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Jacques D'HONDT Université de Poitiers

HEGEL ET SPINOZA

Les organisateurs, les animateurs, et singulièrement le Président de ce colloque, ont su


ménager pratiquement une rencontre entre Hegel et Spinoza qui ne peut manquer d'être
philosophiquement significative. Nous leur en sommes très reconnaissants.

Au cours de trois journées de travail, des amis de Spinoza, des savants, viennent de restituer et
de préciser son image, telle qu'en elle-même les écrits du philosophe la consacrent et l'exaltent,
mais risquent aussi de la figer. Ils ont érigé de Spinoza une nouvelle statue ? ombre et
lumière ?, plus ressemblante, plus minutieusement taillée.

Mais il convient maintenant de suivre Spinoza dans le destin de sa pensée. Il s'engage dans les
débats et les combats de notre temps, et, dans cette aventure de Spinoza, Hegel a joué le rôle
d'un recruteur diabolique.

Certes, Hegel ne méconnaît ni l'importance ni la grandeur des autres systèmes philosophiques,


mais il préfère le système de Spinoza.

Il use à son propos de formules étonnantes, dont on ne trouve pas l'équivalent chez d'autres
philosophes sinon sous la plume de son compagnon de jeunesse, Schelling. Spinoza, ? nous
dit Hegel ?, est le tournant capital de la philosophie moderne, et il ajoute, en des termes dont
nous indiquerons bientôt la source : ou bien le Spinozisme, ou bien pas de philosophie ! Si
nous lui faisions confiance, nous devrions tenir l'Hégélianisme, à bien des égards, pour un
Spinozisme.

Or, quelques lecteurs de Hegel, à notre époque, contestent cette parenté. Parmi tous les sujets
d'inquiétude, à ce propos, on peut considérer comme particulièrement important le problème
de la substance, et, conjoint, celui du panthéisme.

La dialectique hégélienne peut-elle se marier avec la substance spinoziste ? S'il en est ainsi,
n'aggrave-t-elle pas une orientation idéaliste qui rend paradoxale sa reprise par Marx ? Ou
bien, si elle se déleste complètement de la substance, n'aboutit-elle pas à une sorte de
nihilisme qui devrait la rendre tout aussi inacceptable pour Marx ? Mais si l'on répond
négativement à toutes ces questions, et si l'on reconnaît dans l'Hégélianisme un Spinozisme
dialectisé , comment expliquer que Hegel ait cru pouvoir réunir ainsi des incompatibles, sinon
en faisant intervenir les conditions historiques, et même anecdotiques de la réception du
Spinozisme par Hegel, la fameuse querelle du panthéisme dans laquelle Spinoza figure à la
fois comme arme et comme enjeu ?

DIALECTIQUE ET SUBSTANTIALITÉ

Et d'abord, l'œuvre de Hegel résiste-t-elle à la confrontation interne de la dialectique et de la


substantialité ? On peut avoir le sentiment que la dialectique hégélienne se joue
essentiellement dans la négativité ! Alors, on admire l'acharnement antisubstantialiste de
Hegel, la chevauchée apocalyptique d'une dialectique qui ne fait surgir de précaires instances,
en quelque domaine que ce soit, que pour mieux les détruire, et plus vite ! Devant elle, rien ne
subsiste, elle ne réclame ni ne tolère aucun support. Elle liquéfie, mais en même temps elle
liquide tout. Hegel poursuit le substantialisme dans ses formes de résistance : la chose,

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l'habitude, les facultés mentales, la subjectivité comme telle. Cette destruction fanatique de
tous les supports, de tous les points d'appui, s'effectue d'une manière particulièrement
saisissante, parce que Hegel a su la mettre en scène théâtralement, dans la Phénoménologie.
Mais elle se poursuit sous une autre forme, plus austère, dans les autres œuvres.

Comme si la dialectique se définissait par l'hostilité au substantialisme, à tout ce qui, de


quelque manière, subsiste !

Il est vrai que ce mouvement de dissolution de toute chose s'accomplit déjà chez Spinoza lui-
même. Et c'est précisément l'un des aspects du Spinozisme que Hegel a le plus volontiers mis
en évidence. Il précisait ainsi son éloge du Spinozisme et de son rôle propédeutique :

Il faut que l'âme se baigne dans cet éther de la substance unique, dans laquelle a disparu tout
ce que l'on avait tenu pour vrai. C'est à cette négation de tout particulier que tout philosophe
doit être parvenu : c'est la libération de l'esprit et son fondement absolu [1] Note 1: .

Disparaître, s'évanouir, voilà le destin de toute chose, et de toute idée qui se fait chose. Hegel
aime faire à ce sujet un jeu de mots de goût douteux : chez Spinoza tout disparaît
(verschwindet ) et Spinoza lui-même souffrait de la Schwindsucht (consomption, phtisie ? de
schwinden ) !

Le sensible, le particulier, le distinct ne sont pas vraiment. Ils passent. La vraie réalité se
trouve ailleurs.

MARX CONTRE HEGEL

Ce destin spinoziste et hégélien des choses ne laisse pas indifférents certains de nos
contemporains. Dans l'élucidation du rapport entre Hegel et Spinoza, le véritable enjeu, c'est
Marx. Marx recueille-t-il quelque chose de la dialectique hégélienne ? Cette dialectique peut-
elle s'acoquiner, comme Hegel le voulait, avec le substantialisme de Spinoza, mais un
substantialisme compris principalement comme le mouvement de disparition, d'irréalisation,
de néantisation du sensible et du particulier ?

S'il en est ainsi, cette dialectique est en même temps hostile au sensible, et donc, en fin de
compte, terriblement antimatérialiste et même, certains n'hésitent pas à le dire, réactionnaire !
Surtout si, avec Hegel, renchérissant en ce sens sur Spinoza, on spiritualise absolument la
substance.

Aussi M. Colletti met-il en garde contre une assimilation qui distillerait tous ses venins dans
l'interprétation que Hegel donne de la pensée de Spinoza et qui témoignerait du caractère
profondément chrétien de sa philosophie [2] Note 2: .

Pourtant d'autres lecteurs de Hegel vont, à certains égards, plus loin que M. Colletti. Contre
lui ils contestent l'assimilation même partielle de l'Hégélianisme au Spinozisme. A leur avis
l'Hégélianisme n'anéantit pas le sensible et le particulier pour le fondre dans la substance, à la
manière que Hegel jugeait spinoziste, mais il anéantit le singulier sans pour autant
substantialiser l'universel, il ne laisse en réalité subsister aucune substance, même pas comme
sujet. Le processus hégélien serait sans sujet. Malgré ses proclamations, Hegel serait en fait le
pire anti-spinoziste, parce que la négativité qu'il libère ne se laisse pas concilier avec la

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substance. Hegel n'aurait retenu de Spinoza que le mouvement de la disparition, sans
préserver le réceptacle des disparus.

Et certes Marx a retenu l'élan de cette mort toujours recommencée : il n'y a d'immuable que
l'abstraction du mouvement ? mors immortalis [3] Note 3: !

Mais ne convient-il pas de se souvenir des précisions dont il faisait précéder cette exclamation,
et qui, si elles supposent bien que toute détermination est négation, n'en maintiennent pas
moins que toute négation est détermination, qu'il y a toujours quelque chose, et que l'on ne
peut concevoir de disparition sans naissance : Il y a un mouvement continuel d'accroissement
dans les forces productives, de destruction dans les rapports sociaux, de formation dans les
idées.

Je crois que cette interprétation phénoméniste et nihiliste de l'Hégélianismes exagère


quelques-uns des traits de celui-ci. Elle repose sur la présupposition d'une incompatibilité
absolue entre la substantialité et la dialecticité, et, rencontrant les deux chez Hegel, elle exige
que l'on choisisse ! que l'on accorde l'hégémonie à l'une, et que l'on occulte chez Hegel les
traces de l'autre, simple inconséquence ou inadvertance. Je préfère, pour ma part, appliquer à
la doctrine de Hegel ce que Madame Rodis-Lewis nous disait avant-hier du Spinozisme : La
négativité de la finitude y renvoie à l'infinité de ce qui n'est limité par rien , ? même si cet
illimité est autre dans l'Hegélianisme.

Hegel a bien prétendu ? même si l'on pense qu'il a eu tort en cela ? réunir les deux, substance
et dialectique, et, plus généralement, réunir les incompatibles.

Aussi a-t-il recueilli la substance spinoziste, comme un héritage précieux. Mais sous bénéfice
d'inventaire. Il élabore même ce qu'il appelle une réfutation du Spinozisme. Réfutation
dialectique certes, c'est-à-dire une réfutation qui, en principe ne devrait pas venir de
l’extérieur, mais au contraire reconnaîtrait d'abord le point de vue du Spinozisme comme
essentiel et nécessaire et, ensuite, ferait en sorte que ce point de vue s'élève de lui-même au
point de vue supérieur [4] Note 4: .

La réfutation dialectique du Spinozisme, comme de toute autre doctrine, suppose son


implication comme moment dans un processus orienté, et donc une unité substantielle de la
pensée universelle.

Hegel reproche à Spinoza l'emploi de la méthode géométrique, qui ne consiste d'ailleurs qu'en
un excès caricatural des procédés habituels de l'entendement (Verstand) qui, en aucune façon
ne peuvent, selon lui, atteindre et saisir l'absolu. Face à l'entreprise extérieure de
l'entendement, la substance se fige en abstraction, dépourvue de vie. Alors qu'il eût fallu que
la substance se développât et se différenciât elle-même, comme un arbre qui pousse?

Cet usage abusif de la méthode géométrique contribuait à empêcher Spinoza d'atteindre ce


que lui-même, Hegel, a enfin réussi à concevoir : la substance comme sujet, elle-même active
et en elle-même querelleuse.

Spinoza n'a pas su voir la substance dans sa réalité concrète, active et dialectique, il n'a pas
assuré, en conséquence, la place, les droits, la dignité de la conscience de soi. La philosophie
hégélienne suppose donc bien, aux yeux de son auteur lui-même, une unification de deux
développements préalables, opposés dans leur respective unilatéralité, l'unification de ce qui,

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à chacun des intéressés, eût paru incompatible : la substance spinoziste et la conscience de soi
fichtéenne. Hegel le dit fort clairement, dans son Histoire de la philosophie, au début du
chapitre qu'il consacre à son ancien ami Schelling [5] Note 5: .

On juge alors de quelle perspicacité faisait preuve Schweighaüser, le premier qui ait parlé de
Hegel en France, à Poitiers naturellement, lorsque dès 1804, alors que Hegel n'avait encore
publié à Iéna que quelques articles, et que Schelling restait fort peu connu dans notre pays, il
déclarait : Ce système dérive de celui de Spinoza, combiné avec les idées de Fichte [6] Note
6: !

Le jeune Marx ne montre donc aucune originalité, lorsqu'il écrit, dans la Sainte Famille que

Dans Hegel, il y a trois composantes, la substance spinoziste, la conscience de soi fichtéenne,


l'unité hegélienne des deux, nécessaire et contradictoire, l'Esprit absolu.

Par contre Marx prend ses distances, décisivement, à l'égard à la fois du composé et de chacun
des ingrédients, lorsqu'il ajoute :

Le premier élément, c'est la Nature, travestie métaphysiquement dans sa séparation de


l'homme ; le second, c'est l'Esprit, travesti métaphysiquement dans sa séparation de la nature ;
le troisième c'est l'unité des deux, métaphysiquement travestie, l'Homme véritable et le
véritable genre humain [7] Note 7: .

Le système de Hegel porte à son comble la mystification que comportaient les systèmes de
Spinoza et de Fichte, mais il ne la crée pas radicalement.

Hegel a proposé un système insoutenable, sans doute, et qui n'a pas tardé d'ailleurs à
s'effondrer, mais chez lui, en tout cas, ce système impliquait et la substance métaphysique et
le sujet métaphysique, la première n'étant nullement évacuée sur ordre du second. Cette
affirmation de la substance conduit à la négation ou mieux à l'oubli de l'existence d'un Dieu
personnel, de l'effectivité d'une création, de l'espoir en une immortalité humaine.

Le recours hegélien à la substance spinoziste, revue et mise à jour, implique tout ce que l'on
désignait, à l'époque, sous le nom terrifiant de panthéisme.

LE PANTHÉISME

Or, si l'on examine attentivement les circonstances, on s'aperçoit que c'est sous cet aspect que
Spinoza s'est d'abord présenté à Hegel. Et ceci sous la forme la plus polémique. Au moment
où Hegel entrait dans la vie intellectuelle, le Spinozisme devenait le centre d'une immense
querelle, car Jacobi venait de publier, en 1785, ses fameuses Lettres sur la doctrine de Spinoza
[8] Note 8: .

Il convient d'en rappeler l'occasion, et ce que fut la Querelle du panthéisme, en Allemagne, à


partir de cette date.

Certes il peut paraître dérisoire, en notre temps, que des esprits éminents se soient tant émus
de cette affaire, et aient dépensé tant de forces et de temps à répondre à cette question :
Lessing était-il vraiment spinoziste ? Quand on relit les textes de Jacobi et de Mendelsohn,
consacrés à ce débat, on ressent l'impression d'entrer dans un autre monde.

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Ce Mendelsohn, pour lequel Hegel exprime toujours le plus grand mépris philosophique, avait
entrepris d'écrire une biographie de Lessing, qu'il avait bien connu. L'ayant appris, Jacobi,
s'inquiéta de savoir si Mendelsohn était vraiment au courant des options philosophiques et
religieuses intimes de Lessing, écrivit à Mendelsohn, et comme celui-ci contestait ses
informations, publia les fameuses Lettres.

L'essentiel, c'était le récit que Jacobi faisait d'une conversation avec Lessing auquel il était
venu faire visite afin de trouver en lui un recours et un appui contre le panthéisme et
l'athéisme, afin d'apprendre de lui, contre ces adversaires, de nouveaux arguments anti-
spinozistes.

Quelle ne fut pas la surprise et la désillusion de Jacobi ! Il lui fallut entendre de la bouche
même de Lessing, une profession de foi panthéiste ! et spinoziste !

 Ce passage des Lettres de Jacobi est le plus célèbre, présenté sous la forme du
dialogue authentique :
 Lessing : Les concepts orthodoxes de la divinité ne sont plus rien pour moi ; je n'en
éprouve plus le goût.! Je ne veux rien savoir d'autre. Cette poésie va, elle-aussi, en ce
sens, et je dois avouer qu'elle me plaît beaucoup.
 Moi : Alors vous seriez assez d'accord avec Spinoza ?
 Lessing : S'il me faut me donner le nom de quelqu'un, alors je n'en vois pas d'autre
[9]Note 9: .

Lessing pose la thèse que Hegel reprendra littéralement dans son Histoire de la Philosophie,
nous l'avons vu : Il n'y a pas d'autre philosophie que la philosophie de Spinoza [10] Note 10: .

La poésie dont il est question est le Prométhée de Goethe, dont Jacobi avait apporté le texte à
Lessing [11] Note 11: .

Ces révélations de Jacobi firent sensation. Mendelsohn ne voulut pas y croire et les contesta
par les moyens les plus contestables. C'était l'enfer spinoziste ! Un homme intelligent et bon,
tel que Lessing, pouvait-il donc être spinoziste ? Jacobi n'évoquait-il pas lui-même au début
de ses Lettres le système athéiste de Spinoza et ne posait-il pas comme un axiome
indiscutable : Spinozismus ist Atheismus [12] Note 12: !

Dans son cours sur Spinoza, Hegel rappellera, plus tard, quelques-unes des formules de
condamnation et de réprobation qui affectèrent Spinoza et sa mémoire. Se déclarer en faveur
de Spinoza, en 1785, date de la publication de l'opuscule de Jacobi, mais aussi tout
spécialement pendant les années suivantes, c'était, en Allemagne, s'exposer à la suspicion et à
la malveillance des autorités, susciter l'horreur du public, sauf peut-être dans le Duché de
Saxe-Weimar, dont le ministre de l'instruction et des cultes était Goethe lui-même, panthéiste
et spinoziste !

En février 1795, Schelling écrit à Hegel : pour toi, la question est déjà résolue depuis
longtemps. Pour nous non plus les concepts orthodoxes de Dieu ne sont plus (?). Entre-temps
je suis devenu spinoziste. Pour Spinoza le monde était tout ; pour moi c'est le Je. [13] Note
13: . A la même époque Hölderlin rédigeait un résumé des Lettres de Jacobi sur Spinoza [14]
Note 14: et gravait partout la formule [15] Note 15: que Hegel, de son côté, introduisait dans
l'album personnel du poète !

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Il faut bien constater que la plupart des contemporains de Hegel, et la postérité jusqu'à une
date très récente, n'ont nullement compris la référence hegélienne à Spinoza, même dans la
spécificité de l'interprétation qu'elle implique, comme un renfort à l'idéalisme de Hegel, ni
comme un témoignage supplémentaire du caractère chrétien de sa philosophie.

Et ceci, en France pas plus qu'ailleurs.

En France, la réputation de Hegel a été fixée dès le départ : une très mauvaise réputation, dont
nous retrouvons l'écho jusque chez Cournot.

Sans doute la connaissance des antécédents spinozistes de l'hegélianisme ne constitue-t-elle


pas une condition nécessaire à la saisie de la tendance panthéiste de celui-ci. Mais ils en
forment un indice complémentaire, et ils ont été révélés très tôt au public.

LA STRATÉGIE DE HEGEL

Pourtant, Hegel s'est toujours défendu très vivement d'être panthéiste, ou d'incliner au
panthéisme. Ses plaidoyers, à ce propos, se font d'autant plus persuasifs et insistants que
l'accusation risque de se montrer plus convaincante.

Faut-il, ici, croire Hegel sur parole ? Il a plusieurs paroles !

Quand on examine tous les textes, on s'aperçoit que, de fait, Hegel varie beaucoup dans ses
appréciations du panthéisme de Spinoza. Il combine une stratégie.

Chaque fois qu'il publie son attachement à Spinoza, il prend soin de disculper celui-ci de tout
soupçon de panthéisme ou d'athéisme. Pour mieux rassurer les censeurs pointilleux, il pèche
par excès de radicalisme, non sans témérité : il lui arrive de prétendre que Spinoza n'a pas été
panthéiste, pour cette bonne raison qu'il n'y aurait jamais eu de véritables panthéistes, ni en
religion, ni en philosophie [16] Note 16: !

L'excès du propos en renverse le sens et le rend très suspect !

Comme il est indéniable que Spinoza propose une doctrine bien particulière, Hegel propose
benoîtement, c'est bien le cas de le dire, d'appeler celle-ci non pas panthéisme, mais
acosmisme [17] Note 17: ! Définition très satisfaisante pour l'idéalisme. Et Hegel de se
gausser, comme l'avait fait Goethe, des prétendus panthéisme et athéisme de Spinoza !

Toutefois bien des lecteurs croient remarquer qu'en ce qui concerne du moins les problèmes
de la création, du libre arbitre divin, de la prière, de l'immortalité de l'âme, etc., un acosmisme
ne conduit pas à des conséquences très différentes de celles que favorise le panthéisme. De ce
point de vue, c'est toujours le monisme.

Hegel, qui a vécu toute sa jeunesse dans la familiarité panthéistique de Schelling et de


Hölderlin, devait sourire de ces jeux de mots.

Mais, il ne les tient d'ailleurs pas toujours pour indispensables. Quand il ne se sent pas lui-
même concerné, il n'hésite pas à reconnaître que le système de Spinoza c'est le panthéisme
absolu, le monothéisme élevé à la pensée [18] Note 18: .

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Ce panthéisme de Spinoza, Hegel renonce, en d'autres contextes, à l'assimiler fantastiquement
au monothéisme. Il lui arrive alors de le rapprocher de l'athéisme, comme le font tous les
adversaires de Spinoza, comme le faisait Jacobi.

Hegel écrit alors : On dit que le Spinozisme c'est l'athéisme. D'un certain point de vue, c'est
vrai, dans la mesure où Spinoza ne distingue pas Dieu de la nature, du monde, dans la mesure
où il dit que Dieu est la nature, le monde, l'esprit humain ? que l'individu est Dieu explicité
d'une manière particulière [19] Note 19: .

Ou bien, pour mieux insister sur le caractère athée de certains philosophes du XVIII e siècle, il
explique : Ici, nous sommes bien en présence d'un cas où la philosophie a été jusqu'à
l'athéisme. L'ultime, l'actif, l'efficient, elle l'a déterminé comme matière, nature, etc. On peut
dire qu'en somme c'est du Spinozisme. On s'y représente l'ultime sous la forme de l'unité de la
substance [20] Note 20: .

Il indiquera aussi que le concept de matière, dans la philosophie des Lumières, complété par
l'opinion selon laquelle la pensée est un mode de cette matière, voilà l'objet dans lequel
s'accomplit vraiment la substance spinoziste [21] Note 21: .

Il avait déjà annoncé cette parenté dans son analyse générale de ce qu'il appelle la période de
la métaphysique . Ici, il déclarait, entre autres :

La substance, c'est le naturalisme, c'est le Spinozisme ; la substance spinoziste et le


matérialisme français sont parallèles [22] Note 22: .

Très généralement, et habilement, c'est dans les chapitres où il expose la philosophie des
autres philosophes qu'il reconnaît le panthéisme de Spinoza, plus que dans le chapitre spécial
qu'il consacre à celui-ci, dans son Histoire de la philosophie.

Le chapitre sur Giordano Bruno, remarquablement ample et élogieux, se montre très


significatif à cet égard [23] Note 23: .

Autre hérétique auquel Hegel aime se référer, Bruno a déjà été rattaché au panthéisme de
Spinoza par Jacobi. Et Hegel le rappelle, sans omettre de signaler que la publication et la
lecture des écrits de Bruno sont encore interdits en Saxe au moment où il traite de lui.

Et voici comment Hegel caractérise sa pensée :

Le contenu de sa pensée générale, c'est l'enthousiasme pour cette vitalité (Lebendigkeit ) de la


nature que j'ai déjà mentionnée, pour la divinité, la présence de la raison dans la nature. Sa
philosophie est donc, en général, du Spinozisme, du panthéisme. La séparation entre l'homme
et Dieu ou le monde, tous les rapports d'extériorité, il les a jetés dans l'idée vivante de l'unité
du Tout [24] Note 24: .

Et c'est avec admiration que Hegel le souligne :

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Ce système de Bruno, c'est le Spinozisme tout à fait objectif ; on voit combien il a su aller en
profondeur [25] Note 25: .

Lorsqu'il présentait aux Français le tout neuf panthéisme de Schelling et de Hegel,


Schweighäuser savait en fixer l'image en lui opposant son antithèse.

Il lui oppose, pour s'y rallier, la doctrine qui, selon lui, le réfute en Allemagne même :

Ce système de MM. Schelling et Hegel a été combattu récemment, avec beaucoup d'avantage,
par un philosophe du premier ordre. Fidèle aux croyances philosophiques que les hommes et
les siècles les plus éclairés nous ont transmises, M. Jacobi place à la tête de sa doctrine un
Dieu personnel, intelligent, rémunérateur [26] Note 26: .

Voilà restitué le Dieu de la tradition !

Mais en Allemagne la polémique conduit à des complications que l'on ignore en France.
Hegel use de tous les moyens pour se défendre. Il retourne l'accusation de panthéisme contre
ceux-là même qui le soupçonnent ! Ayant défini à sa manière le panthéisme, il fera
perfidement remarquer que ce panthéisme est contenu dans l'expression de Jacobi selon
laquelle Dieu est l'être dans toute existence . Et d'ailleurs ajoutera-t-il, avec quelque malice,
cela conduit chez Jacobi aussi à d'excellentes déterminations de Dieu [27] Note 27: .

A la fin de sa vie, Schelling, devenu l'adversaire de Hegel insistera lui-même sur les aspects
panthéistes de la philosophie hegélienne de la religion : Le savoir humain, le savoir que
l'homme a de Dieu est (pour Hegel) le seul savoir que Dieu a de lui-même [28] Note 28: .

Jacobi, Schelling, Hegel ne se sont jamais lassés de se renvoyer l'un à l'autre cette accusation
de panthéisme qui devait bien, à quelque degré, les concerner tous les trois.

Et tous les trois ont subi la séduction de Spinoza.

Ils ont grandement contribué, avec les poètes et les littérateurs allemands de leur temps, à le
réhabiliter sans le trahir.

A son tour, il aide à les mieux comprendre, et sert de point de repère pour les mieux situer.

A la confrontation des systèmes de Spinoza et de Hegel nous ne prenons pas seulement un


plaisir d'antiquaire, ou d'archéologue. Mais nous y gagnons une intellection plus élevée et plus
sûre de ce qu'a dit Hegel et, après lui, Marx.

Hegel a su tirer de la lecture de Spinoza le plus grand profit pour l'élaboration de sa propre
philosophie. Mais cette constatation perdrait tout sens si ce qu'il a découvert chez Spinoza ne
s'y était pas trouvé vraiment. Et où donc aurait-il pu le chercher ailleurs ? Aussi bien Spinoza
éclaire-t-il Hegel. Mais, inversement, Hegel nous permet de déceler chez Spinoza les idées
qui étaient capables de survie et de développement en d'autres siècles que le sien.

Il ne me paraît donc pas du tout indispensable de supposer que Marx ait dû en quelque sorte
sauter par-dessus Hegel pour aller retrouver, malgré cet obstacle idéologique, le vieux
Spinoza qui aurait été en philosophie son seul maître. En fait, Hegel transmettait l'essentiel du
message de Spinoza, ce que Marx avait besoin de recueillir de lui.

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Quelle qu'ait été, dans son détail, la pensée authentique de Spinoza, certainement complexe et
peut-être ambiguë en certains de ses aspects, ? une pensée spinoziste qu'il ne faut pas se lasser
de capter, d'élucider, de commenter pour elle-même ?, je crois que seule la transfiguration
hegélienne lui a permis de garder jusqu'en notre temps une actualité vivante, polémique,
exaltante. Dans l'Hegélianisme nous rencontrons aussi la statue de Spinoza, mais elle ne reste
pas immobile. Comme celle du Commandeur, elle nous tend la main, et si nous avons l'audace
de la saisir, elle nous entraîne dans un autre enfer.

NOTES

 1. Geschichte der Philosophie, III , p. 299, (Ed. Reclam, Leipzig, 1971).


 2. Lucio COLLETTI, Le marxisme de Hegel, trad. française, 1976, p. 41-54.
 3. Misère de la Philosophie, Paris, 1961, p. 119.
 4. Science de la Logique, (éd. Lasson), II, p. 218.
 5. Geschichte der Philosophie , III, op. cit., p. 585-586.
 6. Sur l'état actuel de la philosophie en Allemagne, Archives littéraires de l'Europe, I,
1804, p. 189-206 (Second Cahier).
 7. La Sainte Famille. Marx-Engels-Werke, II, p. 147.
 8. JACOBI, Ueber die Lehre des Spinoza, in Briefen an den Herrn Moses
Mendelssohn , 1785.
 9. JACOBI, Ueber die Lehre des Spinoza , 1785, p. 12.
 10. Ibid., p. 13.
 11. Le texte du Prométhée de GOETHE est publié à la page 49 des Lettres de JACOBI.
 12. Ibid., p. 170.
 13. HEGEL, Briefe, I, p. 21-22.
 14. HOELDERLIN, Werke, II, p. 350.
 15. Werke, II, p. 82 (Préface à la dernière version d'Hypérion ).
 16. Philosophie der Religion , 1832, I, p. 54.
 17. Encyclopédie, trad. de GANDILLAC, Paris, Gallimard, p. 495-496.
 18. Geschichte der Philosophie , éd. Reclam, Berlin, 1971, III, p. 298.
 19. Ibid., p. 332.
 20. Ibid., p. 442.
 21. Ibid., p. 437.
 22. Ibid., p. 253.
 23. Ibid., p. 141 à 160.
 24. Ibid., p. 245.

 25. Ibid., p. 148.


 26. SCHWEIGHAEUSER, op. cit., p. 203.
 27. Philosophie der Religion, I, Berlin, 1832, p. 211.
 28. SCHELLING, Zur Geschichte der neueren Philosophie , Leipzig, 1966, p. 182.

INTERVENTIONS - Émile NAMER

- Déjà, lors des journées consacrées à Leibniz, il y a une dizaine d'années, au Centre de
Synthèse, on avait parlé savamment de Leibniz, en le situant par rapport à R. Lulle, à Bossuet,
à Descartes et même à Voltaire. Dans toute cette revue, pas un mot sur Giordano Bruno, ou
pis encore, deux allusions à la sauvette. Pourtant, M. Gueroult présentant le recueil des
communications de ces journées, écrit : Ce riche volume offre un panorama complet de la vie,

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de l'activité et de la pensée leibnizienne. Complet ? hélas ! non : ceux qui ont consulté la
bibliothèque de Leibniz ont pu relever dans ses livres et ses écrits, un nombre considérable
d'annotations relatives à G. Bruno.

- Dix ans plus tard, dans le Colloque International, organisé pour célébrer le troisième
centenaire de la mort de Spinoza, c'est encore le même parti pris d'ignorer le rôle capital joué
dans le développement de la pensée moderne par le plus grand philosophe de la Renaissance
italienne. Ici, non plus, pas une communication qui porte directement sur les rapports entre
Spinoza et Giordano Bruno.

- Cependant, on est reconnaissant au Pr Jacques D'Hondt d'avoir abordé ce problème par le


biais de Hegel et parfois de Schelling. ? et montré non seulement ce que l'un et l'autre
devaient à Spinoza, mais au travers de ce dernier, ce qu'ils devaient à Giordano Bruno, tout en
préservant, bien entendu, l'originalité de chacun de ces philosophes.

- Les thèmes hegéliens que l'orateur a présentés et soulignés, se retrouvent tous chez Spinoza
et chez Giordano Bruno : hostilité à tout substantialisme immobile, qui serait, par là-même
négation de l'Etre ; refus des déterminations abusives de la réalité vivante par la géométrie ;
conception d'un monde immanent à Dieu ; distinction logique, et non opposition réelle, entre
immanence et transcendance ; création d'un univers dont la substance s'identifie à celle de
Dieu ; infinité d'attributs et de modes inhérents à l'unité divine, tout comme la pluralité des
idées chez un homme n'exclut pas, conditionne plutôt l'unité vivante de sa pensée.

- En ce sens très brunien, le système de Hegel dérive de celui de Spinoza. Et pourquoi s'en
étonner ? N'est-ce pas le Dr van den Enden, naturaliste pénétré de toute la philosophie de la
Renaissance italienne, qui a initié Spinoza, aussi bien à la philosophie de Descartes qu'à celle
de Bruno ? Ce n'est pas par génération spontanée que se trouve dans le Court Traité de
Spinoza, l'essentiel de la rationalité brunienne. Par exemple, au § 18, Spinoza écrit : De tout
ce que nous avons dit, il apparaît avec évidence que, selon nous, l'étendue est un attribut de
Dieu. Mais l'étendue est divisible, et l'Etre parfait ne saurait être composé de parties. En effet,
explique-t-il, dans le § 19 : Le tout et la partie ne sont pas des êtres réels, mais seulement des
êtres de raison, et par conséquent, il n'y a dans la nature ni tout, ni parties . Rien n'existe,
ajoute-t-il au § 23, en dehors de Dieu, car Il est la cause immanente du Tout .

- Nous pourrions suivre pas à pas le Spinoza du Court Traité et le Giordano Bruno du De la
Causa ou de l'Infinito, ou d'autres livres encore. On pourrait aller plus loin, et remonter
jusqu'au Système de Copernic, tel que Bruno l'a généralisé et multiplié à l'infini. Alors on
comprendrait qu'il n'y a pas de place pour deux substances, que nature naturée et nature
naturante ne sont que deux aspects de la même réalité.

- Telles sont quelques-unes des idées que M. D'Hondt nous a suggérées par son interprétation
d'un Hegel spinoziste. Il est peut-être le seul, dans ce Congrès qui ait montré par sa démarche,
le cheminement de la pensée brunienne et ses inflexions chez les meilleurs représentants de la
philosophie et de son histoire. A l'entendre, on a bien l'impression que Spinoza, même dans
l'Ethique, doit la forme à Descartes, mais le fond surtout à Giordano Bruno.

- En remerciant M. D'Hondt, formons le vœu que son exemple soit suivi en France, un peu
plus souvent.

- Roger HENRARD

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- Renouveau de l'hegélianisme aux Pays-Bas au début du XXe siècle.

- Bierens de Haan introduit la dialectique dans l'immanence spinoziste. Il réduit les attributs
de Dieu à l'idée, d'où interprétation idéaliste de Spinoza.
- Robert MISRAHI

- L'exposé de M. D'Hondt m'a considérablement intéressé.

- Certes, la substance chez Spinoza, n'est rien d'autre en réalité que la somme des attributs et
des modes.

- Mais si, pour un moment, on essaie de la considérer en elle-même, ne peut-on pas dire
qu'elle se retrouve, après transmutation, dans la théorie hegélienne de la substance et du savoir
absolu qui se trouve à la fin de la Phénomolologie de l'Esprit ?

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