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L’HISTOIRE CONTEMPORAINE DE L’AFRIQUE C’EST LE

PANAFRICANISME

Entretien de Anne Bocandé, avec Amzat Boukari-Yabara

Africultures | « Africultures »

2014/3 n° 99 - 100 | pages 76 à 83


ISSN 1276-2458
ISBN 9782343053363
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-africultures-2014-3-page-76.htm
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EntretienVous avez
de Anne dit afropéanisme ?
Bocandé avec Amzat Boukari-Yabara

L’histoire
contemporaine
de l’Afrique c’est
le panafricanisme
Entretien de Anne Bocandé
avec Amzat Boukari-Yabara
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Dépoussiérer le panafricanisme.
C’est ce que propose le chercheur Amzat Boukari
dans son ouvrage paru chez La Découverte,
Africa Unite ! Une histoire du panafricanisme.
Africultures l’a rencontré.

© La Découverte

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L’histoire contemporaine de l’Afrique c’est le panafricanisme

Vous évoquez le panafricanisme comme un concept philosophique, un


mouvement sociopolitique, ou une doctrine de l’unité politique. Quelle
est la définition du panafricanisme ?

Le panafricanisme est né à la fin du XVIIIe  siècle, à peu près en même


temps que le libéralisme et le socialisme. Donc, c’est une idéologie très
ancienne qui se distingue des deux autres par sa conscience historique, par
son identité «  géographique  «. Le panafricanisme est lié à un continent,
un espace. Le panafricanisme est l’équivalent pour l’Afrique, du concept
de l’Occident pour l’Europe. L’Australie, l’Amérique du Nord, l’Europe
de l’Ouest, se regroupent dans un même imaginaire dit « occidental « qui
montre que la division du monde est en réalité le reflet de la circulation des
hommes et des idées. De la même manière, est panafricaine toute société
gardant une identité africaine dans son évolution, dans son rapport à l’autre,
et dans son rapport à l’idée d’émancipation.

D’autre part, il y a un aspect historiographique : quand on dit que l’histoire


de l’Afrique contemporaine commence en 1885 avec la conférence de Berlin,
ou en 1960 aux indépendances, cela n’a aucun sens. Mon intérêt était de
montrer que le panafricanisme est né en même temps que le libéralisme
et le socialisme qui sont liés à la Révolution française, à la Révolution
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américaine, à l’industrialisation, etc. L’histoire contemporaine de l’Afrique,
c’est le panafricanisme. C’est exactement la même profondeur historique.
Donc, par conséquent, si on veut écrire l’histoire de l’Afrique, il faut partir
du panafricanisme.

Vous précisez que c’est une histoire liée à un continent, à un espace, mais
pas nécessairement à une couleur de peau. C’est à dire ?

Le panafricanisme a d’abord été un pan-négrisme, un sentiment de solidarité


entre les Noirs déportés aux Amériques dans le cadre de la traite transatlantique.
Ce crime contre l’humanité a accompagné l’essor du capitalisme, c’est-à-dire
le système le plus perfectionné d’exploitation et de domination globale de
l’homme par l’homme, et donc le système à l’origine du monde tel que nous
le connaissons aujourd’hui. Le racisme - qui stigmatise et assimile la peau
noire à la condition servile dans les Amériques - a eu pour réponse une auto-
identification, cette fois-ci positive, des Noirs à l’Afrique, mais une Afrique
qui était plus imaginée que représentée. Cette imagination vient des passages
sur l’Éthiopie dans la Bible ou dans les récits d’esclaves, et donnera plus tard
les écrits de la Renaissance de Harlem et de la Négritude.

Par ailleurs, les difficultés internes à Haïti après son indépendance arrachée
en 1804, ou encore l’échec de la colonie afro-américaine du Libéria, créée en
1847, vont montrer qu’il ne suffit pas de partager une même couleur de peau
pour construire une société harmonieuse ou un projet politique commun.

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Entretien de Anne Bocandé avec Amzat Boukari-Yabara

Ainsi, la dénonciation de la colonisation de l’Afrique sous les impérialismes


européens dans les années 1880 va conduire les militants afro-américains et
caribéens à superposer leur propre condition de ségrégués ou de colonisés
avec celle des Noirs vivant sur un continent qu’ils redécouvrent par le biais
des premiers historiens afro-américains. L’Afrique passe alors de l’imaginaire
à une entité politique concrète quand se répand la nouvelle de la victoire de
l’Éthiopie contre l’Italie, à Adwa en 1896.

Éthiopie, Haïti, Libéria... Un espace se crée, et en 1900, à Londres, en présence


de militants noirs, mais également de sympathisants blancs, la conférence
panafricaine souligne, par la formule très subtile de DuBois, que le grand
problème du XXe siècle ne sera pas la couleur de la peau mais la « ligne de
couleur «. Que nous est-il possible et que devons nous faire selon que l’on soit
d’un côté ou de l’autre de cette ligne ? C’est cette réflexion qui a mobilisé les
militants panafricanistes autour de figures comme Marcus Garvey et Tovalou
Houenou ou plus tard, Amilcar Cabral et Steve Biko.

En Angola, en Afrique australe, en Algérie, en fait, partout en Afrique où


l’indépendance a résulté d’une lutte armée, la question de la ligne de couleur
a été abolie par la lutte. Des groupes métis, et de nombreux Blancs à titre
individuel, ont parfois réalisé des efforts plus conséquents en faveur de la
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libération et de l’unification du continent que certains groupes noirs cooptés
par les forces colonialistes ou néocolonialistes. Dans la mesure où la division
du monde en continent est elle-même très problématique et discutable, c’est
donc la conscience historique qui détermine le rapport à l’espace qui reste lui-
même porteur jusqu’à aujourd’hui de cette « ligne de couleur «.

Contrairement à beaucoup d’idées reçues, vous expliquez que le


panafricanisme est né en Haïti, c’est à dire ?

En réalité, le panafricanisme est né dans les Amériques, mais son concept


politique, c’est-à-dire l’unité des peuples africains dans un ensemble fédéral,
existe depuis bien plus longtemps en Afrique, à travers par exemple les
royaumes et empires sahélo-soudanais. Le Ghana, le Mali, le Songhay, avaient
des structures politiques et sociales panafricaines, regroupant une mosaïque
de peuples dans des alliances sophistiquées.

Maintenant, Saint Domingue, en 1791, était la colonie la plus riche des


Amériques, avec une main d’œuvre servile africaine représentant 90% de la
population. La révolution menée à ce moment par des Africains de diverses
origines marque surtout un tournant historique : la première abolition imposée
par des esclaves aux maîtres, la fin d’un système d’exploitation économique
qui va se recycler sous la forme de la dette de l’indépendance imposée par la
France à Haïti, et la naissance du second État d’origine africaine qui, après
l’Éthiopie, a connu depuis sa création une continuité historique et juridique.

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L’histoire contemporaine de l’Afrique c’est le panafricanisme

Confronté à un ordre mondial hostile, les militants haïtiens ont ensuite


compris que leur liberté n’était rien sans celle de toute la Caraïbe, de l’Afrique,
et peut être même au-delà si on pense à la naturalisation dès 1805 des soldats
polonais et allemands qui avaient déserté les rangs bonapartistes pour
rejoindre les combattants africains. En soutenant des luttes d’émancipation
ou des résistances incarnées par Simon Bolivar, José Marti ou Ménélik, les
militants haïtiens comme Anténor Firmin et Bénito Sylvain ont montré que
l’histoire de la naissance de leur pays, et donc le panafricanisme, devait être
une force en mesure de redonner au monde son équilibre. Ainsi, aujourd’hui,
au-delà de la question des réparations, beaucoup de militants panafricanistes
plaident pour que Haïti, devenu membre observateur de l’Union africaine,
soit véritablement investi par des projets d’émancipation autres que ceux
relevant de l’humanitaire néolibéral et militariste.

Comment expliquer la relative absence de documentation, jusqu’alors,


sur le sujet en français ?

La bibliographie qui existe est majoritairement en langue anglaise. Il existe un


Que sais-je très ancien de Philippe Decraene, assez daté, avec pas mal d’erreurs,
ainsi que quelques ouvrages comme ceux de Oruno Lara. Au départ, j’ai
proposé une réactualisation du panafricanisme, en format poche. Lorsque
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les éditeurs de La Découverte ont reçu le manuscrit, ils ont voulu quelque
chose de plus conséquent qui puisse faire référence en la matière et combler
justement cette lacune historiographique. Pendant mes recherches doctorales,
j’ai travaillé sur des figures du panafricanisme. J’ai principalement travaillé
avec des sources anglophones, j’ai rencontré les militants engagés dans l’unité
africaine, et j’ai eu l’occasion de me rendre à l’Union africaine à Addis-Abeda.
J’ai pu alors confronter la logique institutionnelle et la logique militante,
quelles étaient les contradictions mineures et majeures. Et je me suis engagé
personnellement dans un mouvement, la Ligue panafricaine - Umoja (LP-U)
[mouvement politique panafricaniste créé en France en 2012, NDLR].

J’ai eu l’occasion de rencontrer des figures historiques, peu connues, dont


certaines sont aujourd’hui décédées. C’est en leur hommage que j’ai voulu écrire
cet ouvrage. Mais aussi pour réconcilier les générations. Il y a beaucoup de noms
du panafricanisme scandés par les jeunes de manière incantatoire mais derrière
il n’y a pas forcément de substance. Avec ce livre, il s’agissait donc de donner
une ligne directrice à cette histoire, de produire une réflexion sur la nécessité de
ramener le panafricanisme dans une logique militante, internationaliste, et de
dépoussiérer des concepts un peu galvaudés par les événements historiques qui
résultent du rapport de force défavorable à l’Afrique.

Tout ce qui est scientifique et culturel, à partir du moment où ça touche


l’Afrique, a nécessairement une portée politique et idéologique. Et il était
nécessaire de réinscrire le panafricanisme dans l’histoire des idées, des luttes

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Entretien de Anne Bocandé avec Amzat Boukari-Yabara

sociales, politiques et culturelles. Le panafricanisme est un mouvement


très éclaté en raison de sa propre évolution, de l’inégalité des savoirs parmi
les personnes qui s’en revendiquent. Certaines personnes maîtrisent les
définitions du panafricanisme et les logiques annexes, celles du marxisme, du
socialisme etc. Et puis d’autres sont juste dans de la posture, voire carrément
de l’imposture.

Dans votre ouvrage, vous parlez à plusieurs reprises de la fracture


entre l’intellectualisation du mouvement et l’intérêt populaire pour le
panafricanisme.

Cela est encore présent, et fait partie de cette histoire, notamment si on


continue de marginaliser les artistes. Les artistes ont fait le lien entre populaire
et politique. D’où le titre de Africa Unite, issu de la chanson de Bob Marley.
Avec ce livre, il s’agissait modestement de passer les frontières un peu partout
dans les pays du Sud.

Nombreuses figures présentes dans cet ouvrage sont des personnages


anglophones, notamment afro-américains. Est-ce à l’image de la réalité
du panafricanisme ?
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Il y a aussi des références contemporaines dans le milieu francophone : Thomas
Sankara suscite toujours un engouement extraordinaire auprès de la jeunesse.
En Afrique de l’Ouest, c’est très clivant. Là où les historiens et militants
politiques Cheikh Anta Diop et Joseph Ki-Zerbo appuient le projet fédéral
de Nkrumah, d’autres s’y opposent. Ainsi, Senghor s’inscrit avec Houphouët-
Boigny dans le maintien de relations privilégiées avec la France, par opposition
à la volonté de rupture défendue par des dirigeants et militants disparus très
tôt, entre 1958 et 1961, comme Um Nyobe, Boganda, Lumumba ou Fanon.

Aujourd’hui, dans la reproduction de figures panafricaines, les sociétés


africaines ont un retard de deux ou trois générations à rattraper. Il existe
également des expériences plus intimes au Bénin, au Mali, au Congo, qui
sont plus locales. Au Bénin par exemple, il existe des projets de retours de
Caribéens, notamment la famille Jah que j’ai rencontrée, où l’Institut du
Professeur Honorat Aguessy à Ouidah. Il y a donc, en dehors des grandes
figures, une intimité du panafricanisme.

Comment expliquer toutefois cette relative absence de figures


francophones comparativement aux références anglophones ?

Dès 1919, lors du Congrès panafricain organisé à Paris par le député français du
Sénégal Blaise Diagne à la demande du militant noir américain DuBois, il y a eu
une rupture entre francophones et anglophones. Depuis, les francophones ont
toujours été absents des congrès panafricains. Et au moment des indépendances,

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L’histoire contemporaine de l’Afrique c’est le panafricanisme

la rupture, le semblant de rupture qu’on a pu voir dans le milieu anglophone,


on ne l’a pas vu dans le mouvement francophone où on est resté aligné sur Paris,
sur le référent de la métropole. Dans l’espace anglophone, il y a une diversité
d’expériences : la situation africaine, la situation afro-caribéenne, la situation
noire américaine, la situation jamaïco-britannique…

Toute cette diversité de situations a provoqué du débat, une circulation


des idées, et aussi de la réflexion, de la théorisation et un autre rapport à la
culture politique. Étant donné que le modèle britannique est empreint d’une
tradition monarchique parlementaire et multiculturaliste tandis que le modèle
français est républicain, centralisé et assimilationniste, les lectures divergent
concernant l’héritage colonial. Ce qui permet de sortir de ce paradigme post-
colonial qui brouille l’analyse comparée, notamment du point de vue de
l’histoire politique de l’Afrique et des Caraïbes, c’est précisément d’introduire
le panafricanisme comme critère d’analyse des interactions.

Évidemment, il y a eu des étincelles comme Présence africaine [les éditions,


Paris / Dakar, NDLR], les congrès de la Sorbonne, des figures météores
comme Frantz Fanon, des figures censurées comme Aimé Césaire, qui ne
sont pas non plus des historiens en tant que tels mais tout de même des
références, y compris pour le monde anglo-saxon. Il y a donc cette frilosité,
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ce caractère subversif qui a manqué dans les situations africaines et afro-
françaises, également une répression qui a éliminé un certain nombre de
figures, de mouvements comme la FEANF [Fédérations des étudiants
africains en France, NDLR] à la fin des années 50 qui auraient pu porter
cette dynamique. Soulignons également une logique de prédation au niveau
de la pensée, qui fait que beaucoup d’intellectuels africains francophones sont
contraints à s’exiler ou à céder d’un point de vue idéologique pour survivre.

Existe-t-il un panafricanisme lusophone ?

Il y a très peu de choses, de documentations sur le panafricanisme dans le


monde lusophone. Or, il y a une jeunesse dans cet espace qui est très migrante,
potentiellement très consciente des enjeux en raison du fait que leurs parents ont
souvent été formés dans le cadre des mouvements de libération. Les ex-colonies
portugaises ont cette particularité d’être plus éclatées géographiquement que
les autres territoires colonisés, et du coup, après les guerres civiles en Angola et
au Mozambique notamment, on est davantage entré dans l’écriture d’histoires
nationales plutôt que régionales ou panafricanistes. Il y a donc un déficit à ce
niveau-là. Déficit qui ne peut pas être comblé par le simple fait que le Brésil,
qui héberge la plus importante diaspora africaine, se soit engagé à financer
les volumes de l’Histoire générale de l’Afrique en portugais. Il y a enfin un
mouvement panafricaniste embryonnaire à Lisbonne qui apparaît assez isolé
mais dynamique. Le monde lusophone est en effet un défi très intéressant.

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Entretien de Anne Bocandé avec Amzat Boukari-Yabara

Quels sont les enjeux, en Europe, du panafricanisme ?

L’Europe a toujours été un lieu de rencontre, d’échange, mais aussi de


répression. L’enjeu est de créer de nouveaux espaces, et de nouvelles formes de
libération, dans une perspective internationaliste. L’Europe est confrontée à
un certain nombre de crises, mais elle maintient une politique de prédation
sur le continent africain, et l’opinion publique sur l’Afrique est baladée entre
l’image d’un continent de tous les malheurs, et celui d’un espace émergent.
Et il y a l’interrogation de toutes les diasporas africaines présentes ici et qui se
posent la question de l’intégration ou du retour.

Justement, plutôt que du panafricanisme, nombres d’intellectuels et


de personnes se revendiquent davantage d’une identité afropéenne ou
afropolitaine. Qu’en pensez-vous ?

Les identités afropéennes et afropolitaines me semblent tout à fait dans l’air


du temps, c’est-à-dire à la fois décevantes et stimulantes. Elles sont largement
apolitiques et extra-africaines, en ce qu’elles résonnent à mes oreilles comme
des notions de classe, de division intellectuelle du travail, ou de séparation
économique et sociale entre les Africains, selon qu’ils auraient ou n’auraient
pas la liberté d’aller et venir depuis et vers l’Afrique. La condition afropolitaine
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peut faire penser à celle des « évolués «, des Africains jugés plus « civilisés «
par le pouvoir colonial, selon les critères du pouvoir colonial. Le risque est
donc de parler d’afropolitanisme sans étudier les analyses de DuBois sur la
théorie de la «  double conscience  « ou de Fanon sur le facteur cosmétique
de l’identité et de l’aliénation dans Peaux noires, masques blancs. Toujours
dans l’analyse de DuBois, les Afropolitains sont-ils ces 10% d’Africains
dont on pense qu’en atteignant un très bon statut économique et social, ils
joueront un rôle d’ascenseur pour les autres  ? Je ne pense pas, ce n’est pas
le cas. Le panafricanisme, malgré les critiques cherchant à le faire passer
comme un projet utopique ou exclusif, contient cette idée de regroupement
et de solidarité qui me paraît nécessaire pour affronter l’individualisme d’un
monde en occidentalisation croissante.
Encore une fois, il ne s’agit pas d’opposer, mais de faire en sorte que les identités
évoquant une réconciliation ou une hybridité comme « afropéen « ne soient
pas tout simplement de nouvelles formes d’assimilation, de déculturation et
de domination dans un monde où nous savons que la culture dominante reste
bien souvent celle de l’économie ou du système idéologique dominant.

Dans un entretien récent accordé à un magazine français, l’écrivaine nigériane


Chimananda Ngozi Adichie rejette d’ailleurs cette étiquette qu’on lui colle en
disant «  Africaine oui, Afropolitaine sûrement pas ». Elle explique qu’elle ne
comprend pas la nécessité de créer une catégorie pour un type de personnes qui a
toujours existé. L’histoire du panafricanisme est faite d’hommes et de femmes
d’origine africaine qui n’ont jamais cessé de voyager, de relier les mondes

82 I I n° 99-100 I Afropéa, un territoire culturel à inventer


L’histoire contemporaine de l’Afrique c’est le panafricanisme

et de croiser les identités. C’est l’histoire du panafricanisme qui contient les


couches de sédimentation majoritairement africaines et accessoirement non-
africaines sur lesquelles les identités afropéennes et afropolitaines effleurent,
mais de manière superficielle.

Quel est l’enjeu du panafricanisme en Afrique ?

En termes de stratégie et de philosophie politiques, on ne peut pas utiliser


une idéologie étrangère pour lutter contre une autre idéologie étrangère  ;
on ne peut pas utiliser le socialisme pour lutter contre le libéralisme. Ça n’a
aucun sens. Il faut au contraire utiliser une idéologie qui soit conforme à la
trajectoire historique des populations concernées pour amener à une libération
alternative. Et cette réflexion est éminemment importante car dans ce rapport
à l’ultralibéralisme, l’Afrique fait l’objet d’un consensus sino-occidental le jour,
et d’une intense guerre économique la nuit. Pour sortir de ces alternatives qui
sont toutes les deux des impasses, il faut se tourner vers le panafricanisme.
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Historien, spécialiste de l‘Afrique.


Originaire du Bénin et de la Martinique, Amzat Boukari-Yabara est
titulaire d‘une maîtrise en histoire du Brésil (Paris-Sorbonne, 2005),
d‘un master en sciences sociales (EHESS, 2007) et d‘un diplôme
d‘études latino-américaines (IHEAL, 2011). Sa thèse de doctorat en
histoire et civi­lisations de l‘Afrique (EHESS, 2010) interroge les divers
aspects du panafricanisme et des mouvements révolutionnaires
© DR
contemporains à partir de la biographie politique et intellectuelle de
l‘historien guyanien Walter Rodney.
Il est notamment l’auteur de Nigeria (De Boeck, 2013) ; Mali (De
Boeck, 2014) ; Africa unite ! (La Découverte, 2014) ; Walter Rodney
(1942-1980) : les fragments d’une histoire de la révolution africaine
(Présence africaine, 2015).

Afropéa, un territoire culturel à inventer I n° 99-100 I I 83

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