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Management de l’innovation et nouvelle ère numérique: Enjeux et


perspectives

Article  in  French journal Revue Francaise de Gestion · April 2016


DOI: 10.3166/rfg.2016.00009

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1 author:

Pierre-Jean Barlatier
Edhec Business school
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INTRODUCTION
PIERRE-JEAN BARLATIER
Luxembourg Institute of Science and
Technology (LIST), Luxembourg

Management de
l’innovation et nouvelle
ère numérique
Enjeux et perspectives

Q
ui n’a pas entendu parler de la transformation
numérique ? L’avènement d’Internet et des nouvelles
technologies numériques ont bouleversé les usages et
modes de fonctionnement des individus mais aussi des
organisations. Cette mutation accélérée annoncée en 2011 par
le sommet de l’e-G8 souligne le rôle prépondérant joué par Internet
dans la croissance économique et sa capacité à transformer le
monde. En effet, le développement des nouvelles technologies
mobiles (comme le réseau 4G et le cloud computing) et de ses
nouveaux terminaux (smartlets) ; des objets connectés (internet of
things) ; l’essor des médias sociaux (Facebook, Twitter, etc.) et
des nouvelles plateformes collaboratives (gaming, crowdsourcing,
etc.) ; ainsi que le phénomène de multiplication des données
comme nouvelle matière première (big data, open data, etc.)
montre que la « transformation numérique » est à son apogée.
Cette nouvelle ère numérique transforme chaque aspect de la vie

DOI: 10.3166/rfg.2016.00009 © 2016 Lavoisier


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aussi bien sociale (mobilité, nouveaux Heppelmann, 2014). Les biens et services
services et expériences immersives, redéfi- sont devenus des systèmes complexes
nition de l’équilibre vie privée-vie profes- informatisés « connectés » qui offrent
sionnelle, etc.) qu’économique (nouveaux une multitude de nouvelles fonctionnalités
modes d’interactions avec les clients et potentielles dont « l’intelligence » s’appré-
utilisateurs, nouvelles approches branding cie en fonction de leur pertinence. Cette
et e-réputation, etc.). pertinence des nouveaux usages est issue de
Par conséquent, cette mutation révèle un la combinaison réussie des données et de
potentiel sans précédent en termes d’inno- leurs sources (comme des clicks internet,
vation en générant de nouvelles manières de des contenus générés par les utilisateurs ou
créer (créativité, co-conception, etc.), de encore des signaux émis par des capteurs
financer (crowdfunding, etc.), de s’organiser insérés dans des objets…) en une ou
(virtualisation des organisations), de gérer plusieurs applications qui transcendent la
l’innovation ouverte (communautés, co- nature même des produits, qu’ils soient
production, etc.) et d’en capturer de la « objets » (comme des vêtements ou des
valeur (nouveaux modèles d’affaires, etc.). montres…), ou « services » générés par
Pour autant, ce potentiel est encore difficile exemple grâce à des applications smart-
à appréhender et à contrôler pour la majorité phones. Cette nouvelle donne technolo-
des entreprises qui avancent encore à tâtons gique impacte les méthodes et processus
dans ce nouveau monde numérique. classiques d’innovation de produits, appe-
L’objectif de ce dossier est donc de contribuer lant des modèles différents pour combiner
à mettre en lumière les enjeux et opportunités les propriétés physiques et numériques (Yoo
associés à ces nouveaux challenges, et et al., 2012). Du fait de la complexité de
d’analyser comment les organisations peu- l’anticipation des usages liés aux technolo-
vent les gérer. Pour ce faire nous proposons gies numériques et de leur malléabilité
ci-après une relecture des nouvelles per- (Nylén et Holmström, 2015), les processus
spectives liées au management de l’innova- d’innovation numériques sont plus dyna-
tion, dans laquelle nous abordons tour à tour miques, non linéaires et ouverts. En outre,
les nouveaux défis des innovations-produits cette nécessaire accélération de la R&D
et de leurs processus, les nouvelles logiques est amplifiée par l’utilisation des nouveaux
d’interactions des organisations avec leur outils numériques comme les médias
environnement et enfin l’émergence de sociaux (tels que Twitter, Facebook…) ou
nouveaux designs organisationnels. plateformes de crowdsourcing d’idéation
(comme Innocentive…) ou encore de
communautés d’utilisateurs/testeurs pour
I – DÉVELOPPEMENT DE
des applications smartphones. Parfois
NOUVEAUX PRODUITS ET
même les utilisateurs emploient les nouvel-
NOUVEAUX PROCESSUS
les technologies numériques comme
D’INNOVATION
composantes ou plateformes pour créer de
L’avènement des nouvelles technologies nouveaux usages ou services qui dépassent
numériques a pour conséquence de mettre les fonctionnalités du produit original (Yoo
l’information au cœur des produits (Porter et et al., 2010). Ce phénomène est d’autant
Management de l’innovation et nouvelle ère numérique 57

plus facilité par la démocratisation de de réseau) en suggérant de nouvelles per-


l’usage des nouvelles technologies numéri- spectives de complémentarité.
ques fondée sur l’ubiquité et leur accessi- Un autre facteur fondamental inhérent à
bilité en termes de coût. Il peut engendrer l’innovation de produits et services est
des cascades d’innovations où chaque l’expérience utilisateur (User Experience :
innovation est propice à une nouvelle UX). La success-story des produits Apple
cascade (Nylén et Holmström, 2015). Ces montre que les nouveaux produits et
propriétés spécifiques des processus d’inno- services numériques doivent avoir des
vations numériques imposent aux organi- fonctionnalités et propriétés esthétiques
sations de redéfinir fréquemment le rôle et la définies avec soin mais également offrir
configuration de leur offre et de développer un haut niveau d’ergonomie afin d’en
leurs capacités d’exploration afin d’être maximiser la motivation et l’engagement
compétitives. des utilisateurs à les acheter et les adopter
La contribution de Sihem Ben Mahmoud- (Nylén et Holmström, 2015). Mais au-delà
Jouini dans ce dossier analyse les pratiques des caractéristiques du produit et/ou des
des grandes firmes établies associées à services, les technologies numériques
l’utilisation de nouvelles technologies apportent aussi une réelle valeur ajoutée
numériques afin de générer des innovations issue de l’expérience utilisateur en influen-
de rupture. Ses résultats mettent en évidence çant leur comportement et décision d’achat.
l’usage de trois grandes familles d’outils Les technologies numériques de réalité
numériques, à savoir : 1) les outils qui virtuelle ou augmentée utilisées comme
favorisent la mobilisation de communautés outils d’aide à la vente permettent aux
ou réseaux sociaux internes ou externes, clients potentiels de transposer des éléments
notamment pour la génération d’idées et/ou virtuels sur la réalité physique, facilitant
leur validation ; 2) les outils support au ainsi leurs achats de vêtements ou autres
développement de l’intrapreneuriat et de produits. Les travaux de Margot Racat et
nouveaux business, largement construits sur Sonia Capelli présentés dans ce dossier
des principes modernes de gamification ; et proposent une étude comparative de l’im-
3) les outils numériques de conception pact d’un test produit virtuel et celui d’un
et prototypage rapide, qui en facilitant et test produit réel. Leurs résultats soulignent
accélérant les itérations entre design et l’impact positif lié à l’utilisation d’une
démonstration permettent de multiplier les technologie numérique de test (en l’occur-
trajectoires d’exploration à un moindre coût rence un miroir de maquillage virtuel) sur la
financier et cognitif. Ces familles d’outils satisfaction de l’individu et l’intention
sont utilisées de manière différenciée voire d’achat en comparaison du test de produit
complémentaire dans des entités organisa- « classique », bien qu’à l’évidence plus
tionnelles spécifiquement dédiées à l’ex- proche de la réalité. Au-delà de cette
ploration. Ces nouvelles approches comparaison, leurs travaux soulignent in
d’exploration et leurs possibles conjugai- fine les bénéfices issus de l’utilisation du
sons réinterrogent à nouveau la dichotomie miroir virtuel non plus comme outil d’aide à
des différentes formes connues d’ambidextrie la décision d’achat mais comme service à
organisationnelle (structurelle, contextuelle et valeur ajoutée caractéristique de l’offre. De
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tels usages des technologies numériques de motoculteurs et se semeuses permet de


renouvellent l’expérience utilisateur et dégager une performance globale supérieure.
développent l’engagement et la fidélisation Ce système connecté d’équipement peut
des consommateurs. également devenir un « système de systè-
mes » en étant relié à son tour à un système de
données météo, un système d’optimisation
II – NOUVELLES INTERACTIONS
d’ensemencement, un système intelligent
ÉCOSYSTÉMIQUES ET
d’irrigation, etc. (Porter et Heppelmann,
RESTRUCTURATION DES
2014, p. 75). L’approche développée par
INDUSTRIES
les cités intelligentes, ou encore la domotique
Le développement des capacités des biens et est identique, et les conséquences pour les
services par les technologies numériques entreprises sont importantes. Ces dernières
redéfinit les règles concurrentielles, la struc- intègrent de plus en plus les interactions avec
ture des marchés et les frontières des leur environnement dans leur stratégie de
industries (Porter et Heppelmann, 2014), développement et raisonnent en écosystèmes
notamment par la menace des firmes déten- d’affaires et d’innovation dynamiques et
trices de données et d’informations comme complexes afin de repenser leurs modèles de
Google ou Facebook comme nouveaux création et de capture de valeur. L’article de
entrants potentiels sur les marchés existants. Guy Parmentier et Romain Gandia illustre
Cette nouvelle donne de la création de valeur cette tendance avec l’étude de l’ouverture des
conduit les firmes à repenser la proposition de modèles d’affaires de l’industrie du jeu
valeur faite à leurs clients en y intégrant vidéo. Leur contribution souligne que les
des innovations numériques sous peine de modèles d’affaires multifaces de cette indus-
devenir un simple équipementier ou four- trie, c’est-à-dire porteurs de valeur vers
nisseur de matières premières. Cette trans- différents groupes de clients/utilisateurs de
formation des modèles d’affaires impulsée manière complémentaire sur un ou plusieurs
par la nouvelle ère numérique n’est pas marchés, sont particulièrement pertinents
simplement une question vitale d’adaptation pour gérer l’ouverture inhérente à la trans-
mais aussi de capture de nouvelles opportu- formation numérique. L’analyse faite de
nités de création de valeur. Selon Iansiti et l’organisation et des avantages associés à
Lakhani (2014) cette transformation numé- l’ouverture des modèles d’affaires multifaces
rique n’est pas forcément synonyme d’inno- observés, ainsi que du rôle fondamental
vation de rupture voire de disruption (au sens des technologies numériques utilisées, sont
de Christensen, 1997), mais il s’agit avant révélateurs du potentiel de création et de
tout d’un jeu de connectivité et de recombi- capture de valeur des nouveaux Business
naisons qui augmentent la valeur des produits Models.
existants et redéfinissent les frontières des Pour autant, si les données sont là,
industries et les notions de concurrence. conséquence directe de la « digitalisation »,
Porter et Heppelmann (2014) illustrent en accessibles à moindre coût et prêtes à
détail cette notion avec leur exemple de la révolutionner les modèles d’affaires et
ferme connectée, où la création d’un système structures industrielles existantes, les pro-
connecté efficace d’équipement de tracteurs, blématiques liées à la fois aux différents
Management de l’innovation et nouvelle ère numérique 59

régimes de protection (que ce soit de la financières ou reflètent nos habitudes de


propriété intellectuelle, des données per- consommation, ce sont les données de santé
sonnelles ou du secret des affaires) mais qui apparaissent désormais comme le
aussi à l’appropriation de la valeur créée nouvel eldorado, avec les données généti-
par l’innovation, évoluent conjointement. ques en point de mire. Si le débat actuel
Selon Greenstein et al. (2013) l’usage se focalise sur l’articulation mécanisme de
des technologies numériques a changé les DPI et exploitation des données, Bérangère
formes d’expression, d’échanges et d’usa- Szostak et Christian Le Bas proposent une
ges de l’information, ce qui entraîne contribution originale dans leur étude de cas
logiquement une profonde reconsidération d’une PME du secteur de la télémédecine en
du rôle des politiques et des mécanismes de exposant cette fois-ci les contributions des
droits de propriété intellectuelle (DPI) en technologies numériques (en l’occurrence
vigueur. En guise d’illustration, le nouvel le cloud computing) à la stratégie de
équilibre entre la protection des données multiprotection des entreprises. Ainsi, les
personnelles et l’exploitation de ces mêmes technologies numériques sont perçues ici
données par des firmes comme Facebook ou non plus comme origine du problème mais
Amazon engendre un besoin d’évolution comme élément de solution, et leur utilisa-
rapide de ces politiques et mécanismes (par tion dans ce contexte n’est plus simplement
exemple, Facebook a redéfini ses politiques l’apanage des grandes firmes mais aussi de
de confidentialité et d’usage des données plus petites organisations qui ne sont pas
plusieurs fois ces dernières années), et forcément des start-up high-tech.
nécessite des considérations nationales dans
un environnement qui se veut sans frontière
III – NOUVEAUX DESIGNS
(notamment un cadre normatif européen
ORGANISATIONNELS :
plus protecteur que le reste du monde). Il en
VERS UNE REDÉFINITION DU
va de même pour les besoins issus des
TEMPS ET DE L’ESPACE
nouveaux business du crowdsourcing ou
des contenus générés par les utilisateurs du La dernière dimension impactée par
web 2.0 (Greenstein et al., 2013). Quelle l’avènement des nouvelles technologies
politique d’utilisation adopter entre légis- numériques que nous allons aborder ici
lations locales et business global ? Dans est celle de l’organisation elle-même. En
les marchés de la haute technologie, les effet, au-delà des nouveaux produits et
usages conjoints des mécanismes de DPI services et des processus d’innovation
(brevet, marque, copyrights…) sont cou- associés, ainsi que de la reconfiguration
rants et leur rôle devrait évoluer avec de l’environnement des firmes (industries et
l’importance accrue de l’exploitation des écosystèmes), ces nouvelles technologies
données et non plus de leur simple sont sources d’innovation organisationnel-
génération (Greenstein et al., 2013). Une les pour toutes les fonctions de l’entreprise.
exploitation quantitativement en expansion Et cela de la fonction de production avec les
et qualitativement en révolution, car si technologies d’impression 3D (Sandström,
jusqu’à présent les données que l’on traite 2016), qui sont en train de passer d’un
avec une imagination sans limite sont statut de technologie de « niche » utilisée
60 Revue française de gestion – N° 254/2016

essentiellement pour du prototypage rapide d’une multinationale française. L’objectif est


à une technologie de production de volume clairement ici de développer les capacités
(D’Aveni, 2015), à la fonction marketing organisationnelles d’innovation de la firme
avec l’utilisation des données numériques en s’appuyant sur une communauté de
générées par les utilisateurs et exploitées par pratique pilotée dédiée à l’innovation
l’organisation afin de faire évoluer en temps (Dupouët et Barlatier, 2011). En effet, il ne
réel l’offre de services (Westergren et suffit pas de lancer un nouvel outil informa-
Holmström, 2012). Ainsi, l’information et tique au sein d’un collectif, même s’il
les données des nouveaux produits connec- propose des technologies et fonctionnalités
tés qui sont à l’origine de la création de numériques a priori attirantes et comparables
valeur et de la génération de l’avantage à celles que les utilisateurs louent dans leur
concurrentiel soulèvent de nombreux défis sphère privée, pour atteindre rapidement les
organisationnels issus de nouvelles percep- résultats espérés. L’étude de cas proposée
tions du temps et de l’espace. détaille la mise en place d’un plan d’anima-
En effet, l’ubiquité des nouvelles technolo- tion décidé par l’équipe dirigeante afin de
gies numériques altère la perception organi- remédier aux difficultés d’adoption rencon-
sationnelle de la notion du temps héritée de trées dans les premières phases du déploie-
l’ère industrielle en faveur d’une accélération ment de la solution. En l’occurrence, ce plan
qui promeut l’action, l’improvisation, la prise d’animation élaboré sur les retours des
de risque et la reconfiguration (Nylén et utilisateurs trouve des leviers en proposant
Holmström, 2015). Et les conséquences ne des actions de court terme et de long terme.
sont pas des moindres. Si la collecte et le Les actions de court terme développent la
traitement des données sont sources de coûts performance technique de la solution et la
supplémentaires (Porter et Heppelmann, gestion du contenu sur des principes de
2014), elles requièrent des capacités organi- curation et de gamification ; et les actions à
sationnelles de traitement de ces données long terme cherchent à faire évoluer le design
(Iansiti et Lakhani, 2014), mobilisent l’atten- organisationnel (culture et structure de la
tion des décideurs (Greenstein et al., 2013), firme) vers des principes de partage et de
nécessitent un savoir-voir managérial pour collaboration. Ces leviers d’action ont
l’identification des opportunités d’innova- pour objectif de surmonter les freins et
tion et l’anticipation de la valeur créée obstacles identifiés tels que le manque de
(Barlatier et Thomas, 2007) et exigent le temps, la crainte du jugement des pairs et/ou
développement de capacités d’apprentissage, des supérieurs hiérarchiques, les insuffisan-
de rôles et de compétences « digitales » des ces de transversalité et la complémentarité de
employés (Nylén et Holmström, 2015). la solution avec les échanges en présentiel.
Lusine Arzumanyan et Ulrike Mayrhofer En définitive, ce cas montre comment
soulignent dans leur article l’importance de mobiliser les atouts des nouveaux outils
l’adoption des outils fondés sur des nouvelles numériques (curation, gamification, etc.)
technologies numériques par leurs utilisa- pour résoudre les obstacles à l’échange et
teurs. Les auteurs mettent en évidence le rôle la combinaison, nécessaires à l’innovation,
du pilotage et de l’animation via une étude de grâce à un pilotage fin du déploiement de
cas d’un outil collaboratif numérique au sein la solution.
Management de l’innovation et nouvelle ère numérique 61

Au-delà d’une nouvelle perception du temps, l’organisation d’une pléthore de micro-


les nouvelles technologies numériques, en projets dans la continuité du phénomène
développant les interactions à distance, la de « projectification » (Midler, 1995).
connectivité ubiquitaire et de nouvelles Un premier enjeu consiste à déterminer la
formes d’interactions, font émerger une nature de ces espaces organisationnels
nouvelle perception organisationnelle de transitoires ainsi que leur(s) manière(s) de
l’espace. Ces technologies offrent la possi- fonctionner. Comment les caractériser ?
bilité aux acteurs de prendre des décisions Quels sont les formes et designs qu’ils
rapides et de résoudre des problèmes au gré peuvent prendre ? Quels types de tâches
de leurs activités, d’une manière beaucoup sont-ils à même de réaliser ? Quel est
plus flexible. Elles augmentent très fortement l’impact du temps et de ses limites ? Quel
le volume des échanges et flux d’informa- est le rôle des technologies numériques dans
tions, à la fois horizontalement et verticale- ces dispositifs ? Un second enjeu pour les
ment, dans et au-delà des frontières de organisations à cet égard est d’équilibrer les
l’organisation (l’effet méga-données ou big tensions entre le temporaire et le permanent.
data) et ouvrent par conséquent de nouvelles En effet, si les temporalités diffèrent, le
possibilités pour la créativité nomade et risque de discontinuités et de divergences
l’innovation on the fly (Ignatius, 2014). De ce aura tendance à être élevé. L’organisation en
point de vue, le recours à ces technologies fait question connaîtra vraisemblablement des
sens pour les firmes qui souhaitent adopter une problèmes de cohérence globale avec autant
démarche d’innovation ouverte ou cultiver de processus semi-autonomes et de tempo-
leur écosystème d’innovation, renouvelant les ralités en jeu. Ainsi, il existe désormais un
questionnements autour des organisations en réel besoin de mécanismes spécifiques de
réseau et la nature de leurs outputs. liaison capables de soutenir l’ensemble
Aussi, étudier ce phénomène pose inévita- continu des activités.
blement la question de comment concilier La contribution de Julie Fabbri et Florence
les notions de temps et d’espace dans les Charue-Duboc apporte des éléments de
théories de l’organisation. Les nouvelles réponse à ces enjeux. En effet, leur étude
technologies numériques, en apportant une porte sur une petite entreprise de commu-
infrastructure entière, transforment ces nication qui a opté pour le nomadisme
interactions en organisations temporaires grâce à l’utilisation de technologies
qui transcendent les frontières d’une simple numériques comme le cloud computing
organisation (Lundin et Söderholm, 1995). en localisant successivement son activité
Elles offrent ainsi la possibilité de créer des au sein de trois espaces de coworking.
espaces sociaux éphémères de travail, c’est- Leurs résultats montrent comment cette
à-dire des structures sociales transitoires entreprise a renforcé et enrichi son offre de
dans lesquelles les décisions, les actions, services grâce à ses interactions successives
l’apprentissage et l’innovation peuvent avec de nouveaux partenaires suite à ses
survenir (Grabher, 2004). Il est fort probable différentes localisations dans ces espaces
que de tels arrangements organisationnels pour entrepreneurs innovants. Les auteurs
aient une durée de vie plus courte que celle mettent en évidence les dispositifs particu-
des projets traditionnels, peuplant ainsi liers d’aménagement de l’espace et du temps
62 Revue française de gestion – N° 254/2016

offerts par ces espaces de coworking ainsi produits et ses processus, de nouvelles
que leurs mécanismes spécifiques d’interac- interactions organisation-environnement et
tion (technologiques et/ou physiques) qui ont enfin de nouveaux designs organisationnels.
soutenu une dynamique d’innovation fondée L’apport de ce dossier réside dans la façon
sur des relations complexes multi-acteurs. dont il aborde les enjeux et perspectives afin
En ce sens, ces espaces de coworking, en de proposer des éclairages nouveaux sur la
proposant une articulation organisationnelle manière dont les organisations innovent
originale de l’espace et du temps, ont chemin faisant dans ces environnements et
pleinement joué le rôle d’intermédiaire de contextes incertains. A la fois évolution et
l’innovation ouverte. révolution, tantôt mirage tantôt eldorado, la
Ce dossier explore ainsi différentes dimensions transformation numérique offre de nombreuses
liées au management de l’innovation à l’heure opportunités pour les entrepreneurs et inven-
de la nouvelle ère numérique en exposant des teurs qui vont engendrer de nouvelles réalités,
contributions originales et robustes. Ces et par voie de conséquence, irrémédiablement
dimensions sont de trois ordres. Elles révèlent transformer les théories actuelles de l’organi-
de nouveaux horizons pour l’innovation de sation et de l’innovation.

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