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Météorologie poétique : les nuages chez

Goethe
Giovanna Pinna

https://books.openedition.org/pur/38569?lang=fr

1. Il faut bien être en même temps poète et savant voué à la connaissance scientifique de la
nature, tel que l’était Goethe, pour mettre en rapport la météorologie, cette science moderne
qui a privé l’observation du ciel de son caractère romantique et divinatoire, avec la poésie.
Bien sûr, les cieux et les nuages ont toujours été un objet privilégié de la représentation
poétique et picturale de la nature, mais c’est précisément la naissance de la considération
scientifique de ces phénomènes qui a enflammé l’imagination (Phantasie) de Goethe et qui
lui a fait célébrer, avec un petit poème, l’homme qui a esquissé la première classification des
nuages, l’anglais Luke Howard1. Il s’agit d’une sorte de traduction littéraire en vers de la
doctrine de Howard, qui avait décrit la morphologie des nuages et surtout avait donné une
nomenclature latine, celle-là même qui est encore utilisée aujourd’hui pour désigner les
différents types de phénomènes nuageux.

2En fait, on peut considérer cette composition poétique singulière, placée dans un contexte de
recherches et d’observations empiriques sur l’atmosphère et sur les forces telluriques, comme
un cas tout à fait considérable de l’interaction entre production littéraire et observation
scientifique de la nature qui caractérise l’inspiration littéraire de Goethe et constitue l’une des
tendances fondamentales de la poétique classiciste développée après le voyage en Italie. Je
rappelle ici seulement le rôle joué par une autre science, la chimie, dans une œuvre bien plus
connue, Les affinités électives, qui présuppose un modèle de correspondances universelles
entre les forces de la nature et les structures spirituelles de l’homme.

• 2 Voir surtout l’étude de Werner KELLER, « Die antwortenden Gegenbilder. » Eine


Studie zu Goethes Wo (...)

3Avant d’analyser les textes dédiés à Howard, il faut dire tout d’abord que les nuages comme
métaphores poétiques occupent une place remarquable dans l’œuvre de Goethe dès sa
production juvénile. On peut parler d’une véritable Wolkendichtung, dans laquelle il est
possible d’identifier une typologie métaphorique complexe qui a été très bien étudiée2. Son
paysage poétique est riche en nuées et nuages de différentes sortes, dont je me limite ici à
donner seulement quelques exemples. Dans la composition Ganymed, écrite en 1774, c’est un
nuage qui remplace l’aigle du mythe classique : le nuage en tant que messager de la divinité
constitue le trait d’union entre le moi et la dimension du divin ou de l’infini à quoi le sujet
poétique aspire. Cette construction métaphorique implique un mouvement ascendant, une
dimension dynamique qu’on relève dans la plupart des nuages poétiques goethéens et que l’on
retrouvera curieusement, quarante ans plus tard, dans la classification scientifique des
phénomènes atmosphériques. Une double signification des nuages apparaît dans Zueignung,
le manifeste poétique de 1784. Ici la muse, qui représente en même temps la poésie et la
vérité, disperse tout d’abord les brumes et les nuages qui ont fait disparaître la luminosité d’un
matin de printemps, et qui symbolisent les troubles de la jeunesse et les obscurités causés par
l’ignorance. Mais, d’autre part, elle tisse avec les restes de la masse nuageuse (les fibres et les
flocons des nuages les plus hauts, les cirrus) le voile de la poésie. Un voile qui en même
temps couvre et transfigure la réalité, en manifestant ainsi sa vérité profonde. Il s’agit d’un
des symboles les plus connus de la création poétique utilisés par Goethe.

4Des résonances théologiques ou mythiques sont toujours présentes dans la construction de


l’image goethéenne. Le nuage annonce la divinité ou la muse, cache le trône de dieu (comme
dans le livre de Job) : ça c’est le grand nuage ascendant, le nuage qui dans les ciels baroques
soutient les saints et les anges et qui dans le contexte de l’observation météorologique
s’appelle cumulus. Les nuages bas et les brumes, d’autre part, sont des images métaphoriques
qui désignent une condition intérieure troublée : dans le drame Iphigénie nous trouvons les
deux typologies de nuages, les nuages que la déesse a envoyés pour libérer Iphigénie du
sacrifice et les nuages sombres qui oppriment Oreste. La guérison définitive du héros est
symbolisée ici par Iris, qui dégage le ciel des nuages. On peut enfin ajouter que, à coté des
nuages qui révèlent ou cachent la divinité, d’inspiration classique ou biblique, on trouve
encore chez Goethe la fascination préromantique pour les brumes du nord d’Ossian, image
d’une sensibilité extrême qui nous renvoie aux traits mélancoliques du jeune Werther.

• 3 Wolkengestalt nach Howard, éd. cit. p. 214 ; trad. fr. p. 13.


• 4 Ibidem.
• 5 Goethe cherche à prendre une position intermédiaire entre la théorie de l’épigenèse,
qui conçoit l (...)

52. Pour Goethe la contemplation du ciel possède la force originaire des expériences
d’enfance : « Pour l’esprit d’un enfant qui, avec toute la fraîcheur de son jeune âge, était
confiné par son éducation dans une maison en ville, il ne restait guère d’autre moyen de
s’échapper que de tourner un regard plein de désir et d’attente vers l’atmosphère3. »
L’attraction sentimentale exercée sur l’imagination par les nuages et leur usage métaphorique
dans la poésie ne représentent cependant qu’un côté de l’intérêt de Goethe pour les
phénomènes aériens, qui se concentre aussitôt sur la météorologie et, de façon plutôt
indirecte, sur la peinture de paysage. Comme c’est l’atmosphère qui donne au paysage sa
tonalité émotionnelle, « ni à l’œil du poète, ni à celui du peintre les phénomènes
atmosphériques ne sauraient jamais devenir indifférents4 ». Mais la signification esthétique
des nuages n’est jamais détachée pour Goethe de la compréhension objective de leur structure
phénoménale, c’est-à-dire, en accord avec sa conception générale de la morphologie, du
rapport entre permanence et variation. En effet, il ne conçoit pas les éléments de la totalité
naturelle comme des éléments statiques, mais il cherche plutôt à en saisir dynamiquement le
développement, à en comprendre la métamorphose. Le véritable but de la connaissance
scientifique est celui de fixer ce qui dans la nature est changeant et en mouvement éternel
dans une forme qui montre les étapes de l’évolution des objets naturels, et cela est possible
seulement par le biais de l’intuition sensible (Anschauung5). Il applique de façon analogique
ou méthodique l’idée de la morphologie comme théorie de la formation et de la
transformation, développée dans ses études sur les organismes (botanique, zoologie), à un
domaine non organique tel que la météorologie en tant que domaine du changement par
excellence.

6Un tel projet se rapporte, en premier lieu, à une vision de la science opposée au modèle
quantitatif du savoir établi par Newton. Toutes les recherches biologiques et géologiques de
Goethe s’efforcent de comprendre la ratio et la structure dynamique des phénomènes sans
recourir à des instruments mathématiques. On peut définir cette idée de connaissance de la
nature comme une forme de phénoménologie, où l’échange constant entre analyse et synthèse
aboutit à une histoire de la nature qui s’oriente vers la classification des espèces vivantes de
Linné. Les résultats de la connaissance doivent être intuitivement compréhensibles, ils
doivent être « visibles ». C’est cette concentration sur la dimension qualitative, visuelle et on
pourrait dire holistique de l’expérience de la nature qui lui a fait considérer la classification
des nuages de Howard comme un modèle de science anti-newtonienne, dans la mesure où elle
utilise la méthode de l’analyse sans réduire les phénomènes à des squelettes conceptuels.

• 6 Briefe aus der Schweiz, FA I, 16, p. 54-88.


• 7 Gedanken uber die Witterung, FA II, 2, p. 21-22. Selon cette hypothèse une
élasticité plus forte p (...)

7Une grande curiosité pour les nuages et le temps atmosphérique se manifeste en Goethe bien
avant de devenir pour lui un objet d’intérêt scientifique et théorique. Déjà en octobre 1779,
pendant un voyage en Suisse, il confie à son journal de voyage et aux lettres envoyées à son
amie Madame von Stein des descriptions de paysages montagneux accompagnées de
nombreuses remarques sur les conditions météorologiques. Ces observations, qui ne montrent
encore aucune intention théorique, convergent alors dans les Lettres sur la Suisse6. La
première attestation du fait que Goethe commence à considérer la météorologie et surtout les
nuages dans leur signification autonome et non seulement comme composante de l’expérience
esthétique du paysage, se trouve, quelques années plus tard, dans les comptes-rendus du
voyage en Italie, en 1786. Son interlocuteur est encore Madame von Stein, à laquelle il
adresse des descriptions détaillées de la situation météorologique dans les Alpes. Dans les
Pensées sur les conditions climatiques qu’on trouve dans la correspondance, il ne se limite
plus à décrire les phénomènes qu’il observe, mais formule des hypothèses, comme celle de
l’élasticité de l’atmosphère7. Il faut remarquer que les variations du temps dans les régions de
montagne suscitaient à cette époque un fort intérêt à cause de l’altitude. En effet on avait
commencé à comprendre la structure verticale de l’atmosphère à travers les mesures de la
pression dans les excursions en montagne. Le voyage en Italie marque effectivement un
changement de perspective dans l’attitude de Goethe à l’égard d’une possible signification
scientifique de la transformation infinie des formations nuageuses. Dans une série de lettres
écrites en septembre 1796, où il rapporte à Madame von Stein ses observations, il n’hésite pas
à mentionner, en plus de la question de l’élasticité, l’idée que l’attraction de la terre exerce
une influence sur la disposition des nuages et sur leur configuration. À cette idée (hypothèse
tellurique) rejetée par la science météorologique, il va rester fidèle aussi dans ses études
successives inspirées par Howard.

8Dans les années suivantes, Goethe s’occupe avant tout du rassemblement des données
d’observation sur les nuages, rassemblement qui devient systématique dès que le duc de
Weimar Karl August fait construire d’abord un observatoire astronomique à Jena en 1811,
puis une station météorologique à Schöndorf, près de Weimar, en 1815. À l’observation
directe du ciel et des nuages Goethe, qui a toujours montré une forte méfiance pour les
instruments mécaniques, commence à associer ici les données fournies par l’utilisation du
baromètre et du cyanomètre, un instrument qui sert à mesurer l’intensité du bleu du ciel.

• 8 Wolkengestalt nach Howard, ed. cit. p. 215 ; trad. fr., p. 14.


• 9 Wolkengestalt nach Howard, ed. cit. p. 215 ; trad. fr., p. 14-15.
• 10 Cf. H. BOEHME, « Was birgt die Wolke ? Zur Kultur-und Kunstgeschichte von
Wolken und Wetter », cit

9C’est en 1815 que Goethe découvre les écrits de Luke Howard sur la structure des nuages.
On the Modification of Clouds, paru déjà en 1803, devint un objet d’intérêt en Allemagne
grâce à un article publié dans les « Annalen der Physik » en 1815. Les travaux de Howard, qui
avait classifié les nuages selon leur forme et leur position dans l’atmosphère et avait aussi
formulé une nomenclature qui est encore utilisée aujourd’hui, représentent pour Goethe une
véritable révélation. En l’évoquant, cinq ans plus tard, il écrit : « Je repris avec joie la
terminologie de Howard, parce qu’elle me présentait un fil conducteur qui m’avait jusqu’alors
fait défaut8. » Mais la représentation de la complexité systématique de la science
météorologique, qui exige l’utilisation de schémas théoriques et de signes abstraits, lui
apparaît contraire à sa nature. Après avoir accueilli « l’exposé bref et instructif » que Howard
lui-même avait donné de sa classification, il se tourne « aussitôt même vers la nature », en se
tenant à sa « manière accoutumée », qui le contraint – affirme-t-il – « à considérer tous les
phénomènes naturels selon une certaine succession que présentent les phases de leur
évolution, et à suivre attentivement les transitions dans et contre le sens de celles-ci. C’est en
effet ainsi, et seulement ainsi, que je parvenais à cette vue d’ensemble vivante d’où naît un
concept, lequel ensuite ira, suivant une ligne ascendante, à la rencontre de l’idée9 ». Il
interprète évidemment les écrits de l’anglais selon sa conception de la nature, en lisant les
formes décrites comme des moments d’un développement, et en laissant de côté l’intention
plus strictement classificatoire de Howard10. Il s’informe à travers ses correspondants à
Londres sur la vie de Howard, ce dilettant génial qui a fondé la météorologie moderne ; il
traduit en allemand un petit écrit autobiographique que celui-ci lui avait fait parvenir, et enfin
condense dans quelques brefs essais ses observations sur les nuages, structurés maintenant à
partir du fondement théorique de la doctrine howardienne.

• 11 Il faut remarquer que l’ensemble des textes sur les nuages, dont une partie
seulement a été publié (...)
• 12 Die Farben des Himmels (1818), FA I, vol. 25, p. 206-207.

103. En se référant au modèle classique de l’invocation à la muse Goethe met l’un de ses
premiers essais de classification des nuages selon Howard sous l’égide d’une divinité
indienne, Camarupa, la déesse qui « aime tout changement de forme11 ». Il traduit l’intuition
la plus importante de Howard, celle de la stratification verticale de l’atmosphère, de laquelle
dépend la position des différentes sortes de nuages, en un modèle agonal d’interaction entre
les régions du ciel. Les couches atmosphériques, où vont se placer, selon leur nature, les
quatre types fondamentaux de nuages : le stratus, le cumulus, le cirrus et le nimbus, qui luttent
pour s’affirmer les uns sur les autres. À l’idée de la métamorphose s’ajoute ainsi le principe
du conflit, tel que chaque nuage apparaît comme le résultat du conflit entre les couches
supérieures et inférieures de l’atmosphère. Les éléments impliqués dans cette dynamique sont
surtout l’attraction de la terre et l’humidité de l’air, et sur cette dernière il croit pouvoir tirer
des informations d’un autre aspect fascinant de l’atmosphère, le bleu du ciel, mesuré par le
cyanomètre. Cette question, traitée dans le court essai Les couleurs du ciel, constitue le trait
d’union entre la météorologie et un autre domaine important des recherches de Goethe sur la
nature, la théorie des couleurs12.

• 13 Wolkengestalt nach Howard, éd. cit. p. 2** ; trad. fr. p. 37.


11Il n’est pas possible de séparer nettement le Goethe scientifique du Goethe poète : les écrits
inspirés par Howard le démontrent encore une fois. L’Essai de théorie météorologique
reconnaît à l’incipit la nature symbolique de notre perception de la nature et de l’univers, en
annonçant ainsi son programme : « Le vrai, identique au divin, ne se livre jamais directement
à notre connaissance : nous le voyons seulement à travers le reflet, l’exemple, le symbole, à
travers des phénomènes isolés et apparentés ; nous le percevons sous les espèces d’une vie
incompréhensible, sans pouvoir renoncer au désir de le comprendre quand même13. » Il s’agit
alors de reconstituer à partir de ces reflets partiels une totalité de l’univers qui est en même
temps une totalité de l’être humain. Mais cela reste un but impossible à atteindre avec les
seuls instruments de la science. Quant à sa poésie, Goethe poursuit une sorte d’exactitude de
l’imagination (« eine exacte sinnliche Phantasie »), qui pourvoit l’expression des états
subjectifs de corrélations objectives, fournies par l’observation scientifique des choses de la
nature. Vice versa il veut introduire dans le domaine de l’observation scientifique la
perspective humaniste, par laquelle chacun des résultats de la connaissance est inséré dans un
système complexe de correspondances entre les phénomènes de la nature, qui évidemment
incluent l’homme. Cette conception, qui dérive de l’idée néoplatonicienne de la grande chaîne
de l’être et informe l’étude goethéenne de la nature, constitue aussi le fondement des
réflexions sur les nuages.

• 14 Goethe a ajouté cette section et les trois strophes conclusives en 1822, deux ans
après la premièr (...)

12Goethe a fait précéder le poème en honneur de Howard de deux strophes sur l’atmosphère
et le conclut avec une autre section qui a le titre Nota bene14. C’est une sorte d’encadrement
qui contient une déclaration générale de méthode : la connaissance est un échange constant
d’analyse et de synthèse, de concentration sur les éléments singuliers du phénomène et de
vision globale. De cette façon Howard a distingué les différentes régions du ciel et les
différents types de nuages qui lui correspondent, pour les reconduire enfin à la totalité
dynamique de l’atmosphère, définie par un mouvement de systole et diastole. Ce mouvement
d’alternance représente aussi le schéma constructif du poème, où à chaque figure suit son
opposé spéculaire. Le changement est symbolisé tout d’abord par le jeu de Camarupa avec les
nuages et l’air, mais la divinité indienne est animée en même temps par une force définitoire
qui la pousse à créer de la matière impalpable des nuages des objets fantastiques. Ici Goethe,
faisant allusion à Shakespeare, souligne un des aspects les plus séduisants des nuages, leur
force évocatrice, qui contraint l’imagination (die Phantasie) de chaque contemplateur du ciel
à voir dans leurs formes instables des images de l’existence réelle. Et ce n’est pas par hasard
qu’à la figure divine qui appartient au monde fabuleux et exotique de la mythologie indienne
Goethe oppose l’action définitoire et nomenclatrice de Howard, le savant occidental et
moderne. L’une représente l’imagination (die Phantasie), l’autre la raison observatrice, et
chacune est indispensable pour la compréhension du sens authentique des nuages.

13Le même ordre dualiste définit la séquence des types de nuages et sa dynamique : au
stratus, attiré par la force tellurique, s’oppose le mouvement ascendant du cumulus et le
cirrus, qui poursuit cette « noble ascension vers le haut », est tiré vers la terre, en se
transformant à son tour en nimbus, porteur d’orages. La classification est devenue procès, les
formes transformation, figures d’un jeu infini entre esprit et parole.

• 15 La forme des nuages d’après Howard, éd. cit., p. 237, trad. fr. p. 32.

L’atmosphère 15
Le monde est si grand, il est si vaste,
Et le ciel lui aussi, si sublime et lointain,
Tout cela, il me faut le saisir par la vue,
Car la pensée ne s’y prête guère.

Pour te trouver dans l’infini,


Il faut distinguer, puis associer ;
Porté par les ailes de la gratitude, je chante donc
L’homme qui sut distinguer les nuages.

Pour honorer la mémoire de Howard

Lorsque Camarupa, sublime majesté,


Léger et lourd dans sa course errante à travers les airs,
Rassemble les plis du voile, les disperse,
Prenant plaisir à ces figures changeantes,
Tantôt figé, s’arrête, tantôt disparaît comme un rêve,
Nous croyons à peine nos jeux étonnés ;

Voici qu’en lui s’anime, hardie, la force créatrice des formes,


Qui de l’indéfini crée le défini,
Ici menace un lion, là un éléphant balance sa masse,
Le cou du chameau se métamorphose en dragon,
Une armée s’avance, mais ne triomphe pas,
Sa puissance se brise sur une falaise abrupte ;
Le plus sûr messager s’évanouit dans les airs
Avant d’atteindre les lointains où nous porte l’amour.

Mais lui, Howard, nous donne, dans l’esprit le plus pur,


Le gain inestimable d’une théorie nouvelle.
L’insaisissable, l’inaccessible,
Il le saisit, lui le premier, et le retient d’une main ferme ;
Il définit l’indéfinissable, le délimite,
Le nomme avec pertinence ! – Honoré soit ton nom ! –
Voyant la nuée monter, se ramasser, se dissiper, tomber
Qu’avec reconnaissance le monde garde ton souvenir.

Stratus

Lorsque du miroir plan, immobile, des eaux


Une brume soulève le tapis étalé,
La lune, associée à l’ondoiement des phénomènes aériens,
Brille, fantôme créateur de fantômes,
Alors nous sommes tous, nous le reconnaissons,
Tes enfants vivifiés, réjouis, ô Nature !
Alors montent sur la montagne, vaste rassemblement,
Des traînées alignées, répandant une grande ombre
Sur les hauteurs moyennes, également inclines
À tomber en ondée ou à monter en vapeur aérienne.
cumulus

Et si alors leur noble substance


Est appelée vers les hauteurs de l’atmosphère,
Le nuage s’élève, arrondi, magnifique,
Sa forme vigoureuse annonce sa puissance ;
Comme vous les craignez et parfois subissez,
S’il y a menace en haut, il y a violence en bas.

cirrus

Mais la noble ascension vers le haut se poursuit !


Et la dissolution est contrainte céleste.
Cet amoncellement se résout en flocons,
Trottant comme des moutons, troupeau de fines crêtes.
Ce qui se forme en bas ainsi retourne en haut
Dans le sein de son père, dans sa paisible main.

Nimbus

Mais alors, attiré par la puissance de la terre,


Ce qui s’était amassé sur les hauteurs redescend
Et se déchaîne en orages furieux,
Pareil à des armées qui passent, et qu’emporte le vent ! –
Subir activement : c’est le lot de la terre !
Mais que, sur cette image, votre regard s’élève :
La parole descend, car elle est vouée à décrire,
L’esprit, lui, veut monter vers son lieu éternel

Nota bene

Et quand nous avons distingué,


Alors il nous faut rendre le don de la vie
À ce que nous avons ainsi séparé
Et jouir de la vie, avec ses alternances.

C’est ce que fait le peintre, ainsi que le poète,


Qui, familiarisé avec les distinctions de Howard,
Tôt déjà le matin et tard encore le soir
Porte sur l’atmosphère un regard scrutateur :

Il accorde à chaque forme son caractère,


Mais ces mondes aériens lui donnent à connaître
Les formes intermédiaires, plus subtiles,
Afin qu’il les saisisse, les sente, et les figure.

Howards Ehrengedächtnis

Wenn Gottheit Camarupa, hoch und hehr,


Durch Lüfte schwankend wandelt leicht und schwer,
Des Schleiers Falten sammelt, sie zerstreut,
Am Wechsel der Gestalten sich erfreut,
Jetzt starr sich hält, dann schwindet wie ein Traum,
Da staunen wir und traun dem Auge kaum ;

Nun regt sich kühn des eignen Bildens Kraft,


Die Unbestimmtes zu Bestimmtem schafft ;
Da droht ein Leu, dort wogt ein Elefant,
Kameles Hals, zum Drachen umgewandt,
Ein Heer zieht an, doch triumphiert es nicht,
Da es die Macht am steilen Felsen bricht ;
Der treuste Wolkenbote selbst zerstiebt,
Eh er die Fern erreicht, wohin man liebt.

Er aber, Howard, gibt mit reinem Sinn


Uns neuer Lehre herrlichsten Gewinn.
Was sich nicht halten, nicht erreichen läßt,
Er faßt es an, er hält zuerst es fest ;
Bestimmt das Unbestimmte, schränkt es ein,
Benennt es treffend ! – Sei die Ehre dein ! –
Wie Streife steigt, sich ballt, zerflattert, fällt,
Erinnre dankbar deiner sich die Welt.

Stratus

Wenn von dem stillen Wasserspiegelplan


Ein Nebel hebt den flachen Teppich an,
Der Mond, dem Wallen des Erscheins vereint,
Als ein Gespenst Gespenster bildend scheint,
Dann sind wir alle, das gestehn wir nur,
Erquickt’, erfreute Kinder, o Natur !

Dann hebt sich ‘s wohl am Berge, sammelnd breit


An Streife Streifen, so umdüstert’s weit
Die Mittelhöhe, beidem gleich geneigt,
Ob’s fallend wässert oder luftig steigt.

Cumulus

Und wenn darauf zu höhrer Atmosphäre


Der tüchtige Gehalt berufen wäre,
Steht Wolke hoch, zum herrlichsten geballt,
Verkündet, festgebildet, Machtgewalt
Und, was ihr fürchtet und auch wohl erlebt,
Wie’s oben drohet, so es unten bebt.

Cirrus

Doch immer höher steigt der edle Drang !


Erlösung ist ein himmlisch leichter Zwang.
Ein Aufgehäuftes, flockig löst sich ‘s auf,
Wie Schäflein trippelnd, leicht gekämmt zu Hauf.
So fließt zuletzt, was unten leicht entstand,
Dem Vater oben still in Schoß und Hand.

Nimbus

Nun laßt auch niederwärts, durch Erdgewalt


Herabgezogen, was sich hoch geballt,
In Donnerwettern wütend sich ergehn,
Heerscharen gleich entrollen und verwehn ! –
Der Erde tätig-leidendes Geschick !
Doch mit dem Bilde hebet euren Blick :
Die Rede geht herab, denn sie beschreibt,
Der Geist will aufwärts, wo er ewig bleibt.

• 16 Cf. Werner BUSCH, Die Ordnung im Flüchtigen – Wolkenstudien der Goethezeit, in


Goethe und die Kuns (...)

14Il faut enfin mentionner encore un domaine dans lequel Goethe s’est occupé des nuages, la
peinture. Son intérêt pour la peinture de paysage est bien connu. Il s’est même exercé dans ce
genre pendant le voyage en Italie sous la direction du peintre Johann Philip Hackert et il a
toujours beaucoup dessiné. Mais il se savait incapable de donner une forme artistique
satisfaisante à ses observations du ciel. Ses dessins de nuages ne sont que des exercices
d’analyse morphologique et d’illustrations de la typologie howardienne. Il proposa alors en
1816 à Caspar David Friedrich, qu’il avait précédemment critiqué pour ses tendances
mystiques et romantiques à outrance, mais qu’il appréciait pour sa sensibilité dans la
représentation de l’atmosphère, de peindre des nuages en suivant les réflexions sur la
morphologie qu’il avait développées à partir des théories de Howard16. Friedrich, bien
qu’ayant déjà fait de nombreuses études de nuages, refusa très nettement l’invitation, en
considérant cette référence à l’objectivité extérieure comme une limitation intolérable de la
possibilité d’exprimer le contenu subjectif de l’intuition artistique de la nature.

15Il a été probablement question d’une incompréhension réciproque. Friedrich de son côté a
interprété la demande du poète comme une tentative de marque classiciste d’imposer une
règle ou un lien objectif à la représentation artistique de la nature, pour laquelle il ne
reconnaissait qu’une origine : l’expérience intime du sujet. Goethe à son tour n’a pas bien su
comprendre le caractère introspectif et tout à fait non empirique des exercices picturaux de
Friedrich sur la forme des nuages, dont il avait connaissance. Mais en réalité son intention
véritable était celle de mettre en relation les connaissances scientifiques fondées sur
l’observation empirique avec la faculté mystérieuse de l’artiste de saisir intuitivement le sens
caché des formes phénoménales et leur rapport avec la totalité de la nature. Finalement il
demandait à Friedrich de chercher à pénétrer avec les moyens de la peinture l’ordre visuel de
la nature comme il l’explorait avec la métaphore poétique.

16Cette exigence d’établir une liaison entre créativité artistique et connaissance de la nature
se fonde sur deux convictions fondamentales : que chaque résultat de la recherche sur la
nature doit être rapportée à l’existence de l’homme et que la force créatrice de l’artiste est
essentiellement analogue à la productivité naturelle. C’est ça le fondement de la poétique
classiciste de Goethe et de sa production lyrique après le voyage en Italie, dans laquelle les
images de la nature, obtenues par l’observation objective, sont transformées en symboles de la
condition humaine. L’artiste traduit ainsi dans le langage de l’esprit les phénomènes qui ne
sont que les signes du langage de la nature. L’usage symbolique des formes naturelles
constitue le point de rencontre entre imagination (Phantasie) artistique et science. Les nuages
offrent de cette perspective des matériaux exceptionnels pour l’imagination : en elles on
trouve la forme et la variation infinie, la tension vers le haut des cirrus et la pesanteur obscure
du nuage orageux, la majesté solennelle du cumulus et la tristesse des brouillards, la lutte
entre ciel et terre et la sérénité de l’azur pointillé de flocons blancs. En bref, toutes les images
« de la vie, avec ses alternances ».

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