellede l'activité consciente
et inconsciente dans sa finalité aveugleet mécanique,mais « la
tâcheproprede la sciencetoutentièreest de montrer comment la
raisondernière de l'harmonie le et
entre subjectif l'objectif se
réalisedansle Moi lui-même. Il fautdoncque dans l'intelligence
mômese révèleune intuition par laquelledans un seul et même
phénomène {Erscheinung) le Moi soitpour lui-mêmeà la fois
conscient et inconscient, et ce n'estque par cetteintuition que
nousexpulsonspourainsidirel'intelligence horsd'elle-même,ce
n'estque par ellequese résoudle problème toutentieret suprême
de la philosophie transcendantale, à savoird'expliquerl'harmonie
du subjectif et de l'objectif1 ».
Cetteintuition estl'intuition artistique. Le produit de cetteintui-
tionqui révéleral'identité du conscient et de l'inconscient dansle
Moi et la consciencede cetteidentité,côtoiera[wirdgrenzen),
d'unepart,les produitsde la Natureet,d'autrepart,la création
de la libertéet réunirales caractères des unset des autres.Usera
Idealismus,Œuvres, 1858,t. III,
1. Schelling,Systemdes transcendentalen
p. 610.

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unproduitde la liberté,en tantqu'ilestcrééavec conscience, et


un produitde la Nature,entantquela créationen estinconsciente,
qu'ilestl'œuvredu génie.Ses caractèressontles suivants: Io II
recèleun Infini inconscient, synthèsede la Natureet de la liberté.
L'artistegénial,obéissantà une sorted'instinct, sembleavoirmis
dans son œuvre,outrece qu'il y a misavec intention, un Infini
qu'une intelligence finie ne saurait ni
expliquer développer.
2° Toute œuvreesthétiqueémaned'unecontradiction infinie.Il
faut,par conséquent,que le sentimentqui en accompagne
l'achèvement soitle sentiment de la satisfactionaccompagnant la
résolutiond'une contradiction, sentimentqui doit passer dans
l'œuvred'art.De là cetteexpressionde calme et de grandeur
tranquille (caractères empruntés à Winckelmann) que nous cons-
tatonsdanstouteœuvred'artde grandeclasse,mêmequandelle
a à exprimerles plus hautes tensionsde douleurou de joie.
3° Touteœuvred'artpartd'uneséparation infinieen soi de deux
activités. Ces deux activités s'unissantdans l'œuvred'art,celle-ci
représente un Infinid'unefaçonfinie,ce qui constitue précisé-
mentle Beau1.
Voilà doncl'identitéfondamentale du subjectifet de l'objectif
réalisée: l'intuition esthétique estYintuitionintellectuelle objecti-
vée. « Toute philosophie, dit Schelling,partet doitpartird'un
principequi, commeprincipeabsolu,soiten mêmetempsl'Iden-
titéen soi. Un absolusimple,identique, ne se laissesaisirou com-
muniquer par une description ni, en général,par des concepts.//
faut qu'il soit aperçu. L'acte par lequel l'absoluest aperçuest
uneintuition qui devient« l'organe» de toutephilosophie. Mais
unetelleintuition, qui n'est pas sensible mais qui a
intellectuelle,
pourobjetni l'objectif ni le subjectif,maisl'Identité, qui, en soi,
n'estni subjectiveni objective,est seulement interneet ne peut
devenirobjectivepar elle-même.Il fautpour cela une seconde
intuition : l'intuitionesthétique, génératrice à la foisde la félicité
du contemplateur et de l'œuvred'art.Ce que le philosophesépare
dès la premièredémarchede la conscience, le miraclede l'arten
fait,dans ses créations, une unitédontelle renvoieles reflets:
« das wirddurch das Wunderder Kunstaus ihrenProdukten
zurückgestrahlt2. » L'artest doncce que le philosophea de plus
1. Loc. cit., p. 619 à 621.
2. Ibid., p. 625.

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350 REVUE DE MÉTAPHYSIQUE ET DE MORALE.

précieux, parcequ'il lui ouvrele sacro-saint où, dans une union


éternelleet originelle, brûledans une mêmeflammece qui est
séparédansla Natureetdansl'histoire, etce qui,dansla vie,dans
l'actionet dansla pensée,se fuitéternellement1. »
L'intuitionintellectuelle esthétique,touten identifiant la Nature
etl'Esprit,appartient, en à
cependant, propre l'Esprit. Mais Schel-
ling n'oublie pas la Nature. Après avoir rapproché, grâce à l'in-
tuition esthétique, l'Espritet la Nature, il s'efforce de rapprocher
la Naturede l'Art.Il montred'abordque si le Moi est capablede
produire, de par uneactivitéinconsciente, la Nature,c'est grâce
à l'imagination. Le génie poétiquen'estqu'une manifestation de
cetteactivitésuprême,si bien que la différence entrele Moipra-
tiqueetle Moiproduisant la Naturen'estqu'unedifférence de degré.
« Ce que nousappelonsNature», écrit-il, « estunpoèmedontl'écri-
turemystérieuse et merveilleuse nousestfermée. Maisl'énigmese
dévoileraitsi nous y reconnaissions l'odyssée de l'Espritqui,
miraculeusement abusé,se cherchant lui-même, se fuitlui-même:
carà traversle mondedes senstransparaît le mondede la fantai-
sie auquel nous aspirons,commeà traversles motstransparaît
leursignification2. » La Nature,il estvrai,n'estla représentation
de l'Infinique danssa totalité, tandisque touteœuvred'artparti-
culièrereflète, à elle touteseule,cet Infini.Mais,d'autrepart,il
fautse représenter le mondede l'art,ainsique l'Univers, comme
un grandTout,commeuneœuvred'artabsoluequi, en dépitde
sa diversité, estun.
L'art- manifestation suprêmede l'Esprit,Cosmosétroitement
apparenté à la Nature - est,de par l'intuition esthétique, dontil
a jailli,nonseulement a l'organe» nonseulement « le document »,
maisla sourceprofonde de toutephilosophie. Et cettephilosophie,
néede l'art,reviendra « à l'océanpoétiquedontelleestsortie.L'in-
termédiaire de ce retourde la philosophie à la poésiesera la my-
une
thologie, mythologie qui ne sera pas l'invention d'unpoète,
mais d'unenouvellegénération qui fera en quelque sorte de
office
poète. »
Jusqu'àprésent, le Système de VIdéalismetranscendantal reste,
malgrétout,sous le signede l'égocentrisme de Pichte.C'est du
Moi qu'est partitoutle mouvement que nousavons décrit.Les
l. Loc. cit., p. 628.
2. Ibid., même page.

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V. BASCH. - ORIGINES ET FONDEMENTSDE L'ESTHÉTIQUE. 351

moments et les loisde ce mouvement ontétéles moments et les


lois de son développement. Et l'intuition esthétique elle-même
n'estque l'incarnation suprêmede ce Moi danssoneffort de conci-
liersonactivité inconsciente, à quoi estdue la Nature,et sonacti-
vitéconsciente, qui donne naissance au mondedel'Esprit.L'artest
un intermédiaire, eine Mitte,commedit Hegel, entreles deux
mondes,maisunintermédiaire qui, émanantde l'un d'entreeux
- l'Esprit - lui restesubordonné, commesubordonnéelui
demeurela Nature.
Dans la dernièrepartiedu Système, il ne se libèrepas encore
complètement du fichtéanisme. Mais préparesa libérationen
il
montrant que ce n'estpas du subjectif, du conscient, de l'Esprit,
que doit la
partir penséephilosophique, mais de l'ojbectif, de Tin-
conscient, de la Nature,étape préparatoire et nécessaire de sa
philosophie définitive le de
d'aprèslaquelle point départ de la dia-
lectiquene doitêtreni l'Espritni la Nature,mais leuridentité:
rÈsprit-Nature. Le Moidontil avaitdéduitle mondeétaitle Moi
produisant inconsciemment. Or le Moi, en tant qu'inconscient,
n'estpas immédiatement Moi,car le sujet-objetn'est Moi qu'en
tantqu'ilse reconnaît commetel.Or,ce Moi inconscient quipré-
cède le Moi conscientet que, par conséquent,celui-cisuppose,
estprécisément la Nature.
Doncle Moi conscient estpostérieur et c'est de la Naturequ'il
fautdéduirele Moi et noninversement. Il s'agit donc de cons-
truirela Nature,nonplus en partantdu Moi,maisen aboutissant
au Moi,à la Raison: dansl'homme,la Nature,se dépassantelle-
même,se haussejusqu'àla Raison,età la philosophie de la Nature
succèdela philosophie de l'Esprit.
D'aprèscetteconception nouvelle,la philosophietranscendan-
tale, la Doctrine de la Science,la Wissenschaftslehre, n'estplus
que le péristyle de la philosophie, n'en est que l'introduction
formelle.
La premièrepartie,ayant pour objet le Moi pur, incon-
scient,la Nature,constituele domainede la Physiqueou la
philosophiede la Nature.Ensuite,en suivantl'évolution de la
Nature, on s'élève au à
Sujet-Objetconscient, l'Esprit : c'est la
sphèrede l'Éthique.Enfin,Physiqueet Éthique,dans leursyn-
thèse,créentla Poétique.C'esten elle que le Sujet-Objet,posé
par la Doctrinede la Sciencefichtéenne, se réalise.La Nature

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formecommeune échelledontle dernieret suprêmedegréest


l'œuvred'art1.
La DarstellungmeinesSystemsder Philosophie(1801)réalise
la déviation du fichtéisme préparéepar le Systèmede VIdéalisme
transcendantal : l'idéalismetranscendantal devient la philosophie
de l'identité. La dialectique de l'êtrepartnonplus du Moi et ne
partpas nonplus de la Nature,maisde la Raisonabsolueen tant
qu'indifférence du sujet et de l'objet.L'Universdans sa totalité,
inconnaissable pourKant et pourFichte,estle commencement et
la finde la philosophie.L'identitédu sujet et de l'objetréalisée,
d'après le Systèmede l'Idéalismetranscendantal, dans la seule
œuvred'art,n'estplusla finviséeparla philosophie, maisc'en est
le pointde départ.Ce qui,jusqu'ici,étaitl'œuvrepropredu génie
- la réalisationde l'indifférence du sujetet de l'objet,de l'unité
du conscientet de l'inconscient, de l'identité de l'Espritet de la
Nature- devientcelle de la Raison.C'est direque Schellinga
« esthétisé» toutela philosophie, que la Raison absolue n'est
que le génieabsolu,l'Univers le produitde cetteRaisongénialeet
la véritableconnaissance une sorted'intuition intellectuelle esthé-
tique.
Une foisle pointde départde la philosophie conçucommeindif-
férencedu sujet et de l'objet,commeidentitéde l'Espritet ¡dela
Nature,il restaità Schellingd'appliquercetteconception à l'esthé-
tique . C'estl'ojbet de Bruno (1802), de la leçon XIV des Leçonssur la
MéthodedesÉtudesacadémiques(1803), au Discours sur le rap-
portdesArtsdu dessinavecla Nature(1807)et,enfin,dela Phi-
losophiede l'Artycoursfaiten 1802-1803, à léna, répétéà Würz-
burg en 1804 et 1805, mais publié seulement, d'aprèsle manuscrit,
aprèsla mortde Schelling,en 1859.
L'essentielde la doctrine se trouvedans Bruno.La beauté est
identiqueà la Vérité: à une Vériténonpas accidentelle, impar-
faite,finie,temporelle, relative à l'homme, mais universelle, par-
faite,infinie, éternelle, relative à Dieu, « nous permettant con-
de
naîtreles choses,tellesqu'elles sont préformées dansl'Espritcréa-
teurd'archétypes dontnousn'apercevons, dansnotreesprità nous,
- -
que les copies2». Ces archétypes les Idées platoniciennes
sont,en quelquesorte,les filset les enfants immédiatsde Dieu,
1. Bruno,Œuvres, 1859,t. IV, p. 220.
2. LOC. Cit.yp. 630 à 634.

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vers lesquels,« commeil est dit dans l'Écriture,les créatures


aspirent». Parmices Idées,la Beauté,« expression extérieure de
la perfection organique, atteintà la perfection absolue, étant indé-
pendantede toutefinextérieure et valanten elle-même en dehors
de touterelationavec les objetsextérieurs1 ». Aussi ces objets
ne peuvent-ils devenirbeauxque par leurconceptéternel,« la
Beauté étant le commencement, le positif,la substancedes
choses». Tout de même,une œuvred'artn'estbelle que par sa
vérité: « la Beautésuprêmeet la Véritéde touteschoses sont
contemplées dansune seuleet mêmeIdée2 ». Si, néanmoins, des
œuvresfinies,crééesparun individufini,peuventatteindreà la
perfection et à la Beauté, c'est que « l'éternel,se rapportant à
toutesces chosespar leursconceptséternels,il se communique à
l'individu créateur par le conceptéternelde l'individuen Dieu,et
estunià l'âmecommel'âmeestunieau corps3 ». Ce qui permetà
l'homme imparfait et finide s'éleverà la visionde l'Idée du Beau,
c'estl'unionde l'intuition et de la pensée.Toutconcept,objetde
la pensée,indiquant un Infini, ettoutechoseparticulière, objetde
étant
l'intuition, finie, l'union du concept et de l'intuitionentraîne
celledu finiet de l'infini. Toutephilosophie vise,en dernièreana-
lyse,à incarner l'Infini dansle finiet le finidans l'Infini.L'union
s'opèredansl'Idée. « L'Idée, en effet, se distinguedu concepten
ce que celui-cin'estqu'infini et s'opposeà cause de cela immédia-
tementà la multiplicité, tandisqu'elle unitmultiplicité et unité,
finiet Infiniet est totalement indifférente à l'un et à l'autre...
L'objetunique de toutephilosophie sera donc ridée des Idées,
c'est-à-dire celle en quoi s'exprimel'indissolubilité du multiple et
de l'un,de l'intuition et de la pensée.La naturede cetteunitéest
celle de la Beautéet de la Véritéelles-mêmes. Car estbeau ce en
quoi le général et le particulier, le genre et l'individu sontaussi
unis
inséparablement qu'ils le sont dans les corps des Dieux4».
L'organequi permet à l'homme d'appréhender et de contempler
le Beau restedonccetteintuition intellectuelle esthétique qu'avait
découverte et définiele Systèmede l'Idéalismetranscendantal.
Maisle Beau lui-même est devenu,commela philosophie « le pur

i. Loe. cit., p. 224.


2. Ibid., p. 227.
3. Ibid., p. 229.
4. Ibid., p. 242 et 243.

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sujet-objet, la connaissance absolue,le Moi absolu,la formede


toutesles formes, le Fils immanent à l'absolu,coéternel à lui,non
"différent de sonêtre,maisun aveclui. Etceluiquipossèdele Fils,
possèdeaussile Père; ce n'estque parle premierqu'onparvient
au secondet la doctrine qui émanede l'unest la mêmeque celle
qui découle de l'autre1. »
La Philosophie deV]Art- dontilestpeuvraisemblable que Hegel
-
Faitconnue part,commele Bruno,de l'Absoluunetindivisible,
maispouvantêtreenvisagésous certainesdéterminations - les
puissances(Potenzen)- quicréent,au seinde sonunité,la multi-
plicité,maisune multiplicité purement idéelle.L'objetproprede
Fartestde représenter cetAbsoluun et infinicommechoseparti-
culièreet finie, dans des objetsfiniset particuliers. En y visantet
et en y réussissant, Fartremplit la tâchemêmede la philosophie.
L'une et l'autreincarnent l'archétype, Fidée,la philosophie, celle
de la Vérité,l'art,celledu Beau. Le difficile problèmeque l'esthé-
tiqueainsiconçuea à résoudre,c'est d'expliquercomment l'Un
peut devenir multiple, comment du Beau général etabsolu peuvent
émanerdes chosesbelles,particulières et finies.La philosophie le
résoudpar la doctrinedes Idées ou des archétypes. Elle enseigne
que « l'Absoluestun, et que cetteunité,contemplée absolument
dansdes formes particulières de manière que Funité ne soitpas
abolieparelles,estFidée ». Il en estde mêmede Fart.Lui aussi,
il n'envisagele Beau essentiel(Ursehone)que dans les Idées,
comme des formesparticulièresdont chacune est divine et
absolue.La seuledifférence c'est que, si, pourla philosophie, les
Idées apparaissent tellesqu'elles sontensoi, pourFart,elles son!
réelles(real). En tantqu'ellessont envisagéescommeréelles,les
Idéessontla matièreuniverselle et absoluede Fartdontles œuvres
jaillissent,tellesque « des plantesparfaites ». « Ces Idées réelles,
vivantes etexistantes, sontles Dieux; « la symbolique généraleou
la représentation générale des Idées, en tant que réelles, est
la
donnéepar mythologie», et c'est la construction de cette
mythologie qui résoudle problèmeque Schellinga soulevé.En
effet, les Dieuxde toutemythologie ne sontpas autrechoseque
« les Idées de la philosophie, mais envisagéescommeobjectives
et réelles2».
1. Loc. cit., p. 327.
2. Philosophie der Kunst, « Œuvres », 1859,t. V, p. 369 et 370.

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Voilàle cycleparcouru.AprèsavoirvuSchelling déduirele Beau


du Moi,en avoirfaitTundes moments du développement de ce
Moi et Favoir faitparticipreau mouvement et à la vie du sujet,
nousle voyonsaboutirà un mysticisme esthétique statiqueselon
lequella BeautéestuneIdée platonicienne, la cause de toutart,la
la de
Divinité, représentation l'Absolu, « avecl'indifférenceabsolue
du généralet du particulier dans le particulier, un symbole1».
L'Idée du Beau n'estdoncplusvivante, agissante,mouvante, mais
c'est « l'un des troisArchétypes correspondant aux troispuis-
sancesde la vie réelle et idéale2» qui, tels des gemmes,sont
incrustés, immobileset immuables,dans l'Absolu,éblouissentle
contemplateur de leur éclat,mais sontveufsde chaleur,de force
agissante,de dynamisme.

IV

Nousvoicienfinà l'esthétique de Hegel. Cetteesthétique,nous


l'avonsditau débutde cetteétude,n'estqu'unepartiedu système,
n'est qu'uneaile de la maisonde l'Être,telle que l'a conçuele
grandmétaphysicien, aile édifiéed'aprèsles idéesmaîtresses etle
plande l'ensemble.C'esttoutd'abordcetensemble,la philosophie
généralede Hegelqu'il fautreconstituer en bref,et y insérer,à la
bonneplace, sa conception du Beau, pourpeu qu'onveuillecom-
prendrevraiment et apprécier celle-ci.
C'estde Schellingqu'ilest parti: lui-même le proclamehaute-
mentdanssonpremierécritphilosophique. Différence entreles
systèmes de Fichte et de Schelling(1801),où, avant de s'aventurer
dans de nouveauxcontinents d'idées,il s'orienteparmiceuxqu'a-
vaientdécouverts et explorésses prédécesseurs.Le maître-prin-
cipe de toutespéculation - l'identitédu sujetet de l'objet, du
conscient et de l'inconscient, de l'Espritet de la Nature- que
Kantet Pichte,qui l'avaientpressenti, n'avaientpas osé réaliser,
engoncésqu'ils sont restés dans leursubjectivisme, c'estluiqui l'a
hardiment posé au seuilde la philosophie. Mais à SchellingHegel
nes'estpasarrêté: c'esten passantpar sa métaphysique, maisen
1. Loc. cit., p. 406.
2. Md., p. 382.

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s'en libérant,que, d'unpas lentet lourd,mais sûr,il est allé à sa


visionproprede l'universet de la pensée.
Si Schelling-
a substitué au dualismekantienet au subjectivisme
fichtéen l'identité,non plus commeun idéal inacessible,mais
commeune réalitéobjective,il a conçu cette identitécomme
Yindifférence de la pensée et de Tètre,de l'Espritet de la
Nature, comme une Idée platonicienne, figéeet morte.L'œuvre
de a
propre Hegel été de doterl'Absolu,conçucommeidentitéde
la penséeetde l'être,de vie,de cettevie qui, dès le Fragmentde
systèmede Francfort,occupeune place prépondérante dans ses
méditations, de la vie qui est scission,bataille,opposition, contra-
diction, maisaussi retour à l'unité et à la réconciliation,synthèse
des oppositionset des contradictions. La synthèsesuprême-
l'Absolu- ne doitpas êtrepétrifiée dans unau-delà: la tâchedu
philosophe consiste à « poser l'êtredans le non-être commedevenir,
la scissiondans l'Absolucommemanifestation de celui-ci,le fini
dans l'Infinicommevie ». La véritén'est pas un être une
foispourtoutesdonné,maisc'estun processusdialectique,« un
mouvement par lequell'Êtrese posesoi-même ou la médiation de
ses auto-modifications {Sichanderswerden) avec soi-même », « un
devenirde soi-même, le cercleimpliquant son achèvement comme
sa finet son commencement, et dontla réalitén'estdoncque ce
développement et cet achèvement ». Aussi l'Absoluauquel elle
atteintne peut-ilse concevoirque comme processus,comme
mouvement, comme une réalisationprogressivede soi-même
(Sichselbstwerden), commenon pas un objet immobile,mais
commeun sujet se cristallisant dans l'être,à mesurequ'ilmani-
festeses virtualités, en un mot,commeEsprit {Geist). Hegel,
plus radicalement encoreque Schelling,romptavec l'opposition
kantienneentrel'existencesensibleet la pensée,en les dissol-
vant,en les mettant en mouvement et en fusion, en faisantd'elles
des automotions, des cercles,des existencesspirituelles se con-
densanten particules d'être.L'élémentdernierde la philosophie
n'est donc pas l'abstrait,mais le concret,se posant soi-même,
vivanten soi-même: l'êtredans son concept.La penséel'appré-
hendeet le fixedans un « vertigebacchiquedonttousles élé-
ments sont ivres, et qui, dissolvantimmédiatement chaque
élémentdèsqu'ils'isole,est le calmetransparent et simple».
Au demeurant, la métaphysique de Hegelestla synthèse de celle

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de Fichteet de Sehelling.Elle adoptela conception schellingienne


de Tintuition intellectuelle dans laquellese réconcilient, s'unis-
sent,s'identifient l'inconscient et le conscient, la sensibilité et la
pensée,la penséeet Tètre,l'Espritet la Nature.Mais cetteunité,
cetteidentité, il ne la conçoitpas commedonnée,maiscommese
créantet se réalisant,non pas commefigée et pétrifiée, mais
en et en
comme dissolution fusion, pas non comme immobile, mais
commetoujoursen mouvement, non pas commemorte,mais
commevivanteet toujoursen gésine. Ce qui est direqu'ilconfère
à l'Absoluoù cetteidentité en marchese réaliseet qui estêtreen
mêmetempsqu'esprit, sujeten mêmetempsqu'objet,sujet-objet
etobjet-sujet, la vie etle mouvement du Moifichtéen et le rythme
à troistempsque Fichteavaitimpriméà cettevie et à ce mou-
vement.
Au commencement doncest Tètrequise développeen se posant,
en supposantà lui-même et en réconciliantla positionetTopposi-
tionqui,toutesles foisqu'aprèsque la thèseet l'antithèse se sont
fonduesdans la synthèse, recommence à se poser,à s'opposeret
à se réconcilier à nouveauavec soi-même, qui,par et dans ses
rotations autourde lui-même, créeles troisrègnesde la Logique,
de la philosophie de la Natureet de l'Esprit,de l'Espritqui passe,
lui aussi,par les troisstadesrituels,commed'abordl'Espritsub-
jectifdontlesdomainessontl'anthropologie et la phénoménologie,
l'Espritobjectif,créateurdes sphèresdu Droit,de la moralité
subjectiveet objective,de la sociétébourgeoise,de l'État et de
Thistoire universelle et, enfin,l'Espritabsolu dontémanentles
de
empires Tart, de la religionet de la philosophie.
Quelleestla naturedu premier de ces empires? En quoi consiste
le domainede Tart,ou,plusexactement, du Beau artistique, seule
formedu Beau donttraiteHegeldans son Esthétique,le Beau de
Tart,« né et ressurgide VEsprit,étantaussi supérieurau Beau
de la Natureque TestTEspritet ses créationsà la Natureet ses
phénomènes1 ».
Le Beau de Tartn'estni,commel'ontpensédes esthéticiens de
hautevaleur,un jeu, ni une activitépratiqueservantà des fins
étrangères à elle-même, maisuneactivitésérieuseetsurtout libre.
Commetelle, elle a pour tâche « de rendre conscients et d'exprimer

« Œuvres »>Berlin,1842,1.1, p. 6.
überdie Aesthelik,
4. Hegel, Vorlesungen
Rev. Méta. - T. XXXVIII (no 3, 1931). «4

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358 REVUE DE MÉTAPHYSIQUE ET DE MORALE.

le Divin et les véritésles pluscompréhensives de l'Esprit». Cette


tâchelui estcommune avecla religionet la philosophie. Mais elle
se distingue de Tuneetde l'autre,en ce que, « si le Beau artistique
exprime,lui aussi,le Suprême(das Höchste),il l'exprimed'une
manièresensibleet le rapprocheainsidu moded'apparition de la
Nature,des sens et des sensations.D'une part s'étend la pro-
fondeur d'unmondesupra-sensible danslequelpénètrela pensée
qui, toutd'abord,l'oppose commeun au-delà à la conscience
immédiate età la sensation présente.D'autrepart,surgitla liberté
de la connaissancepensantequi s'affranchit de Vici-bas,appelé
réalitéet finite.C'est doncà une brisurequ'aboutitl'Espriten
marche.Mais cettebrisureil la répare,en procréant de lui-même
les bellesœuvresd'artcommepremiersintermédiaires et comme
conciliateurs entrel'extérieur sensibleetla pensée,éntrelaNature,
la réalitéfinie,et la libertéinfiniede la penséeréfléchissante1 ».
Les œuvresd'artdouéesde beautéontdoncune doublenature.
D'un côté,enfantées parl'Espritdontla penséeconstitue la mani-
festation maîtresse, elles sont d'essence spirituelle.D'un autre
côté, dans leur réalisation s'incorpore de
l'apparence la sensibilité
et la sensibilitése pénètred'Esprit.L'Esprit « s'aliène de lui-
même,ens'aventurant, de parla créationdu Beau artistique, dans
les domainesde la sensibilité,mais il ne s'y perd pas, il s'y
retrouve et s'y reconnaît, il se comprend dans un autre,et trans-
formele domainealiénéen penséeet ainsile ramèneà lui2».
Le Beau de l'artappartient doncà la foisà la sphèrede la sen-
sationet à celle de la pensée - plusà la dernièrequ'à la pre-
mière;•- il est bienl'unde ces « milieux» [Mitten), l'un de ces
pontsdontHegel parleà proposde Kant.Et « milieu» et pont,il
l'estencoreà un autrepointde vue. Lorsqu'eneffet, après avoir
considéréle Beau commesynthèse du contenuet de la formeou
commemodelépardes circonstances extérieures, onl'étudiéthéo-
riquement, c'est-à-direon tente de ne
l'exploreren partantque de
lui-même et d'enconstruire Vidée,on constateque celle-ciréunit
deuxextrêmes : « la généralitémétaphysique et la particularité
réelle.Ce n'est que de cettemanièrequ'elle est conçuedans sa
vérité.Car, d'unepart,elle est alorsen face de la stérilité de la
réflexion exclusive, féconde par elle-même, ayantà se développer,
1. Loc. cit., p. 11.
2. Ibid., p. 18.

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V. BASCH. - ORIGINES ET FONDEMENTSDE L'ESTHÉTIQUE. 359

d'aprèssonconcept, en unetotalité de déterminations etcontenant


elle-même commeson développement la nécessitéde ses réalisa-
tionsparticulières et des progressions et destransitions de celles-
ci; d'autrepart,ces réalisations particulières auxquellesprocède
l'Idéeportent en elles la généralitéet l'essencedu conceptdont
ellesnousapparaissent commeles manifestations1. »
Voilàdégagés les deux caractères essentiels du Beau artistique.
D'un côté,il plongedans le mondedu sensible.C'est par les
sens supérieurs,vue et ouïe,ou, dans la poésie,par des images
visuelleset auditives,que l'œuvred'art belle est appréhendée.
Maisdansce mondeilne demeurepas. La naturedu Beau de l'art
esttelleque, s'il nous apparaîtdansune enveloppe sensible,cette
enveloppe elle-même est saturée d'Esprit, sibien que l'œuvred'art,
en mêmetempsqu'elles'adresseà notresensibilité, parleaussià
l'Esprit et suscite en lui une satisfactiond'ordre supérieur.Cette
satisfaction est autreque celleque nousdispensele désirsatisfait
ne
puisqu'elle détruit nine consomme les objetsquila provoquent,
maisles laissevivredansleurliberté.Et cettelibertédes objets
estsauvegardée aussibienau pointde vueintellectuel qu'au point
de vuede la jouissance.En eííet,la connaissance proprement dite
détruit, toutcommele désirassouvi,l'objet particulier: en le
réduisant au concept,elleneretient que les caractères qui luisont
communsavec les objetsdu genreauquel il appartientet fait
abstraction de ceux qui lui sontpropres.Les élémentssensibles
du Beau artistique ne luisontdonc pas essentiels: en réalité,ils
n'ensontque la superficie et Xapparence.L'œuvred'arttientdonc
bienle « milieu» entrele sensibleimmédiatet la penséeidéelle.
Elle n'estpas encorepenséepure,mais elle n'estplus existence
matérielle : « l'élémentsensibledansl'œuvred'artestidéal,mais
unidéalqui,contrairement à celuide la pensée,a une existence
extérieure commeobjet». Et Hegelsynthétise sa conception dans
: «
la formule l'artspiritualise le sensible et sensibilise le spiri-
tuel2».
D'autrepart,l'Idée du Beau estessentiellement concrète. Qu'est-
ce à dire?Toutce qui,d'aprèsHegel,dansle domainede l'Esprit
etdela Nature,estvrai(wahrhaftig), estconcret ensoi,et,endépit
de sa généralité,porteen soi la subjectivité la particularité.
et
i.Loc. cit.,p. 29 et 30.
2. iota. yp. 4b a oí.

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360 REVUE DE MÉTAPHYSIQUEET DE MORALE.

Par exemple,dans l'Idée de Dieu sont contenuesl'existence


(Wesenheit), la généralité, la particularité et leur union,et c'est
cetteunionqui constitue le concret. Or,toute Idée est vraieet,par
conséquent, touteIdée estconcrète.En quoiconsistealorsle carac-
tèrepropre,spécifique, uniquede l'Idée du Beau, domainede l'es-
thétique. Suffit-il
de répondreque ce qui distingue l'Idée du Beau
de toutesles autres,c'estqu'ellen'estpas connue,conçue,pensée,
mais aperçue,c'est qu'elle est l'objet non d'une réflexion, mais
d'uneintuition? Nonpas. Ce neseraitlà qu'unedifférence dans la
prisede conscience, dansle modede perception ou d'aperception.
Il fautpousserplusloin et se demandersi, quant à l'essence,le
Beau estidentique au Vraiet au Bien.Ce futlà la thèsede Platon,
de Plotin,reprisepar Schelling.Est-cecellede Hegel?
Au premierabord,il semblerait que non. « L'Idée cornine ielle,
dit-il,est ce qui est vraien soi et poursoi, mais le Vrai d'aprèssa
généralité,,nonencoreobjectivée.Au contraire, l'Idée en tantque
Beau de l'artest uneIdée ayantcommecaractèredistinctif d'être
une réalitéindividuelle et une formeindividuelle de la réalité
ayantcommecaractère essentiel delaisserapparaître ensoil'Idéel. »
Estdoncbelleune œuvrequi est à la foisgénéraleet particulière,
dontla généralité ne peutse révélerque dansla sphèrede la réa-
lité individuelleet dont la réalitéindividuelle doit être apte à
accueillirle généralet à en dénoncerla présence.« Conçueainsi
commeréalitéou modeléeselonsonconcept, l'IdéedevientIdéal. »
L'œuvred'artla plus hauteseracelle où les domainesdu général
et du particulier se compénètrent, où l'Idée et son incarnation
formelle sontentièrement adéquates,où « la formede l'Idée en soi
estla formevraieen soi etpoursoi,parceque le contenude Pldée
que la formeexprimeestle contenuvrai2».
Cettefusiondu généralet du particulier dansl'Idée du Beau de
l'artnouspermet-elle de considérer celle-cicommedistincte, quant
au contenu profond, des Idées du Vrai et du Bien? Pour résoudre
ce difficileproblème,il fautserrerde plus prèsencorel'Idée du
Beau et,pourcela,la suivredansses origines.CommetouteIdée,
l'Idée du eau est Esprit,maiselle en est une des troismanifes-
tationssuprêmes: elle est Espritabsolu. « Le Beau de l'artn'est
ni Vidéelogique,la penséeabsolue,tellequ'ellese développedans
1. Loc. cit., p. 94.
2. Ibid., p. 95.

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V. BASCH. - ORIGINES ET FONDEMENTS DE INESTHÉTIQUE . 361

le purélémentde la pensée,ni il n'estVidéenaturelle,maisil


appartientau domainespirituel,sans pourtants'arrêteraux
acquisitionset aux activitésde l'Espritfini. L'empirede l'art
créateur du Beau estl'empirede VEspritabsolu*.»
L'Esprit,donc,tantqu'ilse meutdansle purélémentde la pen-
sée,n'estencoreque le conceptde l'Idée,ou l'Espritexistantseu-
lement ensoi(an sichseiend).Puis,il se heurteà la Nature.Ellelui
apparaîtcommeune réalitéextérieure et indépendante, comme
unelimiteposée à son pouvoir.Maiscettelimite,il la franchit, en
prônant conscience que c'est lui-même qui se l'esttracée et que la
au la
régions'étendant delà, Nature, est sa propre création. Il
avait été immanent à la Nature,il y avait œuvré,ignorantson
activité,inconnuà lui-mêmeet, toutensommeillé, y avaittrans-
muél'inorganique en organismes ce
jusqu'à que, se réveillant,il se
fûtrenducomptede sonobscurlabeuret eûtatteintà l'existence
pour soi (Fürsichsein).Avantcetterésurrection, l'Esprit,dans
sonidéaliténégative,demeuresubjectif. Dans la phase de la sub-
jectivité,cet Esprit,aussi bien le théoriqueque le pratique,
demeurefini: sa connaissance esttronquéeetsonactivité mutilée,
le Bienn'étantpas pourlui uneréalité,maisseulement un devoir,
ein Sollen. Mais, avec la pleine consciencede sa puissance,il
s'élèveau-dessusde cettesphère.« II conçoitla finite elle-même
commel'élémentnégatifde sa natureet conquiert ainsi soninfi-
nité.» « C'estcettevéritéde l'Espritfiniqui est l'Espritabsolu...
L'absolului-mêmedevientVobjetde l'Esprit,en tantque celui-ci
atteintle degré de la conscienceet se distingueen soi comme
sachantet vis-à-visde ce soi sachant,commeobjetde ce savoir...
Danscettesphèresupérieurequi est celle de la spéculation, c'est
VEspritabsolului-même qui,pourêtrepoursoi-même la connais-
sancede soi-même, se distingne en soi-même etposeainsila finite,
à l'intérieurde laquelle il devientpour soi l'objet absolu de la
connaissance de soi-même2. » Ou, commele ditplussimplement
VEncyclopédie «
: L'Espritest de touttempsEsprit,maisil ne le
sait pas encore...C'est en arrivantà savoirce qu'il est qu'il se
réalise3.»
C'estdonclà l'Espritabsolu.En en connaissant maintenant la
i.Loc. cit.,p. 120et 121.
2. Ibid., p. 120.
3. Encyclopédie, « Œuvres », t. 111,p. ¿4.

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362 REVUE DE MÉTAPHYSIQUEET DE MORALE.

naturevraie,nouspouvonsnousreposerla questionque nousnous


étionsposée plus haut,à savoirsi l'Idée du Beau de l'artse dis-
tingue,quantà l'essence,des Idées du Vraiet du Bien,si l'artest
uneincarnation de l'Espritfondamentalement différente de celles
de la religionet de la philosophie. Il nous avaitparu que Hegel
avait inclinéà différencier l'Idée du Beau des deux autrespar
les rapportssinguliersqu'il avaitstatues,au seinde cetteIdée,
entrela généralité et la particularité. Mais ce n'étaitqu'uneappa-
rence.En réalité,pour Hegel, toutcommepour Schelling,l'art
appartenant à la sphèreabsoluede l'Esprit,a sa racinedans « le
mêmesol » que la religionet la philosophie. Le « contenu» des
troismanifestations de l'Espritabsolu est le même: ce sont-
Hegelemploieindifféremment les troistermes- la Vérité,l'Es-
prit,Dieu. Ce qui différencie les troisroyaumes,ce sont« les
formes selon lesquelles leur objetcommun: l'Absolu,parvient à
la conscience». Tandisque la formede la religionestla représen-
tation,celle de la philosophie, la penséelibre,la formede l'art
est « la connaissance immédiate et, par conséquent, sensible , une
connaissance ayantl'aspect et la figure du sensible et de l'objectif
mêmes,où l'Absoludevient l'objetde l'intuition etde la sensation i ».
Lldée du Beau n'est donc pas spécifiquement différente des
Idées dontles domainessontla religionet la philosophie.« Le
Beau, ditHegel, n'estqu'unemanièredéterminée dontse mani-
festeet estreprésenté le Vrai et,partant, est ouvertde touscôtés
à la pensée conceptuelle, à la conditionqu'elle soit vraiment
armée de la puissancedu concept.Du concept,nous le savons,
non pas abstrait,mais du conceptabsolumentconcretou, plus
exactement, de l'Idéeabsoluedanssonincarnation conforme à elle-
»
même. CetteIdée absolueest Espritabsoluqui détermine « de
lui-même ce qui est vraiment la Vérité2». « La Vérité,dans son
acceptionla plus haute,est la résolution de l'opposition et de la
contradiction les plushautes.Dans son sein,l'opposition entrela
libertéet la nécessité,le connaîtreet l'objet, l'Esprit et lá
Nature,l'opposition etla contradiction elles-mêmes, quelqueforme
qu'ellesrevêtent, s'évanouit.La conscienceordinaireest impuis-
santeà réconcilier ce qui lui apparaîtcommeirréconciliable. C'est
alors qu'intervient la philosophiequi. conçoitles oppositions
1. Vorlesungen t. I, p. 129et 130.
überdie Aesthetik,
2. Ibid., p. 118.

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V. BASCH. - ORIGINES ET FONDEMENTSDE L'ESTHÉTIQUE 363

d'aprèsleurconcept,c'est-à-dire commenonpas absolues,mais


« commese dissolvant, et les résouten cetteharmonieet cette
unitéqui estla Vérité1».
Maisalors- etnousrevenons à la questionquenousavonsposée
plus haut - si c'est la tâche de la philosophied'opérerla réconci-
liationdes contraires et si, commeHegel l'affirme, elle réussit
danscettetâche,l'art,qui a la même mission,n'est-ilpas superflu
et le Vrain'est-ilpas déjà le Beau? Non,parceque c'estdansla
sphèrede la sensibilité et non dans celle de la penséepureque
s'opère la réconciliation. C'està l'artet à lui seul qu'il appartient
« deprésenter la Vérité conscience
à la soussa formesensible, forme
douée,danssa réalisation phénoménale, d'unsensetd'unesignifi-
cationsupérieurs sanspourtant viserà rendreconcevable le concept
danssa généralité en le faisantpasserparla sphèrede la sensibi-
lité,car c'est précisément Yuniondu conceptavec l'apparence
individuelle qui constitue l'essencedu Beau et de sa création par
l'art2».
En résumédonc,touteIdée est à la fois,d'unepart,unitéet
ideelleet subjectivedu conceptet, d'autrepart,objectivité de ce
concept,maisune objectivité qui nonseulements'opposeau con-
ceptpurement idéel et subjectif, maisau seinde laquellele concept
vit,agit, se réalise, « se rapporteà lui-même» : c'estlà ce que
Hegelappelle la totalité de l'Idée. Toutce qui existen'a de vérité
qu'en tantqu'ilest l'existenced'uneIdée, puisquel'Idéeseuleest
réalitévarie.Par conséquent, le Beau étantIdée ettouteIdée étant
Vérité, étant la seule Vérité,Beauté et Véritésontidentiques:
50istSchönheit und Wahrheit dasselbe.Il fautque touteBeauté
soitvraieen soi. Cependant, il y a entreelles une différence. En
tantque Vérité,en effet,l'Idée n'a pas d'existencesensibleet
extérieure, elle n'a de réalitéque dansla sphèrede la pensée.Or,
il fautque l'Idée prennecorpset s'incarnedans uneréalitéexté-
rieure,déterminée, individuelle. En tantque l'Idée descendde
sonempyrée,touchela terrefermedu mondesensible,apparati
à la consciencedans son vêtement tisséd'étoffes
empruntées au
domainedes sens, que le conceptse fonddans son apparence
extérieure, l'Idéen'estplusseulement vraie,maisencorebelle.Le

1. Loc. cit., p. 128.


2. Ibid., p. 130.

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364 REVUE DE MÉTAPHYSIQUEET DE MORALE.

Beau estdoncbienVapparencesensiblede Vidée- das sinnliche


ScheinenderIdee1.

J'arrêteici ma recherche.Je ne songepas à soumettre la con-


de
ceptionesthétique Hegel à un examen critique.Je ne discuterai
pas sa méthode.Jene me demanderai pas comment - c'estlà le
-
problèmecrucialdu système uneIdée peutapparaîtredansle
mondedes phénomènes et devenirsensible,le générals'incarner
dansle particulier et la penséese faireintuition. Étantdonnéque
de
l'esthétique Hegel plongepar toutes ses racines dans sa méta-
physique,il faudrait, pouren discuterla méthodeetles résultats,
commencer parl'examencritique de cettemétaphysique elle-même.
Ce seraitlà, on le comprend, un travaildépassantsingulièrement
les limitesqui me sontici fixées.
Ce n'estpas,d'ailleurs,la tâcheque je m'étaisassignée,puisque
c'est uniquement les origineset les fondements de l'esthétique
hégélienneque je me suis proposéd'exposer et non de critiquer.
de
L'esthétique Hegel clôt en quelque sorte un mouvement qui
remontenonseulementà Schelling,à Schilleret à Kant,mais à
Platonet à Plotin.Tous les grandsmétaphysiciens qui ontabordé
le problèmedu Beau ont été amenésà considérer la sphèrede
l'esthétique comme une sphèreintermédiaire, comme un organe
de réconciliation, comme une harmonisation. Ce qui frappéles
a
plus vastes espritsqui ont tenté de comprendre l'Universet
l'homme,ce sont les oppositionset les contradictions qui s'y
affrontent.Opposition entre la pensée etla Nature; opposition, dans
la Nature, entre la nécessité et la liberté qui semble surgirdès
que s'éveillela vie etdèsque,surtout, cette vies'incorpore dansdes
êtresdoués de pensée; opposition, chezces vivantsqui pensent,
lorsqu'ilsdirigent leur pensée vers la natureextérieure, entrela
connaissance sensibleetla connaissance et,lorsqu'ils
intellectuelle,
s'élancentdans la carrièrede l'action,entrel'aveugledésir et
l'actionréfléchie et soumiseà des normes.Ces contradictions fon-
damentales,on peut les étaler orgueilleusement, on peut les
déplorer, on peutse dressercontreelles et les maudire.Mais on
1. Loc. cit., p. 140 et 141.

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V. BASCH. - ORIGINES ET FONDEMENTSDE INESTHÉTIQUE. 365

ne peuts'yarrêter.Il est,en effet, dansl'esprithumain, une aspi-


rationirrésistible à l'unitéqui est le germede touteconnaissance,
la loi de touteéthique,le fondement de toutesociété.Les opposi-
tionssontnécessaires: c'est en elles que fermente la vie qui est
essentiellement lutte.Maisnécessaires aussisontlesréconciliations.
C'està l'esthétique que les grandspenseursdontj'ai citéles noms
ontassignéle beau rôlede les réaliser.Il faut,ont-ilscru,qu'ily
ait une sphèreoù les dissonancescosmiqueset psychiquesse
résolvent;il fautque la Naturetrahissepar quelque « signe »
qu'elle n'est pas rétiveà l'esprithumain,mais qu'elle lui est
accueillante, parceque, dans son essence,elle lui est analogueet
il fautqu'à de certainsmoments l'hommesoità la foisdéterminé
et libre,sentantet pensant,matièreet Esprit.
Cettesphèreest la sphèrede l'esthétique; le « signe» visiblede
l'adaptabilitéde la Nature à l'Espritestle Beau de la Nature; l'acti-
vitéréconciliatrice de la Natureet de l'Esprit,de l'inconscient et
du conscient, de l'impulsion etde la réflexionestla créationde l'ar-
tistegénialet,à un degrémoindre, maisparticipant de sa dignité
et de sa noblesse,la contemplation désintéressée.
C'est là la doctrinede Hegel. Kant, Schiller,Schellinget,
avanteux,Platonet Plotin,je l'ai dit,lui ontouvertla voie.Il s'y
estengagésurleurstraces.Mais il estallé plusloinqu'eux.D'une
part,en fixant avec précision la placedu Beau dans la maisonde
l'être,en montrant quelle étapeparticulière représente ce Beau
dans la marchede l'Espritvers les réalisations de plus en plus
hautesde lui-même. Et, d'autrepart,en soumettant toutela flore
luxuriante de l'artaux rythmes de cettemarche.
Danscettefixation et dans cettespécification de l'Idée du Beau,
il est,sansdoute,des chosescaduques.Moinsdansla spécification
des domainescrééspar l'Idée du Beau, dontcertains- comme
celuide la poésie- ontétéétudiéspar Hegel plus profondément,
à monsentiment, que par tous les esthéticiens qui l'ontprécédé
et qui l'ontsuivi.En ce qui concernela détermination de l'Idée
du Beau, on peut, certes,estimerque la méthodequ'a suivie
Hegel est à l'oppositede celle qu'exigela science,etla métaphy-
siquede l'Esprit,le poèmed'idéesdontj'ai parléau débutde cette
étudeet nonune synthèsejaillie de donnéesréelleset scientifi-
quementétablies.
Et,cependant, aprèsunelongueétudedesprincipales hypothèses

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366 REVUE DE MÉTAPHYSIQUEET DE MORALE.

émisessurla naturedu Beau, je suis arrivéà la conviction que,


commel'ontpenséKant,Schiller,SchellingetHegel,aprèsPlaton
etPlotin,le Beau estbienquelquechosecommeune « apparencede
ridée », commeuneincarnation sensibled'unintellectuel; que les
lois présidantau Beau sontbien une application des lois fonda-
mentalesde l'intelligenceà la sphèrede la sensibilitéet que la
de
place l'esthétique, parmiles fonctions de l'esprit,estbiencelle
que lui a assignéeHegel, à savoircelle d'un traitd'union,d'un
réconciliateurentrele mondede la sensibilité et celuide l'enten-
dement, entrela et
nécessité la entre
liberté, la Natureetl'Esprit.

Victor Basgh.

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